PURCHASED FOR THE
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
FROM THE
CANADA COUNCIL SPECIAL GRANT
FOR
ART
REVUE
ARCHÉOLOGIQUE
OU RECUEIL
DE DOCUMENTS ET DE MÉMOIRES
RELATIFS A L'ÉTUDE DES MONUMENTS ET A LA PHILOLOGIE
DE L'ANTIQUITÉ ET DU MOYEN AGE
PUBLIÉS PAR LES PRINCIPAUX ARCHÉOLOGUES
FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
ET ACCOMPAGNÉS
DE PLANCHES GRAVÉES D'APRÈS LES MONUMENTS ORIGINAUX
III* ANNÉE
PREMIÈRE PARTIE - à £ C O ty £> C
DU 15 AVRIL AU 15JEPTEMBRE 1846 * l/ J
PARIS
A. LELEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUE PIERRE-SARRAZIN , 9
1846
DE L'IMPRIMERIE DE CRAPELET
DE VAUGIBARD, 9
et
Obmtl"'b
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LA PREMIÈRE PARTIE (Avril a Septembre 1846).
DOCUMENTS ET MEMOIRES.
PAGES
Lettre a M. Laurin , sur une stèle funé-
raire de sa collection, par M. Lelronne ,
membre de l'Institut I
Examen des écrits de Klaproth , sur la
découverte de Champollion le Jeune, par
M. de Saulcy, membre de l'Institut. 12, 65
Sur les noms des anciens artistes grecs
ou no>TA!NS , par M. Letronne, membre
de l'JnstituI 34 , 375
iSoTICE SIR UN TOMBEAU DU MOYEN AGE
dans le Muse'e de Niort, par M. P. Mé-
rimée , membre de l'Institut qo
Nctbe-Dame de Blé court, par M. Pinart: 47
Lettre d:: M. Letronne a M. T. Wooi-
X't Y . sur une inscription grecque de
Syrie et sur un ancien aqueduc 78
F.iTTRK ru M. Le Bas a M. Letronm:
sur la stèle funéraire d:Aidinjik S'|
Note sur. un cachet punique, par M. de
Saulry , membre de l'Institut «)y
IN PORTRAIT DE J. C. ET LE PRINCE ZlZlM .
par M. J. ComUt , sous-préfet 10 1
Ol SCHIPTION DE QUELQUES CHAPITEAUX de
l'église ùe Saint-Denis à Amboisc , par
ALE. Cartier lûO
Antiquités du département de la
Creuse , par J. A. L 109
Explications de quelques difficultés rela-
tives aux anciens sculpteurs Callimaque ,
Cléoniène et autres , par M. le comte de
Clarac , membre de l'Institut 1 29 , 209
Lettre a M. A. Jaubert , sur la découverte
d'une mosaïque à Oudnab , par M. A.
Bousseau l4^
Une amulette de J. César , par M. J.
Courlet , sous-préfet iqo
Note de M. Letronne sur l'amulette de
J. César l53
Miroir magique du XVe ou xvie siècle ,
par M. A. Maury, sous-conservateur à la
bibliothèque de l'Institut l54
Rapport sur les résultats de l'expédition
prussienne dans la haute Nubie , par M. le
docteur Abeken 171
Considérations sur la question de savoir
PAGES
s'il est convenable, au XIXe siècle, de bâtir
des églises en style gothique 179
Collection de sceaux historiques du Mu-
sée de l'Ecole des Beaux-Arts, par J. A. L. 186
Lettre a M. Ph. Le Bas, sur les sujets
funéraires qu'on croit être des repas fu-
nèbres et des scènes d'adieux , par M. Le-
tronne , membre de l'Institut 214 , 345
Mémoire sur les Divalia et les Angeronalia,
comme culte secret de Vénus chez les
Romains, par M. le docteur Siebel. 221 ,
32t, 364
Lettre de M. Rangabé a M. Letronne
sur une inscription grecque du Parthénon,
sur les peiutures du Théséum et des Pro-
pylées, et sur deux monuments inédits
récemment découverts 2j4i -9*5
Sur une inscription antique de la ville
DE Saintes, par M. le baron Cbaudruc de
Crazanues , sous-préfet 246
Sun l'amulette de J. César et le cachet
de Sepulius Maci.r , par M. Letroune ,
membre de l'Institut 2J3
"Notices sur une statuette de la bibliothèque
nationale de Madrid , par M. P. Mérimée^
membre de l'Institut . 2t>4
Lettre à l'éditeur de la Revue Archéolo-
gique, sur la crypte de l'église Saint-
Merry, par L. J. G 268
Voyages et recherches archéologiques
de M. Ph. Le Bas , en Grèce. Rapport à
M. le ministre de l'instruction publique,
sur uue excursion dans l'île d'Andros. . . . 273
Note sur l'échelle numérique d'un abacus
athénien , et sur la division de l'obole,
attique , par M. Letronne , membre de
l'Institut 3o5
Argus bifrons , par M. E. Vinet.. • 3og
Note sur la découverte d'une tête de Phi-
dias à la Bibliothèque royale 335
Miroir arabe a figures, par M. A. de
Longpérier , premier employé du cabinet
des antiques de la Bibliothèque royale. . . 338
Des estampages en papier , de leur repro-
duction en plâtre et moyen de durcir le
plâtre, par J. A. L 34l
Lettre de M. A. J. H. Vincent a M. Le-
tronne , sur un abacus athénien 401
TABLE DES MATIERES.
PAGES
Lettre a M. A. de LongpÉrier , sur l'em-
ploi des caractères arabes dans l'ornemen-
tation cher les peuples chrétiens de l'oc-
cident, par M. Henry, bibliothécaire à
Toulon 4°6
VlTRAUX DE L'ÉGLISE DE SAINT- GERMAIN
I.'AUXERROIS, par M. Trocbe 4ia
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
DÉBLAI Dr TEMPLE de Danderah (Egypte). 53
Découverte d'un nouveau proseynème de
l'époque d'Atin-re-B.iklian Id.
Figurines de terre CCITE trouvées dans
les ruines de Rhnrsabad Id.
MM. J. DE WlTTE ET Ad. DE I.ONGPÉRIER
élus membres de l'Académie d'archéologie
de Brlpique Id.
Inscription phïnicifnne découverte a
Marseille Id.
Elections de l'Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres et de la société royale des
antiquaires de France Id.
Bas-relief assyrien découvert dans l'île de
Chypre, et observations de M. Letronne
»ur ce monument \\l\
Nécropole de Memphis 1 16
M. J. Courtet. nommé correspondant du
ministère de l'instruction publique pour
les travaux historiques 1 17
Commission d'Histoire et d'Archéologie
instituée dans le département de la
Haute- Vienne Id.
Prix offert par la Société des anti-
quaires DE LA MORIME Id.
Mosaïque trouvée en Egypte 189
Antiquités trouvées dans l'île de Chy-
»" '9°
Rapport de la Commission des monuments
historiques Id.
Congrès archéologique df. Gloucester . 192
Découverte du temple de la Seine... Id.
RÉÉDIFICVTK» DE LA SALLE DES ANCÊTRES
DE THOUTMES III 193
Visite de M. lf Ministre de l'Intérieur
AU CH-ATEAU DE BLOIS 27 I
Publication de l'ouvrage de MM. Botta
ET Flandin , Sur les découverte:. 9À
Ninive /</.
Création d'une société des beaux-arts
v Athènes Id.
Amphores antiques trouvées à Vienne . . 272
Folili.es de Pompéia
M. Lstionne nommé membre des Sociétés
archéologiques de Nassau et de Mayen< 1
M. le marquis de La Grange nommé
memhre honoraire de l'Académie de»
Inscriptions et Belles-Lettres * Id.
pages
Résumé de la séance annuelle de l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres 420
Rectification fournie par M. le docteur
Siebel 424
Restauration du clocher de l'église de
Vitry, près Paris Id.
BIBLIOGRAPHIE.
Ouvrages dont il a été rendu compté dans
ce volume.
Revue de philologie , de littérature et
d'histoire ancienne , publiée par M. L.
Renier , n° 6. 1846 54
REVUENUMlSMATiQUE.publie'e par MM. Car-
tier et de La Saussaye, n° 6. 184!'' Id.
Bibliothèque de l'école tes Chartes,
2e série , t. II Id.
Zeitschrift fur Munz-Siegel-Und Wap-
pknkunde , publié par le docteur B.
Kcehne , 5e annre. i845 55
JOURNALASIATIQUE, juillet àdécemhre i8^5.
Revue de la numismatique belge , t. II, Id.
n«3 56
Recherches sur la formule funéraire sub as-
cia dedicare, par M. A . B.irlhélemy 57
Les inscriptions phéniciennes , puniques
numidiques , expliquées par une méthode
incontestable , par le général Duvivier ,
in-8», 1846 58
Notice sur quelques médailles antiques et
quelques monnayes du moyen âge iné-
dites, rares ou d'intérêt local, par le
baron Chaudruc de Crazannes, 8°, i8^5. 5g
Description de monnaies du XIVe siècle,
découvertes à Buissoncourt , par M. G.
Rolin,8°, l8!j5 60
Note sur un denier inédit de Manassés Ier,
par M/Duquenelle , 8®, i8^5. 61
Panorama d'Egypte et de Nubie , par
Hector Horeau , 10e livraison 62
Antiquités de Rheinzabern , dessinées
sous la direction de feu Schweighaeuser ,
in-4° Id.
Peinture sur verre au XIXe siècle,
quelques réflexions par M. G. Bontemps ,
in-8<>, 1845 63
Dictionnaire de l'architecture du moyen
âge, par M. A.Berty, in-8», 1845 64
Choix de peintures de Pompéi , la plupart
de sujets historiques , lithographiées par
M. Roux , et publiés , avec l'explication
archéologique de chaque peinture, et une
. introduction sur l'histoire de la peinture
••lie» les Grecs et les Romains f par
M. Raoul Rochette,in-fol., 1844... Il8' l^
Histoire de l'art par les monuments ,
depuis le IV« siècle jusqu'au XVIe, par
Seroux' d'Agencourt ' "^
Relations des voyages faits par
Arabes et les Persans, dans l'Indv
et a la Chine , dans le IX» sied. <].■
chrétienne , texte erabe et traductiou <n-
richie de notes et d'éclaircissements .
M. JReinaud, memhre de l'Institut , » vol.
in-18, i845 128
REVUE AllCHÉOLOGIQIE.
LETTRE A M. LAURIN,
CONSUL GENERAL D AUTRICHE A ALEXANDRIE
SUR UNE STÈLE FUNÉRAIRE DE SA COLLECTION
Monsieur ,
Au nombre des objets précieux d'antiquité que renferme votre
collection, se trouve une stèle funéraire, accompagnée d'une inscrip-
tion grecque.
L'interprétation complète de ce monument vous ayant paru offrir
quelques difficultés , vous avez désiré avoir mon opinion sur le sens
de l'inscription, et sur son rapport avec le sujet du bas-relief qu'elle
accompagne. Vous avez en conséquence prié M. Prisse d'en faire un
dessin et de le mettre sous mes yeux, en me permettant de le pu-
blier, si je croyais cette publication utile. Je pense que les-archéo-
logues vous sauront beaucoup de gré de cette permission, qui porte
à leur connaissance un monument curieux à plus d'un titre. Je désire
que l'explication que je vais en donner leur paraisse, ainsi qu'à vous,
satisfaisante.
Au premier coup d'œil, ce petit monument (Voir la pi. 46),
paraît avoir fort peu d'importance. Ce n'est, en effet, qu'une stèle
funéraire analogue à beaucoup d'autres. Elle est terminée par un
fronton d'assez bonne proportion, dont le milieu est occupé par un
disque.
L'architrave du fronton repose , aux deux extrémités , sur un pi-
lastre qui , de chaque côté , forme l'encadrement de la scène re-
présentée; disposition qui se reproduit fort souvent suc les stèles de
ce genre.
Le sujet du bas-relief n'a rien non plus de remarquable en lui-
même ; c'est une de ces scènes , qu'on est convenu d'appeler repas
funèbres, fort nombreuses dans tous les musées.
m. 1
2 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
La stèle semblerait donc mériter assez peu d'attention , bans l'in-
scription grecque qui l'accompagne et dont le sens, combiné avec la
composition du bas-relief, apporte quelques lumières sur la véritable
signification de ces sujets funéraires.
C'est donc par l'inscription qu'il convient de commencer. Il im-
porte , comme on va le voir, de bien la comprendre.
I.
Heureusement elle est intacte; et les lettres en sont presque toutes
parfaitement distinctes.
Avant tout, elle nous fournit le moyen de savoir, d'une manière
certaine , quel est le lieu d'où cette stèle provient originairement.
11 était naturel de présumer qu'une stèle qui fait partie de votre
collection provenait de l'Egypte. Néanmoins, en ce cas, une chose
devait surprendre ; c'est qu'on n'y aperçoit aucune trace de cet égyp-
tianisme , qui , vers le troisième ou le second siècle de notre ère ( et
l'on ne peut faire remonter plus haut ce monument ), se mêlait en
Egypte dans tous les sujets funéraires. J'ai eu l'explication de cette
singularité, qui m'avait frappé d'abord, lorsque j'ai su de M. Prisse
que, selon votre opinion , la pierre avait été apportée , soit de Con-
stantinople, soit d'une contrée voisine; ce qui semblait en rapport
avec le nom des Thraces qui paraît dans l'inscription.
Depuis, j'ai découvert la provenance précise de ce monument. 11 a
été certainement trouvé à Aidinjik, lieu situé au sud de l'isthme de
Cyzique. En voici la preuve : M. W. J. Hamilton, rapporte que,
ce visitant l'aga de ce lieu, celui-ci désira de lui vendre (wished me
« to buy ) quelques médailles byzantines et quatre tablettes se'pnl-
« craies avec inscriptions, placées sous les bas-reliefs funéraires
à usités en pareil cas (1). » Il ne décrit aucun de ces bas-reliefs, mais
il rapporte les quatre inscriptions (2); or, l'une d'elles, quoique fort
altérée dans sa copie, est évidemment la même que celle de notre
stèle funéraire. On en jugera :
EOPTHHrYNHAYTOYKAlACKA
niAAHCOYOCAYTOYAANAACOC
TEPOJnAACOOIAKOJNMNeiAC
XAPIN
NNCAKIC 6YCAC CIC
AYTHN.
! Jir^mrhi.s iv ./.ski Mmor, t. II, p. UO.
(2) >uinéro6 M8 à Ai.
UNE STELE FUNERAIRE. 3
Ainsi la provenance est clairement établie. En disant quel agû vou-
lait lui vendre ces monuments, M. Hamillon n'ajoute pas qu'il les
lui ait en effet vendus; mais, tôt ou tard, ils auront été achetés par
quelque voyageur européen, des mains duquel vous aurez reçu celui
qui est en votre possession.
L'inscription est ainsi conçue :
ÈépTY} 'h yvvh avrov jtal AocÀyj-
mxdriç 6 vbç ocvzov ,. Aavaw ? dzv-
TÉpM 7TaAw @paXWV, [AVEICX.Ç
rf -
C'est-à-dire : « Heorté, sa femme, et Asclépiade, son fils, à Da-
« naiis, du deuxième ordre des Thraces; pour souvenir.
« Après avoir vaincu neuf fois au pugilat, [Danaùs] est allé dans
« le séjour des morts. »
Le nom de femme Eopr/j , ne paraît pas s'être encore rencon-
tré. Et l'on peut s'en étonner; car il est analogue à ceux de
Ajvapuç, Apsr/j , Eipwj, ËXttiç , NUm , Zooyj , et autres noms pro-
pres de femme, qui sont des substantifs féminins abstraits ; et celui-ci
(lopr/7, fête), était un de ces noms de bon augure que les Grecs
recherchaient avec autant de soin qu'ils évitaient ceux d'un sens op-
posé. On ne connaît que le dérivé Eopnoç , dont M. Pape, dans son
lexique, ne cite qu'un seul exemple, tiré de Libanius, mais qui
existe aussi dans une inscription athénienne (1).
La dernière ligne est poétique. Au moyen du léger changement de
sic en eg. et en rétablissant la crase (wxeT')> (lue 'es lapidaires né-
gligent ordinairement, on obtient un vers auquel ii ne manque que
le premier pied pour devenir un hexamètre passable ; et il est à remar-
quer, que pour avoir ce pied, il suffit de rappeler le nom de Danaùs,
cité plus haut, et qui est, en effet, le sujet des deux verbes ; on aura
donc :
[Aavaoç] Èvveaxaç (ou eweaxiç Aa'vaoç) 7ruxTsu<yaç wxÊT' *S A^v*
(1) Ross, Ann. Inst. arch., XIII , p. 28. — Rangubé , Anliq. hcllèn., n° 8.
4 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
IL
Quant au défunt, qui portait le nom de Danaiis, sa profession est
indiquée par les mots, dev-ripy it&Xcù ®pxy.<ùv. Une expression sem-
blable s est rencontrée pour la première fois dans un passage de Dion
Cassius. Cet historien dit que l'empereur Commode, qui se flattait
d'être le plus redoutable gladiateur de son empire , en se faisant re-
présenter sous la figure d'Hercule, prenait différents titres, analogues
à ses prétentions , entre autres celui de ïïpnTonaloç Sexourop&w (1).
Lampride (2), soit qu'il ait pris ce fait à Dion Cassius, soit qu'il l'ait
tiré d'une autre source, le rapporte en ces termes : Appellatas est sane
inter cœtera Iriumphalia nomina , etiam sexcenties vicies Pauhisprimus
secutorum; sur quoi les commentateurs ont depuis longtemps remar-
qué qu'il faut lire dans le texte de Lampride, d'après Dion Cassius,
Palus primas, au lieu de Paulus; et dans celui de Dion Cassius,
d après Lampride, IIpàToç tzcÛoç, au lieu de UpcùTonaXàç^ icur opi-
nion est justifiée par deux inscriptions, outre celle qui m'occupe en
ce moment.
L'une, autrefois de la collection de Choiseul-Gouflier, à présent
au musée du Louvre (3), a été probablement apportée d'Asie. Elle a
dû être originairement placée sous un bas-relief funéraire, dans
le genre de celui de Danaûs , ou sous une statue érigée à Mc-
lanippe, par son fils Thallus et sa fille Zoe. Ce Mélanippe y
est qualifié de Pyjnaptç (pour PrjTiapioç), dzvTepoç rraAoç; ce qui
revient à l'autre manière de s'exprimer, àvatipoq noiloç Pyjnapiwv.
La deuxième, trouvée à HalicamasseparWalpole (4), fait mention
d'une offrande faite par un certain Stepluinos, qui s'intitule rcrctapîc,
àriTTnToç (ou xr^urjoç) 7TpoVroç r.xloç.
Ces quatre exemples nous offrent donc les expressions irpwroç ou
o&ç r.zkoq , jointes aux noms de trois espèces de gladiateurs , des
secutores, des reùarii et des thraces ou threces. On peut croire que
koÛ&ç , désigne l'un des deux rangs des gladiateurs ; le premier, com-
posé de ceux qui commençaient ou engageaient le combat; le
deuxième rang (of y.loc ) , se composait de ceux qui prenaient
(1) LXXII,22.
(2) In Commodo, c. 15.
(3) Clarac, Musée de iculplure. Inscr. pi. \\\I , p r>TS.
(4) Jravels/p. 656. — Bœckh, Corp. Inscripl. n° 2663. Celle inscription, dont
M. Welcker a très-bien compris le sens {Sylluge, p. 61 ), n'a été complètement
rétablie que par M. Bœckh-
UNE STELE FUNERAIRE. 5
la place des gladiateurs du premier blessés ou tués , ou qu'on réser-
vait pour le combat du lendemain, quand il devait durer plusieurs
jours. C'étaient les suppositilii gladiatores.
On voit, par les exemples cités, que le mot italoç, ne vient pas de
iraAyj, la lutte f mais, ainsi qu'on l'a déjà reconnu, de nzloç, sorlitio,
avec le sens de lot, de rang assigné. Cependant, on ne peut croire
que ce rang fût tiré au sort à chaque combat; il était permanent;
c'est ce que prouvent les deux exemples où ce titre est donné à des
morts comme un signe distinctif.
Quant à l'application du mot, elle paraît avoir eu lieu en vertu d'une
métonymie; on disait npoaroç ou àevzepoç rraXoç, au lieu de ©pa?>
Prjizpioç, etc. ftt izpwrov ou ùevrépov wxlov ; comme les Latins di-
saient primipilas au lieu de centurio primi pili. Nous disons de même
un premier, un second prix, au lieu de celui qui a remporté un pre-
mier, un second prix (i).
Danaùs était donc un gladiateur de la classe des Thraces. Ce fait
explique divers détails qui accompagnent le bas-relief; en pre-
mier lieu , les armes qu'on y voit représentées , à savoir le casque à
visière, placé sur une sorte de base oblongue, qui ne peut être que le
bouclier, la seconde arme défensive des gladiateurs. En effet, les bas-
reliefs du tombeau de Castricius Scaurus à Pompéi, montrent que les
Thraces avaient indifféremment le bouclier rond (parmula ) et le bou-
clier carré-oblong (scuCum).
On s'étonnerait de ne pas y voir aussi figurer leur troisième arme
défensive , la cuirasse , et en même temps une arme offensive quel-
conque, telle que le coutelas (cultrum), l'épée courte et droite (sica)f
ou l'épée recourbée (harpe).
L'absence de ces deux armes ne s'expliquerait pas sans le participe
hvxtc vgolç , annonçant que le Thrace Danaùs était un pugïle qui
devait combattre avec le poing nu ou garni d'un gantelet , et non
avec le coutelas ou l'épée.
Le poing, ainsi garni, devenait une arme assez redoutable. Sans
ces armes défensives , il aurait suffi d'un coup bien assené pour as-
sommer ou abattre un combattant. Le casque défendait la tête; le
bouclier parait les coups qui s'adressaient à la poitrine; la cuirasse
devenait inutile ; aussi ne figure-t-elle pas parmi les armes de Danaùs.
(l) Dans les combats de taureaux, en Espagne, on appelle primera espada le
matador, et aegunda espada, celui qui est destiné à remplacer le premier en cas
d'accident , ou à venir à son secours. Ce sont des titres permanents, comme ceux de
7Tj5«TOç OU de SevTspoi TttxXoç.
6 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ces deux circonstances Je notre bas-relief, qui s'accordent si
Lien avec l'inscription, s'appliquent d'une manière heureuse aux
bas reliefs du tombeau de Castricius Scaurus à Pompéi, dont quel-
ques détails ne pouvaient être bien compris auparavant.
Plusieurs de ces bas-reliefs représentent, comme on sait, un
mimns gladiatoriam, ou l'un de ces combats de gladiateurs qui se
li\ raient aux funérailles des gens riches (l).
On y voit quatre paires de gladiateurs, la tête couverte du casque
à visière, mais sans cuirasse, n'ayant que le subligaculum. Le bras
gauche est nu, garanti par le bouclier rond, ou carré-obiong ; le
bras droit est défendu , dans toute sa longueur, par une sorte de
manche formée de lames métalliques, ou peut-être de fortes bandes de
cuir. Mais aucun d'eux ne porte d'armes offensives. Mazois croit
que l'artiste a oublié le coutelas ou Yépée (2). Cet oubli n'est guère
vraisemblable , étant répété huit fois dans le même cas. D'ailleurs ,
Mazois n'a pas remarqué que, sur son propre dessin comme sur celui
de Donaldson (3), ces gladiateurs ont le poing non-seulement fermé ,
mais garni des mêmes lames que celles du bras. Ils n'ont donc
(1) Mazois, Ruines de Pompéi, pi. XXXII.
(5) Mazois , p. 49.
(3) Donaldson, Pompéi illustrated wilh picturesque vietos. London, 1827. Sur
la gravure en petit qui accompagne l'ouvrage de Millin {Detcr. des tombeaux de
Pompéi, pi. III), tous les gladiateurs ont le poing droit coupé.
UNE STELE FUNERAIRE. 7
jamais pu tenir une épée ni une arme quelconque. Le poing, ainsi
garni, était une arme dangereuse; aussi voyons-nous, sur un des
gladiateurs, le sang jaillir d'une blessure faite à la poitrine par un
de ces coups redoutables qu'il n'a pas su parer; un autre s'affaisse
sur lui-même, sans blessure apparente, mais frappé en pleine poi-
trine d'un coup terrible. Sur une peinture, dans un tombeau de la
Cyrénaïque, on voit des pugiles combattant tout nus sans arme ; l'un
d'eux vient d'être blessé, et le sang jaillit de sa blessure (1).
Et si l'on objectait que cet oubli de l'artiste tient peut-être à la
difficulté de rendre l'épée quand elle ne tient pas au fond du bas-re-
lief, on répondrait que pour deux des figures, la difficulté n'existait
pas; et que rien n'empêchait d'indiquer la poignée de l'arme; ce qui
aurait suffi pour exprimer l'action. Or tous ces poings sont fermés
entièrement, et n'auraient pu s'ouvrir; puisqu'ils sont serrés parles
mêmes lames ou courroies qui attachent tout le bras gauche. C'est le
même motif qui m'empêche de croire , contre l'avis de Visconti , que
sur le beau bas- relief du Vatican (2), représentant une danse armée,
ou une pyrrhique , les six personnages nus (corybantes ou autres),
armés du casque et du bouclier, n'ont dans la main droite aucune
arme offensive; car leur poing fermé n'a jamais pu rien tenir. D'où
il suit que cette danse s'exécutait, tantôt sans épée, et tantôt avec
cette arme (3) ; tantôt avec un simple bâton (4).
Il est évident que ces gladiateurs sont aussi des pugiles , armés
justement comme l'était Danaùs, du casque et du bouclier, mais
sans cuirasse ni épée.
C'est donc avec le poing garni du gantelet, que devait com-
battre le Thrace ; et c'est ce qu'indique clairement ce passage d'Ar-
témidore : « Si l'on a rêvé que l'on combat au pugilat avec un Thrace,
« (si [Av ëpxxi 7ru>cTeu£i, etc.), c'est signe que l'on épousera une
« femme riche, méchante et aimant à primer (5). »
Notre inscription , combinée avec les accessoires du bas-relief, et
avec les scènes gladiatoriales du tombeau de Scaurus, paraissent
donc éclaircir assez complètement cette particularité de l'ancienne
agonistique.
(1) Pacho , Voyage dans la Cyrénaïque, Atlas, PI. LUI, n° 2.
(2) Mus. Pio Clément., t. IV, pi. IX.
(3) Dans Antonini, Vas. Antichi , I, 45, 46 ; reproduit par Krause, Gymnastik
und Agonistik, etc., pi. XXIV, f. 90.
(4) Mus. Chiusino, t. II , tav. 127.
(5) Artemid. Oneirocrit. II , 32.
8 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
J'ai traduit èwzzxiç nv/.Te'jeaç par ayant remporté neuf fois la
victoire, au lieu de ayant combattu neuf fois; ce qui serait plus
littéral et pourtant moins fidèle; car il n'est guère probable qu'un
pugile de profession n'eût combattu que neuf fois dans sa vie. J'ai
donc cru que ce participe revient à l'expression tvlit. victorias
avfc le nombre des victoires) qui se trouve sur les bas-reliefs du
tombeau de Scaurus.
Mais, indépendamment de ce que cette explication a de probable
en elle-même, elle peut seule rendre compte d'une dernière circon-
stance qui n'est point à négliger; ce sont les neuf couronnes placées
sous le bas-relief, quatre de chaque côté et une au milieu. Elles
expriment certainement les neuf victoires remportées par Danaùs
dans le cours de sa carrière de pugile ; ce qui fixe le sens de l'expres-
siun. L'auteur a préféré r.vxTeveocç à 7rvJ vixvfaaç, qui n'entrait
pas dans son vers.
11 n'y a nulle difficulté à prendre ici yvvw dans le sens d'épouse
légitime. Quoique les gladiateurs fussent généralement, sous les em-
pereurs, de condition servile (l), ils ne l'étaient pas toujours; aussi
leurs femmes, selon la remarque de Morcelli, portent souvent, dans
les inscriptions , le titre de conjux, au lieu de celui de contubernalis ;
Heorté était donc, selon toute apparence, une conjux; et Asclépiade
un fils légitime; ce qui explique pourquoi Heorté occupe la place
réservée aux matrones dans les repas (2). Dans deux de ces bas-
reliefs, où l'on voit une femme couchée sur le lit, selon toute ap-
parence, il s'agit d'une maîtresse ou d'une courtisane.
Je viens à présent au bas-relief, dont il faut éclaircir le sujet à
laide des secours que l'inscription nous fournit.
III.
Elle fait mention de trois personnes, dont l'une est le défunt
( IJanaiis); les deux autres sont sa femme Heorté, et son fils Asclé-
piade, qui lui ont élevé ce monument.
Or, le bas-relief contient aussi trois personnes; deux hommes
couchés sur un lit, l'un , à la place d'honneur, barbu , avec des formes
athlétiques; l'autre, placé en avant de lui, portant les traits de
l'adolescence; une femme demi-voilée, assise à la tète du lit.
Il e$t indubitable que ce sont là les trois membres de la famille,
(1) De Myl. Inscr., p. 14».
(2) Fœminœ cum viris cubantibut tedenie* cunitabant. Val. Max II , 1, 2.
UNE STÈLE FUNÉRAIRE. 9
le défunt, son fils et sa femme. En avant du lit est une table Léonto-
céphalopode, à trois pieds, sur laquelle sont placés des objets ronds
qui paraissent être des plats ou des gâteaux de cette forme. Le père
en tient un de la main gauche ; le fils un autre de la main droite ; la
mère étend le bras droit pour en prendre un troisième. Un chien ,
accroupi de l'autre côté de la table, la patte levée et le museau en
l'air, dans une attitude suppliante , semble demander sa part dans le
repas de famille.
Ce sujet se retrouve sur une foule de monuments ; sauf diverses
variantes dans le nombre des personnages principaux et accessoires ,
puisque le seul musée du Louvre n'en contient pas moins de dix-
huit, entre lesquels il en est deux qui sont presque identiques
avec le nôtre; car on y voit aussi deux hommes couchés devant une
table , et une matrone assise.
On est dans l'usage d'appeler de tels sujets des banquets funèbres;
mais cette qualification ne saurait leur convenir, puisqu'elle ne pour-
rait s'entendre, ici , que de banquets en l'honneur ou en commémo-
ration de personnes mortes. Or, les trois personnages de notre bas-
relief contenant, outre le défunt, les deux personnes vivantes qui
ont élevé le tombeau, tous trois prenant part au même repas, et
dans l'attitude qu'elles devaient avoir lors du repas de famille, il est
de toute* impossibilité de voir la un repas funèbre. Cette scène, si
souvent répétée , ne peut être autre chose qu'une scène de la vie
intérieure, représentée dans les circonstances habituelles.
Ceux qui élevaient ces pieux monuments voulaient donc se pro-
curer la satisfaction de reproduire la scène du repas commun , où la
famille se réunissait chaque jour avec celui dont elle déplorait la perte.
Cette explication me paraît rendre compte des circonstances diverses
qu'offrent ces sortes de représentations ; comme je pourrais le montrer
en détail, si j'en avais le temps. Je me contente d'indiquer en note (l)
(1) Tels sont : dix-huit sujets au musée du Louvre ; voyez le savant et utile ou-
vrage de Clarac, Musée de sculpture, bas-reliefs, pi. CLV, nos 677, 605, 632,
019,621. PI.CLVI,n°s547,552.Pl.CLVII,n°s548,583, 675. PI. CLIX, n°s 602 ,
557,643. Pl.CLX.n0 33. PI. CLXI, n°«45, 535. PI. CLXI.A. 866. Sur le n°5l9,
le défunt est un athlète , à qui une femme apporte une couronne et une guirlande.
La femme couchée sur le lit, dans une attitude amoureuse , est une courtisane ou
une concubine; et de même sur le n° .'21. - Musée d'Oxford, n° 143. Musée de
Munich, n» 95. (Schorn , Beschreib. der Glyptothek, p. 81). Un autre dans Biagi,
Mus. JYan., p. 97-11 G. Un dans Montfaucon {Ani. exph, t. III, pi. 50, 3); deui
dans Winckelman , Mon. ined., nos 19 , 20. Un autre décrit par Tournefort. Trois
dans le musée de Vérone (L. III , 3,9, 12). Deux dans Zoëga (Bassi rilievi,
pi. XXXVI), etc.
10 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une trentaine de bas-reliefs qu'on doit, selon moi , interpréter de cette
manière, quoiqu'on les ait jusqu'ici qualifiés, soit de banquets funèbres,
soit de lectisternia , ou de supplications; ce sont, à mon avis, autant
de sujets qui , dans leurs diverses circonstances , s'expliquent faci-
lement par notre stèle funéraire ; et je pense que dorénavant les
antiquaires seront disposés à substituer pour de telles scènes, au
titre de banquets funèbres, celui de repas de famille.
Sur trois de ces sujets, publiés l'un par Montfaucon, deux autres
par Winckelmann , on aperçoit la tête d'un cheval qui se montre
par une fenêtre, ou bien le corps entier de cet animal au second
plan de la composition. On a cru pouvoir attribuer à cet acces-
soire une signification symbolique. L'idée que je viens d'émettre
fera peut-être sentir la nécessité de modifier cette opinion , au moins
dans son application aux trois monuments dont je parle.
Que le cheval se rencontre , dans beaucoup de monuments funé-
raires , comme un symbole du dernier voyage; c'est un fait en-
trevu par Ch. Patin, et bien établi par plusieurs savants, notam-
ment par notre confrère M. Ph. Le Bas , qui a traité ce point avec
beaucoup d'érudition et de sagacité (1).
Mais on ne peut nier, ce me semble, qu'il n'y ait des cas où le
cheval figure comme une expression propre et directe. On recon-
naîtra , je pense , que les exemples que je viens d'indiquer sont de ce
nombre, si toutefois l'on admet que les sujets qui y sont représentés
sont des scènes d'intérieur.
J'en dis autant du chien, sur un de ces sujets et sur le nôtre. Il
n'y figure pas à titre de symbole de fidélité ou de vigilance v, il fait
réellement partie de la scène. C'est l'ami de la maison qui assiste
au repas quotidien , dont il réclame et obtient sa part.
De même, le cheval , dont on aperçoit seulement la tête par une
fenêtre, ou dont on voit le corps entier, n'est là que le compagnon
d'armes ou de voyage du défunt. Si l'on n'aperçoit que sa tête , c'est
que l'espace ne permettait pas de le représenter en entier. On ima-
ginait alors cette fenêtre, au moyen de laquelle on expliquait natu-
rellement la présence de l'animal dans le tableau , sans qu'on fût
obligé de représenter le reste du corps. Ce mode de représentation
n'est donc rien autre chose qu'un expédient pour concilier la pré-
sence nécessaire de ce compagnon du défunt avec l'exiguïté de la
place. De cette manière, il faisait partie de la scène sans l'embar-
rasser.
(1) Expédition teientif, de Morèe, t. II, p. I18etsuiv.
UNE STELE FUNERAIRE. 11
Voilà , Monsieur, ce qui me paraît naturellement résulter des rap-
ports qui existent , dans votre stèle funéraire, entre le sujet du bas-
relief et l'inscription. La lumière que ce monument jette sur la
véritable signification d'un sujet si fréquemment reproduit n'est pas
un des moindres avantages qu'offre la connaissance de cette stèle qui,
au premier abord, paraît être d'un fort médiocre intérêt. Je pourrais
étendre beaucoup les vues qu'elle m'a suggérées, mais je ne veux
pas faire un traité à propos d'un monument unique. Je laisse aux
archéologues qui trouveront juste et fondé le principe sur lequel elles
reposent, d'en étendre ou d'en restreindre les applications.
Il suffit, à mon objet , d'avoir levé les doutes qui pouvaient, vous
rester sur l'interprétation d'un monument qui, comme vous le
voyez, Monsieur, est un des plus curieux entre ceux de ce genre
qur* existent dans nos musées.
Letronne.
EXAMEN
DES ÉCRITS DE KLAPROTH
SUR
LA DÉCOUVERTE DE CHAMPOLLION LE JEUNE.
Lorsque j'entrepris la réfutation de l'article peu mesuré que feu
le docteur Dujardin avait publié dans la Revue des Deux-Mondes,
pour enlever à l'admirable découverte de Champollion le crédit
qu'elle méritait , je savais que ce n'était pas à l'ennemi le plus acharné
de notre illustre égyptologue. que j'avais affaire ; je le savais et j étais
bien décidé à ne pas abandonner la tâche honorable (l) que je
m'étais imposée, avant de l'avoir achevée de mon mieux. Après
Dujardin il me restait à, combattre un adversaire en apparence bien
(l) Je saisis avec empressement l'occasion de constater ici un fait très-honorable
pour la mémoire du docteur Dujardin; ce fait que je tiens de M. Letronne.de .M. le
comte de Clarac et de M. Chaïnpollton Figeac lui-même , ne saurait être révoqué en
doute et je suis heureux d'être le premier à le faire connaître au public lettré. Au
moment où le docteur Dujardin reçut du ministère de l'Instruction publique, la mis-
sion qu'il avait longtemps sollicitée , celle d'aller en Egypte à la recherche des ma-
nuscrits coptes, il crut sage de feuilleter les précieux papiers laissés parChampolUon
le jeune, afin d'avoir une idée précise de l'étendue des collections de textes hiéro-
glyphiques , recueillies pendant le voyage de cet illustre savant. Ce que M. Le-
tronne avait prédit au critique de Champollion, en lui annonçant qu'il serait
plus tard un juge sévère de son propre écrit, ne manqua pas d'arriver. Peu à peu ,
À mesure qu'il avançait dans cet examen , le doute remplaça la négation dans
l'esprit du docteur Dujardin ; après le doute vint la pensée qu'en beaucoup de
cas, celui qu'il avait critiqué avait complètement raison. De là, à une conversion
complète aux idées de Champollion il n'y avait qu'un pas, et le docteur Dujardin
l'eut bientôt franchi. Il partit pour l'Egypte avec la conviction quç la méthode
qu'il avait jugée fausse était réellement bonne; plusieurs fois il écrivit aux savants
qu'il regardait comme ses protecteurs, que plus il voyait, plus il reconnaissait le
mérite immense de la découverte de Champollion ; le moment était venu où, sans
doute, le docteur Dujardin eût noblement réparé le mal qu'il avait fait; la mort
vint le frapper , plein de jeunesse et d'avenir , au moment où la misère , contre
laquelle il avait si longtemps lutté , semblait enûn écartée de sa vie. Il mourut sans
avoir eu d'autre joie en ce monde que l'élude et l'espérance d'un avenir moins mal-
heureux : ces deux biens , le docteur Dujardin les paya de sa \ le ; le monde savant
doit donc a;sa mémoire une estime et des regrets sincères.
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 13
plus redoutable, Klaproth, que ses nombreux travaux ont placé au
premier rang parmi les philologues modernes. Certes, il ne m'ap-
partient pas de contester à ce savant des titres que je ne suis pas en
mesure de contrôler; je suis donc tout disposé à lui reconnaître, avec
le vulgaire, un mérite éminent , lorsqu'il s'agit de ses publica-
tions sur les idiomes de l'Asie, parce que dans ce cas je suis réduit
à le croire sur parole ; mais Klaproth , mû par un sentiment que
je ne veux pas apprécier, a mis le pied sur un terrain qu'il ne con-
naissait pas et où il espérait attirer aux dépens d'autrui un nouvel
éclat sur son nom ; dès lors je me suis cru permis de l'y suivre pas
à pas et de lui disputer ce terrain qu'il avait l'imprudence d'aborder.
J'ai donc sérieusement étudié les écrits de Klaproth relatifs à la dé-
couverte de Champollion le jeune ; à chaque page j'y ai trouvé plus
qu'il ne m'en fallait pour constater de sa part de la mauvaise foi
toujours , de l'ignorance profonde quelquefois. Ce n'est pas ma faute
si l'homme qui critiquait les œuvres des autres avec tant d'amertume
et, de fiel , a laissé largement dans les siennes de quoi mériter qu'on
lui rendît la pareille : loin de moi toutefois-la pensée d'adopter, dans
cet article, le ton injurieux si familier à l'illustre philologue ; je
croirais salir ma plume en le faisant; d'ailleurs Klaproth aussi a cessé
de vivre, et l'on doit le respect aux morts; mais tout en respectant
la mémoire de l'homme dont je ne suis pas le juge, j'ai le droit de
juger ses œuvres, et ce droit je vais en user.
Le 8 juin 1829 parut, chezPihande LaForest,un écrit de 40 pages,
in-folio, intitulé : Observations critiques sur la découverte de V Al-
phabet hiéroglyphique, faite par M. Champollion le jeune. Cet écrit
servait d'introduction au recueil d'Antiquités de M. de Palin. Trois
ans plus tard le libraire Dondey-Dupré mit en vente un volume
in -8° de 175 pages, intitulé : Examen critique des travaux de feu
M. Champollion sur les hiéroglyphes; c'était une seconde édition con-
sidérablement augmentée, et modifiée, du premier travail que je viens
de mentionner. Cette fois il était précédé d'une modeste dédicace à
lord Kingsborough , et d'un avant-propos dont je ne puis me di-
spenser de reproduire ici quelques lignes.
« En soumettant au public, dit l'auteur, cet examen des travaux de
feu M. Champollion sur les hiéroglyphes égyptiens , tels qu'ils ont
été publiés de son vivant , mon intention n'a nullement été de dimi-
nuer le mérite de ce savant , trop tôt enlevé aux sciences qu'il culti-
vait avec tant de succès et de gloire. Le seul but que je me suis
proposé en publiant ce petit ouvrage, a été de fixer l'opinion des
14 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
savants sur le degré des progrès qu'on a faits jusqu'à présent, dans
le déchiffrement des monuments graphiques de l'Egypte. »
Ne semble-t-il pas qu'après cette déclaration mielleuse, la mé-
moire de Champollion n'avait plus que des compliments à attendre?
Nous n'allons pas tarder à voir cependant que forcé de rendre au talent
de celui qu'il venait attaquer devant le public, un hommage qu'il
n'était plus en son pouvoir de refuser, nous allons voir, dis-je, que
Klaproth, s'il est permis de se servir d'une expression familière, fai-
sait patte de velours dans son avant-propos pour mieux déchirer en-
suite la renommée qu'il feignait de caresser.
Dès le premier paragraphe je trouve dans les deux éditions une
divergence dénonciations qui donne à penser que le critique, au
moins la première fois qu'il écrivit, n'était pas guidé par une bonne
foi incorruptible. J'y lis en effet (l) :
« Depuis cinq ans on parle avec un enthousiasme singulier de la
découverte de l'alphabet hiéroglyphique , mais peu de personnes pa-
raissent avoir une idée bien nette, soit de ce qu'elle est réellement, soit
des résultats qu'elle peut -produire. Le docteur Young, Anglais, est
sans contredit le premier auteur de cette découverte; ce fut en 1818
qu'il reconnut la valeur alphabétique de la plupart des hiéroglyphes
qui composent les noms de Ptolémée et de Bérénice. Le célèbre Zoëga
avait déjà soupçonné qu'une partie des signes hiéroglyphiques pou-
vait être employée alphabétiquement, mais l'honneur d'avoir démontré
ce fait appartient au docteur Young. » (A. — 1.)
« Depuis dix ans on parle avec enthousiasme de la découverte de
l'alphabet phonétique , faite par feu M. Champollion , mais peu de
personnes paraissent avoir une idée bien nette, soit de ce qu'elle est
réellement, soit des résultats qu'elle a pu produire. Le docteur Young,
en Angleterre, est sans contredit le premier auteur de cette décou-
verte. Ce fut en 1818 qu'il reconnut la valeur alphabétique de la plu-
part des signes hiéroglyphiques qui composent les noms de Ptolémée
et de Bérénice, parmi lesquels il a bien exactement déterminé les sept
>ui\ants qui correspondent avec les résultats obtenus par M. Cham-
pollion :
* B, « ïïW I, <<= M, — N, ■ P, - T-
(1) Je ne saurai!» mieux faire que d'adopter ici l'excellente méthode employée par
Klaprolh lui-même pour désif-m-r les deux édition* successives du Précisée Chain
pollion : c'est à-dire que A désignera II première édition, B la seconde édition de
la Crtliqur de filaproth , le numéro qui suivra chacune de ces deux lettres, étant
celui de h page où se trouve le passage indique.
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. là
« Quoiqu'on doive regarder la détermination de ces sept lettres
comme le fondement sur lequel M. Champollion a basé son alphabet
phonétique, la sagacité du savant Anglais n'alla pas au delà de cette
rencontre heureuse , et il laissa à son compétiteur en France toute
la gloire qui peut s'attacher à une découverte raisonnée et soumise
à la démonstration. » (B. — 1-2.)
Constatons d'abord une erreur matérielle dans le nombre des signes
dont les valeurs déterminées par Young et Champollion sont en con-
cordance. Les deux signes * et > sont lus et transcrits BIR et
MA par Young, ces deux valeurs doivent donc être défalquées du
nombre sept; restent cinq signes seulement, lus correctement par
le docteur Young. On voit que la seconde fois que Klaproth a parlé
de l'enthousiasme qui accueillit la découverte de Champollion , il n'a
plus osé le qualifier de singulier : première concession dont on doit
savoir beaucoup de gré à l'illustre philologue. Dans l'un et l'autre
extrait, le docteur Young est déclaré, sans contredit , le premier au-
teur de la découverte ; mais , dans le premier seulement , c'est encore
à lui que revient l'honneur d'avoir démontré qu'une partie des hié-
roglyphes pouvait être employée alphabétiquement. Dans le second
extrait, au contraire, l'éloge du docteur Young est fort mince à mon
avis, puisqu'il y est dit que la sagacité de ce savant ne put aller au
delà de la divination heureuse de sept valeurs de signes (c'est cinq
qu'il faut dire), et qu'à Champollion revient de droit toute la gloire
qui peut s'attacher à une découverte raisonnée et soumise à la dé-
monstration.
Et d'abord le sans contredit de Klaproth me paraît hors de mise
aujourd'hui que M. Arago a si bien fait la part de Young et de Cham-
pollion, dans la lecture des hiéroglyphes. Young, ainsi que Klaproth
en convient lui-même, a deviné juste sept fois sur douze (c'est tou-
jours cinq fois qu'il faut dire) ; mais pour tous les autres signes des
noms de Ptolémée et de Bérénice il a mal deviné, et si mal, qu'il
en est résulté que son quintuple ben trovato n'a pu lui servir
absolument à rien. Du reste la dernière phrase du second extrait
nous apprend que Champollion seul a raisonné et démontré sa
découverte ; celle de Young n'était donc ni raisonnée ni démontrée,
et par suite la première assertion si positive de Klaproth , sur la
démonstration de la découverte disputée, devient un peu trop con-
tradictoire avec la seconde. Chacun des deux compétiteurs n'a pu
démontrer le premier la réalité du phonétisme des signes hiéro-
glyphiques; en dernier lieu, Klaproth confesse qu'à Chumpol-
16 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lion en revient tout l'honneur ; en cela je suis parfaitement de
son avk
Dans l'un et l'autre de ses écrits, Klaproth raconte ensuite, à sa
manière, les longues et persévérantes recherches de Champollion ,
recherches longtemps infructueuses, parce qu elles étaient poursuivies
dans une mauvaise voie. Mais il ne dit pas que, pendant dix années
de sa vie, tour à tour ranimé par l'espérance, et rebuté par l'insuccès
des modes de déchiffrement qu'il imaginait et qu'il essayait avec ar-
deur, Champollion usa sa vie à l'œuvre ; que , quand le jour heureux
fut enfin venu , où le secret de cette mystérieuse écriture égyptienne
fut illuminé par un éclair de son génie, il n'eut plus la force de sup-
porter l'éclat de cette lumière inespérée; brisé par l'émotion, ce fut
de son lit et sous les étreintes de la fièvre, qu'il révéla et qu'il fit
écrire par son frère, les premiers résultats de sa découverte. La sa-
gacité de Young n'a fait que deviner, elle n'a rien démontré , dit
Klaproth ; faites donc alors remonter à Zoëga la gloire de cette dé-
couverte que vous revendiquez pour le docteur Young. Mais Zoëga ,
tout judicieux qu'il était, n'a pas su lire un seul signe ;'rre contestez
donc plus à Champollion l'honneur de la découverte qui lui appar-
tient légitimement, puisque , de votre aveu, lui seul a su la raisonner
et la démontrer.
Chemin faisant Klaproth, parlant de l'ouvrage publié par Cham-
pollion, en 1821 , sous le titre suivant : de l'Écriture hiératique des
anciens Égyptiens, insinue avec une intention assez peu louable, que
ce livre n'est devenu fort rare, que parce que l'auteur a fait tout son
possible pour en soustraire les exemplaires aux yeux du public , en
retirant du commerce et des mains de ses amis, ceux qu'il avait d'a-
bord répandus. «Il est permis de penser, ajoute-t-il, que le véritable
motif qui a déterminé M. Champollion à supprimer ce livre , a été de
ne pas donner une mesure trop précise des progrès qu'il avait faits
jusqu'en 1821, un an avant sa lettre à M. Dacier. Cette mesure
existe dans l'assertion que les signes hiéroglyphiques sont des signes
de choses et non des signes de sons. Certes, celui qui depuis dix ans
avait travaille sur les hiéroglyphes sans les déchiffrer, et qui faisait,
en 1821, imprimer un axiome pareil, avait grand besoin d'être
zuidé, dans ses nouvelles recherches de 1822, par les découvertes du
docteur Young, publiées au mois de décembre 1849 , dans le sup-
plément de X Encyclopédie britannique. On ne doit donc plus douter
que les (l»'<:ou\<rtes d« Champollion ne soient entées sur celles du
docteur Young , auquel appartient le mérite d'avoir le premier dé-
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 17
montré qu'on s'est servi en Egypte de signes hiéroglyphiques pour
exprimer alphabétiquement les noms propres. » (A. 1-2, note.B. 3-4.)
Examinons un peu cette note intéressante. Klaproth avait besoin
de faire croire à la très-grande rareté du volume dont il parlait, pour
que son argumentation eût au moins l'air d'être juste; et, quand il
écrivait cette note, il était, lui, Klaproth, possesseur, non pas d'un
seul , mais de deux exemplaires de ce livre ! S'il était si rare à cette
époque , ceci prouverait que l'illustre philologue avait un procédé à
lui pour enrichir sa bibliothèque des ouvrages que les autres ne pou-
vaient se procurer à prix d'argent.
Quoi qu'il en soit de la rareté réelle ou prétendue du premier essai de
Champollion sur l'écriture hiératique, il est curieux de voir Klaproth
s'extasier sur ce qu'il y a de miraculeux à ce que Champollion ait trouvé,
en 1822, ce qu'il n'avait pas encore trouvé en 1821 . Mais, en vérité,
pour qui écrivait-on de semblables choses? en quoi consiste donc une
découverte? y en a-t-il une seule au monde qui n'ait pas été enfantée
par une minute d'inspiration? Comment! parce qu'en 1821 on cher-
che depuis dix ans la solution d'un problème, solution qu'on n'entre-
voit qu'en 1822, la découverte de cette solution doit être contestée!
Un raisonnement pareil n'est-il pas digne d'être comparé à la célèbre
chanson de M. de La Palisse? Et remarquons encore ici une contra-
diction bizarre : à la première page de son livre, Klaproth veut bien
accorder à Champollion la gloire d'avoir, à l'exclusion d'Young, rai-
sonné et démontré sa découverte; à la quatrième, il revient à son dire
de 1829, et c'est à Young qu'il attribue le mérite d'avoir le premier
démontré qu'on se servit en Egypte de signes hiéroglyphiques , pour
exprimer alphabétiquement les sons des noms propres. Un peu plus
haut (B. 3.) Klaproth avait pris le soin de dire : « Tout le monde avait
reconnu dans cette inscription (celle de Rosette) la place qu'occupait
le nom de Ptolémée, et on avait indiqué de même sur d'autres monu-
ments les cadres ou cartouches qui devaient contenir ceux de Béré-
nice et d'Arsinoé, ainsi que de quelques-uns des rois des anciennes
dynasties égyptiennes. » Tout à l'heure nous allons voir que de là pro-
vient, pour Young, un nouveau camouflet, que Klaproth lui applique
libéralement, quelques pages plus loin, sans se douter de la chose;
mais, procédons par ordre.
Du livre sur l'écriture hiératique, publié en 1821, Klaproth ex-
trait les conclusions suivantes : « 1° l'écriture des manuscrits égyp-
tiens de la seconde espèce n'est point alphabétique;
« 2° Ce second système n'est qu'une simple modification du système
III. 2
18 HEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
hiéroglyphique et n'en diffère uniquement que par la forme des si-
gnes;
a 3° Cette seconde espèce d'écriture est l'hiératique des auteurs
m | et doit être regardée comme une tachygraphie hiéroglyphique ;
« 4° Enfin les caractères hiératiques (et par conséquent aussi ceux
dont ils dérivent) sont des signes de choses et non des signes de sons.
« Après un exposé pareil, ajoute Klaproth, on peut être bien con-
vaincu qu'en 1821 Champollion ne croyait pas à l'existence de signes
alphabétiques parmi les hiéroglyphes, quoique le docteur Young eût
déjà communiqué sa découverte aux savants de l'Europe, par un Mé-
moire imprimé en 1818, et qui fut publié l'année suivante, dans le
supplément de Y Encyclopédie britannique . » (B. 5.) Mentionnant en-
suite la communication faite par Bankes à l'Académie des Inscrip-
tions et Belles-Lettres, d'une copie lithographiée des inscriptions hiéro-
glyphiques de l'obélisque de Philes, inscriptions signalées avec sa saga-
cité ordinaire, par M. Letronne, comme devant contenir le môme sens
que l'inscription grecque tracée sur la base de l'obélisque, et que ce sa-
vant avait interprétée, commentée et publiée, « c'est cette copie, dit-
il, qui fut communiquéo à M. Champollion, et qui lui fournit les
moyens de faire les observations et les comparaisons dont il consigna
le résultat dans la lettre à M. Dacier, datée du 22 septembre 1822.
C'est alors qu'il reconnut le nom de Cléopàtre et l'emploi des carac-
tères phonétiques dans les hiéroglyphes, et qu'il abandonna les idées
qu'il avait eues jusque-là, sur la nature des anciennes écritures égyp-
tiennes, idées qui lui avaient fait rejeter d'abord les découvertes du
docteur Young. » (B. 6.)
Champollion, de 1819 à 1822, se refusa donc à croire sur pa-
role à une découverte que Young ne pouvait pas démontrer, et dont
le savant docteur ne pouvait tirer lui-même aucun fruit. En cela il
me semble que Champollion agit fort sagement. Sans aucun doute il
essaya de la méthode de lecture proposée par Young; elle ne lui
réussit pas mieux qu'à son auteur lui-même, et dès lors Champol-
lion eut, cent fois pour une, raison de se dire: la découverte de Young
n'en est pas une, puisqu'elle demeure inapplicable : cherchons donc
autre chose. Ainsi, la prétendue découverte de Young eut incontes-
tablement pour premier résultat , de fourvoyer pendant quatre
ans de plus , celui auquel il était réservé de lire le premier les
hiéroglyphes.
Cette seconde version de Klaproth est au moins exacte quant aux
faits ; mais que dire de celle qui l'avait précédée? La voici :
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 19
« M. le docteur Young communiqua sa découverte aux savants de
l'Europe par un Mémoire imprimé en 1818, et qui fut publié, l'an-
née suivante, dans le supplément à l'Encyclopédie britannique. II n'y
a pas de doute que cette découverte n'ait définitivement engagé
Champoîlion à renoncer à tous les travaux qu'il avait faits pendant
dix ans sur les hiéroglyphes. Il adopta l'opinion du docteur anglais,
et avec un zèle louable, il donna un grand développement au système
que celui-ci n'avait qu'indiqué. Ses recherches ont été couronnées
d'un succès brillant, et il a pu offrir, en 1822, au monde savant,
une suite considérable de caractères hiéroglyphiques employés al-
phabétiquement pour écrire les noms propres. »
On le voit, ce passage n'offre plus la moindre trace de la longue
hésitation de Champoîlion à accepter des idées que leur propagateur
n'avait pu faire fructifier , et qui étaient condamnées ta rester mort-
nées , s'il ne se fût chargé de les vivifier, en raisonnant et démontrant
la méthode à laquelle ces idées devaient se rattacher.
Quant aux quatre conclusions sur les deux écritures sacrées, pu-
bliées, en 1821 , par Champoîlion, c'est-à-dire un an avant sa dé-
couverte, et trois ans après la découverte tout à fait inutile de
Young , deux sont parfaitement vraies , et les deux autres le sont à
moitié, puisqu'il est bien démontré, aujourd'hui, que les écritures
sacrées contiennent à peu près autant de signes idéographiques que
de signes phonétiques.
La première édition de l'écrit de Klaproth contient (page 3) une
note curieuse que je ne puis me dispenser de rapporter.
« Ce n'est qu'en passant, dit-il, que Champoîlion parle dans cette
lettre (à M. Dacier) de ses obligations envers M. Young, à qui,
néanmoins, il devait la première idée de ce qu'il appelle sa décou-
verte (ici vient la note). Cette manière tout à fait neuve, ce point de
me tout à fait inattendu , comme M. Champoîlion le nomme (à la
page 250 de la première édition de son Précis sur le système hiéro-
glyphique), appartient donc d'origine à M. Young, et quoique
l'archéologue français s'applique, dans le même ouvrage, à relever
dans une analyse les erreurs de l'auteur anglais , il conclut défini-
tivement que les prétentions de celui-ci doivent se réduire à avoir
indiqué la véritable valeur phonétique de cinq caractères seulement ;
cette dernière conclusion s'accorde fort mal avec l'aveu que M. Young
a déterminé la valeur de plusieurs groupes de caractères. Champoîlion
ne reconnaît pas moins (page 377) que le savant anglais a donné
une série de plus de deux cents caractères ou groupes hiéroglyphe
20 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ques, et qu'il a présenté pour la première fois et avant lui au monde
savant, la valeur véritable de soixante-dix-sept de ces groupes. »
Voyons ce que vaut chacune des assertions contenues dans cet
extrait. Ce n'est qu'en passant, dit-on, que Champollion a parlé de
ses obligations envers M. Young. En cela il a eu grand tort, car il
eût pu dire, avec toute justice, que l'illustre docteur avait réussi
deux fois de suite à le mettre hors de la bonne route, et à lui faire
perdre une bonne partie de sa précieuse vie qui devait être si courte ;
la première fois ce fut quand il publia les valeurs imaginaires qu'il
avait déduites de la lecture des noms de Ptolémée et de Bérénice; la
deuxième fois lorsqu'il parvint à faire croire à Champollion qui s'ob-
stinait, avec raison, à déclarer alphabétique l'écriture démotique ou
enchoriale , que cette écriture était exactement de même nature que
l'écriture hiéroglyphique, c'est-à-dire tout aussi surchargée quelle de
symboles et de signes figuratifs. Telles sont les obligations de Cham-
pollion envers le docteur Young ; assurément elles ne sont pas
lourdes, et, à mon sens, l'obligé s'est montré généreux en ne se plai-
gnant pas du double service qn'on lui avait rendu.
Klaproth semble trouver surprenant que Champollion se soit ap-
pliqué à mettre en évidence les erreurs du docteur Young ; c'était
son droit, ce me semble, et son droit le plus légitime. On lui contes-
tait, et Klaproth tout le premier, la priorité d'une brillante dé-
couverte que l'on prétendait revendiquer pour le compte du doc-
teur Young; il importait donc à Champollion de poser nettement les
termes de la question , et de faire voir clairement à tout le monde ,
que la découverte de Young, par cela même qu'elle était stérile dans
toute la force du terme, ne pouvait réclamer aucun droit de priorité.
En quoi sont donc étranges les expressions dont Champollion se sert
eu parlant de sa méthode de lecture, qu'il qualifie de manière tout à fait
neuve, de point de vue tout à fait inattendu , expressions que Klaproth
prend soin de reproduire en italique? Est-ce que par hasard ce fait
d'une portée immense, le phonétisme des caractères hiéroglyphiques
employés pour la composition des textes courants, avait été deviné par
Young ou par Klaproth? Pas, que je sache. Le fait était bien réelle-
ment tout à fait neuf, tout à fait inattendu; permis donc à celui qui
le mettait en lumière, de le qualifier de la sorte. Champollion, dans
son Précis, conclut , ainsi que le dit Klaproth , que les prétentions de
Young doivent se réduire à avoir indiqué la véritable valeur pho-
nétique de cinq caractères seulement , et comme il le prouve sans
réplique possible, il faut bien que Klaproth en passe par là, bon gré
EXAMEN DES ÉCRITS DE KLAPROTH. 21
mal gré. Vient ensuite la phrase suivante : « Cette dernière conclu-
sion s'accorde fort mal avec l'aveu que Young a déterminé la valeur
de plusieurs groupes de caractères. Champollion ne reconnaît pas
moins (page 377) que le savant anglais a donné une série de plus de
deux cents caractères ou groupes hiéroglyphiques, et qu'il a présenté
pour la première fois et avant lui au monde savant la valeur véritable de
soixante-dix-sept de ces groupes. » Ceci a besoin d'être commenté. En
quoi, je le demande, la conclusion de Champollion sur les seules pré-
tentions légitimes de Young s'accorde-t-elle fort mal avec l'aveu que
Young a le premier publié la véritable valeur de soixante-dix-sept
groupes hiéroglyphiques? Est-ce que par hasard Klaproth, avec son
immense érudition, regardait comme tout un de deviner le sens d'un
groupe de caractères quelconques, ou de lire et de prononcer ce
groupe? Je ne me permettrai pas de lui imputer une semblable niai-
serie, que le passage que je viens de citer semble permettre de lui
reprocher. Ignorait-il donc que Young et plusieurs autres avaient
fait beaucoup mieux que cela? qu'ils avaient partagé le texte démo-
tique du décret de Rosette en groupes bien définis et de sens bien
déterminé, sans pouvoir pour cela en épeler une seule syllabe? Qu'y
avait-il donc de prodigieux à faire pour des groupes hiéroglyphiques,
ce que l'on parvenait facilement à faire pour plus de douze cents
groupes démotiques? je ne le devine pas.
Quelle que soit l'opinion qui naîtra dans l'esprit du lecteur, de
toute cette discussion sur la note précitée , je demanderai maintenant
pourquoi cette note qui atteste la bonne foi de Champollion et la
loyauté avec laquelle il se chargeait de faire lui-même la part de son
compétiteur de gloire, se trouve supprimée dans la seconde édition de
l'écrit de Klaproth? Serait-ce donc qu'il importait à celui-ci de faire
disparaître de son livre toute trace des faits honorables pour Cham-
pollion , qu'il voulait purement et simplement convaincre de plagiat?
Klaproth avait-il compté, plus qu'il n'est sage de le faire, sur la bon-
homie du public lettré? et ne savait-il pas que ce public n'est pas
toujours d'humeur à prendre sans contrôle les assertions qu'on pré-
tend faire passer dans son esprit? Je suis bien tenté de le croire.
Dans tous les cas cette note ne dérangeait en rien la thèse de Kla-
proth , elle constatait la loyauté de Champollion , la supprimer con-
stitue donc un acte que je m'abstiens de qualifier.
La seconde édition seule contient une espèce de résumé de la vie
scientifique de Champollion depuis l'apparition de son Précis jusqu'à
sa mort (les pages 6 à 1 9 sont consacrées à cette narration). On va
22 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
voir que cet exposé mérite plus d'un reproche. Ainsi , à propos du
premier ouvrage important sous le rapport de l'étendue, c'est-à-dire
du Précis du système hiéroglyphique, j'y lis ce qui suit :
«Ses observations s étant multipliées considérablement, étendues
à des objets qu'il n'avait pas touchés dans sa lettre à M. Dacier, mo-
difiées sur certains points, vérifiées sur quelques autres, il en consi-
gna le résultat dans un ouvrage plus étendu, qui parut, en 1824,
sous le titre de Précis du système hiéroglyphique des anciens Égyp-
tiens. Le titre de cet ouvrage est propre à induire en erreur sur l'é-
tendue et les résultats des travaux de M. Champollion ; on s'attendrait
à y trouver l'exposition d'un système et un résumé des principes à
l'aide desquels on pourrait entreprendre la lecture et l'interprétation
des textes hiéroglyphiques, tandis qu'au contraire ce livre ne con-
tient qu'une application plus ample, mais toujours conçue dans le
même esprit, des idées exposées dans la lettre à M. Dacier. » De ce
paragraphe, à mon grand regret, je suis forcé de conclure, ou que
Klaproth n'a pas lu le livre dont il parle, ou qu'il a cherché sciem-
ment à tromper son lecteur. Cet exposé d'un système, ce résumé des
principes sur lequel ce système se fonde, est très-amplement déve-
loppé dans le livre de Champollion , et si Klaproth ne l'y a pas trouvé,
c'est qu'il ne s'en est pas soucié. Du reste , je lis dans la Critique de
Klaproth (A. 2-3 , B. 1 0), à propos de la lettre à M. Dacier : « La
marche méthodique que l'auteur suit dans cet écrit, et la bonne foi
qui y règne, furent reconnues par toutes les personnes désintéressées,
et il aurait été à désirer que Champollion ne s'en fût jamais départi
dans ses recherches postérieures sur les écritures et les antiquités
égyptiennes. »
Ce désir de Klaproth que je m'empresse de classer au nombre des
personnes désintéressées dont il parle, a étéaccompli parChampollion,
de l'aveu môme de son critique, puisque celui-ci nous affirme que ce
Précis contient une application plus ample, mais toujours conçue
dans le même esprit, des idées exposées dans la lettre à M. Dacier.
Comment donc se fait-il que ce second livre ait tant déplu à Kla-
proth, puisque son amour épuré de la science s'y trouvait servi
comme à souhait? ne devait-il pas être heureux en constatant que les
observations de Champollion s'y étaient multipliées considérable-
ment, qu'elles tétaient étendues à des objets qui n'avaient pas été
touchés dans la lettre à .M. Dneier, qu'elles s'étaient enlin modifiées
sur certain* points et vérifiées sur quelques autres? Franchement il
fallait être rendu bien difficile sur le mérite fa «ruvres d'autrui , par
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 23
le propre mérite des siennes, pour ne pas applaudir à l'apparition
d'un ouvrage qui possédait les qualités essentielles que le critique
était forcé de lui reconnaître. Il est vrai qu'à côté de cette énumé-
ration de titres à l'éloge, Klaproth ajoute bien vite (B. 7) : « Ce
travail, tout important qu'il est, laissait donc encore beaucoup à
désirer aux amis des sciences archéologiques. » Ce reproche, je dois
le dire, manque de la générosité qui sied si bien aux grands talents.
Je veux croire que Klaproth , s'il se fût mis en tête de découvrir
l'alphabet hiéroglyphique, eût du premier coup, et de toutes pièces ,
bâclé un système parfait, indubitable, absolu, dont il eût, en quel-
ques jours, enrichi la science ; mais il n'appartient pas à tout le
monde de faire aussi lestement les choses; Champollion a eu le mal-
heur de ne pouvoir tout trouver et tout démontrer, currente calamo,
sans doute parce qu'il appartenait à cette classe de petits esprits qui
mettent le temps à ce qu'ils font , afin d'avoir la conscience de le bien
faire. En cela son travail a déplu a Klaproth; c'est bien fâcheux sans
doute ; mais je crois sincèrement que, de quelque façon qu'il s'y fût
pris pour étendre et assurer sa découverte, Champollion eût bien
difficilement réussi à se faire un ami et un prosélyte de 1 illustre
Klaproth. Probablement il en eût été fort peiné ; mais tous ses dis-
ciples feront comme moi , je l'espère, et se résigneront aisément à
se passer du patronage superflu que le célèbre philologue a si dé-
daigneusement refusé à la science des écritures et de la langue
égyptiennes.
A son retour d'Italie, et après avoir à loisir étudié les monuments
égyptiens de toute espèce accumulés dans le riche musée de Turin ,
Champollion, à qui l'examen de ce musée avait déjà suggéré ses in-
téressantes lettres à M. de Blacas, publia une seconde édition de son
Précis, dans laquelle « il n'apporta que des modifications peu nom-
breuses aux assertions que contenait la première , et il n'y vit aucun
motif de renoncer à l'opinion qu'il avait exprimée sur la nature
phonétique qu'il croyait devoir attribuer à la plus grande masse des
hiéroglyphes » (c'est Klaproth qui parle). Puisqu'après avoir étu-
dié une série énorme de monumeuts nouveaux pour lui, Champol-
lion ne trouva que très-peu de choses à modifier dans le système qu'il
avait développé antérieurement, c'est qu'apparemment ses dernières
observations vinrent concorder avec les anciennes et prêter à celles-ci
une nouvelle force. Comme Klaproth se borne à énoncer ce fait en
oubliant d'en tirer une conclusion quelconque, on me pardonnera
d'avoir conclu pour lui.
24 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Vient ensuite le tour du Panthéon égyptien , cette précieuse ébau-
che d'un magnifique travail qui reste encore à faire, et que nous pos-
séderons quelque jour, il faut l'espérer, si notre savant confrère ,
M. Ch. Lenormant, veut bien transmettre au monde savant le bel
ensemble mythologique que ses études sur les monuments de l'Egypte
lui ont fait concevoir. Champollion a-t-il jamais eu la prétention
d'offrir aux érudits une théogonie égyptienne complète, à l'abri de
toute modification ultérieure? nullement; car à mesure qu'il publiait
ce livre , il avait la bonne foi de revenir franchement sur les faits
qu'il avait cru devoir énoncer antérieurement, et dont il reconnais-
sait plus tard le peu de valeur. Ceci, du reste, constitue un tort que
Klaproth reproche à Champollion avec un ton qui frise constamment
l'impertinence. Tout le monde n'est pas infaillible, et Klaproth l'étant
moins que tout autre , ainsi que j'aurai le plaisir de le démontrer un
peu plus loin, il eût été de bon goût de sa part, d'user dune très-
grande réserve, quand il s'exposait sur un terrain où tout, exacte-
ment tout, lui manquait pour éviter les faux pas.
Dans son Panthéon Champollion avait dit : « Que, malgré les pro-
fondes recherches et la vaste érudition de Jablonski, le siècle der-
nier n'avait pu se former une idée claire du système religieux de
l'antique Egypte; que ce savant ayant pris pour guides les écrivains
grecs et latins , avait cru possible avec leur seul secours de recom-
poser un tableau complet de la théogonie égyptienne; mais que
c'était de préférence dans les monuments égyptiens qu'il fallait cher-
cher les noms d'une foule de divinités et de personnages mythologiques
qu'on chercherait en vain dans les auteurs classiques. »
Assurément cette assertion n'a rien que de parfaitement logique ;
cependant Klaproth a trouvé le moyen de la faire suivre de la remar-
que suivante : «Cette proposition ne nous paraît admissible qu'autant
qu'on aurait pleinement démontré qu'on est parvenu à l'intelligence
complète des monuments graphiques de l'Egypte ; ce n'est qu'alors
qu'on serait en droit de baser des théories nouvelles sur leur contenu.»
J'avoue que je ne comprends pas trop bien la force de ce raison-
nement. Quoi! il faut l'intelligence complète des monuments gra-
phiques de l'Egypte pour avoir le droit d'extraire d'un texte les noms
divins d'un père ou d'une mère et de leur fils , d'un frère et d'une
sœur, etc.; en vérité je n'accorderai pas cela facilement. On a bien
pu » \haire des noms de souverains, des noms de particuliers, des
teftps égyptiens qui les contenaient, sans qu'il fallût, pour cela faire,
comprendre le premier mot de ces textes, et, pour les personnages
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 25
divins, il ne serait plus possible d'opérer de même j à moins de pos-
séder l'intelligence complète des monuments graphiques de l'Egypte?
en le disant, Klaproth se moque, je pense, car s'il ne se moque pas,
il déraisonne.
Le savant philologue, abordant ensuite le problème que présente
le déchiffrement des écritures égyptiennes, en fixe ainsi l'énoncé : « Il
s'agit de savoir si les hiéroglyphes étaient destinés à représenter les
idées , directement ou par l'entremise des sons de la langue égyp-
tienne, s'ils étaient des symboles de choses ou des signes de pronon-
ciation , s'ils devaient , en un mot , être considérés comme idéogra-
phiques ou comme phonétiques. Dans le premier cas, il est bien
évident qu'on devait renoncer à l'espoir d'en posséder jamais une
pleine et complète intelligence.... Dans le cas contraire, nous vou-
lons dire si les hiéroglyphes devaient être en grande partie regardés
comme signes de sons, le déchiffrement en était non-seulement
possible, mais facile sous certaines conditions, les mêmes qui sont
exigées toutes les fois qu'on veut parvenir à la lecture d'un texte
tracé dans une écriture inconnue. L'espoir que fait naître cette sup-
position doit avoir influé considérablement sur la direction que
M. Champollion avait donnée à ses derniers travaux , et la possibilité
qu'il apercevait de lire enfin les hiéroglyphes , s'ils étaient reconnus
phonétiques, n'a sans doute pas peu contribué à lui persuader qu'ils
l'étaient en effet.... Mais encore une fois, en admettant même cette
supposition, que rien jusqu'ici n'autorise et ne justifie, il faudrait
toujours, pour obtenir l'intelligence des textes hiéroglyphiques, rem-
plir quelques conditions indispensables qui sont de rigueur dans
toute opération de ce genre. Il faudrait avoir d'une manière assurée
et invariable la valeur phonétique de tous les signes hiéroglyphiques ;
il faudrait que chaque signe exprimât un seul son , et que chaque
son fût toujours rendu par le même signe ; car s'il était permis de
substituer à volonté un B à un M, ou un T à un D, d'altérer la
forme des mots déjà si vagues par la suppression des voyelles , on se
ménagerait ainsi le moyen de trouver toujours le mot dont on aurait
besoin ou quelque chose d'approchant, et avec de légères variations
qu'on pourrait ensuite faire subir à la signification des mots , il n'est
rien qu'on ne pût, à la rigueur, trouver dans une inscription. »
Dans le passage précédent, tout ce qui concerne l'énoncé du pro-
blème à résoudre me paraît assez convenablement déterminé. Les
conditions de ce problème sont sagement posées, mais Klaproth avait-
il le droit de déclarer que Champollion n'avait admis le phonétisme
26 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
des hiéroglyphes que parce que c'était la seule hypothèse qui lui per-
mit d'entrevoir le moyen de les lire? en aucune façon ; car s'exposer
à énoncer un principe pareil , qui mettait le déchiffrement des textes
hiéroglyphique* , à la portée d'un ignorant quelconque, sachant le
copte comme Klaproth, c'était s'exposer à de rudes et perpétuels dé-
mentis, c'était manquer de bon sens; en effet il était bien évident qu'une
invention pareille devait périr immédiatement au contact de l'expé-
rimentation. Ce principe donc, s'il était faux, devait entraîner sur-
le-rhamp 1 oubli et le mépris de la méthode de lecture à laquelle il
servait de base ; il n'en a rien été, parce qu'il n'en pouvait rien être;
j'en conclus hardiment que la méthode et le principe étaient bons et
les seuls bons, n'en déplaise à Klaproth. Ce passage me suggère une
dernière observation. Pour un philologue de sa force , comment
a-t-il été si mal choisir les lettres à citer pour exemple des permu-
tations capricieuses qu'il n'est pas permis de faire subir aux valeurs
ignés hiéroglyphiques? Il se récrie sur la possibilité de remplacer
un B par un M, un T par un D, et j'en suis fâché pour sa science
profonde, il commet là une double bévue. Qui ne sait que les articu-
lations congénères subissent sans difficulté des permutations dont
toutes les langues sans exception nous offrent des exemples fré-
quents? et qui aurait le droit de criera l'arbitraire si, dans un mot
égyptien, on voyait un B remplacer un M, un T remplacer un D?
Puisqu'il s'agit d'égyptien, nous avons le droit de chercher ce
que le copte, tel qui nous est connu, nous offre de permutations
possibles, et si nous y reconnaissons comme licites précisément celles
que Klaproth cite d'un air si triomphant , qu'en devrons-nous con-
clure? que Klaproth ignorait le jeu des articulations congénères?
certainement je n'oserais pas le faire, vu le respect que je professe
pour sa science philologique; et pourtant si nous ouvrons le Lexique
copte du savant A. Peyron, nous y lisons (page 19 ) : « & sœpeper-
mutalur cum lilteris affinibus ot , <\> , ^. aliquando eliam mm
H et JU. ; sic TO& pro "TOTT j «a\î\E&, 'TatfXA*, £ïHXfi,
£\HW-, ^Eptufî, f5Epai**, et page 29 : A, lillera ignota
sEgypliis; eam quandoque in grœm vocibus scriptam vidipro T. sic
€FE&^pCm, Ik&XXCj etc» »
Bornons-nous à conclure de ceci que Klaproth n'a pas eu la main
heureuse, et qu'il eut pu beaucoup mieux choisir. Il est vrai que
( M permutations légitimes étant les seules qu'il lui fût possible de
EXAMEN DES ÉCRITS DE KLAPROTH. 27
reprocher à Champollion, il fallait bien s'en tenir à elles, sauf à
perdre tout l'effet de sa tirade.
Après avoir exagéré de beaucoup la difficulté de déterminer l'ordre
à suivre dans le déchiffrement des caractères composant les groupes
hiéroglyphiques, difficulté qui n'existe réellement que dans l'imagi-
nation deKlaprolh, celui-ci ajoute (B. 14-17) : ce Supposons néan-
moins que la forme et la valeur des lettres soient parfaitement déter-
minées, que leur arrangement ne donne lieu à aucune équivoque, que
la suppression des voyelles ne soit l'occasion d'aucune méprise , que
l'on puisse , en un mot , épeler les syllabes, couper et distinguer les
mots avec autant de netteté, de certitude et de précision que s'ils
étaient écrits avec quelqu'un des alphabets perfectionnés de l'Occi-
dent , il restera toujours une difficulté dont le génie lui-même ne
saurait triompher, c'est de découvrir la signification des mots, quand
elle n'est pas connue par la tradition. La langue cophte qui est re-
gardée maintenant, avec toutes sortes de raisons, comme un reste
précieux de la langue égyptienne, ne représente cette dernière que
d'une manière très-incomplète. Dans la longue durée de l'empire
égyptien , la langue avait subi sans doute plusieurs de ces révolutions
dont aucun des idiomes connus n'a su se garantir pendant le cours des
siècles; aurait-elle pu se conserver intacte depuis les temps des Ra-
messès jusqu'à l'époque des Ptolémées, à travers les invasions des
Pasteurs et des Perses, sous la domination des Grecs et des Romains,
et jusqu'à la conquête des Arabes ? Si l'on pèse toutes ces causes de
changement, d'altération et de désaccord, on s'étonnera de la con-
fiance avec laquelle certaines personnes veulent appliquer des voca-
bulaires cophtes à l'interprétation des plus anciennes inscriptions
égyptiennes. Elles n'agiraient pas avec plus de sécurité quand elles
posséderaient un glossaire composé sous le règne même de Sésostris.
Il est impossible que M. Champollion ait partagé cette confiance exa-
gérée; il savait trop bien qu'à deux ou trois mille ans de distance,
l'orthographe et la forme même des mots avaient dû changer plus
d'une fois et s'altérer considérablement. »
Il est impossible de rendre plus exactement que Klaproth ne l'a
fait ici , les idées que je me suis efforcé d'émettre en m'occupant de
l'écrit du docteur Dujardin, écrit dans lequel l'opinion diamétralement
opposée était énoncée hardiment. Remarquons cependant que le cri*
tique oublie de distinguer la langue sacrée de la langue vulgaire.
Tout ce qu'il dit en effet s'applique merveilleusement à celle-ci ,
sans pouvoir s'appliquer à la première ; car les idiomes sacrés vivent
28 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
des milliers d'années sans s'altérer, et cela parce que les monuments
qui les fixent ont un caractère impérissable. Mais de ce que les
formes, de ce que l'accoutrement des radicaux d'une langue se mo-
difient, est-il vrai de conclure que de la connaissance de ces radi-
caux, tels qu'ils sont conservés dans un idiome moderne, il n'est plus
possible de remonter à celle de leur forme primitive, appartenant à
l'idiome congénère le plus ancien? en aucune façon. Ainsi, sans être
un grand devin, tout homme qui rencontrera le mot asinus, et qui
connaîtra les formes françaises successives asne et âne de ce môme
mot, pourra dire qu'asinus signifiait en latin un âne ; de même du mot
envie il lui sera possible de déduire la signification du latin invidia :
ces deux exemples nous suffiront. Les lexiques coptes nous offrent donc
le dernier accoutrement des radicaux égyptiens, soit; mais cet ac-
coutrement ne les déguise pas si bien qu'il devienne impossible, à la
vue du mot primitif, de reconnaître son analogie avec celui qui lui a
survécu. L'immense difficulté d'interprétation dont Klaproth fait si
grand bruit, est donc plus effrayante en apparence qu'en réalité ; c'est
ce que je tenais à dire. Klaproth n'en conclut pas moins que ses
observations font pressentir dans quelles limites il est raisonnable de
circonscrire d'avance le résultat du déchiffrement des hiéroglyphes.
« En effet, ajoute-t-il, les découvertes de M. Champollion ne s'ap-
pliquent qu'à un nombre assez limité des signes hiéroglyphiques,
c'est-à-dire qu'il ne lit presque que les noms propres et quelques
autres mots , écrits avec un alphabet dont le système ressemble en
quelque sorte à celui des langues sémitiques, dans lesquelles on
n'écrit que les consonnes d'un mot, et qu'une partie des voyelles ou
même aucune de celles-ci. »
Je le dis sans crainte d'être démenti par qui que ce soit, il suffit de
lire dix pages de la grammaire de Champollion pour être parfaitement
convaincu de la fausseté des faits énoncés ainsi comme constants par
Klaproth. Non, la méthode de lecture découverte par Champollion n'est
pas si peu efficace qu'elle ne puisse servir qu'à déchiffrer les noms pro-
pres et quelques autres mots. ( Quelques autres mots ! a-t-on jamais
employé une expression plus vague, plus louche que celle-là ! )De plus,
le nombre total des hiéroglyphes connus ne dépassant guère huit cents,
Champollion et d'après lui Salvolini ont fait connaître la valeur de
plus du quart de ces signes, et tous les jours le nombre de ces valeurs
bien déterminées va s'accroissant , grâce à la bonté de la méthode à
l'aide de laquelle leur recherche s'effectue.
Ici nous retrouvons le parallélisme des deux éditions de la critique
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 29
acerbe de Klaproth. II commence par décrire la forme ordinaire des
cartouches où encadrements elliptiques qui contiennent les noms
propres de souverains et leurs titres honorifiques, ordinairement pré-
cédés, dit-il, d'un groupe symbolique qu'on prétend signifier roi du
peuple obéissant. A voir les expressions dont se sert ici le critique
n'est-il pas évident que cette explication adoptée par Champollion
n'est pas de son goût , et qu'il entend laisser toute la responsabilité
de son plus ou moins de justesse à l'illustre auteur de la gram-
maire? et cependant c'est Plutarque qui nous apprend que dans
l'écriture égyptienne un jonc (Qpvov) désigne un roi, et c'est Hora-
pollon lui-même qui nous explique le sens de l'hiéroglyphe symbo-
lique l'abeille, qu'il traduit : labvnpbç Gaaikéa TraîOriviov (hiérogl. 1,
§ 1, 62). Ces deux assertions devaient suffire à Klaproth qui trou-
vait un peu plus haut que les notions puisées dans les classiques
grecs et latins peuvent seules et à l'exclusion de toute autre, servir à
former le tableau de la théogonie égyptienne. Ainsi lorsqu'il s'agis-
sait de blâmer Champollion à propos des ressources puisées par lui
dans l'étude des textes égyptiens eux-mêmes , pour rassembler les
matériaux de son panthéon, les assertions desGrecs et des Latins étaient
les seules bonnes; vienne dix pages plus loin l'explication d'un double
groupe hiéroglyphique, basée sur une double assertion prise à la même
source d'abord si respectable, et alors, comme il s'agit toujours de
blâmer Champollion , les classiques n'auront plus le sens commun.
Ah! M. Klaproth, vous, d'ordinaire si adroit, vous perdez quel-
quefois jusqu'à l'adresse la plus vulgaire, celle de l'homme qui,
voulant commettre une méchante action , s'arrange de façon à ne pas
se laisser prendre en flagrant délit.
Voyons maintenant ce que notre infatigable critique trouve à dire
sur les cartouches, noms propres, et nous en déduirons encore quel-
ques curieuses conséquences.
« Dans ces cadres , le nom du roi et ses épithètes ordinaires sont
écrits en caractères alphabétiques ou phonétiques, comme M. Cham-
pollion les appelle d'après Zoëga (ici vient la note suivante ) :
« Le monument de Rosette, dit M. Champollion dans sa lettre à
M. Dacier, page 44, nous présente l'application de ce système auxiliaire
d'écriture, que nous avons appelé phonétique, c'est-à-dire exprimant
les sons. Cependant c'est Zoëga qui a donné le premier cette épithète
grecque aux lettres alphabétiques des Égyptiens, comme on peut le
voir par le passage suivant de son grand ouvrage de Origine et usa
obeliscorum, p. 454, publié à Rome en 1797 : Sed satis est exemplo-
30 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rum classis œnigmaticœ, superest qninla classis notarum phoned-
carum. »
En vérité , il faut avoir la monomanie du blâme pour faire un crime
à Champollion d'avoir employé la dénomination d'écriture phoné-
tique, sans prendre la précaution de dire que vingt-cinq ans plus tôt
Zoëga s'était servi du môme mot phonétique pour caractériser les
signes de cette écriture. Il est vrai qu'à la rigueur c'est l'écriture
que Champollion appelle phonétique , tandis que ce sont les lettres
elles-mêmes que Zoëga qualifie de la sorte; mais cette distinction est
parfaitement superflue; car, je le demande, qui trouvera jamais mau-
vafa qu'un professeur d'astronomie , par exemple, se serve en parlant
ou en écrivant, des expressions *. nous nommons zénith, azimuth,
équateur, etc., etc.? Deviendra-t-il par le fait un plagiaire? En vé-
rité, Klaproth , lorsqu'il s'agissait de mots, poussait bien loin le
respect pour la propriété d'autrui.
Je poursuis ma citation :
« Quant aux; noms et aux épithètes des rois renfermés dans les
premiers cartouches, M. Champollion avait un excellent guide pour
les déchiffrer. Ce sont les mêmes noms dont la liste se trouve dans les
tables des dynasties égyptiennes de Manethon et d'autres auteurs de
l'antiquité. Certes, quand on sait ce qu'on peut trouver dans une in-
scription ancienne, écrite en caractères inconnus, il n'est pas difficile
de l'expliquer en partie, et je pense qu'un bon déchiffreur, auquel on
aurait donné la simple indication qu'il y avait à chercher dans les
cartouches des monuments égyptiens , les noms des ditîérents rois
d'Egypte cités par les anciens, écrits en caractères alphabétiques, avec
un très-petit nombre de voyelles, serait parvenu au même résultat
que M. Champollion. » (B. 20.)
Ici j'avoue en toute humilité que je m'embrouille, et que je ne
sais plus trop où chercher la pensée de Klaproth. En effet, je lis
un peu plus haut : « Tout le monde avait reconnu dans cette inscri-
ption (de Rosette) la place qu'occupait le nom de Ptolémée, et on avait
indiqué de même sur d'autres monuments les cadres ou cartouches
qui devaient contenir ceux de Bérénice et d'Arsinoé, ainsi que de
quelques rois des anciennes dynasties égyptiennes. » ( B. 3 ) et voilà
que 17 pages plus loin, ni plus ni moins, lé premier bon déchillrenr
venu avec la simple indication qu'il y avait à chercher dans les ear-
tourhes des monuments égyptiens les noms des différents rois (flÈgJ pte
( it.v p;ir In ;m< i» us, serait parvenu au même résultat que M. Cham-
pollion! Il faut donc en conclure que Young était un fort mauvais
EXAMEN DES ECRITS DK KLAPROTH. 31
déehiffreur, puisqu'il possédait les simples notions réclamées parKla-
proth pour rendre facile à tout venant la lecture des cartouches
royaux. Notre critique ne joue-t-il pas ici précisément le rôle de l'ours
delà fable, et Young, en lisant ce paragraphe fort humiliant pour
son amour-propre de déehiflreur, n'a-t-il pas dû maudire de bon
cœur son imprudent ami? Je n'en fais pas le moindre doute. Et voyez
quel malheur queKlaproth lui-même, dès la première apparition de
la découverte de Young , n'ait pas daigné prendre la peine de nous
donner tout de suite la lecture de ces cartouches si faciles à lire, quand
on connaissait les listes de Manethon. Vraiment le monde savant a
bien le droit de garder rancune à Klaproth, qui, sans aucun doute,
était un bon déehiffreur, et, qui par son indifférence si naturelle pour
une découverte de si grande importance, a fait perdre aux études
égyptiennes pour le moins trois ou quatre ans.
Poursuivons encore.
« Indépendamment des noms contenus dans les cartouches, les mo-
numents en offrent un grand nombre d'autres; ce sont ceux des divi-
nités et ceux des personnes qui n'ont pas régné. Ces noms sont en
grande partie écrits en caractères aFphabétiques; on connaît les déno-
minations de la plupart des dieux par les auteurs anciens. Ainsi il
n'était pas très-difficile de les découvrir dans les inscriptions. (B. 21.)
Outre ces noms propres, il y a également quelques signes gramma-
ticaux et quelques particules en caractères alphabétiques; tout le
reste est symbolique ou idéographique. »
Décidément, en écrivant ces dernières lignes, Klaproth a eu
du malheur; ne voilà-t-il pas en effet qu'il s'avise d'affirmer que
la lecture des noms de divinités n'était pas très-difficile, tandis
que , douze pages plus haut , il n'hésite pas à déclarer que « Cham-
pollion n'avait pas le droit de dire que c'était de préférence dans
les monuments égyptiens qu'il fallait chercher les noms d'une foule
de divinités et de personnages mythologiques qu'on chercherait en
vain dans les auteurs classiques? » Car il ajoute : « cette propo-
sition ne nous paraît admissible qu'autant qu'on aurait pleinement
démontré qu'on est parvenu à l'intelligence complète des monu-
ments graphiques de l'Egypte; ce n'est qu'alors qu'on serait en
droit de baser des théories nouvelles sur leur contenu. » Klaproth
avait la mémoire courte, puisqu'à 12 pages de distance il disait une
fois blanc et une autre fois noir sur le même sujet. Je me borne à
constater ce caractère psychologique de l'illustre philologue.
A la page 22 , je lis : « Si l'on examine avec soin les découvertes
32 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de M. Champollion on est convaincu qu'elles ne peuvent servir qu'à
lire une partie des noms des rois d'Egypte, mais qu'elles ne condui-
ront vraisemblablement jamais à une intelligence même superficielle
des inscriptions égyptiennes et des nombreux écrits sur papyrus qu'on
trouve dans les tombeaux de ce pays ; aussi ce savaut en traduisant la
moindre phrase a-t-il été contraint, pour y réussir, d'inventer des
mots qui ne sont pas coptes, et qu'il ne peut justifier par aucune
autorité. »
La réponse à ce paragraphe nous est gracieusement fournie par
Klaproth lui-même. En effet, nous trouvons que les noms des rois et
leurs épi thètes sont faciles à lire pour le premier bon déchiiïreur venu;
qu'il n'est pas plus difficile de lire les noms en grand nombre des
divinités et des personnages qui n'ont pas régné ; et qu'outre ces noms
propres il y a dans les textes des signes grammaticaux et des particules
que l'on reconnaît aisément. (B. 20, 21.) Quant aux nombreux écrits
sur papyrus qu'on trouve dans les tombeaux, je lis (B. 17): « les livres,
s'il y en eut jamais, ont été complètement anéantis; les papyrus,
que quelques personnes peu éclairées prennent pour des livres, n'of-
frent qu'une perpétuelle répétition des mêmes formules toujours
relatives au même sujet, la mort et ses conséquences. » Voyez- vous
cela? vous étiez donc arrivé, vous, aune intelligence superficielle de
ces nombreux écrits sur papyrus? Grâce à qui et par quel moyen, s'il
vous plaît, M. Klaproth?
Enfin , quant aux mots lus par M. Champollion, et qui ne sont pas
coptes, je lis (B. 16) : « Si l'on pèse toutes ces causes de changement,
d'altération et de désaccord, on s'étonnera de la confiance avec laquelle
certaines personnes veulent appliquer des vocabulaires coptes à l'in-
terprétation des plus anciennes inscriptions égyptiennes.... Il est im-
possible que M. Champollion ait partagé cette confiance exagérée. II
savait trop bien qu'à deux ou trois mille ans de distance, l'orthographe
et la forme même des mots avaient dû changer plus d'une fois et s'al-
térer considérablement. Aussi , dans les transcriptions qu'il faisait de
phrases égyptiennes, supposées écrites phonétiquement, trouvait-il
un très-grand nombre de mots qui n'existent avec la même forme ni
dans la Bible, ni dans les légendes, ni dans les lexiques. Un tel ré-
sultat était inévitable, et de pareils mots doivent infailliblement se
présenter I chaque ligne des inscriptions anciennes. Mais alors com-
ment retrouver le sens de ces mots, et quelle foi la critique peut-elle
avoir aux effets de cette sorte de divination ? » (B. 16.)
Accorde qui le pourra cette opinion de Klaproth avec le reproche
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 33
qu'il adresse à Champollion d'avoir, en traduisant la moindre phrase
égyptienne, inventé des mots qui ne sont pas coptes, et qu'il ne peut
justifier par aucune autorité. Aucune? ici Klaproth se trompe, il y a
une autorité qu'on ne peut récuser, c'est celle du bon sens; je m'ex-
plique : si dans une phrase il arrive que quelques-uns seulement des
mots sont de lecture certaine, le contexte fournira certainement le
reste, grâce aux signes grammaticaux et aux particules alphabétiques
dont Klaproth est forcé de reconnaître l'existence bien constatée ;
dès lois, si un groupe muni d'une valeur déterminée de cette façon, ^c
retrouve dans d'autres phrases où il vient s'ajuster en donnant tou-
jours un sens naturel et simple, il faudra bien, n-'en déplaise à Kla-
proth , admettre que le mot est lu et bien lu, fût-il à cent mille lieues
du copte. Ce résultat, je ne crains pas de le dire, c'est celui que
fournissent invariablement les valeurs attribuées par Champollion
aux groupes hiéroglyphiques phonétiques qu'il a déterminés. Hâtons-
nous d'ajouter que, dans le plus grand nombre des cas, les groupes
phonétiques lus par Champollion, sont immédiatement comparables
à des mots coptes de même signification , quand ce ne sont pas les
mots coptes eux-mêmes. Ce fait, les assertions d'une légion de Kla-
proth ne sauraient en aucune façon l'infirmer,
On en conviendra, l'homme qui à quelques pages de distance se
contredit si complètement et sur tout ce qu'il avance, cet homme a
fort mauvaise grâce en reprochant à autrui des contradictions qui ne
sont en réalité que l'expression des modifications forcées que toute
théorie en progrès reçoit à mesure qu'elle se développe et se fixe.
F. de Saulcv
(La suite au numéro prochain.)
111.
suit
LES NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS,
Ayant été amené à parler, dans une lettre insérée au dernier nu-
méro de la Revue, du Supplément au Catalogue des anciens artistes ,
ouvrage récent de M. Raoul Rochette, je me suis avancé jusqu'à
prétendre que ce livre, si longuement élaboré par son auteur, n'est
pas plus exact, en ce qu'il offre de nouveau et de propre à l'auteur,
que les Antiquités du Bosphore, ou la traduction des Fragments de
Ménandre et de Philémon. J'ai promis de donner les preuves de cette
assertion. Je vais remplir cette promesse , dans le double intérêt de
la science et des savants. Ceci demande une explication préliminaire,
qui sera l'objet de ce premier article.
L'idée de dresser un catalogue ou dictionnaire des noms des anciens
artistes, appartient à Fr. Junius, qui a placé le sien a la suite de
son traité de Pictura veterum ( Amstel., 1 637 et 1 694 ). Ce catalogue ,
qui brille plus par l'érudition que par la critique , contient beaucoup
de noms qui n'auraient pas dû s'y rencontrer.
M. Sillig a sagement évité les défauts de ce livre. Son Cata-
logus artificum, sive architecd, statuarii, sculptons, pictores, cœla-
tores, et sculptores Grœcorum et Romanorum (Dresd. et Lips., 1 827),
remplit très-bien son titre. C'est l'œuvre d'un esprit critique ,
versé dans la connaissance des textes , et qui a su se renfermer
dans les limites du plan qu'il s'était tracé, en faisant main basse sur
les superfétations du catalogue de Junius. Son livre est un manuel
indispensable pour tous ceux qui s'occupent de l'histoire des arts
dans l'antiquité.
Ce n'est pas à dire cependant que cet ouvrage soit sans défaut, ni
que l'auteur n'ait rien omis. Qui peut s'attendre à ce que la première
édition d'un dictionnaire sera un ouvrage complet? Mais les imper-
fections y sont rares et peu importantes. Ce qui le prouve, c'est l'in-
signifiance des additions ou corrections qu'ont trouvé à y faire suc-
cessivement, dans les quatre premières années, des savants très au
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 35
courant des nouvelles découvertes; en premier lieu, MM. Osann et
Welcker, dans le Kunstblatt de 1827 et 1830; en second lieu,
M. Raoul Rochette, dans sa Lettre à M. Schorn (insérée en 1831,
au Bulletin de Férussac). Ces trois archéologues ont eu pour but de
recueillir tous les noms d'artistes qui avaient pu échapper à l'attention
de M. Sillig; or, le nombre en est fort peu considérable , et les omis-
sions ont peu de gravité, ne concernant, pour la plupart, que des
noms d'artistes plus ou moins obscurs, dont il ne reste pas d'ou-
vrages.
Depuis , de nombreuses découvertes ont fait connaître beaucoup
de noms nouveaux. Ce sont tous ces noms, outre ceux du Catalogue
de M. Sillig, que mon excellent a ni M. de Clarac a réunis dans son
savant Catalogue des anciens artistes (1). M. Raoul Rochette s'est, au
contraire, borné à consigner, dans la deuxième édition de sa Lettre
à M. Schorn, qui a paru l'an dernier, et qui est près de cinq fois
plus volumineuse que la première (452 pages), les noms qui ne
sont pas dans l'ouvrage de M. Sillig. Aussi la nomme-t-il justement
Supplément au Catalogue des anciens artistes. M. Sillig fera donc
bien d'ajouter à son livre, quand il en donnera une seconde édition,
les noms qu'il ne pouvait connaître, lorsqu'il publiait la première ;
mais je lui conseille d'y regarder à deux fois, avant d'accepter
toutes les améliorations que lui propose M. Raoul Rochette ; car, s'il
les suivait à la lettre, il s'exposerait à gâter son livre , d'abord, en y
introduisant une foule d'erreurs, outre celles que M. Rangabé a déjà
indiquées dans la Revue (2) ; ensuite, en retombant dans le chaos de
l'ouvrage de Junius.
Relever les principales de ces erreurs est, à mon avis, chose fort
nécessaire, parce que l'autorité dont jouit l'auteur peut donner crédit
aux notions fausses qu'il a produites. D'ailleurs, il est utile de lui
faire sentir combien est pénible, pour tout le monde, le ton vraiment
intolérable qu'il continue de prendre dans son livre à l'égard de ses con-
frères en archéologie. L'inconvénient grave d'une pareille manière,
c'est de provoquer sans cesse des représailles de la part de ceux mêmes
qui désireraient le plus continuer paisiblement leur route scientiGque.
Car, on a beau faire, quand on se défend, on se règle toujours plus
ou moins sur le ton de l'attaque! Et c'est ainsi que se perpétue
l'usage de ces formes aigres et désobligeantes , dont chacun de nous
(1) Ce Catalogue n'est pas encore publié; il en a seulement été distribué des
exemplaires à quelques personnes, le 8 août 1844.
(2) Ile année , p. 421 et suiv.
.% REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
voudrait débarrasser la controverse scientifique, qui ne peut rendre
de grands services que si elle est bornée au simple exposé ou à la
critique modérée des opinions contradictoires.
C'est donc être utile à la science et aux savants que de contraindre
ceux qui continuent d'employer un pareil ton , à l'abandonner désor-
mais. Quatre exemples, tirés uniquement du Supplément au Catalogue
des anciens artistes , éclairciront ma pensée; et, comme ils ne me
concernent pas, ils montreront que M. Raoul Rochette distribue à
tout le monde indistinctement, avec une égale libéralité, la manne
substantielle de sa critique indulgente.
1° Dans l'introduction de son estimable Catalogue, M. le comte
de Clarac dit de M. Raoul Rochette (l) : « On aurait recours, avec
« |>lus de plaisir et de confiance aux renseignements qu'il nous
« donne, si Von y trouvait plus de vrai sentiment des arts du dessin,
« des recherches plus exactes, et si la critique , plus juste, y rendait ses
« arrêts avec plus d'urbanité, d'aménité et oTindidgence. » En d'autres
passages du même livre, il le juge avec la même sévérité. Il va
même jusqu'à lui rappeler impitoyablement qu'il a ignoré que telle
pierre gravée existe dans le Cabinet des Antiques (2) ; à peu près
comme Kœhler, qui a dû apprendre de Saint-Pétersbourg, au même
conservateur, qu'un beau médaillon d'OIbta, que celui-ci croyait ne
pas exister, est un des ornements du même Cabinet des Antiques (3).
Ces critiques sévères étonneraient dans M. de Clarac, dont on
connaît l'aménité de caractère et le savoir-vivre, si l'on ne savait que
M. Raoul Rochette l'a bien souvent blessé, non par des critiques ,
que M. de Clarac, comme tout esprit bien fait, reçoit avec soumis-
sion et reconnaissance, quand elles sont justes et convenablement
exprimées, mais par les formes dédaigneuses, on ne peut plus
désobligeantes, qui sont employées à son égard, dans la première
édition de la Lettre à M. Schorn. Ce ton a produit l'effet ordinaire;
c'est de pousser à bout le caractère le plus doux et le plus pacifique.
Aussi, un peu surpris de ces vertes représailles, M. Raoul Rochelle,
dans la préface de sa deuxième édition, convient que M. de Clarac a
pu se trouver offensé; et il assure avoir, dans la deuxième édition,
changé la plupart tfes passages qui avaient motivé ses plaintes. La
(1) Introduction, p. flttfi*
(2 Clarac, Catalogue , p. 1 03.
3j Remarques sur un ouvrage, intitulé : Antiquités du Bosphore, p. GS et Gi).
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 37
plupart est joli; et pourquoi pas tous, puisqu'il faisait tant que de
s'amender? Le fait est que cette résipiscence ne s'est guère étendue
au delà de la préface; car la plupart des passages dont M. de Clarac
s'était trouvé offensé, sont restés, dans la deuxième édition, tels
qu'ils étaient dans la première» (Voir les pages 147, 149, 152.)
C'était bien la peine de convenir de ses torts pour les réparer si mal !
2° II en est ainsi de Kœhler, l'antiquaire de Saint-Pétersbourg, un
de ceux que M. Raoul Rochette a le plus constamment maltraités. Il
n'a jamais pu lui pardonner la sévère et presque toujours victorieuse
réfutation des Antiquités du Bosphore , d'ailleurs méritée par le ton
qu'il avait pris lui-même en allant attaquer le rude Kœhler sur un
terrain que celui-ci connaissait si bien.
On pouvait toutefois s'attendre à quelque adoucissement dans l'hu-
meur de l'archéologue critiqué, en lisant cette note (page 107 de la
deuxième édition) : «Je me suis quelquefois trouvé, avec regret, dans
« le cas de traita sévèrement M. de Kœhler; c'est pour moi un
«sujet de satisfaction bien légitime, que d'avoir à reconnaître le
« changement favorable qui s'était fait à cet égard dans les idées de
« l'illustre antiquaire, .... Il m'en donna des témoignages qui m'ont
« vivement touché, et qui m'imposent pour sa mémoire tout le respect
« qui peut se concilier avec l'intérêt de la science. » Après ces belles
paroles, on devait espérer que l'auteur, tout en continuant d'indiquer
les points sur lesquels il est en dissentiment avec Kœhler, y mettrait
du moins cette aménité et cette douceur qui n otent jamais rien à la
force des raisons. Or, il n'a pas changé un mot à l'expression de ses
jugements passionnés. Ce sont toujours les mêmes formes acerbes dont
il avait été si prodigue dans la première édition. 11 revient sur les
mêmes reproches qu'il lui a adressés en 1831 , dans un article du
Journal des Savants, reproches dont, à coup sûr, l'intérêt de la science
n'exigeait nullement la répétition. Tantôt ce sont les allégations ar-
bitraires et gratuites (p. 111); les assertions étranges (p. 112) de
M. de Kœhler. Tantôt cet archéologue se donne le plaisir de forger
des noms barbares (p. 119); il emploie la manière tranchante et arbi-
traire qui lui est propre (p. 114). A propos d'une opinion sur un
livre attribué à Visconti ; On aura une idée du savoir bibliographique
de M. de Kœhler, etc. (p. 101, n° l); ou bien : M. de Kœhler décèle
une inexpérience numismatique ou une préoccupation dont on a droit
38 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'être surpris de la part dun homme qui s'exprime avec tant d'assu-
rance (p. 112). Ailleurs, il lui vient une des plus étranges idées qui
soient passées par la tête dun antiquaire (p. 141); ou bien son inter-
prétation eiU donné lieu de s'attendre à une révolution complète dans
l'étude des pierres gravées, pour peu que l'auteur y eût appliqué le
même système d'interprétation avec la même sagacité ( même page ) , etc.
De bonne foi, est-ce ainsi que l'on parle d'un bomme pour la mé-
moire de qui l'on s'impose tout le respect qui peut se concilier avec l'in-
térêt de la science? Que M. Raoul Rocbette ait ainsi parlé en 1831,
huit ans après la publication du livre de Kœhler, cela n'était déjà
pas trop excusable; mais, quatorze ans plus tard, longtemps après
sa mort, le poursuivre ainsi, par le fait, quand on professe, en
paroles, un profond respect pour sa mémoire, cela ne ressemble
pas mal à une dérision.
3° Au reste , cette habitude est tellement naturelle chez l'auteur du
Supplément, qu'il la conserve même à l'égard de M. Welcker, qu'il a
souvent nommé son illustre ami. A propos du sculpteur EvJotoç,
cité par Pausanias, M. Welcker avait présumé que ce nom pour-
rait bien être fictif, comme ceux de Dœdalos, d'Euchir et d'Eu-
grammos, et avoir été forgé par allusion à quelque particularité
de travail. Cette conjecture a été détruite par la découverte posté-
rieure d'une inscription où se lit : ENAOIOS EIIOIESEN ; mais, jus-
qu'à cette découverte, l'idée, ingénieuse en elle-même, pouvait
paraître probable, et, en tout cas, n'était pas indigne de l'habile
antiquaire qui l'avait mise en avant.
Qu'aurait donc fait tout autre que M. Raoul Rochette, même sans
être l'ami de M. Welcker? il aurait simplement remarqué que la nou-
velle inscription ne confirmait pas l'idée du docte antiquaire. C'en était
assez pour garantir l'intérêt de la science. Au lieu de cela , il entre dans
une sainte colère, et écrit six pages où il fallait six lignes. « On con-
viendra, dit-il, que jamais une existence d'homme et d artiste n'a été
retranchée de l'histoire sur un fondement plus léger (p. 390). » Plus
loin : « L'audacieux (!) critique raye dun trait de plume un nom
lùslorique, sans être arrêté par rieny etc. (même page). » Il continue
du même pas : « Ce sont là les jeux d'un esprit... qui aime à voir
jusqu'où peut aller, d'une part, la hardiesse du philologue, de l'autre,
la complaisance du lecteur. » Et comme il ne peut plus contenir son
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. ,'*9
indignation, il écrase enfin Yaudacieux critique de ce coup de ton-
nerre : « Si c'est là de la critique, j'avoue, en toute humilité, que je
ne sais plus ce que je dois croire..., et si c'est à cela que doit conduire
l'intelligence de la langue grecque, je confesse qu'il n'y a plus rien de
sur , rien de sacré , dans le domaine de l'histoire. » Est-il permis
d'enfler à ce point la voix, à propos de si peu de chose? Voilà bien ce
que les Grecs appelaient faire d'une mouche un éléphant (Dtéyc&rpt.
h. pulaç noieïv) ! Ne dirait-on pas que l'excellent Welcker a violé
toutes les lois divines et humaines, parce qu'il a mis en doute le
nom d'un sculpteur obscur ?
On est vraiment tenté de croire que l'esprit de Mathanasius a
soufflé là , et de s'écrier : « 0 illustre auteur du chef-d'œuvre d'un
« inconnu , que ta grande ombre se console , ta postérité n'est pas
« encore éteinte ! »
4° Mais ce qui passe toute croyance, c'est la manière dont l'auteur
du Supplément traite les auteurs de Y Élite des monuments céramogra-
phiques (p. 23, n° 3). Ces Messieurs ont, à la vérité, un grand
tort à ses yeux ; c'est de ne pas croire à la prétendue colonie athé-
nienne de l'Hadria du Pô, qu'il a inventée; et, à mon avis, ils ont
bien raison; mais, qu'ils aient raison ou tort, il leur était bien per-
mis de dire leur opinion , surtout avec la politesse et la réserve qu'ils
ont su garder.
11 commence donc par cette critique injuste (que j'ai déjà relevée) sur
le nom à'Hadria du Pô (l). Puis, ces auteurs (2) ayant dit que Vidée
de faire d'Hadria, un dépôt de vases grecs, ne pourrait soutenir l'exa-
men, M. R. R. répond qu'une pareille manière de s' exprimer pourrait
donner lieu à de sévères représailles. Ils devaient donc s'estimer
heureux d'échapper cette fois à une si terrible menace. Pourtant ils
n'y perdent rien , car il ajoute : J'aime mieux n'y voir que la légè-
reté d'esprit dont leur travail porte l'empreinte. Que dites-vous de
cette urbanité et de cette gentillesse envers deux auteurs qui usent
du droit de dire leur avis, sans nommer ni désigner, et par consé-
quent sans offenser personne? Notez que ces deux savants , avec qui
il le prend de si haut, connaissent probablement les vases, au moins
aussi bien que lui. Je crois, pour ma part, que leur introduction est
(1) Revue Archéologique , t. II , p. 762.
(2) Depuis, j'ai su que Yintroduction de cet ouvrage est d'un seul des deux
auteurs.
40 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
un bon morceau , plus clair, plus complet et plus satisfaisant que
ce que M. Raoul Rochette a écrit sur ce sujet. Elle me paraît tout
aussi profonde ({lie peut letre un aperçu général, qui doit se distin-
guer, moins par l'abondance des détails, que par la justesse! des
vues, la bonne ordonnance des faits et l'impartialité des jugements.
Sous tous ces rapports, cette introduction sera fort prisée des con-
naisseurs. A coup sûr, il n'aurait tenu qu'aux auteurs de hérisser
le bas des pages de cette foret (comme dit M, Brnun) de citations
inutiles ou banales que M. Raoul Rochette est dans l'usage de prendre
de toutes mains. Ils ont mieux fait de s'abstenir d'un appareil d'éru-
dition, aussi vain que facile à réunir. En cela, ils ont montré autant
de goût que de bon esprit, et je leur adresse, quant à moi, mes
sincères compliments de leur légèreté d'esprit.
M. lUioul Rochette termine son inqualifiable sortie par cette
phrase, qui couronne l'œuvre : « Je ne rapporte cette opinion
des auteurs de l'Élite des monuments céramographiques , que parce
(ju elle est, à mes yeux , tout à fait sans conséquence. » Cette phrase a
deux graves défauts; l'un, d'être d'une impertinence rare; l'autre, de
n'avoir pas le sens commun; car c'est justement parce qu'une opinion
serait tout à fait sans conséquence, qu'on devrait se croire tout à fait
dispensé de la rapporter. Eh bien! l'un des archéologues qu'il traite
ainsi , est son confrère à l'Institut et son collègue nu département des
antiques de la Bibliothèque royale ; il n'a jamais écrit une ligne contre
lui , môme pour se défendre des critiques souvent injustes et toujours
sévères qu'il a faites de l'Élite des monuments céramograpldques.
Ce dernier trait suffirait pour faire juger de ce que M. Raoul Ro-
chette a pu dire, en ce genre de critique, dans ses écrits antérieurs,
dont je n'ai point à m'occuper ici.
Or, dans la préface même du livre où sont répandues ces douceurs
cl bien d'autres encore, il ne craint pas de faire cette déclaration :
« Je condamne cliez moi, encore plus que citez les autres , la critique
« qui ressemble à des personnalités. » Et plus loin : « J'ai eu plus
« que personne à soullrir de ce genre de critique, sans avoir jamais
« voulu la (sic) provoquer. » En vérité , c'est à croire que l'auteur
de la préface n'est pas celui du livre, ou que l'auteur du livre l'avait
complètement oublié, quand il a écrit sa préface.
Dans la deuxième de ces deux phrases , il a dit pourtant une vérité
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 41
incontestable. Oui, il est trop vrai que personne n'a été plus souvent
et plus amèrement critiqué que lui , de tous les coins de l'Europe ,
tant ouvertement que sous le voile de l'anonyme. M. Raoul Rochette
ne s'est peut-être jamais demandé la cause d'une préférence qu'il dé-
ploreavec raison. Je vais la lui dire: il la doitbeaucoup moins encore
aux erreurs graves qui lui ont, en tout temps, échappé, qu'aux formes
blessantes qu'il a presque toujours données aux critiques qu'il lance
à tout propos, le plus souvent injustes, où les intéressés ont été trop
disposés à ne voir qu'ignorance, quand ils ne les ont pas imputées à
mauvaise foi. Rien n'excite, en effet, plus d'impatience et d'humeur
que des reproches non fondés , qui supposent qu'on ne vous a pas
compris ou qu'on n'a pas voulu vous comprendre ; surtout quand
l'expression désobligeante semble annoncer l'intention de blesser plu-
tôt que d'éclairer. Voilà ce qui explique pourquoi M. Raoul Rochette
est à peu près le seul savant de nos jours qui ait été et qui soit en-
core en butte à de telles critiques, très-souvent méritées au fond,
presque toujours peu ménagées, ou même blessantes dans la forme.
Par un juste retour des choses d ici-bas , on lui a rendu ce qu'il don-
nait aux autres.
On vient de voir que , malgré les protestations contenues dans la
préface de son dernier livre, il n'est pas du tout amendé, et qu'il per-
siste à tomber sur ses confrères en archéologie avec le môme empres-
sement et le môme à-propos.
Il faut pourtant que cela ait un terme, et qu'on l'oblige, à la fin ,
de changer de manière.
Il çst des personnes, d'humeur pacifique, qui, craignant les mauT
vais coups, baissent la tête, le laissent dire et ne répondent rien.
L'exemple des auteurs de Y Élite des monuments céramographiques
prouve qu'on ne gagne pas grand'chose avec lui à garder, en pareil
cas, le silence ; on n'en est pas moins cruellement poursuivi. D'autres
plus hardis ou moins endurants, telles que PayneKnight, Rose,
Kœhler, Brœndsted , Stackelberg , M. de Clarac, et tout récemment
M. Emil Braun , ne se sont pas contentés de crier, en se rangeant :
fenum habet in cornu, longe fuge; ils l'ont attendu de pied ferme, et
lui ont jeté le lasso pour tâcher de l'arrêter dans sa course. D'après
leur exemple, je vais, à mon tour, serrer le nœud, afin d'arriver à
ce but désirable et désiré.
Je tâcherai donc d'inspirer un peu plus d'indulgence, pour le pro-
chain, à cet hypercritique , en lui mettant sous les yeux quelques-unes
des erreurs qu'il a commises dans ce môme livre, où il maltraite si
42 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
fort des savants distingués , à propos de fautes qui sont des plus in-
signifiantes, quand elles ne sont pas imaginaires. J'ai déjà dit que je
relèverai seulement celles de ses erreurs qui ont de l'intérêt ou de
l'importance pour l'étude de Y antiquité figurée; mais il y en aura, je
vous l'assure, bien assez pour justifier mon assertion sur l'excessive
inexactitude de ce livre.
Je répète que je compte rendre par là un double service; à l'ar-
chéologie, en la débarrassant d'erreurs graves; aux antiquaires en
les préservant, pour l'avenir, de critiques injustes ou blessantes qui
pourraient les troubler dans le cours de leurs paisibles travaux.
Dans ce relevé, j'éviterai avec soin le ton qu'emploie M. Raoul
Rochette. Je me bornerai à l'énoncé pur et simple , ainsi qu'à la
rectification de l'erreur matérielle, laissant au lecteur instruit le soin
d'en tirer la conclusion qui lui paraîtra juste et convenable, quand il
aura pris connaissance des faits.
Letronne.
' La suite au prochain numéro.
NOTICE
SUR
UN TOMBEAU DU MOYEN AGE,
DANS LE MUSÉE DE NIORT.
Les opinions des Grecs et des Romains sur la mort appartenaient
à un ordre d'idées si éloigné des dogmes du christianisme , qu'on peut
s'étonner de trouver quelque rapport de rites, de disposition ou
d'ornementation entre nos sépultures et les leurs. Cependant il est
si naturel d'imiter les pratiques anciennes, sans s'en rendre compte,
qu'on voit fréquemment des tombeaux chrétiens ne différer que
par leurs inscriptions des sépultures païennes. Bien plus, on y trouve
quelquefois jusqu'à la formule Diis Manibus. Or, à l'époque où l'on
traçait de semblables inscriptions, les dieux mânes n'étaient plus
que du domaine de la poésie, qui a toujours trouvé son compte aux
vieilles traditions mythologiques.
Les bas-reliefs, et en général l'ornementation des monuments
funéraires du paganisme, surtout ceux d'une époque reculée, ont
presque toujours un sens allégorique et religieux. Les divinités infer-
nales y sont représentées , et il semble que les artistes devaient se
renfermer dans un programme précis, dicté probablement par les
prêtres. Peu à peu, l'art se développant aux dépens de la religion,
le sens mystique fut souvent sacrifié à l'effet pittoresque. C'est par-
ticulièrement à l'époque romaine que les compositions, que j'appel-
lerai religieuses, font place à d'autres compositions qui semblent
n'avoir été choisies que parce qu'elles prêtaient à la sculpture.
Les chasses si fréquemment reproduites en bas-reliefs sur les sar-
cophages appartiennent , à mon avis , à cette dernière espèce de com-
positions. Je sais qu'il ne serait pas impossible de les rattacher à
quelque mythe funéraire, et par exemple il serait facile de trouver
un sens allégorique et religieux dans la chasse de Calydon et les
nombreuses compositions qu'elle a inspirées. Mais on peut, je crois,
expliquer avec plus de vraisemblance ces sortes de représentations.
44 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
A toutes les époques, la chasse a été considérée comme le plus noble
des amusements. Dans la Gaule romaine elle paraît avoir été ré-
servée aux hommes d'une haute naissance qui s'y livraient avec
une sorte de passion. Des scènes de chasse offraient ainsi une allu-
sion à la qualité du personnage dont le tombeau était décoré de la
sorte. Enfin, peut-être encore, les chasses figurées sur quelques
sarcophages romains rappelaient-elles des venaliones données au
peuple, ou quelquefois célébrées au moyen d'un legs spécial. Un tel
souvenir était un titre aux regrets des passants qui avaient assisté
à ces fêtes.
Au reste, quelle que soit l'origine des compositions de chasse,
qu'on trouve en si grand nombre dans tous les musées d'Italie, aux
Alisc.imps d'Arles, à Reims, et dans cent autres lieux, elles parais-
sent avoir été tellement à la mode dans le Bas-Empire, que les sculp-
teurs en faisaient à la pacotille , en tenaient magasin, comme aujour-
d'hui nos marbriers de cippes, d'urnes, de pyramides. J'ai vu cette
année, dans la crypte de l'église de Deols (Indre), un tombeau de
ce genre, d'un style détestable, qui porte un cartouche lisse, sur
lequel aucun nom n'a été tracé. Il est évident que c'est un fonds de
magasin, si je puis m'exprimer ainsi, dont on a fait usage à une
époque où les lapicides étaient rares, probablement assez longtemps
après l'exécution des bas- reliefs.
Aujourd'hui ce tombeau est l'objet d'un culte superstitieux. La
chasse aux lions qu'on voit sur la face principale, a donné lieu
à une légende populaire assez curieuse. — Deux saints, dit-on,
avaient délivré le pays d'animaux féroces qui le dévastaient, et c'est
pour conserver le souvenir de ce service qu'on les a représentés en
costume de chasseurs. On racle le marbre du tombeau que de bonnes
âmes boivent dans de la tisane contre toutes sortes de maladies.
Le moyen âge , séparé des traditions romaines par un long inter-
valle de barbarie, fut plus grave et plus austère dans la décoration de
ses tombeaux. Il y eut alors une symbolique chrétienne, essentielle-
ment religieuse, et qui n'a cessé qu'à la renaissance, lorsque se
produisit ce bizarre mélange d'emblèmes empruntés à toutes les
CfQjiBbet, qui est encore en vogue aujourd'hui.
Tous les tombeaux du moyen âge que j'ai pu examiner ont ce carac-
tère religieux et chrétien , excepté le monument que nous publions
aujourd'hui. ( l 'air I.» pi. 47.) C'est le couvercle d'un grand sarco-
phage d'emiron 2 "50 , en pierre calcaire très-fine, taillé en biseau
et sculpté sur quatre faces. Il a été découvert, il y a peu d'années.
UN TOMBEAU DU MOYEN AGE. 45
dans le département des Deux-Sèvres, par M. Segretain, architecte,
qui l'a donné au musée de Niort. A ma prière , mon ami M. Viollet-
Leduc a bien voulu le dessiner.
C'est encore une chasse qu'on voit représentée sur les deux grands
côtés obliques de la pierre, mais une chasse du moyen âge, sans
aucun souvenir de l'art antique. D'un côté paraît une femme galo-
pant à la poursuite d'un oiseau que ses chiens vont saisir au moment
où il tombe à terre pour éviter un faucon qui plane au-dessus de lui.
La chasseresse tient de la main droite la laisse du faucon qu'elle vient
de lancer. Elle est coiffée de grandes nattes pendantes, et vêtue
d'une robe à plis étroits, et multipliés surtout sur les manches.
On remarquera qu'elle est assise sur le cheval de côté et non à cali-
fourchon; cependant elle ne monte pas tout à fait comme nos ama-
zones: elle est assise à droite. Faut-il attribuer à une erreur de l'ar-
tiste cette position extraordinaire pour nous? ou bien, les dames
d'autrefois montaient-elles à cheval à droite , comme font aujourd'hui
quelques peuples orientaux? Les monuments sont trop rares pour
qu'il soit facile de résoudre maintenant cette question délicate.
En face de la chasseresse, à l'autre extrémité du bas-relief, un
homme à pied est placé derrière une espèce de cadre carré, rempli
d'objets fort difficiles à déterminer, rangés sur des lignes horizontales.
Ce- cadre peut être pris pour un piège , une toile , un filet , et les
ligues horizontales représentent peut-être des fleurs et des feuilles
disposées de manière à cacher les mailles du filet. Peut-être encore
est-ce un miroir, ou plutôt une série de plaques de métal polies, qu'on
fait jouer de façon à refléter ça et là les rayons du soleil, en un mot
un miroir à alouettes un peu plus compliqué que les nôtres. C'est en
toute humilité que je présente ces deux explications, dont aucune ne
me satisfait , je l'avoue.
Sur l'autre face oblique paraît un cavalier trottant, un faucon
sur le poing. Un autre faucon déjà lancé va s'abattre sur un lièvre
qui fuit devant le chasseur. Un homme à pied , un arc à la main , se
prépare à tirer sur le lièvre. La forme de l'arc est tout antique, et je
suis surpris de voir cette arme au lieu d'une arbalète, beaucoup plus
commode pour la chasse (l ).
Entre les différents personnages et sur chaque face du tombeau
sont disposés des arbres ou des plantes fantastiques fort curieusement
(1) L'arbalète, du moins pourvue d'un arc d'acier, nedevint d'un usagefréquent
que vers la fin du XIIe siècle.
46 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sculptés et d'un relief notable. Cela ligure , je pense, une forêt ou un
taillis que traversent les chasseurs.
Une croix fort enjolivée occupe les triangles aux deux extrémités du
tombeau.
Aucune inscription n'accompagne ce monument singulier, et
lorsqu'il fut découvert , toute tradition était perdue sur son 'origine.
Ce chevalier et cette dame, réunis sur la même pierre et dans deux
compositions symétriques, me donnent lieu de croire que le sarco-
phage renfermait deux époux. La richesse et l'élégance des sculptures
ne permettent pas de douter que ce ne fussent des personnages d'une
haute naissance. Quant à la date qu'il convient d'assigner à ces bas-
reliefs , la plus probable est le commencement du XIIe siècle. C'est
celle que semble indiquer et le caractère de la sculpture et les détails
des costumes, surtout les nattes pendantes de la dame, qui rappellent
la coiffure des reines sculptées au portail méridional de Notre-Dame
de Chartres et dans d'autres églises bâties à la même époque.
P. Mérimée.
NOTRE-DAME DE BLÉCOLRT.
Sur les confins de l'ancienne province de Champagne et du dio-
cèse de Châlons, loin des grands chemins , dans une plaine en cul-
ture légèrement accidentée , est assis le modeste village de Blécourt,
qui de nos jours fait partie du département de la Haute-Marne et de
levèchédeLangres.
Son nom a varié. On le trouve écrit Bléchicourt dans la chronique
de Joinville; auparavant il s'écrivait Blincourl, sans doute de Benigni
Curlis, opinion regardée comme probable.
Une chapelle en l'honneur de la sainte Vierge, élevée au milieu
des bois dont le pays devait être alors couvert , et que quelques mi-
racles accréditèrent au moyen âge, semble avoir été le principe de
cette commune. Le concours de fidèles augmentant, ce sanctuaire
devint trop étroit; c'est alors, dans notre pensée, que fut entrepris
l'édifice actuel dont les proportions sont vraiment monumentales (1).
(1) Le dessin que nous donnons k\ doit être vu dans le sens inverse.
48 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« A cette époque , dirons-nous avec M. de Caumont (1), beaucoup
deglises tombaient de vétusté ; d'autres étaient trop petites et insuf-
fisantes pour la population : en même temps l'enthousiasme religieux
qui avait produit les croisades inspirait un zèle incroyable pour réédi-
fier et multiplier les monuments destinés au culte. »
Suivant M. Baagier (2) , qui le répète sur la foi d'auteurs qu'il
s'abstient de nommer, le roi Dagobert étant attaqué d'une fièvre
maligne, dans le temps que les Esclavons entraient dans son royaume,
fit vœu, s'il recouvrait la santé, de faire bâtir une église au lieu où
était cette chapelle; ce prince ayant obtenu sa guérison exécuta son
vœu par les soins d'un architecte nommé Walbert, On voit encore
aujourd'hui (1721) , ajoute t-il à ce récit , des restes curieux de l'ar-
chitecture gothique de ce temps-là.
C'est en vain que l'œil ie plus exercé chercherait dans Notre-
Dame de l^lécourt un seul vestige d'une pareille antiquité. Nous
avons soigneusement examiné ce beau vaisseau, et il ne nous a pas
été possible d'y reconnaître des traces de construction antérieures au
XIP siècle. La nef seule est du style romano- byzantin; tout le reste
de l'édifice appartient au XIIIe siècle.
On sait que l'abbaye de Saint Urbain , éloignée seulement de
quelques kilomètres de Blécourt, levait la dîme de cette paroisse, et
on croit que c'est à sa munificence qu'on doit ce monument. C'est
ce qu'éclaircira sans doute M. l'abbé Bonilleçeaux dans l'ouvrage
qu'il prépare sur cette abbaye dont il reste à peine quelques ruines.
Et puis ne serait-il pas également possible d'admettre, malgré le si-
lence de l'histoire, que la puissante maison de Joinville contribua à
son érection par de pieux dons? Ne voyons-nous pas en 1248 le sire
de Joinville , sénéchal de Champagne , qui fut le compagnon d'armes,
l'ami et l'historien de saint Louis, aller en dévotion dans les églises
voisines de son château de Joinville avant de partir pour la terre
sainte (3) ?
Voici ce qu'il dit lui-même dans sa Chronique (page 27) si pleine
de charmes, de ce pèlerinage par lequel il se préparait à un plus
grand*
« Je me parti de Joinville sanz rentrer ou ehastel jusques à ma
« revenue, à pié deschaus et en langes (et en chemise), et ainsi aie
(1) Histoire sommaire de innhUcclure au moyen âge, p
(2) Mémoires historiques de Champagne , t. I , p. Ml , 342.
(3) Ce prince naquit , suivant l'opinion la plus commune , en 1224 , dans la ville
dont il porta le nom. .Néanmoins, l'epilaphe qui se lisait sur sa tombe, dans l'église
NOTRE-DAME DE BLECOURT. 49
« à Blechicourt et à Saint-Urbain, et autres cors sains qui là sont;
« et en deurentières que (tandis que) je aloie à Blechicourt et à Saint-
ce Urbain, je ne voz (je ne voulus) onques retourner mes yex (mes
« yeux) vers Joinville pour ce que le cuer ne me attendrisist du
« biau chastel que je lessoic et de mes deux enfans. »
« Moy et mes compaingnons mangeâmes à la fonteinne l'arceves-
« que devant Dongieuz; et illecques l'abbé Adam de Saint-Urbain,
« que Diex absoille donna grant foison de biaus juiaus à moy et à
« mes chevaliers que favoie. »
Ce prince, on le sait, np revit sa patrie qu'en 1254. Il nous ap-
prend qu'en revenant d'Afrique, pendant sa traversée , un des écuyers
d'un riche homme de Provence, qui montait un des navires accompa-
gnant la nef du roi, tomba à la mer d'où il fut heureusement retiré.
« Je li demandai comment ce estoit que il ne metoit conseil en li
« garantir, ne par noer (nager) ne par autre manière. Il me res-
« pondi que il n'estoit nul mestier ne besoing que il meist conseil en
a li ; car sitost comme il Commença à cheoir, il se commanda à
collégiale du château de Joinville , renversée durant la tourmente révolution-
naire, le faisait nailrc dix ans plus tôt; en voici le texte i
D. O. M.
Quisquis es , aut civis, autvialor,
Adsta ut lugeas , ul legas.
IVosli quem nunquam vidisti ,
Terris datum, anno D. 1214, cœlo natum 1318.
Nomine, virlute, scriplis, fama, nondum mortuum,
Polo immortalitalem uliquc et solo.
Dominum D. Joannem de Joinvilla ,
Magnum olim Campaniœ seneschaUum ,
In bello fortissimum, in pace œquissimum,
In utroque maximum,
Nunc ossa et cineres.
Tanti viri animam in cœlis viveniem immortelles amant,
Corpus in lerris superstites mortales colunl,
Ingenium candidum, affabilc etamabile,
Ludovico régi sanciissimo gralissimum, prineipibus laudalissimum ,
Galliœ ulilissimum, patriœ suœ perlionorificcnlissimum ,
Immortales amant, mortales colunt, omnes honorant.
Nos zona S. Joscphi e terra sancta asporlala ab eo féliciter donoli ,
Domino subditi , cives noslrati, amici munerario ,
Inclylis corporis ejus eœuviis cinerumque rcliquiis
Ruilurum nunquam amoris fîdclissimi amanlissimœque fidei
Monumcntiim.
UI.M.LL. PPS.
Plora ne explora, sed plora, et ora ac abi obilurus.
Rcquiescat in pace.
III. 4
>0 KKVLK A.RCHEOLOG1QUK.
No>tre-l)ame, et elle le soustint par les épaules dès que il eliéi ,
« jusques à tant que la galie le roy le requeilli. En l'onneur de ce
« miracle je l'ai fet peindre à Joinville en ma chapelle et es verrières
« de Blehecourt ( page 1 36). »
Nous ne pensons pas que ce fut là tout ce que lit pour cette église
la foi si vive de Joinville ; sa modestie l'a empêché de nous en rien
dire.
» 9
ffi «
L'église de Blécourt a la figure d'une croix latine. L'ensemble
extérieur de ce monument offre tous les caractères de l'architecture
du XIIIe siècle. Sa tour, polygone à quatre faces inégales, s'élève
au centre de l'intersection de la croix : elle est coiffée d'une char-
pente à double poinçon; ses fenêtres sont géminées et au nombre
de trois sur les faces de l'orient et de l'occident; il n'y en a que deux
sur les deux autres ; leurs ogives flamboyantes s'élancent gracieu-
sement. Le meneau qui divise ces fenêtres est extrêmement délicat;
il supporte une ouverture à quatre lobes , plus généralement dési-
gnée par le mot quatre- feuilles , laquelle est dessinée par des tores.
L'abside décrit cinq pans et est éclairée par autant de fenêtres qui,
sans avoir la grâce de celles dont nous venons de parler, ont exacte-
ment la même forme. Les pignons des transsepts sont ornés de roses
M>TKK-1).\MK DE BLÉCOURT. 51
à jour, artistement travaillées, qui étalent, comme de gracieux pé-
tales , leurs riches compartiments ciselés. Celui du frontispice n'a
d'autre ouverture que la porte par laquelle on arrive dans l'intérieur
de l'édifice. Sa voussure ogivale formée de tores était autrefois sup-
portée par des colonnettes dont il ne reste que les socles. Le tympan
de cette porte est dépourvu d'ornements. De nombreux contre-forts,
construits au pourtour du monument et liés à la maçonnerie, le sou-
tiennent de toutes parts : ceux qui appuient les collatéraux s'élèvent
au-dessus de leurs toits et reçoivent la retombée des arcs-boutants du
grand comble. La corniche de cette partie de l'édifice, aussi bien que
celle de l'abside, consiste en un larmier découpé en festons ; de sem-
blables franges suivent la double rampe des pignons des transsepts.
L'entablement des bas côtés repose sur des modillons qui représen-
tent des masques humains des plus bizarres et des tètes d'animaux.
Outre l'entrée principale que nous venons de décrire, il existait
jadis quatre portes latérales, deux au midi, deux au nord, dont il
reste des traces ou la figure, et qui n'ont dû être murées que lorsque
le pèlerinage dont nous avons parlé tomba dans l'oubli, à la suite des
querelles religieuses assez vives dont la Champagne a été le théâtre
au XVIe siècle. C'est au moins notre opinion. On comprend dès lors
leur inutilité et leur suppression. Deux d'entre elles avaient été mé-
nagées pour le clergé chargé de la desserte de l'église. Les deux au-
tres, beaucoup plus remarquables par leur ornementation, étaient
divisées par un trumeau. Il ne reste de ces dernières que celle au
nord qui est parfaitement conservée quoique interdite. Au devant du
pilier du milieu s'élève une colonne surmontée d'un chapiteau qui
porte une statue de la Vierge tenant l'enfant Jésus sur ses genoux ;
et dans le tympan, de chaque côté de cette statuette, sont deux anges
dans l'attitude de la prière qui tiennent chacun une harpe. La tuni-
que qui leur sert de vêtement a quelque chose de l'habit monacal. La
voussure de cette porte est elliptique , ses ornements consistent en
tores et en rinceaux ; les chapiteaux qui la supportent sont richement
sculptés ; le houx et le chêne s'y montrent artistement évidés.
Pénétrons maintenant dans l'intérieur de l'édifice. Ainsi que nous
l'avons dit précédemment, sa nef est du style romano-byzantin. Elle
se compose de quatre travées dont les piliers, peu élevés, présentent
des colonnes engagées sur toutes leurs faces; la corbeille des chapi-
teaux qui les couronne est garnie de feuillages dont les motifs sont
puisés dans la Flore du pays. Sur la corniche qui règne au-dessus des
arcades de communication de la nef aux collatéraux, est une galerie
;>2 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sourde composée d'une suite d'arcades simulées et géminées, dont
les arcs trilobés s'encadrent deux par deux dans une arcade plein
cintre. Les piliers qui supportent la tour sont cylindriques, ce qui
n'empêche que des colonnes à demi engagées en sortent pour s'élan-
cer du sol à la naissance de la voûte. L'abside a la même largeur que
la nef; mais les transsepts sont remarquablement étroits. Les voûtes
sont d'arêtes et supportées par des nervures toriques; celles des bas
côtés sont en anse de panier. Les fenêtres par lesquelles cette église
reçoit le jour ont autrefois été rehaussées par l'éclat de verrières
peintes; Joinville nous en a fourni la preuve. Malheureusement il
n'en reste pas un seul vestige.
Nous terminerons cet article en recommandant l'examen de la
belle menuiserie du XVe siècle qui décore le devant de la tribune
placée au-dessus de la porte d'entrée, et les miséricordes du chœur,
attribuées au ciseau de l'un des Bouchardon, et sauvées de la de-
struction de l'église du val des Écoliers , près Chaumont.
Enfin, nous ajouterons encore que l'une des cloches de cette
église, détruite en 1793, portait le nom de Marie-Antoinette de
Bourbon, épouse de Claude de Lorraine, duc de Guise, princesse
qui mourut le 22 janvier 1583 , âgée de 90 ans. Nous avions donc
raison de dire que ces princes de Guise , dont la France fut folle
pour ne pas dire amoureuse, ainsi que nous le répéterons avec un
historien moderne , furent dans tous les temps les bienfaiteurs de
Notre-Dame de Blécourt.
T. Pinard.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Une lettre, en date du 4 février, annonce que le pacha, qui se
trouve dans ce moment dans la haute Egypte, fait déblayer le temple
de Denderah jusqu'au sol. Il se propose d'en faire autant au temple
d'Edfou. On sait que ces deux édifices sont les monuments égyptiens
les plus complets qui restent de l'époque grecque et romaine.
— On vient de découvrir, à Tel-el-Amarna (l'ancienne Psinaula),
un nouveau proscynème de l'époque d'Aten-re-Bakhan , qui jette un
nouveau jour sur l'époque de ces rois étrangers qui paraissent devoir
occuper la fin de la dix-huitième dynastie.
« — M. Jules Mohl , membre de l'Institut , a déposé au Cabinet des
Antiques de la Bibliothèque royale, trois figurines de terre cuite , re-
cueillies par M. P. Botta , dans les ruines de Khorsabad. Ces figu-
rines, qui sont formées d'une matière analogue à celle qui compose
les briques babyloniennes , représentent, l'une , un personnage à tête
de lion , vêtu d'une longue robe; les deux autres, des dieux barbus,
la tête armée de cornes, et ayant une queue et des jambes de
taureau. Ces figures sont accompagnées d'un monument peut-être
plus précieux encore ; c'est un scarabée de pâte bleue, trouvé dans le
même lieu , à la partie plane duquel se voit un taureau en creux.
— MM. J. de Witte et A. de Longpérier viennent d'être élus
correspondants de l'Académie d'archéologie de Belgique.
— En faisant des fouilles près de la Major, à Marseille, un maçon
découvrit dernièrement une inscription phénicienne qu'il a vendue
au musée de la ville. Ce monument est une pierre d'environ un demi-
mètre de longueur ; tout chargé de caractères , mais malheureuse-
ment fort brisé à la partie supérieure , il n'en contient pas moins le
texte le plus considérable que l'on ait retrouvé depuis que l'on s'oc-
cupe de réunir les débris de la langue phénicienne.
— L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a , dans sa séance
du 2 janvier, élu pour président M. Naudet, et pour vice-président
M. Reinaud. Dans sa séance du 9 , la même compagnie a nommé
M. Cari Ritter à la place de correspondant étranger, vacante par suite
de la mort de Millingen, et dans la séance du 13 janvier, M. J. de
Pétigny a été élu correspondant en remplacement de M. Jouannet.
— Le 9 janvier, la Société royale des Antiquaires de France a pro-
cédé au renouvellement de son bureau annuel , qui se trouve ainsi
composé : Président, M. de La Saussaye; vice-présidents, MM. Tail-
landier et Lenormant; secrétaires, MM. d'Anry et Renier; archi-
viste, M. A. Maury ; trésorier, M. Vincent ; Membres de la commission
des publications, MM. Deppiug, de Longpérier et de Lavillegille.
BIBLIOGRAPHIE
Revue de philologie , de littérature et d histoire anciennes, publiée par
Léon Rémer. Paris, Klincksieck, 1845, in-8°, n° 6.
Sur les sources de la religion des Phéniciens et en particulier sur
Sanchoniaton , par M. Guigmaut. — Note sur deux inscriptions
phéniciennes découvertes à Citium par M. le professeur Ross, par
F. de Sadlcy. — Lettre à M. Letronne sur quelques inscriptions
latines de l'Ombrie et duPicenum, par M. Noël des Vergers. —
Sur une inscription grecque trouvée dans les montagnes de la Mysie,
par Ph. Le Bas. — Bibliographie.
Revue numismatique, publiée par E. Cartier et L. de La Saus-
saye. Blois, 1845 , in-8°, n° 6.
Attribution de quelques monnaies à Nésus de Céphallénie , par
A. de Longpérier. — Observations sur quelques monnaies méro-
\ingiennes (deuxième article), par A. Duchalais. — Découverte
de monnaies du moyen âge, par C. Robert. — Note sur un denier
inédit de Manassès Ier, archevêque de Reims, par M. Ddquenelle
(v. plus loin une notice sur cet article qui avait paru précédemment
à Reims). — Lettres numismatiques, IL Restitution à Héthum Ier et
Isabelle, sa femme, d une médaille attribuée par Sestini à Héthum Ier
et Léon III , rois d'Arménie, par H. Borrejll. — Pièces satiriques
relatives à la révolution française qui se trouvent dans le cabinet de
M. Durand , par A. Durand. — Bibliographie. — Analyse des tra-
vaux de numismatique contenus dans le tome XIII des Annales de
V Institut archéologique, par J. de Witte.
bibliothèque de l'École des Chartes. Revue d érudition consacrée prin-
cipalement à l'étude du moyen âge, 2e série, tome II.
Deuxième livraison, novembre et décembre 1845. — Anciennes
coutumes d'Alais, par M. le comte Beugnot. — Des relations poli-
tiques et commerciales de l'Asie Mineure avec l'île de Chypre sous Je
règne des princes de la maison de Lusignan (troisième et dernier ar-
ticle), par Louis dk Mas-Latrie. — Histoire de Jeanne d'Arc,
BIBLIOGRAPHIE. 55
d'après une chronique inédite du XVe siècle, publiée par M. Qui-
cherat. — Bibliographie.
Zeitschrift fur Miinz-Siegel-und Wappenkunde , publié par le docteur
B. Koehne. Berlin, 1845, in-8°, cinquième année.
Cinquième livraison. — Lettres sur l'histoire de la monnaie de
Brandebourg, deuxième lettre par B. Koehne. — Monnaies alle-
mandes du moyen âge des XIIe et XIIIe siècles, par le même. —
Notice sur une médaille de l'ordre de Saint- Jean de Jérusalem , par
le baron de Berstett. — Notice biographique sur Brandt, premier
graveur en médailles du roi de Prusse, par M. Toelken. — Mé-
langes. — Bibliographie,
Journal asiatique. Paris, 1845, 4e série, tome VI. Juillet
à décembre.
Ce volume contient entre autres mémoires les travaux suivants qui
concernent les antiquités ou la philologie. — Lettres à M. Reinaud
sur quelques points de la numismatique orientale, onzième lettre par
F. de Saulcy. L'auteur y explique des monnaies à légendes bilin-
gues, arabes et mongoles, fabriquées par Raïkatou et Arghoun Khan,
et décrit ensuite plusieurs monnaies inédites des Ilkaniens. — Etude
sur la langue et les textes zends ; suite , par E. Burnouf. — Pièces
relatives aux inscriptions himyarites découvertes par M. J. Th. Ar-
naud à San'a , à Khariba, à Mareb, publiées par M. Mohl. Ces in-
scriptions au nombre de cinquante-six, reproduites en caractères
himyaritiques (à l'aide de la fonte exécutée exprès à l'imprimerie
royale et aux frais de la Société Asiatique), puis transcrites en ca-
ractères arabes par M. Fresnel, sont accompagnées de notes, d'é-
claircissements fournis par ce savant qui a même donné la traduction
de l'une d'elles. — Note sur un Dinar de Barkiaroc, par Adrien de
Longpérier. — Lettre à M. Caussin de Perceval sur les diplômes
arabes conservés dans les archives de la Sicile, par Noël des Ver-
gers. — Notice sur le voyage de M. de Wrede dans la vallée de
Doan et autres lieux de l'Arabie méridionale , par Fulgence Fresnel.
Ce savant orientaliste compare les renseignements recueillis par
M. de Wrede à ceux que fournissent les anciens géographes , et
obtient les plus intéressants résultats de ce rapprochement. — Texte
arabe du voyage en Sicile de Mohammed lbn Djobaïr pendant l'an-
56 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
née 581 (1 184-85 de J. G. ), publié et accompagné d'une traduction
par Michel Am un.
Revue de la numismatique belge. Bruxelles, 1843-45, in-8°, tome 11,
n* 3 , 4 planches lithographiées.
Catalogue des monnaies des comtes de Hainaut, par R. Chaton.
— Étude sur l'origine du nom de Picards et sur les questions inté-
ressantes que soulève cette recherche , soit en géographie , soit en
numismatique, soit en histoire, par M. Bresseau. — Monnaies de
Charles le Téméraire frappées à Nimègue , par M. Charles Piot. —
Siflrid , prince de Bénévent, par M. Meynaerts. — Sur une monnaie
gauloise d'argent inédite, par le même. — Considération sur l'hi-
stoire monétaire du pays de Liège > par M. Ferd. Hénaux. — Mon-
naie obsidionale de Bruxelles de 1579, par M. Perreau. — Monnaies
de la duchesse Jeanne (de Brabant) connues jusqu'à ce jour, par
A. J. Everaerts.
La monnaie gauloise publiée par M. Meynaerts est attribuée par
lui à Sédule, chef des Lémovices, et ainsi décrite : « D'un côté
l'effigie de Sédule, à droite, entourée d'un cercle; derrière la tête
un O.Le revers représente un cheval adroite; au-dessous un symbole,
un Oet la légende SI AL pour Sidoleucus (diamètre, 9 millimètres).»
Le lecteur n'a pas oublié une curieuse inscription gauloise décou-
verte à Autun par M. Charleuf (Rev. arch., t. I, p. 698) , dans la-
quelle le mot sedlon désigne, suivant cet antiquaire, Saulieu (Se-
dlonum); il se pourrait que la monnaie de M. Meynaerts se rapportât
à la même localité. Dans tous les cas , elle nous paraît être une
variété de ces deniers sur lesquels on lit le nom q. doci et au re-
vers sami ou sant , et que l'on a attribués aux Santons.
Au milieu de fort bons articles sur la numismatique des provinces
qui composent actuellement le royaume de Belgique, on est étonné
de rencontrer un travail intitulé ; Études sur V origine du nom des
Picards, etc. , qui dénote de la part de son auteur un oubli presque
complet des premiers éléments de linguistique, d'histoire et même
de numismatique, quoique ce soit a l'aide de cette science que
•l'auteur prétende établir son système. Ainsi , ayant cru lire sur un
tétradrachme frappé dans la Thrace ou la Pannonie, à l'imitation des
monnaies de Philippe de Macédoine, quelque! lettres qui ressem-
blent à Pikon , cet écrivain en fait le prototype du nom des Picards ,
BIBLIOGRAPHIE. 57
attribue le tétradrachme à la Gaule, et part de là pour créer une
ville de Piconiom, une province de Pikkinie, et une quantité d'au-
tres excentricités. Nous devons dire que les directeurs de la Revue
belge ont ajouté à cet article une note par laquelle ils déclarent lais-
ser à l'auteur toute la responsabilité de ses opinions sur la géograpbie
et l'histoire des Gaules, mais, pour l'honneur de leur recueil, ils
auraient dû faire plus , c'est-à-dire supprimer une notice qui peut
jeter du ridicule sur une science pour laquelle leurs savants collabo-
rateurs montrent tant de zèle et d'aptitude.
Recherches sur la formule funéraire sub ascia dedicare, par M. Ana-
tole Barthélémy , in-8° (extrait des Mém. de la Soc. des Ant. de
l'Ouest).
On trouve sur un assez grand nombre de pierres funéraires la fi-
gure d'une hache , quelquefois seulement la formule sub ascia dedi-
caviL Ce symbole et cette formule ont déjà donné lieu à bien des
conjectures diverses. Ou a cru que cette hache représentant celle
des licteurs était gravée sur les tombeaux comme signe d'inviolabi-
lité. L'abbé Lebeuf et le P. Oudin faisant venir le mot ascia d'un
composé celtique d'ésus et de sciy crurent qu'il indiquait la protec-
tion divine. Plus tard l'abbé Lebeuf reconnut la faiblesse de cette
explication et proposa de voir dans la formule un sens d'investiture
analogue à celui qu'au moyen âge on donnait aux phrases per cul-
tellum, per malleolum. M. Barthélémy fait observer, avec juste
raison , qu'il serait assurément extraordinaire que cette formule figu-
rât seulement sur des tombes, et que l'on n'en trouvât pas un seul
exemple dans les textes de jurisprudence. Selon cet antiquaire, il y
a un rapport incontestable entre l'idée de mort et Xascia.
On trouve sur les deniers de la famille romaine Valéria la figure
d'une hache qui, tout en faisant allusion au surnom de Valérius Acis-
culusqui a fait fabriquer ces monnaies, rappelle encore cette hache, à
l'aide de laquelle, suivant une tradition des Falisques conservée par
Valère Maxime , la jeune Valéria Luperca frappait légèrement les
pestiférés de Faléries, en leur souhaitant de recouvrer la santé
{vole). La peste cessa et l'on établit une cérémonie commémorative
de cet événement, cérémonie qui se célébrait encore au temps de
Plutarque. L'ascia paraît avoir été en rapport avec les croyances de
l'époque où vivait Valérius Acisculus, époque fort voisine de l'ère
chrétienne ; ces idées ont même dû concourir à lui faire adopter un
58 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
surnom emprunté à une tradition de famille. L'ascia ne peut être
autre chose que le marteau qui avait servi à Valéria Luperca pour
faire cesser la peste. Sur les médailles il se retrouve derrière la tête
de la jeune fille. M. Barthélémy rappelle ensuite qu'au sommet du
Soracte qui dominait la ville de Faléries , Apollon recevait un culte
particulier sous le nom de Soranus, et qu'il était assimilé à Pluton
ou à Dispaier; que, de plus, cet Apollon était une divinité infer-
nale qui répandait la peste ; l'auteur remarque l'analogie qui existe
ainsi entre les sacrifices offerts à Rome, à Pluton et Proserpine, et
ceux qui étaient faits à Faléries en l'honneur d'Apollon Soranus et de
Junon Curitis. Chez les Falisques et les Étrusques le dieu de l'enfer
est représenté armé d'un marteau à manche court; c'est le même
instrument dont se servit Valéria Luperca , et les médailles lui don-
nent précisément la forme de Yascia des tombeaux. M. Barthélémy
en conclut que la formule sub ascia dedicavit est une consécration par
laquelle le monument et le défunt sont mis sous la protection des
dieux infernaux. Il observe que l'on trouve le mot vale sur ces mo-
numents funéraires, mot que prononçait Valéria en touchant les
malades. Tout ce travail est extrêmement ingénieux et mérite d'être
mûrement étudié.
Les inscriptions phéniciennes puniques, numidiquesy expliquées par
une méthode incontestable , par le général Duvivier. Paris, 1846,
in-8°.
La presse quotidienne ayant fait grand bruit à l'occasion de ce tra-
vail , il est nécessaire que nous en disions quelques mots. On s'abu-
serait fort si l'on croyait trouver dans la brochure de seize pages
imprimée par le général Duvivier des textes phéniciens, accompagnés
de lectures et d'une traduction mise en regard. M. Duvivier se borne
à donner ses traductions sans faire intervenir le texte en aucune
façon dans son travail. Ce sont des résultais qu'il publie, se réser-
vant de faire connaître plus tard son alphabet et sa méthode. Disons
seulement que tout d'abord on a peine à concevoir comment l'auteur
peut obtenir un texte français dans lequel il entre plus de mots que
l'on ne compte de lettres dans l'inscription phénicienne qu'il traduit.
Nous ne relèverons qu'en passant l'erreur singulière qui a fait pren-
dre pour l'impératrice Irène de Constantinople une femme de quelque
marchand phénicien, enterrée au Pirée. 11 y a là un mécompte d'un
millier d'années, et personne ne sera tenté de croire que du temps
de Charlemagne on gravait encore à Athènes, ou même en quelque
BIBLIOGRAPHIE. 59
lieu que ce soit, des épitaphes phéniciennes. Mais nous repousserons
avec insistance une tendance fâcheuse qui se remarque dans cet
opuscule et qui consiste à appeler le dénigrement et le ridicule sur
l'étude des langues anciennes et étrangères. En effet, nous voyons
les noms phéniciens qualifiés à plusieurs reprises de burlesques, et
en conséquence complètement proscrits par le traducteur qui ne veut
pas admettre que des particuliers aient fait graver des inscriptions
funéraires en l'honneur de leurs parents, qui ne comprend pas
que des peuples « aient pu employer leur temps et leur argent à pa-
reilles inutilités. »
D'après cette théorie, il faudrait rayer des corpus inscriptionum de
Bœckh et de Gruter toutes les inscriptions grecques et latines desti-
nées à rappeler la mémoire des morts, c'est-à-dire plus de la moitié
de ces collections épigraphiques. Nous attendons que M. Duvivier
ait publié son alphabet et sa méthode pour dire ce que nous pensons
de ses résultats.
Notice sur quelques médailles antiques et quelques monnaies du moyen
âge inédites, rares, ou d'intérêt local, etc., par M. le baron
Chaudruc de Crazannes. Castelsarrasin, 1845, in-8°.
Une soixantaine de monnaies antiques et du moyen âge, découvertes
à Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne), ont fourni à M. de Crazannes
le sujet de cette notice intéressante à plusieurs égards. Nous ne par-
lerons pas des médailles consulaires et impériales qui sont toutes
très-connues et ne donnent lieu à aucune observation. Un tiers de
sol d'or mérovingien du Gévaudan, portant une tête sans légende,
présente au revers un nom de monétaire qui , jusqu'à présent , avait
été lu Vencemius ou Vendemius, et que l'auteur croit être Venœmius;
leçon qui ne nous paraît peut-être pas autorisée. Un autre tiers de sol
d'or, également frappé en Gévaudan , porte le nom de Charibertus
rex, et au revers un calice à deux anses, avec la légende Leugosus
moneta; c'est, comme le fait observer M. de Crazannes, un nouvel
exemple de l'usage où furent les officiers monétaires de placer leur
nom sur des monnaies où figurait déjà celui du roi; usage ancien,
puisqu'il apparaît sur la monnaie de l'empereur Maurice. M. de
Crazannes, décrivant ensuite des monnaies attribuées depuis long-
temps aux évèques de Maguelone , pense que le denier et l'obole
« ont été frappés à Narbonne pour et par les premiers comtes de
Toulouse du nom de Raymond, ou par les anciens vicomtes de
60 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Narbonne du môme nom : ce sont de très- vieux raymondins d'une
fabrication barbare. » L'auteur ajoute : « M. de Longpérier est
disposé à attribuer ce denier et cette obole à Raymond Ier, vi-
comte de Narbonne, à la fin du Xe siècle et au commencement
du XIe. » Nous avons, en effet, lu, comme M. de Crazannes,
sur les deniers attribués à Melgueil , les mots ramvnds-narbonà ,
que l'on avait pris autrefois pour des légendes arabes , mais nous en
avons conclu que ces monnaies étaient des copies de celles de
Raymond Ier, et non pas qu'elles avaient été frappées de son temps ,
ce qui est fort différent. Une véritable monnaie d'argent de Ray-
mond 1er conservée dans le cabinet de feu M. Dassy, offre, comparée
aux deniers attribués à Maguelone , une diversité de style qui ne
peut s'expliquer que par un siècle d'intervalle. Les deniers melgoriens
ou de Maguelone ne sont en effet, suivant Papon et Fauris de
Saint-Vincens , mentionnés dans les actes que pendant les XIIe et
XIIIe siècles. Or, bien que les monnaies dont il est ici question
soient des imitations de la monnaie de Narbonne et portent le nom
de Raymond, elles ont pu être frappées à Maguelone par les évêques
de cette ville. Cette nouvelle manière de voir résulte pour nous de la
connaissance d'un sceau de Jean II de Montlaur, évoque de Mague-
lone, au revers duquel on voit cette croix formée d'un jambage
droit, accosté de deux petites mitres; croix qui semble particulière à
cette localité, et que l'on remarque sur les deniers et oboles dont
nous parlons. On sait , du reste, qu'une des causes qui ont fait com-
mettre les plus grandes erreurs dans la classification des monnaies
du moyen âge, c'est l'habitude que l'on a d'attribuer à tel ou tel
prince toutes les monnaies qui portent son nom , tandis qu'une étude
un peu attentive des pièces mômes démontre que bon nombre d'entre
elles ont été frappées bien longtemps (quelquefois plusieurs siècles)
après la mort du personnage pour qui leur type a d'abord été mis en
usage.
Description de monnaies du XIVe siècle, découvertes à Buissoncourt
(Meurthe), par M. G. Roun. 1845, in-8n.
On découvrit à Buissoncourt, au mois de mai 1845 , cent quatre-
vingts pièces d'argent du XIVe siècle, et à un mètre environ au-
dessous, trente-quatre llorins d'or fin delà môme époque, renfermés
dans un vase de terre. Parmi ces pièces, il se trouvait dix variétés de
monnaies inédites dont M. Rolin donne la description : ce son
BIBLIOGRAPHIE. 61
d'abord des florins d'or de Jean Ier, due de Lorraine, avec la légende :
iohes. lot. dvx. et IEN. dvx. loïtr. — Des gros blancs du même
prince, frappés à Neufchâteau et à Prény, portent : moneta novichas
et moneta prinei. — Le demi-gros, le tiers de gros, le denier avec
l'écu heaume, l'obole du même Jean Ier. — Une obole de Jean de
Bourgogne , comte de Vaudémont. — Un double denier d'Adhémar,
évêque de Metz, frappé à Marsal.
Note sur un denier inédit de Manassès I, archevêque de Reims,
par M. Doquenelle. Reims, 1845, in-8.
Nous avons publié en 1840 dans la Reçue numismatique une No-
tice sur les monnaies de la ville de Reims, et nous y signalions l'ab-
sence des monnaies de Gui II , archevêque de cette antique cité.
M. Duquenelle vient combler cette lacune en donnant le dessin et la
description d'un denier qui , avec le type ordinaire des prélats de
Reims, porte le nom gvidonis, écrit en deux lignes. Le même nu-
mismatiste fait encore connaître un denier de grand module sur
lequel on lit d'un côté aia-ses en deux lignes avec la légende circu-
laire archipresvl, et au revers : vita xpiana autour d'une croix;
il l'attribue à Manassès I (1069-83), tandis qu'il restitue à Manas-
sès Il un denier que nous avons publié et sur lequel ce prélat est
qualifié du titre à'archiepiscopus. Cette opinion ne laisse pas que de
soulever quelques difficultés que M. Duquenelle ne paraît pas avoir
entrevues. Ainsi la pièce que nous avons publiée porte, outre le nom
de Manassès, le monogramme de Gervais ( 1055-67), prédécesseur
immédiat de Manassès I. On conçoit que ce monogramme ait été
copié sous ce dernier archevêque ; mais comment serait-il revenu
sur la monnaie de Manassès II (1096-1106), après que les deux
prélats qui le précèdent et le séparent de Gervais, à savoir Manas-
sès I et Rainaud (1067-1096), auraient adopté d'autres types? Nous
ne prétendons nullement nous opposer à la restitution proposée par
M. Duquenelle, mais nous engageons les numismatistes à examiner
la question et à nous aider, s'ils le peuvent, à la résoudre.
Pendant que nous nous occupons de ce sujet , il nous paraît con-
venable dédire quelques mots des incroyables critiques dont l'expli-
cation de certaines monnaies frappées par le comte Eudes de Cham-
pagne (explication donnée par M. de Saulcy), a été l'objet dans les
séances du dernier congrès scientifique, tenu à Reims. Ces monnaies
portent pour légende odo-comes, et au revers remis civita. Or,
(ri REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
M. de Saulcy a pense que ces légendes s'appliquaient très-bien à
Eudes II, comte de Blois et de Champagne (1019-37), seigneur
ambitieux qui s'emparait de toutes les villes à sa convenance. On
oppose à cela que le droit monétaire exercé par Eudes à Reims n'est
constaté par aucun document diplomatique. Cette raison est complè-
tement insignifiante, car l'existence d'un très-grand nombre de
monnaies du moyen âge, d'attribution parfaitement certaine, ne
saurait être appuyée par aucune charte. A. L.
Panorama d'Egypte et de Nubie, texte et planches in-fol. ; par Hector
Horeau, architecte. 10e livraison. Paris, l'auteur.
Cet ouvrage, composé d'une suite de vues imprimées au ton local ,
et accompagné d'un texte descriptif, présente à tous les yeux une idée
réelle de l'Egypte et de la Nubie; il offre de précieux souvenirs à qui
connaît déjà cette intéressante contrée, et peut rendre quelques ser-
vices aux nombreux voyageurs qui explorent maintenant l'Egypte et
la Nubie.
Les souscripteurs au travail de M. Horeau lui sauront gré de l'acti-
vité qu'il met à terminer cette magnifique publication , dont dix livrai-
sons sur douze sont en vente. La dixième livraison , que nous avons
sous les yeux, contient les vues suivantes : Garthassy, Taffa, Kalap-
ché , Guirchë , Dakké et Korté. Le texte qui accompagne ces planches
est orné des plans des monuments qui y sont représentés et de nom-
breuses vignettes d'une parfaite exécution , parmi lesquelles on re-
marque une petite chapelle dans les carrières de Garthassy, une ville
ruinée au nord de Taffa , et une petite Nubienne gardant les champs.
Antiquités de Bheinzabern, dessinées sous la direction de feu Schweig-
haeuscr, correspondant de l'Institut, in-4° de quinze planches et
quatre pages de texte descriptif. Paris, Leleux.
Les fouilles qui ont été exécutées à diverses époques à Rheinza-
bern, bourg de la Bavière rhénane, ont fait découvrir un grand nom-
bre de monuments curieux , aujourd'hui dispersés dans plusieurs col-
lections publiques et particulières. M. Schweighaeuser avait fait
dessiner tous ces objets avec soin, dans l'intention de les publier,
lorsque la mort est venue trop tôt l'enlever à la science. M. Matter,
inspecteur général des bibliothèques de France , a bien voulu se char-
ger de recueillir, dans les manuscrits de l'illustre savant, la descrip-
tion de ces monuments que nous livrons aujourd'hui à l'étude des ar-
chéologues. L. L.
BIBLIOGRAPHIE. 63
Peinture sur verre au XIXe siècle, quelques réflexions, par M. G. 'Bon-
temps, directeur de la fabrique de Choisy-le~Roi. Paris, 1 845, in-8.
C'est un véritable bonheur que les hommes initiés par une longue et
intelligente pratique aux procédés de l'art, veuillent bien se distraire
un instant de leurs travaux, pour donner aux archéologues et aux
historiens de l'art, quelques conseils, dans le but de les éclairer de
leurs lumières. Car la connaissance des procédés techniques est une
chose qui manque presque complètement à la classe des érudits.
Combien de savants auteurs de dissertations sur l'art , sur les révo-
lutions qu'il a subies, sont complètement ignorants des moyens qu'il
a mis en œuvre, dés méthodes qu'il a suivies. Or, cette absence de
connaissances pratiques occasionne souvent les plus fâcheuses erreurs
et déconsidère leurs estimables recherches aux yeux des hommes
du métier. Les réflexions que nous présente M. G. Bontemps , l'ha-
bile directeur de la fabrique de Choisy, doivent être mises au nombre
de celles qui sont d'une utilité véritable pour les antiquaires. Cet
artiste a tracé en quelques pages et d'une manière fort heureuse, le
caractère des diverses phases que nous offre la peinture sur verre. Il
nous fait voir celle-ci arrivée à son degré de plus haute perfection
au XIIe siècle, et perdant, à partir de cette époque, cette unité de
composition , cette entente profonde de l'ensemble et de la disposition
des sujets, qui brillait auparavant dans ses verrières. A mesure que
nous approchons de la renaissance , M. Bontemps suit les modifica-
tions que cet art subit, les changements qui s'opèrent dans ses pro-
cédés. Puis il analyse rapidement les tentatives faites dans ces derniers
temps pour rendre à cet art si oublié que l'on croyait ses secrets per-
dus, un peu de son éclat primitif. Cette analyse lui fournit l'occasion
de rechercher s'il y a dans les moyens que nous avons actuellement
à notre disposition, des éléments suffisants pour restituer à la pein-
ture sur verre son ancien lustre. Son résultat est affirmatif , et il
nous démontre qu'il ne nous manque plus qu'un grand artiste pour
les mettre en œuvre et pour fonder une école qui soit non pas tant
l'héritière des Pinaigrier, des Jean Cousin, des Bernard Palissy, que
celle des grands maîtres inconnus du XIIe siècle. Nous ne louerons pas
l'auteur d'avoir fait preuve d'une intelligence profonde de l'art du ver-
rier, on devait s'y attendre, mais d'avoir déployé dans cet opuscule une
érudition qu'on ne pensait pas rencontrer chez un praticien, jointe à
une justesse de goût, de critique artistique qui y ajoute un nouveau
prix. Nous sommes moins exclusivement amateur que lui de l'art chré-
64 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tien du moyen âge, nous préférons les images vraies et pures de la
plastique antique, aux formes naïves mais sèches, aux ligures pieuses
mais froides de l'école ecclésiastique , tout en reconnaissant le gran-
diose et la majesté des œuvres architectoniques de son époque. Nous
ne pensons pas que l'élément purement spirituel soit au fond favo-
rable à l'art , et nous en sommes d'autant plus persuadé , que nous
voyons le christianisme obligé pour ne pas briser avec l'art, de descendre
de la sublimité de ses conceptions intellectuelles à des conceptions
plus anthropomorphistes. Mais nous désirons sincèrement que les
chefs-d'œuvre de la verrerie peinte viennent rendre aux temples ces
heureux effets de teintes colorées, de clair-obscur, de jours variés
qui leur impriment un cachet plus religieux , qui jettent sur leur
sanctuaire ce caractère mystérieux qui élève l'âme à de pieuses mé-
ditations. Cela n'aura lieu qu'autant que la peinture sur verre aura
retrouvé son ancienne splendeur. M. Bontemps nous a fait voir
que les moyens de cette renaissance existent encore, et son érudition,
son savoir pratique nous ont habilement conduit au fond de ses ate-
liers où ces moyens se dérobent à nos regards.
Alfred Maury.
Dictionnaire de V Arclûtecture du moyen âge, contenant tous les termes
techniques dont l'intelligence est nécessaire pour faire comprendre les
descriptions des monuments religieux , civils et militaires , avec des
explications détaillées et de nombreux renseignements archéologi-
ques, par A. Berty; 1 vol. in-8°, orné de près de 300 gravures
sur bois. Paris, Derache.
il est impossible d'étudier aucun art, aucune science, sans un
Dictionnaire qui en explique les termes consacrés. On s'étonnait
qu'au milieu de tant d'ouvrages qui traitent de l'archéologie au
moyen âge, on ne trouvât pas en France un dictionnaire qui en
donnât la clef d'une manière prompte, facile, et surtout élémentaire;
tandis qu'en Angleterre plusieurs livres de ce genre sont depuis long-
temps en circulation. Quelques ouvrages renferment, il est vrai,
des indications très-abrégées de mots techniques; mais il n'existait
pas d'ouvrage spécial et complet. M. A. Berty vient enfin de combler
cette lacune d'une manière tout â fait satisfaisante. Ses gravures sont
bien exécutées et les explications qui les accompagnent sont claires et
précises. Le public confirmera sans doute notre opinion et encoura-
cera le livre et l'auteur, comme ils nous semblent le mériter.
6 L. J. G.
EXAMEN
DES ÉCRITS DE KLAPROTH
SUR
LA DÉCOUVERTE DE CHAMPOLLION LE JEUNE.
(Suite et fin.)
Nous voici enfin arrivés au coup de grâce que Klaproth préten-
dait porter à la découverte de Charapollion. Je transcris (B. 23 ) :
« D'abord M. Champollion n'a jamais paru d'accord avec lui-même
sur l'étendue de sa découverte. Dans l'introduction de son Précis du
système hiéroglyphique des anciens Egyptiens (p. 11), il disait:
«Que son alphabethiéroglyphique s'applique aux légendes royales hié-
roglyphiques de toutes les époques; que la découverte de l'alphabet
phonétique des hiéroglyphes est la véritable clef de tout le système
hiéroglyphique ; que les Égyptiens l'employèrent à toutes les époques
pour représenter alphabétiquement les sons des mots de leur langue
parlée. Au commencement du 8e chapitre de l'ouvrage (lre éd., p. 131,
2e éd., p. 184) on lit, au contraire (je prie le lecteur de remarquer
cet au contraire) ; j'avoue, en effet, qu'on ne sait point encore d'une
manière certaine si les inscriptions et les textes hiéroglyphiques dans
lesquels je trouve des mots égyptiens exprimés phonétiquement, re-
montent au temps des Pharaons, rois de race égyptienne, ou seule-
ment à l'époque grecque, comme l'inscription de Rosette, l'obélisque
de Philae , les temples d'Ombos et d'Edfou , ou bien à l'époque ro-
maine, comme les obélisques Àlbani, Borgia, Pamphili, Barberini,
celui deBénévent, une partie des édifices de Philae, et les temples
d'Esné et de Dendera. Mais il y a deux moyens bien simples de dé-
cider cette question et de prouver en même temps que l'écriture
hiéroglyphique était et a toujours été phonétique , en très-grande
partie , sous les Pharaons eux-mêmes, etc. »
Voici à quoi est fort adroitement substitué cet et cœtera: «Ces moyens
consistent d'abord à retrouver les mêmes groupes phonétiques déjà
observés sur des monuments dont l'époque nous est inconnue, dans
les légendes inscrites sur des constructions qui appartiennent sans
difficulté aux anciennes époques pharaoniques, et en second lieu à
ni. 5 '
06 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
établir plus positivement encore la haute antiquité de ces construc-
tions par la lecture môme des noms hiéroglyphiques des rois qui les
ont fait élever , noms qui en recouvrent pour ainsi dire toutes les par-
ties. Je crois être en état d'employer l'un et l'autre de ces moyens; les
savants jugeront jusqu'à quel point j'ai su le faire avec succès. » Or,
pour quiconque lira le 8e chapitre du Précis de Champollion avec
bonne foi, la réponse ne saurait être douteuse. Oui, certainement
oui, l'auteur du Précis démontre surabondamment le fait qu'il énonce.
Ouest donc alors la contradiction que Klaproth croit avoir découverte?
dans son imagination seulement.
Du reste, après cet et cœtera si subtilement imaginé, Klaproth
se borne à dire : et M. Champollion s'est efforcé à la vérité de prouver
la dernière assertion contenue dans ce passage ; mais les explications
des hiéroglyphes qu'il allègue à cet effet, ne sont pour la plupart
que conjecturales; il n'y suit pas cette marche de démonstration ri-
goureuse si nécessaire quand il s'agit d'une découverte encore con-
testée. » Ceci est matériellement faux de tout point, et Klaproth eût
été bien en peine de fournir une seule preuve de ce qu'il avançait.
Là se termine l'avant-propos du critique , et le paragraphe suivant
( A. 6 , B. 23 ) sert d'introduction à la série des fautes que le savaut
philologue prétend relever.
et Pour démontrer le peu de fond des conjectures qui se trouvent
dans les ouvrages que M. Champollion a publiés sur la littérature et
les antiquités égyptiennes , il faudrait peut-être écrire autant de pages
que ce savant en a rempli de ses recherches. Je dois donc me con-
tenter ici d'en donner quelques preuves frappantes. Il serait facile
d'en augmenter le nombre ; mais le peu qu'on va lire suffira pour
juger le degré de confiance que méritent en général les travaux de ce
savant. »
Il n'est guère possible d'être plus impertinent que ne l'est ici le
savant Klaproth, et l'on est en droit de s'étonner de l'outrecuidance
qu'il laisse paraître , quand on examine de près , comme je viens de
le faire , ce qu'il y a au fond de l'écrit dans lequel sont insérées ses
malencontreuses attaques contre la découverte de Champollion.
Je vais maintenant passer très-rapidement en revue tous les faits
sur lesquels Klaproth s'est cru autorisé à dire son opinion , et quand
j'aurai bien démontré que presque toujours ses objections sont de
nulle valeur, je démontrerai fort nettement et sans réplique, que
maître Klaproth, qui fait si bien l'entendu en fait de copte, n'en
connaissait guère que l'alphabet, et que les fègles grammaticales
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 67
les plus simples de cette langue étaient lettres closes pour lui. 11 me
suffira de reproduire quelques-unes des énormités et des lourdes bé-
vues échappées à son immense érudition, pour faire passer dans l'es-
prit de tous mes lecteurs cette conviction qui , j'en ai bien peur, en-
lèvera une bonne partie de leur importance aux dires de cet illustre
et très-estimable philologue.
Comme fort probablement Klaproth a fait usage dans sa deuxième
édition de tout ce qu'il avait acquis de science hiéroglyphique, il de-
vrait être permis , à partir de ce moment , de faire abstraction de la
première édition de son écrit , qui s'est d'ailleurs considérablement
développé et sans doute amélioré , avant d'être offert pour la seconde
fois au public lettré ; mais en le faisant on perdrait une foule de gen-
tillesses et d'expressions de bon goût dont je ne me crois pas le droit
de priver mes lecteurs.
Les pages 27 à 45 (B.) contiennent ce que Klaproth intitule :
Observations sur l'alphabet phonétique. Voici comment il entre en
matière :
(c En annonçante découverte de l'alphabet phonétique des anciens
Égyptiens, en le faisant graver dans sa lettre à M. Dacier , et en le
reproduisant avec des augmentations dans la première édition du
Précis, M. Champollion autorisait ses lecteurs à penser qu'il était
au moins sûr de la valeur qu'il assignait aux différents caractères qui
composent son alphabet des hiéroglyphes phonétiques contenu dans
les dix dernières planches (A — K ) de cet ouvrage. Ce n'est cependant
pas le cas, plusieurs de ces signes ont été supprimés ou changés dans
la seconde, de manière qu'on aurait pu s'attendre à voir dans une
troisième encore plusieurs autres éléments phonétiques disparaître ou
en remplacer d'autres selon la convenance de l'auteur. »
Ce préambule est d'une honnêteté touchante, on en conviendra*
En effet, si nous en croyons Klaproth, Champollion, à mesure qu'il
avançait dans ses recherches , faisait disparaître de son alphabet des
éléments phonétiques ou en remplaçait quelques-uns par d'autres,
selon sa convenance! C'est toujours le même reproche de n'avoir pas
recomposé de toutes pièces , et d'un seul coup , l'alphabet égyptien
complet. Ainsi, sous peine d'être blâmé par l'illustre philologue, il
fallait tout trouver à la fois et sur-le-champ, sans commettre la moindre
petite erreur. Or, je maintiens, moi, qu'une exigence semblable,
formulée au sujet d'une découverte aussi importante et surtout aussi
difficile que celle de Champollion , ne peut venir que d'un niais ou
d'un méchant homme, habitué à dénigrer tout ce qui n'émane pas
68 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
de lui. Klaproth n'était pas un niais; il faut donc de toute néces-
sité lui appliquer la seconde qualihcation.
Qu'eût dit Klaproth, je le demande, si Champollion lui eût laissé
la satisfaction de relever les fautes qui s'étaient glissées forcément,
je n'hésite pas à le dire, dans la rédaction de son premier alphabet?
il eût bien autrement triomphé. Mais Champollion ayant usé du
mauvais procédé qui consiste à se corriger soi-même toutes les fois
qu'on le peut, il ne restait plus à Klaproth qu'un moyen, détes-
table il est vrai, de profiter de ces premières fautes, et ce moyen
c'était de constater à la fois leur existence première et leur dispari-
tion; envieux maladroit, qui ne comprenait pas que ce qu'il croyait
un blâme constituait un véritable éloge. Du reste , veut-on connaître
la mesure des modifications successives de cet alphabet phonétique ,
et de ce que Klaproth appelle si vaguement des augmentations? voici
des chiffres instructifs qui la fourniront :
La lettre à M. Dacier (1822) contient un alphabet de soixante-
trois signes phonétiques ;
La première édition du Précis (1824) en contient 145;
La deuxième édition (1828) est identique, aux corrections près in-
diquées par Klaproth, et dont nous allons constater la légitimité;
La grammaire (rédigée en 1831 ) en contient 260, sans compter
les variétés de forme ;
Et enhn l'alphabet de Salvolini (183ti), que l'on peut, sans risquer
de se compromettre , attribuera Champollion lui même, 303.
Il est donc clair que l'alphabet phonétique de Champollion a exigé
quatorze années d'un travail non interrompu, pour arriver au point
de perfection où il est parvenu maintenant, et que par conséquent les
modifications successives signalées par Klaproth comme autant de
signes certains de défectuosité, ne sont, au contraire, que les indices
d'un progrès assuré , parce qu'il était lent.
Je passe à l'énumération des erreurs imputées par Klaproth à
Champollion. L'œil sans cil -*>- était une S dans la première édition ,
il devient dans la seconde une voyelle vague. Effectivement sa valeur
alphabétique est A, E, I, ainsi que Salvolini le démontre dans la
discussion de son alphabet phonétique (n° 48) (1). Champollion a
(1) Salvolini (dans son analyse , etc.) ayant pris le soin de donner in eœlcvso la
démonstration des valeurs alphabétiques adoptées par Champollion , je me bornerai
à citer le numéro du paragraphe qui dans son livre concerne chacune des valeurs
contre lesquelles Klaproth s'inscrit en faux. De la sorte , le lecteur pourra vérifier
par lui-même que l'illustre critique n'a pas eu une heureuse idée en relevant les
prétendues contradictions de Champollion.
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 69
donc bien fait de renoncer à la valeur S qui était fausse et qu'il
avait reconnue pour telle.
Dans la série des S, l'œil est remplacé par la figure % de laquelle
il serait difficile de dire ce qu'elle représente. Nous venons de voir que
l'œil est l'image d'une voyelle vague , il fallait donc le faire dispa-
raître de la série des S ; quant au signe qui l'y a remplacé, Klaproth
demande ce qu'il représente? un S (Salvolini , n° 137), parce que
c'est la figure d'un œuf et qu'un œuf se dit CCIaCT*^.
Le signe 1 qui était un A dans la première édition du Précis, ne pa-
raît plus dans la seconde, parce qu'effectivement sa valeur est encore
inconnue, et s'il a fait place à v , c'est que ce dernier est bien
légitimement un A, puisque l'on trouve, à Philes, le nom d'An-
tonin écrit :
^^^^ Salvolini , n° 48.)
Le signd - £, lu d'abord D ou T,par Champollion, est donné
toujours par lui pour un M , depuis la seconde édition du Précis ; en
cela il a parfaitement raison (Salvolini, n° 100).
L'oiseau "W^ se trouve dans la première édition parmi les H (n° 55).
// n'y est plus dans la seconde édition, et on voit à sa place le signe Q.
D'abord Klaproth aurait tort de prendre pour des H les lettres
"j (hébraïque), K (grecque), K (latine). Heureusement ceci est une
simple faute d'impression , puisque dans la première édition de sa
critique (page 10) cet illustre savant a placé la gracieuse phrase
qui suit : Le joli petit oiseau *W^ se trouvait dans la première édition
parmi les K (n° 55). // s'est envolé dans la seconde édition, on voit
à sa place le signe q.
Il serait difficile, avec de la bonne volonté même , d'inventer du
galimatias plus divertissant que celui-là. Quant à la valeur alpha-
bétique des signes, la voici : le joli petit oiseau représente certaine-
ment une voyelle vague (Salvolini, nos 1, 2, 3), et le signe Q, un
K (Salvolini, n° 225).
Le parallélogramme ggd désignait auparavant la consonne M
(n° 66) , ce n'est plus vrai dans la réimpression du Précis, ce signe s'y
trouve supprimé et remplacé par celui-ci £— . En cela Champol-
lion a encore très-bien fait, puisque le premier signe est l'image de
l'articulation SCH ou CH (Salvolini, n° 188), et le second, celle
de l'articulation M (Salvolini, n° 97).
70 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le petit vase J> , N ( n° 79 ) , a eu le même sort ; à sa place on voit
les contours du vautour ^ î\CT*pE , nouré. Le petit vase est resté
ce qu'il était réellement, c'est à savoir un N (grammaire, n° 133).
quant au vautour c'est aussi un N (Salvolini, n° 243.)
La croix X se trouvait dans la première édition indiquée comme
ayant la valeur de la consonne C, S, ou 2£, Dj (n° 90). Ce signe
manque dans la seconde ; il y est changé en £r lapin.
L'infortuné signe X changé en lapin, est une voyelle A, o, ô
(Salvolini, n° 28). (Champollion, gramm. n° 28) (l), et le lapin
a la valeur oy, OfttT, (T*0. (Salvolini, n° 19.)
La figure \ que M, Champollion a appelée tantôt une feuille,
tantôt une plume, remplace dans la seconde édition de son livre le
signe tf de la série des S (n° 102 ) , lequel de cette manière se trouve
supprimé.
La feuille ou plume en question est aujourd'hui bien reconnue pour
un M (Salvolini, nQ 103), et le second signe (Salvolini, nQ 242),
représente la diphthongue ou , ou un ô long.
Parmi les S se trouvait aussi auparavant la figure fjs, à sa place
on voit actuellement le signe T.
La figure assise , portant la main à sa bouche , représentant les
sons a, o, ou, u (Salvolini, n° 44), ne pouvait rester parmi les S
à côté du signe représentant un enfant jJ) , ayant certainement la
valeur S (Champollion, gramm., n° 177, Salvolini , n° 136.) Quant
au dernier signe c'est bien réellement un S. (Salvolini, n°271.
Champollion, gramm., n° 178.)
Sous les oj, en, on a supprimé un des trois signes représentant, selon
M. Champollion, un jardin; il est remplacé par la figure œd.
Lun des trois signes, le jardin, a été supprimé parce qu'il diffé-
rait trop peu de l'un des deux autres, avec lequel il faisait double em-
ploi, et ou l'a remplacé pqrle signe homophone, le bassin (Salvo-
lini, n° 188).
Ici se termine la liste imposante des contradictions alphabétiques
(1) Salvolini , n° 140, donne, d'après la lettre à M- Dacier, la valeur S à ce même
caractère; mais cette valeur abandonnée par Champollion lui-même ne me semble
pas pouvoir être proposée avec fa moindre certitude.
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 71
imputées à Champollion , et nous venons de voir que sur les dix faits
énumérés , il y en a tout justement dix qui prouvent que Cham-
pollion a pris soin de corriger lui-même ses erreurs, dès qu'il les a
reconnues.
Ce n'était donc pas la peine de s'évertuer à rassembler d'aussi pro-
digieuses inculpations ; mais nous ne sommes pas au bout des griefs
de Klaproth. Poursuivons donc la lecture de son réquisitoire contre
Champollion.
Pour la première fois , nous trouvons ici quelques reproches à peu
près fondés : ainsi le groupe T "1 , lu dans les deux éditions du Précis,
Of&iî, CT*K&, ne comportait certainement pas cette prononcia-
tion , cela est indubitable. Champollion a donc eu tort de le tran-
scrire de cette façon, parce qu'il croyait deviner que le groupe signi-
fiait le pur, le purifié. J'ignore entièrement, pour ma part, le sens
de ce groupe, qui se compose des articulations oun, précédées du
symbole de la divinité , la hache ; mais je me hâte de dire que rien ,
absolument rien, ne prouve que, postérieurement à 1828, Cham-
pollion lisait le mot de la même manière.
Dans la première édition du Précis (p. 179), Champollion pro-
posait de lire : Jerina, Mena, ou Irieno , et de traduire par Y Ira-
nien , le Persan, le groupe accolé au nom de Xerxès, gravé sur un
x
vase d'albâtre qui porte le même nom royal, écrit en caractères cunéi-
formes. Cette lecture étant insoutenable , fut abandonnée prompte-
ment par Champollion lui-même , car il n'en est plus du tout ques-
tion dans la seconde édition du Précis (pages 232-233). Il eût élé
loyal à Klaproth de le dire ; mais nous nous sommes déjà convaincus
que ce n'était pas de la loyauté qu'il fallait demander à cet habile
critique.
Du reste, dès la publication du Panthéon (planche 6 quater,
n° VII et VIII), ainsi que Klaproth le fait voir, toujours dans la
louable intention de prendre Champollion en flagrant délit de contra-
diction , celui-ci avait reconnu que le signe, l'oiseau volant , avait la
valeur exclusive de l'articulation P. Il y avait donc de la mauvaise foi
à présenter cette observation sous la forme que lui a donnée Klap-
roth , puisque cette fois encore il ne résultait qu'une chose du fait
72 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
énoncé, c'est que Champollion avait purgé son livre d'une erreur
commise dans les premiers temps qui suivirent sa découverte.
Vient ensuite à propos du groupe S , ÏÏP^i ? la remarque sui-
vante : « dans le tableau général, n° 21, on voit ce groupe que Cham-
pollion explique par pq à lui, vers lui; ce groupe dont le premier
élément n'est point encore connu est employé dans la cinquième
ligne de l'inscription de Rosette où il répond au copte Gpoq ? ou
^^poq. Cependant (ajoute Klaproth), la signification du caractère
A, n'est pas douteuse, c'est un synonyme de la lettre phonétique
_*_ q, **, etc.» Ici Klaproth a du malheur; car nulle part ces deux si-
gnes ne se reconnaissent pour homophones. Le second n'a jamais été un
q, c'est toujours un CO ou un O , et le premier est certainement un
oj. Qu'en résulte-t-il? que le mot se lit ujpq (avec des voyelles
or&p^q.) Or, dans le dialecte Baschmourique, le mot oj^p^
avec les pronoms suffixes, signifie ad, à, vers (par exemple
cy&pM , ad me, à moi.) Il est clair, par conséquent, que le
groupe hiéroglyphique en question se lit oj&p&q , et signifie,
à lui. La valeur du premier signe est exactement donnée dans la
grammaire égyptienne, donc, indubitablement, Champollion était
arrivé à la véritable lecture de ce groupe, que Klaproth eût été bien
embarrassé de lire lui-même, avec sa malencontreuse synonymie
des signes • et _±_.
Ce savant critique n'est pas plus heureux lorsqu'il s'étonne de ce
que le cercle m qui est toujours un R , suivant lui , qu'il soit strié ou
non, a été transcrit de plusieurs façons différentes par Champollion.
Il est certain aujourd'hui que le cercle strié © est l'image de l'arti-
culation memphitique Jb , et qu'il est impossible de confondre ces
deux hiéroglyphes. L'exemple qu'il rapporte, c'est-à-dire le nom
1 © du dieu Khons, prouverait à lui seul que Champollion a eu
raison d'adopter cette valeur alphabétique; du reste, il faut le recon-
naître, c'est à tort que Champollion a donné à ce signe la valeur
(y* en lisant O'ïE'T le mot ® , autre, qui , tout en offrant le même
sens, doit réellement se prononcer kfiet, JbE'Tj et devient, à l'aspi-
ration près, identique avec le mot cophte sahidique KFT , signifiant
précisément autre.
EXAMEN DES ÉCRITS DE KLAPROTH. 73
Quant au reproche adressé à Champollion , d'être revenu pour
le signe © à la valeur o** , après avoir adopté la valeur t , il est tout
simplement erroné , et je dirai plus , il implique un anachronisme
commis sciemment, c'est-à-dire un acte honteux, un faux matériel,
dont l'auteur aurait dû rougir de faire usage; c'est de 1828 que la
seconde édition du Précis est datée; c'est de 1825 qu'est datée la dou-
zième livraison du Panthéon égyptien, qui n'a eu en tout que quinze
livraisons, c'est donc bien antérieurement à 1828, que la planche 14
f. ter, a été publiée avec le texte qui l'accompagnait , et par suite la
contradiction reprochée à Champollion n'a jamais existé que dans
l'imagination de Klaproth. Le lecteur fera justice de cette manière
de se donner raison.
Klaproth ajoute : « Une incertitude semblable règne dans la plu-
part des leçons de M. Champollion, et je pense qu'on peut dire, sans
être taxé d'injustice, que la valeur d'une partie très-considérable
des cent trente-quatre signes de son alphabet phonétique n'est que
conjecturale. »
Si nous remarquons que le critique a relevé avec un soin scrupuleux
tout ce qui lui semblait attaquable, et que les prétendues erreurs ou
contradictions signalées par lui, ne dépassent pas une douzaine, nous
serons bien forcés à notre tour de conclure de ce fait , que l'assertion
qui précède offre un échantillon de la plus insigne mauvaise foi.
Les observations sur l'alphabet phonétique sont closes par la sui-
vante : « Parmi ces principes (ceux posés par Champollion dans son
Précis), un des plus importants, et qu'il a imprimé en lettres italiques
dans les deux éditions de cet ouvrage, est sans contredit celui-ci :
les signes reconnus pour phonétiques dans lés noms propres conser-
vent cette valeur phonétique dans tous les textes hiéroglyphiques où ils
se rencontrent. Voyons à présent si M. Champollion est resté fidèle à
cette règle fondamentale, non-seulement dans ses écrits postérieurs,
mais dans l'ouvrage même où il la produit. »
Pour prouver alors que l'auteur du Précis ne tient aucun compte
des règles de lecture énoncées par lui , Klaproth l'accuse d'avoir attri-
bué une valeur tantôt phonétique, tantôt figurative ou même symbo-
lique à un seul et même signe, comme l'œil sans cil, le bras tenant
un crochet, le bélier, le vase à brûler les parfums, le vautour, l'hi-
rondelle, etc., etc.
A cela la réponse n'est pas difficile : Puisque les hiéroglyphes pho-
nétiques sont d'ordinaire les images d'objets dont le nom égyptien
74 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
commençait précisément par l'articulation qu'ils doivent représenter,
on conçoit que pour s'éviter la peine d'écrire en toutes lettres les noms
des objets qui avaient fourni ces hiéroglyphes phonétiques, on ait pris
souvent le parti de tracer leur image toute seule, ce qui revenait à
écrire leur initiale.
Ainsi au lieu d'écrire en entier le nom TOT de la main qui, em-
ployée comme signe phonétique, avait la valeur d'un t ? on a pu
placer isolément l'image d'une main dans toute phrase dont le con-
texte nécessitait la présence de cette idée main; de même pour
écrire le nom de la cassolette &Ep&E , dont l'image représentait pho-
nétiquement l'articulation Ê,ona bien pu, sans courir le risque
d'arrêter le lecteur, se contenter de représenter une cassolette, Cette
méthode n'était autre chose qu'une méthode d'abréviation , et je ne
crains pas de le dire , c'était la plus simple de toutes et la plus na-
turelle , pour un peuple habitué de longue date à l'emploi des signes
figuratifs.
Réciproquement, lorsqu'une idée symbolique était attachée à
l'image d'un objet , comme par exemple l'idée de mère à la figure du
vautour, placée isolément dans un texte, cela pouvait-il exclure l'em-
ploi de cette même figure comme signe phonétique représentatif de
l'initiale du nom égyptien de cet oiseau, lorsqu'il n'était pas possible
de se tromper et de méconnaître au premier coup dœil l'emploi
purement alphabétique de cette image, à cause de sa position dans
le texte? en aucune façon.
Cet emploi double d'une même figure comme hiéroglyphe phoné-
tique , figuratif au même symbolique , n'est donc pas une monstruo-
sité, comme Klaproth semble le croire; c'est une conséquence toute
naturelle du caractère de l'écriture égyptienne, et il n'est pas possible
d'en tirer un argument contre la méthode de Champollion.
Klaproth n'en termine pas moins ce chapitre en disant : «c Voilà, je
pense, beaucoup d'exemples qui nous donnent déjà une mesure assez
convenable de la foi qu'on doit avoir dans les assertions de M. Cham-
pollion , et de la solidité des principes qu'il a établis dans son Précis
du système hiéroglyphique. »
Moi aussi je me permettrai d'employer les mêmes expressions et
de dire de mon côté : je viens de citer beaucoup d'exemples qui
nous donnent déjà une mesure assez convenable de la foi qu'on doit
avoir dans les assertions de Klaproth , et de l'honnêteté des principes
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 75
qui lui ont dicté son amère critique des œuvres de Champollion.
Toutefois je ne terminerai pas avant d'avoir tenu l'engagement que
j'ai pris en commençant, de démontrer clairement et nettement que
Klaproth eût bien fait déparier moins haut, lorsqu'il s'agissait de
discuter les faits grammaticaux de la langue copte, et si je craignais
que l'on ne m'accusât d'avoir usé , pour répondre à la critique de
Klaproth , d'un langage trop acerbe , je répondrais que je ne puis
m'en faire aucun scrupule, quand je lis dans cette critique des
phrases comme la suivante (A., page 18-19).
. « Je termine cette discussion déjà trop longue, en demandant à
mes lecteurs quelle confiance on doit mettre dans les assertions d'un
savant qui se joue aussi ouvertement du public, et qui détruit arbi-
trairement ce qu'il avait d'abord posé en principe. Il ne fait que
marcher à tâtons dans les ténèbres , tandis que les journaux à sa
solde proclament avec emphase ses découvertes lumineuses dans le
chaos des antiquités égyptiennes. »
Passons à notre tour en revue quelques-unes des découvertes lu-
mineuses faites par Klaproth dans son étude approfondie de la gram-
maire copte. ••
A la page 50 de sa seconde édition , je lis en note , à propos du
mot O^po , roi :
D'autres mots coptes, appartenant à la même racine, sont
^O^po, tiouro, reine, £.pxo*tfpO> ariouro, royaume et Epovpo,
erouro, régner.
Le mot ^OfptLï (sic), identique, sauf le genre de l'article, avec le
mot TUCT*pO , était donc pour Klaproth un autre mot copte appar-
tenant à la même racine Q**po ?
Et 2»pIO**po 5 royaumes, où donc a-t-il été découvert par l'ha-
bile philologue (l)? Pourquoi nous en fait-il un mystère? il eût été si
intéressant de le savoir? Moi qui ne me piqué pas de connaître le copte,
comme Klaproth, j'aurais eu la bonhomie de voir dans ce mot l'im-
pératif règne, du verbe Epcnrpo , régner, lequel est certainement
(1) Très-probablement Klaproth auquel on avait communiqué une noteà copier,
contenant les mots 2>.pX0"*p0 » régna, aura pris ce malheureux régna,
pour un substantif pluriel, au lieu d'y reconnaître un impératif. C'est vraiment
fâcheux !
76 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
composé de Ep, faire, dont l'impératif est &.px. Quant à l'idée royau-
mes , j'aurais encore été assez simple pour la rendre par le pluriel
du substantif JU-ETOfpO , qui seul signifie royaume. Cette curieuse
note existait déjà textuellement à la page 13 de la première édition ;
nous en pouvons conclure que de 1829 à 1832 les progrès de Klap-
roth en copte, n'ont pas été merveilleux. Un peu plus loin (A, 14,
B, 52), je lis : en copte le radical O'ïpO , ouro, signifie régner. Ceci
est faux : en copte er*po , signifie roi , et nullement régner ;
autant vaudrait dire qu'en latin rex signifie régner.
A la page 54, le critique, à propos de la formule TM /BK ,
expliquée par Champollion, ceci est la figure, ceci est la ressem-
blance, dit: «le mot t&x , signifie en effet, ceci, mais je ne vois pas
où le savant auteur du Précis sur les hiéroglyphes , a trouvé que
^K, thé, était en copte le mot pour figure où ressemblance. » Cette
phrase contient deux grosses bévues ; to en copte n'a jamais signi-
fié ce , ceci, mais celte : parce que c'est le pronom démonstratif fémi-
nin, dont le masculin est tt&X ou c£m et le pluriel n&x.
Quant au mot çh , si le savant Klaproth eût su comment, en copte,
l'article féminin se comportait quelquefois devant les radicaux com-
mençant par un hori, ^ , il n'aurait plus été si étonné de ce que
Champollion avait trouvé dans le mot çk ; car il y. eût tout comme
lui reconnu l'article ^r, et le mot ^K , face , aspect ; mais Klaproth
savait le copte avec son dictionnaire, il était doctus cum libro , et par
suite exposé à d'étranges quiproquo.
Enfin (B. 77, A. 23), je trouve la phrase suivante: «Ces
lectures donnent les mots xt&q , naf, et Sî2* , na, qui en copte
ne signifient pas grand. Dans cette langue l'idée de grand est expri-
mée parH&i», naa, au masculin, et îi&^q , naaf, au féminin.
En vérité ! je ne vois pas non plus, moi, où le savant Klaproth a
trouvé que naaf, qu'il prend soin de transcrire deux fois à trois ans
de distance, en italique, ne varietur, pouvait être le féminin de
X\Z>Z>-. Ceci implique, philologiquement parlant, des balourdises
énormes ; en effet, il devient constant, par suite de ce petit aphorisme
grammatical à l'usage de Klaproth, que cet érudit ne savait pas que
EXAMEN DES ECRITS DE KLAPROTH. 77
les adjectifs coptes sont ordinairement munis du pronom personnel
affixe du genre delà personne ou de la chose à laquelle ils se rapportent,
de sorte que si ft&2s , signifie grand d'une manière absolue , ît&.&q
muni du pronom personnel affixe q , est le mot grand , qualificatif
d'un homme ou d'un objet dont le nom est masculin, tandis que
tt£*&C3 muni du pronom personnel affixe féminin est le mot grande,
qualificatif d'une femme ou d'un objet dont le nom est féminin. De
plus Klaproth ignorant ce jeu des pronoms personnels affixes, croyait
fermement qu'un adjectif copte comme K&.2* , prenait un fei pour
terminaison féminine. Ne serait-on pas en droit de dire à ce savant
critique :
Où votre esprit prend-il toutes ces gentillesses ?
Inutile, j'imagine, d'insister plus longtemps sur l'érudition copte de
Klaproth ; il est trop clair qu'il ignorait dans toute la force du terme
le premier mot et la première règle de cette langue , et pourtant
c'est cet homme qui s'est audacieusement posé en juge de Champol-
lion ! Certes il eût mieux fait d'employer son temps à se mettre en
état de profiter des admirables découvertes de celui-ci.
Maintenant je crois avoir suffisamment montré ce que vaut la cri-
tique de Klaproth et j'ai quelque espoir que chacun la regardera
comme non avenue.
F. De Saulcy.
LETTRE A M. THÉODORE WOOLSEY %
PROFESSEUR DE LITTÉRATURE GRECQUE A YATÉ COLLEGE EN CONNECTICUT (ÉTATS-UNIS),
V SUR
UNE INSCRIPTION£GRECQUË DE SYRIE,
ET SUR UN ANCIEN AQUEDUC, PRÈS DE BEYROUT.
Monsieur ,
Lors de votre dernier passage à Paris , vous avez eu la bonté de
me remettre la copie d'une inscription grecque dont vous deviez la
connaissance à M. Élie Smilh , le compagnon de voyage de M. Ro-
binson, auteur du savant et important ouvrage intitulé Palœstina.
Vous désiriez savoir mon avis sur ce fragment encastré dans le mur
du couvent de Deir-el-Kalaah , dans le Liban , près de Reyrout.
M. Smitb pensait, m'avez- vous dit, avoir copié le premier cette
inscription. Sur ce renseignement, je l'avais crue inédite, et je m'en
étais occupé dans cette persuasion. Mon travail fait, je n'ai pas tardé
à m'apercevoir que M. Smith nous avait, bien involontairement,
induits en erreur; car elle a été copiée par Seetzen, en 1805, il
y a déjà plus de quarante ans. Elle a été publiée d'abord par
M. Francke (2), qui, traitant avec un peu trop de liberté le texte
de Seetzen , a refait l'inscription plutôt qu'il ne l'a rétablie. Or, re-
faire une inscription est une opération, toujours facile pour un homme
d'érudition et d'esprit; mais elle est d'une utilité fort médiocre, sinon
tout à fait nulle. Il n'en a pas été ainsi des savants éditeurs du Cor-
pus Inscriptionum (3), qui l'ont publiée de nouveau, en s'attachant
aux éléments de la copie de Seetzen ; ils l'ont lue telle qu'elle est ,
sans y chercher ce qui ne peut y être. La copie de M. Smith, ne pré-
sentant non plus aucune difficulté réelle, j'en ai tiré la même leçon,
sauf un trait important qui fait une grande partie de l'intérêt de ce
fragment d'antiquité.
(0 M. Th. Woolsey est auteur d'une savante cl élégante édition duGorgias de
Platon, in-12, Boston, 1842.
(2) Griechische und lalcinischc Inschriflcn gcsammelt von O. Fr. von Richkr,
p. 5. Berl. 1830.
(3) Corpus Inscript., n° 4535.
LETTRE A M. THÉODORE WOOLSEY. 79
Ces savants critiques se. sont contentés, comme il convient à leur
plan , de donner le texte , avec de courtes explications. Comme je suis
entré dans un peu plus de détails sur l'interprétation archéologique
du monument, je vous donnerai mon travail tel que je lavais rédigé
avant de connaître le leur.
Je vais mettre en regard la copie insérée dans le Corpus, n° 1 , et
celle que je dois à votre bienveillante communication , n° 2 , pour
que vous jugiez des différences :
N° 2. N° 1.
PCONANGOHKAI t ■ ICONANGOHAX
AOOCNeKNHCOlO AOOCNeKNCOO
POÀOYTGXNACnA lOÀOYTCXNACnA
nOOINONAN AICO HOOIONAAN AICU
NOeKCPAOYXAAKG NOCKGPAOYXAAXe
ONANTITYnON ONANTITYnON
nPOXCONTABPO nPOXeON'ABPO
TOIC/ GPOAPOMON TOIClèPOAPOMON
YACOP: YACOP.
Ces neuf lignes ont dû être précédées d une dixième qui est effacée.
En corrigeant quelques fautes de transcription, provenant delà con-
fusion de lettres semblables , on obtient le texte suivant, qui ne paraît
laisser aucun doute, et où il n'y a d'autre lacune que celle d'une
partie du premier vers , dont on ne pourrait plus rétablir les mots
que d'une manière conjecturale, mais dont on devine au moins assez
facilement le sens :
]pwv aveôyjxa
Ap^wvoç xepaoO yjxhizov ovtitwov,
Wpoyiovra. (3poroîç àepodpépov v^wp.
Ces neuf lignes forment trois vers et les deux derniers pieds d'un
quatrième qui commençait le quatrain : le premier et le deuxième sont
des hexamètres; le troisième est un pentamètre; irrégularité qui n'est
pas inconnue dans les inscriptions métriques des bas temps, auxquels
celle-ci doit appartenir ; car elle ne peut guère être antérieure au
IIe ou au IIIe siècle; enfin, le quatrième présente cette singularité,
80 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qu'il a toute la marche d'un hexamètre, auquel il ne manque, pour
être complet , que le premier pied et la première syllabe du second.
Il manque donc, au commencement de ce vers, un mot qui devait
être le complément de àvrlrvitov ; mais ce mot a été omis par le gra-
veur lui-même; et l'omission est d'autant plus explicable, que cet
àvTirvnov est justement, quant au sens et à la mesure, ce qui est né-
cessaire pour compléter l'hexamètre. Le graveur a plus consulté son
oreille que la grammaire ; car l'accusatif TzçoyéovxcL aurait dû l'avertir
qu'il devait y avoir un autre mot entre ce participe masculin et le
substantif neutre àvrirurcov.
De la première ligne , il ne reste que les deux derniers pieds de
l'hexamètre, PCONANEOHKA- Si PCON n'est pas la fin de l'adjectif
[7rpo<p]p&)v , ce sera celle d'un nom propre ayant cette terminaison de
deux syllabes ou de trois , avec la première longue , comme Ev<ppwv ,
Scocppwv , AAxtîppwv, Eù9u<ppwv, X£p<7içpp«v ? etc.
Voici donc la traduction littérale :
« Un tel,., a dédié [ce monument], apporté d'un pays lointain,
« de l'île de Rhode, objet d'art désiré, image d'Ammon aux cornes
« [de bélier], versant aux mortels une eau venue à travers les
c airs. »
Nous pouvons présumer facilement à quel usage servait cet avziTwnov
ou cette image de Jupiter Ammon. Les anciens ornaient le devant des
fontaines de certaines figures auxquelles on donnait le nom générique
de Marsjas, parce que c'étaient le plus souvent des figures de sa-
tyres (1) portant des outres, d'où l'eau jaillissait, ou la rendant par
les parties génitales (ex verendis) , ce qui ne paraissait pas plus cho-
quant que Manneken-pis à Bruxelles; ou bien c'étaient simplement
des masques qui rendaient l'eau par la bouche comme des mascarons.
On appelait aussi ces figures, selon leur forme, Atlantes , 'Chirons ,
Hermès, etc. (2).
Il est difficile de savoir si cet àvriivnov ApLptwvoç était une figure
entière ou seulement un masque; mais qu'il fût placé à l'orifice d'une
fontaine , cela ne peut être douteux.
Ce devait être un objet d'art assez remarquable, à en juger par
l'épithète 7to9ivov pour 7ro0Êivov qui l'accompagne, et par la peine
qu'on avait prise de l'apporter de Ilhode; circonstance fort à remar-
quer. C'était sans doute la reproduction de quelque type connu
et admiré, dont le type se trouvait à Rhode, où l'original était
(1) Petron. Satyr. c. 3G.
(2) Wouwer. ad Pelron.
LETTRE A M. THEODORE WOOLSEY. 81
moulé, et les empreintes étaient transportées dans des contrées plus
ou moins lointaines.
Et comme cette inscription, d'après les caractères, ne peut être,
comme je l'ai dit , plus ancienne que le IIe ou le IIIe siècle de
notre ère, elle est l'indice le plus récent que l'on possède de la
persistance de l'école de sculpture à Rhode.
La grande école de Lysippe, établie dans cette île, et qui avait élevé,
par les mains de Charès de Lindus, le fameux colosse en bronze, était
demeurée florissante , au moins jusqu'à l'époque de la ruine de cette
ville parCassius,en 43 avant notre ère(1); mais la preuve qu'elle avait
subsisté, ou même qu'elle était encore florissante, longtemps après
cet événement, pouvait se tirer déjà d'un seul fait avéré, c'est que le
fameux groupe de Laocoon avait été exécuté , vers le temps de Néron,
par les trois artistes rhodiens Agésandre, Polydore et Athénodore.
On peut croire à présent que cette écoje était restée fameuse un ou
deux siècles après; puisque notre inscription atteste qu'on tirait
encore de Rhode , dans le cours du IIIe siècle, des produits impor-
tants de la statuaire en bronze.
Je viens au dernier trait, le plus important, de l'inscription. La
copie de Seetzen porte IEPOAPOMON , et cette leçon a été adoptée
par les savants éditeurs du Corpus , et par ceux de la nouvelle édition
du Thésaurus d'Henri Estienne; mais que peut signifier iepodpé[jLov
avec [u&ap], épithète qui ne convient qu'à ceux qui couraient dans
une arène consacrée à un dieu (2)?
La copie de M. Smith lèvera cette grave difficulté ; car, de la pre-
mière lettre, il reste, non un jambage droit I, mais un trait obli-
que A , qui ne peut provenir que d'un A ; d'où résulte l'adjectif
àepodpopLov p&op] , l'eau venue à travers les airs, ou par une voie
aérienne. Quelle idée doit-on y attacher?
Cet adjectif (àepodpépoç) est connu, comme le verbe àspoùpopéto (3),
pour avoir une signification semblable à celle des synonymes
àepoSâzriç, àspoêargco; il s'applique principalement aux animaux
ailés, oiseaux ou insectes; les deux premiers cependant d'un usage
plus moderne , puisque le verbe àspoèpopécù ne se montre pas avant
Lucien , et l'adjectif âepoâpô^oç n'est que dans Eustathe et Constan-
tin Manassès. C'est ici la première fois qu'on le trouve comme épi-
thète de vùcùp-
(1) K. O. MiiUer, Handbuch, §. 155.
(2) Thés. Ling. Gr., t. IV, p. 535. C. art. de M. Hase.
(3) Le même, t. I , p. 766, D.
III. 6
82 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Cette épithète ne peut s'entendre que de l'une de ces deux choses :
Ou bien elle désignera Veau du ciel ou Veau déploie, par opposition à
7toto^cov, myxiovy ou xpvivaiov y&wp ; et, dans ce cas, on comprendra
que la fontaine servait de déversoir à un bassin alimenté par les
eaux pluviales. Ce serait une expression poétique, du même sens
que l'o/xêpiovou oy&pinpbv u$«p. Elle expliquerait peut-être le choix
d'une figure ou d'une tête de Jupiter Ammon, au lieu d'une
figure de lion , qui s'employait ordinairement à cet usage. Ce serait
une allusion à l'un des principaux attributs de Jupiter, qui était ,
comme on sait , qualifié de véuoç le pluvieux, et invoqué spécia-
lement pour obtenir la pluie : Jovem aquam exorabant (l) : ïcrov,
•jffov, eo <piXe ZeO (2) , comme dit Marc Antonin.
Mais 1 épithète àspo^popiov serait très-impropre pour rendre Yeau
de pluie , qu'on aurait beaucoup mieux désignée par dïmerriç , dio-
rar/fe, àepoi:£Trj<; , àspoyiv/jç, etc.
Cette épithète, au contraire, aurait une grande propriété , si elle
avait été employée pour exprimer l'eau amenée par un aqueduc, élevé
sur plusieurs rangs d'arcades, servant à lier deux collines, en faisant
passer l'eau de l'une à l'autre, à travers les airs, comme au pont du
Gard. La leçon àzpoàpôpov est évidemment la seule admissible. Elle
reçoit ici une excellente acception qui n'était pas connue, et qu'on
peut d'avance recommander aux futurs concurrents pour Y Oxford prise,
qui auraient à mettre en vers la marche rapide des waggons sur le dos
d'un viaduc : aepofyopwv appcc serait, pour le sens et la mesure, une
excellente chute d'hexamètre.
Mon explication était achevée, lorsque, ne trouvant rien sur cet
aqueduc dans les voyages imprimés, j'ai eu l'idée de consulter mon
excellent ami le colonel Callier, qui a fait une si belle reconnais-
sance géographique de la Syrie. Je lui ai demandé s'il n'y avait pas
réellement à Déir el Kalaah, ou dans le voisinage, un aqueduc élevé
sur des arcades, comme j'avais lieu de le présumer d'après une in-
scription grecque. Voici ce qu'il m'a répondu :
« Votre inscription ne vous a pas trompé. Oui, vraiment, il y a
ce là un aqueduc tel que vous le désirez. Je n'en avais trouvé la men-
« tion dans aucun voyageur. Il me fut indiqué à Beyrout même,
a Je m'y rendis pour le visiter. Il est dans une situation fort écartée ;
(1) Petron. Satyr., c. 44.
(2) M. Anton. De rébus suit, V, 7.
LETTRE A M. THÉODORE WOOLSEY. 83
« et c'est sans doute pour cela qu'il a échappé aux voyageurs. Les
« Arabes le nomment Kanater Zébéïdé (arcades, pont ou aqueduc
« de Zébéïdé), et ils en attribuent la construction à une princesse
« du Liban de ce nom. »
ce Cet aqueduc est à deux heures trois quarts de Beyrout et à deux
« heures de Déir el Kalaah, qui est à trois heures de cette ville. Il est
« entre deux collines, et à cheval sur le Nahr Beyrout (comme le pont
« du Gard sur le Gardon); sa longueur est d'environ 200 mètres (l).
« Il avait autrefois trois rangées d'arcades; mais le temps les a ré-
« duites à deux. Ce bel ouvrage antique est aujourd'hui rompu
« par le milieu. J'en avais fait un croquis que je ne retrouve plus
« dans mes papiers. »
Ce fait important ne laisse plus aucun doute sur la leçon aepo-
dpopov , et sur le sens qu'il faut attacher à cette leçon. La lettre de
M. Callier, qui en est le commentaire, sera, pour les voyageurs artistes,
un avertissement et une invitation à dessiner et à mesurer un monu-
ment qu'il ne peut qu'être infiniment curieux de connaître dans tous
ses détails. Un pont du Gard sur le Nahr Beyrout ! voilà qui appelle
toute leur attention et leur talent.
La fontaine qu'ornait la figure d'Ammon , était évidemment alimen-
tée par l'eau de cet aqueduc, dont le but, selon M. Callier, était de
fournir à Beyrout l'eau nécessaire. Je me figure qu'à l'issue de l'aqueduc
aérien, et avant que l'eau ne s'engageât dans les conduits souterrains
( ÛTTovo/aoi ) qui l'amenaient à Beyrout, on avait formé un de ces réser-
voirs, que les Latins appelaient castella, disposés de manière à fournir
l'eau dans les points intermédiaires. A ce castellum était appliqué
un petit monument, orné d'une figure de Jupiter, que la municipa-
lité avait demandée , et qu'un citoyen bienfaisant avait fait venir de
Rhode, dont la célébrité, pour de telles œuvres, subsistait encore à
cette époque.
Vous voyez, Monsieur, que, quoique l'inscription ne soit pas
inédite, comme nous l'avions cru d'abord, la copie de M. Smitfyi'est
ni sans utilité, ni sans importance. En nous révélant une circon-
stance toute nouvelle et de grand intérêt, elle sert encore à montrer
combien il est utile de s'attacher au moindre détail, dans les monu-
ments de ce genre; car la leçon àepoâpopov, et l'avantage qui en ré-
sulte tiennent, à quoi? à un trait oblique , au lieu d'un trait vertical.
Recevez, etc. Letro^ne.
(1) Le Pont du Gard a 272 mètres de longj il a aussi trois rangs d'arcades.
LETTRE A M. LETROME
SUR LA STÈLE FUNÉRAIRE DAIDINJIK (f).
Monsieur et cher confrère,
J'ai lu avec un vif intérêt le savant article que vous avez inséré
dans le dernier numéro de la Reçue Archéologique sur la stèle funé-
raire dont M. Laurin, consul général d'Autriche à Alexandrie vous a
fait communiquer un dessin par M. Prisse. Tout ce que vous y dites
sur la provenance de ce monument, sur les noms des personnages qui
y figurent , sur la profession du personnage principal , sur les attri-
buts de cette profession , sur les couronnes qui décorent chacun des
deux pilastres de l'édicule et sur celle qui est placée à droite de l'in-
scription , me paraît être d'une vérité incontestable et ne peut que
jeter beaucoup de lumière sur plus d'une question restée obscure jus-
qu'à ce jour. Mais il est quelques points sur lesquels, malgré toute ma
confiance dans l'étendue de votre érudition et là sûreté de votre cri-
tique, je ne saurais tomber d'accord avec vous. Trouvez bon que je
vous les fasse connaître, et que je vous expose les motifs de mon
dissentiment.
Et d'abord si, comme vous, j'admets que la dernière partie de
l'inscription est poétique , je n'y vois pas avec vous un hexamètre
dactylique dont le premier pied aurait été oublié. J'y retrouve , au
moyen d'une très-légère modification , le pentamètre suivant dont
l'allure vous semblera sans doute conforme à celle des bons modèles :
Evvazt 7rvy.T£yo'aç ^X£T0 £'* At$yjv.
Il est très-permis d'admettre que le graveur de lettres aura substi-
tué à la forme poétique evvaxi , dont les exemples sont assez rares (2),
le mot ivv.zch.iq qui lui était beaucoup plus familier. Dès lors il n'est
plus besoin de rétablir le mot Aavaoç , soit au commencement du
(1) Voyez plus haut, p. 1 et suiv.
(2) Les éditeurs du Nouveau Trésor de la langue grecque en citent un seul
exemple emprunté à Y Anthologie palatine , XIV, 120, 8, 'Emûu Vbnkx Mofoat.
LETTRE A M. LETRONNE. 85
vers , soit après Ivveaxjç , non plus que de supposer que la crase ou
plutôt l'élision de Yo a été oubliée dans or^ero , et qu'il faut de plus
changer elg en èç , ce qui franchement laisserait trois erreurs en cinq
mots à la charge du pauvre lapicide. Cette sorte de gens était sans
doute parfois assez inhabile, mais il est vrai de dire aussi que nous
autres épigraphistes, nous leur prêtons d'ordinaire, très-libérale-
ment, beaucoup plus d'étourderies qu'ils n'en commettaient.
Dans la scène qui nous offre trois personnages prenant part à un
repas commun , vous voyez non pas un banquet funèbre , comme on
était convenu jusqu'ici de désigner ce genre de sujets qui ne se
retrouvent que sur des monuments funéraires , mais une scène de la
vie intérieure représentée dans les circonstances habituelles. Cette opi-
nion, il faut bien le dire, se rapproche beaucoup du système d'inter-
prétation généralement suivi par Zoëga dans l'explication de ses Bas-
sirilievi , système qui tend à substituer des scènes tirées de la vie
privée aux allusions religieuses et mythologiques que Winckelmann
et Visconti reconnaissaient dans le plus grand nombre des monuments
figurés de l'antiquité (1).
Si pour ce monument, comme pour tous les bas-reliefs de même
nature, vous rejetez la qualification de banquet funèbre employée par
la plupart des archéologues, c'est parce que, selon vous , cette qualifi-
cation ne peut s'entendre que de banquets en l'honneur ou en commémo-
ration de personnes mortes, et qu'ici au mort sont associées deux
personnes vivantes. Vous vous élevez pour le même motif contre le
titre de lectisternia ou de supplications donné à des sujets , suivant
vous , d'une nature tout à fait semblable, et vous pensez que doré-
navant les antiquaires seront disposés à adopter pour de telles
scènes la dénomination de repas de famille.
Par une déduction tout à fait logique, vous vous refusez à voir
dans le chien qu'on rencontre sur beaucoup de ces monuments un
symbole de fidélité ou de vigilance , ou tout autre symbole. Ce n'est
plus pour vous que Vami de la maison qui assiste au repas quotidien
dont il réclame et obtient sa part.
Vous allez plus loin : la tête de cheval qui se montre par une fenêtre
sur trois de ces sujets (2) n'a point la signification symbolique qu'on
(1) Voyez ce que j'ai dit à ce sujet dans mes Monuments figurés, p. 122
et suiv.
(2) Le nombre des monuments auxquels vous faites allusion , est beaucoup plus
considérable que vous ne paraissez le croire. Pour ma part j'en pourrais facilement
citer près de vingt. On ne saurait dire qu'ici le nombre ne fait rien à l'affaire.
86 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
a cru pouvoir lui attribuer, et tout en admettant que dans beaucoup
de monuments funéraires le cheval est un symbole du dernier voyage,
vous voulez que dans les exemples que vous indiquez le bas-relief,
publié par JVlontfaucon (l), et les deux bas-reliefs que Winckel-
mann a fait connaître le premier (2) , cet accessoire figure comme
une expression propre et directe. Ce n'est là , dites-vous , que le com-
pagnon d'armes ou de voyage du défunt. Si Von n'aperçoit que sa tête
c'est que l'espace ne permettait pas de le représenter en entier. On ima-
ginait alors cette fenêtre , au moyen de laquelle on expliquait natu-
rellement la présence de l'animal dans le tableau sans qu'on fût obligé
de représenter le reste du corps. Ce mode de représentation n'est donc
rien autre chose qu'un expédient pour concilier la présence nécessaire
de ce compagnon du défunt avec l'exiguïté de la place. De cette ma-
nière , il faisait partie de la scène sans l'embarrasser.
En partant du même principe que pour le chien, il semblerait
résulter de tout cela que le cheval, avant la mort du défunt, assistait
aux repas de la famille et qu'on l'aurait représenté dans son entier
comme sur l'un des bas-reliefs de Winckelmann si l'on n'eût
craint qu'il ne tînt trop de place. C'est, à bien peu de chose près,
l'explication proposée assez burlesquement par Zoëga (3) , qui voyait
dans la fenêtre en question la lucarne d'une écurie préparée dans le
voisinage de la salle à manger : onde il padrone possa godere l'aspetto
del suo bucefalo.
Gomme les idées que vous attaquez, mon savant confrère, ont
été émises par moi dans un travail qui est le fruit de longues re-
cherches et de méditations sérieuses (4), dans un travail auquel
vous-même vous voulez bien donner plus d'éloges qu'il n'en mérite ,
surtout si j'ai aussi mal rencontré que vous le feriez supposer, vous
trouverez bon , j'en suis sûr, que je les défende et que je soumette
ma réponse au public, comme vous lui avez soumis votre critique.
[D Antiquités expliquées, t. III, pi. 60.
(2) Monum. ined. pi. 19 et 20. — On pourrait croire d'après votre note 1, p. 9,
que les deux bas-reliefs publiés par Winckelmann , Mon. ined. n° 19 et 20 , sont
différenlr; de ceux que Zoëga a insérés dans ses Bassirilieri, non pas pi. XXXVJ
comme vous l'indiquez, mais pi. XI et XXX VI. Ce sont identiquement les mêmes
à quelques restaurations près que l'un d'eux avait subies depuis la première édi-
tion. Du reste là liste que vous donnez pourrait être considérablement accrue, comme
il vous sera facile de vous en convaincre en relisant mon Mémoire.
(3) Rassirrilievi , t. I, pi. XXXVI.
(4) Expêd. noient de Morre, t. II, p. 1 1 R et suiv. ; p. 85 à 246 du tirage a
partln-R.
LETTRE A M. LETRONNE. 87
Je dois avant tout prendre acte d'un fait. Vous reconnaissez que sur
beaucoup de monuments funéraires le cheval est un symbole du dernier
voyage. Cela posé, je vous demanderai si vous admettez que sur les bas-
reliefs où l'on voit un ou plusieurs personnages, de l'un ou l'autre sexe,
représentés avec certains attributs, ayant devant eux, dans une attitude
de suppliants, des individus presque toujours d'un âge mûr, mais d'une
taille beaucoup moins élevée que la leur, on peut avec toute sûreté
reconnaître un dieu ou un héros invoqué par des mortels ; et , pour
prendre des exemples bien connus, si vous reconnaissez dans le bas-
relief du Musée royal , n° 261 (1) , une déesse ayant devant elle une
procession de suppliants; si un bas-relief provenant d'Eleusis, et
appartenant à M. Pourtalès-Gorgier, vous offre comme à M. Pa-
nofka (2), à K. 0. Mùller (3^, et à tant d'autres, Déméter et
Perséphoné auxquelles une famille vient sacrifier un porc? Si les
personnages assis de la frise du Parthénon sont pour vous , comme
pour Visconti (4) , et pour tous les antiquaires qui ont parlé de ces
précieux restes de la plus belle époque de l'art , les principales divi-
nités de la Grèce (5)? Vous me répondrez affirmativement j'en suis
sûr; mais si par hasard vous conserviez encore quelques doutes à ce
sujet , il me suffirait, pour obtenir votre assentiment, de vous rap-
peler un monument trouvé à Athènes dans ces dernières années. On
y voit un personnage nu , d'une taille plus qu'humaine , et près de
la tète duquel on lit 0H2EY2 ; il est invoqué par deux personnages
d'âge différent et au-dessus de la tête du plus âgé sont gravés ces
mots : 2minn02 ; NÀYÀPXIàO i ANEOHKEN (6). Évidem-
ment le titre de supplication ou d'invocation, si vous l'aimez mieux,
ne peut être refusé à la scène que nous retrace cet âvaQyjpz et la po-
sition relative des acteurs ne saurait laisser matière à aucun doute.
Passons maintenant aux scènes sculptées sur des marbres de même
(1) Ce bas-relief décore Tune des parois de l'arcade qui précède la salle du Héros
combattant.
(2) Antiques du cabinet Pourtalès-Gorgier , pi. 18.
(3) Monuments de l'art antique, t. II , pi. VIII , fig. 96. #
(4) Museo Worsleiano, tav. LIV, p. 154 , seq.
(5) Il me serait facile de multiplier les exemples à l'aide des bas-reliefs repro-
duits dans les différents recueils de monuments figurés et d'y ajouter plusieurs
marbres que j'ai fait dessiner à Athènes. Je me contenterai de renvoyer aux An-
tichità di Ercolano , Pilture , t. I, tav. 5 , et à l'explication de cette planche.
(6) Voyez le Journal archéologique d'Athènes, n° 570, le Journal archéolo-
gique de Berlin, pi. XXXIII , fig. 2 , et l'article que j'ai consacré à ce monument
dans le volume des Annales de l'institut archéologique qui doit paraître très-pro-
chainement.
88 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dimension que ceux dont je viens de parler et dans un encadrement
semblable, mais où les personnages plus grands que nature sont , non
plus debout, mais couchés ou assis. Examinons d'abord le bas-relief de
Merbacca, publié dans Y Expédition scientifique de Morée (l); ai-je eu
tort de voir dans le bélier qu'un jeune sacrificateur conduit à l'autel
les préparatifs d'un repas sacré, qu'une famille de suppliants rangée
sur deux files vient offrir à deux personnages de sexe différent et plus
grands que nature, dont l'un est couché sur un lit et l'autre assis au
pied de ce même lit? Ai-je eu tort de voir dans le premier un dieu, et
dans sa compagne une déesse? Ai-je eu tort, à la vue du serpent qui
semble se dresser pour boire dans la coupe que devait tenir la déesse,
de reconnaître en elle Hygiée , et dans le dieu couché son père Escu-
lape dont la forme idéalisée, ainsi qu'on l'a déjà remarqué (2), rappelle
beaucoup celle des trois plus granas dieux Jupiter, Neptune et Plu-
ton? Si vous ne me donnez pas raison, trouvez bon que je persiste
dans ce que vous regardez comme une erreur, d'autant plus que le
monument en question provient , à n'en pas douter, des environs
d'Argos , où Esculape avait un sanctuaire, et qu'il offre une analogie
frappante avec un bas-relief inédit que j'ai fait dessiner à Ligourio,
non loin de l'antique hiéron d'Épidaure , le siège principal du dieu-
médecin. On y voit à droite Esculape debout, la poitrine nue, la
tête ombragée d'une épaisse chevelure, la main droite appuyée sur
un bâton autour duquel s'enroule un serpent. A sa droite est Hygiée
soulevant son voile comme pour se manifester et annoncer qu'elle est
favorable. Devant elle est un autel où un jeune ministre conduit un
porc. A gauche de la scène une famille de suppliants , suivie d'une
canéphore portant sur sa tête une corbeille qui doit contenir tous les
objets préparés pour le sacrifice.
Il est bien vrai que sur l'àva0yjua de Ligourio on ne voit point la
tête de cheval ; mais elle ne figure pas non plus sur tous les bas-
reliefs que vous appelez des repas de famille et il est très- permis de
penser que cet accessoire n'était pas de rigueur, mais qu'il avait uni-
quement pour motif de donner plus de précision au sens des monu-
ments sur lesquels il était représenté.
Si donc le bas-relief de Merbacca est bien, comme je l'ai avancé, un
ex-voto consacré à Esculape et à Hygiée en commémoration d'une cure
(1) T. II, pi. 62.
(2) Geppert, Die Gœtler und Heroen der allen ff etl , p. 478. K. O. Mullcr,
sfrchœnlogie der Kunsl, § 400, etc.
LETTRE A M. LETRONNE. 89
due à leur intervention, quel peut être le sens de la tète de cheval qu'on
remarque dans l'angle gauche du tableau? Évidemment ce n'est point
la monture du dieu. Aucune tradition mythologique, que je sache,
n'autorise à lui attribuer un coursier favori. Ce ne peut donc être
qu'un symbole , et une fois admis que le cheval est un symbole du der-
nier voyage, je persiste à croire que je ne puis être loin de la vérité
quand j'y vois le cheval de QavaToq , qui , sans Esculape , allait em-
porter dans l'autre vie le malade pour lequel on avait imploré le secours
du dieu de la médecine. Si vous l'aimez mieux ce sera l'hippocampe
qui, sur plusieurs monuments d'époques et de lieux très-divers (1),
transporte une âme par delà les mers dans les îles fortunées, et qui
figure comme symbole de ce voyage sur une peinture du tombeau
des Nasonii (2). Vous allez rire, j'en suis sûr, mon cher confrère, et
peut-être même hausser les épaules, mais je ne serais pas très-éloigné
de croire que la superstitieuse antiquité avait trouvé entre la science
et le nom du prince des médecins, Hïppocrate, un rapport aussi
frappant qu'entre le nom et les vertus d'Aristide. J'ajouterai encore
que là où l'on observe le symbole en question ïex-voto devait se rap-
porter à la guérison d'une maladie regardée comme mortelle, et que
là où il manque il s'agissait de l'éloignement d'un danger beaucoup
moins grave.
Quoi qu'il erj soit relisez, je vous en prie, avec quelque attention
ce que j'ai dit sur ce principal symbole de la mort imminente (3);
examinez les preuves à l'aide desquelles j'établis qu'une tradition
constante qui, partant de l'antiquité, a traversé le moyen âge et se
retrouve encore aujourd'hui dans quelques proverbes populaires , a
constamment donné pour monture à la personnification de la mort
un cheval blanc , pâle , noir, ou quelque autre animal soit idéal soit
réel offrant avec lui quelque analogie, et si mon explication du sym-
(1) Inghirami , Mon. Etr., ser. I , tav. VI. Montfaucon , Anliq. expl. t. V, pi.
LVI, fig. 2. Voyez encore dans la Revue archéologique , le savant travail de
M: Maury sur les divinités psychopompes, t. II, p. 672 et suiv.
(2) Bellori sepolcri de' Nasonii, pi. VIII. — Le cheval et l'hippocampe ne sont
pas les seules montures qui, dans les idées de l'antiquité païenne, transportaient les
morts aux Champs-Elysées. Un bas-relief trouvé par Lechevalier, sur une pierre sé-
pulcrale dans les environs d'Alexandria Troas , représente un petit personnage avec
des ailes de papillon et dans une attitude mélancolique , monté sur un chameau
qu'il conduit par la bride. C'est encore un symbole du dernier voyage approprié aux
usages de l'Asie. Ployez Lechevaler, Voyage dans la Troade, p. 265 et suiv.
(3) Je dis le principal, parce qu'il est loin d'être le seul. J'aurai occasion de
revenir sur ce sujet dans l'ouvrage que je prépare, et où je rendrai compte des ré-
sultats de ma mission dans le Levant.
90 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
bole en question ne vous satisfait pas , trouvez-en une meilleure ,
j'applaudirai , mais à la condition que vous resterez sur le terrain du
symbolisme, terrain brûlant, je le sais, mais sur lequel il n'est
point d'antiquaire qui ne soit obligé de s'aventurer, ne fût-ce qu'une
fois dans sa vie.
J'aime à croire, mon cher confrère, que je puis maintenant faire
un pas en avant avec l'idée rassurante que vous acceptez comme vrai
ce qui précède, sinon dans tous les détails, au moins dans l'ensemble.
J'en viens donc aux bas-reliefs de Winckelmann , et je prends celui
qui est conservé à la Villa Albani. Pouvez-vous, je vous le demande, y
voir encore un repas de famille? À l'exception de l'autel et de la victime
qui y manquent, peut-être parce que Y espace ne permettait pas de les
représenter, n'y retrouvons-nous pas identiquement le même sujet que
sur le monument de Merbaka : un dieu barbu couché, une déesse
assise au pied du lit, quatre suppliants, et, non plus dans l'angle
gauche, mais un peu en avant du pilastre, une tête de cheval tournée,
non plus à droite, mais à gauche, variante assez rare, unique même
jusqu'ici, à ma connaissance, mais qu'on peut expliquer en y voyant
le symbole redoutable se préparant déjà à fuir d'un lieu d'où l'inter-
vention du dieu sauveur va le chasser? J'ajouterai que le chien qu'on
aperçoit sous le lit ne saurait être ici l'ami de la maison, non plus
qu'un symbole de fidélité ou de vigilance, mais bien l'un des attributs
que l'antiquité donnait à Esculape pour quelqu'une des raisons que
j'ai exposées dans le Mémoire auquel je prends la liberté de vous ren-
voyer (1). U n'est pas plus déplacé ici qu'à Épidaure où le statuaire
Thrasimède l'avait représenté auprès du trône d'Esculape , *àà oi
xuwv TTocpay.XTaY.ei[j.EVoç itenoinrou (2).
Mais me direz-vous peut-être, comment expliquez-vous le cheval
qu'on voit dans son entier sur l'autre marbre dont on doit la connais-
sance à Winckelmann? Je vais peut-être vous paraître bien auda-
cieux ; mais je parierais gros, et avec la presque certitude de gagner,
que ce monument, qui existe sans doute encore au palais Albani,
n'est pas , dans la représentation que Winckelmann en a donnée ,
tel qu'il était sorti des mains de l'artiste grec auquel il est dû. Toute
la partie gauche à partir du siège de la déesse est évidemment, pour
moi, d'une main moderne et devait être dans le principe occupé par
un groupe de suppliants. L'artiste chargé de la restauration voyant
(1) P. 114, du tirage àpartin-8.
(2) Pausan., liv. II, ch. 27, § 2.
LETTRE A M. LETRONNE. 91
une tète de cheval en avant de celle de la déesse qui écarte son voile,
a complété la scène par la représentation entière de cet animal, sans
rechercher s'il existait des monuments analogues qui pussent le gui-
der plus sûrement que son imagination dans un travail qu'il a , du
reste, exécuté avec une lourdeur que n'offre point la partie vraiment
antique. Oui, de môme que nous retrouvons à droite du dieu le jeune
échansori , de même aussi devait s'offrir à gauche la famille qui avait
consacré Y ex-voto. Que de monuments ainsi dénaturés par des restau-
rateurs inhabiles ! Je n'en veux prendre pour exemple que le bas-
relief de la Villa Albani dont'nous venons de parler plus haut. A
l'époque où Winckelmann l'a publié, la tête et la poitrine de chacun
des quatre suppliants manquaient en entier. Les trois premiers
étaient, sans aucun doute, trois hommes s'avançant, le bras nu et la
poitrine découverte; eh bien! le restaurateur italien en a fait trois
jeunes filles |3a9uxo).7roi , ou , comme il devait s'exprimer dans son
idiome, tre ragazze benpettorute, et du quatrième qui était une femme
voilée, il a eu l'idée non moins malencontreuse d'en faire un homme
dans une pose qui rappelle l'Aristide , ou mieux l'Eschine de Naples.
Maintenant, mon cher confrère, si vous n'êtes point trop fatigué
de cette promenade archéologique, voulez-vous que nous examinions
le monument publié par Montfaucon? Les convives y sont au nombre
de trois, il est vrai, mais ils sont d'une taille plus élevée que les sup-
pliants qui les implorent , et près d'eux se tient l'échanson obligé. Ce
sont donc trois divinités, Esculape, un de ses fils et Hygiée , ainsi
que je l'ai déjà avancé dans mon Mémoire, d'où l'on peut induire que
ce monument provient d'un lieu oùEvamérion ouAcésius, le même que
Télesphore, était associé aux honneurs divins de son père. La cané-
phore qui suit la famille, comme dans la scène de Ligourio, ne peut
laisser d'incertitude sur le sacrifice qui va précéder le repas sacré. La
tête de cheval est donc encore ici une expression symbolique.
Assurément le dessin que Montfaucon a publié de cet ex-votoy exé-
cuté par un artiste auquel manquait de tout point le sentiment de
l'antiquité, ne doit nous donner qu'une idée fort imparfaite de l'école
à laquelle il est dû ; mais je suis disposé à croire qu'il appartient à
une époque où les types consacrés n'avaient encore rien perdu de leur
originalité.
Une réflexion me frappe, c'est que sur tous les monuments de cette
classe, qu'il m'a été donné d'observer dans les différents musées de
France, d'Italie et de Grèce, les deux personnages principaux ont le
même caractère et pour ainsi dire la même physionomie, cette phy-
92 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
sionomie idéalisée que les artistes du grand siècle savaient si bien
prêter aux dieux , tandis que sur beaucoup d'autres monuments dans
lesquels on ne saurait voir des àvaQ^ara, mais bien des stèles fu-
néraires, les physionomies, les poses et les accessoires varient à
l'infini, alors même que la taille des nombreux acteurs n'offe d'autre
différence que celle qui résulte des âges. On en peut conclure, ce me
semble, que, dans la première classe, ce sont toujours les mêmes
individus qui sont reproduits, et que par conséquent ces individus
doivent être des dieux; tandis que, dans la seconde, ce ne peuvenf
être que des mortels. Nouvel argument en ma faveur.
Ne vous rendez-vous point encore, mon savant confrère? Persistez-
vous encore à voir, dans ces banquets sacrés, des scènes d'intérieur,
des repas de famille? Eh bien alors, dites-moi, que ferez-vous des
monuments offrant, il est vrai , des sujets semblables, mais où le per-
sonnage couché est coiffé d'un modius (l)? Évidemment le modius
n'a jamais coiffé un humble mortel; c'est l'attribut de Sérapis ou de
Pluton. Ces bas-reliefs nous offrent donc bien des dieux.
Vous faut-il encore d'autres preuves? Prenons-les dans les inscrip-
tions. Elles attestent que de nombreux ex-voto étaient consacrés par
les familles à Esculape et à Hygiée pour obtenir le rétablissement de
la santé de quelqu'un des leurs et surtout des enfants dont le jeune
âge est sans cesse menacé jusqu'après le développement de la puberté.
Vous connaissez tout aussi bien que moi celles que contient le Cor-
pus (2) ; il me suffira donc d'en citer une , puisque presque toutes se
ressemblent :
A0HNAI02KAIArA0HMEPI2
YnEPTnNYinNAOHNAIOY
KAinAMOIAOYASKAHnin
KAlYrEIAl.
ABrivaioç %a\ AyxQin^eplç vitlp twv vlûv AQ^vaiov y.ou Uapyllov
Ao7}/737nw Y.OU Yyeia.
N'est-il pas plus que vraisemblable que la gravure de ces inscrip-
tions, qui presque toutes sont entièrement isolées, n'était pas confiée à
l'artiste qui avait sculpté le bas-relief qu'elles devaient accompagner;
que cette partie de YàvaBnux était exécutée séparément par un ou-
vrier d'un ordre inférieur et placée au-dessous de l'offrande ou du
(1) Marra. Oxon., p. I, lab. LU, fig. 137 et 138, Musée Worsley, vol. I, p. 28 ,
Lond. 1824, tav. VI, fig. I, éd. de Milan.
(2) N°» 460 , 2038 , 2046 , 2390 , 2397 , etc.
LETTRE A M. LETRONNE. 93
tableau votif? Il me serait facile de multiplier les exemples de ce
fait. Comme il ne peut vous avoir échappé , je me bornerai à un seul
qui ne vous est sans doute pas connu. C'est une tablette en bronze
que je possède et que je dois à l'amitié de M. Borrell. Elle accom-
pagnait dans le principe des candélabres garnis de leurs lampes qu'un
père avait consacrés à Apollon pour la santé de sa fille , et devait
être fixée à la muraille d'un temple au moyen d'un clou pour le pas-
sage duquel un trou avait été pratiqué au-dessous de la ligne 3.
M* ePCNNIOC ePMO
AAOC *neP. ePGNNIAC
AAKHC THC OYI"ATPOC
£¥XHN AnOAAGONI
TACAYXNIACCYNT01C
AYXNOIC
i M. Epe'wioç Eppio'Aaoç vnep Epevviaq AAxyîç tyiç Bvytxrpbç ev%hv
AkôIIwji zàç Iv/ytaç cùy toïç Ivyvoiç.
Comme sur les bas-reliefs que j'ai rangés dans la classe des ex-voto,
et qui avaient pour objet de perpétuer le souvenir de supplications
adressées aux dieux salutaires et accueillies favorablement par eux ,
des enfants plus ou moins nombreux figurent presque toujours, m'ac-
corderez-vous , mon cher confrère , que les inscriptions en question,
quand elles ne désignent pas la nature des offrandes, devaient accom-
pagner des monuments de ce genre? Pour ma part je persiste à le
croire très-fermement.
Ce n'était pas seulement Esculape et Hygiée qu'on invoquait
dans les circonstances en question , c'était aussi Pluton et Proser-
pine (l); Apollon seul , comme dans l'exemple que je viens de citer,
ou réuni à Esculape et à Hygiée, comme sur une inscription du
temple d'Apellon Didyme aux Branchides (2). Et quand le culte des
dieux égyptiens eut été introduit en Grèce, ce furent aussi Sérapis
et Isis auxquels on réunissait, soit isolément, soit tous ensemble
Anubis, Harpocrate, Canope et les Dioscures (3). Les monuments
figurés le prouvent aussi bien que les inscriptions, et je soutiens que
là où le dieu est coiffé d'un modius, la supplication s'adresse aux
puissances infernales, tandis que là où le nombre des divinités s'élève
(1) Corp. inscr. qr., u° 517.
(2) lbîd., n° 2864.
(3) Ibid., n08 1729 , 2304, 2302, 1808 , etc.
94 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
au-dessus de deux , il faut reconnaître Apollon , Esculape et Hygiée
ou ces deux derniers et Évhamérion.
Il faut donc bien convenir de bonne foi que toute cette classe
de bas-reliefs nous offre des ex-voto consacrés aux dieux sau-
veurs, et que la tête de cheval est une expression symbolique, de
quelque manière qu'on veuille l'entendre. Le nom de supplications
sous lequel je les ai rangés n'était donc pas aussi blâmable que vous
le pensiez.
Voyons maintenant si la dénomination de lectisternia que j'ai
donnée à cette même classe de bas-reliefs, mérite davantage la
réprobation dont vous l'avez frappée. Et d'abord, fixons-nous bien
sur le sens du mot lectisterniam. Ce mot, dans sa signification la plus
ancienne et la plus généralement connue , désigne , notamment chez
Tite-Live, un repas qu'on offrait aux divinités dans certaines solen-
nités importantes, et dans lesquelles on couchait les statues des dieux,
tandis que celles des déesses étaient assises. J'ai donc pu par analogie
employer ce mot en parlant de la classe de monuments où je vois des
repas sacrés, hpou Boivai. Plus tard, et par extension, on employa
ce mot en parlant de certains repas funèbres qu'on offrait aux morts
à l'époque des Parentalia et des Feralia, ainsi que le prouvent plu-
sieurs inscriptions latines (1). Voilà pourquoi, â l'occasion d'une
autre classe de monuments que je distingue essentiellement et avec
lesquels vous voulez confondre ceux dans lesquels je vois des ex-
voto , j'ai, par analogie, comparé cette cérémonie aux repas funèbres ,
aux r.epidenwx, que les Grecs donnaient dans des solennités analo-
gues, c'est-à-dire, aux N£xu<7ta(2).
Suis-je plus répréhensible pour avoir vu , dans ce dernier genre de
monuments, un repas funèbre qu'offrent, aux morts héroïsés, les
membres de leur famille qui leur ont survécu? Il est constant, n'est-
il pas vrar, que plus on avance dans le temps, plus on voit s'ac-
croître la facilité avec laquelle les Grecs décernaient aux morts les
(1) Gruter , 753 , n° 4. Lectisternium tempore parentaliorum (sic) prœbeant,
cx% CC memoriis ejusdem Valerianœ et Appii Valerianœ filii ejus per offi-
ciâtes tesSariorum quotannis ponatur et parenlelur.
(2) Lectislernium , s'il faut en croire Servius , ad lrivg. En. XII, 199, a encore
un autre sens, il désigne le lieu où les hommes s'asseyaient dans les temples (Lec-
tisternia dicunlur ubi homines in lemplo sedere consacrant). La chose cependant
paraît douteuse. Je serais plutôt porté à croire que par extension on appliquait ce
nom au lit lui-même sur lequel on plaçait les statues des dieux. Mais je dois convenir
que les preuves manquent à l'appui de cette signification , et si vous me blâmiez de
l'avoir adoptée une fois , je passerais condamnation , sans toutefois me regarder
comme bien coupable.
t
LETTRE A M. LËTRONNE. 95
honneurs héroïques et même les honneurs divins. On est donc con-
duit à admettre que le culte des morts , et surtout des morts de
quelque distinction, dut avec le temps s'assimiler de plus en plus
au culte des dieux. C'est ce que démontrerait avec évidence, dans
1 absence même d'autres preuves , l'extension du sens qu'avait pri-
mitivement le mot leclisternium. Voilà pourquoi , sur les plus anciens
monuments funéraires , on ne rencontre aucune représentation de
repas. C'est ce dont on peut se convaincre en ouvrant l'ouvrage de
Stackelberg, intitulé Die Grœber der Hellenen, et surtout eu par-
courant les musées d'Athènes. Qu'y voit-on surtout? des stèles cou-
ronnées d'un élégant antéfixe et ne portant qu'une inscription; des
vases d'une forme simple et pure, sur la panse desquels on a sculpté,
en très-bas relief, une scène d'adieux ; des portes de tombeau, des
édicules où le mort, touchant à sa dernière heure, est entouré de
tous les siens, où les femmes reçoivent leur dernière parure, où les
hommes livrent leur dernier combat ou bien se préparent à leur der-
nier voyage; où le plus souvent même on s'est borné à retracer leur
image ou à inscrire leur nom. Ce n'est qu'assez tardivement qu'on
voit apparaître les scènes en question , et ce qui autorise à croire
qu'on y attachait une idée religieuse, et que ce genre d'honneur ne
pouvait être le partage de tous, c'est que, relativement, cette sorte
de monuments est beaucoup moins fréquente que les autres qui, avec
le temps et à mesure que s'accroît la misère générale, deviennent de
plus en plus simples, et finissent même, surtout à Athènes, par
n'être plus qu'une colonne sans cannelure, avec un simple bandeau à
la partie supérieure et une inscription au-dessous. Je ne crois pas
être loin de la vérité en affirmant que presque aucun de ces monu-
ments, du moins à en juger par les dessins, n'est antérieur à l'époque
romaine et même à l'époque impériale, tandis qu'au contraire parmi
ceux que je range dans la classe des «va^uara, il en est plusieurs,
un surtout encore inédit, qu'on peut regarder comme de la plus belle
époque de l'art.
J'ose donc soutenir, mon cher confrère, que les scènes en ques-
tion même sur des monuments funéraires, sont des scènes éminem-
ment religieuses et non pas des scènes de la vie intérieure, des repas de
famille , ce gui me paraîtrait tout à fait contraire au génie de l'anti-
quité. Si votre opinion était la vraie, si ces bas-reliefs n'étaient qu'un
souvenir des habitudes delà vie commune, comment expliqueriez-vous*
le serpent qui se montre sur un certain nombre de ces monuments et
notamment sur ceux ou l'on retrouve encore le cheval? Y verriez-vous
96 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
aussi un commensal, un compagnon de la famille? Je ne vous ferai
pas l'injure de le croire. Vous y voyez , j'en suis sûr, un symbole; et
si le serpent est ici un symbole, il faut bien que le cheval en soit un
aussi. Je connais quatre monuments qui rentrent parfaitement dans
cette catégorie : celui que Tournefort a fait dessiner à Samos (l), deux
marbres d'Oxford (2), un bas-relief du musée Nani, publié par Biagi(3),
et acquis dans ces dernières années par le musée d'Avignon (4). Vous
désirez sans doute que nous les passions en revue ? En vérité je ne
m'en sens guère le courage; mais cependant je tiens tellement à vous
faire partager mon avis que je ne saurais me refuser à vous donner
cette satisfaction.
Chose assez singulière, de ces quatre bas-reliefs , il en est trois qui
nous offrent des armes suspendues ; mais de ces accessoires joints à
la tête de cheval je ne tirerai pas cette conséquence que le mort avait
autrefois servi dans la cavalerie ; les armes suspendues me disent que
le guerrier a cessé de combattre et le cheval est pour moi le coursier
de ®(xv<xtoç, qui a conduit le mort dans sa dernière demeure (5), ou
bien encore qui menace un des enfants qu'on voit réunis à la famille,
et pour lequel on invoque le héros assimilé à un dieu sauveur. Cette
dernière explication vous plaira peut-être moins encore que la pre-
mière , mais j'y tiens et pour cause. Les mânes étaient des dieux ,
des dieux bons (6) , ypmcrroi (7) , et tel doit être le véritable sens de la
formule xpyjorè ^aîpe , qu'on trouve gravée sur tant de tombeaux.
C'étaient les dieux protecteurs de la famille , et s'ils étaient invoqués
comme tels, c'est qu'on croyait à leur intervention (8).
Ai-je besoin de répéter ce que tout le monde sait que le serpent ,
animal symbolique et sacré, était l'emblème des héros (9), l'image
du génie familier des morts (10), et qu'il indique en quelque sorte
l'apothéose ? Et ce qui porterait encore à croire que le personnage
principal de chacun de ces bas-reliefs est considéré comme un dieu ,
(i) Voyage du Levant, t. II, p. 3 et 137.
(2) P. 1 , tab. LU , fig. 135 j et p. 1 1 , tab. IX , fig. 67.
(3) Mon. gr. elAat. ex mus. Nanio , p. 97 , 116.
(4) N° 14. J'en dois un excellent dessin à noire aimable confrère , M. Mérimée.
(5) Ce sens convient surtout au cippc publié pour la première fois dans les Mo-
numenta Malllieiana, t. III, pi. LXXII, fig. 2 , et plus tard par Gerhard, Be-
schreibung Roms , t. II , p. 131 , u° 54.
(6) Paul. Diac. s v. Manu. Voyez L. Lacroix , Recherches sur la, religion des
Romains d'après les fastes d'Ovide, p. 120 et suiv.
(7)Plutarque, Quest. rom., LU.
(8) Voyez M. Maury, ouvrage cité , Revue Archéol., t. II, p. 595.
(9) Plularque , Vie de Clêomène, ch. 39.
(10; Virg. JEn. V, 77.
LETTRE A M. LETRONNE. 97
c'est que là où on lui a donné un échanson , ce jeune ministre est
représenté entièrement nu comme sur les ava9%ara.
Je prévois une objection : tous les personnages qui prennent part
au repas funèbre , sont-ils des morts ? ne se trouve-t-il pas parmi eux
quelques vivants? Je soutiens qu'à moins d'être éclairé à cet égard
par une inscription, comme vous l'avez été pour la stèle de Danaùs, et
comme je l'avais été moi-même (l) longtemps avant vous pour la stèle
d'Eucléa, fille d'Agathon et femme d'Aristodème (2), et pour quel-
ques autres encore, on ne peut rien affirmer de bien positif à cet
égard. Le mort peut être une des femmes assises, comme un des
hommes couchés ; plusieurs des assistants peuvent être morts et même
tous; car un même tombeau recevait souvent toute une famille.
Mais je vous concède que sur tous ces monuments des vivants sont
réunis à un mort , le repas n'en sera pas moins pour cela un repas
funèbre; seulement moins les symboles seront nombreux, plus le
caractère religieux diminuera , sans que jamais cependant il puisse
entièrement disparaître. Ce n'en restera pas moins une pieuse com-
mémoration de la fête consacrée aux morts -, du mpidevmov offert au
défunt à la solennité des Nexuffia. Les vivants prenaient part à ce
banquet (3) auquel ils supposaient que les morts venaient assister, et
auquel même, dans certaines contrées, en Bithynie, par exemple, au
témoignage d'Eustathe (4) , on appelait par trois fois les âmes des
parents morts sur la terre étrangère. Ce que l'imagination supposait ,
on le représentait comme réel sur les monuments où l'on réunissait
tous les membres de la famille sans oublier le chien favori , symbole
de l'affection désintéressée et persévérante, de la fidélité, bien plus
encore que de la vigilance.
A ces sortes de repas , tous les convives assistaient assis (5) , et
voilà pourquoi, sur un grand nombre des marbres qui nous en offrent
l'image, le mort, quand c'est un homme, paraît souvent seul couché.
La dénomination de repas funèbre convient donc bien à ce genre de
représentations, et, après ce nouvel examen de la question , je reste
plus que jamais convaincu que j'ai rencontré juste à cet égard.
(1) Mémoire cité , p. 412 et suiv- du tirage à part , in-8.
(2) Mus. de Vérone, pl.XLIX, fig. l.
(3) C'est ce dont ne permet pas de douter une inscription publiée successivement
par Gudi, p. 207, par Doni , p. 208 , n° 189 , par Muratori, p. 512, n° 3, et par
Orelli, n° 3999. On y lit : Ex cujus reditu quotannis (sic) die parentaliorum
ne minus homines XII adrogum suum vescerentur.
(4) Od. p. 1615,2.
(5) Voy. les notes de Demster sur Rosini : Roman, antiq. corpus absolut.,
p. 237, col. 1.
III. t
98 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Je crois devoir encore combattre l'idée que vous émettez rela-
tivement aux conséquences qu'on peut tirer de l'attitude des femmes
sur ces monuments. Toute femme assise, suivant vous, est une
épouse légitime, toute femme couchée est une courtisane ou une
maîtresse. Cette opinion repose sur un passage de Valère Maxime (1)
que vous n'avez peut-être pas suffisamment compris , pour n'en avoir
cité que ce qui vous convenait dans la circonstance. Que dit cet écri-
vain ? Feminœ cum viris cubantibus sedentes cœnitabant : quœ consue-
tudo ex hominum cowiclu ad divina pénétrant; nom Jovis epalo ipse in
lectulum, Juno et Minerva in sellas, ad cœnam iwitantur. Quodgenus
severitatis œtas nostra diligentius in Capitolio quam in suis domibus
servat : videlicet quia magis ad rem pertinet dearum quam mulierum
disciplinam contineri. Il résulte manifestement de ce passage que déjà,
du temps de Valère Maxime, c'est-à-dire sous le règne d'Auguste et
de Tibère, les femmes avaient déjà renoncé à cet usage qu'on n'ob-
servait plus que dans les solennités religieuses des lecdsternia ; c'est
ce qu'indique parfaitement le mot cœnitabant. Il est très-peu proba-
ble qu'à l'époque où vivait le gladiateur-pugile Danaùs , époque que
vous fixez , avec assez de vraisemblance au deuxième ou au troisième
siècle de notre ère, c'est-à-dire sous le règne des empereurs syriens,
ou pendant l'anarchie militaire , on eût fait revivre , surtout dans cette
classe d'hommes , la sévérité de mœurs des vieux Romains. La loi
que vous posez est donc bien loin d'être absolue. Si la femme de Da-
naùs est assise , c'est peut-être parce que la place manquait sur le lit.
Telles sont, mon cher et savant confrère, les observations que j'avais
à vous soumettre. Je me serais beaucoup moins ému si j'eusse vu
ébranler par tout autre que par vous un édifice que presque tous les
juges compétents avaient jusqu'ici regardé comme assis sur des bases
solides. Mais avec un adversaire qui, comme vous, possède un nom
européen et fait, à beaucoup d'égards, autorité dans la science, on
ne saurait garder le silence sans danger. Me taire, c'eût été m'avouer
vaincu. Or, comme je me sentais encore très-ferme sur mes étriers,
j'ai riposté avec l'ardeur qu'inspire une bonne cause , mais aussi , et
j'aime à croire que vous me rendrez cette justice, avec la courtoisie
et la convenance dont on ne devrait jamais se départir dans de pareils
débats. Je suis avec les sentiments les plus distingués,
Mon cher confrère,
Votre dévoué serviteur, Ph. Le Bas.
(1) Liv. H, ch. 1,§2.
NOTE SUR UN CACHET PUNIQUE.
II n'y a pas de monument de l'idiome phénicien et punique
assez chétif pour que son étude puisse paraître indifférente, au-
jourd'hui que l'alphabet de cet idiome est fixé d'une manière dé-
finitive par les recherches des philologues; nous nous empressons
donc de jaire connaître une pierre gravée, recueillie tout récemment
à Tripoli par M. Fulgence Fresnel , correspondant de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres. Nous devons à son amitié une excel-
lente empreiate de cette pierre , empreinte à laquelle il avait eu le
soin de joindre une transcription de la légende , conçue en lettres
arabes, et juste de tout point. Cette première découverte de notre
savant orientaliste , semble nous donner le droit d'espérer que son
voyage dans la régence de Tripoli sera fructueux pour la science ,
comme l'ont été ses voyages précédents en Egypte et en Arabie.
La pierre dont il s'agit est un cachet de forme ellip-
tique, contenant une inscription en deux lignes séparées
par deux traits parallèles. La première ligne contient six
caractères et la deuxième cinq seulement. Ces caractères ,
de forme parfaitement déterminée, se lisent immédiatement :
nmyS
2W> p.
et se traduisent sans aucune difficulté :
A Âbdiakhi,
Fils de Jechob ,
pour cachet d' Abdiakhi , fils de Jechob.
De ces deux noms propres , le premier se compose des mots tmt,
serviteur, et m , dont il importe de déterminer le sens. Chacun sait
que le nom du Dieu unique adoré par les Hébreux est mrr , Jéhovah.
Or, ce nom, qui se présente très-fréquemment sous la forme apo-
copée rv , Jehh, n'est autre chose que la troisième personne du présent
du verbe mn, houh, qui comporte la signification : il est pour : celui
100 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qui est, l'être par excellence. Il serait tout naturel de chercher ce
mot dans le composant' m de notre nom propre; mais ce compo-
sant se rapporte évidemment au radical hébraïque mn, vivre. Je
n'hésite donc pas à traduire le nom cherché par : Le serviteur de
celui qui vit; ce qui revient à notre expression religieuse : Le servi-
teur de l'Éternel. Maintenant est-il possible de supposer que le nom
Divin, mm et par apocope m, il est, formé du radical mn, doit être
assimilé à un nom mm et par apocope m, il vit, dérivant du radical
mn? c'est ce que je ne me permettrai pas d'affirmer, ni même d'exa-
miner. Quoi qu'il en soit, le nom du possesseur de notre cachet
punique signifiait : Le serviteur de celui qui vit, pour le serviteur
de l'Éternel.
Quant au second nom propre contenu dans l'épigraphe en question,
et qui se lit 3W, il signifie proprement habitation , demeure. Je ne
connais pas un seul exemple de l'emploi de ce mot isolé comme
nom d'homme, mais en composition il se rencontre assez fréquem-
ment dans les noms hébraïques qui nous ont été transmis par les
saintes Écritures. Comme exemples je citerai les suivants : ratrn aup,
il siège dans le conseil, namm, l'habitation du Père, etc., etc.
En résumé, notre pierre punique, dont la lecture est indubitable,
porte l'inscription : A Abdiakhi, fils de Jechob ; et cette pierre n'est
autre chose que le cachet d'un simple particulier.
F. de Saulcv.
UÎV PORTRAIT DE JÉSUS-CHRIST
ET LE PRINCE ZIZIM.
Voilà certainement deux noms qui étaient peu faits pour se trou-
ver ensemble , comme ils le sont en tête de cet article. Quel rapport ,
en effet, peut-il y avoir entre le Christ et le malheureux frère du sul-
tan Bajazet?Nous allons expliquer cette bizarre coïncidence, en sou-
haitant aux lecteurs la même satisfaction que nous ressentîmes, dans
une de nos excursions archéologiques dans le département de Vau-
cluse. Nous ne savons si ce document inédit servira à éclaircir un
point, encore obscur, de l'histoire; si quelqu'un, plus habile, par-
vient à dissiper le nuage qu'il semble , au contraire , vouloir y jeter,
notre but sera complètement atteint.
A l'entrée du village de Grambois , petite commune du canton de
Pertuis, arrondissement d'Apt, s'élève un modeste château , assez mo-
derne, mais dont tout l'ameublement rappelle encore la fin du règne de
Louis XIV. Tous les appartements sont tapissés en haute lisse et
renferment quelques tableaux remarquables. Mais le plus curieux,
sans contredit , est un buste de Notre-Seigneur, barbu , vu de profil ,
sur fond d'or et entouré d'une auréole , composée de têtes d'anges
ailées. Les proportions de ce joli tableau sont d'environ 30 centimè-
tres de hauteur sur 20 de largeur. Il est peint sur cuivre , avec un
cadre en ébène couvert de moulures et relevé par des coins en argent
ciselés. La figure du Christ est celle d'un homme dans la force de
l'âge; elle est plutôt sérieuse que triste , avec ce noble caractère qui
nous est transmis par l'iconographie chrétienne. Ce qui donne un at-
trait et un mérite particulier à ce curieux échantillon de l'art byzan-
tin, c'est une inscription, en vieil anglais, qui occupe la partie infé-
rieure du tableau et que je copie textuellement, avec sa naïve
orthographe :
THIS PRESENT FIGVRE IS THE SIMILITVDE OF OVR LORD ÏHN
OVRE SAVIOR IMPRINTED IN AMIRALD By THE PREDECESSORS
OF TE GREAI] TVRKE AND SENT TO THE POPE INNO SENT
THE VIII AT THE COST OF THE GREE TVRKE FOR A TOKEN
FOR THIS GAWSE TO REDEME HIS BROMR HAT WAS
TAKYN PRESONOR.
102 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Je ne crois pas m'éloigner beaucoup du texte , en le traduisant
ainsi : « Cette figure est le portrait de Jésus-Christ notre sauveur,
gravé sur émeraude, par les prédécesseurs du grand Turk et envoyé
au pape Innocent VIII , aux frais du grand Turk , pour l'intéresser
au rachat de son frère , qui avait été fait prisonnier. »
Or, ce frère prisonnier, dont le grand Turk recommande le rachat
au pape Innocent VIÏI, ne peut être que le prince Dzim, dont le
nom , sous la plume des chroniqueurs , s'est transformé en celui de
Zizim. Mais alors comment concilier cette inscription avec ce que
l'histoire nous apprend de ce prince infortuné, qui mourut victime
de l'ambition et de la cupidité des princes chrétiens et surtout de son
propre frère? — Fils puîné de Mahomet II, Dzim, battu par son
frère, l'empereur Bajazet II, qu'il voulait dépouiller du trône, se
jeta dans les bras des chevaliers de Rhodes. La bonne foi des cheva-
liers n'était plus à la hauteur de leur courage. Le Grand Maître ve-
nait de conclure avec Bajdzet une convention, par laquelle il s'enga-
geait à retenir son frère prisonnier, moyennant une forte somme
d'argent. Cependant le jeune prince demandait à rentrer dan9 les
États conquis par son père. On lui fit croire que, pour entrer en
Hongrie , il fallait traverser la France. On le dirigea donc sur ce
pays , après lui avoir enlevé tous ses officiers ; et, au mépris de l'hon-
neur et de la bonne foi chevaleresques, on le traîna, pendant dix
ans , de forteresse en forteresse. A peine arrivé en France, vers 1485,
Charles VIII confina Dzim dans le château de Rochechinard , près
de Saint-Jean-en-Royans (Drôme). Ce château , aujourd'hui en rui-
nes , était assis sur un roc escarpé , au milieu des bois et dans un
paysage des plus agrestes. «Il y jouissait d'assez de liberté pour
visiter les familles les plus considérables des environs. Ce fut dans
ces courses au château de la Bâtie, qu'il se montra si fortement
épris d'une fille du baron de Sassenage, qu'on le vit souvent mettre
à ses pieds toute la fierté ottomane, de manière à faire penser que,
s'il eût été libre du choix, il eût préféré à un grand empire le plaisir
de vivre avec elle (t).» Son séjour en Dauphiné ne fut pas long; on
(1) Delacroix, Statistique de la Drame, p. 08. « Les événements extraordi-
naires qui marquèrent la vie de Dzim, son caractère aimant et chevaleresque, sa
Sympathie pour la civilisation européenne, en ont fait un héros de roman. Dans un
ouvrage intitulé : Zizim, prince ottoman, amoureux de Philippine- Hélène de
Sa$senage, Charrier, l'historion du Dauphiné, a peint les amours et le séjour de
ce prince à Rochechinard. Un auteur moderne a traité le même sujet d'une manière
plus animée et plus intéressante enrorc, quant au séjour de Zizim en Auvergne. »
Jbid.
UN PORTRAIT DE JÉSUS-CHRIST. 103
eût dit qu'on lui enviait même le bonheur innocent d'aimer et d'être
aimé peut-être, au sein d'une paisible et champêtre solitude. La
politique des cours et les ordres du Grand Maître le reléguèrent en
Auvergne. Le 10 mars 1487, René II, duc de Lorraine, essaya de
le faire enlever (l). Le 1 0 novembre de la même année , Charles VIII
le fit passer en Italie, où il devint la proie du pape Innocent VIII et
de son successeur Alexandre VI ; un Grec d'origine et un Borgia !
