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Full text of "Revue archéologique"

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PURCHASED  FOR  THE 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 

FROM  THE 

CANADA  COUNCIL  SPECIAL  GRANT 


FOR 

ART 


REVUE 


ARCHÉOLOGIQUE 

OU  RECUEIL 

DE  DOCUMENTS  ET  DE  MÉMOIRES 

RELATIFS  A  L'ÉTUDE  DES  MONUMENTS  ET  A  LA  PHILOLOGIE 

DE  L'ANTIQUITÉ  ET   DU   MOYEN   AGE 

PUBLIÉS  PAR  LES  PRINCIPAUX  ARCHÉOLOGUES 

FRANÇAIS    ET    ÉTRANGERS 

ET    ACCOMPAGNÉS 

DE  PLANCHES  GRAVÉES  D'APRÈS  LES  MONUMENTS  ORIGINAUX 

III*   ANNÉE 


PREMIÈRE    PARTIE    -  à  £ C  O  ty  £>  C 

DU   15   AVRIL   AU  15JEPTEMBRE    1846  *  l/  J 


PARIS 
A.  LELEUX,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

RUE  PIERRE-SARRAZIN ,  9 

1846 


DE  L'IMPRIMERIE  DE  CRAPELET 


DE  VAUGIBARD,  9 


et 


Obmtl"'b 


TABLE  DES  MATIERES 

CONTENUES  DANS  LA  PREMIÈRE  PARTIE  (Avril  a  Septembre  1846). 


DOCUMENTS   ET   MEMOIRES. 

PAGES 

Lettre  a  M.  Laurin  ,  sur  une  stèle  funé- 
raire de  sa  collection,  par  M.  Lelronne , 
membre  de  l'Institut I 

Examen  des  écrits  de  Klaproth  ,  sur  la 
découverte  de  Champollion  le  Jeune,  par 
M.  de  Saulcy,  membre  de  l'Institut.    12,     65 

Sur  les  noms  des  anciens  artistes  grecs 
ou  no>TA!NS ,  par  M.  Letronne,  membre 
de  l'JnstituI 34  ,  375 

iSoTICE  SIR  UN  TOMBEAU  DU  MOYEN  AGE 
dans  le  Muse'e  de  Niort,  par  M.  P.  Mé- 
rimée ,  membre  de  l'Institut qo 

Nctbe-Dame  de  Blé  court,  par  M.  Pinart:     47 

Lettre  d::  M.  Letronne  a  M.  T.  Wooi- 
X't  Y  .  sur  une  inscription  grecque  de 
Syrie  et  sur  un  ancien  aqueduc 78 

F.iTTRK  ru  M.  Le  Bas  a  M.  Letronm: 
sur  la  stèle  funéraire  d:Aidinjik S'| 

Note  sur.  un  cachet  punique,  par  M.  de 
Saulry ,  membre  de  l'Institut «)y 

IN  PORTRAIT  DE  J.  C.  ET  LE  PRINCE  ZlZlM  . 
par  M.  J.  ComUt  ,  sous-préfet 10 1 

Ol  SCHIPTION  DE  QUELQUES  CHAPITEAUX  de 
l'église  ùe  Saint-Denis  à  Amboisc ,  par 
ALE.  Cartier lûO 

Antiquités  du  département  de  la 
Creuse  ,  par  J.  A.  L 109 

Explications  de  quelques  difficultés  rela- 
tives aux  anciens  sculpteurs  Callimaque  , 
Cléoniène  et  autres  ,  par  M.  le  comte  de 
Clarac ,  membre  de  l'Institut 1 29 ,  209 

Lettre  a  M.  A.  Jaubert  ,  sur  la  découverte 
d'une  mosaïque  à  Oudnab ,  par  M.  A. 
Bousseau l4^ 

Une  amulette  de  J.  César  ,  par  M.  J. 
Courlet ,  sous-préfet iqo 

Note  de  M.  Letronne  sur  l'amulette  de 
J.   César l53 

Miroir  magique  du  XVe  ou  xvie  siècle  , 
par  M.  A.  Maury,  sous-conservateur  à  la 
bibliothèque  de  l'Institut l54 

Rapport  sur  les  résultats  de  l'expédition 
prussienne  dans  la  haute  Nubie ,  par  M.  le 
docteur  Abeken 171 

Considérations  sur  la  question  de  savoir 


PAGES 
s'il  est  convenable,  au XIXe siècle,  de  bâtir 
des  églises  en  style  gothique 179 

Collection  de  sceaux  historiques  du  Mu- 
sée de  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  par  J.  A.  L.    186 

Lettre  a  M.  Ph.  Le  Bas,  sur  les  sujets 
funéraires  qu'on  croit  être  des  repas  fu- 
nèbres et  des  scènes  d'adieux  ,  par  M.  Le- 
tronne ,  membre  de  l'Institut 214  ,  345 

Mémoire  sur  les  Divalia  et  les  Angeronalia, 
comme  culte  secret  de  Vénus  chez  les 
Romains,  par  M.  le  docteur  Siebel.  221  , 
32t,  364 

Lettre  de  M.  Rangabé  a  M.  Letronne 
sur  une  inscription  grecque  du  Parthénon, 
sur  les  peiutures  du  Théséum  et  des  Pro- 
pylées, et  sur  deux  monuments  inédits 
récemment  découverts 2j4i  -9*5 

Sur  une  inscription  antique  de  la  ville 
DE  Saintes,  par  M.  le  baron  Cbaudruc  de 
Crazanues  ,  sous-préfet 246 

Sun  l'amulette  de  J.  César  et  le  cachet 
de  Sepulius  Maci.r  ,  par  M.  Letroune  , 
membre  de  l'Institut 2J3 

"Notices  sur  une  statuette  de  la  bibliothèque 
nationale  de  Madrid  ,  par  M.  P.  Mérimée^ 
membre  de  l'Institut .    2t>4 

Lettre  à  l'éditeur  de  la  Revue  Archéolo- 
gique,  sur  la  crypte  de  l'église  Saint- 
Merry,  par  L.  J.  G 268 

Voyages  et  recherches  archéologiques 
de  M.  Ph.  Le  Bas  ,  en  Grèce.  Rapport  à 
M.  le  ministre  de  l'instruction  publique, 
sur  uue  excursion  dans  l'île  d'Andros. .  . .   273 

Note  sur  l'échelle  numérique  d'un  abacus 
athénien  ,  et  sur  la  division  de  l'obole, 
attique  ,  par  M.  Letronne ,  membre  de 
l'Institut 3o5 

Argus  bifrons  ,  par  M.  E.  Vinet..  • 3og 

Note  sur  la  découverte  d'une  tête  de  Phi- 
dias à  la  Bibliothèque  royale 335 

Miroir  arabe  a  figures,  par  M.  A.  de 
Longpérier  ,  premier  employé  du  cabinet 
des  antiques  de  la  Bibliothèque  royale. . .  338 

Des  estampages  en  papier  ,  de  leur  repro- 
duction en  plâtre  et  moyen  de  durcir  le 
plâtre,  par  J.  A.  L 34l 

Lettre  de  M.  A.  J.  H.  Vincent  a  M.  Le- 
tronne ,  sur  un  abacus  athénien 401 


TABLE   DES  MATIERES. 


PAGES 

Lettre  a  M.  A.  de  LongpÉrier  ,  sur  l'em- 
ploi des  caractères  arabes  dans  l'ornemen- 
tation cher  les  peuples  chrétiens  de  l'oc- 
cident, par  M.  Henry,  bibliothécaire  à 
Toulon 4°6 

VlTRAUX  DE  L'ÉGLISE  DE  SAINT-  GERMAIN 
I.'AUXERROIS,  par  M.  Trocbe 4ia 

DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 

DÉBLAI  Dr  TEMPLE  de  Danderah  (Egypte).     53 

Découverte  d'un  nouveau  proseynème  de 
l'époque  d'Atin-re-B.iklian Id. 

Figurines  de  terre  CCITE  trouvées  dans 
les  ruines  de  Rhnrsabad Id. 

MM.  J.  DE  WlTTE  ET  Ad.  DE  I.ONGPÉRIER 
élus  membres  de  l'Académie  d'archéologie 
de  Brlpique Id. 

Inscription  phïnicifnne  découverte  a 
Marseille Id. 

Elections  de  l'Académie  des  Inscriptions 
et  Belles-Lettres  et  de  la  société  royale  des 
antiquaires  de  France Id. 

Bas-relief  assyrien  découvert  dans  l'île  de 
Chypre,  et  observations  de  M.  Letronne 
»ur  ce  monument \\l\ 

Nécropole  de  Memphis 1 16 

M.  J.  Courtet.  nommé  correspondant  du 
ministère  de  l'instruction  publique  pour 
les  travaux  historiques 1 17 

Commission  d'Histoire  et  d'Archéologie 
instituée  dans  le  département  de  la 
Haute- Vienne Id. 

Prix  offert  par  la  Société  des  anti- 
quaires  DE  LA   MORIME Id. 

Mosaïque    trouvée   en  Egypte 189 

Antiquités  trouvées  dans  l'île  de  Chy- 

»" '9° 

Rapport  de  la  Commission  des  monuments 

historiques Id. 

Congrès  archéologique  df.  Gloucester  .  192 
Découverte  du  temple  de  la  Seine...    Id. 

RÉÉDIFICVTK»    DE  LA  SALLE  DES  ANCÊTRES 

DE  THOUTMES  III 193 

Visite  de  M.  lf  Ministre  de  l'Intérieur 

AU  CH-ATEAU    DE  BLOIS 27  I 

Publication  de  l'ouvrage  de  MM.  Botta 
ET  Flandin  ,  Sur  les  découverte:.  9À 
Ninive /</. 

Création  d'une  société  des  beaux-arts 
v  Athènes Id. 

Amphores  antiques  trouvées  à  Vienne  .    .  272 

Folili.es  de  Pompéia 

M.  Lstionne  nommé  membre  des  Sociétés 
archéologiques  de  Nassau  et  de  Mayen<  1 

M.  le  marquis  de  La  Grange  nommé 
memhre  honoraire  de  l'Académie  de» 
Inscriptions  et  Belles-Lettres *    Id. 


pages 
Résumé  de  la  séance  annuelle  de  l'Académie 

des  Inscriptions  et  Belles-Lettres 420 

Rectification   fournie  par  M.  le  docteur 

Siebel 424 

Restauration  du   clocher   de    l'église  de 

Vitry,  près  Paris Id. 

BIBLIOGRAPHIE. 

Ouvrages  dont  il  a  été  rendu  compté  dans 
ce  volume. 

Revue  de  philologie  ,  de  littérature  et 
d'histoire  ancienne  ,  publiée  par  M.  L. 
Renier ,  n°  6.  1846 54 

REVUENUMlSMATiQUE.publie'e  par  MM.  Car- 
tier et  de  La  Saussaye,  n°  6.  184!'' Id. 

Bibliothèque  de  l'école  tes  Chartes, 
2e  série ,  t.  II Id. 

Zeitschrift  fur  Munz-Siegel-Und  Wap- 
pknkunde  ,  publié  par  le  docteur  B. 
Kcehne  ,  5e  annre.  i845 55 

JOURNALASIATIQUE, juillet  àdécemhre  i8^5. 

Revue  de  la  numismatique  belge  ,  t.  II,  Id. 
n«3 56 

Recherches  sur  la  formule  funéraire sub  as- 
cia  dedicare,  par  M.  A .  B.irlhélemy 57 

Les  inscriptions  phéniciennes  ,  puniques 
numidiques  ,  expliquées  par  une  méthode 
incontestable ,  par  le  général  Duvivier  , 
in-8»,  1846 58 

Notice  sur  quelques  médailles  antiques  et 
quelques  monnayes  du  moyen  âge  iné- 
dites, rares  ou  d'intérêt  local,  par  le 
baron  Chaudruc  de  Crazannes,  8°,  i8^5.      5g 

Description  de  monnaies  du  XIVe  siècle, 
découvertes  à  Buissoncourt ,  par  M.  G. 
Rolin,8°,  l8!j5 60 

Note  sur  un  denier  inédit  de  Manassés  Ier, 
par  M/Duquenelle  ,  8®,  i8^5. 61 

Panorama  d'Egypte  et  de  Nubie  ,  par 
Hector  Horeau  ,  10e  livraison 62 

Antiquités  de  Rheinzabern  ,  dessinées 
sous  la  direction  de  feu  Schweighaeuser , 
in-4° Id. 

Peinture  sur  verre  au  XIXe  siècle, 
quelques  réflexions  par  M.  G.  Bontemps , 
in-8<>,  1845 63 

Dictionnaire  de  l'architecture  du  moyen 
âge,  par  M.  A.Berty,  in-8»,   1845 64 

Choix  de  peintures  de  Pompéi  ,  la  plupart 
de  sujets  historiques  ,  lithographiées  par 
M.  Roux  ,  et  publiés  ,  avec  l'explication 
archéologique  de  chaque  peinture,  et  une 

.  introduction  sur  l'histoire  de  la  peinture 
••lie»  les  Grecs  et  les  Romains  f  par 
M.  Raoul  Rochette,in-fol.,  1844...  Il8'   l^ 

Histoire  de  l'art  par  les  monuments  , 
depuis  le  IV«  siècle  jusqu'au  XVIe,  par 
Seroux'  d'Agencourt '  "^ 

Relations   des    voyages  faits   par 
Arabes  et  les  Persans,  dans   l'Indv 
et  a  la  Chine  ,  dans  le  IX»  sied.  <].■ 
chrétienne  ,  texte  erabe  et  traductiou  <n- 
richie  de  notes  et  d'éclaircissements  . 
M.  JReinaud,  memhre  de  l'Institut ,  »  vol. 
in-18,   i845 128 


REVUE  AllCHÉOLOGIQIE. 


LETTRE  A  M.  LAURIN, 


CONSUL  GENERAL  D  AUTRICHE  A  ALEXANDRIE 


SUR  UNE  STÈLE  FUNÉRAIRE  DE  SA  COLLECTION 


Monsieur  , 

Au  nombre  des  objets  précieux  d'antiquité  que  renferme  votre 
collection,  se  trouve  une  stèle  funéraire,  accompagnée  d'une  inscrip- 
tion grecque. 

L'interprétation  complète  de  ce  monument  vous  ayant  paru  offrir 
quelques  difficultés ,  vous  avez  désiré  avoir  mon  opinion  sur  le  sens 
de  l'inscription,  et  sur  son  rapport  avec  le  sujet  du  bas-relief  qu'elle 
accompagne.  Vous  avez  en  conséquence  prié  M.  Prisse  d'en  faire  un 
dessin  et  de  le  mettre  sous  mes  yeux,  en  me  permettant  de  le  pu- 
blier, si  je  croyais  cette  publication  utile.  Je  pense  que  les-archéo- 
logues  vous  sauront  beaucoup  de  gré  de  cette  permission,  qui  porte 
à  leur  connaissance  un  monument  curieux  à  plus  d'un  titre.  Je  désire 
que  l'explication  que  je  vais  en  donner  leur  paraisse,  ainsi  qu'à  vous, 
satisfaisante. 

Au  premier  coup  d'œil,  ce  petit  monument  (Voir  la  pi.  46), 
paraît  avoir  fort  peu  d'importance.  Ce  n'est,  en  effet,  qu'une  stèle 
funéraire  analogue  à  beaucoup  d'autres.  Elle  est  terminée  par  un 
fronton  d'assez  bonne  proportion,  dont  le  milieu  est  occupé  par  un 
disque. 

L'architrave  du  fronton  repose  ,  aux  deux  extrémités ,  sur  un  pi- 
lastre qui ,  de  chaque  côté ,  forme  l'encadrement  de  la  scène  re- 
présentée; disposition  qui  se  reproduit  fort  souvent  suc  les  stèles  de 
ce  genre. 

Le  sujet  du  bas-relief  n'a  rien  non  plus  de  remarquable  en  lui- 
même  ;  c'est  une  de  ces  scènes ,  qu'on  est  convenu  d'appeler  repas 
funèbres,  fort  nombreuses  dans  tous  les  musées. 

m.  1 


2  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

La  stèle  semblerait  donc  mériter  assez  peu  d'attention ,  bans  l'in- 
scription grecque  qui  l'accompagne  et  dont  le  sens,  combiné  avec  la 
composition  du  bas-relief,  apporte  quelques  lumières  sur  la  véritable 
signification  de  ces  sujets  funéraires. 

C'est  donc  par  l'inscription  qu'il  convient  de  commencer.  Il  im- 
porte ,  comme  on  va  le  voir,  de  bien  la  comprendre. 

I. 

Heureusement  elle  est  intacte;  et  les  lettres  en  sont  presque  toutes 
parfaitement  distinctes. 

Avant  tout,  elle  nous  fournit  le  moyen  de  savoir,  d'une  manière 
certaine ,  quel  est  le  lieu  d'où  cette  stèle  provient  originairement. 

11  était  naturel  de  présumer  qu'une  stèle  qui  fait  partie  de  votre 
collection  provenait  de  l'Egypte.  Néanmoins,  en  ce  cas,  une  chose 
devait  surprendre  ;  c'est  qu'on  n'y  aperçoit  aucune  trace  de  cet  égyp- 
tianisme ,  qui ,  vers  le  troisième  ou  le  second  siècle  de  notre  ère  (  et 
l'on  ne  peut  faire  remonter  plus  haut  ce  monument  ),  se  mêlait  en 
Egypte  dans  tous  les  sujets  funéraires.  J'ai  eu  l'explication  de  cette 
singularité,  qui  m'avait  frappé  d'abord,  lorsque  j'ai  su  de  M.  Prisse 
que,  selon  votre  opinion  ,  la  pierre  avait  été  apportée ,  soit  de  Con- 
stantinople,  soit  d'une  contrée  voisine;  ce  qui  semblait  en  rapport 
avec  le  nom  des  Thraces  qui  paraît  dans  l'inscription. 

Depuis,  j'ai  découvert  la  provenance  précise  de  ce  monument.  11  a 
été  certainement  trouvé  à  Aidinjik,  lieu  situé  au  sud  de  l'isthme  de 
Cyzique.  En  voici  la  preuve  :  M.  W.  J.  Hamilton,  rapporte  que, 
ce  visitant  l'aga  de  ce  lieu,  celui-ci  désira  de  lui  vendre  (wished  me 
«  to  buy  )  quelques  médailles  byzantines  et  quatre  tablettes  se'pnl- 
«  craies  avec  inscriptions,  placées  sous  les  bas-reliefs  funéraires 
à  usités  en  pareil  cas  (1).  »  Il  ne  décrit  aucun  de  ces  bas-reliefs,  mais 
il  rapporte  les  quatre  inscriptions  (2);  or,  l'une  d'elles,  quoique  fort 
altérée  dans  sa  copie,  est  évidemment  la  même  que  celle  de  notre 
stèle  funéraire.  On  en  jugera  : 

EOPTHHrYNHAYTOYKAlACKA 
niAAHCOYOCAYTOYAANAACOC 
TEPOJnAACOOIAKOJNMNeiAC 

XAPIN 
NNCAKIC  6YCAC  CIC 

AYTHN. 

!     Jir^mrhi.s  iv  ./.ski  Mmor,  t.  II,  p.  UO. 
(2)  >uinéro6  M8  à  Ai. 


UNE   STELE   FUNERAIRE.  3 

Ainsi  la  provenance  est  clairement  établie.  En  disant  quel  agû  vou- 
lait lui  vendre  ces  monuments,  M.  Hamillon  n'ajoute  pas  qu'il  les 
lui  ait  en  effet  vendus;  mais,  tôt  ou  tard,  ils  auront  été  achetés  par 
quelque  voyageur  européen,  des  mains  duquel  vous  aurez  reçu  celui 
qui  est  en  votre  possession. 

L'inscription  est  ainsi  conçue  : 

ÈépTY}  'h  yvvh  avrov  jtal  AocÀyj- 
mxdriç  6  vbç  ocvzov  ,.  Aavaw  ?  dzv- 

TÉpM   7TaAw   @paXWV,  [AVEICX.Ç 

rf  - 

C'est-à-dire  :  «  Heorté,  sa  femme,  et  Asclépiade,  son  fils,  à  Da- 
«  naiis,  du  deuxième  ordre  des  Thraces;  pour  souvenir. 

«  Après  avoir  vaincu  neuf  fois  au  pugilat,  [Danaùs]  est  allé  dans 
«  le  séjour  des  morts.  » 

Le  nom  de  femme  Eopr/j ,  ne  paraît  pas  s'être  encore  rencon- 
tré. Et  l'on  peut  s'en  étonner;  car  il  est  analogue  à  ceux  de 
Ajvapuç,  Apsr/j ,  Eipwj,  ËXttiç  ,  NUm ,  Zooyj ,  et  autres  noms  pro- 
pres de  femme,  qui  sont  des  substantifs  féminins  abstraits  ;  et  celui-ci 
(lopr/7,  fête),  était  un  de  ces  noms  de  bon  augure  que  les  Grecs 
recherchaient  avec  autant  de  soin  qu'ils  évitaient  ceux  d'un  sens  op- 
posé. On  ne  connaît  que  le  dérivé  Eopnoç ,  dont  M.  Pape,  dans  son 
lexique,  ne  cite  qu'un  seul  exemple,  tiré  de  Libanius,  mais  qui 
existe  aussi  dans  une  inscription  athénienne  (1). 

La  dernière  ligne  est  poétique.  Au  moyen  du  léger  changement  de 
sic  en  eg.  et  en  rétablissant  la  crase  (wxeT')>  (lue  'es  lapidaires  né- 
gligent ordinairement,  on  obtient  un  vers  auquel  ii  ne  manque  que 
le  premier  pied  pour  devenir  un  hexamètre  passable  ;  et  il  est  à  remar- 
quer, que  pour  avoir  ce  pied,  il  suffit  de  rappeler  le  nom  de  Danaùs, 
cité  plus  haut,  et  qui  est,  en  effet,  le  sujet  des  deux  verbes  ;  on  aura 
donc  : 

[Aavaoç]  Èvveaxaç  (ou  eweaxiç  Aa'vaoç)  7ruxTsu<yaç  wxÊT'  *S  A^v* 
(1)  Ross,  Ann.  Inst.  arch.,  XIII ,  p.  28.  —  Rangubé  ,  Anliq.  hcllèn.,  n°  8. 


4  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

IL 

Quant  au  défunt,  qui  portait  le  nom  de  Danaiis,  sa  profession  est 
indiquée  par  les  mots,  dev-ripy  it&Xcù  ®pxy.<ùv.  Une  expression  sem- 
blable s  est  rencontrée  pour  la  première  fois  dans  un  passage  de  Dion 
Cassius.  Cet  historien  dit  que  l'empereur  Commode,  qui  se  flattait 
d'être  le  plus  redoutable  gladiateur  de  son  empire ,  en  se  faisant  re- 
présenter sous  la  figure  d'Hercule,  prenait  différents  titres,  analogues 
à  ses  prétentions ,  entre  autres  celui  de  ïïpnTonaloç  Sexourop&w  (1). 
Lampride  (2),  soit  qu'il  ait  pris  ce  fait  à  Dion  Cassius,  soit  qu'il  l'ait 
tiré  d'une  autre  source,  le  rapporte  en  ces  termes  :  Appellatas  est  sane 
inter  cœtera  Iriumphalia  nomina ,  etiam  sexcenties  vicies  Pauhisprimus 
secutorum;  sur  quoi  les  commentateurs  ont  depuis  longtemps  remar- 
qué qu'il  faut  lire  dans  le  texte  de  Lampride,  d'après  Dion  Cassius, 
Palus  primas,  au  lieu  de  Paulus;  et  dans  celui  de  Dion  Cassius, 
d  après  Lampride,  IIpàToç  tzcÛoç,  au  lieu  de  UpcùTonaXàç^  icur  opi- 
nion est  justifiée  par  deux  inscriptions,  outre  celle  qui  m'occupe  en 
ce  moment. 

L'une,  autrefois  de  la  collection  de  Choiseul-Gouflier,  à  présent 
au  musée  du  Louvre  (3),  a  été  probablement  apportée  d'Asie.  Elle  a 
dû  être  originairement  placée  sous  un  bas-relief  funéraire,  dans 
le  genre  de  celui  de  Danaûs ,  ou  sous  une  statue  érigée  à  Mc- 
lanippe,  par  son  fils  Thallus  et  sa  fille  Zoe.  Ce  Mélanippe  y 
est  qualifié  de  Pyjnaptç  (pour  PrjTiapioç),  dzvTepoç  rraAoç;  ce  qui 
revient  à  l'autre  manière  de  s'exprimer,  àvatipoq  noiloç  Pyjnapiwv. 

La  deuxième,  trouvée  à  HalicamasseparWalpole  (4),  fait  mention 
d'une  offrande  faite  par  un  certain  Stepluinos,  qui  s'intitule  rcrctapîc, 
àriTTnToç  (ou  xr^urjoç)  7TpoVroç  r.xloç. 

Ces  quatre  exemples  nous  offrent  donc  les  expressions  irpwroç  ou 
o&ç  r.zkoq ,  jointes  aux  noms  de  trois  espèces  de  gladiateurs ,  des 
secutores,  des  reùarii  et  des  thraces  ou  threces.  On  peut  croire  que 
koÛ&ç  ,  désigne  l'un  des  deux  rangs  des  gladiateurs  ;  le  premier,  com- 
posé de  ceux  qui  commençaient  ou  engageaient  le  combat;  le 
deuxième  rang  (of  y.loc  ) ,  se  composait  de  ceux  qui  prenaient 

(1)  LXXII,22. 

(2)  In  Commodo,  c.  15. 

(3)  Clarac,  Musée  de  iculplure.  Inscr.  pi.  \\\I ,  p    r>TS. 

(4)  Jravels/p.  656.  — Bœckh,  Corp.  Inscripl.  n°  2663.  Celle  inscription,  dont 
M.  Welcker  a  très-bien  compris  le  sens  {Sylluge,  p. 61  ),  n'a  été  complètement 
rétablie  que  par  M.  Bœckh- 


UNE  STELE   FUNERAIRE.  5 

la  place  des  gladiateurs  du  premier  blessés  ou  tués ,  ou  qu'on  réser- 
vait pour  le  combat  du  lendemain,  quand  il  devait  durer  plusieurs 
jours.  C'étaient  les  suppositilii  gladiatores. 

On  voit,  par  les  exemples  cités,  que  le  mot  italoç,  ne  vient  pas  de 
iraAyj,  la  lutte f  mais,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  reconnu,  de  nzloç,  sorlitio, 
avec  le  sens  de  lot,  de  rang  assigné.  Cependant,  on  ne  peut  croire 
que  ce  rang  fût  tiré  au  sort  à  chaque  combat;  il  était  permanent; 
c'est  ce  que  prouvent  les  deux  exemples  où  ce  titre  est  donné  à  des 
morts  comme  un  signe  distinctif. 

Quant  à  l'application  du  mot,  elle  paraît  avoir  eu  lieu  en  vertu  d'une 
métonymie;  on  disait  npoaroç  ou  àevzepoç  rraXoç,  au  lieu  de  ©pa?> 
Prjizpioç,  etc.  ftt  izpwrov  ou  ùevrépov  wxlov  ;  comme  les  Latins  di- 
saient primipilas  au  lieu  de  centurio  primi  pili.  Nous  disons  de  même 
un  premier,  un  second  prix,  au  lieu  de  celui  qui  a  remporté  un  pre- 
mier, un  second  prix  (i). 

Danaùs  était  donc  un  gladiateur  de  la  classe  des  Thraces.  Ce  fait 
explique  divers  détails  qui  accompagnent  le  bas-relief;  en  pre- 
mier lieu ,  les  armes  qu'on  y  voit  représentées ,  à  savoir  le  casque  à 
visière,  placé  sur  une  sorte  de  base  oblongue,  qui  ne  peut  être  que  le 
bouclier,  la  seconde  arme  défensive  des  gladiateurs.  En  effet,  les  bas- 
reliefs  du  tombeau  de  Castricius  Scaurus  à  Pompéi,  montrent  que  les 
Thraces  avaient  indifféremment  le  bouclier  rond  (parmula  )  et  le  bou- 
clier carré-oblong  (scuCum). 

On  s'étonnerait  de  ne  pas  y  voir  aussi  figurer  leur  troisième  arme 
défensive ,  la  cuirasse ,  et  en  même  temps  une  arme  offensive  quel- 
conque, telle  que  le  coutelas  (cultrum),  l'épée  courte  et  droite  (sica)f 
ou  l'épée  recourbée  (harpe). 

L'absence  de  ces  deux  armes  ne  s'expliquerait  pas  sans  le  participe 
hvxtc vgolç ,  annonçant  que  le  Thrace  Danaùs  était  un  pugïle  qui 
devait  combattre  avec  le  poing  nu  ou  garni  d'un  gantelet ,  et  non 
avec  le  coutelas  ou  l'épée. 

Le  poing,  ainsi  garni,  devenait  une  arme  assez  redoutable.  Sans 
ces  armes  défensives ,  il  aurait  suffi  d'un  coup  bien  assené  pour  as- 
sommer ou  abattre  un  combattant.  Le  casque  défendait  la  tête;  le 
bouclier  parait  les  coups  qui  s'adressaient  à  la  poitrine;  la  cuirasse 
devenait  inutile  ;  aussi  ne  figure-t-elle  pas  parmi  les  armes  de  Danaùs. 

(l)  Dans  les  combats  de  taureaux,  en  Espagne,  on  appelle  primera  espada  le 
matador,  et  aegunda  espada,  celui  qui  est  destiné  à  remplacer  le  premier  en  cas 
d'accident ,  ou  à  venir  à  son  secours.  Ce  sont  des  titres  permanents,  comme  ceux  de 

7Tj5«TOç  OU  de  SevTspoi  TttxXoç. 


6  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Ces  deux  circonstances  Je  notre  bas-relief,  qui  s'accordent  si 
Lien  avec  l'inscription,  s'appliquent  d'une  manière  heureuse  aux 
bas  reliefs  du  tombeau  de  Castricius  Scaurus  à  Pompéi,  dont  quel- 
ques détails  ne  pouvaient  être  bien  compris  auparavant. 

Plusieurs  de  ces  bas-reliefs  représentent,  comme  on  sait,  un 
mimns  gladiatoriam,  ou  l'un  de  ces  combats  de  gladiateurs  qui  se 
li\ raient  aux  funérailles  des  gens  riches  (l). 

On  y  voit  quatre  paires  de  gladiateurs,  la  tête  couverte  du  casque 
à  visière,  mais  sans  cuirasse,  n'ayant  que  le  subligaculum.  Le  bras 
gauche  est  nu,  garanti  par  le  bouclier  rond,  ou  carré-obiong ;  le 
bras  droit  est  défendu ,  dans  toute  sa  longueur,  par  une  sorte  de 
manche  formée  de  lames  métalliques,  ou  peut-être  de  fortes  bandes  de 
cuir.   Mais  aucun  d'eux  ne  porte  d'armes  offensives.  Mazois    croit 


que  l'artiste  a  oublié  le  coutelas  ou  Yépée  (2).  Cet  oubli  n'est  guère 
vraisemblable  ,  étant  répété  huit  fois  dans  le  même  cas.  D'ailleurs , 
Mazois  n'a  pas  remarqué  que,  sur  son  propre  dessin  comme  sur  celui 
de  Donaldson  (3),  ces  gladiateurs  ont  le  poing  non-seulement  fermé , 
mais  garni  des  mêmes  lames  que  celles  du  bras.   Ils  n'ont  donc 

(1)  Mazois,  Ruines  de  Pompéi,  pi.  XXXII. 

(5)  Mazois ,  p.  49. 

(3)  Donaldson,  Pompéi  illustrated  wilh  picturesque  vietos.  London,  1827.  Sur 
la  gravure  en  petit  qui  accompagne  l'ouvrage  de  Millin  {Detcr.  des  tombeaux  de 
Pompéi,  pi.  III),  tous  les  gladiateurs  ont  le  poing  droit  coupé. 


UNE   STELE   FUNERAIRE.  7 

jamais  pu  tenir  une  épée  ni  une  arme  quelconque.  Le  poing,  ainsi 
garni,  était  une  arme  dangereuse;  aussi  voyons-nous,  sur  un  des 
gladiateurs,  le  sang  jaillir  d'une  blessure  faite  à  la  poitrine  par  un 
de  ces  coups  redoutables  qu'il  n'a  pas  su  parer;  un  autre  s'affaisse 
sur  lui-même,  sans  blessure  apparente,  mais  frappé  en  pleine  poi- 
trine d'un  coup  terrible.  Sur  une  peinture,  dans  un  tombeau  de  la 
Cyrénaïque,  on  voit  des  pugiles  combattant  tout  nus  sans  arme  ;  l'un 
d'eux  vient  d'être  blessé,  et  le  sang  jaillit  de  sa  blessure  (1). 

Et  si  l'on  objectait  que  cet  oubli  de  l'artiste  tient  peut-être  à  la 
difficulté  de  rendre  l'épée  quand  elle  ne  tient  pas  au  fond  du  bas-re- 
lief, on  répondrait  que  pour  deux  des  figures,  la  difficulté  n'existait 
pas;  et  que  rien  n'empêchait  d'indiquer  la  poignée  de  l'arme;  ce  qui 
aurait  suffi  pour  exprimer  l'action.  Or  tous  ces  poings  sont  fermés 
entièrement,  et  n'auraient  pu  s'ouvrir;  puisqu'ils  sont  serrés  parles 
mêmes  lames  ou  courroies  qui  attachent  tout  le  bras  gauche.  C'est  le 
même  motif  qui  m'empêche  de  croire ,  contre  l'avis  de  Visconti ,  que 
sur  le  beau  bas- relief  du  Vatican  (2),  représentant  une  danse  armée, 
ou  une pyrrhique ,  les  six  personnages  nus  (corybantes  ou  autres), 
armés  du  casque  et  du  bouclier,  n'ont  dans  la  main  droite  aucune 
arme  offensive;  car  leur  poing  fermé  n'a  jamais  pu  rien  tenir.  D'où 
il  suit  que  cette  danse  s'exécutait,  tantôt  sans  épée,  et  tantôt  avec 
cette  arme  (3)  ;  tantôt  avec  un  simple  bâton  (4). 

Il  est  évident  que  ces  gladiateurs  sont  aussi  des  pugiles ,  armés 
justement  comme  l'était  Danaùs,  du  casque  et  du  bouclier,  mais 
sans  cuirasse  ni  épée. 

C'est  donc  avec  le  poing  garni  du  gantelet,  que  devait  com- 
battre le  Thrace  ;  et  c'est  ce  qu'indique  clairement  ce  passage  d'Ar- 
témidore  :  «  Si  l'on  a  rêvé  que  l'on  combat  au  pugilat  avec  un  Thrace, 
«  (si  [Av  ëpxxi  7ru>cTeu£i,  etc.),  c'est  signe  que  l'on  épousera  une 
«  femme  riche,  méchante  et  aimant  à  primer  (5).  » 

Notre  inscription ,  combinée  avec  les  accessoires  du  bas-relief,  et 
avec  les  scènes  gladiatoriales  du  tombeau  de  Scaurus,  paraissent 
donc  éclaircir  assez  complètement  cette  particularité  de  l'ancienne 
agonistique. 

(1)  Pacho ,  Voyage  dans  la  Cyrénaïque,  Atlas,  PI.  LUI,  n°  2. 

(2)  Mus.  Pio  Clément.,  t.  IV,  pi.  IX. 

(3)  Dans  Antonini,  Vas.  Antichi ,  I,  45,  46  ;  reproduit  par  Krause,  Gymnastik 
und  Agonistik,  etc.,  pi.  XXIV,  f.  90. 

(4)  Mus.  Chiusino,  t.  II ,  tav.  127. 

(5)  Artemid.  Oneirocrit.  II ,  32. 


8  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

J'ai  traduit  èwzzxiç  nv/.Te'jeaç  par  ayant  remporté  neuf  fois  la 
victoire,  au  lieu  de  ayant  combattu  neuf  fois;  ce  qui  serait  plus 
littéral  et  pourtant  moins  fidèle;  car  il  n'est  guère  probable  qu'un 
pugile  de  profession  n'eût  combattu  que  neuf  fois  dans  sa  vie.  J'ai 
donc  cru  que  ce  participe  revient  à  l'expression  tvlit.  victorias 
avfc  le  nombre  des  victoires)  qui  se  trouve  sur  les  bas-reliefs  du 
tombeau  de  Scaurus. 

Mais,  indépendamment  de  ce  que  cette  explication  a  de  probable 
en  elle-même,  elle  peut  seule  rendre  compte  d'une  dernière  circon- 
stance qui  n'est  point  à  négliger;  ce  sont  les  neuf  couronnes  placées 
sous  le  bas-relief,  quatre  de  chaque  côté  et  une  au  milieu.  Elles 
expriment  certainement  les  neuf  victoires  remportées  par  Danaùs 
dans  le  cours  de  sa  carrière  de  pugile  ;  ce  qui  fixe  le  sens  de  l'expres- 
siun.  L'auteur  a  préféré  r.vxTeveocç  à  7rvJ  vixvfaaç,  qui  n'entrait 
pas  dans  son  vers. 

11  n'y  a  nulle  difficulté  à  prendre  ici  yvvw  dans  le  sens  d'épouse 
légitime.  Quoique  les  gladiateurs  fussent  généralement,  sous  les  em- 
pereurs, de  condition  servile  (l),  ils  ne  l'étaient  pas  toujours;  aussi 
leurs  femmes,  selon  la  remarque  de  Morcelli,  portent  souvent,  dans 
les  inscriptions ,  le  titre  de  conjux,  au  lieu  de  celui  de  contubernalis  ; 
Heorté  était  donc,  selon  toute  apparence,  une  conjux;  et  Asclépiade 
un  fils  légitime;  ce  qui  explique  pourquoi  Heorté  occupe  la  place 
réservée  aux  matrones  dans  les  repas  (2).  Dans  deux  de  ces  bas- 
reliefs,  où  l'on  voit  une  femme  couchée  sur  le  lit,  selon  toute  ap- 
parence, il  s'agit  d'une  maîtresse  ou  d'une  courtisane. 

Je  viens  à  présent  au  bas-relief,  dont  il  faut  éclaircir  le  sujet  à 
laide  des  secours  que  l'inscription  nous  fournit. 

III. 

Elle  fait  mention  de  trois  personnes,  dont  l'une  est  le  défunt 
(  IJanaiis);  les  deux  autres  sont  sa  femme  Heorté,  et  son  fils  Asclé- 
piade, qui  lui  ont  élevé  ce  monument. 

Or,  le  bas-relief  contient  aussi  trois  personnes;  deux  hommes 
couchés  sur  un  lit,  l'un ,  à  la  place  d'honneur,  barbu ,  avec  des  formes 
athlétiques;  l'autre,  placé  en  avant  de  lui,  portant  les  traits  de 
l'adolescence;  une  femme  demi-voilée,  assise  à  la  tète  du  lit. 

Il  e$t  indubitable  que  ce  sont  là  les  trois  membres  de  la  famille, 

(1)  De  Myl.  Inscr.,  p.  14». 

(2)  Fœminœ  cum  viris  cubantibut  tedenie*  cunitabant.  Val.  Max  II ,  1,  2. 


UNE  STÈLE   FUNÉRAIRE.  9 

le  défunt,  son  fils  et  sa  femme.  En  avant  du  lit  est  une  table  Léonto- 
céphalopode,  à  trois  pieds,  sur  laquelle  sont  placés  des  objets  ronds 
qui  paraissent  être  des  plats  ou  des  gâteaux  de  cette  forme.  Le  père 
en  tient  un  de  la  main  gauche  ;  le  fils  un  autre  de  la  main  droite  ;  la 
mère  étend  le  bras  droit  pour  en  prendre  un  troisième.  Un  chien  , 
accroupi  de  l'autre  côté  de  la  table,  la  patte  levée  et  le  museau  en 
l'air,  dans  une  attitude  suppliante ,  semble  demander  sa  part  dans  le 
repas  de  famille. 

Ce  sujet  se  retrouve  sur  une  foule  de  monuments  ;  sauf  diverses 
variantes  dans  le  nombre  des  personnages  principaux  et  accessoires , 
puisque  le  seul  musée  du  Louvre  n'en  contient  pas  moins  de  dix- 
huit,  entre  lesquels  il  en  est  deux  qui  sont  presque  identiques 
avec  le  nôtre;  car  on  y  voit  aussi  deux  hommes  couchés  devant  une 
table ,  et  une  matrone  assise. 

On  est  dans  l'usage  d'appeler  de  tels  sujets  des  banquets  funèbres; 
mais  cette  qualification  ne  saurait  leur  convenir,  puisqu'elle  ne  pour- 
rait s'entendre,  ici ,  que  de  banquets  en  l'honneur  ou  en  commémo- 
ration de  personnes  mortes.  Or,  les  trois  personnages  de  notre  bas- 
relief  contenant,  outre  le  défunt,  les  deux  personnes  vivantes  qui 
ont  élevé  le  tombeau,  tous  trois  prenant  part  au  même  repas,  et 
dans  l'attitude  qu'elles  devaient  avoir  lors  du  repas  de  famille,  il  est 
de  toute*  impossibilité  de  voir  la  un  repas  funèbre.  Cette  scène,  si 
souvent  répétée ,  ne  peut  être  autre  chose  qu'une  scène  de  la  vie 
intérieure,  représentée  dans  les  circonstances  habituelles. 

Ceux  qui  élevaient  ces  pieux  monuments  voulaient  donc  se  pro- 
curer la  satisfaction  de  reproduire  la  scène  du  repas  commun ,  où  la 
famille  se  réunissait  chaque  jour  avec  celui  dont  elle  déplorait  la  perte. 
Cette  explication  me  paraît  rendre  compte  des  circonstances  diverses 
qu'offrent  ces  sortes  de  représentations  ;  comme  je  pourrais  le  montrer 
en  détail,  si  j'en  avais  le  temps.  Je  me  contente  d'indiquer  en  note  (l) 

(1)  Tels  sont  :  dix-huit  sujets  au  musée  du  Louvre  ;  voyez  le  savant  et  utile  ou- 
vrage de  Clarac,  Musée  de  sculpture,  bas-reliefs,  pi.  CLV,  nos  677,  605,  632, 
019,621.  PI.CLVI,n°s547,552.Pl.CLVII,n°s548,583,  675.  PI.  CLIX,  n°s  602  , 
557,643.  Pl.CLX.n0  33.  PI.  CLXI,  n°«45,  535.  PI.  CLXI.A.  866.  Sur  le  n°5l9, 
le  défunt  est  un  athlète ,  à  qui  une  femme  apporte  une  couronne  et  une  guirlande. 
La  femme  couchée  sur  le  lit,  dans  une  attitude  amoureuse  ,  est  une  courtisane  ou 
une  concubine;  et  de  même  sur  le  n°  .'21.  -  Musée  d'Oxford,  n°  143.  Musée  de 
Munich,  n»  95.  (Schorn  ,  Beschreib.  der  Glyptothek,  p.  81).  Un  autre  dans  Biagi, 
Mus.  JYan.,  p.  97-11  G.  Un  dans  Montfaucon  {Ani.  exph,  t.  III,  pi.  50,  3);  deui 
dans  Winckelman  ,  Mon.  ined.,  nos  19  ,  20.  Un  autre  décrit  par  Tournefort.  Trois 
dans  le  musée  de  Vérone  (L.  III ,  3,9,  12).  Deux  dans  Zoëga  (Bassi  rilievi, 
pi.  XXXVI),  etc. 


10  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

une  trentaine  de  bas-reliefs  qu'on  doit,  selon  moi ,  interpréter  de  cette 
manière,  quoiqu'on  les  ait  jusqu'ici  qualifiés,  soit  de  banquets  funèbres, 
soit  de  lectisternia ,  ou  de  supplications;  ce  sont,  à  mon  avis,  autant 
de  sujets  qui ,  dans  leurs  diverses  circonstances ,  s'expliquent  faci- 
lement par  notre  stèle  funéraire  ;  et  je  pense  que  dorénavant  les 
antiquaires  seront  disposés  à  substituer  pour  de  telles  scènes,  au 
titre  de  banquets  funèbres,  celui  de  repas  de  famille. 

Sur  trois  de  ces  sujets,  publiés  l'un  par  Montfaucon,  deux  autres 
par  Winckelmann ,  on  aperçoit  la  tête  d'un  cheval  qui  se  montre 
par  une  fenêtre,  ou  bien  le  corps  entier  de  cet  animal  au  second 
plan  de  la  composition.  On  a  cru  pouvoir  attribuer  à  cet  acces- 
soire une  signification  symbolique.  L'idée  que  je  viens  d'émettre 
fera  peut-être  sentir  la  nécessité  de  modifier  cette  opinion ,  au  moins 
dans  son  application  aux  trois  monuments  dont  je  parle. 

Que  le  cheval  se  rencontre ,  dans  beaucoup  de  monuments  funé- 
raires ,  comme  un  symbole  du  dernier  voyage;  c'est  un  fait  en- 
trevu par  Ch.  Patin,  et  bien  établi  par  plusieurs  savants,  notam- 
ment par  notre  confrère  M.  Ph.  Le  Bas ,  qui  a  traité  ce  point  avec 
beaucoup  d'érudition  et  de  sagacité  (1). 

Mais  on  ne  peut  nier,  ce  me  semble,  qu'il  n'y  ait  des  cas  où  le 
cheval  figure  comme  une  expression  propre  et  directe.  On  recon- 
naîtra ,  je  pense ,  que  les  exemples  que  je  viens  d'indiquer  sont  de  ce 
nombre,  si  toutefois  l'on  admet  que  les  sujets  qui  y  sont  représentés 
sont  des  scènes  d'intérieur. 

J'en  dis  autant  du  chien,  sur  un  de  ces  sujets  et  sur  le  nôtre.  Il 
n'y  figure  pas  à  titre  de  symbole  de  fidélité  ou  de  vigilance v,  il  fait 
réellement  partie  de  la  scène.  C'est  l'ami  de  la  maison  qui  assiste 
au  repas  quotidien ,  dont  il  réclame  et  obtient  sa  part. 

De  même,  le  cheval ,  dont  on  aperçoit  seulement  la  tête  par  une 
fenêtre,  ou  dont  on  voit  le  corps  entier,  n'est  là  que  le  compagnon 
d'armes  ou  de  voyage  du  défunt.  Si  l'on  n'aperçoit  que  sa  tête ,  c'est 
que  l'espace  ne  permettait  pas  de  le  représenter  en  entier.  On  ima- 
ginait alors  cette  fenêtre,  au  moyen  de  laquelle  on  expliquait  natu- 
rellement la  présence  de  l'animal  dans  le  tableau ,  sans  qu'on  fût 
obligé  de  représenter  le  reste  du  corps.  Ce  mode  de  représentation 
n'est  donc  rien  autre  chose  qu'un  expédient  pour  concilier  la  pré- 
sence nécessaire  de  ce  compagnon  du  défunt  avec  l'exiguïté  de  la 
place.  De  cette  manière,  il  faisait  partie  de  la  scène  sans  l'embar- 
rasser. 
(1)  Expédition  teientif,  de  Morèe,  t.  II,  p.  I18etsuiv. 


UNE    STELE    FUNERAIRE.  11 

Voilà ,  Monsieur,  ce  qui  me  paraît  naturellement  résulter  des  rap- 
ports qui  existent ,  dans  votre  stèle  funéraire,  entre  le  sujet  du  bas- 
relief  et  l'inscription.  La  lumière  que  ce  monument  jette  sur  la 
véritable  signification  d'un  sujet  si  fréquemment  reproduit  n'est  pas 
un  des  moindres  avantages  qu'offre  la  connaissance  de  cette  stèle  qui, 
au  premier  abord,  paraît  être  d'un  fort  médiocre  intérêt.  Je  pourrais 
étendre  beaucoup  les  vues  qu'elle  m'a  suggérées,  mais  je  ne  veux 
pas  faire  un  traité  à  propos  d'un  monument  unique.  Je  laisse  aux 
archéologues  qui  trouveront  juste  et  fondé  le  principe  sur  lequel  elles 
reposent,  d'en  étendre  ou  d'en  restreindre  les  applications. 

Il  suffit,  à  mon  objet ,  d'avoir  levé  les  doutes  qui  pouvaient,  vous 
rester  sur  l'interprétation  d'un  monument  qui,  comme  vous  le 
voyez,  Monsieur,  est  un  des  plus  curieux  entre  ceux  de  ce  genre 
qur* existent  dans  nos  musées. 


Letronne. 


EXAMEN 

DES  ÉCRITS  DE  KLAPROTH 

SUR 

LA   DÉCOUVERTE   DE   CHAMPOLLION   LE   JEUNE. 


Lorsque  j'entrepris  la  réfutation  de  l'article  peu  mesuré  que  feu 
le  docteur  Dujardin  avait  publié  dans  la  Revue  des  Deux-Mondes, 
pour  enlever  à  l'admirable  découverte  de  Champollion  le  crédit 
qu'elle  méritait ,  je  savais  que  ce  n'était  pas  à  l'ennemi  le  plus  acharné 
de  notre  illustre  égyptologue.  que  j'avais  affaire  ;  je  le  savais  et  j  étais 
bien  décidé  à  ne  pas  abandonner  la  tâche  honorable  (l)  que  je 
m'étais  imposée,  avant  de  l'avoir  achevée  de  mon  mieux.  Après 
Dujardin  il  me  restait  à,  combattre  un  adversaire  en  apparence  bien 

(l)  Je  saisis  avec  empressement  l'occasion  de  constater  ici  un  fait  très-honorable 
pour  la  mémoire  du  docteur  Dujardin;  ce  fait  que  je  tiens  de  M.  Letronne.de  .M.  le 
comte  de  Clarac  et  de  M.  Chaïnpollton  Figeac  lui-même ,  ne  saurait  être  révoqué  en 
doute  et  je  suis  heureux  d'être  le  premier  à  le  faire  connaître  au  public  lettré.  Au 
moment  où  le  docteur  Dujardin  reçut  du  ministère  de  l'Instruction  publique,  la  mis- 
sion qu'il  avait  longtemps  sollicitée ,  celle  d'aller  en  Egypte  à  la  recherche  des  ma- 
nuscrits coptes,  il  crut  sage  de  feuilleter  les  précieux  papiers  laissés  parChampolUon 
le  jeune,  afin  d'avoir  une  idée  précise  de  l'étendue  des  collections  de  textes  hiéro- 
glyphiques ,  recueillies  pendant  le  voyage  de  cet  illustre  savant.  Ce  que  M.  Le- 
tronne  avait  prédit  au  critique  de  Champollion,  en  lui  annonçant  qu'il  serait 
plus  tard  un  juge  sévère  de  son  propre  écrit,  ne  manqua  pas  d'arriver.  Peu  à  peu , 
À  mesure  qu'il  avançait  dans  cet  examen ,  le  doute  remplaça  la  négation  dans 
l'esprit  du  docteur  Dujardin  ;  après  le  doute  vint  la  pensée  qu'en  beaucoup  de 
cas,  celui  qu'il  avait  critiqué  avait  complètement  raison.  De  là,  à  une  conversion 
complète  aux  idées  de  Champollion  il  n'y  avait  qu'un  pas,  et  le  docteur  Dujardin 
l'eut  bientôt  franchi.  Il  partit  pour  l'Egypte  avec  la  conviction  quç  la  méthode 
qu'il  avait  jugée  fausse  était  réellement  bonne;  plusieurs  fois  il  écrivit  aux  savants 
qu'il  regardait  comme  ses  protecteurs,  que  plus  il  voyait,  plus  il  reconnaissait  le 
mérite  immense  de  la  découverte  de  Champollion  ;  le  moment  était  venu  où,  sans 
doute,  le  docteur  Dujardin  eût  noblement  réparé  le  mal  qu'il  avait  fait;  la  mort 
vint  le  frapper ,  plein  de  jeunesse  et  d'avenir ,  au  moment  où  la  misère ,  contre 
laquelle  il  avait  si  longtemps  lutté ,  semblait  enûn  écartée  de  sa  vie.  Il  mourut  sans 
avoir  eu  d'autre  joie  en  ce  monde  que  l'élude  et  l'espérance  d'un  avenir  moins  mal- 
heureux :  ces  deux  biens ,  le  docteur  Dujardin  les  paya  de  sa  \  le  ;  le  monde  savant 
doit  donc  a;sa  mémoire  une  estime  et  des  regrets  sincères. 


EXAMEN   DES    ECRITS   DE    KLAPROTH.  13 

plus  redoutable,  Klaproth,  que  ses  nombreux  travaux  ont  placé  au 
premier  rang  parmi  les  philologues  modernes.  Certes,  il  ne  m'ap- 
partient pas  de  contester  à  ce  savant  des  titres  que  je  ne  suis  pas  en 
mesure  de  contrôler;  je  suis  donc  tout  disposé  à  lui  reconnaître,  avec 
le  vulgaire,  un  mérite  éminent ,  lorsqu'il  s'agit  de  ses  publica- 
tions sur  les  idiomes  de  l'Asie,  parce  que  dans  ce  cas  je  suis  réduit 
à  le  croire  sur  parole  ;  mais  Klaproth ,  mû  par  un  sentiment  que 
je  ne  veux  pas  apprécier,  a  mis  le  pied  sur  un  terrain  qu'il  ne  con- 
naissait pas  et  où  il  espérait  attirer  aux  dépens  d'autrui  un  nouvel 
éclat  sur  son  nom  ;  dès  lors  je  me  suis  cru  permis  de  l'y  suivre  pas 
à  pas  et  de  lui  disputer  ce  terrain  qu'il  avait  l'imprudence  d'aborder. 
J'ai  donc  sérieusement  étudié  les  écrits  de  Klaproth  relatifs  à  la  dé- 
couverte de  Champollion  le  jeune  ;  à  chaque  page  j'y  ai  trouvé  plus 
qu'il  ne  m'en  fallait  pour  constater  de  sa  part  de  la  mauvaise  foi 
toujours ,  de  l'ignorance  profonde  quelquefois.  Ce  n'est  pas  ma  faute 
si  l'homme  qui  critiquait  les  œuvres  des  autres  avec  tant  d'amertume 
et,  de  fiel ,  a  laissé  largement  dans  les  siennes  de  quoi  mériter  qu'on 
lui  rendît  la  pareille  :  loin  de  moi  toutefois-la  pensée  d'adopter,  dans 
cet  article,  le  ton  injurieux  si  familier  à  l'illustre  philologue  ;  je 
croirais  salir  ma  plume  en  le  faisant;  d'ailleurs  Klaproth  aussi  a  cessé 
de  vivre,  et  l'on  doit  le  respect  aux  morts;  mais  tout  en  respectant 
la  mémoire  de  l'homme  dont  je  ne  suis  pas  le  juge,  j'ai  le  droit  de 
juger  ses  œuvres,  et  ce  droit  je  vais  en  user. 

Le  8  juin  1829  parut,  chezPihande  LaForest,un  écrit  de  40  pages, 
in-folio,  intitulé  :  Observations  critiques  sur  la  découverte  de  V Al- 
phabet hiéroglyphique,  faite  par  M.  Champollion  le  jeune.  Cet  écrit 
servait  d'introduction  au  recueil  d'Antiquités  de  M.  de  Palin.  Trois 
ans  plus  tard  le  libraire  Dondey-Dupré  mit  en  vente  un  volume 
in -8°  de  175  pages,  intitulé  :  Examen  critique  des  travaux  de  feu 
M.  Champollion  sur  les  hiéroglyphes;  c'était  une  seconde  édition  con- 
sidérablement augmentée,  et  modifiée,  du  premier  travail  que  je  viens 
de  mentionner.  Cette  fois  il  était  précédé  d'une  modeste  dédicace  à 
lord  Kingsborough ,  et  d'un  avant-propos  dont  je  ne  puis  me  di- 
spenser de  reproduire  ici  quelques  lignes. 

«  En  soumettant  au  public,  dit  l'auteur,  cet  examen  des  travaux  de 
feu  M.  Champollion  sur  les  hiéroglyphes  égyptiens ,  tels  qu'ils  ont 
été  publiés  de  son  vivant ,  mon  intention  n'a  nullement  été  de  dimi- 
nuer le  mérite  de  ce  savant ,  trop  tôt  enlevé  aux  sciences  qu'il  culti- 
vait avec  tant  de  succès  et  de  gloire.  Le  seul  but  que  je  me  suis 
proposé  en  publiant  ce  petit  ouvrage,  a  été  de  fixer  l'opinion  des 


14  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

savants  sur  le  degré  des  progrès  qu'on  a  faits  jusqu'à  présent,  dans 
le  déchiffrement  des  monuments  graphiques  de  l'Egypte.  » 

Ne  semble-t-il  pas  qu'après  cette  déclaration  mielleuse,  la  mé- 
moire de  Champollion  n'avait  plus  que  des  compliments  à  attendre? 
Nous  n'allons  pas  tarder  à  voir  cependant  que  forcé  de  rendre  au  talent 
de  celui  qu'il  venait  attaquer  devant  le  public,  un  hommage  qu'il 
n'était  plus  en  son  pouvoir  de  refuser,  nous  allons  voir,  dis-je,  que 
Klaproth,  s'il  est  permis  de  se  servir  d'une  expression  familière,  fai- 
sait patte  de  velours  dans  son  avant-propos  pour  mieux  déchirer  en- 
suite la  renommée  qu'il  feignait  de  caresser. 

Dès  le  premier  paragraphe  je  trouve  dans  les  deux  éditions  une 
divergence  dénonciations  qui  donne  à  penser  que  le  critique,  au 
moins  la  première  fois  qu'il  écrivit,  n'était  pas  guidé  par  une  bonne 
foi  incorruptible.  J'y  lis  en  effet  (l)  : 

«  Depuis  cinq  ans  on  parle  avec  un  enthousiasme  singulier  de  la 
découverte  de  l'alphabet  hiéroglyphique ,  mais  peu  de  personnes  pa- 
raissent avoir  une  idée  bien  nette,  soit  de  ce  qu'elle  est  réellement,  soit 
des  résultats  qu'elle  peut -produire.  Le  docteur  Young,  Anglais,  est 
sans  contredit  le  premier  auteur  de  cette  découverte;  ce  fut  en  1818 
qu'il  reconnut  la  valeur  alphabétique  de  la  plupart  des  hiéroglyphes 
qui  composent  les  noms  de  Ptolémée  et  de  Bérénice.  Le  célèbre  Zoëga 
avait  déjà  soupçonné  qu'une  partie  des  signes  hiéroglyphiques  pou- 
vait être  employée  alphabétiquement,  mais  l'honneur  d'avoir  démontré 
ce  fait  appartient  au  docteur  Young.  »  (A.  — 1.) 

«  Depuis  dix  ans  on  parle  avec  enthousiasme  de  la  découverte  de 
l'alphabet  phonétique ,  faite  par  feu  M.  Champollion ,  mais  peu  de 
personnes  paraissent  avoir  une  idée  bien  nette,  soit  de  ce  qu'elle  est 
réellement,  soit  des  résultats  qu'elle  a  pu  produire.  Le  docteur  Young, 
en  Angleterre,  est  sans  contredit  le  premier  auteur  de  cette  décou- 
verte. Ce  fut  en  1818  qu'il  reconnut  la  valeur  alphabétique  de  la  plu- 
part des  signes  hiéroglyphiques  qui  composent  les  noms  de  Ptolémée 
et  de  Bérénice,  parmi  lesquels  il  a  bien  exactement  déterminé  les  sept 
>ui\ants  qui  correspondent  avec  les  résultats  obtenus  par  M.  Cham- 
pollion : 

*  B,  « ïïW     I,   <<=    M,  —    N,   ■    P,  -   T- 

(1)  Je  ne  saurai!»  mieux  faire  que  d'adopter  ici  l'excellente  méthode  employée  par 
Klaprolh  lui-même  pour  désif-m-r  les  deux  édition*  successives  du  Précisée  Chain 
pollion  :  c'est  à-dire  que  A  désignera  II  première  édition,  B  la  seconde  édition  de 
la  Crtliqur  de  filaproth  ,  le  numéro  qui  suivra  chacune  de  ces  deux  lettres,  étant 
celui  de  h  page  où  se  trouve  le  passage  indique. 


EXAMEN    DES    ECRITS   DE   KLAPROTH.  là 

«  Quoiqu'on  doive  regarder  la  détermination  de  ces  sept  lettres 
comme  le  fondement  sur  lequel  M.  Champollion  a  basé  son  alphabet 
phonétique,  la  sagacité  du  savant  Anglais  n'alla  pas  au  delà  de  cette 
rencontre  heureuse ,  et  il  laissa  à  son  compétiteur  en  France  toute 
la  gloire  qui  peut  s'attacher  à  une  découverte  raisonnée  et  soumise 
à  la  démonstration.  »  (B.  — 1-2.) 

Constatons  d'abord  une  erreur  matérielle  dans  le  nombre  des  signes 
dont  les  valeurs  déterminées  par  Young  et  Champollion  sont  en  con- 
cordance. Les  deux  signes  *  et  > sont  lus  et  transcrits  BIR  et 

MA  par  Young,  ces  deux  valeurs  doivent  donc  être  défalquées  du 
nombre  sept;  restent  cinq  signes  seulement,  lus  correctement  par 
le  docteur  Young.  On  voit  que  la  seconde  fois  que  Klaproth  a  parlé 
de  l'enthousiasme  qui  accueillit  la  découverte  de  Champollion ,  il  n'a 
plus  osé  le  qualifier  de  singulier  :  première  concession  dont  on  doit 
savoir  beaucoup  de  gré  à  l'illustre  philologue.  Dans  l'un  et  l'autre 
extrait,  le  docteur  Young  est  déclaré,  sans  contredit ,  le  premier  au- 
teur de  la  découverte  ;  mais ,  dans  le  premier  seulement ,  c'est  encore 
à  lui  que  revient  l'honneur  d'avoir  démontré  qu'une  partie  des  hié- 
roglyphes pouvait  être  employée  alphabétiquement.  Dans  le  second 
extrait,  au  contraire,  l'éloge  du  docteur  Young  est  fort  mince  à  mon 
avis,  puisqu'il  y  est  dit  que  la  sagacité  de  ce  savant  ne  put  aller  au 
delà  de  la  divination  heureuse  de  sept  valeurs  de  signes  (c'est  cinq 
qu'il  faut  dire),  et  qu'à  Champollion  revient  de  droit  toute  la  gloire 
qui  peut  s'attacher  à  une  découverte  raisonnée  et  soumise  à  la  dé- 
monstration. 

Et  d'abord  le  sans  contredit  de  Klaproth  me  paraît  hors  de  mise 
aujourd'hui  que  M.  Arago  a  si  bien  fait  la  part  de  Young  et  de  Cham- 
pollion, dans  la  lecture  des  hiéroglyphes.  Young,  ainsi  que  Klaproth 
en  convient  lui-même,  a  deviné  juste  sept  fois  sur  douze  (c'est  tou- 
jours cinq  fois  qu'il  faut  dire)  ;  mais  pour  tous  les  autres  signes  des 
noms  de  Ptolémée  et  de  Bérénice  il  a  mal  deviné,  et  si  mal,  qu'il 
en  est  résulté  que  son  quintuple  ben  trovato  n'a  pu  lui  servir 
absolument  à  rien.  Du  reste  la  dernière  phrase  du  second  extrait 
nous  apprend  que  Champollion  seul  a  raisonné  et  démontré  sa 
découverte  ;  celle  de  Young  n'était  donc  ni  raisonnée  ni  démontrée, 
et  par  suite  la  première  assertion  si  positive  de  Klaproth ,  sur  la 
démonstration  de  la  découverte  disputée,  devient  un  peu  trop  con- 
tradictoire avec  la  seconde.  Chacun  des  deux  compétiteurs  n'a  pu 
démontrer  le  premier  la  réalité  du  phonétisme  des  signes  hiéro- 
glyphiques; en  dernier    lieu,    Klaproth   confesse   qu'à   Chumpol- 


16  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

lion  en   revient  tout  l'honneur  ;  en  cela  je   suis  parfaitement  de 
son  avk 

Dans  l'un  et  l'autre  de  ses  écrits,  Klaproth  raconte  ensuite,  à  sa 
manière,  les  longues  et  persévérantes  recherches  de  Champollion , 
recherches  longtemps  infructueuses,  parce  qu  elles  étaient  poursuivies 
dans  une  mauvaise  voie.  Mais  il  ne  dit  pas  que,  pendant  dix  années 
de  sa  vie,  tour  à  tour  ranimé  par  l'espérance,  et  rebuté  par  l'insuccès 
des  modes  de  déchiffrement  qu'il  imaginait  et  qu'il  essayait  avec  ar- 
deur, Champollion  usa  sa  vie  à  l'œuvre  ;  que ,  quand  le  jour  heureux 
fut  enfin  venu  ,  où  le  secret  de  cette  mystérieuse  écriture  égyptienne 
fut  illuminé  par  un  éclair  de  son  génie,  il  n'eut  plus  la  force  de  sup- 
porter l'éclat  de  cette  lumière  inespérée;  brisé  par  l'émotion,  ce  fut 
de  son  lit  et  sous  les  étreintes  de  la  fièvre,  qu'il  révéla  et  qu'il  fit 
écrire  par  son  frère,  les  premiers  résultats  de  sa  découverte.  La  sa- 
gacité de  Young  n'a  fait  que  deviner,  elle  n'a  rien  démontré ,  dit 
Klaproth  ;  faites  donc  alors  remonter  à  Zoëga  la  gloire  de  cette  dé- 
couverte que  vous  revendiquez  pour  le  docteur  Young.  Mais  Zoëga , 
tout  judicieux  qu'il  était,  n'a  pas  su  lire  un  seul  signe  ;'rre  contestez 
donc  plus  à  Champollion  l'honneur  de  la  découverte  qui  lui  appar- 
tient légitimement,  puisque ,  de  votre  aveu,  lui  seul  a  su  la  raisonner 
et  la  démontrer. 

Chemin  faisant  Klaproth,  parlant  de  l'ouvrage  publié  par  Cham- 
pollion, en  1821  ,  sous  le  titre  suivant  :  de  l'Écriture  hiératique  des 
anciens  Égyptiens,  insinue  avec  une  intention  assez  peu  louable,  que 
ce  livre  n'est  devenu  fort  rare,  que  parce  que  l'auteur  a  fait  tout  son 
possible  pour  en  soustraire  les  exemplaires  aux  yeux  du  public ,  en 
retirant  du  commerce  et  des  mains  de  ses  amis,  ceux  qu'il  avait  d'a- 
bord répandus.  «Il  est  permis  de  penser,  ajoute-t-il,  que  le  véritable 
motif  qui  a  déterminé  M.  Champollion  à  supprimer  ce  livre ,  a  été  de 
ne  pas  donner  une  mesure  trop  précise  des  progrès  qu'il  avait  faits 
jusqu'en  1821,  un  an  avant  sa  lettre  à  M.  Dacier.  Cette  mesure 
existe  dans  l'assertion  que  les  signes  hiéroglyphiques  sont  des  signes 
de  choses  et  non  des  signes  de  sons.  Certes,  celui  qui  depuis  dix  ans 
avait  travaille  sur  les  hiéroglyphes  sans  les  déchiffrer,  et  qui  faisait, 
en  1821,  imprimer  un  axiome  pareil,  avait  grand  besoin  d'être 
zuidé,  dans  ses  nouvelles  recherches  de  1822,  par  les  découvertes  du 
docteur  Young,  publiées  au  mois  de  décembre  1849  ,  dans  le  sup- 
plément de  X Encyclopédie  britannique.  On  ne  doit  donc  plus  douter 
que  les  (l»'<:ou\<rtes  d«  Champollion  ne  soient  entées  sur  celles  du 
docteur  Young ,  auquel  appartient  le  mérite  d'avoir  le  premier  dé- 


EXAMEN   DES   ECRITS   DE   KLAPROTH.  17 

montré  qu'on  s'est  servi  en  Egypte  de  signes  hiéroglyphiques  pour 
exprimer  alphabétiquement  les  noms  propres.  »  (A.  1-2,  note.B.  3-4.) 

Examinons  un  peu  cette  note  intéressante.  Klaproth  avait  besoin 
de  faire  croire  à  la  très-grande  rareté  du  volume  dont  il  parlait,  pour 
que  son  argumentation  eût  au  moins  l'air  d'être  juste;  et,  quand  il 
écrivait  cette  note,  il  était,  lui,  Klaproth,  possesseur,  non  pas  d'un 
seul ,  mais  de  deux  exemplaires  de  ce  livre  !  S'il  était  si  rare  à  cette 
époque ,  ceci  prouverait  que  l'illustre  philologue  avait  un  procédé  à 
lui  pour  enrichir  sa  bibliothèque  des  ouvrages  que  les  autres  ne  pou- 
vaient se  procurer  à  prix  d'argent. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  rareté  réelle  ou  prétendue  du  premier  essai  de 
Champollion  sur  l'écriture  hiératique,  il  est  curieux  de  voir  Klaproth 
s'extasier  sur  ce  qu'il  y  a  de  miraculeux  à  ce  que  Champollion  ait  trouvé, 
en  1822,  ce  qu'il  n'avait  pas  encore  trouvé  en  1821 .  Mais,  en  vérité, 
pour  qui  écrivait-on  de  semblables  choses?  en  quoi  consiste  donc  une 
découverte?  y  en  a-t-il  une  seule  au  monde  qui  n'ait  pas  été  enfantée 
par  une  minute  d'inspiration?  Comment!  parce  qu'en  1821  on  cher- 
che depuis  dix  ans  la  solution  d'un  problème,  solution  qu'on  n'entre- 
voit qu'en  1822,  la  découverte  de  cette  solution  doit  être  contestée! 
Un  raisonnement  pareil  n'est-il  pas  digne  d'être  comparé  à  la  célèbre 
chanson  de  M.  de  La  Palisse?  Et  remarquons  encore  ici  une  contra- 
diction bizarre  :  à  la  première  page  de  son  livre,  Klaproth  veut  bien 
accorder  à  Champollion  la  gloire  d'avoir,  à  l'exclusion  d'Young,  rai- 
sonné et  démontré  sa  découverte;  à  la  quatrième,  il  revient  à  son  dire 
de  1829,  et  c'est  à  Young  qu'il  attribue  le  mérite  d'avoir  le  premier 
démontré  qu'on  se  servit  en  Egypte  de  signes  hiéroglyphiques ,  pour 
exprimer  alphabétiquement  les  sons  des  noms  propres.  Un  peu  plus 
haut  (B.  3.)  Klaproth  avait  pris  le  soin  de  dire  :  «  Tout  le  monde  avait 
reconnu  dans  cette  inscription  (celle  de  Rosette)  la  place  qu'occupait 
le  nom  de  Ptolémée,  et  on  avait  indiqué  de  même  sur  d'autres  monu- 
ments les  cadres  ou  cartouches  qui  devaient  contenir  ceux  de  Béré- 
nice et  d'Arsinoé,  ainsi  que  de  quelques-uns  des  rois  des  anciennes 
dynasties  égyptiennes.  »  Tout  à  l'heure  nous  allons  voir  que  de  là  pro- 
vient, pour  Young,  un  nouveau  camouflet,  que  Klaproth  lui  applique 
libéralement,  quelques  pages  plus  loin,  sans  se  douter  de  la  chose; 
mais,  procédons  par  ordre. 

Du  livre  sur  l'écriture  hiératique,  publié  en  1821,  Klaproth  ex- 
trait les  conclusions  suivantes  :  «  1°  l'écriture  des  manuscrits  égyp- 
tiens de  la  seconde  espèce  n'est  point  alphabétique; 

«  2°  Ce  second  système  n'est  qu'une  simple  modification  du  système 
III.  2 


18  HEVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

hiéroglyphique  et  n'en  diffère  uniquement  que  par  la  forme  des  si- 
gnes; 

a  3°  Cette  seconde  espèce  d'écriture  est  l'hiératique  des  auteurs 
m  |  et  doit  être  regardée  comme  une  tachygraphie  hiéroglyphique  ; 

«  4°  Enfin  les  caractères  hiératiques  (et  par  conséquent  aussi  ceux 
dont  ils  dérivent)  sont  des  signes  de  choses  et  non  des  signes  de  sons. 

«  Après  un  exposé  pareil,  ajoute  Klaproth,  on  peut  être  bien  con- 
vaincu qu'en  1821  Champollion  ne  croyait  pas  à  l'existence  de  signes 
alphabétiques  parmi  les  hiéroglyphes,  quoique  le  docteur  Young  eût 
déjà  communiqué  sa  découverte  aux  savants  de  l'Europe,  par  un  Mé- 
moire imprimé  en  1818,  et  qui  fut  publié  l'année  suivante,  dans  le 
supplément  de  Y  Encyclopédie  britannique .  »  (B.  5.)  Mentionnant  en- 
suite la  communication  faite  par  Bankes  à  l'Académie  des  Inscrip- 
tions et  Belles-Lettres,  d'une  copie  lithographiée  des  inscriptions  hiéro- 
glyphiques de  l'obélisque  de  Philes,  inscriptions  signalées  avec  sa  saga- 
cité ordinaire,  par  M.  Letronne,  comme  devant  contenir  le  môme  sens 
que  l'inscription  grecque  tracée  sur  la  base  de  l'obélisque,  et  que  ce  sa- 
vant avait  interprétée,  commentée  et  publiée,  «  c'est  cette  copie,  dit- 
il,  qui  fut  communiquéo  à  M.  Champollion,  et  qui  lui  fournit  les 
moyens  de  faire  les  observations  et  les  comparaisons  dont  il  consigna 
le  résultat  dans  la  lettre  à  M.  Dacier,  datée  du  22  septembre  1822. 
C'est  alors  qu'il  reconnut  le  nom  de  Cléopàtre  et  l'emploi  des  carac- 
tères phonétiques  dans  les  hiéroglyphes,  et  qu'il  abandonna  les  idées 
qu'il  avait  eues  jusque-là,  sur  la  nature  des  anciennes  écritures  égyp- 
tiennes, idées  qui  lui  avaient  fait  rejeter  d'abord  les  découvertes  du 
docteur  Young.  »  (B.  6.) 

Champollion,  de  1819  à  1822,  se  refusa  donc  à  croire  sur  pa- 
role à  une  découverte  que  Young  ne  pouvait  pas  démontrer,  et  dont 
le  savant  docteur  ne  pouvait  tirer  lui-même  aucun  fruit.  En  cela  il 
me  semble  que  Champollion  agit  fort  sagement.  Sans  aucun  doute  il 
essaya  de  la  méthode  de  lecture  proposée  par  Young;  elle  ne  lui 
réussit  pas  mieux  qu'à  son  auteur  lui-même,  et  dès  lors  Champol- 
lion eut,  cent  fois  pour  une,  raison  de  se  dire:  la  découverte  de  Young 
n'en  est  pas  une,  puisqu'elle  demeure  inapplicable  :  cherchons  donc 
autre  chose.  Ainsi,  la  prétendue  découverte  de  Young  eut  incontes- 
tablement pour  premier  résultat ,  de  fourvoyer  pendant  quatre 
ans  de  plus  ,  celui  auquel  il  était  réservé  de  lire  le  premier  les 
hiéroglyphes. 

Cette  seconde  version  de  Klaproth  est  au  moins  exacte  quant  aux 
faits  ;  mais  que  dire  de  celle  qui  l'avait  précédée?  La  voici  : 


EXAMEN    DES    ECRITS   DE    KLAPROTH.  19 

«  M.  le  docteur  Young  communiqua  sa  découverte  aux  savants  de 
l'Europe  par  un  Mémoire  imprimé  en  1818,  et  qui  fut  publié,  l'an- 
née suivante,  dans  le  supplément  à  l'Encyclopédie  britannique.  II  n'y 
a  pas  de  doute  que  cette  découverte  n'ait  définitivement  engagé 
Champoîlion  à  renoncer  à  tous  les  travaux  qu'il  avait  faits  pendant 
dix  ans  sur  les  hiéroglyphes.  Il  adopta  l'opinion  du  docteur  anglais, 
et  avec  un  zèle  louable,  il  donna  un  grand  développement  au  système 
que  celui-ci  n'avait  qu'indiqué.  Ses  recherches  ont  été  couronnées 
d'un  succès  brillant,  et  il  a  pu  offrir,  en  1822,  au  monde  savant, 
une  suite  considérable  de  caractères  hiéroglyphiques  employés  al- 
phabétiquement pour  écrire  les  noms  propres.  » 

On  le  voit,  ce  passage  n'offre  plus  la  moindre  trace  de  la  longue 
hésitation  de  Champoîlion  à  accepter  des  idées  que  leur  propagateur 
n'avait  pu  faire  fructifier ,  et  qui  étaient  condamnées  ta  rester  mort- 
nées  ,  s'il  ne  se  fût  chargé  de  les  vivifier,  en  raisonnant  et  démontrant 
la  méthode  à  laquelle  ces  idées  devaient  se  rattacher. 

Quant  aux  quatre  conclusions  sur  les  deux  écritures  sacrées,  pu- 
bliées, en  1821 ,  par  Champoîlion,  c'est-à-dire  un  an  avant  sa  dé- 
couverte, et  trois  ans  après  la  découverte  tout  à  fait  inutile  de 
Young ,  deux  sont  parfaitement  vraies ,  et  les  deux  autres  le  sont  à 
moitié,  puisqu'il  est  bien  démontré,  aujourd'hui,  que  les  écritures 
sacrées  contiennent  à  peu  près  autant  de  signes  idéographiques  que 
de  signes  phonétiques. 