On a voulu justifier cettè inqualifiable détention du jeune prince
ottoman , en alléguant que les deux pontifes songeaient réellement
à une grande croisade , dans laquelle la présence et le nom du prince
Dzim auraient contribué au succès des armes chrétiennes. Cela est
passablement douteux. Malheureusement pour l'honneur de la pa-
pauté et comme pour mettre à nu l'infamie du Borgia , il existe une
lettre de Bajazet à Alexandre , par laquelle « il le prie de faire mourir
son frère, lui promettant, pour récompense de ce service, trois cent
mille ducats pour acheter quelques domaines à ses enfants (2). » Or,
comment expliquer la conduite indigne du pontife? Est-ce le res-*
sentiment de ce que le prince , dégoûté des grandeurs de la terre , ne
voulut, en aucune façon, se prêter à ses vues? Son acharnement
prenait-il sa source impure dans l'or de Bajazet? N'était-ce pas déjà
trop d'être soupçonné capable d'une pareille infamie? Quoi qu'il en
soit, lors de son expédition en Italie, en 1494, Charles VIII obli-
gea le pape de lui livrer le château Saint- Ange , et avec lui le prince
musulman, auquel il fit l'accueil le plus amical. Prétendant, comme
René II de Lorraine, au trône des Deux-Siciles , Charles croyait
aussi de son intérêt d'avoir le prince Dzim pour lui. Enfin, le voilà
traité comme un fils de Mahomet ! Enfin , il est libre! Hélas î son
bonheur ne sera pas de longue durée. On n'avait pas compté sur le
poison du Borgia. Le 21 février 1495, Dzim mourut empoisonné,
à Terracine, à l'âge de trente-quatre ans. Le lendemain, Char-
les VIII entrait, victorieux , dans la ville de Naples.
Voilà ce que dit l'histoire de ce pauvre jeune homme , né sur les
(1) La. Bibliothèque de l'École des Chartes rapporte une pièce originale, con-
servée à la Bibl. roy. parmi les manuscrits de Gaignières, n° 373, fol. 70, d'après
laquelle il paraîtrait que le 10 mars 1487, René II, duc de Lorraine, essaya de faire
enlever le Turc de sa prison. Cette entreprise échoua. De Bassompierre , qui de-
vait la diriger et prendre le prince de vive force, fut mis en prison et subit un in-
terrogatoire dont le procès-verbal est cette pièce, inédite, publiée par la Biblio-
thèque de l'Ecole des Charles, t. III, p. 285.
(2) « Ducatorum trccenta millia ad ernenda filiis suis aliqua dominia. » Histoire
de Charles VIII, édit de Godefroy, p. 587.
104 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
marches du trône du formidable empire ottoman et qui expia cruel-
lement, par dix années de captivité, sa bonne foi et sa croyance
chevaleresques en l'honneur des chrétiens ; qui vit entin terminer sa
courte et mélancolique destinée par le poison d'un pape! Et mainte-
nant, comment concilier ces données historiques avec l'inscription du
tableau de Grambois? Le document est authentique; on ne saurait
en douter. Or, comment se fait-il que Bajazet cherche à intéresser
Innocent VIII au rachat de son frère, lui qui, deux ou trois ans plus
tard, prie Alexandre VI de le faire mourir? S'il a été de bonne foi
d'abord , comment s'est-il laissé aller par la suite à des sentiments
dénaturés et indignes de lui? Pourquoi, à un si court intervalle, ces
deux prières , dont le but est si différent l'un de l'autre? Est-ce à dire
que, doutant d'Innocent VIII, il voulait racheter son frère par son
intermédiaire, pour en faire ensuite justice lui-même? Ou bien,
comptant d'avance sur Alexandre Borgia, a-t-il préféré laisser
l'horreur et l'ignominie du crime à ce prince chrétien? L'envoi du
tableau et l'inscription surtout, n'auraient-ils été imaginés que pour
masquer les intentions les plus perfides? Faut-il les ranger dans la
catégorie des mensonges historiques et des jongleries diplomati-
ques? Enfin, pourquoi avoir donné la préférence à la langue an-
glaise?— Toutes ces questions, nous les abandonnons, ou plutôt,
nous les soumettons volontiers à la critique; nous expliquerons
maintenant comment ce tableau curieux est arrivé dans le modeste
château de Grambois. Voici quelle est la tradition de famille, telle
que me l'a racontée le propriétaire actuel et sa mère, fille de l'ancien
seigneur de Grambois, le marquis de Roquesante.
En 1661, parmi les membres de la commission nommée par
Louis XIV et présidée par le complaisant Séguier, à l'effet de juger
le célèbre surintendant Fouquet « pour crime d'État et concussion ,»
était Pierre Raffélis de Roquesante, conseiller au parlement de Pro-
vence, depuis 1641. Les ennemis de Fouquet (et ils étaient nom-
breux et puissants) désiraient beaucoup le voir condamner à mort.
Raffélis prit la parole après d'Ormesson , en qualité de second rappor-
teur ; il insista fortement sur les ordres du cardinal Mazarin , en vertu
desquels Fouquet avait agi, et contribua ainsi à faire prononcer le
bannissement que le grand roi convertit , on le sait , en prison per-
pétuelle. C'est ainsi que la haine du roi et les menées de Colbert, de
Le Tellieret de son fils Louvois, conduisirent à Pignerol ce mystérieux
prisonnier, que tout fait supposer avoir été le fameux Masqué de Fer.
Cependant, Louis XIV était encore mécontent; il confisqua les biens
UN PORTRAIT DE JÉSUS-CHRIST. 105
de Raffélis et l'exila à Quimper-Corentin, le 12 février 1665. Les solli-
citations et le courage de sa femme, Hélène de Cardebas-de-Bot.-Ter-
tulle , qu'il avait épousée à Saignon-lez-Apt , en 1 648 , vinrent à bout
de le faire rappeler, le 8 mars 1667; mais ses biens ne lui furent
rendus qu'en 1674. Il mourut en 1686, avec la réputation d'un des
plus grands magistrats de son siècle. Tous ces faits sont acquis à
l'histoire. Après son mémorable procès, qui ne dura pas moins de
trois ans, Fouquet fit faire à Roquesante les offres les plus bril-
lantes. Le brusque Provençal répondit que ce qu'il avait fait était
uniquement pour l'acquit de sa conscience; il refusa net. Alors, la
famille du surintendant lui fit agréer le tableau en question; lequel
avait passé en ses mains, après avoir été volé jadis, disait-on, au
Vatican ; c'était sans doute parles soldats du connétable de Bourbon,
pendant le sac de Rome. Comme souvenir de gratitude et de recon-
naissance, un médaillon allégorique était joint à l'envoi du tableau,
qui ne pouvait pas tirer un grand prix de sa valeur intrinsèque. Ce
médaillon , tout à fait dans le goût de l'époque , représente une cou-
leuvre et un loup (devises de Colbert et de Louvois) poursuivant un
écureuil (devise de Fouquet), lequel, pour échapper à ses mortels
ennemis, se réfugie sur la roche de salut, la roche Sainte, rocca
Santa , allusion ingénieuse à son courageux défenseur, Raffélis de
Roquesante.
Certes, le château de Grambois renferme des tableaux qui valent
infiniment plus, sous le rapport de l'art, que ce tableau et ce mé-
daillon ; mais on conçoit qu'aucun ne soit plus cher aux honorables
personnes qui l'habitent. Cela est juste, car rien ne rappelle mieux
une des illustrations de la famille et le souvenir d'un de ces nobles
représentants de l'antique magistrature.
JOLES CûURTET,
Sous-préfet de Die.
DESCRIPTION
DE
QUELQUES CHAPITEAUX DE L'ÉGLISE SA1TMIS, A A10ISE,
Dans un récent voyage que j'ai fait à Amboise , j'ai dessiné et
gravé, du mieux que j'ai pu, quelques fragments des chapiteaux de
l'église paroissiale. Je crois que ces morceaux de sculpture ne sont
pas dénués d'intérêt , et il m'a semblé utile de joindre à mes des-
sins quelques mots d'explication.
L'église d'Amboise, qui est sous l'invocation de saint Denis, date
des commencements du XIIe siècle. Mon père, dans ses Essais his-
toriques sur Amboise, pense qu'on peut en attribuer la fondation à
Hugues Ier, qui devint seul seigneur d'Amboise, en 1107, et qui
mourut à la Croisade en 1128. Il est regrettable que cette église
n'ait pas été complètement achevée sur le plan primitif. L'ensemble
en est remarquable par sa simplicité, sa noblesse et par ses élégantes
proportions. Mais les changements d'appareil , les différences d'orne-
mentation , accusent une grande lenteur dans la construction. Plu-
sieurs chapiteaux du XIIe siècle sont restés inachevés ; leur forme
gracieuse se devine à peine à travers l'ébauche. Pourquoi le ciseau
de l'ouvrier s'est-il arrêté? l'histoire pourrait peut-être répondre.
Les malheurs qu'éprouvèrent à cette époque les seigneurs d'Amboise
suspendirent sans doute les travaux en tarissant leurs libéralités.
Plus tard, au XVe siècle, des architectes sans critique et même
sans habileté , ajoutèrent au chevet de l'église les deux chapelles qui
terminent maintenant les bas côtés. La renaissance a également
laissé trace de son passage en appliquant au midi une construction
très- peu remarquable; vinrent ensuite les enlaidissements modernes,
y compris les restaurations inintelligentes qu'on a faites dernière-
ment à la porte latérale.
Si, après cet examen d'ensemble, on arrive aux détails, on
trouvera plusieurs choses vraiment dignes d'admiration et d'études.
Les fenêtres de la nef principale doivent attirer surtout l'attention
des architectes par la simplicité de leurs formes et de leur orne-
CHAPITEAUX DE L'EGLISE ST.-DENIS , A AMBOISE. 107
mentation ; les chapiteaux des colonnes sont pour la plupart très-
beaux et très-curieux. Les plus importants sont malheureusement
trop élevés pour qu'on puisse les dessiner et les étudier à loisir ;
je le regrette surtout pour celui qui se trouve au-dessus de la
chaire, et qui représente, je crois, le martyre de saint Denis. Les
autres sont composés de feuilles et de fleurs, un surtout est un
vrai chef-d'œuvre de grâce et d'élégance. Des oiseaux qui s'accro-
chent aux feuillages , forment les saillies de l'ancienne corbeille
du chapiteau corinthien.
Les fragments que j'ai pu copier sont tirés des chapiteaux placés
plus bas, mais malheureusement très-empâtés par le badigeon et
mutilés par le temps et par les hommes. (Voir la pi. 49.)
Le dessin principal de ma gravure représente évidemment le
massacre des innocents ; la scène y est ingénieusement développée ;
tout s'y trouve, l'ordre donné, l'exécution et les résultats. Peut-être
doit-on voir dans l'enfant qu'on présente à Hérode , une allusion à la
mort de son propre fils. Le costume du roi rappelle celui qui se
trouve sur les sceaux des rois de France, Robert et Henri Ier.
Les trois sujets suivants qui appartiennent au même groupe de
colonnes sont moins faciles à expliquer. Si l'on exigeait de moi une
explication de ces figures, je dirais que l'homme portant l'enfant
est une indication de la fuite en Egypte et que le personnage dévoré
par les deux bêtes féroces, représente la punition du tyran. Quant
aux animaux qui vont en pèlerinage, je renverrais m Roman du
Renard, renonçant à expliquer pourquoi l'artiste a sculpté maître
Renard et maître Isaingrain à la suite du massacre des innocents.
On reconnaît bien , en général , qu'une doctrine , un ensemble
d'idées a présidé à l'ornementation de nos vieilles cathédrales, et
que le livre de Vincent de Beauvais est le meilleur guide en cette
matière. Mais je pense qu'il ne faut rien établir d'absolu surtout
pour des chapiteaux du XIIe siècle. En voulant tout faire plier à un
cadre unique, on risque de tomber dans l'absurde. Beaucoup de
causes,ont pu rompre cette unité de plan et laisser aux caprices des
individus le choix et l'exécution des sujets.
Le personnage violemment retenu par deux diables, appartient
au groupe de colonnes qui fait face à celui dont je viens de parler;
il représente, je crois, la punition du gourmand; la grosseur anor-
male de son ventre indique sans doute les tortures préparées à ceux
qui font du plaisir digestif l'affaire importante de la vie. Les autres
vices châtiés accompagnaient sans doute celui-ci; mais maintenant
108 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
les figures sont pour la plupart mutilées. Est-ce là l'œuvre d'un
vandalisme brutal, ou bien a-t-on tout fait disparaître des naïvetés
trop grandes pour une civilisation qui veut cacher les apparences. A
côté du gourmand se trouvent trois figures assez bien conservées ;
au centre, dans des nuages, Jésus-Christ, avec le nimbe qui le carac-
térise, remet à deux personnages des objets que je pense être une
clef et une épée , attributs de saint Pierre et de saint Paul.
Outre les chapiteaux de Saint-Denis , je signalerai aux curieux
l'autel qui encombre* l'abside. Il appartient à l'architecture italienne
que Saint-Pierre de Rome à mis à la mode. Ce style surchargé me
paraît avoir été introduit en Touraine par les artistes que les libéra-
lités des rois y attirèrent à l'époque de la renaissance ; le séjour de
Léonard de Vinci, à Amboise, contribua sans doute à faire aban-
donner, dans cette localité, les traditions de notre art national.
En terminant cette très-courte monographie de l'église d'Amboise,
je ne puis m'empêcher d'émettre un vœu : c'est qu'on fasse dispa-
raître une monstrueuse figure de la sainte Vierge dont la vue attriste
les fidèles. Cette œuvre, digne des temps barbares, devrait faire
place à la charmante statue qui reste sans honneur sous une des
portes anciennes de la ville. Cette statue est une de ces ravissantes
créations du XIIIe siècle dont on ne saurait trop multiplier la re-
production. Le monument qui l'abrite va. dit-on, disparaître en
vertu de cette loi de l'alignement si fatale à nos antiquités, si nui-
sible à l'aspect pittoresque de nos villes.
Ne serait-ce pas l'occasion de conserver, de remettre en lumière un
monument remarquable par l'élévation de son style, en le substituant
à une masse qui, par sa difformité, rappelle les divinités de l'Inde?
J'espère qu'il en sera ainsi parce que je compte sur le goût éclairé
de M. le curé d'Amboise, et sur la bonne volonté des autorités
compétentes.
E. Cartier.
ANTIQUITÉS DU DÉPARTEMENT DE LA CREUSE,
Le département de la Creuse, formé aux dépens de trois de nos
anciennes provinces, mais principalement de la Marche, renferme
beaucoup de monuments antiques qui ont été signalés à l'attention
des érudits; plusieurs localités ont été explorées avec soin; chaque
jour et à chaque pas , le soc de la charrue met à découvert un objet
nouveau. Ces richesses ont attiré- l'attention de plusieurs savants et
honorables citoyens du département, et les ont déterminés à former une
Société sous le titre de Société des sciences naturelles et antiquités de la
Creuse. Cette Société , qui ne compte que quelques années d'existence,
a pu déjà, avec l'aide de l'administration locale et du gouvernement,
exécuter des travaux d'une grande importance, et publier un bulletin
dans lequel on trouve d'excellents articles sur les fouilles qui s'exé-
cutent dans le département, des Notices sur les monuments histori-
ques et des Mémoires archéologiques de plusieurs des membres de la
Société. Il reste à désirer que ce bulletin se publie plus souvent.
Un Musée a été fondé à Guéret, chef-lieu du département, et placé
sous la direction de M. Bonnafoux, dont le zèle et le désintéresse-
ment, dignes des plus grands éloges, ont contribué à enrichir cette
collection confiée à son mérite. Ce Musée renferme une grande quan-
tité d'objets importants, qui proviennent soit d'acquisition , soit de
dons ou de dépôts.
Il est à regretter , dans l'intérêt de cette collection , que les fouilles
exécutées sur divers points du département ne soient pas toujours
faites sous la direction de la Société des sciences. Une somme assez
forte avait été accordée par le gouvernement pour continuer les fouilles
des Thermes et d'Évaux , ce qui a eu lieu sans le concours de la So-
ciété et dans l'intérêt exclusif de quelques propriétaires. Les récla-
mations de la Société des sciences à ce sujet ont été sans effet, et les
objets découverts ont été accaparés par quelques amateurs et perdus
pour le Musée ; aussi , sommes-nous entièrement de l'avis de l'esti-
mable conservateur : qu'il serait à désirer que ses concitoyens com-
prissent mieux l'intérêt général qu'offre , pour les études, un Musée
110 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
départemental où une grande réunion d'objets ajoute au mérite d'une
collection d'antiquités , plutôt que de voir ces objets disséminés dans
des coins obscurs, et, le plus souvent, entre les mains de personnes
qui n'en comprennent pas l'importance.
Le Musée de Guéret possède des monnaies romaines et du moyen
âge, et divers objets trouvés dans les fouilles faites dans le départe-
ment. Des vases gaulois en argile grossière, trouvés à Montaigut-le-
Blanc, près de Guéret. Plusieurs haches en bronze et en silex;
l'ancien buste de saint Pardoux, avec la date de 1510, dont le corps
est en ivoire; la tète, qui était en argent, a été détruite en 1793 ,
et remplacée par une en fer-blanc. Une adoration des Mages, bas-
relief en albâtre , du XVe siècle ; un bénitier en cuivre de la même
époque. Ce Musée possède aussi des émaux très-remarquables, parmi
lesquels on distingue : un saint Benoît, bénitier; une Annonciation,
une sainte Anne et une sainte Thérèse , par Baptiste Nouailher. Un
triptyque du XVIe siècle et un petit reliquaire du XIIe siècle , incrus-
tés d'émail. Un Christ et une sainte Scholastique par Joseph Laudin,
et un saint Antoine de Padoue, par Noël Laudin.
Lors de leur passage à Guéret, l'année dernière, LL. AA. RR.
M. le duc et Madame la duchesse de Nemours ont visité les galeries
du Musée, et ont été surpris de la richesse de cette collection.
LL. AA. en ont témoigné leur satisfaction aux administrateurs, en
leur promettant leur appui pour faire participer la collection confiée
à leurs soins aux largesses du gouvernement.
De savants Mémoires de M. J. Coudert-Lavillatte , l'un des mem-
bres de la Société des sciences, nous permettent de donner ici quel-
ques détails sur des monuments du département de la Creuse. A une
demi-heure de marche de Guéret s'élève une montagne oblongue ,
connue sous le nom de Puy-de-Gaudy. Ce lieu élevé paraît avoir été,
depuis plusieurs siècles , consacré par la vénération populaire. Une
chapelle , dédiée à saint Barthélémy, y existait encore au commence-
ment du XVIIe siècle. Non loin de la chapelle était un lieu de sépulture,
comme l'attestent les fouilles faites il y a peu d'années , et qui laissè-
rent à nu plusieurs cercueils en pierre assez bien conservés, et dont
la forme donne tout lieu de croire qu'ils ont été confectionnés du
XIIe au XIVe siècle. Quelques-uns contenaient des ossements hu-
mains ; l'un d'eux renfermait un petit poids en plomb, une bague de
cuivre et un fragment de cercle de môme métal en forme de bracelet.
Ce dernier objet, dont on ignore l'usage, présente quelques rainures
extérieures,. et sur sa face intérieure les nombres suivants en carac-
ANTIQUITES DU DÉPARTEMENT DE LA CREUSE. 111
tères arabes bien conservés : 88. 5. 66. 75. 84. 93. 103. Ces trois
objets ont été déposés au Musée de Guéret.
De chaque côté du plateau qui couronne le sommet du Puy-dc-
Gaudy, s'étend en pente douce jusqu'aux escarpements un certain
espace de terrain autour duquel se dessine une enceinte dont est
frappé l'œil le moins observateur ; l'arrangement des pierres démontre
que la main de l'homme a créé cette solide construction. D'autres
pierres brutes plus ou moins grosses, les lines debout , les autres ren-
versées, porteraient à croire que ce lieu était déjà en vénération sous
les Romains , et peut-être antérieurement à leur séjour dans le pays.
Il serait même assez vraisemblable, comme le fait remarquer M. Cou-
dert-Lavillatte, et comme semble le confirmer M. Bonnafoux dans
sa savante notice historique sur la ville de Guéret, que là se prati-
quait, par les Celtes, le culte des Pierres. Ce culte profondément
enraciné dans les mœurs a survécu à l'établissement du christianisme
dans les Gaules, s'est maintenu au mépris des canons des conciles et
même jusqu'au IXe siècle.
Il y a tout lieu de conclure, avec M. Coudert-Lavillatte, que le
Puy-de-Gaudy a été, du temps des Gaulois, une petite place fortifiée
par l'art et la nature, et en même temps un sanctuaire religieux. Les
Romains, après s'en être emparés, ont couronné son plateau d'un éta-
blissement militaire, comme l'attestent des tuiles romaines à rebords
que l'on rencontre parfois dans les travaux de terrassements. Durant
tout le moyen âge , le Puy-de-Gaudy a été considéré comme un lieu
saint, ainsi qu'en témoignent les ruines de la chapelle et les tombeaux
qu'on y voit encore.
M. Coudert-Lavillatte a fait aussi des recherches historiques sur
l'église de Chambon , et les résume ainsi : un monastère existait de-
puis bien des années dans la paisible vallée de Chambon lorsque le
IXe siècle vit fondre sur les Gaules les hordes des Normands. Ignoré
au milieu des bois , entouré des eaux de deux rivières, il offrait un
asile assuré pour soustraire à leurs rapines la châsse d'or qui renfer-
mait les restes vénérés de la patronne des Lémovices ; des religieux se
chargent de ce précieux fardeau, et franchissant des lieux sauvages et
presque inconnus, ils viennent, en 856, le déposer au monastère
de Chambon ; la châsse est placée et reste dans ce lieu jusqu'en
985 ; on la transporte alors dans cette chapelle, qui reçoit le nom de
Valérie, et qui commence l'église qu'on veut construire en son hon-
neur; en même temps s'élève ce pavillon couvert de tuiles à rebords
qui doit servir de clocher, et qui présente tous les caractères du
112 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Xe siècle; l'abside vient s'y annexer au XIe avec ses voûtes, ses co-
lonnes et ses arceaux portant l'empreinte de l'architecture romano-
byzantine; au Xïlc siècle, le grand clocher s'élève avec ses hautes
fenêtres géminées, et la grande arcade orientale attendant une nef;
au XIIIe siècle , c'est une tour au donjon féodal qui va se placer à
l'extrémité opposée pour former sous sa voûte d'arêtes et à nervures
le porche de l'église; au XVe siècle , enûn, les nefs se bâtissent, et,
en reliant la tour au clocher, achèvent l'église de Chambon.
En se rappelant qu'il existe en France un très-petit nombre de
monuments d'une date antérieure au XIe siècle, bien authentique-
ment certaine, et qu'un édifice religieux présente, avec ses vieux
souvenirs et son aspect intérieur imposant , les traces positives de
l'architecture des Xe, XIe, XIIe, XIIIe et XVe siècles, comme une page
d'archéologie pour chacune de ces périodes de temps ; qu'on y ren-
contre, en outre, une toiture couverte de tuiles à la forme romaine,
on ne peut s'empêcher de reconnaître que cet édifice est un ornement
pour le pays , et qu'il est digne de figurer au nombre des monuments
historiques.
En terminant, nous joindrons nos regrets à ceux qu'exprime
M. Bonnafoux dans sa savante Notice sur l'église de Malval. Ainsi
que tant d'autres monuments , cette église , qui se recommande par
un caractère d'architecture peut-être unique en France, a été dégra-
dée sous prétexte de consolidation. Une chose remarquable et qui
conservera toujours une physionomie toute particulière à cet édifice,
c'est qu'il est beaucoup plus large que long. Avant que sa partie
droite eût été abattue, elle avait 25m,20 de largeur sur 13ra,35 de
profondeur. Aujourd'hui, sa largeur est encore de 16m,80. Le vais-
seau est simple, on n'y rencontre pas ces colonnes libres qui forment
la nef et les bas côtés dans les grandes églises. Sa voûte à plein cin-
tre était séparée en trois compartiments , dont l'un , celui du milieu ,
est traversé horizontalement par deux nervures croisées , à leur point
d'intersection est une clef de voûte. Il était séparé du chœur et des
absides latérales par trois grandes arcades à plein cintre , dont les
retombées étaient appuyées sur des pieds droits, offrant des colonnes
engagées et terminées par des chapiteaux romans historiés de figures
et de moulures bizarres; à la base d'une de ces colonnes, on remar-
que deux enfants placés assez grotesquement , et qui semblent en
supporter tout le poids. Les deux côtés de l'édifice* étaient éclairés
par deux croisées cintrées. L'abside principale est éclairée par trois
fenêtres cintrées, ornées à l'intérieur d'un gros tore à boudins, qui
ANTIQUITES DU DEPARTEMENT DE LA CREUSE.
113
figure très-faiblement un rudiment d'ogive, et s'appuie sur deux co-
lonnes à chapiteaux enrichis d'entrelacs et autres moulures arabes.
L'intérieur de ce petit édifice a un air d'ancienneté qui plaît aux
antiquaires. Ses ornements de sculpture sont ceux que l'on retrouve
toujours dans les monuments religieux du XIIe siècle.
La tour domine le compartiment central de la voûte, celui qui est
consolidé par des nervures. Elle figure un octogone dont quatre pans
sont plus larges que les autres. II est probable qu'elle a été détruite
en partie, car elle ne conserve plus que 5 mètres environ de hauteur.
Les soins que l'on a apportés à l'ordonnance architectonique de ce
monument, construit en granit qui ne se trouve pas sur les lieux
mêmes, le choix des matériaux prouvent l'importance qu'avait cette
petite église et l'intention de ses auteurs de créer une chose durable. Le
maire de Malval a vainement appelé l'attention du conseil général sur
cette église, toute espèce de secours lui a été refusée.
J. A. L.
m.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES
— Le Moniteur du 26 mars publie en entier le rapport que M. de
Mas-Latrje adresse à M. le ministre de l'instruction publique, sur sa
mission scientifique dans l'île de Chypre.
De ce rapport, très-intéressant et très-curieux, nous transcrirons
seulement la fin , qui contient une annonce du plus haut intérêt pour
la science archéologique.
« Une découverte qui paraît importante en ce qu'elle confirme
encore, contrairement à l'opinion deDanville, et l'ancienneté de
Larnaca et le véritable emplacement de Citium, patrie de Zenon le
stoïcien, a été faite récemment; et, bien qu'elle s'écarte par son sujet
du cadre de la mission que vous avez bien voulu me donner, je crois
devoir la signaler à V. E.
«En creusant un terrain situé entre la marine et la haute ville, à
Larnaca , des ouvriers ont mis à jour une grande pierre de basalte , de
sept pieds de haut sur deux et demi de large et un pied d'épaisseur,
couverte d'inscriptions cunéiformes, et décorée , sur sa face supérieure,
de l'image en relief d'un prince ou d'un prêtre portant sceptre dans
sa main gauche. Je suis tout à fait inhabile à apprécier la nature,
l'âge et la valeur historique de ce monument : mais j'y vois des
caractères cunéiformes, j'observe dans le costume et l'attitude du
personnage le même style que dans les bas-reliefs découverts par
M. Botta ; je crois donc reconnaître ici un tombeau antique et un
des rares monuments de la domination des Assyriens dans l'île de
Chypre. Sous ce rapport seulement, la découverte m'a paru inté-
ressante, et le tombeau digne d'être joint, peut-être, à la galerie As-
syrienne que l'on forme au Louvre.
« Dans la supposition où V. E. en jugeât ainsi , j'ai voulu pressentir
les dispositions des propriétaires. Ils seraient disposés à vendre ce
tombeau ; mais j'ai trouvé chez eux des prétentions qui me semblent
exorbitantes, et qui sont entretenues malheureusement par la pensée
bizarre que cette pierre renferme un trésor, bien qu'elle soit d'un seul
bloc. C'est, du reste, l'idée fixe de tous les Cypriotes que le moindre
débris ancien recèle des objets précieux.
« Les propriétaires ne voulaient pas moins de 2 ou 3,000 talarais
DECOUVERTES ET NOUVELLES. lia
de leur découverte dans les premiers jours ; mais ils ont déjà compris
qu'ils ne trouveraient jamais d'acquéreur à ce prix ; ils commencent
même à douter de l'existence du trésor, et je crois qu'ils finiraient par
le céder devant des offres sérieuses de 12 à 1500 francs.
« Si V. E. à qui j'ai l'honneur d'envoyer un dessin assez exact,
quoique mal exécuté, de la forme du monument, croyait bon de don-
ner suite à ma communication, elle n'aurait qu'à s'adresser à M. le
consul de Chypre, qui a déjà fait mettre le monument à l'abri de
toute dégradation, et qui attend vos ordres pour traiter de son
acquisition.»
Dans la dernière séance de l'Académie des Inscriptions , M. Le-
tronne a appelé l'attention de ce corps savant sur l'importance de
cette découverte.
« Je mets, a-t-il dit, sous les yeux de l'Académie le dessin qui
« accompagne le rapport; ce dessin, bien que très-imparfait, comme
« M. de Mas-Latrie le dit lui-même, est cependant fait avec assez
« d'intelligence pour qu'on ne puisse y méconnaître une figure de
« même style que celles qui ont été découvertes à Khorsabad par
« M. Botta , et à celle qui a été sculptée sur un rocher près de Bey-
« rout. Les fragments d'inscriptions cunéiformes paraissent aussi, à
« M. Burnouf, appartenir au système assyrien.
« Si la sculpture était persanne, on ne s'étonnerait» nullement de la
« trouver à Chypre, puisque cette île fut conquise par les Perses, sous
« le règne de Cambyse (Hérod., III, 19), et qu'elle resta sous leur
« domination (Hérod., Y, 1 04 , 1 1 6), jusqu'à l'époque d'Alexandre.
« Mais on s'attend un peu moins à trouver dans cette île une sculp-
« ture et des inscriptions assyriennes. Cependant il n'y a rien, dans
« cette découverte , qui contrarie l'histoire. Les Phéniciens ont , de
« très-bonne heure , formé des établissements dans cette île. Selon
ccMénandre d'Éphèse, Hiram, roi de Tyr, y fit une expédition
« et soumit les habitants de Citium (Ap. Joseph, C. Apion, 1,18,
«où Tltvoiç doit se lire Kirn'oiç, selon Hengstemberg , de Rébus
« Tyriorum, p. 55; etHitzig, Komment. zu Jesaias, p. 270). On
« comprend donc que les Assyriens, qui ont fait la conquête de la
« Phénicie, tant sous Salmanazar que sous Nabuchodonozor, ont pu,
« à l'une ou l'autre époque, étendre leurs conquêtes jusqu'à la plus
« voisine et la plus importante des possessions tyriennes.
« D'ailleurs, ce n'est pas là une simple conjecture. Dans un autre
« passage du même Ménandre d'Éphèse , on voit que le roi des As-
« syriens (Salmanazar) fit une expédition contre les Citliens (les Cy-
116 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
«priotes), et fut ainsi maître de toute la Phénicie («ri tovtovç
« (Kirrahvç) néfityotç 6 twv Aoraupieav fixdihvç, ènUlBe «Êoivixyjv ttoXe-
« pâv anourav. Ap. Joseph., Àrck. Jud., IX, 14, 2). Tout indique
ce que cette conquête fut temporaire , et que l'île rentra ensuite sous
« la domination des Phéniciens , qui la possédaient quand Âmasis en
« fit le premier la conquête (Hérod., II, 182).
« Le monument de Larnaca est-il un vestige de cette conquête
«assyrienne? Cela est fort possible.
« Je ne fais, du reste, ce rapprochement historique que pour appe-
rt 1er l'attention sur cette découverte curieuse, et montrer combien il
« importerait que le bas-relief pût être ajouté à la collection assy-
« rienne qui va bientôt être réunie au Louvre. Je propose, en con-
« séquence, à l'Académie, de donner une marque du grand intérêt
« qui s'attache au monument de Larnaca, en exprimant à M. le mi-
te nistre de l'instruction publique le désir qu'il veuille bien faire les
<c diligences nécessaires pour que ce bas-relief puisse être apporté à
« Paris. »
L'Académie a adopté cette proposition.
— Extrait d'une lettre particulière , écrite du Kaire, le 6 mars 1 846.
« On a trouvé dernièrement à Saqqara un puits contenant un grand
nombre de bœufs momifiés. Ils étaient embaumés de manière à re-
présenter un bœuf couché comme un sphinx. La forme de la tête était
bien conservée; mais les oreilles étaient figurées en bois et les yeux
étaient remplacés par un rond émaillé sur pierre. La plupart de ces
momies ont été brisées par les Arabes , dans l'espoir d'y découvrir
des antiquités., et l'on assure qu'ils ont trouvé un de ces animaux
tout couvert d'ornements dorés. A notre arrivée sur les lieux, il ne
restait plus qu'un amas de bitume, d'os emmaillottés et de bandelettes
déchirées. Sur deux ou trois de ces bandelettes , j'ai remarqué cette
petite figure © qui pourrait bien être une variante du fameux (au
égyptien.
>"*■"■%. « On vient de détruire l'hypogée qui contenait la lé-
I ^ gende d'Assa , dont le cartouche fait maintenant partie
de la collection du docteur Abbott, malheureusement la
bannière et le cartouche prénom sont à peine visibles On
a trouvé dans cet hypogée, dont les sculptures appar-
» * tiennent à la plus belle époque de l'art égyptien , deux
statues, l'une assise, l'autre debout, dont les têtes ont été brisées.
<
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 117
Vous voyez, par les découvertes éventuelles, combien il reste à
trouver dans la nécropole de Memphis. »
P. S. — Le docteur Abbott vient de faire l'acquisition d'une mo-
mie de bœuf dont la poitrine est couverte de découpures en or,
représentant différentes images de divinités. Sur chacune des épaules
de l'animal, est attaché un disque doré dans le genre des hypocé-
phales.
A. D. R.
— Sur la proposition des comités, notre collaborateur, M. Jules
Courtet, vient d'être nommé membre correspondant du ministère de
l'instruction publique pour les travaux historiques.
— Par arrêté, en date du 3 décembre 1845, M. T. Morisot, préfet
de la Haute- Vienne, vient de constituer une commission d'histoire et
d'archéologie qui aura pour mission de recueillir et de conserver tous
les monuments ou documents historiques du département, et de les
réunir dans un Musée fondé à Limoges par le, même arrêté, lorsque
ces objets seront susceptibles d'être déplacés sans nuire à leurs inté-
rêts, non plus qu'à la conservation ou au décor de leurs monuments.
M. le préfet invite MM. les maires, architectes, ingénieurs et agents
voyers du département à lui prêter leur concours pour l'aider dans
cette honorable et utile entreprise.
— Une médaille d'or de 300 francs sera décernée, par la Société
des antiquaires de la Morinie, dans la séance du 21 décembre 1847,
au meilleur Mémoire qui lui sera présenté sur la question suivante :
« Rechercher les causes générales et particulières auxquelles on
« doit attribuer le grand nombre de monuments d'architecture reli-
« gieuse, de premier et de second ordre, qui ont été élevés pendant
« les XIIe, XIIIe et XIVe siècles , dans la province située au nord
« de la Loire , comparativement au petit nombre de ces mêmes mo-
rt numents érigés pendant la même période dans les provinces au
« sud de ce fleuve. » Une médaille de 200 francs sera décernée à la
meilleure Notice biographique sur Robert de Fiennes, plus connu
sous le nom de Moreau de Fiennes, époux de la châtelaine de Saint-
Omer, et connétable de France immédiatement avec du Duesclin.
Les Mémoires présentés au concours devront être adressés franco,
avant le 1er octobre 1847, terme de rigueur, à M. de Givenchy, se-
crétaire perpétuel de la Société, à Saint Orner.
BIBLIOGRAPHIE.
Choix de peintures de Pompét , la plupart de sujet historique ,
lilhographiées en couleur par M. Roux, et publiées, avec l'explica-
tion archéologique de chaque peinture , et une introduction sur l'his-
toire de là peinture chez les Grecs et les Romains , par M. Raodl
Rochette, etc. l,e livraison, 1844, Royal in-fol. (l).
Le nom de M. Raoul Rochette est à présent un des plus connus
entre ceux des archéologues. Il est vrai que, de divers côtés,
et à diverses époques, se sont élevées "contre lui des voix fré-
quentes et sévères, qui ont attaqué sa méthode d'interprétation,
comme peu satisfaisante, et ont mis son autorité scientifique dans
un jour fort douteux. Cependant il lui reste toujours le mérite d'a-
voir apporté à la science des matériaux nouveaux par la publication
de monuments inédits ou peu connus. Aussi, est-il fréquemment
cité ; et cet archéologue n'a pu manquer d'acquérir un certain re-
nom, même une certaine autorité, auprès de ceux qui n'ont pas
examiné de trop près sa manière d'exposer et de raisonner. Ayant
étudié avec soin ses ouvrages antérieurs, je ne m'attendais pas à
trouver dans celui-ci rien de fort méthodique ; mais j'espérais pour-
tant y rencontrer , par compensation ; le mérite de matériaux neufs
et intéressants. Un examen attentif a fait évanouir cette espérance.
(I) M. le docteur Emil Braun (dans sa lettre à M. Lelronne, Revue Archèol.,
t. II , p. G83 ) , a porté de ce spléndide ouvrage un jugement sévère , mais en termes
généraux, sans l'appuyer dé preuves ; ce qu'il ne pouvait pas faire en cette occasion.
Plusieurs de nos abonnés, craignant que ce jugement ne fût partial ou exagéré,
nous ont témoigné le désir d'avoir une appréciation motivée de ce livre. Ce;-!
pour lépondre à ce vœu que nous avons fait traduire un article très -approfondi qui
a paru dans cinq numéros (juillet iSV)) des Annales de critique scienH/lQui
(Jahrhùchei- fur wisxemchafUiche Krilik) de Berlin, l'un des meilleurs et des
plus savants journaux littéraires de l'Allemagne. Si le djetcur Heinricii Brunu ,
qui a écrit cet article, juge le livre peu favorablement, du moins il le juge ,
pièces fin mains avec des citations précises; il fournit donc à ses lecteurs le nioy<Ms
de contrôler son opinion.
Cet article important sera nouveau, non-seulement pour ceux de nos abonnés qui
ne savent pas l'allemand , mais encore pour la plupart de ceux qui le saxnt, le
journal où il se trouve étant ex e>s V ment peu répandu en Frur.ee.
(Note de l'éditeur.)
BIBLIOGRAPHIE, 119
Ce qui , dans ce livre , m'a paru bon et exact , a presque toujours
été dit par d'autres, et tout aussi bien ou mieux; et ce que M. Raoul
Rochette y ajoute de lui-même est presque constamment faux. Dans
cet ouvrage, comme dans la plupart de ses écrits, on rencontre même
des choses incroyables, et si peu dignes d'un homme qui prétend à
une autorité scientifique, qu'il est souvent difficile d'employer, pour
les qualifier, l'expression qui puisse y correspondre , sans paraître
exagéré ou d'une sévérité excessive , à ceux qui ne connaissent pas
l'ouvrage. En pareil cas, plus d'une fois : Fecit indignatio versum.
Quant aux planches qui l'accompagnent, je transcrirai à la fin le
jugement d'un connaisseur, qui fait peu de cas de leur mérite, sous
le rapport de l'exactitude et de la vérité.
La première livraison, la seule qui soit sous mes yeux, porte le
titre de : Amours des Dieux, Je n'attacherai aucune importance à cette
division qui n'a point de signification scientifique; car il n'y a aucun
lien mythologique ou archéologique entre Jupiter et Junon sur l'Ida,
Neptune et Amymone , Bacchus et Ariane. Cette division n'est carac-
téristique que pour M. R. R. tout seul. Elle se fonde sur sa manie
de voir partout impuretés et obscénités, là où il n'y a réellement que
représentations erotiques. Dans son introduction -f il ne donne que
des assertions , sans aucune preuve nouvelle en faveur de sa manière
de voir. Il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter, tant que M. R. R.
n'aura pas essayé de réfuter les solides objections que M. Letronne
lui a faites , dans son Appendice aux lettres d'un antiquaire (Lettre à
Fr. Jacobs ). C'est ce qu'il promet d'exécuter dans une quatrième Içttre
archéologique, à laquelle il nous renvoie quarante fois en cinquante-
huit pages. Attendons cette fameuse lettre.
Planche première. Jupiter et Junon sur l'Ida (de la maison du
poëte tragique). Ainsi qu'on doit le présumer, M. R. R. commence
par une lamentation sur l'impureté de Jupiter, qu'il prétend avoir
été inventée par les Grecs pour excuser leurs propres excès. Il cite
comme pièce justificative, la fable de Ganymède qui, déjà de très-bonne
heure, a été prise, dit-il, dans un tel sens, comme le prouve un
passage de Platon (Leg , I, p. 636 c). Mais quiconque n'aurait
pas, ainsi que M. R. R., l'habitude, ou le parti pris, de chercher le
mauvais côté des choses , ne trouverait aucune impureté dans la
forme originelle de cette fable. Dans Homère, ce n'est pas Jupiter
seul, ce sont les dieux qui ont enlevé Ganymède : Tov yào àvwpetyccvTo
120 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Qeol Au olvoyoeveiv \ xâlhoç eivexa olo , tvy àQxvâzoKTt [xereim»
(Iliad., XX, 234). Dans l'hymne homérique à Vénus (v. 202), Ju-
piter est, il est vrai, représenté comme le ravisseur, mais il n'y a
aucune trace des embellissements postérieurs : tfrot ub £av0èv Taw-
uYidea iwTiéza Zevç | 7?p7rao-sv ov dià Koilloç y iv' àÔavaroicri ^erei'yj
| xai te Aïoç xarà Jw/^a ôeorç fat oivoyoeveiv; car, que voulait dire
chez les Grecs : Les dieux ont enlevé un beau jeune homme? Seule-
ment ceci: «Me mort prématurée Va porté vers l'Olympe, au lieu
de l'entraîner dans le Tartare. C'est un degré de cet euphémisme
que les anciens employaient pour adoucir la mort, et tout ce qui était
effrayant. Ganymède avait été rendu immortel xdllzoç efvexa , pour-
quoi? uniquement pour servir d'échanson à Jupiter ou aux dieux ,
Aie ou Qeoïç oivoyozvziv. 11 n'y a là aucune trace de l'idée erotique
qui y fut ajoutée ensuite; mais M. R. R. tient à faire remonter cette
idée jusqu'à Homère: « C'est-à-dire, selon lui, jusqu'au premier
c instituteur (?) de leur poésie sacrée, jusqu'au premier régulateur (?)
« de leur mythologie positive, » et ainsi reporter jusqu'à Homère la
licence et l'impureté de la mythologie grecque.
Une des meilleures preuves de cette impureté, à son avis, « c'est
« la fable homérique de Y Union de Jupiter et de Junon sur le mont Ida,
« fable qui fut déjà pour les philosophes païens eux-mêmes , tels
« que Platon (Républ., III, p. 390) et pour Maxime de Tyr (Serm.
« 24, 5) , un sujet de blâme et de confusion (p. 7. ) »
Il serait pénible d'être obligé de faire à M. R. R. le reproche de
mala fides, pour avoir représenté sous un faux jour des passages
anciens. Cependant on ne pourrait échapper à cette dure nécessité, à
moins de supposer, ou qu'il n'a aucune connaissance de Platon , ou
qu'il l'a lu avec une impardonnable légèreté. S'il en avait lu seule-
ment une page , au lieu du passage isolé qui se rapporte à ce point,
il n'aurait pu manquer de s'apercevoir de sa lourde bévue. Comment
Platon (et Maxime de Tyr ne fait que répéter sa pensée) , aurait-il pu
trouver un sujet de blâme et de confusion, dans ce que raconte Homère
qu'Achille et que Jupiter, le héros comme le dieu , se répandent en
plaintes lamentables, ou que les dieux s'amusent à tourner en déri-
sion la tournure de Vulcain? Il suffit de parcourir le deuxième et
le troisième livre de la République, pour voir que Platon ne donne
pas à ces récits d'autre signification qu'à tous les autres récits des
poëtes en général et d'Homère en particulier, lesquels, selon lui,
prêtaient aux dieux comme aux héros, des actions ou des paroles
qui peuvent être d'un mauvais exemple. Toute l'argumentation plato-
BIBLIOGRAPHIE. 121
nique tend à un seul but , c'est à bannir les poëtes de sa république
idéale.
On comprend que , de cette façon , toute la légende de Jupiter n'est
plus, pour M. R. R., qu'une suite d'impuretés, « inventées et accrues
« successivement, à mesure que la corruption s'est étendue sur la
« terre. » On ne saurait prendre la peine de combattre une telle vue,
en l'absence des preuves que l'auteur promet de nous donner dans sa
IVe lettre si souvent citée, qui, selon toute apparence, va nous pré-
senter une partie principale de la mythologie, comme une pornolo-
gie, analogue à h pornographie de notre auteur.
Avant de passer à l'éclaircissement du tableau de Pompéi , qu'on
me permette d'ajouter quelques mots sur ce que M. R. R. ap-
pelle Xhiérogamie de Jupiter et de Junon. Ce sera encore un curieux
exemple de sa méthode d'interprétation philologique et archéologique.
M. R. R. découvre une preuve que ce mythe est licencieux, dans
ce vers de Théocrite (IdylL XV, 64).
UdvTa. yvvodKSç ïgolvti , xal wç Zevç ayayeS' Hpav.
et dans le passage de Plaute ( Trinum., I, 171).
Sciunt quod Juno fabulata est cum Jove.
« On voit, dit M. R. R...., qu'il devait y avoir dans cette fable
« licencieuse, plus d'une de ces circonstances qui piquaient la curio-
« site des femmes grecques et dont la représentation, offerte à la vue
« des initiés, avait du fournir le sujet de plus d'un monument de l'art. »
Ici , comme à l'ordinaire, il n'a lu que le seul vers qu'il cite, sans
se douter de ce qui le précède et le suit. Voilà pourquoi il semble
ignorer que l'un et l'autre poëte se servent ici d'une expression pro-
verbiale. Quand on voulait parler d'une chose que personne ne pou-
vait savoir, on citait, par excellence, les noces de Jupiter et de Junon,
parce que les dieux eux-mêmes en avaient ignoré les circonstances.
Dans les vers de Théocrite, la vieille (â Trpeaêùr^) fait dire aux
commères syracusaines, qni prétendent savoir ce qui se passe au pa-
lais : « Vraiment les femment veulent tout savoir , et même comment
« Jupiter a épousé Junon (navra, yjvaïxsç Ïgocvzi, x«i &>ç ZevçdyaysB
« Hpav. )
Plaute exprime la même idée. Il s'agit de ces faiseurs de-commé-
rages , qui prétendent tout savoir. Voici ce passage entier : « Il n'y
« a rien de plus sot, de plus bête, de plus menteur, de plus bavard,
« de plus téméraire en paroles que ces citadins qui ne sortent point
122 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« de la ville, ces plaisants de profession, et je dois me mettre avec
« eux dans le même sac, moi, si pressé d'accueillir les impostures de
« ces gens qui feignent de savoir tout, sans rien savoir (qui omrtia
« se simulant scire , necquicquam sciiint); qui savent ce qu'on a dans
« la pensée, ou même ce qui n'y est pas encore (quod quisque in
« animo habet, aut habiturus est, sciunt ) ; ils savent ce que le roi a dit
« tout bas à la reine (sciunt id, quod in aurem rex reginœ dixerit);
« ils savent la conversation que Jupiter a tenue avec Junon ( sciunt
« id, quod Juno fabulata est cum Jove ) ; et ce qui n'a jamais été, ni
« ne le sera jamais , ils le savent. » Il est impossible de tirer de là
le moindre indice d'une circonstance licencieuse, ni le moindre argu-
ment en faveur de la pornographie sacrée.
M. R. R. voit encore une scène de Yhiérogamie dans un tableau des
thermes de Titus ( Mirri , Pâture délie Camere Esquiline , tav. VI ).
Junon (reconnaissable au paon qui est auprès d'elle) est endormie,
le sein découvert, sur lequel un enfant repose. Le dieu du sommeil
élève au-dessus d'elle un voile blanc. Jupiter, près de qui se voit
l'aigle, contemple l'enfant avec l'expression de la surprise, et se
penche vers Junon ; Minerve assiste à la scène. « On peut croire,
« nous dit M. R. R., que l'enfant couché sur le sein de Junon , est
« Vulcain, le fruit illicite de son union avec Jupiter...., et que cette
« scène relative à l'allaitement de Vulcain, faisait partie de la célé-
« bration de l'hiérogamie (II); d'où il suit que cette image se rapporte
« bien certainement aux amours de Jupiter et de Junon (p. 10). » Et
pourtant le sujet est bien certainement très-diflérent pour tout autre que
M. R. R.; cal* qui peut y méconnaître Hercule sur le sein de Junon?
Enfin l'auteur, à qui il paraît être désormais impossible de se
figurer l'amour d'un dieu sans obscénité, explique, par Yhiérogamie de
Jupiter et de Junon , un vase peint de Vulci , sur le côté principal
duquel sont représentés Jupiter et Junon , montés sur un quadrige
(comme ordinairement dans les représentations nuptiales) et accom-
pagnés d'autres dieux. Sur le revers « qui peut en être considéré
« comme la continuation (quelle preuve en avez-vous?),» nous voyons
Bacchus entre deux ménades et des satyres ithyphalliqùes « en atti-
« tude obscène. Ce sont là des détails qui ne laissent aucun doute
« sur le caractère licencieux des représentations même hiératiques
« de ce sujet, » c'est-à-dire de Yhiérogamie de Jupiter et de Junon!!
Après cette introduction, qui prend la moitié de la première
dissertation, sans contenir presque rien qui appartienne au sujet
dont il S'agit, l'auteur arrive enfin à la peinture de Porapéi, déjà
BIBLIOGRAPHIE. 123
connue par bien d'autres publications : (Mus. Bourbon, II, 59. —
Gai. Orner., II, 131 . — Gell, PompéL, new séries, I, 41. — Raoul
Rochette, Maison du Poète tragique, p. 22. — Scbelling, dans le
Knnstblatt, 1833, nos 66 et 67). L'explication de M. R. R. n'offre
rien de nouveau qui ait la moindre importance; rien qui la distingue
de celle du premier éditeur napolitain, dont il adopte les idées, sauf
ses développements qui ne sont pas toujours heureux. M. R. R. pa-
raît n'avoir pas connu l'explication de Schelling, ce qui est étrange,
puisqu'elle a été publiée il y a douze années, clans un Recueil archéo-
logique, le Knnstbîatt, que M. R. R. cite constamment. Schelling voit
dans ce sujet le mariage de Saturne et de Rhéa; explication qui sur-
passe de beaucoup, en profondeur comme en justesse, toutes celles
qu'on a proposées. Ce n'est pas ici le lieu de répéter ce que ce sa-
vant homme a dit ; il suffit d'y renvoyer. Nous considérerons d'abord
le mode d'interprétation de M. R. R., en prenant, provisoirement,
son explication pour exacte.
La figure qu'il croit être Jupiter offre cette circonstance remar-
quable, qu'elle a la tête' couverte d'un voile. M. R. R. prétend que
«cette particularité convient à Jupiter, dans la situation où il se
« trouve. » 11 n'en donne que ce motif: « elle se rapporte certaine-
« nient à l'intention de caractériser le dieu du ciel, d'après les exem-
<( pies que nous possédons de cet emploi du voile déployé au-dessus de
« la tête, à pareille intention. » Personne n'admettra ce prétendu rap-
port du voile avec la situation. L'opinion est fausse. Visconti, citant
les rares exemples d'un Jupiter voilé, les a rapportés, avec bien plus
de raison, à l'attribut de ce dieu, comme àZofioç,' itèifèfoiï'ep&bç,
LY^aloç ? ô[j£pioç y vézLoç y xaBxpGioç ? bien qu'il soit difficile
de donner, dans tous les cas, à cette circonstance, une signifi-
cation précise. Quant à la figure ailée derrière Junon, JL R. R.
y voit «* Iris, la messagère des dieux, qui pouvait seule, en
« cette qualité, assister aux plus secrets entretiens du couple
« suprême de l'Olympe ( p. 14 et 15). » Il cite à ce sujet Théo-
trite (XVII, 13iT, qui parle d'Iris, tri fcâptiiVbç , lorsqu'elle était en-
« core vierge (l), comme ayant apprêté la couche nuptiale de Jupiter
(1) M. R. il. se formalise beaucoup de ce que Théocrile qualifie Iris de vierge,
quoique celte déesse, selon Euslalhe, eût j ayé son tribut à Yimptâclè. Cotte
critique . contre un poët-» grec qui devait connaître sa mythologie , vient de ce
quo, par suite de son ordinaire et remarquable faiblesse de vue, M. R. R. n'a
pas aperçu ce petit mol f&\ devant kixffiivbï, bien qu'il rapporte tout du long
1. s deux \e-5 de Thcocrite. 11 ne cite qu'Eu-lathe à propos de Zéphyre, fils
d'fris et de l'Amour. Sans doute i! aurait cité de préférence, s'il les avait connus ,
deux passages anciens, tirés de Plutarque {Amalor., c. 20) et de Nonnus
124 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« et de Junon , et qui avait servi de pronuba à leur union clandes-
« tine. » Et il en conclut que cette déesse avait bien pu assister
aussi à la scène que nous avons sous les yeux, « et où sa présence se
« trouve autorisée par tous les témoignages de l'histoire. » Mais pour-
quoi donc M. R. R. ne nous gratifie-t-il pas d'un seul de ces témoi-
gnages? C'est, à ce qu'il me semble, parce qu'il n'en existe pas un
seul, relatif à cette scène (Jupiter et Junon sur l'Ida). Son opinion
s'écarte du récit homérique , qui pourtant doit être pris pour unique
source. C'est le sommeil qu'on devrait trouver ici. M. R. R. dit, il
est vrai, que « le dieu du sommeil ne fut pas présent à l'entrevue. »
Mais, puisqu'il s'agissait d'endormir Jupiter, ne fallait-il pas que le
Sommeil fût présent? Je sais qu'Homère dit, qu'avant d'avoir été
aperçu de Jupiter, le Sommeil, semblable à un oiseau , se cacha sur
un sapin élevé. Cela est purement poétique ; un artiste devait le
représenter sous sa véritable forme, pour être compris. Mais, dit
M. R. R., « cette figure est celle d'une femme ; ce sera donc celle de
« Pasithea, l'épouse du Sommeil.» Si c'est une femme, ce qui est
probable, à coup sûr ce n'est point Pasithea, qui n'était pas la
déesse du Sommeil, quoiqu'on dise M. R. R., reproduisant une de
seserreurs (Mon. inédits, p. 36 ) ; c'était l'amante , l'épouse d'Hypnos,
vers qui , son œuvre achevée, il retournait avec empressement : tre-
pidantem eum (somnum) recepit dea Pasithea sinu (Catull., 63 , 43),
passage que M. R. R. entend aussi mal (sans parler de la citation
inexacte, 42, 63, au lieu de 63, 43), que celui d'Homère (XIV,
267 ), et de Nonnus, qui ne disent point ce qu'il leur prête. Homère
la nomme une des grâces (Xapircov pav) ; et aucun poëte ne lui a
jamais donné les attributs et les fonctions d'Hypnos. La femme du
Sommeil ne pouvait donc être d'aucun secours à Junon.
Nous pensons, avec d'autres critiques , que le personnage est
bien une femme. Le costume l'annonce, ainsi que l'aspect féminin
de la figure. Elle se retrouve sur le tableau si connu du mariage de
Zéphyre et de Chloris (dont M. R. R. a voulu , en vain , faire l'union
de Rhéa Sylvia et de Mars (Mon. inéd., pi. IX); et encore dans la
pi. III de l'ouvrage que nous analysons, où Ariane repose sur son
sein. Quant au costume, M. R. R. ne cite qu'une seule particularité,
celle du brodequin, qui, selon lui , appartient plutôt au costume dune
(Dionys. XXXI, MO) "En nxpdivoi {lorsqu'elle était encore vierge ; ! ceci prouve
précisément que Théoerite savait qu'elle cessa de l'être. M. R. R. traite Théocrite, ni
plus ni moins que si le poète était un antiquaire moderne; il le critique, comme
on voit , avec le même à-propos et le même fondement.
BIBLIOGRAPHIE. 125
femme (p. 56). Là se montre encore son peu d'attention. Ce n'est cer-
tes pas trop exiger de lui, que de lui demander de regarder au moins
le tableau qu'il explique; or, s'il l'a fait, on ne comprend nullement
qu'il n'ait pas vu que Dionysos, dans ce même tableau, porte la même
chaussure, qui, du reste, un antiquaire devrait le savoir, n'appar-
tient aux femmes que par exception, quand elles exercent une fonc-
tion virile, comme Diane chasseresse et les Furies, ces poursuivantes
infatigables et rapides. Je reviendrai tout à l'heure sur cette figure.
Quant aux trois figures d'enfants ou d'adolescents qui se voient
sur le devant du tableau, ils ont été jusqu'ici une pierre d'achoppe-
ment pour tous les interprètes de ce tableau, excepté pour Schelling.
M. R. R. ne peut rien nous en dire, si ce n'est pour rappeler qu'on
les a pris pour les Curetés, les Corybantes ou les Dactyles. Or, leur
présence à l'entrevue de Jupiter et de Junon , serait non-seule-
ment superflue, mais gênante. Ces figures ont, au contraire, leur
pleine signification dans l'hypothèse de Schelling (le mariage de
Saturne et de Rhéa), d'après laquelle ils seraient Zeus, Poséidon et
Hades, c'est-à-dire les fruits qui doivent sortir de l'union des deux
principaux personnages.
D'ailleurs, que ce soit ici un mariage (ya/xoç), non la simple
rencontre de Jupiter et de Junon ou de Saturne et de Rhéa , c'est ce
que prouve une particularité que M. R. R. a entièrement négligée,
tandis que Schelling y a fait une sérieuse attention. Je veux parler
c|e l'anneau que les deux figures portent au quatrième doigt de la
main gauche, justement comme encore aujourd'hui on porte l'an-
neau nuptial. L'usage est grec et romain, ce qui résulte des pas-
sages des anciens , qui ont été rassemblés par Kirchmann ( de
Annulis, cap. 18), par Brisson et Hotmann (de Ritu nupt. in Graev.
llies. Ant. Rom., t. VIII, p. 1014, 1118). Notre peinture offre, à
ma connaissance, le premier exemple d'anneaux nuptiaux; et cette
particularité ne pourrait se justifier que dans une scène de mariage.
Enfin, à cette scène convient parfaitement encore la figure placée
derrière Rhéa , qui semble pousser la déesse dans les bras du divin
époux. Ce n'est ni Pasithea, comme le veut M. R. R., ni la Nuit,
comme le croient d'autres interprètes, mais bien une nympheutria ,
ainsi que le pense aussi Schelling , qui pourtant paraît lui attribuer
une signification plus profonde, à laquelle on peut trouver quelque
chose de trop abstrait.
De tout cela, il suit que l'explication de M. R. R. n'est ni bonne
ni nouvelle, et que les arguments par lesquels il l'a soutenue, ou ne
1?6 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
signifient rien, pu parlent contre lui, et sont, en général, fondés
sur des erreurs philologiques ou archéologiques , qu'un antiquaire
ne doit jamais commettre. Sans doute, les plus habiles n'ont pas tou-
jours rencontré juste , quand le monument, comme celui-ci, était
plus ou moins énigmatique ; mais, du moins, leurs explications sont-
elles toujours possibles, probables et conformes aux faits qui étaient
connus , lorsqu'ils les ont proposées. Leurs erreurs, quand il leur en
échappe, sont toujours de celles, quas aut incuria fudit, aut hu-
mana parum cavit natiira.
On peut juger si celles que je viens de relever sont de ce genre.
Malheureusement la deuxième et la troisième peinture de cette
livraison donnent lieu à des observations non moins graves et non
moins compromettantes pour l'autorité scientifique de M. R. R.
Dr Heinrich Brunn, à Rome.
(La suite au numéro prochain.)
Histoire de l'Art par les Monuments, depuis la décadence
au IVe siècle jusqu'à son renouvellement au XVIe , par Seroux
d'Agincourt.
L'origine et le progrès des arts chez les anciens ont été le sujet
d'un grand nombre d'écrits. Les arts depuis leur renaissance chez les
modernes, objets habituels de nos observations et de nos travaux,
sont aussi chaque jour le sujet de dissertations et de travaux remar-
quables. L'ouvrage de d'Agincourt, fruit de trente ans de recherches
et d'observations patiemment consignées, publié il y a vingt ans,
forme une collection considérable de monuments recueillis depuis la
chute du Bas-Empire jusqu'à la fin de la renaissance, rangés par ordre
chronologique, expliqués, comparés, concourant tous à présenter
encore aujourd'hui le travail le plus complet sur cette matière. Il
forme six volumes in-folio , qui renferment les trois divisions natu-
relles de ce grand travail, savoir : l'architecture, la sculpture et la
peinture. Chacune de ces sections est précédée d'introductions his-
toriques qui offrent une foule de détails intéressants qu'il est impos-
sible d'énumérer. L'auteur commence à peu près au point où Winc-
kelmann s'était arrêté. Il résume, dans une ou deux planches, l'art
antique, puis il entre en matière par des recherches sur la construc-
tion des basiliques chrétiennes, et fait voir en quoi elles diffèrent ou'
se rapprochent des temples antiques. Seize planches sont consacrées
BIBLIOGRAPHIE. 127
à faire connaître les causes, les vicissitudes et la décadence de l'archi-
tecture depuis le IIIe jusqu'à la fin du VIe siècle. Dans les planches
suivantes d'Agincourt a résumé l'état de l'architecture pendant la
suite des dix siècles qui ont suivi. Il nous fait assister à toutes les
transformations qui sont venues successivement modifier l'extérieur
comme l'intérieur des basiliques ; nous voyons le byzantin céder la
place au style roman , celui-ci est à son tour remplacé par le mo-
resque, puis le gothique apparaît, et enfin l'architecture dite de la
renaissance. La sculpture et la peinture sont traitées de la même
manière.
Quarante-huit planches sont consacrées à reproduire les chefs-
d'œuvre de la sculpture proprement dite , ainsi que celle d'ornement.
On y trouve de nombreux bas-reliefs sculptés en Italie, en France,
en Allemagne et en Angleterre, des diptyques, des meubles, des
vases, des ameublements d'églises, tels qu'ambons, jubés, fonts de
baptême; des couvertures de manuscrits, des inscriptions, des tom-
beaux, etc.
Dans la sculpture sont encore compris les ouvrages ciselés , re-
poussés au marteau, les incrustations, damasquinures; les ouvrages
d'orfèvrerie, d'église et de luxe; les monnaies, médailles; des
sceaux, des armes, armures, etc.
Deux cent quatre planches sont consacrées à faire connaître les
productions de la peinture sur pierre , telles que les mosaïques et les
fresques, celles sur bois, sur toile; celles des manuscrits forment à
elles seules une suite nombreuse et variée ; les nielles, les chefs-
d'œuvre de la gravure en bois des premiers livres imprimés ; les cartes
géographiques; les étoffes, les tentures, les tapisseries et toiles
peintes ; les divers corps d'écritures usités aux différents siècles.
On trouve dans les trois volumes plus de quatorze cents monuments
gravés et expliqués, dont sept cents au moins étaient inédits. Les
collections publiques, surtout celles du Vatican et du Louvre, les an-
ciens trésors des églises et les collections particulières sont venus
offrir à d'Agincourt leurs riches tributs. Les planches sont bien exé-
cutées et reproduisent assez généralement le caractère distinctif de
chaque époque. Tout en admirant l'ensemble et l'exécution de cet
ouvrage, nous n'ignorons pas qu'il laisse quelque chose à désirer ;
quel est l'ouvrage, même le plus estimé, qui n'en soit pas là? On a
reproché à d'Agincourt de n'avoir vu le gothique que dans l'Italie;
cependant, il cite de nombreux monuments de cette époque en Alle-
magne, en France, ^n Angleterre, et s'il ne leur a pas donné plus de
128 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
développement, c'est que la place lui a manqué. C'est une haute
injustice, c'est un abus immodéré de la critique que de vouloir rayer
d'un trait de plume et par quelques phrases amères , un grand œuvre
parce qu'il y manque quelque chose ; que ceux qui lui font ce re-
proche tâchent de faire mieux que lui et de combler les lacunes que
d'Agincourt a laissées, ce sera bien mériter de la science, malgré
tout ce qu'on pourra dire.
Ce livre, comme l'a fait remarquer le Journal des Savants , est du
nombre de ceux qu'on ne devait guère espérer de voir entreprendre,
et qu'on ne refera jamais. C'est donc un véritable service que rend au
public studieux le nouvel éditeur, qui, en faisant l'acquisition de ce
grand ouvrage , l'a mis à la portée du plus grand nombre de bourses.
L'Histoire de l'Art, par d'Agincourt, six volumes in-folio, texte, et
trois cent vingt-cinq planches, coûte maintenant 300 francs au lieu
de 720 francs, à Paris, chez Lenoir, éditeur, quai Malaquais, n. 5.
L. J. G.
Relation des Voyages faits par les Arabes et les Persans
dans l'Inde et a la Chine, dans le IXe siècle de l'ère
chrétienne , texte arabe et traduction enrichie de notes et d éclair-
cissements; par M. Reinaud, membre de l'Institut. Paris, Impri-
merie royale, 1845, 2 vol. in-18.
La nouvelle traduction que M. Reinaud a donnée de la relation
publiée par Renaudot, au commencement du siècle dernier, est une
publication utile à la fois aux géographes , aux historiens et aux an-
tiquaires. Cet orientaliste s'est acquitté de sa tâche avec cette con-
science et ce savoir qu'on est accoutumé à lui voir apporter à tous
ses travaux. La Relation de Soleyman, l'Itinéraire rédigé par Abou-
Zeid , jettent le plus grand jour sur une époque fort obscure de l'his-
toire et de la géographie asiatiques, le IXe siècle. Nous ne sommes
pas toujours d'accord avec l'habile académicien sur les déterminations
géographiques qu'il a tirées du texte traduit par lui avec plus d'exac-
titude et de bonheur que ne l'avait fait Renaudot , et nous avonstlis-
cuté ailleurs une partie de l'Itinéraire tel qu'il l'a rétabli (Bulletin
de la Société de Géographie, avril, 1846); mais nous rendons com-
plète justice à ce que son œuvre contient de positif, et nous la signa-
lons comme une mine précieuse où devront puiser ceux qui s'occu-
pent d'archéologie orientale. A. M.
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTES
RELATIVES
AUX ANCIENS SCULPTEURS
CALLIMAQUE, CLÉOMÈNE, BUPALUS, CALAMIS, ETC.
Tout ce qui concerne ces célèbres artistes a été si bien traité par
Winckelmann et ses savants commentateurs, MM. Meyer et Schulze,
par MM. Sillig etThiersch, et par d'autres philologues et antiquaires
d'une grande distinction , qu'il paraîtrait superflu de revenir sur des
sujets si rebattus et si bien discutés. Ayant donc terminé le catalo-
gue des artistes de l'antiquité jusqu'au VIe siècle de notre ère, qui
doit faire partie de mon Manuel de l'histoire de l'art chez les anciens,
en 4 vol. , dont trois paraîtront sous peu, et dont ce qui va suivre
est un extrait, je voulais m'en tenir à ce que j'avais déjà dit dans le
catalogue distribué à quelques personnes en août 1 844 , et dans quel-
ques additions que j'y ai faites d'après de nouvelles publications ar-
chéologiques, et les observations de quelques savants, et surtout de
mon ami M. Letronne , des conseils et de la saine critique duquel on se
trouve toujours bien. Mais la nouvelle édition de la lettre de M. R. Ro-
chette à M. Schorn (1845) , et surtout la publication, en avril 1846,
des Questions de Vart, etc. du même auteur qui, dans sa lettre, y
renvoyait ses lecteurs avant qu'elles eussent paru , m ont décidé à
retarder la publication du manuel que j'annonce depuis si longtemps,
mais qui enfin paraîtra bientôt. En attendant, je veux faire part aux
archéologues de quelques idées que m'ont suggérées les Questions de
l'histoire de l'art.
Entre tous les ouvrages de M. Raoul Rochette (et Ton ne connaît
que trop sa fécondité , qui n'est pas toujours heureuse) , il n'y en a pas
qui l'emportent sur les Questions par une profusion d'inadvertances
et de méprises qui surpasse tout ce que l'on est en droit d'attendre
en ce genre , pour peu que l'on soit au courant des productions ar-
chéologiques de M. R. Rochette , et particulièrement du Supplément
au catalogue de Sillig et du Choix de peintures de Pompéi. M. Le-
III. 9
130 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tronne nous a promis de nous édifier dans cette Revue sur les mérites
du premier de ces ouvrages. Quant au second , l'excellent article du
docteur H. Brunn (hev. arch. , tll, 118) en a signalé les défauts
sous le rapport de l'érudition et de la critique. On permettra peut-être
aussi à celui qui, pendant plusieurs années consécutives, et surtout
lors d'un séjour de neuf mois au palais de Portici, a pu voir journel-
lement et étudier une à une, avec toutes les facilités du monde, les
mille quatre cent soixante-quinze peintures antiques qui s'y trou-
vaient alors, oh lui permettra, dis je, de déclarer, ici qu'à l'égard
des planches , l'ouvrage de M. R. R. est vraiment très-remarquable
par le manque total de goût et de caractère antique dont on est parvenu
à flétrir ces pauvres peintures, où l'on chercherait en vain et le dessin
et l'indication du faire antique, qu'on n'y trouverait pas plus que le
coloris. C'est que, et probablement M. R. R. l'a oublié s'il l'a jamais
su, il ne suffit pas, dans un teste descriptif brillante, d'étaler, sou-
vent à bon marché, une luxuriance d'érudition d'emprunt, il faut
pour bien parler des antiquités, et surtout des peintures des villes
victimes dii Vésuve, et pour les reproduire avec vérité dans les plan-
ches que l'on dirige, il failt d'abord, comme mon excellent ami
Mazois, avoir le sentiment fin et délicat du dessin et de la couleur
des anciens, et sur ce point la réputation de M. R. Rochette n'est
peut être pas parfaitement établie; soit qu'il loue, soit qu'il blâme,
on peut, en toute conscience et avec connaissance de cause, en appeler
de ses jugements, et souvent les regarder comme non avenus.
Pour en revenir aux Questions , on dirait vraiment qu'elles ont été
inspirées et écrites dans un paroxysme, une recrudescence coléri-
que de mauvaise humeur, et sous l'influence de l'esprit de contradic-
tion, assez souvent mauvais conseiller. C'est ce malin esprit qui a
enlevée M. R. Rochette la tranquillité et l'impartialité qui exami-
nent froidement les faits, et jugent sainement les Opinions. Ces Ques-
tions, en effet, sont principalement dirigées contre l'explication de
l'inscription grecque trouvée dans la statue archaïque de bronze dii
Musée royal par M. Letronne, quoique au rapport des connaisseurs
ce savant ait très-bien apprécié cette statue, prouvé victorieuse-
ment contre M. R. Rochette (inde irœ) , qu'elle représente Apollon,
qu'elle est de style archaïque d'imitation, et qu'il a parfaitement
restitué et interprété l'inscription trouvée à l'intérieur de cette sta-
tue. Étarit tout à fait de l'opinion de M. Letronne et sur l'ensemble
et sur les détails de ce curieux monument, j'ai rendu compte aviv
détail de >on travail dans le troisième volume de mon Manuel.
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS. 131
M. R. Rochette, selon son usage, ne veut pas démordre de son
opinion sur cette statue, où il persiste à ne voir qu'un simple éphèbe,
et à la manière dont il s'exprime sur l'inscription , il est aisé de recon-
naître que, n'osant pas en nier ouvertement la vérité, attestée par des
témoins irréfragables, il ne serait pas fâché de faire croire que cette
découverte est fabuleuse. Personne assurément n'ira lui contester
d'être le plus fécond et le plus disert des archéologues ; mais son am-
bition s'élève jusqu'à vouloir en être le premier, et cette prétention ,
selon nous, est un peu plus contestable. Il ne peut donc se faire à
l'idée de céder un terrain sur lequel il s'arrogerait volontiers le droit
de régner en maître. Ne sachant prendre son parti d'être battu à
plate couture, il regimbe, et pour se donner l'air d'avoir remporté
la victoire , il se lance à tout hasard et tète baissée dans les plus sin-
gulières explications. Ne soyez pas alors surpris de le voir se précipi-
ter dans plus d'erreurs qu'il n'en avait d'abord commis, et
compromettre de plus en plus une réputation qu'il travaille à faire
croire inattaquable , et qui, malgré ses efforts, est depuis si long-
temps percée à jour de toutes parts.
Je n'ai nullement l'envie et le talent de relever comme il le faudrait
toutes ces fautes de l'hypercritique, et je m'en repose sur l'habileté et
la sagacité de M. Letronne qui, plus intéressé que personne à réta-
blir les faits altérés, fera dans un travail spécial , prompte et bohrie
justice de ce fléau de l'archéologie et des archéologues. Je me bor-
nerai donc à quelques observations qui touchent à l'histoire de l'art
antique, sujet qui depuis longtemps a été pour moi l'objet d'études
persévérantes.
Ces observations concernent la question, assez difficile en certains
cas, de savoir si tel nom a été porté par un seul artiste ou par deux
artistes différents. M. R. R. persiste à prétendre qu'il n'y en a eu
qu'un seul , tels par exemple, qu'Agcladas et Àgatharque , et d'autres
que nous verrons ( voy. Manuel, t. I, 2e partie, p. 945, 947) ; tandis
que M. Letronne et moi nous soutenons qu'il y en a eu deux. Voici
ce qui donne quelque intérêt, à cette question.
Tout le monde connaît le passage où Pline (1. I, Ptœf., 27, éd.
Sillig) dit que les maîtres de l'art inscrivaient au-dessous de leurs
ouvrages faciebat (inoUi), au lieu de fecit (ènoiwz), indiquant par
l'emploi de cet imparfait, qu'on retrouve encore, 1. XXXV, s. 10 et
39, dans eWv pour èvéxxvaev , qu'ils ne regardaient pas leur œuvre
comme conduite h la perfection.
On a cru en général qu'en écrivant Pline s'était trompé, en nousdi-
132 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sant qu'il ne connaissait que trois artistes qui eussent signé de l'aoriste ,
parfait défini (ènoiyae) , fecit, leurs ouvrages comme n'ayant plus à
y revenir. M. Letronne a le mérite d'avoir le premier cherché dans les
monuments eux-mêmes la preuve que Pline était bien informé. Il
fait remarquer que cet écrivain a bien pu se tromper sur les noms
d'Apelle, de Polyclète, de Lysippe et de Nicias, qu'il cite, mais qu'il
ne peut errer sur le témoignage de ses yeux ; et quand il dit : Tria
non amplius, ut opinor , àbsolute tradantar inscripta , il est indubitable
qu'il ne connaissait pas plus de trois exemples, du parfait, temjms
absolutum, et en conséquence que de son temps l'immense majorité
des objets d'art signés, qu'il avait sous les yeux, devaient avoir dans leurs
inscriptions l'imparfait èitoiei , faciebat , au lieu de l'aoriste ènoinae,
fecit.
Ce fait certain s'accorde d'ailleurs , d'après ce que m'a fait observer
M. Letronne , avec le génie de la langue grecque qui , dans l'énoncé
d'une action finie , n'admet que Y aoriste ; en sorte que l'usage de
Yimparfait suppose une intention particulière et une action qui n'est pas
tout à fait complète, achevée, ce que le passage de Pline explique
parfaitement.
A l'appui du texte de Pline, M. Letronne fait remarquer que
toutes les inscriptions antérieures à Alexandre emploient exclusivement
Y aoriste y tandis que dans celles de l'époque postérieure, si l'aoriste
s'y trouve encore souvent, Yimparfait s'y montre en plus grand nom-
bre encore. En sorte qu'il résulte des monuments qu'une mode s'est
réellement introduite, à une certaine époque, d'employer l'imparfait
zTzoiti et Iffoiouv, au lieu de l'aoriste enolnaev ou inoiriGOLv , qui au-
paravant était seul en usage.
Il me semble qu'il y avait tout lieu d'être frappé de tout ce qu'a de
satisfaisant cette manière nouvelle de concilier uu texte si remarquable
avec les inscriptions des objets d'art. Bien au contraire, M. R. R.,
comme s'il ne pouvait pardonner à un autre d'avoir eu une idée qu'il
n'avait pas eue, s'acharne à vouloir la détruire. Malheureusement
pour lui, il s'y prend mal, car il commence par n'en pas comprendre
le premier mot. En effet, il a bien une idée, mais elle est malencon-
treuse ; il oppose comme une objection capitale que les exemples de
l'aoriste iiioiinŒev, après Alexandre, sont plus nombreux que ne l'a
pensé M. Letronne. A chaque aoriste qu'il rencontre, il répète à
satiété que cela est contraire à la théorie. Mais n'est- il pas évident
que les exemples qu'il produit ne sont d'aucune importance, puisque
M. Letronne fait remarquer expressément que cet aoriste est resté en
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS. 133
usage , concurremment avec l'imparfait ? Maintenant qu'il y en ait un
peu plus ou un peu moins, cela ne touche en rien à la question ; et
il faut convenir qu'en ceci , M. R. R. ne se montre pas trop bon
raisonneur. Ce qui serait une véritable objection , ce serait de faire voii
que les exemples de l'imparfait sont nombreux avant Alexandre. En
ce cas, la théorie n'aurait plus de base.
M. Letronne a été au-devant de cette objection en montrant qu'il
n'y a que X aoriste dans les inscriptions anciennes. Celles des vases,
ne donnent que EI10IE2E ; en trois exemples seulement, il y a
EnOIE et EnOIEI , mais les mots tronqués qui se trouvent à chaque
instant sur les vases ne permettent pas de s'arrêter, en bonne criti-
que, à ces exceptions, EI10IE pouvant être pour E1101E2E. M. R. R.
s'accroche à ces exceptions, à lui permis; il ne convaincra personne.
Dans les inscriptions statuaires, M. Letronne soutient qu'il n'y a
point [imparfait, et que si ce temps se trouve après des noms d'artistes
anciens, c'est que les inscriptions ont été mises après coup, ou bien
qu'elles appartiennent à des artistes de même nom, mais plus ré-
cents.
D'après tout ce qui précède, il me semble donc que je dois appor-
ter ici quelque modification à ce que, dans mon Manuel, j'ai exprimé
peut-être d'une manière trop absolue sur l'emploi de Y aoriste et de
l'imparfait. Je dirai donc que Y aoriste ayant longtemps continué à être
en usage, il ne peut pas servir, sans le secours de l'orthographe, de
la forme des lettres et du style des ouvrages, à en déterminer l'époque
d'une manière approximative ; mais que, d'un autre côté, l'imparfait,
si on ne prouve pas d'une manière positive par le style et l'inscription
du monument qu'il est d'urie grande antiquité, doit contribuer à dé-
montrer ou à faire fortement soupçonner qu'il n'est pas antérieur au
IVe siècle avant notre ère.
Je crois donc, pour ma part, que mon ami M. Letronne a raison
sur tous les points, et que les distinctions qu'il établit sont fondées
sur une saine critique. Je vais le prouver en reprenant quelques-
uns de ces noms, et en défendant contre M. R. R. ce que j'en ai dit
moi-même. Il m'en coûtera de relever d'énormes fautes ; mais d'après
la manière dont M. R. R. s'est plus d'une fois exprimé sur mon tra-
vail, je ne lui dois que la stricte justice. J'espère ne pas y manquer
dans ce que je vais dire.
154 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Callimaque. On a beaucoup parlé d'un bas-relief d'ancien style,
0U, peut-être qui n'en est qu'une imitation , et attribué par une in-
scription aipsi conçue: KAAAIMAX02 EPOIEI , à Callimaque,
architecte, sculpteur et même peintre; sur l'époque duquel flotte en-
core beaucoup d'incertitude. Les assertions formelles et solennelles de
M. P, R. , dans les Questions de l'art, p. 77, sont encore loin d'être
parvenues à dissiper les doutes, et il ne réassit pas à prouver que le
bas-relief soit de Callimaque, et encore moins, que l'inscription
remonte à son temps. La question débattue depuis longtemps (depuis
Winckelmann ) n'a pas avancé d'un pas et ne sert à rien à M. R. R.,
en faveur de l'aoriste èizoUi ef, de ses vicissitudes. Si nous interrogeons
Winckelmann , assez bon juge en ce^te matière et qu'on n'accusera
pas d'être superficiel dans l'histoire de l'art, il nous répondra, 1. VIII,
c. ï, que cette inscription lui paraît très-suspecte et pourrait bien
avoir été copiée anciennement de quelque autre , et mise sur un bas-
relief qu'on voulait faire passer pour être de Callimaque : l'on sait
que les anciens ne se faisaient pas scrupule de ces petites fraudes
archéologiques, et leurs écrivains nous en sont garants. En suppo-
sant que ce bas-relief, de style archaïque , fut de Callimaque, l'écri-
ture de l'inscription ne serait pas du même temps , et ce devrait être
KAHMAKHO* ou KAHMAX02 si on admet que leX au lieu de KH,
fut employé à une époque plus reculée que ne le pensait Winckel-
mann. En outre, l'historien de l'art ajouterait encore, que ce bas-
relief du Capitole lui paraissait d'un style plus ancien que ne devait
être Callimaque , qui n'a pas précédé Phidias, et qui d'après l'inven-
tion du chapiteau corinthien, qu'on lui attribue ainsi que celle du
trépan , doit, d'après l'observation de Winckelmann confirmée par
M. Sillig, avoir fleuri entre Phidias (83e ol.) et la 96e olymp.,
époque à laquelle Scopas orna de colonnes corinthiennes le temple
de Minerve à Tégée. Aussi Winckelmann est-il loin de s'accorder
avec ceux qui, sans aucun motif concluant, placent Callimaque dans
la f?0e olymp. Mais voici, ce me semble, une assertion assez remar-
quable de M. R. R., dans la note 2 de la p. 77 de ses Questions de
Fart. Après avoir repoussé une objection paléographique de Winckel-
mann, notre savant et quelque peu téméraire antiquaire, ajoute en
propres termes : « Sans compter que Winckelmann plaçait Callimaque
«.dans la LXe olympiade, opinion qui ne repose sur aucun témoi-
« gnage. » Mais vraiment on ne sait où l'on en est en lisant de pa-
reilles affirmations et en voyant dénaturer d'une telle manière les
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS. 135
expressions, les opinions d'un auteur que l'on a sous les yeux, et d'un
auteur tel que Winckelraann. Ce sont de ces choses, de ces délits lit-
téraires, archéologiques et tout ce que l'on voudra, qu'avec toute
l'indulgence du monde on ne saurait laisser passer inaperçus, et qu'on
est en conscience obligé de stigmatiser comme ils le méritent. Il est
fâcheux qu'un philologue tel que se croit M. R. R., qui a toutes les
langues à son service, se soit servi de quelque méchante traduction
de Winckelmann , en je ne sais quelle langue, au lieu d'avoir tout
simplement recours au texte allemand qui est très-facile et que
JVI. R. R. aurait probablement compris sans peine. Il m'est bien
force de me livrer à ces conjectures, car je ne saurais me persuader
que dans l'intérêt de sa cause, M. R. R. ait eu la coupable pensée
d'altérer les paroles de Winckelmann, et de lui faire dire absolu-
ment le contraire de ce qu'il exprime si clairement , pour tout écolier
qui lit tant soit peu l'allemand. Voici le passage de l'auteur de YHis-
toire de VJrt, I. VIII, c. i, p. 221 du t. V de l'excellente éd. allem.
de MM. Henri Meyer et Jean Schulze, savants commentateurs de
Winckelmann, Dresde, 1812. Le passage étant très-court, je me
permettrai de le citer textuellement, le voici : Calîimachus aber kann
nicht vor dem Phidias gelebet haben , und die ihn in die sechzigste
Olympias setzen, haben nicht den mindesten Grund, und irren gmblich ;
ce qui signifie : mais Callimaque ne peut pas avoir vécu avant Phidias ,
et ceux qui le placent dans la LXe olympiade n'ont pas le moindre
fondement et se trompent grossièrement. — Ceci me semble assez clair
et ne ressemble guère à ce qu'avance avec tant d'assurance M. R. R.
On pourra juger de l'exactitude de nos traductions. D'après cet
exemple, acceptez de confiance et sans examen , les inscriptions lues
par M. R. R., de ses propres yeux, et copiées de sa propre main,
comme il nous l'assure sans cesse, et les citations en langues étran-
gères, dont il aime assez à faire parade , cela fajt effet, et voyez si,
en toute justice, on ne peut pas trouver qu'il juge avec peu d'équité
et pas mal d'outrecuidance, ce qu'il lit, ce qu'il voit et ce qu'il
transcrit avec beaucoup de légèreté. L'auteur de YHistoire de X Art
semble donc abandonner l'idée que le bas-relief puisse être de Calli-
maque. Ce bas-relief a été d'ailleurs trouvé à IJorta, ville des Etrus-
ques, que l'on sait avoir très-longtemps employé pour leurs ouvrages
un style très-ancien, pour ainsi dire consacré pour les sujets reli-
gieux, et qui avait avec le style hiératique ou sacré des Grecs
une telle analogie que des sculptures étrusques pouvaient aisément
passer pour être de l'ancien style grec. Alors on np pourrait assigner
136 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
aucune époque à ce bas-relief, s'il y a lieu de le croire produit par
quelque artiste étrusque , et l'on a pu , à une époque quelconque
avant notre ère, ou depuis, y graver une inscription grecque, avec
l'aoriste enoUi, pour le faire croire d'un ciseau grec. Winckelmann,
p. 145, est d'autant plus porté à regarder cette inscription comme
une fraude antique , assez maladroite , que le nom n'est pas gravé ,
mais qu'il est simplement gratté. L'auteur de Y Histoire de X Art ,
I. VII, p. 144, n'est d'ailleurs pas persuadé qu'il n'y ait eu qu'un
Callimaque. M. Sillig, partageant aussi cette idée, en admet un à
qui on devait le chapiteau corinthien et le trépan, et un autre, qui
serait le sculpteur du bas-relief du Capitole, et je l'ai suivi, je crois ,
avec raison , dans ma Liste des Artistes , où je donne deux Calli-
maque. Celui dont parle Pline et qui n'était jamais content de son
travail , n'aurait certainement pas été flatté qu'on lui eût attribué le
bas-relief du Capitole, exécute, selon Winckelmann, grossièrement,
sans aucun soin, et si loin de sa manière. Il est vrai que , p. 77 de
ses Questions, M. R. R. affirme que ce qui distingue ce bas-relief et
témoigne qu'il est bien du Callimaque auquel on reprochait son excès
de recherche, c'est le fini précieux de cette sculpture. Voilà deux
savants antiquaires en pleine opposition, Winckelmann et M. R. R.;
l'on doit être fort embarrassé. Mais je ne sais pourquoi, quand il
s'agit de sentiment de l'art et de connaissance de sa partie technique,
j'incline plutôt vers l'auteur de l'Histoire de VArt que vers celui des
Questions et de la Lettre à M. Schorn.
Dans leur classement des bas-reliefs grecs de l'ancien style , les
commentateurs de Winckelmann (t. V, p. 526, 529, note 850), ne
placent le bas-relief de Callimaque qu'au septième rang, et, d'après
leurs observations, ils en trouvent le style beaucoup moins ancien
que celui des autres monuments qu'ils placent en première ligne,
selon l'ordre de leur plus ou moins d'antiquité présumée. Ils y trou-
vent, avec raison, plus de justesse et d'élévation dans les proportions
des figures, et plus de correction de dessin que n'en offrent d'autres
bas-reliefs hiératiques. Il y a moins de roideur dans les attitudes et
les mouvements, moins de simplicité dans le jet des draperies. Il me
semblerait aussi qu'il y a plus de rondeur dans les bords angulaires
étages des chutes de plis moins plats que dans les bas -reliefs qui
peuvent passer pour être de style sacré. Alors ce pourrait bien n'être
que de l'hiératique d'imitation du genre de plusieurs de ceux qui sont
reconnus pour tels.
Quant à M. R. R. (p. 77 de ses Questions) , il met ce bas-relief au
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS. 137
nombre des œuvres originales de l'art archaïque grec, et c'est, dit-il,
le sentiment général des antiquaires ; ce qui n'est nullement prouvé.
Les commentateurs de Winckelmann (p. 536, note 865), moins
décidés , se contentent d'avoir indiqué la place que, d'après leurs idées ,
le bas-relief de Callimaque doit occuper dans la série des bas-reliefs
d'ancien style, et ils laissent à fixer, d'après les arguments assez graves
contre l'authenticité de l'inscription, si ce bas-relief peut être ou ne
pas être de Callimaque. Ceci ne ressemble guère à ce qu'avance ,
p. 76, note 4, M. R. R., qui dit que la plupart des idées de Winc-
kelmann ont été réfutées par ses commentateurs eux-mêmes, et ne
sont plus aujourd'hui soutenues par personne.
Le savant interprète italien de Winckelmann, l'antiquaire Carlo
Fea, n'est de même pas éloigné de regarder ce bas-relief comme
une imitation ancienne du style hiératique, exécutée librement, et
il penserait que l'EPOIEI de l'inscription indiquerait qu'elle est d'un
temps bien postérieur au style véritablement archaïque.
M. R. R., p. 77, dit que C. 0. Mùller range le bas-relief Capitolin
au nombre des œuvres originales de l'art grec archaïque. C'est ce que
nous allons voir.
C. 0. Mùller, p. 76, § 96 de son Manuel d'archéologie, place,
au N° 21, l'avant-dernier de sa liste des ouvrages réputés archaïques,
le bas-relief attribué à Callimaque, ce qui pourrait en quelque sorte
indiquer que c'est celui auquel il croit le moins , et dans le petit
préambule du N° 1 1 , il fait observer avec beaucoup de justesse, ce
me semble, qu'il y a très-peu de ces bas- reliefs qui puissent, d'une
manière certaine, s'attribuer au temps dont ils présentent à peu près
et comme fortuitement le style. D'ailleurs, ce que je n'avais pas re-
marqué, et ce qui a échappé à M. R. R., c'est que, p. 75, auN° 19,
dans la courte note dont Mùller fait précéder les trois bas-reliefs
qu'il donne, et dont celui de Callimaque fait partie, il les met dans
la classe de ceux qui peuvent surtout servir à indiquer de la manière
la plus sensible le passage de l'ancien style au style perfectionné de
la période qui le suivit. Ainsi , malgré l'allégation de M. R. R.,
Mùller ne place pas le prétendu bas-relief de Callimaque au nombre
des œuvres originales de l'art grec archaïque. Du reste, dans le peu
d'endroits où il cite ce sculpteur en quelques mots, excepté § 94, 21,
il ne parle ni de Callimaque, ni du bas-relief, ni de l'inscription, ce
qui indiquerait qu'il n'y attachait que peu d'importance, et qu'il
n'était pas persuadé de leur authenticité; Au reste , ces classifications
de monuments archaïques ne peuvent jamais être très-rigoureuses.
13$ JtpVUE ARCHEOLOGIQUE.
Nous n'avons que si peu de monuments archaïques véritables, si
môme nous en avons, puisque l'on n'en compte que sept avant celui
de Callimaque, assez douteux, qu'il n'est guère possible d'établir des
comparaisons qui permissent de fixer des époques et des rangs d'an-
cienneté. C'est d'autant plus difficile que toujours ce caractère dut
dépendre des diverses écoles qui firent plus ou moins de progrès, ou
qui restèrent plus ou moins attachées à l'ancien style, devenu comme
sacré, et que la religion voulut conserver pour ses simulacres; c'est
ce qui s'est vu en Grèce et même dans nos écoles modernes Lors-
qu'au temps des imitations on a reproduit de ces antiques sculptures,
il a été facile à des artistes de talent de pousser l'exactitude de l'imi-
tation au point de faire illusion et de tromper les adorateurs de ces
simulacres vénérés. Si Ton reconnaissait la fraude, c'était à plus de
perfection dans le travail, et parce que souvent, sans y penser, les
copistes y mettaient moins de naïveté, et montraient, malgré eux,
plus qu'ils ne l'auraient dû, leur habileté, et qu'ils en savaient plus
que les auteurs de leurs modèles.
P'après toutes, ces considérations, jl me semble que, sans trop de
hardiesse, on est en droit d'afGrmer que ce bas-relief non-seulement
ne peut pas être de Callimaque qui, à l'époque à laquelle on peut le
placer, époque nécessairement postérieure à Phidias, ne devait pas
travailler dans ce style, mais que ce n'est peut-être qu'un bas-relief
ou étrusque ou imité, on ne sait en quel temps et par qui , du style
archaïque grec. Ajoutez que l'inscription, dont les lettres ne déno-
tent pas une grande antiquité, a pu être faite à bien des époques de-
puis le IVe siècle avant notre ère. N'offrant pas une date positive, elle
ne saurait servir, comme le voudrait M- R. R-, de témoin irréfra-
gable, dans la question du plus ou moins d'antiquité de l'emploj de
l'aoriste.
Cléomène, fils d'Apollodore, se, p. 77. — On a depuis longtemps
prétendu avoir lu sur la base de la Véfius de Médicis KAEOMENHI
ArOAAOAnPOY ErOEÎEN. —M. R. R. , Questions, etc.,
p. 78, assure, probablement après un examen scrupuleux, que la
leçon EpClr\lBy donnée et regardée avec raison comme barbare et
monstrueuse parVisconti, Op. var., t. HI, p. 13 et suiv., et sou-
tenue, défendue même par quelques antiquaires, n'a jamais existé
sur le marbre, non plus que celle d'fEPOIEI, qu'on y a attribuée.
Mais cependant un beau bronze de la statue de Médicis, coulé par
EXPLICATION PE QUELQUES DIFFICULTÉS. 139
les Keller, au XVIIe siècle, avant que cette statue fût, selon Visconti,
p. 1 8, transportée à Florence, porte EPOIEI, de même que l'inscrip-
tion de cette statue reproduite dans le recueil de de Rossj , pi. 27,
et sur un beau plâtre exposé à Paris, on lisait EPOE2EY. Ainsi cette
inscription que Gori et le savant et judicieux Lanzi ont toujours
regardée comme aprocryphe, a excité bien des doutes, et ces doutes
ne sont pas encore tout à fait levés. Elle a pu et a dû souffrir des
réparations qu'a subies la statue, brisée en plusieurs morceaux et res-
taurée, comme le témoigne Richardson, Histoire de la Peint., à diffé-
rentes époques. M. Giraud, habile sculpteur auquel on doit le fond
des idées exposées dans l'ouvrage sur la statuaire de M. Emeric
David, et avec lequel j étais très lié, m'a souvent dit qu'il regretterait
toujours de ne pouvoir montrer, dans sa riche collection de plâtres,
que j'avais espéré faire acquérir par le Musée Royal, un plâtre de la
Vénus qu'il avait perdu dans le transport de l'Italie à Paris, et qui
offrait la statue d'une manière très-différente de ce qu'elle est au-
jourd'hui- Malheureusement cet artiste ne s'était pas occupé de
l'inscription, qui demanderait peut-être encore sur le marbre des
recherches plus minutieuses que celles dont elle a été l'objet et
qu'indique très-bien Visconti, p. 16. Il s'agirait de voir si le mor-
ceau de la plinthe sur lequel elle se trouve et qui a été encastré, est
le même que celui du reste de la plinthe , et si, dans les avaries qu'a
éprouvées la statue, il a pu en être détaché et y avoir été replacé.
On examinerait ensuite si les altérations dues à des mains modernes
n'ont pas pu changer en EPOH2EN , qu'a vu M. R. R., j'EPOIEI
que donnent au XVIIe siècle le bronze de Kcller, et, depuis, le
recueil de deRossi, leçon que sans l'adopter n'a pas rejetée Visconti,
p. 18, et qui est admise par M. Letronne.
Mais dans le peu de paroles de M. R. R., que d'erreurs et de
fausses citations, qu'on dirait vraiment faites à plaisir pour mystifier
ses lecteurs ! C'est à ne pas croire ce que l'on a sous les yeux.
D'abord Visconti ne donne pas EPOH2EN, mais EPHE2EN. M. R. R.
affirme, p. 79, que l'on a lu EPOH2EN « contre la foi du monu-
« nument même, qui porte, en caractères parfaitement distincts,
« EPOH2E et non EPOH2E, leçon qui n'a jamais existé suj le
« marbre, non plus que celle d'EflOIEI que Visconti avait cru y voir
« et que M. Letronne a admise sur sa liste. » M. R. R. ne se rappelle
pas que, p. 255 de sa Lettre à M. Schorn, il dit positivement que « la
« leçon primitive était EPOIEI. L'inscription antique, intacte comme
« la plinthe elle-même, ajoute-t-il, offre réellement EPOE2EN,
140 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« ainsi que je m'en suis assuré par mes propres yeux ( ceci est par
« trop fort), et je m'en rapporte sur ce point au témoignage de tous
« ceux qui pourront examiner la plinthe de la Vénus de Médicis,
« dans la tribune de la galerie de Florence. » Voilà donc bien établi
que M. R. R. a de ses propres yeux vu, je dis vu, ce qu'on appelle
vu , que la plinthe de la Vénus porte EP0E2EN , et pas autre chose.
Malheureusement je n'ai pu retourner à Florence vérifier l'assertion
de M. R. R. et la justesse de son coup d'œil, et j'ai été forcé de me
contenter d'aller au moulage du Musée Royal du Louvre , petite
excursion facile que je recommande aux propres yeux de M. R. R.
Qu'il ait soin d'examiner la plinthe d'un plâtre de la Vénus ; il y
découvrira déjà quelque chose, ce n'est pas encore assez. M. Jacquet ,
chef du moulage, et qui est la complaisance même, lui dira que ce
plâtre n'est qu'un surmoulage, mais qu'il a l'ancien moule fait sur
la Vénus même lorsqu'elle était à Paris, et que l'inscription doit y
être beaucoup plus nette. Alors il ne manquera pas de proposer à
M. R. R. de prendre une empreinte, comme il l'a fait pour moi.
M. R. R. dans ce cas, pourra voir de ses propres yeux, et sans doute à
son grand étonnemerrt, le plus bel O qu'ils aient jamais vu, étalant des
deux côtés ses longs crochets, et le nom EPHE2EN , et non son
EP0E2E, aussi net que s'il -eût été imprimé parles Didot. Il me
paraîtrait donc assez prouvé que cette inscription qui, selon M. R. R.,
n'a jamais existé sut le marbre, y existait lors du séjour de la Vénus
au Louvre, et qu'elle était avec son bel O, tel que l'a donné Visconti.
A la différence près de forme de quelques lettres, la voici : KÀEO-
MENH2 AnOAAOAHPOY A0HNAI02 EnHE2EN. Voyez avec
Visconti et tout le monde, le bel EPHE2EN que les propres yeux
de M. R. R. ont changé en EP0E2EN. Il se pourrait cependant,
ce qui serait assez singulier, que depuis le temps où la Vénus était
à Paris, on ait métamorphosé à Florence l'EPflE2EN en l'EP0E2EN
de M. R. R. ; mais alors il doit y avoir sur le marbre de fortes traces
de cette altération ; car les crochets de Yoméga de l'inscription que
nous avons sont très-prononcés et très-profonds. Au reste, il me
semble assez démontré que M. R. R. ne devait pas se permettre
d'affirmer avec quelque peu de jactance que le mot EPHH2EN (Usez
EPHE2EN) n'avait jamais existé sur le marbre; et il en jurait sur ses
propres yeux qui , si on l'en croyait, seraient toujours infaillibles,
et l'on voit que l'on peut appeler de la manière dont ils ont lu et
l'inscription, et Visconti, et ces infidèles amis ont induit en erreur
leur propriétaire de qui je suis loin de soupçonner la bonne foi,
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS. 141
mais qui aurait bien quelque raison d'être mécontent de leurs ser-
vices et de n'y avoir plus autant de confiance. Cette petite affaire de
I'n , oméga, de Cléomène m'en rappelle une autre sur le même sujet.
Autrefois mon ami Millingen, si savant antiquaire et si excellent
homme, voulait absolument voir un omicron, O, dans le nom
d'Agamemnon , d'un assez célèbre bas-relief du Musée royal, n° 408.
Ayant la vue très-faible , et y regardant de très-près , j'avais toujours
vu un oméga , Cl , et je le soutenais fort et ferme. Millingen ne dé-
mordait pas de son omicron. J'eus recours alors au moulage et je
montrai en triomphe les beaux crochets de mon H à Millingen, qui
ne put résister à l'évidence, et comme il avait autant de bonne foi que
de science , il renonça , quoiqu a regret , à son omicron et proclama
mon oméga , très-fier de ce succès.
Comte de Clarac.
( La suite efcfin au prochain numéro.)
LETTRE A HL AMEDEE JAIBERT,
PAIR DE FRANCE , PRÉSIDEiM DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE DE PARIS (1) ,
StJR
LA DÉCOUVERTE DUNE MOSAÏQUE, A OUDNAH
(Uthina Zecgitanje).
Tunis, le 16 avril 1845.
Monsieur ,
A six lieues environ de Tunis, non loin de l'ancien aqueduc de
Carthage que l'on aperçoit, à droite, coupant une partie de la plaine
sur une étendue d'environ quatre milles, à deux lieues environ de la
Medjerdah qui coule silencieusement dans le même lit que celui du
fleuve Bagradas, connu dans l'histoire par le combat que livra sur
ses bords, le consul M. \t\Yius Régulus à un serpent monstre qui
avait jeté la terreur dans les rangs des légions romaines, subsistent
encore aujourd'hui des ruines remarquables qui attestent l'existence
d'une ancienne et grande ville , et dont peu de voyageurs se sont oc-
cupés, sans même en excepter le docteur Shaw, qui, d'ailleurs, est
généralement exact et précis dans la partie de son précieux ouvrage
qui traite de la régence de Tunis. Je veux parler ici des ruines de
Oudnah l'ancienne Ulhina dont il est question dans Pline et dans
Ptolémée.
Morcelli, dans son A frica Sacra, nous apprend que Uthina, place de
la province proconsulaire, était située près du fleuve Bagradas. Op-
pidum provinciœ proconsularis fait Ulhina quœ ad Bagradam fluvium
sita. En effet, Oudnah n'est pas bien éloignée de ce fleuve, et d'ail-
leurs, la parfaite ressemblance qui existe entre le nom arabe de Oud-
nah, et celui romain de Uthina, à quelques légères altérations près
dans la prononciation , ne permet pas le doute sur ce point.
Peut-être pourrait-on chercher plus haut l'origine de cette ville.
— Polybe nous apprend que A. Atilius Régulus, envoyé en Afrique
par le sénat romain conjointement avec L. Malius, lors de la pre-
vl) M. Jules MohI, membre de l'Institut, a bien voulu.au nom de la commission
du Journal asiatique , nous transmettre le travail de M. Rousseau, dont le sujet
convient à la spécialité de notre recueil et s'éloigne des éludes philologiques de la
iavante société. (Note de l'éditeur.)
LETTRE A M. AMEDÉE JAtfBERT. 1 43
mière guerre punique , après avoir enlevé aux Carthaginois plusieurs
châteaux forts, entreprit le siège de Adi ou Àdis, une des places les
plus considérables du pays; assez peu éloignée de Tunete, aujour-
d'hui Tunis, et dont il ne tarda pas également à s'emparer. Adi ou
Adis est un mot évidemment carthaginois qui doit avoir son étymo-
logie dans l'hébreu; en effet, le mot my Ade (élévation), dont
l'usage et le langage ont pu faire Adi ou Adis, pourrait aisément
s'appliquer à la ville de Oudnah, bâtie sur le revers d'une colline,
formant l'horizon d'une assez vaste plaine, et qui, par la nature même
de sa position , semblerait justifier le sens primitif du nom qu'elle
portait. — Peut-être aussi que les Romains venant à s'emparer de
cette ville, et lisant ce mot de droite à gauche, en le prononçant,
par conséquent, Eda, en ont-ils fait Edna ou Uthina. Cette opinion
paraît assez vraisemblable, en observant que le y se prononçait,
comme il se prononce maintenant encore , na ou gna. — La configu-
ration du sol actuel de Oudnah, se rapproche d'ailleurs assez exacte-
ment du tableau que nous fait Jean Freinsheim , dans son supplé-
ment de l'histoire romaine de î ite-Live, de la ville de Adi ou Adis,
lorsqu'il nous raconte le siège de cette place, fait par les troupes de
Régulus.
Oudnah ou Uthina , d'après Morcelli, avait un évêque, dès le temps
de Tertullien ; celui-ci, déjà sectateur de Montan, écrivait sur la
monogamie indigne de cet évêque : «Comme votre évêque de Uthina,
dit-il, en accusant les catholiques, qui n'a pas craint la scantinia :
Sicul Me vesler Ùtinensis nec scantiniam timent. ( La scantinia était
une loi faite contre le relâchement des mœurs porté à un certain
degré). , I
Les évêques de Uthina connus , sont :
Félix. Il assista et donna son avis au troisième concile que tint
saint Cyprien, touchant le baptême, l'an 255.
Lampadius. Il assista avecCéeilius au concile d'Arles qui se tint au
sujet des donalistes, l'an 314.
Isaac. Il assista à la conférence qui se tint à Carthage , au sujet des
donatistes, l'an 411.
Felissime. Il est contemporain, dans l'épiscopat, de Boniface,
évêque de Carthage , l'an 533.
C'est à Oudnah même qu'un heureux hasard m'a fait découvrir
une mosaïque de la plus belle exécution, et dont les parties impor-
tantes sont parfaitement conservées; le dessin ci-joint (voy. pi. 50),
donne une juste idée de ce précieux reste d'antiquité.
144 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Cette mosaïque, qui couvre le fond et les parois d'un bassin, et
que je suis parvenu, non sans d'énormes difficultés, à enlever et à
transporter à Tunis, était déjà assez endommagée dans la partie su-
périeure des parois. C'est ainsi, par exemple, que la tête de Neptune
et celle des deux femmes couchées sur des monstres marins, avaient
entièrement disparu. D'autres parties supérieures des parois avaient
également beaucoup souffert. Ces fâcheuses dégradations se trouvent
marquées sur le dessin ci-joint par une teinte brune.
Après avoir fait faire tout autour de la mosaïque des excavations,
afin d'en faciliter l'enlèvement, j'ai dû, pour la commodité du trans-
port, faire scier en plusieurs morceaux les parois qui, une fois déta-
chées de la base , m'ont donné plus de possibilité d'enlever , sans
craindre de la trop endommager, la mosaïque du fond. Cette dernière,
quoique fort intéressante, à son tour, est d'un travail un peu plus
grossier que celui des parois.
Malgré tous les soins minutieux que j'ai apportés à leur conserva-
tion, les deux trirèmes antiques qui figurent aux deux extrémités du
bassin, n'ont pu être sauvées ; l'humidité du sol s'étant infiltrée entre
les petites pierres de la mosaïque, avait altéré la solidité du ciment
qui les retenait, et le premier coup de pioche qui a été donné, quoi-
que avec précaution* , par derrière , pour enlever la terre, a fait tom-
ber en mille morceaux ces deux fragments qui sont très-regrettables,
tant par l'intérêt du sujet, que par la délicatesse et le fini du travail.
Les parties des parois rentrantes à droite et à gauche de l'hémi-
cycle, et dont la mosaïque n'a pu figurer dans le dessin, représentent:
celle de droite, un petit génie ailé assis sur un dauphin et tenant
d'une main une lyre, celle de gauche, un génie, ailé également, debout
sur un dauphin et tenant de la main un trident. — C'est le haut du
trident de ce dernier personnage, qui, seul dépassait le sol, et que
tout d'abord j'ai pris pour une lettre punique , qui m'a fait découvrir
la mosaïque entière. Au moyen d'un petit marteau que j'avais sur moi,
j'ai creusé quelque peu la terre, et j'aperçus bientôt la hampe du tri-
dent, puis la tête, puis tout le corps du petit personnage. Je recou-
vris aussitôt mon heureuse trouvaille pour la dérober à des yeux
rivaux, et je me promis de revenir bieutôt à Oudnah pour faire
exécuter, sur ce point, quelques fouilles en grand. En effet, peu de
jours après, toute la mosaïque était à découvert, et le lendemain je
la faisais transporter, dans des caisses, à Tunis.
Derrière la paroi de gauche j'ai découvert, en faisant faire des exca-
vations pour l'enlèvement du morceau, un conduit en plomb, de
LETTRE A M. AMÉDÉE JAUBERT. 145
douze centimètres de diamètre, et qui, passant sous la mosaïque, allait
aboutir à la citerne dont l'entrée se voit sur le premier plan , et dans
laquelle je suis descendu; cette citerne qui a cinq mètres de lon-
gueur sur trois et demi de large et six environ de hauteur, n'offre
rien de remarquable. Elle est semblable à toutes celles que l'on voit,
presque à chaque pas, à Oudnah comme à Utique et à Carthage.
La partie des parois du bassin qui devait faire face à celle représen-
tant tous les personnages , n'existait plus qu'à vingt centimètres envi-
ron d'élévation. J'ai examiné avec soin si elle n'avait point été, à son
tour, recouverte de mosaïque, mais à mon grand regret il ne s'en est
point trouvé de traces.
Une autre mosaïque , d'un travail infiniment plus grossier, et re-
présentant un damier noir et blanc, s'étendait, sur un plan incliné.,
dans la proportion de la longueur du bassin , dans la direction nord-
est.
Sur le côté gauche est un morceau de colonne de quarante-sept
centimètres de diamètre qui paraît avoir roulé jusque-là par le seul
fait du hasard.
Cette mosaïque, qui était à un mètre environ sous terre, était
placée sur le revers nord-nord-est de la colline sur laquelle s'élèvent
les restes de l'ancienne acropole de Uthina. Elle semble par sa nature
et par le fini de son travail , avoir fait partie de l'habitation de quelque
riche particulier.
Telles sont, Monsieur, les observations que j'ai pu faire lorsque je
découvris cette mosaïque. Il me reste encore à vous dire quelques
mots des ruines en général de Oudnah, les plus belles que j'aie vues
jusqu'à présent aux environs de Tunis, et, incontestablement, infi-
niment plus intéressantes sous le rapport de la conservation, que
celles de Carthage et d'Utique.
Je le répète, je ne comprends pas combien peu les voyageurs se
sont occupés de Oudnah. J'ai peine à m'expliquer comment ils ont
omis de parler de ces citernes à l'architecture grandiose et hardie, qui
ne le cèdent point en beauté à celles de Carthage; de l'amphithéâtre,
dont les restes, existant encore aujourd'hui, permettent aisément au
visiteur de reconnaître la place des galeries, des tribunes, des vomi-
toires, etc., etc.; de l'acropole si imposante par son étendue, par sa
construction gigantesque, que l'on est porté à croire qu'elle a fait
jadis partie d'une ville de géants! de ces chambres souterraines dont
les voûtes, malgré leur quinze ou vingt siècles d'âge, supportent en-
core le poids incalculable des ruines qui les recouvrent ; de cette pro-
III. 10
146 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
digieuse quantité de débris de construction qui sont jetés çà et là sur
l'emplacement d'une ville qui semble avoir eu plus de quatre milles
de circonférence.
Quoi qu'il en soit du silence des voyageurs dans cette partie du By-
zacium et de la Zeugitana, je ne saurais, quant à présent du moins,
remplir la lacune regrettable qu'ils ont laissée, car, pour le faire, il
me serait indispensable de passer une ou deux semaines au milieu
de ces ruines afin de mieux les visiter et de les étudier plus en détail
que je ne l'ai fait jusqu'à ce jour. Pourtant je ne puis me dispenser
de vous dire quelques mots, avant de finir ma longue lettre, de l'am-
phithéâtre, de l'acropole et des citernes.
Le premier de ces monuments, qui est de forme ovale, est placé
sur une émiuence, en face de l'acropole, et séparé d'elle par un ter-
rain plus bas et couvert également de ruines. La masse des décombres
qui entoure cet amphithéâtre de tous côtés , ne m'a pas permis de
prendre une mesure exacte de son étendue. Quoi qu'il en soit, j'en ai
fait le tour, en tâchant d'éviter les accidents de terrain qui pouvaient
causer une trop grande erreur dans mes calculs, et j'en ai estimé la
circonférence à deux cent quarante pas environ. L'amphithéâtre pa-
raît avoir été creusé par la main de l'homme; son élévation actuelle,
qui peut être de soixante-dix mèlres environ, arrive au niveau du sol.
Il ne serait pas impossible qu'il eût servi aussi à des naumachies. Sa
forme et sa profondeur, de même que celui d'Utique, peuvent auto-
riser cette opinion. Du reste les eaux pouvaient aisément y arriver
de l'acropole, qui renfermait dans son enceinte de vastes réservoirs,
dont l'existence semble justifiée par les arches encore debout d'un
aqueduc, qui se terminent à la partie la plus élevée de la citadelle.
Un œil exercé et bon observateur peut , sans beaucoup de difficultés,
démêler, au milieu de cette quantité de ruines, la place des galeries,
des sièges ou gradins rangés par étages superposés les uns aux autres,
et qui, de distance en distance, se trouvaient séparés par de longs
et assez étroits escaliers qui partaient de l'arène et aboutissaient à
l'étage supérieur ; l'on en voit encore très-bien h trace ; on recon-
naît aussi la place des vomitoires, les larges couloirs voûtés par der-
rière, les arcades qui entouraient ('amphithéâtre à sa partie supé-
rieure actuelle, etc., etc.— Le cœur se sent attristé à la vue de ces
ruines imposantes et sévères. Assis sous l'une de ces galeries voû-
tées, autrefois si bruyantes, si animées, maintenant si désertes,
je songeais avee tristesse à ces malheureuses victimes de l'antique
barbarie, qui sont venues trouver, dans cette enceinte, la mort du
LETTRE A M. ÀMEDEE JAUBERT. 14/
martyr! Que de chrétiens ont succombé dans cette arène, en pré-
sence d'innombrables spectateurs, sous la griffe meurtrière des bêtes
féroces !
La partie la plus considérable et la mieux conservée des ruines de
Oudnah , est, sans contredit, l'ancienne acropolis, présentant à l'œil
étonné du visiteur un style plein de sévérité et de grandeur. Cet édi-
fice est construit sur le point le plus élevé, qui devait commander
admirablement la ville, et d'où l'on découvre un panorama pittoresque
et magnifique tout à la fois. Un aqueduc, dont neuf piliers d'arches
sont encore debout, amenait les eaux dans d'immenses réservoirs,
dont les restes sont peut-être les masses énormes de décombres qu'on
voit tout auprès, ou bien qui subsistent encore intacts sous terre.
C'était là un autre moyen de sûre défense contre les tentatives de
révolte de la ville, puisque les citernes dont je viens de parler ne re*
cevaient les eaux que de ces réservoirs, au moyen de canaux dont on
aperçoit encore les traces. La partie nord-nord-est de l'acropolisest
la moins endommagée. Les pierres de taille qui ont servi à la con-
struction de la citadelle , ont toutes généralement un mètre et demi de
long sur quatre-vingt-dix centimètres de large et de hauteur. Le ci-
ment qui les reliait entre elles a disparu, et Ton est surpris devoir
tous ces blocs immenses se tenir presqu'en l'air, comme par enchante-
ment, en forme d'arches.
Les citernes de Oudnah sont au nombre de sept, rangées symétri-
quement, l'une près de l'autre, sauf la septième qui est en travers, à
l'une des extrémités et sur l'étendue de la largeur des six précédentes*.
Elles communiquent toutes entre elles au moyen de deux hautes
arches pratiquées dans les parois, en face l'une de l'autre. Elles ont
trente- six pas ordinaires de longueur sur quatre et demi de largeur et
douze mètres environ de hauteur. Leur conservation est parfaite et
bien plus entière que celles de Garthage. Elles servent d'étables et de
magasins à paille aux Arabes.
Une description de Oudnah, beaucoup plus étendue que les notes
que je vous envoie aujourd'hui, et sur lesquelles j'appelle toute votre
indulgence, sera l'objet d'un petit Mémoire que je me propose d'avoir
l'honneur d'adresser sous peu à la société asiatique.
Alph. Rousseau,
Drogman chancelier du consulat de France ,
membre de la société asiatique.
UNE AMULETTE DE JULES CÉSAR.
Je venais d'achever la lecture du Mémoire de M. Letronne sur la
Croix ansée égyptienne , et l'article de M. le docteur Sichel sur une
pierre gravée, avec des recherches sur les Divalia et les Angeronalia
des Romains t articles publiés par la Revue archéologique, lorsque,
en parcourant le cabinet d'un savant et trop modeste antiquaire ,
M. Denis Long , docteur en médecine, à Die, j'ai rencontré une
pierre gravée qui m'a paru remarquable sous plusieurs rapports.
J'ose donc en hasarder la description, parce que certains détails de
cette gemme me semblent confirmer entièrement les assertions émises
par les deux savants que je viens de mentionner.
Cette pierre, en jaspe rouge-brique , opaque , veiné de blanc, fut
trouvée, il y a quelques années , dans une vigne , près de Saillans,
l'ancienne Darenùacca (1), aujourd'hui chef-lieu de canton de l'ar-
(1) Plusieurs raisons me confirment dans cette opinion. Une voie romaine allait
de Valence aux Alpes, se ralliant à celle de Milan à Vienne , par le mont Genèvre.
Celte voie passait par Die (civitas dea Focontiorum) et le Col-de-Cabre (mons
Goura]. C'est encore aujourd'hui le tracé de la route royale n° 93 ; or , Y Itinéraire
de Bordeaux à Jérusalem donne de Die à Darenliacca XVI milles, ou 23,568
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 149
rondissement de Die (Drôme). C'est un parallélipipède, dont les
angles sont abattus et qui se termine, des deux bouts, par deux
cônes tronqués. Sa longueur est de 61 millimètres
et sa largeur de 26 ; il a 1 8 millimètres d'épais-
seur. Comme on peut le voir par la copie exacte
que nous donnons ici , les deux grands côtés por-
tent en beaux caractères, parfaitement conservés,
ces mots en lettres gravées de 4 millimètres de hauteur :
MEM. ,£TERN,E IVL. (LESARIS.
Toutes les autres faces sont couvertes de symboles ou d'attributs
que nous aurons occasion de décrire.
On se demande , tout d'abord , quelle pouvait être la destination
de ce curieux échantillon de l'art ou plutôt de la symbolique antique.
mètres. Le tracé de la route actuelle donne 25 kilomètres. Cette légère différence
s'explique du reste par les déviations données récemment à la route pour en adoucir
les pentes. Sans accorder plus qu'il ne faut aux étymologies, nous dirons que la
place publique de Saillans s'appelle encore place Daraise,- qu'on y voit dans un
Loin un débris de colonne milliaire avec cette inscription :
PIENTISSIMIS
PRINCIPIBUS
G. VAL. CONSTAN
TIO. ET. C. VAL. MAX
SIMIANO. PIO.
BENISSIMIS. GAES
ARIBVS.
M. P. XVI. *
Dernièrement encore on a trouvé l'inscription suivante , placée aujourd'hui dan?
le jardin de M. Rey , maire :
D. N.
FL. DELMATIO.
NOB.
CAES.
Ce Dalmatius est un neveu de l'empereur Constantin. — Dans l'église , un bé-
nitier est formé avec le fragment d'une autre colonne milliaire dont l'inscription
est excessivement fruste. Ces diverses pierres , mais plus encore la position et sur-
tout la distance indiquée par l'Itinéraire, confirment cette opinion, émise par
M. Long, le premier , que le Saillans actuel est bien l'ancienne Darenliacca. Rien
ne justifie l'opinion qui veut que Saillans soit le Solonium , auprès duquel le pré-
teur Pontinus défit complètement les Allobroges , l'an 61 avant .1. C. Ce n'est point
dans la vallée de la Drôme. mais bien dans celle de l'Isère que se décida le sort
de la malheureuse Allobrogie. C'est donc là qu'il faut chercher Solonium et les
Sollinii, peuple allobrogique plutôt que voconlien. Hadrien de Valois, D. Martin
et D. Bouquet ont eu raison de pencher pour Sone ou La Sonne, sur les bords de
l'Isère. Telle me paraît être aussi l'opinion de M. le baron Chaudruc de Crazannes,
qui attribue à la ville des Allobroges une médaille gauloise , portant la tête d'Apol-
lon dieu-soleil , avec le lion solslicial et la légende SOLLOS. (V. la Revue numis-
matique, année 1844, n° 2, p. 85.)
îSO REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
On soit que la superstition éclectique qui régnait sous les succes-
seurs des Antonins, se servit dos pierres précieuses comme d'amu-
lettes magiques contre les maladies et les influences démoniaques (1).
Faut-il ranger la gemme en question dans la classe nombreuse de
ces Abraxas, où les signes panthéistes accusent l'influence des
croyances religieuses étrangères (2)? n'était-ce qu'une amulette de
la famille Julienne? A-t-elle été apportée dans les Gaules et dans les
environs de Darenliacca par un de ces vétérans que le dictateur et
Auguste, après lui, distribuèrent dans les colonies militaires? Tout
cela peut être; mais nous laissons à des personnes plus compétentes
que nous le soin de prononcer là-dessus.
Nous croyons seulement une pareille gemme excessivement rare,
môme dans le midi : c'est, du reste, la première fois que nous
l'avons rencontrée. Quant à son appartenance au culte de Jules Cé-
sar et à son analogie avec la pierre gravée , décrite par M. le docteur
Sichel , cela nous paraît de la dernière évidence. La seule différence
est celle qui pouvait exister entre une amulette et le cachet de Se-
pullius Macer.
Notre pierre porte en toutes lettres , sur les deux grands côtés,
ces mots memoriœ œlernœ Jalli Çœsaris, à la mémoire éternelle de
Jules César. Sur les deux faces étroites sont des attributs ; d'un côté,
les palmes de la consécration; de l'autre , le Utuus et une étoile,
hesperas sans doute. Or, il ne saurait y avoir le moindre doute dans
ces symboles césariens ; car au-dessus du mot mem , court la comète
chevelue. Les autres petites faces des cônes tronqués sont remplies,
en général , par des étoiles, symboles de la filiation céleste. Trois
seulement portent les signes suivants : C > sans doute le croissant,
lunaire, P la croix ansée asiatique et <y , le signe astronomique
de Mars.
(1) O. Muller, Manuel d'archèol., t. I, § 508 , G.
(2j A mesure que les richesses de l'Orient remuaient dans Rome et ramollissaient
tes esprits graves , sérieux et pratiques dis Romains, les cultes étrangers faisaient
irruption de leur côté et contribuaient également à précipiter la ruine de l'empire.
Le Culte d'Isis, introduit violemment à Rome, vers l'an 700, servit à cacher de
monstrueux excès de débauche. Commode et Caracalla assistèrent publiquement à
«es cérémonies. Le Culte de Milhra , mélange des religions assyriennes et persanes,
porté à la co:maissmce du monde romain par les pirates, avant Pompée , fut re-
gardé comme indigène à Rome depuis Domilicn, mais surtout à partir de Commode.
La Religion syrienne, déjà aimée sous Néron, devint générale surtout, depuis
Septime Sévère Ajoutez à cela la généihliologic chaldécnne , l'abus des amulettes
m i.' | les, la philosophie Ihéurgique. O. Muller , Manuel d'archèol. , § 1S8 , trad.
Nicard, 1. I, p. 550.
AMULETTE DE JULE& CÉSAR. 151
La croix ansée asiatique , le lUms et la comète se retrouvent dans
le cachet de Sepullius. M. le docteur Sichel a parfaitement établi le
rapport qui existe entre les Dwalia ou Angeronalia et le culte de
Venus Genitrix , mère de la race énéenne , à qui est due la fonda-
tion de Rome. Nous ne pouvons que renvoyer les lecteurs à son
excellent travail. Or, on sait les prétentions de César à cette céleste
descendance. Plusieurs de ses monnaies étaient destinées à rappeler
cette circonstance et le culte de Vénus. Il n'est donc pas étonnant
de retrouver sur une amulette, destinée à rappeler le souvenir ou la
consécration du divin Jules, les attributs et les symboles qui étaient
l'apanage du culte de Venus Genitrix.
Le premier, César lui consacra un temple; et, après l'apparition
de la comète qui brilla lors des jeux publics, célébrés par Auguste en
l'honneur de Venus Genitrix et de César, placé au rang des dieux ,
les deux cultes furent confondus en un seul. Donc, rien de plus
naturel que la présence de la comète et des étoiles sur la pierre qui
nous occupe, étoiles que l'on rencontre au-dessus de la tête de Cé-
sar, dans quelques statues du dictateur et dans les monnaies de la
famille Julienne.
Le ïïtuus ou bâton sacré augurai , rappelle qu'il avait été revêtu
de la dignité pontificale. C'est en sa qualité de grand pontife que Jules
César confondit en un seul le culte de Vénus, déesse nationale et
tutélaire , déguisée pour le profane vulgaire sous les noms de Dwalia
et d'Angerona , et le culte de Venus Genitrix.
Quant au signe f , on ne saurait y méconnaître la croix ansée
asiatique. Une fois la filiation du divin Jules admise ou plutôt la
fusion de son culte avec celui de Vénus, le symbole à'Angerona n'a
plus rien qui doive embarrasser. Le culte de Vénus était originaire
de l'Orient , oxiAstarolh, Astarte, n'était qu'une Vénus syriaque ou
phénicienne. Ce culte y était très-répandu et a pu être apporté en
Italie par la famille des Énéades qui le conservèrent religieusement.
Dans notre pierre, il est vrai, la direction de la croix oblique de
droite à gauche, M. le docteur Sichel fait remarquer que, dans les
monnaies de l'île de Chypre, la croix est presque toujours tournée en
bas. J'ignore si cette obliquité de direction variait, selon les circon-
stances et si le symbole changeait ainsi de signification ; mais on
pourrait à la rigueur supposer que la direction de la croix ansée dans
notre pierre résulte de la place où elle se trouve , comme celle du
signe astronomique de Mars dans le cadre correspondant, comme
celle aussi de la comète, dont la crinière est horizontale, au lieu
152 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
d'être verticale, ainsi que cela se remarque ordinairementrdans l'astre
de César.
Le signe astronomique de Mars tf ne saurait être une anomalie
sur une amulette de César. L'analogie est évidente entre le culte du
dictateur et celui du dieu des combats , en faisant même abstraction
des rapports mythologiques entre Mars et Vénus. J'avoue que je ne
saisis pas aussi bien la présence du croissant lunaire. Il est vrai que je
n'ai rien ici pour aider mes investigations sur ce point.
En résumé , le jaspe de M. le docteur Long me paraît être une
sorte d'amulette, consacrée au souvenir du divin Jules, diviJulii,
dont le culte et les symboles étaient confondus avec le culte et les
symboles de la déesse protectrice de Rome , de Venus Genitrix.
Ceci me paraît pleinement résulter des emblèmes qui décorent
les différentes faces de cette pierre curieuse. Si nous ne sommes
pas parvenu à en tirer tout le parti convenable, si même nous
nous trompons dans notre hypothèse, que l'on n'accuse que notre
inexpérience en pareille matière; mais nous tenions avant tout,
d'abord à faire connaître aux amateurs de l'antiquité un petit monu-
ment, sinon unique en son espèce, du moins fort rare sans doute,
et, ensuite, à corroborer par un argument de plus certaines asser-
tions de M. le Dr. Sichel.
Le signe $ , symbole asiatique , venu du pays où était honoré le
culte de Vénus , ne saurait être confondu avec la croix ansée égyp-
tienne de l'époque pharaonique. M. Letronne a fort bien fait ressortir,
dans le Mémoire précité, les caractères distinctifs de ces deux espèces
de croix. Ce savant avait remarqué que jamais, ni la croix ansée
égyptienne , , ni le signe $ que M. Raoul Rochette prend pour
elle, n'avaient paru sur un monument trouvé en Grèce ou en Etrurie,
avant la découverte du vase de Cœre. De ce fait seul on est en droit
de conclure, selon lui , que l'emploi de ces deux symboles n'était pas
entré dans l'expression des croyances religieuses qui étaient propres
à l'Étrurie ou à la Grèce, et l'on a tout lieu de croire que le monu-
ment unique où se trouve le signe £, a été apporté du pays où ce
symbole était employé, c'est-à-dire des contrées voisines de la Phé-
nicie ou de la Phénicie elle-même. Nous sommes heureux de pou-
voir offrir à la profonde sagacité de M. Letronne un petit monu-
ment romain portant le même signe, et rappelant effectivement le
culte d'une divinité orientale. Nous n'osons faire un appel à son sa-
voir pour nous expliquer les rapports des signes devant lesquels re-
cule notre inexpérience; mais nous serions plus heureux encore
AMULETTE DE JULES CESAR. 153
d'avoir son approbation sur cette opinion que nous nous sommes for-
mée, à savoir que notre amulette de César prouve évidemment que
le Q ou le jP n'est qu'un symbole asiatique , transmis à Rome par
le culte de la Vénus syrienne, le culte de Vénus Angeronia, con-
fondu plus tard avec le culte de Jules César.
Jules Courtet,
Sous-préfct de Die.
Note sur cette prétendue amulette de César.
L'ingénieux interprète de ce petit monument, m'ayant fait l'hon-
neur d'appeler rîion attention , et de désirer mon avis sur plusieurs
difficultés, M. l'éditeur de la Revue vient de me communiquer l'épreuve
du précédent Mémoire. Je crois répondre à la confiance de l'auteur,
en lui faisant connaître, sans plus tarder, l'opinion qui est résultée,
pour moi, du premier coup d'œil jeté sur ce monument. Comme le
temps me manque pour en donner immédiatement les preuves , je me
borne à de simples assertions , que je justifierai dans le numéro du
mois prochain.
1° L'amulette dont il s'agit, comme l'a très-bien vu M. Courtet,
est tout à fait analogue au cachet, dit de Sepullius Macer, récemment
publié par M. le docteur Sichel [Revue, t. II, p. 633-642, et
679-682), accompagné d'explications savantes.
2° Ces deux monuments, trouvés dans le même pays, se rappor-
tent au même ordre d'idées, et s'expliquent l'un par l'autre.
3° Chacun d'eux est unique jusqu'à présent ; et ils seraient tous
les deux d'une très-grande importance , s'ils n'étaient pas de fabrique
moderne.
4° Ce fait réduit au néant les idées, que, dans l'hypothèse de leur
antiquité', on a émises sur leur origine et leur destination.
5° Quant aux symboles qui s'y trouvent, ils sont, en effet, tous
relatifs à Jules César, et l'on en devine facilement la signification.
6° Le signe fi ou Ql , bien qu'analogue , pour la forme, à la
croix ansée asiatique , n'a rien de commun avec ce symbole. C'est le
signe planétaire de Vénus, comme l'autre, çf , est celui de Mars. Or,
l'emploi de ces deux signes, quoi qu'on en ait pu dire, ne s'est ré-
pandu que dans le moyen âge, avec les livres des astrologues et des
alchimistes , en sorte qu'ils seraient à eux seuls un indice certain de
l'époque récente des deux monuments , quand il n'y en aurait pas
d'autres preuves non moins certaines, ainsi que je le ferai voir.
Letronne.
SUR
m MIROIR MAGIQUE DU XV OU XVIe SIÈCLE.
La magie a été fort en honneur depuis les temps les plus reculés
jusqu'au XVIe siècle, et la presque universalité des hommes admet-
tait la réalité des moyens surnaturels dont elle faisait usage. Mainte-
nant la raison publique se refuse à y croire, et tout ce qui s'y rattache
est tombé dans un complet discrédit. Je partage naturellement cette
incrédulité; mais je pense qu'on a tort de mépriser l'histoire de cette
science occulte et l'examen des procédés qu'elle employait. Il a dû se
cacher sous ses dehors merveilleux des connaissances positives très-
dignes do l'attention des esprits sérieux. A l'origine , les sciences se
liaient toujours plus ou moins à la magie, car l'homme qui possédait
quelques connaissances, cherchait à les mettre à profit pourdominerses
semblables, ou plus souvent encore l'ignorance et la crédulité lui fai-
saient prendre pour surnaturels des faits qu'il ne savait pas expliquer.
Aujourd'hui le flambeau peut être porté au fond de ces sanctuaires
mystérieux , de ces arcanes jadis impénétrables , et nous faire voir
qu'il n'y avait pas qu'imposture et mystification dans la magie, que la
plupart de ses prodiges peuvent être rapportés à des causes naturelles,
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 155
nonalors devinées. C'estsurtoutl'antiquaire qui doitchercherà pénétrer
au fond de cette question obscure qui se lie de si près à l'étude des
sociétés anciennes; il trouvera parfois sous l'enveloppe d'une opéra-
tion magique les éléments de la science ésotérique de l'antiquité qui
nous échappe encore, et dans les mots qui se prononçaient aux en-
chantements , s'offriront à lui des données philologiques qui serviront
à la solution de certains points d'histoire, d'ethnologie et de mytho-
logie.
Cette conviction où je suis de l'utilité qu'il y aurait à ce que quel-
ques personnes dirigeassent, sur l'histoire de la magie, des recherches
suivies, me fait tenter d'entretenir un instant le lecteur d'un mo-
nument qui s'y rattache. L'examen des figures qu'olîre ce monument,
des mots qui sont inscrits sur l'une de ses faces, des propriétés qui
lui étaient attribuées, sera comme la preuve de ce que je viens
d'avancer. Et je serais heureux qu'imitant mon exemple et abor-
dant la tâche avec plus d'érudition, de connaissances scientifiques
que je n'en possède, des esprits éclairés entreprissent de soumettre à
un examen de ce genre les faits de magie que les témoignages des
auteurs de tous les âges nous ont conservés en si grand nombre.
Quelques tentatives ont été faites, au reste, à cet égard, et tout
dernièrement, M. Joseph Ennemoser a publié un ouvrage plein d'in-
térêt (1) sur cette matière. Mais ce qui touche à la partie la plus
curieuse de cetle science occulte, à la magie orientale et à la divina-
tion, n'a été que faiblement examiné. On a proposé des explications
hasardées sans appeler à leur aide des expériences qui eussent été
plus significatives que des hypothèses; on a obéi à des idées précon-
çues et systématiques dont le mesmérisme faisait habituellement les
frais ; on s'est montré tour à tour crédule ou incrédule à l'excès. En
France surtout, bormis l'ouvrage de M. Eusèbe Salverte, encore
bien incomplet, et dans lequel l'examen de faits mythologiques est
presque toujours substitué à celui des faits historiques , nous ne pos-
sédons aucun travail véritablement critique sur ce sujet intéressant.
La magie attend encore un historien. Puisque l'alchimie vient de
rencontrer le sien (2) , nous sommes en droit d'espérer que cette at-
tente ne sera pas déçue; mais, quoi qu'il arrive, nous pensons , pour
les motifs ci-dessus exposés, que les archéologues ne doivent jamais
(0 Geschichle der Magie, 2e auflage. Leipzig. 1844. Voyez aussi D. Ticdemann,
Dispulalio de queslione quœ fueril arlium magicarum origo, Alarpurgi , 1787,
in-4.
(2) Voy. Fera". Hoefer, Histoire de la chimie, 1. 1. Paris, 184S.
156 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
omettre de nous fournir, sur les sciences occultes , les renseignements
qu'ils peuvent rencontrer. J'obéis à ce devoir en écrivant les pages
suivantes :
Une personne de ma connaissance, D. Antonio Terceral, qui ha-
bite les environs de Sarragosse, me fit voir, au mois d'août 1845,
dans cette dernière ville, un miroir métallique légèrement convexe
d'un côté et presque plat de l'autre , d'une forme circulaire et d'en-
viron 0m,25 de diamètre. Ce miroir se suspendait jadis à un anneau,
maintenant brisé, et qui était fixé à la partie supérieure; la partie
convexe était complètement lisse, et au contour se trouvait une sorte
de bordure, que je pris d'abord pour une inscription arabe, mais
qu'un examen plus attentif me fit reconnaîttre pour un assemblage
d'arabesques , c'est-à-dire de caractères arabes défigurés, et employés
uniquement comme ornement.
A la face concave ou plate postérieure est sculptée légèrement en
relief une figure hideuse qui représente évidemment le diable. C'est
un petit monstre à large tête surmontée d'un apex, et ayant une lon-
gue corne au-dessus de chaque oreille, à l'angle du frontal et des
pariétaux. Au-dessous de cette image on a placé le sigle ^; à gau-
che est sculpté, mais d'un relief plus léger et inégal dans la profon-
deur de ses lignes, un serpent enlacé. Les quatre lettres D, S, L, F,
encadrent la figure diabolique. A la circonférence du miroir on lit ,
en outre, très-distinctement plusieurs mots; ce sont, en commen-
çant par le haut et en allant de gauche à droite : Muerte , Etant, Te-
teceme, un mot effacé, Zaps. Il est probable qu'entre le mot effacé
et ce dernier, on en lisait encore d'autres; mais la rouille a profon-
dément mangé toute la partie droite du miroir, et elle a fait égale-
ment disparaître la figure qui devait y être représentée.
Ce miroir se reconnaît au premier coup d'œil pour un miroir ma-
gique; la forme des caractères (mal reproduits dans un croquis pris par
moi en quelques minutes) ne le fait pas, à mon avis, remonteraudelàdu
XVe ou XVIe siècle. Mais les traditions qui se rattachent à son usage
méritent d'être notées. Cet objet se trouve dans la famille de M. Ter-
ceral depuis 1626. Une petite notice, écrite de la main de D. Félix
Terceral, son trisaïeul, et datée du 7 mars 1699, apprend que ce
miroir a jadis été saisi sur un homme de Valladolid, accusé de magie
et de sorcellerie. Voici , d'après cette notice , comment le magicien
s'en servait. II avait recouvert d'une toile la partie concave, celle où
sont sculptées les figures et les inscriptions; cette toile était collée
aux bords mêmes de cette face, puis, exposant la face lisse et convexe
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 1Ô7
devant un vaserempîi d'eau préalablement par lui préparée, il faisait
apparaître sur la surface de ce liquide magique la figure du démon
qu'il évoquait. Il pratiquait la même opération dans une chambre lé-
gèrement obscure , en tournant la partie convexe sur un lieu de cette
chambre, que les rayons solaires introduits par une ouverture, illu-
minaient d'une vive clarté. Ce fait, attesté par un grand nombre de
témoins oculaires, fit condamner le sorcier par l'inquisition à une pri-
son perpétuelle. La notice ajoute que plusieurs assuraient qu'il pou-
vait également montrer, à laide du miroir, aux yeux d'un enfant la
personne sur laquelle on voulait opérer quelque maléfice ; mais cette
accusation plus grave ne put être suffisamment prouvée, et c'est cette
circonstance qui probablement sauva le possesseur du miroir des
horreurs de Yauto-da-fé.
M. Terceral, qui est un homme éclairé, ajoutait peu de confiance
à la note de son trisaïeul, et il me dit qu'il ne voyait dans son contenu
qu'une légende de famille à laquelle, il ne faut pas prêter grande foi.
Néanmoins, ces faits me parurent assez curieux, ils s'accordaient
d'ailleurs trop bien avec ce que j'avais lu çà et là des miroirs ma-
giques et des anciens procédés d'enchantements, pour que je n'en-
treprisse pas quelques recherches à cet égard. Depuis , j'ai comparé
divers témoignages que les livres fournissent, et je ne doute plus de
la parfaite véracité de la note de D. Félix Terceral; ce qui y est
consigné se trouvant parfaitement d'accord avec tout ce qui est rap-
porté des moyens de divination , à l'aide de miroirs solides ou li-
quides, chez des écrivains de diverses époques.
L'emploi des miroirs constellés et de la divination par l'évocation
de l'image de certains personnages sur une face solide ou liquide est
fort ancien. Varron, cité par saint Augustin (1), dit que ce procédé
venait de la Perse. Didius Julianus, cet éphémère et superstitieux
empereur qui immolait des enfants dans ses odieux sacrifices magiques,
y eut recours pour connaître quelle serait l'issue du combat de son
général Tullius Crispinus contre Sévère qui s'avançait à grands pas
vers Rome pour le renverser : « Qua? ad spéculum dicunt fieri , » dit
Spartien (2) « in quo pueri, praeligatis oculis, incantato vertice, res-
« picere dicuntur, Julianus fecit. Tuncque puer vidisse dicitur et ad-
« ventumSeveri et Juliani decessum. » Ainsi, à cette époque, on faisait
usage de ce procédé magique attribué précisément à notre magicien es-
pagnol , et des enfants dont la tête avait passé par des enchantements
(1) De civit. Dei, iib. VII , c. ï>o.
(2) ni. Did. Julian, c. VII.
158 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lisaient l'avenir dans des miroirs magiques. Apulée(l), d'après Varron,
mentionne un fait analogue : « Memini, » écrit-il, «apud Varronem
« philosophum virum accuratissime doctum atque eruditum, cum
« alia hujusmodi, tum hoc etiam légère : Trallihus de eventu
« Mithidraci belli magica percontatione consulentibns, puerum in
« aqua simulacrum Mercurii contemplantem, quae futura erant con-
te tum versibus cecinisse. » Ce mode de divination était proprement
ce que l'on nommait Ydpouxvzelx. Pausanias (-2) parle d'un miroir
qu'on tenait avec une ficelle sur la surface de l'eau ; on récitait une
prière, on brûlait de l'encens, alors on voyait apparaître dans le
miroir la figure de la personne malade , et l'on reconnaissait si elle
devait guérir ou non.
Casaubon, dans ses notes sur Spartien (3), cite un passage grec
tiré d'un martyrologe, où il est raconté qu'un Italien chrétien qui.
hantait les jeux du cirque, et qui se voyait constamment vaincu aux
courses de chars par la faction opposée à la sienne, alla trouver un
moine d'une grande piété nommé Hilarion. Il lui demanda la raison
de cette persistance de la mauvaise fortune. Le moine mit alors un
vase plein d'eau entre les mains de l'Italien, et celui-ci y regardant
vit dans le miroir de l'eau apparaître, à son grand étonnement, les
chevaux et les chars du cirque , et sa faction enchaînée par des sor-
tilèges magiques. Hilarion rendit grâce à Dieu de sa découverte et
dissipa l'enchantement avec un signe de croix.
Jean le Grammairien, dans son commentaire sur les Météorolo-
giques d'Aristote, cite aussi plusieurs exemples de divination par
le miroir; ce procédé portait le nom de KocTOKTpoy.zvrsix bu cTEo-o-
7rrpop.ay7txv7.Potter,dans ses Antiquités grecques (4), dit que le fond
du vase dans lequel on versait le liquide spéculaire s'appelait yxvrpr,,
et que de là vint le nom de yaGtpopavzsix que portait encore ce mode
de divination. La lécanomantie, dont le nom tire son étymologie de
IzvJ.vn, bassin, et \ux»*nià, divination, se pratiquait généralement
par le moyen d'un bassin plein d'eau, du fond duquel on entendait
des réponses, après y avoir jeté quelques 'lames d'or ou d'argent et
des pierres précieuses sur lesquelles étaient gravés des caractères (o).
Au moyen âge la catoptromanlie était encore en usage ; on qualifiait
(1) Apologia ap. Opcr. t. II, p. 474. Parisiis, 1688.
(?) Pausan., lib. VII, c. xxi.
(3) JVut. in Spartian. , p. 250 (Parisiis, 1603).
(4) Archœlogia grœca, lib. II, c. xvm.
(6) Cf. Plin. XXX, c. 2, Delrio, Disquisilion. magicar., lib. VII.
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 159
de specularii ceux qui s'y livraient (î). Jean de Salisbury (2) nous
explique avec détails quelles pratiques ces charlatans mettaient en
pratique: «Speculatoriosvocant, » dit-il, «qui in corporibus leevigatis
«et tersis, ut sunt lucidi enses, pelves, cyathi, speculorumque
« diversa gênera, divinantes, curiosis interrogationibus satisfaciunt,
« quam (artem) et Joseph exercuisse aut potius simulasse descri-
« bitur. Cum fratres argueret surripuisse sciphum in quo consueverat
« augurari. » Et ailleurs le même auteur ajoute : «Gratias ago Deo
« qui mihi etiam in teniori aetate adversus bas maligni hostis insi-
« dias beneplaciti sui scutum opposuit. Dum enim puer ut psalmos
« addiscerem, sacerdoti traditus essem, qui forte speculariam ma-
« gicam exercebat, contigit ut me et paulo grandiusculum puerum,
« praemissis quibusdam maleficiis, pro pedibus suis, sedentes ad spe-
« culariae sacrilegium applicaret, ut in unguibus sacro nescio (an)
«oleo, aut chrismate delibutis, vel in exterso et Isevigato corpore
« pelvis, quod quœrebat, nostro manifestaretur indicio. Cum itaque
« prœdictis nominibus, quae ipso horrore, licet puerulus essem,
« deemonum videbantur et prœmissis adjurationibus qua6, Deo auc-
« tore, nescio, socius meus nescio quas imagines, tenuiter tamen,
« et nubilosas videre indicasset, ego quidem ad illud ita cœcus extiti,
« ut nihil mihi appareret, nisi ungues aut pelvis, et caetera quae
« ante noveram. Èxinde ergo ad hujusmodi inutilis judicatus sum
« et quasi qui sacrilegia heec impedirem, ne ad talia accédèrent,
« condemnatus ; et quoties rem, hanc exercere decreverant, ego
« quasi totius divinationis impedimentum arcebar. »
Gervais de Tilbury dans son Olia imperialia (3) parle aussi de ces
«magiciens: « Àsserunt nigromanlici, in experimentis gladii, vel
« speculi, vel magnisaut circini solos oculos prœvalere.»
En 1398 la faculté de théologie de Paris condamnait formelle-
ment cette pratique magique comme un fait d'idolâtrie : « Quod
« conari per artes magicas dœmones in lapidibus, annulis speculis,
« aut imaginibus nomine eorum consecratis vel potius execratis,
« cogère et arctare, vel eosvellevivilicare non sit idolalria,error(4).»
M. Orioli a signalé dans Muratori (5) , deux passages où il est
évidemment question de ces mêmes miroirs magiques :
K *
(1 ) Ducange, Glos&arîum ad scriptores med. et infim. lalinit., v° Specularii.
(2) Policratic, Mb. I, c. 12 et 27.
(3) Olia imprrialia inler scriplores rerum brun&vicensium, vol. I, p. 89T.
(4) Determinalio Parisiis faclaper almarn facullatem Iheologicam, an. Do-
n>in. 1398.
(5) Scriptor. rerum italicarum, tom. I, col. 545, 293.
160 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le premier porte : ce In casa soa (di Cola di Rienzo ucciso) fo tro-
« vato uno specchio de acciaro raoito pulito con caratteri e feure
« assai in quello spirito erame lo spirito de Fiorone. »
Cet esprit de Fiorone (l) doit être le diable, et ce miroir semble
avoir été tout à fait du genre de celui qui nous occupe.
Voici maintenant l'autre passage : ce Sotto lo capitale (capezzale)
« de lo lietto (letto) de questo vescovo (l'évoque de Vérone que
<c Martin délia Scaîa fit mettre à mort) fo trovato uno spiecchio
« naorato (dorato) con moite (moite) divise (strani) carattere. Nelo
ce lo manico era una feura. La littera dicea : Questo esse Fiorono.
ce Poi li fo trovato uno ciscrimuolo (scrignetto) nello quale stava
ce pinto uno diavolo lo quale abbraciava uno homo e uno aitro (altro)
ce diavolo li daeva (dava) una cortellata (coltellata) in pietto (petto)
ce in quello luoco (luogo) nello, quale esso (vescovo) relevata (rice-
« vuto) havea la feruta (ferita). »
Tous ces sujets magiques ont beaucoup d'analogie avec ceux que
nous avons décrits comme étant sur le miroir de M. Terceral. Ils font
voir qu'en Italie, comme en Espagne, on avait recours aux mêmes
procédés , et que les specularii étaient répandus dans toute l'Europe ;
on les retrouve jusqu'en Irlande, au Ve siècle. Car on lit dans les
canons du synode tenu vers 450 par saint Patrice, Auxilius et Isser-
ninus : Chrislianus qui crediderk esse lamiam in speculo quœ inlerpre-
talar slriga% analhemalizandus est (2).
Au XVIe siècle, époque à laquelle la magie fut surtout en vogue,
et où les superstitions astrologiques, alchimiques, chiromantiques
venaient combler les vides que l'incrédulité commençait à faire dans
des âmes qui avaient besoin de croyances, la catoptromantie joua un
rôle important parmi les moyens surnaturels auxquels on avait re-
cours dans la folle espérance de dévoiler un avenir incertain. L'art de
fabriquer ces miroirs, ou, comme l'on disait, la spéculaire, avait été
déjà poussé loin : ce II se fait des miroirs, dit Corneille Agrippa (3), où
Ton peut voir seulement la forme d'un autre , mais non pas la sienne.
Autres, posés en certains lieux, ne représentent rien ; transportés
ailleurs , on y voit toutes choses comme aux autres. Certains ren-
l) La fleur était souvent l'image du diable, témoin les paroles de saint Cyprien :
■ Ipsum malorum principem vidi diabolum... erat autem visio ejus quasi flos. Con-
fess. sancti Cypriani. {Oper. Oxon. 1700 ), p. 200.
(2) Art. concil.,ed. Labbe, tom. I,col. 1791. Cf. Brand, Observations onpo-
pular anliquilies edited by Eilis, tom III, p. 31 et sv. (Londpn, 1842).
(3j Deincerliludineetvanilale scienliarum, ch. xxvi, trad. Turquet.
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 161
dent les figures renversées les pieds contre mont , et d'une seule chose
en représentent plusieurs. Il s'en trouve aussi qui montrent à droite
les parties dexlres, à gauche les senestres, au contraire de ce que
font communément tous miroirs. L'on fait des miroirs atdants et
devant et derrière, et aucuns qui montreront les figures non en de-
dans» » Les miroirs magiques donnaient lieu à quelques-uns de ces
phénomènes d'optique ; on en faisait aussi de constellés qui se liaient
aux idées astrologiques , et d'autres théurgiques et divinatoires. On
prétend que Catherine de Médicis possédait un miroir dans lequel elle
voyait tout ce qui se passait en France et dans les contrées voisines.
Elle découvrit, dit-on, par ce moyen, combien d'années les princes^
ses fils avaient à régner (1). 11 est vrai que l'on était alors fort libé-
ral en fait d'accusations de magie, et tous les faits extraordinaires
étaient attribués à cette science : les grands hommes étaient trans-
formés en magiciens. Jusqu'à l'apparition du livre célèbre de Gabriel
Naudé, intitulé : Apologie pour les grands hommes accusés de magie,
on imputa à ces opérations diaboliques les conceptions du génie.
Toutefois, il est constant que des esprits d'ailleurs éminenls étaient
alors entichés de ces folles rêveries. Raymond Lulle, Pic de la Mi-
randole, Cardan, Flamel, Paracelse s'en occupèrent, et prirent sou-
vent pour ses effets des phénomènes naturels que leur empirisme leur
faisait découvrir, absolument comme les alchimistes opéraient des dé-
couvertes réelles, en croyant être sur la roule du grand œuvre. Pic
dô la Miraudole n'hésitait pas à dire qu'il suffisait de faire faire un
miroir sous une constellation favorable et de donner à son corps la
température convenable pour lire dans le miroir le passé, le présent et
l'avenir (2). Rimuald (3) nous apprend que pour connaître l'auteur
d'un vol on prenait un miroir, une fiole, une chandelle ou un moyen
de réflexion quelconque. Si c'était une fiole, par exemple, on la
remplissait d'eau bénite, on en approchait un bougeoir portant une
bougie sainte, et on prononçait ces mots généralement en italien :
Ângelo bianco , angelo santo, per la tua santilà eper la mia virginhà ,
moslrami che ha lollo tal cosa, et on apercevait alors au fond de la
fiole l'image du voleur.
C'est, ainsi qu'on le reconnaît, toujours à peu près le même pro-
cédé employé depuis l'antiquité; au moyen âge, il avait revêtu une
forme chrétienne, voilà tout, mais le chercheur devait toujours être
(1) Dictionnaire critique de Bayle , au mot Pylhagore.
(2) Gi!b Lcgcndre , Traité de l'opinion, tom. IX, p. 139.
(3) Consilia in causis gravissimis cons. 414, tom. IV, p. 254.
111. 11
162 REVUB ARCHEOLOGIQUE.
quelqu'un qui eût gardé sévèrement sa chasteté, circonstance qui
permettait sans doute de mettre sur le compte de l'impureté secrète
de l'expérimentateur la faillibilité certainement fréquente du moyen
magique > et de sauver ainsi la réputation de l'enchanteur.
Toutefois, il est constant que l'opération réussissait souvent. Jean
Fernel (t) nous dit notamment qu'il a vu paraître dans un miroir
diverses ligures qui exécutaient sur-le-champ tout ce qu'il leur com-
mandait, et dont les gestes étaient si significatifs que chacun des
assistants pouvait comprendre leur pantomime. On obtenait la vue
de ces figures par certaines formules diaboliques dans lesquelles on
prononçait des mots obscènes, et où l'on invoquait les puissances de
l'air, les démons des vents et des quatre points cardinaux (2).
Cette invocation aux démons du midi , du nord , de l'orient et de
l'occident, qui se retrouve dans le Grimoire du pape Honorius, dé-
montre que ces procédés magiques remontent à une époque antérieure
au christianisme. Ce sont les dal^oveç grecs, les génies astronomiques
des anciens Égyptiens et des Chaldéens, les plus anciens peuples que
nous savons s'être occupés de magie (3).
G. Wierus (4), dans son livre curieux, tient sur les specularii le
même langage que tous les auteurs que nous avons cités plus haut :
« Ka7G7T7po/ju*v7sux, » dit-il, «ex nitidis tersisquedivinatspeculis, in
a quibus propositarum rerum imagines effictae , redditaeve fulgent. »
Et ailleurs il raconte le fait suivant : « Recenti adhuc memoria ,
ccanno 1350, sacerdoti in crystallo thesauros Noribergae ostenderat
« daemon. Hos quum, loco perfosso, ante urbem qurereret sacerdos
a adhibito amico spectatore et jam in specu arcam vidisset, atque ad
« eum cubantem, canem atrum, ingressus sacerdos in specum
a rursus complente, etc. »
Enfin, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, la cataptromantie demeura en
vigueur, quoiqu'elle fût moins répandue, et les charlatans qui s'y
(1) De abdilis rerum cawis , lit». I, c. jci,
(?) V. Grimoire du pape Honorius avec un recueil des plus rares gecreU ( Rome ,
1670, in-24),p. 27.
(3) La conjuration aux génies, ou démons des quatre points cardinaux, faisait
partie du penUcle de Salomon. Elle se rattache à la magie cabalistique. Elle est
mentionnée par Wierus et condamnée par la faculté de théologie de Paris : « Quod
« unusdeemon sit rex orientiset praesertim suo raerito, etaliusoccidentis, alius sep-
« tentrionis, alius meridiei, error. » Déterminât almœ facultat. theolog. Pari-
siens, ann. 1398, p. 25. Les noms que l'on donnait à ces démons appartiennent
évidemment à une langue sémitique,
(4) Pseudomonarchia dœmonum (ap. Opéra , edit. Amstelod. 1660), 1. III .
cxu, Ç6,p. 135.
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 163
livraient furent reçus et crus jusqu'à la cour. On se rappelle la sin-
gulière anecdote racontée dans les Mémoiresde Saint-Simon (1) d'après
laquelle un diseur de bonne aventure aurait fait voir au duc d'Orléans,
depuis régent de France, l'avenir dans un verre d'eau. C'était encore
un enfant qui servait d'intermédiaire ; c'est une jeune fille, jeune et
innocente , qui vit, au dire de Saint-Simon , si clairement tout ce qui
devait avoir lieu à la mort du grand roi. i
Les Orientaux ont hérité aussi de ces antiques procédés magiques ,
et ils s'exécutent encore aujourd'hui avec tant d'adresse et d'habitude,
qu'ils ont parfois triomphé de l'incrédulité des Européens. J'ai connu
diverses personnes qui avaient habité l'Egypte et l'Inde, et qui avaient
fini par croire à la magie, faute de pouvoir s'expliquer les prestiges
dont elles étaient témoins.
Les miroirs magiques et la cataptromantie sont encore usités dans
ces deux contrées. Déjà Wierus, à la suite du passage que nous
avons cité, avait consigné l'observation suivante: «...Turcae et
«mulieres cum primis Egyptiae.... nonnunquam ex aqua, speculo,
« vitro et id genus similibus organis prœsagiunt. »
M. le comte Léon de Laborde, un des rédacteurs de celte Revue,
a raconté les expériences du magicien Achmed , dont il a été témoin
avec lord Prudhoe (2). Il rapporte une anecdote qui correspond trait
pour trait à tout ce que nous avons trouvé consigné dans les passages
cités plus haut. Le témoignage de ce savant académicien, qui ne sau-
rait être suspect, est du plus haut intérêt; car non-seulement M. de
Laborde nous dit que, lui présent, un jeune Égyptien vit dans de
l'encre épaisse versée dans la main les objets éloignés , cachés,
inconnus, sur lesquels on appelait son attention; mais il affirme
formellement avoir répété les mêmes expériences, après avoir acheté
le secret d'Achmed et appris la recette dont celui-ci se servait pour
composer les parfums qui doivent être brûlés sous le nçz de l'enfant.
Et grâce à la formule magique qui est assez simple, et à ces par-
fums qu'il jetait dans le feu, il faisait apparaître les personnages qu'il
voulait. Ce n'est pas que nous croyions sérieusement à la seconde
vue que procure le procédé des harvis égyptiens , il en est probable-
ment d'elle comme de la prévision magnétique; examinée avec atten-
tion, elle résisterait difficilement à la critique; dans ces genres de
divination les erreurs sont d'ailleurs tellement nombreuses, com-
(1) Mémoires, ch. clxi.
(2) Y. Commentaire géographique suri' Exode et les Nombres , par le comte
de Laborde, p. 23 et suiv.
164 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
parées aux faits prédits, fussent-ils bien constatés, qu'on ne peut
rien avancer de positif à cet égard. Une imagination pré\enue
ou désireuse de merveilleux prête toujours à la prédiction, une fois
accomplie, plus de précision qu'elle n'avait à l'origine, et ne lient
plus compte de tout ce qui avait été annoncé, mais qui ne s'est pas
réalisé. M. Reinaud dit, en parlant des miroirs magiques, dans sa
description du cabinet Blacas (l) : « Les Orientaux ont aussi des
miroirs magiques dans lesquels ils s'imaginent pouvoir faire apparaî-
tre les anges, les archanges. En parfumant le miroir , en jeûnant pen-
dant sept jours, et en gardant la plussévère retraite, on devient en état
de voir, soit par ses propres yeux , soit par ceux d'une vierge ou d'un
enfant, apparaître dans le miroir les anges que l'on désire évoquer.
11 n'y aura qua réciter les prières sacramentelles , et l'esprit de lu-
mière se montrera à vous , et vous pourrez lui adresser vos demandes. »
Les musulmans de l'Inde et les Hindous font aussi usage de
miroirs magiques nommés unjoun ou lampes noires. Veulent-ils
savoir quel démon afflige une personne; car, pour les Orientaux et
comme pour les anciens, certaines maladies, et surtout les maladies
nerveuses, telles que l'aliénation mentale, l'épilcpsie, lalypémanie,
l'hystérie, la rage sont l'effet de la possession d'un méchant démon ;
alors ils placent Yunjoun dans la main d'un enfant, et celui-ci
y voit bientôt se dessiner les traits hideux de l'esprit qui possède
l'infortuné malade. Les sannyasis et les djoguis sont particulièrement
habiles dans ce genre de divination. Il y a, au reste, plusieurs es-
pèces de unjoun, sans compter les hazirals ou flammes magiques dans
la clarté desquelles on voit les personnages évoqués. Le sarwa un-
joun est le mode de divination qui rappelle le plus le procédé égyp-
tien. Pour le mettre en pratique, on prend une poignée de doliclws
lablab que Ion réduit en poudre fine après l'avoir carbonisée, et
qu'on humecte ensuite d'huile de castor; on fait brûler cette prépa-
ration dans un vase d'argile fraîche nommée lola , et après avoir dé-
bité certaine formule, on applique cette composition sur la paume
de la main d'un enfant qui ne tarde pas à voir la figure de person-
nages mystérieux et des esprits (2). Un fait digne de remarque, c'est
qu'une des figures que l'enfant voit d'ordinaire apparaître en premier
lieu est celle du fourach ou balayeur, auquel succède celle du por-
teur d'eau; \efourach reparaît ensuite, étendant un tapis, puis vient
(1) Descrip. du cabinet Blacas, tom. IF, p. 401, 402.
(2) Qanoon t islam, or ihe cusloms of Ihe moosulmans of India . by Jaffur
Sburreef. Translat. by Herklots, p. 378 (London, 1832)
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 105
une armée de génies et de démons que termine l'apparition de leur
chef sur un trône. Or, l'enfant dont M. le comte Léon de Laborde
parle dans la première opération magique exécutée par Achmed
vit aussi paraître en premier lieu un soldat turc balayant une place.
Nous n'entrerons pas dans de plus amples détails sur la calaptro-
mantie, et surtout nous n'aborderons pas l'explication de faits encore
trop obscurs pour pouvoir être éclaircis d'une manière satisfaisante.
Il faudrait, en effet, préalablement déterminer nettement la distinc-
tion de ce qui a été phénomène réel et de ce qui n'a été que l'effet de
l'adresse et de la fourberie du magicien : distinction difficile quand
on n'assiste pas comme nous aux évocations. Il est certain qu'on
peut, avec de l'adresse, aller fort loin dans l'ordre prétendu surna-
turel; à tout autre qu'à un Européen éclairé, bien des tours des Phi-
lippe et des Robert Houdin sembleraient la preuve qu'il existe des
procédés réellement magiques. L'enfanta double vue du premier, qui,
les yeux bandés, devine les plus petits objets à une distance considé-
rable et bien qu'ils lui soient cachés par le corps (Tune personne, se-
rait certainement tenu pour un incontestable sorcier. Mais il serait dif-
ficile de rendre raison par cette seule hypothèse de tout ce que nous
avons rapporté des miroirs magiques.
A notre avis, les compositions particulières que l'on brûle dans ces
diverses opérations prétendues diaboliques sont des narcotiques qui,
comme le dalura stramonium , la jusquiame , Y aconit, la belladone, la
mandragore, l'opium, le laudanum provoquent des hallucinations ou
sensations fantastiques de la vue, de l'odorat, de l'ouïe. On a déjà
remarqué que les herbes réputées magiques chez les Égyptiens sont
presque toutes des plantes de la famille des solanées, célèbres par leur
action sur l'innervation. Les fakirs, les derviches tourneurs et hur-
leurs, les santons, les kalenders, les bonzes, les sannyasis se don-
nent à volonté des extases, des crises nerveuses, des délires réputés
sacrés, des visions avec diverses préparations telles que les pilules
dEsrar, Xopiat de Perse, \epiripiri (l). C'est ainsi qu'ils se procu-
(1) Voy. dans Chardin, Voyage en Perse, t. IV, p. 204, le récit du P.Ange
de Saint-Joseph, carme et missionnaire dans le Lovant.
Agiippa de Rettesheim, dans son ouvrage intitulé: De occull. philosophiez,
lib. I, c. xliii, donne précisément comme moyen de produiiedes visions et des ap-
paritions diaboliques certaines fumigations. Il affirme que les fumigations de graines
de lin et de polygonum, mêlées avec des racine* de violiltcs et d'ache, font con-
naître les choses futures; que si l'on fait brûler et fumer à la fois de la cotiandre, de
Tache ou de la jusquiame et de la ciguë, on rassemble aussitôt les démons; aussi
appelle-t-ou ces herbes herbes aux esprits. Nom qui est donné en effet à ces herbes
166 RfeVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rent la vue des djinns, des effries, et de tous les esprits auiquels ils
croient d'autant plus fermement qu'ils s'imaginent avoir été en com-
merce avec eux. Sur certaines organisations, le vin, L'alcool, l'éther,
le thé même, pris avec excès, a donné naissance à des effets analo-
gues (1). Un savant médecin qui a voyagé en Orient, M. J. Moreau ,
vient, dans un livre du plus haut intérêt, défaire connaître les curieux
effets du hachisch ou extrait de chanvre (2). On peut, en en prenant
des doses diverses, se mettre dans un état de folie temporaire, et pro-
voquer les hallucinations les plus variées. Le célèbre chimiste Davy,
en respirant du gaz protoxyde d'azote, avait obtenu un effet analo-
gue. En présence de tant de faits si nombreux et si bien constatés,
de la production de cet état appelé par les médecins paraphrosynie
magique, delirium magicnm, il devient extrêmement probable que c'est
à des électuaires narcotiques , spasmodiques , à des fumigations por-
tant au cerveau et se transmettant du nerf olfactif à toute l'innerva-
tion , que l'on avait recours pour compléter l'action des miroirs, déjà
extraordinaire par leurs effets de réfraction et de réflexion.
Une fois l'imagination mise dans une véritable diathèse hallucina-
toire, la moindre idée qui lui est suggérée s'objective pour elle, et
les sens perçoivent comme sensation ce qui n'est qu'une conception
délirante : phénomène dont l'aliénation mentale nous rend tous les
jours témoins (3). Nous rappellerons seulement l'expérience du célè-
dans les campagnes. Une autre recette d'Agrippa pour faire apparaître dei démons
et des figures extraordinaires consiste à faire une fumigation de racine de férule ,
que l'on mêle avec de l'extrait de ciguë, de jusquiame, de baies d'ifs et de pavots
noirs. Si l'on ajoute au contraire une dose d'ache, on fait fuir les malins esprits,
effets aussi obtenus avec Vas$a fœtida, la semence de millepertuis, et qui a fait im-
poser à ces produits végétaux le nom de fugœ dœmonum. Le datura stramonium doit
encore aujourd'hui à ses propriétés hallucinatoires son nom d'herbe aux sorciers ,
herbe aux diables, et les fellahs des environs du Caire, contrée dans laquelle il
croît en abondance, en font usage dans leurs enchantements et le mêlent aux Ali-
ments de ceux sur lesquels ils veulent jeter des maléfices.
(i) Cf. Root, The horrors of delirium tremens , New York, 1844; Macnish,
Anatomy ofdrunkeness, Glascow, 1829; Ch. Roesch, De l'abus des boissons spi-
ritueuses, ap. Annales d'hygiène publique et de médecine légale, tom. XX, p. 20
etsuiv.; Hoegh. Guldberg, Commentatio de delirio tremente* Hafniœ, 1836.
(2) Du hachisch et de l'aliénation mentale , par J. Moreau, Paris, 1845.
(3) Voy. sur ce sujet l'ouvrage plein d'intérêt et auquel l'Académie royale de
médecine vient d'accorder un prix , du docteur Baillarger , les savants travaux de
MM. Lélut, Calmeil et Leuret, et les deux dissertations que j'ai publiées dans les
Annales médico-psychologiques du système nerveux (mai 1845 et janvier 1846) ,
sur l'application de cette étude & l'histoire , a propos des ouvrages de MM. Briére de
Boi-rnont et Calmeil. On objectera peut être que l'hallucination rend bien compte
de la vision, de l'apparition , mais non de la connaissance de l'avenir. Sur ce point
nous avouons notre incrédulité ; le hasard a pu faire souvent ; l'imagination, une fois
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 167
bre philosophe Gassendi, qui , s'étant frotté d'un bol narcotique que
lui avait donné un sorcier, en fut quitte pour une violente agitation
et un sommeil agité, stertoreux, des songes fréquents, des cauche-
mars fatigants ; le sorcier, dont l'esprit était nourri des idées de sab-
bat, s'étant frotté en même temps que lui du même bol, raconta à
son réveil toute la cérémonie du sabbat à laquelle il avait assisté, et
félicita Gassendi des honneurs qu'il avait reçus du bouc diabolique,
président accoutumé de cette extravagante et fantastique cérémonie.
Les exhalaisons qui faisaient prophétiser la Pythie à l'oracle des Bran*
chides , les boissons d'eau qu'on donnait à cette femme ordinairement
épileptique ou hystérique à Colophon , à Delphes , l'eau de la source
Cassotis, au-dessus de laquelle était placé le trépied d'Apollon, avaient
un effet analogue, grâce sans doute à certaines préparations. On peut
faire la même observation pour la fontaine de Mnétnosyne située près
de l'antre de Trophonius , eau dont l'effet se faisait sentir longtemps
sur le cerveau, et laissait, au dire des anciens, un fond de tristesse
dans l'imagination de celui qui avait consulté l'oracle. Les Africains
obtiennent aussi des hallucinations avec leur eau fétiche (l). Les
prêtres ou devins de divers peuples de l'Amérique, et notamment des
Tupinambas, à l'aide de longs jeûnes qui débilitaient le corps et pro-
voquaient les visions, comme chez les moines du moyen âge et les
solitaires delà Palestine et de l'Egypte, tombaient dans un état de
délire extatique durant lequel ils prophétisaient (2).
Mais c'est assez nous étendre sur ces faits qui sortent du domaine
de l'archéologie, et je reviens au miroir en question. J'ai dit ce que
la note de D. Félix Terceral rapportait au sujet de l'apparition sur
une surface polie et éclairée ; de l'image placée au revers de la face
convexe du miroir, lorsque l'on exposait Cette dernière face vis-à-vis
de la surface polie. Or il est fort étonnant de retrouver une propriété
toute semblable dans les miroirs magiques japonais. Exposés devant
une surface réfléchissante , ces miroirs donnent naissance à une image
identique à celle qui est sculptée en relief à leur revers. Le savant James
l'événement accompli , s'est représenté la prédiction comme plus claire qu'elle n'était
réellement; enfin, l'hallucination nous faisant voir par les yeux nos propres Idées,
il n'est point étonnant que quelques-uns aient perçu comme des sensations externes
des faits dont leur esprit était préoccupé , des conceptions qui étaient des prévisions
naturelles , et lorsque celles-ci sont venues à se réaliser plus tard elles ont donné
ainsi à l'hallucination tout le caractère d'une vision prophétique. Ce dernier cas a
été certainement commun.
(1) Voy. R. et T. Lander, Journal d'une expédition au Niger, trad. Belloc ,
tom. II, p. 133etsuiv.
(2) Cf. mon article Extase dans {'Encyclopédie nouvelle.
168 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Prinsep (l) qui s'était occupé de cet effet mystérieux, en a proposé
une explication tout à fait d'accord avec celles que m ont données deui
membres de l'Académie des Sciences, l'un savant physicien, M. Ba-
binet , l'autre M Gambey, l'un des plus habiles opticiens de l'Europe.
L'épaisseurdeces miroirs, faits d'un alliage d'étain et de cuivre, comme
celui de M. Tcrceral, est inégale; mais cette inégalité échappe à l'œil,
en sorte que le rayon de courbure de la partie convexe n'est pas le
môme ; il en résulte donc des foyers différents et la formation de diverses
images; or l'on peut calculer les épaisseurs à donner au miroir ou
plutôt celles de la figure en relief du revers de manière à produire
de l'autre côté une image du même genre que cette figure. En repous-
sant avec le marteau la partie lisse et convexe, la résistance inégale
qu'elle offre en raison de l'épaisseur variable des figures postérieures,
donne l'effet cherché.
Ainsi le monument que nous décrivons constate en Enrope au
XVI siècle la connaissance empirique d'un phénomène curieux d'op-
tique qu'on avait également en Asie. Voilà donc la confirmation de
ce que nous avons dit en commençant cet article , que sous une en-
veloppe surnaturelle se cachait souvent dans la magie le germe de
procédés scientifiques très-positifs.
C'est probablement par ce phénomène de réflexion qu'il faut s'ex-
pliquer ces figures de dieux ou de démons qui apparaissaient dans
l'eau et qui n'étaient autres que celles gravées au revers. Saint Augu-
stin (2) dit formellement que les enchanteurs produisaient sur la sur-
face liquide l'image de ces êtres surnaturels ; il attribue cette pratique
magique à Numa : Hydromanleiam facere impulsas est, dit- il en
pailant de ce roi , ut in aqua vident imagines deorum vel polias ludi-
ficaliones dœmonum , a quibus andiret qaid in sacris conslilùere alque
observare deberet. Notre figure de diable représentée dans la planche,
se dessinait par ce moyen sur un corps poli placé de l'autre côte du
miroir.
Quelques mots maintenant des inscriptions gravées sur le miroir.
Le nom de Muerte qui s'y lit se rapporte très -probablement à l'accu-
sation dirigée contre son possesseur, et par laquelle on prétendait qu'il
faisait apparaître sur une surface liquide le portrait des personnes
auxquelles il voulait donner la mort; elle se rattache évidemment à la
croyance à TenvOussure. On se rappelle que cette pratique magique
(1) Noie on Ihe magie, mirors of Japon, Journal of the Asialic tociely of
Bengal. Vol I , p 24:' et suiv. (Calcutta, 1832).
(2) De civil. Dei. Lib. Vil , c. xxxv.
SUR UN MIROIR MAGIQUE. 169
consistait à faire périr la personne à laquelle on portait de la haine en
exerçant sur son image certains maléfices, quoiqu'on donnât plus
particulièrement ce nom à l'acte par lequel on piquait au cœur la
figure en cire de celui que l'on voulait faire périr (l). On sait que
l'envoussure, qui s'est retrouvée chez des sauvages de l'Amérique du
nord, fut un des crimes dont on accusa le fameux Trois-Êehelles, le
sorcier de Charles IX.
Le mot zaps qui se trouve placé au sommet du miroir à droite,
près de la partie effacée, est sans contredit le plus digne d'atten-
tion. En effet, ce mot se trouve précisément être un de ceux que
Clément d'Alexandrie nomme parmi les mots qui portaient le nom de
lettres milésiennes , et dont les magiciens se servaient dans les en-
chantements; ces mots étaient Be'^u, Zsty, XGwv, Dferpov, 2çfiy£,
KvaJÇêi, X0J7rr/3ç, Qleypéç, Apoty (2), mois qui selon ce père de
l'Église étaient tous d'origine phrygienne. Bs'Ju, signifiait l'eau, et
suivant d'autres, l'air; Zcty, la mer; XGùv , la terre ; ïlferpov, le
soleil; Kva££êi, la maladie; XÔvttttïç, le fromage; Qleypôç, le lait;
Apoty était une sorte de juron.
Ainsi ces lettres milésiennes avaient laissé des souvenirs jusque
dans le moyen âge; fait facile à concevoir, puisque d'aprèsja crojance
ancienne il fallait, pour conserver aux mots des invocations leur
vertu magique, ne pas même les traduire dans uneautre langue, et pren-
dre garde de donnerau dieu d'un pays le nom d'un dieu d'un autre (3).
Les noms de Sabaoth, Adonaï, Chérubim, Abraham, Isaac,
Jacob cités par Origène et Nicéphore (4) comme prononcés dans les
évocations, se retrouvent encore dans le Grimoire du pape Honorius.
Il est probable que l'on retrouverait également dans les livres de
magie les traces des lettres éphésiennes, plus célèbres encore que les
milésiennes, et qui avaient le môme objet. Ces mots qui nous ont aussi
été conservés , que Plutarque (5) nous dit être ceux par lesquels les
magiciens appelaient les démons qui dominaient les énergumènes,
(1) Cotte pratique remonte aussi à la magie antique, ainsi que le rappellent les
vers d'Ovide :
Devovel absentes; simulacraque cerea figit
El miserum tenues injecur urget acus.
(Episl. heroid. Hypsipyleœ Iasoni, v. 88 et suiv.j
Cf Valer. Flaccus , lib. VII , 463.
(2) C.lém. Alex. Slromat., V, p. 539.
(3) Origen. adv. Cels., I, p. 17, et IV, p. 183. Nicephor in Synes., p. 3C2.
(h) Ibid.
(5) Symp., VII, q. 5.
170 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
c'est-à-dire les gêna atteints de maladies nerveuses telles que l'alié-
nation mentale, lépilepsie, l'hystérie, la catalepsie, ont été aussi
cités par saint Clément d'Alexandrie (1) et Hesychius (2) ; ils étaient
au nombre de six.
Le mot etam qu'on lit sur le miroir est bien célèbre dans l'histoire
de la magie. De Lancre (3) nous apprend que c'était un de ceux
dont se servaient les sorciers pour aller au sabbat, montés à cheval
sur un balai, et parcourant ainsi les airs à la façon d'Abaris (4).
Quant au mot bemarrouetak , c'est une locution arabe qui signifie
à ta discrétion, et qui s'adressait probablement au diable, entre les
mains duquel se remettait le sorcier qui invoquait son assistance.
Nous ignorons le sens du mot teteceme, qui n'est sans doute qu un
autre mot sacramentel.
Un fait ressort de notre travail , c'est que la tradition magique n'a
jamais été interrompue, et qu'elle forme une chaîne continue qui
lie les temps plus reculés au nôtre/C'est une science mystérieuse
qui s'est transmise , comme toutes les sciences ésotériques, par re-
cette, procédés, imitation. C'est ce qui fait l'intérêt de son étude,
et doit éveiller notre curiosité.
Alfred Maury.
(1) Clera. Alex. 1. c. Cf. Etymologic. rnagn., éd. Sylb., col. 364.
(2) Hesych. 'Eftax *f^pM,
(3) P. de Lancre, Tableau de Vinconêlance, etc., p. 247. (Paris, 1G20.)
(4) Scribonius, De sagarumnatura etpotestate, p. 68.(Marpurgi , U88.)
RAPPORT
SUR LES
RÉSULTATS DE L'EXPÉDITION PRUSSIEME
DANS LA HAUTE NUBIE (1),
PAR M. LE Dr ABEKEN.
Messieurs,
Mon projet n'est pas de donner ici un exposé en forme de rapport
complet sur les résultats de nos voyages en Ethiopie; j'appellerai
seulement votre attention sur quelques points qui peuvent jeter une
nouvelle lumière sur la question longtemps contestée de la priorité
de la civilisation égyptienne ou de la civilisation éthiopienne.
En remontant le cours du Nil, nous étendîmes nos recherches
jusqu'au Sennâr; mais le point le plus avancé au sud où l'on rencontre
des antiquités , je parle d'après les meilleures informations que nous
ayons pu obtenir, est Sobah (2), grand amas de ruines, à une demi-
journée de Khartoûm, à la rive orientale du Fleuve Bleu, et qui fut
jadis la capitale du royaume chrétien d'Aloa ( nom encore conservé
pour les pays circonvoisins). Les ruines que l'on y trouve aujourd'hui
appartiennent évidemment à cette capitale chrétienne et à ses églises :
cependant le lion ou le bélier, qui , dit-on , en a été enlevé par
(1) Ce rapport, traduit de l'allemand par M. A. Clerc, a été lu en avril 1845
dans la séance annuelle de la société égyptienne du Caire. Cette lecture a été pré-
cédée d'un discours de M. Perron , .secrétaire honoraire , sur le but et les travaux
de cette société. [Note de l'éditeur.)
(2) Le nom de Sobah , dont parle M. Abeken, me paraît'être le même que celui de
Souiati cité par M. Et. Quatremère dans ses Mémoires géographiques et histo-
riques sur l'Egypte, t. II , p. 29 ; car on sait que de Souiab à Sobah dans le tracé
arabe il n'y a la différence que d'un point diacritique : Voy. le Mémoire de M. Qua-
tremère sur la Nubie. Du reste je ne sais pas si cette ville de Sobah a dû être très-
ancienne, car d'après les témoignages historiques, ce ne fut que sous Dioclétien,
sur la fin du IIIe siècle de notre ère, qu'une peuplade des Noubah du haut âen-
nâr vint s'installer, à l'instigation de l'empereur romain, sur les frontières de
l'Egypte ; et de là l'origine de la Nubie actuelle. {Note du traducteur.)
172 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Khourchid pacha, et une statue d'Osiris en granit, d'un mauvais
style et d'une époque moderne, que nous vîmes à Kamorim, et qui
a été trouvée à Sobah , sembleraient indiquer que cette ville existait dès
le temps du paganisme; il n'est pas probable qu'après l'introduction
du christianisme des statues et des idoles y eussent été transportées
d'un autre endroit. Une petite statue de Vénus, d'un bon style grec,
et qu'on dit avoir été trouvée à Sobah, ne peut y avoir été apportée
que comme article de commerce ; mais si elle a été trouvée à Faz-
Oglou, comme nous l'a assuré Osman bey, qui affirmait l'avoir vu
lui-même apporter par un soldat, ce serait encore une preuve plus
étonnante de l'étendue de l'ancien commerce.
Mais le point le plus intéressant peut être par rapport à Sobah,
est la découverte d'une pierre portant une inscription en caractères
grecs , mais dans une langue inconnue, indiquant évidemment qu'avec
l'introduction du christianisme, les Éthiopiens d'Aloa , à l'exemple
des Coptes, avaient adopté les lettres grecques pour écrire leur pro-
pre langue; car anciennement ils écrivaient, comme j'aurai bientôt
l'occasion de le faire remarquer, avec des caractères très-semblables
au démotique égyptien.
On a cru longtemps, d'après les publications de Cailliaud et de Hos-
kins, que toutes les ruines de l'île nommée Méroé, dans le Wâdi
Hirbekân (Naga de Cailliaud, près du fleuve), Wâdi Hawa Taïb
(Aoua Tép)et Wâdi Sâffra (Méçaourat de Cailliaud), devaient ap-
partenir à une époque comparativement récente, qui ne dépasserait
pas le siècle des Ptolémées, et se rapprocherait même très-près de
l'époque de la conquête romaine. Je ferai seulement remarquer, à ce
propos , que , dans un séjour de plusieurs mois, nous ne pûmes trouver
aucune trace d'une antiquité plus haute, excepté la statue d'un des
premiers rois de la dix-huitième dynastie, travail d'un beau style égyp-
tien, et que nous vîmes à Wadi Kirbekan, mais qui doit aussi y
avoir été transportée de la basse Nubie. Parmi les nombreux cartou-
ches que l'on rencontre à Wâdi Hawa-Taïb , et particulièrement
aux pyramides de Wâdi es-Sur (Méroé) , beaucoup portent les noms
sacrés des anciens rois égyptiens, tels que Sesortasen Ier, Améno-
phis III, etc., adoptés évidemment par simple imitation. Un d'eux
porte le nom d'une reine, que l'on pourrait lire Rentahie,, ce qui
approcherait beaucoup du nom bien connu de Candace; et la place
spéciale du cartouche que prennent, a\'ns les sculptures et les inscrip-
tions, les titres des reines, et aussi les titres de quelques hommes et
ceux des prêtres, est parfaitement en harmonie avec ce que racon-
EXPÉDITION DANS LA HAUTE NUBIE. 173
tent les anciens sur l'empire d'Ethiopie. J'ajouterai que, non-seule-
ment le style de l'architecture et de la sculpture , mais aussi les in-
scriptions hiéroglyphiques qui portent évidemment le caractère d'une
époque très récente, présentent exactement le caractère égyptien.
Ces inscriptions sont quelquefois fautives, comme si les auteurs
n'avaient pas parfaitement compris la langue et la littérature égyp-
tiennes.
Car le style de ces inscriptions, ainsi que les caractères, est égyp-
tien ; les sujets mythologiques sont, à quelques exceptions près , en-
tièrement égyptiens , et les divinités sont môme accompagnées d'é-
pilhèles locales, prises des villes égyptiennes qui leur avaient été
consacrées, preuve concluante que les données principales de la
religion et de la mythologie éthiopiennes n'étaient rien moins qu'une
dérivation des Égyptiens.
Ave;*, la religion , et probablement avec les sciences et les arts de
la civilisation en général , ils avaient adopté la langue et les hiéro-
glyphes égyptiens pour tous les sujets religieux; mais, d'autre
part, ils écrivaient leur propre langue en caractères particuliers. Ceci
devient évident d'après plusieurs inscriptions en caractères sembla-
bles au démotique égyptien, et le docteur Lepsius est le premier voya-
geur, je crois , qui y ait fait attention ; on trouve beaucoup de ces
inscriptions aux pyramides de Wâdi es-Sur, sans doute contempo-
raines à la construction de ces monuments; nous les observâmes
ensuite le long du Nil jusqu'à l'île de Philœ; et il n'est guère permis
de douter que l'empire de Méroé ne se soit étendu , à son époque la
plus florissante, depuis Méroé jusqu'aux frontières de l'Egypte. Le
temple qui est à Amara (entre Dongolah et Wâdi Halfa, un peu
avant Soleb) porte le même nom que les temples de Wâdi Hawa Taïb,
et il n'y a pas de raison pour que l'empire de Méroé ne se soit pas
prolongé jusqu'à la frontière romaine. Dans d'autres temps , cette
vaste étendue de pays aurait pu être divisée en royaumes.
Ce fut seulement a Gébel Barcal, après avoir traversé le désert et
le pays montagneux de Gébel Agyllif( improprement compris par plu-
sieurs voyageurs dans le nom de Baioudah qui appartient seulement
à la partie la plus méridionale, et qui est la route la plus directe de
Dabbe à Rhartoum), que nous fûmes ramenés à ce que l'on peut
réellement appeler anciens temps. Mais ici encore, la plus vieille épo-
que dont on puisse trouver quelques traces n'est pas celle de la do-
mination indépendante de l'Ethiopie, mais de la conquête de ce pays
par les Egyptiens , probablement durant le règne de la dix-huitième
174 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dynastie. Quant aux béliers sur lesquels est tracé le nom d'Améno-
phis III , les derniers rois éthiopiens pourraient bien les avoir trans-
portés de Soleb où Aménophis avait érigé un magnifique temple
d'après sa propre idée , lequel temple est aussi mentionné dans les
inscriptions de ces béliers ; mais le grand et magnifique temple d'A-
màn , au pied du mont Barcal, a été construit au moins par Ramsès II,
ou Ramsès le Grand , et avait été seulement réparé ou restauré par
Tirhaka. On trouve fréquemment le nom de Ramsès parmi les ruines
de ce temple et sur un grand nombre de pierres dispersées çà et là
aux environs , ou employées comme pierres funéraires par les indi-
gènes. A part le nom de Tirhaka , on trouve les noms de plusieurs
autres rois éthiopiens parmi les ruines des nombreux temples qui
entourent le grand temple. Ces rois sont très-probablement les suc-
cesseurs immédiats de Tirhaka ; quelques-uns cependant appartien-
nent à la dernière époque méroétique , qui est aussi l'époque de quel-
ques pyramides que l'on rencontre près du Mont sacré, c'est ainsi
qu'il est nommé dans les inscriptions hiéroglyphiques (ce mont est
peut-être le même que le Nysa d'Hérodote, III, 97, dont les habi-
tants étaient tributaires des Perses). Il a conservé son caractère de
sainteté pendant un grand nombre de générations ; et à présent en-
core il est en vénération parmi les Arabes Schaigiia, qui, en raison
de son voisinage , l'ont choisi de préférence comme lieu de sépulture.
C'est là malheureusement une des principales causes de la destruc-
tion continuelle des monuments , les dégradations ont fait de grands
progrès depuis Cailliaud; car les pierres bien taillées et carrées, pro-
venant des ruines, sont très -commodes pour servir de pierres tu-
mulaires.
Le nom de Tirhaka et des monuments qu'il a érigés sont alors les
plus anciennes traces que nous ayons pu reconnaître de la puissance
des Éthiopiens. Mais , de plus, ses travaux et ceux de tous ses suc-
cesseurs sont parfaitement égyptiens dans leur style et leur caractère,
de sorte qu'il est presque impossible de douter qu'ils n'aient pas été
exécutés par des ouvriers égyptiens envoyés là par le vainqueur, et
qui peuvent avoir formé des sujets parmi les Éthiopiens afin de pro-
pager leur art. Et nous ne pouvons hésiter à admettre que la grande
ville , dont les ruines s'étendent sur les deux rives du fleuve, n'ait eu
la gloire d'être la plus ancienne capitale de l'Ethiopie, avant Méroé,
et il est remarquable que les auteurs grecs et romains n'en font men-
tion qu'à une période plus récente. Son nom était Napata , comme le
prouve indubitablement les inscriptions hiéroglyphiques ; il reste à
EXPEDITION DANS LA HAUTE NUBIE. 175
savoir comment Hérodote a su le nom de Méroé plutôt que celui de
Napata.
Aux pyramides de Noûri , sur la rive occidentale du fleuve , nous
ne pûmes trouver aucune inscription ou sculpture dont le style eût
pu faire connaître lepoque de leur érection ; mais d'après l'aspect et
la forme de la construction de ces pyramides , nous sommes très-per-
suadés qu'elles étaient la nécropole de l'ancienne Napata aux temps
de l'indépendance et de la splendeur de cette ville, et ces pyramides
contenaient , selon toute probabilité , les cendres des successeurs de
Tirhaka.
Il est plus difficile encore d'assigner une date certaine à une quan-
tité de sépultures et de pyramides ruinées qui s'étendent de Gébel
Barcai à l'angle où le Nil reprend son cours primitif vers le nord;
ces pyramides et sépultures semblent avoir échappé à l'observation
des autres voyageurs. On les trouve à Tengasi ( ouest ) , Kurroo ( est )
etSooma (est); elles sont appelées, par les naturels , comme celles
de Méroé , Tarabils : mais bien différentes de celles que nous venons
de nommer, ce ne sont aujourd'hui que de hautes collines en forme
conique; quelques-unes d'entre elles ne sont que des amas de terre
et de décombres ; quelques-unes paraissent être bâties de briques
crues , tandis que les autres sont construites en grandes pierres de
taille, mais très-irrégulièrement taillées : il n'y a aucune trace de re-
vêtement, mais devant quelques-unes d'entre elles les fondations de
petits sanctuaires ou temples qui leur sont annexés sont encore visi-
bles. A Sooma sont aussi les ruines d'une forteresse considérable,
avec d'épaisses murailles de briques crues et de pierres brutes ; ces
ruines sembleraient plutôt, comme quelques-unes des environs, ap-
partenir à l'ère chrétienne ; quant à l'âge des pyramides, je ne hasar-
derai pas d'opinion à ce sujet. , [
Dans la province de Dongolah où nous nous attendîmes presque à
ne trouver que les deux colosses bien connus de l'île d'Argo, qui, bien
que sans inscriptions qui aient pu servir d'indication , doivent être
considérés comme appartenant à des temps plus récents, je pourrais
même dire aux temps méroétiques , nous fûmes agréablement surpris
de trouver des traces d'un âge plus reculé. D'abord , à l'île d'Argo
même , nous trouvâmes parmi les ruines la statue d'un de ses anciens
rois, auquel on ne peut assigner une autre période que le temps de
la domination des Pasteurs, ou celle qui l'a immédiatement pré-
cédée ; son nom est Sebek Atep ; ensuite à Kerma , à la rive orientale,
un peu au-dessous d'Argo , la construction massive , que Cailliaud et
176 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Hoskins prirent pour une forteresse, semble être réellement un
tombeau d'une date très-ancienne. Un peu plus loin, dans l'intérieur,
est une autre construction semblable, nommée par les naturels
De/Jufa, sur la partie supérieure de laquelle il y a deux gros blocs
de. pierre, et qui semblent avoir appartenu à un obélisque, quoique
sans inscription. Ces deux tombeaux ressemblent beaucoup pour la
forme au iMastabet Pbaraôn de Saceârah, si ce n'est qu'ils sont beau-
coup plus hauts; ils sont entourés d'un grand nombre d'autres tom-
beaux dont on n'aperçoit cependant que les fondations; quelques-uns
sont ronds, d'autres carrés, quelques autres sont oblongs , et plusieurs
d'entre eux sont d'une grande dimension. Le tout a évidemment été
un grand cimetière appartenant à quelque grande ville, située aux
environs, et de laquelle même on peut reconnaître quelques vestiges:
les fragments épais de sculpture indiqueraient, parle style de leur
travail et le peu d'hiéroglyphes qui y sont gravés , une période très-
reculée.
Je n'insisterai pas sur les magnifiques monuments de la dix-huitième
dynastie, trouvés entre Dongolah et Wâdi Halfa, monuments de
haut intérêt dans leurs détails architecturaux et mythologiques ; je
me contenterai de mentionner Scmne, à laquelle aucun voyageur pré-
cédent , je crois , n'a accordé l'attention qu'elle mérite. Là, nous trou-
vâmes , au milieu d'une grande chaîne de montagnes , non-seulement
les ruines de beaux temples bâtis par les rois de la même dynastie,
mais encore les traces d'immenses travaux de fortifications exécutés à
une période plus éloignée, par la dynastie des Sésertasen et d'Ame-
nemhie. Le docteur Lepsius a prouvé que ces travaux étaient anté-
rieurs aux rois Pasteurs, et correspondaient à la douzième dynastie de
Manélhon. Plusieurs stèles en granit rapportent les exploits de Sé-
sertasen III , qui est adoré dans les temples comme le seigneur et la
divinité de l'endroit. Celte vénération particulière que lui conservè-
rent les derniers Pharaons s'cxpliqueiait facilement, en supposant
qu'ils aient été les premiers à éjever un point de défense solide pour
l'autorité égyptienne dans ces contrées, et aussi pari érection de cette
forteresse, qui , dans ces temps, peut avoir élé la frontière méridio-
nale de la domination égyptienne, et avoir protégé le pays contre les
invasions de ses voisins du sud.
Mais le point le plus intéressant en rapport avec cette localité est
le nombre d'inscriptions gravées en partie sur les rocs, en partie sur
les murailles adossées à la montagne comme appuis de ces construc-
tions. Ces inscriptions sont courtes ; elles contiennent une date avec
EXPEDITION DANS LA HAUTE-NUBIE. 177
le nom d'un des rois de la douzième dynastie, dont nous avons
parlé (très-probablement Aménemhe III), et commençant par un
groupe hiéroglyphique, qui, au premier coup d'œil, ne peut que
signifier la crue du Nil à cette date; car ce groupe contient littérale-
ment Bouche ou Ouverture du Nil Nous fûmes d'abord frappés de
quelques inscriptions tracées sur des blocs tombés sur la rive orien-
tale; et il était évident, d'après la place de ces inscriptions, qu'elles
avaient été gravées avant que les pierres ne fussent tombées; nous
trouvâmes ensuite plusieurs de ces pierres sur la rive de l'est à leur
place primitive , mais à une hauteur que le Nil n'atteint plus à présent ;
car elles ne sont pas à moins de 9 à 10 mètres au-dessus des plus
hautes eaux d'aujourd'hui. Par conséquent, ces anciens nilomèlres
paraissent prouver qu'avant le temps des pasteurs, le Nil, dans cette
partie de la Nubie, s'élevait beaucoup plus haut que de nos jours, et
on est fondé à croire positivement qu'à cette époque il a dû exister,
dans ces cataractes, un obstacle plus grand que celui que l'on y voit
aujourd'hui; que cet obstacle a dû être la raison pour laquelle le Nil
s'élevait à cette époque , en Nubie, et non en Egypte, à une hau-
teur qu'il n'atteint plus maintenant, et a ainsi formé le dépôt d'un
limon fertile pour le sol que nous trouvâmes dans la haute Nubie, à
des distances et hauteurs hors de toute proportion avec les crues ac-
tuelles du fleuve; et qu'à une dernière période, cet obstacle a. été
rompu par quelque grand bouleversement qui a entraîné aussi la chute
des blocs dont nous avons parlé , et dès lors les eaux au-dessus des
cataractes furent réduites au même niveau que celles qui étaient au-
dessous, et la Nubie fut ainsi privée d'une grande partie du bénéfice
de l'inondation. Pour plus de détails, il faut que je renvoie le lecteur
aux ingénieuses idées que le docteur Lepsius a développées dans un
rapport adressé à l'Académie des sciences de Berlin. Dans ce rapport, on
verra aussi la connexion qu'il établit si ingénieusement entre ces nilo-
mètres appartenant presque exclusivement à un même règne, et les
grands travaux qu'on dit avoir été exécutés par le roi Mœris pour l'ir-
rigation du Fayoum et de la basse Egypte.
En terminant ce coup d'œil rapide et très-incomplet sur celte partie
de nos recherches qui concernent l'Ethiopie, je crois que nous ne
pouvons guère arriver à une autre conclusion que celle-ci : La domi-
nation égyptienne, durant l'ancien empire et probablement jusqu'à la
douzième dynastie, s étant étendue jusqu'à Semne, après que les Pas-
teurs se furent rendus maîtres de l'Egypte , ou au moins de sa partie
septentrionale, les rois d'Egypte, chassés au sud, se retirèrent en
m. 12
i'ih REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ethiopie, non pas, comme on l'a supposé, en fugitifs suppliants et
en hôtes des Ethiopiens; mais ils formèrent un empire indépendant
et assez important en Nubie; ainsi , non-seulement ils sauvèrent la
civilisation de leurs pères, mais, les premiers, ils l'introduisirent en
Ethiopie, et après que, sortant de la Nubie, ils eurent chassé les
pasteurs et se furent rendus maîtres une seconde fois de l'Egypte
entière, ils étendirent aussi leur domination vers le sud, au moins
jusqu'à Gebel Harkal ou Napata ; mais ils perdirent une partie de ce
pays sous les faibles successeurs de Ramsès le Grand ; alors seule-
ment cette partie de l'Ethiopie s'étant rendue indépendante se forma
en un royaume, dont Napata était lecentre et la capitale, et qui peut
être appelé royaume d'Ethiopie ; toutefois , il doit être considéré comme
essentiellement égyptien dans tous ses traits (en telle sorte que je suis
porté à croire que la famille régnante peiit bien avoir été d'origine
égyptienne) et que ce n'est que Iorsquela civilisation eut remonté le Nil ,
qu'après Napata, Méroé fut, la première, le centre du pouvoir éthio-
pien; durant la dernière période du paganisme, et dans des temps
encore plus récents, Soba devint la capitale du royaume chrétien
d'Aloa.
Quant aux populations qui adoptèrent la civilisation égyptienne ,
je renvoie au nouveau développement qu'a donné le docteur Lepsius
dans son rapport, résultat de laborieuses et scrupuleuses recherches
sur les langues des différentes peuplades qui habitent les contrés mé-
ridionales d'Assaccan.
Dr Abeken
CONSIDERATIONS
SUR
LÀ QUESTION DE SAVOIR S'IL EST CONVENABLE AU XIXe SIÈCLE
DE BATIR DES ÉGLISES EN STYLE GOTHIQUE.
Le lecteur n'a peut-être pas oublié de quelle manière la Revue
s'est exprimée l'année dernière (voy. t. II, p. 187-250), au sujet de
l'Art gothique, dont quelques antiquaires veulent absolument faire
l'art chrétien.
Une discussion relative au même sujet s'est engagée tout récem-
ment dans le sein de l'Académie des Beaux- Arts, et ce corps savant
a cru devoir publier une sorte de manifeste dans lequel est exposée
l'opinion de ses membres les plus compétents sur l'opportunité qu'il
pourrait y avoir à construire des églises de style gothique.
Nous sommes heureux, en reproduisant ci-après quelques parties
du rapport, rédigé sur les conclusions de l'Académie des Beaux- Arts,
par son secrétaire perpétuel, M. Raoul Rochette , d'avoir à constater
que les doctrines de la savante compagnie sont entièrement conformes
aux nôtres.
On propose de construire de nouvelles églises gothiques qui ne
peuvent être que des copies serviles de monuments déjà existant ou
des inventions malheureuses, car il est impossible qu'un artiste
invente dans les conditions d'art d'un siècle qui n'est pas le sien. D'ail-
leurs qui ne sait que les constructions gothiques quelque belles,
quelque parfaites qu'elles soient, sont plutôt du domaine de l'équi-
libre que de celui de l'architecture ? qui ne sait qu'une cathédrale, du
XIIIe ou du XVe siècle, suspendue dans les airs à l'aide de contre-
forts et d'une masse effrayante de barres de fer, a besoin d'être reprise
tous les demi-siècles ?
€e que nous combattons, c'est la passion aveugle et peu intelligente
qui tendrait à confondre des monuments originaux , par conséquent
pleins de charmes et de valeur, avec des copies qui , encore une fois ,
ne peuvent satisfaire que des esprits sans critique.
Pour montrer jusqu'où la déraison peut aller, nous rappellerons
que dernièrement les membres d'une association nomade discutaient
gravement la question de savoir si l'on devait dans les vitraux donner
h saint Vincent de Paul , à saint Stanislas Kotzka le costume du
180 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
XIII1 siècle. Un jésuite du XIIIe siècle ! et puis après cela nez si
vous l'osez d'Achille en perruque et en talons rouges.
Voici comment s'exprime l'Institut :
« Une grave discussion s'est élevée dans le sein de l'Académie des
Beaux-Arts sur un des sujets les plus faits pour exciter tout son in-
térêt^ il s'agissait d'examiner, d'après une série de questions propo-
sées par un de ses membres qui joint à sa profession d'architecte une
profonde connaissance de l'histoire de son art, d'examiner, disons-
nous, si, à l'époque où nous sommes, au XIXe siècle de l'ère chré-
tienne , il convenait de bâtir des églises dans le style de l'architecture
dite gothique.
« L'intérêt qu'excitent les beaux édifices gothiques de notre pays
ne pouvait manquer de trouver dans l'Académie de nombreux et d'élo-
quents interprètes. Ces édifices, dont les plus parfaits rappellent l'un
des plus grands siècles ae notre histoire, celui de Philippe Auguste
et de saint Louis , captivent au plus haut degré le sentiment reli-
gieux; ils élèvent, à l'aspect de leurs voûtes sublimes, la pensée
chrétienne vers le ciel ; ils plaisent à l'imagination , ils agissent même
sur les sens par l'effet de leurs brillants vitraux, où tous les mystères
de l'Église se montrent étincelants de l'éclat des plus vives couleurs,
et ils réalisent ainsi , à l'œil et à l'esprit , l'image de cette Jérusalem
céleste vers laquelle aspire la foi du chrétien. A ne les juger que par
les impressions qu'elles produisent , impressions toutes de respect .
de recueillement et de piété, les églises gothiques charment et tou-
chent profondément.
« Mais aussi n'est il question ni de contester cet effet, ni de
combattre ce sentiment , en ce qui regarde les édifices de ce style qui
couvrent notre pays, et qui sont les monuments sacrés de notre
culte , les témoins respectables de notre histoire; loin de là : il s'agit
de les entourer de tous les soins que leur vieillesse exige, que leur
caducité réclame ; il s'agit de les conserver, de les perpétuer, s'il est
possible, aussi longtemps que les glorieux souvenirs qui les consa-
crent, aussi longtemps que vivra la langue et le génie de la France;
et pour cela, l'état dans lequel ils se trouvent aujourd'hui ne four-
nira malheureusement que trop d'occasions de se signaler au zèle
patriotique, pourvu de toutes les ressources d'une nation telle que
1.1 nôtre. Que l'on répare donc les édifices gothiques , sur lesquels
s'est si sensiblement appesanti le poids de huit siècles, joint à trois
es d'indifférence et d'abandon; qu'on les répare, avec ce respect
ÉGLISES EN STYLE GOTHIQUE. 181
de l'art qui est aussi une religion, c'est-à-dire avec cette profonde
intelligence de leur vrai caractère, qui n'y ajoute aucun élément
étranger, qui n'en altère aucune forme essentielle; c'est ce que de-
mande la raison , c'est ce que conseille le goût , c'est ce que veut
l'Académie.
« La question se présente tout autrement, si l'on propose de bâtir
de nouvelles églises dans le style gothique, c'est-à-dire de rétrograder
de plus de quatre siècles en arrière , et de donner pour expression
monumentale à une société qui a ses besoins, ses mœurs, ses habi-
tudes propres , une architecture née des besoins , des mœurs , des
habitudes de la société du XIIe siècle; en un mot, il s'agit de
savoir si , au sein d'une nation telle que la nôtre , en présence d'une
civilisation qui n'a plus rien de celle du moyen âge, il est conve-
nable , il est possible de construire des églises qui seraient une
singularité, un anachronisme, une bizarrerie, qui apparaîtraient
comme un accident au milieu de tout un système de société nouvelle,
puisqu'elles ne pourraient prétendre à passer pour une relique d'une
société défunte; qui formeraient un contraste choquant avec tout ce
qui se bâtirait, avec tout ce qui se ferait autour d'elles, et qui, par
cette contradiction seule, élevée à la puissance d'un monument,
blesseraient la raison, le goût, et surtout le sentiment religieux.
Envisagée sous ce point de vue, la question a paru à l'Académie
digne d'être sérieusement approfondie, et tout ce qu'elle a entendu
de considérations alléguées de part et d'autre sur ce sujet, n'a pu que
la confirmer dans l'opinioji qu'elle s'était faite.
« Il importe d'écarter d'abord de cette grave discussion un de ces
préjugés nés d'un sentiment respectable, mais qui ne sauraient résister
au plus léger examen , l'idée que l'architecture gothique serait l'ex-
pression propre du christianisme , quelle serait , comme on voudrait
l'appeler, l'art chrétien par excellence. Il suffit, pour réfuter cette
idée, de la plus simple connaissance de l'histoire de notre religion ,
considérée, comme le peuvent faire des artistes, dans les monu-
ments de son culte. S'il est un fait avéré par les travaux de tant
d'hommes habiles , Français, Allemands, Italiens, Anglais, qui ont
étudié l'architecture gothique dans toutes ses formes , qui en ont
recherché l'origine, qui en ont suivi , sur le terrain et dans le temps,
les développements successifs et les phases diverses , c'est que cette
architecture s'est formée à la fin du XIIe siècle , à la suite d'une
lutte qui avait commencé, un siècle auparavant, entre l'arc cintré,
principal élément de l'architecture romaine, et l'arc ogive, concep-
182 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tion de toute une société nouvelle, plutôt qu'invention de tel peuple
ou de telle époque. S'il est aussi une notion familière aux artistes,
tels que ceux qui remplissent l'Académie, c'est que l'architecture
gothique, à quelques exceptions près, absolument sans conséquence,
n'a jamais pénétré à Rome, dans le centre même du catholicisme.
Rome, la ville chrétienne par excellence, Rome la grande ville, la
ville éternelle, possède des monuments de toutes les époques du
christianisme, depuis ceux des Catacombes, qui ont été son berceau,
jusqu'à ceux du Vatican , qui offrent le plus haut degré de sa magni-
ficence et de son génie; elle montre , à côté des premières basiliques
élevées par Constantin et ses successeurs, une longue suite d'édi-
fices chrétiens qui expriment chacun la physionomie de chaque âge,
et qui aboutissent à l'immense et superbe basilique où s'est imprimé
le siècle de Jules II et de Léon X, par la main de Bramante et de
Michel- Ange , et Rome n'a rien de gothique. Cette architecture, née
dans les siècles du moyen âge , par des causes qui ont dû produire
alors leur effet et qui ont cessé plus tard d'avoir leur action, n'est
donc en réalité, ni une ancienne forme, ni un type exclusivement
propre de l'art chrétien ; c'est l'expression d'une partie de la société
chrétienne du moyen âge , très-respectable sans doute à ce titre ,
mais non pas au point de constituer à elle seule une règle absolue
du génie chrétien.
« Il y a plus, et c'est sur ce point surtout qu'il importe de réfuter
un préjugé qui ne repose sur aucune base historique. On ferait tort
au christianisme, on méconnaîtrait tout à fait son esprit, si l'on
croyait qu'il ait besoin d'une forme d'art particulière pour exprimer
son culte. Le christianisme , cette religion du genre humain , ap-
partient à tous les temps , à tous les pays , à toutes les sociétés ; il
ne se renferme pas plus dans telle forme de société, de politique et
d'art, que dans telle contrée, ou dans telle époque; immuable dans
sa doctrine, il se modifie dans les éléments extérieurs de son culte,
suivant les besoins de chaque âge et les convenances de chaque pays.
S'il corrige i s'il adoucit la barbarie, il provoque, il favorise la civi-
lisation ; et s'il s'est réfléchi dans le gothique du XIIIe siècle, il s'est
imprimé dans la renaissance du XVIe. Ce qui est sensible, ce qui
éclate dans l'histoire du christianisme , ce qui est le signe de sa divi-
nité et le garant de sa durée, c'est que partout il a marché avec l'es-
prit humain ; c'est qu'à toutes les époques il s'est servi de tous les
matériaux «Jil'il avait à sa portée; c'est qu'il a employé à son usage,
0* les marquant de son empreinte, non-seulement des éléments de
ÉGLISES EN STYLE GOTHIQUE. 18:*
l'architecture antique, des colonnes, des chapiteaux, des entable-
ments restés sans emploi sur le sol païen , mais des édifices antiques
tout entiers , dans les deux églises d'Orient et d'Occident , à Athènes
aussi bien qu'à Rome. Le christianisme n'a donc jamais été exclusif,
en fait d'art ni en rien de ce qui touche au régime des sociétés hu-
maines; il s'accommode à tous les besoins, il se prête à tous les
progrès ; et soutenir qu'il n'a que le gothique pour expression de son
culte , ce serait vouloir que l'esprit humain n'ait d'autre société pos-
sible que celle du XIIe siècle.
« Les monuments, qui appartiennent atout un système de croyance,
de civilisation et d'art qui a fourni sa carrière et accompli sa destinée,
doivent rester ce qu'ils sont, l'expression d'une société détruite, un
objet d'étude et de respect, suivant ce qu'ils ont en eux-mêmes de
mérite propre ou d'intérêt national , et non un objet d'imitation ser-
vile et de contrefaçon impuissante. Ressusciter un art qui a cessé
d'exister, parce qu'il n'avait plus sa raison d'être dans les conditions
sociales où il se trouveit , c'est tenter un effort impossible , c'est
lutter vainement contre la force des choses, c'est méconnaître la
nature de la société, qui tend sans cesse au progrès par le change-
ment, c'est résister au dessein même de la Providence, qui, en
créant l'homme libre et intelligent, n'a pas voulu que son génie restât
éternellement stationnaire et captif dans une forme déterminée; et
cette vérité s'applique aussi bien au grec qu'au gothique; car il n'est
pas plus possible à l'esprit humain , dans le temps où nous sommes,
de revenir au siècle de Périclès ou d'Auguste , que de reculer à celui
de saint Louis.
« A l'appui de ces idées générales , l'Académie a entendu des obser-
vations particulières dictées à quelques-uns de ses membres par la
connaissance profonde de l'art qu'ils exercent. Elle a pu se convaincre
que, sous le rapport de la solidité , les églises gothiques manquaient
des conditions qu'exigerait aujourd'hui la science de l'art de bâtir. Il
est certain que la hauteur de ces édifices , se trouvant hors de propor-
tion avec leur largeur, il a fallu les étayer de tous côtés , pour em-
pêcher, autant que possible , l'écartement des voûtes. Ceux qui ad-
mirent à l'intérieur l'effet de ces voûtes si élevées et en apparence
si légères, et qui se laissent aller, en les contemplant, à l'effet d'une
rêverie pieuse et d'une disposition mystique , ne se donnent pas la
peine de réfléchir que cet agréable effet est acquis à l'aide de ces
nombreux arcs-boutants et de ces puissants contre-forts qui mas-
quent toute la face extérieure de ces édifices, et qui représentent
184 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
réellement en pierre l'énorme échafaudage nécessaire pour les ap-
puyer. Or, est-il possible de nier que cet aspect extérieur des églises
gothiques ne nuise essentiellement à l'effet quelles produisent à l'in-
térieur, et qui n'est acheté qu'aux dépens de la solidité, première
condition de toute construction publique?
c< Sous d'autres rapports, l'architecture gothique n'offre pas moins
de ces inconvénients qu'il semble impossible de justiGer par les lois
du goût, et de concilier avec l'état de civilisation des sociétés mo-
dernes. Ces figures, sculptées en dehors de toutes les conditions de
l'art , sans aucun égard à l'imitation de la nature , et qui semblent
toutes exécutées d'après un type de convention , peuvent bien offrir
au sentiment religieux l'espèce d'intérêt qu'elles reçoivent de l'em-
preinte de la vétusté, et qu'elles doivent à leur imperfection même,
et à ce qui s'y trouve de naïf, en même temps que de traditionnel;
mais , si on les comprend , si on ies excuse , à raison de l'ignorance
des temps dont elles sont l'ouvrage, voudrait-on, pourrait-on les
reproduire aujourd'hui que nous sommes habitués à traiter la sculp-
ture autrement, aujourd'hui que la vérité est pour nous la première
condition de l'imitation, et la nature, le seul type de l'art? Où trou-
verait-on parmi nous des artistes capables de désapprendre assez tout
ce qu'ils ont étudié , de se détacher assez du modèle vivant qu'ils ont
sous les yeux, pour refaire des figures gothiques? Et si , dans ces
tentatives désespérées d'un art qui chercherait à se renier lui-même,
il restait un peu de cette vérité imitative à laquelle l'œil et la main
de nos artistes sont nécessairement accoutumés-, si l'on y sentait
quelque chose qui accusât la nature, ne serait-on pas fondé à dire
que ce n'est plus là de la sculpture gothique ? et ne refuserait-on pas
avec raison à ces fruits avortés d'une contrefaçon malheureuse ,
l'estime et l'intérêt qui ne sont dus qu'à des œuvres originales?
a 11 en serait certainement de même de la peinture, qui aurait de
plus à lutter contre le jour faux produit par les vitraux coloriés , et
qui verrait tout l'effet de ses tableaux détruit par celte illumination
factice.
« L'Académie croit qu'en présence de ce gothique de plagiat , de
contrefaçon , les populations qui se sentent émues devant le vieux,
devant le vrai gothique ,' resteraient froides et indifférentes ; elle
croit que la conviction du chrétien n'irait pas où aurait manqué la
conv iction de l'artiste ; et c'est parce qu'elle aime , parce qu'elle
comprend , parce qu'elle respecte les édifices religieux du moyen
âge, qu'elle ne veut pas d'une imitation malheureuse, qui ferait
EGLISES EN STYLE GOTHIQUE. 185
perdre à ces monuments sacrés du culte de nos pères l'intérêt qu'ils
inspirent, en les faisant apparaître, sous celte forme nouvelle, dé-
pouillés du caractère auguste que la vétusté leur imprime, et pri-
vés du sceau de la foi qui les éleva.
«En résumé, il n'y a, pour les arts, comme pour les sociétés,
qu'un moyen naturel et légitime de se produire; c'est d'être de leur
temps, c'est de vivre des idées de leur siècle; c'est de s'approprier
tous les éléments de la civilisation qui se trouvent à leur portée;
c'est de créer des œuvres qui leur soient propres, en recueillant dans
le passé, en choisissant dans le présent, tout ce qui peut servir à
leur usage. C'est, avons-nous dit, ce que fit le christianisme à toutes
les époques, et c'est ce qu'il doit faire aussi dans la nôtre, dont il faut
que l'on dise qu'elle a eu son art chrétien du XIXe siècle , au lieu
de dire qu'elle n'a su que reproduire l'art chrétien du XIIIe. Serait-ce
donc au milieu de ce progrès général dont on se vante, surtout au
sein de ce retour sincère aux idées chrétiennes dont on se flatte , que
notre société se déclarerait ainsi impuissante à rien inventer, et que
l'on désespérerait du talent des artistes et de la foi des peuples, au
point de n'en rien attendre, et de refaire ce qui a été fait? Ces
grands architectes des XVe etXVP siècles, les Léon-Baptiste Alherti,
les Brunelleschi, les Bramante, les San Gallo, les Peruzzi, les Pal-
ladio, les Vignole, qui construisirent tant d'églises chrétiennes, sur
la terre classique de l'antiquité et du catholicisme , n'ont-ils pas su
imprimer à leurs monuments le caractère qui leur convenait, en s'as-
similant, si l'on peut dire, tout ce qu'ils empruntaient à l'art an-
tique? N'est-ce pas à la même école que s'étaient formés ces illustres
artistes de notre pays, les Jean Bullant, les Philibert Delorme, les
Pierre Lescot , sous la main desquels l'architecture antique prit une
physionomie française? Et qui empêche nos architectes modernes de
faire de même, en élevant, avec toutes les ressources de notre âge,
des monuments qui répondent à tous les besoins de notre culte, et
qui soient à la fois marqués du sceau du christianisme et du génie
de notre société? C'est évidemment là ce que la raison conseille; c'est
ce que demande l'intérêt de l'art ; c'est ce que réclame l'honneur même
de notre époque; et c'est aussi ce que pense l'Académie. S'il devait
en être autrement, il faudrait fermer toutes nos écoles, où l'on en-
seigne, non pas à copier les Grecs et les Romains , mais à les imiter,
en prenant, comme eux , dans l'art et dans la nature ; tout ce qui se
prête aux convenances de toutes les sociétés et aux besoins de tous
les temps. »
COLLECTION DE SCEAUX HISTORIQUES
MUSEE DE L'ECOLE DES BEAUX-ARTS.
11 y aurait une infinité de choses à dire sur les sceaux et sur les
avantages que l'on peut tirer de leur étude, mais nous ne nous arrê-
terons que sur quelques-uns des plus remarquables. La Revue a
publié récemment un savant mémoire de M. Delloye sur quelques
sceaux inédits- (voir t. II, p. 650 et suiv.).
Le nom de sceau ne devrait être donné qu'à l'instrument ou cachet
qui servait à sceller les actes; mais on le donne aussi communément
aux empreintes.
Les sceaux ne furent d'abord gravés que sur des anneaux; plus
tard, vers le Xe siècle, on les grava sur des morceaux de métal de
figures diverses, mais le plus ordinairement ovales ou rondes, et dont
l'empreinte sert à rendre un acte authentique, le confirmer, le rendre
secret.
Ces matrices ont été gravées aussi sur toutes sortes de substances,
métaux, pierres précieuses, verre, ivoire, etc.; les matières qui re-
çoivent l'empreinte ont également varié. La craie et le malthe , mé-
lange de poix, de cire, de plâtre et de graisse, sont celles dont on
s'est servi le plus anciennement. Nos rois ont emprunté des Romains
l'usage des sceaux de cire.
Les sceaux sont au moyen âge ce que les médailles sont dans
l'antiquité, et s'ils forment une numismatique moins pure, l'intérêt
en est tout aussi grand. Les matrices étaient gravées par les artistes
les plus habiles de l'époque et dont les noms de quelques-uns nous
sont transmis par ces monuments. Les symboles et les inscriptions
des sceaux sont ce qu'on y doit principalement remarquer ; ils ont
à peu près le même usage pour l'étude de l'histoire que les mé-
dailles; ce sont eux qui peuvent servir à fixer les dates, les origines.
La beauté, la finesse, la franchise de leur exécution varient selon que
l'art est en décadence ou en progrès ; souvent même , on remarque
l'analogie qui existe entre les figures qui sont représentées sur les
COLLECTION DE SCEAUX HISTORIQUES. 187
sceaux , et celles qui se voient sur les monnaies à l'effigie des per-
sonnages auxquels appartenaient ces sceaux.
Le plus ordinairement les sceaux des femmes étaient ovales ou
en ogives. Les exceptions à cette règle sont rares et remontent
presque toutes au delà du XIVe siècle. La forme ogivale est aussi
l'attribut des gens d'église et des communautés religieuses; néan-
moins, les ecclésiastiques, à l'exemple des barons, des rois et surtout
des papes, ont fait usage des types ronds plus fréquemment que les
femmes.
11 est à regretter que les matrices en cuivre deviennent de jour
en jour plus rares ; et quant aux empreintes , bien que nous en pos-
sédions encore un assez grand nombre, elles sont en matière si
fragile qu'on peut regarder leur destruction totale dans un avenir
peu éloigné comme un malheur inévitable. On ne saurait donc trop
applaudir à l'idée conçue il y a quelques années par M. Dépaulis ,
notre habile graveur de médailles , de former une collection de ces
monuments reproduits par le moulage en plâtre.
Depuis l'année 1834, époque à laquelle M. le Ministre de Tinté-
rieur, sur le rapport favorable de M. Vitet, alors inspecteur général
des monuments historiques, facilita ses recherches dans les archives
de Paris et des départements, M. Dépaulis a consacré uri mois
chaque année à la recherche et au moulage des sceaux les plus
intéressants sous le rapport de l'art et de l'intérêt historique.
M. Dépaulis a visité successivement les archives des départements
qui lui avaient été désignés, et indépendamment des pièces impor-
tantes trouvées dans ces dépôts, plusieurs sceaux remarquables lui
ont été communiqués par des collecteurs des diverses localités qu'il
a parcourues. C'est ainsi que M. Dépaulis a pu rassembler environ
mille pièces du plus beau choix qui embrassent une période de douze
siècles, depuis les rois de la première race jusqu'au siècle de
Louis XIV. Parmi cette nombreuse collection, on distingue la série
aussi complète que possible des rois de France ; un certain nombre
de sceaux d'abbayes, d'évêques, d'abbés et d'abbesses de diverses
communautés; de villes, de collèges, de corporations, de grands
feudataires ainsi que de princes et de souverains étrangers.
L'œuvre accomplie par M. Dépaulis, et à laquelle a concouru
M. Cave, directeur des Beaux-Arts, en lui accordant avec bien-
veillance les moyens de continuer ses recherches, sera de plus en
plus appréciée, surtout lorsqu'on saura que cette belle et utile
entreprise a été conçue dans une intention toute désintéressée, et
188 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dans le seul but de créer une collection nationale, et de l'offrir en
don au gouvernement pour être exposée dans un monument public
et mise à la disposition des artistes et des savants.
La noble et louable intention de M. Dépaulis se réalise en ce mo-
ment. M. le Ministre de l'intérieur a désigné une salle de l'école des
Beaux-Arts, pour recevoir cette collection précieuse, qui sera livrée
incessamment au public. Déjà plusieurs montres sont disposées par
le donateur, et nous avons pu admirer et apprécier les prodiges
d'érudition , de goût et d'habileté pratique accomplis par l'habile
artiste qui attache ainsi à son nom une belle part de gloire et de
reconnaissance qui s'étendra dans l'avenir.
J. A. L.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES
— Mosaïque trouvée en Egypte. — On a découvert il y a peu de
temps à Alexandrie, dans le jardin de Sayd pacha, situé sur le
bord du lac Maréotis, une superbe mosaïque parfaitement conservée.
Ce pavé , qui a environ 8 mètres de longueur sur moitié de largeur, est
divisé en trois compartiments principaux -, celui du milieu, qui a 2m,40,
représente une tête de Méduse ailée et comme de coutume entourée de
serpents. De la tête divergent de nombreux rayons formés d'écaillés
qui vonts'agrandissant. Les deux compartiments extrêmes représentent
des (leurs, des fruits, et divers oiseaux dont le plumage est rendu
avec beaucoup de vérité. Les bordures d'encadrement sont formées de
simples ornements en zones et en méandres. Cette mosaïque, qui est
d'un travail très-ûn et dont les petits cubes de la tête n'ont pas plus
de 2 millimètres de côté, semble avoir appartenu à des bains ou à
une de ces délicieuses villa que les Romains prodiguaient partout
avec un luxe effréné. Après avoir été préservée tant de siècles grâce
aux décombres qui la recouvraient, cette belle mosaïque ne résistera
pas longtemps au soleil d'Egypte, si les Arabes continuent, sur la
demande de chaque visiteur, d'y verser l'eau à pleine outre pour lui
rendre momentanément son éclat primitif.
190 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
— M. de Mas-Latrie a fait don au cabinet des antiques de la
Bibliothèque royale d'une collection d'objets antiques qu'il vient de
rapporter de l'île de Chypre, et qui forment une série importante à
ajouter à l'archéologie asiatique. Ces monuments ont été trouvés au
lieu de, Dali, que ce jeune savant pense être l'ancienne Idalie.
Dans une des dernières séances de l'Académie des inscriptions et
Belles-Lettres, M. Ch. Lenormant a mis sous les yeux de la com-
pagnie plusieurs de ces objets. Ce sont des têtes ou statuettes entières
qui représentent, sous des formes diverses et avec des caractères d'art
fort différents, Vénus cypriote. La plus ancienne de ces figures, à
l'art rudimentaire, n'offre qu'une grossière idole. Les figurines de la
seconde période sont déjà d'une exécution remarquable. On y recon-
naît avec évidence les traces de l'influence phénicienne et assy-
rienne. Une tête en terre cuite, provenant de Citium, et trouvée
dans un monticule qui semblait dominer le port fermé dont parle
Strabon , est encore remarquable par l'influence de l'art égyptien
sur l'art cypriote. La troisième période, celle de la perfection
de l'art, est représentée dans la collection de M. de Mas-Latrie
par une belle tète de Vénus en marbre blanc, d'une exécution
très-pure. Il est curieux de pouvoir suivre ainsi, par les antiquités
trouvées dans un seul lieu qui était, il est vrai, l'un des princi-
paux sanctuaires de Vénus, les modifications survenues, à partir
d'époques très-éloignées, dans les représentations de la déesse, en
même temps que les progrès de l'art depuis les ébauches informes de
ses premières tentatives jusqu'à ses productions les plus parfaites.
Ces observations d'archéologie comparée d'après des monuments
d'une origine connue contribuent à jalonner fort utilement l'histoire
de l'art ancien par des observations sûres et précises.
L'Académie a remarqué encore un fragment de statuette qui con-
firme la conjecture qu'on avait appliquée à une autre statuette anti-
que du cabinet du Roi, en la désignant sous le nom de Cyniras,
personnage de Chypre. Une tête de Jupiter, trouvée dans les ruines
de Paléa Famagouste, l'ancienne Salamine, a été reconnu pour
le Jupiter Salaminius, dont on n'avait encore de représentations que
sur les médailles.
— M. Mérimée, inspecteur général des monuments historiques,
vient de présenter à M. le Ministre de l'intérieur, au nom de la
Commission des monuments historiques, son rapport sur les travaux
exécutés sous la direction de la Commission , et sur les projets qu'elle
découvertes et nouvelles. 191
désire voir se réaliser. L'économie la plus sévère a été suivie dans la
répartition annuelle de la somme de six cent mille francs dont dis-
pose la Commission pour la restauration et la conservation de nos
monuments nationaux. Quelques monuments devenus propriétés par-
ticulières et qu'il importait de sauver de la destruction ont été acquis
sur ces fonds. Le plus important de tous est l'église de Saint-Julien
à Tours, admirable modèle de l'architecture du XIIIe siècle arrivée
à son complet développement; le généreux concours de M. l'arche-
vêque de Tours, joint à l'allocation considérable autorisée par M. le
Ministre de l'intérieur, a permis d'effectuer cette acquisition. Des
allocations extraordinaires, dues à la libéralité des chambres, ont
pourvu aux réparations de quelques grands monuments, trop coû-
teuses pour être imputées sur le budget de la commission. Des se-
cours extraordinaires sont réclamés pour des édifices qui sont pour
ainsi dire des types, et qu'on ne pourrait abandonner à la destruction
sans encourir les reproches de la postérité. Il suffit de nommer les
églises de Sainte-Croix, à la Charité ; de Saint-Philibert , à Tournus ;
de Saint-Nazaire, à Carcassonne ; le temple d'Auguste et de Livie,
et l'église de Saint-Maurice, à Vienne. La Commission espère que
l'administration fera ses efforts pour prévenir la démolition de l'hôtel
de Carnavalet, l'un des monuments de Paris les plus curieux sous
les rapports historique et artistique; cette ancienne demeure de
madame de Sévigné, ornée des sculptures de Jean Goujon, est me-
nacée d'une destruction prochaine; la ville pourrait peut-être l'ac-
quérir par échange d'immeubles avec le propriétaire. Il est à regretter
de voir quelquefois les conseils municipaux entraver les dispositions
du gouvernement pour la conservation des monuments. C'est cepen-
dant le spectacle que vient de donner le conseil municipal d'Orléans
en faisant démolir l'ancien Hôtel-Dieu de cette ville , que l'admini-
stration supérieure aurait acquis si les prétentions de la ville ne l'eût
fait renoncer à ce désir de conserver un édifice dont l'architecture si
élégante et les dispositions vastes et commodes permettaient de lui
donner une destination utile. Le prétexte de cette destruction était
le besoin de faire une place autour de la cathédrale, ce qu'on aurait
pu faire dans des proportions convenables , comme l'avait représenté
la Commission , sans rien abattre. Voilà donc la ville d'Orléans dotée
d'une espèce de plaine pavée au lieu d'un monument qui était un
de ses plus beaux ornements ; et, pour mettre le comble au mauvais
goût, et par un rare oubli des convenances, cette place met en
regard la salle de spectacle et la cathédrale. La commission a dû
192 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
s'occuper de conserver le souvenir de quelques monuments remar-
quables dont il est impossible de prolonger indéfiniment la durée;
il n'y avait pas un moment à perdre pour étudier la disposition et
les détails de ces habitations qui jettent le plus grand jour sur les
usages et les mœurs du mo^en âge; pour répondre à ce vœu, M. le
Ministre de l'intérieur, à la demande de la Commission, a chargé
M. Vaudoyer de relever et de dessiner un assez grand nombre de
maisons anciennes qui existent encore à Orléans ; ce travail, nous
l'espérons, sera continué dans d'autres localités non moins intéres-
santes ; plusieurs villes de France possèdent encore des maisons fort
anciennes, et d'une architecture très-remarquable. Un autre artiste ,
M. Denueîle , a été chargé par le Ministre de dessiner en plusieurs
lieux des peintures anciennes dont chaque jour efface quelque trait.
— Le conseil de l'association britannique d'archéologie prend
d'activés mesures pour préparer le congrès qui se tiendra cette année
àGloucester, dans la première semaine d'août, sous la présidence
du savant lord Albert Conyngham. On cite déjà parmi les mémoires
qui seront lus dans cette assemblée, une Notice sur la cathédrale
de Gloucester, par M. Cresy, dont le travail sur la cathédrale de
Winchester a été si remarqué l'année dernière; un Mémoire sur
V architecture domestique, par M. Fairholt; sur les Voies romaines
du Gloucester shir e , par M. Hatcher ; sur les Antiquités de Cirencester,
par M. Roach-Smith, l'infatigable éditeur des Reliquiœ antiquœ.
On parle encore de plusieurs écrits sur l'histoire, la géographie, la
poésie du moyen âge qui seront communiqués par M. T. Wright ,
correspondant de l'Institut de France; de notices par sir Samuel
Meyrick, et par MM. Planché, Crofton-Croker. La numismatique
et la philologie du moyen âge seront représentées par MM. Akerman
et Georges Corner.
Nous rendrons compte, ainsi que nous l'avons fait l'année der-
nière, des travaux du congrès, auquel nous espérons bien que
quelques antiquaires français voudront assister.
— Les restes d'un monument gallo-romain ont été mis à décou-
vert, près des sources de la Seine, sur la lisière du bois communal
de Sainte- Seine; les fouilles, commencées en 1836, ont été conti-
nuées jusqu'en 1845 sous la direction de la commission des anti-
quités de la Côte- d'Or. D'après le rapport de M. H. Baudot, prési-
dent de la commission , ce temple aurait été élevé au fleuve de la
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 193
Seine , dont les eaux passaient pour avoir la propriété de guérir cer-
taines maladies, opinion qui paraît démontrée par la nature des
objets trouvés au milieu des ruines. Plusieurs ex-voto, découpés
dans des feuilles de bronze et d'argent, et représentant, d'une ma-
nière grossière, différentes parties du corps affectées de maladies,
furent trouvés dans un vase de terre. Le plan des fondations mises à
jour offre un quadrilatère de 57 mètres de longueur sur une largeur
encore indéterminée. La quantité d'objets d'ornements , la dimension
des fragments de statues et de colonnes, leur perfection de travail
peuvent donner une idée de la décoration somptueuse de l'édifice.
Au milieu du temple de la Seine était une salle contenant la source
sacrée qui s'écoulait par une rigole taillée dans la pierre et recou-
verte de dalles. A droite de la source, tarie aujourd'hui, s'élevaient
quatre colonnes d'ordre dorique , dont on a retrouvé des fragments
et les bases encore à leur place. Deux marches donnaient entrée à
une chapelle, où probablement se trouvait la statue de la Seine,
assise en face de la source principale. Quant à l'âge du monument,
M. Baudot, se fondant principalement sur la pureté des chapiteaux
et des autres fragments retrouvés, croit pouvoir en faire remonter
la fondation au règne d'Auguste. Pour fixer l'époque de sa destruc-
tion, il fait remarquer que la plus récente des médailles trouvées
dans les fouilles est de Magnus Maximus, mort l'an 388 de notre
ère, époque du triomphe de la religion chrétienne dans la Gaule , et
d'où il conclut que le temple de la Seine subit le sort de presque tous
les monuments du culte païen , renversés sur l'ordre des évêques
par les néophytes.
— La salle des ancêtres de Thoutmès III, rapportée d'Egypte par
M. Prisse, et réédifiée à la Bibliothèque royale, vient d'être livrée au
public. Tous les détails sur l'enlèvement et le transport en France
de ce curieux monument se trouvent consignés dans une brochure
qui se vend chez le Suisse de la Bibliothèque. La Reçue archéologique
a donné une description détaillée de ce monument, accompagnée de
dessins. (Voir le t. II, pages 1, 15 et pi. 23.)
m. 1 3
BIBLIOGRAPHIE.
Choix de peintures de Pompéi , la plupart de sujet historique ,
lilhographiées en couleur par M. Roux, et publiées, avec V explica-
tion archéologique de chaque peinture , et une introduction sur Vhis-
toire de la peinture chez les Grecs et les Romains , par M. Raodl
Rochette, etc. lre livraison, 1844, Royal in-fol. (l).
(Suite et fin.)
Il nous reste à examiner l'explication que donne M. Raoul Rochette
des deuxième et troisième planches qui composent la première livrai-
son de cet ouvrage, la seule que nous ayons sous les yeux.
Planche deuxième. Neptune et Arnymone (dehcasa delVancora,
publiée dans Mus. Borbon., VI, 18, et par 0. Mùller et Osterley, II,
7,83).
M. R. R., on le conçoit, ne peut se dispenser de nous donner l'as-
surance que Neptune, sous le rapport de Ximpurelé, était un digne
frère du maître de l'Olympe. Il revient encore sur {indignation d'Aris-
tide à ce sujet ( Orat. in Nept., I, p. 36, Dindorf); on devait pour-
tant croire que M. Letronne ( Append. aux lettres d'un antiquaire,
p. 33) lui avait suffisamment démoutré son erreur sur le sens
de ce passage. Mais point du tout! M. R. R. , qui ne voit rien
que ce qu'il veut voir, au lieu de baisser la tète, ce que ferait
tout autre après une telle bévue , promet que « dans sa quatrième
« lettre il établira de nouveau la valeur et l'autorité de ce texte
« capital. » Cela sera curieux ! Il est vraiment fort à regretter que
cette fameuse lettre tarde tant à paraître , car, à en juger d'après
l'assurance quarante fois répétée par M. R. R. en cinquante- huit
pages, ce sera vraiment un morceau di prima sfera, dans lequel,
selon lui , avec tout V emploi des ressources de la philologie (p. 18) ;
d'une manière aussi complète et aussi approfondie que possible (p. 4),
il promet d'éclaircir (p. 18), a fond (p. 38, 41), la liste entière
( la belle avance) ! des maîtresses de Jupiter (p. 9), de Neptune (p. 1 8) ;
(l) Voir la livraison précédente, p. 118.
BIBLIOGRAPHIE. î 95
enfin , toutes les questions qui ont rapport à ce qu'il a appelé, à ce
qu'il appelle encore du nom de pornographie, c'est-à-dire, à toute
l'impureté et à l'obscénité de l'art et de la religion antiques. Grande
et belle satisfaction pour un antiquaire !
Quant au mythe d'Amymone, selon la tradition des rnytho-
graphes, cette nymphe, la plus belle des Danaïdes, fut chargée par
son père d'aller chercher l'eau nécessaire aux sacrifices. Dans une de
ses courses, elle s'endormit; un satyre voulut abuser de son sommeil.
Elle se réveilla, s'enfuit, et dans son épouvante elle appela Neptune
à son secours. Le dieu mit le satyre en fuite; il obtint d'elle ce
qu'elle avait refusé au satyre. Une fontaine jaillit des trois branches
du trident de Neptune. Le fils qui naquit de cette union fut Nau-
plius , foudateur de Nauplie. Tel est le mythe, réduit à son expression
la plus simple.
Après en avoir donné une courte exposition , M. R. R. remarque
que déjà, de bonne heure, le théâtre s'en était occupé; «et, ce que
« cette fable avait de licencieux, par l'intervention du satyre et par Yac-
« lion effrontée de ce personnage, par l'apparition même de Neptune,
« et par sa passion si soudaine et si exigeante, la rendait surtout
« propre à fournir le sujet de drames satiriques. » Il paraît que
M. R. R. a des idées toutes nouvelles sur le drame satyrique. Nous
espérons qu'il voudra bien ne pas négliger de nous en faire part dans
sa quatrième lettre , qui doit nous apprendre tant de choses. « De là,
« nous dit-il, des danses mimiques qu'on pourrait appeler thymé-
« liques (II) , parce qu'elles s'exécutaient près du thymélé. » L'art
leur avait ainsi emprunté ses représentations. Seulement M. R. R.
n'aurait pas dû citer le vase de Jatta £ Gerhard, Ànt Vasenbîld.,
I , XI ; Jahn, Vasenbilder, 4), qui bien que significatif pour ïe mythe,
ne prouve rien du tout pour le point en question.
Lenumération des monuments relatifs à Àmymone, que donne
M. R. R., est fort insignifiante. Aux rapprochements de Gerhard,
(Auserles. Vas., p. 48, suiv.), il n'ajoute qu'une représentation peu
caractéristique (Cab. Pourtalès, n. 181, p. 41), et plusieurs autres
d'une application fausse. A cet égard, ses notices sont tellement
maigres et insuffisantes qu'elles ne donnent aucune idée des sujets ,
sur lesquels Otto Jahn (Vasenbild., p. 34, suiv.) a écrit quelque
chose d'un peu plus satisfaisant. Tous ces rapprochements peuvent
montrer d'ailleurs de quelle façon M. R. R. se sert des travaux de ses
devanciers. Il suit le travail de M. Gerhard si servilement qu'il copie
même les fautes d'impression; par exempte, Neapét dniik. Bïldw.,
196 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
p. 298, au lieu de 286; et d'un autre côté, on dirait qu'il ne l'a
pas môme ouvert, ou qu'il ne s'en est nullement soucié. En consul-
tant seulement l'index, il n'aurait pu lui échapper que le dessin du
vase de Pisati que Gerhard s'est contenté de citer dans la note 79,
et que M. R. R. se contente également de citer d'après cette note,
a été figuré sur la pi. 65, n. 2 de ce môme ouvrage. Mais ce n'est
pas encore assez : M. R. R., avec raison, n'admet pas, au nombre
des sujets relatifs à ce mythe, une peinture d'un vase du prince de
Canino, représentant une femme poursuivie par Neptune, par la
raison qu'une corbeille, au lieu de Yhydrie, se trouve parmi les
accessoires (Descr. des vases peints de l'Étrurie, n. 64); et il pense
ce qu'il ri est pas impossible de découvrir, parmi les nombreux objets
« des amours de Neptune, celui qui a pu être désigné par cette
« particularité. » // ri est pas impossible ! je le crois bien ; s'il avait
tourné une seule feuille des planches de l'ouvrage de Gerhard,
il aurait vu le nom d'^Ethra auprès d'une femme poursuivie par
Neptune, avec la particularité de la corbeille , qui s'explique ainsi
de la manière la plus claire.
Dans une courte addition (p. 58) à la fable de Neptune et Amymone,
M. R. R. cite une peinture de vase du Museo Borbonico, qu'il avait
perdue de vue. C'est que, par malheur, Gerhard ne l'avait pas citée.
« Cette peinture lui a été rappelée par l'indication qu'a donnée
« M.Minervini d'un vase de la Basilicate » (Bulleltin. archeol. napol.,
« n. VII et VIII). Mais un autre sujet, dont ne parle ni Gerhard,
ni Minervini , et que M. R. R. a conséquemment perdu de vue, c'est
celui que nous donne le miroir du Museo Gregoriano (Gerhard, Etr.
Spiegel, 64), remarquable par la présence du satyre aux écoutes,
et par la source jaillissante , *qui est caractéristique, dans la rencontre
de Neptune et d'Amymone.
Du reste , l'explication même de la peinture de Pompéi ne prend
qu'une page et demie sur les huit qu'occupe cette dissertation. M. R. R.
croit « pouvoir détruire l'espèce de réserve que M. Quaranta \é-
« moigne au sujet de cette peinture, en montrant qu'elle s accorde
« dans tous ses détails , avec tout ce que nous connaissons des particu-
« larités du mythe d'Amymone, par le témoignage des anciens mylho-
u graphes, et par les monuments qui s y rapportent. » Je voudrais bien
savoir comment M. R. R. peut concilier cette déclaration de la p. 18,
avec celle-ci de la p. 23 : «Notre peinture de Neptune et d'Amymone
« représente d'une manière encore différente de toutes les compositions
u que nous connaissons du même sujet ; et p. 24, que l'absence de
BIBLIOGRAPHIE. 197
« l'hydrie laisse subsister quelque incertitude, » Donc, la réserve de
M. Minervini n'est pas détruite. Les livres de M. R. R. causent,
à chaque instant, de ces surprises de logique.
II voit ici : « Amymone qui, s'étant dérobée par la fuite à la vio-
« lence du satyre , vient se livrer à la protection non moins dange-
« reuse du dieu. » Puis : « elle relève son péplus de la main droite,
« moins pour alléger sa fuite devant le satyre (c'était l'idée de Tédi-
« teur napolitain), que pour opposer un faible et dernier obstacle
«au désir de Neptune. » Contre cette explication, déjà proposée
par Millier et Quaranta, Otlo Jahn a objecté avec raison que, pour
une telle scène , la présence du satyre serait tout à fait nécessaire ,
et que, d'ailleurs, Amymone n'a pas du tout l'air d'une femme
effrayée qui s'enfuit.
« Neptune, ajoute M. R. R. , est assis à l'ombre d'un rocher,
« duquel devait bientôt jaillir la source d' Amymone. » Certes le
peintre se serait exprimé plus clairement s'il avait voulu représenter
une scène où la source jouait un rôle principal, comme on peut le
voir sur le miroir déjà cité, et le vase dans Neapel. anlik. Bildw., 285
et 286; et Bullet. napol, n. VII et XXV. Le rocher peut n'être
ici qu'un ornement du paysage ; comme la mer n'est pas là pour
rappeler la localité de Lerne, mais pour exprimer l'élément de
Neptune.
Ce dieu tient le trident tout à fait en repos (comme Jupiter le
sceptre). Tout le monde dirait que c'est l'ordinaire attribut de Neptune.
M. R. R. n'est point de cet avis. « Ce trident , dit-il , caractérise
« ici (!) Y action particulière du dieu, dans la circonstance qui suivra
« son triomphe.» Et là-dessus, cette belle remarque : «Le témoi-
« gnage de Lucien... justifie déjà la présence du trident à la main
« de Neptune, dans la circonstance dont il s'agit.» Je cite tou-
jours textuellement, autant que possible, les paroles de l'auteur,
de peur qu'on ne pense que je les ai mal comprises, ou que je le
rends ridicule à dessein. Ainsi, selon lui, le trident sur lequel s'appuie
le maître de la mer, a besoin d'être justifié, et par* le témoignage de
Lucien, et par la circonstance dont il s agit lîl
Selon notre auteur, si Neptune a un manteau bleu, c'est que le
bleu est la couleur du dieu de la mer, comme le dit, entre autres,
Philostrate: yèypamca. (ô ïlocet&av) de ov y.voivEoç, ohâe QocIccttioc,
<xlV rweipuTyç) : « mais il a les cheveux et la barbe de couleur
«brune mêlée de blanc, selon l'épithète homérique xuavo/air/jç ;
« ce qui, d'après Voss (Mytholog. Briefe, II, 36, p. 256 ; citation
198 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« fausse , comme cela n'arrive que trop souvent à M. R. R. ) ,
« signifie à chevelure brune foncée. » Encore une singulière contra-
diction, à quelques lignes de distance! Dans la note 2, -/.voveoç
veut dire de couleur bleue, et dans la note 3, de couleur brune, e
sempre bene ! !
Enfin, il prétend que, dans notre peinture, « la pose d'Amymone
« a tant d'analogie avec celle qu'on voit sur le vase d'Hinzelin ,
« (Amallhea, II, 277 ; notez bien que le premier coup d'œil montre
<i qu'il n'y a rien de commun entre les deux sujets), qu'il suffit de ce
« rapprochement pour prouver que ce groupe appartient sur. notre
« peinture, comme sur le vase où figure l'hydrie, au sujet de Nep-
« tune et d'Amymone. »
Telles sont donc les preuves qu'il nous donne que «notre peinture
« s'accorde , dans tous ses détails , avec tous les témoignages et tous
« les monuments : » et cependant on conviendra sans peine que, si cette
interprétation n'est pas radicalement impossible , elle n'a rien de bien
convaincant, en sorte que la réserve de Minervini était bien placée.
Le fait est que le mythe de Neptune et d'jEthra n'était pas moins cé-
lèbre, et convient ici beaucoup mieux. Pourquoi n'y pourrait-on pas
voir aussi une nymphe , une divinité marine, Amphitrite elle-même ,
sortant de la mer, et venant chercher son divin époux?
Ce qu'il y a de certain , c'est que pour les deux premières pein-
tures , tel est son tact archéologique, qu'entre les explications possi-
bles, il va chercher la moins probable , qu'il soutient au moyen d'er-
reurs que chacun a pu juger.
11 sera plus heureux pour la troisième peinture , grâce à la clarté
parfaite du sujet; mais il va rencontrer encore bon nombre de ces
mésaventures qui, par un privilège spécial , n'arrivent qu'à lui.
Planche IIIe. Bacchus et Ariane à Naxos (de la casa dei capilelU
çoronati. Mus. Borbon. XIII , 6 ).
On se souvient que , dans les Grenouilles d'Aristophane , Eschyle
traite de fiole ( ly/Miov, ampulla ) , les prologues d'Euripide. Bac-
chus finit par dire à ce dernier : « Cette fiole tient à tes prologues,
comme le fie aux yeux. » Ta InvMiov yàp tout' inï toïç npoléyoïGl
OQVj | woTrep rà avvJ £7Ù toïgiv oySoclpoïç è'çpu (Gren. v. 1246), Il
n'en est pas autrement des prologues ou introductions dont M. R. R.
fait précéder toutes ses explications. Le for/sjQiov, \ampallay paraît
en être inséparable.
Ainsi , à propos de cette troisième partie, il recommence ses pré-
dications morales: et, pour prouver (contre ce qu'il appelle la pré-
BIBLIOGRAPHIE. 199
occupation systématique de M. Letronne) l'impureté des amours de Bac-
chus, il cite deux faits qu'il regarde comme démonstratifs : un texte
et un monument. Examinons-les l'un après l'autre.
1° Le texte est tiré de la fin du Banquet de Xénophon, où ce
charmant auteur décrit avec tant de grâce la représentation mimique
de l'union de Bacchus et d'Ariane. C'est là que nous devons voir,
selon M. R. R., « par le texte même de Xénophon, que les mouvements
« et les attitudes imités dans ce ballet de Bacchus avaient pour but d'ex-
« citer les désirs dans tous les spectateurs (tyjv $! AypoàiTw èyzipsiv,
a Xénoph. Conviv. III, 1). »
Je ne sais vraiment s'il est encore possible de justifier ici M. R. R.
du reproche de maîa fides , dont j'ai déjà eu tant de peine à l'absou-
dre (plus haut, p. 120). Comment ose-t-il donner pour preuve de
ses rêveries pornographiques cette expression rhv ùAypod. eysipsiv,
qui se lit, comme il le dit lui-môme, c. III, § 1, et l'appliquer à
la danse de Bacchus et d'Ariane, quand ce qui concerne cette danse
ne commence que six chapitres plus loin ( c. IX ), sans qu'auparavant
Xénophon ait dit un seul mot à ce sujet? Car voici la liaison des idées :
au chapitre précédent (II, 24), Socrate avait dit ; « Semblable à la
« mandragore qui agit sur les corps, le vin, arrosant les âmes, as-
« soupit les chagrins (ràç ptsv limaç xoi/ju'£ei), et il éveille la joie
« (zàçâe yàoypocrvvaçèyeipei), comme l'huile excite la flamme (&Gi:zp
« 'ûaiov yloya iydpîi). » Un peu plus bas, Charmide reprend ces
paroles de son maître, et dit (UI, 1) : « Pour moi, j'attribue à ce
« mélange des sexes , joint à l'harmonie des sons , le même effet que
« Socrate attribuait tout à l'heure au vin; c'est d'assoupir le cha-
« grin (ràç pisv Ivnaç xotpu'Çeiv), et d'éveiller l'amour Qrfo <TAcppo&'-
« ttjv iyzlpeiv). » S'il n'y a pas ici malafidesf ce qui coûte toujours
à penser comme à dire, on conviendra qu'il y a du moins une fâ-
cheuse distraction.
Maintenant, que voit-il donc de simonstrueux dans la scène finale du
banquet (IX, 7)? Les convives, voyant Bacchus et Ariane se tenant em-
brassés, comme deux époux qui se dirigent vers le lit nuptial (oî cruporo-
Tpu , idévTsç 7rept7rsT:W-OTaç rs aXknXovç y*qù wç sic zi>vw a/uovraç),
bien loin d'être entraînés par cette danse à aucune impureté, sont, au
contraire, portés à s'engager dans les saints nœuds du mariage. Car,
dit Xénophon : « Ceux qui n'étaient pas mariés jurèrent qu'ils le se-
« raient bientôt; ceux qui l'étaient montèrent à cheval , et revolèrent
ce vers leurs épouses, afin de jouir de cette félicité ( ol [xh àyauoi
« yapceïv eTroipuffav ? ot $e yeyapwjzoTsç, àvaêavrcç èni tqvç fa-ouc,
200 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« dcTrnlx'jvov Tipbç ràç eaurwv yjvoûy,aç, ottwç toutcov tu^oiêv.)» Serait-
ce là , par hasard, ce que M. R. R. qualifierait d'immoralité et dim-
purelé?
C'est pourtant à cette occasion qu'il ne craint pas de repro-
cher à M. Letronne « une préoccupation systématique, qui ne veut
« voir, même dans les représentations de Bacchus, que des sym-
« boles (Àppend. aux lettres dun antiquaire, p. 27, 63, 74 et ail-
ce leurs), et qui, pour conserver l'opinion qu'il s'est faite de la chas-
te teté des mœurs grecques, a dû fermer volontairement les yeux à
« tant de peintures de vases , où la licence du pinceau est poussée
« au même degré d effronterie que celle de la parole et de l'action dans
« la vieille comédie grecque. » Mais, M. R. R. en ceci, comme en
bien d'autres circonstances, prête à M. Letronne (l) ce qu'il n'a
jamais dit ni pu dire. Aux p. 27, 63 , 74 de X Appendice, où renvoie
M. R. R. , il n'est pas parlé des amours de Bacchus. Ce savant
n'a point fermé, ni volontairement ni involontairement, les yeux à tant
de peintures de vases, auxquelles il a eu le soin de renvoyer, comme
les connaissant bien, et il ne s'est pas fait le défenseur exagéré de la
chasteté des mœurs grecques, qu'il apprécie à sa valeur. Mais il a
traité ce sujet d'un point de vue élevé et étendu que ne comprend pas
son adversaire (dirai-je volontairement ou involontairement?), M. R. R.
qui , à l'égard du passage de Xénophon, comme de tant d'autres, voit
des étoiles en plein midi, est bien mal venu, il faut en convenir, a
reprocher aux autres une préoccupation systématique!!!
2° Quant au vase allégué par M. R. R. (p. 29), c'est l'amphore
du musée de Naples, qui a été publiée dans les Monuments de l'Inst.
archéolog., III, 31. Il est très-bref à ce sujet-, mais, quoiqu'il
déclare « avoir passé une journée entière à étudier ce vase, pendant
« son dernier séjour à Naples , » il paraît cependant qu'il n'y a pas
aperçu la circonstance principale. « Le sujet, dit-il, est la célébra-
tt tion du mariage sacré de Bacchus et d'Ariane , représenté d'après
« l'une de ces danses mimiques, dans le moment de l'étude par
v< une suite de jeunes gens des deux sexes. » A la p. 41, il parle de
ce même vase , «sur lequel l'état où apparaissent les bacchants des
« deux sexes qui se préparent à célébrer, par leurs danses lascives,
« l'union de Bacchus et d'Ariane, assis sur le lit nuptial, au centre
« de la composition, ne saurait laisser de doute sur le caractère U-
(1) M. Letronne a déjà répondu a ces reproches mal fondés, dans la Revue. V. ses
Trois fragment* , t. II , p. 700 et sui?. ( Note du traducteur.)
BIBLIOGRAPHIE. 201
« cencieux de cette représentation. » Il s'ensuit que M. R. R. n'a
pu découvrir , pendant une journée entière, ce qui s'aperçoit au pre-
mier coup d'œil , à savoir que, sur ce vase, il y a deux sujets dis-
tincts: l'un mythique, sans rapport avec les représentations mimiques,
l'autre copié de la vie ordinaire. Dans ce dernier, au milieu des dif-
ficultés qu'offre la représentation, ce qu'il y a de fort clair, c'est qu'il
s'agit de préparation à un drame satyrique, et les bacchants des deux
sexes sont... des hommes tenant à la main leur masque. En quoi donc
consiste le licencieux de ce sujet? Uniquement dans les phallus pos-
tiches en cuir (attachés à la ceinture) du chœur des satyres; ce qui,
certainement pour les Grecs, n'avait pas plus de signification que, pour
nous, tant de masques carnavalesques à Rome, qui, bien que fort peu
décents , ne sont pris que pour bouffons. Ce n'en est pas moins , pour
M. R. R., « l'image la plus authentique et la plus conforme à la réa-
« lité de ces spectacles populaires de l'antiquité grecque, où le plaisir,
« sous toutes les formes, et la licence, à tous les degrés, étaient provo-
« qués par la religion publique.» ÀvjxuGtov!
Il nous tient en réserve, pour sa fameuse IVe lettre, d'autres
obscénités et impuretés, et je n'ai pas à m'y arrêter ici. Qu'il me
soit permis seulement de répéter cette remarque, que la pruderie af-
fectée de nos jours ne peut être prise comme règle dans l'appré-
ciation des anciens ouvrages de l'art; que, par exemple, Yilhyphal-
lisme du satyre, être à moitié animal , pour les Grecs comme pour
ceux qui le considéreront de leur point de vue, n'avait rien qui pût
exciter les passions, et n'était qu'une bouffonnerie. C'est un point
établi par M. Letronne (Append., p. 7 et ailleurs), et reconnu par
M. R. R. lui-même (Peint, ant. , p. 721 ), ce qui ne l'empêche pas
de revenir à satiété sur Yobscénité des scènes satyriques.
Quant aux monuments relatifs au sujet d'Ariane et Bacchus à Naxos,
ilenfait six classes, d'après la circonstaneequ'ils expriment. «1° Ariane
« endormie, abandonnée par Thésée ; 2° Ariane s'éveillant et voyant
« fuir le vaisseau de Thésée; 3° Ariane livrée pendant son sommeil à
« la contemplation de Bacchus et de son thiase (c'est le sujet de la
« peinture dont il s'agit ici); 4° Ariane ravie par Bacchus ; 5° Ariane
« menée en triomphe par Bacchus; 6° Ariane mariée à Bacchus. »
Disons quelques mots de chacune de ces classes.
1° M. R. R. cite à ce sujet Y Ariane du Vatican (dite la Cléopâtre),
et plusieurs répétitions , ainsi qu'un tableau de Polygnote à la Lesché
de Delphes (Paus.X, 29, 2), représentant Ariane et Phèdre.
Nous avons déjà vu que M. R. R. prend peu de soin de concilier
202 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
entre eux les faits qu'il allègue. On en a la preuve dans ce qu'il dit
de ce tableau de la Lesché. « Il est probable que Pausanias fait allusion
« au triste abandon de l'une des sœurs à Naxos , et à la tragique fin
« de l'autre à Athènes, probablement représentée dans l'état d'acca-
« blement qui suivit son réveil. » M. R. R. paraît' donc prendre
Ariane dans les enfers pour une Ariane à Naxos l Contre la probabi-
lité de l'intention que M. R. R. prête au peintre, Pausanias s'ex-
prime assez nettement et assez clairement : « Ariane est assise sur
a une pierre , les yeux tournés sur Phèdre , sa sœur, dont tout le
« corps est suspendu en l'air à une corde , à laquelle elle se tient de
« chaque côté par une main.... » Quoi qu'il en soit, il est du moins
certain, d'après la manière dont s'exprime Pausanias, qu'Ariane
n'était pas représentée endormie.
2° La deuxième classe ne comprend que quelques peintures mu-
rales et un sujet pris de la mosaïque de Salzbourg ; je reviendrai tout
à l'heure sur la troisième classe.
4° La quatrième classe (Ariane ravie par Bacclms) comprend,
selon M. R. R. , plusieurs peintures de vases, dans lesquelles Bac-
chus poursuit une femme (l). Comme Ariane n'y est nulle part dé-
signée, ce peut être aussi bien d'autres maîtresses de Bacchus, prin-
cipalement des nymphes de sa suite. Ceci est même beaucoup plus
vraisemblable, quand on considère de plus près les témoignages qui
concernent le rapt d'Ariane. Carie verbe apîraÇgiv, comme le sub-
stantif àpnayri , s'y rapporte plutôt à Thésée qu'à Ariane; ces mots
(1) Ici, une nouvelle preuve de la logique de M. R. R. Sur un vase relatif à ce
sujet, du musée Blacas (pi. 21 ), on voit un coussin étendu sur un rocher. M. R. R.
en explique l'intenlion d'après un passage de Clément d'Alexandrie qu'il ne se croit
pas permis de traduire, sans doute parce qu'il y aura vu des énormitésqui n'y sont
pas; car rien n'est plus permis que de traduire ce passage entier et même très-
littéralement; Clément reproche aux Grecs l'inconvenance de leurs fables reli-
gieuses: «Apollon, esclave chez Admèle , à Phères; Hercule auprès d'Omphalo,
« i Sardes j Neptune et Apollon, en service auprès de Laomédon.... Homère ne
« rougit pas de nous dire que Minerve se montre à côté d'Ulysse , lui portant une
m lampe d'or; et que Vénus, comme une esclave èhonlèe , se présente , apportant
« à Hélène et plaçant en face de ml adultère (Paris) le siège (rèv Sifpov) sur
« lequel elle doit s'asseoir pour l'inviler à l'amour. » (Clem. Alex. Prolrept.,
II , 35 ). M. R. R. est à cent lieues de se douter que le terrible passage souligné
qu'il n'ose traduire , est tiré presque mot à mot d'Homère {11. 3, 34), comme le
précédent [Odyss. 19, 34). Et raainlenant, parce que M. R. R. voit sur un vase un
coussin, qui n'a nul rapport avec le cifpoç sur lequel s'assit Hélène, cela preuve,
selon lui ( p. 34 , n. 7 ) : « Que S. Clément d'Alexandrie , tout chrétien et docleur de
« l'Église qu'il élait, connaissait, au moins aussi bien que l'auteur des f.cUrrs d'un
« antiquaire, l'antiquité grecque, écrite et figurée ! ! ! »
BIBLIOGRAPHIE. 203
ne signifient pas qu'Ariane a été violemment ravie ou enlevée; mais
qu'elle a été enlevée à Thésée par Bacchus, c'est-à-dire que celui-ci
la lui a prise. Ainsi, Pausanias, X, 29, 2, rhv kpukàvw xyeihzo
<dwioi 6 kiéwaoq ; ajoutez Diodor. Sic. IV, tii, V, 51. Schol.
Odyss. XI, 321 , d'après Phérécyde; il ne peut être question d'une
poursuite; cela est prouvé par les paroles de Pausanias, I, 20, 3,
AptaJvyj de xoiBeûdovGoi y >wçj ©yjceùç xvocyépevoç j y.a\ Aiovvœoç yjzwy
èg tTjç ApidâvnçàpTïocy/iv... « [On voit dans le temple de Bacchus]
« Ariane endormie; Thésée mettant à la voile; Bacchus arrivant
ce pour (lui) enlever Ariane.» ApTiaÇeiv et âp-nayri ne s'entendent que
de l'enlèvement d'une femme à un autre amant; ainsi, sur un vase
du plus beau style, cité par M. R. R. (à présent publié dans les
Vases étrusques et campaniens de Gerhard, PI. VI, VII) ; on voit
Bacchus entraînant Ariane , et Thésée s'éloignant à regret , sur l'avis
de Minerve. II est clair que les exemples d'une femme poursuivie et
qui s'enfuit, ne sont pas applicables à Ariane.
Quant aux cinquième et sixième classes, M. R. R. dit que son but
n'est pas d'épuiser ici le sujet. Fort bien! mais il devait tâcher au
moins de le caractériser clairement par les traits principaux , ce qu'il
ne fait pas. La science n'a rien à gagner à ce mélange bigarré de ci-
tations, qu'il est toujours très-facile de rassembler, surtout à l'occasion
des représentations dionysiaques. Du reste, il faut convenir que ses
citations nous fournissent de riches matériaux pour un catalogue de
satyres ithy phalliques (c'est peut-être là un travail préparatoire pour
une phallologie ou phallographie à venir); et M. R. R. les recherche
avec d'autant plus d'empressement qu'ils sont, à peu de chose près,
le seul soutien de sa thèse favorite sur la pornographie.
Pour la cinquième classe ( Ariane menée en triomphe par Bacchus),
il nous donne, en vignette, une portion d'un vase de la collection de
Santangelo, àNaples, et la description d'un semblable vase appar-
tenant au Museo Borbonico. Sur l'un et l'autre se remarque la cir-
constance que le vieux Silène n'est vu que jusqu'aux genoux; une
ménade, penchée de son côté, l'aide à monter sur le plan supérieur
où elle se trouve. Jusqu'ici, rien d'obscène ni de licencieux ; pas le plus
petit ithyphallisme ! mais, comme il faut absolument que cette peinture
soit licencieuse, M. R. R, imagine une combinaison trop originale,
pour que je ne transcrive pas ses propres paroles: ce CeSilène a la tête
« et la poitrine couvertes d'un manteau , qui s'écarte sur le devant du
« corps, pour laisser à découvert son ventre et ses cuisses velues ,
a motif dont l'indécence est trop sensible aux yeux pour avoir besoin
204 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« d'être démontrée par le raisonnement, et qui montre jusqu'à quel
« degré delicence pouvaient être portées les représentations d'une des
« scènes de l'hiérogamie qui s'exécutaient publiquement sur le théâ-
« tre. » M. R. R. va-t-il donc nous prouver plus tard que l'Apollon du
Belvédère est une statue licencieuse, parce que le dieu tient sa chlamyde
sur son bras, pour laisser à découvert son ventre et ses cuisses?
M. R. R. réunit dans cette cinquième classe, une suite de mo-
numents où Bacchus est sur un char avec une femme ; et dans la
sixième (Bacchus mariée avec Ariane), d'autres monuments où le dieu
repose avec Ariane sur un lit. Des uns et des autres, il en faut re-
trancher beaucoup qui n'ont pas de rapport au sujet. Ainsi , quand
Bacchus repose sur le sein d'une femme , on doit plutôt songer à
Melhe ; et lorsqu'elle précède sur un char séparé, ce doit être une
pronuba, qui, dans ce cas, serait un personnage bachique (p. e.
Sémélé).
De môme, les représentations qu'il range dans la dernière classe
ne sont pas toujours caractéristiques; ainsi, par exemple, le sujet
du vase qu'il cite, d'après Millingen (Vases peints , pi. 26), est privé
de tout signe bachique, et la présence de divinités erotiques ne suffit
pas pour l'élever au-dessus du cercle des représentations de la vie
commune. Il paraît en être de même d'un vase provenant de Rertsch
(p. 41).
Mais il est d'autant moins utile d'entrer ici dans plus de détails ,
que M. R. R. ne montre pas une seule fois l'intention de pénétrer
un peu profondément dans son sujet. Toute cette partie de son mé-
moire peut être considérée comme supeiflue.
Après de tels détours, M. R. R. arrive entin à la classe a laquelle
appartient la peinture qu'il se propose d'expliquer, à savoir, Bacchus
qui trouve Ariane à Naxos. Ce sujet est étranger à la céramographie;
mais il se voit très- fréquemment dans les peintures murales et sur
les bas-reliefs , qui semblent être étroitement liés avec le tableau dé-
crit par Philostrate (1 , 16).
M. R. R. revient bientôt à son thème favori. Il est obligé de con-
venir que, dans toutes les représentations connues de Bacchus et
d'Ariane, accompagnés de Silène et des satyres , jamais le dieu n'est
ithyphallique , eteetaveu lui coûte assez; mais voilà qu'heureusement
on lui envoie un dessin de la peinture qu'il a reproduite, où Bacchus
est odieusemeut ithyphallique. Aussi, voyez quel triomphe! «Un
« rayon de lumière inattendu, dit-il dans son enthousiasme pornogra-
« phique , se répand sur tout le génie de la religion hellénique, et sur
BIBLIOGRAPHIE. 205
« celui de l'art qui y était si étroitement lié. » Mais , d'abord , quand
cela serait vrai pour une seule peinture, on n'en conclurait rien
contre tout le génie , etc. Cependant , prenons garde ! une lettre que je
reçois de Naples en ce moment m'annonce que, dans ce tableau, Bac-
chus ncst point ilhyphallique. L'auteur de cette lettre n'a pu s'en
assurer par lui-même, parce qu'il n'a pu obtenir de la direction du
Musée la permission de voir ces tableaux , qui sont à présent dans
les magasins ; mais il rapporte le témoignage exprès de M. Qua-
ranta, qui a manié ce tableau, et le connaît parfaitement. Il déclare
que la circonstance n'a jamais existé. Pour éviter d'articuler le re-
proche de falsification, je ne me prononce pas en ce moment. J'at-
tends un plus ample informé , et j'instruirai nos lecteurs du résultat.