La  première  édition  de  l'écrit  de  Klaproth  contient  (page  3)  une 
note  curieuse  que  je  ne  puis  me  dispenser  de  rapporter. 

«  Ce  n'est  qu'en  passant,  dit-il,  que  Champoîlion  parle  dans  cette 
lettre  (à  M.  Dacier)  de  ses  obligations  envers  M.  Young,  à  qui, 
néanmoins,  il  devait  la  première  idée  de  ce  qu'il  appelle  sa  décou- 
verte (ici  vient  la  note).  Cette  manière  tout  à  fait  neuve,  ce  point  de 
me  tout  à  fait  inattendu ,  comme  M.  Champoîlion  le  nomme  (à  la 
page  250  de  la  première  édition  de  son  Précis  sur  le  système  hiéro- 
glyphique), appartient  donc  d'origine  à  M.  Young,  et  quoique 
l'archéologue  français  s'applique,  dans  le  même  ouvrage,  à  relever 
dans  une  analyse  les  erreurs  de  l'auteur  anglais ,  il  conclut  défini- 
tivement que  les  prétentions  de  celui-ci  doivent  se  réduire  à  avoir 
indiqué  la  véritable  valeur  phonétique  de  cinq  caractères  seulement  ; 
cette  dernière  conclusion  s'accorde  fort  mal  avec  l'aveu  que  M.  Young 
a  déterminé  la  valeur  de  plusieurs  groupes  de  caractères.  Champoîlion 
ne  reconnaît  pas  moins  (page  377)  que  le  savant  anglais  a  donné 
une  série  de  plus  de  deux  cents  caractères  ou  groupes  hiéroglyphe 


20  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ques,  et  qu'il  a  présenté  pour  la  première  fois  et  avant  lui  au  monde 
savant,  la  valeur  véritable  de  soixante-dix-sept  de  ces  groupes.  » 

Voyons  ce  que  vaut  chacune  des  assertions  contenues  dans  cet 
extrait.  Ce  n'est  qu'en  passant,  dit-on,  que  Champollion  a  parlé  de 
ses  obligations  envers  M.  Young.  En  cela  il  a  eu  grand  tort,  car  il 
eût  pu  dire,  avec  toute  justice,  que  l'illustre  docteur  avait  réussi 
deux  fois  de  suite  à  le  mettre  hors  de  la  bonne  route,  et  à  lui  faire 
perdre  une  bonne  partie  de  sa  précieuse  vie  qui  devait  être  si  courte  ; 
la  première  fois  ce  fut  quand  il  publia  les  valeurs  imaginaires  qu'il 
avait  déduites  de  la  lecture  des  noms  de  Ptolémée  et  de  Bérénice;  la 
deuxième  fois  lorsqu'il  parvint  à  faire  croire  à  Champollion  qui  s'ob- 
stinait, avec  raison,  à  déclarer  alphabétique  l'écriture  démotique  ou 
enchoriale ,  que  cette  écriture  était  exactement  de  même  nature  que 
l'écriture  hiéroglyphique,  c'est-à-dire  tout  aussi  surchargée  quelle  de 
symboles  et  de  signes  figuratifs.  Telles  sont  les  obligations  de  Cham- 
pollion envers  le  docteur  Young  ;  assurément  elles  ne  sont  pas 
lourdes,  et,  à  mon  sens,  l'obligé  s'est  montré  généreux  en  ne  se  plai- 
gnant pas  du  double  service  qn'on  lui  avait  rendu. 

Klaproth  semble  trouver  surprenant  que  Champollion  se  soit  ap- 
pliqué à  mettre  en  évidence  les  erreurs  du  docteur  Young  ;  c'était 
son  droit,  ce  me  semble,  et  son  droit  le  plus  légitime.  On  lui  contes- 
tait, et  Klaproth  tout  le  premier,  la  priorité  d'une  brillante  dé- 
couverte que  l'on  prétendait  revendiquer  pour  le  compte  du  doc- 
teur Young;  il  importait  donc  à  Champollion  de  poser  nettement  les 
termes  de  la  question  ,  et  de  faire  voir  clairement  à  tout  le  monde , 
que  la  découverte  de  Young,  par  cela  même  qu'elle  était  stérile  dans 
toute  la  force  du  terme,  ne  pouvait  réclamer  aucun  droit  de  priorité. 

En  quoi  sont  donc  étranges  les  expressions  dont  Champollion  se  sert 
eu  parlant  de  sa  méthode  de  lecture,  qu'il  qualifie  de  manière  tout  à  fait 
neuve,  de  point  de  vue  tout  à  fait  inattendu ,  expressions  que  Klaproth 
prend  soin  de  reproduire  en  italique?  Est-ce  que  par  hasard  ce  fait 
d'une  portée  immense,  le  phonétisme  des  caractères  hiéroglyphiques 
employés  pour  la  composition  des  textes  courants,  avait  été  deviné  par 
Young  ou  par  Klaproth?  Pas,  que  je  sache.  Le  fait  était  bien  réelle- 
ment tout  à  fait  neuf,  tout  à  fait  inattendu;  permis  donc  à  celui  qui 
le  mettait  en  lumière,  de  le  qualifier  de  la  sorte.  Champollion,  dans 
son  Précis,  conclut ,  ainsi  que  le  dit  Klaproth ,  que  les  prétentions  de 
Young  doivent  se  réduire  à  avoir  indiqué  la  véritable  valeur  pho- 
nétique de  cinq  caractères  seulement ,  et  comme  il  le  prouve  sans 
réplique  possible,  il  faut  bien  que  Klaproth  en  passe  par  là,  bon  gré 


EXAMEN   DES   ÉCRITS   DE    KLAPROTH.  21 

mal  gré.  Vient  ensuite  la  phrase  suivante  :  «  Cette  dernière  conclu- 
sion s'accorde  fort  mal  avec  l'aveu  que  Young  a  déterminé  la  valeur 
de  plusieurs  groupes  de  caractères.  Champollion  ne  reconnaît  pas 
moins  (page  377)  que  le  savant  anglais  a  donné  une  série  de  plus  de 
deux  cents  caractères  ou  groupes  hiéroglyphiques,  et  qu'il  a  présenté 
pour  la  première  fois  et  avant  lui  au  monde  savant  la  valeur  véritable  de 
soixante-dix-sept  de  ces  groupes.  »  Ceci  a  besoin  d'être  commenté.  En 
quoi,  je  le  demande,  la  conclusion  de  Champollion  sur  les  seules  pré- 
tentions légitimes  de  Young  s'accorde-t-elle  fort  mal  avec  l'aveu  que 
Young  a  le  premier  publié  la  véritable  valeur  de  soixante-dix-sept 
groupes  hiéroglyphiques?  Est-ce  que  par  hasard  Klaproth,  avec  son 
immense  érudition,  regardait  comme  tout  un  de  deviner  le  sens  d'un 
groupe  de  caractères  quelconques,  ou  de  lire  et  de  prononcer  ce 
groupe?  Je  ne  me  permettrai  pas  de  lui  imputer  une  semblable  niai- 
serie, que  le  passage  que  je  viens  de  citer  semble  permettre  de  lui 
reprocher.  Ignorait-il  donc  que  Young  et  plusieurs  autres  avaient 
fait  beaucoup  mieux  que  cela?  qu'ils  avaient  partagé  le  texte  démo- 
tique du  décret  de  Rosette  en  groupes  bien  définis  et  de  sens  bien 
déterminé,  sans  pouvoir  pour  cela  en  épeler  une  seule  syllabe?  Qu'y 
avait-il  donc  de  prodigieux  à  faire  pour  des  groupes  hiéroglyphiques, 
ce  que  l'on  parvenait  facilement  à  faire  pour  plus  de  douze  cents 
groupes  démotiques?  je  ne  le  devine  pas. 

Quelle  que  soit  l'opinion  qui  naîtra  dans  l'esprit  du  lecteur,  de 
toute  cette  discussion  sur  la  note  précitée ,  je  demanderai  maintenant 
pourquoi  cette  note  qui  atteste  la  bonne  foi  de  Champollion  et  la 
loyauté  avec  laquelle  il  se  chargeait  de  faire  lui-même  la  part  de  son 
compétiteur  de  gloire,  se  trouve  supprimée  dans  la  seconde  édition  de 
l'écrit  de  Klaproth?  Serait-ce  donc  qu'il  importait  à  celui-ci  de  faire 
disparaître  de  son  livre  toute  trace  des  faits  honorables  pour  Cham- 
pollion ,  qu'il  voulait  purement  et  simplement  convaincre  de  plagiat? 
Klaproth  avait-il  compté,  plus  qu'il  n'est  sage  de  le  faire,  sur  la  bon- 
homie du  public  lettré?  et  ne  savait-il  pas  que  ce  public  n'est  pas 
toujours  d'humeur  à  prendre  sans  contrôle  les  assertions  qu'on  pré- 
tend faire  passer  dans  son  esprit?  Je  suis  bien  tenté  de  le  croire. 
Dans  tous  les  cas  cette  note  ne  dérangeait  en  rien  la  thèse  de  Kla- 
proth ,  elle  constatait  la  loyauté  de  Champollion ,  la  supprimer  con- 
stitue donc  un  acte  que  je  m'abstiens  de  qualifier. 

La  seconde  édition  seule  contient  une  espèce  de  résumé  de  la  vie 
scientifique  de  Champollion  depuis  l'apparition  de  son  Précis  jusqu'à 
sa  mort  (les  pages  6  à  1 9  sont  consacrées  à  cette  narration).  On  va 


22  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

voir  que  cet  exposé  mérite  plus  d'un  reproche.  Ainsi ,  à  propos  du 
premier  ouvrage  important  sous  le  rapport  de  l'étendue,  c'est-à-dire 
du  Précis  du  système  hiéroglyphique,  j'y  lis  ce  qui  suit  : 

«Ses  observations  s  étant  multipliées  considérablement,  étendues 
à  des  objets  qu'il  n'avait  pas  touchés  dans  sa  lettre  à  M.  Dacier,  mo- 
difiées sur  certains  points,  vérifiées  sur  quelques  autres,  il  en  consi- 
gna le  résultat  dans  un  ouvrage  plus  étendu,  qui  parut,  en  1824, 
sous  le  titre  de  Précis  du  système  hiéroglyphique  des  anciens  Égyp- 
tiens. Le  titre  de  cet  ouvrage  est  propre  à  induire  en  erreur  sur  l'é- 
tendue et  les  résultats  des  travaux  de  M.  Champollion  ;  on  s'attendrait 
à  y  trouver  l'exposition  d'un  système  et  un  résumé  des  principes  à 
l'aide  desquels  on  pourrait  entreprendre  la  lecture  et  l'interprétation 
des  textes  hiéroglyphiques,  tandis  qu'au  contraire  ce  livre  ne  con- 
tient qu'une  application  plus  ample,  mais  toujours  conçue  dans  le 
même  esprit,  des  idées  exposées  dans  la  lettre  à  M.  Dacier.  »  De  ce 
paragraphe,  à  mon  grand  regret,  je  suis  forcé  de  conclure,  ou  que 
Klaproth  n'a  pas  lu  le  livre  dont  il  parle,  ou  qu'il  a  cherché  sciem- 
ment à  tromper  son  lecteur.  Cet  exposé  d'un  système,  ce  résumé  des 
principes  sur  lequel  ce  système  se  fonde,  est  très-amplement  déve- 
loppé dans  le  livre  de  Champollion ,  et  si  Klaproth  ne  l'y  a  pas  trouvé, 
c'est  qu'il  ne  s'en  est  pas  soucié.  Du  reste ,  je  lis  dans  la  Critique  de 
Klaproth  (A.  2-3 ,  B.  1 0),  à  propos  de  la  lettre  à  M.  Dacier  :  «  La 
marche  méthodique  que  l'auteur  suit  dans  cet  écrit,  et  la  bonne  foi 
qui  y  règne,  furent  reconnues  par  toutes  les  personnes  désintéressées, 
et  il  aurait  été  à  désirer  que  Champollion  ne  s'en  fût  jamais  départi 
dans  ses  recherches  postérieures  sur  les  écritures  et  les  antiquités 
égyptiennes.  » 

Ce  désir  de  Klaproth  que  je  m'empresse  de  classer  au  nombre  des 
personnes  désintéressées  dont  il  parle,  a  étéaccompli  parChampollion, 
de  l'aveu  môme  de  son  critique,  puisque  celui-ci  nous  affirme  que  ce 
Précis  contient  une  application  plus  ample,  mais  toujours  conçue 
dans  le  même  esprit,  des  idées  exposées  dans  la  lettre  à  M.  Dacier. 
Comment  donc  se  fait-il  que  ce  second  livre  ait  tant  déplu  à  Kla- 
proth, puisque  son  amour  épuré  de  la  science  s'y  trouvait  servi 
comme  à  souhait?  ne  devait-il  pas  être  heureux  en  constatant  que  les 
observations  de  Champollion  s'y  étaient  multipliées  considérable- 
ment, qu'elles  tétaient  étendues  à  des  objets  qui  n'avaient  pas  été 
touchés  dans  la  lettre  à  .M.  Dneier,  qu'elles  s'étaient  enlin  modifiées 
sur  certain*  points  et  vérifiées  sur  quelques  autres?  Franchement  il 
fallait  être  rendu  bien  difficile  sur  le  mérite  fa  «ruvres  d'autrui ,  par 


EXAMEN  DES   ECRITS   DE   KLAPROTH.  23 

le  propre  mérite  des  siennes,  pour  ne  pas  applaudir  à  l'apparition 
d'un  ouvrage  qui  possédait  les  qualités  essentielles  que  le  critique 
était  forcé  de  lui  reconnaître.  Il  est  vrai  qu'à  côté  de  cette  énumé- 
ration  de  titres  à  l'éloge,  Klaproth  ajoute  bien  vite  (B.  7)  :  «  Ce 
travail,  tout  important  qu'il  est,  laissait  donc  encore  beaucoup  à 
désirer  aux  amis  des  sciences  archéologiques.  »  Ce  reproche,  je  dois 
le  dire,  manque  de  la  générosité  qui  sied  si  bien  aux  grands  talents. 
Je  veux  croire  que  Klaproth ,  s'il  se  fût  mis  en  tête  de  découvrir 
l'alphabet  hiéroglyphique,  eût  du  premier  coup,  et  de  toutes  pièces , 
bâclé  un  système  parfait,  indubitable,  absolu,  dont  il  eût,  en  quel- 
ques jours,  enrichi  la  science  ;  mais  il  n'appartient  pas  à  tout  le 
monde  de  faire  aussi  lestement  les  choses;  Champollion  a  eu  le  mal- 
heur de  ne  pouvoir  tout  trouver  et  tout  démontrer,  currente  calamo, 
sans  doute  parce  qu'il  appartenait  à  cette  classe  de  petits  esprits  qui 
mettent  le  temps  à  ce  qu'ils  font ,  afin  d'avoir  la  conscience  de  le  bien 
faire.  En  cela  son  travail  a  déplu  a  Klaproth;  c'est  bien  fâcheux  sans 
doute  ;  mais  je  crois  sincèrement  que,  de  quelque  façon  qu'il  s'y  fût 
pris  pour  étendre  et  assurer  sa  découverte,  Champollion  eût  bien 
difficilement  réussi  à  se  faire  un  ami  et  un  prosélyte  de  1  illustre 
Klaproth.  Probablement  il  en  eût  été  fort  peiné  ;  mais  tous  ses  dis- 
ciples feront  comme  moi ,  je  l'espère,  et  se  résigneront  aisément  à 
se  passer  du  patronage  superflu  que  le  célèbre  philologue  a  si  dé- 
daigneusement refusé  à  la  science  des  écritures  et  de  la  langue 
égyptiennes. 

A  son  retour  d'Italie,  et  après  avoir  à  loisir  étudié  les  monuments 
égyptiens  de  toute  espèce  accumulés  dans  le  riche  musée  de  Turin , 
Champollion,  à  qui  l'examen  de  ce  musée  avait  déjà  suggéré  ses  in- 
téressantes lettres  à  M.  de  Blacas,  publia  une  seconde  édition  de  son 
Précis,  dans  laquelle  «  il  n'apporta  que  des  modifications  peu  nom- 
breuses aux  assertions  que  contenait  la  première  ,  et  il  n'y  vit  aucun 
motif  de  renoncer  à  l'opinion  qu'il  avait  exprimée  sur  la  nature 
phonétique  qu'il  croyait  devoir  attribuer  à  la  plus  grande  masse  des 
hiéroglyphes  »  (c'est  Klaproth  qui  parle).  Puisqu'après  avoir  étu- 
dié une  série  énorme  de  monumeuts  nouveaux  pour  lui,  Champol- 
lion ne  trouva  que  très-peu  de  choses  à  modifier  dans  le  système  qu'il 
avait  développé  antérieurement,  c'est  qu'apparemment  ses  dernières 
observations  vinrent  concorder  avec  les  anciennes  et  prêter  à  celles-ci 
une  nouvelle  force.  Comme  Klaproth  se  borne  à  énoncer  ce  fait  en 
oubliant  d'en  tirer  une  conclusion  quelconque,  on  me  pardonnera 
d'avoir  conclu  pour  lui. 


24  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Vient  ensuite  le  tour  du  Panthéon  égyptien  ,  cette  précieuse  ébau- 
che d'un  magnifique  travail  qui  reste  encore  à  faire,  et  que  nous  pos- 
séderons quelque  jour,  il  faut  l'espérer,  si  notre  savant  confrère , 
M.  Ch.  Lenormant,  veut  bien  transmettre  au  monde  savant  le  bel 
ensemble  mythologique  que  ses  études  sur  les  monuments  de  l'Egypte 
lui  ont  fait  concevoir.  Champollion  a-t-il  jamais  eu  la  prétention 
d'offrir  aux  érudits  une  théogonie  égyptienne  complète,  à  l'abri  de 
toute  modification  ultérieure?  nullement;  car  à  mesure  qu'il  publiait 
ce  livre ,  il  avait  la  bonne  foi  de  revenir  franchement  sur  les  faits 
qu'il  avait  cru  devoir  énoncer  antérieurement,  et  dont  il  reconnais- 
sait plus  tard  le  peu  de  valeur.  Ceci,  du  reste,  constitue  un  tort  que 
Klaproth  reproche  à  Champollion  avec  un  ton  qui  frise  constamment 
l'impertinence.  Tout  le  monde  n'est  pas  infaillible,  et  Klaproth  l'étant 
moins  que  tout  autre ,  ainsi  que  j'aurai  le  plaisir  de  le  démontrer  un 
peu  plus  loin,  il  eût  été  de  bon  goût  de  sa  part,  d'user  dune  très- 
grande  réserve,  quand  il  s'exposait  sur  un  terrain  où  tout,  exacte- 
ment tout,  lui  manquait  pour  éviter  les  faux  pas. 

Dans  son  Panthéon  Champollion  avait  dit  :  «  Que,  malgré  les  pro- 
fondes recherches  et  la  vaste  érudition  de  Jablonski,  le  siècle  der- 
nier n'avait  pu  se  former  une  idée  claire  du  système  religieux  de 
l'antique  Egypte;  que  ce  savant  ayant  pris  pour  guides  les  écrivains 
grecs  et  latins ,  avait  cru  possible  avec  leur  seul  secours  de  recom- 
poser un  tableau  complet  de  la  théogonie  égyptienne;  mais  que 
c'était  de  préférence  dans  les  monuments  égyptiens  qu'il  fallait  cher- 
cher les  noms  d'une  foule  de  divinités  et  de  personnages  mythologiques 
qu'on  chercherait  en  vain  dans  les  auteurs  classiques.  » 

Assurément  cette  assertion  n'a  rien  que  de  parfaitement  logique  ; 
cependant  Klaproth  a  trouvé  le  moyen  de  la  faire  suivre  de  la  remar- 
que suivante  :  «Cette  proposition  ne  nous  paraît  admissible  qu'autant 
qu'on  aurait  pleinement  démontré  qu'on  est  parvenu  à  l'intelligence 
complète  des  monuments  graphiques  de  l'Egypte  ;  ce  n'est  qu'alors 
qu'on  serait  en  droit  de  baser  des  théories  nouvelles  sur  leur  contenu.» 

J'avoue  que  je  ne  comprends  pas  trop  bien  la  force  de  ce  raison- 
nement. Quoi!  il  faut  l'intelligence  complète  des  monuments  gra- 
phiques de  l'Egypte  pour  avoir  le  droit  d'extraire  d'un  texte  les  noms 
divins  d'un  père  ou  d'une  mère  et  de  leur  fils ,  d'un  frère  et  d'une 
sœur,  etc.;  en  vérité  je  n'accorderai  pas  cela  facilement.  On  a  bien 
pu  »  \haire  des  noms  de  souverains,  des  noms  de  particuliers,  des 
teftps  égyptiens  qui  les  contenaient,  sans  qu'il  fallût,  pour  cela  faire, 
comprendre  le  premier  mot  de  ces  textes,  et,  pour  les  personnages 


EXAMEN   DES   ECRITS  DE   KLAPROTH.  25 

divins,  il  ne  serait  plus  possible  d'opérer  de  même  j  à  moins  de  pos- 
séder l'intelligence  complète  des  monuments  graphiques  de  l'Egypte? 
en  le  disant,  Klaproth  se  moque,  je  pense,  car  s'il  ne  se  moque  pas, 
il  déraisonne. 

Le  savant  philologue,  abordant  ensuite  le  problème  que  présente 
le  déchiffrement  des  écritures  égyptiennes,  en  fixe  ainsi  l'énoncé  :  «  Il 
s'agit  de  savoir  si  les  hiéroglyphes  étaient  destinés  à  représenter  les 
idées ,  directement  ou  par  l'entremise  des  sons  de  la  langue  égyp- 
tienne, s'ils  étaient  des  symboles  de  choses  ou  des  signes  de  pronon- 
ciation ,  s'ils  devaient ,  en  un  mot ,  être  considérés  comme  idéogra- 
phiques ou  comme  phonétiques.  Dans  le  premier  cas,  il  est  bien 
évident  qu'on  devait  renoncer  à  l'espoir  d'en  posséder  jamais  une 
pleine  et  complète  intelligence....  Dans  le  cas  contraire,  nous  vou- 
lons dire  si  les  hiéroglyphes  devaient  être  en  grande  partie  regardés 
comme  signes  de  sons,  le  déchiffrement  en  était  non-seulement 
possible,  mais  facile  sous  certaines  conditions,  les  mêmes  qui  sont 
exigées  toutes  les  fois  qu'on  veut  parvenir  à  la  lecture  d'un  texte 
tracé  dans  une  écriture  inconnue.  L'espoir  que  fait  naître  cette  sup- 
position doit  avoir  influé  considérablement  sur  la  direction  que 
M.  Champollion  avait  donnée  à  ses  derniers  travaux ,  et  la  possibilité 
qu'il  apercevait  de  lire  enfin  les  hiéroglyphes ,  s'ils  étaient  reconnus 
phonétiques,  n'a  sans  doute  pas  peu  contribué  à  lui  persuader  qu'ils 
l'étaient  en  effet....  Mais  encore  une  fois,  en  admettant  même  cette 
supposition,  que  rien  jusqu'ici  n'autorise  et  ne  justifie,  il  faudrait 
toujours,  pour  obtenir  l'intelligence  des  textes  hiéroglyphiques,  rem- 
plir quelques  conditions  indispensables  qui  sont  de  rigueur  dans 
toute  opération  de  ce  genre.  Il  faudrait  avoir  d'une  manière  assurée 
et  invariable  la  valeur  phonétique  de  tous  les  signes  hiéroglyphiques  ; 
il  faudrait  que  chaque  signe  exprimât  un  seul  son ,  et  que  chaque 
son  fût  toujours  rendu  par  le  même  signe  ;  car  s'il  était  permis  de 
substituer  à  volonté  un  B  à  un  M,  ou  un  T  à  un  D,  d'altérer  la 
forme  des  mots  déjà  si  vagues  par  la  suppression  des  voyelles ,  on  se 
ménagerait  ainsi  le  moyen  de  trouver  toujours  le  mot  dont  on  aurait 
besoin  ou  quelque  chose  d'approchant,  et  avec  de  légères  variations 
qu'on  pourrait  ensuite  faire  subir  à  la  signification  des  mots ,  il  n'est 
rien  qu'on  ne  pût,  à  la  rigueur,  trouver  dans  une  inscription.  » 

Dans  le  passage  précédent,  tout  ce  qui  concerne  l'énoncé  du  pro- 
blème à  résoudre  me  paraît  assez  convenablement  déterminé.  Les 
conditions  de  ce  problème  sont  sagement  posées,  mais  Klaproth  avait- 
il  le  droit  de  déclarer  que  Champollion  n'avait  admis  le  phonétisme 


26  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

des  hiéroglyphes  que  parce  que  c'était  la  seule  hypothèse  qui  lui  per- 
mit d'entrevoir  le  moyen  de  les  lire?  en  aucune  façon  ;  car  s'exposer 
à  énoncer  un  principe  pareil ,  qui  mettait  le  déchiffrement  des  textes 
hiéroglyphique* ,  à  la  portée  d'un  ignorant  quelconque,  sachant  le 
copte  comme  Klaproth,  c'était  s'exposer  à  de  rudes  et  perpétuels  dé- 
mentis, c'était  manquer  de  bon  sens;  en  effet  il  était  bien  évident  qu'une 
invention  pareille  devait  périr  immédiatement  au  contact  de  l'expé- 
rimentation. Ce  principe  donc,  s'il  était  faux,  devait  entraîner  sur- 
le-rhamp  1  oubli  et  le  mépris  de  la  méthode  de  lecture  à  laquelle  il 
servait  de  base  ;  il  n'en  a  rien  été,  parce  qu'il  n'en  pouvait  rien  être; 
j'en  conclus  hardiment  que  la  méthode  et  le  principe  étaient  bons  et 
les  seuls  bons,  n'en  déplaise  à  Klaproth.  Ce  passage  me  suggère  une 
dernière  observation.  Pour  un  philologue  de  sa  force ,  comment 
a-t-il  été  si  mal  choisir  les  lettres  à  citer  pour  exemple  des  permu- 
tations capricieuses  qu'il  n'est  pas  permis  de  faire  subir  aux  valeurs 
ignés  hiéroglyphiques?  Il  se  récrie  sur  la  possibilité  de  remplacer 
un  B  par  un  M,  un  T  par  un  D,  et  j'en  suis  fâché  pour  sa  science 
profonde,  il  commet  là  une  double  bévue.  Qui  ne  sait  que  les  articu- 
lations congénères  subissent  sans  difficulté  des  permutations  dont 
toutes  les  langues  sans  exception  nous  offrent  des  exemples  fré- 
quents? et  qui  aurait  le  droit  de  criera  l'arbitraire  si,  dans  un  mot 
égyptien,  on  voyait  un  B  remplacer  un  M,  un  T  remplacer  un  D? 
Puisqu'il  s'agit  d'égyptien,  nous  avons  le  droit  de  chercher  ce 
que  le  copte,  tel  qui  nous  est  connu,  nous  offre  de  permutations 
possibles,  et  si  nous  y  reconnaissons  comme  licites  précisément  celles 
que  Klaproth  cite  d'un  air  si  triomphant ,  qu'en  devrons-nous  con- 
clure? que  Klaproth  ignorait  le  jeu  des  articulations  congénères? 
certainement  je  n'oserais  pas  le  faire,  vu  le  respect  que  je  professe 
pour  sa  science  philologique;  et  pourtant  si  nous  ouvrons  le  Lexique 
copte  du  savant  A.  Peyron,  nous  y  lisons  (page  19  )  :  «  &  sœpeper- 
mutalur  cum  lilteris  affinibus  ot ,  <\> ,  ^.  aliquando  eliam  mm 
H  et  JU.  ;  sic  TO&  pro  "TOTT  j  «a\î\E&,  'TatfXA*,  £ïHXfi, 
£\HW-,  ^Eptufî,  f5Epai**,  et  page  29  :  A,  lillera  ignota 
sEgypliis;  eam  quandoque  in  grœm  vocibus  scriptam  vidipro  T.  sic 
€FE&^pCm,    Ik&XXCj    etc»  » 

Bornons-nous  à  conclure  de  ceci  que  Klaproth  n'a  pas  eu  la  main 
heureuse,  et  qu'il  eut  pu  beaucoup  mieux  choisir.  Il  est  vrai  que 
( M  permutations  légitimes  étant  les  seules  qu'il  lui  fût  possible  de 


EXAMEN   DES   ÉCRITS   DE   KLAPROTH.  27 

reprocher  à  Champollion,  il  fallait  bien  s'en  tenir  à  elles,  sauf  à 
perdre  tout  l'effet  de  sa  tirade. 

Après  avoir  exagéré  de  beaucoup  la  difficulté  de  déterminer  l'ordre 
à  suivre  dans  le  déchiffrement  des  caractères  composant  les  groupes 
hiéroglyphiques,  difficulté  qui  n'existe  réellement  que  dans  l'imagi- 
nation deKlaprolh,  celui-ci  ajoute  (B.  14-17)  :  ce  Supposons  néan- 
moins que  la  forme  et  la  valeur  des  lettres  soient  parfaitement  déter- 
minées, que  leur  arrangement  ne  donne  lieu  à  aucune  équivoque,  que 
la  suppression  des  voyelles  ne  soit  l'occasion  d'aucune  méprise ,  que 
l'on  puisse ,  en  un  mot ,  épeler  les  syllabes,  couper  et  distinguer  les 
mots  avec  autant  de  netteté,  de  certitude  et  de  précision  que  s'ils 
étaient  écrits  avec  quelqu'un  des  alphabets  perfectionnés  de  l'Occi- 
dent ,  il  restera  toujours  une  difficulté  dont  le  génie  lui-même  ne 
saurait  triompher,  c'est  de  découvrir  la  signification  des  mots,  quand 
elle  n'est  pas  connue  par  la  tradition.  La  langue  cophte  qui  est  re- 
gardée maintenant,  avec  toutes  sortes  de  raisons,  comme  un  reste 
précieux  de  la  langue  égyptienne,  ne  représente  cette  dernière  que 
d'une  manière  très-incomplète.  Dans  la  longue  durée  de  l'empire 
égyptien ,  la  langue  avait  subi  sans  doute  plusieurs  de  ces  révolutions 
dont  aucun  des  idiomes  connus  n'a  su  se  garantir  pendant  le  cours  des 
siècles;  aurait-elle  pu  se  conserver  intacte  depuis  les  temps  des  Ra- 
messès  jusqu'à  l'époque  des  Ptolémées,  à  travers  les  invasions  des 
Pasteurs  et  des  Perses,  sous  la  domination  des  Grecs  et  des  Romains, 
et  jusqu'à  la  conquête  des  Arabes  ?  Si  l'on  pèse  toutes  ces  causes  de 
changement,  d'altération  et  de  désaccord,  on  s'étonnera  de  la  con- 
fiance avec  laquelle  certaines  personnes  veulent  appliquer  des  voca- 
bulaires cophtes  à  l'interprétation  des  plus  anciennes  inscriptions 
égyptiennes.  Elles  n'agiraient  pas  avec  plus  de  sécurité  quand  elles 
posséderaient  un  glossaire  composé  sous  le  règne  même  de  Sésostris. 
Il  est  impossible  que  M.  Champollion  ait  partagé  cette  confiance  exa- 
gérée; il  savait  trop  bien  qu'à  deux  ou  trois  mille  ans  de  distance, 
l'orthographe  et  la  forme  même  des  mots  avaient  dû  changer  plus 
d'une  fois  et  s'altérer  considérablement.  » 

Il  est  impossible  de  rendre  plus  exactement  que  Klaproth  ne  l'a 
fait  ici ,  les  idées  que  je  me  suis  efforcé  d'émettre  en  m'occupant  de 
l'écrit  du  docteur  Dujardin,  écrit  dans  lequel  l'opinion  diamétralement 
opposée  était  énoncée  hardiment.  Remarquons  cependant  que  le  cri* 
tique  oublie  de  distinguer  la  langue  sacrée  de  la  langue  vulgaire. 
Tout  ce  qu'il  dit  en  effet  s'applique  merveilleusement  à  celle-ci , 
sans  pouvoir  s'appliquer  à  la  première  ;  car  les  idiomes  sacrés  vivent 


28  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

des  milliers  d'années  sans  s'altérer,  et  cela  parce  que  les  monuments 
qui  les  fixent  ont  un  caractère  impérissable.  Mais  de  ce  que  les 
formes,  de  ce  que  l'accoutrement  des  radicaux  d'une  langue  se  mo- 
difient, est-il  vrai  de  conclure  que  de  la  connaissance  de  ces  radi- 
caux, tels  qu'ils  sont  conservés  dans  un  idiome  moderne,  il  n'est  plus 
possible  de  remonter  à  celle  de  leur  forme  primitive,  appartenant  à 
l'idiome  congénère  le  plus  ancien?  en  aucune  façon.  Ainsi,  sans  être 
un  grand  devin,  tout  homme  qui  rencontrera  le  mot  asinus,  et  qui 
connaîtra  les  formes  françaises  successives  asne  et  âne  de  ce  môme 
mot,  pourra  dire  qu'asinus  signifiait  en  latin  un  âne  ;  de  même  du  mot 
envie  il  lui  sera  possible  de  déduire  la  signification  du  latin  invidia  : 
ces  deux  exemples  nous  suffiront.  Les  lexiques  coptes  nous  offrent  donc 
le  dernier  accoutrement  des  radicaux  égyptiens,  soit;  mais  cet  ac- 
coutrement ne  les  déguise  pas  si  bien  qu'il  devienne  impossible,  à  la 
vue  du  mot  primitif,  de  reconnaître  son  analogie  avec  celui  qui  lui  a 
survécu.  L'immense  difficulté  d'interprétation  dont  Klaproth  fait  si 
grand  bruit,  est  donc  plus  effrayante  en  apparence  qu'en  réalité  ;  c'est 
ce  que  je  tenais  à  dire.  Klaproth  n'en  conclut  pas  moins  que  ses 
observations  font  pressentir  dans  quelles  limites  il  est  raisonnable  de 
circonscrire  d'avance  le  résultat  du  déchiffrement  des  hiéroglyphes. 
«  En  effet,  ajoute-t-il,  les  découvertes  de  M.  Champollion  ne  s'ap- 
pliquent qu'à  un  nombre  assez  limité  des  signes  hiéroglyphiques, 
c'est-à-dire  qu'il  ne  lit  presque  que  les  noms  propres  et  quelques 
autres  mots ,  écrits  avec  un  alphabet  dont  le  système  ressemble  en 
quelque  sorte  à  celui  des  langues  sémitiques,  dans  lesquelles  on 
n'écrit  que  les  consonnes  d'un  mot,  et  qu'une  partie  des  voyelles  ou 
même  aucune  de  celles-ci.  » 

Je  le  dis  sans  crainte  d'être  démenti  par  qui  que  ce  soit,  il  suffit  de 
lire  dix  pages  de  la  grammaire  de  Champollion  pour  être  parfaitement 
convaincu  de  la  fausseté  des  faits  énoncés  ainsi  comme  constants  par 
Klaproth.  Non,  la  méthode  de  lecture  découverte  par  Champollion  n'est 
pas  si  peu  efficace  qu'elle  ne  puisse  servir  qu'à  déchiffrer  les  noms  pro- 
pres et  quelques  autres  mots.  (  Quelques  autres  mots  !  a-t-on  jamais 
employé  une  expression  plus  vague,  plus  louche  que  celle-là  !  )De  plus, 
le  nombre  total  des  hiéroglyphes  connus  ne  dépassant  guère  huit  cents, 
Champollion  et  d'après  lui  Salvolini  ont  fait  connaître  la  valeur  de 
plus  du  quart  de  ces  signes,  et  tous  les  jours  le  nombre  de  ces  valeurs 
bien  déterminées  va  s'accroissant ,  grâce  à  la  bonté  de  la  méthode  à 
l'aide  de  laquelle  leur  recherche  s'effectue. 

Ici  nous  retrouvons  le  parallélisme  des  deux  éditions  de  la  critique 


EXAMEN    DES    ECRITS    DE    KLAPROTH.  29 

acerbe  de  Klaproth.  II  commence  par  décrire  la  forme  ordinaire  des 
cartouches  où  encadrements  elliptiques  qui  contiennent  les  noms 
propres  de  souverains  et  leurs  titres  honorifiques,  ordinairement  pré- 
cédés, dit-il,  d'un  groupe  symbolique  qu'on  prétend  signifier  roi  du 
peuple  obéissant.  A  voir  les  expressions  dont  se  sert  ici  le  critique 
n'est-il  pas  évident  que  cette  explication  adoptée  par  Champollion 
n'est  pas  de  son  goût ,  et  qu'il  entend  laisser  toute  la  responsabilité 
de  son  plus  ou  moins  de  justesse  à  l'illustre  auteur  de  la  gram- 
maire? et  cependant  c'est  Plutarque  qui  nous  apprend  que  dans 
l'écriture  égyptienne  un  jonc  (Qpvov)  désigne  un  roi,  et  c'est  Hora- 
pollon  lui-même  qui  nous  explique  le  sens  de  l'hiéroglyphe  symbo- 
lique l'abeille,  qu'il  traduit  :  labvnpbç  Gaaikéa  TraîOriviov  (hiérogl.  1, 
§  1,  62).  Ces  deux  assertions  devaient  suffire  à  Klaproth  qui  trou- 
vait un  peu  plus  haut  que  les  notions  puisées  dans  les  classiques 
grecs  et  latins  peuvent  seules  et  à  l'exclusion  de  toute  autre,  servir  à 
former  le  tableau  de  la  théogonie  égyptienne.  Ainsi  lorsqu'il  s'agis- 
sait de  blâmer  Champollion  à  propos  des  ressources  puisées  par  lui 
dans  l'étude  des  textes  égyptiens  eux-mêmes ,  pour  rassembler  les 
matériaux  de  son  panthéon,  les  assertions  desGrecs  et  des  Latins  étaient 
les  seules  bonnes;  vienne  dix  pages  plus  loin  l'explication  d'un  double 
groupe  hiéroglyphique,  basée  sur  une  double  assertion  prise  à  la  même 
source  d'abord  si  respectable,  et  alors,  comme  il  s'agit  toujours  de 
blâmer  Champollion ,  les  classiques  n'auront  plus  le  sens  commun. 
Ah!  M.  Klaproth,  vous,  d'ordinaire  si  adroit,  vous  perdez  quel- 
quefois jusqu'à  l'adresse  la  plus  vulgaire,  celle  de  l'homme  qui, 
voulant  commettre  une  méchante  action ,  s'arrange  de  façon  à  ne  pas 
se  laisser  prendre  en  flagrant  délit. 

Voyons  maintenant  ce  que  notre  infatigable  critique  trouve  à  dire 
sur  les  cartouches,  noms  propres,  et  nous  en  déduirons  encore  quel- 
ques curieuses  conséquences. 

«  Dans  ces  cadres ,  le  nom  du  roi  et  ses  épithètes  ordinaires  sont 
écrits  en  caractères  alphabétiques  ou  phonétiques,  comme  M.  Cham- 
pollion les  appelle  d'après  Zoëga  (ici  vient  la  note  suivante  )  : 

«  Le  monument  de  Rosette,  dit  M.  Champollion  dans  sa  lettre  à 
M.  Dacier,  page  44,  nous  présente  l'application  de  ce  système  auxiliaire 
d'écriture,  que  nous  avons  appelé  phonétique,  c'est-à-dire  exprimant 
les  sons.  Cependant  c'est  Zoëga  qui  a  donné  le  premier  cette  épithète 
grecque  aux  lettres  alphabétiques  des  Égyptiens,  comme  on  peut  le 
voir  par  le  passage  suivant  de  son  grand  ouvrage  de  Origine  et  usa 
obeliscorum,  p.  454,  publié  à  Rome  en  1797  :  Sed  satis  est  exemplo- 


30  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

rum  classis  œnigmaticœ,  superest  qninla  classis  notarum  phoned- 
carum.  » 

En  vérité ,  il  faut  avoir  la  monomanie  du  blâme  pour  faire  un  crime 
à  Champollion  d'avoir  employé  la  dénomination  d'écriture  phoné- 
tique, sans  prendre  la  précaution  de  dire  que  vingt-cinq  ans  plus  tôt 
Zoëga  s'était  servi  du  môme  mot  phonétique  pour  caractériser  les 
signes  de  cette  écriture.  Il  est  vrai  qu'à  la  rigueur  c'est  l'écriture 
que  Champollion  appelle  phonétique ,  tandis  que  ce  sont  les  lettres 
elles-mêmes  que  Zoëga  qualifie  de  la  sorte;  mais  cette  distinction  est 
parfaitement  superflue;  car,  je  le  demande,  qui  trouvera  jamais  mau- 
vafa  qu'un  professeur  d'astronomie ,  par  exemple,  se  serve  en  parlant 
ou  en  écrivant,  des  expressions  *.  nous  nommons  zénith,  azimuth, 
équateur,  etc.,  etc.?  Deviendra-t-il  par  le  fait  un  plagiaire?  En  vé- 
rité, Klaproth ,  lorsqu'il  s'agissait  de  mots,  poussait  bien  loin  le 
respect  pour  la  propriété  d'autrui. 

Je  poursuis  ma  citation  : 

«  Quant  aux;  noms  et  aux  épithètes  des  rois  renfermés  dans  les 
premiers  cartouches,  M.  Champollion  avait  un  excellent  guide  pour 
les  déchiffrer.  Ce  sont  les  mêmes  noms  dont  la  liste  se  trouve  dans  les 
tables  des  dynasties  égyptiennes  de  Manethon  et  d'autres  auteurs  de 
l'antiquité.  Certes,  quand  on  sait  ce  qu'on  peut  trouver  dans  une  in- 
scription ancienne,  écrite  en  caractères  inconnus,  il  n'est  pas  difficile 
de  l'expliquer  en  partie,  et  je  pense  qu'un  bon  déchiffreur,  auquel  on 
aurait  donné  la  simple  indication  qu'il  y  avait  à  chercher  dans  les 
cartouches  des  monuments  égyptiens ,  les  noms  des  ditîérents  rois 
d'Egypte  cités  par  les  anciens,  écrits  en  caractères  alphabétiques,  avec 
un  très-petit  nombre  de  voyelles,  serait  parvenu  au  même  résultat 
que  M.  Champollion.  »  (B.  20.) 

Ici  j'avoue  en  toute  humilité  que  je  m'embrouille,  et  que  je  ne 
sais  plus  trop  où  chercher  la  pensée  de  Klaproth.  En  effet,  je  lis 
un  peu  plus  haut  :  «  Tout  le  monde  avait  reconnu  dans  cette  inscri- 
ption (de  Rosette)  la  place  qu'occupait  le  nom  de  Ptolémée,  et  on  avait 
indiqué  de  même  sur  d'autres  monuments  les  cadres  ou  cartouches 
qui  devaient  contenir  ceux  de  Bérénice  et  d'Arsinoé,  ainsi  que  de 
quelques  rois  des  anciennes  dynasties  égyptiennes.  »  (  B.  3  )  et  voilà 
que  17  pages  plus  loin,  ni  plus  ni  moins,  lé  premier  bon  déchillrenr 
venu  avec  la  simple  indication  qu'il  y  avait  à  chercher  dans  les  ear- 
tourhes  des  monuments  égyptiens  les  noms  des  différents  rois  (flÈgJ  pte 
(  it.v  p;ir  In  ;m<  i» us,  serait  parvenu  au  même  résultat  que  M.  Cham- 
pollion! Il  faut  donc  en  conclure  que  Young  était  un  fort  mauvais 


EXAMEN    DES   ECRITS   DK    KLAPROTH.  31 

déehiffreur,  puisqu'il  possédait  les  simples  notions  réclamées  parKla- 
proth  pour  rendre  facile  à  tout  venant  la  lecture  des  cartouches 
royaux.  Notre  critique  ne  joue-t-il  pas  ici  précisément  le  rôle  de  l'ours 
delà  fable,  et  Young,  en  lisant  ce  paragraphe  fort  humiliant  pour 
son  amour-propre  de  déehiflreur,  n'a-t-il  pas  dû  maudire  de  bon 
cœur  son  imprudent  ami?  Je  n'en  fais  pas  le  moindre  doute.  Et  voyez 
quel  malheur  queKlaproth  lui-même,  dès  la  première  apparition  de 
la  découverte  de  Young ,  n'ait  pas  daigné  prendre  la  peine  de  nous 
donner  tout  de  suite  la  lecture  de  ces  cartouches  si  faciles  à  lire,  quand 
on  connaissait  les  listes  de  Manethon.  Vraiment  le  monde  savant  a 
bien  le  droit  de  garder  rancune  à  Klaproth,  qui,  sans  aucun  doute, 
était  un  bon  déehiffreur,  et,  qui  par  son  indifférence  si  naturelle  pour 
une  découverte  de  si  grande  importance,  a  fait  perdre  aux  études 
égyptiennes  pour  le  moins  trois  ou  quatre  ans. 

Poursuivons  encore. 

«  Indépendamment  des  noms  contenus  dans  les  cartouches,  les  mo- 
numents en  offrent  un  grand  nombre  d'autres;  ce  sont  ceux  des  divi- 
nités  et  ceux  des  personnes  qui  n'ont  pas  régné.  Ces  noms  sont  en 
grande  partie  écrits  en  caractères  aFphabétiques;  on  connaît  les  déno- 
minations de  la  plupart  des  dieux  par  les  auteurs  anciens.  Ainsi  il 
n'était  pas  très-difficile  de  les  découvrir  dans  les  inscriptions.  (B.  21.) 
Outre  ces  noms  propres,  il  y  a  également  quelques  signes  gramma- 
ticaux et  quelques  particules  en  caractères  alphabétiques;  tout  le 
reste  est  symbolique  ou  idéographique.  » 

Décidément,  en  écrivant  ces  dernières  lignes,  Klaproth  a  eu 
du  malheur;  ne  voilà-t-il  pas  en  effet  qu'il  s'avise  d'affirmer  que 
la  lecture  des  noms  de  divinités  n'était  pas  très-difficile,  tandis 
que  ,  douze  pages  plus  haut ,  il  n'hésite  pas  à  déclarer  que  «  Cham- 
pollion  n'avait  pas  le  droit  de  dire  que  c'était  de  préférence  dans 
les  monuments  égyptiens  qu'il  fallait  chercher  les  noms  d'une  foule 
de  divinités  et  de  personnages  mythologiques  qu'on  chercherait  en 
vain  dans  les  auteurs  classiques?  »  Car  il  ajoute  :  «  cette  propo- 
sition ne  nous  paraît  admissible  qu'autant  qu'on  aurait  pleinement 
démontré  qu'on  est  parvenu  à  l'intelligence  complète  des  monu- 
ments graphiques  de  l'Egypte;  ce  n'est  qu'alors  qu'on  serait  en 
droit  de  baser  des  théories  nouvelles  sur  leur  contenu.  »  Klaproth 
avait  la  mémoire  courte,  puisqu'à  12  pages  de  distance  il  disait  une 
fois  blanc  et  une  autre  fois  noir  sur  le  même  sujet.  Je  me  borne  à 
constater  ce  caractère  psychologique  de  l'illustre  philologue. 

A  la  page  22 ,  je  lis  :  «  Si  l'on  examine  avec  soin  les  découvertes 


32  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  M.  Champollion  on  est  convaincu  qu'elles  ne  peuvent  servir  qu'à 
lire  une  partie  des  noms  des  rois  d'Egypte,  mais  qu'elles  ne  condui- 
ront vraisemblablement  jamais  à  une  intelligence  même  superficielle 
des  inscriptions  égyptiennes  et  des  nombreux  écrits  sur  papyrus  qu'on 
trouve  dans  les  tombeaux  de  ce  pays  ;  aussi  ce  savaut  en  traduisant  la 
moindre  phrase  a-t-il  été  contraint,  pour  y  réussir,  d'inventer  des 
mots  qui  ne  sont  pas  coptes,  et  qu'il  ne  peut  justifier  par  aucune 
autorité.  » 

La  réponse  à  ce  paragraphe  nous  est  gracieusement  fournie  par 
Klaproth  lui-même.  En  effet,  nous  trouvons  que  les  noms  des  rois  et 
leurs  épi  thètes  sont  faciles  à  lire  pour  le  premier  bon  déchiiïreur  venu; 
qu'il  n'est  pas  plus  difficile  de  lire  les  noms  en  grand  nombre  des 
divinités  et  des  personnages  qui  n'ont  pas  régné  ;  et  qu'outre  ces  noms 
propres  il  y  a  dans  les  textes  des  signes  grammaticaux  et  des  particules 
que  l'on  reconnaît  aisément.  (B.  20,  21.)  Quant  aux  nombreux  écrits 
sur  papyrus  qu'on  trouve  dans  les  tombeaux,  je  lis  (B.  17):  «  les  livres, 
s'il  y  en  eut  jamais,  ont  été  complètement  anéantis;  les  papyrus, 
que  quelques  personnes  peu  éclairées  prennent  pour  des  livres,  n'of- 
frent qu'une  perpétuelle  répétition  des  mêmes  formules  toujours 
relatives  au  même  sujet,  la  mort  et  ses  conséquences.  »  Voyez- vous 
cela?  vous  étiez  donc  arrivé,  vous,  aune  intelligence  superficielle  de 
ces  nombreux  écrits  sur  papyrus?  Grâce  à  qui  et  par  quel  moyen,  s'il 
vous  plaît,  M.  Klaproth? 

Enfin ,  quant  aux  mots  lus  par  M.  Champollion,  et  qui  ne  sont  pas 
coptes,  je  lis  (B.  16)  :  «  Si  l'on  pèse  toutes  ces  causes  de  changement, 
d'altération  et  de  désaccord,  on  s'étonnera  de  la  confiance  avec  laquelle 
certaines  personnes  veulent  appliquer  des  vocabulaires  coptes  à  l'in- 
terprétation des  plus  anciennes  inscriptions  égyptiennes....  Il  est  im- 
possible que  M.  Champollion  ait  partagé  cette  confiance  exagérée.  II 
savait  trop  bien  qu'à  deux  ou  trois  mille  ans  de  distance,  l'orthographe 
et  la  forme  même  des  mots  avaient  dû  changer  plus  d'une  fois  et  s'al- 
térer considérablement.  Aussi ,  dans  les  transcriptions  qu'il  faisait  de 
phrases  égyptiennes,  supposées  écrites  phonétiquement,  trouvait-il 
un  très-grand  nombre  de  mots  qui  n'existent  avec  la  même  forme  ni 
dans  la  Bible,  ni  dans  les  légendes,  ni  dans  les  lexiques.  Un  tel  ré- 
sultat était  inévitable,  et  de  pareils  mots  doivent  infailliblement  se 
présenter  I  chaque  ligne  des  inscriptions  anciennes.  Mais  alors  com- 
ment retrouver  le  sens  de  ces  mots,  et  quelle  foi  la  critique  peut-elle 
avoir  aux  effets  de  cette  sorte  de  divination  ?  »  (B.  16.) 

Accorde  qui  le  pourra  cette  opinion  de  Klaproth  avec  le  reproche 


EXAMEN   DES   ECRITS   DE    KLAPROTH.  33 

qu'il  adresse  à  Champollion  d'avoir,  en  traduisant  la  moindre  phrase 
égyptienne,  inventé  des  mots  qui  ne  sont  pas  coptes,  et  qu'il  ne  peut 
justifier  par  aucune  autorité.  Aucune?  ici  Klaproth  se  trompe,  il  y  a 
une  autorité  qu'on  ne  peut  récuser,  c'est  celle  du  bon  sens;  je  m'ex- 
plique :  si  dans  une  phrase  il  arrive  que  quelques-uns  seulement  des 
mots  sont  de  lecture  certaine,  le  contexte  fournira  certainement  le 
reste,  grâce  aux  signes  grammaticaux  et  aux  particules  alphabétiques 
dont  Klaproth  est  forcé  de  reconnaître  l'existence  bien  constatée  ; 
dès  lois,  si  un  groupe  muni  d'une  valeur  déterminée  de  cette  façon,  ^c 
retrouve  dans  d'autres  phrases  où  il  vient  s'ajuster  en  donnant  tou- 
jours un  sens  naturel  et  simple,  il  faudra  bien,  n-'en  déplaise  à  Kla- 
proth ,  admettre  que  le  mot  est  lu  et  bien  lu,  fût-il  à  cent  mille  lieues 
du  copte.  Ce  résultat,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  c'est  celui  que 
fournissent  invariablement  les  valeurs  attribuées  par  Champollion 
aux  groupes  hiéroglyphiques  phonétiques  qu'il  a  déterminés.  Hâtons- 
nous  d'ajouter  que,  dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  les  groupes 
phonétiques  lus  par  Champollion,  sont  immédiatement  comparables 
à  des  mots  coptes  de  même  signification ,  quand  ce  ne  sont  pas  les 
mots  coptes  eux-mêmes.  Ce  fait,  les  assertions  d'une  légion  de  Kla- 
proth ne  sauraient  en  aucune  façon  l'infirmer, 

On  en  conviendra,  l'homme  qui  à  quelques  pages  de  distance  se 
contredit  si  complètement  et  sur  tout  ce  qu'il  avance,  cet  homme  a 
fort  mauvaise  grâce  en  reprochant  à  autrui  des  contradictions  qui  ne 
sont  en  réalité  que  l'expression  des  modifications  forcées  que  toute 
théorie  en  progrès  reçoit  à  mesure  qu'elle  se  développe  et  se  fixe. 


F.  de  Saulcv 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 


111. 


suit 


LES  NOMS  DES  ANCIENS  ARTISTES  GRECS  OU  ROMAINS, 


Ayant  été  amené  à  parler,  dans  une  lettre  insérée  au  dernier  nu- 
méro de  la  Revue,  du  Supplément  au  Catalogue  des  anciens  artistes , 
ouvrage  récent  de  M.  Raoul  Rochette,  je  me  suis  avancé  jusqu'à 
prétendre  que  ce  livre,  si  longuement  élaboré  par  son  auteur,  n'est 
pas  plus  exact,  en  ce  qu'il  offre  de  nouveau  et  de  propre  à  l'auteur, 
que  les  Antiquités  du  Bosphore,  ou  la  traduction  des  Fragments  de 
Ménandre  et  de  Philémon.  J'ai  promis  de  donner  les  preuves  de  cette 
assertion.  Je  vais  remplir  cette  promesse ,  dans  le  double  intérêt  de 
la  science  et  des  savants.  Ceci  demande  une  explication  préliminaire, 
qui  sera  l'objet  de  ce  premier  article. 


L'idée  de  dresser  un  catalogue  ou  dictionnaire  des  noms  des  anciens 
artistes,  appartient  à  Fr.  Junius,  qui  a  placé  le  sien  a  la  suite  de 
son  traité  de  Pictura  veterum  (  Amstel.,  1 637  et  1 694  ).  Ce  catalogue , 
qui  brille  plus  par  l'érudition  que  par  la  critique ,  contient  beaucoup 
de  noms  qui  n'auraient  pas  dû  s'y  rencontrer. 

M.  Sillig  a  sagement  évité  les  défauts  de  ce  livre.  Son  Cata- 
logus  artificum,  sive  architecd,  statuarii,  sculptons,  pictores,  cœla- 
tores,  et  sculptores  Grœcorum  et  Romanorum  (Dresd.  et  Lips.,  1 827), 
remplit  très-bien  son  titre.  C'est  l'œuvre  d'un  esprit  critique  , 
versé  dans  la  connaissance  des  textes ,  et  qui  a  su  se  renfermer 
dans  les  limites  du  plan  qu'il  s'était  tracé,  en  faisant  main  basse  sur 
les  superfétations  du  catalogue  de  Junius.  Son  livre  est  un  manuel 
indispensable  pour  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'histoire  des  arts 
dans  l'antiquité. 

Ce  n'est  pas  à  dire  cependant  que  cet  ouvrage  soit  sans  défaut,  ni 
que  l'auteur  n'ait  rien  omis.  Qui  peut  s'attendre  à  ce  que  la  première 
édition  d'un  dictionnaire  sera  un  ouvrage  complet?  Mais  les  imper- 
fections y  sont  rares  et  peu  importantes.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  l'in- 
signifiance des  additions  ou  corrections  qu'ont  trouvé  à  y  faire  suc- 
cessivement, dans  les  quatre  premières  années,  des  savants  très  au 


NOMS   DES    ANCIENS   ARTISTES    GRECS   OU    ROMAINS.  35 

courant  des  nouvelles  découvertes;  en  premier  lieu,  MM.  Osann  et 
Welcker,  dans  le  Kunstblatt  de  1827  et  1830;  en  second  lieu, 
M.  Raoul  Rochette,  dans  sa  Lettre  à  M.  Schorn  (insérée  en  1831, 
au  Bulletin  de  Férussac).  Ces  trois  archéologues  ont  eu  pour  but  de 
recueillir  tous  les  noms  d'artistes  qui  avaient  pu  échapper  à  l'attention 
de  M.  Sillig;  or,  le  nombre  en  est  fort  peu  considérable ,  et  les  omis- 
sions ont  peu  de  gravité,  ne  concernant,  pour  la  plupart,  que  des 
noms  d'artistes  plus  ou  moins  obscurs,  dont  il  ne  reste  pas  d'ou- 
vrages. 

Depuis ,  de  nombreuses  découvertes  ont  fait  connaître  beaucoup 
de  noms  nouveaux.  Ce  sont  tous  ces  noms,  outre  ceux  du  Catalogue 
de  M.  Sillig,  que  mon  excellent  a  ni  M.  de  Clarac  a  réunis  dans  son 
savant  Catalogue  des  anciens  artistes  (1).  M.  Raoul  Rochette  s'est,  au 
contraire,  borné  à  consigner,  dans  la  deuxième  édition  de  sa  Lettre 
à  M.  Schorn,  qui  a  paru  l'an  dernier,  et  qui  est  près  de  cinq  fois 
plus  volumineuse  que  la  première  (452  pages),  les  noms  qui  ne 
sont  pas  dans  l'ouvrage  de  M.  Sillig.  Aussi  la  nomme-t-il  justement 
Supplément  au  Catalogue  des  anciens  artistes.  M.  Sillig  fera  donc 
bien  d'ajouter  à  son  livre,  quand  il  en  donnera  une  seconde  édition, 
les  noms  qu'il  ne  pouvait  connaître,  lorsqu'il  publiait  la  première  ; 
mais  je  lui  conseille  d'y  regarder  à  deux  fois,  avant  d'accepter 
toutes  les  améliorations  que  lui  propose  M.  Raoul  Rochette  ;  car,  s'il 
les  suivait  à  la  lettre,  il  s'exposerait  à  gâter  son  livre  ,  d'abord,  en  y 
introduisant  une  foule  d'erreurs,  outre  celles  que  M.  Rangabé  a  déjà 
indiquées  dans  la  Revue  (2)  ;  ensuite,  en  retombant  dans  le  chaos  de 
l'ouvrage  de  Junius. 

Relever  les  principales  de  ces  erreurs  est,  à  mon  avis,  chose  fort 
nécessaire,  parce  que  l'autorité  dont  jouit  l'auteur  peut  donner  crédit 
aux  notions  fausses  qu'il  a  produites.  D'ailleurs,  il  est  utile  de  lui 
faire  sentir  combien  est  pénible,  pour  tout  le  monde,  le  ton  vraiment 
intolérable  qu'il  continue  de  prendre  dans  son  livre  à  l'égard  de  ses  con- 
frères en  archéologie.  L'inconvénient  grave  d'une  pareille  manière, 
c'est  de  provoquer  sans  cesse  des  représailles  de  la  part  de  ceux  mêmes 
qui  désireraient  le  plus  continuer  paisiblement  leur  route  scientiGque. 
Car,  on  a  beau  faire,  quand  on  se  défend,  on  se  règle  toujours  plus 
ou  moins  sur  le  ton  de  l'attaque!  Et  c'est  ainsi  que  se  perpétue 
l'usage  de  ces  formes  aigres  et  désobligeantes ,  dont  chacun  de  nous 

(1)  Ce  Catalogue  n'est  pas  encore  publié;  il  en  a  seulement  été  distribué  des 
exemplaires  à  quelques  personnes,  le  8  août  1844. 

(2)  Ile  année  ,  p.  421  et  suiv. 


.%  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

voudrait  débarrasser  la  controverse  scientifique,  qui  ne  peut  rendre 
de  grands  services  que  si  elle  est  bornée  au  simple  exposé  ou  à  la 
critique  modérée  des  opinions  contradictoires. 

C'est  donc  être  utile  à  la  science  et  aux  savants  que  de  contraindre 
ceux  qui  continuent  d'employer  un  pareil  ton  ,  à  l'abandonner  désor- 
mais. Quatre  exemples,  tirés  uniquement  du  Supplément  au  Catalogue 
des  anciens  artistes ,  éclairciront  ma  pensée;  et,  comme  ils  ne  me 
concernent  pas,  ils  montreront  que  M.  Raoul  Rochette  distribue  à 
tout  le  monde  indistinctement,  avec  une  égale  libéralité,  la  manne 
substantielle  de  sa  critique  indulgente. 


1°  Dans  l'introduction  de  son  estimable  Catalogue,  M.  le  comte 
de  Clarac  dit  de  M.  Raoul  Rochette  (l)  :  «  On  aurait  recours,  avec 
«  |>lus  de  plaisir  et  de  confiance  aux  renseignements  qu'il  nous 
«  donne,  si  Von  y  trouvait  plus  de  vrai  sentiment  des  arts  du  dessin, 
«  des  recherches  plus  exactes,  et  si  la  critique ,  plus  juste,  y  rendait  ses 
«  arrêts  avec  plus  d'urbanité,  d'aménité  et  oTindidgence.  »  En  d'autres 
passages  du  même  livre,  il  le  juge  avec  la  même  sévérité.  Il  va 
même  jusqu'à  lui  rappeler  impitoyablement  qu'il  a  ignoré  que  telle 
pierre  gravée  existe  dans  le  Cabinet  des  Antiques  (2)  ;  à  peu  près 
comme  Kœhler,  qui  a  dû  apprendre  de  Saint-Pétersbourg,  au  même 
conservateur,  qu'un  beau  médaillon  d'OIbta,  que  celui-ci  croyait  ne 
pas  exister,  est  un  des  ornements  du  même  Cabinet  des  Antiques  (3). 

Ces  critiques  sévères  étonneraient  dans  M.  de  Clarac,  dont  on 
connaît  l'aménité  de  caractère  et  le  savoir-vivre,  si  l'on  ne  savait  que 
M.  Raoul  Rochette  l'a  bien  souvent  blessé,  non  par  des  critiques , 
que  M.  de  Clarac,  comme  tout  esprit  bien  fait,  reçoit  avec  soumis- 
sion et  reconnaissance,  quand  elles  sont  justes  et  convenablement 
exprimées,  mais  par  les  formes  dédaigneuses,  on  ne  peut  plus 
désobligeantes,  qui  sont  employées  à  son  égard,  dans  la  première 
édition  de  la  Lettre  à  M.  Schorn.  Ce  ton  a  produit  l'effet  ordinaire; 
c'est  de  pousser  à  bout  le  caractère  le  plus  doux  et  le  plus  pacifique. 

Aussi,  un  peu  surpris  de  ces  vertes  représailles,  M.  Raoul  Rochelle, 
dans  la  préface  de  sa  deuxième  édition,  convient  que  M.  de  Clarac  a 
pu  se  trouver  offensé;  et  il  assure  avoir,  dans  la  deuxième  édition, 
changé  la  plupart  tfes  passages  qui  avaient  motivé  ses  plaintes.  La 

(1)  Introduction,  p.  flttfi* 

(2    Clarac,  Catalogue ,  p.  1 03. 

3j  Remarques  sur  un  ouvrage,  intitulé  :  Antiquités  du  Bosphore,  p.  GS  et  Gi). 


NOMS  DES  ANCIENS   ARTISTES   GRECS  OU    ROMAINS.  37 

plupart  est  joli;  et  pourquoi  pas  tous,  puisqu'il  faisait  tant  que  de 
s'amender?  Le  fait  est  que  cette  résipiscence  ne  s'est  guère  étendue 
au  delà  de  la  préface;  car  la  plupart  des  passages  dont  M.  de  Clarac 
s'était  trouvé  offensé,  sont  restés,  dans  la  deuxième  édition,  tels 
qu'ils  étaient  dans  la  première»  (Voir  les  pages  147,  149,  152.) 
C'était  bien  la  peine  de  convenir  de  ses  torts  pour  les  réparer  si  mal  ! 


2°  II  en  est  ainsi  de  Kœhler,  l'antiquaire  de  Saint-Pétersbourg,  un 
de  ceux  que  M.  Raoul  Rochette  a  le  plus  constamment  maltraités.  Il 
n'a  jamais  pu  lui  pardonner  la  sévère  et  presque  toujours  victorieuse 
réfutation  des  Antiquités  du  Bosphore ,  d'ailleurs  méritée  par  le  ton 
qu'il  avait  pris  lui-même  en  allant  attaquer  le  rude  Kœhler  sur  un 
terrain  que  celui-ci  connaissait  si  bien. 

On  pouvait  toutefois  s'attendre  à  quelque  adoucissement  dans  l'hu- 
meur de  l'archéologue  critiqué,  en  lisant  cette  note  (page  107  de  la 
deuxième  édition)  :  «Je  me  suis  quelquefois  trouvé,  avec  regret,  dans 

«  le  cas  de  traita  sévèrement  M.  de  Kœhler; c'est  pour  moi  un 

«sujet  de  satisfaction  bien  légitime,  que  d'avoir  à  reconnaître  le 
«  changement  favorable  qui  s'était  fait  à  cet  égard  dans  les  idées  de 
«  l'illustre  antiquaire, ....  Il  m'en  donna  des  témoignages  qui  m'ont 
«  vivement  touché,  et  qui  m'imposent  pour  sa  mémoire  tout  le  respect 
«  qui  peut  se  concilier  avec  l'intérêt  de  la  science.  »  Après  ces  belles 
paroles,  on  devait  espérer  que  l'auteur,  tout  en  continuant  d'indiquer 
les  points  sur  lesquels  il  est  en  dissentiment  avec  Kœhler,  y  mettrait 
du  moins  cette  aménité  et  cette  douceur  qui  n  otent  jamais  rien  à  la 
force  des  raisons.  Or,  il  n'a  pas  changé  un  mot  à  l'expression  de  ses 
jugements  passionnés.  Ce  sont  toujours  les  mêmes  formes  acerbes  dont 
il  avait  été  si  prodigue  dans  la  première  édition.  11  revient  sur  les 
mêmes  reproches  qu'il  lui  a  adressés  en  1831 ,  dans  un  article  du 
Journal  des  Savants,  reproches  dont,  à  coup  sûr,  l'intérêt  de  la  science 
n'exigeait  nullement  la  répétition.  Tantôt  ce  sont  les  allégations  ar- 
bitraires et  gratuites  (p.  111);  les  assertions  étranges  (p.  112)  de 
M.  de  Kœhler.  Tantôt  cet  archéologue  se  donne  le  plaisir  de  forger 
des  noms  barbares  (p.  119);  il  emploie  la  manière  tranchante  et  arbi- 
traire qui  lui  est  propre  (p.  114).  A  propos  d'une  opinion  sur  un 
livre  attribué  à  Visconti  ;  On  aura  une  idée  du  savoir  bibliographique 
de  M.  de  Kœhler,  etc.  (p.  101,  n°  l);  ou  bien  :  M.  de  Kœhler  décèle 
une  inexpérience  numismatique  ou  une  préoccupation  dont  on  a  droit 


38  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'être  surpris  de  la  part  dun  homme  qui  s'exprime  avec  tant  d'assu- 
rance (p.  112).  Ailleurs,  il  lui  vient  une  des  plus  étranges  idées  qui 
soient  passées  par  la  tête  dun  antiquaire  (p.  141);  ou  bien  son  inter- 
prétation eiU  donné  lieu  de  s'attendre  à  une  révolution  complète  dans 
l'étude  des  pierres  gravées,  pour  peu  que  l'auteur  y  eût  appliqué  le 
même  système  d'interprétation  avec  la  même  sagacité (  même  page  ) ,  etc. 
De  bonne  foi,  est-ce  ainsi  que  l'on  parle  d'un  bomme  pour  la  mé- 
moire de  qui  l'on  s'impose  tout  le  respect  qui  peut  se  concilier  avec  l'in- 
térêt de  la  science?  Que  M.  Raoul  Rocbette  ait  ainsi  parlé  en  1831, 
huit  ans  après  la  publication  du  livre  de  Kœhler,  cela  n'était  déjà 
pas  trop  excusable;  mais,  quatorze  ans  plus  tard,  longtemps  après 
sa  mort,  le  poursuivre  ainsi,  par  le  fait,  quand  on  professe,  en 
paroles,  un  profond  respect  pour  sa  mémoire,  cela  ne  ressemble 
pas  mal  à  une  dérision. 


3°  Au  reste ,  cette  habitude  est  tellement  naturelle  chez  l'auteur  du 
Supplément,  qu'il  la  conserve  même  à  l'égard  de  M.  Welcker,  qu'il  a 
souvent  nommé  son  illustre  ami.  A  propos  du  sculpteur  EvJotoç, 
cité  par  Pausanias,  M.  Welcker  avait  présumé  que  ce  nom  pour- 
rait bien  être  fictif,  comme  ceux  de  Dœdalos,  d'Euchir  et  d'Eu- 
grammos,  et  avoir  été  forgé  par  allusion  à  quelque  particularité 
de  travail.  Cette  conjecture  a  été  détruite  par  la  découverte  posté- 
rieure d'une  inscription  où  se  lit  :  ENAOIOS  EIIOIESEN  ;  mais,  jus- 
qu'à cette  découverte,  l'idée,  ingénieuse  en  elle-même,  pouvait 
paraître  probable,  et,  en  tout  cas,  n'était  pas  indigne  de  l'habile 
antiquaire  qui  l'avait  mise  en  avant. 

Qu'aurait  donc  fait  tout  autre  que  M.  Raoul  Rochette,  même  sans 
être  l'ami  de  M.  Welcker?  il  aurait  simplement  remarqué  que  la  nou- 
velle inscription  ne  confirmait  pas  l'idée  du  docte  antiquaire.  C'en  était 
assez  pour  garantir  l'intérêt  de  la  science.  Au  lieu  de  cela ,  il  entre  dans 
une  sainte  colère,  et  écrit  six  pages  où  il  fallait  six  lignes.  «  On  con- 
viendra, dit-il,  que  jamais  une  existence  d'homme  et  d artiste  n'a  été 
retranchée  de  l'histoire  sur  un  fondement  plus  léger  (p.  390).  »  Plus 
loin  :  «  L'audacieux  (!)  critique  raye  dun  trait  de  plume  un  nom 
lùslorique,  sans  être  arrêté  par  rieny  etc.  (même  page).  »  Il  continue 
du  même  pas  :  «  Ce  sont  là  les  jeux  d'un  esprit...  qui  aime  à  voir 
jusqu'où  peut  aller,  d'une  part,  la  hardiesse  du  philologue,  de  l'autre, 
la  complaisance  du  lecteur.  »  Et  comme  il  ne  peut  plus  contenir  son 


NOMS   DES    ANCIENS    ARTISTES   GRECS   OU    ROMAINS.  ,'*9 

indignation,  il  écrase  enfin  Yaudacieux  critique  de  ce  coup  de  ton- 
nerre :  «  Si  c'est  là  de  la  critique,  j'avoue,  en  toute  humilité,  que  je 
ne  sais  plus  ce  que  je  dois  croire...,  et  si  c'est  à  cela  que  doit  conduire 
l'intelligence  de  la  langue  grecque,  je  confesse  qu'il  n'y  a  plus  rien  de 
sur  ,  rien  de  sacré  ,  dans  le  domaine  de  l'histoire.  »  Est-il  permis 
d'enfler  à  ce  point  la  voix,  à  propos  de  si  peu  de  chose?  Voilà  bien  ce 
que  les  Grecs  appelaient  faire  d'une  mouche  un  éléphant  (Dtéyc&rpt. 
h.  pulaç  noieïv)  !  Ne  dirait-on  pas  que  l'excellent  Welcker  a  violé 
toutes  les  lois  divines  et  humaines,  parce  qu'il  a  mis  en  doute  le 
nom  d'un  sculpteur  obscur  ? 

On  est  vraiment  tenté  de  croire  que  l'esprit  de  Mathanasius  a 
soufflé  là ,  et  de  s'écrier  :  «  0  illustre  auteur  du  chef-d'œuvre  d'un 
«  inconnu ,  que  ta  grande  ombre  se  console ,  ta  postérité  n'est  pas 
«  encore  éteinte  !  » 


4°  Mais  ce  qui  passe  toute  croyance,  c'est  la  manière  dont  l'auteur 
du  Supplément  traite  les  auteurs  de  Y  Élite  des  monuments  céramogra- 
phiques  (p.  23,  n°  3).  Ces  Messieurs  ont,  à  la  vérité,  un  grand 
tort  à  ses  yeux  ;  c'est  de  ne  pas  croire  à  la  prétendue  colonie  athé- 
nienne de  l'Hadria  du  Pô,  qu'il  a  inventée;  et,  à  mon  avis,  ils  ont 
bien  raison;  mais,  qu'ils  aient  raison  ou  tort,  il  leur  était  bien  per- 
mis de  dire  leur  opinion ,  surtout  avec  la  politesse  et  la  réserve  qu'ils 
ont  su  garder. 

11  commence  donc  par  cette  critique  injuste  (que  j'ai  déjà  relevée)  sur 
le  nom  à'Hadria  du  Pô  (l).  Puis,  ces  auteurs  (2)  ayant  dit  que  Vidée 
de  faire  d'Hadria,  un  dépôt  de  vases  grecs,  ne  pourrait  soutenir  l'exa- 
men, M.  R.  R.  répond  qu'une  pareille  manière  de  s' exprimer  pourrait 
donner  lieu  à  de  sévères  représailles.  Ils  devaient  donc  s'estimer 
heureux  d'échapper  cette  fois  à  une  si  terrible  menace.  Pourtant  ils 
n'y  perdent  rien ,  car  il  ajoute  :  J'aime  mieux  n'y  voir  que  la  légè- 
reté d'esprit  dont  leur  travail  porte  l'empreinte.  Que  dites-vous  de 
cette  urbanité  et  de  cette  gentillesse  envers  deux  auteurs  qui  usent 
du  droit  de  dire  leur  avis,  sans  nommer  ni  désigner,  et  par  consé- 
quent sans  offenser  personne?  Notez  que  ces  deux  savants ,  avec  qui 
il  le  prend  de  si  haut,  connaissent  probablement  les  vases,  au  moins 
aussi  bien  que  lui.  Je  crois,  pour  ma  part,  que  leur  introduction  est 

(1)  Revue  Archéologique ,  t.  II ,  p.  762. 

(2)  Depuis,  j'ai  su  que  Yintroduction  de  cet  ouvrage  est  d'un  seul  des  deux 
auteurs. 


40  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

un  bon  morceau ,  plus  clair,  plus  complet  et  plus  satisfaisant  que 
ce  que  M.  Raoul  Rochette  a  écrit  sur  ce  sujet.  Elle  me  paraît  tout 
aussi  profonde  ({lie  peut  letre  un  aperçu  général,  qui  doit  se  distin- 
guer, moins  par  l'abondance  des  détails,  que  par  la  justesse!  des 
vues,  la  bonne  ordonnance  des  faits  et  l'impartialité  des  jugements. 
Sous  tous  ces  rapports,  cette  introduction  sera  fort  prisée  des  con- 
naisseurs. A  coup  sûr,  il  n'aurait  tenu  qu'aux  auteurs  de  hérisser 
le  bas  des  pages  de  cette  foret  (comme  dit  M,  Brnun)  de  citations 
inutiles  ou  banales  que  M.  Raoul  Rochette  est  dans  l'usage  de  prendre 
de  toutes  mains.  Ils  ont  mieux  fait  de  s'abstenir  d'un  appareil  d'éru- 
dition, aussi  vain  que  facile  à  réunir.  En  cela,  ils  ont  montré  autant 
de  goût  que  de  bon  esprit,  et  je  leur  adresse,  quant  à  moi,  mes 
sincères  compliments  de  leur  légèreté  d'esprit. 

M.  lUioul  Rochette  termine  son  inqualifiable  sortie  par  cette 
phrase,  qui  couronne  l'œuvre  :  «  Je  ne  rapporte  cette  opinion 
des  auteurs  de  l'Élite  des  monuments  céramographiques ,  que  parce 
(ju  elle  est,  à  mes  yeux ,  tout  à  fait  sans  conséquence.  »  Cette  phrase  a 
deux  graves  défauts;  l'un,  d'être  d'une  impertinence  rare;  l'autre,  de 
n'avoir  pas  le  sens  commun;  car  c'est  justement  parce  qu'une  opinion 
serait  tout  à  fait  sans  conséquence,  qu'on  devrait  se  croire  tout  à  fait 
dispensé  de  la  rapporter.  Eh  bien!  l'un  des  archéologues  qu'il  traite 
ainsi ,  est  son  confrère  à  l'Institut  et  son  collègue  nu  département  des 
antiques  de  la  Bibliothèque  royale  ;  il  n'a  jamais  écrit  une  ligne  contre 
lui ,  môme  pour  se  défendre  des  critiques  souvent  injustes  et  toujours 
sévères  qu'il  a  faites  de  l'Élite  des  monuments  céramograpldques. 