Quoi qu'il en soit, le rayon de lumière commence un peu à s'évanouir! (l)
(1) Quoique le traducteur de cet excellent morceau de critique ne veuille pas
sortir de son modeste rôle, il ne peut pourtant pas se dispenser de faire remarquer
combien ce passage confirme le jugement/Mrdf, téméraire même en apparence, que
M. Letronne a porté de ce même Irait, dont M. H. Brunn conteste à présent l'exis-
tence. Dans la Revue , t. II , p. 1G7, il a osé s'exprimer ainsi :
« Sur un tableau de Pompéi, récemment découvert, dont le sujet est Bacchus
et Ariane, Bacchus, vêtu à mi-corps de son péplum, s'approche d'Ariane; la
scène est des plus décentes qui se puissent voir; et cependant le dieu était,
selon M. Raoul Rochettc , armé d'un monstrueux yvw/*wv àviffrâ/Asvo; , maintenant
efface. C'est la première fois, il l'avoue, qu'un dieu est ainsi représenté. Croyant
la circonstance antique , il ne se sent pas de joie à la vue d'une preuve
si frappante de l'indécence des anciens. «< Voilà (s'écrie-t-il avec un enlhou-
« siasme qu'il ne peut contenir) une révélation neuve et curieuse qui vient jeter
« un rayon de lumière inattendu sur tout le génie de la religion hellénique » (Choix
de peintures de Pompéi , p. 52 ). Aussi s'est-il procuré la jubilation d'embellir de
cet infâme accessoire quelques exemplaires de choix. Eh bien, moi, qui ne suis point
antiquaire, au dire de M. R. R, je déclare qu'il faut n'avoir aucun sentiment de
l'art antique, ni de l'esprit qui a présidé à toutes ces charmantes compositions,
conçues, comme celle-ci, sans aucune intention licencieuse, pour ne pas voir que
ce yvw/Aeov àytffré/tfvoj est en contradiction manifeste avec l'ensemble de la compo-
sition, avec la pose du dieu, avec l'expression placide de sa figure, que ce trait
ne peut être, s'il existe, qu'une surcharge faite par quelque mauvais plaisant
moderne. Je n'en sais rien; mais, en vérité, j'en suis sûr ; et j'invoque avec con-
fiance, sur ce point, le témoignage des antiquaires napolitains , si bien placés
pour savoir au juste ce qu'il en est. » ,
Eh bien ! cette affirmation si hardie et si tranchante, que M. Letronne fondait seu-
lement sur un sentiment juste de l'art antique, la voilà confirmée par le témoignage,
qu'il invoquait, d'un des antiquaires napolitains, de M. Quaranta. M. Brunn attend
un plus ample informé ; à la bonne heure. Mais l'antiquaire français (et quiconque
examinera la chasteté de celte composition sera de son avis) n'en a pas besoin pour
être convaincu qu'un mauvais plaisant s'est amusé de la manie pornographique de
M R. R. « Ah ! sest-il dit, vous voulez de la pornographie! eh bien ! soyez servi à
«• souhait; en voilà! »
Une seule réflexion en finissant. Le même archéologue qui se laisse ainsi tromper,
206 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
C'est dommage, car M. R. R. en tire de superbes conséquences,
à l'égard des deux peintures de Bacchus et à' Ariane , décrites par les
anciens, et qu'il s'amuse à restituer ex ingenio. Ce que c'est que
l'imagination! La première est expliquée par Philostrate (/co/i.,1, 15).
Le Bacchus, selon M. R. R., devait être ithyphalliqae ; car l'auteur
grec dit que le dieu y est représenté tout entier à sa passion (et
/zovou toû épâv yéypariToci) ; et même ivre d'amour, |k£0umv epwrt.
C'est en vain, pour lui, que d'après la description même, la peinture
était empreinte d'une telle modestie que le savant Welcker nepeut
s'empêcher de remarquer nostrœpicturœpudicum characterem (p. 207).
Tout cela échappe aux regards prévenus de notre archéologue ; il
ne voit même pas, dit-il, où M. Welcker a pris ce caractère pudique!
N'est-il pas évident, selon lui, que puisque Bacchus est ithyphallique
sur la peinture de Pompéi , ce dieu doit l'être encore sur celle de
Philostrate : « et sans doute aussi sur le tableau du temple de Bacchus
« à Athènes. » Voilà un sans doute bien aventuré! Car tout ce que
nous savons sur ce tableau consiste dans ces quelques paroles, déjà
citées, de Pausanias : « On y voit Ariane dormant, Thésée mettant à
« la voile, et Bacchus arrivant pour enlever Hélène. » Cependant
M. R. R. nous promet «de démontrer cela ailleurs d'une manière
plus expresse. » D'une manière plus expresse! ce ne sera pas superflu f
et certes, s'il y parvient, il pourra se vanter d'avoir fait un vrai chef-
d'œuvre d'interprétation archéologique !
Il me reste à présent peu de chose à dire. J'ai déjà parlé du dieu
du Sommeil. J'ajoute seulement que M. R. R. se trompe lorsqu'il
veut corriger le texte de Philostrate : 6pa xoà ttîv Âpiââvnv, ^àllov ât
rcv jttvov; il a tort de vouloir lire ifo fm/ov. Ce qui suit montre qu'il
est question du sommeil et non du dieu du Sommeil. Le sens est :
« Voyez combien Ariane est séduisante , et surtout pendant son som-
meil, h
prend, à l'heure qu'il est, pour antiques les trois peintures obscènes , publiées il y a
trente ans par IVlillin ; et c'est encore M. Letronne qui a été oblige de lui apprendre
qu'elles sont fausses. Cela n'empêche pas que M. R. R. ne déclare à tout propos
que M. Letronne nest point antiquaire, qu'il est étranger à l'antiquité figurée !
D'où résulterait la nécessité de changer la délimitait de Vantiquaire, jusqu'ici ad-
mise; car il est évident que Vantiquaire n'est plus , comme on le croyait assez gé-
néralement, celui qu'un œil exercé, guidé par un sentiment juste de l'art et uni' pro-
fonde connaissance des langues et de la littérature anciennes, conduit presque à coup
sur dans l'appréciation des monuments antiques. Il faudra dire à présent que l'anti-
quaire est celui qui, écrivant comme au hasard sur ces monuments, touchant à
tout, et gâtant tout ce qu'il touche, fabrique de gros livres pleins de vida, ot* il
branche et tombe lourdement, aussitôt qu'il veut faire un pas sam lisièraa*
{Note du traducteur.)
m BIBLIOGRAPHIE. 207
Après avoir parlé en détail du mérite scientifique de ce travail , il
faut dire un mot de celui des planches qui l'accompagnent : car leur
supériorité pourrait, jusqu'à un certain point, compenser d'autres
défauts.
La première condition qu'elles doivent offrir est naturellement la
fidélité du trait. Une comparaison avec les originaux m'est à présent
impossible. Cependant, ayant écrit à Naplespour avoir des renseigne-
ments sur quelques particularités, il m'a été fait des réponses qui ne
sont pas du tout à l'avantage de ce travail. Ainsi , dans la seconde
peinture, la tête de Neptune, comme cela est exprimé sur la planche
du Mus. Borbonico, porte au-dessus de la tète une espèce de ca-
lotte, et ses cheveux sont bouclés régulièrement. La partie in-
férieure du voile d'Amymone est mal indiquée. Ce sont là de pe-
tites infidélités, j'en conviens ; mais enfin ce sont des imperfections
qu'on ne devrait pas trouver dans un ouvrage qui vise à une valeur
scientifique. Quant à l'exécution , il est juste de tenir compte des
difficultés qui résultent de l'imperfection du procédé lithographique.
Mais cette part faite, il reste encore beaucoup à désirer. Au lieu de
mon jugement, qu'on pourrait récuser, je donnerai celui d'un artiste
romain, B, Bartoccini, qui, habile surtout à dessiner l'antique, a
fait une étude spéciale des peintures murales (l) de Pompéi, et est
parfaitement apte à juger les planches de cet ouvrage. Voici son opi-
nion : ce Le dessin est très-loin de la finesse de l'antique , il est trop
« lourd. Dans ia pratique du clair-obscur on ne trouve ni la largeur,
« ni la facilité, ni cette belle liaison des plans qui distinguent l'original ;
« on ne voit que des masses trop rondes et trop flou. Les couleurs sont
« trop criardes. Dans les originaux, les tons, pris séparément,
« ont un aspect sale et fumeux, mais pris dans leur ensemble, ils
« produisent un tout flatteur et harmonieux. Ici, au contraire, tous
« les tons sont également brillants, et ne produisent aucun effet
« d'ensemble. Le tout a l'apparence d'un travail moderne ; le vrai
« style de l'antique y est complètement perdu. »
(1) Le traducteur n'a point hésité a rendre partout le JVandgemœlde allemand
par peintures murales, expression que M. Letronne a le premier introduite, pour
éviter l'horrible cacophonie depeintures sur mur. M. Raoul, Rochette, dont l'oreille
n'avait pas été choquée de celle cacophonie , continue à repousser l'adjectif mural,
sous prétexte qu'il n'estpas français en ce sens ; mais comme il est nécessaire et par-
faitement analogique, il est devenu français. Tout le monde s'en sert à présentât
certes M. R. R. s'en servirait lui-même, s'il pouvait oublier quel est celui à qui l'on
en doit l'utile introduction. f Note du traducteur.)
208 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Jetons maintenant un dernier coup d'œil sur tout le travail de
M. R. R. Nous avons déjà parlé de ses prologues (lyv.vBix). Quant
à sa méthode de rassembler une multitude de monuments pour en
expliquer un seul, elle ne peut se justifier que dans le cas où ils
sont essentiels à l'éclaircissement de celui-ci ; ou bien lorsque, par
une exposition approfondie, méthodique et claire, on s'en sert pour
amener un cercle quelconque de faits et de recherches à un résultat
satisfaisant. .
Aucune de ces conditions n'a été remplie dans le présent ouvrage.
Les tableaux de Pompéi n'ont rien à y gagner , et les rapproche-
ments de l'auteur, comme on l'a vu, ne mènent absolument à rien.
Aussi ce livre n'est pas beaucoup plus qu'une vaine parade d'érudi-
tion qui, examinée de près, s'arrête à la surface, et repousse au der-
nier plan tout ce qui mériterait d'être mis en saillie au premier.
Enfin les explications des tableaux ne nous apprennent rien qui
n'ait été dit auparavant par d'autres.
Or, toute publication scientifique qui ne sert pas à avancer
un sujet, doit être considérée comme étant plutôt à charge qu'utile
à la science et au public; c'est le jugement que nous devons, en
définitive, porter d'un ouvrage qui d'ailleurs est remarquable seule-
ment par une suite d'erreurs, et d'erreurs telles, que même un mérite
certain, si on pouvait l'y reconnaître, en serait complètement
obscurci (l).
Dr Heinrich Brunn , à Rome.
(1) L'éditeur de la Revue n'a pas besoin de prévenir qu'il est prêt à recevoir
toute rectification, qu'on lui enverrait, des fails qui ont été allégués dans cet exa-
men. Dans toute appréciation critique, les jugements appartiennent à l'auteur; il
en est responsable; mais les fails appartiennent à la science. Il est utile de 1rs rec-
tifier, lorsqu'ils ne sont point exacts , et qu'ils peuvent par conséquent la troubler.
(Noie de l'éditeur.)
ERRATUM.
Page 8) , ligne 15, kipoyivm , lisez ùipoyi-j^.
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTÉS
RELATIVES
AUX ANCIENS SCULPTEURS
CALLIMAQUE, CLÉOMÊNE, BUPALUS, CALAMIS, ETC
{Suite et fin.)
Bclus. (Bovloç wro/et): Encore un imparfait dont abuse M. Raoul
Rochette; car tout annonce que ce prétendu sculpteur du prétendu
tombeau d'Homère dans l'île d'Ios, n'a jamais existé. M. Lelronne a
montré que ce nom est décidément faux et qu'il doit être, la fin d'un
nom, tels qu'Aristobulus, Cléobulus, Eubulus, Théobulus, Thrasy-
bulus, etc. II est hors de doute qu'il faut exclure ce Bulus de la
Liste des Artistes où l'on avait voulu l'introduire.
Bcpalus. Ajoutez à ce que j'ai dit sur ce sculpteur, p. 66,
auquel est attribuée une statue de Vénus , qu'on peut appliquer les
mêmes raisonnements à un groupe de satyre assaillant un herma-
phrodite, trouvé en même temps et au même lieu que la Vénus, et
qui est à présent dans les magasins du Vatican.
Selon M. Raoul Rochette, l'existence d'un Bupalus moins an-
cien que celui que cite Pausanias serait extrêmement douteuse.
Mais cependant, si l'inscription trouvée avec ces statues est authen-
tique, et si, par la forme de ses lettres, elle ne peut pas remonter
à l'antique époque de Bupalus, vers la 60e olympiade, 540 avant
J. C, cette circonstance n'autoriserait-elle pas à présumer qu'il y
eut un Bupalus plus moderne, dont on ne connaît ni les ouvrages,
ni Tépoque, et de qui pourrait être ou la Vénus, ou le groupe du
satyre et de l'hermaphrodite? Dans tous les cas, on ne risque rien
de ne pas souscrire à l'arrêt de M. R. R., qui déclare que ce
second Bupalus doit être supprimé de Vhisloire de Vart. Je crois
pouvoir le conserver jusqu'à plus ample informé ; car, tout en
avouant qu'il est incertain, je pense qu'il y a peut-être plus de rai-
sons pour l'admettre que pour le rejeter. Mais, de toute manière, l'in-
scription dont on ignore l'époque, fût-elle authentique, ne signifie
m. 14
210 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
absolument rien, et ne peut servir, dans la question sur è-noirme, et
èr.olei, à donner une nouvelle preuve de l'antiquité de l'impar-
fait, puisqu'il est bien certain, d'après la forme de ses lettres, et
d'après le style de la statue, qu'elle ne peut pas avoir été tracée par
l'ancien Bupalus, vers la 60e olympiade, 540 avant J. C, bien avant
Phidias. Si elle n'appartient pas à un Bupalus d'une époque beau-
coup plus rapprochée, ce ne peut être alors qu'une de ces inscriptions
qu'on mettait, atin de donner plus de valeur à des productions des
arts, et dans l'intention de les faire passer, souvent sans avoir égard
à leur style, pour être de la main d'anciens grands maîtres, ainsi
que le fait remarquer Visconti, Mas. Pio Clem., 1. 1 , p. x, au sujet
de celle prélendue statue de Bupalus.
Je serais aussi très-porté à admettre, avec mon ami M. Letronne,
que lorsque l'on rencontre les imparfaits èitoUiy è'ypa<pc, avec des
noms d'arlistes bien reconnus pour être très-anciens et avant l'époque
d'Apelle et de Praxitèle, que l'on peut porter, avec Pline, à celle
de Polyolète, on peut admettre, sans crainte de se tromper, que
c'est un indice qtul y a eu deux artistes qui ont porté le même
nom, l'un très-ancien, l'autre qui l'était moins. N'est-il pas légi-
time de croire qu'à des époques différentes et souvent très-éloi-
gnées l'une de l'autre, il ait existé parmi les artistes, comme parmi
les autres personnages, des individus qui auraient porté le même
nom, sans qu'il y ait eu entre eux d'autre rapport? Bien n'est plus
plausible que cette supposition qui peut devenir une certitude, sur-
tout lorsqu'une inscription reconnue pour authentique, est unie à
un ouvrage dont le style dénonce un temps beaucoup moins ancien
que celui de l'artiste qui , jusqu'alors n'était connu que par ce qu'en
rapportent les auteurs. Quel inconvénient peut-il y avoir, dans cette
circonstance, à croire qu'il y eut deux artistes du même nom? la
nomenclature des artistes y gagne, sans que la saine critique puisse
en souffrir.
Calamïs, stat, KAAAMI2 EPOIEL — Il se pourrait bien que
Cette inscription mutilée, trouvée sur la base d'une statue détruite
de . . .pos, fils d'Hippasus Péloponésien , fut douteuse et qu'elle ne
fût pas aussi utile à M. R. R. qu'il le pense, QuesL, etc., p. 75.
Ce (ils du philosophe pythagoricien Hippasus vivait sous Périclès ,
mort 428 avant J. C. Or, si l'inscription rapportée par Spon, et qui
n'existe plus, était telle qu'il la donne p. 138 de ses Misceîlanea:
....P02 IPPA20Y nEAOnON.... KAAAMI2 EPOIEI, la forme des
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTES. 211
lettres n'appartiendrait pas à l'époque de Périclès, et elle devrait
avoir celle de nos inscriptions des marbres de Nointel, Mus. des
Ant., n° 222, 222 bis, qui datent de l'an 403, vingt-cinq ans après
la mort de ce grand homme, et elle serait ainsi figurée : -PO*
IPPA*OY PE, OrON ... KAVAMI* ErOIEl , ou bien P02 IPPA20Y
PE OPON •• KAVAMI2 EPOIEL On pourrait dire il est vrai que du
temps de Spon on n'avait pas , en transcrivant les inscriptions an-
tiques, poussé le scrupule de l'exactitude jusqu'à les imprimer avec
les formes qu'elles avaient sur les pierres. Cela est vrai; mais cepen-
dant n'est-il pas à croire que Spon était assez exact pour ne pas re-
trancher des lettres qui se trouvaient sur le marbre. Or, à l'époque
de Périclès, comme sur nos inscriptions athéniennes, l'H était en-
core une aspiration qui se joignait à l'| et à d'autres voyelles qui ne
les portaient pas encore, comme depuis, avec elles, et Hippasus de-
vait être écrit HIPPA*0* et non IPPA202, comme HIPPOÀAMA*,
lig. 63 de notre inscription 222, et HIPPON , lig. 62 du n° 22 bis
(Mus. de Sculpt. anc. et mod., pi. XXIll), ou comme plusieurs noms
de notre belle inscription de Choiseul, qui est de 410 avant J. C.
(Mus. des Anliq., n° 597, pi. XXXVI de mon Mus. de Sculpt. ant.
et mod.), où les mots Hellénorames, Hiéropoies, lig. 6, Hermon,
lig. 10, sont écrits avec l'H comme aspiration. Il est vrai que , aux
447 A,E, pi. XXX Vil et XXX VIII , cette lettre est quelquefois
employée comme E long, H , à la fin des mots et qu'elle ne sert plus
à faire aspirer les voyelles initiales. On voit que cette inscription est
moins ancienne de quelques années que la première , et qu'elle pour-
rait dater d'une époque très-voisine de celle où, en 403 avant notre
ère , on introduisit de grands changements et les lettres doubles dans
l'orthographe. Celle ci n'était pas encore bien établie, il y avait incer-
titude et lutte entre l'ancienne et la nouvelle. Mais sous Périclès, du
temps de Calamis et du fils d'Hippasus, l'ancienne orthographe était
encore dans sa vigueur, et le nom d'Hippasus devait s'écrire HIPPA-
202- Si ce n'est pas positif, c'est du moins probable, et si l'inscrip-
tion était telle que l'a copiée Spon, il se pourrait qu'elle eût été
placée, dans des temps postérieurs, sur la base de la statue du fils
d'Hippasus qu'on attribuait à Calamis, et qu'on s'y fût servi de l'or-
thographe et des formes des lettres alors en usage. Il faudrait donc,
pour que le nom de Calamis, suivi de l'imparfait ènoki, eût toute sa
validité, qu'il fût produit par une inscription dont l'orthographe et
l'écriture fussent d'accord avec celles d'un ouvrage que, par son
style, on pourrait croire de Calamis. Mais, même en admettant que
212 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'inscription donnée par Spon appartient au célèbre Calamis , qu'ajou-
terait cette concession à l'antiquité de l'imparfait êirot'ei ? Rien , ou
bien peu de chose, et ce ne serait nullement un triomphe sur
l'opinion de M. Letronne. En effet, d'après Pline, 1. 1., on accorde
que Polyclète put être le premier qui signa iizoiti, et qu'il donna ce
modeste exemple à Apelle , qui vécut environ quatre-vingts ans
après le grand sculpteur d'Argos. Pourquoi donc tant se disputer
pour Calamis? Il paraît que cet habile maître travaillait encore en
430 avant notre ère, et qu'à cette époque (lorissait déjà Polyclète.
Pourquoi Calamis, sur la fin de sa carrière n'aurait-il pas eu, comme
Polyclète, la modestie de ne mettre que Yinoltt au bas de sa statue
et de renoncer à l'ancien iTtoimazt II avait bien assez de talent pour
être modeste dans son expression : il n'y a là rien d'improbable. Alors
Calamis ne fournirait pas un nouvel exemple de l'emploi très-ancien
de l'imparfait , et il se confondrait pour ainsi dire , quant à l'époque ,
avec celui que , selon Pline, nous offrirait Polyclète. Mais je ne pré-
sente tout ceci que comme des hypothèses , et je reviens à celle
qui me paraît plus plausible et dont j'ai dit quelques mots à l'ar-
ticle de Bupalus. J'admettrai donc volontiers, avec M. Letronne,
qu'une inscription portant le nom de Calamis, surtout si l'or-
thographe et la forme des lettres n'appartiennent pas à l'époque,
prouverait , ou que c'est une fraude ancienne, de temps postérieurs ,
ou que, malgré le silence des auteurs, il n'y eut pas qu'un seul Ca-
lamis, comme il n'y eut pas qu'un seul Praxitèle, ni même qu'un
seul Phidias.
Tynnichus ou Tenichus, fit un vaisseau votif consacré à Diane
Bolosia. Ce vaisseau était, disait-on, celui qu Agamemnon lui-
même avait dédié à Diane, pour la remercier de ce qu'elle avait laissé
partir la Hotte d'Aulide. Sur ce vaisseau , on lisait deux vers élé-
giaques, précédés de l'inscription TYNNIX02 ErOIEI APTEMIAI
BOAOZIAI. Proc, Br. Goth., IV, 22; R. R., N. L. Sch., p. 89,
et Questions, p. 96. M. R. R. montre ici son défaut habituel de
critique. Le sculpteur Tynnichus n'était pas, comme il le dit, d'époque
inconnue, puisqu'il devait être, d'après la tradition , contemporain do
la guerre de Troie. Il est vrai que cette tradition est absurde , et que
le prétendu vaisseau d' Agamemnon a été, comme les vers élégiaques,
fabriqué à une époque plus ou moins récente. Rien ne prouve la
haute antiquité que M. R. R. attribue à cette inscription rapportée
par Procope, qui vivait vers la fin du VIe siècle de notre ère, et
EXPLICATION DE QUELQUES DIFFICULTES. 213
près de mille ans après Alexandre et Praxitèle. 11 est assez simple
qu'exposée à l'air pendant plusieurs siècles, elle fût devenue
presque illisible au temps de Procope. Est- il certain qu'il y eût
ETOIEI , sans qu'il y manquât quelques lettres, et ne se pourrait-il
pas que Procope, en rétablissant le mot, ait suivi l'usage de signer
des artistes de son temps? Ainsi , sans manquer aux premières notions
de la critique , on ne peut pas l'offrir comme une preuve de l'usage
de l'imparfait ETOIEI aux anciennes époques, comme le prétend
M. R. R., Qaest., p. 97. M. Letronne remarque d'ailleurs qu'un
ancien ne l'aurait pas écrit comme le rapporte Procope, mais aurait
dit APTEMIAI BOA02IAI TYNNIX02 EPOIEI , le nom de la
déesse et la dédicace auraient été placés avant le nom de l'artiste.
Tout ce qui précède me semble démontrer que M. R. R. ne s'est
pas fortifié d'un appui très-solide en appelant à son aide ces exemples
d'ènoUi pour prouver la haute antiquité de l'imparfait, et qu'on ne
peut tirer un grand secours de noms qui ont pu appartenir à des
artistes différents ; surtout lorsque les inscriptions qu'il invoque comme
garants, ou sont suspectes, ou ne sont pas du temps des anciens artistes
auxquels on les attribue.
Je me borne à ces exemples qui suffisent pour montrer que ce
n'est pas sans raison que M. Letronne a révoqué en doute l'usage
de Ximparfait dans les inscriptions des artistes antérieurs au siècle
$ Alexandre. Je pourrais citer d'autres exemples ; mais je laisse à
celui que M. R. R. a si imprudemment attaqué le soin de les relever,
ainsi que les erreurs de fait et de raisonnement, qui , comme je l'ai
dit en commençant, déparent les Questions d'histoire de Vart, l'ou-
vrage le plus défectueux peut-être, sous ce double rapport, de tous
ceux qu'a desserrés, depuis quelque temps, cet infatigable anti-
quaire.
Comte de Clarac.
LETTRE A M. PH. LEBAS
SUR
LES SUJETS FUNÉRAIRES
qu'on croit être
DES REPAS FUNÈBRES ET DES SCÈNES F ADIEUX,
Mon cher Confrère ,
Je dois vous remercier, à un double titre, de la lettre que vous
m'avez adressée dans la Revue de l'avant-dernier mois (p. 8i et suiv.) ;
d'abord, pour l'attention bienveillante que vous avez prêtée à mon
explication de la stèle funéraire de M. Laurin; ensuite, pour les
savantes et ingénieuses observations que ce monument vous a suggé-
rées, sur le seul point de cette explication que vous ne croyez pas
pouvoir admettre. A mon tour, je répondrai à votre franchise en vous
faisant part des motifs qui ne me permettent pas de me rendre à vos
observations, quel que soit d'ailleurs mon désir de penser comme
vous sur tous les points.
Cinq circonstances m'avaient paru donner un assez grand intérêt
à cette stèle :
1° L'inscription grecque fort curieuse qu'on y lit;
2° La condition des personnages qui y sont mentionnés;
3° Leur relation avec ceux qui sont figurés dans le bas- relief;
4° Le véritable sujet de ce bas-relief;
5° Enfin, le sujet des représentations semblables ou analogues.
De ces diverses circonstances, dont je me suis efforcé de rendre
compte, les quatre premières vous ont paru clairement et suffisam-
ment expliquées, sauf un seul trait de l'inscription, sur lequel je dirai
tout à l'heure quelques mots. Sur le dernier point seulement, mon
opinion vous a paru contestable, ou, pour parler net, inadmissible;
puisque vous la déclarez tout à fait contraire au génie de l'antiquité;
LETTRE A M. PH. LEBAS. 215
et c'est le plus grave reproche qu'on puisse adresser à une opinion
archéologique ; car s'il est permis de ne pas rencontrer juste dans une
explication difficile, il ne peut jamais l'êlre d'en proposer une qui
soit contraire au génie ou aux usages de l'antiquité. L'archéologue,
qui se donnerait ce tort, ferait bien de laisser là l'antiquité, et de
s'occuper d'autre chose.
Ce qu'il y a de sûr, c'est que, si mon opinion à cet égard était
fondée, il vous faudrait renoncer, en partie du moins, à celle que
vous avez antérieurement établie dans une dissertation très-appro-
fondie et très-développée. (Expéd. deMorée, t. II, p. 108 etsuiv.)
Vous avez donc pris la défense de votre explication , et vous avez
combattu la mienne. C'était votre droit et même votre devoir. À
moins d'avoir contre soi l'évidence, à laquelle doit toujours céder
un homme judicieux et sincère, on a raison de ne pas se rendre trop
tôt aux objections, et de faire valoir, jusqu'à la fin, les raisons
qu'on a de persister dans l'opinion qu'on a soutenue d'abord. En pa-
reil cas, la persistance n'est pas entêtement; c'est une preuve qu'on
ne s'était pas décidé à la légère, mais qu'on avait considéré le sujet
sous toutes ses faces avec la maturité et la réllexion convenables.
De mon côté, en émettant une vue un peu différente de la vôtre
sur ce seul point, je n'ai pas obéi à un vain esprit de contradiction.
J'ai fait ce qu'il est toujours utile de faire, lorsqu'en étudiant' un
monument nouveau on aperçoit une particularité, inconnue jus-
que-là, qui paraît propre à jeter du jour sur une matière obscure.
J'ai tâché d'indiquer la portée probable d'une de ces particularités,
à savoir l'inscription de la stèle, et de signaler le changement qui
pourrait en résulter dans les idées reçues.
Nous sommes donc, à cet égard, l'un et l'autre dans les vraies
conditions de la science ; et je me félicite sincèrement d'avoir soulevé
cette petite controverse; car elle nous promet, de votre part, le re-
maniement d'une question importante qui vous a déjà dû de pré-
cieux éclaircissements, et sur laquelle les observations suivantes vont
reporter votre attention, en vous signalant quelques difficultés peut-
être plus sérieuses que vous ne l'aviez pensé.
La question dont il s'agit tient fort peu de place dans mon expli-
cation de la stèle funéraire , car elle n'y occupe que la dernière
page ; c'est qu'en effet elle n'y était qu'un accessoire ; et j'aurais fort
216 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
bien pu me dispenser de l'y joindre , d'autant plus que je n'ignorais
pas l'importance de cet accessoire , comme l'indiquent ces paroles :
« Je pourrais étendre, ai-je dit, ces vues que notre monument m'a
« suggérées; mais je ne veux pas faire un traité à propos d'un menu-
et ment unique. Je laisse aux archéologues qui trouveront juste et
« fondé le principe sur lequel elles reposent, le soin d'en étendre ou
« d'en restreindre les applications. » En faisant cet appel , j'espérais
bien qu'on s'y rendrait un jour ou l'autre. Vous vous êtes empressé
d'y répondre, ce qui vous convenait plus qu'à tout autre, car ici vous
êtes plus intéressé que personne; mais, quoique vous l'ayez fait d'une
manière digne de vous, vous ne m'avez pas encore convaincu;
peut-être que, tout entier à votre point de vue, vous n'avez pas
complètement saisi celui qui me paraît ressortir de 1 inscription
de notre stèle.
Dans les quinze savantes pages de votre lettre , vous touchez à tant
de questions diverses que, pour y répondre à votre satisfaction, il me
faudrait composer ce traité que j'ai surtout voulu éviter de faire, et
que je n'ai pas davantage le loisir ni la volonté d'entreprendre; je me
bornerai donc à développer le point que je n'ai dû qu'indiquer alors
sommairement , pour ne point m écarter de mon sujet.
Avant de commencer cette discussion archéologique , permettez -
moi de dire quelques mots sur la dernière ligne de l'inscription :
ewcay.iç 7ruxT£u<raç w^ero sic Aôyiv ou Mâ-nv. Vous pensez , comme
moi , que cette ligne est poétique , et que ce ne peut être
qu'un hexamètre ou un pentamètre ; vous préférez y voir un penta-
mètre en changeant ivvexyAç en swaxt. J'ai pensé que ce pouvait être
un hexamètre; ce n'est peut-^tre ni l'un ni l'autre, comme je l'avais
pensé d'abord, sachant qu'à toutes les époques on trouve de ces
ligues d'inscriptions qui offrent des vestiges de versification, sans
qu'on puisse les ramener à un vers régulier. Telles sont ( pour remon-
ter très- haut) celles du casque trouvé à Olympie : tm Ai 7uppav' àr.b
Kuaaç , chute qui révèle une intention poétique, bien qu'on n'ait
pu la ramener à un mètre quelconque , malgré les ellorts des plus
habiles critiques (1).
Mais, dans la supposition qu'il y aurait là réellement un vers plus
ou moins altéré par le lapicide, j'ai préféré d'y chercher un hexamètre,
(1) Franz. Elem. epigr. gr. p. 70.
LETTRE A M. PH. LEBAS. 217
parce qu'il m'a paru que rien n'est plus rare, en pareil cas, qu'un
pentamètre isolé. Comme ce vers est toujours dans une situation su-
bordonnée, quand on ne voulait écrire qu'un seul vers, c'était Y hexa-
mètre qu'appelait naturellement une oreille grecque, ou bien l'iam-
bique trimètre , mais plus rarement ; aussi les exemples de ce vers isole'
sont-ils très-nombreux (l), tandis que ceux du pentamètre sont in-
finiment rares; encore paraissent-ils même avoir été, non composés ad
hoc, mais tirés d'un distique plus ancien. Voilà le motif qui m'avait
fait préférer l'autre vers. Vous dites que j'ai été obligé de faire trois chan-
gements pour en arriver là. Par le fat, ces changements se réduisent
à celui de si? en èç. Car le lapicide pouvait se dispenser de rappeler,
au commencement du vers, le nom de Aavaoç qui est plus haut, et qui
forme le sujet nécessaire du verbe w/sto ; quant à l'elision ou à la
crase de Yo que je supprime, ce n'est pas à vous qu'il est nécessaire
d'apprendre que les lapicides négligent sans cesse l'elision, en expri-
mant sur la pierre la lettre qui devait être élidée à la lecture. Ainsi,
dans les inscriptions memnoniennes : TPICKAIAGKAGXONTI pour
Tpiaxai^cît' sypvTi ( n° 36 ); KAIGIAKOYEIN pour zà£axoueiv
(n° 40); GIKONAGKMGMArMGNON et KAIACAOH pour etxoV
èz^s^ay^svov et zàa-acprj (n° 42); dans une inscription en vers iam-
biques de Pselcis en Nubie : HAOONÀGKAGrk) pour -nlQov de v.àyâ
(Welcker, Syllog. n° 198*); enfin, KAIAAIKU)N pourxa&W dans
une autre trouvée à Argos, que vous avez publiée et savamment
commentée (Expéd. de Morée, t. II, p. 97).
Vous voyez que lire w^st' se, pour eo^ero *èç ce n'est point faire
une correction; c'est rétablir la crase que les lapicides négligeaient
eux-mêmes.
Reste donc la seule correction èç pour sic; mais vous me la passe-
rez , j'espère, aussi facilement que je vous passerai la double correction
ivvâ.y.1 pour swsaxiç.
Je n'attache pas, je vous prie de le croire, plus d'importance à mon
hexamètre que vous à votre pentamètre ; car l'auteur de l'inscription n'a
peut-être pas plus pensé à l'un qu'à l'autre. Mais , s'il est également
fort permis de proposer une conjecture qui n'est pas la meilleure,
ce qui est arrivé aux plus habiles, du moins il est nécessaire qu'elle
soit toujours conforme aux éléments qui sont à notre disposition.
J'ai tenu seulement à vous montrer que je n'avais pas manqué à cette
condition essentielle,
(1) Dans le seul Syllogede Welcker, sur seize exemples , il n'y a qu'un seul pen-
tamètre isolé , n° 172.
218 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ce très-petit incident vidé, je viens à ce qui mérite un peu plus
d'attention.
Les points très-nombreux que vous avez touchés dans votre savante
lettre se rattachent à deux principaux :
1° Les bas-reliefs funéraires sur lesquels on voit un ou plusieurs
personnages prenant une part plus ou moins directe à un repas ou
banquet, représentent-ils un banquet funèbre ou ne sont-ils que la
reproduction d'une scène de famille?
2° Le cheval et le chien qui se voient dans quelques-uns y figu-
rent-ils à titre de symboles ou n'<tit-ils qu'une expression directe?
Et voyez comme tout se lie dans l'étude de l'antiquité! Ce point
accessoire que j'ai touché à peine, soulève une question vitale dans
l'interprétation archéologique , celle de l'emploi du symbolisme sur
les monuments de l'antiquité figurée.
Pour ne pas me lancer dans ce vaste sujet, plus qu'il ne convient au
modeste but que j'ai devant les yeux, je ne sortirai pas de la classe
des monuments funéraires auxquels se rattache la stèle de M. Laurin,
Dans l'immense variété de sujets que les anciens ont représentés
sur leurs monuments funéraires, il en est dont le sens est clair et
l'explication facile; mais il en est un grand nombre qui peuvent se prêter
à plusieurs explications probables ; et l'on ne saurait être sûr d'arriver
à quelque résultat moins incertain , que lorsque quelque circon-
stance extrinsèque, telle qu'une inscription, apporte un indice plus
significatif.
Malheureusement la plus grande partie des inscriptions funé-
raires connues , à présent séparées du monument dont elles fai-
saient jadis partie, ne sont plus liées à aucun bas-relief: et, d'un autre
côté, la plupart des bas-reliefs funéraires n'ont point d'inscription,
soit qu'on eût négligé d'en mettre; soit que celle qu'on y avait mise
fût planée sur une partie du monument qui n'a pas été conservée ;
et, quant à celles qui accompagnent un bas-relief, on en a tiré gé-
néralement fort peu de lumière, parce qu'elles consistent le plus sou-
vent dans des noms propres indiquant les personnes déposées dans le
tombeau, et celles qui l'avaient élevé, sans rapport direct avec le
sujet même de ce bas-relief.
Voilà ce qui explique l'obscurité qui plane encore sur cette classe
si intéressante de monuments; et les discussions qui s'élèvent
LETTRE A M. PH. LEBAS. 219
chaque jour sur la véritable signification des sujets qu'on croit le
mieux connaître.
On ne peut espérer d'y mettre un terme qu'en profitant de toutes
les lumières qui peuvent se tirer des monuments qu'on découvre
chaque jour. C'est ce que vous avez tâché de faire, à, propos du
beau bas-relief qui existe à Merbaka , près d'Argos, et qui a été
pour vous le point de départ et le pivot d'une discussion du plus
haut intérêt sur tous les monuments de ce genre, principalement
ceux où un cheval est représenté, afin de déterminer quel sens
leurs auteurs ont attribué à la figure de cet animal.
Selon vous, elle a presque toujours un sens purement symbo-
lique. Tout en reconnaissant cette signification en certains cas, je
la repousse en d'autres, où vous l'admettez. Ce ne serait donc, entre
nous, qu'une question déplus ou de moins. Mais le dissentiment est
plus grave et plus profond , comme vous l'avez très-bien aperçu ; il
tient à la signification que, selon moi, il faut attribuer aux bas-reliefs,
dits repas funèbres, dans lesquels je ne vois qu'une scène de la vie
intérieure, un repas de famille, tandis que vous y voyez une scène
éminemment religieuse. Plus j'y réfléchis, plus je crois mon opinion
certaine, limitée à un certain ordre de monuments. Car il y
a, sur ce point, des distinctions à établir, que peut-être vous
avez négligées; et, dans la longue promenade archéologique que
vous m'avez fait faire, .comme vous le dites (p. 91), où je vous ai
suivi d'ailleurs avec autant de plaisir que de profit, vous m'avez
conduit à travers une foule de monuments dont la plupart me
paraissent avoir très-peu de rapport les uns avec les autres; et
surtout avec les banquets funèbres ou de famille; vous avez, de
cette manière, fort compliqué une question qui n'est déjà pas mal
embrouillée; et vous m'avez fait, en outre, des objections qui
n'en sont pas pour moi, attendu que je n'ai rien dit de ce qu'elles
supposent.
Ainsi (p. 87), vous me demandez si je ne reconnais pas qu'il
y ait invocation ou supplication sur le bas-relief du Musée Royal
(n° 261, il faut lire n° 257, pi. 211): sur celui de M. Pourtalès
Gorgier (pi. 18); et sur un troisième publié, entre autres, par
M. GerhardL Àrcheolog. Zeitschr. , pi. XXXIII, f. 2). Je le reconnaî-
trais, que cela ne m'engagerait en rien pour les repas funèbres ou de
famille (le seul sujet dont je parle), attendu que ceux-ci sont étran-
gers à une invocation ou supplication.
Vous dites encore (p. 92) : « Voulez- vous d'autres preuves?.. Les
220 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« inscriptions attestent que de nombreux ex-voto étaient consacrés
« à Escnlape et à Hygie par les familles ; » et vous citez deux
inscriptions qui le prouvent. Vous auriez pu facilement en citer dix
fois plus, que cela n'aurait pas le moins du monde avancé la ques-
tion. Je n'ai pas nié, et personne ne niera l'existence des nombreux
ex-voto, surtout en l'honneur de ces deux divinités ; mais cela ne fait
absolument rien à nos repas funèbres ou de famille, qui ne sont pas
des ex-voto.
Je vous demande donc à mon tour la permission, mon cher con-
frère, de circonscrire la question au seul point particulier que j'aie
touché dans mon explication de la stèle. Il est déjà assez étendu ;
d'autant que, pour l'éclaircir plus complètement, je me vois obligé
de le lier avec un autre sujet funéraire, répété non moins souvent,
qualifié par les uns, de cérémonie nuptiale, par d'autres, de scène
d'adieux, et qui n'est ni l'un ni l'autre; ce que les habiles ar-
chéologues qui s'en sont occupés auraient vu depuis longtemps,
s'ils avaient fait plus d'usage des inscriptions qui s'y rapportent.
Vous-même , mon cher confrère qui , dans votre beau travail , en
avez tiré meilleur parti que personne, pour l'éclaircissement de ces
deux sujets, vous verrez qu'elles fournissent des indications pré-
cieuses qui vous ont échappé.
A l'aide des inscriptions , tant de celles dont vous avez fait usage ,
que de celles, en plus grand nombre, dont vous n'avez pas cru de-
voir vous servir, je ne désespère pas de réussir à vous montrer que
l'opinion que vous déclarez contraire au génie de V antiquité, est la
seule admissible.
Mais, dans le cas môme où je me ferais illusion, je suis sûr, au
moins de vous présenter des notions et des aperçus qui, maniés
tôt ou tard, par une main habile telle que la vôtre, pourront conduire
à d'utiles résultats.
Letronne.
( La suite du prochain numéro. )
MEMOIRE
SUR
LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA
COMME CULTE SECRET DE VÉNUS CHEZ LES ROMAINS (i).
DEUXIÈME PARTIE.
Nos considérations sur les Diva lia ayant pris beaucoup plus de dé-
veloppement que nous ne pensions, et la Reçue Archéologique, par
sa nature et son plan , ne comportant pas l'insertion textuelle d'un
travail aussi étendu, nous avons, quant à présent, jugé nécessaire
d'en supprimer la seconde partie que nous nous réservons de publier
plus tard. Mais, afin que dans la suite de ce mémoire certains pas-
sages ne soient pas inintelligibles pour nos lecteurs, nous croyons
utile de leur présenter, sous forme de sommaires , les idées princi-
pales contenues dans les chapitres de cette deuxième partie.
I. Il existait à Rome un culte secret et très-ancien de Vénus, pro-
bablement institué par Énée, culte dont les Pénates, c'est-à-dire les
Dioscures, semblent avoir été l'un des symboles. Dans les premiers
temps de Rome, le nom de Vénus n'existant point encore, cette
déesse était adorée sous les noms de Volupia et d'Angerona.
II. Cette Vénus, d'origine orientale, avait de nombreux rapports
avec Cybèle. Comme celle-ci, elle désignait les grandes forces de la
nature, et surtout la reproduction.
III. On lavait figurée primitivement avec les attributs des deux
sexe.*. C'est cette Vénus Ândrogyne qui, dans le principe, a été la
diçinité tutélaire de Rome, représentée aussi sous la forme d'Angeronia .
IV. Plus taVd elle reçut le nom de Venus Genitrix, dans le dou
ble sens de Mère de la race Enéenne (Genitrix sEneadum (2)), et de
déesse de la procréation (yevsTeipa, yevévEMc ecpopoç (3) ). Jules Cé-
sar le premier lui érigea un temple.
(1) Voir la Revue, t. II, p. 633-676.
(2) Lucret. 1,1.
(3) SchoL Aristophan. IVub. v. 62.
222 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
>
V. En instituant ce culte, il est probable que César agissait au
moins autant par des calculs d'intérêt dynastique que par un senti-
ment religieux.
VI. Venus Genilrix et Venus Victrix sont identiques.
VII. L'une et l'autre ne sont également rien autre chose que la
divinité tutélaire de Rome (Dea Roma , Genius Urbis, Genius Populi
Romani, Angerona) , dont le nom véritable et primitif était tenu dans
le secret le plus inviolable. Le sexe môme de cette divinité prolec-
trice était entouré de mystère, et pouvait l'être d'autant plus facile-
ment qu'elle avait été d'abord adorée sous une forme bisexuelle.
VIII. Le culte de Vénus étant la religion de l'État, et devant
néanmoins rester secret quant à son caractère essentiel , les images
des autres dieux, sur les monuments, et particulièrement sur les
monnaies, étaient substituées tour à tour à celle de Vénus, quand
elle figurait comme déesse tutélaire de Rome. On conservait l'un des
attributs de Vénus, et l'on y ajoutait ceux de la divinité qui servait à
la déguiser.
IX. Parmi les attributs de Vénus , plusieurs , tels que les étoiles,
le caducée, la corne d'abondance, le serpent, etc. , n'ont pas été jus-
qu'ici pris en considération comme ils devaient l'être.
X. Pour représenter certains personnages allégoriques ou cer-
taines divinités d'un ordre moins élevé, telles que Fortuna, Salus ,
Clemenlia, Concordia, Lïberlas, les Romains empruntaient égale-
ment les traits et les attributs de Vénus.
XI. Les Triumviri et Qualuorviri monetales semblent avoir été
choisis parmi les Flamines divales ou prêtres de Vénus- Angerona,
afin qu'ils pussent surveiller, conformément aux règles établies pour
l'observation de ce grand secret d'État, l'apposition sur les mon-
naies des images et des symboles des dieux. P. Sépullius Macer était
investi de ces fonctions sous César.
XII. Après Vénus, Mars semble avoir foué le rôle le plus con-
sidérable dans la religion primitive des Romains.
XIII. Le culte de César déifié fut plus tard adjoint à celui de
Venus Genitrix.
TROISIÈME PARTIE.
Jusqu'ici, tout en nous éclairant des documents fournis par la
numismatique dans les recherches que nous avons dû faire sur
le culte de Vénus et de la déesse de Rome , nous n'avons pas voulu
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA. ET LES ANGERONALIA. 223
expliquer Angerone elle-même autrement que par les traditions
puisées dans les anciens classiques. Nous nous sommes abstenu
à dessein de la considérer d'après les monuments de l'art anti-
que, et voici la raison qui nous a fait agir ainsi. 11 était infiniment
probable que leur explication resterait difficile, tant que nous ne se-
rions pas parvenu à éclaircir les obscurités qui entourent les opinions
et les assertions des anciens sur cette déesse. Maintenant que le
mot de cette énigme est trouvé, et qu'avec son aide nous sommes
arrivé à un résultat que nous nous croyons en droit de considérer
comme positif, examinons les œuvres d'art où les anciens ont re-
présenté Angerone, et voyons si leur étude, jointe à ce qu'ont dit à
leur occasion les archéologues qui les ont décrites, détruit ou con-
firme l'opinion que nous avons émise. Voyons si l'explication de ces
mêmes figures peut à son tour recevoir quelque lumière des recher-
ches que nous avons faites sur cette mystérieuse divinité.
Nous laissons absolument de côté la question de savoir, si le cachet
de Sépullius est ou non authentique. A ce sujet nous déclarons notre
incompétence, et nous nous garderons d'autant plus de nous pronon-
cer que des opinions tout à fait opposées ont été émises sur ce
cachet par des connaisseurs. Dans tous les cas, la solution de cette
question n'importe pas à la partie actuelle de notre travail. Quand
bien même cette pierre gravée serait l'œuvre d'un faussaire, il reste-
rait toujours très-probable que, pour sa confection, il lui a fallu re-
courir à des données puisées dans d'autres monuments semblables qui
ne nous sont pas parvenus. 11 suffit d'ailleurs du sacrifice offert chaque
année par les pontifes à Angerone, dans la chapelle de Volupia, et des
autres circonstances analogues que nous avons rapportées, pour
maintenir tout ce que nous avons dit sur l'identité de cette divinité
avec Vénus et sur le culte secret de celle-ci comme déesse tutélaire
de Rome. En prenant ce point de départ, et en nous servant de ces
particularités pour appliquer aux monuments figurés d'Angerone
l'explication qui jusqu'aujourd'hui leur a manqué, nous essayerons
de confirmer et de développer aussi complètement que possible les
théories que nous avons établies. S'il nous échappe des erreurs, les
archéologues voudront bien nous les pardonner, et, s'ils trouvent
que le sujet le mérite, les corriger.
Pour procéder avec méthode et «clarté, nous diviserons ces monu-
ments en plusieurs groupes ou sections. Le premier comprendra ceux
où Angeronia, reconnaissable par son sexe et par son geste qui com-
mande le silence, n'offre point, à l'exception de ses formes ou de la
224 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
manière dont ses vêtements sont drapés, d'autres caractères qui
puissent mettre en évidence son identité avec Vénus.
Dans un second groupe, nous réunirons les figures de cette déesse
où l'on observe, outre les caractères dont nous parlions à l'instant,
un ou plusieurs attributs qui la désignent comme Vénus ou comme
Vénus-Cybèle.
Une troisième section enfin embrassera les images, à l'égard
desquelles on ne peut décider avec certitude s'il s'agit d'Angerone ou
d'Harpocrate , mais qui , selon nous , permettent de reconnaître cette
ancienne Vénus masculine (l), formée par le dédoublement de la
Vénus Androgyne; car la première, de même que la seconde et
Angeronia, comme nous l'exposerons, semblent avoir été plus tard
réunies et confondues avec Harpocrate. Dans cette catégorie nous
serons forcé de placer une série d'images qui peut-être sont étran-
gères à notre sujet, mais qu'il vaut mieux pourtant citer sous forme
dubitative , que de les passer sous silence. De cette manière au moins
nous n'aurons négligé aucune des faces sous lesquelles cette question
peut être considérée.
Autant que cela se pourra, nous classerons les monuments de
chaque division par ordre chronologique.
PREMIÈRE SECTION.
Monuments représentant Angerone sans autres caractères ni attributs.
§ I. (PL 51, fig. 1 . ) De La Chausse (l) représente la statue d'une
Angerone qui place l'index de la main droite sur sa bouche fermée.
C'est une figure toute nue, aux formes élégantes, dont les seins sont
arrondis avec grâce, et dont la chevelure abondante est arrangée comme
on le voit ordinairement sur la tête de Vénus que représentent les mon-
naies romaines (2). Enfin, si l'on compare cette Angerone avec ces
effigies de Vénus et avec ses statues, il est impossible d'en mécon-
naître la grande ressemblance. Elle tient derrière le dos lavant-bras
(1) Macrob. Satum. I, 8. Apud Calvura Acterianus affirmât legendum, Pol-
lenlemque deum t^cnerem, non deam. Signum etiam ejus est Cypri barbatum
corpore, sed vesle mulicbri cum sccplro ac stalura [nalura?] virili; et putant
eandem marcm ac feminam esse. Aristophanes cam Â^ooitov appellat.
§ I. (1) M. A.Causei deLaChausse, Rfjmanum Muséum. T. I, sect. tl, éd. I (1690)
et II (1707), lab. 28 ; éd. 111 (1746) , tab. 35. Le texte et la figure sont les mêmes
dans les trois éditions.
(2) Jufta.'RiccioG, Morell. t. 1, vin ; R. 7, M. vu,JN ; R. 8,M.v, M; R. 10, M.
t. 4, i; etc. Voy. notre pi. £»l, ûg. 3.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 225
du côté gauche, probablement dans l'attitude dont il sera question à
l'occasion des statuettes décrites par Caylus (3). Si le bras droit, -au
lieu d'être élevé pour inviter au silence, avait une autre position,
nul doute qu'on n'eût pris cette statue pour celle d'une Vénus. Les
paroles de De la Chausse, à propos de cette figure, bien que Caylus
leur ait donné des éloges, ne nous apprennent absolument rien de
nouveau ni d'utile sur Angerone, qu'il regarde comme la déesse du
silence, analogue à l'Harpocrate des Egyptiens. 11 la déclare, toute-
fois, la divinité tutélaire de Rome.
§ IL (PI. 51, fig. 5.) Montfaacon (1) a fait graver trois figures
d'Angerone. La seconde est la copie de celle que donne De la
Chausse, et la première seule appartient à notre première section.
« Angeronie, » dit Montfaucon , « est la déesse du silence Elle
était donc chez les Romains ce qu'était Harpocrate chez les Égyp-
tiens. La première, et la plus belle figure que nous en donnons,
a une coiffure extraordinaire, et est habillée à peu près comme
une Vesta donnée aux images de cette déesse. » Cette coiffure
consiste en une espèce de bandeau roulé en spirale autour des
cheveux; elle me paraît phrygienne ou au moins orientale. Les
tours de spirale commencent à quelque distancé au-dessus du front,
et se terminent en pointe au sommet. Cette figure est la même
que celle qui a été représentée par Caylus, et dont il sera ques-
tion tout à l'heure; seulement elle est dessinée dans des propor-
tions un peu plus grandes que les six pouces quatre lignes indiqués
par cet archéologue. Cela a mis l'artiste en position de rendre plus
exactement les détails, ceux de la coiffure en particulier; mais
le dessin est évidemment renversé de droite à gauche , sans doute par
une erreur du graveur. La déesse a le bras gauche fléchi dans l'arti-
culation du coude, et la main gauche, qui, parle renversement, se
trouve être la main droite, est à demi fermée et appuyée sur le côté
gauche. Ce qui prouve encore que la figure est renversée , c'est qu'elle
tient l'index gauche sur sa bouche fermée, tandis que sur les autres
monuments, par une mimique beaucoup plus naturelle, l'index de la
main droite sert pour désigner le silence. Il n'y a, sous ce rapport,
d'exception que dans quelques-unes des figures de Caylus (2), où la
main droite, présentant des palmes, ou prenant une position par-
(3) Voy. ci dessous, §111.
§11. (1) Montfaucon, l'Antiquité expliquée, t. I, 2e partie (1719), pi. 213, tig. 1,
p. 359, IV.
(2) Voy. ci-dessous , sect. i, §* 3 et 4 ; sec», u, § 4.
III. 15
226 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ticulière et symbolique, ne peut en même temps faire le geste du
silence.
Nous joignons ici la partie essentielle de la description que Caylus
donne de cette gravure (3). «On pourrait regarder cette figure comme
l'emblème d'un silence particulier qu'on avait intérêt de recomman-
der; ce pouvait être le silence sur les affaires domestiques, secret si
nécessaire et si peu pratiqué dans les familles La gorge de la
déesse est assez ferme pour faire l'office de clou et soutenir le man-
lelet qui recouvre la tunique La tunique ou le vêtement de des-
sous n'est retenu par aucune espèce de ceinture; cette circonstance
peut être nécessaire à remarquer, d'autant qu'elle n'est pas ordi-
naire La coiffure, parfaitement conservée, n'est pas commune
pour le temps auquel l'ouvrage a été fait; elle conserve une sorte de
rapport avec celle de plusieurs figures étrusques des plus anciennes.
« Hauteur six pouces quatre lignes. »
Tous ces détails, indiqués par le savant dont nous venons de citer
le nom, sont aussi rendus, et même plus exactement, dans la gra-
vuredeMontfaucon(4a).Il est probable que Caylus a fait l'acquisition
de cette statuette qui, d'après Monlfaucon , appartenait d'abord au
cabi net du père Albert. C'est sans doute à cause du renversementque
l'identité n'a pas été reconnue par un observateur aussi exercé que
Caylus ; peut être aussi a-t-il été induit en erreur pour avoir fait
la comparaison seulement d'après son dessin, dans lequel les dimen-
sions de la statuette sont diminuées de moitié environ, de sorte
que les détails, ceux de la chevelure surtout, disparaissent à cause
de la petitesse. Distrait d'ailleurs qu'il était par tant de recherches,
il ne portait qu'un médiocre intérêt à cette Angerone, dont le sujet,
comme nous verrons plus loin (4 b) , lui paraissait inintelligible ; il n'y
a donc rien d'étonnant qu'il ne se soit pas aperçu de la négligence
du graveur de Montfaucon. Quand bien même notre remarque sur
l'identité de ces deux figurines serait erronée , elles ne représente-
raient pas moins le même sujet.
La ressemblance avec une Vénus ici est encore frappante. L'absence
de la ceinture, signalée par Caylus, caractérise principalement cette
déesse. C'est en partie à cause de cela que César, affichant avec os-
tentation sa dévotion pour Vénus , son aïeule (5), et voulant même
(3> Recueil d'Antiquités, t. IV, pi. 72 , flg. 2 , p. 229.
(4 a)Voy.notre pi. 61, flg. 5.
(4 bj Sccl.u,§4.
(6) DiQ Cass. XLIII, 43. Tô ôXov t$ ye À? poSir? tc&s àvkeiTO.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 1T1
faire croire à une certaine ressemblance entre elle et lui (6), affec-
tait de se ceindre négligemment (7), ce qui lui valut, de la part de
Sylla , l'épithète de garçon à la ceinture mal serrée (8).
§ III. (PI. 51 , fig. 2.) Caylus (1) a figuré deux autres statuettes
d'Angerona. Toutes les deux ressemblent à la première que nous
avons décrite (§1), en ce qu'elles sont entièrement nues, et
que l'une de leurs mains affecte une position particulière. Dans
la figure III, la plus grande ressemblance avec une Vénus se
manifeste par la nudité complète, les belles formes du torse et
des seins, et la chevelure abondante, dont l'arrangement est à
peu près le même que dans limage de Vénus sur les médailles
romaines. Les trois premiers doigts de la main gauche sont appli-
qués sur la bouche, tandis que la main droite se trouve posée,
comme on peut le voir dans la gravure (k2), et comme dit Caylus,
« sur la partie diamétralement opposée à la bouche. » Quant aux
extrémités inférieures, elles manquent à partir du tiers moyen des
cuisses. Voici les passages essentiels du texte de Caylus : « Ce frag-
ment de la même divinité prouve que l'usage en était fréquent chez
les Romains, et que l'attitude qu'on lui a donnée n'était pas absolu-
ment arbitraire. La figure précédente était l'image d'un enfant; celle-
ci représente une jeune personne. Le dessin ne laisse aucun doute
sur les rapports de ces deux figures. L'exacte nudité n'est pas une de
leurs moindres singularités. Heureusement, ce qui manque à ce petit
monument n'est pas essentiel pour l'explication Ce bronze n'a
plus qu'un pouce et demi de hauteur. »
La position de la main droite de cette figure et de la suivante, de
même que celle du bras gauche de la statue décrite dans le § I, ne
me semble pas être l'effet du hasard ou du caprice. Puisque nous
voyons cette attitude dans plusieurs monuments découverts en des
localités différentes et à des époques diverses, elle doit avoir une
signification cachée. Vénus, en Orient, a été figurée primitivement
hermaphroditique, sans doute pour indiquer, que l'amour physique
n'est licite que par le congrès des deux sexes , et lorsqu'il a pour but
les saintes fonctions de la propagation de l'espèce (3). Cette image
(6) lhid. KLsei 7rsi'0£iv 7T«vtx$ -<)'0s).sv, oti xxï avôoç ri &pxç àjr' aùr/js s^s«.
(7) Ihid. T/5 èk la&frt ■/xwoTèpx h nxstv hrfpvvero. Sueton. Cœs. C. 45. Cinge-
batur fluxiorecinclura. >
(8) Suet. ibid. aullae dictum ,.... ut maie praecinclum puerum caverent.
§ III. (1) Recueil d'^rdiquilés , t. II, pi. 79, fig. i , n et m, p. 281 et suiv.
(2) Voy. noire pi. 61, fig. 2.
(3) Comparez sous ce rapport l'important passage de Codinus , cité dans la note 4
du § I de la sect. m.
228 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
androgyne était la réprobation sensible des débauches contre nature ,
si répandues dans l'Orient dès les temps les plus reculés, et châtiées
dans l'Écriture sainte par l'extermination de Sodomeetde Gomorrhe.
Voici pourquoi le fcreig, et non le phallus, est figuré à côté de cette
Vénus bisexuelle sur un"monument curieux appartenant actuelle-
ment à la Bibliothèque du Roi , et décrit par M. Lajard , son premier
propriétaire , dans un intéressant et savant Mémoire (4). C'est par la
même raison, il est du moins permis de le supposer, qu'Angeronia ,
formée de cette Vénus androgyne, laisse exposé aux regards ce que
cherche à couvrir pudiquement Aphrodite Anadyomène, et cache
entièrement avec une de ses mains la partie opposée, comme pour
désigner en elle la véritable partie honteuse. Aujourd'hui encore ,
par des motifs semblables, les Turcs vraiment religieux mettent la
pudeur à ne pas se déshabiller facilement les uns devant les autres;
le môme sentiment leur inspire une répugnance invincible pour les
clystères (5).
§ IV. Le sujet des gravures I et II de la même planche de, Cay-
lus (1), par sa nudité complète, son attitude, la position de la main
droite, par l'application des trois premiers doigts de la main gauche
sur la bouche, et par la manière dont la chevelure , très-épaisse , est
arrangée, offre la plus parfaite ressemblance avec celle que nous
venons de décrire. Elle n'en diffère que par les particularités sui-
vantes : c'est la figure d'une toute jeune fille , ce qui la rend sembla-
ble à l'Angeronia représentée par Goropius (2). La main gauche est
appuyée sur la bouche avec un effort plus marqué dans cette statuette
que dans la précédente. «La belière, » dit Caylus, «qui la met au
rang des amulettes, subsiste dans son entier, et la conservation to-
tale du morceau ne peut être plus complète. Celte figure a été trou-
vée, il y a peuple temps, dans les débris d'une tour bâtie, à ce que
l'on prétend, parCaligula, à l'entrée du port de Boulogne-sur Mer.
Quelques autres monuments de cette espèce pourraient autoriser le
sentiment de ceux qui regardent cette ville comme l'ancien port
Icius.
(4) Nouvelles Annales, publiées par la section française de l'Institut archéolo-
gique , t. I. Paris, 183G, p. 161 et suiv. F. Lajard , Mèm. sur la Venus orientale
androgyne. J'avais déjà réuni de nombreux passages sur cette déesse fort impor-
tante pour mon sujet , lorsque j'eus connaissance de ce beau travail qui me permit
de me dispenser de la continuation de ces recherches.
(6) A. Braver, Neuf années à Conslanlinople. Paris, 1836, in-8 , t. I, p. 183 et
passim.
Ç IV. (1) Recueil, l. Il, p\. 79.
(2) Voy. sect. n , § I, et pi. 51, Og. 13.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 229
« Ce petit monument est une représentation d'Angerona, divinité
romaine, qui tire son origine de l'Harpoerate égyptien. Macrobe fait
mention de la fête qui se célébrait à l'honneur de cetle déesse. Il sem-
ble cependant qu'il ait moins en vue une divinité positive qu'une
allégorie. Mais ce qu'il dit ensuite du silence que les Romains gar-
daient par superstition , touchant la déesse tutélaire de leur ville ,
dont ils défendaient qu'on proférât le nom , caractérise davantage An-
gerona. Il paraît môme qu'elle était l'emblème et la figure de ce se-
cret (3) Montfaucon a fait graver trois images de cette divinité ,
différentes des miennes; elles ont toutes un doigt sur la bouche, mais
l'autre main est toujours dans une attitude qui paraît arbitraire. Elle
n'est pas placée , ainsi que dans les deux figures de cette planche, sur
la partie diamétralement opposée à la bouche.
« Cette figure est fondue en or massif. Elle est d'un pouce de hau-
teur, et du poids de cent vingt et un grains. »
§ V. M. Bernard Quaranta (i), dont la science archéologique
déplore la mort récente, reproduit aussi un tableau d'Angerone,
trouvé à Pompéi dans la maison de Castor et Pollux. Il le décrit avec
soin, et après avoir réuni un grand nombre de passages des anciens
sur l'avantage qu'il y a à savoir se taire à propos, il déclare que, s'il
n'est pas certain que cette figure soit celle d'Angerone, au moins
doit-elle représenter le Silence. Selon nous, on ne peut y méconnaître
Angeronia , dont l'extérieur rappelle encore ici celui de Vénus. C'est
une femme assise, aux formes accomplies; sa draperie, riche et élé-
gante, laisse à découvert les seins, les épaules, la plus grande partie
de la poitrine et les bras, qui portent des bracelets. De la tête il
n'existe plus que le menton et la lèvre inférieure, au devant de
laquelle est placé le doigt indicateur de la main droite , dans
la position que nous connaissons déjà , mais sans être en contact im-
médiat avec la bouche, comme dans les autres monuments que nous
avons décrits.
Sur la même planche , au-dessous de cette déesse , est figurée une
truie couchée sur le côté gauche, avec trois pattes liées, et n'ayant
de libre que le pied droit de derrière. A gauche de cette truie sont
appuyées contre le mur deux palmes placées debout, disposées en
croix, et nouées ensemble par le milieu. D'après M. Quaranta, ce
(3) Ou a vu , § II , n. 3 , que dans le t. IV.Caylus est revenu sur cette opinion
fort juste ou l'a oubliée.
§ V. (l) Real Museo Borhonico, vol. XII, t. 19. Pittura rinYenula in Pompei
nelia casa di Castorc e di Polluce.
230 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dernier tableau ne fait pas partie du tableau supérieur; mais nous
sommes porté à croire que l'un a été le pendant de l'autre, ou en a
formé une espèce de piédestal, comme appartenant au même sujet. S'ils
n'avaient pas été découverts en même temps et l'un plus ou moins
rapproché de l'autre, comment se ferait-il que, seuls parmi tant de
tableaux qu'on a rencontrés dans la maison de Castor et Pollux, ils
eussent été réunis sur la même planche?
Dans une note fort étendue, M. Quaranta indique les différents
usages qu'avait la truie dans les sacrifices de Rome et du Latium en
général. Mais ce qu'il ignore, c'est que, seule de toutes les déesses,
cette Aphrodite orientale, d'où dérive Angerone, acceptait pour
victime la truie, qui lui était consacrée. Plusieurs auteurs l'affirment
positivement. Denys le Périégète rapporte qu'à Aspendos, ville de
Pamphylie, sur l'Eurymédon, Dioné était vénérée par des sacrifices
de truies (2). Callimaque, d'après Strabon (3), dit qu'Aphrodite Cast-
nienne permet seule qu'on lui sacrifie des porcs. Le nom de cette
Vénus vient du mont Castnion , près d' Aspendos (4). Si l'on songe
que Lycophron , en désignant Énée comme l'aïeul du peuple romain,
l'appelle le fils de cette Aphrodite Castnienne et Choeras (5), on
reconnaît clairement ici Vénus l'Énéade , qui est devenue Angerone.
A Argos aussi, d'après Callimaque ou Zénodote, on sacrifiait des
truies à Aphrodite (6). C'est d'Aspendos sans doute, colonie d'Ar-
gos (7), que les sacrifices de cette espèce avaient été introduits
dans la métropole, où ils reçurent le nom d'Hystéria. A Cypre en-
core, où le culte de cette Vénus asiatique avait pénétré de bonne
heure, le porc lui était consacré, d'après un vers d'Antiphane con-
servé par Athénée (8). Dans cette même île, ces animaux immondes
(5) DiOïiys. Perieg. V. 852. "A*:rev£o;, -kotxjxoXo itxpx pôov Eu^UMe'oovTOç , "Ev0z
wy/.Ton{,vi Aimvxôjv t/xovrat. Schol. "Ort h 'Avnévdw t>5 ïïocufvlix?} rro7ei ovc'j*
fluai'atç t/.âc-x£T3u 'Ap/sod^r/7 , o sort bspxnîûsTxi.
(3) Strab. IX, p. 438. Ka/).t/AK#d; ?rtsi èv Toïi ixpQoXç, rà; Aopooi-zx^, vj Qebi yùp
oh /«a, tv;v K.arnvv$Tïjv [leg. K.3cotvi>;tiv ] VTrcpêsMejôai tzxgxç tô fpo'JiX-j, l'ff juiv-,
Ttxpxoiytzxi rr,-t twv vû5v Bvolxv'.
(4) Sleph. Byz., v. KâffTJtÇ: '0 Attttixvo'î yr,<ti' Râffrvtov opos iv Àyîrévow trjfff Ha/Asu-
Molç. T6 Mfrixà*, KâffTvto;, ê| ou xxi KxffTVtvjTvjs.
(5) Lycophr. 1234. '0 KasTvteç rl.Tfc V« XoipiSo; ydvo?.
(G) AlhenœilS II I , p. 05, f. "On ôè ©vtm; *Aypo8iTY) uj Q'jîtzi , uxprvpîX Kx//<-
/**X°» » *? Zjjvoooto;, èv ImpitOÏç 'ÏTro/rj/fyxxffi ', ypifotv uSe Apyiloi AfpoSirvi vv Qûojzi ,
xal v) iopTYi xxXelrxi 'Ysrripîu*
(7) Slrab. XIV, p. 667, D. 'AvmvSoç nàliç , Apyeiwv xt^k.
(8) Alhen. loc. Cit. Avnyâv/;; , JLopi'jBix* èv rf Kvnpu outw fiX-tfêt ruX: l:i
( \vpo JtT»7 ) , w; tc axxrofxyeXv o\mXp%t to Çwov , toùç $è |5o3» tivdyxxvev.
MÉMOIRE SUR LES DIVÀLIA ET LES ANGERONALIA.. 231
avaient même le privilège de servir aux oracles (9). S'ils occupaient
une place aussi marquée dans les rites sacrés d'une déesse que l'an-
tiquité devait regarder comme ayant en aversion tout ce qui est anti-
pathique aux idées d eléganceetdegrâce dentelle étaitla personnifica-
tion, ce n'est sans doute point parce que dans le principe on les tenait
en honneur, mais parce qu'on voulait en faire l'objet d'une vengeance
particulière et incessante , en expiation de la mort d'Adonis et
d'Altys ; car ce dernier, également tué par un sanglier, d'après quelques
mythes (10), est probablement identique avec le premier, comme la
Vénus des contrées de l'Asie Mineure se confond elle-même avec la
Mère idéenne (Mater Idm), c'est-à-dire avec Cybèle. Atlys était le
favori de celle-ci, comme Adonis était celui d'Aphrodite. Par le
même sentiment de haine et d'horreur pour l'animal qui fit périr
l'objet de sa tendre affection , cette déesse , chez d'autres peuples (1 1),
à Sicyone par exemple , repoussait le pourceau comme victime. Il
n'est pas impossible non plus que le nom d'Aphrodite Chœras (Xotpdç)
et le sacrifice du porc (%oïpoq) aient été perpétués chez les Grecs
par l'effet d'une de ces allusions qui leur étaient si familières, le mot
yolpoç étant en même temps l'un des synonymes du fcfefç.
A ce qui vient d'être dit, il faut ajouter le rôle important que joue,
dans la fondation par Énée de la première ville sur la terre du La-
tium (12), la truie, noire d'après Lycophron, blanche selon les au-
tres autorités, truie que le héros troyen avait apportée d'Ilion (13),
et qu'il sacrifia à ses dieux paternels (14). Au nombre de ces dieux
devait nécessairement se trouver Vénus, sa mère. C'est du moins ce
que nous avons essayé de prouver dans le premier chapitre de notre
seconde partie, que le manque d'espace nous a forcé de supprimer.
(9) Pausaïl. VI , C. H, 2. VLvnpioi 8k éiç v.oà vaïv însÇevpàvTeç eiaï /&KV*c6s9.#«e<
. (10) Paiisan. VII , C. XVII , 5. \Uot ts rûv Av£wv xai aura; 3krn?fi vTzidxvvj vizb roù
vos. Aussi voit-on un sanglier offert en sacrifice à Cybèle chez Maffei (Gemm.
antich. II, 38).
(11) PttUSan. II, c. X, 4. Twv Sk îeptioi» toù; /a>?jOOÙ; 06ou<7£ (r-ç\fpo8inp), itlr,v ûwv.
(12) Dionys. Halic. I, 55, p. 141 , lin. 3 et 1 1 Reisk.; p'. 143, lin. 16. Fi) g.
iEn. III, 390; VIII, 81. Heine Excurs. II ad J$n. VII , p. 129„ éd. 3.
(13) Farroêe L. L. , IV, p. 40. Bipont. Oppidum Alba a sue alba cognomina-
tum. Haec e nave JEneœ curn fugisset Lavinium, triginta parit porcos. Lycophr.
V. 125G. Suôç y.£).atv7;;, 9ft àîr' 'iâai'wv \èf&rt.... vauîO/cjcrcTai.
(14) Dionys. I , 57, p. 144, lin. 2. Aivrfaç Si rfa /*èv uès rbv to'xov «//.a t/j yeiva/*év>j
rôti TTXTpyoïs xyiÇei Hêiii Le mot àyt'Çît ne désigne pas simplement un sacrifice
(imnolavilfrm* la traduction latine), mais encore une consécration. Aussi Denys
ajoute t-il qu'au même endroit une chapelle fut érijjée , qui existait encore de son
temps, et dont l'accès, comme d'un sanctuaire, était défendu aux profanes. Il
s'agit encore ici d'un des mystères de Vénus Énéade.
232 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Fixons encore notre attention sur l'importance que cette même truie
avait dans les cérémonies religieuses pour les traités d'alliance chez
les Romains (15), et sur sa représentation si fréquente sur les mon-
naies romaines. Parmi celles-ci , une surtout présente un grand in-
térêt (16) : sur la face, elle porte deux tètes, qui, d'après la légende
(D.P.P.), sont celles des Pénates. Sur le revers se trouve la truie,
placée entre les Dioscures ou les Pénates, symbole de Vénus natio-
nale et tutélaire (17).
De tous ces rapprochements nous devons conclure que la truie ,
dans le culte secret de Vénus Énéade, était la victime de prédilection,
et que, sur ce tableau, trouvé par une remarquable coïncidence dans
la maison de Castor et Pollux, elle est un attribut d'Angeronia. Les
palmes, placées à côté de l'animal destiné à être immolé, donnent
encore plus de probabilité à cette opinion. Elles sont pour M. Qua-
ranta des fouets (flagelli) formés de morceaux de bois fendus à leur
extrémité. Il les croit destinés à ouvrir dans la peau de ce quadru-
pède quelques plaies , dans le but d'y faire mieux pénétrer les condi-
ments ; mais il est facile de reconnaître, dans ces prétendus fouets (1 8),
les palmes de la Victoire, avec cette différence seulement, qu'au lieu
d'être recourbées comme d'ordinaire, ces deux branches de palmiers
sont restées droites pour pouvoir être adossées contre le mur. En les
comparant, par exemple, dans tous leurs détails à une branche sem-
blable placée dans la main de Venus Victrix chez De la Chausse (19), on
reconnaît parfaitement leur identité. La truie est vivante, comme le
prouvent ses yeux ouverts ; elle est par conséquent destinée , non pas
à être assaisonnée et servie comme mets recherché , mais bien à être
sacrifiée à Angeronia Venus Victrix, déesse que nous fait connaître
une intéressante pierre gravée , publiée par Caylus (20). Les deux
tableaux réunis se rapportent donc , selon nous , au sacrifice offert à
cette divinité.
Nous ne pouvons nous empêcher de voir quelque analogie entre
l'attitude de cette truie et celle du griffon dans une figure d'Angerone
(15) Virq.JEn. VIII, 641; XII, 170. Liv. I, 24. Morell. Antistia A , B ; Incert.
t. l .m, C, D.
(1G) Sulpicia, Morell. t. 2, ni; Riccio I et suppl. LXVII en bas. Comparez
Mot. Felluria, Ici II.
(17) Voy. sect. n , § III , après les notes 1 1 et 13 , et le chapitre I de la deuxième
partie.
(18) Voir notre pi. 61, ûg.7.
(19) Roman. Mus. T. I , sect. u , tab. 36. Voy. notre pi. 61, fig. 9.
(20) Voy. sect. n, § IV, et pi. 51, fig. 8.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONÀLIA. 233
que Caylus a publiée (21). Tous les deux ont un des quatre pieds dé-
tachés des autres. Peut-être même y a-t-il quelque rapport mysté-
rieux entre cette position particulière du pied et entre celle du bras,
que dans plusieurs statues Angerone tient derrière le dos ou élevé.
(21) Voy. sect. u , § IV, et pi. 51 , fig. 8.
SlCHEL, D. M.
( La suite au prochain numéro.
LETTRE DE M. RANGARE A M. LETROME
SUR
UNE INSCRIPTION GRECQUE DU PARTHÉNON;
SUR LES PEINTURES DU THÉSÉUM ET DES PROPYLÉES ;
ET SUR DEUX MONUMENTS INÉDITS RÉCEMMENT DÉCOUVERTS.
Athènes 10 (22) avril 1846.
Monsieur ,
Je consigne dans la lettre que j'ai l'honneur de vous adresser
plusieurs renseignements qui m'ont paru propres à vous intéresser,
ainsi que tous les amis de l'antiquité. Si vous en jugez ainsi, veuillez
la faire insérer dans la Revue Archéologique , recueil que nous lisons
ici avec grand intérêt, parce qu'elle nous tient au courant des nou-
velles découvertes, ainsi que des vues qu'elles suggèrent aux archéo-
logues distingués qui la rédigent.
Le premier renseignement que je vous donnerai est relatif à une
note que vous à\ez insérée dans le Journal des Savants (janvier 1 846),
à propos de l'inscription suivante, que M. Raoul Rochette a comprise
dans son Supplément au catalogue de M. Sillig, p. 162.
"ON
ANOMAXO
ErOIEIE
Dans une lettre à M. de Saulcy (Revue Archéol., t. II, p. 423),
j'ai dit avoir vainement cherché cette inscription sur l'Acropole, et
m'être adressé sans plus de fruit à M. Pittaki, qui est mieux que tout
autre au fait des localités et des mystères de cet immense dépôt des
antiquités athéniennes (l). C'est pourquoi j'ai cru pouvoir la ranger
parmi celles que le savant auteur du supplément avait admises dans
(1) Sur cette opinion de M. Rangabé, j'avais dit : « Cela n'est guère possible ; . . . .
« car l'inscription est en elle-même irréprochable, et l'on ne voit pas quel intérêt
« personne aurait eu à fabriquer un fragmenta ce point mutilé. » Toutefois, en
présence de l'affirmation de M. Rangabé, je n'avais pas osé la garantir (Journal
des Savants, 1845, p. 731,732). Depuis, M. Raoul Rochelle m'ayant affirmé l'avoir
copiée lui même d'après le marbre , j'ai déclaré n'avoir plus aucun doute (idem,
janvier 1846). C'est à cela que se rapporte ce passage où M. Rangabé rétracte son
premier dire.— L.
LETTRE A M. LETRONNE, 235
son ouvrage , se fiant à de faux renseignements. Mais l'affirmation
de M. R. R., qui vous a déclaré l'avoir vue et copiée lui-même,
ne pouvait me laisser, pas plus qu'à vous, aucun doute. Je l'ai
donc cherchée de nouveau , avec toute la persévérance que devait
me donner la certitude de son existence, et, aidé par les rensei-
gnements que vous m'avez transmis, j'ai été assez heureux pour
la retrouver écrite sur l'un des blocs de marbre qui forment les
deux montants de la grande porte occidentale du Parthénon.
À une époque postérieure à l'antiquité hellénique , lorsque le temple
de la UxpQévoç antique fut affecté au culte de la vierge Marie, ces
blocs y furent en effet encastrés pour rétrécir l'ancienne porte de
l'Opisthodome, ou pour remplacer les revêtements des montants;
car il est bien probable que, comme les yah.zoi ovâol homéri-
ques, ces montants étaient recouverts d'airain, qui en aura été
arraché lorsque le respect religieux pour les anciens sanctuaires
n'était plus pour eux une sauvegarde suffisante contre les spoliations
de la cupidité sacrilège. Quelques-uns de ces blocs portent des inscrip-
tions très-étendues, relatives , autant qu'il m'a été possible de le con-
stater dans la position incommode où ils se trouvent, aux effets con-
sacrés dans le Parthénon. Plus d'un renseignement précieux pouvant
être contenu dans ces inscriptions , la Société archéologique d'Athènes
a , depuis longtemps, donné la promesse de les retirer de l'endroit où
elles se trouvent encastrées, pour les livrer à l'étude des antiquaires.
Quant à la pierre qui vous intéresse , c'est un piédestal haut de
Om,6, long de 0m,7 et large de 0m,73. Il est placé dans le montant
gauche ou méridional, vers l'intérieur du temple, è la hauteur
d'à peu près lm,2, dans une position renversée, de manière que
l'inscription se trouve écrite en dessous , vers l'extrémité gauche et
supérieure du piédestal, et ne peut être vue que lorsqu'on se penche,
parce que la pierre inférieure est brisée. Les lettres en sont très-
belles et sculptées avec beaucoup de soin. Elles sonthautesde 0m,01 3;
distantes de Om,016-7, et l'intervalle des lignes estdeOm,01. La voici
copiée avec exactitude :
NEOEK
AI02
ENAI02
MErAAOS
/ON
ANOMAXO
EPQIE2E
236 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
En même temps que je m'empresse de donner mon témoi-
gnage à M. R. R. , j'adopte aussi son avis , et la considère comme
ayant trait à Micon , peintre et sculpteur de l'antiquité. Ce qui
reste de la première lettre de la cinquième ligne indique, bien
clairement un K, et . . xwv, précédé d'une lacune de deux lettres, est.
suivant toute probabilité, MiW.
Rien , je crois , dans l'histoire , ne nous dit avec une grande
précision l'époque de cet artiste. Il travailla avec Polygnote aux
peintures du temple de Thésée, lorsque cet édifice était entière-
ment achevé. Mais on a, pour sa construction, tout l'espace
d'ol. 76, 1 à ol. 82, 4, c'est-à-dire de la prise de Scyros par Cimon ,
à la mort de ce général. J'avoue cependant qu'entre ces deux
limites, je penche plutôt vers la plus récente; car le caractère gly-
ptique de sa frise indique déjà l'aurore de l'ère de Phidias. Micon
travailla aussi avec Panaenus (Paus. V, 11), qui orna de peintures
la barrière de Jupiter Olympien, après, sans doute, que ce. chef-
d'œuvre eut été terminé, ce qui n'eut lieu qu'immédiatement avant
la mort de Phidias, en ol. 87, 1. Ce fait s'accorde avec la date ci-
dessus. Un autre ouvrage de Micon semble nous reporter à une
époque plus ancienne : c'est sa statue de Callias à Olympie, qui
remporta le prix du pancrace, la 77e olympiade (Paus. V, 9). Mais
si ce Callias est le môme individu que celui qui figure dans une in-
scription attique, publiée dans mes Antiquités helléniques, s. n. 53,
peut-être ne fit-il élever sa statue à Olympie qu'après qu'il eut rem-
porté quelques-unes des autres victoires qui sont énumérées dans
l'inscription susmentionnée. Enfin un sculpteur Micon travailla con-
jointement avec d'autres artistes à la frise du temple d'Érechthée
(Ant. hell, n. 60), qui ne fut finie qu'en ol. 92, 3. Si les ouvrages
du célèbre Micon ne remontent pas plus haut que la 83e olympiade ,
il peut avoir encore travaillé au temple d'Érechthée dix olympiades
plus tard. C'est aussi précisément cette même date qui est indiquée
par le caractère paléographique de notre inscription. Il est indubi-
table qu'avant même l'adoption officielle de la nouvelle grammaire à
Athènes , la forme des lettres nouvelles y était déjà connue, et qu'on
les y employait avec l'ancienne orthographe au moins dans les actes
privés. Quelques traits de cette orthographe se sont conservés encore
pendant les premières années qui ont suivi la révolution littéraire;
mais l'O pour Cl dans Mixwv et pour OY dans Neyâlovç de cette
inscription appartient bien certainement à une date antérieure à
l'archontat d'Euclide. Lors donc qu'à l'exception de la statue de Cal-
LETTRE A M. LETRONNE. 237
lias, dont la date peut paraître douteuse, nous voyons que tous les
autres travaux de Micon le placent entre la 85e et la 90e olympiade,
et qu'à la 92e olympiade nous trouvons un sculpteur du même nom
chargé de travailler à l'un des plus beaux monuments d'Athènes, il y
a des présomptions assez fortes pour admettre que notre Mr/.wv 4>avo-
tidyav est le fameux peintre Micon , dont le père est, il est vrai,
nommé $dvo%oç dans un passage sans doute corrompu (l) du
scholiaste d'Aristophane (Lysistr. 679). Il m'est impossible de faire
aucune conjecture sur la première partie de l'inscription. L. 1 est
àv£0yjx£ ou àvsôyjxsv. L. 3, et peut-être aussi 1. 2, AOyvcdoç. L. 4 est
usyâlovç; peut-être \).zyâ\o%oq Bîq-jç ou pey<xlovç àywjoq.
De l'artiste , je passe aux peintures qu'il avait exécutées conjoin-
tement avec Polygnote dans le temple de Thésée. Dans la hui-
tième de vos lettres à M. Hittorf sur la peinture murale, vous communi-
quez un passage d'une lettre que M. ïhiersch vous a adressée au
sujet de l'arrangement intérieur de ce temple. Éclairé par vos
observations contenues dans ces lettres, et par celles que vous avez
ajoutées dans leur Appendice (p. 134), j'ai examiné l'édifice avec
attention (2).
fi) M. Rangabé n'a pas remarqué que cette hypothèse est peu admissible , parce
que Qivoyoç étant un nom si rare qu'on ne connaît que cet exemple, tandis que
txvd/jizxo; est au contraire un nom connu, le scholiaste aurait bien pu changer
$ù>oyoç, en <by.v6>j.xyo$, mais jamais Qxvoticcyoç en «Êâvo^ç. Pour justifier la correction,
M R. R. avait dit que ^ûvoyos serait difficilement grec. Mais j'ai prouvé, au contraire,
qu'il est aussi grec et atlique que possible; témoin Mr^ioyoç, A£ûjxo«> AeÇeoxoç,
A^Loyoç , qui en est le synonyme ($avd; et Sxïç , flambeau).
On ne peut donc voir ici le Mtxcov dont le père s'appelait Qxvoyoç. Si la finale
NON , qui convient aussi bien à rA'Oxwv, D.xûxwv, UsUuv, etc. , est le reste du nom
de Mt'/wv, il s'agirait donc ici d'un second Micon, fils de Phanomachus , peut-
être celui qui est nommé dans l'inscriplion relative aux travaux du temple
d'Erechlhée , qui furent terminés en olymp. 92e (411 ). Ce qui ferait disparaître
l'invraisemblance que ce même Micon aurait fait la statue de Callias en olymp. 77e
(47i> ;, c'est-à-dire soixante et un ans auparavant. Le nom de Micon était commun
à Athènes.— L.
(2j Celle observation se rapporte à l'un des points capitaux de la discussion sur
l'emploi de la peinture murale , dans les temples grecs. Pausanias ayant parlé des
peintures de Polygnote et de Micon qui décoraient l'intérieur du Théséum à
Athènes, il devenait du plus haut intérêt de déterminer à quel genre elles avaient
appartenu. D'après des indices certains, j'avais cru pouvoir démontrer qu'elles
avaient élé exécutées sur le stuc même (Lettres d'un antiquaire , p. 101 et suiv.);
ce qui était une forte présomption que les autres grands temples du siècle de Phi-
dias avaient reçu le même genre de décoration. Dans ses Peint ures antiques, p. 148-
150, M. Raoul Rochelle continua de soutenir qu'elles avaient été sur panneaux de
bois, appliqués au mur; M. Welcker partagea son avis ( Bail, allgemeine Litterat.
Zeilung,Oklober,mG).
Dans l' Appendice aux lettres d'un antiquaire, p. 134, je les réfutai l'un et
l'autre , par des raisons qui m'ont semblé péremptoires ; c'est ce qu'a vérifié M. Ran-
238 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Lorsque M. Thiersch écrivait : Puis à la hauteur de dix à douze
pieds vient la surface qui est couverte d'un stuc dur assez bien conservé,
ce n'est pas la hauteur du socle qu'il voulait indiquer, mais bien
celle de la partie même couverte du stuc. Le soubassement n'a en
gabé, après avoir examiné ce monument, sans parti pris et à loisir, pour l'éclair-
cissement de ce point particulier. Afin qu'on juge mieux de l'état où en était la
question, lorsque ce savant critique l'a reprise avec un soin scrupuleux, ^je vais
transcrire le passage de Y Appendice où j'ai résumé, en peu de mots, les preuves
de mon opinion, ainsi que les difficultés qu'on m'avait opposées. Si l'on veut bien
comparer ce passage avec les observations de M. Rangabé, on verra qu'elles confir-
ment mes vues complètement et par les mêmes motifs.
« Je n'ai pas nié , je ne nie point, ai-jc dit, que l'on ait pu encastrer des tableaux
peints sur bois dans l'épaisseur des murs. Mais je persiste à croire: 1° que cet
usage a toujours été réduit à des cas particuliers et exceptionnels ; 2° qu'il ne
s'est appliqué qu'à de très-petits tableaux, et cela par la raison bien simple que
le bois est un corps hygrométrique sur lequel agissent fortement, lorsqu'il est
réduit en plaques minces et étendues, les variations résultant de la sécheresse et
de l'humidité. Toute grande surface de ce grnre , composée d'ais assemblés,
quelque adresse qu'on y mette, quelque épaisseur qu'on lui donne , jouera ou se
fendra plus ou moins si elle est appliquée à une muraille. Or, ce qui aurait peu
d'inconvénients pour de simples boiseries d'ornements, en aurait beaucoup pour de
grands panneaux couverts de belles peintures. Aussi rien de moins vraisemblable, à
mon avis, que l'emploi de pareilles boiseries dans les tombeaux, dans les rez-de-
chaussée des temples, ainsi que sur les parois des portiques, où elles étaient ex-
posées à tous les vents et aux intempéries des saisons ; surtout quand on sait quelle
perfection les Grecs savaient donner à leur stuc qui , appliqué aux parois, fournis-
sait, pour recevoir la peinture, un subslralum aussi commode que les panneaux
de bois les mieux dressés, et bien plus durable.
«Il serait donc bien nécessaire d'établir l'existence d'un tel usage sur des textes
et des faits clairs et positifs ; et c'est à quoi l'on n'a pas pu réussir Reprendre et discu-
ter ceux qu'on allègue me mènerait trop loin. Je me borne ici à deux seuls faits
qui se rapportent, l'un à l'antiquité grecque, l'autre à l'antiquité romaine.
Je ne rapporterai ici que celui qui est relatif au Ihèsèum. )
« Le premier concerne le Thèsèum, le seul monument grec qui ait conservé les
murs de sa cclla , et dont on sache en même temps que ses murailles étaient peintes.
M. Welcker y applique sa théorie , quoique cet édifice s'y refuse absolument. Je m'en
tiens aux traits principaux et caracléri»liques.
« l° Les parois intérieures de la cella de cet édifice étaient, au temps de Pausa-
nias, ornées de peintures de Polygnole et de Micon.
« 2* Ces parois en marbre ont été piquées régulièrement au ciseau ou à la bou-
éharde; ce qui n'a pu avoir d'autre objet que d'y faire adhérer un induit.
« 3° Kn effet, des fraçmcnts de cet enduit, de deux à trois lignes d'épaisseur.
Couvrent encore des parties considérables de ces parois : le reste est tombé.
« 4° Que ces fragments de stuc conservent ou ne conservent pas de trace de pein-
ture, c'est la une circonstance indifférente , puisque la cella ayant été convertie de
bonne heure en égli>e. les chrétiens ont dû, selon leur usage, ou en effacer les pein-
tures ou les recouvrir d'une couche de blanc.
« 5° Le trait important est donc l'existence de ce stuc qui n'a pu être appliqué à
une paroi de marbre que pour y peindre.
« 6" Mais en supposant même que les Grecs auraient revêtu les murs de la cella
d'un enduit pour n'y rien mettre , et qu'ils auraient placé par-dessus des panneaux
LETTRE A M. LETltONJNE. 239
effet que la hauteur de 0m,8; le mur est sur lui en retraite seu-
lement de 0m,01. A son pied règne une moulure haute de Om,09,
avec une saillie de Om,0'25.
Comme le moindre détail de cette nature peut influer d'une manière
plus on moins immédiate sur la question principale, je ne dois pas
taire non plus que M. Thiersch avait été trahi pas sa mémoire lorsqu'il
parlait d'une frise de marbre blanc surmontant la muraille. Une telle
frise n'existe point, et la muraille n'est surmontée que par une voûte
cylindrique, toute moderne. La surface entière du socle est lisse et
polie partout où elle n'a pas été endommagée. La partie supérieure
de bois, ces panneaux n'ont pas tenu tout seuls; on les a attachés avec des clous et
d.escrampons, non-seulement en haut, mais en bas etsur les côtés. Or, tous les observa-
teurs reconnaissent qu'il n'y a pas de trace des trous antiques, qui ont dû les fixer.
« Les adversaires de la peinture murale ont essayé de deux manières d'expliquer
ce fait si concluant contre leur opinion.
« Comme la partie des parois au-dessus du soubassement, où les peintures étaient
placées, forme un enfoncement d'un pouce à un pouce et demi environ (Par le fait il
n'est que de 0m, 01), M. Raoul Rochetle imagine que dans ce renfoncement étaient
placés les panneaux de bois peints parMiconet Polygnote. Maison peut lui demander
par quel miracle, des panneaux d'environ neuf â dix pieds de haut se tenaient ainsi
tout droits, le long d'une muraille perpendiculaire, sans y être fixés par des tenons
ou des clous?
« M. Welcker, qui rejette avec toute raison cette hypothèse , croit que les ta-
bleaux de Micon et de Polygnote ont été encastrés dans t'enduit, ce qui dispensait
de les clouer. Mais il n'y a pas songé , ou il ignore que Venduit antique n'a que deux
à trois lignes d'épaisseur, et qu'il est malériellemeut impossible d'encastrer un
tableau dans un enduit si mince , à moins de faire une entaille dans le mur même ,
pour recevoir le tableau.
« C'est donc en vain que l'un et l'autre se débattent contre ce fait, clair comme
le jour, que les peintures de Micon et de Polygnote étaient exécutées sur l'enduit
même dont on avait recouvert les parois de la cella.
« Ce fait capital domine toute la question, et, par un seul exemple, qui s'ap-
plique à l'un des plus célèbres édifices d'Athènes, nous montre de quelle nature
devaient être en général les peintures dont les grands artistes de la belle époque
avaient décoré les temples et autres édifices publics. » (appendice, p. 133, 134.)
. Ce qui me paraissait clair comme le jour, le parut si peu à M. Raoul Ro-
chette , que , persistant à le regarder comme non avenu, il ne tr.iiguit pas de dite,
à ce propos , clans le Journal des Savants ( 1835 , p. ni ) : « C'est une assertion si
« étrange, dans un défaut absolu de renseignements, qu'elle ne peut procéder que
« d'une préoccupation systématique et d'une Confiance irréfléchie, et à laquelle
« il rne suffit d'opposer la dénégation la plus formelle , ou, du moins, le défi de
* citer un seul monument qui la justifie. » En lisant de telles paroles, il fallait
renoncer à tout espoir de le ramener aux conditions du vrai. Aussi, je me bornai,
en lui répondant [Journal des Savants , p. 392 ) , â rappeler sommairement les
principales données, puis à dire : « Les faits sont là ; chacun peut en juger. »
Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui* Que nos lecteurs veuillent bien compa-
rer, au passage rapporté ci-d»ssus , les observations de M. Rangabc sur le Théséum ;
ils jugeront de quel côté étaient la préoccupation systématique et la confiance
irréfléchie.— L.
240 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de la muraille est au contraire piquée au ciseau avec une industrie
et une application merveilleuses; les piqûres en sont si fines, si
pressées, et je dirais presque si régulières, qu'il est impossible d'y
méconnaître une intention de l'architecte, et de les prendre simple-
ment pour les aspérités des pierres laissées brutes;. à leur aspect,
on reste au contraire convaincu qu'elles n'ont pu être faites qu'à
l'époque de la construction primitive de l'édifice. Quoique le goût
artistique n'ait pas toujours été le caractère distinctif des premiers
chrétiens, on aurait cependant encore lieu de s'étonner qu'ils se
fussent donné cette immense peine, digne d'un plus beau résultat,
pour détruire le brillant poli que les anciens avaient donné à la
surface du temple, afin de pouvoir le badigeonner à leur aise. L'au-
raient-ils fait pour y peindre les images du nouveau culte? Mais
comment ne trouvaient-ils pas plus simple d'appliquer ces peintures
sur le marbre même, s'il était lisse, et par conséquent préparé pour
les recevoir? C'est cependant cette pratique qu'on a suivie au
Parthénon, dont les parois sont encore toutes couvertes d'images chré-
tiennes. S'il ne s'agissait d'ailleurs que de rendre la surface raboteuse
pour y faire tenir le ciment, il est sûr qu'à l'époque où le temple
changea de destination, on l'aurait fait d'une manière plus grossière
et plus expéditive, et jamais avec tant de perfection qu'il n'eût été
possible d'y distinguer nulle part l'ancienne surface polie. Le mur
a donc été, je le répète, piqué dès l'origine, dans le but de rece-
voir un stuc.
Le socle n'ayant, ainsi que je l'ai observé plus haut, qu'un cen-
timètre de saillie sur le mur, je crois impossible que des panneaux
eussent pu rester debout sur une base aussi étroite, ou s'ils y
étaient scellés, leur épaisseur aurait dépassé celle de cette base.
Il ne m'a au contraire pas paru déraisonnable , comme à M. R. R.,
de faire un pareil enfoncement pour y appliquer le stuc, qui, ne
couvrant que la partie supérieure du mur, aurait été en saillie de
quelques centimètres sur le socle , si le socle était partout de même
épaisseur. Je dois en outre observer que les prolongements des murs
hors de la cella et jusqu'aux autres, avaient cette même disposi-
tion, ce qui prouverait que le pronaos était aussi recouvert de pein-
tures. On voit encore très-distinctement des décorations peintes
sur les parties ornementales ; mais ici les couleurs sont appliquées
sur le marbre même qui est poli : un ciment très-dur, de quelques
centimètres d'épaisseur, adhère encore à plusieurs parties du mur
piqué. La chaux en est évidemment le principal ingrédient. A son
LETTRE A M. LETRONNE.
241
apparence, je ne le jugerais pas du temps de Micon. Il me semble
trop grossier pour avoir servi de fond aux tableaux de ce peintre, et
je ne crois pas qu'il y ait moyen d'en déterminer l'âge avec exacti -
tude : une analyse chimique ne pourrait rien nous apprendre à ce
sujet. Les ciments des anciens qui ont été examinés jusqu'ici se
trouvent composés, comme ceux des temps postérieurs , de sable, de
chaux, et les plus fins, de poudre de marbre et de gypse; dans
quelques-uns on a cru reconnaître de la pouzzolane; et dans d'autres,
qui sont noirâtres, comme sur un édifice à Délos, on voit des par-
celles de charbon soumis à l'action du feu ; ce ciment exhale une
odeur sulfureuse assez appréciable. 11 était donc mélangé ou de
poudre de charbon, ou de bitume carbonisé par le temps. Panaenus
composait ses ciments avec du lait. Mais après vingt siècles cette
substance animale ne peut qu'avoir été détruite, et il n'y a pas de
procédé chimique qui l'accuserait.
Un des arguments les plus concluants que vous ayez empruntés
aux circonstances extérieures, contre l'existence de panneaux ou de
tableaux en bois , est l'absence de toute trace de scellement aux pa-
rois du temple. M. R. R. vous l'accorde (Peint, ant., p. 149); cepen-
dant, il est de fait qu'il y a des trous en plusieurs endroits. Mais
cette circonstance est décisive en votre faveur. Sur le mur septen-
trional, on voit, à une hauteur de près de neuf pieds, une ligne de
sept trous, presque symétriquement disposés et également espacés,
qui n'ont pu servir qu'à un scellement et qui, au premier abord,
paraîtraient venir fort en aide aux arguments de M. R. R. On
voit de ces trous aussi sur le mur méridional; mais ici ils tournent
contre lui par leur forme et leur disposition. Pour ne pas m'é-
garer dans une description trop diffuse , j'ajoute ici une figure
que vous aurez la bonté de prendre pour le mur méridional du
temple de Thésée, a est la trace de l'ancien mur du templt
m. 16
242 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qui séparait le pronaos in antis de la cella même, et que les chré-
tiens, après l'avoir abattu pour rendre leur église plus spacieuse,
remplacèrent sans aucun doute par la séparation du sanctuaire ; b
est la petite porte latérale, pratiquée à la même époque; c sont deux
enfoncements qu'on voit dans le mur à la hauteur de sept ou huit
pieds et à égale distance de a et de b; d, enfin, sont des trous qui
entourent ces enfoncements dans une disposition semi-circulaire.
Un. demi-cercle de trous, pareil à celui-ci, existe aussi sur le mur
septentrional en face de la petite porte, à la hauteur de onze à douze
pieds et à l'une des extrémités de la ligne dont j'ai parlé plus haut.
Pour quiconque connaît l'intérieur des églises grecques, il est
de toute évidence que ces enfoncements et ces trous, ainsi placés sur
le mur méridional, ontservi à y fixer le trône de l'évêque, comme
ceux qui affectent une figure analogie sur le mur septentrional ont
servi à assujettir la chaire et, par conséquent, ceux disposés en ligne
droite à suspendre les images chrétiennes. J'observerai encore qu'on
ne voit point de ces trous sur la partie du mur qui appartenait autre-
fois au pronaos et, plus tard, au sanctuaire, ce qui est tout natu-
rel; car il n'y a presque jamais de tableaux d'église suspendus dans
les sanctuaires. Il est enfin évident que tous ces trous sont posté-
rieurs à l'application du stuc, car il paraît détruit partout où ils ont
été pratiqués. Je crois donc pouvoir conclure de ces observations
que, dès sa construction primitive, le temple et le pronaos eurent
un socle en marbre poli , au-dessus duquel le mur était enduit d'un
stuo qui servait de fond aux peintures de Polygnote et de Micon ;
qu'à l'époque où le temple fut changé en église, l'ancien stuc fut ou
conservé et repeint, ou plutôt détruit et remplacé par un nouveau
ciment, et que, par-dessus ce ciment, on fit dans le mur les trous
exigés par la nouvelle destination de l'édifice.
Votre but unique , dans tout le cours de vos Lettres et de X Appen-
dice qui les a suivies, ayant été de rechercher la vérité et non pas
de soutenir un système, vous me permettrez de vous faire observer
que M. de Dreux s'est trompé lorsqu'il a déclaré que les murs de la
Pinacothèque aux Propylées sont piqués de même que ceux du tem-
ple de Thésée (vos Lettres, p. 110). Voici quelle en est, en vérité,
la disposition : leur soubassement, haut de lm,07, est lisse et poli
comme toutes les parties des murs en marbre que les anciens desti-
naient à rester entièrement exposées aux regards. Le mur même est
LETTRE A. M. LETKOMSE. 243
en retraite de ce soubassement de 0m,0l. A une hauteur de 0^,83,
il est coupé par une bande en calcaire noir, dit pierre d'Eleusis,
large de 0m, 14. L'intervalle entre le soubassement et la bande, qui
est au niveau de l'œil, est également lisse; et ce qui me paraît prou-
ver qu'il n'était couvert ni de stuc ni de peintures, c'est que sur sou
côté méridional, à droite (à l'ouest) de la porte, on lit cette in-
scription, tracée irrégulièrement par les mains de quelque pieux vi-
siteur :
AEirOINA
APTEMIKOAAINH
V N KION
Or, si les peintures de cet édifice étaient encore à voir dans le se-
cond siècle de notre ère , serait-il permis de croire que le stuc même
en aurait disparu à une époque encore assez païenne, pour que cette
inscription votivepuisse lui être rapportée(l)? D'ailleurs, le culte même
(1) Comme cette description pourrait ne pas paraître bien claire, je vais mettre
sous 1rs yeux du lecteur le dessin même du mur de la Pinacothèque. C'est une
réduction du trait que m'a communiqué M. Morey, qui a si consciencieusement
relevé et mesuré tous les monuments d'Alhènes , et dont le travail, plein d'intérêt ,
reste enfoui dans ses carions. Ce dessin donne la
disposition du soubassement, cl du reste du mur,
dans toute sa hauteur ; a est la partie du sou-
bassement, haut de \™,07 ; o est l'espace , en
marbre poli . large de 0«\83 ; c la bande de cal-
caire noir d'Eleusis, large de 0^,14; <J est la
moulure qui encadre le mur, proprement dit. e,
qui a dû être cou\ert de tableaux ou de pein-
tures murales. Personne n'a jamais pu croire
qu'il y eût de ces peintures , au-dessous de l'en-
cadrement d, c'est-à-dire dans l'une des deux
zones tisses et polies du soubassement a et b.
L'inscription, citée par M. Rangabé, ayant été
trouvée sur un point de la zone 6> comme il le
dit , ie:-te tout à fait indifférente pour la question
de savoir de quelle espèce étaient les peintures
qui furent placées au-dessus de l'encadrement.
J'avoue donc ne rien comprendre à la conséquence
qne M. Rangabé tire de ce fait.
Cet argument écarté, il reste trois faits im-
portants qui démontrent que les peintures de la
Pinacothèque ont été muréales , comme celles
du lhèsèum. 1° Le nu du mur est brut ou non
poli, tout à fait propre à recevoir un stuc- 2° 11 y
a comme auThé.-éum absence de trous pour atta-
cher des tableaux. 3° L'encadrement qui affleure
le mur, à deux millimètres près, ne permet pas
dépenser qu'on y aurait mis de» tableaux, lesquels auraient débordé l'encadrement
244 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de Diane Colaenis ne nous paraît-il pas indiquer une période plus re-
culée des croyances helléniques? C'était une divinité purement lo-
cale; Pausanias (1, 17) nous dit qu'elle était adorée au bourg atti-
que Myrrhinus, tirant son nom d'un roi d'Athènes, antérieur à
Cécrops; et Aristophane la cite une seule fois , l'opposant par un jeu
de mots à Acalanthis , un autre personnage mystique , une fille de
Piérius, dont le nom signifie en même temps l'oiseau dit tarin. Un
culte aussi partiel aurait-il résisté au temps où chancelaient les
croyances les plus robustes? Quant au caractère paléographique de
l'inscription, il représente une époque bien antérieure à celle de
Pausanias. La troisième ligne est fort indistincte; s'il contient le nom
de la personne qui a fait l'invocation, ce paraît être un de ces noms
diminutifs de genre neutre , portés par cette classe de femmes qui
n'invoquaient pas toujours la chaste Diane. Les deux premières lignes
sont au vocatif.
Au-dessus de la bande noire , il règne une moulure rentrante et
lisse, large de 0m,05, qui entoure et, pour ainsi dire, encadre cha-
cun des pans du mur de la Pinacothèque ; elle devient large de 0m,2
aux deux côtés des fenêtres qui s'ouvrent dans le mur méridional. Les
jambages de ces fenêtres sont ornés de pilastres , lisses, de même
que les chambranles et surmontés de moulures peintes de fleurs et
de raies de cœur. La porte a ses parois en marbre entièrement
brut ; ses deux côtés à l'extérieur ont un enfoncement large de 0n,,23
et profond de 0m,06 ; le marbre y est également brut. Cette circon-
stance, ainsi que deux rigoles creusées dans le seuil , le long des pa-
rois, prouve que la porte était revêtue ou de plaques de marbre min-
ces et polies, ou plutôt d'airain luisant. A l'exception de ces parties,
qui étaient ou polies, ou évidemment revêtues , la surface des murs
est partout ailleurs un peu raboteuse, mais pas assez pour indi-
quer l'intention d'y faire adhérer un stuc (l). Elle n'est point piquée
comme on l'a cru et comme le sont tous les murs du temple de Thé-
sée; il ne lui manque que le dernier lustre, la dernière main; d'où
l'on voit qu'elle n'était pas destinée à être vue sans décoration,
d'une manière insupportable; aussi l'impression produite sur tous les voyageurs
qui ont examiné cette circonstance avec soin , est qu'il n'a pu y avoir là des
tableaux sur bois attachés au mur. Tous les arguments que M. Rangabé fait valoir
pour le Théséum, s'appliquent aux Propylées.
Je présente ces observations au docte auteur de la lettre , en le priant de soumettre
la question à un nouvel examen. — L.
(i) Je dois dire que , selon M. Morey, le mur, au contraire, est piqué régulière-
ment à la boucharde ou à la gradine, comme dans le Théséum. — L.
LETTRE A M. LETRONNE. 245
comme l'intérieur du Parthénon et l'extérieur des Propylées. J'en in-
fère donc que les peintures étaient ici exécutées sur des tableaux
mobiles. Mais alors ces tableaux devaient être suspendus à des clous,
et vous me demanderez si Ton en voit les traces sur les murs. Je dois
répondre par la négative. Au-dessus de la porte , on voit à la vérité
deux trous et deux autres à chacun des côtés, et l'on peut y distin-
guer encore les restes des attaches en fer et le plomb qui servait à
les fixer. Mais je suis persuadé que c'étaient les attaches du revête-
ment de la porte ou bien de ses battants. Tout le reste de la surface
du mur ne présente aucune trace de scellement. On n'y voit qu'un
seul clou enfoncé dans le joint entre-bâillé de deux pierres; mais il
me paraît être de l'époque où les ducs d'Athènes changèrent la Pina-
cothèque en une habitation et en firent leur chancellerie. Cette
absence de trous ou d'attaches est, en effet, hostile à l'idée des ta-
bleaux suspendus. Mais croyez-vous impossible que les crochets
eussent été fixés à la corniche intérieure du plafond , qui était proba-
blement en bois? car des poutres en marbre de la largeur de la Pi-
nacothèque seraient impossibles. On n'a, d'ailleurs, trouvé en cet
endroit aucun débris d'un plafond en pierre. Un fragment d'in-
scription trouvé dans les Propylées {Ànt. helL, n. 88) parle de
plusieurs petits escaliers, d'autres ouvrages en bois et aussi de cro-
chets. J'ai supposé que cette inscription pouvait se rapporter à la
Pinacothèque. Si cela est, les crochets peuvent avoir été fixés dans
les ouvrages de menuiserie, que ceux-ci eussent fait partie du pla-
fond , ou qu'ils eussent été appliqués contre le mur.
Vous avez épuisé , Monsieur, les textes qui ont rapport à la ques-
tion de la peinture murale. Les observations qui précèdent, tirées des
seules circonstances extérieures, ne font qu'appuyer vos propres
conclusions. Elles prouvent, comme vous l'avez établi, que les an-
ciens peignaient tantôt sur des tableaux de bois mobiles, tantôt sur
le mur enduit de stuc, et je crois qu'on peut considérer comme un
fait acquis à l'histoire de l'art que les peintures de la Pinacothèque
étaient des tableaux suspendus, tandis que celles deMicon et dePo-
lygnote, au temple de Thésée, étaient exécutées sur le mur même.
Rangaré.
(La suite au numéro prochain.)
SUR
UNI INSCRIPTION ANTIQUE DE LA VILLE DE SAINTES,
Le fragment d'inscription monumentale que nous donnons ci-
après a été longtemps encastré dans le mur de revêtement dé la partie
des anciens remparts de Saintes (Mediolanum SarUonum), servant de
clôture au jardin de l'hôpital général de cette ville; mais placé à une
élévation qui en rendait la lecture très-difficile , et d'ailleurs en par-
tie masqué par des mousses et d'autres plantes murales qui en re-
couvraient entièrement la troisième ligne , il a été récemment enlevé
de ce lieu par les soins de M. le conservateur du Musée des Antiques
de la vieille capitale des Santones, et plus convenablement déposé
dans ce dernier local.
. CONNETO. DVBNI.
AEFECTO. FABRVM. TRIB.
I. AD. CONFLVENTEM. C.
Cette inscription, quoique tronquée et incomplète, est intéres-
sante et importante pour notre ville de Saintes, parce qu'elle sert à
éclairer un point de critique historique locale jusqu'ici douteux et
contesté. Ce débris précieux d'un marbre votif ou commémoratif qui,
selon toutes les probabilités, a appartenu à quelque monument public
de Mediolanum sous la domination romaine, a t mètre 0m,475 cent, de
longueur sur 0m,i61, 31 millimètres de haut; la lettre en est fort belle.
Celles de la première ligne ont de hauteur 11 centimètres 18 milli-
mètres; elles diminuent de moitié à la seconde et à la troisième
ligne.
INSCRIPTION ANTIQUE DE LA. VILLE DE SAINTES. 247
On pourrait lire comme suit ce qui nous reste de cette inscription ,
sans prétendre à la retrouver en entier et à en compléter le texte :
CONNETO.DVBNI./i/to
PRAEFECTO. FABRUM. TRIBliriO Ugionis. . . .
Sacer doli. arœ . Romœ( t )et.Augusli. ad.confluentem . caranloni et Sonœ
En reconnaissant, ce qu'on ne peut guère se refuser ici d'admettre,
que la lettre c qui suit immédiatement, à la troisième ligne , les mots
ad. conflventem, soit l'initiale du nom de Caneutelus , ou plutôt
de Carantonus que Ptolémée , Marcien d'Héraclée et Ausone (2) don-
nent à la Charente, le texte de notre inscription, tout mutilé qu'il
est, suffit encore pour compléter et expliquer ce que laissait de
louche et d équivoque celui qui, sur les deux faces de la frise de
l'arc de triomphe de Saintes, contenait les circonstances de la dédicace
de ce monument.
Voici cette dernière inscription , dont il ne faut plus chercher au-
jourd'hui les lettres éparses et mutilées dans leur chute, au front de
ces portes triomphales qu'elle couronnait depuis dix-huit siècles, mais
sur la grève humide, au milieu des hautes herbes des bords de ce
fleuve, auquel commandait encore, il y a peu de jours, notre monu-
ment , vieux et renversé de son trône, comme tant d'autres.
Caius ivlivs caii ivlï ottvanevmîfî/ww rvevs cou ivlï gededm vnw
NEPOS
EPODSOROVIDI PRO epOS SACERDOS ROMAE ET AVGVSTI AD ARAMQVAE
EST
AD CONFLVENTEM PRAEFECTVS Fa&RVffl VedicavU.
A l'aspect de cette dédicace, dont Élie Vinet avait déjà fait men-
tion dans son Antiquité de Saintes et de Barbezieux, mais que La Sau-
vagère lut et interpréta le premier en son entier, et qui a souvent été
reproduite depuis lui, ce savant antiquaire, et plus tard son conti-
nuateur Bourignon, ne mirent point en doute que le confluent dont
il est fait ici mention, mais sans le nommer, ne fût celui de la Charente
et de la Seugne, voisin de l'emplacement où les Sântones érigèrent
(t) Ou peut-être seulement arak. avgvsti.
(2) Le poêle bordelais Ausone, dont le domaine de JYoverus était situé sur le ter-
ritoire des Sântones, a dit, en parlant de cette rivière : Santonico refluus non ipse
Carœntonus istu. C'est là le véritable nom ancien de la Charente, altéré en celui
de Caneutelus.
248 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'arc de Germanicus , et dont pour cette raison il leur parut superflu
de désigner plus amplement la position dans l'inscription commémora-
tive qui nous occupe ici, et non le confluent de la Saône et du
Rhône, à Lyon, où l'an de Rome 744, sous le principat de Tibère,
fut élevé l'autel de Rome et d'Auguste par les soixante peuples prin-
cipaux des Trois Gaules qui y entretenaient, chacun d'eux, un prêtre,
à leurs frais, pour le desservir, et dont la dédicace fut faite avec une
grande solennité par Drusus, père de ce même Germanicus auquel il
transmit son glorieux surnom.
Cependant M. Mahudel , de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, dans une dissertation sur l'arc de triomphe de Saintes, ad-
mettant une opinion contraire à celle dont on vient de parler, avait
vu, dans le personnage qui fit la consécration de ce monument, un
prêtre de l'autel de Lugdunum, un Sacerdos arœ Romœ et Âugusti ad
confluentem Araris et Rhodani, dont tant de Gaulois illustres parmi
leurs compatriotes, et après avoir été revêtus des premières dignités
de leur cité , furent honorés par eux , et dont le sacerdoce est men-
tionné dans les monuments de l'épigraphie gallo-romaine.
Cette opinion du docte académicien , bien que contestée et com-
battue encore assez récemment par feu M. Millin dans son Voyage
dans les départements da midi de la France , a souvent été re-
produite jusqu'en ces derniers temps, et, enjre autres archéo-
logues, par mon honorable confrère et ami, M. Champollion-Fi-
geac , dans un article du Moniteur, où il a rendu compte de mon
ouvrage sur les Antiquités de la ville de Saintes et du département
de la Charente- Inférieure , inédites ou nouvellement expliquées (1),
sans que la question, dans l'absence ou le silence des documents
nécessaires, ait pu jamais être contredite ni défendue avec un suc-
cès évidemment complet. Nul doute, d'un côté, que les Santones,
peuple considérable de la province aquitaine , n'eussent fait élection,
parmi leurs concitoyens, d'un prêtre accrédité à l'autel de Lyon, qui
prenait le titre et remplissait les fonctions de son ministère; mais,
d'un autre côté, on sait aussi que plusieurs cités des Gaules, et celle
des Santons entre autres, avaient élevé dans leur sein des monu-
ments particuliers, à l'instar du premier, temples ou autels, en l'hon-
neur de ces deux mêmes divinités (Rome et Auguste). L'histoire et
de nombreux marbres votifs attestent ce fait ; mais aujourd'hui , et
grâce à l'inscription qui fait le sujet de cette dissertation , il nous
(1) Un volume in-4, av*v planches gravées. Paris, 182<>.
INSCRIPTION ANTIQUE DE LA VILLE DE SAINTES. 249
semble qu'il ne peut plus guère rester d'incertitude et de doutes rai-
sonnables sur le lieu où existait l'autel mentionné dans la dédicace de
l'arc de Germanicus, et qu'il doit paraître suffisamment constaté
que le local sur lequel il était situé était celui de la Charente et de
la Seugne et non celui de la Saône et du Rhône.
Nous devons fort regretter que notre fragment d'inscription ne
nous ait point fait connaître le véritable nom latin ou gallo-romain de
la Seugne , appelée aussi , dans notre vieux français , Seyne, Seige ou
Sévigne (l), et en latin du bas temps et du moyen âge, Sona et
Seigna. Hadrien de Valois (Nolilia Galliaram) et l'abbé de Longuerue
(Description de la France) pensent que cette rivière a été connue des
anciens sous le nom de Santona qu'elle a pu donner au peuple dont
elle fécondait en partie le territoire, et particulièrement le chef-
lieu , si toutefois elle n'a pas reçu le sien de ce peuple même : mais
ce ne sont là que de simples conjectures auxquelles il ne faut pas
s'arrêter plus de temps ni attacher plus d'importance qu'un judicieux
esprit de critique ne le commande. Maichin , Mahudel et quelques
autres auteurs ont aussi voulu retrouver le nom de la Seugne dans
celui corrompu par d'infidèles et ignorants copistes de la table théo-
dosienne ou de Peutinger, qui ont fait un barbare Medilano Saneon
et Sanaen de notre Mediolanum Sanlonum (ainsi que l'écrivent Stra-
bon, Marcien d'Héraclée, l'itinéraire d'Antonin (2), etc.), et par
suite de cette altération dans l'orthographe de ce dernier mot Sanlo-
num, ils ont donné à cette capitale des Santons la dénomination de
Milan-sur -Seugne. Il est vrai que cette rivière baignait alors les murs
de Mediolanum, si même elle ne traversait pas son enceinte, tandis
que la Charente, dont on reconnaît encore facilement l'ancien lit dans
la plaine dite du Maine, à l'orient de Saintes, circulait à une petite
distance de celui qu'elle parcourt aujourd'hui, et coupait, au point
de l'abbaye des Dames, le faubourg du même nom. En resser-
rant ses rives et en desséchant ses marais, on a rapproché beaucoup
plus tard cette partie de son cours, de la ville actuelle , et l'on a éloi-
gné son point de jonction ou son confluent avec la Seugne, jadis
très-voisin de l'emplacement de l'arc triomphal, en aval du pont au
milieu duquel ce monument se trouva à une époque postérieure
engagé sur la Charente par suite du déplacement du lit de cette ri-
vière (3) ; on a cru , pendant les basses eaux , reconnaître de nos
(1) Le mot Seugne a prévalu.
(2) Et Ausone , Civitas Sanlonum.
(3) Cet arc se trouvait primitivement placé au couchant de la Charente, sur la
250 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
jours le reste du terre-plein en pilotis sur lequel était construit
l'autel. Il est encore facile de se rendre compte de l'ancien état des
lieux sur ce point souvent parcouru et observé par nous.
Nous devons encore regretter que notre inscription fragmentée
nous laisse aussi ignorer le nom du ministre santon de l'autel ou
temple de Rome et d'Auguste, car il est probable que c'est au père
de cet Augustal et non à lui-même qu'appartient l'appellation toute
gauloise de Connetodubm, si, du moins, l'on ne veut voir ici qu'un
seul mot , comme il est assez probable , car, à la rigueur, on pour-
rait y trouver deux noms propres; le premier, au datif ou à l'ablatif,
qui serait Conneto, appartenant au prêtre d'Auguste; et le second,
au génitif, Dubni, qui serait celui du père.
Du reste, on sait que la terminaison d'un grand nombre de noms
gaulois était en 0, et indéclinables, comme on le voit par ceux in-
scrits sur l'arc d'Orange et par les médailles. Plusieurs de ces der-
nières, qui appartiennent à l'autonomie des peuples de la Belgique,
nous ont conservé le nom d'un chef gaulois, dvbno rexou rix(1).
Les antiquaires auront également une autre question à se faire en
examinant notre inscription. De quelle espèce, de quel genre de
monument a-t-elle fait partie? se raltache-t-elle à la dédicace d'un
grand monument d'architecture, religieux, civil ou militaire? se-
rait-ce une épitaphe, un débris d'une pierre sépulcrale ( mensa) , ou
bien encore un autel, un cippe, mais construit dans de grandes pro-
portions et dimensions, érigé, comme témoignage de la reconnais-
sance publique, à un personnage éminent, à un magistrat ou grand
fonctionnaire de la province ou de la cité, à un bienfaiteur, un pro-
tecteur exerçant son salutaire patronage en faveur de la même lo-
calité ? tel que parmi de nombreux exemples , nous nous bornerons
à rappeler le suivant, que nous empruntons à un marbre rapporté
par M. Champollion-Figeac (Nouvelles recherches sur là ville gau-
loise d Uxellodanum , etc. ) , et élevé par les Cadurci ou Cadurques,
en l'honneur d'un concitoyen illustre , mort honoré de toutes leurs
dignités municipales, Marcus Lucterius Léo , et le petit-fils (présumé)
de l'ami et du compagnon d'armes de l'Averne Vercingetorix , et du
défenseur d'Uxellodunum !
voie romaine qui , un peu plus loin , se divisait pour aller, d'un côté , à Limonum
(Poitiers), et, de l'autre, à Fesonna (Périgueux).
(I) Eckhel, Doclrina Felerum nummorum. — Gallia Belgica.—Tornacum,
l 1. D'Enncry, Mionnet, etc.
INSCRIPTION ANTIQUE DE LA VILLE DE SAINTES. 251
M. (1 ) LVCTERIO
LVCTERII. SENI
CIANI. F. (2) LEONI
OMNIRVS. BON
NORIRVS. IN. PA
TRIA. FVNCTO
SACERDOS. AREA
AVG. (3) INTEK. CON
FLVENT. ARAR (4)
ET. RHODANI
CIVITAS. CAD. (5)
OB. MERIT. (6) E1VS
PVB. (7) POSVIT. (8)
Ce petit-fils, dégénéré du dernier des Cadurques (comme Marcus
Brutus fut le dernier des Romains) était aussi prêtre d'Auguste, du
fils adoptif et de l'héritier de ce Jules César, l'implacable ennemi de
l'aïeul de notre Cadurque; mais ici le marbre est sans lacune , et le
doute inadmissible. C'est bien à l'autel de Lyon (inter conflaentem
Araris et Rhodani) que LucteriusLeo exerçait son sacerdoce, le com-
plément des distinctions dont il fut honoré dans sa cité.
Un pareil honneur, et dans des circonstances et des conditions à
peu près semblables, ne put-il pas être accordé au tribun militaire,
à l'intendant ou au préfet des ouvriers et au prêtre d'Auguste de notre
inscription de Mediolanum par les habitants de cette ville? E*à ce
sujet, nous ne pouvons nous refuser à exprimer ici la conjecture que
le fragment suivant d'une inscription également trouvée à Saintes,
au XVIIe siècle , dans les démolitions d'une partie de ces mêmes murs
de ville dont il a été parlé plus haut, et publiée par Samuel Veyrel
dans l'indice de son cabinet (9) , et un siècle plus tard par La Sau-
(l) Marco.
(2j Tilio.
(3) \\gusU. ,
(i) Arrarîs.
(5) CADiircorum, ante divona.
(6) Mérita.
(7) VubUcc
(8) Ce beau marbre antique se voit aujourd'hui sous le péristyle du grand esca-
lier de l'hôtel do la préfecture du Lot; sa restauration, ordonnée par le comte César
|« Marncsia , fut dirigée et surveillée par M. Champollion-Figeac, qui la provoqua
près de cet ancien préfet du Lot.
(9) Imprimé à Bordeaux, en 1655. Samuel Veyrel était un apothicaire de Sainte»,
amnteur et collecteur d'antiques plus zélé qu'éclairé.
252 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vagère et Bourignon , n'ait appartenu au marbre de Connetodabrù, et
n'en ait été détaché.
ROMAE. ET. AVG
TRES. PRO VINCI AE.GALLIAE. DE. PVBLICO
Mais malheureusement ce débris a disparu depuis longtems (l),
ce qui ne permet pas d'établir, par un rapprochement nécessaire, la
certitude de cette hypothèse, que nous produisons seulement à titre de
probabilité.
La ville de Saintes, nous le disons ici à regret, a toujours été
mauvaise ménagère, et s'est montrée, dans tous les temps, peu ja-
louse et soucieuse de la conservation de ses titres d'honneur et de
gloire, et, nous ajouterons, d'une antique et incontestable noblesse,
gravés sur ses vénérables monuments. En outre des nombreuses
inscriptions dont nous venons de déplorer la .perte, nous avons vu
disparaître , depuis quelques années , les derniers débris de ses
temples, de ses aqueducs, de ses bains, etc.; ses arènes, dont la
ruine est si imposante et si pittoresque, offrent aux bâtisseurs de leur
voisinage une carrière longtemps exploitée impunément et gratuite-
ment par eux; enfin, dans les lignes qui précèdent, nous avons
rapporté l'attentat commis sur la plus intéressante et la plus connue
de ses antiquités, crimes dont se sont naguère vivement émus tous
les amis des arts et les hommes éclairés et patriotes. Au milieu de ce
besoin de destruction qui anime les hommes encore plus que le
temps, il faut tenir compte et savoir gré aux populations qui,
en l'absence d'un sentiment plus noble et plus généreux, conservent
leurs monuments par le même calcul qui fait que les mendiants en-
tretiennent leurs plaies, pour me servir d'une expression du président
Dupaty, dans ses Lettres sur V Italie, en parlant des Romains mo-
dernes.
(1) Ainsi que quinze autres recueillis par le même amateur, et tous ceux appor-
tés par Bourignon , comme existant au moment où il écrivait.
Le Baron Chaddruc de Crazannes,
Membre titulaire des Comités historiques ,. correspondant de
l'Institut ( Académie des Inscript, et Belles-Lettres), etc.
SUR
L'AMULETTE DE JULES CÉSAR
ET
LE CACHET DE SÉPULLIUS MACER.
J'ai prorois ( plus haut, pag. 153), de justifier les assertions aux-
quelles le manque de temps et d'espace m'avait contraint de me
borner dans la livraison précédente. Comme l'article de M. Courtet
était composé et près d'être tiré, lorsque j'en ai eu communication ,
je ne pouvais disposer que d'une fin de page, que j'ai remplie avec
la courte note qui exprimait ma conviction rapidement acquise,
mais assez mûrement réfléchie, ainsi qu'on en pourra juger.
Je viens donc remplir ma promesse , et je le ferai le plus
brièvement qu'il me sera possible, sans négliger aucun des points
qu'il est indispensable de toucher, si je veux rendre complète-
ment compte de l'origine et de la nature de ces deux monuments
problématiques.
La question qu'il importe le plus d'examiner et d'établir concerne
Y authenticité de l'un et de l'autre ; car la réalité des notions histori-
ques qu'on y a rattachées dépend , en partie , de la détermination
indubitable de ce point unique. La discussion où je vais entrer intro-
duira, je pense, un critérium applicable à toute une classe assez
nombreuse de pierres gravées, qu'on a jusqu'ici regardées comme
antiques; mais qui, à mon avis, ne le sont pas et même ne peuvent
pas l'être.
J'ai dit qu'il n'avait pas échappé à la sagacité du spirituel inter-
prète de Y amulette de César que cette pierre gravée offre la plus
grande analogie avec ce que M. le docteur Sichel a nommé le cachet
de Sépullius Macer. Ils sont, en effet, l'un et l'autre exclusivement
relatifs à Jules César, et tous les symboles qu'on y voit gravés se
rapportent à ce grand personnage , ainsi qu'aux traditions classiques
sur l'origine de la famille Julia.
Il s'ensuit qu'en bonne critique on ne peut guère les séparer ; et
que, si l'un est antique, l'autre lésera probablement. Par contre,
s'il est prouvé que l'un d'eux est de fabrique moderne , on devra
254 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
concevoir les doutes les plus sérieux sur Y antiquité de l'autre. Leur
sort paraît être inséparable.
Dès lors, au cas où il deviendrait prouvé que tous deux sont
modernes, l'erreur de M. Courtet, à l'égard de l'amulette, serait
parfaitement excusable. Le cachet de Sépullias Macer avait été pris
pour antique par M. le docteur Sichel, qui , n'étant pas versé dans cette
matière , comme il le dit lui-même, avait eu le soin de prendre l'avis
d'un homme du métier, de M. Raoul Rochette, qu'il devait croire très-
compétent. Celui-ci, après avoir examiné la pierre originale, s'était
prononcé sur son authenticité, et avait engagé le savant docteur
à continuer ses recherches curieuses, fondées sur ce monument
(Sichel, dans la Revue, t. II, p. 682). D'après cette garantie, qui
devait sembler suffisante, le cachet ayant été reconnu pour antique,
l'amulette devait l'être également ; et M. Courtet , qui avoue
aussi fort modestement son inexpérience en fait d'antiquité (plus
haut, p. 150), pouvait difficilement, de son côté, concevoir le
moindre doute. Si donc les deux interprètes ont commis une erreur
sur ce point, la responsabilité doit en retomber sur l'autorité com-
mune à laquelle ils avaient donné toute leur confiance. Je ne veux
rien conclure de ce contre-temps , sinon que la critique des monu-
ments de ce genre était assez peu avancée pour que d'habiles gens
pussent s'y tromper à ce point. C'est ce qui donnera peut-être
de l'intérêt et de l'utilité à la discussion suivante.
J'ai donc affirmé , dans ma note , que les deux pierres sont mo-
dernes ; ce qui résultait, à mes yeux, entre autres indices, des
preuves matérielles qui se tirent des inscriptions et des signes plané-
taires qu'on y voit gravés.
I. Inscriptions : :
Lamulette de César, dont je reproduis la figure, est un monu-
ment unique en son genre. L'inscription mem. aeternae annonce
une intention funéraire. Or, jamais monument funéraire, soit ef-
fectif, soit commémoratif seulement, n'a revêtu, chez les Romains,
une pareille forme ; toutefois ce ne serait là qu'un motif de s'en
défier fortement, non de la rejeter tout à fait.
Mais ce qui ne permet aucun doute, c'est l'inscription elle-même.
D'après sa teneur, si le monument est antique, il doit avoir été
gravé à une époque voisine de la mort de César, par l'ordre d'un de
ses chauds partisans, comme un hommage rendu à sa mémoire. Or,
il est évident que jamais un Romain n'aura pu écrire memoriae
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 255
aeternae Julii Cœsaris; parce qu'à sa mort, ce grand homme devint
divusJulius, titre qu'il reçoit sur tous les monuments épigraphiques
ou nnmismatiques postérieurs à cet événement.
Nous ayons donc là une inscription imaginée
par quelque demi-savant moderne, qui, sachant-
que des inscriptions funéraires commencent par
mem. aeternae, suivi d'un nom au génitif ou au
datif, s'est avisé, en faisant de son jaspe une amulette funéraire,
de l'appliquer à Jules César; et, cela sans se douter, 1° que pareille
amulette a pu difficilement sortir d'une main romaine ; 2° que Jules
César, après sa mort , était divvs ivlivs , et non ivlivs (Lesar ; 3° que
la formule mem. jETERNJë ne peut se trouver qu'avant le nom d'un
homme, mais non pas d'un dieu, comme l'était devenu Jules César
après sa mort. En sorte qu'en tout état de cause, un Romain aurait
écrit sur un monument votif de ce genre, divo ivlio sacrum, ou
quelque chose de semblable.
C'est cette observation qui m'avait fait prononcer la fausseté du
monument, et cela du premier coup d'oeil, sans même que j'eusse
besoin de voir, de toucher la pierre, ni de vérifier si les caractères
et très-suspects de l'inscription sont bien tels sur l'original qu'ils se
montrent sur la copie ; ce dont je suis sûr d'avance.
Cette observation, d'après ce que j'ai dit plus haut, suffirait pour
256 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
fixer le sort du cachet de Publias Sépullius Macer, et, quand
même Fauteur de ce cachet , plus instruit que celui de l'amulette ,
aurait évité toute occasion de montrer le bout de V oreille , on
pourrait, sans hésiter, mettre la seconde pierre (qu'on me permette
cette expression familière,) dans le même sac que l'autre.
Mais, d'abord, il suffit de jeter les yeux sur l'original (qui est
un caillou assez commun), pour apercevoir, dans la forme des
lettres, et dans toutes les parties du travail, un indice qu'il est
moderne, tout au plus du XVIe ou du XVIIe siècle.
A côté de cette preuve de sentiment, qui frap-
pera, j'ose le dire, tout connaisseur, même mé-
diocre, se placent aussi des preuves matérielles
également indubitables.
On remarquera qu'à l'exception de la légende
ven GENi, que l'exiguïté de la place a forcé
d'abréger, tous les noms et prénoms gravés sur la
pierre sont entiers, sans aucune ligature ni abré-
viation quelconque. C'est là ce qui rend impossible
de croire que le graveur eût écrit ^eneas, au lieu de aeneas quand
rien n'obligeait à la ligature M, au lieu de ae.
Saumaise etConringius affirment que la double lettre je a été incon-
nue dans l'antiquité, et ne se trouve point dans les manuscrits
antérieurs au Xe siècle. Les savants bénédictins, auteurs du Nou-
veau Traité de diplomatique, ont contesté le fait, d'après quelques
inscriptions antiques où la ligature se trouve , et ils assurent
lavoir reconnue dans des manuscrits antérieurs au Xe et même au
IXe siècle (1).
Cela est vrai ; mais il y a pourtant une distinction à faire , que
ces savants diplomatistes ont négligée. Que Yje ait été employé de
bonne heure, comme ligature, cela n'a rien de plus étonnant
que toute autre ligature, \\, NE> Œ, etc., qu'on trouve sur des
monuments du haut empire, et même de la république; mais il
n'en est plus de même quand il s'agit de Yje comme lettre unique ex-
primant la diphthongue.
La ligature se trouve déjà sur des médailles consulaires de la
famille Cœcina , dont le nom cm , a presque le caractère d'un mo-
nogramme; et dans les médailles (2) de Turiaso en Espagne, de la
(1) T. II, p. 576,577.
[2) Riccio, le Monde di famiglie romane, tav. X.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 257
famille cecilia(1), qui offrent un caractère analogue. (2) Les m de
l'inscription d'un tuyau de plomb, portant Juliœ il fammeœ matris Âug.
nostri (3), ou d'une brique du temple de Nerva(4), s'expliquent par les
antres. ligatures qui l'accompagnent. L'^ë, à la fin des lignes, dans
plusieurs inscriptions antiques (5) , s'explique encore par la néces-
sité de rapprocher les deux lettres finales, là où la place de-
venait insuffisante, ob spalii anguslias, comme dit Morcelli (6).
Cette distinction suffit pour les inscriptions lapidaires. Je n'ai
rien à dire des chartes ou manuscrits antérieurs au IXe siècle qui
restent étrangers à cette discussion; cependant je ferai remarquer
que, s'il est bien vrai que Y m s'y trouve, c'est toujours, à ce qu'il
me semble, dans des abréviations ou à la fin des lignes, quand
l'espace manque.
Il s'ensuit que le nom ^eneas, .écrit en toutes lettres, sur le cachet
de Sépullius Macer , lorsque la place ne manquait nullement, ni
avant ni après, et que tous les autres mots n'offrent ni abréviation
ni ligature, n'a pu sortir d'une main antique. Elle ne saurait être
antérieure à l'amulette, et je la crois du même temps. On doit re-
marquer encore l'absence du point, non-seulement après pvblivs
et sepvllivs, mais après les deux abréviations ven et geni, quoi-
que l'espace permît de l'y placer; voilà ce qu'on ne trouve, sur
une inscription antique, que lorsque les lettres, resserrées par
l'espace, sont trop rapprochées pour permettre l'insertion du point.
Enfin, l'orthographe geni. pour genitrix, est un indice certain
d'une main moderne. Il est reconnu que , si l'on trouve quelquefois
l'adjectif genitrix, dans de bons manuscrits, l'orthographe gene-
trix est la seule, que les monuments antiques, médailles ou inscrip-
tions, admettent pour ce mot, employé comme épithète deVénus(7).
Un ancien aurait mis, non geni, mais gène. ; et même, comme cette
(1) Morel, Cœcil. Tab. III, 4.
(2) Quant à la médaille de Patres, portant INDVLGENTIAE. AVG. MONETA.
IMPKTRATA que citent les bénédictins et que personne, je crois, n'a vue depuis
Séguin, elle porte d'après Séguin lui-même INDVLGENTIAE, non INDVLGENTIAE,
comme le disent les bénédictins. (Séguin, Selecla numism., p. 115).
(3) Monlfauc, Anliq. eœpl.
(4) Caylus, Recueil, t. III, pi. LX VIII, 3.
(5) Millin , Mon. inéd., II, p. 292. Ajoutez celle de la jolie statuette, bien an-
tique , et ingénieusement trèsexpliquée par M. Mérimée, à la suite de cet article.
(6) De stylo inscript., t. II , p. 3i 1.
(7) Une inscription donnée par Spon porte VEN. GENITRIC. Orelli (n° 1358)
en dit: Non omni suspicione caret. Il pouvait être plus hardi, et la déclarer
fausse.
111. 17
258 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
abréviation gène serait inusitée, il aurait mis genêt, ou genetr. ; car
il y avait place pour deux lettres, en reculant ven. vers la gauche,
et en serrant les deux mots. C'est là ce qu'ignorait l'auteur de notre
cachet, dont l'érudition, comme on le verra, n'était ni complète
ni sûre.
On voit que, prise séparément, chacune des deux pierres porte
en elle-même la preuve de sa fausseté. Si on les rapproche l'une de
l'autre, cette preuve devient l'évidence.
La question de leur authenticité serait donc décidée pleinement par
les inscriptions seules ; et c'est, en effet, Tun des deux caractères qui
m'avaient frappé au premier coup d'œil. Le second, qui ne m'avait
pas semble moins certain, se tire de deux signes planétaires qui
sont au nombre des symboles gravés sur toutes deux. Ces signes
sont et a*, qui ont été reconnus avec raison par le docteur
Sichel et M. J. Courtet, comme étant ceux qui désignent encore
maintenant les planètes de Vénus et de Mars.
II. Signes planétaires.
Scaliger (l), Saumaise (2) et Huet (3) font remonter jusqu'à
l'antiquité les petites figures qui servent à désigner maintenant le so-
leil, la lune et les cinq planètes, connues des anciens, à savoir: Q, C,
$ 5 <y % b • Selon eux , on les trouve dans les plus anciens ma-
nuscrits et sur des pierres gravées antiques. Quant à Beckmann, il
n'a fait que reproduire leur opinion, sans y joindre de nouveaux
arguments (4) et sans la soumettre à aucun examen.
Tout annonce, au contraire, que les signes dont nous nous ser-
vons (à l'exception de } ou i ) ne remontent pas si haut, à beaucoup
près. Sur les monuments dont l'antiquité n'est pas douteuse, mé-
dailles, pierres gravées ou bas-reliefs, les planètes sont toujours
exprimées, soit par des figures entières, soit par les bustes des divi-
nités correspondantes : Apollon (soleil), Diane (lune), Mercure,
Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, avec ou sans leurs attributs :
la faux pour Saturne; le caducée pour Mercure; le foudre pour Ju-
piter, le croissant pour la lune, les rayons pour le soleil.
Jamais on ne trouve ces signes , même sur les pierres gnosdques et
(1) Ad Manil. aslron. p. 460, éd. Strasb. 1655.
(2) Exercit. Plinian., p 874.
(3) Noi. in Manilium, ad calcem edit. in usum Delphini, p. 80.
(4) Beilrœge zur Geschichte der Erfindungen , III, 372, ff.
AMULETTE DE JULES CESAR. 259
abraxas, bien que plusieurs puissent descendre jusqu'au VIe siècle.
Les emblèmes des absurdes superstitions gnostiques , carpocraliennes
ou basilidiennes n'y sont jamais môles avec aucun de ces signes,
à l'exception de la tète radiée pour le soleil, et du croissant C pour
la lune; encore y figurent- ils , non à titre de planètes , mais comme
divinités célestes, soleil et lune, distinctes des planètes proprement
dites, quinque stellœ errantes. D'où vient cela? c'est que celles de
ces pierres où le caractère gnostique est évident sont, presque sans
exception, toutes antiques; je veu* dire qu'elles ont été gravées au
temps même où les superstitions qu'elles expriment furent en vigueur.
Une fois ces superstitions éteintes, comme les pierres de ce genre
étaient trop nombreuses pour avoir de la valeur, personne n'a eu un
intérêt religieux ou pécuniaire à les contrefaire dans la suite. Voilà
pourquoi les signes dont je parle ne s'y trouvent jamais; et ce n'est
pas là une médiocre preuve qu'ils n'appartiennent pas à l'antiquité,
et conséquemment que les pierres où on les trouve sont modernes.
Quant aux manuscrits , les signes planétaires ne se montrent que
rarement dans ceux des astronomes, quelque récents que soient ces
manuscrits, parce que le nom des planètes n'y revenant qu'à de
longs intervalles, il était inutile d'avoir recours à une sigle pour les
exprimer; les planètes y sont nommées en toutes lettres. C'est ce
dont on pourra s'assurer, en parcourant les manuscrits de Ptolémée,
de Théon, de Geminus, de Cléomède , etc.
Il n'en est pas ainsi des traités ^astrologie (1) et à'alchimie, où les
noms des planètes reviennent sans cesse pour exprimer, dans les
uns, les planètes en conjonction avçctel ou tel astre; dans les autres,
les métaux, dont chacun, de bonne heure, fut attribué à une divinité
ou à la planète correspondante : te plomb à Saturne, Yélectrum à Ju-
piter, le fer à Mars, le cuivre à Vénus, Yélain à Mercure, l'or au so-
leil, l'argent à la lune.
Il a bien fallu remplacer alors les noms par des marques de con-
vention. Aussi trouve-ton les signes planétaires dans ces manuscrits,
dont les plus anciens sont, à ma connaissance, du Xe siècle (2). Dans
l'un d'eux, on trouve (Vie de Proclus par Marinus) les signes plané-
taires à l'occasion du thème natal de Proclus (3).
(1) Dans le papyrus astrologique de la quatrième année d'Antonin , du Musée
royal, les planètes y sont nommées en toutes lettres. Les signes ne s'y montrent pas.
(2) M^nlfaucon, Bibl. Coislin, p. 302. Tels sont encore les Mss. de Julius Fii-
micus Maternus. Bibl. Roy., n° 7311 ; et Fonds de Noire-Dame , n> 170.
(3) Cf. Marin. VU. Procli, p. 138, éd. Boisson.
-260 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Plus ces manuscrits sont anciens, plus la forme de ces signes diffère
de celle qu'on leur donne maintenant. Ils varient plus ou moins*de
manuscrit à manuscrit. En parcourant ceux du XIIe, du Xlir siècle
(par exemple, les nos 2506, 2345, 2417 et 2423 de la Bibliothèque
royale) et du XIVe siècle (l), on trouve ces mêmes signes avec peu
de variantes, mais assez différents de ceux dont nous nous servons.
Ainsi le Soleil est toujours 6guré ^^", jamais O ; Jupiter ^ ou 5
au lieu de % ; Mercure 7 » jamais J; Saturne t> ou h>.
MarsQff plus rarement $ et •<, jamais 0* ; Vénus ?,?,?, ^,
jamais Ç . Pour rencontrer ces dernières formes , il faut descendre
aux manuscrits du XVe et du XVIe siècle ou aux livres imprimés (2).
Saumaise s'est efforcé de retrouver (3) , dans les lettres ini-
tiales des noms des planètes, l'origine des signes planétaires (4).
L'idée est ingénieuse et, je crois, vraie pour quelques-uns; ainsi
^ est évidemment la première lettre de Zevç ; § paraît bien être
une abréviation de So-Spioc, épithète de Mars ; mais 9 sera plutôt
un miroir avec son manche qu'un <£, première lettre de ®cùcy6pos ,
et i) ou £ , plutôt la liarpé que les deux lettres Kp, de Kpo'voç ;
quant à Mercure, ^ , c'est évidemment la même figure que celle
de Vénus, avec les petites ailes de Mercure, ou % , le caducée,
qu'on trouve déjà comme signe planétaire sur une pierre gravée,
avec le serpent enroulé autour du bâton.
Les signes de deux planètes, proprement dites, sont donc pris
des lettres initiales, Jupiter et Mars; ceux des trois autres le sont
des attributs des divinités, Vénus, Mercure et Saturne. Plus tard on
en joignit d'autres ; Mars fut aussi quelquefois de ce nombre ,
puisque le signe $ est le bouclier traversé par une lance , ce qui
fait la transition pour arriver à cf , le plus récent de tous.
Quant au Soleil et à la Lune, qui, dans les manuscrits, sont tou-
jours figurés £p^ et } ou < , le premier signe est le disque du soleil
avec un rayon ; le second est le croissant, employé de toute antiquité,
pour figurer l'astre. Le O ou O, que nous employons maintenant
et que les Égyptiens employaient déjà, il y a des milliers d'années,
(1) Walter. Lexic. diplomat., p. 451.
(2) Cang. Lexic. inf. grœcil. T. II , p. 17.
(3) Les plus anciens sont le manuscrit du Telrabiblos , n" 24*25; et le n° 2509 ,
du XVe siècle (rào/sta twv irXxvQTfly; comme celui qui contient la version latine
d'Aben-Ezra de Pelrus Paduanus (Bibl Reg cod. n° 7438 ) , puis celui des Hypo-
typoses de Proclus et du Telrabiblos (cod. 2363 ), qui est du XV*.
(4) ExerciL Plin., p. 873.
AMULETTE DE JULES CESA.K. 261
pour exprimer le dieu Soleil , ne se voit guère que dans les livres im-
primés.
Il est presque inutile d'ajouter que le signe <$ , pour désigner la
Terre, n'a pu être en usage que depuis l'adoption du système de Co-
pernic, la Terre n'étant pas une planète dans les idées des anciens.
C'est alors qu'ont été adoptés définitivement Ç. , $ et 5 pour les
trois planètes de Vernis , la Terre et Mercure , et , depuis les nou-
velles découvertes, % , Ê, Ql et Ç pour Uranus, Vesta, Junon
et Cérès.
Ce qui résulte de ces observations, c'est que les formes ^, $ , pla-
cées en divers sens, et <f, pour exprimer Vénus et Mars, appartien-
nent aux derniers temps et se trouveraient difficilement avant le
XVe siècle.
Or, ce sont précisément ceux-là qui ont été figurés sur nos deux
pierres gravées. J'ai donc eu raison d'avancer (p. 153) qu'il suffirait
de ce seul indice pour prouver qu'elles sont de fabrique moderne ,
quand même les inscriptions ne nous fourniraient pas une preuve
certaine.
D'où Ton voit qu'il est parfaitement inutile de chercher la croix
ansée asiatique dans la figure ou $, puisque celle-ci, la plus
récente de celles qui ont servi à représenter Vénus, ne remonte
évidemment pas à l'antiquité. C'est encore un exemple à l'appui de
ce que j'ai dit ailleurs (l), qui montre combien il est périlleux de
conclure de certaines figures identiques une identité d'origine et de
signification. Il peut y avoir tout un monde entre deux figures abso-
lument semblables.
J'ai dit que ce résultat établit un critérium pour certaines pierres gra-
vées qu'on a crues antiques. Saumaise, Scaliger et Huet, en se fondant
sur ces mêmes pierres pour reporter l'usage des signes des planètes
jusqu'à l'antiquité, n'ont fait que tourner dans un cercle vicieux; car
précisément elles ne peuvent être que modernes, puisqu'elles portent
les signes planétaires de la dernière époque. Telles sont les suivantes :
1° Du Cabinet des antiques,
(i) Mèm. sur la Croix ansée. ( Revue, t. II, p. 666 et suiv )
262 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
2° Celle-ci, donnée par Gorlseus et Montfaucott (1) ,
3° Celle-ci, de Chifflet et Montraucon (2
J'y joins encore cette autre pierre du Cabinet dès antiques , qùoi-
O
qu'elle ne nous offre que le signe des gémeaux avec le soleil et la
lune, parce que les lettres de l'inscription Cleopatra et Alexander
(qui suffirait seule pour en prouver la fausseté) ont tout juste-
ment la môme forme que celles dtt cachet de Sépullius Macer, au
(1) Gorl. pi. LIV, ir 105. — Montf. Jnt. expl. II, 169.
(2) Ibid. II, 170.
AMULETTE DE JULES CESAR. 263
point qu'on les croirait tracées par la même main. Si M. le conser-
vateur du cabinet des médailles, qui a déclaré antique ce cachet,
avait seulement pensé à le comparer avec la pierre de Cléopâlre et
d'Alexandre qui est dans ce cabinet , il n'aurait pu concevoir aucun
doute sur la fausseté de l'un et de l'autre monument.
J'y joins également, 1° une sorte de talisman , où se trouve le scor-
pion, entre le soleil et la lune; au-dessus, cy et une *; au-des-
sous, la lettre gothique M, qui exprime sans doute le scorpion (1);
2° quatre pierres, que M. Matter a lui-même considérées comme de
travail italien, sans avoir besoin du crileriam qui me guide en ce
moment ; la première, dont le sujet est fort compliqué (2), contient le
signe $. et deux autres fantastiques; la deuxième, un Jupiter
assis Céraunophore , surmonté du sagittaire ; derrière lui, i]/?(3), et
devant satoviel. La troisième, Mercure assis; devant lui , le
signe moderne du scorpion rr^, et le nom michael; la quatrième,
une lune ou Diane assise , avec le Cancer devant, ainsi que le nom
Gabriel; qu'on examine bien toute autre pierre qui se trouvera dans
le même cas , on verra qu'elle n'est pas antique
Il suffit de ces exemples pour établir ce principe : toute pierre
gravée sur laquelle une ou plusieurs planètes sont exprimées, non
par des figures entières ou des têtes de divinités, mais par des
signes planétaires , est de fabrique moderne. Telles sont, dansGori,
les n0J 2, 8, 9, 12, 35, 51, 89, 90, 91, 101.
11 reste à expliquer dans quel intérêt et sous l'influence de quelles
idées ces deux pierres ont été composées et gravées. A mon avis, elles
n'ont rien de gnostique ou de basilidien. Elles sont purement histo-
riques, et les signes planétaires qu'on y a gravés n'ont pas d'autre
caractère ; c'est ce que je vais montrer.
Letronnb.
il) Matter, Hist. crit. du gnostisme. PI. VII , n° 6.
(2) Le même, pi. VIII, flg. 6, 7 et 8.
(8) Le même, pi. IX, n« 6, 7 et 8.
(La suite et fin au numéro prochain.)
NOTICE
SUR
m STATUETTE DE LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE MADRID,
J'ai fait le croquis ci-joint, à la
chambre claire , d'après une jolie
statuette en bronze de la biblio-
thèque nationale à Madrid. Sui-
vant M. Castellanos , un des con-
servateurs de cet établissement,
elle provient des premières fouilles
exécutées à Herculanum. Personne
jusqu'à présent n'a élevé de doutes
sur son origine , et à ne considé-
rer que la conservation et l'aspect
du métal, le faire et l'exécution
de la statuette , il est impossible de
ne pas la croire antique. L'inscrip-
tion tracée sur le socle peut seule
exciter quelques soupçons. J'y re-
viendrai tout à l'heure.
La patine est fort belle , d'un
vert noirâtre, uniforme et bien
lisse, sauf quelques rares aspérités
produites çà et là par des efflores-
cqnces d'oxyde. Quant à l'exécu-
tion, elle est un peu lâchée, comme
celle de presque toutes les bam-
boches de cette espèce, mais on y
reconnaît comme le cachet de l'art
antique. On voit que le statuaire
négligeant à dessein les menus détails, a fait ressortir avec une faci-
lité hardie et gracieuse, tout ce qui pouvait donuer du caractère à
NOTICE SUR UNE STATUETTE. 265
son œuvre. Ce sentiment exquis à choisir les traits caractéristiques
dans la nature , à les mettre en évidence dans la plus rude ébauche,
est à mon avis ce qui distingue par-dessus tout l'art antique. Aussi
les anciens ont-ils donné souvent à des figurines, à des camées, cet
air de grandeur que n'ont pas beaucoup de colosses, ouvrages des
modernes.
Il est impossible de décrire le caractère d'une statue ; sans in-
sister davantage , je me bornerai à dire qu'après un long examen j'ai
cru cette figurine antique , et ma conviction s'est en quelque sorte
opérée malgré moi, car tout d'abord l'inscription m'avait prévenu dé-
favorablement.
L'artiste a voulu représenter une fort jeune fille , et ne s'est nul-
lement préoccupé de lui donner des formes idéales. Au contraire,
le nez un peu épaté, les yeux obliques, les lèvres grosses, un certain
déhanchement, moitié gracieux, moitié bizarre, rappelle certains types
orientaux, et je serais tenté de croire que le modèle appartenait à la
race égyptienne, peut-être à la race nègre.
La coiffure est remarquable. Deux petites tresses pendent le long
des joues ; une autre partant du front et collée sur le haut de la tête,
va s'attacher vers la nuque. Il est évident que l'original avait les che-
veux courts, ondes sinon crépus; c'est encore un caractère qui se
rapporte assez bien au type que j'ai indiqué. Le costume est des plus
succincts, car il ne se compose que d'une tunique, montant jus-
qu'au col , avec des manches larges retroussées au coude. Cette
tunique paraît fendue par derrière, mais je la crois plutôt ouverte
sur le côté; seulement la jeune fille, en la tirant et en la tournant ,
s'arrange de façon que la fente laisse voir ce qu'elle veut montrer.
Les genoux ployés en avant , le corps légèrement renversé en
arrière , n'indiquent point une attitude de repos. Elle est en mouve-
ment; elle va sauter, ou elle danse; peut-être s'enfuit-elle comme
la Galathée de Virgile.
D'après les observations qui précèdent, ce n'est point assurément
Une Vénus Callipyge qu'il faut voir dans notre statuette, pas même
une de ces Syracusaines dont Athénée raconte agréablement le dé-
bat. Tout au plus elle pourrait rappeler une des belles qui prirent
Rufin pour juge de leurs charmes , car notre statuette est aussi
tpoyjzkoîq vypay iÇopévo yzlaaivoic. Je crois que c'est tout simple-
ment quelque danseuse, esclave ou affranchie, qui exécute un pas
apprécié par les débauchés de Rome, et qui aujourd'hui ne serait
pas toléré dans nos bals du mardi gras. }
266 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
L'inscription nous dira d'ailleurs plus précisément quel fut le mo-
dèle de notre figurine; elle est tracée sur le socle hexagone, et occupe
les trois côtés antérieurs, disposition qui peut surprendre, car la sta-
tuette ne paraît pas destinée à être vue de face. Voici cette inscrip-
tion dont les lettres sont bien formées et parfaitement distinctes :
BELLA NATICA IN VIKIDARIO | C^SARINO ROM^.
Ce style est étrange assurément. Deux mots, natica et c^esarino,
étonneront les latinistes. Que faire du premier? Est-ce un nom
propre? ou plutôt un sobriquet, tiré du mot nates, traduction bur-
lesque de xaAAi'miyoç? C'est, après tout, ce qui me parait le plus pro-
bable. Bella serait l'épithète, on en trouve de nombreux exemples
chez les poëtes erotiques. Dicis amore sui bellas ardere puellas.
Mart. 2, 87.
Cœsarinus est une forme douteuse , bien qu'elle ait été admise par
quelques philologues illustres. Cet adjectif se trouve, il est vrai,
dans le lexique de Forcellini , mais sans exemples certains pour l'ap-
puyer, tandis qu'il en cite un grand nombre pour les adjectifs Cœsa-
reus et Cœsariamis. Je ne crois pas qu'il faille supposer que le gra-
veur de l'inscription, omettant une lettre, ait écrit Cœsarinus pour
Cœsarianus. Caesarianus , à vrai dire , serait dans ce cas peut-être
plus insolite; en effet on ne voit ce mot appliqué d'ordinaire
qu'à des qualités personnelles. Cœsaraini milites, Cœsariana cele-
ritas. Au contraire Cœsareas s'emploie pour des choses et Parti-
culièrement pour des monuments : Cœsareum forum, amphilhealrum.
Toutefois, il faut avouer que nous ne connaissons pas fort bien la
langue du peuple de Rome , et Cœsarinus dans le langage des ateliers
pouvait être reçu. Peut-être encore Cœsarimim viridarium, dési-
gnait-il un viridarium bien connu ; c'est ainsi que pour un Parisien
le palais du roi et le palais royal sont des lieux distincts.
Je traduirais donc : la brave Natica , du parc aux cerfs de César, à
Rome. Presque tous les Césars ayant eu leurs parcs aux cerfs , je
crois n'en compromettre aucun particulièrement.
J'avoue que je ne connais pas d'autre exemple d'inscription tracée
sur le socle d'une statuette, encore moins de monument épigra-
phique du genre de celui que je viens de citer; cependant je ne pense
pas que ce soit un motif suffisant ponr faire regarder comme mo-
derne la statuette de Madrid. Malheureusement pour moi , peu de
mes lecteurs ont vu l'original, qui, à mon avis, ne permet pas le
doute, et ma description ne peut reproduire le caractère, tout an-
NOTICE SUR UNE STATUETTE. 267
tique de la statuette, comme la copie de l'inscription en révèle toutes
les étrangetés.
On a vu déjà que je considérais la figurine de Madrid comme un
portrait. On pourrait encore la croire la copie en petit dune statue
célèbre, placée dans un jardin impérial. Mais cette supposition me
paraît peu probable. En effet ce petit bronze est sî hardiment modelé,
qu'il n'a nullement le caractère d'une copie. On dirait plutôt une
caricature exécutée de souvenir.
En résumé , je suppose que l'artiste a représenté une danseuse
égyptienne, peut-être une de ces ambubaiœ dont parle Horace, des-
tinées à amuser quelque tyran par ses danses lascives. J'aurais pu
citer quantité de textes plus on moins graveleux à l'occasion de la
pose de la Bella Natica, mais j'ai voulu rendre hommage à ces sup-
ceptibilités respectables dont un des correspondants étrangers de la
Revue nous entretenait il y a peu de temps.
P. Mérimée, de l'Institul.
A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE
Monsieur,
L'église Saint-Merry ou Médéric, à Paris, possède, ce dont bien
peu de personnes se doutent, une belle chapelle basse ou crypte qui
est d'une époque beaucoup plus ancienne que l'église actuelle. On
descend dans cette crypte par un petit escalier placé à gauche du
maître -autel; cette précieuse construction qui rappelle les an-
ciennes confessions ou memoriœ des basiliques chrétiennes, est d'un
aspect très-imposant malgré son état d'abandon , et devrait être
environnée d'une grande vénération , car elle renferme de précieux
souvenirs. Voici ce qu'en dit l'abbé Lebeuf (Diocèse de Paris,
page 258 ) : En bâtissant le troisième édifice on y a pratiqué ou con-
servé, du côté septentrional, une chapelle souterraine en mémoire de la
crypte où le tombeau de saint Méry avait été placé du temps des édifices
précédents. Il serait à souhaiter , ajoute l'abbé Lebeuf, qu'on y eût
laissé , dans un endroit visible , le cercueil de pierre du saint patron ,
aussi bien que celui du célèbre Odon, surnommé Falconarius, fonda-
teur de l'église, et qui, en 886, défendait si vigoureusement Paris
contre les Normands... Cette chapelle souterraine est donc digne de
toute notre vénération , quand elle ne ferait pas même partie d'une
église aussi importante. Eh bien, chose incroyable! si nous ne pou-
vions certifier ce que nous avons vu, dans ce moment même que
LETTRE A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE. 269
l'administration s'occupe avec tant de sollicitude de la conservation
de nos monuments nationaux, et particulièrement des édifices reli-
gieux, cette chapelle sert de magasin : on y trouve des bancs, des
chaises cassées, des planches, des débris de vieux meubles; mais
ce qui est plus révoltant, c'est que l'allumeur de quinquets attaché
au service de l'église y a établi une mauvaise baraque, dont les sup-
ports et les cases sont fixés aux dépens d'un chapiteau. A travers
tous les débris et autres objets qui encombrent ce lieu vénérable,
abandonné aux subalternes de l'église, il nous a semblé apercevoir
un autel qui viendrait encore déposer contre le triste abandon de la
crypte. Nous y sommes descendu et nous avons essayé de saisir l'en-
semble de la construction, et de la dessiner, en déplorant le vanda-
lisme qui est venu s'emparer et défigurer cette précieuse portion de
la maison de Dieu. Nous avons tout de suite fait une réclamation
à la fabrique pour l'éclairer sur un état de choses aussi déplorable.
Nous ignorons ce qu'on peut objecter à notre modeste réclamation ,
mais la chapelle souterraine est restée dans l'état d'abandon où nous
l'avons trouvée il y a deux ou trois ans; cependant il n'y a pas de
dépenses bien grandes à faire; débarraser d'abord et nettoyer, sauf à
donner à ce lieu une destination plus convenable, telle que celle qui a
été donnée à la chapelle souterraine de l'église Saint- Leu , à Paris; à
celle de l'église dite des Missions Étrangères, et quelques autres.
Surtout pas de badigeon , nous insistons sur ce point. On pour-
rait y rappeler dans une inscription la mémoire dû patron et du
guerrier qui y sont enterrés, et dont les restes sont peut-être
encore sous cette crypte. Mais, dira peut-être la fabrique ou n'importe
qui, où placer tout ce qui se trouve dans cette chapelle, où mettre
notre allumeur de quinquets et sa baraque, les bancs, les planches, etc.?
Où l'on pourra, pourvu que ce ne soit pas là, pi dans l'église. Une
aussi mince considération ne peut être invoquée pour justifier un
acte de vandalisme, une sorte de profanation qui dure depuis plus de
cinquante ans. Espérons que notre réclamation sera entendue et com-
prise, et que la crypte de Saint-Merry sera rendue à la piété des
fidèles, aux souvenirs qu'elle rappelle, et aux arts qui réclament
cette expiation religieuse. Je profite de cette lettre, Monsieur ,
pour vous signaler un autre acte de vandalisme qui a lieu à
l'église Saint- Germain -l'Auxerrois.... A peine sortie de ses ruines,
une des chapelles adossées à la rue Chilpéric est transformée
en magasin d'objets ne servant pas habituellement au culte ,
de débris de toute sorte qui ne devraient pas s'y voir. Cepen-
270 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
dant cette chapelle a été récemment ornée d'nn vitrail représentant
le roi saint Louis, et en outre elle renferme deux belles statues à
genoux des seigneurs de Rostaing, dans un encadrement style delà
renaissance. Le gouvernement fait de grandes dépenses pour rendre
aux églises ce que le temps et les révolutions leur avaient enlevé,
ces dépenses ne sont pas appréciées par les personnes auxquelles
appartient le droit d'empêcher ces actes répréhensibles. On dégrade ,
on change la destination toute naturelle des lieux , qu'on aban-
donne aux subalternes des églises , pour en faire ce que bon leur
semble. Si nous ne pouvons nous faire écouter, si nos réclamations
sont des cris dans le désert, du moins nous protesterons, nous invo-
querons l'opinion du public éclairé et l'attention de l'autorité pour
faire cesser, s'il est possible, de pareils actes de vandalisme.
L. J. G*".
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— M. Je Ministre de l'intérieur s'est rendu récemment à Blois, ac-
compagné de MM. les membres de la commission des monuments histo-
riques, dans le but d'examiner les travaux de restauration de l'aile de
François Ier au château de Blois, et de sauver d'une destruction im-
minente les autres parties de ce bel édifice servant de caserne. Les
travaux autorisés par la loi deia session dernière sont confiés au
talent de M. Duban, l'habile architecte sous la direction duquel
s'exécute aussi la restauration de la Sainte-Chapelle. Les souvenirs
qui se rattachent à cette résidence de plusieurs de nos rois, la ren-
dent aussi importante sous le rapport historique qu'au point de vue
archéologique. Le plan des bâtiments est très-irrégulier. Le palais
présente des constructions de quatre styles différents, qui pro-
duisent des points de comparaison fort curieux pour l'histoire de
l'architecture du XIe au XVIIe siècle. Les travaux de restauration
de l'aile de François Ier, commencés il y a à peine dix mois, sont
déjà très-avancés; cette partie du château, la plus mutilée, sans
doute à cause de la fragilité de ses riches dentelures, a été particu-
lièrement visitée par la commission; aujourd'hui toute la parure
architecturale de l'époque de François Ier est venue couvrir les mu-
tilations et les ruines. Les travaux intérieurs sont également très-
avancés. La commission, guidée par M. de Lasaussaye, l'histo-
rien de Blois, après une visite de six heures dans les bâtiments,
a quitté le château. M. le Ministre a témoigné à M. Duban la satis-
faction que lui faisait éprouver la remarquable et rapide exécution
des travaux. On espère que la restauration des autres parties du
château ne sera pas longtemps différée.
— D'après le rapport de M. Crémieux, fait à la Chambre des
députés, le 7 mai dernier, et celui de M. le chevalier Jaubert, fait
à la Chambre des pairs, le 27 juin, les Chambres ont adopté le
projet de loi qui ouvre un crédit extraordinaire de 292 550 francs,
pour être appliqué à la publication de l'ouvrage de MM. Botta et
Flandin, sur les découvertes provenant des fouilles opérées dans
les ruines de l'ancienne Ninive. Nous nous proposons d'insérer dans
notre prochain numéro quelques observations à ce sujet.
— Sur la proposition de M. Coletti, ministre de l'instruction
publique, une Société des beaux-arts a été créée à Athènes, par
ordonnance royale, le 17 octobre 1844, et définitivement constituée
272 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le 24 février 1845. Cette société placée sous la protection du roi
et sous la présidence de la reine, a pour but de concourir au déve-
loppement des beaux-arts dans leurs différentes branches, la peinture
la sculpture, l'architecture et la musique; de former une collection
des chefs-d'œuvre encore épars sur le sol de la Grèce, et d'établir
une école spéciale pour l'enseignement des beaux-arts, et la remise
en activité des idées, des règles et des procédés artistiques de l'anti-
quité. La Sociétéxdes beaux-arts d'Athènes se compose de membres
réguliers et de membres correspondants. Chaque membre régulier
s'engage à une contribution annuelle d'au moins vingt drachmes.
Les membres correspondants sont des étrangers qui , par leurs con-
naissances et leur mérite peuvent contribuer aux progrès de la société
en lui accordant leur concours; ces membres sont honoraires et
ne sont tenus à aucune contribution pécuniaire. La Société des
beaux-arts acceptera avec reconnaissance, pour sa bibliothèque et
son musée, les offrandes en argent, livres, estampes et tous objets
d'art, pour être déposés dans les salles de l'établissement et servir à
l'étude. Nous avons appris avec satisfaction que des relations se sont
établies immédiatement entre cette honorable société et l'Institut de
France; plusieurs membres de l'Académie des beaux-arts viennent
de recevoir leur diplôme de membre correspondant.
— On vient de découvrir à Vienne (Isère), à 1 mètre de profon-
deur, au midi de la nouvelle halle, en creusant pour établir les fon-
dations d'une brasserie, une grande quantité d'amphores romaines
à large ventre, placées sur trois rangs, les unes au-dessus des autres.
Elles sont toutes vides et paraissent [n'avoir jamais reçu de liquide.
Déjà, il y a environ vingt-cinq ans, on en avait trouvé de semblables
dans le voisinage. En 1831, un autre dépôt d'amphores longues fut
découvert au couchant du premier dont nous venons de parler, dans
nne fouille dirigée par M. Delorme, conservateur du Musée. Il offrit
cette particularité qu'il était placé au-dessous des restes dune ma-
gnifique salle romaine dont les murs et le sol étaient revêtus de
marbre , et qui avait été décorée de colonnes et de pilastres aussi en
marbre d'ordre corinthien. En fouillant sous cette salle, on rencontra
d'abord une couche de cendres et de charbons qui s'étendait entre les
dalles de marbre du carrelage et les amphores, ce qui attestait qu'un
incendie avait détruit le bâtiment où étaient déposées ces amphores,
et que, sur ses ruines, on avait élevé une somptueuse maison ou
palais.
VOYAGES ET RECHERCHES ARCHÉOLOGIQUES
DE M. LE BAS, MEMBRE DE L'iNSTITUT,
EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE,
PENDANT LES ANNEES 1845 ET 1844.
DIXIÈME RAPPORT A M. LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
SUR UNE EXCURSION DANS L'ÎLE D'ANDROS.
Athènes, 31 juillet 1844.
Monsieur le Ministre,
Fatigué de voir que les événements politiques de la Grèce recu-
laient de jour en jour le moment où je pourrais commencer l'excur-
sion que je me proposais depuis longtemps dans le nord du continent
hellénique, je me décidai, en attendant, à entreprendre une tournée
de quelques jours dans les Cyclades.
La commission de Morée n'ayant pas visité Andros, je crus de-
voir commencer par cette île, à laquelle son voisinage d'Athènes et
surtout de l'Eubée donna dans les temps anciens une certaine im-
portance et où à différentes époques on a retrouvé de précieux mo-
numents de l'art ou d'intéressants documents historiques.
Presque tous ces textes communiqués par M. Mustoxydi à M. Virlet,
qui m'en remit des copies à son retour en France, ont été, il est
vrai , publiés et expliqués par moi dans le grand ouvrage de Morée;
mais comme l'exactitude des transcriptions que j'avais eues sous les
yeux m'avait toujours paru fort équivoque , et comme elle avait été
de la part de M. Ross (l) l'objet de critiques qui me semblaient
plus ou moins fondées, je tenais beaucoup à voir les marbres de mes
propres yeux et à prendre des fac-similé qui ne laissassent plus d'in-
certitude sur les leçons à adopter dans mon travail définitif.
J'avais d'ailleurs un motif plus puissant encore. M. Ross dans le
voyage qu'il fit à Andros au mois de juillet 1841 , trouva chez un
paysan de Palœopolis, village qui occupe l'emplacement de l'ancienne
ville d' Andros , une table en marbre blanc portant une longue in-
(1) Dans le deuxième cahier de ses Inscr. gr. inéd. Ath. 1842, nos 87-89.
III. ' 18
274 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
scription gravée sur quatre colonnes. C'est une hymne d'environ
cent quatre-vingts vers en l'honneur de la déesse Isis. Le savant voya-
geur, pressé par le temps, ne put copier que la première et la der-
nière colonne, les mieux conservées des quatre, et abandonna la
lecture des deux autres , malheureusement très-mutilées , aux voya-
geurs qui, passant dans ces lieux, auraient plus de loisir que lui.
Je tenais d'autant plus à compléter ce travail que l'édition qui a été
donnée, en 1842, à Zurich, par M. Hermann Saup, de la partie
déjà connue de ce petit poëme, prouvait à quel point il intéresse à la
fois l'histoire, la mythologie et la littérature grecque. Enfin, j espé-
rais encore que quelque monument déterré depuis le passage de mon
devancier viendrait s'ajouter à ma récolte et accroître les notions déjà
acquises sur l'île d'Andros.
Le 1" juillet, le bateau à vapeur le Papin chargé accidentellement
de porter la correspondance à Syra , et sur lequel M. le ministre de
France avait bien voulu m'accorder de me faire transporter à ma
destination, me débarquait à Porto Gavrio, l'antique r«upiov, dont
Alcibiade s'empara en 407 avant J. C. (1), et qu'il fortifia (2) pour
pouvoir de ce point venir attaquer les Andriens. C'est de ce même
port, désigné par Tite Live (3) sous le nom de Gauroleon, qu'Attale
et les Romains se rendirent maîtres deux cent sept ans plus tard.
C'était donc autrefois une position militaire assez forte. On n'y trouve
plus aujourd'hui que des ruines insignifiantes ; quelques assises en
marbre , un beau chapiteau dorique et quelques grossiers chapiteaux
byzantins provenant d'une ancienne église et décorant une fontaine
au bord de la mer, que les habitants désignent sous le nom de
noclccio Xovrpà (l'ancien bain), nom justifié par quelques ruines de
la voûte , qui subsistent encore. Je ne parle pas d'un fragment de
statue de femme et d'une inscription, l'une et l'autre encastrées
suivant l'usage dans les murs d'une des maisons qui bordent le port
actuel , puisque l'une et l'autre, de l'aveu même des habitants, pro-
viennent de Palaeopolis. Je me bornerai à reproduire ici l'inscription,
bien qu'elle se trouve déjà dans le Corpus, sous le n° 2349 m, parce
que le premier éditeur ne l'a pas transcrite avec une exactitude ri-
goureuse. Elle est gravée sur une très-petite base que surmontait
sans doute une statuette d'Hadrien, considéré comme un dieu par un
de ses nombreux admirateurs, et placé par lui au rang des divinités
(1) Xen.Hell. 1,4,22.
(2) Diod. Sic. XIII , 69.
(3) XXXI , 45.
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 275
protectrices de son foyer domestique , ainsi que cela eut lieu dans
tant d'autres villes pour les deux Antonins (l) et pour Hadrien lui-
même (2) :
CnTHPIKAI
KTIETHTHC
OIKOYME
NHEAYTO
KPATOPIA
APIANO
OAYMnin
Gavrio, où l'on compte aujourd'hui une trentaine de maisons bâties
depuis environ dix ans , est le chef-lieu d'un dème qui embrasse tout
le nord de l'île et dont les principaux villages sont Amolochos et
Arna. Toute cette contrée est habitée par des Albanais. L» popula-
tion du sud au contraire est d'origine grecque.
En arrivant dans ce port, Monsieur le Ministre, nous y trouvâmes
mouillée la corvette anglaise leBeacon, commandée par M. le capi-
taine Graves , chargé depuis dix ans par l'amirauté britannique de
relever les côtes de l'Asie Mineure et des îles de l'Archipel , et qui
achevait en ce moment la carte de l'île d'Andros. Il ne fut pas plutôt
instruit de notre arrivée que, sans nous connaître, et avec un em-
pressement qu'on rencontre bien rarement chez les officiers de sa
nation, il envoya un de ses midshipmen nous inviter à venir dé-
jeuner avec lui. Nous acceptâmes et, rendus à bord, nous fûmes de
sa part l'objet de l'accueil le plus cordial et le plus empressé. Il nous
communiqua toutes ses cartes , notamment la partie des côtes de la
Carie que j'avais visitée en mars et en avril. Il eut l'amabilité de me
donner quelques feuilles déjà tirées de sa carte d'Asie , et poussa
l'obligeance jusqu'à faire immédiatement exécuter pour moi un calque
du plan qu'il a levé d'une ville ancienne de la presqu'île d'Halicar-
nasse , dans laquelle il croit pouvoir reconnaître Bargylia , ce qui , je
dois le dire, me paraît encore incertain , et vint le soir me l'apporter
lui-même à terre , à notre retour de l'excursion dont je vais vous
rendre compte* Certes il était difficile de pousser plus loin la cour-
toisie.
(1) J'en ai cité plusieurs exemples dans mon rapport sur Sparte.
(2) Dans cette inscription les deux branches des alpha sont unies par un chevron
brisé. Il en est de même dans celle qui est reproduite à la page 283.
276 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
A une heure environ au sud-est de Gavrio , sur le penchant d'une
montagne et non loin du village d'Hagios Petros s'élève une tour
hellénique dont M. Ross a donné une description circonstanciée,
mais incomplète et inexacte (1). Cet édifice, d'où l'œil domine toute
la partie occidentale et tout le sud de la mer Egée , était vraisembla-
blement comme d'autres semblables que M. Ross a observés dans
quelques-unes des Cyclades, notamment à Amorgos, à Myconos et à
Naxos , destiné à servir de retraite et de lieu de défense aux habitants
de la campagne, lorsque des pirates venaient ravager les côtes de
l'île. Elle est de forme conique et a encore une hauteur de 16m,57 ;
elle est située sur une pente très-rapide et dans une position qui
commande toute la petite vallée s'étendant entre elle et la mer vers
laquelle était dirigée sa façade principale. Cette façade est très-bien
indiquée par les grandes ouvertures placées sur une même verticale
et près desquelles d'autres plus petites de diverses dimensions sont
disposées d'une manière symétrique. Ces fenêtres semblent du dehors
indiquer quatre étages à peu près de même hauteur; quelques-unes
ont tout à fait la forme de meurtrières. Le monument dont il s'agit
est d'une construction assez régulière : les assises en sont horizontales,
travaillées avec grand soin et les joints sont souvent obliques. Toute
la partie qui s'élève à partir de la deuxième ouverture, a sa paroi re-
piquée et offre une surface très-régulière ; tout ce qui est en dessous
n'a été travaillé que sur les joints et le reste est demeuré brut, ce qui
doit faire supposer que sur cette hauteur il y avait en avant de la tour
une terrasse qui rachetait la pente du sol, de façon à ce que du derrière
de la tour on pût arriver de plain-pied au niveau de l'ouverture qui
semble aujourd'hui avoir été la fenêtre d'un premier étage, et qui
alors formait la porte d'entrée de l'édifice. La description de l'intérieur
fera voir que la disposition primitive ne peut avoir été différente.
La porte inférieure donne accès dans une pièce voûtée à la ma-
nière antique, c'est-à-dire par assises horizontales; cette voûte devait
être complètement fermée, elle est aujourd'hui écroulée à son sommet
par suite de la chute des matériaux de la partie supérieure de l'édi-
fice. A droite et à gauche et un peu au-dessus de la porte dont nous
allons parler, on remarque une ouverture en forme de meurtrière et
qui faisait sans doute l'office de soupirail. Cette pièce n'avait de com-
munication directe avec l'étage supérieur que par une espèce de puits
très-étroit aboutissant au couloir que forme la porte inférieure pra-
(J) T. II , p. 12 et suiv. de ses Voyages dans les îles grecques.
VOYAGER EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 277
tiquée dans le mur, lequel a dans cette partie une épaisseur de plus
de deux mètres. Dans le cas où l'on n'admettrait pas la terrasse dont
nous avons parlé plus haut et qui faisait de la première fenêtre la
porte d'entrée du premier étage, il faudrait supposer, puisqu'il n'y
eut jamais d'escalier extérieur, que ce puits était le seul passage ha-
bituel qui conduisît à ce premier étage, ce qui est tout à fait impos-
sible si l'on en considère la dimension et la disposition. C'était tout
simplement une communication secrète dont on ne se servait que dans
certaines circonstances.
Tout le reste de l'intérieur de la tour était libre et en communi-
cation ; les étages dont nous avons parlé et qu'on croit reconnaître à
l'extérieur n'existaient pas en dedans de l'édifice ; seulement à ces
hauteurs d'étages correspondaient des banquettes disposées sur le
pourtour de la tour et ayant une largeur d'environ lm,70. On arri-
vait à ces différentes banquettes au moyen d'un escalier général qui
montait en hélice jusqu'au haut de l'édifice en s'adossant à la paroi
intérieure. La hauteur de ces banquettes correspondait à la hauteur
d'un quart de révolution de l'hélice , et à chaque quart d'hélice se
trouvait un palier qui donnait accès à chaque banquette. C'était au
moyen de ces banquettes que les défenseurs pouvaient se distribuer
à chaque fenêtre et à chaque meurtrière en même temps dans toute
la hauteur de la tour. Les parois intérieures sont verticales et dispo-
sées par redans à chaque étage ; les assises ne font pas parement à
l'intérieur et à l'extérieur, et l'irrégularité est dissimulée au moyen
d'un revêtement en petits matériaux d'un travail très-régulier. Toutes
les assises de cet édifice sont de grès micaschiste , d'une très-grande
dimension surtout à la base, où quelques-unes ont près de cinq mè-
tres ; les linteaux et les jambages des fenêtres et de la porte, qui sont
en pierre de la même nature, mais d'une couleur blanchâtre, ont été
pris à tort pour du marbre blanc.
En suivant pendant trois quarts d'heure, droit au sud, la crête
de la montagne sur le penchant de laquelle s'élève le village
d'Hagios Petros, on arrive au monastère d'Hagia (Àyla ou Zàçâoxpç
ïïyyn ) , bâti presque au sommet d'une montagne d'où la vue
s'étend, quand l'atmosphère est transparente, à l'ouest jusqu'aux
montagnes de l'Attique, à l'est jusqu'à celles de Psyra et de Chio;
mais au pied de laquelle l'œil peut en tout temps contempler une
vallée verdoyante et fertile. C'est dans ce cloître, le plus riche de
l'île, et dont l'aspect extérieur ressemble beaucoup à celui d'une
forteresse, que se trouve une inscription publiée pour la première
278 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
fois par M. Mustoxydi dans Y Anthologie Ionienne (l) , pour la
deuxième fois par moi d'après une copie que M. Virlet tenait sans
doute de M. Schaubert (2), pour la troisième par M. Ross (3), pour
la quatrième par M. Bœckh (4) et dont je crois , Monsieur le Mi-
nistre , devoir mettre une copie fidèle sous vos yeux :
OI2TPATHrH2ANTE2EnAPXONT02API2TEOY
NIKANnPNIKANOPOS AHMEASAIOrENOY KAIOTAMIA2
EBA0M12K02API2TEH2 AHMHTPI02AINEOY OYAlAAHSriAMOIA
MENANAP02nEP20Y KAIOrPAMMATEY2 KAlOYnOTPAMMATEï
La copie de M. Virlet laissant supposer que le monument netait
composé que de quatre lignes, et d'un autre côté tout portant à
croire que les stratèges à Andros devaient être au nombre de six
comme à Ténos, j'avais cru, pour retrouver ce nombre, devoir sup-
poser que le sixième était Uliade, fils de Pamphile, et que la place
occupée par ce nom sur le monument était l'effet d'une erreur com-
mise par le lapicide : M. Ross en présence du monument s'aperçut,
ce qui était facile, que la pierre avait été rognée dans la partie infé-
rieure, postérieurement à l'époque où l'inscription y avait été gravée,
et en conclut, ce qui était non moins facile, qu'une ligne avait dis-
paru, laquelle contenait, colonne 1 , le nom du quatrième stratège,
colonne 2 , le nom du greffier, et colonne 3 celui du sous-greffier.
L'examen que j'ai fait moi-même de la pierre m'a convaincu de
l'exactitude de cette conjecture, bien que je n'aie pu retrouver les
traces de la cinquième ligne que mon devancier dit avoir vues.
Il faut donc avec M. Bœckh lire cette inscription de la manière
suivante :
01 GTptxTYiyYifTavreç ett' ap%ovroç Apioreou*
Nnta'vwp Nixdvopoç ?
Mevay^poç Uépeov y
[ 6 àeïvoc tov diïvoç ]?
(i) Fasc. II, p. 476, n<>2.
(2) Inscr. gr. et lat. recueillies par la commission de Morée, t. II, p. 54 et suiv.
(3) Inscr. gr. inéd. n° 87. ^ '
(4) Corpus inscr. gr. n° 2349 c, t. II, p. 10GG. M. Bœckh donne à tort au
ciyfj.a. la forme ancienne S malgré les indications de M. Ross.
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 279
Avisas Atoyevou,
A'/îprrptoç Aivéov,
[ o $sîva roû &rvoç ] ?
y.cu o vnoypot[j.[j.oc7evç
Les stratèges en charge sous Varchontat d'Aristéas :
Nicanor, fils de Nicanor,
Hebdomisque , fils d'Aristée,
Ménandre, fils de Perses ,
(un tel fils d'un tel) ,
Déméas , fils de Biogène,
Démétrius, fils d'Ènée ;
et le greffier,
(un tel fils d'un tel) ;
et le trésorier,
Uliade, fils de Pamphile;
et le sous-greffier,
(un tel fils d'un tel).
Il est à présumer que cette pierre provient de la ville d'Andros et
qu'elle a été apportée de Palaeopolis pour servir à la construction ou
plutôt à la décoration du monastère , qui n'est pas à plus de deux
heures de ce village. Le nom d'Énée porté par le père du sixième
stratège rappelle et confirme jusqu'à un certain point la tradition
d'après laquelle Andros avait appartenu autrefois à Ascagne, fils
d'Énée (l). On sait par plus d'un exemple que les noms héroïques
propres à une localité se perpétuaient dans les premières familles de
cette contrée; c'est ainsi que, même assez tardivement, on retrouve
à Messène les noms de Cresphonte et d'Aristomène (2).
Notre visite à l'abbé terminée , nous descendîmes à pic pendant
près d'une heure et , longeant le bord de la mer nous nous dirigeâmes
vers Porto Gavrio où nous avions laissé nos bagages.
S'il fallait en croire Bondelmonte dans son Liber insularum Archi-
pelagi (3) , il existait de son temps à l'ouest de l'île d'Andros une
(1) Conon , JYarr. 41.
(2) Corpus inscr. gr. u° 1297. <—Inscr.de Morée, n° 4,
(3) Chap. xxviii, p. 8G, éd. de Sinner.
280 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
petite île portant une cité antique à laquelle on arrivait par un pont
en pierre construit en grands appareils ; et dans la mer, près du rivage
selevait une tour où les gens du voisinage se réfugiaient la nuit pour
être à l'abri des pirates (l). Suivant Pasch de Rrienen (2) ces débris
subsistaient encore vers le milieu du XVIIIe siècle (3) ; il ajoute
même qu'on voyait à l'extrémité septentrionale de l'île, vis-à-vis de
Négrepont , les ruines du temple de Jupiter avec des sculptures
dignes d'attention , et même les restes du sanctuaire de Mercure (4).
Malheureusement, d'après les informations que M. Ross a prises au-
près des habitants , et d'après ce qui m'a été attesté par M. Graves,
de toutes ces merveilles proposées à l'admiration des voyageurs, il
n'existe rien qu'une tour bâtie sur un écueil , en moellons unis par
le ciment et ne datant , suivant toute vraisemblance , que du moyen
âge. Que Bondelmonte l'ait prise pour une forteresse antique , il n'y
a rien là qui puisse surprendre. Quant à Pasch de Rrienen, il aura
amplifié les données du voyageur italien , sans avoir rien vu de ce
dont il parle, car, ainsi que le remarque M. Ross , il résulte évidem-
ment de son récit qu'il n'a vu de ses yeux que le port d'Apanokastro
à l'est, et celui de Gavrio à l'ouest.
Une excursion dans le nord nous paraissant donc inutile, nous nous
embarquâmes dès le lendemain matin pour nous rendre à Palœopolis,
petit village qui , comme je l'ai déjà dit , a remplacé l'ancienne ville
d'Andros. Nous nous arrêtâmes chemin faisant dans une anse appelée
aujourd'hui, on ne sait trop pourquoi, l'arsenal (rapaevaç). Nous
y trouvâmes une petite chapelle dans la construction de laquelle ont
été employés quelques débris de sculpture en marbre blanc dont
aucun ne remonte au delà de l'époque byzantine; dans le voisinage
est un seuil de même matière ; mais en vérité on ne peut, de la pré-
sence de tels restes conclure, comme l'a fait un voyageur, qu'ils ont
(1) Ad occiduum vero parva insula cam antiquo oppido apparet, ad quam
per ponlem lapideum amplis œdificiis accedebant. In mare, prope littus, turris
cernitur in qua circumadstùntes in nocte residebant, ut a piralis salvi fièrent.
(2; Brève de sert zione deW archipelago Livorno , 1773, 8°, p. 99.
(3) « Un' isoletta, o più tosto uno scoglio osservasi alla parte di ponenle, c nella
« sua sommità sono le dislruzioni di antichîssimo castello a cui non era possibile
« tragittare se non se per un ponte. Sopra altro scoglio poi ail' angolo boréale ve-
a donsi le diroccazioni di una torre untica e ad essa congiunto altro ponte il quale,
« non meno che il sopradetlo è veramente raeraviglioso. »
(4) « Alla eslremità seltentrionale dell' isola riguardante Negreponte vedonsi le
« demolizioni del tempio di Giove, con diverse slimabili sculture; parimente le
« royine di quellodi Mercurio. Amborichiamano i curiosiammiratori délie antichilà
« pel merito che hanno. »
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 281
appartenu autrefois à des bains de mer (1). Tout ce qu'on peut croire,
c'est que ces marbres ont été apportés, dans ce lieu, de Palaeopolis, ou
proviennent de quelque tombeau trouvé dans le voisinage (2)*; qu'ils
ont été travaillés sur place pour décorer une église à l'époque byzan-
tine, et que, cet édifice ayant été démoli, soit par la main des hommes,
soit par l'action de la mer, les plus petits d'entre les débris existants
ont été utilisés dans la construction de l'humble chapelle qui a rem-
placé l'église.
Quatre heures après notre départ de Gavrio nous débarquions sur
le rivage de Palaeopolis. La ville d'Andros s'élevait sur un mamelon
en pente presque entièrement enveloppé à l'est et au sud par la plus
élevée des montagnes d'Andros , du sommet de laquelle descendent ,
comme deux serpents aux reflets argentés, deux ruisseaux qui répan-
dent la fécondité dans cette partie de l'île. Tout porte à croire que
les habitations s'étendaient jusqu'au bord de la mer, et qu'un mur
qui défendait la ville du côté du nord suivait le mamelon jusque
dans la partie la plus élevée, laquelle se terminait par une acropole
dont la partie inférieure d'une tour subsiste encore.
Andros n'avait pas de port ; car on ne peut donner ce nom à la
petite baie qui s'étend en avant de Palaeopolis et qui n'est qu'impar-
faitement défendue d'un seul côté, du côté du nord, par un petit
promontoire. Il est donc probable, comme le remarque M. Ross,
queScylax, dans son périple, en faisant mention du port de cette
ville (Avcfyoç koù liuw) a voulu désigner Gaurion, qui est à dix ou
douze milles environ de là.
La ville, suivant toute vraisemblance, était bâtie sur des terrasses
et descendait comme de degré en degré jusqu'à la mer. C'est au pied de
ce vaste amphithéâtre qu'un paysan , en fouillant le sol , découvrit ,
il y a quelques années, une chambre souterraine que M. Ross, croyant
reconnaître quelque analogie entre cette construction et d'autres du
même genre qui existent à Anaphé, regarde comme le tombeau de
quelque famille considérable d'Andros. Dans l'intérieur de cette
chambre furent trouvées deux statues un peu plus grandes que na-
ture placées, dit-on , sur une espèce de socle et s'appuyant presque
contre le mur du fond.
L'une d'elles dont la tôte manque (3) , représente une femme vêtue
d'une tunique longue (x^wv nod-np-nç) entourée d'un manteau formant
(1) C'est ce que paraît croire M. Ross. Voy. ouvr. cité, p. 14.
(2) M. Ross admet cette dernière supposition.
(3) PI. LUI, fig. 1.
282 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
peu de plis et descendant jusqu'au-dessous des genoux (repi6o').«tov).
Le bras droit, relevé à partir du coude, est entouré dans le manteau,
qui laissait la main à nu. Le bras gauche est pendant le long de la
cuisse et forme un beau jet de draperie, bien que la main reste en
partie à découvert. Le style de cette statue est large et noble, le
travail, sans être très-fini , a de la pureté et une certaine élégance.
Rien dans ce monument ne dénote une époque tardive. Tout au con-
traire annonce qu'il est l'ouvrage d'un artiste distingué et antérieur à
l'ère impériale. Je me propose de la faire mouler avant mon dé-
part (1).
L'autre (2), dont j'ai, il y a environ trois mois , envoyé un plâtre à
l'École royale des Beaux-Arts , représente un jeune homme dont la
tête, d'une beauté et d'une pureté de traits remarquables, est, chose
bien rare, conservée et adhérente au corps. Le tronc est nu, et seu-
lement sur l'épaule gauche on voit un pan de draperie dont l'agence-
ment rappelle celui de la statue de Méléagre , et mieux encore de
celle qui représente Antinous sous la forme de Mercure (3). Les bras
sont brisés ; les jambes manquent à partir des genoux, mais on en a
retrouvé un fragment ainsi que les pieds adhérents à la plinthe , en
sorte qu'il resterait bien peu à faire pour la restaurer entièrement, du
moins dans la partie inférieure. Près du pied droit est un tronc d'arbre
sur lequel portait le poids du corps et autour duquel s'enroule un
serpent.
Ces deux statues, dont la seconde surtout peut être à juste titre
considérée comme un chef-d'œuvre de la statuaire grecque , ont été
achetées par le gouvernement grec, et depuis le mois de décembrel 84 1
elles sont conservées, la première au carré d'Hadrien, la seconde au
temple de Thésée.
Que représentent ces deux statues? Dans le voisinage du lieu où
elles ont été trouvées , on voit une double inscription gravée sur une
plaque de marbre qui peut , à la rigueur, avoir été encastrée dans un
piédestal portant les statues des deux personnages romains, l'un
homme, l'autre femme, dont il y est fait mention. Voici en quels
termes elle est conçue :
(1) M. Le Bis a réalisé ce dessein. Un plâtre de la statue dont il s'agit a été
envoyé par lui à l'École royale des Beaux-Arts. {Note de l'éditeur.)
(2) Voy. PI. LIII,fig. 2.
(3)' Voy. ibid. fig. 3.
VOYAGES EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE. 283
OAHM02 OAHM02
ETNATIANMAIIMIAAANTHN nOYnAIONrAEITIONrAAAO////
EAYTOYEYEPTETINAPETH2 TONEAYTOYTIATPnNAKAI
//////// NEKA EYEPTETHNAPETH2
ENEKA
Il est de toute évidence que le nom de l'individu dont il est question
dans l'inscription à droite a été altéré soit par ie lapicide , soit par le
temps. M.MustoxydilitTAEITION; M.Tricupis, TANTION; M. Vir-
let TAEITION, leçon sous laquelle j'avais cru reconnaître nAniPION ;
M. Ross a cru voir (légère mihi visus sum) TAEITION, qu'il propose
de changer en ErNATION; M. Bœckh enfin, adoptant la leçon de
M. Tricupis, pense que Ydvzioç n'est autre que Cantius, gentilitium
dont je regrette qu'il n'ait pas cité quelques exemples, et qui me
paraît du reste ne pouvoir être admis ici ; car il résulte pour moi
d'un examen attentif de la pierre, qu'il n'y a jamais eu de n avant la
terminaison TION , et, bien que de Caius'les Grecs aient fait Tdïoç,
je crois que dans Cantius il auraient changé le C, non en r mais en K
comme ils l'ont fait dans Kavivioç, KaiâUioç, KanaAioç, etc. Les
lettres sont du reste fort effacées en cet endroit et je n'ai pu y recon-
naître que ce qu'y a vu M. Ross, c'est-à-dire TAEITION. Faut-il
persévérer dans ma conjecture? faut-il lire TA[B]l[N]ION , ou
[n]A[fl]TION, qui se rapproche encore plus de ce qui semble rester
sur le marbre (1)? C'est une question dont il faut renvoyer la solu-
tion à l'époque où j'aurai sous la main les livres nécessaires pour
rechercher quelle est de ces différentes conjectures celle qui doit
obtenir la préférence, et décider, s'il est possible, avec quelque cer-
titude, quel était le véritable nom du Publius patron et bienfaiteur
des Andriens auquel l'inscription dont il s'agit est consacrée.
Quoi qu'il en soit, M. Ross, frappé du rapport qui lui paraissait
exister entre cette inscription et les deux statues découvertes non loin
de là , en a conclu qu'inscription et statues appartenaient à un même
monument (2) , et que par conséquent la statue d'homme était celle
de Publius.... Gallus proclamé héros par les Andriens, et que celle
de femme représentait Egnatia M aximilla peut-être mère de Publius ;
car, suivant lui, le costume de la femme est celui d'une matrone et
(1) Dans ce cas le personnage en question aurait été de la famille du célèbre
L. Plotius Gallus, qui le premier enseigna la rhétorique en latin, à Rome , et qui
eut la gloire de compter Cicéron parmi ses auditeurs.
(?) « Vehementer autem suspicor hune titulum pertinere ad praestantissima duo
« simulacra marmorea Andri reperta. » (Inscr. gr. ined. fasc. II, p. 2.)
284 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
n'offre aucun attribut divin , ce que, soit dit en passant, je ne saurais
admettre. En effet, la tète manquant, on ne peut savoir si elle ne
portait pas quelque signe caractéristique , et de plus la soi-disant
matrone offre la ressemblance la plus frappante avec la statue du
musée Pio Clementino que Visconti, juge compétent en pareille
matière, regarde comme l'image de la muse Polymnie. Mais suppo-
sons un instant que M. Ross soit dans le vrai : comment se ferait-il
que le fils fût représenté nu , doué d'une beauté idéale, accompagné
du serpent symbole de Xhéroïsation (l) (qu'on me passe le mot), et
que la mère n'eût que le vêtement dune matrone , quand on voit
que Publius et Egnatia sont honorés par le peuple d'Andros au
même titre, c'est-à-dire comme bienfaiteurs de la cité? Je vais plus
loin : si Publius eût été héroïsé par les Andriens, on n'eût pas man-
qué de faire figurer dans l'inscription le terme sacramental acpyj-
pwï£ev (2), ou quelque autre équivalent, et dans ce cas sa mère ou
son épouse (car rien ne dit qu'Egnatia fût plutôt l'une que l'autre)
eût, sans doute, puisqu'elle avait les mêmes titres à la reconnais-
sance publique , partagé cet honneur dont les femmes n'étaient pas
exclues, ainsi que l'atteste entre autres monuments cette inscription
de Théra publiée par M. Ross :
OAAMO2A0HPniZEN .
EPA2IKAEIANEPATOKPATOY2
APETA2ENEKAKAI2OOP02YNA2
0 dâpoç açpyjpcoï£ev
EpaffixXeiav ËparoxpaTouç,
àperàç evexa xat cwçppoduvaç.
Mais il est une difficulté plus grande encore, et à laquelle le
savant professeur ne paraît pas avoir songé ; les deux statues sont
manifestement d'une très -bonne époque grecque, et d'un autre
côté tout prouve que l'inscription n'est pas antérieure à notre ère.
Comment admettre qu'il puisse exister entre elles aucun rapport?
(1) Voy. Plutarque , Vie de Cléomènes, ch. 39.
(2) Voy. Ross, Inscr. gr. inéd. n°* 203 , 204 , 207, 214 , et dans les Annales
de Corr. Arch. vol. XIII, p. 13 et suiv., la dissertation de ce même savant sur les
tombeaux de l'île de Théra. C'est surtout dans cette île que la formule ày>j/9wï|ev
était en usage. M. Franz (Elem. epigr. gr., p. 331 ) pense qu'elle n'a pas d'autre
sens que £0a|e qu'on lit dans d'autres lieux , ce qui semble peu admissible. Il me
paraît plus naturel de croire qu'à Théra on était plus prodigue qu'ailleurs de ce
genre de récompense.
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 285
Supposera-t-on que, dans l'intention d'honorer ces deux grands per-
sonnages, les Andriens ont débaptisé ces deux statues représentant,
l'une un héros, l'autre une héroïne de leur île? Mais cela ne serait
vraiment admissible que pour la statue de femme, dont la tête, sans
doute idéalisée dans le principe, a été évidemment enlevée à dessein,
mais à une époque tardive et par des procédés assez grossiers, pour
être remplacée par le portrait de la personne que cette statue
aura été appelée ultérieurement à représenter ; fait très-fréquent à
l'époque romaine, et sur lequel il ne saurait exister aucun doute (1).
D'où viendrait dans ce cas la préférence accordée à l'homme? Dira-
t-on que c'était un moyen de le flatter que de lui supposer une
parfaite ressemblance avec un personnage héroïque? Mais on serait
en droit de demander pourquoi on n'employait pas le même moyen
d'adulation à l'égard de la femme qu'on associait aux honneurs dont
il était l'objet, surtout quand on peut déduire de l'ordre des deux
inscriptions qu'elle occupait le premier rang dans l'estime publique ?
Autre objection. La plaque sur laquelle est gravée l'inscription
n'a que 1 mètre 29 cent, de largeur. Or, à qui fera-t-on croire
qu'une base de cette dimension a pu porter deux statues hautes de
plus de deux mètres, et dont les plinthes même rapprochées l'une
de l'autre, ce qui n'est pas admissible, auraient seules occupé cet
espace? Je dois ajouter que j'ai inutilement recherché dans ce lieu
le socle sur lequel on assure que les deux statues ont été trouvées,
et que ce socle ne paraît pas avoir été transporté avec elles à Athènes.
Il est d'ailleurs une circonstance qui ne permet pas de supposer
que ces deux statues ont dans l'origine appartenu à un même monu-
ment, c'est qu'on ne peut y voir l'œuvre de la même main, et
qu'elles sont de marbres très-différents , celle du jeune homme étant
en marbre blanc du Pentélique, et celle de la femme en marbre
bleuâtre tirant un peu sur le gris. Disons plus : dans le genre de
mutilation qu'a subi la statue de femme, on pourrait voir la preuve
que ces deux statues n'étaient pas réunies primitivement dans un
même édifice, puisqu'on ne s'expliquerait guère pourquoi une seule
d'entre elles, la plus fragile, aurait été seule respectée.
Enfin, je ne saurais me ranger davantage à l'opinion de M. Ross,
relativement à la destination de l'édifice où ces deux statues ont été
trouvées. Comment voir un heroum digne d'aussi belles et d'aussi
grandes statues dans une grossière construction en briques et en
(1) C'est ce que prouvent tant de statues dont la tête manque, mais avait été évi-
demment rapportée.
286 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pierres liées entre elles avec un mauvais ciment, haute da peine
2 mètres 50 cent., et large tout au plus de 3 ou 4 mètres? Il
est bien plus vraisemblable d'y reconnaître une citerne abandonnée ,
où quelque paysan, soit à l'époque vénitienne, soit pendant la
domination turque , aura caché ces deux chefs-d'œuvre de l'art pour
pouvoir, quand l'occasion s'en présenterait, les vendre secrètement
à quelque Européen , et soustraire ainsi son bénéfice à l'avidité de
ses maîtres.
En résumé, tout ce qu'on peut dire de ces deux statues, c'est
qu'elles sont l'une et l'autre l'ouvrage d'un artiste grec, et toutes
deux d une très-bonne époque ; que la statue d'homme représentait
un personnage héroïque; que rien n'empêche de supposer que
c'était un personnage distingué d'Andros , auquel ses concitoyens
avaient décerné Yhéroïsation en récompense de services éminents
rendus à la patrie, bien qu'il soit peut-être plus naturel encore
d'y voir un héros local tel qu'Andros fils d'Anius. Quant à la statue
de femme , ses dimensions , l'agencement des draperies , la noblesse
de la pose permettent d'y voir une muse, une déesse ou une hé-
roïne; mais rien n'autorise à croire que ces deux chefs-d'œuvre
soient dus au même ciseau et qu'ils aient appartenu à un même
monument; et dans tous les cas, il est impossible d'y voir deux
statues de l'époque impériale, non plus que la représentation con-
temporaine des deux personnages mentionnés dans l'inscription sur
laquelle M. Ross appuie son système d'interprétation.
Le lieu où j'ai lu l'inscription d'Egnatia Maximilla, et de Publius
Cantius ou Plotius , paraît avoir été choisi par le propriétaire pour
en former comme un lieu de dépôt, comme une sorte de musée en
plein air, où il a entassé tous les débris antiques trouvés dans le
voisinage. On y voit en effet, indépendamment de plusieurs chapi-
teaux, fûts de colonnes, architraves, etc., cinq inscriptions qui
toutes sont d'époques différentes : d'abord celle dont je viens de
parler, puis celles que j'ai publiées sous les n05 177 et 181, et que
M. Boeckh a reproduites sous les nos 2349 o et 2349 k, puis deux
fragments en grandes lettres d'une époque assez tardive, qui doivent
avoir appartenu à une architrave.
En gravissant de terrasse en terrasse pour atteindre la partie haute
du village où se trouve la demeure de Jannaki Loukretzi, proprié-
taire de l'hymne à Isis, nous avons presque à chaque pas rencontré
des assises, des fûts, des chapiteaux, des bases de colonnes, des
fragments de sculptures qui tous attestent l'existence, en ce lieu,
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 287
d'une ville assez considérable , mais nulle part des ruines bien con-
servées d'un caractère monumental, si ce n'est une substruction en
grosses assises , qui était sans doute le mur de soutènement de l'une
des terrasses sur lesquelles s'élevait la ville. Non loin de là on voit
sur le chemin même une porte d'environ deux mètres de hauteur,
et formée de trois blocs d'un travail assez grossier et sans aucune
décoration; cette porte, pour cette raison, n'a pu appartenir à un
temple , et sa position ne permet pas non plus de supposer qu'elle
pût se rattacher au mur d'enceinte , dont on retrouve les vestiges
dans une autre direction à vingt minutes plus haut dans la montagne.
A peu de distance de ce lieu, on voit dans un champ un bas-
relief en marbre pentélique de 1 mètre sur 0,94, dans lequel
M. Ross a cru reconnaître un jugement de Paris. J'en ai fait
exécuter un dessin que je me propose de publier plus tard, parce
que je considère cette sculpture comme une variété d'une classe de
monuments votifs très-importants dont le sens n'a pas encore été
bien déterminé (i) ; je me dispenserai donc d'en donner ici une
description après M. Ross. Je me bornerai à remarquer que le sa-
vant archéologue a pris à tort pour des nuages la voûte de la grotte
où la scène se passe.
Non loin de là, j'ai découvert dans le mur d'un champ, un frag-
ment de 29 lignes, lequel doit avoir appartenu à un décret hono-
rifique rendu en faveur d'un citoyen qui, autant qu'on peut en
juger, avait rendu d'utiles services, et rempli successivement plu-
sieurs charges importantes.
C'est à peu près à la même hauteur qu'à la porte d'un pressoir
j'ai retrouvé une inscription publiée successivement par M. Mu-
stoxydi(2), par moi(3), par M. Ross(4), et par M. Rœckh(5), et
qui est relative à la reconstruction d'un temple, de son pronaos, et
peut-être de son portique, faite par un certain nombre de citoyens
dont les noms, à l'exception d'un seul, ont disparu. J'ai pu me
convaincre que la copie qui m'avait été remise par M. Virlet était
loin d'être exacte; mais le savant qui a publié ce monument après
moi , aurait dû ne pas m'attribuer des erreurs dans lesquelles je ne
(1) Voy. mon explication des monuments d'antiquité figurée , recueillie par la
commission de Morée, 2e cahier.
(2) Anih. lonicum, p. 478.
(3) Ouv. cité, n° t76.
(4) Inscr. gr. inéd. n° 18.
(5) N° 2349 d.
288 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
suis pas tombé, comme par exemple d'avoir lu vnb 7raAaiwo-£wç ,
tandis que s'il veut bien ouvrir mon livre, il verra que j'avais corrigé
vtto 7r[a]Xai[oT7}T]oç, qui est la véritable leçon. Il aurait pu aussi ne
pas me faire un aussi grand crime d'avoir changé la leçon vicieuse
PÏ10NAION en YnorAION , puisqu'il est constant que ce change-
ment n'a rien de contraire aux lois qu'on peut établir sur les con-
fusions de lettres le plus ordinairement faites par les copistes, non
plus qu'aux usages de la religion païenne. N'est-il pas notoire que
presque tous les temples, et notamment ceux où l'on célébrait des
mystères, avaient des souterrains dont les prêtres tiraient un grand
parti dans les cérémonies secrètes (1)? Triste sort des archéologues
qui publient des inscriptions d'après des copies exécutées par au-
trui et qui se font un cas de conscience de ne rien changer dans la
reproduction de ces copies en caractères épigraphiques : on semble
trop souvent leur attribuer toutes les erreurs de celui qui a mal lu
le monument original, sans mentionner les corrections, fussent-
elles les meilleures du monde , qu'ils proposent ensuite dans leurs
restitutions.
Un peu plus loin , dans la maison de Georges Stéliano , j'ai lu la
base que j'ai publiée sous le n° 179, et qui a paru ultérieurement
dans le Corpus, sous le n° 2349 h; puis sur la sainte table à'Hagia
Soiira, le n° 174 de ma publication, ou 2349 g du Corpus, et dans
le mur d'une maison, le nô 91 du recueil de M. Ross. Tous trois
m'ont présenté des variantes assez importantes , mais qu'il me paraît
hors de propos, Monsieur le Ministre, de mettre en ce moment sous
vos yeux.
A quelque distance de là, un peu plus vers l'ouest, j'ai trouvé,
dans la cabane d'un pêcheur, une base en l'honneur d'Hadrien.
Elle est conçue absolument dans les mêmes termes que celle de
Porto Gavrio, mais elle en diffère par la forme des lettres, et
par la division des lignes. Vous pourrez en juger par la copie sui-
vante : ' .
(1) Suis-je aussi bien coupable d'avoir conjecturé que le temple en question pou-
vait avoir été celui de Bacchus, le plus important de l'île? En disant le temple
restauré était sans doute celui de Bacchus , je n'affirmais rien ; j'émettais une
simple conjecture, qui me paraissait plus vraisemblable que toute autre. Si la chose
m'eût paru incontestable, j'aurais dit : était sans aucun doute, etc. Il y a du reste
entre ces deux locutions une nuance qui peut échapper à un étranger quelque versé
qu'il soit dans la connaissance de notre langue-
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 289
SnTHPIKAI
KTI2THTH2
OIKOYMENH2
AYTOKPATOPI
AAPIANHI
OAYMnin
Au delà du torrent , dans la maison d'un paysan , on m'a présenté
le n° 90 du recueil de M. Ross , et les deux fragments suivants qui
n'ont d'autre mérite que celui d'être inédits.
MKEPn2XPH2TE
Al PE
[Njixspcoç ygnarl [x]aîp£.
AIAIO
AHMO20ENO
NOMIKOY
Ailiov Ayj^o<70£Vo [vç] No/uuxoO.
Un peu plus haut , vers le nord , dans la maison voisine du terme
de notre excursion , Demetrius Loukretzi , frère du paysan auquel
j'allais demander l'hospitalité et l'exhibition de son trésor épigra-
phique, me présenta un fragment de décret gravé en petites lettres,
et par lequel le sénat et le peuple accordent le droit de cité à Sos-
thène, fils d'Ariston , bien qu'il soit déjà citoyen d'Eleutherne, et
cela, parce qu'il a montré sa bienveillance même aux plus pauvres
lorsqu'ils lui exposaient leurs besoins, etc. Il me fit voir ensuite une
inscription qui doit avoir contenu une liste de noms propres et dont
toute la moitié gauche paraît avoir disparu, car on ne lit plus sur
ce qui reste que des noms au génitif. Enfin sur l'un des jambages dune
porte je lus , distribuée en deux lignes , cette inscription bilingue qui
doit dater de l'époque où la religion catholique et la religion grecque
étaient également en vigueur dans l'île, et où la première faisait
peut-être des avances à l'autre pour amener un rapprochement :
SANCTUS à eUS SANCTUS FORTIS SANCTUS INMORTALIS
MISERERE NOS *
Anocoeos AnbcicxYPOc ahoc aoanatoc gaghcon
HMAC *
m. 1 9
290 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Cette longue et fatigante pérégrination achevée nons allâmes
frapper à la porte de Jannako qui nous ouvrit avec empressement,
moins par un sentiment d'hospitalité que dans l'espoir d'exploiter
notre curiosité épigraphique , espoir dont il ne tarda pas à faire une
réalité. Tant pour retirer les haillons qui couvraient le marbre sacré;
tant pour l'épousseter, tant pour le laver, tant pour le placer dans
un bon jour, tant pour en permettre la lecture, tant encore pour
consentir à ce que nous en prissions un estampage. Le résultat ob-
tenu fut au delà des exigences de l'avide paysan , mais ne répondit
cependant pas à mon attente. Quelques additions aux vers incom-
plets de la première colonne , quelques lettres des seize premiers vers
et le premier pied des dix-huit derniers de la deuxième, les deux
ou trois derniers pieds de presque tous les vers de la troisième, quel-
ques futiles acquisitions pour la quatrième , voilà tout le fruit d'une
journée de travail sous l'ardeur d'un soleil dévorant. Certes ce n'est
pas du temps perdu , mais à moins qu'on ne retrouve un nouvel
exemplaire de cette hymne, ce qui ne paraît pas impossible quand
on songe à quel point le culte dlsis devint général sous les empe-
reurs, une complète restitution de ce précieux monument mytholo-
gique est un espoir auquel il faut désormais renoncer.
Ce travail achevé je m'enquis d'une longue inscription copiée au-
trefois dans le café de Léonard Bouïatzi et provenant de Palaeopolis.
inscription que j'avais publiée sous le n° 175 avec un long commen-
taire favorablement accueilli par l'Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres ainsi que par le savant éditeur du Corpus, et que je tenais
d'autant plus à voir que M. Ross ne l'avait pas retrouvée et qu'une
collation m'en paraissait indispensable.
J'appris que Léonard Bouïatzi existait encore aussi bien que son
inscription, que tous deux se trouvaient à quatre heures de là de
l'autre côté de la montagne dans un village, Opiso-Lamyra , peu
éloigné à'Âpano-Kastro, chef-lieu de l'île. Nous ne songeâmes donc
plus qu'au départ, et à peine fûmes-nous parvenus à nous procurer
des moyens de transport pour notre bagage, que, malgré la chaleur
du jour, nous nous mîmes en route. Pendant deux heures nous gra-
vîmes pédestrement une montagne escarpée qui s'élevait devant nous
comme un mur de marbre, et après bien des fatigues, bien des
efforts, nous atteignîmes le sommet, qui semblait toujours fuir de-
vant nous. Le soir nous surprit sur la crête de cette montagne que
nous suivîmes pendant deux autres heures, et il était déjà nuit
VOYAGES EN GRECE ET EN ASIE MINEURE. 291
quand nous commençâmes à descendre par une route non moins dif-
ficile et plus dangereuse que ne l'avait été la montée. Il était dix
heures quand nous arrivâmes au gîte et à peine commencions-nous à
prendre quelque repos que nous fûmes réveillés par les bruyantes
lamentations de pleureuses à gages disant un dernier adieu à une
jeune femme morte en couche dans le voisinage de notre demeure.
Quel que soit l'intérêt que m'inspire la persistance des anciens usages,
je ne pus, dans cette occasion , me défendre de les maudire et de
trouver ces chants de mort au moins très-inopportuns.
Dès le matin , grâce aux pvpoloyoi , je remontais la délicieuse
vallée de la Messaria pour me rendre à Lamyra et gravissais bientôt
la verdoyante colline sur laquelle s'élève ce charmant village ombragé
de cyprès, d'orangers, de citronniers, de figuiers unis entre eux par
des pampres de vignes, et arrosé par de nombreuses sources qui,
même au fort de la canicule, y entretiennent la plus agréable fraî-
cheur. Léonard Bouïatzi tout charmé d'apprendre que son nom avait
eu du retentissement en Europe, grâce à son inscription, nous
montra ce monument avec une satisfaction désintéressée.
Je ne m'étais pas trompé, Monsieur le Ministre, en pensant
qu'une collation de cette inscription était nécessaire ; je n'ai pas
tardé à me convaincre qu'elle avait été très -mal lue par le voyageur
qui en avait communiqué une copie à M. Virlet. Au moyen de la
transcription que j'en ai faite et de l'estampage que j'en ai pris , je
suis en mesure de rectifier sous plus d'un rapport et de compléter en
plus d'un point le mémoire que j'ai publié sur ce curieux document
historique. Je dois désormais reconnaître que les trois décrets qu'il
contient émanaient de la ville d'Adramytte, mais je puis dire aussi
que la plupart de mes conjectures et de mes corrections se trouvent
confirmées par les leçons de l'original. C'est une satisfaction qu'aug-
mentent encore les fatigues par lesquelles il m'a fallu l'acheter ; c'est
une satisfaction que je vous dois , Monsieur le Ministre , et dont je
me plais à vous témoigner ma vive gratitude.
De retour à Apano-Kastro, nous dûmes nous occuper des moyens
de passer à Ténos , car d'après les informations prises auprès des
personnes les plus capables de nous éclairer à cet égard, Andros
n'avait plus rien qui pût exciter notre curiosité qu'une église du vil-
lage de Ménidès dans laquelle coule une fontaine, qui, s'il faut en
croire les habitants, est celle-là même dont chaque année à la fête
de Bacchus les eaux pendant quelques jours se changeaient miracu-
292 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
leusement en vin (1). Sur l'assurance qui nous fut donnée que nous
n'y trouverions aucuns débris antiques qui prêtassent quelque appui
à cette opinion , nous nolisâmes un 7repa/*a qui devait nous conduire
successivement à Ténos, à Myconos, à Délos et à Syros, et nous
partîmes pleins de confiance dans les heureux résultats que nous
présageait le nom de notre navire Nea T-J^y? ? la Nouvelle Fortune !
Je suis avec respect ,
Monsieur le Ministre ,
Votre dévoué serviteur,
Ph. Le Bas.
(1) Pline, II, 103; XXXI, 13; Pausanias, VI, 26, 1. Cf. Ross, ouvr. cité
p. 22 et suiv.
LETTRE DE M. MNGABÉ A M. LETROME
SUR
UNE INSCRIPTION GRECQUE DU PARTHÉNON;
SUR LES PEINTURES DU THÉSÉUM ET DES PROPYLÉES;
ET SDR DEUX MONUMENTS INÉDITS RÉCEMMENT DÉCOUVERTS.
(Suite et fin.)
Le sujet de ces observations m'amène à vous parler d'une
pierre, qui, à mon avis, n'est pas étrangère aux moyens maté-
riels employés par la peinture des anciens, et qui doit vous in-
téresser à ce titre. Cette pierre fut trouvée il y a quelques mois
à Athènes, dans la maison de M. le sénateur Prassakaki. Pour
abréger mon explication, j'en ajoute ici (voyez pi. 52) le plan ré-
duit, et les deux coupes (nos 2, 3, 4). C'est un parallélogramme
en marbre, long de 0m,55 , large de Om,38, avec des rebords hauts
de 0m,09. Au milieu de l'un des petits côtés du parallélogramme
(aô), tout près du rebord, un trou conique (c), ayant le diamètre
supérieur (dg) de Om,065, le diamètre inférieur (ef) de 0m,035, tra-
verse le marbre perpendiculairement dans toute son épaisseur. Ce
trou a un rebord (ghi), haut de 0m,048. La surface intérieure
(gfde) de ce trou est laissée brute. Adossé au rebord du trou, et
tourné vers l'un des côtés longs (al), est un buste de femme (e),
taillé du même marbre; la tête manque, les bras sont nus, la tunique
est fixée par un seul bouton sur chacune des deux épaules. Le tra-
vail est fait avec goût, mais sans un très-grand soin. Au côté opposé
au buste, le rebord est traversé par un petit trou (i/c), incliné vers
l'intérieur, et partant de la surface du marbre. Cette surface n'est
pas horizontale. Depuis le côté vers lequel le buste est tourné (al) ,
elle décline rapidement jusqu'au milieu (m), de 0m,018 ; de là elle
devient presque horizontale jusqu'à l'autre côté (bn). Il y a aussi
une très-légère inclinaison de 2-3 millimètres des deux petits côtés
vers le milieu (o).
Dans l'angle qui est derrière le trou, il existe un exhaussement
294 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
circulaire (p), de la hauteur (qr) de 0m,008, et du diamètre (rs)
de Om,ll. 11 est massif; sur sa surface, et à 0m,013 de son bord, est
tracée une ligne (ta) concentrique à sa circonférence, large (tv) à
peine de 0m,004, et profonde (tx) de 0n,,002. Cet exhaussement
circulaire se termine par un bec de lampe (s y), long de 0m,019, et
parallèle aux longs côtés du parallélogramme (b n), regardant vers le
petit côté opposé (ni). Un petit trou (uzy) part du cercle tracé en
creux , et traverse le bec de lampe dans une direction inclinée. A
une distance de 0m,05 de ce bec, est creusé vers le milieu du côté
le plus long (b n) un petit bassin quadrangulaire (R),au fond concave
(aêy<h), et profond de 0m,019. Il est large de 0m,083, long de
0m,155. Il a aussi un petit rebord (aÇ#) ? haut de 0m,006 , qui est
percé à ses trois côtés de trois petits trous inclinés (a<Je), dont l'un
(â) correspond à celui qui vient de la ligne circulaire (zy). A l'ex-
térieur et dessous le marbre est taillé en angle rentrant (xA/x),
ayant chacun des côtés (yJ^ly.) de 0m,02.
Il paraît assez difficile de déterminer l'objet auquel ce marbre était
destiné. Quelques-uns y ont vu une table de toilette. Quant à moi ,
je penche plutôt à le prendre pour un meuble où un peintre à l'en-
caustique, quelque artiste fashionable, aêpo&airoç, préparait ses
couleurs. M. Cartier, dans ses articles sur la peinture encaustique
des anciens (Renie ArchéoL, t. II, p. 278, 365, 437) soutient que
les anciens préparaient leurs couleurs encaustiques en mêlant les
matières colorantes à de la cire, et à un dissolvant, qui était, selon
lui, le blanc d'œuf. Ce mélange s'opérait par l'action du feu, et il
s'en rapporte avec raison à la caricature bien connue de Pompéi , où
l'on voit un broyeur assis à côté d'une table )posèe sur du charbon
ardent , et mêlant sans effort les couleurs à la cire déjà amollie par la
chaleur.
Adoptant ses conclusions , je crois que notre marbre avait servi
à ce môme usage. La manière dont sa surface inférieure est tail-
lée , indique qu'il était posé sur un autre meuble , et s'appliquait
exactement à ses parois. Ce meuble pouvait être une chaufferette ;
mais afin que les couleurs les plus délicates ne fussent pas altérées
par le contact de l'acide carbonique qui s'en exhalait, et aussi
peut-être pour tempérer l'action du feu, la chaufferette aura
été couverte et munie d'une cheminée qui conduisait le gaz et la
fumée. Le trou (c) dans notre marbre aurait donné passage a
la cheminée ; c'est pourquoi aussi sa surface intérieure n'est pas
polie. Mais l'ouvrier qui fit cet ustensile n'a pas eu moins en vue
LETTRE A M. LETRONNE. 295
l'élégance que la commodité. Trouvant que la cheminée déparait
son œuvre , il la masqua par cette figure féminine que je vous ai
décrite, et qui représente peut-être une déesse, une muse, ou la
peinture personnifiée, ou qui n'est qu'une simple décoration. L'ex-
haussement circulaire (p) recevait la cire, qui, à mesure que la
pierre était traversée par la chaleur, se liquéfiait, remplissait le
cercle [tzu) creusé au bord de cet exhaussement, et par le trou
[z y) qui le termine coulait dans le bassin opposé en petite quantité
à la fois, et se mêlait graduellement à la couleur qui s'y trouvait, en
même temps que le blanc d'œuf, préparé dans le fond de la pierre,
pénétrait aussi en petites quantités dans le bassin par les trous laté-
raux. Le superflu de la cire et de l'œuf s'écoulait enfin par le trou
ik, qui est à la partie la plus basse de la pierre. Telle me paraît avoir
été la destination de ce monument. M. Cartier, publie (ib., p. 447)
deux vases et un broyon antiques, dont il trouva les représentations
dans la bibliothèque de l'Institut, et qu'il prend avec beaucoup de
vraisemblance pour des ustensiles de peinture. Le plus, grand de ces
vases avec le bec de lampe et le trou a exactement la forme de l'ex-
haussement circulaire qui est sur notre pierre.
Mais en fait de monuments , dont l'usage est difficile à deviner, je
veux vous en communiquer un autre , qui n'est pas moins destiné à
mettre en défaut la perspicacité des savants. C'est une plaque de
marbre longue de lm,5 , large de 0m,75. Elle fut trouvée presqu'en
même temps sur l'île de Salamine. Elle est d'une conservation par-
faîte, et ne contient absolument que ce que vous voyez dans la
figure ci-jointe. Les autres dimensions du monument sont les sui-
vantes : à une distance de 0m,25 du bord supérieur il y a cinq lignes
parallèles, longues de 0m,27, distantes entre elles de Om,03. A dis-
tance de 0m,5 au-dessous de la dernière de ces cinq lignes , il y en
a onze, longues de 0m,38, distantes entre elles de 0m,035. Une ligne
transversale coupe ces onze lignes perpendiculairement et en deux
parties égales. La troisième , la sixième et la neuvième de ces lignes
sont marquées dune croix à leur point d'intersection. Ces croix, ainsi
que les chiffres tracés sous la ligne inférieure , sont longues de 0m,02 ;
la distance de ces chiffres entre eux est deOm,05. Les chiffres des
lignes latérales sont longs de Om,013 , et distants de 0m,04.
Je vous avoue franchement toute mon ignorance sur la destination
296 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de ce monument curieux. Il me paraît une énigme dont le mot
m'échappe. Serait-ce une de ces planches de calcul, dont parle Polybe
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dans un passage (V, 26), où il compare avec beaucoup d'esprit les
amis des rois aux cailloux de numération? Ovtwç yxp eiav ovtoi
napait'kriaioi raïç ènt tmv àêaxtwv tyriyoïç. Exelvxi te yàp , zarà tt,v
LETTRE A. M. LETRONNE. 297
tov ^y)Qpi<7avroç $ovfo\GiV) ôcprt yahtovvy xai Trapavrtxa râlavrov dvvocv-
?<xi. Nous ne connaissons rien de précis sur ces tables, et s'il faut
croire qu'elles avaient une disposition particulière pour faciliter les
opérations arithmétiques , celle de notre pierre ne me paraît point
propre à cet usage. Ne serait-elle pas plutôt un échiquier? Cette
conjecture, qui paraît offrir quelque vraisemblance, est cependant loin
de me satisfaire , et de répondre aux difficultés multiples que pré-
sentent les signes tracés sur la pierre.
Nous avons des notions peu précises sur ce jeu des anciens ; d'abord
les grammairiens le confondent souvent avec le jeu de dés. Ainsi, par
exemple, Eust., Od. I, p. 1 397. Ai'ôov ètf ov è^éacrsvov kyoaol... xal
orie^pûJVTo ol noîkaiol toiai xvSoiç. — Hesych. IIsTTSta, 77 âioc xvêcoy
noudeicè. — ÏÏ£TT£iaiç? xvêoiç j raêXaiç. — UeTrevovai ? xuêeuouo'u
Cependant, ailleurs ce même auteur reconnaît la différence essentielle,
de ces jeux, qui consiste en ce qu'on jette les dés , tandis qu'on ne fait
que mouvoir les pièces de l'échiquier. Aia<pépei H izerreioc' xvêsiaç*
sv y fjLSV yocp rovç xuêouç oLVocppimovaiv , ev $1 zfi TtSTTeia ocvrb {a6vov
zàg tyriyovq ^eraxtvoOat. D'autres, tels que Cedrenus, Isaac Porphy-
rogénète (Paralip. Hom. ) , et Suidas, confondent le jeu d'échecs des
Grecs avec la table Çzocvlav, neTrevrnpiov) des Egyptiens, qui avait
deux cases , sept pièces et une tour, avec des lignes courbes di-
versement tracées , pour représenter les constellations , les mou-
vements des astres, la hauteur du ciel (Schol. ad Plat. Phœdr.
ap. Eust. ib.). Cette table était moins faite pour la récréation
des oisifs (Tepirvov àpyiaç axoç. Soph. Palam.), que pour la médita-
tion des hommes sérieux (xal où TzaLwtvm, àllcx. çpiXoacxpoç 77 aiyv-
TtTtaxYj 7T£TT£ta léyetau Eust. 17. II). Mais aussi Meursius (de Ludîs
Grœc. dans Gronov. Thés. t. VIT, p. 982), Souter (de Âleator., ib.
p. 1038), Bulengerus (de Lud. vet. ib., p. 934), qui relèvent cette
erreur, en commettent une autre, en confondant les f&tàoi avec le
jeu dit nàhç, qui en était évidemment une variété bien distincte :
H $1 izokiq elâoç èazi naidiàç izzrtevxiKriç. Zenob. Cent. V, pr. lxviii.
Le jeu des irecaol était fort ancien. Platon (Phœdr., p. 274)) en
attribue l'invention à Theuth , le dieu d'Egypte ; mais nous avons vu
^ue d'après ses schol iastes il entend parler de la table astronomique des
Egyptiens. Suivant d'autres, Palamède les inventa en Aulide (Eurip.
Iph. in Aul. 194. — Alcidam. Palam., p. 74, 76. — Philost. Her.
— Elym. Soph. ad Palam.) , car ce jeu est le seul de cette espèce
dont les Lydiens n'eussent pas réclamé l'invention (Hérod., I, 94) :
ïlXyjv 7r£<7crwv* tovtgw yàp wv ttjv £^£.up£crtv ovx oiy.riiovvx<xi A.vâot. Au
298 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
moins est-il certain que les iteaaoi étaient connus du temps d'Ho-
mère, car les prétendants de Pénélope -neavoïai ixpoTizpoiQe Gupawv
0vjuwv èrspTTov (Hom., Od. I, 107). Athénée (I, 17) raconte sur la
foi d'Apion d'Alexandrie qui l'avait entendu d'un certain Ctéson ,
lequel prétendait le savoir par la raison très-peu concluante qu'il
était d'Ithaque, que ce jeu consistait en cent huit pièces ou cail-
loux rangés des deux côtés par cinquante-quatre. Un caillou placé
seul dans l'espace intermédiaire était appelé Pénélope, et il s'agis-
sait de pousser celui-ci avec son propre caillou de case en case sans
avoir touché les pièces de ses partenaires; l'heureux vainqueur se
flattait d'emporter la véritable Pénélope, comme il l'avait fait de la
dame du jeu. Cette relation ne nous apprend sans doute à connaître
que quelque jeu en usage à Ithaque du temps de Ctéson.
Le jeu dit r.éhq ou icôfeiç (nôleiç 7raiÇetv. Zenob. Prov. cent.,
V, 67) était un casier à pièces de deux couleurs. Le joueur enlevait
la pièce de son adversaire, lorsqu'il avait réussi à l'enfermer entre
deux de ses propres pièces (UhvBtov sari yàpxç iv ypa^odç e/ov.
Poil. IX, 98. — Plat, de Rep. IV, p. 423 et Schol — Zenob. ib.),
ou bien assiégeait-il celui-ci de manière à l'empêcher de faire aucun
mouvement? (Plat, ib., p. 487. — Eryx, p. 395. — Polyb. I, 84).
Ce jeu ne peut donc pas s'appliquer à notre pierre , qui n'est pas
divisée en cases.
Mais il y avait indubitablement une autre espèce de izeaaoi ,
distincte de celle-ci. C'est celle que Sophocle (in Nau7rAfe> m>pxaeî,
ap. Hesych.) appelait : ïleo-o-à 7revTaypa^«. Pollux (IX, 97) les
décrit en ces mots : Ènziàri àï -tyriyoi pév siaiv ol iteaaoi, itévre de
ixarepoç iiyz rwv 7ratÇovrwv èn\ Ttkwzt ypap^wy , eixdrwç eïpriTcxt
So^oxAe?*
Kat mvaà 7r£VTày pajxpa xat xûêwv /3o).ài.
Twv de izivxe rwv IxarépwQev ypapptwv piar? ziç riv iepà xalovpiévYi
ypa.p.ph. Kal 6 tôv gxeîGev .juvwv Tiezxbv 7iapoipuav inouï, xiveîv xbv
àtf iepccç.
Comme les pièces sont des cailloux, et que chacun des deux joueurs
en avait cinq sur cinq lignes , Sophocle a bien dit : « Et des échecs à
cinq lignes , et le jet des dés. » Au milieu des cinq lignes qui sont des
deux côtés , il y avait une ligne qui sf appelait sacrée ; et le mouvement
qu'on faisait de la pièce placée sur cette ligne a donné lieu au proverbe :
mouvoir la pièce de la ligne sacrée.
LETTRE A M. LETRONNE. 299
Pollux paraît vouloir faire entendre que chacun des joueurs avait
cinq lignes pour son jeu. Tel est aussi le sens de ce passage d'Eu-
stathe ( Od. I) : Tovç de keggovç liyzi (lirTrcova^) tyriyovç ehai TtivtV
ou'g M 7T£vrs ypappàv snaiÇov gjtaTÉpwGev, (va exâoroç twv ttettsuov-
twv ïyrr\ ràg xa9' laurov. D'autres s'expriment plus généralement;
par exemple, Hésychius : wap* ôVov r.zvxzypappoCiq eTraiÇov. De là,
disent les grammairiens, le mot Trerreia pour irevreia, Trevraç.
Il se présente maintenant la question de savoir quelle était la posi-
tion de la ligne sacrée. Ces mots d'Eustathe (i&.), empruntés peut-
être à Hipponax lui-même : Uccpetdvezo de <pw ât} avzàv xaî
jueoTj ypapp-h h iepàv wvo^aÇov , pourraient faire croire qu'elle
traversait perpendiculairement les autres lignes du jeu. Mais ils peu-
vent également indiquer une ligne parallèle aux autres, et tracée dans
l'espace qui sépare les lignes de chaque joueur; de même que le àià
(j.iaov Ttiyoç d'Athènes n'indiquait pas la partie du mur de la ville ,
contenue entre les deux longs murs et les coupant perpendiculaire-
ment, mais un mur construit dans le sens des deux cmélm sur le ter-
rain contenu entre eux (Plat. Gorg., p. 455. — Harp. V, AiàpeVou
rsïXoç.— Plut. Pér., XIII, et glos. Ath. VII. — iEsch. de f. leg.,
p. 373. — Andoc. de Pac, p. 135). Dans un autre passage d'Eu-
stathe on lit: IIsvts ricav (rà neveâ) olç e^pcovro, xaî im névre
ypappatç ràq tyriyovç stiBow' wv r\ pétro ispà exaAsrro ; et, d'après
lui , sans doute, Y Etymologicum Magnum répète : Ék\ il rwv ravre
ypapuàv zovç ^<pouç èriBovv ? wv -r\ pé(TY] ypccppri lepSc èy.aletTo. Ici
encore on pourrait traduire à la rigueur : wv r) pion ypappr) , par
dont la ligne transversale. Mais la traduction littérale serait : Ils
mettaient les cailloux sur cinq lignes, dont la mitoyenne s'appelait sa-
crée; ce qui indiquerait que dans les cinq lignes dont chaque joueur
disposait, la mitoyenne était la ligne sacrée. Enfin le passage de
Pollux rapporté plus haut : Twv $1 izévxz twv èxarspwQev ypa^nwv
fjieV/3 rtç r\v Upà y.akovp.êvri , veut dire ou qu entre les cinq lignes qui
étaient de chaque côté il y avait une ligne mitoyenne qui s'appelait la
sacrée, ou que des cinq lignes qui étaient de chaque côté, la mitoyenne
était appelée la sacrée. Il me paraît donc que tous les témoignages
sont assez unanimes là-dessus , que cette ligne était parallèle aux
autres, et était ou la ligne mitoyenne des cinq, ou celle tracée entre
les cinq de chaque côté. Meursius (Thés. Gron., p. 983) ne me pa-
raît pas être dans le vrai lorsqu'il dit : A quinta linea, quœ lepx
sacra dicebatur.
300 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Maintenant si nous passons à notre monument pour chercher à y
appliquer ces notions incomplètes, nous voyons à sa partie inférieure
des lignes parallèles, onze en nombre. A moins qu'on ne veuille voir
la ligne sacrée dans la transversale qui coupe les onze lignes, pourquoi
celles-ci ne représenteraient-elles pas un jeu complet avec deux fois
cinq lignes, et la ligne sacrée au milieu, qui est aussi marquée d'une
croix? Ou bien encore, dans l'autre supposition que la sacrée était la
mitoyenne des cinq, on pourrait voir cette ligne dans la troisième
et la neuvième , également marquées d'une croix ; et ce même signe
placé sur la sixième ligne indiquerait peut-être qu'elle n'est là que
pour diviser le jeu des deux adversaires.
Mais alors que signi6ent les cinq lignes plus courtes qui sont au
haut de la pierre? Je n'en sais rien , et nous connaissons si peu les
règles et les variétés de ce jeu qu'il serait oiseux de chercher à le
deviner. Hésychius parle d'un syedpoç (etpectyoç, zaGharfiç, rpiroç
èvedpev(ùv). Je voudrais entendre par ce mot un troisième joueur qui
attend son tour pour remplacer celui qui aurait perdu. Cependant
rien n'empêche qu'il n'eût aussi quelquefois un rôle actif dans le jeu,
et que ce ne fût là sa place. Aristaenète donne à l'un des personnages
de ses lettres (1. 1, ép. xxin) le nom de Movo^wpoç, emprunté évi-
demment aux jeux de hasard, comme celui de son correspondant
QikoxvÇoç. Ne serait-il pas permis de croire qu'on le donnait à ce
joueur, qui avait sa place à l'écart ? Les commentateurs, remarquant
sans doute que ce ^ovô-/Mpoç est un joueur malheureux, veulent
entendre par ce mot celui qui reste avec une seule pièce sur une seule
case (Roi dépouillé, en langue d'échecs), et j'avoue que cette expli-
cation me paraît plus probable ; car x^Pat étaient sans contredit les
cases.
Il y aurait peut-être encore une manière d'expliquer ces lignes , et
c'est celle qui me paraît le moins invraisemblable. Chacune des extré-
mités de la pierre représenterait le jeu de l'un des deux adversaires,
et les lignes superflues de l'extrémité inférieure n'offriraient qu'un
moyen de varier et de régler la valeur de l'enjeu, qui augmenterait ou
diminuerait selon qu'on aurait pris dans les onze lignes les cinq pre-
mières, les cinq du milieu, ouïes cinq dernières. Dans cette hypo-
thèse la ligne sacrée serait la mitoyenne des cinq , et elle est marquée
d'une croix pour les trois circonstances. On comprend aisément que
les lignes opposées n'avaient pas besoin d'être aussi multiples , car
elles acquéraient la valeur donnée au jeu moyennant le choix qu'on
avait fait du système des lignes inférieures. Aussi n'y avait-il aucun
LETTRE A M. LETRONNE. 301
besoin d'y marquer la mitoyenne, car elle était ici facile à dis-
tinguer.
Je ne dois cependant pas passer sous silence une autre dénomina-
tion de jeu qu'on trouve dans les anciens auteurs , et qui paraît avoir
quelque rapport avec notre pierre : c'est le ^aypappapioç ou ypap-
pai. Pollux (IX, 99) , dit : èyyvç dé èori rauryj ryj itoudia (ty) tt£T-
ret'a) xal 6 diocypa[jL[u(T[xbç xa* tq ^taypa/utpÇeiv , rivrivoc izoudiàv koli
ypappàç' àvoiiakoV' Eustache (//. VI), la décrit plus au long :
T-oLiàiocnq 6 $iaypapfju<3Y/.oV èyivero $é7 yaciv , avrn , xuêsiaç. ovea.
zlâoç âtà twv sv nlivBloiç ^çpwv (sv y&pociq IXxoptsvcov , Hésych.)
é&fîxovra, Asuxwv T£ ûfyia xai pelaivàv . Si cette description est juste,
le diaypapii.iap6ç était plutôt un jeu de dés, ou au moins, et malgré
son nom , un jeu approchant les mizda de l'espèce dite Tzokziç.
Les chiffres inscrits sur les trois côtés de la pierre ne sont pas moins
extraordinaires. Ils ont sans doute rapport à la manière dont le jeu
était joué , et à ses règles particulières. Mais sur ce point aussi les
anciens nous laissent dans une complète ignorance. Philostrate
( Heroic. ) nous dit que c'était un jeu très-ingénieux : Où pâQvpLog
Koudid, àlX ày^ivovg xai àVw Gitovdijç. Euripide [lph. in Aul.) le
dit très-compliqué : Êm Qomoïç tzKjgîùv -hiïopivovc, popçûKçiroAu7rXoxoiç.
Le scholiaste de Théocrite dit que la pièce placée sur la ligne sacrée
s'appelait le Roi^rov outw $ot.aikia. Koùovpevov) , et il s'accorde avec
tous les autres à dire qu'on ne la déplaçait qu'à la dernière extrémité ;
ce qui donna naissance au proverbe : Kiveïv zbv à<p' i£pâç , pour ceux
qui ont recours à leur dernière ressource. Eust. Od. I : ÂAxaloç ai
(pyjaiv £z lùwpovq « vOv à9 ovxoq 67rixpexei xivvfaaç xbv Tidpotq (1. àtf
Upàq") ttuxivov liBov. »
Ce peu de détails n'est pas suffisant pour expliquer la nature et
l'application des caractères qu'on voit sur la pierre : ce sont des
chiffres numériques du système décimal. Ceux du côté gauche sont
les mêmes que ceux du côté inférieur. Ils représentent le nombre de
1,666 drachmes et 1 7 oboles ; et, ce qui doit paraître très-étonnant ,
après la désignation des oboles , suivent deux chiffres qui indiquent
1 talent et 1,000 drachmes, ou 7,000 drachmes. Les chiffres du côté
droit présentent le même nombre, précédé de 1 talent et 5,000 dr.
ou de 11,000 dr. ; ces chiffres représentent donc le nombre de
12,666 dr. et 1 T oboles, et puis 7,000 dr. Pourquoi ce nombre de
1,666 dr. 1 7 ob. qui se retrouve sur les trois côtés? Est-ce une
somme de 10,000 dr. divisée en six, ou une somme de 5,000 dr.
divisée en trois, et pourquoi? D'ailleurs les oboles ne donnent pas
302 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
un dividende exact. Ensuite pourquoi les talents ne précèdent-ils
pas les chiffres moindres, et les milliers ne figurent-ils pas ensemble?
et qu'est-ce enfin que cette similitude du nombre du côté droit avec
les deux autres, dont il ne diffère que par les deux premiers chiffres?
Cette observation me porte à penser que ces nombres ne sont pas
le produit d'un calcul, mais bien le résultat de l'assemblage de chiffres
indépendants les uns des autres. Ce qui me confirme dans cette idée ,
c'est que ces nombres sont composés de chiffres du système décimal,
décroissant régulièrement depuis T ( 1 talent) au côté droit , et depuis
X (1,000 drachmes) aux deux autres côtés, jusqu'à C (un j obole),
avec addition de deux autres chiffres à la fin. Ainsi le seconde chiffre
au côté droit est F , qui dans le système décimal de numération est
le plus grand existant après T; le troisième estX, qui est le plus
grand chiffre après fî , et ainsi des autres jusqu'à Cqui est le plus
petit chiffre exprimant une valeur monétaire. Une autre circonstance
digne d'attention est que le nombre des chiffres du côté inférieur et
du côté gauche est de 1 1 , comme celui des grandes lignes.
De toutes ces remarques on pourrait peut-être inférer que chacun
de ces chiffres correspond à l'une des lignes du côté inférieur, X à la
première , P* à la seconde et ainsi de suite. D'après la dernière des
conjectures que j'ai proposées plus haut sur l'emploi des lignes, cette
pierre se prêterait à trois jeux de différente force. Dans le premier
les cinq lignes (de 1-5) auraient les valeurs suivantes : 1,000 dr.,
500 dr., 100 dr., 50 dr., 10 dr. Dans le second, qui serait le plus
petit des trois, les lignes (de 4-8) auraient la valeur de 50 dr.,
10 dr., 5 dr., 1 dr., 1 ob. Dans le troisième , le plus grand des trois ,
les lignes (de 7-11) auraient la valeur de 1 dr., 1 ob., \ ob., 1 talent,
1,000 dr. Le second de ces jeux serait le plus ordinaire , celui de tous
les jours ; le premier serait celui des grands joueurs ; le troisième
enfin , le plus intéressant des trois , celui qui offrait les chances les
plus extrêmes , où l'on pouvait gagner un talent, ou perdre un demi-
obole.
Il y aurait enfin un jeu plus fort encore , celui qui est indiqué par
les chiffres du côté droit; les cinq premières lignes auraient d'après
ces chiffres la valeur de 6,000 dr., 5,000 dr., 1,000 dr., 500 dr. et
100 dr. Les cinq secondes de 500 , 1 00 , 50 , 1 0 et 5 dr. ; et les cinq
dernières comme dans les jeux ci-dessus. La répétition des mêmes
chiffres au côté gauche et au côté inférieur n'a, je crois, aucune
raison particulière, excepté la facilité qu'elle offrait aux joueurs qui
les consultaient. Il faut supposer que les lignes de l'autre partenaire
LETTRE A M. LETRONNE. 303
acquéraient toujours la valeur de celles sur lesquelles jouait celui
qui était à l'extrémité inférieure de la pierre. La valeur de l'en-
jeu pourrait paraître exorbitante. Mais peut-être n'était-ce qu'une
seule ligne qui gagnait , et alors la plus forte perte serait de 6,000 dr.
Nous connaissons une partie jouée pour 1 ,000 dariques d'or (xaî ro
XpvŒiov àr.i$(ùY.e. Plut. Artax. 17), ou 20,000 drachmes. Il est vrai
que les joueurs étaient le grand roi et sa mère. Mais les jeunes Athé-
niens pour être des républicains n'en dépensaient pas moins de grandes
fortunes en jeux et en débauches. Témoin Alcibiade , son beau-frère
Callias, et tant d'autres.
Que la table eût été faite en marbre comme pour braver les siècles ,
rie doit pas étonner, si on la suppose placée dans un lieu public , et
destinée à l'usage journalier de toute la ville. Polémon, cité par Eu-
stath. (Od. I), a conservé le souvenir d'une table de jeu, en pierre,
conservée à Ilium, et d'une autre existant à Argos (Àe'yei âï kou ev
[xlv lllod deUvvaQat ItQov eçp' ov iitiaGsvov A%ouoi ? e'v $1 Apyei tov
Aeyoaevov IlaAap^ouç izeaeàv. (Voy. aussi Eust. II. II.) Cette pierre
peut enfin avoir été placée dans un temple, car on nous dit que les
anciens s'assemblaient souvent dans les temples pour se livrer aux
jeux des dés et des échecs , et que c'est du temple de Minerve Sciras ,
qu'une espèce de ces jeux a reçu le nom de o-xipacpeta. ( Eust.
Od. I, 107): Ot (AÔyîvalot) xa! ev iepoïq àôpoiÇopievoi èxuêeuov, xaî
piaAtoTa e'v tco tvjç Hxipddoç AQyjvàç rco km Sxtpcj) ? àcp' ou xal toc
alloc xv^evr/ipia crxtpacpeta wvopiaÇovTo. (Voyez aussi Etym, M, —
Harpocr. — - Suid. — Hésych. — Stéph. ^(poq). L'endroit nommé
Sciron était, d'après Pausanias (I, 36), sur le chemin d'Athènes à
Eleusis. Il reçut ce nom d'un héros qui y aurait été enterré , et qui
avait bâti aussi le temple de Minerve Sciras , près du Phalère. Eu-
stathe nomme aussi ZyJpov, l'endroit où s'élevait le temple. Mais
d'après Strabon (IX, p. 393, d), Minerve Sciras et l'endroit de
l'Attique dit Sciron, et le mois scirophorion reçurent leur nom d'un
héros salaminien , d'après lequel l'île elle-même était anciennement
nommée Exipaç. D'après ce qui précède ne serait-on pas autorisé à
rattacher le jeu des wApayua- à l'île de Salamine , ou au moins à
penser que les Salaminiens pourraient s'en attribuer l'invention ? Et
dans ce cas, quoi de plus naturel que de retrouver dans un temple
de cette île un monument représentant ce jeu indigène, comme pour
témoigner de cette réclamation?
304 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ce sont là , monsieur, des conjectures qui ont bien peu de fonde-
ment , je le sais. Mais aussi j'avoue qu'à mes yeux la pierre offre très-
pçu de prise à des suppositions très-fondées. C'est pourquoi j'attends
avec la plus grande impatience votre opinion éclairée à ce sujet pour
en faire la mienne , vous priant d'agréer l'expression de la haute
estime avec laquelle j'ai l'honneur d'être
Votre très-humble et très-obéissant serviteur,
A. R. Rangabé.
NOTE
SUR
L'ÉCHELLE NUMÉRIQUE D'UN ABACUS ATHÉNIEN,
KT
SUR LA DIVISION DE LOBOLE ATTIQDE.
Les deux monuments que M. Rangabé vient de nous faire con-
naître sont au nombre des plus intéressants que la Revue Archéolo-
gique ait publiés jusqu'ici. L'un et l'autre, uniques en leur espèce,
présentent des difficultés bien propres à piquer la curiosité, et à
exercer la sagacité des archéologues. Le premier, malgré les ingé-
nieuses explications du docte interprète, reste peut-être encore à
expliquer, comme il le reconnaît lui-même.
Mais, pour le moment, je ne trouve rien de mieux à dire que ce
qu'il a dit.
Je vois un peu plus clair dans le second monument, sur lequel
M. Rangabé appelle spécialement mon attention. Je ne pense pas
que ce soit un échiquier, ni un appareil pour jouer aux dés. Les ob-
servations de ce savant helléniste sur le ksttslx et le xuêsi'a des an-
ciens sont éruditeset curieuses; mais elles me paraissent peu appli-
cables à notre monument. Pour ma part, je regrette qu'il ait renoncé
à sa première idée, qui était de voir là une table ou planche à cal-
cul, autrement dit un abacus. Le docte interprète n'aurait peut-
être pas si vite abandonné sa première conjecture, s'il n'avait
pas méconnu , jusqu'à un certain point, la nature des séries nu-
mériques inscrites sur le monument.
Ces trois séries sont rangées sur trois côtés de la table de marbre,
et disposées évidemment de manière qu'on pût toujours facilement
lire chacune d'elles , de quelque côté qu'on tournât la table.
Ces trois séries sont composées des mêmes lettres numériques
qui se suivent dans le même ordre; F* (500), H (100), p (50),
A (10), n (5), h (l drachme), | (1 obole), C (7), puis les deux
lettres T X dont M. Rangabé n'a pas deviné la valeur. La série de
droite offre en tête deux lettres de plus que les deux autres, T (l ta-
lent ou 6000 drachmes) et F1 (5,000). Ces deux lettres additionnées
vaudraient 11,000, comme l'a dit M. Rangabé.
III. 20
306 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Mais il faut se garder d'additionner tous ces chiffres, ni d'en tirer
les sommes de 12;666 drachmes ou 1,666 drachmes 1 obole J-.
Car ils expriment un ordre de quantités qui doivent être prises sé-
parément; et ils répondent probablement aux lignes tracées au
milieu. C'est une échelle numérique, qui, dans deux séries, com-
mence au chiffre 500; et dans la troisième, autalent (6,000); toutes
les trois finissent au chalque (monnaie de cuivre), c'est-à-dire
qu'elles vont se terminer à la plus faible unité de l'échelle monétaire.
Car il s'agit bien ici de quantités monétaires et pas d'autre chose.
La preuve se tire d'abord de la lettre T (en tête de la troisième
échelle), sigle du mot raAovtov =6,000 drachmes-, ensuite, de la
figure f- qui est la sigle connue de la drachme; et enfin, de la dernière
lettre, X . qui est la sigle du mot ^«Ay.oû^ ; voilà ce que n'a pas vu
M. Rangabé ; et c'est ce qui l'a empêché de comprendre la sigle T qui
précède le X de la fin.
Mais il a très-bien vu que | , après f- , indiquait Yobole, ou * de la
drachme; c'est en effet ainsi qu'on l'exprimait (1); il a reconnu de
même que C indique la demi-obole. S'il avait poussé plus loin son
analyse, il aurait deviné que T signifie rphov, T, que la dernière
lettre X est l'initiale de x«**oûs» l'unité de la monnaie de cuivre, et
qu'ainsi nous avons les subdivisions de l'obole en six chalques , au
moyen des six fractions :
I ou 3 chalques ,
T ou 2 chalques,
1 chalque,
En tout 6 chalques.
L'obolé est donc ici décomposée en nombres fractionnaires, ayant
toujours 1 au numérateur, selon l'usage grec : et c'est ainsi, par
exemple, que, dans la géographie de Ptolémée, les degrés sont divi-
sés, non en minutes, mais en fractions du degré, ayant l'unité pour
numérateur comme :
^
y' le
1 X !
1 1 -— "
55'.
^
/,
7 -
=
50'.
4C
**,
7 -
=
45'.
&
<'.
7
ï r=-
40' (2),
etc.
[\) Voy. me» Nouv* observ. sur les noms des vases , dans le Joum. des Sav.
1S37 , p. 750 etsuiv.
(2) Pourtant, celte fraction -• de degré, par une exception unique, est exprimée
ainsi yo.
note sur l'échelle numérique. 307
Ceci n'est pas sans importance pour éclaircir un point du système
monétaire athénien qui n'est pas encore fixé. La drachme, l'unité
monétaire d'argent, se divisait en 6 oboles; cela est constant. L'obole
était, à son tour* divisée en chalques ; mais en combien ? Naturelle-
ment on devait croire qu'il y en avait six, autant que d'oboles à la
drachme. Mais ici , il y a dissidence entre les autorités.
Heron-Didyme et Cléopâtre , auteurs d'époque fort récente , don-
nent la drachme divisée en 8 chalques ; d'autres même , comme Pline,
en 10 (l). On peut, en bonne critique, douter que cette division
appartienne réellement à l'antiquité attique; et croire qu'elle est due
aux métrologues de l'époque romaine, qui auront confondu les usages
de divers peuples grecs , lesquels ne divisaient pas tous l'obole de la
même manière; ainsi les Delphiens, par exemple, la partageaient au
moins en dix chalques; ce qui résulte du passage d'une inscription
delphique... oiïelév (6&olo*)9 riptédelov ( yj/uuoêoAiov ) , ^aXîteous
TeTTopaç , obole, \ obole, quatre chalques (2). Commeil faut que quatre
chalques soient au-dessous de Xhémiobole, celui-ci était au moins
de cinq chalques ; cinq et quatre donnent les -^ de l'obole (3).
D'un autre côté, Suidas dit expressément que l'obole était divisée ,
chez les Athéniens, en six chalques: OêoAoç de rcap' ÀQyvcu'oiç e% eort
Xatawv (4). Ce qu'il répète sur l'autorité de Diodore, ancien mé-
trologue : Ô $£ tâoloç ç ^«A/.wv («g fqfa Aïo&opoç sv tw ittpi
2Toc0p.<av (5).
Cette dissidence , sur laquelle les meilleurs critiques n'avaient pu
prendre un parti, doit maintenant cesser, d'après l'autorité de notre
monument. Il est certain que l'obole était divisée en six chalques ,
chez les Athéniens , comme l'a dit Suidas 5 et qu'ainsi Yobok ( ce
qu'on pouvait présumer d'avance) était soumise à la même division
que la drachme.
Or, la présence du mot %tfaw% à la fin de nos échelles numé-
riques achève de montrer qu'elles sont monétaires, descendant de
l'unité la plus forte à la plus faible; et c'est ici que le beau pas-
sage de Polybe, cité par M. Rangabé (p. 296 en bas), trouve son
application ; « Les favoris des rois sont comme les cailloux de Yaba-
« eus , car, à la volonté du calculateur, ceux qui valaient tout à
(1) Bœckh, Melrolog. Untersuch. S. 32.
(2) Id., ad Corp, Ingcr., p. 818, çol. 2.
(3) roce'OZoXài, p. 2640.
(4) Voce Ti/avTov , p. 3488,
(5) Le Schol. d'Homère [lliad. E',«v. 576, éd. Bekker), citant ce même Dio-
dore , divise l'obole en 8 chalques.
308 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« l'heure un chalque, un instant après, valent un talent. » Nous voyons
également ici les deux extrémités de l'échelle, le talent et le chalque.
Je me suis demandé pourquoi , dans l'échelle de droite , après le
talent T, venait immédiatement le chiffre F, 5,000, puis le chiffre
X, 1,000. Entre le talent de 60 mines ou de 6,000 drachmes et le
nombre 1,000, il devrait y avoir des chiffres intermédiaires, divisant
le talent en nombres plus réguliers, tels que 4,000, 3,000 et 2,000
donnant T , 7 et 7 de talent. Je crois en trouver la raison dans la
symétrie de ces nombres, qui se divisent alternativement par 5 et 2.
Ainsi, après le talent, nous avons :
|* = 5,000
X =
1,000
p* =
500
H =
100
JH «
50
A =
10
n =
5
h =
1,
C'est donc un abacus attique que cette table , et probablement à
l'usage de quelque banquier ou rpomeÇirinç , qui s'en servait pour
compter les sommes d'argent.
Quant à la manière de s'en servir, je ne la vois pas clairement.
Les onze lignes à la partie inférieure, ou plutôt les dix intervalles,
ainsi que les cinq lignes ouïes quatre intervalles du haut, étaient cer-
tainement employés à cet usage.
On peut présumer que ces quatre intervalles servaient pour les
fractions de la drachme I C T X , 1 777.
Je ne puis en ce moment pousser plus loin l'étude de ce monu-
ment. Mais ce que j'ai dit me paraît suffire pour en établir le vrai
caractère , et mettre sur la voie d'une explication plus complète.
Ce qui me paraît certain , c'est que nous avons là un abacus attique,
d'une époque peut-être antérieure à l'archontat d'Euclide. C'est le
plus ancien que l'on connaisse ; et il serait fort intéressant de le com-
parer avec les abacus romains, pour déterminer ce que ceux-ci
doivent, sous ce rapport, à Yabacus romain. J'espère que notre
savant collaborateur, M. Vincent , si versé en cette matière , voudra
bien prendre cette peine. C'est un service qu'il rendrait aux lecteurs
de la Revue , et , en particulier, à l'auteur de cette note.
Letronne.
ARGUS BIFRONS
II est à regretter que M. Panofka n'ait point eu connaissance des
deux vases que nous publions. Leur place était marquée parmi les
monuments qu'il a recueillis dans son intéressante monographie sur le
mythe d'Argus (l). Ils lui auraient fourni l'occasion de développer
quelques-unes des théories ingénieuses dont cet archéologue émi-
nent a si souvent enrichi la science.
L'un de ces vases (-2) est un oxybaphou à figures rouges prove-
nant de Ruvo. Nous l'avons trouvé à Naples au mois de mai de l'an-
née dernière, chez M. Raphaële Barone, dont le magasin d'antiquités
est si connu des archéologues qui voyagent en Italie. L'autre est
une amphore archaïque à figures noires , découverte à Bomarzo , près
(1) Arços Panoptes , eine Archœologisch. Abhandlung. Berhn, 1830, in-4.
(2) M. Minervini a donné une nolice sur ce vase accompagnée d'un dessin , dans
le Bulletin napolitain du mois de juin 1845. Nous regrettons de n'avoir pas eu
connaissance de ce travail, qui malheureusement reste inédit pour les archéologues
du Nord , la difficulté de se procurer le curieux journal que nous venons de citer
étant extrême.
310 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de Viterbe, et qui faisait partie, à la même époque, de la riche col
lection de M. Bassegio , à Rome (3).
Un Argus bifrons nous paraît une importante nouveauté archéo-
logique, car notre indigence est grande à l'égard des représentations
de ce personnage. Un vase de la collection de M. Hope (4) , une
pierre gravée du musée de Berlin (5), tels sont, du moins à notre
connaissance, les seuls monuments qui montrent Mercure prêt à
frapper ou venant de frapper Argus d'un coup mortel. Tous les
autres se bornent à reproduire les scènes qui précèdent cette san-
glante péripétie (6), ou bien transportent le spectateur sur le terrain
(3) Le revers de notre amphore représente Hercule et Iole combattant contre
trois guerriers. M. Emile Braun, dans le Bulletin archéologique de 1839, 1. XXI,
indique une amphore archaïque dont la face principale est parfaitement semblable
à la nôtre; mais le revers représente Hercule et le lion de Némée. De plus ce vase
aurait été découvert à Ponte dell, Abadia, sur le territoire de Canino. Or, nous
croyons être sûr de la provenance du nôtre , qui nous a été indiquée par M. Basse-
gio lui-même.
(4) Argos Panoptes, tafel III, n° 2. Cf. Pan ofka , Annal. IV, 1. 365. Bronsted,
a brie f Description of thirly two greek vases, n° I. Cf. de Witte, Calai. Durand,
n° 318 , Gerhard, Auserlesene f^asenbilder zweiler Iheil, s. 118, taf. CXVI.
(5) Argos Panoptes, tafel III , n° 1.
(6) Une améthyste de la galerie de Florence , une pâte de verre de la collection
de Slosh nous montrent Argus surveillant la vache Io (Argos Panoptes, tafel. 1 ,
n°* 2, ■)). Une peinture de Pompéi représente Mercure ofTrant la syrini à Argus eu
présence d'Io (Idem, tafel II, n* t . Sur une autre peinture de Pompéi on voit
Io ayant auprès d'elle Epaphus selon les antiquaires napolitains, et le héros Argus
suivant M. Pauofka ,Ibid. taf. I, nJ 6 . Un vase augures rouges, signalé dans le Bulle-
tin de l'institut archéologique, année 1836, p. 171, représente la prêtresse de Junon
ARGUS BIFRONS. 311
des allusions mythologiques (7). Il est fort heureux que les vases de
Ruvo et de Bomarzo soient venus combler cette lacune.
Le vase de Ruvo porte les caractères de la décadence de cette
école. On retrouve, dans cette peinture, du mouvement, delà vérité,
mais le dessin en est lourd et négligé. La composition est très-simple;
elle se réduit à trois figures; mais elle est bien plus intéressante
que celle du vase de M. Hope, où le Démos de Némée (8), selon les
uns, le fleuve Astérius, selon- les autres (9), remplace, on ne sait
pourquoi, Io, dont la présence est si nécessaire à l'action. Au centre
on voit Argus couvert d'une peau de chèvre. D'une main il cherche à
retenir Io, qui veut s'enfuir, et de l'autre il se défend avec une mas-
sue (10) contre les attaques de Mercure. Le corps d'Argus Panoptes
est couvert d'yeux. Nous ne parlerons point de la double tête que lui
a donnée l'artiste, dont l'une est imberbe et l'autre barbue et que re-
couvre le pétase des bergers. Nous reviendrons plus bas sur cette
particularité, qui fait le principal objet de cet article.
Mercure est barbu; un casque recouvre sa tête, une tunique,
qu'une étroite ceinture assujettit autour de la taille, descend jusqu'aux
genoux. La chlamydequi recouvre ses épaules est attachée autour du
cou par une large fibule ; il a des brodequins pour chaussure. Le dieu
s'est emparé du bras d'Argus et le serre d'un poignet vigoureux. De
l'autre main il tient un large glaive et, à voir la façon énergique dont
il le manie, on reconnaît sans peine que les destinées d'Argus vont
s'accomplir. L'aspect de ce Mercure ne rappelle en rien le svelte ,
le rusé messager des dieux; il nous ferait songer plutôt aux lourds,
mais invincibles soldats romains qui figurent sur la colonne Trajane.
gardée par Argus. Hermès assiste à cette scène. Sur une amphore de la collection
de Munich, figures noires sur un fond rouge, Argus, assis par terre, retient la
vache Io par une corde que Mercure essaye de délier. Argos Panoptes, tafel V.
(7) Deux bydries d'Anzi, dans la Luccnie, qui ont éveillé l'intérêt des archéo-
logues, et un superbe cratère de Ruvo faisant partie de la collection de ma-
dame Jalta à Naples, reproduisent la fable d'Io et d'Argus, avec des circonstances
qui la séparent presque totalement de la tradition populaire. La scène représentée
sur les deux hydries est la même, sauf quelques différences très-peu importantes.
On a cru pouvoir reconnaître dans ce sujet l'union de Jupiter et d'Io (Lenormant
et de Witte, Élite des monuments céramographiques , pi. XXV et XXVI, p. 51).
Sur le cratère de Ruvo, fort bien expliqué par un savant antiquaire napolitain
(M. Gargallo), Io et Argus paraissent accompagnés de quelques divinités de la mer
{Annales de Vlnstit. archéolog., t. X, p. 253, pi. LIX).
(8) Panofka, Argos Panoptes, s. 16.
(9) De Witte, Catalog. Durand, n° 318.
(10} Argus est armé d'une massue, sur l'un des vases d'Anzi cités plus haut.
Cf. Elite des Monum. céramograph., pi. XXV.
312 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Derrière Argus on voit Io; à l'aspect du dieu qui doit la sauver
elle s'élance impatiente de reconquérir sa liberté. Io est représentée
sous la forme humaine; sa métamorphose n'est indiquée, comme
dans plusieurs monuments, que par deux cornes (11) naissantes
placées au-dessus du front. Elle a la tète , les pieds et les bras nus.
Une tunique d'une étoffe épaisse l'enveloppe jusqu'aux talons. Une
peau de chèvre, par laquelle Argus essaye de la retenir, lui sert d'hé-
miploïdion.
Le vase de Bomarzo nous reporte à un autre temps , à une autre
école. Ici tout est fortement accentué , ce qui n'exclut nullement la
finesse et la naïveté. Les artistes, encore mieux que les antiquaires,
apprécieront cet heureux accord. Ils trouveront en outre,. dans cette
peinture, ce qui distingue le stylé archaïque del'Etrurie, un grand
caractère, un effet saisissant produit, chose remarquable, par
l'absence de tout détail et certaines négligences de convention.
Cette peinture de vase nous fait voir Argus terrassé par Mercure.
Le gardien d'Io semble demander grâce au fils de Jupiter. De même
que sur le vase de Ruvo, il est représenté avec deux tètes ; l'une et
l'autre sont nues et terminées par une barbe pointue , <7(p72vo7rwywv.
Les bras, les cuisses et les pieds sont nus. Le vêtement d'Argus se
compose d'une courte tunique brodée aux deux extrémités et recou-
verte d'une peau de chèvre ou d'agneau serrée sur la poitrine; au-
dessus de sa tête on lit les deux dernières lettres du nom d'Argus, 02 ,
fragment fort utile , car on ne voit point d'yeux sur son corps.
Mercure est également vêtu d'une tunique ornée d'une bordure,
une courte chlamyde flotte sur ses épaules. Sa tète est surmontée
d'une espèce de pétase. Il porte une barbe pointue. Le dieu s'est pré-
cipité sur Argus et le retient à terre par le bras. Pour mieux le frap-
per il élève son glaive à la hauteur du visage. Le nom de HEPMES
est retracé à côté de cette figure.
Cette lutte violente, les armes dont le dieu et le berger font usage
se retrouvent seulement dans les peintures de vases (12). Apollodore
(11) C'est ainsi qu'elle est représentée sur les deux hydries d'Anzi dont il a
déjà été question, sur un énoehoé à figures rouges provenant de Vulci (Bullet. de
l'Instil. archéolog., 1836, I. CLXXI. Cf. Monum. inéd. de l'Instil. archéolog.,
II, pi. LXIX, n° 1 ; sur le vase de la collection Jalta , dont nous avons déjà
parlé, et dans deui peintures de Porapéi (Panofka, Argos Panoptes , tafel I,
n° 0, tafel II , n° 1 ).
(1-2) Sur la pâte de verre du musée de Berlin, dont nous avons parlé plus haut,
Hercule, qui tient la:tctetl'ArgusJà la main, est armé de la harpe {Argos Pan-
oples, tafel III, u* i).
ARGUS BIFRONS. 313
nous dit que Mercure se servit d'une pierre pour renverser Argus (13).
Selon Ovide , l'imprudent berger était endormi lorsqu'il reçut le coup
mortel (14). Serait-ce parce que certaines traditions prêtent à Argus
un rôle héroïque que ces peintures le représentent sous les traits d'un
guerrier?
Io, métamorphosée en génisse, assiste en tournant le dos, à
cette scène. L'absence de toute personnification humaine , l'attitude
paisible que lui donne l'artiste, ajoutent encore au caractère archaïque
de cette composition (15).
Une femme placée derrière cette tranquille génisse fait, à la vue
d'Argus prêt à périr, un geste de surprise et d'effroi. Cette femme a
la tête , les bras et les pieds nus. Une longue tunique, ornée d'une
bordure aux deux extrémités, l'enveloppe depuis le cou jusqu'au bas
des jambes. Rendons grâce à l'artiste qui nous a épargné jusqu'à la
plus légère incertitude sur ce personnage, en inscrivant à côté le
nom de la jalouse compagne de Jupiter HEPAS (sic) (16).
Nous arrivons à une question aussi curieuse que délicate ; nous
voulons parler de la double tête d'Argus. Ici on pourrait croire que
les textes et les monuments manquent à la fois. Si nous mettons de
côté le témoignage assez ambigu d'un ancien poëte, témoignage sur
lequel nous allons revenir, on ne trouve nulle part qu'il soit question
d'un Argus à deux têtes. D'un autre côté, nos deux vases sont les
premiers sur lesquels on ait encore vu , je ne dis pas un Argus à deux
tètes, mais une figure bicéphale; à l'exception d'un monument pu-
blié par Caylus, où l'on remarque deux têtes de femme accolées, la cé-
ramographie n'avait point encore offert d'exemple de ce genre (17).
Il existe, avons-nous dit, un témoignage écrit pouvant se ratta-
cher à un Argus bifrons. Ce témoignage nous est fourni par l'auteur
du poëme sur iEgimius, roi des Doriens (18). Argus, dit-il, était
(13) Aîôw ^alwv, oôev Â^ystpoVrvjç, II, 1, 3.
(14) Firmalque soporem Languida permulcens medicata lumina virga. (Me-
tamorph., 1,715.) r
(1 5) La vache Io , sur la pâte de verre de Berlin , s'enfuit à toutes jambes , à la Yue
d'Argus renversé à lerre.
(16) Le bas-relief de bronze de Bathyclès de Magnésie, qui décorait le trône
d'Apollon, à Amycles, représentait Io sous la forme d'une génisse, ayant auprès
d'elle Junon. Paus. III, 18, 7.
(17) Recueil d'Anl. Il, pi. XXVI, 2; les têtes à double face se trouvent seule-
ment sur des vases en relief. Cf. ÉLU. des Monum. céram., p. 5. Nous indiquerons
plus bas quelques-uns de ces monuments.
(18; O Se 7qv Atyi>iov Trotta* yvjai. Ce poëme fut attribué à Hésiode ou à Cercops
de Milet.
314 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
grand et fort, sa taille était élevée et il regardait ça et là avec quatre
yeux :
h
K«t oi ènlaxonov Apyov ïet xparepov rs péyav ts ,
Terpaciv oçp9aA^oîc7iv ppupevov ev0« x«t ev0a. (19)
Il faut l'avouer, les paroles de notre poëte manquent de clarté et
peuvent donner lieu à une double interprétation.
Doit-on entendre qu'Argus était doté d'une paire d'yeux derrière
la tête, idée assez bizarre, il est vrai, mais qui pourrait s'induire,
à la rigueur, d'une tradition rapportée par Phérécydes, d'après la-
quelle Junon aurait placé un œil sur la nuque d'Argus (20) ; ou bien,
est-il nécessaire d'admettre que l'auteur dTEgimius fait ici quelque
allusion à un Argus bifrons?
M. Panofka tranche la difficulté. Il compare l'Argus de notre vieux
poëte au Janus des Latins (21). Nous aussi, comme on le verra plus
bas, nous croyons qu'il y a lieu de rapprocher Janus d'Argus; mais,
à la différence de l'habile archéologue allemand , nous éviterons de
choisir, comme point de départ, les vers du poëme sur iEgimius.
C'est dans des considérations puisées ailleurs que nous chercherons
l'origine de cette similitude et l'explication de notre Argus bifrons.
Les vases, avons-nous dit, n'offrent point de figures bicéphales,
mais les marbres, les bronzes et les médailles fournissent un grand
nombre de tètes accolées ou adossées et de divinités à double face.
On connaît des hernies doubles d'Apollon et de Diane (22), de Mi-
nerve et de Mercure (23) , de Vesta et de Vulcain (24), de Mars et
de Mercure (25), de Bacchus et de Mars (26) , de Mercure et d'Her-
cule selon Visconti (27), ou de Bacchus et d'Hercule suivant
(19) Ap. Schol. Eurip. Phœniss., 1122.
(20) Pherccyd. Fragm:, éd. Sturz, p. 161.
(21 ) Hiernach wuerde unser Argos mit dem doppelkoefigen Janus, wenn nicht
eine vollkomne jEhnlichkeil des Gesichls, doch eine unbeslreibare Geislesver-
wandlschaft fuer sich in Anspruch nchmen duerfen. (Argos Panoples , s. 7.)
(22) Gerhard, Anlik. BUdwerk, tafel CCCXX, 7, 8. On a reconnu aussi, dan*
le type des monnaies de Ténédos, non-seulement le héros Ténès et sa sœur Hémi-
théa, mais Jupiter et Junon. Voy. Lenormant, nouvelle Caler, mylholog., p. 8.
(23) Museo capilolino, t. I, tavol. IV, délie Osservazioni. Cf. Gerhard,
Beschreib d. S lad Rom., III , 2, 190, n° 99.
(24) Gerhard , Anlik. BUdwerk., tafel LXXXI.I, 3.
(26) Ibid., taf. CCCXVIII, 1.
(2C) Ibid., taf. CCCXVIII ,3.
(27) Museo Pio Clem., tav. XIII, n° 2.
ARGUS BIFRONS. 315
M. Gerhard (28), d'Ammon et de Bacchus (21)), de Silène et
d'Ariadne (30), de Bacchus etd'Ariadne (31), de Pan etd'Ariadne(32),
d'un Triton et d'une Tritonide (33). Plusieurs vases de la collection
Durand ont la forme de deux têtes accolées, surmontées d'un mo-
dius (34); une pierre gravée du Cabinet des Antiques représente les
têtes adossées de Minerve et de Marsyas.
On connaît aussi, ce qui rentre bien mieux dans la catégorie de
notre Argus bifrons , un assez grand nombre de monuments qui
montrent deux têtes parfaitement semblables ou du moins offrant une
grande analogie; nous citerons le Bacchus barbu du musée Pio Cle-
mentino(35), le type d'une divinité mâle, à double face, sur les mé-
dailles de Thessalonique, d'Amphipolis (36), de Catane (37), de
Panorme (38) et des iEtoliens (39), la Minerve à double face des
médailles d'Athènes (40) et d'Uxente (41) et un assez grand nombre
de figures féminines géminées sur les monnaies de Lampsaque (42),
de Rhégium (43) et de Syracuse (44). Enfin nous signalerons les
nombreuses têtes do Janus qui figurent dans la numismatique ita-
lienne, notamment sur les as deVolterra (45) et sur les monnaies des
familles romaines (46).
Plusieurs savants ont recherché l'origine des figures bicéphales,
et, comme cette question a été traitée diversement par des hommes
(28) Beschreib. d. Slad Rom., II, 2 , s. 279, n° 5.
(29) Viscontl, Museo Pio Clem., t. V, A. III, p. 47. Cf. Gerhard , Beschreib.
d.Slad Rom., II, p. 281 ; Campana , Opéra plaslica, taf. XXVII.
(30) Anlik. Bildwerk, taf. CCCXX, 4.
(31) Beschreib d. Slad Rom., II, 2, s. 281 , nos 27, 35.
(32) Ibid. , II, 2 , s. 281 , n°* 25 , 38.
(33) Anlik. Bildwerk, taf. CCCXX, 1,2.
(3i) De Witte, Calalogue Durandt n*3 1256 , 1257. On peul ranger aus§i dans
cetle classe , les médailles de Ténédos sur lesquelles on Yoit une tête mille et bar-
bue à eftlé d'une tête de femme.
(35) Visconti , t. VI , tavol. VIII.
(30) Mionnet, DescripL, I, p. 492.
(37) Ibid., I, p. 465. Cf. nouv. Galer. mylhol., p. 11 , n8 6.
(38) Mionnet, ibid., l,p. 222.
(39) Ibid., I, p. 279.
(40) Ibid., II, p. 88, n° 16.
(41) Hunter, IVum. populor.,tdib. X , 26; Mionnet, t. III, Suppl.
(42) Mionnet, I, 149. Cf. nouv. Gai. mylholog., pi. II, n* 14.
(43) Ibid., II, p. 560, 56.
(44) Ibid., I,p. 200, 201.
(45) Ibid., I,p. 303, 304.
(46) Telles par exemple que les médailles des familles Accilia , Afrania, An-
tislia, Cœcilia, etc., etc.
316 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
très-habiles, on nous permettra de passer rapidement en revue les
opinions les plus graves de ce débat scientifique.
Caylus (47) considère les monuments nombreux où l'on voit deux
têtes de femmes adossées, comme un emprunt fait aux Etrusques par
les Grecs et les Romains. Plus tard il a supposé que les doubles tètes
de l'antiquité étrusque et le Janus des Étrusques n'étaient que des
imitations d'un type adopté par les Égyptiens ou l'application d'une
des idées de ce peuple inventeur (48).
Le prudent Eckhel (49) évite de se prononcer sur cette question,
sans doute pour ne point compromettre sa haute réputation de cri-
tique. Le motif qui a fait accoupler deux têtes lui échappe ; il y a ici
une idée allégorique, mais laquelle? Il faut se garder, dit-il , de toutes
les subtilités plus ou moins ingénieuses débitées par les anciens sur
l'origine des deux têtes de Janus.
Visconti (50) trouve, dans les hermès doubles, un exemple de cette
coutume des peuples primitifs, d'employer les formes sensibles pour
représenter les qualités et les analogies de l'esprit. C'est ainsi qu'on
a exprimé la supériorité de l'intelligence et de la prudence par plu-
sieurs têtes ou quantité d'yeux.
Le savant Zoéga (51) nous paraît beaucoup plus précis qu'Eckhel et
beaucoup plus instructif que Visconti. Selon lui , pour trouver l'ori-
gine de ces simulacres doubles, où l'art hellénique se montre dans
toute sa puissance , il est nécessaire de remonter à un type grossier,
aux hermès qui servaient à marquer la borne des héritages et aux-
quels on donnait très-souvent une double tête , comme si on avait
voulu exprimer de la sorte que la mission de ce dieu Terme était de
surveiller, avec une égale sollicitude, la contenance et les limites des
propriétés qu'il séparait.
Dans sa prédilection pour les Phéniciens, Boettiger(52) ne pouvait
manquer de trouver chez ce peuple l'origine des figures à deux faces.
Ce type est le symbole des deux grandes divinités, des mystérieux
Cabires, le dieu Soleil et la déesse Lune. Énée apporte ce symbole
dans les montagnes du Latium; la côte orientale de l'Italie le reçoit
aussi par la mer Egée; les Étrusques l'adoptent; mais sa véritable
signification se perd, sa forme se modifie. Deux têtes d'hommes âgés,
(47) Recueil d'antiquités , II, p. 160.
(48) Ibid., IV, p. 18.
(49) Doclrina Num., VI, p. 216.
(50) Musco Pio Clem., t. VI, p. 07.
(61) De origine et usu Obeliscorum , p. 224. Cf. Pausanias, II, 38, 7.
(62) Jdeen zur Kunit-Mylhologie , I, § 263.
ARGUS BIFRONS. 317
ou bien celle d'un homme barbu associée à une tête de femme ou
bien encore deux têtes de femmes , tels sont les altérations du type
primitif.
Le symbole des têtes accouplées , ajoute le savant Allemand , a
laissé des traces de son passage d'Asie en Italie , les médailles des
villes grecques en font foi, ici sous des formes helléniques se cache
une*idée phénicienne.
Nous voudrions pouvoir reproduire les développements ingénieux
auxquels se livre- M. Lenormant (53) pour expliquer la double face
de Janus qui, selon lui, exprime le dualisme, l'antagonisme, la sta-
bilité, le mouvement; mais l'espace nous manque et, d'ailleurs, le
travail d'un antiquaire aussi judicieux qu'expéfimenté, M. Gerhard,
sur le caractère religieux des hermès (54) , peut nous servir beaucoup
plus que les remarques de M. Lenormant , toutes savantes qu'elles
sont.
M. Gerhard ne conteste point l'emploi assigné en Grèce aux hermès
par Zoéga ; mais il leur reconnaît une destination plus élevée et plus
sainte. Leur origine se rattache à la religion de Samothrace, dont la
liaison avec les mystères d'Eleusis et du reste de la Grèce est si
étroite. Cette forme, dit-il, était particulière à Hermès et même à
Bacchus qui , sous les noms de Cadmile et d'Axieros, jouent un rôle
si important dans cette religion. Plus tard, on fit usage de ce type
pour représenter les divinités que certain trait rapprochait de Mer-
cure. De là vient, ajoute le savant auteur, que l'on rencontre, sous
forme d'Hermès , un Jupiter-borne et un Jupiter infernal , dont l'ana-
logie avec Mercure, à raison des fonctions que la mythologie lui as-
signe, ne peut être un instant contestée. Un motif sembable fit ap-
pliquer la forme de Thermes aux statues de Minerve et d'Hercule,
leurs attributions les appelant à présider aux exercices des gymnases,
lesquels étaient, comme on sait, consacrés à Mercure (55).
Si ce principal objet de notre recherche était de connaître l'origine
des têtes accolées, les vues de M. Gerhard, combinées avec le système
de Zoéga, pourraient nous mettre sur la voie. Nous pensons même
en savoir assez quant à présent pour dire que nous ne sommes pas
très-loin de la vérité, en considérant un grand nombre de monuments
de ce genre comme une imitation des antiques hermès (56) , imitation
(53) Nouvelle Galet, mythol., p. 5 et suiv.
(64) De religione Hermarum, Berlin , 1845, in-4. :
(65) De religione Hermar., p. 12.
(56) Les antiquaires connaissent la double tête féminine, au revers d'un triobole
318 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
déterminée le plus souvent par quelques idées mystiques ou reli-
gieuses.
Maintenant il est temps de revenir à nos deux figures d'Argus , les
faits nouveaux que nous avons rencontrés et les instructions qui en
ressortent pouvant nous servir utilement pour les expliquer.
Il est possible que le peintre de Ruvo et celui de Bomarzo aient eu
connaissance d'une tradition sur un Argus à deux têtes, tradition
dont il n'existe plus de trace aujourd'hui. Mais en tout cas, le pas-
sage du poëme sur ^Egimius, cité plus haut, ne nous semble point
assez positif, assez précis pour faire supposer qu'il ait servi de guidé
à des artistes. D'ailleurs, ceux-ci, en général, ne s'inspiraient, ne
devaient s'inspirer que des traditions bien établies, bien populaires;
une légende douteuse , un fait mythologique en dehors des idées vul-
gaires ne donnait que très-rarement à leur pinceau l'occasion de
s'exercer.
Quand on est réduit à expliquer un monument en l'absence des
textes , on a le droit d'admettre tout ce qui ne choque point outre
mesure la raison ou le bon sens. Ainsi, on peut supposer que nos
peintres, en donnant Une double tête à Argus, aient voulu indiquer
une vigilance supérieure. Mais ceci nous semble bien abstrait, bien
métaphysique. Si cette pensée est véritablement celle de ces deux
artistes, il est assez probable qu'elle se lie à un ensemble d'idées que
nous croyons nécessaire d'exposer.
Nous avons vu c|ue l'on donnait la forme d'hermès aux divinités
qui se rapprochaient de Mercure. Or, la relation étroite entre ce dieu
et Argus laisse supposer qu'on a pu représenter le surveillant d'Io
sous cette même forme ; c'est-à-dire celle d'un hermès bicéphale.
Quel est le trait dominant d'Argus? C'est celui de surveillant, de
athénien, au type de Minerve, publié par Hunter , JVum. Populor., lib. X , 26,
et dont M. de Longpérier a donné l'explication dans la Revue numismatique.
Année 1843, p. 424. M. de Longpériei* et M. de Wilte {Élite des monum. cèram.,
p. 98), reconnaissent ici la figure d'une double Minerve, ce qui exprimerait,
selon eux, l'existence complexe de cette divinité, personnifiée tantôt sous le nom
de Pallas, tantôt sous celui d'Athénée; en un mot, l'image du dualisme féminin.
Nous croyons pouvoir donner une interprétation plus simple et plus locale de
ce type , en voyant ici un hermès bifrons de Minerve, tel qu'il s'en trouvait dans
lés gymnases : Uermathena gralum et ornamentum academiœ proprium meœ,
dit Cicéron dans une de ses lettres à Âllicus, I, 4; ce qui signifie, comme
l'explique fort bien M. Gerhard, une Minerve en forme d'Hermès, de religione
Hermarum, p. 98. Le monument du Musée Capitolin, dans lequel on a cru recon-
naître les tôles adossées de Minerve et de Mercure» n'est peut-être qu'un hermès
bifrons de Minerve. Cf. Gerhard toc. cit., p. Il*
ARGUS B1FR0NS. 319
gardien. On le considérait dans la vieille religion de l'Àrgolide comme
le JDyàovypç ou le portier du temple de Junon (57). D'un autre côté,
une des principales fonctions de Mercure , c'était également celle de
surveillant, attributions transférées, en partie, à Priape, son fils (58),
constitué par la mythologie gardien des jardins et des héritages, qu'il
protégeait sous la figure d'un hermès. Les images de Mercure étaient
placées à l'entrée des habitations afin d'arrêter la main des voleurs (59).
Ces images , du moins il y a lieu de le croire , n'étaient, le plus souvent,
que des hermès à double visage (60), exprimant ainsi une double
surveillance, celle qui s'exerçait sur l'entrée et la sortie (61).
Nous n'affirmons rien , mais il nous semble que des considérations
de cette nature ont pu agir sur l'esprit de nos artistes lorsqu'ils ont
voulu représenter Argus. Seulement, comme ils ne se trouvaient
point en Grèce mais en Italie, au lieu de placer sur les épaules de
leur Argus un hermès bicéphale , ils lui ont implanté la double tête
d'une des principales divinités de cette contrée, celle de Janus, qui
rappelle si parfaitement l'Hermès des Grecs (62). Il est certain que
le masque géminé de Janus, le gardien des portes, des murailles et
des maisons de la vieille Rome, s'applique parfaitement sur la figure
d'Argus, dont le nom seul éveille l'idée de la vigilance.
L'Argus représenté sur le vase de Bomarzo semblerait surtout
appuyer cette conjecture. Il paraît avoir été emprunté à un type de'
Janus parfaitement semblable à celui qui figure sur les monnaies de
la famille Titia.
L'Argus bifrons de Ruvo peut très-bien rentrer aussi dans la caté-
gorie des têtes de Janus. Toutefois, ce monument nous suggère la
remarque suivante : cette figure nous rappelle les Hemeracles , c'est-
(57) Voy. Panofka, Argos Panoptes, s. 34. „
(58) Hygin, FabuU, 168.
(59) Scholiast. Aristoph. in Plut., 1152.
(60) Lucien dans son Jupiter tragœdus, décrit fort nettement ces sortes d'hermès :
Afj.<srly.Yjç ^v x.cù SmpàzoiTïàç oloi elai twv 'Ep//div ivioi , Snroï xaî ccfiforépuOiv o/xoioi ,
npbç ôttots/sov av auTwv [lipoz iTZKTTpccffcy. Hemsler., II, p. 691.
(61) Ce trait particulier aux hermès, n'a point échappé à Zoéga: Nam ostiorum
pariter viarumque deos bifrontes finœerunt prisci homines , velut eœitus et in-
troilus reditusque polentes. (De usu Obeliscor., p. 224.)
(62) Zoéga, toc. cit. et M. Gerhard, de religione Êermarum, p. 21, recon-
naissent pleinement celte analogie. Le premier s'exprime ainsi : Dico Janum
Mercurio quam cuilibet alii Grœco deo similiorem esse. Quant au second,
après avoir observé que partout on rencontrait des hermès de Mercure Agorœus,
Enagonius, Chlhonius, etc., il continue ainsi : Eumque ipsum morem seculi Lalini
atque FArusci Janum simillimum Mercurio deum, solo bifronte capile trun-
coque quadrato expresserunt.
320 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à-dire les têtes conjuguées d'Hercule et de Mercure (63), comme dans
Thermes double du Vatican, ou sur les monnaies de la famille Rubria.
La massue dont est armé le bras placé du côté de la tête barbue, le
pétase qui couronne la tête imberbe, sont des particularités tout à
fait dignes de fixer l'attention. L'observation d'Eckhel (64), que le plus
souvent les hermès àdouble face cachent une allégorie, trouverait-
elle ici son application? La physionomie herculéenne donnée à Argus
serait-elle une allusion au caractère héroïque qu'il revêt dans cer-
taine partie de la légende? Le masque de Mercure, reproduit sur son
autre face, indiquerait-il l'étroite relation qui existe entre le dieu et
le gardien d'io, relation si bien exprimée par l'épithèted'ApyctcpovTyjç,
et qui indiquerait, en quelque sorte, que la personnalité d'Argus
s'absorbe dans celle de Mercure?
Cette conjecture, qui peut, par la suite, donner naissance à quel-
ques observations utdes, nous paraît assez fondée pour ne point
hésiter à la soumettre au lecteur.
Ernest Vinet.
(63) L'association des têtes d'Hercule et d'Hermès paraît avoir été assez fréquente
dans l'antiquité. A cet égard il nous suffirait de citer le passage suivant du rhéleur
Arislide : 'E/»/aou ye xat 'HpaxAéous l<srï vùv àyâi/iara xotvà. Oral, de Laud. Hercul.
p. 63.
(64) Doctrin. Num. VI, p. 216.
MEMOIRE
SUR
LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA
COMME CULTE SECRET DE VÉNUS CHEZ LES ROMAINS.
TROISIÈME PARTIE (1).
§ VI. La rédaction de ce Mémoire était complè-
tement achevée, il était même déjà imprimé en
partie , quand les matériaux de ce paragraphe et des
deux suivants sont venus à ma connaissance.
Une figure tout à fait semblable à celle que j'ai
décrite, d'après Caylus, dans le § IV, se trouve dans
le dernier ouvrage de M. l'abbé Lanci (2), pour ainsi
dire perdue au milieu des monuments arabes que
ce volume représente exclusivement. M. A. de Long-
périer m'en a communiqué l'Atlas. Le texte n'ayant
point encore paru , il m'est impossible de dire , par
quel singulier hasard cette statuette romaine fait
partie d'une planche qui , comme le dit son titre :
Da pro fumier o e da piatto in Bologna, contient un
parfumoir et un plat conservés à Bologne, l'un et
l'autre d'origine arabe. Au premier coup d'œil , cette statuette
ressemble tellement à celle reproduite par Caylus que, n'ayant
pas sous les yeux cette dernière, je crus tout d'abord qu'il s'agis-
sait peut-être d'un monument identique observé par les deux anti-
quaires. Mais on ne peut s'arrêter un seul instant à cette idée , dès
qu'on place ces deux gravures l'une à côté de l'autre. Telles sont les
différences essentielles que la comparaison fait ressortir : la figurine
(1) Voir la Revue, t. III, p. 221-233.
§ VI. (2) Michetangelo Lanci , Traltato délie simboliche rappresentanze ara-
biche. T. III. Parigi. 1845, in-4. maj. Atlante, tav- VI.
III. 21
322 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de Caylus est un amulette , muni d'une belière , et sans piédestal ;
elle tient l'index gauche seul sur les lèvres fermées, et la main droite
à l'endroit indiqué. Celle de M; Lanci , au contraire , est une statuette
sans belière , ayant les pieds plus rapprochés et posés sur une espèce de
soubassement assez semblable à celui de la figurine donnée par Pi-
gnorius, et copiée par Cuper(3),ihâis formé de deux marches carrées,
qui font croire que cette figurine était plutôt destinée à être placée
debout qu'à être" fixée cbntre lin mur. La chevelure, pluô riche, à là
jonction de l'occiput et de la nuque forme une natte semi-circu-
laire qui fèhl&hte à" quelque distancé au-dessus dttfrënt f éëtfë natte,
qu'on ne voit pas chez Caylus , rend la tête encore plus ressemblante
aux Vénus des médailles. C'est la main gauche qui a la position déjà
mentionnée; l'index et le médius droits ferment la bouche. Ce geste
du silence, plus conforme aux autres monuments figurés d'Ange -
rone , me fait soupçonner que peut-être, dans ceux de la planche 79
de Gâylus (4), le graveur a par ërfëur oilblié dé redresser le dessin.
M. Lâhci a représenté bette figuré de déiix manières ! une fois ,
comme Caylus, en face ; une seconde fois, îlôn |pàs de profil* comme
l'antiquaire français , mais Vile par derrière, ce qui permet de mieux
juger l'arrangement dfes cheveux et la posîtioh dé la main bien
plus franchement accusée. Nous avons (hit Copier cette dernière
gravure.
Voici donc quatre monuments différents où cette singulière posi-
tion dé la main d'Ahgérbné est répétée sans la moindre modification.
On eh verra encore plusieurs autres de la même nature dans le
paragraphe suivant. Cela rté prouVé4-il point que cette attitude ,
loin d'être l'effet du hasard, doit avoir une signification symbolique,
et que notre explication, quelque risquée qu'elle puisse paraître, ne
manque pas d'un certain degré de probabilité?
§ VII. M. Ràôul Roehette nous a fait connaître les planches XII
et XIII de l'ouvrage de M. Gerliard sur les miroirs étrusques (i).
Ces planches contiennent des ftionuments d'une très-haute impor-
tance pour la questioh que nous avons essayé d'élucider. Malheu-
reusement nous n'avohs ni le temps ni l'espace nécessaires pour en
parler avec d'assez grands détails, et en tirer tout le parti possible.
Nous nous contenterons donc de lès faire connaître d'une manière
(3) Voy. sect. h , § H, pi. 51 , fig. 12.
(4) Voy. § III et IV et pi. 51 , fig. 2.
§ VU. (1) Ed. Gerhard, Etruskische Spiegel. Berlin, 1839, îh-fol. p. 36 à 4C.
Pennacchische Cisla.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 323
succincte, en y ajoutant l'explication qui nous paraît la plus natu-
relle.
En 1696, dans des fouilles faites à Rome, on trouva, au milieu
d'autres antiquités, une ciste mystique, fermée de toutes parts, et
contenant de nombreux objets de petite dimension et de trois caté-
gories différentes. Ceux de la première et de la troisième catégorie
sont figurés dans la planche XII de M. Gerhard. Ce sont :
1° Une quantité considérable d'amulettes en pierre, dont un très-
grand nombre représentent le xreiç.
2° De petites images métalliques d'animatix de tous genres, réunis
par couples. Pour les grandes espèces , au moins , on pouvait mani-
festement distinguer que chaque couple se composait d'un mâle et
d'une femelle.
3° Cette catégorie , la plus remarquable de toutes , se composait
de figurines humaines, également en métal, au nombre de trente-
six (2), toutes complètement nues, isolées, ou réunies par groupes
de deux ou de trois , suivant une espèce de gradation. Nous les dé-
crivons d'après la planche de M. Gerhard.
Les figures isolées représentent les unes une femme , les autres
un homme. La femme a tantôt le bras droit pendant et appliqué
contre la cuisse droite, et le bras gauche plié dans l'articulation du
coude avec le poing fermé, attitude très-semblable à celle que nous
avons déjà vue chez une statue d'Angérone (3) , et que nous trou-
verons chez une autre encore; tantôt l'une des deux mains, la
gauche ou la droite indifféremment, appliquée sur la bouche et l'autre
à l'endroit déjà désigné , absolument comme les figurines que nous
avons décrites dans les paragraphes I , III , IV et VI de la première
section. L'homme a toujours la main droite placée sur la bouche , et
le bras gauche pendant le long du côté. Une note de M. Gerhard
nous apprend (4) qu'il existé même, parmi celles de ces images qui
seraient encore actuellement conservées au Musée de Naples, une
figure d'homme semblable en tout à celle de la femme , ayant une
des mains posée sur la bouche , l'autre par derrière.
Les groupes de deux sont formés de la même femme et d'un
homme dans une attitude un peu différente; mais presque toujours
la femme, posée sur les épaules de son compagnon, lui ferme la bou-
che et même les yeux avec les mains.
(2) Loc. cit. p. 38 , med.
(3) Sect. i , § II.
(4) P. 45 , n. 72.
324 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Enfin, dans les groupes de trois, la femme, placée au milieu des
deux hommes , soit debout , soit sur leurs épaules , leur ferme de la
même manière la bouche et l'un des yeux.
Bianchini, qui le premier a décrit ce monument excessivement
curieux et important, l'a regardé comme symbolique du déluge de
Deucalion. M. Gerhard le rapporte aux mystères bachiques. L'un et
l'autre manquaient des éléments nécessaires pour interpréter cette
représentation très-complète des mystères de Vénus Angérone bi-
sexuelle, déesse tutélaire de la ville de Rome , où la ciste a été trouvée.
C'est elle , sans aucun doute , que désigne cette femme nue. Lors-
qu'elle est accompagnée d'une figure mâle placée dans la même atti-
tude du silence , nous y voyons la déesse androgyne dans son dédou-
blement (5). Lorsqu'elle est placée entre deux hommes, elle est
entourée des Pénates ou des Castors , qui forment son symbole mysté-
rieux, et auxquels elle ferme la bouche et les yeux, pour indiquer
d'une manière sensible que rien ne doit être divulgué aux profanes
ni sur la nature de la déesse , ni sur la signification véritable et pro-
fonde du symbole. Pour mieux inculquer aux yeux et à l'esprit des
adeptes le devoir du silence le plus inviolable et la punition formi-
dable qui attendait le parjure, l'un des groupes de trois figures (6)
est placé sur le dos d'un homme mort en apparence, étendu par
terre sur le ventre , et foulé aux pieds par les trois personnages qui
composent ce groupe. N'y a-t-il pas, dans cette représentation terrible
du châtiment , de quoi expliquer les hésitations et les craintes mani-
festées par Denys d'Halicarnasse et Ovide (7), lorsqu'il s'agit de
la véritable signification des Pénates et de la divinité que le culte
de l'État défendait de nommer? Les animaux réunis par paires sont
également une allusion aux éternelles lois de la reproduction et à la
pérennité des races, attributions de Vénus-Cybèle, identique, comme
nous verrons (8) , avec Angérone. Les amulettes de la forme du xrefc
rappellent plus positivement encore Vénus.
Sur la planche XIII, M. Gerhard a réuni d'autres monuments sem-
blables , pour expliquer et confirmer son opinion ; mais ils déposent
encore mieux en faveur de la nôtre. Ces monuments figurés nous
semblent plutôt appartenir à noire troisième groupe d'images d' An-
gérone devenue mâle par son dédoublement. Néanmoins , nous les
(5) Voy. scct. m, § I , notes 4 et 5.
(6) PI. XII, fig. 10. Voy. notre pi. 51 , fig. 10.
(7) Voy. 4e partie , § 1 1 , notes 11 et 1 2.
(8) Voy.sect. n , § III.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 325
conserverons ici , afin de ne pas scinder ce que M. Gerhard a réuni
dans l'intention d'apporter une preuve de plus en faveur de son ex-
plication.
La première de ces figures (fig. 2 à 4), qui est un amulette à
belière, comme l'une des figures de Caylus (9), représente, vue de
face , un jeune garçon qui se comprime la bouche avec la main droite,
et vue par derrière, une figure à tête de lion, se couvrant de la main
droite toute la région inguinale qui correspond à la région postérieure
du jeune garçon. Cette tête , que M. Gerhard regarde comme celle de
Bacchus à tête de lion, peut très-bien rappeler le lion de Cybèle,
déesse identique avec Angérone. Cette figure rentre dans la catégorie
de celles de notre troisième section qui pouvaient donner lieu à la
confusion entre Harpocrate et Angérone.
Le second monument ( fig. 5 à 6 ) représente un hermaphrodite
qui porte dans la main gauche une figure semblable à celle que nous
venons de décrire , c'est-à-dire un jeune garçon qui tient une des
deux mains sur la bouche et l'autre du côté opposé. Vu par derrière ,
cet enfant porte une tête de lion ; mais les contours en étant moins
bien accusés, il est plus difficile de la reconnaître. Cette figure à tête
de lion se cache également toute la région inguinale avec la main.
M. Gerhard (10) cite quelques autres figures qu'il a décrites dans
le Kunstblatt (11 ). Parmi elles , il y a encore une Angérone avec une
main sur la bouche et l'autre sur la partie opposée , selon l'expression
de Caylus. Nous n'avons pas eu le temps de nous procurer cette
feuille. M. Gerhard rapporte ces figures, et même celles de Caylus
que nous avons citées dans les paragraphes III et IV, aux mystères
de Bacchus à tête de lion.
§ VIII. (PI. 51, fig. 6). Cartari (1) nous fournit encore une
curieuse figure d' Angérone. Les images que cet auteur donne des
divinités anciennes semblent, pour la plupart, non pas des copies
fidèles ou même approximatives de monuments antiques , mais des
compositions arbitraires faites seulement d'après les descriptions des
anciens. Je n'aurais donc attaché nulle importance à' la représenta-
tion d'Angérone que je reproduis, si elle n'offrait quelques particu-
larités non mentionnées par les auteurs et, sous certains rapports,
(9) Voy. sect.i,§IV.
(10) P. 41, n. 40-42.
(11) Année 1827, p. 349.
§ VIII. (1) Vincenzo Cartari, Leimagini dei Dei degli antichi.Ed. II. Venetia,
1680, in-4, p. 373 et suiv.
326 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
une grande analogie avec plusieurs monuments figurés que j'ai déjà
décrits. Ces circonstances me font présumer qu'ici , par exception ,
Cartari a copié un monument perdu depuis, ou du moins non men-
tionné par aucun antiquaire.
La statue d'Angcronia qu'il a fait graver est conforme par sa che-
velure à plusieurs de celles qui , telles que nos figures 1-3 , pi. 51 ,
ont déjà été passées en revue dans notre mémoire. La draperie et la
manière dont la tunique est, pour ainsi dire, suspendue aux seins
fermes et parfaitement modelés , se rapportent assez exactement à ce
qui se voit dans les statues que donnent Caylus et Montfaucon (2).
La position des bras est, à peu près, celle que l'on trouve chez
plusieurs des figurines découvertes dans la ciste mystique, et que
M. Gerhard a représentées (3). Toutes ces circonstances ne peuvent
être fortuites ni inventées à plaisir par Cartari ; on y reconnaît mani-
festement une copie fidèle d'un monument dont cet antiquaire a eu
connaissance.
La bouche, au lieu d'être fermée avec le doigt, est entourée d'une
bande et scellée d'un cachet , d'après les paroles déjà citées de Pline ,
Sol in et Macrobe : Ore obllgato obsignaloque simulacrum habet ,
prœnexo obsignaloque ore simulacrum habet , simulacrum ore obligato
atque signatoin ara Volupiœ collocatum (4). Ce bandeau, après avoir
ceint la bouche et la partie correspondante de la tête , s'enroule une
seconde fois autour du cou, sans doute pour faire allusion aux mots
angere et angina (5). Personne, parmi les anciens, n'a signalé cette
bande enveloppant le cou ; il faut donc que Cartari l'ait copiée sur un
monument réel. Aussi ajoute-t-il qu'il regarde cette bande qui
serre le cou comme une allusion à l'épidémie d'angine, dont quelques
auteurs font dériver le nom de la déesse (6) : Il maie délia squi-
lantia chiamata angina da' Latini... E per questo for se il suo simu-
lacro haveva qualche panno intorno al collo , che gli legava anco la
bocca.
Peut-être que cette curieuse statue, dans laquelle on reconnaît
encore, quant au port et è la draperie, une certaine analogie avec
Vénus, existe en Italie, et qu'elle se retrouvera, lorsqu'on y aura
dirigé l'attention des connaisseurs.
(2) Voy. troisième partie, sect. i , § II, et notre pi. 51, fi*, 5.
(3) Voy. le § précédent, note 3, et l'ouvrage cité de M. Gerhard, pi, XJf , ûg. 7.
(4) Voy. Revue archéologique , 2e année, p. 635 eUuiv,
(5) Voy. Revue Archéologique, 2» année , p. t>36 , deuxième alinéa , et p. 639 ,
à la fin du premier alinéa.
(6) P. 374.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES AINGERONALIA. 327
DEUXIÈME SECTION.
Images d' Angérone figurées avec un ou plusieurs attributs de Vénus
ou de Cybèle.
§L (PL 51, fig. 13). Nous avons déjà parlé (i) dune statuette
de jeune fille figurant Angérone et publiée par Cavlus. Goropius (2)
en donne une autre que Cuper (3) a copiée. Ni l'un ni l'autre n'a
décrit ou expliqué cette image, qu'ils regardent comme celle d'Har-
pocrate. Une jeune fille assise se comprime les lèvres fermées avec
l'index droit. La draperie de sa tunique ressemble un peu à celle
décrite dans le § H de la première section. Parmi ses attributs se
trouvent le carquois et l'arc qui rappellent l'Amour et, indirecte-
ment, sa mère. Trois têtes de pavot, placées dans sa main gauche,
indiquent la fécondité dont ils étaient le symbole (4), et, par consé-
quent, Venus Genitrix. Dans sa chevelure, magnifique comme celle
de Vénus, se trouvent, en guise de diadème, le serpent et le crois-
sant de la lune , autres symboles de cette divinité (5). Dans la même
main, elle tient un flambeau allumé qui peut faire allusion à celui
de l'hyménée, et qui se trouve d'ailleurs parmi les emblèmes d'Aphro-
dite (6). Le coq, placé à côté de la déesse et sous son bras gauche,
"indique la virilîlé, dont les attributs se trouvaient également dans
les images de cette antique Vénus androgyne. Le hibou , oiseau de
Luna, semble encore se rapporter au croissant, et, par ce symbole,
à Vénus. Le coq, le flambeau et les pavots, dans leur réunion,
peuvent encore servir à rappeler qu'Aphrodite préside à l'amour légi-
time , dont le but est la fécondité.
On pourrait aussi voir dans le croissant, Tare, le carquois, et même
dans le flambeau, les attributs de Diane, et dans le hibou, l'emblème
de Minerve. Cette image deviendrait ainsi celle d'une Angérone
$ I. (1) Sect. i , § Vf.
(2) Jo. Goropii Becani Opéra, etc. Antverp. 1580, in-fol. Hieroglyphicor.
1ib. IV, p. 49.
(3) Gisb. Cuperi Harpeerates. Traj. ad-Rhen. 1687, in-4, p. 154.
(4) Euseb. Prœpar. Evang. HI, il, p. 66. Lutet. 1544, in-fol. M>5xwveç -nfe
TTo/uyovtaç riytCoÀov. Vénus cbez Maffei (G'emm. ant. fig. P. III, t. 3), et Cybèle
chez Monlfancon ( Ant. expl. t. I , première partie , pi. 8, fig. 10) tiennent chacune
deux pavots à la main. Pausanias aussi (II, c. x, 4) décrit une statue d'Aphrodite
qui porte une tète de pavot dans l'une des mains.
(5) Lajard, Mèm. sur la Venus Androgyne, loc. cit., p. 165 , 169 , 177.
(6) Vénus porte un flambeau dans beaucoup de monuments antiques, comme,
par exemple , chez Maffei , Gemm. ant. fig. II, 74 ; HI , 2 et 9.
328 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
panthée; sa destination serait, de mettre en évidence les rapports
qui, dans le polythéisme romain, existaient entre Vénus et les diffé-
rentes divinités qu'on y substituait, et qui, pour les initiés, lui
étaient identiques. C'est un point sur lequel nous ne pouvons ici nous
étendre davantage , attendu que nous l'avons développé dans le cha-
pitre vin de la deuxième partie. Nous aurons occasion de faire une
remarque analogue à propos de la figure 11 qui fait le sujet du
troisième paragraphe de la présente section.
Quant à l'espèce de fleur de lotus que la déesse, ainsi que le hibou,
porte sur la tête , et qu'on voit si souvent sur les images d'Harpo-
crate , elle est évidemment empruntée à ce dieu. Néanmoins, ce n'est
pas là une raison suffisante pour voir, avec Goropius et Cuper, Har-
pocrate dans la figure qui nous occupe. Plus la signification d'An-
geronia était obscure et incomprise des Romains mêmes, plus ceux-ci
pouvaient la confondre avec ce dieu égyptien , alors que son culte
commençait à s'étendre parmi eux, ce qui semble avoir eu lieu de
bonne heure (7). 11 n'y a donc rien d'étonnant, s'ils ajoutaient par-
fois aux attributs d'Angérone quelques-uns de ceux du dieu du
silence.
Cette statuette , en bronze, semble avoir été trouvée en Italie (8).
Sur un Abraxas , reproduit par Maffei (9) , on voit la réunion de
tous les emblèmes dont l'Angeronia que nous venons de décrire est
entourée; mais il y en est encore ajouté plusieurs autres qui appar-
tiennent également à Vénus, tels que le dauphin , le lièvre, la palme,
le bélier et, en outre, une tête d'homme, que Maffei regarde, nous
ne savons pourquoi, comme celle de Sérapis. L'explication de cette
tête se trouvera peut-être dans le profil d'une autre tête d'homme
qu'on voit tracée sur le bouclier de Venus Victrix chez Morel (10) , à
moins que ce profil ne soit l'effet d'une erreur du graveur, puisque
dans la description de cette médaille le numismatiste cité n'en fait
aucune mention.
Un clypeus que de La Chausse (il) a fait graver, porte aussi une
(7) Piin. H. IV. XXXIII, 12, éd. Bipont. Jam yero etiam Harpocratem, statuas-
que iEgypliorum numinum , in digitis viri quoque portare incipiunt-
(8) Gorop. loc. Laud., p. 48, infrà. « Priorem imaginem Pigbius, curiosissimus
« Romae veteris explorator, et plurimorum mibi per totura Latium priscae mémorise
« vestigiorum prœmonstrator, se fatelur a Pyrrho Lïgorio , Neapolitano , diligen-
« tissimo item antiquario, accepisse. » Voici à quoi se réduit, mot pour mot , tout
ce que Goropius nous apprend sur cette intéressante figure.
(9) Gemm. ant. fig. II , 20.
(10) Julia,t. 4., vi.
(il) Roman. Muséum, 1. 1 , seul. î, lab. G4.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 329
figure humaine semblable; cet antiquaire la regarde, sans en indi-
quer aucune raison, comme celle de la Sagesse (Sapientia). Nous
croyons qu'on doit bien plutôt y reconnaître la tête de Venus Victrix.
§ II. (PL 51, fig. 12). Chez Cuper (1) on voit une figure fémi-
nine qu'il ne décrit ni n'explique, et qui, par sa nudité, a les plus
grands rapports avec celles dont nous avons déjà rapporté la descrip-
tion. De la main droite, élevée au-dessus des seins, elle tient une
spatule assez longue avec laquelle elle se comprime les lèvres fermées.
Dans le bras gauche elle porte une corne d'abondance, symbole que
nous trouvons très-fréquemment sur les images de Vénus (2). Sur
la partie postérieure de la tète, elle a une espèce de coiffure qui res-
semble assez à un bonnet phrygien. Cet attribut, qui , sur des mon-
naies (3), est quelquefois placé à côté de la tête de Vénus, a été
interprété d'une manière trop exclusive comme le signe de la li-
berté (4). Toutefois, dans la gravure originale de Pignorius, fort
mal dessinée à la vérité , cette coiffure ressemble davantage à la fleur
de lotus, telle qu'on la voit fréquemment sur la tête d'Harpocrate.
La statuette est posée sur un petit socle plus étroit en bas qu'en
haut , d'après la forme duquel on peut croire qu'elle était destinée à
être fixée contre un mur.
Cuper donne de cette figure une gravure assez bien faite, et qui
représente très-manifestement une femme. Il dit l'avoir empruntée à
Pignorius, dans l'un des ouvrages duquel j'ai réussi, après beaucoup
de recherches, à découvrir l'original (5); il est fort mal gravé, et
ressemble plutôt à un homme qu'à une femme. Il en est de même de
la spatule que Cuper a fait dessiner si nettement , et qu'il déclare
sans hésitation pour cet instrument. Chez Pignorius , elle n'est pas
reconnaissable , et pourrait fort bien être regardée comme un doigt
allongé et mal fait. Comme dans le texte de Pignorius on ne trouve
pas un seul mot d'explication , il serait possible que l'auteur de l'Har-
pocrate se fût servi d'une autre édition , dans laquelle une gravure
en traits plus nets lui eût permis de reconnaître positivement des
formes féminines.
En tout cas , dans l'état actuel des choses , j'ai dû maintenir cette
§ II. (1) Harpocralès. Traj. ad Rhen. 1687, in-4, p. 28.
(2) Voy. sect. ii, § III, note 20.
(3) Voy. sect. ii, § III , note 13.
(4) Voy. sect. n, § III, note 18.,
(5) Laur. Pignorius, Fetustissimœ tabulœ œneœ sacris /Egyptiorumsimulacris
cœlalœ explicatif). Venet., 1605 , in-4. (PI. II, dernière figure.)
330 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
image dans cette section, sauf à la reléguer dans la troisième, ou
à la regarder comme un Harpocrate , si j'arrive à trouver une autre
édition de Pignorius qui ne laisse plus aucun doute à ce sujet.
§ IIL (PL 51 , fig. 11.) Cette figureaété publiée par JWa#èî(l),
d'après une carnéole gravée , et reproduite par Montfaucon (2). C'est
une femme qui place l'index de la main droite sur la bouche fermée ;
elle est revêtue d'une tunique très-lâche et sans ceinture, absolu-
ment comme l'une de celles déjà décrites (3). Maflei y voit « Harpo-
crate, ou bien un signe panthée. » Elle a sur la tête un boisseau et
un voile; selon l'antiquaire que nous venons de nommer, l'un dé-
signe Osiris, et l'autre Isis. «Elle pourrait, » dit Montfaucon,
« être prise pour Harpocrate, si elle n'avait pas la figure et l'habit
de femme. » Tous les deux déclarent les autres emblèmes pour la
massue d'Hercule et les bonnets de Castor et Pollux avec les étoiles
au-dessus.
Pour moi, je ne puis m'empêcher de voir dans cette curieuse
figure une statue destinée à rappeler l'identité entre Angérone, Ve-
nus Genitrix et Cybèle. Le culte de ces deux dernières tirait également
son origine de l'Asie Mineure. Ce que Maffei et Montfaucon re-
gardent comme le modius, n'est peut-être qu'une forme particu-
lière de la tour qui, avec le voile, forme l'attribut principal de
Cybèle. De même que Venus Genitrix , Cybèle est le symbole^de la
fécondité et de la perpétuité dans la création. Aussi la nommait-on
la Mère de toutes choses , Magna Mater. L'idée de la procréation
chez elle s'étend même aux dieux : elle est la Mère des dieux, Mater
deorum, ce qui en fait naturellement une divinité panthée , et pour-
rait, à la rigueur, expliquer la multiplicité des emblèmes réunis dans
cette pierre gravée. C'est sans doute à cause de son identité avec Ja
déesse , sous la protection directe de laquelle Rome et ses destinées
étaient placées , que les Romains attachaient un si grand prix à la
possession de son image conservée à Pessinunte, et que plus tard ils
la confondirent dans le culte mystérieux d'Angeronia Venus Geni-
trix. C'est donc, selon nous, une Angérone-Cybèle que représente
cette statue. Dans la massue, attribut ordinaire d'Hercule et devenu
l'insigne de la force , nous voyons une allusion à l'étymologie grecque
qu'on a assignée au nom de Rome ( Pwpj, Force, Puissance), qui l'a
fait traduire par Valentia. Nous croyons devoir lui donner le même
£ JH. (i) Gemm, «ni. fig., parte M , U07, tay m
(2) Antiq. expL, t. \, 2e partie, pi, 213, p. 359, IV.
(3) Voy. ci-dessus, sect. I, § II, et pi. 61, fig. 5.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 331
sens dans plusieurs médailles romaines. C'est ainsi que la massue
seule se trouve figurée sur le revers de monnaies de César (4) et de
Cn. Domitius (5). Cette allusion devient plus manifeste dans une au-
tre médaille (6), où, directement au-dessous de la massue, on lit le
mot Roma. On m'objectera peut-être que sur la face de cette der-
nière médaille se trouve la tête d'Hercule ; mais Hercule lui-même,
par suite du polythéisme, sous lequel les Romains déguisaient Vé-
nus , la déesse tutélaire de leur race, de leur ville et de leur empire,
ne sert ici qu'à remplacer Venus Dea Roma. C'est ainsi qu'on voit
son image sur d'autres monnaies associée tantôt à celle de la Déesse
Rome (7), tantôt à celles des Pénates (8), symbole de Vénus (9). Le
mot Roma, regardé par les numismatistes comme indiquant tout
simplement qu'une monnaie a été frappée à Rome, me semble
cacher le plus souvent un sens plus profond , et désigner que le si-
mulacre de la divinité , au-dessous duquel il se trouve , est le symbole
de Venus Dea Roma. A l'appui de l'explication que nous avons
donnée de la massue comme personnification de Rome et de sa déesse
tutélaire , nous trouvons une pierre gravée chez Maffei (10) , sur la-
quelle est figurée une massue avec deux palmes, un caducée et deux
épis, tous attributs de Vénus. ,
Les deux emblèmes, placés au-dessus et des deux côtés de cette
Angérone-Cybèle , peuvent être deux bonnets phrygiens destinés à
rappeler Attys son favori, et surmontés d'une double étoile de Vé-
nus que nous avons également vue double au-dessus de l'autel de
cette déesse (il). Mais rien ne s'oppose à les regarder comme les
chapeaux et les étoiles des Dioscures qui , eux-mêmes, sont un des
symboles du culte de Vénus. On trouve également au-dessus d'un
Amour, dans une pierre gravée (12), dont Maffei a en vain essayé de
(4) Cornelia, Morell. t, 6, iv, Riccio, 9, ». 38.
(5) Curlia, M. IV, R. 2.
(6) Opeimia, M. II, R. suppl. 2.
(7) Acilia3M. I I,v, R. 5. ^
(8) Anlia,M. II, R. 2.
(9) Voy. p. 232, note 17.
(10; Gemm. ant. fig., IV, 82.
(il) Voy. la Revue Archéologique , 2e année, au bas de la p. $41. Ce que bous
avons dit, dans ce passage cilé, des deux étoiles de Vénus et, à la même page, de
ses deux colombes placées sur une monnaie de Marc-Antoine, est confirmé par
plusieurs médailles grecques de Gypre, où ces étoiles et ces oiseaux figurent au-
dessus de la pierre conique qui représente symboliquement Apbrodite- Voy. La-
jard, Mèm. sur la Vénus androgyne, loc. cit., p. 203, et pi. IV, n°8 10, il et 12.
(12) Maffei, Gemm, ant. fig., III, 14.
332 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
donner l'explication , ces bonnets surmontés des étoiles; preuve nou-
velle qu'il existait une étroite corrélation entre les Dioscures et la
déesse de l'amour, et que c'est elle que cette coiffure doit désigner
dans la figure d'Angérone dont il s'agit ici.
Je ne doute nullement que les deux étoiles de Vénus , mentionnées
dans la note 11 de la page précédente, ne soient une des causes
principales pour laquelle les Dioscures ont été si souvent substitués
à Vénus dans le système monétaire et religieux des Romains , et pour
laquelle ici nous trouvons leurs attributs sur l'image d'Angérone-Cy-
bèle. Cela était d'autant plus naturel que le pileus de Castor et Pollux
ressemble parfaitement au bonnet phrygien qui désignait primitive-
ment Attys, chéri par Cybèle. Ce bonnet phrygien a été conservé,
sur certaines médailles romaines, à Venus Genitrix, à cause des rap-
ports qui existent entre elle et Adonis d'un côté, et Cybèle et Attys
d'autre part. Bien que le pileus soit aussi un emblème de la liberté,
les numismatistes, selon moi, n'ont pas tout à fait raison de lui don-
ner cette signification constante et exclusive. C'est ainsi, par exem-
ple , qu'un denier romain , fort curieux et inexpliqué jusqu'ici (13) ,
porte une tête absolument semblable à celle de Venus Genitrix pla-
cée sur d'autres monnaies, et ayant à côté d'elle le bonnet phrygien.
Sur le revers on voit, dans une couronne de myrte et sous les deux
bonnets étoiles, un enfant ailé monté sur une chèvre. L'exergue est
occupé par un thyrse. Dans cette tête, regardée jusqu'ici comme
celle de la Liberté, je crois reconnaître Venus Genitrix, syno-
nyme de Cybèle dans la religion intime des Romains. Il me semble
impossible d'expliquer les emblèmes du revers autrement que par
une allusion aux mystères de Vénus, dans lesquels les Dioscures
étaient le symbole visible de cette déesse. Celle-ci est encore révélée
ici par son fils, l'Amour, par le myrte, son arbre sacré, par le thyrse,
qu'elle porte également dans d'autres monuments de l'antiquité (14),
et, enfin , par la chèvre. Cette dernière est celle de la nymphe Amal-
thea (15); elle-même est appelée Amalthea par quelques auteurs (16).
Elle a fourni la corne d'abondance, un des attributs les plus fréquents
de Vénus (17). Dans une gravure sur pierre, publiée par Maffei (l 8),
(13) Morell. Fonteia, D.
(14) Maffei, Gemm. ant. flg., III, 8.
(15) Ovid. Fast. V, 115-128.
(16) Apollodor. I, 1, s. 7. Hygin. Astron. II, 13, p. 448, éd. Staveren. Muncker
sur Hygin, p. 300, 12.
(17) Voy.note20.
(18) Gemm. ant. flg., III , 66.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 333
qu'il regarde comme représentant la Liberté, nous croyons aussi
reconnaître une Venus Victrix caractérisée par le sceptre, le bonnet
phrygien et la palme. Comment, en effet, appliquer ce dernier em-
blème à la Liberté? Quant aux rapports mystérieux qui existaient
entre les Pénates , c'est-à-dire entre Castor et Pollux , comme sym-
bole, et Vénus, déesse tutélaire de Rome, nous les avons exposés
tout au long dans le chapitre I de la seconde partie de ce Mémoire.
Ce que nous venons de dire nous semble suffisant pour expliquer la
figure d'Angérone-Cybèle, publiée par Maffei, et pour attirer l'atten-
tion des archéologues sur ce point capital de la religion des Ro-
mains.
Au sujet de la multiplicité des emblèmes, on peut encore com-
parer deux statues représentées par de La Chausse (19), que cet au-
teur considère comme des signes panthées , opinion analogue à celle
de Maffei sur la figure d'Angérone que nous venons de décrire. Pour
nous, ces images, sous le rapport des attributs essentiels (les ailes,
le casque, la cuirasse), ne sont que des figures de Venus Victrix,
désignée en même temps comme Venus Félix par la corne d'abon-
dance et le gouvernail. La corne d'abondance, symbole de la fécon-
dité , est fréquemment attribuée à Vénus , même quand elle prend la
forme de Venus Victrix (20). Le carquois de l'Amour est encore
ajouté pour désigner Aphrodite. Si, dans l'une de ces deux figures,
il fallait absolument reconnaître les attributs de quelques autres
dieux, cela s'expliquerait par l'analogie qui existe entre Venus Ge~
nitrix et la Mère des dieux, et entre celle-ci et Isis ; car il ne
faut pas oublier la grande extension que l'adoration des divinités
égyptiennes avait prise chez les Romains à une certaine époque , ce
qui leur fit souvent réunir les emblèmes de ces dieux à ceux de leurs
dieux indigènes, comme nous le verrons encore pour Harpocrate et
Angérone. Lorsqu'il s'agissait d'Angérone ou de la Déesse Rome,
une pareille confusion devait être d'autant plus facile de la part des
Romains que leurs prêtres avaient pris à tâche d'envelopper de l'ob-
(19) Roman. Mus., sect. II, tab. 31 et 32. t
(20) Comparez entre elles, et avec Maffei Gemm. ant. fig. II, 75 , les médailles
suivantes: Carisia, Morell. VI;Riccio, 1, 2. Considia , R. 9. Julia , M. t. 1,
VIII; R. 6. M. t. 1, VII, N; R. 7; M. t. 4, A ; M. t. 7, H ; R. 75. Lwia, M. III;
R. 2. Mœcilia, M. B, C; R. t. Mussidia, M. VI, F, G; R. 1. Oppia, M.
I, A, B; R. 2. (Ici Venus Victrix, en place de la corne d'abondance, tient une
patère remplie de fruits, comme Isis chez Jac. Oisel. Thesaur. numism., t. 47,
n. 5.) Sempronia , M. V; R. 9. Tullia, R. 3.
334 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
scurité la plus profonde le culte de ces divinités , et qu'en effet, dans
ledr polythéisme systématique, Isis elle-même (21) était la per-
sonnification des grandes forces créatrices de la nature et regardée
comme une divinité analogue à Vénus et à Cybèle.
La coiffure de cette Angérone que nous avons mise sous les yeux
de nos lecteurs (fig. 11 ) pourrait, à la rigueur, être aussi bien celle
d'Isis que celle de Cybèle. D'après ce qui vient d'être dit, cela ne pro-
duirait pas un changement bien essentiel dans le sens intime de
cette figure.
(21) Voy. sect. m\ § I , n. 6, et 4e partie, § II, n. 9 b. Comparez p. 333 , à la fin
de la n. 20.
SlCHEL, I). M.
( La laite et fin du prochain numéro.)
NOTE
SUR
LA DÉCOUVERTE D'UNE TÊTE DE PHIDIAS
A LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE.
Un Mémoire de M. Mérimée , inséré dans le Reçue, t. I, p. 832 et
suiv., décrit l'heureuse découverte faite à Venise, par M. le comte
de Laborde, d une tète de déesse provenant du fronton du Parthénon.
Une découverte du même genre , et plus inattendue encore , vient
d'être faite à la Bibliothèque royale.
En déblayant une cave de cet établissement, on a trouvé, au milieu
de débris de peu de valeur, une tête colossale de femme, ayant de
hauteur 0m,26; de largeur 0m,17. Le nez est cassé; et la cassure
régulière, ainsi que le trou pratiqué au milieu pour recevoir un
tenon, annoncent qu'on a eu, à une époque quelconque, l'intention
de le restaurer.
L'un des conservateurs du Cabinet des Antiques, M. Ch. Lenor-
mant, dont on connaît le goût et l'œil exercé, frappé du style
grandiose de cette tête, en marbre pentélique, n'a pas hésité à y
reconnaître la plus grande analogie avec ce qui reste des sculptures
du tympan du Parthénon; la dimension colossale > qui correspond à
celle des autres figures, était encore une preuve à l'appui de son
hypothèse. Tout lui parut donc se réunir pour établir que ce débris
précieux de sculpture provenait d'une des statues jadis placées dans
le tympan du Parthénon.
VI1 eut alors l'idée de consulter le dessin de Carey, fait par les ordres
de Nointel en 1674 , treize ans avant le bombardement de Morosini ,
en 1687. Il reconnut facilement, sur ce dessin, à quelle figure cette
tête doit avoir appartenu. Le sexe de la figure , son attitude , le mou-
vement de sa tète rendent l'identité à peu près certaine. On explique
même par là, d'une manière très- satisfaisante, une circonstance
qui, au premier abord, semblait être Une grave objection.
On sait que les statues des frontons grecs sont entièrement de ronde
bosse, et aussi terminées derrière que devant. Or, cette tête n'est pas
finie à la partie postérieure , le marbre n'y est pas même dégrossi ;
336 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le derrière de tête manque absolument et a toujours manqué ; mais
M. Lenormant remarque très à propos que la figure , à laquelle il
la rapporte, est mise au second plan dans le dessin du fronton; or,
comme la saillie du tympan était limitée, il fallait de deux choses
l'une, ou qu'une figure ainsi placée ne fût pas, en totalité, de
ronde bosse, ou qu'on entaillât le nu du mur, ce qui n'était guère
possible.
Cette circonstance même est donc favorable à l'hypothèse de
M. Lenormant, qui l'a exposée, vendredi 31 juillet, à l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres , dans une note développée,
dont celle-ci n'est qu'un extrait, fait d'après une simple audition.
Il paraît qu'à cette heure toute tradition est perdue sur l'époque
où cette tête a pu entrer au Cabinet des Antiques. Cependant il est
DECOUVERTE DUNE TETE DE PHIDIAS. 337
possible que des recherches ultérieures fassent connaître par quelle
route ce précieux débris a passé, pour arriver d'Athènes à Paris.
Mais, en attendant, l'origine attique ne nous semble pas douteuse.
C'est une découverte qui fera beaucoup d'honneur à la sagacité
de M. Lenormant.
Nous publions le trait ci-joint , sans autre prétention que de plaire,
aux lecteurs de la Revue , en leur offrant un modeste croquis de ce
beau reste de la sculpture athénienne. Cette tête mérite certainement
d'être reproduite par un très-habile crayon ; et nous avons lieu d'es-
pérer que l'auteur de cette heureuse découverte , en publiant le Mé-
moire où il l'a exposée , y joindra un dessin digne du modèle.
m. 22
MIROIR ARABE A FIGURES
PL. XLVIIÏ.
L'usage des miroirs de métal remonte à une haute antiquité, et les
ustensiles de cette nature qui ont été mis au jour par les fouilles pra-
tiquées en Étrurie ont, depuis quelques années, été le sujet de nom-
breux mémoires archéologiques et même d'ouvrages considérables.
Parmi les monuments de cette classe découverts en Italie, il ne s'en
est trouvé qu'un très-petit nombre qui fussent ornés de figures en
relief; presque tous sont gravés au simple trait. Les miroirs orien-
taux au contraire sont presque toujours ornés de reliefs assez sail-
lants; mais, à cette différence près, la forme générale, les dimen-
sions et le métal établissent une relation frappante entre les miroirs
étrusques et ceux que les musulmans de la Mésopotamie fabriquèrent
au moyen ège en se conformant très-vraisemblablement au modèle
adopté dans cette contrée depuis la haute antiquité. M. Micali a
publié (1) un miroir étrusque sur lequel on remarque une bordure
ornée d'animaux qui se poursuivent et se combattent; il est extrê-
mement intéressant de retrouver cette particularité dans le miroir
arabe que cette notice a pour but de décrire. Déjà nous avons eu
occasion de parler de ces rangées processionnelles d'animaux em-
ployées par les artistes arabes (2), et de rappeler qu'elles forment le
motif principal de décoration pour tous ces vases de fabrique ar-
chaïque que l'on recueille dans l'archipel grec, dans les plus anciennes
sépultures de l'Italie et qui sont depuis quelques années désignés par
le nom de tyrrhéno-phéniciens.
Le miroir, dont M. Prisse a rapporté d'Alexandrie une fort bonne
empreinte et que la planche 48 reproduit en demi-grandeur, porte
au centre un cavalier coiffé d'un turban , en costume de chasse ,
tenant sur le poing gauche un oiseau de vol ; à ses côtés est un chien
et dans un plan éloigné on voit fuir un lièvre. Autour de ce médail-
lon est une zone chargée de dix animaux; deux lièvres, deux re-
nards, une biche, une panthère, un lion , une lionne et deux anti-
(1) Sloria degli ant.pop. Italiani, tav. XLIX.
(-2) Revue Archèoioq., t. 1 , 1844 , p. 544. Voy. aussi 1845 , p. 777.
MIROIR ARABE A FIGURES. 339
lopes. Vient ensuite une seconde zone qui borde le miroir et sur
laquelle on lit en beaux caractères, élégamment tracés :
*jiljJtj kbLJtj à*JÎjJ| ibLauJlj SJULàJl ioJtJlj fjJjJt Lxj|
C'est-à-dire : Gloire perpétuelle et félicité complète, prospérité con-
tinuelle, salut, santé, bonheur toujours renouvelé à son possesseur.
Le sens de cette légende n'a rien qui nous fixe sur l'âge du miroir;
toute cette phrase ressemble à celle que l'on connaît sur la coupe de
Fajio qui représente aussi des chasseurs (1). Ici cependant il existe
une petite difficulté de lecture. Après le mot *J&**m vient un groupe
de caractères >4! que je considère comme le commencement du
mot 'if^i\ répété par inadvertance ou plutôt pour remplir la bor-
dure; on pourrait lire ce mot *4t entier, parfait , mais il serait in-
concevable que la terminaison de cet adjectif ne s'accordât pas avec
celle du substantif qui précède. Je crois qu'il est assez naturel de
penser qu'un ouvrier auquel on avait donné à graver un certain
nombre de mots et qui n'était pas assez lettré pour allonger la phrase,
aura redoublé une portion de mot pour remplir l'espace libre, et que
s'il a choisi un mot dans l'intérieur de l'inscription et non pas répété
celui qui la termine , c'était pour que son expédient fût moins re-
marqué.
Le style de ce miroir, la forme des lettres qui composent la
légende , se rapportent au XIIIe siècle. A cette époque on fabriquait
dans la Mésopotamie des ustensiles de cuivre, ce qui résulte non-
seulement de la mention du nom de Mouçoul sur des vases de ce
métal (2), mais d'un passage d'Ibn Saïd, recueilli par M. Reinaud.
Il existe dans cette partie de l'Asie des mines de cuivre très-impor-
tantes à l'exploitation desquelles on peut attribuer l'émission de cette
quantité considérable de monnaies de grand module que frappèrent
les Ortokides et les Atabegs des XIIe et XIIIe siècles. Aujourd'hui
encore on remarque à Diarbekr, près de la porte de Mardin , un
fourneau où l'on épure le cuivre qui provient de la mine d'Argana
(1) Revue Archèol, t. 1 , 1844 , p. 54 i.
(2) Reinaud , Monum, arab. du cabinet de M. le duc de Blacas , t, II , p. 424.
340 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Maden ; et à Tokat on fabrique des ustensiles de cuivre qui sont
expédiés en Syrie et en Egypte.
Dans les Mille et une Nuits et même dans la chronique d'Abou'l-
féda, il est question d'une étoffe nommée ^J^^yo qui a plus dune
fois embarrassé les commentateurs. M. Reinaud en examinant ce
nom, qui exprime l'action des animaux sauvages qui se poursuivent,
a pensé qu'il se rapportait à des étoffes ornées de sujets analogues
à ceux que représente ce miroir. Il est constant que sous l'influence
des hordes turques qui, au temps des Croisades, avaient envahi
l'empire des Khalifs, les musulmans se laissèrent aller à retracer des -
figures d'êtres animés, non -seulement composés ou imaginaires
comme la jument du prophète, mais aussi tels que la nature en
produit, ce qui est manifestement contraire à la doctrine du Coran.
M. Maury, dans la savante notice d'un miroir magique qu'il a
donnée dans cette Revue (voy. plus haut, p. 169 ), a fait observer
que le mot £a^ qui se lit sur ce bizarre monument des sciences
occultes, figure parmi les lettres milésiennes, au nombre desquelles
je remarque aussi Bsc5u qui n'a aucune signification en grec et qu'il
me sera peut-être permis de rapprocher de ^j^ , bedouh, mot qui
n'appartient pas aux idiomes sémitiques et qui se trouve cependant
inscrit sur les monuments magiques ou astrologiques des Arabes. Je
sais que ce mot bedouh a été expliqué de différentes façons par les
musulmans; les uns y voient le nom d'un patriarche, les autres une
progression arithmétique douée d'un sens mystique ; mais en pareil
cas il n'est pas interdit de se défier de l'érudition orientale.
Adrien de Longpébier.
DES ESTAMPAGES EN PAPIER
ET DE LEUR REPRODUCTION EN PLATRE.
On est parvenu, depuis quelques années, à reproduire les an-
ciennes inscriptions au moyen d'estampages en papier faits dans le
creux ou sur le relief de la pierre même.
Ces fac-similé ont, sur les meilleurs dessins, un avantage incon-
testable , en ce sens qu'ils n'altèrent en rien les caractères du styie
qui sont souvent, faute de dates, une indication presque certaine
pour déterminer l'époque à laquelle appartient tel ou tel monument.
Le papier estampé a l'apparence d'un plâtre ; malheureusement il
a peu de consistance, et s'altère aisément par le fripage et l'humi-
dité. C'est pourquoi tous ceux qui s'occupent d'art et d'antiquités
apprendront probablement avec plaisir que ces fragiles empreintes,
seul bagage archéologique que les voyageurs rapportent facilement
de pays éloignés , peuvent aujourd'hui se reproduire en plâtre ou en
stuc, grâce à un procédé fort ingénieux d'un de nos meilleurs artistes,
M. Achille Dévéria.
On a, depuis longtemps, publié la manière d'obtenir ces estam-
pages en papier; mais comme ce procédé simple et expéditif est en-
core fort peu connu, et qu'il peut être employé avec succès par tous
les voyageurs , nous allons l'indiquer en peu de mots.
On choisit pour ces estampages du papier peu collé, du papier
d'imprimerie, par exemple, assez mince pour les petites inscriptions,
mais fort et épais pour les bas-reliefs et les grands monuments ; on
l'imbibe d'eau avec une éponge ou en le plaçant entre des linges
mouillés, puis on l'applique sur l'inscription qu'on a soin de bien
nettoyer auparavant. On presse ensuite légèrement ce papier sur la
pierre avec un tampon de linge bien sec, et on le bat avec une brosse
dont les poils sont assez longs sans être trop flexibles, pour que les
moindres détails du monument soient reproduits d'une manière satis-
faisante. Si la brosse venait à plucher le papier, on le tamponne de
nouveau avec le linge sec, ou bien si, par la profondeur des carac-
tères ou le relief des figures il venait à se percer, on recouvre les
déchirures par d'autres morceaux, jusqu'à ce que le relief reste tout
entier dans cette espèce de moule. Après cette opération , on enlève
soigneusement le papier de dessus l'inscription , et on le laisse sécher
sur une surface plane. Si l'inscription est grande , on ajoute d'autres
feuilles à la première et on a soin de les numéroter ou de les repérer.
342 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Ce procédé donne en quelques minutes une double empreinte de
l'inscription dans le sens direct des lettres et dans le sens inverse ,
contre-épreuve fort utile pour la reproduction des textes par l'im-
pression. Quand on opère sur une surface verticale et bien polie, il
est nécessaire de fixer le papier avec quelques pains à cacheter, et de
le détacher aussitôt que l'empreinte est prise afin que le retrait du
papier se fasse d'une manière uniforme. Quand les feuilles estampées
sont bien sèches, on les place dans un portefeuille, ou dans une
caisse sans trop les presser; elles se transportent ainsi facilement,
en ayant soin de les mettre à l'abri de l'humidité.
La reproduction en plâtre des estampages de papier avait été
maintes fois tentée sans succès. M. A. Dévéria, qui s'est dernièrement
occupé de la solution de ce problème, a réussi à obtenir des épreuves
aussi belles que les estampages mêmes.
Le procédé de moulage de M. Dévéria est aussi simple que celui
de l'estampage. Au lieu de chercher, comme on a fait jusqu'ici, à
solidifier le papier, ce qui n'en ôtait pas le fripage, il lui donne, au
contraire , tout son développement au moyen d'une couche de savon
noir peu étendu d'eau.
Aussitôt que le papier a repris la forme tranquille qu'il devait avoir
lorsqu'il fut estampé sur le monument , il y passe une légère couche
d'huile de lin, puis il y verse son plâtre, ayant le soin de réserver
intact environ un centimètre de papier tout autour, afin qu'il ne
soit pas soudé sur la table.
Dès que le plâtre est bien pris , le papier, si l'on agit avec précau-
tion , s'enlève comme une étoffe gaufrée qu'on détache du moule. Le
plâtre a absorbé l'huile et une partie du savon , et le peu qui reste
sur le papier, ne l'empêche pas de sécher et d'être remis en porte-
feuille si on désire le conserver.
Les nombreuses et intéressantes empreintes rapportées d'Egypte ,
par M. Prisse, viennent d'être presque toutes reproduites par ce
procédé et nous avons pu juger de toute la pureté de l'exécution.
Nous ajouterons ici deux procédés différents et très-simples pour
rendre ces empreintes moins fragiles et leur donner la consistance de
la pierre : le premier s'opère en les imbibant de silicate de potasse en
liqueur. Le second consiste à mêler et bien triturer avec le plâtre,
avant de remployer, une forte pincée d'alun en poudre pour deux
poignées de plâtre. Ce mélange bien fait suffit pour rendre très-
durs les objets moulés avec celte préparation.
J. A. L.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Fouilles de Pompéla. — La visite du septième congrès scienti-
fique d'Italie et celle de l'empereur et de l'impératrice ont fait faire
à Pompéia des excavations nouvelles. Le résultat de la première a
été la découverte d'une maison près de la voie des Taverniers , mai-
son qui , évidemment a été la demeure d'un riche citoyen , et a
toutes les commodités d'une habitation somptueuse. Uatrium est
spacieux, et en partie pavé en mosaïque d'un élégant dessin. L'im-
plavium a une fontaine de marbre de couleurs variées , derrière
laquelle, chose peu commune, on a trouvé une table portée par
des pattes de lion à griffes. Les appartements particuliers, de l'un
et de l'autre côté de la cour, sont ornés de fresques peintes, d'un
mérite artistique ordinaire.
En février dernier, on a achevé de mettre au jour la maison dite
du Chasseur; c'est une demeure fort curieuse et qui a fourni
quelques détails nouveaux. Elle appartenait sans doute à quelque
riche Romain amoureux de la chasse. Une peinture sur la droite
occupe tout un côté d'une large salle. Là, sont représentés des
animaux sauvages , un lion chassant un taureau. L'autre partie de
la maison est un peu plus élevée ; on y trouve une colonne agréa-
blement peinte et couverte de festons rouges et jaunes; derrière
cette salle, sur une porte, est une fresque qui représente une rési-
dence d'été, sans doute quelque possession du propriétaire. De
l'autre côté sont peintes des trompes de chasse. Franchissant cette
porte, on arrive à une salle carrée parfaitement conservée. La plus
belle peinture de cet appartement est un Vulcain à la forge , assisté
par trois hommes nus et noircis par la fumée. Le Vulcain est fort
beau , et fait avec beaucoup de hardiesse et de vigueur. Dans la niche
de la salle extérieure, on a trouvé une petite statue.
L'architecture et les ornements de cette maison ont été dus
évidemment au caprice du propriétaire ; elle est remarquablement
riche en décorations, qui diffèrent de celles qu'exécutaient ordinaire-
ment les artistes lorsqu'ils étaient laissés à leur inspiration. Les
couleurs sont très-brillantes et très-vives, particulièrement celles
des oiseaux et des vases qui font immédiatement face à l'entrée.
344 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
La maison que l'on a mise au jour lors de la visite de l'empereur
de Russie, n'a rien présenté de curieux. Quelques amphores, quel-
ques bronzes ont été trouvés, mais fort ordinaires.
Les inspecteurs qui sont venus présider récemment aux fouilles
ont été plus heureux. Les travaux venaient d'être commencés, quand
un des travailleurs s'est écrié : Des ossements et des pièces. On entra
alors dans une petite salle où se trouvaient,* en effet, trois squelettes
complets; près de l'un d'eux, qui paraissait être celui d'un jeune
homme, étaient trente-six pièces d'argent et deux d'or. Quelques-
unes des premières étaient attachées à une clef. Les deux pièces
d'or étaient bien conservées et portaient l'effigie de Domitien ; le
revers de l'une d'elles était très-remarquable. Quant à celles d'ar-
gent, elles sont à l'effigie de Vespasien. Les malheureux qui ont
péri là étaient-ils les habitants de cette demeure, ou des larrons qui
profitaient du trouble général? C'est une énigme dont personne ne
peut donner le mot. Nous dirons seulement que le petit nombre
des squelettes trouvés à Pompéia se comprend , si l'on se rappelle
que, selon Pline, les gens alertes, et qui ne le sont pas par peur,
eurent le temps de fuir.
Nous allions oublier de mentionner que la fouille partielle faite
devant l'impératrice de Russie, a amené la découverte d'un meuble
domestique curieux, une cuisine portative. Cet ustensile, assez grand
et qui ne serait pas sans analogie avec une plaque de fourneau, est
en fer et surmonté de deux trous circulaires disposés pour recevoir
des marmites. La table de fer était sans doute couverte de feu pour
pouvoir chauffer les mets, plats, etc. Une poignée, placée en avant,
prouve bien que ce meuble était portatif.
— Notre collaborateur M. Letronne vient d'être nommé membre
honoraire des deux sociétés archéologiques de Nassau et Mayence.
Il vient aussi de recevoir le diplôme de docteur en philosophie et
maître es arts à l'université de Tubingen.
— M. le marquis de la Grange vient d'être nommé membre ho-
noraire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en rempla-
cement de M. Evriès, décédé.
DEUXIÈME LETTRE A M. PH. LE BAS
SUR
LES BAS-RELIEFS FUNÉRAIRES
qu'on croit représenter
DES REPAS FUNÈBRES ET DES SCÈNES D'ADIEUX.
Mon cher Confrère ,
L'explication d'un monument isolé n'est jamais entièrement dé-'
nuée d'intérêt ni d'utilité , quand elle rend compte , d'une manière
probable, de tous les détails qu'il présente. Mais cette explication peut
acquérir une véritable importance , si le monument tient à un en-
semble de sujets semblables , qui sont restés encore plus ou moins
obscurs; car elle peut servir à jeter sur tout cet ensemble une lu-
mière nouvelle, en nous révélant le sens des idées morales ou la
nature des notions historiques dont ils sont l'expression commune.
Voilà, mon cher confrère, ce qui vous a fait donner une attention
sérieuse au bas-relief trouvé à Merbaka, près d'Argos. Votre savoir
et votre tact archéologiques ne vous ont pas trompé sur l'intérêt des
circonstances qui l'accompagnent, et vous en avez fait le point de
départ de cette discussion approfondie dont j'ai déjà reconnu le mé-
rite , quoique je ne croie pas pouvoir en adopter tous les résultats.
A votre exemple , je n'ai pas non plus considéré isolément la stèle
de Danaiis (l), que le hasard avait placée sous mes yeux; et, tout
(1) Cette stèle vient d'être donnée au Musée impérial des Antiques de Vienne par
son propriétaire , M. Laurin ; c'est ce que m'apprend , par une lettre du 25 juin , le
savant directeur de ce Musée, M. J. Arneth. Ayant le monument sous les yeux, il
a pu l'étudier à loisir. Il approuve tout ce que j'en ai dit ; et veut bien qualifier ma
dissertation d'excellente, même de magnifique; éloges dont je ne prends que ce
qui m'en revient légitimement, c'est-à-dire la plus faible part- M. Arneth m'a en-
voyé aussi le catalogue imprimé (Wien, 1S46) des antiques du Musée. Ce catalogue,
rédigé avec autant de précision que de savoir, donne les indications sommaires qu'on
peut désirer sur les dimensions, l'état et l'objet des monuments, ainsi que le texte
exact des inscriptions latines et grecques, en petit nombre, que ce musée contient. Je
soumettrai à l'auteur deux rectifications. La première concerne le nom ACACLYTO,
dans une inscription funéraire (n° 185) : il le lit Acaclyto; mais ce nom n'eit ni
III. 23
346 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
en me renfermant dans l'explication du monument en lui-même,
j'ai voulu au moins indiquer ou faire pressentir quelle lumière pour-
rait en rejaillir sur tous les sujets du même genre. À Cette occasion ,
j'ai touché indirectement au bas-relief de Merbaka , et à quelques-
unes des conséquences ingénieuses et savantes que vous en avez
tirées.
Je vais reprendre cette discussion ; et , comme je crois que notre dis-
sentiment tient , en grande partie , à ce que je n'ai pu suffisamment
exposer les fondements de mon opinion , je vais la développer davan-
tage, en continuant de partir de la stèle de Dandiis, dont le sujet,
vous en convenez, est parfaitement établi par l'inscription. J'espère
vous montrer que, dans l'usage que j'avais fait de ce monument , je
m'étais fondé sur un examen assez exact des autres bas-reliefs ana-
logues, et que j'avais pensé à la plupart des points sur lesquels vous
avez cru nécessaire d'appeler mon attention.
Entre les sujets funéraires que vous avez passés en revue dans votre
érudite dissertation , j'en choisirai deux seulement qui tiennent en
même temps à la stèle de Danaiis et au bas-relief de Merbaka. Ces
deux sujete sont au nombre des plus curieux qu'offrent les monuments
antiques, parce qu'ils peuvent nous amener à chercher dans une foule
d'autres, non une cérémonie religieuse , ou des souvenirs mytholo-
grec ni latin. En regardant bien l'original , on verra peut-être un petit crochet à
la partie inférieure du C, qui en faU un G; car la vraie leçon est AGACLYTO;
c'est le grec Ayâxiuro; (nom d'un ancien historien. Voss. Hisl. grœc, p. 378, West.),
synonyme de Ayax/v-s ( de ayav etdex/vrdsou ?.).ioç\ La confusion réciproque du C
et du G est ordinaire ; elle suffit souvent pour dénaturer entièrement un nom.
Ain>i, que faire de GALOMEDES (Otto Jahn , Spec. Epigr., p. 98), à moins
de lire CALOMEDES (Kzlop.rlSv}$ , comme l^xï'Mfi^ùr^)? Ce sont de ces noms grecs
que M. Pape pourra joindre à son utile lexique., quoiqu'ils ne nous aient été fournis
que par une source latine.
L'autre rectification est relative à l'inscription ( n° 23 ).
KPATH2
ÏHEPEÏ*PANOP02
SAPAUN2I {Sic)
qu'il traduit Craies, [ils d'Hypereuphranor, à S ar apis. Mais hypereuphravor
est un nom impossible, et , à la dernière ligne, il y a certainement sur la pion1
ÏAPM1IISI; il faut lirekpir/;;, Lnèp Evfpivopoi , Zxpini, "l<rt [àvi0>jx«] , c'est-à-dire
Craies , pro salule Ëûphranoris, Sarapidi, lsidi , D. D. M. Arneth quaiitie
cette pierre de fragment. L'inscription , du moins, parait être entière.
LETTRE A M. PH. LE feAS. 347
giques, mais l'expression d'une pensée morale, d'un sentiment ou
d'un acte de la vie commune. Il y a là comme une sorte de question
vitale pour une des théories les plus importantes de l'archéologie.
Veuillez donc, mon cher confrère, me suivre dans l'examen ré-
gulier de ces deux sujets , auxquels je me borne, pour le moment.
I.
Sur les bas-reliefs qualifiés de banquets funèbres.
La stèle de Danaîis (2) représente un repas, auquel prennent
part trois personnes : un homme barbu , couché , ou plutôt accoudé
(accumbens , reclinatus), sur un lit (lectus tricliniaris) , à la place
d'honneur (superior locus) ; un jeune homme demi-nu , couché de-
vant lui , et une femme vêtue complètement et voilée , assise à la
tète du lit sur un siège à part. Un sujet analogue se retrouve, avec
des variantes , dans un grand nombre de bas-reliefs funéraires.
Tous, comme celui-ci , sont de fort petite dimension; car la plupart
n'excèdent pas 0,n,40 à 0m,50 en un sens, et 0m,20 à 0m,30 dans
l'autre, et plusieurs sont plus petits encore.
Celui-ci se distingue par une inscription grecque qui fixe nette-
ment la condition des trois personnages ; car ce sont évidemment
ceux qu'elle mentionne , à savoir : le gladiateur thrace Danaùs à qui
le monument est consacré , sa femme Uéorté (3) et son fils Âsclé-
piade qui le lui ont élevé. Quant aux accessoires, les neuf couronnes
se rapportent aux neuf victoires remportées par Danaùs (swea'îuç
TzvY.zîTjGQLq) ; et les armes (à savoir le casque et le bouclier) , sont
celles de ce gladiateur; je ne doute pas que si, au lieu d'être
un Thrace, il avait été un Andabata, ou gladiateur à cheval, on
verrait la tête de son cheval dans un des coins du tableau.
Tous ces accessoires, y compris le chien, qui , la patte levée, de-
mande sa part du repas , ont un sens direct, relatif à la situation des
personnages.
D'après l'accord du sujet et de l'inscription , il m'a paru que ce
repas ne peut être un repas funèbre, puisqu'il est de l'époque où Da-
naùs était encore vivant, où les trois membres de la famille se réu-
nissaient pour prendre en commun leur repas quotidien.
En étendant cette explication, comme il était légitime de le faire,
à tous les sujets semblables (sauf quelques variantes dans le nombre
^2) Voy. la pi. 4G , en tête de la lre livraison de la 3e année (15 avril 1846).
(3) Je ne connaissais pas d'exemple grec du nom d' Uéorté. Depuis, j'en ai trouvé
deux latins , HEORTE. (Gruter, p. 708, 10. Passionei, Iscr. anliche, p. 101, 15.)
348 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
des personnages), j'en avais conclu qu'ils doivent également repré-
senter une scène dintérieur, dont les acteurs sont les membres de la
famille, avant la mort d'aucun d'eux, et non pas, soit un banquet fu-
nèbre, soit une cérémonie religieuse, telle qu'un lectisternium ; sujet
que vous croyez reconnaître dans le bas-relief de Merbaka , dans la
stèle de Samos rapportée par Tournefort, et d'autres monuments
(plus haut, p. 96). C'est par suite de cette interprétation que
vous voulez voir une déesse (p. 90) dans la femme le plus souvent
voilée, assise auprès du lit, compagne ordinaire des hommes couchés ,
qui n'est à mes yeux que Y épouse , que la mère de famille.
C'est là, j'en conviens, un système fort différent du vôtre, et qui doit
influer sur la signification que vous avez donnée à divers accessoires
du sujet; aussi avez-vous beaucoup de peine à vous y rendre; et vous
persistez à voir dans ces bas-reliefs, tantôt un lectisternium ayant des
divinités pour acteurs, tantôt un de ces repas funèbres que les membres
dune famille offraient aux morts héroïsés (p. 94), en tout cas, une céré-
monie éminemment religieuse (p. 95). En vous exposant ici , avec
quelques détails, les motifs sur lesquels se fondait alors ma convic-
tion , je ne désespère pas de vous y ramener cette fois.
Et d'abord, je dois le dire, cette dénomination de repas ou de
banquet funèbre appliquée à ces monuments, me paraît être une de
celles qui , introduites de bonne heure, ont été consacrées par l'usage,
et sont répétées par habitude, mais qu'on se sent disposé à abandonner
dès qu'on cherche à en apprécier la justesse ou la convenance. Celle-
ci, en effet, ne me semble pas pouvoir soutenir un examen sérieux.
Je ne reproduirai pas les détails que chacun peut trouver réunis
dans l'érudite monographie de Kirchmann (4). Je me borne à rap-
peler que les repas funèbres privés (epulœ funèbres privatœ), les seuls
dont il puisse être ici question (les leclisternia étant exclus, comme je
le montrerai), étaient de deux espèces :
1° Le repas des morts , qui consistait à déposer sur le bûcher même
certains mets auxquels les vivants ne pouvaient toucher. Les âmes
des morts étaient censées voltiger autour, se nourrir de la fumée des
graisses, et boire le vin qu'on jetait dans la fosse (5).
Il est clair que ce n'est pas un tel repas que peuvent représenter
les bas- reliefs du genre de celui de Danaùs.
(4) De Funer. Roman. IV, 6.
(5) Lucian. ContempL, § 22 , ibique Heinsterh.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 349
2° Le repas des vivants : c'est celui que les parents célébraient en
l'honneur du défunt; ils se réunissaient dans un banquet commémo-
ratif, près du tombeau, ad tumulum, soit neuf jours après la mort
(novemdialis cœna), soit une fois par an, lors des Feralia. Ce
festin , appelé en grec nepidenwov , faisait ordinairement partie des
parentalia, en grec vexucria.
C'est la deuxième de ces cérémonies qui seule pourrait être re-
présentée dans nos bas-reliefs; et conséquemment on pourrait, au
premier coup d'oeil, les qualifier de repas funèbres , bien que célébrés
par des vivants. Ce serait à la fois un repas de famille, en ce
sens que la famille du mort s'y trouvait réunie, et en même temps
un repas funèbre, puisqu'il aurait lieu en mémoire du défunt. De cette
manière, les deux opinions seraient réunies et conciliées.
Mais la conciliation n'est possible qu'à cette condition , c'est
que tous ceux qui assistent au repas sont les survivants , c'est-à-dire
ceux qui le donnent aux morts. Or, s'il était prouvé, au contraire,
par les inscriptions , qu'au nombre des convives sont aussi les per-
sonnes défuntes, ce ne pourrait plus être un repas funèbre ; évidem-
ment ce ne serait que le repas ordinaire, le repas quotidien, où tous
les membres d'une famille étaient réunis, avant qu'aucun d'eux n'eût
été ravi par la mort; et cette explication rendrait en outre parfai-
tement compte des variétés qui existent dans le nombre des person-
nages couchés sur le lit , tantôt un seul, souvent deux, parfois
trois, de même que dans celui des* personnes assises ou debout,
femmes, enfants ou esclaves, qui assistent ou prennent part au re-
pas ; car toutes ces variétés n'exprimeraient que la situation ou la
condition particulière de chaque famille.
Vous accordez , mon cher confrère , que la stèle de Danaùs offre
ce mélange de morts et de vivants ; vous le reconnaissez aussi pour la
stèle d'Eucléa, au musée de Vérone (sur laquelle je reviendrai), mais
ce sont, à votre avis , de ces exceptions dont on ne peut juger que si
l'on a pour se guider le secours d'une inscription (p. 97). Permettez-
moi de presser un peu plus l'argument, et de dire qu'il suffirait de ces
deux inscriptions, non- seulement pour établir le fait, mais pour nous
donner le droit de l'étendre à tout autre sujet semblable , qui n'aurait
point d'inscription; car c'est un principe sur lequel toute X archéologie
interprétative se fonde , que deux monuments semblables doivent rece-
voir la même explication. Or, les inscriptions dont on peut tirer des
lumières sur ce point sont bien plus nombreuses que vous ne l'avez cru;
et la plupart, comme vous le verrez, presque aussi claires que celle de
350 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Danaùs, prouvent aussi que ce sont exclusivement des vivants qui
assistent à ces repas , lesquels sont toujours d'une époque antérieure
à la mort des personnages qUe l'inscription du monument donne
comme défunts. Tout se réunit donc, sujets et inscriptions, pour
repousser Vidée de banquets funèbres.
Afin d'expliquer ce mélange des vivants et des morts en de telles
scènes, mélange que vous êtes obligé de reconnaître, au moins pour
quelques-unes, vous avez recours à une conjecture qui ne me semble
pas suffisamment autorisée. Vous dites (p. 97) que, comme les morts
étaient censés assister au repas funèbre, on pouvait, par une sorte de fic-
tion, les y faire assister réellement; et, pour le prouver, vous rappelez
que, selon Eustathe (il fallait dire Arrien cité par Eustathe, le fait en
a plus de poids), les Bithyniens, dans les vex-Jo-ia, appelaient par trois
fois les âmes de ceux qui étaient morts en pays étranger , et les sup-
pliaient de remonter sur terre, pour prendre part au festin (6). D'abord,
Arrien, par cela seul qu'il attribue cet usage aux Bithyniens en par-
ticulier , exclut tous les autres Grecs; mais, existât-il parmi ceux-ci,
vous lui donnez une extension un peu forte, ce me semble, en présu-
mant que les âmes des défunts , par la raison qu'elles étaient invitées
à assister au repas, pouvaient être représentées dans ces bas-
reliefs, comme si elles y assistaient, sous la figure qu'ils avaient de
leur vivant; car, entre les inviter à être présents et les figurer en per-
sonne, il y a une grande distance, qu'on ne peut franchir, sans y être
autorisé par un texte ou par un monument. Une simple observation
me semble repousser la conjecture ; il paraît évident, en effet, que si,
au moyen d'une fiction , on les avait représentés comme vivants ,
quoique morts , ils auraient été distingués des autres convives par
quelque signe particulier; ce qui eût été d'autant plus nécessaire
qu'ils sont, presque partout, comme dans la stèle de Danaùs, couchés
sur le même lit et dans la même attitude que les vivants. Mais on ne
trouve jamais rien qui les distingue du reste de la compagnie.
>
Vous reconnaissez que « le mort peut être une des femmes
« assises, aussi bien qu'un des hommes couchés; que plusieurs des
« assistants peuvent être morts, et même tous (p. 97) : » et plus bas
(même page) , vous dites : « A ces repas, tous les convives assistaient
« assis; et voilà pourquoi, sur un grand nombre de marbres, le mort,
G) Arrian. ap. Eustath ad Qdyss. I . v. 65 , p. 1615, 2.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 3 51
c< quand c'est un homme . paraît souvent seul couché; la dénomina-
« tion de repas funèbre convient donc bien à ce genre de représenta-
« tions. » Tout cela me semble un peu confus, et, en certains points,
contradictoire.
Ce que je vois de bien clair dans ce double passage, c'est que vous
admettez qu'il peut y avoir mélange, en de telles scènes, des vivants
et des morts. Mais votre bon sens ne tarde pas à se choquer d'une
telle association ; alors vous avez recours, pour la rendre possible, à
l'hypothèse que le sujet serait un lectislernium. Or , je ne crois pas
que vous fassiez là une juste application de cet usage romain.
Personne n'ignore que le leclisternium (a lec(is sternendis) consistait
à dresser, dan? certains temples de Rome , principalement dans celui
de Jupiter Capitolin, des lits et des sièges sur lesquels les statues des
dieux étaient , les unes couchées, les autres assises, comme l'auraient
été des personnes vivantes; on mettait alors devant elles des tables
chargées de mets. C'étaient là des banquets divins, non funèbres.
Cette cérémonie n'était célébrée qu'en de solennelles circonstances,
comme lorsqu'on voulait apaiser les dieux à la suite de quelque fléau
ou au moment de commencer une guerre dont on sentait la gravité.
Elle était donc, de toute nécessité, fort rare.
En effet, le premier lecdsternium fut célébré, selon Tite Live, l'an
355 de Rome (7) ; et le cinquième le fut l'an 429 (8). Il n'y en avait
donc eu que cinq en soixante-quatre ans. Tite Live, qui les note avec
soin, en place un sixième (9) en 534, un septième (10) en 535, un
huitième (11) en 538, un neuvième (12) en 548, un dixième (13) et
un onzième (14) en 561 et 573. Il n'en compte que onze en tout,
dans un laps de deux cent dix-huit ans; c'est à peu près un tous
les vingt ans.
Lorsque cet usage s'est introduit chez les Romains , l'an 355 de
Rome, d'où venait-il? Était-ce une invention romaine? je le croirais;
car rien n'indique qu'elle fût connue, ni des Étrusques, ni des Grecs;
ceux-ci même n'eurent jamais de mot pour rendre l'idée du Uctister-
nium (15).
(7) tit. Liv. V, 13.
(«) Id. VIII, 25.
(9) Id. XXI , G2.
(10) Id. XXII, 10.
(11) Id. XXIV, 10.
(12) Id. XXIX, 14.
(13) Id. XXXVI , 1.
(14) XL, 59. .
(15) Si Vénus et Adonis sont représentés couchés sur des lits, dans la fête dt Pto-
352 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Vous parlez des iepoà Bolvat, repas sacres des Grecs , sans citer
d'exemples de cette expression , et pour moi , je n'en connais pas ;
mais je m'en rapporte à vous; si vous la citez, c'est que vous l'avez
vue employée quelque part. En tout cas, je suis convaincu que ces
repas sacrés ne peuvent être que ceux qui avaient lieu à la suite de
certaines cérémonies religieuses, sans avoir rien de commun, ni avec
le lectisternium latin, ni avec les repas funèbres, qui portaient le nom de
Or, c'est d'après l'hypothèse que ces bas-reliefs représentent des
leclisternia que vous essayez d'expliquer la présence des personnes
mortes couchées sur le lit, en disant qu'elles sont héroïsées et traitées
en qualité de héros, ainsi que les dieux fans les leclisternia; c'est à -
dire que leur effigie était transportée dans la salle du festin et étendue
sur le lit. Pour justiûer cette explication , vous dites que plusieurs
inscriptions latines montrent que le lectisternium était, par la suite,
devenu une cérémonie funéraire faisant partie des parentalia.
J'aurais désiré que vous eussiez indiqué où se trouvent ces inscriptions;
car vous n'en citez qu'une seule, et je n'en connais pas d'autre (16).
Il y est dit, à propos des parentalia : Prœbeant item lectisternimu
tempore parentaliorum (sic). Dans cette inscription, qui est de bas
temps (comme l'indique le barbarisme parentaliorum pour parenta-
lium), rien ne prouve que le mot lectisternium ne soit pas ici une im-
propriété de langage au lieu de silicernium; impropriété d'autant
plus explicable, à cette époque, que le silicernium ou repas funèbre
exigeait des lits dressés exprès (lecti strati) , comme le vrai lectister-
nium, et c'est ainsi que Gudio et Guthier ont entendu ce pas-
sage (17). Quand on accorderait que, dans cet unique exemple, lec-
tisternium se rapporte au mort, il faudrait bien admettre qu'on
aurait apporté dans la salle du repas sa statue ou son buste; mais com-
ment reconnaître une effigie de ce genre dans ce personnage tou-
jours bien vivant, qui mange et boit comme le reste des mortels,
dont rien absolument ne le distingue?
Je crois donc que la notion du lectisternium n'est nullement appli-
cable ici; mais, avant de vous en donner la preuve, je dois encore
établir une notion importante que vous m'avez contestée.
lémée Philadelphe (Theocrit. Idyll. XV, v. 127), cela n'arien de commun avec
le lectisternium.
(16) Gruter, p. 753,4.
(17) De Jure Manium , \\ , 10 , p. 2 41.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 353
Ayant donc reconnu des leclisternia ou des banquets sacrés dans
plusieurs de ces bas-reliefs, que vous assimilez à ceux deMerbaka, de
Samos, etc., et, conséquemment , des personnages divins dans les
convives , vous êtes amené à prendre pour une déesse la femme vê-
tue, le plus souvent voilée, assise auprès du lit. J'ai dit, au con-
traire (p. 8 ) , que cette prétendue déesse est toujours V épouse d'un
des hommes couchés sur le lit ; ce qui est évident pour la stèle de
Danaùs ; et j'avais cru pouvoir rapprocher de ce monument le pas-
sage de Valère Maxime : Feminœ cum viris cubantibus sedentes cœni-
tabant (18).
Vous m'objectez (p. 98) que, dans ce passage, Valère Maxime
parle d'un temps antérieur ; selon vous, l'imparfait cœnitabant montre
bien que « du temps de cet historien, sous Auguste et Tibère, les
« femmes avaient renoncé à cet usage, qu'on ri observait plus que dans
« les solennités des lectisternia. »Vous en concluez que tous nos bas-
reliefs dont l'époque paraît être du IIe ou du IIIe siècle, ne peuvent
représenter un usage perdu depuis si longtemps; enfin, vous pensez
que , n'ayant pas suffisamment compris le texte en entier, j'ai un peu
abusé de la première phrase. Je ne crois pourtant pas que l'erreur
soit de mon côté; car voici, les unes après les autres, les quatre
phrases dont se compose ce passage :
Feminœ cum viris cubantibus sedentes cœnitabant ; c'était, en effet,
l'usage chez les Romains au temps de la république (19). Mais,
à l'époque de Valère Maxime , cet usage n'était plus aussi général ;
toutefois les femmes ri y avaient pas renoncé, comme vous le dites;
c'est ce que prouve la suite :
Quœ consuetudo ex hominum convictu ad divina penetravit ; ce qui
veut dire que cet usage avait passé des repas de famille dans les
leclisternia, banquets donnés aux dieux, où leurs statues étaient
amenées et placées autour de la table du festin ; celles des dieux
toujours couchées (cubantes) sur les lits , et celles des déesses assises
(sedentes) sur des sièges, comme cela avait lieu dans la vie ordinaire
pour les hommes et les femmes.
C'est ce que l'auteur explique : Nam Jovis epulo, ipse in lectulumf Juno
et Minerva in sellas , ad cœnam invitantur. Il arrivait même que si , en
certaines occasions , le leclisternium était célébré uniquement par des
femmes , il ne concernait que les déesses; et, dans ce cas , leurs statues
(18) 11,1,2.
ri9) Varro , ap. Isid. Orig. XX , 2, 9.
354 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
seules étaient alors déplacées et assises sur des sièges; d'où la cérémonie
prenait le nom de sellislernium (a sellis slernendis) ; c'est ce qui
explique le passage où Tacite, parlant des cérémonies expiatoires qui
suivirent l'incendie de Rome sous Néron, dit que « les femmes en
« possession de mari célébrèrent des sellisternes et des veillées; » et
sellislernia ac pervigilia celebravere feminœ quibus mariti erant (20); où
quelques commentateurs veulent à tort lire leclisternia (21).
La suite du passage de Valère Maxime montre bien que les femmes
n'avaient pas renoncé à cet usage dans l'intérieur des maisons : Quod
genus severitalis œtas nostra dimgenthjs in CapitoUo quam in suis
domibns servat. C'est-à-djre qu'au Gapitole, où avait lieu le lectister-
nium de Jupiter, on maintenait l'usage d'asseoir les déesses au ban-
quet divin pins soigneusement qu'on ne conservait, dans les maisons
des particuliers, celui de faire asseoir les matrones. Donc l'usage
n'avait pas été abandonné, seulement il était constamment observé
pour les déesses , mais quelquefois négligé pour les femmes ,
quoiqu'il fût convenable à la pudicité féminine (turpis visus est
in muliere accubitus, dit Varron); Valère Maxime finit par cette
réflexion : Videlicet quia magis ad rem pertinet dearum quam
mulierum disciplinam contineri. Ces comparatifs diligenlius et magis
quam prouvent que, dans la pensée de Valère Maxime, l'usage
était, de son temps à Rome, plus négligé qu'autrefois, mais non
abandonné. J'ai donc pu le chercher sans invraisemblance sur des
bas-reliefs romains du IIe siècle, à plus forte raison, sur des bas-reliefs
grecs, comme le sont ceux qui nous occupent?
Car, en Grèce, tout annonce qu'à l'époque romaine, dans l'inté-
rieur de la famille, lors des repas, les hommes continuaient d'être cou-
chés sur le lit, et la femme, la matrone , d'être assise , comme Héorté
la femme de Danaiis : ce qu'atteste, entre autres, un passage où
Dion Chrysostome, vers la fin du Ier siècle de notre ère, décrit un
de ces repas familiers comme ils avaient lieu ordinairement : « Etant
« entrés dans la maison , nous passâmes le reste du jour à nous
« réjouir; nous autres hommes, couchés (fipeïç julev xoTaxAiSsvreç)
« sur des feuilles et des peaux formant une épaisse litière ; la
« femme, assise près de son mari (ft de ywh -Klnaiov napz tov xvdpa
« y.xBn{j.évYi) ; la fille, en âge d'être mariée, nous servait et nous ver-
ce sait un vin délectable, haut en couleur (pélava. ohov ridvv) ; les
(20) Annal. XV, 44.
21) Voy. l'excellente note de mon savant ami Dubner sur ce passage.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 355
c< enfants distribuaient les viandes, et eux-mêmes mangeaient placés
« à côté de mws (*cù xvrol apx èâdnvovv nxpxziQévzeç) (22). ))
Ce passage semble fait exprès pour expliquer tous ceux de nos
bas-reliefs qui offrent, outre un ou plusieurs hommes couchés, une
femme assise près du principal personnage, et des enfants ou des
esclaves qui servent les convives.
Ce passage d'un auteur grec, décrivant un usage grec, est d'au-
tant plus remarquable que presque tous ces bas-reliefs sont grecs et
non romains. Ce fait important ressort de ces deux observations :
La première, c'est que la plupart de ceux dont la provenance est
connue appartiennent à la Grèce ou à l'Asie Mineure. Cela est cer-
tain (sans parler de ceux qui existent en Grèce), pour ceux qu'ont
publiés Biagi et Pacciaudi; pour celui de Samos décrit par Tourne-
fort; pour la stèle de Danaùs, qui vient de Cyzique; pour une autre
copiée par M. Dubois aux Dardanelles; pour ceux des musées de
Vérone et d'Oxford \ et enfin pour quinze (sur dix-sept) des bas-
reliefs du musée du Louvre, lesquels proviennent de la collection
Choiseul-Gouffier, ou ont été acquis du consul de Saint-Sauveur;
il n'en reste donc plus qu'un fort petit nombre dont la provenance
soit inconnue; et, à peu d'exceptions près, on a toute liberté de
leur attribuer la même origine qu'aux autres.
La seconde observation confirme la première. J'ai dit que plu-
sieurs de ces bas-reliefs sont dénués d'inscription. Or, un monument
funéraire peut difficilement s'en passer. 11 devrait porter au moins
le nom du mort. Je crois donc qu'ils ont tous eu jadis une in-
scription. Si elle a disparu , c'est que la partie qui la portait a été
cassée et perdue; ou bien que l'inscription, seulement écrite à l'encre
rouge et non gravée (ce dont on a plus d'un exemple) , a été effacée
par le temps.
Quoi qu'il en soit , il s'est conservé beaucoup de ces inscriptions,
douze au seul Musée du Louvre; quatre à celui de Vérone; deux à
celui d'Oxford, sans compter une dans la collection Nani, une parmi
celles qu'a publiés Pacciaudi, etc. Ainsi, plus des quatre cinquièmes
ont conservé leur inscription. Or, elle est toujours grecque , à peu
d'exceptions près, qui concernent des bas-reliefs d'un caractère tout
particulier.
Ceci achève de prouver que la plupart de ces stèles ont été élevées
(?r Dio Chrysost. Oral. VII , p. 243 , 944, Reiske.
356 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à des Grecs, ou à des Romains établis dans les pays helléniques;
d'où il suit que l'usage de représenter de ces repas s*ur les stèles
funéraires, était, à cette époque, principalement répandu en Grèce;
car pourquoi en trouverait-on si peu en Italie?
De ces deux observations on conciliera qu'il faut renoncer, pour
les expliquer, au lectisternium , que les Grecs ne connaissaient point;
en sorte que l'association des vivants et des morts devient inexpli-
cable; et l'on ne peut plus voir dans de telles scènes , que l'expression
d'un repas quotidien, qui réunissait tous les membres d'une famille,
comme celui que décrit Dion Chrysostome.
Permettez-moi d'achever cette démonstration en vous présentant
encore une observation qui me paraît exclure tout aussi nettement
l'idée du repas funèbre donné aux morts héroïsés.
Il n'y a presque jamais que des hommes couchés sur le Ut ; quand
une femme prend part au repas , elle est presque toujours , comme
dans la stèle de Danaùs, assise sur le bord du lit, ou sur un siège à
part, complètement vêtue, le plus souvent voilée, et ramenant le voile
sur son visage ; or, c'est là un des caractères de la pudicité, qui con-
vient aux mères de famille.
Que cette femme soit Y épouse de l'homme couché auprès de qui
elle se trouve placée, c'est ce dont personne ne doutera plus main-
tenant , si l'on rapproche du passage de Dion Chrysostome , notre
stèle de Danaùs, où sa femme Héorté est assise auprès de lui.
Or, s'il fallait reconnaître là des banquets funèbres, en Yhonneur
des morts, qui y assistent comme des convives ordinaires, on devrait
en conclure que ces banquets n'avaient pas lieu pour les femmes, les
hommes étant les seuls qui sont représentés couchés sur des lits.
Conclusion entièrement inadmissible.
J'appellerai maintenant votre attention sur deux distinctions à
faire entre ces divers sujets ; distinctions fondées sur l'attitude et le
costume de la femme, le deuxième acteur principal dans ces scènes.
Première distinction. — Je connais quatre ou cinq exemples de
repas où la femme, assise sur le bord du lit, n'est ni vêtue ni voilée;
mais il est à remarquer que ce sont les seuls qui soient accompagnés
d'une inscription latine.
Dans le premier, composé de deux personnages, homme et femme,
LETTRE A M. PH. LE BAS. 357
l'homme est couché à l'ordinaire ; d'une main , il tient un vase , il
pose l'autre sur l'épaule d'une jeune femme , à moitié mie , assise sur
le bord du lit, les pieds sur un escabeau (23).
Au-dessous du bas-relief, il y a une inscription latine fort mu-
tilée, où je distingue les lettres qvinc bene. merenti. et.
rarissimae. conjvgi ; d'où il résulte que la femme est bien une
épouse légitime, mais que les deux époux ne tenaient plus à l'an-
cienne rigidité des mœurs romaines.
Un autre , tout semblable , est relatif à une jeune mariée, enlevée
par la mort, à peine le mariage était-il consommé. Le bas-relief ex-
prime le moment où l'époux attire à lui sa jeune femme. L'inscription
latine en vers exprime sa profonde douleur (24).
Dans un troisième (25), la femme vêtue, non voilée, tient une
guirlande; l'inscription :d. m. || c. licini. c. lib. || primigenî. et. [|
licimae. c. lib. hygiae. montre que C. Licinius Primigenius et Li-
cinia Hygia étaient deux affranchis de C. Licinius. Licinia était non
une conjux, mais une simple conlubernalis , peut-être une maîtresse.
Des amis ou des parents leur ont élevé ce tombeau à tous deux.
La même observation peut s'appliquer à un quatrième bas-relief
que Montfaucon a tiré de Boissard (26). On y voit un repas entre
■ deux personnes ; l'homme sur le lit ; la femme assise au pied , le sein
nu, non voilée; un chien est couché à ses pieds, un serpent se
roule sur la table (je parlerai plus bas de ces deux accessoires).
L'homme couché est L. Stalilius Tenesimus; la femme, Terentia Suc-
cessa, d'après l'inscription : l. statilio. tenesimo. || terentia.
SVCCESSA. | PATRONO. BENE MERENTI. | F. F. Il s'ensuit que le
tombeau a été élevé par Terentia Successa à son patron. L'attitude
un peu libre de la Terentia , et son vêtement décolleté attestent
qu'après avoir été l'esclave de Statilicus Ténésimus, elle était devenue
sa maîtresse. Elle avait voulu représenter leur manière de vivre.
Ce résultat me semble assez remarquable , car il s'ensuit que de
ces quatre exemples où la femme est nue ou non voilée , portant des
inscriptions latines, deux ne concernent que des maîtresses. Dans
presque toutes les autres , la* femme est vêtue, presque toujours voilée,
toujours assise , presque jamais couchée sur le lit.
(23) Clarac, Mus. de Sculp., pi. 155, n° 338.
(24) Gruter, p. 843. Un autre semblable (Spon, p. 118) n'a pas d'in-
scription.
(25) Clarac , pi. 155, n° 339. Inscriptions , pi. 19.
(26) Ant. expl. III , pi. 57. Boissard , IV, p. 126.
358 REVUE ARCHÉOLOGIQUE,
Vous devez reconnaître, mon cher confrère, que vous n'avez pas eu
raison de me blâmer, pour avoir dit « que toute femme assise (vêtue
« ou voilée) est une épouse légitime, et toute femme couchée est une
« courtisane ou une maîtresse ; » ni d'ajouter (en vous fondant sur le
passage de Valère Maxime) « que la loi que je pose est bien loin d'être
« absolue, et que , si la femme de Danaiis est assise, c'est peut-être
« parce que la place manquait sur le lit. » Point du tout ; elle est
assise, parce que c'est la position de presque toutes les femmes en de
telles scènes; elle est vêtue et voilée, parce que c'était le costume
obligé des matrones. Il n'y a donc pas moyen de chercher une déesse
dans chacune de ces femmes !
Deuxième distinction, — En combattant ma proposition, mon cher
confrère, vous me paraissez avoir perdu de vue un autre fait, que je
signalerai à votre attention : c'est que , dans le grand nombre de ces
sujets, sculptés sur des monuments funèbres, il n'en est que quatre
ou cinq où la femme soit couchée à côté de Yhomme; et encore , dans
une attitude amoureuse qui annonce , non pas une scène paisible et
décente , comme le serait un repas entre l'homme et la femme , mais
une orgie, une débauche , entre un amant et sa maîtresse.
Un de ces exemples est fourni par un bas-relief du musée du
Louvre (27) , où l'on voit un homme barbu , demi-nu , aux formes
athlétiques, comme Danaùs, couché devant une table chargée de
mets; de la main gauche il tient une couronne, de la droite il prend
un vase que lui présente un jeune esclave ; sur le même lit est cou-
chée une femme demi-nue, qui se penche vers lui et l'embrasse amou-
reusement.
Voilà encore une scène familière , et de plus tout à fait erotique.
L'absence d'inscription ne nous permet pas de savoir si le tombeau avait
été élevé par la maîtresse à l'amant ou vice versa. Mais certainement
l'un ou l'autre a voulu représenter leur façon habituelle de vivre , et
mettre en action, sur le monument qui recouvrait l'un d'eux , cette
maxime, qui leur servait de règle : Ti âï Tsp7rvov , ârep xpvafiç Acppo-
ftnft; «Où serait l'agrément de la vie, sans la belle Aphrodite?» comme
disait Mimnerme(28); pensée imitée par Horace (29), qui se retrouve
(27) Clarac , pi. 160, n° 336. Un sujet analogue se voit dans Spon, p. 306 , 5.
(28) Ap. Stob. Florileg. LXUI, 6. 10. Cf. Naeke in Chœril., p. 223.
(29) Horat. Epist. 1,6, 65.
LETTRE V M, 1>H. LE BAS. 359
encore dans Catulle : Vivamus , mea Lesbia, atque amemur (30);
dans une inscription funéraire : Amici, ckim vivimus, vivamus (31), etc.
Un autre exemple est dans Un bas-relief funéraire, publié, d'après
Boissard(32),par Gruter et Montfaucon (33), on y voit un autre repas
épicurien, où un homme est couché sur un lit ; une femme est couchée
à côté ou plutôt sur lui; Uri serpent se roule sur la table. Une autre
femme , faisant fonction de cilhârède , assise dans un fauteuil à dos-
sier, chante, en s'accompagnant d'une sorte de mandoline; des en-
fants et trois femmes servent les deux convives. Si l'on pouvait avoir
des doutes sur la signification de cette scène et de la précédente ,
elle serait établie par l'inscription , gravée le long du bord du lit :
HAYCBIOCTOZHNrAYKYTOOANeiNYnOOIA... J'ignore si per-
sonne s'est occupé de cette inscription; mais je la lis et la complète
ainsi : Èâvç fiioç , xb £yjv* yAuxù xb Qxvsïv vxib <pia[Awv]. « Une
« existence douce, [c'est de] vivre ; il est doux de mourir au bruit des
« phiales. » Ces deux phrases sont remarquables.
1° Edvç ftioç, xb £?jv. On sait que Çyjv, ainsi que vivere, en latin,
signifie mener joyeuse vie , comme nous disons, faire la vie, être vi-
veur. Ainsi, Agathias s'adressant à un vieillard, lui dit : mve, yioov,
y.oà £nQi (34). Il y a donc ici opposition entre (3i'oç, la vie ordinaire,
et xb Çyv, la vie de plaisir; comme dans l'épitaphe de Similis, rap-
portée par Dion Cassius. Retiré des affaires, sur ses vieux jours,
Similis avait vécu sept années au sein du repos. Il fit mettre sur sa
tombe : Hipuhç evxavda. ksïxou* fiiovç piv ïxr\ x6ax9 tyiaoLç dl ïx-r\ Ç.
« Ci-gît Similis ; sur tant d'années qu'a duré son existence , il n'en a
« vécu que sept (35). »
2° VkuvAJ xb Baveïv vr.b <j>ta[Awv] , ce supplément me paraît certain,
puisqu'il y a place pour trois lettres après <Ï>IA. La locution est très-
belle et très-élégante ; vno s'employait au lieu de \lzx6l pour indi-
quer la cause concomitante. Hérodote : ivxpaxevovxo vnb aodmy-
ywv (36) , wpuffffov vnb uaortyeov (37) ; vitb xiopuxoç -nponyâ-
psue(38); Euripide: vn' ■ûxXsÏHç Baveïv , mourir accompagné d'une
bonne renommée (39), etc. De même xb 0av£tvu7:o9i«Awv, est mourir au
(30) Catull.V, 1.
(31) Gruter, p. 619.
(32) T. IV, p. 145.
(33) Gruter., p 843 ; Montf. Anl. expL, t. III , p. 57.
(34) Agath. ép. 26 , Afilhol. IV , p. 13 et la note de Jacobs.
(35) Dio Cassius , LXIX , 19 , et la note de Fabricius. — Cf. Boissonade , Anecd.
gr., t. IV, p. 151.
36) Herod. I, 17 et la note de Lareher.
(37) ld. vil , 22 , 56.
38; ld. IX, 98.
^39) Hippol. v. 1299. Cf. Matthiai, Ausfûhrl. gr. Gramm. §« 593 , b.
360 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
bruit des plùales , avec accompagnement de phiales ; yidlr, étant pris
ici d'une manière générique pour noxripiov (40).
Cette pensée a été gravée sur le bord du lit, parce qu'elle exprime
ce que chante la citharède, en s'accompagnant de la cithare ; ce sera
donc le refrain de quelque scolie (ffxo'Aiov), ou chanson à boire
(napolmoç «<%) qui se chantait dans les repas. Selon toute appa-
rence , ce sont des vers lyriques , où l'on peut s'attendre à trouver
cette irrégularité (axohbç vo^oç) qui distinguait ce genre de poésie.
Je soupçonne qu'ils étaient disposés ainsi :
nèbç (3toç , rb ÇfjV (- - « - ,9 -)
ylvM rb Bavêïv ( ««««-)
vnb yioàm. ( « » w « -)
Le premier vers peut être un iambique dimètre brachycatalectique ;
les deux autres, des monomètres , uniformément composés d'un tri-
braque et d'un iambe. Je préfère cette coupe, parce qu'elle suspend le
sens après Bavetv; ici la musique faisait une pose qui arrêtait la
pensée sur le paradoxe : yXuxù to 0aveîv, mourir est doux; puis,
après quelques moments de suspension, arrivait le correctif £7:0 cptaXwv,
au bruit des phiales, qui complétait la pensée; car dans ces scolia, comme
dans nos chansons, la musique s'ajoutait au mètre, pour compléter le
sens et l'effet. Le scolion, dont je crois retrouver ici un fragment, doit
être d'un bon temps , à en juger par l'excellent emploi de une dans
vnb cpiaXwv. Un poëtastre, de la basse époque qu'annoncent la forme
des lettres et le style du bas-relief, aurait parlé tout autrement.
Un sujet semblable , auquel se joint une pensée philosophique qui
est bien dans l'esprit des anciens, se remarque sur un bas-relief funé-
raire découvert à Chiusi (41). On y voit représenté un repas auquel
assistent plusieurs personnages, dont les deux principaux, l'homme
et la femme, sont couchés sur le lit tricliniaire; au-dessus d'eux sont
suspendues des guirlandes et des couronnes. Tout y respire la joie ;
mais derrière se montre une divinité infernale, cachée sous un lin-
ceul qui ne laisse à découvert que son visage; elle semble menacer
de mettre fin à toute cette allégresse. C'est la pensée de la mort qui se
mêle aux scènes les plus joyeuses de la vie ; les anciens aimaient à
rappeler, en de telles occasions, combien la vie est courte et passa-
gère ; ils y trouvaient un stimulant à se livrer au plaisir avec plus
d'abandon: Ilîve, noiïÇe, Qvnrbç 6 |3toç* oltyoç ovnl ytiç yjpovoç.
« Bois (dit le poëte Amphis) et amuse-toi, la vie est mortelle; tu
(40) Voy. mes Observations sur les noms des vases, p. <»5.
(41) Emil Braun , dans le Bullelino dell' Inslit., ann. 1844 , p. 87.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 361
« n'as que peu de temps à passer sur terre (42) ; » pensée qui fait le
fond de la fameuse épitaphe de Sardanapale (43). Le poëte anacréon-
tique dit de même : « Dans peu, nous ne serons que poussière. Cou-
ce ronnez-moi donc de roses et faites venir mon amie (44). » Quand
Trimalchion , à l'imitation des Egyptiens , fait apporter un squelette
au milieu du festin, il s'écrie : Sic erimus cunctl... ergo vivamus,
dum licet esse bene (45).
Le bas-relief de Chiusi n'est que la traduction d'une pensée qui a
été très-bien exprimée par l'auteur de l'opéra des Danàides, et mer-
veilleusement mise en relief par la muse de Salieri :
Souvent, sans bruit, la mort se glisse ,
Et nous frappe au sein des plaisirs.
Ce sont là, mon cher confrère, autant de scènes familières ou
d'actes de la vie privée , qui se retrouvent sur des vases grecs et dans
des peintures murales de tombes (46); elles expriment la pensée
joyeuse que les anciens aimaient à rappeler au moment suprême , en
reproduisant sur leurs monuments funèbres les images de la vie sen-
suelle (47). Telle est cette charmante peinture d'Herculanum (48) qui
représente un homme demi-nu, couché sur un lit, buvant apuori,
à même d'un rhython , et ayant devant lui une jeune femme , sa maî-
tresse (49), assise sur le lit, le bras gauche amoureusement appuyé
sur sa cuisse ; scène erotique tout à fait semblable à plusieurs de
celles qui viennent d'être citées, et qui en montre clairement la na-
ture et la signification.
Ainsi, la tombe des célibataires, qui avaient vécu dégagés des
liens moraux de la famille, était décorée des joyeuses images de leur
vie passée; mais, sur celle des pères ou mères de famille, on repro-
duisait principalement la scène qui les montrait réunis, avec leurs
enfants et leurs esclaves, autour de la table du repas quotidien.
En deux exemples, nous avons une scène familière d'un tout
(42) Ap. Athen. VIII, p. 336 , E. — Meineke, Fragm. poet. corn., t. III, p. 303.
. (43) Cf. Naeke, ad Chœril., p. 223, sq.
(44) Pseudo-Anacr. od. 4.
(45) Petron. Salyr., c. 34, p. 197. Burin.
(46) Entre autres , Mon. dell' Jnstit. t. II, pi. 33.
[WyMuseo Chiusino, pi. 36, 38, 106 , 123, 183.
(48) Peint. d'Hercul., t. 1 , pi. 14 , p. 75, 79.
(49) L'interprète dit una moglic o un' arnica. Tout ce qui précède rend lé
deuxième plus probable.
III. 24
362 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
autre caractère (50). L'homme couché et la femme assise à côté de lui
ont devant eux une table sur laquelle on ne voit ni mets ni vases à
boire ; chacun d'eux tient un volume qu'il lit tranquillement de son côté.
L'inscription latine porte quAlfidia Irène a élevé ce tombeau à
son mari , C. Alfidius Callippe , et à son fils , G. Alfidius Trium-
phalis. Elle a donc voulu se représenter, elle et son mari (défunt) ,
dans l'occupation qui charmait leur intérieur, lorsque, à côté l'un de
l'autre, chacun d'eux passait les longues soirées d'hiver à lire un
livre qui les intéressait.
Une autre fois, nous voyons le mari et la femme paisiblement assis
à côté l'un de l'autre sur un sopha et faisant la conversation (51).
Ce sont encore là des actes Je la vie privée, dont l'objet ne peut lais-
ser de doute.
Une scène familière d'un genre différent est représentée dans un
bas-relief de Cyzique (52). Un homme, accoudé sur les coussins
d'un lit, couronne une femme vêtue et voilée, assise au milieu et sur
le bord du même lit , les pieds sur un escabeau ; un jeune homme
est debout, derrière l'homme couché qu'il couronne à son tour.
La table n'est pas devant , la place étant prise ; elle est reculée au
pied du lit. Aussi les personnages sont occupés à tout autre chose
qu'à manger. Sur la table , il n'y a pas de mets , on n'y voit que deux
vases, un cratère et une coupe; deux jeunes filles, dont l'une est
adulte, contemplent les trois personnages. 11 est évident que le repas
est fini, et qu'à l'issue on célèbre quelque cérémonie, comme serait un
anniversaire de mariage ou de naissance, dans laquelle la fille cou-
ronne son père, et celui-ci son épouse; car telle est la condi-
tion des trois personnages ; comme le prouve surabondamment l'in-
scription: M^vioçEp^«tou,yuvy) NdcoîtoXiç, vibç Ayjprrpioç, xat'P£T£ (53).
« Ménius, fils d'Hermœus, Nicopolis, sa femme, Démétriusf son fils;
« adieu (tous trois). » Autre scène ^intérieur, dont le souvenir était
cher au parent ou à l'ami qui leur a élevé ce tombeau.
Les exemples que je viens de citer vous feront peut-être regretter,
mon cher confrère , d'avoir dit que c< l'idée de voir des scènes de
(50) Boissard, IV, pi. 92.
(51) Mus. Capitol. IV, pi. 29.
(52) Caylus , Recueil , t. II , pi. 74 , p. 265.
(53) Le nom de Mrjvtos , qui manque au lexique de Pape , se retrouve dans une
inscription des environs de Cyzique (Corp. Inscr., n° 3699). C'est le même que
M>?vis(/d. n° 1685), venant du dieu M>fr.
LETTRE A M. PH. LE BAS. 363
« famille ou d'intérieur dans ces bas-reliefs est contraire aux usages
« de Vantiquité; » car il est clair à présent que, dans tous ceux que
je viens de citer, et dans ceux qui leur ressemblent, le sujet ne peut
avoir d'autre signification ; et qu'il exprime, dans ses variétés, soit les
situations ou conditions diverses des personnes en l'honneur de qui
ces monuments furent élevés , soit la pensée qui les occupait au mo-
ment suprême, ou était censée chère à leur mémoire.
Je vais compléter ces résultats au moyen des autres inscriptions.
Celles que je viens de rapprocher des bas reliefs qu'elles accompa-
gnent montrent déjà quelles se rapportent aux personnages dont elles
font connaître le nom et la qualité.
Si je ne me trompe , il en e9t de même de toutes celles dont on
peut deviner le sens; elles expliquent le rapport des personnages entre
eux , et par conséquent la nature du sujet, presque aussi clairement
que peut le faire l'inscription de Danaùs; enfin elles prouvent que les
principales figures de ces bas-reliefs sont des portraits, autant que l'a
permis la petitesse ou la faiblesse de l'exécution ; en sorte qu'ils nous
offrent le plus souvent, non seulement un acte de la vie privée, mais
un vrai tableau de famille.
C'est après avoir éclairci ces divers sujets, que j'arriverai à votre
bas-relief de Merbaka et à ceux de même espèce, qui sont bien réel-
lement des banquets funèbres, où les deux convives sont des défunts ,
mais représentés ad formam deorum ; sujet distinct , à la fois , et des
précédents, et des ex voto, avec lesquels on rte doitpas les confondre.
Je finirai donc par où vous avez commencé ; mais peut-être juge-
rez-vous que ce détour était nécessaire pour pouvoir justement ca-
ractériser ces sujets, si divers dans leur apparente uniformité, et
fixer le sens des accessoires qui les accompagnent, tels que le chien,
le serpent , la tête de cheval , et les objets d'armure , qu'on y trouve
quelquefois représentés ; lesquels , dans ces cas au moins (je m'ex-
plique), ne me paraissent pas avoir la signification symbolique que
vous leur attribuez, ainsi que d'autres habiles archéologues. Vous
allez juger, au reste , de la valeur des raisons sur lesquelles j'appuie
cette théorie, si différente de la vôtre.
Letronne.
(La suite à un prochain cahier.)
MEMOIRE
sur
LES DIVALIA ET LES ANGERONAL1A
COMME CULTE SECRET DE VÉNUS CHEZ LES ROMAINS.
TROISIÈME PARTIE (1).
§ IV. (PI. 51 , fig. 8.) Nous empruntons encore cette figure à
Caylus (2) , qui l'accompagne des réflexions suivantes : « Cette gra-
vure, sur une cornaline, se ressent encore beaucoup des impressions
égyptiennes ; mais tout est énigme dans le sujet : la principale figure
représente une femme drapée , et qui porte de très-grandes ailes.
Les Romains ont été dans l'habitude de représenter ainsi la Victoire ;
d'ailleurs, je ne connais point d'autre divinité que l'on puisse soup-
çonner : il est vrai que le silence ne fut jamais un attribut de cette
déesse légère et bruyante ; cependant elle a le doigt sur la bouche ,
et semble recommander le secret à un Amour assis par terre et sur le
premier plan , dont la disposition est absolument celle d'un captif.
Il paraît appuyé contre un piédestal qui porte la représentation d'un
griffon ailé , auquel la Victoire offre ou laisse prendre trois palmes
qu'elle tient dans la main qui n'est point employée à caractériser le
secret.
<c On avoue , sans rougir, quon ne comprend rien à une pareille com-
position.
« La gravure de cette pierre est médiocre dans toutes ses parties ;
la bizarrerie du sujet peut seule la rendre recommandable. »
L'aveu que fait ici un archéologue si renommé montre combien
dans la science de l'antiquité, ainsi que dans toutes les autres, lors-
qu'il s'agit d'un point particulier, tout l'édifice peut pendant longtemps
être mal établi à défaut de la clef de voûte. Cette clef de voûte dans
l'histoire du culte d'Angérone , c'est son identité avec Volupia, c'est-
à-dire Vénus. Avant que ce point ne fût élucidé, l'explication des
(1) Voir la Revue, t. III, p. 321-334.
§ IV. (2) Recueil, t. VI, p. 262 ; pi. 81 , flg. 2.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 365
monuments était impossible, et, comme si le silence recommandé par
Angérone elle-même dût se prolonger indéfiniment, son culte res-
tait obscur même pour les plus profonds connaisseurs de l'anti-
quité. Au contraire, cette identité une fois trouvée, les ténèbres
qui entourent cette déesse se dissipent. La figure dont il s'agit ici
est, de la manière la plus évidente, une Angérone victorieuse ou
Venus Victrix Angeronia. Son attitude est absolument la même que
dans les autres statues; seulement, ici c'est l'index gauche qui clôt
la bouche , la main droite tenant les palmes, attributs de la Victoire.
Ses formes parfaites , les beaux contours de son sein , la draperie de
sa tunique, sa ceinture lâche, sa belle chevelure, arrangée comme
dans les autres figures et statues de Vénus et d'Angerona , et , pour
ne point laisser de doute , l'Amour assis à terre devant elle : tout
enfin indique Vénus. Les ailes, attribut, comme les palmes, de
Venus Victrix, sont plus grandes que ne le sont d'ordinaire les ailes
de la Victoire , sans doute pour faire allusion à Vénus Uranie. L'A-
mour aussi, peut-être par la même raison , a des ailes plus grandes
que de coutume. Par ses mains liées derrière le dos , on a voulu pro-
bablement indiquer qu'on doit proscrire la légèreté et l'imprudence
dans l'accomplissement des rites sacrés; que la raison, au contraire,
doit dominer le sentiment et réprimer les mouvements de la passion ,
lorsqu'il s'agit d'une religion sur laquelle repose le salut de l'État. On
peut donc reconnaître encore dans cette attitude de l'Amour une allu-
sion au secret exigé dans le culte de Vénus-Angérone. Enfin , cette
déesse elle-même est placée devant un griffon ailé posé sur un piédes-
tal. Cet animal , absolument dans la même attitude que nous lui
voyons ici , se trouve figuré sur quelques monuments , avec la patte
qui est élevée reposant sur une roue (3). En tant que symbole du
soleil , il concourt ici à désigner d'une manière mystérieuse Vénus
Uranie , parmi les attributions et les emblèmes de laquelle se trou-
vait cet astre (4).
TROISIÈME SECTION.
Monuments figurés, où Angerona revêt la forme mâle.
§ I. Nous nous sommes déjà expliqué d'une manière générale sur
les monuments compris dans cette section (1). La déesse tutélaire de
(3) Maffei, Gemm. ant. fig., II, 15, et surtout De la Chausse, Roman. Mus.
T. I, sect. v,tab. 8.
(4) Lajard , Mém. sur la Pènus Androgyne , loc. cit., p. 177.
§ I. (1) Voy. p. 224, troisième alinéa.
366 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Rome était primitivement cette Vénus orientale bisexuelle dont par-
lent plusieurs auteurs. De là vient l'inscription du bouclier consacré
qui existait au Capitole : Gemo urbis Romœ , sive mas, sive femina (2).
Delà également l'interdiction, mentionnée par Plutarque, de la re-
cherche du sexe de cette divinité (3), Le dédoublement de cette Aphro-
dite androgyne ( ààpevéB-olvç) (4) a produit un dieu Vénus mâle (5).
Cette circonstance explique pourquoi Angérone prend quelquefois
l'extérieur d'un jeune garçon ou celui d'un homme. Parmi les figures
qui jusqu'à présent ont été classées parmi celles d'Harpocrate , nous
en trouvons plusieurs que nous ne pouvons nous empêcher de regar-
der comme des Angérones.
Dans les images et statues où Angérone, selon nous, revêt la
forme d'un enfant mâle ou d'un homme, il est vrai qu'il y a très-sou-
vent un mélange d'attributs qui rappellent Harpocrate; mais il n'y a
rien là qui doive nous étonner. De même qu'Angérone ordonne le
silence sur le secret de sa conformité avec Vénus , Harpocrate le
commande en sa qualité de dépositaire et de gardien des mystères
d'Isis et d'Osiris. Il est permis en même temps de rappeler l'analogie
qui existait, surtout d'après un passage de Varron (6), entre Vénus
orientale (Astarté) , Cybèle et Isis, déesses qui toutes étaient la per-
sonnification des grandes forces de la nature , et , plus particulière-
ment, de la reproduction. Il n'y a donc rien de surprenant dans
l'analogie qu'on trouve entre Harpocrate et Angérone, et dans la
similitude d'une partie de leurs attributs.
Cette similitude devait être augmentée forcément , et même avec
l'intention calculée d'entourer de ténèbres la véritable signification
d'Angérone , dans les siècles où, par suite du polythéisme romain,
le culte des divinités égyptiennes fut mêlé à celui des dieux du
Latium et de la Grèce, On trouvera donc moins étrange de ma
(2) Serv. ad Mn. II, 351.
(3) Voy. Revue archéologique , 2e année , p. 636.
^4) Joh. Lydus, de Mensib., éd. Rœtber, p, 26. Codinus (Selecta de originib.
conslanlinopolilanis. Aurel. Allobrog. 1607, in-8, p. -i5) dit avoir vu à Constan-
tinople la statue de l'Aphrodite bisexuelle. Il ajoute expressément que celte Vénus,
révérée par les Romains, était figurée avec les attributs des deux sexes , pour indi-
quer qu'elle présidait à la reproduction de l'espèce (ifopoç ysvéfxswç), et qu'Enée
avait érigé en l'honneur de sa mère un simulacre ayant cette forme (tôv fxriTépa
£Tt//.»;ff5 TOtOÛTW àyscA/iart).
(5) Voy troisième partie , p. 224 , note 1.
(6; De L. L. IV, p. 17, éd. Biponl. Principes d«i , Cœlum et Terra ; hi dei iidem,
qui in ^Egypto Serapis et Isis, et st [etsi?J Harpocratesdigito [silentium ?] signitu-.it;
qui sunt Taautes et Aslartu apud Pliœnicas, ut iidem principes in Latio Saturnus
et Ops.
MEMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 367
part une opinion qui peut d'abord sembler paradoxale , et qui ,
cependant , découle naturellement de la corrélation entre la divi-
nité tutélaire de Rome et la Vénus orientale androgyne, dont le
dédoublement a produit une Vénus mâle. Je crois donc qu'il existait
une Angérone mâle , d'après le même principe qui fît représenter
aux Cypriotes leur Aphrodite avec une barbe et d'autres attributs de
la virilité. Nous avons d'ailleurs vu que l'image d'une Angérone
mâle a été trouvée dans la ciste mystique de Pennacchi (7).
§ IL Guper (l) a figuré un jeune garçon ailé et presque nu,
ayant le bras gauche appuyé sur une massue entourée d'un serpent,
près de laquelle se trouvent deux oiseaux. L'index de sa main droite
est appliqué sur les lèvres fermées. A côté de son pied droit se
trouve un lièvre. Dans cet enfant, que Cuper regarde comme un
Harpocrate, nous voyons Amor-Angerona , dans la massue l'allusion
déjà signalée au mot Home (2), dans les oiseaux, les colombes de
Vénus.
Quant au serpent , nous avons parlé de ses rapports avec Vé-
nus (3). Le lièvre était consacré à Aphrodite (4), principalement
à cause de sa prodigieuse fécondité, qui avait frappé les anciens (5) ,
mais aussi, très-présumablement, à cause d'une fable bizarre qui ,
chez eux, s'était accréditée sur cet animal (6). Le mâle, dans les
fonctions de la reproduction de l'espèce, passait pour remplir l'office
des deux sexes : tantôt il fécondait; tantôt, fécondé à son tour, il
mettait des petits au monde. Peut-on méconnaître ici , dans la con-
sécration à Vénus de cet animal réputé hermaphrodite, un nouvel
indice d'Aphrodite androgyne?
Tous les emblèmes réunis sur cette planche de Cuper se rappor-
tent donc aussi bien , et mieux peut-être , à Vénus qu'à Harpocrate.
Il en reste deux seulement capables de soulever quelques doutes , le
vase que la figure porte au bras (situla), et le lotus placé sur sa tête.
(7) Voy. p. 323 , n. 4.
§ II. (1) Harpocrates, p. 2.
(2) Voy. sect. n , § III , avant la note 4.
^3) Sect. ii , § I , note 5.
(4) Philostrat. Icon. I, C, éd. Olear. p. 772. Aayws, îepetov 'AfpoSîry fàiorov.
Eustath. ad Iliad. A , 206 , p. 87. Kaî Aaywèç èpûroiv àvâfly?/*a.
(5) Herodot. III, 108, copié par Pline , H. N. VIII, 55, § 81.
(6) Plin. H. N. VIII, 55 , § 81. yElian. de Anim. nal. XIII, 12. Geoponic,
XIX, 4. Cette erreur reposait peut-être sur la fausse interprétation et l'amplification
d'une particularité observée par Aristote {H. A. V, 2) : pendant l'accouplement la
femelle monte quelquefois sur le mâle. Dans le siècle dernier cette fable n'avait pas
encore perdu toute croyance. Voy. Niclas sur les Géoponiques , p. 1219.
368 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Mais nous avons aussi vu ce dernier, dans le § T de la seconde sec-
tion , parmi les emblèmes d'une déesse , qui est très-manifestement
une Angérone et ne peut être expliquée autrement. Il n'y a donc
pas lieu de se laisser arrêter par. quelques symboles du dieu égyp-
tien. Les artistes romains, par des raisons que nous avons déjà
développées, les ont ajoutés à ceux d'Angérone, divinité que les
précautions de leurs prêtres avaient réussi à leur rendre incompré-
hensible, et à faire prendre souvent pour Harpocrate.
§ III. Aux pages 32 et 118 de son ouvrage cité, Cuper a fait
graver deux autres figures d'Harpocrate, presque entièrement con-
formes, par leurs attributs, à celle que nous venons de décrire. Il
doit être facile d'en réunir d'autres semblables , mais nous nous en
dispenserons; car nous ne croyons pas que cela puisse répandre au-
cune nouvelle lumière sur notre sujet.
La ressemblance entre les symboles de Vénus et d'Harpocrate n'a
d'ailleurs rien qui doive surprendre, ce dernier étant regardé comme la
personnification du soleil, astre qui, nous l'avons déjà dit (1), est
dans les attributions de Vénus-Uranie. Celle-ci, en outre, a été re-
gardée par les Romains comme analogue à l'Isis (2) des Égyptiens,
dont les mystères étaient confiés à la garde d'Harpocrate .
§ IV (1). 11 y a peu de jours, on a découvert, dans le cabinet des
médailles de la Bibliothèque royale, une figurine d'Angérone, en tous
points semblable à celles qui sont décrites dans les § III et IV de la
lre section, et représentées pi. 51, fig. 2.
La coiffure, la nudité complète, les formes du torse , la position
des mains , et surtout celle de la main gauche , tout enfin rend
l'identité complète. Ici encore la main gauche est placée par der-
rière et la main droite sur la bouche ; malheureusement il ne reste
plus qu'une partie de cette main qui, toutefois, est dans une attitude
telle que l'on peut parfaitement reconnaître de quelle déesse il
s'agit. Cette figurine est en argent; il y a entre elle et les autres
monuments du même ordre une différence marquée, quant à leur
destination probable. Ce n'est ni un amulette, ni une statuette à
piédestal libre. Le petit socle sur lequel elle repose est soudé à la
partie supérieure d'une sorte de style également en argent, qui va en
s'amincissant de haut en bas et se termine en pointe à son extrémité
S III. (l) Sect. ii, §IV, fin.
(2) Varro, loc. cit.\oy. ci-dessus , p. 3G6 , n. 6.
§ IV. (1) Ce paragraphe et les deux suivants complètent la première section dont
ils forment les § IX à XI.
MEMOIRE SUR LES D1VALIA ET LES ANGERONALIA. ,'}69
inférieure, ce qui fait croire qu'il s'agit ici d'une
épingle à cheveux. C'est aussi parmi les épingles
à cheveux que cet objet d'art se trouve classé dans
la collection.
§ V. Parmi ces épingles , il y en a une autre
en cuivre, dont la partie supérieure porte une
figurine très-fruste, mais dans laquelle je crois
reconnaître une Angérone mâle , ou plutôt une
statuette tout à fait semblable à celle décrite, dans
le § VII de la 1" section (l), par M. Gerhard,
qui la rapporte au culte de Bacchus à tête de
lion.
Le côté antérieur de cette figurine me semble
présenter les particularités suivantes, que, néan-
moins, vu son état de dégradation, je n'ose donner
comme positives. La tête , sur laquelle la main
droite est appliquée , est celle d'un lion ; les
parties génitales indiquent un homme ; Tavant-
bras gauche occupe la partie postérieure et in-
férieure du corps.
Le dos et le derrière de la tête sont tellement
altérés qu'on ne saurait juger si primitivement
une seconde figure était adossée à celle que je
viens de décrire; mais je penche pour l'affirmative.
Il ne paraît pas y avoir eu de socle , et les pieds ne sont pas sou-
dés, mais font corps avec la partie supérieure de l'épingle.
§ VI. M. Prévoteau, à Chartres, possède une petite statuette
d'Angérone, en cuivre fortement oxidé, d'un travail assez grossier et
dans un état de conservation peu satisfaisant. Elle a 47 millimètres
(21 lignes) de hauteur. On l'a trouvée, vers le milieu du mois de
juin de cette année , au débarcadère du chemin de fer de Chartres,
avec des fragments de poteries romaines.
Sa nudité complète, son attitude, sa chevelure épaisse enroulée au-
tour de la tête, la main droite placée sur la bouche et la gauche forte-
ment tendue sur la fesse du même côté, enfin , une bélière entre les
épaules, lui donnent la plus parfaite ressemblance avec la statuette
décrite d'après Caylus dans le § IV de la première section.
Je dois ces détails descriptifs à la bonté de MM. Cartier fils et
Prévoteau , et je regrette de ne pouvoir donner un dessin de cette
1) P. 325, alinéa 2 et 3.
370 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
figurine, mais je n'en ai eu connaissance qu'au moment de la mise
en pages du présent cahier de la Revue.
Les monuments inédits décrits dans les trois derniers paragraphes
viennent de nouveau à l'appui de ce que j'ai dit sur l'identité de
Vénus et d'Angérone. Ils confirment l'explication que j'ai donnée de
l'attitude particulière de cette dernière, et l'opinion que j'ai émise (1)
sur l'interversion probable de la position des deux bras dans les deux
gravures de Caylus.
QUATRIÈME PARTIE.
§ I. Historique. Pour rendre ces recherches aussi complètes que
possible, j'ai compulsé consciencieusement tous les auteurs qui se
sont occupés de ce sujet, à l'exception d'un seul, J. van Vliel,
prœside Christophoro Saxio , Diatribe de dea Angerona , Trajecti
Batav., 1766,in-4°, qu'aucune bibliothèque publique de Paris ne
possède, et que je n'ai même pu jusqu'ici me procurer dans celles
de la Hollande et de la Belgique. Aucun auteur, pas même ceux
qui se sont spécialement occupés du culte de Vénus et des mys-
tères , n'a soupçonné l'identité de Vénus et d'Angérone. Cette der-
nière n'est que très-superficiellement mentionnée dans les ouvrages
les plus remarquables sur les religions des anciens. Dans la Symbo-
lique de M. Creuzer , son nom n'est prononcé qu'une seule fois et en
passant (1). Sainte-Croix \ dans son Traité des mystères, n'en a point
parlé du tout. M.Hartung (2) regarde Angeronia comme la déesse de
l'anxiété , et comme un être directement opposé à Volupia. M. L. La-
croix (3-4) passe sous silence l'une et l'autre de ces divinités. Klau-
sen et M. Gerhard , non plus que les autres archéologues , ne soup-
çonnèrent la véritable signification de cette divinité. Le premier
dit (5) qu'elle est plutôt le gardien du secret du génie de la ville de
Rome que ce génie lui-même. Le second (6), en saisissant les indices
fournis dans le passage déjà cité de Macrobe (7) , passage que , par
erreur, il regarde comme le seul qui puisse nous éclairer sur Angé-
(1) P. 322, note 4.
§ I. (1) Ed. 2, t. II, p. 1004 (livre II, en. ix), note 248.
(2) Die Religion der Rœmer, t. II, p. 247.
(3-4) La Religion des Romains. Paris , 1846.
(6) Rlausen , ACneas und die Penaten, t. II , p. 1037. Hamburg, 1840,
(6) Ed. Gerhard, Prodromus mythologischer Kunsteiklœrung, p. 103, note J4â.
MUenchen ,1828.
(7) Voy. Revue archéologique , 2« année , p. 636 , en haut.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ÀNGERONÀLIA. 371
rone, dit que le génie de la ville de Rome a été interprété tantôt
comme Jupiter, tantôt comme Némésis-Hécate Rhamnusienne. Puis
il ajoute les mots suivants, qui sont dune grande vérité: «Privé
que nous sommes des formules empruntées aux temples qui pour-
raient déterminer les rapports de ce démon énigmatique avec les au-
tres divinités romaines, nous pouvons à peine échapper à des procé-
dés arbitraires, quand il s'agit ici d'interpréter ou de choisir Mais
peut-être que des comparaisons générales d'anciens mystères on
pourrait faire ressortir une solution môme pour cette énigme. » On
voit que la solution s'est fait attendre jusqu'au moment où une de
ces formules empruntées aux temples nous a été révélée par le cachet
de Sepullius Macer; car cette pierre, fût-elle fausse, n'en doit pas
moins avoir été composée avec des éléments puisés dans des monu-
ments antiques se rapportant aux mystères et qui n'existent plus
aujourd'hui. En faveur de cette assertion il suffit d'invoquer la con-
formité remarquable entre le sens des inscriptions de ce cachet et ie
résultat de nos recherches sur les figures d'Angérone.
§ H. Conclusion. D'après tout ce qui a été dit jusqu'ici, l'identité
qui existe entre Angerona , Volupia , Vénus et Cybèle , dans le culte
de l'ancienne Rome, ne nous semble pas douteuse. Nous avons encore
à mentionner Junon et Ops, divinités qui, conformément à la teneur
d'un passage déjà rapporté (1), avaient été; regardées , d'après cer-
taines autorités citées par Macrobe, comme le génie tutélaire de Rome.
Elles aussi se confondaient avec Vénus-Angérone , ou lui étaient
substituées successivement (2). Junon était synonyme de la Mère
des dieux. On représentait l'image d'Astarté-Cybèle à Hiérapolis
sous la forme de Junon, avec la tour et le sceptre de Cybèle et la cein-
ture (jteoroç) de Vénus-Uranie (3), La truie blanche, si importante
dans les mystères de Vénus Énéade (3 b) , a été sacrifiée à Junon la
grande déesse; et si Virgile, avec une emphase extraordinaire et néan-
moins avec une certaine hésitation ? dit , à cette occasion (4) : sus ,
Qnampius jEneas tibi enimjibi, maxuma Juno, Mactat sacra ferens;
cela me semble indiquer que, initié peut-être comme ami de la fa-
mille julienne aux secrets de la religion de l'État, il n'osait révéler
S II. (i) Voy. Revw Archéologique , 2e année , p. 636 , en haut.
(2; Il n'estpas impossible que la déesse Tacita, mentionnée par Plutarque {N\imat
c. S) et Ovide (FasJ. 11,569, sqq. et surtout 581), se rapporte également à Ange
rone Toutefois c'est une question difficile à résoudre.
(3) Lucian., de Dea syria,% 32 , p. 478. , éd. Hemsterh.
(3b) Voy troisième partie, sect. i, § V.
(4) Mn. VIII, 83, sqq.
37*2 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
autrement que par une réticence l'identité de cette Junun la grande
déesse avec la Mère des dieux, c'est-à-dire avec Vénus-Cybèle, déesse
tutélaire de Rome (4 b). Cette même identité avec les déesses de la re-
production et de la fécondité ressort mieux encore dans Juno Lucina.
C'est pour cette raison , et pour donner le change à l'indiscrète cu-
riosité des profanes , que les triumvirs monnayeurs, prêtres de la re-
ligion de l'Etat, avaient mis le système monétaire de Rome sous le
patronage de Juno Moneta, dont la tête, sur les médailles (5), est
absolument celle de Venus Genitrix. Quant à Ops elle-même , son
nom n'est qu'un de ces noms latins, tels que ceux de Volupia et d'An-
gerona , sous lesquels les prêtres romains avaient caché Vénus-Cy-
bèle. Seulement ils attribuaient à Ops des points de ressemblance
avec Junon qui , elle aussi , sous le nom de Lucina , quoique dans
d'autres circonstances, portait secours (6). C'est ainsi qu'Ops pouvait
être regardée comme cette déesse tutélaire obscure « qui était in-
connue même des plus savants (7). » Aussi un vieux glossaire (8),
en définissant Angérone : ri Qebç fiovliiç xal xaipàv, vient-il corrobo-
rer l'opinion qu'Ops Consivia, ainsi appelée, comme Consus(9), a
consiliis, n'était autre qu'Angeronia. On substituait Jupiter lui-même
à la divinité tutélaire , pour ne pas le frustrer d'un culte qui était
dû au maître de la terre et des cieux. De là vient qu'on voit sa tête
sur des monnaies dont le revers porte Venus Victrix avec l'inscrip-
tion Roma.
Le polythéisme romain forme de cette manière un cercle fermé de
toutes parts, dans lequel se trouvent comprises les divinités nationales
et étrangères, rangées autour de Vénus-Cybèle. C'est vers celle-ci
qu'elles convergent toutes. Ses représentants les plus importants
étaient Angérone, Volupia, Ops et même les Pénates, c'est-à-dire
les Dioscures. Junon, Diane, Minerve, Isis, et jusqu'aux dieux
(4 b) Servius ad loc. cit. Quaesitum est quae sit Juno maxima. Nam, ut diximus,
variai sunt ejus potestates : ut Curctis, Lucina, Matrona, Regina. Et dicunt theo-
logi ipsam esse matrem Deûm , quae Terra dicitur, unde etiam porca ei sacrificatur.
Ergo perite elegit epitheton , ut maximam diceret.
(5) Carisia, Mor. III, iv.
(G) Juno Lucina, fer opeml Terent. Andr. III, i, 15. — Ipse (Jupiter) sit Lu-
cina, quœ a parturientibus invocetur; ipseopem ferai nascentibus, excipiendo
in sinu terrœ, et vocetur Opis. S. Augustin. Civ. D. IV, 11.
(7) Macrob. loc. cit. Voy. p. 371, n. 1.
(8) Salmas. ad Solin. c. 1.
(9) Festus, v. Consulia. Consus quem Deum consilii putabant. — S. Augustin.
Civ. D. IV, 11. (Jupiter) Ipse sit et Deus Consus, prœbendo consilia.— Une autre
étymologie fait dériver le nom Consivia a conserendo.
MÉMOIRE SUR LES DIVALIA ET LES ANGERONALIA. 373
mâles , tels que Jupiter, avaient leur part dans ce culte primitive-
ment consacré à la Nature créatrice, mère de tous les êtres (9 b).
La vraie signification de ces divinités, leurs noms véritables et
pour ainsi dire intimes , surtout le nom hiératique du génie tutélaire
de Rome , d'après les lois religieuses sur lesquelles des auteurs dignes
de foi ne nous laissent aucune espèce de doute, devaient rester cachés
pour les masses , et n'étaient connus que des prêtres et d'un petit
nombre d'initiés. Nous insistons de nouveau sur cette idée qui, loin
d'être imaginaire, nous semble reposer sur des bases solides. Elle est
encore confirmée par un passage très-explicite de Servius (l 0) que
nous avons oublié de rapporter.
Sans parler de l'exécution déjà mentionnée de Valerius Soranus,
Denys d'Halicarnasse (1 1 ) et Ovide (1 2) nous fournissent des exem-
ples de ce scrupule religieux qui interdisait d'appeler par son vrai
nom la divinité protectrice, pour laquelle les Romains professaient
une si haute vénération. 11 ne faut pas chercher d'autre cause à l'ab-
sence de nom latin ou grec chez les anciens Romains pour exprimer
Vénus, non plus qu'au silence complet des Saliens qui , dans leurs
chants , ne font aucune mention de cette déesse (1 3). Dans les temps
primitifs de Rome , elle n'était invoquée ostensiblement que sous les
noms de Volupia, d'Angeronia, d'Ops ou des autres divinités qu'on
lui substituait.
Ce travail, assurément, à cause de la nouveauté et de l'importance
du sujet, comporterait des développements plus étendus ; mais actuel-
lement ni le temps ni les dimensions d'une publication mensuelle ,
ne nous permettent de nous y livrer.
(9 b) Apulei Melamorph. 1. XI, paulo post initium : Rerum Natura parens ,
elementorum omnium domina. . . .., cujus numen unicum , multiformi specic , rilu
vario, nomine multijugo, totus veneralur orbis. Me primigenii Phryges Pessinun-
ticam nominant deum matrem; hinc Autochthones Attici Cecropiam Minervam ;
illinc fluctuantes Cyprii Paphiam Vcnerem; Crêtes sagittiferi Dictynnam Dia-
nam;. . . Junonem alii ; . . . et. . . ^Ethiopes , Ariique, priscaque doctrina pollentes
iEgyptii. . appellant vero nomine Reginam Isidem.
Sur l'analogie entre Vénus et Isis comparez aussi p. 334 , n. 21 , et troisième par-
tie, sect. m, § III, n. 2.
(10) jEn. II, 351. Excessere omneslemplis adytisque reliclis Di quibus impe-
rium hoc stelerat. Quia ante expugnationem evocabantur ab hostibus numina ,
propter vitanda sacrilegia. Inde est, quod Romani celatum esse voluerunt , in
cujus dei tutela urbs Roma sit, et jure pontificum cautum est, ne suis nominibus
dii Romani appellarentur, ne exaugurari possint, etc.
(11) Antiq. rom.J.I, 67 fln. 68 init.
(12) Metamorph. XV, 867, sqq.
(13) Macrob. Satum. 1, 12.
374 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Si quelques-unes de nos opinions et de nos conjectures sem-
blent trop hasardées, nous prions les lecteurs de ne pas oublier
qu'elles ne sont, pour ainsi dire, que le résumé des idées développées
dans la deuxième partie supprimée par manque d'espace. Nous avons
donc l'espoir que, jusqu'à sa publication, on voudra bien ne pas
juger trop sévèrement celles de nos assertions dont l'exactitude,
quanta présent, ne paraîtrait pas suffisamment démontrée.
SlCHEL D. M.
SUR
LES NOMS DES ARTISTES GRECS OU ROMAINS.
(deuxième article.)
Dans le premier article, publié il y a cinq mois (Reçue, p. 34 et
suiv. de ce volume), j'ai dit que mes observations ont été rédigées
principalement en vue du Supplément au Catalogue des Artistes de
M. Silligt par M. Raoul Rochette , ouvrage dont le but est de résu-
mer ce qu'on savait , à l'époque de sa publication , sur un sujet qui
intéresse à un haut degré Yhisloire de Vart chez les anciens. J'ai dit
aussi que je désirais tirer de mon travail une double utilité ; et qu'en
rectifiant les principales des nombreuses et graves erreurs que con-
tient ce livre, j'ai voulu d'abord débarrasser la science d'une foule
de notions fausses qui pourraient entraver sa marche; ensuite , faire
sentir à l'auteur de ce livre la nécessité d'être à l'avenir plus indul-
gent pour son prochain , et moins prodigue de ces critiques acerbes,
de ces jugements passionnés dont j'ai montré qu'il continue de
poursuivre les antiquaires qui ont le malheur de lui déplaire ou de
n'être pas de son avis. Tels sont Kœhler, MM. Welcker, Emil
Braun, Lenormant, de Witte, Dubois, surtout M. de Glarac, dont
M. R. R. a payé le généreux dévouement à la science par des appré-
ciations aussi blessantes qu'injustes, qui ont provoqué, de la part de
ce savant, des représailles aussi rudes que méritées. Je ne parle pas
de moi, parce qu'étant, comme l'assure M. R. R. , tout à fait dé-
pourvu de la connaissance de T antiquité figurée, et écrivant en français
d'un style qui n'est bon , selon lui , que pour V Allemagne , je ne dois
me compter, accablé de ce double anathème, ni parmi les antiquaires
ni parmi les écrivains.
Déjà , la lettre de M. Emil Braun sur la statue antique de Daphné,
que M. R. R. l'a si ridiculement accusé de confondre avec le groupe
connu du Bernini ; le profond et spirituel article de M. H. Brunn sur
les peintures de Pompéi, et celui de M. le comte de Clarac sur les
questions d'Histoire de l'Art, deux écrits tout récens de M* R. R.,
ont signalé aux lecteurs de la Revue les énormes défauts de ses der-
niers ouvrages ; or, comme leurs articles me semblent très-propres à
lui inculquer cette indulgence que nous lui désirons tous, j'aurais
peut-être renoncé à la besogne ingrate de faire chorus avec eux
sur le troisième ouvrage, le Supplément aux Noms des Artistes, si,
376 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'une part, je n'avais porté de ce livre un jugement très-sévère > dont
on me somme à présent d'articuler enfin la preuve, ce que je ne puis
refuser; et si , de l'autre, je n'avais à produire quelques notions nou-
velles, qui ne sont pas dénuées d'intérêt.
Je reprends donc la publication interrompue de mon travail , dans
l'espoir de donner satisfaction à tout le monde.
L'auteur du Supplément n'a pas suivi la méthode de MM. Sillig et
de Clarac, qui consiste à ranger tous les noms dans un ordre alpha-
bétique continu. Il a quatre fois brisé cet ordre, et présenté à part
les noms des potiers et des peintres de vases ; puis , ceux des graveurs
en médailles; ensuite , ceux des graveurs en pierres fines; enfin, ceux
des artistes de toute profession; disposition que je ne veux point blâ-
mer, mais qui aurait exigé, pour la facilité des recherches , que l'ou-
vrage eût été terminé par une table générale de tous ces noms.
La première classe contient 69 noms; la seconde 28; la troi-
sième 83; la quatrième 388, plus 16 à l'appendice; en tout 584
noms d'artistes ; et , comme l'ouvrage de M. Sillig en contient déjà
766 , le nombre total des anciens artistes connus serait maintenant
porté à 1350.
Mais ce nombre doit être considérablement réduit; car ces 584
noms ne sont pas tous nouveaux, c'est-à-dire qu'ils n'étaient pas in-
connus avant la publication du Supplément. En effet, l'auteur y a
réuni tous ceux que MM. Osann , Welcker , Gerhard , etc., ont
recueillis sur divers monuments , et que M. de Clarac a ensuite
consignés dans son Catalogue, ouvrage aussi complet qu'il pouvait
l'être au mois d'août 1844. D'ailleurs, il est un bon nombre de
noms que le Catalogue de M. Sillig contient déjà; mais que l'auteur
du Supplément rappelle, sous prétexte d'y ajouter quelques détails
qu'il croit avoir été omis par M. Sillig , ou de relever quelque erreur
qu'il lui attribue.
J'aurais beaucoup à reprendre dans ces remarques de M. R. R. Le
plus souvent elles sont insignifiantes; quelquefois elles tombent à
faux, M. Sillig ayant justement cité les noms que M. R. R. lui re-
proche d'avoir omis ; ou ayant eu parfaitement raison de ne pas dire
ce que M. R. R. voudrait qu'il eût dit. Mais, comme ces observations
ne portent que sur des inexactitudes dont la rectification aurait peu
d'utilité pour la science, je n'en parlerai pas, non plus que des cri-
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 377
tiques inconsidérées et fausses qu'il lance à droite et à gauche avec
une incomparable assurance, comme on l'a vu (plus haut, t. II,
p. 762 ). Je réserve mon attention et celle de nos lecteurs, pour les
points qui auraient dû fournir à l'auteur une occasion de dire quelque
chose de nouveau; occasion qu'il a presque toujours laissé échapper;
ou, quand il l'a saisie, c'est pour avancer des erreurs dans lesquelles un
antiquaire un peu au courant de la science ne devrait jamais tomber.
Je suivrai, dans cet examen critique, la division en quatre classes
adoptée par l'auteur.
lro classe. Noms des fabricants et des peintres de vases.
Le catalogue de ces noms est précédé d'un mémoire qui a déjà
paru dans \e Journal des Savants , contenant des considérations géné-
rales limitées à une question unique , celle de la provenance des
vases grecs.
Dans l'origine, on les avait crus tous indigènes de l'Italie moyenne,
et ils avaient été nommés, par excellence, étrusques. Cette dénomi-
nation n'a pu subsister, depuis qu'on en a trouvé, en plus ou moins
grande abondance, dans nombre d'établissements grecs de l'Italie mé-
ridionale et de la Sicile, dans la Grèce proprement dite, dans les
Cyclades, et en d'autres lieux (jusqu'au Bosphore, à Alexandrie
d'Egypte et à Tripoli d'Afrique). De là, cette autre opinion que la
Grèce était la véritable patrie de ces précieux restes de l'art cérameu-
tique, que le commerce avait transportés en tous lieux. Puis, est venue
cette troisième opinion mixte, plus voisine peut-être de la vérité, c'est
qu'on a dû fabriquer de ces vases partout où les Grecs avaient introduit
leurs usages et leurs arts. Mais, chez eux, comme chez nous, il
a pu y avoir des fabriques plus célèbres que d'autres (comme celles
d'Athènes ) , dont les produits auront été recherchés et conséquem-
ment portés en divers lieux, même là où l'on en fabriquait aussi.
Il devient donc plus difficile que jamais de distinguer, parmi les
vases qu'on trouve dans un pays, ceux qui s'y fabriquaient, de ceux
qu'y amenait le commerce. La question est, à certains égards,
presque insoluble. Heureusement que, réduite à ces termes, elle a
au fond peu d'importance.
Dans tous les cas, M. R. R., qui énumère (sans les nommer tous),
les lieux où l'on a trouvé de ces vases, n'a rien ajouté d'utile à ce
que nous savions , ni apporté aucune lumière nouvelle pour ceux qui
ni. 25
378 RKVUL ARCHÉOLOGIQUE.
ont lu ce que tant d'hommes habiles ont écrit à ce sujet , depuis l'ad-
mirable Rapporlo volceiUe de Gerhard, jusqu'à Y Introduction à V Élite
dès Monuments céramographiques . Cette introduction, bien que trai-
tée, comme on l'a vu (plus haut, p. 39, 40) , avec un suprême dé-
dain par M. R. R. , qui n'y trouve que légèreté desprit, offre un ex-
posé, à mon avis, plus complet et plus instructif que le sien , lequel
n'offre rien de nouveau , si ce n'est des erreurs de fait ou de raison-
nement, dont j'ai tâché de me garder moi-même, comme je vais
m'efforcer d'en garder les autres.
1° Tout le monde connaît le beau vase (trouvé à Corinthe par
Dodwell), qui , par ses peintures et son inscription, paraît appartenir
à une très-ancienne fabrique. Selon M. R. R. : « Il suit [de cette dé-
« couverte] que Corinthe fut, dès une haute époque, un des sièges
« de cette fabrique (p. 5). » Cela est possible; mais nul ne conclura
ce fait de la découverte d'un vase unique ou même de deux ou trois
vases, qui ont pu tout aussi bien être apportés d'ailleurs. M. R. R.
tire là une très-mauvaise conséquence, dont il s'est chargé lui-même
de montrer le vice, en reconnaissant que de tels vases ont été trouvés
à Nota, à Vulci, à Athènes, à Égine, dans les îles de Milo, de
Sanlorin et à'Eubée (p. 6). Comment donc savoir s'ils émanent dune
source commune, ou s'ils ont été fabriqués dans ces diverses loca-
lités? Je me contente de donner ce seul exemple d'un raisonnement
qu'affectionne beaucoup M. R. R., et qui consiste à conclure du
particulier au général.
2° Pour revenir à la dispersion des vases grecs, je dirai encore un
mot de la colonie et de Y entrepôt d'Adria , qui ont valu une si verte
semonce, de la part de notre impeccable archéologue, aux auteurs
de Y Élite des Monuments céramographiques (plus haut, p. 40).
L'entrepôt t selon lui, est irrésistiblement prouvé (p. 27) par les frag-
ments de vases peints trouvés à Adria. Mais ces débris, au nombre
de trente ou quarante, prouvent seulement que le commerce les avait
amenés jusque-là, et non qu'il y en eût un dépôt ou un entrepôt, d'où
ils étaient colportés dans les lieux environnants. On avait d'abord
admis l'existence d'une colonie desÉpidamniens à Adria (Bullettino de
1834, p. 134, sg.)j par suite d'une mauvaise explication des mots
elç tov Aàplzv.
Quant à la colonie athénienne, dont l'histoire n'a conservé au-
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 370
cune trace, elle repose uniquement sur le passage d'une in-
scription athénienne où il est question d'une colonie, «Trotitta,
envoyée sic zbv Adpiav. Mais, dans l'un et l'autre cas, on n'avait pas
réfléchi que d§ rbv Adplocj (dans T Adriatique) , n'est pas la même
chose que elç rriv Aàplav (à Adria) , et qu'il ne peut être question là
que d'établissements de colons épidamniens et athéniens, en tels ou
tels lieux des côtes de T Adriatique. M. R. R. reconnaît que ce pas-
sage ne peut avoir d'autre sens; d'où il suit que l'inscription n'a
plus aucun rapport avec une colonie d Adria; ce qui ne l'empêche
pas de dire que « le fait de cette colonie nous a été recelé par rin-
ce scription athénienne (p. 23 ). » On ne comprendras une telle in-
conséquence.
3° L'auteur parie des lécythus de fabrique athénienne, trouvés dans
la fouille d'un des tumulus cîu cap Sigée, celui qui est connu sous
le nom de tombeau d'Achille ou de Festus. « Ces lécythus prou-
« vent, dit-il, d'accord avec ce que nous connaissons de l'histoire
« d'Athènes, que ce monument avait dû être renouvelé dans le cours
« du VIe siècle avant notre ère (p. 9). »
M. R. R. devait s'exprimer avec plus de réserve. Comment ne sait-
il pas que la fameuse découverte faite aux frais de Choiseul-Gouffier,
par le juif Salomon Gormezzano, dans le tombeau dit d'Achille ou de
Festus , repose uniquement sur le témoignage de cet effronté coquin,
qui voulut gagner à toute force la montre d'or et le barat que l'ambas-
sadeur lui avait promis , si la fouille produisait quelque chose. Cet
honnête juif profita de l'éloignement de Choiseul-Gouffier, pour
vendre aux touristes ce qui lui tombait sous la main, comme venant
toujours du tombeau d'Achille. Ce loyal commerce, qui prospérait
encore , lorsque Dallaway visita la Troade ( Constantinople anc. et
moderne, t. II, p. 190 ) , ne cessa que lorsque mon ami M. Dubois
arriva aux Dardanelles en 1815. Ces vases provenaient, selon toute
apparence, des environs du Gargare et des tombeaux de Parium
et de Lampsaque , où l'on en découvre de ce genre. Je puis affirmer
que , sur la fin de sa vie , le comte de Choiseul-Gouffier regrettait
fort d'avoir été la dupe du Gormezzano.
Il est donc très-douteux que ces lécythus prouvent quelque chose
pour le renouvellement du tombeau d'Achille.
4° Un autre fait (p. 10), que M. R. R. a produit, je crois, le
premier (Ann. de l'Inst. arch., t. VI, p. 287), et que lui et d'autres
ont répété plusieurs fois, c'est qu'une amphore panathénaïque, avec
380 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'inscription TONA0ENE0EN AOAON, « a été trouvée à Cyrène,
« au temps de Paul Lucas. » Il croit aussi que ce vase est celui «dont
« M.Bœckh a publié de nouveau l'inscription (Corp. Inscr., n° 2035).»
Il y a là une double erreur; 1° cette inscription, déjà publiée par
Muratori, d'après l'envoi que lui en avait fait Bimard de La Bastie,
avait été trouvée par P. Lucas non à Cyrène, mais à Péra (Perce,
in urna fictili). Aussi M. Bœckh l'a-t-il mise parmi les inscriptions de
Byzance. 2° Quant au vase dont il est question dans le Mémoire de
éd. Lemaire (à la fin dusecond voyage de Paul Lucas, t. II, p. 184,
Amst.; et t. II, p. 108, Par., 1710), il n'a point été trouvé à Cyrène,
mais bien à Tripoli d'Afrique, comme le dit expressément Lemaire.
Ce ne peut être le même que celui dont M. Bœckh a donné l'inscrip-
tion, puisque les mots twv ÀQwnOev àQlwv, n'y sont pas précédés,
comme sur le vase de Péra , des mots Âyaaixç ap/wv. Ainsi , la con-
fusion entre les deux objets n'est pas possible. Il s'agit donc de deux
vases distincts, portant twv AQrwBev aôXwv, trouvés, l'un à Tripoli,
l'autre à Péra. C'est une autre erreur qu'il faut se garder de ré-
péter désormais , et qui doit être , une bonne fois , bannie de la
science.
Après les considérations générales, M. R. R. vient aux noms qu'il
.propose d'ajouter à ceux que l'on connaît déjà. Sur ces noms eux-
mêmes, il n'est ni plus exact ni plus clairvoyant, quand ils offrent
quelque difficulté.
5° Par exemple , il cite (p. 7 ) un vase qu'il a vu à Naxos , où sont
représentés, de style archaïque (à figures noires sur fond blanchâtre),
deux hommes, dont l'un à cheval; chacun d'eux est accompagné
d'une inscription en lettres très-anciennes et rétrogrades ; à savoir :
MATAZOmZB et MOOOqTMOmZB. Sans nous dire ce que
signifient ces deux mots, il les lit l'un et l'autre : HinnOZATA2
etHinn02TPOd>02, «peut-être, dit-il, HinnOTPO$02. »
De ces deux mots , qui sont des noms propres , le premier a été
mal lu et le deuxième à tort corrigé. En effet, en lisant Hin-
nOZATA2, M. R. R. change, au milieu du mot, la valeur de la
lettre Z (ou plutôt 5-) qui le commence, ainsi que l'autre, et qui
ne peut être qu'un I. Il faut donc lire ce nom, sans y rien changer,
HIPPOIATA2, ImtoïdTaç pour ImtiaTQiç , comme on disait oikotx-
?poç pour çiXiarpoçj yikoepyoç pour yikzpyoç , etc.; c'est, en effet,
un nom de profession devenu un nom propre, synonyme de ÏT:r.iazpoq
N03IS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 381
(hippiatre, médecin de chevaux), car iannp et ixTinç, doriquement
larûLç , sont des synonymes de iocrpoç.
Le second n'a pas été mieux compris de M. R. R., comme le
prouve sa conjecture innOTPOOOS, au lieu de innO2TPO0O2.
Pourquoi retrancher le 2 moyen qu'il a lui-même copié d'après le
monument? C'est qu'il n'a pasvuquel7T7rooTpo<poç est un nom excel-
lent, analogue au Navorpotpoç , père de l'architecte Eupalinus de Mé-
gare, dont parle Hérodote (III, 60). Le sens de celui-ci est : « qui
fait virer, évoluer les vaisseaux;» épithète laudative d'un marin. Celui
du premier est : « qui dirige, manie, fait évoluer les chevaux; » épi-
thète d'un bon écuyer; l'une et l'autre étaient devenues des noms
propres.
Le nom à'ïmtorpoyoç, qui n'est pas mauvais en lui-même (quoique
les finales des noms propres composés venant de rpe'cpw soient ordi-
nairement en Tpéfnç ; ainsi Aiéèpéfoç, ÈmTpêfnç), a rappelé àM. R. R.
l'aristocratie des Hippobotes (iTTTroêoTai) d'Hérodote ^ iTmorpocpoç est,
en effet, un synonyme de Ir.r.oÇiérnç, , mais lirnovTpoyoç n'y a plus au-
cun rapport. D'ailleurs les Hippobotes , au moins d'après cet historien,
le seul qui en parle, ne formaient pas ce qu'on appelle une aristocra- ,
lie, comme les Géomores de Syracuse : c'étaient, dans l'île d'Eubée,
ceux qui avaient assez de terre pour nourrir un cheval , les riches
de l'île, les gros, oî nayéeç, dit Hérodote (V, 77).
6° Un vase porte l'inscription AA2IM02ErPAyE , très-bien lue
dès le temps de Winckelmann. « Ce nom, dit M. R. R., a donné
« lieu à plusieurs leçons sur lesquelles les antiquaires ne sont pas
« encore bien fixés (p. 15). » En conséquence, il.passe en revue les
leçons proposées, AA2IM02 et MAEIM02, qu'il écarte avec raison
toutes deux ; puis, il propose de son chef AI2IM02 , qui se lit dans
Aristophane, et qu'il croit être la vraie leçon. Tout cela est de l'éru-
dition perdue. Si M. R. R. avait su que le vase est au Musée du
Louvre, il y aurait jeté les yeux, et se serait convaincu qu'il y a bien
AA2IM02 , comme avait lu Winckelmann ; ce qui doit à la un fixer
les antiquaires. Son AI2IM02 (/Esimos) doit disparaître de la liste
des peintres de vases.
7° Un autre nom à retrancher est celui de Chariton, que M. R. R.
écrit, par inadvertance, XAPIOHN (p. 36). Il reproche à M. Sillig
de l'avoir cité comme peintre, au lieu de le citer comme potier. Le
fait est qu'il aurait mieux valu ne pas le citer du tout. M. R. R. n'aura
pas regardé le vase unique qui porte ce nom, quoiqu'il renvoie à la
planche XI de Millingen ( Vases de Coghill), où, en effet, il s'est
382 REVUK ARCHÉOLOGIQUE.
dessiné ; car le nom y est isolé, XAPITHN , sans être suivi de l'un des
deux verbes ènoiviae et eypa^ev. Il n'y a point de motif suffisant pour
suppléer l'un ou l'autre. Ce n'est qu'un de ces noms , au nominatif,
avec ou sans holIqç,.- si nombreux sur les vases, indiquant, soit un
donataire, soit le propriétaire, soit celui ou l'ami de celui qui avait
commandé le vase. M. Sillig n'était certainement pas autorisé à en
faire un peintre; mais on ne l'est pas davantage à en faire un potier.
8° Il se flatte d'avoir le premier introduit dans l'histoire de
Vart (p. 21), ce fait, plus curieux encore, dit-il, qu'un des frag-
ments de vase trouvés à Adria , porte le nom de XAIPE2TPAT02;
et, comme un poëte attique, Phrynichus, parle d'un potier athénien
de ce nom, il identifie ce potier avec le Chérestrate du vase; c'est
donc là, selon lui, un vase athénien, transporté dans Y entrepôt d' Adria.
Mais, encore ici, je n'aperçois pas de quel droit on ferait du Chérestrate
du vase un potier ou un peintre. Si M. R. R. avait eu recours au
texte même de Lanzi , le seul auteur qui en parle, il aurait vu
que Lanzi dit expressément qu'il y avait sur le vase seulement
XAIPE2TPAT, et rien au delà (Giornale dell italiana Letteratura ,
t. XX, p. 181, 182). Tout ce qu'il est légitime d'en tirer, c'est le
nom de XAIPE2TPAT02. Il est vrai que Lanzi rappelle à cette
occasion le XaipeoTparoç du poëte comique ; mais il s'exprime avec
la plus grande réserve : Che fosse il nome Cherestrato, i cui vasi fossero
trasportati in Adria, chi pub assicurarlb? Quant à M. R. R. , il ne
doute pas, lui, de ce qui est au plus haut degré douteux, à savoir
que ce Xcapiepcc-oç est le potier de Phrynichus, comme si ce nom
grec ne pouvait pas se trouver tout autre part qu'à Athènes, ainsi que
Xalpmnoç , Xccipifaij.Qç , Xaipsnuoç, etc. Par inadvertance , Lanzi
a cru qu'un tel nom est celui d'un homme qui quitte l'armée, qui lui
dit adieu, « Che si allontana dall' esercito, egli dà, per fine, il vale,
« exercitus (!). »
A propos du fragment de Phrynichus (ap. Athen. XI, p. 474, b)
je rappellerai que c'est moi qui , le premier, l'ai rendu intelligible,
par une correction fort simple, en lisant ïy.olzv (il mettait au feu cent
canthares), au lieu de l%kàiev (il pleurait) qui ne donnait aucun sens.
M. R. R. approuve cette correction; mais il dit qu'elle a été propo-
sée aussi par M. Bergk, expression qui donnerait lieu de croire que
la correction a été faite par un autre, en même temps que par
moi; ce qui n'est pas. M. (fcrgff (Comment, de Heliq. Corn,
attic. Anliq., p. 366, Lips. 1838) l'a proposée cinq ans après
que je l'avais indiquée dan> je Journal des Savants (en 1833\
comme l'a remarqué M. Meineke (Fragm. Poet. comic, t. II,
p. 586). On voudra bien me pardonner cette petite réclama-
tion. Un tin connaisseur en ce genre, M. Fr. Jacobs, ayant jugé
cette correction fort heureuse , je désire assez naturellement m'en
conserver le petit mérite, puisqu'il m'appartient.
9° Un nom que M. R. R. veut ajouter à ceux des anciens artistes
(lisez potiers) (p. 34), mais qui n'existe pas et n'a jamais pu exister,
est celui d'APAXION qu'il a cru discerner dans une inscription de vase,
indéchiffrable à Ja vérité. Il ne tient pas beaucoup , dit-il , à cette
leçon conjecturale; mais il ne devait pas même la proposer, parce que
le nom n'est pas grec; le seul nom possible est APPIXION , comme
on lit à présent dans le texte dePausanias (VIII, 40, 1 , éd. Dindorf);
Ip même nom est dans Philostrate (Imag, II, 6).
10° A l'intérieur d'un vase de Vulci, on lit deux inscriptions.
La première est EYKEP02 UkoUgvj). M,R. R, lit cenom,IiwJta~
ros; mais E&cgpoç ou Eùxe'pws n'est guère possible. M. de Witte, en li-
sant Eucheros (Catal. de Canino , n° 121 ) l'avait cependant mis sur
la voie ; il est évident, en effet, que le K est ici pour un X, ainsi qu'en
vingt autres cas, où ces deux lettres sont mises lune pour l'autre
comme dans Xa^puAiwv pour Ka^pv^'wv, Xol^oç pour KoA^oç, etc.
Eu^epoç est pour Evyjipoç, un nom déjà connu pour être celui d'un
sculpteur (Paus. VI, 4, 4). Ce nom revient à celui d'Ei^eip ,
autre sculpteur, fils d'Eubulide (Paus. VIII, 14, 10).
La seconde inscription porte HOPrOTIMO HVIHV*, que M. de
Witte a lu Epyoriptou viéç , c'est-à-dire que Eucheros le potier, était
fils d'Ergotime. M. R. R. assure que cette interprétation ne lui a in-
spire aucune confiance. C'est un malheur dont M. de Witte peut se
consoler; car sa leçon est de toute certitude. HOPrOTIMO est pour
b EpyozL[j.ovy l'E initial ayant été omis par suite d'un de ces oublis
si communs dans les inscriptions des vases; et il est inutile de recourir
au dorisme OpyoTipoç pour Èpyériu.oç, comme opyov se disait en
éolien pour ïpyov. HVIHV* pour viéç ne devait pas arrêter non plus
M. R. R., l'aspiration tenant ici lieu du digamma, qu'on ne trouve
jamais dans les inscriptions des vases grecs; etl'Y s'y trouvant aussi
à la place de O, comme AEI0YBO2 pour AEI0OBO2 (Gherard,
Rapporto volcente, n° 636).
11° Il propose de lire I1O0EINO2 ( ErPAVE) sur un vase, au
lieu de nEIOIN02 qui s'y trouve; mais ces deux noms ne peuvent
se confondre; et il n'est pas possible de changer T1EIOI en nOOEI.
M. R. R. n'aurait certes pas proposé cette correction , paléographi-
384 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quement impossible, s'il avait réfléchi que HEIOIN02, parfaitement
conforme à l'analogie, est un nom excellent, qu'on le lise UeiBïvoç ou
Ileiôtvoç ; car, ce sera, dans le premier cas, un dérivé en îvoç de IïetQco ;
dans le second, un nom identique avec UeiQlvovçy comme on trouve
sur des vases Ueipiôoç pour IIeipi9ouç, Aopiç pour àovpiç, etc.
12° Il en sera de même du dessinateur dont il lit le nom Taconides
(p. 60), qui ne peut pas non plus exister. M. Gerhard avait pourtant
averti M. R. R. qu'il y a sur l'original *AKONIAE2; avertissement
perdu ; car celui-ci n'a pas vu qu'en ce cas la seule leçon possible est
2AK0NIAE2; c'est le patronymique de Saxwv (covoç), un des Zan-
cliens fondateurs d'Himère, selon Thucydide (VI, 5); et Scbtwv est
le dérivé du substantif golkoç , bouclier.
13° Theoxotos, qui ne le choque pas non plus , n'existe pas davan-
tage; c'est un nom impossible. Le nom doit être écrit ©EOIOT02
(®eéÇozoç pour SeôùoTog) et non OEOIÔT02, qui n'est pas grec.
14° Le nomKAIAYMA2 (ZTœZî/mas), que M. R.R. persiste à lire sur
un vase, n'est pas moins étrange. J'ai fait voir ailleurs que l'inscription
KITT02HOKAIAYMA , doit se lire Kitto'ç 6 x«ï A-ôuocxog (pour
Awcipia/oç. On trouve en effet , sur des médailles , Avppxyoç pour
Aufftpia/os et Àupia pour Àvpta^oç; comme, sur une pierre gravée,
Apupo pour ÀpyoTepoç.
15° M. R. R. en terminant (p. 68), cite l'inscription d'un vase
de la forme balsamaire : APO2Y^AMHTHPnAOYTC0N|. Il veut
changer la traduction du P. Lupi (1) : Drosyla mater Plutoni (filio
dat) en (hoc vasculum consecrat). Mais il est évident que UIovtwv est
le nom du fils de Drosyla , non celui du dieu Pluton ; et que ApocruAa
pfanp IIAouTwvt a le même sens que ApocxuAa tw ts'xvw ïïIojtmvi.
Dans l'autre cas , panrmp , mis absolument, serait dénué de sens. Les
noms de ILVJtwv , liïovzi «v, IïAouriaç, ÏIAouTia^/jç, sont dérivés de
ÏIIqvtoç. ApoŒuAa, est un diminutif du féminin Apo'07? , Apocn'ç ou
Apocrw, comme ApoViÀAa, qui pourrait bien être aussi le Drusilla
des Latins.
16° Si notre auteur ne trouve rien à dire de nouveau dans les
détails, il est également stérile quant aux vues d'ensemble. Je
cherche en vain dans ce travail , une idée ou une observation utile
qui lui appartienne ; et cependant le sujet particulier qui l'occupait ,
(1) Le P. Lupi avait lu, par inadvertance, HAOYTCONI, au lieu de
RAOYTCONI.
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 385
les noms d'artistes sur les vases, donnait lieu à plus d'une recherche
de quelque intérêt.
17° Par exemple, il remarque que M. Sillig n'a cité que cinq de
ces noms, les seuls qui fussent connus en 1827, année où son livre a
paru ; tandis qu'on en connaît maintenant environ soixante-dix, qui
tous, pour la plupart, proviennent des fouilles de l'Étrurie. Comment
n'a-t-il pas cherché à se rendre compte de cette singularité? Pourquoi,
en effet, ces noms ^artistes ou de potiers, si rares dans le reste du
monde grec, étaient-ils si communs dans l'Étrurie, principalement
à Vulci? Je ne crois pas qu'on soit, à présent, en état d'expliquer
cette singularité d'une manière certaine; mais, du moins, un anti-
quaire qui s'occupe des noms des artistes, devait -il en faire la
remarque, s'il n'en essayait pas la solution? Pour moi, il me semble
que , si les vases italo-grecs , co'mme le croyent à présent les plus
habiles archéologues, et comme je suis assez porté à le croire aussi,
sont un produit de fabricants athéniens établis dans l'Étrurie, on
devra admettre que , travaillant sur les lieux , ils tenaient davantage
à répandre leurs noms dans ce pays étranger, où ils briguaient la
vogue et la fortune qui s'y attache. Ce serait un indice de plus de
l'établissement d'artistes athéniens en Étrurie.
Toutefois je ne présente cette conjecture que pour en susciter une
meilleure ; mais on s'étonne qu'un fait de ce genre ait été négligé
par M. R. R. Je le recommande donc à l'attention des auteurs de
Y Élite des Monuments céramographiques , qui n'ont donné que la
première partie de leur introduction. Car j'espère bien qu'ils ne se lais-
seront pas décourager par les duretés que leur adresse M. R. R., à
propos de la légèreté d'esprit dont il les gratifie généreusement.
18° Un second point que je leur recommande est celui-ci : dans
tous les exemples de iizoiwz que l'on connaît, sur les vases peints, à la
suite du nom du fabricant, ce verbe est écrit EnOIE2E et non
EI"IOIH2E ; ce qui annoncerait que l'usage de ces sortes d'inscriptions
ne s'est pas étendu jusqu'à l'époque où l'emploi de l'H a remplacé l'E ;
à moins que, par archaïsme , on eût conservé l'E , comme les Athé-
niens Vont fait pour le mot AGE dans leurs médailles. Ceci mérite
encore d'être étudié.
19° Enfin un troisième fait remarquable n'a pas été moins négligé,
e'est qu'avant les découvertes de l'Étrurie, les vases à sujets obscènes
étaient fort rares , et que la plupart de ceux que l'on connaît à présent
proviennent des fouilles de l'Étrurie , principalement de Vulci ; ce qui
semble attester, dans ce pays , un goût particulier, et annoncer une
386 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
corruption de mœurs plus grande et plus répandue, au moins parmi
les gens riches, auxquels appartiennent les tombeaux où ces vases
ont été déposés , comme objet de luxe et de caprice ; car on sait
que la plupart des vases peints ne servaient pas dans l'usage de la
vie. C'est encore là une raison de croire que ces vases et leurs pein-
tures sont le fruit d'une industrie locale; car si l'on en avait exécuté
de même dans les fabriques d'Athènes ou d'autres pays de la Grèce ou
de l'Italie, on les trouverait aussi nombreux dans ces mêmes pays,
au lieu qu'ils y sont très-rares.
Ce sont encore deux observations que je livre à l'étude des per-
sonnes qui s'occupent des vases grecs.
20° M. R. R. ne nous donne point d'idées nouvelles; mais , en re-
vanche, il conserve une classification fausse qu'il a déjà mise en avant
dans sa première édition, et qui a été assez constamment reproduite,
d'après lui. « Il se propose [dans ce premier chapitre], dit-il, de dres-
« ser la liste des errâtes qui prirent part à la fabrication des vases, soit
« comme dessinateurs, soit comme fabricants ou potiers.» Les uns el
les autres ne montent pas, dit-il , à moins de soixante-cinq , au lieu de
cinq que M. Sillig avait connus et insérés dans son catalogue. C'est
donc une soixantaine de plus. L'addition est considérable; mais j'en
retrancherais, sans hésiter, une cinquantaine, au moins les quatre cin-
quièmes, d'un catalogue d'artistes. Partout, il qualifie ces potiers du
nom d'artistes. C'est abuser des termes, et se laisser entraîner trop loin
par le désir d'enfler un catalogue. Que dirait-on de l'auteur d'un
catalogue d'artistes modernes qui jugerait à propos d'y insérer tous
les fabricants de porcelaine ou de faïence, sous prétexte que ces pote-
ries ont quelquefois des figures ou des paysages , qui ne sont pas
leur œuvre? Ainsi, des soixante- cinq noms que M. R. R. a
rassemblés, à l'aide de ses propres recherches ou de celles de ses pré-
décesseurs, il n'y en a qu'une vingtaine environ que M. Sillig devra
joindre à son catalogue, sous peine de gâter son livre; car c'est gâter
un livre que d'en rompre l'unité, en y mettant ce qui n'y doit pas être.
21" On peut objecter, il est vrai, que M. Sillig ayant déjà mis, dans
son catalogue, deux noms suivis de EnOIHIE , il peut bien y joindre
les cinquante autres qui y figureraient au même titre. A cela je réponds,
et M. Sillig, au besoin, répondrait pour moi, qu'à l'époque où il a fait
paraître son livre, on n'était pas encore fixé sur la différence du sens de
ènoiyee et de èypa^s dont il y avait si peu d'exemples; on pensait, eu
général , que iiioiwz pouvait s'entendre du travail de l'artiste, comme
dans les inscriptions des statuaires. Depuis les découvertes de l'Étru-
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 387
rie, le doute n'est plus permis, ainsi que M. Gerhard Ta remarqué le
premier; et personne ne peut croire, à présent, que les individus
dont les noms sont accompagnés de Itol^gî, soient autre chose que
des potiers. On ne pourrait donc les ranger au nombre des artistes,
à moins d'y mettre aussi les menuisiers , les tourneurs, les teinturiers.
les tisserands, les cordonniers et autres artisans; ce qui serait re-
tomber dans le cahos du catalogue de Junius , qui n'a pas craint d'y
fourrer les ouvriers de soixante métiers différents. J'en fais la re-
marque, parce que de savants archéologues, entraînés par l'exemple
de M. R. R. , mettent encore ces potiers parmi les artistes. J'espère
que M. Sillig ne se laissera point gagner par ces exemples.
22° Au reste, M. R, R. ne persiste pas seulement à convertir en
artistes des potiers de vases. Confondant toujours le métier de la céra-
meutique avec Y art de la céramographic , il se met à rechercher curieu-
sement les noms de tous ceux que les anciens ont appelés, en général,
v.zoy.udq, potiers, et qui ont pu n'être que de simples fabricants de
cruches, de tonneaux et de marmites; il va même jusqu'à reprocher à
M. Welcker d'avoir négligé les secours que pouvait lui fournir, à ce
sujet, Yancienne comédie attique . De là, des citations sans but, sans
utilité, et malheureusement accompagnées des plus grosses erreurs.
23° Ainsi, qu'importe à l'éclaircissement d'un tel sujet que le poëte
phlyacographe (qu'il valait mieux nommer burlesque pour se faire com-
prendre) appelé Rhinthon (et non Rhinton) fût le fds d'unpotier? que
le fameux Agathocle eût pour père un potier du nom de Carcinus, selon
Diodore de Sicile (p. 30)? Uhistoire de Vart n'a rien à faire avec eux ;
mais au moins devait-on mettre, dans ces inutiles détails, un peu
d'exactitude; or, il n'est pas dit que le père d'Agathocle fût un potier.
M. R. R. n'a certainement pas jeté les yeux sur le passage de Dio-
dore qu'il cite; il y aurait vu que Carcinus, obligé, par crainte des
Carthaginois, de quitter Thermes, ville de Sicile, qui était en leur
pouvoir, s'enfuit à Syracuse, et que là, à bout de ressources, il fit
apprendre à son fils Agathocle, Y état de potier: iâiâoc^e (sens transitif)
TÔv AyccQozlia ryjv xepapevTHurîv re^wjv (Diod. , XIX, 2,7). Polybe
dit qu'il exerça ce métier jusqu'à l'âge de dix-huit ans (XII, 15, 6;
XV, 35,2).
24° A quoi bon encore une longue dissertation pour savoir si le
démagogue Céphalus fut un mauvais fabricant de petits plats
( Tû-jQia ) , et si un autre démagogue, Hyperbolus, fut simplement
388 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
marchand de lampes y fàywttéùfaç , selon Aristophane, ou un fabri-
cant, Iv^yonoioq, selon le scholiaste?
25° Là-dessus, M. R. R. fait cette remarque incroyable : « L'usage
« des lampes d'argile qui se fabriquaient an moyen du tour à potier,
« roû zpoyrilaTou tpoyov (Aristoph. Eccles.,i), ou qui se tiraient
« d'un moule , ou yxp sv tpoyû èlocvvzraij alla zvtïm yiverat, est
« établi , ainsi qu'on le voit , par le témoignagne d'Aristophane lui-
re même, comme un usa^e essentiellement attique (p. 29, n. 6).» M. R. R.
n'entend rien à ce grec. Les lampes de terre cuite devaient le plus
souvent être fabriquées au moule et non au tour. Si donc Aristophane
se sert de l'expression ?ov rpo^Aarou 1-ùyyov, le scholiaste a le soin de
remarquer que le mot zpoxriloczoç, est ici employeur catachrèse (abus),
/.«Ta^pyî(7Tiy.àjç zlizzv ; car, ajoute-t-il (dans ce même passage que
M. R. R. a cité sans le comprendre) : où yàp ( 6 Ivyyoç) sv ïpoyà
ilavvsTaij alla TÙiitd yivzrat. « La lampe n'est point formée au tour,
« mais elle est faite au moule. » C'est assez clair, ce me semble.
26° Ce qui n'est pas moins singulier, c'est que M. R. R. conclut
de là que l'usage des lampes d'argile était essentiellement attique,
comme si cet usage n'était pas essentiellement général et commun à
toute la Grèce ; il va même jusqu'à tirer de cette glose d'Hesychius
(y.epocueiiç 6 Ivyyovpyoç) , la preuve que, «dans l'acception la plus
« usuelle de ce mot (xspa^suç), la profession de potier s'enten-
de dait d'un fabricant de lampes, tant on faisait généralement , à
« Athènes , usage de lampes de terre cuite. » C'est l'inverse de l'idée
qu'il fallait prendre, et M. R. R. devait dire : « Le fabricant de lampes
« était compris dans la classe des potiers. » Il n'a pas entendu la glose
d'Hesychius qui, selon son usage, se rapporte à un passage de quelque
auteur classique où l'on désignait un Ivyyovpyoç par le mot xepocy.s-j; ;
sur quoi le glossateur remarque qu'ici, par xepapisvç_, l'auteur entend
le Ivyyovpyoç dont il est question dans le passage allégué. M. R. R.
observe « qu'au lieu de l'jy.ovpyoç , que porte le texte d'Hesychius ,
« il faut lire 1-jyyovpyoç. » La correction est heureuse; mais il n'au-
rait pas été superflu d'ajouter qu'elle appartient à Samuel Petit,
comme le remarque Alberti dans sa note.
Quoique j'aie annoncé plus haut (p. 376) que je ne relèverais pas
les critiques fausses et inconsidérées que, dans ce livre, M. R. R. lança
à tort et à travers contre plusieurs archéologues, et surtout contre
moi (j'en ai cité des exemples, t. H, p. 702, note), je crois devoir
NOMS DES ANCIENS AUTISTES GRECS OU ROMAINS. 389
faire deux seules exceptions pour deux reproches qui supposeraient,
de ma part, l'ignorance ou l'oubli des principes de la matière.
27° Sur le bord de la tunique d'une Palias, à la villa Ludovisi ,
on lit :
TIOXOC
INAIOC
noiei
Cette inscription a été lue par Winckelman et par tous ceux qui
l'ont citée : Avrto^oç (ou Myrloyoç) Mwcdoç inoUi. Rien de plus
naturel que cette leçon; toutefois, je me suis demandé si INAIOC ne
proviendrait pas plutôt de [AONAIOC , conjecture qui devait avoir
au moins l'avantage de faire examiner de plus près l'original ; car si
le premier I de INAIOC ne porte aucun vestige du trait transversal
de l'H , il faudra bien lire AIHNAIOC; dans le cas contraire, ce
sera AOHNAIOC Toute la question est là.
M. R. R. transporte cette innocente conjecture sur un autre ter-
rain; et, enflant la voix à son ordinaire quand il croit trouver les
gens en défaut, il assure qu'en proposant de lire Aiyivoiïoq, j'ai fait
deux méprises : 1° contre [histoire de ïart, attendu que X école d'Égine
n'existant plus depuis longtemps à l'époque romaine, qui est celle de
l'inscription , c'est violer toutes les notions de l'histoire de l'art que
de supposer qu'un sculpteur pût être de cette île; 2° contre la langue
gi'ecque, attendu qu'un homme né à Égine, s'appelait toujours Aiyt-
yfanç<, et jamais Aiyivxïoç. Je réponds :
1° C'est un bien faux raisonnement que celui-ci : «Le sculpteur
« Antiochus (ou Métiochus) était de l'époque romaine; or, l'école
«de sculpture d'Égine n'existait plus depuis longtemps; donc c'est
« violer ï histoire de Vart, que d'en faire un Èginète. » N'est-ce pas
justement comme si Ton prétendait qu'il ne peut pas y avoir à présent
un peintre né à Milan, à Venise ou à Bologne, parceque les ancienues
écoles milanaise, vénitienne et bolonaise sont depuis longtemps
éteintes? Uhistoire de Vart ne s'oppose donc pas à ce que l'île
d'Egine, à l'époque romaine, eut donné naissance à un sculpteur.
2° 1! ethnique usité était en effet Aiy ivrirnç ou Pdyvuzvq, ce que
personne n'ignore ni ne conteste; mais il est faux que les Grecs
n'aient jamais employé, dans le môme sens, l'adjectif Aiywocïoç , et
qu'il soit contraire à la langue grecque de lire AIHNAIOC. M. R. R.,
sans aller plus loin, n'avait qu'à regarder seulement l'article Aïyivcc,
dans Etienne de Byzance, il aurait vu que l'adjectif Alyivouoç servait
390 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
aussi comme ethnique, puisqu'on disait fort bien iViyivxïoç (pour
klyiwitijt) z-noiy.oç; et qu'un orateur athénien, Dinarque, avait dit :
kiyivxia. ( pour klyvjriziz) yvvrt.
28° La seconde méprise qu'il m'attribue concerne un nom d'ar-
tiste dans l'inscription d'une statue du Louvre. Elle porte :
HPA. ...
AH2
ArAOY
Ed>E2l02
KAlAr
NEI02
Enoi
OYN (1)
Il n'y a rien eu entre les deux parties de chaque ligne, on le voit
par le mot ènoiovv; il s'ensuit que ces parties doivent être immé-
diatement rapprochées. Le premier nom ne fait aucun doute. On a
lu le deuxième AI"ACIOY; mais l'intervalle (2) ne permet pas d'in-
sérer les deux lettres Cl entre AI"A et OY. Je le lis AI"AYOY
(Ayavov) , nom connu dérivé de l'adjectif àyxvôç. Quant au troi-
sième, APNEI02, M de Clarac et moi nous avons proposé de lire
APNEI02 ou APNEI02 ; je persiste à croire que c'est l'un ou l'autre.
M. R. R., qui les repousse tous deux , renonce à lire ce nom d'au-
cune manière; ce qui est plus commode. Mais il a tort d'objecter,
contre kyveioç, que le nom est faux et n'a pas une forme vraiment
grecque (p. 165, 166). Avec un peu de réflexion, il aurait aperçu
que ArNI02 et AI"NIA2 sont des noms fort usités, et qu'à la place
de ce dernier on trouve aussi ArNEIA2- Pourquoi n'aurait on pas dit
également AFNEI02, puisque la double orthographe par | et E| est
employée dans tous ces noms? D'ailleurs, les inscriptions latines
donnent AG>Eivs(Grut., p. 349, 7; Gud. Inscr., p. 9, 6), le même
nom grec en lettres latines, sans l'aspiration, ce qui arrive souvent.
La leçon est donc légitime et le nom très-grec. S'il y a ici une mé-
prise, on voit de quel côté elle se trouve.
Ces deux exemples donneront lieu de juger jusqu'à quel point
M. R. R. réussit, quand il veut faire entrer les autres en partage des mé-
prises dont il garde, au moins jusqu'à ce jour, le privilège exclusif ',
entre tous les érudits passés et présents.
Et, afin que personne ne songe à le lui contester, je vais ter-
miner ce deuxième article par un Appendice qui, sous un autre rap-
port, est devenu, de ma part, nécessaire.
(l, Clarac, Jnscr. pi. LVI,n° 411.
(2) Cet intervalle est tenu un peu trop large dans la copie de M. de Clarac.
NOMS DES ANCIENS AUTISTES GRECS OU ROMAINS. 391
Dans le morceau intitulé trois Fragments (voyez la Reçue, t. II ,
p. 758), j'avais affirmé, sans donner à l'appui ni preuve ni citation
précise (ce n'était pas la place), que M. R. R. , dans son Supplément
au Catalogue de Sillig, où il gourmande si rudement les autres, avait
poussé l'inexactitude et le défaut de critique jusqu'à « changer un
a poète en potier; un pharmacien en graveur; et un peintre en bou-
«. langer.» Quelques personnes instruites, ne pouvant se figurer
qu'un académicien tombe en de telles erreurs, m'ont mis tout
récemment au défi de prouver mon dire. Je ne puis donc , sans
compromettre ma sincérité , me dispenser de leur répondre et de
justifier mon assertion sur trois points aussi graves. Je ferai plus;
pour montrer que, bien loin de m'être trop avancé, j'en savais
à cet égard beaucoup plus que je n'en disais, aux trois métamor-
phoses annoncées, j'en joindrai neuf autres de la même force , opérées
par la même baguette magique , et toujours dans ce même Supplé-
ment au Catalogue de Sillig. Ce sera une douzaine de métamorphoses ,
dont six latines et six grecques; d'où l'on pourra conclure que les
deux langues sont aussi bien traitées l'une que l'autre dans ce livre
extraordinaire.
29° Première métamorphose. Un peintre en boulanger. — Dans une
inscription de Pisauro, on lit : d. m. ti. clavdi. soteris. pictoris.
qvadrigvlari (Orelli , n° 4262). M. R. R. (p. 443-445) propose
de changer pictoris (peintre) en pistoris (boulanger) , correction qui,
prise en elle-même, est assurément fort naturelle, et pourrait être ad-
mise sans peine. Mais la difficulté n'est pas là ; elle est dans l'adjectif
quadrigularius; car que peut signifier pistor quadrigularius ? Rien
de plus simple, répond M. R. R. « De même qu'on disait pi^or can-
«didarius (boulanger de pain blanc) ou similaginarius (de fleur de
a farine), on disait aussi pistor quadrigularius, boulanger de pain en
« quatre on partagé en quatre. » On peut lui faire cette petite ob-
jection qu'il aurait dû prévoir : c'est qu'un boulanger peut très-bien
ne manipuler qu'une seule espèce de pain , au pain blanc, du pain bis,
du pain de gruau ; mais je vous prie, qu'est-ce qu'un boulanger de
pain en quatre ou en trois ou en deux? Cela n'a pas le sens commun.
En vain, pour expliquer ces pains en quatre, M. R. R. va chercher
le mot latin quadrœ; il ne montre là que la plus incroyable inad-
vertance. Car quadrus ne veut pas dire ce qui est en quatre , mais ce
qui a quatre côtés. Il cite en sa faveur Virgile et Sénèque. Mais
le quadra de ces deux auteurs n'a rien de commun avec un pain en
quatre. Dans le passage allégué de Virgile (sEneid., VII, 114 : Va-
392 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tulis necparcere quadris), le mot quadrœ ne désigne que les gâteaux
earrés [adorea liba per herbas epulis subjecta) étendus sur l'herbe
en guise de tables (quadrœ). Dans le second : Çuadra panis aut stips
œris abjecti. (Senec., de Benefic, IV, 29) , le mot quadra ne signifie
que ce que nous appellerions un morceau de pain. On ne saurait
abuser davantage de textes plus clairs.
"Mais ce n'est pas tout. La nature même du mot quadrigularius ,
s'oppose à son idée; car c'est évidemment l'adjectif dérivé de quadrigula
(petit quadrige) comme quadrigarius de quadriga ou quadrigœ; eu
sorte que pictor quadrigularius ou quadrigarius n'est rien autre
chose qu'un peintre en voitures. On sait que , dans la décadence de la
langue latine, les diminutifs prirent quelquefois la place du po-
sitif (1). Toutefois, je pense qu'on donnait le nom de quadrigulœ aux
chars légèrement et délicatement construits , tels que ceux qui ser-
vaient dans les jeux du cirque. Ils devaient être peints et vernis avec
soin , comme nos voitures de luxe.
On peut donc garder Soter sur la liste des peintres; pourtant je ne
jurerais pas que ce fût autre chose qu'un barbouilleur.
30° Deuxième métamorphose. Un inspecteur de théâtre en peintre ou
dessinateur. — Celle-ci est inverse de la précédente. M. R. R. « pro-
« pose d'ajouter à la liste des anciens artistes T. Statilius Myron, qua-
<( lifié dissignator ( designator ) scenarvm, un de ces dessinateurs
« ou peintres de scènes dramatiques , qui , le plus souvent, exerçaient
« en même temps la profession d'architectes (p. 366). » Ici l'auteur
a été trompé par l'italien designatore qui signifie un dessinateur;
mais, en latin, il n'y a rien de commun entre l'art du dessin et
designator ou designare, dont les sens divers se rattachent tous à
l'idée de désigner, de distribuer, d'ordonner; de là designator signifiait
l'ordonnateur dans les théâtres, ou dans les funérailles, ou le juge
qui distribuait les prix dans les jeux. Designator scenarum ne pourra
donc être autre chose que l'inspecteur du théâtre, ou bien celui qui
surveille la mise en scène, l'entrée et la marche des acteurs; jamais
ni dessinateur, ni peintre ou un arclùtecte.
31° Troisième métamorphose. Un brodeur en armurier. — Dans une
autre inscription (ap. Gud., p. 282, etOrelli, n°4152), un certain
Hermès est qualifié de barbaricarius. M. R. R. traduit ce mot par
(1) En grec, les diminutifs sont employés souvent pour une classe d'objets; ainsi
rà ohipia, rx tixiv. ou même oiTipix ont le même sens de classe qu'en français les
vin$, les vivres, les huiles, les sucres, elc.
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 393
fabricant de casques et $ armures (p. 325) ; mais est-il permis d'igno-
rer que les barbaricarii , dont le nom classique est phrygiones , étaient
les ouvriers qui travaillaient les étoffes brochées en or? (quiexauro
coloratis filis exprimebant hominum formas, animalium, etc. , comme
dit Donatus. ) Ces étoffes étaient quelquefois appelées barbaricœ
vestes, c'est-à-dire barbarico vel phrygio more pictœ. Du Cange et
Forcellini, sur ce mot, me dispensent d'en dire davantage.
32° Quatrième métamorphose. Un nom propre en architecte. — A la
page 415, on lit cet article : « P. Cornélius Thallus, fils de Corne-
« Mus, architecte, et sans doute arcMtecte lui-même... sur une inscrip-
« don latine. Si l'on n'admet pas que le fils exerçât la profession du
« père, au moins celui-ci doit-il être admis à titre à' architecte , sur
« la liste des artistes romains. » M. R. R. n'a rien compris à cette
inscription : p. cornelivs. thallus. p. corneli. architecti. fil.
MAG. QVINQ. COLL. FABR. TIGNAR. LVSTR. XXVII. NOMINE. P. COR-
NELI. ARCHITECTIANT. FIL. SVI. ALLECTI. IN. ORDINEM. DECVRION.
fidei. signvm. dédit. (Grut., p. 99, 9). Il est clair que le mot
architecti ne désigne pas une profession; c'est le cognomen du père
de p. cornelivs thallvs; et, ce qui le prouve, c'est que le fils de
celui-ci s'appelait architectianvs, dérivation latine du nom de l'aïeul,
selon l'usage grec et romain. Nous avons donc ce stemma : p. corn,
architectvs, père de p. corn, thallus (magister quinquennalis
collegii fabrum tignariorum (charpentiers), lustri. xxvn), et aïeul
de p. corn, architectianvs. Chacun d'eux a son cognomen différent
joint aux mêmes prœnomen et nomen , p. cornelivs. Il faut , sans
hésiter, retrancher l'un et l'autre de la liste des artistes romains.
33° Cinquième métamorphose. Deux personnes en une seule. —
M. R. R. (p. 348) parle « d'un sculpteur sur argent nommé dans une
« inscription (Mus. Veron., p. 267, 3.) malchio. phileros. arg., »
sur quoi l'on peut observer , d'abord qu'argentarius signifie ,
non pas sculpteur sur argent, mais simplement argentier, ouvrier
en ustensiles d'argent , banquier ou même caissier ; mais ceci
tient à ce que M. R. R. veut faire des artistes de tous les orfèvres,
argentiers , bijoutiers , marchands de perles ou de pierres fines ,
potiers , etc. qu'il rencontre. J'en parlerai ailleurs. Ensuite, on ne
sculpte pas sur les métaux; on les fond, on les repousse, on les ciselle.
Mais le point principal , c'est que X argentier en question ne s'appelait pas
Malchio Phileros; il s'appelait seulement Phileros; le nom précédent
désigne une autre personne. Si M. R. R. a lu l'inscription qu'il cite,
m. 26
394 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à coup sûr il no l'a pas comprise ; à la vérité , la formule n'en est
pas claire. Comme l'inscription , qui est au Vatican (Otto Jahn ,
Specim epigr., p. 97), n'est expliquée nulle part, je la transcris, et
j'en donne le sens pour que d'autres ne s'y trompent pas, comme
M. R. R.
CN. CN. CN. SEPTVMIEIS. CN. CN. C. L.
PHILARGVRVS. MALCHIO. PHILEROS. ARG. (l)
CORxWFICIA. D. L. SELENIO.
SEPTVMIA. CN. CN. L. AVGE.
Il s'agit d'une dédicace en l'honneur de trois Cneius Septumius, par cinq
affranchis, trois hommes etdeux femmes. Les hommes sontPhylargy-
rus, Malchio et Phileros ; les deux premiers, affranchis de deux Cneius
Septumius; le troisième de Caius Septumius ; les femmes sont Cornu-
ficia Selenio (SsAifaiov), affranchie de Caius Cornuficius, et Septumia
Auge, affranchie de deux Cneius Septumius.
Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les noms de Phylargyrus, de
Malchio et de Phileros désignent trois personnes distinctes. M. R. R.
n'a pu faire une seule personne des deux dernières que parce qu'il ne
s'est pas demandé ce que devient Phylargyrus dans cette hypothèse.
Ce sont les trois noms grecs <t>ààpyvpoç , MaA^'wv, «ÊiAépcoç. Malclùo
se lit dans plusieurs inscriptions latines (Grut. , p. 578, 2; 597, 6;
627, 13); et dans Martial (Epigr., III, 82, 32). Il est singulier
que d habiles critiques hésitent encore sur l'étymologie de ce nom ,
et "penchent à le faire venir de l'adjectif ^aAaxoç ( Weichert, Relliq.
Poet. latin. , p. 433 sq.). C'est le nom grec MaX^'wv, dérivé de
MaA/oç , nom syrien (tiré de melk, roi) qui est celui d'un roi arabe
(Joseph. ,Ant.jud., XII, 5, 1; XIV, 14, 1 ; XV, 6, 27), et de
l'esclave (de Caïphe) dont saint Pierre coupa l'oreille droite ( Johan.,
18, 10). Il répond au fioLcCkzioç, grec. Le nom de Malchio , qui
est donné à une femme (Gori , Columbar. , p. 98, 35 ) s'écrirait en
grec MaA^iov, non Malyi wv? comme Malchis , autre nom de femme
(Passionei Inscr. ant., p. 36, 13), est le grec Moà%iç. L'origine est
la même.
34° Sixième métamorphose. Une tribu romaine en adjectif conjonctif.
- — Dans une autre inscription latine que cite M. R. R. (p. 363), un
architecte porte le nom de c. vedennivs. c. f. qvi. modérât vs. Il
(i) Je ne serais pasélonné qu'il y eût sur la pierre ARC. (arcarius, caissier).
La sigle ARC. se trouve aussi bien que ARK, qui est plus commun. Le G et le C se
confondent sans cesse. (Plus haut, p. 346.)
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 395
prétend que qvi. veut dire qui et Modérants (qui s'appelle aussi Mode-
ralus) , locution, dit-il, dont il y a tant d'exemples (!). 11 cherchera
bien, avant d'en trouver un seul La formule qui et, quœ et est souvent
employée sans doute, mais en tout autre cas; ainsi pavlvs. qvi.
et. savlvs (Morcelli, de Stylo Inscr. III, 5, 4, 3, p. 46); ou pardo.
qvae. et. hilarine (Otto Jahn , Spec. Epig. p. 80) qu'on dirait en
grec, Uapàà (l) r) xoù llaplvn ; parce que cet homme et cette
femme portaient deux noms. Au contraire, jamais on ne trouve
qui et comme ici , pour joindre le nomen au cognomen, après
le nom paternel et le F. de filius ; d'ailleurs la conjonction et, qui
serait indispensable, manque ici. qvi. est donc tout simplement l'abré-
viation du nom de la tribu romaine Qvirina , et il faut lire : caius
vedrennivs, caii mlius , Qxirinâ, moderatvs? L'usage, comme per-
sonne ne l'ignore, était de placer ainsi le nom de la tribu, souvent
abrégé, qvi. ovf. aem. cam. , etc. Quirinâ, Oufentinâ, JEmiliâ,
Camiliâ, etc. M. R. R. cite lui-même plus bas (p. 422), l'inscrip-
tion K. AEMILIVS. K. F. QVIRINA. VARRIVS.
Il ne fallait pourtant pas un grand effort de critique pour s'élever
de qvi. à Quirinâ, et éviter cette grave mésaventure de prendre une
tribu romaine pour un adjectif conjonctif.
Que M. R. R. entende l'épigraphie latine, je le crois; mais, d'après
ces six métamorphoses, auxquelles je me borne, on conviendra qu'il
s'en sert, comme s'il avait oublié les premiers éléments.
Je passe maintenant aux six métamorphoses grecques , qui sont
à peu près de la même force.
35° Septième métamorphose. Une forteresse en tour à potier. — Nous
avons vu (p. 388) que le rpoypç, ou tour à potier, a été pour
M. R. R. une pierre d'achoppement dans un passage d'Aristo-
phane; ce mot lui porte encore une fois malheur, à propos d'un fragment
de Sophocle cité dans une autre glose d'Hésychius, dont il ne com-
prend pas un mot : « Hyperbios, dit-il, avait inventé le tour à potier,
« xvîtÀW7reiov Tpoypv, comme s'exprime Sophocle, et ici nous retrou-
« vons une allusion aux ouvrages de l'âge pélasgique (p. 335). »
Le texte d'Hésychius porte : KvkIovç xai zpo-^ovç' rà nMik rpo^ôv
ùï to TBÏ-/0Ç, wç SoçoxXtîç, HpaxXsî* KujtXwireiov rpo%6v. Ce qui si-
gnifie littéralement: « v^vSkot et Tpo/pi [s'entendent] des murailles.
« Tpoyoç [se dit] de la muraille, témoin Sophocle, dans Y Hercule :
(1) Il est clair que ce nom féminin, n'est que la transcription latine, du nom
de femme terminé en » , UupSû.
396 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ce zpoyôç cyclopéen. » Nous voilà terriblement loin du tour à
potier (1). Il s'agit ici d'une acception particulière du mot rpo/oç,
que Sophocle avait employé dans le sens de xûyoq , en disant xuxXw-
Tzeioc, zpoyéç au lieu de xuxA. ïûypt , parce qu'il voulait désigner une
fortification circulaire ou une enceinte de ville, à laquelle convenaient
également les mots myIoç et rpo^oç. L'erreur est d'autant plus sin-
gulière que ce fragment a été déjà, depuis longtemps, très-bien ex-
pliqué (Brunck, Lex. Sophocl., h. v. ; ensuite, Bast, sur Grégoire
de Corinthe, p. 512; enfin, Gœttling dans le Rh. Muséum, 1845,
p. 325 et suivantes). Par y.vy,1(ùt:eioç rpoypç (Hesychius met l'ac-
cusatif parce qu'il cite textuellement), Sophocle désignait une de
ces constructions que les anciens appelaient cyclopéenhes , comme
celles de Tyrinthe , de Mycènes , d'Argos , etc.
36° Huitième métamorphose. Un poète en potier. — Celle-ci est
plus extraordinaire encore. M. R. R. a découvert le nom de Yartiste
athénien qui a inventé les petits plats à saumure ou fioles à vinaigre
qu'on nommait à^iùeçl « Aristophane, dit M. R. R. (p. 28, n. 3),
« semble attribuer l'invention des o%i$eç à un certain Céplùsophon
« (Ran., 1439, Cf. Suid. v. Kyjcp lo-ocpwv.) » Les citations ne man-
quent pas. On va voir ce qu'il y a derrière.
Dans des vers qu'Aristarque et Apollonius ont cru, en grande
partie, interpolés, et que les critiques modernes traitent de spurii,
Aristophane fait dire à Euripide « qu'en cas de combat naval, Ciné-
« sias et Cléocrite jetteraient dans les yeux de l'ennemi des o'iiàtç ,
« de petits plats (ou fioles) remplis de vinaigre pour l'aveugler. »
Etvav/juz^oîev, y.az1 eypvreç 6%ldaç paivoiev iç tol j3Xeçpapa twv svavrtwv.
Alors Bacchus lui demande : « As-tu trouvé cela tout seul, ou bieu
« est-ce Céphisophon» ? Taurl nérep9 avzbç evpeç, yj Kyj^picroçwv ; Or, il
faut savoir que ce Céphisophon était un poète, esclave d'Euripide, qui
passait pour son collaborateur (sch. ad Ran., 944, 1408. Acharn.,
395. Fragm. 231, b, éd. Didot). Euripide répond : «Oui, moi tout
seul; mais c'est Céphisophon qui a trouvé les oxides. » Êyù [xovoç'
tùç Foliùxç Ky)(pi<ro<pwv. Ainsi , l'invention se rapporte au procédé
(1) M. Rangabé a déjà signalé cette erreur (Revue, t. II, p. 431). On pourrait
s'étonner que notre savant collaborateur n'ait trouvé que six remarques critiques
à faire sur ce livre, qui offre matière à plus de deux cents autres, aussi sérieuses pour
le moins; or, comme il comble le reste du livre d'éloges sans restriction, on est en
droit d'en conclure qu'il n'en a pas aperçu davantage. Ceci montre que ces erreurs
peuvent échapper aux plus clairvoyants, qui n'y regardent pas d'assez près. C'est
ainsi- qu'elles s'introduiraient dans l'archéologie, à la faveur du silence, si les
principales n'étaient une bonne fois signalées.
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 397
imaginé par Céphisophon pour aveugler l'ennemi, et non pas au vase
appelé b\iç , inventé longtemps avant lui.
37° Neuvième et dixième métamorphoses. Deux pharmaciens en gra-
veurs. — Je finis cette énumération par quatre métamorphoses que
M. R. R. a réunies dans un seul article de huit lignes et de trois phrases
seulement. Je vais le transcrire en entier ; ce sera un exemple, entre
beaucoup d'autres , de ce qu'il peut réussir à condenser d'erreurs
(et quelles erreurs ! ) dans un si court espace.
(P. 135) « Eudamos. On doit comprendre au nombre des anciens
« artistes ce personnage athénien désigné par Aristophane (Plut.,
« v. 884) comme un graveur de ces sortes d'anneaux magiques dont
« il se faisait un si grand usage à Athènes. » (Id. Nub., 756-758;
v. schol. ad 1. c. Amipsias etEupol. ap. schol. ad Plut., v. 884). —
« Un autre de ces graveurs athéniens, Phertatos, est nommé par
« Antiphane (ap. Athen. , III, p. 123).... Il est fait dans Aris-
« tophane d'assez fréquentes allusions à cet usage attique. » (Lysistr.,
v. 1027.)
C'est Aristophane qui a défrayé à peu près ce petit article ; mais ce
poëte, si maltraité dans les exemples cités plus haut , continue d'être
tout aussi funeste àM.R.R. que l'ont été jadis Ménandre et Philémon.
Eudamos (ou Eudémos) et Phertatos n'étaient pas plus des gra-
veurs l'un que l'autre ; c'étaient des pharmaciens , <j>ap^axo7:cota« ,
qui vendaient, entre autres remèdes, des bagues auxquelles la supersti-
tion prêtait des vertus curatives.
Voici d'abord ce qui concerne Eudémus dans Aristophane. «Je
« ne me soucie pas mal de toi ( dit l'homme de bien , 6 dlxocioç , à
« Chremylus), je porte cet anneau qu'Eudémus m'a vendu une
« drachme. » Ovdlv Tzporipà <rov' çpopw yap npixpLZVoç rbv d<xy.zvhov
-;6vàz irap' Evdripov $pxffl?iç. Ces anneaux étaient censés une sorte
de talismans préservatifs du mauvais œil, et curatifs de certaines af-
fections morbides, surtout des effets de la morsure des serpents ; aussi
Chremylus répond : « Fort bien! mais cet anneau n'est pas un re-
« mède contre une morsure de sycophante.» klV ovy. è'vscri cuxocpav-
to-j d-ny(j.<xToç. Cet Eudémus était donc un yocppocxonuAnç, ou ven-
deur d'anneaux (retù&apévoùç da.Y.Tvliovç ttwXwv. Schol.) et d'autres
médicaments, en un mot un pharmacien qui vendait ces anneaux
comme remède (ov ol <pap^ay.07rô)Xai £iw0a<7i 7rnrpaory.£tv àvxt cpao-
uaxov. Hesych. 1. c).
39> REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
38° Il en est de même du Phertatos d'Ar tiphane ( ap. Athen., III,
p. 123; Meineke, Fragm. Corn, grœcor. , t. III, p. 97). Dans un
passage de YOmphale de ce poëte comique, Hercule dit : « Si la co-
te lique me tourmente , j'ai un anneau [acheté] de Phertatos au prix
<c d'une drachme. » Uapx ®spTazov daKTvhoç iarr^oi $pa%y.vjç. La
modicité de ceprix (90 cent.), qui paraît avoir été fixe, montre assez
que ces bagues médicinales devaient être en cuivre , en argent ou en
fer, sans gravure aucune, comme ces anneaux de fer ou d'acier qui
se vendent encore de nos jours chez les pharmaciens et les serruriers,
pour la guérison prétendue de la migraine , des rhumatismes ou de
l'épilepsie ; car il est assez remarquable que cet absurde préjugé des
bagues merveilleuses a traversé les siècles.
39° Onzième métamorphose. Une bague ordinaire enbague médicinale.
— Pour prouver qu'Aristophane fait d'assez fréquentes allusions à cet
usage superstitieux, M. R. R. renvoie au v. 1027 de la Lysistrate;
mais en cet endroit, il ne s'agit nullement de ces anneaux. Le
chœur des femmes dit au chœur des vieillards : « Si tu ne m'avais
« pas tant maltraitée, je retirerais (eJeîXov av) l'insecte (rb Hpiov)
« qui t'est entré dans l'œil (roi>m tùyQalpû). » Le chœur répond :
« C'est en effet lui (l'insecte) qui me tourmente fort. Tiens, voici
« mon anneau (daxrvhoç ovro*n), retire l'insecte (excraAeuo-ov avro),
« et montre-le-moi (xara <Je?£ov), après me l'avoir ôté («(peXoio-a
(( poi). »
Il s'agit donc ici, non d'une bague médicinale, mais d'un anneau
mince, que le vieillard doit ôter de son doigt et donner à la femme
pour qu'elle le lui passe sous la paupière et retire l'insecte qui s'y était
logé. C'est là ce qui se fait, encore maintenant, pour retirer ainsi. les
petits insectes ou les ordures qui entrent dans l'œil.
Le scholiaste ne s'y est pas trompé : Ai'o&xnv avrri 3a/,TuAiov, IW
s&veyxyj ?w spmda. toO o^0afy.oû. « Il lui donne son anneau pour
« qu elle lui ôte le cousin de l'œil. »
40° Douzième métamorphose. Une magicienne en anneau. — Dans le
passage des Nuées d'Aristophane (v. 756-*/ 58), auquel M. R. R. nous
renvoie à propos des anneaux magiques, il s'agit de bien autre chose.
Strepsiade annonce à Socrate qu'il a trouvé un bon moyen de ne pas
payer ses dettes. « Socu. Voyons donc en quoi il consiste. Streps. Eh
(( bien ! que dirais-tu si j'achetnis une magicienne deThessalie ywcây.x
« epapp-azt^ et ixpiQctJ.evot; Oêttz/^v), et si je lui ordonnais de faire
« descendre la lune pendant la nuit, je la renfermerais dans une
NOMS DES ANCIENS ARTISTES GRECS OU ROMAINS. 399
« boîte ronde comme un miroir, et je la garderais près de moi. » (C'est-
à-dire que, comme la lune ne marcherait plus, le 1er du mois , terme
fatal, n'arriverait pas, et Strepsiade serait dispensé de payer ses dettes).
On cherche en vain dans ce passage (comme dans le Schol. ad l c.
que cite M. R. R.), la moindre mention du (Docpp.ocy.knc tJocxrvhoç;
rien n'y ressemble, excepté le mot yxppocxtô', qui s'y trouve en effet;
c'est donc là ce que M. R. R. a pris pour un yapp.ay.iTnc daxruAtoç,
n'apercevant ni yvvaïKa qui est avant, ni ©erraAwqui est après; il a.
de cette façon, changé une magicienne en anneau, ainsi que, dans les
Fragments de Ménandre et de Philémon , il avait métamorphosé une
tunique ylocvlc) en une femme (et quelle femme ! ), descendant jus-
que-là par une suite de cascades qui ont soulevé un rire homérique
dans tout le monde érudit. Cette dernière métamorphose fera le
pendant.
Je pense que ceux qui m'avaient défié de prouver mon dire seront
à présent satisfaits ; je n'ajouterai plus qu'une réflexion dont per-
sonne ne contestera la justesse.
Les plus habiles se trompent ; outre les oublis et les inadvertances
légères que personne n'évite entièrement (quas aut incuria fudit , aut
humana parum cavit natura), il leur arrive parfois de mal. rencontrer
dans leurs conjectures , et même de ne pas prendre la bonne route en
présence d'un texte ou d'un monument difficile. Ni Bentley ni Visconti,
les héros de la philologie et de l'archéologie, ne sont exempts de fautes
de ce dernier genre, fautes presque toujours savantes, et qui sont
rarement inutiles. Mais quant à des méprises pareilles à celles qui
viennent d'être signalées dans les récents écrits de M. R. R., on peut
mettre au défi qui que ce soit d'en découvrir une seule dans les tra-
vaux, je ne dis pas des maîtres de l'art, mais de tout homme qui, suf-
fisamment préparé par des études classiques, parle d'antiquité avec
réflexion et connaissance de cause.
Je termine ici ce que j'avais à dire sur la première partie du Sup-
plément, relative aux vases. Quoiqu'elle n'ait que soixante-neuf pages,
j'y trouverais à faire une fois autant de remarques semblables. Mais
ces exemples suffisent, en ce qui concerne cette première partie.
Je ne m'étais donc pas trop avancé, quand je disais (t. H, p. 758,
note) que l'auteur ne s'est montré ni plus fort ni moins léger dans ce
livre, élaboré pendant quatorze ans, que lorsqu'il composait les
Antiquités du Bosphore, ou traduisait Ménandre et Philémon.
400 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Il en sera de même de la seconde et principale partie, que je vais
examiner, de celle qui concerne les graveurs de médailles et de pierres
fines. Les erreurs y sont nombreuses, et tellement graves, que si
tout autre archéologue, et, par exemple, l'un de ceux qui n'ont point
l'heur de lui plaire , en eût fait seulement le quart, M. R. R. n'aurait
pas manqué, avec cette urbanité qui lui est propre, de lui reprocher
sa légèreté d'esprit, et de lui dénier toute connaissance de V antiquité
figurée.
Pour moi, je serai plus poli et plus équitable. Je ne lui contesterai
aucun de ses mérites. Je veux seulement, dans l'intérêt de la science,
démontrer, non par des assertions, mais par des faits positifs, dont tout
homme instruit et impartial peut être excellent juge, avec quelle
précaution il faut lire les derniers écrits qu'enfantent son activité
souvent malheureuse et sa précipitation toujours regrettable j et, en
même temps, lui ôter tout droit d'être tranchant, rigoureux et dur
envers les autres.
Or, si le présent article, joint à ceux de MM. Emil Braun, Heinrich
Brunn et de Clarac, n'avait point la vertu de guérir en lui cette
cruelle habitude , je doute qu'il en conserve la moindre trace, quand il
aura lu le suivant. Letronne.
(La suite à un numéro prochain.*)
P. S. Le tome XVI des Annali delV Instituto dl Corrisp. ar-
cheologica vient de marri ver, depuis l'impression de cet article.
Ce volume contient (p. 268-287) une excellente critique de
M. Heinrich Brunn sur le Supplément au Catalogue de Sillig. Le ju-
gement qu'en porte ce savant philologue et antiquaire est tout
aussi peu favorable que le mien; et il le fonde sur une cinquantaine
de remarques , dont il n'en est que trois ou quatre ^qui se retrou- .
vent dans les quarante qu'on vient de lire. Toutes les autres portent
sur des points différents. Cela tient à ce que M. H. Brunn s'est
attaché à la dernière partie de l'ouvrage, négligeant les vases et les
pierres gravées, tandis que cet article et le suivant portent princi-
palement sur ces deux seules classes de monuments antiques.
— Mon observation n° 10, page 385, vient d'être confirmée par
un autre vase trouvé à Vulci, portant l'inscription EYXEP2 (pour
ÉtyjtifZç) HOErOTIMOY YIHH2 (o Épyori>ou vioç), qui ne laisse
aucun doute ni sur la leçon de M. de Witte, que j'ai défendue contre
M. R. R., ni sur les raisons que j'ai données à l'appui. (V. H. Brunn
et Th. Panofka , dans le Arch. Zeitung, februar. 1846, S. 233.)
LETTRE A M. LETROME
SUR UN ABAGUS ATHÉNIEN.
Monsieur,
Dans le précédent cahier, vous m'avez fait l'honneur d'appeler
mon attention sur un monument curieux découvert à Salamine, et
dans lequel vous proposez , avec toute raison , je crois , de voir un
abacus ou une table à compter. Vous avez , d'ailleurs, complètement
expliqué la véritable signification des signes numériques qui s'y trou-
vent : il me restera donc peu de chose à dire pour faire comprendre
l'usage et de cette table et de ces signes ; et c'est ce que je vais
essayer, en commençant, conformément à \otre désir, Monsieur, par
comparer l'abacus grec aux abacus romains que nous trouvons
décrits d'après Welser, dans Gruter (p. 224), dans Bianchini (la
Istoria universale , p. 107) , dans Pignorius (de Servis , p. 165) , et
enfin, à l'abacus de la bibliothèque du roi, décrit par du Molinet
dans le Cabinet de Sainte- Geneviève (p. 23); cette comparaison
aura l'avantage de nous aider à comprendre l'abacus athénien, dont
la composition est moins explicite , si je puis m'exprimer ainsi.
Les abacus romains dont nous parlons consistent en plaques de
métal percées de rainures oblongues , dans lesquelles glissent à
frottement des boutons ou clous à deux têtes. En voici la figure telle
que la donne Gruter ( voy. la fig. 1 ) :
P P c
IxlûitoK
U U k
3 p
» cb
H
« M
* M
D □
C X- •
H H
H K >
i r
in*
.A
« H
M
Fi
g-*-
y
2 n o 8 h x
R R
Fig. 2.
On y remarque d'abord huit longues rainures inférieures, et huit
supérieures. Chacune des premières (inférieures) porte quatre hou-
402 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
tons, excepté la huitième, qui en a un de plus. Quant aux rainures
supérieures, elles portent toutes uniformément un seul bouton.
Entre chaque rainure inférieure et la rainure supérieure qui lui
correspond , se trou?e , en allant de droite à gauche , une des
sigles 0,i, x, c, c|d, cc|d3, ccc|ddd, ixi, signifiant, la pre-
mière, 0, l'once ou le douzième de Vas, et les autres, 1 as,
10 as, 100 as, jusqu'à un million d'as, je dis d'as ou de tout autre
espèce d'unités , sive asses sive quid aliud (Gruter).
Le moyen de représenter un nombre quelconque avec ce petit
appareil, est fort simple; les unités d'un certain ordre, quand elles
ne dépassent pas 4, se désignent par un pareil nombre de boutons
de la rainure inférieure correspondante, que l'on pousse vers le
haut; le bouton supérieur désigne 5 unités quand on le rapproche
des premiers. De cette façon , on peut, avec les boutons des deux
rainures correspondantes, représenter tous les nombres absolus
depuis 1 jusqu'à 9. Pour les onces , on peut aller de 1 à 11 , parce
que le bouton isolé vaut 6. Ainsi, la figure deuxième, représente
2630854 as et 7 onces.
Quant aux trois petites rainures, dont je n'ai pas parlé, et qui
sont marquées s, 3,z, les boutons qui s'y trouvent valaient (suivant
Gruter), pour la première, s, une demi-once, pour la seconde, d,
une sicilique ou un quart d'once, et pour la troisième z, chacun une
duelle ou un tiers d'once.
La manière de calculer avec cet instrument se déduit facilement
de ce qui précède ; et ce serait, je crois, Monsieur, abuser de votre
patience et vous faire perdre un temps précieux, que de vous faire
suivre le détail d'une méthode d'opération fort simple , pour laquelle
je crois pouvoir me contenter de renvoyer les lecteurs de la Revue
au procédé très-connu que suivent les joueurs de piquet au cent
pour marquer leurs points : la carte découpée à l'ordinaire pour
remplir cette destination , est un véritable abacus à l'antique : seule-
I ment il ne. va que jusqu'à 100. Mais comme tout calcul
réduit à ses derniers éléments , ne porte jamais à la fois
que sur deux chiffres ou sur deux ordres d'unités, ou,
pour m'exprimer comme les Romains, sur des digits (uni-
tés) etdes articles (dizaines) , il s'ensuit que quand on sait
marquer un cent de piquet avec la carte découpée, on sait
se servir de l'abacus romain, quelque loin qu'il s'étende; et ainsi, cette
simple comparaison du connu à l'inconnu me dispensera, je l'espère,
dune explication fastidieuse. Je ferai seulement remarquer combien
LETTRE A M. LETRONNE. 403
ce genre d'instrument est merveilleusement adapté au système de
numération écrite des Romains , système semi-décimal , si je puis
m'exprimer ainsi , où non-seulement chacune des puissances de 10 ,
chaque ordre d'unité décimale, est représenté par un caractère
spécial x, c, c|d, etc. , mais encore la moitié de chacune de ces
puissances a sa figure, sa sigle propre, v, l , id, etc. (l).
Ce qui précède va nous mettre à même d'expliquer l'abacus athénien.
(V. Rev. , t. III, p. 296.) Pour cela, supposons notre table de
marbre placée horizontalement , le calculateur assis à l'un des deux
longs côtés où sont inscrits les caractères dont vous avez , Monsieur,
complètement expliqué la signification. Ici, nous n'avons point de
boutons mobiles ; ils seront remplacés par des monnaies, ou plus géné-
ralement par des jetons de valeurs conventionnelles : c'est le seul mode
d'emploi de la table, qui soit admissible ici; et ces jetons seront
placés sur les diverses bandes que séparent les lignes creusées dans
la table. L'analogie nous porte donc à penser, qu'outre l'usage spécial
de la table pour la supputation des monnaies , elle en avait un plus
général , c'est-à-dire qu'elle servait à compter toute espèce de quan-
tité (asses sive quidaliad) exprimée, quant à sa partie entière, con-
formément au système décimal de numération tel qu'il était admis
parles Grecs et par les Romains, et qu'en conséquence, les nombres 1,
10, 100, 1 000, 10 000, figurés par les caractères I-. A, H,X, M
(le dernier M, initial de txvpia, remplaçant alors la sigle du talent),
étaient représentés par des jetons que le calculateur plaçait à la
partie antérieure de la table, en deçà de la ligne transversale, tandis
que les unités quinaires n, , ,5,50, 500, etc., étaient rejetées à la
partie de la table la plus éloignée, au delà delà transversale, absolument
comme dans l'abacus romain. Or, comme pour cela il ne fallait que
les cinq bandes qui sont à la droite de la croix centrale, les cinq
bandes restantes devaient servir à continuer le calcul suivant la pro-
gression décuple, et sur des unités 100 000 fois plus grandes que
l'unité simple, s'étendant ainsi jusqu'aux unités du 10e ordre, tandis
que l'abacus romain ne s'étendait que jusqu'aux millions ou aux
unités du 7e ordre.
(1) Les Chinois ont également une machine à compter qu'ils nomment souan-
pan, et dans laquelle, au lieu déboutons, ils emploient des boules enfilées dans des
tringles de fer. Une autre différence plus notable, en ce qu'elle accuse chez les
Chinois une sorte de faiblesse et de lenteur de conception à l'égard des procédés
du calcul , ou simplement du principe de la numération , c'est qu'ils emploient pour
chaque ordre d'unité cinq boules unitaires au lieu de quatre qui suffisent , et deux
boules quinaires au lieu d'une.
404 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Telle serait donc l'explication de cette croix centrale. Quant aux
deux autres , j'ai déjà dit plus haut que tous les calculs se réduisant
élémentairement à deux ordres d'unités, digits et articles, ils de-
vaient en conséquence se faire sur les deux premières bandes à
droite, sauf à reporter ensuite les jetons obtenus dans les bandes qui
leur appartiennent respectivement en ayant égard à l'ordre des unités.
Ce serait là l'usage de la croix de droite , celle de gauche servant pour
la position opposée du calculateur (1).
Quant aux quatre petites bandes isolées , vous avez supposé ,
Monsieur, qu'elles servaient pour les fractions de la drachme I , C, T, X ;
cette opinion me paraît incontestable ; nous trouvons l'analogue
dans les abacus romains, comme nous l'avons vu plus haut. Il y a
cependant cette différence à noter, qu'ici, dans l'abacus grec, il faut
faire la somme de ces trois fractions, la moitié C, le tiers T, et le
sixième X , pour avoir une obole, tandis que les fractions de l'abacus
romain semblent appartenir à deux systèmes distincts : d'une part on a la
moitié S et le quarto de l'once, auxquels, ajoutant un nouveau quart,
on aune once; d'autre part on a deux duelles ou deux tiers, auxquels,
ajoutant un nouveau tiers, on a aussi une once ; mais les trois frac-
tions réunies ne reproduisent pas l'ouce.
Je terminerai , Monsieur , en vous soumettant une conjecture.
M. Rangabé a cru voir dans l'abacus athénien une table à jouer ;
et vous avez décidé fort judicieusement , je le pense , que ce ne pouvait
être là son usage, au moins, dis- je , son usage principal. Il se
pourrait bien, toutefois, que M. Rangabé n'eût pas tout à fait
tort; car, secondairement, na-t-on pas pu employer la table à compter
à un usage moins sérieux? Quant à moi, après y avoir réfléchi, je
suis porté à penser que cette sorte d'abacus aux jetons pourrait bien
être l'origine, non pas de Yéchiquier, mais de notre jeu de trie trac;
et cette hypothèse du double usage de la table athénienne expli-
querait peut-être d'une manière plus satisfaisante, diverses particu-
larités que nous avons remarquées dans sa description. Ainsi, l'on
(1) Il fallait une explication de ces croix : bien que celle que j'ai donnée puisse
paraître satisfaisante, cependant j'avoue que je serais assez disposé à croire que leur
usage, tout matériel, était étranger au calcul : je m'explique. Nous voyons, dans la
figure de M. Rangabé, que les lignes noires tracées sur la table sont terminées par
de gros points. Cela me semble indiquer que les lignes noires étaient remplies ou
couvertes par des tringles métalliques ayant leurs extrémités enfoncées dans la table,
ces tringles étant ainsi comme des rails entre lesquels se plaçaient les jetons, et
servant à les empêcher de glisser d'une bande à l'autre. Les croix ne seraient alors
que la marque des attaches métalliques employées pour assujettir la tringle transver-
sale après les autres.
LETTRE A M, LETRONNE. 405
verrait d'abord clairement pourquoi il y avait dix colonnes au lieu
des cinq rigoureusement nécessaires pour supputer jusqu'aux talents
inclusivement, chacun des joueurs assis aux deux longs côtés de la
table, opérant sur les cinq colonnes qui étaient à sa droite , et y mar-
quant les points amenés par le jet successif de deux ou de trois dés ;
et nous aurions encore ainsi l'explication complète des cinq jetons
sur cinq colonnes mentionnées dans le texte de Pollux relatif au jeu
nommé néoaoï. La croix qui occupe le milieu de la table indiquerait
la ligne sacrée (1), chaque joueur visant ainsi à la dépasser le pre-
mier pour vaincre son adversaire, ce qui exigeait qu'il eût fait cent
mille points (2). L'ennemi était alors obligé de retirer les pièces qu'il
avait sur sa cinquième colonne, d'où le proverbe xivstv HBov aq>'
hpâçj ayievou àrf lepâç , ày9 kpov TzeaGeveiv , etc. , pour dire être
réduit à X extrémité. Alors le combat s'établissait dans le jeu de l'ad-
versaire vaincu; et le gain définitif de la partie consistait à par-
venir à la croix latérale qui était comme la forteresse de chacun des
deux jeux.
J'ajoute une dernière remarque. Si vous m'accordez, Monsieur,
ce double usage de l'abacus athénien, et que vous consentiez pour
un moment à voir une sorte de synonymie, ou du moins d'analogie ,
aux expressions trie trac , échiquier, abacus , peut-être alors recon-
naitrez-vous, dans cette assimilation, l'origine de l'expression chambre
de V échiquier, pour dire chambre des comptes. (Voir à cet égard la
nouvelle Reçue encyclopédique publiée par M. Firmin Didot, n° I.)
Au reste, je le répète, Monsieur, je vous livre ces idées comme
purement conjecturales , m'en rapportant à vous pour leur faire
bonne justice.
Je termine, Monsieur, en vous priant d'agréer l'expression du dé-
vouement respectueux avec lequel j'ai l'honneur d'être, etc.
A. J. H. Vincent.
(1) Pour correspondante, nous avons sur le trictrac la case du diable, qui est
également la porte du jeu de l'adversaire.
2) On objectera que la partie devait durer bien longtemps. Mais le joueur qui
avait le premier fait cent points , et en conséquence dépassé sa croix , aurait pu être
autorisé à compter toutes les nouvelles unités à partir de celte croix , et à leur donner
ainsi une valeur cent fois plus grande; alors il ne fallait plus réellement que onze
cents points pour franchir la ligne sacrée.
LETTRE A H. A. DE LONGPÉRIER
SUR
L'EMPLOI DES CARACTÈRES ARABES DANS L'ORNEMENTATION
CHEZ LES PEUPLES CHRÉTIENS DE L'OCCIDENT.
Pl. LIV.
Monsieur,
Dans l'article que vous avez inséré dans le numéro de février der-
nier de la Revue ( t. II, p. 696 et pl. 45), au sujet de l'emploi des
caractères arabes dans l'ornementation chez les peuples chrétiens de
l'Occident, vous citez diverses inscriptions de ce genre figurées sur des
monuments d'espèce différente , et vous nous faites connaître qu'au
XVe et au XVIe siècles de grands peintres avaient fréquemment si-
mulé des inscriptions arabes sur la bordure des vêtements du Christ ,
de la Vierge et des Saints. Aux exemples que vous citez, voulez-
vous me permettre d'ajouter celui d'un tableau assez remarquable ,
non par le mérite de l'exécution , mais par sa composition , peint en
1504 sur l'un des volets de l'orgue de la cathédrale de Perpignan, et
représentant la décollation de saint Jean? Le moment choisi par l'ar-
tiste est celui où Hérode et sa femme étant assis à table , Salomé
leur présente sur un plat la tête du saint précurseur. Suivant l'usage
du temps, les personnages sont vêtus à la moderne. La fille d'Héro-
diade, la seule qui doive nous occuper, porte une robe blanche dont
les lés sont séparés par une large bande rouge, faisant également le
tour du bas de la jupe. Sur ces bandes court un ornement supposé
brodé en or, affectant des formes de caractères coufiques symétrique-
ment accouplés, mais sans signification.
Voici encore quelques exemples d'un autre genre. L'église de l'an-
cienne abbaye de Saint-Martin du Canigou, près de Vernet, commune
célèbre par son bel établissement thermal et par le séjour que vient
d'y faire Ibrahim-Pacha , possédait autrefois deux devants d'autel et
deux voiles de calice, en toile blanche, brodés très-anciennement en
soies de couleur. Ces broderies formaient des arabesques très-artiste-
LETTRE A M. A. DE LONGPER1ER. 407
nient agencées, parmi lesquelles on remarquait des espèces de car-
touches remplis d'enlacements de caractères arabes. Ces quatre pré-
cieuses reliques de l'ait de la broderie au moyen âge , qui lors de la
sécularisation du monastère, en 1781, avaient été données à l'église
du petit village de Castell, situé au pied du mont Canigou entre l'ab-
baye et Vernet, où je les avais vues il y a un quart de siècle, en ont
été enlevées depuis et ont complètement disparu; la seule idée qu'on
puisse en prendre maintenant, à ma connaissance, c'est sur un des-
sin qu'en avait fait dans le temps mon savant ami M. Tastu, l'un des
conservateurs de la bibliothèque de Sainte-Geneviève.
Les ornements d'église dont je parle n'étaient pas les seuls monu-
ments de ce genre qui existassent dans les Pyrénées-Orientales ; en
voici un autre exemple plus curieux et plus intéressant. Dans l'église
de cette même commune de Vernet , on voit un vieux reliquaire en
argent représentant un avant-bras avec la main , reliquaire qui ,
comme beaucoup d'autres existant dans les églises de cette partie
des Pyrénées, et qui tous sont plus ou moins curieux et précieux
souvent, sous le rapport de l'art, ont été sauvés pendant la révolution
par la piété des habitants. Quelques réparations à faire au reliquaire
dont il s'agit ayant amené l'ouverture de la partie vitrée de cette pièce
d'orfèvrerie , on trouva dans l'intérieur deux lambeaux de toile blan-
che qui avaient dû servir probablement à envelopper la relique de
saint Saturnin , et qu'on avait voulu conserver en les déposant dans
son reliquaire. De ces deux lambeaux , l'un est nu et uni , l'autre
porte un fragment d'inscription arabe en broderie de soies de cou-
leurs, dont je joins ici un fac-similé réduit au quart de la grandeur
de l'original (V. pi. LIV, n° 1). Cette inscription, vous le voyez , était
en très-beaux et très-grands caractères coufiques , formant par leur
symétrie quatre carrés et demi, où je crois voir les mots el melek ,
suivis d'un autre mot que je vous laisse le soin de lire , ma science
n'allant pas au delà des cinq premières lettres. Ce même mot el melek
est répété en petit dans le troisième carré, avec un lam isolé à la
suite, et un autre mot au côté opposé. Cette broderie singulière,
toute au point de chaînette, est aussi remarquable par la vivacité de
couleur des soies que par la manière artistique avec laquelle on a dé-
coré l'inscription , dont chacun des carrés est fermé par une espèce
de papillon aux ailes étendues, décoration très-variée et pleine de goût
dans son uniformité.
J'ai pensé, Monsieur, que la connaissance de ces divers faits, se
rattachant au sujet de votre notice, pourrait vous paraître de quelque
408 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
intérêt, et je me fais un devoir autant qu'un plaisir de vous la trans-
mettre.
Veuillez agréer en même temps, Monsieur, l'assurance de ma con-
sidération la plus distinguée ,
Henry.
Toulon, le 5 juin 184G.
OBSERVATIONS.
Je dois véritablement des remercîments à M. Henry pour la bien-
veillante attention qu'il a prêtée au travail que j'ai publié dans la
Revue, aussi bien que pour les nouveaux renseignements qu'il m'a
fournis, et dont j'ai tenu à faire profiter les lecteurs de ce recueil.
La question n'est pas tout à fait sans importance; elle constitue un
petit chapitre d'esthétique qui doit trouver sa place dans l'histoire
de l'art. D'ailleurs, quand même les faits que j'ai rassemblés et la
notion qui en résulte n'auraient pour effet immédiat que de prévenir
des explications forcées analogues à celles que j'ai signalées dans
le Traité de Diplomatique des bénédictins, ce serait déjà un progrès
utile.
Mais quelque simples et quelque clairs que soient en eux-
mêmes ces faits que j'ai exposés, ils n'ont pas été acceptes par tout
le monde avec la même confiance que montre M. Henry ; il est vrai
que ce savant a étudié l'arabe. Certains antiquaires, moins heureu-
sement préparés, m'ont refusé leur assentiment. J'en suis, je dois
l'avouer , moins touché pour moi-même que pour l'honneur de
l'archéologie, et en attendant que l'on prouve publiquement combien
je me suis abusé, je tiens à faire savoir que ma doctrine « tend à
« rabaisser l'art national, qui ne dut jamais rien qu'au génie français,
« et à donner une fausse idée de l'influence chrétienne au moyen âge. »
Un de mes contradicteurs , qui , bien malheureusement pour la
cause que je soutiens, n'imprimera pas son opinion, m'affirmait
qu'il était impossible de reconnaître des caractères arabes dans
les échantillons d'ornements que j'ai reproduits dans ma notice
(y.Rev. 1846, p. 699 et suiv., et pi. XLV). Seulement, par une dis-
traction que j'excuse très-volontiers, il enveloppait dans son arrêt
de proscription les fractions de lignes écrites empruntées à des
inscriptions réellement musulmanes en même temps que les imi-
LETTRE A M. A. DE LONGPERIEK.
409
tations tirées des monuments chrétiens. Ma réponse était abrégée
d'autant.
Ce qu'il y a de remarquable dans les oppositions que je signale,
c'est qu'elles sont manifestées par des gens qui , trouvant fort
humiliant pour l'occident l'emploi des caractères arabes dans quelques
monuments chrétiens, n'en considèrent pas moins comme très-
naturel de professer une religion instituée au mont Sinaï et sur les
bords du Jourdain. Oublient-ils qu'à l'exception de quelques figures,
relativement très-rares, de saints nationaux, ce sont toujours des
représentations orientales, comme les anges, les prophètes, les
patriarches, les apôtres qui ofnent nos œuvres de peinture, de
sculpture pendant tout le moyen âge ?
Que dirait-on donc si j'osais soutenir que la monnaie d'or et
d'argent du roi saint Louis dut son grand module , qui la rend si
remarquable, à l'imitation des espèces arabes, lesquelles avaient
emprunté leurs dimensions aux drachmes des Sassanides ; en sorte
que ce sont des adorateurs du feu, des sectateurs d'Ormouzd qui ont
fourni au bienheureux fils de Blanche de Castille et à toute l'Europe
chrétienne des XIIIe et XIVe siècles la forme de leur monnaie?
Je reviens à l'inscription copiée avec tant de soin par M. Henry
(v. pi. 54), et dont l'interprétation soulève quelques difficultés. On se
rappellera peut-être que pour expliquer la formation de cet orne-
ment, j'ai indiqué « un genre d'écriture architecturale qui consiste
« à élever certains jambages deux à deux au-dessus des autres lettres,
« en découpant l'extrémité supérieure de ces jambages en forme de
« lleurons. » (Revue, t. II, p. 705). La riche bordure qui décore le
fragment d'étoffe découvert dans le reliquaire de saint Saturnin,
offre une application parfaite du système graphique que j'ai tâché
de définir. C'est même à l'observation, beaucoup trop rigoureuse
comme on va le voir, de la symétrie qu'il faut attribuer selon moi
la présence d'une lettre superflue dans l'inscription. On y lit en
effet : aM JjidKel moullklillah), pour *M jjy (el moulk lillah), la
puissance est à Dieu ; on pourrait vouloir reconnaître ^IJLJLl ( el
malik) dans le premier mot; cela ne donnerait aucun sens, et
m.
27
410 REVUE. ARCHÉOLOGIQUE.
d'ailleurs les deux lam consécutifs dans le premier mot sont claire-
ment liés par le même ornement qui se retrouve entre le lam et le lie
de 4M. Il semble, en outre, que le brodeur ait voulu expliquer
son intention en ajoutant à l'intérieur du mot JosS la même petite
phrase correctement orthographiée [ak]i JJJLî qu'il a répétée en sens
rétrograde dUJLl <*N et toujours en caractères qui se rapprochent
beaucoup du neskhi ordinaire.
Si l'on observe la forme exagérée du hé final de «aN et l'épais-
seur insolite donnée à la tête du kef, la distance régulière qui
sépare chaque couple de jambages, on ne doutera pas de l'intention
générale qui a présidé à l'exécution de cette bordure , et l'on admettra
avec moi que le lam parasite ne peut être attribué qu'au paral-
lélisme d'un dessin dans lequel la forme l'a emporté sur le fond.
Maintenant, il me reste un second point à examiner. Il s'agit de
savoir si la broderie a été exécutée par un Arabe ou par un chrétien.
Malgré la faute d'orthographe que je viens de discuter , je crois voir
ici des indices frappants d'une origine musulmane. Ces caractères
qui, comparés à ceux que nous conservent les monnaies, me
paraissent appartenir à la dernière moitié du XIIe siècle, sont trop
purs et trop bien conçus dans le sentiment sémitique, pour n'être
que des imitations européennes. Je ne vois rien dans cette bordure
qui rappelle le style des Maures d'Espagne, et je serais tenté
d'affirmer qu'elle a été brodée en Egypte sous les Àyoubites. Je
serais heureux que M. Henry voulût accepter mes explications ;
car , bien que foute d'avoir sous les yeux comme moyens de com-
paraison les nombreux documents que j'ai rassemblés, il n'ait pas
lu en entier la belle inscription dont nous lui devons la découverte,
je ne l'en reconnais pas moins pour un juge compétent. La paléo-
graphie est une étude toute spéciale que de très-habiles philologues
n'ont jamais abordée, et d'éminents hellénistes font souvent à
l'humble déchiffreur l'honneur de le consulter sur la lecture de
médailles grecques dont les légendes appartiennent cependant à
une langue qu'ils savent admirablement.
Je profite de l'occasion qui se présente à moi de faire connaître
un monument inédit qui donne un nouvel exemple d'imitation
d'inscriptions arabes. C'est une dague que M. l'amiral Massieu de
Clerval m'a bien voulu communiquer. (V. pi. 54 , nos 2 et 3.)
Un vieil ecclésiastique lui donna cette arme lorsqu'il était au début
de sa carrière maritime , en lui enseignant que , suivant une tra-
LETTRE A M. A. DE LONGPÉRIER. 411
dition constante , elle provenait d'Anguerran de Coucy. A cela ,
je vois une objection , c'est que cette dague paraît appartenir à la fin
du XVe siècle, et qu'Anguerran VII, dernier seigneur de la se-
conde branche de Coucy, est mort en 1397. Mais on sait sur quel
fondement reposent la plupart des attributions d'armes et d'usten-
siles divers à tel ou tel personnage historique (l). Je n'insisterai donc
pas sur l'illusion qu'a pu se faire de très-bonne foi le vieil ecclé-
siastique de Coucy.
Cependant , pour n'avoir pas été rapportée des croisades , cette
dague n'en est pas moins très-curieuse et très-élégante. La lame ,
damasquinée d'or à sa naissance, est très-forte et à deux tran-
chants. La poignée est d'ivoire gravé à l'aide d'un fer chaud qui a
noirci les fonds , sur lesquels se détachent de gracieux arabesques.
Le pommeau est, comme celui de quelques yatagans arabes , divisé
en deux rondelles entre lesquelles se place le pouce; la face inté-
rieure de ces rondelles est revêtue d'acier damasquiné et chargé de
fausses inscriptions. L'extérieur, qui est en cône irrégulier dont le
sommet est au point où l'on voit le centre d'une rosace, est entière-
ment d'ivoire gravé. Au-dessus de cette rosace est un écusson
portant une barre avec une inscription U ? aM qui me semble
empruntée à la légende M $\ ,-Jû $ aMJ ^î JU ^ dont on a
pris seulement le centre en négligeant la première lettre d'^WÎ et les
deux dernières de 4^1* ; cette devise la rhalleb illa Allah (il n'y
a de vainqueur que Dieu) est répétée plusieurs fois de suite en
divers endroits de l'Alhambra ; c'était la devise des rois de Grenade,
et les lecteurs de la Revue la trouveront (t. I, pi. 24, fig. 12),
placée dans un écusson peint sur une brique arabe qui provient du
célèbre palais. J'ai la conviction que le poignard de M. l'amiral Mas-
sieu de Clerval a été fabriqué en Espagne à l'imitation des armes
mauresques, mais par un ouvrier chrétien. Les caractères qui sont
damasquinés à la naissance de la lame , ne présentent aucun sens.
Ad. de Longpérier.
(1) Voy. Moniteur des Arts , année 1845 , 1. 1 , p. 53 , les nombreux exemples
de fausses traditions dont j'ai présenté le tableau.
VITRAUX
DE SAINT- GERMAIN L'AUXERROIS, A PARIS.
Ud des premiers organes de la presse quotidienne avait osé , le
16 février 1831 , formuler en ces termes incroyables l'arrêt de
destruction de l'antique paroisse de nos rois, l'un des plus beaux et
des plus curieux monuments religieux de Paris : a L'église qui a
servi à vos coupables De profanais, est rayée du nombre des églises
de France. » Depuis que l'ordonnance royale du 12 mai 1837 a, par
un acte de stricte justice, relevé le vénérable édifice de cet anathème,
offensant tout à la fois la religion et les arts, anathème qui pesa pen-
dant sept ans sur lui , le conseil municipal de Paris n'a cessé, par
d'immenses travaux de consolidations et de réparations, par des dé-
corations monumentales de toute nature, d'effacer les traces des
désastres causés par les ravages des hommes plutôt que par les
outrages du temps, et les stigmates des odieuses profanations
d'une populace aveugle et frénétique. Le chiffre de ces généreux
sacrifices pour cette restauration typique qui, sous le point de
vue archéologique, doit avoir dans l'avenir une immense inlluence,
s'élevait déjà en 1840, à 260,499 fr. 05 c. , en ce non compris le
fonds de 26,000 fr. alloué par le gouvernement pour les peintures du
porche ; décoration considérée par quelques-uns comme une super-
fétation insolite, puisque, sauf l'ornementation de la voussure de
la grande porte, ce vestibule n'a jamais été peint (1).
Sur la production d'un Mémoire de M. le comte de Rambuteau,
préfet de la Seine, portant proposition d'encourager les efforts tentés
pour les reproductions des vitraux historiés des églises, suivant
l'ancien système, et de l'appliquer d'abord aux trois croisées du
fond du chœur de Saint-Germain-l'Auxerrois , le conseil municipal,
par arrêté du 15 juin 1838, vota 10,000 fr. pour ces trois verrières
de neuf mètres de hauteur, qu il fit suivre aussitôt de deux autres. De
son côté, M. Demerson , curé de la paroisse, donna le vitrail de la
Passion, placé au centre de la chapelle du milieu du rond point,
composé par MM. Lassus et Didron, d'après des miniatures de ma-
(I) En effet, tout ou rien. Si l'église est dorée au dehors, il faut qu'elle soit peinte
au dedans comme elle l'était autrefois , ainsi qu'il résulte d'un devis de peinture du
25 avril 1635, dont nous avons pris copie sur l'original que nous avons découvert et
que possède aujourd'hui notre ami M. Lassus, architecte.
VITRAUX DE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 413
nuscrits du XIIIe siècle, et les vitraux de la Sainte-Chapelle, et
exécuté par M. Steinheil, peintre, et M. Reboulleau , chimiste,
pour le prix de 4,000 fr. Malgré la juste critique dont il est suscep-
tible , il n'en est pas moins vrai que ce vitrail peut être considéré
comme la première tentative sérieuse faite pour arriver à la repro-
duction des vitraux du XIIIe siècle. Peu de temps après, la ville de
Paris fit exécuter à Clermont-Ferrand les deux autres verrières qui
décorent la même chapelle.
La restitution partielle de ce brillant ornement de la belle église
qui a conservé dans son transsept huit de ses vieux vitraux des XVe
et XVIe siècles (l), était la prémice rationnelle d'une restauration
aussi importante. Telle fut l'impression qui en résulta, que M. le
curé et le bureau de la fabrique émirent le vœu de rétablir, avec
le temps , toute h vitrerie historiée de Saint-Germain l'Auxerrois.
Le conseil municipal , ami de toutes les gloires nationales, encoura-
geant la réalisation de ce projet, consentit à contribuer pour une
part dans la dépense que s'est imposée la fabrique pour cet objet.
En conséquence, des vitraux ont été commandés simultanément, à
Paris , au Mans , à Choisy, à Clermont-Ferrand et à Metz ; de sorte
que d'ici à trois ans toutes les chapelles du pourtour seront vitrées
en verres de couleur. Et plus tard on pourra entreprendre la rose
occidentale, les grandes vitres delà nef et du chœur.
Si la restauration d'une église doit , selon la doctrine archéolo-
gique professée aujourd'hui , être faite rigoureusement dans le style
et le caractère de l'édifice, sans y rien ajouter ni retrancher, on ne
doit pas apporter moins de soins et de précision dans l'agencement
chronologique ou l'ordre historique des vitraux à sujets, surtout quand
rien n'existe encore et qu'il faut créer. On sait quel ordre hiératique
existait jadis dans les vitraux de la plupart de nos vieilles églises
cathédrales et collégiales. Dans le chœur étaient représentés les mys-
tères , les patriarches , les prophètes , les apôtres et les évangélistes ;
les plus sublimes actions de la vie et de la mort du Sauveur, ou les
grandeurs de Marie , la reine du ciel. La nef retraçait les histoires
et les leçons de l'Ancien et du Nouveau Testament, car l'Église
avait voulu que cette magnificence ne fût. point un luxe stérile et
(1) La fenêtre rose du midi représente la descente du Saint-Esprit ; les deux fe-
nêtres du transsept de ce côté ont pour sujet l'incrédulité de saint Thomas et l'As-
somption. La rose du midi retrace la gloire dessaints dans le ciel ; trois des vitraux
du transsept offrent les miracles de Jésus-Christ et la Passion; le quatrième est
la légende du martyre de saint Vincent , diacre de Saragosse, second patron de la
paroisse.
414 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sans fruit pour ses enfants: ou bien le fidèle y contemplait le triom-
phe des martyrs, la gloire des confesseurs et des vierges, l'humilité
des saints moines et cénobites, les rois, les évoques, abbés et
princes, saints et saintes, directeurs des peuples et pasteurs des
âmes. Les vitres des bas côtés ou des chapelles représentaient les
miracles et les légendes merveilleuses des saints patrons, les hauts
faits des croisades et des preux chevaliers. Leurs armoiries resplen-
dissant sur les vitres , portaient encore éclat et défense au saint lieu.