Ce  dernier  trait  suffirait  pour  faire  juger  de  ce  que  M.  Raoul  Ro- 
chette a  pu  dire,  en  ce  genre  de  critique,  dans  ses  écrits  antérieurs, 
dont  je  n'ai  point  à  m'occuper  ici. 


Or,  dans  la  préface  même  du  livre  où  sont  répandues  ces  douceurs 
cl  bien  d'autres  encore,  il  ne  craint  pas  de  faire  cette  déclaration  : 
«  Je  condamne  cliez  moi,  encore  plus  que  citez  les  autres ,  la  critique 
«  qui  ressemble  à  des  personnalités.  »  Et  plus  loin  :  «  J'ai  eu  plus 
«  que  personne  à  soullrir  de  ce  genre  de  critique,  sans  avoir  jamais 
«  voulu  la  (sic)  provoquer.  »  En  vérité ,  c'est  à  croire  que  l'auteur 
de  la  préface  n'est  pas  celui  du  livre,  ou  que  l'auteur  du  livre  l'avait 
complètement  oublié,  quand  il  a  écrit  sa  préface. 

Dans  la  deuxième  de  ces  deux  phrases ,  il  a  dit  pourtant  une  vérité 


NOMS  DES   ANCIENS   ARTISTES   GRECS   OU   ROMAINS.  41 

incontestable.  Oui,  il  est  trop  vrai  que  personne  n'a  été  plus  souvent 
et  plus  amèrement  critiqué  que  lui ,  de  tous  les  coins  de  l'Europe , 
tant  ouvertement  que  sous  le  voile  de  l'anonyme.  M.  Raoul  Rochette 
ne  s'est  peut-être  jamais  demandé  la  cause  d'une  préférence  qu'il  dé- 
ploreavec  raison.  Je  vais  la  lui  dire:  il  la  doitbeaucoup  moins  encore 
aux  erreurs  graves  qui  lui  ont,  en  tout  temps,  échappé,  qu'aux  formes 
blessantes  qu'il  a  presque  toujours  données  aux  critiques  qu'il  lance 
à  tout  propos,  le  plus  souvent  injustes,  où  les  intéressés  ont  été  trop 
disposés  à  ne  voir  qu'ignorance,  quand  ils  ne  les  ont  pas  imputées  à 
mauvaise  foi.  Rien  n'excite,  en  effet,  plus  d'impatience  et  d'humeur 
que  des  reproches  non  fondés ,  qui  supposent  qu'on  ne  vous  a  pas 
compris  ou  qu'on  n'a  pas  voulu  vous  comprendre  ;  surtout  quand 
l'expression  désobligeante  semble  annoncer  l'intention  de  blesser  plu- 
tôt que  d'éclairer.  Voilà  ce  qui  explique  pourquoi  M.  Raoul  Rochette 
est  à  peu  près  le  seul  savant  de  nos  jours  qui  ait  été  et  qui  soit  en- 
core en  butte  à  de  telles  critiques,  très-souvent  méritées  au  fond, 
presque  toujours  peu  ménagées,  ou  même  blessantes  dans  la  forme. 
Par  un  juste  retour  des  choses  d ici-bas ,  on  lui  a  rendu  ce  qu'il  don- 
nait aux  autres. 

On  vient  de  voir  que ,  malgré  les  protestations  contenues  dans  la 
préface  de  son  dernier  livre,  il  n'est  pas  du  tout  amendé,  et  qu'il  per- 
siste à  tomber  sur  ses  confrères  en  archéologie  avec  le  môme  empres- 
sement et  le  môme  à-propos. 

Il  faut  pourtant  que  cela  ait  un  terme,  et  qu'on  l'oblige,  à  la  fin , 
de  changer  de  manière. 

Il  çst  des  personnes,  d'humeur  pacifique,  qui,  craignant  les  mauT 
vais  coups,  baissent  la  tête,  le  laissent  dire  et  ne  répondent  rien. 
L'exemple  des  auteurs  de  Y  Élite  des  monuments  céramographiques 
prouve  qu'on  ne  gagne  pas  grand'chose  avec  lui  à  garder,  en  pareil 
cas,  le  silence  ;  on  n'en  est  pas  moins  cruellement  poursuivi.  D'autres 
plus  hardis  ou  moins  endurants,  telles  que  PayneKnight,  Rose, 
Kœhler,  Brœndsted  ,  Stackelberg  ,  M.  de  Clarac,  et  tout  récemment 
M.  Emil  Braun ,  ne  se  sont  pas  contentés  de  crier,  en  se  rangeant  : 
fenum  habet  in  cornu,  longe  fuge;  ils  l'ont  attendu  de  pied  ferme,  et 
lui  ont  jeté  le  lasso  pour  tâcher  de  l'arrêter  dans  sa  course.  D'après 
leur  exemple,  je  vais,  à  mon  tour,  serrer  le  nœud,  afin  d'arriver  à 
ce  but  désirable  et  désiré. 

Je  tâcherai  donc  d'inspirer  un  peu  plus  d'indulgence,  pour  le  pro- 
chain, à  cet  hypercritique ,  en  lui  mettant  sous  les  yeux  quelques-unes 
des  erreurs  qu'il  a  commises  dans  ce  môme  livre,  où  il  maltraite  si 


42  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

fort  des  savants  distingués ,  à  propos  de  fautes  qui  sont  des  plus  in- 
signifiantes, quand  elles  ne  sont  pas  imaginaires.  J'ai  déjà  dit  que  je 
relèverai  seulement  celles  de  ses  erreurs  qui  ont  de  l'intérêt  ou  de 
l'importance  pour  l'étude  de  Y  antiquité  figurée;  mais  il  y  en  aura,  je 
vous  l'assure,  bien  assez  pour  justifier  mon  assertion  sur  l'excessive 
inexactitude  de  ce  livre. 

Je  répète  que  je  compte  rendre  par  là  un  double  service;  à  l'ar- 
chéologie, en  la  débarrassant  d'erreurs  graves;  aux  antiquaires  en 
les  préservant,  pour  l'avenir,  de  critiques  injustes  ou  blessantes  qui 
pourraient  les  troubler  dans  le  cours  de  leurs  paisibles  travaux. 

Dans  ce  relevé,  j'éviterai  avec  soin  le  ton  qu'emploie  M.  Raoul 
Rochette.  Je  me  bornerai  à  l'énoncé  pur  et  simple ,  ainsi  qu'à  la 
rectification  de  l'erreur  matérielle,  laissant  au  lecteur  instruit  le  soin 
d'en  tirer  la  conclusion  qui  lui  paraîtra  juste  et  convenable,  quand  il 
aura  pris  connaissance  des  faits. 

Letronne. 


'  La  suite  au  prochain  numéro. 


NOTICE 

SUR 

UN  TOMBEAU    DU  MOYEN   AGE, 

DANS  LE  MUSÉE  DE  NIORT. 


Les  opinions  des  Grecs  et  des  Romains  sur  la  mort  appartenaient 
à  un  ordre  d'idées  si  éloigné  des  dogmes  du  christianisme ,  qu'on  peut 
s'étonner  de  trouver  quelque  rapport  de  rites,  de  disposition  ou 
d'ornementation  entre  nos  sépultures  et  les  leurs.  Cependant  il  est 
si  naturel  d'imiter  les  pratiques  anciennes,  sans  s'en  rendre  compte, 
qu'on  voit  fréquemment  des  tombeaux  chrétiens  ne  différer  que 
par  leurs  inscriptions  des  sépultures  païennes.  Bien  plus,  on  y  trouve 
quelquefois  jusqu'à  la  formule  Diis  Manibus.  Or,  à  l'époque  où  l'on 
traçait  de  semblables  inscriptions,  les  dieux  mânes  n'étaient  plus 
que  du  domaine  de  la  poésie,  qui  a  toujours  trouvé  son  compte  aux 
vieilles  traditions  mythologiques. 

Les  bas-reliefs,  et  en  général  l'ornementation  des  monuments 
funéraires  du  paganisme,  surtout  ceux  d'une  époque  reculée,  ont 
presque  toujours  un  sens  allégorique  et  religieux.  Les  divinités  infer- 
nales y  sont  représentées ,  et  il  semble  que  les  artistes  devaient  se 
renfermer  dans  un  programme  précis,  dicté  probablement  par  les 
prêtres.  Peu  à  peu,  l'art  se  développant  aux  dépens  de  la  religion, 
le  sens  mystique  fut  souvent  sacrifié  à  l'effet  pittoresque.  C'est  par- 
ticulièrement à  l'époque  romaine  que  les  compositions,  que  j'appel- 
lerai religieuses,  font  place  à  d'autres  compositions  qui  semblent 
n'avoir  été  choisies  que  parce  qu'elles  prêtaient  à  la  sculpture. 

Les  chasses  si  fréquemment  reproduites  en  bas-reliefs  sur  les  sar- 
cophages appartiennent ,  à  mon  avis ,  à  cette  dernière  espèce  de  com- 
positions. Je  sais  qu'il  ne  serait  pas  impossible  de  les  rattacher  à 
quelque  mythe  funéraire,  et  par  exemple  il  serait  facile  de  trouver 
un  sens  allégorique  et  religieux  dans  la  chasse  de  Calydon  et  les 
nombreuses  compositions  qu'elle  a  inspirées.  Mais  on  peut,  je  crois, 
expliquer  avec  plus  de  vraisemblance  ces  sortes  de  représentations. 


44  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

A  toutes  les  époques,  la  chasse  a  été  considérée  comme  le  plus  noble 
des  amusements.  Dans  la  Gaule  romaine  elle  paraît  avoir  été  ré- 
servée aux  hommes  d'une  haute  naissance  qui  s'y  livraient  avec 
une  sorte  de  passion.  Des  scènes  de  chasse  offraient  ainsi  une  allu- 
sion à  la  qualité  du  personnage  dont  le  tombeau  était  décoré  de  la 
sorte.  Enfin,  peut-être  encore,  les  chasses  figurées  sur  quelques 
sarcophages  romains  rappelaient-elles  des  venaliones  données  au 
peuple,  ou  quelquefois  célébrées  au  moyen  d'un  legs  spécial.  Un  tel 
souvenir  était  un  titre  aux  regrets  des  passants  qui  avaient  assisté 
à  ces  fêtes. 

Au  reste,  quelle  que  soit  l'origine  des  compositions  de  chasse, 
qu'on  trouve  en  si  grand  nombre  dans  tous  les  musées  d'Italie,  aux 
Alisc.imps  d'Arles,  à  Reims,  et  dans  cent  autres  lieux,  elles  parais- 
sent avoir  été  tellement  à  la  mode  dans  le  Bas-Empire,  que  les  sculp- 
teurs en  faisaient  à  la  pacotille ,  en  tenaient  magasin,  comme  aujour- 
d'hui nos  marbriers  de  cippes,  d'urnes,  de  pyramides.  J'ai  vu  cette 
année,  dans  la  crypte  de  l'église  de  Deols  (Indre),  un  tombeau  de 
ce  genre,  d'un  style  détestable,  qui  porte  un  cartouche  lisse,  sur 
lequel  aucun  nom  n'a  été  tracé.  Il  est  évident  que  c'est  un  fonds  de 
magasin,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi,  dont  on  a  fait  usage  à  une 
époque  où  les  lapicides  étaient  rares,  probablement  assez  longtemps 
après  l'exécution  des  bas- reliefs. 

Aujourd'hui  ce  tombeau  est  l'objet  d'un  culte  superstitieux.  La 
chasse  aux  lions  qu'on  voit  sur  la  face  principale,  a  donné  lieu 
à  une  légende  populaire  assez  curieuse.  — Deux  saints,  dit-on, 
avaient  délivré  le  pays  d'animaux  féroces  qui  le  dévastaient,  et  c'est 
pour  conserver  le  souvenir  de  ce  service  qu'on  les  a  représentés  en 
costume  de  chasseurs.  On  racle  le  marbre  du  tombeau  que  de  bonnes 
âmes  boivent  dans  de  la  tisane  contre  toutes  sortes  de  maladies. 

Le  moyen  âge ,  séparé  des  traditions  romaines  par  un  long  inter- 
valle de  barbarie,  fut  plus  grave  et  plus  austère  dans  la  décoration  de 
ses  tombeaux.  Il  y  eut  alors  une  symbolique  chrétienne,  essentielle- 
ment religieuse,  et  qui  n'a  cessé  qu'à  la  renaissance,  lorsque  se 
produisit  ce  bizarre  mélange  d'emblèmes  empruntés  à  toutes  les 
CfQjiBbet,  qui  est  encore  en  vogue  aujourd'hui. 

Tous  les  tombeaux  du  moyen  âge  que  j'ai  pu  examiner  ont  ce  carac- 
tère religieux  et  chrétien ,  excepté  le  monument  que  nous  publions 
aujourd'hui.  (  l 'air  I.»  pi.  47.)  C'est  le  couvercle  d'un  grand  sarco- 
phage  d'emiron  2 "50 ,  en  pierre  calcaire  très-fine,  taillé  en  biseau 
et  sculpté  sur  quatre  faces.  Il  a  été  découvert,  il  y  a  peu  d'années. 


UN    TOMBEAU   DU   MOYEN   AGE.  45 

dans  le  département  des  Deux-Sèvres,  par  M.  Segretain,  architecte, 
qui  l'a  donné  au  musée  de  Niort.  A  ma  prière ,  mon  ami  M.  Viollet- 
Leduc  a  bien  voulu  le  dessiner. 

C'est  encore  une  chasse  qu'on  voit  représentée  sur  les  deux  grands 
côtés  obliques  de  la  pierre,  mais  une  chasse  du  moyen  âge,  sans 
aucun  souvenir  de  l'art  antique.  D'un  côté  paraît  une  femme  galo- 
pant à  la  poursuite  d'un  oiseau  que  ses  chiens  vont  saisir  au  moment 
où  il  tombe  à  terre  pour  éviter  un  faucon  qui  plane  au-dessus  de  lui. 
La  chasseresse  tient  de  la  main  droite  la  laisse  du  faucon  qu'elle  vient 
de  lancer.  Elle  est  coiffée  de  grandes  nattes  pendantes,  et  vêtue 
d'une  robe  à  plis  étroits,  et  multipliés  surtout  sur  les  manches. 
On  remarquera  qu'elle  est  assise  sur  le  cheval  de  côté  et  non  à  cali- 
fourchon; cependant  elle  ne  monte  pas  tout  à  fait  comme  nos  ama- 
zones: elle  est  assise  à  droite.  Faut-il  attribuer  à  une  erreur  de  l'ar- 
tiste cette  position  extraordinaire  pour  nous?  ou  bien,  les  dames 
d'autrefois  montaient-elles  à  cheval  à  droite ,  comme  font  aujourd'hui 
quelques  peuples  orientaux?  Les  monuments  sont  trop  rares  pour 
qu'il  soit  facile  de  résoudre  maintenant  cette  question  délicate. 

En  face  de  la  chasseresse,  à  l'autre  extrémité  du  bas-relief,  un 
homme  à  pied  est  placé  derrière  une  espèce  de  cadre  carré,  rempli 
d'objets  fort  difficiles  à  déterminer,  rangés  sur  des  lignes  horizontales. 
Ce-  cadre  peut  être  pris  pour  un  piège ,  une  toile ,  un  filet ,  et  les 
ligues  horizontales  représentent  peut-être  des  fleurs  et  des  feuilles 
disposées  de  manière  à  cacher  les  mailles  du  filet.  Peut-être  encore 
est-ce  un  miroir,  ou  plutôt  une  série  de  plaques  de  métal  polies,  qu'on 
fait  jouer  de  façon  à  refléter  ça  et  là  les  rayons  du  soleil,  en  un  mot 
un  miroir  à  alouettes  un  peu  plus  compliqué  que  les  nôtres.  C'est  en 
toute  humilité  que  je  présente  ces  deux  explications,  dont  aucune  ne 
me  satisfait ,  je  l'avoue. 

Sur  l'autre  face  oblique  paraît  un  cavalier  trottant,  un  faucon 
sur  le  poing.  Un  autre  faucon  déjà  lancé  va  s'abattre  sur  un  lièvre 
qui  fuit  devant  le  chasseur.  Un  homme  à  pied ,  un  arc  à  la  main ,  se 
prépare  à  tirer  sur  le  lièvre.  La  forme  de  l'arc  est  tout  antique,  et  je 
suis  surpris  de  voir  cette  arme  au  lieu  d'une  arbalète,  beaucoup  plus 
commode  pour  la  chasse  (l  ). 

Entre  les  différents  personnages  et  sur  chaque  face  du  tombeau 
sont  disposés  des  arbres  ou  des  plantes  fantastiques  fort  curieusement 


(1)  L'arbalète,  du  moins  pourvue  d'un  arc  d'acier,  nedevint  d'un  usagefréquent 
que  vers  la  fin  du  XIIe  siècle. 


46  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

sculptés  et  d'un  relief  notable.  Cela  ligure ,  je  pense,  une  forêt  ou  un 
taillis  que  traversent  les  chasseurs. 

Une  croix  fort  enjolivée  occupe  les  triangles  aux  deux  extrémités  du 
tombeau. 


Aucune  inscription  n'accompagne  ce  monument  singulier,  et 
lorsqu'il  fut  découvert ,  toute  tradition  était  perdue  sur  son 'origine. 
Ce  chevalier  et  cette  dame,  réunis  sur  la  même  pierre  et  dans  deux 
compositions  symétriques,  me  donnent  lieu  de  croire  que  le  sarco- 
phage renfermait  deux  époux.  La  richesse  et  l'élégance  des  sculptures 
ne  permettent  pas  de  douter  que  ce  ne  fussent  des  personnages  d'une 
haute  naissance.  Quant  à  la  date  qu'il  convient  d'assigner  à  ces  bas- 
reliefs  ,  la  plus  probable  est  le  commencement  du  XIIe  siècle.  C'est 
celle  que  semble  indiquer  et  le  caractère  de  la  sculpture  et  les  détails 
des  costumes,  surtout  les  nattes  pendantes  de  la  dame,  qui  rappellent 
la  coiffure  des  reines  sculptées  au  portail  méridional  de  Notre-Dame 
de  Chartres  et  dans  d'autres  églises  bâties  à  la  même  époque. 


P.  Mérimée. 


NOTRE-DAME  DE  BLÉCOLRT. 


Sur  les  confins  de  l'ancienne  province  de  Champagne  et  du  dio- 
cèse de  Châlons,  loin  des  grands  chemins ,  dans  une  plaine  en  cul- 
ture légèrement  accidentée ,  est  assis  le  modeste  village  de  Blécourt, 
qui  de  nos  jours  fait  partie  du  département  de  la  Haute-Marne  et  de 
levèchédeLangres. 

Son  nom  a  varié.  On  le  trouve  écrit  Bléchicourt  dans  la  chronique 
de  Joinville;  auparavant  il  s'écrivait  Blincourl,  sans  doute  de  Benigni 
Curlis,  opinion  regardée  comme  probable. 

Une  chapelle  en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge,  élevée  au  milieu 
des  bois  dont  le  pays  devait  être  alors  couvert ,  et  que  quelques  mi- 
racles accréditèrent  au  moyen  âge,  semble  avoir  été  le  principe  de 
cette  commune.  Le  concours  de  fidèles  augmentant,  ce  sanctuaire 


devint  trop  étroit;  c'est  alors,  dans  notre  pensée,  que  fut  entrepris 
l'édifice  actuel  dont  les  proportions  sont  vraiment  monumentales  (1). 

(1)  Le  dessin  que  nous  donnons  k\  doit  être  vu  dans  le  sens  inverse. 


48  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  A  cette  époque  ,  dirons-nous  avec  M.  de  Caumont  (1),  beaucoup 
deglises  tombaient  de  vétusté  ;  d'autres  étaient  trop  petites  et  insuf- 
fisantes pour  la  population  :  en  même  temps  l'enthousiasme  religieux 
qui  avait  produit  les  croisades  inspirait  un  zèle  incroyable  pour  réédi- 
fier et  multiplier  les  monuments  destinés  au  culte.  » 

Suivant  M.  Baagier  (2) ,  qui  le  répète  sur  la  foi  d'auteurs  qu'il 
s'abstient  de  nommer,  le  roi  Dagobert  étant  attaqué  d'une  fièvre 
maligne,  dans  le  temps  que  les  Esclavons  entraient  dans  son  royaume, 
fit  vœu,  s'il  recouvrait  la  santé,  de  faire  bâtir  une  église  au  lieu  où 
était  cette  chapelle;  ce  prince  ayant  obtenu  sa  guérison  exécuta  son 
vœu  par  les  soins  d'un  architecte  nommé  Walbert,  On  voit  encore 
aujourd'hui  (1721) ,  ajoute  t-il  à  ce  récit ,  des  restes  curieux  de  l'ar- 
chitecture gothique  de  ce  temps-là. 

C'est  en  vain  que  l'œil  ie  plus  exercé  chercherait  dans  Notre- 
Dame  de  l^lécourt  un  seul  vestige  d'une  pareille  antiquité.  Nous 
avons  soigneusement  examiné  ce  beau  vaisseau,  et  il  ne  nous  a  pas 
été  possible  d'y  reconnaître  des  traces  de  construction  antérieures  au 
XIP  siècle.  La  nef  seule  est  du  style  romano- byzantin;  tout  le  reste 
de  l'édifice  appartient  au  XIIIe  siècle. 

On  sait  que  l'abbaye  de  Saint  Urbain  ,  éloignée  seulement  de 
quelques  kilomètres  de  Blécourt,  levait  la  dîme  de  cette  paroisse,  et 
on  croit  que  c'est  à  sa  munificence  qu'on  doit  ce  monument.  C'est 
ce  qu'éclaircira  sans  doute  M.  l'abbé  Bonilleçeaux  dans  l'ouvrage 
qu'il  prépare  sur  cette  abbaye  dont  il  reste  à  peine  quelques  ruines. 
Et  puis  ne  serait-il  pas  également  possible  d'admettre,  malgré  le  si- 
lence de  l'histoire,  que  la  puissante  maison  de  Joinville  contribua  à 
son  érection  par  de  pieux  dons?  Ne  voyons-nous  pas  en  1248  le  sire 
de  Joinville ,  sénéchal  de  Champagne ,  qui  fut  le  compagnon  d'armes, 
l'ami  et  l'historien  de  saint  Louis,  aller  en  dévotion  dans  les  églises 
voisines  de  son  château  de  Joinville  avant  de  partir  pour  la  terre 
sainte  (3)  ? 

Voici  ce  qu'il  dit  lui-même  dans  sa  Chronique  (page  27)  si  pleine 
de  charmes,  de  ce  pèlerinage  par  lequel  il  se  préparait  à  un  plus 
grand* 

«  Je  me  parti  de  Joinville  sanz  rentrer  ou  ehastel  jusques  à  ma 
«  revenue,  à  pié  deschaus  et  en  langes  (et  en  chemise),  et  ainsi  aie 

(1)  Histoire  sommaire  de  innhUcclure  au  moyen  âge,  p 

(2)  Mémoires  historiques  de  Champagne ,  t.  I ,  p.  Ml ,  342. 

(3)  Ce  prince  naquit ,  suivant  l'opinion  la  plus  commune  ,  en  1224  ,  dans  la  ville 
dont  il  porta  le  nom.  .Néanmoins,  l'epilaphe  qui  se  lisait  sur  sa  tombe,  dans  l'église 


NOTRE-DAME   DE   BLECOURT.  49 

«  à  Blechicourt  et  à  Saint-Urbain,  et  autres  cors  sains  qui  là  sont; 
«  et  en  deurentières  que  (tandis  que)  je  aloie  à  Blechicourt  et  à  Saint- 
ce  Urbain,  je  ne  voz  (je  ne  voulus)  onques  retourner  mes  yex  (mes 
«  yeux)  vers  Joinville  pour  ce  que  le  cuer  ne  me  attendrisist  du 
«  biau  chastel  que  je  lessoic  et  de  mes  deux  enfans.  » 

«  Moy  et  mes  compaingnons  mangeâmes  à  la  fonteinne  l'arceves- 
«  que  devant  Dongieuz;  et  illecques  l'abbé  Adam  de  Saint-Urbain, 
«  que  Diex  absoille  donna  grant  foison  de  biaus  juiaus  à  moy  et  à 
«  mes  chevaliers  que  favoie.  » 

Ce  prince,  on  le  sait,  np  revit  sa  patrie  qu'en  1254.  Il  nous  ap- 
prend qu'en  revenant  d'Afrique,  pendant  sa  traversée ,  un  des  écuyers 
d'un  riche  homme  de  Provence,  qui  montait  un  des  navires  accompa- 
gnant la  nef  du  roi,  tomba  à  la  mer  d'où  il  fut  heureusement  retiré. 
«  Je  li  demandai  comment  ce  estoit  que  il  ne  metoit  conseil  en  li 
«  garantir,  ne  par  noer  (nager)  ne  par  autre  manière.  Il  me  res- 
«  pondi  que  il  n'estoit  nul  mestier  ne  besoing  que  il  meist  conseil  en 
a  li  ;  car  sitost  comme  il  Commença  à  cheoir,  il  se  commanda  à 


collégiale  du  château  de  Joinville ,  renversée  durant  la  tourmente  révolution- 
naire, le  faisait  nailrc  dix  ans  plus  tôt;  en  voici  le  texte  i 

D.  O.  M. 

Quisquis  es ,  aut  civis,  autvialor, 

Adsta  ut  lugeas ,  ul  legas. 

IVosli  quem  nunquam  vidisti , 

Terris  datum,  anno  D.  1214,  cœlo  natum  1318. 

Nomine,  virlute,  scriplis,  fama,  nondum  mortuum, 

Polo  immortalitalem  uliquc  et  solo. 

Dominum  D.  Joannem  de  Joinvilla , 

Magnum  olim  Campaniœ  seneschaUum , 

In  bello  fortissimum,  in  pace  œquissimum, 

In  utroque  maximum, 

Nunc  ossa  et  cineres. 

Tanti  viri  animam  in  cœlis  viveniem immortelles  amant, 

Corpus  in  lerris  superstites  mortales  colunl, 

Ingenium  candidum,  affabilc  etamabile, 

Ludovico  régi  sanciissimo  gralissimum,  prineipibus  laudalissimum , 

Galliœ  ulilissimum,  patriœ  suœ  perlionorificcnlissimum , 

Immortales  amant,  mortales  colunt,  omnes  honorant. 

Nos  zona  S.  Joscphi  e  terra  sancta  asporlala  ab  eo  féliciter  donoli , 

Domino  subditi ,  cives  noslrati,  amici  munerario , 

Inclylis  corporis  ejus   eœuviis  cinerumque  rcliquiis 

Ruilurum  nunquam  amoris  fîdclissimi  amanlissimœque  fidei 

Monumcntiim. 

UI.M.LL.  PPS. 

Plora  ne  explora,  sed  plora,  et  ora  ac  abi  obilurus. 

Rcquiescat  in  pace. 

III.  4 


>0  KKVLK    A.RCHEOLOG1QUK. 

No>tre-l)ame,  et  elle  le  soustint  par  les  épaules  dès  que  il  eliéi , 
«  jusques  à  tant  que  la  galie  le  roy  le  requeilli.  En  l'onneur  de  ce 
«  miracle  je  l'ai  fet  peindre  à  Joinville  en  ma  chapelle  et  es  verrières 
«  de  Blehecourt  (  page  1 36).  » 

Nous  ne  pensons  pas  que  ce  fut  là  tout  ce  que  lit  pour  cette  église 
la  foi  si  vive  de  Joinville  ;  sa  modestie  l'a  empêché  de  nous  en  rien 
dire. 


»  9 


ffi     « 


L'église  de  Blécourt  a  la  figure  d'une  croix  latine.  L'ensemble 
extérieur  de  ce  monument  offre  tous  les  caractères  de  l'architecture 
du  XIIIe  siècle.  Sa  tour,  polygone  à  quatre  faces  inégales,  s'élève 
au  centre  de  l'intersection  de  la  croix  :  elle  est  coiffée  d'une  char- 
pente à  double  poinçon;  ses  fenêtres  sont  géminées  et  au  nombre 
de  trois  sur  les  faces  de  l'orient  et  de  l'occident;  il  n'y  en  a  que  deux 
sur  les  deux  autres  ;  leurs  ogives  flamboyantes  s'élancent  gracieu- 
sement. Le  meneau  qui  divise  ces  fenêtres  est  extrêmement  délicat; 
il  supporte  une  ouverture  à  quatre  lobes ,  plus  généralement  dési- 
gnée par  le  mot  quatre- feuilles ,  laquelle  est  dessinée  par  des  tores. 
L'abside  décrit  cinq  pans  et  est  éclairée  par  autant  de  fenêtres  qui, 
sans  avoir  la  grâce  de  celles  dont  nous  venons  de  parler,  ont  exacte- 
ment la  même  forme.  Les  pignons  des  transsepts  sont  ornés  de  roses 


M>TKK-1).\MK   DE    BLÉCOURT.  51 

à  jour,  artistement  travaillées,  qui  étalent,  comme  de  gracieux  pé- 
tales ,  leurs  riches  compartiments  ciselés.  Celui  du  frontispice  n'a 
d'autre  ouverture  que  la  porte  par  laquelle  on  arrive  dans  l'intérieur 
de  l'édifice.  Sa  voussure  ogivale  formée  de  tores  était  autrefois  sup- 
portée par  des  colonnettes  dont  il  ne  reste  que  les  socles.  Le  tympan 
de  cette  porte  est  dépourvu  d'ornements.  De  nombreux  contre-forts, 
construits  au  pourtour  du  monument  et  liés  à  la  maçonnerie,  le  sou- 
tiennent de  toutes  parts  :  ceux  qui  appuient  les  collatéraux  s'élèvent 
au-dessus  de  leurs  toits  et  reçoivent  la  retombée  des  arcs-boutants  du 
grand  comble.  La  corniche  de  cette  partie  de  l'édifice,  aussi  bien  que 
celle  de  l'abside,  consiste  en  un  larmier  découpé  en  festons  ;  de  sem- 
blables franges  suivent  la  double  rampe  des  pignons  des  transsepts. 
L'entablement  des  bas  côtés  repose  sur  des  modillons  qui  représen- 
tent des  masques  humains  des  plus  bizarres  et  des  tètes  d'animaux. 

Outre  l'entrée  principale  que  nous  venons  de  décrire,  il  existait 
jadis  quatre  portes  latérales,  deux  au  midi,  deux  au  nord,  dont  il 
reste  des  traces  ou  la  figure,  et  qui  n'ont  dû  être  murées  que  lorsque 
le  pèlerinage  dont  nous  avons  parlé  tomba  dans  l'oubli,  à  la  suite  des 
querelles  religieuses  assez  vives  dont  la  Champagne  a  été  le  théâtre 
au  XVIe  siècle.  C'est  au  moins  notre  opinion.  On  comprend  dès  lors 
leur  inutilité  et  leur  suppression.  Deux  d'entre  elles  avaient  été  mé- 
nagées pour  le  clergé  chargé  de  la  desserte  de  l'église.  Les  deux  au- 
tres, beaucoup  plus  remarquables  par  leur  ornementation,  étaient 
divisées  par  un  trumeau.  Il  ne  reste  de  ces  dernières  que  celle  au 
nord  qui  est  parfaitement  conservée  quoique  interdite.  Au  devant  du 
pilier  du  milieu  s'élève  une  colonne  surmontée  d'un  chapiteau  qui 
porte  une  statue  de  la  Vierge  tenant  l'enfant  Jésus  sur  ses  genoux  ; 
et  dans  le  tympan,  de  chaque  côté  de  cette  statuette,  sont  deux  anges 
dans  l'attitude  de  la  prière  qui  tiennent  chacun  une  harpe.  La  tuni- 
que qui  leur  sert  de  vêtement  a  quelque  chose  de  l'habit  monacal.  La 
voussure  de  cette  porte  est  elliptique ,  ses  ornements  consistent  en 
tores  et  en  rinceaux  ;  les  chapiteaux  qui  la  supportent  sont  richement 
sculptés  ;  le  houx  et  le  chêne  s'y  montrent  artistement  évidés. 

Pénétrons  maintenant  dans  l'intérieur  de  l'édifice.  Ainsi  que  nous 
l'avons  dit  précédemment,  sa  nef  est  du  style  romano-byzantin.  Elle 
se  compose  de  quatre  travées  dont  les  piliers,  peu  élevés,  présentent 
des  colonnes  engagées  sur  toutes  leurs  faces;  la  corbeille  des  chapi- 
teaux qui  les  couronne  est  garnie  de  feuillages  dont  les  motifs  sont 
puisés  dans  la  Flore  du  pays.  Sur  la  corniche  qui  règne  au-dessus  des 
arcades  de  communication  de  la  nef  aux  collatéraux,  est  une  galerie 


;>2  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

sourde  composée  d'une  suite  d'arcades  simulées  et  géminées,  dont 
les  arcs  trilobés  s'encadrent  deux  par  deux  dans  une  arcade  plein 
cintre.  Les  piliers  qui  supportent  la  tour  sont  cylindriques,  ce  qui 
n'empêche  que  des  colonnes  à  demi  engagées  en  sortent  pour  s'élan- 
cer du  sol  à  la  naissance  de  la  voûte.  L'abside  a  la  même  largeur  que 
la  nef;  mais  les  transsepts  sont  remarquablement  étroits.  Les  voûtes 
sont  d'arêtes  et  supportées  par  des  nervures  toriques;  celles  des  bas 
côtés  sont  en  anse  de  panier.  Les  fenêtres  par  lesquelles  cette  église 
reçoit  le  jour  ont  autrefois  été  rehaussées  par  l'éclat  de  verrières 
peintes;  Joinville  nous  en  a  fourni  la  preuve.  Malheureusement  il 
n'en  reste  pas  un  seul  vestige. 

Nous  terminerons  cet  article  en  recommandant  l'examen  de  la 
belle  menuiserie  du  XVe  siècle  qui  décore  le  devant  de  la  tribune 
placée  au-dessus  de  la  porte  d'entrée,  et  les  miséricordes  du  chœur, 
attribuées  au  ciseau  de  l'un  des  Bouchardon,  et  sauvées  de  la  de- 
struction de  l'église  du  val  des  Écoliers ,  près  Chaumont. 

Enfin,  nous  ajouterons  encore  que  l'une  des  cloches  de  cette 
église,  détruite  en  1793,  portait  le  nom  de  Marie-Antoinette  de 
Bourbon,  épouse  de  Claude  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  princesse 
qui  mourut  le  22  janvier  1583  ,  âgée  de  90  ans.  Nous  avions  donc 
raison  de  dire  que  ces  princes  de  Guise ,  dont  la  France  fut  folle 
pour  ne  pas  dire  amoureuse,  ainsi  que  nous  le  répéterons  avec  un 
historien  moderne ,  furent  dans  tous  les  temps  les  bienfaiteurs  de 
Notre-Dame  de  Blécourt. 

T.  Pinard. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Une  lettre,  en  date  du  4  février,  annonce  que  le  pacha,  qui  se 
trouve  dans  ce  moment  dans  la  haute  Egypte,  fait  déblayer  le  temple 
de  Denderah  jusqu'au  sol.  Il  se  propose  d'en  faire  autant  au  temple 
d'Edfou.  On  sait  que  ces  deux  édifices  sont  les  monuments  égyptiens 
les  plus  complets  qui  restent  de  l'époque  grecque  et  romaine. 

—  On  vient  de  découvrir,  à  Tel-el-Amarna  (l'ancienne  Psinaula), 
un  nouveau  proscynème  de  l'époque  d'Aten-re-Bakhan ,  qui  jette  un 
nouveau  jour  sur  l'époque  de  ces  rois  étrangers  qui  paraissent  devoir 
occuper  la  fin  de  la  dix-huitième  dynastie. 

« —  M.  Jules  Mohl ,  membre  de  l'Institut ,  a  déposé  au  Cabinet  des 
Antiques  de  la  Bibliothèque  royale,  trois  figurines  de  terre  cuite ,  re- 
cueillies par  M.  P.  Botta ,  dans  les  ruines  de  Khorsabad.  Ces  figu- 
rines, qui  sont  formées  d'une  matière  analogue  à  celle  qui  compose 
les  briques  babyloniennes ,  représentent,  l'une ,  un  personnage  à  tête 
de  lion  ,  vêtu  d'une  longue  robe;  les  deux  autres,  des  dieux  barbus, 
la  tête  armée  de  cornes,  et  ayant  une  queue  et  des  jambes  de 
taureau.  Ces  figures  sont  accompagnées  d'un  monument  peut-être 
plus  précieux  encore  ;  c'est  un  scarabée  de  pâte  bleue,  trouvé  dans  le 
même  lieu ,  à  la  partie  plane  duquel  se  voit  un  taureau  en  creux. 

—  MM.  J.  de  Witte  et  A.  de  Longpérier  viennent  d'être  élus 
correspondants  de  l'Académie  d'archéologie  de  Belgique. 

—  En  faisant  des  fouilles  près  de  la  Major,  à  Marseille,  un  maçon 
découvrit  dernièrement  une  inscription  phénicienne  qu'il  a  vendue 
au  musée  de  la  ville.  Ce  monument  est  une  pierre  d'environ  un  demi- 
mètre  de  longueur  ;  tout  chargé  de  caractères ,  mais  malheureuse- 
ment fort  brisé  à  la  partie  supérieure ,  il  n'en  contient  pas  moins  le 
texte  le  plus  considérable  que  l'on  ait  retrouvé  depuis  que  l'on  s'oc- 
cupe de  réunir  les  débris  de  la  langue  phénicienne. 

—  L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a ,  dans  sa  séance 
du  2  janvier,  élu  pour  président  M.  Naudet,  et  pour  vice-président 
M.  Reinaud.  Dans  sa  séance  du  9 ,  la  même  compagnie  a  nommé 
M.  Cari  Ritter  à  la  place  de  correspondant  étranger,  vacante  par  suite 
de  la  mort  de  Millingen,  et  dans  la  séance  du  13  janvier,  M.  J.  de 
Pétigny  a  été  élu  correspondant  en  remplacement  de  M.  Jouannet. 

—  Le  9  janvier,  la  Société  royale  des  Antiquaires  de  France  a  pro- 
cédé au  renouvellement  de  son  bureau  annuel ,  qui  se  trouve  ainsi 
composé  :  Président,  M.  de  La  Saussaye;  vice-présidents,  MM.  Tail- 
landier et  Lenormant;  secrétaires,  MM.  d'Anry  et  Renier;  archi- 
viste, M.  A.  Maury  ;  trésorier,  M.  Vincent  ;  Membres  de  la  commission 
des  publications,  MM.  Deppiug,  de  Longpérier  et  de  Lavillegille. 


BIBLIOGRAPHIE 


Revue  de  philologie ,  de  littérature  et  d histoire  anciennes,  publiée  par 
Léon  Rémer.  Paris,  Klincksieck,  1845,  in-8°,  n°  6. 

Sur  les  sources  de  la  religion  des  Phéniciens  et  en  particulier  sur 
Sanchoniaton ,  par  M.  Guigmaut.  —  Note  sur  deux  inscriptions 
phéniciennes  découvertes  à  Citium  par  M.  le  professeur  Ross,  par 
F.  de  Sadlcy.  —  Lettre  à  M.  Letronne  sur  quelques  inscriptions 
latines  de  l'Ombrie  et  duPicenum,  par  M.  Noël  des  Vergers. — 
Sur  une  inscription  grecque  trouvée  dans  les  montagnes  de  la  Mysie, 
par  Ph.  Le  Bas.  —  Bibliographie. 

Revue  numismatique,  publiée  par  E.  Cartier  et  L.  de  La  Saus- 
saye.  Blois,  1845 ,  in-8°,  n°  6. 

Attribution  de  quelques  monnaies  à  Nésus  de  Céphallénie ,  par 
A.  de  Longpérier.  —  Observations  sur  quelques  monnaies  méro- 
\ingiennes  (deuxième  article),  par  A.  Duchalais.  —  Découverte 
de  monnaies  du  moyen  âge,  par  C.  Robert.  — Note  sur  un  denier 
inédit  de  Manassès  Ier,  archevêque  de  Reims,  par  M.  Ddquenelle 
(v.  plus  loin  une  notice  sur  cet  article  qui  avait  paru  précédemment 
à  Reims).  — Lettres  numismatiques,  IL  Restitution  à  Héthum  Ier  et 
Isabelle,  sa  femme,  d  une  médaille  attribuée  par  Sestini  à  Héthum  Ier 
et  Léon  III ,  rois  d'Arménie,  par  H.  Borrejll.  —  Pièces  satiriques 
relatives  à  la  révolution  française  qui  se  trouvent  dans  le  cabinet  de 
M.  Durand ,  par  A.  Durand.  —  Bibliographie.  —  Analyse  des  tra- 
vaux de  numismatique  contenus  dans  le  tome  XIII  des  Annales  de 
V Institut  archéologique,  par  J.  de  Witte. 

bibliothèque  de  l'École  des  Chartes.  Revue  d  érudition  consacrée  prin- 
cipalement à  l'étude  du  moyen  âge,  2e  série,  tome  II. 

Deuxième  livraison,  novembre  et  décembre  1845.  —  Anciennes 
coutumes  d'Alais,  par  M.  le  comte  Beugnot.  —  Des  relations  poli- 
tiques et  commerciales  de  l'Asie  Mineure  avec  l'île  de  Chypre  sous  Je 
règne  des  princes  de  la  maison  de  Lusignan  (troisième  et  dernier  ar- 
ticle), par  Louis  dk  Mas-Latrie.  —  Histoire  de  Jeanne  d'Arc, 


BIBLIOGRAPHIE.  55 

d'après  une  chronique  inédite  du  XVe  siècle,  publiée  par  M.  Qui- 
cherat.  —  Bibliographie. 

Zeitschrift  fur  Miinz-Siegel-und  Wappenkunde ,  publié  par  le  docteur 
B.  Koehne.  Berlin,  1845,  in-8°,  cinquième  année. 

Cinquième  livraison.  —  Lettres  sur  l'histoire  de  la  monnaie  de 
Brandebourg,  deuxième  lettre  par  B.  Koehne.  —  Monnaies  alle- 
mandes du  moyen  âge  des  XIIe  et  XIIIe  siècles,  par  le  même.  — 
Notice  sur  une  médaille  de  l'ordre  de  Saint- Jean  de  Jérusalem ,  par 
le  baron  de  Berstett.  —  Notice  biographique  sur  Brandt,  premier 
graveur  en  médailles  du  roi  de  Prusse,  par  M.  Toelken.  —  Mé- 
langes. —  Bibliographie, 

Journal  asiatique.   Paris,   1845,   4e  série,  tome  VI.  Juillet 
à  décembre. 

Ce  volume  contient  entre  autres  mémoires  les  travaux  suivants  qui 
concernent  les  antiquités  ou  la  philologie.  —  Lettres  à  M.  Reinaud 
sur  quelques  points  de  la  numismatique  orientale,  onzième  lettre  par 
F.  de  Saulcy.  L'auteur  y  explique  des  monnaies  à  légendes  bilin- 
gues, arabes  et  mongoles,  fabriquées  par  Raïkatou  et  Arghoun  Khan, 
et  décrit  ensuite  plusieurs  monnaies  inédites  des  Ilkaniens.  —  Etude 
sur  la  langue  et  les  textes  zends  ;  suite ,  par  E.  Burnouf.  —  Pièces 
relatives  aux  inscriptions  himyarites  découvertes  par  M.  J.  Th.  Ar- 
naud à  San'a ,  à  Khariba,  à  Mareb,  publiées  par  M.  Mohl.  Ces  in- 
scriptions au  nombre  de  cinquante-six,  reproduites  en  caractères 
himyaritiques  (à  l'aide  de  la  fonte  exécutée  exprès  à  l'imprimerie 
royale  et  aux  frais  de  la  Société  Asiatique),  puis  transcrites  en  ca- 
ractères arabes  par  M.  Fresnel,  sont  accompagnées  de  notes,  d'é- 
claircissements fournis  par  ce  savant  qui  a  même  donné  la  traduction 
de  l'une  d'elles.  —  Note  sur  un  Dinar  de  Barkiaroc,  par  Adrien  de 
Longpérier.  —  Lettre  à  M.  Caussin  de  Perceval  sur  les  diplômes 
arabes  conservés  dans  les  archives  de  la  Sicile,  par  Noël  des  Ver- 
gers. —  Notice  sur  le  voyage  de  M.  de  Wrede  dans  la  vallée  de 
Doan  et  autres  lieux  de  l'Arabie  méridionale ,  par  Fulgence  Fresnel. 
Ce  savant  orientaliste  compare  les  renseignements  recueillis  par 
M.  de  Wrede  à  ceux  que  fournissent  les  anciens  géographes  ,  et 
obtient  les  plus  intéressants  résultats  de  ce  rapprochement.  —  Texte 
arabe  du  voyage  en  Sicile  de  Mohammed  lbn  Djobaïr  pendant  l'an- 


56  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

née  581  (1 184-85  de  J.  G.  ),  publié  et  accompagné  d'une  traduction 
par  Michel  Am  un. 

Revue  de  la  numismatique  belge.  Bruxelles,  1843-45,  in-8°,  tome  11, 
n*  3 ,  4  planches  lithographiées. 

Catalogue  des  monnaies  des  comtes  de  Hainaut,  par  R.  Chaton. 
—  Étude  sur  l'origine  du  nom  de  Picards  et  sur  les  questions  inté- 
ressantes que  soulève  cette  recherche ,  soit  en  géographie ,  soit  en 
numismatique,  soit  en  histoire,  par  M.  Bresseau.  —  Monnaies  de 
Charles  le  Téméraire  frappées  à  Nimègue ,  par  M.  Charles  Piot.  — 
Siflrid ,  prince  de  Bénévent,  par  M.  Meynaerts.  —  Sur  une  monnaie 
gauloise  d'argent  inédite,  par  le  même.  —  Considération  sur  l'hi- 
stoire monétaire  du  pays  de  Liège  >  par  M.  Ferd.  Hénaux. —  Mon- 
naie obsidionale  de  Bruxelles  de  1579,  par  M.  Perreau.  —  Monnaies 
de  la  duchesse  Jeanne  (de  Brabant)  connues  jusqu'à  ce  jour,  par 
A.  J.  Everaerts. 

La  monnaie  gauloise  publiée  par  M.  Meynaerts  est  attribuée  par 
lui  à  Sédule,  chef  des  Lémovices,  et  ainsi  décrite  :  «  D'un  côté 
l'effigie  de  Sédule,  à  droite,  entourée  d'un  cercle;  derrière  la  tête 
un  O.Le  revers  représente  un  cheval  adroite;  au-dessous  un  symbole, 
un  Oet  la  légende  SI  AL  pour  Sidoleucus  (diamètre,  9  millimètres).» 
Le  lecteur  n'a  pas  oublié  une  curieuse  inscription  gauloise  décou- 
verte à  Autun  par  M.  Charleuf  (Rev.  arch.,  t.  I,  p.  698) ,  dans  la- 
quelle le  mot  sedlon  désigne,  suivant  cet  antiquaire,  Saulieu  (Se- 
dlonum);  il  se  pourrait  que  la  monnaie  de  M.  Meynaerts  se  rapportât 
à  la  même  localité.  Dans  tous  les  cas ,  elle  nous  paraît  être  une 
variété  de  ces  deniers  sur  lesquels  on  lit  le  nom  q.  doci  et  au  re- 
vers sami  ou  sant  ,  et  que  l'on  a  attribués  aux  Santons. 

Au  milieu  de  fort  bons  articles  sur  la  numismatique  des  provinces 
qui  composent  actuellement  le  royaume  de  Belgique,  on  est  étonné 
de  rencontrer  un  travail  intitulé  ;  Études  sur  V origine  du  nom  des 
Picards,  etc. ,  qui  dénote  de  la  part  de  son  auteur  un  oubli  presque 
complet  des  premiers  éléments  de  linguistique,  d'histoire  et  même 
de  numismatique,  quoique  ce  soit  a  l'aide  de  cette  science  que 
•l'auteur  prétende  établir  son  système.  Ainsi ,  ayant  cru  lire  sur  un 
tétradrachme  frappé  dans  la  Thrace  ou  la  Pannonie,  à  l'imitation  des 
monnaies  de  Philippe  de  Macédoine,  quelque!  lettres  qui  ressem- 
blent à  Pikon  ,  cet  écrivain  en  fait  le  prototype  du  nom  des  Picards , 


BIBLIOGRAPHIE.  57 

attribue  le  tétradrachme  à  la  Gaule,  et  part  de  là  pour  créer  une 
ville  de  Piconiom,  une  province  de  Pikkinie,  et  une  quantité  d'au- 
tres excentricités.  Nous  devons  dire  que  les  directeurs  de  la  Revue 
belge  ont  ajouté  à  cet  article  une  note  par  laquelle  ils  déclarent  lais- 
ser à  l'auteur  toute  la  responsabilité  de  ses  opinions  sur  la  géograpbie 
et  l'histoire  des  Gaules,  mais,  pour  l'honneur  de  leur  recueil,  ils 
auraient  dû  faire  plus ,  c'est-à-dire  supprimer  une  notice  qui  peut 
jeter  du  ridicule  sur  une  science  pour  laquelle  leurs  savants  collabo- 
rateurs montrent  tant  de  zèle  et  d'aptitude. 

Recherches  sur  la  formule  funéraire  sub  ascia  dedicare,  par  M.  Ana- 
tole Barthélémy  ,  in-8°  (extrait  des  Mém.  de  la  Soc.  des  Ant.  de 
l'Ouest). 

On  trouve  sur  un  assez  grand  nombre  de  pierres  funéraires  la  fi- 
gure d'une  hache ,  quelquefois  seulement  la  formule  sub  ascia  dedi- 
caviL  Ce  symbole  et  cette  formule  ont  déjà  donné  lieu  à  bien  des 
conjectures  diverses.  Ou  a  cru  que  cette  hache  représentant  celle 
des  licteurs  était  gravée  sur  les  tombeaux  comme  signe  d'inviolabi- 
lité. L'abbé  Lebeuf  et  le  P.  Oudin  faisant  venir  le  mot  ascia  d'un 
composé  celtique  d'ésus  et  de  sciy  crurent  qu'il  indiquait  la  protec- 
tion divine.  Plus  tard  l'abbé  Lebeuf  reconnut  la  faiblesse  de  cette 
explication  et  proposa  de  voir  dans  la  formule  un  sens  d'investiture 
analogue  à  celui  qu'au  moyen  âge  on  donnait  aux  phrases  per  cul- 
tellum,  per  malleolum.  M.  Barthélémy  fait  observer,  avec  juste 
raison ,  qu'il  serait  assurément  extraordinaire  que  cette  formule  figu- 
rât seulement  sur  des  tombes,  et  que  l'on  n'en  trouvât  pas  un  seul 
exemple  dans  les  textes  de  jurisprudence.  Selon  cet  antiquaire,  il  y 
a  un  rapport  incontestable  entre  l'idée  de  mort  et  Xascia. 

On  trouve  sur  les  deniers  de  la  famille  romaine  Valéria  la  figure 
d'une  hache  qui,  tout  en  faisant  allusion  au  surnom  de  Valérius  Acis- 
culusqui  a  fait  fabriquer  ces  monnaies,  rappelle  encore  cette  hache,  à 
l'aide  de  laquelle,  suivant  une  tradition  des  Falisques  conservée  par 
Valère  Maxime ,  la  jeune  Valéria  Luperca  frappait  légèrement  les 
pestiférés  de  Faléries,  en  leur  souhaitant  de  recouvrer  la  santé 
{vole).  La  peste  cessa  et  l'on  établit  une  cérémonie  commémorative 
de  cet  événement,  cérémonie  qui  se  célébrait  encore  au  temps  de 
Plutarque.  L'ascia  paraît  avoir  été  en  rapport  avec  les  croyances  de 
l'époque  où  vivait  Valérius  Acisculus,  époque  fort  voisine  de  l'ère 
chrétienne  ;  ces  idées  ont  même  dû  concourir  à  lui  faire  adopter  un 


58  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

surnom  emprunté  à  une  tradition  de  famille.  L'ascia  ne  peut  être 
autre  chose  que  le  marteau  qui  avait  servi  à  Valéria  Luperca  pour 
faire  cesser  la  peste.  Sur  les  médailles  il  se  retrouve  derrière  la  tête 
de  la  jeune  fille.  M.  Barthélémy  rappelle  ensuite  qu'au  sommet  du 
Soracte  qui  dominait  la  ville  de  Faléries ,  Apollon  recevait  un  culte 
particulier  sous  le  nom  de  Soranus,  et  qu'il  était  assimilé  à  Pluton 
ou  à  Dispaier;  que,  de  plus,  cet  Apollon  était  une  divinité  infer- 
nale qui  répandait  la  peste  ;  l'auteur  remarque  l'analogie  qui  existe 
ainsi  entre  les  sacrifices  offerts  à  Rome,  à  Pluton  et  Proserpine,  et 
ceux  qui  étaient  faits  à  Faléries  en  l'honneur  d'Apollon  Soranus  et  de 
Junon  Curitis.  Chez  les  Falisques  et  les  Étrusques  le  dieu  de  l'enfer 
est  représenté  armé  d'un  marteau  à  manche  court;  c'est  le  même 
instrument  dont  se  servit  Valéria  Luperca ,  et  les  médailles  lui  don- 
nent précisément  la  forme  de  Yascia  des  tombeaux.  M.  Barthélémy 
en  conclut  que  la  formule  sub  ascia  dedicavit  est  une  consécration  par 
laquelle  le  monument  et  le  défunt  sont  mis  sous  la  protection  des 
dieux  infernaux.  Il  observe  que  l'on  trouve  le  mot  vale  sur  ces  mo- 
numents funéraires,  mot  que  prononçait  Valéria  en  touchant  les 
malades.  Tout  ce  travail  est  extrêmement  ingénieux  et  mérite  d'être 
mûrement  étudié. 

Les  inscriptions  phéniciennes  puniques,  numidiquesy  expliquées  par 
une  méthode  incontestable ,  par  le  général  Duvivier.  Paris,  1846, 
in-8°. 

La  presse  quotidienne  ayant  fait  grand  bruit  à  l'occasion  de  ce  tra- 
vail ,  il  est  nécessaire  que  nous  en  disions  quelques  mots.  On  s'abu- 
serait fort  si  l'on  croyait  trouver  dans  la  brochure  de  seize  pages 
imprimée  par  le  général  Duvivier  des  textes  phéniciens,  accompagnés 
de  lectures  et  d'une  traduction  mise  en  regard.  M.  Duvivier  se  borne 
à  donner  ses  traductions  sans  faire  intervenir  le  texte  en  aucune 
façon  dans  son  travail.  Ce  sont  des  résultais  qu'il  publie,  se  réser- 
vant de  faire  connaître  plus  tard  son  alphabet  et  sa  méthode.  Disons 
seulement  que  tout  d'abord  on  a  peine  à  concevoir  comment  l'auteur 
peut  obtenir  un  texte  français  dans  lequel  il  entre  plus  de  mots  que 
l'on  ne  compte  de  lettres  dans  l'inscription  phénicienne  qu'il  traduit. 
Nous  ne  relèverons  qu'en  passant  l'erreur  singulière  qui  a  fait  pren- 
dre pour  l'impératrice  Irène  de  Constantinople  une  femme  de  quelque 
marchand  phénicien,  enterrée  au  Pirée.  11  y  a  là  un  mécompte  d'un 
millier  d'années,  et  personne  ne  sera  tenté  de  croire  que  du  temps 
de  Charlemagne  on  gravait  encore  à  Athènes,  ou  même  en  quelque 


BIBLIOGRAPHIE.  59 

lieu  que  ce  soit,  des  épitaphes  phéniciennes.  Mais  nous  repousserons 
avec  insistance  une  tendance  fâcheuse  qui  se  remarque  dans  cet 
opuscule  et  qui  consiste  à  appeler  le  dénigrement  et  le  ridicule  sur 
l'étude  des  langues  anciennes  et  étrangères.  En  effet,  nous  voyons 
les  noms  phéniciens  qualifiés  à  plusieurs  reprises  de  burlesques,  et 
en  conséquence  complètement  proscrits  par  le  traducteur  qui  ne  veut 
pas  admettre  que  des  particuliers  aient  fait  graver  des  inscriptions 
funéraires  en  l'honneur  de  leurs  parents,  qui  ne  comprend  pas 
que  des  peuples  «  aient  pu  employer  leur  temps  et  leur  argent  à  pa- 
reilles inutilités.  » 

D'après  cette  théorie,  il  faudrait  rayer  des  corpus  inscriptionum  de 
Bœckh  et  de  Gruter  toutes  les  inscriptions  grecques  et  latines  desti- 
nées à  rappeler  la  mémoire  des  morts,  c'est-à-dire  plus  de  la  moitié 
de  ces  collections  épigraphiques.  Nous  attendons  que  M.  Duvivier 
ait  publié  son  alphabet  et  sa  méthode  pour  dire  ce  que  nous  pensons 
de  ses  résultats. 

Notice  sur  quelques  médailles  antiques  et  quelques  monnaies  du  moyen 
âge  inédites,  rares,  ou  d'intérêt  local,  etc.,  par  M.  le  baron 
Chaudruc  de  Crazannes.  Castelsarrasin,  1845,  in-8°. 

Une  soixantaine  de  monnaies  antiques  et  du  moyen  âge,  découvertes 
à  Saint-Antonin  (Tarn-et-Garonne),  ont  fourni  à  M.  de  Crazannes 
le  sujet  de  cette  notice  intéressante  à  plusieurs  égards.  Nous  ne  par- 
lerons pas  des  médailles  consulaires  et  impériales  qui  sont  toutes 
très-connues  et  ne  donnent  lieu  à  aucune  observation.  Un  tiers  de 
sol  d'or  mérovingien  du  Gévaudan,  portant  une  tête  sans  légende, 
présente  au  revers  un  nom  de  monétaire  qui ,  jusqu'à  présent ,  avait 
été  lu  Vencemius  ou  Vendemius,  et  que  l'auteur  croit  être  Venœmius; 
leçon  qui  ne  nous  paraît  peut-être  pas  autorisée.  Un  autre  tiers  de  sol 
d'or,  également  frappé  en  Gévaudan ,  porte  le  nom  de  Charibertus 
rex,  et  au  revers  un  calice  à  deux  anses,  avec  la  légende  Leugosus 
moneta;  c'est,  comme  le  fait  observer  M.  de  Crazannes,  un  nouvel 
exemple  de  l'usage  où  furent  les  officiers  monétaires  de  placer  leur 
nom  sur  des  monnaies  où  figurait  déjà  celui  du  roi;  usage  ancien, 
puisqu'il  apparaît  sur  la  monnaie  de  l'empereur  Maurice.  M.  de 
Crazannes,  décrivant  ensuite  des  monnaies  attribuées  depuis  long- 
temps aux  évèques  de  Maguelone ,  pense  que  le  denier  et  l'obole 
«  ont  été  frappés  à  Narbonne  pour  et  par  les  premiers  comtes  de 
Toulouse  du  nom  de  Raymond,  ou  par  les  anciens  vicomtes  de 


60  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Narbonne  du  môme  nom  :  ce  sont  de  très- vieux  raymondins  d'une 
fabrication  barbare.  »  L'auteur  ajoute  :  «  M.  de  Longpérier  est 
disposé  à  attribuer  ce  denier  et  cette  obole  à  Raymond  Ier,  vi- 
comte de  Narbonne,  à  la  fin  du  Xe  siècle  et  au  commencement 
du  XIe.  »  Nous  avons,  en  effet,  lu,  comme  M.  de  Crazannes, 
sur  les  deniers  attribués  à  Melgueil ,  les  mots  ramvnds-narbonà  , 
que  l'on  avait  pris  autrefois  pour  des  légendes  arabes ,  mais  nous  en 
avons  conclu  que  ces  monnaies  étaient  des  copies  de  celles  de 
Raymond  Ier,  et  non  pas  qu'elles  avaient  été  frappées  de  son  temps , 
ce  qui  est  fort  différent.  Une  véritable  monnaie  d'argent  de  Ray- 
mond 1er  conservée  dans  le  cabinet  de  feu  M.  Dassy,  offre,  comparée 
aux  deniers  attribués  à  Maguelone ,  une  diversité  de  style  qui  ne 
peut  s'expliquer  que  par  un  siècle  d'intervalle.  Les  deniers  melgoriens 
ou  de  Maguelone  ne  sont  en  effet,  suivant  Papon  et  Fauris  de 
Saint-Vincens ,  mentionnés  dans  les  actes  que  pendant  les  XIIe  et 
XIIIe  siècles.  Or,  bien  que  les  monnaies  dont  il  est  ici  question 
soient  des  imitations  de  la  monnaie  de  Narbonne  et  portent  le  nom 
de  Raymond,  elles  ont  pu  être  frappées  à  Maguelone  par  les  évêques 
de  cette  ville.  Cette  nouvelle  manière  de  voir  résulte  pour  nous  de  la 
connaissance  d'un  sceau  de  Jean  II  de  Montlaur,  évoque  de  Mague- 
lone, au  revers  duquel  on  voit  cette  croix  formée  d'un  jambage 
droit,  accosté  de  deux  petites  mitres;  croix  qui  semble  particulière  à 
cette  localité,  et  que  l'on  remarque  sur  les  deniers  et  oboles  dont 
nous  parlons.  On  sait ,  du  reste,  qu'une  des  causes  qui  ont  fait  com- 
mettre les  plus  grandes  erreurs  dans  la  classification  des  monnaies 
du  moyen  âge,  c'est  l'habitude  que  l'on  a  d'attribuer  à  tel  ou  tel 
prince  toutes  les  monnaies  qui  portent  son  nom ,  tandis  qu'une  étude 
un  peu  attentive  des  pièces  mômes  démontre  que  bon  nombre  d'entre 
elles  ont  été  frappées  bien  longtemps  (quelquefois  plusieurs  siècles) 
après  la  mort  du  personnage  pour  qui  leur  type  a  d'abord  été  mis  en 
usage. 

Description  de  monnaies  du  XIVe  siècle,  découvertes  à  Buissoncourt 
(Meurthe),  par  M.  G.  Roun.  1845,  in-8n. 

On  découvrit  à  Buissoncourt,  au  mois  de  mai  1845  ,  cent  quatre- 
vingts  pièces  d'argent  du  XIVe  siècle,  et  à  un  mètre  environ  au- 
dessous,  trente-quatre  llorins  d'or  fin  delà  môme  époque,  renfermés 
dans  un  vase  de  terre.  Parmi  ces  pièces,  il  se  trouvait  dix  variétés  de 
monnaies  inédites  dont  M.  Rolin  donne  la  description  :  ce  son 


BIBLIOGRAPHIE.  61 

d'abord  des  florins  d'or  de  Jean  Ier,  due  de  Lorraine,  avec  la  légende  : 
iohes.  lot.  dvx.  et  IEN.  dvx.  loïtr.  —  Des  gros  blancs  du  même 
prince,  frappés  à  Neufchâteau  et  à  Prény,  portent  :  moneta  novichas 
et  moneta  prinei.  —  Le  demi-gros,  le  tiers  de  gros,  le  denier  avec 
l'écu  heaume,  l'obole  du  même  Jean  Ier.  —  Une  obole  de  Jean  de 
Bourgogne ,  comte  de  Vaudémont.  —  Un  double  denier  d'Adhémar, 
évêque  de  Metz,  frappé  à  Marsal. 

Note  sur  un  denier  inédit  de  Manassès  I,  archevêque  de  Reims, 
par  M.  Doquenelle.  Reims,  1845,  in-8. 

Nous  avons  publié  en  1840  dans  la  Reçue  numismatique  une  No- 
tice sur  les  monnaies  de  la  ville  de  Reims,  et  nous  y  signalions  l'ab- 
sence des  monnaies  de  Gui  II ,  archevêque  de  cette  antique  cité. 
M.  Duquenelle  vient  combler  cette  lacune  en  donnant  le  dessin  et  la 
description  d'un  denier  qui ,  avec  le  type  ordinaire  des  prélats  de 
Reims,  porte  le  nom  gvidonis,  écrit  en  deux  lignes.  Le  même  nu- 
mismatiste  fait  encore  connaître  un  denier  de  grand  module  sur 
lequel  on  lit  d'un  côté  aia-ses  en  deux  lignes  avec  la  légende  circu- 
laire archipresvl,  et  au  revers  :  vita  xpiana  autour  d'une  croix; 
il  l'attribue  à  Manassès  I  (1069-83),  tandis  qu'il  restitue  à  Manas- 
sès Il  un  denier  que  nous  avons  publié  et  sur  lequel  ce  prélat  est 
qualifié  du  titre  à'archiepiscopus.  Cette  opinion  ne  laisse  pas  que  de 
soulever  quelques  difficultés  que  M.  Duquenelle  ne  paraît  pas  avoir 
entrevues.  Ainsi  la  pièce  que  nous  avons  publiée  porte,  outre  le  nom 
de  Manassès,  le  monogramme  de  Gervais  (  1055-67),  prédécesseur 
immédiat  de  Manassès  I.  On  conçoit  que  ce  monogramme  ait  été 
copié  sous  ce  dernier  archevêque  ;  mais  comment  serait-il  revenu 
sur  la  monnaie  de  Manassès  II  (1096-1106),  après  que  les  deux 
prélats  qui  le  précèdent  et  le  séparent  de  Gervais,  à  savoir  Manas- 
sès I  et  Rainaud  (1067-1096),  auraient  adopté  d'autres  types?  Nous 
ne  prétendons  nullement  nous  opposer  à  la  restitution  proposée  par 
M.  Duquenelle,  mais  nous  engageons  les  numismatistes  à  examiner 
la  question  et  à  nous  aider,  s'ils  le  peuvent,  à  la  résoudre. 

Pendant  que  nous  nous  occupons  de  ce  sujet ,  il  nous  paraît  con- 
venable dédire  quelques  mots  des  incroyables  critiques  dont  l'expli- 
cation de  certaines  monnaies  frappées  par  le  comte  Eudes  de  Cham- 
pagne (explication  donnée  par  M.  de  Saulcy),  a  été  l'objet  dans  les 
séances  du  dernier  congrès  scientifique,  tenu  à  Reims.  Ces  monnaies 
portent  pour  légende  odo-comes,  et  au  revers  remis  civita.  Or, 


(ri  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

M.  de  Saulcy  a  pense  que  ces  légendes  s'appliquaient  très-bien  à 
Eudes  II,  comte  de  Blois  et  de  Champagne  (1019-37),  seigneur 
ambitieux  qui  s'emparait  de  toutes  les  villes  à  sa  convenance.  On 
oppose  à  cela  que  le  droit  monétaire  exercé  par  Eudes  à  Reims  n'est 
constaté  par  aucun  document  diplomatique.  Cette  raison  est  complè- 
tement insignifiante,  car  l'existence  d'un  très-grand  nombre  de 
monnaies  du  moyen  âge,  d'attribution  parfaitement  certaine,  ne 
saurait  être  appuyée  par  aucune  charte.  A.  L. 

Panorama  d'Egypte  et  de  Nubie,  texte  et  planches  in-fol.  ;  par  Hector 
Horeau,  architecte.  10e  livraison.  Paris,  l'auteur. 

Cet  ouvrage,  composé  d'une  suite  de  vues  imprimées  au  ton  local , 
et  accompagné  d'un  texte  descriptif,  présente  à  tous  les  yeux  une  idée 
réelle  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie;  il  offre  de  précieux  souvenirs  à  qui 
connaît  déjà  cette  intéressante  contrée,  et  peut  rendre  quelques  ser- 
vices aux  nombreux  voyageurs  qui  explorent  maintenant  l'Egypte  et 
la  Nubie. 

Les  souscripteurs  au  travail  de  M.  Horeau  lui  sauront  gré  de  l'acti- 
vité qu'il  met  à  terminer  cette  magnifique  publication ,  dont  dix  livrai- 
sons sur  douze  sont  en  vente.  La  dixième  livraison ,  que  nous  avons 
sous  les  yeux,  contient  les  vues  suivantes  :  Garthassy,  Taffa,  Kalap- 
ché ,  Guirchë ,  Dakké  et  Korté.  Le  texte  qui  accompagne  ces  planches 
est  orné  des  plans  des  monuments  qui  y  sont  représentés  et  de  nom- 
breuses vignettes  d'une  parfaite  exécution ,  parmi  lesquelles  on  re- 
marque une  petite  chapelle  dans  les  carrières  de  Garthassy,  une  ville 
ruinée  au  nord  de  Taffa ,  et  une  petite  Nubienne  gardant  les  champs. 

Antiquités  de  Bheinzabern,  dessinées  sous  la  direction  de  feu  Schweig- 
haeuscr,  correspondant  de  l'Institut,  in-4°  de  quinze  planches  et 
quatre  pages  de  texte  descriptif.  Paris,  Leleux. 

Les  fouilles  qui  ont  été  exécutées  à  diverses  époques  à  Rheinza- 
bern,  bourg  de  la  Bavière  rhénane,  ont  fait  découvrir  un  grand  nom- 
bre de  monuments  curieux ,  aujourd'hui  dispersés  dans  plusieurs  col- 
lections publiques  et  particulières.  M.  Schweighaeuser  avait  fait 
dessiner  tous  ces  objets  avec  soin,  dans  l'intention  de  les  publier, 
lorsque  la  mort  est  venue  trop  tôt  l'enlever  à  la  science.  M.  Matter, 
inspecteur  général  des  bibliothèques  de  France ,  a  bien  voulu  se  char- 
ger de  recueillir,  dans  les  manuscrits  de  l'illustre  savant,  la  descrip- 
tion de  ces  monuments  que  nous  livrons  aujourd'hui  à  l'étude  des  ar- 
chéologues. L.  L. 


BIBLIOGRAPHIE.  63 

Peinture  sur  verre  au  XIXe  siècle,  quelques  réflexions,  par  M.  G.  'Bon- 
temps,  directeur  de  la  fabrique  de  Choisy-le~Roi.  Paris,  1 845,  in-8. 

C'est  un  véritable  bonheur  que  les  hommes  initiés  par  une  longue  et 
intelligente  pratique  aux  procédés  de  l'art,  veuillent  bien  se  distraire 
un  instant  de  leurs  travaux,  pour  donner  aux  archéologues  et  aux 
historiens  de  l'art,  quelques  conseils,  dans  le  but  de  les  éclairer  de 
leurs  lumières.  Car  la  connaissance  des  procédés  techniques  est  une 
chose  qui  manque  presque  complètement  à  la  classe  des  érudits. 
Combien  de  savants  auteurs  de  dissertations  sur  l'art ,  sur  les  révo- 
lutions qu'il  a  subies,  sont  complètement  ignorants  des  moyens  qu'il 
a  mis  en  œuvre,  dés  méthodes  qu'il  a  suivies.  Or,  cette  absence  de 
connaissances  pratiques  occasionne  souvent  les  plus  fâcheuses  erreurs 
et  déconsidère   leurs  estimables  recherches  aux  yeux  des  hommes 
du  métier.  Les  réflexions  que  nous  présente  M.  G.  Bontemps ,  l'ha- 
bile directeur  de  la  fabrique  de  Choisy,  doivent  être  mises  au  nombre 
de  celles  qui  sont  d'une  utilité  véritable  pour  les  antiquaires.  Cet 
artiste  a  tracé  en  quelques  pages  et  d'une  manière  fort  heureuse,  le 
caractère  des  diverses  phases  que  nous  offre  la  peinture  sur  verre.  Il 
nous  fait  voir  celle-ci  arrivée  à  son  degré  de  plus  haute  perfection 
au  XIIe  siècle,  et  perdant,  à  partir  de  cette  époque,  cette  unité  de 
composition ,  cette  entente  profonde  de  l'ensemble  et  de  la  disposition 
des  sujets,  qui  brillait  auparavant  dans  ses  verrières.  A  mesure  que 
nous  approchons  de  la  renaissance ,  M.  Bontemps  suit  les  modifica- 
tions que  cet  art  subit,  les  changements  qui  s'opèrent  dans  ses  pro- 
cédés. Puis  il  analyse  rapidement  les  tentatives  faites  dans  ces  derniers 
temps  pour  rendre  à  cet  art  si  oublié  que  l'on  croyait  ses  secrets  per- 
dus, un  peu  de  son  éclat  primitif.  Cette  analyse  lui  fournit  l'occasion 
de  rechercher  s'il  y  a  dans  les  moyens  que  nous  avons  actuellement 
à  notre  disposition,  des  éléments  suffisants  pour  restituer  à  la  pein- 
ture sur  verre  son  ancien  lustre.  Son  résultat  est  affirmatif ,  et  il 
nous  démontre  qu'il  ne  nous  manque  plus  qu'un  grand  artiste  pour 
les  mettre  en  œuvre  et  pour  fonder  une  école  qui  soit  non  pas  tant 
l'héritière  des  Pinaigrier,  des  Jean  Cousin,  des  Bernard  Palissy,  que 
celle  des  grands  maîtres  inconnus  du  XIIe  siècle.  Nous  ne  louerons  pas 
l'auteur  d'avoir  fait  preuve  d'une  intelligence  profonde  de  l'art  du  ver- 
rier, on  devait  s'y  attendre,  mais  d'avoir  déployé  dans  cet  opuscule  une 
érudition  qu'on  ne  pensait  pas  rencontrer  chez  un  praticien,  jointe  à 
une  justesse  de  goût,  de  critique  artistique  qui  y  ajoute  un  nouveau 
prix.  Nous  sommes  moins  exclusivement  amateur  que  lui  de  l'art  chré- 


64  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tien  du  moyen  âge,  nous  préférons  les  images  vraies  et  pures  de  la 
plastique  antique,  aux  formes  naïves  mais  sèches,  aux  ligures  pieuses 
mais  froides  de  l'école  ecclésiastique ,  tout  en  reconnaissant  le  gran- 
diose et  la  majesté  des  œuvres  architectoniques  de  son  époque.  Nous 
ne  pensons  pas  que  l'élément  purement  spirituel  soit  au  fond  favo- 
rable à  l'art ,  et  nous  en  sommes  d'autant  plus  persuadé  ,  que  nous 
voyons  le  christianisme  obligé  pour  ne  pas  briser  avec  l'art,  de  descendre 
de  la  sublimité  de  ses  conceptions  intellectuelles  à  des  conceptions 
plus  anthropomorphistes.  Mais  nous  désirons  sincèrement  que  les 
chefs-d'œuvre  de  la  verrerie  peinte  viennent  rendre  aux  temples  ces 
heureux  effets  de  teintes  colorées,  de  clair-obscur,  de  jours  variés 
qui  leur  impriment  un  cachet  plus  religieux  ,  qui  jettent  sur  leur 
sanctuaire  ce  caractère  mystérieux  qui  élève  l'âme  à  de  pieuses  mé- 
ditations. Cela  n'aura  lieu  qu'autant  que  la  peinture  sur  verre  aura 
retrouvé  son  ancienne  splendeur.  M.  Bontemps  nous  a  fait  voir 
que  les  moyens  de  cette  renaissance  existent  encore,  et  son  érudition, 
son  savoir  pratique  nous  ont  habilement  conduit  au  fond  de  ses  ate- 
liers où  ces  moyens  se  dérobent  à  nos  regards. 

Alfred  Maury. 

Dictionnaire  de  V Arclûtecture  du  moyen  âge,  contenant  tous  les  termes 
techniques  dont  l'intelligence  est  nécessaire  pour  faire  comprendre  les 
descriptions  des  monuments  religieux ,  civils  et  militaires ,  avec  des 
explications  détaillées  et  de  nombreux  renseignements  archéologi- 
ques, par  A.  Berty;  1  vol.  in-8°,  orné  de  près  de  300  gravures 
sur  bois.  Paris,  Derache. 

il  est  impossible  d'étudier  aucun  art,  aucune  science,  sans  un 
Dictionnaire  qui  en  explique  les  termes  consacrés.  On  s'étonnait 
qu'au  milieu  de  tant  d'ouvrages  qui  traitent  de  l'archéologie  au 
moyen  âge,  on  ne  trouvât  pas  en  France  un  dictionnaire  qui  en 
donnât  la  clef  d'une  manière  prompte,  facile,  et  surtout  élémentaire; 
tandis  qu'en  Angleterre  plusieurs  livres  de  ce  genre  sont  depuis  long- 
temps en  circulation.  Quelques  ouvrages  renferment,  il  est  vrai, 
des  indications  très-abrégées  de  mots  techniques;  mais  il  n'existait 
pas  d'ouvrage  spécial  et  complet.  M.  A.  Berty  vient  enfin  de  combler 
cette  lacune  d'une  manière  tout  â  fait  satisfaisante.  Ses  gravures  sont 
bien  exécutées  et  les  explications  qui  les  accompagnent  sont  claires  et 
précises.  Le  public  confirmera  sans  doute  notre  opinion  et  encoura- 
cera  le  livre  et  l'auteur,  comme  ils  nous  semblent  le  mériter. 
6  L.  J.  G. 