Souvent une belle verrière, "offrande de la commune piété d'une
corporation de marchands ou d'artisans , se dressait dans la chapelle
de la Confrérie, auprès de l'autel du saint patron, et où presque
toujours figuraient les insignes et les produits de leurs professions ,
comme un hommage à Dieu qui a commandé le travail , et au
bienheureux dont l'exemple encourageait et sanctifiait le leur.
En se décidant à restituer à l'église de Saint-Germain l'Auxer-
rois l'antique magnificence de sa vitrerie peinte, on avait compris
combien il était rationnel de suivre l'ancienne règle chronologique du
symbolisme et de l'esthétique chrétiens. Ainsi à l'abside le vitrail du
centre représente, élevés ascensionnellement les uns au-dessus des
autres, les quatre personnages principaux de la généalogie de Jésus-
Christ. Dans la verrière de gauche les quatre grands prophètes , et
dans celle de droite les quatre évangélistes. Dans les deux autres
fenêtres de chaque côté sont figurés, au nord, quatre des petits pro-
phètes, et au midi, quatre apôtres. Au-dessous, dans les trois
vitraux de la chapelle du rond-point, sont représentés les faits prin-
cipaux de la vie du Sauveur; sa passion, sa mort et sa résurrection
glorieuse. Nous avons peu à nous préoccuper ici de ces verrières
sous le rapport de l'art; elles offrent à cet égard un intérêt plus ou
moins contestable; nous n'en parlons que sous le point de vue de
l'ordre hiératique et chronologique parfaitement observé. Mais
bientôt on s'est lassé de cette ordonnance si poétique qui aurait formé
de tout le monument comme un livre ouvert où le peuple aurait
lu le rudiment de l'histoire sacrée, comme un hymne national,
ou une prière à Dieu. L'ordre est désormais interverti. Le ca-
price ou un but d'économie ont détruit la sage unité du système
hiératique projeté. Les vitres de trois des chapelles polygonales du
chevet se sont remplies de verrières en compartiments mosaïques,
simplement d'ornement et sans figures. Ainsi, les deux croisées de
l'ancienne chapelle des chanceliers cTAligre, dite aujourd'hui de saint
Landry, sont remplies par deux grisailles polychromes à feuilles d'un
VITRAUX DE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 415
yert tendre sur fond bleu plat. Une bordure bleue et verte encadre
l'ensemble, et donne à ces verrières une lourdeur qu'on évitait au
moyen âge en détachant le tout par un liseré lumineux et bleu ;
trois gros pavots rouges, sans styles, sont assoupis au sommet de ces
fenêtres. La grisaille argentine en entrelacs, semée de croisillons
rouge et bleu, au centre de la chapelle du Purgatoire, est aussi
légère de ton et de dessin que celles de saint Landry sont pesantes :
c'est un heureux essai d une peinture sur verre qui coûte beaucoup
moins cher que celle des vitraux à personnages; mais qui, comme
nous le disions tout à l'heure, interrompt l'ordre hiératique si bien
commmencé. La grande verrière de la chapelle de sainte Geneviève,
qui fut autrefois la chapelle de famille des ducs de Villeroy, est une
grisaille imitée, dit-on, d'un vitrail du XVe siècle; elle offre un
damassé de feuilles et de médaillons blancs sur une hachure en
résilles noirâtres. Quelques feuilles jaunes et quelques fleurs rouges
relèvent le ton pâle de cette fenêtre, qui perd beaucoup à être vue
de loin. Ces trois vitres ont été exécutées en 1843 à Clermont-
Ferrand, sous la direction de M. Thevenot.
Si ces vitraux , ainsi que ceux du chœur et les deux latéraux de la
chapelle du Calvaire, n'offrent réellement aucun mérite qu'on ne
puisse aisément surpasser, M. Thevenot s'est en revanche montré
dessinateur et coloriste habile dans les cinq délicieux panneaux
cintrés qui composent le vitrail de la tribune de la reine , au-dessus
de la porte Sainte-Anne, tribune qui, soit dit en passant, n'a
jamais été fréquentée ? et, selon toute apparence, ne le sera jamais
par cette princesse, qui préfère la luxueuse église de Satot-
Roch. Les deux tableaux du centre offrent pour sujet l'Annoncia-
tion ; dans l'un est l'ange Gabriel, dans l'autre la Sainte Vierge.
Dans les deux panneaux des côtés sont représentées les quatre
reines canonisées de France : sainte Clotilde, femme de Clovis Ier;
sainte Batilde, femme de Clovis II, fondatrice des abbayes de Chelles
et de Corbie ; sainte Radegonde , femme de Clotaire Ier, et Jeanne de
Valois , femme répudiée de Louis XII , institutrice de l'ordre de
l'Annonciade. Le panneau ovale au-dessus représente la Vierge
conversant avec Jésus-Christ Ce vitrail est signé Thevenot, 1845.
La transition est rude et le contraste désagréable, lorsqu'après
avoir regardé cette série de petits tableaux diaphanes, si remar-
quable par la pureté et la rectitude du dessin , la finesse et la variété
dans les tons, on examine les vitraux des cinq chapelles qui suivent,
où des couleurs ternes et mornes le disputent à la lourdeur, la mol-
416 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
iesse et la confusion du dessin, ou à la médiocrité de l'exécution.
Des vases en fuseau d'où sortent des flammes, surmontés d'une
espèce de thyrse auquel se rattachent des arabesques et des feuilles
retombant en panaches -.telle est l'ornementation qui sert* d'enca-
drement aux effigies en pied des saints patrons , sous le vocable des-
quels ont été récemment dédiées ces chapelles. Et, sans doute pour
s'éviter la fatigue de la composition d'autres dessins, l'artiste a répété
comme un estampage le même type dans toutes les fenêtres, en chan-
geant seulement la couleur de chaque pièce d'ornement, sauf à la cha-
pelle de saint Denis et ses compagnons, où la dimension étroite de la
fenêtre ne lui ayant pas permis de peindre de figure , il a modifié le
dessin et s'est borné à inscrire dans le haut le nom des trois saints,
en faisant figurer en bas six haches, instrument de leur martyre.
Le panneau au-dessous des pieds de chaque personnage retrace une
action de sa vie , et l'ovale dans l'ogive offre un emblème qui rap-
pelle sa charité , ou le blason de ses armes. Du reste , les images de
ces bienheureux ne sont guère mieux traitées que l'ornementation ,
surtout saint Charles Borromée et saint Vincent de Paul, dont les
portraits sont si connus. Il semble, en vérité , que le dessinateur ou
le peintre verrier aient oubliés ces paroles divines : Creamus homi-
nem ad imaginem nostram. Nous ne pousserons pas plus loin ces
détails, ce serait une description fastidieuse. Il y a là toute la
bizarrerie du style sans nom qui fleurissait entre les galanteries
de Louis XIV et les orgies de Louis XV. Il est fâcheux qu'à ces
vitraux donnés en 1846 par la ville de Paris, se rattachent les noms
de deux artistes de qui on devait attendre mieux, M. Quentin comme
dessinateur et M. Vigne comme peintre. Ce dernier disait , dans un
opuscule sur la peinture sur verre, qu'il publia en 1840, que les
vitraux anciens de Saint-Germain l'Auxerrois sont de véritables
chefs-d'œuvre des XVe et XVIe siècles, qu'on remarque à peine. Tout
porte à croire que les siens partageront à plus juste titre la même
indifférence.
Les éclatantes verrières qui sont aux deux fenêtres de la façade
occidentale , en regard des bas côtés , ont été exécutées à Metz ,
en 1845, par un artiste plein de talent, M. Maréchal. Celle au bas
de la chapelle de la Sainte Vierge représente le commencement de
la généalogie de Jésus-Christ , qui doit se développer dans tous les
vitraux de cette chapelle et se relier avec les peintures de l'autel,
représentant le couronnement de Marie, confiées, par le ministère
de l'intérieur, au talent de M. Amaury-DuvaL Dans les trois grands
VITRAUX DE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 417
jours de cette fenêtre, sont les images en pied des patriarches
Abraham, Isaac et Jacob, se détachant sur un riche fond fleuri. Dans
les réseaux de l'ogive et parmi une riche végétation de feuilles et de
fleurs, apparaissent les gracieuses figures de Sara, femme d'Abraham ;
d'Agar, l'Égyptienne, servante de Sara et mère d'Ismaël ; et de
Rebecca, femme d'Isaac. L'autre verrière auprès des fonts baptis-
maux est consacrée à la liturgie catholique , et semble raconter au
peuple chrétien « les mystérieuses beautés et les harmonies célestes
que l'Esprit-Saint a répandues sur les formes du culte divin , tel que
l'exerce la sainte Église romaine, mère et maîtresse de toutes les
autres. >* Comme à l'autre vitrail , les grands jours sont remplis par
trois personnages debout. Le premier à droite est Pépin le Bref,
père de Charlemagne, protecteur de l'Église romaine , dont le goût
était si vif pour tout ce qui concerne le culte et la liturgie, qu'on
appelait alors l'amour des lettres , que le pape Paul 1er lui envoya des
chantres pour instruire ceux de son palais; au centre est saint
Grégoire le Grand, considéré comme l'instaurateur de la liturgie
romaine après saint Gelase, dont l'effigie se remarque dans les
trèfles de l'ogive en regard de saint Gélestin Ier, qui perfectionna la
liturgie, et au-dessous de saint Pierre, caractérisé par les clefs.
Saint Grégoire s'occupa particulièrement du chant ecclésiastique ,
qui , de son nom est appelé Grégorien. Son Antiphonaire et son
Graduel sont encore en usage dans le rit romain. Le troisième per-
sonnage est Charlemagne , qui introduisit le chant grégorien dans
les églises de son empire , et fit des règlements spéciaux sur le culte
dans ses Capitulaires. Dans les lobes sous les courbes de l'ogive sont
figurés tous les objets nécessaires à la célébration du culte, tels que
la croix, les chandeliers, les cierges, les livres, les encensoirs, les vases
sacrés, etc. Le ton de ces deux verrières est trop vif pour la place où elles
sont, où le soleil les frappe longtemps dans les jours sereins. Cela pro-
vient de ce qu'assez généralement les artistes de notre époque em-
ployent des verres trop minces , des nuances trop fines et des couleurs
qui ont trop de transparence et d'éclat ; aussi , ne peut-on regarder plus
d'un moment les deux vitraux de M. Maréchal sans se fatiguer les
yeux. On ne devrait employer pour les vitraux d'églises que des
verres épais, des nuances prononcées, telles que le bleu, le jaune
et le rouge foncés, à travers lesquels ne pénètre qu'un jour doux,
sombre et religieux, comme dans les admirables roses de Notre-
Dame de Paris, et les vitres de la Sainte-Chapelle. Au reste, cette
trop vive chaleur de coloris est rachetée ici, tant par la vigueur du
418 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dessin , que par le luxe varié des costumes et des ornements ; seule-
ment, il serait à désirer que le peintre eût donné un regard moins
farouche aux deux monarques français, et un caractère plus imposant
aux patriarches,
Le gracieux vitrail du aux talents réunis de MM. Gallimard et
Lami de Nozan, représentant les funérailles de saint Landry, évêque
de Paris, et la translation de ses reliques dans la collégiale de Saint-
Germain l'Auxerrois, paraît bien incolore par l'opposition résultant
de son voisinage avec l'œuvre si éclatante de M. Maréchal. Mais il
n'est là que provisoirement, et doit être bientôt remplacé par une
des verrières qui retraceront la vie de la Sainte Vierge. La destina-
tion de ce vitrail est d'autant plus incertaine, qu'étant fait spécia-
lement pour la forme de fenêtre qu'il remplit actuellement, il sera
difficile de le placer ailleurs. Les auteurs l'ont offert même en don à
l'église; mais M. le curé, tenant à l'exécution de son plan histo-
rique pour cette chapelle , et engagé d'ailleurs par les commandes
de vitraux faites précédemment, n'a pas cru pouvoir agréer cette
offre généreuse. Cependant cette vitre présente un double intérêt : le
mérite de l'exécution et le choix du sujet retraçant une page des
chroniques de la paroisse. Elle appartient évidemment par son style
à la seconde moitié du XV siècle* Elle est du genre historié le plus
brillant de cette époque; et, chose fort rare, les costumes rap-
pellent ceux de l'époque de Louis XII. La rosace supérieure, envi-
ronnée d'anges, représente saint Landry fondant l'Hôtel-Dieu de Paris.
L'ancienne chapelle sépulcrale des Ponchers, des Sourdis et des
d'Alluyes, à droite du chœur, a été ornée, en juin 1846, d'un vitrail
exécuté au Mans par M. Lusson, sur les dessins de M. Viollet-
Leduc, qui assurément laisse moins à désirer que ceux dont, nous
venons de parler. La science de composition des figures, la correc-
tion du dessin, la suavité et la vérité des tons, accusent dans cette
œuvre un progrès réel qui met en évidence la supériorité des pro-
cédés nouveaux sur les anciens. Assurément cette verrière peut être
mise en parallèle avec les vitraux si vantés du XVIe siècle , dont les
teintes et les carnations ordinairement sombres et tirant sur le roux ,
sont en général plus ou moins éloignées de la nature et de la vérité.
Le sujet est parfaitement d'accord avec le nouveau vocable de la
chapelle dédiée aux saints pères de l'Église. Dans la bande du
milieu dé la fenêtre, Jésus docteur est assis sur un trône à dossier
gothique, vêtu d'une longue tunique ornée de broderies. Le nimbe
crucifère] environne sa tête, et ses pieds sont nus, parce qu'en
VITRAUX DE SAINT-GERMAIN i/AUXERROIS. 419
iconologie chrétienne la nudité des pieds est un signe des plus
illustres; on ne fait les pieds nus qu'à Dieu, aux anges et aux
apôtres. La Sainte Vierge elle-même a les pieds chaussés; et les
plus grands saints, même les pères de l'Église, ne doivent pas être
représentés les pieds nus. Jésus-Christ tient la main droite levée
pour bénir; de la main gauche il tient un livre à fermails. Sous ses
pieds deux anges aux ailes en ciseaux, l'un vêtu d'une robe bleue,
l'autre d'une robe brun clair, tiennent un phylactère sur lequel on
lit : Ecce ego vobiscum sum omnibus dlebus. Le Christ est entre
saint Léon et saint Grégoire, papes-, ce dernier est attentif aux
inspirations que souffle à son oreille le Saint-Esprit sous la forme
d'une blanche colombe placée à sa droite. Ces deux figures sont debout,
sous des dais gothiques, revêtues des insignes du souverain pon-
tificat, et coiffées de la tiare. Leur main gauche est armée de la
croix à double croisillon , et de la droite ils bénissent. Le panneau
sous leurs pieds est rempli par des végétations vigoureuses, encadrées
d'une décoration architecturale où figurent de petites colonnes
torses. Dans l'ovale, à la pointe de l'ogive, se détache sur un ciel
bleu, parsemé d'étoiles, un ange assis et vêtu d'une robe blanche,
tenant ouvert devant lui le livre des Évangiles. A ses côtés, des
anges à genoux tiennent des chandeliers garnis de cierges flam-
boyants. Tout est calme et harmonieux dans cette composition. Mais
nous dirons pour être impartial , que les figures des papes sont trop
jeunes , surtout celle de saint Grégoire,
Les bornes de cet article ne nous permettant pas d'entrer dans
tous les détails techniques, nous faisons seulement remarquer que,
suivant la pratique de l'art moderne, les résilles de plomb servant à
réunir les nombreuses pièces de verre de tous. ces vitraux, tracent
les contours du dessin représenté par l'artiste , ou se perdent dans
les ombres et les plis des draperies , de manière à éviter toute con-
fusion pour l'œil du spectateur.
Tel est, aujourd'hui, l'état avancé de la restauration monumen-
tale de Saint-Germain l'Auxerrois. Rien n'a été épargné pour que
la perfection y égalât la splendeur ; si ce but n'a point été tout à fait
atteint, on n'en doit pas moins féliciter Je conseil municipal de
Paris d'avoir encouragé les arts, et particulièrement celui de la
peinture sur verre, avec tant de libéralité.
Troche,
Auteur d'une Monographie inédite de l'église Saint-Germain l'Auxerrois.
Paris, le 1er septembre 1S4G.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
Dans la séance annuelle, tenue le 2Î août 184fr, par l'Aca-
démie des Inscriptions et Belles-Lettres, l'assemblée a entendu la
lecture des écrits suivants :
1° Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Mionnet, par
M. le baron Walckenaër, secrétaire perpétuel.
C'est la peinture très-fidèle d'une de ces existences toutes dé-
vouées à l'étude , qui ne se révèlent au monde extérieur que par
d'utiles travaux. Mionnet, qui n'a jamais écrit une page de théorie
ou de critique , est continuellement cité par les archéologues ; son
livre est un immense répertoire où les savants puiseront toujours
d'indispensables renseignements.
2° Introduction au mémoire sur l'Hercule assyrien et phénicien,
considéré dans ses rapports avec l'Hercule grec, principalement à
l'aide des monuments de l'antiquité figurée , par M. Raoul Rochette.
Travail empreint de cette facilité qui distingue les écrits du
même auteur. Les assertions contenues dans cette introduction ont
tellement besoin d'être appuyées de preuves que l'on doit s'abstenir
de tout jugement jusqu'au jour où paraîtra le Mémoire annoncé.
Quelques auditeurs ont semblé surpris en entendant déclarer que
l'Asie Mineure était, dès la haute antiquité, tout imprégnée de
l'élément sémitique. Ce n'est pas là jusqu'à présent ce que révèlent
l'étude des langues et la découverte des monuments, tels que ceux
par exemple qui ont été retrouvés en Phrygie et en Lycie. Mais il
est probable que M. Raoul Rochette n'a pas avancé une telle pro-
position sans être en mesure d'en démontrer l'exactitude , et ce sera
certainement un des grands mérites de son travail.
3° Extrait d'un Mémoire géographique , historique et scientifique
sur l'Inde, antérieurement au milieu du XIe siècle de l'ère chré-
tienne, d'après les écrivains arabes, persans et chinois, par M. Rei-
naud, vice-président.
Depuis quelques années, M. Reinaud s'est appliqué à découvrir
dans les auteurs arabes et persans , les documents propres à fixer des
points de chronologie qui sont si nécessaires pour classer les faits
que les annales de l'Inde ont enregistrés sans indication de temps.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 421
Cette fois, le savant académicien avait pu ajouter au résultat de
ses propres recherches les renseignements qu'a extraits pour lui des
écrivains chinois, .M. Stanislas Julien, le plus habile des sinologues
contemporains.
Ces lectures ont été précédées par l'annonce des prix suivants
décernés par la savante compagnie , et proclamés par le président ,
M. Naudet :
jugement des concours. — L' Académie, dans sa séance pu-
blique de 1845, avait prorogé jusqu'au 1er avril 18^6, le concours
ouvert en 1842, sur la question suivante :
Tracer l'histoire des guerres qui, depuis V empereur Gordien jusqu'à
V invasion des Arabes, eurent lieu entre les Romains et les rois de Perse
de la dynastie des Sassanides , et dont fut le théâtre le bassin de
l'Euphrate et du Tigre, depuis ï Oronte jusqu' enMédie , entre Erzeroum
au nord, Ctésiphon et Pétra au sud.
L'Académie, qui à reçu deux mémoires, accorde le prix au
numéro deux, écrit en latin, intitulé : De Bellis inter reges Persiœ
Sassanidas atque imperium romanum ab Alexandro Severo ad Hera-
clium imperatorem gestis Disquisitiones maxime geographicœ, qui a
pour auteur M. Henri Kiepert, docteur en philosophie, géographe
de l'Institut industriel à Weimar.
L'Académie avait proposé, dans sa séance de 1843, pour sujet
de prix à décerner en 1845 , la question suivante :
Examen critique des historiens de Constantin le Grand, comparés
aux derniers monuments de son règne.
L'Académie , pour donner aux concurrents le temps de per-
fectionner leur travail , avait prorogé ce concours jusqu'au
1er avril 1846.
Deux Mémoires ont été envoyés à ce concours.
L'Académie accorde le prix au numéro premier , qui a pour
auteur M. Nicard.
L'Académie a proposé, dans sa séance de 1844 , pour sujet de
prix à décerner en 1846, la question suivante :
Examen critique de la succession des dynasties égyptiennes, d'après
les textes historiques et les monuments nationaux.
Deux Mémoires ont été envoyés.
L'Académie accorde le prix au numéro premier, qui est de M. Le-
sueur, architecte;
422 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Et une mention très -honorable au numéro deux , dont l'auteur est
M. Brunet de Presle.
L'Académie, quoiqu'elle n'ait reçu que ces deux Mémoires, dé-
clare qu'elle se félicite d'avoir proposé cette question , et émet le vœu
que ces Mémoires soient publiés.
prix de numismatique. -— L' Académie décerne le prix de nu-
mismatique, fondé par M. Allier de Hauteroche, à M. Duchalais,
pour son ouvrage intitulé : Description des médailles gauloises faisant
partie des colléôtions de la Bibliothèque royale.
Il a été décerné une mention très-honorable à M. Giulio di San-
Quintino, pour l'ouvrage intitulé : Délie monete delV imperatore
Giustiano IL
antiquités de la France. — M. Lenormant qui, depuis plu-
sieurs années, a présenté le rapport sur le concours, s'est encore
cette fois-ci acquitté de cette tâche avec son habileté ordinaire. Sous
sa plume, les jugements de l'Académie revêtent souvent la forme
de préceptes et de conseils ; il prouve que la commission des anti-
quités de la France n'est pas comme la pierre à aiguiser, acutum
reddere quœ ferrum valet, exsors ipsa secandi.
L'Académie a décerné la première médaille à M. Long, pour
ses Recherches sur les antiquités romaines du pays des Vocontiens ,
manuscrit ;
La seconde médaille à M. Leymarie, pour son Histoire du
Limousin, La Bourgeoisie, 2 vol. in-8°.
Elle partage la troisième médaille ex œquo entre M. Cartier, pour
ses Recherches sur les monnaies au type chartrain, 1 vol. in-8°;
Et M. Girardot, pour son Histoire du Chapitre de Saint-Étienne
de Bourges, manuscrit.
L'Académie exprime le regret qu'il n'y ait pas une quatrième
médaille à partager entre M. Vaudoyer pour son ouvrage intitulé :
Ancien Orléanais. — Architecture privée , manuscrit,
Et M. Le Roux de Lincy, pour son Histoire de l'hôtel de ville de
Paris, 1 vol. in-4.
Rappel de médailles.
M. Marchegay, pour son ouvrage intitulé : Archives du bas Poitou,
recueil de chartes et documents inédits, in-8°.
M. Clerc, pour son Essai sur T Histoire de la Franche-Comté,
1 vol. in-8°.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 423
Des mentions très-honorables sont accordées :
1° A MM. Mazure et Hatoulet, pour leur ouvrage intitulé : Fors
du Béarn, législation inédite du XIe au XIIIe siècle m-4° ;
2° A M. de la Querrière, pour son ouvrage intitulé : Architecture
du moyen âge f in-8° ;
3° A M. Bouthors , pour son ouvrage intitulé : Coutumes locales
du baillage d'Amiens rédigées en 1507, in- 4° ;
4° A M. de la Villemarqué , pour son ouvrage intitulé : Chants
populaires de la Bretagne, in- 18 ;
5° A M. deQuatrebarbes, pour son ouvrage intitulé : OEuvres
complètes du roi René, in-4° ;
6° A M. Louandre, pour son ouvrage intitulé : Histoire d'Abbe-
ville et du comté de Pontieu jusqu'en 1789, in- 8;
7° A M. Batissier, pour son ouvrage intitulé : Histoire de l'art
monumental au moyen âge, suivie d'un Traité de peinture sur verre,
in-8°;
8° A M. Guignard, pour son ouvrage manuscrit intitulé : Lettre
à M, le comte de Montalembert sur les reliques de saint Bernard et de
saint Malachie ;
9° A M. Haureau, pour son ouvrage intitulé : Histoire littéraire
du Maine, 2 vol. in-8°;
10° A M. Eysenbach , pour son ouvrage manuscrit intitulé :
Histoire des évêques de Nevers.
Des mentions honorables sont accordées :
1° A M. Baudot, pour son ouvrage intitulé ; Rapport sur les
découvertes archéologiques faites aux sources de la Seine, in-4° ;
2° A M. l'abbé Saint-Yves, pour son ouvrage intitulé: Vie de
sainte Geneviève, patronne de Paris et du royaume de France, in-8°;
3° A M. de Chergé, pour son Mémoire historique de l'abbaye de
Montierneuf de Poitiers, broch. in- 8° ;
4° A M. Barbeu du Rocher, pour son ouvrage manuscrit intitulé :
Ambassade de Pétrarque auprès du roi Jean le Bon ;
5° A M. Duchalais , pour sa Dissertation sur une charte inédite de
l'an 1138, relative à l'histoire des vicomtes de Melun, in-8°;
6° A M. Boileau et Morand, pour leur Esquisse iconographique
et historique sur l'église de Saint-Pierre d'Aire sur la Lys, in -fol. ;
7° A M. Dumège , pour son Histoire des institutions religieuses ,
politiques Judiciaires et littéraires de Toulouse, in- 8°;
424 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
8° A M. Fouque, pour son Histoire de Chalon-sur-Saône, depuis
les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, in-8°. '
PRIX EXTRAORDINAIRES FONDÉS PAR M. LE RAJtON GORERT , pour
le travail le plus savant et le plus profond sur l'histoire de France et
les études qui s'y rattachent,
L'Académie décerne le premier de ces prix à M. Aurélien de
Courson , pour son Histoire des peuples bretons dans la Gaule et dans
les îles britanniques y langues, coutumes , mœurs et institutions, 2 vol.
in-8°; et elle décide que M. de Monteil sera maintenu dans la
possession du second prix qui lui a été décerné en 1840. Le livre
de M. de Courson dénote une connaissance approfondie de l'histoire
des Bretons , mais il a l'inconvénient de remettre en présence des
antagonismes fondés sur les différences de race ; il va donc diamé-
tralement contre l'heureuse tendance des meilleurs esprits de notre
époque. On est affligé aussi de trouver dans cet ouvrage certaines
attaques contre d'illustres écrivains, que l'honnêteté de leurs vues et
leur talent incontestable auraient dû faire citer avec plus de respect.
rappel du prix proposé pour 1847. L' Académie rappelle
qu'elle a proposé pour sujet du prix ordinaire à décerner en 1847,
Y Histoire de l'étude de la langue grecque dans l'occident de l'Europe ,
depuis la fin du Ve siècle jusqu'à celle du XIVe.
nouveau sujet de prix proposé pour 1848. — L'Académie
propose pour sujet du prix ordinaire à décerner en 1 848 :
Êclaircir les annales et retracer l'état de la France pendant la
seconde moitié du Xe siècle, d'après les documents publiés ou inédits.
— M. Sichel nous informe qu'il a été induit en erreur par un de
ses correspondants, en annonçant (Revue Archéologique, t. III,
p. 229 , § V) la mort de M. Bernard Quaranta, de Naples. Ce n'est
pas le célèbre antiquaire , mais un de ses parents ou homonymes qui
a succombé récemment.
— Le clocher de l'église de Vitry, près Paris , monument remar-
quable du XIIIe siècle, va être restauré; outre un secours que la
commune a reçu du département, elle est autorisée à s'imposer ex-
traordinairement en sept ans d'une somme de 13,000 francs pour
concourir au payement des travaux projetés.
REVUE
ARCHÉOLOGIQUE
OU RECUEIL
DE DOCUMENTS ET DE MÉMOIRES
RELATIFS A L'ÉTUDE DES MONUMENTS ET A LA PHILOLOGIE
DE LANTIQUITÉ ET DU MOYEN AGE
PUBLIÉS PAR LES PRINCIPAUX ARCHÉOLOGUES
FRANÇAIS ET ÉTRANGERS
ET ACCOMPAGNÉS
DE PLANCHES GRAVÉES D'APRÈS LES MONUMENTS ORIGINAUX
IIIe ANNÉE
SECONDE PARTIE
DU 15 OCTOBRE 1846 AU 15 MARS 1847
l
PARIS
A. LELEUX, LIBRAIRE-ÉDITEUR
RUE PIERRE-SARRAZIN , 9
1847
4gs
Il
UV J/1WRIMF,R!E DE CRAPFLET
RUF. I)E VAl'filRARp, 9
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES DANS LA DEUXIÈME PARTIE (Octobre 1846 a Mars 1847).
DOCUMENTS ET MEMOIRES.
Uf1
Sir l'amulette de Jules César, !e ca-
chet de Sépullius Macer , le sabre de
\ esj.;isiei» et autres antiquités modernes,
deuxième article, par M. F«l— «M )
membre rie l'Institut PAGE q?f>
Pgi.Émon, le Voyageur archéologue, esquisses
de l'antiquité, par M. Egger, professeur
j la faculté' des lettres. ... .^6 , qpq
Lettre de M. Letronne a M. Lenormant
sur la tête de Phidias, trouvée à la Biblio-
thèque royale, et sur la Collection de
Nointel /160
Le Château de Loches (Indre-et-Loire) ,
par M. Pinard ^76
Sun Le grand Aqueduc près de Beyrout,
par M. Letronne ....... \8g
Kpitaphe latine d'un peintre grec établi
dans la Gaule, par M, Letronne . m •>
Dissertation sur l'arme qui se voit dans
une pejnture de vase grec conserve au
Musée dp >Taples , par M, B. Quarant» ,
professeur de l'Université de Naples 5 1 f>
Embellis§kMEKTS de Paris , ancien mo-
nastère des FUJes-du-Calyaire , par M.
Troche 5aO
Inscription cunéiforme de Behistun, \w
M. A. Maury, sous-conservateur à la Bi-
bliothèque de l'Institut 5qÇ)
Bectification de la valeur alphabéti-
que d'un caractère de l'écriture pu-
nique, par M. de Saulcy, membre tk
l'Institut 5f>7
Notice su* une statuette antique en
Bronze d'Isis, par M. le baron Chau-
druc de Crazannes , correspondant de
l'Institut 5;6
Lettre a M. Letronne sur le nom romain
du peintre grec Diogène , par M. J. Cbe-
vrier 58H
Notice sur un monument connu sous le
nom de haute borne , par M. Pinard 585
Mémoire Historique et Critique sur le
portail , le porcbe et les peintures de
l'église <le Saint-Germain l'Auxerrois ,
par M. Troche page 5pi
Lettre de M. T. de Bertou a M. Le-
tronne sur les ruines antiques de Deir-
el-Kalaah , près de Beyrout Qfj
Lettre a M.Ch. Lenormant sur un point
de l'épigraphie punique , par M, de
Saulcy , , tiig
Nouvelles observations sur les Àugus-
TALES , par M. Kgger b'35 , 77 j
Lettre a M. de Saulcy sur quelques anti-
quités égyptiennes et sur le bœuf Apis,
par M. A. Clerc 6^9
Lettre de M. J. Courtet sur l'amulette
de César, le cachet de Sépullius Macer
et le pont Julien 668
Lettre a M. Prisse , sur un four romain à
cuire les poteries , par M. Henry ..,,.,,, 672
Sur un Sceau de saint Louis de 1240; de
la Collection des Sceaux des Archives du
royaume , par M. E. Cartier > . 675
Inscription funéraire de Nicolas Fla-
mel , par M. J. A. L 680
Eglise de Bougival , par M. Pinart 685
Antiquités égyptiennes du Musée Britan-
nique, parM. Prisse d'Avennes 6cj3
Aperçu statistique des monuments de
l'Algérie, par M. Ch. Texier, inspecteur
gén. des bât. civils de l'Algérie; complété
avec des Notes, par M. A. Maury 72^
Sceau inédit de Philippe I«r, par M. E. de
Stadler ?36
jNotice historique sur le quartier de la
Cite a Paris, à l'occasion de la démoli-
tion des restes de l'église paroissiale de
Sainte-Croix. , par M. Troche 740
Inscription phénicienne gravée sur la
jambe du colosse brisé d'Ipsamboul, par
M. Saulcy ?5?
Sur une Statue du dieu Aschmoun ou
EsMON , par M. A. Maury 76^
Extrait d'une Lettre de M. Layabd a
M. Botta , au sujet des fouilles de
N imroud 79 l
TABLE DES MATIERES.
Statue d'Hercule , découverte à Dénia ,
par M. P. Mérimée P4«Ê 70,3
DESCRIPTION DE L'ÉGLISE Saint-Nicolas
du Port (Meurthc), par M. l'abbé Bal-
ibasàr 8o5
Notes archéologiques et historiques
sur la crypte de l'ancienne cathédrale <U*
Boulogne . par M. P. Hédouin
Kl!
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES.
DESCRIPTION de divers objets antiques trou-
vées au pont de Metz , près Amiens
(Somme ) page 485
Préparation de plusieurs salles au
Louvre pour les antiquités de Ninive. 53o
Création d'une chaire d'archéologie
Égyptienne à l'Université de Berlin ,
par M. le docteur Leptius 53o
Chaussée romaine, dite les Ponts Cliar-
trains Id.
Eglise de Vaugirard Ici.
Eglise de Belleville 53 1
Peintures de l'Église Saint -Germain
l'Auxerrois Id.
Hôtel pe ville de Louvain Id.
Découverte de Monnaies a Rouen 53s
Incendie de l'Abbaye de Dissentis Id.
Le Cabinet des antiques a la Biblio-
thèque ROYALE 62^
Ancienne porte de l'Hôtel des Guises a
Paris 625
Arrivée au Havre des antiquités deKor-
SABAD 6*27
Visite de S. A. le Bey de Tunis à la Bi-
bliothèque royale Id.
Objets antiques découverts a Audenge
(Gironde) 628
Rectification fournie par M. J. J. Dubois. 628
Nominations des correspondants , des prési-
dent et vice-président de l'Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 689
Renouvellement du bureau de la Société
royale des Antiquaires Id.
Antiquités et Inscriptions rapportées
d'Orient par M. Loltin de Laval Id.
DÉCOUVERTE DE LA SEPULTURE DE I.'lMPÉ-
RATRICE MÀTHILDE : • • 6o/>
Concours pour la restauration des vitraux
de la Sainte-Chapelle à Paris 691
NÉCROLOGIE. M. J. J. Dubois Id.
M. LE COMTE DE ClARAC 75^
M. LE COMTE De LabORDE ET M. Ad. DE
Longpérier, nommés Conservateurs du
Musée des Antiques au Louvre 756'
Dalles de pierres gravées du XIIIe siè-
cle , provenant de l'église Saint-Nicaise
de Reims 820
Objets antiques découverts dans les fouilles
du théâtre romain à Arles Id.
Empreintes de sceaux de la bibliothèque
de Grenoble envoyée à M. le Ministre de
l'Instruction publique qui en fait don au
musée sigillographique des Archives du
Royaume 821
Interprétations des Hiéroglyphes , par
le R. P. Secchi Id.
BIBLIOGRAPHIE.
Publications nouvelles q88 Virgilius Nauticus , examen des passages
de Y Enéide qui ont trait à la marine ,
Ouvrages dont il a été rendu compte dans P»»' Jal , in-8° 539
ce volume. L'Arbre de JessÉ , peinture murale du
XVe siècle , décrite par M. Janssen 5!\l
Rome au siècle d'Auguste, pat M. Cb. Statistique monumentale de la. Cha-
Déiobry, \ vol. in-8° Ifi6 RENTE , par M. l'abbé Michon 5^7
Annales de l'Institut de correspon- The youth or Jason renewed by Medeia ,
DANCE archéologique , t. XVI , XVII . 533 par Samuel Birch 821
V-25
SUR
L'AMULETTE DE JULES CÉSAR,
LE CACHET DE SÉPULLIUS MACER, LE MÉDAILLON DE ZÉNOBIE,
LE COFFRET D'ANTINOUS, LE SABRE DE VESPASIEN,
LE VASE DE LYSIPPE
et d'autres ANTIQUITÉS MODERNES.
(deuxième mémoire.)
Dans un précédent mémoire (l), j'ai traité de l'authenticité des
deux premiers monuments. J'ai dit que le sort de l'un est lié à celui
de l'autre; que si l'un est vrai, l'autre l'est certainement, et vice versa;
que, s'ils sont vrais tous deux , ce sont des monuments uniques en
leur genre ; enfin que le deuxième est la plus importante pierre gravée
qui existe , sinon pour le travail , du moins pour le sujet. Mais
j'ai prouvé en même temps que, par malheur , elles sont modernes
l'une et l'autre; ce qui résulte, pour le prétendu amulette, de l'in-
scription : AETERNAE. MEMORIAE. IVLII. CAESARIS ; pour le Cachet
de Sepullius Macer, 1° de l'orthographe jEneas , au lieu de aeneas ,
qu'un Romain du temps de Jules César aurait écrit certainement ,
rien ne l'obligeant à aucune abréviation ou ligature ; 2° de l'ortho-
graphe geni. pour genetr. ; 3° pour toutes les deux , de l'em-
ploi des signes planétaires d'une forme moderne. Ces indices,
qui seraient certains, pris séparément, le sont, à plus forte raison,
réunis sur deux pierres que condamnent d'avance leur aspect et le
travail de la gravure.
Pour compléter l'enseignement archéologique qui doit résulter de
mes observations , et tenir encore plus en garde contre d'autres pro-
duits non moins mensongers qui ont trompé, ou pourraient tromper
plus tard, même des yeux exercés, il faut montrer sous l'influence de
quelles idées et dans quelles intentions ont été exécutées les deux
pierres de Jules César, ainsi que d'aulres forgeries analogues. Ce
sera le moyen de faire servir à l'intérêt général de la science , l'étude
(1) y o\t Revue, t. III, p. 252-263.
III. 28
426 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'un point spécial qui, par lui-même, semblait avoir peu d'impor-
tance.
J'ai annoncé (p. 263) que ces deux pierres sont étrangères aux
superstitions gnostiques et cabalistiques, auxquelles on avait cru devoir
rattacher lune d'elles ; j'ajoute ici que le sujet en est exclusivement
historique, relatif à Jules César, et choisi de préférence, par suite du
crédit que ce grand nom a conservé depuis l'antiquité jusqu'à nos jours,
tant en France qu'en Italie ; souvenir qui prit une nouvelle force à
la renaissance des lettres classiques.
En France , par exemple , ce conquérant de la Gaule avait conti-
nué d'être considéré comme le héros principal de l'ancienne Rome.
Son nom est encore maintenant attribué à tous les mouvements de
terrain qui peuvent ressembler à un ancien campement : ce sont tous
des camps de César (2) ; mais la plupart remontent aussi sûrement à ce
grand homme, que le fort de Caligula, dans Y Antiquaire de W. Scott,
remonte à ce méchant empereur ; le vieux pont Julian , près
d'Apt (3) , qui n'est pas même romain -, la pile dAmboise et celle de
Cinq-Mars, près de Tours (4), avaient pris leur nom du conquérant ;
une des sources de Cauterets s'appelle encore le bain de César,
quoique ni César ni aucun empereur n'aient jamais pris les eaux
de Cauterets; et, lorsqu'en 1755 on refouilla le sol des bains de
Luxeuil pour retrouver et nettoyer les sources minérales , on ne
manqua pas de découvrir cette belle inscription latine :
LIXOVII. THERM.
REPAR. LABIENVS
IVSSV. IVL. CAES.
IMP.
qui donnait à ces bains une antiquité fort respectable, puisqu'ils au-
raient eu déjà besoin d'être réparés au temps de Jules César, et qu'ils le
furent ni plus ni moins que par ses ordres (jussu) et par l'entremise de
son lieutenant Labienus. La découverte de cette pièce curieuse, trou-
vée, dit-on, enfouie en terre, fut constatée par un procès-verbal au-
thentique qu'avait rédigé le médecin du lieu. Ce procès- verbal , en
(2) Voy. les observations de Caylus, Recueil, t. IV, p. 404.
(3) Millin, Voyage dans le midi de la France, t. ni, p. 91, 92.
(4) Voy. une bonne dissertation de M. De la Saussaye , sur la pile de Cinq-
Mars , dans les Mêm. de la Soc. des Anliq. de France , t. XI , p. 47-51».
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 427
bonne forme, n'empêche pas que l'inscription ne soit de toute fausseté,
comme l'a reconnu Cay lus lui-même (5), et comme le reconnaîtront tous
ceux qui prendront la peine d'y jeter les yeux. Il paraît bien que ce
sont les moines bénédictins de l'endroit qui , à une époque quelcon-
que, s'étaient amusés à fabriquer cette inscription , et probablement
une seconde , trouvée au même lieu , et rédigée tout aussi mala-
droitement, quoique aussi bien authentiquée (6).
Je donne la même origine à cette inscription que cite Gruter d'après
Scaliger , comme étant sur un arc d'Antibes : s. ivlii. caesarw.
architectvs. (7). Elle ne peut être antique : un érudit du lieu
l'aura fait graver pour illustrer le monument ; mais , ne connaissant
pas d'architecte de César, et craignant de faire quelque sottise, il a
prudemment désigné le prétendu architecte par une lettre unique ; ce
qui , pensait-il , ne pourrait le compromettre : il s'est trompé, car la
désignation, parfaitement inusitée, est absurde dans l'espèce. Ima-
gine-t-on qu'un architecte, qui veut transmettre son nom à la posté-
rité , en le faisant graver sur le monument qu'il a construit , se
contente d'une initiale qui ne pouvait rien apprendre à personne?
M. Raoul Rochette pouvait donc se dispenser de compter un S.
parmi les noms des anciens artistes (8).
Depuis la renaissance des lettres, on vit paraître une multitude de
monuments faux de tout genre, inscriptions , médailles , pierres gra-
vées, figurines et ustensiles de bronze , fabriqués , à l'aide des monu-
ments, réellement antiques, qui se découvraient chaque jour. Une
foule d'artistes furent occupés à profiter de ce goût pour l'an-
tique, qu'avaient éveillé ces découvertes et l'étude des auteurs
classiques grecs et latins. Les cabinets des curieux se remplirent de
ces antiques modernes, qui se payaient souvent fort cher, parce que
l'adresse des faussaires, aidée de la mauvaise érudition du temps , ren-
dait très-souvent la fraude difficile à reconnaître ; et, maintenant en-
core, il est peu de collections publiques d'où une critique, même
indulgente, ne trouve à éliminer plus d'un monument fort en crédit,
qui n en est pas pour cela plus antique.
Cette coupable industrie s'est continuée sans relâche ; elle est
(5) Caylus , Recueil , t. III, pi. XLIX , n° 1, et p. 364.
(6) Le même, p. 366.
(7) Gruter, p. 594, 5.
(8) Lettre à M. Schorn, ou Supplément au Catalogue de Sillig, p. 402.
428 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
môme devenue plus florissante que jamais. Le nombre toujours crois-
sant des points de comparaison, ainsi que l'habileté des faussaires qui
s'est perfectionnée de jour en jour, donnent souvent à leurs mensonges
toutes les apparences de la vérité. Aussi l'on voit de grands connais-
seurs en dissentiment sur telle inscription, sculpture, médaille,
pierre gravée ou figurine , les uns la croyant authentique , les
autres la déclarant fausse, sans pouvoir s'accorder (quelquefois la
prévention aidant), parce que les faussaires n'ont laissé aucune
marque certaine où la critique puisse se prendre avec assurance. Et
c'est ainsi, par exemple, que les sculptures et les inscriptions de
Nérac, faites d'hier, ont pendant longtemps trompé des yeux
exercés.
Nos deux pierres sont le produit d'une semblable fraude; mais
heureusement que l'inhabileté des auteurs a laissé visiblement per-
cer le bout de V oreille; aussi, quoiqu'ils se soient mis sous l'égide de Jules
César , ce grand nom ne protégera pas plus leurs œuvres que celles
des graveurs auxquels on doit d'autres gemmes du même temps et
du même goût ; par exemple , deux pierres représentant , l'une un
aigle sur un foudre , avec la légende ivlivs (9) ; la deuxième , un
aigle sur une colonne, qui sépare en deux le nom de :
IVL || IVS
CES || AR (10)
Le faussaire ignorait que caesar est le dernier des noms où un Ro-
main du temps aurait mis I'e à la place de I'ae, réduisant à cinq let-
tres ce nom illustre, qui n'en pouvait avoir moins de six. On sait
que, lorsqu'on portait la santé de l'empereur, on devait remplir six
verres et non cinq :
JYunc mihi die, quis erit , cui te, Calocisse, Deorum
Sex jubeo cyathos fundere? caesar erit (1 1).
Pour DOMiTiANVS , on préparait dix couronnes de roses , autant
que de lettres à son nom :
Sulilis aptetur decies rosa crinibus...
Le faussaire, en écrivant césar , a lui-même démasqué sa fraude.
(9) Gori, Gemm. aslrif. n° Hl.Gorl., Cabinet de pierres gravées, l I , n° 13â.
(10) Gori, n° 170. Gorl., t. I, n° 157.
<\l) Mart. Epigr., IX, 94.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 429
De même fabrique sont plusieurs autres gemmes qui portent aussi
la tète de César, avec divers attributs, parmi lesquels se trouve assez
constamment lelituus, symbole du pontificat de ce grand homme (1 2);
et d'autres pierres , dont les sujets ont été composés avec des mé-
dailles de César et d'Auguste.
César n'est pas encore à l'abri même des faussaires de nos jours.
Tout récemment un habile homme de Sens n a-t-il pas essayé de nous
tromper par une inscription en bronze, couverte d'une superbe
patine, obtenue par des moyens chimiques? Ce fabricant aurait pu
faire des dupes, s'il avait su un peu plus de latin et d'histoire. Depuis
cette mésaventure , l'inscription de César et les ustensiles si bien
patines n'ont plus osé se produire.
Mais ce nom illustre n'est pas le seul dont les faussaires de ce
temps-là et du nôtre aient abusé ; tout nom romain un peu célèbre
leur a paru de bonne prise. On voit , sur une agate donnée pour
antique , Mutius Scevola , armé de pied en cap , qui met hardiment
sa main dans un brasier. Au-dessus de sa tête , entre deux étoiles ,
est le signe moderne de Mars <f , qui orne aussi X amulette de César
et le cachet de Sepùllius ; c'est là un symbole du courage martial de
Mutius Scévola ; ce qui forme un très-joli jeu de mots tout à
fait dans le goût antique (13). Sur une autre pierre se lisent
les noms de marc, antonivs et de cleopatra (14); alliance un
peu mieux assortie que celle de cleopatra et d'ALEXANDER, que j'ai
déjà signalée sur une pierre du cabinet des antiques , qui doit être
mise au rang des fausses (15). Faut-il citer encore un beau profil de
Néron (16); puis les portraits de Néron et d'Agrippine(17) ; de
Claude (18), de Sabine (19), d'Adrien (20), d'Antonin(21), l'apo-
théose deLucius Verus(22), Cléopâtre piquée au sein par l'aspic (23);
et cette jolie femme qu'on a voulu faire passer pour Anna Lucilla;
femme de Lucius Verus, en écrivant, autour de la tête , lvcilla av-
(12) Gorl.,t. I, n° 3, 50; 11,81, 138.
(13) Id., t. I , n° 14. Cf. nJ 182 ; t. II , n°* 206, 207.
(14) Gori, Gemm. aslrif., n° 172.
(16) Plus haut, p. 262.
(16) Gorl.,t. I,n°201.
(17) Id., t. I, n°lll.
(18) Id., t. II, n°138.
(19) Id.y t. II, n<> 33, 34.
(20) Id., t. II, n°« 177,269.
(31) Id., t. II,n°270.
(22) Id., t. II ; n° 464.
(:>3) Id., t. II, DM 46.
430 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
gvsta virgo (24). Enfin, parlerai-je du disque en marbre publié par
Caylus, sur lequel se voit une tête de femme couverte du plus beau
casque de style florentin qu'il soit possible de voir, et entourée de la
pompeuse inscription : zenobia-oîuentis domina (25). Malgré l'au-
torité de Caylus , qui croit le médaillon antique , mais des dernier*
temps de la Grèce, l'auteur de Y Iconographie grecque et romaine a
eu le mauvais esprit de ne pas y puiser un portrait authentique de la
fameuse reine de Palmyre, d'autant plus précieux et nécessaire , que
les médailles font connaître bien imparfaitement la figure de cette
mmtresse de V Orient. Or. nous voyons ici quelle avait un gros œil
à fleur de tète, comme Pallas J3ou7rcç, le nez retroussé à la Roxelane,
et la bouche en cœur ; ce qui est bon à savoir.
Outre ces noms célèbres , les faussaires ne dédaignaient pas de
prendre des inscriptions romaines insignifiantes , mais à leur conve-
nance , et qu'ils croyaient propres à donner du prix à des ustensiles
de leur façon : tels sont deux petits vases de bronze ( que d'autres di-
raient des OEnochoè) absolument semblables de forme , de grandeur
et de patine, portant tous deux, sur la panse, cette inscription latine,
dont les lettres sont en relief:
IVLIO. GRATO
FVLVIA. MESTISS.
SOROR. L. C.
L'inscription funéraire f originale, copiée par notre vascularius , por-
tait F. ou p. c. ; mais, ne distinguant pas la première lettre, il aura fait
du F un l, qui ne signifie rien avant le c (26). Ces deux vases ont été,
à bon droit, relégués au rebut par les conservateurs du Cabinet des An-
tiques, avec d'autres ustensiles (27) de même aloi, parmi lesquels je
citerai (parce qu'on l'a publié comme antique (28)) un coffret votif en
plomb, coulé d'après un modèle bien travaillé , orné avec élégance et
recherche, œuvre de quelque artiste florentin assez habile; sur
le couvercle sont les sept planètes , figurées par sept étoiles ; sur
(24) Gorl., t. I, no 212.
(25) Recueil, t. VI , pi. 45, p. 157.
(26) Cette même inscription, copiée en camée, a passé de la collection Van-Hoorn
au cabinet de la Haye.
(27) Il est bon que, dans un cabinet d'antiquités, on possède au moins un échan-
tillon de chacun des objets que produit l'industrie des faussaires. Ce sont des points
de comparaison utiles pour aider à découvrir leurs fraudes , trop souvent difficiles
à discerner.
(28) Dans l'Encyclopédie du XIX* $iècle au mot Reprêteniations zodiacales.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. » 431
l'une de ses grandes faces est une inscription latine, en relief, de
sept lignes, qui annonce l'intention d'exprimer une dédicace au favori
d'Adrien, Antinous, car elle commence par div. antino. her. sac.
Mais le reste est composé de mots tronqués mis au hasard, sans
suite et dénués de sens. Sur l'autre face, est un beau médaillon
d'Antinous, entouré des lettres div. antino. hero., et dont l'enca-
drement circulaire renferme les douze signes du zodiaque , à l'imi-
tation des médailles où l'on voit un empereur ou Sérapis ainsi
entouré, dont une est déjà publiée dans le Voyage de Spon (29), où
notre faussaire a pu la voir.
J'insiste un peu sur ce coffret d'Antinous, parce qu'il montre
combien les faussaires étaient attentifs à corhbiner toutes les cir-
constances propres à donner du relief et par conséquent du prix à
leurs inventions. Remarquez, en effet, quelle serait la rareté de
ce coffret en plomb, s'il était vrai! La forme, la matière, qui n'est
jamais employée pour un tel objet, les sculptures, le zodiaque, les
inscriptions , le choix du héros Antinous , dont le nom ne se montre
jamais sur les médailles romaines (30), et une seule fois dans une
inscription latine (31), tout concourrait à faire de ce coffret un mo-
nument du premier ordre, unique en son genre. Du même genre,
sont les quatre petits cailloux roulés (32) , de l'espèce de ceux qu'on
trouve dans le Rhône, sur lesquels ont été gravés, 1° l'inscription
divvs. avgvstvs. et imp. nerv. cae. avg. rest. copiée d'une
médaille de restitution (33). Le faussaire était loin de se douter combien
devait paraître merveilleuse, gravée sur une pierre, la médaille d'Au-
guste, restituée par Nerva. S'il l'avait su, il aurait évité le danger
de rendre sa pierre trop rare; 2° une formule propitiatoire en grec;
3° une invocation ; 4° un fragment d'une lettre des empereurs
Valentinien et Valens, où la date est exprimée en chiffres arabes (!)
18 Kalend. Febr. De tels cailloux, selon la remarque de Caylus,
ne se trouvent qu'en France. « A quel dessein , dit-il , sont-ils
« chargés d'inscriptions en latin et en grec? (34) » Faut-il le de-
mander? Évidemment pour donner une grande valeur à des cailloux
qui n'en avaient aucune. Pour ce but, toute invention semblait
bonne. On n'en savait pas assez pour être timide.
(29) T. III, p. 191, éd. de 1678, t. I, p. 358, éd. de 1724.
(30) Eckhel , Doct. numm., VI , p. 530.
(31) Orelli, n° 823. Encore cette inscription unique me parait-elle suspecte.
(32) Caylus, Recueil, t. IV, pi. 10G.
(33) Lebeau , Mèm. de VAcad.y t. XX , p. 384 , 335.
(34) Caylas , t. IV, p. 339.
432 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Le même caractère distingue Yamulette de César et le cachet de
Sépuliius Macer qui, s ils étaient vrais, seraient, comme je l'ai dit,
les premières pierres gravées du monde, par leur importance his-
torique.
Il en faut dire autant d'un sabre ou coutelas votif de Vespasien,
que M. Raoul Rochette a fait connaître, par une dissertation spéciale,
accompagnée d'un dessin exact (35). Cet antiquaire ne doute pas de
Vauthenticité de cette arme votive ; selon lui , « le travail seul suffirait
« pour attester qu'il appartient à une assez haute époque de Tempire,
« quand bien même Yinscriplion qui se lit d'un côté, sur la plaque
« carrée, qui forme la partie supérieure de la lame, n'en fournirait
« pas la preuve positive, imp. césar, vespasianvs. avg. ponttf.
« MAX. TRIB. POT. VI. IMP. »
Je regrette d'être encore ici d'un avis diamétralement opposé
à celui de M. Raoul Rochette , dont le tact archéologique me paraît
s'être trouvé en défaut sur ce point, autant qu'à l'égard du cachet
de Sépuliius Macer. J'oserai dire de ce sabre votif ( l'inverse de ce
qu'il en a dit ) : « Le travail seul suffirait pour attester que le
« sabre est moderne, fabriqué au XVIIe siècle, quand bien même
« [inscription ne le démontrerait pas sans réplique. »
Dans la crainte de me tromper, en me fondant sur un dessin qui
pouvait être fautif, j'écrivis à M. Balbâtre aîné, de Nancy, Je pro-
priétaire de l'arme redoutable, pour lui demander si l'on pouvait
se fier au dessin publié. 11 me répondit affirmativement; il fit plus;
il eut l'extrême bonté de m'envoyer le sabre même dont la vue n'a^
fait que confirmer ma première impression.
Or, comme le point est curieux et très-propre à faire connaître les
procédés des faussaires , je vais mettre nos lecteurs en état de se
former par eux-mêmes une opinion à ce sujet, en leur mettant sous
les yeux un dessin de ce sabre , dont la longueur totale est de
0m,505. (V. la pi. 55.)
A ceux de nos lecteurs qui ont quelque expérience des monu-
ments , la vue seule de ce dessin en apprendra plus que je ne
pourrais ici leur dire en beaucoup de paroles. La forme de la lame ,
de la garde, de la poignée (36); les ornements mesquins et sans
(35) Dans les Mém. de la Société royale des Antiquaires de France, t. XI,
p. 346 etsuiv. Paris, 1837.
(36) La garde est ornée de chaque côté d'un bœuf d'un fort mauvais travail; elle
«
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 433
goût qui entourent la poignée, tout décèle à l'œil le moins exercé
une fabrication moderne. Que sera-ce , quand on saura que le sabre
a été fondu tfune seule pièce , lame, garde et poignée?
Quant à l'inscription, elle ne peut supporter l'examen; tout la
condamne, la forme des lettres, leur relief, leur disposition, mais
surtout l'orthographe et la ponctuation , avant même qu'une étude
plus, attentive n'y découvre des preuves certaines de fausseté.
M. R. R. croit « qu'un gladiateur émérite, missus, ou bien quelque
« chasseur, vieilli dans les hasards d'un exercice cher à nos ancêtres,
<( a consacré cette arme à Diane. Entre ces deux suppositions , je
« pencherais davantage pour la seconde , qui s'accorde mieux , ce
« me semble, avec le mérite d'art et avec l'exécution soignée du mo-
rt nument qui en est l'objet (37). »
Il est fâcheux pour le docte antiquaire, qu'il n'ait pas même
essayé de construire la phrase de l'inscription, qu'il a transcrite, de
sa main ; car il aurait renoncé à l'une et à l'autre de ses deux con-
jectures, qu'elle repousse également. Il lui suf6sait de remarquer
qu'il n'y a, ni imp. caesare. vespasiano, ni pro. salvte. imp.
caes. vespasiani. ; il y a imp... vespasianvs.; en sorte qu'on ne peut
traduire autrement que : l'empereur Vespasien... à Artemis Oritène,
C'est donc l'empereur lui-même qui dédie le sabre à la déesse.
Or, voyez la conséquence d'une première erreur: ce sabre ou coutelas
recourbé , inusité chez les Romains , comme arme de guerre , ne ser-
vait qu'aux combats de gladiateurs, sous le nom de sica ou harpe;
M. R. R. avait donc fait une conjecture raisonnable, en présumant
que l'arme fut dédiée par un gladiateur émérite; mais, du moment que
l'auteur de la dédicace est Vespasien , il devient inexplicable que l'em-
)ereur eût dédié un sabre gladiatorial. Voilà ce que le faussaire ne
savait pas ; autrement , ou il aurait donné une autre forme à la lame
de son coutelas, ou il aurait choisi un autre consécrateur qu'un em-
>ereur romain. C'est ce qu'aurait compris sans doute M. R. R. lui-
lême , s'il avait remarqué le nominatif vespasianvs, dans l'inscrip-
tion qu'il copiait de sa main; mais, par malheur, il aura suivi
l'exemple de ce prudent expéditionnaire qui, en transcrivant les pièces
[u'on lui confiait, poussait la discrétion jusqu'à ne pas les lire.
se termine par une tête d'animal que M. R. R. croit être une brebis. « Ce sont ,
« dit-il , les deux victimes qu'il était d'usage d'offrir dans les sacrifices romains
« (p. 351 ). » Par malheur pour cette explication , la tête de brebis est une tête de
cheval, d'une exécution détestable. Le savant qui dirigeait l'artiste aura choisi la
tète de cheval comme symbole de guerre,
(37) Aléinoirc cité , p. 356.
434 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Remarquons que, d'après le sens indubitable de l'inscription, le
sabre devient bien plus rare et précieux que ne l'a cru M. le conser-
vateur du Cabinet des Antiques. On peut dire même qu'à raison de son
caractère historique , c'est le plus précieux ustensile en bronze qui
etiste. Maintenant, il est à peine nécessaire d'ajouter que le mérite
d'art attribué par M. R. R. à ce sabre, fondu d'une seule pièce, est
réellement si mince, et l'exécution en est si peu soignée (38), quoi
qu'il en dise, qu'on serait bien surpris que l'empereur Vespasien eût
dédié dans un temple, un aussi pauvre ustensile , qui n'est pas plus
impérial par le travail que par la forme ; à moins qu'on ne trouve
là urte preuve de l'avarice proverbiale de cet empereur. C'est une
défaite que je suggère.
Je ferais injure à mes lecteurs , si je les arrêtais , en détail , devant
les preuves de fausseté qui, dans l'inscription , trahissent la main
du faussaire. J'en citerai trois qui me dispenseront des autres.
1° Le mot césar, pour caesar. J'ai déjà dit ce qui condamne
décidément cette orthographe, qui n'a pu sortir que d'une main
moderne, italienne ou française. M. R. R. croit la faute due à
\ inadvertance du graveur, comme on en a tant à" exemples (39). Il n'y a
nul exemple de césar pour caesar, surtout dans les monuments du
haut empire ; et la faute serait principalement inexplicable sur un
ustensile dédié par l'empereur lui-même ou par son ordre.
2° Le faussaire n'a pas mis de chiffre après imp. , quoique ce
chiffre fût indispensable , et que la place ne manquât pas pour le
recevoir; mais il n'a pas osé l'exprimer, parce que l'inscription qu'il
copiait était mutilée en cet endroit. Or, ne sachant pas quel chiffre
impératorial pouvait répondre à la VIe puissance tribunitienne , il
a craint de se fourvoyer en mettant un chiffre pour un autre. Il
s'est abstenu , comme le prétendu architecte de César, qui n'a osé
mettre que X initiale de son nom. C'est avec cette prudence qu'agis-
saient en pareil cas les faussaires embarrassés. Et celui-ci en donne
une seconde preuve bien évidente, dans l'inscription de l'autre côté.
(38) n n'y a de passable que l'extrémité de la poignée , qui consiste en une tête
d'aigle d'assez bonne forme, qui me paraît avoir été moulée sur un original inconnu,
analogue à la poignée en ivoire conservée au musée de Naples , publiée dans le
Museo Borbonico (t. V, pi. 29, 4) ; le savant interprète, M. Avellino, rappelle fort
à propos un passage du romancier Héliodore (rà h*<è*)/**v HN )*ZZi Û«¥*l rt< «£ràv
i/.rtrépvzvTou , ^Elhiop. II, 11), que notre faussaire a pu connaître par la traduction
d'Amyot. La tête d'aigle est trop petite et mnl emmanchée ; mais il n'avait rien
de mieux. Quant a la petite figure et à la tête de profil, elles auront été prises de
quelque pierre antique, dont il aura introduit une empreinte dans son moule.
(39) Mémoire cité, p. 347.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 435
3° Car ce qu'il y a de plus remarquable, c'est le nom de la divinité,
écrit en grec avec lettres latines, ARTEMIAI OREIT... La Diane Ori-
tène ou montagnarde, n'est jusqu'ici connue que par une médaille et
une inscription de Thyatira. Sur la médaille, le nom est écrit
BOPEITHNH, sur l'inscription publiée par Pococke et„Peysso-
nel, OREITHNH, ce qui revient au même, comme l'a bien vu
Eckhel (40).
Maintenant, par quelle bizarrerie l'empereur Vespasien , à la suite
de ses nom et titre en latin, aurait-il fait mettre celui de la déesse en
grec, ARTEMIAI OREIT... au lieu de Dianœ montanœ (41) , qui en
est la traduction , ou tout au moins de dianae oritene ?
M. R. R. prétend qu'il y a des exemples de cette bizarrerie. Il ne
pourrait citer que le mélange de quelques lettres grecques parmi des
latines, ou du latin en lettres grecques, et vice versa; mais un
exemple comme celui ci, où une dédicace toute latine finit par du
grec en caractères latins, il n'en trouvera pas. Celui-ci principale-
ment est impossible , le monument émanant de l'empereur Vespa-
sien , et étant dédié par lui-même ou par son ordre.
D'un autre côté , pourquoi s'est-on arrêté au T, et n'a-t-on pas
donné le nom entier oreitene, au lieu de oreit...., quand on
avait la place nécessaire pour acbever le mot? C'est évidemment
parce que, dans l'inscription que l'on copiait, l'épithète n'était pas
entière , et qu'on ne savait comment la compléter.
Ceci montre que le faussaire n'a pu tirer ce mot ni de Pococke,
ni de Peyssonnel (42) , qui donnent le nom entier APTEMIAI
OPEITHNH- Il l'a pris certainement de Spon, qui, dans ses
Miscellanea, et dans son Voyage, cite les deux mots, comme les a
(40) Doct. Num., III , 121. Il est à remarquer toutefois que , tandis que Spon ,
Smith, Pococke et Peyssonnel s'accordent pour lire OPEITHNH dans l'inscription,
Sherard, qui l'a aussi copiée, donne BOPEITHNH, comme sur la médaille, leçon
que M. Bœckh a préférée. {Corp. ïnsc. n° 3477). Au reste, elles reviennent au
même et ne diffèrent que par l'aspiration. Ainsi B1EP06E0S sur une médaille d'Ol-
biopolis , est pour IEPO0EOS ÇUpôBeoi).
(41) Une Diana montana paraît n'avoir pas été connue des Romains. Il n'en
est question nulle part. Durandi a voulu introduire ce nom dans une inscription
latine (Dissert, degli antichi cacciatori, p. 2; mais ce n'est qu'une correction
que n'admettent ni Marini (Frat. Arv., p. 302), ni Orelli (n° 1462). Tout annonce
qne la Diane Orilenè ou montagnarde, était une divinité locale à Thyatira Ce qui
rend tout à fait singulière cette grande dévotion de Vespasien ; mais nous ne
devons pas nous embarrasser d'un caprice de faussaire.
(42} Pococke , Insc. ant. , p. 39 , 3. 1752. Peyssonnel, Voyage à Thyatira,
p. 253, 1765.
436 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
écrits l'auteur du sabre , APTEMIAI OPE1T..., avec les trois points
qui indiquent que le mot n'est pas fini; mais le faussaire a cru niai-
sement que ces points faisaient partie du mot, et il les a fidèlement
reproduits.
On peut se demander pourquoi Spon , ayant écrit APTEMIAI
OPEIT. . . l'auteur du sabre a substitué les R aux P , et écrit ARTEMI Al
OREIT... Le fait s'explique facilement. Dans les Miscellanea (43) et
dans la première édition du Voyage (1678) , les deux mots sont
écrits en grec; mais, dans l'édition de 1679 et celle de Hollande,
1724 (44), ils sont écrits justement ARTEMI Al OREIT..., avec une
seule lettre grecque , a > °,ui est aussi de plus petit corps que les
autres lettres du mot ; et si le faussaire l'a mise un peu plus bas ,
c'est probablement parce que, dans l'exemplaire qu'il copiait, la
lettre avait glissé et était descendue (45). C'est donc l'une des deux
éditions de 1679 ou de 1724 que le faussaire avait sous les yeux; ce
qui donne une limite supérieure pour l'époque de la fabrication de
cet antique moderne.
C'est ainsi que ces faussaires ont presque toujours travaillé. Ils
s'environnaient d'une érudition à bon marché, que le plus souvent ils
ne comprenaient pas ; et elle leur plaisait d'autant plus qu'elle leur
paraissait plus abstruse. C'est le cas, comme nous Talions voir, des
graveurs du prétendu amulette et du cachet de Sépullius Macer.
Mais que nos lecteurs nous permettent encore deux exemples , qui
contribuent à prouver combien il importe de regarder de près les an-
tiques qu'on vous présente.
Il y a quelques mois, un de mes amis, mon confrère à l'Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres , me parla d'un amateur étranger
qui possédait une admirable figurine en bronze, représentant le
groupe du Laocoon. A la manière dont on m'en parla, ma curiosité
(43) P. 88.
(44) T. I,p. 311.
(45) Dans la nouvelle édition du Thésaurus (t. VI, p. 2162 , A ), on cite OPEIT.
d'après Spon , et l'on admet le complément OpstTtî {iSoç) , proposée par Koen , sur
Grég. de Corinthe ( p. 307). Le savant, éditeur n'a pas remarqué que le mot est en-
tier dans l'inscription de Peyssonnel et sur la médaille, OPE1THNH et BOPE1TILM1 ; et
qu'en conséquence la leçon OPEITIZ ne devait pas être admise.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 437
fut très-éveillée ; car ce ne devait pas être moins qu'un pendant à cette
admirable figurine en bronze, qui rappelle (malgré quelques diffé-
rences) le sphériste ou héros combattant d'Agasias. On sait que cette
figurine, qui pourrait être la perle de tout musée, est à présent recluse
dans le cabinet Blacas, d'où elle passera peut-être à l'étranger un jour
ou l'autre; tandis qu'elle devrait faire l'ornement perpétuel du musée
de Lyon; ce qui aurait eu lieu certainement, si le conservateur,
excellent homme d'ailleurs, n'avait pas été possédé de la manie (déplo-
rable dans un conservateur) d'avoir une collection particulière , qu'il
aimait, choyait et nourrissait avec autant de sollicitude, pour le
moins, que la collection publique confiée à sa garde (46).
Pour en revenir au Laocoon , comme j'avais témoigné un vif désir
de le voir, mon confrère m'amena, il y a peu de temps, l'amateur étran-
ger, qui m'apportait le précieux antique. Lorsqu'on l'eut tiré de son
enveloppe , à peine y avais-je jeté les yeux , que je m'écriai : « // est
moderne ! — Et pourquoi donc moderne? — Je n'ai pas besoin, dis-je,
de m'arrêter sur la patine, ni sur d'autres détails suspects , tels que la
maigreur et la sécheresse du faire; il me suffit de voir la pose tour-
mentée de ces deux pauvres petits hommes , pour y reconnaître l'exa-
gération florentine , et être sûr que j'ai devant les yeux l'œuvre de
quelque artiste italien du XVIIe siècle, qui, mécontent des fils de
Laocoon, aura voulu faire mieux que l'antique, en donnant à leur dou-
leur une expression plus poignante. Ne dirait-on pas qu'il s'est inspiré
de quelque tableau ou dessin représentant l'horrible supplice d'Ugo-
linoet de ses malheureux enfants, qui se tordent autour de leur père
dans les angoisses de la faim? » (V. la pi. 56.)
L'amateur, qui est homme d'esprit , bien loin de se fâcher de ma
franchise , me laissa le bronze pour que je pusse l'examiner plus à
loisir. Quelques jours après , M. J. J. Dubois , connaisseur d'autant
plus sûr qu'il est dessinateur excellent , vit le Laocoon chez moi ; il
en porta le même jugement, et, le lendemain, il m'écrivit la lettre
instructive que je mets en note (47). Les antiquaires seront édifiés
sur Xhistoire de cet antique moderne.
(46) Voy. mes observations sur celle manie , Revue, t. II , p. T56.
(47) « Vous avez parfaitement jugé le nouveau Laocoon. C'est tout ce qu'il y a de
moins antique. Je ne me trompais pas moi-même , quand je lui ai trouvé tout de
suite un petit air de connaissance. L'original , en effet, a appartenu autrefois à M. de
Smeth , amateur hollandais, qui possédait aussi une suite de pierres gravées, bonnes
et mauvaises , dont Gori a publié les figures et la description.
« Quant au bronze sur lequel le vôtre a été moulé, il avait attiré l'attention du
sculpteur Falconet qui le vit à son passage, à Amsterdam , et qui n'hésitait pas â le
438 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Au reste, les auteurs de ces bronzes n'ont pas toujours eu l'inten-
tion de frauder. Quand ils n'ont pas rais de ces inscriptions préten-
dues antiques, qui prouvent cette intention, on peut croire qu'ils
n'ont voulu que reproduire un modèle qui leur plaisait, le modifiant
à leur guise ou le copiant avec fidélité. Ce sont les brocanteurs qui ,
plus tard, pour en rehausser le prix, les patinent et les donnent pour
antiques.
Je croirais que notre Laocooncino est de ce genre , de même que le
vase de Lysippe, qui fit tant de bruit, il y a quelques années, dans le
monde archéologique, et dont je vais donner, en peu de mots, l'his-
toire assez peu connue :
Dans la collection d'antiquités rapportée par M. Mimaut, consul
général d'Alexandrie, se trouvait un superbe vase en bronze qu'il
disait avoir vu lui-même retirer d'une fouille à Sais , circonstance
qui repose, quant à présent, sur son unique témoiguage. Il lui
donnait le nom pompeux de vase de Lysippe, le croyant une œuvre
de ce sculpteur privilégié d'Alexandre. Il l'estimait 200,000 fr. , et ce
n'était pas trop cher pour un vase de Lysippe. A sa mort, la collec-
tion dut être mise en vente. M. Dubois fut chargé d'en dresser le
catalogue ; on ne pouvait mieux s'adresser. Quant au vase de
croire antique et supérieur même de composition au groupe célèbre conservé au
Vatican. Cette opinion particulière d'un homme qui n'avait pas étudié l'antique ,
ne mérite aucune attention. ( Voy. Falconet, OEuvres diverses, III, p. 284). Il y
a là , comme vous l'avez très-bien vu, un florentinisme évident. J'ignore tout à fait
ce qu'est devenu le bronze de Falconet ; tout ce que je puis dire , c'est qu'il a dû
être moulé , il y a quelque trente ans, époque où ses reproductions, assez bien pa-
linées, ont commencé à paraître chez nos marchands et à s'introduire chez quelques
amateurs. Le sculpteur Ruxthiel en avait un qui a été vendu avec le reste de ses
curiosités.
« Le sujet si tragique de la mort de Laocoon avait été traité par d'autres artistes
que les trois fameux Rhodiens. Voici la liste assez complète de ce qui nous est resté
de ces divers ouvrages :
« 1. Le groupe du Vatican.
« 2. Grande tête et débris de serpents , trouvés derrière le palais Farnèse , au-
jourd'hui au Museo Rorbonico.
« 3. Tête , appartenant au comte Litta , à Milan ; gravée dans Y Histoire de l'Art,
de Winckelmann. Édition de Jansen, II , p. 309.
« 4. Tête , qui appartenait au cardinal Maffei (Voy. Aldovrandi, Statue di Roma,
p. 241).
« 5. Tête , au musée de Leyde {Mon. ant. inéd. de l'inst. arch., pi. 41 ).
« C Tête, chez le duc d'Aremberg , à Rruxelles (est-elle antique?;.
« 7. Le sujet entier sur une médaille de Lampsaque.
« $. Le même sujet parmi les peintures du Virgile du Vatican.
« Les pierres gravées connues qui représentent la même scène sont toutes modernes.
« J. J. DUBOIS, i
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 439
Lysippe, la famille désira que M. de Clarac, M. Dubois et moi, le
vissions des premiers. On voulait avoir notre opinion sur l'impor-
tance de cet inappréciable trésor.
Le fameux vase fut déballé et apporté devant nous. Le premier
aspect lui fut très-favorable ; c'était une très-élégante répétition en
petit du célèbre vase de Warwick, qui est en Angleterre ; bien entendu
que cette répétition, étant de la main de Lysippe, devait être l'ori-
ginal, et celui de Warwick seulement la copie. Examiné de plus
près, il perdit beaucoup de ses avantages; la patine n'en parut
pas sincère, et le travail, quoique élégant, nous sembla trop sec et
trop maigre pour être antique. Toutefois, quoique unanimes sur ce
point, comme notre opinion n'était, après tout, qu'une affaire de goût
et de sentiment , nous y aurions regardé à deux fois avant de pro-
duire un avis défavorable, dans la crainte de faire naître des préven-
tions fâcheuses, peut-être injustes. Mais voilà qu'un de nous s'avise
(de quoi ne s'avise-t-on pas?) d'un de ces arguments qui coupent
une question dans le vif et la décident sans réplique. Nous avions sous
les yeux un dessin exact du vase de Warwick. Or, le vase de
Lysippe était, dans ses détails , exactement identique avec le dessin ,
sans qu'il y manquât un trait. Mais nous savions, et aucun antiquaire
n'ignore, que le vase de Warwick, quand il fut découvert en Italie,
était fort mutilé en quelques parties essentielles, et qu'il fut com-
plètement réparé par Cavaceppi. 11 était donc évident, de deux
choses l'une, ou que Lysippe avait deviné les restaurations de
Cavaceppi , ou que le bronze avait été fabriqué d'après le marbre
antique, lorsqu'il eut été remis à neuf. 11 n'y avait plus à douter que
le vase de Lysippe n'eût été exécuté depuis cette opération , acheté
par quelque brocanteur , apporté à Alexandrie , et enterré à
Sais , la Yeille du jour où le consul général devait venir visiter les
célèbres ruines. N'est-ce pas ainsi que de nos jours on retire, de plus
d'un lieu antique, en Grèce ou en Asie Mineure , de belles médailles
gravées en Italie ou à Constantinople , et qui sont toujours dé-
terrées, à point nommé, devant les touristes ébahis?
Nous présentâmes avec modestie notre petit argument qui ne fut
pas trop apprécié, encore moins bien accueilli. Nous promîmes le
secret; mais les antiquaires qui virent ensuite le vase lurent de
notre avis. Aussi, quand, lors de la vente, le vase fut mis sur table
au prix modeste de 10,000 fr., un plaisant cria 10,000 sous; et
personne n'enchérit. Le vase fut retiré et n'a plus reparu.
J'espère que les observations précédentes mettront les anti-
440 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quaires un peu en garde contre ces plus ou moins anciens pro-
duits de la fraude ou de la cupidité, qui se montrent de temps en
temps. Si l'on s'était tenu à ce sujet un peu plus en défiance, on
aurait évité la grave mésaventure de prendre pour antiques des
pièces aussi évidemment fausses que Yamulette de César, le cachet
deSépullius Macer et le sabre de Vespasien; peut-être aussi que la fa-
meuse controverse sur les sculptures et inscriptions de Tétricus
découvertes àNérac, n'aurait été ni si longue, ni si vive, et qu'on se
serait plutôt rendu à l'opinion de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, qui a plaidé longtemps, en vain, la cause de la
raison et de la vérité (48J.
Je reviens aux deux pierres , l'objet spécial de cette dissertation.
A présent, nous ferons plus facilement apprécier à nos lecteurs
l'esprit qui a présidé à leur composition.
Ainsi , la pierre dont il a été fait ce qu'on a nommé Yamulette de
César, doit être assez commune d'après la désignation de M. Courtet
(jaspe rouge). La taille à six pans , si elle n'est pas antique, doit
avoir été imitée de quelque autre pierre, comme la pierre gnostique
qu'a donnée Gorlée (49) , et deux autres amulettes en cornaline du
musée du Louvre, a eu pour objet de donner déjà une certaine valeur
à un morceau qui, par lui-même , n'en avait guère. Mais l'inscription
mem. aeternae. îvui. caesaris , en faisait décidément un monu-
ment des plus rares. Car il devenait h pieuse consécration d'un chaud
partisan de César, qui professait une sorte de culte à sa mémoire.
Pour escorter ce nom illustre , on eut le soin d'ajouter deux sym-
boles, qui s'y rattachent ordinairement, h palme qui rappelle les
victoires du héros ; le lituus qui se rapporte à son pontificat.
(48) La défaite complète de l'empereur Tétricus, en cette occasion, n'a pas em-
pêché que depuis on n'ait encore exploité son nom. Quelque temps après cette mé-
morable défaite, on produisit une amphore en forme àcpilhos ou de dolium (trouvée,
disait-on, à Nérac). Elle n'a de remarquable qu'une double inscription latine, où
se montre encore le nom de Lucius Publius Caïus Tétricus. Le vase lui-même
doit être antique; mais la double inscription latine, profondément gravée après
coup, des deui côtés, est de même fabrique que les autres inscriptions de Nérac.
On en a jugé ainsi, avec toute raison, au Cabinet des Antiques où il a été offert
et refusé. Heureusement pour le propriétaire , le vase a trouvé un asile inespéré
au musée de Rouen , où une critique moins difficile ne s'est pas effrayée des
fautes contre la langue et le bon sens qui, dans celle inscription, trahissent la
main du faussaire. (V. Deville, Précis analytique des travaux de l'Académie de
Rouen, en 1842).
(49) T. II, n° 388.
AMULETTE DE JULES CÉSAR. 441
Mais, comme notre graveur ne connaissait probablement encore
aucune de ces médailles , il ignorait que les artistes romains avaient
représenté la comète de César par une sorte de chevelure placée le
long d'un des rayons de l'étoile ; aussi l'a-t-il figurée d'une manière
toute fantastique, sous forme d'une belle queue qui flotte au vent,
comme celle d'un cheval à tous crins. (V. plus haut, p. 255.)
D'une autre part, les planètes de Vénus et de Mars se rapportent
à Jules Éésar, en ce sens que ces deux divinités, outre le rôle qu'elles
jouaient dans les traditions sur l'origine de Rome, étaient surtout
vénérées de la famille Julia, qui prétendait descendre de Vénus par
Énée et son fils Jule. Mais ici se montre encore la fausse érudition de
notre graveur ; car ce ne sont pas les signes planétaires de Vénus et de
Mars qu'un contemporain aurait représentées en cet endroit, ce sont
les divinités elles-mêmes, figurées au moins en buste. Mais la
préoccupation astrologique du temps a entraîné l'artiste qui, trouvant
plus facile de graver un sigle qu'une tête, n'était nullement arrêté
par l'objection qu'on pouvait lui faire; car il était loin de la prévoir.
Il a mis pourtant une certaine sobriété dans l'emploi des sym-
boles Juliens, car le champ dont il disposait en aurait pu rece-
voir bien davantage s'il avait voulu ou osé.
Mais l'auteur du cachet de Sépullius Macer ne s'est pas montré si
réservé. Avec une prodigalité qui l'a compromis beaucoup plus, il a
accumulé les symboles sur le petit ovale de sa pierre, brûlée avant
la gravure et , par là , fort dépréciée.
Il a montré une érudition qui n'est assurément pas moins fausse
que celle du premier graveur, mais qui est assez étendue. Je soup-
çonne qu'il a dû travailler, comme l'auteur du sabre de Vespasien,
sous l'inspiration et avec les conseils de quelque scholar du temps,
peut-être de celui-là même qui lui avait commandé cette œuvre mé-
ritoire.
On voit qu'il a mis à contribution à la fois les
auteurs classiques et les recueils , alors connus ,
de médailles romaines. Aussi, la disposition gé-
nérale des symboles et des inscriptions autour
d'un autel , donne à la pierre l'aspect de certaines
médailles de Jules César, qu'on trouve déjà dans
les autres anciens recueils.
m.
REVUE ARCHEOLOGIQUE.
La comète ne pouvait manquer d y figurer aussi ;
mais le graveur a connu une des médailles où cet
astre a été représenté; car la queue y est exprimée
d'une manière analogue, le long de deux branches
de l'étoile ; on voit cette queue en haut et en bas ,
formée par des points isolés qui ressemblent à des goulles de pluie,
imitation qui tient à la difficulté d'exprimer avec la bouterolle les
poils de cette queue ; ce que le burin exprimait facilement sur le
flan de cuivre.
Le lituus et le signe de la planète Vénus ornent les deux coins
de l'autel.
De chaque côté, en regard, sont les noms d'^NEAS et de ivlvs,
les auteurs de la famille ivlia; et au-dessous, yen. gkni. (pour
ge>etr.) Venus Genitrix, la mère d'Énée, souche divine de la race.
'H àp/YjysTtç toïï févouç, comme dit Dion Cassius (50), *j lau-rou
Trpoyovoç, comme dit Appien (51), qu'il honorait d'un culte parti-
culier (52), parce qu'il prétendait à cette céleste origine, comme il
le dit lui-même dans l'éloge de sa tante Marcia. Nam ab Anco Marcio
sunt Mardi reges, quo nomine fuit mater' a Venere Julii , cujus
genlis familia est nostra (53).
Mais ce n'était pas le tout de faire un pareil cachet, il fallait lui
trouver un propriétaire parmi les personnages du temps , amis de
Jules César. Le faussaire n'a rien trouvé de mieux (et il pouvait plus
mal choisir) que de prendre pvblius sepvllius macer, un des
quatuorvirs monétaires , dont le nom se trouve sur un assez grand
nombre de médailles de César. Il devait paraître en effet bien naturel
qu'un de ses monétaires eût fait graver un cachet, où il perpétuait
tous les symboles relatifs à son ami divinisé. Ce nom était d'autant
mieux choisi, qu'il se lit encore sur des médailles, avec divvs
ivlivs , frappées après la mort de César.
La même recherche d'érudition se montre encore mieux dans le
mot divalia gravé le long de l'autel. Ce nom de fête ne se trouve, dans
toute l'antiquité latine, que dans les Fasli calendares, sans autre in-
dication que le jour de la célébration (XII des calendes de janvier ) ;
il a placé là le nom de cette fête, justement parce que personne
(50) XLIII,22.
(51) Bell. civ. 11,68.
(52) Suelon. J. Cœ«.,c. 61.
( 53) Ibid., c G.
AMULETTE DE JULES CESAR. 443
n'en parle, et qu'il ne savait pas plus que nous ce qu'elle pou-
vait être. Les érudits modernes l'ont identifiée avec les Angero-
nalia par une simple conjecture, fondée sur ce que les angeronalia
se célébraient , selon Pline et Macrobe , le XII des calendes de jan-
vier, le même jour qui est assigné aux Divalia dans les Fastes.
Le fondement paraît assez léger, car rien n'empêche qu'on ne célé-
brât à Rome deux fêtes différentes dans le même jour, en divers
temples. Il paraîtra toujours singulier que lorsqu'une fête avait un
nom connu et déterminé, celui à' Angeronalia, on lui eût substitué,
dans les Fastes, un tout autre nom parfaitement inconnu d'ailleurs.
Quoi qu'il en soit de cette identité conjecturale , qui ne fait rien à
notre sujet , on ne peut douter que le divalia de la pierre ne soit
une recherche d'érudition qui ne surprendra pas au milieu des autres
traits analogues.
Je crois avoir suffisamment rendu compte de la présence de ces di-
vers symboles, en partant du fait, à présent certain, que le cachet
de Macer est moderne. Ce fait détruit toutes les conséquences qu'on
avait cru pouvoir en tirer, d'après l'hypothèse qu'elle serait l'œuvre
d'un artiste contemporain de César. Dans ce cas, elle exprimait un
fait réel ; dans l'autre, elle n'est plus que la combinaison capricieuse
d'un homme qui n'en savait pas plus que nous.
Ainsi les fêtes Divalia, qui jusqu'ici ne sont nommées que dans les
Fastes , trouvaient là une seconde mention , d'autant plus remarquable
qu'elle se montrait liée avec Jules César, avec les traditions sur l'ori-
gine de la famille Julia, et avec la Venus Genetrix, qui en était la
souche; ce que M. le docteur Sichel a d'ailleurs fait ressortir avec
beaucoup de sagacité ; et il en avait ingénieusement déduit que ces
Divalia, en les supposant la même fête que les Angeronalia , devaient
être la fête de cette mystérieuse divinité protectrice de Rome, dont il
était défendu , sous peine de mort, de prononcer le nom.
Cet ingénieux édifice perd maintenant sa base principale. Les Di-
valia ne viennent plus là que par hasard ; et s'il n'est pas impossible
que cette fête soit la même que les Angeronalia, ou celle de la déesse
Angerona, la conjecture qui fait de cette divinité, tout à la fois la
Divinité secrète des Romains et une Vénus orientale, amenée en Italie
par \essFnéades, devient entièrement problématique, étant d'ailleurs
soumise à de graves difficultés.
N'est-il pas, en effet, bien difficile de croire que nous autres mo-
dernes , nous puissions découvrir maintenant ce qu'était cette Divi-
nité secrète , lorsqu'il est constant que les plus savants romains l'igno-
444 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
raient entièrement ; et la preuve qu'ils l'ignoraient se trouve dans le
passage même où Macrobe énumère les diverses opinions des archéo-
logues romains à ce sujet: les uns croyaient que c'était Jupiter; d'autres
h Lune; d'autres Angerona, déesse qui indique le silence en portant un
doigt à sa bouche; d'autres, enfin (et leur opinion paraît la plus
solide à Macrobe), pensaient que c'était Ops consivia (54) ; d'où il est
facile de conclure que personne ne savait ce qu'elle était réel-
lement.
En outre , le moyen de croire qù Angerona , dont le nom et le culte
n'étaient un secret pour personne, fût cette même déesse dont il
n'était pas permis de prononcer ni même de rechercher le nom , sous
peine de mort?
Pour Pline (55), Plutarque (56) et Macrobe (57), cette déesse n'est
qu'un dieu (ôeo'ç ou deus), sous la protection duquel Rome était
placée ; il était défendu d'en prononcer le nom , dans la crainte qu'un
ennemi n'en abusât, en invoquant contre Rome elle-même cette divi-
nité mystérieuse. Ce que Pline ajoute prouve bien que, pour lui, la
déesse (diva) Angerona n'a rien de commun avec la divinité secrète.
Car, après avoir parlé de son nom mystérieux, il parle de la déesse
Angerona de manière à montrer qu'il la croyait toute différente , la
citant comme un second exemple de l'emploi du silence recommandé
dans l'ancienne religion : Non alienum videtur inserere hoc loco exem-
plum religionis antiquœ ob hoc maxime silentium institutœ. Namque
Diva Angerona, cuisacrificatura. d. XII kalend. Ianuarii, ore obligato
obsignatoque simulacrum hdbet. Il est évident que Pline ne se doute
pas le moins du monde de l'identité d' Angerona et du dieu secret. Or,
comment pourrions-nous savoir, sur un point de la religion romaine,
ce qu'ignore le plus savant des Romains?
Relativement à Angerona , où trouver un indice que cette déesse
du silence est la même qu'une Vénus orientale ou autre?
Et pour faire arriver cette Vénus de Y Orient, n'est-ce pas abuser
beaucoup de l'étymologie , que de chercher Astarté ou Aslaroth dans
Angerona, dont les Latins s'accordent à dériver le nom des mots an-
gores animi ou du verbe angere? *
Expliquer l'arrivée de cette Vénus phénicienne en Italie par la co-
lonie des JEnéades asiatiques (qui n'étaient pas Phéniciens), n'est-ce
(54) III, 619. Macrob. sat. I, 10.
(55) Plin. III, 5, 9. XXVIII,?, 3. Solin. c, 1.
(56) Quœst. Rom., p. 01.
v57) Saturn., III, 9.
AMULETTE DE JULES CESAR. 445
pas faire rétrograder la critique historique, en fondant ces conjectures
hasardées sur une tradition fabuleuse due à un préjugé national,
que détruit le témoignage d'Homère lui-même?
Enfin , partir de là pour établir chez les Romains l'existence d'un
culte secret de Venus, dont aucun auteur n'a jamais parlé, ne serait-ce
pas abuser un peu de la permission qu'on a de conjecturer dans une
matière obscure, surtout à présent qu'on ne peut plus croire à
l'authenticité du seul monument qui pouvait donner un appui très-
faible à ces ingénieuses hypothèses ?
Je ne voudrais pas , par ces observations , décourager des recher-
ches qui , conduites comme elles l'ont été , avec conscience et talent,
auront toujours leur utilité, quel qu'en soit le résultat positif.
Je veux seulement faire sentir la nécessité d'épurer ces recherches,
en les séparant des renseignements suspects qui ne pourraient
qu'en compromettre les résultats.
Quant au but principal de ce travail , je rappellerai qu'invité par
l'ingénieux interprète du prétendu amulette de César à lui donner
mon avis sur un détail de son explication , j'ai cru devoir lui pré-
senter mon sentiment sur ce monument lui-même et sur le cachet de
Sépullius Macer, qui me paraissaient modernes l'un et l'autre. Je ne
donnai d'abord cette opinion que sous forme d'assertions dans une
note de quelques lignes improvisée, mais assez réfléchie pour que
les assertions fort explicites qu'elle contenait aient été complète-
ment justifiées dans ces deux mémoires, où je me suis efforcé de re-
mettre en lumière des principes de critique trop souvent oubliés ou
méconnus, quoiqu'ils soient la base de l'archéologie. Car c'est par
leur application seule qu'on peut discerner ces plantes parasites qui
se glissent dans le champ de la science, y prennent racine, et
finiraient par en étouffer les produits les plus salutaires, si, de temps
en temps, on ne prenait la peine de les extirper.
A présent , j'ai lieu d'espérer que si l'on vient présenter aux ar-
chéologues ou aux amateurs quelque belle antiquité, ornée d'un
nom illustre encadré de circonstances remarquables , ils voudront
bien s'en défier d'autant plus qu'elle leur paraîtra plus rare, et l'exa-
miner d'un peu près , en pensant à Y Amulette de César, au Ca-
chet de Sépullius Macer, au Médaillon de Zénobie , au Coffret d'An-
tinous, et surtout au Sabre de Vespasien.
Letronne.
POLÉMON,
LE VOYAGEUR ARCHEOLOGUE.
ESQUISSE DE L'ANTIQUITÉ (1)
I.
Nous nous étonnons de voir sur le*soI de la France certains monu-
ments bâtis au moyen âge avec des ruines romaines ; mais on a dé-
couvert en Egypte des temples construits dans le XVIe siècle avant
notre ère avec les débris d'édifices plus anciens encore. Aux temps
de Salamine et de Platée , Troie n'était plus qu'un amas de pous-
sière, entouré de souvenirs glorieux. Des peuples entiers avaient
disparu de la Grèce, n'y laissant d'autre trace de leur séjour que des
constructions informes, mais d'une masse en quelque sorte impéris-
sable. A Athènes, il y avait le Pelasgicon, monument mystérieux
d'un âge sans histoire. Ailleurs c'étaient des figures de Dieu en bois
ou en pierre, hideusement absurdes; c'étaient des plaques d'airain
couvertes de caractères étranges qu'on ne savait plus lire, ou qu'une
vanité complaisante reportait jusqu'aux origines de la nation. Héro-
dote , dans un de ses voyages , avait vu à Delphes quelques-uns de
ces vieux textes sur des trépieds, déposés là, disait-on, dès les temps
héroïques ; il y croyait reconnaître les traits de l'alphabet phénicien,
de cet alphabet primitivement commun à la Grèce et à l'Italie , et
qui de l'Italie s'est répandu avec la civilisation sur toute une moitié
du globe.
(1) En publiant la présente esquisse dans une Revue spécialement consacrée à
l'exposition des découvertes et des recherches nouvelles, nous croyons devoir avertir
le lecteur savant qu'il n'y trouvera pas ce genre d'intérêt , et que notre intention a
été simplement de réunir dans un cadre historique quelques traits propres à carac-
tériser et à faire aimer les études d'archéologie. Noire Polémon d'ailleurs n'est pas
un personnage imaginaire, comme le jeune Anacharsis, et, dans cette restaura-
tion de son œuvre, nous avons toujours distingué avec soin les conjectures et h s
rapprochements artificiels des faits établis sur les témoignages anciens. Ouant aux
citations, qu'il était facile de multiplier en un pareil sujet, on nous pardonnera de
ne les avoir pas prodiguées. Pour les inscriptions surtout, l'ordre géographique que
nous suivons, permettra de retrouver sans peine dans les recueils les principaux
textes qui ont servi à notre travail.
POLÉMON. 447
Peu de mois avant la mort du grand César des colons romains dé-
couvrirent à Capoue , dans un tombeau , une inscription grecque où
l'assassinat du dictateur était clairement annoncé ; et quelle fut l'oc-
casion de cette découverte? Des fouilles d'abord entreprises pour les
fondements d'une villa , puis continuées avec plus d'ardeur dans un
autre intérêt : on avait rencontré d'anciens tombeaux d'où l'on tirait
des vases peints qui, sans doute, se vendaient à grand prix aux ama-
teurs (l). Ces fouilles ont été reprises sur plusieurs points de l'Italie et
elles ont enrichi nos musées de véritables trésors.
Il y avait donc une antiquité pour l'antiquité elle-même , et l'ar-
chêologie n'est pas une invention de la curiosité moderne.
Toutefois l'archéologie n'a pris qu'assez tard une place dans l'en-
cyclopédie des sciences et des lettres grecques. Les premiers histo-
riens préoccupés surtout du spectacle des grands événements politi-
ques, n'ont guère décrit que les luttes de la tribune et les champs de
bataille, ou , s'ils ont quelquefois peint les mœurs et les institutions
d'un peuple , c'était moins d'après les monuments de l'art que d'après
le témoignage des personnes qu'ils avaient pu consulter. Qu'on lise
le second livre d'Hérodote, on y sera frappé de ce singulier caractère.
L'historien veut nous faire connaître l'Egypte , et il est incroyable
avec quelle insouciance il a passé devant les plus curieux monu-
ments de sa civilisation. Il semble devoir à l'observation des hommes,
à la tradition, presque tout ce qu'il nous apprend des sciences, des
arts et de la religion pharaoniques. Thucydide, Xénophon, tous deux
Athéniens de naissance, n'ont peut-être jamais écrit dans leurs his-
toires le nom d'un artiste ou d'un poëte contemporain. Cette école
d'écrivains éminents s'attache avec prédilection à certains faits , à
certains personnages d'un caractère solennel et en quelque sorte
héroïque; elle a honte des vérités triviales, on dirait qu'elle ne
compte même pas parmi les titres d'un peuple à l'immortalité les
œuvres peu bruyantes, fussent-ce des tragédies comme YOEdipe roi
ou des temples comme le Parthénon. Mais après les Xénophon et les
Thucydide , il s'est formé en Grèce une école d'écrivains plus mo-
destes, qui , comme Philochore (2), ont pris pour tâche d'exposer sans
réticence, sans omission dédaigneuse, la vie tout entière d'un peuple.
Ces recueils où la géographie de l'Attique, la chronologie de son
(1) Suétone, César, c. 18. Cf. Gerhard, Rapporto intorno i vasi volcenli. et
V Élite des Monuments céramographiques , par MM. Lenormant et de Witte.
(2) Voy. Philochori fragmenta, par Lenz et Siebelis. Ups. 1811.
448 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
histoire, tout le détail de ses institutions et de ses mœurs, sont
traités avec le même respect , avec la môme exactitude , s'appellent
des atlhides ; leurs auteurs ne sont pas des historiens orateurs , mais
de simples grammairiens*. Ils n'ont pas eu sans doute, comme le
montre ce qui reste de leurs ouvrages , cette haute intelligence des
affaires de la Grèce, cet art d'expression éloquente que Démosthène
étudiait dans Thucydide. Peut-être cependant ne seraient-ils pas
moins lus aujourd'hui, parce qu'ils satisferaient, sur bien des points,
notre curiosité devenue exigeante à l'endroit des petites choses mé-
prisées par les écrivains de génie.
Après les compilateurs d'atthides , il y a des écrivains plus mo-
destes encore et d'une plus humble origine. Ce sont les pe'riégètes.
Sous ce nom de periégètes ou exégètes ou mystagogues , on désigna
d'abord les gens dont la fonction était de guider les étrangers dans
une ville , dans un lieu sacré, de leur montrer, de leur expliquer les
antiquités , les monuments , les traditions relatives aux vieux héros
du pays. Ce sont les ciceroni de ce temps , babillards à l'érudition
aventureuse et imperturbable , sachant la date et l'auteur des statues,
des peintures, l'âge des moindres pierres, la généalogie de tout per-
sonnage dont ils rencontraient le nom ou la figure ; exerçant d'ail-
leurs cet honnête métier sans nul souci de l'avenir, ni de l'histoire.
La crédulité des touristes les faisait vivre; «Si l'on avait ôté, dit
Lucien , toutes les fables dont s'amusait la Grèce , les guides seraient
morts de faim , car pas un voyageur n'eût voulu, même pour rien ,
entendre d'eux la vérité. »
Quelques periégètes cependant se sont élevés au-dessus de leur
conaition , ils sont sortis de leur petite ville , pour visiter le monde,
c'est-à-dire le monde connu , les peuples civilisés ; ils ont écrit et
publié la relation de leurs voyages. Alors on a eu des Guides du voya-
geur en Grèce, des Conducteurs dans les rues d'Athènes, chose, comme
on le voit, bien peu nouvelle au XIXe siècle. Enfin dans cette foule
de petits archéologues , collecteurs d'anecdotes , il s'est trouvé de
véritables savants. Partis d'un peu plus bas les guides pittoresques
ont rejoint Yhistoire, non pas à ses plus hautes régions, mais dans
la sphère où nous avons vu briller tout à l'heure les écrivains d'at-
thides. A côté de Philochore est venu se placer Polémon , son suc-
cesseur dans l'ordre des temps , comme il fut son rival de gloire (1).
(1 ) Voy. Polemonis periegetœ fragmenta. Collegil , digessit , nolis auxit
L. Prellcr. Accedunt de Polemonis vita et scriplis et de hisloria atque arte pe-
riegetarum commenlaliones. Lipsi», 1838 , in-8 de 200 pages.
POLÉMON. 449
Polémon, fils d'Évégétus , naquit vers la fin du IIP siècle avant
notre ère, dans un bourg du territoire de la NouvelIe-IIion. On
ne sait rien de son éducation , et ce n'est que par conjectures qu'on
en a fait un élève des grammairiens de Pergame ou d'Alexandrie.
Il eut de bonne heure sans doute le goût des voyages, il y consacra
la plus grande partie de sa vie, et recueillit d'honorables distinctions
dans les villes qu'il parcourut; c'est ainsi qu'on le voit tour à tour
appelé citoyen d'Athènes, de Samos, de Sicyone. Il connaissait sans
doute ces villes aussi bien que la Nouvelle-llion (1) , et par ses re-
cherches il avait répandu quelque jour sur leurs antiquités ; de tels
services touchaient vivement la vanité grecque, fort prodigue d'ail-
leurs de récompenses envers ceux qui savaient la flatter.
Les nombreux ouvrages de notre voyageur offrent à première vue
des titres très-variés. C'est d'abord son Voyage autour du monde qui
comprenait depuis l'Asie Mineure et le Pont jusqu'à Carthage; puis
des livres de polémique contre l'historien Timée, contre le géo-
graphe et astronome Ératosthène, contre l'historien Ister (que , pour
le dire en passant, il proposait de jeter dans le fleuve du même
nom, sans doute en punition de quelque grosse méprise); des lettres
à divers personnages, dont l'une à un certain Attale, que l'on croit
sans raison positive être le troisième roi de Pergame ; des Mémoires
sur divers points d'antiquité ou de géographie. Mais en regardant de
près les cent fragments ou environ qui nous restent de ces diverses
compositions, on y retrouve partout le même caractère ; c'est partout
de la science recueillie sur les lieux mêmes, d'après les monuments ou
les traditions locales; c'est l'histoire des inventions, des arts, des
mœurs , des institutions rattachée à la topographie. Que Polémon
ait dédié à un protecteur, à un ami tel ou tel de ses Mémoires , ou
qu'il ait particulièrement attaqué sur tel ou tel sujet quelque savant
de ses prédécesseurs comme étaient Ératosthène et Timée , cela est
fort naturel , sans doute , et fort convenable au rôle d'un voyageur
érudit , qui avait pu apprendre , en parcourant le théâtre de grands
événements, combien il est difficile d'être exact dans la description
des lieux que ion n'a point vus. Ératosthène , écrivain honnête et
laborieux, avait vécu à Athènes, on n'en saurait douter; mais il en
parlait trop légèrement, de souvenir; de là bien des erreurs dont
(1) Un ancien, dit de lui , comme nous dirions en français, qu'il savait bien sa
ville de Dodone ( fragment 30, dans le recueil de Preller ). Quant au titre de citoyen
obtenu dans plusieurs villes par la même personne, on en a des exemples dans
Bœckh, n° 2811, b, 3674 et ailleurs.
450 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
s'irritait Polémon jusqu'à dire que le savant astronome n'était pas
même allé à Athènes , hyperbole de colère qu'on a eu tort de prendre
au mot. Timée le Sicilien était un grand érudit sans jugement, pui-
sant à toutes les sources , le vrai comme le faux ; crédule jusqu'à la
puérilité, rhéteur à l'excès dans son style. Polybe a cruellement relevé
les méprises grossières dont ses histoires étaient semées; il lui reproche
surtout d'ignorer la géographie; il trouve fort impertinent qu'on
décrive les lieux qu'on n'a pu visiter et qu'on fasse de la stratégie
d'après des cartes. Polémon , un siècle avant, relevait sans doute les
mêmes impertinences. Mais, comme on le voit, c'étaient là autant
d'épisodes dans la rédaction de ses voyages. En réalité , il semble ,
toute sa vie , n'avoir fait qu'une chose, observer et recueillir des do-
cuments, en rectiûant çà et là les fautes de ses devanciers. Nous
pouvons donc renvoyer les amateurs d'un plus exact détail à l'ex-
cellent travail de M. Preller, sur la vie et les ouvrages de Polémon ,
et, quant à nous, suivre simplement ce voyageur sur les divers
points de la Grèce où il reste des traces de son passage ; comme ces
traces d'ailleurs sont rares et souvent à demi effacées , nous nous per-
mettrons d'y suppléer par des témoignages plus récents, mais non
moins dignes de foi. Strabon , Plutarque , Pausanias , plusieurs siècles
après Polémon , visitant les mêmes lieux que lui , y rencontraient
de nouvelles villes, de nouveaux chefs-d'œuvre; mais aussi d'autres
ruines ; et les voyageurs modernes , sur un sol tant de fois exploré ,
découvrent encore chaque jour des objets d'art, des inscriptions, qui
confirment ou complètent les récits de notre voyageur; nous nous aide-
rons de ces secours pour faire comprendre tout ce que dès l'antiquité,
l'archéologie prêtait de lumières à l'histoire ; car tel est en réalité
l'objet principal de celte esquisse. Aussi bien le nom même de Polé-
mon étant devenu celui du voyageur par excellence, ce n'est pas
une grave licence de personnifier en lui la recherche de ces faits
historiques qui n'ont guère d'autres historiens que les archéologues.
II.
Il y a des lieux prédestinés à la gloire des lettres et des sciences,
comme il en a de prédestinés à la prospérité commerciale ou mari-
time. Dans la plaine de Troie on devait naître antiquaire et mytho-
logue, et si quelque chose m'étonne c'est de ne trouver que deux ou
trois savants de ce pays dans l'histoire dcs'lettres anciennes. Là, en
effet, on n'avait qu'à choisir entre les plus belles et les plus piquantes
POLÉMON. 451
études, Aimez-vous les grands problèmes et les conjectures hardies
sur l'origine des sociétés? Contemplez ces ruines échelonnées à di-
verses hauteurs sur les flancs du mont Ida et du mont Olympus. Les
plus hautes appartiennent aux villes primitives ; tout l'atteste ; à
mesure qu'on descend vers la plaine on s'approche en même temps
des époques historiques. Platon avait jadis remarqué ce fait, et le
rattachant au souvenir des déluges qui jadis couvrirent le monde ,
il supposait que les hommes alors réduits à n'habiter que le sommet
des montagnes avaient peu à peu suivi la retraite des eaux ; ainsi
les villes maritimes auraient été fondées les dernières, lorsque l'Océan
fut rentré dans son lit. D'autres expliquaient plus sagement par les
progrès de la civilisation et par ceux de la sécurité publique cette
tendance des hommes à quitter les montagnes pour s'établir dans la
plaine, sur le bord des fleuves et de la mer (1) ; on a souvent de nos
jours observé le même phénomène ; et Vico en a fait une des lois de
sa Science nouvelle (2). Voulez-vous , Homère à la main , étudier les
champs de bataille de l'Iliade? Pas un monticule, dans cet espace de
quelques lieues , pas une source, un ruisseau , qui n'ait son nom et
sa légende. Seulement il ne faut pas se montrer trop sévère sur le
menu détail , ni chercher une trop juste coïncidence entre l'état pré-
sent des lieux et les descriptions du poëte. La topographie homérique
est chose fort satisfaisante pour l'antiquaire , à une condition toute-
fois, c'est qu'il ne consultera là-dessus qu'un seul auteur; dès qu'on
»en rapproche deux les débats commencent, et voilà des siècles qu'ils
durent. Démétrius, natif de Scepsis ( c'était une ville de laTroade)
avait son système sur l'application des vers homériques aux diverses
localités de la plaine de Troie ; Strabon a le sien ; chez les modernes ,
- autant de voyageurs, autant de systèmes. Dans ce dédale, à défaut
d'inscriptions , les monuments fourniraient d'utiles indices. Mais dès
le temps de Polémon sans doute il ne restait plus une seule pierre
authentique de l'ancienne Troie. C'est pis encore aujourd'hui ; ce
qu'on avait longtemps pris pour le tombeau d'Achille, et où l'on dé-
terrait encore il y a cinquante ans pour M. de Choiseul des curio-
sités d'un âge prétendu homérique (3) , s'est trouvé le tombeau
d'un favori de Caracalla. Une tour grecque où l'on avait mis l'espoir de
belles découvertes s'est trouvée n'être que la base d'un moulin à vent.
(1) Platon (Lois, livre III), cité par Strabon, Geogr., XIII, c. 1.
(2) Fin du livre II , p. 292 de la traduction publiée par l'auteur de l'Essai sur
la formation du dogme catholique.
(3) Voy. Le Chevalier, Voyage dans la Troade, t. II , p. 315.
452 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Recherchez-vous les questions moins générales dans la critique
des monuments d'antiquité ? La plaine de Troie est couverte de petites
villes assez riches en vieux débris et en inscriptions curieuses. Sigée,
par exemple, renferme une pierre qui devait faire un jour le désespoir
des érudits européens ; on y a vu longtemps l'un des premiers monu-
ments de l'art d'écrire, puis regardée de plus près la double inscrip-
tion de cette pierre a laissé deviner quelque supercherie, une super-
cherie déjà ancienne, contemporaine peut-être de Polémon ; en effet
chez les Grecs, certains amateurs ont eu cette manie du faux an-
tique; un avocat millionnaire du siècle des Antonins, Hérode Atticus,
faisait graver pour ses villas des inscriptions en lettres du temps de
Lycurgue ; on en possède au musée de Naples quelques échantil-
lons (t).
Enfin l'histoire seule de Troie offrait, au milieu d'obscurités dignes
d'exciter l'attention curieuse d'un philologue, les plus intéressantes
vicissitudes. Durant deux ou trois siècles après la victoire des Grecs,
Troie paraît être demeurée sans habitant ; une sorte de malédiction
plana longtemps sur les lieux profanés par l'adultère de Paris et en-
sanglantés par la vengeance des Grecs ; c'est seulement sous la domi-
nation des Lydiens qu'on voit se former auprès de la ville de Priam,
un pauvre village sous le nom d'Ilion. Là était un temple de Minerve
où les Locriens envoyaient tous les ans deux jeunes filles choisies dans
les cent plus nobles familles pour expier le crime d'Ajax qui jadis
avait souillé le sanctuaire de la déesse en y violant Cassandre. Ces
jeunes filles, dit un ancien poëte, « les corps et les pieds nus ba-
layaient dès l'aurore le pavé du temple , toujours esclaves jusqu'à la
vieillesse. » Un oracle avait prononcé que l'expiation durerait dix
siècles; elle finit vers le temps de Plutarque. Un grave témoignage ,
celui de l'historien Hellanicus se mêle à ces fables qui entourent le
berceau obscur de la nouvelle ville ; sans doute pour flatter la vanité
de ses voisins , Hellanicus de Lesbos reconnaissait en eux les descen-
dants directs de Priam et d'Hector. Décidément Troie allait revivre,
Xerxès passant en Grèce, s'arrêtait pour sacrifier à Minerve Iliade;
Alexandre en partant pour la conquête de l'Asie venait s'incliner
devant le tombeau d'Achille et accordait aux gardiens de ces ruines
des privilèges importants avec une sorte de liberté. Les successeurs
du conquérant macédonien se firent honneur de continuer la protec-
tion généreuse dont il avait donné l'exemple. Un décret des Iliens,
(1) Franz, Elementa epigr. gr., n° 33.
POLÉMON. 453
parvenu jusqu'à nous, témoigne de leur reconnaissance envers Antio-
chus Soter, vainqueur et pacificateur de l'Asie. Du temps même de
notre Polémon , le frère d'Antiochus le Grand ayant été blessé à la
guerre et guéri par un médecin d'Amphipolis , nommé Métrodore,
un autre décret des Iliens conférait des distinction honorifiques à
Métrodore en souvenir de cet insigne service. On voit quels liens
étroits de clientèle et d'amitié unissaient les nouveaux Troyens avec la
dynastie macédonienne ; mais cette prospérité devait durer peu. Déjà
Polémon avait pu voir Lucius Scipion, sacrifier après Xerxès, après
Alexandre, après les rois de Syrie, sur l'autel de Minerve ; de tels
hommages étaient des menaces. Ilion fut bientôt enveloppée dans la
ruine d'Antiochus ; au milieu du IIe siècle elle n'offrait plus que des
cabanes couvertes de chaume ; on dit que les Gaulois nos ancêtres
l'avaient prise pour but d'une expédition , espérant s'en faire une
place forte ; mais la voyant faible et sans rempart , ils l'eurent bientôt
abandonnée. Dans la guerre contre Mithridate, Fimbria s'en empara
après onze jours de siège; comme il se vantait d'avoir en onze jours
fait plus que n'avait fait Agamemnon en dix ans avec mille vaisseaux,
« C'est, lui répondirent les Iliens, que nous n'avions pas Hector pour
nous défendre, » Le farouche Sylla fut touché apparemment des mal-
heurs d'Ilion et de son imperturbable patriotisme : il la releva une fois
encore. César, puis Auguste, ajoutèrent aux bienfaits de Sylla en
mémoire d'Alexandre, sans doute, et aussi en mémoire de Vénus et
d'Énée que de jour en jour on s'habituait mieux à considérer comme
les auteurs du peuple romain ; c'est en effet vers le temps de notre
voyageur que se répandent et s'établissent moitié par le zèle des Grecs
érudits et flatteurs , moitié par la crédulité du peuple , les traditions
qui rattachaient les origines de Rome à celles de Troie ; César les
invoquait sérieusement dans l'oraison funèbre de sa tante Julia; Tite-
Live , qui doutait peut-être de la vérité de ces fables séduisantes ,
affirmait du moins que Rome avait le droit de les imposer au monde,
comme elle lui imposait ses lois. Après Y Enéide on ne douta même
plus. Troie fut désormais considérée comme le berceau de Rome. A
seize ans, Néron, comme descendant d'Énée, plaidait devant le tri-
bunal de Claude en faveur des Iliens (1), et leur faisait restituer de
vieux privilèges. Au temps de Pline , Troie était redevenue la ville
des souvenirs et des reliques ; on y montrait la lyre de Paris, l'échi-
(l) Tacite, Annales, XII, 58.
454 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. -
quier de Palamède (1) et une lettre écrite sur papyrus , par Sarpédon
le Lycien , l'un des héros de l'Iliade (2). •
On ne saurait dire aujourd'hui si Poléraon se laissa séduire à ces
complaisances envers les vainqueurs de la Grèce, ni s'il croyait bien
sérieusement comme quelques-uns de ses contemporains à l'origine
grecque de Romulus, mais je pense qu'il écoutait volontiers les contes
où se reflète au moins d'une manière naïve la croyance vulgaire , et
à ce titre il avait pu recueillir avec une exactitude qui n'était pas de
la crédulité, certains mensonges qui se propageaient par le monde
au temps de la conquête romaine pour la favoriser ou la consacrer.
Voici d'autres traditions du même genre qu'il recueillait sans y
croire. A Sminthe dans la Troade était un temple d'Apollon Smin-
thien, c'est-à-dire Dieu des rats ; selon les gens du lieu , un certain
Crinis , prêtre d'Apollon à Chrysé s'était attiré la colère de ce Dieu ;
celui-ci envoya dans les champs de Crinis une armée de rats qui les
ravagèrent ; puis voulant arrêter le fléau , il vint sans se faire con-
naître chez Ordès , chef des troupeaux de son prêtre , tua tous les rats
à coups de flèches , puis se découvrit à Ordès et lui ordonna d'an-
noncer ce miracle à Crinis. Justement reconnaissant, Crinis fit con-
struire en l'honneur d'Apollon , vainqueur des rats , le temple que
desservait le Chrysès dont l'imprécation ouvre si dramatiquement
l'Iliade.
Ailleurs Polémon notera que la statue de Bacchus , à Chio , se
voyait enchaînée, comme à Erythrée celle de Diane , parce que selon
l'opinion vulgaire , les statues des dieux s'évadaient quelquefois et
couraient le monde. Ainsi les Romains croyaient par des formules
religieuses décider les dieux d'une ville ennemie à la quitter pour se
rendre dans leur camp (3). Polémon avait vu quelque part une
statue d'Apollon gastronome; une autre d'Apollon béant; cette der-
nière avait sa légende que Pline nous a conservée , en la rapportant
à Bacchus au lieu d'Apollon. Elpis de Samos étant débarqué en
Afrique , un lion se présente à lui la gueule béante. Elpis s'élance
sur un arbre en invoquant le secours de Bacchus , alors le lion se
couche au pied de l'arbre , toujours la gueule béante , mais cette fois
avec une expression pitoyable; le pauvre animal s'était démis la mû-
(1) Voy. plus haut, dans la Revue archéol., t. III, p. 303.
(2) La plupart de ces faits sont réunis , soit dans Strabon , soit dans l'introduc-
tion de M. Bœckh en tête des inscriptions de la Nouvelle Troie.
(3) Voir sur ce sujet la dissertation spéciale d'Ansaldi : De Romana tutelarium
Deorum in oppugnalionibus urbium evocatione, 2« éd. Venise , 1756, in-8.
POLÉMON. 450
choire. Elpis descend de l'arbre et le sauve d'embarras ; le lion re-
connaissant, tant que le navire d'Elpis resta sur le rivage, apportait
chaque jour à son bienfaiteur le produit de sa chasse. De retour à
Samos, Elpis y consacra la statue de Bacchus béant. Changez les
noms des. divinités, ne dirait-on pas quelque légende chrétienne du
moyen âge?
Enfin Polémon apparemment ne dédaignait pas même les contes de
bonne femme, quand il écrivait que la poule d'eau est douée d'une
telle sensibilité à l'endroit de l'adultère , que si son maître est menacé
de certain malheur conjugal , elle s'étrangle pour l'en avertir. Nous
irions loin à vouloir le suivre dans ces petites digressions. Revenons
à l'histoire sérieuse dont les monuments abondent à chaque pas; que
va faire notre archéologue sortant de son glorieux village.
S'il n'admet pas le fabuleux blason qui rattache la généalogie des
Romains à celle de Vénus et d'Énée , il y a du moins des pièces au-
thentiques où les rapports présents de Rome et de la Grèce se mon-
trent au grand jour. A Téos, en Ionie, on lit sur la place publique
le dossier presque complet d'une négociation concernant le droit
d'asile dont jouissent les Téiens. L'affaire se traite en 193 , lorsque
Polémon a vingt ans peut-être, ou environ. Treize villes grecques
ont par autant de décrets, confirmé ce droit d'asile. Le roi Antiochus
le confirme également , mais que seront les onze décrets et l'autori-
sation du roi Antiochus, si les Romains n'y consentent? Heureu-
sement Rome a parlé. Par une lettre aux Téiens, lettre dont nous
avons la traduction grecque, M. Valérius Messalla, préteur, les tri-
buns et le sénat ont promis de respecter et de faire respecter l'asile.
Malgré la dignité affectueuse du langage, on sent dans cette dépêche
la puissante main du peuple qui ne protège que pour dominer. Rome
n'a pas plutôt paru en Grèce qu'elle y a pris le premier rang, et pour-
tant Carthage la menace toujours, malgré sa défaite à Zama ; que
Carthage succombe , Rome n'aura plus de rivale. On proclame déjà
ses généraux Sauveurs du pays qu'ils oppriment (l) ; on élèvera
bientôt des autels à Rome et au peuple romain (2) ; il sera même
permis d'offrir les honneurs divins aux gouverneurs proconsuls, à
de simples citoyens romains. Mais, chose remarquable, dans leur hu-
miliation, souvent volontaire , les Grecs seront traités encore avec
(1) Inscription en l'honneur de T. Quinctius Flamininus , à Gythea , dans le Pé-
loponèse. Bœckh, n° 1325. i
(2) Voy. Le Bas, Explication d'une inscription grecque de l'île d'Egine.
Paris, 1842, in-8.
456 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
quelque respect. Un siècle après cette lettre de Messalla aux Téiens ,
je vois le sénat traiter, comme de puissance à puissance avec une
toute petite île des Sporades. Les habitants d'Astypalée envoient en
Italie des commissaires pour conclure une alliance. Un sénatus-con-
sulte décrète X alliance dont les termes sont acceptés par Astypalée:
qu'on s'imagine la république de Saint-Marin concluant un traité avec
la France ou avec la Grande-Bretagne.
Toutefois les mœurs de l'Italie s'imposent moins vite que ses
armes à la Grèce conquise. Dès le temps de Ménandre on avait en-
tendu parler à Athènes de ces combats de gladiateurs récemment
introduits dans les fêtes de Rome : « Nous sommes plus malheureux
que les gladiateurs en champ clos » , disait alors un personnage de
comédie ; mais il se passe plus d'un siècle avant que ces jeux barbares
s'établissent dans les pays grecs , et c'est toujours par les Romains
qu'ils y sont introduits. Entre autres spectacles offerts par Sylla aux
Asiatiques réunis dans Ephèse, on trouve des combats de gladiateurs
et d'athlètes ; on en trouve à Corinthe avec la colonie qu'y envoie
Jules César; et là ils devinrent l'objet d'une vive passion; il paraît
même que l'émulation gagna un jour le peuple d'Athènes ; lorsqu'un
orateur lui proposa d'imiter les fêtes sanguinaires de Corinthe , un
philosophe s'écria, dit-on, dans l'assemblée :« Athéniens, avant
d'appeler les gladiateurs renversez donc l'autel de la Pitié. » L'autel
resta debout, et Athènes eut des gladiateurs; mais cela se passait
seulement au premier siècle de l'empire.
Les Athéniens n'aimaient pas le sang; et s'ils l'avaient plus d'une
fois versé , c'était du moins pour d'apparentes raisons d'État. Les jeux
mêmes d'athlète répugnaient à leur humanité, ou, si l'on veut, à leur
élégante mollesse. J'en juge par l'amère dérision qu'en a faite un
poëte de la comédie nouvelle; il fallut trois cents ans, le contact et
presque l'invasion d'une société toute romaine pour leur faire ac-
cepter les divertissements du cirque. C'est à la même date que se
rapportent le petit nombre de monuments où sont mentionnés des
jeux de gladiateurs à Mégare, à Milet, à Aphrodisias, en Carie , à
Ancyre , en Galatie où on les voit aussi joints à des combats de tau-
reaux. Mais on n'a pas, que je sache, trouvé les traces d'un seul
amphithéâtre construit par des Grecs et pour eux avant la conquête
des Romains; c'est là un fait honorable pour les mœurs grecques et
que l'on ne saurait trop remarquer (1).
(1) Bœckh,nos 1053, 2880, 2889, 2759, b, 4039, où la mention des jeux de gla-
POLÉMON. 457
Au contraire dès le temps de Polémon la Grèce était couverte de
théâtres. On en peut compter plus de cent connus par les ruines qui
en restent ou par des témoignages certains (1). Rien n'égalait l'ému-
lation des cités helléniques pour les exercices du gymnase et surtout
pour les fêtes de l'intelligence. Sur les côtes seules de l'Asie Mineure
d'innombrables fragments d'archives municipales attestent quelles
dépenses s'imposaient les habitants des plus humbles villes pour
honorer leurs fêtes par la lutte des artistes les plus distingués. La
seule Téos , patrie d'Anacréon , nous en fournira des exemples. Elle
avait des concours de musique , de déclamation pour tous les genres,
et elle était même devenue le chef- lieu d'une corporation d artistes
dont l'existence nous serait à peine connue sans le témoignage des
monuments (2). Cette corporation renfeimait des musiciens et des
acteurs ; placée sous la tutelle particulière du dieu Bacchus dont les
fêtes se célébraient ordinairement par des représentations drama-
tiques, elle s'intitulait Synode des artistes de Bacchus pour VIonie et
l'Hellespont; mais on voit qu'en réalité ses services s'étendaient au
delà de ces deux pays. En etlèt d'autres confréries analogues se rat-
tachaient au synode de Téos, d'abord à Téos même celle des artistes
auxiliaires sans doute recrutée tous les ans par de nouveaux venus
de diverses écoles grecques; puis à Pergame, celle des Attalisles
plus spécialement placée sous la protection des Eumène et des At-
tale; celle de l'isthme, de Némée, de Delphes, de Thespie. Toutes
étaient en vertu d'un oracle d'Apollon également inviolables, en
temps de paix comme en temps de guerre ; chacune avait ses fonc-
tionnaires, ses règlements, ses revenus; elle pouvait décréter des
distinctions honoritiques à ses protecteurs et à ses bienfaiteurs. Ainsi
un joueur de flûte, natif de Chalcédoine et nommé Craton, deux fois
diateurs est presque toujours accompagnée de quelque nom romain , preuve que
les Grecs y avaient rarement l'initiative. Les autres textes relatifs à ces jeux en
Grèce sont réunis par M. Welcker, livre cité, p. 62, 63; et par M. Letronne , à
l'occasion d'un monument inédit, dans un article de la Revue Archéologique ,
15 avril 1846.
(1) Voy. Welcker, la Tragédie grecque dans ses rapports avec le Cycle,
p. 1298 etsuiv.
(2) Les principaux textes relatifs aux Artistes de Bacchus sont réunis par Grysar,
de Tragœdia circum tempora Demoslhenis (in-4. Cologne, 1830}; et par Bœckh ,
dans son riche commentaire sur la première des inscriptions relatives a Craton ,
Corpus, n »' 3067. Quant au dernier trait de notre esquisse, voir le fragment 95e de
Polémon. Sur la mise en scène chez les anciens, on peut lire trois savants articles,
publiés sur ce sujet , par M. Magnin , dans la Revue des Peux-Mondes ( ltr sep-
tembre 1839; i " avril et 1" novembre 1840).
ni. 30
458 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
prêtre du synode de Téos et ordonnateur des jeux , d'ailleurs bon
chef de troupe, ayant rendu à ses confrères et administrés d'émiueuts i
services par sa générosité personnelle et en appelant sur eux les
bienfaits des Attales, les artistes du grand synode lui ont successive-
ment voté des couronnes avec proclamation au théâtre et dans les
repas de corps , trois statues dont une à Téos , 1 autre à Délos , la
troisième au lieu qu'il choisira lui-môme , entin un trépied destiné
à être placé sous sa statue dans le temple de Uacchus a Téos. Les
attahstes ont ajouté, pour leur part, à ces honneurs, et l'exemple
a été suivi par ceux de l'Isthme, et ceux de i^émée. Tant de recon-
naissance stimula sans doute le zèle bienfaisant de Craton. Ln mou-
rant il légua aux attahstes des sommes considérables pour les dé-
penses de leurs fêtes ; l'emploi de ces sommes était réglé par un acte
spécial qu'approuva le roi de Pergame. Craton laissait encore à &o&
anciens confrères un mobilier dont l'inventaire minutieux était an-
nexé aux deux pièces précédentes. Il s'est conservé de cet inventaire
quelques lignes où je remarque, entre autres curiosités, des lapis,
une lampe a deux mèches, un bouclier et une lance; c'était donc a
n'en pas douter des ustensiles de théâtre. Polémon s intéressait dans
ses visites à tous ces détails , et c'est peut-être dans le magasin de
quelque théâtre comme celui de Craton qu'il avait vu ces épées ,
qu'il nous montre fabriquées tout exprès pour que la laaie au
moindre eiïbrt rentrât dans le fourreau. Ajax en avait une ainsi laite
lorsqu'il se donnait la mort dans la pièce de Sophocle. Combien est
vieux le secret de se tuer au théâtre sans danger pour la vie I
Cette société des artistes que Polémon avait vue si llonssanie sous
la protection des Attales, changea plusieurs fois de chef-lieu et aussi
de tortune pendant les révolutions qui ravagèrent 1 Asie avant l'éta-
blissement définitif des Romains, mais il ne paraît pas qu'elle ait un
instant cessé de desservir les théâtres grecs de 1 Orient j ou la retrouve
sous les empereurs à Smyrue , à Aphrodisias , à Athènes j elle avait
alors des afliliés dans les artistes latins, et le féroce Commode
compte parmi ses derniers protecteurs. C'était, à ne partir que des
Attales environ, cinq siècles de durée. D'abord salariées par les répu-
bliques comme jadis chez les Athéniens, puis constitués eu corps
presque indépendants , les artistes allaient retomber sous l'étroite
dépendance du despotisme impérial (1). L'époque des synodes est
(1) Voy. Orelli , Insc. lai., n08 884 , 2203, 2625, 2627. Le Beau, dans les Mém.
de l'Acad. de Vins., t. XXXI , p. 58-61. liist. L'étrange oppression qui pèse sur
les artiste» dramatiques , au IV siècle de l'ère chrétienne , est constatée par diverses
POLEMON. 459
peut-être la plus brillante de leur histoire, comme c'est la plus né-
gligée par les historiens. Nos confréries dramatiques du moyen âge
ont eu moins longue et moins glorieuse vie; et quant à là Société du
théâtre français, si riche de noms illustres, sommes-nous sûrs que
dans vingt siècles la postérité lise encore les registres de ses délibé-
rations, comme nous lisons aujourd'hui dans le musée du Louvre (l)
le décret rédigé à l'honneur de Craton par les ancêtres de Lekain et
de Talma ?
E. Egger.
constitutifs du code Thèvdosien, XXV, 9, 1 ; XV, 7 et 12. Cf. Justinien, 2Vov. M.
Aulh. 50.
(1) Voir le fac-similé de ce marbre précieux dans le recueil de M. de Clarac,
Inscriptions du musée du Louvre, pi. XXXIV.
oW
( La suite au prochain numéro. }
LETTRE DE M, LETR01E A M. LEMIRÏAXT
SUR
LA TÊTE DE PHIDIAS
TROUVEE A LA BIBLIOTHEQUE ROYALE,
ET
SUR I A COLLECTION DE NOINTEL DONT ELLE FAISAIT JADIS PARTIR.
IBONSLEUR ET CHER CONFRÈRE ,
Dans une des dernières séances de l'Académie, yous avez lu un
très-intéressant Mémoire sur une tête de femme en marbre pen-
télique, qui se trouvait dans les caves de la Bibliothèque royale.
Vous avez établi que cette tête doit être celle d une des figures qui
ornaient l'un des frontons du Parthénon. C'est là une découverte,
aussi curieuse qu'inattendue, qui, dès le premier moment que j'ai
entendu votre exposition, m'a paru complètement démontrée.
Vous vous souviendrez que, séance tenante, je vous ai témoigné
combien j'étais frappé de la justesse de vos rapprochements, et con-
vaincu de la réalité de votre conjecture. Une note que j'ai fait
insérer dans la Reçue, quelques jours après (1), en rappelant très-
sommairement les preuves que vous aviez données, exprimait aussi
ma propre conviction.
En avouant, ainsi que vous, l'ignorance complète où j'étais sur la
provenance de ce beau reste antique, je témoignais l'espoir qu'on la
découvrirait un jour, comme on y était parvenu pour deux autres
restes des sculptures du Parthénon , trouvés, de même que celui-ci ,
en des lieux où personne ne soupçonnait qu'ils pussent être.
C'est en effet la troisième découverte de ce genre.
La première eut lieu en 1828, au musée de Copenhague. Mon
savant ami Olaùs Brœndsted y remarqua deux fragments en haut
relief antiques du plus beau temps de l'art, qui gisaient là sans
(1) Voir la Revue, p. 336 de ce volume.
LETTRE A M. LENORMÀJNT. 461
honneur , personne n'en connaissant ni la valeur ni la provenance.
Ayant fait une étude approfondie des sculptures du Parthénon, tant
sur les lieux qu'en Angleterre, il reconnut aussitôt dans ces deux
fragments deux têtes ayant appartenu à une des métopes du temple
de Minerve. Mais n'osant pas , comme il le dit, ce s'en rapporter
a uniquement à des ressemblances qui pouvaient le tromper (2), » il
ne fut certain dune découverte, qui le surprenait lui-même, que
lorsqu'il fut parvenu, à force de recherches, à démontrer que ces
fragments avaient été apportés d'Athènes, en 1688, par le capi-
taine danois Hartmand, qui accompagnait le comte de Kœnigsmark,
commandant la cavalerie dans l'armée du général vénitien Morosini ,
lors du siège et du bombardement de l'Acropole, en 1687. Tous ses
doutes furent alors dissipés (3).
La seconde découverte du même genre fut faite à Venise, il y a
deux ans, par notre confrère M. de Laborde; après avoir constaté ,
par une comparaison attentive et éclairée, que la tête de femme qu'il
trouva, malheureusement très-mutilée, provenait des sculptures du
Parthénon, il chercha une explication historique, et la trouva
facilement. On sait que Morosini emporta d'Athènes plusieurs an-
tiquités, entre autres le lion colossal du Pirée, et un autre lion
trouvé près d'Athènes ; en outre, qu'il tenta même d'enlever les che-
vaux du char de Minerve sur le fronton occidental du Parthénon ;
mais qu'on s'y prit si maladroitement, que le groupe tomba et se
brisa sur le rocher. Cette circonstance explique très -bien, comme
l'a remarqué M. Mérimée, d'après les observations de M. de La-
borde (4), la présence à Venise de cette belle tête de Phidias,
que notre confrère a eu le bon goût de reconnaître, et le bonheur
d'acquérir.
Nous vous devrons, monsieur et cher confrère, la troisième dé-
couverte de ce genre; car vous avez très-bien établi que la tête de
femme provient du Parthénon , et déterminé à quelle figure elle
appartenait; mais vous n'aviez pu deviner quand et comment elle a
pu être apportée d'Athènes, et par quel hasard elle se trouvait dans
les caves de la Bibliothèque royale , à l'insu de tout le monde.
Convaincu qu'avec un peu de peine on devait y parvenir, j'ai fait
quelques recherches qui m'ont mis, je crois, en état de l tracer la
(2) Brœndstcd , Voyages et recherches en Grèce, V livraison, p. 17ô.
(3) Le même, p. 182.
(4) Voir la Revue, t. !, p. 83?.
462 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
route fort dilïérente que ce fragment a suivie pour arriver d'Àthèrres
au lieu où il a été si heureusement retrouvé.
J'ai pensé qu'un exposé de ces recherches ne serait pas sans-
intérêt, puisqu'il doit ajouter une preuve historique aux ingénieux
rapprochements que vous avez faits.
On n aperçoit qu une seule occasion qui puisse historiquement
expliquer le transport à Paris de ce fragment du Parthénon. C'est le
retour de M. de Nointel , qui fut ambassadeur à Constantinople, entre
1670 et 1679. On sait que cet ami éclairé des arts, voulant mettre
à profit sa mission en Orient , avait emmené avec lui deux dessi-
nateurs, dont l'un était Carrey , disciple de Le Brun, que ce grand
peintre désigna lui-même. Nointel , après être resté à Constan-
tinople jusqu'au 1 5 octobre 1 673 , en partit pour visiter les diverses
échelles du Levant. Arrivé à Athènes vers la fin de 1674, il y fit
dessiner par Carrey un grand nombre d'antiquités , notamment les
figures des deux frontons du Parthénon dans l'état où elles se trou-
vaient alors.
Ces précieux dessins, dont M. Quatremère de Quincy, et, après lui,
d'autres savants , ont fait un judicieux usage pour la restitution con-
jecturale des deux frontons , existent à la Bibliothèque royale. Sur le
dessin qui représente le fronton occidental , la figure à laquelle ,
d'après vos rapprochements, a dû appartenir la tête en question,
est intacte; du moins cette tète y est-elle en place. Mais, il serait
possible que ce fût une restauration de Carrey ; et que la tête fût
alors tombée, gisant au pied de la figure, sur la saillie même du
fronton. Dans cette chute de quelques pieds , la tête, tombée sur
le nez, n'a perdu que cette partie saillante; car tout le reste, même
les lèvres et le menton, est presque intact. Carrey ne devait avoir
aucun doute sur la figure à laquelle la tète avait appartenu; il put
sans erreur la remettre en place dans son dessin. Quant à la tète
elle-même, il la descendit, et elle fit partie de cette belle collection
^Antiquités attiques , que Nointel rapporta de son ambassade.
Voilà donc par quelle voie la tète de Phidias a dû parvenir à Paris.
Maintenant comment est-elle entrée si secrètement à la Bibliothèque
royale ? Pour s'en rendre compte, il faut suivre, autant que possible,
les vicissitudes de la collection de Nointel.
De retour à Paris, en 1679, l'ex-ambassadeur y vécut encore six
LETTRE A M. LENORMANT. 463
armées jusqu'au 34 mars 1685, gardant avec soin auprès de lui les
pr&ieux monuments qu'il avait réunis avec tant de sollicitude ; et
ce fut probablement kî qui , sachant bien que la tête provenait cfu
Parthénon , et en connaissant toute la valeur , y fit remettre un nou-
veau nez qui sera tombé dans l'une des translations postérieures de
la collection.
Caylus écrit, en 1704 : « Nointel avait donné plusieurs de ses
« antiquités à Baudelot de Dairval , qui a légué son cabinet à l'Aca-
« demie des Inscriptions et Belles-Lettres (5); et je publie, de Vas-
te semblage qu'on y conserve, les quatre planches suivantes (LXI à
« LXIV, dut. VI), » contenant deux inscriptions et sept bas-
reliefs funéraires, qui tous sont au Musée du Louvre , moins un
qui s'est égaré en chemin. Caylus croit que la collection de Nointel
contenait d'autres monuments que ceux qui formaient le legs aca-
démique, puisqu'il dit : « J'avoue, à la honte de mon pays, qu'on
« ignore ce qu'ils sont devenus. » MiniJflOD 4 b
Je ne sais où Caylus a pris que la collection de Nointel n'était
pas entière; mais il semble en contradiction avec de Boze , qui a
rédigé l'éloge de Baudelot vers 1724, deux années seulement après
la mort de celui-ci, et quarante ans avant que Caylus n'écrivît
le passage cité. Parlant du legs fait par Baudelot à l'Académie, de
ses médailles, de ses bronzes et de ses marbres antiques, notamment
des deux grandes inscriptions , de Boze dit seulement : Ces marbres
passèrent de M. de Nointel à M. (Melchisedec) Thévenot, garde de la
Bibliothèque du roi (fi). 11 ne dit point que M. de Nointel en eût donné
aucun de son vivant, et j'avoue qu'il ne me parait pas fort probable
que l'ex- ambassadeur, qui attachait tant de prix à sa collection, l'eût
décomplétée en se privant de quelques-uns des morceaux qui la com-
posaient. De Boze ne laisse pas même soupçonner que la collection
ne passa pas tout entière dans les mains de Thévenot ; et il n'y à
nulle raison de croire qu'il en fût autrement.
On ne s'étonnera pas que Nointel eût choisi Thévenot pour léga-
taire de sa collection. 11 connaissait l'instruction profonde et variée
de ce savant communicatif, qui était consulté avec fruit par tous les
voyageurs ; et il avait pu profiter de ses conseils pour la relation de
ses propres voyages, qui l'occupa constamment dans sa retraite. A
quelles plus dignes mains pouvait-il laisser son trésor?
D'ailleurs , au moment de la mort de Nointel , le 31 mars 1685,
(5) Caylus , Rec. d'Antiq., t. vr, p. 197.
(6) jtfm. Acad. Intcr., U V. MM., p. W , «**£* l0W
464 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
il y avait déjà.u» an que Thévenot était garde delà Bibliothèque
du roi. Nointel devait désirer et espérer que celui-ci , à son tour ,
léguerait la collection à cet établissement public.
Mais il n'en fut rien, peut-être uniquement par la négligence de
Thévenot à faire son testament; ce qui arrive trop souvent à ceux
même qui ont le plus de motifs pour laisser des dispositions dernières,
et qui, attendant toujours au dernier moment, sont surpris par
la mort , avant d'avoir rien arrêté.
De Boze nous apprend que Thévenot avait fait transporter la collec-
tion à sa maison de campagne, située à Issy, où il mourut en 1692 ,
peu de mois après avoir renoncé à ses fonctions de bibliothécaire.
C'est alors que , dans le récit de de Boze , se montre pour la
première fois le nom de Baudelot de Dairval. Baudelot apprit que
Thévenot n'avait fait aucune disposition à l'égard de sa collection d'an-
tiquités. Pour prévenir une dispersion fâcheuse, il se rendit à la maison
d'Issy. «Là, continue son biographe, proOtant de la mauvaise humeur
« que causaient aux héritiers ces maudites masses de pierre qui
« leur remplissaient toute une salle basse , il leur en proposa
« le marché, les acquit enfin et ne les perdit pas de vue. Sa joie
« lui prêta ce jour-là des forces d'athlète pour les charger presque
« seul sur la première voiture qu'on trouva , et les conduire pas à
< pas, jusqu'au faubourg Saint-Marceau, où il demeurait. Il donna
pc la même attention à son déménagement quand il vint loger au
« faubourg Saint-Germain. »
C'est de là que les marbres antiques de Nointel , par suite du
legs de Baudelot, passèrent à l'Académie, et furent placés dans une
pièce du vieux Louvre , comme il est dit dans une note de l'édi-
tion de 1727 de son livre, intitulé de TUdlité des Voyages (7):
a A l'Académie royale des Inscriptions et Belles-Lettres , qui siège
« au vieux Louvre, on conserve le cabinet de feu M. Baudelot, qui
« était pensionnaire de cette académie; il est composé d'une suite
« de médailles antiques d'argent et de bronze, etc. Mais, ce qui est
« ici de plus précieux sont, entre autres, plusieurs morceaux antiques
ce de marbre f et deux tables chargées d'inscriptions grecques. » (Ce
sont celles que l'on connaît sous le nom de Nointel.)
Je ne doute point, pour ma part, que la tête de Phidias ne fût
au nombre de ces morceaux antiques de marbre. Personne ne s'éton-
(7) T. II, p. 32».
(S) L'auteur anonyme de celle addition à l'ouvrage de baudelot dit que les in-
scriptions avaient été rapportées par Thévenot; cela n'est guère vraisemblable.
LETTRE A M. LENORMANT. 465
nera qu'une pièce de ce mérite n'y ait pas été remarquée , même de
Caylus , qui pourtant était connaisseur. Pour sentir la valeur et
deviner l'origine de ce morceau mutilé, il aurait fallu avoir des
points de comparaison dont on manquait entièrement. La sculpture
de Phidias était inconnue. Vous-même , monsieur et cher confrère ,
vous êtes convenu que, si vous n'aviez pas eu sous les yeux les plâtres des
figures du Parthénon , et surtout la tête rapportée de Venise par
notre confrère M. de Laborde , vous n'auriez peut-être pas eu l'idée
de chercher dans celle-ci un débris du Parthénon, tant on devait
être loin de soupçonner qu'un pareil débris pût se trouver égaré
dans une cave de la Bibliothèque au milieu d'autres débris.
La collection de Nointel resta au Louvre, telle que Caylus
l'avait vue, jusqu'à la destruction des Académies, qui eut lieu le
8 août 1793 (21 thermidor an i); j'avais d'abord cru qu'elle
passa aussitôt après , partie au Musée central des arts formé au
Louvre, partie au Musée des monuments français ou au Cabinet des
Antiques de la bibliothèque nationale. Mais les pièces qui existent
aux Archives du Royaume montrent qu'il en fut autrement.
J'ai trouvé d'abord un inventaire des objets d'antiquités provenant
du mobilier de là ci-devant Académie des Inscriptions et Belles-Lettres,
déposés dans un cabinet au rez-de-chaussée , derrière la salle de la
ci-devant Académie française. Cet inventaire, signé Le Blond ( agent
et secrétaire de la commission des monuments), est du 18 nivôse
de l'an h (7 janvier 1794), environ six mois après la destruction de
l'Académie. Cet inventaire contient :
1° Les cinq bas-reliefs, trouvés en 1711, dans une fouille à
Notre-Dame (maintenant au Musée de Cluny) ;
2° L'inscription ABYAHN0IT0NAYTÛN2QTHPA (Caylus, t. VI,
p.LXI, 1);
3° Les deux marbres de Nointel ;
4° Le bas-relief avec l'inscription AHMHTPI02 , etc. (Caylus,
t. VI, pi. LX1II,2);
5° Un bas-relief avec inscription grecque (sans autre désignation);
6° Inscription grecque commençant par EIII APX0j\T02 <I>AI-
APIOY [Musée du Louvre, n° 452 ) ;
7° L'inscription greco-phénicicnne: N0YMHNI02(le même, n°488);
8° Vingt-six fragments de marbre , bas-reliefs , petites statues
antiques, etc. que l'espace (le temps) n'a pas permis de décrire.
Et nous devons fort le regretter , car nous aurions là un inven-
taire détaillé et probablement complet de la collection de Nointel.
466 HEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Elle était donc encore au Louvre le 7 janvier 1794.
En août (thermidor) de cette même année, elle y était ertcore; mais
un autre inventaire de l'année suivante, à la môme époque (thermi-
dor an m), prouve qu'elle n'y était plus. On croirait naturellement
qu'elle dut être retirée de la salle au rez-de-chaussée, pour être
réunie au Musée central des antiques au Louvre. Mais, ptar une
bizarrerie que je ne m'explique pas , elle fut portée au Musée des
monuments français , rue des Petits- Augustins.
J'ai sous les yeux un inventaire de h Salle des Antiques au Lonvre,
daté du 4 septembre 1793 (18 fructidor an i). Les antiques se com-
posent de statues, bustes et bas-reliefs en marbre, parmi lesquels
rien ne se trouve de ce qui faisait partie , soit du dépôt des monu-
ments français, soit de la collection de Nointel.
Depuis, on commença de retirer du dépôt des monuments français, les
objets d'antiquités qu'on y avait réunis. Ce dépôt avait reçu d'abord ce qui
se trouvait dans les églises, les châteaux, les hôtels des émigrés, sans
distinction des natures d'objets. Il s'y trouva donc un grand nombre
d'objets antiques dont il existe un inventaire du 29 septembre 1793 ,
signé Favé et Lenoir. On en retira peu à peu tout ce qui n'était pas
relatif à l'histoire nationale.
Une lettre de Ginguené, du 27 frimaire an ni (l 7 décembre 1 794),
écrite à Al. Lenoir, au nom de la commission executive de l'in-
struction publique, annonce que le Conservatoire du musée des arts
est autorisé à prendre dans le Musée des monuments français tout ce
qui lui paraîtra de nature à en faire partie, et l'invite à remettre tout
ce que ce conservatoire voudra choisir. « ebitai-eed pnfo
Suit un état des objets d'art remis au Muséum : ce sont, en fait
d'antiquités, les statues de Méléagre, de Junon, de Germanicus, de
Bacchus, du petit Méléagre. Ces statues y avaient été apportées du
jardin de Richelieu, comme on le voit par un catalogue, adressé
le 22 thermidor an n (9 août 1794 ), où Lenoir décrit en détail les
statues, bustes et bas-reliefs, antiques ou modernes, que possédait
ce qu'on appelait encore \e dépôt provisoire des Petits- Augustins , et
il indique la provenance de chacun des objets. Lenoir demandait la
permission défaire imprimer son catalogue; Lebrun, qui fut chargé
de l'examiner, ne fut pas de cet avis, parla raison assez bonne,
que le dépôt étant provisoire et movible (sic), le catalogue, avant
que l'impression ne fût même terminé , serait inexact et incom-
plet. Il donnait cette autre raison, qu'il s'y est glissé quelques
erreurs accréditées par les possesseurs de ces objets qui s étaient
LETTRE A M. LENORMÀNT. 467
fak un devoir très-chrétien de mentir et de tromper le peuple con-
tinuellement. Je ne serais pas surpris que cette raison n'ait paru alors
la meilleure. 1 Jgom ii tiO ,
Quoi qu'il en soit, ce catalogue ne contient, en fait de monu-
ments antiques, que les statues que Lenoir fut obligé de céder au
Muséum, en vertu de la lettre de Ginguenédu 27 frimaire an m.
Mais ce conservateur voyait toujours avec déplaisir qu'on retirât de
son dépôt des objets antiques qu'il avait l'espoir de conserver, même
quand ce dépôt provisoire serait devenu musée; ce qui arriva enfin le
19 germinal an iv (8 mars 1796), qu'il prit le titre de Musée spi--
cial des monuments français.
Le second catalogue de Lenoir est daté du 22 thermidor de l'an m
(9 août 1795), juste une année après le premier. Ce catalogue, qui
lui fut demandé par la commission temporaire des arts, contient-,
au chapitre antiquités, tous les objets (qui n'étaient pas dans le
précédent inventaire), appartenant à la collection de l'Académie
(plus haut, p. 465). Ce sont :
1° Un tombeau égyptien en porphyre (celui de Caylus)^h lioneJ
2° L'inscription greco-phénicienne , Noo^vwç ; n li ;aok
a? Quatre inscriptions grecques ( dont les deux de Nointel ) ;
4° Huit statues antiques ;
5° Treize bas-reliefs antiques, chargés d'inscriptions (les stèles
funéraires publiées par Caylus , de la collection de Nointel );
6° Treize bustes antiques en marbre, tant grands que petits;
7° Dix-neuf bustes en bronze; b fcûlq ueq
8° Un tombeau antique , avec bas-relief;
9° Un vase antique en marbre gris; un autre en albâtre;
10° Un vase cinéraire en verre; K&i&'b uJio/ j:*j in ,
11° Un autel antique en pierre chargé de bas-reliefs; | Jidoenoo
12° Quatre autres pierres antiques chargées d'inscriptions et bas-
reliefs ; ttaèai9teilcfeJè I !$i§)ni
1 3° Une armoire garnie de petites figures en bronze inventoriées
par les membres dé la commission (je n'ai pas retrouvé cet in-
ventaire); îpbup
14° Médailles inventoriées par les mêmes (inventaire non
retrouvé). &âWm$ Wiifi9
On reconnaît ici, avec quelques autres objets, tous ceux qu'in-
dique sommairement l'inventaire , rapporté plus haut, de ce qui ayajt
appartenu à l'Académie , provenant de la collection de Nointel. Ainsi*
le 22 thermidor an u , ils n'étaient pas au dépôt des Petits-Au-
468 REVUE ARCHÉOLOGIQUE .
gustins; un an après, ils y étaient entrés, et la plupart, comme
nous Talions voir, n'en sortirent qu'en l'an xi, huit ans après.
Or, il m'est impossible de me rendre compte de cette translation.
On a vu , par la lettre de Guiguené du 27 frimaire de cette année,
que Lenoir devait céder les antiques qu'il possédait au Musée du
Louvre. Comprend-on que huit mois après, la collection académique,
toute composée d'antiquités , bas-reliefs , tombeaux , inscriptions ,
bronzes et médailles, déposés dans une salle au Louvre, soit portée
en bloc, au dépôt des Petits-Augustins, où elle était complètement
déplacée, au lieu d'être mise, soit au Musée du Louvre, soit au
Cabinet des Antiques, où elle était appelée si naturellement?
Ce que je ne comprends pas davantage, c'est qu'il n'existe aucune
trace de cette translation. J'ai lu les recueils des pièces relatives au
Musée des Petits-Augustins ; de plus, tous les procès-verbaux, jour
par jour, de la commission des arts, signés Le Blond, où se trouve
mentionné tout ce qui tient au mouvement des Musées, et en outre
les états partiels contenant le mouvement du dépôt provisoire que
Lenoir dressait une ou deux fois par mois, et présentait à la commis-
sion ; il m'a été impossible de trouver entre les époques des deux in-
ventaires de thermidor an n et de thermidor an ni, aucune trace de
la translation de la collection Nointel , du Louvre au dépôt des
Petits-Augustins. Le dernier de ces états est daté du 15 prairial
an ni , je n'en trouve plus un seul entre cette époque et le 22 ther-
midor, date de l'inventaire. Il y a là une lacune administrative d'un
peu plus de deux mois. C'est dans cet intervalle que la translation
s'est opérée.
Tout semble donc indiquer que ce transport n'a pas eu lieu régu-
lièrement, ni en vertu d'autorisations écrites. Lenoir , qui ne se
consolait pas de n'avoir plus d'antiques , aura proGté d'un moment
de trouble , lorsque la commission du Musée ne veillait plus aux
intérêts de cet établissement, pour se hâter de transporter aux
Petits-Augustins la collection du Louvre; Le Blond , ainsi que
Mongez , anciens membres de l'Académie, obtinrent de détacher
quelques morceaux pour le cabinet de la Bibliothèque nationale;
et, dans le nombre, se trouvèrent avec le buste provenant du
Parthénon, les autres têtes, grandes et petites, en marbre grec qui
y ont été trouvées en même temps, mais dont l'entrée, opérée à la
même époque, n'avait pas laissé plus de trace que celles que reçut le
Musée des Petits-Augustins.
L'ordre régulier des opérations administratives se rétablit. On en
LETTRE A M. LENORMANT. 469
voit le premier indice dans une lettre du ministre de l'intérieur Be-
nezech, aux conservateurs du Musée des arts, en date du 4 germi
nal an 4 (24 mars 1796), ainsi conçu :
Je vous préviens, citoyens, que j'ai chargé le citoyen Le Noir, conservateur du
Musée des antiquités et monuments français, rue des Petits- Augustins , de
mettre à votre disposition, les statues, vases, tombeaux et antiques, colonnes
précieuses, enfin tous les objets qui , n'étant point des monuments de notre histoire,
seraient conséquemment déplacés dans ce Muséum et peuvent embellir la belle
collection confiée à vos soins.
Mais j'autorise d'une autre côté ce conservateur à revendiquer dans les autres
dépôts les objets qui peuvent compléter la collection des monuments français.
Mon intention est que, désormais, chaque Muséum spécial ne contienne que des
objets analogues au but de son établissement, et qu'ils y soient placés dans un ordre
méthodique. Il me semble que l'un de ces moyens doit contribuer à compléter ces
collections, et l'autre à les rendre plus utiles à l'instruction publique.
J'espère que l'avenir nous donnera les moyens de réunir au palais national du
Muséum , tout ce qui peut compléter l'histoire de l'art et de ses collections.
Le Musée de la rue des Petits-Augustins n'est qu'une branche du Musée central
de la république, mais en attendant qu'elle soit réunie, il ne faut pas la décom-
poser et lui ôter son caractère, il faut au contraire la compléter. C'était le but de
l'arrêté du comité d'instruction publique du 29 vendémiaire dernier; mais cet
arrêté n'organisait rien et empêchait le Muséum central de la république de prendre
aux Petits-Augustins ce qui lui appartenait réellement.
Voici les mesures qui m'ont paru convenables pour éviter les inconvénients et
remplir le but d'utilité et de conservation , etc.
Cette lettre est remarquable, parce qu'elle exprime une pensée
d'unité et de concentration dans la composition des Musées, qui pou-
vait être exécutée, à cette époque de réforme radicale; et qui, ne
l'ayant pas été alors , ne pourra plus l'être désormais (9).
(9) Cette pensée d'unité se montre plus clairement et d'une manière plus complète
dans une lettre des membres du Conservatoire des arts, aux représentants com-
posant la deuxième section du comité d'instruction publique ; il s'agissait de savoir
si le casque, le bouclier et Vépée , dits à tort de François 1er, apportés de Belgique ,
devaient être déposés au Muséum central des arts ( au Louvre) ; ou au Muséum
d'antiquités (Bibl. nationale). La lettre est du 12 messidor an 3 , antérieure de dix
mois à celle de Benezech.
« Le Muséum des antiques réclame un bouclier, un casque, une épée ciselée et
damasquinée, récemment arrivés de Hollande. Nous pensons que ces objets seront
placés plus utilement au Muséum des arts. Voici nos motifs :
« Les objets dont il s'agit sont précieux par l'art du dessin et de la ciselure;
mais ils ne peuvent être considérés comme devant faire partie d'une collection
d'antiques, car ces ouvrages florentins portent l'empreinte d'une date récente, celle
du règne des Médiçis.
« Un décret, dit on, attribue au Muséum des antiques toutes les armures antiques
ou étrangères. Nous ignorons si l'intention des législateurs a été de tracer une ligne
de démarcation entre les deux Musées dont , au contraire , tous les intérêts géné-
raux nous semblent demander la réunion , mais nous pensons que cette ligne
470 REVU» ARCHÉOLOGIQUE.
Une lettre à peu près semblable fat écrite par le ministre, un mois
après, le 2 floréal an iv (21 avril 1796), aux conservateurs d'anti-
quités près la Bibliothèque natioîiale. Elle commence ainsi :
Le dépôt situé rue des Petits -Augustins doit être, citoyens, une espèce de
Muséum provisoire des antiquités et monuments français, mais s'il renferme
des objets qui ne puissent pas être compris sous celle dénomination ; ils doivent
selon leur classification passer dans les autres établissements. Ainsi, les inscrip-
tions anciennes , grecques et latines qui y sont, appartiennent à la collection
confiée à vos soins. Je vous invite à les visiter et à les faire enlever, ainsi que tout
ce qui tiendrait à votre Musée d'antiquités. Le citoyen Lenoir est chargé de
mettre à votre disposition tous les objets de ce genre que vous réclamerez. Je l'ai
autorisé par la même raison à revendiquer dans les autres dépôts les objets qui
peuvent compléter la collection des monuments français.
Mon intention est que, désormais, chaque Muséum spécial ne contienne que
des objets analogues au but de son établissement, et qu'ils y soient placés dans
un ordre méthodique. Il me paraît que l'un de ces moyens doit contribuer à com-
pléter les collections , et l'autre à les rendre plus utiles pour l'instruction pu-
blique.
Le ministre a parlé dans sa première lettre, de statues, de vases ,
de tombeaux, d'antiques, de colonnes précieuses, etc. Dans la seconde,
il ne spécitie que les inscriptions grecques et latines ; pour le reste ,
il se contente de dire, tout ce qui tiendrait à votre Musée d'antiquités :
par là, il entend ce qui n'était pas exprimé dans la première lettre ,
à savoir, les idoles ou figures des dieux, les ustensiles, instru-
ments, etc. C'est, en effet, tout ce que comprend l'inventaire qui lut
dressé plus tard. Mais, dès lors, en vertu de cette lettre, la place
des inscriptions deNointel était marquée au Cabinet des Antiques, où
pourtant, elles n'ont jamais été, ainsi qu'on va le voir.
Mais on comprend que ce n'est pas à la suite de cette lettre que la
tête de Phidias put y être portée. Si elle eût été encore au dépôt des
monuments français , c'est au Louvre qu'on l'aurait alors transportée,
serait difficile à bien prononcer : le droit qu'on oppose à la justice de nos motifs
-en sont la preuve.
« Le Muséum des antiques possède toutes les armes qui étaient à Chantilly. Il eu
réunit donc, non-seulement de l'âge , mais encore du genre et du mérite de celles
dont il veut, sans utilité pour lui-même, priver le Muséum des arts.
« Ce n'est point une armure complète qu'on nous envie j le bouclier, l'épée et le
casque en litige ne servant point à la chronologie des armes, mais seulement à
l'histoire des arts. Nous devons les offrir aux étudiants ; ce qui est parfait dans l'art
du dessin doit, dans chaque genre, avoir des modèles au Muséum des arts.
« C'est en leur nom , citoyens représentants, que nous vous portons nos récla-
maUons. Les progrès des arts dépendront essentiellement de la réunion dans un
même local des modèles de tout genre, et surtout de beaux antiques : de l'étude de
ceux-ci et de leur comparaison iacile et fréquente, naîtra le perfectionnement de
l'art , mais l'émulation s'éteindra si les moyens d'étudier sont divisés. »
LETTRE A M. LENORMÀNT. 471
et non au Cabinet des Antiques. Mais, comme nous l'avons yu, elle
était déjà à la Bibliothèque nationale.
Cinq ans se passèrent, sans qu'il lût donné suite aux dispositions
contenues dans ces deux lettres, du moins en ce qui concerne le
Cabinet des Antiques; car l'inventaire des objets d'antiquités qui lui
furent cédés par le Musée des monuments français , n'est pas plus
ancien que l'an ix, comme on va le voir. iecn ^h
Une lettre de Millin à Lenoir, en date du 4 frimaire de cette
année (25 novembre 1801 ), est ainsi conçue :
ivs/mi :
Je viens d'apprendre que l'administration du Musée central des arts a enlevé
chez vous plusieurs objets déjà destinés au cabinet de la Bibliothèque nationale. Je
vous prie , au moins , de vouloir bien retenir les deux inscriptions de ISointel que
vous avez encore, jusqu'à ce que je les puisse enlever, d'après une nouvelle dispo-
sition du ministre.
Cette lettre prouve deux choses : qu'un arrêté ministériel, rendu
probablement sur la demande des conservateurs de la Bibliothèque
nationale avait accordé la remise de certains objets , autres que des
inscriptions grecques et latines ; mais que le Musée des arts , prenant
les devants, avait, sans façon, mis la main sur ce qui était destiné
à l'autre établissement. Millin, ne voulant pas établir une lutte
difticile, peut-être inégale, accepte les faits accomplis, et se borne
à réclamer les deux inscriptions de Nointel. On croirait qu'il dut
être fait droit à une si juste réclamation. Point du tout. Elles
restèrent au Musée des monuments français , par l'effet d'une rési-
stance qui, dans notre temps de ponctualité administrative, paraîtra
fort extraordinaire; c'est plus tard quelles furent transportées au
Musée du Louvre.
En effet, je trouve, à la date du 7 frimaire an ix, trois jours
seulement après la lettre de Millin , un inventaire des objets d'anti-
quités remis par Lenoir à Capperonnier , administrateur de la bi-
bliothèque nationale , sous le titre de : objets d'antiquités déposés au
Muséum des monuments français , et remis par le citoyen Lenoir au
conservateur Capperonnier. C'est le premier et le seul inventaire de
ce genre que j'aie trouvé, et j'ai tout lieu de croire que le Cabinet
des Antiques n'a pas reçu du Musée des monuments français, d'autres
objets que ceux-là. Il ne contient que des bronzes égyptiens, étrus-
ques et grecs, terres cuites, ustensiles, etc., exprimés d'une manière
trop vague, pour que l'identité ne soit pas souvent difticile à con-
stater
472 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
On voit par cet inventaire , que la part du Cabinet des Antiques
fut assez large, et comprenait, aux termes de la lettre du 4 fri-
maire an iv, tout ce qui paraissait être du ressort des antiquités. On
remarquera pourtant, qu'il n'est pas parlé d'une seule inscription
dans le cours de l'inventaire. Ce n'est qu'après la rédaction qu'on
semble s'être ravisé : car, au-dessous de la barre qui le termine,
et d'une autre main , on lit cette addition : Inscriptions grecques en
marbre. Deux grandes inscriptions à colonnes ; deux petites , dont
une mutilée. Nous retrouvons ici les quatre inscriptions qua men-
tionne l'inventaire de l'Académie (plus haut, p. 467), quant aux
deux grandes inscriptions à colonnes , elles ne peuvent être que celles
de Nointel. Car cette désignation ne saurait convenir à aucune autre
du Musée ou du Cabinet des Antiques. Ainsi, on n'avait pas d'abord
songé à les y comprendre, mais on se ravisa; et il est permis de
croire que c'est grâces à la réclamation de Mi'llin qu'elles furent
ajoutées après coup. Au-dessous de l'addition, se lisent les deux
signatures de Lenoir et de Capperonnier, qui attestent que les objets
ci-dessus mentionnés ont été livrés par l'un et reçus par l'autre.
Qui ne croirait, d'après cela, que les inscriptions de Nointel,
reçues par Capperonnier, ont été transportées alors avec les autres
objets au Cabinet des Antiques? Cependant il est certain qu'elles n'y
ont jamais été, et que Lenoir, par suite de ce même zèle pour l'an-
tiquité qui lui avait fait transporter dans son Musée la collection de
Nointel, parvint à retenir et ces inscriptions et d'autres objets
antiques. J'ai trouvé cette lettre, adressée à Lenoir par Chaptal,
ministre intérimaire de l'intérieur, le 23 frimaire de l'an ix, posté-
rieure de quinze jours à la rédaction de cet inventaire :
Il existe, citoyen , dans le Musée que vous dirigez, deux inscriptions grecques
sans bas-relief ni ornement, et qui , par cette raison , appartiennent spécialement à
l'étude de la paléographie.
J'ai arrêté que ces monuments seraient réunis au Cabinet des antiques de
la Bibliothèque nationale. Je vous invite, en conséquence, à vouloir bien les
remettre à la personne qui se présentera de la part de l'administration de cet
établissement.
Chaptal ignorait donc que ces inscriptions fussent déjà acquises
au Cabinet des Antiques , où elles auraient dû être déjà déposées aux
termes de l'acte signé des deux conservateurs !
Or, l'arrêté du ministre ne fut pas exécuté davantage. Les inscrip-
tions restèrent au Musée des monuments français. Elles y étaient
LETTRE A M. LENORMANT. 473
encore deux ans après; car dans la septième édition de sa Description
du musée des monuments français, qui a paru à la fin de 1802,
A. Lenoir décrit comme appartenante ce Musée, non- seulement les
deux inscriptions de Nointel, dont il donne même la copie ; mais douze
autres pièces, tant bas-reliefs antiques qu'inscriptions latines et
grecques, qu'il avait trouvé moyen de garder; et l'on voit, par le
texte même de son livre, qu'en dépit des prescriptions ministé-
rielles, il persistait à croire que son Musée devait avoir, pour
introduction, un certain nombre de monuments antiques (il), tant
grecs que gaulois.. C'est ainsi qu'un rapport, rédigé en ventôse de
Tan ni par Barthélémy et Millin, et écrit tout entier de la main du
premier, adressé à la commission d'instruction publique, contient la
demande expresse du monument relatif à la déesse Nehallénia. Un
arrêté de cette commission, en date du 24 ventôse an ni (18 fé-
vrier 1795)|, ordonne le transport de ce monument au Cabinet des
Antiques ; et une note, en marge de cette lettre, dit : « Déposé au
«Muséum des Antiques, ce 28 ventôse an in, signé Dulaure. »
Cependant le bas-relief de Nehallénia n'a jamais quitté le Musée
des monuments français, où il est resté jusqu'en 1815, qu'il fut
rendu à la Hollande.
Que Lenoir ait tenu à conserver ces monuments qu'il persistait à
croire du domaine de son Musée, on le conçoit; c'est une prétention
qui fait honneur à son zèle pour les intérêts de l'établissement qu'il
avait formé avec tant de peine ; mais qu'il ait pu la soutenir et ré-
sister si longtemps à ces injonctions réitérées , c'est ce qu'on a plus
de peine à comprendre.
Toutefois cette résistance opiniâtre devait enfin être vaincue par
une force à laquelle il était difficile de résister.
L'administration du Musée des arts fut changée. Le premier
consul remplaça le conservatoire par un Directeur unique ; le 6 floréal,
an xi (26 avril 1803), Denon fut nommé Directeur général du Musée
central des arts, contre l'avis de Chaptal, qui aurait bien voulu nom-
mer son fils à cette place, et l'avait même fait voyager en Italie pour
lui créer un droit. Mais le premier consul en ordonna autrement et
Chaptal fut obligé de céder. A. Lenoir fut informé de ce changement
par une 'lettre ministérielle , qui lui annonce que désormais il aura
un supérieur; ce qui lui plut assez médiocrement, comme on l'ap-
prend d'une note de sa main , où perce un peu d'humeur.
(Il) P. 79etsuiv.
m. 31
474 HEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Quoi qu'il en soit, le 24 messidor an xi ( 13 juillet 1803), trois
mois après sa nomination , Denon écrit cette lettre à Lenoir.
Je vous préviens , citoyen conservateur, que les places destinées dans le Musée
des Antiques aux deux inscriptions grecques où sont mentionnés les noms des
braves morts dans la guerre du Péloponnèse , sont prêts à les recevoir. Ces deux
monuments précieux ont été marqués par l'ancienne administration pour le
Musée et n'ont été laissés en dépôt dans votre établissement, que parce qu'ils ne
pouvaient être exposés aussitôt.
Je vous invite à les remettre aux charpentiers du Musée qui se présenteront
le 26 messidor pour les enlever.
Tout ce que j'ai dit plus haut montre que cette lettre contient une
allégation matériellement fausse. Les inscriptions de Nointel avaient
été marquées par l'ancienne administration, mais pour être déposées
au Musée du Cabinet des Antiques , et non pas au Musée du Louvre.
Denon ne pouvait l'ignorer, Lenoir encore moins, qui avait signé
l'inventaire. Ce fut là un pas rétrograde dans la voie sage qu'avait
tracée Benezech , aux directeurs des grandes collections. Depuis ,
ces empiétements mutuels n'ont fait qu'augmenter, au détriment
des collections publiques. La volonté de Denon fut donc accomplie. Il
était en mesure de se faire la part du lion.
Toutefois , le 26 messidor, jour fixé pour la cession tant reculée ,
se passa sans que Denon fût obéi. Il fut obligé de revenir encore
une fois à la charge. Le 11 thermidor, quinze jours après, Lenoir
reçoit une nouvelle injonction plus pressante; et le 17 du même
mois , il annonce enfin qu'il a fait transporter les deux inscriptions
de Nointel, « avec les encadrements de marbre, dont il avait orné ces
«monuments précieux (12). » Ils furent dès lors placées au Musée
du Louvre , avec les autres marbres antiques de Nointel , qui sont
décrits dans la septième édition du livre de Lenoir. Aucun d'eux
n'est parvenu au Cabinet des Antiques. Lenoir, ne pouvant s'habituer
à ne pas avoir d'antiques dans son Musée des monuments français, se
consola en conservant au moins les plâtres ( qu'il appelle des arché-
types) des objets qu'il avait été obligé de rendre; et il continue de
les décrire encore dans sa huitième édition (de 1806).
Cette dernière mesure mit fin à toutes les vicissitudes de la riche
collection de Nointel, léguée par Baudelot à l'Académie. La pos-
(12) Comme singularité, je remarque que, sur sa lettre du 11 thermidor, Denon
prend encore le titre de directeur du Musée central des arts ; et que Lenoir, en
lui répondant le 17 du même mois, lui donne le titre de directeur du Musée Napo-
léon. Est-ce donc, dans cet intervalle de six jours, que s'est faille changement
de titre?
LETTRE A M. LENORMANT. 475
sède-t-on entière, répartie entre le musée du Louvre et le Cabinet
des Antiques? J'en doute; du moins, je puis citer deux monuments
qui en faisaient partie, et qui ne se trouvent plus dans l'un ni dans
l'autre. Le premier est un petit bas- relief funéraire publié par
Caylus (13), avec l'inscription Au^ctç 'AvSpaou, xpw^i» x°"P£î l'autre
est un charmant bas-relief choragique , qui , porté du Louvre au
Musée des monuments français , fut ensuite donné à la citoyenne
Bonaparte. Il fut depuis déposé à la Malmaison, d'où il a passé dans
le cabinet Pourtalès (14) où il se trouve à présent. Il est donc fort à
craindre que d'autres pièces se soient également égarées en route ,
comme par exemple, les médailles, dont je perds entièrement la trace.
Telles sont, monsieur et cher confrère, les vicissitudes qu'a
subies la belle et précieuse collection que la France devait à l'un de
ses ambassadeurs les plus éclairés.
C'est dans une de ces vicissitudes que la belle tête de Phidias rap-
portée en France , fut portée à la Bibliothèque royale , à l'insu de
tout le monde , lorsqu'elle aurait dû être placée au Musée du Louvre.
Par compensation , les inscriptions de Nointel sont au Louvre, lors-
qu'elles seraient si bien placées au Cabinet des Antiques.
Mais à présent , il n'y a guère lieu d'espérer qu'un échange m-
telligent vienne réparer les effets de la précipitation, du caprice
ou du hasard.
Je serais heureux si ces recherches , en faisant sortir de l'obscurité
quelques notions curieuses, donnaient à votre belle conjecture l'appui
historique qui lui manquait. C'est le but principal que je me suis
proposé en écrivant cette lettre.
Quoi qu'il arrive, cette tête, après être restée inconnue, au
Louvre pendant soixante-dix ans, à la Bibliothèque royale pendant
un demi-siècle, va partager enfin, grâce à votre sagacité, la gloire
et l'éclat qui environnent les autres restes de la sculpture de Phidias.
Letronne.
(13) T. VI, pi. LXIV, 2.
(14) Publiés dans le Catalogue ds Pourtalès, p. 12 , n° 48.
LE CHATEAU DE LOCHES.
( INDRE-ET-LOIRE.)
La Touraine dont on a formé le département d'Indre-et-Loire , est
couverte de débris des monuments féodaux dont la dota le moyen
âge ; l'un des plus vastes, des plus imposants et des mieux conservés,
est sans contredit le château de Loches, qui offre encore beaucoup
d'intérêt, malgré son état d'abandon et de dégradation.
On prétend, sans preuves, qu'il existait une forteresse sur le même
emplacement dès le VIe siècle; ce n'est toutefois qu'au XIe que le
cap qu'occupe ce château, si bien protégé déjà par sa position, fut
enveloppé de tours et de courtines , qui le rendirent longtemps inex-
pugnable. Il reste encore , çà et là , quelques vestiges informes de la
triple muraille qui défendait l'accès d'un pareil nombre d'enceintes ;
la dernière était précédée d'un fossé que le temps n'a pas complète-
ment comblé, et où se répandaient au besoin les eaux de l'Indre.
Telle était l'importance du castra de Loches au moyen âge.
Les constructions qui couvrent encore la vaste esplanade qu'il oc-
cupe, eurent dans tous les temps une destination différente : les
unes furent élevées pour sa défense , les autres pour l'habitation ; au
centre est le noyau primitif de la cité, qui est dominé par l'église ci-
devant collégiale de Saint- Ours , monument remarquable de la pé-
riode romane , devenu la principale paroisse de Loches , depuis la
suppression de son chapitre en 1791 (l).
La première partie est la plus ancienne, elle servit de tout temps
à la défense de la place, jusqu'à ce que Louis XI en eût fait une pri-
son d'État, destination qu'elle a conservée jusqu'en 1789 ; elle a de-
puis été convertie en une maison de détention et est encore affectée
à cet usage.
Il est difficile de fixer la date à laquelle peut appartenir le beau
donjon , qui s'élève au milieu des ruines de cette partie du château.
La hauteur de ce polygone irrégulier est encore , malgré les outrages
(1) C'était un usage généralement adopté au moyen âge , d'ériger des collégiales
dans l'intérieur des châteaux» Amboise , Blois, Vendôme, eurent la leur; plus
loin , Melun , Pontoise , Provins. Nous pourrions en citer un grand nombre d'autres.
LE CHATEAU DE LOCHES.
477
du temps et des sièges qu'il eut à soutenir, de cent vingt pieds au-
dessus du sol; son intérieur, jadis pourvu d'appartements distribués
dans trois étages, dont l'inférieur seul était voûté, est aujourd'hui
entièrement nu et à jour. Nous ne savons s'il se terminait supérieu-
rement par une plate-forme , ou par une toiture à quatre pans aigus,
ou enfin par une galerie de mâchicoulis, surmontée de créneaux,
ainsi que cela se pratiquait alors. Ainsi ruinée, cette tour sert de
préau aux plus coupables des détenus, qui ne sauraient s'en évader,
ses murs n'ont pas moins de huit pieds d'épaisseur. On respire à
peine dans cet espace étroit, de soixante-seize pieds environ de l'est à
l'ouest, et de quarante-deux pieds du nord au sud. L'humidité y règne
même pendant la chaude saison , parce que les fenêtres ouvertes sur
toutes ses faces, sensiblement évasées à l'intérieur, n'offrent qu'une
ouverture extrêmement étroite à l'extérieur.
Plusieurs personnes attribuent la construction de ce remarquable
édifice à Foulques-Nerra , comte d'Anjou, qui vivait sous le roi Ro-
bert, et qui fut la terreur de la Touraine; d'autres à Geoffroy-Grise-
gonelle, son père, ainsi surnommé à cause de la couleur de la ca-
saque de grossière étoile qu'il était dans l'habitude de [porter. Cette
BISSON.SO.
tour, bâtie en moellons, est solidifiée par des contreforts, ornés de
demi-colonnes cylindriques; elle est si bien établie et si élégante dans
•478 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
son genre, malgré ses fenêtres irrégulièrement espacées, que Ton
serait tenté de ne la faire remonter qu'au XIIe siècle, époque à la-
quelle l'architecture militaire était plus perfectionnée; on peut au
reste en juger par le dessin exact que nous en donnons.
La féodalité n'a rien élevé de plus horrible que les cachots super-
posés qui existent dans une autre partie de cette masse de pierres.
Combien d'innocentes victimes ont coulé des jours de douleur dans
ces souterrains, privés d'air et de lumière, à côté de criminels d'État,
souvent plus insensés que coupables !
Notre cicérone nous y fit voir l'emplacement des oubliettes ou vade
in pace, creusées sous Louis XI , et que des règnes moins barbares
ont comblées. Il existait jadis dans ces mêmes cachots deux cages en
bois, garnies de fers, qui avaient chacune huit pieds carrés sur six de
hauteur. Ces instruments de la vengeance des nommes n'ont été dé-
LE CHATEAU DE LOCHES. 479
truits qu'en 1789. Le dessin d'autre part, de lune d'elles , est ex-
trait de l'un des portefeuilles du cabinet des estampes de la Biblio-
thèque royale , qui renferme les monuments d'Indre-et-Loire.
Parmi les plus célèbres personnages qui ont été détenus au châ-
teau de Loches, nous trouvons, en 1455, Jean, duc d'Alençon, l'un
des descendants de Charles de Valois, et cousin germain du roi
Charles VII (1). Il fut arrêté au milieu de Paris, sous l'accusation
d'intelligence avec les Anglais , par le comte de Dunois (2), qui en
avait reçu l'ordre , et subit son premier interrogatoire à Melun; il fut
de là transféré à Montargis , puis à Vendôme , où il fut condamné à
mort. Le roi commua cette peine capitale en une détention perpé-
tuelle , et c'est alors qu'il fut conduit au château de Loches , d'où il
sortit lors de l'avènement de Louis XI au trône. Il avait conspiré
pour ce prince contre lequel il dirigea de nouvelles intrigues lorsque
la liberté lui eut été rendue : condamné de nouveau à la détention ,
ce fut encore le château de Loches qui le reçut ; il obtint encore son
pardon dans la suite. Ainsi, deux fois sur le point d'expier par sa
mort ses trahisons, et deux fois pardonné, il finit par mourir tran-
quillement dans son lit, de la mort des justes et des sages (1476).
Sous le même règne, nous y trouvons (1477) Jean, comte de
Roucy, militaire distingué, qui suivit Dunois à la reddition de la
Guyenne, et prit part à la bataille de Fronsac , où il fut fait cheva-
lier (3). On cite encore, Pierre de Brézé, deuxième du nom, grand
sénéchal d'Anjou , de Poitou et de Normandie.
Il n'est pas constant, ainsi que quelques auteurs l'ont avancé, que
ce soit à Loches que Louis XI ait fait enfermer pendant onze années ,
à la grande joie du peuple qui en fit des chansons, le cardinal de La
Balue, l'un de ses plus ingrats favoris. M. Bodin (4) dit qu'il eut le
château d'Angers pour prison. Cependant nous lisons ce passage dans
une pièce ayant pour titre : Extrait des comptes et dépenses de
Louis XI (5) : ce A Guion de Broc, escuier , seigneur de Var, maistre
ce d'hostel du roy nostre sire, la somme de soixante livres tournois ,
« que ledit seigneur, par sa cédule signée de sa main, donnée à Am-
(1) Ce fut le premier prince du sang qui fut condamné à mort par la cour des
Pairs.
(2) Fruit illégitime des amours de Louis d'Orléans ; l'un des héros de notre his-
toire, mort en 14G8 à l'âge de soixante-six ans. Il avait été créé duc de Longue-
ville , et fut le chef de cette maison qui finit par un imbécile.
(3) E. Dumont , Histoire de Commercy ( Meuse) , 1. 1 , p. 269.
• (4) Recherches sur l'Anjou et ses Monuments.
(5) Archives curieuses de l'histoire de France.
480 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« boise le onzième jour de février 1469 , lui a ordonné et fait bailler
« comptant ledit jour pour icelle estre par lui emploiée à faire faire
« une caige de fer au chasteau Douzain (l) , laquelle ledit seigneur
« a ordonné y estre faite pour la seureté et garde du cardinal d'An-
« giers. » C'est évidemment de La Balue dont il est ici question ; on
sait qu'il a été évoque de cette ville. Enfin , suivant l'auteur des Ta-
blettes chronologiques de la Touraine (2), il fut incarcéré au château
du Plessis-lès-Tours ; Chalmel ajoute plus loin (3) : « Le cardinal de
La Balue sort de sa prison de Loches, à la sollicitation du cardinal de
La Rovère, et se retire à Rome (1480). » Ces contradictions ne prou-
vent qu'une chose, c'est que ce prélat aura successivement eu ces
divers lieux pour prison.
Charles de Melan (4), capitaine du château d'Usson, en Auvergne,
fut décapité en la ville de Loches, pour avoir laissé évader le sei-
gneur d'Usson, que le roi lui avait donné en garde, et dont il répon-
dait sur sa tête (5).
On sait aussi que le jeune et bouillant Philippe de Bresse , duc de
Savoie , fut retenu deux années au château de Loches par Louis XI ,
à la suite des démêlés qu'il eut avec Anne de Chypre , sa mère. Le
roi, d'accord avec cette dernière, attira l'étourdi à Lyon, et l'ayant
mis sous bonne garde , il le fit conduire dans cette prison d'État , où
il le logea royalement pendant le temps que nons venons d'indiquer.
Philippe de la Clyte, plus connu sous le nom de Commines , qui
était celui du lieu de sa naissance, et qui a été surnommé le Tacite
français, a également eu ce château pour prison, parce qu'il avait
trempé dans les entreprises audacieuses du duc d'Orléans. Il y fut
enfermé dans une cage de fer , ainsi qu'il nous l'apprend dans ce pas-
sage de ses curieux Mémoires : «Plusieurs depuis l'ont maudit, et
« moy aussi , qui en ay tasté , sous le roy de présent, l'espace de huict
((mois. » Hélène de Montsoreau , sa femme, sollicita si vivement
(1) C'est Onzain. Ce château qui était d'une grande beauté et d'une grande anti-
quité , n'existe plus. Depuis La Balue, qui y fut détenu par ordre de Louis XI ,
Catherine de Médicis y fit enfermer le prince de Condé, chef du parti huguenot,
qui avait été fait prisonnier à la bataille de Dreux.
(2) J. L. Chalmel , p. 208.
(3) Tablettes chronologiques de la Touraine, p. 314.
(4) Il ne faut pas le confondre avec le chef de sa famille , des mêmes nom et pré-
nom , grand maître de France et gouverneur de Paris, qui fut décapité au Cbàtcau-
Gaillard, près les Andelys (Eure), dans le même temps (1468), par suite des
intrigues gouvernementales dans lesquelles il avait trempé avec La Balue , qui eut
le talent de sauver sa tète.
(5) J. Rouillard , Histoire de Melun, p. 575.
LE CHATEAU DE LOCHES. 481
qu'elle obtint son transfèrement à la Conciergerie du palais, à Paris,
pour y être jugé. Il comparut devant le parlement le 14 mars i488,
et cette cour le déclara atteint et convaincu d'intelligence suspecte ;
ordonna la confiscation du quart de ses biens, et le condamna à l'exil.
Il fut, par suite de cet arrêt, relégué dans une de ses terres de la
province de Flandre , et y subit tout d'abord cette peine dans toute
sa vigueur; mais Charles VIII le rappela au bout de quelques années
à sa cour, et le chargea de négociations importantes.
C'est une tradition populaire que Louis Sforce, duc de Milan, sur-
nommé le More, ayant été livré aux Français par les Suisses en 1500,
fut conduit par ordre de Louis XII au château de Loches. On y
montre le cachot où il fut enfermé, et où, à côté des tons verts et
rougeâtres produits par l'humidité des murailles , se voient encore
quelques restes de peintures , qu'on dit être les résultats de ses inter-
minables loisirs. Mais cette tradition est démentie par le récit de
plusieurs écrivains contemporains.
En 1512, Pierre de Navarre, l'un de ces hardis capitaines du
XVIe siècle , dont le nom seul valait une armée, est fait prisonnier
à la bataille de Ravennes et amené à Loches. Quelques années plus
tard (1524) , ce fut le tour de ce Jean de Poitiers , comte de Saint-
Vallier, qui avait si bien bravé la mort sur les champs de bataille, et
dont les cheveux blanchirent dans l'espace d'une seule nuit, à la pen-
sée de l'échafaud qui l'attendait.
Le maréchal Oudard de Biez , condamné à mort par arrêt du par-
lement de Paris du 3 août 1 552 , vit l'exécution de son jugement
suspendue, et sa peine commuée par le roi en une détention perpé-
tuelle dans le château de Loches; il finit par recouvrer sa liberté (l).
Enfin, après l'assassinat des Guise, au château de Blois, le duc
d'Eibeuf eut également ce même château pour prison (2).
Nous nommerons encore le marquis de Chandenier, l'aîné de la
maison de Rochechouart , qui vécut au château de Loches (1653) ,
du pain du roi , comme un criminel , et de ce que les bourgeois de
cette ville lui envoyaient à dîner et à souper dans une petite écuelle
qui chaque jour faisait le tour de la cité; cette dure captivité dura
plus de deux ans.
La seconde partie du château, appelée le Logis du roi, est occupée
de nos jours parla sous- préfecture et le tribunal civil de l'arrondis-
(i) J. L. Chalmel , Tablettes chronologiques de la Touraine, p. 243.
(2) Ibid., p. 261.
482 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sèment de Loches. Une portion de ces bâtiments a été élevée par
Charles VII , alors que les railleurs parisiens ne l'appelaient que le
roi de Bourges, parce qu'il ne possédait de son royaume, à cette
époque , que le Languedoc , le Poitou , le Berry et quelques places
fortes qui avaient refusé d'ouvrir leurs portes aux Anglais. C'est là
qu'Agnès lui dit : Sire, il m'a été prédit que je deviendrais la mat-
tresse du plus grand roi de V Europe ; permettez que je vous quitte pour
me rendre auprès du roi Henri d'Angleterre. Et le roi de France se
lève et s'arme. Sire, vient lui dire une autre jeune fille de dix-huit ans,
à Chinon , suivez-moi, je prendrai avec vous Orléans , et vous ferai
sacrer roi de France à Reims. Et, s'appuyant sur ces deux femmes,
Charles VII combat , triomphe et règne !
L'autre portion date du règne de Louis XII. Quelle finesse se re-
marque dans les sculptures qui l'ornent à l'extérieur. Ici , point de
ces lubricités qui désolent le regard, comme à Blois, sur la façade
additionnelle du château, élevée du temps de ce prince.
La tourelle au levant, qui est adhérente à cette partie du château,
est divisée en deux étages voûtés ; le supérieur renferme l'oratoire
discret et mignon d'Anne de Bretagne; ses parois, parsemées d'her-
mines, sont encadrées dans de riches dentelles de pierre; le tout est
fort endommagé ; on le doit à l'incurie des sous-préfets de Loches ,
qui ont longtemps fait de ce lieu d'oraisons le dortoir de leur posté-
rité. L'inférieur a reçu , en 1809 , le cénotaphe d'Agnès la Sorelle ou
Surelle (1 ) , qui occupait jadis le milieu du chœur de la collégiale
Saint-Ours, dont nous dirons bientôt un mot. Louis XVI, sur la
demande des chanoines, en permit le déplacement en 1777; il fut
alors transféré dans la nef, d'où la révolution le déplaça de nou-
veau f2). Par suite, il gisait oublié dans une des chapelles du monu-
ment, lorsque vint la pensée de le réédifier dans ce lieu. En voici le
dessin fidèle.
La statue de la mie par amour du sire roi Charles VII est d'al-
bâtre, et couchée sur une base cubique en marbre noir; ses pieds
(1) Elle naquit dans cette bonne Touraine ( au château de Fromenteau , voisin de
Loches), où le paysan parle encore notre vieux gaulois dans tout son charme, mol-
lement , lentement et avec un semblant de naïveté. La promptitude de sa mort,
arrivée au château du Mesnil , près Jumièges ( Seine- Inférieure) , en 1450, fit
penser qu'elle était le résultat du poison. Son corps rapporté à Loches , fut inhumé ,
suivant son désir dans la collégiale Saint-Ours.
(2) A cette époque , Amédée Pocholle , député à la Convention nationale , envoyé
en mission dans la Vendée, passa par Loches ; le premier il porta la main dans le
cercueil d'Agnès, et arracha une partie des cheveux dont sa tête était encore garnie.
LE CHATEAU DE LOCHES
483
sont appuyés sur deux agneaux, figures symboliques dont il serait
assurément difficile d'expliquer le sens ; ajoutons encore que les deux
anges agenouillés qui soutiennent l'oreiller sur lequel repose la tête
de madame de Beauté (1), et semblent épier son réveil, ont une atti-
tude toute céleste (2). On lit à la base de ce monument ces vers sin-
guliers et agréables tout à la fois :
Hac jacet in tumba raitis simplexque columba ,
Candidior cygnis, flamma rubicondior ignis;
Agnès pulchra nimis, terrae latitatur in imis.
Ut flores veris , faciès hujus mulieris.
Belaltaeque domum , nemus adstans Vincenarium
Rexit , et a specie nomen suscepit utrumque. . .
Alloquio mitis, corapescens scandala litis,
Ecclesiisque dabat, et egenos sponte foyebat, etc.
Cette espèce de caveau reçoit son jour par des vitraux coloriés qui
portent d'un côté les armes de France et de l'autre celles d'Agnès :
un sureau dor, par allusion à son nom. Il faut deviner l'existence de
ce tombeau ; on a dit avec raison que la popularité manquerait tou-
jours à un monument tenu sous clef.
L'ancienne église collégiale Saint-Ours, dont nous n'indiquerons
pas de nouveau la position, vient d'être soigneusement restaurée sous
la direction delà commission du ministère de l'intérieur, et par suite de
(i) Ce nom lui fut donné par Charles VII ; c'était celui que portait alors un déli-
cieux castel, bâti dans le bois de Vinccnnes , non loin de la Marne.
(2) Il est étonnant qu'on n'ait pas songé jusqu'ici à mouler ce beau monument,
pour figurer au Musée national de Versailles.
484 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'inspection de M. Mérimée. Cette belle et curieuse église est ac-
compagnée de deux collatéraux remarquablement étroits. La voûte
principale de ce temple est des plus singulières; elle offre quatre
dômes construits dans le même axe; et comme ces coupoles se répètent
extérieurement , elles laissent supposer que l'édifice est couronné par
quatre tours d'inégales dimensions, tandis qu'il n'y en a en réalité
que deux : l'une au frontispice, l'autre à l'abside. Une crypte fort
simple a été découverte en 1844, sous la chapelle latérale au midi ,
et a été rendue au culte parles soins de l'abbé Nogret, curé de la
paroisse.
On voyait jadis au grand portail de cette église la statue de Geoffroy-
Grisegonelle, son fondateur au Xe siècle, où elle avait pour pendant
celle de Foulques-Nerra , son fils (l). L'une et l'autre ont été renver-
sées en 1 704. Ce porche mutilé est encore orné de figures et de rin-
ceaux qui font vivement regretter ce qui a été brisé par le marteau
révolutionnaire.
T. Pinard.
(1) Ces comtes d'Anjou avaient obtenu de grands privilèges pour le doyen et les
chanoines qu'ils avaient établis à Saint-Ours.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— On avait trouvé il y a quelques années dans une propriété
située au pont de Metz, près Amiens, un priape dont M. Guenard
a fait don à la bibliothèque de la ville. Une nouvelle découverte ,
beaucoup plus considérable, et, comme on va en juger, bien plus
importante , vient d'avoir lieu dans le même endroit. En voici le détail :
1° Un petit vase cylindrique en terre noire ; 2° un vase de bronze,
en forme d'aiguière, dont l'anse est ornée à la naissance d'une tête
d'un beau style; l'ouverture est largement évasée en forme de
trèfle; 3° un anneau en or à onze facettes , sur lesquelles sont ces
lettres : v. campanilla; 4° une belle médaille d'or munie d'une
belière; d'un côté, on y voit le buste couronné de l'empereur
Probus, portant un javelot sur l'épaule droite. On lit autour cette
inscription : imp. probvs. avg. ; de l'autre côté, six soldats des
légions, tenant des enseignes, écoutent l'empereur monté sur une
estrade et accompagné d'un second personnage ; autour est l'inscrip-
tion suivante : adlocvtio. avg. ; on nous signale ce monument
comme un médaillon, ce que nous ne pouvons vérifier. Dans ce
cas, il serait inédit et fort précieux. Si c'est un aureus ordinaire, il
est encore assez rare , mais publié et bien connu. Il paraît que la
soudure de la belière recouvre deux caractères ; la lettre v de probvs
au droit, et la lettre a de avg. au revers; 5° un anneau en or,
composé d'un serpent qui se mord la queue ; une pierre fine, for-
mant collier, sépare la tête du corps ; 6° deux petites fioles en verre ;
7° un petit vase en verre, en forme de cuvette; 8° une belle paire
de boucles d'oreilles en or; des pierres fines de couleur rouge,
taillées en rosettes et en globes à côtes , leur donnent beaucoup
d'élégance.
Tous ces objets, dont l'époque se trouve fixée au milieu du
IIP siècle par la présence d'une médaille de Probus , ont été immé-
diatement acquis par M. Bouvier-Guenard , déjà possesseur d'objets
antiques d'une grande valeur et de curiosités remarquables. On
espère que cet antiquaire conservera ces nouveaux monuments dont
la découverte est intéressante pour l'histoire du département de la
Somme.
BIBLIOGRAPHIE
Rome au siècle d'Auguste , ou Voyage d'un Gaulois à Rome , à
V époque du règne d'Auguste et pendant une partie du règne de Ti-
bère , précédé dune Description de Rome aux époques d'Auguste et
de Tibère..., par M. Ch. Dezobry ; 4 vol in-8°, nouvelle édition,
revue, augmentée et ornée d'un grand plan et de vues de Rome
antique. (Les deux premiers volumes sont en vente. )
Quelques personnes condamneront peut-être cet ouvrage à la seule
lecture du titre, estimant que le temps des Voyages d'Anacharsis est
passé, et que la science de l'antiquité réclame une forme plus sévère,
plus rigoureusement vraie. On nous pardonnera d'être moins exi-
geant même dans cette Revue , et de croire que la science de l'anti-
quité peut s'adresser à d'autres qu'aux savants de profession, et, jus-
qu'à un certain point , se rendre populaire par l'intérêt habilement
mesuré d'une fiction dramatique. C'est dans cet esprit qu'a été conçu
le livre de M. Dezobry ; et le succès a prouvé que l'auteur avait bien
rempli sa tâche , unissant au charme d'une exposition piquante le
mérite d'une érudition très-solide (1). Nous ne voulons rien exagérer à
cet égard : les Lettres du Gaulois Camulogène n'ont pas l'élégance et
le sel des Lettres d'Anacharsis, même dans cette seconde édition, dont
le style est souvent corrigé avec bonheur. Peut-être l'histoire des
mœurs et des institutions romaines ne devra pas non plus à la cri-
tique de M. Dezobry un grand nombre de résultats importants ; mais
l'archéologie proprement dite s'enrichira par ses efforts d'acquisitions
précieuses. Dans l'intervalle de ses deux publications , M. Dezobry a
visité l'Italie ; il a observé la plupart des lieux où il place la scène de
ses petits drames ; il a formé avec d'habiles architectes des relations
qui, aujourd'hui, servent singulièrement au perfectionnement de son
travail. De là est sortie cette Description de Rome sous Auguste et
(,1) Il nous est tombé sous la main une traduction allemande de la première édi-
tion de ce livre , par M. Hell. C'est plutôt un nouvel ouvrage sur le même sujet. On
a supprimé , sans en rien dire, plusieurs lettres , toutes les notes, les tables , plu-
sieurs planches , et la Table générale , qui, à elle seule , forme un demi-volume.
Nous souhaitons fort que les critiques à"outre-Rhin n'aienLpas jugé l'original par ce
produit d'une spéculation mercantile.
BIBLIOGRAPHIE. 487
sous Tibère, morceau tout à fait neuf dans la présente édition, et qui
forme , en dehors du plan épistolaire de l'ouvrage , un manuel des
plus complets et des plus commodes pour l'étude de la ville éternelle
à cette époque de sa splendeur. Tout ce qu'une lecture attentive des
auteurs anciens ou les recueils épigraphiques renferment de docu-
ment sur chaque édifice de Rome y est classé , selon l'ordre des ré-
gions, avec une lucidité et une exactitude remarquables. Les frag-
ments du vieux plan en relief de Rome y sont tous insérés à leur
place , outre plusieurs figures fournies par les médailles. Les faits
surtout parlent dans ce recueil, où les conjectures sont rares et tou-
jours produites avec réserve. On peut ça et là penser autrement que
l'auteur sur tel ou tel monument; mais c'est l'auteur lui-même qui
nous offre les textes contraires à son opinion , comme ceux qui l'ap-
puient : par exemple, s'il soutient qu'il n'y eut jamais à Rome qu'une
tribune aux harangues , et que les rostrajulia n'étaient qu'une partie
antérieure du temple de Jules César, d'où l'on a pu , par accident ,
prononcer des discours dans certaines circonstances solennelles, nous
demeurons libres de penser autrement, en lisant dans la même page
ce témoignage de Suétone: Bifariam laudatus est Augustus pro œde
D. Julii a Tiberio, et pro rostris veteribus a Druso Tiberii filio ; et ces
lignes d'un plébiscite du temps d'Auguste : T. Quinctius Crispinus
cos. populum jure rogavit , populusque jure scivit in foro pro rostris
œdis Divi Julii. Une table alphabétique ( p. 198-206 ) rend d'ailleurs
très-facile la récherche des renseignements topographiques que le
lecteur désire en parcourant Rome à la suite du jeune Gaulois.
Les Lettres de Camulogène sont aussi, en général, d'une concision
instructive , et annotées avec une religion de consciense qui dépasse
Barthélémy. Les plus simples jugements, les plus innocentes plaisan-
teries , tout est traduit du grec et du latin. L'auteur ici n'a voulu
fournir que le cadre et comme le ciment. Quelques notes et explica-
tions supplémentaires rejetées à la fin exposent ses doutes sur les
points les plus obscurs, ou expriment les réserves de sa bonne foi
sur de petites libertés hasardées dans le texte, ou, enfin, expliquent
certains traits des mœurs romaines par des rapprochements avec nos
mœurs modernes. C'est là surtout qu'abondent les sujets de discus-
sion. M. Dezobry tout le premier nous provoque à la controverse.
Nous pourrions donc lui demander s'il n'hésite pas sur l'explication
qu'il nous donne de l'abréviation JR. jR. dans une inscription relative
au pomœrium (t. I, p. 483-484 ). M. Orelli ( Inscr. lat., n° 5011 )
en offre une beaucoup plus satisfaisante, qu'il appuie sur des exem-
488 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pies sans réplique. Nous doutons fort aussi que M. Dezobry ait raison
de traduire cavea par arcade, par laquelle on devait entrer dans un
théâtre ou un amphithéâtre. Que signifierait alors cette expression
de Senèque : Verba ad summam caveam spectantia , pour désigner les
mots qui s'adressent à la populace ( de Tranquill. animi, 11. Cf. Cic.
deSenect. 14. Suétone, Aag. 44)? On entend d'ordinaire par cavea
une ceinture de gradins , et on admet que les mots summa, média et
ima cavea marquent trois ceintures de gradins séparées Tune de
l'autre par une espèce de couloir , et divisées chacune en un certain
nombre de cuneL Pourquoi s'écarter de cette explication vulgaire?
Les artistes aussi trouveront ample matière à leurs observations dans
les plans et vues de Rome exécutés pour M. Dezobry, et, quelquefois
sous sa direction , par d'habiles collaborateurs. Nous devions nous
borner ici à signaler en peu de mots le caractère sérieux d'un ou-
vrage qui formera bientôt une véritable encyclopédie des antiquités
romaines, rédigée tout entière d'après les textes originaux et avec l'é-
tude directe des monuments.
E.
NOUVELLES PUBLICATIONS ARCHÉOLOGIQUES.
The Archaeological Journal , published under the direction of
the central committee of the archaeological institute of Great
Britain and Ireland , for the encouragement and prosecution of
researches into the arts and monuments of the early and middle
âges. N° 10, june 1846. London.
Monuments Anciens, recueillis en Belgique, par L. Haghe de
Tournai, in-f. Bruxelles, 1845.
Bulletin de la Société archéologique et historique du
Limousin, in-8°, t. I, 2e livraison, 15 juillet 1846. Limoges.
Nouveau programme d'un liturgiste, par Joseph Bard, in-4°,
de huit pages. Lyon , 1846.
SUR
LE GRAND AQUEDUC, PRÈS DE REYROUT.
(V. PI. 57. )
Les lecteurs de la Revue n'ont peut-être pas entièrement perdu le
souvenir d'une inscription de Deir-el-Kalaah, près de Beyrout, que
j'ai expliquée, dans la livraison de mai dernier (p. 78-83), et qui m'a
conduit, je ne dis pas à découvrir, mais à faire connaître l'existence
d'un monument dont aucun voyageur n'avait parlé.
On a vu que cette inscription , qui a dû se rapporter à une fon-
taine d'où l'eau sortait par la bouche d'un masque de Jupiter Am-
mon (p. 83 ), se termine par les mots wpoxéovxa ppo-co?? AGPOAPO-
MON u&op, leçon que j'avais tirée des lettres /GPOAPOMON,
qui se trouvaient dans une copie rapportée par M. Smith , au lieu
de IGPOAPOMON, que donnait la copie publiée dans le Corpus
inscriptionum. La leçon àepo'Spofxov me parut ne pouvoir exprimer
qu'une eau qui était venue par une voie aérienne, ou à travers les
airs (i), c'est-à-dire amenée par un aqueduc, élevé sur plusieurs
rangs d'arcades , comme le Pont du Gard ( p. 81 ). J'en avais conclu
qu'il a dû nécessairement exister en ce lieu un monument de ce
genre , quoique aucun voyageur n'en ait fait mention.
Enfin, on se souviendra peut-être encore que, plein de confiance
dans mon explication, je m'adressai à M. le colonel Gallier, qui, ayant
séjourné à Beyrout , en connaissait tous les environs. 11 me donna
l'assurance qu'il existait, bien réellement, près de Deir-el-Kalaah,
un aqueduc tel que je pouvais le désirer, formé de trois arcades su-
perposées , tout à fait analogue au Pont du Gard.
C'était la première nouvelle de l'existence d'un monument de cette
importance, dans une telle localité.
(1) L'obligation de faire brève la première de xspôopoy.o-f , de longue qu'elle est
ordinairement, ne peut arrêter dans une inscription du IIe ou IIIe siècle. La même
quantité se trouve dans le Pseudo-Pliocylide (v. 102) , qui doit être de ce temps j
et dans Grégoire de JVazianze (p. 99 , A). On a trouvé cette quantité jusque dans
Sophocle ( Eleclr., v. 8T ). Mais M. G. Hermann a écarté cet exemple , unique
dans un auteur de la belle époque, en lisant içépoto hty, au lieu de îw/aoi^î
*ip , leçon qui rendait brève la première de «>j>
III. 32
490 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Il ne me restait plus à désirer qu'une chose, c'était d'en posséder
une vue qui pût en donner au moins une idée approximative. Je
viens d'avoir cette satisfaction , et je puis la faire partager à nos lec-
teurs, grâce à la complaisance de M. Jules de Bertou, voyageur
connu par ses excursion^ en Syrie , et par .ses belles observations
sur le niveau comparé de la mer Morte et de la mer Rouge (l),
qu'il a le premier déterminé avec une grande exactitude, et par son
mémoire sur la ville de Tyr.
A son retour de Rome, M. de Bertou vint me voir; je l'inter-
rogeai sur Yàqaedac de Beyrout; il me dit le connaître parfaitement,
et avoir souvent chassé de ce côté; il m'en donna la description sui-
vante, qui revient à celle que m'avait donnée M. le colonel Callier:
« A deux heures environ , à l'est de Beyrout , dans la vallée où
coule le Nahr- Beyrout, ou plutôt le Nahr-el-Sazib, on rencontre un
fort bel aqueduc, qui m'a tout d'abord rappelé le fameux pont du
Gard.
« L'aqueduc syrien, désigné ici sous le nom àeKonoter-Sbdidy, ou
Kanater-Esbaïdie, a été construit en fort belles et fort grandes pierres,
et avait trois ordres d'arcades superposés; sa plus grande hauteur,
avant l'écroulement presque complet du troisième ordre, devait être
de cinquante mètres à peu près, et sa plus grande largeur , de cent
soixante à cent quatre-vingts mètres.
ce L'eau ne traverse plus la vallée sur son canal suspendu , mais
elle tombe encore en grande abondance sur la roue d'un moulin à
farine quelle fait marcher sans interruption , et entretient ainsi la
vie et le mouvement dans un endroit qui, sans elle, serait toute
fait désert.
ce Les belles cascades que cette nappe d'eau forme en tombant de
pierres en pierres , les mousses, les lichens et les autres végétations
qui croissent partout sur son passage, tout cela ajoute quelque chose
de souriant et de pittoresque qui contraste fortement avec l'aspect
imposant et sévère de cette grande ruine, et contribue à faire de cet
endroit le motif d'un tableau qui aurait été digne du pinceau d'un
Salvator Rosa. »
A l'appui de cette description, il m envoya de plus, non pas un
simple croquis, mais un superbe dessin, exécuté sur les lieux mômes,
par un artiste des plus distingués, M. Montfort , son compagnon de
(0 Callier, dani le Bulletin de la Société de Géographie, août 1838 , Hum-
boldt, Asie centrale, t. II, p. 32 1.
GRAND AQUEDUC , PRÈS DE BEYROUT. 491
voyage. C'est ce dessin , qu'avec ia permission de l'artiste , M. de
Bertou m'a permis de reproduire, et que l'éditeur de la Reçue,
n'épargnant rien pour donner à ce recueil tout l'intérêt dont il est
susceptible , a fait graver sur acier d'une manière digne du beau
dessin qui lui était confié.
Nos lecteurs seront frappés de la ressemblance de ce monument
avec le Pont du Gard (voir pi. 57). Il réunit de même deux collines
élevées, et il traverse le lit du Nahr-Beyrout , comme l'autre, le lit
du Gardon ; il a de même trois rangs d'arcades, et est construit en
grands matériaux superposés sans chaux ni ciment.
Ce grand monument , à présent acquis à l'histoire, serait encore
caché dans le portefeuille ou les notes inédites de nos voyageurs , si
un jambage oblique, au lieu d'un jambage droit, ne s'était pas ren-
contré dans une copie d'inscription.
Il est peu de traits plus indifférents , qui aient conduit à un ré-
sultat plus heureux.
Je tiens, en outre, de la tonte de M. de Bertou, un plan des
ruines antiques qui existent à Deir-el-Kalaah. Elles seront publiées
dans un prochain cahier, ainsi que plusieurs inscriptions recueillies
sur les lieux par le même voyageur. Ce sont des documents d'un assez
grand intérêt, qui seraient aussi restés dans le carton du voyageur,
sans l'heureux hasard qui m'a fourni une occasion de les connaître
et de les mettre au jour.
Lbtronne.
POLÉMON,
LE VOYAGEUR ARCHÉOLOGUE.
ESQUISSE DE L'ANTIQUITÉ (1),
III.
La Carie et les provinces les plus méridionales de la mer Egée ,
Rhodes , la Crète , la Syrie , n'étaient guère moins riches en monu-
ments et en souvenirs que les villes ioniennes ; mais de cette partie
du journal de notre voyageur il reste à peine deux lignes. Je ne vois
pas même sûrement qu'il ait été en Egypte. Comment croire pour-
tant, s'il ne fut point élevé à Alexandrie , qu'il n'ait pas du moins
visité l'école où brillaient alors tant de personnages célèbres : Hip-
parque, Ératosthène dans les sciences; Aristophane dans l'érudi-
tion, Apollonius et Nicandre dans la poésie? Alexandrie d'ailleurs
était sur la route de Carthage, où nous le verrons tout à l'heure.
Entre ces deux villes, Cyrène offrait un repos utile avec une ample
collection d'oeuvres curieuses à observer pour un antiquaire. Au
reste, même à Alexandrie, la bibliothèque du Musée ne devait pas
seule retenir notre voyageur ; il aimait déchiffrer sur le marbre ou
l'airain les vieux textes de lois, les traités, les dédicaces, les épi—
taphes, et en Egypte le contact de deux civilisations donnait un
double intérêt aux monuments de ce genre; ils étaient souvent bi-
lingues ou même trilingues , comme la fameuse inscription de Ro-
sette , qui s'écrivait précisément vers cette époque. Qui nous dira
aujourd'hui si l'attention des touristes philologues allait jusqu'à re-
cueillir à côté des textes grecs les traductions hiéroglyphiques et dé-
motiques ; s'ils consultaient quelquefois le collège des interprètes sur
le secret de ces langues mystérieuses ? Pour ma part, j'en doute fort ;
telle était l'insouciance des Grecs pour les langues barbares, telle
était l'inclination des autres peuples à se faire grecs pour comprendre
Homère dans sa langue! Dans la foule d'écrits sur la grammaire
(1) Voir plus haut p. 446 et suiv.
POLEMOtf. 493
qu'ont produits les écoles grecques, je n'en vois qu'un seul qui semble
attester quelque souci de cette comparaison entre les idiomes, devenue
aujourd'hui une branche nouvelle et féconde des connaissances hu-
maines , c'est le traité de Didyme sur la langue des Romains, dont il
reste quelques fragments; mais le latin avait pris, grâce à la con-
quête romaine , une si grande importance dans le monde qu'il fallait
bien se relâcher un peu à son égard du dédain où l'on enveloppait
tous les autres idiomes étrangers (l). D'ailleurs, chose remarquable
et peu remarquée dans l'antiquité comme de nos jours, ce n'est pas
d'ordinaire par les savants que se développe cette connaissance des
langues : les relations du commerce en font naître le premier besoin.
Les grammairiens ne viennent que bien longtemps après les inter-
prètes. Ceux-ci sont constitués en Egypte dès le VIIe siècle avant
notre ère , on en retrouve plus tard sur toutes les frontières grecques,
ou romaines , dans tous les comptoirs où s'échangeaient les marchan-
dises de l'Europe , de l'Asie et de l'Afrique ; on cite même une ville
de la Colchide, où cent trente interprètes desservaient le commerce
romain avec soixante-dix , ou selon d'autres , trois cents nations de
l'Orient. En Italie, où le latin s'était formé de divers idiomes primitifs,
l'osque était familier à beaucoup de Romains ; l'étrusque était appris
par quelques jeunes citoyens comme langue des vieux rituels. Le
grec, plus tard, remplaça l'osque et l'étrusque, et les grammairiens
romains nous laissent voir quelque chose de l'heureuse influence que
ces études exerçaient naturellement sur le progrès des théories gram-
maticales. La traduction des livres hébreux, dès le temps des Ptolé-
mées en Egypte, celle des livres hébreux et chrétiens sous l'empire,
mettaient en contact des langues bien autrement diverses de génie.
C'était à renverser les petites théories des grammairiens occidentaux;
il n'en fut rien cependant; on n'apprit de l'hébreu que tout juste ce
qu'il en fallait pour le métier de traducteur. On n'y chercha pas de
quoi éclairer les procédés généraux de l'esprit humain dans la forma-
tion du langage ; cette insouciance devait durer jusqu'à la renais-
sance des lettres (2).
Si Polémon ne savait rien des idiomes nationaux de l'Egypte ,
sans doute il ne savait pas mieux le phénicien ou le numide de Car-
Ci ) « Opéra data est, * dit noblement saint Augustin fde Civilale Dei, XIX, 7),
« ut imperiosa civitas non solum jugum, verum eliam linguarn suam domitis gcn-
« tibus et per pacem sociatis imponeret. »
(2) Tous les textes relatifs à la connaissance des langues étrangères chez les an-
ciens sont réunis dans une dissertation intéressante de M. J. F. Cramer sur ce sujet.
Stralsund, 1844, in-4.
494 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
»
thage; heureusement cette ville lui réservait d'autres sujets d'études
que les livres de Magon sur l'agriculture et les autres richesses des
bibliothèques que les Romains distribuèrent, quelques années après ,
aux petits rois de V Afrique (1). L'autre partie du butin de Carthage ,
les objets d'art , les offrandes de tout genre ornaient encore la puis-
sante cité dans l'intervalle des deux dernières guerres puniques ;
c'étaient rarement des œuvres d'artistes carthaginois , presque tou-
jours des statues ou des peintures enlevées aux villes grecques. Sci-
pion Émilien, après sa victoire, convia les Siciliens et les Italiens à
venir reprendre ce qui avait pu échapper aux flammes. Himère y re-
trouva sa statue personnifiée sous les traits d'une femme , et celle du
poëte Stésichore ; Ségeste sa Diane ; Agrigente le fameux taureau de
Phalaris. « La destinée de ces admirables statues de la Sicile, dit un
savant archéologue, est tout à fait singulière. Transportées de Sicile
à Carthage par la victoire, une autre victoire les rend à la Sicile ; le
pillard Verres les conduit à Rome , d'où un autre pillard, Genséric ,
les emporte et les ramène à Carthage, d'où elles avaient été enle-
vées six siècles auparavant » (2).
La seule note qui nous reste des observations de Polémon, à Car-
thage, prouve à quelles minuties descendait sa curiosité; il avait
consacré un chapitre, peut-être tout un livre auipeplus, c'est-à-
dire à ces longs voiles ou manteaux dont les Grecs, dès le temps
d'Homère, décoraient souvent les statues de leurs divinités. L'un de
ces péplus orné de figures en broderie qu Aristote a brièvement dé-
peintes, était l'ouvrage d'un artiste de Sybaris. Celui-ci l'exposa dans
le temple de Junon Lacinienne, dont la fête réunissait tous les habi-
tants de l'Italie. Là , Denys l'Ancien s'en empara un jour et le vendit
aux Carthaginois pour le prix énorme de cent vingt talents. On
ignore si les Romains restituèrent à la déesse ce précieux tissu.
Ainsi Polémon ne s'est pas seulement occupé des peintres et des
statuaires : les artistes de tout genre obtenaient quelque mention
dans son journal ; et en chaque genre les plus humbles comme les
plus illustres apparemment; car ceux que nous trouvons nommés
dans ses fragments sont tout à fait inconnus ; mais rien n'est petit
pour les amateurs d'antiquités.
En Sicile, où nous pouvons sans invraisemblance le faire aborder
après son excursion dans la capitale des Carthaginois, Polémon re-
trouvait bien des souvenirs de Carthage et de ses conquêtes, mais
(1) Pline, HiU. naL, XVIII, 5 , p. 204 , éd. Sillig.
(î) Dureau de La Malle, Recherches sur la Topogr, de Carthage, p. 99 , 100,
POLÉMON. 495
encore plus de fables et de monuments grecs. Ici encore j'admire la
profondeur et la variété de son érudition , qui s'étend depuis la plus
ancienne histoire des villes et la description des lieux célèbres jus-
qu'aux petites superstitions locales. Pourquoi ne pouvons-nous lire
aujourd'hui de sa relation pittoresque qu'une page sur les dieux
Pcilich Pourquoi faut-il que nous ne sachions plus comment Polé-
mon retrouvait, dans la patrie même de Théocrite , les origines du
poëme bucolique , et ce qu'il pensait des traditions relatives au si-
cilien Daphnis; on aimerait aussi à le suivre au tombeau d'Ar-
chimède, à lire avec lui l'inscription alors récente, qu'un siècle et
demi plus tard Cicéron y recherchait avec peine, sous les broussailles.
Rome alors occupait déjà Syracuse, mais Archimède n'y était pas
encore oublié.
Rome, toujours Rome. Ce nom fatal que, dès son enfance, Polé-
mon devait entendre prononcer avec terreur, ce nom le poursuit
partout, à Téos, à Alexandrie, à Carthage, en Sicile. Le voilà près du
centre de la puissance romaine ; s'y laissera-t-il attirer par cet invin-
cible charme qui nous entraine au spectacle des grandes choses ,
même quand ces grandes choses sont pour nous un reproche , une
humiliation? Quelques traits de ses ouvrages le montrent si bien
instruit des fables du Latium, qu'il faut croire du moins qu'il séjourna
beaucoup en Italie. C'est le temps où y vieillissaient, comme otages,
mille Achéens et parmi eux Polybe, que Polémon avait déjà pu voir,
dans Alexandrie, à la cour du roi Ptolémée Épiphane. Voilà pour
notre archéologue un digne introducteur auprès des Scipions; mais
aussi le vieux Caton est là avec sa haine contre les Grecs et contre
leur langue qu'il n'a pas encore apprise. Pour lui tous ces hommes
sont des brigands et des empoisonneurs (l). Il paraît peu sensible au
service que leur érudition veut rendre à Rome en décorant son ber-
ceau des glorieuses fables de Troie. Polémon fera bien de descendre
vers la grande Grèce à Rhegium, à Sybaris , à Tarente, à Héraclée,
il y trouvera une hospitalité plus sûre. Ces cités sont demeurées
toutes grecques, avec la permission de leurs vainqueurs; elles rédi-
gent en grec leurs actes publics , elles adorent leurs héros fondateurs,
qui sont quelquefois des capitaines d'Agamemnon. Arrivé en Mes-
sapie, Polémon n'a plus qu'à traverser un étroit bras de mer, le voici
à Ithaque dans le royaume d'Ulysse ; encore quelques heures et il
(1) \oy. surtout les curieuses paroles citées par Pline, Hist. nat., XXIX, 7. Cf.
Van Bolhuis, Diatribe litt. in M. P. Calonis Censorii quœ supersunt scripta
(t fragmenta, p. 194.
406 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
touchera la côte d'Épire ; c'est l'un des plus vénérables lieux de la
Grèce, celui peut-être où parurent les premiers Hellènes. L'oracle
de Dodone est un de ceux d'où partirent dès la plus haute antiquité
ces voix mystérieuses qui lançaient les peuples helléniques sur les
pays ouverts à leur génie civilisateur. Mais à Dodone comme à Car-
thage c'est nous qui cherchons les secrets de l'histoire ; Polémon tout
simplement observe et recueille des faits.
Voici, par exemple, une œuvre dart assez étrange qu'il a ainsi
décrite sans emphase : « Il y a , dit-il , à Dodone (dans le temple de
Jupiter) deux colonnes voisines et de même hauteur; sur l'une des
deux est un vase d'airain à peu près de la dimension de nos chau-
drons, sur l'autre une statue d'enfant tenant un fouet à la main
droite; c'est à la droite de cet enfant qu'est située la seconde colonne.
Quand le vent souffle, les lanières du fouet, qui sont cependant en
métal, sont soulevées comme des lanières en cuir, et vont frapper le
vase ; cela dure tant que le vent souffle. » Cette œuvre était une of-
frandes de Corcyréens. Du temps de Strabon , soit qu'on l'eût en effet
changée en quelque partie, soit que l'imagination du narrateur ait
augmenté le fait de quelques accessoires fabuleux , il n'est plus
question de deux colonnes. La statue repose sur le vase même (ap-
paremment renversé); le fouet qu'elle porte se compose de trois
chaînes de métal terminées par un bouton et un osselet, et la durée
du son est telle que l'on peut avant qu'il cesse compter jusqu'au
nombre quatre cents. De là est venu le proverbe : C'est un fouet de
Corcyre, pour désigner les gens babillards. Trois siècles plus tard la
tradition s'est encore altérée. Des Pères de l'Église font de l'offrande
des Corcyréens une machine sacrée dont les sons inspiraient la pro-
phétessede Dodone. On se souvenait vaguement alors que jadis, dans
le même temple , des cloches disposées d'une certaine façon ser-
vaient au charlatanisme des prêtres pour rendre au peuple de pré-
tendus oracles. Des deux récits confondus s'est formé le troisième
qui les défigure également l'un et l'autre. C'est ainsi que souvent les
chefs-d'œuvre de l'art deviennent peu à peu des merveilles, ou pour
mieux dire des miracles. Nous ne savons pas assez aujourd'hui com-
bien l'histoire des temps primitifs est pleine de ces métamorphoses.
Si au lieu de gagner par le continent Delphes, cet autre sanc-
tuaire des superstitions grecques , nous redescendons par mer dans
le Péloponèse , nous trouverons parmi les notes de notre voyageur,
certains traits de mœurs plus caractéristiques encore. Ce sont des
épigrarames comme celle-ci sur la ville d'Élis : « Élis boit et ment;
POLÉMON. 497
ainsi fait chacun dans sa maison, ainsi toute la ville ; » et cette autre,
probablement relative à quelque habitant d'Élis : « Au buveur Ar-
cadion , ses fils Dorcon et Charmyle ont élevé ce tombeau près du
chemin que tu vois. Le bonhomme est mort, ô passant, en buvant
tout pur en une large coupe. » On croira peut-être que de telles
plaisanteries couraient les almanachs poétiques du temps, mais ne
s'inscrivaient pas sur les monuments; ce serait une erreur. Les
marbres nous en ont conservé d'aussi étranges, et que la volonté
même du mort a souvent fait inscrire sur son tombeau. Ici c'est un
mari qui se plaint d'avoir été tué par l'amant de sa femme (le mo-
nument est à Paris , au Musée du Louvre ) ; là un élégant à bonnes
fortunes qui se vante de mourir regretté des belles ; ailleurs c'est un
épicurien qui traite de vaine chimère la croyance aux dieux. Mais
souvent aussi , il faut le dire, des pensées nobles et touchantes ont tra-
versé les siècles sur la pierre où une main obscure les avait gravées.
Au premier rang je citerai celle de l'immortalité de l'âme, qui se
renouvelle sous cent formes diverses ; puis ces pieuses formules, sur
la tombe d'un jeune homme de vingt ans : « Eutychus, jadis l'espoir
de ses parents, maintenant leur chagrin ; » sur celle d'un enfant de
trois ans : « Heureuse pierre qui renferme un tel trésor. » Un mari
compare en vers élégants les vertus de sa femme à celles de Pénélope;
une jeune esclave, une pauvre nourrice reçoivent des hommages qui
respirent la tendresse chrétienne. « Il n'y a qu'une belle chose en la vie,
dit un de ces païens dont nous parcourons les tombes, c'est la bien-
faisance. » J'aime encore mieux cela que l'emphase de Pline : « Deas
est juvare morlales, c'est être Dieu que secourir les hommes (1). »
Beaucoup d'humbles sépultures ne se distinguent que par la briè-
veté, par la recherche malheureuse ou par la barbarie du style; il
n'importe, qualités ou défauts, ce sont des traits dignes de l'obser-
vateur. « L'homme , dit un célèbre archéologue, ne croit pas mourir
tout entier, s'il laisse de lui-même quelque souvenir, et quand il ne
l'attend pas du témoignage de l'histoire ou des productions de son
génie , il veut au moins qu'un marbre annonce à la postérité quelque
édifice élevé par ses soins , quelque présent de sa munificence , ou
qu'une inscription gravée sur l'urne funéraire y fasse foi de son
existence passée (2). »
(1) Voir la A'ylloge de Welcker, nPS 8 , 14-16 , 56 , 59 , fiO , 75 , 1S6. Je ne parle
pas des épilaphes d'animaux , bien qu'on en ait d'assez nombreux exemples. Voy. le
même recueil , n° 102. — Ai-je besoin d'ajouter que ma traduction émousse triste-
ment, quelque effort que j'y mette, les traits de l'original?
(2) Lanzi , Saggio di lingua elrusca.
498 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
L'anthologie grecque contient plusieurs centaines de ces pièces
qui sans doute ne sont pas toutes des jeux d'esprit. Les successeurs
modernes de Polémon en ont recueilli un plus grand nombre encore
dans les cimetières de l'ancien monde. Ce n'est pas, à mon sens , la
moins intéressante partie de leurs recueils. Le testament des hommes
d'Etat est dans Thucydide et dans Tacite, mais le testament du
peuple est sur ces pierres (1) , non moins honorable pour l'antiquité
que bien des pages éloquentes de ses historiens (2).
Nous sommes bien près d'Olympie , ou plutôt puisqu'il n'y avait
point de ville de ce nom , nous sommes près du temple de Jupiter
Olympien , ce grand rendez-vous de toutes les vanités , de toutes les
ambitions de la Grèce. Polémon faisait l'histoire des jeux divers que
comprenait la solennité olympique ; il décrivait les merveilles des
arts déposés dans le temple et dans les édifices voisins. A Sicyone, il
visite une riche galerie de tableaux; c'était le moment favorable pour
étudier la peinture grecque, elle venait d'atteindre sous Alexandre et
ses successeurs le plus haut point de perfection, et les Romains peu
curieux de beaux-arts ne dépeuplaient pas encore les musées de
l'Orient pour enrichir leurs monuments publics ou leurs villas. En
sortant de Sicyone, Polémon pourra admirer à Corinthe les nombreuses
merveilles de l'art que bientôt après dévastèrent les soldats de Mem-
nius. J'ai hâte d'arriver à Athènes, mais je ne puis m'empècher
de transcrire auparavant, d'après la relation de notre antiquaire, cette
anecdote qui peint au naturel l'admirable enthousiasme des Grecs
pour les chefs-d'œuvre : « Alors florissait l'école de Sicyone, et on
(1) Je ne puis résister au plaisir de citer cette épitaphe dont un pauvre citoyen
de la Gaule romaine décorail la tombe de sa femme :
CVPITIAE FLORENTINAE
CONIVGI PIAE ET CASTAE
D IANVARIVS PRIMITIVVS M
MARITVS QVALEM PAVPER
TAS POTVIT MEMORIAM DEDI.
La simple beauté de ces deux dernières lignes ne peut être traduite.
(2) Sur ce point il y aurait à faire de curieuses comparaisons avec les monu-
ments modernes- L'histoire des morls a eu des vicissitudes intéressantes et tout à
fait dignes de trouver un historien. Qu'il me suffise de renvoyer ici à quelques ou-
vrages où l'on peut se faire une idée de notre épigraphie funéraire : l° Le Champ
du Repos ou Cimetière JMonl-Louis, par MM. Roger père et fils, 181G, 2 vol. in-8 ;
2° Recueil de tombeaux des quatre cimetières de Paris , par C. P. Arnaud, 181",
2 vol. in-8. L'ouvrage estdédié aux âmes sensibles; 3? Promenade aux cimetières
de Paris , par P. de S. A. 2e édition , 1 825 , in- 1 2 ; 4° Promenade aux sépultures
royales de Saint-Denis et aux Catacombes , par le même . 1826 , in- 12,
POLÉMON. 499
la regardait comme seule dépositaire des traditions du beau ; au point
que le grand Apelle , déjà célèbre , y vint et fréquenta pour un talent
(plus de cinq mille francs) les ateliers de ces artistes, moins pour
s'instruire que pour en partager la gloire. Aussi Aratus rendant la
liberté à la ville de Sicyone, lorsqu'il détruisit les portraits et les sta-
tues des tyrans , délibéra longtemps sur celui d'Aristratus le contem-
porain de Philippe ; le tyran y était représenté debout derrière un
char portant une Victoire. Toute l'école de Mélanthe avait travaillé è
cette œuvre. Apelle même y avait mis la main. Partagé entre son
admiration pour une si belle œuvre et sa haine contre les tyrans ,
Aratus finit par condamner le tableau. Alors le peintre Néalcès, qui
était de ses amis, intercéda avec des larmes. Aratus restait inflexible.
Néalcès s'écria qu'il était bon de faire la guerre aux tyrans , mais
non pas à leur cortège : « Laissons le char et la Victoire ; je me charge
« de faire sortir Aristratus du tableau ». Cette fois le terrible Aratus se
laissa vaincre ; Néalcès effaça la figure d'Aristratus , et peignit à la
place une palme (ou un palmier) n'osant faire plus à côté de telles
merveilles. On dit même que les pieds du tyran s'aperçoivent encore
derrière le char (l). » Ce n'est pas la seule fois que le fanatisme des
révolutions a fait main basse sur les monuments des arts. Le moyen
Age et la réforme ont eu leurs iconoclastes, et le temps n'est pas seul
coupable de la destruction de nombreux chefs-d'œuvre.
IV.
À mesure qu'on approche de l'Attique et de sa capitale , les mo-
numents se pressent sur la route, soit que de Mégare on gagne
Eleusis , soit qu'on passe à Salamine pour se rendre par mer de Sala-
mine au Pirée. Il paraît que Polémon suivit de préférence le premier
de ces deux chemins, puisqu'il avait écrit un livre entier sur la seule
voie sacrée par où se rendaient d'Athènes à Eleusis les processions en
l'honneur de Cérès. Malheureusement il ne reste de ce livre que le
titre, et une perte aussi regrettable est mal compensée par les deux
maigres chapitres que Pausanias consacre au même sujet. Entrons
dans Athènes. C'est le musée national de la Grèce ; chaque page de
son histoire revit en traits immortels ici sur les murs d'un portique
ou d'un temple, là, sur un tombeau, à la citadelle, au Pirée, dans les
(1) Plutarque , Vie d' Aratus , c. 13. II ne cite Polémon que pour une circon-
stance particulière de cette petite histoire , mais il est évident qu'il lut emprunte
davantage.
600 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
bibliothèques, par la main des Sophocle, des Thucydide, des Praxi-
tèle , et des Parrhasius. Strabon (1) nous dépeint l'enthousiasme et
aussi l'embarras d'un historien, esprit médiocre d'ailleurs, en pré-
sence de cet éblouissant panorama. Ne sachant par où commencer,
par où finir, Hégesias (c'est l'historien dont il nous parle) se borna
à décrire un seul des monuments qui se voyaient dans la citadelle.
Mais Polémon n'était pas un historien occupé à faire des harangues
pour Miltiade ou Périclès , à creuser les grands secrets de la politique
d'Athènes et de Lacédémone ; c'était un archéologue, il avait tout son
temps à lui pour se promener et prendre des notes; aussi écrivait-il,
dans sa relation, quatre livres sur les offrandes consacrées dans ï Acro-
pole, un , sur les héros qui ont donné leur nom aux tribus et aux bourgs
de VÂttique; un, enfin, sur les peintures des Propylées,
Les offrandes déposées dans le temple de Minerve étaient de tout
genre , de tout prix , et de dates fort diverses. C'étaient tantôt des
hommages volontaires , tantôt des curiosités prises parmi le butin
que rapportaient de leurs guerres les armées athéniennes. On en
dressait annuellement l'inventaire , que les gardiens du temple se
transmettaient avec les clefs du trésor. On pourra lire dans le recueil
de Bœckh d'assez longs fragments de ces inventaires où quelques
noms historiques se distinguent dans la foule des donateurs obscurs.
C'est par exemple le nom de la femme ou de la fille de Cimon, celui
de Lysandre dans un inventaire postérieur de cinq ans à la prise
d'Athènes par le général lacédémonien (2). Ainsi celui qui écrivait
fièrement en trois mots à ses concitoyens : Athènes est prise, quelques
jours peut-être après avoir fait raser les murailles d'Athènes et brûler
ses vaisseaux au son de la flûte, venait s'incliner devant la déesse
protectrice du peuple vaincu, et il signait de son nom l'humble of-
frande d'une petite couronne d'or ; ce trait-là manque aux récits de
Xénophon et de Plutarque.
Les trésors de quelques églises chrétiennes se peuvent seuls com-
parer à ces riches collections déposées dans l'Acropole d'Athènes ,
dans le temple d'Apollon Pythien à Delphes , dans celui d'Apollon
Didyméen à Milet. De tant d'objets , bien peu sont parvenus jusqu'à
nous, bien peu surtout de ceux que la matière rendait doublement
précieux. On sait qu'il faut fabriquer en airain les statues, les mon-
(1) Ce passage du célèbre géographe est malheureusement fort mutilé.
{2) Bœckh , n. 160. Franz, n. 68. Inscription qui conflrme la restitution proposée
pour le nom du père de Lysandre dans le texte de Plutarque. Lysandr.,c, 7,
p. 325, éd.Sintenis.
POLÊMON. 501
naies , les ustensiles , où l'on veut que la beauté du travail soit long-
temps respectée; quelquefois le bronze même n'a pas aussi bien pro-
tégé que la pierre les inscriptions qu'on lui confiait. Si nos musées
comptent aujourd'hui à peine un texte sur bronze contre cent textes
sur pierre, cela ne tient pas seulement à la cherté relative de ces
deux substances chez les anciens , cela tient encore à ce que l'on
trouva plus facilement des pierres neuves (l) pour construire , que
du métal pour fabriquer des armes ou des instruments d'agriculture.
La conquête romaine commença le ravage dans les trésors des tem-
ples grecs. Polémon arrivait à temps pour jouir encore des richesses
qui allaient bientôt être dispersées. Titus Flamininus, Manius Aci-
lius, Paul Emile, chassant de la Grèce Antiochus ou ruinant les
rois de Macédoine , s'abstinrent de violer les lieux sacrés : ils com-
mandaient encore à des soldats bien disciplinés. Mais lorsque la cor-
ruption eut relâché les liens de cette vieille discipline qui avait fait
tant de miracles, les généraux, trop souvent, n'achetèrent que par de
honteux sacrifices l'obéissance de leurs armées. Sylla fut , le croirait-
on si l'aveu ne s'en lisait dans Plutarque (2)? un des premiers qui
subirent cette nécessité. Après la prise d'Athènes, manquant de res-
sources pour continuer la guerre , il fit argent des opulentes of-
frandes arrachées aux sanctuaires des dieux d'Epidaure et d'Olympie.
Il écrivit même aux amphictyons de Delphes que les trésors d'Apol-
lon seraient mieux dans son camp ; en effet , ou Apollon n'en aurait
pas besoin , et alors personne mieux que lui n'était capable de les
garder; ou il s'en servirait, mais alors c'était pour les rendre avec
usure. Deux Grecs, amis de Sylla, vinrent bientôt appuyer de leur
présence ces paroles hautaines ; on leur raconta, comme un prodige
menaçant, qu'on avait entendu la lyre du dieu résonner d'elle-même
au fond du sanctuaire ; l'un des honnêtes députés crut devoir en
référer à Sylla qui répondit en badinant : « Eh ! ne voyez-vous pas
que le dieu abandonne gaiement ce que je lui démande? » Nous
sommes loin du temps où le Dorien , vainqueur de la métropole de
l'Ionie, laissait à Minerve un témoignage de respect et, pour ainsi
dire, de réconciliation. Quelque chose de fraternel tempère les inimi-
tiés d'Athènes et de Lacédémone : on voit que vainqueurset vaincus ado-
(1) 11 est vrai pourtant que l'industrie exercée, chez nous, par la bande noire ,
n'était pas inconnue à l'antiquité, comme le témoignent explicitement deux in-
scriptions latines du temps de l'empire , dont l'une ne renferme rien moins qu'un
sénatus-consulte sur ce sujet. Voy. Orelli, n. 3115. Cf. 3316.
(2) Plutarque , Vie de Sylla,
502 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mit les mêmes dieux ; mais quel autre dieu que leur ambition adorent
donc ces Romains qui promènent avec une si impitoyable énergie
sur le front des peuples un niveau de servitude ? Et pourtant ce
Sylla , en ses jours de bataille , portait sur lui, comme notre Louis XI,
des reliques et des amulettes !
Toutefois les Romains ne détruisaient pas pour le plaisir de dé-
truire ; ils ne pillaient les temples que pour .payer les frais de la
guerre ; ils ne brisaient les constitutions nationales que si elles répu-
gnaient absolument aux convenances du nouveau gouvernement; en
tout cas ils laissaient volontiers subsister les monuments législatifs
qui rappelaient dans leurs anciennes vicissitudes des libertés abolies;
il faut que ces monuments fussent bien nombreux, à Athènes surtout,
pour qu'après tant de ravages de la barbarie on les retrouve encore
par centaines , souvent mutilés, il est vrai, mais encore assez riches
pour doubler presque nos connaissances sur l'histoire ancienne de
la Grèce.
Je ne finirais pas si je voulais relever seulement les plus remar-
quables des pièces officielles qui se disputent ici l'attention de notre
archéologue. On gravait alors sur le marbre tout ce qu'on imprime
aujourd'hui dans le Bulletin des lois, dans les Almanachs royaux, dans
les Annuaires, dans le Moniteur enfin; c'étaient les décrets du sénat
et du peuple , les comptes de finance, les listes de soldats morts pour
la défense d'Athènes , les procès- verbaux d'installation , de concours
dramatiques. Nous avons quelques fragments à peine déchiffrables
des registres de la comédie athénienne ; j'aimerais en voir une copie
sous le vestibule du Théâtre français ; nous avons une liste de dé-
penses pour la construction du temple de Minerve Poliade , morceau
qui a besoin d'être commenté par les architectes autant que par les
philologues; un compte pareil pour la dépense des murailles d'Athènes ;
une liste des tributs que payaient aux Athéniens leurs prétendus
alliés ( il y a là tel nom de peuple qui ne se retrouve nulle part ail-
leurs sur les monuments , ni dans les livres , et qui ne figure ainsi
dans l'histoire que par un stigmate de servitude); un traité d'al-
liance et d'amitié avec Denys le fameux tyran de Syracuse. Mais au
milieu de ces richesses, il faut choisir, et je choisirai celles que me
signalent les fragments du voyage de Polémon , je veux dire les lois
de Solon et les règlements relatifs aux parasites.
On écrivait peu du temps de Solon , parce qu'on manquait de ma-
tière commode pour écrire. Les lois alors étaient donc en petit nombre
et fort concises. Solon avait fait graver les siennes sur des pièces de
POLÉMON. 503
bois carrées , selon les uns , triangulaires , selon les autres ( axones
oucyrbis), Polémon les lut dans le Prytanée. Mais, comme on le
pense bien, ce n'étaient pas les seuls exemplaires de ces lois. Outre
que le temps avait dû agir sur la matière de ces pièces de bois , l'al-
phabet et le dialecte attiques avaient changé à tel point, surtout vers
l'époque de Périclès, que les vieux textes devaient être fort difficiles à
lire. Chez nous ce qui s'imprime, se réimprime, quand les exemplaires
d'une première édition sont devenus trop rares ou d'une lecture in-
commode. A Athènes , en pareil cas , on regravaii les lois et autres
actes, sans parler des copies qui se répandaient dans les livres quand
on eut des livres; et c'est une chose curieuse combien souvent ces
transcriptions se renouvelaient, dans la mobilité perpétuelle de la
législation. A Athènes on ignorait l'art que les Romains, et à leur
exemple les modernes ont poussé si loin , de coordonner et de conci-
lier les vieilles lois dans un ensemble approprié aux mœurs nou-
velles, en un mot l'art de codifier. Aussi on était sans cesse forcé de
reproduire sous leur forme primitive, ou avec les seuls changements
nécessités par le progrès de la langue, une foule de lois à demi abrogées
par l'oubli, plutôt que par des lois contraires. Tout simple qu'il pa*-
raisse , ce travail ne se faisait pas quelquefois sans d'étranges infidé-
lités au texte original, comme nous le voyons dans un curieux plaidoyer
de Lysias contre un citoyen accusé à ce chef (1). La sévère rigueur
de nos procédés d'impression rendrait aujourd'hui impossibles de pa-
reils désordres. Tant de nouvelles causes de procès sont dues aux
progrès mêmes de la civilisation, qu'on est heureux de reconnaître que
celle-là du moins a disparu.
Pour revenir aux lois de Solon , dont la sagesse profonde pour le
temps où elles parurent, contrastait avec le style bref et naïf du légis-
lateur, il en est une surtout qu'un Grec ne devait pas relire sans
tristesse au temps de Polémon : c'est celle qui déclarait infâme le
citoyen coupable d'être resté neutre dans une sédition. Tout l'esprit
des républiques anciennes est dans ces deux lignes. La neutralité,
c'est le calcul des intérêts privés au milieu des troubles publics , c'est
la mort d'un État populaire -, Solon avait résumé d'avance le génie des
trois siècles où la gloire d'Athènes se répandit si loin et s'éleva si
(1) Voy. Weijers, Diatribe in LysitB orationem in Nicomachum, Leyde, 1839,
in-8., surtout p. 43-60. Nous possédons quelques exemples d'inscriptions recopiées.
Bœckh , n. 1050 (le monument est à Paris , à la Bibliothèque royale, vestibule qui
mène à l'escalier de la salle de lecture, mur de droite], 1051 et 2655. Orêlli ,
n. 4409. Cf. J. V. Le Clerc, des Journaux chex les Romains , p. 77 et suiy.
504 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
haut; il excitait cette noble émulation qui arme tous les citoyens
pour la défense commune , à la tribune , devant les tribunaux ; il
préparait de loin cette école de grands orateurs couronnée par le
nom de Démosthène. Aucune démocratie ne fut pUis vivace que celle
d'Athènes , et c'est aussi la seule où l'éloquence ait jeté un grand
éclat; Cicéron (1) a remarqué avant nous que ni Thèbes, ni Argos,
ni Corinthe, n'ont produit d'orateurs célèbres. — Au IIe siècle
avant notre ère la loi de Solon n'était plus qu'un beau souvenir comme
la liberté; et dans l'Europe moderne, il y a telle république, telle
monarchie où l'on pourrait utilement tempérer par une loi contraire
l'impatience du patriotisme.
On s'étonnera peut-être que Solon eût parlé des parasites. C'est
que ce nom , devenu plus tard une injure , désignait dans l'origine
une espèce de dignité religieuse. Laissons témoigner là-dessus un
parasite de la comédie athénienne, donnant l'histoire et la théorie de
son métier : « Je veux vous montrer clairement que c'est là une
grande institution, une invention des dieux, oui des dieux, tandis
que tous les autres arts sont nés de l'industrie humaine. L'inventeur
de notre métier, c'est Jupiter Philius (dieu de l'amitié), le plus
grand de tous les dieux , chacun le sait. C'est lui qui entre dans les
maisons, pauvres ou riches, peu lui importe, et partout où il voit
un lit bien couvert et , devant , une table bien pourvue , se couche
proprement avec les convives, prend sa part du dîner, boit et mange,
et s'en retourne chez lui sans rien payer. C'est là précisément ce que
je fais. Quand je vois les lits couverts, la table servie et la porte ou-
verte, j'entre en silence, je me fais petit pour ne pas gêner mon
voisin , et quand j'ai pris ma part de tout le service, quand j'ai bien
bu , je me retire chez moi à la façon de Jupiter Philius. Veut-on
une preuve plus claire encore que ce métier fut de tout temps glo-
rieux et estimé? Notre ville, honorant Hercule par de brillants sacri-
fices dans tous les bourgs , n'a jamais exclu de ces sacrifices les para-
sites du dieu , et pour ces fonctions elle ne prend même pas les
premiers venus; elle choisit avec soin douze citoyens de haute nais-
sance , ayant biens-fonds et bonne renommée. Depuis , à l'exemple
d'Hercule, de riches citoyens ont invité à leur table des parasites
choisis, non parmi les plus beaux, mais parmi les plus habiles à
llatter, à louer toujours , etc. (2) » Tout n'est pas plaisanterie dans
cette page plaisante; plusieurs textes de lois réunis par Athénée et
(1) Brutus , c. 13.
(2) Diodorus, dans un fragment de sa comédie intitulée Epiclerus.
POLEMON. 505
dont quelques-uns sont dus au recueil de Polémon , prouvent qu'en
effet les parasites d'Hercule et d'Apollon remplissaient, dans les repas
célébrés en l'honneur de ces dieux , l'étrange fonction de bien boire
et de bien manger. Une loi de Solon, citée par Plutarque, leur infli-
geait même une amende, s'ils ne faisaient honneur à ce devoir. Les
parasites avaient à Athènes un lieu officiel de réunion , ils étaient
régulièrement inscrits comme les plus honorés d'entre les magistrats,
sur les registres publics , ils signaient ce titre avec leur nom sur les
offrandes qu'ils faisaient aux dieux. De tout temps , à ce qu'il semble ,
on a fait de bons repas dans les temples. A Rome certains ministres
du culte s'appelaient epulones , comme qui dirait ministres des repas.
La cuisine des prêtres saliens était proverbiale. En France, nous
avons eu les ordres mendiants et les chanoines fainéants qui ont aussi
laissé dans la langue du peuple un proverbe ineffaçable. Mais ce qui
ne s'est pas vu ailleurs que chez les Athéniens, c'est la bombance
érigée en acte de dévotioft , c'est l'obligation de se régaler sous peine
d'amende. Il se cache sans doute derrière ce bizarre usage quelque
ancien mystère de superstition , je voudrais pouvoir dire de charité.
Les inscriptions qui révèlent tant de traits des mœurs grecques ne
sont pas sans fruit non plus pour l'histoire des lettres; or Polémon
aimait aussi les recherches littéraires; nous lui devons à peu près
tout ce qu'on sait aujourd'hui sur la parodie dramatique en Grèce. A
Corinthe, je vois qu'il avait recueilli un chant religieux et populaire ;
en Béotie l'épitaphe d'un chanteur, nommé Cléon, avec une petite
légende qui s'y rapportait ; à Sicyone , il remarquait l'offrande faite
par une femme poëte couronnée aux jeux isthmiques.
Nous pourrions aller plus loin que lui sur les mêmes traces , et ,
par exemple , relever un peu la Béotie de l'injuste renommée qui pèse
sur elle, comme si son peuple eût été sans goût et sans vocation pour
les arts (1). La tradition qui place dans ce pays le séjour des Muses
passera facilement pour une fable ; Pindare et Corinne avec Éparni-
nondas pour de brillantes exceptions. Mais quand on suit sur les
monuments, depuis l'époque de Polémon jusqu'à celle de Plutarque,
la célébration des jeux de Thèbes, d'Orchomène, de ïhespies, où
figurent les exercices les plus variés de poésie et de musique, et où
les vainqueurs sont souvent natifs de Béotie, on n'hésite pas à rendre
aux Béotiens une place honorable dans la grande famille hellé-
(1) « Thebis crassum cœlum , ilaque pingues Thcbani et valentes. » Cicéron, de
Faix),?., i. L'influence fatale des climats préoccupait , dès l'antiquité, les philo-
iophes observateurs.
III. 33
506 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nique (1). Ceux qui couronnaient annuellement des poëtes épiques et
lyriques, des rhapsodes, des auteurs de satires (ou drames sati-
riques), de tragédies, de comédies, des acteurs et des musiciens de
tout genre, et qui ouvraient des concours aux talents de tous les
pays grecs , n'étaient certainement pas insensibles aux nobles plaisirs
de l'imagination. Ceux qui conservaient comme une relique précieuse
les vers d'Hésiode gravés sur des plaques de plomb, et dans leurs édi-
fices publics, gardaient encore, lorsque les visita Pausanias, tant d'ex-
quises productions de l'art, méritaient sans doute une mention
d'honneur dans le récit de notre archéologue.
Le style seul des inscriptions béotiennes offrait à Polémon un bien
curieux phénomène. 'Elles étaient la plupart écrites en dialecte du
pays, c'est-à-dire en un patois de famille éolienne, et fort éloigné de
la belle langue de Pindare le Thébain ; d'autre part, cette langue même
ne diffère pas moins du dorien de la Phocide ou de Lacédémone ; com-
prise à Thèbes comme à Delphes ou à Sparte , parce qu'elle se com-
pose, outre le fond commun à toute la Grèce, de formes empruntées
aux idiomes de ces diverses localités, c'est avant tout la langue
d'un poëte. Hérodote, natif d'une ville dorienne, n'écrit pas non plus
en dialecte dorien ; c'est l'ionique qu'il a choisi comme plus conve-
nable à la prose, mais non pas l'ionique de telle ville de l'Asie Mi-
neure où il signalait lui-même dans des limites assez étroites quatre
variétés de ce dialecte. Comme celle de Pindare , la langue d'Héro-
dote s'est faite d'éléments pris aux dialectes de plusieurs petits peu-
ples pour être ensuite fondus avec un art à la fois savant et popu-
laire qui est le secret du génie. A Lesbos , Sapho n'écrit pas le pur
dialecte de sa patrie, elle a pris ses licences pour l'embellir. Ainsi le
patois grossier qu'on déchiffre sur les marbres de Thèbes et d'Or-
chomène dans des contrats de vente ou des comptes de finances;
l'idiome roide et grave où les amphictyons rédigeaient leurs décrets;
les formes archaïques et sévères du lesbien ; les formes traînantes et
molles qui allongent le style des Ioniens asiatiques , tout cela consti-
tuait en quelque sorte le fonds nourricier du beau langage qu'immor-
talisent les chants de Pindare , d'Eschyle et de Sapho , la prose d'Hé-
rodote et de Platon. Ainsi chacun de ces dialectes littéraires dont
(1) Cf. sur les fêtes béotiennes, Plutarque, de sera Numinis Vinàicia, p. 55, 56,
éd. de Wyttenbach. Le sensualisme béotien se déploie avec complaisance dans un
décret de la ville d'Acrœphia? en l'honneur d'un de ses citoyens, nommé Epami
nondas , qui avait dépensé beaucoup d'argent en fêtes et en festins publics. Bœckb.
n° 1625.
POLÉMON. 507
nous admirons dans leurs œuvres l'éclatante variété, avait ses racines
au sein du peuple, et c'est par la merveille d'une culture industrieuse
qu'il venait s'épanouir aux plus hautes régions de l'art et de la pen-
sée. Voilà ce qu'on soupçonnait à peine avant les découvertes ré-
centes et les travaux qui ont jeté tant de jour sur l'étude des dialectes
grecs ; voilà ce qui nous apparaît aujourd'hui avec toute l'évidence
d'un fait démontré.
On ose maintenant aller plus loin, jusqu'à comparer la création des
quatre langues littéraires de la Grèce avec les procédés qui , en Italie
au XIIIe siècle, ont fait naître de plusieurs idiomes vulgaires Yeloquio
illustre de la Divine Comédie (1). Mais pourquoi s'arrêter à cette com^
paraison , et ne voir pas là quelque chose de plus encore , une véri-
table loi du développement des langues humaines? Le peuple prépare
sa langue, elle s'achève par les écrivains créateurs, qui seuls la ren-
dent capable de vivre jusqu'à la postérité. Chez le peuple, elle a tous
les charmes de l'invention naïve, mais aussi toutes les infirmités du
désordre et du morcellement. La littérature, qui est une expression
plus générale de la vie intellectuelle, a besoin d'un instrument plus
régulier, plus étendu que ne sont tous ces petits idiomes de villages;
aussi quand une littérature commence, et qu'avec elle paraît une
langue proprement dite , c'est qu'une grande nationalité se forme ,
c'est que du sein des provinces, il est sorti des hommes supérieurs
qui en ont résumé les caractères communs en leur laissant à chacune
ce qu'elles ont d'étroit et de mesquin , qui ont su ressembler un
peu à tout le monde sans calquer les traits de personne. Ce travail
est plus ou moins long, et l'œuvre qu'il produit plus ou moins bril-
lante , selon les facultés qu'un peuple a reçues de la nature. Tantôt
c'est (comme en Grèce, Homère, ou comme en Italie, Dante) un
seul homme qui fonde l'unité du langage en produisant un mo-
dèle sublime ; tantôt ce sont des écoles entières qui travaillent len-
tement , comme dans la France du moyen âge , à rapprocher et à
fondre les éléments épars dont se doit former un jour la langue natio-
nale ; d'abord il y a vingt idiomes voisins et presque étrangers l'un à
l'autre ; puis ces vingt idiomes se ramènent à deux variétés princi-
pales, celle du nord et celle du midi, dont chacune peut avoir une
littérature ; mais c'est seulement quand les troubadours et les trou-
vères ne feront plus qu'une seule école, qu'il y aura vraiment une
•
i Voy. un très-ingénieux mémoire de M. A. Peyron , dans le recueil de l'Acadé-
mie de Turin, série it, vol. I: Origine dei tre illuslri cUalelti greci parangonata
ton quella delV eloquio illustre italiano.
508 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
langue et une littérature françaises ; c'est aussi le moment où se con-
stitue la monarchie, splendide et vivante image, sous Louis XIV, de
l'unité du grand peuple. En Grèce, cette unité ne put devenir par-
faite comme nous voudrions l'entendre ; il n'y eut jamais de capitale,
jamais de monarchie hellénique ; partout de petits États souvent en
guerre, Athènes et Sparte tour à tour prédominantes ; mais dans ces
discordes passionnées un vif sentiment de la famille commune, une
vive opposition aux idées, aux langages des barbares; des rendez-vous
où se rencontrent sans se méconnaître, malgré bien des dissonances,
les divers dialectes du monde grec , où toutes les sympathies se res-
serrent et se raniment. Olympie , Delphes, Némée , c'étaient comme
les mobiles capitales de la Grèce ; aux jours de fêtes elles avaient cent
mille habitants , et le lendemain elles restaient presque vides avec
leurs magnifiques monuments , avec leurs registres de victoires où
des rois étaient venus conquérir une place. Quant à la ville d'Athènes,
c'était, disent les historiens et les rhéteurs, un théâtre perpétuelle-
ment ouvert aux fêtes de la civilisation (1); son dialecte servait et à
la politique et aux relations commerciales. Aussi quand s'affaiblirent
pour s'éteindre peu à peu sous le gouvernement romain les diffé-
rentes nationalités dont la lutte anime si vivement l'ancienne his-
toire grecque , c'est du dialecte attique corrompu que sortit la langue
commune, parlée en Grèce depuis les Césars jusque sous la domi-
nation ottomane; long et pacifique triomphe d'Athènes et de son
génie.
Soit que je ramène Polémon dans sa patrie par la Macédoine et la
Thrace , soit que je traverse avec lui pour la seconde fois l'Archipel
où nous avons fait à sa suite une rapide excursion , les monuments
vont encore se presser sur notre passage. En Macédoine, ce sont les
antiquités de cette nation devenue en un demi-siècle maîtresse de la
Grèce ; en Thrace, ce sont les colonies d'Athènes, les petites royautés
(1) Madame de Staël, de la Littérature: « Toutes les institutions d'Athènes exci-
taient l'émulation. Les Athéniens n'ont pas toujours été libres , mais l'esprit d'en-
couragement n'a jamais cessé d'exercer chez eux la plus grande force. Aucune nation
ne s'est jamais montrée plus sensible à tous les talents distingués. Le penchant à
l'admiration créait les chefs-d'œuvre qui la méritent. La Grèce, et dans la Grèce
l'Attique, était un petit pays civilisé au milieu du monde encore barbare. Les Grecs
étaient peu nombreux, mais l'univers les regardait. Ils réunissaient le double avan-
tage des petits États et des grands théâtres : l'émulation qui naît de la certitude de
se faire connaître et celle que doit produire la possibilité d'une gloire sans bornes.
Ce qu'ils disaient entre eux retentissait dans le monde. » C'est la pensée qui respire
dans le Panégyrique d'Isocratc et dans l'oraison funèbre que Thucydide fait
prononcer à Périclès au IIe livre de son Histoire de la guerre du Pèlopon'esc.
POLE MON. 509
demi-barbares qui briguaient l'honneur de son amitié , en lui assurant
l'avantage de certaines importations dont l'Àttique avait grand be-
soin. ASamothrace, ce sont ces mystères les plus anciens peut-être
du monde grec, laissés là, comme en passant, par quelques-unes
des premières peuplades qui émigraientde l'Asie vers l'Occident, et
conservées presque dans leur rudesse originelle , au milieu des pro-
grès de la religion et du symbolisme païens. Mais il faut résister à
la tentation de tout observer avec notre voyageur : il avait rempli
de ses notes et de ses récits quarante volumes ou plus, et nous ne
pouvons ici étendre davantage un cadre où la multiplicité des sujets
fatiguerait l'attention.
E. ËGGER.
LETTRE A M. A. DE IMGPÉRIER,
Mon cher Monsieur *
La pierre dont vous m'avez parlé est toujours entre mes mains ;
elle appartient au Muséum d'Histoire naturelle : M. Brongniart me
l'a depuis longtemps remise dans l'espoir que le Cabinet du Roi pour-
rait lui offrir en échange un objet plus propre à figurer dans les ga-
leries minéralogiques du Muséum ; mais jusqu'ici je n'ai pas trouvé
l'occasion de proposer une opération avantageuse pour les deux éta-
blissements.
C'est un jaspe rouge, très-beau et très-pur, de forme ovale (haut,
met. 0,049, larg. met. 0,035), au revers duquel on voit gravée en
creux la triple Hécate, coiffée du modius , et tenant dans ses mains
les attributs or-
dinaires de cette
divinité, le flam-
beau , le glaive
et le fouet. Au-
dessus de cette
figure on lit :
IACO, au-des-
sous en deux li-
gnes ABPACA2
(sic). Le droit
est plus cu-
rieux : il repré-
sente Hercule .
nu et debout, étouffant le lion de Némée; à la gauche du dieu est
sa massue : l'exergue est décoré de trois K , dont les extrémités se
terminent en boucle (sic K ) , et une étoile à huit rayons qui pré-
sente la même particularité : une légende circulaire se développe
au-dessus du groupe d'Hercule et du lion. Le travail de cette pierre
est misérable et ne répond nullement à la beauté de la matière.
Cet Abraxas se trouve expliqué par une recette qu'a conservée
Alexandre de Tralles ( Med. lib. X, sub finem) : El? Xi'fov Mr.5ty.ov
fXu^ov 'HpaxXeoc, ôpÔbv TrviyovTa Xéovxa, xai lyiùi&lmiç i\ç oaxruXtSiov ^pusoov,
otèov cpopeTv : Gravez sur une pierre médiane (l), Hercule étouffant le
(1) Nous ne saurions dire précisément ce que c'était que la pierre médique ;
mais le jaspe de toute couleur était considéré comme la matière la plus propre à
faire des amulettes : Dioscor. de Mat. med. V, 159 : Aéyovrat Se ttxvtî; «Tvai
ç>u).axT>j/9ta mply.Trza..
LETTRE A M. A. DE LONGPÉRIER. 511
lion qui se dresse, et après avoir fait enchâsser cette pierre dans un
anneau d'or, donnez-la à porter. La recette que nous venons de tran-
scrire est rangée par Alexandre parmi les remèdes propres à guérir
la colique : c'est ce qui a fait penser à Macaire, chanoine d'Aire (l),
que les K qui accompagnent la figure d'Hercule , étouffant le lion
sur un autre Abraxas qu'il a publié (n08 89 et 90) avaient pour but
d'indiquer l'affection dont on cherchait ainsi le remède.
L'inscription de la pierre du Muséum est ainsi conçue :
ANAXCOPIKOAGTOOIONCeAIOKei
je crois qu'il faut la lire ainsi en la corrigeant : 'Ava^wpec, x^M' *&
QeTdv as BiMY.ii : Retire-toi, ô bile : la divinité te poursuit. Le médecin
grec que je citais tout à l'heure vient encore ici à notre secours par
cette autre recette, transcrite quelques lignes plus bas que la précé-
dente : Aaéwv SaxxuXtov ori&qpouv, 7:otY]Gov YfyveaOai to xpix&Xtov ocjtou oxtoc-
ytovov xai ouxtoç IrciYpoccpe sic to oxTaywvov (2)' cpsuys* 9£^Y£(3), îoti /wX-rç' yj
xopuôaXoç eÇvyrei (1. jj xopuSaXoç ae ^-a) : Prenez un anneau de fer, faites-
en tailler le chaton à huit pans, et inscrivez ces mots sur V octogone :
fuis y fuis, ô bile : V alouette (aliment recommandé pour la cure de la
colique ; ïbid. : KopuôaXoç wôtofxevoç to- ocùto TioteT xaXwç) te cherche.
Alexandre ajoute : Inscrivez en tête de cette pierre le caractère sui-
vant Eî (4). Tov Bï j^apaxi^pa t©v uTCOxstjxsvov ypuys. sîç T'Jjv xs^aX-Jjv tov
SaxTuXiou St.- Mais notre monument nous permet encore de cor-
riger le texte grec : évidemment c'est le K initial du mot xwXixVj,
qui devait se trouver dans le manuscrit d'Alexandre de Tralles.
Alexandre de Tralles était frère de l'architecte Anthemius qui re-
bâtit pour Justinien la basilique deSainte-Sophie entre les années 532
et 537. Ainsi tandis que l'empereur proscrivait les derniers philoso-
phes platoniciens, le premier médecin de l'époque employait encore
les représentations mythologiques au traitement des maladies. Le style
de notre pierre paraît coïncider avec l'époque même où florissait ce
médecin, c'est-à-dire la première moitié du VIe siècle de notre ère.
Agréez, etc. Ch. Lenormant.
(1) Dans son curieux ouvrage intitulé: Abraxas seu Apistopistus (Anvers ,
Plantin, 1657, in-4°).
(2) L'étoile à huit rayons qui, sur notre pierre , est placée en bas de l'exergue ,
a le même seDs que le chaton octogone.
(3) C'est bien comme cela qu'il faut lire : la bile (yw>>j) était en effet considérée
comme une des principales causes de la colique : Alex. Trall.X, I. Kal yàp Stà.
<fyv%povç yy[io\><; xal %ol'J>Seii . ... - to toioutov ylv-ra.i mx.doç.- .
(4) L'imprimé reproduit ici exactement la figure qui se trouve à la même place
dans tous les manuscrits d'Alexandre de Tralles que possède la Bibliothèque royale.
EPITAPHE LATINE
D'UN PEINTRE GREC ÉTABLI DANS LA GAULE.
Cette inscription inédite est gravée sur une pierre tumulaire
servant de dalle dans le chœur de Saint-Nazaire , à Bourbon -Lancy.
J'en dois la communication à M. Compin , maire de cette petite ville,
qui m'a envoyé en même temps le fac simile d'une autre inscription,
que Millin a déjà publiée dans ses monuments inédits (1).
DIOG
NI'AL
POT
Ce qui fait l'intérêt de celle dont je donne ici la copie exacte ,
c'est le nom et la profession du personnage : Diis Manibus diogem
ALpmo piCTom*. Le défaut de place a empêché de finir le deuxième
nom ; ce qui le rend incertain. Je pense toutefois que c'est un sur-
nom romain à la suite du nom grec (comme en Dio Cassius, Âristides
Quintilianus , Achilles Talius, etc.), indiquant un Grec affilié à une
famille romaine ; alp me paraît ne pouvoir être que alpino , nom
que portait un poëte tragique ampoulé, dont se moque Horace (2);
(1) T. I, p. 146 etsuiv.
(2) Salir. \, I0,3fi.
EPITAPHE LATINE. 513
Turgidus Aîpinus jugulât dum Memnona ; et qu'on trouve aussi
dans une inscription de Salzbourg, au Musée de Vienne (3).
ALPINVS
SILVANI. F.
OB1IT. ANN.
VIII.
« Alpinus, fils de Silvanus, est mort à huit ans. » Si l'on s'était
contenté d'écrire les trois lettres alp, la place manquant pour en
mettre davantage , ces lettres auraient pu appartenir à un autre nom
qu Alpinus, par exemple à Alphius. C'est pourquoi l'on a, mis l'i dans
l'interligne; ce qui, ne pouvant convenir qu'à Alpinus , levait toute
équivoque. J'ai déjà remarqué qu'en pareil cas , on ne faisait nulle
difficulté de tronquer les noms ; ainsi AM<M) et AYMA , qui ne con-
viennent à aucun autre nom qu'à AM^Oxspoç et AYMA^o; pour Avori-
Dans le mot pictor, on remarquera la forme du c , dont la partie
inférieure est recourbée, comme on le voit ordinairement au g; ce
qui explique très-bien la confusion perpétuelle des deux lettres c et g
que j'ai déjà remarquée (5). Pictor, n'étant pas suivi d'un qualifi-
catif, tel que scenarius ( peintre de décors) , quadrigularius (peintre
de voitures (6), etc., doit désigner ici un véritable artiste, non un
barbouilleur.
Voilà donc un peintre grec, qui s'était établi dans la Gaule, et y
avait fini ses jours. La forme des lettres est d'un très-bon temps ,
qui doit appartenir au Ier siècle de l'empire. Ce devait être un
contemporain du sculpteur et ciseleur grec Zénodore, qui, à
l'époque de Néron , vint exercer ses talents dans la Gaule , où il
exécuta, pour les Arvernes, une statue colossale de Mercure; et,
dans le même temps, cisela deux coupes, d'après deux ouvrages
de Calamis, qu'il sut imiter si bien, qu'on ne pouvait distinguer
l'original de la copie (7).
On voit, par cet exemple, que ce n'étaient pas seulement des
(3) J. Arneth , Beschreibung der K. K. mûnz-und-antiken Kabinette , p. 9 ,
nû 20.
(4) Mêm. sur les noms propres grecs, dans les Nouvelles Annales de l'In-
stitut archéologiques , t. XVII , p. ?60.
(5) Plus haut, p. 346.
(G) Plus haut, p. 391.
(7) Pliu. XXXIV, 7, 18.
514 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
artistes grecs du dernier ordre qui se rendaient alors dans la
Gaule. Il n'y a donc nulle difficulté à croire que les vases d'argent
trouvés près de Bernay ( qui sont de plusieurs mains et de plusieurs
temps) aient été exécutés, même les plus beaux, par des artistes
grecs, plus ou moins habiles, établis à diverses époques dans la
Gaule, depuis le temps de Pline , jusqu'au IIIe siècle; car l'exécution
de quelques-uns de ces vases peut descendre jusque-là , sinon plus
bas encore.
Il me paraît impossible de ne pas trouver une sorte de ressem-
blance entre le travail des vases de Bernay qui offrent des sujets
homériques , avec celui du grand plat d'argent déposé au Cabinet des
Antiques (8), pinax ou lanx, appelé vulgairement le bouclier de
Scipion, quoiqu'il représente Achille et Briséis, comme on le recon-
naît depuis Winckelmann ; les figures y ont moins de relief que
sur le vase; mais le style du dessin est analogue dans tous les deux;
et la pose de Phœnix sur l'un, celle d'Ulysse sur l'autre, sont
presque semblables. Ce plat, du genre de ceux qui ornaient les buffets
des riches , a probablement été exécuté en Gaule , par un de ces
artistes grecs qui, comme Zénodore et Biogène Âlpinus, étaient venus
y exercer un art dont nos ancêtres les Gaulois paraissent avoir aimé
et recherché les produits.
Ceci m'a paru donner de l'intérêt à cette petite inscription qui ,
sans le nom du peintre grec , serait fort insignifiante.
Letronne.
(8) Publié plusieurs fois, et en dernier lieu par Millin , Mon. inédits, t. I ,
p. 94, 9b.
DISSERTATION SUR LARME
QUI SE VOIT DANS UNE PEINTURE DE VASE GREC
CONSERVÉE AU MUSÉE DE NAPLES.