EXAMEN 

DES  ÉCRITS  DE  KLAPROTH 

SUR 
LA   DÉCOUVERTE   DE   CHAMPOLLION   LE   JEUNE. 

(Suite  et  fin.) 

Nous  voici  enfin  arrivés  au  coup  de  grâce  que  Klaproth  préten- 
dait porter  à  la  découverte  de  Charapollion.  Je  transcris  (B.  23  )  : 

«  D'abord  M.  Champollion  n'a  jamais  paru  d'accord  avec  lui-même 
sur  l'étendue  de  sa  découverte.  Dans  l'introduction  de  son  Précis  du 
système  hiéroglyphique  des  anciens  Egyptiens  (p.  11),  il  disait: 
«Que  son  alphabethiéroglyphique  s'applique  aux  légendes  royales  hié- 
roglyphiques de  toutes  les  époques;  que  la  découverte  de  l'alphabet 
phonétique  des  hiéroglyphes  est  la  véritable  clef  de  tout  le  système 
hiéroglyphique  ;  que  les  Égyptiens  l'employèrent  à  toutes  les  époques 
pour  représenter  alphabétiquement  les  sons  des  mots  de  leur  langue 
parlée.  Au  commencement  du  8e  chapitre  de  l'ouvrage  (lre  éd.,  p.  131, 
2e  éd.,  p.  184)  on  lit,  au  contraire  (je  prie  le  lecteur  de  remarquer 
cet  au  contraire)  ;  j'avoue,  en  effet,  qu'on  ne  sait  point  encore  d'une 
manière  certaine  si  les  inscriptions  et  les  textes  hiéroglyphiques  dans 
lesquels  je  trouve  des  mots  égyptiens  exprimés  phonétiquement,  re- 
montent au  temps  des  Pharaons,  rois  de  race  égyptienne,  ou  seule- 
ment à  l'époque  grecque,  comme  l'inscription  de  Rosette,  l'obélisque 
de  Philae ,  les  temples  d'Ombos  et  d'Edfou ,  ou  bien  à  l'époque  ro- 
maine, comme  les  obélisques  Àlbani,  Borgia,  Pamphili,  Barberini, 
celui  deBénévent,  une  partie  des  édifices  de  Philae,  et  les  temples 
d'Esné  et  de  Dendera.  Mais  il  y  a  deux  moyens  bien  simples  de  dé- 
cider cette  question  et  de  prouver  en  même  temps  que  l'écriture 
hiéroglyphique  était  et  a  toujours  été  phonétique ,  en  très-grande 
partie ,  sous  les  Pharaons  eux-mêmes,  etc.  » 

Voici  à  quoi  est  fort  adroitement  substitué  cet  et  cœtera:  «Ces  moyens 
consistent  d'abord  à  retrouver  les  mêmes  groupes  phonétiques  déjà 
observés  sur  des  monuments  dont  l'époque  nous  est  inconnue,  dans 
les  légendes  inscrites  sur  des  constructions  qui  appartiennent  sans 
difficulté  aux  anciennes  époques  pharaoniques,  et  en  second  lieu  à 
ni.  5  ' 


06  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

établir  plus  positivement  encore  la  haute  antiquité  de  ces  construc- 
tions par  la  lecture  môme  des  noms  hiéroglyphiques  des  rois  qui  les 
ont  fait  élever ,  noms  qui  en  recouvrent  pour  ainsi  dire  toutes  les  par- 
ties. Je  crois  être  en  état  d'employer  l'un  et  l'autre  de  ces  moyens;  les 
savants  jugeront  jusqu'à  quel  point  j'ai  su  le  faire  avec  succès.  »  Or, 
pour  quiconque  lira  le  8e  chapitre  du  Précis  de  Champollion  avec 
bonne  foi,  la  réponse  ne  saurait  être  douteuse.  Oui,  certainement 
oui,  l'auteur  du  Précis  démontre  surabondamment  le  fait  qu'il  énonce. 
Ouest  donc  alors  la  contradiction  que  Klaproth  croit  avoir  découverte? 
dans  son  imagination  seulement. 

Du  reste,  après  cet  et  cœtera  si  subtilement  imaginé,  Klaproth 
se  borne  à  dire  :  et  M.  Champollion  s'est  efforcé  à  la  vérité  de  prouver 
la  dernière  assertion  contenue  dans  ce  passage  ;  mais  les  explications 
des  hiéroglyphes  qu'il  allègue  à  cet  effet,  ne  sont  pour  la  plupart 
que  conjecturales;  il  n'y  suit  pas  cette  marche  de  démonstration  ri- 
goureuse si  nécessaire  quand  il  s'agit  d'une  découverte  encore  con- 
testée. »  Ceci  est  matériellement  faux  de  tout  point,  et  Klaproth  eût 
été  bien  en  peine  de  fournir  une  seule  preuve  de  ce  qu'il  avançait. 

Là  se  termine  l'avant-propos  du  critique ,  et  le  paragraphe  suivant 
(  A.  6 ,  B.  23  )  sert  d'introduction  à  la  série  des  fautes  que  le  savaut 
philologue  prétend  relever. 

et  Pour  démontrer  le  peu  de  fond  des  conjectures  qui  se  trouvent 
dans  les  ouvrages  que  M.  Champollion  a  publiés  sur  la  littérature  et 
les  antiquités  égyptiennes ,  il  faudrait  peut-être  écrire  autant  de  pages 
que  ce  savant  en  a  rempli  de  ses  recherches.  Je  dois  donc  me  con- 
tenter ici  d'en  donner  quelques  preuves  frappantes.  Il  serait  facile 
d'en  augmenter  le  nombre  ;  mais  le  peu  qu'on  va  lire  suffira  pour 
juger  le  degré  de  confiance  que  méritent  en  général  les  travaux  de  ce 
savant.  » 

Il  n'est  guère  possible  d'être  plus  impertinent  que  ne  l'est  ici  le 
savant  Klaproth,  et  l'on  est  en  droit  de  s'étonner  de  l'outrecuidance 
qu'il  laisse  paraître ,  quand  on  examine  de  près ,  comme  je  viens  de 
le  faire ,  ce  qu'il  y  a  au  fond  de  l'écrit  dans  lequel  sont  insérées  ses 
malencontreuses  attaques  contre  la  découverte  de  Champollion. 

Je  vais  maintenant  passer  très-rapidement  en  revue  tous  les  faits 
sur  lesquels  Klaproth  s'est  cru  autorisé  à  dire  son  opinion ,  et  quand 
j'aurai  bien  démontré  que  presque  toujours  ses  objections  sont  de 
nulle  valeur,  je  démontrerai  fort  nettement  et  sans  réplique,  que 
maître  Klaproth,  qui  fait  si  bien  l'entendu  en  fait  de  copte,  n'en 
connaissait  guère  que  l'alphabet,  et  que  les  fègles  grammaticales 


EXAMEN   DES   ECRITS  DE   KLAPROTH.  67 

les  plus  simples  de  cette  langue  étaient  lettres  closes  pour  lui.  11  me 
suffira  de  reproduire  quelques-unes  des  énormités  et  des  lourdes  bé- 
vues échappées  à  son  immense  érudition,  pour  faire  passer  dans  l'es- 
prit de  tous  mes  lecteurs  cette  conviction  qui ,  j'en  ai  bien  peur,  en- 
lèvera une  bonne  partie  de  leur  importance  aux  dires  de  cet  illustre 
et  très-estimable  philologue. 

Comme  fort  probablement  Klaproth  a  fait  usage  dans  sa  deuxième 
édition  de  tout  ce  qu'il  avait  acquis  de  science  hiéroglyphique,  il  de- 
vrait être  permis ,  à  partir  de  ce  moment ,  de  faire  abstraction  de  la 
première  édition  de  son  écrit ,  qui  s'est  d'ailleurs  considérablement 
développé  et  sans  doute  amélioré  ,  avant  d'être  offert  pour  la  seconde 
fois  au  public  lettré  ;  mais  en  le  faisant  on  perdrait  une  foule  de  gen- 
tillesses et  d'expressions  de  bon  goût  dont  je  ne  me  crois  pas  le  droit 
de  priver  mes  lecteurs. 

Les  pages  27  à  45  (B.)  contiennent  ce  que  Klaproth  intitule  : 
Observations  sur  l'alphabet  phonétique.  Voici  comment  il  entre  en 
matière  : 

(c  En  annonçante  découverte  de  l'alphabet  phonétique  des  anciens 
Égyptiens,  en  le  faisant  graver  dans  sa  lettre  à  M.  Dacier ,  et  en  le 
reproduisant  avec  des  augmentations  dans  la  première  édition  du 
Précis,  M.  Champollion  autorisait  ses  lecteurs  à  penser  qu'il  était 
au  moins  sûr  de  la  valeur  qu'il  assignait  aux  différents  caractères  qui 
composent  son  alphabet  des  hiéroglyphes  phonétiques  contenu  dans 
les  dix  dernières  planches  (A — K  )  de  cet  ouvrage.  Ce  n'est  cependant 
pas  le  cas,  plusieurs  de  ces  signes  ont  été  supprimés  ou  changés  dans 
la  seconde,  de  manière  qu'on  aurait  pu  s'attendre  à  voir  dans  une 
troisième  encore  plusieurs  autres  éléments  phonétiques  disparaître  ou 
en  remplacer  d'autres  selon  la  convenance  de  l'auteur.  » 

Ce  préambule  est  d'une  honnêteté  touchante,  on  en  conviendra* 
En  effet,  si  nous  en  croyons  Klaproth,  Champollion,  à  mesure  qu'il 
avançait  dans  ses  recherches ,  faisait  disparaître  de  son  alphabet  des 
éléments  phonétiques  ou  en  remplaçait  quelques-uns  par  d'autres, 
selon  sa  convenance!  C'est  toujours  le  même  reproche  de  n'avoir  pas 
recomposé  de  toutes  pièces ,  et  d'un  seul  coup ,  l'alphabet  égyptien 
complet.  Ainsi,  sous  peine  d'être  blâmé  par  l'illustre  philologue,  il 
fallait  tout  trouver  à  la  fois  et  sur-le-champ,  sans  commettre  la  moindre 
petite  erreur.  Or,  je  maintiens,  moi,  qu'une  exigence  semblable, 
formulée  au  sujet  d'une  découverte  aussi  importante  et  surtout  aussi 
difficile  que  celle  de  Champollion ,  ne  peut  venir  que  d'un  niais  ou 
d'un  méchant  homme,  habitué  à  dénigrer  tout  ce  qui  n'émane  pas 


68  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

de  lui.    Klaproth  n'était  pas  un  niais;  il  faut  donc  de  toute  néces- 
sité lui  appliquer  la  seconde  qualihcation. 

Qu'eût  dit  Klaproth,  je  le  demande,  si  Champollion  lui  eût  laissé 
la  satisfaction  de  relever  les  fautes  qui  s'étaient  glissées  forcément, 
je  n'hésite  pas  à  le  dire,  dans  la  rédaction  de  son  premier  alphabet? 
il  eût  bien  autrement  triomphé.  Mais  Champollion  ayant  usé  du 
mauvais  procédé  qui  consiste  à  se  corriger  soi-même  toutes  les  fois 
qu'on  le  peut,  il  ne  restait  plus  à  Klaproth  qu'un  moyen,  détes- 
table il  est  vrai,  de  profiter  de  ces  premières  fautes,  et  ce  moyen 
c'était  de  constater  à  la  fois  leur  existence  première  et  leur  dispari- 
tion; envieux  maladroit,  qui  ne  comprenait  pas  que  ce  qu'il  croyait 
un  blâme  constituait  un  véritable  éloge.  Du  reste ,  veut-on  connaître 
la  mesure  des  modifications  successives  de  cet  alphabet  phonétique , 
et  de  ce  que  Klaproth  appelle  si  vaguement  des  augmentations?  voici 
des  chiffres  instructifs  qui  la  fourniront  : 

La  lettre  à  M.  Dacier  (1822)  contient  un  alphabet  de  soixante- 
trois  signes  phonétiques  ; 

La  première  édition  du  Précis  (1824)  en  contient  145; 

La  deuxième  édition  (1828)  est  identique,  aux  corrections  près  in- 
diquées par  Klaproth,  et  dont  nous  allons  constater  la  légitimité; 

La  grammaire  (rédigée  en  1831  )  en  contient  260,  sans  compter 
les  variétés  de  forme  ; 

Et  enhn  l'alphabet  de  Salvolini  (183ti),  que  l'on  peut,  sans  risquer 
de  se  compromettre ,  attribuera  Champollion  lui  même,  303. 

Il  est  donc  clair  que  l'alphabet  phonétique  de  Champollion  a  exigé 
quatorze  années  d'un  travail  non  interrompu,  pour  arriver  au  point 
de  perfection  où  il  est  parvenu  maintenant,  et  que  par  conséquent  les 
modifications  successives  signalées  par  Klaproth  comme  autant  de 
signes  certains  de  défectuosité,  ne  sont,  au  contraire,  que  les  indices 
d'un  progrès  assuré ,  parce  qu'il  était  lent. 

Je  passe  à  l'énumération  des  erreurs  imputées  par  Klaproth  à 
Champollion.  L'œil  sans  cil  -*>-  était  une  S  dans  la  première  édition  , 
il  devient  dans  la  seconde  une  voyelle  vague.  Effectivement  sa  valeur 
alphabétique  est  A,  E,  I,  ainsi  que  Salvolini  le  démontre  dans  la 
discussion  de  son  alphabet  phonétique  (n°  48)  (1).  Champollion  a 

(1)  Salvolini  (dans  son  analyse  ,  etc.)  ayant  pris  le  soin  de  donner  in  eœlcvso  la 
démonstration  des  valeurs  alphabétiques  adoptées  par  Champollion  ,  je  me  bornerai 
à  citer  le  numéro  du  paragraphe  qui  dans  son  livre  concerne  chacune  des  valeurs 
contre  lesquelles  Klaproth  s'inscrit  en  faux.  De  la  sorte ,  le  lecteur  pourra  vérifier 
par  lui-même  que  l'illustre  critique  n'a  pas  eu  une  heureuse  idée  en  relevant  les 
prétendues  contradictions  de  Champollion. 


EXAMEN   DES    ECRITS   DE    KLAPROTH.  69 

donc  bien  fait  de  renoncer  à  la  valeur  S  qui  était  fausse  et  qu'il 
avait  reconnue  pour  telle. 

Dans  la  série  des  S,  l'œil  est  remplacé  par  la  figure  %  de  laquelle 
il  serait  difficile  de  dire  ce  qu'elle  représente.  Nous  venons  de  voir  que 
l'œil  est  l'image  d'une  voyelle  vague ,  il  fallait  donc  le  faire  dispa- 
raître de  la  série  des  S  ;  quant  au  signe  qui  l'y  a  remplacé,  Klaproth 
demande  ce  qu'il  représente?  un  S  (Salvolini ,  n°  137),  parce  que 
c'est  la  figure  d'un  œuf  et  qu'un  œuf  se  dit  CCIaCT*^. 

Le  signe  1  qui  était  un  A  dans  la  première  édition  du  Précis,  ne  pa- 
raît plus  dans  la  seconde,  parce  qu'effectivement  sa  valeur  est  encore 
inconnue,  et  s'il  a  fait  place  à  v ,  c'est  que  ce  dernier  est  bien 
légitimement  un  A,  puisque  l'on  trouve,  à  Philes,  le  nom  d'An- 
tonin  écrit  : 

^^^^ Salvolini ,  n°  48.) 

Le  signd  - £,  lu  d'abord  D  ou  T,par  Champollion,  est  donné 

toujours  par  lui  pour  un  M ,  depuis  la  seconde  édition  du  Précis  ;  en 
cela  il  a  parfaitement  raison  (Salvolini,  n°  100). 

L'oiseau  "W^  se  trouve  dans  la  première  édition  parmi  les  H  (n°  55). 
//  n'y  est  plus  dans  la  seconde  édition,  et  on  voit  à  sa  place  le  signe  Q. 

D'abord  Klaproth  aurait  tort  de  prendre  pour  des  H  les  lettres 
"j  (hébraïque),  K  (grecque),  K  (latine).  Heureusement  ceci  est  une 
simple  faute  d'impression ,  puisque  dans  la  première  édition  de  sa 
critique  (page  10)  cet  illustre  savant  a  placé  la  gracieuse  phrase 
qui  suit  :  Le  joli  petit  oiseau  *W^  se  trouvait  dans  la  première  édition 

parmi  les  K  (n°  55).  //  s'est  envolé  dans  la  seconde  édition,  on  voit 
à  sa  place  le  signe  q. 

Il  serait  difficile,  avec  de  la  bonne  volonté  même ,  d'inventer  du 
galimatias  plus  divertissant  que  celui-là.  Quant  à  la  valeur  alpha- 
bétique des  signes,  la  voici  :  le  joli  petit  oiseau  représente  certaine- 
ment une  voyelle  vague  (Salvolini,  nos  1,  2,  3),  et  le  signe  Q,  un 
K  (Salvolini,  n°  225). 

Le  parallélogramme  ggd  désignait  auparavant  la  consonne  M 
(n°  66) ,  ce  n'est  plus  vrai  dans  la  réimpression  du  Précis,  ce  signe  s'y 
trouve  supprimé  et  remplacé  par  celui-ci  £— .  En  cela  Champol- 
lion a  encore  très-bien  fait,  puisque  le  premier  signe  est  l'image  de 
l'articulation  SCH  ou  CH  (Salvolini,  n°  188),  et  le  second,  celle 
de  l'articulation  M  (Salvolini,  n°  97). 


70  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  petit  vase  J> ,  N  (  n°  79  ) ,  a  eu  le  même  sort  ;  à  sa  place  on  voit 
les  contours  du  vautour  ^  î\CT*pE  ,  nouré.  Le  petit  vase  est  resté 
ce  qu'il  était  réellement,  c'est  à  savoir  un  N  (grammaire,  n°  133). 
quant  au  vautour  c'est  aussi  un  N  (Salvolini,  n°  243.) 

La  croix  X  se  trouvait  dans  la  première  édition  indiquée  comme 
ayant  la  valeur  de  la  consonne  C,  S,  ou  2£,  Dj  (n°  90).  Ce  signe 
manque  dans  la  seconde  ;  il  y  est  changé  en  £r    lapin. 

L'infortuné  signe  X  changé  en  lapin,  est  une  voyelle  A,  o,  ô 
(Salvolini,  n°  28).  (Champollion,  gramm.  n°  28)  (l),  et  le  lapin 
a  la  valeur  oy,    OfttT,    (T*0.    (Salvolini,  n°  19.) 

La  figure  \  que  M,  Champollion  a  appelée  tantôt  une  feuille, 

tantôt  une  plume,  remplace  dans  la  seconde  édition  de  son  livre  le 
signe  tf  de  la  série  des  S  (n°  102  ) ,  lequel  de  cette  manière  se  trouve 
supprimé. 

La  feuille  ou  plume  en  question  est  aujourd'hui  bien  reconnue  pour 
un  M  (Salvolini,  nQ  103),  et  le  second  signe  (Salvolini,  nQ  242), 
représente  la  diphthongue  ou ,  ou  un  ô  long. 

Parmi  les  S  se  trouvait  aussi  auparavant  la  figure  fjs,  à  sa  place 

on  voit  actuellement  le  signe  T. 

La  figure  assise ,  portant  la  main  à  sa  bouche ,  représentant  les 
sons  a,  o,  ou,  u  (Salvolini,  n°  44),  ne  pouvait  rester  parmi  les  S 

à  côté  du  signe  représentant  un  enfant    jJ) ,  ayant  certainement  la 

valeur  S  (Champollion,  gramm.,  n°  177,  Salvolini ,  n°  136.)  Quant 
au  dernier  signe  c'est  bien  réellement  un  S.  (Salvolini,  n°271. 
Champollion,  gramm.,  n°  178.) 

Sous  les  oj,  en,  on  a  supprimé  un  des  trois  signes  représentant,  selon 
M.  Champollion,  un  jardin;  il  est  remplacé  par  la  figure  œd. 

Lun  des  trois  signes,  le  jardin,  a  été  supprimé  parce  qu'il  diffé- 
rait trop  peu  de  l'un  des  deux  autres,  avec  lequel  il  faisait  double  em- 
ploi, et  ou  l'a  remplacé  pqrle  signe  homophone,  le  bassin  (Salvo- 
lini, n°  188). 

Ici  se  termine  la  liste  imposante  des  contradictions  alphabétiques 

(1)  Salvolini ,  n°  140,  donne,  d'après  la  lettre  à  M-  Dacier,  la  valeur  S  à  ce  même 
caractère;  mais  cette  valeur  abandonnée  par  Champollion  lui-même  ne  me  semble 
pas  pouvoir  être  proposée  avec  fa  moindre  certitude. 


EXAMEN  DES   ECRITS   DE   KLAPROTH.  71 

imputées  à  Champollion ,  et  nous  venons  de  voir  que  sur  les  dix  faits 
énumérés ,  il  y  en  a  tout  justement  dix  qui  prouvent  que  Cham- 
pollion a  pris  soin  de  corriger  lui-même  ses  erreurs,  dès  qu'il  les  a 
reconnues. 

Ce  n'était  donc  pas  la  peine  de  s'évertuer  à  rassembler  d'aussi  pro- 
digieuses inculpations  ;  mais  nous  ne  sommes  pas  au  bout  des  griefs 
de  Klaproth.  Poursuivons  donc  la  lecture  de  son  réquisitoire  contre 
Champollion. 

Pour  la  première  fois ,  nous  trouvons  ici  quelques  reproches  à  peu 
près  fondés  :  ainsi  le  groupe  T  "1  ,  lu  dans  les  deux  éditions  du  Précis, 

Of&iî,  CT*K&,  ne  comportait  certainement  pas  cette  prononcia- 
tion ,  cela  est  indubitable.  Champollion  a  donc  eu  tort  de  le  tran- 
scrire de  cette  façon,  parce  qu'il  croyait  deviner  que  le  groupe  signi- 
fiait le  pur,  le  purifié.  J'ignore  entièrement,  pour  ma  part,  le  sens 
de  ce  groupe,  qui  se  compose  des  articulations  oun,  précédées  du 
symbole  de  la  divinité  ,  la  hache  ;  mais  je  me  hâte  de  dire  que  rien , 
absolument  rien,  ne  prouve  que,  postérieurement  à  1828,  Cham- 
pollion lisait  le  mot  de  la  même  manière. 

Dans  la  première  édition  du  Précis  (p.  179),  Champollion  pro- 
posait de  lire  :  Jerina,  Mena,  ou  Irieno  ,  et  de  traduire  par  Y  Ira- 
nien ,  le  Persan,  le  groupe  accolé  au  nom  de  Xerxès,  gravé  sur  un 


x 


vase  d'albâtre  qui  porte  le  même  nom  royal,  écrit  en  caractères  cunéi- 
formes. Cette  lecture  étant  insoutenable ,  fut  abandonnée  prompte- 
ment  par  Champollion  lui-même ,  car  il  n'en  est  plus  du  tout  ques- 
tion dans  la  seconde  édition  du  Précis  (pages  232-233).  Il  eût  élé 
loyal  à  Klaproth  de  le  dire  ;  mais  nous  nous  sommes  déjà  convaincus 
que  ce  n'était  pas  de  la  loyauté  qu'il  fallait  demander  à  cet  habile 
critique. 

Du  reste,  dès  la  publication  du  Panthéon  (planche  6  quater, 
n°  VII  et  VIII),  ainsi  que  Klaproth  le  fait  voir,  toujours  dans  la 
louable  intention  de  prendre  Champollion  en  flagrant  délit  de  contra- 
diction ,  celui-ci  avait  reconnu  que  le  signe,  l'oiseau  volant ,  avait  la 
valeur  exclusive  de  l'articulation  P.  Il  y  avait  donc  de  la  mauvaise  foi 
à  présenter  cette  observation  sous  la  forme  que  lui  a  donnée  Klap- 
roth ,  puisque  cette  fois  encore  il  ne  résultait  qu'une  chose  du  fait 


72  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

énoncé,  c'est  que  Champollion  avait  purgé  son  livre  d'une  erreur 
commise  dans  les  premiers  temps  qui  suivirent  sa  découverte. 

Vient  ensuite  à  propos  du  groupe    S  ,    ÏÏP^i  ? la  remarque  sui- 
vante :  «  dans  le  tableau  général,  n°  21,  on  voit  ce  groupe  que  Cham- 
pollion explique  par  pq  à  lui,  vers  lui;  ce  groupe  dont  le  premier 
élément  n'est  point  encore  connu  est  employé  dans  la  cinquième 
ligne  de  l'inscription  de  Rosette  où  il  répond  au  copte  Gpoq  ?  ou 
^^poq.  Cependant  (ajoute  Klaproth),  la  signification  du  caractère 
A,  n'est  pas  douteuse,  c'est  un  synonyme  de  la  lettre  phonétique 
_*_  q,  **,  etc.»  Ici  Klaproth  a  du  malheur;  car  nulle  part  ces  deux  si- 
gnes ne  se  reconnaissent  pour  homophones.  Le  second  n'a  jamais  été  un 
q,  c'est  toujours  un  CO  ou  un  O ,  et  le  premier  est  certainement  un 
oj.  Qu'en  résulte-t-il?  que  le  mot  se  lit  ujpq  (avec  des  voyelles 
or&p^q.)  Or,   dans  le  dialecte  Baschmourique,  le  mot  oj^p^ 
avec  les  pronoms   suffixes,   signifie  ad,   à,    vers   (par    exemple 
cy&pM  ,  ad  me,  à  moi.)  Il   est  clair,  par  conséquent,  que  le 
groupe  hiéroglyphique  en   question  se   lit  oj&p&q  ,  et  signifie, 
à  lui.  La  valeur  du  premier  signe  est  exactement  donnée  dans  la 
grammaire  égyptienne,  donc,  indubitablement,  Champollion  était 
arrivé  à  la  véritable  lecture  de  ce  groupe,  que  Klaproth  eût  été  bien 
embarrassé  de  lire  lui-même,  avec  sa  malencontreuse  synonymie 
des  signes  •  et  _±_. 

Ce  savant  critique  n'est  pas  plus  heureux  lorsqu'il  s'étonne  de  ce 
que  le  cercle  m  qui  est  toujours  un  R  ,  suivant  lui ,  qu'il  soit  strié  ou 
non,  a  été  transcrit  de  plusieurs  façons  différentes  par  Champollion. 
Il  est  certain  aujourd'hui  que  le  cercle  strié  ©  est  l'image  de  l'arti- 
culation memphitique  Jb ,  et  qu'il  est  impossible  de  confondre  ces 
deux  hiéroglyphes.  L'exemple  qu'il  rapporte,  c'est-à-dire  le  nom 
1  ©  du  dieu  Khons,  prouverait  à  lui  seul  que  Champollion  a  eu 
raison  d'adopter  cette  valeur  alphabétique;  du  reste,  il  faut  le  recon- 
naître, c'est  à  tort  que  Champollion  a  donné  à  ce  signe  la  valeur 
(y*  en  lisant  O'ïE'T  le  mot  ®  ,  autre,  qui ,  tout  en  offrant  le  même 
sens,  doit  réellement  se  prononcer  kfiet,  JbE'Tj  et  devient,  à  l'aspi- 
ration près,  identique  avec  le  mot  cophte  sahidique  KFT ,  signifiant 
précisément  autre. 


EXAMEN   DES   ÉCRITS  DE   KLAPROTH.  73 

Quant  au  reproche  adressé  à  Champollion ,  d'être  revenu  pour 
le  signe  ©  à  la  valeur  o**  ,  après  avoir  adopté  la  valeur  t ,  il  est  tout 
simplement  erroné ,  et  je  dirai  plus ,  il  implique  un  anachronisme 
commis  sciemment,  c'est-à-dire  un  acte  honteux,  un  faux  matériel, 
dont  l'auteur  aurait  dû  rougir  de  faire  usage;  c'est  de  1828  que  la 
seconde  édition  du  Précis  est  datée;  c'est  de  1825  qu'est  datée  la  dou- 
zième livraison  du  Panthéon  égyptien,  qui  n'a  eu  en  tout  que  quinze 
livraisons,  c'est  donc  bien  antérieurement  à  1828,  que  la  planche  14 
f.  ter,  a  été  publiée  avec  le  texte  qui  l'accompagnait ,  et  par  suite  la 
contradiction  reprochée  à  Champollion  n'a  jamais  existé  que  dans 
l'imagination  de  Klaproth.  Le  lecteur  fera  justice  de  cette  manière 
de  se  donner  raison. 

Klaproth  ajoute  :  «  Une  incertitude  semblable  règne  dans  la  plu- 
part des  leçons  de  M.  Champollion,  et  je  pense  qu'on  peut  dire,  sans 
être  taxé  d'injustice,  que  la  valeur  d'une  partie  très-considérable 
des  cent  trente-quatre  signes  de  son  alphabet  phonétique  n'est  que 
conjecturale.  » 

Si  nous  remarquons  que  le  critique  a  relevé  avec  un  soin  scrupuleux 
tout  ce  qui  lui  semblait  attaquable,  et  que  les  prétendues  erreurs  ou 
contradictions  signalées  par  lui,  ne  dépassent  pas  une  douzaine,  nous 
serons  bien  forcés  à  notre  tour  de  conclure  de  ce  fait ,  que  l'assertion 
qui  précède  offre  un  échantillon  de  la  plus  insigne  mauvaise  foi. 

Les  observations  sur  l'alphabet  phonétique  sont  closes  par  la  sui- 
vante :  «  Parmi  ces  principes  (ceux  posés  par  Champollion  dans  son 
Précis),  un  des  plus  importants,  et  qu'il  a  imprimé  en  lettres  italiques 
dans  les  deux  éditions  de  cet  ouvrage,  est  sans  contredit  celui-ci  : 
les  signes  reconnus  pour  phonétiques  dans  lés  noms  propres  conser- 
vent cette  valeur  phonétique  dans  tous  les  textes  hiéroglyphiques  où  ils 
se  rencontrent.  Voyons  à  présent  si  M.  Champollion  est  resté  fidèle  à 
cette  règle  fondamentale,  non-seulement  dans  ses  écrits  postérieurs, 
mais  dans  l'ouvrage  même  où  il  la  produit.  » 

Pour  prouver  alors  que  l'auteur  du  Précis  ne  tient  aucun  compte 
des  règles  de  lecture  énoncées  par  lui ,  Klaproth  l'accuse  d'avoir  attri- 
bué une  valeur  tantôt  phonétique,  tantôt  figurative  ou  même  symbo- 
lique à  un  seul  et  même  signe,  comme  l'œil  sans  cil,  le  bras  tenant 
un  crochet,  le  bélier,  le  vase  à  brûler  les  parfums,  le  vautour,  l'hi- 
rondelle, etc.,  etc. 

A  cela  la  réponse  n'est  pas  difficile  :  Puisque  les  hiéroglyphes  pho- 
nétiques sont  d'ordinaire  les  images  d'objets  dont  le  nom  égyptien 


74  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

commençait  précisément  par  l'articulation  qu'ils  doivent  représenter, 
on  conçoit  que  pour  s'éviter  la  peine  d'écrire  en  toutes  lettres  les  noms 
des  objets  qui  avaient  fourni  ces  hiéroglyphes  phonétiques,  on  ait  pris 
souvent  le  parti  de  tracer  leur  image  toute  seule,  ce  qui  revenait  à 
écrire  leur  initiale. 

Ainsi  au  lieu  d'écrire  en  entier  le  nom  TOT  de  la  main  qui,  em- 
ployée comme  signe  phonétique,  avait  la  valeur  d'un  t  ?  on  a  pu 
placer  isolément  l'image  d'une  main  dans  toute  phrase  dont  le  con- 
texte nécessitait  la  présence  de  cette  idée  main;  de  même  pour 
écrire  le  nom  de  la  cassolette  &Ep&E  ,  dont  l'image  représentait  pho- 
nétiquement l'articulation  Ê,ona  bien  pu,  sans  courir  le  risque 
d'arrêter  le  lecteur,  se  contenter  de  représenter  une  cassolette,  Cette 
méthode  n'était  autre  chose  qu'une  méthode  d'abréviation ,  et  je  ne 
crains  pas  de  le  dire ,  c'était  la  plus  simple  de  toutes  et  la  plus  na- 
turelle ,  pour  un  peuple  habitué  de  longue  date  à  l'emploi  des  signes 
figuratifs. 

Réciproquement,  lorsqu'une  idée  symbolique  était  attachée  à 
l'image  d'un  objet ,  comme  par  exemple  l'idée  de  mère  à  la  figure  du 
vautour,  placée  isolément  dans  un  texte,  cela  pouvait-il  exclure  l'em- 
ploi de  cette  même  figure  comme  signe  phonétique  représentatif  de 
l'initiale  du  nom  égyptien  de  cet  oiseau,  lorsqu'il  n'était  pas  possible 
de  se  tromper  et  de  méconnaître  au  premier  coup  dœil  l'emploi 
purement  alphabétique  de  cette  image,  à  cause  de  sa  position  dans 
le  texte?  en  aucune  façon. 

Cet  emploi  double  d'une  même  figure  comme  hiéroglyphe  phoné- 
tique ,  figuratif  au  même  symbolique ,  n'est  donc  pas  une  monstruo- 
sité, comme  Klaproth  semble  le  croire;  c'est  une  conséquence  toute 
naturelle  du  caractère  de  l'écriture  égyptienne,  et  il  n'est  pas  possible 
d'en  tirer  un  argument  contre  la  méthode  de  Champollion. 

Klaproth  n'en  termine  pas  moins  ce  chapitre  en  disant  :  «c  Voilà,  je 
pense,  beaucoup  d'exemples  qui  nous  donnent  déjà  une  mesure  assez 
convenable  de  la  foi  qu'on  doit  avoir  dans  les  assertions  de  M.  Cham- 
pollion ,  et  de  la  solidité  des  principes  qu'il  a  établis  dans  son  Précis 
du  système  hiéroglyphique.  » 

Moi  aussi  je  me  permettrai  d'employer  les  mêmes  expressions  et 
de  dire  de  mon  côté  :  je  viens  de  citer  beaucoup  d'exemples  qui 
nous  donnent  déjà  une  mesure  assez  convenable  de  la  foi  qu'on  doit 
avoir  dans  les  assertions  de  Klaproth  ,  et  de  l'honnêteté  des  principes 


EXAMEN  DES   ECRITS  DE  KLAPROTH.  75 

qui  lui  ont  dicté  son  amère  critique  des  œuvres  de  Champollion. 
Toutefois  je  ne  terminerai  pas  avant  d'avoir  tenu  l'engagement  que 
j'ai  pris  en  commençant,  de  démontrer  clairement  et  nettement  que 
Klaproth  eût  bien  fait  déparier  moins  haut,  lorsqu'il  s'agissait  de 
discuter  les  faits  grammaticaux  de  la  langue  copte,  et  si  je  craignais 
que  l'on  ne  m'accusât  d'avoir  usé ,  pour  répondre  à  la  critique  de 
Klaproth ,  d'un  langage  trop  acerbe ,  je  répondrais  que  je  ne  puis 
m'en  faire  aucun  scrupule,  quand  je  lis  dans  cette  critique  des 
phrases  comme  la  suivante  (A.,  page  18-19). 
.  «  Je  termine  cette  discussion  déjà  trop  longue,  en  demandant  à 
mes  lecteurs  quelle  confiance  on  doit  mettre  dans  les  assertions  d'un 
savant  qui  se  joue  aussi  ouvertement  du  public,  et  qui  détruit  arbi- 
trairement ce  qu'il  avait  d'abord  posé  en  principe.  Il  ne  fait  que 
marcher  à  tâtons  dans  les  ténèbres ,  tandis  que  les  journaux  à  sa 
solde  proclament  avec  emphase  ses  découvertes  lumineuses  dans  le 
chaos  des  antiquités  égyptiennes.  » 

Passons  à  notre  tour  en  revue  quelques-unes  des  découvertes  lu- 
mineuses faites  par  Klaproth  dans  son  étude  approfondie  de  la  gram- 
maire copte.    •• 

A  la  page  50  de  sa  seconde  édition ,  je  lis  en  note ,  à  propos  du 
mot  O^po  ,  roi  : 

D'autres  mots  coptes,  appartenant  à  la  même  racine,  sont 
^O^po,  tiouro,  reine,  £.pxo*tfpO>  ariouro,  royaume  et  Epovpo, 
erouro,  régner. 

Le  mot  ^OfptLï  (sic),  identique,  sauf  le  genre  de  l'article,  avec  le 
mot  TUCT*pO  ,  était  donc  pour  Klaproth  un  autre  mot  copte  appar- 
tenant à  la  même  racine  Q**po  ? 

Et  2»pIO**po  5  royaumes,  où  donc  a-t-il  été  découvert  par  l'ha- 
bile philologue  (l)?  Pourquoi  nous  en  fait-il  un  mystère?  il  eût  été  si 
intéressant  de  le  savoir?  Moi  qui  ne  me  piqué  pas  de  connaître  le  copte, 
comme  Klaproth,  j'aurais  eu  la  bonhomie  de  voir  dans  ce  mot  l'im- 
pératif règne,  du  verbe  Epcnrpo  ,  régner,  lequel  est  certainement 

(1)  Très-probablement  Klaproth  auquel  on  avait  communiqué  une  noteà  copier, 
contenant  les  mots  2>.pX0"*p0  »  régna,  aura  pris  ce  malheureux  régna, 
pour  un  substantif  pluriel,  au  lieu  d'y  reconnaître  un  impératif.  C'est  vraiment 
fâcheux  ! 


76  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

composé  de  Ep,  faire,  dont  l'impératif  est  &.px.  Quant  à  l'idée  royau- 
mes ,  j'aurais  encore  été  assez  simple  pour  la  rendre  par  le  pluriel 
du  substantif  JU-ETOfpO ,  qui  seul  signifie  royaume.  Cette  curieuse 
note  existait  déjà  textuellement  à  la  page  13  de  la  première  édition  ; 
nous  en  pouvons  conclure  que  de  1829  à  1832  les  progrès  de  Klap- 
roth  en  copte,  n'ont  pas  été  merveilleux.  Un  peu  plus  loin  (A,  14, 
B,  52),  je  lis  :  en  copte  le  radical  O'ïpO  ,  ouro,  signifie  régner.  Ceci 
est  faux  :  en  copte  er*po  ,  signifie  roi ,  et  nullement  régner  ; 
autant  vaudrait  dire  qu'en  latin  rex  signifie  régner. 

A  la  page  54,  le  critique,  à  propos  de  la  formule  TM  /BK  , 
expliquée  par  Champollion,  ceci  est  la  figure,  ceci  est  la  ressem- 
blance, dit:  «le  mot  t&x  ,  signifie  en  effet,  ceci,  mais  je  ne  vois  pas 
où  le  savant  auteur  du  Précis  sur  les  hiéroglyphes ,  a  trouvé  que 
^K,  thé,  était  en  copte  le  mot  pour  figure  où  ressemblance.  »  Cette 
phrase  contient  deux  grosses  bévues  ;  to  en  copte  n'a  jamais  signi- 
fié ce ,  ceci,  mais  celte  :  parce  que  c'est  le  pronom  démonstratif  fémi- 
nin, dont  le  masculin  est  tt&X  ou  c£m  et  le  pluriel  n&x. 
Quant  au  mot  çh  ,  si  le  savant  Klaproth  eût  su  comment,  en  copte, 
l'article  féminin  se  comportait  quelquefois  devant  les  radicaux  com- 
mençant par  un  hori,  ^  ,  il  n'aurait  plus  été  si  étonné  de  ce  que 
Champollion  avait  trouvé  dans  le  mot  çk  ;  car  il  y.  eût  tout  comme 
lui  reconnu  l'article  ^r,  et  le  mot  ^K ,  face ,  aspect  ;  mais  Klaproth 
savait  le  copte  avec  son  dictionnaire,  il  était  doctus  cum  libro ,  et  par 
suite  exposé  à  d'étranges  quiproquo. 

Enfin  (B.  77,  A.  23),  je  trouve  la  phrase  suivante:  «Ces 
lectures  donnent  les  mots  xt&q ,  naf,  et  Sî2* ,  na,  qui  en  copte 
ne  signifient  pas  grand.  Dans  cette  langue  l'idée  de  grand  est  expri- 
mée parH&i»,  naa,  au  masculin,  et  îi&^q ,  naaf,  au  féminin. 

En  vérité  !  je  ne  vois  pas  non  plus,  moi,  où  le  savant  Klaproth  a 
trouvé  que  naaf,  qu'il  prend  soin  de  transcrire  deux  fois  à  trois  ans 
de  distance,  en  italique,  ne  varietur,  pouvait  être  le  féminin  de 
X\Z>Z>-.  Ceci  implique,  philologiquement  parlant,  des  balourdises 
énormes  ;  en  effet,  il  devient  constant,  par  suite  de  ce  petit  aphorisme 
grammatical  à  l'usage  de  Klaproth,  que  cet  érudit  ne  savait  pas  que 


EXAMEN   DES   ECRITS   DE    KLAPROTH.  77 

les  adjectifs  coptes  sont  ordinairement  munis  du  pronom  personnel 
affixe  du  genre  delà  personne  ou  de  la  chose  à  laquelle  ils  se  rapportent, 
de  sorte  que  si  ft&2s ,  signifie  grand  d'une  manière  absolue ,  ît&.&q 

muni  du  pronom  personnel  affixe  q  ,  est  le  mot  grand ,  qualificatif 
d'un  homme  ou  d'un  objet  dont  le  nom  est  masculin,  tandis  que 
tt£*&C3  muni  du  pronom  personnel  affixe  féminin  est  le  mot  grande, 
qualificatif  d'une  femme  ou  d'un  objet  dont  le  nom  est  féminin.  De 
plus  Klaproth  ignorant  ce  jeu  des  pronoms  personnels  affixes,  croyait 
fermement  qu'un  adjectif  copte  comme  K&.2* ,  prenait  un  fei  pour 
terminaison  féminine.  Ne  serait-on  pas  en  droit  de  dire  à  ce  savant 
critique  : 

Où  votre  esprit  prend-il  toutes  ces  gentillesses  ? 

Inutile,  j'imagine,  d'insister  plus  longtemps  sur  l'érudition  copte  de 
Klaproth  ;  il  est  trop  clair  qu'il  ignorait  dans  toute  la  force  du  terme 
le  premier  mot  et  la  première  règle  de  cette  langue ,  et  pourtant 
c'est  cet  homme  qui  s'est  audacieusement  posé  en  juge  de  Champol- 
lion  !  Certes  il  eût  mieux  fait  d'employer  son  temps  à  se  mettre  en 
état  de  profiter  des  admirables  découvertes  de  celui-ci. 

Maintenant  je  crois  avoir  suffisamment  montré  ce  que  vaut  la  cri- 
tique de  Klaproth  et  j'ai  quelque  espoir  que  chacun  la  regardera 
comme  non  avenue. 

F.  De  Saulcy. 


LETTRE  A  M.  THÉODORE  WOOLSEY  % 

PROFESSEUR  DE  LITTÉRATURE  GRECQUE  A    YATÉ   COLLEGE  EN   CONNECTICUT  (ÉTATS-UNIS), 
V  SUR 

UNE  INSCRIPTION£GRECQUË  DE  SYRIE, 

ET  SUR  UN  ANCIEN  AQUEDUC,  PRÈS  DE  BEYROUT. 


Monsieur  , 

Lors  de  votre  dernier  passage  à  Paris ,  vous  avez  eu  la  bonté  de 
me  remettre  la  copie  d'une  inscription  grecque  dont  vous  deviez  la 
connaissance  à  M.  Élie  Smilh ,  le  compagnon  de  voyage  de  M.  Ro- 
binson,  auteur  du  savant  et  important  ouvrage  intitulé  Palœstina. 
Vous  désiriez  savoir  mon  avis  sur  ce  fragment  encastré  dans  le  mur 
du  couvent  de  Deir-el-Kalaah ,  dans  le  Liban ,  près  de  Reyrout. 
M.  Smitb  pensait,  m'avez- vous  dit,  avoir  copié  le  premier  cette 
inscription.  Sur  ce  renseignement,  je  l'avais  crue  inédite,  et  je  m'en 
étais  occupé  dans  cette  persuasion.  Mon  travail  fait,  je  n'ai  pas  tardé 
à  m'apercevoir  que  M.  Smith  nous  avait,  bien  involontairement, 
induits  en  erreur;  car  elle  a  été  copiée  par  Seetzen,  en  1805,  il 
y  a  déjà  plus  de  quarante  ans.  Elle  a  été  publiée  d'abord  par 
M.  Francke  (2),  qui,  traitant  avec  un  peu  trop  de  liberté  le  texte 
de  Seetzen ,  a  refait  l'inscription  plutôt  qu'il  ne  l'a  rétablie.  Or,  re- 
faire une  inscription  est  une  opération,  toujours  facile  pour  un  homme 
d'érudition  et  d'esprit;  mais  elle  est  d'une  utilité  fort  médiocre,  sinon 
tout  à  fait  nulle.  Il  n'en  a  pas  été  ainsi  des  savants  éditeurs  du  Cor- 
pus Inscriptionum  (3),  qui  l'ont  publiée  de  nouveau,  en  s'attachant 
aux  éléments  de  la  copie  de  Seetzen  ;  ils  l'ont  lue  telle  qu'elle  est , 
sans  y  chercher  ce  qui  ne  peut  y  être.  La  copie  de  M.  Smith,  ne  pré- 
sentant non  plus  aucune  difficulté  réelle,  j'en  ai  tiré  la  même  leçon, 
sauf  un  trait  important  qui  fait  une  grande  partie  de  l'intérêt  de  ce 
fragment  d'antiquité. 

(0  M.  Th.  Woolsey  est  auteur  d'une  savante  cl  élégante  édition  duGorgias  de 
Platon,  in-12,  Boston,  1842. 

(2)  Griechische  und  lalcinischc  Inschriflcn  gcsammelt  von  O.  Fr.  von  Richkr, 
p.  5.  Berl.  1830. 

(3)  Corpus  Inscript.,  n°  4535. 


LETTRE   A   M.    THÉODORE  WOOLSEY.  79 

Ces  savants  critiques  se. sont  contentés,  comme  il  convient  à  leur 
plan ,  de  donner  le  texte ,  avec  de  courtes  explications.  Comme  je  suis 
entré  dans  un  peu  plus  de  détails  sur  l'interprétation  archéologique 
du  monument,  je  vous  donnerai  mon  travail  tel  que  je  lavais  rédigé 
avant  de  connaître  le  leur. 


Je  vais  mettre  en  regard  la  copie  insérée  dans  le  Corpus,  n°  1 ,  et 
celle  que  je  dois  à  votre  bienveillante  communication ,  n°  2 ,  pour 
que  vous  jugiez  des  différences  : 

N°  2.  N°  1. 

PCONANGOHKAI  t     ■       ICONANGOHAX 

AOOCNeKNHCOlO  AOOCNeKNCOO 

POÀOYTGXNACnA  lOÀOYTCXNACnA 

nOOINONAN  AICO  HOOIONAAN  AICU 

NOeKCPAOYXAAKG  NOCKGPAOYXAAXe 

ONANTITYnON  ONANTITYnON 

nPOXCONTABPO  nPOXeON'ABPO 

TOIC/  GPOAPOMON  TOIClèPOAPOMON 
YACOP:  YACOP. 

Ces  neuf  lignes  ont  dû  être  précédées  d  une  dixième  qui  est  effacée. 
En  corrigeant  quelques  fautes  de  transcription,  provenant  delà  con- 
fusion de  lettres  semblables ,  on  obtient  le  texte  suivant,  qui  ne  paraît 
laisser  aucun  doute,  et  où  il  n'y  a  d'autre  lacune  que  celle  d'une 
partie  du  premier  vers ,  dont  on  ne  pourrait  plus  rétablir  les  mots 
que  d'une  manière  conjecturale,  mais  dont  on  devine  au  moins  assez 
facilement  le  sens  : 

]pwv  aveôyjxa 

Ap^wvoç  xepaoO  yjxhizov  ovtitwov, 
Wpoyiovra.  (3poroîç  àepodpépov  v^wp. 

Ces  neuf  lignes  forment  trois  vers  et  les  deux  derniers  pieds  d'un 
quatrième  qui  commençait  le  quatrain  :  le  premier  et  le  deuxième  sont 
des  hexamètres;  le  troisième  est  un  pentamètre;  irrégularité  qui  n'est 
pas  inconnue  dans  les  inscriptions  métriques  des  bas  temps,  auxquels 
celle-ci  doit  appartenir  ;  car  elle  ne  peut  guère  être  antérieure  au 
IIe  ou  au  IIIe  siècle;  enfin,  le  quatrième  présente  cette  singularité, 


80  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

qu'il  a  toute  la  marche  d'un  hexamètre,  auquel  il  ne  manque,  pour 
être  complet ,  que  le  premier  pied  et  la  première  syllabe  du  second. 

Il  manque  donc,  au  commencement  de  ce  vers,  un  mot  qui  devait 
être  le  complément  de  àvrlrvitov  ;  mais  ce  mot  a  été  omis  par  le  gra- 
veur lui-même;  et  l'omission  est  d'autant  plus  explicable,  que  cet 
àvTirvnov  est  justement,  quant  au  sens  et  à  la  mesure,  ce  qui  est  né- 
cessaire pour  compléter  l'hexamètre.  Le  graveur  a  plus  consulté  son 
oreille  que  la  grammaire  ;  car  l'accusatif  TzçoyéovxcL  aurait  dû  l'avertir 
qu'il  devait  y  avoir  un  autre  mot  entre  ce  participe  masculin  et  le 
substantif  neutre  àvrirurcov. 

De  la  première  ligne ,  il  ne  reste  que  les  deux  derniers  pieds  de 
l'hexamètre,  PCONANEOHKA-  Si  PCON  n'est  pas  la  fin  de  l'adjectif 
[7rpo<p]p&)v ,  ce  sera  celle  d'un  nom  propre  ayant  cette  terminaison  de 
deux  syllabes  ou  de  trois ,  avec  la  première  longue ,  comme  Ev<ppwv , 
Scocppwv ,  AAxtîppwv,  Eù9u<ppwv,  X£p<7içpp«v  ?  etc. 

Voici  donc  la  traduction  littérale  : 

«  Un  tel,.,  a  dédié  [ce  monument],  apporté  d'un  pays  lointain, 
«  de  l'île  de  Rhode,  objet  d'art  désiré,  image  d'Ammon  aux  cornes 
«  [de  bélier],  versant  aux  mortels  une  eau  venue  à  travers  les 
c  airs.  » 

Nous  pouvons  présumer  facilement  à  quel  usage  servait  cet  avziTwnov 
ou  cette  image  de  Jupiter  Ammon.  Les  anciens  ornaient  le  devant  des 
fontaines  de  certaines  figures  auxquelles  on  donnait  le  nom  générique 
de  Marsjas,  parce  que  c'étaient  le  plus  souvent  des  figures  de  sa- 
tyres (1)  portant  des  outres,  d'où  l'eau  jaillissait,  ou  la  rendant  par 
les  parties  génitales  (ex  verendis) ,  ce  qui  ne  paraissait  pas  plus  cho- 
quant que  Manneken-pis  à  Bruxelles;  ou  bien  c'étaient  simplement 
des  masques  qui  rendaient  l'eau  par  la  bouche  comme  des  mascarons. 
On  appelait  aussi  ces  figures,  selon  leur  forme,  Atlantes ,  'Chirons , 
Hermès,  etc.  (2). 

Il  est  difficile  de  savoir  si  cet  àvriivnov  ApLptwvoç  était  une  figure 
entière  ou  seulement  un  masque;  mais  qu'il  fût  placé  à  l'orifice  d'une 
fontaine ,  cela  ne  peut  être  douteux. 

Ce  devait  être  un  objet  d'art  assez  remarquable,  à  en  juger  par 
l'épithète  7to9ivov  pour  7ro0Êivov  qui  l'accompagne,  et  par  la  peine 
qu'on  avait  prise  de  l'apporter  de  Ilhode;  circonstance  fort  à  remar- 
quer. C'était  sans  doute  la  reproduction  de  quelque  type  connu 
et  admiré,  dont  le  type  se  trouvait  à  Rhode,  où  l'original  était 

(1)  Petron.  Satyr.  c.  3G. 

(2)  Wouwer.  ad  Pelron. 


LETTRE  A   M.   THEODORE   WOOLSEY.  81 

moulé,  et  les  empreintes  étaient  transportées  dans  des  contrées  plus 
ou  moins  lointaines. 

Et  comme  cette  inscription,  d'après  les  caractères,  ne  peut  être, 
comme  je  l'ai  dit ,  plus  ancienne  que  le  IIe  ou  le  IIIe  siècle  de 
notre  ère,  elle  est  l'indice  le  plus  récent  que  l'on  possède  de  la 
persistance  de  l'école  de  sculpture  à  Rhode. 

La  grande  école  de  Lysippe,  établie  dans  cette  île,  et  qui  avait  élevé, 
par  les  mains  de  Charès  de  Lindus,  le  fameux  colosse  en  bronze,  était 
demeurée  florissante ,  au  moins  jusqu'à  l'époque  de  la  ruine  de  cette 
ville  parCassius,en  43  avant  notre  ère(1);  mais  la  preuve  qu'elle  avait 
subsisté,  ou  même  qu'elle  était  encore  florissante,  longtemps  après 
cet  événement,  pouvait  se  tirer  déjà  d'un  seul  fait  avéré,  c'est  que  le 
fameux  groupe  de  Laocoon  avait  été  exécuté ,  vers  le  temps  de  Néron, 
par  les  trois  artistes  rhodiens  Agésandre,  Polydore  et  Athénodore. 
On  peut  croire  à  présent  que  cette  écoje  était  restée  fameuse  un  ou 
deux  siècles  après;  puisque  notre  inscription  atteste  qu'on  tirait 
encore  de  Rhode ,  dans  le  cours  du  IIIe  siècle,  des  produits  impor- 
tants de  la  statuaire  en  bronze. 

Je  viens  au  dernier  trait,  le  plus  important,  de  l'inscription.  La 
copie  de  Seetzen  porte  IEPOAPOMON ,  et  cette  leçon  a  été  adoptée 
par  les  savants  éditeurs  du  Corpus ,  et  par  ceux  de  la  nouvelle  édition 
du  Thésaurus  d'Henri  Estienne;  mais  que  peut  signifier  iepodpé[jLov 
avec  [u&ap],  épithète  qui  ne  convient  qu'à  ceux  qui  couraient  dans 
une  arène  consacrée  à  un  dieu  (2)? 

La  copie  de  M.  Smith  lèvera  cette  grave  difficulté  ;  car,  de  la  pre- 
mière lettre,  il  reste,  non  un  jambage  droit  I,  mais  un  trait  obli- 
que A ,  qui  ne  peut  provenir  que  d'un  A  ;  d'où  résulte  l'adjectif 
àepodpopLov p&op] ,  l'eau  venue  à  travers  les  airs,  ou  par  une  voie 
aérienne.  Quelle  idée  doit-on  y  attacher? 

Cet  adjectif  (àepodpépoç)  est  connu,  comme  le  verbe  àspoùpopéto  (3), 
pour  avoir  une  signification  semblable  à  celle  des  synonymes 
àepoSâzriç,  àspoêargco;  il  s'applique  principalement  aux  animaux 
ailés,  oiseaux  ou  insectes;  les  deux  premiers  cependant  d'un  usage 
plus  moderne ,  puisque  le  verbe  àspoèpopécù  ne  se  montre  pas  avant 
Lucien ,  et  l'adjectif  âepoâpô^oç  n'est  que  dans  Eustathe  et  Constan- 
tin Manassès.  C'est  ici  la  première  fois  qu'on  le  trouve  comme  épi- 
thète de  vùcùp- 

(1)  K.  O.  MiiUer,  Handbuch,  §.  155. 

(2)  Thés.  Ling.  Gr.,  t.  IV,  p.  535.  C.  art.  de  M.  Hase. 

(3)  Le  même,  t.  I ,  p.  766,  D. 

III.  6 


82  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Cette  épithète  ne  peut  s'entendre  que  de  l'une  de  ces  deux  choses  : 

Ou  bien  elle  désignera  Veau  du  ciel  ou  Veau  déploie,  par  opposition  à 
7toto^cov,  myxiovy  ou  xpvivaiov  y&wp  ;  et,  dans  ce  cas,  on  comprendra 
que  la  fontaine  servait  de  déversoir  à  un  bassin  alimenté  par  les 
eaux  pluviales.  Ce  serait  une  expression  poétique,  du  même  sens 
que  l'o/xêpiovou  oy&pinpbv  u$«p.  Elle  expliquerait  peut-être  le  choix 
d'une  figure  ou  d'une  tête  de  Jupiter  Ammon,  au  lieu  d'une 
figure  de  lion ,  qui  s'employait  ordinairement  à  cet  usage.  Ce  serait 
une  allusion  à  l'un  des  principaux  attributs  de  Jupiter,  qui  était , 
comme  on  sait ,  qualifié  de  véuoç  le  pluvieux,  et  invoqué  spécia- 
lement pour  obtenir  la  pluie  :  Jovem  aquam  exorabant  (l)  :  ïcrov, 
•jffov,  eo  <piXe  ZeO  (2) ,  comme  dit  Marc  Antonin. 

Mais  1  épithète  àspo^popiov  serait  très-impropre  pour  rendre  Yeau 
de  pluie ,  qu'on  aurait  beaucoup  mieux  désignée  par  dïmerriç ,  dio- 
rar/fe,  àepoi:£Trj<; ,  àspoyiv/jç,  etc. 

Cette  épithète,  au  contraire,  aurait  une  grande  propriété ,  si  elle 
avait  été  employée  pour  exprimer  l'eau  amenée  par  un  aqueduc,  élevé 
sur  plusieurs  rangs  d'arcades,  servant  à  lier  deux  collines,  en  faisant 
passer  l'eau  de  l'une  à  l'autre,  à  travers  les  airs,  comme  au  pont  du 
Gard.  La  leçon  àzpoàpôpov  est  évidemment  la  seule  admissible.  Elle 
reçoit  ici  une  excellente  acception  qui  n'était  pas  connue,  et  qu'on 
peut  d'avance  recommander  aux  futurs  concurrents  pour  Y  Oxford  prise, 
qui  auraient  à  mettre  en  vers  la  marche  rapide  des  waggons  sur  le  dos 
d'un  viaduc  :  aepofyopwv  appcc  serait,  pour  le  sens  et  la  mesure,  une 
excellente  chute  d'hexamètre. 


Mon  explication  était  achevée,  lorsque,  ne  trouvant  rien  sur  cet 
aqueduc  dans  les  voyages  imprimés,  j'ai  eu  l'idée  de  consulter  mon 
excellent  ami  le  colonel  Callier,  qui  a  fait  une  si  belle  reconnais- 
sance géographique  de  la  Syrie.  Je  lui  ai  demandé  s'il  n'y  avait  pas 
réellement  à  Déir  el  Kalaah,  ou  dans  le  voisinage,  un  aqueduc  élevé 
sur  des  arcades,  comme  j'avais  lieu  de  le  présumer  d'après  une  in- 
scription grecque.  Voici  ce  qu'il  m'a  répondu  : 

«  Votre  inscription  ne  vous  a  pas  trompé.  Oui,  vraiment,  il  y  a 
ce  là  un  aqueduc  tel  que  vous  le  désirez.  Je  n'en  avais  trouvé  la  men- 
«  tion  dans  aucun  voyageur.  Il  me  fut  indiqué  à  Beyrout  même, 
a  Je  m'y  rendis  pour  le  visiter.  Il  est  dans  une  situation  fort  écartée  ; 

(1)  Petron.  Satyr.,  c.  44. 

(2)  M.  Anton.  De  rébus  suit,  V,  7. 


LETTRE   A  M.    THÉODORE   WOOLSEY.  83 

«  et  c'est  sans  doute  pour  cela  qu'il  a  échappé  aux  voyageurs.  Les 
«  Arabes  le  nomment  Kanater  Zébéïdé (arcades,  pont  ou  aqueduc 
«  de  Zébéïdé),  et  ils  en  attribuent  la  construction  à  une  princesse 
«  du  Liban  de  ce  nom.  » 

ce  Cet  aqueduc  est  à  deux  heures  trois  quarts  de  Beyrout  et  à  deux 
«  heures  de  Déir  el  Kalaah,  qui  est  à  trois  heures  de  cette  ville.  Il  est 
«  entre  deux  collines,  et  à  cheval  sur  le  Nahr  Beyrout  (comme  le  pont 
«  du  Gard  sur  le  Gardon);  sa  longueur  est  d'environ  200  mètres  (l). 
«  Il  avait  autrefois  trois  rangées  d'arcades;  mais  le  temps  les  a  ré- 
«  duites  à  deux.  Ce  bel  ouvrage  antique  est  aujourd'hui  rompu 
«  par  le  milieu.  J'en  avais  fait  un  croquis  que  je  ne  retrouve  plus 
«  dans  mes  papiers.  » 

Ce  fait  important  ne  laisse  plus  aucun  doute  sur  la  leçon  aepo- 
dpopov ,  et  sur  le  sens  qu'il  faut  attacher  à  cette  leçon.  La  lettre  de 
M.  Callier,  qui  en  est  le  commentaire,  sera,  pour  les  voyageurs  artistes, 
un  avertissement  et  une  invitation  à  dessiner  et  à  mesurer  un  monu- 
ment qu'il  ne  peut  qu'être  infiniment  curieux  de  connaître  dans  tous 
ses  détails.  Un  pont  du  Gard  sur  le  Nahr  Beyrout  !  voilà  qui  appelle 
toute  leur  attention  et  leur  talent. 

La  fontaine  qu'ornait  la  figure  d'Ammon ,  était  évidemment  alimen- 
tée par  l'eau  de  cet  aqueduc,  dont  le  but,  selon  M.  Callier,  était  de 
fournir  à  Beyrout  l'eau  nécessaire.  Je  me  figure  qu'à  l'issue  de  l'aqueduc 
aérien,  et  avant  que  l'eau  ne  s'engageât  dans  les  conduits  souterrains 
(  ÛTTovo/aoi  )  qui  l'amenaient  à  Beyrout,  on  avait  formé  un  de  ces  réser- 
voirs, que  les  Latins  appelaient  castella,  disposés  de  manière  à  fournir 
l'eau  dans  les  points  intermédiaires.  A  ce  castellum  était  appliqué 
un  petit  monument,  orné  d'une  figure  de  Jupiter,  que  la  municipa- 
lité avait  demandée ,  et  qu'un  citoyen  bienfaisant  avait  fait  venir  de 
Rhode,  dont  la  célébrité,  pour  de  telles  œuvres,  subsistait  encore  à 
cette  époque. 

Vous  voyez,  Monsieur,  que,  quoique  l'inscription  ne  soit  pas 
inédite,  comme  nous  l'avions  cru  d'abord,  la  copie  de  M.  Smitfyi'est 
ni  sans  utilité,  ni  sans  importance.  En  nous  révélant  une  circon- 
stance toute  nouvelle  et  de  grand  intérêt,  elle  sert  encore  à  montrer 
combien  il  est  utile  de  s'attacher  au  moindre  détail,  dans  les  monu- 
ments de  ce  genre;  car  la  leçon  àepoâpopov,  et  l'avantage  qui  en  ré- 
sulte tiennent,  à  quoi?  à  un  trait  oblique ,  au  lieu  d'un  trait  vertical. 

Recevez,  etc.  Letro^ne. 

(1)  Le  Pont  du  Gard  a  272  mètres  de  longj  il  a  aussi  trois  rangs  d'arcades. 


LETTRE  A  M.  LETROME 

SUR  LA  STÈLE  FUNÉRAIRE  DAIDINJIK  (f). 

Monsieur  et  cher  confrère, 

J'ai  lu  avec  un  vif  intérêt  le  savant  article  que  vous  avez  inséré 
dans  le  dernier  numéro  de  la  Reçue  Archéologique  sur  la  stèle  funé- 
raire dont  M.  Laurin,  consul  général  d'Autriche  à  Alexandrie  vous  a 
fait  communiquer  un  dessin  par  M.  Prisse.  Tout  ce  que  vous  y  dites 
sur  la  provenance  de  ce  monument,  sur  les  noms  des  personnages  qui 
y  figurent ,  sur  la  profession  du  personnage  principal ,  sur  les  attri- 
buts de  cette  profession ,  sur  les  couronnes  qui  décorent  chacun  des 
deux  pilastres  de  l'édicule  et  sur  celle  qui  est  placée  à  droite  de  l'in- 
scription ,  me  paraît  être  d'une  vérité  incontestable  et  ne  peut  que 
jeter  beaucoup  de  lumière  sur  plus  d'une  question  restée  obscure  jus- 
qu'à ce  jour.  Mais  il  est  quelques  points  sur  lesquels,  malgré  toute  ma 
confiance  dans  l'étendue  de  votre  érudition  et  là  sûreté  de  votre  cri- 
tique, je  ne  saurais  tomber  d'accord  avec  vous.  Trouvez  bon  que  je 
vous  les  fasse  connaître,  et  que  je  vous  expose  les  motifs  de  mon 
dissentiment. 

Et  d'abord  si,  comme  vous,  j'admets  que  la  dernière  partie  de 
l'inscription  est  poétique ,  je  n'y  vois  pas  avec  vous  un  hexamètre 
dactylique  dont  le  premier  pied  aurait  été  oublié.  J'y  retrouve ,  au 
moyen  d'une  très-légère  modification ,  le  pentamètre  suivant  dont 
l'allure  vous  semblera  sans  doute  conforme  à  celle  des  bons  modèles  : 

Evvazt  7rvy.T£yo'aç  ^X£T0   £'*  At$yjv. 

Il  est  très-permis  d'admettre  que  le  graveur  de  lettres  aura  substi- 
tué à  la  forme  poétique  evvaxi ,  dont  les  exemples  sont  assez  rares  (2), 
le  mot  ivv.zch.iq  qui  lui  était  beaucoup  plus  familier.  Dès  lors  il  n'est 
plus  besoin  de  rétablir  le  mot  Aavaoç ,  soit  au  commencement  du 


(1)  Voyez  plus  haut,  p.  1  et  suiv. 

(2)  Les  éditeurs  du  Nouveau  Trésor  de  la  langue  grecque  en  citent  un  seul 
exemple  emprunté  à  Y  Anthologie  palatine ,  XIV,  120,  8,  'Emûu  Vbnkx  Mofoat. 


LETTRE    A    M.    LETRONNE.  85 

vers  ,  soit  après  Ivveaxjç ,  non  plus  que  de  supposer  que  la  crase  ou 
plutôt  l'élision  de  Yo  a  été  oubliée  dans  or^ero  ,  et  qu'il  faut  de  plus 
changer  elg  en  èç  ,  ce  qui  franchement  laisserait  trois  erreurs  en  cinq 
mots  à  la  charge  du  pauvre  lapicide.  Cette  sorte  de  gens  était  sans 
doute  parfois  assez  inhabile,  mais  il  est  vrai  de  dire  aussi  que  nous 
autres  épigraphistes,  nous  leur  prêtons  d'ordinaire,  très-libérale- 
ment, beaucoup  plus  d'étourderies  qu'ils  n'en  commettaient. 

Dans  la  scène  qui  nous  offre  trois  personnages  prenant  part  à  un 
repas  commun  ,  vous  voyez  non  pas  un  banquet  funèbre ,  comme  on 
était  convenu  jusqu'ici  de  désigner  ce  genre  de  sujets  qui  ne  se 
retrouvent  que  sur  des  monuments  funéraires ,  mais  une  scène  de  la 
vie  intérieure  représentée  dans  les  circonstances  habituelles.  Cette  opi- 
nion, il  faut  bien  le  dire,  se  rapproche  beaucoup  du  système  d'inter- 
prétation généralement  suivi  par  Zoëga  dans  l'explication  de  ses  Bas- 
sirilievi ,  système  qui  tend  à  substituer  des  scènes  tirées  de  la  vie 
privée  aux  allusions  religieuses  et  mythologiques  que  Winckelmann 
et  Visconti  reconnaissaient  dans  le  plus  grand  nombre  des  monuments 
figurés  de  l'antiquité  (1). 

Si  pour  ce  monument,  comme  pour  tous  les  bas-reliefs  de  même 
nature,  vous  rejetez  la  qualification  de  banquet  funèbre  employée  par 
la  plupart  des  archéologues,  c'est  parce  que,  selon  vous ,  cette  qualifi- 
cation ne  peut  s'entendre  que  de  banquets  en  l'honneur  ou  en  commémo- 
ration de  personnes  mortes,  et  qu'ici  au  mort  sont  associées  deux 
personnes  vivantes.  Vous  vous  élevez  pour  le  même  motif  contre  le 
titre  de  lectisternia  ou  de  supplications  donné  à  des  sujets ,  suivant 
vous ,  d'une  nature  tout  à  fait  semblable,  et  vous  pensez  que  doré- 
navant les  antiquaires  seront  disposés  à  adopter  pour  de  telles 
scènes  la  dénomination  de  repas  de  famille. 

Par  une  déduction  tout  à  fait  logique,  vous  vous  refusez  à  voir 
dans  le  chien  qu'on  rencontre  sur  beaucoup  de  ces  monuments  un 
symbole  de  fidélité  ou  de  vigilance ,  ou  tout  autre  symbole.  Ce  n'est 
plus  pour  vous  que  Vami  de  la  maison  qui  assiste  au  repas  quotidien 
dont  il  réclame  et  obtient  sa  part. 

Vous  allez  plus  loin  :  la  tête  de  cheval  qui  se  montre  par  une  fenêtre 
sur  trois  de  ces  sujets  (2)  n'a  point  la  signification  symbolique  qu'on 

(1)  Voyez  ce  que  j'ai  dit  à  ce  sujet  dans  mes  Monuments  figurés,  p.  122 
et  suiv. 

(2)  Le  nombre  des  monuments  auxquels  vous  faites  allusion  ,  est  beaucoup  plus 
considérable  que  vous  ne  paraissez  le  croire.  Pour  ma  part  j'en  pourrais  facilement 
citer  près  de  vingt.  On  ne  saurait  dire  qu'ici  le  nombre  ne  fait  rien  à  l'affaire. 


86  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

a  cru  pouvoir  lui  attribuer,  et  tout  en  admettant  que  dans  beaucoup 
de  monuments  funéraires  le  cheval  est  un  symbole  du  dernier  voyage, 
vous  voulez  que  dans  les  exemples  que  vous  indiquez  le  bas-relief, 
publié  par  JVlontfaucon  (l),  et  les  deux  bas-reliefs  que  Winckel- 
mann  a  fait  connaître  le  premier  (2) ,  cet  accessoire  figure  comme 
une  expression  propre  et  directe.  Ce  n'est  là ,  dites-vous ,  que  le  com- 
pagnon d'armes  ou  de  voyage  du  défunt.  Si  Von  n'aperçoit  que  sa  tête 
c'est  que  l'espace  ne  permettait  pas  de  le  représenter  en  entier.  On  ima- 
ginait alors  cette  fenêtre ,  au  moyen  de  laquelle  on  expliquait  natu- 
rellement la  présence  de  l'animal  dans  le  tableau  sans  qu'on  fût  obligé 
de  représenter  le  reste  du  corps.  Ce  mode  de  représentation  n'est  donc 
rien  autre  chose  qu'un  expédient  pour  concilier  la  présence  nécessaire 
de  ce  compagnon  du  défunt  avec  l'exiguïté  de  la  place.  De  cette  ma- 
nière ,  il  faisait  partie  de  la  scène  sans  l'embarrasser. 

En  partant  du  même  principe  que  pour  le  chien,  il  semblerait 
résulter  de  tout  cela  que  le  cheval,  avant  la  mort  du  défunt,  assistait 
aux  repas  de  la  famille  et  qu'on  l'aurait  représenté  dans  son  entier 
comme  sur  l'un  des  bas-reliefs  de  Winckelmann  si  l'on  n'eût 
craint  qu'il  ne  tînt  trop  de  place.  C'est,  à  bien  peu  de  chose  près, 
l'explication  proposée  assez  burlesquement  par  Zoëga  (3) ,  qui  voyait 
dans  la  fenêtre  en  question  la  lucarne  d'une  écurie  préparée  dans  le 
voisinage  de  la  salle  à  manger  :  onde  il padrone possa  godere  l'aspetto 
del  suo  bucefalo. 

Gomme  les  idées  que  vous  attaquez,  mon  savant  confrère,  ont 
été  émises  par  moi  dans  un  travail  qui  est  le  fruit  de  longues  re- 
cherches et  de  méditations  sérieuses  (4),  dans  un  travail  auquel 
vous-même  vous  voulez  bien  donner  plus  d'éloges  qu'il  n'en  mérite , 
surtout  si  j'ai  aussi  mal  rencontré  que  vous  le  feriez  supposer,  vous 
trouverez  bon ,  j'en  suis  sûr,  que  je  les  défende  et  que  je  soumette 
ma  réponse  au  public,  comme  vous  lui  avez  soumis  votre  critique. 


[D  Antiquités  expliquées,  t.  III,  pi.  60. 

(2)  Monum.  ined.  pi.  19  et  20. —  On  pourrait  croire  d'après  votre  note  1,  p.  9, 
que  les  deux  bas-reliefs  publiés  par  Winckelmann  ,  Mon.  ined.  n°  19  et  20  ,  sont 
différenlr;  de  ceux  que  Zoëga  a  insérés  dans  ses  Bassirilieri,  non  pas  pi.  XXXVJ 
comme  vous  l'indiquez,  mais  pi.  XI  et  XXX VI.  Ce  sont  identiquement  les  mêmes 
à  quelques  restaurations  près  que  l'un  d'eux  avait  subies  depuis  la  première  édi- 
tion. Du  reste  là  liste  que  vous  donnez  pourrait  être  considérablement  accrue,  comme 
il  vous  sera  facile  de  vous  en  convaincre  en  relisant  mon  Mémoire. 

(3)  Rassirrilievi ,  t.  I,  pi.  XXXVI. 

(4)  Expêd.  noient  de  Morre,  t.  II,  p.  1 1 R  et  suiv.  ;  p.  85  à  246  du  tirage  a 
partln-R. 


LETTRE   A  M.    LETRONNE.  87 

Je  dois  avant  tout  prendre  acte  d'un  fait.  Vous  reconnaissez  que  sur 
beaucoup  de  monuments  funéraires  le  cheval  est  un  symbole  du  dernier 
voyage.  Cela  posé,  je  vous  demanderai  si  vous  admettez  que  sur  les  bas- 
reliefs  où  l'on  voit  un  ou  plusieurs  personnages,  de  l'un  ou  l'autre  sexe, 
représentés  avec  certains  attributs,  ayant  devant  eux,  dans  une  attitude 
de  suppliants,  des  individus  presque  toujours  d'un  âge  mûr,  mais  d'une 
taille  beaucoup  moins  élevée  que  la  leur,  on  peut  avec  toute  sûreté 
reconnaître  un  dieu  ou  un  héros  invoqué  par  des  mortels  ;  et ,  pour 
prendre  des  exemples  bien  connus,  si  vous  reconnaissez  dans  le  bas- 
relief  du  Musée  royal ,  n°  261  (1) ,  une  déesse  ayant  devant  elle  une 
procession  de  suppliants;  si  un  bas-relief  provenant  d'Eleusis,  et 
appartenant  à  M.  Pourtalès-Gorgier,  vous  offre  comme  à  M.  Pa- 
nofka  (2),  à  K.  0.  Mùller  (3^,  et  à  tant  d'autres,  Déméter  et 
Perséphoné  auxquelles  une  famille  vient  sacrifier  un  porc?  Si  les 
personnages  assis  de  la  frise  du  Parthénon  sont  pour  vous ,  comme 
pour  Visconti  (4) ,  et  pour  tous  les  antiquaires  qui  ont  parlé  de  ces 
précieux  restes  de  la  plus  belle  époque  de  l'art ,  les  principales  divi- 
nités de  la  Grèce  (5)?  Vous  me  répondrez  affirmativement  j'en  suis 
sûr;  mais  si  par  hasard  vous  conserviez  encore  quelques  doutes  à  ce 
sujet ,  il  me  suffirait,  pour  obtenir  votre  assentiment,  de  vous  rap- 
peler un  monument  trouvé  à  Athènes  dans  ces  dernières  années.  On 
y  voit  un  personnage  nu ,  d'une  taille  plus  qu'humaine ,  et  près  de 
la  tète  duquel  on  lit  0H2EY2  ;  il  est  invoqué  par  deux  personnages 
d'âge  différent  et  au-dessus  de  la  tête  du  plus  âgé  sont  gravés  ces 
mots  :  2minn02  ;  NÀYÀPXIàO  i  ANEOHKEN  (6).  Évidem- 
ment le  titre  de  supplication  ou  d'invocation,  si  vous  l'aimez  mieux, 
ne  peut  être  refusé  à  la  scène  que  nous  retrace  cet  âvaQyjpz  et  la  po- 
sition relative  des  acteurs  ne  saurait  laisser  matière  à  aucun  doute. 

Passons  maintenant  aux  scènes  sculptées  sur  des  marbres  de  même 

(1)  Ce  bas-relief  décore  Tune  des  parois  de  l'arcade  qui  précède  la  salle  du  Héros 
combattant. 