Les archéologues ne réussissent pas toujours à expliquer d'une
manière complète les œuvres de l'art antique; et cependant plus
l'importance d'un monument est grande, plus le désir de le voir
illustré dans tous ses détails devient impérieux. Les difficultés aiguil-
lonnent l'intelligence suivant cette disposition de l'esprit ,qui nous
porte à désirer avec plus d'énergie ce qui nous est refusé. D'ailleurs
il y a toujours une grande utilité à tenter l'interprétation des parties
inexpliquées d'un monument, parce que si les résultats de cette nou-
velle recherche concordent avec l'interprétation des autres parties de
ce même monument , c'est la preuve la plus certaine delà justesse des
appréciations des précédents commentateurs. Ce que je viens d'indi-
quer est précisément arrivé pour l'admirable vase de Vivenzio (1),
(1) Ce célèbre monument, qui représente le sac de Troie , est, par son grand
516 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
découvert il y a un demi-siècle et publié infidèlement par plusieurs
archéologues. Quelques détails de la scène qu'il retrace n ont pas
été interprétés comme ils auraient dû l'être; un entre autres est
resté une énigme. Me réservant de décrire complètement ce vase
dans un autre mémoire, je me borne actuellement à discuter la
nature de l'arme tant de fois étudiée que tient une femme troyenne,
et à l'aide de laquelle, elle va achever un guerrier grec qui est
devant elle tombé sur le genou et qui cherche à se défendre, se cou-
vrant de son bouclier, qu'il soutient d'une main, tandis que de l'autre
il manie son épée.
L'arme en question ressemble à une espèce de massue, mais
elle a, au milieu , une entaille qui permet de la saisir, et l'on remar-
quera du reste que le personnage féminin qui tient cette arme, la
tient par le bout ie plus mince afin de la soulever et l'abaisser avec
facilité et de pouvoir asséner un coup avec plus de force.
Vivenzio, possesseur du vase, voyait dans cette figure une
lance (1); Millin a cru que c'était un joug (2); Schorn désapprouve
cette opinion sans en fournir une nouvelle (3); Boettiger de son côté
avait trouvé à cet objet de la ressemblance avec un joug (4); M. Pa-
nofka y voit un instrument formé de deux hampes de lance , placées
l'une contre l'autre. Enfin M. Raoul Rochette dit que c'est un objet
très-difficile à déterminer (5). Cette diversité dans les opinions de
savants si habiles m'a engagé à étudier spécialement un point dont
l'éclaircissement devenait nécessaire à l'intelligence parfaite de l'un
de vases les plus classiques du musée Bourbon.
Que l'arme discutée n'est pas un joug, cela ressort non-seulement
de sa dissemblance avec tous les autres jougs que représentent les
peintures et les bas-reliefs antiques , mais encore de cette simple ob-
servation que l'une des extrémités est plus mince que l'autre , par-
ticularité qui ne se rencontre dans aucun joug.
Quant à l'opinion de M. Panofka, je ne puis que répéter une
observation fort judicieuse de M. Raoul Rochette, c'est qu'il est très-
style, sa couleur, la finesse du dessin , sa remarquable conservation, l'un des plus
précieux morceaux de ce musée de Naples, si riche en raretés de toute espèce. Il
n'est pas un voyageur, quelque peu versé dans l'étude de la céramographie qu'on le
suppose, qui ne soit arrêté par l'admiration, en présence du vase des Troyennes.
(1) Catal., etc., p. 71.
(2) rases peints, I, xxvi , 64.
(3) Homer nach Anlika , Heft IX , v, vi. 33, 34.
(4) Arch. de Mahlerei, p. 341.
(6) Mon. inéd., Achilleld., p. 80.
PEINTURE DE VASE GREC. 517
difficile de comprendre ce que pourrait être un instrument résultant
de la juxta-position de deux bois de lance, et j'ajoute qu'en effet
l'auteur lui-même ne s'explique pas sur l'usage d'un semblable objet.
Pour moi je crois que c'est un pilon, et j'espère donner une com-
plète démonstration de ce que j'avance. On ne peut nier que la forme
de cet objet est celle qui convient à un pilon, car il a deux extré-
mités d'inégales grosseurs , propres à broyer des corps plus ou moins
durs et résistants , et uue entaille au milieu , au moyen de laquelle
on peut le saisir et l'agiter. Les Grecs nommaient cet ustensile :
(nrepo; , àXitpiêavov et ôoiSu£ ; les Latins , pilum. Il servait à moudre
divers grains; consultons Popma. (De instr. fandi in Scriptor. rei
msticœ, t. IV.)
« Villatici opifices et ministri sunt molitores, pistores, coqui
« Horum instrumenta quum sint multa et diversa pro ratione artis et
« operae recensentur inter caetera a scriptoribus rei rusticae, maxime
« a Catone pila farraria ad far pinsendum, pila fabaria ad fabam fre-
« sam , pila seminaria ad terendos seminum nucleos. »
Pline (XVIII, 16) , dit aussi : « Pilum fabarium, farrearium,
« seminarium quo faba , far et semina in pilo sive mortario feriuntur
« et tunduntur. »
On m'objectera sans doute, avec beaucoup d'apparence de raison
qu'un pilon n'a pu avoir ces dimensions, mais je répondrai que c'est
ce même pilon dont on fait usage aujourd'hui en Asie , comme l'ob-
serve M. d'Olenine (Lettres d'un dilettante à un Antiquaire, p. 35),
renseignement précieux qui m'a été communiqué par mon savant
ami et confrère M. Letronne au moment où il jettait les yeux sur
une épreuve imprimée de ma dissertation. D'ailleurs Hésiode nous
apprend que les anciens en fabriquaient , non-seulement de la taille
de celui que nous montre le vase de Vivenzio, mais même de trois
coudées.
Hpioç Sif) lyyu jzsvoç o£soç yùioto
/aûptaroç IBotUpov , jXsTOTrwpivôv o^êp^cravro;
Zïjvô; IptffOevéoç, psrà §k rpéizzxa.t Ppôrsoç %pw$
■xoXkbv èXaçppoTspoç* £rj yàp tôts lûpioç àarrjo
|3atov vnïp xsçpa^YJç xvjptTpsyswv àvQpwTTMV
foyerat rçjAoçTtoç, nlûo-j #é ts vvxtôç kiïctvpu'
•zr.poç à^/jxTOTàTïj izùzTGu TpjÔsïa-a aid-hpto
vh), tpvkïa. 5* spaÇs yju, itxôpQoiô ts Hyst*
Tijfxoç ap' wXoTOfutu piejxvyjuévo; wpia epya.
6>fzov p.sv Tpir.6$r}V xâpsiv, v7rspov §ï Tplnr)%vv, x. t. /.
{Opéra et Dies, v.' 412-421.)
518 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
(( Lorsque déjà la force d'un ardent soleil , décline avec l'été acca-
« blant, quand le grand Jupiter envoie la pluie d'automne, le corps
((humain influencé par ce changement devient plus agile; déjà
« l'étoile de Sirius vient pendant le jour presque sur la tète des mor-
te tels et fait plus encore pendant la nuit. Alors la forêt jaunie est
« abattue par le fer, les feuilles couvrent la terre et n'ont plus de
« sève ; alors souviens-toi que c'est la saison de couper le bois, taille
« un mortier à trois pieds et un pilon de trois coudées. »
Maintenant que pourra-t-on dire en trouvant que l'arme qui nous
occupe a environ trois coudées de hauteur, et le passage d'Hésiode
ne semblera-t- il pas écrit par quelqu'un qui l'aurait eu sous les
yeux? Cette preuve ne vient-elle pas appuyer celle qui est fournie
parla forme, et ne se réunissent-elles pas étroitement toutes deux
pour confirmer ce que j'ai avancé?
Si l'on me demandait encore quel rapport peut avoir existé entré
un pilon et la nuit suprême de Troie , et pourquoi je le considère
comme une arme? à la dernière de ces questions je répondrai qu'au
dire de Varron , on nomme arme toute chose avec laquelle on re-
pousse l'ennemi : « Arma ab arcendo, quod his arcemus hostem. »
(IV de Ling. lat.). C'est pourquoi Caïus le jurisconsulte assurait que
les pierres et les bâtons doivent être considérées comme armes lors-
qu'ils servent contre l'ennemi ; ainsi le mot arme est convenable-
ment appliqué à un objet quelconque que l'on emploie à attaquer
ou à se défendre.
Les paroles si connues de Virgile : « Furor arma ministrat , »
satisfont à la seconde question.
Le triumvir M. Antoine , fuyant de Modène , donna des écorces
d'arbre à ses soldats en place de boucliers. Dans la troisième guerre
punique, comme les Carthaginois manquaient de cordes , les femmes
leur livrèrent leurs tresses pour garnir les arcs. Les femmes d'Aquilée
assiégée par l'empereur Maximin firent la même chose ainsi que les
Marseillais attaqués par César et les Romains resserrés dans le Ca-
pitale par le siège des Gaulois; c'est pour cela que les Romains dé-
dièrent une statue à Vénus Chauve. Il n'est donc pas étonnant
qu'une femme troyenne qui n'aura pu se procurer une véritable
massue pour se défendre contre le glaive du soldat grec; d'ailleurs
enflammée d'une ardeur virile, se soit emparée d'un pilon et que le
désespoir ait changé cet ustensile en arme de guerre. C'est ce que
j'affirme avec d'autant plus de confiance que dans ce grand désastre
les Troyens cherchèrent à exterminer les Grecs à l'aide de tout ce qui
PEINTURE DE VASE GREC. 519
leur tombait sous la main et qu'ils lancèrent contre eux des vases,
des tables, les tisons ardents du foyer, et les percèrent avec des
broches dans lesquelles étaient enfilées les pièces de viande rôtie :
• Où£s pèv Aoysîoiffiv àvoûraroç izils àypiç ,
àlV ot pèv iïzTtocecrtn TôTvyj/ivoi, ol §k rpouzé'^cLiz,
Ot#' STl ZatOplSVOt (m* k(T%<ZpîCÔ<Tt TVTTSVTSÇ
Soàoïç, r}8* oês).oi<n TzsTzoLppévoi , s/.îTvsteo-xov,
Oîq Ire Trou xat «r^ay^va (iv&>v tts^î. ôsppià >iXsi7TT<ï
Hi^ata-Tou pLalîpoïo 7rspiÇsîovro; àur^ (1).
« Le combat que les Grecs avaient à soutenir ne laissait pas que
a d'être meurtrier. On lançait aux uns des vases et des tables; les
« autres perdaient la vie, atteints tantôt par des tisons qui flambaient
« encore sur le foyer, ou bien traversés de part en part par des
« broches auxquelles les entrailles brûlantes des porcs se trouvaient
« encore attachées , et dont s'échappait une vapeur épaisse. »
C'est ainsi que s'exprime Quintus Calaber, et c'est par ces vers que
je termine , me flattant d'avoir enfin trouvé l'explication d'un objet
qui était une énigme pour les plus savants archéologues.
Bernardo Quaranta,
Professeur d'archéologie et de littérature grecque à l'université deîïaples ,
Correspondant de lTnstitut de France.
(1) Ha^tît. , lib. XIII, 146, 150,
EMBELLISSEMENTS DE PARIS
ANCIEN MONASTÈRE DES FILLES DU CALVAIRE ,
RUE DE VADGIRARD, 23,
Chaque lieu où l'homme vit en société résume , dans des propor-
tions plus ou moins restreintes , l'éternelle loi de la mutabilité des
choses terrestres ; mais Paris , cette reine des cités de la France , est
assurément le point de départ qu'un philosophe chrétien peut choisir
aujourd'hui pour rendre cette vérité plus sensible , puisque toutes
les secousses y naissent "ou vont y aboutir , que tous les progrès mo-
raux , intellectuels et industriels en proviennent ou s'y perfection-
nent. Le vieux Paris ne vit plus que dans les ouvrages de ses anna-
listes et dans leurs topographies à figures. Disons mieux : quiconque
n'a pas visité depuis trente ans cette vaste capitale, aurait quelque
peine à s'y reconnaître, et trouverait dans ses rues nouvelles et spa-
cieuses, dans ses quais agréablement ombragés d'arbres , dans ses
nouveaux édifices , et enfin jusque dans la disparition d'une foule
de monuments historiques, des signes matériels de la révolution que
les années , que les siècles apportent dans les choses de la société.
Les voies publiques se sont formées au hasard, par suite de l'ac-
croissement des populations et les nécessités survenues dans l'intérêt
général de la sûreté et de la salubrité. Les courbes décrites par nos
rues doivent particulièrement leur origine à ce que la plupart furent
d'anciens chemins qui se sont successivement bordés de maisons ,
sans qu'on ait pensé à en redresser les sinuosités. Chez nos aïeux,
les rues principales avaient seize pieds environ de largeur ; les autres,
de six à dix pieds. Ce qui reste du vieux Paris peut nous donner une
idée de ce qu'il fut au moyen âge.
A la fin du XVIe siècle, lorsque l'usage des carrosses fut substitué
aux palefrois des grandes dames , et aux mules que montaient les
magistrats et les personnages éminents , les villes du moyen âge
commencèrent à changer de physionomie par la nécessité qui se
fit sentir d'élargir les rues, et de faire plus spacieuses celles que
l'on créa.
L'assainissement de plusieurs quartiers de Paris, l'élargissement
ANCIEN MONASTÈRE DES FILLES DU CALVAIRE. 521
de ses vieilles rues , le percement de nouvelles voies pour faciliter les
grandes communications entre les points les plus éloignés, les sub-
structions pour l'écoulement des eaux, étaient un des besoins les
plus impérieux de la population. De grands et utiles travaux d'assai-
nissement furent entrepris sous la Restauration ; c'est aussi une des
améliorations physiques dont le pouvoir s'occupe aujourd'hui avec
une louable persévérance : et ces immenses travaux assurent à ceux
qui les dirigent la reconnaissance des générations, en perpétuant
parmi elles, le souvenir de leur édilité.
Au XVIIe siècle, nous voyons des ordonnances royales prescrire le
redressement des rues. En 1765, et à des époques plus rapprochées,
des plans d'alignement ont été tracés en vertu d'édits royaux , afin
d'améliorer les rues existantes et d'organiser à l'avenir les construc-
tions futures. D'après ces plans et d'autres plus récents, déposés
dans chaque mairie , on recule ou on avance les constructions irré-
gulières. Soixante-douze communications nouvelles furent ouvertes
en moins de quinze années, sous le règne de trop courte durée du
bon et infortuné Louis XVI. Quand le règne de la terreur se fut
établi en France : le vandalisme s'attaquant aux pierres vint, parla
destruction d'un grand nombre d'édifices civils et religieux , apporter
de notables changements à l'aspect général de Paris. Les monuments
des siècles passés, ces derniers témoins qui disent ce que furent nos
pères, s'écroulèrent et disparurent sous une double cause de ruines :
la fièvre de l'anarchie et la spéculation égoïste. Peut-être môme
l'avidité sordide de ces acquéreurs de biens nationaux, réunis en
sociétés mercantiles, qu'on a stigmatisées du nom de bandes noires,
fit-elle plus de mal encore que l'effervescence révolutionnaire.
Après le Consulat, l'Empire nous arriva avec toutes ses gloires et
ses misères. Le sabre régnait de par la force; cependant l'embellisse-
ment de Paris préoccupait Napoléon. En même temps que nos armées
victorieuses portaient leurs aigles de capitale en capitale , il faisait
percer des rues, construire des fontaines et restaurer le Louvre.
Alors le démon des alignements s'empara de l'administration : une
église, un cloître, une maison historique, s'ils se trouvaient, même
dans la partie la plus accessoire d'un projet, ne pouvaient trouver
grâce devant les ingénieurs ; car, dans leur pensée, ces jalons de notre
histoire nationale ne valaient pas la peine qu'on fît faire la plus im-
perceptible déviation à une rue. Le niveau, le cordeau et la chaîne
de l'arpenteur devaient passer sans rencontrer le moindre obstacle ,
parce que tout devait reculer devant l'inflexible ligne droite. Puis
m. 34
522 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
enfin, de honteuses spéculations, l'ignorance et la barbarie des par-
ticuliers vint en aide à l'entraînement officiel.
Sous la Restauration l'autorité municipale eut bien aussi à se
reprocher la destruction de divers monuments historiques , destruc-
tion qui tourna souvent, il est vrai, au profit de la voie publique 01
de la salubrité, mais qui aurait pu être évitée quelquefois, avec
moins d'insouciance ou de préventions de la part de certains agents
Nous vivons aujourd'hui sous un pouvoir véritablement restaurateui
et conservateur de nos richesses monumentales et historiques
cependant l'œuvre de destruction commencée en 1792, se continue
dans l'occasion avec un calcul désespérant, pour tous les amis de:
arts , de la religion et du pays. Entre des exemples que nous pour
rions multiplier, choisissons le plus récent. Au mois de février 1846
et à la face du comité des arts et monuments , M. le ministre de h
guerre, ou ses représentants , viennent de faire abattre sans regre
comme sans urgente nécessité, dans l'enclos de l'École polytechnique
la vaste et vénérable chapelle de Navarre toute parfumée encore de:
souvenirs de Nicolas Oresme , précepteur de Charles V, des cardi-
naux d'Ailly et Descamps, de Jean Gerson, l'auteur présumé d<
X Imitation de Jésus- Christ , de Rollin , de Bossuet, et d'une foub
d'autres savants hommes, la gloire de la France (l).
Mieux inspirée que les destructeurs de la chapelle de Navarre
l'autorité qui vient de diriger en 1845 , l'élargissement de la rue d
Va-ugirard, en vertu d'une loi du 2 juillet 1844, a, ail contraire
apporté tous ses soins pour conserver une autre chapelle, monumen
de la piété de Marie de Médicis , beaucoup moins intéressante ai
point de vue de l'art et de l'antiquité que la chapelle de l'ancien col-
lège de Navarre ; et cependant le portail de l'édifice de la rue de Vau
girard avançait de trois mètres sur le nouvel alignement. Ce serai
sans doute ne pas trop présumer que d'attribuer à la haute influenc»
de M. le chancelier de France , ou à celle de M. le grand référendain
de la Chambre des Pairs, la précaution avec laquelle on a démonté e
numéroté pierre à pierre ce portail : après quoi on l'a réédiûé ai
niveau du nouveau tracé de la rue, d'une manière si parfaite, qui
faut savoir en le voyant qu'il a été déplacé. Cette restauration a ét<
faite par M. deGisors.
Cette chapelle construite il y a deux cent vingt et un ans, au temp:
où l'architecture encore distinguée expirait en France, pour laisse
(1) Nous avons publié en 1844 , une Kolice historique et descriptive de la chapell
de Navarre , Ravue Archéologique , t. I, p. 192 et suif.
ANCIEN MONASTÈRE DES FILLES DU CALVAIRE. 523
prévaloir le style sans couleur et sans richesse qui caractérise l'époque
de Louis Xlli, était l'église des religieuses observantines de la pri-
mitive règle de Saint-Benoît, connues sous le nom de Congrégation de
Notre-Dame du mont Calvaire, fondée en 1620, par Marie de Mé-
dicis , épouse de Henri IV. « L'église et le couvent de ces religieuses,
dit Germain Bnce , n'ont rien que de triste et de fort mauvais goût ;
l'espace quelles occupent est si serré qu'elles ont bien de la peine à y
trouver les commodités qui leur sont nécessaires. » (T. 111, p. 104. j
Or, l'on sait que iirice était aussi ignorant archéologue que pauvre
historien.
Le père Joseph, Le Clerc du Tremblay, capucin, confesseur et
agent du cardinal de Richelieu , est regardé comme le premier insti-
tuteur de cet ordre : soit qu'il en ait conçu l'idée, soit qu'il en ait
seulement rectifié le plan, il est certain que cette institution prit
naissance a Poitiers, en 1617, par les soins d'Antoinette d'Orléans
Longueviile, après la mort de Charles de Gondi, marquis de Belle-
Isle, qui la laissa veuve à vingt-deux ans, elle se retira dans le
monastère des Feuillantines de Toulouse, dont île prit l'habit en
1559, elle passa ensuite à Fontevrault , dont elh; embrassa la règle,
et fut nommée coadjutrice de cette abbaye. Ce îut vraisemblable-
ment alors que, de concert avec le père Joseph, elle établit dans un
monastère de son ordre , à Poitiers , la dévotion à la Sainte-Vierge
accablée de douleur sur le Calvaire , et qu'elle en ht une loi particu-
lière. Le pape Paui V, par son bref du 25 octobre 1617, lui permit
de sortir de Tordre de Fontevrault, de prendre à Poitiers l'habit
particulier qu'elle avait choisi pour les nouvelles religieuses, d'y
mener tel nombre de tilles qu'elle jugerait à propos, et d'établir des
monastères de celte nouvelle congrégation, sous le titre de Notre-
Dame du Calcaire. Sa mort, qui arriva ie 25 avril 1618, n'arrêta pas
les progrès de cet ordre naissant. Le père Joseph en établit un cou-
vent à Angers, dont ia reine Marie de Médicis se déclara la fonda-
trice ; elle lit plus, car elle voulut établir ces religieuses à Pans dans
l'enceinte môme du palais du Luxembourg , qu'elle avait lait bâtir
en 1615, sur le modèle du palais Pitti, à Florence, et sur les des-
sins de Jacques de Brosses. Le père Joseph, qui avait inspiré ce pieux,
dessein à la reine, avait piis de son coté des mesures dignes de sa
prudence, il avait ménagé aux bénédictines la protection de madame
do Lauzon, veuve d'un conseiller au parlement, qui avait promis
douze cents livres de rente, et dix-huit mille livres en argent pour
cet établissement. En conséquence la révérende mère Gabrielle do
524 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Saint-Benoît, dite de l'Espronière, et cinq autres religieuses c
Notre-Dame du Calvaire , sous la conduite de la baronne de Ché
merau, arrivèrent à Paris le 22 octobre 1620. On les logea prc
visoirement dans une maison que madame de Lauzon leur avait fa
préparer, rue des Francs-Bourgeois , près de la porte Saint-Michel
où, par acte du même jour, le cardinal Henri de Gondi, évêque c
Paris , leur permit d'avoir une chapelle.
Leur ordre fut approuvé sous le titre de Notre-Dame du Calvain
et sous la règle de Saint-Benoît , par une bulle de Grégoire XV, d
22 mars 1621. Marie de Médicis passa en même temps un contn
de fondation avec ces religieuses , par lequel elle leur donna cin
arpents de terre , joignant son palais , et mille livres de rente
prendre sur son domaine du comté de Dourdan , à charge , dit ce
acte du 16 juin 1621 , de célébrer à perpétuité son anniversair
après son décès , de faire dire tous les ans une messe pour le roi , so
fils, et après sa mort, un anniversaire aussi à perpétuité.
L'auguste fondatrice voulant planter de ses royales mains la croi
du Sauveur sur le terrain qu'elle venait de concéder aux bénédictine
du Calvaire, elles firent commencer aussitôt les constructions, ma
les architectes de Sa Majesté s'y opposèrent , lui représentant que le
bâtiments du monastère intercepteraient les vues de son palais. Le
religieuses, obligées de chercher un autre emplacement dans le vois
nage, achetèrent, le 19 mars 1622, une grande maison et ses dé
pendances , nommée Hôtel du Mont-Herbu, située rue de Vaugirart
et deux autres propriétés contiguës , appelées dans les titres Hôte
des Trois Rois et de Saint- Nicolas , elles y firent construire quelque
cellules et une petite chapelle, et en payèrent le prix avec les dis
huit mille livres de madame de Lauzon, leur bienfaitrice. Ell<
prirent possession de leur nouveau monastère le 28 juillet 162S
et y furent introduites par mademoiselle de Longueville, si célèb
sous la Fronde, et par madame de Lauzon, qui les meubla de toi
ce qui leur était nécessaire.
Environ trois ans après, Marie de Médicis fit bâtir la chapel
que nous voyons aujourd'hui sur l'emplacement d'un corps de logi
qu'elle donna à cet effet, joignant le Petit-Luxembourg. La premiè
pierre en fut posée en son nom au mois de mai 1 625 , par Marie i
Braguelogne , femme de Claude de Bouthilliers , son chancelier, <
présence de la mère Gabrielle de Saint-Benoît, supérieure du mon
stère. On encastra dans cette pierre une médaille d'argent porta
cette inscription : « A la gloire de Dieu et de la très-Sainte- Vier
ANCIEN MONASTÈRE DES FILLES DU CALVAIRE. 525
sa mère ; Marie de Médicis a posé la première pierre de cette église e
monastère , afin que , comme elle reconnaît cette mère da Roi des Rois
pour la conservatrice du Royaume et de sa Royale lignée , et pour le
modèle et exemplaire de sa vie et de son nom, aussi elle la puisse avoir
dans le ciel pour médiatrice de son salut éternel, Tan de notre rédemp-
tion 1625. » La chapelle fui bénite par René de Rieux, évêque de
Saint-Pol de Léon , qui y célébra la messe le jeudi-saint 1631 , et le
même jour les religieuses commencèrent à y célébrer l'office divin ,
mais elle ne fut dédiée qu'en 1650, par René du Louest, évêque de
Quimper, sous l'invocation de saint Jean-Raplisle. La cloche avait
aussi été bénite le 13 avril 1631 , elle fut nommée Marie, nom de
la reine fondatrice qui l'avait donnée. Cette princesse mettant le
comble à tant de libéralités, donna à ce monastère , par brevet, daté
de Lyon le 3 juillet 1630, un demi-pouce d'eau des fontaines de son
palais; puis elle fit construire le chœur des religieuses , le cloître, qui
subsiste encore; le logement du prédicateur et une chapelle dans
l'intérieur, appelée Chapelle de la reine, parce qu'elle venait y en-
tendre la messe. Une bulle du pape Urbain VIII confirmée par lettres
patentes de Louis XIII du mois de juin 1621 , avait bien permis aux
bénédictines du Calvaire de s'établir à Paris, mais il leur fallut en-
core l'agrément de Henri de Bourbon , duc de Verneuil , évêque de
Metz et abbé de Saint- Germain des Prés, qui leur permît, comme
seigneur foncier, de Rétablir et de bâtir, rue de Vaugirard ; suivant
acte du 27 juillet 1621 , Marie de Médicis fit approuver le tout par
autres lettres patentes de Louis XIII , du mois de juillet 1 634, enre-
gistrées le 22 août suivant.
Le but spécial de l'institut des bénédictines de Notre-Dame du
Calvaire , était d'honorer et d'imiter le mystère de la compassion de
la Sainte-Vierge aux douleurs de Jésus-Christ, son fils, et à cet
effet , il y avait continuellement dans cette chapelle, employée au-
jourd'hui à des usages si divers et si profanes , des religieuses pro-
sternées incessamment au pied de la croix, tant le jour que la nuit.
Et pour indiquer ostensiblement cette dévote pratique, on avait orné
le portail d'une statue de Notre-Dame de Piété, tenant son fils mort
sur ses genoux , image qui était très- estimée comme œuvre d'art. La
générale de l'ordre faisait sa résidence au couvent du Calvaire du
Marais, qui était situé entre les rues Neuve-de-Bretagne etNeuve-
de-Ménilmontant, lequel avait été bâti en 1637 par les soins du père
Joseph.
Le palais du Luxembourg, après avoir été successivement palais
526 KEVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'Orléans, prison pendant la terreur, palais du Directoire, du Con-
sulat et du Sénat conservateur, est aujourd'hui le siège de la Chambre
des Pairs, l'un des trois pouvoirs de notre État constitutionnel : pou-
voir à qui est dévolue la mission de poursuivre les crimes d'État.
L'humble monastère du Petit Calvaire a partagé les vicissitudes du
palais de sa royale fondatrice dans le pourpris duquel il est enclavé.
Supprimé par la loi de 1790 et devenu propriété nationale, il fut
vendu en deux portions, les 2 décembre 1790 et 28 juillet 1791.
Les bâtiments ont été longtemps affectés à une caserne d'abord pour
les gendarmes des chasses , ensuite pour les vétérans faisant le ser-
vice du Luxembourg.
Depuis 1834 ils sont devenus la geôle criminelle de cette cour
suprême de justice , attribuée à la pairie. Quel sujet de graves ré-
flexions et d'étonnants rapprochements! Ce vieil et saint asile, otj
pendant cent soixante-dix ans, vécurent des anges de paix, modèle?
de toutes les vertus, fut habité dès lors par des meurtriers fanatiques.
Une hideuse succession de furieux, en qui toute pensée du ciel s'esl
évanouie, et qui, repoussant l'idée de la majesté, se sont livrés sui
le chef de l'État au délire d'une aveugle vengeance, ont attendu dan?
cette ruine chrétienne l'arrêt vengeur de leur crime , que la main de
Dieu a toujours empêché. Lecomte, l'assassin de Fontainebleau, y
occupait naguère leur place , qu'un autre misérable , Joseph Henry
est venu remplir à son tour. C'est dans une saïïe basse de ce mona
stère, qu'à sa voûte en plein cintre et ses colonnes monocylindriques
on pourrait prendre pour l'ancien chapitre des religieuses, aujour-
d'hui travestie en ateliers de moulage et de menuiserie; c'est, disons
nous, dans cette salle, que furent faits sur Fieschi et ses deux com
plices, Morey et Pépin, les tristes apprêts du supplice. Ainsi de:
ruines d'un monument jadis consacré à honorer le mystère de h
rédemption des hommes, sort aujourd'hui la preuve matérielle d<
cette grande vérité, que là où l'on a ôté le respect de la second'
majesté et de l'inviolabilité des rois; les faits de la politique, de-
viennent seuls la règle naturelle du commandement et de l'obéis-
sance.
L'église et le cloître existent encore, mais bien mutilés. L'église
qui servit d'écurie à Paul Barras , l'un des cinq directeurs de la repu
blique, est un petit édifice rectangle, voûté à plein cintre, dont 1
voûte de plâtre est ornée de lourds cartouches , profilés en relief e
de rinceaux de fleurs , de graines et de fruits. Les parois latérale
offrent une décoration en relief figurant quatre travées , dont les arc
ANCIEN MONASTERE DES FILLES DU CALVAIRE,
527
retombent sur des pilastres avee une frise régnant au pourtour. La
nef est éclairée par de petites fenêtres cintrées , percées irrégulière-
ment, et dont deux sont géminées. Plusieurs niches sont creusées
dans les murs. La décoration à colonnes, ou retable de l'autel, d'assez
bon style, sépare encore cette nef de ce qui formait au chevet le
chœur des dames. La grande fenêtre en plein cintre, régnant au-
dessus de la porte, est ornée sur sa face intérieure d'un fronton cir-
culaire surbaissé , reposant sur des pilastres portés par des demi-
figures de femme ou cariatides à gaines.
L'extérieur présente une remarquable corrélation d'ordonnance
avec l'aspect pesant de l'intérieur. Les murs sont soutenus par des
contre-forts, entre les fenêtres surmontées d'arcs-boutants en consoles,
DQUr soutenir la voûte. Le portail, d'une ordonnance simple et lourde,
Bien qu'offrant assez de symétrie dans l'ensemble s est décoré de pi-
528 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lastres divisés en trois ordres. Le gable ou pignon percé de deux
oculés dans son tympan, avec chaperons à moulures sur les rampants
est accompagné de deux vases clos à sa naissance, l'acrotère formant
la pointe de ce pignon supporte le symbole chrétien du pélican se
perçant avec son bec pour nourrir ses petits ; touchante allégorie ,
exprimant le dévouement du Fils de Dieu pour la créature, et parfai-
tement choisie pour caractériser une église destinée spécialement au
culte de la croix. Ce portail a été soumis à un retranchement, qui ,
en raison de sa disposition oblique Ta fait rentrer de cinquante cen-
timètres à trois mètres d'un angle à l'autre.
L'intérieur de la chapelle est divisé par un plancher horizontal ; à
l'étage supérieur est le magasin des décors du théâtre de l'Odéon , le
bas sert de bûcher et de remise; la chapelle de la reine est changée
en cuisines à l'usage de M. le grand-chancelier. Telle est aujourd'hui
la condition de cette royale fondation où d'humbles religieuses unis-
saient dans la méditation et la prière , le mystère douloureux de la
déchéance de l'homme, au glorieux mystère de sa réparation.
Le cloître, qui a servi de passage public pendant quelques mois en
1836 , est un petit édifice quadrilatère, dont les travées cintrées en
anse de panier ont pour clef des tètes de chérubins sous des consoles
écrasé es. Un méridien porte la date de 1 698. Les murs de fond étaient
couverts d'ornements d'architecture, peints à la fresque, aujourd'hui
ANCIEN MONASTÈRE DES FILLES DU CALVAIRE. 529
presque effacés. Nous y avons remarqué des niches dont la voussure
est en coquille, et déchiffré ces deux sentences : « Je vous envoie mon
ange qui préparera ma voye devant vous. — Dieu a commandé à ses
anges de vous garder dans toutes vos voies. » (Ps. 90).
Ainsi en même temps que la rue de Vaugirard , d'étroite et fan-
geuse qu'elle était , dans la partie longeant le palais de la Chambre
des Pairs et l'hôtel de la présidence , se transformait en une large
voie ornée d'une belle grille, qui, des maisons riveraines laisse planer
sur le jardin du Luxembourg, l'un des plus beaux de l'Europe : le por-
tail de l'ancienne chapelle du Petit Calvaire, conservé à l'archéologie,
était reculé et réédifié, sans lui ravir le cachet architectural du temps
où la reine Marie de Médicis le fit construire. Au point de vue de
l'art, cette restauration est bonne à constater; mais nous avons be-
soin de dire aussi que pour la rendre plus utile ou plus rationnelle
il eût été convenable de faire cesser une profanation permanente, qui
afflige les cœurs catholiques , en faisant de cet édifice la chapelle de
la Chambre des Pairs. Ses proportions assez vastes et son aspect sévère
pourraient assurément inspirer plus de recueillement que la chapelle-
salon où la noble Chambre fait célébrer le service divin.
Troche ,
Auteur d'une Monographie inédite de l'église Saint-Germain l'Auxerrois.
DECOUVERTES ET NOUVELLES
— On s'occupe très-activement de déblayer les trois salles du
Louvre qui doivent contenir les sculptures découvertes à Ninive. Ces
salles, situées au rez-de-chaussée de la partie nord du Palais,
étaient occupées par les bureaux de l'architecte du roi, le logement
de M. l'adjudant commandant , remplaçant le gouverneur, et, enfin,
l'atelier de moulage , qui retourne a l'hôtel d'Angiviller. On ignore
encore quels sont les moyens qu'on pourra prendre pour introduire
en ce lieu les colosses qui font partie du même envoi. On doit s'oc-
cuper d'autant plus de cette difficulté, que les monuments en ques-
tion sont formés d'une pierre peu dure par elle-même , et dont la
décomposition serait très-rapide si elle était exposée à l'air variable
de notre climat.
— M, le docteur Lepsius vient d'être nommé à la chaire d'archéo-
logie égyptienne créée récemment par S. M. le roi de Prusse, à l'uni-
versité de Berlin.
— Un antiquaire d'une petite ville du département de Loire-et-
Cher, nous communique la note suivante : Nous avons été, par
suite de l'inondation , sans communication avec Blois , sans lettres et
sans nouvelles pendant quatre jours ; quelques personnes seulement
se hasardaient dans les deux derniers jours à passer en nacelle. La
route étant entièrement détruite, les communications ne seraient pas
encore rétablies, et je ne sais quand elles pourraient l'être, si, par
bonheur, il n'existait pas, au milieu de la vallée, une vieille chaussée
romaine qu'on nomme les Ponts-Chartrains; cette voie antique, au-
dessus de laquelle l'eau passait à la hauteur de neuf mètres, a résisté
à tout; elle s'est retrouvée parfaitement intacte, à l'exception d'une
petite portion que nos ingénieurs avaient cru devoir refaire , et qui a
été emportée. La chaussée romaine est aujourd'hui le seul moyen de
communication qui reste entre les deux rives de la Loire, entre la
Sologne et la Beauce.
— L'église de Vaugirard, l'une des plus anciennes des environs de
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. Ml
Paris , va être démolie. Cet édifice modeste, sous le vocable de saint
Lambert , martyr et évêque de Maestricht , n'était dans l'origine
qu'une chapelle dépendant de la paro:sse d'Issy. Elle fut érigée en
cure en 1346. Simon de Bucy, premier président du parlement de
Paris à cette époque, fit agrandir la chapelle à deux reprises diffé-
rentes; c'est ce qui explique l'irrégularité de sa construction, qui est
du reste sans aucun mérite d'architecture. Son état de vétusté et sa
position à l'une des extrémités de la commune , sur la principale
voie publique qu'elle obstrue , sont les motifs qui font prendre la
détermination de la démolir et d'ériger une nouvelle paroisse plus au
centre des habitations de ce village, l'un des plus considérables de
la banlieue de Paris , et d'une dimension plus en rapport avec sa
nombreuse population, évaluée d'après le dernier recensement à dix
mille habitants.
— L'église de Belleville vient d'être classée au nombre des monu-
ments historiques , M. le ministre de l'intérieur a promis d'allouer
des fonds pour la faire convenablement restaurer.
— Les peintures du porche de l'église Saint-Germain VAuxer-
rois de Paris, exécutées par M. Mottez , viennent d'être livrées aux
regards du public. M. Troche, l'historien de ce remarquable monu-
ment et l'un de nos collaborateurs , nous promet , pour le prochain
numéro, un mémoire historique et critique sur cette portion de
l'église.
— M. Jean Theys, élève archiviste, à l'hôtel de ville de Louvain ,
vient de découvrir le nom de l'architecte qui a construit ce bel
édifice, et qui était demeuré ignoré jusqu'à ce jour. M. Jean Theys
a acquis la preuve incontestable que le constructeur de l'hôtel de
ville s'appelait Matheeus de Layens. Ce maître maçon de la ville et
banlieue avait, pendant près de trente ans, manié, pour le compte
du magistrat, la truelle et la pioche, au prix de quatre sols par
jour en été, et un peu moins de trois sols en hiver. Il a reçu, comme
gratification, cinq florins ou cinq péters dix sols, pour la confection
de cet immortel édifice. Ce prix , bien que supérieur à celui qu'il
annonce de prime abord , à raison de la valeur du sou à cette épo-
que, est cependant encore bien faible, quand on pense au travail,
au talent même qu'il était destiné à rétribue?,
53*2 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
— On a fait dernièrement à Rouen une découverte numisma-
tique tout à fait intéressante. Dans les travaux de percement qui
s'exécutaient à travers la rue du Loup pour l'établissement de la rue
Royale, on eut à détruire un ancien mur d'enceinte, épais de plus
d'un mètre, et l'on découvrit, à environ trois mètres de profondeur,
un vase de terre noire grossière , qui contenait environ quatre cents
monnaies romaines de petit bronze ; trois pièces d'argent seulement
y étaient mêlées. Comme ces médailles étaient fort oxidées, il fallut
les nettoyer, et dans cette opération, il y en eut environ quatre-
vingts de détruites. Un peu plus de deux cents pièces furent portées
à M. Deville, le savant directeur du Musée, qui reconnut que, sauf
une douzaine de petits bronzes , à l'effigie de Gallien , Postume ,
Victorin , Tétricus , ce dépôt tout entier appartenait à l'empereur
anglais Carausius. Voici un aperçu des différents revers que signale
M. Deville :
Bronze. — Ecuitas mundi 5 pièces.
Fortuna red 14
Romœ œternœ 1
Concord milit 1
Virtus aug 10
Securilas per 20
Salas aag . . 29
Temporam fe 19
Lœlitia 6
Providentia aag et prvidenlia aug. . . 30
Tutela aag . 72
Argent. — Uberita aug. Femme qui trait une vache. 2
Uberilas aug. L'empereur et une femme
debout 1
Total. . . 210
On pourrait supposer que ce dépôt date de l'époque de Carausius,
si un petit bronze de Constantinopolis qui s'est rencontré au milieu
des médailles de ce tyran , ne le reportait à Constantin le Grand,
c'est-à-dire , à une quarantaine d'années plus près de nous.
— L'antique et belle abbaye de Dissentis, au canton des Grisons,
fondée au VIIe siècle , par Sigebert , bénédictin écossais , vient d'être
entièrement détruite par un incendie. Sa magnifique église , son
trésor , sa riche et précieuse bibliothèque , tout est détruit. Cette
abbaye avait déjà été incendiée en 1799.
BIBLIOGRAPHIE.
Annales de rnstilut de Correpondance Archéologique, tome XVI et
XVII. Paris, Benjamin Duprat.
Un de nos collaborateurs a déjà rendu compte, dans la Revue Ar-
chéologique, du tome XVe des Annales de V Institut de Rome. Aujour-
d'hui nous allons essayer de faire connaître à nos lecteurs les
tomes XVIe et XVIIe de cette intéressante collection.
On sait que la savante association dont se compose l'Institut Ar-
chéologique se divise en deux sections : l'une , qui compte dans son
sein les érudits allemands et italiens, porte le nom de section ita-
lienne; l'autre, comme son nom l'indique, doit sa formation aux
érudits français.
C'est aux membres de la section italienne que nous devons le
tome XVIe des Annales. Ce volume contient plusieurs mémoires
concernant divers monuments de sculpture, des peintures , des vases ,
des médailles, des inscriptions> et quelques articles de critique. Nous
commencerons par nous occuper des travaux relatifs à la sculpture.
Une tète de Minerve, un bas-relief de la villa Albani, et une coupe
de verre antique du musée de Modène, ont été l'objet des recherches
de deux savants allemands et d'un célèbre antiquaire italien. Dans la
tête de Minerve, M. Hermann Hettner reconnaît Pallas Tritogenia;
sur le bas-relief de la célèbre villa du cardinal Albani, M. C. Bles-
sig voit la représentation d'une de ces distributions faites par les
empereurs au peuple, et nommées communément congiaria; enfin, la
coupe de verre du musée de Modène fournit à l'abbé Cavedoni l'oc-
casion d'ajouter un nom nouveau au catalogue des anciens artistes,
celui d'Ennion, lequel Ennion recommande son œuvre aux ache-
teurs par une petite légende gravée au haut du vase/
M. Emile Braun, secrétaire de l'Institut Archéologique, a donné
une explication des bas-reliefs qui ornent le fameux sépulcre de la
ville de Xanthus en Lycie ; l'interprétation de l'habile archéologue
diffère de celle de M. Panofka, auquel on doit un mémoire très-cu-
rieux sur le même monument; elle s'éloigne du naturalisme mytho-
logique de l'antiquaire de Berlin, et se rapproche du symbolisme mo-
ral de l'ancienne érudition française. Ainsi, par exemple, les harpies
534 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
figurées sur ce sépulcre expriment, selon M. Braun, cette pensée,
que l'homme soit dans la iieur de la jeunesse ou comblé de dons de
la fortune , ne peut échapper à la mort.
Investigateur infatigable , M. Welcker saisit toutes les occasions
de jeter du jour sur un point d'antiquité, n'importe lequel. Aujour-
d'hui il nous explique un bas-relief de la ville d'Oropus; il y voit
Amphiaraus et son tidèle aurige Bâton au moment où la terre s'en-
tr'ouvre pour les engloutir. Nous n'avons nulle besoin de dire que
cette dissertation porte tous les caractères d'une vieille expérience
dans le champ de l'antiquité.
M. H. Keii a essayé d expliquer deux groupes, 1 un de bronze et
l'autre de marbre , représentant Hercule et la biche de Diane. L au-
teur abordant la question mythologique, a combattu les explications
astronomiques de AL Gerhard, et vu dans cet hercule dont l'archéo-
logue de Berlin fait un dieu solaire , une divinité de la course et de
la lutte.
On doit savoir gré à M. H. Brunn d'avoir songé à illustrer le beau
sarcophage découvert assez récemment par les soins de M. Campana
dans les environs de Tivoli. Ce monument, que nous avons eu occa-
sion d'admirer à Kome , reproduit , ce qui n'est pas très-commun
parai ceux de ce genre, un acte de la vie réelle, une scène de ma-
riage. Mais cette représentation prend ici un caractère tout poétique,
parlaitement en rapport avec les épithaiames de Claudien et des écri-
vains de même sorte: c'est ce que M. Brunn met très-bien en lu-
mière.
Les études céramographiques sont représentées dans ce volume
avec un certain éclat: nous indiquerons un mémoire de Al. Emile
Braun sur un vase du musée de Paierme, où 1 on voit Silène et Midas.
M. J. Louis Ussing s'est chargé d'interpréter les peintures qui déco-
rent un vase de lEtrurie , dans lesquelles il reconnaît le triomphe
d'Hercule et dlolaûs. Un vase du musée de Berlin reproduit, selon
M. Panoîka, le combat de Diomède contre les Messaptens . Le môme
savant trouve les images de la Persuasion et de la Grâce, Pitlw et
Charis, sur une hydne de Nola. iiuhn, nous devons sigualer une
longue dissertation de M. Ludoifo Stephaui , concernant un vase de
Lentini. Le savant archéologue voit ici un sujet assez rare, une
scène empruntée à quelque comédie antique , dont Hercule et Auge
auraient été les principaux personnages.
La numismatique n'occupe, dans le XVIe volume des slnnales,
qu'une place très-restreinte, Nous ne pouvons citer qu'une notice de
BIBLIOGRAPHIE. 535
M. G. Friedlaender, concernant une nouvelle monnaie autonome ; ii
s'agit d'une médaille trouvée dans la Russie méridionale , qu'il attri-
bue à la ville de Cercine, dans la Chersonèse taurique.
Nous arrivons à l'épigraphie: deux mémoires , l'un de M. Henzen,
l'autre du professeur Matranga , en font les frais. Le travail de
M. Henzen intitulé de Tabula alimentaria Bœbianorum est très-
important et très-curieux. Il s'agissait d'interpréter une inscription
sur une table de bronze trouvée il y a quelques années à Campolati
près de Bénevent. Cette inscription, relative à l'une des libéralités de
Trajan en faveur des Liguriens réduits à l'indigence, est expliquée et
complétée par l'auteur de manière à lui mériter les suffrages de tous
lesérudits; nous croyons aussi qu'il a quelque droit aux éloges de ceux
qui étudient l'histoire de la charité publique chez les Romains. Le
mémoire de M. le professeur Matranga est d'un intérêt moins géné-
ral, mais plus littéraire. L'auteur a retrouvé, sur une tuile conservée
dans le musée de Syracuse , l'anlistrophe de la VIe olympique de
Pindare. C'est une petite découverte , mais qui n'en doit pas moins
piquer la curiosité des philologues , puisque l'inscription offre une
variante que n'indiquent point les manuscrits.
Il nous reste à dire un mot au sujet des observations de M. H.
Brunn sur le dernier ouvrage d'un célèbre antiquaire français , inti-
tulé : Lettres à M. Schorn , Supplément au Catalogue des Artistes de
V antiquité grecque et romaine, par M. Raoul Rochette. Il y a des li-
vres malheureux , et celui que nous citons est du nombre. Les lec-
teurs de la Revue connaissent les critiques dont les Lettres à M. Schorn
ont été l'objet de la part d'un philologue éminent; et voilà que du
fond de l'Allemagne ou de l'Italie un autre érudit adresse à M. Raoul
Rochette des reproches non moins vifs à propos de quelques erreurs
fort peu pardonnables. On a beau se souvenir de la prodigieuse acti-
vité de M. Raoul Rochette, des services incontestables rendus par lui
à l'archéologie, on ne peut méconnaître la justesse des remarques de
l'antiquaire allemand. La franchise de M. H. Brunn est empreinte de
rudesse germanique ; mais la vérité nous contraint d'avouer qu'il est
difficile de connaître mieux que lui l'histoire des artistes anciens , et
toutes les questions qui peuvent s'y rattacher.
Deux morceaux fort remarquables terminent ce XVIe volume.
Nous devons le premier à la plume de M. Th. Mommsen. L'auteur
traite ici sous forme d'observations une de ces questions de topogra-
phie, sujet éternel de controverse entre les antiquaires. 11 récherche
quel était dans le forum l'emplacement des comices ; il veut retrou-
536 REVUE ARGHÉOLOGIQUE.
ver les vestiges du temple de Janus. Nous devons le dire, l'auteur
apporte un soin minutieux à débattre ces divers points ; et comme il
déploie beaucoup de science, nous serions tenté de lui donner raison,
s'il n'était pas téméraire de rien affirmer en pareil cas ; car on sait
que les monuments du forum romain, comme ceux qui l'environnent,
changent de nom et de destination tous les dix ans.
Une lettre du comte Borghesi au docteur Henzen forme le second
article. Il s'agissait de restituer le nom d'un personnage désigné
seulement dans le chapitre 116 de YHistoire de Velleius Paterculus,
par un titre honorifique. M. le comte Borghesi suppose que cet in-
connu doit être un certain JEYms Lamia qu'Horace dépeint dans une
de ses odes comme un ami des muses. Le nom de M. Borghesi nous
donne toute confiance dans cette résurrection historique.
Le XVIIe volume des Annales , publié par la section française ,
n'offre pas moins d'attrait à la curiosité que celui dont nous venons
de rendre compte. Si nous suivons l'ordre adopté dans notre précé-
dente analyse, nous devons signaler dès l'abord quelques observations
fort curieuses et fort bien présentées par M. Le Bas. Au sujet de
deux bas- reliefs votifs de Gortyne et d'Athènes. Nous citerons en-
suite un mémoire de M. Lenormant sur une statuette de bronze
que cet antiquaire considère comme le génie de la tragédie en ap-
puyant cette opinion , à défaut de textes , sur la comparaison ingé-
nieuse de divers monuments figurés. Pour ne rien omettre d'impor-
tant nous indiquerons une note de M. le duc de Luynes sur un
bronze représentant un nègre. Ce monument , publié par Caylus ,
mais d'une manière inexacte, a été trouvé à Châlons-sur-Saône vers
la fin du siècle dernier.
Dans ce volume comme dans le précédent , les vases peints ont
fourni ample matière aux recherches des savants rédacteurs des An-
nales. Nous trouvons dès les premières pages les conclusions d'un
mémoire de M. le duc de Luynes concernant les Harpies. La vue
d'un vase athénien représentant ces monstres emplumés expulsés du
palais de Phinée a suggéré ce travail à l'habile antiquaire. Les opi-
nions de M. le duc de Luynes sur la mythologie peuvent être discu-
tées ; mais ce qu'on ne peut lui refuser, c'est la connaissance appro-
fondie des monuments figurés. Un vase de la Lucanie a donné
occasion à un savant napolitain, M. Gargallo, de disserter sur le
mvthe d'Amymone et de Neptune; et plusieurs autres vases ont
fourni à M. Panofka le sujet de trois opuscules , intitulées : Diony-
sus et les Cabires, Marsyas et Olympus , et , enfin , Athéné Memnon.
BIBLIOGRAPHIE. 537
Dans ce dernier écrit , le célèbre archéologue de Berlin émet une
opinion difficile à justifier ; il croit pouvoir retrouver sur deux vases,
l'un de Nola et l'autre de Vulci , l'image ou plutôt le type grec de
cette Minerva memor, qui n'est connue que par plusieurs inscrip-
tions latines. M. Roulez est un antiquaire laborieux auquel on
doit une très-bonne dissertation sur une peinture représentant les
fureurs de Lycurgue. Quant à M. de Longpérier, il s'est fort bien
acquitté d'une tâche difficile, celle d'expliquer un vase du musée
de Naples représentant Bellérophon ; car la scène est disposée de
manière qu'on ne sait si le héros reçoit de Prœtus les tablettes qui
doivent lui être si fatales , ou bien si c'est à lobâtes qu'il les remet.
Nous retrouvons dans ce volume un mémoire de M. Welcker, fait
avec cette conscience allemande qui recueille tout et s'éclaire des lu-
mières de la plus vaste érudition. A l'occasion d'un vase de Pistici
dans la Basilicate , sur lequel on voit d'un côté le Jugement de Paris,
et de l'autre Ulysse évoquant l'ombre de Tire'sias, ce savant passe en
revue tous les jugements de Paris connus jusqu'à ce jour. Dans cet
examen , il donne une nouvelle preuve de son habileté à tirer parti
de la comparaison des textes aux monuments.
Les limites de cette analyse sont bien étroites ; aussi avons-nous
le regret de ne pouvoir indiquer qu'en passant une nouvelle explica-
tion d'un des plus beaux et des plus curieux miroirs étrusques du mu-
sée grégorien. Cette explication, qui est la troisième, si je ne me
trompe , à laquelle ce monument a donné naissance , appartient à
M. Panofka. L'ingénieux archéologue reconnaît sur ce miroir Apollon
faisant à Neptune cession de Vile de Calaurie. Nous avons encore à
signaler les recherches de M. de La Saussaye concernant des monnaies
gauloises , celles des Éduens , et un excellent mémoire de M. Le-
tronne, intitulé : Observations philologiques et archéologiques sur
l'étude des noms propres grecs , suivies de iexamen particulier d'une
famille de ces noms. Le savant académicien s'est proposé, dans ce
mémoire , de prouver que l'étude des noms propres grecs pouvait
rendre de grands services non point seulement à l'histoire et à la
géographie, mais à l'archéologie , en servant à rectifier les légendes
des médailles , et à mieux lire les inscriptions. M. Letronne possède
un mérite rare , c'est d'avoir introduit dans l'érudition, à une époque
où les théories les plus hasardées menacent l'étude de l'antiquité,
cette précision rigoureuse, cette logique sévère qui paraissaient n'ap-
partenir jusqu'ici qu'aux sciences naturelles. C'est un de ces es-
prits pour lesquels la vérité est un besoin, que les paradoxes irritent,
III. 35
538 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
et qui les combat avec une verve et un talent de style peu communs
chez les érudits.
En terminant, nous signalerons un mémoire : Sur V origine et la
signification de la croix ansée , par M. Lajard , et les Recherches de
M. de Saulcy sur les inscriptions votives, phéniciennes et puniques. Le
travail de M. Lajard est en quelque sorte le complément de la dis-
cussion survenue entre M. Raoul Rochette et M. Letronne au sujet
de ce symbole. M. Letronne considère la croix ansée comme parti-
culière à l'Egypte. M. Lajard , ainsi qu'on pouvait s'y attendre , la
fait venir de l'Asie : c'est, dit-il, la reproduction abrégée et linéaire de
la triade divine. Voilà une découverte dont nous féliciterons le savant
auteur si jamais elle parvient à être suffisamment établie. Le mé-
moire de M. de Saulcy renferme de précieux documents. On s'étonne
quand on voit M. de Saulcy, dont on connaît l'esprit si vif, l'heu-
reuse et souple intelligence, traiter avec tant de patience et de scru-
pule des sujets d'une aridité désolante. C'est un véritable service
rendu à la science , et dont les amis de l'épigraphie phénicienne et
punique doivent lui savoir un gré infini.
La partie critique du XVIIe volume des Annales se compose d'une
lettre de M. Otto Jahn à M. de Witte, de la réponse de M. de Witte,
et d'une lettre adressée à ce dernier par M, Lenormant. Le mythe
d'Adonis fait le fond de cette discussion. L'habile antiquaire al-
lemand reproche à M. de Witte de voir trop généralement dans les
peintures de vases et dans d'autres monuments qui représentent un
couple amoureux , l'union de Vénus et de son amant. M. de Witte
se défend, et, pour mieux combattre, il appelle à son secours ce
qu'il nomme Y euphémisme grec. Il entend par là ces allusions délicates
aux idées de mort que la fable d'Adonis, à la fois erotique et funèbre,
exprimait d'une manière si heureuse.
Dans !a lettre qu'il adresse à M. de Witte, M. Lenormant tente
une nouvelle explication des peintures examinées par cet antiquaire
et par M. Jahn. 11 défçnd l'interprétation qu'il a donnée d'un vase
de la collection Durand sur lequel il reconnaît : Bacchus, Orphée et
Prosymnus auprès de Vénus et d'Adonis. Si les idées qu'il émet peu-
vent paraître hasardées, voici du moins comment il se justifie : a Je
me serai compromis peut-être, dit-il, mais j'aurai excité à la re-
cherche et à la discussion; et je ne crois pas qu'il en soit de même
des savants qui, plus prudents que moi, aiment mieux rester en deçà
de la vérité que d'aller au delà. »
H y a dans lesdeux volumes que nous annonçons beaucoup d'éra*
BIBLIOGRAPHIE. 639
dition, quelques idées nouv elles et des monuments inédits ; en un mot,
tout ce qu'il faut pour contribuer au progrès des bonnes et saines
éludes archéologiques. Nous n'avons pas besoin d'en dire davantage
pour inspirer aux lecteurs de la Revue le désir de les lire.
0.
ViRGixirjs natjticus, examen des passages de ï Enéide qui ont trait
à la marine, par M. Jal, historiographe de la marine, auteur de
{'Archéologie navale. Paris, 1843, in-8.
Le titre latin de cet opuscule pourrait prévenir défavorablement
le lecteur sur les connaissances de M. Jal en fait de latinité classique,
mais une telle prévention serait injuste. A lire l'ouvrage on s'aper-
çoit bien que l'auteur connaît à merveille la langue de Virgile et
qu'il l'a seulement oubliée un instant par amour de la brièveté.
L'objet qu'il se propose est assez piquant et assez neuf. Virgile était
un peintre de la nature, ses traducteurs sont ordinairement des écri-
vains de cabinet. Ce que Virgile a vu , ses traducteurs ne le connais-
sent que par ouï dire ; de là vient que souvent ils comprennent mal
dans le poëte certains détails techniques et remplacent par des syno-
nymes inexacts , par des périphrases plus ou moins mensongères le
mot propre dont il s'était servi. Cela est surtout sensible en ce qui
touche à la marine. Virgile, selon son vieux biographe, est resté
sept ans à Naples, écrivant les Géorgiques, puis onze ans en Sicile,
dans la Campanie, composant Y Enéide. Ce sont dix-huit années
pendant lesquelles il n'a cessé de voir des vaisseaux, des manœuvres
de mer, et sans doute, avant de s'embarquer en Grèce, il avait plus
d'une fois cédé à la tentation de visiter dans tout leur détail quelques-
uns de ces navires élégants et agiles où l'art romain égalait, s'il ne
surpassait pas celui des Grecs et des Carthaginois. Enlin le voyage
du poëte en Orient, voyage précisément entrepris pour achever
ï Enéide, dut perfectionner son éducation nautique; d'où il faut con-
clure, selon M. Jal, que Virgile n'a pu parler légèrement de choses
qu'il savait si bien, et que dans toutes les descriptions qu'il a faites d'un
navire et de ses manœuvres, dans toutes ses allusions aux travaux
de la marine, on doit trouver, malgré les exigences de la forme
poétique , une rigoureuse exactitude. Chez lui puppis doit toujours
signifier la poupe, c'est-à-dire l'arrière du vaisseau, prora, la proue,
c'est-à-dire l'avant ; carina,ce qu'on appelle proprement la carène, etc.
Or cette précision savante disparaît presque toujours dans les para*
540 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
phrases, comme celle du père La Rue, dans les traductions en vers,
en quelque langue qu'elles soient écrites. A cet égard M. Jal n'épargne
pas même la merveilleuse traduction allemande de Voss. La plupart
de ses critiques sont aussi justes qu'ingénieuses. Quand Virgile écrit,
par exemple :
Obvertunt pelago proras et littora curva»
Prœtexunt puppes ,
quand il nous peint Hector :
Danaum Phrygios jaculatus puppibus ignés,
il est évident que remplacer dans ces passages puppis par navis, le tra-
duire vaguement par vaisseaux, c'est en altérer ou même détruire le
sens de l'original. Mais dans cet autre vers d'un discours de Junon
{Enéide, I, 73):
Incute vim ventis submersasque obrue puppes,
peut-on dire que naves serait mal employé à la place de puppes?
« Junon voulant que les poupes renversées soient submergées , abî-
mées , brisées, et ne puissent revenir à la surface des ondes, parce
que c'est à l'arrière des navires que sont, les Pénates (?) et les chefs
des Troyens , c'est-à-dire tout Ilion qu'Énée porte en Italie :
llium in Italiam portons victosque Pénates. (P. 23. j »
Si , dans le second livre , Anchise , après l'embarquement de tous les
siens , se tient debout celsa in puppi, pour offrir aux dieux des prières
et des libations , est-ce parce que « la poupe est la place d'honneur,
celle qu'il doit occuper, et en ce moment plus que jamais, puisque,
s'il fait un sacrifice aux dieux de la mer et des tempêtes , il en fait en
même temps un aux divinités de la terre, et qu'il faut (?) qu'en tom-
bant de la coupe des libations le vin touche à la fois le rivage et
l'onde qui le baigne? » (P. 30.) J'accorde que Virgile aime en général
peindre fidèlement les objets; mais enfin c'est un poëte , et je ne puis
me résigner à lui attribuer en toute occasion ces subtiles recherches
d'exactitude; je veux bien qu'on l'appelle un poëte exact, mais non pas
un homme spécial. Qu'on y prenne garde d'ailleurs, quelquefois ces
calculs dont on lui fait honneur, pourraient bien tourner aussi à sa
confusion. « Beroë, dit, à la p. 32, M. Jal, conseille aux Troyennes
d'incendier les navires de leurs époux ( 1. V, v. 635); et ce sont les
infauslas puppes qu'elle les engagea brûler d'abord, tant parce que les
poupes sont approchées du rivage , que parce qu'elles recèlent des
BIBLIOGRAPHIE. 541
dieux qui les ont trompées, des dieux funestes (infauslos). Mais
Jupiter sauve les poupes à demi-brûlées en les inondant d'une pluie
abondante , implenlurque super puppes. — Vénus , priant Neptune
d'être favorable à son fils, entre autres cruautés de Junon, lui raconte
les poupes brûlées par les femmes troyennes ; ces poupes où étaient
ses images avec celles des dieux de Troie (?), et auxquelles Iris s'est
acbarnée peut-être pour cette seule raison. » Mais que veulent donc
les Troyennes? rester en Sicile et mettre fin à tant de périlleux
voyages. Pour cela il faut brûler les vaisseaux, non pas seulement
la poupe ou la proue des vaisseaux , ce qui serait un jeu puéril ;
aussi est-ce bien les vaisseaux tout entiers que désigne le poëte, dans
la suite du même récit , par ces variantes et ces périphrases :
At maires , primo ancipites , oculisque malignis
Ambiguae spcctare raies , miserum inlcr amorcm
Praesentis terrae falisque vocantia régna.
. . . Furit immissis Vuicanus habenis
Transira per et remos et pictas abiete puppes.
Incensas perfert naves Eumelus....
Udo sub robore vivit
Sluppa, vomens tardum fumum , lentusque carinas
Est vapor et tolo descendit corpore pestis.
Et l'hémistiche implenturque super puppes est suivi de ces mots signi-
ficatifs :
. . . . Semiusta madescunt
Robora , restinctus donec vapor omnis , et omnes,
Quatuor amissis , servatae a peste carinœ.
On pourrait relever dans le Virgilius nauticus plusieurs traits du
même genre. M. Jal est avant tout un très-habile archéologue ; et
bien qu'il se montre animé d'un vif sentiment des beautés poétiques de
Y Enéide , c'est surtout au point de vue de l'archéologie qu'il a étudié
ce poème. Dès lors il est difficile qu'il n'ait pas quelquefois prêté à
Virgile des intentions qui lui sont plus ou moins étrangères. Mais cet
inconvénient note rien au mérite solide de ses recherches, qui reste-
ront comme un fort bon chapitre d'archéologie navale. Nous recom-
manderons surtout au lecteur les dernières pages et les notes , pleines
de discussions et de rapprochements curieux. En général , de telles
monographies sont utiles au progrès de la science ; elles éclairent
la critique des traducteurs et des interprètes ; elles préparent les
matériaux à ceux qui veulent rédiger avec suite l'histoire des arts
dans l'antiquité. E.
542 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Den Boom van Jessé , eene muurschilderij uit de XV eeuw in âe
Buurkerk te TJlrecht, beschreven en opgehelderd, doorL. F. Jans-
sen. Utrecht, 1846.
L'Arbre de Jessé, peinture murale du XVe siècle de l'église dite
Buurkerk, à Utrechf, décrite par L. F. Janssen.
Le savant conservateur du Musée des Antiquités de Leyde ,
M. Janssen, vient de publier cette brochure que nous jugeons utile
d'annoncer aux lecteurs de la Reçue, attendu qu'elle se rapporte â
un sujet que nous avons traité dans un des numéros de Tannée
1844. Comme cette dissertation est écrite en hollandais, langue qui
n'est pas familière à la majeure partie des archéologues français ,
nous pensons leur rendre service , en mettant sous les yeux l'analyse
des faits qui y sont consignés.
L'église d'Utrecht, appelée Buurkerk , est dédiée à la Vierge, et
porte le nom de Sainte -Marie-Mineure, H. Maria de Mindere, mais
on lui a imposé vulgairement le sobriquet de Buurkerk (Ecclesia
civilis ou popularis) , parce qu'elle fut longtemps le lieu de réunion
du conseil de la ville qui y rendait ses ordonnances ou plébiscites
(Buurspraken.)
Sur la muraille méridionale de cette église , se trouvent les restes
d'une peinture à fresque, fort curieuse , représentant le sujet célèbre
de l'arbre de Jessé ou de la généalogie de la Vierge. Les dimensions
du tableau sont de 5el,07 de hauteur , et de 4el,52 de largeur.
Les figures sont un peu plus grandes que nature, proportion néces-
saire pour que les personnages parussent de taille naturelle, le tableau
étant élevé de 3e,,45 au-dessus du sol.
Retrouvée par hasard, en 1840, cette peinture a été restaurée par
les soins de l'ancien bourguemestre , feu Van Asch van Wijck , et,
depuis, soigneusement conservée. Elle est actuellement préservée par
un rideau qui ne se tire que pour les étrangers. Malheureusement ,
le temps avait déjà, lors de la découverte, fortement endommagé
diverses parties.
Voici la description qu'en donne M. Janssen :
Jessé repose sur un lit de couleur jaune, dans une salle tendue en
bleu, percée de fenêtres à plein cintre, et carrelée de carreaux vert-
clair ou sombre. Sa tète est coiffée d'une toque ronde , de couleur
rouge, comme sa tunique de dessous. Son manteau et les couver-
BIBLIOGRAPHIE. 543
tore* du lit sont bleu-clair , semé de taches brunes. Le nom de
Jessé, qui se lit au-dessus de la tête de ce personnage endormi , ne
laisse aucun doute sur son identité avec le père de David. Au
sommet de l'arbre qui sort de son côté droit, est la Vierge debout ,
portant l'Enfant Jésus. Sa tête est ceinte d'une couronne formée de
trèfles ou de lis d'or, et surmontée d'une auréole de la même couleur.
La tunique qu'elle porte est bleu de ciel, et son manteau de la même
nuance que celui de Jessé. Le petit Jésus est revêtu de la pourpre
royale, et ce riche vêtement laisse apercevoir dessous une tunique
verte. La tête du Dieu-Enfant est ceinte de rayons lumineux. Les
figures des rois , ancêtres de Marie , sont disposées symétriquement
sur les deux rameaux de l'arbre qui se bifurquent eux-mêmes ,
chacun , au sortir du tronc dont ils s'échappent. L'artiste n'a repré-
senté que les bustes de ces personnages qu'il a placés dans des espèces
de fenêtres ou de niches. Chacun d'eux porte la couronne et le
sceptre, emblème de la royauté. David seul n'a point été posé sur
la tige généalogique , et il est peint assis et jouant de la harpe au
chevet de Jessé. Une portion de sa figure est effacée. Il en est de
même des figures de Salomon, de Roboam et de Joram. Le vètemeot
varie de couleur pour chacun d'eux , mais dans la distribution qu'il
a adoptée, le peintre paraît n'avoir consulté que son goût ou son
caprice , et nullement les règles du symbolisme iconologique.
Tout cela est peint, non pas à l'huile, mais en détrempe. M. Janssen
soupçonne que l'on a pu employer aussi pour la préparation des
couleurs, la gomme, le miel, le jaune d'œuf, et peut-être même le
vin. Le vernis qui recouvrait l'aire du tableau, a disparu, par l'effet
du grattage du miur.
Il eût été à souhaiter que la planche jointe à la dissertation , ne
nous offrît pas qu'un trait fort imparfait , et qu'elle eût reproduit
les couleurs qui contribuent puissamment à l'intérêt de cette fresque.
Le nom des rois figurés étant inscrits près d'eux sur des phylac-
tères ou banderolles , cette circonstance fait disparaître la difficulté
d'identifier chacun d'eux à l'un des ancêtres de la Vierge, difficulté
qui nous avait embarrassé dans la notice que nous avons rap-
pelée plus haut. Nous retrouvons parmi ces noms celui de Salomon,
que nous avions supposé , avec raison , devoir être au nombre des
aïeux que l'artiste avait représentés. Mais celui de Sadoc n'y paraît pas ,
ce qui rend probable l'absence de ce docteur tant soit peu hérétique
sur la boiserie de M. Gallois. La place toute particulière qu'occupe
le roi David, assis et jouant de la harpe, au chevet du lit de Jessé ,
544 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
donne a penser que, sur cette boiserie, le monarque devait occuper
une place analogue , et que le défaut d'espace a empêché , une fois
le reste du sujet déjà exécuté, de l'introduire sur le premier plan.
Cette supposition expliquerait son absence sur l'arbre symbolique de
M. Gallois. Car, comme le roi-prophète ne paraît jamais sans sa
harpe caractéristique , on a lieu de penser qu'il n'est pas compris
parmi les rois représentés.
Les noms font aussi voir que, dans l'impossibilité où le défaut
d'espace suffisant le mettait de figurer ces vingt -huit ou deux
fois quatorze générations, l'artiste n'a peint que la première moitié,
celle qui va jusqu'à l'époque de la captivité à Babylone.
La manière dont la tige sort de la région subthoracique du corps
de Jessé est tout à fait conforme à la prescription que donne Denys,
moine de Fourna d'Agrapha, dans son Guide de la Peinture-, qui a
été traduit par le docteur Paul Durand, conformité que l'on ne
remarque pas partout , ainsi que l'a fait remarquer M. Didron , dans
ses notes sur cet ouvrage (l).
Dans la fresque de Buurkerk , aux pieds de Jessé , sont deux per-
sonnages à genoux , ayant près d'eux l'écusson blasonné à leurs ar-
moiries. Tout le monde reconnaîtra en eux, avec M. Janssen, le
couple qui fait hommage de cette peinture à la Vierge. C'est un
homme et une femme. Le premier a la tète nue ; il porte un man-
teau noir, et une épée courte engainée d'or est suspendue à sa cein-
ture; la seconde a le chef recouvert d'un capuchon. Ces deux figures
sont plus petites que les autres. Au-dessous, on lit:
IN 'T JAER ONS HERE MCCCC EN L... SINTE MATHEUS DACH
STERF GI1ERTRUT. FLORES. OTTE... WYF. RIT VOR DE S1EL.
C'est-à-dire : En Van de Notre-Seigneur mcccc. l.., le jour de
saint Matthieu, mourut Gertrude Flores, femme de Othon. Priez
pour son âme.
Cette inscription fait supposer qu'Othon avait perdu Gertrude lors-
qu'il fit faire cette peinture en l'honneur de Marie et pour le salut
de l'âme de sa compagne. Mais il a voulu placer à ses côtés celle
aux prières célestes de laquelle il se joignait sur la terre.
M. Janssen a vainement parcouru tout l'armoriai des Pays-Bas ,
(1) M. Didron cite notamment une bible historiaie qui est à la bibliothèque pu-
blique de Reims où l'arbre sort de la bouche du patriarche, une bible latine , dans
laquelle le tronc sort du crâne. Voy. Ouv. cil., p. 164.
BIBLIOGRAPHIE. 545
il n'a pu y découvrir à qui appartenaient les armoiries dont sont
chargés les écussons. Il croit reconnaître sur celui de l'homme trois
lanternes. Le champ de 1 ecu de la femme est de deux émaux diffé-
rents, il est parti, à gauche au même que son époux, à droite,
tiercé de faces d'or et d'argent.
La date étant en partie effacée , le savant archéologue hollandais a
dû rechercher celle qui avait été^riginairement inscrite, et qui donne
par conséquent l'époque de l'exécution de cette peinture. En consi-
dérant l'espace vide qui suit le chiffre romain l, et en tenant compte
de l'époque de la construction de la partie de l'église attenante à cette
muraille, il est conduit à adopter la date mcccclxxx (1480). C'est
en effet dans la seconde moitié du XVe siècle et au commencement
du XVIe, que les peintures à fresque , jusqu'alors si rares dans les
églises des contrées septentrionales, sont devenues plus communes.
Plusieurs des noms inscrits sur les phylactères ont été effacés en
partie. M. Janssen les a facilement restitués. Deux des noms écrits
ne semblent pas s'accorder avec ceux qui sont consignés dans la
généalogie de saint Matthieu. Mais cela n'est que le résultat d'une
erreur. Voici en effet l'ordre de la première tetracœdecade donnée
par l'évangéliste :
Jessé,
Abias.
Ozias.
Manassès,
David.
Asa.
Joathan.
Amon.
Salomon.
Josaphat.
Achaz.
Roboam.
Joram.
Èzéchias.
La peinture présente au contraire la lignée divine de la manière
suivante :
Jessé. Abias. Anas. Manassès.
David. Asa. Joathan. Amon.
Salomon. Josaphat. Achar.
Roboam. ... m. (Joram). . . chias.
Or, évidemment, c'est par erreur que le nom de Achar a été inscrit
pour celui de Achaz; il y là une substitution de lettres facile à com-
prendre (2). Quant au changement du nom de Ozias en celui à' Anas,
M Janssen l'explique en admettant qu'on a écrit par erreur Anas
pour Ahas, et (\uAhas est une forme altérée d'Ozias, en hébreu
(2) M. Janssen a retrouvé ce même nom V Achar, mis en place d' Achaz dans
une vulgate de la Bibliothèque royale de La Haye.
546 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Achazia , traduit en grec par 'Otfa;. On sait l'analogie de ïo et
de l'a long; analogie qui s'offre en anglais dans la prononciation des
mots allf sait et autres, et qui est démontrée en hébreu dans l'emploi
des points-voyelles, par l'identité du kamets et du kamets-kateph. Le
savant néerlandais, fait de plus observer que, dans le Codex Alexan-
drinus, on trouve 'CtyoÇi'a; écrit par 'OÇtaç, forme qui rend plus exac-
tement le nom hébreu, et sert de passage à celle de Ahas qui paraît
avoir été ici adoptée. Quanta la syllabe finale chias, elle termine
sans aucun doute le nom d'Ézéchias.
Ainsi rétablie , cette généalogie confirme ce que nous avons dit
dans notre notice, que la liste donnée par saint Matthieu était adoptée
de préférence à celle de saint Luc. Nous n'avons du moins jamais vu
celle-ci dans les manuscrits offrant la miniature de l'arbre de Jessé
que nous avons eu occasion de feuilleter.
M. Janssen a signalé, dans sa dissertation, diverses autres repré-
sentations de l'arbre de Jessé qui se trouvent dans la Néerlande :
1° une peinture d'un manuscrit de la vulgate du XIVe siècle ,
appartenant à la Bibliothèque de l'Académie de Leyde; 2° une
seconde sur un manuscrit d'une autre vulgate appartenant à la
Bibliothèque royale de la Haye , peinture placée comme dans le pré-
cédent, entête de l'Évangile selon saint Matthieu; 3° une troisième
occupant la même place dans un second manuscrit de la vulgate de
la même Bibliothèque; 4° une quatrième, sur une traduction fla-
mande manuscrite de la Bible , du XVe siècle , appartenant aussi à
la Bibliothèque de la Haye. On n'a représenté également que la pre-
mière tetracœdécade , et les paroles d'Isaïe : Egredietur virga de ra-
diée Jesse, etc., expliquent le sujet; 5° une cinquième dans un livre
de prières , manuscrit du XVe siècle, appartenant à M. Schinkel,
de la Haye. Dans cette dernière, qui est d'une fort belle exécution ,
et offre de curieux détails, la Vierge n'est plus seule au sommet de
la tige symbolique, tenant entre ses mains son divin Enfant; elle
est agenouillée entre les trois personnes de la Trinité.
M. Janssen a cité , d'après notre article , les représentations de
l'arbre de Jessé que nous avons rappelées. Nous devons dire que
nous n'avons pas eu l'intention de donner de ce sujet si souvent répété,
une iconographie complète. Si le savant Néerlandais eût consulté
[utile Dictionnaire iconographique des Monuments de M. Guenebault
à l'article Tige de Jessé, il y eût trouvé un Catalogue bien plus
complet que celui qu'il a bien voulu extraire de nos citations, en nous
faisant l'honneur de prévenir le public qu'il nous en était redevable.
BIBLIOGRAPHIE. 547
Toutefois, la liste donnée, depuis l'impression de notre article,
par M. Guenebault est loin encore de faire connaître toutes les
représentations que l'art du dessin a reproduites, et nous espérons
qu'en publiant un supplément à son ouvrage, cet estimable bi-
bliographe enrichira cet article, ainsi que bien d'autres, de nou-
velles indications. Nous renverrons donc M. Janssen au Diction-
naire iconographique, au mérite duquel nous rendons une justice
d'autant plus désintéressée , que l'auteur s'y est permis , en nous
citant plusieurs fois, des réflexions qui ne semblent guère à leur
place dans un ouvrage qui n'a aucun caractère polémique. Mais
il n'en faut sans doute accuser que l'excès d'orthodoxie de l'auteur;
seulement il lui eût été plus simple de marquer d'un astérisque les
noms de ceux contre les écrits desquels il prémunissait ses lecteurs.
Nous n'eussions pas alors été les seuls ainsi mis à l'index de M. Gue-
nebault , et plus d'un antiquaire eût partagé avec nous les reproches
catholiques dont nos travaux sont l'objet. Du reste, qu'importe que
M. Guenebault approuve ou non notre mode de critique ! son livre
est utile, voilà le principal, et toutes les personnes qui s'occupent
d'archéologie chrétienne , y. puiseront de précieux renseignements.
Nous ne finirons pas l'analyse du travail de M. Janssen, sans
signaler comme une des plus belles représentations de l'arbre de
Jessé que nous connaissions, celle qui est sculptée sur le retable du
grand autel de la chapelle du duc d'Abrantès, dans la cathédrale de
Burgos. C'est un excellent morceau dû à un artiste du XVIe siècle,
Rodrigo del Haya, et qui jusqu'à présent avait échappé à l'attention
de presque tous les antiquaires. Une autre représentation également
curieuse du même sujet se voit sur les stalles du chœur de la célèbre
abbaye de Solesmes. La disposition en est toute particulière , chaque
stalle est ornée de deux rangs de bustes, en relief, représentant les
ancêtres de Jésus-Christ. Le rameau généalogique se continue sous
chacun des personnages et aboutit à la statue de Marie. 11 serait à
désirer qu'on publiât une bonne planche de ces stalles singulières.
Alfred Maury.
Statistique monumentale de la Charente , publiée par livraisons, in-4%
par M. -l'abbé Michon , correspondant du Comité des Arts et
Monuments. Angoulême, 1844 à 1846; et Paris, Derache,
Borani , dépositaires.
L'étude des monuments n'intéresse plus seulement aujourd'hui les
548 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
éruditsde profession, les ecclésiastiques, sans abandonner leurs études
spéciales et l'exercice de leurs graves fonctions, sont aussi descendus
dans la mine féconde de l'archéologie, et plusieurs se sont déjà
montrés maîtres dans un genre d'étude qui semblait ne devoir les in-
téresser que fort médiocrement.
L'ouvrage que nous signalons aujourd'hui en est une preuve , le
savant abbé, l'un des plus laborieux correspondants du comité des
arts et monuments, n'a pas fait son ouvrage en copiant ce que d'au-
tres ont pu dire déjà sur la province dont il donne la statistique. On
reconnaît de suite qu'il a voulu voir par lui-même, qu'il ne s'est pas
contenté de copier des descriptions toutes faites et qu'il a fouillé aux
sources ; aussi il relève bien des inexactitudes , rétablit la vérité sur
plusieurs points, jette la clarté sur des textes restés obscurs, et rend
aux faits vraiment historiques toute la lumière dont ils avaient été
bien souvent privés. C'est un véritable service , c'est un beau monu-
ment élevé à la fois à la science et à la religion que cette Statistique
monumentale de la Charente; déjà vingt livraisons sur trente sont
publiées , et tout ce qui est livré aux souscripteurs peut donner l'as-
surance que ce qui reste à faire sera traité avec le même soin et le
même talent. Au mérite du texte cette publication réunit la bonne
exécution des planches, ce qui n'existe pas toujours, surtout dans
les ouvrages faits à longs intervales. Nous citerons la Vue générale
d'Angoulême, le Château de la Rochefoucault, les Ruines de l'ab-
baye de la Couronne, l'Abbaye de Chartres, la Cathédrale d'Angou-
lême et plusieurs planches de détails ; le Bâtiment du trésor de l'ab-
baye de Nanteuil, monument curieux du XIe au XIIe siècle, et dont
on trouve peu d'exemples en France et ailleurs ; le beau Château de
Boutteville , construction militaire du XVIe siècle ; une crosse du
XIIe siècle ; des sceaux et des monnaies de diverses époques dont le
texte donne les origines historiques et monumentales , appuyés de
preuves authentiques. On y trouve diverses inscriptions et d'autres
détails qu'il serait trop long d'énumérer ici. Ce que nous disons peut
suffire à nos lecteurs pour leur donner une idée exacte du travail
consciencieux de l'auteur et de l'ouvrage que nous indiquons à ceux
qui aiment les antiquités nationales.
L. J. G.
L'INSCRIPTION CUNÉIFORME DE BÉHISTW.
« The Persian cuneiform inscription at Bchistun decyphered and translated with
« a memoir on Persian cuneiform inscriptions in gênerai and on that of Be-
« histun in particular, by major H. C. Rawlinson. » [Journal of ihe Royal
Asialic Society, vol. I, part. I. London , 1846, in-8.)
« L'inscription cunéiforme persane de Béhistun , déchiffrée et traduite et accom-
« pagnéc d'un mémoire sur les inscriptions persanes cunéiformes en général
« et sur celle de Béhistun en particulier, par le major H. C. Rawlinson , au
« service de la Compagnie des Indes de Bombay, agent politique à Bagdad ,
« correspondant de l'Institut de France (Académie des Inscriptionsct Belles-
« Lettres.) »
Nulle inscription n'était venue depuis longtemps jeter sur l'his-
toire ancienne une lumière plus vive et plus inattendue que celle
dont M. le major Rawlinson vient de nous donner la traduction.
Écrite en caractères cunéiformes, et gravée sur un rocher à Béhis-
tun, dans le Curdistan méridional, cette inscription entoure un vaste
bas-relief. En examinant celui-ci, on reconnaît un style analogue à
celui des sculptures assyriennes. Un roi, d'une taille plus élevée que
celle des autres personnages qui composent la scène, fait amener
devant lui des prisonniers. Chacun de ceux-ci a les mains liées au
dos, et une chaîne commune les retient par le cou. Le premier de
la file est seul renversé à terre, supinatus humi ; il élève ses mains
suppliantes vers le monarque, qui, appuyant sur lui l'arc qu'il tient
à la main, pose le pied sur son ventre. Derrière ce prince sont
deux gardes ou officiers ; au-dessus , dans une sorte d'auréole , on
aperçoit une divinité qui étend sur le roi ses bénédictions, et lui pré-
sente de la main gauche une couronne, emblème de son triomphe.
L'inscription est donc destinée, à en juger uniquement par la place
qu'elle occupe, à expliquer le sujet de ce curieux bas-relief. M. Raw-
linson l'a copiée avec un dévouement et un courage bien dignes
d'éloges , car l'on sait quels dangers court le voyageur dans ce
pays inhospitalier : le massacre récent des Nestoriens peut donner
la mesure des périls auxquels s'expose celui qui brave la cruauté et
le brigandage des Curdes, les préjugés superstitieux qu'ils attachent
m. 36
550 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
à ces antiques monuments. Le savant anglais a reconnu , dans ces
gigantesques colonnes decriture cunéiforme, trois ordres de carac-
tères, constituant chacun un alphabet différent. C'est donc une
inscription trilingue, écrite dans les trois écritures cunéiformes con-
nues, la babylonienne, la médique et la persépolitaine ; et naturelle-
ment M. Rawlinson s'est attaché à déchiffrer la dernière ; car, outre
que les parties de l'inscription écrites avec les deux autres caractères,
sont beaucoup moins bien conservées que la partie persépolitaine,
l'ignorance où l'on est encore des langues dans lesquelles elles sont
composées , s'est jusqu'à présent opposée à ce qu'on pût en entre-
prendre une version littérale : si la philologie seule y perd, l'his-
toire en effet n'eût eu que peu à gagner de cette triple traduction ,
puisque les trois inscriptions ne sont que la version en trois langues
d'un seul et même récit.
La société asiatique de Londres vient de publier le travail de l'o-
rientaliste anglais ; et nous nous hâtons de dire qu'il a reçu des
hommes compétents un assentiment qui fait honneur à la sagacité et
au zèle de son auteur. Cette compagnie savante a joint au texte et à
la version de M. Rawlinson, la première partie d'un mémoire com-
posé par ce dernier sur les inscriptions cunéiformes en général ; et
elle nous fait espérer la prochaine publication de la suite de cette
intéressante dissertation.
Quoiqu'il eût semblé plus régulier d'entretenir d'abord le lecteur
du contenu de l'inscription de Béhistun , nous pensons qu'il est pré-
férable d'assigner tout d'abord à son interprète la part qui lui revient
dans le mérite du déchiffrement. L'introduction du mémoire est con-
sacrée à ce que l'on peut appeler l'histoire de la découverte de l'alpha-
bet persépolitain : c'est donc à cette partie de la publication que
nous nous arrêterons préalablement.
M. Rawlinson paye à ses devanciers, à MM. Grotefend, E. Bur-
nouf et Lassen, le tribut d'éloges qu'ils méritent ; il rend justice aux
efforts que ces savants ont tentés pour arriver à la détermination de
ces lettres mystérieuses ; il montre combien le dernier de ces orien-
talistes surtout s'était approché de l'exacte détermination, malgré
l'incorrection des copies qu'il avait entre les mains. Toutefois, en
rectifiant sur plusieurs points les idées du savant professeur de
Bonn (1 ) , le philologue anglais prétend partager avec lui , avec
(1) MM. Béer et Jacquet avaient déterminé chacun deux nouvelles lettres de
récriture persépolitaine, M. Rawlinson a déterminé le V , le m', le ch, lu impro-
prement 5 , le tf le ri et le fi.
l'inscription cunéiforme de béhistun. 551
M. E. Burnouf, son émule, l'honneur de cette découverte. Loin de
tout secours, à Téhéran, à Bagdad, en Afghanistan, il n'a pu,
nous dit-il, recevoir que bien longtemps après leur publication les
travaux de ces deux maîtres ; et l'on comprend facilement qu'il ait
pu, de son côté, être déjà arrivé aussi loin qu'eux quand il a eu
connaissance de leurs découvertes. M. Rawlinson affirme ce fait, que
nous ne pouvons vérifier. C'est ici une question de bonne foi ; et
nous jugeons trop favorablement M. Rawlinson, par le dévouement
qu'il a mis à poursuivre son travail au milieu des dangers et des
obstacles de toute nature, pour en douter un instant. Nous conce-
vons aisément qu'ignorant la langue allemande, il n'ait pu trouver,
dans l'excellent mémoire de M. Lassen, toutes les lumières qu'il y
cherchait, et qu'un interprète germanique lui ait souvent fait défaut.
Cependant, comme nous savons aussi à quel point on s'illusionne
sur ses propres œuvres, et avec quelle facilité on s'attribue, de fort
bonne foi du reste, les idées que d'autres vous ont suggérées, nous
dirons que peut-être M. Rawlinson n'a pas fait une appréciation as-
sez sévère de la part qui revient à MM. Burnouf et Lassen, non pas
seulement dans la découverte de l'alphabet, mais encore dans le dé-
chiffrement de l'inscription de Béhistun même.
Et d'abord le savant anglais reconnaît lui-même que c'est à l'admi-
rable commentaire de M. Burnouf sur le Yaçna (nous ne faisons que
reproduire ses expressions), qu'il est redevable d'une connaissance
grammaticale et sérieuse de la langue zende. Comment alors concevoir
qu'avant cette époque il ait pu être arrivé aussi loin que l'académi-
cien français dans le déchiffrement du persépolitain ? Qu'il ait été
plus loin que Saint-Martin , cela est probable ; car cet orientaliste
n'avait guère avancé la question ; mais qu'il ait devancé les résultats
consignés dans le mémoire sur les inscriptions d'Hamadan, voilà ce
qui nous semble invraisemblable ; et, sans nier le fait, nous enga-
geons M. Rawlinson à revoir les notes qu'il écrivait en 1836
et 1837.
Cette réclamation, faite par nous , absolument étranger à la con*
testation de priorité qui pourrait s'élever, nous est uniquement dictée
par un sentiment de justice. Elle a dû être présentée dès le début
de ce compte rendu , afin qu'en admirant la sagacité et la finesse
philologique qui nous a rendu des pages entières perdues de l'his-
toire de Perse , le lecteur impartial n'oublie pas que la France et
l'Allemagne ont des droits à cette admiration , droits que l'équité
ne permet pas qu'on aliène.
Il
552 ■ REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Passons maintenant à l'étude du contenu de l'inscription, telle que
M. Rawlinson l'a donnée, en l'appuyant d'excellentes notes gramma-
ticales et épigraphiques.
Nous allons voir que le roi représenté dans le bas-relief est Da-
rius, fils d'Hystaspes, et que ce monument date, par conséquent, de
la fin du VIe siècle avant notre ère.
C'est Darius qui parle lui-même-, c'est lui qui nous expose le récit
de ses hauts faits, ainsi que l'indique la formule initiale de chaque
paragraphe : Le roi Darius dit. Il nous apprend d'abord le nom de
ses ancêtres en remontant jusqu'à Acheménès , qui formait la tète de
sa dynastie. Ni les historiens anciens, ni les inscriptions cunéi-
formes déjà expliquées par MM. Lassen et Burnouf, n'avaient en-
core fait connaître cette généalogie d'une manière complète. Voici
les noms que lit M. Rawlinson , en remontant de Darius à Achemé-
nès : Hystaspes, Arsamis, Ariyaramnis, Teispes. Nous prévenons,
en passant, le lecteur, que nous transcrivons ici les formes gréco-
latines que le savant anglais a données aux noms persépolitains, pour
les mettre d'accord avec les noms tels que les Grecs nous les avaient
transmis, et tels qu'ils sont passés dans notre langue. Les noms sont
naturellement un peu différents dans le texte; mais il est toujours
facile de reconnaître leur identité avec ceux que nous avons adoptés.
Dans les lignes suivantes, Darius nous dit qu'il est devenu roi
par la grâce d'Ormuzd qui a soumis à sa puissance le vaste empire
dont il énumère les provinces dans l'ordre suivant : la Perse, la Su-
siane, la Babylonie, l'Assyrie, l'Arabie, l'Egypte, Sparte et l'ionie,
provinces maritimes ,. l'Arménie, la Cappadoce, la Parthie, la Zaran-
gie, l'Arie, la Chorasmie, la Bactriane, la Sogdiane, le pays des
Saces, celui des Sattagydes, l'Arachosie et le pays des Méciens; en
tout vingt contrées. On est étonné de rencontrer dans cette énumé-
ration Sparte qui ne subit jamais, à ce que nous sachions, le joug
de la Perse. Sans doute cette ville n'est mentionnée que pour mé-
moire et à raison des droits que le monarque persan s'attribuait sur
cette république. S'il en était ainsi nous aurions là un exemple fort
ancien de ces prétentions bizarres dont les souverains de France et
d'Angleterre nous donnaient le spectacle ridicule, en s'intitulant, le
premier, roi de Navarre et le second, roi de France, et qu'aujourd'hui
encore, continuent les rois de Sardaigne en prenant le titre de rois de
Jérusalem et de Chypre.
Cette énumération ne correspond qu'en partie à celle qu'Hérodote
nous a laissée des États qui composaient l'empire persan. Cette dilîé-
l'inscription cunéiforme de béhistun. 553
rence s'explique facilement, soit en admettant que l'inscription ne fait
connaître que le nom des pays qui relevaient du grand roi, sans s'at-
tacher à donner la division par satrapies que l'écrivain grec nous a
minutieusement fait connaître, soit en supposant que le monument
de Béhistun est antérieur à l'établissement de cette division admi-
nistrative.
Darius annonce qu'il protège dans son royaume tous les fidèles
adorateurs d'Ormuzd et qu'il en extirpe tous les hérétiques. Pom-
peuse démonstration d'intolérance , d'accord, sans doute , avec les
idées religieuses de cette époque , mais qu'il faut plus rapporter à la
politique qu'à la religion , car sous ce nom d'hérétique la teneur de
l'inscription nous laisse entrevoir qu'il ne faut guère entendre autre
chose que les ennemis de la dynastie. En effet, pour un monarque
qui s'intitule roi par la grâce d'Ormuzd, de la rébellion est de
l'hérésie.
Le récit historique commence par le meurtre de Smerdis nommé
Bart'iya dans l'inscription. Ce meurtre est mis sur le compte des
troubles que ce frère de Cambyse avait suscités dans l'État. Héro-
dote n'assigne pas précisément les mêmes causes à cet odieux fratri-
cide. Nous sommes plus porté à nous ranger de son côté, le pensant
plus en position d'être impartial et véridique, qu'un prince achémé-
nide. Certainement la haine de Cambyse pour son malheureux frère a
eu sa bonne part dans le crime. Il est au reste à noter que le texte,
admirablement d'accord avec l'historien grec, dit que Bart'iya était
frère de Cambyse de père et de mère, et par conséquent également
fils de Cyrus et de Cassandane, bien qu'il ne soit rien rapporté du songe
qui, selon l'écrivain d'Halicarnasse , détermina Cambyse à faire as-
sassiner secrètement un frère qu'il haïssait.
A la courte mention de ce triste événement , succède la relation
succincte de l'usurpation du faux Smerdis, appelé dans le persépoli-
tain Gomates. Nous apprenons par le monument de Béhistun que ce
mage imposteur était natif de Pissiachada. La Perse, la Médie et les
provinces de l'empire reconnurent le faux Bart'iya , et Cambyse aban-
donné de ses sujets mourut.
Darius, continue le texte persépolitain, dévoila la fourbe du mage;
il s'écria : N'y aura-t-il personne, soit un Persan, soit un Mède, quelque
membre de ma famille qui dépossède du trône ce Gomates? Mais on
redoutait l'usurpateur, et personne n'osait répondre en face à l'affir-
mation effrontée qu'il faisait sur son identité avec Smerdis. Alors le
fils d'Hystaspes implora l'appui d'Ormuzd et par le secours du dieu ,
554 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le 10 du mois de Bagayadich, assisté de ses partisans, il tua Gomates
et tous ses adhérents , dans le fort de Siktakhotes, situé au district
de Médie, nommé Nisaea. Ce récit ne contredit en rien Hérodote.
Toutefois il semble, par la relation donnée par ce dernier, que le
meurtre eut lieu à Persépolis, ou dans la capitale quelle qu'elle fût
du royaume, car on est loin d'être assuré que ce fut alors Persépolis,
tandis qu'ici il est fait mention d'une simple forteresse, soit qu'il se
trouvât là un des châteaux des rois de Perse, soit que Gomates, pour
sauver sa vie, s'y fût réfugié.
Darius triomphant rétablit donc la couronne dans la dynastie des
Achéménides. Il restaura les anciens rites abolis par le faux Bart'iya
et en rendit la direction à la famille qui en avait été dépossédée par
cet usurpateur.
Darius dit ensuite: Voici ce que je fis, une fois monté sur le trône :
Après le meurtre de Gomates, un certain Atrines (1), fils d'Opa-
darmes, se déclara roi de Susiane et fit insurger la province ; à Baby-
lone, un Babylonien nommé Natitabirus, fils d'Aena s'empara
également de la couronne, se donnant faussement pour Nabokho-
drosor fils de Nabonidé.
Hérodote ne dit rien de l'insurrection du premier, à moins que,
ce qui est au reste peu vraisemblable , on ne veuille voir dans cet
Atrines, îlntapherne dont il parle, et dont une insulte faite à Darius
fut punie de mort.
L'inscription ajoute que le roi de Perse envoya une armée en Su-
siane; celle-ci ramena prisonnier Atrines qui fut mis à mort.
Quant à la révolte de la Babylonie on sait qu'Hérodote en a parlé
avec de grands détails, et l'on se rappelle le célèbre trait de Zopyre,
dont il n'est ici fait aucune mention ; le nom de ce dévoué serviteur
n'est pas même rapporté. Ne nous étonnons pas de cette omission ,
toute cette inscription n'est guère qu'un hymne à la louange du mo-
narque persan et il n'y a eu de place que pour ce qui le touche per-
sonnellement.
On reconnaît dans le Nabonidé , cité comme père de Nabokho-
drossor le Labynetes d'Hérodote, que Bérose désigne par son véri-
table nom de Nabonidé ; c'était le fils de Nitocris que Cyrus avait
dépossédé de son empire. Le siège de Babylone ici rapporté est-il
celui dont il est question dans le prophète Daniel? Une difficulté cé-
(1) Nous prévenons ici, une fois pour toutes, le lecteur que nous adoptons la
transcription latine des noms persans que M. Rawlinson a suivie dans la version
anglaise qu'il a jointe à la traduction latine interllnéaire de l'inscription.
L'INSCRIPTION cunéiforme de béhistun. 555
lèbre se représente naturellement à ce propos. Faut-il croire que
Cyrus a été désigné dans ce livre de la Bible sous le nom de Darius
le Mède? Ce fait, plus qu'improbable, le devient d'autant plus que
notre inscription nous apprend actuellement qu'un roi gouvernait à
Babylone, lors du siège de Darius, et qu'il s'appellait Natitabiruss
Balthasar serait-il ce dernier personnage , et régnerait-il dans le livre
attribué au prophète quelque confusion à ce sujet? Nous le pensons.
Darius a été, ce nous semble, substitué à Cyrus; les deux sièges ont
été confondus l'un pour l'autre, en même temps que le double sou-
venir de Labynetes et de Natitabirus, qui se donnait pour son fils,
s'est réuni dans le personnage de Balthasar. Une confusion de ce
genre enlève au livre de Daniel une authenticité que tant d'exégistes
célèbres lui ont contestée. Elle confirme l'opinion plus d'une fois
avancée que cet écrit chaldéen est postérieur à la mort d'Alexandre.
Le récit du partage des États du roi de Macédoine, mis sous
forme de prophétie , est trop clair pour qu'on ne reconnaisse pas
une main moderne, et d'un autre côté les renseignements historiques
incomplets que possédait l'auteur et que trahit le chiffre inexact qu'il
donne du nombre des successeurs de Darius, fils d'Hystaspes,
expliquent la confusion qu'il a introduite dans l'histoire de Babylone.
Reprenons maintenant l'étude de notre inscription. Darius envoya
une armée contre le prétendu Nabokhodrossor , dont les troupes
étaient campées sur les bords du Tigre. Des bateaux armés avaient
été placés par les Babyloniens sur le fleuve. Un détachement perse
passa la rivière sur des radeaux et défit l'armée de Natitabirus le 27
du mois d'Atriyata.
De là Darius marcha sur Babylone ; il rencontra de nouveau les
insurgés qui avaient opéré leur retraite, à Zazana, ville située à peu
de distance de la première sur les bords de l'Euphrate. Un nouvel
engagement eut lieu, il se termina par la déroute des Babyloniens,
le second du mois d'Anamarka. Natitabirus harcelé de si près, s'en-
fuit à Babylone , suivi de quelques cavaliers. Il s'y fortifia ; mais le
roi de Perse continuant de marcher à sa poursuite, alla mettre le
siège devant cette capitale, la prit, et le faux Nabokhodrossor paya
de sa vie cette tentative malheureuse d'indépendance.
Pendant que Darius était devant Babylone, la Perse, la Susiane,
la Médie, l'Assyrie, l'Arménie, la Parthie, la Margiane, la Sattagydie,
et le pays des Saces levèrent l'étendard de la révolte. Un certain
Martius, fils de Sisicres, habitant de la ville de Cyganaca, se déclara
roi de Susiane sous le nom d'Omanes. Darius expédia une armée
556 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pour cette province ; mais les habitants, effrayés, firent leur soumis-
sion et livrèrent Martius, qui fut mis à mort.
Le Mède Phraortes , usant d'un stratagème fort en vogue à ce
qu'il paraît à cette époque, se donna pour Xathrites , fils de
Cyaxares, et s'empara de la couronne de Médie. Sans doute que le
soin pris par les monarques persans et mèdes de tenir leurs enfants
enfermés et comme prisonniers au fond de leurs palais, de peur
qu'ils ne les détrônassent, usage répandu encore aujourd'hui en
Asie, était cause que ces princes étaient peu connus du peuple, et il
était facile à des imposteurs de se faire passer pour eux.
L'armée des Perses et des Mèdes qui servait sous Darius lui de-
meura fidèle. Il envoya contre Phraortes Hydarnes à la tête d'un
corps de troupes. Ce corps atteignit les partisans de cet usurpateur
dans une ville de Médie, dont le nom est effacé dans l'inscription, et
les battit le 6 du mois d'Anamarka. Puis , d'après l'ordre du roi de
Perse, l'armée persane prit ses quartiers à Kapada , ville de Médie ,
attendant, dit le texte, Darius en personne, ou plutôt, ainsi que la
suite nous le fait voir, l'envoi de nouveaux renforts. Le monarque
ordonna à l'Arménien Dadarses , un de ses sujets , de se rendre en
Arménie pour achever la soumission des rebelles. Dadarses alla à la
rencontre de l'armée de Phraortes près d'un village d'Arménie, dont
le nom est effacé, et grâce à l'appui d'Ormuzd, le dieu toujours pro-
tecteur des Achéménides, il la défit le 8 du mois de Thurawahara.
Cette victoire fut suivie d'une autre que Dadarses remporta le 18 du
même mois à Tigra, en Arménie, puis d'une troisième gagnée le 3
du mois de Thaigarchich. Cependant les rebelles n'étaient point
encore soumis, ce qui donne à penser que la campagne de Dadarses
fut moins heureuse que l'inscription ne semble l'indiquer. A Da-
darses succéda Vomises, qui battit les troupes de Phraortes, une
première fois dans un district d'Assyrie, dont le nom n'est plus li-
sible, une seconde dans le district arménien d'Otiara. Darius fut
enfin forcé d'arriver en personne. Il rencontra l'armée mède à
Gudrusia en Médie, et y défit Phraortes le 26 du mois d'Askhana.
Phraortes fut contraint de se réfugier à Rhages, avec sa cavalerie.
Darius envoya à sa poursuite et le fit prisonnier : on lui coupa le nez et
les oreilles ; et, amené au monarque persan , ce Mède fut enchaîné à
la porte de son palais pour se voir bientôt crucifié à Ecbatane ; ses par-
tisans, si l'on peut suivre du moins M. Rawlinson, dans la traduction
d'une phrase qui lui laisse encore des doutes , furent emprisonnés
dans la citadelle de la ville.
l'inscription cunéiforme de béhistun. 557
Ce tableau rapide de l'expédition des Perses contre Phraortes est
plein d'intérêt. Quelques-unes des localités, dont l'inscription donne
les noms, nous étaient connues par les géographes anciens, et cette
circonstance est une preuve nouvelle de l'exactitude de la lecture de
M. Rawlinson. Tigra est probablement Tigrana; quant au district
de Rhages, c'est certainement la Rhagiane, dont la capitale était
Rhaga, ville qui est mentionnée dans l'expédition d'Alexandre contre
les Parthes. C'est dans cette province de Rhagiane que se trouvait la
contrée appelée Nisée , IIsôiov ^s'ya Nfoaiov, dans laquelle nous avons
vu plus haut que fut tué Gomates, ou le faux Smerdis. Cette contrée
montagneuse, défendue par les célèbres portes caspiennes, était émi-
nemment propre à perpétuer des guerres, et l'on conçoit la longue
résistance de Phraortes contre la Perse.
Cette révolte était à peine apaisée qu'une nouvelle s'élevait en
Sagartie, où un certain Sitratachmes se déclarait roi, se donnant
pour appartenir à la race de Cyaxares. On voit que le sentiment na-
tional était vivace dans l'ancienne Médie, et que la population n'ac-
ceptait que forcément la domination persane. Darius envoya contre
Sitratachmes une armée de Perses etdeMèdes, commandée par un
Mède du nom de Camaspathes. Le général, toujours grâce à l'appui
d'Ormuzd, l'intervention favorable de la divinité n'est jamais oubliée,
vainquit les Sagartiens, et fit prisonnier Sitratachmes. On amena
l'usurpateur à Darius qui lui fit endurer le môme traitement qu'au
malheureux Phraortes, c'est-à-dire que le roi de Sagartie fut crucifié
à Arbelles, après avoir été exposé enchaîné à la porte du palais du
monarque perse, le nez et les oreilles coupés.
La suite du récit est ici si effacée que M. Rawlinson a été malheu-
reusement dans l'impossibilité d'en donner la traduction ; cependant
en interrogeant le texte mède, le savant anglais a pu comprendre que
la Parthie et l'Hyrcanie se révoltèrent pour Phraortes ; Darius envoya
contre ces provinces son père Hystaspes, qui défit les rebelles à
Hyspaotoisa, ville de Parthie, le 22 du mois de Viyakhana.
Nous voudrions être bien assuré de l'exactitude de la traduction
de ce paragraphe. Nous ne comprenons pas bien comment il est dit
que la Parthie et l'Hyrcanie se déclarèrent pour Phraortes , puisque
celui-ci était mort, à moins qu'il ne soit question d'un fils de cet
usurpateur, ou que l'inscription ait voulu exprimer que les Parthes
et les Hyrcaniens continuèrent l'insurrection que Phraortes avait
provoquée.
Dans la troisième colonne, M. Rawlinson reprend le texte perse-
558 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
politain ; nous y voyons que Hystaspes bat les rebelles à Patigapana ,
et soumet la province. Vient le tour de la terre de la Margiane; et
disons ici que bien qu'on ait été obligé dans l'inscription de raconter
ces événements les uns après les autres , ceux-ci doivent être néan-
moins à peu près contemporains, puisque l'inscription nous dit plus
haut que ces révoltes éclatèrent pendant que Darius était devant
Babylone. Le monarque envoya contre les révoltés Dadarses, alors
satrape de Bactriane. Cette circonstance semble établir que l'insur-
rection éclata en Margiane, lors de l'envoi de Vomises en Arménie à
la place de Dadarses. Celui-ci battit les insurgés, et rétablit l'ordre
dans la province. Un certain Veisdates, de Tarba en Perse, dans
le district de Yutiya, essaya à cette époque de recommencer à son
profit le mensonge de Gomates ; il se donna pour Barthya ou Smer-
dis, et se déclara roi de Perse. Darius envoya contre lui Artabardes,
tandis qu'il faisait marcher une autre armée perse contre la Médie.
Artabardes rencontra les troupes de Veisdates à Racha et les battit.
Peut-être cette ville est elle celle que Ptolémée nomma Rapsa, 'Petya,
et qu'il place en Médie.
Veisdates s'enfuit à Pissiachada, cette même ville qui avait donné
le jour à Gomates ; mais Artabardes le battit de nouveau dans les
montagnes de Parga, le fit prisonnier, et l'amena à Darius, qui le fit
empaler à Chadidie, en Perse, si toutefois M. Rawlinson a bien
compris ; car il y a ici quelque doute sur le supplice qui fut infligé à
ce malheureux.
En Arachosie, Vibanus, qui en était satrape, se révolta. Darius
envoya , pour le soumettre , ces mêmes troupes qui avaient triomphé
de Veisdates. Vibanus fut battu près de la forteresse de Capiscania,
peut-être l'Arachotus de Ptolémée , qui s'appelait auparavant Co-
phen. Les insurgés livrèrent une seconde bataille aux Perses dans
le district de Gadytia, près delà forteresse d'Archada. Est-il besoin
de répéter que ce fut pour se voir encore vaincus ? L'inscrip-
tion ne mentionne, on l'a remarqué, que les victoires. Vibanus étant
fait prisonnier, l'insurrection fut étouffée.
Pendant que Darius était en Perse ou en Médie , la Babylonie
tentait une nouvelle insurrection. Un Arménien du nom d'Aracus
s'y faisait passer pour Nabokhodrossor, fils de Nabonide , dont Nati-
tabirus avait déjà cherché à jouer le personnage. Le district de Do-
bafia donnait l'exemple de la soumission au monarque improvisé ,
et Babylone le suivait dans sa défection contre Darius. Ce monarque
expédia dans cette province Intaphres : la suite est effacée :
LINSCRIPTION CUNEIFORME DE BÉHISTUN, 559
mais quelques mots qu'on peut lire encore semblent indiquer qu'A-
racus fut tué et la Babylonie réduite à l'obéissance.
La quatrième colonne qui reprend ici est tellement altérée, que
M. Rawlinson n'en garantit pas la traduction. Disons cependant ce
qu'il a pu y déchiffrer. Darius récapitule les succès qu'il a remportés
sur les révoltés dont nous venons de donner les noms. Il reprend
donc, mais plus succinctement, le récit précédent, et compte dix-
neuf victoires. Il annonce que c'est au dieu Ormuzd, à la fidélité
qu'il a montrée à son culte, à son zèle à combattre les hérétiques, à
son caractère de roi légitime , qui ne cherche pas à abuser le peuple
par un nom mensonger, qu'il est redevable de l'heureuse issue des
guerres qu'il a entreprises. Il rappelle que c'est à cette même fidélité
pour le culte d'Ormuzd que ses prédécesseurs ont dû leur prospérité.
Il promet l'amour d'Ormuzd à ceux qui publieront les hauts faits
consignés dans l'inscription ; et il menace de l'inimitié du dieu , de
la privation d'héritiers ceux qui les déroberont à la connaissance de
l'univers. Il invite donc chacun à ne point détruire ce monument de
sa puissance, et de le conserver à la postérité, afin de s'attirer les
bénédictions d'Ormuzd.
Darius fait ensuite connaître le nom de ceux qui l'ont aidé à ren-
verser Gomates. Plusieurs de ces noms sont malheureusement effa-
cés. M. Rawlinson a néanmoins pu en déchiffrer quelques-uns qui
s'accordent parfaitement avec ceux que nous a fait connaître Héro-
dote : tels sont ceux d'Intaphernes , fils d'Hys d'Otanes, fils
de.,.., persan; de Gobryas, fils de Mardonius; d'Hydarnes, fils
de...., persan; de Mégabyze, fils deZopyre; d'Aspathines, fils
de ...., persan.
On ne saurait trop regretter la disparition de cette partie de l'in-
scription.
La cinquième et dernière colonne n'est pas d'une conservation
meilleure que la précédente ; elle mentionne deux révoltes , l'une en
Susiane : le nom de celui qui en fut le chef a disparu -, l'autre dans
le pays desSaces, soulevée par Saruk'ha, habitant des bords du
Tigre. Darius envoya contre ce rebelle Gobryas.
Cette colonne, plus courte que les précédentes, paraît avoir été
ajoutée après coup ; elle se termine par des actions de grâces à Or-
muzd, et une injonction de conserver ce monument, dans le même
style que celui de la colonne précédente.
Ce sont donc ces divers chefs de révoltés qui sont représentés
dans le bas-relief comme des captifs amenés à Darius. L'image du
560 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Sace Saruk'ha a été ajoutée plus tard ; mais il n'est point resté de
place pour le provocateur de la dernière insurrection de Susiane,
dont nous avons ainsi perdu la figure et le nom. Au-dessus de cha-
cun de ces personnages est inscrit, dans une tablette écrite seule-
ment en mède et en persépolitain , le nom de chacun d'eux. On re-
trouve donc ceux que nous venons d'énumérer; ils sont tous qualifiés
d'imposteurs, à l'exception du dernier, pour lequel on lit seulement :
Celui-ci est Saruk'ha le Sace. La traduction d'une seule de ces petites
inscriptions donnera une idée suffisante de la teneur de toutes les
autres : la première porte :
« Celui-ci est Gomates le mage ; c'était un imposteur ; il déclarait
qu'il était Bart'ya , fils de Cyrus et roi. »
On voit combien le contenu de cette inscription ajoute aux faits
que nous a transmis Hérodote, puisque cet écrivain ne dit rien de
toutes ces dernières insurrections , qui lui étaient inconnues , ou
dont le récit n'entrait pas dans le cadre qu'il s'était tracé. Peut-être
voudra-t-on voir , dans la campagne de Gobryas contre Saruk'ha ,
le chef des Saces , la célèbre expédition de Darius contre les Scythes,
à propos de laquelle le père de l'histoire nous a donné de si précieux
détails sur les peuples compris sous ce nom. En effet, il nous dit
ailleurs que les Perses appelaient les Scythes Saces. Néanmoins , la
mention faite de la révolte de Saruk'ha est trop courte pour que
nous puissions y reconnaître la célèbre expédition dans laquelle Da-
rius marcha en personne, circonstance qui n'eût pas manqué d'être
mentionnée ici, en l'honneur de ce grand roi.
Nous retrouvons, dans quelques détails du costume attribué dans
le bas-relief à chacun des personnages, plusieurs particularités
qu'Hérodote a signalées dans la description qu'il donne de la manière
de se vêtir et de s'armer des différents peuples composant l'armée
de Xerxès. Le Sace Saruk'ha a bien le bonnet pointu propre à cette
nation, ainsi qu'on le lit au livre de Polymnie; l'officier perse placé
derrière Darius porte le grand arc et les flèches de canne en usage
chez les Perses. Sitratachmes a un vêtement court : c'est probable-
ment la saie de peau de chèvre que les Sagartiens portaient, ainsi
que les Pactyices ; Atrines est vêtu de la longue robe qui était sans
doute propre aux habitants de la Susiane comme à ceux de la Perse.
S'il était permis de tirer quelques inductions ethnologiques du
trait si imparfait que M. Rawlinson nous a donné du bas-relief de
Béhistun, nous dirions que la figure du dieu Ormuzd, qui est placée
dans le ciel, au-dessus de la scène, nous a rappelé, par son profil,
l'inscription cunéiforme de béhistun. 561
le type persan moderne. Tous les personnages ont le nez aquilin , et
le Sace plus qu'aucun autre, circonstance qui tend à confirmer l'ori-
gine indo-germanique ou japétique des Scythes.
Nous avons été aussi très-frappé de la ressemblance du visage de
Veisdates avec la figure juive. Si l'on rapprochait cette circonstance
du nom de Yutiya donné par l'inscription au district dont il était
originaire, on sera peut-être tenté de penser que ce pays avait été
habité par des Hébreux lors de la captivité, et l'était même encore
à cette époque. Il est à noter, en effet, que c'est précisément dans
les livres contemporains du siècle de Darius, qu'on commença à dé-
signer les Hébreux sous le nom de Juifs ; dans le livre à'Esther, on
lit Jehoudi, au pluriel Jehoudim ; dans Daniel, le mot est écrit Je-
hoadaïé. Nous laissons, au reste, cette conjecture pour ce qu'elle
mérite, et nous la livrons à l'appréciation des savants.
Nous avons fait connaître l'inscription de Béhistun ; il nous reste
à parler du mémoire de M. Rawlinson sur les inscriptions cunéi-
formes ; nous serons plus bref; car ici ce n'est plus le témoignage
formel de l'antiquité, ce ne sont plus que les idées propres à un
orientaliste moderne que nous exposons.
M. Rawlinson, remarquant que le caractère cunéiforme babylo-
nien se rencontre sur les briques déterrées en Babylonie, en Méso-
potamie et en Chaîdée, le regarde comme le plus ancien des trois al-
phabets cunéiformes que nous connaissons. Il croit reconnaître trois
variétés de cet alphabet qu'il nomme babylonienne, assyrienne et
élyméenne. Dans la première de ces variétés, l'alphabet babylonien,
il distingue deux sous-variétés: lune, à ses yeux, la plus ancienne,
est celle qu'on voit sur les cylindres babyloniens; l'autre constitue la
troisième colonne des inscriptions trilingues de la Perse. La sous-
variété observée sur les cylindres se voit également sur les briques
avec lesquelles étaient construits les édifices de Schinar, Babylone ,
Erech, Accad, Calneh. On possède quelques fragments sur pierre
d'inscriptions écrites avec les caractères qui lui sont propres, lesquels
ont été déterrés à Babylone et à Cutha. M. Rawlinson pense que
l'inscription gravée sur un rocher à Cheikhan, entre les an-
ciennes villes de Resen et du Calah est le seul monument épi-
graphique de ce genre que l'on possède en vieux babylonien.
Il va jusqu'à penser que c'est peut-être l'alphabet dont les
peuples se servaient avant la dispersion. La seconde sous-variété
se rencontre dans les inscriptions de Persépolis", de Van , de
Hamadan, de Béhistun. M. Rawlinson ne dit absolument rien de
562 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
précis à son sujet. Ainsi, sur le caractère babylonien , cet orientaliste
ne nous a proposé que des hypothèses fort arbitraires, et aussi va-
gues qu'elles sont hasardées. Sur les caractères qu'il nomme assy-
riens, le savant anglais est plus précis; il ne pense pas qu'on puisse
identifier l'alphabet employé dans les inscriptions de Khorsabad (Ni-
nive ) , et celui qui figure dans celles de Van ; il rencontre dans les
unes et les autres des lettres qui ne sont pas communes. Il désigne
donc, sous le nom d'alphabet médo- assyrien, celui qui se rencontre
sur les rochers de Van, à Dasch-Tappeh, dans la plaine de Miyandab
et sur les colonnes de Kel-è-Chin , et réserve le nom d'assyrien à
celui des inscriptions de Khorsabad, qu'il pense être particulier à
l'Assyrie (l). L'inscription trouvée à l'embouchure du Nahr-el-Kalb,
près de Beirouth, paraît appartenir à cette catégorie, bien que
quelques groupes rappellent le type adopté dans les inscriptions de
Van. Le caractère que M. Rawlinson nomme élyméen n'est encore
connu que par deux inscriptions découvertes dans le voisinage de
Mal-Amir, l'ancienne cité des Uxii, contrée qui n'a été encore explo-
rée que par deux voyageurs, le baron de Bode et M. Layard. En
somme, notre orientaliste distingue donc cinq caractères assyriens
différents : 1° l'alphabet babylonien primitif; 2° le babylonien de l'é-
poque des Achéménides ; 3° le médo-assyrien ; 4° l'assyrien ; 5° l'é-
lyméen. Les recherches ultérieures décideront de la valeur de
cette classification. Elles nous apprendront si ces variétés sont
réellement des alphabets différents , répondant peut-être à un sys-
tème phonétique identique , ou si ces différences ne doivent être at-
tribuées qu'à la main qui les a gravées , à la diversité du style , opi-
nion vers laquelle paraît incliner le célèbre découvreur des ruines de
Ninive, M. Botta.
M. Rawlinson a cherché à donner la raison de la grande variété
que l'on observe dans la manière d'écrire les noms adoptée sur les
inscriptions assyriennes ; il en trouve l'explication dans la supposi-
tion qu'il existait deux formes distinctes pour les consonnes , selon
que celles-ci figurent comme muettes ou comme vocales, en admet-
tant, en outre, l'emploi de consonnes euphoniques ; enfin, en tenant
compte des erreurs dans lesquelles la complication de l'écriture a dû
fréquemment entraîner l'artiste.
(1) On a trouvé , il est vrai , dans les ruines de Ninive une inscription écrite avec
les caractère» propres aux cylindres , et que M. Rawlinson désigne par le nom de
babylonien, mais cet orientaliste suppose que celte inscription C6t d'une prove-
nance étrangère à la localité.
l'inscription cunéiforme de béhistun. 563
L'ingénieux orientaliste conjecture avec beaucoup de vraisem-
blance qu'il devait exister en Perse et en Assyrie une écriture cur-
sive employée concurremment avec l'écriture cunéiforme réservée à
l'usage épigraphique ; et cet alphabet plus commode semble même
être celui qu'on retrouve sur quelques briques.
Le mémoire dont nous analysons la première partie ne fournit que
bien peu de détails sur l'écriture cunéiforme qui a été appelée mé-
dique. M. Rawlinson fait observer qu'on y a compté jusqu'à présent
environ cent lettres , dans lesquelles les voyelles sont liées aux con-
sonnes toutes les fois qu elles ne commencent pas les mots ; le sys-
tème phonétique de cet alphabet semble assez avancé, et l'orthographe
paraît à notre orientaliste offrir une grande affinité avec celle de
l'écriture cunéiforme babylonienne.
L'étude des formes grammaticales des inscriptions médiques, au-
tant qu'on a pu, du reste, en juger, à l'aide d'un déchiffrement dou-
teux et incomplet, classe, au dire du savant anglais, la place des
inscriptions médiques parmi les-Jangues scythiques, bien que la con-
struction se rattache plutôt à celle des langues de souche arienne.
La première partie du mémoire de M. Rawlinson se termine par
une esquisse de l'histoire de l'alphabet persépolitain, telle qu'on
peut la tracer avec les faibles linéaments que l'histoire et lepigra-
phie nous fournissent.
Les témoignages historiques ne nous permettent guère de douter
qu'il n'ait existé eu Perse , dès l'époque de Cyrus , une écriture cur-
sive. Le caractère cunéiforme lapidaire était-il employé aussi à cette
époque? nous ne pouvons l'assurer; mais l'inscription du tombeau
de Cyrus à Murghab, qui ne peut être de beaucoup supérieure à la
mort de ce monarque, rend ce fait extrêmement probable.
L'inscription la plus moderne que nous possédons en caractères
persépolitains , est du règne d'Artaxerxès III, Ochus.
Nous ne dirons que peu de chose des idées de M. Rawlinson sur
l'origine de cet alphabet ; car, dans l'absence d'éléments suffisants
pour résoudre la question, ce savant n'a pu émettre que quelques
vagues suppositions. Il incline à croire à l'existence de deux antiques
alphabets, l'un d'origine arienne, l'autre d'origine sémitique; l'un
écrit de gauche à droite, l'autre, de droite à gauche. Ces deux al-
phabets prototypes auraient été usités dans les États persans anté-
rieurement à Cyrus.
Quel était le plus ancien? M. Rawlinson n'est pas éloigné de
donner le droit d'aînesse au premier, l'écriture cunéiforme persépo-
564 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
litaine présentant un système d'organisation en quelque sorte plus
primitif. C'est de cet alphabet arien que dériveraient les caractères
pâlis et ceux avec lesquels furent écrits les premiers livres bouddhi-
ques. Le cunéiforme babylonien, que M. Rawlinson croit radicale-
ment distinct du persépolitain, serait, au contraire, le prototype des
alphabets sémitiques. Notre orientaliste rattache volontiers à cette
seconde source les caractères employés sur les dariques de Cilicie,
l'alphabet de l'Ariane, dont le plus ancien spécimen nous est fourni
par l'édit d'Asoka, et ses dérivés, qui se voient sur les monnaies
baetriennes; les caractères des topes ou stupas bouddhiques, le zend,
les trois variétés du parthe, les trois écritures pehlvies, lapidaire,
monétaire et cursive. La direction sinistriligne , la forme des lettres
accuse, suivant M. Rawlinson, une origine commune, bien que la
dérivation ait pu s'opérer chez chacun de ces alphabets, indépen-
damment les uns des autres'.
Pourquoi ne trouvons-nous pas d'inscriptions cunéiformes posté-
rieures à Artaxerxès III ? Sans doute que l'usage de cette écriture
s'est perdue lors de la chute des Achéménides et de la conquête d'A-
lexandre. Faut-il croire que c'est à cette époque de décadence de la
puissance persane, que s'est formé le zend dans lequel sont écrits les
livres du Zend-Avesta? Les fables et le caractère mythologique qu'on
remarque dans ceux-ci accusent-ils une œuvre moderne , la supposi-
tion de quelque prêtre? c'est ce que soupçonne M. Rawlinson; et
ici nous nous inscrivons formellement contre son assertion , fort des
excellentes raisons qu'ont fait valoir MM. E. Burnouf et Lasscn.
Quand on compare la langue des descriptions persépolitaines avec
celle du Zend-Avesta , on s'aperçoit que la première est dans la
même relation avec la seconde, que l'italien avec le latin, le grec
moderne avec le grec ancien , c'est-à-dire que le persépolitain a
tous les caractères d'une langue dérivée du zend, et que celle-ci,
plus voisine du sanscrit, porte avec elle la trace de son antiquité.
M. Rawlinson n'a rien établi qui combatte ces beaux résultats du
travail de MM. Burnouf et Lassen ; et il nous permettra de préférer,
jusqu'à preuve du contraire, l'opinion des deux illustres philo-
logues.
Est-ce à dire pour cela que le Zend-Avesta soit de beaucoup anté-
rieur à Darius? non, sans doute; il peut même lui être contempo-
rain; car le langage écrit pouvait s'être conservé, au temps de ce
monarque, pur des altérations que l'usage fait subir au langage vul-
gaire, langage dans lequel étaient probablement écrites les inscrip-
l'inscription cunéiforme de béhistun. 565
tions que nous possédons. L'altération est sensible du règne de Da-
rius à celui d'Artaxerxès III, et la langue de l'inscription contem-
poraine de ce dernier roi s'éloigne plus du zend que celle de l'in-
scription de Béhistun.
Il est d'ailleurs à remarquer que le Zend-Avesta est non pas un
livre persépolitain, mais un livre bactrien; que rien n'y annonce
la moindre connaissance de la Perse; qu'aucune mention, par
exemple, n'y est faite de l'Euphrate; l'on ne peut, par consé-
quent, rien inférer de la dissemblance du langage employé d'une
part dans une inscription de la Perse, et de l'autre, dans un rituel
religieux de la Bactriane. Rien ne légitime non plus l'hypothèse
faite par M. Rawlinson, que l'écriture zende fut inventée pour la
transcription des livres sacrés mazdéens , à une époque où l'on ne sa-
vait plus lire la cunéiforme : ce sont là des suppositions fort gra-
tuites que l'on est étonné de rencontrer dans la bouche d'un orienta-
liste qui a dû faire une étude approfondie de la langue zende.
Le culte d'Ormuzd mentionné dans l'inscription de Béhistun, et
plusieurs autres expliquées par MM. Burnouf et Lassen , le carac-
tère qui est donné à ce dieu suprême du mazdéisme, sont parfaite-
ment d'accord avec ce que nous trouvons dans le Vendidad-Sadé.
L'inscription de Béhistun nous démontre même que le mazdéisme
était bien antérieur au fils d'Hystaspes ; qu'il était la religion de
toute la race des Achéménides : cette analogie est en faveur de l'an-
tiquité du Zend-Avesta. Quant aux fables qu'on rencontre dans ce
livre sacré, et dont M. Rawlinson accuse les mages d'avoir travesti
l'histoire, elles se lient évidemment à des traditions antéhistoriques,
mythologiques , et ne contredisaient pas pour cela l'histoire plus mo-
derne que chacun pouvait lire dans les inscriptions commémoratives
des Achéménides, dont nous déchiffrons aujourd'hui le contenu.
Nous sommes loin de nier que ce ne soit sous le règne des Sassa-
nides, restaurateurs du culte d'Ormuzd, que les livres de Zoroastre
ont été recueillis. Mais, comme les monnaies et les inscriptions de
l'époque de cette dynastie nous démontrent que c'était la langue pehl-
vie qui était alors en usage ; comme la rédaction en pehlvi du livre
incontestablement assez moderne le Boun-Dehesch, nous indique que
cette langue était aussi celle du corps sacerdotal, nous devons croire
que le zend et les livres écrits en cette langue étaient beaucoup
plus anciens ; le peu d'altérations que cet antique idiome a subies
témoignent du soin que la tradition religieuse avait mis à transmettre
à la mémoire des Guèbres les paroles d'une loi qu'on avait cessé de
III. 37
566
REVUE ARCHEOLOGIQUE
comprendre. M. Rawlinson est lui-même forcé de reconnaître l'exi-
stence de livres attribués à Zoroastre précisément à une époque bien
antérieure aux Sassanides. Ces livres, cités par Platon, étaient entre
les mains des disciples de Prodicus dès le Ve siècle avant notre ère;
et ils avaient fourni à Osthanes, qui accompagna Xerxès dans son
expédition en Grèce, les matériaux de son ouvrage sur la magie.
Quelle raison s'oppose alors à ce que ces livres ne soient précisément
ceux qui composent le Zend-Avesta?
À notre avis, M. Rawlinson a donc tort de faire descendre à une
époque aussi moderne tout le code sacré du mazdéisme et la langue
dans laquelle il est écrit. Si la religion d'Ormuzd, si celle de Mithra,
que rappelle l'inscription du règne d'Artaxerxès-Ochus, ont pu se
conserver après la conquête macédonienne, y a-t-il lieu de s'étonner
que l'alphabet employé dans les rituels de ce culte n'ait pas péri?
Faut-il lui chercher une origine plus moderne, quand la langue qu'il
traduit aux yeux s'annonce, par les formes grammaticales, comme
la sœur aînée du persépolitain ? Nous ne le croyons pas.
Alfred Maurv.
Nota. La planche donnée ici, est une réduction du dessin publié par M. Raw-
linson. On a cru inutile de reproduire l'indication de l'inscription même et l'artiste
a seulement indiqué les tablettes placées au-dessus des personnages; on comprend
qu'il ait été difficile dans cette réduction de reproduire toujours exactement le type
propre à chacune des figures.
RECTIFICATION
DE LA VALEUR ALPHABETIQUE
DUN CARACTÈRE DE L'ÉCRITURE PUNIQUE,
De toutes les satisfactions qu'on peut se promettre en se livrant à
l'étude de la paléographie , il n'en est pas de plus vraie, à mon sens,
que celle que l'on éprouve quand on parvient à reconnaître une
erreur que l'on a longtemps admise et défendue, et quand surtout on
sait dire hautement et de bon cœur : Je me suis trompé. Tous les
esprits honnêtes qui cherchent la vérité pour elle-même . et qui
savent se garantir des fâcheux conseils de l'amour-propre , com-
prendront toute la sincérité de la joie avec laquelle je saisis l'occa-
sion de revenir sur la réalité d'un fait paléographique admis par
beaucoup d'autres avant moi , et que je suis aujourd'hui forcé de
reconnaître erroné. Il s'agit de la valeur d'une lettre ! C'est bien peu
de chose , sans doute ; mais si les conséquences d'une rectification de
ce genre peuvent être nombreuses et importantes, on pensera comme
moi, je l'espère, que c'est un devoir de la proposer le plus prompte-
ment possible, et un devoir d'autant plus impérieux , que, l'erreur
que l'on doit combattre , on a plus activement servi à la propager.
Or, c'est précisément le cas, dans lequel je me trouve. Dans un
mémoire sur les inscriptions votives phéniciennes et puniques ,
publié cette année , je me suis efforcé de reconstruire l'alphabet de
l'Ecriture que Gesenius a nommée numidique. Sur la parole de
Lindberg et de Gesenius, j'ai admis que le signe punique, tout à
fait semblable à 17? latin rétrograde, était un resch. Aujourd'hui, je
puis démontrer que cette analogie de son , basée sur une simple
analogie de forme , est purement illusoire , et que le signe en
question n'est autre chose que le hhe , dont je n'avais pu trouver
nulle part l'équivalent punique des bas temps , grâce à la malen-
contreuse attribution qui me l'avait fait reléguer parmi les équiva-
lents du resch.
Je viens de promettre de démontrer la légitimité de cette rectifi-
568 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cation alphabétique ; c'est ce que je vais tâcher de faire. Dans
l'alphabet punique primitif, lequel n'est autre chose que l'alphabet
phénicien pur, les deux lettres si voisines hhet et hhe sont repré-
sentées par deux signes qui ne diffèrent que par l'addition pour le
hhet y d'un trait parallèle au corps du hhe, et placé à gauche de
celui-ci. Dans l'écriture punique des bas temps le nom divin Baal-
Khamon nous a fourni le hhet ; il se compose d'une sorte de R
latin rétrograde, muni vers la gauche d'un petit trait parallèle au
trait rectiligne du corps de la lettre. Cet alphabet des bas temps
étant dérivé de la manière la plus palpable de l'alphabet primitif,
il eût été a priori assez raisonnable d'imaginer que le même signe
débarrassé du petit trait supplémentaire de gauche devenait un
hhe. Cette idée, parce qu'elle était toute simple et toute natu-
relle, n'est venue à personne. Le signe en question ressemblait si
bien à un R écrit de droite à gauche, qu'on s'est décidé à en faire un
resch. Quelques légendes numismatiques se sont tant bien que mal
accommodées de cette valeur hypothétique, et dès lors on a regardé
celle-ci comme parfaitement constatée , tandis qu'elle n'était qu'un
heureux bentrovato, et rien de plus. Ainsi donc, si l'on eût bien
voulu , et moi tout comme mes devanciers , mettre de côté cette
analogie de forme entre un signe punique et un signe latin , en
respectant cette môme analogie de forme dès qu'elle rattachait entre
eux deux signes de l'écriture punique, on eût infailliblement trouvé
sur-le-champ la véritable valeur de cette lettre, et l'on n'eût pas eu
si longtemps lieu de s'étonner de l'absence d'une hhe dans l'alphabet
punique des bas temps.
Voici maintenant ce qui m'a révélé la véritable valeur de ce carac-
tère. M. Fulgence Fresnel a eu le bonheur de trouver à Leptis
Magna deux inscriptions trilingues, latine-grecque-puniques qui
viennent d'être publiées par lui dans le Journal Asiatique : ce sont
les épitaphes fort courtes d'un médecin et de sa mère. Les textes
puniques recueillis ne sont pas très-corrects; mais il est heureuse-
ment facile de les reconstruire d'une manière satisfaisante. Voici ces
textes précieux :
BONCAR MECRASI CLODIUS MEDICUS.
Btovxocp (xexpaat KXwoioç taxpoç.
kïth wAp >unpDii Trichera,
ÉCRITURE PUNIQUE. 569
Boncar est un nom punique connu déjà par une inscription latine
du musée de Cortone (Gesenius, p. 397) ; mais ce nom est altéré et
sa forme primitive mpbcrav (abdmelkart), se trouve déjà mo-
difiée dans le texte punique de notre épitaphe , par la suppression de
Yàin initial du mot âbd. Par erreur le mem et le lamed ont été
copiés comme s'ils ne formaient qu'un seul signe. Mecrasi ne peut
être qu'un ethnique, servant de surnom à Boncar, puisqu'il est répété
correctement dans les trois textes. Mais dans le texte punique il est
précédé du signe toujours pris jusqu'ici pour un resch, parce qu'il
ressemble à \'R latin ; deux lettres seules peuvent se trouver dans
cette position , Yaleph ou le hhe. Ce ne peut être un aleph , dont
nous connaissons la forme et que nous allons d'ailleurs retrouver
tout à l'heure dans le mot dn, mère, de la deuxième épitaphe ; il est
donc déjà probable que c'est un hhe.
Le groupe punique qui correspond au Clodius et au KXwStoç des
deux textes latin et grec, se lirait W^p Klodi , Klogaï , si la
copie de M. Fresnel était rigoureusement exacte ; mais il se peut
qu'au lieu d'un àin après le lamed, il y ait véritablement sur la pierre
un daleth dont la tête seule aura été reconnue , et dès lors le nom
se lirait Klodeï, ou Klodaï.
Reste un dernier groupe qui doit correspondre au medicus et au
îaxpoç des deux textes supérieurs; ce groupe, précédé du signe
punique qui fait le sujet de cette note , se lit an. Or , en hébreu ,
«ffi , signifie médecin. De I'f au b il y a bien près , et la permuta-
tion de ces deux sons congénères, si fréquente en copte, a pu faire
du NSI hébraïque, le Hàl phénicien et punique. 11 est inutile, je
pense , de faire observer ici que les Juifs prononcent le plus souvent
leur lettre ej comme le p de notre alphabet , ce qui achève d'établir
l'analogie des trois sons p, b, f, et de légitimer la transcription et la
traduction de ce groupe. La lettre qui le précède ne peut, cette fois
encore être que l'article n ou n. Ce n'est pas a, qui se lit nettement
à la fin du. mot lui-même ; c'est donc bien n.
Voici maintenant les textes de la deuxième inscription :
BYRYCTH BALSILECHIS F. MATER CLODII MEDICI.
Bupu)(Ô BaXfftXXv)^ ÔuyaTYip (XY)T7)p KXwâtou taxpou.
ttm ^ayf)p dn ^objn m n:ro
570 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les mots Byryclh-beth-Baâlsillecham, c'est-à-dire « Byrycth , fille
deBaalsillech, mère...... » se lisent sans aucune difficulté. Je crois
reconnaître un samedi dans le quatrième signe du nomBaalsillech.
Quant au caf final de ce nom, sa transcription n'est pas douteuse;
mais la régularité voudrait que ce fût un hhet, puisque le véritable
radical, signifiant condonare, est vbo.
Le nom propre du médecin Clodius, dans la copie de M. Fresnel,
est écrit cette fois avec deux dm entre lesquels serait placé un
aleph. L'un de ces deux àin est sûrement un daleth mal reconnu , et
je n'hésite pas à lire Klaodi, en faisant le daleth nécessaire du second
àin de la copie.
Reste encore le groupe correspondant aux génitifs medici et
taxpou , c'est celui que nous avons trouvé dans la première épitaphe ,
c'est-à-dire le mot N21 , précédé de l'article n qui se trouve ici par-
faitement à sa place.
On voit que l'étude de ces deux épitaphes trilingues est décisive
et qu'elle impose forcément au signe <V la valeur du hhe hébraïque.
Voyons maintenant si cette nouvelle valeur peut conduire à
des sens admissibles pour les légendes qui avaient suggéré l'idée
d'en faire un resch.
Cette valeur du resch a été attribuée pour la première fois au ca-
ractère punique en question par Lindberg. Il la déduisit de l'analyse
de la légende des monnaies bilingues de Juba Ier. Quiconque
s'est occupé de la numismatique punique , sait que cette légende se
partage en deux lignes superposées :
loj^CLV ou bien ZoJ\l
Swinton a lu la première *w , et y a retrouvé le nom royal
de la légende latine rex jura. Lindberg transcrit la seconde ligne
roSa di, et la traduit magnum regnum. Gesenius, adoptant la lec-
ture de Lindberg, pour cette seconde ligne , la traduit par alla sedes
imperii. Quant â la première , il rejette la lecture matérielle de Swin-
ton, et, faisant du vav un tzade, il obtient W as* , qu'il traduit erexit
rainam, d'où le sens complet, erexit ou qui erexit ruinam altœ sedis
imperii. Je l'avoue, ce sens m'a toujours paru peu vraisemblable, pré-
cisément à cause de ce qu'il présentait d'ampoulé. J'aime mieux voir
simplement dans la légende les mots *»*, Joubaï, Juba, ou
ïîOTur, à Juba, et naSann , imperium, regnum, dignitas regia ;
ÉCRITURE PUNIQUE. 571
de telle sorte que nous avons la phrase roSoDH part ou *3QW :
« A Juba la royauté ou l'empire. »
Ce qui donne beaucoup de poids à cette supposition sur la valeur
du signe f\ déduite de la légende des monnaies de Juba, c'est l'exi-
stence des monnaies puniques de cuivre , attribuées à tort à Juba le
Jeune (Gesen. Tab. 42, xxi. Juba II. Lett. A, B, C). Ces mon-
naies offrent au revers un cavalier au galop, au-dessous duquel se
voit une légende formée malheureusement de très-petits caractères,
Mionnet (t. I, p. 273, n° 548, et pi. XX, n° 49), mais dont la
fin se lit clairement rotaon. Cette légende étant écrite en caractères
puniques primitifs , c'est-à-dire avec les formes phéniciennes pures
des lettres hhe et mem, il me paraît hors de doute ou que ces mon-
naies sont antérieures à celles de Juba , ou qu elles ont été frappées
dans une autre région plus rapprochée de Carthage. Revenons main-
tenant aux trois premiers caractères de la légende. Ils se lisent ,
comme Mionnet les a lus , pN3 , bah , bôk. Je n'hésite donc pas à
traduire : « A Bocchus la royauté , » et si ces monnaies étaient bi-
lingues , elles offriraient la légende bocchvs rex.
Gesenius a cru deviner que la légende devait se transcrire Dnp m
idSd, et se traduire donnas perpétua imperii, ou domus sustentans
imperium. Ce sens est tout aussi peu satisfaisant que celui des mon-
naies de Juba.
Mionnet (t. VI, 592, n° 15) décrit une autre monnaie punique
dont Gesenius rapporte la légende (tab. 43, XXIV, Sabratha, lett. F).
Cette légende certainement altérée, peut se rétablir aisément; le
troisième signe est vraisemblablement un p , et la légende se lit alors
sans difficulté :
jyrraw *UDy opon
La grande ville ou la métropole, Sabrathan.
Uàin qui précède le mot *UD est superflu ; mais l'on trouve dans
toutes les épigraphes conçues en écriture punique des bas temps ,
une telle surabondance de aïn intercalés sans raison apparente dans
les textes , que l'on a véritablement le droit de ne pas trop se préoc-
cuper de leur présence. Peut-être ici cet aïn ne joue-t-il d'autre
rôle que celui d'une prise de son guttural inhérente au caph initial
du mot 133 , sous sa forme punique ; peut-être encore avons-nous
réellement l'équivalent du superlatif arabe elakbar, formé de l'adjectif
kebir. Je ne me permettrai pas de le décider.
572 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Quoi qu'il en soit, les trois leçons que je viens de proposer ont
l'avantage de substituer des légendes simples et naturelles à des
phrases entortillées et invraisemblables ; et je vois là un grand motif
de plus pour les transcrire ainsi que je viens de le faire.
Examinons maintenant quelques inscriptions lapidaires, et com-
mençons par la fameuse inscription bilingue de Tripoli, publiée
pour la première fois par le chevalier Badia (Ali-Bey-el-Abbassi), et
qui, en 1825, fut transportée en Angleterre, où Gesenius l'a re-
trouvée servant de base à une statue de Flore ou de Cérès , dans le
jardin d'un château royal (Virginia- Water ) , situé près de Windsor ;
notre lettre s'y retrouve , et le nouveau rôle que je lui assigne n'est
pas moins satisfaisant. On se rappelle (V. Gesenius, LXIV. Tripo-
litana prima) que la pierre porte les deux textes avg. svfe. pour
Âuguslo sufetes. Et
^ *YA D^^A-
Gesenius , pour arriver à sa transcription et surtout à sa tra-
duction
nby Dp m nrtaS iran
Dominium imperii Romani perstat in œternum
a été obligé de supposer qu'à la droite du bloc de pierre il ne man-
quait qu'une lettre , et rien du tout à la gauche , et que l'ouvrier
avait taillé la pierre des deux côtés pour la ramener aux dimensions
dont il avait besoin, « Caeterum ab utraque ejus parte aliquid deest :
« non quod fractus sit lapis, sed quia f'abri murarii inscriptionem
« minus curantes, et minore lapide opus habentes partem ejus deci-
<c derunt. Quod ab anteriore parte decisum est, perexiguum et ipsa
« inscriptio ibi intégra est : a posteriore tantum deest quantum ad
« unius litterae spatium requiritur. » Outre que l'ouvrier mis en
cause par Gesenius , eût été un maladroit de tailler sa pierre à droite
et à gauche, quand il pouvait se contenter d'en entamer un seul
côté, il eût été plus mal avisé encore de toucher précisément la
seule pierre offrant l'inscription dédicatoire de l'arc de triomphe.
Enfin , il ne paraît pas possible d'admettre que ces deux lambeaux
de texte latin et punique aient jamais pu constituer à eux seuls une
inscription en l'honneur d'un empereur romain , et probablement de
Septime Sévère comme l'a pensé Gesenius. Quoi qu'il en soit, je
ÉCRITURE PUNIQUE. 573
crois qu'il est prudent de s'abstenir de toute restitution du premier
mot de la partie punique dont nous ne reconnaissons , avec netteté ,
que le n final. Le reste se lit couramment :
a?>y apan rdrch
Remarquons d'ailleurs que les groupes puniques sont si nettement
séparés les uns des autres par les blancs que le lapicide a laissés à
dessein, qu'il devient impossible de ne pas transcrire ce texte ainsi
que je viens de le faire. Quant au sens des trois mots que je retrouve,
il est assez clair pour n'être pas trop sujet à contestation. Nous avons
donc la fin de phrase :
A la souveraine de la demeure éternelle.
apo étant écrit ainsi pour aipa, locus, domicilium, oppidum, rien
déplus régulier quelaforme apan, « la demeure, le séjour. »
C'est ici le lieu de revenir sur les inscriptions votives que j'ai dé-
crites dans le mémoire précité, et de les analyser de nouveau en tous
les points où le hhe, aujourd'hui bien reconnu, se trouve remplacé
par un resch dans mes précédentes transcriptions.
Parmi ces épigraphes précieuses , il s'en trouve deux qui ont été
découvertes à Guelma, par MM. Delcambe et de Lamare, et dans le
contexte desquelles un seul passage présentait une incertitude qui
se dissipe aujourd'hui, grâce à la nouvelle lecture du caractère en
question. Ce passage se reproduit textuellement dans l'une et l'autre
inscription , et il est précédé de la particule -j , « lorsque , dès que ,
selon que, ou parce que, » qui le sépare nettement de tout le reste
du texte.
Dans la première (celle de M. Delcambe), je lis aujourd'hui :
— yv i wm *n«;*o
Nfnpna ko —
Dans la deuxième (celle de M. de Lamare), je lis de même :
— n awka ■
*Aipna now t un —
On se rappelle que ces inscriptions votives ont été gravées en
actions de grâces.
La fin de la phrase se traduit nettement : Et qu'il a écouté ma
voix ; pour : Et quil a exaucé ma prière.
Restent les mots rcan *rraw, qu'il ne me paraît plus possible de
lire autrement. En effet , l'inclinaison de gauche à droite du daleth
du mot jTK des mêmes textes , démontre que la troisième lettre du
574 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
premier mot est un resch, que sa position tout à fait verticale carac-
térise suffisamment. Nous avons donc bien >nwt.
Quant au mot suivant wan , il pourrait y avoir des doutes sur sa
transcription, si l'on ne possédait que l'inscription de M. Delcambe.
Sur celle-là, en effet, il semble que l'on doive lire trwi. Mais dans
celle de M. de Lamare, toute incertitude de transcription s'évanouit ,
et il faut lire rcan.
Voyons maintenant ce que signifient ces mots. Je crois avoir ,
dans le mémoire précité, établi que Yaleph affixe tenait lieu de pro-
nom personnel de la première personne , ce qui rend bien compte
de la formule ordinaire JCû *6p yn^D : Lorsqu'il a entendu ma
prière, il m'a béni. S'il en est réellement ainsi, nous avons pour le
nouveau passage formulaire dont il s'agit cette fois, rcan KTW*q
j ubi ou quia, niun, me felicem, me beatum effecit, wnh, sacrificium.
C'est-à-dire : Parce que le sacrifice que j'ai offert m'a donné le
bonheur. Je ne développerai pas ici la convenance de cette traduc-
tion; cela me semblerait superflu. De la sorte, le sens des deux
inscriptions votives de G uelma devient complet et simple dans toutes
ses parties. La nouvelle transcription du caractère, toujours pris à
tort pour un resch , malgré la présence dans les mêmes textes d'un
autre resch bien distinct et bien déterminé , a donc encore cette fois
le mérite d'éclaircir singulièrement le seul passage obscur de ces
épigraphes.
II y a plus encore, cette nouvelle attribution du hhe permet au-
jourd'hui de pénétrer plus avant dans le sens d'une inscription votive
punique, dont je ne connais pas d'autre copie que celle qu'a publiée
Gesenius, et sur le compte de laquelle je n'avais pu émettre que des
doutes et des hypothèses plus ou moins satisfaisantes. Je veux parler
de la première numidique de Gesenius (LVII. Tab. 21). En effet,
elle se transcrit aujourd'hui de la manière suivante :
top vd pan byz fié/
oaynaon *Aya orra nbp
parown p -jrDW
Au seigneur Baal-Khamon; dès qu'il a écouté leurs prières , il les a
bénis. Ceux qui ont ordonné décrire ces lignes sont at.... ben Mesinan
et lachiklak ben Mesitenan.
Ce qui complète le sens de cette inscription , c'est précisément
l'ensemble des deux mots Dayrom *6ya , ont ordonné tous deux ces
ÉCRITURE PUNIQUE, 575
écritures. Il me semble que Nte peut s'assimiler au duel arabe ;
Ssd, signifie au propre, dominatus est in aliquem, et ce duel du
prétérit signifierait par conséquent : Ont été' tons les deux maîtres de,
pour ont ordonné tous deux. Je ne sais jusqu'à quel point on ad-
mettra cette assimilation d'un duel arabe avec un duel punique; mais
comme nous ignorons à peu près complètement le mécanisme gram-
matical du dialecte phénicien et punique , il peut fort bien se faire
que ce dialecte ait, comme l'arabe, conservé l'emploi de ce nombre
dans la conjugaison des verbes. D'ailleurs, de ce qu'un fait n'a pas
encore été reconnu, il ne s'ensuit pas qu'il n'a pas existé, et jusqu'à
meilleure explication, on me permettra d'admettre celle-là. Quant
au pluriel Dnyrcm , je me permets aussi d'y voir un analogue du
pluriel arabe el mekatib , les écritures , comportant l'article punique
ordinaire n et la finale □ indice du pluriel. lïaïn qui suit le tau est
une lettre d'une prononciation et d'un emploi si vagues dans les
textes puniques, que sa présence ne peut en aucune façon empêcher
que l'on admette la leçon que je propose.
Dans un mémoire qui va suivre immédiatement celui-ci , j'exa-
minerai quelques inscriptions funéraires, appartenant à la classe des
épigraphes que Gesenius appelait numidiques, et j'espère, tout en
publiant bon nombre de monuments entièrement inédits, montrer
que le fait que je me suis efforcé d'établir dans ce premier
travail , se vérifie de la manière la plus constante , et mérite toute
confiance.
F. de Saulcy.
NOTICE
UNE STATUETTE ANTIQUE EN BRONZE, D'ISIS,
RÉCEMMENT DÉCOUVERTE AUX ENVIRONS DE TOULOUSE.
Dans la statuaire symbolique et religieuse des anciens , comme
dans la sculpture, sur leurs médailles, etc., certains types convenus ,
et, l'on pourrait dire , consacrés, se reproduisent assez fréquemment
d'une manière uniforme. Entre mille exemples de ce fait que tous les
archéologues et les observateurs des monuments de l'antiq uité
STATUETTE ANTIQUE EN BRONZE. 577
figurée ont eu mainte occasion de remarquer , nous produirons le
suivant, qui vient encore de nous être offert, à l'occasion d'une
statuette en bronze (1), découverte tout récemment , en creusant
le lit du canal latéral à la Garonne , entre Dieupentale et Pompi-
gnan, à côté des voies romaines de Tolosa ( Toulouse) , Âginnum
(Agen) , et à Divona (Cahors) (2) , et de la grande route actuelle de
Toulouse à Bordeaux et à Paris, mine féconde en débris antiques de
tout genre. La figurine dont nous donnons ici la gravure, quoique
inédite, en rappelle deux autres déjà connues et de même métal ,
l'une ayant appartenu à M. le maréchal d'Estrées, et publiée et
expliquée par Montfaucon , dans son grand ouvrage (Supplément,
t. I, p. 220), l'autre provenant du cabinet de M. le duc de
Sully , gravée , et l'objet d'une nouvelle explication , dans dom
Martin, Explication de divers monuments singuliers, etc., p. 310 et
suivantes.
L'auteur de l'antiquité expliquée s'exprime de la manière sui-
vante au sujet de l'exemplaire de notre antique ayant appartenu
à M. d'Estrées : « Voici une lune représentée dans toute sa gran-
deur (c'est-à-dire les dimensions exactes de la statuette); l'image
est fort singulière, elle a un grand croissant sur la tête, les bras,
les épaules et la gorge nus. Une large bande qu'elle porte en
écharpe, relève, d'un côté, sa tunique: une ceinture encore plus
large retient cette tunique , qui ne commence qu'au-dessous des
aisselles. Dans sa main droite élevée , est un vase rond d'où il sort
quelque chose; quelques-uns prétendent que c'est une flamme,
d'autres pensent que c'est un vase rempli d'une liqueur soporifère ,
ce qui conviendrait fort à Diane la lune, ou à la nuit qui est la
même chose. Si ce qu'elle tient à sa main gauche est un pavot,
comme je l'avais d'abord cru, cela favoriserait cette première expli-
cation ; mais ce pourrait bien être une partie de sa robe qu'elle
relève de ce côté-là, comme l'écharpela relève de l'autre : cela n'est
pas bien clair; il vaut mieux demeurer dans le doute, que de prendre
parti dans l'incertitude. Quelqu'autre monument nous fera peut-être
mieux connaître celui-ci (3). »
(1) Grandeur de la gravure.
(2) La première de ces voies militaires des Romains, encore conservée dans une
grande partie de son cours, n'a point été indiquée dans l'itinéraire d'Antonin ni
dans la table de Pentinger, et est demeurée inconnue à Danville, à M. Walckenaer,
à M. Dumège , et nous l'avons les premiers reconnue et décrite de son point de
départ à son point d'arrivée, après l'avoir parcourue en son entier. La seconde de
ces lignes militaires est marquée dans la table théodosienne.
(3) Deux autres , à notre connaissance , ont été effectivement découverts depuis.
578 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Nous ne donnerons qu'un précis ou un résumé de l'opinion
beaucoup plus étendue, de D. Martin, sur l'exemplaire de M. le
duc de Sully. « La divinité qui est ici représentée , dit ce savant
bénédictin, n'a pour tout habit qu'une simple et unique tunique
(bien que Montfaucon ait cru voir deux vêtements séparés et super-
posés), relevée d'un côté par cette large bande qui est en écharpe,
et de l'autre, par la main gauche de la déesse. C'est donc, sans le
plus léger fondement, qu'on a soupçonné que cette divinité tenait
un pavot ou quelqu'autre chose que ses habits : il n'en est pas de
même de la main droite; il est constant qu'elle tient, non un vase
rempli dune liqueur soporifère, mais une mamelle pleine, que la
divinité presse , et d'où elle exprime et fait sortir le lait qu'elle
contient : et c'est ce qui décide de la nature et du nom de la déesse
qui tient cette mamelle; car, il n'y a qu'/sis dans les mystères de
laquelle figure la mamelle, et à qui les anciens avaient donné cet
organe comme symbole. Aussi , Apulée observe-t-il , que dans la
pompe magnifique, instituée en l'honneur de cette divinité, où il
fut rétabli dans son premier état (d'homme), il y avait un prêtre
qui tenait en l'air un vase d'or , fait en forme de mamelle , d'où
il faisait sortir du lait qu'il répandait dans le chemin où devait passer
la déesse , etc. , etc. (4). »
D. Martin, auteur parfois très-systématique, a bien vu ce petit
monument, et la description qu'il a donnée de notre idole d'Isis est
assez exacte. Mais nous pensons qu'il en a fort embelli la représen-
tation dans la gravure qui accompagne sa dissertation , si nous en
jugeons du moins par la pièce de comparaison que nous mettons ici ,
avec fidélité , sous les yeux des lecteurs ; mais à l'époque où écri-
vaient nos deux doctes bénédictins , l'exactitude était chose inconnue
aux dessinateurs et aux graveurs d'antiques, figurines, médailles,
pierres gravées , etc. , etc.
Nous pensons, avec D. Martin, que notre figurine représente
la reine et principale divinité de l'Egypte, Isis, devenue plus tard,
en quelque sorte, cosmopolite, et celle des divinités étrangères dont
le culte et les mystères (avec ceux de Mithra) , eurent le plus de
vogue à Rome et dans nos Gaules , dans les derniers temps de la
république et sous les empereurs, attribution qui, du reste, ne
(1) 11 est à remarquer que la statuette d'Isis de M. le duc de Sully était creuse
et évidée par derrière. Nous avons observé cette même particularité sur une figurine
en pied de liacchus.
STATUETTE ANTIQUE EN BRONZE. 579
s'éloigne point de celle de Montfaucon^ puisqu'Isis et Diane-Lune
sont deux personnages mythologiques identiques.
L'ornement ou attribut dont la tête de notre idole est surmontée ,
nous paraît ressembler davantage aux cornes naissantes d un jeune
taureau dont la déesse égyptienne était quelquefois coiffée, qu'au
disque de la lune (5). Son vêtement, par sa forme et son agencement,
n'est rien moins que celui de la chaste et mystérieuse déesse de Sais,
dont nul mortel n'avait soulevé le voile. Mais c'est ici un costume tout
romain , jusqu'à l'ordonnance de la coiffure, et qui, par conséquent,
n'a rien d'égyptien. Notre statuette date du temps des empereurs,
or , l'Isis de Commode , d'Élagabale et des orgies (6) auxquelles ils
présidaient sous les prétendus noms d'initiations et de mystères isia-
ques, n'était plus cette déesse dont le voile était impénétrable et
immuable; et d'ailleurs, cette tunique sans corsage, retenue au-
dessous de la gorge nue, et qui laissait le buste à découvert, conve-
nait assez à cette reine de la nature, à cette mère de toutes choses,
nommée Multimamia, et qui, entre autres attributions, présidait
à la fécondité et à la reproduction de tous les êtres , dont étaient
l'emblème dans ses pompes et ses processions , le phallus et le
ctéïs que renfermait la cyste mystique qu'on y portait avec tant de
solennité
Nous remarquerons encore ici , dans la disposition de la draperie
de nos Isis, une différence sensible au premier coup-d'œil, et qui
prouve qu'elles n'ont point été jetées au même moule, et qu'elles
appartiennent sans doute à des ouvriers , et nous pourrions même
ajouter avec beaucoup de probabilité, à des temps différents, du
moins , s'il y a quelque vérité dans les gravures de nos deux érudits de
la congrégation de Saint-Maur : dans mon exemplaire la tunique est
fixée immédiatement sous le sein, dans les deux premiers, elle l'est
beaucoup plus bas. Ce vêtement y paraît ouvert par devant, et rien
(5) Si l'on peut ajouter foi à l'exactitude des gravures des deux bénédictins, l'or-
nement de tête ou le disque ou croissant qui surmonte la tête de leurs Isis varie
sensiblement de forme avec celui qui domine le front de la nôtre. Sur les premières
les deux branches du croissant s'arrondissent et se rapprochent par le haut, au lieu
qu'elles s'écartent sensiblement, en forme de petites cornes, sur notre idole, ce qui
indiquerait plutôt une Taupoxi/Dws. Cette différence est à signaler.
(6) Ces mystères avaient bien dégénéré de leur but primitif qu'exprimaient leurs
symboles, leurs allégories dont les seuls initiés avaient la clef , à l'époque dont nous
parlons. A Rome, les temples d'Isis et ses initiations, devinrent des lieux et des
occasions de débauches, de prostitutions et de scandale, ce qui y fit souvent défendre
son culte toujours rétabli par le crédit des partisans de ces orgies , en tête desquels,
au rapport de Lampride , il faut placer l'empereur Commode.
Ô80 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
n'indique qu'il ait cette forme sur notre monument; on pourrait
plutôt présumer, à l'aspect Je la partie qui tombe par derrière jusque
sur les talons de l'idole , que la tunique doit être ouverte sur
les côtés et composée de deux pièces distinctes , selon l'usage des
Lacédémon ien nés .
La ceinture est plus large que celles destinées au même objet,
qu'on remarque ordinairement sur les statues antiques, et qui pa-
raissent n'avoir été qu'un simple cordon ou ruban. Celle dont il s'agit
ici ressemble à une sorte de ceste ou d'ornement peut-être destiné
à soutenir la gorge à la hauteur convenable , comme le font les cor-
sets d'aujourd'hui. Dans la gravure publiée par D. Martin, cette
ceinture offre encore une forme différente de celle qu'on voit ici.
Elle a la figure d'un diadème, présente dans l'espace compris entre
les deux seins , une éminence qui se termine en pointe , peut-être
destinée à les tenir séparés. Le savant Nadal , de l'Académie des
Inscriptions , pense que cette partie de la parure des femmes , sou-
mise à l'empire et aux variations de la mode, reçut, avec le temps,
une forme particulière , et que sa largeur fut augmentée , appuyant
cette conjecture très-probable, de cette exclamation d'une jeune fille
qui, dans le poëte ïurpilius, s'écrie: ce Ah! malheureuse que je
suis , j'ai perdu une lettre qui s'est échappée de mon sein. » Plusieurs
statues justifient cette assertion du savant Académicien. L'emploi
de la main gauche de notre figurine nous paraît être, comme à
D. Martin , celui de tenir relevés et comme suspendus à la hauteur
du genou , les pans ou jets de sa tunique de ce même côté. Il nous
paraît difficile d'y voir un attribut quelconque de la déesse qui ne pour-
rait guère être que le vase rempli d'eau du Nil qu'elle porte quel-
quefois dans cette main, mais dans une autre attitude (7). L'objet
que nous voyons figurer dans la main droite élevée de notre Isis, et
qui diffère encore sensiblement de forme et d'action de celui que la
statuette de D. Martin tient dans la même main , et qui a la forme
d'une mamelle dont la pression fait jaillir du lait, peut être effecti-
vement la représentation de cet emblème défini par Macrobe (8) ,
(7) Dans quelques-unes de ses statues ou des bas-reliefs où elle est figurée, Isis
est représentée, tenant dans la main gauche étendue le long du corps, un vase con-
tenant de l'eau du fleuve sacré , et un sistre , instrument de musique , qui lui était
consacré , dans la droite qu'elle élève à la hauteur de sa tête.
(8) Macrobe et Porphyre nous apprennent que les initiés aux mystères d'Isis trai-
taient de la théorie des âmes, et que l'aliment symbolique du lait employé dans ces
mêmes mystères , et renfermé dans celte mamelle , ou plutôt le vase en ayant la
STATUETTE ANTIQUE EN BRONZE. 581
quoique la configuration n'en soit pas très-exacte, et d'un dessin gra-
cieux, et qu'il ne s'en épanche pas plus de flamme, que de liquide.
Mais nous y trouverions plutôt ce vase ou récipient destiné à contenir
la liqueur lactée , signalé dans les mystères et les solennités isiaques.
C'est avec cette même bouteille , car notre prétendue mamelle ne
•s'éloigne guère de cette forme (9) , que sur un bas-relief en ivoire ,
de Buonarroti, Isis allaite le bœuf Apis. La déesse a la tête coiffée
de la poule de Numidie ; elle porte des brasselets au haut des bras ,
aux poignets et aux chevilles des pieds , comme on le voit sur
d'autres figures égyptiennes : elle est placée sur une barque de
Papyrus, tandis qu'elle vaque à ce soin. (Buonarroti, Osserv. Utor.
soprà aie. Medagl., etc., et Winkelmann , Hist. de lart, t. I,
pages 562, 569 et 570.)
Winkelmann s'est évidemment trompé en paraissant croire que
c'est avec son véritable sein, et non avec cette bouteille qu'elle
soutient et élève de la main droite, à la hauteur de sa gorge, en-
tièrement couverte, et presque dissimulée par son vêtement, qu'Isis
donne à teter à Apis.
Du reste , on doit dire que plusieurs statues , bas-reliefs où l'on
croit voir figurée la grande déesse de l'Egypte , ne représentent que
ses prêtresses, les initiées à ses mystères; telle est, entre autres,
la belle statue de cette divinité, de la galerie du Capitole, offrant la
tunique à longues manches qui descendent jusqu'aux poignets ,
tandis que les parties inférieures du même vêtement abritent les
pieds du marbre et que par-dessus se drapent l'habit et le manteau ,
ouvrage d'un habile artiste grec fait sur le costume égyptien, mais
agencé avec plus de grâces , de légèreté et de souplesse.
Notre idole, d'origine égyptienne, mais de style romain ou gallo-
romain, accuse les bas temps (10) de l'art ; c'est une copie, une
imitation imparfaite d'un bon modèle (11), qu'on aimerait à re-
forme , faisait allusion à la voie lactée où les âmes descendaient et remontaient.
Beaucoup y voyaient seulement un emblème de la fécondité et de l'abondance.
(9) Ce vase ressemble aussi beaucoup au biberon dont on se sert de nos jours
pour l'allaitement artificiel des enfants.
(10) Sans doute, entre la seconde moitié du IIe siècle, et la première partie
du IIIe.
(11) Peut-être une statue d'Isis ou d'une de ses prêtresses par quelque sculp-
teur célèbre de l'antiquité. C'est ainsi que, dans les fouilles de Saintes, nous
avons vu découvrir une figurine en marbre, de Diane chasseresse , d'après la belle
statue antique, dite de Rambouillet, et qu'on admire aujourd'hui au Musée du
Louvre où elle occupe dignement la place qu'avait conquise à son frère l'incon-
stante victoire.
III. 38
582 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
trouver dans les gravures publiées par D. Bernard de Montfaucon et
D. Martin , et surtout dans celles de ce dernier antiquaire , si
quelque chose de moderne qu'on y remarque dès la première vue ,
n'attestait le burin d'un artiste complaisant. Ce serait donc encore
une belle infidèle, comme les traductions de Perrot d'Ablancourt.
Le baron Chaudruc de Crazannes,
Correspondant de l'Institut (Académie royale des Inscriptions ) , membre
titulaire des Comités historiques, Officier de l'Université, etc.
LETTRE A M. LETROME
SUR
LE NOM ROMAIN DU PEINTRE GREC DIOGÈNE.
Chalon-sur-Saône , 29 novembre 1846.
Monsieur ,
Abonné à la Revue Archéologique , je reçois aujourd'hui le nu-
méro du 15 novembre. Vous y avez inséré une notice sur une pierre
tumulaire qui existe dans l'église Saint-Nazaire à Bourbon -Lancy ,
DVM DIOGENI. ALP. PICTOR.
Ayant découvert cette pierre, j'eus l'honneur inattendu de vous en
envoyer, par M. Compin, un fac-similé en même temps qu'un
estampage fait par moi sur l'inscription presque illisible de c. ivlivs.
eporedirigis que depuis quelque temps j'étais occupé à net-
toyer et à débrouiller. Ce fac-similé avait été fait après une première
lecture un peu rapide ; aussi, plus tard, en nettoyant et en étudiant
i
attentivement cette épitaphe , je reconnus qu'il fallait lire ALB au
lieu de ALP. ... En effet, le bord de la pierre étant usé, le bas du
B était un peu effacé. Son peu d'apparence m'avait empêché de
le voir.
C'est donc diogenes alrinvs (1) pictor qu'il faut inscrire au
Catalogue des noms d'artistes anciens.
Je suis heureux d'avoir pu, pendant mon séjour à Bourbon-
Lancy , rendre quelques services à l'archéologie , d'une part en dé-
couvrant cette pierre tumulaire qui, sans moi, serait encore et
peut-être pour toujours ignorée ou perdue; d'autre part en débrouil-
lant et rétablissant la véritable leçon de l'inscription suivante, mal
écrite (2) dans Millin :
OTVLIVS* EPOREDIRIGIS' F' MAGNVS
PRO * L * IVLIO v CALENO ' FILIO
BORJttONIv ET * DAMONAE
VOT SOL
(1) Ou Albinius , nom qui n'est pas moins connu qu'Albinut. — • L.
(2) Elle n'est pas si mal écrite. Il n'y a qu'une seule variante : BORMONIEE
DAMONAE, au lieu de BORMONI. ET. DAMONAE ; mais Millin avait déjà pro-
posé la correction. Cette légère différence ne me paraissait pas assez importante
pour rendre nécessaire une seconde publication. — L.
584 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Aussi, Monsieur, viens-je, à ce sujet, vous réclamer, la part qui
me revient (3). A vous, illustre archéologue, l'honneur d'expli-
quer et de commenter ces inscriptions ; nul mieux que vous ne sau-
rait le faire; à moi, modeste antiquaire, celui d'avoir découvert
l'une et rétabli l'autre.
Je suis très-flatté, Monsieur, que cette circonstance m'autorise à
entrer directement en relation avec vous , et j'ose espérer que vous
voudrez bien faire insérer ma lettre dans la prochaine livraison de la
Reçue.
Agréez , etc.
J. Chevrier,
Membre de la Société d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône.
(3) J'aurais accordé, de grand cœur, cette part à M. Chevrier, si la lettre de
M. Compin eût fait mention de lui. Il est de toute justice que le zèle des archéolo-
gues reçoive de nous la seule récompense qu'il soit en notre pouvoir de leur don-
ner, la mention publique de leurs découvertes et de notre reconnaissance. — L.
NOTICE
SUR
Il MONUMENT C01U SOUS LE NOM DE HAUTE-BORNE.
Le département de la Haute-Marne est un des plus riches du
royaume en antiquités romaines , apparentes ou enfouies ; il les
doit à l'opulence dont jouissait la célèbre cité à'Aiidematunum , au-
jourd'hui Langres (1).
Le monument dont nous allons parler, connu dans le pays sous
le nom de Haute-Borne, nom qui n'est pas dépourvu de sens , est
du nombre de ceux qui appartiennent à cette même période, quoique
quelques archéologues aient voulu le classer dans la catégorie de
ceux appelés pierres levées, reconnaître dans sa forme ce que Ton
appelle un peulvan ou un men-hir, et le faire ainsi remonter jusqu'à
l'ère celtique. Bien que sa forme soit à peu près celle de ces sortes
de monuments, produits d'une civilisation barbare, dont nous avons
vu un grand nombre dans nos anciennes provinces d'Anjou et de
Bretagne, et que nous reconnaissions que le lieu où nous le voyons
ait jadis été couvert de bois ( c'est au milieu des forêts qu'ils étaient
ordinairement dressés), nous ne pouvons admettre que les Gaulois
aient donné une destination à ce prétendu fétiche des Druides, alors
qu'il est reconnu qu'aucun d'eux, en France du moins, ne porte
d'inscription (2); et puis, n'eût-il pas été bien extraordinaire que
cette borne se rencontrât précisément sur les confins des deux États
qu'elle allait délimiter? Mais n'anticipons pas.
Ce monolithe domine une plaine très-élevée , assez accidentée ,
au pied de laquelle coule la Marne, à l'aspect du sud-ouest. Le
point qu'il occupe fait partie du territoire de Fontaines-sur-Marne
(1) Ce qui a valu la création de la Société historique et archéologique Lan-
groise, autorisée par décision ministérielle du 17 juillet 1836; et l'établissement
dans cette ville, d'un Musée qui est disposé dans la partie absidiale de l'ancienne
église Saint-Didier, partie seule encore debout.
(2) On ne cite que la pierre-écrile de Saulieu , dont un des côtés présente des
figures grossièrement dessinées , et le peulvan de Tredion , en Basse-Bretagne , qui
se termine par une tête barbare , à peine dégrossie.
586 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
et se trouve à même distance des villes de Joinville et de Saint-
Dizier qui sont également arrosées par cette rivière. Cette énorme
pierre brute , originairement d'une seule pièee, est de l'espèce dite
fromentelle. Son grain est presque aussi fin que celui du marbre. Elle
est néanmoins raboteuse, chargée de saillies et de fonds sur toutes
ses faces, et semble avoir été plantée dans l'endroit où nous la
NOTICE SUR UNE HAUTE-BORNE. 587
voyons, telle quelle fut extraite de la carrière. Sa hauteur est
de 6 mètres 56 centimètres; sa plus grande largeur à la base
de 2 mètres 24 centimètres, et son épaisseur moyenne de 45 à
60 centimètres.
M. Legendre, ingénieur de la généralité de Champagne, fit opérer
des fouilles à sa base, en 1751 , dans l'espoir de rencontrer des
indices de sa destination ; M. Grignon (3) , membre correspondant
de l'Académie des Sciences, si connu dans nos cantons par ses re-
cherches sur la montagne du Châtelet (4) , à l'est de laquelle se
trouve la haute-borne , à une distance de 1 kilomètre environ , les
fit renouveler en 1773, dans la même intention et tout aussi infruc-
tueusement. Cette malencontreuse pensée ne servit qu'à ébranler
le monument et à en déterminer la chute pendant la durée d'un vent
violent, le 25 novembre 1782. Cet accident occasionna la fracture
qui l'a divisé en deux parties; fort heureusement, le morceau déta-
ché étant resté presque intact , il a été possible de le rajuster à la
place qu'il avait occupée , lors du redressement du monolithe ,
le 5 juin 1845, par les soins du préfet du département (5), qui
avait obtenu du conseil général les fonds nécessaires pour cette
restauration.
L'inscription que porte ce monument , se lit sur la face au
levant : ce n'est pas sa partie la moins curieuse. Les caractères qui
la composent sont romains et assez irrégulièrement formés; les
lettres de la première ligne ont toutes 15 centimètres de hauteur,
(3) Pierre-Clément Grignon, né à Saint-Dizier le 24 août 1723, mort à Bourbonne-
lès-Bains le 2 août 1784. L'histoire naturelle, la physique pratique et l'archéologie
réclament également cet homme laborieux, zélé pour sa propre gloire et pour
l'utilité publique. Ses recherches sur le Châtelet surtout, lui ont fait une réputation
qui a eu un immense retentissement au XVIIIe siècle. Il a publié les résultats des
découvertes faites dans les fouilles qu'il fit opérer sur cette montagne, et les
bulletins qu'il en a donnés , ont été insérés dans les Mémoires de l'Académie , dont
il était le correspondant (t. IX, p. 170 et t. XL, p. 153.)
(4) Il existait sur le plateau de cette montagne, du temps des Romains, une cité
qu'on suppose avoir été fondée par les Gaulois, et avoir porté le nom de Gorse,
Gorson, Gorsum, qui est d'origine celtique et signifie lieu frontière, ou limite
dressée. C'est un élément de preuve en faveur de la traduction donnée par
M. Pothier, de l'inscription que porte la haute-borne.
Les anciens habitants de cette cité se sont transplantés sur la rive gauche de la
Marne, opposée à celle où se trouve le Châtelet, lorsqu'ils furent forcés d'aban-
donner leur ville après les malheurs qui amenèrent sa destruction, avant l'établis-
sement du christianisme dans les Gaules. Le village formé alors a conservé le nom
de Gourzon.
(6) M. A. Romieu, maître des requêtes au conseil d'État,
588 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
et celles de la deuxième 1 1 ; mais les première, sixième et huitième
de cette dernière, en ont environ 16, ainsi que le deuxième t,
dont la ligne perpendiculaire dépasse l'horizontale et le rend aussi
grand que les trois i. Voyez la figure plus haut et l'inscription qui
s y trouve gravée.
Elle a longtemps exercé la sagacité des savants du dernier siècle ,
témoins l'antiquaire Moreau de Mautour (6) et Grignon. Voici ce
qu'en dit le premier : Viromarus, qu'on ne trouve nulle autre part,
paraît être l'abrégé du nom de Viridomarus , prince d'Autun , men-
tionné par César au septième livre de ses Commentaires. A l'égard
des lettres istat il if ', comme elles ne signifient rien par elles-
mêmes, il faut qu'elles soient initiales; elles doivent naturellement
se rendre ainsi : Jovi statoH Ingentem Lapidem Inscribi Fecit. Le
second dit: ce Dans une dissertation que nous avons lue à l'Académie
des Belles-Lettres , nous avons essayé de rendre le sens de cette
inscription par les termes les plus simples , et nous croyons qu'elle
doit se lire ainsi : Viromarus Julii Statili Fïluis (7). »
L'abbé Lebœuf, ce savant infatigable, et le comte de Caylus (8), s'en
sont aussi occupés ; le premier cherche à prouver, par des légendes et
chroniques du Ve siècle, l'existence du nom gaulois Viromarus. Le
second , qui le cite , dit : « Je crois qu'il faut lire ainsi la dernière
ligne de l'inscription : In srrata Ama Infossus. Pour moi ,
ajoute-t-il, je voudrais conserver à Viromarus le monument qu'on a
élevé à sa mémoire : ce n'est pas sa faute si César n'a point parlé
de lui dans ses commentaires. D'ailleurs, l'histoire nous apprend
que plusieurs Gaulois ont suivi le parti des Romains , et leur ont
donné des preuves d'attachement. »
De nos jours , M. l'abbé Phulpin (9), curé de Fontaines pendant
plus d'un demi-siècle, pour avoir été plus à même de vérifier, n'a
(6) Né à Beaune, le 23 décembre 1654, mort à Paris le 7 septembre 1737. L'Aca-
démie des Inscriptions lui ouvrit ses portes en 1701. Boze, son ami , lui a consacré
une courte notice imprimée dans le tome III du Recueil de cette compagnie, p. 379,
édition in-12.
(7) Second Bulletin; Paris, 1775. '
(8) Antiquités Gauloises, t. III, p. 427. Il donne la ligure de ce monument,
planche CXVIII.
(9) Antoine Phulpin, né à Mathons, le 4 septembre 1758 , mort curé de Fon-
taines, le 30 octobre 1845. Il sut mettre à profit les indications laissées par Grignon,
pour faire opérer sur le Châtelet de nouvelles fouilles, qui furent pour lui une
source de fortune , par de précieuses découvertes de médailles en or, en argent et
en bronze, de différents modules, parmi lesquelles des Tibère, desCaligula, des
Néron et des Éliogabalel dont tout le monde connaît les monstrueux désordres , à
NOTICE SUR UNE HAUTE-BORNE. 589
pas été plus heureux. «Nous pensons, dit-il (10) , qu'on peut expli-
quer cette inscription , comme Grignon , ou adopter l'interprétation
suivante : Viromarus Julio Statilio Filio; ce qui ferait de cette pierre
un monument funèbre élevé par un père à son fils. »
Disons encore que M. Jacob-Kolb , associé correspondant des
Académies royales des antiquaires de France et de Châlons-sur-
Marne, l'a ainsi rendue, dans son Traité sur la Numismatique (1 1) :
Viromarus Jovi Statori Istam Lapidem Jussit Fieri.
On voit combien ces interprétations sont variées et même
opposées.
Nous nous associons plus volontiers à la traduction qui en a été
donnée par M. Pothier, juge-de-paix du canton de Chevillon ( dans
lequel se trouve la haute-borne), à qui nous en devons la commu-
nication officieuse, parce qu'elle nous semble être l'expression de
la vérité ; la voici : « Viromarus Imperator statuù Ibi Leucorum
Imperii Fines. Viromarus , nom propre de celui qui a érigé le monu-
ment , qu'elle qu'ait été sa destination ; imperator , titre honorifique
qui n'est ni celui d'empereur, ni celui de général, mais tient comme
le milieu entre l'un et l'autre. Ce titre était très-usité chez les Ro-
mains. Viromarus imperator a fixé en cet endroit la frontière de
lz État des Leuci (12). Effectivement, Toul (Tulli Leucorum) faisait
partie de la Gaule - Belgique , qui était séparée de la Gaule-Cel-
tique par la Marne ( Matrona ) , et cette rivière coule non loin
du monument.
La même pensée a été émise, il y a quelques années , par
MM. Batissier, dans ses Éléments d Archéologie nationale (p. 163);
et Bourrasse, dans son Archéologie chrétienne, (p. 38); il est certain
pour nous que M. Pothier l'ignorait absolument. Cette coïncidence a
l'avantage de fortifier notre opinion. Mais les deux auteurs précités,
font de la haute-borneun men-hirt ce que nous ne pouvons admettre ;
nous voudrions cependant ( notre notice n'a pas d'autre but) appeler
côté d'hommes incomparables , tels que des César, des Auguste, des Antonin le
Pieux et des Marc Aurèle, qui seront à jamais la gloire de leurs siècles!
M. Benjamin Phulpin , curé de Fronville, son neveu et son légataire, est en pos-
session de ce riche médailler que nous voudrions bien voir devenir la propriété de
l'État.
(10) Notes archéologiques sur le Chàtelet, pages 86 et 87 ; Neufchâteau , 1840 ,
in-8°.
(11) Paris, 1825; t. Ier, p. 66.
(12) Ou bien encore i Viromarus Judicio STATuiï Iniri Leucorum Ibi Fines;
c'est-â dire , Viromarus a décidé par jugement , qu'ici commence la frontière des
Leuci. Nous devons également cette interprétation à l'obligeance de M. Pothier.
590 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de nouveau l'attention des érudits sur la haute-borne, soit pour
donner une nouvelle interprétation à l'inscription qu'elle porte , soit
enfin pour nous fixer sur les motifs de son érection; en attendant,
nous persistons à dire que si elle eût été d'origine druidique, les
Gaulois l'eussent renversée quand ils reçurent les bienfaits de la foi
catholique.
En terminant , nous ajouterons qu'à quelques mètres de ce mono-
lithe , existent encore les restes d'une voie romaine , dont on suit le
tracé depuis la montagne du Châtelet jusqu'à Naix (Nasium), quatre
lieues plus loin dans la Meuse, entre lesquelles ce chemin servait
alors de communication. Il est à peu près certain qu'elle a été
établie sur une voie plus ancienne , construite alors que fut élevée
la haute-borne.
T. Pinard.
MEMOIRE HISTORIQUE ET CRITIQUE
SUR
LE PORTAIL , LE PORCHE ET LES PEINTURES DU PORCHE
DE L'ÉGLISE BOYALE ET PAROISSIALE
DE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS, A PARIS.
Orania autem honeste , et secundum ordinem fiant,
I Cor. xiv, 40.
Après cinq longues années de curieuse attente, le porche de Saint-
Germain l'Auxerrois , l'un des plus précieux et rares monuments du
vieux Paris , confié exclusivement aux savantes élucubrations de
M. Victor Mottez , vient enfin d'être livré aux regards et aux études
du public. Par une heureuse coïncidence , c'est le jour même où
l'église célébrait le triomphe de tous les saints qu'a été exposée, pour
la première fois , cette grande page retraçant : L'établissement de
T enseignement évangélique par Jésus- Christ. Dès le mois de juil-
let 1844, nous avions fait, pour notre part, des réflexions sur l'état
trop disgracieux et stationnaire du vieux portique (Reçue Archéolog.
t. I, p. 254); mais l'honorable artiste aurait pu, avec quelque fon-
dement, taxer d'injustice notre trop vive impatience, en nous citant
l'exemple d'un de ses savants confrères qui tient une des chapelles
du collatéral nord de Saint-Sulpice , fermée depuis douze ans, au
moins. Il est vrai, qu'après avoir bien et dûment barricadé le porche,
M. Mottez , qui nous avait déjà prouvé qu'il connaissait parfaitement
le procédé d'exécution (l), est allé s'inspirer sur les fresques de
Rome et de l'Italie ; mais qu'il nous permette de le lui demander :
pour rendre au portail gothique de Saint-Germain l'Auxerrois son
ornementation dogmatique , et même pour l'augmenter, était-il né-
cessaire d'aller chercher des modèles en Italie? Non, car il avait en
France tout ce qu'il lui importait de connaître ; en étudiant nos
(1) Par son essai de la fresque de V Aumône, peinte dans une arcade muette,
sous le collatéral sud, auprès de la sacristie. Nous avons consacré un article à cette
fresque dans le journal YUnivers, 18 février 1841.
Jf
592 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
richesses en ce genre , nous y aurions gagné du temps et peut-être
plus d'homogénéité hiératique.
L'ornementation du portail et du porche de Saint-Germain l'Au-
xerrois était plus endommagée que l'architecture; parce que le tronc
de l'arbre résiste toujours plus longtemps aux tempêtes que les bran-
ches. Le temps avait rongé les moulures , détaché les feuilles sculp-
tées, émoussé les pinacles, mutilé les statues, décoloré la grande
voussure de la porte centrale de ses peintures séculaires; les hommes
et les animaux , les monstres fantastiques des gargouilles , agraffés
aux corniches , étaient corrodés , enduits d'une poussière séculaire
dans leurs refouillements , ou totalement disparus. L'homme venant
en aide à l'action lente des intempéries, avait raclé la psychostasie du
pèsement des âmes dans le tympan , abattu le trumeau de la baie et
sa statue , rasé la galerie à jour qui couronnait le portique , les
toits aigus, les lucarnes, les crêtes et les panonceaux de ses pavil-
lons latéraux. La réparation de tous ces ravages naturels et physiques
est maintenant aussi digne et aussi complète que fut aveugle et in-
juste le mépris dont pendant trois siècles on a flétri l'architecture
du moyen âge. Aujourd'hui que la faveur revient aux idées du passé,
que l'administration civile déploie un grand zèle et une activité pro-
digieuse pour la description, la conservation et la restauration des
monuments religieux que nous ont légués nos pères : ceux qui les
dédaignaient naguère se laissent guider aujourd'hui par des pensées
plus nobles et des sentiments plus élevés. Ainsi les publicistes qui,
dans un moment d'égarement, avaient demandé qu'on renversât cette
vénérable église de Saint-Germain l'Auxerrois que le savant histo-
rien du Louvre, M. le comte de Clarac, a appelée le Saint-Denis du
génie, de la probité et du talent (1); viennent aujourd'hui par un juste
retour applaudir à la bienveillance dont elle est l'objet, et déclarer
quelle en est digne à bien des titres. Mais avant que d'examiner l'exé-
cution, l'intelligence et l'esprit religieux des peintures de la statuaire
et du porche, qui viennent d'être livrées au public, l'urgence ou la
nécessité de cette décoration , et si on y a toujours suivi les règles
qu'impose une sérieuse restauration monumentale, nous avons jugé
qu'il était indispensable de donner quelques détails historiques et
techniques sur ce portail.
Il n'y a à Paris que deux monuments du style ogival qui soient
(I) Par allusion aux sépultures des personnages illustres et des savants qui y
furent inhumés.
ÉGLISE SAINT-GERMAIN l'AUXERROIS. 593
précédés d'un porche : la Sainte-Chapelle et Saint-Germain l'Auxer-
rois. Le portail occidental de Notre-Dame a perdu les statues de ses *
trois voussures , parce qu'elles se présentèrent au premier plan à
l'œil des iconoclastes de 1793. Tout porte à croire que le curieux
porche de Saint-Germain l'Auxerrois a protégé contre leur fureur les
effigies de rois, reines et saints qui se dressent encore dans l'ébrase-
ment de la grande entrée du portail de l'ouest. Ce magnifique portail
fut construit de 1 285 à 1 300 , sous le règne de Philippe le Bel , pen-
dant l'épiscopat d'Etienne Tempier ou de Ranulphe de la Homblon-
nière; mais la sculpture n'en fut exécutée que de 1300 à 1314.
Tandis que Philippe faisait bâtir le portail collatéral nord de Notre-
Dame, avec une partie des sommes qu'il avait confisquées sur les tem-
pliers, les chanoines de Saint-Germain l'Auxerrois, considérant que
l'instruction du peuple et l'édification des fidèles est le but principal
du christianisme, firent sculpter, sur la voussure et le tympan de la
porte d'honneur de leur collégiale (l), la représentation du jugement
dernier, figurée au milieu par le prince de la milice céleste , Saint-
Michel pesant les âmes dans une balance ; le paradis où les âmes
des justes voyent Dieu, et jouissent d'un bonheur éternel ; les anges
qui prient le trois fois saint ; les apôtres qui siègent sur des trônes
en chantant sa gloire et sa justice. La parabole divine des vierges
sages attendant l'époux, et des vierges folles privées de lumière au
moment de son avènement. Puis l'enfer destiné au supplice éternel
de ceux qui, par une mauvaise vie, se sont rendus indignes de
l'inépuisable miséricorde. Sur le trumeau séparant la porte en deux
parties, le Christ, lumière du monde, ou bien, suivant une opinion
avancée sans preuve par quelques topographes, Saint -Germain,
évêque d'Auxerre, siégeant dans la niche attachée à ce pilier central.
Ainsi le chapitre de la royale église voulait qu'en entrant dans la
maison de Dieu , tous , même le grand nombre de ceux qui ne sa-
vaient pas lire , eussent sous leurs regards, partout où ils les dirige-
raient , l'image toujours aimable du Christ et de ses saints ; il pro-
voquait ainsi la méditation sur le bienfait de l'incarnation du Verbe,
sur les promesses divines , et rappelait en montrant le dernier juge-
ment la nécessité de s'examiner sévèrement , et d'expier ses fautes
par la pénitence.
Au-dessous de cette imposante psychostasie dogmatique, et de
(i) Anciennement la porte du centre était exclusivement réservée aux proces-
sions et aux personnes royales. Les hommes et les femmes étant séparés pendant les
offices, entraient et sortaient par les portes latérales , du côté qui leur était affecté.
594 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
chaque côté de l'arcade formant l'encadrement de cette solennelle
entrée , se dressèrent les personnages d'élite, rois, reines et saints ,
fondateurs, patrons et protecteurs de la collégiale. Toutes ces statues
roides et immobiles portées depuis six siècles par des monstres gro-
tesques et fantastiques, personnification ingénieuse des vices dont ces
bienheureux ou princes avaient triomphé , et qui semblent hurler de
désespoir, comme si les redoutables paroles de l'exorcisme pronon-
cées le jour de la consécration de l'église , avaient frappé leur fureur
d'impuissance : toutes ces statues , disons-nous , étaient alors nuan-
cées de haut en bas ; les parties nues avec les tons de la carnation ,
les draperies alternativement en couleur et en dorure, à l'imitation
des étoffes damassées. Déjà ce portail était dès l'origine précédé d'un
porche dont il nous reste des vestiges dans les deux pavillons laté-
raux , contenant à droite la curieuse chambre aux archives , et à
gauche l'ancien retrait du gardien prêtre de l'église , occupé aujour-
d'hui par la soufflerie du grand orgue. Jusqu'en 1838, les fenêtres
à meneaux trefflés de ces chambres furent armées de treillis de fer
dont les mailles à nœuds étaient fort serrées. On a descellé ces vieux
treillis ; à peu près contemporains des fenêtres qu'ils protégaient, sous
le prétexte que formant saillie sur l'architecture , ils en brisaient les
lignes ; comme si l'architecture gothique , celle des XIVe et XVe siè-
cles surtout, ne se distinguait pas essentiellement par des lignes
brisées , des ressorts , des saillies et des retraites continuelles.
Environ cent trente ans après l'élévation du portail, et pendant la
domination des Anglais , les marguilliers de la paroisse , dont l'érec-
tion ne remontait pas encore à deux siècles , firent construire avec
l'autorisation du chapitre , aux frais de l'œuvre et des paroissiens, le
porche à physionomie anglaise que nous voyons, sur l'emplacement
de l'ancien. Jean Gaussel , mâçon-tailleur de pierres , ainsi que se
qualifiaient modestement les architectes de ce temps, y procéda en
comblant l'intervalle qui séparait les pavillons , et en les réunissant
au moyen des trois grandes arcades du devant , qu'il raccorda habile-
ment avec les constructions de la fin du XIIIe siècle. Suivant un
renseignement puisé par nous dans un cartulaire du chapitre, Gaussel
commença ce travail en 1431, et non en 1435 comme l'a écrit Sau-
vai , 1. 1 , p. 302. Or ce fut en cette même année 1431 que Henry V,
roi d'Angleterre , croyant ranimer son parti, affaibli par la haine des
Français et les exploits victorieux de Charles VII , vint se faire
sacrer à Paris : les troubles incessants et la misère publique qui sui-
virent cette vaine cérémonie, firent suspendre les travaux du porche,
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 595
ils ne furent continués qu'après la prise de Paris sur les Anglais, le
13 avril 1436 : expulsion à laquelle contribua glorieusement un des
plus notables paroissiens de Saint-Germain l'Auxerrois , Michel de
Lallier, prévôt des marchands en 1437, dont les cendres reposaient
dans cette église , sous le collatéral nord , vers le banc de l'œuvre.
Le porche de Saint-Germain ne fut totalement achevé qu'en 1439.
Jean Gaussel reçut pour sa main d'oeuvre neuf cent soixante livres
parisis, représentant environ six mille six cent dix francs de
notre valeur actuelle (1). Alors les chanoines, rigides observateurs
des formules liturgiques , eurent pour l'accomplissement de certaines
cérémonies extérieures du culte , une large et long portique , ouvert
par deux arcades ogivales sur les côtés , et par cinq de face qui répon-
dent , ou à peu près, aux cinq nefs de l'intérieur (2).
(1) Suivant l'Almanach des monnaies de 1785, et le Dict. des dates, au mot :
argent , le marc d'argent valait alors huit livres , et la livre représentait 6 francs
88 c. 4 m. d'aujourd'hui. Nous disons que Gaussel reçut cette somme pour sa main-
d'œuvre, parce que rien ne prouve qu'il ait fourni les matériaux qui sont, en gé-
néral , d'excellente roche dure pour les soubassements et de roche du moulin pour
le corps du monument. Cette pierre, d'un grain fin et serré, paraît provenir des car-
rières Saint- Jacques, qu'on exploitait alors, et de celles du territoire entre Arcueil
et Gentilly. Son prix devait être peu élevé et relatif au taux de l'argent: puisqu'au
siècle suivant, la pierre qui entra dans la construction de la tour de Saint-Jacques
la Boucherie, de 1508 à 1522, ne coûta que vingt sous le charriot. (Levillain,
Hist. de Saint-Jacques la Boucherie, p. 71.)
(2) A l'imitation du temple de Jérusalem les premières églises eurent des portiques
devant lesquels il y avait souvent une fontaine ou une citerne. Les personnes qui
entraient dans l'église allaient s'y laver le visage et les mains. Cette purification
était un emblème de la pureté intérieure de l'âme. C'est sous le portique que, sui-
vant l'ancienne discipline, se tenaient les pénitents. On y instruisait les catéchu-
mènes, et plusieurs cérémonies du culte s'y accomplissaient. Le clergé du moyen
âge observa longtemps ces édifiantes coutumes, soit sous le porche ou, à défaut, à la
porte de l'église. C'était sous le porche que siégeait le juge ecclésiastique, soit offi-
ciai , soit archi-prêtre , dans les siècles où leurs sentences se prononçaient aux portes
des églises. C'était là que se faisaient les exorcismes et les initiations du baptême,
la célébration des mariages, les relevailles et l'imposition des cendres au peuple.
C'était là , en France, la destination des porches; peu d'églises en étaient privées;
on en voit encore beaucoup , surtout devant les églises des campagnes; mais selon
la discipline actuelle ils ne servent plus à aucun usage , sinon pour abriter dans les
jours de grandes solennités annuelles, ceux qui n'ont pu trouver place dans les rangs
pressés des fidèles qui remplissent l'intérieur de l'église. Cependant il est bien de
conserver les porches , non-seulement sous le point de vue archéologique ; mais pour
ne pas rompre la chaine qui lie les temps anciens aux temps modernes. Sous ce rap-
port, le porche de Saint-Germain l'xVuxerrois offre un immense intérêt, puisqu'il
fut bâti pour y continuer la pratique de saintes cérémonies qui s'accomplissaient
avant à l'air libre , dans les temps où la civilisation était moins avancée et nos pères
plus robustes. On sait que cette église fut longtemps le baptistère de la cathédrale
pour les habitants des campagnes à l'ouest de Paris : « Alors, dit l'abbé Lebeuf ,
« qu'elle était dans la campagne et qu'elle n'était pas resserrée dans une cité dont
596 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Nous avons trouvé dans une espèce d'invention de titres faisant
partie des anciennes archives capitulaires de cette collégiale, que la
cotisation des paroissiens pour subvenir aux frais de construction de
ce porche, devenait une sorte d'impôt exigible , même en justice. Ce
qui le prouve , c'est qu'un boulanger, que ce document manuscrit
appelle Regnault Deste , ayant été taxé pour sa part à huit sous pa-
risis , dont il paya d'abord la moitié , subit ensuite un procès que lui
intentèrent les marguilliers, parce qu'il leur avait sans doute fait dif-
ficulté de solder le reste de sa taxe, et il fut condamné à payer, avec
dépends (1).
Le porche de Saint-Germain l'Auxerrois appartient au style ogival
tertiaire ou flamboyant introduit dans les édifices de 1400 à 1450.
Les piliers sont cantonnés de nervures prismatiques qui suivent le
contour des arcades jusqu'aux voûtes quelles traversent pour se
réunir à des clefs délicatement ciselées. A l'extérieur, les rampants
sont ourlés d'une élégante archivolte formée de feuilles de lierre , de
vigne ou de chardon, réunies en guirlandes dans les gorges ; de di-
stance en distance, de larges feuilles de chou ou de chicorée s'en
échappent pour se développer en crosses ou en crochets. Le sommet
de l'arc est amorti par un acrotère dont le culot de couronnement
est formé par un ajustement singulier d'hommes et d'animaux en-
trelacés. On y remarque, entre autres grotesques, un singe jouant
de la cornemuse devant trois autres singes qui gambadent , et un
autre qui prend un chien par le cou, tandis qu'un loup le mord lui-
même au bas de l'échiné. Du reste, les piliers à l'extérieur sont
chargés de niches remplies récemment de statues abritées sous leurs
dais déchiquetés, et de pinacles simulés appliqués sur les murs. Les
feuilles qui courent dans les gorges ou qui grimpent sur les ram-
les murs impénétrables étaient solidement entretenus. La Seine y avait été conduite
fort facilement , et elle y formait un bassin pour y donner le baptême par immer-
sion. L'évêque s'y transportait dans le besoin avec quelques uns de son clergé, qui
étaient censés ne faire qu'un corps avec celui de cette église baptismale. » (Disser-
tation sur l'origine de l'église Saint-Germain l'Auxerrois. — Dissertations ,
t. II,pxj.)
(1) Suivant la législation ecclésiastique et civile du moyen âge , la réparation des
églises paroissiales était une charge privilégiée partagée entre la fabrique et les ha-
bitants. Ces derniers étaient tenus de réparer la nef, le portail, les murs du cimetière
et de fournir un logement au curé ; mais ni l'entretien ni les reconstructions du
chœur et du canccl, ainsi que les livres, ornements et vases sacrés, n'étaient à la
charge des paroissiens , mais à celle de l'œuvre. A Saint-Germain l'Auxerrois , le
chapitre , comme gros décimateur, était tenu subsidiairement des grosses répara-
tions du chœur, dont il jouissait exclusivement.
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 597
pants des arcs de la façade et des extrémités, sont fouillées avec la
plus grande délicatesse. Parmi cette végétation de pierre, on dis-
tingue des escargots qui s'y traînent et des chiens qui en piétinent
les rinceaux. Tel est le caractère général de ce curieux monument
de style anglais à surface horizontale, style qui exclut les toitures et
les combles. Mais, pour mieux en faire ressortir tout l'archaïsme et
la gracieuse originalité, entrons dans quelques détails rapides.
Des trois grandes voûtes du porche, celle du milieu comprend la
grande porte historiée du XIIIe siècle. Toutes les trois ont la forme
d'une voûte d'arête croisée en pendentif, pénétrée par quatre ber-
ceaux en ogives ; seulement la plus grande se présente en largeur,
et les deux autres dans le petit sens. Toutes les nervures formées
de moulures prismatiques sont décorées à leur point d'intersection
par de fines rosaces et de bizarres figures fantastiques d'hommes et
d'animaux. Elles tombent ou se pénètrent, suivant la manière carac-
téristique de cette époque, sur de délicieux culs-de-lampe de même
nature que les clefs, dont celui à gauche de la porte représente un
fou qui tire une espèce de lézard par la queue ; et celui à droite, un
personnage tenant un phylactère entre deux figures grotesques (l ).
On voit, aux quatre points de la rosace centrale, les quatre animaux
mystérieux de la vision d'Ézéchiel, dont ce prophète a fait le sym-
bole de toute la nature vivante , et dont chacun est le roi de son
espèce : l'homme, le lion, le bœuf et l'aigle, êtres allégoriques que
ce même prophète attache au char de l'Éternel , et dont les saints
Pères ont appliqué la figure aux quatre évangélistes. Dans les deux
arcades de flanc, on retrouve la même décoration que sur la façade :
elles sont encadrées de pinacles anguleux, accompagnées de niches
avec dais et piédestaux ornés. Ces niches sont au nombre de dix-huit,
réparties dans toute l'étendue du porche. Deux seulement à l'intérieur
avaient conservé leurs figures : dans celle à gauche on voyait saint
François d'Assise, instituteur de l'ordre des frères mineurs, ou capu-
cins, enlevée mal à propos de la place qu'elle occupait depuis un
siècle , et placée aujourd'hui dans la niche en retour du côté de la
(1) On pourrait voir dans ces sculptures drolatiques du portail de Saint-Germain
l'Auxerrois, une réminiscence de Grand Johan,\e fou en titre d'office de Char-
les V, que ce roi , surnommé le Sage, fit inhumer dans cette collégiale, sous un
riche mausolée de divers marbres, surmonté de l'effigie en pied de ce prince de la
Marotte. Charles porta même la générosité jusqu'à faire brûler douze livres de cire
aux obsèques de Grand Johan , dont M. A. A. Monleil a retrouvé la quittance dans
les comptes de la maison de ce roi. (Hist. des Français des div. Étals. XIVe siècle.
Les anc. et les nouv. abus. Ep. 97, t. H , p. 310 et note t32c.)
III. 39
598 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
rue des Prêtres. Et dans celle à droite, où elle est restée, sainte
Marie l'Égyptienne, pénitente des déserts de la Palestine, tenant
cinq pains enveloppés dans un linge, et couverte, pour tout vêtement,
de ses longs cheveux, que M. Mottez a eu l'attention de dorer à la
manière des divinités païennes trouvées dans les ruines de la Grèce et
de l'Italie.
Dans les gorges des ogives, sur les rampans des archivoltes, ou en
support, apparaissent parmi les légers rinceaux de feuilles et de
fleurs, des figures humaines, des aigles, des coqs, des salamandres,
des dragons et des chiens. Sur la clef principale de la voûte latérale
à gauche , on a sculpté plus tard un assez beau bas-relief représen-
tant l'adoration des mages; et à la clef correspondante de l'autre
voûte à droite, qui était demeurée lisse, on a appliqué dernièrement
un bas-relief dont le sujet est la Cène. Ce bas-relief, dont la dimen-
sion exacte nous fait présumer qu'il aurait pu avoir été détaché jadis
de cette même clef, a été retrouvé en 1839 par M. Lassus : il fer-
mait en guise de tampon l'œillard que l'on remarque à la voûte en
bas du collatéral de la Sa inte- Vierge , et qui est un vestige de l'an-
cien clocher ou campanille paroissial , au temps où le chapitre ne
laissait que ce collatéral pour l'usage d'une paroisse six fois plus con-
sidérable en population qu'aujourd'hui.
Les seize niches quittaient vides ont été remplies, en 1842, par
des statues en pierre tendre, exécutées par M. Desprez, sculpteur,
ou sous sa direction. On y remarque particulièrement les effigies
des six évêques canonisés de Paris et des quatre reines de France
mises aussi au nombre des saints (l). Toutes ces statues sont placées
dans l'ordre suivant, y compris les deux anciennes dont nous venons
de parler :
(1) Toutes ces statues , trop courtes pour les niches, et qui semblent n'avoir pas
été faites pour la place qu'elles occupent, puisqu'elles ne s'y collent pas parfaite-
ment , laissent aussi beaucoup à désirer sous le rapport du Gni d'exécution : i! est
vrai qu'elles n'ont été payées que deux cent quatre-vingt-cinq francs vingt-cinq cen-
times chacune , suivant délibération du conseil municipal du 12 juin ISiO, qui
alloue un crédit de treize mille quatre cent cinquante -deux francs, destiné à l'exécu-
tion de quarante-huit statues pour les façades de Saint-Germain l'Auxerrois, Saint-
Mer.ry et Saint-Nicolas des Champs. Ceci rappelle un peu l'anecdote de ce bibliophile
qui demandait à un libraire combien il lui vendrait la toise cube de livres. Au
reste, les statues de Saint-Germain l'Auxerrois sont assurément les plus mauvaises
de cette commande en bloc. Indépendamment de leurs effigies au portail , les quatre
reines canonisées de France, sont encore représentées dans le vitrail qui éclaire
la tribune de la reine. (Voir Revue Archéolog., t. III, p. 412.)
EGLISE SAINT-GERMAIN L'aUXERROIS. 599
Partie da milieu ai porche (XVe siècle) :
Saint Charlcinagnc , empereur, mort le 28 janvier 814.
Saint Louis, roi de France , mort à Tunis le 25 août 1270.
Saint Denis, premier évêque de Paris et martyr, entre 275 et 286.
Saint Marcel, neuvième évoque de Paris, le 1er novembre 436.
Saint Germain .vingtième évêque de Paris, le 28 mai 576.
Saint Cérau , vingt-cinquième évêque dé Paris , qui vivait en 614.
Saint Landry, vingt-huitième évêque de Paris, enterré dans cette église vers 666.
Saint Agilbcrt (ou Aglibert), trente-deuxième évêque de Paris, mort en 68!.
( La proportion de ces huit statues est de 1 mètre 40 c )
Côté droit
Parties latérales da porche (XIVe siècle) :
Sainte Clotilde , femme de Clovis Ier, morte entre 537 et 555.
Sainte Radegonde , femme de Clotaire Ier, 13 août 587.
Sainte Marie l'Égyptienne, solitaire vers 431.
{ Saint Cloud, prêtre, petit-fils de sainte Clotilde, 560. (En re-
tour d'angle.)
Saint Amateur, évêque d'Auxerre , prédécesseur de Saint-Ger-
main l'Auxerrois, sur ce siège, mort en 418. (Au fond.)
Sainte Isabelle de France, vierge, sœur de saint Louis, abbesse
et fondatrice de Longchamps , morte en 1270.
Sainte Bathilde , femme de Clovis II , et abbesse de Chelles ,
en 680.
Sainte Jeanne de Valois , fille de Louis XI , et première femme de
Louis XII, en 1505.
Saint François d'Assise, fondateur des frères mineurs , en 1226.
(Statue ancienne, en retour d'angle.)
Saint Allode, disciple et successeur de Saint-Germain sur le siège
d'Auxerre , vers 460.
( La proportion de ces dix statues est de 1 mètre 70 c7)
Ce porche , si richement ciselé et dont les pavillons ont recouvré ,
en 1840, leurs toits à angles aigus, leurs lucarnes et leurs riches
faîtages à découpures, est là, comme une sorte de proscenium, au
fond duquel se développe le dogme sacré de la vie future , des peines
et des récompenses éternelles. Les portes de cette façade, que recouvre
le porche, sont au nombre symbolique de trois, comme à la plupart
des cathédrales, pour honorer le mystère d'un seul Dieu en trois
personnes , et parce qu'aux XIIIe et XIVe siècles, les hommes étant
placés du côté de l'Épitre et les femmes du côté de l'Évangile , les
hommes sortaient par la porte à droite et les femmes par la porte à
gauche. La grande porte centrale, étant réservée à Dieu qui com-
600 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mande à l'univers et au roi son représentant sur la terre, devait se
distinguer par sa magnificence; aussi y retrouve-t-on tout le carac-
tère de l'ornementation chrétienne à la fin du XIIIe siècle. Sa vaste
baie est décorée, dans l'ébrasement, de colonnes et de colonnettes
couronnées de chapiteaux finement découpés. Six grandes figures
d'un caractère hiératique très-remarquable sont adossées contre les
colonnes et abritées de dais figurant des villes , où on distingue des
tours rondes , coniques ou en pointe obtuse , percées de fenêtres ogives
et carrées; des remparts crénelés et des maisons dont les toits à deux
pentes simulent des tuiles ciselées avec une indicible patience de dé-
tails. Le soubassement au-dessous de cette ordonnance se compose
d'un système d'arcatures en ogives tréflées, supportées par de triples
colonnettes engagées. Les trois bandeaux de la voussure sont garnis
de figures en demi-relief, échelonnées de la base de l'ogive au som-
met, comme les anges de l'échelle mystérieuse de Jacob.
La critique historique s'est tellement exercée sur les six grandes
statues qui remplissent si majestueusement l'ébrasement, qu'il est
difficile de les bien expliquer et de concilier les opinions de Dubreul ,
de Sauvai , de Piganiol de La Force et de l'abbé Lebeuf sur cette
question. S'il fallait, suivant le livret que M. le curé fait vendre en
ce moment au profit des pauvres, considérer comme étant celles de
saint Vincent et de saint Germain d'Auxerre, ces deux statues de
diacre et d'évèque les plus rapprochées des vantaux de la porte, on
serait en contradiction avec Lebeuf, le plus compétent des antiquaires
de son époque, qui y reconnaît levêque saint Landry, et saint Vul-
franc, diacre de Paris, tous deux inhumés dans cette église. Il est
évident que Lebeuf se fonde sur ce que Piganiol prétend, d'après
Sauvai , qu'au XVIIe siècle la statue du patron titulaire ornait le tru-
meau, et qu'à l'époque où ce trumeau fut supprimé pour élargir la
porte, cette statue fut enfouie, suivant une prescription canonique,
sous la première arcade de la contre-nef à droite (l); mais le savant
(1) La manière habile dont les vanteaux de la belle porte gothique qui clôt cette
baie avaient été élargis sans déranger l'harmonie de sa décoration , aurait pu con-
duire à admettre que la suppression du trumeau avait été opérée par Jean Gaussel ;
car cette remarquable menuiserie sculptée est véritablement contemporaine du
porche. Mais il est plus plausible de fixer l'époque de cette suppression vers la fin de
la première moitié du XVIIe siècle , lorsqu'on imagina de modifier la forme des dais
de processions, pour lui substituer les immenses et disgracieux ciels carrés avec
pentes et panaches, en usage en France depuis lors. On conçoit qu'une simple pièce
de riche étoffe jetée sur quatre bâtons ou portée par des lances se prêtait facilement
aux inégalités du sol , aussi bien qu'aux descentes ou aux montées des emmarche-
ments. Le dais passait sans difficulté par la porte gothique divisée par le trumeau,
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERkOIS. 601
archéologue ignorait sans doute que sur le tympan déjà depuis long-
temps privé de son bas-relief, était jadis sculpté , conformément à
l'usage du XIIIe siècle , saint Michel pesant les âmes , et que , suivant
ce système hiératique , c'était la statue du Christ et non celle de saint
Germain d'Auxerre qui devait occuper la place d'honneur (1). Or,
puisque l'église a deux patrons, saint Germain et saint Vincent, qui,
dans les clefs de la grande voûte de la nef sont représentés avec leurs
insignes et leurs monogrammes, c'est-à-dire, saint Vincent en diacre,
entre un S et un V, et saint Germain entre un S et un G , il était
rationnel qu'on les plaçât encore au portail, de chaque côté du
Christ , de préférence à deux autres saints moins connus. Mais sans
nous arrêter plus longtemps à cette controverse archéologique , pas-
sons à la description de ces curieuses figures.
La première à droite, que l'on croit aujourd'hui être saint Germain
d'Auxerre, est en costume épiscopal et coiffé de la mitre; sa crosse
dans la main droite, un livre à fermoir appuyé sur la poitrine et
soutenu par la main gauche. Ses pieds foulent une figure d'homme
accroupie , les mains pendantes , et enveloppée d'une draperie. —
Après la figure du saint prélat, vient celle de sainte Geneviève, l'il-
lustre patronne de Paris, dont la sainteté future avait été prédite
par le même saint Germain. L'humble bergère est vêtue d'un man-
teau gracieusement agraffé sur sa poitrine, sa tête est couverte d'un
voile ; elle tient dans sa main gauche un livre richement relié et sa
robe relevée ; de la droite elle tient un cierge allumé. A la hauteur
de son oreille, un petit démon ailé, cornu et grotesque, paraît lui
adresser des paroles insidieuses tout en cherchant à éteindre de son
complément de l'imagerie du portail. Mais quand chaque paroisse tint à se distinguer
par le dais le plus vaste, le plus riche et le plus lourd, qui souvent n'exigeait pas
moins de douze à seize robustes porteurs, il n'y eut plus moyen de faire passer une
telle machine par une porte ordinaire. La raison et le goût eussent conseillé de ré-
duire le meuble aux proportions de l'immeuble j ce fut le parti contraire qu'on
adopta , et l'édifice que l'on contraignit de s'élargir par la suppression du trumeau.
(1) Il est plus que probable que la statue adossée à ce trumeau était celle du Sau-
veur; car, parmi divers fragments de sculpture trouvés dans les tranchées faites en
juillet 1839 dans la chapelle polygonale à droite du chevet, dite des morts, pour la
reprise en sous-œuvre du mur d'enceinte, on découvrit, employée comme blocage ,
une belle tête de Christ, dont la longue chevelure est ciselée avec finesse. Cette tête,
fort mutilée, est déposée dans la chambre aux Archives , et paraît être du XIIIe siècle.
Elle est identique avec le style des figures du portail. Or, on sait qu'à cette époque
il était d'un usage presque général , lorsqu'il n'y avait qu'une seule grande entrée au
portail principal , de placer sur le pilier du milieu une grande statue de Jésus-Christ
portant le livre des Évangiles, pour indiquer qu'il est la lumière du monde : Ego
lux mundi, et donnant sa bénédiction.
602 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
souffle impur le cierge quelle tient (1). Sous les pieds de la sainte,
l'Esprit de ténèbre exhale en rampant sa fureur impuissante, sous
la forme d'un monstre fantastique à la tète d'animal sur un corps
d'homme. — Sainte Geneviève est accompagnée d'une délicieuse
figure d'ange, aisée à reconnaître par les ailes étroites et emplumées
attachées à ses épaules. Sa tète est nue et abondamment pourvue de
cheveux bouclés ; il est vêtu d'une robe attachée par une ceinture et
recouverte d'une longue draperie. Protecteur attentif de la vertu
miraculeuse de Geneviève , il tient dans ses deux mains un chande-
lier garni d'un cierge flamboyant qu'il semble présenter à sa protégée,
tout en écrasant sous ses pieds une figure chimérique ayant une tôle
de lion attachée à un corps d'homme.
La première statue à gauche , présumée être celle de saint Vin-
cent, diacre de Saragosse, tient dans ses deux mains un livre à fer-
mail appliqué sur sa poitrine, les manches de l'aube, le manipule et
l'étole (qui pourrait bien n'être qu'une ceinture dont on voit seule-
ment les bouts dépasser sous l'aube) sont ornés de fines broderies.
Ses pieds reposent sur une figure humaine accroupie, vêtue d'une
longue robe et la tête ceinte d'une couronne orientale rehaussée de
fleurons et de pierreries. En reconnaissant ici l'effigie de saint Vin-
cent, diacre, cette figure en support pourrait bien être celle de
Dacien, gouverneur, pour les Romains, delà province d'Espagne,
par les ordres duquel saint Vincent fut martyrisé. Comme les gou-
verneurs et les proconsuls romains sont souvent représentés couron-
nés sur d'anciens monuments d'art , il est possible que le tailleur
d'images du XIIIe siècle ait voulu glorifier le martyr, en condamnant
son persécuteur à lui servir de marchepied, tout couvert des insignes
(i) Les anciens sculpteurs et peintres verriers représentaient toujours sainte Ge-
neviève avec un cierge, à cause de cette légende racontée par les anciens hagio-
graphes. Un dimanche qu'elle allait, avant l'aurore , visiter la basilique de Saint-
Denis, le cierge porté devant elle par les filles qui l'accompagnaient fut éteint par
le vent. Il pleuvait ; le chemin était mauvais , et les ténèbres épaisses. Dans cette po-
sition , Geneviève prit le cierge , qui se ralluma aussitôt qu'elle l'eût touché , et elle
le porta ainsi jusqu'à l'église , où il acheva de brûler sur le tombeau de Saint-Denis.
D'autres légendaires, poétisant ce prodige, y firent intervenir le diable en per-
sonne. Nous avons vu jadis , au Musée des monuments français, un vitrail repré-
sentant sainte Geneviève qui tenait un livre d'une main, et, de l'autre , un cierge
allumé, que le diable essayait d'éteindre avec un soufflet, tandis qu'un ange , pla-
nant au-dessus de la sainte, repoussait le souffle du malin esprit. Nicolas Pinaigrier
a représenté le même sujet dans un des vingt-Jeux vitraux du charnier de Saint-
Étienne du Mont. Il y était encore en 1833 , lorsqu'un vicaire de la paroisse inspira
la déplorable idée de noyer ce précieux morceau de six pieds sur quatre dans une
immense vitre blanche , où il perd tout son effet.
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 603
de sa puissance. — Auprès du saint diacre se dresse une statue de roi,
la couronne en tête, un sceptre dans la main gauche et la droite passée
dans le cordon de son manteau. Il a sous les pieds un monstre fantasti
que à pattes de chien et à tète de vautour, dont les ailes recouvrent une
queue de reptile. — La figure qui vient ensuite est celle dune reine,
la tète ceinte du diadème , vêtue d'une longue robe attachée avec une
ceinture brodée , à laquelle est suspendue une escarcelle qui tombe
du côté droit. Elle relève sa robe de la main gauche et tient dans la
droite un bouquet de fleurs. Elle foule de tout son poids une figure
d'homme velue, péniblement accroupie, dont une main s'appuie sur
le genou gauche, tandis que la droite saisit avec effort la partie pos-
térieure de son corps. Le savant M. Alfred Maury a cru voir, dans ces
deux monstres fantastiques, le démon en personne, écrasé par le
couple royal, par allusion à ce texte de saint Paul : Deus autempacis
conterat Satanam sub pedibus vestris velociter : « Que le Dieu de paix
écrase bientôt Satan sous vos pieds, » Ép. Rom., xvi, v. 20 (1).
Jaillot, le plus judicieux et le plus exact des topographes de Paris,
se fondant, avec une grande puissance de logique, sur le testament
de Bertichram, évêque du Mans, établit invinciblement que cette
église n'a point été originairement construite par Childebert et Ultro-
gothe, mais bien par Chilperic Ier . Or, si ces deux statues sont en
possession , depuis longtemps, des noms de Childebert et à'Ultrogothe,
premiers fondateurs supposés de Saint-Germain l'Auxerrois , c'est
qu'on lisait ces deux noms sur une inscription jadis placée entre ces
deux personnages, et évidemment apocryphe, puisque l'abbé Lebeuf
a remarqué que les caractères de cette inscription ne pouvaient être
estimés plus anciens que le XVe siècle, et que dès lors ces noms
n'avaient qu'une autorité traditionnelle qu'il était permis de con-
tester, aussi bien que celles qui s'appliquent aux autres statues de ce
portail. «Ainsi, dit M. Pottier, en écartant l'autorité suspecte de
l'inscription, on pourrait supposer, avec non moins de fondement,
que ces deux statues représentent le roi Robert et la reine Constance,
seconds fondateurs, et à titres bien plus incontestables, de Saint-
Germain l'Auxerrois (2).» Toutes ces statues, qui préparent à l'in-
telligence de la psychologie évangélique représentée au-dessus d'elles
dans l'ogive, se distinguent par de longs bustes, des corsages élevés,
une certaine immobilité dans la pose, peu de mouvement dans les
(i) Essai sur les légendes pieuses, p. 136.
(2) Te*(e des Monuments français inédits de X. Villemin , 1. I«r, p. 57.
604 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
draperies , et par une naïveté ascétique bien supérieure au sensua-
lisme luxuriant de la beauté païenne.
L'idée du jugement universel, aussi effrayante pour les pécheurs
que consolante pour les justes, est de toutes les leçons de morale du
christianisme la plus capable de faire une impression forte et de lais-
ser un souvenir durable : c'est ce qu'explique la prédilection des ar-
tistes du XIIIe siècle pour la représentation de cet événement redou-
table, du bonheur des élus et des supplices que l'enfer garde aux
réprouvés. L'avertissement suprême de la fin du monde plane sur
toutes les têtes à Saint-Germain l'Auxerrois, comme à Notre-Dame
de Paris , dans la voussure et le tympan de la porte occidentale, pour
graver dans les cœurs ces paroles du psalmiste : ïnitium sapientiœ
timor Domini (Ps. 110).
La voussure est divisée en trois bandeaux ou cordons de figures
couronnées de dais en arcatures : dans le premier, les douze apôtres ,
tenant les divers attributs qui les caractérisent, siègent sur des trônes
et chantent les louanges, la justice et la gloire de Jésus-Christ. Au
sommet , les deux dais crénelés qui se rencontrent à la jonction forment
des couronnes symboliques qui rappellent ce passage de saint Paul :
Le Seigneur, comme un juste juge , donnera en ce jour la couronne
de justice à tous ceux qui désirent son avènement* (2e Ép. à Tim., 4.)
Puis, afin de rappeler que le fils de l'homme apparaîtra tout d'un
coup, comme un éclair qui sort de l'orient (Matth., xxiv, v. 27),
pour frapper aux consciences, l'artiste a sculpté dans le second
bandeau la parabole des vierges sages et des vierges folles , que
Jésus-Christ expliqua lui-même en recommandant de veiller, parce
qu'on ne sait ni le jour ni l'heure de son avènement (Matth. xxv, 1
à 13). Les cinq vierges sages, placées à droite du portail (la gauche
du spectateur), sont coiffées d'un voile; elles tiennent leurs lampes
droites et pleines, attendant l'époux qui doit venir. Les cinq folles, por-
tant la coiffe mondaine du XIIIe siècle, tiennent avec imprévoyance
leurs lampes renversées. A la pointe de l'ogive apparaît le sens mys-
tique de la parabole : Les sages sont recompensées et les folles pu-
nies. Deux mains sortent des nuages tenant chacune un rouleau. Sur
celui de gauche était écrit : Je ne vous connais pas ; et sur celui de
droite : Entrez avec moi. Ces deux mains sont celles de Jésus-Christ,
époux aimé des sages et dédaigné des folles. Ainsi, d'un côté la foi
vive , gage de l'immortelle béatitude ; de l'autre l'indifférence qui pro-
duit la mort de l'âme.
Ainsi, bien averti de se tenir prêt pour « le jour du Seigneur, »
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 605
l'homme est appelé par les anges, ministres du Très-Haut, au juge-
ment final, qu'on voyait autrefois au milieu de ce cadre (1). Sept de
ces esprits célestes occupent le troisième bandeau de la voussure. Ils
sont représentés debout, et plusieurs ont les mains jointes, dans
l'attitude de la prière, qu'on faisait autrefois le corps droit, sur ses
pieds, cherchant ainsi à fléchir l'inexorable justice : car la foi nous
enseigne que les anges intercèdent souvent pour nous, et que c'est
une salutaire pratique de les invoquer. Au bas du bandeau et à gau-
che, le Paradis est figuré par un vieillard barbu et assis, tenant dans
un linceul trois âmes sous forme d'enfants nus et vus à mi-corps.
Au-dessus, sont suspendues deux palmes qui se croisent sur la tête
du vieillard : touchant et poétique symbole de la victoire et du bon-
heur des élus, recueillis comme le fut l'âme de Lazare portée par les
anges dans le sein d'Abraham. — De l'autre côté, à droite, aussi au bas
du bandeau, le pieux artiste, pénétré de la pensée que l'enfer bien
vu et médité peut conduire au ciel et former les plus grands saints,
a exposé dans cet étroit espace un sommaire des peines éternelles :
deux démons hideux et cornus foulent sous leurs pieds les réprouvés.
Satan, le plus grand de ces impitoyables exécuteurs de la justice de
Dieu , se prend d'un rire effroyable à la vue des pleurs et des con-
torsions des damnés ; puis, en même temps qu'il précipite une femme
à peu près nue , la tête en bas , dans l'abîme éternel des vengeances
divines, il excite l'autre démon, armé d'une massue, à frapper trois
personnages grimaçants dans un gouffre de feu , et dont les flammes
ne laissent apercevoir que les têtes. L'un de ces personnages, coiffé
d'une mitre, est un évêque; les deux autres sont un prince et un
bourgeois : ce qui constitue les trois ordres du monde social, le
clergé, la noblesse et le peuple; et qui, en nous rappelant que tous les
rangs et toutes les conditions fournissent des reprouvés à l'enfer,
nous enseigne aussi que personne ne peut être justifié devant Dieu
que par un effet tout gratuit de sa miséricorde.
Puisque le dogme chrétien des peines et des récompenses éternelles
a été représenté avec tant de détails dans cette voussure , il devient
évident que, suivant la même pensée hiératique, l'artiste avait aussi
retracé , dans le tympan , le jugement dernier qui doit les décerner.
En effet, cette formidable scène y formait, ainsi que nous le prouve-
rons, le complément des sujets que nous venons d'expliquer. Comme
(t) « Il enverra ses anges , qui feront entendre le son éclatant de leurs trompettes,
et qui rassembleront ses élus des quatre coins du monde, depuis une extrémité du
ciel jusqu'à l'autre. » (Matth., XXIV, v. 31.)
606 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
aux Notre-Dame de Paris, d'Amiens et de Rouen, le pèsement des
âmes, un des sujets allégoriques les plus singuliers et les plus sou-
vent reproduits au moyen âge, était sculpté au fond de cette suite
d'arcs concentrique et décroissante qui simule une perspective , où
M. Mottez à peint si peu à propos son Christ en croix, au milieu de
la glorieuse plèbe des saints. Saint Michel occupait cette place, que
tôt ou tard la science éclairée devra lui rendre, non pas en peinture,
chose inusitée dans l'espèce, mais en relief, comme il était autrefois ;
à peine, pour les hommes d'art qui ont dirigé cette restauration mo-
numentale, de voir suspecter leur science archéologique. L'archange
tenait d'une main le glaive de la justice; de l'autre, la balance du
jugement. Dans l'un des bassins de cette balance étaient les âmes,
sous la forme de têtes humaines, avec leurs bonnes actions et leurs
mérites ; dans l'autre bassin se trouvaient sans doute les péchés et
toutes les mauvaises actions. A côté des âmes, un ange très-bienveil-
lant surveillait cette opération, et, de l'autre côte, un ange déchu
cherchait sournoisement à faire pencher vers lui le plateau des actions
coupables, en posant sa lourde griffe sur le bord. La statue de saint
Michel terrassant le diable s'élevait en outre sur la pointe du pignon
occidental , à la place de cet ange si hétéroclyte qui l'amortit aujour-
d'hui, symbole de la vélocité, bien que porté sur une tortue. Le
conseil municipal ayant préféré à l'archange, pour éviter certaines
allusions, cette figure singulière due cependant au savant ciseau de
M. Marochetti , mais qui, sans doute, n'a fait qu'exécuter un pro-
gramme imposé.
Sur le trumeau l'artiste inspiré avait placé une haute statue de
Jésus-Christ debout, dans l'action de bénir, ou tenant le livre des
Évangiles ouvert, avec ce texte de saint Jean gravé sur les pages :
Ego sum via, veritas et vita, ou tout autre applicable au sujet; car
cette figure était le corollaire de la symbolique de l'ogive et du tym-
pan. D'où il résulte qu'il est également subversif du sens de cette
symbolique de placer sur ce trumeau, qu'on a bien fait de rétablir,
une statue de la Vierge divine , que termine en ce moment M. Des-
prez , œuvre dont la perfection devra racheter l'inanité des statues du
porche.
Vers les premières années du XVIIe siècle commença l'ère des
modifications inintelligentes de la belle collégiale de Saint-Germain
l'Auxerrois , et la destruction de son unité monumentale. Le vanda-
lisme emhellisseixr du chapitre et des marguilliers , préludant aux dé-
vastations architecturales de Baccarit, exécutées plus d'un siècle
ÉGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 607
après, avec l'agrément de Louis XV, sous le patronage de l'Académie
royale d'architecture, fit supprimer, vers 1645, le trumeau symbo-
lique du portail (1), sous prétexte de rendre l'entrée de l'église plus
vaste et plus commode. C'est, en conséquence, de cette opération
funeste que disparut du tympan le demi-relief du pèsement des âmes.
Il fut remplacé par une mesquine rosace à huit redans, au-dessus
d'un linteau , décoré à son milieu d'une tète de chérubin , bouffie et
de mauvais style : tête reproduite à la pointe et qui a survécu. Toute
cette ornementation pauvre et bizarre vient de disparaître, même
l'inscription tirée du vingt-sixième chapitre du Lévitique, gravée en
lettres d'or sur le revêtement de marbre du linteau : Pavete ad sanc-
tuariam meum. «Tremblez en entrant dans mon sanctuaire.» Mal-
heureusement les règles archéologiques n'ont pas été plus respectées
dans ce qu'on y a substitué. La décoration nouvelle de la voussure
est anormale et insolite. Quant aux peintures murales du porche,
c'est une question à part, sur laquelle nous reviendrons en son
lieu (2).
C'était , comme nous venons de le démontrer, tout un poème sacré
que le ciseau de l'artiste avait écrit dans cette voussure au moyen âge;
mais il en manquait deux chants, qu'une stupide manie de rajeunis-
sement avait lacérés il y a deux siècles, et que les fraîches peintures
de M. V. Mottez ne nous ont point rendus. Cet habile et patient fres-
cateur travaillait cependant sous les auspices, peut-être même sous
la direction de la commission des monuments historiques du ministère
de l'intérieur, au sein de laquelle se trouvent probablement des mem-
bres correspondants du comité historique des arts et monuments du
ministère de l'instruction publique. Il est donc surprenant que ce
docte collège ait laissé intercaller dans ce vieux poëme de pierre, qui
chantait si harmonieusement les fins dernières de l'homme, deux
pages (la fresque du Christ en croix et la statue de la sainte Vierge),
qui en détruisent l'ordre et la pagination. Toutefois, nous ne pou-
vons croire que cette commission savante ait pu ignorer ou ne pas
deviner ce qui manquait à cette précieuse psychologie : nous aimons
mieux penser que la faute a été commise à son insu. 11 est vrai que,
pour compenser cette lacune déplorable, et racheter l'incohérence
(1) La porte était séparée en deux par allusion aux deux voies prédites dans l'E-
vangile : l'une à droite , pour les justes ; l'autre à gauche , pour les pécheurs.
(2j Pour faciliter l'intelligence de toute la description ci-dessus, nous donnons,
en tête de cette notice, un dessin de l'arcade du portail de Saint-Germain PAuxer-
rois , gravé au trait. Voy. pi. 59.
608 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
hiératique du tympan, on a prodigué l'or jusqu'à l'abus sur les anges
et les grandes statues ; mais cet or, peut-être d'aloi équivoque, comme
la plupart des substances falsifiées du commerce de nos jours, et que
les intempéries altéreront bientôt, en le faisant passer du bronze au
noir, a pour inconvénients d'empâter les longs plis tuyautés et les
ondulations des vêtements ; de fatiguer l'œil du spectateur qui regarde
toutes ces faces de bienheureux se dessinant sous des nimbes pleins,
qu'on aurait peut-être pu indiquer par des cercles lumineux, et qui,
de loin, lui paraissent coiffés d'assiettes d'or. C'est ce que nous avons
entendu dire à ceux qui ignorent le symbolisme du nimbe, et qu'on
le représentait encore ainsi sous forme de disque au XIVe siècle (l).
Pour être dans la vérité classique des costumes , les esprits sérieux et
connaisseurs auraient préféré à tout ce fracas de dorures la blancheur
mystique des aubes de lin , le damassé des étoffes, les galons ouvrés,
les broderies, les perles et les pierreries des ornements sacrés et des
habits royaux : c'est ainsi qu'on a procédé à la Sainte-Chapelle à
l'égard des statuts des douze apôtres , et ce sage exemple aurait dû
être suivi au portail de Saint-Germain l'Auxerrois, dont la statuaire
est presque de l'époque hiératique. Un jeune artiste qui a coopéré
aux travaux manuels de cette décoration grandiose, et à qui nous
faisions cette objection, nous a laissé entendre que M. Mottez aurait
été excité à prendre le parti de dorer pour économiser le surcroît de
dépense qu'aurait entraîné une foule de minutieux détails sur les
surfaces des étoffes et entre les nombreux plis des vêtements; de
sorte que cette économie après coup a tourné au préjudice d'une
restauration véritablement monumentale; c'est ce même esprit par-
cimonieux qui a fait peindre où il fallait sculpter, et qui avait fait d'a-
bord surgir la bizarre idée de peindre le tympan et la figure du tru-
meau en grisailles, comme celles exécutées à la Bourse par MM. Abel
de Pujol et Meunier. On fait aisément justice de cette économie étroite
quand on sait tout ce que le conseil municipal et le ministère de l'in-
térieur ont alloué, depuis 1838 jusqu'en 1846, pour la restauration
de cette église : quelques centaines de francs de plus ou de moins ne
pouvaient balancer un intérêt d'esthétique et d'histoire. Une restau-
ration aussi capitale est autant une œuvre historique qu'une œuvre
(1) La vue de ces brillantes statues rangées comme six lingots d'or présente encore
un autre inconvénient très-dangereux : c'est que le populaire voit dans ce clinquant
une valeur idéale , qu'il prétend mal employée, et qu'il décuple; or, cette erreur
soulève des passions haineuses qui se résument en paroles qu'on ne peut répéter pour
la honte de notre époque.
EGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 609
d'art, et non une opération industrielle où l'épargne est une règle de
nécessité.
Nous prétendons que ce porche n'a jamais été peint , sauf l'arcade
centrale du portail, son imagerie, et, tout au plus, la Voûte médiaire
en azur étoile d'or. Nous soutenons pareillement que le tympan était
rempli par un bas-relief représentant la psychostasie du pèsementdes
âmes par saint Michel : nous en avons puisé la preuve dans un devis
authentique en onze articles, provenant des anciennes archives parois-
siales, dressé par « Edme Petitpas, maître paintre à Paris, et Jean
« Maressal , paintre et valet de chambre ordinaire du roy. » Reçu et
approuvé le 25 avril 1635 par les marguilliers de l'œuvre , y dénom-
més et qualifiés. Cette pièce est intitulée : « Devis des ouvrages de
« paintures d'or et d'azur et autres , qu'il convient faire de neuf en
« la voulte de la nef et dans la grande croisée de l'église de Saint-
« Germain l'Auxerrois, à Paris, en l'année 1635.» Le huitième
article est ainsi conçu : « Item. Sera encore tout pareillement imprimé
«deux fois à huille et fleurdelysé d'or à champ d'azur, pouldré
« comme dessus, sur blanc de plomb à huille. Le fondz de la nef
« despuis la gallerie qui est au-dessus de la porte jusques en bas, à
« quatre pieds de l'aire de l'église , y compris les deux demy-piliers du
« costé de la grand' porte qui seront paintz et enrichis de mesmes
«jusqu'aux petites portes pour monter au trésor et aux orgues. Et
« sera repeint de neuf l'image de saint Michel qui est au-dessus de
« ladite grand1 porte , avec les anges et le ciel qui sont autour et dessus ;
« le tout comme il estoit à champ d'azur et estoiles d'or. » Il nous
semble que rien n'est plus positif en faveur de nos assertions.
On a voulu, dit-on, embellir la ville de Paris d'un ornement reli-
gieux qu'elle n'avait jamais vu jusqu'ici, et ouvrir une nouvelle car-
rière à l'art en décorant extérieurement de peintures à fresques, à
l'instar des églises d'Italie, celle de Saint-Germain l'Auxerrois; c'est
fort bien ; et à part la question mixte d'archéologie et de hiératique
qui s'opposait ici à cette innovation , on pourrait aussi rendre hom-
mage à la pensée pieuse qui a désiré satisfaire tout à la fois l'œil,
l'esprit et la foi par l'exposition iconographique de Y Établissement de
l'Enseignement évangélique par Jésus- Christ. Mais assurément, les
hommes éminents dans la science de l'art religieux , tous ceux qui en
possèdent la théorie générale et les règles fondamentales, n'applau-
diront jamais à une nouveauté qui a dépouillé ce porche typique de
son caractère classique et sévère. Ils diront au contraire que ce n'est
pas tout que de se constituer restaurateur ou décorateur d'un monu-
610 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ment historique, mais qu'il faut d'abord être logicien , et qu'il n'est
pas rationnel de décorer si splendidement l'extérieur de l'église, lorsque
l'intérieur n'offre que des murs poudreux et nus (1). Or, d'après ce
raisonnement sans réplique possible, l'ornementation seule de la
grande porte devait être peinte avec la simplicité du coloris qu'elle
devait comporter au moyen âge , et là aurait dû se borner la restau-
ration historiée du portail.
11 n'existe point d'exemples de peintures murales sous les porches
des églises de France au moyen âge; mais toutes étaient ornées de
sculptures magnifiques où les textes sacrés, mis en action, formaient
une sorte de catéchisme qui instruisait les ignorants et les simples
selon le cœur de Dieu. Sauf quelques exceptions fort rares, les
fresques à l'extérieur n'ont jamais été employées, à cause de l'intem-
périe de notre climat. C'est donc en raison de l'absence totale de ce
système d'ornementation que M. Mottez s'est cru obligé d'aller en
Italie pour y étudier les fresques du bienheureux Fiesole, et celles de
Giotto. Alors, l'imagination remplie de ces beautés ineffables, l'ar-
tiste est venu se remettre à l'œuvre, et a produit dans l'espace de cinq
ans une vaste composition dont le désaccord iconographique avec les
antiques sculptures du portail n'est pas le seul défaut qu'on ait à
blâmer.
Cependant, lorsque nous voyons le pouvoir civil faire rechercher
avec tant de sollicitude les témoignages , les preuves et les solutions
(1) Ce précédent déterminera probablement à peindre l'intérieur de l'église. Si
jamais on s'y décidait, il serait bien à désirer qu'on ne représentât sur les surfaces
propres à recevoir des décorations historiées que des sujets relatifs aux nombreux
fastes de cette collégiale, jadis l'aide de la métropole, sa fille aînée, et le berceau
de l'Université. Il est fâcheux que cette idée n'ait point été suggérée à M. Guichard,
lorsque sa générosité l'a porté à peindre gratuitement , à la cire, la descente de
croix, d'après Rubens , sur le mur du transsept, au sud, près la porte des Prêtres,
sujet intéressant , assurément , mais choisi bénévolement, sans autre but motivé que
d'utiliser une place vide. Il eût été , sans contredit, plus à propos de retracer à cette
place, si favorable par son étendue, une page des chroniques paroissiales, telle que
les funérailles de saint Landry en 656; son exhumation en 1171 , par Maurice de
Sully, évêque de Paris, en présence du doyen Remy, ou la translation de ses reli-
ques, par l'évèque Pierre d'Orgemont , en 1408; le baptême du fils posthume de
Louis le Hutin, en 1316; d'Isabelle de France, fille de Charles VI, en 1389, ou
celui d'Isabelle, iille de Charles IX, en 1573; quelques-unes des processions gé-
nérales à diverses époques et pour diverses causes , où l'on apporta à Saint-Ger-
main l'Auxerrois toutes les châsses de la Sainte-Chapelle, de Notre-Dame, etc.,
et où assistèrent nos rois et tous les corps de l'État ; enfin le pain bénit offert par
Henri IV et Louis XIV en personnes , etc. En voilà assez, il nous semble , pour dé-
montrer qu'aucun monument religieux à Paris, après Notre-Dame et la Sainte-
Chapelle , n'est plus fertile en événements que les arts peuvent reproduire. Nous en
avons dressé une chronologie , depuis 556 jusqu'en 1842, dans notre monographie.
EGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 611
du symbolisme hiératique écrits en caractères de granit sur les façades
de nos basiliques du moyen âge, il était bien permis d'espérer qu'il
exigerait des architectes et des artistes à qui il confie la restauration
de ces vénérables monuments, de replacer le sujet même qui a été
détruit, surtout lorsqu'il doit compléter l'action dogmatique ou sym-
bolique représentée par les autres sujets qui ont résisté aux causes
de destruction, ou sa copie la plus exacte, autant que possible, d'a-
près les types des autres églises qui offrent encore le même sujet.
Mais , au lieu d'en agir ainsi , M. Mottez s'est permis une innovation
esthétique sans analogue. C'est en vain qu'on chercherait au fron-
tispice des églises du moyen âge l'image de Jésus crucifié occupant
cette place principale , entourée d'une réunion idéale de saints per-
sonnages de différents siècles, triés dans toutes les conditions sociales,
y compris Jeanne d'Arc, qui cependant n'est point encore inscrite,
que nous sachions, aux diptyques sacrés (l). Malgré notre sentiment
de respect et de profonde adoration à l'aspect de ce signe auguste de
notre salut , nous ferons observer que jamais thème aussi contraire
aux règles de l'esthétique chrétienne ne s'est vu sur le front de nos
temples. L'esthétique est la science du sentiment; mais , en vérité,
il a fallu y être absolument étranger pour concevoir cette fantasque
mystagogie. Ce que la pensée religieuse des artistes a créé dans les
tympans de nos basiliques, sous les auspices des évêques ou des
abbés, ce fut d'abord la représentation sculptée de Jésus-Christ revêtu
de quelques-uns des attributs que lui prêtent les livres saints , en-
touré des apôtres ou du symbole des évangélistes , d'après l'Apoca-
lypse; tantôt debout avec un aspect terrible, il porte le livre des sept
sceaux, et de sa bouche sort le glaive à deux tranchants; tantôt assis
sur son trône et vêtu d'une longue tunique, il tient la main droite
levée pour bénir son peuple. Ce n'est qu'à dater du milieu du
(1) Ces personnages, au nombre de dix-huit , sont ainsi placés : à gauehe : Saint
Èloy, orfèvre, évêque de Noyon, et conseiller du roi Dagobert. — Saint-Denis,
premier évêque de Paris, et martyr. — Saint Landry, évêque de Paris, fondateur
de l'Hôtel-Dieu.— Saint Remy, évêque de Reims. — - Saint Louis , roi de France.—
Saint Jean de Valois , fondateur des Trinitaires pour la rédemption des captifs. —
Saint Martin , soldat, puis évêque de Tours. — Sainte Geneviève, bergère , patronne
de Paris. — Jeanne d'Arc, dite la Pucelle d'Orléans. — A droite : Saint Crespin ,
cordonnier et martyr. — Saint Bernard, abbé de Clerveaux , docteur de l'Église. —
Saint Léon IX , pape. - Saint Roch, solitaire, mort, par dévouement, de la peste.—
Saint Vincent de Paul , fondateur des Missionnaires lazaristes et des Sœurs de la
Charité. — Saint Cloud , prêtre. — Saint Ambroise , archevêque de Milan, et docteur
de l'Église. — Sainte Clotilde , reine de France. — Sainte Biandine , esclave , mar <
tyre à Lyon.
612 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
XIIe siècle qu'on vit pour la première fois l'imposante scène du ju-
gement dernier, non en peinture, mais sculptée dans le tympan de
la porte principale de l'abbatiale de Saint-Denis, point de départ des
nombreuses représentations de ce redoutable événement, qui décorent
ou décoraient le frontispice des églises de France , depuis cette époque
jusqu'à la fin du XVe siècle. Alors, et au commencement du XVIe,
cette symbolique fut remplacée par l'arbre de Jessé , ou la généalogie
de la sainte Vierge, telle qu'on la voit au grand portail de Notre-
Dame de Rouen, et à celui de l'ancienne église bénédictine de
Saint-Riquier, en Picardie. Ainsi donc que nous le disions plus haut,
une statue de la sainte Vierge sur le trumeau du portail de Saint-
Germain l'Auxerrois vient encore, sous le point de vue hiératique,
augmenter le désordre et le non-sens de cette tropologie mystique :
c'était Jésus-Christ debout et bénissant qui devait occuper cette place.
L'image de la Reine du ciel ne pouvait rationnellement s'y trouver
que si l'église lui était dédiée. Il eût été même plus régulier de resti-
tuer le nom de saint Landry, donné par l'abbé Lebeuf à la statue
d evêque qui est à droite de 1 ebrasement de l'arcade , et de mettre
dans la niche centrale la statue de saint Germain d'Auxerre , patron
titulaire.
Au reste , c'est dans la fresque du tympan que le génie et le talent
incontestables de M. Mottez apparaissent le moins : peintre catho-
lique , la fibre mystique ne s'est point réveillée dans son cœur en pei-
gnant cette page. Le Sauveur , attaché sur la croix, manque de style
et sent trop le naturalisme. Il est impossible de deviner dans ce corps
chétif et que la douleur fait contracter, le calme, la résignation
et l'expression divine du Sauveur mourant pour le salut des hommes.
Un tel sujet ne souffre point de médiocrité et demande de la convic-
tion : Angelico Fiesole se mettait en prières avant de commencer à
peindre, et c'était à genoux qu'André del Sarto peignait le Christ et
la Vierge : malheureusement , nous avons aujourd'hui peu d'artistes
pénétrés à ce point de la sublime mission de l'art chrétien. Une erreur
qui blesse essentiellement la saine doctrine en matière de foi a aussi
échappé à l'intelligence catholique de M. Mottez , dans le classement
des trois personnes de la sainte Trinité : il a biffé d'un coup de pin-
ceau ces paroles du symbole de Nycée : Qui ex Pâtre Filioque procedit ;
car au lieu de placer le Saint-Esprit au-dessous de la face du Père
Éternel, sur le sommet de la croix, suivant l'usage des artistes du
XVe siècle qu'il a voulu imiter , il l'a perché , plutôt que posé, sur le
nimbe de cette première personne divine dans l'ordre hiératique.
EGLISE SAINT-GERMAIN i/AUXERROIS. 613
Tous ceux qui ne sont pas initiés dans letude de nos monuments
sacrés , ou qui n'ont pas d'idées arrêtées sur cette science qui a ses
règles, ses principes et ses motifs, considéreront avec complaisance
cette ornementation polychrome extérieure jusqu'alors inusitée. Ils
préféreront ces statues, ces figurines couvertes d'or et d'enluminures,
l'aspect luxuriant et juvénile des fresques, aux teintes grisâtres et
austères que les siècles avaient déposées sur les murailles et sous les
arceaux du vieux porche ; puis , faisant abnégation de la vraisem-
blance archéologique, ils ne se demanderont pas par quelle fantaisie
on s'est déterminé à peindre ces pierres que les générations , eux
compris, ont vues constamment nues. Pour nous, cette décoration
nouvelle est un hors-d'œuvre sans connexion avec l'ornementation
hiératique de la porte centrale. Mais puisque , par l'effet d'un retour
d'admiration pour l'art religieux qui élève l'âme à la contemplation
de l'éternelle beauté et de l'immortelle espérance, on a voulu, par
cette exhibition inusitée, familiariser le peuple avec les scènes évan-
géliques et les plus secrets mystères de l'amour divin , nous rendrons
justice aux heureuses inspirations qui se font remarquer dans diverses
parties de ces peintures murales. Telle doit être d'ailleurs toute cri-
tique sage et amie des arts, plus curieuse d'en exalter la beauté que
d'en faire ressortir les imperfections; au reste, celles qui peuvent se
rencontrer dans l'immense et patient travail de M. Mottez servent à
démontrer combien il est difficile à l'homme de peindre les choses du
ciel , ou d'atteindre cette perfection idéale qui appartient seulement
aux créatures angéliques.
Toutefois , à ne considérer les fresques de M. Mottez que sous le
point de vue technique de l'exécution, on peut dire avec raison qu'il a
sagement divisé, suivant le caractère et les dispositions architecturales
du monument, les scènes qu'il devait représenter. Il faut louer
l'agencement des tableaux et la disposition des personnages de ma-
nière à produire un grand effet de perspective. Il a profité habilement
de tous les espaces si étroits qu'ils fussent , pour y développer dans
un ordre méthodique tous les sujets de l'édifiant thème de i l'Etablisse-
ment, c'est-à-dire de la Stabilité de V enseignement évangélique par
Jésus-Christ. Voici dans quel ordre il a disposé les interprétations
hiératiques de cette religieuse pensée.
1° Tympan de la porte latérale à gauche ; — Jésus enseignant dans le temple ,
assis au milieu des docteurs de la loi.
2° Grand mur du même côté . — Jésus prêchant sur la montagne , et instruisant
ses disciples et le peuple par la sublime leçon des huit béatitudes.
III. 40
614 RBVUK ARCHÉOLOGIQUE.
3° Tympan de la porte oentrale .• — Jésus sur la croix, au pied de laquelle sont
réunis despersonnagesqui l'ont glorifié, pris dans les diverses conditions, comme
réalisation de la promesse du Rédempteur d'attirer tout à lui après son glorieux
sacrifice.
4° Grand mur à droite ; — Mission des apôtres envoyés par Jésus-Christ pour
instruire et baptiser les nations au nom de la Trinité divine.
5° Tympan de la porte latérale : — L'esprit Saint descendant sur les apôtres
réunis dans le cénacle.
fi° Sur les murs latéraux en pendentifs : — Les quatre évangélistes écrivant
leurs textes sacrés sous l'inspiration du Saint-Esprit.
En regard, dans les moulures creuses des piliers du porche se dé-
veloppent huit figures dont la pensée allégorique est puisée dans la
cosmogonie biblique pour caractériser quelques-uns des vices et des
passions que l'enseignement évangélique vient combattre et extirper.
Ainsi, en suivant de droite à gauche apparaissent Adam et Eve,
coupables de désobéissance, condamnés à la mort du corps et aux
douleurs de l'âme. — Le juste Abel et Càin fratricide : crimes de
l'homme contre l'homme. — Absalon : révolte contre l'autorité pa-
ternelle. — Balthasar : impiété, profanation des choses saintes. —
Héroctiade : impudicité et cruauté. — Judas ; type de l'avarice et de
la trahison. On voit que l'artiste n'a pu donner tout l'essor désirable
à sa pensée en peignant ces huit sujets symboliques ; s'il était possible
de les arracher de ces moulures concaves où ils se dressent, pour les
soumettre au jugement d'une académie, assurément ils feraient une
figure étrange; au lieu que dans la place étroite qu'ils occupent, ils
font un certain effet et offrent quelque valeur esthétique.
Les petits tableaux dans les deux ogives au-dessus des portes laté-
rales sont pleins de grâces et d'élégance. Ils ont une vigueur de ton
qui contraste avec la couleur un peu grise et terne des deux fresques
en pendentif au-dessus des arcades latérales du porche. Les voûtes
sont enduites d'un bleu zénith , étincelant d'étoiles , pour figurer le
firmament ; leurs nervures et formerets sont réchampis en or , rehaussé
d'ornements en arabesques pour relier le tout avec la décoration gé-
nérale.
C'est plus spécialement dans les deux grandes fresques séparées
par la porte principale, que M. Mottez nous paraît avoir le plus
approché de la conciliation difficile dans le dessin et le coloris avec la
suavité et la profondeur des traditions mystiques. Dans le sujet du Ser-
mon sur la montagne, la figure du Sauveur est pleine de cette sublime
expression où le calme laisse deviner que la beauté physique n'est que
le rayonnement de la beauté morale. Tous ceux qui l'entourent ont
EGLISE SAINT-GERMAIN L'AUXERROIS. 615
la tête levée pour écouter sa parole; tous le regardent avec amour et
reconnaissance. Dans la Mission des apôtres, on remarque assez gé-
néralement la beauté grave et pure du visage de la Vierge , à genoux
et étendant les mains au milieu des saintes femmes qui l'environnent
et semblent lui dire, en sollicitant sa miséricordieuse protection:
« Vous êtes bénie entre toutes les femmes ! » Au-dessous des apôtres,
de ces douze pêcheurs qui vont conquérir le monde, Madelaine,
l'amie du Christ, a genoux et absorbée dans les sentiments de
l'amour et de l'adoration , est une figure d'un dessin correct et sans
exagération anatomique ; mais nonobstant sa noble extraction nous
ne pouvons en dire autant de sa robe de brocart d'or à fin corsage.
Quelques-unes des autres figures de ce grand travail présentent
peut-être beaucoup moins de perfection dans certains détails ; nous
pensons que, dans un esprit de juste impartialité, il faudrait voir
tous ces personnages avec leur valeur de position et d'harmonie;
mais en somme on y remarque de l'union, de l'inspiration et du
technique de l'art.
Il faut encore tenir compte à M. Mottez de la tâche complexe et
difficile qu'il avait à remplir, soit pour s'identifier avec Fart catho-
lique du moyen âge et suppléer à l'insuffisance de ses théories par
les pratiques plus arrêtées et plus savantes de l'art moderne , soit
pour vaincre les difficultés qui abondent dans le système de peintures
à la fresque. Plusieurs des artistes qui le critiquent auraient peut-
être moins bien réussi ; mais quelque nombreux que puissent être
les défauts que la science y découvrira, il restera encore assez de beau-
tés qu'elle proclamera comme telles. Quant à savoir si ces fresques
résisteront aux intempéries, à l'humidité de nos hivers longs et bru-
meux , à la poussière et aux vents d'équinoxe si destructeurs, ce n'est
là qu'une question de temps qui ne tardera pas à se décider; quelques
peintures murales dans l'intérieur de l'église , déjà endommagées par
l'humidité , pourraient justifier les craintes que l'on exprime à cet
égard. Bien que la peinture à la fresque ne se détériore et ne périsse
que par la destruction progressive de l'enduit sur lequel elle est
appliquée , cependant il est de fait que cette destruction est beaucoup
moins lente qu'on pourrait le croire, surtout sous les climats humides.
Mais il est un fait qui pourrait, jusqu'à certain point, nous rassurer
sur les détériorations que l'on redoute : nous avons vu, en 1844, sur
le pignon d'une église de Turin, une fresque exposée à ciel nu, et
qui résiste peut-être depuis plus d'un siècle à 1 apreté des hivers des
Alpes qui en sont très-proches, sans que son coloris, plus chaud que
t
616 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
celui des fresques de M. Mottez , en paraisse sensiblement altéré. Il
est vrai que sous ce climat on ne voit jamais de ces vapeurs salines
qui noircissent et dégradent insensiblement nos monuments.
En résumé, de tout ce travail monumental, il jaillit çà et là des
accidents de génie qui feront tolérer le fait accompli de cette décora-
tion insolite du vieux porche ; mais nous dirons ici franchement et
sans crainte d'être contredit, qu'on aurait employé bien plus utile-
ment dans l'église même , les vingt-six mille francs que M. le Mi-
nistre de l'Intérieur a donnés pour cette décoration polychrome en
plein air. Si les pieux sujets qui y sont exposés aux yeux du peuple
pouvaient être vus sans toucher les âmes , du moins les indifférents
devront confesser, en les regardant , qu'il y a dans le dogme du ca-
tholicisme quelque chose de merveilleusement approprié aux besoins
et au cœur de l'homme. Le faire et la religieuse simplicité de
composition de cette œuvre feraient presque deviner, si on ne le
savait, que M. Mottez est élève de M. Ingres , aujourd'hui à peu près
le seul représentant de ces grandes écoles qui obéissaient à une
inspiration religieuse, et qui réalisaient quelques-uns de ces types
sublimes transmis par les traditions catholiques. Les fresques du
portail de Saint-Germain l'Auxerrois font honneur au talent indivi-
duel de l'artiste , et nous paraissent montrer tout ce qu'il est possible
de faire aujourd'hui avec ce système de peinture.
Troche ,
Auteur d'une Monographie inédite de l'église Saint-Germain l'Auxerrois.
LETTRE DE M, J, DE BERTOU A M, LETROIE
SUR
LES RUINES ANTIQUES DE DEIR-EL-KALAAH,
près de beyrout.
Monsieur,
Les deux articles que vous avez publiés sur Yaquedac romain situé
près de Beyrouth , ont mis en lumière un monument qui n'était jus-
qu'ici connu que de quelques voyageurs isolés ; et, sans la sagacité
qui vous l'a fait découvrir dans le jambage oblique d'une seule lettre
d'une inscription, il serait encore caché dans leurs cartons et leurs
souvenirs. La science de l'antiquité a donc aussi ses prévisions que
l'événement vient confirmer !
En vous remettant le dessin de M. Montfort, j'ai placé sous vos
yeux le plan que j'ai dressé sur les lieux des ruines de Deir-el-
Kalaah ; et vous les avez honorablement mentionnés ; ce qui suffira
pour tirer ces ruines de l'obscurité dans laquelle ils sont restés
jusqu'ici , et engagera quelque voyageur architecte à reprendre un
travail ébauché et bien imparfait, qui n'aura que le mérite d'en
faire exécuter un bien meilleur, tant sur ces ruines que sur celles
du grand aqueduc.
Je m'empresse, sur votre demande, de vous dire sommairement
le peu de détails qui sont restés dans mes notes ou mes souvenirs à
l'égard des ruines de Deir-el-Kalaah.
En quittant Beyrout par la porte du nord-est, et en suivant la
route de Tripoli jusqu'un peu au delà du pont qui réunit les deux
rives du Nahr-Beyrout, on rencontre bientôt un petit chemin qui se
dirige droit à l'est vers la montagne ; c'est celui-là qu'il faut prendre
pour arriver à Deir-el-Kalaah.
Ce chemin , ou plutôt ce sentier, frayé par les bêtes de somme
qui montent et descendent de la montagne, serpente capricieuse-
ment au milieu d'un bois de pins, sur un sol quelquefois sablonneux,
quelquefois hérissé de rochers et couvert d'innombrables silex, dont
l'abondance sur ces montagnes fait dire à leurs habitants que Dieu ,
618 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
après qu'il eut terminé l'œuvre de la création, ne sachant que faire
des cailloux qui lui restaient, les répandit sur le Liban (1).
Après une ascension de deux heures , on arrive au sommet d'un
mamelon qui s'élève d'environ sept cents mètres au-dessus du niveau
de la mer, et là, tout à coup et sans y être préparé, au lieu d'un
horizon borné par les détours d'un chemin sinueux, oft aperçoit un
magnifique panorama : d'un côté c'est le cap Beyrout, qui porte
bien loin au sein des flots la verdure de ses jardins et les remparts
crénelés de la petite ville qui lui donne son nom ; puis l'immensité
de la mer bleue comme le ciel et se confondant avec lui ; du côté
opposé, on découvre les pentes du Liban qui s'échelonnent les unes
au-dessus des autres , et qui sont couvertes d'abord de petits vil-
lages, puis, un peu plus haut, de forêts de pins , et, enfin, cou-
ronnées de neiges qui ne fondent jamais complètement.
Le mamelon dont je viens de parler est parfaitement isolé ; il a la
forme d'un cône tronqué très-près de son sommet ; en sorte que le
plateau qu'il présente n'a pas beaucoup plus d'un hectare de super-
ficie : c'est là que l'on trouve les monuments qui vous occupent, et
que les Arabes connaissent sous le nom de Deir-el-Kalaah ( couvent
du chèteau ), à cause du monastère que des religieux de l'ordre de
Saint-Antoine ont élevé au milieu de ces ruines.- Les pieux moines
sont les seuls habitants de la localité ; ils y prient Dieu , y cultivent
la terre de leurs mains, et y pratiquent la charité envers les habitants
pauvres des villages voisins.
Quand on arrive à Deir-el-Kalaah, on n'y aperçoit d'abord distinc-
tement les ruines que d'un seul monument, celui qui est désigné sur
le plan qui accompagne cette note par la lettre A ; et c'est ensuite
par un examen plus attentif des matériaux entassés sur ce petit pla-
teau, qu'on arrive à reconnaître qu'il a servi d'assiette à plusieurs
monuments considérables qui peuvent être divisés en deux groupes
de trois temples chacun. Dans le premier groupe, qui comprend
les temples A, B, C, l'axe des monuments est dans le sens du nord-
(l) Cette explication mythique d'un fait géologique est tout à fait analogue à
colle que les poêles grecs donnaient de l'immense quantité de cailloux roulés qui
couvrent la plaine de la Crau , située entre le Rhône et l'étang de Berre ou de
Martigucs. Dans le Prométhée délivré d'Eschyle, Promélhée, indiquant à Her-
cule le chemin du Caucase aux Hespérides, lui prédit qu'à son arrivée dans le pays
des Ligyes, ses flèches seront épuisées, mais que Jupiter fera pleuvoir sur la
terre une grêle de pierres rondes avec lesquelles il pourra facilement repousser
l'armée ligyenne. (Strab. IV, p. 183.) — L.
LETÏftÉ A M. LETR0NNË.
619
ouest au sud-est-, dans le second, qui comprend les temples D, E, F,
l'axe est , au contraire, du nord-est au sud-ouest.
PLAN GÉNÉRAL DES RUINES.
_j
ECHELLE
50
100 mètres.
p-
H
Deux inscriptions, Tune grecque, l'autre latine, trouvées au
milieu des ruines du premier groupe, portent le nom de Jupiter-
Balmarcos, tandis que le nom de Junon se lit sur une des in-
scriptions retrouvées au milieu des monuments du second groupe.
Sans vouloir tirer moi-même aucune conséquence de cette remarque,
je la livre, monsieur, à votre savante pénétration.
Les dimensions du temple A ( voir la planche 58 ) sont parfaite-
ment déterminées par les murailles qui existent encore jusqu'à la
hauteur d'un mètre environ sur trois côtés du parallélogramme, et
par les cinq colonnes qui restent debout sur les huit qui formaient
son pronaos. Leur piédestal est figuré en I, p. 621.
Je serais disposé à croire, sans avoir aucune certitude à cet égard,
que ces colonnes étaient corinthiennes , car je n'ai retrouvé qu'un
seul chapiteau dont les proportions fussent en rapport avec les leurs,
et il appartient à cet ordre. Aujourd'hui , ce chapiteau unique a été
creusé, et sert de margelle à une citerne; malheureusement ses
ornements sont si frustes , qu'il m'a paru impossible d'en donner un
dessin.
Comme vous le verrez sur mon plan , les religieux de Saint- An-
toine ont inscrit leur église a dans l'enceinte du temple A, et ils y ont
620 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
appuyé leur couvent H qui a été construit avec les matériaux que cet
édifice leur a fourni. Aussi, retrouve-t-on dans les murs de la con-
struction nouvelle une grande quantité de pierres sculptées et plu-
sieurs autres qui portent des inscriptions en caractères grecs et
latins.
L'inscription grecque où se trouve le nom de BAAMARKtOC »
est dans le mur du couvent , près de la porte d'entrée , qui
ouvre sous le pronaos de l'ancien temple. L'inscription latine, qui
contient ce môme nom , est gravée sur une pierre cubique aban-
donnée dans la cour du monastère. Je regrette beaucoup de ne pou-
voir joindre ici la copie d'une autre inscription, en caractères grecs
très-fins et très-nets, qui couvre tout un côté d'un petit autel votif,
lequel sert , dans la cuisine du couvent , de bloc pour hacher les
légumes. J'en avais pris un calque , mais un accident m'a privé de
cette empreinte qui a été perdue avec beaucoup d'autres.
Il y a encore d'autres monuments épigraphiques incrustés dans
les murs du cloître : j'ai indiqué la place qu'ils occupent dans les
copies que j'ai eu l'honneur de vous remettre.
L'existence du temple B est une hypothèse que j'ai formée à la
vue des matériaux amoncelés dans l'endroit que ce monument occupe
sur le plan. J'ai exécuté, au milieu de ces décombres, quelques fouilles
qui m'ont fait découvrir les fondations d'après lesquelles j'ai cru pou-
voir déterminer les proportions de cet édifice. Les colonnes repré-
sentées en K , sont celles qui paraissent avoir appartenu à ce mo-
nument.
Le temple C est encore une restauration hypothétique qui repose
aussi sur la réunion , la forme des matériaux et sur la découverte de
substructions considérables. Au milieu d'un grand nombre de fûts de
colonnes abandonnés en cet endroit et figurés en J , j'en ai trouvé
plusieurs qui sont taillés de manière à présenter, d'un côté, l'appa-
rence de deux fûts accouplés, tandis que du côté opposé , ils forment
un angle droit, de sorte que ces tronçons ont à peu près la forme
d'un cœur. Comme j'avais vu à Gérasa des colonnes tout à fait sem-
blables à celles que je viens de décrire, et que là elles formaient les
angles d'un portique qui existe encore en partie, et régnait autrefois
tout autour d'un des principaux temples de cette ancienne ville, j'ai
pensé que les colonnes de Deir-el-Kalaah avaient dû avoir une desti-
nation pareille , et c'est cette analogie qui m'a conduit à proposer la
restauration du temple C.
LETTRE A M. LETRONNE.
621
Voilà pour les trois temples du premier groupe ; ceux du second
sont au milieu d'un petit bois de chênes verts qui les cache sous ses om-
brages, et donne à leurs ruines un aspect singulièrement mystérieux.
Je ne sais si le bois est contemporain des monuments; je com-
prends qu'il serait téméraire à moi de hasarder aucune supposition à
ce sujet, mais ce que je puis dire , c'est que les autres voyageurs que
j'ai dirigés vers ces ruines, ont spontanément, comme je l'avais fait
moi-même , nommé ce bosquet le Bois sacré.
Le temple D est , dans le second groupe , celui dont la forme et
les dimensions sont le plus faciles à relever, parce que ses murailles
existent encore presque partout jusqu'au niveau du sol, et même un
peu au-dessus en plusieurs endroits.
Ce monument paraît n'avoir pas eu de pronaos extérieur , mais il
était orné à l'intérieur de quatre colonnes , dont deux, quoique tron-
quées, sont encore assises sur leurs bases; elles sont figurées sur le
plan. Ces colonnes sont en calcaire très-dur, et elles ont près de la
base, environ 63 centim.de diamètre. C'est près de ce temple
que j'ai trouvé l'autel votif sur lequel on lit le nom de Junon.
Le temple E n'est plus qu'un amas de décombres , et si je n'ai
pas mis partout ses fondations à découvert, j'ai cependant fait assez
622 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
de fouilles pour en retrouver une partie et me convaincre que les
matériaux que j'avais sous les yeux, étaient bien réellement lés
ruines d'un monument qui avait existé dans la situation et les pro-
portions que je lui ai données sur mon plan. Les fûts de colonnes
qui gisent pêle-mêle avec les autres débris de cet édifice , ont
53 centim. de diamètre et tout de pierre calcaire.