(2)  Antiques  du  cabinet  Pourtalès-Gorgier ,  pi.  18. 

(3)  Monuments  de  l'art  antique,  t.  II ,  pi.  VIII ,  fig.  96.    # 

(4)  Museo  Worsleiano,  tav.  LIV,  p.  154  ,  seq. 

(5)  Il  me  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  à  l'aide  des  bas-reliefs  repro- 
duits dans  les  différents  recueils  de  monuments  figurés  et  d'y  ajouter  plusieurs 
marbres  que  j'ai  fait  dessiner  à  Athènes.  Je  me  contenterai  de  renvoyer  aux  An- 
tichità  di  Ercolano ,  Pilture ,  t.  I,  tav.  5 ,  et  à  l'explication  de  cette  planche. 

(6)  Voyez  le  Journal  archéologique  d'Athènes,  n°  570,  le  Journal  archéolo- 
gique de  Berlin,  pi.  XXXIII ,  fig.  2  ,  et  l'article  que  j'ai  consacré  à  ce  monument 
dans  le  volume  des  Annales  de  l'institut  archéologique  qui  doit  paraître  très-pro- 
chainement. 


88  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dimension  que  ceux  dont  je  viens  de  parler  et  dans  un  encadrement 
semblable,  mais  où  les  personnages  plus  grands  que  nature  sont ,  non 
plus  debout,  mais  couchés  ou  assis.  Examinons  d'abord  le  bas-relief  de 
Merbacca,  publié  dans  Y  Expédition  scientifique  de  Morée  (l);  ai-je  eu 
tort  de  voir  dans  le  bélier  qu'un  jeune  sacrificateur  conduit  à  l'autel 
les  préparatifs  d'un  repas  sacré,  qu'une  famille  de  suppliants  rangée 
sur  deux  files  vient  offrir  à  deux  personnages  de  sexe  différent  et  plus 
grands  que  nature,  dont  l'un  est  couché  sur  un  lit  et  l'autre  assis  au 
pied  de  ce  même  lit?  Ai-je  eu  tort  de  voir  dans  le  premier  un  dieu,  et 
dans  sa  compagne  une  déesse?  Ai-je  eu  tort,  à  la  vue  du  serpent  qui 
semble  se  dresser  pour  boire  dans  la  coupe  que  devait  tenir  la  déesse, 
de  reconnaître  en  elle  Hygiée ,  et  dans  le  dieu  couché  son  père  Escu- 
lape  dont  la  forme  idéalisée,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  remarqué  (2),  rappelle 
beaucoup  celle  des  trois  plus  granas  dieux  Jupiter,  Neptune  et  Plu- 
ton?  Si  vous  ne  me  donnez  pas  raison,  trouvez  bon  que  je  persiste 
dans  ce  que  vous  regardez  comme  une  erreur,  d'autant  plus  que  le 
monument  en  question  provient ,  à  n'en  pas  douter,  des  environs 
d'Argos ,  où  Esculape  avait  un  sanctuaire,  et  qu'il  offre  une  analogie 
frappante  avec  un  bas-relief  inédit  que  j'ai  fait  dessiner  à  Ligourio, 
non  loin  de  l'antique  hiéron  d'Épidaure ,  le  siège  principal  du  dieu- 
médecin.  On  y  voit  à  droite  Esculape  debout,  la  poitrine  nue,  la 
tête  ombragée  d'une  épaisse  chevelure,  la  main  droite  appuyée  sur 
un  bâton  autour  duquel  s'enroule  un  serpent.  A  sa  droite  est  Hygiée 
soulevant  son  voile  comme  pour  se  manifester  et  annoncer  qu'elle  est 
favorable.  Devant  elle  est  un  autel  où  un  jeune  ministre  conduit  un 
porc.  A  gauche  de  la  scène  une  famille  de  suppliants ,  suivie  d'une 
canéphore  portant  sur  sa  tête  une  corbeille  qui  doit  contenir  tous  les 
objets  préparés  pour  le  sacrifice. 

Il  est  bien  vrai  que  sur  l'àva0yjua  de  Ligourio  on  ne  voit  point  la 
tête  de  cheval  ;  mais  elle  ne  figure  pas  non  plus  sur  tous  les  bas- 
reliefs  que  vous  appelez  des  repas  de  famille  et  il  est  très- permis  de 
penser  que  cet  accessoire  n'était  pas  de  rigueur,  mais  qu'il  avait  uni- 
quement pour  motif  de  donner  plus  de  précision  au  sens  des  monu- 
ments sur  lesquels  il  était  représenté. 

Si  donc  le  bas-relief  de  Merbacca  est  bien,  comme  je  l'ai  avancé,  un 
ex-voto  consacré  à  Esculape  et  à  Hygiée  en  commémoration  d'une  cure 


(1)  T.  II,  pi.  62. 

(2)  Geppert,  Die  Gœtler  und  Heroen  der  allen  ff  etl ,  p.  478.  K.  O.  Mullcr, 
sfrchœnlogie  der  Kunsl,  §  400,  etc. 


LETTRE    A    M.    LETRONNE.  89 

due  à  leur  intervention,  quel  peut  être  le  sens  de  la  tète  de  cheval  qu'on 
remarque  dans  l'angle  gauche  du  tableau?  Évidemment  ce  n'est  point 
la  monture  du  dieu.  Aucune  tradition  mythologique,  que  je  sache, 
n'autorise  à  lui  attribuer  un  coursier  favori.  Ce  ne  peut  donc  être 
qu'un  symbole ,  et  une  fois  admis  que  le  cheval  est  un  symbole  du  der- 
nier voyage,  je  persiste  à  croire  que  je  ne  puis  être  loin  de  la  vérité 
quand  j'y  vois  le  cheval  de  QavaToq ,  qui ,  sans  Esculape ,  allait  em- 
porter dans  l'autre  vie  le  malade  pour  lequel  on  avait  imploré  le  secours 
du  dieu  de  la  médecine.  Si  vous  l'aimez  mieux  ce  sera  l'hippocampe 
qui,  sur  plusieurs  monuments  d'époques  et  de  lieux  très-divers  (1), 
transporte  une  âme  par  delà  les  mers  dans  les  îles  fortunées,  et  qui 
figure  comme  symbole  de  ce  voyage  sur  une  peinture  du  tombeau 
des  Nasonii  (2).  Vous  allez  rire,  j'en  suis  sûr,  mon  cher  confrère,  et 
peut-être  même  hausser  les  épaules,  mais  je  ne  serais  pas  très-éloigné 
de  croire  que  la  superstitieuse  antiquité  avait  trouvé  entre  la  science 
et  le  nom  du  prince  des  médecins,  Hïppocrate,  un  rapport  aussi 
frappant  qu'entre  le  nom  et  les  vertus  d'Aristide.  J'ajouterai  encore 
que  là  où  l'on  observe  le  symbole  en  question  ïex-voto  devait  se  rap- 
porter à  la  guérison  d'une  maladie  regardée  comme  mortelle,  et  que 
là  où  il  manque  il  s'agissait  de  l'éloignement  d'un  danger  beaucoup 
moins  grave. 

Quoi  qu'il  erj  soit  relisez,  je  vous  en  prie,  avec  quelque  attention 
ce  que  j'ai  dit  sur  ce  principal  symbole  de  la  mort  imminente  (3); 
examinez  les  preuves  à  l'aide  desquelles  j'établis  qu'une  tradition 
constante  qui,  partant  de  l'antiquité,  a  traversé  le  moyen  âge  et  se 
retrouve  encore  aujourd'hui  dans  quelques  proverbes  populaires ,  a 
constamment  donné  pour  monture  à  la  personnification  de  la  mort 
un  cheval  blanc ,  pâle ,  noir,  ou  quelque  autre  animal  soit  idéal  soit 
réel  offrant  avec  lui  quelque  analogie,  et  si  mon  explication  du  sym- 

(1)  Inghirami ,  Mon.  Etr.,  ser.  I ,  tav.  VI.  Montfaucon  ,  Anliq.  expl.  t.  V,  pi. 
LVI,  fig.  2.  Voyez  encore  dans  la  Revue  archéologique ,  le  savant  travail  de 
M:  Maury  sur  les  divinités  psychopompes,  t.  II,  p.  672  et  suiv. 

(2)  Bellori  sepolcri  de'  Nasonii,  pi.  VIII.  —  Le  cheval  et  l'hippocampe  ne  sont 
pas  les  seules  montures  qui,  dans  les  idées  de  l'antiquité  païenne,  transportaient  les 
morts  aux  Champs-Elysées.  Un  bas-relief  trouvé  par  Lechevalier,  sur  une  pierre  sé- 
pulcrale dans  les  environs  d'Alexandria  Troas ,  représente  un  petit  personnage  avec 
des  ailes  de  papillon  et  dans  une  attitude  mélancolique ,  monté  sur  un  chameau 
qu'il  conduit  par  la  bride.  C'est  encore  un  symbole  du  dernier  voyage  approprié  aux 
usages  de  l'Asie.  Ployez  Lechevaler,  Voyage  dans  la  Troade,  p.  265  et  suiv. 

(3)  Je  dis  le  principal,  parce  qu'il  est  loin  d'être  le  seul.  J'aurai  occasion  de 
revenir  sur  ce  sujet  dans  l'ouvrage  que  je  prépare,  et  où  je  rendrai  compte  des  ré- 
sultats de  ma  mission  dans  le  Levant. 


90  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

bole  en  question  ne  vous  satisfait  pas ,  trouvez-en  une  meilleure , 
j'applaudirai ,  mais  à  la  condition  que  vous  resterez  sur  le  terrain  du 
symbolisme,  terrain  brûlant,  je  le  sais,  mais  sur  lequel  il  n'est 
point  d'antiquaire  qui  ne  soit  obligé  de  s'aventurer,  ne  fût-ce  qu'une 
fois  dans  sa  vie. 

J'aime  à  croire,  mon  cher  confrère,  que  je  puis  maintenant  faire 
un  pas  en  avant  avec  l'idée  rassurante  que  vous  acceptez  comme  vrai 
ce  qui  précède,  sinon  dans  tous  les  détails,  au  moins  dans  l'ensemble. 
J'en  viens  donc  aux  bas-reliefs  de  Winckelmann ,  et  je  prends  celui 
qui  est  conservé  à  la  Villa  Albani.  Pouvez-vous,  je  vous  le  demande,  y 
voir  encore  un  repas  de  famille?  À  l'exception  de  l'autel  et  de  la  victime 
qui  y  manquent,  peut-être  parce  que  Y  espace  ne  permettait  pas  de  les 
représenter,  n'y  retrouvons-nous  pas  identiquement  le  même  sujet  que 
sur  le  monument  de  Merbaka  :  un  dieu  barbu  couché,  une  déesse 
assise  au  pied  du  lit,  quatre  suppliants,  et,  non  plus  dans  l'angle 
gauche,  mais  un  peu  en  avant  du  pilastre,  une  tête  de  cheval  tournée, 
non  plus  à  droite,  mais  à  gauche,  variante  assez  rare,  unique  même 
jusqu'ici,  à  ma  connaissance,  mais  qu'on  peut  expliquer  en  y  voyant 
le  symbole  redoutable  se  préparant  déjà  à  fuir  d'un  lieu  d'où  l'inter- 
vention du  dieu  sauveur  va  le  chasser?  J'ajouterai  que  le  chien  qu'on 
aperçoit  sous  le  lit  ne  saurait  être  ici  l'ami  de  la  maison,  non  plus 
qu'un  symbole  de  fidélité  ou  de  vigilance,  mais  bien  l'un  des  attributs 
que  l'antiquité  donnait  à  Esculape  pour  quelqu'une  des  raisons  que 
j'ai  exposées  dans  le  Mémoire  auquel  je  prends  la  liberté  de  vous  ren- 
voyer (1).  U  n'est  pas  plus  déplacé  ici  qu'à  Épidaure  où  le  statuaire 
Thrasimède  l'avait  représenté  auprès  du  trône  d'Esculape ,  *àà  oi 
xuwv  TTocpay.XTaY.ei[j.EVoç  itenoinrou  (2). 

Mais  me  direz-vous  peut-être,  comment  expliquez-vous  le  cheval 
qu'on  voit  dans  son  entier  sur  l'autre  marbre  dont  on  doit  la  connais- 
sance à  Winckelmann?  Je  vais  peut-être  vous  paraître  bien  auda- 
cieux ;  mais  je  parierais  gros,  et  avec  la  presque  certitude  de  gagner, 
que  ce  monument,  qui  existe  sans  doute  encore  au  palais  Albani, 
n'est  pas ,  dans  la  représentation  que  Winckelmann  en  a  donnée , 
tel  qu'il  était  sorti  des  mains  de  l'artiste  grec  auquel  il  est  dû.  Toute 
la  partie  gauche  à  partir  du  siège  de  la  déesse  est  évidemment,  pour 
moi,  d'une  main  moderne  et  devait  être  dans  le  principe  occupé  par 
un  groupe  de  suppliants.  L'artiste  chargé  de  la  restauration  voyant 

(1)  P.  114,  du  tirage  àpartin-8. 

(2)  Pausan.,  liv.  II,  ch.  27,  §  2. 


LETTRE   A    M.    LETRONNE.  91 

une  tète  de  cheval  en  avant  de  celle  de  la  déesse  qui  écarte  son  voile, 
a  complété  la  scène  par  la  représentation  entière  de  cet  animal,  sans 
rechercher  s'il  existait  des  monuments  analogues  qui  pussent  le  gui- 
der plus  sûrement  que  son  imagination  dans  un  travail  qu'il  a  ,  du 
reste,  exécuté  avec  une  lourdeur  que  n'offre  point  la  partie  vraiment 
antique.  Oui,  de  môme  que  nous  retrouvons  à  droite  du  dieu  le  jeune 
échansori ,  de  même  aussi  devait  s'offrir  à  gauche  la  famille  qui  avait 
consacré  Y  ex-voto.  Que  de  monuments  ainsi  dénaturés  par  des  restau- 
rateurs inhabiles  !  Je  n'en  veux  prendre  pour  exemple  que  le  bas- 
relief  de  la  Villa  Albani  dont'nous  venons  de  parler  plus  haut.  A 
l'époque  où  Winckelmann  l'a  publié,  la  tête  et  la  poitrine  de  chacun 
des  quatre  suppliants  manquaient  en  entier.  Les  trois  premiers 
étaient,  sans  aucun  doute,  trois  hommes  s'avançant,  le  bras  nu  et  la 
poitrine  découverte;  eh  bien!  le  restaurateur  italien  en  a  fait  trois 
jeunes  filles  |3a9uxo).7roi ,  ou ,  comme  il  devait  s'exprimer  dans  son 
idiome,  tre  ragazze  benpettorute,  et  du  quatrième  qui  était  une  femme 
voilée,  il  a  eu  l'idée  non  moins  malencontreuse  d'en  faire  un  homme 
dans  une  pose  qui  rappelle  l'Aristide ,  ou  mieux  l'Eschine  de  Naples. 

Maintenant,  mon  cher  confrère,  si  vous  n'êtes  point  trop  fatigué 
de  cette  promenade  archéologique,  voulez-vous  que  nous  examinions 
le  monument  publié  par  Montfaucon?  Les  convives  y  sont  au  nombre 
de  trois,  il  est  vrai,  mais  ils  sont  d'une  taille  plus  élevée  que  les  sup- 
pliants qui  les  implorent ,  et  près  d'eux  se  tient  l'échanson  obligé.  Ce 
sont  donc  trois  divinités,  Esculape,  un  de  ses  fils  et  Hygiée ,  ainsi 
que  je  l'ai  déjà  avancé  dans  mon  Mémoire,  d'où  l'on  peut  induire  que 
ce  monument  provient  d'un  lieu  oùEvamérion  ouAcésius,  le  même  que 
Télesphore,  était  associé  aux  honneurs  divins  de  son  père.  La  cané- 
phore  qui  suit  la  famille,  comme  dans  la  scène  de  Ligourio,  ne  peut 
laisser  d'incertitude  sur  le  sacrifice  qui  va  précéder  le  repas  sacré.  La 
tête  de  cheval  est  donc  encore  ici  une  expression  symbolique. 

Assurément  le  dessin  que  Montfaucon  a  publié  de  cet  ex-votoy  exé- 
cuté par  un  artiste  auquel  manquait  de  tout  point  le  sentiment  de 
l'antiquité,  ne  doit  nous  donner  qu'une  idée  fort  imparfaite  de  l'école 
à  laquelle  il  est  dû  ;  mais  je  suis  disposé  à  croire  qu'il  appartient  à 
une  époque  où  les  types  consacrés  n'avaient  encore  rien  perdu  de  leur 
originalité. 

Une  réflexion  me  frappe,  c'est  que  sur  tous  les  monuments  de  cette 
classe,  qu'il  m'a  été  donné  d'observer  dans  les  différents  musées  de 
France,  d'Italie  et  de  Grèce,  les  deux  personnages  principaux  ont  le 
même  caractère  et  pour  ainsi  dire  la  même  physionomie,  cette  phy- 


92  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

sionomie  idéalisée  que  les  artistes  du  grand  siècle  savaient  si  bien 
prêter  aux  dieux  ,  tandis  que  sur  beaucoup  d'autres  monuments  dans 
lesquels  on  ne  saurait  voir  des  àvaQ^ara,  mais  bien  des  stèles  fu- 
néraires, les  physionomies,  les  poses  et  les  accessoires  varient  à 
l'infini,  alors  même  que  la  taille  des  nombreux  acteurs  n'offe  d'autre 
différence  que  celle  qui  résulte  des  âges.  On  en  peut  conclure,  ce  me 
semble,  que,  dans  la  première  classe,  ce  sont  toujours  les  mêmes 
individus  qui  sont  reproduits,  et  que  par  conséquent  ces  individus 
doivent  être  des  dieux;  tandis  que,  dans  la  seconde,  ce  ne  peuvenf 
être  que  des  mortels.  Nouvel  argument  en  ma  faveur. 

Ne  vous  rendez-vous  point  encore, mon  savant  confrère? Persistez- 
vous  encore  à  voir,  dans  ces  banquets  sacrés,  des  scènes  d'intérieur, 
des  repas  de  famille?  Eh  bien  alors,  dites-moi,  que  ferez-vous  des 
monuments  offrant,  il  est  vrai ,  des  sujets  semblables,  mais  où  le  per- 
sonnage couché  est  coiffé  d'un  modius  (l)?  Évidemment  le  modius 
n'a  jamais  coiffé  un  humble  mortel;  c'est  l'attribut  de  Sérapis  ou  de 
Pluton.  Ces  bas-reliefs  nous  offrent  donc  bien  des  dieux. 

Vous  faut-il  encore  d'autres  preuves?  Prenons-les  dans  les  inscrip- 
tions. Elles  attestent  que  de  nombreux  ex-voto  étaient  consacrés  par 
les  familles  à  Esculape  et  à  Hygiée  pour  obtenir  le  rétablissement  de 
la  santé  de  quelqu'un  des  leurs  et  surtout  des  enfants  dont  le  jeune 
âge  est  sans  cesse  menacé  jusqu'après  le  développement  de  la  puberté. 
Vous  connaissez  tout  aussi  bien  que  moi  celles  que  contient  le  Cor- 
pus (2)  ;  il  me  suffira  donc  d'en  citer  une ,  puisque  presque  toutes  se 
ressemblent  : 

A0HNAI02KAIArA0HMEPI2 

YnEPTnNYinNAOHNAIOY 

KAinAMOIAOYASKAHnin 

KAlYrEIAl. 

ABrivaioç  %a\  AyxQin^eplç  vitlp  twv  vlûv  AQ^vaiov  y.ou  Uapyllov 
Ao7}/737nw  Y.OU  Yyeia. 

N'est-il  pas  plus  que  vraisemblable  que  la  gravure  de  ces  inscrip- 
tions, qui  presque  toutes  sont  entièrement  isolées,  n'était  pas  confiée  à 
l'artiste  qui  avait  sculpté  le  bas-relief  qu'elles  devaient  accompagner; 
que  cette  partie  de  YàvaBnux  était  exécutée  séparément  par  un  ou- 
vrier d'un  ordre  inférieur  et  placée  au-dessous  de  l'offrande  ou  du 

(1)  Marra.  Oxon.,  p.  I,  lab.  LU,  fig.  137  et  138,  Musée  Worsley,  vol.  I,  p.  28  , 
Lond.  1824,  tav.  VI,  fig.  I,  éd.  de  Milan. 

(2)  N°»  460 ,  2038 ,  2046  ,  2390 ,  2397  ,  etc. 


LETTRE  A  M.    LETRONNE.  93 

tableau  votif?  Il  me  serait  facile  de  multiplier  les  exemples  de  ce 
fait.  Comme  il  ne  peut  vous  avoir  échappé ,  je  me  bornerai  à  un  seul 
qui  ne  vous  est  sans  doute  pas  connu.  C'est  une  tablette  en  bronze 
que  je  possède  et  que  je  dois  à  l'amitié  de  M.  Borrell.  Elle  accom- 
pagnait dans  le  principe  des  candélabres  garnis  de  leurs  lampes  qu'un 
père  avait  consacrés  à  Apollon  pour  la  santé  de  sa  fille ,  et  devait 
être  fixée  à  la  muraille  d'un  temple  au  moyen  d'un  clou  pour  le  pas- 
sage duquel  un  trou  avait  été  pratiqué  au-dessous  de  la  ligne  3. 

M*  ePCNNIOC  ePMO 
AAOC  *neP.  ePGNNIAC 
AAKHC  THC  OYI"ATPOC 
£¥XHN  AnOAAGONI 

TACAYXNIACCYNT01C 
AYXNOIC 

i  M.  Epe'wioç  Eppio'Aaoç  vnep  Epevviaq  AAxyîç  tyiç  Bvytxrpbç  ev%hv 
AkôIIwji  zàç  Iv/ytaç  cùy  toïç  Ivyvoiç. 

Comme  sur  les  bas-reliefs  que  j'ai  rangés  dans  la  classe  des  ex-voto, 
et  qui  avaient  pour  objet  de  perpétuer  le  souvenir  de  supplications 
adressées  aux  dieux  salutaires  et  accueillies  favorablement  par  eux , 
des  enfants  plus  ou  moins  nombreux  figurent  presque  toujours,  m'ac- 
corderez-vous ,  mon  cher  confrère ,  que  les  inscriptions  en  question, 
quand  elles  ne  désignent  pas  la  nature  des  offrandes,  devaient  accom- 
pagner des  monuments  de  ce  genre?  Pour  ma  part  je  persiste  à  le 
croire  très-fermement. 

Ce  n'était  pas  seulement  Esculape  et  Hygiée  qu'on  invoquait 
dans  les  circonstances  en  question ,  c'était  aussi  Pluton  et  Proser- 
pine  (l);  Apollon  seul ,  comme  dans  l'exemple  que  je  viens  de  citer, 
ou  réuni  à  Esculape  et  à  Hygiée,  comme  sur  une  inscription  du 
temple  d'Apellon  Didyme  aux  Branchides  (2).  Et  quand  le  culte  des 
dieux  égyptiens  eut  été  introduit  en  Grèce,  ce  furent  aussi  Sérapis 
et  Isis  auxquels  on  réunissait,  soit  isolément,  soit  tous  ensemble 
Anubis,  Harpocrate,  Canope  et  les  Dioscures  (3).  Les  monuments 
figurés  le  prouvent  aussi  bien  que  les  inscriptions,  et  je  soutiens  que 
là  où  le  dieu  est  coiffé  d'un  modius,  la  supplication  s'adresse  aux 
puissances  infernales,  tandis  que  là  où  le  nombre  des  divinités  s'élève 

(1)  Corp.  inscr.  qr.,  u°  517. 

(2)  lbîd.,  n°  2864. 

(3)  Ibid.,  n08 1729 ,  2304,  2302,  1808  ,  etc. 


94  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

au-dessus  de  deux ,  il  faut  reconnaître  Apollon ,  Esculape  et  Hygiée 
ou  ces  deux  derniers  et  Évhamérion. 

Il  faut  donc  bien  convenir  de  bonne  foi  que  toute  cette  classe 
de  bas-reliefs  nous  offre  des  ex-voto  consacrés  aux  dieux  sau- 
veurs, et  que  la  tête  de  cheval  est  une  expression  symbolique,  de 
quelque  manière  qu'on  veuille  l'entendre.  Le  nom  de  supplications 
sous  lequel  je  les  ai  rangés  n'était  donc  pas  aussi  blâmable  que  vous 
le  pensiez. 

Voyons  maintenant  si  la  dénomination  de  lectisternia  que  j'ai 
donnée  à  cette  même  classe  de  bas-reliefs,  mérite  davantage  la 
réprobation  dont  vous  l'avez  frappée.  Et  d'abord,  fixons-nous  bien 
sur  le  sens  du  mot  lectisterniam.  Ce  mot,  dans  sa  signification  la  plus 
ancienne  et  la  plus  généralement  connue ,  désigne ,  notamment  chez 
Tite-Live,  un  repas  qu'on  offrait  aux  divinités  dans  certaines  solen- 
nités importantes,  et  dans  lesquelles  on  couchait  les  statues  des  dieux, 
tandis  que  celles  des  déesses  étaient  assises.  J'ai  donc  pu  par  analogie 
employer  ce  mot  en  parlant  de  la  classe  de  monuments  où  je  vois  des 
repas  sacrés,  hpou  Boivai.  Plus  tard,  et  par  extension,  on  employa 
ce  mot  en  parlant  de  certains  repas  funèbres  qu'on  offrait  aux  morts 
à  l'époque  des  Parentalia  et  des  Feralia,  ainsi  que  le  prouvent  plu- 
sieurs inscriptions  latines  (1).  Voilà  pourquoi,  â  l'occasion  d'une 
autre  classe  de  monuments  que  je  distingue  essentiellement  et  avec 
lesquels  vous  voulez  confondre  ceux  dans  lesquels  je  vois  des  ex- 
voto ,  j'ai,  par  analogie,  comparé  cette  cérémonie  aux  repas  funèbres , 
aux  r.epidenwx,  que  les  Grecs  donnaient  dans  des  solennités  analo- 
gues, c'est-à-dire,  aux  N£xu<7ta(2). 

Suis-je  plus  répréhensible  pour  avoir  vu ,  dans  ce  dernier  genre  de 
monuments,  un  repas  funèbre  qu'offrent,  aux  morts  héroïsés,  les 
membres  de  leur  famille  qui  leur  ont  survécu?  Il  est  constant,  n'est- 
il  pas  vrar,  que  plus  on  avance  dans  le  temps,  plus  on  voit  s'ac- 
croître la  facilité  avec  laquelle  les  Grecs  décernaient  aux  morts  les 

(1)  Gruter ,  753 ,  n°  4.  Lectisternium  tempore  parentaliorum  (sic)  prœbeant, 
cx%  CC  memoriis  ejusdem  Valerianœ  et  Appii  Valerianœ  filii  ejus  per  offi- 
ciâtes tesSariorum  quotannis  ponatur  et  parenlelur. 

(2)  Lectislernium ,  s'il  faut  en  croire  Servius  ,  ad  lrivg.  En.  XII,  199, a  encore 
un  autre  sens,  il  désigne  le  lieu  où  les  hommes  s'asseyaient  dans  les  temples  (Lec- 
tisternia dicunlur  ubi  homines  in  lemplo sedere  consacrant).  La  chose  cependant 
paraît  douteuse.  Je  serais  plutôt  porté  à  croire  que  par  extension  on  appliquait  ce 
nom  au  lit  lui-même  sur  lequel  on  plaçait  les  statues  des  dieux.  Mais  je  dois  convenir 
que  les  preuves  manquent  à  l'appui  de  cette  signification  ,  et  si  vous  me  blâmiez  de 
l'avoir  adoptée  une  fois ,  je  passerais  condamnation ,  sans  toutefois  me  regarder 
comme  bien  coupable. 

t 


LETTRE    A   M.    LËTRONNE.  95 

honneurs  héroïques  et  même  les  honneurs  divins.  On  est  donc  con- 
duit à  admettre  que  le  culte  des  morts ,  et  surtout  des  morts  de 
quelque  distinction,  dut  avec  le  temps  s'assimiler  de  plus  en  plus 
au  culte  des  dieux.  C'est  ce  que  démontrerait  avec  évidence,  dans 
1  absence  même  d'autres  preuves ,  l'extension  du  sens  qu'avait  pri- 
mitivement le  mot  leclisternium.  Voilà  pourquoi ,  sur  les  plus  anciens 
monuments  funéraires ,  on  ne  rencontre  aucune  représentation  de 
repas.  C'est  ce  dont  on  peut  se  convaincre  en  ouvrant  l'ouvrage  de 
Stackelberg,  intitulé  Die  Grœber  der  Hellenen,  et  surtout  eu  par- 
courant les  musées  d'Athènes.  Qu'y  voit-on  surtout?  des  stèles  cou- 
ronnées d'un  élégant  antéfixe  et  ne  portant  qu'une  inscription;  des 
vases  d'une  forme  simple  et  pure,  sur  la  panse  desquels  on  a  sculpté, 
en  très-bas  relief,  une  scène  d'adieux  ;  des  portes  de  tombeau,  des 
édicules  où  le  mort,  touchant  à  sa  dernière  heure,  est  entouré  de 
tous  les  siens,  où  les  femmes  reçoivent  leur  dernière  parure,  où  les 
hommes  livrent  leur  dernier  combat  ou  bien  se  préparent  à  leur  der- 
nier voyage;  où  le  plus  souvent  même  on  s'est  borné  à  retracer  leur 
image  ou  à  inscrire  leur  nom.  Ce  n'est  qu'assez  tardivement  qu'on 
voit  apparaître  les  scènes  en  question ,  et  ce  qui  autorise  à  croire 
qu'on  y  attachait  une  idée  religieuse,  et  que  ce  genre  d'honneur  ne 
pouvait  être  le  partage  de  tous,  c'est  que,  relativement,  cette  sorte 
de  monuments  est  beaucoup  moins  fréquente  que  les  autres  qui,  avec 
le  temps  et  à  mesure  que  s'accroît  la  misère  générale,  deviennent  de 
plus  en  plus  simples,  et  finissent  même,  surtout  à  Athènes,  par 
n'être  plus  qu'une  colonne  sans  cannelure,  avec  un  simple  bandeau  à 
la  partie  supérieure  et  une  inscription  au-dessous.  Je  ne  crois  pas 
être  loin  de  la  vérité  en  affirmant  que  presque  aucun  de  ces  monu- 
ments, du  moins  à  en  juger  par  les  dessins,  n'est  antérieur  à  l'époque 
romaine  et  même  à  l'époque  impériale,  tandis  qu'au  contraire  parmi 
ceux  que  je  range  dans  la  classe  des  «va^uara,  il  en  est  plusieurs, 
un  surtout  encore  inédit,  qu'on  peut  regarder  comme  de  la  plus  belle 
époque  de  l'art. 

J'ose  donc  soutenir,  mon  cher  confrère,  que  les  scènes  en  ques- 
tion même  sur  des  monuments  funéraires,  sont  des  scènes  éminem- 
ment religieuses  et  non  pas  des  scènes  de  la  vie  intérieure,  des  repas  de 
famille ,  ce  gui  me  paraîtrait  tout  à  fait  contraire  au  génie  de  l'anti- 
quité. Si  votre  opinion  était  la  vraie,  si  ces  bas-reliefs  n'étaient  qu'un 
souvenir  des  habitudes  delà  vie  commune,  comment  expliqueriez-vous* 
le  serpent  qui  se  montre  sur  un  certain  nombre  de  ces  monuments  et 
notamment  sur  ceux  ou  l'on  retrouve  encore  le  cheval?  Y  verriez-vous 


96  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

aussi  un  commensal,  un  compagnon  de  la  famille?  Je  ne  vous  ferai 
pas  l'injure  de  le  croire.  Vous  y  voyez ,  j'en  suis  sûr,  un  symbole;  et 
si  le  serpent  est  ici  un  symbole,  il  faut  bien  que  le  cheval  en  soit  un 
aussi.  Je  connais  quatre  monuments  qui  rentrent  parfaitement  dans 
cette  catégorie  :  celui  que  Tournefort  a  fait  dessiner  à  Samos  (l),  deux 
marbres  d'Oxford  (2),  un  bas-relief  du  musée  Nani,  publié  par  Biagi(3), 
et  acquis  dans  ces  dernières  années  par  le  musée  d'Avignon  (4).  Vous 
désirez  sans  doute  que  nous  les  passions  en  revue  ?  En  vérité  je  ne 
m'en  sens  guère  le  courage;  mais  cependant  je  tiens  tellement  à  vous 
faire  partager  mon  avis  que  je  ne  saurais  me  refuser  à  vous  donner 
cette  satisfaction. 

Chose  assez  singulière,  de  ces  quatre  bas-reliefs ,  il  en  est  trois  qui 
nous  offrent  des  armes  suspendues  ;  mais  de  ces  accessoires  joints  à 
la  tête  de  cheval  je  ne  tirerai  pas  cette  conséquence  que  le  mort  avait 
autrefois  servi  dans  la  cavalerie  ;  les  armes  suspendues  me  disent  que 
le  guerrier  a  cessé  de  combattre  et  le  cheval  est  pour  moi  le  coursier 
de  ®(xv<xtoç,  qui  a  conduit  le  mort  dans  sa  dernière  demeure  (5),  ou 
bien  encore  qui  menace  un  des  enfants  qu'on  voit  réunis  à  la  famille, 
et  pour  lequel  on  invoque  le  héros  assimilé  à  un  dieu  sauveur.  Cette 
dernière  explication  vous  plaira  peut-être  moins  encore  que  la  pre- 
mière ,  mais  j'y  tiens  et  pour  cause.  Les  mânes  étaient  des  dieux , 
des  dieux  bons  (6) ,  ypmcrroi  (7) ,  et  tel  doit  être  le  véritable  sens  de  la 
formule  xpyjorè  ^aîpe ,  qu'on  trouve  gravée  sur  tant  de  tombeaux. 
C'étaient  les  dieux  protecteurs  de  la  famille ,  et  s'ils  étaient  invoqués 
comme  tels,  c'est  qu'on  croyait  à  leur  intervention  (8). 

Ai-je  besoin  de  répéter  ce  que  tout  le  monde  sait  que  le  serpent , 
animal  symbolique  et  sacré,  était  l'emblème  des  héros  (9),  l'image 
du  génie  familier  des  morts  (10),  et  qu'il  indique  en  quelque  sorte 
l'apothéose  ?  Et  ce  qui  porterait  encore  à  croire  que  le  personnage 
principal  de  chacun  de  ces  bas-reliefs  est  considéré  comme  un  dieu  , 

(i)  Voyage  du  Levant,  t.  II,  p.  3  et  137. 

(2)  P.  1 ,  tab.  LU ,  fig.  135  j  et  p.  1 1 ,  tab.  IX ,  fig.  67. 

(3)  Mon.  gr.  elAat.  ex  mus.  Nanio  ,  p.  97 ,  116. 

(4)  N°  14.  J'en  dois  un  excellent  dessin  à  noire  aimable  confrère  ,  M.  Mérimée. 

(5)  Ce  sens  convient  surtout  au  cippc  publié  pour  la  première  fois  dans  les  Mo- 
numenta  Malllieiana,  t.  III,  pi.  LXXII,  fig.  2  ,  et  plus  tard  par  Gerhard,  Be- 
schreibung  Roms  ,  t.  II ,  p.  131 ,  u°  54. 

(6)  Paul.  Diac.  s  v.  Manu.  Voyez  L.  Lacroix ,  Recherches  sur  la,  religion  des 
Romains  d'après  les  fastes  d'Ovide,  p.  120  et  suiv. 

(7)Plutarque,  Quest.  rom.,  LU. 

(8)  Voyez  M.  Maury,  ouvrage  cité ,  Revue  Archéol.,  t.  II,  p.  595. 

(9)  Plularque  ,  Vie  de  Clêomène,  ch.  39. 
(10;  Virg.  JEn.  V,  77. 


LETTRE  A  M.   LETRONNE.  97 

c'est  que  là  où  on  lui  a  donné  un  échanson ,  ce  jeune  ministre  est 
représenté  entièrement  nu  comme  sur  les  ava9%ara. 

Je  prévois  une  objection  :  tous  les  personnages  qui  prennent  part 
au  repas  funèbre ,  sont-ils  des  morts  ?  ne  se  trouve-t-il  pas  parmi  eux 
quelques  vivants?  Je  soutiens  qu'à  moins  d'être  éclairé  à  cet  égard 
par  une  inscription,  comme  vous  l'avez  été  pour  la  stèle  de  Danaùs,  et 
comme  je  l'avais  été  moi-même  (l)  longtemps  avant  vous  pour  la  stèle 
d'Eucléa,  fille  d'Agathon  et  femme  d'Aristodème  (2),  et  pour  quel- 
ques autres  encore,  on  ne  peut  rien  affirmer  de  bien  positif  à  cet 
égard.  Le  mort  peut  être  une  des  femmes  assises,  comme  un  des 
hommes  couchés  ;  plusieurs  des  assistants  peuvent  être  morts  et  même 
tous;  car  un  même  tombeau  recevait  souvent  toute  une  famille. 

Mais  je  vous  concède  que  sur  tous  ces  monuments  des  vivants  sont 
réunis  à  un  mort ,  le  repas  n'en  sera  pas  moins  pour  cela  un  repas 
funèbre;  seulement  moins  les  symboles  seront  nombreux,  plus  le 
caractère  religieux  diminuera ,  sans  que  jamais  cependant  il  puisse 
entièrement  disparaître.  Ce  n'en  restera  pas  moins  une  pieuse  com- 
mémoration de  la  fête  consacrée  aux  morts  -,  du  mpidevmov  offert  au 
défunt  à  la  solennité  des  Nexuffia.  Les  vivants  prenaient  part  à  ce 
banquet  (3)  auquel  ils  supposaient  que  les  morts  venaient  assister,  et 
auquel  même,  dans  certaines  contrées,  en  Bithynie,  par  exemple,  au 
témoignage  d'Eustathe  (4) ,  on  appelait  par  trois  fois  les  âmes  des 
parents  morts  sur  la  terre  étrangère.  Ce  que  l'imagination  supposait , 
on  le  représentait  comme  réel  sur  les  monuments  où  l'on  réunissait 
tous  les  membres  de  la  famille  sans  oublier  le  chien  favori ,  symbole 
de  l'affection  désintéressée  et  persévérante,  de  la  fidélité,  bien  plus 
encore  que  de  la  vigilance. 

A  ces  sortes  de  repas ,  tous  les  convives  assistaient  assis  (5) ,  et 
voilà  pourquoi,  sur  un  grand  nombre  des  marbres  qui  nous  en  offrent 
l'image,  le  mort,  quand  c'est  un  homme,  paraît  souvent  seul  couché. 
La  dénomination  de  repas  funèbre  convient  donc  bien  à  ce  genre  de 
représentations,  et,  après  ce  nouvel  examen  de  la  question ,  je  reste 
plus  que  jamais  convaincu  que  j'ai  rencontré  juste  à  cet  égard. 

(1)  Mémoire  cité ,  p.  412  et  suiv-  du  tirage  à  part ,  in-8. 

(2)  Mus.  de  Vérone,  pl.XLIX,  fig.  l. 

(3)  C'est  ce  dont  ne  permet  pas  de  douter  une  inscription  publiée  successivement 
par  Gudi,  p.  207,  par  Doni ,  p.  208  ,  n°  189  ,  par  Muratori,  p.  512,  n°  3,  et  par 
Orelli,  n°  3999.  On  y  lit  :  Ex  cujus  reditu  quotannis  (sic)  die  parentaliorum 
ne  minus  homines  XII  adrogum  suum  vescerentur. 

(4)  Od.  p.  1615,2. 

(5)  Voy.  les  notes  de  Demster  sur  Rosini  :  Roman,  antiq.  corpus  absolut., 
p.  237,  col.  1. 

III.  t 


98  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Je  crois  devoir  encore  combattre  l'idée  que  vous  émettez  rela- 
tivement aux  conséquences  qu'on  peut  tirer  de  l'attitude  des  femmes 
sur  ces  monuments.  Toute  femme  assise,  suivant  vous,  est  une 
épouse  légitime,  toute  femme  couchée  est  une  courtisane  ou  une 
maîtresse.  Cette  opinion  repose  sur  un  passage  de  Valère  Maxime  (1) 
que  vous  n'avez  peut-être  pas  suffisamment  compris ,  pour  n'en  avoir 
cité  que  ce  qui  vous  convenait  dans  la  circonstance.  Que  dit  cet  écri- 
vain ?  Feminœ  cum  viris  cubantibus  sedentes  cœnitabant  :  quœ  consue- 
tudo  ex  hominum  cowiclu  ad  divina pénétrant;  nom  Jovis  epalo  ipse  in 
lectulum,  Juno  et  Minerva  in  sellas,  ad  cœnam  iwitantur.  Quodgenus 
severitatis  œtas  nostra  diligentius  in  Capitolio  quam  in  suis  domibus 
servat  :  videlicet  quia  magis  ad  rem  pertinet  dearum  quam  mulierum 
disciplinam  contineri.  Il  résulte  manifestement  de  ce  passage  que  déjà, 
du  temps  de  Valère  Maxime,  c'est-à-dire  sous  le  règne  d'Auguste  et 
de  Tibère,  les  femmes  avaient  déjà  renoncé  à  cet  usage  qu'on  n'ob- 
servait plus  que  dans  les  solennités  religieuses  des  lecdsternia  ;  c'est 
ce  qu'indique  parfaitement  le  mot  cœnitabant.  Il  est  très-peu  proba- 
ble qu'à  l'époque  où  vivait  le  gladiateur-pugile  Danaùs ,  époque  que 
vous  fixez ,  avec  assez  de  vraisemblance  au  deuxième  ou  au  troisième 
siècle  de  notre  ère,  c'est-à-dire  sous  le  règne  des  empereurs  syriens, 
ou  pendant  l'anarchie  militaire ,  on  eût  fait  revivre ,  surtout  dans  cette 
classe  d'hommes ,  la  sévérité  de  mœurs  des  vieux  Romains.  La  loi 
que  vous  posez  est  donc  bien  loin  d'être  absolue.  Si  la  femme  de  Da- 
naùs est  assise ,  c'est  peut-être  parce  que  la  place  manquait  sur  le  lit. 

Telles  sont,  mon  cher  et  savant  confrère,  les  observations  que  j'avais 
à  vous  soumettre.  Je  me  serais  beaucoup  moins  ému  si  j'eusse  vu 
ébranler  par  tout  autre  que  par  vous  un  édifice  que  presque  tous  les 
juges  compétents  avaient  jusqu'ici  regardé  comme  assis  sur  des  bases 
solides.  Mais  avec  un  adversaire  qui,  comme  vous,  possède  un  nom 
européen  et  fait,  à  beaucoup  d'égards,  autorité  dans  la  science,  on 
ne  saurait  garder  le  silence  sans  danger.  Me  taire,  c'eût  été  m'avouer 
vaincu.  Or,  comme  je  me  sentais  encore  très-ferme  sur  mes  étriers, 
j'ai  riposté  avec  l'ardeur  qu'inspire  une  bonne  cause ,  mais  aussi ,  et 
j'aime  à  croire  que  vous  me  rendrez  cette  justice,  avec  la  courtoisie 
et  la  convenance  dont  on  ne  devrait  jamais  se  départir  dans  de  pareils 
débats.  Je  suis  avec  les  sentiments  les  plus  distingués, 

Mon  cher  confrère, 

Votre  dévoué  serviteur,  Ph.  Le  Bas. 

(1)  Liv.  H,  ch.  1,§2. 


NOTE  SUR  UN  CACHET  PUNIQUE. 


II  n'y  a  pas  de  monument  de  l'idiome  phénicien  et  punique 
assez  chétif  pour  que  son  étude  puisse  paraître  indifférente,  au- 
jourd'hui que  l'alphabet  de  cet  idiome  est  fixé  d'une  manière  dé- 
finitive par  les  recherches  des  philologues;  nous  nous  empressons 
donc  de  jaire  connaître  une  pierre  gravée,  recueillie  tout  récemment 
à  Tripoli  par  M.  Fulgence  Fresnel ,  correspondant  de  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles-Lettres.  Nous  devons  à  son  amitié  une  excel- 
lente empreiate  de  cette  pierre ,  empreinte  à  laquelle  il  avait  eu  le 
soin  de  joindre  une  transcription  de  la  légende ,  conçue  en  lettres 
arabes,  et  juste  de  tout  point.  Cette  première  découverte  de  notre 
savant  orientaliste ,  semble  nous  donner  le  droit  d'espérer  que  son 
voyage  dans  la  régence  de  Tripoli  sera  fructueux  pour  la  science , 
comme  l'ont  été  ses  voyages  précédents  en  Egypte  et  en  Arabie. 

La  pierre  dont  il  s'agit  est  un  cachet  de  forme  ellip- 
tique, contenant  une  inscription  en  deux  lignes  séparées 
par  deux  traits  parallèles.  La  première  ligne  contient  six 
caractères  et  la  deuxième  cinq  seulement.  Ces  caractères , 
de  forme  parfaitement  déterminée,  se  lisent  immédiatement  : 

nmyS 

2W>  p. 

et  se  traduisent  sans  aucune  difficulté  : 

A  Âbdiakhi, 
Fils  de  Jechob , 

pour  cachet  d' Abdiakhi ,  fils  de  Jechob. 

De  ces  deux  noms  propres ,  le  premier  se  compose  des  mots  tmt, 
serviteur,  et  m ,  dont  il  importe  de  déterminer  le  sens.  Chacun  sait 
que  le  nom  du  Dieu  unique  adoré  par  les  Hébreux  est  mrr ,  Jéhovah. 
Or,  ce  nom,  qui  se  présente  très-fréquemment  sous  la  forme  apo- 
copée  rv ,  Jehh,  n'est  autre  chose  que  la  troisième  personne  du  présent 
du  verbe  mn,  houh,  qui  comporte  la  signification  :  il  est  pour  :  celui 


100  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

qui  est,  l'être  par  excellence.  Il  serait  tout  naturel  de  chercher  ce 
mot  dans  le  composant' m  de  notre  nom  propre;  mais  ce  compo- 
sant se  rapporte  évidemment  au  radical  hébraïque  mn,  vivre.  Je 
n'hésite  donc  pas  à  traduire  le  nom  cherché  par  :  Le  serviteur  de 
celui  qui  vit;  ce  qui  revient  à  notre  expression  religieuse  :  Le  servi- 
teur de  l'Éternel.  Maintenant  est-il  possible  de  supposer  que  le  nom 
Divin,  mm  et  par  apocope  m,  il  est,  formé  du  radical  mn,  doit  être 
assimilé  à  un  nom  mm  et  par  apocope  m,  il  vit,  dérivant  du  radical 
mn?  c'est  ce  que  je  ne  me  permettrai  pas  d'affirmer,  ni  même  d'exa- 
miner. Quoi  qu'il  en  soit,  le  nom  du  possesseur  de  notre  cachet 
punique  signifiait  :  Le  serviteur  de  celui  qui  vit,  pour  le  serviteur 
de  l'Éternel. 

Quant  au  second  nom  propre  contenu  dans  l'épigraphe  en  question, 
et  qui  se  lit  3W,  il  signifie  proprement  habitation ,  demeure.  Je  ne 
connais  pas  un  seul  exemple  de  l'emploi  de  ce  mot  isolé  comme 
nom  d'homme,  mais  en  composition  il  se  rencontre  assez  fréquem- 
ment dans  les  noms  hébraïques  qui  nous  ont  été  transmis  par  les 
saintes  Écritures.  Comme  exemples  je  citerai  les  suivants  :  ratrn  aup, 
il  siège  dans  le  conseil,  namm,  l'habitation  du  Père,  etc.,  etc. 

En  résumé,  notre  pierre  punique,  dont  la  lecture  est  indubitable, 
porte  l'inscription  :  A  Abdiakhi,  fils  de  Jechob  ;  et  cette  pierre  n'est 
autre  chose  que  le  cachet  d'un  simple  particulier. 

F.  de  Saulcv. 


UÎV  PORTRAIT  DE  JÉSUS-CHRIST 

ET  LE  PRINCE  ZIZIM. 


Voilà  certainement  deux  noms  qui  étaient  peu  faits  pour  se  trou- 
ver ensemble ,  comme  ils  le  sont  en  tête  de  cet  article.  Quel  rapport , 
en  effet,  peut-il  y  avoir  entre  le  Christ  et  le  malheureux  frère  du  sul- 
tan Bajazet?Nous  allons  expliquer  cette  bizarre  coïncidence,  en  sou- 
haitant aux  lecteurs  la  même  satisfaction  que  nous  ressentîmes,  dans 
une  de  nos  excursions  archéologiques  dans  le  département  de  Vau- 
cluse.  Nous  ne  savons  si  ce  document  inédit  servira  à  éclaircir  un 
point,  encore  obscur,  de  l'histoire;  si  quelqu'un,  plus  habile,  par- 
vient à  dissiper  le  nuage  qu'il  semble ,  au  contraire ,  vouloir  y  jeter, 
notre  but  sera  complètement  atteint. 

A  l'entrée  du  village  de  Grambois ,  petite  commune  du  canton  de 
Pertuis,  arrondissement  d'Apt,  s'élève  un  modeste  château ,  assez  mo- 
derne, mais  dont  tout  l'ameublement  rappelle  encore  la  fin  du  règne  de 
Louis  XIV.  Tous  les  appartements  sont  tapissés  en  haute  lisse  et 
renferment  quelques  tableaux  remarquables.  Mais  le  plus  curieux, 
sans  contredit ,  est  un  buste  de  Notre-Seigneur,  barbu ,  vu  de  profil , 
sur  fond  d'or  et  entouré  d'une  auréole ,  composée  de  têtes  d'anges 
ailées.  Les  proportions  de  ce  joli  tableau  sont  d'environ  30  centimè- 
tres de  hauteur  sur  20  de  largeur.  Il  est  peint  sur  cuivre ,  avec  un 
cadre  en  ébène  couvert  de  moulures  et  relevé  par  des  coins  en  argent 
ciselés.  La  figure  du  Christ  est  celle  d'un  homme  dans  la  force  de 
l'âge;  elle  est  plutôt  sérieuse  que  triste ,  avec  ce  noble  caractère  qui 
nous  est  transmis  par  l'iconographie  chrétienne.  Ce  qui  donne  un  at- 
trait et  un  mérite  particulier  à  ce  curieux  échantillon  de  l'art  byzan- 
tin, c'est  une  inscription,  en  vieil  anglais,  qui  occupe  la  partie  infé- 
rieure du  tableau  et  que  je  copie  textuellement,  avec  sa  naïve 
orthographe  : 

THIS  PRESENT  FIGVRE  IS  THE  SIMILITVDE  OF  OVR  LORD  ÏHN 

OVRE  SAVIOR  IMPRINTED  IN  AMIRALD  By  THE  PREDECESSORS 

OF  TE  GREAI]  TVRKE  AND  SENT  TO  THE  POPE  INNO  SENT 

THE  VIII  AT  THE  COST  OF  THE  GREE  TVRKE  FOR  A  TOKEN 

FOR  THIS  GAWSE  TO  REDEME  HIS  BROMR  HAT  WAS 

TAKYN  PRESONOR. 


102  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Je  ne  crois  pas  m'éloigner  beaucoup  du  texte ,  en  le  traduisant 
ainsi  :  «  Cette  figure  est  le  portrait  de  Jésus-Christ  notre  sauveur, 
gravé  sur  émeraude,  par  les  prédécesseurs  du  grand  Turk  et  envoyé 
au  pape  Innocent  VIII ,  aux  frais  du  grand  Turk ,  pour  l'intéresser 
au  rachat  de  son  frère ,  qui  avait  été  fait  prisonnier.  » 

Or,  ce  frère  prisonnier,  dont  le  grand  Turk  recommande  le  rachat 
au  pape  Innocent  VIÏI,  ne  peut  être  que  le  prince  Dzim,  dont  le 
nom  ,  sous  la  plume  des  chroniqueurs ,  s'est  transformé  en  celui  de 
Zizim.  Mais  alors  comment  concilier  cette  inscription  avec  ce  que 
l'histoire  nous  apprend  de  ce  prince  infortuné,  qui  mourut  victime 
de  l'ambition  et  de  la  cupidité  des  princes  chrétiens  et  surtout  de  son 
propre  frère?  —  Fils  puîné  de  Mahomet  II,  Dzim,  battu  par  son 
frère,  l'empereur  Bajazet  II,  qu'il  voulait  dépouiller  du  trône,  se 
jeta  dans  les  bras  des  chevaliers  de  Rhodes.  La  bonne  foi  des  cheva- 
liers n'était  plus  à  la  hauteur  de  leur  courage.  Le  Grand  Maître  ve- 
nait de  conclure  avec  Bajdzet  une  convention,  par  laquelle  il  s'enga- 
geait à  retenir  son  frère  prisonnier,  moyennant  une  forte  somme 
d'argent.  Cependant  le  jeune  prince  demandait  à  rentrer  dan9  les 
États  conquis  par  son  père.  On  lui  fit  croire  que,  pour  entrer  en 
Hongrie ,  il  fallait  traverser  la  France.  On  le  dirigea  donc  sur  ce 
pays ,  après  lui  avoir  enlevé  tous  ses  officiers  ;  et,  au  mépris  de  l'hon- 
neur et  de  la  bonne  foi  chevaleresques,  on  le  traîna,  pendant  dix 
ans ,  de  forteresse  en  forteresse.  A  peine  arrivé  en  France,  vers  1485, 
Charles  VIII  confina  Dzim  dans  le  château  de  Rochechinard ,  près 
de  Saint-Jean-en-Royans  (Drôme).  Ce  château ,  aujourd'hui  en  rui- 
nes ,  était  assis  sur  un  roc  escarpé ,  au  milieu  des  bois  et  dans  un 
paysage  des  plus  agrestes.  «Il  y  jouissait  d'assez  de  liberté  pour 
visiter  les  familles  les  plus  considérables  des  environs.  Ce  fut  dans 
ces  courses  au  château  de  la  Bâtie,  qu'il  se  montra  si  fortement 
épris  d'une  fille  du  baron  de  Sassenage,  qu'on  le  vit  souvent  mettre 
à  ses  pieds  toute  la  fierté  ottomane,  de  manière  à  faire  penser  que, 
s'il  eût  été  libre  du  choix,  il  eût  préféré  à  un  grand  empire  le  plaisir 
de  vivre  avec  elle  (t).»  Son  séjour  en  Dauphiné  ne  fut  pas  long;  on 

(1)  Delacroix,  Statistique  de  la  Drame,  p.  08.  «  Les  événements  extraordi- 
naires qui  marquèrent  la  vie  de  Dzim,  son  caractère  aimant  et  chevaleresque,  sa 
Sympathie  pour  la  civilisation  européenne,  en  ont  fait  un  héros  de  roman.  Dans  un 
ouvrage  intitulé  :  Zizim,  prince  ottoman,  amoureux  de  Philippine- Hélène  de 
Sa$senage,  Charrier,  l'historion  du  Dauphiné,  a  peint  les  amours  et  le  séjour  de 
ce  prince  à  Rochechinard.  Un  auteur  moderne  a  traité  le  même  sujet  d'une  manière 
plus  animée  et  plus  intéressante  enrorc,  quant  au  séjour  de  Zizim  en  Auvergne.  » 
Jbid. 


UN  PORTRAIT  DE  JÉSUS-CHRIST.  103 

eût  dit  qu'on  lui  enviait  même  le  bonheur  innocent  d'aimer  et  d'être 
aimé  peut-être,  au  sein  d'une  paisible  et  champêtre  solitude.  La 
politique  des  cours  et  les  ordres  du  Grand  Maître  le  reléguèrent  en 
Auvergne.  Le  10  mars  1487,  René II,  duc  de  Lorraine,  essaya  de 
le  faire  enlever  (l).  Le  1 0  novembre  de  la  même  année ,  Charles  VIII 
le  fit  passer  en  Italie,  où  il  devint  la  proie  du  pape  Innocent  VIII  et 
de  son  successeur  Alexandre  VI  ;  un  Grec  d'origine  et  un  Borgia  ! 

On  a  voulu  justifier  cettè  inqualifiable  détention  du  jeune  prince 
ottoman ,  en  alléguant  que  les  deux  pontifes  songeaient  réellement 
à  une  grande  croisade ,  dans  laquelle  la  présence  et  le  nom  du  prince 
Dzim  auraient  contribué  au  succès  des  armes  chrétiennes.  Cela  est 
passablement  douteux.  Malheureusement  pour  l'honneur  de  la  pa- 
pauté et  comme  pour  mettre  à  nu  l'infamie  du  Borgia ,  il  existe  une 
lettre  de  Bajazet  à  Alexandre ,  par  laquelle  «  il  le  prie  de  faire  mourir 
son  frère,  lui  promettant,  pour  récompense  de  ce  service,  trois  cent 
mille  ducats  pour  acheter  quelques  domaines  à  ses  enfants  (2).  »  Or, 
comment  expliquer  la  conduite  indigne  du  pontife?  Est-ce  le  res-* 
sentiment  de  ce  que  le  prince ,  dégoûté  des  grandeurs  de  la  terre ,  ne 
voulut,  en  aucune  façon,  se  prêter  à  ses  vues?  Son  acharnement 
prenait-il  sa  source  impure  dans  l'or  de  Bajazet?  N'était-ce  pas  déjà 
trop  d'être  soupçonné  capable  d'une  pareille  infamie?  Quoi  qu'il  en 
soit,  lors  de  son  expédition  en  Italie,  en  1494,  Charles  VIII  obli- 
gea le  pape  de  lui  livrer  le  château  Saint- Ange ,  et  avec  lui  le  prince 
musulman,  auquel  il  fit  l'accueil  le  plus  amical.  Prétendant,  comme 
René  II  de  Lorraine,  au  trône  des  Deux-Siciles ,  Charles  croyait 
aussi  de  son  intérêt  d'avoir  le  prince  Dzim  pour  lui.  Enfin,  le  voilà 
traité  comme  un  fils  de  Mahomet  !  Enfin ,  il  est  libre!  Hélas  î  son 
bonheur  ne  sera  pas  de  longue  durée.  On  n'avait  pas  compté  sur  le 
poison  du  Borgia.  Le  21  février  1495,  Dzim  mourut  empoisonné, 
à  Terracine,  à  l'âge  de  trente-quatre  ans.  Le  lendemain,  Char- 
les VIII  entrait,  victorieux ,  dans  la  ville  de  Naples. 

Voilà  ce  que  dit  l'histoire  de  ce  pauvre  jeune  homme ,  né  sur  les 

(1)  La. Bibliothèque  de  l'École  des  Chartes  rapporte  une  pièce  originale,  con- 
servée à  la  Bibl.  roy.  parmi  les  manuscrits  de  Gaignières,  n°  373,  fol.  70,  d'après 
laquelle  il  paraîtrait  que  le  10  mars  1487,  René  II,  duc  de  Lorraine,  essaya  de  faire 
enlever  le  Turc  de  sa  prison.  Cette  entreprise  échoua.  De  Bassompierre ,  qui  de- 
vait la  diriger  et  prendre  le  prince  de  vive  force,  fut  mis  en  prison  et  subit  un  in- 
terrogatoire dont  le  procès-verbal  est  cette  pièce,  inédite,  publiée  par  la  Biblio- 
thèque de  l'Ecole  des  Charles,  t.  III,  p.  285. 

(2)  «  Ducatorum  trccenta  millia  ad  ernenda  filiis  suis  aliqua  dominia.  »  Histoire 
de  Charles  VIII,  édit  de  Godefroy,  p.  587. 


104  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

marches  du  trône  du  formidable  empire  ottoman  et  qui  expia  cruel- 
lement, par  dix  années  de  captivité,  sa  bonne  foi  et  sa  croyance 
chevaleresques  en  l'honneur  des  chrétiens  ;  qui  vit  entin  terminer  sa 
courte  et  mélancolique  destinée  par  le  poison  d'un  pape!  Et  mainte- 
nant, comment  concilier  ces  données  historiques  avec  l'inscription  du 
tableau  de  Grambois?  Le  document  est  authentique;  on  ne  saurait 
en  douter.  Or,  comment  se  fait-il  que  Bajazet  cherche  à  intéresser 
Innocent  VIII  au  rachat  de  son  frère,  lui  qui,  deux  ou  trois  ans  plus 
tard,  prie  Alexandre  VI  de  le  faire  mourir?  S'il  a  été  de  bonne  foi 
d'abord ,  comment  s'est-il  laissé  aller  par  la  suite  à  des  sentiments 
dénaturés  et  indignes  de  lui?  Pourquoi,  à  un  si  court  intervalle,  ces 
deux  prières ,  dont  le  but  est  si  différent  l'un  de  l'autre?  Est-ce  à  dire 
que,  doutant  d'Innocent  VIII,  il  voulait  racheter  son  frère  par  son 
intermédiaire,  pour  en  faire  ensuite  justice  lui-même?  Ou  bien, 
comptant  d'avance  sur  Alexandre  Borgia,   a-t-il   préféré   laisser 
l'horreur  et  l'ignominie  du  crime  à  ce  prince  chrétien?  L'envoi  du 
tableau  et  l'inscription  surtout,  n'auraient-ils  été  imaginés  que  pour 
masquer  les  intentions  les  plus  perfides?  Faut-il  les  ranger  dans  la 
catégorie  des  mensonges   historiques  et  des  jongleries  diplomati- 
ques? Enfin,  pourquoi  avoir  donné  la  préférence  à  la  langue  an- 
glaise?—  Toutes  ces  questions,  nous  les  abandonnons,  ou  plutôt, 
nous  les  soumettons  volontiers  à  la  critique;  nous  expliquerons 
maintenant  comment  ce  tableau  curieux  est  arrivé  dans  le  modeste 
château  de  Grambois.  Voici  quelle  est  la  tradition  de  famille, telle 
que  me  l'a  racontée  le  propriétaire  actuel  et  sa  mère,  fille  de  l'ancien 
seigneur  de  Grambois,  le  marquis  de  Roquesante. 

En  1661,  parmi  les  membres  de  la  commission  nommée  par 
Louis  XIV  et  présidée  par  le  complaisant  Séguier,  à  l'effet  de  juger 
le  célèbre  surintendant  Fouquet  «  pour  crime  d'État  et  concussion ,» 
était  Pierre  Raffélis  de  Roquesante,  conseiller  au  parlement  de  Pro- 
vence, depuis  1641.  Les  ennemis  de  Fouquet  (et  ils  étaient  nom- 
breux et  puissants)  désiraient  beaucoup  le  voir  condamner  à  mort. 
Raffélis  prit  la  parole  après  d'Ormesson ,  en  qualité  de  second  rappor- 
teur ;  il  insista  fortement  sur  les  ordres  du  cardinal  Mazarin ,  en  vertu 
desquels  Fouquet  avait  agi,  et  contribua  ainsi  à  faire  prononcer  le 
bannissement  que  le  grand  roi  convertit ,  on  le  sait ,  en  prison  per- 
pétuelle. C'est  ainsi  que  la  haine  du  roi  et  les  menées  de  Colbert,  de 
Le  Tellieret  de  son  fils  Louvois,  conduisirent  à  Pignerol  ce  mystérieux 
prisonnier,  que  tout  fait  supposer  avoir  été  le  fameux  Masqué  de  Fer. 
Cependant,  Louis  XIV  était  encore  mécontent;  il  confisqua  les  biens 


UN   PORTRAIT   DE   JÉSUS-CHRIST.  105 

de  Raffélis  et  l'exila  à  Quimper-Corentin,  le  12  février  1665.  Les  solli- 
citations et  le  courage  de  sa  femme,  Hélène  de  Cardebas-de-Bot.-Ter- 
tulle ,  qu'il  avait  épousée  à  Saignon-lez-Apt ,  en  1 648  ,  vinrent  à  bout 
de  le  faire  rappeler,  le  8  mars  1667;  mais  ses  biens  ne  lui  furent 
rendus  qu'en  1674.  Il  mourut  en  1686,  avec  la  réputation  d'un  des 
plus  grands  magistrats  de  son  siècle.  Tous  ces  faits  sont  acquis  à 
l'histoire.  Après  son  mémorable  procès,  qui  ne  dura  pas  moins  de 
trois  ans,  Fouquet  fit  faire  à  Roquesante  les  offres  les  plus  bril- 
lantes. Le  brusque  Provençal  répondit  que  ce  qu'il  avait  fait  était 
uniquement  pour  l'acquit  de  sa  conscience;  il  refusa  net.  Alors,  la 
famille  du  surintendant  lui  fit  agréer  le  tableau  en  question;  lequel 
avait  passé  en  ses  mains,  après  avoir  été  volé  jadis,  disait-on,  au 
Vatican  ;  c'était  sans  doute  parles  soldats  du  connétable  de  Bourbon, 
pendant  le  sac  de  Rome.  Comme  souvenir  de  gratitude  et  de  recon- 
naissance, un  médaillon  allégorique  était  joint  à  l'envoi  du  tableau, 
qui  ne  pouvait  pas  tirer  un  grand  prix  de  sa  valeur  intrinsèque.  Ce 
médaillon ,  tout  à  fait  dans  le  goût  de  l'époque ,  représente  une  cou- 
leuvre et  un  loup  (devises  de  Colbert  et  de  Louvois)  poursuivant  un 
écureuil  (devise  de  Fouquet),  lequel,  pour  échapper  à  ses  mortels 
ennemis,  se  réfugie  sur  la  roche  de  salut,  la  roche  Sainte,  rocca 
Santa ,  allusion  ingénieuse  à  son  courageux  défenseur,  Raffélis  de 
Roquesante. 

Certes,  le  château  de  Grambois  renferme  des  tableaux  qui  valent 
infiniment  plus,  sous  le  rapport  de  l'art,  que  ce  tableau  et  ce  mé- 
daillon ;  mais  on  conçoit  qu'aucun  ne  soit  plus  cher  aux  honorables 
personnes  qui  l'habitent.  Cela  est  juste,  car  rien  ne  rappelle  mieux 
une  des  illustrations  de  la  famille  et  le  souvenir  d'un  de  ces  nobles 
représentants  de  l'antique  magistrature. 

JOLES  CûURTET, 

Sous-préfet  de  Die. 


DESCRIPTION 


DE 


QUELQUES  CHAPITEAUX  DE  L'ÉGLISE  SA1TMIS,  A  A10ISE, 


Dans  un  récent  voyage  que  j'ai  fait  à  Amboise ,  j'ai  dessiné  et 
gravé,  du  mieux  que  j'ai  pu,  quelques  fragments  des  chapiteaux  de 
l'église  paroissiale.  Je  crois  que  ces  morceaux  de  sculpture  ne  sont 
pas  dénués  d'intérêt ,  et  il  m'a  semblé  utile  de  joindre  à  mes  des- 
sins quelques  mots  d'explication. 

L'église  d'Amboise,  qui  est  sous  l'invocation  de  saint  Denis,  date 
des  commencements  du  XIIe  siècle.  Mon  père,  dans  ses  Essais  his- 
toriques sur  Amboise,  pense  qu'on  peut  en  attribuer  la  fondation  à 
Hugues  Ier,  qui  devint  seul  seigneur  d'Amboise,  en  1107,  et  qui 
mourut  à  la  Croisade  en  1128.  Il  est  regrettable  que  cette  église 
n'ait  pas  été  complètement  achevée  sur  le  plan  primitif.  L'ensemble 
en  est  remarquable  par  sa  simplicité,  sa  noblesse  et  par  ses  élégantes 
proportions.  Mais  les  changements  d'appareil ,  les  différences  d'orne- 
mentation ,  accusent  une  grande  lenteur  dans  la  construction.  Plu- 
sieurs chapiteaux  du  XIIe  siècle  sont  restés  inachevés  ;  leur  forme 
gracieuse  se  devine  à  peine  à  travers  l'ébauche.  Pourquoi  le  ciseau 
de  l'ouvrier  s'est-il  arrêté?  l'histoire  pourrait  peut-être  répondre. 
Les  malheurs  qu'éprouvèrent  à  cette  époque  les  seigneurs  d'Amboise 
suspendirent  sans  doute  les  travaux  en  tarissant  leurs  libéralités. 

Plus  tard,  au  XVe  siècle,  des  architectes  sans  critique  et  même 
sans  habileté ,  ajoutèrent  au  chevet  de  l'église  les  deux  chapelles  qui 
terminent  maintenant  les  bas  côtés.  La  renaissance  a  également 
laissé  trace  de  son  passage  en  appliquant  au  midi  une  construction 
très- peu  remarquable;  vinrent  ensuite  les  enlaidissements  modernes, 
y  compris  les  restaurations  inintelligentes  qu'on  a  faites  dernière- 
ment à  la  porte  latérale. 

Si,  après  cet  examen  d'ensemble,  on  arrive  aux  détails,  on 
trouvera  plusieurs  choses  vraiment  dignes  d'admiration  et  d'études. 
Les  fenêtres  de  la  nef  principale  doivent  attirer  surtout  l'attention 
des  architectes  par  la  simplicité  de  leurs  formes  et  de  leur  orne- 


CHAPITEAUX   DE   L'EGLISE   ST.-DENIS  ,    A    AMBOISE.         107 

mentation  ;  les  chapiteaux  des  colonnes  sont  pour  la  plupart  très- 
beaux  et  très-curieux.  Les  plus  importants  sont  malheureusement 
trop  élevés  pour  qu'on  puisse  les  dessiner  et  les  étudier  à  loisir  ; 
je  le  regrette  surtout  pour  celui  qui  se  trouve  au-dessus  de  la 
chaire,  et  qui  représente,  je  crois,  le  martyre  de  saint  Denis.  Les 
autres  sont  composés  de  feuilles  et  de  fleurs,  un  surtout  est  un 
vrai  chef-d'œuvre  de  grâce  et  d'élégance.  Des  oiseaux  qui  s'accro- 
chent aux  feuillages ,  forment  les  saillies  de  l'ancienne  corbeille 
du  chapiteau  corinthien. 

Les  fragments  que  j'ai  pu  copier  sont  tirés  des  chapiteaux  placés 
plus  bas,  mais  malheureusement  très-empâtés  par  le  badigeon  et 
mutilés  par  le  temps  et  par  les  hommes.  (Voir  la  pi.  49.) 

Le  dessin  principal  de  ma  gravure  représente  évidemment  le 
massacre  des  innocents  ;  la  scène  y  est  ingénieusement  développée  ; 
tout  s'y  trouve,  l'ordre  donné,  l'exécution  et  les  résultats.  Peut-être 
doit-on  voir  dans  l'enfant  qu'on  présente  à  Hérode ,  une  allusion  à  la 
mort  de  son  propre  fils.  Le  costume  du  roi  rappelle  celui  qui  se 
trouve  sur  les  sceaux  des  rois  de  France,  Robert  et  Henri  Ier. 

Les  trois  sujets  suivants  qui  appartiennent  au  même  groupe  de 
colonnes  sont  moins  faciles  à  expliquer.  Si  l'on  exigeait  de  moi  une 
explication  de  ces  figures,  je  dirais  que  l'homme  portant  l'enfant 
est  une  indication  de  la  fuite  en  Egypte  et  que  le  personnage  dévoré 
par  les  deux  bêtes  féroces,  représente  la  punition  du  tyran.  Quant 
aux  animaux  qui  vont  en  pèlerinage,  je  renverrais  m  Roman  du 
Renard,  renonçant  à  expliquer  pourquoi  l'artiste  a  sculpté  maître 
Renard  et  maître  Isaingrain  à  la  suite  du  massacre  des  innocents. 

On  reconnaît  bien ,  en  général ,  qu'une  doctrine ,  un  ensemble 
d'idées  a  présidé  à  l'ornementation  de  nos  vieilles  cathédrales,  et 
que  le  livre  de  Vincent  de  Beauvais  est  le  meilleur  guide  en  cette 
matière.  Mais  je  pense  qu'il  ne  faut  rien  établir  d'absolu  surtout 
pour  des  chapiteaux  du  XIIe  siècle.  En  voulant  tout  faire  plier  à  un 
cadre  unique,  on  risque  de  tomber  dans  l'absurde.  Beaucoup  de 
causes,ont  pu  rompre  cette  unité  de  plan  et  laisser  aux  caprices  des 
individus  le  choix  et  l'exécution  des  sujets. 

Le  personnage  violemment  retenu  par  deux  diables,  appartient 
au  groupe  de  colonnes  qui  fait  face  à  celui  dont  je  viens  de  parler; 
il  représente,  je  crois,  la  punition  du  gourmand;  la  grosseur  anor- 
male de  son  ventre  indique  sans  doute  les  tortures  préparées  à  ceux 
qui  font  du  plaisir  digestif  l'affaire  importante  de  la  vie.  Les  autres 
vices  châtiés  accompagnaient  sans  doute  celui-ci;  mais  maintenant 


108  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

les  figures  sont  pour  la  plupart  mutilées.  Est-ce  là  l'œuvre  d'un 
vandalisme  brutal,  ou  bien  a-t-on  tout  fait  disparaître  des  naïvetés 
trop  grandes  pour  une  civilisation  qui  veut  cacher  les  apparences.  A 
côté  du  gourmand  se  trouvent  trois  figures  assez  bien  conservées  ; 
au  centre,  dans  des  nuages,  Jésus-Christ,  avec  le  nimbe  qui  le  carac- 
térise, remet  à  deux  personnages  des  objets  que  je  pense  être  une 
clef  et  une  épée ,  attributs  de  saint  Pierre  et  de  saint  Paul. 

Outre  les  chapiteaux  de  Saint-Denis ,  je  signalerai  aux  curieux 
l'autel  qui  encombre*  l'abside.  Il  appartient  à  l'architecture  italienne 
que  Saint-Pierre  de  Rome  à  mis  à  la  mode.  Ce  style  surchargé  me 
paraît  avoir  été  introduit  en  Touraine  par  les  artistes  que  les  libéra- 
lités des  rois  y  attirèrent  à  l'époque  de  la  renaissance  ;  le  séjour  de 
Léonard  de  Vinci,  à  Amboise,  contribua  sans  doute  à  faire  aban- 
donner, dans  cette  localité,  les  traditions  de  notre  art  national. 

En  terminant  cette  très-courte  monographie  de  l'église  d'Amboise, 
je  ne  puis  m'empêcher  d'émettre  un  vœu  :  c'est  qu'on  fasse  dispa- 
raître une  monstrueuse  figure  de  la  sainte  Vierge  dont  la  vue  attriste 
les  fidèles.  Cette  œuvre,  digne  des  temps  barbares,  devrait  faire 
place  à  la  charmante  statue  qui  reste  sans  honneur  sous  une  des 
portes  anciennes  de  la  ville.  Cette  statue  est  une  de  ces  ravissantes 
créations  du  XIIIe  siècle  dont  on  ne  saurait  trop  multiplier  la  re- 
production. Le  monument  qui  l'abrite  va.  dit-on,  disparaître  en 
vertu  de  cette  loi  de  l'alignement  si  fatale  à  nos  antiquités,  si  nui- 
sible à  l'aspect  pittoresque  de  nos  villes. 

Ne  serait-ce  pas  l'occasion  de  conserver,  de  remettre  en  lumière  un 
monument  remarquable  par  l'élévation  de  son  style,  en  le  substituant 
à  une  masse  qui,  par  sa  difformité,  rappelle  les  divinités  de  l'Inde? 

J'espère  qu'il  en  sera  ainsi  parce  que  je  compte  sur  le  goût  éclairé 
de  M.  le  curé  d'Amboise,  et  sur  la  bonne  volonté  des  autorités 
compétentes. 

E.  Cartier. 


ANTIQUITÉS  DU  DÉPARTEMENT  DE  LA  CREUSE, 


Le  département  de  la  Creuse,  formé  aux  dépens  de  trois  de  nos 
anciennes  provinces,  mais  principalement  de  la  Marche,  renferme 
beaucoup  de  monuments  antiques  qui  ont  été  signalés  à  l'attention 
des  érudits;  plusieurs  localités  ont  été  explorées  avec  soin;  chaque 
jour  et  à  chaque  pas ,  le  soc  de  la  charrue  met  à  découvert  un  objet 
nouveau.  Ces  richesses  ont  attiré-  l'attention  de  plusieurs  savants  et 
honorables  citoyens  du  département,  et  les  ont  déterminés  à  former  une 
Société  sous  le  titre  de  Société  des  sciences  naturelles  et  antiquités  de  la 
Creuse.  Cette  Société ,  qui  ne  compte  que  quelques  années  d'existence, 
a  pu  déjà,  avec  l'aide  de  l'administration  locale  et  du  gouvernement, 
exécuter  des  travaux  d'une  grande  importance,  et  publier  un  bulletin 
dans  lequel  on  trouve  d'excellents  articles  sur  les  fouilles  qui  s'exé- 
cutent dans  le  département,  des  Notices  sur  les  monuments  histori- 
ques et  des  Mémoires  archéologiques  de  plusieurs  des  membres  de  la 
Société.  Il  reste  à  désirer  que  ce  bulletin  se  publie  plus  souvent. 