Le temple F était situé à l'extrémité du petit bois du côté du
N. E. A juger par la qualité des matériaux que mes fouilles ont mis
à découvert , il parait avoir été décoré avec plus de soin et de luxe
que les autres. En effet , j'y ai trouvé des colonnettes en marbre
blanc, des colonnes en granit gris et d'autres en calcaire d'un grain
si fin et si dur, que le poli devait lui donner l'apparence du marbre.
J'ai mjs aussi à découvert une partie de la mosaïque qui servait de
pavement à cet édifice ; elle était ornée d'un encadrement en pierres
de différentes couleurs formant une grecque , mais je n'ai pu en voir
le centre à cause de la grande quantité de matériaux qui le recou-
vrent, et j'ignore si l'on y avait représenté quelque autre dessin.
La découverte d'un morceau de l'architrave , portant un fragment
d'inscription , m'avait fait espérer que j'allais savoir à quelle divinité
ce temple avait été consacré ; mais j'ai vainement cherché là les
autres morceaux de cette architrave , ils auront été dispersés et em-
ployés peut-être dans d'autres constructions. J'ai remarqué que les
caractères dont il est ici question, se rapportent parfaitement pour
la forme et les dimensions à ceux qui se trouvent sur une pierre for-
mant le seuil de l'une des cellules du monastère. Cette pierre serait-
elle un fragment de l'architrave? cela me paraît possible, et peut-
être, en rapprochant ces deux lambeaux, parviendrez-vous à les faire
parler.
A quelques mètres du temple F, du côté du S. E., il y a un petit
caveau G à enviroïi 2 m. 50 centim. en contre-bas du sol. Je l'ai
débarrassé d'une partie de la terre que les eaux y avaient amenée ,
mais sans y rien rencontrer, ni ossements, ni inscriptions qui pus-
sent me fixer sur l'usage auquel il avait été destiné. On ne voit pas
dans cet hypogée les petites niches dont sont ordinairement criblées
les parois des colombarium , et cependant il paraît difficile de suppo-
ser qu'il ait été autre chose , puisque la lumière n'y pénétrait que
par une porte d'entrée... Les murs et la voûte de ce souterrain sont
recouverts d'un stuc fort dur et très- blanc , dans lequel une
main habile a ménagé des moulures et des ornements d'un goût
délicat.
LETTRE A M. LETRONNE. 623
Les derniers objets sur lesquels il me reste encore à appeler votre
attention, Monsieur, avant de terminer cette lettre déjà bien longue,
sont d'abord un chapiteau d'ordre ionique (l) qui m'a paru d'un
M
dessin et d'un travail très-supérieur aux autres ornements d'archi-
tecture que j'ai trouvés à Deir-el-Kalaah, et ensuite une urne ciné-
raire qui n'a pas moins de 80 centim. de diamètre. Cette urne, en
marbre blanc, n'a point d'ornements, mais elle est couverte de
caractères latins formant quatre lignes. A ma première visite aux
ruines de Deir-el-Kalaah , j'avais fait de ces caractères la copie que
j'ai eu l'honneur de vous remettre, et plus tard, j'en pris un calque
sur l'original , mais il a eu malheureusement le même sort que
celui dont je regrettais la perte en commençant ma lettre.
Je ne terminerai pas sans vous exprimer encore une fois, Mon-
sieur , combien je regrette de ne pouvoir fournir à vos savantes
recherches, des matériaux plus complets sur les monuments de cette
localité, qui paraît avoir été le mont sacré des Beyritiens. Le peu
que j'ai pu vous dire ne vous permettra pas sans doute de pénétrer
encore tous les secrets de ces ruines, mais l'attention que vous venez
de leur accorder, stimulera le zèle des voyageurs qui visiteront la
Syrie, et bientôt, j'espère, toutes les lacunes que j'ai laissées dans
mes recherches seront remplies par de plus heureux et de plus
habiles explorateurs (2).
Veuillez agréer, Monsieur, la nouvelle assurance de mes senti-
ments les plus distingués. J. de Bertou.
(1) Ce chapiteau est unique de son modèle. Je l'ai trouvé au milieu d'un las de
décombres non loin de l'emplacement du temple C. Généralement les chapiteaux
sont très-rares parmi les ruines de Deir-el-Kalaah , il paraîtrait qu'après la ruine
des monuments on les a enlevés pour s'en servir ailleurs. La colonne figurée en L
(p. fi21 ) se retrouve trés-souvént dans les constructions modernes.
(2) L'abondance des matières ne permet pas , à l'éditeur de la Bévue, d'insérer ma
réponse à cette lettre intéressante, qui renferme la première description connue de cet
hiéron remarquable. Cette réponse paraîtra dans le cahier suivant, accompagnée des
inscriptions, trouvées en ce lieu, de celles , du moins, qui ont quelque intérêt.— L.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Le département des antiques de la Bibliothèque royale s'est
enrichi cette année d'un assez grand nombre de monuments d'une
haute importance , grâce surtout à la persévérance de l'un des con-
servateurs , M. Lenormant , dont le zèle rencontre des obstacles de
plus d'un genre. Les fragments d'un vase d'argent de travail attique ,
acquis des héritiers du voyageur Linck ont été réunis et soudés. On
peut juger maintenant de la forme gracieuse de ce rare monument
dont Stackelberg avait publié une restauration tout à fait infidèle
(Die Graeber der Hellenen; tab. liv). Ce vase en effet n'a jamais
eu la hauteur qui lui est donnée par l'antiquaire allemand , et le
dessous travaillé au repoussé montre une rosace élégante. Un autre
vase de grandes dimensions ( haut. 35 cent.) et d'un travail tout dif-
férent a été également acquis et restauré avec le plus grand soin.
C'est une aiguière d'argent du temps des rois Sassanides de Perse ,
dont la forme est tout à fait celle d'un vase publié dans les Mé-
moires de l'Académie des Inscriptions , par le président de Brosses
(t. XXX , p. 777). Sur celui du Cabinet des Antiques on voit deux
groupes composés chacun de deux lions qui se croisent , et qui por-
tent un astre sur le milieu du corps; ces groupes sont séparés par
deux arbres dont l'un est couvert de feuillages et de fleurs , tandis
que l'autre , cepé à la base , a poussé deux tiges dont les rameaux
sont entièrement dépouillés. Ces figures se détachent en relief sur
un fond doré. — La collection des pierres gravées s'est augmentée
d'une intaille de grande dimension , représentant l'empereur Com-
mode à cheval, lançant un javelot contre un tigre, sardonyx à
deux couches d'un très-beau style ; et d'un grand camée de 132 mil-
limètres de hauteur sur 80 de largeur, pierre magnifique dont la
matière est déjà fort précieuse et dont le sujet qui est un buste de
Minerve ou de Déesse-Rome, présente les caractères d'un très-bon
ouvrage romain du règne de Constantin. Ce monument a été décou-
vert à Bavay, l'ancien Bagacum Nerviorum, lieu qui avait à l'époque
de l'occupation romaine une grande importance qu'il a perdue tota-
lement aujourd'hui.
Nous avons déjà parlé de la trouvaille faite au Gourdon , près
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 625
Dijon , d'un vase d'or, accompagné de son plateau et d'une quantité
considérable de monnaies d'or d'Anastase et de Justinien. Le vase et
le plateau (qui porte au centre une croix incrustée de verre rouge,
comme les monuments recueillis dans le tombeau de Childéric),
ont été achetés par la Bibliothèque royale, et sont exposés au
regard du public. Cet établissement a pu encore ajouter à la riche
collection de monuments d'argent qu'il possède, un beau vase an-
tique, d'environ quinze centimètres de diamètre, sur lequel on voit
en bas-relief, un autel entre deux cyprès, accompagné de groupes,
dont l'un représente un lion dévorant un cheval , et l'autre une
lionne dévorant un sanglier, composition évidemment symbolique,
et qui rappelle le double type des monnaies d'Acanthe, en Macé-
doine. Enfin, la collection de vases peints antiques, a reçu un choix
de monuments céramographiques , recueillis à Athènes et dans la
Cyrénaïque par MM. le baron de Prokesch-Osten et de Bourville.
Le second envoi, surtout, offre un haut intérêt pour l'histoire de
l'art. Les vases peints et les terres cuites, rassemblées par les soins
de M. de Bourville, font connaître la fabrique particulière de Cyrène,
et montrent aussi qu'elle extension l'importation des ouvrages athé-
niens, avait reçue en Afrique.
— L'entrée des archives du royaume vient d'être transférée de la
rue du Chaume dans la rue de Paradis. Ce changement a donné
lieu à deux petites découvertes qui ne sont pas sans importance pour
l'histoire de l'ancien Paris, et dont nous allons dire un mot à nos
lecteurs (l).
On sait que les Archives occupent l'ancien hôtel Soubise, au
Marais, connu auparavant sous le nom d'hôtel de Guise, et plus
anciennement sous celui d'hôtel de Clisson ou de la Miséricorde.
En 1697, François de Rohan, prince de Soubise, l'acheta des
héritiers de la duchesse de Guise, et le fit reconstruire presque en
entier, tel qu'on le voit à présent. Le Maire, architecte en réputa-
tion de ce temps, sous la conduite duquel les travaux furent com-
mencés en 1702, ne laissa guère subsister que les deux tours du
XIVe siècle que l'on voit encore sur la rue du Chaume. A ces deux
tours, qui forment un angle avec la rue, s'applique une misérable
(1) Ces découvertes «ont dues à M. Lallemand, commis d'ordre aux Archives du
royaume.
626 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
construction moderne qui lui est parallèle et qui masque entière-
ment l'ancienne porte de l'hôtel de Guise placée entre elles deux .
c'était le logement du portier. Or, le changement de l'entrée des
Archives l'ayant laissé libre, on y a découvert, dans une soupente,
les armes de Henri de Lorraine, duc de Guise, et de Catherine de
Clèves, sa femme, peintes sur le cintre de l'ancienne porte.
La seconde découverte offre encore plus d'intérêt, quoiqu'il ne
s'agisse que d'une pauvre lettre, une M couronnée peinte en noir
sur la lucarne de l'une des deux tours. Mais c'est que cette M est à
elle seule toute une histoire. La voici en deux mots :
En 1383, au moment où Charles VI était encore occupé à sa
guerre de Flandre, les Parisiens se révoltèrent au sujet de nou-
veaux impôts. Cette sédition est fameuse dans l'histoire sous le nom
de révolte des Maillotins. La punition suivit de près la faute. Vers
le milieu du mois d'avril, le roi rentra dans Paris à la tête de son
armée partagée en trois corps , commandés l'un par le connétable de
Clisson, l'autre par le maréchal de Sancerre, le troisième par lui-
même. Seul à cheval dans les rangs pressés de ses hommes d'armes ,
il s'avança d'un pas lent et menaçant jusqu'à Notre-Dame , après
avoir fait renverser devant lui les barrières et les portes de la ville.
De là il se rendit au Palais , où ses troupes lui rabattirent , si l'on
peut s'exprimer ainsi, toute une population désarmée et pâle d'ef-
froi, qui, se jetant à genoux dans la cour du Palais, lui cria misé-
ricorde. Donc, cette petite chose, cette M onciale, c'est le signe
ineffacé, subsistant, implacable dune journée qui fut, pour les
Parisiens , un jour terrible.
Piganiol dit que ce fut à cette occasion que les Parisiens donnè-
rent au connétable une maison qui était nommée le grand chantier
du Temple, et qui devint ainsi l'hôtel de Clisson. Il cite Pasquier,
dans lequel nous n'avons pu retrouver ce fait. Quoi qu'il en soit, il
paraît, d'après le Religieux de Saint-Denis , que Clisson chercha à
adoucir la colère du roi, ou, du moins, tempéra quelque peu la
rigueur du châtiment infligé aux Parisiens. Piganiol ajoute qu'on a
vu longtemps , sur les murailles et les combles de l'hôtel dont nous
parlons , des M. d or couronnées , qui , dit-il , « faisoient connoître
« qu'on les avoit ainsi peintes pour insulter aux Parisiens et leur
« reprocher leur faute. Elles indiquent aussi la raison pour laquelle,
« sous Charles VI , et même après , on nommoit cet hôtel Y Hôtel de
« la Miséricorde. »
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 627
Nous savons que M. le garde général des archives est dans l'inten-
tion de demander, lorsque le moment sera venu , que Ton déblaye
et restaure cette porte. On n'attendait pas moins de son zèle poul-
ies monuments de nos arts anciens et de notre histoire.
-— On apprend que les monuments assyriens , découverts à Khor-
sabad, par M. Botta, viennent d'arriver au Havre, et seront dans
peu de jours à Paris.
A ce sujet nous ferons observer qu'il eut été bien naturel d'at-
tendre la venue de ces précieuses antiquités , pour commencer la
gravure des dessins de M. Flandin. Quelque confiance que puisse
inspirer le talent de cet artiste, on ne pourra nier qu'il se fût in-
spiré avec avantage de la vue des monuments originaux considérés
à tète reposée et dans des conditions de calme et d'étude qui ne pou-
vaient exister sous le ciel brûlant de l'Asie. Les graveurs de leur
côté eussent gagné à connaître la nature du marbre employé par
les sculpteurs assyriens, et leur burin eut acquis plus de sûreté et
de vérité. Nous espérons que la commission qui veille à la publi-
cation des antiquités de Ninive, sera du même avis que nous.
— Ahmed-Pacha , bey de Tunis, a, la semaine dernière, visité la
Bibliothèque royale. S. A. a examiné avec intérêt le plan en relief
des pyramides d'Egypte , et s'est fait présenter M. Champollion ,
frère du savant interprète de la langue hiéroglyphique. Parvenu au
Cabinet des Antiques, Ahmed-Bey a regardé avec attention diffé-
rents monuments, particulièrement l'armure de Henri IV. Ensuite
S. A. a voulu voir les monnaies des différentes dynasties musulmanes,
et s'est arrêtée à la collection des khalifs , des princes africains de
Tunis et de Maroc , lisant à haute voix à ses officiers les explica-
tions écrites en langue arabe sous chacune des pièces par M. de
Longpérier. Le bey s'entretenant en arabe avec cet antiquaire et
un savant scheïk qu'il a amené de Tunis, a commenté diverses
monnaies très-rares, dont l'existence excitait son intérêt et son
étonnement. Ahmed-Bey a terminé sa visite par le département des
manuscrits où il a demandé à examiner les ouvrages historiques;
une charte arabe contenant le traité passé entre Philippe le Hardi
et le prince de Tunis a fixé son attention ; S. A. a paru attacher
beaucoup de prix à en emporter une copie imprimée. Le bey de
Tunis est sans contredit le souverain le plus éclairé qu'il y ait en
Orient.
628 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
— On a fait récemment, à Audenge et à Cestas (Gironde), une
découverte assez intéressante. M. Dumur a trouvé divers frag-
ments antiques ou romans, dont les traces sont, en général, rares
dans ces contrées. Ce sont des débris de vases, d'amphores et le
buste d'une statue d'homme en marbre blanc d'un beau travail. La
tète en est bien conservée , les cheveux courts et bouclés sont en-
tourés d'une couronne de chêne.
A M. L'EDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Monsieur, en parcourant le tome III des Monuments inédits , pu-
bliés par l'Institut archéologique de Rome, je remarquai particu-
lièrement (pi. XLI, B) la gravure d'une tète de Laocoon dont la
provenance était ainsi indiquée : del Museo di Leida, d'où je con-
clus que ce morceau de sculpture faisait partie du musée de Leide.
Mais, apprenant aujourd'hui, par une lettre de M. Leemans,
que la tête en question n'est autre que celle qui appartient à M. le
duc d'Aremberg, à Bruxelles, et que son attribution au musée de
Leide est le résultat d'une erreur déjà signalée par M. Schorn , je
m'empresse de réparer la faute assez excusable que j'ai commise à
cet égard , et de réformer en ce point la petite note que j'ai donnée
dans l'avant-dernier numéro de votre Reçue (p. 438), sur quelques-
uns des monuments antiques relatifs à Laocoon.
Agréez, etc.
- J. J. Dubois.
LETTRE A M. CH. IMORMANT,
DE L'ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES ,
SUR UN POINT DE L'ÉPIGRAPHIE PUNIQUE.
Mon cher Confrère,
Mieux que personne vous savez que tous les points de la science
archéologique se touchent, et que pour éclaircir un seul fait il est
presque toujours indispensable d'emprunter à d'autres faits la lu-
mière qui lui manque. Je viens donc faire un appel à votre grande
connaissance des théogonies de tous les peuples de l'antiquité, et
signaler à votre attention une rectification qu'il faut nécessaire-
ment faire subir à la version de certaines inscriptions votives pu-
niques , version admise par les philologues les plus éminents. Si je
ne me suis pas trompé, cette rectification doit donner lieu à quelques
remarques curieuses, à quelques rapprochements intéressants qui
ajouteront quelque peu à l'histoire de la mythologie carthaginoise.
Comme je ne me sens pas de force à les déduire moi-même ,
parce qu'il faut pour oser aborder des questions de ce genre , être
pourvu d'une connaissance approfondie des idées théogoniques de
l'antiquité tout entière, je ne saurais mieux m'adresser qu'à vous,
mon cher confrère , pour obtenir les éclaircissements que je désire ,
et qui ne peuvent manquer de piquer la curiosité des archéologues.
D'ailleurs le terrain sur lequel je vais vous conduire, vous est si fa-
milier, vous en êtes si bien le maître, que ce qui pour moi resterait
une difficulté probablement inextricable , vous semblera tout simple
et tout naturel ; à vous donc l'honneur d'expliquer ce qui me semble
obscur: aux lecteurs de h Reçue et à moi surtout le plaisir et l'avan-
tage de profiter de l'explication que j'attends de votre bonne amitié.
Vous connaissez à merveille les inscriptions votives, déterrées à
Carthage même , et qui ont été rédigées en l'honneur de la déesse
Tanit, et du dieu solaire , Baal-Khamon. Beaucoup d'habiles philo-
logues ont appliqué leur savoir au déchiffrement de ces textes pré-
III. 41
360 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cieux, et un travail spécial que j'ai inséré, Tan dernier, dans les
Mémoires de V Institut archéologique de Rome, a résumé les re-
cherches de mes devanciers sur cette classe de monuments ; j'y
adoptais pleinement la traduction tout à fait naturelle et vraisem-
blable proposée par notre savant confrère, M. E. Quatremère, dans
un article dont il a enrichi le Journal Asiatique (année 1828).
Les inscriptions expliquées par M. Quatremère sont les première ,
deuxième , troisième et quatrième carthaginoises du recueil de Ge-
senius(l). Un peu plus tard (1833), M. Falbe en publiant ses recher-
ches sur l'emplacement de Carthage , fit connaître une nouvelle in-
scription de la même famille, recueillie dans la régence de Tunis, par
Scheele, secrétaire du consulat de Danemark. Gesenius reproduisit
cette nouvelle inscription dont l'état parfait de conservation avait
suggéré au savant Lindberg une transcription un peu différente
de celle qu'ont adoptée MM. Quatremère et Gesenius. Ce dernier
(p. 70) me semblait pourtant avoir victorieusement réfuté l'asser-
tion de Lindberg , qui prétendait que la lettre qui suit le mot 7m
n'était pas un noun mais bien un caph, et qu'il fallait lire : by& i
pK Sr> , et Domino cujusque heri; à cette transcription et à cette
traduction, Gesenius substituait la leçon suivante : p*6 f)V2b l
et Domino nostro , hero , que j'ai moi-même adoptée sur sa parole
dans le travail précité. Maintenant je viens protester contre l'une et
l'autre de ces deux transcriptions, parce qu'elles ne sont basées que
sur la supposition toute gratuite que les graveurs de ces inscriptions
se sont trompés, en copiant les textes qu'ils étaient chargés de repro-
duire. Peut-être use-t-on quelquefois trop largement du moyen
d'interprétation qui consiste à dire : ïl doit y avoir ceci , au lieu de
cela que le lapicide n'a pu tracer que par erreur. À mon avis il n'est
jamais bien prudent de prêter aux autres des erreurs de copie , pour
arriver plus aisément au sens que l'on cherche, et je n'en veux d'autre
preuve que celle que va me fournir la transcription matérielle du
passage sur lequel Gesenius et Lindberg sont restés en désaccord.
"Vous saveî tout aussi bien que moi, mon cher confrère, qu'il n'y
a presque jamais possibilité de se tromper sur la valeur des caractères
alphabétiques employés dans les inscriptions carthaginoises primi-
tives. Chaque lettre, en effet , comporte son critérium qui la distingue
invariablement des lettres qui offrent avec elle une certaine ana-
logie de formes. Il est donc tout à fait impossible à moins de le
(1) En les interprétant , notre confrère se plaignait avec raison de la négligence
avec laquelle avaient été tracées les copies remises entre ses mains.
LETTRE A M. LËNORMANT. 631
vouloir a priori, de prendre un t\ pour un «j, un «j pour un "|, un
b pour un j et un v pour un D. Je ne prétends pas nier d'ailleurs
qu'il puisse arriver qu'un lapsus scalpri ait substitué parfois une de
ces lettres à son analogue. Mais si ce prétendu lapsus scalpri se
reproduit invariablement sur plusieurs épigraphes tracées par des
mains diverses, et à des époques différentes, il devient impossible
d'admettre l'existence d'un parti pris de commettre perpétuellement
les mêmes bévues.
Or c'est là précisément le cas qui se présente lorsqu'il s'agit des
inscriptions votives puniques, dédiées à Tanit et à Baal-Khamon.
Passons-les donc rapidement en revue et examinons sur chacune
d'elles la forme matérielle du passage douteux dont il s'agit.
La première carthaginoise de Gesenius (tab. XIV) est mutilée ;
la première ligne presque entière a disparu et on n'y retrouve que
les lettres
{HÙïh (sic) fi «i
Le 1 est d'ailleurs très-reconnaissable à cause de la direction du
trait principal. En général cette lettre se distingue du caph, en ce
que celui-ci est incliné de droite à gauche, tandis que le vau est
incliné de gauche à droite.
Cette première inscription ne nous donne que celte seule indi-
cation , que la lettre qui précède les mots pn byib , doit se lire i,
et représente par conséquent la conjonction ordinaire.
La deuxième carthaginoise de Gesenius (tab. XV) est plus entière
que la précédente, et cependant elle a perdu quelques lettres. Il n'en
résulte pas moins que le caractère qui suit le nom divin n:n est un *]
et ne peut être un \
Au reste toute cette inscription me paraît peu fidèlement copiée,
et je ne crains pas d'affirmer que la figure publiée par Gesenius est
fort souvent incorrecte. Il n'y a donc pas en réalité de conclusion
péremptoire à tirer de son examen, malgré l'assurance que nous
donne Gesenius, qu'il a fait des textes des quatre premières cartha-
noises conservées à Leyde , une étude si scrupuleuse que ses co-
pies sont d'une fidélité inattaquable. Je n'en persiste pas moins
à croire que Gesenius n'a pas toujours exactement copié ce qu'il
avait sous les yeux.
La troisième carthaginoise (tab. XVI) est si parfaitement con-
servée qu'à elle seule elle suffirait pour donner le texte le plus pur,
en ce qui concerne le passage en question. Pour quiconque voudra
632 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
lire ce qui est écrit et rien de plus, la transcription suivante sera
nécessairement la seule à prendre :
Il n'y a rien à tirer de la quatrième carthaginoise de Gesenius
(tab. XVII); car celle-ci n'est qu'un fragment tronqué et sans
grande valeur scientifique.
La cinquième carthaginoise (tab. XVII) se lit encore sans hési-
tation possible :
p$ 1 byz }2
Des quatre premières inscriptions que je viens de citer, une seule,
la troisième, étant entière , il était bien permis de supposer un dé-
faut de gravure, et d'admettre a priori la leçon toute simple
p*A fiïïb i
Mais une fois la cinquième trouvée, il devait résulter de la com-
paraison des deux seuls textes entiers, faite avec tout le soin qu'exige
ce genre d'étude, la conviction que la leçon proposée était pure-
ment hypothétique et devait être abandonnée. Cette comparaison ,
j'ai, sur la parole du maître de la science, négligé de la faire , et j'ai
ainsi servi à propager son erreur, que je m'impose le devoir de
combattre aujourd'hui , parce que j'y ai regardé de plus près.
Enfin la douzième carthaginoise de Gesenius (tab. XLVII) com-
mence bien nettement par les mots p*A l que j'ai correctement lus
dans mon mémoire sur les inscriptions votives, sans en tirer la
conclusion nécessaire que toutes mes autres lectures de la même
formule consacrée étaient fautives.
Aujourd'hui trois textes de plus nous sont connus: ce sont d'abord
l'inscription de la stèle votive découverte dans les fouilles de Car-
thage et échue par la voie du sort à notre savant confrère M. Du-
reau de La Malle. On y lit sans hésitation
p*A i byi p
Ensuite deux inscriptions découvertes tout récemment à l'île du
Port-Cothon , par M. l'abbé Bourgade , desservant de la chapelle de
Saint-Louis , et conservées à Tunis. L'honneur de publier ces textes
curieux appartenant de plein droit à celui qui a eu la satisfaction de
les découvrir, je dois me borner à dire que l'une et l'autre de ces
LETTRE A M. LENORMANT. 633
inscriptions , parfaitement claires et lisibles d'ailleurs, porte encore
en toutes lettres
Pourrions-nous maintenant persister à voir des fautes de gravure
dans ce passage qui se reproduit invariablement tant de fois, bien
que tracé par des mains différentes? Ce serait par trop abuser du
privilège de suspecter l'habileté des graveurs carthaginois. Ce ne sont
donc pas eux qui se sont trompés, et l'erreur doit nous être im-
putée à nous-mêmes.
Mais il ne suffit pas d'avoir obtenu la transcription matérielle de
ce passage , il faut maintenant voir ce qu'il signifie. Prenons donc la
formule dédicatoire entière : nous lisons avec la rectification indis-
pensable que je viens de reconnaître (je prends la troisième cartha-
ginoise pour exemple) :
)m bv^b p*6 i bv2 p n:nS nrb
iptyony p ÉffioH mTOjna tu ua
Or p veut dire, faciès, mitas, aspectus , et ce mot entre en
composition dans le nom propre hébraïque ^N£jB ou WteB , Faniel
ou Fanuel, aspectus Bel; il en résulte, je crois, que les mots,
te as, signifient aspectus Baalis, et que la déesse Tanit portait,
chez les Carthaginois, un surnom signifiant, manifestation de Baal.
Nous avons donc en définitive :
A la souveraine Tanit , manifestation de Baal, et au seigneur Baal-
Khamon. Ceci est consacré par Gadastaroth le scribe , fils d'Abd-
meïkart.
De la sorte le texte se simplifie et devient plus naturel , car com-
ment expliquer la présence du pronom possessif noun après le mot
Baal , tandis qu'il n'est pas exprimé après le mot Rabbet? Pourquoi
nommer simplement la souveraine, la déesse qui paraît au premier
rang, tandis que l'on dit notre maître, en parlant de Baal-Khamon?
Je ne me chargerais pas d'expliquer cette étrange anomalie.
Quant aux deux mots formulaires TU uw que Gesenius tradui-
sait: virvovens, M. Quatremère a démontré que cette leçon était
inadmissible , puisque l'une des inscriptions votives de cette classe
avait été dédiée par une femme. Il a en conséquence proposé de
traduire ainsi : hoc quod vovit, et je me suis empressé de suivre cette
version. Aujourd'hui j'éprouve , à mon tour, quelques scrupules pour
G34 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
continuer à l'admettre, précisément à cause de l'accord qui devrait
se trouver et qui manque entre le prétérit Tu et le nom féminin de
celle qui a dédié l'inscription; il devrait y avoir en effet, quand il
s'agit d'une femme , htu ou nTu. Ce désaccord est bien plus frap-
pant encore lorsqu'il s'agit, comme sur les candélabres de Malte , de
deux frères qui accomplissent un vœu commun ; là nous devrions
lire pour quod voverunt , itu vx , et nous lisons encore tu uk
simplement; il y a donc probablement un autre sens caché sous
cette expression formulaire. M. le docteur Judas voit dans le
mot wn , le mot ignis, sacripcium accendendum, et prenant la partie
pour le tout, il conclut que les mots tu tzm, signifient autel, pierre
consacrée. Sans me permettre de décider entre ces trois leçons , je
crois fermement aujourd'hui que le mot Tu qui reste constamment
le même, que ce soit un homme ou une femme, ou une collection
d'hommes qui érige l'objet consacré, est en réalité le substantif Itl,
votum, res voto promissa. Peut-il y avoir une liaison entre notre uw
punique et le W hébreu, signifiant, fait, est? Si cela était possible,
le sens deviendrait tout à fait clair, car tu w se traduirait alors : est
res voto promissa. A de plus habiles revient le droit de prononcer.
Quoi qu'il en soit, mon cher confrère, le but de cette lettre est
de soumettre à votre appréciation le surnom de manifestation de Baal,
attribué à Tanit. J'espère que vous voudrez bien me communiquer
votre opinion sur ce point et je vous en remercie sincèrement à
l'avance.
Veuillez agréer, etc.
F. de Saulcy.
Paris, 7 décembre 1846.
NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES.
i.
De toutes les corporations du monde romain , la corporation des
Augustales est sans contredit la plus célèbre -, c'est en même temps
une de celles dont il est le plus difficile de marquer précisément l'ori-
gine et les attributions. Des milliers d'inscriptions la mentionnent ;
mais son nom même ne se trouve pas une seule fois dans l'immense
recueil des lois romaines , et Pétrone est le seul de tous les auteurs
anciens qui en parle, encore est-ce avec une excessive brièveté. Rei-
nesius, Noris, Fabretti, Oderici,Morcelli, et, de nos jours, M. Orelli,
M. Borghesi (l), M. Aldini (2), M. Roulez (3), ont traité ce sujet,
les uns en passant, les autres avec quelque étendue; aucun ne l'a fait
avec ensemble et de manière à présenter sous une seule vue tous les
éléments du problème , et à en donner une solution aussi définitive
qu'il la comporte. Conduits à l'étudier , dans tous ses détails , par
des recherches sur les historiens de la vie et du règne d'Auguste (4),
nous croyons avoir le premier réuni sur le sujet des Augustales ,
sinon la totalité des faits épars dans les livres de nos devanciers , au
moins les plus intéressants et les plus utiles (5) ; nous croyons en avoir
(1) Bolletino dell' Instituto di Corresp. archeol., 1S42, p. 101-108, à l'occasion
de quelques inscriptions nouvellement découvertes en Dalmatie.
(2) Aldini : Sulle antiche lapidi Ticinesi, Pavia, 1831 ; in-8 , p. 135 et suiv.
(3) Dans un Mémoirelu àl'Académie de Bruxelles, et dont un résumé se trouve dans
le Journal V Institut , 1840, p. 90. Je ne mentionne ici que les travaux qui m'avaient
échappé, lorsque je publiai mes études sur ce sujet. Quant à l'article Augustales,
dans l'Encyclopédie de Pauly (Stuttgard, 1839), ce n'est qu'une très-courte notice
rédigée d'après le livre et selon l'opinion même de M. Orelli sur ce sujet-
(4) Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne d'Auguste (Mé-
moire couronné en 1839 par l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres). Paris,
1844. Appendice II. Quelques exemplaires de cet Appendice ont été tirés à part,
sous le titre de Recherches sur les Augustales.
(5) A ce propos, je me permettrai de réclamer contre une assertion échappée à la
636 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
déduit quelques conclusions précises. Partant d'un rapprochement
heureux qu'avait indiqué M. Orelli , nous avons essayé d'établir :
1° Que le corps des Augustales fut, dans les provinces, l'imitation
d'une institution analogue existant dans la métropole ;
2° Que cette institution, à Rome, était le corps à la fois muni-
cipal et sacerdotal des magistri vicorum ou quarteniers , rétabli par
Auguste après plusieurs années de désuétude, et rétabli sur des bases
en partie nouvelles ;
3° Que de même que les magistri vicorum cumulaient la charge du
culte des Dieux Lares avec certaines attributions civiles très-secon-.
daires, de même, dans les provinces, des magistri Larum augustorum,
ou magistri augustales t appelés depuis seviri augustales, ou simple-
ment Augustales, avaient, du vivant même d'Auguste, exercé des
fonctions à la fois municipales et religieuses, qui peu à peu, de l'état
de simple corporation , les avaient élevés au rang d'un ordre dans le
municipe, et qui en avaient fait de véritables chevaliers municipaux ,
classe intermédiaire entre le peuple et les décurions;
4° Que cette institution , indirectement associée au culte tout païen
dont la personne des empereurs était l'objet, après avoir fleuri pen-
dant trois siècles, avait dû disparaître avec les autres institutions
païennes, soit par le progrès même des mœurs publiques, soit par
l'effet des rescrits des empereurs chrétiens ;
5° En marquant ce qu'était, selon nous, Yaugustalité, et d'où elle
venait, nous avions dit aussi ce qu'elle n'était pas; et, sur ce point ,
nous avions cru ou réfuter d'anciennes erreurs, ou répondre d'avance
à des objections prévues.
L'auteur d'une dissertation récente sur le même sujet (1),
M. A. W. Zumpt, déjà connu par divers mémoires philologi-
ques fort distingués (2) , vient de remettre en doute plusieurs des
critique, d'ailleurs trop bienveillante à mon égard , de M. Ch. Giraud. L'auteur de
l'Essai sur l'histoire du droit français au moyen-âge, me reproche (T. I, p. 142,
note 7) , d'avoir omis dans mes recherches sur les Augustales, une inscription im-
portante ; celle que rapporte Gruter , p. 378, 1. Je l'ai citée et, en partie , trans-
crite p. 394 du volume sur les historiens d'Auguste (p. 42 du tirage à part de la
dissertation sur les Augustales).
(1) De Augustalibus et Seviris Augustalibus , commentatio epigraphica. Be-
rolini, 86 pages in-4°, 184G.
(2) Caesaris Augusti Index Herum a se geslarum , sive Monumentum Ancyranum
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 637
résultats de notre travail , et les plus importants. Nous saisissons vo-
lontiers cette occasion pour y revenir nous-mêmes , et nous corriger
en quelques points, mais avec l'espoir de maintenir nos premières
conclusions. Malgré toutes les réserves dune courtoisie qu'il nous
sera facile d'imiter, M. Zumpt nous déclare coupable de propager
une grave erreur parmi les savants. Examinons donc si l'erreur est
de ce côté du Rhin ou de l'autre, et tâchons de ramener le problème
à ses éléments les plus essentiels.
Voici d'abord les faits que M. Zumpt admet avec nous comme in-
contestables :
1° Le culte des Dieux Lares existait à Rome de toute antiquité. Il
était confié aux soins des chefs de quartiers , magistri vicorum ; il
avait, dans le calendrier romain, ses jours solennels.
2° Quand Auguste, en 746 , divisa Rome en quatorze régions et
en deux cent soixante-cinq quartiers, qu'à chaque viens il préposa
quatre magistri, assistés d'autant de ministri, et qu'il chargea ces ma-
gistrats du culte des Dieux Lares , il ne fonda pas un nouveau culte ,
pas plus qu'il ne fonda l'organisation municipale de Rome. Il res-
taura seulement et il étendit une vieille institution , ce qui n'empêche
pas que les Dieux remis en honneur par ce prince aient pu légitime-
ment se parer de son surnom et devenir Lares AugustL
3° Comme tous les sacerdoces, comme toutes les magistratures
temporaires, la magistrature demi-sacerdotale des quarteniers avait
ses fastes, comptant à partir de l'an 746 de Rome. Nous avions formé,
dans notre mémoire, la liste de toutes les inscriptions qui se rapportent
textuellement à des années de cette ère peu connue. M. Zumpt veut
bien louer l'exactitude de ce petit travail. Comme nous en sommes au-
jourd'hui un peu moins satisfaits que lui, nous prions qu'on nous
permette de le reproduire ici corrigé et complété en plusieurs points
qui ne manquent pas d'importance.
ex reliquiis graecae interprétations restituit Jo. Franzius, commentario perpetuo
instruxit A. W. Zumpt, Berlin, 1845, in-4°. — De Lavinio et Laurentibus La-
vinalibus, 1845. in-4°— De Ciceronis ad Brutum etBrutiad Ciceronem epistolis
quœ vulgo feruntur. Berlin , 1845. in-4°, etc.
638
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ANS
SB ROME.
ANS
de l'ère chré-
tienne.
s. S
AVANT J. G.
1 *
32
7—6
\
6-5
2
3—2
5
2—1
6
1—1
7
Ê INSCRIPTIONS CORRESPONDANTES.
746—747
747—748
750—751
751—752
752—753
756—757
763—764
764—765
776-777
795—796
797—798
837—838
845—846
849—850
851—852
852—853
861—862
Apres J. C,
4—5
11
11—12
18
12—13
19
24-25
31
43—44
50
45—46
52
85-86
92
93—94
100
97—98
104
99—100
106
100—101
107
109—110
116
Orelli, n<s 1386, 1658 , 1659, 3220. Fabr. p. 487,
n<> 170. Vise. M. P. C. IV, p. 93 (*).
Orelli, n° 1388, sans indication de consuls.
Gruter, 54, 1, sans indication de consuls. Gruter,
106 , 7 consuls de 751, sans indication d'ère.
Gruter, 36, 7, sans indication de consuls.
Orelli, n° 2425; consuls de 753, sans indic. d'ère.
Orelli, n° 1530, sans indication de consuls. Fabr.,
p. 528 , n° 379, sans indication de consuls.
Orelli, n° 18, consuls de 764, avec indication de
l'année xvni.
Orelli, n° 1530, sans indication de consuls.
Orelli, n° 1574, sans indication de consuls.
Orelli, n° 13S7, sans indication de consuls.
Orelli, n° 1436, sans indication de consuls (**).
Gruter, 106, 6 ; consulat de Doraitien et année de
l'ère ; la lre indication demande correction.
Donius , II , 5 ; consuls de 846 , et année de l'ère,
mais mutilée.
Donius , 1, 137 ; consulat de 850 et année de l'ère,
mais à restituer, si cette inscription n'est pas
la même que celle de M. Gruter, 128 , 3.
Orelli , n° 782, en conservant le chiffre evi que
M. Borghesi a lu sur la pierre même.
Inscription publiée par M. Sarti et communiquée
par M. Borghesi, consuls et année de l'ère indi-
qués ; et Orelli , n° 782 , en corrigeant cvn pour
evi, ce qui paraît exigé par les noms des con-
suls que porte cette inscription.
Fabretti, p. 103, n° 241, où il faut lire cxvi au lieu
de cxxi , selon la conjecture de M. Borghesi.
(*) Par une coïncidence assez singulière, cette année initiale de l'ère des magistri vi-
corum se trouve être celle même de l'ère chrétienne , selon les calculs de plusieurs
habiles chronologistes. Voyez E. W. Fischer, Rœmische Zeittafeln von Rom's Griind-
ung bis auf Angusius' Tod. Altona, 1846, 4°, p. 418.
('•) Ni de lieu; c'est donc par conjecture, mais par une conjecture très-vraisemblable
que je la rapporte aux magistri de Borne.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 639
4° M. Zumpt pense encore volontiers avec nous que les magistri
çicorum entraient en charge au mois d août ; c'est ce qu'indique assez
clairement un passage des Fastes d'Ovide. Mais il n'accepte pas l'in-
duction que nous avons tirée de ce fait, relativement à la formule qui
primi Kalendis augustis magisterium ou ministerium inierunt, lorsque
nous rapportions les monuments où elle se trouve à des magistrats
de l'année de l'installation 746-747. Ces monuments se réduisent à
quatre , dont nous donnerons le texte :
LARIB. AVG
MINISTRI
QVI. K. AVG. PRIMI. INIERVNT
ANTIGONVS. M. 1VNI. EROTIS
ANTEROS. D. POBLICI. BARNAE
EROS. A. POBLICI. DAMAE
IVCVNDVS. M. PLOTIAM. EROTIS
(Dans l'île du Tibre. Fabretti, p. 465,
n0s96, 97. Orelli,n°1658.)
MERCVRI?] 0. AVGVSTO. SACRVM. MAG. VICI
QVI. KAL.] AVG. PRIMI. MAGISTER. INIERVNT
N. LVCIVS. N. L. HERMEROS
L. SVTORIVS. L. L. ANTIOCHVS
Q. CLODIVS. Q. Q. L. NICANOR
(Fabretti, p. 487, n° 170 et 171. Un peu moins
complète dans Donius, I, 96.)
L]ARIBVS. AVGVSTIS. G[ENIO QVE. CAESARIS. AVGVSTI. SA]CRVM
Q. RVBRIVS. SP. F. L. AVFIDIVS... CN [Ll]CINlv[s
COL. POLLIO FELIX [ph]ïLEROS
MAGl]STRI. QVI. K. AVGVSTIS. PRIMI. MAG[lST. INIE]rVNT
(Marini, dans Visconti, Museo Pio Clem., IV, p. 93.
Cf. OrelIi,n08 1659, 3220.)
FORTVNAE. AVGVST
SACRVM
Q. AVILLIVS. ADAEVS
MAGISTER. VICI
QVI. K. AVGVSTIS. PRIMVS
MAGISTERIVM. INIT.
(Gruter, 40, 14. Complété à l'aide d'une autre leçon
de la même inscription, p. 74 , n° 2.)
640 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
A l'égard de cette formule, M. Zumpt pense que, de même que
pour les consuls et autres magistrats de premier ordre, c'était un
honneur d'être nommé (renuntiari) le premier d'un collège , de même
parmi les magislri vicorum, le premier désigné s'honorait sans doute
de cette distinction (p. 7, note 1 ). Nous lui répondrons d'abord par
le témoignage d'une autorité qu'il ne récusera pas (1), celle du comte
Borghesi. Dans une lettre qu'il voulut bien nous écrire , à l'occasion
de nos recherches sur les Augustales (2) , l'illustre antiquaire nous
communiquait les observations suivantes que nous croyons devoir
reproduire dans leur intégrité , parce qu'elles établissent à la fois
et le point initial de l'ère des magislri vicorum et le vrai sens de la
formule en question :
« Ces observations me sont suggérées par un monument
« nouveau et parfaitement authentique , que vous n'avez point con-
« nu : il a été trouvé à Rome, et publié par le professeur Sarti dans
« son Appendice In Dionysii opus de Cryptis Vaticanis, p. 62. Vous
« avez dit que les vicomagislri avaient aussi leurs fastes et leur al-
« bum, et c'est précisément un fragment de ces fastes , en compre-
« nant quatre années dont je ne transcrirai qu'une seule, les
« débris des trois autres étant trop minimes pour qu'on en puisse
a rien tirer :
IMP. NERVA. TRAJANO. CA
ESARE. AVG. GER. III. SEX. IVLIO
FRONTINO. III. COS. MAGISTRl
ANNI CVli
M. OPTICIVS. HELPISTVS
....... AGATHOPVS
VS. HERMES
HERMOLAVS
(( or, du rapprochement de cette pierre avec celle d'Orelli , n° 18, je
« crois qu'il ressort d'importantes conséquences :
germanico. caesare
c. fonteio. [cap]ltone. cos
k[al. i]an.
(1) M. Zumpt, Dissert, citée, p. 53, s'exprime en ces termes sur M. Borghesi :« Vire-
« longe omnium in hoc génère litterarum peritissimo, quem et populares sui tanquam
« oraculum aliquod consulere soient, et nos merito Yeneramur. »
(5) En date du 26 Janvier 1845.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 641
SIEIAE. (sic) FORTVNAE. AVG
SACR
SEX. FONTEIVS. 3. L. TROPHIMVS
CN. POMPEIVS. CN. L. NICEPHOR
MAG. VICI. SANDALIARI. REG
TIII. ANNI. XVIII
D. D
<( Si l'ère des magistri vicorum s'ouvrait avec l'année 746 (l), leur
« année xvme aurait dû commencer avec le 1er janvier et finir avec
«le 31 décembre de l'an 763, à quoi s'oppose l'inscription citée
« d'Orelli qui rattache ladite année xvme aux calendes de 764.
« Vice versa, si on abaisse d'un an le point initial de cette ère, et
« qu'on le transporte au commencement de 747, on verra que leur
« année cvn* aurait dû commencer au 1er janvier de 853 , à quoi
« s'oppose le nouveau monument produit ci-dessus, parce que ce jour
« là était déjà expiré le troisième consulat de Trajan et de Frontin que
« chacun sait avoir occupé l'an 852. Il est donc évident que l'ère des
« magistri vicorum, comptait réellement de l'an 746 , mais d'un autre
« jour que celui où commençait l'année civile. Cela étant , il me
« semble qu'aucun jour n'avait plus de droit à cette distinction que
« le 1er du mois d'août, mois qui était précisément consacré à Au-
« guste , l'auteur de ladite institution. On se rappelera qu'il existe
« au moins six marbres (2) mentionnant des mag. vie. q. k. avg.
« primi. magisterivm iniervnt. Or, si Ces magistri entrèrent en
« charge pour la première fois aux calendes d'août , rien ne leur
« était plus naturel que d'attacher à ce jour l'ouverture de leur ère.
« Si, maintenant, c'est de ce jour, en 763, que commençait leur
« xvme année, elle comprenait aussi les calendes de janvier 764;
« et si c'est du même jour en 852 que commençait leur cvne an-
ce née, il reste vrai qu'elle comprenait cinq mois du consulat de
ce Trajan et de Frontin. On en peut dire autant de la pierre d'Orelli,
« n° 782, que j'ai vue, et qui, étant écornée, ne montre plus que
« le chiffre evi ; on ne peut douter que ce chiffre ait perdu une
(1) M. le comte Borghesi a suivi dans ses calculs l'ère de Vairon. Je prends
ici, en le traduisant, la liberté de ramener tous ses chiffres à l'ère des Fastes Capi-
tolins , que j'avais constamment suivie dans mes recherches sur Auguste et les
Augustales.
(2) En rapprochant les citations que me fournissait ici le savant archéologue et
celles que j'avais moi-même recueillies , je ne trouve, tout compte fait, que les quatre
monuments dont on vient de voir le texte.
642 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
« unité , puisqu'il y est question de la quatrième iribunilia poteslas
« de Trajan :
LAR1BVS. AVGVSTI9. ET. GENIS. CAESARVM
IMP. CAESARI. MVI. NERVAE. FILIO. NERVAI (sic) TRAIANO. AVG
GERM. PONTIFICI. MAXIMO. TRIB. POT. IIII. COS. III. DESIG. IIII
PERMISSV. C. CASSI. INTERAMNANI. P1SIBANI. PRISCI. PRAETORIS
AEDICVLAM. REGIONIS. XIIII. VICI. CENSORI. MAGISTRI. ANNI. CVI
VETVSTATE. DILAPSAM. IMPENSA. SVA. RESTITVERVNT. IDEM. PR
PROBAVIT.
L. ROSCIO. AELIANO
ti. clavdio. sacerdotae (sic) cos (an de R. 852)
h. CERCENIVS. L. LIB. HERMES. M. LIVIVS. D. LIB. EVARISTVS
DEDICATA
un. k. ian varias (29 décembre.)
« Car depuis les changements que les nouveaux diplômes publiés par
« M. Arneth (l), ont forcé de faire au calcul des puissances tribuni-
« tiennes de ce prince, à partir de la mort de Nerva , cette quatrième
«puissance tribunitienne ayant commencé au 27 janvier 852, le
ce 29 décembre de cette année, l'année courante des magistri vicorum
<( était la cvne. D'après les mêmes règles, les cinq derniers mois du
« second consulat de Trajan se rattachent bien à l'an cve qu'on
« trouve dans l'inscription de Gruter, p. 128, 3. Le même accord
« n'existerait pas dans l'inscription de Fabretti, p. 103, n° 241,
« qu'il a lui-même jugée incorrecte, et où l'an cxxi des magistri
« se trouve uni à la xme puissance tribunitienne de Trajan , com-
te mençant au 27 janvier 861 ; mais il est facile de s'apercevoir que,
« soit par la faute du graveur, soit par celle du copiste, un v a été
« changé en un x. En lisant cxvi on remet ce monument en pleine
« concordance avec les autres. Le seul texte qui reste en désaccord
« avec ces résultats est un fragment du temps de Domitien donné par
« Gruter, p. 106, 6, et conservé aujourd'hui au musée de Vérone
« (Maffei,p. 107, l). Mais avant de prendre en sérieuse considération
« cette discordance, il faudrait vérifier si on a bien lu sur le monument
« cos. ix. desig. x. p. p. au lieu de cos. xi. desig. xii. Quoi qu'il
ce en soit, cette dissidence ne suffit pas pour ébranler une théorie
« déjà établie sur d'assez solides fondements. »
(i) Zwœlfrœmische militœr-Diplomcn. Vienne, 1843, in-4°.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 643
Après une discussion si nette et si concluante , nous n'avons plus
qu'une remarque à faire sur l'opinion de M. Zumpt concernant la
formule en question : le savant philologue ne remarque pas que pour
les consuls et autres magistrats de première classe, il s'agit d'un
ordre de proclamation et non d'un ordre d'entrée en fonctions. Les
consuls entraient tous deux en fonctions le même jour, les préteurs
aussi, et les édiles; mais ils n'étaient pas élus tous au même tour
du scrutin, ni proclamés sur le même rang après l'élection. Voilà pour-
quoi c'était un honneur d'être élu et proclamé le premier. Il n'en
était pas de même des magistri vicorum choisis dans le peuple par
l'autorité supérieure. Primi iniervnt ne peut donc marquer que leur
entrée en charge avant d'autres collègues. Mais quels collègues?
ceux des années suivantes , selon notre première opinion, confirmée
par M. Borghesi ; ou si l'on veut revenir à une seconde conjecture que
nous avions aussi proposée , en admettant que les quatre magistri se
partageassent en deux collegia , un pour chaque semestre de l'année,
les primi seraient ceux qui exerçaient leurs fonctions dans le premier
semestre de l'année particulière aux magistri, c'est-à-dire dans le
semestre commençant aux kalendes d'août. Alors les quatre inscrip-
tions ci-dessus transcrites, au lieu d'appartenir toutes à l'an de
Rome 746-747, pourraient appartenir à toute autre année des trois
premiers siècles de l'empire. Mais à quoi bon tant de conjectures
quand on a sous la main une explication si naturelle , quand il est
si facile de concevoir que, sur deux cent soixante-cinq vici> organisés
en 746-747, et par conséquent sur autant de dédicaces des édicules
consacrées alors aux dieux Lares, il nous soit parvenu quatre ou
cinq inscriptions en partie mutilées?
5° M. Zumpt reconnaît aussi comme nous qu'à l'imitation de
Rome le culte des dieux Lares était répandu dans les provinces.
Mais nous croyons que dans les provinces, ainsi qu'à Rome, ce sacer-
doce était joint à l'exercice d'une charge municipale; avec M. Orelli,
avec M. Aldini, nous pensons que les prêtres provinciaux des dieux
Lares augusli sont devenus peu à peu la corporation puissante des
Augustales, véritable chevalerie, intermédiaire, dans les municipes
et les colonies, entre le peuple et les décurions. Ici commence le débat.
Selon M. Zumpt, on n'a pas apporté une seule preuve à l'appui de
cette origine des Augustales ; au contraire elle est sujette à de graves
objections. Voyons d'abord si l'on n'a apporté aucune preuve de l'af-
finité originelle des magistri vicorum et des Augustales.
S'il s'agit de témoignages historiques, il est vrai qu'aucun historien
644 REVUE ARCHÉOLOGIQUE,
grec ou latin ne nous a rien laissé sur ce point ; on lit seulement
dans les scoliastes d'Horace, à l'occasion de ces deux vers (Sa-
lir. II, 3, v. 281):
Liberlinus erat qui circum compila siccus
Lautis mane senex manibus currebat.
« Ab Augusto enim Lares , id est dii domestici , in compitis positi
« sunt^ex libertinis sacerdotes dati, qui Augustales sunt appellati. »
(Porphyrion.) — « Jusseratenim Augustus in compitis deos Pénates
« constitui , ut studiosius colorentur. Erant autem libertini sacer-
« dotes qui Augustales dicuntur. » (Acron). Il est vrai que les
faits contenus dans ces deux scholies ne peuvent se rapporter au sens
des deux vers d'Horace , écrits bien avant la réforme municipale et
religieuse de l'an 746; il est vrai que les quarteniers de Rome ne
s'appelaient pas Augustales , mais seulement magistri vicorum ; que
ce ne fut pas de la part d'Auguste une création toute nouvelle, mais
plutôt la restauration d'un ancien culte. Mais ce ne sont pas là des
raisons pour dénier toute autorité à ces deux témoignages, confirmés
d'ailleurs, dans leur partie essentielle, par les monuments! Pour-
quoi Acron et Porphyrion n'auraient-il pas confondu les magistri
Larum augustorum de la métropole avec les Augustales de la pro-
vince , à cause même de la similitude de leurs fonctions?
Quant aux témoignages des monuments , nous avons cité d'abord
cette inscription qui appartient à une ville du pays des Falisques :
HONORIS
1MP. CAESARIS. DIVI. F
AVGVSTI. PONT. MAXIM
- PATR. PATRIAE. ET. MVNICIP
MAGISTRI AVGVSTALES
C. EGNATIVS. M. L, GLYCO
C. EGNATIVS. CL. MVSICVS
C. IVLIVS. CAESAR. L. ISOCHRYSVS
Q. FLORONIVS. Q. L. PRINCEPS
VIAM. AVGVSTAM. AB. VIA
ANNIA. EXTRA. PORTAM. AD
CERERIS. SILICE. STERNENDAM
CVRARVNT. PECVNIA. SVA
PRO. LVDIS.
(Gruter, p. 149, 5. Orelli, n° 3310.)
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 645
L'on y remarquera: 1° la date, évidemment comprise entre 750,
année où Auguste fut proclamé père delà patrie, et 766, année de
sa mort ; 2° la mention d'un affranchi des Césars , le troisième ici
sur la liste; 3° l'expression pro ludis, qui prouve que légalement les
magistri nommés sur ce marhre devaient donner des jeux , et qui
rappelle deux vers de Calpurnius (Ecloga, IV, 125) :
Ut quoque turba bono plaudat saginata magistro
Qui facit egregios ad peryia compila ludos ;
et ce curieux témoignage d'Asconius , notoirement relatif aux
usages de l'ancienne Rome , abolis pendant les troubles politiques ,
mais restaurés par Auguste : Solebant magistri collegiorum ludos
facere , sicut magistri vicorum faciebanl compitalicios prœteœtati ,
qui sublatis collegiis discussi surit, (In Pisonianam, p. 7, éd. Baiter,
dans le Cicéron de M. Orelli.) On sait en effet que c'est dans les
compila que se trouvaient les édicules des Lares et que se célé-
braient les compitalia en l'honneur de ces dieux, d'où l'expression
Lares compitales dans un monument de Mayence. (Orelli , n° 1664,
Cf. 1654.)
Nous avons cité cette inscription de Vérone , qui est de l'an 752 :
MAGISTRI
M. LICINIVS. M. F. PVSILI0
SEX. VIPSANIVS. M. F. CLEMENS
Q. CASSIVS. C. F. NIGER
MINISTRI
BLANDVS. C. AFINI. ASCLAE. SER
MVRRANVS. P. CLODI. TVRPIONIS. SER
AVCTVS. M. FABRICI. HILARI. SER
COMPITVM. REFECERVNT. TECTVM
PARIETES. ALLEVARVNT. VALVAS
LIMEN. DE. SVA. PECVNIA. LARIBVS. DANT
COSSO. CORNELIO. LENTVLO. L. (?). PISONE
AVGVRE. COS.
(Gruter, 107,1.)
où l'on ne peut méconnaître les magistri Lamm compitalium et les
charges attachées à leur sacerdoce.
Nous avons cité deux inscriptions qui prennent surtout de la va-
in. ■ *2
646 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
leur par leur rapprochement avec les deux précédentes. L'une est
celle de Bologne :
APOLLIN1. GENIOQVE. AVGVST1. C A ES AU 15
L. APVSVLENVS. L. L. EROS. MAGISTER
PVTEVM. PVTEAL. LAVRVS
SACRVM. I). S. P.
(Orelli, n° 1435.)
et l'autre, celle d'Osimo dans le Picenum (Donius, V, 80) , où l'on
voit un C. Octavius Aug. Ub. (donc, selon toute apparence, avant
la mort d'Auguste) faire distribuer des sommes d'argent aux décu-
rions, aux colons et à un troisième corps, désigné par l'abréviation
avg. , qui ne peut être que les Augustales.
Enfin nous avions .cité dans un autre passage de notre mémoire
l'inscription de Pérouse que M, Zumpt a aussi reproduite , et qui
est de l'an de Rome 753 :
C. CAESARE. AVG. F. L. PAVLO. COS
LARES AVGVSTOS
Q. >YM1S1VS. Q. L. LECTO
L. SAFIMVS. L. L. HILARVS
SODALIS. C MODI. CÏMBR1. SER
AESCHINVS. OCTAVI. M. (sic) SER
MAGÏSTR. DE SVO. F. C.
(Orelli, n° 2425.)
Nous avions renvoyé aussi à une inscription deSantiponce *
C. 3IARCIVS. APILVS
MAGISTER. LARVM
AVGVSÏOR. ET. GENI
CAESARIS. AVGVST
HIC. S1TVS. EST. ÏN. F. P. XX. IN. AG. P. XX.
(Orelli, n° 1661.)
Si maintenant nous voulons dépasser la limite chronologique de la
mort d'Auguste (l), nous trouvons de nouvelles preuves de l'affinité
(1) Je n'ai pas mentionné dans cette première série de documents l'inscription
d'Orelli, n° 1386, qui nous donne une dédicace à Slala mater, la mère des Dieux
Lares, par un magisler vici, l'an de Rome 747, parce que ce monument, aujour-
d'hui conservé à Florence, me paraît originaire de Rome même. Aussi l'ai-je indiqué,
dans la liste ci-dessus, parmi ceux qui se rapportent à l'année initiale des magistri'
vicorum.—Je ne m'autorise pas non plus d'un MIN. AVG. qui se trouva a Pompei
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTÀLES. 647
des Âugustales de province avec les magislri de Rome. On peut citer
un ingénu et un affranchi avec le titre de seviu. mag. larvm. avg.
à Tarracone. (Orelli, n° 2424. Cf. Gruter, 406 , 4 ; 432, 5 ; 462, 5.
Masdeu, Hist. crit. de Esp., t. VI, n° 801-806.)
Un affranchi mag. avg. à Hadria. (Orelli, n* 3018. Cf. Reine-
sius, p. 185, n° 168; Gruter, 452, 3.)
Un affranchi (?) vivir. magister. avgvstalis à Parentium en
Histrie. (Orelli, n° 3956. Cf. Muratori, 194, 3, répété 677, 3;
Donati , 261 , 3 ; Zumpt, de Augustàlibus , p. 50, 51.)
Un ingénu (?) larvm avg. magister à Antequera , en Espagne.
(Gruter, 1068,8.)
On trouve parmi 'les inscriptions de Venuse(l) cette dédicace
encore plus significative :
LAR1BVS. AVG
G. AVITTIVS
EPAPHRODITVS
MAG. AVG.
(Orelli, n° 1660.)
En troisième lieu , on peut remarquer que, si à Rome presque tous
les monuments des magislri vicorum sont des dédicaces, soit aux Lares
augusd, soit à quelque autre divinité dont le nom est décoré de la
même épithète, de même, dans les provinces, les Augustales figurent
très-souvent dans des dédicaces à quelque dieu avgvstvs ou à
quelque déesse avgvsta. Par exemple :
victoriae. avgvstae, dans deux villes d'Espagne (Céan-Bermu-
dez , Sumario de las Anligiiedades romanas en Espafia. Madrid, 1 832,
p. 147, 230. Cf. Gruter, 1075, 7).
marti. avgvsto, à Antequera (Masdeu, 1. c, n° 805 ).
nymphis. et. viribvs. avgvstis (Pietro de Lama, Isçr. Ant.
collocate ne mûri délia scala Famese. Parme , 1818, n° xxi).
nvmini. avg. (id. ibid., n° ix).
ayant la mort d'Auguste (B. Guarini, Fasli Duumvirali ed Annali délia Colonia
di Pompci, Naples, 1842, p. 58), parce que ce pouvait être un minister Fer-
lunaeAuguslac, déesse dont le culte fut précisément institué à Pompeï sous le règne
d'Auguste. V. Orelli, n0S24G5, 246G, 40H , et l'ouvrage cité de M Guarini, passim.
(1) 11 n'est pas inutile de noter que si les premières inscriptions de cetle liste ap-
partiennent à des villes d'Espagne , et peuvent par là même exciter quelques soup-
çons, le reste appartient à d'autres localités. Il nous semble d'ailleurs qu'à l'égard
des inscriptions espagnoles, le scepticisme a été poussé un peu trop loin, ou , du
moins, appliqué sans règles précises.
648 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
silvano. avg. à Aquilée (Labus, de la Certitude de la science des
Antiquités, p. 56. Cf. Gruter, 64 , 1).
tvtelae. avg. à Decursa (Esp. cit. Gruter, 104, 11).
volkano. avg. à Brescia (Gruter, 356, 3).
mercvrio. avg. à Narona en Dalmatie (Donati, 27, 2. Cf.
Borghesi, Bolletino deïï Inslit. di Corresp. archeol. 1842, p. 101
et suiv. ).
minervae. avgvst. près de Brescia (Donati, 30, 1 ).
apollini. avg. à Sassina (?) (Fabretti, p. 409, n° 344).
satvrno. avg. à Vérone (Gruter, 25, 14).
dianae. avg. à Alba Julia (Gruter, 40, 15).
lvnae. et. isidi. avg. à Nîmes (Gruter, 42, 1).
Et d'autres qu'il serait superflu d'énumérer ici.
Enfin nous aurions pu ajouter à tout ce qui précède un rappro-
chement curieux qui nous est suggéré par M. Zumpt lui-môme.
Pétrone, le seul auteur de l'antiquité, avec les deux scholiastes d'Ho-
race, qui mentionne les Augustales, paraît indiquer que des faisceaux
étaient l'insigne principal de cette magistrature : « In postibus tri-
« clinii fasces erant cum securibus fixi, quorum imam partem quasi
« embolum navisseneum finiebat, in quo erat scriptum : c. pompeio.
« TRIMALCHIONI. VIVIRO. AVGVSTALI. CINNAMVS. DISPENSATOR. »
Or, Dion Cassius , dans le précieux témoignage qu'il nous a laissé
sur l'organisation des vici par Auguste , dit positivement que les ma-
gislri vicorum avaient le droit de porter la prétexte et d'avoir des
faisceaux dans la circonscription de leurs quartiers respectifs (1).
Voilà, ce nous semble, sinon des preuves directes et péremptoires,
au moins beaucoup de vraisemblances en faveur de l'opinion qui rat-
tache les Augustales aux magistri vicorum, et l'on s'est trop hâté de
la déclarer une opinion purement arbitraire (2). Il nous reste main-
tenant à examiner : 1 ° les difficultés que cette opinion rencontre ;
2° l'hypothèse que M. Zumpt croit devoir y substituer. Ce sera l'objet
d'un second article.
E. Egger.
(1) Pétrone , Satyricon , c. 30, cf. 66 , et Zumpt, p. 73 ; Dion Cassius , LV, 8.
(2) Dissertation citée, p. 10 : « Statuithoc nulloprorsus documenta addilo, ac
ne illud quidem scholiastarum horatianorum testimonium urgct , quod et parum
per se accuratum, et aliter iRtelligendum esse docuimus» Ita, cum nulla sit ratio
qua il la de origine Augustalium opinio defendatur.... — Cura Orellii Eggerique
sententia nonmodo nulla ralione ac ne levissimo quidem scholianlarum horatia-
norum testimonio nitatur, sed ctiam, etc »
LETTRE A M. DE SAULCY
SUR
QUELQUES ANTIQUITES EGYPTIENNES
ET SUR LE BOEUF APIS.
Monsieur ,
Nous avons causé quelquefois ensemble d'Antiquités égyptiennes,
et il m'a paru que vous n'aviez pas vu sans intérêt les quelques
débris que j'ai réunis du fruit de mes petites économies pendant les
dernières années que j'ai passées au Caire. C'était pour moi un amu-
sement attachant par lequel j'occupais mes loisirs et qui m'a conduit
tout naturellement à étudier un peu les mythes et les divinités nom-
breuses dont se composait la théodicée si multiple des anciens hié-
rophantes du Nil , les dieux du ciel , les dieux de la terre et les dieux
de l'Amenthi , tous pauvres dieux dont l'existence est finie depuis
longtemps et qui reposent aujourd'hui bien tranquillement dans les
hypogées et les tombeaux, les temples, les grottes où repose aussi
l'ancienne Egypte.
Vous me parliez encore de ce que valaient , comme prix d'achat ,
ces vieux restes souvent rouilles ou mutilés , restes de dieux, de
rois, de prêtres, figurines, animaux, scarabées, décors, parures;
par suite nous vînmes à parler des falsifications et adultérations que
l'avidité curieuse et mal éclairée des voyageurs en Egypte, avait
donné l'idée de faire aux Égyptiens actuels, et c'est de cela que je
veux principalement vous entretenir dans cette lettre toute simple ,
qui peut-être au moins servira à mettre en défiance les curieux
ouïes amateurs qui, chaque année, dans la saison d'hiver, vont
visiter les souvenirs de \à vallée pharaonienne du Nil. Touristes ou
Voyageurs, tous veulent avoir à rapporter d'Egypte quelques frag-
ments qui, en Europe, dans leur ville, témoignent de leur course
sur la terre d'Egypte, de leur venue chez ce peuple qui a dres.^'-
les pyramides et cru à une si longue vie dans la postérité,
650 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Il n'y a guère que trois ou quatre ans que l'on fabrique en assez
grand nombre de fausses antiquités. Avant ce temps on se procurait
des antiquités vraies et antiques , à un prix très-modéré. Mais depuis
que le nombre des Voyageurs a augmenté, les restes pharaoniens,
les moindres brimborions, les plus vulgaires débris sont devenus d'une
cherté exagérée; bon, mauvais, tout est cher. Depuis 1843 sur-
tout, un grand nombre de Voyageurs, de Touristes, plus ou moins
aptes à voir ce qu'ils venaient voir, sont tombés comme des nuées de
sauterelles sur et dans les catacombes, les hypogées, les grottes, et
se sont jetés sur tout ce que les Arabes ou les fouilleurs européens
autorisés par le Pacha , exhumaient de reliques des Pharaons. Ces
messieurs, ardents coureurs, ne regardaient à aucun prix; il leur
fallait des statuettes, des scarabées, des anneaux, des vases, des
dieux, des diables en pierre, ou bois, ou cuivre, ou or, ou toute ma-
tière possible, et ils achetaient et achetaient ; l'œuvre était toujours
bonne, materiam saper abat opus, pourvu que cela parlât de l'Egypte
ancienne. Un ventre de Typhon, un poupon d'Isis , un museau
d'Anubis , une crinière de Pashte , une babine d'Apis , que sais-je
encore? tout cela se vendait à outrance et s'achetait sans marchan-
der. Les Touristes anglais surtout ont tout gâté ; ils mettaient à
l'enchère , et un morceau d'Apis avait pour eux un fumet alléchant ,
qu'ils eussent payé trois fois plus que n'en demandait le vendeur.
L'espèce de vanité que ces messieurs mettent à semer des guinées sur
tous les chemins par où ils passent, attise partout la cupidité , et tout
est gâté.
Comment fallait-il faire , bon Dieu! pour fournir des antiquités à
tant d'amateurs, de demandeurs , de curieux? comment trouver des
divinités , des statuettes , des scarabées ? comment en trouver quand
on n'en a pas? on en cherche , ou l'ou en fabrique. On en fabriqua;
ce fut le chemin le plus court. Et le Voyageur ou le Touriste qui ne
fut pas assez connaisseur pour éviter le piège ou la fraude, fut à
chaque moment exposé à être la dupe de l'apparente simplicité des
Arabes, ou de l'adroite malice de deux ou trois Européens qui aussi,
et plus habilement que les Arabes , façonnent, taillent des antiquités
qui, bien qu'âgées de quelques jours, sont cotées à quelques deux
ou trois mille ans de vétusté et à quelque cinq francs de cherté. Car
en tout et partout c'est la foi qui sauve. Le moyen de croire qu'une
statuette bien brunie de cette couleur brune qui sent, à l'œil et à
l'odorat, le pharaon et l'asphalte, n'est pas de quelque bon et véritable
hypogée? Le diable lui-même, qui est bien fin, s'y laisserait peut-
ANTIQUITES EGYPTIENNES. 651
être tromper, s'il n'était pas , comme le disent les Musulmans , pour
beaucoup dans ces maçâkhyt ou lithomorphoses? Car sachez bien que
toutes ces figurines en pierre ou bois sont des Coptes qui ont jadis
vécu comme vous et moi eu chair et en os , et qui , pour leurs pé-
chés, pour leur incrédulité obstinée, ont été bien et dûment trans-
mutés en pierre et bois, lesquels ont gardé les traits rapetisses ,
mais toujours humains, de ces incorrigibles hommes, de ces indi-
vidus réfractaires aux paroles d'Abraham, de Jacob, de Joseph et de
Moïse dont les voix prophétiques n'ont pu avoir prise et effet sur
ces intelligences. Des masses de ce peuple égyptien de jadis ont été
ainsi et à cause de cela métamorphosées, et aujourd'hui on les
trouve par paniers pleins , par sarcophages. Des gens , simples qu'ils
sont ! s'imaginent peut-être que l'histoire de Battus, de Daphné, etc.,
n'avait eu lieu qu'en Grèce, chez les polythéistes de l'Hellade, de
l'Ionie et autres ; erreur! Voyez plutôt dans les restes de la vieille
Egypte ; des milliers de milliers de statuettes, de figurines ; bêtes et
gens ont été métamorphosés dans la Thébaïde et la Mestrée. Fort
heureusement! car alors il y en a pour tout le monde, pour tous
ceux qui en veulent; il ne s'agit que de chercher, de fouiller. Rien
que dans l'espace qui va de Gyzeh à Sakkâra, il y en a certainement
bien plus qu'il n'est possible de trouver de truffes dans tout lePérn
gord et la banlieue. Mais aussi que l'on se donne la peine de cher-
cher et de fouiller, et que l'on ne vous trompe pas.
Qui sait même, et on pourrait presque en répondre, qui sait si
autour, aux environs du beau colosse de Sésostris, qui là-bas sur le
sol de l'antique Memphis gît depuis tant d'années déjà , la face dans
la boue, dans un ignoble fossé inondé durant quatre mois de l'année,
qui sait s'il n'y a pas un autre beau fragment de cette sculpture an-
tique , magnifique pendant de ce magnifique Sésostris qui devait ,
majestueuse cariatide, être enchâssée et cimentée par son dos brut
et fruste, à la porte d'un temple? Qui sait si autour et aux environs
il n'y a pas des statues et des figures de toute grandeur, depuis la
mince et courte figurine jusqu'aux proportions des figures et statues
gigantesques?
Le malheur pour les découvertes qu'on pourrait faire, c'est qu'il
n'y a que deux individus au Caire qui aient reçu du Pacha d'Egypte
l'autorisation écrite de faire des fouilles ; et d'autre part, il est dé-
fendu d'exporter hors d'Egypte toute espèce d'antiquité. Néanmoins
une permission du pacha lève cet embargo, et ordinairement ce n'est
guère qu'aux consuls qu'est accordée cette permission soit pour eux,
652 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
soit pour des voyageurs. Il y a donc licence à deux individus d'ex-
ploiter, de fouiller, et il y a défense d'exporter; contradiction singu-
lière qui a pour but d'empêcher une trop grande soustraction d'an-
tiquités , et surtout la mutilation et la dégradation des monuments
anciens et des grandes pièces que l'on pourrait découvrir ; mais en
réalité à quoi sert cette mesure? Quel avantage y a-t-il à laisser tout
ce passé dormir inaperçu sous le sol? Il vaudrait mieux, ce semble,
laisser les fouilles libres , les faire surveiller pour prévenir les dé-
gâts, et être utile à la science. Encore si avec cette défense, le Pacha
faisait recueillir pour construire et enrichir un musée d'antiques, s'il
pensait à réunir un panorama de tout ce que l'ancienne Pharaonie a
produit, à exhumer ces âges si vieux pour les offrir aux regards et
aux investigations des curieux et des savants ! Mais non , l'Egypte
nouvelle ne se soucie nullement de l'Egypte antique. L'islamisme a
si peur des statues et des idoles ! On défend donc de chercher et on
ne laisse pas les autres chercher. Si le Pacha le voulait, on aurait au
Caire, avant trois ou quatre ans, la plus riche, la plus magnifique ,
la plus scientifique galerie du monde, et cela presque sans frais. On
irait en Egypte ne fût-ce que pour voir les trésors pharaoniens et les
sciences hermétiques dans un temple de notre siècle. Que 1 Egypte
devienne jamais possession européenne , et le monument sera, il le
faut espérer , bientôt inauguré et rempli. L'olympe égyptien , les
restes des sciences hiérophantiques, seront arrachés de dessous terre,
l'Egypte morte de longtemps se remontrera aux vivants étonnés. Ce
pauvre Sésostris sera retiré de son trou et fera reparaître debout sa
face admirable. Mais si ce temps est encore loin , il n'y aura donc pas
un homme qui demandera au Pacha à faire transplanter en France
le Grand Roi, fils d'Aménophis?
En attendant , on fabrique en Egypte , des statuettes , des figu-
rines, des scarabées, pour tromper ces bons Voyageurs qui en dé-
sirent. 11 est vrai que cette fabrication est contraire à la religion
musulmane; mais qu'importe? C'est pour tromper des chrétiens, et
alors c'est bénédiction.
Voici comment ces supercheries s'accomplissent, voici toute la
malice du métier qui , du reste , n'est pas chose bien merveilleuse
et ne se pratique en somme que par peu d'individus, au moins
parmi les Arabes ou Musulmans.
Pour les objets en bois, les fabricateurs d'antiquités récentes et
fraîches prennent un moyen bien simple; le premier. fait à accom-
plir, est de leur donner l'odeur et l'aspect antique. Ils prennent du
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 653
bois de sycomore, et le taillent sur un modèle qu'ils veulent imiter ;
ensuite ils le font bouillir dans une décoction de tabac, puis le
frottent de bitume en poussière, ce qui lui fait sentir la momie et
l'antique et le fait jaunir à la nuance convenable. Aussi , mon cher
monsieur, conseillez bien de n'acheter nul objet en bois qu'avec
beaucoup de sagesse et de réserve , parce qu'il est très-facile de s'y
tromper.
J'ai vu aussi faire beaucoup de statuettes en plâtre. Je l'ai vu,
vous dis-je, de mes propres yeux vu; et voici le mode d'opérer : on
fabrique une statuette en plâtre, on lui barbouille la tète de rouge,
on y mêle des raies noires pour marquer les yeux. Le devant des
jambes, depuis la poitrine, c'est-à-dire depuis l'endroit où l'on veut
et doit dessiner des hiéroglyphes , est peint en jaune , et ensuite tout
simplement avec du cirage anglais, on trace quelques à peu près
hiéroglyphiques, surtout en haut. On s'arrange de manière que
ces inscriptions qui devraient descendre jusqu'en bas, aient l'air
d'avoir été effacées par le temps , ce qui doit donner à la statuette un
extérieur antique. Mais voici le malheur : si on considère une sta-
tuette de ce genre un peu attentivement , pendant une minute , on
arrive de suite à se demander comment il se fait que les trois quarts
de l'inscription soient effacés et que la statuette et le premier groupe
hiéroglyphique soient frais. Du reste cette partie manufacturière des
antiquités , est de beaucoup en retard sur la partie industrielle des
fabrications en bois , comme vous le voyez. Mais , outre les défauts
que je viens de vous indiquer, il en est un autre non moins sail-
lant et saisissable : c'est que le relief qui semble vouloir dessiner
la place des fesses, se trouve porté beaucoup trop haut sur la colonne
vertébrale et bien au-dessus du niveau du ventre, ridicule qui ne
se rencontre pas dans les statuettes antiques. Je m'étonne qu'on
n'ait pas encore eu l'idée de fabriquer des statuettes à dossier ou
appui plat sur le dos. D'ailleurs les hiéroglyphes sont faciles à recon-
naître par leurs formes hasardées et fautives, par leur allure gauche
et mal assurée , et, surtout pour ceux qui savent les lire, par leur
sens coupé et incomplet et souvent nul. Car parfois on trace au ha-
sard un hiéroglyphe d'une statuette vraie , et un d'une autre , au
lieu de chercher toujours à copier une légende.
Il se trouve quelques statuettes qui ont des hiéroglyphes jusqu'aux
pieds , mais celles-là se vendent très-cher, parce qu'elles sont alors
très-bien conservées.
Malgré les défauts que j'ai indiqués tout à l'heure, beaucoup
654 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'acheteurs se laissent tromper dans l'acquisition des statuettes. Je
connais au Caire une personne possédant une assez belle collection
d'antiquités, et par conséquent devant avoir quelque habitude de ces
choses-là, qui a acheté au prix de quinze francs une statuette en
piètre , fausse. Il est vrai que cette statuette avait une superbe
inscription hiéroglyphique; mais* par malheur, presque tous les
groupes étaient insignifians , et la saillie du derrière était au milieu
du dos.
On prépare aussi à la môme fabrique, des scarabées prétendus
funéraires, en plâtre et sans inscriptions. L'animal est assez bien
posé; mais les formes de sa tête trahissent visiblement la supercherie
et le mensonge. Dans les scarabées antiques, la tète se continue hori-
zontalement et en droite ligne avec le corps, et les yeux sont petits
et placés de côté ; dans ceux que l'on fait, la tète tombe tout à coup ,
et présente deux gros yeux ronds et de front ; la couronne de la
tète, au lieu d'être dentelée et en avant, est ronde et rampe par terre.
J'ai acheté un de ces scarabées par curiosité et comme échantillon de
comparaison. Un jour que je reprochais à celui qui les fabrique,
de tromper ainsi les acheteurs et les amateurs, et que je lui deman-
dais quelles étaient les personnes qui pouvaient acheter de pareilles
monstruosités , il me répondit : « Les Anglais prennent tout, bon ou
mauvais; ils ne s'y connaissent pas. » Du reste je n'ai presque pas
vu de petits scarabées faux.
Les Voyageurs qui vont visiter les pyramides de Gyzeh ou de
Sakkâra sont assaillis par les Arabes qui tâchent de leur vendre de
petits objets antiques; mais ces objets sont presque toujours faux.
Toutes les fois que je suis allé visiter ou les monuments de Gyzeh
ou ceux de Sakkâra , les Arabes étaient surpris de s'entendre dire :
k Ceci est faux , cela est de la fabrique d'un tel. » Mais ils se gar-
dent bien de convenir du fait , d'accepter la vérité de l'accusation ;
ils ont toujours à donner quelques raisons qui tendent à absoudre
leur improbité.
Les Arabes taillent encore des espèces de bas-reliefs. Us prennent
une pierre calcaire, la polissent avec quelque soin et y copient,
d'une autre pierre, un sujet antique; mais ils n'y tracent que des
hiéroglyphes, et jamais des figures; n'ayant aucune habitude du
dessin, ils sentent qu'ils ne représenteraient que des monstruosités à
faire peur et qui ne se rapprocheraient en rien des formes humaines
ou animales dont ils voudraient agencer et coordonner les linéa-
ments; ils ne peuvent obtenir cette netteté de traits, cette justesse
ANTIQUITES EGYPTIENNES. 65.%
d'ensemble, ce galbe particulier et physiognomoniqne qui caractérise
les dessins et les images antiques.
Les fabricants arabes s'essayent rarement à faire de petits objets
d'antiquités, comme divinités, animaux sacrés et symboliques, etc.
Toutes ces menues figurines sont empreintes d'un caractère trop par-
ticulier et sont trop bien découpées et allurées pour être imitées par
des artistes aussi peu exercés et adroits que le sont les Arabes, tous
les Arabes , voulais-je dire.
Je doute qu'ils tentent aussi de fabriquer des pièces de bronze,
bien que ce soit peut-être pour eux l'œuvre la plus facile par le
moyen du moulage et du coulage; mais l'esprit peu inventif des
artistes arabes, si artistes arabes il y avait, Juifs, si artistes juifs il
y avait dans les juifs nés en Orient, Coptes , si artistes coptes
existaient aujourd'hui dans la Coptie ou Egypte actuelle , l'esprit peu
inventif, dis-je, du jour en la vallée du Nil, n'a pas eu encore cette
idée, ne peut pas encore s'élever jusque-là. Les quelques bronzes
faux que l'on ait , viennent de l'étranger, de Grèce principalement et
aussi d'Italie. Du reste, on ne m'en a jamais apporté. C'est d'Italie
surtout qu'on apporte en Egypte, des scarabées bien taillés, bien
imités et dans le dessin et dans la pose du coléoptère. C'est encore
d'Italie que viennent tout faits et avec la forme et la tournure an-
tiques, des pendants d'oreilles, des bagues; mais ces objets ont gé-
néralement trop de fini et de parfait.
Je n'ai vu pendant mon séjour en Egypte , c'est-à-dire depuis que
je me suis occupé d'antiquités et d'histoire égyptienne, que trois faux
scarabées en bronze. Ils étaient affreux et tous trois pareils , ce qui
est presque impossible ; je n'ai jamais rencontré deux scarabées de la
même taille , se ressemblant parfaitement par l'inscription , la ma-
tière , la grandeur et la tournure. J'eus l'envie un moment de me
donner la satisfaction d'en avoir un , mais ils étaient plus chers que
les vrais scarabées et j'y renonçai.
On vend, au Caire, un nombre considérable de fausses médailles.
Ce sont, la plupart du temps, des Juifs quf en font le trafic. Ces
médailles viennent d'Italie et d'Athènes ; mais il paraît que la fa-
brique d'Athènes est la plus productive et la plus renommée. Il
faut , et vous le savez mieux que moi , avoir un peu d'habitude et
d'expérience pour reconnaître une fausse médaille d'une vraie. Il
importe quand on achète une médaille de voir si les lettres, les traits
de la tète sont bien nets , si le coup du coin est marqué, et c'est ce
qui caractérise les bonnes médailles; car toutes les médailles fausses
656 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sont coulées , et dès lors , quoiqu'elles aient l'air d'être neuves , elles
n'ont jamais que des traits mousses, sans reliefs vifs et bien dressés.
On m'apporta un jour un sac qui contenait environ trois cents mé-
dailles, parmi lesquelles il pouvait y en avoir cinq, six et jusqu'à dix
parfaitement pareilles, même dans leurs défauts, leurs éraillures, etc.
Or il est presque impossible de trouver plus de deux ou trois mé-
dailles ou monnaies antiques qui aient cette exactitude rigoureuse de
ressemblance dans tous les moindres détails. Je regardai donc le sac
comme un sac de charlatan et ne voulus pas donner de bonne mon-
naie nouvelle pour de mauvaises monnaies anciennes. Je congédiai
le juif en lui souriant en face.
Il n'y a guère que les médailles en billon qui soient fausses. Il est
rare d'en rencontrer en or qui le soient , et encore plus rare d'en
trouver en cuivre. Dans ce cas, on vend plutôt la matière que la mé-
daille ; car bonnes ou mauvaises , dans ce qu'on me présentait, toutes
valaient soixante-quinze centimes ou trois piastres d'Egypte. Enfin
certains individus d'assez louable apparence, vantent parfois au Voya-
geur l'antiquité des monnaies qu'ils lui offrent à acheter ; c'est en-
core une autre malice dont il faut se défier. Quelquefois aussi ces
éloges de mérite d'antiquité sont allégués de bonne foi ; n'a-t-on pas
vu à Paris le haut personnage égyptien qui visita le cabinet des mé-
dailles de la Bibliothèque royale , assurer d'un air pcremptoire qu'il
avait, lui, des monnaies des quatre premiers khalifes?
Mais voici bien un autre fait sur un autre article, l'article momie :
Il y a deux ans un Anglais touriste voulut avoir une momie dé-
pouillée de toutes ses bandelettes. Un Arabe de Thèbes promit au
gentleman de lui en envoyer une. Comme il est assez difficile de se
procurer une momie parfaitement conservée telle que la désirait
l'Anglais , voici comment s'y prit mon gaillard d'Arabe : il prit le
cadavre d'un Anglais qui venait de mourir, et le fit bouillir dans du
goudron; l'Anglais qui , vivant, n'était rien moins que dodu, une
fois qu'il fut bouilli dans son brouet noir, joua admirablement le rôle
de momie ; le Touriste acheta son countryman pour une belle et
bonne momie très-antique , et il retourna en Angleterre avec son
compatriote momifié. Voyez le monde; trois mois avant, l'Anglais
sortait plein de vie de Londres , et le voilà , de retour dans sa
patrie , momifié , Pharaon antique , que sais-je encore ! Il est vrai-
ment bien dommage que les morts ne puissent pas réclamer, car je
suis intimement persuadé que ce brave squire eût revendiqué son
titre de bon et récent Anglais; mais que réclamer ou plaider étant
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 657
mort? Avisez-vous donc d'aller mourir en Egypte pour revenir, trois
mois après, momie des siècles les plus reculés ! Et l'Arabe, qu'eu dites-
vous ? Que dites-vous de l'idée qui lui vint en tête? Dut-il rire , cet
enfant de l'Islamisme? Et la ruse n'a-t-elle pas son côté plaisant?
Pour l'Anglais-momie, qu'est-il devenu? Je l'ignore; je ne l'ai jamais
su. Au moins il eut la consolation de rentrer dans sa patrie, et c'est
quelque chose.
Voilà pour une momie ; mais pour les toiles, Arabes et Juifs n'ont
jamais essayé de frauder sur cet article. La tromperie est trop difficile
pour eux. Il en est de même pour les papyrus. La contrefaçon est
impossible.
Dans toutes ces indications de malices que je vous ai exposées
jusqu'ici, je ne vous ai dit que ce que j'ai vu, excepté cependant le
dernier fait de la momie-gentleman. Je l'ai entendu raconter et l'au-
thenticité m'en a été certifiée , jurée par des personnes dignes de foi.
Passons à autre chose.
Les Arabes appellent les antiquités enlîquéh, du mot italien antica,
qu'ils ont arabisé , et ils appellent les médailles Feloûs-el-Kouffàr
(argent des infidèles , des païens). Il n'y a pas de contes ridicules qu'ils
n'aient inventés et débités sur les antiquités. Ils racontent avec la
plus parfaite persuasion , avec la plus ferme assurance , que toutes
les statuettes en pierre , en terre cuite et en bois , étaient, comme je
vous l'ai déjà fait remarquer, des hommes que Dieu , à cause de leur
incrédulité, a maudits et transformés en viles statuettes pour être
cassées dans les siècles d'ensuite par les vrais croyants , c'est-à-dire les
musulmans ; et , ajoutent-ils encore , les plus coupables de ces vieux
mécréans, de ces vieux endurcis , sont ceux qui ont été transformés
en statuettes de bois, car ça été pour être brûlés. Ce sont des idées
consacrées d'ailleurs depuis longtemps par des traditions , qui portent
les paysans égyptiens à tout abimer, casser et détruire, et puis il est
de l'essence, du devoir même du musulman de détruire tout ce
qui n'est pas lui, tout ce qu'il n'a pas fait , et il ne fait rien. Mahomet
a renversé toutes les idoles de Raabah; ses religionnaires l'imitent;
ils sont iconoclastes dans toute l'étendue du terme. Ils ne peuvent pas
voir une statue sans crier au scandale , à l'impiété.
Toutes les figurines égyptiennes antiques sont bien faites ; les ani-
maux surtout sont parfaitement bien posés ; et ce sont là les plus sail-
lants caractères qui trahissent les pièces vraies et les pièces fausses.
Mais il est assez rare de trouver des statuettes qui aient les bras dé-
tachés , et les jambes , le genou , la rotule , le mollet bien indiqués.
658
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
J'ai un petit groupe en bronze de cinq chats assis , dont voici la
figure
Celui du milieu est plus grand que tous les autres. Personne n'a
pu me donner d'indications sur ce que signifiait ce groupe.
C'est dans la basse Egypte que se trouvent les plus beaux bronzes.
Dans cette partie de l'Egypte, beaucoup plus humide et plus coupée
de canaux , et plus longtemps inondée que le reste du pays , on a dû
songer surtout à faire des bronzes ; les plâtres auraient eu trop peu
de durée. C'est à Sakkâra, qui est sur la limite du désert et sur un
lieu élevé, que se trouvent les plus beaux papyrus et les statuettes
le mieux conservées. Les plus belles momies proviennent de Thèbes.
A Sakkâra, on en trouve de fort belles aussi ; mais il est rare d'en
rencontrer là à doubles cercueils, tandis que dans la haute Egypte
on en rencontre même à triples cercueils.
Les Arabes brisent et détruisent les momies qui ne sont pas suffi-
samment bien conservées, et ils trouvent assez souvent dans l'inté-
rieur des antiquités curieuses. Quelquefois les bandelettes qui en-
veloppent la momie sont couvertes de dessins et de caractères
hiératiques. Il y a quelques années ces toiles étaient jetées comme
quelque chose de nul ; aujourd'hui elles sont rares. Je possède des
échantillons assez beaux de ces toiles.
J'ai vu extraire d'une momie une fort belle Isis en or, les ailes
étendues. Cette forme d'Isis n'est pas commune, même en bronze.
J'en ai une de ce dernier métal ; c'est la seule que j'aie rencontrée.
La personne qui me l'a procurée assistait à l'ouverture de la momie
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 659
dont elle a été retirée. J'ai vu vendre une fort belle bague en or pro-
venant aussi d'une momie ; dessus était gravée une figure de reine,
et une ligne d'hiéroglyphes fins en encadrait le dessin. Cette bague
fut achetée par M. le marquis de La Valette, alors consul général
en Egypte.
On trouve aussi, dans le cercueil de quelques momies, des figu-
rines plates collées au moyen de bitume sur les parois intérieures.
Ces figurines sont arrangées de manière à représenter les hiérogly-
phes peints sur le cercueil. Je possède quelques-unes de ces figu-
rines : telles sont les deux suivantes :
11 y a environ trois ans on pouvait se procurer de fort jolies
pièces à très-bon marché ; les Arabes n'en connaissaient pas encore
le prix. Ainsi, les petits scarabées valaient de cinquante à soixante-
quinze centimes, les scarabées moyens de dix à quinze francs, et les
plus beaux scarabées funéraires valaient de vingt-cinq à trente francs.
A présent, les petits valent de cinq à sept, et même dix francs, les
autres ontaugmenté dans la même proportion. Des statuettes, que j'ai
achetées vingt paras ou deux sous et demi, se vendent à présent
neuf piastres, aux Anglais, par exemple.
Dans le nombre de ces objets, il s'en trouve assez souvent de
curieux et au même prix que les médiocres. Ainsi, j'ai acheté une
fois trois scarabées pour cinq francs. Parmi les trois , il y en avait
un très-beau comme exécution et comme gravure. A présent, je suis
persuadé que je ne l'aurais pas lui seul pour vingt francs ; je n'ai pas
vu en ce genre de gravure plus fine, plus parfaite :
Les élytres mêmes sont indiquées avec une délicatesse extrême,
6G0 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Dans le premier achat d'antiquités que je fis en 1842, j'eus, par-
dessus le marché, un petit scarabée d'un très-joli travail. Il s'est
trouvé que ce scarabée est assez intéressant
Il est dommage
qu'il soit ébréché d'un côté, mais l'inscription est intacte.
Les anciens Égyptiens avaient le talent de représenter, avec quel-
ques traits seulement, les caractères d'une figure. J'ai une toute
petite tète de nègre en cornaline qui est remarquable par la vérité de
l'expression de la figure :
Je n'ai pas pu savoir ce que représentait une espèce de cachet ou
pièce carrée portant d'un côté l'inscription :
et de l'autre :
Cette pierre vient de Sakkàra ; c'est la seule que j'ai vue en ce genre.
On a découvert il y a environ dix mois, dans la basse Egypte,
un grand nombre d'antiquités grecques en pierre, et surtout en
bronze, et aussi beaucoup de médailles. Mais tous ces objets sont
nécessairement d'une époque postérieure, quoique le caractère soit
grec ; la justesse de la pose, l'exactitude du dessin et des propor-
tions ne sont pas toujours irréprochables , et plusieurs statues ont
l'air boiteuses et mal articulées.
Je vais vous indiquer en deux mots l'état des ruines et des fouilles
de Sakkàra, car ce sont les seules que j'ai vues. En fouillant, les
Arabes trouvent beaucoup de tombeaux ; mais comme ils ne travail-
lent que dans l'intention de chercher et de trouver des antiquités,
ils cassent et dégradent la plupart des bas-reliefs et des inscriptions,
et les jettent sur le sable , les inscriptions en dessous. Dans ce der-
nier fait, il n'y aurait pas grand mal, si les sables ne venaient bien-
tôt recouvrir et enfouir une seconde fois ces débris, qui, alors, se
perdent de nouveau, au moins pour un certain temps. A Sakkàra,
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 661
il v a un magnifique tombeau, découvert depuis environ une dou-
zaine d'années seulement. Les inscriptions, qui en sont anciennes,
sont d'une fraîcheur admirable. Eh bien ! des Voyageurs français et
anglais surtout gravent leurs noms au milieu d'un cartouche, qui
reste alors défiguré et méconnaissable. Il y a des Anglais qui ont
voulu enlever des inscriptions d'une petite niche charmante ; mais
comme tout est gravé dans des pierres détaille solidement cimentées
et fixées sur les parois du roc, ils ne peuvent parvenir à rien déta-
cher qu'en mettant tout en morceaux. S'ils réussissaient à déplacer
des fragments assez considérables, afin de les réunir ensuite après
les avoir emportés en Europe, le mal serait presque excusable,
puisqu'on pourrait étudier ces débris ; mais ces voyageurs vandales
ne font que marteler, casser, réduire en poussière; et, dans leur
dépit ridicule et sot, là où ils n'ont pu foire d'autre dégradation, ils
plantent leurs noms. La belle chose, en effet, que de rencontrer là
un nom français, anglais, italien et autres ! Les visiteurs, qui n'ont
pas à ce point l'amour du sacrilège, méprisent ces vandales, et
parfois les régalent de blasphèmes plus ou moins violemment
exprimés.
Dans la haute Egypte, ces mômes outrages sont faits souvent aux
monuments ; mais, heureusement, le pacha a fait des magasins de
coton de plusieurs temples antiques, ce qui les garde d'incidents
désastreux, de la griffe dégradatrice des touristes et des coureurs ; ils
sont à l'abri de la poussière et aussi du marteau destructeur.
Aux Pyramides de Gyzeh et aux environs, il n'y a presque pas de
dégâts, vu d'abord qu'il y a fort peu de ruines à découvert; mais les
deux ou trois tombeaux qui sont à une centaine de mètres des Pyra-
mides, et qui sont assez bien conservés, n'ont rien eu à souffrir de
l'esprit vandale des voyageurs et des Arabes.
Pour les Pyramides en particulier, ceux qui désirent avoir quel-
ques notions curieuses sur ces monuments, objets de tant de conjec-
tures plus hasardées les unes que les autres, peuvent lire l'intéres-
sant ouvrage du colonel Vysc et le mémoire de M. Fiai in de Per-
signy , intitulé : De la destination et de V utilité permanente des
Pyramides, dans lequel l'auteur, pour soutenir une hypothèse plus
ingénieuse que solide, a rassemblé d'utiles renseignements.
Je vais vous raconter une petite histoire arabe concernant les
pierres de taille tombées des Pyramides, et qui sont semées çà et là
alentour.
« Un Pharaon, la légende ne dit pas quel fut ce roi , ni quel fut
III. 43
662 REVUK ARCHÉOLOGIQUE.
son nom, ni à quelle époque il vécut, n'importe. Or donc, un roi
Pharaon fort riche, très-riche, immensément riche, se fit bâtir un
palais d'or et d'argent. Le palais était presque entièrement fini; mais
les trésors du Pharaon étaient épuisés ; et il ne fallait plus qu'un
petit morceau d'or, un tout petit morceau pour terminer la porte ,
qui était aussi en or. Ni les ministres, ni les amis du roi ne
pouvaient se procurer le petit morceau de métal précieux. Comment
faire ? Pendant que le Pharaon et ses courtisans étaient à délibérer
en face de la porte du palais, voilà que vint à passer un enfant qui
portait aux oreilles un anneau d'or, juste ce qu'il en fallait pour ter-
miner la porte. Les braves gens du roi , en courtisans attentifs , tuè-
rent le pauvre enfant et lui enlevèrent sa boucle d'oreille. Ils n'eu-
rent pas plutôt terminé la porte , que le palais s'écroula sur le roi et
sur sa suite ; les pierres de taille, qui étaient en or et en argent, se
métamorphosèrent en véritables pierres de taille ordinaires. » Mais
voici le plus beau de l'histoire : on a découvert depuis lors \e moyen
de rendre à ces pierres leur origine métallique ; écoutez-moi; voici
comment, et s'il vous prenait par hasard l'envie d'en avoir, remar-
quez-le bien, une pierre de taille en or ! employez la recette, et
vous m'en direz des bonnes nouvelles. Or donc , mon cher monsieur,
la voici, cette recette merveilleuse, très-simple moyen de trouver
la pierre philosophale, et une pierre philosophale de taille. Chacun
ne risque que de gagner son poids d'or, et son pesant d'argent au
moins. Réfléchissez, cela en vaut la peine, et surtout tâchez de
réussir.
Dunque, comme on dirait en italien, allez d'abord aux Pyramides
de Gyzeh ; puis, là, yous vous coucherez à deux heures après le
soleil ; mais il faut qu'il y ait clair de lune, sans cela vous ne ferez
rien qui vaille; vous vous coucherez donc, la tête appuyée sur
une de ces pierres , que vous choisirez aussi grosse que vous vou-
drez; au risque d'avoir une affreuse courbature, un solide torticolis
le lendemain, il faut dormir, et bien dormir, jusqu'à un peu avant
le lever du soleil ; et, à votre réveil , vous trouverez votre pierre
transformée en or ou en argent ; mais si vous bougiez le moins du
monde durant votre sommeil, ou bien si vous le prolongiez jusqu'a-
près le lever du soleil , votre affaire serait manquée , votre pierre
d'or ou d'argent redeviendrait pierre de pierre, comme devant. Ce
qu'il y a de singulier, c'est que je n'ai encore vu personne qui ait
rapporté un petit brin d'or ou d'argent de cette expérience ; per-
sonne qui ait tenté cette simple nuitée, cet expédient par lequel l'or,
ANTIQUITES ÉGYPTIENNES. 663
la fortune nous vient en dormant. Moi, je n'ai pas encore fait l'essai ;
je suis encore jeune ; je remue toujours dans mon sommeil. Quand
un peu d'âge m'aura calmé le sang et le sommeil, j'espère bien
essayer du procédé.
Les Arabes, si avides d'or et d'argent, comme tant d'autres, ne
veulent pas hasarder la tentative. Us croient, comme article du
Coran, à l'efficacité du moyen ; mais quand je leur demandais pour-
quoi nul d'entre eux n'allait essayer le procédé, et ne confondait par
expérience les incrédules, ils me répondaient : « £e serait de l'ar-
gent mal gagné et qui ne serait pas agréable à Dieu. » Si vous avez
les mêmes scrupules de conscience, n'allez pas dormir au pied des
pyramides ; et puis il y a par là des hyènes qui pourraient bien man-
ger un chrétien tout comme un musulman.
A propos des Pyramides, les Arabes vous racontent encore que
Pharaon (et par là ils entendent toujours le pharaon de Moïse ; ils
ne connaissent que celui-là), fit bâtir les Pyramides par les Juifs, et
que la plus haute lui servait de tabouret : il était alors assis comme
vous sur une chaise dans votre cabinet.
Les livres arabes disent que ce fut un Pharaon d'avant Noë qui
fit bâtir les Pyramides pour s'y réfugier lors du déluge, car il avait
été instruit, par la science de la divination, de l'arrivée du grand
cataclysme. Vraiment on s'instruit en voyageant.
Mais quittons nos Pyramides, et allons un moment du côté du
sud jusqu'à Boucyr, tout petit hameau situé entre le désert et les
terres cultivées, et qui rappelle le nom de Busiris. Là, à trois ou
quatre cents mètres dans le désert, il y a environ dix mois, on a
découvert (et c'est un des fouilleurs autorisés du Caire qui a fait la
découverte ) un hypogée à galeries rempli de bœufs Apis. Cette
découverte est unique jusqu'à présent, je crois, et me semble d'une
grave importance, en ce qu'elle pourra jeter quelque lumière sur
plusieurs points de la religion de l'antique Egypte, et provoquer les
réflexions et les travaux de plusieurs savants européens.
Jusque aujourd'hui l'on n'avait encore trouvé que çà et là de petits
veaux dans les hypogées. L'hypogée de Boucyr est une véritable
galerie souterraine à plusieurs embranchements ; on y descend par
plusieurs puits ; mais le principal est beaucoup plus large que les
autres. Autour de l'embouchure de cette descente, il y a des mon-
ceaux d'ossements, de têtes dépouillées de leurs toiles, de membres
épars, de sabots, de cornes, etc. En fouillant dans ces débris,
j'aperçus un morceau de branche de dattier, qui, comme vous le
664 REVUK ARCHÉOLOGIQUE.
pensez-bien, n'était pas très-fraîche; je In tirai, elle nie vint avec
une épine dorsale de bœuf dans laquelle elle était passée. Il paraît
de là que jadis on employait ce simple procédé pour maintenir la
colonne vertébrale dans sa position , et conserver les vertèbres dans
leur ordre et place naturelle. Les momies de ces bœufs sont enve-
loppées d'une quantité considérable de toiles. M. Perron, mon oncle,
en a recueilli une tête entière qu'il a envoyée au musée de la ville
de Langres; la couche de toile qui l'enveloppe est de plus de deux
pouces d épaisseur. Des yeux en verre noir enchâssés dans une pierre
calcaire grise , sont maintenus dans l'épaisseur des toiles d'enve-
loppe, et sont recouverts encore d'une toile, sur laquelle est collée
une figure d'œil peint sur un morceau de toile taillé en forme ocu-
laire, comme la figure que voici :
J'ai deux de ces formes d'yeux que j'ai recueillies au puits même.
J'ai vu là aussi des oreilles telles qu'elles sont dessinées dans Hora-
pollon Nilous(l). Les bœufs que l'on exhume de l'hypogée de Bou-
cyr, devaient être beaucoup plus gros que ceux de l'Egypte actuelle
On voit collés immédiatement sur le front de l'animal des morceaux
de papyrus sur lesquels il y avait des dessins, et souvent par-dessus
il y a une toile qui enveloppait la tête; cette toile était enduite d'une
matière qui permettait de tracer des dessins ou ornements en rose
tendre, en or et en bleu de cobalt, et, malgré le temps, ces cou
leurs sont parfaitement conservées et ont encore toute leur première
fraîcheur ; tout cela est recouvert de plusieurs couches de toiles.
On trouve aussi parmi ces bœufs de tout petits veaux embaumé
qui ont de grandes cornes postiches en forme de croissant. Il est
i) Voy. l'édition de Leemans , grecquc-anglain'.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 665
remarquer que la plupart de ces bœufs ont tous de belles cornes for-
mant bien le croissant lunaire. Dans la magnifique tête de bœuf qui
a été envoyée à Langres, et qui est parfaitement conservée avec
toutes ses toiles, je remarquai qu'une des cornes avait été sciée,
apparemment pour qu'elles fussent toutes deux de la même longueur
de saillie, car il ne manquait rien à l'autre, et elles formaient le
croissant exact : cette tête a aussi deux beaux yeux en verre.
Les Arabes brisent beaucoup de ces bœufs, c'est-à-dire ceux qui
sont un peu avariés et qui ne pourraient que difficilement supporter
le voyage de Boucyr au Caire, vu la fatigue de la route ; car on est
obligé de les emporter à dos de chameau. Les Arabes les ouvrent
pour y chercher quelques antiquités. Dans le ventre de ces momies
bovines, on trouve quelquefois une figure de divinité, ordinairement
une figure de bœuf Apis, presque toujours en bronze et de petite
taille. J'ai demandé aux Arabes s'ils n'avaient rien trouvé dans le
puits ; ils me répondirent qu'ils n'avaient encore trouvé qu'une statue
en bronze d'un pied et demi de haut. Je n'ai pu savoir ce que repré-
sentait cette statue; cela eût été intéressant, sans doute. Il serait,
je pense, curieux et utile pour les savants, de faire venir de ces
momies de bœufs Apis. Il n'y a guère, je crois, que le musée de
Turin qui en possède un. Une pareille pièce ne serait pas déplacée
dans un musée royal, et j'espère que celui du Louvre ne tardera pas
à avoir le sien.
Peu d'auteurs ont parlé en détail du bœuf Apis. M. Champolhon-
Figeac, dans son Egypte ancienne, en dit peu de chose, et il ne
s'occupe que du matériel ; M. Henry , dans son Egypte pharaonique (1),
en parle un peu plus longuement. M. Champollion-Figeac n'indique
guère que l'époque où on l'adorait et l'époque où l'on rétablit son
culte.
« .... A Bôchos, dit-il, succéda Choùs, qui régna trente-neuf
ans, et régla le culte des trois animaux sacrés, Apis à Memphis,
Mnévis à Héliopolis , et le bouc à Mendès. »
Plus loin, il dit : « Psammétichus fit construire les propylées
méridionaux du temple de Phtha, à Memphis, ainsi que le prome-
noir du bœuf Apis. Ce promenoir était situé en face du péristyle ;
le'mur d'enceinte était couvert de sculptures, et, au lieu de colonnes,
on y avait employé des statues colossales de douze coudées de hau-
teur. »
i i vol, in-8, chez Firniin Didol. Paris, 1840.
660 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Plus loin, il ajoute : « Le règne de Julien fut plus favorable
pour les Égyptiens demeurés fidèles à l'ancien culte maternel, et le
préfet d'Egypte annonça comme une heureuse nouvelle à l'empereur,
qu'on venait de découvrir un nouveau bœuf Apis. » Voilà à peu
près tout ce qu'on lit à ce sujet dans Champollion-Figeac -, mais cela
n'indique point (juel but on se proposa dans l'établissement du culte
du bœuf Apis. Écoutons un moment Henry :
« Au culte des astres, vint se mêler, en Egypte , celui de certains
animaux utiles. Toutes les bêtes fuient à l'approche de l'homme, ou
redoutent sa société; quelques-unes seulement semblent appelées à
recevoir de sa main leur nourriture. Le bœuf, qui à la force réunit
la patience et la mansuétude, supporte une grande partie de la
fatigue qui doit assurer la fertilité de la terre ; il dut être le premier
des animaux réputés sacrés. Mais le bœuf n'était pas indispensable
à l'Egypte pour la culture de ses dépôts de limon ; la sanctification
de cet animal, n'est donc pas, à ce titre, originaire de ce pays.
Aussi Manéthon ne laisse pas ignorer que ce fut sous le second roi
de la deuxième dynastie que cette idolâtrie s'introduisit en Egypte.
Deux villes l'accueillirent particulièrement : Memphis, qui reçut le
taureau sacré sous le nom à' Apis ; Héliopolis, qui lui donna le nom
de Mnévis. Une troisième ville, Hermonthès, l'adopta sous le nom
à'Onuphès. Une fois admis dans les temples, le bœuf, type de la
force physique , devint le symbole du Dieu fort et puissant ; et c'est
en cette qualité qu'il commença à recevoir des honneurs auxquels
le mythe d'Osiris vint, par la suite, mettre le comble. »
D'après une idée que j'ai entendu répéter à mon oncle, et que je
n'ai trouvée indiquée dans aucun des livres que je connais, le bœuf,
dans un pays tel que l'Egypte, c'est-à-dire qui a sa plus grande
richesse dans la fertilité de son sol , et par conséquent dans la cul-
ture, a dû être considéré comme la ressource la plus utile et la plus
puissamment productive ; et, me disait encore mon oncle : « Les
prêtres égyptiens , pour exprimer cette idée aux yeux de la multitude
ignorante , ont consacré le bœuf, et en ont fait un dieu vivant et
visible, un dieu qui avait son temple, et des honneurs pendant ses
apparitions dans le monde, sous la forme de la vie ordinaire, et
après ses disparitions du monde. Les collèges des prêtres, ces sanc-
tuaires étonnants de science et de philosophie rationnelle et pra-
tique, savaient bien ce que valaient, dans la réalité, ces consé-
crations, ces divinisations; ils avaient et gardaient la science pure
et, pour ainsi dire, contemplative dans leurs prêtres; et l'appa-
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 667
rence, la partie matérielle de la science était offerte et communi-
quée à la multitude incapable de pénétrer les grands mystères du
monde. L'adoration des figures, le culte des idoles a toujours été
la question palpable de la science religieuse, de la science de la
réflexion : l'esprit était dans les collèges, la matière était pour les
masses.
« Ces idées de consécrations s'appliquèrent, pour les yeux du
peuple, à une foule d'êtres animaux; et en cela encore se trou-
vait une belle et magnifique pensée : c'est que la divinité était
partout, pénétrait tout, et que les animaux même nuisibles en
étaient aussi une manifestation. Pour faire entrer cette manière
de voir dans les esprits, on avait consacré tel animal à tel dieu,
à telle fonction auprès d'un dieu ou par ordre d'un dieu; mais il
y avait toujours le Dieu suprême. Et tous ces dieux avaient des
formes multiples comme indications matérielles de leur puissance.
En donnant même aux dieux des formes animales, on voulait signi-
fier que tout rentre dans la Divinité, qu'elle n'est dégradée par
rien, et qu'elle paraît partout digne d'elle-même. Enfin , un signe,
le haut signe, résumant, par son emblème, toute la haute méta-
physique , était comme le sommet et le nœud central de la science :
je veux parler du sphinx : une tête humaine, c'est-à-dire la forme
matérielle la plus élevée dans ce monde et le siège de l'intelligence,
c'est-à-dire de la plus noble faculté humaine, puisqu'elle monte
jusqu'à la connaissance de la Divinité; et un corps d'animal, c'est
à-dire la dernière représentation de la matière agissante, compo-
sait la qualité combinée de l'esprit et de l'animalité, de l'intelli-
gence et de la matière.... Il fallait bien qu'il y eût une immense
science dans les collèges de l'antique Egypte, pour que les Grecs,
qui , certes , avaient une véritable valeur dans le champ des con-
naissances humaines, et surtout en philosophie, eussent consenti,
malgré leur orgueil, à qualifier le" nom d'Hermès, dans lequel se
rassemble toute la science de l'Egypte pharaonienne dès sa plus
haute antiquité, du titre imposant de trismégiste (ou trois fois
grand ), titre que la Grèce et, après elle, les autres nations, n'ont
donné et conservé à personne. »
Alfred Clerc, bibliophile.
A M. L'ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHÉOLOGIQUE
L'AMULETTE DE CÉSAR , LE CACHET DE SEPULLIUS
MACER ET LE PONT JULIEN, PRfiS D'APT.
Monsieur ,
Ce n'est pas sans motif qu'en finissant la description de l'amu-
lette, que j'avais quelque raison alors d'attribuer à Jules César
(Reçue, t. III, p. 152), j'invoquais la grave autorité de M. Le-
tronne. Quelque chose me faisait douter de l'antiquité de cette pièce,
et j'étais persuadé d'avance que, tout en donnant l'explication des
signes devant lesquels reculait mon inexpérience , le savant et judi-
cieux archéologue, auquel j'osais faire un appel, saurait démêler le
caractère vrai ou faux de la gemme en question. Je m'applaudis au-
jourd'hui de cette détermination. Nous y avons tous gagné : moi ,
une conviction raisonnée à l'endroit de cette pierre dont j'admettais
l'authenticité avec quelque peine, et le public un excellent article
qui servira désormais de critérium aux archéologues. Pour excuser
mon erreur, je n'irai pas invoquer le brevet d'authenticité, un peu
légèrement donné au prétendu cachet de Sepullius Macer par un de
nos savants les plus féconds, par un homme du métier, en un
mot. Que gagnerai-je à mettre mon inexpérience à l'abri d'un nom
respectable aux yeux de beaucoup de gens? Tous les pornographes
du monde échoueraient aujourd'hui à vouloir réhabiliter le cachet
du docteur Sichel et la gemme du docteur Long, objets que M. Le-
tronne vient, d'une manière évidente, de réduire, ce me semble, à
leur plus juste valeur. Je me permettrai quelques courtes obser-
vations.
Les arguments tirés de l'inscription me paraissent rationnels et
sans réplique. Aussi, j'en prends mon parti, beaucoup plus facile-
ment que M. le docteur Long qui ne renonce pas tout à fait a pos-
SUR l'amulette de CÉSAR , ETC. 669
séder un monument unique, et qui serait une des premières pierres gra-
vées du monde, s'il était vrai. Un contemporain du dictateur n'eût pas
manqué d'accompagner son nom de l'épithète Divus : cela est incon-
testable. Mais plus tard, quand les idées chrétiennes se furent pro-
pagées , aux époques de Constantin ou de Julien , un admirateur de
Jules César ne pouvait-il pas se montrer moins scrupuleux? Voilà
ce que se demande le propriétaire de l'amulette dont l'Académie des
Inscriptions et Belles -Lettres vient de couronner récemment le
Mémoire sur les antiquités des Voconces. ^
Quant aux signes planétaires, l'opinion de Scaliger, de Saumaise
etdeHuet, est certainement fort respectable; mais pour croire avec
eux que les petites figures qui servent à désigner maintenant les
planètes ont été connues des anciens, et qu'on les trouve sur des
pierres gravées antiques , cela me devient impossible. M. Letronne
nous l'a démontré victorieusement, à moi, du moins. Sur ce second
chef, je lui donne donc encore pleinement raison. Seulement (car
il y a des restrictions à tout) , je n'aurais pas voulu qu'il intercalât
une petite erreur à l'appui de ses excellentes preuves, et cela, pour
s'être fié au témoignage de Millin.
Dans son second Mémoire, M. Letronne , rappelant quelques mo-
numents que la tradition reporte à tort jusqu'au temps de Jules
César , cite le vieux pont Julian , près d'Âpt , qui nest pas même
romain (vov. plus haut , p. 426 ). Jusqu'à présent , tout le monde
l'avait cru tel , M. l'inspecteur- général des monuments historiques
tout comme les autres (l), et je suis persuadé que M. Letronne
lui-même en serait convaincu, si jamais il le voyait de ses propres
yeux.
Et d'abord le pont romain, qui est près d'Apt, s'appelle Julien
plutôt que Julian, qui est une locution vulgaire : c'est le patois
du pays. Les deux locutions ont une origine commune , pour
Julianus. Or, cette dénomination n'est-elle, comme tant d'autres,
qu'une ambitieuse allusion à Jules César? Ici, l'histoire indique le
contraire. Apt devint cité Julienne, sinon sous le dictateur, du moins
sous Auguste : elle s'appela Colonia Apta Julia. Qu'y aurait -il
d'étonnant à ce qu'un pont voisin prît le nom de la cité Julienne,
et devînt ainsi pons Julianus, pont Julien?
Voici maintenant une présomption en faveur de son origine. Ce
pont est situé sur le Caulon , précisément à l'endroit où la voie ro-
(I) Notes d'un voyage dans le midi de la France , par Mérimée, p. 216,
670 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
mairie de Milan à Arles par les Alpes Cottiennes , appelée encore
aujourd'hui chemin romain dans le pays, sautait de la rive gauche
sur la rive droite du torrent. Vous conviendrez, Monsieur, qu'un
pont romain ne jure pas trop sur un débris de voie romaine. Vous
m'objecterez qu'il pourrait être roman; mais je répondrai à cela que
nous avons des ponts du moyen-âge dans le Midi ; que l'inclinaison
de la voie, que l'appareil, que la coupe en sont bien différents; en
un mot, que, malgré toute notre bonne volonté de nous soumettre
aux lumières d'un docte académicien , il nous est impossible , sur ce
chef, de ne pas nous montrer tant soit peu récalcitrant.
Au reste, M. Letronne est tout à fait excusable de ne pas croire
à la romanité du pont Julien; n'ayant pas visité les lieux, il a cru
Millin sur parole. Millin était un fort habile homme pour son temps;
mais il avait une singulière manière de voir. N'a-t-il pas vu des
ogives au pont Saint-Benezet d'Avignon? Etait-ce une manie de
l'époque? Un dédain pour ce qui venait du moyen-âge? Les auteurs
du Voyage pittoresque de la France (T. III, pi. 73), donnent aux
arcades du pont Saint-Esprit la forme ogivale. Millin dit que c'est
à tort; à la bonne heure pour cette fois. Mais lui-même, en parlant
du pont Saint-Benezet, écrit : ce La forme ogive de ses arches annonce
« qu'il avait été fait dans un temps de superstition et d'ignorance où
« le génie des lettres et le goût des arts d'imitation étaient presque en-
ce tièrement éteints, mais où l'on vit s'élever cependant des édihees qui
ce nous étonnent encore par la grandeur de leur plan et la hardiesse de
ce leur construction (2). » Abstraction faite de tout ce qu'il y a de
faux dans cette phrase , qui a été longtemps stéréotypée dans une
foule d'ouvrages estimables, pense-t-on que celui qui voyait des
ogives aux arcades à plein cintre du pont Saint-Benezet ne devait
pas se tromper sur l'âge du pont Julien?
Je ne chercherai pas à prouver par les détails de construction
l'origine romaine et non romane du pont Julien, en invoquant les
arguments irrésistibles de l'appareil, du pian , etc. , etc. Autant vau-
drait-il prouver que le Panthéon d' Agrippa est du siècle d'Auguste ,
la Sainte-Chapelle de Paris du siècle de Saint-Louis, et la colonne
Vendôme, de nos jours. Si M. Letronne n'a pas eu de peine à prouver
que l'amulette de Jules César et le cachet de Sepullius sont ejusdem
farinœ que le sabre de Vespasien et tant d'autres fausses antiquailles ;
s'il a démontré que mon antiquité était moderne , il voudra bien me
(2) Voyage dans le midi de la France , IV, p. 202.
ETC. 671
pardonner d'avoir osé lui prouver que son moderne, ou plutôt celui
de Millin, était véritablement antique.
Agréez, etc.
Jules Courtet,
Sous-préfet de Die , correspondant des comités historiques.
Note sur la Lettre précédente.
J'apprends avec plaisir que \epont Julien ou Julian, près d'Apt,
est de construction romaine. Tout en étant surpris que Millin ait
pu se méprendre sur un point si facile à reconnaître, je n'hésite pas
ù m'en rapporter au jugement de M. J. Courtet, qui a examiné le
monument à loisir. Mais de ce que le pont est romain, il ne s'ensuit
pas qu'il mérite l'épithète de Julien , c'est-à-dire qu'il ait été con-
struit du temps de Jules César. Sans doute cela est fort possible ;
mais rien encore ne le prouve , puisqu'on ne sait pas même si la
Colonia Âpta Julia avait reçu son nom du conquérant de la Gaule,
plutôt que d'Auguste , fondateur d'autres colonies juliennes.
Je suis bien aise d'avoir intercalé cette observation dans mon
Mémoire , puisqu'elle a fourni à M. Courtet l'occasion de rectifier
une erreur de Millin , que d'autres , faute d'avoir vu les lieux , au-
raient pu partager aussi. Letronne.
LETTRE A M, PRISSE D'AVEWES
SUR
UN FOUR ROMAIN A CUIRE LES POTERIES.
Teulon , le 3 octobre 1846.
.Monsieur ,
Permettez-moi de vous entretenir quelques instants d'une décou-
verte faite depuis près d'un an , non loin de l'établissement ther-
mal d'Amélie-les-Bains (département des Pyrénées-Orientales), et
sur laquelle personne n'a appelé encore l'attention des antiquaires,
bien que l'objet en vaille assez la peine : je veux parler d'un four ro-
main à cuire les poteries.
L'établissement thermal d'Arles, désigné aujourd'hui sous le nom
d'Amélie -les- Bains, remonte à une grande antiquité dans la période
gallo-romaine. Il n'y a pas bien longtemps encore qu'on y voyait
beaucoup de restes de la construction primitive ; tout cela a disparu
sous les exigences des dispositions modernes. La vaste et belle piscine,
dont on voyait encore il y a peu d'années, une portion notable, par-
faitement conservée, a achevé de s'eflacer pour faire place à des
cabinets particuliers , il ne reste plus guère de l'établissement
antique que la salle voûtée qui enclôt le tout et l'église de la com-
mune attenant à l'établissement, dont le local était une dépendance
des thermes.
Certaines restaurations qu'on fit il y a un an, ayant amené la dé-
molition de quelques bâtisses modernes adossées au monument, on a
pu reconnaître que cet édifice était flanqué de tours dont on a re-
trouvé les vestiges. En escarpant, il y a quelque temps , la roche de
granit à travers laquelle coule la principale source minérale, dans le
but d'augmenter le volume de son jet, ces eaux , en sortant en effet
avec plus d'abondance, entraînèrent avec elles des médailles romai-
nes et celtibériennes, des inscriptions sur lames de plomb pliéesen
plusieurs doubles , et d'autres objets sur lesquels je reviendrai une
autre fois avec détail ; pour le moment , je ne vous parlerai que de
la découverte plus récente du four à poteries.
FOI R ROMAIN A CUIRE LES POTE R 1RS. 6/3
Les restes de ce four, qui netaient couverts que d'environ cin-
quante centimètres de terre, consistaient en une aire formée de deux
épaisseurs de briques posées obliquement, et en sens contraire l'une
de l'autre, de manière à produire Yopns spicatum de Vitruve, système
de construction qui, pour le dire en passant, s'est conservé en Rous-
sillon pendant tout le moyen âge. Ces briques laissaient entre elles,
de distance en distance, des ouvertures rondes pour le passage de la
tlamme (Voyez- b, b, b, dans la coupe transversale). Le pavé de
Taire , que devait recouvrir une voûte-réverbère depuis des siècles
sans doute, reposait sur des cloisons formées par une brique posée de
champ et percée pour le libre passage du calorique. Deux canaux hauts
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A. Aire du four sur laquelle se plaçaient les poteries à cuire.
R. Coupe horizontale, au-dessous de l'aire.
C Coupe transversale.
de 54 centimètres sous la clef des arceaux, s'étendaient parallèlement
dans toute la profondeur du four, qui était de 3m,65, et étaient séparés
l'un de l'autre par un massif à peu près égal à leur largeur, formant les
pied- droits des arceaux. Entre ces arceaux , au nombre de six sur
chaque canal, s'étendaient les bandes des briques constituant le sol
674 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
de l'aire, percé d'ouvertures pour le passage de la flamme. L'aire
était composée de sept de ces bandes, dont les deux plus rapprochées
de la bouche du four ne présentaient qu'une seule rangée de trous ;
les cinq autres en avaient deux rangées symétriquement disposées
dans toute l'étendue de la bande. Les poteries les plus fortes et qui,
devaient être soumises à l'action d'un feu plus violent, étaient pla-
cées vraisemblablement au fond du four ; les vases de moindre vo-
lume devaient être rangés sur le devant. Le sol des deux canaux
conducteurs du feu offraient encore quelques vestiges de charbon.
Les trous traversant ainsi l'aire avaient 0U1,035 de diamètre, et l'in-
tervalle qui séparait ceux placés de deux en deux, était de 0m,15.
Les briques étaient à rebord pour le plus grand nombre , et sembla-
bles à celles qu'on employait à la toiture des maisons, à la construc-
tion des tombeaux, et souvent en guise de moellons dans l'épaisseur
des murailles.
J'ai le regret d'être obligé d'ajouter que ce débris d'antiquité a subi
le sort qu'avait éprouvé jadis la voûte ; le fermier du champ l'a dé-
moli pour que le soc de sa charrue puisse, à l'avenir, se promener
librement sur ces neuf mètres carrés de terrain l
Pour ne pas me parer des plumes du paon, et voulant rendre justice
à qui elle est due , je dirai , en terminant, que le dessin de ces restes
intéressants des travaux de l'art romain m'a été transmis de Perpi-
gnan par M. le capitaine du génie Puiggari, officier studieux, plein
de connaissances et dévoué aux études archéologiques.
Veuillez agréer, etc.
Henry,
Archiviste de la ville de Toulon.
SCEAU DE SAINT LOUIS EN 1240.
Dans les travaux sérieux qu'on fait maintenant sur les arts du
moyen âge , l'étude des sceaux doit occuper une place très-impor-
tante. Ces précieux monuments ayant leur authentique , leur date
certaine , sont pour notre passé ce que les médailles de la Grèce et
de Rome sont pour l'antiquité païenne, La numismatique française
entre dans peu de détails , et n'exprime qu'imparfaitement les
croyances par ses types et ses inscriptions; les sceaux fournissent
en abondance, au contraire, les documents les plus précis sur l'his-
toire, les légendes, les usages, les costumes, la civilisation et les
arts d'autrefois. Malgré cette rude guerre de 93 contre les chartes et
les parchemins, nos archives offrent encore à l'étude de nombreux
matériaux. Mais ces matériaux perdraient beaucoup de leur utilité ,
s'ils n'étaient point réunis dans une collection générale. C'est là seu-
lement que la science peut comparer, compléter et classer ces débris
faits par le temps et par les hommes. Aussi bien, avant le travail de
M. Dépaulis, qui lui a fait tant d'honneur (1), on avait songé à réunir
les empreintes de nos anciens sceaux, et à les rendre , par le mou-
lage, indestructibles et populaires. Dès l'année 18-21 (séance du
3 août), il en était question à l'Académie des inscriptions et des
belles-lettres; mais ce fut en 1842 seulement que ce projet reçut sa
complète exécution. Maintenant, grâce à la puissante direction de
M. Letronne , et à l'infatigable érudition de M. de Wailly , nous
possédons une collection de sceaux unique en France et en Europe.
M. Letronne et M. de Wailly ont été heureusement secondés pour
l'exécution matérielle de cette collection par M. Lallemand, commis
d'ordre aux archives.
M. Lallemand s'est fait mouleur, et est parvenu, à force de re-
cherches, de patience et d'adresse, à n'avoir aucun rival dans sa spé-
cialité. Quelques empreintes de sa collection sont de véritables énigmes
(1) Lorsque M. Dépaulis s'occupait de moulage aux archives, M. Dubois, gra-
veur, y travaillait de son côté à mouler une collection de sceaux des rois de France,
destinée au musée monétaire. Les archives possèdent des échantillons des belles
épreuves qu'il a obtenues.
676 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pour les plus habiles praticiens. Le moulage n'est point une opération
purement mécanique : la reproduction d'une œuvre d'art demande le
concours de l'intelligence. M. Lallemand est devenu artiste, comme
les imprimeurs anciens étaient savants pour produire ces éditions si
parfaites qui ne pâlissent devant aucun de nos chefs-d'œuvre mo-
dernes. Il a étudié les sceaux avec passion , et il est parvenu à les
rendre avec toute la fidélité possible. Au lieu d'employer le plâtre ,
qui offre plus de facilité, plus de promptitude, mais aussi moins de
finesse et de solidité , il a moulé ses épreuves en soufre, et il a su
donner à celte matière une dureté qui assure la conservation des
moindres détails , et une couleur agréable qui , en rappelant la cire,
en évite les teintes trop foncées et trop transparentes. Non-seulement
il a choisi avec un goût parfait les exemplaires, mais encore il a
réussi à restituer des sceaux perdus, en réunissant, avec une adresse
inconcevable, leurs fragments séparés, et à reconstruire ainsi leur
ensemble. Un amateur n'est pas plus passionné pour sa suite de gra-
vures ou de médailles que M. Lallemand ne l'est pour la collection
confiée à ses soins. Aucune considération ne l'arrête : quand il trouve
un exemplaire meilleur, il renonce au moule qui souvent lui a donné
tant de peine, et il en fait un nouveau, qu'il n'hésitera point à rem-
placer encore, si le hasard vient lui offrir, le lendemain, la possibilité
d'avoir quelque chose de plus parfait. Tant de zèle, de dévouement,
a été récompensé par l'estime de ses chefs; je me plais à y joindre ces
premières lignes de publicité; elles sont non-seulement une justice,
mais encore l'acquittement d'une dette personnelle. J'ai eu bonne
part, en effet, à cette complaisance affectueuse que rencontrent tou-
jours chez M. Lallemand ceux qui désirent quelques renseignements.
La collection des archives du royaume est nécessairement la plus
complète. Déjà très-riche par elle-même , elle s'est augmentée rapi-
dement des sceaux fournis par les archives des départements et par les
cabinets des amateurs. Elle possède maintenant plus de douze mille
types, qui sont tous savamment classés en deux cents catégories:
cent vingt pour la partie ecclésiastique, les papes, les cardinaux, l?s
évêques , les abbés , les chapitres et les congrégations ; quatre-vingts
pour la partie laïque, les rois de France, les souverains d'Europe,
les grands feudataires, la noblesse, les villes, les corporations, la
bourgeoisie.
La suite des rois de France, qui est, sans contredit, la plus re-
marquable, a été présentée dernièrement au roi, qui a donné l'ordre
d'en enrichir son musée national de Versailles.
SCEAU DE SAINT LOUIS EN 1240. 677
C'est de cette collection que vient le sceau de saint Louis que nous
publions (voir la pi. 60). Nous en devons la communication à l'o-
bligeance de M. Lallemand.
Ce sceau pend à un acte de 1240 ; il intéresse, par sa date et sa
conservation , l'iconographie de saint Louis. C'est une pièce au procès
intenté par l'archéologie moderne contre ce type encore généralement
suivi par les artistes pour représenter le chevaleresque Louis IX.
Leur entêtement à ce sujet est une triste preuve de la pauvreté in-
tellectuelle des écoles modernes en fait de types et de connaissances
historiques et religieuses. Parce que le véritable héros du moyen ège
a joint à toutes les gloires humaines celle d'être honoré comme saint
par l'Eglise catholique, on a cru bien faire en lui donnant, bon gré
malgré , la figure débonnaire de Charles V, qu'on s'est efforcé d'ap-
pauvrir et de rendre naïve à l'excès. Est-ce là pourtant le signalement
donné par Joinville, qui déclare son maître et son ami le plus bel
homme de son royaume? Est-ce là le type, la portraiture idéalisée de
ce génie supérieur, digne de nommer son époque , comme ont nommé
la leur Auguste, Léon X et Louis XIV? Si l'âme de saint Louis
avait eu pour enveloppe l'extérieur de Charles V, elle l'aurait certai-
nement illuminé d'un merveilleux éclat. L'être immatériel et invisible
que nous portons en nous prend une forme dans nos traits; le vice y
flétrit la beauté la plus parfaite , tandis qu'il n'est pas de laideur que
la vertu ne sache modifier et ennoblir. L'âme est présente à notre
figure; elle y écrit, elle finit même par y graver profondément ses
pensées , ses désirs , ses habitudes , ses mérites , et , si nous ne les
voyons pas, c'est que nous ne savons pas y lire.
Maintenant qu'il est bien constaté par les monuments et par le
bon sens que la figure qui convient très-bien à Charles V n'est point
celle de saint Louis , l'artiste , pour représenter cette gloire de la
France, doit interroger le passé, et savoir si le temps n'a pas épargné
quelques souvenirs des traits qu'il cherche à reproduire. Il doit re-
monter à travers les siècles jusqu'à des données contemporaines , et
examiner les travaux d'une époque où l'art était une œuvre collective,
et non un chaos de caprices individuels. Il doit, pour être dans la
justice et la vérité à l'égard de son modèle , consulter consciencieu-
sement les monuments, les vitraux, les manuscrits et jusqu'à cette
figure que la douce main de Fra Angelico de Fiesole a placée dans
le couronnement de la Vierge que nous avons au Louvre. Une ico-
nographie complète de saint Louis est encore à faire. Je n'ai pas la
m. M
678 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
prétention de l'ébaucher dans cette courte notice; j'apporte simple-
ment une pierre à qui voudra bâtir.
Les figures historiques qui se trouvent sur les sceaux ne peuvent
certainement pas être données comme offrant l'exacte ressemblance
des personnes qu'elles représentent. Elles indiquent cependant un
certain degré de vérité , une exactitude de costume et de caractère ,
un reflet enfin de cette harmonie, de cette unité qui distingue chaque
siècle et chaque pays. L'artiste peut y trouver aussi quelquefois des
détails plus exacts et plus précis. Le défaut de ressemblance ne vient
pas d'un système, d'un parti pris; l'impuissance en est la véritable
cause. Pourquoi un artiste du XIIIe siècle n'aurait-il pas été plus
heureux ou plus habile que les autres à reproduire son modèle?
Dans le sceau que nous publions, l'intention est incontestable; la
date de 1240 s'accorde parfaitement avec l'âge qu'on peut donner à
cette figure élégante et juvénile qui porte ici le sceptre et la cou-
ronne. L'imagination n'est point choquée des proportions et des traits
donnés par l'artiste au fils de la reine Blanche, à celui qui savait si
bien réunir dans une même âme sa passion si touchante pour Mar-
guerite de Provence, son amour si actif pour Dieu et pour l'Église,
et une énergie si grande et si éclairée pour l'accomplissement de tous
ses devoirs ; rien ne nous blesse dans ce souvenir lointain d'une vie
si merveilleusement tissue de poésie , de justice , de religion et de
gloire.
Quoique le sceau qui servit la première année du règne de saint
Louis semble être identique à celui de 1240 par la forme des lettres
et le détail des ornements, il y a quelque chose de plus mâle et de
plus vigoureux dans celui que nous publions ; mais la différence d'âge
est incontestable sur le sceau qui fut employé au retour des Croisades.
Malgré le fâcheux état de la figure, on ne peut se refuser à recon-
naître que l'artiste a voulu représenter un personnage moins jeune
que sur les précédents.
Ainsi l'intention est positive; reste maintenant le succès â con-
stater. Je n'ai pas les preuves nécessaires , et je me contenterai de
protester en faveur des graveurs du XIIIe siècle, beaucoup trop lé-
gèrement accusés d'inhabileté en fait de ressemblance. Les remarques
précieuses que M. de Wailly a bien voulu me communiquer sur
l'emploi simultané de plusieurs sceaux copiés les uns sur les autres
me portent à croire que les artistes d'alors joignaient, au contraire , à
un talent réel et à des qualités bien rares de nos jours une fidélité
remarquable de copiste. II existe, par exemple, trois sceaux de Phi-
SCEAU DE SAINT LOUIS EN 1240. 679
lippe le Bel , différents de grandeur, mais parfaitement semblables par
le caractère, les détails et le modelé de la figure royale. Celui qui a
réussi à reproduire si exactement, si minutieusement, une même tête
était capable sans doute de la copier sur un modèle, et il n'eût pas
été si scrupuleux dans son imitation successive, si la première œuvre
n'avait été qu'une création capricieuse de son talent.
J'ai comparé le sceau de saint Louis aux figures de ce roi qui
étaient sur nos anciens monuments, et, quoique la ressemblance ait
bien dû s'affaiblir dans les dessins et les gravures d'une époque inca-
pable d'en apprécier la valeur artistique , et surtout d'en rendre le ca-
ractère, j'ai cru y reconnaître des rapports véritables; mais je me
méfie de cette manie d'accaparement qu'on a toujours pour son sujet,
et je m'en remets à l'examen impartial de mes lecteurs, qui trouveront
dans le Diclionnaire iconographique de M. Guenebault toutes les fa-
cilités de faire de consciencieuses et complètes recherches. Puisse la
science préparer toujours ainsi à l'art un meilleur avenir, en renouant
cette tradition, cette filiation avec le passé, sans laquelle le talent
isolé s'épuise dans des études et des efforts individuels, et s'éteint
dans des œuvres sans grandeur et sans portée sociale!
E. Cartier.
INSCRIPTION FUNÉRAIRE
DE NICOLAS FLAMEL.
Les fables ridicules débitées par quelques historiens sur Nicolas
Flamel , qui vivait à Paris au XIVe siècle, et y mourut en 1418, le
merveilleux dont on avait voulu entourer ses actions, lui ont donné
une célébrité plus grande qu'il ne lui appartenait d'en avoir, et sur
laquelle il n'avait sans doute pas compte.
L'existence de ce personnage parut mystérieuse et pleine de pro-
diges à ses contemporains , parce qu'ils lui virent faire des choses qui
leur semblèrent fort au-dessus de la condition obscure dans laquelle
il était né, et des moyens que pouvait lui fournir la position d'écri-
vain qu'il exerçait ; car, sortant tout à coup de la médiocrité où il
semblait devoir toujours vivre, on le vit fonder ou doter des hôpitaux,
faire restaurer à ses frais des édifices religieux , enfin répandre ses
largesses avec une opulence extraordinaire. Toutefois , il est probable
qu'il ne produisit cet effet qu'à la classe populaire , qu'étonne tout ce
qui est nouveau à ses yeux , qui est disposée à trouver du merveilleux
dans tout ce qui lui paraît inexplicable, et qui est la meilleure trom-
pette pour toutes les renommées. Voyant donc un homme dont l'état
semblait peu lucratif faire tout à coup des dépenses aussi considé-
rables, le peuple de ce temps-là , ne pouvant approfondir les causes
d'un événement dont les apparences avaient quelque chose d'extra-
ordinaire, se fit sur le compte de Flamel mille idées bizarres
dont la tradition s'est perpétuée et peut-être grossie d'âge en âge. Les
moins exagérés crurent qu'il avait trouvé la pierre philosophale, et
cette croyance a trouvé des partisans jusque vers la fin du der-
nier siècle; divers ustensiles de chimie découverts à cette époque dans
les caves de la maison qu'il habitait , et qui lui avaient probablement
servi à préparer les couleurs qu'il employait pour peindre ses ma-
nuscrits, semblèrent confirmer ces idées de sciences occultes, au
moyen desquelles on cherchait à expliquer les actions de ce person-
nage. Quelques autres, cherchant des explications plus raisonnables,
prétendirent que cet homme avait dû ses immenses richesses à la con-
naissance qu'il avait, comme écrivain , des affaires des juifs, et aux
INSCRIPTION FUNERAIRE DE NICOLAS FLAMEL. 681
dépôts d'argent qu'ils lui firent et qu'il s'appropria lors de leur ban-
nissement. Ce fait n'a pas plus de fondement que les autres, et il
suffit , pour être convaincu de sa fausseté , de lire les déclarations de
Charles VI, à l'occasion de ce bannissement : la première, du 17 sep-
tembre 1394, porte plusieurs clauses, tant pour la sûjreté de leurs
personnes que pour celles de leurs biens et le remboursement de
leurs créances; les autres, de 1395 et 1397, sont dans le même
esprit.
Toutes les fables ridicules et les conjectures qui ont été faites et
débitées sur Nicolas Flamel prenaient leur source dans une erreur
première, qui leur faisait supposer qu'en effet, il avait fallu d'im-
menses richesses pour exécuter tout ce que ce personnage avait fait.
Il a suffi à un homme de sens , pour anéantir toutes ces fables , d'é-
carter d'abord celte supposition. M. l'abbé Villain, dans son Histoire
de la paroisse Saint-Jacques de la Boucherie, et Histoire de Nicolas
Flamel et de Pernelle, son épouse , prouve , qu'à l'exception de quel-
ques bizarreries de caractère, les œuvres et la vie de Nicolas Flamel
ne sortent pas de la classe des événements les plus communs. Il fait
remarquer que la profession d'écrivain était très -lucrative à cette
époque , antérieure à la découverte de l'imprimerie , que sa femme,
à laquelle il survécut plus de vingt années, avait accru sa fortune
par une donation qu'elle lui fit du patrimoine qu'elle possédait; et,
enfin , après un recensement fait de son avoir, il est démontré que
cet homme , qui vivait avec l'économie la plus sévère , n'a pas dé-
passé la valeur de son capital dans toutes les donations ou fondations
qu'il a faites.
Nicolas Flamel , par un goût naturel aux parvenus , aimait à re-
produire son effigie et d'autres signes caractéristiques sur les monu-
ments dont il était le fondateur ou le bienfaiteur. C'est ainsi que l'on
trouvait son effigie et celle de sa femme sculptées sur la seconde ar-
cade du charnier des Innocents. Sa statue à genoux se voyait à côté
du portail de Sainte-Geneviève des Ardents, dans la Cité, pour la
reconstruction duquel il avait donné une somme d'argent, en
1402.
Le portail de l'église Saint-Jacques la Boucherie , du côté de la
rue Marivaux, avait été bâti en 1399, aux dépens de Nicolas Flamel.
La maison qu'il habitait faisait le coin de cette rue et de celle des
Écrivains , aussi dans le siècle dernier on voyait encore sur ce por-
tail la représentation de Flamel et de Pernelle, sa femme, et sur un
pilier de cette église, près de la chaire, était l'inscription que nous
682 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
publions aujourd'hui. Cette inscription est gravée sur une pierre de
liais , sa hauteur est deOm,58, sa largeur de 0m,45 et son épaisseur
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de Om,04 ; la partie supérieure est occupée par trois figures dessinées
sur le plan même de la pierre , et qui ne s'en détachent que parce
INSCRIPTION FUNERAIRE DE NICOLAS FLAMEL. 683
que la pierre a été fouillée entre les figures. Celle du milieu repré-
sente Jésus-Christ tenant le monde , sous la forme d'une boule sur-
montée d'une croix, dans la main gauche; saint Pierre, une clef à
la main, est placé à droite, et saint Paul, armé d'une épée, à
gauche. Entre le Sauveur et saint Pierre , on remarque le soleil', et
du côté de saint Paul, la lune. Au-dessous de l'inscription est un
squelette couché dans un suaire. Quelques vestiges d'une matière
résineuse et noire, que l'on était dans l'usage de mettre au fond de
ce genre de gravure pour en faire ressortir le travail , sont encore
adhérents à cette pierre , et indiquent que le fond du tableau devait
être autrefois de cette couleur.
Cette inscription, mentionnée par tous les historiens de Paris, et
que l'on croyait détruite depuis la démolition de l'église, a été re-
trouvée récemment par M. Dépaulis, graveur de médailles, chez un
marchand de curiosités qui avait longtemps cherché amateur, et qui,
n'en trouvant pas, commençait à éprouver un dédain pour ce monu-
ment, qui aurait certainement amené sa destruction pour toujours.
311. Dépaulis, frappé de l'intérêt qu'offrait cette pierre, en a de suite
donné connaissance à M. Pontonnier, chef de division à la préfecture
de la Seine, qui fit un rapport à M. le comte de Rambuteau, pour lui
en demander l'acquisition. C'est donc aux soins empressés de M. Pon-
tonnier que nous devons la conservation de ce monument.
M. de La Villegille , membre de la Société des antiquaires , chargé
par le préfet de dire son avis sur l'authenticité de cette pierre, re-
connut, après un examen scrupuleux, que le dessin des figures, le
caractère des lettres employées pour l'inscription , l'orthographe des
mots, tout concourait à démontrer que cette inscription date du com-
mencement du XVe siècle , et est bien le monument funèbre que
Nicolas Flamel s'était élevé à lui-même , qu'il avait fait exécuter de
son vivant et gardé chez lui jusqu'à sa mort. M. de La Villegille a
constaté la différence qui existe entre l'original et les diverses copies
qu'en ont données les historiens de Paris; celle entre autres renfermée
dans le recueil manuscrit de la Bibliothèque royale , des épitaphes
des personnes remarquables inhumées dans les églises de Paris, ce
qu'il attribue au peu de soin que l'on apportait autrefois à la repro-
duction des inscriptions, comme aussi à la difficulté de les lire lors-
qu'elles étaient placées à une trop grande hauteur.
Cette pierre, après avoir été scellée à un pilier de l'église Saint-
Jacques de la Boucherie, suivant les intentions de Flamel, y est restée
jusqu'à la démolition de l'église. Alors, c'est-à-dire vers l'an t797,
684 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cette table de pierre aura semblé pouvoir être de quelque utilité à un
habitant du voisinage, qui l'aura achetée.
Ce monument était depuis six ans en la possession d'un marchand
de curiosités , qui le tenait de l'un de ses confrères , qui lui-même
l'avait acheté à une fruitière de la rue Saint- Jacques de la Boucherie,
qui s'en servait pour mettre dessus ses épinards.
M. de La Villegille, ayant fait partager sa conviction sur l'authen-
ticité de ce monument à M. le comte de
Rambuteau, le préfet en fit l'acquisition
pour le compte de la ville. On eut d'abord
l'idée de le placer dans la tour de Saint-
Jacques de la Boucherie; mais, sur la de-
mande de M. le ministre de l'intérieur,
M. le comte de Rambuteau en a fait don au
musée de Cluny, où il se voit dans une des
salles du rez-de-chaussée.
La tour de l'église Saint-Jacques de la
Boucherie, dont nous donnons ici un dessin,
s'élève aujourd'hui muette et solitaire, car
il y a déjà longtemps que l'édifice dont elle
faisait partie a cédé la place à un marché
public. Cette tour, remarquable par son élé-
vation et la beauté de son travail , ne fut
terminée que sous le règne de François Ier.
Ce curieux monument, vendu à l'époque de
la révolution comme propriété nationale, a
été utilisé jusqu'en 1836, par un fabricant
de plomb de chasse ; à cette époque ,
M. Pontonnier, dont nous avons déjà cité
le zèle pour la conservation de nos monu-
ments historiques , contribua puissamment
à en faire faire l'acquisition par la ville de
Paris, pour la somme de 250,000 francs.
(Voir le Dictionnaire historique et topogra-
phique des rues et des monuments de Paris ,
1 vol. in-8°.) Le pied de cette tour, maintenant dégarni des maisons
qui s'appuyaient dessus, porte les empreintes des dégradations occa-
sionnées par ces constructions modernes, et qu'il conviendrait de
restaurer. J. A. L.
L'EGLISE DE BOUGIVAL
( SEINE-ET-01SE. )
Le village de Bougival ne consiste pas seulement dans cette ma-
gnifique chaussée qui présente une suite de jolies maisons, aussi
remarquables par leurs décorations et leurs dispositions, que par
leur agréable situation , et que la voie de fer de Saint-Germain a
déshéritée du passage des voyageurs. La majeure partie du village est
groupée dans une gorge fort pittoresque, irrégulièrement ouverte et
montueuse, qui ne laisse apercevoir son église que quand on y est en
quelque sorte arrivé. Nous allons tâcher de donner la monographie
de ce petit édifice , qui mérite vraiment l'attention de l'archéologue et
du curieux.
Quoique ce lieu ne se trouve mentionné pour la première fois
que dans quelques titres du XIIIe siècle ; il est bien évident pour
nous qu'il a une antiquité plus reculée. Il suffit d'ailleurs , d'exa-
miner son église pour le reconnaître. La sainte Vierge dans son
Assomption en est la patronne; on y invoque aussi Saint- Avertin,
qui, après avoir été archidiacre de Chartres, gouverna cet évêché
en qualité de cor-évêque (1), du vivant de Saint-Souleine , auquel
il succéda sur ce siège, et mourut l'an 528 (2). On conservait autre-
fois des reliques de ce saint dans cette église où il existait une
confrérie en son honneur qui s'est soutenue jusqu'à la fin du
XVIIIe siècle.
Le judicieux abbé Lebeuf (3) pense que quelque abbaye a dû
contribuer à l'érection de cet édifice , et que ce ne peut être que celle
de Saint-Florent de Saumur. A la vérité, ajoute-t-il, cette église est
petite , mais très-solidement bâtie : le chœur paraît être de la fin
du XIIe siècle. Il est étroit, ainsi qu'on les bâtissait alors, mais
(1) Dignité qui consistait à suppléer l'évêque dans ses fonctions pastorales à la
campagne.
(2) Il ne faut pas le confondre avec un bienheureux du même nom , mort en Tou-
raine l'an 1189, et où son nom est porté par un bourg arrosé par le Cher, qui est
posé non loin de Tours.
(3) Histoire du diocèse de Paris, t. VII , p. 168.
686 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
voûté aussi bien que le sanctuaire, au-dessus duquel est élevée une
belle pyramide de pierres, taillées en écailles : les arcs sont en demi-
cercles sans pointes , et quatre petits pavillons de pierre en ornent
les quatre coins. » On peut juger de la beauté de cette tour par le
dessin que nous en donnons.
L'auteur précité dit encore: ce La nef, quoique seulement lam-
brissée, a des galeries bouchées et des colonnades qui sont au plus
tard du XIIIe siècle; l'église a aussi deux ailes terminées par des
chapelles bâties également dans le môme siècle. Son portail méri-
dional paraît être d'une construction du XIIe siècle , ou même
du XIe; on y voit la statue d'un saint évêque qui a un nimbe der-
rière la tête ; il tient un livre de la main gauche ; la main droite ,
qui, ainsi que le bras, est cassée, devait tenir la crosse. » Cette
image était, au dire de l'abbé Lebeuf , celle de Saint- Avertin , invo-
quée dans la chapelle voisine, pour obtenir la guérison de la folie.
Nous aussi, nous avons été frappé des belles proportions de cette
l'église de bougival. 687
église dans certaines de ses parties; mais depuis un siècle qu'elle a
été examinée par le laborieux historien du diocèse de Paris, combien
a-t-elle souffert des injures du temps et des hommes! Sa curieuse
tour, surmontée d une flèche hexagone, ne se soutient plus qu'à l'aide
de charpentes dont sont obstruées les arcades de communication avec
les bas côtés , et qui en détruisent les lignes autrefois si pures. Il ne
nous reste d'espoir , pour conserver ce monument , que de le voir
classer par la commission des monuments historiques , dans la caté-
gorie de ceux qu'elle sauve par ce moyen de la destruction ; autre-
ment, le triste état des finances de la fabrique ne permettra jamais
de faire face à cette dépense excessive.
La nef qui , beaucoup plus tôt eut également besoin d'urgentes ré-
parations , a été restaurée de nos jours par des barbares qui en ont
détruit la voûte hardie et une portion notable du triforium, figuré
dans l'attique, des deux côtés de la nef. Ils n'ont trouvé rien de
mieux à faire non plus, que de murer l'immense rosace dont le fron-
tispice était décoré , sans doute , parce que leur ignorance ne leur
donnait pas les moyens de la consolider.
Mais c'est surtout au dehors , que ces modernes restaurateurs se
sont complu à deshonorer cet édifice , en lui enlevant le cachet si
auguste d'antiquité; fort heureusement leurs mains sacrilèges ont
respecté la tour.
Nous sommes d'avis , qu'en fait de monuments délabrés , il vaut
mieux consolider que réparer , mieux réparer que restaurer , mieux
restaurer qu'embellir, et que dans aucuns cas il ne faut supprimer.
L'abside décrit cinq pans ; elle était jadis éclairée par cinq croisées
étroites et allongées, d'un style grave et sévère , en rapport avec le
reste du monument, elles ont toutes été murées ; il serait convenable
de les rouvrir à tous égards ; cette partie de l'édifice nous semble
beaucoup trop sombre, quoique nous aimions le jour mystérieux dans
nos églises; c'est sans doute en souvenir des cryptes où les premiers
chrétiens se retiraient pour leurs exercices de religion , pendant la
persécution. L'usage des lampes et des cierges, conservé aujourd'hui
même, dans les églises les plus éclairées, est dû à la profonde obscu-
rité qui régnait dans ces souterrains, et ce fut encore moins pour
les décorer que pour les rendre plus sombres, que l'on imagina, au
moyen âge, d'en peindre les verrières ; le goût en était si fort répandu
au XIIIe siècle, que nous pensons avoir à regretter ceux qui gar-
nissaient autrefois ces fenêtres où il serait facile de les remplacer.
Nous ne savons ce qui a déterminé l'addition de la construction
688 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
insolite qui enferme dans l'église l'ancien portail méridional dont
nous avons déjà parlé; sa vaste ouverture ogivale, dépourvue de ses
portes, est libre. Elle était autrefois décorée de la statue de Saint-
Avertin, ainsi que nous l'avons dit plus haut; elle ne s'y voit plus;
il est à présumer que ce sont nos iconoclastes de 1793 qui l'auront
renversée et détruite.
Avant de sortir de cet édifice, nous rappelerons que l'inventeur de
l'étonnante et merveilleuse machine de Marly y reçut la sépulture.
Son épitaphe, gravée sur un marbre blanc, était placée au bout
occidental de l'aile méridionale ; elle était ainsi conçue : Cy gissent
honorables personnes sieur Rennequin Sualem, seul inventeur de la
machine de Marly, décédé le 29 juillet 1 708 , âgé de 64 ans ; et dame
Marie Houelle, son épouse, décédée le 4 mai 1714, âgée de 84 ans.
La veuve Philibert, de Marly, en fit l'acquisition, lorsqu'on la vendit
pendant la révolution. Il serait fort convenable, il nous semble,
de restituer ce marbre à l'église de Bougival , pour perpétuer le sou-
venir de ce charpentier liégeois, qui, dit-on, ne savait pas même
lire; ses derniers jours, au dire des historiens, ses contemporains ,
furent abreuvés d'amertume et de dégoûts.
T. Pinard.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a procédé, dans sa
séance du 23 décembre 1846 , à l'élection d'un correspondant
en remplacement de M. Ideler, décédé. Les candidats présentés
étaient, 1° M. Lobeck, à Kœnigsberg; 2° M. Panofka , à Berlin ;
3° M. K. F. Hermann , à Berlin , auxquels l'Académie avait adjoint
M. Leemans à Leyde. M. Panofka, a réuni la majorité des suffrages.
Dans la même séance , l'Académie a pourvu au remplacement de
M. Duboys-Aimé , correspondant regnicole, décédé. Les candidats
présentés par la commission étaient, 1 ° M. Long , à Die ; 2° M. Eichoff,
à Lyon; 3° M. Rouard , à Aix; auxquels l'Académie a adjoint
MM. Fontanier et Prisse. M. Fontanier, agent diplomatique à Sé-
rampour, a réuni la majorité des suffrages.
Dans la séance du 30 décembre, l'Académie a procédé au renou-
vellement de son bureau annuel; M. Reinaud, vice-président sortant,
est monté au fauteuil de la présidence , M. Eugène Burnouf a été
élu vice-président.
— Dans sa séance du 9 janvier, la Société royale des Autiquaires
de France a renouvelé son bureau , qui est ainsi composé :
Président : M. Taillandier ;
Vice-présidents : MM. Ch. Lenormant et Ph. Le Bas.
Secrétaires : MM. Léon Renier et Grézy ;
Bibliothécaire : M. Maury;
Trésorier : M. Vincent ;
Commission des impressions : MM. de La Villegille , de Longpérier
et Bourquelot.
— M. Lottin de Laval, jeune et courageux artiste, parti il y a
trois années pour l'Orient , vient de rapporter, après avoir enduré
mille fatigues et bravé mille dangers , une collection de plâtres mou-
lés , par un procédé qu'il a découvert , sur des monuments perses et
assyriens d'un haut intérêt. A la différence de tant de voyageurs qui,
après avoir épuisé les sommes , quelquefois considérables , que le
gouvernement leur a allouées , reviennent les mains vides, M. Lottin
de Laval a fait des sacrifices pécuniaires importants dans le seul in-
térêt de la science. Sa récolte est abondante et lorsque l'on considère
avec quelle habileté il a su reproduire des sculptures du plus haut
relief ou du travail le plus délicat , on se prend à regretter que le
690 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
voyageur n'ait pas été , par l'envoi de quelque argent , mis à même
d'exécuter le vaste projet qu'il avait conçu , et qui consistait à mouler
dans leur entier les grandes sculptures de Persépolis , les inscriptions
du même lieu, celles de Van et les bas-reliefs de Schapour.
A défaut de ces richesses, que le procédé inventé par M. Lottin de
Laval nous permettra peut-être d'acquérir un jour, les nombreux
échantillons que nous avons pu examiner seront accueillis avec re-
connaissance par les archéologues et les artistes.
Dans le prochain numéro de la Revue, nous donnerons un cata-
logue détaillé de ces monuments dont la description n'a pu trouver
place dans cette livraison.
— Dans les travaux de nivellement que M. le capitaine Germain ,
commandant le dépôt de remonte du Bec-Hellouin (Eure), fait
exécuter sur l'emplacement de l'ancienne abbaye des Bénédictins du
Bec-Hellouin, on a trouvé une boîte en plomb d'environ 0m,65
de long sur 0m,40 de large et 0m,15 de haut, dans laquelle était
parmi des ossements et quelques parties de galons d'argent , une
inscription gravée sur plomb, qui établit l'authenticité de cette sé-
pulture. M. Germain a bien voulu nous transmettre une copie
exacte de cette inscription, dont l'original est encore entre ses mains,
elle est ainsi conçue :
OSSA ILLUSTRISSIME D. 1). MATHILDIS IMPERATRICIS INFRA MA-
JORE ALTARE REPERTA 2 MARTI 1684, IN EODEM LOCO COLLOCATA,
EODEM MENSE ET ANNO.
Mathilde était fille d'Henri Ier, roi d'Angleterre et duc de Nor-
mandie, veuve d'Henri V, dit le Jeune, empereur d'Allemagne, et
mère d'Henri H, roi d'Angleterre et duc de Normandie; c'était la
petite-fille de Mathilde, femme de Guillaume le Conquérant; elle
mourut à Rouen en 1 167, et fut inhumée dans l'église du prieuré de
Notre-Dame du Pré , aujourd'hui Bonne-Nouvelle.
D'après la chronique de l'abbaye du Bec-Hellouin , les restes de
Mathilde furent transférés du prieuré Bonne-Nouvelle en l'abbaye du
Bec, et déposés dans le chœur, devant l'autel.
En l'année 1 684 , lorsque les religieux du Bec firent établir les
fondements du magnifique autel qui, depuis 1793, décore le chœur
de l'église Sainte-Croix de Bernay, on découvrit les restes de l'impé-
ratrice Mathilde renfermés dans un cuir de bœuf; c'est alors qu'ils
furent placés dans la boîte de plomb qui vient d'être retrouvée.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 691
— M. le Ministre des travaux publics a chargé une commission ,
composée en grande partie de membres de l'Académie des sciences et
de l'Académie des beaux-arts, d'examiner les moyens les plus propres
à assurer le succès de l'une des parties les plus importantes des
travaux qui s'exécutent depuis plusieurs années à la Sainte-Chapelle
de Paris 5 cette partie des travaux s'applique à la restauration des
vitraux peints qui offrent un si grand intérêt. La commission , après
avoir entendu plusieurs verriers habiles , et passé en revue leurs
procédés, a été d'avis qu'il serait avantageux d'ouvrir un concours
sur un programme donné, et auquel seraient appelés à prendre part
tous ceux qui ont fait une étude spéciale de la peinture sur verre. Les
artistes et fabricants français qui désirent être admis à concourir ,
devront adresser, à cet effet, une demande à M. le Ministre des
travaux publics, avant le 15 février 1847. A l'appui de leur de-
mande , ils devront justifier de ressources industrielles suffisantes
pour l'exécution complète de la restauration projetée.
Nécrologie. — L'archéologie a fait depuis la publication de notre
dernier numéro, une perte que nous avons apprise avec un regret
d'autant plus vif qu'elle nous prive d'un de nos collaborateurs les
plus distingués : M. L. J. J. Dobois, sous-conservateur des An-
tiques du Louvre, est mort, à Paris, le 2 décembre, à l'âge de
soixante- six ans.
Il n'était point un savant, et n'a jamais eu la prétention de l'être.
Mais il s'était fait, dans l'archéologie, une place à part, qui ne sera
pas remplie de longtemps.
Son éducation fut celle d'un artiste. Élève de David, il avait puisé
dans cette école , le sentiment et le grand goût de dessin qui la dis-
tinguait des autres. Toute sa vie, il a été un excellent dessinateur,
non-seulement de l'antique, mais de toute espèce de figure.
De bonne heure, lié avecMillin et plusieurs antiquaires du temps,
il s'appliqua à l'étude de tous les monuments figurés , principalement
des vases et des pierres gravées; il devint en ce genre un des meil-
leurs connaisseurs. Dans ses voyages en Grèce, d'abord en 1814 et
1815, par les ordres de M. le comte de Choiseul-Gouffier, puis lors
de l'expédition deMorée, il rendit plus d'un service à la science.
On lui doit plusieurs catalogues raisonnes , tels que ceux des collec-
tions de Choiseul-Gouffier, de Mimaut, de Pourtalès, où l'on re-
692 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
marque une grande sûreté d'appréciation , une simplicité et une
brièveté d'explication , qui en font des modèles du genre. Son ami
Champollion le Jeune, l'appela au Musée du Louvre, pour l'aider
dans le rangement du Musée égyptien au Louvre. La diversité de
ses talents ne tarda pas à lui donner, dans cet établissement, une
position stable , et le rang de sous-conservateur des Antiquités. Dans
cette place, il a continué de rendre les plus grands services, non-
seulement pour le classement , et le rangement des antiquités , mais
pour l'acquisition des objets, faisant fonction d'expert. Nul mieux
que lui ne connaissait leur valeur vénale, et n'appréciait leur au-
thenticité. On ne cite pas , dans toute sa carrière , un seul exemple
d'une de ces méprises , dont les antiquaires les plus habiles, sans en
excepter Visconti, n'ont pas toujours su se garantir.
Dubois, qui n'écrivait rien, emporte avec lui une foule de détails
curieux , dont il se proposait de faire part au public , lorsque la mort
l'a enlevé à une science qu'il aimait, et dont il aurait certainement
hâté les progrès, s'il avait été moins modeste, et moins défiant de
ses forces.
Le dernier travail de Dubois, celui qui fera vivre sa mémoire, est
le dessin des poinçons destinés à reproduire typographiquement les
hiéroglyphes, à l'Imprimerie royale. Tout le monde admire l'élé-
gance et la pureté de trait de ces poinçons, tirés des monuments
pharaoniques des plus beaux temps.
Dubois préparait, dans les derniers années de sa vie, une nou-
velle édition de Y Introduction à la science des pierres gravées de
Millin , son maître. Nul n'a été plus que lui versé dans cette branche
de l'archéologie et au courant comme il l'était, des richesses glyp-
tiques contenues dans tous les cabinets de l'Europe, il eût certaine-
ment fait de cette nouvelle édition un ouvrage entièrement neuf et
plein d'intérêt.
Tous ceux qui l'ont connu , et qui ont eu recours à lui pour ob-
tenir des renseignements l'ont toujours trouvé bienveillant , commu-
nicatif , tout prêt à leur dire ce qui pourrait leur être utile.
Dubois n'a vécu que pour la science à laquelle il s'était exclusive-
ment consacré ; chargé des acquisitions du Musée des Antiques, il
s'est acquitté de ces fonctions délicates avec une probité et un dé-
sintéressement dont témoigne hautement l'honorable pauvreté dans
laquelle il est mort.
ANTIQUITÉS EGYPTIENNES
DU
MUSEE BRITANNIQUE
(british muséum).
La collection d'antiquités égyptiennes du Musée britannique est
la plus vieille et l'une des plus riches de l'Europe : c'est notre bril-
lante et aventureuse expédition sur les rives du Nil qui a en fourni
le noyau. Les objets recueillis en Egypte par Sait, Belzoni , Burton,
Yani et quelques dons de riches particuliers tels que lord Prudhoe ,
sir G. Wilkinson , H. Vyse, etc., ont successivement augmenté
cette intéressante série du Brilish Muséum.
Deux superbes lions de syénite ouvrent, d'une manière tout
égyptienne, l'entrée de la galerie , appelée the Egyptian saloon. La
première chose qui frappe les regards des visiteurs, et surtout des
Français, c'est une pompeuse inscription peinte sur les plus beaux
monuments de la grande salle, — la pierre de Rosette, le sarcophage
d'Amyrtée , le buste colossal de Ramsès et autres , sur lesquels on
lit en grands caractères :
CAPTURED IN EGYPT BY THE BRITISH ARMY, 1801.
PRESENTED BY KING GEORGE III.
Sans la fermeté et le courage des membres de l'Institut d'Egypte,
cette collection serait bien plus nombreuse. Le troisième article de
la capitulation qui fut offerte à Menou par le général anglais, lord
Hutchinson , portait :
«Quant à la Commission des Sciences et Arts, elle n'empor-
tera aucun des monuments publics, ni manuscrits arabes, ni cartes,
ni dessins, ni mémoires, ni collections, et elle les laissera à la dis-
position des généraux et commandants anglais.»
A peine les savants de l'expédition eurent-ils connaissance de cet
article de la capitulation qu'ils s'adressèrent au général Menou pour
protester contre le pouvoir abusif qui , sans les consulter, aliénait
ni. 45
694 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
leur propriété individuelle et les dépouillait du fruit de leurs
travaux. Obligé de reconnaître la justice de leur réclamation , Menou
écrivit au général anglais qui refusa de résilier cette étrange condi-
tion. Les membres de l'Institut députèrent alors vers le général en-
nemi trois de leurs collègues, MM. Geoffroy, Delille et Savigny,
chargés de lui déclarer que la violence dont ils se voyaient menacés
était contraire à toutes les lois des nations , et que s'il persistait à
exiger leurs dessins, manuscrits et collections, ils les jeteraient à la
mer et dénonceraient à l'Europe l'odieux attentat qui frappait en eux
le monde civilisé. Cette détermination , qui menaçait d'anathème le
nom de Hutchinson, fit révoquer sa mesure spoliatrice. Ce fut ainsi
que nos savants sauvèrent , par la seule énergie de leur caractère ,
le précieux trésor de documents qu'ils avaient recueilli au milieu des
dangers et des privations de tout genre. Les monuments, considérés
comme propriété nationale , tombèrent en la possession des Anglais
et figurent aujourd'hui au British Muséum en témoignage de la va-
leur britannique. Le grand ouvrage intitulé Description de V Egypte ,
ce beau livre , destiné par son prix à ceux qui n'ont pas le loisir ou
la volonté de le lire , fut notre seul trophée de cette mémorable
campagne (1).
Parmi les monuments tombés entre les mains des Anglais , par
(1) On aime autant à connaître le caractère des auteurs qu'on lit que celui des
gens qu'on rencontre dans le monde; il n'est pas hors de propos de dire ici que
l'instigateur des mesures qui ont failli nous priver de tous les matériaux recueillis
par les savants de la commission , est M. William Harnilton , l'illustre auteur d'un
ouvrage beaucoup trop estimé et intitulé : JEgypliacu or some accounl of Ihe
ancient and modem state of Egypt as obtainedin ihe years 1801-1802. 1 vol.
in-4° de texte et 1 vol. pet. in-fol. de planches (fort mal dessinées). Lbndoh , 1800.
Martin, dans son Histoire de l'expédition d'Egypte, t. II, p. 291 , rapporte
que: « M. Hutchinson était poussé dans cette a flaire par un M. Harnilton qui désirait
infiniment s'approprier les travaux faits par les Français en Egypte M. Hut-
chinson se désista enfin de ses prétentions ; M. Harnilton même, se rapprochant de»
membres de la Commission, leur demanda la permission d'aller les voir à Alexan-
drie , dans l'espoir au moins de Jouir de la \ue de leurs beaux dessins , les assurant
qu'il n'avait rien tant à cœur que de regagner leur estime et leur confiance;
qu'étant venu dans le même but qu'eux , il désirait profiter de leurs lumières et de
leur expérience. Les trois commissaires lui promirent au nom de leurs collègues de
faire tout ce qui , sous ce rapport, pourrait lui être agréable- M. Harnilton vint en
effet, et, après avoir vu une grande partie des dessins, il proposa à quelques-uns
des membres de la Commission de retourner avec lui dans la haute Egypte; il alla
même jusqu'à lés engager à publier en Angleterre le résultat de leurs travaux ,
leur promettant les plus brillants effets de la munificence du gouvernement anglais.
Mais on lui ferma la bouche par un seul mot : « Si vous étiez dans la même position
« que nous, lui dit-on, viendriez-vous en France? » Il sentit la justesse de cette
réplique et se tut. a
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 695
suite, de là capitulation d'Alexandrie, figure en première ligne la
fameuse pierre de Rosette dont la triple inscription a été, comme on
sait , la source féconde de l'interprétation des écritures égyptiennes.
Près de cent ouvrages ont été écrits sur ce précieux monument, et
nous dispensent d'entrer ici dans aucun détail à ce sujet. Nous men-
tionnerons seulement la belle découverte de M. de Saulcy (1) qui
complète l'étude philologique du décret des prêtres de Memphis en
faveur de Ptolémée Epiphane.
Le fameux sarcophage , trouvé à Alexandrie dans la mosquée de
Saint- Athanase et décoré si pompeusement par les Anglais du nom
de tombeau a" Alexandre le grand , fait aussi partie de leurs dépouilles
opimes (2). Ce sarcophage de brèche verte paraît avoir contenu la
momie d'un roi dont le nom, fort difficile à lire, a toujours été con-
sidéré comme celui d'Amyrtée, pharaon de la vingt-huitième dynastie,
qui réussit à délivrer l'Egypte du joug des Perses et s'empressa de
réparer leurs dévastations. L'exécution des hiéroglyphes et des figu-
rines qui couvrent ce magnifique sarcophage est parfaite, et l'on est
tenté de croire , vu la longueur d'un pareil travail sur la matière la
plus dure, que le premier soin de ce pharaon , dont le règne dura
seulement six ans , fut de commander son tombeau. La pensée de la
mort était la préoccupation journalière des Égyptiens ; elle se ma-
nifeste dans tous les actes de leur vie, ils semblent n'en avoir jamais
envisagé que le dernier terme : ils ont consacré toute la force , toute
la puissance dont ils étaient animés à rendre leur cadavre impéris-
sable, à lui faire une demeure indestructible, à édifier ce qu'ils ap-
pelaient une maison éternelle.
Deux autres sarcophages , possédés aujourd'hui par les Anglais ,
étaient également destinés à orner notre collection nationale : l'un ,
en granit noir, a fait longtemps au Caire, au bas de l'escalier de
Gama-el-Goury , l'ornement d'une citerne que les Égyptiens appe-
laient la Fontaine des Amants, et sur laquelle ils débitaient maints
contes merveilleux. Il avait été taillé et soigneusement sculpté pour
contenir la dépouille mortelle et perpétuer la mémoire d'un scribe
royal , nommé Hapimen. L'autre sarcophage , en basalte noir, est
aussi d'un superbe travail. Il porte le nom d'Amasis , pharaon de la
vingt-sixième dynastie (3), qui usurpa la couronne sur Apriès.
(1) Voy. Analyse grammaticale du texte démotique du décret de Rosette, par
F. de Saulcy, t. ï , lre partie, 1 vol. in-4. Paris , 1845.
(2) Pour avoir une idée de ce monument voyez Description de l'Egypte. Anti-
quités , vol. V, pi. 40.
(3) \ royez Description de l'Egypte. Antiquités 1 1. V, pi. 25.
696 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Deux petits obélisques de basalte noir portent les légendes d'Amyr-
tée en l'honneur du dieu Thoth Ibiocéphale (le second Hermès)
auquel ce pharaon paraît avoir voué un culte tout particulier. Les
légendes hiéroglyphiques gravées sur les quatre faces disent que -Je
Souten et le Hit, seigneur du monde, <jsoleil approuvé par Moui>,
le fils du soleil, <Meri-Thot, Nacht Hor em Hebi^>, vivant comme
le soleil, a fait exécuter ce monument en Vhonneur du dieu Thoth, deux
fois grand , seigneur de Schmoun (Hermopolis), seigneur-dieu, grand,
et a érigé les obélisques dans la demeure du dieu. Ces deux obé-
lisques, dont les hiéroglyphes sont sculptés avec une rare perfection,
ont été trouvés au Caire et paraissent provenir des ruines de Mem-
phis. lis ont été gravés dans le grand ouvrage de la Commission (l).
Deux poings colossaux en granit, capturés aussi par l'armée bri-
tannique, sont parfaitement placés dans cette collection. C'est un
véritable emblème national que tout Anglais doit considérer avec
orgueil. Ces deux poings, qui proviennent des ruines de Memphis,
sont connus par divers dessins et ont été souvent reproduits.
A côté de ces monuments conquis par la valeur britannique, sui-
vant l'expression du docteur Young, on en voit d'autres dont tout
paraissait assurer la possession à la France, et qui ont été acquis sur
notre sol par l'argent britannique ; ce sont la Table dAbydos et le
sarcophage dïOnkhnas. J'écrirais volontiers sur ces deux monuments:
CAPTURED IN FRANCE BY THE BRITISH MONEY, 1834-1837.
La table d'Abydos, cette vénérable page de l'histoire égyptienne,
semblait devoir, à plus d'un titre, orner le Musée royal du Louvre.
Elle avait été acquise en Egypte par M. Mimaut , consul général de
France, qui l'apporta à Paris. A sa mort, survenue peu de temps
après son arrivée, sa collection fut mise en vente et la table d'Abydos
fut achetée par les conservateurs du Brilish Muséum pour la somme
de quatorze mille francs. C'est ainsi que, par une misérable spécu-
lation des héritiers de M. Mimaut, ce précieux monument, vendu à
l'enchère, a passé au Musée britannique, dont il est un des plus
beaux ornements.
Cette Table célèbre a été plusieurs fois décrite et dessinée ; après
tout ce qui a été dit, pour en parler de nouveau il faudrait écrire
un mémoire sur les dynasties égyptiennes. Je me bornerai en pas-
sant à noter ici que le catalogue de la collection Mimaut, dressé par
M. J. J. Dubois , contient une notice intéressante sur l'état de con-
(1) Voyez Antiquités , t. V, pi. XXI et XXII.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 697
servation de ce précieux monument et un examen critique des copies
qu'en ont données divers voyageurs (1).
La Table d'Abydos, qui est en calcaire d'un grain fin et dont plu-
sieurs parties ont été détruites, est aujourd'hui maladroitement en-
castrée dans un cadre de pierre; il eût été plus intelligent de laisser
un peu d'espace autour de ce curieux fragment pour le restaurer et
lui rendre sa valeur primitive en figurant par un trait rouge tout ce
qui a disparu , soit avant , soit depuis sa découverte.
Une autre spéculation a mis aussi le British Muséum en possession
du plus beau sarcophage connu, celui qui avait contenu la momie
de la reine Onkhnas, épouse d'Amasis. On ne saurait trop flétrir de
pareils marchés, quand ils sont faits par des fonctionnaires de l'État,
qu'une mission conduit en pays étranger. Lors du voyage fait à Thèbes
par le navire français le Luxor, les officiers de l'équipage trouvèrent,
près du temple de Tmei et Hâthor, un superbe sarcophage de basalte
vert tout sculpté de bas-reliefs et d'inscriptions. Séduits par la beauté
de la pierre autant que par les qualités du travail, ils le firent tirer à
grand' peine, par les matelots, d'un puits funéraire de cent vingt-
cinq pieds de profondeur, avec les cabestans d'un bâtiment de l'État,
l'apportèrent en France avec l'obélisque , et le vendirent au Musée
royal de Londres (2). Triumph of the buitish money over the
frenchnavy! La loi n'atteint pas de semblables félonies , mais, à dé-
faut de châtiment infligé par les tribunaux, l'opinion publique, cette
justice suprême de la société , doit punir les auteurs de ce genre d'in-
civisme , et punir sévèrement, tant l'exemple est contagieux , tant la
chose devient fréquente :
This is a common vice , though ail things hère
Are sold, and sold unconscionably dcar.
Le magnifique sarcophage d'Onkhnas est couvert, tant à l'intérieur
qu'à l'extérieur, d'inscriptions hiéroglyphiques qui retracent à plu-
sieurs reprises le nom de la défunte dont l'image, sous les attributs
d'Hâthor, est sculptés en haut relief sur le couvercle du sarcophage.
Le nom de la reine Onkhsen ou Onkhnas Re nofre Hét, est beau-
coup plus fréquent sur les monuments de la vingt-sixième dynastie
que celui de son époux, AmAsis-NeWise. En effet, les légendes du
(1) Cf. Description des Antiquités égyptiennes, etc., composant la collection
de feu M. Mimaut. Paris, 1837, p. 19 et suiv.
(2) Voyez au sujet de ce sarcophage un intéressant article de M. Champollion-
Figeac dans le Moinleur du 25 juillet 1833. — Voy. aussi Synopsis or guide book
oflhe British Muséum, p. 4. London, 1843. — Léon de Joannis, Campagne pit-
toresque du Luxor, p. 143 et suiv.
608 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sarcophage disent que. cette reine eut pour mère Netocris, épouse
de Psammetik II. Amasis; qui usurpa la couronne d'Apriès et épousa
la sœur de ce pharaon, gouvernait pour ainsi dire au nom de la reine,
qui succédait à Iacouronne, à défaut d'enfant mâle ; le titre qu'elle porte
dans son cartouche — Re nofre Eêt est un véritable prénom royal.
Il est probable qu'au jour de l'invasion des Perses , ce sarcophage,
tiré de son caveau royal , fut caché au fond d'un puits dont quelque
traître livra le secret. Le sarcophage fut ouvert, et la momie dorée ,
après avoir subi sans doute des outrages pires que ceux infligés au
corps d' Amasis , fut brûlée près du cercueil. Le puits, à demi comblé
aujourd'hui , renferme plusieurs chambres sépulcrales qui paraissent
n'avoir jamais reçu de décoration.
Revenons maintenant aux autres monuments contenus dans cette
salle, et commençons par les deux superbes lions qui en décorent
Sfë « (M^BôfljâgiH ^ Çgi£>e&g. i5S4£ v^M
» *MuULl4^''''t>'■,''^l^^"T7i^u1^tît^,;;it^!Aii•'i^^^^liT,u ••••!"Mjilwiilli!Hj|||i_„„ m . „||
l'entrée. Ils ont été rapportés de Gebel Barkal par lord Prudhoe
qui en a fait présent au Musée britannique. Ces deux lions de gra-
nit rose sont d'un admirable travail et probablement le chef-d'œuvre
de la plus belle époque de la sculpture égyptienne. Ils reposent l'un
sur le flanc gauche, l'autre sur le flanc droit, la tête tournée vers le
spectateur, les pattes de devant croisées et l'une des pattes de der-
rière retournée. Il y a un naturel parfait dans ce repos et une mol-
lesse étonnante dans les chairs de ces lions de syénite : ils semblent
pétrifiés. L'un d'eux était brisé, mais les fragments ont été réunis
avec soin, et, ainsi restaurés, ils nous ofl'rent ce que l'art égyptien a
laissé de plus beau et de plus noble en ce genre.
Ces monuments portent diverses inscriptions, celle qui se lit sur
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 699
la base de celui que nous représentons ici se traduit :.... L'approuvé
des dieux , le roi seigneur des deux terres , seigneur des autres choses
royales < soleil seigneur des Mondes>, le fils du soleil seigneur des
diadèmes <CAmoun > a réparé ou embelli les édifices de son père,
le roi seigneur des deux mondes <soleil seigneur de justice, germe (?)
du soleil>, le fils du soleil <CAmounôph, directeur d'Egypte^- a fait
(le lion) avec ses constructions à son père Amon-Ra, seigneur des trônes
ai monde, à Athom , seigneur de la terre de Pouné et à Ioh-Thoth; il
Va fait afin d'être vivifié comme le soleil à toujours. Cette inscription
n'occupe qu'une moitié de la base et devait être complétée par une
autre qui n'a pas été gravée : sur la crinière, on voit aussi le nom
et les titres d'Amounôph III, appelé dieu bienfaisant, lion des rois,
ou modérateur, etc. Enfin, au-dessous de cette inscription, on lit les
cartouches d'Amounasro.
t *m ; S^
Leemans, qui a rapporté ces inscriptions d'une manière assez fau-
tive (l), prétend que le cartouche martelé est celui d'Horus, et que
le roi éthiopien , Amounasro de la vingt-cinquième dynastie , y a
laissé subsister seulement le mot Amoun pour inscrire à la suite les
signes qui achèvent son propre nom. Pourtant la fin du cartouche
qu'on voit sur la poitrine ne concorde certainement pas avec celui du
roi Horus , mais suivant toute probabilité celui d'Amounôph III. Le
cartouche martelé paraît être celui de Amountoonhh ou Amounonkh-
tou, dont il présente encore les principaux éléments. Cette inscrip-
tion est d'autant plus importante qu'elle fixe la place de ce cartouche
qu'on ne savait encore au juste dans quelle dynastie ranger. Mais
cet Amountoonkh était-il le frère aîné d'Amounôph III comme
le prétend Wilkinson? Était-il le fils aîné de ce pharaon, ou tout sim-
plement son gendre ? En attendant une solution précise de ces ques-
tions difficiles dont l'examen dépasse les bornes de cet article, on peut
hardiment placer ce cartouche avant celui d'Horus dans les listes royales.
(1) Monuments égyptiens , etc., pi. XI et XII , p. 64.
700 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Du reste, ce monarque a dû avoir un règne assez glorieux pour mériter
un souvenir dans l'histoire. Plusieurs pierres employées dans les
propylées de Karnac et le pylône de la salle hypostyle contiennent
des bas-reliefs qui portent ses légendes et des fragments de scènes
militaires (l). Dans le superbe hypogée de Gournah morrai, creusé
pour un gouverneur des terres du midi ( l'Ethiopie ) , le royal fils de
Kousch présente à ce pharaon de nombreux tributs en anneaux d'or,
en sachets de pierreries et de matières précieuses ; plus loin il reçoit
de semblables tributs des chefs de Lodan ou Rotennou. Enfin, on
trouve représentés , parmi les divers fonctionnaires qui assistent à ces
cérémonies, un purificateur, un grand pontife et un prêtre d'Amoun-
toonkh (2) , personnages dont la présence atteste suffisamment les
honneurs rendus à ce pharaon.
L'autre lion porte une inscription du même genre que la précé-
dente; elle occupe toute la base, mais les cartouches ont dû con-
tenir primitivement un même prénom semblable en tout à celui
d'Amenophis , qui à cette époque portait les mêmes signes hiérogly-
phiques dans les deux cartouches de sa légende.
Champollion , ni Rosellini n'ont aperçu cette particularité ; sir
G. Wilkinson (3) est le premier qui a remarqué cette identité des deux
cartouches primitifs d'Amounôph. J'ai depuis fait la même observation
sur divers cartouches de rois de la même dynastie, et je n'ai pu encore en
trouver une raison explicative. L'inscription gravée sur le deuxième lion
met en évidence , pour les savants dont les explorations ne sortent pas
des musées d'Europe, que lorsque Amounôph fit sculpter cette dé-
dicace il portait le nom et le prénom composés des mêmes signes.
Il est probable que ces lions qui étaient placés à l'entrée d'un
dromos des temples de Djebel Barkal, selon toute apparence l'an-
cienne Napata, capitale de la basse Ethiopie, y avaient été transportés
de Soleb par un roi éthiopien , nommé Amounasro ou Asorouamon,
qui fit graver son nom sur les pattes de l'un et sur le cou de l'autre.
A en juger par le travail et par la place qu'elles occupent, ces légendes
(1) Voyez Monuments égyptiens, bas-reliefs, peintures , inscriptions , etc.,
d'après les dessins exécutés sur les lieux, par E. Prisse d'Avennes, pour faire
suite aux Monuments de l'Egypte et de la Nubie, de Champollion le Jeune.
1 yoK grand in-folio. Paris, Didot, 184G.
(2) Champollion, qui a décrit avec soin ce tombeau du prince d'Ethiopie , n'ayant
pas eu connaissance d'autres cartouches , qu'on ne trouve complètement conservés
que dans les ruines de Karnac et sur quelques amulettes , attribue ce nom à un des
Amcnothph. « Le cartouche du roi, dit-il, p. 480 des Notices descriptive s, est bien
le prénom du roi Amenôph ou Aménémès ou Amenemsès. »
(3) Maleria Hierog., p. 87. — Topography of Thebes, p. 473.
ANTIQUITES EGYPTIENNES. 701
ont été sculptées longtemps après celles d'Amounôph III. L'époque
précise du règne de ce roi éthiopien est assez difficile à déterminer,
mais , d'après le style des hiéroglyphes , et d'autres circonstances, on
est port é à lecroire contemporain des Ptolémées plutôt qu'à lui assigner
une place dans les lacunes laissées par les monuments entre les rois
connus de la XXVe et de la XXVIe dynastie.
On remarque dans cette première salle du Musée égyptien un
bloc de syénite d'environ quatre pieds de hauteur autour duquel
sont taillées, presque en ronde bosse, six figures qui se donnent
la main. Il y en a deux sur les faces les plus larges et une seulement
sur chacun des côtés. Le pharaon Thoutmès III, qualifié de dieu
bienfaisant, soleil stabililear de l'univers, aimé d'Amon-Ra, y est
représenté deux fois en relief plus saillant que les autres figures,
702 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vêtu de la schenlei, et coiffé probablement du pschenl qui a disparu.
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1 et 5.
3.
6.
Il donne la main d'un côté à Mandou, ou Month-Ra, seigneur du
ciel, résidant au milieu de la terre de puissance (V Egypte), et de
l'autre à Hâthor, gardienne de la terre de puissance, dame du ciel,
régente des dieux.
Ce monolithe remarquable par la beauté et le poli de la matière,
l'est encore davantage par la pureté et le fini du travail. Malheureu-
sement il a été fort endommagé : les pieds de toutes les figures man-
quent et quelques têtes ont été brisées. Il gisait au milieu des ruines
du palais de Karnak, en face du promenoir de Thotmès, où l'on voit
encore un large piédestal qui paraît lui avoir servi de base. Lors de
l'expédition d'Egypte, des Français avaient l'intention de l'enlever,
mais ils abandonnèrent ce projet à cause des difficultés de l'exécu-
tion (l). Il fut enlevé et expédié en Angleterre par Belzoni pour le
le compte de M. Sait, qui le céda au Musée britannique , en 1821.
Ce monument a été gravé dans la Description de V Egypte, A. t. III ,
pi. XXXI, mais d'une manière assez inexacte. Les hiéroglyphes
en sont si incorrects que Champollion ( lettre au duc de Blacas) avait
lu les noms de Amon-Ra ,' Mandouei, Neith et le roi Thoutmosis,
au lieu de ceux que nous avons transcrits.
(1) « If we may judge from the French engraving one of the maie figures was
« entire at the lime when their drawing was madc ; and Ihe olher was cntire ail
« but the head. The injury was possibly done in the atternpt lo remove il. » ( The
Brilish Muteum,^. 37, vol. II). Avis aux amateurs qui restaurent leurs dessins.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 703
Un des plus curieux spécimens du symbolisme égyptien est un
petit monument en granit noir, représentant une barque ou bari
(j^ jK
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dont la proue est ornée d'une double tète d'Hâthor, et sur les bords
de laquelle on a sculpté les yeux d'Horus. La reine est assise sur
un trône, tenant l'emblème de la vie divine; debout derrière elle le
704 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
vautour sacré , emblème de la maternité (Horap. Hierog., I, 11),
semble la protéger de ses ailes. Une inscription enfermée dans un
long cartouche court sur les deux côtés de la barque , et , si l'on exa-
mine la légende qu'elle contient ou plutôt celle qui se lit aux pieds
de la reine, près d'un groupe d'offrandes, on voit que tout ce petit
monument est une allusion au nom que renferme ce cartouche, —
la royale épouse, la grande, la mère divine Mauth-hem-ba ou Maute-
moua, qui signifie la mère dans la barque, et fut porté par la reine
épouse de Thoutmès IV et mère d'Amenophis III. Ce petit monu-
ment a beaucoup souffert et toute la partie supérieure de la figure
et les extrémités de la base manquent ; il fut trouvé dans le palais de
Louqsor, où Amounôph l'avait sans doute consacré à la mémoire de
sa mère.
Deux chambranles de porte pris dans un hypogée des environs des
pyramides sont d'une haute antiquité; ils décoraient l'entrée du
tombeau d'un haut fonctionnaire nommé Toti qui doit avoir vécu
sous le règne de Schafre , pharaon de la quatrième dynastie. Par une
flatterie assez commune à l'époque des premières dynasties et qui a
été remise en usage sous les Saïtes, les noms d'hommes et même
de femmes étaient souvent composés du cartouche du roi suivi de
quelque épithète. Ainsi, un des fils de Toti s'appela Schafre-ônkh,
c'est-à-dire le vivant Schafré; un autre Schafre-osh, le glorieux Scha-
fre; une fille Schrafre-nofre.... la bonne Schafré. Cette particularité
qui avait induit en erreur plusieurs égyptologues (1), a été signalée
par M. Birch dans un opuscule sur le tombeau qui nous occupe (2).
11 existe au Brilish Muséum deux proscynèmes et des petits sphinx
provenant du temple compris entre les pattes du grand sphinx des
pyramides de Ghizeh.
(1) C'est de l'ignorance de ce fait que provient l'erreur de Rosellini et de Wil-
kinson qui ontqualiûé Cheops de prêtre royal, parce que le cartouche de ce roi en-
trait dans le nom d'uu prêtre attaché à son service. N. L'Hôte a poussé l'ignorance
encore plus loin en donnant, p. 32 de ses Lettres , l'image d'un fonctionnaire
nommé Papi-ônkh pour le portrait du pharaon Papi lui-même. Dans ces mêmes
Lettres, p. 47-48, l'auteur fait descendre Osorlasen II d'un intendant nommé
Thoulopht. « Cette circonstance , dit-il, est un fait nouveau acquis à l'histoire des
dynasties égyptiennes. Elle est mise hors de doute par la lecture des inscriptions
qui accompagnent la figure du roi. » Le prétendu pharaon qui marche à la suite
du défunt est tout simplement son troisième (ils qui se nommait Osortasen-ônkh ,
probablement parce qu'il était né sous le règne du pharaon de ce corn. Les Lettres
de N. L'Hôte fourmillent d'erreurs de ce genre et d'assertions aussi fausses que ridi-
cules.
(î) Voy. S. Birch's Description of an Egyptian Tomb, in-4. London , 1841.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 705
Parmi quelques figures de divinités , de grandeur naturelle , on
distingue une statue du dieu Nil , appelé en égyptien Hapi-moou ,
les nombreuses eaux, par allusion à tous les canaux qui fécondent
la vallée. Derrière la jambe du dieu, on a représenté une petite
image de Scheshonk , pharaon de la vingt-deuxième dynastie.
On voit un fragment d'u n naos en basalte vert taillé sous
le règne de Nectanèbe dont le cartouche-prénom est
inscrit dans les franges de la bannière. Au-dessus de
la corniche de ce petit monument, il reste encore une
ligne de pattes d'oiseaux ; ce vestige indique qu'il était
couronné d'une rangée de volatiles, de vautours ou
d'ibis, au lieu d'avoir, comme de coutume , des urœus
ou des cynocéphales. C'est le seul exemple de ce genre
que j'aie jamais rencontré. Les pattes sont trop faibles
pour appartenir à des vautours, qui sont des symboles
de l'hémisphère supérieur tandis que l'hémisphère in-
férieur est représenté par un urœus, elles doivent
avoir fait partie de figures d'Ibis , symboles de Thoth.
Sur le sarcophage n° 86 du catalogue, on voit un
petit pyramidion en pierre calcaire portant les lé-
gendes d'Enintefnaa que j'ai déjà publiées dans cette
Revue ( t. II , p. 7 ). Ce petit monument a été trouvé
à Gournah et offert au Musée par sir G. Wilkinson.
Les stèles que renferme la collection du British Muséum sont
assez nombreuses. Parmi celles qui portent des dates et des légendes
royales, nous citerons les suivantes :
m
{;:/;°n;=ËMofâ
MZVfiçirySEï
3.
f^î^dEMAfâ
706 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
4.
\i) n n n i © ww^ n • • i wwwv
Parmi les monuments historiques du même genre, on distingue
encore une petite stèle en calcaire, grossièrement peinte, qui repré-
sente un acte d'adoration à Amounôph Ier ou Amounôph Resorka,
suivi de sa femme , Ames ou Âlimes-Nofreari l'Éthiopienne, et d'une
autre reine , une blanche, uncÉgyptienne sans doute, qui bien que son
titre semble la désigner comme fille du roi, me paraît avoir été une de
ses femmes, épousée dans la vieillesse du pharaon. Le dicton égyptien
d'aujourd'hui avait peut-être déjà cours alors. «Prends une noire pour
le plaisir et une blanche pour les yeux. » La reine Ames Nofreari,
toujours peinte en noir (2), paraît être une Éthiopienne de sang royal
dont la plupart des pharaons de la dix-huitième dynastie et des
dynasties thébaines postérieures, sont issus et à laquelle ils ren-
dirent des honneurs religieux. Le nom ne se retrouve point dans le
(1) La plupart des légendes hiéroglyphiques qui entrent dans cette notice présen-
tent des incorrections inhérentes aux caractères typographiques qu'on a voulu em-
ployer pour en faciliter l'impression. N'ayant pu obtenir de l'Imprimerie royale un
texte plus correct, après deux mois de délais , on a été forcé de laisser subsister
ces erreurs en se réservant de les signaler.
JS°* 1, 2 et 3. Tous les signes de ces trois inscriptions sont exacts : ils ne sont pas
groupés de la même manière que sur les monuments originaux, mais le seus n'en
est pas altéré.
N° 4. Il manque au-dessus du cartouche le signe symbolique du ciel.
N° 5. Les deux segments de sphère qui suivent les deux parties du Pschent de-
vraient être placés au-dessous de ces coiffures royales.
(2) Une peinture des tombeaux de Gournah représente Amounftph Iev peint en
noir comme un Éthiopien. Voy. aussi Charapolllon , Monuments de l'Egypte et de
la Nubie. PI. CLXII.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 707
tableau de famille d'Amounôph Ier (1), ni dans uue autre liste dé-
couverte à Thèbes par un de mes amis, G. Lloyd de Brynestyn.
Une stèle ptolémaïque, portant le n° 147, offre une grande ana-
logie avec la stèle de M. Harris que j'ai publiée dans mes Monuments
Égyptiens. Voy. pi. XXVI.
Enfin une stèle en grès du règne de Tiberius César. Cet empereur
«i*=(ÎESE1^XQ!ïl
y est représenté agenouillé, faisant offrande à Mauth et àKhons (2).
Il y a encore diverses stèles de l'époque romaine, mais elles
manquent de cartouches et de dates.
Parmi les stèles funéraires qui ne portent point de légendes royales
et ne contiennent que des actes d'adoration et des prières, la plus
intéressante , non-seulement du Musée britannique . mais encore de
toutes celles connues jusqu'à ce jour, est une petite stèle en pierre
(1) Conf. Monuments Égyptiens } etc., pi. III.
(2) Les caractères de l'Imprimerie royale ont forcé de disposer les signes de ces
deux cartouches autrement que sur l'original , mais la lecture reste la même.
708 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
calcaire, dont sir G. Wilkinson avait publié une partie dans son
Panthéon et que je viens de publier en entier dans mes Monuments
Égyptiens y pi. XXXVII. La partie supérieure est occupée par une
déesse vue de face et placée debout sur un lion passant : elle présente
dune main un bouquet de lotusàAmon Rhat-en-nouf(i), et de l'autre
deux serpents à Ranpo ou Renpho , divinité dont le rôle n'est pas
connu et qui ne se rencontre que sur des monuments de ce genre ,
jamais dans les temples, que je sache. La légende de la déesse, qui se
traduit Koun, reine absolue du ciel, semble indiquer que cette divinité
représente le principe femelle de la nature , en rapport avec Amon,
le principe mâle , et un autre dieu qui complète peut-être cette
triade à la manière indienne et paraît indiquer la destruction. La
divinité représentée dans le registre inférieur, et à laquelle les
défunts adressent leur prière, est Anla ou Tanata (avec le t article
féminin ), l'origine primordiale du grec eàva-roç, la mort, et qui a la
même signification dans les langues sémitiques. Tanata est la com-
pagne habituelle du dieu Ranpo.
Il existe au Brilish Muséum un autre petit monument en pierre
calcaire , portant de chaque côté une figure en bas-relief. L'une re-
présente Ramsès le grand, tenant l'emblème des panégyries fTt,
et l'autre, la déesse ^JJ^, montée sur un lion , tenant d'une main
des lotus et de l'autre des serpents. La déesse ne porte aucun nom,
mais tout l'ensemble de cette représentation ne laisse aucun doute
sur l'identité des déesses auxquelles sont consacrées l'une et l'autre
stèle , non plus qu'à l'égard des attributs mutilés sur celle que j'ai
publiée et qui paraît aussi , par son beau style , remonter à l'époque
de la dix-huitième dynastie.
On voit encore dans cette salle plusieurs fragments de peintures
sur enduit de terre qui ont été arrachées dans les hypogées de
Thèbes. Ils sont compris sous les numéros 169 à 181, et furent pré-
sentés en 1834 par sir H. Ellis, directeur du Musée.
On peut juger, partout ce qu'il existe au Brilish Muséum de
fragments brutalement détachés des ruines égyptiennes, que les
Anglais ont plus dévasté que nous. S'ils n'entretiennent point le pu-
blic des nombreuses déprédations de Sait , de Bob-slraw , lieck , etc.,
ils ne manquent pas de mentionner l'enlèvement par Champollion
(1) Koun, en égyptien , signifie les aines sans distinction de sexe : avec l'article
féminin le cunnus des latins, dont il est évidemment l'origine.
ANTIQUITES EGYPTIENNES. 709
d'un bas-relief du tombeau de Menepthah, à Thèbes (1) , et de le dé-
signer à tous les visiteurs comme l'auteur de mutilations exercées
par d'autres. J'ai passé bien des heures à effacer des injures et des
malédictions prodiguées à l'immortel auteur de la Grammaire égyp-
tienne, et entre autres cette inscription, parodie d'une célèbre épitaphe :
CHAMPOLLION.
Dost thou wish to behold his works , look around.
En vérité, regardez donc impartialement autour de vous et con-
fessez que si vous comprenez aujourd'hui quelque chose à ces mysté-
rieuses représentations , si tous ces textes ne sont plus lettre close ,
c'est à son génie que vous le devez. Dost thou wish to comprehend
his genins , look around and try to read.
Les salles supérieures du Musée égyptien contiennent une foule
d'objets, parmi lesquels je remarquai d'abord des cercueils du plus
haut intérêt , ceux de Menkaré, d'Enintef , et plusieurs momies
gréco-romaines.
Le cercueil de Menkaré ou Mycérinus, dont M. Lenormant a ré-
vélé l'existence au public français, en traduisant et annotant l'opus-
cule de M. Birch , est un des plus intéressants débris de l'antiquité
égyptienne. Composé de plusieurs planches de bois de sapin, ce cer-
cueil porte une inscription hiéroglyphique dont la signification
prouve non-seulement, qu'il a servi à contenir la dépouille mortelle
de Mankaré , mais encore qu à l'époque de la quatrième dynastie la
langue égyptienne était déjà fixée et écrite avec les mêmes caractères
que nous retrouvons encore employés trois mille ans plus tard sur
les monuments. Le cartouche de Mankaré offre beaucoup d'analogie
avec un autre qui paraît aussi fort ancien , et qui pourrait bien en
être une variante. Le Musée du Louvre possède un scarabée qui
porte ce cartouche doublé.
Le sarcophage de Mankaré, trouvé aussi par le colonel H. Vyse
dans la troisième pyramide, ne portait aucune inscription , et était
simplement orné comme un naos égyptien. Il fut embarqué à Alexan-
drie, dans l'automne de 1838, à bord d'un navire marchand qui nau-
fragea et se perdit corps et biens aux environs de Carthagène.
Le colonel H. Vyse, qui a fait exécuter d'importants travaux dans
la nécropole de Memphis, a dépensé, dit-on, environ dix mille livres
(1) Ce superbe bas-relief colorié esl déposé dans les salles basses du Louvre.
III. 46
710 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
sterling ( deux cent cinquante mille francs ) pour faire des fouilles
aux pyramides et publier le résultat de ses recherches. Le chiffre est
évidemment fort exagéré : avec une pareille somme il y aurait de
quoi explorer toute l'Egypte d'une manière plus fructueuse.
On voit dans cette même salle une caisse de momie entièrement
dorée , couverte de légendes royales et parfaitement conservée , qui
fut découverte, en 1827, par les Arabes de Gournah dans une partie
de la nécropole de Thèbes appelée Dra abou nagga. Elle était dans
un sarcophage, qui n'a jamais été détaché du roc calcaire dans lequel
a été creusée Tunique salle du petit tombeau isolé de ce roi. Au-des-
sus des linceuls et des bandelettes , sur la tète du défunt, on trouva
un diadème orné de l'uraeus en or, et, de chaque côté du corps, deux
arcs et des flèches armées de silex. L'appât du gain engagea les
Arabes à briser la momie dans l'espoir d'y trouver un trésor ; mais
rien ne paraît avoir réalisé leur attente : la momie ne contenait au-
cune chose précieuse, à l'exception d'un scarabée en jaspe vert, monté
en or, avec une inscription de cinq lignes sur la partie inférieure, et
une ligne d'hiéroglyphes autour de la base. La caisse fut achetée
par un Grec nommé Yanni Athanasi , et fut vendue à Londres en
1835, avec la collection Sait. Mais pour rendre toute sa valeur à la
caisse dont ils avaient sacrifié la momie royale à l'envie de recueillir
de l'or, les Arabes substituèrent, au corps qu'elle avait renfermé,
la momie d'un prêtre qui fut achetée comme la dépouille d'un roi. Le
cadavre du pharaon , ou plutôt ses membres mutilés restèrent épars
sur le sol qui les avait préservés tant de siècles de l'avidité des con-
quérants et des ravages du temps. La caisse et le scarabée se trou-
vent à présent dans la magnifique collection du Musée britannique.
Le diadème , objet unique par le genre du travail autant que par son
antiquité, tomba en partagea d'autres Arabes, fut vendu séparé-
ment , et acquis par le Musée de Leyde avec quelques autres anti-
quités. Il ressemble par sa forme aux diadèmes que portent les pha-
raons, et au signe hiéroglyphique du mot mour, l~- \ le chef, le
préposé. 11 est formé dune bande de cuir ornée de petites plaques d'or
et d'argent, et le milieu du bandeau est décoré d'un urœus d'or.
Ces renseignements mont été fournis à Thèbes par l'associé de
Yanni , qui a bien voulu me guider dans de minutieuses recherches
pour retrouver le tombeau d'Enintef, comblé, selon toute apparence,
par des fouilles postérieures.
A côté de ces vieux cercueils, on en voit d'autres bien moins an-
ciens , et qui datent de l'époque gréco-égyptienne : ce sont deux
~ %
\\
V
ANTIQUITÉS EGYPTIENNES.
/> Jt ca'sses de momies provenant d'un même hy-
X P°gée de Thèbes , d'où paraissent aussi avoir
^J été tirées la momie de Petamenoph rapportée
par M. Cailliaud et qui se trouve aujourd'hui au
Musée royal du Louvre (l), celle àePhaminis
que possède le Musée de Berlin et celle de
Sensaos qui est au Musée de Leyde. Ces di-
verses momies paraissent avoir appartenu
aux membres d'une puissante famille établie
-*A J 1 à Thèbes sous les règnes de Trajan , d'Ha-
*1~Q I drien et d'Antonin le Pieux. La collection
égyptienne du Louvre contient encore: 1° une
toile de momie représentant un portrait en
pied d'un membre de cette famille, vêtu de
la toge romaine et environné d'attributs égyp-
tiens; 2° cinq portraits peints à l'encaus-
tique représentant des parents de Soter ;
3° enfin trois papyrus qui se rapportent àt
d'autres individus ses consanguins ou alliés. Il
y aurait un intéressant mémoire à faire sur
jcette famille avec toutes les dépouilles épar-
ses dans les divers musées de l'Europe.
La forme des deux cercueils du Musée bri
tannique est celle du tabout, nom donné par
les Arabes de Gournah aux caisses de mo-
mies qui ne dessinent point la forme du corps,
mais sont construites carrément, couvertes
en berceaux , et dans lesquelles les quatre
montants des angles s'élèvent au-dessus du
cercueil. Le style des peintures de ces deux
caisses est de la même époque, les scènes
funéraires qui y sont peintes sont les mêmes ;
enfin, elles contiennent toutes deux des re-
fiw Présentati°ns zodiacales.
^^Ê Lune de ces représentations a déjà été
publiée dans les Transactions of ihe royal i
Society of Literaturef t. III, part. ne. Elle est peinte à l'intérieur
du couvercle du cercueil, qui renfermait la dépouille ou la momie
(1) Voy, Ch. Musée Charles X, p. 155.
Xœ>*
N\
l\\
712 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'un nommé Soter, archonte de Thèbes, ainsi que nous l'apprend l'in-
AWW
scription grecque peinte sur le listel d'un petit naos qui décore l'ex-
trémité du cercueil du côté de la tête :
CCOTHPKOPNHAIOYnOAAIOYMHTPOC0IAOYTOCAPXCONOHBCON5
Les légendes hiéroglyphiques expriment aussi le nom et le titre du
défunt : VOsirien Soter, le ve'ridique , le grand chef dans sa terre, né
de l Athorlenne (1) Philout. Les légendes hiéroglyphiques sont cu-
rieuses, en ce qu'elles donnent : 1° l'équivalent égyptien du mot
archonte; 2° le nom égyptien de la mère de Soter; enfin, plusieurs
variantes du nom du défunt qui démontrent la valeur homophone du
carquois et du segment employés indifféremment. Outre la représen-
tation des signes du zodiaque , ce cercueil est encore décoré du ju-
gement de l'âme du défunt , scène tout à fait semblable à celle qu'on
rencontre sur la plupart des rituels funéraires. Le fond du cercueil
est orné d'une grande figure de femme d'un style gréco-égyptien.
Le deuxième zodiaque est inédit, mais diffère peu du précédent.
La forme et l'ordre des douze signes sont les mêmes , seulement ceux
qui sont peints dans le premier à droite de la figure de Nepte , le
sont dans celui-ci à gauche. Les légères différences qu'on remarque
dans l'ensemble de ces deux tableaux semblent n'avoir aucune
importance réelle. Cette caisse , qui contenait la momie d'une
femme nommée Cléopatra dans les légendes hiéroglyphiques , est
(1) Les défunts hommes ou femmes étaient généralement appelés Osiriens , Osi-
Tiennes, après la seizième dynastie et leurs corps étaient enveloppés de bandelettes,
suivant le mode usité pour cette divinité. Mais à l'époque des premières dynasties et
à la renaissance qui eut lieu sous les Psammétiques, on voit la plupart des défuntes
appelées Athoritnnes au lieu d'Osiricnnes. On sait que Hàthor était régente de
l'Amenti.
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 713
dénuée d'inscription grecque ; mais le style des peintures me porte
à croire qu'elle est de la môme époque que la précédente. J'ai copié
avec soin les représentations zodiacales de ces deux cercueils , et je
les ai données à M. Letronne qui les publiera probablement dans la
deuxième partie de son Mémoire sur les Zodiaques égyptiens (1).
Les vitrines de ces deux salles renferment divers petits monu-
ments qui portent des légendes royales. Un des plus curieux est un
cylindre de bronze sur lequel est gravé non-seulement le cartouche
de Remai ou Maire, mais encore une bannière appartenant au pha-
raon Papi ou Apep dont le cartouche se rencontre très-souvent avec
celui de Maire. Une union aussi fréquente me paraît attester que
cette bannière et ces deux cartouches doivent être attribués à la lé-
gende royale d'un seul et même pharaon , tous ses titres rassemblés
d'après divers monuments, se composeraient ainsi , à mon avis : |
m!
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sa
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(1) Voyez, pour de plus amples détails archéologiques et paléographiques sur ces
curieuses sépultures , le savant ouvrage de M. Letronne : Observations critiques et
archéologiques sur l'objet des représentations zodiacales qui nous restent de
l'antiquité, à l'occasion d'un zodiaque égyptien peint sur une caisse de momie
qui porte une inscription grecque du temps de Trajan. In-S. Paris , 1824.
m
LU
714 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les inscriptions de la vallée de Qosseir, de Koum- el-Akhmar, de
Qasr-Essayad , de Bercheh ; les vases de la collection Abbott ; un
petit cylindre conservé au Cabinet des Antiques de la Biblio-
thèque royale, lequel porte la bannière ci-contre; enfin,
la série de la chambre des ancêtres de Thoutrnes III , dans
laquelle il n'a point été ménagé de place pour le nom de
Maire , qui se trouve sur les inscriptions des hypogées de
'©Y (7d
Qasr Es-sayad et ailleurs toujours placé entre ,L
ii
et
— ces divers documents rapprochés, éclaircis l'un par l'autre, semblent
ne laisser aucun doute sur la liaison de ces deux cartouches et l'iden-
tité de leur bannière commune. Quant aux deux colonnes d'hiéro-
glyphes du cylindre, dont j'ai donné ci-dessus le développement, elles
contiennent des titres qu'il me paraît impossible de traduire d'une ma-
nière satisfaisante dans l'état actuel des études égyptiennes , mais je
lésai estimées trop intéressantes pour négliger de les reproduire ici.
Une petite feuille d'or porte les deux cartouches ci-dessous , sur
Pi
Lî
LI
l'authenticité desquels on a élevé quelques doutes , mais que je crois
d'autant plus orthodoxes qu'ils se retrouvent sur, la table d'Abydos ,
numéros 21 et 22, première ligne.
Une tablette, formée de toile préparée avec du stuc, a été évidem-
ment quadrillée en rouge par un artiste de l'époque , pour réduire ou
proportionner une figure. Il y a, en effet, tracé l'image d'un pharaon
assis et portant d'une main la masse, et de l'autre une canne.
Le cartouche peint à côté de cette figure est un nouveau
prénom qui semble devoir trouver place dans la dix-huitième
dynastie, et qu'on a pris à tort pour une variante du prénom
de Thoutrnes III. Les variantes contiennent des titres divers
O
7
Lî
ajoutés au nom , mais jamais un signe qui en change complètement
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 715
le sens. Malheureusement , on n'a pas encore rencontré le nom qui
doit accompagner ce prénom ; et à l'époque où cette esquisse a été
tracée , certes les pharaons portaient déjà dans leur légende le double
cartouche.
1| On voit aussi des objets nécessaires à la toilette des dames
i d'autrefois: des peignes en bois, des petits vases à parfums
^^ et à cosmétiques, des vases ou étuis de diverses matières
pour contenir la poudre noire, le sthêm dont les Égyptiennes,
comme les Arabes, se coloraient le bord des paupières. L'un
d'eux, en faïence blanche, porte le prénom à'Amountuonkh
et celui de sa femme Amounonkhsen ou Onkhsen Amoun (1).
\ ^ y
I Enfin , un petit naos de bronze , qui contient une Jk
' • image d'Amoun-Ra , présente sur un de ses montants l— ~
3^ la bannière et le prénom de Siphthah, le mari de la
©
m
\
reine Taoser ou Taosra , de la dix-neuvième dynastie (2)
La bannière est nouvelle; celle que j'ai découverte à
Thèbes porte : Le seigneur des Panégyries , comme
l'y Pthah Toutounen. Le prénom offre une variante où ne
\?*V figure pas le titre — Approuvé du Soleil, qui est joint 1L~
ordinairement au groupe initial de ce cartouche.
O
Les grandes divinités égyptiennes, dont se compose le pan-
théon du Musée britannique, sont réparties — les plus grandes
dans les salles basses , les plus petites dans les vitrines des ^-^
salles supérieures, et ne sont point classées suivant le rang que yjQ
tenait chacune d'elles dans le système théogonique. La plu-
part des statuettes et figurines que renferment les armoires furent
des objets d'un culte privé professé dans l'intérieur des familles , ou
des amulettes portées par dévotion ; elles sont toutes de petite di-
mension , et quelques-unes sont aussi précieuses sous le rapport de
l'art que sous celui de la matière.
Parmi les nombreuses images d'Amon , le roi des dieux, on dis-
tingue une statuette d'argent dont les ornements sont damasquinés
ou plaqués en or. Cette figurine, du plus précieux travail, a été
trouvée dans les habitations incendiées , au nord du palais de Kar-
(1) Le nom d'Amon dans ce dernier cartouche, devrait être écrit comme il l'est
généralement dans tous les textes, mais l'emploi des caractères de l'Imprimerie
royale a, sans doute, forcé le Prote à le composer ainsi.
(2) Voyei Ch. Lettres écrites d'Egypte, p. 255.
*eC
716 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
nac. On voit à côté une statuette du même dieu sous une autre
forme : c'est une image en bronze d'Amoun-Harsaphès ou Kha-
moun, tenant d'une main l'aspersoir mystique, de l'autre son phallus
dans toute son intumescence. Ses pieds reposent sur les neuf arcs ,
emblèmes des peuples barbares ; au-devant, on a gravé le cartouche
de la reine Onkhnas ou Onkhsen Renofre hêt , l'épouse d'Amasis.
La légende du dieu se traduit : « Amoun-Ra , le fécondateur ( Rhat
en nouf) (l), résidant au cœur de Thèbes, vivificateur, etc. »
Viennent ensuite plusieurs images d'Amon, de Mauth, Khons,
Noum-Pthah , Neith , Sevek , Osiris , Isis , et autres divinités du
panthéon égyptien. Je m'arrête seulement ici à celles qui présentent
quelques particularités remarquables.
Une petite statuette de
Pascht- Méréplûa , une des
¥ formes de Neith , donne un
curieux symbole employé au
lieu de son nom phonétique.
Ce signe, qui paraît repré-
senter un sistre , en égyptien
schash, est une variante re-
marquable du nom symboli-
û 4 que de cette déesse , écrit
tantôt par une lionne, et tan-
tôt par un vase qui sert ordi-
nairement de déterminatif
^mT pour indiquer les corps gras.
Une statuette de Nofre-
Athom, debout sur un lion
couché.
Une figurine en or d'Ha-
Ihor Boucéphale.
La statuette qui fait l'objet
de notre vignette , paraît d'é-
poque grecque ou romaine ;
elle représente le dieu appelé
(1) Rhat kn nouf, Emanans semen. J'adopte ici la lecture de M. Lanei qui
me parait beaucoup plus orthodoxe et plus claire que la version Mari de sa mére ,
proposée par Champollion et adoptée sans examen sur l'autorité du maître. Le
sens de celte légende est démontré dans un ouvrage intitulé : De VI nier pré talion
des Hiéroglyphes, que publie en ce moment M. Lanci.
PJ
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES.
717
Onouris par Champollion, qui en fait le Mars égyptien , principe de
désordre et de destruction , et par suite dieu de la guerre. C'est un
pataeque barbu , portant sur la tète un diadème de plumes surmonté
d'un petit naos renfermant un bœuf. Ce dieu trapu, vêtu d'un court
jupon appelé shantei, porte un bouclier de la main gauche et brandit
un glaive de la droite. Cette divinité, dont le véritable nom hiérogly-
phique paraît inconnu, n'est jamais représentée sur les sculptures;
elle offre beaucoup d'analogie avec le dieu Ranpo ou Renpho, et
semble être une forme de Pthah ou de Seth. Il est bien démontré
que ces dieux lares appelés patœques étaient également et indifférem-
ment chez les Grecs Hercule et Vulcain , avec lesquels les divinités
égyptiennes offrent une analogie remarquable.
On trouve encore dans ces vitrines beaucoup de petites divinités
et d'images de génies qui ne sont guère connues que par le rituel fu-
néraire.
Après les divinités viennent les animaux qui leur étaient consa-
crés, et qui en étaient le symbole. On sait que le cynocéphale et
l'ibis étaient des emblèmes du dieu Thoth dans différentes fonctions :
le lion, d'Horus et d'Athom ; la lionne, de Mauth et de Pascht ; le
bélier, d'Amon et de Noum; le crocodile, de Sevek; le chacal, d'Anu-
bis ; l'oie, de Seb ; un héron appelé ben ( ardea bubulcus ) , d'Osiris ;
le scarabée, de Thoré ; le scorpion, de Selk, etc.
□ mi
La mygale ou musaraigne paraît avoir été consacrée à Mauth ou
Buto. Elle n'est jamais représentée dans les bas-reliefs , et on en
trouve rarement des figurines. Celle que représente notre vignette
est en bronze et d'un beau travail; le corps est couvert de trois disques
ailés, symboles de Hat. L'inscription du piédestal %k A Hp
Hor Neb Skhem vivificateur, semblerait indiquer que cet animal était
consacré à Horus.
On remarque aussi dans cette collection un oxyrhyncus , poisson
718 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
consacré, selon quelques auteurs, à Hathor, dame de Sné, ou suivant
Champollion à Thot ou à la Lune. Celui que représente notre vi-
gnette est un bronze provenant de Thèbes ; il porte sur la tête un
disque flanqué de cornes et orné d'un uraeus, coiffure ordinaire de
la déesse Hâthor.
Dans les salles supérieures , de nombreuses vi trines , élevées en
forme de naos égyptien, contiennent plusieurs momies humaines
avec leurs triples enveloppes de bandelettes, de cartonnage et de bois,
couvertes de peintures. Dans les armoires environnantes, on voit une
collection d'animaux momifiés, des chacals, des singes, des chats,
des crocodiles , des éperviers, des ibis, et un poisson doré à museau
pointu, probablement l'oxyrhincus.
A l'entour de ces momies, on a réuni une foule de petits objets
qui ornaient et consacraient les cadavres : des tissus, des réseaux
formés de perles et de tubes d'émail, et des verroteries de toutes cou-
leurs qui dessinent des ornements ayant servi de couvertes et de
ceintures à ces momies ; de petites figurines en terre émaillée per-
cées d'un trou ; des scarabées de même composition qui se trou-
vaient aussi enfilés au cou des momies, placés dans leurs mains,
derrière leurs oreilles, entre les couches de bandelettes, ou noyés
dans le bitume qui les préservait. Ceux de ces derniers qui sont de
grande dimension portent ordinairement une prière extraite du
Rituel funéraire. Cette prière, constamment la même, ne diffère
que par le nom du défunt. Les amulettes de bois , de pierre, et les
petites divinités étaient placées , soit auprès , soit dans l'intérieur
des cercueils.
On voit encore, rangés avec ordre dans ces vitrines, une foule d'ob-
jets qui nous initient aux usages et aux mœurs des anciens Égyptiens •
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 719
Une grande variété de vases de toutes formes, de toutes couleurs,
en terre, en poterie, en faïence, en albâtre , en serpentine, en stéa-
tite et en bronze; quelques-uns portent des légendes royales.
Parmi les meubles , j'ai distingué des chevets ou accotoirs appelés
ouols, faits de diverses matières et semblables à ceux dont se servent
encore les Ababdehs et les Nubiens pour dormir sans déranger leur
coiffure. J'ai remarqué aussi un fauteuil en bois de sandal incrusté
d'ébène et d'ivoire, d'un galbe élégant, et dont les pieds sont sculptés
en forme de pattes de lion ; des tabourets en bois incrustés en ivoire;
des pliants dont les jambages, qui se meuvent sur un pivot de bronze,
sont terminés par des têtes d oie.
J'ai vu beaucoup d'objets fabriqués avec des feuilles de jonc entre-
lacées comme les sparteries modernes ; des tabourets sur lesquels on
pourrait encore s'asseoir; des corbeilles, des paniers tressés et ornés
de dessins comme les Nubiens en fabriquent encore aujourd'hui , et
jusqu'à l'humble balai formé d'une feuille de dattier divisée en
faisceaux, industrie que les Égyptiens ont continuée jusqu'à nos jours.
Une suite de petits objets : des boîtes de différentes formes, riche-
ment peintes ou incrustées; des ustensiles de ménage, des que-
nouilles avec leurs fuseaux, et de grands peignes pour le teillage du
lin et du chanvre ; des petites cuillers de diverses formes.
Un grand nombre d'objets, de vêtements, de parures, de linges d'une
finesse étonnante ; des bracelets en émail, en bronze, en ivoire et en
or; des colliers de figurines et d'amulettes en or et en pierres dures;
des bagues et des sceaux ; des sandales , des semelles en palmier, en
jonc, en papyrus et en cuir travaillées avec soin ; des bottines en
cuir ; plusieurs perruques à cheveux crépus et tressés , montés assez
grossièrement sur un réseau , qui témoignent que la coutume de
porter de faux cheveux est beaucoup plus ancienne qu'on ne le croit
généralement : une d'elles est fort remarquable , d'un excellent tra-
vail, et ferait honneur à nos artistes modernes. La couronne de la
perruque, qui descend aussi bas que les oreilles, est entièrement cou-
verte de petites boucles , tandis que la partie qui tombe sur les
épaules est formée d'un grand nombre de petites tresses de cheveux
comme les portent encore actuellement les Égyptiennes. La couleur
de cette perruque est presque noire, et la légère teinte brunâtre
qu'elle présente pourrait être attribuée à sa vétusté ; elle provient
d'un hypogée situé derrière le petit temple de Tmei et Hâthor, à
Thèbes. On voit des perruques semblables sur la tète des musi-
ciennes et sur celle des dames de haut rang. L'usage de raser la
720 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
tète, et de suppléer à son vêtement nature! par des moyens artificiels,
est une coutume égyptienne qui paraît remonter à la plus haute
antiquité.
On remarque au Musée britannique plusieurs instruments de mu-
sique : des clochettes ; des cymbales ; une flûte en roseau percée de
sept trous; différents sistres, dont l'un est fort remarquable; des
harpes et des mandores à long manche. Ce dernier instrument , si
souvent représenté dans les hiéroglyphes comme le symbole de la
bonté et de la bienfaisance, témoigne que les anciens croyaient à la
présence constante de ces deux qualités chez tout être sensible à la
musique.
J'ai parcouru à la hâte une belle collection de papyrus bien con-
servés , qui doivent sans doute nous apprendre encore quelques dé-
tails sur l'histoire et la vie des anciens Égyptiens ; j'ai regretté de
n'avoir pas le loisir de les étudier. A côté des papyrus, on a réuni
des boîtes de bureau, des étuis à pinceaux, des longues palettes de
scribe avec leurs calem ou kasch; la palette d'un peintre où se voient
encore des couleurs ; des godets de diverses formes et de diverses
ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES. 721
matières; entin, plusieurs tablettes portant des inscriptions hiéra
tiques et démotiques.
Divers ustensiles et instruments employés dans les cérémonies du
culte ; un fragment à'amschir ou encensoir en bronze , formé d'un
petit fourneau posé sur une main sortant d'une tige de lotus ter-
minée par une tête d'épervier. On voit de semblables instru-
ments dans les mains des rois et des prêtres qui brûlent des parfums
devant les dieux.
Un chacal sur une espèce de potence, petit modèle en bois des
grands étendards qu'on portait dans les processions funéraires ; plu-
sieurs autels à libations, avec des bas-reliefs représentant des vases,
des gâteaux et des fleurs de lotus ; un grand sceau , qui servait peut-
être à marquer les bœufs mondes propres aux sacrifices , et d'autres
sceaux plus petits pour marquer des victimes de moindre taille.
Plusieurs beaux vases à anses en bronze, couverts d'inscriptions
et de figures gravées au burin ; ils paraissent avoir servi à contenir
l'eau lustrale dans les cérémonies religieuses.
Des armes et des instruments en pierre, en bois, en bronze
trempé et en fer; des arcs en bois; quelques flèches, les unes ar-
mées de pointes triangulaires en bronze, les autres d'un silex aigu ;
des javelines armées d'une pointe de fer ou de bronze ; des haches
d'armes, des poignards à lame de bronze, et dont les manches d'ivoire
sont ornés de clous d'argent ; des boumerangs pour la chasse des
oiseaux; des cannes, des bâtons noueux ornés d'une inscription
hiéroglyphique , et qui ressemblent aux nabbouts que portent encore
les Arabes.
J'ai remarqué une suite d'outils de menuisier : une doloire , un
drill, son archet, ses forets et sa plaque ; de petites scies à main ,
des maillets, des ciseaux, des manches d'outils, une corne pour
l'huile, et plusieurs outils dont l'usage est inconnu. J'ai vu aussi
quelques clous de bronze et de fer ; mais ils ont dû être d'un emploi
bien rare , car tous les ouvrages de menuiserie égyptienne ne sont
assemblés qu'avec des chevilles et une colle très-forte, dans laquelle
était mêlée de la filasse. On voit encore des gonds et des pivots en
bronze qui proviennent de portes, et une clef de fer. Le Musée con-
tient quelques petites maisons, véritables jouets qui ne peuvent don-
ner une idée aussi complète des habitations égyptiennes que les pein-
tures retrouvées encore dans les tombeaux, mais qui montrent
quelques détails domestiques fort intéressants.
On voit aussi quelques instruments aratoires : des pioches et des
722 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
houes en bois , une faucille de fer brisée en trois parties, et trouvée
sous une statue à Karnac ; un joug pour atteler les bœufs. On peut
examiner à côté des instruments les produits de l'agriculture : des
graines de Palma Christi, dont l'huile était employée sans doute jadis
à oindre les cheveux , comme elle l'est encore aujourd'hui chez les
Nubiens ; le fruit du tamarin , dont la médecine faisait déjà peut-
être usage ; des petits paniers avec des fruits de doum, de nebbek,
deheglyg ou perséa; du raisin, et d'autres fruits inconnus ; enfin, du
pain et du blé conservés jusqu'à nous à travers quarante siècles (1).
La dernière salle du Musée égyptien est ornée d'un long bas-relief
colorié, moulé sur les superbes sculptures historiques du spéos de
Beit-el-Waly en Nubie. C'est un des plus beaux sujets de l'histoire de
Ramsès, et un des plus précieux spécimens de l'art égyptien. La paroi
droite représente Sésostris , jeune encore , triomphant d'un peuple
asiatique; la paroi gauche, la déroute d'un peuple africain. Les
types de ces deux races, éternelles ennemies de l'Egypte, sont par-
faitement représentés : d'un côté, ce sont des peuples au teint blanc,
à haute stature, à larges épaules, au nez aquilin, à la barbe roide
et pointue ; de l'autre des noirs , bien caractérisés d'ailleurs par
leurs nez épatés, leurs lèvres épaisses et leurs chevelures laineuses.
11 serait trop long de décrire minutieusement ces bas-reliefs et tout
ce qu'ils présentent d'intéressant pour l'étude de l'art et de l'histoire.
La vérité des types, la précision des mouvements, la naïveté des dé-
tails , la finesse de l'exécution , et l'imitation parfaite des animaux ,
recommandent ces sculptures comme un résumé de l'art égyptien ,
auquel Thèbes même n'offre rien à comparer. Champollion a donné
une description et des planches de ces deux superbes tableaux ;
M. Lenormant les a décrits d'une manière très-éloquente; enfin,
M. de Cailleux, qui a senti toute l'importance de ces bas-reliefs
pour les études historiques et artistiques, les a fait mouler sur les
lieux, et les nouvelles salles du Musée royal du Louvre en seront
bientôt ornées.
On voit encore, dans les salles du Musée britannique, plusieurs
plâtres moulés en Egypte et de charmantes petites réductions des
principaux obélisques égyptiens exécutés par M. J. Bonomi, qui,
(1) Le blé égyptien, préservé du contact de l'air dans des vases hermétiquement
fermés, conserve encore toutes ses qualités après plusieurs siècles. En 1845, j'ai vu à
l'exposition des produits agricoles de Chester, dans le pays de Galles , du blé égyp-
tien provenant de semences extraites d'une amphore apportée de Thèbes avec
d'autres antiquités.
ANTIQUITES EGYPTIENNES. 723
pendant son long séjour dans la vallée du Nil , s'est tellement initié
à l'art égyptien qu'on le croirait sorti d'un collège de Thèbes ou de
Memphis.
En résumé, la collection égyptienne du Musée britannique ne
vaut pas celle du Musée royal du Louvre , mais les antiquités y
sont disposées avec autant de goût que de discernement. Tous les dé-
bris, tous les fragments sont encadrés dans des naos construits en
pierre, ce qui leur donne beaucoup d'apparence. Les stèles n'adhè-
rent point au mur et on a laissé en dessous de petites ouvertures ,
a6n que la chaleur puisse circuler entre elles, les pierres qui les en-
vironnent et celles sur lesquelles elles reposent, et les préserver ainsi
de l'humidité. Enfin, tous les objets contenus dans les salles que nous
venons de parcourir y sont classés avec science et méthode , — deux
choses qui manquent chez nous depuis la mort de Champollion.
Je ne saurais terminer cet article sans recommander à mes lecteurs
et spécialement à ceux qui voudraient prendre une connaissance plus
approfondie des richesses du Musée britannique, l'intéressant ou-
vrage publié par MM. J. Bonomi et S. Birch, et intitulé : Gallery of
Anliquities selected from the British Muséum (1). Le texte est dû à
M. Birch, sous-conservateur du British Muséum, et l'un de nos
plus savants égyptologues.
Prisse d'Avennes.
(1) 1 vol. in-4e. London, 1841.
EXTRAIT
APERÇU STATISTIQUE DES MONUMENTS DE L'ALGÉRIE (0
PAR M. CHARLES TEXIER,
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES BATIMENTS CIVILS DE L'ALGERIE.
Dans une des dernières séances de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, M. Charles Texier, inspecteur général des bâtiments
civils en Algérie , et chargé en cette qualité de la conservation des
monuments historiques, a lu la partie de son dernier rapport au
ministre de la guerre, où est exposé l'état de ces monuments dans
plusieurs parties de l'Afrique française. C'est au mois d'août dernier
que M. Texier a exploré la plupart de ces lieux, en se joignant à
M. le contre-amiral Rigodit, qui avait à inspecter tous les ports de
l'ouest. Il a pu aussi observer, avec les autres détails des bâtiments
civils, les moyens de conserver les ruines, traces des anciennes civi-
lisations. Par des circulaires du gouverneur général, les principaux
chefs militaires et M. le général Charon, commandant supérieur du
génie , avaient été informés de la mission officielle de M. Texier.
Aussi a-t-il trouvé partout, chez les généraux et chez les comman-
dants des .territoires mixtes, le plus grand empressement à seconder
les intentions conservatrices du ministre de la guerre.
Le corps du génie a puissamment contribué à la formation d'une
collection des inscriptions antiques de l'Algérie. Mais cette collection
ne peut s'accroître autant qu'elle en est susceptible , que lorsque des
moyens seront fournis par l'administration pour le transport des
(1) Nous joignons à l'intéressant Aperçu que M. Ch. Texier présente ici des anti-
quités de l'Algérie, des notes qui ont pour but de compléter les renseignements
fournis par le célèbre voyageur. Ces notes sont empruntées soit à des publica-
tions antérieures à cette esquisse , soit à nos observations personnelles. Nous avons
cru être agréable et utile au lecteur en remettant sous ses yeux les faits qu'il lui
est nécessaire d'avoir présent à l'esprit pour se représenter exactement ce qu'on
peut appeler l'état archéologique de l'Algérie. -Alfred Maury.
MONUMENTS DE L'ALGÉRIE. 725
pierres épigraphiques dans le musée local le plus voisin , comme
celui que le ministre de l'instruction publique a récemment visité
à Cherchell. Bien des inscriptions anciennes gisent encore sur le
bord des chemins , exposées à chaque instant à être brisées ou em-
ployées comme matériaux de construction. Tel a été l'emploi des
restes de beaucoup de monuments à Philippeville, à Cherchell,
à Ghelma. Il faut sans doute faire la part de la nécessité qui com-
mandait de construire au plus vite les édifices nécessaires aux prin-
cipaux centres de population. Ces considérations-là passent avant
toutes les autres, « Mais, dit M. Texier, si Ton peut regretter
ainsi quelques monuments détruits , il en est encore une multitude
qui , convenablement dégagés de leurs décombres et restaurés seule-
ment pour en arrêter la ruine , seront encore un des ornements de
l'Algérie et un but d'excursion pour les voyageurs de l'Europe. Il est
urgent pour cela que l'administration les prenne sous sa garde et
qu'un crédit soit demandé pour les soutenir. »
Les instructions du ministre de la guerre s'opposent , en général ,
à la destruction des monuments antiques. Mais , pour prescrire des
mesures précises, « il serait nécessaire, dit M. Texier, que l'adminis-
tration fût informée des découvertes produites par les fouilles et par
les travaux des routes , et pût envoyer sur-le-champ un dessinateur
pour copier les monuments découverts, de manière à pouvoir sta-
tuer sur leur conservation. Les archives recevraient tous les docu-
ments recueillis, tant par les officiers du génie que par les agents
des bâtiments civils et des ponts et chaussées, et chaque année ces
documents seraient imprimés à la suite du tableau statistique. Alors
si, par la force des choses, les monuments se trouvaient détruits,
leur description serait au moins consignée dans un registre officiel,
et ainsi conservée pour la science. »
M. Texier présente lui-même un spécimen de ce genre de statis-
tique des monuments anciens. Dans l'extrait que nous allons donner
de cette partie de son travail , nous classerons ces indications topo-
graphiquement, sous le nom des villes ou des lieux principaux aux-
quels elles se rapportent.
Djebel Chenouan.
Le monument, encore indéterminé aujourd'hui, connu sous le
nom de Tombeau de la Chrétienne, et dominant la chaîne de collines
que baigne le cours du Mazafran , est un des plus remarquables de
III. 47
726 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
l'Algérie (2). Il aurait besoin d'être dégagé des terres accumulées à
l'entour. Il doit se composer, comme les grands tumulus asiatiques,
d'un soubassement circulaire, surmonté d'un cône dont la majeure
partie est conservée. L'intérieur renferme, sans aucun doute, une
chambre sépulcrale , et rien dans la tradition ne peut faire supposer
que les Arabes ou les Romains auraient visité l'intérieur. Dût-on ne
rien trouver dans le Tombeau de la Chrétienne, l'état de ses dispo-
sitions intérieures et de la forme sépulcrale qui en forme le centre
serait d'un véritable intérêt pour la science historique, et pourrait
mettre fin aux incertitudes sur la destination primitive de ce, monu-
ment. Loin de l'endommager, les travaux de ce genre, en le déga-
geant des terres qui l'entourent, le débarrasseraient des buissons qui
croissent dans les insterstices et deviennent une cause progressive
de ruine.
Tefesed.
Depuis le cap Caxine jusqu'au pied du mont Chenouan , la côte
n'offre aucun mouillage , même pour les balancelles. Une petite
anse, formée par une presqu'île élevée, a été regardée par les an-
ciens comme propre à former un port. Bientôt les habitations se
seront multipliées, et on découvre aujourd'hui des ruines qui,
s'étendant de la presqu'île sur le continent , ont dû appartenir à une
ville considérable. Les Arabes appellent ce lieu Tefesed. On retrouve
dans ce nom les traces de celui de Tepasa, ville romaine de la Mau-
ritanie césarienne (3).
Abrité à l'ouest par la haute presqu'île dont je viens de parler, le
port est clos à l'est par une langue rocheuse que des ouvrages pa-
(2) Ce monument est appelé par les Arabes K'ber Roumia, c'est-à-dire le
Tombeau de la Chrétienne ou de la Romaine. Pomponius Mêla (I, m, 10) en
fait mention, et dit qu'il est situé entre feosium et Césarée (Cherchell); d'après
ce géographe, c'était la sépulture de famille des rois de Numidie et de Mauritanie.
Ce curieux monument rappelle celui que Pcyssonnel a trouvé à huit ou dix lieues
au nord-oue6t de Lamba , à Mcdrachcm ou Medresen , lequel est aussi formé d'une
pyramide placée sur une base cylindrique; la hauteur est également de 00 mètres.
Cf. Dureau de La Malle, Province de Conslanline, p. 212-213. Marmol a soutenu
sans fondement que le K'ber Roumia était le tombeau de la fameuse Cava , la fllle
du comte Julien. On prétend que l'on a jadis découvert près de ce monument une
inscription latine qui portait le nom de Cléopâlre. Si le fait est vrai , ce monument
était peut-être le lieu de la sépulture de Cléopâtre Séléné, la fille de Marc-Antoine
et de la célèbre Cléopâtre, laquelle avait été mariée par Auguste à Juba II.— A. M.
(3) Tepasa était, scion Pline, une colonie de vétérans établie par l'empereur
Claude. Cette ville est mentionnée par Ptolcmce et Y Itinéraire d'Antonin.— A. M.
MONUMENTS DE L'ALGÉRIE. 727
raissent avoir rattachée à des roches plus avancées dans la mer, ce
qui formait une jetée aujourd'hui détruite ; mais on en voit des blocs,
d'un volume considérable, épars sur la plage ou sortant des basses
eaux. Ce port , de petite dimension , était suffisant pour les barques
romaines et pourrait être utilisé si jamais on établit dans le voisi-
nage un centre de population. Du côté de l'ouest, le pied de la
presqu'île est formée par un plateau de rochers dont la surface
quoique inégale, est à peu près de niveau. Dans ces rochers tendres
les anciens ont taillé un bassin carré de trente mètres de côté, et dont
la conservation est encore parfaite. Le fond de ce bassin est seulement
de cinquante centimètres en contre-bas du niveau de la mer, à la-
quelle il ne communique que par une entrée de deux mètres de
longueur. Il serait difficile de voir dans cet ouvrage un bassin destiné
aux barques; c'était plutôt , à mon avis, un vivier pour retenir et
engraisser le poisson. Les anciens mettaient de la recherche dans
cette industrie. On observe encore de ces viviers sur les côtes de
France et sur celles d'Italie. Une vanne levée ou baissée devait main-
tenir l'eau au niveau nécessaire ou la laisser écouler lorsqu'on vou-
lait vider le bassin.
Près de là sont trois chambres voûtées qui servaient de citernes
pour le port. Le grand nombre des autres citernes que Ton observe
montre que la ville et le port étaient amplement fournis d'eau par le
moyen d'un aqueduc dont on retrouve les traces. Des quais environ-
naient le port et sont encore apparents ; mais il est à croire que les
eaux de la mer ont gagné du terrain , car plusieurs escaliers de mai-
sons particulières descendent directement dans l'eau.
En suivant une dépression de terrain qui se dirige au sud-ouest,
on reconnaît la direction d'une des rues principales. A droite et à
gauche on retrouve presque tous les soubassements des maisons, qui
étaient bâties avec autant de soin que les édifices publics, en pierre
de taille et en briques. A l'extrémité de cette rue s'élèvent de grandes
ruines dans lesquelles on observe deux salles parallèles, et divisées
en trois par des pilastres. L'édifice était carré et devait avoir une
cour ou atrium. Cette disposition permet de supposer que ces ruines
sont celles d'un gymnase. Parmi les Blocs de pierre équarris que
nous avons trouvés , les chambranles de portes ou de fenêtres sont
percés de trous indiquant que les ouvertures des édifices étaient or-
nées de moulures de marbre. Mais presque tout a été enlevé ou
reste enseveli sous les décombres. Une corniche appartenant à l'en-
tablement du gymnase est le premier morceau qui permette de juger
728 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le caractère des moulures. On y retrouve les principes en usage du
temps des empereurs Septime Sévère et Adrien.
On peut observer dans ce quartier de la ville d'autres monuments
auxquels les Arabes ont donné les noms de palais du Roi , palais de
la Reine. Un vaste édifice , que nous n'avons pu étudier qu'impar-
faitement, paraît avoir été le prétoire. Les Arabes de la tribu voi-
sine, qui s'étaient offerts pour nous guider, nous entraînaient tou-
jours vers la presqu'île pour nous montrer l'église. Nous allâmes
cependant vers la limite ouest de la ville. Là était un beau théâtre ,
dont heureusement les gradins sont presque tous enterrés , ce qui les
a sauvés de la destruction. Un portique d'ordre dorique donnait
accès dans l'orchestre. La scène est presque entièrement détruite ;
mais la cavea , ou salle , est conservée dans tout son pourtour ; et
des fouilles y mettraient certainement à découvert des objets inté-
ressants.
Les remparts de la ville étaient composés de murailles défendues
par des tours demi-circulaires; ils étaient bâtis en grands blocs de
pierre et avaient une épaisseur de six mètres. L'amas des ruines
couvre une surface beaucoup plus étendue que celle de Cherchell ,
capitale du pays. Le vent nous obligea de partir avant d'avoir pu
compléter l'exploration -, et c'est au grand regret des Arabes que nous
renonçâmes à visiter la presqu'île, et par conséquent les ruines de
l'édifice qu'ils appellent l'église. Cependant, avant de s'embarquer,
l'amiral voulut faire le tour de la presqu'île en canot. Nous vîmes que
partout elle avait été défendue par la nature et par l'art. Les tom-
beaux des anciens habitants sont situés sur le revers ouest kde la
presqu'île ; ils sont formés de grottes à moitié taillées dans le rocher
et ayant une porte en maçonnerie.
La masse de débris de toute sorte accumulés sur le sol , et surtout
les beaux blocs de pierre de taille , avaient déjà attiré l'attention des
spéculateurs, et ils y envoyaient des barques qui se chargeaient pour
Alger. La direction de l'intérieur a arrêté à temps ce trafic, qui me-
naçait les ruines de Tefesed d'un anéantissement très-prochain.
Cherchell.
Cherchell est l'ancienne Césarée. Le port de cette ville était un des
meilleurs de la côte, aussi avait-il été décoré avec un soin particu-
lier. Le quai était entouré d'un portique. Les débris de ces colonnes
ont servi à former la levée faite pour l'agrandissement du bassin.
MONUMENTS DE L'ALGÉRIE. 729
L'ancien port deviendra ainsi lavant-bassin du nouveau ; une jetée
en équerre arrêtera les brisants du côté de l'ouest : on arrivera par
là à offrir un abri à cinquante ou soixante bâtiments d'un petit
tonnage.
Chaque fouille faite à Cherchell met à découvert quelques débris
plus ou moins importants des monuments de l'antique Césarée. Par
les soins de l'administration locale, ces fragments ont été réunis dans
une salle qui forme déjà un musée intéressant. On y remarque plu-
sieurs tombeaux avec des inscriptions , un torse de Vénus en marbre,
plusieurs statues et statuettes qui ne manquent pas de mérite. Les
fragments d'architecture ne le cèdent pas à ceux de sculpture : plu-
sieurs grands chapiteaux corinthiens provenant d'un temple , un cha-
piteau composite orné de dauphins et de palmettes , des corniches de
marbre, ne seraient déplacés dans aucun musée. Les rues de la ville
sont pleines de colonnes de marbre qu'on pourrait fort bien em-
ployer. Le monument qui a principalement fixé mon attention est
déposé dans la cour de l'hôtel des bâtiments civils et a été récem-
ment découvert. C'est une statue barbare, d'un mètre environ de
hauteur; elle représente un dieu imberbe, coiffé du modius. Sur le
devant de sa coiffure est une palme ou palmette; la tête est gros-
sièrement modelée, le corps sans bras, ou bien les bras sont si fai-
blement indiqués qu'on en suit difficilement les contours. Les jambes
sont grêles et les pieds tournés en dedans. Cette figure est appuyée
contre une gaine ou un pilastre ; elle n'offre aucun des caractères
des sculptures romaines ou vandales; j'y reconnaîtrais plutôt quel-
ques symptômes de l'art asiatique (4).
Philippeville.
L'ancienne Rusicada était située à l'embouchure d'une vallée dont
les flancs sont escarpés (5). Cette vallée communique à une plaine
arrosée par la rivière appelée aujourd'hui le Saf-Saf (6). Mais Rusi-
(4) Nous renverrons pour l'explication de cette statue, à la notice que nous pu-
blierons dans un des prochains numéros. — A. M.
(5) La table de Peutinger donne seule à Rusicada le titre de colonie. La distance
de cette ville à Cirta, fixée par Pline à quarante-huit railles, et les nombreuses
inscriptions trouvées à Sk'ik'da, aujourd'hui Philippeville, établissent l'identité de
celle ci avec Rusicada. Cf. Pellissier, Mémoires historiques et géographiques sur
l'Algérie, p. 366. D'après Gesenius, le nom de Rusicada viendrait du phénicien,
mp UNI mot à mot caput ardoris ou caput ignis, expression qui semble indiquer
l'existence en ce lieu d'un phare destiné à éclairer le golfe de Stora. — A. M.
(6) Il est probable que si l'on entreprend les travaux nécessaires pour remplacer
730 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cada n'était pas abreuvée par des cours d'eau naturels. Les anciens
rejetaient l'usage des eaux de rivière par des principes d'hygiène
qui , plus que partout, doivent être observés en Afrique. Les ruines
des citernes de Rusicada existent encore; mais jusqu'à ces derniers
temps, on ignorait complètement comment elles étaient alimentées.
Les uns imaginaient qu'elles étaient remplies par des sources au-
jourd'hui perdues, les autres par des eaux pluviales. Cette dernière
hypothèse est la plus voisine de la vérité; mais comme la conte-
nance de ces citernes dépasse pour chacune plusieurs mille mètres
cubes, on concevait difficilement des pluies assez abondantes et
assez prolongées pour y fournir.
Il vient d'être reconnu que les grandes citernes de Philippeville
sont toutes alimentées par un même système qui les fait dépendre
les unes des autres. Celles qui sont situées à mi-côte, non loin de
la place Royale , et celles qui se trouvent dans un grand soubasse-
ment d'un ancien édifice , reçoivent l'une après l'autre leur volume
d'eau particulier. Les plus belles et les mieux conservées se trouvent
sur la montagne ; leur ensemble se compose de cinq grandes salles
à ciel ouvert, communiquant entre elles par des arcades. On a fait
de grands travaux pour reconnaître la source que l'on croyait seule-
ment détournée ; mais le service des ponts et chaussées s'est con-
vaincu que ces citernes n'étaient alimentées que par un barrage ,
situé dans une des vallées supérieures , qui porte le nom de Bou-
Meïeh. Un grand nombre d'affluents se réunissent dans cette vallée.
La citerne était divisée en ces divers compartiments , afin que les
eaux eussent le temps de déposer et de s'épurer. Dans la première
salle, celle qui est voisine du regard d'arrivée, on a reconnu plu-
sieurs piles de briques qui* la coupent en deux parties. Je suppose
que ces piles retenaient une grille qui arrêtait les débris d'arbustes ,
les cailloux et les autres impuretés. L'eau, se déposant ainsi dans la
première salle, était introduite dans la seconde, après avoir subi un
la misérable estacade de Philippeville par une jetée convenable, on trouvera dans
la baie les vestiges de monuments ayant appartenu à l'ancienne Rusicada. Divers
objets antiques, rejetés par la mer sur le rivage, prouvent que la Méditerranée
s'est avancée dans la baie. Ce phénomène, observé en différents points de la côte
d'Afrique, et notamment à San, l'anclnne Tanis, semble être dû à un affaisse-
ment du terrain plutôt qu'à un exhaussement du niveau de la mer ,voy. le Mémoire
de M. L Cordier, ch. xxm du tome II des antiquités , descriptions, du grand
ouvrage de l'expédition d'Egypte). Nous avons nous-même trouvé sur la plage une
monnaie romaine très-fruste et deux petits fragments de moulure que venait d'y
laisser le flot en se retirant. — A. M.
MONUMENTS DE L'ALGÉRIE. 731
premier degré d'épuration , et successivement ainsi dans les salles
suivantes, jusqu'à la dernière qui était la salle de distribution.
Celle-ci était contiguë à une grande coupure à laquelle aboutissaient
ces conduits descendants.
Le mur extérieur de la salle est attenant à une tour circulaire,
dont l'usage n'avait pas encore été bien déterminé. Je crois pouvoir,
après un mûr examen , émettre l'opinion que c'était une balance
d'eau, dont le mécanisme marchait à l'aide d'un flotteur. Le flotteur
(sans doute une boule creuse en bronze) était attaché à un levier,
qui , de l'autre bout, tenait la chaîne d'une vanne, laquelle fermait
l'issue de la salle de distribution. Le flotteur, en baissant, opérait
ainsi un mouvement de bascule qui faisait lever la vanne. En remon-
tant , il laissait retomber la vanne par son propre poids. Tant que
la tour était pleine, le flotteur était élevé et la vanne fermée. Lorsque
l'eau de la tour était épuisée, le flotteur baissant , la vanne s'ou-
vrait et donnait entrée aux eaux.
Les eaux introduites dans le canal de descente étaient portées dans
les citernes inférieures, qui étaient aussi divisées en plusieurs salles,
presque toutes assez bien conservées aujourd'hui pour être facilement
restaurées. Les citernes de la ville basse sont voûtées et parfaite-
ment closes; elles sont bâties en briques, recouvrant un mur en
retour de deux ou trois mètres d'épaisseur. L'administration, en
rétablissant tout le système d'alimentation des citernes, rendra un
grand service à Philippeville, tout en faisant une intéressante appli-
cation de l'hydraulique des anciens.
On n'a trouvé dans ces monuments aucun indice certain qui puisse
faire connaître l'époque à laquelle ils furent bâtis. D'après la con-
struction on peut cependant supposer qu'ils datent de Septime-Sé-
vère ou d'Adrien.
L'amphithéâtre, le théâtre et plusieurs autres édifices sont dans
un état plus ou moins fruste , mais offrent encore des ruines qui ne
sont pas sans intérêt. Trois statues de marbre ont été découvertes,
au mois de mai dernier, dans des fouilles sur la montagne des ci-
ternes. L'exécution en est bonne ; deux paraissent des portraits de
sénateurs; elles sont vêtues de la toge et ont à leurs pieds le scri-
nium , garni de manuscrits roulés. Le travail de la tête est bien infé-
rieur à celui du corps; remarque qu'on a lieu de faire souvent pour
les statues anciennes. Dans la troisième, qui est une statue de
femme , la tète manque. L'ajustement des draperies est moins cor-
rect que dans les premières. Un bras fléchi sur la poitrine, l'autre
732 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
main , tenant une plante, rappellent la pose, souvent imitée , de la
Cérès.
Les environs dePhilippeville fournissent encore un certain nombre
de monuments, principalement dans le genre tumulaire. On a trouvé
plusieurs sarcophages de marbre qui offrent tous le cachet chrétien.
Ils n'ont généralement pas d'inscriptions.
CONSTANTINE.
Au contraire, on trouve journellement quelque inscription nou-
velle dans les travaux qui s'exécutent à Constantine (7). Mais la sur-
face de la ville étant limitée de toutes parts, on sera dans la néces-
sité d'occuper l'emplacement des monuments anciens qui existaient
dans l'acropole ou casbah. Cet édifice contenait les monuments les
plus importants de la ville, les citernes , le palais et les casernes.
Les murailles qui subsistent encore sont de trois époques : la pre-
mière, que l'on doit faire remonter aux rois numides, présente un
appareil d'une précision merveilleuse , en pierres de grand échantil-
lon , irrégulières , mais par assises réglées ; l'autre appareil est évi-
demment romain ; enfin un troisième , dans lequel on retrouve des
fûts de colonnes et des débris d'édifices , paraît être un ouvrage des
princes vandales (8).
(7) Nous ajouterons, pour les personnes qui ne connaissent point les localités, les
détails suivants sur la situation de Constantine :
La ville est construite sur la table de rochers séparée du Mans'ourah par un im-
mense ravin; sa forme est celle d'un quadrilatère irrégulicr; sa surface, qui offre
une étendue de 42 hectares, est entièrement couverte de constructions, la plupart
mauresques, et forme un plan fortement incliné vers le sud. La partie la plus
élevée de la ville, située vers le nord, est de GC4 mètres au-dessus du niveau de la
mer; la partie sud, qui est la plus basse, est juste de 100 mètres moins élevée
que l'extrémité opposée. Le ravin se termine au nord par des cascades qui ont
63 mètres de haut et sont placées à 175 mètres au-dessus de la ville. Ce gouffre
vraiment effrayant présente donc une profondeur totale de 228 mètres. — A. M.
(8) Pour compléter les détails donnés ici sur les antiquités de Constantine par
M. Cb. Texier, nous empruntons les renseignements suivants à l'ouvrage intitulé :
Excursions dans l'Afrique septentrionale par les délégués de la société fran-
çaise établie à Paris pour l'exploration de Carlhage ;
« Les anciens édifices de Constantine ont souffert de rudes dévastations : la ma-
jeure partie de ceux qui ont été mentionnés par Shaw n'existent plus aujourd'hui.
Les belles portes de marbre rouge et l'arc appelé Qasr-el-Ghoulab (le Château de
la Goule ou Ogresse) furent démolis, il y a une vingtaine d'années, pour servir à
d'autres bâtisses, et les derniers débris ont été employés, dans l'intervalle des
deux expéditions de Constantine, à la réparation et à l'extension des fortifications.
« Auprès du sanctuaire de Sidi-Mabrouk, sur la terrasse de Mansourah, on
voit encore l'enceinte d'une construction bâtie en pierres carrées. Parmi les débris
MONUMENTS DE L'ALGÉRIE. 733
Les égouts de Constantine étaient, après les aqueducs, les ou-
vrages les plus remarquables de la ville. Comme elle est partout
fondée sur le roc vif, il a fallu y creuser ces égouts , qui , selon
toute apparence , suivaient la direction des rues. L'égout principal a
son issue au sud de la ville par une ouverture de plus de trois mètres
de large. Il était recouvert par de grandes dalles plates, ce qui est un
caractère de haute antiquité. Plus tard , lorsqu'il fut restauré par les
Romains , on le voûta en pierres dans certaines parties de son par-
cours. Enfin , au moyen âge , il fut voûté en briques. Mais, pendant
toute la période arabe , les égouts ne reçurent aucune espèce de
soins ; les directions des rues antiques furent abandonnées pour les
rues tortueuses des Arabes; plusieurs maisons, construites sur les
voûtes mêmes , défoncèrent la couverture , et les fondations furent
descendues jusque dans l'intérieur de l'égout, de sorte que les eaux
et le limon accumulés formèrent des dépôts qui finirent par acquérir
la dureté de la pierre. Les branches secondaires , n'étant jamais cu-
rées, s'encombrèrent ; on perdit la trace de la plupart des conduits,
et aujourd'hui que la population de Constantine prend un accroisse-
ment considérable , le service des égouts devient insuffisant. Les
eaux pluviales s'écoulent par les rues, se perdent inutilement, et
les résidus des maisons répandent l'infection partout.
Le curage et la réparation des égouts anciens auraient donc un
double but : celui de retrouver presque trait pour trait les disposi-
tions des rues de l'ancienne ville , et surtout d'assainir la ville ac-
tuelle. Il y avait sous les Arabes une sorte d'administrateur qu'on
appelait Yamin des égouts; c'est le curator cloacaram des temps ro-
mains. Ces fonctions subsistent encore ; mais l'agent est d'une igno-
rance telle qu'il ne sait pas indiquer la trace des conduits; il faut,
pour les retrouver, faire le tour de la ville en marchant sur la cor-
niche élevée qui domine le Roummel. Ce trajet n'est pas sans danger.
Le pont du Roummel , fondé sur une des voûtes qui couvrent le
cours du torrent (9), est un ouvrage des temps romains. J'en attribue
s'est trouvé le fragment d'une inscription funéraire. La ruine n'offre aucun indice
qui puisse faire sûrement reconnaître la destination primitive de l'édifice. Nous
soupçonnons cependant que c'était une station romaine. Il est bon à noter ici que
nous ne connaissons pas un seul de ces sanctuaires ou tombeaux de marabouts qui
n'ait été élevé sur les fondements d'un édifice plus ancien ; en voyant de loin la
coupole blanche d'une telle bâtisse, seul signe distinclif d'habitation dans ces con-
trées , on peut d'avance être assuré d'y trouver des ruines plus ou moins considéra-
bles, ou tout au moins quelques vestiges de plus anciennes constructions. — A. M.
(9) Ces voûtes du Roummel sont un produit naturel des plus curieux. On avait
734 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
là destruction à un mouvement qui se sera opéré dans la voûte qui lui
sert de base. Les piles qui existent encore et qui sont bâties en
grosses pierres à bossage sont fendues dans toute leur hauteur; les
fentes ont été rebouchées avec du mortier lorsque, en 1796, le
pont fut rétabli par les soins de Salah Bey (10).
Il ne reste d'antique que les piles du pont et une partie des culées
jusqu'à la hauteur du parapet. Deux éléphants, sculptés sur un bloc
de pierre , se remarquent du côté de l'est. Je pense que ce bas-relief
n'est pas en place et a été encastré là quand on a rétabli le pont;
mais je crois qu'il appartenait à l'édifice même, peut-être au parapet.
Une tête de victime avec des bandelettes, sculptée sur la doucine
qui forme l'imposte, appartient à l'art romain.
Le pont du Roummel n'était pas le seul qui donnait accès dans
la ville de Constantine; un pont-aqueduc avait été construit plus à
l'ouest ; mais malgré la défense naturelle que présente l'assiette de
la ville , elle était de plus entourée par une muraille flanquée de
tours rondes et carrées dont les soubassements s'observent presque
partout, et qui dans quelques endroits sont entièrement conservés.
Un bas-relief représentant un bouclier et des armes me paraît une
ancienne sculpture indigène. Les monuments d'art de cette époque
sont extrêmement rares.
J'ai dit que les citernes de Constantine étaient situées dans le pa-
lais ou casbah. Elles étaient ainsi doublement à l'abri de toute des-
truction, occupant le point culminant à cent soixante mètres au-
dessus du cours du Roummel, et à plus de trente mètres au-dessus
du point inférieur de la ville. Elles sont au nombre de trente-deux
et formaient des salles voûtées. On suit bien dans la plaine voisine
les traces de l'aqueduc qui les alimentait; mais ce n'est que cette
année qu'on a déterminé la prise d'eau par des nivellements et des
opérations topographiques. L'aqueduc qui traverse le Roummel , et
dont le rang inférieur est parfaitement conservé , avait trois étages
d'arcades. Il s'élevait ainsi jusqu'à la hauteur du Koudiat'-Aty (11).
cru jusqu'ici qu'elles faisaient partie de la roche même de Constantine; mais j'ai
constaté qu'elles sont d'une formation beaucoup plus moderne. — C T.
(10) Le pont du Roummel a 5G mètres au-dessus de la rivière; les arches à deui
étages qui le soutiennent, ont une hauteur de 48 mètres ; le ravin offre donc en cet
endroit une profondeur de 104 mètres. — A. M.
(11) Parmi les ruines de Koudiat'ati, l'on voit, dans plusieurs endroits, les restes
d'une voie romaine encore intacte à l'endroit où se trouve le canal du grand
aqueduc. Cette roule est pavée avec des pierres dures et de couleur grisâtre de la
seconde couche. Elles sont placées en losanges; leurs dimensions varient un peu,
mais la majeure partie mesurait 1 mètre de long sur 60 centimètres de large et
MONUMENTS DE L'ALGERIE . 735
Là il déposait les eaux dans des citernes , après les avoir conduites
par un système de piles creuses dont je n'ai pu déterminer l'usage ,
mais qui , je pense , ont eu pour objet l'épuration des eaux dans un
premier château d'eau , d'où elles passaient dans les grands réser-
voirs (12). La prise d'eau est située dans une vallée qu'on appelle
Oaed-Yacoub. Deux sources très-abondantes, au milieu de débris de
constructions romaines , s'écoulent aujourd'hui dans le Roummel.
Ces sources sont à une hauteur suffisante pour arriver dans les ci-
ternes de la casbah. Mais depuis la destruction des aqueducs on n'a
d'autre eau à Constantine que celle du Roummel, montée péniblement
à dos d'âne du fond du précipice où coule le torrent. Heureusement
les trente-deux citernes de Constantine sont aujourd'hui totalement
restaurées par les soins du génie, et si une partie a dû être con-
vertie en casernes , l'autre n'attend plus que les eaux qui doivent
l'alimenter (13).
Ainsi la domination française , ramenant en Afrique la civilisa-
tion , se rattache d'abord aux grands ouvrages de la domination ro-
maine , partout où ils peuvent être rétablis.
12 centimètres d'épaisseur. La route est large de cinq mètres , bordée par une petite
banquette élevée de 35 centimètres au-dessus du pavé. La voie romaine de
Constantine à Stora , qu'a reconnue, en avril 1838, M. Puillcn-Boblaye, et qui est
d'une si admirable conservation, est large de G mètres. Voy. Excursions dans
l'Afrique septentrionale , p. 85.
Une seconde voie romaine, pavée de la même manière que l'autre, passe près
Bardo, où étaient les écuries du bey. La position et la direction des traces qui en
restaient font supposer qu'elle traversait le Roummel a l'endroit appelé aujourd'hui
Mdjez-al-Ghanem (le Gué des Troupeaux).
C'est entre Koudiat'ati et Mans'ourah, dans la vallée du Roummel , que se trou-
vait le faubourg appelé Mugure, mentionné dans un des actes des martyrs , publiés
par D. Ruinart, ainsi que l'a démontré une inscription trouvée sur les lieux par le
capitaine du génie Carette. Cf. Pellissier, ouv. cit .. p. 370.— A. M.
(12 On pourra comparer ce système de distribution des eaux de Constantine avec
celui de Constantinople , si bien étudié et si savamment décrit par le général
Andréossy, dans son Voyage à l'embouchure de la mer Noire, publié en 1818
(Paris, in-8°). — A. M.
(13) Au-dessous de ces citernes s'étend un long espace de terrain assez uni sur le
bord du précipice dans lequel coule la rivière. Cet emplacement était ancienne-
ment occupé par un cirque ou hippodrome. Les carceres étaient en ligne avec le
pont, l'entrée était à l'autre bout vers le sud , où commence le ravin escarpé. Cette
entrée semble avoir été vers l'arc appelé Qasr-el-Goulah, qui avait trois entrées
dont celle du milieu était la plus large. Shaw fait observer que les pilastres étaient
d'un goût particulier à Cirta, ce qui nous fait croire que cet édi6ce était peut être
d'une architecture numidique. La forme générale du cirque, quelques fondements
des murs qui l'environnaient à l'extrémité arrondie vers son entrée, se distinguent
encore faiblement. La spina est enterrée sous le sol , charrié par les pluies du haut
des côtes rapides de la terrasse de Mans'ourah. (Excursions dans l'Afrique sep-
tentrionale, p. 80.) — A. M,
SCEAU INEDIT DE PHILIPPE I
er
. Dans un intéressant article sur l'iconographie de Saint-Louis ,
inséré dans le dernier numéro de cette Revue (p. 675 et suiv.) ,
M. E. Cartier a fait ressortir l'importance que présente, au point de
vue de l'art , le Musée sigillographique des Archives du Royaume. Ce
n'est là qu'un des côtés utiles de la précieuse collection dont une
heureuse et féconde pensée de M. Letronne a doté l'établissement
confié à sa direction. Une découverte , due tout récemment, comme
beaucoup d'autres du même genre , à la sagacité et aux recherches
persévérantes de M. Auguste Lallemand , commis d'ordre aux ar-
chives et chargé du moulage des sceaux , nous fournit l'occasion
d'indiquer , par un exemple, les ressources que ce Musée peut fournir
aux études historiques , soit pour aider à combler les lacunes des ou-
vrages publiés sur la matière, soit pour rectifier les erreurs qui s'y
sont glissées.
M. A. Lallemand a trouvé apposé à un diplôme de l'an-
née 1082, et à un autre acte de l'année 1100, un sceau du roi
Philippe Ier, employé par ce prince, au moins pendant les vingt-six
dernières années de son règne , et qui n'a été mentionné ni par
D. Mabillon , ni par les auteurs du Nouveau traité de diplomatique.
D'un autre côté, le sceau qui , dans ces deux ouvrages , est donné
comme étant le sceau unique de Philippe Ier, a été gravé d'une ma-
nière défectueuse. Nous rectifierons ce type déjà publié avant de
parler de celui que nous signalons comme inédit.
On lit dans le Nouveau traité de diplomatique (l) : Le sceau de Phi-
lippe Iet ne diffère guère de celui de Henri /er, que par V inscription.
Néanmoins, les dessins que cet ouvrage donne des deux types en
les reproduisant d'après les gravures publiées par D. Mabillon (2),
présentent entre eux quelques différences essentielles qui ne de-
vraient pas exister. Le sceau de Philippe Ier (Voir pi. 61 , n° 1)
n'est autre, en effet, que celui de Henri Ier, sur lequel on a changé
seulement le nom ; des comparaisons minutieuses , des mesures ma-
(1) Nouveau traité de diplomatique, par deux religieux bénédictins de la
congrégation de Saint-Maur; in-4°. Paris, 1759, t. IV, p. 126.
(2; D. Mabillon, Dere diplomatica-, in-fol. Paris, 1709, pages 423 et 425.
SCEAU INEDIT DE PHILIPPE Ier. 737
thématiquement prises sur les originaux qui ont servi de modèles au
graveur de D. Mabillon , et que Ton possède aujourd'hui aux ar-
chives , prouvent cette assertion jusqu'à l'évidence. C'est donc à tort
que le sceau de Henri Ier, gravé dans l'ouvrage de D. Mabillon et
dans le Nouveau traité de diplomatique, ne donne qu'un étage au
trône en forme de palais sur lequel le roi est assis. Ce trône doit
être à deux étages, et avec des ornements aux moulures, tel qu'il
est dans le sceau de Philippe Ier, publié à sa suite. D'un autre côté,
c'est également à tort que, dans la légende de ce dernier sceau, on a
complété le mot gratia. L'original ne le donne qu'en abrégé : gba.
L'erreur remarquée dans le sceau de Henri Ier, provient du
mauvais état de l'empreinte fournie au graveur de D. Mabillon, par
les archives de Saint-Denis. Sur ce type, en effet, aujourd'hui dé-
posé aux archives du royaume (l), l'étage inférieur du trône et les
ornements des moulures ont presque entièrement disparu, mais on
les retrouve bien distincts sur une autre empreinte du même sceau,
qui existe , comme la première , aux archives , et qui provient des
titres de l'abbaye de Sainte-Geneviève (2).