Un  Musée  a  été  fondé  à  Guéret,  chef-lieu  du  département,  et  placé 
sous  la  direction  de  M.  Bonnafoux,  dont  le  zèle  et  le  désintéresse- 
ment, dignes  des  plus  grands  éloges,  ont  contribué  à  enrichir  cette 
collection  confiée  à  son  mérite.  Ce  Musée  renferme  une  grande  quan- 
tité d'objets  importants,  qui  proviennent  soit  d'acquisition ,  soit  de 
dons  ou  de  dépôts. 

Il  est  à  regretter ,  dans  l'intérêt  de  cette  collection ,  que  les  fouilles 
exécutées  sur  divers  points  du  département  ne  soient  pas  toujours 
faites  sous  la  direction  de  la  Société  des  sciences.  Une  somme  assez 
forte  avait  été  accordée  par  le  gouvernement  pour  continuer  les  fouilles 
des  Thermes  et  d'Évaux ,  ce  qui  a  eu  lieu  sans  le  concours  de  la  So- 
ciété et  dans  l'intérêt  exclusif  de  quelques  propriétaires.  Les  récla- 
mations de  la  Société  des  sciences  à  ce  sujet  ont  été  sans  effet,  et  les 
objets  découverts  ont  été  accaparés  par  quelques  amateurs  et  perdus 
pour  le  Musée  ;  aussi ,  sommes-nous  entièrement  de  l'avis  de  l'esti- 
mable conservateur  :  qu'il  serait  à  désirer  que  ses  concitoyens  com- 
prissent mieux  l'intérêt  général  qu'offre ,  pour  les  études,  un  Musée 


110  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

départemental  où  une  grande  réunion  d'objets  ajoute  au  mérite  d'une 
collection  d'antiquités ,  plutôt  que  de  voir  ces  objets  disséminés  dans 
des  coins  obscurs,  et,  le  plus  souvent,  entre  les  mains  de  personnes 
qui  n'en  comprennent  pas  l'importance. 

Le  Musée  de  Guéret  possède  des  monnaies  romaines  et  du  moyen 
âge,  et  divers  objets  trouvés  dans  les  fouilles  faites  dans  le  départe- 
ment. Des  vases  gaulois  en  argile  grossière,  trouvés  à  Montaigut-le- 
Blanc,  près  de  Guéret.  Plusieurs  haches  en  bronze  et  en  silex; 
l'ancien  buste  de  saint  Pardoux,  avec  la  date  de  1510,  dont  le  corps 
est  en  ivoire;  la  tète,  qui  était  en  argent,  a  été  détruite  en  1793  , 
et  remplacée  par  une  en  fer-blanc.  Une  adoration  des  Mages,  bas- 
relief  en  albâtre ,  du  XVe  siècle  ;  un  bénitier  en  cuivre  de  la  même 
époque.  Ce  Musée  possède  aussi  des  émaux  très-remarquables,  parmi 
lesquels  on  distingue  :  un  saint  Benoît,  bénitier;  une  Annonciation, 
une  sainte  Anne  et  une  sainte  Thérèse  ,  par  Baptiste  Nouailher.  Un 
triptyque  du  XVIe  siècle  et  un  petit  reliquaire  du  XIIe  siècle ,  incrus- 
tés d'émail.  Un  Christ  et  une  sainte  Scholastique  par  Joseph  Laudin, 
et  un  saint  Antoine  de  Padoue,  par  Noël  Laudin. 

Lors  de  leur  passage  à  Guéret,  l'année  dernière,  LL.  AA.  RR. 
M.  le  duc  et  Madame  la  duchesse  de  Nemours  ont  visité  les  galeries 
du  Musée,  et  ont  été  surpris  de  la  richesse  de  cette  collection. 
LL.  AA.  en  ont  témoigné  leur  satisfaction  aux  administrateurs,  en 
leur  promettant  leur  appui  pour  faire  participer  la  collection  confiée 
à  leurs  soins  aux  largesses  du  gouvernement. 

De  savants  Mémoires  de  M.  J.  Coudert-Lavillatte ,  l'un  des  mem- 
bres de  la  Société  des  sciences,  nous  permettent  de  donner  ici  quel- 
ques détails  sur  des  monuments  du  département  de  la  Creuse.  A  une 
demi-heure  de  marche  de  Guéret  s'élève  une  montagne  oblongue , 
connue  sous  le  nom  de  Puy-de-Gaudy.  Ce  lieu  élevé  paraît  avoir  été, 
depuis  plusieurs  siècles ,  consacré  par  la  vénération  populaire.  Une 
chapelle  ,  dédiée  à  saint  Barthélémy,  y  existait  encore  au  commence- 
ment du  XVIIe  siècle.  Non  loin  de  la  chapelle  était  un  lieu  de  sépulture, 
comme  l'attestent  les  fouilles  faites  il  y  a  peu  d'années ,  et  qui  laissè- 
rent à  nu  plusieurs  cercueils  en  pierre  assez  bien  conservés,  et  dont 
la  forme  donne  tout  lieu  de  croire  qu'ils  ont  été  confectionnés  du 
XIIe  au  XIVe  siècle.  Quelques-uns  contenaient  des  ossements  hu- 
mains ;  l'un  d'eux  renfermait  un  petit  poids  en  plomb,  une  bague  de 
cuivre  et  un  fragment  de  cercle  de  môme  métal  en  forme  de  bracelet. 
Ce  dernier  objet,  dont  on  ignore  l'usage,  présente  quelques  rainures 
extérieures,. et  sur  sa  face  intérieure  les  nombres  suivants  en  carac- 


ANTIQUITES   DU   DÉPARTEMENT   DE   LA    CREUSE.  111 

tères  arabes  bien  conservés  :  88.  5.  66.  75.  84.  93.  103.  Ces  trois 
objets  ont  été  déposés  au  Musée  de  Guéret. 

De  chaque  côté  du  plateau  qui  couronne  le  sommet  du  Puy-dc- 
Gaudy,  s'étend  en  pente  douce  jusqu'aux  escarpements  un  certain 
espace  de  terrain  autour  duquel  se  dessine  une  enceinte  dont  est 
frappé  l'œil  le  moins  observateur  ;  l'arrangement  des  pierres  démontre 
que  la  main  de  l'homme  a  créé  cette  solide  construction.  D'autres 
pierres  brutes  plus  ou  moins  grosses,  les  lines  debout ,  les  autres  ren- 
versées, porteraient  à  croire  que  ce  lieu  était  déjà  en  vénération  sous 
les  Romains ,  et  peut-être  antérieurement  à  leur  séjour  dans  le  pays. 
Il  serait  même  assez  vraisemblable,  comme  le  fait  remarquer  M.  Cou- 
dert-Lavillatte, et  comme  semble  le  confirmer  M.  Bonnafoux  dans 
sa  savante  notice  historique  sur  la  ville  de  Guéret,  que  là  se  prati- 
quait, par  les  Celtes,  le  culte  des  Pierres.  Ce  culte  profondément 
enraciné  dans  les  mœurs  a  survécu  à  l'établissement  du  christianisme 
dans  les  Gaules,  s'est  maintenu  au  mépris  des  canons  des  conciles  et 
même  jusqu'au  IXe  siècle. 

Il  y  a  tout  lieu  de  conclure,  avec  M.  Coudert-Lavillatte,  que  le 
Puy-de-Gaudy  a  été,  du  temps  des  Gaulois,  une  petite  place  fortifiée 
par  l'art  et  la  nature,  et  en  même  temps  un  sanctuaire  religieux.  Les 
Romains,  après  s'en  être  emparés,  ont  couronné  son  plateau  d'un  éta- 
blissement militaire,  comme  l'attestent  des  tuiles  romaines  à  rebords 
que  l'on  rencontre  parfois  dans  les  travaux  de  terrassements.  Durant 
tout  le  moyen  âge ,  le  Puy-de-Gaudy  a  été  considéré  comme  un  lieu 
saint,  ainsi  qu'en  témoignent  les  ruines  de  la  chapelle  et  les  tombeaux 
qu'on  y  voit  encore. 

M.  Coudert-Lavillatte  a  fait  aussi  des  recherches  historiques  sur 
l'église  de  Chambon ,  et  les  résume  ainsi  :  un  monastère  existait  de- 
puis bien  des  années  dans  la  paisible  vallée  de  Chambon  lorsque  le 
IXe  siècle  vit  fondre  sur  les  Gaules  les  hordes  des  Normands.  Ignoré 
au  milieu  des  bois ,  entouré  des  eaux  de  deux  rivières,  il  offrait  un 
asile  assuré  pour  soustraire  à  leurs  rapines  la  châsse  d'or  qui  renfer- 
mait les  restes  vénérés  de  la  patronne  des  Lémovices  ;  des  religieux  se 
chargent  de  ce  précieux  fardeau,  et  franchissant  des  lieux  sauvages  et 
presque  inconnus,  ils  viennent,  en  856,  le  déposer  au  monastère 
de  Chambon  ;  la  châsse  est  placée  et  reste  dans  ce  lieu  jusqu'en 
985  ;  on  la  transporte  alors  dans  cette  chapelle,  qui  reçoit  le  nom  de 
Valérie,  et  qui  commence  l'église  qu'on  veut  construire  en  son  hon- 
neur; en  même  temps  s'élève  ce  pavillon  couvert  de  tuiles  à  rebords 
qui  doit  servir  de  clocher,  et  qui  présente  tous  les  caractères  du 


112  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Xe  siècle;  l'abside  vient  s'y  annexer  au  XIe  avec  ses  voûtes,  ses  co- 
lonnes et  ses  arceaux  portant  l'empreinte  de  l'architecture  romano- 
byzantine;  au  Xïlc  siècle,  le  grand  clocher  s'élève  avec  ses  hautes 
fenêtres  géminées,  et  la  grande  arcade  orientale  attendant  une  nef; 
au  XIIIe  siècle ,  c'est  une  tour  au  donjon  féodal  qui  va  se  placer  à 
l'extrémité  opposée  pour  former  sous  sa  voûte  d'arêtes  et  à  nervures 
le  porche  de  l'église;  au  XVe  siècle ,  enûn,  les  nefs  se  bâtissent,  et, 
en  reliant  la  tour  au  clocher,  achèvent  l'église  de  Chambon. 

En  se  rappelant  qu'il  existe  en  France  un  très-petit  nombre  de 
monuments  d'une  date  antérieure  au  XIe  siècle,  bien  authentique- 
ment  certaine,  et  qu'un  édifice  religieux  présente,  avec  ses  vieux 
souvenirs  et  son  aspect  intérieur  imposant ,  les  traces  positives  de 
l'architecture  des  Xe,  XIe,  XIIe,  XIIIe  et  XVe  siècles,  comme  une  page 
d'archéologie  pour  chacune  de  ces  périodes  de  temps  ;  qu'on  y  ren- 
contre, en  outre,  une  toiture  couverte  de  tuiles  à  la  forme  romaine, 
on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  que  cet  édifice  est  un  ornement 
pour  le  pays ,  et  qu'il  est  digne  de  figurer  au  nombre  des  monuments 
historiques. 

En  terminant,  nous  joindrons  nos  regrets  à  ceux  qu'exprime 
M.  Bonnafoux  dans  sa  savante  Notice  sur  l'église  de  Malval.  Ainsi 
que  tant  d'autres  monuments ,  cette  église ,  qui  se  recommande  par 
un  caractère  d'architecture  peut-être  unique  en  France,  a  été  dégra- 
dée sous  prétexte  de  consolidation.  Une  chose  remarquable  et  qui 
conservera  toujours  une  physionomie  toute  particulière  à  cet  édifice, 
c'est  qu'il  est  beaucoup  plus  large  que  long.  Avant  que  sa  partie 
droite  eût  été  abattue,  elle  avait  25m,20  de  largeur  sur  13ra,35  de 
profondeur.  Aujourd'hui,  sa  largeur  est  encore  de  16m,80.  Le  vais- 
seau est  simple,  on  n'y  rencontre  pas  ces  colonnes  libres  qui  forment 
la  nef  et  les  bas  côtés  dans  les  grandes  églises.  Sa  voûte  à  plein  cin- 
tre était  séparée  en  trois  compartiments ,  dont  l'un ,  celui  du  milieu , 
est  traversé  horizontalement  par  deux  nervures  croisées ,  à  leur  point 
d'intersection  est  une  clef  de  voûte.  Il  était  séparé  du  chœur  et  des 
absides  latérales  par  trois  grandes  arcades  à  plein  cintre ,  dont  les 
retombées  étaient  appuyées  sur  des  pieds  droits,  offrant  des  colonnes 
engagées  et  terminées  par  des  chapiteaux  romans  historiés  de  figures 
et  de  moulures  bizarres;  à  la  base  d'une  de  ces  colonnes,  on  remar- 
que deux  enfants  placés  assez  grotesquement ,  et  qui  semblent  en 
supporter  tout  le  poids.  Les  deux  côtés  de  l'édifice*  étaient  éclairés 
par  deux  croisées  cintrées.  L'abside  principale  est  éclairée  par  trois 
fenêtres  cintrées,  ornées  à  l'intérieur  d'un  gros  tore  à  boudins,  qui 


ANTIQUITES   DU   DEPARTEMENT   DE   LA   CREUSE. 


113 


figure  très-faiblement  un  rudiment  d'ogive,  et  s'appuie  sur  deux  co- 
lonnes à  chapiteaux  enrichis  d'entrelacs  et  autres  moulures  arabes. 

L'intérieur  de  ce  petit  édifice  a  un  air  d'ancienneté  qui  plaît  aux 
antiquaires.  Ses  ornements  de  sculpture  sont  ceux  que  l'on  retrouve 
toujours  dans  les  monuments  religieux  du  XIIe  siècle. 

La  tour  domine  le  compartiment  central  de  la  voûte,  celui  qui  est 
consolidé  par  des  nervures.  Elle  figure  un  octogone  dont  quatre  pans 
sont  plus  larges  que  les  autres.  II  est  probable  qu'elle  a  été  détruite 
en  partie,  car  elle  ne  conserve  plus  que  5  mètres  environ  de  hauteur. 
Les  soins  que  l'on  a  apportés  à  l'ordonnance  architectonique  de  ce 
monument,  construit  en  granit  qui  ne  se  trouve  pas  sur  les  lieux 
mêmes,  le  choix  des  matériaux  prouvent  l'importance  qu'avait  cette 
petite  église  et  l'intention  de  ses  auteurs  de  créer  une  chose  durable.  Le 
maire  de  Malval  a  vainement  appelé  l'attention  du  conseil  général  sur 
cette  église,  toute  espèce  de  secours  lui  a  été  refusée. 


J.  A.  L. 


m. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES 


—  Le  Moniteur  du  26  mars  publie  en  entier  le  rapport  que  M.  de 
Mas-Latrje  adresse  à  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique,  sur  sa 
mission  scientifique  dans  l'île  de  Chypre. 

De  ce  rapport,  très-intéressant  et  très-curieux,  nous  transcrirons 
seulement  la  fin ,  qui  contient  une  annonce  du  plus  haut  intérêt  pour 
la  science  archéologique. 

«  Une  découverte  qui  paraît  importante  en  ce  qu'elle  confirme 
encore,  contrairement  à  l'opinion  deDanville,  et  l'ancienneté  de 
Larnaca  et  le  véritable  emplacement  de  Citium,  patrie  de  Zenon  le 
stoïcien,  a  été  faite  récemment;  et,  bien  qu'elle  s'écarte  par  son  sujet 
du  cadre  de  la  mission  que  vous  avez  bien  voulu  me  donner,  je  crois 
devoir  la  signaler  à  V.  E. 

«En  creusant  un  terrain  situé  entre  la  marine  et  la  haute  ville,  à 
Larnaca ,  des  ouvriers  ont  mis  à  jour  une  grande  pierre  de  basalte ,  de 
sept  pieds  de  haut  sur  deux  et  demi  de  large  et  un  pied  d'épaisseur, 
couverte  d'inscriptions  cunéiformes,  et  décorée ,  sur  sa  face  supérieure, 
de  l'image  en  relief  d'un  prince  ou  d'un  prêtre  portant  sceptre  dans 
sa  main  gauche.  Je  suis  tout  à  fait  inhabile  à  apprécier  la  nature, 
l'âge  et  la  valeur  historique  de  ce  monument  :  mais  j'y  vois  des 
caractères  cunéiformes,  j'observe  dans  le  costume  et  l'attitude  du 
personnage  le  même  style  que  dans  les  bas-reliefs  découverts  par 
M.  Botta  ;  je  crois  donc  reconnaître  ici  un  tombeau  antique  et  un 
des  rares  monuments  de  la  domination  des  Assyriens  dans  l'île  de 
Chypre.  Sous  ce  rapport  seulement,  la  découverte  m'a  paru  inté- 
ressante, et  le  tombeau  digne  d'être  joint,  peut-être,  à  la  galerie  As- 
syrienne que  l'on  forme  au  Louvre. 

«  Dans  la  supposition  où  V.  E.  en  jugeât  ainsi ,  j'ai  voulu  pressentir 
les  dispositions  des  propriétaires.  Ils  seraient  disposés  à  vendre  ce 
tombeau  ;  mais  j'ai  trouvé  chez  eux  des  prétentions  qui  me  semblent 
exorbitantes,  et  qui  sont  entretenues  malheureusement  par  la  pensée 
bizarre  que  cette  pierre  renferme  un  trésor,  bien  qu'elle  soit  d'un  seul 
bloc.  C'est,  du  reste,  l'idée  fixe  de  tous  les  Cypriotes  que  le  moindre 
débris  ancien  recèle  des  objets  précieux. 

«  Les  propriétaires  ne  voulaient  pas  moins  de  2  ou  3,000  talarais 


DECOUVERTES   ET   NOUVELLES.  lia 

de  leur  découverte  dans  les  premiers  jours  ;  mais  ils  ont  déjà  compris 
qu'ils  ne  trouveraient  jamais  d'acquéreur  à  ce  prix  ;  ils  commencent 
même  à  douter  de  l'existence  du  trésor,  et  je  crois  qu'ils  finiraient  par 
le  céder  devant  des  offres  sérieuses  de  12  à  1500  francs. 

«  Si  V.  E.  à  qui  j'ai  l'honneur  d'envoyer  un  dessin  assez  exact, 
quoique  mal  exécuté,  de  la  forme  du  monument,  croyait  bon  de  don- 
ner suite  à  ma  communication,  elle  n'aurait  qu'à  s'adresser  à  M.  le 
consul  de  Chypre,  qui  a  déjà  fait  mettre  le  monument  à  l'abri  de 
toute  dégradation,  et  qui  attend  vos  ordres  pour  traiter  de  son 
acquisition.» 

Dans  la  dernière  séance  de  l'Académie  des  Inscriptions ,  M.  Le- 
tronne  a  appelé  l'attention  de  ce  corps  savant  sur  l'importance  de 
cette  découverte. 

«  Je  mets,  a-t-il  dit,  sous  les  yeux  de  l'Académie  le  dessin  qui 
«  accompagne  le  rapport;  ce  dessin,  bien  que  très-imparfait,  comme 
«  M.  de  Mas-Latrie  le  dit  lui-même,  est  cependant  fait  avec  assez 
«  d'intelligence  pour  qu'on  ne  puisse  y  méconnaître  une  figure  de 
«  même  style  que  celles  qui  ont  été  découvertes  à  Khorsabad  par 
«  M.  Botta ,  et  à  celle  qui  a  été  sculptée  sur  un  rocher  près  de  Bey- 
«  rout.  Les  fragments  d'inscriptions  cunéiformes  paraissent  aussi,  à 
«  M.  Burnouf,  appartenir  au  système  assyrien. 

«  Si  la  sculpture  était  persanne,  on  ne  s'étonnerait» nullement  de  la 
«  trouver  à  Chypre,  puisque  cette  île  fut  conquise  par  les  Perses,  sous 
«  le  règne  de  Cambyse  (Hérod.,  III,  19),  et  qu'elle  resta  sous  leur 
«  domination  (Hérod.,  Y,  1 04  ,  1 1 6),  jusqu'à  l'époque  d'Alexandre. 

«  Mais  on  s'attend  un  peu  moins  à  trouver  dans  cette  île  une  sculp- 
«  ture  et  des  inscriptions  assyriennes.  Cependant  il  n'y  a  rien,  dans 
«  cette  découverte ,  qui  contrarie  l'histoire.  Les  Phéniciens  ont ,  de 
«  très-bonne  heure ,  formé  des  établissements  dans  cette  île.  Selon 
ccMénandre  d'Éphèse,  Hiram,  roi  de  Tyr,  y  fit  une  expédition 
«  et  soumit  les  habitants  de  Citium  (Ap.  Joseph,  C.  Apion,  1,18, 
«où  Tltvoiç  doit  se  lire  Kirn'oiç,  selon  Hengstemberg ,  de  Rébus 
«  Tyriorum,  p.  55;  etHitzig,  Komment.  zu  Jesaias,  p.  270).  On 
«  comprend  donc  que  les  Assyriens,  qui  ont  fait  la  conquête  de  la 
«  Phénicie,  tant  sous  Salmanazar  que  sous  Nabuchodonozor,  ont  pu, 
«  à  l'une  ou  l'autre  époque,  étendre  leurs  conquêtes  jusqu'à  la  plus 
«  voisine  et  la  plus  importante  des  possessions  tyriennes. 

«  D'ailleurs,  ce  n'est  pas  là  une  simple  conjecture.  Dans  un  autre 
«  passage  du  même  Ménandre  d'Éphèse ,  on  voit  que  le  roi  des  As- 
«  syriens  (Salmanazar)  fit  une  expédition  contre  les  Citliens  (les  Cy- 


116  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«priotes),  et  fut  ainsi  maître  de  toute  la  Phénicie  («ri  tovtovç 
«  (Kirrahvç)  néfityotç  6  twv  Aoraupieav  fixdihvç,  ènUlBe  «Êoivixyjv  ttoXe- 
«  pâv  anourav.  Ap.  Joseph.,  Àrck.  Jud.,  IX,  14,  2).  Tout  indique 
ce  que  cette  conquête  fut  temporaire ,  et  que  l'île  rentra  ensuite  sous 
«  la  domination  des  Phéniciens ,  qui  la  possédaient  quand  Âmasis  en 
«  fit  le  premier  la  conquête  (Hérod.,  II,  182). 

«  Le  monument  de  Larnaca  est-il  un  vestige  de  cette  conquête 
«assyrienne?  Cela  est  fort  possible. 

«  Je  ne  fais,  du  reste,  ce  rapprochement  historique  que  pour  appe- 
rt 1er  l'attention  sur  cette  découverte  curieuse,  et  montrer  combien  il 
«  importerait  que  le  bas-relief  pût  être  ajouté  à  la  collection  assy- 
«  rienne  qui  va  bientôt  être  réunie  au  Louvre.  Je  propose,  en  con- 
«  séquence,  à  l'Académie,  de  donner  une  marque  du  grand  intérêt 
«  qui  s'attache  au  monument  de  Larnaca,  en  exprimant  à  M.  le  mi- 
te nistre  de  l'instruction  publique  le  désir  qu'il  veuille  bien  faire  les 
<c  diligences  nécessaires  pour  que  ce  bas-relief  puisse  être  apporté  à 
«  Paris.  » 

L'Académie  a  adopté  cette  proposition. 

—  Extrait  d'une  lettre  particulière ,  écrite  du  Kaire,  le  6  mars  1 846. 
«  On  a  trouvé  dernièrement  à  Saqqara  un  puits  contenant  un  grand 
nombre  de  bœufs  momifiés.  Ils  étaient  embaumés  de  manière  à  re- 
présenter un  bœuf  couché  comme  un  sphinx.  La  forme  de  la  tête  était 
bien  conservée;  mais  les  oreilles  étaient  figurées  en  bois  et  les  yeux 
étaient  remplacés  par  un  rond  émaillé  sur  pierre.  La  plupart  de  ces 
momies  ont  été  brisées  par  les  Arabes ,  dans  l'espoir  d'y  découvrir 
des  antiquités.,  et  l'on  assure  qu'ils  ont  trouvé  un  de  ces  animaux 
tout  couvert  d'ornements  dorés.  A  notre  arrivée  sur  les  lieux,  il  ne 
restait  plus  qu'un  amas  de  bitume,  d'os  emmaillottés  et  de  bandelettes 
déchirées.  Sur  deux  ou  trois  de  ces  bandelettes ,  j'ai  remarqué  cette 
petite  figure  ©  qui  pourrait  bien  être  une  variante  du  fameux  (au 
égyptien. 
>"*■"■%.  «  On  vient  de  détruire  l'hypogée  qui  contenait  la   lé- 

I    ^    gende  d'Assa ,  dont  le  cartouche  fait  maintenant  partie 
de  la  collection  du  docteur  Abbott,  malheureusement  la 
bannière  et  le  cartouche  prénom  sont  à  peine  visibles   On 
a  trouvé  dans  cet  hypogée,  dont  les  sculptures  appar- 
»     *      tiennent  à  la  plus  belle  époque  de  l'art  égyptien ,   deux 
statues,  l'une  assise,  l'autre  debout,  dont  les  têtes  ont  été  brisées. 


< 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  117 

Vous  voyez,  par   les  découvertes  éventuelles,  combien  il  reste  à 
trouver  dans  la  nécropole  de  Memphis.  » 

P.  S.  —  Le  docteur  Abbott  vient  de  faire  l'acquisition  d'une  mo- 
mie de  bœuf  dont  la  poitrine  est  couverte  de  découpures  en  or, 
représentant  différentes  images  de  divinités.  Sur  chacune  des  épaules 
de  l'animal,  est  attaché  un  disque  doré  dans  le  genre  des  hypocé- 
phales. 

A.  D.  R. 

—  Sur  la  proposition  des  comités,  notre  collaborateur,  M.  Jules 
Courtet,  vient  d'être  nommé  membre  correspondant  du  ministère  de 
l'instruction  publique  pour  les  travaux  historiques. 

—  Par  arrêté,  en  date  du  3  décembre  1845,  M.  T.  Morisot,  préfet 
de  la  Haute- Vienne,  vient  de  constituer  une  commission  d'histoire  et 
d'archéologie  qui  aura  pour  mission  de  recueillir  et  de  conserver  tous 
les  monuments  ou  documents  historiques  du  département,  et  de  les 
réunir  dans  un  Musée  fondé  à  Limoges  par  le, même  arrêté,  lorsque 
ces  objets  seront  susceptibles  d'être  déplacés  sans  nuire  à  leurs  inté- 
rêts, non  plus  qu'à  la  conservation  ou  au  décor  de  leurs  monuments. 
M.  le  préfet  invite  MM.  les  maires,  architectes,  ingénieurs  et  agents 
voyers  du  département  à  lui  prêter  leur  concours  pour  l'aider  dans 
cette  honorable  et  utile  entreprise. 

—  Une  médaille  d'or  de  300  francs  sera  décernée,  par  la  Société 
des  antiquaires  de  la  Morinie,  dans  la  séance  du  21  décembre  1847, 
au  meilleur  Mémoire  qui  lui  sera  présenté  sur  la  question  suivante  : 
«  Rechercher  les  causes  générales  et  particulières  auxquelles  on 
«  doit  attribuer  le  grand  nombre  de  monuments  d'architecture  reli- 
«  gieuse,  de  premier  et  de  second  ordre,  qui  ont  été  élevés  pendant 
«  les  XIIe,  XIIIe  et  XIVe  siècles ,  dans  la  province  située  au  nord 
«  de  la  Loire ,  comparativement  au  petit  nombre  de  ces  mêmes  mo- 
rt numents  érigés  pendant  la  même  période  dans  les  provinces  au 
«  sud  de  ce  fleuve.  »  Une  médaille  de  200  francs  sera  décernée  à  la 
meilleure  Notice  biographique  sur  Robert  de  Fiennes,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Moreau  de  Fiennes,  époux  de  la  châtelaine  de  Saint- 
Omer,  et  connétable  de  France  immédiatement  avec  du  Duesclin. 

Les  Mémoires  présentés  au  concours  devront  être  adressés  franco, 
avant  le  1er  octobre  1847,  terme  de  rigueur,  à  M.  de  Givenchy,  se- 
crétaire perpétuel  de  la  Société,  à  Saint  Orner. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Choix  de  peintures  de  Pompét  ,  la  plupart  de  sujet  historique , 
lilhographiées  en  couleur  par  M.  Roux,  et  publiées,  avec  l'explica- 
tion archéologique  de  chaque  peinture ,  et  une  introduction  sur  l'his- 
toire de  là  peinture  chez  les  Grecs  et  les  Romains ,  par  M.  Raodl 
Rochette,  etc.  l,e  livraison,  1844,  Royal  in-fol.  (l). 

Le  nom  de  M.  Raoul  Rochette  est  à  présent  un  des  plus  connus 
entre  ceux  des  archéologues.  Il  est  vrai  que,  de  divers  côtés, 
et  à  diverses  époques,  se  sont  élevées  "contre  lui  des  voix  fré- 
quentes et  sévères,  qui  ont  attaqué  sa  méthode  d'interprétation, 
comme  peu  satisfaisante,  et  ont  mis  son  autorité  scientifique  dans 
un  jour  fort  douteux.  Cependant  il  lui  reste  toujours  le  mérite  d'a- 
voir apporté  à  la  science  des  matériaux  nouveaux  par  la  publication 
de  monuments  inédits  ou  peu  connus.  Aussi,  est-il  fréquemment 
cité  ;  et  cet  archéologue  n'a  pu  manquer  d'acquérir  un  certain  re- 
nom, même  une  certaine  autorité,  auprès  de  ceux  qui  n'ont  pas 
examiné  de  trop  près  sa  manière  d'exposer  et  de  raisonner.  Ayant 
étudié  avec  soin  ses  ouvrages  antérieurs,  je  ne  m'attendais  pas  à 
trouver  dans  celui-ci  rien  de  fort  méthodique  ;  mais  j'espérais  pour- 
tant y  rencontrer ,  par  compensation  ;  le  mérite  de  matériaux  neufs 
et  intéressants.  Un  examen  attentif  a  fait  évanouir  cette  espérance. 

(I)  M.  le  docteur  Emil  Braun  (dans  sa  lettre  à  M.  Lelronne,  Revue  Archèol., 
t.  II  ,  p.  G83  ) ,  a  porté  de  ce  spléndide  ouvrage  un  jugement  sévère ,  mais  en  termes 
généraux,  sans  l'appuyer  dé  preuves  ;  ce  qu'il  ne  pouvait  pas  faire  en  cette  occasion. 

Plusieurs  de  nos  abonnés,  craignant  que  ce  jugement  ne  fût  partial  ou  exagéré, 
nous  ont  témoigné  le  désir  d'avoir  une  appréciation  motivée  de  ce  livre.  Ce;-! 
pour  lépondre  à  ce  vœu  que  nous  avons  fait  traduire  un  article  très -approfondi  qui 
a  paru  dans  cinq  numéros  (juillet  iSV))  des  Annales  de  critique  scienH/lQui 
(Jahrhùchei-  fur  wisxemchafUiche  Krilik)  de  Berlin,  l'un  des  meilleurs  et  des 
plus  savants  journaux  littéraires  de  l'Allemagne.  Si  le  djetcur  Heinricii  Brunu , 
qui  a  écrit  cet  article,  juge  le  livre  peu  favorablement,  du  moins  il  le  juge , 
pièces  fin  mains  avec  des  citations  précises;  il  fournit  donc  à  ses  lecteurs  le  nioy<Ms 
de  contrôler  son  opinion. 

Cet  article  important  sera  nouveau,  non-seulement  pour  ceux  de  nos  abonnés  qui 
ne  savent  pas  l'allemand  ,  mais  encore  pour  la  plupart  de  ceux  qui  le  saxnt,  le 
journal  où  il  se  trouve  étant  ex  e>s V  ment  peu  répandu  en  Frur.ee. 

(Note  de  l'éditeur.) 


BIBLIOGRAPHIE,  119 

Ce  qui ,  dans  ce  livre  ,  m'a  paru  bon  et  exact ,  a  presque  toujours 
été  dit  par  d'autres,  et  tout  aussi  bien  ou  mieux;  et  ce  que  M.  Raoul 
Rochette  y  ajoute  de  lui-même  est  presque  constamment  faux.  Dans 
cet  ouvrage,  comme  dans  la  plupart  de  ses  écrits,  on  rencontre  même 
des  choses  incroyables,  et  si  peu  dignes  d'un  homme  qui  prétend  à 
une  autorité  scientifique,  qu'il  est  souvent  difficile  d'employer,  pour 
les  qualifier,  l'expression  qui  puisse  y  correspondre ,  sans  paraître 
exagéré  ou  d'une  sévérité  excessive ,  à  ceux  qui  ne  connaissent  pas 
l'ouvrage.  En  pareil  cas,  plus  d'une  fois  :  Fecit  indignatio  versum. 

Quant  aux  planches  qui  l'accompagnent,  je  transcrirai  à  la  fin  le 
jugement  d'un  connaisseur,  qui  fait  peu  de  cas  de  leur  mérite,  sous 
le  rapport  de  l'exactitude  et  de  la  vérité. 


La  première  livraison,  la  seule  qui  soit  sous  mes  yeux,  porte  le 
titre  de  :  Amours  des  Dieux,  Je  n'attacherai  aucune  importance  à  cette 
division  qui  n'a  point  de  signification  scientifique;  car  il  n'y  a  aucun 
lien  mythologique  ou  archéologique  entre  Jupiter  et  Junon  sur  l'Ida, 
Neptune  et  Amymone ,  Bacchus  et  Ariane.  Cette  division  n'est  carac- 
téristique que  pour  M.  R.  R.  tout  seul.  Elle  se  fonde  sur  sa  manie 
de  voir  partout  impuretés  et  obscénités,  là  où  il  n'y  a  réellement  que 
représentations  erotiques.  Dans  son  introduction  -f  il  ne  donne  que 
des  assertions ,  sans  aucune  preuve  nouvelle  en  faveur  de  sa  manière 
de  voir.  Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'y  arrêter,  tant  que  M.  R.  R. 
n'aura  pas  essayé  de  réfuter  les  solides  objections  que  M.  Letronne 
lui  a  faites ,  dans  son  Appendice  aux  lettres  d'un  antiquaire  (Lettre  à 
Fr.  Jacobs  ).  C'est  ce  qu'il  promet  d'exécuter  dans  une  quatrième  Içttre 
archéologique,  à  laquelle  il  nous  renvoie  quarante  fois  en  cinquante- 
huit  pages.  Attendons  cette  fameuse  lettre. 

Planche  première.  Jupiter  et  Junon  sur  l'Ida  (de  la  maison  du 
poëte  tragique).  Ainsi  qu'on  doit  le  présumer,  M.  R.  R.  commence 
par  une  lamentation  sur  l'impureté  de  Jupiter,  qu'il  prétend  avoir 
été  inventée  par  les  Grecs  pour  excuser  leurs  propres  excès.  Il  cite 
comme  pièce  justificative,  la  fable  de  Ganymède  qui,  déjà  de  très-bonne 
heure,  a  été  prise,  dit-il,  dans  un  tel  sens,  comme  le  prouve  un 
passage  de  Platon  (Leg  ,  I,  p.  636  c).  Mais  quiconque  n'aurait 
pas,  ainsi  que  M.  R.  R.,  l'habitude,  ou  le  parti  pris,  de  chercher  le 
mauvais  côté  des  choses ,  ne  trouverait  aucune  impureté  dans  la 
forme  originelle  de  cette  fable.  Dans  Homère,  ce  n'est  pas  Jupiter 
seul,  ce  sont  les  dieux  qui  ont  enlevé  Ganymède  :  Tov  yào  àvwpetyccvTo 


120  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Qeol  Au  olvoyoeveiv  \  xâlhoç  eivexa  olo ,  tvy  àQxvâzoKTt  [xereim» 
(Iliad.,  XX,  234).  Dans  l'hymne  homérique  à  Vénus  (v.  202),  Ju- 
piter est,  il  est  vrai,  représenté  comme  le  ravisseur,  mais  il  n'y  a 
aucune  trace  des  embellissements  postérieurs  :  tfrot  ub  £av0èv  Taw- 
uYidea  iwTiéza  Zevç  |  7?p7rao-sv  ov  dià  Koilloç  y  iv'  àÔavaroicri  ^erei'yj 
|  xai  te  Aïoç  xarà  Jw/^a  ôeorç  fat  oivoyoeveiv;  car,  que  voulait  dire 
chez  les  Grecs  :  Les  dieux  ont  enlevé  un  beau  jeune  homme?  Seule- 
ment ceci:  «Me  mort  prématurée  Va  porté  vers  l'Olympe,  au  lieu 
de  l'entraîner  dans  le  Tartare.  C'est  un  degré  de  cet  euphémisme 
que  les  anciens  employaient  pour  adoucir  la  mort,  et  tout  ce  qui  était 
effrayant.  Ganymède  avait  été  rendu  immortel  xdllzoç  efvexa ,  pour- 
quoi? uniquement  pour  servir  d'échanson  à  Jupiter  ou  aux  dieux , 
Aie  ou  Qeoïç  oivoyozvziv.  11  n'y  a  là  aucune  trace  de  l'idée  erotique 
qui  y  fut  ajoutée  ensuite;  mais  M.  R.  R.  tient  à  faire  remonter  cette 
idée  jusqu'à  Homère:  «  C'est-à-dire,  selon  lui,  jusqu'au  premier 
c  instituteur  (?)  de  leur  poésie  sacrée,  jusqu'au  premier  régulateur  (?) 
«  de  leur  mythologie  positive,  »  et  ainsi  reporter  jusqu'à  Homère  la 
licence  et  l'impureté  de  la  mythologie  grecque. 

Une  des  meilleures  preuves  de  cette  impureté,  à  son  avis,  «  c'est 
«  la  fable  homérique  de  Y  Union  de  Jupiter  et  de  Junon  sur  le  mont  Ida, 
«  fable  qui  fut  déjà  pour  les  philosophes  païens  eux-mêmes ,  tels 
«  que  Platon  (Républ.,  III,  p.  390)  et  pour  Maxime  de  Tyr  (Serm. 
«  24,  5) ,  un  sujet  de  blâme  et  de  confusion  (p.  7.  )  » 

Il  serait  pénible  d'être  obligé  de  faire  à  M.  R.  R.  le  reproche  de 
mala  fides,  pour  avoir  représenté  sous  un  faux  jour  des  passages 
anciens.  Cependant  on  ne  pourrait  échapper  à  cette  dure  nécessité,  à 
moins  de  supposer,  ou  qu'il  n'a  aucune  connaissance  de  Platon  ,  ou 
qu'il  l'a  lu  avec  une  impardonnable  légèreté.  S'il  en  avait  lu  seule- 
ment une  page ,  au  lieu  du  passage  isolé  qui  se  rapporte  à  ce  point, 
il  n'aurait  pu  manquer  de  s'apercevoir  de  sa  lourde  bévue.  Comment 
Platon  (et  Maxime  de  Tyr  ne  fait  que  répéter  sa  pensée) ,  aurait-il  pu 
trouver  un  sujet  de  blâme  et  de  confusion,  dans  ce  que  raconte  Homère 
qu'Achille  et  que  Jupiter,  le  héros  comme  le  dieu ,  se  répandent  en 
plaintes  lamentables,  ou  que  les  dieux  s'amusent  à  tourner  en  déri- 
sion la  tournure  de  Vulcain?  Il  suffit  de  parcourir  le  deuxième  et 
le  troisième  livre  de  la  République,  pour  voir  que  Platon  ne  donne 
pas  à  ces  récits  d'autre  signification  qu'à  tous  les  autres  récits  des 
poëtes  en  général  et  d'Homère  en  particulier,  lesquels,  selon  lui, 
prêtaient  aux  dieux  comme  aux  héros,  des  actions  ou  des  paroles 
qui  peuvent  être  d'un  mauvais  exemple.  Toute  l'argumentation  plato- 


BIBLIOGRAPHIE.  121 

nique  tend  à  un  seul  but ,  c'est  à  bannir  les  poëtes  de  sa  république 
idéale. 

On  comprend  que ,  de  cette  façon ,  toute  la  légende  de  Jupiter  n'est 
plus,  pour  M.  R.  R.,  qu'une  suite  d'impuretés,  «  inventées  et  accrues 
«  successivement,  à  mesure  que  la  corruption  s'est  étendue  sur  la 
«  terre.  »  On  ne  saurait  prendre  la  peine  de  combattre  une  telle  vue, 
en  l'absence  des  preuves  que  l'auteur  promet  de  nous  donner  dans  sa 
IVe  lettre  si  souvent  citée,  qui,  selon  toute  apparence,  va  nous  pré- 
senter une  partie  principale  de  la  mythologie,  comme  une  pornolo- 
gie,  analogue  à  h  pornographie  de  notre  auteur. 

Avant  de  passer  à  l'éclaircissement  du  tableau  de  Pompéi ,  qu'on 
me  permette  d'ajouter  quelques  mots  sur  ce  que  M.  R.  R.  ap- 
pelle Xhiérogamie  de  Jupiter  et  de  Junon.  Ce  sera  encore  un  curieux 
exemple  de  sa  méthode  d'interprétation  philologique  et  archéologique. 

M.  R.  R.  découvre  une  preuve  que  ce  mythe  est  licencieux,  dans 
ce  vers  de  Théocrite  (IdylL  XV,  64). 

UdvTa.  yvvodKSç  ïgolvti  ,  xal  wç  Zevç  ayayeS' Hpav. 

et  dans  le  passage  de  Plaute  (  Trinum.,  I,  171). 

Sciunt  quod  Juno  fabulata  est  cum  Jove. 

«  On  voit,  dit  M.  R.  R....,  qu'il  devait  y  avoir  dans  cette  fable 
«  licencieuse,  plus  d'une  de  ces  circonstances  qui  piquaient  la  curio- 
«  site  des  femmes  grecques  et  dont  la  représentation,  offerte  à  la  vue 
«  des  initiés,  avait  du  fournir  le  sujet  de  plus  d'un  monument  de  l'art.  » 

Ici ,  comme  à  l'ordinaire,  il  n'a  lu  que  le  seul  vers  qu'il  cite,  sans 
se  douter  de  ce  qui  le  précède  et  le  suit.  Voilà  pourquoi  il  semble 
ignorer  que  l'un  et  l'autre  poëte  se  servent  ici  d'une  expression  pro- 
verbiale. Quand  on  voulait  parler  d'une  chose  que  personne  ne  pou- 
vait savoir,  on  citait,  par  excellence,  les  noces  de  Jupiter  et  de  Junon, 
parce  que  les  dieux  eux-mêmes  en  avaient  ignoré  les  circonstances. 

Dans  les  vers  de  Théocrite,  la  vieille  (â  Trpeaêùr^)  fait  dire  aux 
commères  syracusaines,  qni  prétendent  savoir  ce  qui  se  passe  au  pa- 
lais :  «  Vraiment  les  femment  veulent  tout  savoir ,  et  même  comment 
«  Jupiter  a  épousé  Junon  (navra,  yjvaïxsç  Ïgocvzi,  x«i  &>ç  ZevçdyaysB 
«  Hpav.  ) 

Plaute  exprime  la  même  idée.  Il  s'agit  de  ces  faiseurs  de-commé- 
rages ,  qui  prétendent  tout  savoir.  Voici  ce  passage  entier  :  «  Il  n'y 
«  a  rien  de  plus  sot,  de  plus  bête,  de  plus  menteur,  de  plus  bavard, 
«  de  plus  téméraire  en  paroles  que  ces  citadins  qui  ne  sortent  point 


122  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  de  la  ville,  ces  plaisants  de  profession,  et  je  dois  me  mettre  avec 
«  eux  dans  le  même  sac,  moi,  si  pressé  d'accueillir  les  impostures  de 
«  ces  gens  qui  feignent  de  savoir  tout,  sans  rien  savoir  (qui  omrtia 
«  se  simulant  scire ,  necquicquam  sciiint);  qui  savent  ce  qu'on  a  dans 
«  la  pensée,  ou  même  ce  qui  n'y  est  pas  encore  (quod  quisque  in 
«  animo  habet,  aut  habiturus  est,  sciunt  )  ;  ils  savent  ce  que  le  roi  a  dit 
«  tout  bas  à  la  reine  (sciunt  id,  quod  in  aurem  rex  reginœ  dixerit); 
«  ils  savent  la  conversation  que  Jupiter  a  tenue  avec  Junon  (  sciunt 
«  id,  quod  Juno  fabulata  est  cum  Jove )  ;  et  ce  qui  n'a  jamais  été,  ni 
«  ne  le  sera  jamais ,  ils  le  savent.  »  Il  est  impossible  de  tirer  de  là 
le  moindre  indice  d'une  circonstance  licencieuse,  ni  le  moindre  argu- 
ment en  faveur  de  la  pornographie  sacrée. 

M.  R.  R.  voit  encore  une  scène  de  Yhiérogamie  dans  un  tableau  des 
thermes  de  Titus  (  Mirri ,  Pâture  délie  Camere  Esquiline ,  tav.  VI  ). 
Junon  (reconnaissable  au  paon  qui  est  auprès  d'elle)  est  endormie, 
le  sein  découvert,  sur  lequel  un  enfant  repose.  Le  dieu  du  sommeil 
élève  au-dessus  d'elle  un  voile  blanc.  Jupiter,  près  de  qui  se  voit 
l'aigle,  contemple  l'enfant  avec  l'expression  de  la  surprise,  et  se 
penche  vers  Junon  ;  Minerve  assiste  à  la  scène.  «  On  peut  croire, 
«  nous  dit  M.  R.  R.,  que  l'enfant  couché  sur  le  sein  de  Junon  ,  est 
«  Vulcain,  le  fruit  illicite  de  son  union  avec  Jupiter....,  et  que  cette 
«  scène  relative  à  l'allaitement  de  Vulcain,  faisait  partie  de  la  célé- 
«  bration  de  l'hiérogamie  (II);  d'où  il  suit  que  cette  image  se  rapporte 
«  bien  certainement  aux  amours  de  Jupiter  et  de  Junon  (p.  10).  »  Et 
pourtant  le  sujet  est  bien  certainement  très-diflérent  pour  tout  autre  que 
M.  R.  R.;  cal*  qui  peut  y  méconnaître  Hercule  sur  le  sein  de  Junon? 

Enfin  l'auteur,  à  qui  il  paraît  être  désormais  impossible  de  se 
figurer  l'amour  d'un  dieu  sans  obscénité,  explique,  par  Yhiérogamie  de 
Jupiter  et  de  Junon ,  un  vase  peint  de  Vulci ,  sur  le  côté  principal 
duquel  sont  représentés  Jupiter  et  Junon ,  montés  sur  un  quadrige 
(comme  ordinairement  dans  les  représentations  nuptiales)  et  accom- 
pagnés d'autres  dieux.  Sur  le  revers  «  qui  peut  en  être  considéré 
«  comme  la  continuation  (quelle  preuve  en  avez-vous?),»  nous  voyons 
Bacchus  entre  deux  ménades  et  des  satyres  ithyphalliqùes  «  en  atti- 
«  tude  obscène.  Ce  sont  là  des  détails  qui  ne  laissent  aucun  doute 
«  sur  le  caractère  licencieux  des  représentations  même  hiératiques 
«  de  ce  sujet,  »  c'est-à-dire  de  Yhiérogamie  de  Jupiter  et  de  Junon!! 

Après  cette  introduction,  qui  prend  la  moitié  de  la  première 
dissertation,  sans  contenir  presque  rien  qui  appartienne  au  sujet 
dont  il  S'agit,  l'auteur  arrive  enfin  à  la  peinture  de  Porapéi,  déjà 


BIBLIOGRAPHIE.  123 

connue  par  bien  d'autres  publications  :  (Mus.  Bourbon,  II,  59.  — 
Gai.  Orner.,  II,  131 .  — Gell,  PompéL,  new  séries,  I,  41.  —  Raoul 
Rochette,  Maison  du  Poète  tragique,  p.  22.  —  Scbelling,  dans  le 
Knnstblatt,  1833,  nos  66  et  67).  L'explication  de  M.  R.  R.  n'offre 
rien  de  nouveau  qui  ait  la  moindre  importance;  rien  qui  la  distingue 
de  celle  du  premier  éditeur  napolitain,  dont  il  adopte  les  idées,  sauf 
ses  développements  qui  ne  sont  pas  toujours  heureux.  M.  R.  R.  pa- 
raît n'avoir  pas  connu  l'explication  de  Schelling,  ce  qui  est  étrange, 
puisqu'elle  a  été  publiée  il  y  a  douze  années,  clans  un  Recueil  archéo- 
logique, le  Knnstbîatt,  que  M.  R.  R.  cite  constamment.  Schelling  voit 
dans  ce  sujet  le  mariage  de  Saturne  et  de  Rhéa;  explication  qui  sur- 
passe de  beaucoup,  en  profondeur  comme  en  justesse,  toutes  celles 
qu'on  a  proposées.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  répéter  ce  que  ce  sa- 
vant homme  a  dit  ;  il  suffit  d'y  renvoyer.  Nous  considérerons  d'abord 
le  mode  d'interprétation  de  M.  R.  R.,  en  prenant,  provisoirement, 
son  explication  pour  exacte. 

La  figure  qu'il  croit  être  Jupiter  offre  cette  circonstance  remar- 
quable, qu'elle  a  la  tête' couverte  d'un  voile.  M.  R.  R.  prétend  que 
«cette  particularité  convient  à  Jupiter,  dans  la  situation  où  il  se 
«  trouve.  »  11  n'en  donne  que  ce  motif:  «  elle  se  rapporte  certaine- 
«  nient  à  l'intention  de  caractériser  le  dieu  du  ciel,  d'après  les  exem- 
<(  pies  que  nous  possédons  de  cet  emploi  du  voile  déployé  au-dessus  de 
«  la  tête,  à  pareille  intention.  »  Personne  n'admettra  ce  prétendu  rap- 
port du  voile  avec  la  situation.  L'opinion  est  fausse.  Visconti,  citant 
les  rares  exemples  d'un  Jupiter  voilé,  les  a  rapportés,  avec  bien  plus 
de  raison,  à  l'attribut  de  ce  dieu,  comme  àZofioç,'  itèifèfoiï'ep&bç, 
LY^aloç  ?  ô[j£pioç  y  vézLoç  y  xaBxpGioç  ?  bien  qu'il  soit  difficile 
de  donner,  dans  tous  les  cas,  à  cette  circonstance,  une  signifi- 
cation précise.  Quant  à  la  figure  ailée  derrière  Junon,  JL  R.  R. 
y  voit  «*  Iris,  la  messagère  des  dieux,  qui  pouvait  seule,  en 
«  cette  qualité,  assister  aux  plus  secrets  entretiens  du  couple 
«  suprême  de  l'Olympe  (  p.  14  et  15).  »  Il  cite  à  ce  sujet  Théo- 
trite  (XVII,  13iT,  qui  parle  d'Iris,  tri  fcâptiiVbç ,  lorsqu'elle  était  en- 
«  core  vierge  (l),  comme  ayant  apprêté  la  couche  nuptiale  de  Jupiter 

(1)  M.  R.  il.  se  formalise  beaucoup  de  ce  que  Théocrile  qualifie  Iris  de  vierge, 
quoique  celte  déesse,  selon  Euslalhe,  eût  j  ayé  son  tribut  à  Yimptâclè.  Cotte 
critique  .  contre  un  poët-»  grec  qui  devait  connaître  sa  mythologie ,  vient  de  ce 
quo,  par  suite  de  son  ordinaire  et  remarquable  faiblesse  de  vue,  M.  R.  R.  n'a 
pas  aperçu  ce  petit  mol  f&\  devant  kixffiivbï,  bien  qu'il  rapporte  tout  du  long 
1.  s  deux  \e-5  de  Thcocrite.  11  ne  cite  qu'Eu-lathe  à  propos  de  Zéphyre,  fils 
d'fris  et  de  l'Amour.  Sans  doute  i!  aurait  cité  de  préférence,  s'il  les  avait  connus  , 
deux   passages   anciens,    tirés  de  Plutarque   {Amalor.,  c.  20)  et  de  Nonnus 


124  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  et  de  Junon ,  et  qui  avait  servi  de  pronuba  à  leur  union  clandes- 
«  tine.  »  Et  il  en  conclut  que  cette  déesse  avait  bien  pu  assister 
aussi  à  la  scène  que  nous  avons  sous  les  yeux,  «  et  où  sa  présence  se 
«  trouve  autorisée  par  tous  les  témoignages  de  l'histoire.  »  Mais  pour- 
quoi donc  M.  R.  R.  ne  nous  gratifie-t-il  pas  d'un  seul  de  ces  témoi- 
gnages? C'est,  à  ce  qu'il  me  semble,  parce  qu'il  n'en  existe  pas  un 
seul,  relatif  à  cette  scène  (Jupiter  et  Junon  sur  l'Ida).  Son  opinion 
s'écarte  du  récit  homérique ,  qui  pourtant  doit  être  pris  pour  unique 
source.  C'est  le  sommeil  qu'on  devrait  trouver  ici.  M.  R.  R.  dit,  il 
est  vrai,  que  «  le  dieu  du  sommeil  ne  fut  pas  présent  à  l'entrevue.  » 
Mais,  puisqu'il  s'agissait  d'endormir  Jupiter,  ne  fallait-il  pas  que  le 
Sommeil  fût  présent?  Je  sais  qu'Homère  dit,  qu'avant  d'avoir  été 
aperçu  de  Jupiter,  le  Sommeil,  semblable  à  un  oiseau ,  se  cacha  sur 
un  sapin  élevé.  Cela  est  purement  poétique  ;  un  artiste  devait  le 
représenter  sous  sa  véritable  forme,  pour  être  compris.  Mais,  dit 
M.  R.  R.,  «  cette  figure  est  celle  d'une  femme  ;  ce  sera  donc  celle  de 
«  Pasithea,  l'épouse  du  Sommeil.»  Si  c'est  une  femme,  ce  qui  est 
probable,  à  coup  sûr  ce  n'est  point  Pasithea,  qui  n'était  pas  la 
déesse  du  Sommeil,  quoiqu'on  dise  M.  R.  R.,  reproduisant  une  de 
seserreurs  (Mon.  inédits,  p.  36  )  ;  c'était  l'amante ,  l'épouse  d'Hypnos, 
vers  qui ,  son  œuvre  achevée,  il  retournait  avec  empressement  :  tre- 
pidantem  eum  (somnum)  recepit  dea  Pasithea  sinu  (Catull.,  63 ,  43), 
passage  que  M.  R.  R.  entend  aussi  mal  (sans  parler  de  la  citation 
inexacte,  42,  63,  au  lieu  de  63,  43),  que  celui  d'Homère  (XIV, 
267  ),  et  de  Nonnus,  qui  ne  disent  point  ce  qu'il  leur  prête.  Homère 
la  nomme  une  des  grâces  (Xapircov  pav)  ;  et  aucun  poëte  ne  lui  a 
jamais  donné  les  attributs  et  les  fonctions  d'Hypnos.  La  femme  du 
Sommeil  ne  pouvait  donc  être  d'aucun  secours  à  Junon. 

Nous  pensons,  avec  d'autres  critiques  ,  que  le  personnage  est 
bien  une  femme.  Le  costume  l'annonce,  ainsi  que  l'aspect  féminin 
de  la  figure.  Elle  se  retrouve  sur  le  tableau  si  connu  du  mariage  de 
Zéphyre  et  de  Chloris  (dont  M.  R.  R.  a  voulu ,  en  vain  ,  faire  l'union 
de  Rhéa  Sylvia  et  de  Mars  (Mon.  inéd.,  pi.  IX);  et  encore  dans  la 
pi.  III  de  l'ouvrage  que  nous  analysons,  où  Ariane  repose  sur  son 
sein.  Quant  au  costume,  M.  R.  R.  ne  cite  qu'une  seule  particularité, 
celle  du  brodequin,  qui,  selon  lui ,  appartient  plutôt  au  costume  dune 

(Dionys.  XXXI,  MO)  "En  nxpdivoi  {lorsqu'elle  était  encore  vierge  ;  !  ceci  prouve 
précisément  que Théoerite  savait  qu'elle  cessa  de  l'être.  M.  R.  R.  traite  Théocrite,  ni 
plus  ni  moins  que  si  le  poète  était  un  antiquaire  moderne;  il  le  critique,  comme 
on  voit ,  avec  le  même  à-propos  et  le  même  fondement. 


BIBLIOGRAPHIE.  125 

femme  (p.  56).  Là  se  montre  encore  son  peu  d'attention.  Ce  n'est  cer- 
tes pas  trop  exiger  de  lui,  que  de  lui  demander  de  regarder  au  moins 
le  tableau  qu'il  explique;  or,  s'il  l'a  fait,  on  ne  comprend  nullement 
qu'il  n'ait  pas  vu  que  Dionysos,  dans  ce  même  tableau,  porte  la  même 
chaussure,  qui,  du  reste,  un  antiquaire  devrait  le  savoir,  n'appar- 
tient aux  femmes  que  par  exception,  quand  elles  exercent  une  fonc- 
tion virile,  comme  Diane  chasseresse  et  les  Furies,  ces  poursuivantes 
infatigables  et  rapides.  Je  reviendrai  tout  à  l'heure  sur  cette  figure. 

Quant  aux  trois  figures  d'enfants  ou  d'adolescents  qui  se  voient 
sur  le  devant  du  tableau,  ils  ont  été  jusqu'ici  une  pierre  d'achoppe- 
ment pour  tous  les  interprètes  de  ce  tableau,  excepté  pour  Schelling. 
M.  R.  R.  ne  peut  rien  nous  en  dire,  si  ce  n'est  pour  rappeler  qu'on 
les  a  pris  pour  les  Curetés,  les  Corybantes  ou  les  Dactyles.  Or,  leur 
présence  à  l'entrevue  de  Jupiter  et  de  Junon ,  serait  non-seule- 
ment superflue,  mais  gênante.  Ces  figures  ont,  au  contraire,  leur 
pleine  signification  dans  l'hypothèse  de  Schelling  (le  mariage  de 
Saturne  et  de  Rhéa),  d'après  laquelle  ils  seraient  Zeus,  Poséidon  et 
Hades,  c'est-à-dire  les  fruits  qui  doivent  sortir  de  l'union  des  deux 
principaux  personnages. 

D'ailleurs,  que  ce  soit  ici  un  mariage  (ya/xoç),  non  la  simple 
rencontre  de  Jupiter  et  de  Junon  ou  de  Saturne  et  de  Rhéa ,  c'est  ce 
que  prouve  une  particularité  que  M.  R.  R.  a  entièrement  négligée, 
tandis  que  Schelling  y  a  fait  une  sérieuse  attention.  Je  veux  parler 
c|e  l'anneau  que  les  deux  figures  portent  au  quatrième  doigt  de  la 
main  gauche,  justement  comme  encore  aujourd'hui  on  porte  l'an- 
neau nuptial.  L'usage  est  grec  et  romain,  ce  qui  résulte  des  pas- 
sages des  anciens ,  qui  ont  été  rassemblés  par  Kirchmann  (  de 
Annulis,  cap.  18),  par  Brisson  et  Hotmann  (de  Ritu  nupt.  in  Graev. 
llies.  Ant.  Rom.,  t.  VIII,  p.  1014,  1118).  Notre  peinture  offre,  à 
ma  connaissance,  le  premier  exemple  d'anneaux  nuptiaux;  et  cette 
particularité  ne  pourrait  se  justifier  que  dans  une  scène  de  mariage. 
Enfin,  à  cette  scène  convient  parfaitement  encore  la  figure  placée 
derrière  Rhéa ,  qui  semble  pousser  la  déesse  dans  les  bras  du  divin 
époux.  Ce  n'est  ni  Pasithea,  comme  le  veut  M.  R.  R.,  ni  la  Nuit, 
comme  le  croient  d'autres  interprètes,  mais  bien  une  nympheutria , 
ainsi  que  le  pense  aussi  Schelling ,  qui  pourtant  paraît  lui  attribuer 
une  signification  plus  profonde,  à  laquelle  on  peut  trouver  quelque 
chose  de  trop  abstrait. 

De  tout  cela,  il  suit  que  l'explication  de  M.  R.  R.  n'est  ni  bonne 
ni  nouvelle,  et  que  les  arguments  par  lesquels  il  l'a  soutenue,  ou  ne 


1?6  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

signifient  rien,  pu  parlent  contre  lui,  et  sont,  en  général,  fondés 
sur  des  erreurs  philologiques  ou  archéologiques ,  qu'un  antiquaire 
ne  doit  jamais  commettre.  Sans  doute,  les  plus  habiles  n'ont  pas  tou- 
jours rencontré  juste ,  quand  le  monument,  comme  celui-ci,  était 
plus  ou  moins  énigmatique  ;  mais,  du  moins,  leurs  explications  sont- 
elles  toujours  possibles,  probables  et  conformes  aux  faits  qui  étaient 
connus ,  lorsqu'ils  les  ont  proposées.  Leurs  erreurs,  quand  il  leur  en 
échappe,  sont  toujours  de  celles,  quas  aut  incuria  fudit,  aut  hu- 
mana  parum  cavit  natiira. 

On  peut  juger  si  celles  que  je  viens  de  relever  sont  de  ce  genre. 

Malheureusement  la  deuxième  et  la  troisième  peinture  de  cette 
livraison  donnent  lieu  à  des  observations  non  moins  graves  et  non 
moins  compromettantes  pour  l'autorité  scientifique  de  M.  R.  R. 

Dr  Heinrich  Brunn,  à  Rome. 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 

Histoire  de  l'Art  par  les  Monuments,  depuis  la  décadence 
au  IVe  siècle  jusqu'à  son  renouvellement  au  XVIe ,  par  Seroux 
d'Agincourt. 

L'origine  et  le  progrès  des  arts  chez  les  anciens  ont  été  le  sujet 
d'un  grand  nombre  d'écrits.  Les  arts  depuis  leur  renaissance  chez  les 
modernes,  objets  habituels  de  nos  observations  et  de  nos  travaux, 
sont  aussi  chaque  jour  le  sujet  de  dissertations  et  de  travaux  remar- 
quables. L'ouvrage  de  d'Agincourt,  fruit  de  trente  ans  de  recherches 
et  d'observations  patiemment  consignées,  publié  il  y  a  vingt  ans, 
forme  une  collection  considérable  de  monuments  recueillis  depuis  la 
chute  du  Bas-Empire  jusqu'à  la  fin  de  la  renaissance,  rangés  par  ordre 
chronologique,  expliqués,  comparés,  concourant  tous  à  présenter 
encore  aujourd'hui  le  travail  le  plus  complet  sur  cette  matière.  Il 
forme  six  volumes  in-folio ,  qui  renferment  les  trois  divisions  natu- 
relles de  ce  grand  travail,  savoir  :  l'architecture,  la  sculpture  et  la 
peinture.  Chacune  de  ces  sections  est  précédée  d'introductions  his- 
toriques qui  offrent  une  foule  de  détails  intéressants  qu'il  est  impos- 
sible d'énumérer.  L'auteur  commence  à  peu  près  au  point  où  Winc- 
kelmann  s'était  arrêté.  Il  résume,  dans  une  ou  deux  planches,  l'art 
antique,  puis  il  entre  en  matière  par  des  recherches  sur  la  construc- 
tion des  basiliques  chrétiennes,  et  fait  voir  en  quoi  elles  diffèrent  ou' 
se  rapprochent  des  temples  antiques.  Seize  planches  sont  consacrées 


BIBLIOGRAPHIE.  127 

à  faire  connaître  les  causes,  les  vicissitudes  et  la  décadence  de  l'archi- 
tecture depuis  le  IIIe  jusqu'à  la  fin  du  VIe  siècle.  Dans  les  planches 
suivantes  d'Agincourt  a  résumé  l'état  de  l'architecture  pendant  la 
suite  des  dix  siècles  qui  ont  suivi.  Il  nous  fait  assister  à  toutes  les 
transformations  qui  sont  venues  successivement  modifier  l'extérieur 
comme  l'intérieur  des  basiliques  ;  nous  voyons  le  byzantin  céder  la 
place  au  style  roman ,  celui-ci  est  à  son  tour  remplacé  par  le  mo- 
resque, puis  le  gothique  apparaît,  et  enfin  l'architecture  dite  de  la 
renaissance.  La  sculpture  et  la  peinture  sont  traitées  de  la  même 
manière. 

Quarante-huit  planches  sont  consacrées  à  reproduire  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  sculpture  proprement  dite ,  ainsi  que  celle  d'ornement. 
On  y  trouve  de  nombreux  bas-reliefs  sculptés  en  Italie,  en  France, 
en  Allemagne  et  en  Angleterre,  des  diptyques,  des  meubles,  des 
vases,  des  ameublements  d'églises,  tels  qu'ambons,  jubés,  fonts  de 
baptême;  des  couvertures  de  manuscrits,  des  inscriptions,  des  tom- 
beaux, etc. 

Dans  la  sculpture  sont  encore  compris  les  ouvrages  ciselés ,  re- 
poussés au  marteau,  les  incrustations,  damasquinures;  les  ouvrages 
d'orfèvrerie,  d'église  et  de  luxe;  les  monnaies,  médailles;  des 
sceaux,  des  armes,  armures,  etc. 

Deux  cent  quatre  planches  sont  consacrées  à  faire  connaître  les 
productions  de  la  peinture  sur  pierre ,  telles  que  les  mosaïques  et  les 
fresques,  celles  sur  bois,  sur  toile;  celles  des  manuscrits  forment  à 
elles  seules  une  suite  nombreuse  et  variée  ;  les  nielles,  les  chefs- 
d'œuvre  de  la  gravure  en  bois  des  premiers  livres  imprimés  ;  les  cartes 
géographiques;  les  étoffes,  les  tentures,  les  tapisseries  et  toiles 
peintes  ;  les  divers  corps  d'écritures  usités  aux  différents  siècles. 

On  trouve  dans  les  trois  volumes  plus  de  quatorze  cents  monuments 
gravés  et  expliqués,  dont  sept  cents  au  moins  étaient  inédits.  Les 
collections  publiques,  surtout  celles  du  Vatican  et  du  Louvre,  les  an- 
ciens trésors  des  églises  et  les  collections  particulières  sont  venus 
offrir  à  d'Agincourt  leurs  riches  tributs.  Les  planches  sont  bien  exé- 
cutées et  reproduisent  assez  généralement  le  caractère  distinctif  de 
chaque  époque.  Tout  en  admirant  l'ensemble  et  l'exécution  de  cet 
ouvrage,  nous  n'ignorons  pas  qu'il  laisse  quelque  chose  à  désirer  ; 
quel  est  l'ouvrage,  même  le  plus  estimé,  qui  n'en  soit  pas  là?  On  a 
reproché  à  d'Agincourt  de  n'avoir  vu  le  gothique  que  dans  l'Italie; 
cependant,  il  cite  de  nombreux  monuments  de  cette  époque  en  Alle- 
magne, en  France,  ^n  Angleterre,  et  s'il  ne  leur  a  pas  donné  plus  de 


128  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

développement,  c'est  que  la  place  lui  a  manqué.  C'est  une  haute 
injustice,  c'est  un  abus  immodéré  de  la  critique  que  de  vouloir  rayer 
d'un  trait  de  plume  et  par  quelques  phrases  amères ,  un  grand  œuvre 
parce  qu'il  y  manque  quelque  chose  ;  que  ceux  qui  lui  font  ce  re- 
proche tâchent  de  faire  mieux  que  lui  et  de  combler  les  lacunes  que 
d'Agincourt  a  laissées,  ce  sera  bien  mériter  de  la  science,  malgré 
tout  ce  qu'on  pourra  dire. 

Ce  livre,  comme  l'a  fait  remarquer  le  Journal  des  Savants ,  est  du 
nombre  de  ceux  qu'on  ne  devait  guère  espérer  de  voir  entreprendre, 
et  qu'on  ne  refera  jamais.  C'est  donc  un  véritable  service  que  rend  au 
public  studieux  le  nouvel  éditeur,  qui,  en  faisant  l'acquisition  de  ce 
grand  ouvrage ,  l'a  mis  à  la  portée  du  plus  grand  nombre  de  bourses. 

L'Histoire  de  l'Art,  par  d'Agincourt,  six  volumes  in-folio,  texte,  et 
trois  cent  vingt-cinq  planches,  coûte  maintenant  300  francs  au  lieu 
de  720  francs,  à  Paris,  chez  Lenoir,  éditeur,  quai  Malaquais,  n.  5. 

L.  J.  G. 

Relation  des  Voyages  faits  par  les  Arabes  et  les  Persans 
dans  l'Inde  et  a  la  Chine,  dans  le  IXe  siècle  de  l'ère 
chrétienne  ,  texte  arabe  et  traduction  enrichie  de  notes  et  d éclair- 
cissements; par  M.  Reinaud,  membre  de  l'Institut.  Paris,  Impri- 
merie royale,  1845,  2  vol.  in-18. 

La  nouvelle  traduction  que  M.  Reinaud  a  donnée  de  la  relation 
publiée  par  Renaudot,  au  commencement  du  siècle  dernier,  est  une 
publication  utile  à  la  fois  aux  géographes ,  aux  historiens  et  aux  an- 
tiquaires. Cet  orientaliste  s'est  acquitté  de  sa  tâche  avec  cette  con- 
science et  ce  savoir  qu'on  est  accoutumé  à  lui  voir  apporter  à  tous 
ses  travaux.  La  Relation  de  Soleyman,  l'Itinéraire  rédigé  par  Abou- 
Zeid ,  jettent  le  plus  grand  jour  sur  une  époque  fort  obscure  de  l'his- 
toire et  de  la  géographie  asiatiques,  le  IXe  siècle.  Nous  ne  sommes 
pas  toujours  d'accord  avec  l'habile  académicien  sur  les  déterminations 
géographiques  qu'il  a  tirées  du  texte  traduit  par  lui  avec  plus  d'exac- 
titude et  de  bonheur  que  ne  l'avait  fait  Renaudot ,  et  nous  avonstlis- 
cuté  ailleurs  une  partie  de  l'Itinéraire  tel  qu'il  l'a  rétabli  (Bulletin 
de  la  Société  de  Géographie,  avril,  1846);  mais  nous  rendons  com- 
plète justice  à  ce  que  son  œuvre  contient  de  positif,  et  nous  la  signa- 
lons comme  une  mine  précieuse  où  devront  puiser  ceux  qui  s'occu- 
pent d'archéologie  orientale.  A.  M. 


EXPLICATION  DE  QUELQUES  DIFFICULTES 

RELATIVES 

AUX  ANCIENS  SCULPTEURS 
CALLIMAQUE,  CLÉOMÈNE,  BUPALUS,   CALAMIS,   ETC. 


Tout  ce  qui  concerne  ces  célèbres  artistes  a  été  si  bien  traité  par 
Winckelmann  et  ses  savants  commentateurs,  MM.  Meyer  et  Schulze, 
par  MM.  Sillig  etThiersch,  et  par  d'autres  philologues  et  antiquaires 
d'une  grande  distinction ,  qu'il  paraîtrait  superflu  de  revenir  sur  des 
sujets  si  rebattus  et  si  bien  discutés.  Ayant  donc  terminé  le  catalo- 
gue des  artistes  de  l'antiquité  jusqu'au  VIe  siècle  de  notre  ère,  qui 
doit  faire  partie  de  mon  Manuel  de  l'histoire  de  l'art  chez  les  anciens, 
en  4  vol. ,  dont  trois  paraîtront  sous  peu,  et  dont  ce  qui  va  suivre 
est  un  extrait,  je  voulais  m'en  tenir  à  ce  que  j'avais  déjà  dit  dans  le 
catalogue  distribué  à  quelques  personnes  en  août  1 844 ,  et  dans  quel- 
ques additions  que  j'y  ai  faites  d'après  de  nouvelles  publications  ar- 
chéologiques, et  les  observations  de  quelques  savants,  et  surtout  de 
mon  ami  M.  Letronne ,  des  conseils  et  de  la  saine  critique  duquel  on  se 
trouve  toujours  bien.  Mais  la  nouvelle  édition  de  la  lettre  de  M.  R.  Ro- 
chette  à  M.  Schorn  (1845) ,  et  surtout  la  publication,  en  avril  1846, 
des  Questions  de  Vart,  etc.  du  même  auteur  qui,  dans  sa  lettre,  y 
renvoyait  ses  lecteurs  avant  qu'elles  eussent  paru ,  m  ont  décidé  à 
retarder  la  publication  du  manuel  que  j'annonce  depuis  si  longtemps, 
mais  qui  enfin  paraîtra  bientôt.  En  attendant,  je  veux  faire  part  aux 
archéologues  de  quelques  idées  que  m'ont  suggérées  les  Questions  de 
l'histoire  de  l'art. 

Entre  tous  les  ouvrages  de  M.  Raoul  Rochette  (et  Ton  ne  connaît 
que  trop  sa  fécondité ,  qui  n'est  pas  toujours  heureuse) ,  il  n'y  en  a  pas 
qui  l'emportent  sur  les  Questions  par  une  profusion  d'inadvertances 
et  de  méprises  qui  surpasse  tout  ce  que  l'on  est  en  droit  d'attendre 
en  ce  genre ,  pour  peu  que  l'on  soit  au  courant  des  productions  ar- 
chéologiques de  M.  R.  Rochette ,  et  particulièrement  du  Supplément 
au  catalogue  de  Sillig  et  du  Choix  de  peintures  de  Pompéi.  M.  Le- 
III.  9 


130  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tronne  nous  a  promis  de  nous  édifier  dans  cette  Revue  sur  les  mérites 
du  premier  de  ces  ouvrages.  Quant  au  second ,  l'excellent  article  du 
docteur  H.  Brunn  (hev.  arch. ,  tll,  118)  en  a  signalé  les  défauts 
sous  le  rapport  de  l'érudition  et  de  la  critique.  On  permettra  peut-être 
aussi  à  celui  qui,  pendant  plusieurs  années  consécutives,  et  surtout 
lors  d'un  séjour  de  neuf  mois  au  palais  de  Portici,  a  pu  voir  journel- 
lement et  étudier  une  à  une,  avec  toutes  les  facilités  du  monde,  les 
mille  quatre  cent  soixante-quinze  peintures  antiques  qui  s'y  trou- 
vaient alors,  oh  lui  permettra,  dis  je,  de  déclarer,  ici  qu'à  l'égard 
des  planches ,  l'ouvrage  de  M.  R.  R.  est  vraiment  très-remarquable 
par  le  manque  total  de  goût  et  de  caractère  antique  dont  on  est  parvenu 
à  flétrir  ces  pauvres  peintures,  où  l'on  chercherait  en  vain  et  le  dessin 
et  l'indication  du  faire  antique,  qu'on  n'y  trouverait  pas  plus  que  le 
coloris.  C'est  que,  et  probablement  M.  R.  R.  l'a  oublié  s'il  l'a  jamais 
su,  il  ne  suffit  pas,  dans  un  teste  descriptif  brillante,  d'étaler,  sou- 
vent à  bon  marché,  une  luxuriance  d'érudition  d'emprunt,  il  faut 
pour  bien  parler  des  antiquités,  et  surtout  des  peintures  des  villes 
victimes  dii  Vésuve,  et  pour  les  reproduire  avec  vérité  dans  les  plan- 
ches que  l'on  dirige,  il  failt  d'abord,  comme  mon  excellent  ami 
Mazois,  avoir  le  sentiment  fin  et  délicat  du  dessin  et  de  la  couleur 
des  anciens,  et  sur  ce  point  la  réputation  de  M.  R.  Rochette  n'est 
peut  être  pas  parfaitement  établie;  soit  qu'il  loue,  soit  qu'il  blâme, 
on  peut,  en  toute  conscience  et  avec  connaissance  de  cause,  en  appeler 
de  ses  jugements,  et  souvent  les  regarder  comme  non  avenus. 

Pour  en  revenir  aux  Questions  ,  on  dirait  vraiment  qu'elles  ont  été 
inspirées  et  écrites  dans  un  paroxysme,  une  recrudescence  coléri- 
que de  mauvaise  humeur,  et  sous  l'influence  de  l'esprit  de  contradic- 
tion, assez  souvent  mauvais  conseiller.  C'est  ce  malin  esprit  qui  a 
enlevée  M.  R.  Rochette  la  tranquillité  et  l'impartialité  qui  exami- 
nent froidement  les  faits,  et  jugent  sainement  les  Opinions.  Ces  Ques- 
tions, en  effet,  sont  principalement  dirigées  contre  l'explication  de 
l'inscription  grecque  trouvée  dans  la  statue  archaïque  de  bronze  dii 
Musée  royal  par  M.  Letronne,  quoique  au  rapport  des  connaisseurs 
ce  savant  ait  très-bien  apprécié  cette  statue,  prouvé  victorieuse- 
ment contre  M.  R.  Rochette  (inde  irœ) ,  qu'elle  représente  Apollon, 
qu'elle  est  de  style  archaïque  d'imitation,  et  qu'il  a  parfaitement 
restitué  et  interprété  l'inscription  trouvée  à  l'intérieur  de  cette  sta- 
tue. Étarit  tout  à  fait  de  l'opinion  de  M.  Letronne  et  sur  l'ensemble 
et  sur  les  détails  de  ce  curieux  monument,  j'ai  rendu  compte  aviv 
détail  de  >on  travail  dans  le  troisième  volume  de  mon  Manuel. 


EXPLICATION    DE    QUELQUES    DIFFICULTÉS.  131 

M.  R.  Rochette,  selon  son  usage,  ne  veut  pas  démordre  de  son 
opinion  sur  cette  statue,  où  il  persiste  à  ne  voir  qu'un  simple  éphèbe, 
et  à  la  manière  dont  il  s'exprime  sur  l'inscription  ,  il  est  aisé  de  recon- 
naître que,  n'osant  pas  en  nier  ouvertement  la  vérité,  attestée  par  des 
témoins  irréfragables,  il  ne  serait  pas  fâché  de  faire  croire  que  cette 
découverte  est  fabuleuse.  Personne  assurément  n'ira  lui  contester 
d'être  le  plus  fécond  et  le  plus  disert  des  archéologues  ;  mais  son  am- 
bition s'élève  jusqu'à  vouloir  en  être  le  premier,  et  cette  prétention , 
selon  nous,  est  un  peu  plus  contestable.  Il  ne  peut  donc  se  faire  à 
l'idée  de  céder  un  terrain  sur  lequel  il  s'arrogerait  volontiers  le  droit 
de  régner  en  maître.  Ne  sachant  prendre  son  parti  d'être  battu  à 
plate  couture,  il  regimbe,  et  pour  se  donner  l'air  d'avoir  remporté 
la  victoire ,  il  se  lance  à  tout  hasard  et  tète  baissée  dans  les  plus  sin- 
gulières explications.  Ne  soyez  pas  alors  surpris  de  le  voir  se  précipi- 
ter dans  plus  d'erreurs  qu'il  n'en  avait  d'abord  commis,  et 
compromettre  de  plus  en  plus  une  réputation  qu'il  travaille  à  faire 
croire  inattaquable ,  et  qui,  malgré  ses  efforts,  est  depuis  si  long- 
temps percée  à  jour  de  toutes  parts. 

Je  n'ai  nullement  l'envie  et  le  talent  de  relever  comme  il  le  faudrait 
toutes  ces  fautes  de  l'hypercritique,  et  je  m'en  repose  sur  l'habileté  et 
la  sagacité  de  M.  Letronne  qui,  plus  intéressé  que  personne  à  réta- 
blir les  faits  altérés,  fera  dans  un  travail  spécial ,  prompte  et  bohrie 
justice  de  ce  fléau  de  l'archéologie  et  des  archéologues.  Je  me  bor- 
nerai donc  à  quelques  observations  qui  touchent  à  l'histoire  de  l'art 
antique,  sujet  qui  depuis  longtemps  a  été  pour  moi  l'objet  d'études 
persévérantes. 

Ces  observations  concernent  la  question,  assez  difficile  en  certains 
cas,  de  savoir  si  tel  nom  a  été  porté  par  un  seul  artiste  ou  par  deux 
artistes  différents.  M.  R.  R.  persiste  à  prétendre  qu'il  n'y  en  a  eu 
qu'un  seul ,  tels  par  exemple,  qu'Agcladas  et  Àgatharque ,  et  d'autres 
que  nous  verrons  (  voy.  Manuel,  t.  I,  2e  partie,  p.  945,  947)  ;  tandis 
que  M.  Letronne  et  moi  nous  soutenons  qu'il  y  en  a  eu  deux.  Voici 
ce  qui  donne  quelque  intérêt,  à  cette  question. 

Tout  le  monde  connaît  le  passage  où  Pline  (1.  I,  Ptœf.,  27,  éd. 
Sillig)  dit  que  les  maîtres  de  l'art  inscrivaient  au-dessous  de  leurs 
ouvrages  faciebat  (inoUi),  au  lieu  de  fecit  (ènoiwz),  indiquant  par 
l'emploi  de  cet  imparfait,  qu'on  retrouve  encore,  1.  XXXV,  s.  10  et 
39,  dans  eWv  pour  èvéxxvaev ,  qu'ils  ne  regardaient  pas  leur  œuvre 
comme  conduite  h  la  perfection. 

On  a  cru  en  général  qu'en  écrivant  Pline  s'était  trompé,  en  nousdi- 


132  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

sant  qu'il  ne  connaissait  que  trois  artistes  qui  eussent  signé  de  l'aoriste , 
parfait  défini  (ènoiyae) ,  fecit,  leurs  ouvrages  comme  n'ayant  plus  à 
y  revenir.  M.  Letronne  a  le  mérite  d'avoir  le  premier  cherché  dans  les 
monuments  eux-mêmes  la  preuve  que  Pline  était  bien  informé.  Il 
fait  remarquer  que  cet  écrivain  a  bien  pu  se  tromper  sur  les  noms 
d'Apelle,  de  Polyclète,  de  Lysippe  et  de  Nicias,  qu'il  cite,  mais  qu'il 
ne  peut  errer  sur  le  témoignage  de  ses  yeux  ;  et  quand  il  dit  :  Tria 
non  amplius,  ut  opinor ,  àbsolute  tradantar  inscripta ,  il  est  indubitable 
qu'il  ne  connaissait  pas  plus  de  trois  exemples,  du  parfait,  temjms 
absolutum,  et  en  conséquence  que  de  son  temps  l'immense  majorité 
des  objets  d'art  signés,  qu'il  avait  sous  les  yeux,  devaient  avoir  dans  leurs 
inscriptions  l'imparfait  èitoiei ,  faciebat ,  au  lieu  de  l'aoriste  ènoinae, 
fecit. 

Ce  fait  certain  s'accorde  d'ailleurs ,  d'après  ce  que  m'a  fait  observer 
M.  Letronne ,  avec  le  génie  de  la  langue  grecque  qui ,  dans  l'énoncé 
d'une  action  finie ,  n'admet  que  Y  aoriste  ;  en  sorte  que  l'usage  de 
Yimparfait  suppose  une  intention  particulière  et  une  action  qui  n'est  pas 
tout  à  fait  complète,  achevée,  ce  que  le  passage  de  Pline  explique 
parfaitement. 

A  l'appui  du  texte  de  Pline,  M.  Letronne  fait  remarquer  que 
toutes  les  inscriptions  antérieures  à  Alexandre  emploient  exclusivement 
Y  aoriste  y  tandis  que  dans  celles  de  l'époque  postérieure,  si  l'aoriste 
s'y  trouve  encore  souvent,  Yimparfait  s'y  montre  en  plus  grand  nom- 
bre encore.  En  sorte  qu'il  résulte  des  monuments  qu'une  mode  s'est 
réellement  introduite,  à  une  certaine  époque,  d'employer  l'imparfait 
zTzoiti  et  Iffoiouv,  au  lieu  de  l'aoriste  enolnaev  ou  inoiriGOLv ,  qui  au- 
paravant était  seul  en  usage. 

Il  me  semble  qu'il  y  avait  tout  lieu  d'être  frappé  de  tout  ce  qu'a  de 
satisfaisant  cette  manière  nouvelle  de  concilier  uu  texte  si  remarquable 
avec  les  inscriptions  des  objets  d'art.  Bien  au  contraire,  M.  R.  R., 
comme  s'il  ne  pouvait  pardonner  à  un  autre  d'avoir  eu  une  idée  qu'il 
n'avait  pas  eue,  s'acharne  à  vouloir  la  détruire.  Malheureusement 
pour  lui,  il  s'y  prend  mal,  car  il  commence  par  n'en  pas  comprendre 
le  premier  mot.  En  effet,  il  a  bien  une  idée,  mais  elle  est  malencon- 
treuse ;  il  oppose  comme  une  objection  capitale  que  les  exemples  de 
l'aoriste  iiioiinŒev,  après  Alexandre,  sont  plus  nombreux  que  ne  l'a 
pensé  M.  Letronne.  A  chaque  aoriste  qu'il  rencontre,  il  répète  à 
satiété  que  cela  est  contraire  à  la  théorie.  Mais  n'est-  il  pas  évident 
que  les  exemples  qu'il  produit  ne  sont  d'aucune  importance,  puisque 
M.  Letronne  fait  remarquer  expressément  que  cet  aoriste  est  resté  en 


EXPLICATION   DE    QUELQUES   DIFFICULTÉS.  133 

usage ,  concurremment  avec  l'imparfait  ?  Maintenant  qu'il  y  en  ait  un 
peu  plus  ou  un  peu  moins,  cela  ne  touche  en  rien  à  la  question  ;  et 
il  faut  convenir  qu'en  ceci ,  M.  R.  R.  ne  se  montre  pas  trop  bon 
raisonneur.  Ce  qui  serait  une  véritable  objection ,  ce  serait  de  faire  voii 
que  les  exemples  de  l'imparfait  sont  nombreux  avant  Alexandre.  En 
ce  cas,  la  théorie  n'aurait  plus  de  base. 

M.  Letronne  a  été  au-devant  de  cette  objection  en  montrant  qu'il 
n'y  a  que  X aoriste  dans  les  inscriptions  anciennes.  Celles  des  vases, 
ne  donnent  que  EI10IE2E  ;  en  trois  exemples  seulement,  il  y  a 
EnOIE  et  EnOIEI ,  mais  les  mots  tronqués  qui  se  trouvent  à  chaque 
instant  sur  les  vases  ne  permettent  pas  de  s'arrêter,  en  bonne  criti- 
que, à  ces  exceptions,  EI10IE  pouvant  être  pour  E1101E2E.  M.  R.  R. 
s'accroche  à  ces  exceptions,  à  lui  permis;  il  ne  convaincra  personne. 
Dans  les  inscriptions  statuaires,  M.  Letronne  soutient  qu'il  n'y  a 
point  [imparfait,  et  que  si  ce  temps  se  trouve  après  des  noms  d'artistes 
anciens,  c'est  que  les  inscriptions  ont  été  mises  après  coup,  ou  bien 
qu'elles  appartiennent  à  des  artistes  de  même  nom,  mais  plus  ré- 
cents. 

D'après  tout  ce  qui  précède,  il  me  semble  donc  que  je  dois  appor- 
ter ici  quelque  modification  à  ce  que,  dans  mon  Manuel,  j'ai  exprimé 
peut-être  d'une  manière  trop  absolue  sur  l'emploi  de  Y  aoriste  et  de 
l'imparfait.  Je  dirai  donc  que  Y  aoriste  ayant  longtemps  continué  à  être 
en  usage,  il  ne  peut  pas  servir,  sans  le  secours  de  l'orthographe,  de 
la  forme  des  lettres  et  du  style  des  ouvrages,  à  en  déterminer  l'époque 
d'une  manière  approximative  ;  mais  que,  d'un  autre  côté,  l'imparfait, 
si  on  ne  prouve  pas  d'une  manière  positive  par  le  style  et  l'inscription 
du  monument  qu'il  est  d'urie  grande  antiquité,  doit  contribuer  à  dé- 
montrer ou  à  faire  fortement  soupçonner  qu'il  n'est  pas  antérieur  au 
IVe  siècle  avant  notre  ère. 

Je  crois  donc,  pour  ma  part,  que  mon  ami  M.  Letronne  a  raison 
sur  tous  les  points,  et  que  les  distinctions  qu'il  établit  sont  fondées 
sur  une  saine  critique.  Je  vais  le  prouver  en  reprenant  quelques- 
uns  de  ces  noms,  et  en  défendant  contre  M.  R.  R.  ce  que  j'en  ai  dit 
moi-même.  Il  m'en  coûtera  de  relever  d'énormes  fautes  ;  mais  d'après 
la  manière  dont  M.  R.  R.  s'est  plus  d'une  fois  exprimé  sur  mon  tra- 
vail, je  ne  lui  dois  que  la  stricte  justice.  J'espère  ne  pas  y  manquer 
dans  ce  que  je  vais  dire. 


154  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Callimaque.  On  a  beaucoup  parlé  d'un  bas-relief  d'ancien  style, 
0U,  peut-être  qui  n'en  est  qu'une  imitation ,  et  attribué  par  une  in- 
scription aipsi  conçue:  KAAAIMAX02  EPOIEI ,  à  Callimaque, 
architecte,  sculpteur  et  même  peintre;  sur  l'époque  duquel  flotte  en- 
core beaucoup  d'incertitude.  Les  assertions  formelles  et  solennelles  de 
M.  P,  R. ,  dans  les  Questions  de  l'art,  p.  77,  sont  encore  loin  d'être 
parvenues  à  dissiper  les  doutes,  et  il  ne  réassit  pas  à  prouver  que  le 
bas-relief  soit  de  Callimaque,  et  encore  moins,  que  l'inscription 
remonte  à  son  temps.  La  question  débattue  depuis  longtemps  (depuis 
Winckelmann  )  n'a  pas  avancé  d'un  pas  et  ne  sert  à  rien  à  M.  R.  R., 
en  faveur  de  l'aoriste  èizoUi  ef,  de  ses  vicissitudes.  Si  nous  interrogeons 
Winckelmann  ,  assez  bon  juge  en  ce^te  matière  et  qu'on  n'accusera 
pas  d'être  superficiel  dans  l'histoire  de  l'art,  il  nous  répondra,  1.  VIII, 
c.  ï,  que  cette  inscription  lui  paraît  très-suspecte  et  pourrait  bien 
avoir  été  copiée  anciennement  de  quelque  autre  ,  et  mise  sur  un  bas- 
relief  qu'on  voulait  faire  passer  pour  être  de  Callimaque  :  l'on  sait 
que  les  anciens  ne  se  faisaient  pas  scrupule  de  ces  petites  fraudes 
archéologiques,  et  leurs  écrivains  nous  en  sont  garants.  En  suppo- 
sant que  ce  bas-relief,  de  style  archaïque ,  fut  de  Callimaque,  l'écri- 
ture de  l'inscription  ne  serait  pas  du  même  temps  ,  et  ce  devrait  être 
KAHMAKHO*  ou  KAHMAX02  si  on  admet  que  leX  au  lieu  de  KH, 
fut  employé  à  une  époque  plus  reculée  que  ne  le  pensait  Winckel- 
mann. En  outre,  l'historien  de  l'art  ajouterait  encore,  que  ce  bas- 
relief  du  Capitole  lui  paraissait  d'un  style  plus  ancien  que  ne  devait 
être  Callimaque  ,  qui  n'a  pas  précédé  Phidias,  et  qui  d'après  l'inven- 
tion du  chapiteau  corinthien,  qu'on  lui  attribue  ainsi  que  celle  du 
trépan  ,  doit,  d'après  l'observation  de  Winckelmann  confirmée  par 
M.  Sillig,  avoir  fleuri  entre  Phidias  (83e  ol.)  et  la  96e  olymp., 
époque  à  laquelle  Scopas  orna  de  colonnes  corinthiennes  le  temple 
de  Minerve  à  Tégée.  Aussi  Winckelmann  est-il  loin  de  s'accorder 
avec  ceux  qui,  sans  aucun  motif  concluant,  placent  Callimaque  dans 
la  f?0e  olymp.  Mais  voici,  ce  me  semble,  une  assertion  assez  remar- 
quable de  M.  R.  R.,  dans  la  note  2  de  la  p.  77  de  ses  Questions  de 
Fart.  Après  avoir  repoussé  une  objection  paléographique  de  Winckel- 
mann, notre  savant  et  quelque  peu  téméraire  antiquaire,  ajoute  en 
propres  termes  :  «  Sans  compter  que  Winckelmann  plaçait  Callimaque 
«.dans  la  LXe  olympiade,  opinion  qui  ne  repose  sur  aucun  témoi- 
«  gnage.  »  Mais  vraiment  on  ne  sait  où  l'on  en  est  en  lisant  de  pa- 
reilles affirmations  et  en  voyant  dénaturer  d'une  telle  manière  les 


EXPLICATION   DE   QUELQUES   DIFFICULTÉS.  135 

expressions,  les  opinions  d'un  auteur  que  l'on  a  sous  les  yeux,  et  d'un 
auteur  tel  que  Winckelraann.  Ce  sont  de  ces  choses,  de  ces  délits  lit- 
téraires, archéologiques  et  tout  ce  que  l'on  voudra,  qu'avec  toute 
l'indulgence  du  monde  on  ne  saurait  laisser  passer  inaperçus,  et  qu'on 
est  en  conscience  obligé  de  stigmatiser  comme  ils  le  méritent.  Il  est 
fâcheux  qu'un  philologue  tel  que  se  croit  M.  R.  R.,  qui  a  toutes  les 
langues  à  son  service,  se  soit  servi  de  quelque  méchante  traduction 
de  Winckelmann  ,  en  je  ne  sais  quelle  langue,  au  lieu  d'avoir  tout 
simplement  recours  au  texte  allemand  qui  est  très-facile  et  que 
JVI.  R.  R.  aurait  probablement  compris  sans  peine.  Il  m'est  bien 
force  de  me  livrer  à  ces  conjectures,  car  je  ne  saurais  me  persuader 
que  dans  l'intérêt  de  sa  cause,  M.  R.  R.  ait  eu  la  coupable  pensée 
d'altérer  les  paroles  de  Winckelmann,  et  de  lui  faire  dire  absolu- 
ment le  contraire  de  ce  qu'il  exprime  si  clairement ,  pour  tout  écolier 
qui  lit  tant  soit  peu  l'allemand.  Voici  le  passage  de  l'auteur  de  YHis- 
toire  de  VJrt,  I.  VIII,  c.  i,  p.  221  du  t.  V  de  l'excellente  éd.  allem. 
de  MM.  Henri  Meyer  et  Jean  Schulze,  savants  commentateurs  de 
Winckelmann,  Dresde,  1812.  Le  passage  étant  très-court,  je  me 
permettrai  de  le  citer  textuellement,  le  voici  :  Calîimachus  aber  kann 
nicht  vor  dem  Phidias  gelebet  haben ,  und  die  ihn  in  die  sechzigste 
Olympias setzen,  haben  nicht  den  mindesten  Grund,  und  irren gmblich ; 
ce  qui  signifie  :  mais  Callimaque  ne  peut  pas  avoir  vécu  avant  Phidias , 
et  ceux  qui  le  placent  dans  la  LXe  olympiade  n'ont  pas  le  moindre 
fondement  et  se  trompent  grossièrement.  —  Ceci  me  semble  assez  clair 
et  ne  ressemble  guère  à  ce  qu'avance  avec  tant  d'assurance  M.  R.  R. 
On  pourra  juger  de  l'exactitude  de  nos  traductions.  D'après  cet 
exemple,  acceptez  de  confiance  et  sans  examen ,  les  inscriptions  lues 
par  M.  R.  R.,  de  ses  propres  yeux,  et  copiées  de  sa  propre  main, 
comme  il  nous  l'assure  sans  cesse,  et  les  citations  en  langues  étran- 
gères, dont  il  aime  assez  à  faire  parade  ,  cela  fajt  effet,  et  voyez  si, 
en  toute  justice,  on  ne  peut  pas  trouver  qu'il  juge  avec  peu  d'équité 
et  pas  mal  d'outrecuidance,  ce  qu'il  lit,  ce  qu'il  voit  et  ce  qu'il 
transcrit  avec  beaucoup  de  légèreté.  L'auteur  de  YHistoire  de  X Art 
semble  donc  abandonner  l'idée  que  le  bas-relief  puisse  être  de  Calli- 
maque. Ce  bas-relief  a  été  d'ailleurs  trouvé  à  IJorta,  ville  des  Etrus- 
ques, que  l'on  sait  avoir  très-longtemps  employé  pour  leurs  ouvrages 
un  style  très-ancien,  pour  ainsi  dire  consacré  pour  les  sujets  reli- 
gieux, et  qui  avait  avec  le  style  hiératique  ou  sacré  des  Grecs 
une  telle  analogie  que  des  sculptures  étrusques  pouvaient  aisément 
passer  pour  être  de  l'ancien  style  grec.  Alors  on  np  pourrait  assigner 


136  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

aucune  époque  à  ce  bas-relief,  s'il  y  a  lieu  de  le  croire  produit  par 
quelque  artiste  étrusque ,  et  l'on  a  pu ,  à  une  époque  quelconque 
avant  notre  ère,  ou  depuis,  y  graver  une  inscription  grecque,  avec 
l'aoriste  enoUi,  pour  le  faire  croire  d'un  ciseau  grec.  Winckelmann, 
p.  145,  est  d'autant  plus  porté  à  regarder  cette  inscription  comme 
une  fraude  antique ,  assez  maladroite ,  que  le  nom  n'est  pas  gravé , 
mais  qu'il  est  simplement  gratté.  L'auteur  de  Y  Histoire  de  X  Art , 
I.  VII,  p.  144,  n'est  d'ailleurs  pas  persuadé  qu'il  n'y  ait  eu  qu'un 
Callimaque.  M.  Sillig,  partageant  aussi  cette  idée,  en  admet  un  à 
qui  on  devait  le  chapiteau  corinthien  et  le  trépan,  et  un  autre,  qui 
serait  le  sculpteur  du  bas-relief  du  Capitole,  et  je  l'ai  suivi,  je  crois , 
avec  raison ,  dans  ma  Liste  des  Artistes ,  où  je  donne  deux  Calli- 
maque. Celui  dont  parle  Pline  et  qui  n'était  jamais  content  de  son 
travail ,  n'aurait  certainement  pas  été  flatté  qu'on  lui  eût  attribué  le 
bas-relief  du  Capitole,  exécute,  selon  Winckelmann,  grossièrement, 
sans  aucun  soin,  et  si  loin  de  sa  manière.  Il  est  vrai  que ,  p.  77  de 
ses  Questions,  M.  R.  R.  affirme  que  ce  qui  distingue  ce  bas-relief  et 
témoigne  qu'il  est  bien  du  Callimaque  auquel  on  reprochait  son  excès 
de  recherche,  c'est  le  fini  précieux  de  cette  sculpture.  Voilà  deux 
savants  antiquaires  en  pleine  opposition,  Winckelmann  et  M.  R.  R.; 
l'on  doit  être  fort  embarrassé.  Mais  je  ne  sais  pourquoi,  quand  il 
s'agit  de  sentiment  de  l'art  et  de  connaissance  de  sa  partie  technique, 
j'incline  plutôt  vers  l'auteur  de  l'Histoire  de  VArt  que  vers  celui  des 
Questions  et  de  la  Lettre  à  M.  Schorn. 

Dans  leur  classement  des  bas-reliefs  grecs  de  l'ancien  style  ,  les 
commentateurs  de  Winckelmann  (t.  V,  p.  526,  529,  note  850),  ne 
placent  le  bas-relief  de  Callimaque  qu'au  septième  rang,  et,  d'après 
leurs  observations,  ils  en  trouvent  le  style  beaucoup  moins  ancien 
que  celui  des  autres  monuments  qu'ils  placent  en  première  ligne, 
selon  l'ordre  de  leur  plus  ou  moins  d'antiquité  présumée.  Ils  y  trou- 
vent, avec  raison,  plus  de  justesse  et  d'élévation  dans  les  proportions 
des  figures,  et  plus  de  correction  de  dessin  que  n'en  offrent  d'autres 
bas-reliefs  hiératiques.  Il  y  a  moins  de  roideur  dans  les  attitudes  et 
les  mouvements,  moins  de  simplicité  dans  le  jet  des  draperies.  Il  me 
semblerait  aussi  qu'il  y  a  plus  de  rondeur  dans  les  bords  angulaires 
étages  des  chutes  de  plis  moins  plats  que  dans  les  bas -reliefs  qui 
peuvent  passer  pour  être  de  style  sacré.  Alors  ce  pourrait  bien  n'être 
que  de  l'hiératique  d'imitation  du  genre  de  plusieurs  de  ceux  qui  sont 
reconnus  pour  tels. 

Quant  à  M.  R.  R.  (p.  77  de  ses  Questions) ,  il  met  ce  bas-relief  au 


EXPLICATION   DE   QUELQUES   DIFFICULTÉS.  137 

nombre  des  œuvres  originales  de  l'art  archaïque  grec,  et  c'est,  dit-il, 
le  sentiment  général  des  antiquaires  ;  ce  qui  n'est  nullement  prouvé. 
Les  commentateurs  de  Winckelmann  (p.  536,  note  865),  moins 
décidés ,  se  contentent  d'avoir  indiqué  la  place  que,  d'après  leurs  idées , 
le  bas-relief  de  Callimaque  doit  occuper  dans  la  série  des  bas-reliefs 
d'ancien  style,  et  ils  laissent  à  fixer,  d'après  les  arguments  assez  graves 
contre  l'authenticité  de  l'inscription,  si  ce  bas-relief  peut  être  ou  ne 
pas  être  de  Callimaque.  Ceci  ne  ressemble  guère  à  ce  qu'avance , 
p.  76,  note  4,  M.  R.  R.,  qui  dit  que  la  plupart  des  idées  de  Winc- 
kelmann ont  été  réfutées  par  ses  commentateurs  eux-mêmes,  et  ne 
sont  plus  aujourd'hui  soutenues  par  personne. 

Le  savant  interprète  italien  de  Winckelmann,  l'antiquaire  Carlo 
Fea,  n'est  de  même  pas  éloigné  de  regarder  ce  bas-relief  comme 
une  imitation  ancienne  du  style  hiératique,  exécutée  librement,  et 
il  penserait  que  l'EPOIEI  de  l'inscription  indiquerait  qu'elle  est  d'un 
temps  bien  postérieur  au  style  véritablement  archaïque. 

M.  R.  R.,  p.  77,  dit  que  C.  0.  Mùller  range  le  bas-relief  Capitolin 
au  nombre  des  œuvres  originales  de  l'art  grec  archaïque.  C'est  ce  que 
nous  allons  voir. 

C.  0.  Mùller,  p.  76,  §  96  de  son  Manuel  d'archéologie,  place, 
au  N°  21,  l'avant-dernier  de  sa  liste  des  ouvrages  réputés  archaïques, 
le  bas-relief  attribué  à  Callimaque,  ce  qui  pourrait  en  quelque  sorte 
indiquer  que  c'est  celui  auquel  il  croit  le  moins ,  et  dans  le  petit 
préambule  du  N°  1 1 ,  il  fait  observer  avec  beaucoup  de  justesse,  ce 
me  semble,  qu'il  y  a  très-peu  de  ces  bas- reliefs  qui  puissent,  d'une 
manière  certaine,  s'attribuer  au  temps  dont  ils  présentent  à  peu  près 
et  comme  fortuitement  le  style.  D'ailleurs,  ce  que  je  n'avais  pas  re- 
marqué, et  ce  qui  a  échappé  à  M.  R.  R.,  c'est  que,  p.  75,  auN°  19, 
dans  la  courte  note  dont  Mùller  fait  précéder  les  trois  bas-reliefs 
qu'il  donne,  et  dont  celui  de  Callimaque  fait  partie,  il  les  met  dans 
la  classe  de  ceux  qui  peuvent  surtout  servir  à  indiquer  de  la  manière 
la  plus  sensible  le  passage  de  l'ancien  style  au  style  perfectionné  de 
la  période  qui  le  suivit.  Ainsi ,  malgré  l'allégation  de  M.  R.  R., 
Mùller  ne  place  pas  le  prétendu  bas-relief  de  Callimaque  au  nombre 
des  œuvres  originales  de  l'art  grec  archaïque.  Du  reste,  dans  le  peu 
d'endroits  où  il  cite  ce  sculpteur  en  quelques  mots,  excepté  §  94, 21, 
il  ne  parle  ni  de  Callimaque,  ni  du  bas-relief,  ni  de  l'inscription,  ce 
qui  indiquerait  qu'il  n'y  attachait  que  peu  d'importance,  et  qu'il 
n'était  pas  persuadé  de  leur  authenticité;  Au  reste ,  ces  classifications 
de  monuments  archaïques  ne  peuvent  jamais  être  très-rigoureuses. 


13$  JtpVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

Nous  n'avons  que  si  peu  de  monuments  archaïques  véritables,  si 
môme  nous  en  avons,  puisque  l'on  n'en  compte  que  sept  avant  celui 
de  Callimaque,  assez  douteux,  qu'il  n'est  guère  possible  d'établir  des 
comparaisons  qui  permissent  de  fixer  des  époques  et  des  rangs  d'an- 
cienneté. C'est  d'autant  plus  difficile  que  toujours  ce  caractère  dut 
dépendre  des  diverses  écoles  qui  firent  plus  ou  moins  de  progrès,  ou 
qui  restèrent  plus  ou  moins  attachées  à  l'ancien  style,  devenu  comme 
sacré,  et  que  la  religion  voulut  conserver  pour  ses  simulacres;  c'est 
ce  qui  s'est  vu  en  Grèce  et  même  dans  nos  écoles  modernes  Lors- 
qu'au temps  des  imitations  on  a  reproduit  de  ces  antiques  sculptures, 
il  a  été  facile  à  des  artistes  de  talent  de  pousser  l'exactitude  de  l'imi- 
tation au  point  de  faire  illusion  et  de  tromper  les  adorateurs  de  ces 
simulacres  vénérés.  Si  Ton  reconnaissait  la  fraude,  c'était  à  plus  de 
perfection  dans  le  travail,  et  parce  que  souvent,  sans  y  penser,  les 
copistes  y  mettaient  moins  de  naïveté,  et  montraient,  malgré  eux, 
plus  qu'ils  ne  l'auraient  dû,  leur  habileté,  et  qu'ils  en  savaient  plus 
que  les  auteurs  de  leurs  modèles. 

P'après  toutes,  ces  considérations,  jl  me  semble  que,  sans  trop  de 
hardiesse,  on  est  en  droit  d'afGrmer  que  ce  bas-relief  non-seulement 
ne  peut  pas  être  de  Callimaque  qui,  à  l'époque  à  laquelle  on  peut  le 
placer,  époque  nécessairement  postérieure  à  Phidias,  ne  devait  pas 
travailler  dans  ce  style,  mais  que  ce  n'est  peut-être  qu'un  bas-relief 
ou  étrusque  ou  imité,  on  ne  sait  en  quel  temps  et  par  qui ,  du  style 
archaïque  grec.  Ajoutez  que  l'inscription,  dont  les  lettres  ne  déno- 
tent pas  une  grande  antiquité,  a  pu  être  faite  à  bien  des  époques  de- 
puis le  IVe  siècle  avant  notre  ère.  N'offrant  pas  une  date  positive,  elle 
ne  saurait  servir,  comme  le  voudrait  M-  R.  R-,  de  témoin  irréfra- 
gable, dans  la  question  du  plus  ou  moins  d'antiquité  de  l'emploj  de 
l'aoriste. 


Cléomène,  fils  d'Apollodore,  se,  p.  77.  — On  a  depuis  longtemps 
prétendu  avoir  lu  sur  la  base  de  la  Véfius  de  Médicis  KAEOMENHI 
ArOAAOAnPOY  ErOEÎEN.  —M.  R.  R.  ,  Questions,  etc., 
p.  78,  assure,  probablement  après  un  examen  scrupuleux,  que  la 
leçon  EpClr\lBy  donnée  et  regardée  avec  raison  comme  barbare  et 
monstrueuse  parVisconti,  Op.  var.,  t.  HI,  p.  13  et  suiv.,  et  sou- 
tenue, défendue  même  par  quelques  antiquaires,  n'a  jamais  existé 
sur  le  marbre,  non  plus  que  celle  d'fEPOIEI,  qu'on  y  a  attribuée. 
Mais  cependant  un  beau  bronze  de  la  statue  de  Médicis,  coulé  par 


EXPLICATION   PE   QUELQUES   DIFFICULTÉS.  139 

les  Keller,  au  XVIIe  siècle,  avant  que  cette  statue  fût,  selon  Visconti, 
p.  1 8,  transportée  à  Florence,  porte  EPOIEI,  de  même  que  l'inscrip- 
tion de  cette  statue  reproduite  dans  le  recueil  de  de  Rossj ,  pi.  27, 
et  sur  un  beau  plâtre  exposé  à  Paris,  on  lisait  EPOE2EY.  Ainsi  cette 
inscription  que  Gori  et  le  savant  et  judicieux  Lanzi  ont  toujours 
regardée  comme  aprocryphe,  a  excité  bien  des  doutes,  et  ces  doutes 
ne  sont  pas  encore  tout  à  fait  levés.  Elle  a  pu  et  a  dû  souffrir  des 
réparations  qu'a  subies  la  statue,  brisée  en  plusieurs  morceaux  et  res- 
taurée, comme  le  témoigne  Richardson,  Histoire  de  la  Peint.,  à  diffé- 
rentes époques.  M.  Giraud,  habile  sculpteur  auquel  on  doit  le  fond 
des  idées  exposées  dans  l'ouvrage  sur  la  statuaire  de  M.  Emeric 
David,  et  avec  lequel  j  étais  très  lié,  m'a  souvent  dit  qu'il  regretterait 
toujours  de  ne  pouvoir  montrer,  dans  sa  riche  collection  de  plâtres, 
que  j'avais  espéré  faire  acquérir  par  le  Musée  Royal,  un  plâtre  de  la 
Vénus  qu'il  avait  perdu  dans  le  transport  de  l'Italie  à  Paris,  et  qui 
offrait  la  statue  d'une  manière  très-différente  de  ce  qu'elle  est  au- 
jourd'hui- Malheureusement  cet  artiste  ne  s'était  pas  occupé  de 
l'inscription,  qui  demanderait  peut-être  encore  sur  le  marbre  des 
recherches  plus  minutieuses  que  celles  dont  elle  a  été  l'objet  et 
qu'indique  très-bien  Visconti,  p.  16.  Il  s'agirait  de  voir  si  le  mor- 
ceau de  la  plinthe  sur  lequel  elle  se  trouve  et  qui  a  été  encastré,  est 
le  même  que  celui  du  reste  de  la  plinthe ,  et  si,  dans  les  avaries  qu'a 
éprouvées  la  statue,  il  a  pu  en  être  détaché  et  y  avoir  été  replacé. 
On  examinerait  ensuite  si  les  altérations  dues  à  des  mains  modernes 
n'ont  pas  pu  changer  en  EPOH2EN ,  qu'a  vu  M.  R.  R.,  j'EPOIEI 
que  donnent  au  XVIIe  siècle  le  bronze  de  Kcller,  et,  depuis,  le 
recueil  de  deRossi,  leçon  que  sans  l'adopter  n'a  pas  rejetée  Visconti, 
p.  18,  et  qui  est  admise  par  M.  Letronne. 

Mais  dans  le  peu  de  paroles  de  M.  R.  R.,  que  d'erreurs  et  de 
fausses  citations,  qu'on  dirait  vraiment  faites  à  plaisir  pour  mystifier 
ses  lecteurs  !  C'est  à  ne  pas  croire  ce  que  l'on  a  sous  les  yeux. 
D'abord  Visconti  ne  donne  pas  EPOH2EN,  mais  EPHE2EN.  M.  R.  R. 
affirme,  p.  79,  que  l'on  a  lu  EPOH2EN  «  contre  la  foi  du  monu- 
«  nument  même,  qui  porte,  en  caractères  parfaitement  distincts, 
«  EPOH2E  et  non  EPOH2E,  leçon  qui  n'a  jamais  existé  suj  le 
«  marbre,  non  plus  que  celle  d'EflOIEI  que  Visconti  avait  cru  y  voir 
«  et  que  M.  Letronne  a  admise  sur  sa  liste.  »  M.  R.  R.  ne  se  rappelle 
pas  que,  p.  255  de  sa  Lettre  à  M.  Schorn,  il  dit  positivement  que  «  la 
«  leçon  primitive  était  EPOIEI.  L'inscription  antique,  intacte  comme 
«  la  plinthe  elle-même,  ajoute-t-il,  offre  réellement  EPOE2EN, 


140  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  ainsi  que  je  m'en  suis  assuré  par  mes  propres  yeux  (  ceci  est  par 

«  trop  fort),  et  je  m'en  rapporte  sur  ce  point  au  témoignage  de  tous 

«  ceux  qui  pourront  examiner  la  plinthe  de  la  Vénus  de  Médicis, 

«  dans  la  tribune  de  la  galerie  de  Florence.  »  Voilà  donc  bien  établi 

que  M.  R.  R.  a  de  ses  propres  yeux  vu,  je  dis  vu,  ce  qu'on  appelle 

vu ,  que  la  plinthe  de  la  Vénus  porte  EP0E2EN  ,  et  pas  autre  chose. 

Malheureusement  je  n'ai  pu  retourner  à  Florence  vérifier  l'assertion 

de  M.  R.  R.  et  la  justesse  de  son  coup  d'œil,  et  j'ai  été  forcé  de  me 

contenter  d'aller  au  moulage  du  Musée  Royal  du  Louvre ,   petite 

excursion  facile  que  je  recommande  aux  propres  yeux  de  M.  R.  R. 

Qu'il  ait  soin  d'examiner  la  plinthe  d'un  plâtre  de  la  Vénus  ;  il  y 

découvrira  déjà  quelque  chose,  ce  n'est  pas  encore  assez.  M.  Jacquet , 

chef  du  moulage,  et  qui  est  la  complaisance  même,  lui  dira  que  ce 

plâtre  n'est  qu'un  surmoulage,  mais  qu'il  a  l'ancien  moule  fait  sur 

la  Vénus  même  lorsqu'elle  était  à  Paris,  et  que  l'inscription  doit  y 

être  beaucoup  plus  nette.  Alors  il  ne  manquera  pas  de  proposer  à 

M.  R.  R.  de  prendre  une  empreinte,  comme  il  l'a  fait  pour  moi. 

M.  R.  R.  dans  ce  cas,  pourra  voir  de  ses  propres  yeux,  et  sans  doute  à 

son  grand  étonnemerrt,  le  plus  bel  O  qu'ils  aient  jamais  vu,  étalant  des 

deux  côtés  ses  longs  crochets,  et  le  nom  EPHE2EN ,  et  non  son 

EP0E2E,  aussi  net  que  s'il  -eût  été  imprimé  parles  Didot.  Il  me 

paraîtrait  donc  assez  prouvé  que  cette  inscription  qui,  selon  M.  R.  R., 

n'a  jamais  existé  sut  le  marbre,  y  existait  lors  du  séjour  de  la  Vénus 

au  Louvre,  et  qu'elle  était  avec  son  bel  O,  tel  que  l'a  donné  Visconti. 

A  la  différence  près  de  forme  de  quelques  lettres,  la  voici  :   KÀEO- 

MENH2   AnOAAOAHPOY   A0HNAI02  EnHE2EN.  Voyez  avec 

Visconti  et  tout  le  monde,  le  bel  EPHE2EN  que  les  propres  yeux 

de  M.  R.  R.  ont  changé  en  EP0E2EN.  Il  se  pourrait  cependant, 

ce  qui  serait  assez  singulier,  que  depuis  le  temps  où  la  Vénus  était 

à  Paris,  on  ait  métamorphosé  à  Florence  l'EPflE2EN  en  l'EP0E2EN 

de  M.  R.  R.  ;  mais  alors  il  doit  y  avoir  sur  le  marbre  de  fortes  traces 

de  cette  altération  ;  car  les  crochets  de  Yoméga  de  l'inscription  que 

nous  avons  sont  très-prononcés  et  très-profonds.   Au  reste,  il  me 

semble  assez  démontré  que  M.  R.  R.  ne  devait  pas  se  permettre 

d'affirmer  avec  quelque  peu  de  jactance  que  le  mot  EPHH2EN  (Usez 

EPHE2EN)  n'avait  jamais  existé  sur  le  marbre;  et  il  en  jurait  sur  ses 

propres  yeux  qui ,  si  on  l'en  croyait,  seraient  toujours  infaillibles, 

et  l'on  voit  que  l'on  peut  appeler  de  la  manière  dont  ils  ont  lu  et 

l'inscription,  et  Visconti,  et  ces  infidèles  amis  ont  induit  en  erreur 

leur  propriétaire  de  qui  je  suis  loin  de  soupçonner  la  bonne  foi, 


EXPLICATION    DE    QUELQUES   DIFFICULTÉS.  141 

mais  qui  aurait  bien  quelque  raison  d'être  mécontent  de  leurs  ser- 
vices et  de  n'y  avoir  plus  autant  de  confiance.  Cette  petite  affaire  de 
I'n ,  oméga,  de  Cléomène  m'en  rappelle  une  autre  sur  le  même  sujet. 
Autrefois  mon  ami  Millingen,  si  savant  antiquaire  et  si  excellent 
homme,  voulait  absolument  voir  un  omicron,  O,  dans  le  nom 
d'Agamemnon ,  d'un  assez  célèbre  bas-relief  du  Musée  royal,  n°  408. 
Ayant  la  vue  très-faible ,  et  y  regardant  de  très-près ,  j'avais  toujours 
vu  un  oméga ,  Cl ,  et  je  le  soutenais  fort  et  ferme.  Millingen  ne  dé- 
mordait pas  de  son  omicron.  J'eus  recours  alors  au  moulage  et  je 
montrai  en  triomphe  les  beaux  crochets  de  mon  H  à  Millingen,  qui 
ne  put  résister  à  l'évidence,  et  comme  il  avait  autant  de  bonne  foi  que 
de  science ,  il  renonça ,  quoiqu  a  regret ,  à  son  omicron  et  proclama 
mon  oméga ,  très-fier  de  ce  succès. 

Comte  de  Clarac. 

(  La  suite  efcfin  au  prochain  numéro.) 


LETTRE  A  HL  AMEDEE  JAIBERT, 

PAIR    DE    FRANCE  ,    PRÉSIDEiM   DE   LA    SOCIÉTÉ   ASIATIQUE   DE   PARIS   (1)  , 


StJR 


LA  DÉCOUVERTE  DUNE  MOSAÏQUE,  A  OUDNAH 

(Uthina   Zecgitanje). 

Tunis,  le  16  avril  1845. 

Monsieur  , 

A  six  lieues  environ  de  Tunis,  non  loin  de  l'ancien  aqueduc  de 
Carthage  que  l'on  aperçoit,  à  droite,  coupant  une  partie  de  la  plaine 
sur  une  étendue  d'environ  quatre  milles,  à  deux  lieues  environ  de  la 
Medjerdah  qui  coule  silencieusement  dans  le  même  lit  que  celui  du 
fleuve  Bagradas,  connu  dans  l'histoire  par  le  combat  que  livra  sur 
ses  bords,  le  consul  M.  \t\Yius  Régulus  à  un  serpent  monstre  qui 
avait  jeté  la  terreur  dans  les  rangs  des  légions  romaines,  subsistent 
encore  aujourd'hui  des  ruines  remarquables  qui  attestent  l'existence 
d'une  ancienne  et  grande  ville ,  et  dont  peu  de  voyageurs  se  sont  oc- 
cupés, sans  même  en  excepter  le  docteur  Shaw,  qui,  d'ailleurs,  est 
généralement  exact  et  précis  dans  la  partie  de  son  précieux  ouvrage 
qui  traite  de  la  régence  de  Tunis.  Je  veux  parler  ici  des  ruines  de 
Oudnah  l'ancienne  Ulhina  dont  il  est  question  dans  Pline  et  dans 
Ptolémée. 

Morcelli,  dans  son  A  frica  Sacra,  nous  apprend  que  Uthina,  place  de 
la  province  proconsulaire,  était  située  près  du  fleuve  Bagradas.  Op- 
pidum provinciœ  proconsularis  fait  Ulhina  quœ  ad  Bagradam  fluvium 
sita.  En  effet,  Oudnah  n'est  pas  bien  éloignée  de  ce  fleuve,  et  d'ail- 
leurs, la  parfaite  ressemblance  qui  existe  entre  le  nom  arabe  de  Oud- 
nah, et  celui  romain  de  Uthina,  à  quelques  légères  altérations  près 
dans  la  prononciation ,  ne  permet  pas  le  doute  sur  ce  point. 

Peut-être  pourrait-on  chercher  plus  haut  l'origine  de  cette  ville. 
—  Polybe  nous  apprend  que  A.  Atilius  Régulus,  envoyé  en  Afrique 
par  le  sénat  romain  conjointement  avec  L.  Malius,  lors  de  la  pre- 

vl) M.  Jules  MohI,  membre  de  l'Institut,  a  bien  voulu.au  nom  de  la  commission 
du  Journal  asiatique ,  nous  transmettre  le  travail  de  M.  Rousseau,  dont  le  sujet 
convient  à  la  spécialité  de  notre  recueil  et  s'éloigne  des  éludes  philologiques  de  la 
iavante  société.  (Note  de  l'éditeur.) 


LETTRE    A   M.    AMEDÉE   JAtfBERT.  1 43 

mière  guerre  punique ,  après  avoir  enlevé  aux  Carthaginois  plusieurs 
châteaux  forts,  entreprit  le  siège  de  Adi  ou  Àdis,  une  des  places  les 
plus  considérables  du  pays;  assez  peu  éloignée  de  Tunete,  aujour- 
d'hui Tunis,  et  dont  il  ne  tarda  pas  également  à  s'emparer.  Adi  ou 
Adis  est  un  mot  évidemment  carthaginois  qui  doit  avoir  son  étymo- 
logie  dans  l'hébreu;  en  effet,  le  mot  my  Ade  (élévation),  dont 
l'usage  et  le  langage  ont  pu  faire  Adi  ou  Adis,  pourrait  aisément 
s'appliquer  à  la  ville  de  Oudnah,  bâtie  sur  le  revers  d'une  colline, 
formant  l'horizon  d'une  assez  vaste  plaine,  et  qui,  par  la  nature  même 
de  sa  position ,  semblerait  justifier  le  sens  primitif  du  nom  qu'elle 
portait.  —  Peut-être  aussi  que  les  Romains  venant  à  s'emparer  de 
cette  ville,  et  lisant  ce  mot  de  droite  à  gauche,  en  le  prononçant, 
par  conséquent,  Eda,  en  ont-ils  fait  Edna  ou  Uthina.  Cette  opinion 
paraît  assez  vraisemblable,  en  observant  que  le  y  se  prononçait, 
comme  il  se  prononce  maintenant  encore ,  na  ou  gna. — La  configu- 
ration du  sol  actuel  de  Oudnah,  se  rapproche  d'ailleurs  assez  exacte- 
ment du  tableau  que  nous  fait  Jean  Freinsheim ,  dans  son  supplé- 
ment de  l'histoire  romaine  de  î  ite-Live,  de  la  ville  de  Adi  ou  Adis, 
lorsqu'il  nous  raconte  le  siège  de  cette  place,  fait  par  les  troupes  de 
Régulus. 

Oudnah  ou  Uthina ,  d'après  Morcelli,  avait  un  évêque,  dès  le  temps 
de  Tertullien  ;  celui-ci,  déjà  sectateur  de  Montan,  écrivait  sur  la 
monogamie  indigne  de  cet  évêque  :  «Comme  votre  évêque  de  Uthina, 
dit-il,  en  accusant  les  catholiques,  qui  n'a  pas  craint  la  scantinia  : 
Sicul  Me  vesler  Ùtinensis  nec  scantiniam  timent.  (  La  scantinia  était 
une  loi  faite  contre  le  relâchement  des  mœurs  porté  à  un  certain 
degré).  ,    I 

Les  évêques  de  Uthina  connus ,  sont  : 

Félix.  Il  assista  et  donna  son  avis  au  troisième  concile  que  tint 
saint  Cyprien,  touchant  le  baptême,  l'an  255. 

Lampadius.  Il  assista  avecCéeilius  au  concile  d'Arles  qui  se  tint  au 
sujet  des  donalistes,  l'an  314. 

Isaac.  Il  assista  à  la  conférence  qui  se  tint  à  Carthage ,  au  sujet  des 
donatistes,  l'an  411. 

Felissime.  Il  est  contemporain,  dans  l'épiscopat,  de  Boniface, 
évêque  de  Carthage  ,  l'an  533. 

C'est  à  Oudnah  même  qu'un  heureux  hasard  m'a  fait  découvrir 
une  mosaïque  de  la  plus  belle  exécution,  et  dont  les  parties  impor- 
tantes sont  parfaitement  conservées;  le  dessin  ci-joint  (voy.  pi.  50), 
donne  une  juste  idée  de  ce  précieux  reste  d'antiquité. 


144  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Cette  mosaïque,  qui  couvre  le  fond  et  les  parois  d'un  bassin,  et 
que  je  suis  parvenu,  non  sans  d'énormes  difficultés,  à  enlever  et  à 
transporter  à  Tunis,  était  déjà  assez  endommagée  dans  la  partie  su- 
périeure des  parois.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  la  tête  de  Neptune 
et  celle  des  deux  femmes  couchées  sur  des  monstres  marins,  avaient 
entièrement  disparu.  D'autres  parties  supérieures  des  parois  avaient 
également  beaucoup  souffert.  Ces  fâcheuses  dégradations  se  trouvent 
marquées  sur  le  dessin  ci-joint  par  une  teinte  brune. 

Après  avoir  fait  faire  tout  autour  de  la  mosaïque  des  excavations, 
afin  d'en  faciliter  l'enlèvement,  j'ai  dû,  pour  la  commodité  du  trans- 
port, faire  scier  en  plusieurs  morceaux  les  parois  qui,  une  fois  déta- 
chées de  la  base ,  m'ont  donné  plus  de  possibilité  d'enlever ,  sans 
craindre  de  la  trop  endommager,  la  mosaïque  du  fond.  Cette  dernière, 
quoique  fort  intéressante,  à  son  tour,  est  d'un  travail  un  peu  plus 
grossier  que  celui  des  parois. 

Malgré  tous  les  soins  minutieux  que  j'ai  apportés  à  leur  conserva- 
tion, les  deux  trirèmes  antiques  qui  figurent  aux  deux  extrémités  du 
bassin,  n'ont  pu  être  sauvées  ;  l'humidité  du  sol  s'étant  infiltrée  entre 
les  petites  pierres  de  la  mosaïque,  avait  altéré  la  solidité  du  ciment 
qui  les  retenait,  et  le  premier  coup  de  pioche  qui  a  été  donné,  quoi- 
que avec  précaution* ,  par  derrière ,  pour  enlever  la  terre,  a  fait  tom- 
ber en  mille  morceaux  ces  deux  fragments  qui  sont  très-regrettables, 
tant  par  l'intérêt  du  sujet,  que  par  la  délicatesse  et  le  fini  du  travail. 

Les  parties  des  parois  rentrantes  à  droite  et  à  gauche  de  l'hémi- 
cycle, et  dont  la  mosaïque  n'a  pu  figurer  dans  le  dessin,  représentent: 
celle  de  droite,  un  petit  génie  ailé  assis  sur  un  dauphin  et  tenant 
d'une  main  une  lyre,  celle  de  gauche,  un  génie,  ailé  également,  debout 
sur  un  dauphin  et  tenant  de  la  main  un  trident.  — C'est  le  haut  du 
trident  de  ce  dernier  personnage,  qui,  seul  dépassait  le  sol,  et  que 
tout  d'abord  j'ai  pris  pour  une  lettre  punique ,  qui  m'a  fait  découvrir 
la  mosaïque  entière.  Au  moyen  d'un  petit  marteau  que  j'avais  sur  moi, 
j'ai  creusé  quelque  peu  la  terre,  et  j'aperçus  bientôt  la  hampe  du  tri- 
dent, puis  la  tête,  puis  tout  le  corps  du  petit  personnage.  Je  recou- 
vris aussitôt  mon  heureuse  trouvaille  pour  la  dérober  à  des  yeux 
rivaux,  et  je  me  promis  de  revenir  bieutôt  à  Oudnah  pour  faire 
exécuter,  sur  ce  point,  quelques  fouilles  en  grand.  En  effet,  peu  de 
jours  après,  toute  la  mosaïque  était  à  découvert,  et  le  lendemain  je 
la  faisais  transporter,  dans  des  caisses,  à  Tunis. 

Derrière  la  paroi  de  gauche  j'ai  découvert,  en  faisant  faire  des  exca- 
vations pour  l'enlèvement  du  morceau,  un  conduit  en  plomb,  de 


LETTRE   A    M.    AMÉDÉE    JAUBERT.  145 

douze  centimètres  de  diamètre,  et  qui,  passant  sous  la  mosaïque,  allait 
aboutir  à  la  citerne  dont  l'entrée  se  voit  sur  le  premier  plan ,  et  dans 
laquelle  je  suis  descendu;  cette  citerne  qui  a  cinq  mètres  de  lon- 
gueur sur  trois  et  demi  de  large  et  six  environ  de  hauteur,  n'offre 
rien  de  remarquable.  Elle  est  semblable  à  toutes  celles  que  l'on  voit, 
presque  à  chaque  pas,  à  Oudnah  comme  à  Utique  et  à  Carthage. 

La  partie  des  parois  du  bassin  qui  devait  faire  face  à  celle  représen- 
tant tous  les  personnages ,  n'existait  plus  qu'à  vingt  centimètres  envi- 
ron d'élévation.  J'ai  examiné  avec  soin  si  elle  n'avait  point  été,  à  son 
tour,  recouverte  de  mosaïque,  mais  à  mon  grand  regret  il  ne  s'en  est 
point  trouvé  de  traces. 

Une  autre  mosaïque  ,  d'un  travail  infiniment  plus  grossier,  et  re- 
présentant un  damier  noir  et  blanc,  s'étendait,  sur  un  plan  incliné., 
dans  la  proportion  de  la  longueur  du  bassin  ,  dans  la  direction  nord- 
est. 

Sur  le  côté  gauche  est  un  morceau  de  colonne  de  quarante-sept 
centimètres  de  diamètre  qui  paraît  avoir  roulé  jusque-là  par  le  seul 
fait  du  hasard. 

Cette  mosaïque,  qui  était  à  un  mètre  environ  sous  terre,  était 
placée  sur  le  revers  nord-nord-est  de  la  colline  sur  laquelle  s'élèvent 
les  restes  de  l'ancienne  acropole  de  Uthina.  Elle  semble  par  sa  nature 
et  par  le  fini  de  son  travail ,  avoir  fait  partie  de  l'habitation  de  quelque 
riche  particulier. 

Telles  sont,  Monsieur,  les  observations  que  j'ai  pu  faire  lorsque  je 
découvris  cette  mosaïque.  Il  me  reste  encore  à  vous  dire  quelques 
mots  des  ruines  en  général  de  Oudnah,  les  plus  belles  que  j'aie  vues 
jusqu'à  présent  aux  environs  de  Tunis,  et,  incontestablement,  infi- 
niment plus  intéressantes  sous  le  rapport  de  la  conservation,  que 
celles  de  Carthage  et  d'Utique. 

Je  le  répète,  je  ne  comprends  pas  combien  peu  les  voyageurs  se 
sont  occupés  de  Oudnah.  J'ai  peine  à  m'expliquer  comment  ils  ont 
omis  de  parler  de  ces  citernes  à  l'architecture  grandiose  et  hardie,  qui 
ne  le  cèdent  point  en  beauté  à  celles  de  Carthage;  de  l'amphithéâtre, 
dont  les  restes,  existant  encore  aujourd'hui,  permettent  aisément  au 
visiteur  de  reconnaître  la  place  des  galeries,  des  tribunes,  des  vomi- 
toires,  etc.,  etc.;  de  l'acropole  si  imposante  par  son  étendue,  par  sa 
construction  gigantesque,  que  l'on  est  porté  à  croire  qu'elle  a  fait 
jadis  partie  d'une  ville  de  géants!  de  ces  chambres  souterraines  dont 
les  voûtes,  malgré  leur  quinze  ou  vingt  siècles  d'âge,  supportent  en- 
core le  poids  incalculable  des  ruines  qui  les  recouvrent  ;  de  cette  pro- 
III.  10 


146  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

digieuse  quantité  de  débris  de  construction  qui  sont  jetés  çà  et  là  sur 
l'emplacement  d'une  ville  qui  semble  avoir  eu  plus  de  quatre  milles 
de  circonférence. 

Quoi  qu'il  en  soit  du  silence  des  voyageurs  dans  cette  partie  du  By- 
zacium  et  de  la  Zeugitana,  je  ne  saurais,  quant  à  présent  du  moins, 
remplir  la  lacune  regrettable  qu'ils  ont  laissée,  car,  pour  le  faire,  il 
me  serait  indispensable  de  passer  une  ou  deux  semaines  au  milieu 
de  ces  ruines  afin  de  mieux  les  visiter  et  de  les  étudier  plus  en  détail 
que  je  ne  l'ai  fait  jusqu'à  ce  jour.  Pourtant  je  ne  puis  me  dispenser 
de  vous  dire  quelques  mots,  avant  de  finir  ma  longue  lettre,  de  l'am- 
phithéâtre, de  l'acropole  et  des  citernes. 

Le  premier  de  ces  monuments,  qui  est  de  forme  ovale,  est  placé 
sur  une  émiuence,  en  face  de  l'acropole,  et  séparé  d'elle  par  un  ter- 
rain plus  bas  et  couvert  également  de  ruines.  La  masse  des  décombres 
qui  entoure  cet  amphithéâtre  de  tous  côtés ,  ne  m'a  pas  permis  de 
prendre  une  mesure  exacte  de  son  étendue.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'en  ai 
fait  le  tour,  en  tâchant  d'éviter  les  accidents  de  terrain  qui  pouvaient 
causer  une  trop  grande  erreur  dans  mes  calculs,  et  j'en  ai  estimé  la 
circonférence  à  deux  cent  quarante  pas  environ.  L'amphithéâtre  pa- 
raît avoir  été  creusé  par  la  main  de  l'homme;  son  élévation  actuelle, 
qui  peut  être  de  soixante-dix  mèlres  environ,  arrive  au  niveau  du  sol. 
Il  ne  serait  pas  impossible  qu'il  eût  servi  aussi  à  des  naumachies.  Sa 
forme  et  sa  profondeur,  de  même  que  celui  d'Utique,  peuvent  auto- 
riser cette  opinion.  Du  reste  les  eaux  pouvaient  aisément  y  arriver 
de  l'acropole,  qui  renfermait  dans  son  enceinte  de  vastes  réservoirs, 
dont  l'existence  semble  justifiée  par  les  arches  encore  debout  d'un 
aqueduc,  qui  se  terminent  à  la  partie  la  plus  élevée  de  la  citadelle. 
Un  œil  exercé  et  bon  observateur  peut ,  sans  beaucoup  de  difficultés, 
démêler,  au  milieu  de  cette  quantité  de  ruines,  la  place  des  galeries, 
des  sièges  ou  gradins  rangés  par  étages  superposés  les  uns  aux  autres, 
et  qui,  de  distance  en  distance,  se  trouvaient  séparés  par  de  longs 
et  assez  étroits  escaliers  qui  partaient  de  l'arène  et  aboutissaient  à 
l'étage  supérieur  ;  l'on  en  voit  encore  très-bien  h  trace  ;  on  recon- 
naît aussi  la  place  des  vomitoires,  les  larges  couloirs  voûtés  par  der- 
rière, les  arcades  qui  entouraient  ('amphithéâtre  à  sa  partie  supé- 
rieure actuelle,  etc.,  etc.— Le  cœur  se  sent  attristé  à  la  vue  de  ces 
ruines  imposantes  et  sévères.  Assis  sous  l'une  de  ces  galeries  voû- 
tées, autrefois    si  bruyantes,  si  animées,  maintenant  si  désertes, 
je  songeais  avee  tristesse  à  ces  malheureuses  victimes  de  l'antique 
barbarie,  qui  sont  venues  trouver,  dans  cette  enceinte,  la  mort  du 


LETTRE    A    M.    ÀMEDEE   JAUBERT.  14/ 

martyr!  Que  de  chrétiens  ont  succombé  dans  cette  arène,  en  pré- 
sence d'innombrables  spectateurs,  sous  la  griffe  meurtrière  des  bêtes 
féroces  ! 

La  partie  la  plus  considérable  et  la  mieux  conservée  des  ruines  de 
Oudnah  ,  est,  sans  contredit,  l'ancienne  acropolis,  présentant  à  l'œil 
étonné  du  visiteur  un  style  plein  de  sévérité  et  de  grandeur.  Cet  édi- 
fice est  construit  sur  le  point  le  plus  élevé,  qui  devait  commander 
admirablement  la  ville,  et  d'où  l'on  découvre  un  panorama  pittoresque 
et  magnifique  tout  à  la  fois.  Un  aqueduc,  dont  neuf  piliers  d'arches 
sont  encore  debout,  amenait  les  eaux  dans  d'immenses  réservoirs, 
dont  les  restes  sont  peut-être  les  masses  énormes  de  décombres  qu'on 
voit  tout  auprès,  ou  bien  qui  subsistent  encore  intacts  sous  terre. 
C'était  là  un  autre  moyen  de  sûre  défense  contre  les  tentatives  de 
révolte  de  la  ville,  puisque  les  citernes  dont  je  viens  de  parler  ne  re* 
cevaient  les  eaux  que  de  ces  réservoirs,  au  moyen  de  canaux  dont  on 
aperçoit  encore  les  traces.  La  partie  nord-nord-est  de  l'acropolisest 
la  moins  endommagée.  Les  pierres  de  taille  qui  ont  servi  à  la  con- 
struction de  la  citadelle ,  ont  toutes  généralement  un  mètre  et  demi  de 
long  sur  quatre-vingt-dix  centimètres  de  large  et  de  hauteur.  Le  ci- 
ment qui  les  reliait  entre  elles  a  disparu,  et  Ton  est  surpris  devoir 
tous  ces  blocs  immenses  se  tenir  presqu'en  l'air,  comme  par  enchante- 
ment, en  forme  d'arches. 

Les  citernes  de  Oudnah  sont  au  nombre  de  sept,  rangées  symétri- 
quement, l'une  près  de  l'autre,  sauf  la  septième  qui  est  en  travers,  à 
l'une  des  extrémités  et  sur  l'étendue  de  la  largeur  des  six  précédentes*. 
Elles  communiquent  toutes  entre  elles  au  moyen  de  deux  hautes 
arches  pratiquées  dans  les  parois,  en  face  l'une  de  l'autre.  Elles  ont 
trente- six  pas  ordinaires  de  longueur  sur  quatre  et  demi  de  largeur  et 
douze  mètres  environ  de  hauteur.  Leur  conservation  est  parfaite  et 
bien  plus  entière  que  celles  de  Garthage.  Elles  servent  d'étables  et  de 
magasins  à  paille  aux  Arabes. 

Une  description  de  Oudnah,  beaucoup  plus  étendue  que  les  notes 
que  je  vous  envoie  aujourd'hui,  et  sur  lesquelles  j'appelle  toute  votre 
indulgence,  sera  l'objet  d'un  petit  Mémoire  que  je  me  propose  d'avoir 
l'honneur  d'adresser  sous  peu  à  la  société  asiatique. 

Alph.  Rousseau, 

Drogman  chancelier  du  consulat  de  France  , 
membre  de  la  société  asiatique. 


UNE  AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR. 


Je  venais  d'achever  la  lecture  du  Mémoire  de  M.  Letronne  sur  la 
Croix  ansée  égyptienne ,  et  l'article  de  M.  le  docteur  Sichel  sur  une 
pierre  gravée,  avec  des  recherches  sur  les  Divalia  et  les  Angeronalia 
des  Romains t  articles  publiés  par  la  Revue  archéologique,  lorsque, 
en  parcourant  le  cabinet  d'un  savant  et  trop  modeste  antiquaire , 
M.  Denis  Long ,  docteur  en  médecine,  à  Die,  j'ai  rencontré  une 
pierre  gravée  qui  m'a  paru  remarquable  sous  plusieurs  rapports. 
J'ose  donc  en  hasarder  la  description,  parce  que  certains  détails  de 
cette  gemme  me  semblent  confirmer  entièrement  les  assertions  émises 
par  les  deux  savants  que  je  viens  de  mentionner. 


Cette  pierre,  en  jaspe  rouge-brique ,  opaque ,  veiné  de  blanc,  fut 
trouvée,  il  y  a  quelques  années  ,  dans  une  vigne ,  près  de  Saillans, 
l'ancienne  Darenùacca  (1),  aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  de  l'ar- 

(1)  Plusieurs  raisons  me  confirment  dans  cette  opinion.  Une  voie  romaine  allait 
de  Valence  aux  Alpes,  se  ralliant  à  celle  de  Milan  à  Vienne  ,  par  le  mont  Genèvre. 
Celte  voie  passait  par  Die  (civitas  dea  Focontiorum)  et  le  Col-de-Cabre  (mons 
Goura].  C'est  encore  aujourd'hui  le  tracé  de  la  route  royale  n°  93  ;  or ,  Y  Itinéraire 
de  Bordeaux  à  Jérusalem  donne  de  Die  à  Darenliacca  XVI  milles,  ou  23,568 


AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR.  149 

rondissement  de  Die  (Drôme).  C'est  un  parallélipipède,  dont  les 
angles  sont  abattus  et  qui  se  termine,  des  deux  bouts,  par  deux 
cônes  tronqués.  Sa  longueur  est  de  61  millimètres 
et  sa  largeur  de  26  ;  il  a  1 8  millimètres  d'épais- 
seur. Comme  on  peut  le  voir  par  la  copie  exacte 
que  nous  donnons  ici ,  les  deux  grands  côtés  por- 
tent en  beaux  caractères,  parfaitement  conservés, 
ces  mots  en  lettres  gravées  de  4  millimètres  de  hauteur  : 

MEM.    ,£TERN,E  IVL.    (LESARIS. 

Toutes  les  autres  faces  sont  couvertes  de  symboles  ou  d'attributs 
que  nous  aurons  occasion  de  décrire. 

On  se  demande ,  tout  d'abord ,  quelle  pouvait  être  la  destination 
de  ce  curieux  échantillon  de  l'art  ou  plutôt  de  la  symbolique  antique. 

mètres.  Le  tracé  de  la  route  actuelle  donne  25  kilomètres.  Cette  légère  différence 
s'explique  du  reste  par  les  déviations  données  récemment  à  la  route  pour  en  adoucir 
les  pentes.  Sans  accorder  plus  qu'il  ne  faut  aux  étymologies,  nous  dirons  que  la 
place  publique  de  Saillans  s'appelle  encore  place  Daraise,-  qu'on  y  voit  dans  un 
Loin  un  débris  de  colonne  milliaire  avec  cette  inscription  : 

PIENTISSIMIS 

PRINCIPIBUS 

G.  VAL.  CONSTAN 

TIO.  ET.   C.   VAL.  MAX 

SIMIANO.  PIO. 

BENISSIMIS.  GAES 

ARIBVS. 

M.    P.  XVI.       * 

Dernièrement  encore  on  a  trouvé  l'inscription  suivante ,  placée  aujourd'hui  dan? 
le  jardin  de  M.  Rey ,  maire  : 

D.  N. 

FL.  DELMATIO. 

NOB. 

CAES. 

Ce  Dalmatius  est  un  neveu  de  l'empereur  Constantin.  —  Dans  l'église ,  un  bé- 
nitier est  formé  avec  le  fragment  d'une  autre  colonne  milliaire  dont  l'inscription 
est  excessivement  fruste.  Ces  diverses  pierres ,  mais  plus  encore  la  position  et  sur- 
tout la  distance  indiquée  par  l'Itinéraire,  confirment  cette  opinion,  émise  par 
M.  Long,  le  premier ,  que  le  Saillans  actuel  est  bien  l'ancienne  Darenliacca.  Rien 
ne  justifie  l'opinion  qui  veut  que  Saillans  soit  le  Solonium ,  auprès  duquel  le  pré- 
teur Pontinus  défit  complètement  les  Allobroges ,  l'an  61  avant  .1.  C.  Ce  n'est  point 
dans  la  vallée  de  la  Drôme.  mais  bien  dans  celle  de  l'Isère  que  se  décida  le  sort 
de  la  malheureuse  Allobrogie.  C'est  donc  là  qu'il  faut  chercher  Solonium  et  les 
Sollinii,  peuple  allobrogique  plutôt  que  voconlien.  Hadrien  de  Valois,  D.  Martin 
et  D.  Bouquet  ont  eu  raison  de  pencher  pour  Sone  ou  La  Sonne,  sur  les  bords  de 
l'Isère.  Telle  me  paraît  être  aussi  l'opinion  de  M.  le  baron  Chaudruc  de  Crazannes, 
qui  attribue  à  la  ville  des  Allobroges  une  médaille  gauloise  ,  portant  la  tête  d'Apol- 
lon dieu-soleil ,  avec  le  lion  solslicial  et  la  légende  SOLLOS.  (V.  la  Revue  numis- 
matique, année  1844,  n°  2,  p.  85.) 


îSO  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

On  soit  que  la  superstition  éclectique  qui  régnait  sous  les  succes- 
seurs des  Antonins,  se  servit  dos  pierres  précieuses  comme  d'amu- 
lettes magiques  contre  les  maladies  et  les  influences  démoniaques  (1). 
Faut-il  ranger  la  gemme  en  question  dans  la  classe  nombreuse  de 
ces  Abraxas,  où  les  signes  panthéistes  accusent  l'influence  des 
croyances  religieuses  étrangères  (2)?  n'était-ce  qu'une  amulette  de 
la  famille  Julienne?  A-t-elle  été  apportée  dans  les  Gaules  et  dans  les 
environs  de  Darenliacca  par  un  de  ces  vétérans  que  le  dictateur  et 
Auguste,  après  lui,  distribuèrent  dans  les  colonies  militaires?  Tout 
cela  peut  être;  mais  nous  laissons  à  des  personnes  plus  compétentes 
que  nous  le  soin  de  prononcer  là-dessus. 

Nous  croyons  seulement  une  pareille  gemme  excessivement  rare, 
môme  dans  le  midi  :  c'est,  du  reste,  la  première  fois  que  nous 
l'avons  rencontrée.  Quant  à  son  appartenance  au  culte  de  Jules  Cé- 
sar et  à  son  analogie  avec  la  pierre  gravée ,  décrite  par  M.  le  docteur 
Sichel ,  cela  nous  paraît  de  la  dernière  évidence.  La  seule  différence 
est  celle  qui  pouvait  exister  entre  une  amulette  et  le  cachet  de  Se- 
pullius  Macer. 

Notre  pierre  porte  en  toutes  lettres ,  sur  les  deux  grands  côtés, 
ces  mots  memoriœ  œlernœ  Jalli  Çœsaris,  à  la  mémoire  éternelle  de 
Jules  César.  Sur  les  deux  faces  étroites  sont  des  attributs  ;  d'un  côté, 
les  palmes  de  la  consécration;  de  l'autre ,  le  Utuus  et  une  étoile, 
hesperas  sans  doute.  Or,  il  ne  saurait  y  avoir  le  moindre  doute  dans 
ces  symboles  césariens  ;  car  au-dessus  du  mot  mem  ,  court  la  comète 
chevelue.  Les  autres  petites  faces  des  cônes  tronqués  sont  remplies, 
en  général ,  par  des  étoiles,  symboles  de  la  filiation  céleste.  Trois 
seulement  portent  les  signes  suivants  :  C  >  sans  doute  le  croissant, 
lunaire,  P  la  croix  ansée  asiatique  et  <y ,  le  signe  astronomique 
de  Mars. 


(1)  O.  Muller,  Manuel  d'archèol.,  t.  I,  §  508  ,  G. 

(2j  A  mesure  que  les  richesses  de  l'Orient  remuaient  dans  Rome  et  ramollissaient 
tes  esprits  graves ,  sérieux  et  pratiques  dis  Romains,  les  cultes  étrangers  faisaient 
irruption  de  leur  côté  et  contribuaient  également  à  précipiter  la  ruine  de  l'empire. 
Le  Culte  d'Isis,  introduit  violemment  à  Rome,  vers  l'an  700,  servit  à  cacher  de 
monstrueux  excès  de  débauche.  Commode  et  Caracalla  assistèrent  publiquement  à 
«es  cérémonies.  Le  Culte  de  Milhra ,  mélange  des  religions  assyriennes  et  persanes, 
porté  à  la  co:maissmce  du  monde  romain  par  les  pirates,  avant  Pompée  ,  fut  re- 
gardé comme  indigène  à  Rome  depuis  Domilicn,  mais  surtout  à  partir  de  Commode. 
La  Religion  syrienne,  déjà  aimée  sous  Néron,  devint  générale  surtout,  depuis 
Septime  Sévère  Ajoutez  à  cela  la  généihliologic  chaldécnne  ,  l'abus  des  amulettes 
m  i.'  |  les,  la  philosophie  Ihéurgique.  O.  Muller ,  Manuel  d'archèol. ,  §  1S8 ,  trad. 
Nicard,  1.  I,  p.  550. 


AMULETTE    DE   JULE&  CÉSAR.  151 

La  croix  ansée  asiatique ,  le  lUms  et  la  comète  se  retrouvent  dans 
le  cachet  de  Sepullius.  M.  le  docteur  Sichel  a  parfaitement  établi  le 
rapport  qui  existe  entre  les  Dwalia  ou  Angeronalia  et  le  culte  de 
Venus  Genitrix ,  mère  de  la  race  énéenne ,  à  qui  est  due  la  fonda- 
tion de  Rome.  Nous  ne  pouvons  que  renvoyer  les  lecteurs  à  son 
excellent  travail.  Or,  on  sait  les  prétentions  de  César  à  cette  céleste 
descendance.  Plusieurs  de  ses  monnaies  étaient  destinées  à  rappeler 
cette  circonstance  et  le  culte  de  Vénus.  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
de  retrouver  sur  une  amulette,  destinée  à  rappeler  le  souvenir  ou  la 
consécration  du  divin  Jules,  les  attributs  et  les  symboles  qui  étaient 
l'apanage  du  culte  de  Venus  Genitrix. 

Le  premier,  César  lui  consacra  un  temple;  et,  après  l'apparition 
de  la  comète  qui  brilla  lors  des  jeux  publics,  célébrés  par  Auguste  en 
l'honneur  de  Venus  Genitrix  et  de  César,  placé  au  rang  des  dieux , 
les  deux  cultes  furent  confondus  en  un  seul.  Donc,  rien  de  plus 
naturel  que  la  présence  de  la  comète  et  des  étoiles  sur  la  pierre  qui 
nous  occupe,  étoiles  que  l'on  rencontre  au-dessus  de  la  tête  de  Cé- 
sar, dans  quelques  statues  du  dictateur  et  dans  les  monnaies  de  la 
famille  Julienne. 

Le  ïïtuus  ou  bâton  sacré  augurai ,  rappelle  qu'il  avait  été  revêtu 
de  la  dignité  pontificale.  C'est  en  sa  qualité  de  grand  pontife  que  Jules 
César  confondit  en  un  seul  le  culte  de  Vénus,  déesse  nationale  et 
tutélaire ,  déguisée  pour  le  profane  vulgaire  sous  les  noms  de  Dwalia 
et  d'Angerona ,  et  le  culte  de  Venus  Genitrix. 

Quant  au  signe  f ,  on  ne  saurait  y  méconnaître  la  croix  ansée 
asiatique.  Une  fois  la  filiation  du  divin  Jules  admise  ou  plutôt  la 
fusion  de  son  culte  avec  celui  de  Vénus,  le  symbole  à'Angerona  n'a 
plus  rien  qui  doive  embarrasser.  Le  culte  de  Vénus  était  originaire 
de  l'Orient ,  oxiAstarolh,  Astarte,  n'était  qu'une  Vénus  syriaque  ou 
phénicienne.  Ce  culte  y  était  très-répandu  et  a  pu  être  apporté  en 
Italie  par  la  famille  des  Énéades  qui  le  conservèrent  religieusement. 
Dans  notre  pierre,  il  est  vrai,  la  direction  de  la  croix  oblique  de 
droite  à  gauche,  M.  le  docteur  Sichel  fait  remarquer  que,  dans  les 
monnaies  de  l'île  de  Chypre,  la  croix  est  presque  toujours  tournée  en 
bas.  J'ignore  si  cette  obliquité  de  direction  variait,  selon  les  circon- 
stances et  si  le  symbole  changeait  ainsi  de  signification  ;  mais  on 
pourrait  à  la  rigueur  supposer  que  la  direction  de  la  croix  ansée  dans 
notre  pierre  résulte  de  la  place  où  elle  se  trouve ,  comme  celle  du 
signe  astronomique  de  Mars  dans  le  cadre  correspondant,  comme 
celle  aussi  de  la  comète,  dont  la  crinière  est  horizontale,  au  lieu 


152  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

d'être  verticale,  ainsi  que  cela  se  remarque  ordinairementrdans  l'astre 
de  César. 

Le  signe  astronomique  de  Mars  tf  ne  saurait  être  une  anomalie 
sur  une  amulette  de  César.  L'analogie  est  évidente  entre  le  culte  du 
dictateur  et  celui  du  dieu  des  combats  ,  en  faisant  même  abstraction 
des  rapports  mythologiques  entre  Mars  et  Vénus.  J'avoue  que  je  ne 
saisis  pas  aussi  bien  la  présence  du  croissant  lunaire.  Il  est  vrai  que  je 
n'ai  rien  ici  pour  aider  mes  investigations  sur  ce  point. 

En  résumé ,  le  jaspe  de  M.  le  docteur  Long  me  paraît  être  une 
sorte  d'amulette,  consacrée  au  souvenir  du  divin  Jules,  diviJulii, 
dont  le  culte  et  les  symboles  étaient  confondus  avec  le  culte  et  les 
symboles  de  la  déesse  protectrice  de  Rome ,  de  Venus  Genitrix. 
Ceci  me  paraît  pleinement  résulter  des  emblèmes  qui  décorent 
les  différentes  faces  de  cette  pierre  curieuse.  Si  nous  ne  sommes 
pas  parvenu  à  en  tirer  tout  le  parti  convenable,  si  même  nous 
nous  trompons  dans  notre  hypothèse,  que  l'on  n'accuse  que  notre 
inexpérience  en  pareille  matière;  mais  nous  tenions  avant  tout, 
d'abord  à  faire  connaître  aux  amateurs  de  l'antiquité  un  petit  monu- 
ment, sinon  unique  en  son  espèce,  du  moins  fort  rare  sans  doute, 
et,  ensuite,  à  corroborer  par  un  argument  de  plus  certaines  asser- 
tions de  M.  le  Dr.  Sichel. 