Il résulte de l'identité complète des deux sceaux de Henri Ier et de
Philippe Ier y que ce dernier, qui était monté, comme on sait, sur
le trône, à l'âge de sept ans, n'a pas eu pendant sa minorité, et
certainement avant Tan 1068, d'autre sceau que celui de son père,
avec simple substitution de nom dans la légende. La découverte
due à M. A. Lallemand, établit de plus, que dès l'année 1082,
au plus tard, Philippe Ier s'est servi d'un autre sceau gravé spéciale-
ment pour lui, et qu'il a dû employer jusqu'à la fin de son règne,
puisqu'on le retrouve encore en usage le 25 février 11 00, sans
qu'il y ait d'exemple que le premier type ait reparu depuis.
Ce second sceau, se trouve apposé pour la première fois, ainsi
que nous l'avons dit , à un diplôme de l'an 1082 , daté de Poissy le
6 janvier de cette année, et par lequel Philippe Ier faisant droit aux
plaintes d'Isambart, abbé de Saint-Germain des Prés, déboute un
chevalier , nommé Hugue Stavello , du droit de lever des taxes sur
les habitants de Dammartin (3). Sur ce sceau (V. pi. 61, n» 2)
(1) Cartons des Rois, K. 19, 3.
(2) Idem. K. 19 1 bis.
(S) Ce diplôme existe en original aux archives du royaume, cartons des Rois,
K 20, 6. Il est imprimé dans l'histoire de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, par
D. Jacques Bouillard, religieux bénédictin. Paris, 1724, in-fol. Pièces justificatives,
n° XXXII. Il en est aussi faitmention dans le Galliana chrisliana (nouv. édition),
t. VII, col. 438.
738 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
le roi est représenté jeune et sans barbe. Il est assis sur un trône
à tètes et à pieds de lions ( particularité qu'il est bon de remarquer,
caries bénédictins ne la faisaient remonter qu'à Louis le Gros). Sa
couronne est surmontée de trois Heurs de lis; il tient delà main
gauche un bâton royal terminé par une fleur de lis, et de la droite,
un petit sceptre en forme de trident.
Il est probable que ce sceau de Philippe Ier, postérieur à 1068
et antérieur à 1082, date de l'époque de sa majorité, c'est-à-dire
de l'année 1074 environ , si l'on s'en rapporte à Y Art de vérifier les
dates. Cet ouvrage contient d'ailleurs , à l'article qui nous occupe ,
une erreur assez grave, pour qu'il nous paraisse nécessaire de la
relever ici : on y lit (1). ce Le jeune prince gouverna d'abord sous la
« tutelle et la régence de la reine sa mère ; puis , après la retraite de
« cette princesse, arrivée l'an 1062, sous celle de Baudoin V, comte
« de Flandres , qui exerça ce double emploi jusqu'à sa mort arri-
« vée le 1er septembre 1067. — Philippe, à la mort de Baudoin ,
« n'était que dans sa quinzième année, et la majorité de nos rois
« était alors communément fixée à 21 ans. Baudoin, cependant,
« n'eut pas de successeur dans la régence , et Philippe commença
« dès lors à gouverner par lui-môme , et à faire expédier les actes
« en son nom , car il est à remarquer qu'autrefois les régents pre-
« naient absolument la place des rois, mettaient leurs propres noms
« à la tète de tous les actes émanés de l'autorité souveraine et les
« scellaient de leurs sceaux. »
Loin que les actes originaux , seule source de certitude en tel
cas, fournissent rien en faveur de cette assertion, ceux que possè-
dent les archives prouvent le contraire de la manière la plus évi-
dente. Il suffirait d'en énoncer quelques-uns datés des premières an-
nées du règne de Philippe Ier, pour démontrer que l'opinion énoncée
dans XArt de vérifier les dates , au sujet des attributions de la ré-
gence à cette époque, n'a aucune espèce de fondement.
Nous nous bornerons à citer un diplôme , daté de Senlis ,
l'an 1Q6Q , première année du règne de Philippe Ier, donné an nom du
roi, revêtu de son monogramme » et scellé de son sceau, et par lequel
ce prince confirme une donation d'Adèle, sa tante paternelle, à
l'abbaye de Saint-Denis. Un seul passage, dans ce diplôme, peut
rappeler la régente et son conseil , c'est celui où le roi dit qu'il ac-
corde cette confirmation per interventum matris A. et per assensum
[i) Art de vérifier les dates, 3e édit., in-fol. 1783, 1. 1, p. 671.
SCEAU INEDIT DE PHILIPPE Ier. 739
fidelium (l). Les autres actes du commencement de ce règne, sont
semblables à celui-ci pour la forme ; tous sont au nom du roi , aucun
au nom de la régence. On en peut consulter plusieurs, réunis dans
un intéressant ouvrage du prince Alexandre de Labanoff (2).
On reconnaîtra que les rectifications de la nature de celles que
nous venons d'indiquer, ne sont pas sans importance, lorsqu'elles
portent sur des ouvrages aussi généralement et aussi justement
estimés. Ces ouvrages remplacent en effet entre les mains de la
plupart des savants les actes originaux qui , antérieurement au
XIIe siècle , ne se trouvent guère que dans quelques grands dépôts
publics; et dans ces dépôts mêmes, le nombre en est très-restreint.
C'est donc en général sur les fac simïle publiés par D. Mabillon et
et par les auteurs du Nouveau traité de diplomatique, ainsi que sur
les assertions de Y Art de vérifier les dates, que s'appuient les disserta-
tions relatives aux anciens diplômes de notre histoire , et à quelles
erreurs n'est-on pas exposé , surtout dans l'appréciation de l'authen-
ticité des actes, lorsque le point de départ de cette appréciation n'est
point rigoureusement exact. Or, il faut l'avouer, c'est sous le rap-
port des reproductions graphiques que les magnifiques monuments
dus à la science des bénédictins laissent le plus à désirer. Depuis
le siècle dernier les arts ont fait de grands progrès en ce genre , et
la science exige plus aujourd'hui. Nous pouvons citer comme un
exemple de la perfection qu'elle est désormais en droit d'attendre ,
les belles planches de fac simïle, dues au burin de M. S. Jacobs, et
qui , exécutées aux archives du royaume , sous la surveillance
consciencieuse de M. Natal is de Wailly, ont été jointes à son Manuel
de paléographie , publié en 1838.
E. DE Stadler.
(1) Archives du royaume, K 20, i.
(2) Recueil de pièces historiques sur la reine Anne ou Agnès , épouse de
Henri Ier, roi de France, par le prince Alexandre de Labanoff de Rostoff ; in-8. Paris,
Firmin Didot, 1825. Preuves, p. 29.
NOTICE HISTORIQUE
SUR
LE QUARTIER DE LA CITÉ, A PARIS,
A L'OCCASION
DE LA DÉMOLITION DES RESTES DE LEGLISE PAROISSIALE
DE SAINTE- CROIX.
Lorsqu'on fouille le sol de l'ancien Paris, quand les besoins et les
perfectionnements de notre civilisation nécessitent la suppression ou
la modiûcation de ses vieilles rues étroites et tortueuses , il est bien
rare de n'y pas rencontrer de précieux vestiges d'antiques monu-
ments de son histoire militaire, civile et ecclésiastique. Tantôt appa-
raissent des substructions remontant aux époques les plus reculées,
des chaussées avec leur pavement de pierres plates, des murailles ou
des aqueducs du temps de la domination romaine. Tantôt les assises
inférieures des remparts et des tours de son enceinte au moyen âge
viennent déterminer les points demeurés indécis du périmètre muni-
cipal. Souvent, dans les détours anguleux de quelque rue obscure, et
serrés entre de vieilles et hideuses maisons que le pic du manœuvre
démolit sans effort, surgissent les restes d'une église, d'une simple
chapelle, une crypte sépulcrale, ou quelque inscription funéraire.
La Cité , comme étant le plus ancien quartier, et même le berceau
de Paris, offre souvent, et surtout depuis qu'on s'occupe de l'em-
bellir en l'assainissant , l'occasion de ces découvertes pleines d'intérêt
pour l'archéologie.
Ainsi, au mois d'avril 1842, en démolissant plusieurs vieilles mai-
sons situées entre les rues des Deux-Hermites et de Perpignan pour
le percement de la rue de Constantine, aboutissante celle d'Arcole,
on découvrit plusieurs caves superposées, dont l'une plus rappro-
chée de la rue des Deux-Hermites, sous laquelle elle passait, offrait
une voûte ogivale à nervures croisées et taillées en coin.
QUARTIER DE LA. CITÉ, A PARIS. 74l
Il n'existe point dans l'histoire , ni dans les anciens plans de Paris
d'indication ou de traces que ces curieuses substructions aient appar-
tenu à un édifice religieux ou civil ; à moins, ce qui paraît probable,
qu'elles n'aient fait partie des anciennes prisons et cachots de la jus-
tice seigneuriale du chapitre de Notre-Dame, que l'on croit avoir été
anciennement établis à l'entrée de l'impasse de Sainte-Marine en
entrant à gauche (l). Mais le bâtiment destiné à cet usage avait subi
d'immenses modifications dans sa forme pendant la suite des siècles.
Ce n'était plus qu'une vieille maison fort ordinaire appropriée depuis
longues années aux travaux d'un atelier de serrurerie, successive-
ment occupé par les sieurs Bouresche, Garnier et Duverne, tour à
tour serruriers de l'ancien et du nouveau chapitre de l'église métro-
politaine. Plus tard , en 1843 , en creusant près de cette même rue
de Perpignan, pour asseoir les fondements de la maison de M. Re-
gnard Sylvestre, commissaire-priseur, on découvrit un aqueduc de
construction romaine , dont les briques formant le canal furent re-
connues pour appartenir à cette époque.
Au moment où nous écrivons ceci, les utiles travaux d'élargisse-
ment de la rue de la Cité et d'achèvement de la rue de Constantine,
font disparaître tout à la fois la rue de la Vieille Draperie et le por-
tail de l'antique église paroissiale de Sainte-Croix. Respectable dé-
bris, d'une grande solidité, qui s'élevait encore avec son pignon sur
la rue Sainle-Croix ; mais qui demeurait inaperçu dans celte ruelle
fangeuse de trente-sept mètres de long, sur à peine deux mètres de
large, sans boutiques au rez-de-chaussée et aboutissant à des repaires
infâmes. Hormis quelques antiquaires, les voisins, même les plus
près de celte ruine chrétienne ignoraient peut-être que là, pendant
plus de sept siècles, avait existé une église.
Dès le règne de Louis VI , dit le Gros , la rue de la Vieille-Dra-
perie était habitée par des juifs. Mais ces boucs émissaires de préven-
tions populaires plus ou moins fondées, furent chassés du royaume,
(1) Celte petite église qui fut pendant plus de trente ans l'atelier de teinture du
sieur Mahussier, existe encore au fond de l'impasse. Elle n'a rien de remarquable
que son abside, en ogive à nervures croisées, t:ès-surbaissée, sans doute à cause de
l'élévation postérieure du sol. La cure était à la collation pure et simple de l'ar-
chevêque de Paris. Elle était la paroisse des officiers et domestiques de sa maison
bien qu'éloignée du palais épiscopal. Aux termes d'un procès-verbal d'enquêle de
1495, cité par l'abbé Lebeuf (Bisl. du D. de Paris , t. I, p. 352) , le curé de
Sainte-Marine avait sa pitance à l'évêché ; mais aussi, il était chargé de confesser
les prisonniers des prisons épiscopalcs. Il faisait aussi dans son église les mariages
ordonnés par sentence de l'officialité.
m. 48
742 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
par un édit de Philippe-Auguste, du mois d'avril 1182; alors les
drapiers vinrent s'établir dans cette rue qui, pour ce motif fut ap-
pelé la draperie. Dans le rôle des tailles de Philippe le Bel, dressé
en 1313, elle y figure sous le nom de Vieille Draperie, qu'elle a
porté jusqu'à sa suppression en 1846. C'était au coin de cette rue,
vers la place du Palais , qu'était la maison du père de Jean Châtel ,
qui attenta à la vie de Henri IV en le blessant d'un coup de couteau
à la lèvre, le 27 décembre 1594.
Dans l'enceinte si étroite de la Cité se dressaient autrefois les
clochers de vingt-une églises ou chapelles, de toute date, de toute
forme, et de toute grandeur : décoration merveilleuse, riche et im-
posante , que la faux révolutionnaire a rasée, et dont elle a privé nos
grandes villes , probablement pour toujours (1). Toutes ces églises
étaient bâties avec une magnificence proportionnée à leur impor-
tance relative ; car, au moyen âge , rien n'était épargné pour décorer
la maison de Dieu. Mais , par un contraste qui sert à faire ressortir
la foi ardente de nos pères et la simplicité patriarcale de leurs ha-
bitudes domestiques , leurs demeures n'offraient rien que de triste
et de misérable. Les rues étaient étroites, tortueuses, sales, humides
et sans air. Elles étaient bordées de maisons à pignons en avant-
solier (2) , obscures , encombrées et malsaines : celles qui nous res-
tent attestent par la laideur de leur structure et leur distribution in-
commode que les hommes illustres qui préparèrent et firent la renais-
sance dans le XVe et le XVIe siècle , avaient à peine mis leurs
contemporains sur la voie des améliorations et des inventions utiles
que les siècles plus polis sont venus faire éclore ou perfectionner.
Avant cette ère de progrès , les choses les plus ordinaires suffisaient
à tous les besoins ; car, alors , même dans les conditions les plus
élevées , on vivait sans luxe , avec une économie et une simplicité à
peine croyables aujourd'hui , à tel point que les appartements de nos
rois et des seigneurs étaient jonchés de paille, au lieu de lapis et de
(1) Voici les noms de ces vingt-une églises : Notre-Dame. — Saint-Denis du Pas.
— Saint-Jean le Rond. — Saint-Aignan. — Sainte-Marine. — Saint-Pierre aux
Bœufs. — Saint-Christophe. — Sainte-Geneviève des Ardents. — Saint-Landry. —
Saint-Denis de la Chartre. — Sainl-Symphoricn ( depuis Saint-Luc). — Sainte-Ma-
deleine. — Sainte-Croix. — Saiul-Pierre des Arcis. — Srtint-Germain le Vieux.
— Saint-Martial. — Saint-È!oy. — Saint-Barthélémy. — La Sainte -Chapelle. — La
chapelle de l'Hôtel-Dicu. — L'antique et double chapelle du palais épiseopa!,
démolie par l'émeute en 1831.
(2) On voit encore de ces avant-solicr dans plusieurs rues de Paris, notamment
à une maison rue des Prêtres Saint-Germain l'Auxerrois et à celle formant l'angle
de celle rue , sur la façade regardant la place de l'École.
QUARTIER DE LA CITE, A PARIS. 743
nattes. Souvent un seigneur netait guère mieux logé qu'un simple
bourgeois. Ainsi, dans la partie la plus triste et la plus infime de la
Cité, se trouve une rue formant encore une équerre qui commençait
à la rue Saint-Pierre aux Bœufs (aujourd'hui rue d'Arcole), et qui
aboutit à la ruelle des Trois Canettes. Les vieilles maisons de plâtre
de cette rue , dont les soubassements de pierre de taille révèlent l'an-
cienne importance, formaient jadis l'ancien fief de Cocatrix , ainsi
appelé de Geoffroy de Cocatrix, échanson du roi Philippe le Bel , et
seigneur de ce fief, où il demeurait vers 1300. Il est vrai qu'ignorant
les délicatesses d'une civilisation dont les nombreux avantages com-
pensent largement certains travers, ces vieilles générations, plus
robustes que les nôtres, n'étaient point blasées par un confortable
sans bornes ^ comme sans mesure, ou énervées par des causes qui se
rattachent à la mollesse , et peut-être jusqu'à un certain point au
relâchement des principes et des mœurs.
Nous sommes loin de nous extasier, comme certains romanciers à
la mode, sur cet ancien et hideux état de la vieille Cité parisienne.
Nous pensons au contraire qu'il appelait une réforme intelligente ,
mais qu'il était dû à l'absence de toute police et de sages règlements
sur la voirie ; de sorte que toutes personnes, propriétaires ou prolé-
taires , pouvaient agir suivant leur intérêt privé ou leurs caprices.
L'hygiène publique était à peu près inconnue; aussi les épidémies
sévissaient-elles souvent sur cette population, entassée dans des mai-
sons dont l'aspect seul nous fait reculer d'horreur. On ne commença
à construire des égouts dans Paris qu'en 1381. La première ordon-
nance pour le nettoyement des rues date de 1476 ; avant, on amon-
celait les immondices dans les carrefours, et lorsque leur masse
gênait la circulation, les voisins la faisaient enlever à frais com-
muns. Ceux qui ne pouvaient payer leur part portaient leurs ordures
sur les places publiques. Les premières fosses d'aisance ne furent
établies à Paris qu'en 1539, et encore toutes les maisons n'en étaient
pas pourvues à la fin du règne de Louis XIV. Il est facile d'ima-
giner combien étaient infects et dangereux ces détritus de toute na-
ture stagnant dans des rues, telles que celles de la Lanterne et de
la Juiverie ne formant qu'une seule voie, aujourd'hui élargie d'en-
viron neuf mètres, où le soleil pénétrait à peine, avant que le lieu-
tenant de police de La Beynie eût établi vers 1667 un service régu-
lier pour le nettoyage des rues et l'enlèvement des immondices.
Après ces deux rues, artères de la Cité, la rue des Marmouzets
était une des mieux entretenues par sa population industrielle, et
744 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cependant, au dire du commissaire de La Marre, ( Iraitéde la Police,^
1. 1, p. 560) et de Sainte-Foix (Essais sur Paris, t. I, p. 205, édit.
de 1777), le médecin Courtois, qui y demeurait sous Louis XIV,
voyait ternir dans l'espace du matin au soir, les chenets de cuivre ,
ornement de son foyer, qu'il faisait frotter tous les jours.
Si , au moyen âge, les rues étaient étroites et sinueuses , les mai-
sons drues , hautes et obscures , cela tenait à des habitudes immé-
moriales qu'on peut faire remonter à l'antiquité païenne. Nous
croyons assez à l'intelligence de ceux qui persiflent cette vieille civi-
lisation pour admettre qu'ils ne prétendent point emprisonner dans
leur pensée propre , la pensée progressive d'une société qui n'est
plus : car la réformation ou la transformation dans les lois , les
sciences et les arts a été relative à l'état actuel de ses habitudes , de
ses instincts et de ses besoins. Nos aïeux , dont tous les transports se
faisaient à somme d'animaux, à cause du mauvais état des chaussées,
et qui ne circulaient dans la ville qu'à cheval ou sur des mules,
n'avaient aucun besoin de rues spacieuses; c'est pourquoi ils ne
leur donnaient presque toujours que des proportions étroites, peut-
être aussi par économie de terrain; leur irrégularité pouvait avoir
aussi un motif de défense, une raison stratégique, pour le cas d'en-
vahissement de la ville par l'ennemi. Deux circonstances ont amené
depuis deux siècles seulement , l'élargissement des rues : l'usage des
carrosses dont l'invention remonte à Henri II ; mais dont l'emploi
permanent ne date que du commencement du XVIIe siècle ; et sur-
tout la multiplication plus récente des charrettes, chariots, haquets
et voilures de roulage.
Pour ce qui est du confortable et des précautions hygiéniques ;
tous ces perfectionnements ne pouvaient être que l'ouvrage du temps
et de l'expérience : pour y arriver, il a fallu traverser bien des jours
malheureux. Il est notoire que nos pères, excessivement routiniers,
se départaient difficilement de leurs habitudes. 11 est donc évident
que l'abolition des usages et des procédés de leur époque n'aurait pu
se faire par la conception a priori d'un système d'améliorations
pleinement conformes à ce que le cours des âges a pu réaliser plus
tard. Est-ce qu'il ne serait point contraire à toutes les idées de lo-
gique, d'imaginer qu'on eût pu imposer de prime saut à une société
pleine de préjugés, une foule d'usages admis aujourd'hui dans nos
mœurs? Et qui donc eût compris une semblable perturbation? Qui
l'eût voulu? Qui ne l'eût repoussée comme une pensée diabolique?
Puis d'ailleurs, quiconque a étudié le moyen âge, a pu y apprendre
QUARTIER DE LA CITÉ, A PARIS. 745
que chaque société a son caractère propre ; que le bonheur des
hommes, leur liberté même réside le plus souvent dans l'idée qu'ils
ont conçue, idée pour eux relative aux habitudes présentes et par-
faitement distincte de l'idée générale que peut en donner la philoso-
phie ; et ceci s'applique à notre époque môme , si flère de ses per-
fectionnements.
Au reste, qu'a fait l'édilité parisienne , depuis un demi-siècle de
progrès , pour assainir et transformer la vieille Cité, mère de la capi-
tale de la France? — Peu de choses. — Les repères de ses rues si
noires et si tortueuses sont restés à peu près les mêmes ; car,
excepté le changement de l'étroite rue Saint-Pierre aux Bœufs en
une voie large et droite, conduisant du pont d'Arcole au parvis
Notre-Dame , le percement de la belle rue de Constantine en face du
Palais de Justice , et l'élargissement de la rue médiaire de la Cité :
ses vieilles maisons offrent encore un ensemble assez complet et des
cloaques assez fétides , pour donner aux étrangers une idée de ce
qu'elle fut matériellement au moyen âge. Le changement le plus
apparent que ce quartier ait subi, au point de vue des arts, depuis
cinquante ans : c'est la démolition de toutes ses églises, excepté
Notre-Dame et la Sainte-Chapelle , que l'on restaure splendidement
aujourd'hui. Encore doit-on regarder la conservation de Notre-Dame
comme providentielle, car à la Convention nationale et dans le con-
seil général de la commune, il fut plus d'une fois question de mettre
en vente cette belle et vénérable basilique , pour être démolie ; et la
Sainte-Chapelle, précieux reliquaire de saint Louis, ne fut sauve-
gardée que pour servir d'Archives judiciaires du palais auquel elle
confine , et eu subissant les plus brutales mutilations.
C'est dans les instincts moraux de la population pauvre de la Cité,
qu'une triste métamorphose s'est presque complètement accomplie
depuis les dix dernières années du XVIIIe siècle. Dans des temps
meilleurs et moins agités, cette population obscure, industrielle et
de mœurs pures, avait des habitudes d'ordre intérieur et de sobriété.
Elle se mêlait peu de politique, parce qu'elle ne formait point son
opinion sur des journaux. Ce n'était point là que les séditieux allaient
chercher des complices pour répandre l'anarchie dans la capitale :
car l'aisance des petites gens est le meilleur préservatif contre la
révolte. Il est vrai que nous n'étions pas encore arrivés à cet âge d'in-
crédulité systématique qui étouffe toute noblesse d'âme, tout senti-
ment généreux et conduit l'homme à l'instinct de la brute : il y avait
de la foi et des convictions ardentes. Mais depuis lors, l'oisiveté du
746 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
grand nombre causée par une recrudescence de population pendant
trente ans de paix , et par la simplification ingénieuse des procédés
industriels qui fait qu'une simple machine supplée à une multitude
de bras, a fait prendre des habitudes de débauche qui ont Gni par
tout envahir dans les parties les plus obscures de ce quartier excen-
trique. Il faut reconnaître cependant que la population infime forcée
d emigrer des autres quartiers de Paris , où se font actuellement tant
de somptueuses constructions, vient chercher une retraite moins
coûteuse dans les sombres garnis et les vieilles maisons de la Cité ;
elle choisit de préférence les parties les plus populeuses où la boue
tapisse les rues en toute saison , où le ruisseau est un marais en petit,
où des forêts de masures hautes et drues lui permettent d'installer
librement sa misère et ses penchants.
Dans la seule rue de la Cité (1) qui traverse l'île dans toute sa
largeur on ne compte pas moins de trente-cinq boutiques d'estami-
nets , de marchands de vins, de liquoristes ou épiciers rogomistes. Il
y en a au moins autant dans le reste de la Cité ; preuve infaillible de
l'épouvantable consommation de liquides spiritueux qui se fait jour-
nellement dans ce petit espace. C'est là qu'on voit des hommes et des
femmes en guenilles debout autour d'un comptoir, vociférant l'orgie
ou échangeant des quolibets licencieux, en doublant et triplant la
dose d'une boisson incendiaire, ce Au milieu de cette population
abrutie , disait naguère un savant écrivain ; au milieu de cette popu-,
lation dont les hommes se répandent le jour dans les ateliers où le
travail les appelle, dont les femmes et les enfants, hâves et déco-
lorés, végètent au bord du ruisseau où ils cherchent un peu d'air et
de jour, se glisse une autre population qui fuit la lumière et qui se
dérobe à l'œil de la police , en s'enfonçant dans les inextricables dé-
tours de ce labyrinthe de maisons aux chambres noires , aux innom-
brables cloisons, et qui, au moyen de faciles communications,
peuvent offrir plusieurs issues. Douze cents malfaiteurs habitent
ordinairement dans ce quartier. II est vrai qu'on ne peut mettre la
main sur eux que quand on les prend en flagrant délit ; mais parmi
eux se cachent des gens repris de justice, des scélérats dont les
crimes sont avérés, les mêmes dont à certains jours on voit appa-
raître les figures étranges, et dont les physionomies font un tel con-
traste avec celles qui circulent journellement dans la ville, qu'elles
effrayent les honnêtes gens , en révélant une horde inconnue dont on
(1) Ci-devant rues de la Lanterne et de la Juiverie. «
QUARTIER DE LA CITÉ, A PARIS. 747
ne peut deviner les habitations. Telle est la Cité, qui était jadis tout
Paris , et que cependant l'empereur Julien appelait sa chère Lutèce ! »
(Du Mersan, art. Cité, Encyclop. cath., t. VIII).
Le Prado, ancienne salle de spectacle bâtie sur les ruines de
l'église paroissiale de Saint-Barthélémy, est aujourd'hui un lieu où
une exorbitante liberté est laissée aux danses obscènes, aux excès
les plus cyniques et les plus dégradants. A quelques pas de cet
antre , dans les rues Gervais-Laurent , aux Fèves, de la Licorne, de
la Calandre et Saint-Martial , existent des établissements plus dan-
gereux encore : des êtres dégradés pénètrent dans les nombreux dé-
tours de ces repaires et s'y livrent avec impunité à toutes les turpi-
tudes du vice, à tous les excès de la débauche. Un crime a-t-il été
commis, la police jette son filet dans ces cloaques, et presque tou-
jours elle y saisit les coupables. Aussi les voleurs, commensaux de
ces horribles lieux, ont maintenant une certaine importance depuis
que les feuilletons à la mode leur ont donné droit de cité dans les
salons , et que l'argot est enseigné comme une de ces largues vi-
vantes , dont l'illustre chancelier d'Aguesseau disait que leur étude
devrait être la récréation de la jeunesse. C'est dans l'une de ces
rues: la rue aux Fèves, qu'un écrivain prétendu moraliste, qu'un
publiciste plus sérieux a spirituellement appelé le barde des bagnes,
a placé les premières scènes d'un roman tristement fameux où la
théorie du vol , de l'adultère et de l'assassinat est exposée et discutée
aussi gravement qu'une leçon de philosophie des cours de la Sor-
bonne. Des travaux de voirie et de salubrité qui prennent chaque
jour plus d'impprtance, doivent heureusement, dans un temps plus
ou moins prochain , purger le quartier de la Cité , de cette lèpre
sociale.
C'est en faisant disparaître, pour former l'alignement du côté
méridional delaruedeConstantine, un pâté considérable de ces hi-
deuses maisons , véritable échantillon de l'art de bâtir avant qu'il ait
été assujetti à une méthode régulière, et à des règles puisées dans la
raison et dans le goût , que les derniers vestiges de la vieille église
de Sainte-Croix viennent d'être atteints. Ce n'est point une perte
pour l'art que nous enregistrons, mais simplement un souvenir
historique, pour montrer qu'un monument sacré, sans avoir par lui-
même ou par ses ruines, une grande importance, par cela seul
qu'il a traversé plusieurs siècles, se trouve renfermer dans ses hum-
bles annales des renseignements précieux et dignes de passer à la
postérité.
748 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Les historiens sont partagés sur la véritable origine de l'église de
Sainte-Croix. Mais l'opinion la plus probable est celle de Jaillot :
ce juge excellent en fait d'antiquités parisiennes, estime qu'elle fut
d'abord une chapelle ayant pu servir à l'inGrmerie du monastère de
Saint-Éloy, dès le VIP siècle. En 631, saint Éloy, aidé des libéra-
lités du roi Dagobert, fonda dans sa propre maison , située près de
l'église de Saint-Martial, dans la Cité, un monastère où il réunit
trois cents religieuses, sous la conduite de sainte Aure , fille de
Maurice et de Quirie. Après trente-trois ans de vertus et de péni-
tence, Aure mourut de la peste, en 666, avec cent soixante de ses reli-
gieuses; toutes furent inhumées dans le cimetière de l'église de Saint-
Paul, sur la rive droite de la Seine, que saint Éloy, d'après le
témoignage de saint Ouen , évoque de Rouen , son biographe et son
ami , avait destiné à servir de sépulture à la communauté dont il
était le fondateur, parce qu'alors il était défendu d'enterrer les morts
dans les villes (1).
Le périmètre de ce monastère occupait primitivement dans la Cité
un espace carré qu'on appelait la ceinture Saint-Éloy. 11 s'étendait au
nord depuis la rue de la Calandre jusqu'à celle de la Vieille Draperie
qu'on vient de supprimer; et du couchant au levant, depuis la rue
de la Barillerie jusqu'à la rue aux Fèves : circonstances qui dé-
montrent, dit l'abbé Lebeuf(2), combien la cité de Paris était peu
peuplée au VIP siècle, puisque l'habitation de l'orfèvre du roi occu-
pait tant de terrain. Ce vaste domaine, situé devant le palais nou-
vellement bâti, lui avait été donné par le roi Robert. Les rois car-
lovingiens demeuraient à la campagne. Leur palais était à Gentilly,
alors un des plus agréables lieux des environs de Paris, village au-
(1) L'église de Saint-Paul fut bâtie sur l'ancienne chapelle en 1108. Vendue le
6 nivôse an v, elle fut démolie deux ans après. Il n'en reste plus que les ruines de
la cage d'escalier à vis de la tour, engagées dans le pignon de la maison n° 3G de
la rue Saint-Paul. Le dimanche 23 août 1846 , par suite de travaux de terrassement
ouverts pour l'assiette des fondations d'une grande et belle maison sur le sol de cette
ancienne église, les ouvriers découvrirent des masses d'ossements humains qu'ils
réunirent en las pour cire transférés ultérieurement dans l'un des grands cime-
tières de Paris. Quelques jours après ils exhumèrent environ quarante cercueils de
plomb portant tous une inscription pectorale d'où il résultait qu'aucun ne remontait
au delà du XVllie siècle et que les individus qui y reposaient étaient de simples
bourgeois. Par un esprit de rapacité aussi indécent que sordide, le propriélaire du
terrain s'est emparé des plombs après avoir dispersé les restes qu'ils contenaient.
C'était là qu'était le célèbre cimetière Saint-Paul où Piabelais , mort le 9 avril 1553,
fut inhumé. L'homme au masque de fer y fut également enterré sous le nom de
Marchiali, le 2G novembre 1703*
(2) Bist. du Dioc. de Paris, t. II , p. 494.
QUARTIER DE LA CITÉ, A PARIS. 749
jourd'hui marécageux , rempli de carrières et désagréable. Mais les
rois capétiens crurent qu'ils seraient plus en sûreté dans la ville,
située au milieu d'une île, et bordée de remparts. En conséquence
Hugues Capety fit bâtir un palais. Robert le Pieux, son fils, y
fonda la chapelle Notre-Dame que saint Louis fit rebâtir avec magni-
ficence sous le titre de Sainte- Chapelle. Louis XII abandonna le pa-
lais dont nous parlons. Il en donna une partie au parlement, qui
depuis y a toujours tenu ses séances jusqu'à sa suppression en 1790;
c'est encore aujourd'hui le Palais de Justice. Après bien des vicissi-
tudes et des changements arrivés dans le cours des siècles , et dont
le récit serait étranger à notre sujet le monastère de Saint-Martial
qu'on nommait aussi de Saint-Eloy à cause de son fondateur, fut
donné en 1629 , par Jean François de Gondi , premier archevêque de
Paris, aux clercs réguliers venus de Milan , et connus sous le nom
de Barnabites. L'église séparée en grande partie de l'ancien monastère
qui tombait en ruines, était depuis longtemps devenue paroissiale.
Démolie en 1722 , elle fut rebâtie au XVIIIe siècle par ces religieux,
qui ne l'ont jamais achevée ni voûtée. Supprimée en 1790, elle sert
maintenant de dépôt général des comptabilités du royaume. On ap-
pelle encore ce quartier de la Cité la ceinture de Saint-Éloy, mais
les temps comme les lieux ont bien changé ! Dans les détours étroits
de ces rues sombres et populeuses on voit parmi de tristes boutiques
d'artisans, de cabaretiers et de liquoristes, d'exécrables maisons
dont les habitantes immondes, stationnées à l'entrée de ces cloaques,
s'efforcent d'appeler avec un odieux sourire le passant qui fuit
épouvanté
Sous la race mérovingienne , presque toutes les abbayes avaient
indépendamment de l'église principale des oratoires ou chapelles dé-
tachés et dispersés dans leurs vastes enclos; il en était ainsi, à
Paris, dans le pourpris des abbayes de Saint-Germain des Prés, de
Sainte-Geneviève et de Saint-Martin des Champs. C'est à cause de
cet usage que les églises de Saint Pierre des Arcis et de Sainte-Croix
qui étaient très-voisines durent leur commencement au monastère de
Saint-Eloy dont elles dépendaient. Mais ce monastère ayant été
donné en 1 107 à Galon , évoque de Paris , la chapelle de Sainte-Croix
en fut détachée , et rebâtie plus loin hors de la Ceinture , ainsi que
Saint-Pierre des Arcis, au milieu du XIIe siècle. Lorsque le culte de
saint Hildevert, évoque de Meaux, disciple et successeur de saint
Faron fut pratiqué à Paris vers la fin du XIIe siècle , la chapelle de
Sainte-Croix dans laquelle avaient été déposées ses reliques , lui fut
750 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dédiée. Alors l'ancienne infirmerie de Saint-Éloy fut changée en
hôpital pour les épileptiques et les frénétiques qu'on y menait pour
être guéris ou soulagés par l'intercession de saint Hildevert. Mais les
cris de ces malades interrompant les voisins, qui , pour la plupart, dit
Duhreul, étaient gens de justice, obligèrent de transférer cette dévo-
tion à Saint-Laurent (aujourd'hui au faubourg Saint-Martin ) , où on
leur donna une chapelle dans la nef, et quelques chambres auprès de
Cette église pour les loger pendant qu'ils faisaient leur neuvaine.
L'église de Sainte-Croix reprit alors son premier vocable, et fut
érigée plus tard en paroisse. Elle est mentionnée sous le nom
d'Église dépendante de Saint-Ëloy , dans une bulle d'Innocent II ,
de l'an 1136, quoiqu'elle ne soit qualifiée que de chapelle dans les
lettres de Maurice de Sully, en faveur de Saint- Maur des Fossés,
datées du mois de septembre 1105. (Félib , Hist. de Paris, Preuv.
t. III, p. 23.) Les anciennes constructions de cette église qui
avaient été faites du XIIe au XIVe siècles n'existaient déjà plus pour
la majeure partie quand les marguilliers voulant en agrandir le bâ-
timent , achetèrent, par contrat du 2 mars 1450 , une masure d'un
nommé Hugues de Guillemeaux, vendeur de vins et bourgeois de
Paris. Sur le terrain de cette masure ils firent bâtir le chœur et le
chevet de l'église et quelques temps après, lorsqu'ils eurent des
fonds suffisants , une partie de la nef. Le tout ne fut achevé qu'en
1529. La dédicace de cette église avait été faite dix-huit ans avant
ces reconstructions , par Pierre Aureacella , évêque in parlibus de
Mégare, le premier dimanche de septembre de l'ère 1511, ainsi
qu'il résultait d'une inscription scellée dans le mur septentrional de
l'église, et insérée dans les Antiquités de Paris, de D. Dubreul,
p. 105. On voit par cette inscription que le prélat y consacra trois
autels dont le principal était sous le titre de la Croix, de Notre-Dame
de Pitié et de Saint-Hïldeverl. L'abbé Lebeuf fait observer que c'était
le premier monument faisant mention de ce saint prélat par rapport
à cette église. Elle avait en outre deux autels latéraux : celui adossé
au mur de la rue de la Vieille Draperie, était dédié sous l'invocation
de saint Jean-Baptiste , saint Jacques le Majeur et saint Nicolas ; et
celui de l'autre côté avait pour patrons Notre-Dame, sainte Anne
et saint Sébastien. Il est certain que cette église était paroisse depuis
déjà longtemps au commencement du XVe siècle , car il y avait dans
le chœur une pierre tombale, datée du jeudi 17 juillet 1428, por-
tant que Nicolas du Pont et Jacqueline, sa femme, paroissiens de
ceste église, gisaient sous ladite tombe. On voit dans les anciens
QUARTIER DR LA CITÉ, A PARIS. 751
plans figurés de Paris , notamment celui de Jaillot pour le quartier
de la Cité, que le plan du bâtiment de Sainte-Croix , orienté selon
la règle canonique, était un parallélogramme d'une seule nef avec un
pan coupé à l'angle nord du chevet ; et que le clocher dont on voit
la base était dans l'angle, à gauche de la porte occidentale. Une
autre porte au bas de l'église est indiquée sur la rue de la Vieille
Draperie. Suivant qu'on en pouvait juger par ce qui était resté du
F
*
]
Rue de la Vieille Draperie.
mur septentrional pour servir de fond à la maison bâtie sur l'em-
placement de cette église, elle appartenait au style ogival, on voyait
encore des fragments de pied droits à moulures prismatiques dans
la cour, et l'intrados d'un arc de fenêtre. Supprimée en 1790 , elle
fut vendue comme propriété nationale, le 2 mars 1792 et démolie
en 1797. Le portail seul fut conservé à cause de sa grande solidité
pour en former un mur de pignon à la maison qui remplaçait l'église.
Il n'offre rien de remarquable qu'une muraille épaisse en grandes
pierres bien appareillées , avec un soubassement marqué par une
large moulure à talon. Au milieu on voit la baie carrée de la porte
bouchée à fleur du mur et au-dessus une grande fenêtre à plein
cintre également bouchée. En démolissant cette maison on vient de
trouver sous l'ancien sol de l'église , les restes d'une maison romaine,
des médailles et des monnaies impériales qui seront reproduites dans
la statistique monumentale de Paris, publiée sous les auspices de
M. le Ministre de l'Instruction publique , par M. Albert Lenoir.
Parmi les curés qui ont administré la paroisse de Sainte-Croix, on
cite particulièrement Pierre Danet, abbé de Saint-Nicolas de Verdun,
linguiste distingué, qui fut du nombre des savants choisis par le duc
de Montausier pour éclaircir les auteurs à l'usage du Dauphin. Il eut
en partage Phèdre qu'il publia avec un commentaire et des notes
latines. Il publia en outre deux dictionnaires : l'un français-latin ,
l'autre latin -français, beaucoup moins estimé que le précédent;
mort en 1709.
Le percement de la partie de la rue de Constantine qui débouche
sur la rue de la Cité, s'est» opéré sur l'emplacement du hideux pas-
752 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sage de la Madelaine , qui communiquait de la rue de la Licorne à
celle de la Cité. Ce passage était lui-môme formé du sol de l'an-
cienne église paroissiale et archipresbytérale de Sainte-Madelaine.
Toute la muraille nord de la nef de cette église, avec les grandes
ogives à moulures en tores de ses fenêtres, dominaient encore les
laides baraques et les hangars d'un marchand de planches qui
occupait la majeure partie du passage. Puis , sur la rue de la Li-
corne régnait une délicieuse porte gothique à ogive en accolade avec
culots et pyramidion feuillages , style de transition du XVIe siècle.
Cette église, dont le portail occidental s'élevait sur la fraction de la
rue de la Cité, qu'on nommait encore, en 1840, rue de la Juiverie,
avait été bâtie au XIIe siècle, sur l'emplacement de la synagogue des
juifs qui habitaient alors ce quartier. Mais après les avoir bannis,
Philippe-Auguste donna à Maurice de Sully, évoque de Paris, l'au-
torisation de convertir cette synagogue en église. Les lettres royales
sont de 1183. Ce ne fut d'abord qu'une chapelle où les poissonniers
et les bateliers de la Seine avaient établi leur confrérie de Saint-
Nicolas , bien que cette chapelle était déjà sous le vocable de Sainte-
Madelaine avant 1197. Un titre de 1232, qui existait dans les an-
ciennes archives de l'abbaye bénédictine de Saint-Magloire , désigne
la cure de Sainte-Madelaine en la cité comme archipresbytérale (1).
Ainsi que cela existe aujourd'hui dans l'église des anciens Augustins
réformés, ou Petits-Pères, dite de Notre-Dame des Victoires, il y
avait dans cette église de Sainte-Madelaine , une célèbre confrérie
de la Sainte-Vierge, nommée la grande confrérie de Noire-Dame
aux seigneurs, prêtres, bourgeois et bourgeoises de Paris. Elle était
comme la mère de toutes les autres confréries, car elle était si an-
cienne, que rien ne révélait son origine.
Les vieux monuments du catholicisme ont cela de particulier, que
leurs nobles débris, quelque frustes qu'ils soient, portent jusqu'à !a
fin l'empreinte de la foi qui les planta sur le sol de la patrie. La
main du manœuvre aura beau les défigurer, il restera toujours assez
de trace pour signaler leur origine et leur destination sacrée, tant
(1) L'archiprêtre est un curé ou prêtre préposé au-dessus des autres pour l'office
sacerdotal. Il exerce sur les autres prêtres et clercs le droit de surveillance atlaché
à sa charge, la première après celle de l'évêque , qu'il pouvait remplacer en cas
d'absence; ce qui existe encore dans quelques diocèses. Il n'y avait autrefois qu'un
seul archiprêtre dans chaque cathédrale; le nombre en fut augmenté dans le
VIe siècle. On vit des archiprètres de ville, ou doyens des curés ; et des archiprètres
de campagne, ou doyens ruraux. Paris a eu deux archiprètres : c'étaient les curés
de Sainte-Madelaine en la Cité , et de Saint-Sé vérin.
QUARTIER DE LA CITÉ, A PARIS. 753
que les derniers vestiges de leurs fondements n'auront point été
arrachés du terrain béni qu'ils occupaient. Ainsi, en 1845, un phar-
macien s'est fait construire une assez jolie maison qu'on a adossée
contre l'ancien mur nord de l'église de Sainte-Madeiaine : les règles
d'alignement de la rue de la Licorne , et sans doute le plan adopté
pour cette maison, qui finit en pan coupé de ce côté, ont laissé à
découvert dans un angle l'intrados d'une grande fenêtre ogivale
qu'on a voulu dissimuler en bûchant la moulure curviligne. Mais ou
a eu beau faire, le vénérable stigmate paraît toujours. Puis, d'ail-
leurs, en retour sur la rue de la Licorne, on aperçoit encore une no-
table portion du chevet qui se distingue par trois contre-forts saillants,
entre lesquels apparaissent les traces de deux fenêtres plein cintre.
On ne peut donner, en général, que des louanges aux travaux
d'élargissement et de constructions nouvelles qui s'exécutent depuis
six ans dans le quartier de la Cité. Une fontaine monumentale, d'un
caractère religieux , vivifie la promenade un peu monotone créée sur
l'emplacement de l'antique demeure des archevêques. L'image de la
Vierge divine fait presque oublier la brusque confiscation de ce der-
nier débris du riche et antique domaine de l'Eglise de Paris. Les
travaux en projet pour ce quartier en opéreront totalement la trans-
formation architectonique , en même temps que la condition morale
et d'hygiène publique pour ses habitants. Un vaste palais archiépis-
copal d'un style noble et gracieux, dans lequel entreront les débris
de l'ancien hôtel de Louis de La Trémouille, le vainqueur de For-
noue et d'Agnadel, ou leur imitation, viendra, d'ici à quelques
années, mirer une de ses façades dans la Seine sur sa rive gauche,
en regard du splendide hôtel de ville. Les travaux de consolidation ,
d'ornementation et de restauration générales de Notre-Dame et de
la Sainte-Chapelle sont en voie d'exécution. Ces deux admirables
édifices sortiront bientôt de leur état de ruines. Mais là , nous le di-
sons avec franchise, se montrent trop visiblement l'inconséquence et
la contradiction des jugements de la commission des bâtiments civils,
ou de toute autre autorité compétente sur cette matière; ainsi on a
trop dénudé Notre-Dame et compromis la sûreté de ses abords en
voulant l'isoler ; tandis qu'au contraire, on va étrangler la Sainte-
Chapelle dans l'étroite ceinture de bâtiments dont on agrandit le
Palais de Justice, comme si le bon goût et les convenances devaient
être étoulïés à jamais sous les progrès de plus en plus menaçants
de la chicane.
Troche.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
Nécrologie. — La Reçue avait à peine fait connaître à ses lec-
teurs la perte douloureuse quelle venait de faire , d'un de ses colla-
borateurs, M. L. J. J. Dubois, que la mort lui en enlevait tout à coup
un nouveau encore plein de vie et d'activité. Pour remplir le pieux
devoir que ce recueil s'est imposé, et pour obéir personnellement à
un sentiment de reconnaissance et d'affection , nous rappellerons ,
ainsi qu'il a été fait pour le collègue qui l'a précédé dfe si près dans
la tombe, les principaux événements de la vie et les travaux de ce
collaborateur regretté , M. le comte de Clarac.
Charles-Othon-Frédéric-Jean-Baptiste, comte de Clarac, était né à
Paris, le 18 juin 1777, d'une ancienne famille de la Gascogne qui a
compté dans son sein plusieurs officiers généraux de terre et de
mer. Forcé d'émigrer encore très-jeune, à la suite de son père, le
maréchal de camp comte de Clarac, il alla achever en Suisse, puis
en Allemagne , les études qu'il avait commencées à Paris. Le goût ,
les heureuses dispositions qu'il montrait pour les arts, et que déve-
loppa encore un premier voyage qu'il fit en Italie , en allant re-
joindre son père, eussent décidé de sa vocation, si les liens de fa-
mille et les nécessités de sa position ne l'eussent pas mis dans l'obli-
gation de prendre du service à l'armée de Condé. Le jeune officier
s'y fit chérir par son aimable naturel; il reçut, plusieurs fois du
général Lecourbe, des témoignages d'intérêt pour l'humanité qu'il
apportait à soigner les blessés de notre armée contre laquelle le
malheur des temps lui faisait porter les armes. L'infortuné duc
d'Enghien se l'attacha comme officier d'ordonnance. Lors du licen-
ciement de l'armée royale , M. de Clarac passa en Pologne , et il y
accepta momentanément un grade dans un régiment de la Volhynie.
Néanmoins, la carrière militaire ne lui fit négliger ni la culture du
dessin, ni celle des langues anciennes et modernes. Il apprit à parler
presque toutes les langues européennes ; il s'adonna aussi aux
sciences naturelles. Lors de l'amnistie rendue en faveur des émigrés
parle premier consul, notre collaborateur s'empressa d'en profiter;
il rentra en France et vint poursuivre, à Paris, les travaux qu'il
avait commencés au milieu des camps. L'archéologie à laquelle le
conduisait naturellement son goût pour les arts, attira surtout son
esprit curieux de s'instruire. C'est alors que son mérite, distingué par
L archer, Gossellin et Sainte-Croix, le fit choisir par la reine Caroline
DECOUVERTES ET NOUVELLES. 755
Murât, pour diriger l'instruction de ses enfants. Il se rendit à Naples
en 1808; la vue de ce sol où tout est antiquité, parla vivement
à son imagination , et acheva de déterminer sa vocation. Il fut
chargé de conduire les fouilles de Pompeï , et il s'acquitta de ce soin
avec savoir et intelligence; il a consigné dans un petit ouvrage , de-
venu aujourd'hui fort rare, le résultat de ses explorations.
En 1814, la restauration ramena M. de Clarac en France. Un
instant il parut rentrer dans la carrière des armes, mais son goût
l'entraînait ailleurs. Désireux d'aller étudier en Amérique les scènes
les plus magnifiques de la nature, il accompagna M. le duc de
Luxembourg dans son ambassade au Brésil ; de ce pays , il passa en
Guyane, et revint en France par les Antilles. C'est de ce voyage que
notre collaborateur a rapporté les charmants paysages que ses amis
admiraient chez lui , et notamment celui d'une forêt vierge des bords
du Rio-Bonito. Ce beau dessin, que la gravure a reproduit , a été
cité par M. de Humboldt, comme la reproduction la plus fidèle qu'il
ait rencontrée, de la végétation du nouveau monde.
A peine de retour dans sa patrie , M. de Clarac fut appelé par
Louis XVIII à l'honneur de succéder à Visconti, dans la conserva-
tion du Musée des Antiques du Louvre , puis nommé successivement
chevalier et officier de la Légion d'honneur. Il rédigea le catalogue
des statues et bas-reliefs confiés à sa garde, catalogue dont deux
éditions successives ont été rapidement épuisées, et dans lequel il a
fait preuve d'une connaissance solide de la sculpture, et en général ,
des arts et des usages de l'antiquité. 11 donnait en même temps plu-
sieurs dissertations sur divers points d'archéologie, et un catalogue
des artistes anciens. Mais la plus grande de ses publications a été,
sans contredit, son Musée de sculpture, commencé en 1826: vaste
répertoire dans lequel sont dessinés et expliqués les bas -reliefs du
Louvre et la plupart des statues de l'Europe , et que précède une
intéressante histoire de l'ancien palais de nos rois. Quand la mort a
frappé à iimproviste M. de Clarac, l'antépénultième livraison de ce
bel ouvrage venait d'être imprimée, et les autres étaient en partie
gravées et rédigées. Espérons que ce monument que notre collabo-
rateur a élevé à l'art, pour lequel il a fait tant de sacrifices pécu-
niaires, entrepris plusieurs voyages, sera achevé par la volonté de
l'État ou de ses héritiers. Les nombreux matériaux qu'il laisse , ren-
dent la tâche facile à remplir.
M. de Clarac avait en outre commencé l'impression d'un Manuel
de Vart ancien, auquel ont été empruntés les articles qu'il a communi-
756 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
qués à cette Revue , et auquel appartenait aussi le nouveau catalogue
d'artistes dont il avait fait tirer à part un petit nombre d'exemplaires
pour ses amis. Il est bien à désirer que le public puisse un jour jouir
de cet ouvrage consciencieux.
Bon et atfectueux, toujours prompt à obliger, plein de bien-
veillance pour la jeunesse , encourageant sans cesse de ses con-
seils et aidant souvent même de sa bourse les artistes et les jeunes
antiquaires , sans ambition , modeste , constamment prêt à se
rendre à l'avis des autres, le demandant même , simple dans sa vie,
désintéressé au dernier point, nullement infatué des idées aristocra-
tiques dans lesquelles il avait été élevé, M. de Clarac a laissé une
mémoire bien chère et de bien légitimes regrets.
Il y a eu sans doute des antiquaires plus habiles et plus exercés
que lui; on ne trouvait en lui ni la sagacité et la puissance de cri-
tique de quelques-uns des archéologues français , ni l'érudition pro-
fonde des Allemands, ni le style et la clarté qui font l'écrivain. Mais
M. de Clarac n'eut jamais aucune prétention; il reconnaissait mo-
destement ce qui lui manquait. Que de fois nous lui avons entendu
dire : Je ne suis qu'un amateur! Mais si ce ne fut qu'un amateur,
avouons, du moins, que ce fut un amateur des plus distingués.
L'Académie des Beaux-Arts de l'Institut, les Académies de Berlin, de
Turin, de Bruxelles, la Société des Antiquaires de Londres, en se
l'associant, le jugèrent ainsi, et rendirent hommage à ses mérites.
Quant à nous, qui avons pu apprécier toutes les qualités de son
cœur et de son esprit , qui avons connu cet homme de bien dans
l'intimité et le laisser-aller de la vie privée, nous pouvons dire
hardiment qu'il en est peu qui aient plus gagné à être connus, et
qui aient montré pour la science et l'art , plus d'amour et de vrai
dévouement. Alfred Mauuy.
— Nous annonçons avec une vive satisfaction que deux de nos
collaborateurs, M. le comte de Laborde et M. Ad. de Longpérier
viennent d'être nommés par le roi , conservateurs des Antiques au
Musée du Louvre. La division des Antiquités grecques et romaines
est confiée à la direction de M. le comte de Laborde, celle des monu-
ments égyptiens et orientaux à M. de Longpérier. Cette deuxième
section, restée vacante depuis la mort de Champoliion le jeune, vient
d'acquérir un nouveau degré d'importance par la découverte des mo-
numents de Ninive qui sont arrivés à Paris. La place de sous-con-
servateur demeurée vacante par la mort de M. Dubois est supprimée.
INSCRIPTION PHENICIENNE
GRAVÉE
SUR LA JAMBE DU COLOSSE BRISÉ D'IPSAMBOUL
Un des quatre grands colosses placés à l'entrée du temple souter-
rain d'Ipsamboul (c'est celui qui est à gauche de la porte), a été
brisé à une époque indéterminée, et par une cause qui jusqu'ici est
restée inconnue. La tête de ce colosse a été séparée du tronc par
un choc violent, et l'on a supposé qu'une masse de rocher se dé-
tachant de la montagne dans laquelle le temple est creusé, avait pu
en roulant au hasard , atteindre cette tête qu'elle avait rompue et
entraînée avec elle dans sa chute. Cette hypothèse toute gratuite
semble aujourd'hui devoir être abandonnée, et, si je ne me suis pas
trompé , la petite inscription que je vais analyser, nous révélera la
cause réelle de cette mutilation extraordinaire, qui ne saurait être
imputée à la violence humaine. Les jambes du colosse brisé ayant
été dégagées du sable qui encombre toute la base du temple,
M. Ampère, à son passage à Ipsamboul, a remarqué sur l'une de ces
jambes deux épigraphes antiques qu'il a eu le soin de recueillir et
dont je dois un estampage à son amitié. Ces inscriptions sont conçues
en lettres phéniciennes d'une grande dimension , mais qui ont été
altérées à une époque probablement fort éloignée déjà , par l'adjonc-
tion de quelques traits parasites tracés par une main ignorante et
barbare. Heureusement ces altérations des textes primitifs sont assez
faciles à reconnaître , pour que ces textes précieux puissent être
restitués avec un degré suffisant de probabilité. Je vais donc exa-
miner successivement les deux inscriptions et j'ose espérer que les
transcriptions que je proposerai ne trouveront pas beaucoup de con-
tradicteurs.
N° 1.
La première inscription se compose de deux lignes, dont la pre-
mière contient vingt-sept caractères d'assez grande dimension ( ils
III. 49
758 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ont moyennement six à sept centimètres de hauteur ). La seconde
ligne tracée malheureusement avec plus de négligence que la pre-
mière est aussi plus fruste que celle-ci , bien que cependant sa lec-
ture ne présente pas de très-grandes difficultés ; elle contient neuf
caractères seulement et de dimension un peu moindre. Dans la pre-
mière ligne , les cinq derniers caractères sont séparés de tous ceux
qui les précèdent, par un petit intervalle suffisant pour insérer une
lettre. Cet intervalle laissé en blanc pourrait faire supposer que ces
cinq caractères appartiennent à une phrase distincte de celle que
constituent les vingt-deux premiers; mais comme il est possible que
la présence d'une veine plus dure que le reste de la pierre ait em-
pêché d'y tracer des lettres, il n'y a rien à conclure a priori de la
présence de cet intervalle, toute explication préalable pouvant être
réellement réfutée par la simple analyse du texte. Il n'y a aucune
erreur possible à commettre dans la transcription des dix-sept pre-
mières lettres de l'épigraphe ; elles nous fournissent l'ensemble suivant :
Vient ensuite un mem très-reconnaissable, mais dont le trait qui
doit recouper la tête formée d'une courbe concave, a été doublé par ui
trait vertical , ajouté après coup. La lettre suivante a été altérée de
même par l'adjonction de plusieurs traits inutiles, qui n'empêchent
pas d'ailleurs d'y retrouver la forme régulière d'un tzade, facile
dégager des linéaments parasites que l'on y a postérieurement ajoutés
La lettre qui suit est certainement un daleth; puis vient un groupe
dans lequel on ne peut voir qu'un lamed suivi d'un aleplu Nous avor
-ainsi en définitive l'ensemble de caractères
ïfjfôùfàH nn>:anrû"nyrraD
Cherchons à nous rendre compte du sens de cette première phrase.
En général les inscriptions du genre de celle qui nous occupe
constatent le passage d'individus qui à toutes les époques ont eu la
malencontreuse idée de couvrir de leurs noms obscurs les monuments
qu'ils visitaient (1). L'Egypte est un des pays où les monuments ont
la plus fréquemment subi les mutilations qui résultent de cette manie
(1) Comment qualifier, par exemple, la rnonomanie d'un certain Samuel Baird
et de son frère qui se sont obstinés à constater, sur tous les pans de mur, leur
visite aux monuments les plus respectables de la Grèce entière, en y affichant
leurs noms en lettres d'un demi-pied de haut, qu'il n'ont pu tracer qu'en se
condamnant à colporter opiniâtrement tout un attirail de barbouilleur!1
INSCRIPTION PHÉNICIENNE. 759
ridicule. Il est vrai que sous le ciel de l'Egypte rien ne s'efface que par
le contact de la main des hommes , et il en résulte que beaucoup de
ces inscriptions rachètent leur futilité originelle par l'importance
qu'elles tirent de leur respectable antiquité. C'est ainsi que les in-
scriptions tracées sur la statue colossale de Memnon , et les proscy-
nèmes répandus à foison sur toutes les parois des temples, ont servi
à constater bon nombre de faits dignes de toute l'attention des éru-
dits. Nous allons voir que notre inscription du colosse d'Ipsamboul
peut à bon droit être mise au rang des plus curieuses.
La première phrase nous offre dès l'abord le mot p , fils de, très-
nettement écrit ; il est donc tout naturel de chercher des noms
propres d'homme avant et après ce mot. En le faisant nous recon-
naissons dans les trois premières des six lettres qui précèdent, le mot
t9i serviteur, qui entre si fréquemment en composition dans les
noms phéniciens ; nous avons donc ainsi à n'en pouvoir douter le
commencement du premier des deux noms cherchés. Par suite ce
nom est forcément composé ainsi qu'il suit : nrfîTO , Abdftah. Il est
impossible de ne pas reconnaître dans le second composant , le nom
divin de Phtah, divinité égyptienne que les Grecs ont assimilée à leur
"HcpaisToç , et les Romains à leur Vulcain. 11 est facile de se rendre
compte de la présence d'uti nom de divinité égyptienne dans un nom
propre d'homme de race sémitique, en admettant que ce personnage
en se fixant en Egypte avait adopté le culte du pays. Après le mot p,
vient un groupe trilittéral qui se lit Tfi9 ilâr. Or, ce mot qui signifie
excellent, est un nom propre fort en usage chez la nation hébraïque;
nous avons donc en définitive pour le nom de celui qui a gravé l'in-
scription, Abdftah-ben-Itâr, Abd-Ftah fds d'Itâr. Ce nom une fois
mis de côté , il nous reste deux parties de phrase à analyser, savoir :
m*o qui commence la phrase et *At ïsun qui la termine. Procédons
par ordre : le mot rp*o , si nous le considérons comme concret , ne
nous donne aucun sens. Nous sommes donc amenés à séparer comme
particule de temps le -| initial, qui signifie quand, lorsque, quùm,
*Ûç. Reste alors le mot mx que je n'hésite pas à assimiler au chaldéen
VVH, équivalent de l'hébreu W , fuit, est, adest, et de l'arabe
'*] , de même signification, qui perd son elif prosthétique dans le
contracté JJJ , pour J^Iy, non est. n^3, signifie donc, quum
adfuit, lorsqu'il fut présent, idée qui a pour complément nécessaire
et naturel, le nom propre trouvé; nous avons donc : lorsque fut
présent Abd-Ftah fds d'Ilâr.
760 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Passons à la dernière partie de la phrase dans laquelle nous de-
vons nécessairement trouver la mention complète d'un fait accompli.
Nous lisons vfyl tQ wk , et cet ensemble de lettres doit vraisembla-
blement à cause du caractère essentiel de la langue et de la nature
même des lettres, contenir trois mots distincts.
va signifie, ignis, feu; d'où l'expression dv6n un, ignis Dei,
fulmen, la foudre. Mais les recherches antérieures sur la paléogra-
phie phénicienne ont démontré surabondamment que le même mot
représente rigoureusement notre qui relatif.
ya, ou son équivalent }pû"9 signifie pressit, oppressa, a poussé, et
très-probablement frappé. D'un autre côté xro, signifie attigit,per-
venit ad, accidit. On pourrait choisir entre ces deux sens , mais je
préfère le premier.
NTT, n'est certainement pas différent de l'hébreu nVr ou rhi ,
janua, porte.
Ceci posé, nous avons : le feu, la foudre a frappé ou atteint
cette porte, ou beaucoup plus simplement : ce qui a frappé la porte.
Voyons ce que signifie le reste de la phrase. On lit :
UNSTTnnS
Le groupe de cinq lettres qui termine la première ligne comporte
vraisemblablement l'article N; celui-ci misa part il nous reste le
mot *Dqh qui se rapporte nécessairement au radical DOTl , violenter
tractavil, vim intulit , violenter revellit , destruxit; d'où le substantif
oan , et avec les suffixes "Dan , violentia. Je traduis donc cette fin de
ligne : la violence.
Les trois premières lettres de' la ligne suivante nous fournissent
de nouveau le nom divin Phtah; puis viennent les mots VH *ptv ,
le radical *pn, signifie pepulit, trusit, impulit, lancer sur ou contre;
\M*, placé à la fin de la phrase , ne peut naturellement recevoir qu'un
seul sens, celui de feu, de foudre, et nous trouvons en définitive :
la violence de Phtah il lance la foudre , phrase sémitique qui revient
à celle-ci : la violence de Phtah qui lance la foudre.
En résumé notre inscription signifie, du moins je le crois :
« Pendant qu'était présent Abd-Phtah fils d'Itâr, ce qui a frappé
« cette porte, est la violence de Phtah qui lance la foudre. »
A côté de cette première inscription se trouve la seconde qui nous
reste à analyser. Celle-ci qui ne se compose -que de dix lettres en
INSCRIPTION PHÉNICIENNE. ?6l
tout, est tracée en deux lignes dans un cercle orné d'une espèce
de manche ou de support placé verticalement et au-dessous du
cercle.
La première ligne contient trois lettres seulement et la seconde
sept. Elles se lisent ;
W3
ojnrn 33
Dans notre premier groupe ^Nr , nous retrouvons les trois pre-
mières lettres de l'épigraphe précédente qui commence par les mots
n\N3, quùm fait, lorsque fut présent. Ici le n final manquant, il
serait téméraire d'aifirmer et môme de croire que le sens du groupe
trilittère reste le même que celui du groupe quadrilittère précité.
Je renonce prudemment à proposer aucune version positive de ce
mot et je me bornerai à faire remarquer qu'il existe un radical TO ,
ussit, cauterio notant, transfodit, auquel se rattachent les mots id,
fenestra, îTO, adaslio, nota adastionis, stigma, et *i pour '"D, stigma.
A la rigueur on pourrait encore chercher un rapport entre notre
mot phénicien et le radical dont je viens d'énumérer quelques déri-
vés, si on se laissait guider par le sens général de la première épi-
graphe, et surtout par le sens des deux mots qui suivent. Ceux-ci se
lisent ainsi que je l'ai dit :
DTVCQ3
ojnra signifie littéralement par ou avec la fondre, 33, se rattache
tout naturellement au radical 313, d'où provient H33, cavitas, fora-
men, et qui n'est que l'arabe «w^ » porte.
La rencontre du mot la foudre Djnn dans cette seconde inscription
ne saurait être fortuite, et à mon sens du moins, elle corrobore et
justifie jusqu'à un certain point ma version de la première. Que
signifie maintenant la seconde qui vraisemblablement fut tracée par
le même Abd-Phtah fils d'Itâr, puisqu'elle ne contient aucun nom
propre nouveau , et que d'ailleurs elle est placée si près de l'autre ?
Je ne saurais le dire , et je m'abstiens de toute hypothèse sur ce
point. La seule chose que je veuille me permettre d'avancer, c'est
qu'il y est question de la foudre, d'une excavation faite par celle-ci ,
ou enfin de la porte qu'a frappée la foudre. Puissent de plus habiles
venir à bout de déterminer le sens précis de cette épigraphe !
' Quoi qu'il en soit , il me paraît ressortir de ces deux textes phéni-
76*2 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ciens que le feu du ciel a frappé l'entrée du temple souterrain d'Ip-
samboul, à une époque fort reculée sans doute, et que c'est à cet
accident qu'il faut attribuer la mutilation du colosse placé à la
gauche de ia porte, et dont la tête a été brisée par une cause restée
inconnue et inexpliquée jusqu'à ce jour.
Quant à la forme des caractères phéniciens employés par Abd-
Phtah , elle est très-pure et très-correcte; et je ne crois pas qu'il y
ait de la témérité à penser que ce personnage les a écrits quatre ou
cinq siècles avant notre ère.
F. de Saulcy.
SUR
ME STATUE DU DIEU ASCHIOUN OU ESMOIY
TROUVÉE A CHERCUELL PAR M, CHARLES TEXIER.
La statue que M. Ch. Texier a fait connaître dans
l'intéressant article sur les monuments de l'Algérie qu'il
a communiqué à la Bévue, a été reconnue par divers
antiquaires , et notamment par M. F. de Saulcy, pour
une figure du dieu phénicien Aschmoun ou Esmon.
Pour compléter les notes que nous avons cru utile de
joindre au travail du savant voyageur, nous ferons con-
naître à nos lecteurs les renseignements qu'on possède
sur cette divinité. Malheureusement, ces renseignements
sont peu nombreux , et nous nous trouvons , relative-
ment au culte d'Aschmoun, dans cette désolante igno-
rance où nous plonge , pour tout ce qui se rattache à
l'histoire du peuple phénicien , l'insuffisance des documents que nous
a transmis l'antiquité.
Peut-être les progrès rapides que fait, depuis quelques années,
l'épigraphie phénicienne , la découverte d'inscriptions nouvelles ,
viendront-ils combler cette immense lacune de l'histoire ancienne.
La voie ouverte par Gésenius est aujourd'hui suivie avec une ex-
trême ardeur, et a amené aux plus heureux résultats. C'est surtout
à l'un des collaborateurs de cette Revue, à M. F. de Saulcy, dont
nous venons d'invoquer l'opinion pour la dénomination à attribuer à
cette statue, que les études phéniciennes doivent l'importance qu'elles
ont enfin conquise. C'est de lui et des philologues qui marchent sur
ses traces, que nous attendons la lumière. Avec cette sagacité qui
semble croître de puissance à proportion de la difficulté du sujet,
l'ingénieux académicien tirera des phrases les plus vulgaires , des
inscriptions en apparence les plus insignifiantes, ces aperçus lumi-
neux qui jettent tout à coup une vaste clarté sur les points demeu-
rés jusqu'alors dans l'obscurité (1).
(1) Voyez l'intéressant article que M. F. de Saulcy a publié dernièrement (1$ dé-
cembre 1846), sur les Études phéniciennes , dans la Revue des Deux Mondes.
764 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Mais, en attendant qu'un hasard fortuné fasse tomber sous l'œil pé-
nétrant de M. de Saulcy, un de ces monuments qui valent un passage
de Sanchoniathon ou de la Bible, nous devons nous borner à faire
connaître modestement le peu que nous savons du dieu Aschmoun.
Dans nos recherches , nous emprunterons beaucoup au savant ou-
vrage de M. Movers; car cet érudit a tellement avancé cette ques-
tion mythologique , qu'il ne nous reste que fort peu de chose à dire
pour compléter son travail.
Aschmoun, Esmoun ou Eschmôn (jiqun) était le huitième
des dieux Cabires , ainsi que son nom l'indique, en hébreu ruDW
(schemona), signifie huit, et fSQXS (schcmini), huitième;
l'aleph initial (tt)joue ici le môme rôle que Thé (n), article hé-
breu ; on sait que ces deux lettres sont affines; en chaldéen l'aleph
final remplace souvent l'hé final correspondant. Cette substitution
de l'aleph au hé , paraît avoir été très-fréquente en phénicien (2).
La voyelle vau dans la composition des adjectifs peut , comme on
sait, se remplacer par l'iod, changement dont le mot phénicien
T.T répondant au grec f/.ovoy£vr'ç , nous fournit un exemple, puis-
qu'il correspond, au témoignage de Sanchoniathon, à l'hébreu ttf
(iakhid), unicus , unigenitus (3). L'iod final du mot hébreu est tombé
comme l'iod antépénultième , et cette disparition de la voyelle est
constatée par le nom d' 'Aarpsc^ouviix , ynux iot Hatsir Aschmoun ,
herbe d Aschmoun ou à' Esculape, que nous fournit Dioscoride (4).
Cette étymologie du nom de ce dieu qui nous est formellement
donnée par Damascius (5), est infiniment plus vraisemblable que
celle qui dérive ce nom de l'égyptien , et que Champollion s'est
efforcé de faire prévaloir.
M. Movers regarde Aschmoun comme correspondant au Tat ou
Alholis des Égyptiens. En effet, les Grecs identifiaient Aschmoun à
Esculape, et les Pères de l'Église citent souvent un livre hermé-
tique , dans lequel le second Thot ou Hermès donne ses enseigne-
ments à un élève appelé tantôt Tat, tantôt Esculape (6). Manéthon
mentionne ce Tat parmi les dieux que l'on regardait comme auteurs
*(2) « In aîeph et ne litteris ni! memoratu fere dignum est quam Phœnices
« subinde more Tyrorum ^ ponere ubi Hebraei habent n velut in articulo ^ pro n
« et in nota femini generis. » Gesenius , Scriplur. ling. phœnic. Pars I , p. 430.
(3) Sanchonialhonis Fragmenta, éd. Orelli , p. 38.
(4) Dioscor. IV, 71.
(5) Apud Pholii Bibliolh., p. 352 , éd. Bekkcr.
(6) Cf. S. Cyrill. adv. Julian., p. 33, 35. S. Augustin, de civil. Dei , V1I1 ,
23. Chron. Pasch. 65, 66.
STATUE DU DIEU ASCHMOUN. 765
d'une littérature sacrée (7) ; il lui donne pour père Agathodaemon
Cneph , et en fait un descendant du second Hermès (8). Ce Tat est
aussi identique à Athotis, le second roi d'Egypte, qui avait composé
des traités de médecine (9) , ainsi qu'on le rapportait également
d'Esculape Imouthes.
Imouthes ou Imatep (c'est-à-dire I-em-atep, en égyptien je viens
à l'offrande), avait, à Philae, un temple qui a été découvert par Sait.
L'inscription placée sur ce monument a été expliquée par Young (10),
avec assez d'exactitude, eu égard au peu d'avancement où se trou-
vaient alors les études hiéroglyphiques. Elle est de l'époque des
Antonins, et porte Asclepios , qui est Imouthos , fils d'Héphaestos
( Vulcain , Phtah ). Ainsi comme fils de Vulcain, Tmouthes rappelait
les dieux Cabires, et ainsi qu'Aschmoun , l'un d'eux, il était iden-
tifié à Esculape. Le titre de fils de Phtah lui est donné dans un
grand nombre d'inscriptions hiéroglyphiques (11).
Ce premier rapprochement identifie le dieu égyptien au dieu
phénicien. Les bas-reliefs de l'Egypte donnent à Imouthes la calotte
ou coiffure sacrée qui est l'attribut de Phtah.
Quant à Athotis , second roi de la première dynastie égyptienne ,
son nom est le même que celui de Thot ou Tat. 11 est écrit, en effet,
dans une inscription hiéroglyphique fort ancienne, Alt, ou, en sub-
stituant un e muet ou scheva entre les deux lettres doublées, suivant
le système de transcription adopté par M. Lepsius, Atet (l 2), mot qui
est identique à Tat.
Le dieu Toth étant spécialement adoré dans la ville égyptienne de
Schmoun, UJjuiO Y ïï ; les Grecs, qui assimilaient ce dieu à leur
Hermès, avait changé ce nom en celui à'Hermopolis (13). Or, ce nom
de Schmoun est précisément celui du dieu égyptien, l'aleph article
étant supprimé. En égyptien, Schmoun signifiait aussi huit (14). Les
Égyptiens semblent donc avoir imposé à la ville d' Hermopolis- Magna,
le nom de la divinité phénicienne, qui était également passé dans
leur langue, pour exprimer le nombre cardinal dont Aschmoun tirait
sa dénomination.
(7) Ap. Syncell., p. 75.
(8) Jablonsky, Panth., t. III, p. 192.
(9) Manethon., 1. c.
(10) Young, Hieroglyphics , pî. 52.
(il) Bunsen , Mgyptens Stelle in der Wellgeschichte , t. I , p. 460.
(12) Ib., t. II, p. 40.
(13) Champollion , L'Egypte sous les Pharaons, 1. 1, p. 290.
(14) Cf. Champollion, Grammaire égyptienne , p. 212. Th. Benfey, Ueber das
Verhœltniss der jEgyptischen Sprache zum semilischen Sprachslamm, p. 19.
766 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Une tradition , conservée par les Arabes , tendrait à faire croire
que la ville avait été bâtie par Athotis identique à Tat et à Asch-
moun, et expliquerait par là pourquoi Thot y était spécialement
adoré ; Oschmounein, disent les Arabes qui donnent actuellement ce;
nom àHermopolis, fut bâtie par lclimoun , fils de Missr(15),
Missr étant le même que Menés, lchmoun se reconnaît pour Athotis,
son successeur et son fils.
Ainsi Hermopolis Magna avait probablement une origine phé-
nicienne et le culte du Cabire Aschmoun qui y fut apporté de
bonne heure , la fit regarder comme ayant été construite par ce
dieu , dont les Égyptiens avaient fait le second de leurs rois.
Les rapprochements que nous venons de faire entre Thot ou
Tat et Aschmoun , nous ont déjà conduit à reconnaître dans ce der-
nier dieu TEsculape des Grecs. Les preuves de cette identité ne se
bornent pas là , et les faits abondent pour établir l'origine phéni-
cienne de la divinité médicale des Hellènes.
Sur les médailles deCossura, aujourd'hui Pantellaria, on voit (16)
un des dieux Cabires, sous l'invocation desquels l'île était placée,
représenté , la tète ornée de huit rayons et un serpent à la main.
C'est très-certainement Aschmoun , le huitième de l'Ogdoade cabi-
rique. Or, l'ophiuchus ou serpentaire était, comme on sait, une
constellation qui portait aussi le nom d'Esculape ; et l'on sait éga-
lement que le serpent était l'animal symbolique par excellence du
dieu d'Épidaure.
Un passage de Damascius, que'nous a conservé Photius (17), éta-
blit formellement l'identité d'Aschmoun ou d'Esculape : TEsculape
que l'on adore à Berythe, rapporte cet écrivain, n'est ni grec , ni
égyptien ; il est né en Phénicie. Sadyk engendra sept fils qui furent
appelés Cabires ou Dioscures; puis il en eut un huitième, Es-
moun , que l'on nomme Esculape, efdont quelques-uns tradui-
sent le nom par huitième, à raison de cette circonstance (18). Sancho-
niathon (19) parle aussi de sept fils de Sydyk et du huitième qui fut
Esculape.
C'est dans les idées astronomiques qui constituaient le fond de la
(15) Champollion , L' Egypte sous les Pharaons, 1. 1, p. 250.
(16) Voy. Fr. Neumann, Populorum et regum numi veteres inedili. Part. If,
tab. 4, fig. 10 et 11. Mionnet, Med. anliq. supplem., t. IV, p. 404. Geseniu$,
Monum. Phœnic. tab. 39 , XII, o. c f. g. 1.
(17) P. 352, éd. Bekker.
(18) Cf. Champollion , 1. c
(19) Sanchoniathonis fragmenta, éd. Orelli, p. 38.
STATUE DU DIEU ASCHMOUN. 767
religion des Phéniciens, qu'il faut chercher le sens du mythe des huit
dieux Cabires. Xénocrate, écrivain carthaginois, cité par S. Clé-
ment d'Alexandrie (20), nous apprend que les sept Cabires étaient les
sept planètes , et que le huitième (Aschmonn) , était le monde formé
de leur assemblage. Cicéron (21) paraît avoir fait allusion à ce pas-
sage, lorsqu'il dit : « Xénocrate, dans ce qu'il a écrit des dieux,
ne dit point de quelle figure ils sont, mais seulement qu'il y en a
huit. Les planètes en font cinq; les étoiles fixes n'en font qu'une
toutes ensemble comme autant de membres épars ; le soleil fait le
septième , et enfin la lune le huitième. »
Aschmoun présentait le triple caractère uranique, cosmique et
médical. Image du cercle céleste embrassant les sept orbites des
planètes, il se confondait avec Thoth ou Taaut, avec Cadmus et
Ophion, divinités serpentiformes. L'attribut du serpent rappelait la
marche sinueuse et orbiculaire des astres. Le Jupiter assyrien paraît
être sorti du même mythe astronomique. Les huit divinités, en l'hon-
neur desquelles s'élevaient, à Babylone, ces huit tours superposées
qui formaient le monument de Belus, n'étaient autres que les
Cabires représentant chacun l'orbite d'une planète. La huitième
tour qui constituait l'étage supérieur, renfermait un petit temple
dédié à Jupiter-Belus. Ainsi Belus, de même qu'Aschmoun, était
regardé comme le dernier et le plus grand des huit dieux.
Creuzer (22) et Boettiger (23) ont établi l'identité d'Aschmoun et
d'Esculape, et beaucoup de points rapprochent Belus de ce dernier,
ce qui corrobore la liaison intime que M. Movers reconnaît entre
la divinité assyrienne et la divinité phénicienne. Esculape était fort
révéré dans la Cyrénaïque ; il avait un temple à Balagre (24) , à
Cyrène (25). C'était de cette première ville , que son culte avait été
apporté à Lébéné en Crète (26). Or, nous voyons que Belus (Bel ou
Baal, Bal), était honoré en Cyrénaïque, et avait un hiéron à Balis ,
ville qui lui devait son nom (27). Les adorateurs de Belus venaient
coucher la nuit dans son temple, comme ceux d'Esculape dans les
(20) ProtrepL, c. V, § 66.
(2i) De JYalur. deor. I, 13.
(22) Religions de V Antiquité , trad. Guigniaut, t. II , p. 336 et suiv.
(23) Boettiger, Kleine Schriflen,ed. Sillig. Th. I, p. 193 et suiv. 112 et suiv.
(24) Pausan. Cor. 26, 7.
(26) Tacit. Annal. XIV, 18.
(26) Pausan. II. Cor. 26, 7.
(27) Steph. Byzant. Y. Bi/t?.
763 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
hiérons qui lui étaient consacrés à Épidaure (28), à Naupacte (29),
en Phocide, à Athènes (30).
En tant que dieu Cabire, Aschmoun se rattachait à l'Hercule
tyrien ou Melkarth, divinité cabirique qui était l'un des ancêtres de
l'Hercule hellénique. Aussi, voit-on que celui-ci était quelquefois in-
voqué comme dieu de la Santé, par exemple au temple d'Hyette (31).
Aschmoun et Belus étaient la personniflcation de la sphère étoilée;
de là l'usage de leur élever des temples, de les adorer spécialement
dans les lieux élevés d'où l'on pouvait découvrir toute l'étendue des
cieux. Cette circonstance nous donne à penser que le Jupiter des
anciens Perses , dont fait mention Hérodote (32), devait être égale-
ment le ciel. Car, nous dit cet auteur, ce peuple est dans l'usage de
lui sacriûer sur les montagnes, d'où ils l'invoquent comme la sphère
étoilée. C'était sur la crête la plus élevée de la citadelle de Carthage
qu'Aschmoun (Esculape) avait son temple (33). M. Movers a fait
observer que Plutarque (34) nous apprenait qu'Esculape avait de
même son temple sur les hauteurs. Mais on lui en élevait aussi sur
le bord de la mer et près des sources réputées bienfaisantes , et il
semble, d'ailleurs, plus probable que les montagnes n'étaient choi-
sies à cet effet, qu'à raison de l'air plus pur qu'y trouvaient les malades
qui venaient consulter le dieu. Ecbatane, dont la sextuple enceinte
avait sans doute été élevée à dessein pour rappeler les sept orbes pla-
nétaires (35) , renfermait un temple de Belus, sur son point le plus
élevé, et le dieu y était invoqué, de même qu'Esculape, comme
divinité médicatrice. Aussi, Arrien (36) l'identifie-t-il à ce dieu.
C'est en tant que personnification de la sphère étoilée , qu'Asch-
moun est appelé par Damascius le plus beau de tous les dieux.
Sanchoniathon avait dit la même chose d'Uranus , en nous rappor-
tant que ce nom lui avait été imposé à cause de l'excellence de sa
(28) Pausan. Cor. c. 26.
(29) Pausan. Phdc. 38, 7.
(30) Pausan. Attic. c. 21.
(31) Pausan. Beot. 24, 3.
(32) Herodot. Mb. I.c. 131.
(33) Strab. XVII , p. 382. Appian. Punie, VIII , 30. Apul. Florià., lib. IV,
c. 18. Cf. Mùnter, Religion der Carthager, p. 91. C'est dans ce temple qu'Asdru-
bal et son épouse se brûlèrent-
(34) Quœst. roman. 94.
(35) Herodot. I, 98.
(3G) Arrian. VII , 14. Nous renverrons pour le développement de la question des
liens de parenté qui unissent Aschmoun à Esculape, à la note de nous que le savant
M. Guigniaut a bien voulu insérer dans le dernier volume de sa Symbolique, ac-
tuellement sous presse.
STATUE DU DIEU ASCHMOUN. 769
beauté. Uranus et Aschmoun ne sont, en effet, qu'un seul et même
dieu , ainsi que l'indiquent les rapports dans lesquels ces divi-
nités sont placées avec la mère des dieux.
L'étoile polaire était donnée comme mère à Aschmoun , précisé-
ment parce que celui-ci représentait la sphère étoilée : c'est ce qui
résulte du rapprochement de divers mythes que Sanchoniathon nous
a fait connaître. Cronos avait, nous dit-il, eu sept filles d'Astarté,
c'étaient les sept Titanides ou Artémides ; de Rhéa, le dieu avait eu
autant de fils , dont le plus jeune fut placé au rang des dieux ,
immédiatement après sa naissance. La mère d' Aschmoun était l'une
des sept Titanides (37). Or, une légende très-répandue dans l'anti-
quité, racontait, relativement aux pléiades, quelque chose de fort
analogue à ce que Sanchoniathon nous rapporte des sept fils de
Rhéa. Ces étoiles , dont Ovide nous dit : Quœ septem dici, sex tamen
esse soient (38) , ne sont pas toutes de la même grandeur. L'une
d'elles est de la troisième, trois sont de la cinquième, deux de la
sixième , et les autres , en grand nombre , sont plus petites encore
et cessent par conséquent d'être visibles à l'œil nu. Ainsi, bien qu'on
voulut retrouver dans les Pléiades le nombre sacramentel sept,
il n'y en avait réellement que six pour des observateurs dépourvus ,
comme étaient les anciens , d'instruments d'optique. De là s'était
accréditée l'idée que l'une des Pléiades avait disparu ; Ton racontait,
tantôt qu'elle avait été atteinte de la foudre, tantôt qu'elle s'était
perdue dans la queue de la petite Ourse ; on disait aussi que la sep-
tième de ces divinités stellaires avait épousé le mortel Sisyphe,
tandis que ses sœurs s'étaient unies à des dieux, et qu'elle avait eu
tellement honte de cette mésalliance, qu'elle avait disparu des cieux,
ou , que depuis ce moment , elle se cachait le visage dans ses
mains (39). Cette disparition de la septième pléiade rappelle dans le
mythe égyptien celle du septième fils de Cronos et de Rhéa.
La seconde heptade , mentionnée par Sanchoniathon , celle des
Titanides , ne peut être qu'une autre heptastérisme , et l'on est na-
turellement conduit à y reconnaître la grande Ourse, les seplem triones
des anciens, ou la petite; en un mot, l'un des gemini triones de
Virgile. Or, parmi les étoiles composant ces constellations, nulle
ne dut attirer plus l'attention que l'étoile polaire ; car, dans le
(37) Sanchoniathon , éd. Orelli, p. 30.
(38) Ovid. Fast., IV, 170.
(39) Ovid. 1. c. IV, 171. Ideler, Ueber den Ursprung und die Bedeulung
der Slemnamen , p. 145 » 316.
770 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
grand Charriot , aucune ne se distinguait assez pour pouvoir être
considérée comme la mère d'Aschmoun. L'étoile polaire avait origi-
nairement été peu remarquée des Grecs , et Thaïes passait pour en
avoir apporté la connaissance en Occident. Les Phéniciens, au con-
traire , comme peuple navigateur, avaient appris de bonne heure à
connaître son importance, et cette circonstance lui fit imposer chez
les Grecs le nom de Ootvixv) (40). C'est peut-être là qu'il faut cher-
cher le motif qui faisait dire aux Phéniciens qu'Aschmoun était
originaire de leur patrie, 'E-jrr/wptoç <boivtç , suivant l'expression de
Damascius. Rien n'était plus convenable dans cet ordre d'idées sym-
boliques, que de donner pour mère au dieu qui était la personnifica-
tion de la sphère étoilée , l'étoile autour de laquelle , comme centre ,
tourne la voûte céleste.
Aschmoun, envisagé comme divinité cosmique, comme emblème
du xoVoç, répondait au dieu Pan. En Egypte, le culte de Pan, d'ori-
gine certainement phénicienne , avait de nombreuses relations avec
celui de Schmoun dont nous avons fait voir plus haut l'identité avec
Aschmoun. La ville que les Grecs avaient baptisée du nom de Pano-
polis , et où Pan était spécialement adoré, portait chez les Egyptiens
le nom de Schmin IlfuS^ , qui est presque le même que celui de
Schmoun (41). Creuzer et Hug ont éclairci ce point. M. Mo-
vers, par de nouveaux rapprochements, a parachevé la démonstra-
tion. Au dire de Damascius , Aschmoun recevait un culte spécial à
Bérythe , et Strabon mentionne le lucus de cette divinité dans
le voisinage de cette cité. Nonnus, qui a consacré trois livres de ses
Dionysiaques à l'exposition des mythes de Bérythe, et qui énumère
au commencement du XLP, les dieux et les temples de la ville, ne
dit rien d'Aschmoun ni d'Esculape , mais il parle du lucus de Pan
et de la mère des dieux, précisément là où Damascius parle d'Aschmoun
et d'Astronoé, la mère des dieux. Aschmoun, nous rapporte cet
auteur, était le plus beau des dieux, et Astronoé fut éprise d'amour
pour lui. Us se rencontrent un jour à la chasse; la déesse poursuivit
le jeune dieu, qui, pour résister à sa tentative amoureuse, se coupa le
membre viril d'un coup de hache. Astronoé, au désespoir, le ressus-
cita, par sa chaleur vivifiante, et elle lui donna, en mémoire de cet
événement, le nom d'Aschmoun, puis elle le plaça au rang des dieux.
(40) Cf. Ideîer, Ueber den Ursprung und die Bedeutung der Sternnamen ,
p. 6.
(41) Champollion, VEgypU sous les Pharaons, tA, p. 260.
STATUE DU DIEU ASCHMOUN. 771
Ge mythe, dans lequel se trouve une allusion au radical un (Ascii,
Esch) «feu, » qui entre dans le nom de la divinité phénicienne,
offre une analogie nouvelle entre son personnage et celui d'Uranus,
privé aussi des parties génératrices. Cette étymologie, attribuée au
nom du dieu , est tirée du mot composé, pan Un, (Esch-Homcn,
Asch-Hemoun) , ignis calefaciens, fut probablement l'origine du
mythe lui-même.
On sait combien de légendes ont été fabriquées sur les diverses
significations que présentaient certains noms de dieu.
Une parenté plus proche encore, résulte de ce mythe entre Asch-
moun et l'Attys ou TAttes de la religion phrygienne. Attes est
aussi le favori de la mère des dieux , il succombe aussi des suites de
sa castration volontaire , mais il ressuscite par les chauds embras-
sements de la déesse, image de la nature que l'haleine vivifiante du
printemps arrache à la torpeur hivernale. Esculape-Aschmoon et
Attes sont tous deux exposés par l'ordre de leur aïeul qu'avait
irrité le commerce de ses filles; des bergers recueillent les dieux-
enfants, et les nourrissent de lait de chèvre (42).
Attes etEsculape, lequel est identique à Aschmoun, chassaient
tous deux dans les forêts avec la mère des dieux. Le cône de pin ,
placé dans la main du dieu grec , rappelle le pin sous lequel Attes
semascula et en mémoire duquel les Galles plantaient, tous les ans,
au printemps, un de ces arbres entouré de laine (43).
Aschmoun-Esculape, Attes et Pan étaient tous trois des divinités
pastorales ; ils se plaisaient au milieu des bois et formaient le cor-
tège de la mère des dieux. Pan-Aschmoun semble être le Dan-
Jaan, dont il est question dans le second Livre des Rois (44), et qui
plus tard fut adoré dans une grotte de Paneos, sous le nom de Pan.
Sur les monnaies de Paneos ou de Dan-Jaan, appelé plus tard Bel-
Inas, au lieu de Baal-Jaan, on voit, figurer tantôt entre les mains de
la divinité la syrinx à sept trous ou llûte de Pan , tantôt le serpent
d'Esculape (45), et il serait fort possible que la prétendue statue
du Christ dont il est fait souvent mention à Paneos, et au pied de
laquelle croissait une herbe qui guérissait toutes les maladies (46) ,
(42) Pausan. II , 2G , 4. Cf. Arnob. adv. Génies, V, 199.
(43) Pausan. II, 10, 3.
(44) XXIV, G.
(45) Eckhel , Doclrin. num. vêler, t. III , p. 342.
(46) Voy. Euseb. Hist. Eccles, VII , 18. Glycas , p. 253.
772 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ait été auparavant une image du dieu phénicien Aschmoun (47).
Quand on voit les Pères de l'Église prendre pour une statue de
Simon le Magicien , celle du dieu Sangus ou Sancus , à Rome , on
comprend la possibilité d'une pareille erreur chez des chrétiens
moins éclairés.
Le rôle qu'Aschmoun-Esculape jouait comme divinité médica-
trice, paraît avoir été la conséquence de l'attribution qu'on lui avait
faite du serpent comme symbole cosmique, ou, pour parler plus
simplement, de ce que ce reptile était le fétiche sous la figure du-
quel les Phéniciens rendaient un culte à ce dieu. En Grèce, Esculape
était adoré sous la forme d'un serpent : Anguis in quo ipsum numen
esse constabat , dit Tite Live (48) ; in serpente deusy écrit Ovide (49).
Les Israélites adoraient le serpent d'airain comme symbole du dieu
de la santé. Ézéchias , lit-on dans le IVe Livre des Rois (50), brisa le
serpent d'airain qu'avait fait Moïse; car, jusqu'à ce jour, les en-
fants d'Israël lui avaient sacrifié sous le nom de Nehoustan.
Ainsi , l'habitude que l'on avait de représenter le monde par un
serpent qui formait avec son corps allongé un orbe, image du cercle
céleste , et la vertu thérapeutique attribuée à cet animal, expliquent
l'apparente discordance qu'offre l'identification d'un dieu de la santé
et du Cabire phénicien, image du monde.
La liaison qui rattachait le culte du serpent d'airain à celui
d'une divinité d'un peuple voisin , montre comment il avait pu se
conserver si longtemps chez les Hébreux ; ce fut , en effet , près de
mille ans après Moïse, que cette image cessa d'être environnée de
leur respect superstitieux. Il semble donc que le serpent d'airain et
celui d'Épidaure aient eu la même origine.
Lorsqu'à une époque plus récente, le culte du soleil se développa
chez les Phéniciens, on subordonna à ce nouveau dieu, Aschmoun-
Esculape. C'est de la sorte qu'Escuiape est devenu fils d'Apollon ,
mythe par lequel on exprimait sous le voile de l'allégorie , l'effet
bienfaisant sur la nature animée des rayons du soleil qui venaient
purifier l'air (51).
(47) Le Christ a pu d'autant plus être confondu avec Esculape que les mani-
chéens , qui formaient une secte fort nombreuse et qui avaient certains dogmes de
commun avec les chrétiens , faisaient du serpent l'image du Christ. Chrislum
fuisse affirmant, dit à leur sujet saint Augustin, quem dicil noslraScriplura ser-
pentent a quo illuminalos eos afferunl, nempe Adam et Evam. (Dehœres. c. 46.)
(48) Epil. lib. XI.
(40) Melamorph. XV, 670.
(50) XVIII, 4.
(Si) Macrob. Salurn. I, 20.
STATUE DU DIEU ASCHMOUN. 773
Le célèbre dieu Sérapis paraît avoir résumé en lui une partie
des attributs divers que nous avons rencontrés chez Aschmoun. Le
serpent lui étant attribué comme un symbole qui renfermait les
différentes faces sous lesquelle la divinité phénicienne s'est offerte à
nous (52). Sérapis était étranger à la religion phénicienne, on n'y
rencontre, eh effet, aucune trace de son culte. Mais Arrien (53)
nous apprend que ce dieu était adoré à Babylone , et son nom, dans
lequel on retrouve le radical indo-germanique sarpa, serpens (en
grec âp™, serpô, d'où le dieu serpent des Lombards Saribant),
accuse une origine chaldéenne. Dans un Mémoire que nous prépa-
rons sur le serpent et les idées qui s'attachaient à ce reptile dans
l'antiquité et au moyen âge , nous reviendrons sur ce sujet si riche
et si fécond pour la connaissance de la mythologie. Qu'il nous
suffise de remarquer ici que l'on passait aussi la nuit dans le temple
de Sérapis à Babylone, lorsqu'on voulait consulter le dieu (54),
circonstance qui rapproche encore cette divinité d' Aschmoun -Es-
culape.
Ne voulant donner ici qu'une simple Notice destinée à faire con-
naître le dieu représenté dans la statue de Cherchell , nous nous
bornerons à ce court aperçu , et nous rappellerons encore une fois
au lecteur que c'est au savant M. Movers qu'il doit rapporter
l'intérêt et la nouveauté que ces recherches ont pu lui présenter.
Ajoutons seulement que la présence fréquente du nom d'A-
schmoun dans les noms propres phéniciens que l'histoire et les
inscriptions nous ont transmis , indique la vénération toute particu-
lière dont ce dieu était environné. Les noms de "puma? (Hàb-
deschmouri), c'est-à-dire serviteur d'Aschmoun ou de "DtzmTz ( Bede-
schtyoun) , qui a la même signification, "|BU*03U ( Netzibeschmoun) ,
colonne d'Aschmoun , ;pnm*un ( ' Hannaschmoun ) , grâce d'Asch-
moun (55), en fournissent une preuve incontestable.
Alfred Maurv.
(52) « Le serpent , symbole de la terre et des pouvoirs souterrains, de la vie , de
la santé, de l'immortalité , de l'élernité appartenait, sous tous ces points de vue, au
Sérapis d'Alexandrie, » Guigniaut, Sérapis et son origine , t. V, p. 549 du Tacite ,
trad. par Burnouf.
(53) Arrian. lib. VII , c. 6.
(54) Ib. 1. c.
(55) Gesenius, Scriptur. ling. phœnic. Pars I, p. 347. Cf. Falbe , Recherches
sur l'emplacement de Carthage, p. 94 et 105.
III.
50
NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES.
h (i).
Nous avons dans !e précédent article montré sur quelles preuves
ou, si l'on veut, sur quelles vraisemblances s'appuie l'opinion qui
assimile l'institution provinciale des Àugustales à celle des Magistri
vicorum dans la capitale du monde romain. Cette opinion rencontre
aussi des difficultés de plusieurs genres que nous allons successive-
ment examiner.
i° M. Zumpt remarque avec nous que les Magistri vicorum ne
sont jamais nommés Augustales sur les monuments ; mais il en tire
contre notre hypothèse une objection qui nous paraît assez faible.
Qu'est-il besoin en effet que les magistrats prêtres des dieux Lares
aient porté dans les provinces précisément le même nom qu'à Rome?
Si les Lares Augusti étaient honorés à Rome par des Magistri vico-
rum, pourquoi ces Magistri ne seraient-ils pas devenus, dans les
provinces , Magistri Larum Auguslorum , puis Magistri Larum Au-
gustales , puis enfin Magistri Augustales , puis simplement Augus-
tales ? (2) M. Zumpt se préoccupe mal à propos de la forme de ce
dernier adjectif, voulant qu'il désigne, non ce qui a été institué par
Auguste, mais ce qui se fait en l'honneur d'Auguste, comme jeux,
sacrifices, etc. (page3); c'est combattre une erreur imaginaire. En
effet , nous n'avons pas dit que les Augustales fussent directement
appelés du nom de leur fondateur. La série des formes que nous rap-
pelions ci-dessus montre comment cet adjectif honorifique Augustus
passa de l'empereur aux dieux Lares , et de ceux-ci à leurs prêtres ;
dans le dérivé Augustalis il n'y a plus, à vrai dire, qu'un souvenir
du fait accompli par l'empereur. Nous allons plus loin. Il nous semble
a priori peu naturel que les magistrats prêtres des dieux Lares
eussent dans les municipes et les colonies le même titre que dans
(1) Voy. plus haut, p. 635.
(2) C'est d'une manière analogue que le fiamen de Jupiter s'est appelé d'abord
flamen dialis , puis plus brièvement dialis. Voy. Aulu-Gelle, iV. A, X% 15.
OBSERVATIONS SUR LES ÀLGUSTALES. 77^
la capitale. Les municipes et les colonies avaient des consuls, mais
qui, sauf de rares exceptions, s'y nommaient duumvirs; ils avaient
des censeurs , mais qui s'y nommaient quinquennales ; ils avaient des
préteurs, mais qui s'y nommaient quatuorvirijuri dicundo. Les édiles
seuls gardent habituellement le même titre dans les provinces que
dans la métropole (1). Les titres des prêtres provinciaux des dieux
Lares s'ajoutent donc, dans notre hypothèse, aux exemples de la
règle; aimerait-on mieux qu'ils s'ajoutassent aux exceptions?
2° Deuxième objection. Il n'y a jamais eu de collège des Magis-
tri vicorum; les Augustales, au contraire, forment un collège, un
corps constitué. — C'est tout simplement que les prêtres provinciaux
des dieux Lares sont devenus un peu autre chose que n'étaient leurs
confrères de Rome. Ceux-ci n'étaient nommés que pour un an, et
ne gardaient, après leur sortie de charge, aucun privilège, aucun
titre; seulement ils pouvaient être nommés une seconde fois. De
même les grands magistrats de Rome, consuls, préteurs, questeurs,
édiles, tribuns, ne conservaient, après l'expiration de leurs pouvoirs,
aucun droit de se réunir, ou d'agir en commun, mais seulement la
capacité d'être réélus ou d'exercer une autre charge. Les titres de
consularis, prœtorius, etc. , étaient purement honorifiques. Or, il n'était
pas nécessaire que l'institution augustale restât dans les provinces
tout juste ce qu'elle était à Rome ; au contraire , on comprend bien
que, sous l'influence de circonstances très-diverses, elle se soit mo-
difiée dans le sens qu'indiquent les monuments compris selon notre
hypothèse. Nous avons parlé d'origine commune, de similitude,
jamais d'une parfaite identité entre l'institution romaine et l'institu-
tion provinciale (qu'on nous passe ces deux termes pour plus de
brièveté) ; et l'on verra plus bas que dans l'hypothèse de M. Zumpt
il y a aussi des différences entre Rome et les provinces, mais des
différences plus essentielles encore.
3° Troisième objection. D'une part on ne trouve pas d'Augus-
tales avant la mort d'Auguste ; et , de l'autre , il y a des Magistri
Larum Augustorum même après sa mort , lorsque déjà X Augustalitas
était répandue dans tout l'empire. Nous avons déjà répondu, dans
le précédent article , à la première partie de l'objection , en citant
plusieurs textes dont deux même sont transcrits à la page 9 et à la
page 50 de la dissertation de M. Zumpt. D'ailleurs, n'eût-on pas de
monument antérieur à la mort d'Auguste , qui se rapportât à l'exten-
(1) Voyei le chap. xvi de la Collection d'Orelli.
776 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
sion dans les provinces d'une institution organisée à Rome par cet
empereur, y aurait-il là une raison de croire que l'organisation ro-
maine n'eût pas été imitée par les municipes et les colonies? Cela
ne prouverait rien , sinon que les monuments de ce genre ont tous
disparu , ou que l'imitation ne commença qu'après la mort d'Au-
guste, ce qui, après tout, ne serait pas impossible.
Quant à la deuxième partie de l'objection , trop brièvement ex-
posée par M. Zumpt (l), si nous l'avons bien saisie, elle aurait ce
sens que pour être assimilée aux Âugastales les Magistri Larum Au-
gustorum devraient porter le même titre ; c'est , en d'autres termes ,
la première objection, que nous croyons avoir réfutée, et que, du
reste, M. Zumpt détruit lui-même lorsqu'à la page 52 de son mé-
moire, il reconnaît dans les Magistri Augastales , Magistri Larum
Augastales, etc., un sacerdoce provincial imité de celui des Magistri
vicorum. Seulement il ne veut toujours pas reconnaître dans ces
Magistri les Augustales qui font le sujet de sa dissertation.
M. Zumpt affirme ensuite que beaucoup d'autres objections non
moins graves ressorlent de ses études sur la constitution des Au-
gustales. Nous avons tâché de les recueillir exactement à travers les
détours de ce long travail ; elles nous semblent se réduire à deux
que nous reproduisons sans les atténuer.
4° Quatrième objection (2). Choisis par les décurions et formant
un ordre intermédiaire entre la curie et le peuple , un ordre où la
curie se recrute quelquefois , les Augustales sont bien supérieurs
en dignité aux Magistri vicorum et Larum. S'agit-il des Magistri
Larum dans les provinces? Les prêtres de cette classe, que M. Zumpt
reconnaît sur les marbres (3) , sont précisément de la même classe
que les Augustales, c'est-à-dire de la classe moyenne, tous ou
presque tous affranchis. S'agit-il des Magistri vicorum de la capitale,
la seule différence des lieux explique bien la différence de condi-
tion que M. Zumpt a remarquée. Dans la capitale de l'empire, il
y avait plus de mille Magistri vicorum; l'honneur de cette charge
perdait Beaucoup à être ainsi divisé, il perdait surtout au voisinage
de la cour, de cette aristocratie de hauts fonctionnaires qui peuplait
les palais de Rome. D'ailleurs M. Zumpt ne s'est-il pas exagéré cette
dignité du rôle des Augustales ? Nous n'insisterons pas sur certains
(1) « At Larum Augustorum magistri fuerunt etiam post decessum ejus, cum
« dudum per totum imperium Augustalitas propagata erat, » p. 10.
(2) Résumée par l'auteur, p. 30.
(3) Pages 50 ctsuiv.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 777
monuments qui nous montrent des esclaves revêtus de l'augustalité ;
ces monuments sont très-rares et peuvent paraître suspects (l), mais
à côté des nombreuses inscriptions où tant d'Augustales affranchis
figurent pour le souvenir de très-modiques dépenses , qu'on relise le
curieux passage de Pétrone (2) que nous avons déjà produit dans
l'examen de cette question. Un affranchi parle à une chevalier ro-
main : « Tu es chevalier romain , et moi , je suis fils de roi.
Pourquoi donc étais-tu esclave? — Parce que je me suis moi-même
livré en servitude.... Et maintenant j'entends vivre de façon que
personne n'ait le droit de me rire au visage ; je me promène le front
découvert parmi mes égaux ; je ne dois pas un sou de cuivre à qui
vive au monde ; je ne sais pas ce que c'est qu'une assignation. Per-
sonne ne m'a dit sur la place : rends-moi ce que tu me dois. J'ai de
petits sillons à moi, voire un peu de vaisselle plate ; je nourris vingt
bouches et mon chien ; j'ai racheté ma compagne de lit , pour avoir
le droit d'en user seul (3). Il m'en coûte mille beaux deniers. Aujour-
d'hui me voilà sévir et sans frais (sévir gratis factus sum), et je compte
bien trépasser de façon à ne pas rougir dans ma tombe. » Ce portrait
de l'affranchi parvenu, maintenant sévir augustale dans sa petite
ville, ne répond-il pas bien en général à l'idée qu'on s'est faite, par
les monuments, de ces vanités municipales assurément fort compa-
rables à celles des quarteniers de Rome?
5° Une cinquième objection plus sérieuse , à mon avis , résulte
de ces inscriptions où le titre d'Augustalis se voit uni à celui de
Claudialis et de Flavialis (4). Il paraît certain en effet que ces deux
derniers titres, comme ceux à'HadrianaUs, Anloninianus , etc., dési-
(1) M. Zumpt , p. 9 , note 2 , décline, à cet égard , l'autorité de cette inscription
d'Orelli , n° 2423 :
PHILEROS. DISPEN
MELANTA. CELLAR
MAG. L. F. D. D.
Il refuse d'y voir un monument du culte public des Lares. L'inscription n° 2425,
qu'il a transcrite, et qu'on a lue aussi dans notre premier article, p. G46, est plus
embarrassante.
(2) Satyricon, c. 57.
(3) Ici on n'ose pas traduire. « Contubernalem meam redemi , ne quis sinu illius
manus tergeret. »
(4) Au sujet de l'inscription de Gruter, 376, 1 (Orelli, n° 3932 ) où le texte donne
IIIIII VIR. ET. AVGVSTALIS. ET. FLAMINALIS, M. Zumpt (p. 36) ne doute
pas que Hagenbuch n'ait changé avec raison FLAMINALIS en FLAVIALIS, quia
flaminales nulli omnino sunt. Est-ce parce que l'inscription d'Orelli , n° 155, où
sont mentionnés des FLAMINALES. VIRI (flamines sortis de charge), ne lui pa-
raît pas authentique? Cela demandait au moins quelques mots d'explication.
778 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
gnent les membres de corporations vouées au culte des empereurs ,
de Claude, de Vespasien et de sa famille, d'Hadrien, etc.; mais
puisque, même selon notre hypothèse, le titre des Aagiislales est un
nommage d'adulation envers Auguste, puisque les fonctions de ces
prêtres sont comme un culte indirect de la personne de l'empereur,
dans les cas en question, on peut penser, sans invraisemblance, de deux
choses l'une, ou bien que le titre de Claiidiaïis ou de Flavialis était
ajouté par forme de flatterie à celui d'Augustalis, lors de l'avènement
de Claude ou de la famille Claudia, ou que le même personnage était
associé à deux corporations : celle des prêtres Augustales et celle des
Claudiales, ou des Flaviales. Un tel cumul de fonctions n'est con-
traire ni au bon sens , ni aux usages de l'antiquité. M. Zumpt en
reconnaît un exemple incontestable et sur lequel il se propose de
revenir quelque jour ; ce sont les hercvlanei avgvstales men-
tionnés dans deux inscriptions d'Orelli, nos 2679, 3933, et ailleurs.
Nous en remarquons un autre dans l'inscription de Grumentum que
M. Zumpt transcrit lui-même d'après Orelli, n° 2467 :
SILVANO. DEO. SAC
Q. VIBIEDIYS. PHILARGIRVS
MINIST. LAR. AVG. ET. AYG
MERC. TECTVM. MENSAM
LAPID. ARAM. VOTO. SVSC
E. M. D. P. S. E. (1)
où Ton voit assez clairement, ce nous semble, d'une part le culte des
dieux Lares, de l'autre le culte de mercvrivs avgvstvs., tous deux
représentés par le même personnage ; puis , dans une inscription
indiquée aussi par M. Zumpt :
D. M
L. AVIDÎVS
L. L. PHILOGENES
MERC. ET. AVG. VIX. AN. LXV
FILI. PUS. PATRI.
(Orelli, n° 2381.)
(1) M. Zumpt écrit en note : « Eitremae tituli not» recte apud Orell. explican-
« tur : emonitu de. (vel dei) pecunia sua erexit. » Ne pourrait-on pas expliquer
plutôt les premières lettres par c magistrorum decreln , puisqu'il y avait des ma-
gistri dans l'une et l'autre corporation , et que les arrêtés de ees magiilri s'appe-
laient quelquefois décréta (Orelli , n° 4133\ De méTtie, si parva HcH componere
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 779
M. le comte Borghesi (l) admet même une fusion régulière et
constante de ces deux corporations , dans la ville de Narona en
Dalmatie, selon le témoignage de plusieurs inscriptions dont nous
citerons seulement les deux plus significatives :
1.
MERCVRIO. AVG. SACR
M. VLPIYS. AVG. LIB. NEDYMVS
C. POIXIVS. ALBANVS
T. VETVLEIÎVS. T. L. ABASCANTVS
Q. CORNELIVS. AVGVSTALIS
L. VOLCEIVS. CERDO
IIIIII VIRI. M. M. OB. HON.
DIVO. AVG. SACR
Q. SEXT1LIVS. CORINTHVS. C. SEXTILIVS. SYNECDEMVS
L. VIBIVS. AMARANTHVS. L. AQVILLIVS. APIVS
L. TITIVS. 1DIVS. CHRYSEROS C. VALERIVS. HERMA
IIIIII VIRI. M. M. OB. H.
Il y explique la sigle m. m. par magistri. mercvriales ; et de
ces inscriptions ainsi comprises , il tire, pour expliquer l'origine des
Augustales et leur constitution , une hypothèse particulière que nous
ne devons pas examiner ici. La dernière objection de M. Zumpt
touche au fond même de sa théorie historique sur les Augustales et
nous conduit naturellement à l'examen de cette théorie.
III.
M. Zumpt renouvelle une opinion déjà fort ancienne, celle de
Reinesius et de Morcelli , qui rattache les Augustales de province
aux Sodales Augustales, institués à Rome par Tibère, selon ces té-
moignages classiques de Tacite (Annales, I, 54): Idem annus
maquis, l'an de Rome 570, lorsque, selon le récit de Tite Live (XL, 34), M. Aci-
lius Glabrion dédia le temple de la Piété : « Is erat qui ipse eam œdera voverat,
« quo die cum rege Antiocho ad Therraopylas depugnasset , locayeratque idem ex
« senatusconsulto. »
(1) Daos le Mémoire que nous avons cité plus haut.
780 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
(14 après J.-C.) novas cerimonias accepit ada]ito Sodalium Augusta-
lium sacerdotio , ut quondam Titus Tatius retinendis Sabinorum sacris
sodales Titios instituerai. Sorte ducd e primoribus cwitatis unus et
viginti. Tiberius Drususque et Claudius et Germanicus adjiciuntur.
Hist. II, 95, à l'occasion des funérailles de Néron : Cœsœ publiée
victimœ crematœque; facem Augustales subdidere, quod sacerdotium
ut Romulus Tatio régi , ita Cœsar lïberius Juliœ genti sacravit. Enfin
au troisième livre des Annales, ch. 64, Tacite range les sodales Au-
gustales parmi les prêtres du premier ordre qui présidaient aux jeux
publics. Les monuments sont unanimes à confirmer ces témoignages;
ils nous montrent toujours la fonction de sodalis Augustalis confiée
à des primores cwitatis , souvent même à des princes de la famille
impériale. A côté de ce haut sacerdoce, on voit se former, par l'ému-
lation des particuliers, certains collèges très-inférieurs, également
voués au culte de la divinité d'Auguste. Tacite encore nous l'apprend
dans un chapitre du premier livre des Annales où l'on voit un pauvre
chevalier romain accusé de lèse-majesté , quod inter cultores Àugusli
quiperomnes domos inmodum collegiorumhabebantur, Cassium quem-
dam mimum, corpore infamem, ascwisset (l) ; et M. Zumpt rapporte
avec raison à ces cultores Augusti l'inscription suivante , trouvée à
Rome :
IMP. CAESARl. DIVI. NERVAE. F
NERVAE. TRAIANO. AVG. GERM
DACICO. PONT. MAX. TRIB. POTEST. VIII
IMP. VIII. COS. V. P. P. OPTIMO. PRINCIPI
SAGARI [THEJATRI (2) MARCELL
CVLTORES. DOMVS. AVG.
(Gruter, 246, 9.)
Il pouvait ajouter cette autre inscription , de Tibur :
P. FLAVIVS. SP. F. CAM. DEC1MVS
P. FLAVIVS. PALAESTRICVS. HA
M. TREBONIVS. TIBVRTINVS. HA (3)
(1) C. 73. Voyez sur les deux passages des Annales, le commentaire de M. Orelli
dans l'excellente édition de Tacite qu'il publie en ce moment.
(2) Nous proposons cette restitution vraisemblable et que nous croyons être
neuve.
(3) M. Orelli avoue ne pas comprendre la sigle HA. Pourtant dans son Index
nolarum il devine que la première lettre désigne Hercule , qui était particulière-
ment honoré à Tibur; il ne lui restait plus qu'à se souvenir de deux inscriptions de
son recueil (n° 2070, 3933) pour rétablir avec confiance lier culaneus Augustalis.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 781
CVR
CVLTORIBVS. DOMVS. DIVINAE
ET FORTVNAE. AVG. LARES
AVG. D. D.
(Orelli, n° 1662.)
Des deux classes de cultores dont l'existence est attestée par
l'histoire et par les monuments, c'est la première que M. Zumpt
choisit pour en faire le modèle des Augustales de provinces , et
quelle raison apporte-t-il de cette préférence? Aucune, si j'ai bien
lu sa dissertation , aucune du moins qui se puisse appeler une
preuve. Pas un témoignage d'auteur ancien , pas un texte épigra-
phique dont la clarté et l'autorité soient décisives. M. Zumpt insiste
beaucoup sur l'identité de dénomination Augustales à Rome , Au-
gustales dans les provinces, identité que nous avons suffisamment
expliquée dans le sens de notre opinion. Il exagère l'importance des
Augustales provinciaux , pour les élever jusqu'à leurs nobles con-
frères de Rome qui étaient les premiers personnages de l'État. Or, pour
répondre en dignité à des princes, à des consuls, à des gouverneurs
de provinces, les Augustales municipaux devraient être au moins
des décurions (1); et, au contraire, on les voit constamment infé-
rieurs aux décurions , qui les nomment, qui les honorent , par excep-
tion, de leurs insignes (ornamentis decurionalibus), qui les appellent,
mais plus rarement encore , à siéger dans la curie. Pour résoudre
cette grave difficulté, M. Zumpt imagine que les charges du décu-
rionat étant déjà bien lourdes , ou n'y put ajouter celles de YAugus-
talité, elles-mêmes fort coûteuses , et qu'on chercha ainsi de riches
affranchis, capables et peut être heureux de les subir-, comme si la curie
du temps de Tibère pouvait être jugée d'après la curie du IIP et du
IVe siècle de l'empire , comme si l'oppression du décurionat, oppres-
sion dont témoignent et l'histoire et les textes législatifs du temps de
la décadence , avait commencé avec le règne des premiers Césars. A
l'appui de sa conjecture , toute gratuite comme on le voit, M. Zumpt
allègue les inscriptions, assez rares d'ailleurs, qui nous représentent
des enfants appelés à l'Augustalité ; il suppose qu'à défaut d'autres
personnes assez riches pour suffire aux frais de cette fonction, on fut
(1) Dans une seule inscription , du temps d'Antonin le Pieux, on voit un citoyen
nommé quinquennal, ou censeur, donner la même somme d'argent aux décurions
et aux Augustales (Orelli, n° 842); c'est une exception, qui ne prouve pas d'ail-
leurs que ces décurions et ces Augustales eussent précisément le même rang dans
la cilé.
782 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
dès le IIe siècle forcé de faire tomber ces charges sur des enfants (1).
Nous avions considéré ces exemples comme des faveurs purement
honorifiques, et jusqu'à preuve positive du contraire , nous sommes
autorisé à maintenir cette explication; nous pouvons même l'ap-
puyer d'une preuve analogique assez frappante en rappelant cette in-
scription, du temps des Antonins, transcrite par M. Zumpt, p. 31,
où l'on voit le fils d'un C. Titius Chresimus qui avait dépensé beau-
coup d'argent pour la ville de Suessa, élevé à l'honneur gratuit ai
décurionat : c'était évidemment dans ce cas un remercîment, une
politesse des habitants de Suessa envers leurs bienfaiteurs. Or rien
n'empêche de croire qu'il en fut de même de YAugustalité conférée à
des enfants. D'ailleurs , sur trois exemples que nous connaissons de
ces collations étranges , il y en a deux qui répugnent tout à fait à
l'induction qu'en veut tirer M. Zumpt :
D. M
M. CAVIO. M. F. SVAVISSIMO
VIVIR. SVASAE. VIXIT
ANNOS. XIII. MES. XXVII
M. CAVIVS. VIRNEI
CAVIA. IANVARII. FILIO
PIENTISSIMO.
(Orelli, n« 3938.)
DIBVS. SECVRÏS
M. SALVVI
FELICISSIMl
HERACLITIANI. TRIBV
ESQ. CORPORE. AVG
PVERO. PIISS. ET. DVLCISS
M. SALWIVS
ANTIOCHVS. PAT. FEC. ET. S1BI
VIX. ANN. XÏÏÏ. MEN. IIII. DIEB. XI.
(Orelli, n° 3091.)
On remarquera en effet que ces deux Augustales enfants avaient
l'un sa mère et son père , l'autre son père. Dans quel intérêt les
charges de l'Augustalité pouvaient-elles être dévolues à un enfant
(1) Voyez pages 22 , 47, 77. La troisième inscription qui nous montre un enfant
augiistale, est celle d'Orelli, n° 3937.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 783
dont le père vivait, et n'était pas Augustale (l) , pas plus que Titius
Chresimus n'était décurion lorsqu'il vit son fils appelé aux honneurs
de la curie?
Mais ce ne sont pas là les seules difficultés que présente l'opinion
de M. Zumpt. Énumérons à notre tour les objections qui la com-
battent.
1° Pour admettre que les Augastales de province soient une imi-
tation des sodales Augustales de Rome, il faut placer leur création
après la mort d'Auguste. Or nous avons vu qu'il y a sur les marbres
des mentions de nos Augustales expressément antérieures à l'an 766.
M. Zumpt cite lui-même quelques-uns des monuments qui nous les
offrent , mais il nie que ces monuments se rapportent à nos Augus-
tales ; il y reconnaît seulement la trace d'une imitation provinciale
du culte des dieux Lares, mais étrangère à la grande institution
dont il écrit l'histoire. Et pourquoi cela? parce que , selon lui , nos
Augustales sont de création postérieure à la mort d'Auguste. Or cette
postériorité est précisément un des faits essentiels qu'il fallait dé-
montrer. Le raisonnement tourne donc dans un cercle vicieux.
2° Dès qu'on admet que les Augustales sont les confrères provin-
ciaux des sodales de Rome , comment expliquer cette dédicace qu'on
a trouvée dans une ville d'Espagne :
NBRONI. CAESABI
GERMANICI. F
TI. AVGVSTI. N. DIVI AVG
PRON. FLAMINI. AVGVSTALI
SODALI. AVGVSTALI
Q. NOVANIVS. Q. L. SALVIVS
C. CVLMINIVS. Q. F. FVSCVS
L. FVLVIVS. L. F. DOCIMVS
L. FVLVIVS. L. L. RECTVS
L. POPILLIVS. L. L. APOLLONIVS
L. FYRIVS. L. L. GEMELLVS
vi. vir. avgvst. (Gruter, 237, 1 . )
(1) Il est vrai que, dans le premier exemple, M. Zumpt croit que les parents
étaient des esclaves. Mais , d'une part, il n'est pas démontré sans réplique que, dans
de très-petites villes, des esclaves n'aient pu être appelés à l'Augustalité ( voy. plus
haut, p. 777) ; de l'autre il faudrait, pour être sûr que GAVIVS et CAVIA étaient
des esclaves, établir : 1° que nous avons sous les yeux le texte bien exact du mo-
nument ; 2° que le nom au génitif qui suit chacun de ces deux noms est véritable-
ment celui d'un maître. Or on sait que ce génitif désigne également le maître, le
père , le mari.
784 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
En effet dans ce rapprochement d'un petit-fils d'Auguste , sodalis
Augustalis , et des seviri Aagustales , pauvres bourgeois d'un muni-
cipe espagnol, la plupart affranchis, on voit clairement la distance
qui sépare et les personnages et leurs dignités respectives.
3° Si les sodales dans le témoignage de Tacite et sur les monu-
ments se montrent fort supérieurs aux Augustales, le même fait est
prouvé , et plus abondamment encore pour les flamines Augusti ou
(lamines Augustales. Nous avons dit nous-même, mais trop légère-
ment , « que les flamines se rapprochent des sévirs Augustales par
leur condition civile , et qu'on trouve sur les marbres de fréquents
exemples du cumul de ces deux dignités. » Il fallait dire de rares
exemples. Tout compte fait et après examen attentif des inscrip-
tions citées dans notre travail et de celles que nous avons depuis réu-
nies, nous ne trouvons que deux ou trois monuments où le titre
d'Augustale et celui de flamine d'Auguste se trouvent réunis sur la
même tête (1). Tous les autres monuments, et ils sont assez nom-
breux, qui mentionnent des flamines d'Auguste attribuent cette
charge , soit à de hauts fonctionnaires de l'armée et de l'administra-
tion , soit à des citoyens qui avaient passé par tous les honneurs mu-
nicipaux (omnibus muneribus functi ou omnes honores adepti), dans leur
ville (2) , ou qui en avaient du moins exercé quelqu'un des plus
importants , comme celui d'édile , de duumvir, de questeur ; ce sont
quelquefois aussi des décurions , jamais , que je sache , des affran-
chis (3). Il en est de même des sacerdotes Romœ et Augusti, assez
fréquents aussi sur les marbres (4) ; et quand le sacerdoce de la
divinité d'Auguste se trouve dévolu à des femmes , particularité dont
il y a plusieurs exemples très-authentiques (5), c'est encore à la
première classe de la société municipale que ces femmes appartien-
nent. Or, si les sévirs Augustales sont des prêtres d'Auguste , com-
ment concevoir qu'ils soient constamment choisis dans une classe in-
(1) Muratori, 181, 7, à Préneste; 1104, 3, à Caeré (le n° 1108, 3, quej'avais
cité, offre un sévir du municipe forum Flaminii , FOR. FLAMIN. Iunl VIR.
AVGVST., d'où la confusion où m'avait induit la table de Muratori ). Gruter, 382,
6 , près de Côme.
(2) Orelli, n°* 155 , 2183, 3905. Muratori, 166 , 3.
(3) Orelli, no*311, 344, 488,643, 3725, 3770, 3881, 4025. Gruter, 345, 6;
354,6; 399, 5; 411, 1 ; 489 , 11 et 12. Muratori, 43, 5; 58,5; 167,2; 747, let2.
(4) Orelli, nos 363 , 2171, 4031. Gruter, 58 , 5. Artaud, Musée de Lyon, n° 4;
et les trois inscriptions réunies par M. Osann dans la Zeitschrift fur die Aller-
thumswissenschaft , 1837, n° 47. La même observation s'applique aux flamines
des autres empereurs. Il y a du reste sur ce sujet un curieux témoignage d'Arrien.
( Dissert. Epict. 1 , 19) , qui n'a pas, que je sache , été encore relevé.
<5) Orelli , n° 345. Cf, 344 , 360 et 363 , n°' 618 , 3272 ,5019.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALES. 785
férieure à celle où se recrutaient les flamines; et puisque c'est dans
cette classe inférieure , presque toujours parmi les affranchis, que
les sévir s Augustaîes se recrutent, combien il est invraisemblable de
voir dans leur collège une imitation du sodaîicium Augustale de Rome
que son fondateur avait précisément placé au-dessus de toutes les
corporations, de tous les prêtres consacrés au culte de la divinité
d'Auguste ! Puisqu'il y avait à Rome d'humbles magistrats chargés
des fonctions de prêtres pour honorer, deux fois l'an, à côté des dieux
Lares, génies domestiques et protecteurs , le génie éminemment pro-
tecteur d'un prince qui les avait restaurés, n'est-il pas plus na-
turel de voir dans ces Magistri vicorum , en même temps cultores
Larum Augustorum, les premiers modèles d'une institution provin-
ciale qui associait indirectement au culte de l'empereur divinisé, non
plus des princes, des proconsuls, des généraux (comme sont tous les
sociales), non plus des décurions et des magistrats municipaux
(comme sont les flamines), mais les derniers habitants libres d'un mu-
nicipe ou d'une colonie?
4° Cela offre d'ailleurs le seul moyen de résoudre une grave diffi-
culté qu'on a jusqu'ici passée sous silence dans toute la polémique
relative aux Augustaîes. On voit en effet ces fonctionnaires, dès le
premier siècle de l'empire, constitués non-seulement en corporation ,
mais en ordre de l'État ; ils ont rang , dans la colonie ou le municipe
entre les décurions et le peuple ; ce sont de véritables chevaliers mu-
nicipaux. Plus de trente inscriptions, dont on pourrait encore aug-
menter le nombre (l), nous ont montré ce fait sur autant de
points de l'Occident romain , avec des variations légères qui n'en al-
tèrent pas l'uniformité essentielle. Or de deux collèges , l'un voué au
culte d'un dieu de création toute politique , l'autre attaché au culte
des Lares , qui sont les génies du foyer de la famille, du quartier et
comme du carrefour (compitales) , laquelle devait plus facilement
prendre un rôle dans les affaires municipales? La seconde, sans
doute. A supposer même que les Magistri Augustaîes n'eussent pas
dès l'origine des attributions civiles comme les Magistri vicorum, on
s'explique sans peine comment ils ont pu en acquérir; de leur premier
rôle au second, il y a une transition pour ainsi dire indiquée par la
nature des choses; du rôle de prêtre d'Auguste à celui de chevalier
municipal , il n'y en a point. Enfin pour former dans tant de villes un
(1) J'ajouterai ici à celles que j'ai déjà réunies p. 383 et suiv. de mon Mémoire,
Orelli, n^ 842 , 3714, 3716, 5090 (Supplément encore inédit, dont 1 éditeur a Dicn
■voulu me communiquer les premières feuilles ).
786 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ordre particulier il fallait que les Augustales fussent très- nombreux ,
condition qu'ils remplissent très-bien si on les suppose attachés au
culte et à l'administration dans chaque quartier de leur petite ville ;
condition au contraire qui leur convient fort mal si on en fait des
prêtres d'Auguste. Tibère créa dans Rome vingt et un sodales Au-
gustales; le nombre àesflamines y était sans doute le même que celui
des temples d'Auguste , c'est-à-dire fort restreint ; mais Rome comp-
tait plus de mille Magistri viconun, gens libres, et autant de Minislri,
esclaves auxiliaires!
5° Ici nous prévoyons une réponse de M. Zumpt. Il nous dira que
ses Augustales ne sont pas à proprement dire des prêtres d'Auguste,
mais des commissaires en permanence ou perpétuels , chargés de
célébrer par des fêtes, qui n'ont pas toutes un caractère religieux ,
les anniversaires mémorables dans la vie de l'empereur, par exemple
celui de sa naissance, du jour où il a reçu le surnom d'Auguste, du
jour où il a conféré quelque bienfait à la ville dans laquelle ces
jeux se célèbrent. Mais outre que cette distinction n'explique suffi-
samment ni le rôle municipal de l'Augustalité , ni le grand nombre
des Augustales, sur quoi parviendra-t-on à l'établir? sur de simples
conjectures ou sur le témoignage d'un monument qu'on a déclaré
formellement étranger à la question, d'un monument dont on a
reconnu le caractère tout exceptionnel , je veux dire l'autel de Nar-
bonne (1). C'est là un procédé de critique beaucoup trop arbi-
traire.
En général, M. Zumpt, qui tient pour nulles le preuves de notre
opinion , ne s'aperçoit pas qu'il appuie souvent la sienne sur des
preuves encore plus faibles. On a vu que le titre seul d' Augustales
est pour lui une raison considérable en faveur de l'assimilation des
Augustales provinciaux aux sodales de Rome; plus loin il déclare que
les chefs de la corporation augustale ne sont pas les Magistri dont
on trouve quelques exemples sur les marbres, mais bien les se-
viri (2), et cela parce qu'il ne veut pas reconnaître l'existence de la-
dite corporation avant celle des sodales, avant la mort d'Auguste.
Lorsqu'il s'agit de la création des collèges Augustales , M. Zumpt
pense qu'on s'abstint d'en instituer dans beaucoup de provinces et
(1) Pages 10-12, 37 ctsuiv.
(2) Page 55 : « Nec magistros Augustales ad hoc de quo haec quaestio instituta
« est, Augustalium sodalicium refero , nec oranino ullos horum magistros fuisse
« ulique censeo : eos, qui sexviri magistri augustales, qui sexviri magistri
« mercuriales appellaniur, duos, non unum honorera gessisse staluo. — Prœerant
« Augustalibus Seviri, etc. » Cf. p. 52 au commencement.
OBSERVATIONS SUR LES ÀUGUSTALES. 787
dans beaucoup de villes où il n'eût pas été d'une bonne politique de
provoquer les habitants à des associations; que pour ouvrir un de ces
collèges les décurions demandaient l'autorisation du pouvoir, comme
Tibère s'était autorisé d'un sénatus-consulte pour créer les sodales (i).
Voilà bien des suppositions, vraisemblables peut-être, mais certaine-
ment gratuites. Ce n'est pas tout; les Augustales étant des prêtres
d'Auguste, devaient, selon M. Zumpt, avoir, dans chaque ville, un
temple d'Auguste ; comme le collège de Diane et d'Antinous, dont on
a récemment publié un monument très-curieux , se réunissait dans le
temple d'Antinous, comme les sodales Ântoniniani se réunissaient dans
le temple d'Antonin et de Faustine , item Augustales ternplum suum
habebant, divo Augusto dedicatum, cujus religione nullam civitatem ca-
ruissc existimo (2). Mais que fera-t-on alors des flamines d'Auguste
si on n'admet pas qu'ils desservaient, dans chaque ville, le temple
de cette divinité? On connaît en effet l'existence de temples d'Au-
guste dans un très-grand nombre de villes du monde romain, et l'on
peut supposer que presque toutes en possédaient ; mais pour affir-
mer que ces temples étaient desservis par nos Augustales , il faudrait
au moins quelque témoignage; or jusqu'ici on n'en a pu citer un
seul; et cela est d'autant plus remarquable que les inscriptions
relatives aux Augustales sont plus nombreuses.
M. Zumpt va plus loin encore dans cette voie. Il lui arrive de nous
reprocher une conjecture que lui-même il adopte, ou peu s'en faut,
précisément au même endroit. Nous disions : « Soit qu'un édit de
l'empereur eût imposé aux villes d'Italie le culte des dieux Lares ,
soit qu'un mouvement spontané d'imitation y ait sollicité jusqu'aux
moindres municipes, on voit.... se multiplier hors de Rome la magis-
trature et le sacerdoce des Augustales. » M. Zumpt trouve cela tout
à fait étranger aux usages romains , prorsus alienum a more romano.
Pourtant, de nos deux suppositions, il y en a au moins une qu'il
ne désapprouve pas, c'est la seconde, puisque, après avoir défini
l'origine et le caractère des sodales Augustales, il ajoute : «Com-
ment donc de cette institution est dérivée celle qui fait proprement
l'objet de nos recherches? Comme se sont, en général , constitués
les municipes , par une imitation de ce qui se faisait à Rome. Il est
incroyable combien cette imitation toute spontanée (sponteillaquidem
(1) Page 19 et suiv.
(2) Page 43. On trouve une ample liste des villes où l'on sait qu'il a existé des
temples d'Auguste , dans M. Artaud : Discours sur les médailles d'Auguste, notes
M et 104.
788 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
siiscep(a), sans aucune intervention de lois ou dédits impériaux, a
eu d'intluence dans tout l'empire, combien elle a contribué à établir
la belle unité que nous admirons dans le monde romain (l). »
Nous croyons, ainsi que notre savant contradicteur, à la puissance
des exemples quand ils partaient de la métropole, quand ils partaient
d'un prince comme fut Auguste ; mais si nous renonçons pour le
moment à la supposition d'un édit spécial promulgué à l'effet d'insti-
tuer les Augustales, c'est parce quelle n'est appuyée d'aucun témoi-
gnage, non parce qu'elle nous semble contraire à l'esprit de ce
temps. Auguste avait traité de stata Municipiorum dans un discours
que J. Frontin cite comme une autorité (2); et c'est sans doute
les discours de ce genre qu'on lisait encore chaque année dans le
sénat, aux kalendes de janvier, sous le règne de Claude (3). Un
édit du même prince, auquel se réfère Pline le Jeune dans sa cor-
respondance officielle avec Trajan , déterminait l'âge à partir duquel
on pouvait exercer des magistratures dans les villes de Bithynie.
Dans une autre affaire , relative à la condition de certains esclaves ,
on produisait à Pline un autre édit d'Auguste dont il réclame vérifi-
cation à la chancellerie impériale (4). Vespasien, dans une lettre (5)
aux habitants d'une petite ville de Corse, confirme les bienfaits qui
leur ont été accordés par Auguste après son septième consulat et qu'ils
avaient conservés jusqu'au temps de Galba. Un rescrit deDomitien (6)
aux habitants de Faléries, dans le Picenum, nous montre Auguste
écrivant aux soldats de sa quatrième légion (diligentissimi et indulgen-
tissimi erga quartanos suos principis epistola) pour les avertir de réunir
et de vendre leurs subsiciva, conseil salutaire que Domitien aime à
croire qu'ils auront suivi (quos tam salubri admonitioni paruisse non
dubito). L'inscription n° 4474 du Corpus nous montre les habitants
d'une petite ville de Syrie, soumettant à la sanction d'Auguste un rè-
glement relatif à la police d'une foire de bestiaux et d'esclaves qui
se tenait dans leurs environs (7). Enfin , on cite comme trouvée à
Pompéi l'inscription suivante :
(1) Page 18.
(2) De Limitibus agrorum, p. 41, éd. Goes (p. 16, du Choix publié par
M. Ch. Giraud en 1843) : « Hujus soli jus quamvis habita oratione Divus Augustus
• de statu municipiorum tractaverit, in proxiraas urbes pervenire dicitur, » etc.
(3) Dion Cassius LX , 10 ; LXI , 3.
(4) Pline, Epist.X, 83 et 71.
(5) Orelli,n° 4031.
(G) Orelli, n°3U8.
(7; Cf. n<> 2715, inscription de Stratonice. Tacite, Ann. III, G2.
OBSERVATIONS SUR LES AUGUSTALE&. 789
1[V]SSV. IMP. CAESARIS
AVGVSTI
GERVLIS. PED. îïï S.
qui prouve qu'en un certain endroit de la ville un espace de trois
pieds et demi était réservé aux porte-faix par un ordre (que je veux
bien croire indirect) de l'empereur Auguste (1).
On voit sous combien de formes, discours, lettres, édits, l'inquiète
sollicitude du gouvernement impérial se multiplie et pénètre jusque
dans les plus minces affaires des colonies et des municipes ; il y a
donc quelque témérité à déclarer cette intervention étrangère aux
principes de l'administration romaine.
Un monument retrouvé à Rome, sur la Voie Sacrée, porte l'in-
scription suivante :
LARIBVS. PVBLICIS. SACRVM
IMP. CAESAR. DIVI. F. AVGVSTVS
PONTIFEX. MAXIMVS
TRIBVMC. POTEST XVIIII
EX. STIPE. QVAM. POPVLVS. El
CO&TVLIT. KAL. IANVAR. APSENT1
C. CALVISIO. SABINO
L. PASSIENO. RVFO. COS.
(Orelli, n° 1668.)
Telle est la simple et majestueuse dédicace qu'Auguste faisait
graver deux ans après la réorganisation des régions de Rome et du
culte des Lares ; telle était sa dévotion aux dieux Lares, dévo-
tion de politique pu de bon croyant, peu importe. Dès lors, nous
étonnerons-nous qu'il ait, par un des mille moyens qui s'offraient à
son habileté, recommandé aux villes de provinces le renouvelle-
ment (2) d'un culte éminemment général, éminemment fait pour
contribuer à la fusion de tous les autres cultes en une religion de
l'empire?
La plupart des arguments que nous avons fait valoir contre
(1) Guarini, Fasli duumvirali, etc., p. 82. Cf. Orelli, n0>675, 874, 976,
i 198.
2) Je dis renouvellement, car il est certain que plusieurs villes de province ado-
raient déjà leurs dieux lares. Voy. par exemple , Orelli , n° 1670, inscr. de l'an de
Rome 731.
111. 51
790 REVUE AKCHÉOLOGIQUK.
M. Zumpt étaient ou indiqués ou développés dans notre Mémoire sur
les Augustales ou dans quelque autre partie de nos recherches sur
les historiens d'Auguste. En négligeant, par des préoccupations
que nous ne nous expliquons pas, de les y relever pour les combattre
sérieusement, M. Zumpt nous a fourni l'occasion d'approfondir et de
rectifier en quelques points, par un nouvel examen, nos idées sur l'ori-
gine de la corporation augustale, de les exposer avec plus d'ensemble
et sous un jour nouveau. Nous l'en remercions pour notre part,
et nous serons très-heureux si nos lecteurs ne lui en savent pas
mauvais gré.
Quant à l'organisation du corps augustale, qui fait le prin-
cipal sujet du travail de M. Zumpt, nous avons, sur ce terrain,
le plaisir de nous trouver plus souvent d'accord avec l'habile philo-
logue , et peut-être un jour réviserons-nous en quelque sorte avec
lui, cette seconde partie d'une intéressante question historique.
E. Egger.
EXTRAIT
DUNE LETTRE DE M. LAYARD A M. BOTTA
AU SUJET DE SES FOUILLES A MMROUD.
M. Botta a communiqué à l'Académie des inscriptions et Belles-
Lettres , la note suivante qu'il nous a permis de reproduire dans la
Revue.
« Plusieurs membres de l'Académie savent que depuis mon départ
deMossul un Anglais , M. Layard , encouragé par mes succès archéo-
logiques, est allé dans ce pays pour y tenter des recherches. II y a
ouvert le monticule de Nimroud , situé au confluent du grand Zàb et
du Tigre, à huit lieues au sud de Mossul, et y a découvert des mo-
numents remarquables. Je viens de recevoir une lettre de M. Layard,
et je vais en lire quelques passages à l'Académie, espérant qu'ils lui
offriront quelque intérêt. Voici ce qu'il m'écrit :
« Les fouilles à Nimroud se continuent maintenant sur une grande
« échelle; je suis occupé jour et nuit, mais ne dois pas me plaindre
« de mes fatigues, car j'en suis amplement récompensé. Dans ma
« lettre précédente, je vous avais dit que dès le commencement j'avais
« soupçonné qu'il y avait eu à Nimroud deux monuments d'âges dif-
« férents : ce soupçon est maintenant confirmé ; je trouve qu'il y a eu
« deux palais ou deux édifices , quelle qu'ait pu être leur destina-
it tion; le plus ancien et le mieux conservé doit appartenir à la prê-
te mière dynastie assyrienne, car le major Rawlinson et moi-même
« nous nous accordons à trouver dans les inscriptions des noms de
« rois de cette dynastie. Le costume des figures , le style des sculp-
« tures et des ornements , les grands lions et les taureaux diffèrent
« de ceux de Khorsabad. Le second édifice est sous tous ces rapports
« identique avec celui de Khorsabad, et dans sa construction on a
« employé plusieurs blocs appartenant à l'autre et plus ancien édi-
te fice. On y voit même des plaques sculptées appartenant à ce der-
« nier, placées contre les briques séchées au soleil et sculptées de
« nouveau à leur face postérieure.
792 REVLE ARCHÉOLOGIQUE.
« L 'édifice le plus moderne, comme celui de Khorsabad, a été
« très -endommagé par le feu, tandis que le plus ancien n'a pas été
« incendié, mais est simplement tombé en ruine. Parmi les objets
« nouvellement découverts est un obélisque d'environ sept pieds de
« haut, taillé dans une espèce de marbre noir; il offre vingt bas-
ce reliefs qui semblent représenter la conquête de quelque contrée
« éloignée. Parmi les animaux qui s'y trouvent représentés , se
« trouvent l'éléphant, le rhinocéros, le chameau de la Bactriane,
« des lions et plusieurs espèces de singes. Sous les bas-reliefs il y
« a de longues inscriptions en petits caractères qui semblent con-
« tenir beaucoup de noms propres. C'est, à tout prendre, un sin-
« gulier monument et que je crois unique. Il est dans le plus bel état
.« de conservation.
a 11 me semble que Nimroud n'a pas été saccagé aussi complè-
te tement que d'autres ruines de ce genre, car j'ai déjà fait une col-
ce leclJon considérable de petits objets tels que poteries, vases,
« armures , ornements , qui sont très-intéressants et caractéristiques
u des usages et des arts des Assyriens : un fait remarquable est la dé-
cc couverte d'une petite chambre voûtée dont la position prouve
« qu'elle a dû être bâtie à l'époque la plus reculée. »
« Tels sont, dans la lettre de M. Layard, les faits qui peuvent inté-
resser l'Académie; ils prouvent, comme je l'avais dit dès l'origine,
que la découverte de Khorsabad n'est que le premier pas fait dans
une voie de découvertes du plus grand intérêt. Ces nouvelles me
font regretter encore plus vivement d'être retenu en France plus
longtemps que je ne le pensais. »
Botta.
STATUE D'HERCULE DÉCOUVERTE A DÉNIA.
La statue , dont nous donnons un croquis (voir la pi. 62 bis) , a
été découverte à Dénia, dans le royaume de Valence, autrefois Dia-
nium ou Artemisium, colonie massaliotte. Elle appartient à M. F. de
Lesseps, consul de France à Barcelone. Elle est d'un marbre blanc
assez semblable à celui de Carrare , mais qui peut provenir , me
dit-on, de carrières autrefois exploitées dans la Péninsule. Je sup-
pose que , dans son intégrité , la figure avait un peu plus d'un mètre
de haut. Par le travail , elle paraît appartenir à l'époque romaine.
Les cheveux, les draperies refouillés au trépan, une certaine faci-
lité un peu triviale dans l'exécution , tout me porte à croire qu'elle
remonte au siècle des Antonins.
La tête, aujourd'hui séparée du tronc, s'y rapporte sensiblement
par la cassure ; d'ailleurs , la peau de lion dont le mufle couvre
la tête , et dont les pattes se croisent et se nouent sur la poitrine
du personnage , ne permet pas de douter que les deux principaux
fragments n'appartiennent à une même statue. Le bras droit cassé
à l'épaule n'a pu être retrouvé, mais sa position est parfaitement
indiquée par le poignet qui touche au torse. Les jambes et la partie
inférieure des cuisses sont perdues. Quant aux pieds que l'on a dé-
couverts avec les deux premiers fragments , pour supposer qu'ils
ont autrefois appartenu à notre statue, on a pour indices leurs pro-
portions, l'identité du marbre, enfin leur position qui convient à
celle des cuisses. Us sont fracturés au-dessous de la cheville, et
adhérents à un socle assez mince et de forme irrégulière. On
remarque un trou dans un des pieds qui semble annoncer une res-
tauration ancienne.
Le costume , aussi bien que le caractère de force que le sculp-
teur a donné à cette figure, indiquent clairement un Hercule. Quel-
ques mutilations qu'elle ait subies, on devine sa position. Le héros
est debout, les deux mains ramenées et réunies derrière le dos ,
sous la peau de lion; il est adossé à un objet cylindrique qui paraît
être une colonne ou une stèle décorée d'une ornementation bizarre ,
que le croquis fait mieux connaître qu'une description. Aux poi-
gnets , on remarque de gros bracelets arrondis, ou plutôt des
794 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
menottes , et si l'on fait attention à la manière dont le corps est
placé le long de la stèle , on s'assurera que la figure n'est point
représentée dans une attitude de repos, mais dans une situation con-
trainte. En effet, si elle s'appuyait volontairement à la stèle, elle
n'y toucherait que par les épaules , et le bas du torse , ainsi que
les cuisses , formeraient un angle avec ce point d'appui ; les
pieds seraient écartés , peut-être croisés , comme ceux de l'Hercule
Farnèse (1). Au contraire, le corps est serré contre la stèle, les
cuisses sont étendues droites et rapprochées parallèlement à cette
même stèle. A mon avis, le héros est captif, enchaîné fort étroite-
ment. Ses mains sont assujetties par des menottes , peut-être ses
jambes étaient-elles également retenues par des entraves.
Je ne dois pas oublier l'expression très-remarquable du visage. Les
yeux levés au ciel, les sourcils abaissés, la bouche à demi ouverte,
dénotent l'abattement et la tristesse. Le caractère général de la tête
rappelle le Laocoon. Si je ne me trompe, la barbe et la chevelure
sont plus longues qu'il n'est ordi naire dans les représentations d'Her-
cule qui datent de la même époque. Peut être l'artiste romain a-t-il
voulu exprimer la douleur par cette barbe et cette chevelure en
désordre, signes de deuil bien connus chez ses compatriotes. D'un
autre côté, on pourrait supposer, qu'en donnant à son Hercule, au
lieu de la coiffure d'athlète qu'il porte ordinairement, une chevelure
ondoyante et une barbe touffue , le sculpteur a voulu mettre en évi-
dence le caractère héroïque ou divin de son modèle.
J'abandonne ces deux explications pour ce qu'elles valent, et peut-
être ai-je tort d'attacher tant d'importance à un détail médiocrement
caractérisé. D'ailleurs, Euripide ne décrit-il pas Hercule avec une
barbe touffue, ^vet^ç sutci/oç? Hercfur., 934. Mais pourquoi repré-
senter captif et enchaîné, le destructeur des monstres, le protégé de
Jupiter et de Minerve, le héros toujours heureux dans ses entreprises
les plus téméraires? Telle est la question que l'on s'adresse et à la-
quelle j'essayerai de répondre. Le but de ce petit travail est de
rechercher , premièrement si la légende d'Hercule peut offrir une
explication de cette curieuse statue; en second lieu, si la représenta-
tion d'un héros ou d'un dieu captif était compatible avec les idées
religieuses des anciens.
(1) Une échincrure au socle, assez profonde, derrière les pieds, indique à mon
avis le point oii la stèle s'y joignait. C'est une nouvelle présomption pour l'origine
des pieds.
STATUE D'HÉKCULE. 795
Je rapporterai d'abord tous les passages des auteurs qui me sont
connus, et dans lesquels je trouve une allusion quelconque aux
chaînes ou à la captivité d'Hercule.
1° Léprée, petit-fils de Neptune, conseilla, suivant Élien, à
Augias de jeter Hercule dans les fers, de le lier, prétendant qu'il
avait usé de supercherie pour nettoyer les fameuses étables. 2uvêêou-
Xeuss Toi Auysa ÔYjdctc tov cHpaxX?i. Var. Hist. I, 24. Mais rien n'in-
dique que le conseil fut suivi par Augias, et le récit assez détaillé
de Pausanias, lib. V, cap. 1 et 3, semble prouver le contraire.
Quelle apparence d'ailleurs que ce mythe fût assez populaire en
Espagne , pour y être commenté et pour y donner un sujet à la
statuaire?
2° Hercule fut vendu à Omphale, et conduit captif à cette reine
par Mercure. Mais ce mythe a des caractères très-précis, qu'il est
impossible de retrouver dans la statue de Dénia. On sait d'abord
que l'esclavage d'Hercule fut volontaire. Il s'y soumit d'après un
oracle pour guérir d'une maladie , punition du meurtre d'Iphitus ou
de l'enlèvement du trépied de Delphes. Puis, je ne vois nulle part
que la reine Omphale l'ait fait attacher à une colonne. Elle le traita
mieux. Ajoutons encore que deux monuments très-curieux, publiés
par mon savant ami, M. de Witte, s'accordent pour représenter le
captif d'Omphale revêtu d'habits de femme. (Voir Catalogue Du-
rand, nos 316, 317.) Dans ce mythe, d'origine évidemment asiatique,
le héros grec paraît assimilé au Sandon de Lydie. (Voir Lyd. de
Mag. 3, 44; Lucien, Dialogi Deor. 13 , 2). Ici encore, nul rap-
port avec notre Hercule de Dénia.
3° Hercule traversant les États de Busiris , roi d'Ethiopie , fut
arrêté et conduit à l'autel pour y être sacrifié, suivant la coutume de
ce roi inhospitalier. Mais ayant rompu ses liens, dit Apollodore, t& SI
oscuA Stap^aç, Ap. , II, 5, 11 , il tua Busiris. Mieux que les pré-
cédents, ce dernier trait peut convenir à notre statue. Restent
cependant bien des difficultés. Comparons d'abord l'Hercule de
Dénia avec le captif de Busiris, représenté sur un vase grec, que
M. de Witte a décrit, dans son excellent Catalogue de la Collection
Durand, n° 306. Dans cette peinture, Hercule, la tête baissée,
marche au supplice conduit par un esclave éthiopien , qui tient
l'extrémité des courroies attachées aux pieds et aux mains du
héros. — On peut supposer , qu'arrivé au lieu du sacrifice , il
aurait été; lié à une colonne, auprès de l'autel, pour y être égorgé.
—Toutefois, j'ai plusieurs objections contre cette hypothèse. D'abord
706 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
je ne sais trop comment expliquer une colonne ou une stèle auprès
d'un autel où l'on égorge des victimes, car le sacrifice avait lieu ,
en général , en dehors des temples. Admettons , au lieu d'une
colonne un pieu planté exprès pour l'exécution. J'hésiterai encore
à voir une victime prête pour le sacrifice dans cet Hercule lié à
un pieu. En effet, la victime , au moment où on allait la frapper,
ne devait-elle pas être libre? Je crois que dans les idées religieuses
du paganisme , le sacrifice était censé volontaire , et pour qu'il fût
agréable aux dieux , il fallait que la victime fît un signe de con-
sentement, obtenu par surprise. De là l'usage des libations répandues
sur la tête des animaux conduits à l'autel. C'est du moins ce qu'on
pourrait conclure de ce passage de Plutarque : "A^çi 81 vuv xapacpu-
Aocttoiku 'uTyjjpwç xo pr\ ffcparrEtv rcpiv sTUveuaa'. xaxacr7i£vôo(jt.£vov . SympOS.,
Iib. VIII, quœst. 8.
J'avoue qu'un vase grec de la collection d'Hamilton autorise-
rait à croire que cette cérémonie n'était pas de rigueur , et qu'on
ne laissait pas aux victimes les moyens de protester. En effet ,
on voit Oreste (t. II, pi. 4) les mains liées derrière le dos , assis
sur l'autel où il va être immolé. D'ailleurs , la mauvaise réputation
de Busiris permettrait de le supposer affranchi de pareils scrupules.
En résumé, s'il faut expliquer historiquement notre statue, je
veux dire, si c'est un trait de la légende que l'artiste a voulu repré-
senter, l'aventure de Busiris me paraît fournir, après tout, l'inter-
prétation la plus plausible, ou plutôt la moins improbable. Nous
sommes réduits malheureusement à des données fort insuffisantes pour
une explication complète, puisque nous n'avons qu'une statue
mutilée , et que nous ignorons absolument si cette statue était
isolée ou si elle faisait partie d'un groupe; si elle se rattachait à une
suite d'autres compositions relatives à l'histoire d'Hercule , enfin si
elle était placée dans un temple, dans un musée, ou dans une maison.
A supposer toujours que la statue de Dénia se rapporte à un
fait historique ou légendaire , il peut paraître singulier qu'un artiste
ait choisi pour sujet le moment où son héros joue un si triste rôle.
N'eût-il pas mieux valu, en effet, le représenter tuant Busiris,
qu'enchaîné par ce roi cruel? A cela, je ne puis répondre que
par les vers d'Horace : Pictoribus atque poetis , etc. J'ajouterai
que le vase décrit par M. de Witte , offre un exemple d'un
sujet pareil; enfin, je rappellerai l'Hercule de Tégée , dont la
statue, au rapport de Pausanias , montrait la blessure à la cuisse
que le héros reçut en combattant les fils d'Hippocoon , lib. VIII ,
STATUE D'HERCULE. 797
53, 9. Seulement, dans ce dernier exemple, on s'explique cette
statue à Tégée, car Hercule avait été blessé dans une expédition en-
treprise de concert avec les guerriers Tégéates (Apollodore, I, 7, 3),
tandis que je ne trouve aucune raison qui rende l'aventure de Busiris
particulièrement intéressante pour les habitants d'Artemisium (1).
4° J'ignore jusqu'à quel point dans sa tragédie d'Hercule furieux,
Euripide s'est inspiré des légendes antiques, et quelle est, dans cette
pièce, la part d'invention qui appartient au seul poëte. J'y trouve,
d'ailleurs, une scène qu'il nous importe d étudier avec soin. Hercule,
de retour à Thèbes, après avoir achevé ses travaux, tue Lycus qui
allait faire mourir la femme et les enfants du héros. Au moment
où il se prépare à se purifier de ce meurtre, Iris, par l'ordre de Junon,
conduit dans son palais la Fureur, Au<x<ra. Aussitôt Hercule donne des
signes de folie; il monte sur un char sans chevaux , et agite son
fouet dans l'air, croyant courir vers Mycènes, où il veut égorger
Eurysthée. Bientôt , à la vue de ses propres enfants, il se persuade
qu'il est devant les fils de son ennemi ; il les tue ainsi que Mégart; ,
leur mère. Il va môme massacrer Amphitryon , lorsque Minerve ,
en lui jetant une pierre, le plonge dans un sommeil léthargique. En
tombant , il heurte de son dos le tronçon d'une colonne qu'il avait
renversée lui-même comme Samson.
.... IIÎ7rTSi S' sç 7réô\>v , rcô; xîova
vwtov 7:aTâÇa;, oç 7rsenfyza<7i arsyijç
lît^oppayyjç sxsito xpïj7rt^wv sizi. (Herc. fur. 1006. )
Amphitryon , et quelques Thébains , profitent de son sommeil
pour l'enchaîner à la colonne brisée.
H/xeïç....
2ùv t£> yipo-JTt Szvpà «xstpatwv ^pô^coit
àvwrcopsv npoç xtova. — (lOlO.y
En me rappelant ces vers, je crus d'abord avoir trouvé la meil-
leure explication; mais la position de l'Hercule de Dénia peut-elle
convenir à cette scène? Le sculpteur a représenté son héros debout,
cela me semble hors de doute; et, suivant le poëte , les Thébains
le chargent de liens, tandis qu'il est couché, étendu sur le sol k re&v,
étourdi par le coup que Pallas vient de lui porter. Plusieurs
(1) M. de Witte cite une statuette en bronze inédite du musée de Florence, qui
représente Hercule blessé. Voy. Nouvelles Annales archéol., t. II, p. 331, note 4.
798 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
passages décrivent d'ailleurs fort exactement l'attitude d'Hercule
sur la scène tragique. « Voyez ces enfants devant leur père qui
dort d'un sommeil étrange, le corps tout entouré de liens attachés
aux colonnes du palais. »
iSeaQe Se réxvcc izpb izccTpàç
eO^OVTOÇ U7TVOV SziVOV VATToSàit) (fÔVOV
îTspt Sï Sevpà -/.où nol\)%po% à^aTwv
èpeiapccQ' Ûpâxkeiov
âpyt Séuaç zôSz )>aivotç
àvîjfx^sv' àpfi v.Locri'j oî'xwv. — (1032.)
Plus loin, Hercule, à son réveil, s'écrie : « Pourquoi suis-je amarré
comme un navire? Pourquoi ces liens sur mes bras et ma poitrine?
Comment suis-je couché auprès de cette colonne brisée, entouré de
cadavres? »
iSoù ti Se<T[ioïç vavç ottwç wppiffjxévoç
vsavtav ôwpaxa xaî |3pa^(ova
Tcpbç icpiôpaiiorw ).atvw TVY.ivpa.Ti
7]y.a.L vsxpoïcrt «yeirovaç ôàxovç s^wv ; — (1094.)
On le voit, la mise en scène est parfaitement indiquée, et un
artiste qui aurait voulu prendre pour sujet Y Hercule d'Euripide ,
ne pouvait le représenter autrement que couché. Cependant, si l'on
admet , ce qui est probable , que le poëte a suivi en la modifiant ,
une légende antique moins précise que sa description , on pourrait
supposer, à la rigueur, que le sculpteur, ayant connaissance de
cette légende , a voulu représenter le héros , alors qu'attaché au
tronçon de la colonne , et retrouvant sa raison , il déplore sa fureur
et exhale ses plaintes, entouré de ses victimes innocentes.
Je passe à l'examen de la seconde question que je me suis pro-
posée. C'est à savoir, si, indépendamment de toute légende, et seu-
lement par une forme de la symbolique païenne, on a pu représenter
Hercule enchaîné. La raison, si c'est ici le cas de l'invoquer, et la
plupart des monuments de l'antiquité semblent d'accord pour que
les dieux soient représentés plutôt dans leur glorification que dans
leur abaissement. Cependant des exemples du contraire ne nous
manqueraient pas, et la mythologie païenne offre tant de dieux vain-
cus, captifs, enchaînés, que dans la conformité singulière de ces
STATUE D'HEKCULE. 799
phases d'humiliation où tombe chaque dieu du paganisme, on est
tenté de voir comme une formule mystérieuse, une espèce de loi des
religions antiques. Rappellerai-je Jupiter enfermé dans une caverne
par Typhon qui lui a coupé les nerfs?— Junon suspendue entre le ciel
et la terre par une chaîne d'or?— Bacchus enchaîné par les géants
Ascus etLycurgue?— Mais emprisonné treize mois parles Aloades?
Je pourrais multiplier les citations à l'infini. Le rapprochement de
ces différents mythes, leur origine et leur interprétation forment une
des questions les plus intéressantes qu'offre l'étude de la mythologie.
Elle dépasserait les bornes de cet article, et serait en outre fort au-
dessus de mes forces. Je ne puis que renvoyer les lecteurs aux excel-
lents travaux de M. Guigniaut, sur les religions de l'antiquité, surtout
au Mémoire si remarquable de M. Lenormant, sur le culte deCybèle.
Je ne doute pas que la suite de ce travail, promise depuis longtemps,
ne jette une vive lumière sur toute cette classe de mythes à laquelle
je fais allusion. Ma tâche est plus simple, et je m'occuperai seule-
ment à réunir quelques exemples pour prouver que des statues de
dieux ou de héros enchaînés n'étaient point inconnues dans l'anti-
quité. A l'incohérence des explications qu'en donnent les auteurs, on
reconnaîtra sans doute qu'il ne faut point chercher dans ces repré-
sentations , soit des traits empruntés à des légendes, soit des allé-
gories poétiques. Restera donc une forme symbolique et particulière
aux religions naturelles.
1° On lit dans Quinte Curce, qu'un habitant de Tyr, pendant le
siège de la ville par Alexandre , vit en songe Apollon , une des
divinités topiques des Tyriens, sortant des remparts comme s'il
retirait sa protection à une cité condamnée par les dieux. Sur le
rapport du songeur , on lia la statue avec des chaînes d'or qu'on
attacha à l'autel d'Hercule, comme pour charger ce dieu de retenir
Apollon. Quasi Mo deo Apollinem retenluri, Q.-Curt. IV, 3. Il est
vrai que la superstition ne recule devant aucune absurdité, mais on
peut se demander si l'histoire rapportée par Quinte Curce n'est pas
une invention moderne, trouvée tout exprès pour rendre compte du
mystère de ces chaînes dont nous allons trouver d'autres exemples
tout aussi bizarrement expliqués.
2° Pausanias , à l'occasion du culte que les Orchoméniens ren-
daient à Actéon , raconte, avec sa brièveté désespérante, que le ter-
ritoire d'Qrchomène fut autrefois ravagé par un spectre en posses-
sion d'un rocher. Je traduis littéralement un texte assez obscur.
IIecI Se 'Àxtou'ortoç Xsyoasva :^v 'Opyojxevfoiç XufjiaiveàOat t^v y^v iwrpav
800 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
£/ov st&oXov. Siebélis paraît croire que ce spectre était un revenant
quelconque, une espèce de loup-garou (V. Pausanias, t. IV, p. 129,
ad not. ). La suite du récit me donne lieu de penser , avec
0. Mùller, qu'il s'agit du spectre d'Actéon lui-même. — On consulta
l'oracle de Delphes qui prescrivit aux Orchoméniens de chercher les
restes d'Actéon et de les couvrir de terre , puis de faire une statue de
bronze semblable au spectre, laquelle serait attachée avec du fer à
SOn rocher. KsAEuet xai tou sîocoXov yjxkxrp 7:oty)(Ta|i.£vouç Etxova -zpoç t9j
7T£Tpa «Tior'pw 87j<yat. « J'ai vu moi-même la statue, » ajoute Pausanias,
(lib. IX, 38, 5), oubliant de nous dire si le spectre posa pour le
sculpteur. Ici, l'absurdité de la légende ne laisse aucun doute que
l'explication des fers de la statue ne soit très-postérieure à son érec-
tion. 0. Miïller n'hésite point à reconnaître dans cette figure en-
chaînée à un rocher, une espèce de talisman de la Fécondité attaché
à la terre. (Orchomenos, p. 342,' éd. de Breslau , 1844.) C'est ainsi
qu'on explique!, ce me semble, ces phallus gigantesques trouvés !en
plusieurs parties de l'Italie. Mais je ne prétends pas discuter le sens
du symbole ; je passe à un nouvel exemple, et c'est encore Pausanias
qui me le fournira.
3° A Sparte, dit-il, on voit une vieille statue de Mars ayant
des chaînes. Il££a<; èWtv syiov "EvuaXioç, ayocXua àp/aïov, III, 15,5. Les
Lacédémoniens , poursuit Pausanias, ont représenté Mars enchaîné ,
par un motif semblable à celui qui a fait élever dans l'Acropole
d'Athènes un temple à la Victoire sans ailes. Us ont cru que le dieu
enchaîné de la sorte ne s'enfuirait jamais d'eux. Prise du côté poé-
tique , l'allégorie me semble détestable. Tout belliqueux qu'ils
fussent , les Spartiates n'aimaient pas à avoir la guerre chez eux ;
ils voulaient la faire loin de leurs frontières, et longtemps, en
effet, ils se vantèrent que jamais leurs femmes n'avaient vu la fumée
d'un camp.
4° Ce n'était pas seulement Mars qu'on enchaînait à Sparte. Il y
avait encore une statue de Vénus voilée, avec des fers aux pieds,
fabriquée, dit-on, par Tyndarée. Kàô^xai oè xaXu7rrpav t£ èyouca, xal
TrÉSaç Tcepi toT; Tcoai. On appelait cette Vénus Morphô. L'image était de
cèdre, comme presque toutes les vieilles statues. Pausanias rapporte
l'explication populaire, et celle des honnêtes gens. Suivant la pre-
mière, Tyndarée avait voulu punir Vénus d'avoir si mal inspiré ses
filles , ces grandes héroïnes de l'adultère. Mais Pausanias rejette bien
loin cette tradition vulgaire. Ces fers lui paraissent un symbole de
l'attachement que les femmes doivent avoir pour leurs maris. «Quelle
STATUE D'HERCULE. 801
apparence, dit-il, que Tyndarée ait pu croire qu'il se vengeait de la
déesse en faisant une statue de cèdre et en appelant cette image
VénUS ? » ~H yàp $Jj 7ravxà:ra<7tv efojôsç xÉSpou Troi7)<rausvov Çctàiov xoù c(vo(xa
AcppoâiTY.v Ô£U£vov IXttiÇeiv àjxuWôat tt;v Gsov. Paus. III, 15, 8. A mon
avis les deux explications se valent. La seconde même me paraît un
peu trop subtile pour les Lacédémoniens , peuple fort superstitieux,
mais dont l'esprit était loin d'avoir un tour si poétique. Au contraire
la vengeance de Tyndarée, à laquelle d'ailleurs je ne crois point,
pourrait être justifiée par des exemples modernes. Me permettra-t-on
de rapporter ici un trait de superstition dont j'ai été témoin il y a
quelques années? C'était dans une petite ville d'Andalousie; on
avait perdu un objet précieux, et l'on avait fait une prière à saint
François qui passe parmi le peuple pour faire retrouver les choses
perdues. Après bien des recherches inutiles, l'image du saint (il y
en a une dans toutes les maisons) , fut admoneslée et les recherches
continuèrent sans plus de succès. Il fallut en venir à des mesures
de rigueur. On mit une corde au cou du saint et on le descendit
dans un puits, en l'avertissant qu'il y resterait jusqu'à ce qu'il eût
rendu l'objet qui avait disparu. Moins d'une heure après l'exécution,
on le retrouva, c'est l'objet perdu que je dis, dans un tiroir où l'on
ne s'était pas encore avisé de fouiller. Aussitôt, on retira le saint
du puits , on le remit honorablement dans sa niche , et l'on alluma
devant une petite bougie en signe de remercîment.
5° Au reste Pausanias à force de donner des interprétations finit
par s'épuiser. A Phigalie il trouve une déesse enchaînée dont il ne sait
que dire. Il est vrai qu'il ne l'a point vue lui-même, car son temple
ne s'ouvrait qu'une fois par an et il n'a pu que répéter la description
que lui ont fournie les Phigaliens. Dans l'opinion du peuple cette
déesse nommée Eurynome était identifiée avec Diane, mais selon les
doctes et les antiquaires ( ôW 81 ocÙtwv 7rap£iXr]cpo«7iv facopin^uotTa apyaîa ) ,
Eurynome était fille d'Océan ; Homère, ajoutaient-ils, la désigne dans
Y Iliade comme la compagne de Thétis. L'une et l'autre avaient re-
cueilli Vulcain lorsque Jupiter le précipita des cieux. Quant à
l'image de cette divinité mystérieuse, elle était liée de chaînes do-
rées; son corps jusqu'aux hanches était celui d'une femme, et les
membres inférieurs finissaient en queue de poisson : T&v ^tyaXstov
os yjxoucra wç ^puaatç t£ to Ijo'avov cuvoÉoudiv àXuffStç xat eixàv yuvatxoç xa
à'/pt TWV yXoUTWV , TO OLTZO TOUTOU ôs IffTtV t/OuÇ. PaUS. VIII, 4l, 3.
Pausanias remarque fort bien que cette queue de poisson ne con-
vient guère à Diane et qu'elle doit plutôt appartenir à quelque divi-
802 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
ni té marine. Des chaînes il ne dit pas un mot et l'on peut supposer
que les Phigaliens en avaient perdu la tradition.
6° A Rome , la statue de Saturne avait , pendant une partie de
l'année , des cordes de laine en manière d'entraves aux pieds. Ma-
crobe, qui relate ce l'ait curieux , en donne une explication évidem-
ment trop restreinte. Après avoir rapporté que la statue était déliée
au mois de décembre , au moment des Saturnales : « Les semences ,
dit-il, animées dans le sein de la terre , et retenues jusqu'alors par
les doux liens de la nature , s'échappent à la lumière au dixième
mois. » Decimo mense semen in utero animatum in vitam grandescere ;
quod donec erumpal in lucem mollibus naturœ vincalis dednetur.
(Sat. I, 8.) Verrius Flaccus, tout antiquaire qu'il fût, avouait qu'il
ne comprenait rien à ces liens de laine (Macrob. loc. cit). Quant à
Macrobe , plus hardi, on peut lui demander comment il se faisait
que les liens se détachassent précisément dans la saison de l'année
où les semences sont le plus étroitement renfermées dans la terre.
Mais mon but n'est pas de discuter les interprétations des anciens ,
et je me borne à constater leurs usages. — Il paraît que les Romains
donnaient des liens à bien d'autres divinités encore , car Macrobe
cite ce proverbe vulgaire, même de son temps , comme il semble :
Deos laneos pedes habere. Ibid. Le même dicton se retrouve dans
la bouche d'un des personnages introduits par Pétrone dans le festin
de Trimalchion , et le sens en est fixé : « Autrefois, dit Ganymèdes ,
quand il y avait une sécheresse, on priait les dieux ; les femmes
faisaient de belles processions pieds nus. Aussitôt il pleuvait à
seaux. Maintenant on estime les dieux autant que les rats,
aussi ont-ils des pieds entravés de laine, parce qu'on n'a plus de
religion; et nos champs sont perdus.» Nunc dii tanquam mures!,..
Itaque dii pedes lanatos habent , quia nos religiosi non sumus ; agri
jacent. Porphyrion , à l'occasion des vers d'Horace :
Raro antecedentem Sceleslum
Deseruit pede Pœna claudo. {Carm. III , od. 2.)
cite encore le même proverbe, et en rapprochant tous ces passages,
on en pourrait conclure, qu'à une époque ancienne, les dieux qui
président à la fécondité, et les dieux vengeurs des parjures,- tout
au moins, étaient représentés avec des entraves.
Malgré le mollïbus vinculis de Macrobe, je ne pense pas qu'il faille
donner beaucoup d'importance à la matière dont ces entraves étaient
fabriquées. La laine était d'un usage général chez les Romains, et
STATUE 1) HEKCLJLE. 803
s'ils la prêteraient pour attacher leurs dieux, c'est qu'ils regardaient
probablement des cordes de laine comme plus élégantes que des
cordes de chanvre ou d'écorce.
Voilà, décompte fait, six exemples de statues de dieux ou de
héros enchaînées. L'Apollon de Tyr peut avoir été lié à l'occasion
d'une superstition postérieure à l'établissement de son culte. Je con-
céderai, si l'on veut, qu'il en était de même pour le Saturne de
Rome; quant aux autres statues, elles semblent avoir toutes été
faites pour être liées, et la Morphô de Sparte surtout, d'après le texte
de Pausanias, paraît avoir eu des entraves figurées en bois de cèdre,
comme sa statue. Qu'on me pardonne d'insister sur ce point; les
chaînes de l'Hercule de Dénia, sont de marbre comme sa statue, et
je cherche à établir que c'était l'idée d'enchaînement, de lien qui
importait chez les anciens dans de telles représentations , non la
matière même des liens.
On n'en peut douter pour la Diane d'Éphèse dont on voit les
images dans un grand nombre de musées et sur les médailles de
beaucoup de villes. La déesse est invariablement figurée avec des
bandelettes qui la lient très-étroitement par la partie inférieure du
corps. Elle porte un voile comme la Vénus-Morphô de Lacédémone.
Remarquons , en passant , qu'outre les bandelettes qui la serrent
comme une momie, la Diane d'Éphèse, sur beaucoup de médailles,
porte aux mains des chaînes. Du moins , c'est ainsi que MM. Le-
normant et de Witte ont interprété les traits saillants qui partent
de ses mains et se dirigent vers ses pieds ou vers la terre. Je sais
qu'on a expliqué ces traits d'une autre manière, et que quelques
antiquaires les prennent pour des broches ou des tiges métalliques
destinées à soutenir les membres d'une statue qui, en raison de leur
saillie extraordinaire, avaient besoin d'un appui. Mais il me semble
tout à fait contraire au génie de l'art antique , d'exprimer dans la
représentation d'une statue , un objet inutile pour la caractériser.
Les artistes grecs suppriment les détails sans intérêt au sujet qu'ils
traitent; or, les tiges en question n'ayant d'importance que pour
la solidité de la statue, comment supposer qu'on leur eût donné une
place dans une gravure de quelques millimètres? Lorsque l'on voit
sur des médailles, et même sur de grands bas-reliefs des archers
bandant un arc sans corde, des chars traînés par des chevaux sans
harnais, on peut croire que les anciens ne se piquaient guère de
reproduire scrupuleusement la réalité dans leurs monuments figurés.
On sait que le culte de la Diane éphésienne avait été apporté en
804 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
Espagne par les Massai iotes. Artémisium était sous sa protection parti-
culière; elle avaitdonné son nom à la ville, et suivant Strabon (lib. III,
p. 215), elle y avait un temple révéré. De l'existence de ce culte tout
asiatique sur la côte de Dénia, on peut inférer que le symbole ou l'allé-
gorie religieuse des liens était connue dans le pays, et même qu'elle
pouvait être appliquée à d'autres divinités. Je sais qu'il est im-
possible de conclure logiquement que, parce que Diane était garrottée
de bandelettes, Hercule devait avoir des chaînes à son tour. Cepen-
dant on a vu tout à l'heure des divinités fort différentes en apparence
par leurs attributions, Apollon, Actéon, Mars, Vénus, Eurynome,
Saturne , Diane , représentées dans une même situation ; on a pu
remarquer que les explications proposées sont évidemment posté-
rieures à la fabrication des statues , et qu'elles portent toutes l'indice
d'un système d'interprétation moderne. N'est-ce pas une forte pré-
somption pour croire à l'existence d'un symbole que j'appellerai
divin, compatible avec les idées religieuses du paganisme?
Je me hâte de répondre à une objection qui se présente naturellement.
Les statues citées par Pausanias étaient très-anciennes, si anciennes
que de son temps, la tradition concernant les liens qui les distin-
guaient, s'était altérée ou perdue. Or, l'Hercule de Dénia ne re-
monte qu'à l'époque des empereurs. Pourquoi aurait- on imité alors
des représentations archaïques dont on avait oublié la signification
depuis longtemps? On peut répondre que la Diane éphésienne a été
souvent reproduite dans sa forme archaïque. Il en existe une statue
dans le musée de Naples, par exemple, postérieure peut-être aux
Antonins. Rien d'extraordinaire qu'un type consacré soit retracé à
différentes époques. Les statues de Mithra Léontocéphale datent,
pour la plupart, du Bas-Empire, et il ne serait peut-être pas difficile
d'établir un rapport entre le serpent qui les entoure de ses replis et
les chaînes des statues archaïques (1).
En résumé , ce n'est point une explication de la statue de Dénia
que j'ai prétendu donner. Dans l'état où ce fragment nous est par-
venu, on ne peut que former des conjectures nécessairement fort
incertaines. J'ai voulu montrer que ces conjectures pouvaient être
cherchées, soit dans la légende d'Hercule, soit dans les formes de la
symbolique des anciens. De quelque côté que soit la vérité, la statue
de Dénia me paraît mériter l'intérêt des archéologues , et je serais
heureux, si ce petit travail pouvait engager de plus habiles que moi, à
des recherches plus complètes et plus fructueuses. P. Mérimée.
(i) V. Mémoire sur le bas-relief Milhriaque de Vienne, par M. F. Lajard.
DESCRIPTION DE L'ÉGLISE DE S- NICOLAS
( MEURTHE. )
Lorsqu'on pénètre dans une de ces basiliques , bâties par la foi et
la piété de nos pères , on ne peut se défendre d'un certain sentiment
d'admiration. L'homme le plus ignorant ne peut maîtriser une
certaine émotion , il ne comprend pas peut-être les beautés de ces
édifices ; mais la nature qui parle en lui, lui dit que c'est là vraiment
une demeure digne de Dieu sur la terre.
Le sol français est riche en monuments du moyen âge, mais peu
sont connus; les grandes cathédrales, et quelques églises élevées
dans les grandes villes sont étudiées , mais un grand nombre d'édi-
fices religieux non moins dignes d'admiration demeurent inconnus;
car la piété de nos pères ne s'est pas arrêtée aux grandes cités.
Existait-il un célèbre pèlerinage ? aussitôt une église était bâtie
dans ce lieu ; témoin , Notre-Dame de l'Épine , près de Châlons-
sur- Marne ; aussi c'est jusque dans les bourgs et les villages que l'on
trouve quelquefois de magnifiques monuments du moyen âge. J'en
donnerai un exemple : Une église peu connue existe en Lorraine ;
cette église qui a les proportions d'une cathédrale, est digne à bien
des titres de l'attention des connaisseurs ; c'est pourquoi je vais es-
sayer d'en donner une courte description, afin de pouvoir la tirer de
l'obscurité dans laquelle elle demeure.
La petite ville de Saint-Nicolas , aujourd'hui chef-lieu de canton
du département de la Meurthe , est agréablement située sur le bord
de cette rivière, au débouché d'une magnifique vallée, au milieu de
laquelle, mais à deux lieues plus loin, est bâtie Nancy. Notre but
n'est pas d'entreprendre l'histoire de la ville ; mais nous voulons
seulement raconter tous les événements qui ont rapport a sa magni-
fique basilique. En 1087, un gentilhomme lorrain avait apporté de
Bari l'os d'un article de la main de Saint-Nicolas, évêque de Myre ,
relique qui fut donnée à l'église de la sainte Vierge , modestement
bâtie dans un petit village qui fut le noyau de Saint-Nicolas.
A la nouvelle de l'arrivée de la relique, le concours des pèlerins
fut immense ; beaucoup, séduits par la beauté du site et par la facilité
m. 52
806 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
d'y faire le commerce , à cause des foires qui commençaient à s'y
tenir, se fixèrent près de l'église, qui, devenue trop petite, fut
remplacée par une autre plus grande, sous l'invocation de saint
Nicolas.
Ce fut Eudes de Vaudemont, évêque-comte de Toul , qui fit la dédi-
cace de la nouvelle église, en 1193. Les miracles opérés par l'inter-
cession de saint Nicolas furent très-nombreux , si l'on en croit la
tradition. Des chaînes suspendues par les croisés y demeurèrent long-
temps comme un témoignage sensible de la bienveillante protection du
patron des matelots. Enfin le concours des pèlerins étant devenu de
plus en plus considérable, l'église fut trop petite pour les contenir.
Simon Moyset , prieur du lieu, que d'autres nomment curé, résolut
de bâtir une église en rapport avec le grand nombre des pèlerins ,
et qui soit digne du grand saint dont on avait reçu tant de témoi-
gnages de protection. Il jeta les fondements de la magnifique basi-
lique que nous admirons aujourd'hui.
Elle fut commencée en 1494, et les travaux se continuèrent
jusqu'en 1530, époque à laquelle elle fut complètement terminée,
d'où l'on voit que la construction de cetle église fut poussée avec
activité. Simon Moyset fut aidé dans cette grande entreprise par les
ducs de Lorraine René II et Antoine, et plusieurs personnes puis-
santes. René, dit la chronique, avait fait paver le chemin de Saint-
Nicolas à la carrière de Viterne pour faciliter le transport des pier-
res. Cette église fut ensuite enrichie de magnifiques présents faits
ou par les ducs de Lorraine , ou par les rois de France , ou même
par plusieurs princes étrangers qui avaient une dévotion toute par-
ticulière à saint Nicolas. L'église se montra dans toute sa splendeur
jusqu'au règne de Charles VI, duc de Lorraine. Ce fut alors qu'une
invasion de Français, d'Allemands et de Suédois envahit cette pro-
vince; mais ce furent surtout les Suédois qui firent le plus de ravages,
pillèrent l'église profanée en mille manières , et l'incendièrent en
décembre 1635. Elle ne put jamais réparer ses pertes. La révolution
n'augmenta pas de beaucoup les mutilations déjà si nombreuses ;
elle se présente à nous encore pleine de beautés mais dépouillée de
tous les ornements et de toutes les statues qui donnaient tant de vie
à son magnifique portail.
Tout ce que le XVe siècle a de plus noble, tout ce qu'il a de plus
grandiose a été employé pour la construction de cette église. Il ne
faut pas y chercher d'autre style; bâtie en moins de quarante années,
elle n'a pas subit l'inlluence des changements qu'apporte dans
DESCRIPTION DE L'ÉGLISE DE SAINT-NICOLAS. 807
l'architecture le long cours des années. Ce n'est point cependant une
profusion d'ornements comme on en voit dans bien des églises de ce
siècle; mais l'architecture, quoique pleine de grâce et de beauté, a
quelque chose de sévère qui plaît à l'œil.
Le plan de l'église de Saint-Nicolas est celui de la basilique an-
808 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
cienne à croix latine, avec un transsept, qui est remarqué seulement
par lelévation des voûtes. Une grande nef occupe le milieu de l'édi-
fice, deux petites nefs l'accompagnent, lesquelles sont aussi accom-
pagnées de chapelles, comme on le peut voir dans le plan ci-dessus.
Les petites nefs ne tournent pas autour du chœur comme dans
beaucoup d'églises du moyen âge , mais s'arrêtent à la naissance de
l'abside , ou sont elles-mêmes terminées par de petites absides sem-
blables à la grande. Cette modification du plan , peut-être moins
pittoresque que lorsqu'il existe des nefs déambulatoires accompagnées
de chapelles, se fait sentir dans presque toutes les églises de Lor-
raine.
Mais une chose très-remarquable dans l'église de Saint-Nicolas I
c'est que la nef dévie à la naissance du transsept et se dirige vers le
sud-ouest, de sorte que le collatéral de gauche est un peu plus long
que celui de droite. Cette déviation s'explique par trois raisons. Li
première, tout à fait symbolique, est assez probable. Le Christ, et
mourant, avait la tète penchée sur la croix. L'église matérielle est h
figure du Christ , le chœur en est la tête , le transsept les bras , et h
nef, la poitrine et les jambes; l'on aura voulu figurer par cette dé-
viation la tête du Christ penchée sur la croix. L'autre moins pro-
bable, c'est qu'on aura été gêné par quelques propriétés voisines, ei
obligé de se renfermer dans le seul terrain que l'on possédait; enur
la troisième raison que l'on peut adopter est que cette déviation de-
mandant beaucoup de calcul , l'architecte aurait voulu par là faire
briller son habileté.
La longueur de l'église, depuis le fond du chœur jusqu'à la porU
d'entrée, est de 84 mètres, sa largeur est de 37 ; l'on voit parce;
dimensions qu'elle peut le disputer à bien des cathédrales de France
La voûte, magnifiquement traitée dans le style du XVe siècle, esi
divisée par des arceaux qui forment la croix, tel qu'on peut le voii
dans le plan ci -joint. Dix-huit colonnes rondes supportent cette
voûte, qui s'élève à 31 mètres au-dessus du sol; et qui produil
un majestueux effet ; aussi l'on ne peut entrer dans cette magni-
fique basilique sans éprouver un sentiment d'admiration -, l'œil con-
temple de suite ces arcs si artistement rangés, s'aflaissant sur le;
colonnes comme les arbres d'une avenue qui à une certaine hauteui
marient leurs branches, et forme une espèce de berceau ; tel es
l'effet produit par les colonnes et les arceaux de l'église.
Les colonnes sont traitées dans le style du XVe siècle ; elles son
rondes, sans chapiteaux; à la naissance des arcs qui forment la voût<
DESCRIPTION DE L'ÉGLTSE DE SAINT-NICOLAS. 809
tes petites nefs, une guirlande de feuilles surmontée de trilobés
es entoure. Ce qui fait surtout l'admiration des connaisseurs,
je sont deux colonnes qui soutiennent le transsept. Quoique de la
argeurde la nef, ce transsept est divisé par ces deux colonnes,
pi s'élèvent depuis le sol de l'église jusqu'à la naissance des maî-
resses voûtes , à la hauteur de 28 mètres : l'une, celle de gauche,
îst ornée à la moitié d'arcs trilobés et de festons; l'autre, celle de
Iroite, unie jusqu'à la moitié, est ornée également de' festons,
t ensuite elle devient torse jusqu'à la retombée des voûtes dont elle
3utient tout le poids.
Les fenêtres qui éclairent l'église sont aussi traitées avec beaucoup
e goût et avec beaucoup d'art ; production du XVe siècle, elles sont
)utes flamboyantes, mais elles se ressentent encore de la prospérité
e l'art ogival : on voit dans un siècle où ce système d'architecture
tait déjà sur sa décadence , qu'il avait conservé en Lorraine toute
i gravité et qu'il la conserva encore dans toute la durée du siècle
aivant. La partie qui existe entre le sommet des arcs des petites nefs
t le pied des fenêtres, partie occupée dans les autres églises par le
iphorium , est ici remplacée par un mur plein orné d'arcs trilobés ;
n peut se faire une idée de cette ornementation par le dessin que
ous donnons page 811.
La rose du portail étale ses magnifiques pétales avec grâce et
armonie. Elle est aussi traitée dans le style flamboyant. Mais c'est
^rtout dans les fenêtres du transsept que l'art a déployé toute sa
îagnificence. Le chœur est orné de cinq grandes fenêtres assez
810
REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
étroites qui, quoique du XVe siècle, nous rappellent le style si
sévère et si grave du XIIIe.
Fenêtres du transsept.
DESCRIPTION DE L'ÉGLISE DE SAINT-NICOLAS- 811
Les chapelles qui accompagnent les nefs sont aussi très-remar-
quables ; cependant on s'aperçoit que c'est la dernière partie de
l'édifice qui ait été achevée ; on voit apparaître déjà les arcs Tudor ;
mais elles sont traitées avec élégance ; élevées entre les contre-forts
de l'édifice , elles sont moins hautes que les petites nefs , deux fe-
nêtres les éclairent, et un pilier, ou un simple pendentif les séparent
en deux parties égales.
Que dirai-je de l'ornementation de toutes ces chapelles ? Souve-
nons-nous que l'église dont nous donnons la description est bâtie
dans un bourg , cela suffira pour nous donner une idée de ce que
peut être cette ornementation. Quelques chapelles ont été revêtues
d'une espèce de plâtre, recouvert de marbrures plus ou moins
exactes ; on a jugé à propos dans une chapelle de boucher les belles
fenêtres flamboyantes pour les remplacer par de petits ceils-de-bçeuf
812 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
entre lesquels est placé un autel d'ordre grec. Les autres sont ornées
de misérables autels , qui forment un contraste peu agréable avec la
beauté architecturale de l'édifice. Pour moi , si je puis donner mon
sentiment, j'aimerais mieux que l'on détruisît tous ces autels qui sont
complètement inutiles, et que l'on employât les quelques fonds destinés
à leur entretien pour faire exécuter dans le style de l'église ceux qui
sont nécessaires. Dans une chapelle à gauche en entrant, un autel
nouvellement sculpté, dans le style du XVIe siècle, nous montre le
plan que l'on suivra sans doute dans la restauration des autres. L'on
ne peut voir non plus sans éprouver un sentiment de tristesse ces
lourds tambours qui obstruent les portes d'entrée, ni le badigeon
épais qui recouvre les murailles de l'église. Au reste, pourquoi
être si exigeant ? l'ornementation d'une aussi grande église ogivale
coûte beaucoup, et les fonds dont on peut disposer sont loin d'être
en rapport avec toutes les dépenses à faire.
Mais avant de sortir de l'édifice jetons nos regards sur les restes
des anciens vitraux. Les plus complets ornent les fenêtres du chœur,
celle du milieu surtout est la mieux conservée. On peut y remarquer
la beauté du coloris et l'exactitude du dessin. Cette fenêtre date du
XVIe siècle ; les personnages sont représentés en pied à peu près
de grandeur naturelle. Quelques fenêtres du collatéral gauche vers le
haut ont encore conservé quelques fragments que je crois plus ré-
cents. Mais c'est surtout la rose du portail qu'il faut admirer, elle est
conservée tout entière, et représente une Gloire entourant le nom
de Dieu renfermé dans la petite rosace du milieu. Si vous allez voir
l'église au soleil couchant, vous ne pouvez vous empêcher d'être
charmé en voyant cette rose briller de mille feux qui colorent les
piliers de l'église de toutes les nuances de l'arc-en-ciel.
Mais sortons de la basilique , arrêtons-nous devant ce magnifique
portail qui se dresse devant nous ; le peu d'espace qui existe entre ce
portail et les maisons qui sont vis-à-vis, nous fait perdre malheu-
reusement l'ensemble des beautés qu'il déroule à nos yeux.
Deux tours surmontent ce portail (voir la pi. 62); elles s'élèvent
à 84 mètres au-dessus du sol. Leur ornementation diffère un peu
du point où elles prennent leur essor vers les cieux.
Trois voussures donnent accès dans les trois nefs ; elles sont gar-
nies de piédestaux et de niches de la plus grande délicatesse et de la
plus grande beauté ; mais elles sont vides de leurs saints. La grande
porte est divisée en deux parties par un trumeau orné d'un piédes-
tal et d'un dais d'une bien grande beauté. Un saint Nicolas de je ne
DESCRIPTION DE L'ÉGLISE DE SAINT-NICOLAS. 813
sais quel artiste, barbouillé en toutes sortes de couleurs, occupe la
place d'une ancienne statue qui ne le cédait en rien aux productions
des grands maîtres. Plusieurs antiquaires veulent que ce soit la
statue primitive, seulement badigeonnée. Il suffit de la voir pour
être convaincu du contraire.
s Une accolade entoure la dernière arcade et s'élève surmontée
d'un magnifique crochet jusqu'au milieu de la rosace qui tient le
milieu de l'édifice. Dans une plate-bande qui surmonte la voussure
du portail se trouvent quatre anges qui supportent à deux un écusson
uni qui a été destiné sans doute à représenter les armes des princi-
paux bienfaiteurs de l'église.
Le portail est couronné, comme nous l'avons dit, par deux tours
d'une ornementation diverse; elles sont terminées par des calottes en
bois couvertes d'ardoises , qui ne font pas le meilleur effet. On peut
croire que cette construction n'entrait pas dans le plan de l'archi-
tecte , et que sans doute elles devaient être remplacées par des flèches
en pierre, que le manque de fonds aura sans doute empêché d'élever.
Au reste, ce portail est magnifique. Une description en serait fasti-
dieuse et peut-être peu exacte ; j'ai pensé qu'il serait plus avantageux
de mettre sous les yeux des lecteurs un dessin exact de ce portail.
Malheureusement plusieurs fenêtres de ces tours ont été bouchées
avec des briques , ce qui produit un effet désagréable.
Si nous examinons l'église dans son ensemble nous verrons que
l'effet produit par les contre-forts qui soutiennent l'édifice est vraiment
majestueux, mais il est à regretter que quelques-uns soient privés de
leurs pinacles. Une corniche ornée de feuilles de vignes et d'animaux
soutenait la balustrade sculptée en pierre qui n'existe plus. Dans la
partie septentrionale de l'édifice est percée une petite porte , ornée de
dais et de niches, aussi d'un beau travail.
En poursuivant notre marche nous trouvons à l'est de l'abside de
la nef de gauche une chapelle carrée, qui n'a d'autre entrée que sur
la voie publique. Peu connue, elle a échappé aux investigations de
bien des curieux, et cependant elle renferme un chef-d'œuvre de
sculpture du XVIe siècle. C'est un rétable d'autel composé d'abord
d'une plate-bande contre laquelle sont appuyées neuf petites niches
surmontées de dais, qui ont encore conservé leurs statues ; au-dessus
est une espèce de tabernacle surmonté d'une magnifique pyramide
sculptée tout à jour; aux angles existent encore deux petites pyra-
mides de la même beauté que la grande. Il serait à désirer, s'il était
possible , que ce rétable fût transporté dans l'intérieur de l'église ; on
814 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
pourrait y ajouter un tombeau d'autel du même style et il remplace-
rait un des autels, style Louis XV, qui ornent 1 abside des petites
nefs , et qui par la suite servirait de modèle à celui que l'on placerait
du côté opposé. Telles sont les particularités tant historiques qu'ar-
chéologiques qui méritent d'être remarquées sur l'église de Saint-
Nicolas. On a pu voir, par cette faible esquisse, que cette église mé-
rite quelque attention, et qu'on ne peut attribuer l'obscurité dans
laquelle elle demeure qu'à son éloignement de la capitale. Si on nous
demande dans quel état de conservation elle se trouve, nous répon-
drons que ce bel édifice exige bien des réparations : une des tours
menace ruine, une partie des voûtes demandent une prochaine res-
tauration , bien des parties sont lézardées ; nous désirons ardem-
ment que l'attention du gouvernement se porte de ce côté-là , et
qu'il ne laisse point périr un monument qui est notre gloire, à nous
Lorrains , et qui est aussi digne d'être conservé , tant à cause de sa
magnificence que de sa grandeur. Rangée parmi les monuments
historiques, nous espérons que ce sera pour l'église de Saint-Nicolas
un moyen de salut. Si quelquefois des membres de la commission
des monuments historiques viennent à lire ce faible travail, je leur
demande indulgence ; car le pas que j'ai fait dans la science archéolo-
gique n'est pas encore bien grand; mais aussi je les prie de penser à
l'église de Saint-Nicolas , et ce n'est pas moi seulement qui les prie ,
mais tous ceux qui ont étudié un peu le moyen âge , et qui sentent
combien serait fâcheuse la perte d'un monument si digne d'intérêt ;
c'est toute une population , qui ne peut voir sans peine le lieu de son
pèlerinage dans un aussi triste état. Nous pensons que nous serons
compris, et qu'on nous aidera à rendre à cet édifice toute sa beauté
et surtout sa solidité. Tel est le vœu que nous exprimons tous et
que noui tenons à voir réaliser.
C. G. Balthasar ,
Membre de la Société française pour la conservation
des Monuments historiques.
NOTES ARCHÉOLOGIQUES ET HISTORIQUES
LA CRYPTE, OU CHAPELLE SOUTERRAINE
QUI A ÉTÉ DÉCOUVERTE SOUS i/EMPLÀCEMENT OU SE TROUVAIT LE CHOEUR
DE L'ANCIENNE CATHÉDRALE DE BOULOGNE SUR MER (1).
Les monuments sont les témoins vivants des siècles les plus
reculés, et de l'histoire des peuples. Sans leur découverte et leur
juste appréciation, combien de faits intéressant une foule de loca-
lités resteraient ensevelis sous la poudre de l'oubli?
Dans un rapport que M. Vitet, inspecteur général des monu-
ments historiques, fit en 1831 au ministre de l'intérieur, il disait :
« A Boulogne sur Mer, ville où l'on apprécie les arts presque au-
tant qu'on les néglige ailleurs , on respecte les monuments : mal-
heureusement il y en a peu. » Rien de plus vrai que cette obser-
vation ; car, à l'époque où M. Vitet écrivait, Boulogne ne pouvait
montrer, en fait d'édifices anciens , que la tour du beffroi , ancienne
dépendance du palais des comtes, où le héros du Tasse avait reçu
la naissance; le vieux chastel que Philippe Hurpel fit construire
en 1231; et le chœur de l'église Saint-Nicolas. Implacable dans son
aveuglement, le génie de la destruction avait renversé, à la suite
des sanglantes saturnales de 1793, presque tous nos monuments
religieux, et en particulier notre cathédrale.
C'est en creusant la surface couverte d'épais décombres, dans
l'emplacement occupé par l'ancien chœur de cette basilique, que l'on
a retrouvé les premiers vestiges de la crypte dont je vais retracer
l'origine et l'histoire.
En voici la description : cette crypte a douze mètres de longueur,
dix mètres trente centimètres de largeur, et sa hauteur sous voûte
est de quatre mètres. Elle est décorée de huit colonnes, distantes les
(1) Extrait du manuscrit de l'Histoire de Notre-Dame de Boulogne, par
M. P. Hédouin.
816 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
unes des autres de deux mètres soixante-dix centimètres, avec
demi-banc formant son pourtour. Leurs bases sont extrêmement
simples; le diamètre de ces colonnes est de cinquante centimètres.
Plusieurs de leurs cbapiteaux n'existaient plus ; ceux retrouvés sur
place , et ceux ajoutés en les enlevant à des colonnes des bas côtés
de l'ancienne église, sont variés, d'une baute antiquité, et suppor-
taient des cintres surbaissés. A l'entrée de la crypte, faisant face à
la place Notre-Dame , se trouvent pratiquées , sur les côtés , deux
ouvertures ou portes cintrées. Je pense que ces portes sont bien
moins anciennes que le reste du monument; je dirai bientôt pour-
quoi. Quatre pierres carrées , ayant évidemment servi de bases à
d'autres colonnes , occupent symétriquement le centre de cet édifice.
Voilà , en masse , l'aspect qu'offre cette crypte : quelques détails
particuliers , se liant à la partie historique , vont compléter sa des-
cription.
C'est , selon moi , du VIP au IXe siècle qu'il faut remonter pour
fixer l'époque de sa construction. Alors l'architecture dite gothique
n'était point née, et les églises et chapelles, presque toutes souter-
raines, en mémoire des catacombes où les premiers chrétiens enseve-
lissaient les restes des martyrs, et célébraient les saints mystères,
avaient, comme le font observer tous les archéologues, beaucoup
d'analogie, sinon avec les constructions romaines, du moins avec
celles des premiers siècles de la conquête, ce C'étaient, disent-ils, de
grands caveaux simples , réguliers , avec de grosses colonnes , et dont
les murs, à angles droits, n'avaient ni filets ni moulures. » Or, ce
genre de construction est bien celui que présente la crypte dont je
m'occupe.
Les chroniques locales, surtout celles concernant Notre-Dame ,
viennent à l'appui de la date indiquée ci-dessus, et nous paraissent
prouver que cette crypte servit de chapelle pour la vierge miraculeuse
des Boulonnais.
En effet, d'après Valesius, de Gesoriaca, le père Malbrancq, de
Morinis , l'archidiacre Leroi, Ancienne histoire de Notre-Dame, et
autres chroniqueurs , ce fut sous le règne de Dagobert que la sainte
image arriva dans notre port. On la transporta dans la ville haute
dont la chapelle n'avait de grand, ont-ils écrit, que la sainteté du
lieu .puisqu'elle était couverte de genêts et de joncs marins; ce fut elle
ensuite qui désigna l'endroit où Ton n'avait qu'à fouir pour construire
un édifice digne de la renfermer.
En enlevant même à ce récit ce qu'il peut avoir de surnaturel ,
CRYPTE OU CHAPELLE SOUTERRAINE. 817
il fixe la destination primitive de la crypte, et à peu près la date de
sa fondation.
Plusieurs monuments semblables existent en Europe , et c'est du
VIP au IXe siècle que part leur origine. La chapelle souterraine de
Cantorbéry, celle contenant les reliques de sainte Radegonde, à Poi-
tiers , sont de ce nombre.
Les colonnes décorant la crypte de Notre-Dame étaient peintes,
et l'une d'elles a conservé une fraîcheur de coloris très-remarquable.
Les dessins qui y sont représentés appartiennent au genre byzantin :
c'est une importation de l'Orient, dont l'invasion en France remonte
au VIe siècle , et qui devint générale au retour de la première
croisade.
En ce qui concerne les deux ouvertures ou portes cintrées qui
communiquaient sans doute par des escaliers aux collatéraux de
l'église, elles me paraissent, ainsi que je l'ait dit plus haut, bien
moins anciennes que la crypte. On sait que cette disposition , dans
les monuments religieux, n'est pas très-primitive, et n'a guère été
employée qu'à dater du XIe siècle. La chapelle souterraine de Saint-
Médard en offre un exemple.
Tout me porte donc à croire que cette crypte fut la plus ancienne
chapelle de la vierge miraculeuse, et qu'autour d'elle s'éleva la ca-
thédrale, comme à Lorette, en Italie, s'éleva l'église qui renferme
la Sancta casa.
Cette chapelle, qui acquérait un vif intérêt de son antiquité, a
été jadis très-précieusement ornée par les dons des souverains et des
grands personnages l'ayant visitée. Arnoui de Ferron, dans son
Supplément à l'histoire de Paul-Emile , livre IX, édition de 1550,
en parle en ces termes : « C'était un lieu des plus secrets, des plus
saints et des plus augustes. Sept lampes, dont quatre étaient d'ar-
gent, et les trois autres d'or, brûlaient incessamment devant l'image
de Notre-Dame. Les colonnes près de l'autel étaient revêtues de
lames d'argent. »
Cet état de choses dura jusqu'au siège de Boulogne par Henri VIII,
en 1544. Après la reddition de la place, malgré les efforts généreux
du brave mayeur, Antoine Eurvin , et des habitants , l'église de
Notre-Dame fut abandonnée par le vainqueur au pillage de ses
soldats. On transporta la sainte image, en partie mutilée, en Angle-
terre, ainsi que plusieurs objets précieux ornant son temple, entre
autres le buffet d'orgues dont les tuyaux sont d'argent , et que l'on
voit encore dans la cathédrale de Cantorbéry.
818 REVUE ARCHEOLOGIQUE.
Quant à la crypte ou ancienne chapelle, sa voûte fut crevée, ses
colonnes centrales et les voussures à arêtes les unissant disparurent,
et on la combla entièrement avec les démolitions produites par ces
actes de vandalisme et d'impiété. Sur ces ruines les Anglais élevèrent
une espèce de boulevard qu'ils garnirent de pièces d'artillerie. Il est
à remarquer qu'il y a peu d'années, en enlevant les décombres et la
terre remplissant la crypte, on a retrouvé, à peu de profondeur, de
nombreux projectiles. On avait fait un arsenal de l'église. Aussi
Guillaume Paradin, en Y Histoire de son temps , imprimée en 1554,
livre IV, dit-il avec autant d'énergie que de naïveté : Ils chan-
gèrent en magasin de Vulcain et sanguinaire officine de Mars , un
lieu de si grand amour, sainteté et dévotion.
Depuis cette époque, la crypte avait disparu. Lors de la réédifi-
cation de l'église, après l'évacuation de la place, et à la suite des
ravages qu'elle eut encore à subir de la part des troupes huguenotes,
sous le commandement du seigneur de Morvilliers , on ne songea
point à la rétablir.
Ce fut derrière le chœur de la nouvelle église qu'on plaça la
chapelle de la Vierge, miraculeusement revenue d'Angleterre en 1 550,
et retrouvée dans le puits d'Honvault en 1607.
Il est certain que la crypte était sous le chœur de la cathédrale.
Or, à partir du moment où elle a été comblée, on a souvent en-
terré en cet endroit des personnages marquants dans la hiérarchie
ecclésiastique. C'est ce qui explique la présence d'une assez grande
quantité de crânes et d'ossements dans ses décombres. Vers le fond,
une tombe voûtée en briques a été ouverte ; elle contenait une
crosse en bois conservant des restes de dorure , des fragments de
tissu de soie, des gants et le cuir de chaussures, le tout assez bien
conservé. Quelques ossements d'un brun foncé, et chargés de petits
cristaux de phosphate de chaux surgissaient au milieu d'un amas de
cendres. Cette tombe a été refermée , et sa conservation est entrée
dans la restauration de la crypte.
Il résulte de nombreux renseignements que c'est là que furent
déposés les restes de l'avant-dernier évêque de Boulogne , monsei-
gneur François-Joseph-Gaston de Partz de Pressy. Une note ma-
nuscrite en la possession de M. l'abbé Haffreingues porte , confor-
mément à la tradition orale des contemporains , que ce digne pasteur
fut enterré dans le chœur de la cathédrale. En outre , voici l'extrait
d'un journal tenu par M. Abbot de Basingham, de 1778 à 1798,
ne laissant aucun doute sur ce point : Le jeudy, jour de sa mon
CRYPTE OU CHAPELLE SOUTERRAINE. 819
(8 octobre 1789), on V exposa dans une chapelle, visage el pieds dé-
couverts , et toute la ville s'y rendit. Il fut inhumé sous les marches du
trône , dans le chœur de la cathédrale.
Ajoutons que le pavé de la crypte était formé de carreaux en terre
cuite, dont plusieurs, encore adhérents au sol, ont été retrouvés
intacts. Us sont peints en rouge et blanc et de dessins variés. Les
uns représentent une grande fleur de lis , placée de coin en coin ;
les autres sont couverts d'un semis de cette fleur; d'autres enfin
offrent aux regards un aigle déployé posé en bande. On sait que les
manoirs et édifices des plus anciens temps de la féodalité étaient
ornés d'un pavage en carreaux, représentant des fleurs, des oiseaux
et des emblèmes chevaleresques. Plusieurs carreaux de ce genre,
provenant du château de Domart , en Picardie , ont été donnés au
musée d'Amiens par M. l'abbé Deroussen , et par M. Tilliette
d'Acheur (1).
Je considère la découverte de cette crypte comme précieuse pour
l'art archéologique, et l'histoire religieuse de l'ancienne Morinie.
C'est bien certainement le monument le plus curieux existant à
Boulogne, et le plus ancien qu'il y ait peut-être dans le départe-
ment du Pas-de-Calais.
Sa restauration a été confiée à un homme de talent, ayant fait
une étude particulière de nos antiquités nationales. Tant de souve-
nirs se rattachent à ce vieux berceau de pierres, asile primitif eu des
temps de foi de la vierge patrone du Boulonnais et de son divin en-
fant, que l'architecte a dû tenir à honneur de nous rendre ces sou-
venirs dans toute leur force et leur naïveté.
P. Hédouin ,
Membre honoraire de la Société des Antiquaires de la Morinie.
(1) Je possède un de ces carreaui représentant deux aigles couleur d'azur, ailes
éployées et sur fond jaune.
DECOUVERTES ET NOUVELLES.
— Le chœur de leglise Saint-Nicaise de Reims, véritable chef-
d'œuvre d'architecture gothique du XIIe ou XIIIe siècle , détruite
pendant la révolution de 89 , offrait une particularité bien remar-
quable. Il était orné d'une suite de grandes dalles de pierres gra-
vées en creux, sur lesquelles on voyait représentés les laits les plus
remarquables de l'ancien Testament. Pour donner au dessin plus de
durée, on avait rempli les creux avec du plomb. Lors de la démoli-
tion de cette église, ces dalles furent vendues; quarante-huit de ces
précieux monuments de la sculpture du XIIIe siècle, servirent à dal-
ler une cour, et furent exposés à tous les hasards de la destruction.
Pendant sept années consécutives , M. Brunette , architecte de
Reims, ne cessa de réclamer contre ce vandalisme qui s'attachait à
des monuments, peut-être uniques. Enfin, en 1846, sa persévérante
sollicitude fut couronnée d'un plein succès ; les précieuses dalles
furent acquises par la ville , enlevées à leur profane destination ,
reportées à Reims et placées dans l'église de Saint-Méry. Ces dalles,
qui sont en forme de losange, encadrées d'un ornement dans le style
d'un quatre feuilles , ont environ 58 centimètres sur chaque face.
On ignore combien il y en avait en tout. Elles viennent d'être
dessinées par les soins de M. Prosper Tarbé , qui en donne la des-
cription. La première représente la construction de l'arche, la der-
nière, la descente de Daniel dans la fosse aux lions.
— Dans les fouilles que l'administration municipale fait exécuter
en ce moment pour le déblayement du théâtre romain à Arles, on a
découvert du côté méridional du monument, des constructions nou-
velles, dont des architectes versés dans l'étude de l'antiquité , n'au-
raient pu supposer l'existence. Parmi les objets de sculptures qui y
ont été trouvés, le plus remarquable est le buste d'un adolescent; ce
buste, rai-corps, trouvé dans l'enceinte du théâtre, non loin de la
scène, représente le portrait d'un jeune homme de seize à dix-huit
ans ; il est vêtu du paludamerdum agrafé sur l'épaule droite. La
figure présente peu de relief, les cheveux sont longs et tombants, la
prunelle est marquée comme chez toutes les statues delà décadence:
le nez manque, et sur le dos, on remarque une forte entaille qui fait
présumer que ce buste était mobile et exhibé lorsqu'une représenta-
tion l'exigeait.
DÉCOUVERTES ET NOUVELLES. 821
— M. le maire de Grenoble vient d'envoyer à M. le Ministre de
l'Instruction publique , cent soixante-seize empreintes des sceaux
que possède la bibliothèque de cette ville. Ces empreintes, prises
avec beaucoup de soin par M. H. Gariel, bibliothécaire adjoint,
sont d'une grande netteté : plusieurs sont'remarquables pour le tra-
vail de la gravure ; la plupart sont précieuses et serviront à remplir
quelques-uns des vides qui existent dans la sigillographie. M. le Mi-
nistre de l'Instruction publique s'est empressé de les faire déposer aux
Archives du royaume , pour compléter le vaste musée sigillogra-
phique qui se forme dans ce grand établissement , et qui bientôt ,
on a lieu de l'espérer, pourra être l'objet d'une exposition publique
des plus intéressantes.
— Plusieurs lettres reçues de Rome à Paris, ont annoncé que le
R. P. Secchi vient d'ouvrir, dans cette première ville, un cours
public sur un nouveau système d'interprétation des hiéroglyphes qui
lui est propre. Nous ne savons si les idées émises par l'illustre savant
tendent à compléter celles de Champollion, relativement aux carac-
tères purement symboliques , ou si elles lui sont contradictoires.
Dès que nous aurons reçu des renseignements authentiques à cet
égard , nous en ferons part à nos lecteurs. En attendant, l'autorité
qu'a le nom du R. P. Secchi en Europe, nous fait un devoir d'an-
noncer cette nouvelle, malgré tout le vague dont elle est entourée.
BIBLIOGRAPHIE.
The youth ofJason renewed by Medeia (a Canino vase), par Samuel
Birch. Londres, 1846, 8°, 1 pi.
Le vase publié dans cette brochure , et que l'auteur considère
comme contemporain d'Eschyle, est une hydrie ou vaisseau à trois
anses , décoré de figures rouges sur fond noir. Le sujet est emprunté
à un mythe bien connu, mais traité d'une manière inaccoutumée.
A droite, on aperçoit Jason , déterminé par le mot IA20N tracé
dans le champ. Ce personnage est drapé dans une tunique talaire,
par-dessus laquelle est jeté un péplus ; sa main droite est étendue
en avant, mouvement qui exprime le commandement ou la surprise;
de la main gauche il tient un bâton ; les cheveux et la barbe sont
III. 53
822 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.
blancs. On voit que Jason est arrivé au terme de son existence.
Devant lui est un chaudron soutenu par un grand trépied , rpircov*
Xs&jç , et dans lequel est un bélier qui sort à moitié du vase sous
lequel est allumé un grand feu. A gauche est Médée, reconnaissant
au nom AI3A3LM] écrit devant sa tête en sens rétrograde. Les che-
veux de la sorcière sont retenus par une bandelette ; elle est vêtue
comme Jason, tient de la main gauche une coupe, et semble oindre
le bélier.
On trouve sur plusieurs vases archaïques ou'de beau style, la
représentation de Médée et Pélias à peu près semblable à celle que
nous venons de décrire. M. Birch compare ces différents sujets, et
remarque que ces monuments prouvent que l'histoire de Jason et
celle de Pélias sont également antiques, ce qui s'accorde avec le
témoignage de Phérécydes, qui, vers le milieu du VIe siècle avant
notre ère, cite, comme une tradition bien établie, le trait des
Péliades engageant leur père à se soumettre à l'expérience du chau-
dron régénérateur. Le premier récit positif du renouvellement de
Jason est fourni par le scoliaste d'Aristophane (dans les Chevaliers),
et la citation est empruntée au VIIe livre de Phérécyde. D'après
ce texte, on voit que l'idée de cette fable était conçue d'après le
mythe du rajeunissement dTEson.
Ottfrid Mûller, qui a connu ces témoignages, les rapproche du
passage de Lycophron, Xéêr,Ti oioexpiuôeiç Sstxat, qui s'applique parfai-
tement à la peinture du vase.
M. Birch rappelle ensuite des mythes analogues à celui de Jason,
et leur rapport avec le mystère de Bacchus mis en pièce par les
Titans, cuit dans un chaudron, puis découvert par Jupiter, et
ramené à la vie par Mélicertes. Le savant archéologue remarque et
approuve une opinion émise dans ce recueil par M. Vinet au sujet
du nom de Jason. Le vase du musée Britannique, dit, en finissant,
M. Birch, prouve que les peintres céramographes n'inventaient pas
les variantes qu'ils introduisaient dans la représentation des fables,
mais qu'ils copiaient les grandes œuvres d'art, ou suivaient des tra-
ditions admises dans le pays qu'ils habitaient.
A. L.
TABLE ALPHABETIQUE DES MATIÈRES
DU TROISIEME VOLUME
DE LA REVUE ARCHEOLOGIQUE.
PAGES
Abacus athénien. Monument inédit puhlié
par M. Rangabé , avec des notes de M. Le-
tronne , 3o5. — Recherches sur Vabacus
chez les Romains et les Grecs. En quoi ils
diffèrent. Lettre de M. Vincent 401
Alihaye de Disseutis incendiée, 532; — du
Bec-Helloin 690
Abbott ( M.). Sa collection d'antiquités égyp-
tiennes 116'
Abeken ( Le docteur ). Traduction française
de son rapport sur la haute Nubie 171
Abraxas , publié par Maffeï et cité pour
tous ses attributs , 3x8 ; — autre expli-
quée par M. Cb. Lenormant 5to
Académie des inscriptions et belles-lettres ,
53 , 420 , 689
Adoration des Mages , bas-relief du XVe siè-
cle IIO
Adoration (Acte d' ) à Amounôph I", pein-
ture égyptienne 707
Adria et Hadria. . • . • 379
JE. Cette double lettre a-t-elle été connue
des anciens 256
Ajrica sacra de Morcelli. Citée it\7.
Agnès Sorel. Son tombeau à Loches 483
Agrippa (Cornélius). Cité pour les miroirs
magiques 160
Alchimie (Traités d'). Mentionnés, 25g; —
ouvrage cité 1 55
Algérie ( Aperçu statistique des monuments
de F ) 724
Alphabet hiéroglyphique. Recherches sur les
auteurs de cette découverte, 12 et suiv. —
Observations sur Falphabet phonétique,
67 Alphabet Salvolini. Cité 68
Amphithéâtre d'Oudenah iq7
Amphore panathénique trouvée à Tripoli.
379. — Amphores romaines trouvées à
Vienne ( Isère ) 272
Amulette de Jules César. Dissertation sur
cette curiosité, 148; — contestée par
M. Letronne 253, 426', 668
Avaôvj/JiaTa ( Les ). Cités 97
Andreossi (Général ). Son ouvrage cité. . . . 735
Andros (L'île d') visitée par M. Le Bas, 273 ;
— sa description 28 1
Angerona. Dissertation du docteur Sichel sur
cet objet 224 , 327, 364, ^7X
Anneaux magiques connus et en usage à
Athènes 397
PAGES
Antinous (Coffret d' ) jugé de fabrique mo-
derne 43 1
Antiquaires de France {Société des). 53 ,
689. — Antiquaires {Mémoires de la
Société des ) de l'ouest 57
Antiquité expliquée (L'). Voir Mont-
faucon.
Antiquités du Bosphore. Ouvrage de
M. Raoul-Rochette. Cité, 37 ; — du dé-
partement de la Creuse, 109. — Antiquités
helléniques. Recueil de M. Rangabé. Cité,
326 ; — égyptiennes , 649 , 694 ; — trou-
vées à Nimroud 791
Antiquités nouvellement découvertes près
d'Amiens 485
Aoriste (De l'emploi de F) dans les inscrip-
tions des artistes i33
Appel des âmes 35o
Aqueduc de Oudenah , 147. — Lettre de
M. Letronne sur celui de Beyrouth, 82, 489
Arbalète avec arc d'acier. Epoque de l'usage
de cette arme , note 1 45
Arbre de Jessé 5q2
Archéologie (De F ) dans l'antiquité 44?
Archiprêtre (L'). Quelle est cette dignité?
à la note 752
Architecte du VIIe siècle mentionné, 48; —
de la basilique de Sainte-Sophie, 5li ; —
de l'hôtel de ville de Louvain 53 1
Archivas de la Sicile. Citées, 55. — Archives
du royaume. Améliorations qui y sont
' faites par le garde général , 625. Voir aussi
à Sceaux.
Argus bifrons. Recherches sur cette figure. . 309
Arme qu'on croit être un pilon, 517; —
Armes des gladiateurs 5
Art de vérifier les dates. Rectification de
diverses erreurs commises par les auteurs
de cet ouvrage 738
Artistes. Recherches sur les noms et les ou-
vrages de plusieurs sculpteurs de l'an-
tiquité 34 , i3i, 209
Artistes grecs. Voir Synodes.
Aschmoun ( dieu ) , 763 ; — ce dieu identi-
fié à Esculape 764
Ascia (Sub). Recherches sur cette for-
mule 57
Asile. Déerels de treize villes grecques sur le
droit d'asile 4^5
Astrologie (Traités d'). Mentionnés 359
824
TABLE ALPHABETIQUE
PAGIS
.Athènes, 499 i — caractère de ses habitants. 5o8
Atthidcs ( Les). Traites descriptifs de l'At-
ti.jue 4^8
Atticus (lîe'rôde), inscriptions erronées de
ses villa 4^2
Augustales ( Nouvelles observations). . 635, 774
Balthasar ( L'abbé ). Description de l'église
Saint-Nicolas du Port 8o5
Bannière égyptienne sur un cylindre 7 i 3
Banquets funèbres • 9
Barbezieux. Ses antiquités. Voir Saintes.
Bari ou la barque allégorique ^o3
Bas-relief assyrien de l'Arcana, i iZj ; — — ob-
servation de M. Letronne sur ce monu-
ment, n5. — Celui de Merbaka, près
d'Argos, expliqué par M- Le Bas. Cité.. . 219
Bassin orné d'une mosaïque. Voir à ce mol.
Baudelot de D'Airval. Sa collection léguée
à l'Académie 4^3
Beaux-arts (Société des) fondée à Athènes. 271
Behistun ( Inscription cunéiforme de) 549
Belleville. Son église classée comme monu-
ment historique 53 1
Bénéiech ( Ministre de l'intérieur). Sa
lettre sur les attributions respectives dos
musées 4^9
Béotic ( La ) vengée , 5t>5; — inscriptions de-
ce pays; ce qu'elles offrent de particulier. 5o6
Bertou(J. de). Sa note sur l'aqueduc de
Beyrout et sur les antiquités do Dcir-
el-Kalaah 617
Beyrout ( Aqueduc de ) 82 , 489
Bianchiui. Cité 024
Bibliographie... 54, u8, 194» 4^6, &^i ^2I
Bibliothèque de l'école des chartes. 2e série.
Citée, 54 ; — autre citation à la note t . . io3
Bicéphales ( Figures). Becherches à ce sujet,
3i5; — sentiment de Zoëga 3 it>
Birch(iVL). Mémoire sur un vase grec... 821
Blé ( Semences de) égyptien 722
BlêYourt ( Église de tf.-D. de) 47
Blvis (Château de). .Notice sur la resta u-
iatiou de ce monument 27 1
Bcechll. Sou feeueil de» inscript. tro y finies . 454
Banrf Apis. Becherches sur cette djvini'é. . . 649
Bœuf à l'dtat de momie ornée de découpures
en or. 117
Bœufs momifiés trouvés dans un puits. ... i 10
Bonleinps (M. G.). Ses réflexions sur la
peinture sur verre au XIXe siècle 63
Botta (M. ). Communication d'une lettre de
M. Layard 791
Boucliers des gladiateurs, leurs différentes
lorme» 5
Bouclier prétendu de Scipion 5i4
Bougival (Eglise de). Description de ce mo-
nument ; — son clocher 686
Bourgeoisie ( Sceaux de la ) aux archives. . . 676
Brunn (Le docteur). Examen critique des
explications mythologiques de M. Baoul
Bochette \ 1 18 T 3io
Bulus. Nom d'artiste 209
Bupalus. Nom d'artiste , 209
Cabinet des antiques de la Bibliothèque
royale , 469 ; — ce qu'il a perdu , 4/4 » "*"
enrichi de diverses acquisitions ... 624
Cachet punique expliqué, 99; — de Sépul-
lius-Macer ; ->on importance, 3y i ; re-
connu de fabrique moderne 256, 44 l t ^°'8
PAGES
Cage de fer du château de Loches 478
Cannai*. Observations sur ce nom d'artiste, 210
Callier (M. le colonel). Sa reconnaissance
géographique de la Syrie ; mentionné*. ... Si
Callimaque, nom d'un artiste grec i34
Calvaire (Mouaslère des filles du ) 52U
Camps de César. Cités 420
Carreaux en terre cuite trouvés dans la
crypte de Notre-Dame de Boulogne 819
Cartier ( M. ) fils. Notice sur des chapiteaux
de l'église Saint-Denis à Aniboise, 106; —
recherches sur le sceau de saint Louis , sur
le mérite de ce genre de collection pour
l'histoire 670
Casque trouvé à Olympie 216
Castella. Sorte de réservoir antique 83
Catoptromantie (La) i58, 162
Çavea. Ce qu'on doit entendre par cette
expression • 488
Caylus (De). Monuments publiés et expli-
qués par ce savant 22.5 < 233 , 3 13 , 3i6
Cl laïques ou.subdivisions de l'obole 3o6
Chambon (Église de) m
Champollion jeune. Examen de sa décou-
verte dj} l'alphabet hiéroglyphique. « 12 et 65
Champollion-Figeac. Becherches sur la ville
à Uxellodunum 25o
Chapiteaux du XIIe siècle avec sujets sculp-
tés 106
Charles le Téméraire. Monnaie de ce prince . 56
Chasses et chasseurs sculptés sur un tombeau
du moyen âge, pi. 47 et le texte. 4^
Château fort de Loches ^iS
Chaudruc de Crazannes (M. ). Police sur
quelques médailles et monnaies , etc., 59;
— sur une inscription de la ville de Sain-
tes , 246; — explication d'une statuette
d'Isis 576
Cherchell, l'antique Césarée ^. . 728
Cheval. Ce qu'il représente sur les bas-reliefs
funèbres , 10; — d'après d'autres savants,
87,89, 91
Chien (Le) représenté sur des monuments
funèbres 90
Christ (Statue du ) à Po:naos 771
Ciivpre (Excursion dans l'île de), par
M. de Mas-Latrie i\\
Cité de Paris. Becherches historiques sur ce
quartier, par M. Troche 7^0
Citernes d'Ôudnah. Beraarques sur leur ar-
chitecture . . i45, \\-t
Citernes (Grandes) de Busicada , /3u; — de
Constaiitine 704
Clarac (M. de). Son ouvrage sur le Musée du
Louvre, 9, note l ; — son Catalogue des
anciens artistes, 35 , 75b ; — réfute les as-
sertions de M. Baoul Bochette , sur l'em-
ploi du mot STro'si, 1 3 1 , 209 ; — sa mort ,
7Ô4; — notice sur ce savant et ses travaux . 7^4
Cléomène , artiste grec . . . . < 1 38
Clere (M. Alfred). Becherches sur les anti-
quités égyptiennes 6^9
Cloches du temple de Dodone 49°
Cloître du XVII* siècle 5^8
Coffret d'Antinous, fausseté de ce meuble.
43o, 45t
Collections Noinlèï. Becherches historiques
de M. Letronne sur ce qui en faisait pallie fô3
DES MATIERES.
Collection Pourtalès citée, 17"» ; — de la Mal-
maison 176
Comète sur des médailles romaines 442
Commission d'histoire et d'archéologie du
département de la Haute-Vienne, 117; —
des monuments historiques du ministère
de l'intérieur - • IQO
Constantine (Antiquités de) 782
Corporations (Sceaux des) aux archives du
royaume - 67(5
Couriet (M. Jules). Sa Notice sur un portrait
de Jésus-Christ, 99 ; — et d'un médaillon ,
io5; — Amulette de Jules César, 148, 668
Couvent de Deir-el-Kalaah , pi. 58 616
Craton, musicien grec 4^7
Creuse (Antiquités du département delà).
Notice de M. J. A. L 109
Croix ansée. Méprise de M. Raoul Rochette
à ce sujet. Ouvrage de M. Letronne cité,
261 ; — de M. Lajard cité 538
Croix romane avec ornements 4^
Croix (Eglise Sainte-) 748
Crypte de l'église Saint-Mérv à Paris , 268 ;
— de l'ancienne cathédrale de Boulogne-
sur-Mer 8i5
Cuir de bœuf, ayant servi à ensevelir une
princesse au XIIe siècle 690
Cuisine portative trouvée à Pompéia 344
Culte des pierres pratiqué chez les Celtes ,
in. — Culte d'Isis , 1 5o. — Culte de Mi-
thra l5o
Cuper sur Harpocrates. Cité 32g
D'Agincourt. Compte vendu de son Histoire
de l'art 126
Dague de forme curieuse avec inscription
arabe , 4 1 1
Danaûs (Stèle de ) 346
Danses armées. 7
Darius, fils d'Hystaspes , représenté sur un
bas-relief de la fin du VIe siècle 552
Décret de Rosette. Cité, 21,29. — Décret
des Athéniens en faveur de Craton, joueur
de flûte 458 , 459
Déesse de Rome. Recherches sur cette divi-
nité tulélaire 222
Degrés, comment divisés dans la géographie
de Ptolémée 3o6
Déir-el-Kalaah. Lettre de M. Bertou sur les
ruines antiques de ce lieu et sur le couvent
de ce nom 617
Denderah (Temple de) déblayé par ordre du
pacha d'Egypte 5j
Dezobry (M.). Importance de son ouvrage,
Rome au siècle d'Auguste 4"8
Diadème d'une momie pharaonique, au Mu-
sée de Leyde 710
Dialectes grecs; leur formation 507
Diana Montana. Divinité supposée 4^5
Aia.ypscfJ.fJii(jài; (Le). Sorte de jeu chez les
anciens. Cité 3oi
Dictionnaire iconographique des Monu-
ments. Cité 546 , 679
Dictionnaire de l'Architecture du moyen
âge , etc. , par Jules Berty ; compte
rendu 64
Dits manibus. Cette formule païenne se
trouva sur des tombeaux chrétiens 4^
Dissenlis (Abbave de). Sa destruction 532
PAGES
Divalia et Angeronaliu. Recherches sur ce
genre de culte , 2a 1 , 233 , 3ao 36^
Drùme ( Statistique de la), par de Lacroix,
Citée 102, note I.
Dubois. Sa lettre à M. Letronne, sur un
Laocoonde fabrique moderne, 437, 628 5 «%
son Catalogue du cabinet d'antiquités de
M. Mimaut , 438 ; — mort de cet archéo-
logue 691
Dtijardin ( Le D* ) rétracte sa critique des
travaux de Ghampollion le jeune . I»
Dureau de la Malle, Recherches sur Car-
tilage, 494 ■> n<Jle 2-
Duvivier ( le général ) remarque sur sa pu-
blication d'Inscriptions puniques , numi-
diqueSj etc. , in-8 68
Eaux thermales d'Amélie-les-Bains 672
Echiquier (jeu de 1') chez les anciens. . . 297
Eckhel. Cité 3i6, 3?,o
Edfou (Temple d' ) déblayé par ordre du
pacha d'Egypte 53
Egger(M-). Polémon, 44^, 494 > — Mémoire
sur les Âugustales et les dieux Lare$, 635, 774
Eglise de Blécourt. Voir à Notre-Dame, etc.
Eglise Saint-Denis à Amboise 106
Eglise de Cliambon. Ce monument offre des
traces positives du Xe siècle, dans sa toi-
ture en tuiles de forme romaine, 112; —
plus large que longue, 112; — Saint-Ni-
colas du Port, 8o5. — Notre-Dame de
Boulogne 8i5
Eglises ( Noms de 21 ) détruites dans la
Cité , à Paris ?42
Egypte ( Fab. de fausses antiq. en) O49
Egyptianisme dans le style des monuments.. 2
Egyptiens (Monuments), 658, 698 ; r— meu-
bles , vases , armes , outils , 7 19 731
Emaux remarquables du Musée de Guéret. . 110
Encyclopédie Britannique. Recueil cité
16, 18, 19
Epingles antiques 369
Epitaphe du XII I« siècle. Voir Joinville ;
— anciennes comparées aux modernes,
498; — d'un peintre grec 5l2
EIIÔIE2E. Remarque sur cette expression
usitée sur les vases antiques 385 , 386
Esculape identifié au dieu Aschmoun , 764 ',
— et au Christ "7*
Estampages (des) en papier reproduits en
plâtre .34f
Euphémisme grec 538
Evéques de Uthina (Oudnah) l43
Fahrionies de fausses antiquités égyptiennes.
^ 652, 655
Faciebat ; sur l'usage et la valeur de ce mot
comme signature d'artiste de l'antiquité.. . i3a
Fastes de l'église Saint-Germain l'Auxerrois. 610
Fasti calendares. Cité 4??
Faussaires en antiquités. Divers exemples de
leurs fabrications, 4^7 -, 4a8 ■> 429* 43°'
^5,436, 652
Femme assise aux repas. Voir Matrone.
Feudataires (Sceaux des) aux archives 676
Figures d'êtres animés; — quand sculptées
chez les musulmans 340
Figurines de terres cuites trouvées à Khor-
sabad 53
826
TABLE ALPHABETIQUE
PAGES
Filles du Calvaire ( Monastère des ). Sa des-
cription par M. Troche Û20
Flamel (Nicolas). Recherches critiques sur
son inscription funéraire 682
Flamines divales. Leurs fonctions 222
Fleur. Image du diable , note 1 160
Flûtiste grec. Son talent, ses largesses et son
mobilier de théâtre, ses dons à ses con-
citoyens 457
Fouilles à Pompéia , 3^3 ; — à Nimroud . . . 791
Formules des mystères des temples antiques. 37 1
Four romain pour cuire les poteries 672
Gassendi. Ses expériences sur l'aliénation
mentale 167
Génie (Le) familier des morts. Cité, 96,
note 10. — Génie de Rome , si c'est le
même qu'Angérone 37 1
Géomores de Syracuse 38 1
Gerhard (M.). Ses travaux, cités, 3iq. à 326
Germain (Saint-) l'Auxerrois. Réflexions
sur les dévastations et réparations de
cette église 41^' ^9l
Giraud , sculpteur. Sa discussion avec Emé-
ric David i3g
Gladiateurs. Leurs diverses classes, 4; —
représentés armés, 6; — longtemps incon-
nus aux villes grecques q56
Gloucester (Congrès archéologique de ) 192
Gnostiques. Valeur des monuments de cette
secte 369 , 263
Goropius-Bécanus , antiquaire. Cité. . 327, 328
Gothique (Architecture). Rapport sur la
question de savoir si on doit bâtir dans ce
style au XIXe siècle 179
Grenoble (Sceaux de la biblioth. de) 821
Grignon, naturaliste et archéologue 687
Guénebault (L. J.), sur la crypte de l'église
Saint-Méry à Paris, 268 ; — sur l'ouvrage
ded'Agincourt, Histoire de l'Art , I2<) ;
— sur le Dictionnaire de l'Architecture
au moyen âge, 164 ; — sur l'ouvrage de
l'abbé Michon sur la Charente 5^7
Guerrier grec représenté sur un vase 5 15
Guide de la peinture, manuscrit grec. Cité. 5fy'\
Guides des voyageurs touristes dans l'an-
rt cienne Grèce. Comment on les désignait. 44^
Hachisch, substance végétale provoquant des
hallucinations 166
Haute-Borne. JNotice sur ce monument 585
Hainaut (Catalogue des monnaies des comtes
de). Cité 56
Hécate (Triple). Comment représentée. ... 5lO
Hédouin ( M. ). Note sur la crypte de l'an-
cienne cathédrale de Boulogne sur Mer. . . 8i5
Hémiploïdion. Vêtement de femme 3l2
Henri 1er (roi de France). Son sceau, pi . 6 1 ;
—"Pièces et documents touchant la femme
de ce prince, 73g, note 2.
Henri (M.). Sa lettre à M. de Longpérier
sur une inscription arabe, ^.oÉJ ; — sur un
four romain 67 2
Hercule (Statue d' ) , trouvée à Dénia 793
Herméracles. Ce que c'étaient que ces
figures 319
Hermès (Sur le culte des religieux des), ou-
vrage de M. Gerhard 317, 3i8, 3i9
Himyaritique ( Inscriptions en langue ). 55
Hippobotes ( Les ) 38 1
fjisloire de l'Art, depuis la décadence, etc. 1 26
FAGFS
Homère. Ce qu'on doit penser de sa descrip-
tion des lieux antiques -\>l
Horeau (M.). Mérite de son ouvrage et des
planches de son Panorama d'Egypte et
de Nubie 62
Hôtel Carnavalet menacé de destruction. 191
Hôtel-Dieu (Ancien) d'Orléans. Sa destruc-
tion 191
Hôtel-de-ville de Louvain. Nom de son archi-
tecte retrouvé 53 1
Hunter. Sur les médailles des peuples 3l5
Hysteria. Quel est ce genre de sacrifice .... 23u
Icius (Le port). INom ancien présumé de
Boulogne sur Mer 228
Ilion. Origine et vicissitudes de cette ville. q5:>.
Inde ( Mémoire géographique , etc. , sur 1') ,
par M. Reinaud. Cité 120
Inscription cunéiforme de Béhisîun. Rap-
port de M. Alf. Maury sur ce monument,
5/J9; — autre à Larcana, Il5. — funé-
raires des auciens , 498- — Inscription fu-
néraire de Nicolas Flamel 680
Inscription sur le bord d'une tunique. Voir
à Tunique ; — autre à Déir-del-Kalaah ,
expliquée par M. Letronne , 78, 83;
— ce qu'elle lui fait découvrir. Voir
- Aqueduc.
Inscriptions memnoniennes. Citées , 217 ;
— Carthaginoises 6*29
Inscription antique de la ville de Saintes. . . . 2^>
Inscription phénicienne trouvée à Marseille,
53; — du colosse d'Ipsamboul , 707. —
Remarque sur la méthode du général
Duvivier, pour l'explication de ce genre
d'inscriptiou 58
Inscriptions augustales 63g à 648
Inscriptions Nointel, leur importance, 464 1 4/2
Institut Archéologique ( Bulletin de 1' ).
Cité 3io, 3i2
Inventaires du temple de Minerve 5oo
Isis. Statuette en bronze de cette divinité
trouvée près de Toulouse 576
Jahrbucher fur Wissens chajliche kritih.
Voira Annales critiques, etc.
Jal (M.). Son travail remarquable sur Vir-
gile et la navigation antique 53g
Janssen publie un tableau de l'arbre de
Jessé 542
Jason , représenté dans une peinture de
vase 82 1
Jeanne d'Arc (Nouvelle histoire de) d'après
une chronique inédite 55
Jessé. Comment représenté 5/j.j
Jésus-Christ. Recherches sur son portrait. . . toi
Jeux ( Recherches sur divers ) connus des
anciens, 297 ; — on jouait dans les temples
des dieux 3o3
Joinville ( Le sire de). Epitaphe de son tom-
beau, 48- — Verrières exécutées pour sa
chapelle 3o
Journal Asiatique. Paris, i845. 4e série,
t. VI, juillet à décembre, 55; — Journal
Archéologique d'Athènes. Cité, 87 ,
note 6 ; — de Berlin, id.
Journal {The Archéologie al) , 10e livrai-
son de cette publication 488
Journal des Savants. Cité 234
Jugement de Paris, sur un bas-relief.... 287
DES MATIERES.
827
PAO ES
Jules César déifié après sa mort , et ce qui en
résulte , 255 ; — sa haute réputation dans
les Gaules §2.6
Julien (Eglise Saint-) de Tours. Monument
du XIIIe siècle, acquis par le gouverne-
ment 191
Junius (F.). Son Catalogue des noms des
artistes '•.'(
Jupiter Salaminius ( Tête de ) 190
K cellier. Savant antiquaire 36 , 37
Khorsabad. Monuments trouvés dans les
ruines de cette ville, 53; — annonce de
l'arrivée de plusieurs antiquités de cette
ville à Paris 627
Klaproth. Examen de ses critiques sur la
découverte de Cbampollion 12, 65
La Borde ( Le comte de) apporte en France
une tête de Phidias, 461 ; — nommé con-
servateur du Musée des Antiques au
Louvre 756
Lajard (M.).Mémoiie de ce savant sur une
sculpture antique. Cilé^ 228 à 33 1
Lallemand ( M. ). On doit à sa persévérance
la plus belle collection de sceaux qui soit
en Europe 675 , 676
Lampes noires des Arabes 164
Lanci ( L'abbé). Interpr. des hiéroglyphes. 7 16
Lan grès, ville du département de la Haute-
Marne 585
Laocoon. Bronze de fabrique moderne. fyi6, 628
Laurin (M.). Stèle funéraire de sa collection,
pl-46 ; '
Layard (M.). Lettre sur les louilles exécu-
tées à Nimroud 791
Le Bas (M.). Sa lettre à M. Letronne sur la
manière dont il explique un bas-relief
de pierre funèbre, 84? — son Expédition
scientifique en Morée. Citée, p. 86, n° 4-
— io* rapport au ministre sur ses voyages
archéologiques en Grèce et dans l'Âsie-
Mineure 173
Lechevalier et non Lechevaler, auteur cité ,
p. 89 , note 2.
Lectisternium. Signification de ce mot
suivant M. Le Bas , 94 ; — suivant M. Le-
tronne 35 1
Lécythus (Les). Noms de certains vases
athénien.-» 379
Lenoir ( Alex. ), conservateur du Musée des
Petits-Augustins 467
Lenormant ( M. Ch.) découvre , dans une
cave de la Bibliothèque royale, une tête
de Phidias. Lettre que lui adresse M. Le-
tronne à ce sujet, 460; — explique un
abraxas , 5 10 ; — Diverses acquisitions
qu'il fait faire au Cabinet des antiques. . . 624
Lepsius ( Le D'). Son rapport sur les nilo-
mètres de la Nubie, 177; — nommé à une
chaire d'archéologie 53o
Letronne (M^). Son examen critique des
assertions de M. Raoul Rochette , 34 ; —
Discussion avec M. Le Bas , au sujet d'un
bas-relief antique , 84 214 ; — son rapport
à l'Académie, sur une inscription cunéi-
forme, trouvée à Larnaca , n5; — note
sur un abacus grec , 3o5 ; — nomme
membre de diverses sociétés savantes étran-
gères , 344 i — sur les noms des artistes,
375 ; — sur diverses antiquités fausses ,
4a5 ; — sa lettre à M. Lenormant sur une
tête de Phidias , 460 ; — devine l'existenre
d'un aqueduc par suite d'une inscription ,
78 , 83 ; — donne la description de ce
monument, 4^9- — Mémoire sur l'étude
des noms propres grecs, 537; — son ex~
plication d'un bas-relief antique, repré-
sentant un Repas de famille , p. i. —
Critique de la prétendue Amulette de
César
Lettres éphésiennes. Citées, 169, 170. — mi-
lésiennes. Citées par Clément d'Alexan-
drie, 169. — Lettres d'un Antiquaire.
Collection citée , 237, note 2.
Lettres numériques grecques , avec leur va-
leur en chiffres ....
Lexique copte de A. Peyron. Cité
Liège (Monnaie de). ISotice citée
Ligature des lettres doubles; à quelle épo-
que apparaît
Limoges. Bulletin de la Société archéologi-
que de cette nulle. Annonce de la 2e li-
vraison
Lion égyptien
Loches. Reclieixhes historiques sur son châ-
teau fort, 476 ; — son donjon, 477 ; — son
église
Lois de Solon écrites sur du bois
Longpérier ( M. de). Recherches sur un mi-
roir arabe et des inscriptions arahes, 338,
4o8. — Nommé conservateur des antiques
égyptiens et orientaux au Louvre
Longue rue ( L'abbé ). Description de la
France. Citée
Lottin de Laval (M.). Ses beaux moulages
d'antiquités persépolitaines
Louis (saint). Beau portrait de ce prince ,
677. — Son Sceau, pi. 60
Lysippe (Ecole de), fondée dans l'île de
Rhodes, 81. — Vase de ce sculpteur
Magie. Recherches sur cette science
Magistri vicorum. Recherches sur l'année
de leur installation
Magnin (M.). Ses dissertations sur la mise
en scène des Grecs, 457, note 2.
Maguelone. Monnaie d'évêque de cette ville.
Malval (Église de)
Manassés (Monnaies de), archevêque
Manneken-Pis , fontaine de la ville de
Bruxelles
Mars égyptien. Statuette. Voir Onouris.
Mas-Latrie (M. de). Son rapport sur sa mis-
sion scientifique en Chypre , 114. — Ob-
jets donnés par ce savant et trouvés dans
l'ancienne Idalie
Masque de Fer (Le). Ce qu'il était, 104 ; —
lieu de sa sépulture
Mater Ideea. Nom donné à Cybèle
Mathilde, imp. Sa sépulture retrouvée
Matrone (La) assise au repas. Remarque sur
cette particularité 354 ,
Maury (M. Alfred). Dissertation sur un mi-
roir magique , et recherches sur l'histoire
des sciences occultes, l5^ ; — sa disserta-
tion sur les divinités psychopompes, citée
p. 89, note I. Analyse d'un Mémoire de
M. Janssen sur l'arbre de Jessé , 542 ; —
son explication d'un bas-relief persépoli-
tain, relatif à Darius , trouvé à Behistun,
3o8
26
56
2r)6
488
69S
756
^9
690
675
438
1.54
64 1
190
23 r
690
356
828
TABLE ALPHABETIQUE
PAGES
049. — Notice sur M. de Clarac et ses tra-
vaux , /S^ ; — sur une statue du dieu
Aschmoun 76.3
Menuiserie du XVe siècle dans l'église de
.Notre-Dame de Blécourt 5?.
Merbaka (Bas-relief de) 346
Mérimée (M. Prosper). Notice sur un tom-
beau du moyen âge , 43. — Beclierches
sur une statuette antique , 264 ; — son
rapport au ministre de l'intérieur sur les
travaux de la commission des monuments
historiques, 190. — Sur une statue d'Her-
cule découverte à Dénia, 793. — Méta-
morphoses opérées par M. Raoul Ro-
chelte 3gi
Métaux. Quels sont les dieux à qui ils étaient
attribués, 25g. — Comment désignés aux
divers siècles dans les manuscrits 260
Michoh (M. l'abbé). Son ouvrage sur la Cha-
rente monumentale 5^7
Millin. Voyage dans les départements de
la Fiance. Cité 248 , 669
Minervini, antiquaire italien. Cité, p. 3og,
note 2.
Mionnet (M.). Éloge de ce savant et de ses
ouvrages fan
Miroir arabe à figures 338
Miroirs étrusques (Recherches sur les ), ou-
vrage de M. Gerhard. Cité 322
Miroirs japonais. Leur singulière propriété,
167; «-magiques du XV au XVI* siècle. i54
Miséricordes du chœur de l'église du Val-
des-Ecoliers , 52
Modius. Ce que désigne celte coiffure et à
qui elle appartient 92
Monastère d'Hagia 277
Monétaires. Exemples de leur nom sur la
monnaie avec celui du roi 69
Monnaie (La) 90us la protection de Junon.
Pourquoi ? 3^2
Monnaies inédites du XI V« siècle, 60; —
d'évêques de Reims, 60; — du comte
Eudes de Champagne, 61 ; — du roi Cha-
ribert retrouvées, 59; — du XIVe siècle. 60
Monnaies d'or et d'argent de saint Louis ,
4<>9 ; — romaines trouvées à Rouen 532
Montfaucon. Son ouvrage l'antiquité ex-
pliquée. Cité 9 , 80, 89, 225, 226, 327
Monuments céramographiques {Elite des). 3u
Monuments figurés. Ouvrage de M. Le
Bas. Cité, 85, note t. — Monuments iné-
dits. V. Winckelman. — Monuments de
de l'Art Antique. Y. Muller.
Monumenta Mattheiana. Cités 96"
Morée. Expédition scientifique de M. Le
Bas en ce pays. Cité, 86, note 4, et p. 88, 2t5
Mort (Personnification de la), 89 et les notes
2 et 3.
Mort. Sa représentation sur un bas-relief. . . 36o
Morts. Comment transportés aux Champs-
Elysées, 8g, note 2,
Mosaïque découverte à Chaîna li, 142; — autre
trouvée en Egypte 189
Movers (M.). Arcliéolog. Cité 76*4
Moyen ûge. Ce que lui doit la décoration des
tombeaux 44
Miiller (K. O.). Son ouvrage sur les Monu-
ments de l'Art antique. Cité , 8;, n<» 3.
PA6I8
Munus gladiatorium. Sorte de combat che*
les Grecs (>
Musaraigne égyptienne 717
Musée Sigillaire des Archives du royaume ,
736, 821
Musée à Guéret. Son importance , 1 10. —
Musée fondé à Limoges , 1 17 ; — de Lan-
gres 585
Musée de Leyde, 710; — égypt. à Londres. 693
Musée du Louvre. Cité, 9, note)i; — son ori-
gine, 466, 53o, 756, note 1 ; — d'Oxford,
id. ; — de Munich-, ib. ; — de Vérone, ib.
et p. 97, note 2, — de Niort Cité 4^
Musée Nani. Cité, 96. — Musée de l'école des
Beaux-Arts , 186; — de Turin. Cité, 23 ;
— impérial de Vienne. Cité, 345 , note 1 .
Musée des Petits-Augustins. Son origine ,
4W>. — Catalogue des objets d'antiquités
qui s'y trouvaient en 1790 ^67
Musées. Leurs attributions respectives sage-
ment déterminées /((>()
Museo Borbonico. Cité 229
Muséum romanum de la Chausse. Cité, 224,
23î,328, 133
Muséum (British), ou Musée britannique. Sa
description 694
Muséum Worslejanum. Cité, 87 , 92, aux
notes.
Mycérinus ouMeukaré.Son tombeau restitué
par M. Lcnormant 709
Nécrologie 691 , 754
Nécropole de Memphis. Cité 117
Ncxûeria (Les). Signification de ce mot. 97, 35o
Nil (Dieu), statue du musée de Londres. . . 705
Nil. Recherches sur les preuves de la hauteur
ancienne et actuelle de ses eaux 177
Nilomètres (Anciens) de la Nubie 177
Nimroud ( Objets antiq. trouvés à ) 791
Ninive. Description des ruines de celte ville
par MM. Botta et Flandrin ; crédit pour la
publication de cet ouvrage, 271. — Sculp-
tures de cette ville au Louvre 53o
Niort (Tombeau du Musée de) , pi. 47 4-*
Noblesse (Sceaux de la) aux archive» du
royaume . . . ., 676
Nointel. Sa précieuse collection et recher-
ches à ce sujet, 460. Voir aussi à Inscrip-
tions.
Noms de bon augure chez les Grecs , 3.— -
Noms de monétaires français sur les mon-
naies avec celui du roi r>C)
Noms des vases dans l'antiquité 3et>
Noms des artistes grecs et romains, 34, 129,
3^5, 499 — Noms des évêques de Uthina
(Oudnaii), i43. — Noms anciens de quel-
ques villes et rivières du département de
la Charente z\(i
Notre-Dame de Blécourt ou Bléchicourt.
Notice sur cette église 4/
Nubie (Haute). Rapport sur l'expédition
dans ce pays 171
Numidiques ( Inscriptions ). Voir au mot
Inscriptions et à Duvivier.
Numismatique orientale. Lettres citées 55
Obole atlique. Recherches sur sa subdivision
en six chalques 3o5 , 3o6
Onouris (Dieu) 717
Ops Consista. Quelle est cette divinité 444
DKS MATIERES.
829
PAGES
Oniemenlsde vêtements cl d'étoffés eu carac-
tère* arabes /jo6
Oxybaphon. INom d'un vase antique 3op
Panégyries ( Emblème des) 708
Panofka(M). Argns Pnnoptes. Cite. 3o(} à 319
Panorama d'Egypte et de Nubie , par
M. H. Ilorcau 62
Panthéon Egyptien de M. Cliampollion.
Cité 24 , 71 , 73
Papyrus astrologique du Musée royal 209
Parentalia (Les). Signification de ce mot. . 35s
Parasites dans l'antiquité . . . 5o^
Parthénou. Détails de diverses sculptures de
ce temple, l\6i ; — converti en église dédiée
à la vierge Marie, 235. — Inscription grec-
que retrouvée et expliquée par M. Ran-
gabé 235
Pasteurs (Bois). Statue présumée de celte
époque. . 175
Pavage des églises Notre-Dame de Boulogue.
819. — De Saint-Nicaise à Reims 820
Pavots (Trois têtes de). Ce qu'elles signi-
fient, 027
Peintre grec mort en Gaule 5l2, 583
Peinture sur verre au XIXe siècle, 63. —
Peinture murale dans les monuments
grecs 237
Peintures (Choix- de) de Pomjiéi , avec
figures en couleurs, par M. Roux et des
explications par 31. Raoul Rochette ,
in-fol. Jugement porté sur cette publi-
cation 118, 1 94
Peintures murales de tombes représentant
des scènes familières 36 1
Pelasgicou. Monument d'Athènes. Cité 44^
Pénales. Ce que disent de leur culte les au-
teurs anciens 32q
Peplus. Détails sur ce genre de voile 491
HepiSeiîtvz. Ce que c'est 97 , 352
Périégfctes ( Les) , écrivains compilateurs . . . 44^
Perruque égyptienne 720
Hc77oé. Nom d'un jeu connu des anciens. . . 297
Peyron (A.). Voir à Lexique copte.
Phénicienne (Langue). V. Inscription.
Phidi3s. Lettre de M. Lettonne , sur une
tête de ce sculpteur, retrouvée par M. Le-
normant , 335 , !\6o. Voir aussi à Par-
thé non.
Philippe Ier (Sceau de ) , roi de France. ... 736
Philochore. JNom d'un voyageur antiquaire. 44'^
Phonétique. Valeur de ce mot, 25, 3o.Voir
aussi à Alphabet.
Pierres ( Culte des ) chez les Celtes , 1 ï 1 . —
Pierres gravées , faussement réputées an-
tiques, 261, 262, 263. — Pierres levées. . 585
Pile de Cinq-Mars. Dissertation sur cette
antiquité l\"iiS
Pilon, employé comme arme par une femme
troyenne 5l5
Pinacothèque (La) d'Athènes. Citée 242
Pinard (M.). Notice sur l'église deBlécourt,
47 ; — sur la Haute-Borne , 585 ; — re-
cherches sur l'église de Bougival 685
Planètes. Comment désignées du XIIe au
XIII* et du XV* au XVI* siècle, 258, 260
Plâtre. Procédé pour le durcir 342
Poignard curieux. Voir Dague*
PAGES
Polcinon, ou voyageur archéologue, 44^- —
Recherches s» " ce voyageur 449 * 49^
IldAiç ou nô^eiç, Nom d'un jeu connu des
anciens 298
Poinnéi. Choix de peintures de cette ville,
118, 194, 3io,343. — Fouilles exécutées
dans cette ville 343
Pont à trois rangs d'arcades superposées en
Syrie. Monument inédit , 82. — Pont
Julian 426, b'0'9
Pont de Saitit-Benezet ; n'est pas en ogives ,
mais en plein-cintre 670
Porcs offerts en sacrifice à Vénus . a3o
Porche de Saint-Germain l'Auxerrois cou-
vert de peintures 596
Port e de l'ancien hôtel de Guise 625
Portrait de Jésus-Christ toi
Poteries romaines trouvées à Vienne (Isère),
272 ; — autres trouvées dans le déparle-
ment de la Gironde 628
Potiers (Les) rangés à tort parmi les artistes. 386
Pourtalès-Gorgier (M. le comte de). Son ca-
binet des antiques , mentionné 87
Preller (M.), sur la vie et les ouvrages de
Polémon 45o
Priape trouvé près d'Amiens A85
Prison de la Chambre des pairs 526
Prisonniers célèbres détenus au château de
Loches 479
Prisse d'Avennes. (M.). Description du Mu-
sée de Londres 6g3 à 72J
Prix offerts par ra Société des antiquaires do
la Morinie, 117; — Prix et mentions
honorables décernés par l'Académie 42î
Proscvnème de l'époque d'Aten-re-Baklian . . 53
Prussienne (Expédition) en Nubie 171
l'unique (Langue). Rectification d'un carac-
tère, 567. — Explication de quatre inscrip-
tions carthaginoises, 629. — Cachet 99
Puy-de-Gaudy , lieu de sépulture près de
Guéret au XIIe siècle 1 10
Quaranta (M. Bernard), archéologue. Cité
229, 23o; — son explication d'un sujet de
vase antique 5i5
Quatuorviri monetales. Quelles étaient
leurs fonctions 222
Questions de l'histoire de l'Art , par
M. Raoul Rochette. Critique de cet ou-
vrage 1 29
Rangabé. (M.) Sa lettre sur les peintures
murales du temple de Thésée, 234. —
Lettre à M. Letronne sur une table nu-
mérique antique et inédite 293
Raoul Rochette. (M.). Examen de ses cri-
tiques, par M. Letronne, 34- — Rapport
sur les églises gothiques, 179. — Critique
de son Choix de peintures de Pompci ,
par le docteur H. Brun, 118; — ses as-
sertions sur les arls et les artistes réfutées,
129; — ses méprises sur divers noms
d'anciens artistes 377
Régence. S'il est vrai que les sceaux des rois
de France, mineurs , aient été remplacés
par ceux de !eu< s régents *)S6
Rapport sur l'expédition prussienne en
Nubie . 171
Rawlinson (Le major) fait connaître l'in-
scription cunéif. de Behistun » , 54<J
830
TABLE ALPHABETIQUE
l'AGES
Recette cabalistique contre la colique 5tO
Reims (Evoques de). Monnaies retrou-
vées 6l
Beinaud (M.). Sa traduction d'une relation
de voyages dans l'Inde et la Chine au
IXe siècle, 128 ; — sa description du ca-
binet Blacas. Cite' 164 , 33g
Reine blanche et Beine noire , sur une stèle
pharaonique 706
Reliquiir antiquœ. Ouvrage cité 192
Renaissauce. Cette époque jugée 44
Bepaires des malfaiteurs à Paris 74^> /4?
Bepas de famille représenté sur un bas-
relief, pi. 46, p. 9, 218, 347. — Bepas
funèbre. Bemarque sur cette attribution ,
9. — Béponse de M. Le Bas à ce sujet, 85,
92, 97. — Bepas des vivants dans l'anti-
quité 349
Betable d'une cbapelle de la catbédrale de
Burgos, 547 ; — autre de l'église de Saint-
JNicolasdu Port 8l3
Revue Numismatique Belge, i843-i8^5 ,
t. IL Citée, 56; — de Blois 54
Revue philologique de littérature et d'his-
toire, année i845. Citée 54
Rheinzaben (Antiquités de). Ouvrage pos-
thume de feu Schweiglueuser, in-fol. avec
planches 62
Biccio. Le monete difamiglie romane. Cité ,
256, à la note.
Richardson. Histoire de la Peinture 189
Rois de France. Leurs sceaux réunis 676
Rome au siècle d'Auguste. Ouvrage de
M. Dezobry. Analyse des deux premiers
volumes q86
Borne. Description nouvelle de cette ville
d'après les fragments d'un vieux plan en
relief, 487 ; — mérite de ce travail 4^8
Bosette (Décret ou inscription de), Citée, 17,
21, 29
Boss (M.). Voyages dans les îles grec-
ques , ouvrage cité , 276; — son grand
recueil d'iuscriptions 281, 284, 287
Bues (Nétoyage des) au XVIIe siècle iZj|3
Sabre votif faussement attribué à Vespasien. 432
Saint-Germain l'Auxerrois (Eglise). Sa res-
tauration 591
Saint-Jacques la Boucberie (Eglise) 68 1
Saint-Paul (Église) à Paris 748
Sainle-Sopbie ( Basilique de ). Nom de son
architecte 5lt
Saintes (Antiquités de cette ville et de celle
de Barbezieux , par Élie Vinet. Cité,
p. 247 ; — autre ouvrage sur les antiquités
de cette ville, etc. , par M. Chaudruc de
Crazannes 248
Salvolini. Alpbabet phonétique de ce savant,
68 ; — son travail sur les valeurs alphabé-
tiques de Champollion 69 , 70
Saulcy ( M. de). Son examen des écrits de
Klaprot h contre Champollion , 12*, 65
à 77 ; — ISTote sur un cachet punique, 99;
— son Mémoire sur l'épigraphie phéni-
cienne et punique , 538 , 55g ; — restitu-
tion d'une inscription trilingue , 567 ; —
inscription pbénicienned'Ipsamboul 707
Saumaise. Son travail sur l'origine des pla-
nètrs 260
rAGES
Sceau de saint Louis , publié par M. Cartier,
675. — Bemarques sur le soin apporté par
les graveurs du moyen âge, à la reproduc-
tion de sa figure, 677. — Sceau de Phi-
lippe Ier, roi de France (1082), 736, et la
pi. 61. — Sceau égyptien 721
Sceaux bistoriques réunis à l'école des Beaux-
Arts , 186. — Magnifique collection de
12,000 sceaux de tous genres, etc. , aux
Archives du royaume, 676 Importance
de ce genre de collection , 736 ; — de la
bibliôlbèque de Grenoble 821
Scènes d'adieux (Des) dans l'antiquité 214
Sculptures de divers artistes grecs, expli-
quées par M. deClarac 129
Seccbi ( B. P.). Interpr. des biéroglyphes. 821
Seine. Monument gallo-romain découvert
prés de ses sources 192
Sépullius Macer (Cachet de ) reconnu de fa •
brique moderne 44 r ' ^^8
Sépulture ( Découverte de la ) de l'impéra-
trice Mathilde 690
Sépultures des évéques de Boulogne 818
Serapis , divinité payenne 773
Serpent. Ce qu'il représente sur les bas-
reliefs 96 , 773
Shaw (Le Dr). Son ouvrage cité 142
Siebel (D. M.). Mémoire sur le culte secret
et les attributs de Venus Genitrix , 221 , 32t
Siècle (Xe). Beste d'arebitecture romano-
byzantine . ni
Sigles monétaires 3o6
Signes planétaires sur les monuments. Com-
ment représentés, i5o, 258; — dans les
manuscrits 25g , 260
Silence (Déesse du) 225
Silicernium (Le). Ce que c'est 352
Sillig (M.). Son Catalogus Arli/îcum, etc.
Cite, 34 1 35. — Additions qu'y a faites
M. Baoul Bocbette. Ce qu'en pense
M. Letronne 35, 386
Société royale des antiquaires de France .... 53
Société des Beaux-Arts à Atbènes, fondée en
i845 27 1
Solesme ( A.bbaye de). Ses sculptures citées. 547
Souterrains des temples. Leur usage dans les
cérémonies secrètes 280
Souverains de l'Europe (Sceaux des) aux
Arcbives du î-oyaume 676
Specularii. Nom donné à certains magiciens
au moyen âge IÔ9
Stadler (M. de), sur les sceaux de deux rois
de France 736
Stalles de Solesmes 547
Statue trouvée à Andros , moulée et placée à
l'école des Beaux-Arts «... 282
Statues des dieux enebaînées à Chio, à Ery-
thrée 454
Statuette trouvée à Herculanum , actuelle-
ment à la Bibliothèque royale de Madrid . 264
Stèle funéraire avec bas-reliefs , p. 1 , et
pi. 46- — Ce qu'en pense M. Le Bas ,
84 , 85. —Stèle de Danaùs 346
Stratèges d' Andros. Inscription qui les con-
cerne, 278 ; — leurs noms 279
Subligaculum ( Le ). Partie du costume des
gladiateurs 6
DES MATIERES.
831
PAGKS
Supplications. Discussion à ce sujet entre
M. Letronne et M. Le Bas 10, 94
Supposilii gladialores. Espèce de gladia-
teurs 5
Symboles (Les) sur les monuments arabes.
V. Lanci. Cite' 321
Symbolique cbre'liennc au moyeu âge 44
Symbolisme (Du) dans l'antiquité' figurée ,
218. V. Cheval j Serpent et Chien.
Synode des artistes des villes grecques q5r
Table léonlocéphalopode 9
'Table théodosienne ou. de Peulinger. Cite'e,
2^9. — Table astronomique des Egyptiens,
297. — Table à compter 401
Table d'Ahydos 697
Tabula alimentaria Bœbianarum. Travail
de M. Heuzen. Cité,. 535
Temples déblayés en Egypte , 53. — De'tails
sur celui de Tbe'se'e , 2.1\ 1 ; — de Bacchus . 288
Teniclius ou Tynnicbus. Observations sur le
nom de cet artiste 2! 2
Tète de Méduse. Mosaïque romaine 189
Texier (M. Cb.). Statistique des monuments
de l'Algérie 724
Thème natal de Proculus. Cité 25g
Tliéocrite critiqué à tort par M. Raoul Ro-
cbette , p. 123, à la note 1 .
Théogonie égyptienne. Recherches de M.
Cliampollion à ce sujet 2q, 29, 3[
Thésée ( Temple de ) l(\ 1
Thcséurn(TLe) , ou temple de Thésée. Ses
peintures murales. Citées, 23(5, 237, 238, 2^3
Timée le Sicilien. Jugement porté sur ce
compilateur 4**°
Tombeau (Le) d'Achille, 379,45'» —
d'Agnès Sorelle 4^3
Tombeau du moyeu âge et chrétien. IS'otiee
de M. Mérimée, 43; — assyrien décou-
vert dans l'île de Chypre 1 14
Tour hellénique à Gavrio 276
Tour Saint- Jacques la Boucherie 684
Toumefort. Voyage au Levant. Cité 96
Tragédie ( De la ) chez les Grecs. Ouvrages
cités, p. 457, notes I et a.
Traités d'alliance chez les Romains, accompa-
gnés de cérémonies religieuses, 232, et la
note i5.
Tribune aux harangues ; s'il est vrai qu'il n'y
en a eu qu'une seule 4^7
Tiic trac. Origine présumée de ce jeu 4°4
Triumviri monelales. Leurs fonctions 222
Troche (M. ). INotice sur les vitraux anciens
et modernes de l'église Saint -Germain
l'Auxerrois , 412- — Les peintures et
sculptures de la même église, 5gi. — No-
tice sur le couvent des Filles-du-Calvaîrc,
5i5. — Recherches sur le quartier de la
Cité 740
Trône à tête et pieds de lions. Cette particu-
larité remonte plus haut que Louis le
Gros 738
Troye (La nouvelle ville de ce nom). Fables
qui s'y rattachent. Voir Won.
Troyenne (Femme) tuant un soldat grec. . . 5 14
PAGES
Truie ( La ) otlèrle en sacrifice , 23o ; — de
couleur noire ou blanche apportée d'Ilion ,
23 1. — Truie à deux têtes , 232. — Sym-
bole de Vénus nationale et tutélaire . 2.32
Tuile du musée de Syracuse portant une
date d'Olympiade . . ".. 535
Tunique de Pallas avec une inscription dans
la bordure ... 38<)
Tunis (Lebey) visite la Bibliothèque royale. 627
Tynnichus. Voir Tenichtts.
Uthina (L'aucienne) aujourd'hui Oudnab.
Voir Mosaïque. Evêque de cette ville. . . 1^3
Valois (Hadrien). Galliarum. Cité. ..... 249
Vandalisme (Actes de) dans les églises à
Paris 268, 270
Vase attribué à Lysippe , q38 ; — servant à
broyer les couleurs , 293 ; — de Vivenzio
représentant le sac de Troye 5 1 5
Vases antiques. Mémoire de M. Letronne
sur leurs divers noms. Cité, 3or>, note I ;
— d'où proviennent-ils ? 077
Vaugirard (Eglise de) 53o
Vautour sacré d'une bari 704
Vénus-Cybèle , 22^; — sou culte à Rome ,
3^2. — Vénus nationale et tutélaire. Sou
symbole. V. Truie. — Du culte secret de
Vénus chez les Romains, prouvé par
les Divalia et les Angeronalia , 221;
quels sont ses attributs 222
Vénus Euéade , 23o. — Venus Genitrix ,
déesse de la procréation chez les Romains. 22t
Vespasien (Sabre de), pi. 55 425
Vie divine. V. à Bari.
Villes (Sceaux des) aux Archives 6*76
Vincent (M.). Recherches sur YAbacus. . . , 4ot
Vinet(M. Ernest). Recherches sur les fi-
gures à double visage. Argus Bifrons. . . . 3o8
Virgilius yanticus. Ouvrage de M. Jal. 539
Visconti. Cité. 37, 87
Vitraux de Saint-Germain l'Auxerrois , et
par occasion recherches sur la fabrication
moderne des vitraux d'églises 4*2
Vitry (Eglise de). Restauration de son clo-
cher ^2l\
Voie romaine près de Blois , 53o ; — du midi
de la France, 577. — Voies romaines à
Constantine 734
Vovages et recherches archéologiques de
M. Le Bas, pendant les années i843~44 '■>
dixième rapport 273
Voyages des Arabes et des Persans dans
l'Inde , la Chine au IX* siècle. Texte et
noie. Annonce de cet ouvrage 128
Walbert , architecte du VIIe siècle 48
Welcker. Antiquaire critiqué par M. Raoul
Rochette , 3g ; — ses ouvrages cités. 237, 2,'ùij
Wincester ( Cathédrale de). Notice sur ce
monument. Citée '92
Winckelman justifié contre les critiques de
M. Raoul Rochette, l35j —ses Monu-
ments inédits. Cités 86
Vénus de Médicis. Inscription de sa base. . . i38
Visconti. Cité 3l5 , 3i0
Witte (M . de) cité sur les monuments ccra-
mograpbiques, 3l8.— Catalogue Durand,
832 TABLE ALPHABETIQUE DES MATIERES.
pages taol:-
Woolsey (M. Th.). Auteur dune édition du Zodiacales (Rèpiésent. ) sur des monunicuts
Gorgirts de Platon , p. 78, note 1. égyptiens 711
Youug (Le D?). (Quelle est la valeur de sa 'Loï^. Son ouvrage sur les bas-reiiefs anti-
découvcrle lneroglyphique, l5, 17,18,, 19 ques 85 ;— et cet autre de usu et origine
Zeitschrisl fur Munz-Siegel JVappen- vbelisrorum, du même. Cité , 29; — son
kunde, par le docteur Kœline 55 opinion sur les figures bicéphales, 3 16; —
Zends (Texte). Études citées 55 on lui doit le nom de phonétique appli-
Z.zim . Quelques mots sur le sort et la fin de 'lue' à l'écriture égyptienne 29
ce jeune prince 102 Zumpt (M.). Philologue rite 774
tlS DE LA TABLS ALPHABÉTIQUE DU TROISIÈME VOLUME.
0
BSNDÏî;c^__. MAR201970
ce
3
R4
année 3
Revue archéologique
PLEASE DO NOT REMOVE
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