Le  signe  $  ,  symbole  asiatique ,  venu  du  pays  où  était  honoré  le 
culte  de  Vénus ,  ne  saurait  être  confondu  avec  la  croix  ansée  égyp- 
tienne de  l'époque  pharaonique.  M.  Letronne  a  fort  bien  fait  ressortir, 
dans  le  Mémoire  précité,  les  caractères  distinctifs  de  ces  deux  espèces 
de  croix.  Ce  savant  avait  remarqué  que  jamais,  ni  la  croix  ansée 
égyptienne  ,  ,  ni  le  signe  $  que  M.  Raoul  Rochette  prend  pour 
elle,  n'avaient  paru  sur  un  monument  trouvé  en  Grèce  ou  en  Etrurie, 
avant  la  découverte  du  vase  de  Cœre.  De  ce  fait  seul  on  est  en  droit 
de  conclure,  selon  lui ,  que  l'emploi  de  ces  deux  symboles  n'était  pas 
entré  dans  l'expression  des  croyances  religieuses  qui  étaient  propres 
à  l'Étrurie  ou  à  la  Grèce,  et  l'on  a  tout  lieu  de  croire  que  le  monu- 
ment unique  où  se  trouve  le  signe  £,  a  été  apporté  du  pays  où  ce 
symbole  était  employé,  c'est-à-dire  des  contrées  voisines  de  la  Phé- 
nicie  ou  de  la  Phénicie  elle-même.  Nous  sommes  heureux  de  pou- 
voir offrir  à  la  profonde  sagacité  de  M.  Letronne  un  petit  monu- 
ment romain  portant  le  même  signe,  et  rappelant  effectivement  le 
culte  d'une  divinité  orientale.  Nous  n'osons  faire  un  appel  à  son  sa- 
voir pour  nous  expliquer  les  rapports  des  signes  devant  lesquels  re- 
cule notre  inexpérience;  mais  nous  serions  plus  heureux  encore 


AMULETTE   DE   JULES  CESAR.  153 

d'avoir  son  approbation  sur  cette  opinion  que  nous  nous  sommes  for- 
mée, à  savoir  que  notre  amulette  de  César  prouve  évidemment  que 
le  Q  ou  le  jP  n'est  qu'un  symbole  asiatique ,  transmis  à  Rome  par 
le  culte  de  la  Vénus  syrienne,  le  culte  de  Vénus  Angeronia,  con- 
fondu plus  tard  avec  le  culte  de  Jules  César. 

Jules  Courtet, 

Sous-préfct  de  Die. 

Note  sur  cette  prétendue  amulette  de  César. 

L'ingénieux  interprète  de  ce  petit  monument,  m'ayant  fait  l'hon- 
neur d'appeler  rîion  attention ,  et  de  désirer  mon  avis  sur  plusieurs 
difficultés,  M.  l'éditeur  de  la  Revue  vient  de  me  communiquer  l'épreuve 
du  précédent  Mémoire.  Je  crois  répondre  à  la  confiance  de  l'auteur, 
en  lui  faisant  connaître,  sans  plus  tarder,  l'opinion  qui  est  résultée, 
pour  moi,  du  premier  coup  d'œil  jeté  sur  ce  monument.  Comme  le 
temps  me  manque  pour  en  donner  immédiatement  les  preuves ,  je  me 
borne  à  de  simples  assertions ,  que  je  justifierai  dans  le  numéro  du 
mois  prochain. 

1°  L'amulette  dont  il  s'agit,  comme  l'a  très-bien  vu  M.  Courtet, 
est  tout  à  fait  analogue  au  cachet,  dit  de  Sepullius  Macer,  récemment 
publié  par  M.  le  docteur  Sichel  [Revue,  t.  II,  p.  633-642,  et 
679-682),  accompagné  d'explications  savantes. 

2°  Ces  deux  monuments,  trouvés  dans  le  même  pays,  se  rappor- 
tent au  même  ordre  d'idées,  et  s'expliquent  l'un  par  l'autre. 

3°  Chacun  d'eux  est  unique  jusqu'à  présent  ;  et  ils  seraient  tous 
les  deux  d'une  très-grande  importance ,  s'ils  n'étaient  pas  de  fabrique 
moderne. 

4°  Ce  fait  réduit  au  néant  les  idées,  que,  dans  l'hypothèse  de  leur 
antiquité',  on  a  émises  sur  leur  origine  et  leur  destination. 

5°  Quant  aux  symboles  qui  s'y  trouvent,  ils  sont,  en  effet,  tous 
relatifs  à  Jules  César,  et  l'on  en  devine  facilement  la  signification. 

6°  Le  signe  fi  ou  Ql  ,  bien  qu'analogue ,  pour  la  forme,  à  la 
croix  ansée  asiatique  ,  n'a  rien  de  commun  avec  ce  symbole.  C'est  le 
signe  planétaire  de  Vénus,  comme  l'autre,  çf ,  est  celui  de  Mars.  Or, 
l'emploi  de  ces  deux  signes,  quoi  qu'on  en  ait  pu  dire,  ne  s'est  ré- 
pandu que  dans  le  moyen  âge,  avec  les  livres  des  astrologues  et  des 
alchimistes ,  en  sorte  qu'ils  seraient  à  eux  seuls  un  indice  certain  de 
l'époque  récente  des  deux  monuments ,  quand  il  n'y  en  aurait  pas 
d'autres  preuves  non  moins  certaines,  ainsi  que  je  le  ferai  voir. 

Letronne. 


SUR 


m  MIROIR  MAGIQUE  DU  XV  OU  XVIe  SIÈCLE. 


La  magie  a  été  fort  en  honneur  depuis  les  temps  les  plus  reculés 
jusqu'au  XVIe  siècle,  et  la  presque  universalité  des  hommes  admet- 
tait la  réalité  des  moyens  surnaturels  dont  elle  faisait  usage.  Mainte- 
nant la  raison  publique  se  refuse  à  y  croire,  et  tout  ce  qui  s'y  rattache 
est  tombé  dans  un  complet  discrédit.  Je  partage  naturellement  cette 
incrédulité;  mais  je  pense  qu'on  a  tort  de  mépriser  l'histoire  de  cette 
science  occulte  et  l'examen  des  procédés  qu'elle  employait.  Il  a  dû  se 
cacher  sous  ses  dehors  merveilleux  des  connaissances  positives  très- 
dignes  do  l'attention  des  esprits  sérieux.  A  l'origine ,  les  sciences  se 
liaient  toujours  plus  ou  moins  à  la  magie,  car  l'homme  qui  possédait 
quelques  connaissances,  cherchait  à  les  mettre  à  profit  pourdominerses 
semblables,  ou  plus  souvent  encore  l'ignorance  et  la  crédulité  lui  fai- 
saient prendre  pour  surnaturels  des  faits  qu'il  ne  savait  pas  expliquer. 
Aujourd'hui  le  flambeau  peut  être  porté  au  fond  de  ces  sanctuaires 
mystérieux ,  de  ces  arcanes  jadis  impénétrables ,  et  nous  faire  voir 
qu'il  n'y  avait  pas  qu'imposture  et  mystification  dans  la  magie,  que  la 
plupart  de  ses  prodiges  peuvent  être  rapportés  à  des  causes  naturelles, 


SUR  UN  MIROIR  MAGIQUE.  155 

nonalors  devinées.  C'estsurtoutl'antiquaire  qui  doitchercherà  pénétrer 
au  fond  de  cette  question  obscure  qui  se  lie  de  si  près  à  l'étude  des 
sociétés  anciennes;  il  trouvera  parfois  sous  l'enveloppe  d'une  opéra- 
tion magique  les  éléments  de  la  science  ésotérique  de  l'antiquité  qui 
nous  échappe  encore,  et  dans  les  mots  qui  se  prononçaient  aux  en- 
chantements ,  s'offriront  à  lui  des  données  philologiques  qui  serviront 
à  la  solution  de  certains  points  d'histoire,  d'ethnologie  et  de  mytho- 
logie. 

Cette  conviction  où  je  suis  de  l'utilité  qu'il  y  aurait  à  ce  que  quel- 
ques personnes  dirigeassent,  sur  l'histoire  de  la  magie,  des  recherches 
suivies,  me  fait  tenter  d'entretenir  un  instant  le  lecteur  d'un  mo- 
nument qui  s'y  rattache.  L'examen  des  figures  qu'olîre  ce  monument, 
des  mots  qui  sont  inscrits  sur  l'une  de  ses  faces,  des  propriétés  qui 
lui  étaient  attribuées,  sera  comme  la  preuve  de  ce  que  je  viens 
d'avancer.  Et  je  serais  heureux  qu'imitant  mon  exemple  et  abor- 
dant la  tâche  avec  plus  d'érudition,  de  connaissances  scientifiques 
que  je  n'en  possède,  des  esprits  éclairés  entreprissent  de  soumettre  à 
un  examen  de  ce  genre  les  faits  de  magie  que  les  témoignages  des 
auteurs  de  tous  les  âges  nous  ont  conservés  en  si  grand  nombre. 
Quelques  tentatives  ont  été  faites,  au  reste,  à  cet  égard,  et  tout 
dernièrement,  M.  Joseph  Ennemoser  a  publié  un  ouvrage  plein  d'in- 
térêt (1)  sur  cette  matière.  Mais  ce  qui  touche  à  la  partie  la  plus 
curieuse  de  cetle  science  occulte,  à  la  magie  orientale  et  à  la  divina- 
tion, n'a  été  que  faiblement  examiné.  On  a  proposé  des  explications 
hasardées  sans  appeler  à  leur  aide  des  expériences  qui  eussent  été 
plus  significatives  que  des  hypothèses;  on  a  obéi  à  des  idées  précon- 
çues et  systématiques  dont  le  mesmérisme  faisait  habituellement  les 
frais  ;  on  s'est  montré  tour  à  tour  crédule  ou  incrédule  à  l'excès.  En 
France  surtout,  bormis  l'ouvrage  de  M.  Eusèbe  Salverte,  encore 
bien  incomplet,  et  dans  lequel  l'examen  de  faits  mythologiques  est 
presque  toujours  substitué  à  celui  des  faits  historiques ,  nous  ne  pos- 
sédons aucun  travail  véritablement  critique  sur  ce  sujet  intéressant. 
La  magie  attend  encore  un  historien.  Puisque  l'alchimie  vient  de 
rencontrer  le  sien  (2) ,  nous  sommes  en  droit  d'espérer  que  cette  at- 
tente ne  sera  pas  déçue;  mais,  quoi  qu'il  arrive,  nous  pensons ,  pour 
les  motifs  ci-dessus  exposés,  que  les  archéologues  ne  doivent  jamais 

(0  Geschichle  der  Magie,  2e  auflage.  Leipzig.  1844.  Voyez  aussi  D.  Ticdemann, 
Dispulalio  de  queslione  quœ  fueril  arlium  magicarum  origo,  Alarpurgi ,  1787, 
in-4. 

(2)  Voy.  Fera".  Hoefer,  Histoire  de  la  chimie,  1. 1.  Paris,  184S. 


156  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

omettre  de  nous  fournir,  sur  les  sciences  occultes ,  les  renseignements 
qu'ils  peuvent  rencontrer.  J'obéis  à  ce  devoir  en  écrivant  les  pages 
suivantes  : 

Une  personne  de  ma  connaissance,  D.  Antonio  Terceral,  qui  ha- 
bite les  environs  de  Sarragosse,  me  fit  voir,  au  mois  d'août  1845, 
dans  cette  dernière  ville,  un  miroir  métallique  légèrement  convexe 
d'un  côté  et  presque  plat  de  l'autre ,  d'une  forme  circulaire  et  d'en- 
viron 0m,25  de  diamètre.  Ce  miroir  se  suspendait  jadis  à  un  anneau, 
maintenant  brisé,  et  qui  était  fixé  à  la  partie  supérieure;  la  partie 
convexe  était  complètement  lisse,  et  au  contour  se  trouvait  une  sorte 
de  bordure,  que  je  pris  d'abord  pour  une  inscription  arabe,  mais 
qu'un  examen  plus  attentif  me  fit  reconnaîttre  pour  un  assemblage 
d'arabesques ,  c'est-à-dire  de  caractères  arabes  défigurés,  et  employés 
uniquement  comme  ornement. 

A  la  face  concave  ou  plate  postérieure  est  sculptée  légèrement  en 
relief  une  figure  hideuse  qui  représente  évidemment  le  diable.  C'est 
un  petit  monstre  à  large  tête  surmontée  d'un  apex,  et  ayant  une  lon- 
gue corne  au-dessus  de  chaque  oreille,  à  l'angle  du  frontal  et  des 
pariétaux.  Au-dessous  de  cette  image  on  a  placé  le  sigle  ^;  à  gau- 
che est  sculpté,  mais  d'un  relief  plus  léger  et  inégal  dans  la  profon- 
deur de  ses  lignes,  un  serpent  enlacé.  Les  quatre  lettres  D,  S,  L,  F, 
encadrent  la  figure  diabolique.  A  la  circonférence  du  miroir  on  lit , 
en  outre,  très-distinctement  plusieurs  mots;  ce  sont,  en  commen- 
çant par  le  haut  et  en  allant  de  gauche  à  droite  :  Muerte ,  Etant,  Te- 
teceme,  un  mot  effacé,  Zaps.  Il  est  probable  qu'entre  le  mot  effacé 
et  ce  dernier,  on  en  lisait  encore  d'autres;  mais  la  rouille  a  profon- 
dément mangé  toute  la  partie  droite  du  miroir,  et  elle  a  fait  égale- 
ment disparaître  la  figure  qui  devait  y  être  représentée. 

Ce  miroir  se  reconnaît  au  premier  coup  d'œil  pour  un  miroir  ma- 
gique; la  forme  des  caractères  (mal  reproduits  dans  un  croquis  pris  par 
moi  en  quelques  minutes)  ne  le  fait  pas,  à  mon  avis,  remonteraudelàdu 
XVe  ou  XVIe  siècle.  Mais  les  traditions  qui  se  rattachent  à  son  usage 
méritent  d'être  notées.  Cet  objet  se  trouve  dans  la  famille  de  M.  Ter- 
ceral depuis  1626.  Une  petite  notice,  écrite  de  la  main  de  D.  Félix 
Terceral,  son  trisaïeul,  et  datée  du  7  mars  1699,  apprend  que  ce 
miroir  a  jadis  été  saisi  sur  un  homme  de  Valladolid,  accusé  de  magie 
et  de  sorcellerie.  Voici ,  d'après  cette  notice ,  comment  le  magicien 
s'en  servait.  II  avait  recouvert  d'une  toile  la  partie  concave,  celle  où 
sont  sculptées  les  figures  et  les  inscriptions;  cette  toile  était  collée 
aux  bords  mêmes  de  cette  face,  puis,  exposant  la  face  lisse  et  convexe 


SUR    UN   MIROIR    MAGIQUE.  1Ô7 

devant  un  vaserempîi  d'eau  préalablement  par  lui  préparée,  il  faisait 
apparaître  sur  la  surface  de  ce  liquide  magique  la  figure  du  démon 
qu'il  évoquait.  Il  pratiquait  la  même  opération  dans  une  chambre  lé- 
gèrement obscure ,  en  tournant  la  partie  convexe  sur  un  lieu  de  cette 
chambre,  que  les  rayons  solaires  introduits  par  une  ouverture,  illu- 
minaient d'une  vive  clarté.  Ce  fait,  attesté  par  un  grand  nombre  de 
témoins  oculaires,  fit  condamner  le  sorcier  par  l'inquisition  à  une  pri- 
son perpétuelle.  La  notice  ajoute  que  plusieurs  assuraient  qu'il  pou- 
vait également  montrer,  à  laide  du  miroir,  aux  yeux  d'un  enfant  la 
personne  sur  laquelle  on  voulait  opérer  quelque  maléfice  ;  mais  cette 
accusation  plus  grave  ne  put  être  suffisamment  prouvée,  et  c'est  cette 
circonstance  qui  probablement  sauva  le  possesseur  du  miroir  des 
horreurs  de  Yauto-da-fé. 

M.  Terceral,  qui  est  un  homme  éclairé,  ajoutait  peu  de  confiance 
à  la  note  de  son  trisaïeul,  et  il  me  dit  qu'il  ne  voyait  dans  son  contenu 
qu'une  légende  de  famille  à  laquelle,  il  ne  faut  pas  prêter  grande  foi. 

Néanmoins,  ces  faits  me  parurent  assez  curieux,  ils  s'accordaient 
d'ailleurs  trop  bien  avec  ce  que  j'avais  lu  çà  et  là  des  miroirs  ma- 
giques et  des  anciens  procédés  d'enchantements,  pour  que  je  n'en- 
treprisse pas  quelques  recherches  à  cet  égard.  Depuis ,  j'ai  comparé 
divers  témoignages  que  les  livres  fournissent,  et  je  ne  doute  plus  de 
la  parfaite  véracité  de  la  note  de  D.  Félix  Terceral;  ce  qui  y  est 
consigné  se  trouvant  parfaitement  d'accord  avec  tout  ce  qui  est  rap- 
porté des  moyens  de  divination ,  à  l'aide  de  miroirs  solides  ou  li- 
quides, chez  des  écrivains  de  diverses  époques. 

L'emploi  des  miroirs  constellés  et  de  la  divination  par  l'évocation 
de  l'image  de  certains  personnages  sur  une  face  solide  ou  liquide  est 
fort  ancien.  Varron,  cité  par  saint  Augustin  (1),  dit  que  ce  procédé 
venait  de  la  Perse.  Didius  Julianus,  cet  éphémère  et  superstitieux 
empereur  qui  immolait  des  enfants  dans  ses  odieux  sacrifices  magiques, 
y  eut  recours  pour  connaître  quelle  serait  l'issue  du  combat  de  son 
général  Tullius  Crispinus  contre  Sévère  qui  s'avançait  à  grands  pas 
vers  Rome  pour  le  renverser  :  «  Qua?  ad  spéculum  dicunt  fieri ,  »  dit 
Spartien  (2)  «  in  quo  pueri,  praeligatis  oculis,  incantato  vertice,  res- 
«  picere  dicuntur,  Julianus  fecit.  Tuncque  puer  vidisse  dicitur  et  ad- 
«  ventumSeveri  et  Juliani  decessum.  »  Ainsi,  à  cette  époque,  on  faisait 
usage  de  ce  procédé  magique  attribué  précisément  à  notre  magicien  es- 
pagnol ,  et  des  enfants  dont  la  tête  avait  passé  par  des  enchantements 

(1)  De  civit.  Dei,  iib.  VII ,  c.  ï>o. 

(2)  ni.  Did.  Julian,  c.  VII. 


158  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

lisaient  l'avenir  dans  des  miroirs  magiques.  Apulée(l),  d'après  Varron, 
mentionne  un  fait  analogue  :  «  Memini,  »  écrit-il,  «apud  Varronem 
«  philosophum  virum  accuratissime  doctum  atque  eruditum,  cum 
«  alia  hujusmodi,  tum  hoc  etiam  légère  :  Trallihus  de  eventu 
«  Mithidraci  belli  magica  percontatione  consulentibns,  puerum  in 
«  aqua  simulacrum  Mercurii  contemplantem,  quae  futura  erant  con- 
te tum  versibus  cecinisse.  »  Ce  mode  de  divination  était  proprement 
ce  que  l'on  nommait  Ydpouxvzelx.  Pausanias  (-2)  parle  d'un  miroir 
qu'on  tenait  avec  une  ficelle  sur  la  surface  de  l'eau  ;  on  récitait  une 
prière,  on  brûlait  de  l'encens,  alors  on  voyait  apparaître  dans  le 
miroir  la  figure  de  la  personne  malade ,  et  l'on  reconnaissait  si  elle 
devait  guérir  ou  non. 

Casaubon,  dans  ses  notes  sur  Spartien  (3),  cite  un  passage  grec 
tiré  d'un  martyrologe,  où  il  est  raconté  qu'un  Italien  chrétien  qui. 
hantait  les  jeux  du  cirque,  et  qui  se  voyait  constamment  vaincu  aux 
courses  de  chars  par  la  faction  opposée  à  la  sienne,  alla  trouver  un 
moine  d'une  grande  piété  nommé  Hilarion.  Il  lui  demanda  la  raison 
de  cette  persistance  de  la  mauvaise  fortune.  Le  moine  mit  alors  un 
vase  plein  d'eau  entre  les  mains  de  l'Italien,  et  celui-ci  y  regardant 
vit  dans  le  miroir  de  l'eau  apparaître,  à  son  grand  étonnement,  les 
chevaux  et  les  chars  du  cirque ,  et  sa  faction  enchaînée  par  des  sor- 
tilèges magiques.  Hilarion  rendit  grâce  à  Dieu  de  sa  découverte  et 
dissipa  l'enchantement  avec  un  signe  de  croix. 

Jean  le  Grammairien,  dans  son  commentaire  sur  les  Météorolo- 
giques d'Aristote,  cite  aussi  plusieurs  exemples  de  divination  par 
le  miroir;  ce  procédé  portait  le  nom  de  KocTOKTpoy.zvrsix  bu  cTEo-o- 
7rrpop.ay7txv7.Potter,dans  ses  Antiquités  grecques  (4),  dit  que  le  fond 
du  vase  dans  lequel  on  versait  le  liquide  spéculaire  s'appelait  yxvrpr,, 
et  que  de  là  vint  le  nom  de  yaGtpopavzsix  que  portait  encore  ce  mode 
de  divination.  La  lécanomantie,  dont  le  nom  tire  son  étymologie  de 
IzvJ.vn,  bassin,  et  \ux»*nià,  divination,  se  pratiquait  généralement 
par  le  moyen  d'un  bassin  plein  d'eau,  du  fond  duquel  on  entendait 
des  réponses,  après  y  avoir  jeté  quelques 'lames  d'or  ou  d'argent  et 
des  pierres  précieuses  sur  lesquelles  étaient  gravés  des  caractères  (o). 
Au  moyen  âge  la  catoptromanlie  était  encore  en  usage  ;  on  qualifiait 


(1)  Apologia  ap.  Opcr.  t.  II,  p.  474.  Parisiis,  1688. 
(?)  Pausan.,  lib.  VII,  c.  xxi. 

(3)  JVut.  in  Spartian. ,  p.  250  (Parisiis,  1603). 

(4)  Archœlogia  grœca,  lib.  II,  c.  xvm. 

(6)  Cf.  Plin.  XXX,  c.  2,  Delrio,  Disquisilion.  magicar.,  lib.  VII. 


SUR   UN  MIROIR   MAGIQUE.  159 

de  specularii  ceux  qui  s'y  livraient  (î).  Jean  de  Salisbury  (2)  nous 
explique  avec  détails  quelles  pratiques  ces  charlatans  mettaient  en 
pratique:  «Speculatoriosvocant,  »  dit-il,  «qui  in  corporibus  leevigatis 
«et  tersis,  ut  sunt  lucidi  enses,  pelves,  cyathi,  speculorumque 
«  diversa  gênera,  divinantes,  curiosis  interrogationibus  satisfaciunt, 
«  quam  (artem)  et  Joseph  exercuisse  aut  potius  simulasse  descri- 
«  bitur.  Cum  fratres  argueret  surripuisse  sciphum  in  quo  consueverat 
«  augurari.  »  Et  ailleurs  le  même  auteur  ajoute  :  «Gratias  ago  Deo 
«  qui  mihi  etiam  in  teniori  aetate  adversus  bas  maligni  hostis  insi- 
«  dias  beneplaciti  sui  scutum  opposuit.  Dum  enim  puer  ut  psalmos 
«  addiscerem,  sacerdoti  traditus  essem,  qui  forte  speculariam  ma- 
«  gicam  exercebat,  contigit  ut  me  et  paulo  grandiusculum  puerum, 
«  praemissis  quibusdam  maleficiis,  pro  pedibus  suis,  sedentes  ad  spe- 
«  culariae  sacrilegium  applicaret,  ut  in  unguibus  sacro  nescio  (an) 
«oleo,  aut  chrismate  delibutis,  vel  in  exterso  et  Isevigato  corpore 
«  pelvis,  quod  quœrebat,  nostro  manifestaretur  indicio.  Cum  itaque 
«  prœdictis  nominibus,  quae  ipso  horrore,  licet  puerulus  essem, 
«  deemonum  videbantur  et  prœmissis  adjurationibus  qua6,  Deo  auc- 
«  tore,  nescio,  socius  meus  nescio  quas  imagines,  tenuiter  tamen, 
«  et  nubilosas  videre  indicasset,  ego  quidem  ad  illud  ita  cœcus  extiti, 
«  ut  nihil  mihi  appareret,  nisi  ungues  aut  pelvis,  et  caetera  quae 
«  ante  noveram.  Èxinde  ergo  ad  hujusmodi  inutilis  judicatus  sum 
«  et  quasi  qui  sacrilegia  heec  impedirem,  ne  ad  talia  accédèrent, 
«  condemnatus ;   et  quoties  rem,  hanc  exercere  decreverant,  ego 
«  quasi  totius  divinationis  impedimentum  arcebar.  » 

Gervais  de  Tilbury  dans  son  Olia  imperialia  (3)  parle  aussi  de  ces 
«magiciens:  «  Àsserunt  nigromanlici,  in  experimentis  gladii,  vel 
«  speculi,  vel  magnisaut  circini  solos  oculos  prœvalere.» 

En  1398  la  faculté  de  théologie  de  Paris  condamnait  formelle- 
ment cette  pratique  magique  comme  un  fait  d'idolâtrie  :  «  Quod 
«  conari  per  artes  magicas  dœmones  in  lapidibus,  annulis  speculis, 
«  aut  imaginibus  nomine  eorum  consecratis  vel  potius  execratis, 
«  cogère  et  arctare,  vel  eosvellevivilicare  non  sit  idolalria,error(4).» 

M.  Orioli  a  signalé  dans  Muratori  (5) ,  deux  passages  où  il  est 

évidemment  question  de  ces  mêmes  miroirs  magiques  : 

K  * 

(1  )  Ducange,  Glos&arîum  ad  scriptores  med.  et  infim.  lalinit.,  v°  Specularii. 

(2)  Policratic,  Mb.  I,  c.  12  et  27. 

(3)  Olia  imprrialia  inler  scriplores  rerum  brun&vicensium,  vol.  I,  p.  89T. 

(4)  Determinalio  Parisiis  faclaper  almarn  facullatem  Iheologicam,  an.  Do- 
n>in.  1398. 

(5)  Scriptor.  rerum  italicarum,  tom.  I,  col.  545,  293. 


160  REVUE      ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  premier  porte  :  ce  In  casa  soa  (di  Cola  di  Rienzo  ucciso)  fo  tro- 
«  vato  uno  specchio  de  acciaro  raoito  pulito  con  caratteri  e  feure 
«  assai  in  quello  spirito  erame  lo  spirito  de  Fiorone.  » 

Cet  esprit  de  Fiorone  (l)  doit  être  le  diable,  et  ce  miroir  semble 
avoir  été  tout  à  fait  du  genre  de  celui  qui  nous  occupe. 

Voici  maintenant  l'autre  passage  :  ce  Sotto  lo  capitale  (capezzale) 
«  de  lo  lietto  (letto)  de  questo  vescovo  (l'évoque  de  Vérone  que 
<c  Martin  délia  Scaîa  fit  mettre  à  mort)  fo  trovato  uno  spiecchio 
«  naorato  (dorato)  con  moite  (moite)  divise  (strani)  carattere.  Nelo 
ce  lo  manico  era  una  feura.  La  littera  dicea  :  Questo  esse  Fiorono. 
ce  Poi  li  fo  trovato  uno  ciscrimuolo  (scrignetto)  nello  quale  stava 
ce  pinto  uno  diavolo  lo  quale  abbraciava  uno  homo  e  uno  aitro  (altro) 
ce  diavolo  li  daeva  (dava)  una  cortellata  (coltellata)  in  pietto  (petto) 
ce  in  quello  luoco  (luogo)  nello, quale  esso  (vescovo)  relevata  (rice- 
«  vuto)  havea  la  feruta  (ferita).  » 

Tous  ces  sujets  magiques  ont  beaucoup  d'analogie  avec  ceux  que 
nous  avons  décrits  comme  étant  sur  le  miroir  de  M.  Terceral.  Ils  font 
voir  qu'en  Italie,  comme  en  Espagne,  on  avait  recours  aux  mêmes 
procédés ,  et  que  les  specularii  étaient  répandus  dans  toute  l'Europe  ; 
on  les  retrouve  jusqu'en  Irlande,  au  Ve  siècle.  Car  on  lit  dans  les 
canons  du  synode  tenu  vers  450  par  saint  Patrice,  Auxilius  et  Isser- 
ninus  :  Chrislianus  qui  crediderk  esse  lamiam  in  speculo  quœ  inlerpre- 
talar  slriga%  analhemalizandus  est  (2). 

Au  XVIe  siècle,  époque  à  laquelle  la  magie  fut  surtout  en  vogue, 
et  où  les  superstitions  astrologiques,  alchimiques,  chiromantiques 
venaient  combler  les  vides  que  l'incrédulité  commençait  à  faire  dans 
des  âmes  qui  avaient  besoin  de  croyances,  la  catoptromantie  joua  un 
rôle  important  parmi  les  moyens  surnaturels  auxquels  on  avait  re- 
cours dans  la  folle  espérance  de  dévoiler  un  avenir  incertain.  L'art  de 
fabriquer  ces  miroirs,  ou,  comme  l'on  disait,  la  spéculaire,  avait  été 
déjà  poussé  loin  :  ce  II  se  fait  des  miroirs,  dit  Corneille  Agrippa  (3),  où 
Ton  peut  voir  seulement  la  forme  d'un  autre ,  mais  non  pas  la  sienne. 
Autres,  posés  en  certains  lieux,  ne  représentent  rien  ;  transportés 
ailleurs ,  on  y  voit  toutes  choses  comme  aux  autres.  Certains  ren- 


l)  La  fleur  était  souvent  l'image  du  diable,  témoin  les  paroles  de  saint  Cyprien  : 
■  Ipsum  malorum  principem  vidi  diabolum...  erat  autem  visio  ejus  quasi  flos.  Con- 
fess.  sancti  Cypriani.  {Oper.  Oxon.  1700  ),  p.  200. 

(2)  Art.  concil.,ed.  Labbe,  tom.  I,col.  1791.  Cf.  Brand,  Observations  onpo- 
pular  anliquilies  edited  by  Eilis,  tom    III,  p.  31  et  sv.  (Londpn,  1842). 

(3j  Deincerliludineetvanilale  scienliarum,  ch.  xxvi,  trad.  Turquet. 


SUR  UN  MIROIR   MAGIQUE.  161 

dent  les  figures  renversées  les  pieds  contre  mont ,  et  d'une  seule  chose 
en  représentent  plusieurs.  Il  s'en  trouve  aussi  qui  montrent  à  droite 
les  parties  dexlres,  à  gauche  les  senestres,  au  contraire  de  ce  que 
font  communément  tous  miroirs.  L'on  fait  des  miroirs  atdants  et 
devant  et  derrière,  et  aucuns  qui  montreront  les  figures  non  en  de- 
dans» »  Les  miroirs  magiques  donnaient  lieu  à  quelques-uns  de  ces 
phénomènes  d'optique  ;  on  en  faisait  aussi  de  constellés  qui  se  liaient 
aux  idées  astrologiques ,  et  d'autres  théurgiques  et  divinatoires.  On 
prétend  que  Catherine  de  Médicis  possédait  un  miroir  dans  lequel  elle 
voyait  tout  ce  qui  se  passait  en  France  et  dans  les  contrées  voisines. 
Elle  découvrit,  dit-on,  par  ce  moyen,  combien  d'années  les  princes^ 
ses  fils  avaient  à  régner  (1).  11  est  vrai  que  l'on  était  alors  fort  libé- 
ral en  fait  d'accusations  de  magie,  et  tous  les  faits  extraordinaires 
étaient  attribués  à  cette  science  :  les  grands  hommes  étaient  trans- 
formés en  magiciens.  Jusqu'à  l'apparition  du  livre  célèbre  de  Gabriel 
Naudé,  intitulé  :  Apologie  pour  les  grands  hommes  accusés  de  magie, 
on  imputa  à  ces  opérations  diaboliques  les  conceptions  du  génie. 
Toutefois,  il  est  constant  que  des  esprits  d'ailleurs  éminenls  étaient 
alors  entichés  de  ces  folles  rêveries.  Raymond  Lulle,  Pic  de  la  Mi- 
randole,  Cardan,  Flamel,  Paracelse  s'en  occupèrent,  et  prirent  sou- 
vent pour  ses  effets  des  phénomènes  naturels  que  leur  empirisme  leur 
faisait  découvrir,  absolument  comme  les  alchimistes  opéraient  des  dé- 
couvertes réelles,  en  croyant  être  sur  la  roule  du  grand  œuvre.  Pic 
dô  la  Miraudole  n'hésitait  pas  à  dire  qu'il  suffisait  de  faire  faire  un 
miroir  sous  une  constellation  favorable  et  de  donner  à  son  corps  la 
température  convenable  pour  lire  dans  le  miroir  le  passé,  le  présent  et 
l'avenir  (2).  Rimuald  (3)  nous  apprend  que  pour  connaître  l'auteur 
d'un  vol  on  prenait  un  miroir,  une  fiole,  une  chandelle  ou  un  moyen 
de  réflexion  quelconque.   Si  c'était  une  fiole,  par  exemple,  on  la 
remplissait  d'eau  bénite,  on  en  approchait  un  bougeoir  portant  une 
bougie  sainte,  et  on  prononçait  ces  mots  généralement  en  italien  : 
Ângelo  bianco ,  angelo  santo,  per  la  tua  santilà  eper  la  mia  virginhà , 
moslrami  che  ha  lollo  tal  cosa,  et  on  apercevait  alors  au  fond  de  la 
fiole  l'image  du  voleur. 

C'est,  ainsi  qu'on  le  reconnaît,  toujours  à  peu  près  le  même  pro- 
cédé employé  depuis  l'antiquité;  au  moyen  âge,  il  avait  revêtu  une 
forme  chrétienne,  voilà  tout,  mais  le  chercheur  devait  toujours  être 

(1)  Dictionnaire  critique  de  Bayle ,  au  mot  Pylhagore. 

(2)  Gi!b  Lcgcndre  ,  Traité  de  l'opinion,  tom.  IX,  p.  139. 

(3)  Consilia  in  causis  gravissimis  cons.  414,  tom.  IV,  p.  254. 

111.  11 


162  REVUB   ARCHEOLOGIQUE. 

quelqu'un  qui  eût  gardé  sévèrement  sa  chasteté,  circonstance  qui 
permettait  sans  doute  de  mettre  sur  le  compte  de  l'impureté  secrète 
de  l'expérimentateur  la  faillibilité  certainement  fréquente  du  moyen 
magique >  et  de  sauver  ainsi  la  réputation  de  l'enchanteur. 

Toutefois,  il  est  constant  que  l'opération  réussissait  souvent.  Jean 
Fernel  (t)  nous  dit  notamment  qu'il  a  vu  paraître  dans  un  miroir 
diverses  ligures  qui  exécutaient  sur-le-champ  tout  ce  qu'il  leur  com- 
mandait, et  dont  les  gestes  étaient  si  significatifs  que  chacun  des 
assistants  pouvait  comprendre  leur  pantomime.  On  obtenait  la  vue 
de  ces  figures  par  certaines  formules  diaboliques  dans  lesquelles  on 
prononçait  des  mots  obscènes,  et  où  l'on  invoquait  les  puissances  de 
l'air,  les  démons  des  vents  et  des  quatre  points  cardinaux  (2). 

Cette  invocation  aux  démons  du  midi ,  du  nord ,  de  l'orient  et  de 
l'occident,  qui  se  retrouve  dans  le  Grimoire  du  pape  Honorius,  dé- 
montre que  ces  procédés  magiques  remontent  à  une  époque  antérieure 
au  christianisme.  Ce  sont  les  dal^oveç  grecs,  les  génies  astronomiques 
des  anciens  Égyptiens  et  des  Chaldéens,  les  plus  anciens  peuples  que 
nous  savons  s'être  occupés  de  magie  (3). 

G.  Wierus  (4),  dans  son  livre  curieux,  tient  sur  les  specularii  le 
même  langage  que  tous  les  auteurs  que  nous  avons  cités  plus  haut  : 
«  Ka7G7T7po/ju*v7sux, »  dit-il,  «ex  nitidis  tersisquedivinatspeculis,  in 
a  quibus  propositarum  rerum  imagines  effictae ,  redditaeve  fulgent.  » 
Et  ailleurs  il  raconte  le  fait  suivant  :  «  Recenti  adhuc  memoria , 
ccanno  1350,  sacerdoti  in  crystallo  thesauros  Noribergae  ostenderat 
«  daemon.  Hos  quum,  loco  perfosso,  ante  urbem  qurereret  sacerdos 
a  adhibito  amico  spectatore  et  jam  in  specu  arcam  vidisset,  atque  ad 
«  eum  cubantem,  canem  atrum,  ingressus  sacerdos  in  specum 
a  rursus  complente,  etc.  » 

Enfin,  jusqu'à  la  fin  du XVIIe  siècle,  la  cataptromantie  demeura  en 
vigueur,  quoiqu'elle  fût  moins  répandue,  et  les  charlatans  qui  s'y 

(1)  De  abdilis  rerum  cawis ,  lit».  I,  c.  jci, 

(?)  V.  Grimoire  du  pape  Honorius  avec  un  recueil  des  plus  rares  gecreU  (  Rome , 
1670,  in-24),p.  27. 

(3)  La  conjuration  aux  génies,  ou  démons  des  quatre  points  cardinaux,  faisait 
partie  du  penUcle  de  Salomon.  Elle  se  rattache  à  la  magie  cabalistique.  Elle  est 
mentionnée  par  Wierus  et  condamnée  par  la  faculté  de  théologie  de  Paris  :  «  Quod 
«  unusdeemon  sit  rex  orientiset  praesertim  suo  raerito,  etaliusoccidentis,  alius  sep- 
«  tentrionis,  alius  meridiei,  error.  »  Déterminât  almœ  facultat.  theolog.  Pari- 
siens, ann.  1398,  p.  25.  Les  noms  que  l'on  donnait  à  ces  démons  appartiennent 
évidemment  à  une  langue  sémitique, 

(4)  Pseudomonarchia  dœmonum  (ap.  Opéra  ,  edit.  Amstelod.  1660),  1.  III . 
cxu,  Ç6,p.  135. 


SUR   UN   MIROIR   MAGIQUE.  163 

livraient  furent  reçus  et  crus  jusqu'à  la  cour.  On  se  rappelle  la  sin- 
gulière anecdote  racontée  dans  les  Mémoiresde  Saint-Simon  (1)  d'après 
laquelle  un  diseur  de  bonne  aventure  aurait  fait  voir  au  duc  d'Orléans, 
depuis  régent  de  France,  l'avenir  dans  un  verre  d'eau.  C'était  encore 
un  enfant  qui  servait  d'intermédiaire  ;  c'est  une  jeune  fille,  jeune  et 
innocente ,  qui  vit,  au  dire  de  Saint-Simon ,  si  clairement  tout  ce  qui 
devait  avoir  lieu  à  la  mort  du  grand  roi.  i 

Les  Orientaux  ont  hérité  aussi  de  ces  antiques  procédés  magiques , 
et  ils  s'exécutent  encore  aujourd'hui  avec  tant  d'adresse  et  d'habitude, 
qu'ils  ont  parfois  triomphé  de  l'incrédulité  des  Européens.  J'ai  connu 
diverses  personnes  qui  avaient  habité  l'Egypte  et  l'Inde,  et  qui  avaient 
fini  par  croire  à  la  magie,  faute  de  pouvoir  s'expliquer  les  prestiges 
dont  elles  étaient  témoins. 

Les  miroirs  magiques  et  la  cataptromantie  sont  encore  usités  dans 
ces  deux  contrées.  Déjà  Wierus,  à  la  suite  du  passage  que  nous 
avons  cité,  avait  consigné  l'observation  suivante:  «...Turcae  et 
«mulieres  cum  primis  Egyptiae....  nonnunquam  ex  aqua,  speculo, 
«  vitro  et  id  genus  similibus  organis  prœsagiunt.  » 

M.  le  comte  Léon  de  Laborde,  un  des  rédacteurs  de  celte  Revue, 
a  raconté  les  expériences  du  magicien  Achmed ,  dont  il  a  été  témoin 
avec  lord  Prudhoe  (2).  Il  rapporte  une  anecdote  qui  correspond  trait 
pour  trait  à  tout  ce  que  nous  avons  trouvé  consigné  dans  les  passages 
cités  plus  haut.  Le  témoignage  de  ce  savant  académicien,  qui  ne  sau- 
rait être  suspect,  est  du  plus  haut  intérêt;  car  non-seulement  M.  de 
Laborde  nous  dit  que,  lui  présent,  un  jeune  Égyptien  vit  dans  de 
l'encre  épaisse  versée  dans  la  main  les  objets  éloignés ,  cachés, 
inconnus,  sur  lesquels  on  appelait  son  attention;  mais  il  affirme 
formellement  avoir  répété  les  mêmes  expériences,  après  avoir  acheté 
le  secret  d'Achmed  et  appris  la  recette  dont  celui-ci  se  servait  pour 
composer  les  parfums  qui  doivent  être  brûlés  sous  le  nçz  de  l'enfant. 
Et  grâce  à  la  formule  magique  qui  est  assez  simple,  et  à  ces  par- 
fums qu'il  jetait  dans  le  feu,  il  faisait  apparaître  les  personnages  qu'il 
voulait.  Ce  n'est  pas  que  nous  croyions  sérieusement  à  la  seconde 
vue  que  procure  le  procédé  des  harvis  égyptiens ,  il  en  est  probable- 
ment d'elle  comme  de  la  prévision  magnétique;  examinée  avec  atten- 
tion, elle  résisterait  difficilement  à  la  critique;  dans  ces  genres  de 
divination   les  erreurs  sont  d'ailleurs  tellement  nombreuses,  com- 

(1)  Mémoires,  ch.  clxi. 

(2)  Y.  Commentaire  géographique  suri' Exode  et  les  Nombres ,  par  le  comte 
de  Laborde,  p.  23  et  suiv. 


164  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

parées  aux  faits  prédits,  fussent-ils  bien  constatés,  qu'on  ne  peut 
rien  avancer  de  positif  à  cet  égard.  Une  imagination  pré\enue 
ou  désireuse  de  merveilleux  prête  toujours  à  la  prédiction,  une  fois 
accomplie,  plus  de  précision  qu'elle  n'avait  à  l'origine,  et  ne  lient 
plus  compte  de  tout  ce  qui  avait  été  annoncé,  mais  qui  ne  s'est  pas 
réalisé.  M.  Reinaud  dit,  en  parlant  des  miroirs  magiques,  dans  sa 
description  du  cabinet  Blacas  (l)  :  «  Les  Orientaux  ont  aussi  des 
miroirs  magiques  dans  lesquels  ils  s'imaginent  pouvoir  faire  apparaî- 
tre les  anges,  les  archanges.  En  parfumant  le  miroir ,  en  jeûnant  pen- 
dant sept  jours,  et  en  gardant  la  plussévère  retraite,  on  devient  en  état 
de  voir,  soit  par  ses  propres  yeux ,  soit  par  ceux  d'une  vierge  ou  d'un 
enfant,  apparaître  dans  le  miroir  les  anges  que  l'on  désire  évoquer. 
11  n'y  aura  qua  réciter  les  prières  sacramentelles ,  et  l'esprit  de  lu- 
mière se  montrera  à  vous ,  et  vous  pourrez  lui  adresser  vos  demandes.  » 
Les  musulmans  de  l'Inde  et  les  Hindous  font  aussi  usage  de 
miroirs  magiques  nommés  unjoun  ou  lampes  noires.  Veulent-ils 
savoir  quel  démon  afflige  une  personne;  car,  pour  les  Orientaux  et 
comme  pour  les  anciens,  certaines  maladies,  et  surtout  les  maladies 
nerveuses,  telles  que  l'aliénation  mentale,  l'épilcpsie,  lalypémanie, 
l'hystérie,  la  rage  sont  l'effet  de  la  possession  d'un  méchant  démon  ; 
alors  ils  placent  Yunjoun  dans  la  main  d'un  enfant,  et  celui-ci 
y  voit  bientôt  se  dessiner  les  traits  hideux  de  l'esprit  qui  possède 
l'infortuné  malade.  Les  sannyasis  et  les  djoguis  sont  particulièrement 
habiles  dans  ce  genre  de  divination.  Il  y  a,  au  reste,  plusieurs  es- 
pèces de  unjoun,  sans  compter  les  hazirals  ou  flammes  magiques  dans 
la  clarté  desquelles  on  voit  les  personnages  évoqués.  Le  sarwa  un- 
joun est  le  mode  de  divination  qui  rappelle  le  plus  le  procédé  égyp- 
tien. Pour  le  mettre  en  pratique,  on  prend  une  poignée  de  doliclws 
lablab  que  Ion  réduit  en  poudre  fine  après  l'avoir  carbonisée,  et 
qu'on  humecte  ensuite  d'huile  de  castor;  on  fait  brûler  cette  prépa- 
ration dans  un  vase  d'argile  fraîche  nommée  lola ,  et  après  avoir  dé- 
bité certaine  formule,  on  applique  cette  composition  sur  la  paume 
de  la  main  d'un  enfant  qui  ne  tarde  pas  à  voir  la  figure  de  person- 
nages mystérieux  et  des  esprits  (2).  Un  fait  digne  de  remarque,  c'est 
qu'une  des  figures  que  l'enfant  voit  d'ordinaire  apparaître  en  premier 
lieu  est  celle  du  fourach  ou  balayeur,  auquel  succède  celle  du  por- 
teur d'eau;  \efourach  reparaît  ensuite,  étendant  un  tapis,  puis  vient 

(1)  Descrip.  du  cabinet  Blacas,  tom.  IF,  p.  401,  402. 

(2)  Qanoon  t  islam,  or  ihe  cusloms  of  Ihe  moosulmans  of  India  .  by  Jaffur 
Sburreef.  Translat.  by  Herklots,  p.  378  (London,  1832) 


SUR    UN    MIROIR   MAGIQUE.  105 

une  armée  de  génies  et  de  démons  que  termine  l'apparition  de  leur 
chef  sur  un  trône.  Or,  l'enfant  dont  M.  le  comte  Léon  de  Laborde 
parle  dans  la  première  opération  magique  exécutée  par  Achmed 
vit  aussi  paraître  en  premier  lieu  un  soldat  turc  balayant  une  place. 

Nous  n'entrerons  pas  dans  de  plus  amples  détails  sur  la  calaptro- 
mantie,  et  surtout  nous  n'aborderons  pas  l'explication  de  faits  encore 
trop  obscurs  pour  pouvoir  être  éclaircis  d'une  manière  satisfaisante. 
Il  faudrait,  en  effet,  préalablement  déterminer  nettement  la  distinc- 
tion de  ce  qui  a  été  phénomène  réel  et  de  ce  qui  n'a  été  que  l'effet  de 
l'adresse  et  de  la  fourberie  du  magicien  :  distinction  difficile  quand 
on  n'assiste  pas  comme  nous  aux  évocations.  Il  est  certain  qu'on 
peut,  avec  de  l'adresse,  aller  fort  loin  dans  l'ordre  prétendu  surna- 
turel; à  tout  autre  qu'à  un  Européen  éclairé,  bien  des  tours  des  Phi- 
lippe et  des  Robert  Houdin  sembleraient  la  preuve  qu'il  existe  des 
procédés  réellement  magiques.  L'enfanta  double  vue  du  premier,  qui, 
les  yeux  bandés,  devine  les  plus  petits  objets  à  une  distance  considé- 
rable et  bien  qu'ils  lui  soient  cachés  par  le  corps  (Tune  personne,  se- 
rait certainement  tenu  pour  un  incontestable  sorcier.  Mais  il  serait  dif- 
ficile de  rendre  raison  par  cette  seule  hypothèse  de  tout  ce  que  nous 
avons  rapporté  des  miroirs  magiques. 

A  notre  avis,  les  compositions  particulières  que  l'on  brûle  dans  ces 
diverses  opérations  prétendues  diaboliques  sont  des  narcotiques  qui, 
comme  le  dalura  stramonium ,  la  jusquiame ,  Y  aconit,  la  belladone,  la 
mandragore,  l'opium,  le  laudanum  provoquent  des  hallucinations  ou 
sensations  fantastiques  de  la  vue,  de  l'odorat,  de  l'ouïe.  On  a  déjà 
remarqué  que  les  herbes  réputées  magiques  chez  les  Égyptiens  sont 
presque  toutes  des  plantes  de  la  famille  des  solanées,  célèbres  par  leur 
action  sur  l'innervation.  Les  fakirs,  les  derviches  tourneurs  et  hur- 
leurs, les  santons,  les  kalenders,  les  bonzes,  les  sannyasis  se  don- 
nent à  volonté  des  extases,  des  crises  nerveuses,  des  délires  réputés 
sacrés,  des  visions  avec  diverses  préparations  telles  que  les  pilules 
dEsrar,  Xopiat  de  Perse,  \epiripiri  (l).  C'est  ainsi  qu'ils  se  procu- 

(1)  Voy.  dans  Chardin,  Voyage  en  Perse,  t.  IV,  p.  204,  le  récit  du  P.Ange 
de  Saint-Joseph,  carme  et  missionnaire  dans  le  Lovant. 

Agiippa  de  Rettesheim,  dans  son  ouvrage  intitulé:  De  occull.  philosophiez, 
lib.  I,  c.  xliii,  donne  précisément  comme  moyen  de  produiiedes  visions  et  des  ap- 
paritions diaboliques  certaines  fumigations.  Il  affirme  que  les  fumigations  de  graines 
de  lin  et  de  polygonum,  mêlées  avec  des  racine*  de  violiltcs  et  d'ache,  font  con- 
naître les  choses  futures;  que  si  l'on  fait  brûler  et  fumer  à  la  fois  de  la  cotiandre,  de 
Tache  ou  de  la  jusquiame  et  de  la  ciguë,  on  rassemble  aussitôt  les  démons;  aussi 
appelle-t-ou  ces  herbes  herbes  aux  esprits.  Nom  qui  est  donné  en  effet  à  ces  herbes 


166  RfeVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rent  la  vue  des  djinns,  des  effries,  et  de  tous  les  esprits  auiquels  ils 
croient  d'autant  plus  fermement  qu'ils  s'imaginent  avoir  été  en  com- 
merce avec  eux.  Sur  certaines  organisations,  le  vin,  L'alcool,  l'éther, 
le  thé  même,  pris  avec  excès,  a  donné  naissance  à  des  effets  analo- 
gues (1).  Un  savant  médecin  qui  a  voyagé  en  Orient,  M.  J.  Moreau , 
vient,  dans  un  livre  du  plus  haut  intérêt,  défaire  connaître  les  curieux 
effets  du  hachisch  ou  extrait  de  chanvre  (2).  On  peut,  en  en  prenant 
des  doses  diverses,  se  mettre  dans  un  état  de  folie  temporaire,  et  pro- 
voquer les  hallucinations  les  plus  variées.  Le  célèbre  chimiste  Davy, 
en  respirant  du  gaz  protoxyde  d'azote,  avait  obtenu  un  effet  analo- 
gue. En  présence  de  tant  de  faits  si  nombreux  et  si  bien  constatés, 
de  la  production  de  cet  état  appelé  par  les  médecins  paraphrosynie 
magique,  delirium  magicnm,  il  devient  extrêmement  probable  que  c'est 
à  des  électuaires  narcotiques ,  spasmodiques ,  à  des  fumigations  por- 
tant au  cerveau  et  se  transmettant  du  nerf  olfactif  à  toute  l'innerva- 
tion ,  que  l'on  avait  recours  pour  compléter  l'action  des  miroirs,  déjà 
extraordinaire  par  leurs  effets  de  réfraction  et  de  réflexion. 

Une  fois  l'imagination  mise  dans  une  véritable  diathèse  hallucina- 
toire, la  moindre  idée  qui  lui  est  suggérée  s'objective  pour  elle,  et 
les  sens  perçoivent  comme  sensation  ce  qui  n'est  qu'une  conception 
délirante  :  phénomène  dont  l'aliénation  mentale  nous  rend  tous  les 
jours  témoins  (3).  Nous  rappellerons  seulement  l'expérience  du  célè- 

dans  les  campagnes.  Une  autre  recette  d'Agrippa  pour  faire  apparaître  dei  démons 
et  des  figures  extraordinaires  consiste  à  faire  une  fumigation  de  racine  de  férule  , 
que  l'on  mêle  avec  de  l'extrait  de  ciguë,  de  jusquiame,  de  baies  d'ifs  et  de  pavots 
noirs.  Si  l'on  ajoute  au  contraire  une  dose  d'ache,  on  fait  fuir  les  malins  esprits, 
effets  aussi  obtenus  avec  Vas$a  fœtida,  la  semence  de  millepertuis,  et  qui  a  fait  im- 
poser à  ces  produits  végétaux  le  nom  de  fugœ  dœmonum.  Le  datura  stramonium  doit 
encore  aujourd'hui  à  ses  propriétés  hallucinatoires  son  nom  d'herbe  aux  sorciers , 
herbe  aux  diables,  et  les  fellahs  des  environs  du  Caire,  contrée  dans  laquelle  il 
croît  en  abondance,  en  font  usage  dans  leurs  enchantements  et  le  mêlent  aux  Ali- 
ments de  ceux  sur  lesquels  ils  veulent  jeter  des  maléfices. 

(i)  Cf.  Root,  The  horrors  of  delirium  tremens ,  New  York,  1844;  Macnish, 
Anatomy  ofdrunkeness,  Glascow,  1829;  Ch.  Roesch,  De  l'abus  des  boissons  spi- 
ritueuses,  ap.  Annales  d'hygiène  publique  et  de  médecine  légale,  tom.  XX,  p.  20 
etsuiv.;  Hoegh.  Guldberg,  Commentatio  de  delirio  tremente*  Hafniœ,  1836. 

(2)  Du  hachisch  et  de  l'aliénation  mentale ,  par  J.  Moreau,  Paris,  1845. 

(3)  Voy.  sur  ce  sujet  l'ouvrage  plein  d'intérêt  et  auquel  l'Académie  royale  de 
médecine  vient  d'accorder  un  prix ,  du  docteur  Baillarger ,  les  savants  travaux  de 
MM.  Lélut,  Calmeil  et  Leuret,  et  les  deux  dissertations  que  j'ai  publiées  dans  les 
Annales  médico-psychologiques  du  système  nerveux  (mai  1845  et  janvier  1846) , 
sur  l'application  de  cette  étude  &  l'histoire  ,  a  propos  des  ouvrages  de  MM.  Briére  de 
Boi-rnont  et  Calmeil.  On  objectera  peut  être  que  l'hallucination  rend  bien  compte 
de  la  vision,  de  l'apparition  ,  mais  non  de  la  connaissance  de  l'avenir.  Sur  ce  point 
nous  avouons  notre  incrédulité  ;  le  hasard  a  pu  faire  souvent  ;  l'imagination,  une  fois 


SUR  UN   MIROIR   MAGIQUE.  167 

bre  philosophe  Gassendi,  qui ,  s'étant  frotté  d'un  bol  narcotique  que 
lui  avait  donné  un  sorcier,  en  fut  quitte  pour  une  violente  agitation 
et  un  sommeil  agité,  stertoreux,  des  songes  fréquents,  des  cauche- 
mars fatigants  ;  le  sorcier,  dont  l'esprit  était  nourri  des  idées  de  sab- 
bat, s'étant  frotté  en  même  temps  que  lui  du  même  bol,  raconta  à 
son  réveil  toute  la  cérémonie  du  sabbat  à  laquelle  il  avait  assisté,  et 
félicita  Gassendi  des  honneurs  qu'il  avait  reçus  du  bouc  diabolique, 
président  accoutumé  de  cette  extravagante  et  fantastique  cérémonie. 
Les  exhalaisons  qui  faisaient  prophétiser  la  Pythie  à  l'oracle  des  Bran* 
chides ,  les  boissons  d'eau  qu'on  donnait  à  cette  femme  ordinairement 
épileptique  ou  hystérique  à  Colophon ,  à  Delphes ,  l'eau  de  la  source 
Cassotis,  au-dessus  de  laquelle  était  placé  le  trépied  d'Apollon,  avaient 
un  effet  analogue,  grâce  sans  doute  à  certaines  préparations.  On  peut 
faire  la  même  observation  pour  la  fontaine  de  Mnétnosyne  située  près 
de  l'antre  de  Trophonius ,  eau  dont  l'effet  se  faisait  sentir  longtemps 
sur  le  cerveau,  et  laissait,  au  dire  des  anciens,  un  fond  de  tristesse 
dans  l'imagination  de  celui  qui  avait  consulté  l'oracle.  Les  Africains 
obtiennent  aussi  des  hallucinations  avec  leur  eau  fétiche  (l).  Les 
prêtres  ou  devins  de  divers  peuples  de  l'Amérique,  et  notamment  des 
Tupinambas,  à  l'aide  de  longs  jeûnes  qui  débilitaient  le  corps  et  pro- 
voquaient les  visions,  comme  chez  les  moines  du  moyen  âge  et  les 
solitaires  delà  Palestine  et  de  l'Egypte,  tombaient  dans  un  état  de 
délire  extatique  durant  lequel  ils  prophétisaient  (2). 

Mais  c'est  assez  nous  étendre  sur  ces  faits  qui  sortent  du  domaine 
de  l'archéologie,  et  je  reviens  au  miroir  en  question.  J'ai  dit  ce  que 
la  note  de  D.  Félix  Terceral  rapportait  au  sujet  de  l'apparition  sur 
une  surface  polie  et  éclairée  ;  de  l'image  placée  au  revers  de  la  face 
convexe  du  miroir,  lorsque  l'on  exposait  Cette  dernière  face  vis-à-vis 
de  la  surface  polie.  Or  il  est  fort  étonnant  de  retrouver  une  propriété 
toute  semblable  dans  les  miroirs  magiques  japonais.  Exposés  devant 
une  surface  réfléchissante ,  ces  miroirs  donnent  naissance  à  une  image 
identique  à  celle  qui  est  sculptée  en  relief  à  leur  revers.  Le  savant  James 

l'événement  accompli ,  s'est  représenté  la  prédiction  comme  plus  claire  qu'elle  n'était 
réellement;  enfin,  l'hallucination  nous  faisant  voir  par  les  yeux  nos  propres  Idées, 
il  n'est  point  étonnant  que  quelques-uns  aient  perçu  comme  des  sensations  externes 
des  faits  dont  leur  esprit  était  préoccupé ,  des  conceptions  qui  étaient  des  prévisions 
naturelles ,  et  lorsque  celles-ci  sont  venues  à  se  réaliser  plus  tard  elles  ont  donné 
ainsi  à  l'hallucination  tout  le  caractère  d'une  vision  prophétique.  Ce  dernier  cas  a 
été  certainement  commun. 

(1)  Voy.  R.  et  T.  Lander,  Journal  d'une  expédition  au  Niger,  trad.  Belloc  , 
tom.  II,  p.  133etsuiv. 

(2)  Cf.  mon  article  Extase  dans  {'Encyclopédie  nouvelle. 


168  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Prinsep  (l)  qui  s'était  occupé  de  cet  effet  mystérieux,  en  a  proposé 
une  explication  tout  à  fait  d'accord  avec  celles  que  m  ont  données  deui 
membres  de  l'Académie  des  Sciences,  l'un  savant  physicien,  M.  Ba- 
binet ,  l'autre  M  Gambey,  l'un  des  plus  habiles  opticiens  de  l'Europe. 
L'épaisseurdeces  miroirs,  faits  d'un  alliage  d'étain  et  de  cuivre,  comme 
celui  de  M.  Tcrceral,  est  inégale;  mais  cette  inégalité  échappe  à  l'œil, 
en  sorte  que  le  rayon  de  courbure  de  la  partie  convexe  n'est  pas  le 
môme  ;  il  en  résulte  donc  des  foyers  différents  et  la  formation  de  diverses 
images;  or  l'on  peut  calculer  les  épaisseurs  à  donner  au  miroir  ou 
plutôt  celles  de  la  figure  en  relief  du  revers  de  manière  à  produire 
de  l'autre  côté  une  image  du  même  genre  que  cette  figure.  En  repous- 
sant avec  le  marteau  la  partie  lisse  et  convexe,  la  résistance  inégale 
qu'elle  offre  en  raison  de  l'épaisseur  variable  des  figures  postérieures, 
donne  l'effet  cherché. 

Ainsi  le  monument  que  nous  décrivons  constate  en  Enrope  au 
XVI  siècle  la  connaissance  empirique  d'un  phénomène  curieux  d'op- 
tique qu'on  avait  également  en  Asie.  Voilà  donc  la  confirmation  de 
ce  que  nous  avons  dit  en  commençant  cet  article ,  que  sous  une  en- 
veloppe surnaturelle  se  cachait  souvent  dans  la  magie  le  germe  de 
procédés  scientifiques  très-positifs. 

C'est  probablement  par  ce  phénomène  de  réflexion  qu'il  faut  s'ex- 
pliquer ces  figures  de  dieux  ou  de  démons  qui  apparaissaient  dans 
l'eau  et  qui  n'étaient  autres  que  celles  gravées  au  revers.  Saint  Augu- 
stin (2)  dit  formellement  que  les  enchanteurs  produisaient  sur  la  sur- 
face liquide  l'image  de  ces  êtres  surnaturels  ;  il  attribue  cette  pratique 
magique  à  Numa  :  Hydromanleiam  facere  impulsas  est,  dit- il  en 
pailant  de  ce  roi ,  ut  in  aqua  vident  imagines  deorum  vel  polias  ludi- 
ficaliones  dœmonum ,  a  quibus  andiret  qaid  in  sacris  conslilùere  alque 
observare  deberet.  Notre  figure  de  diable  représentée  dans  la  planche, 
se  dessinait  par  ce  moyen  sur  un  corps  poli  placé  de  l'autre  côte  du 
miroir. 

Quelques  mots  maintenant  des  inscriptions  gravées  sur  le  miroir. 
Le  nom  de  Muerte  qui  s'y  lit  se  rapporte  très -probablement  à  l'accu- 
sation dirigée  contre  son  possesseur,  et  par  laquelle  on  prétendait  qu'il 
faisait  apparaître  sur  une  surface  liquide  le  portrait  des  personnes 
auxquelles  il  voulait  donner  la  mort;  elle  se  rattache  évidemment  à  la 
croyance  à  TenvOussure.  On  se  rappelle  que  cette  pratique  magique 

(1)  Noie  on  Ihe  magie,  mirors  of  Japon,  Journal  of  the  Asialic  tociely  of 
Bengal.  Vol   I ,  p  24:'  et  suiv.  (Calcutta,  1832). 

(2)  De  civil.  Dei.  Lib.  Vil ,  c.  xxxv. 


SUR   UN   MIROIR   MAGIQUE.  169 

consistait  à  faire  périr  la  personne  à  laquelle  on  portait  de  la  haine  en 
exerçant  sur  son  image  certains  maléfices,  quoiqu'on  donnât  plus 
particulièrement  ce  nom  à  l'acte  par  lequel  on  piquait  au  cœur  la 
figure  en  cire  de  celui  que  l'on  voulait  faire  périr  (l).  On  sait  que 
l'envoussure,  qui  s'est  retrouvée  chez  des  sauvages  de  l'Amérique  du 
nord,  fut  un  des  crimes  dont  on  accusa  le  fameux  Trois-Êehelles,  le 
sorcier  de  Charles  IX. 

Le  mot  zaps  qui  se  trouve  placé  au  sommet  du  miroir  à  droite, 
près  de  la  partie  effacée,  est  sans  contredit  le  plus  digne  d'atten- 
tion. En  effet,  ce  mot  se  trouve  précisément  être  un  de  ceux  que 
Clément  d'Alexandrie  nomme  parmi  les  mots  qui  portaient  le  nom  de 
lettres  milésiennes ,  et  dont  les  magiciens  se  servaient  dans  les  en- 
chantements; ces  mots  étaient  Be'^u,  Zsty,  XGwv,  Dferpov,  2çfiy£, 
KvaJÇêi,  X0J7rr/3ç,  Qleypéç,  Apoty  (2),  mois  qui  selon  ce  père  de 
l'Église  étaient  tous  d'origine  phrygienne.  Bs'Ju,  signifiait  l'eau,  et 
suivant  d'autres,  l'air;  Zcty,  la  mer;  XGùv ,  la  terre  ;  ïlferpov,  le 
soleil;  Kva££êi,  la  maladie;  XÔvttttïç,  le  fromage;  Qleypôç,  le  lait; 
Apoty  était  une  sorte  de  juron. 

Ainsi  ces  lettres  milésiennes  avaient  laissé  des  souvenirs  jusque 
dans  le  moyen  âge;  fait  facile  à  concevoir,  puisque  d'aprèsja  crojance 
ancienne  il  fallait,  pour  conserver  aux  mots  des  invocations  leur 
vertu  magique,  ne  pas  même  les  traduire  dans  uneautre  langue,  et  pren- 
dre garde  de  donnerau  dieu  d'un  pays  le  nom  d'un  dieu  d'un  autre  (3). 

Les  noms  de  Sabaoth,  Adonaï,  Chérubim,  Abraham,  Isaac, 
Jacob  cités  par  Origène  et  Nicéphore  (4)  comme  prononcés  dans  les 
évocations,  se  retrouvent  encore  dans  le  Grimoire  du  pape  Honorius. 

Il  est  probable  que  l'on  retrouverait  également  dans  les  livres  de 
magie  les  traces  des  lettres  éphésiennes,  plus  célèbres  encore  que  les 
milésiennes,  et  qui  avaient  le  môme  objet.  Ces  mots  qui  nous  ont  aussi 
été  conservés ,  que  Plutarque  (5)  nous  dit  être  ceux  par  lesquels  les 
magiciens  appelaient  les  démons  qui  dominaient  les  énergumènes, 

(1)  Cotte  pratique  remonte  aussi  à  la  magie  antique,  ainsi  que  le  rappellent  les 
vers  d'Ovide  : 

Devovel  absentes;  simulacraque  cerea  figit 
El  miserum  tenues  injecur  urget  acus. 

(Episl.  heroid.  Hypsipyleœ  Iasoni,  v.  88  et  suiv.j 

Cf  Valer.  Flaccus ,  lib.  VII ,  463. 

(2)  C.lém.  Alex.  Slromat.,  V,  p.  539. 

(3)  Origen.  adv.  Cels.,  I,  p.  17,  et  IV,  p.  183.  Nicephor  in  Synes.,  p.  3C2. 
(h)  Ibid. 

(5)  Symp.,  VII,  q.  5. 


170  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

c'est-à-dire  les  gêna  atteints  de  maladies  nerveuses  telles  que  l'alié- 
nation mentale,  lépilepsie,  l'hystérie,  la  catalepsie,  ont  été  aussi 
cités  par  saint  Clément  d'Alexandrie  (1)  et  Hesychius  (2)  ;  ils  étaient 
au  nombre  de  six. 

Le  mot  etam  qu'on  lit  sur  le  miroir  est  bien  célèbre  dans  l'histoire 
de  la  magie.  De  Lancre  (3)  nous  apprend  que  c'était  un  de  ceux 
dont  se  servaient  les  sorciers  pour  aller  au  sabbat,  montés  à  cheval 
sur  un  balai,  et  parcourant  ainsi  les  airs  à  la  façon  d'Abaris  (4). 

Quant  au  mot  bemarrouetak ,  c'est  une  locution  arabe  qui  signifie 
à  ta  discrétion,  et  qui  s'adressait  probablement  au  diable,  entre  les 
mains  duquel  se  remettait  le  sorcier  qui  invoquait  son  assistance. 

Nous  ignorons  le  sens  du  mot  teteceme,  qui  n'est  sans  doute  qu  un 
autre  mot  sacramentel. 

Un  fait  ressort  de  notre  travail ,  c'est  que  la  tradition  magique  n'a 
jamais  été  interrompue,  et  qu'elle  forme  une  chaîne  continue  qui 
lie  les  temps  plus  reculés  au  nôtre/C'est  une  science  mystérieuse 
qui  s'est  transmise ,  comme  toutes  les  sciences  ésotériques,  par  re- 
cette, procédés,  imitation.  C'est  ce  qui  fait  l'intérêt  de  son  étude, 
et  doit  éveiller  notre  curiosité. 

Alfred  Maury. 


(1)  Clera.  Alex.  1.  c.  Cf.  Etymologic.  rnagn.,  éd.  Sylb.,  col.  364. 

(2)  Hesych.  'Eftax  *f^pM, 

(3)  P.  de  Lancre,  Tableau  de  Vinconêlance,  etc.,  p.  247.  (Paris,  1G20.) 

(4)  Scribonius,  De  sagarumnatura  etpotestate,  p.  68.(Marpurgi ,  U88.) 


RAPPORT 

SUR  LES 

RÉSULTATS  DE  L'EXPÉDITION  PRUSSIEME 

DANS   LA   HAUTE  NUBIE  (1), 

PAR  M.   LE  Dr   ABEKEN. 

Messieurs, 

Mon  projet  n'est  pas  de  donner  ici  un  exposé  en  forme  de  rapport 
complet  sur  les  résultats  de  nos  voyages  en  Ethiopie;  j'appellerai 
seulement  votre  attention  sur  quelques  points  qui  peuvent  jeter  une 
nouvelle  lumière  sur  la  question  longtemps  contestée  de  la  priorité 
de  la  civilisation  égyptienne  ou  de  la  civilisation  éthiopienne. 

En  remontant  le  cours  du  Nil,  nous  étendîmes  nos  recherches 
jusqu'au  Sennâr;  mais  le  point  le  plus  avancé  au  sud  où  l'on  rencontre 
des  antiquités ,  je  parle  d'après  les  meilleures  informations  que  nous 
ayons  pu  obtenir,  est  Sobah  (2),  grand  amas  de  ruines,  à  une  demi- 
journée  de  Khartoûm,  à  la  rive  orientale  du  Fleuve  Bleu,  et  qui  fut 
jadis  la  capitale  du  royaume  chrétien  d'Aloa  (  nom  encore  conservé 
pour  les  pays  circonvoisins).  Les  ruines  que  l'on  y  trouve  aujourd'hui 
appartiennent  évidemment  à  cette  capitale  chrétienne  et  à  ses  églises  : 
cependant  le  lion  ou  le  bélier,  qui ,  dit-on ,  en  a  été  enlevé  par 

(1)  Ce  rapport,  traduit  de  l'allemand  par  M.  A.  Clerc,  a  été  lu  en  avril  1845 
dans  la  séance  annuelle  de  la  société  égyptienne  du  Caire.  Cette  lecture  a  été  pré- 
cédée d'un  discours  de  M.  Perron  ,  .secrétaire  honoraire ,  sur  le  but  et  les  travaux 
de  cette  société.  [Note  de  l'éditeur.) 

(2)  Le  nom  de  Sobah ,  dont  parle  M.  Abeken,  me  paraît'être  le  même  que  celui  de 
Souiati  cité  par  M.  Et.  Quatremère  dans  ses  Mémoires  géographiques  et  histo- 
riques sur  l'Egypte,  t.  II ,  p.  29  ;  car  on  sait  que  de  Souiab  à  Sobah  dans  le  tracé 
arabe  il  n'y  a  la  différence  que  d'un  point  diacritique  :  Voy.  le  Mémoire  de  M.  Qua- 
tremère sur  la  Nubie.  Du  reste  je  ne  sais  pas  si  cette  ville  de  Sobah  a  dû  être  très- 
ancienne,  car  d'après  les  témoignages  historiques,  ce  ne  fut  que  sous  Dioclétien, 
sur  la  fin  du  IIIe  siècle  de  notre  ère,  qu'une  peuplade  des  Noubah  du  haut  âen- 
nâr  vint  s'installer,  à  l'instigation  de  l'empereur  romain,  sur  les  frontières  de 
l'Egypte  ;  et  de  là  l'origine  de  la  Nubie  actuelle.  {Note  du  traducteur.) 


172  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Khourchid  pacha,  et  une  statue  d'Osiris  en  granit,  d'un  mauvais 
style  et  d'une  époque  moderne,  que  nous  vîmes  à  Kamorim,  et  qui 
a  été  trouvée  à  Sobah ,  sembleraient  indiquer  que  cette  ville  existait  dès 
le  temps  du  paganisme;  il  n'est  pas  probable  qu'après  l'introduction 
du  christianisme  des  statues  et  des  idoles  y  eussent  été  transportées 
d'un  autre  endroit.  Une  petite  statue  de  Vénus,  d'un  bon  style  grec, 
et  qu'on  dit  avoir  été  trouvée  à  Sobah,  ne  peut  y  avoir  été  apportée 
que  comme  article  de  commerce  ;  mais  si  elle  a  été  trouvée  à  Faz- 
Oglou,  comme  nous  l'a  assuré  Osman  bey,  qui  affirmait  l'avoir  vu 
lui-même  apporter  par  un  soldat,  ce  serait  encore  une  preuve  plus 
étonnante  de  l'étendue  de  l'ancien  commerce. 

Mais  le  point  le  plus  intéressant  peut  être  par  rapport  à  Sobah, 
est  la  découverte  d'une  pierre  portant  une  inscription  en  caractères 
grecs ,  mais  dans  une  langue  inconnue,  indiquant  évidemment  qu'avec 
l'introduction  du  christianisme,  les  Éthiopiens  d'Aloa ,  à  l'exemple 
des  Coptes,  avaient  adopté  les  lettres  grecques  pour  écrire  leur  pro- 
pre langue;  car  anciennement  ils  écrivaient,  comme  j'aurai  bientôt 
l'occasion  de  le  faire  remarquer,  avec  des  caractères  très-semblables 
au  démotique  égyptien. 

On  a  cru  longtemps,  d'après  les  publications  de  Cailliaud  et  de  Hos- 
kins,  que  toutes  les  ruines  de  l'île  nommée  Méroé,  dans  le  Wâdi 
Hirbekân  (Naga  de  Cailliaud,  près  du  fleuve),  Wâdi  Hawa  Taïb 
(Aoua  Tép)et  Wâdi  Sâffra  (Méçaourat  de  Cailliaud),  devaient  ap- 
partenir à  une  époque  comparativement  récente,  qui  ne  dépasserait 
pas  le  siècle  des  Ptolémées,  et  se  rapprocherait  même  très-près  de 
l'époque  de  la  conquête  romaine.  Je  ferai  seulement  remarquer,  à  ce 
propos ,  que ,  dans  un  séjour  de  plusieurs  mois,  nous  ne  pûmes  trouver 
aucune  trace  d'une  antiquité  plus  haute,  excepté  la  statue  d'un  des 
premiers  rois  de  la  dix-huitième  dynastie,  travail  d'un  beau  style  égyp- 
tien, et  que  nous  vîmes  à  Wadi  Kirbekan,  mais  qui  doit  aussi  y 
avoir  été  transportée  de  la  basse  Nubie.  Parmi  les  nombreux  cartou- 
ches que  l'on  rencontre  à  Wâdi  Hawa-Taïb ,  et  particulièrement 
aux  pyramides  de  Wâdi  es-Sur  (Méroé) ,  beaucoup  portent  les  noms 
sacrés  des  anciens  rois  égyptiens,  tels  que  Sesortasen  Ier,  Améno- 
phis  III,  etc.,  adoptés  évidemment  par  simple  imitation.  Un  d'eux 
porte  le  nom  d'une  reine,  que  l'on  pourrait  lire  Rentahie,,  ce  qui 
approcherait  beaucoup  du  nom  bien  connu  de  Candace;  et  la  place 
spéciale  du  cartouche  que  prennent,  a\'ns  les  sculptures  et  les  inscrip- 
tions, les  titres  des  reines,  et  aussi  les  titres  de  quelques  hommes  et 
ceux  des  prêtres,  est  parfaitement  en  harmonie  avec  ce  que  racon- 


EXPÉDITION  DANS   LA   HAUTE  NUBIE.  173 

tent  les  anciens  sur  l'empire  d'Ethiopie.  J'ajouterai  que,  non-seule- 
ment le  style  de  l'architecture  et  de  la  sculpture  ,  mais  aussi  les  in- 
scriptions hiéroglyphiques  qui  portent  évidemment  le  caractère  d'une 
époque  très  récente,  présentent  exactement  le  caractère  égyptien. 
Ces  inscriptions  sont  quelquefois  fautives,  comme  si  les  auteurs 
n'avaient  pas  parfaitement  compris  la  langue  et  la  littérature  égyp- 
tiennes. 

Car  le  style  de  ces  inscriptions,  ainsi  que  les  caractères,  est  égyp- 
tien ;  les  sujets  mythologiques  sont,  à  quelques  exceptions  près ,  en- 
tièrement égyptiens ,  et  les  divinités  sont  môme  accompagnées  d'é- 
pilhèles  locales,  prises  des  villes  égyptiennes  qui  leur  avaient  été 
consacrées,  preuve  concluante  que  les  données  principales  de  la 
religion  et  de  la  mythologie  éthiopiennes  n'étaient  rien  moins  qu'une 
dérivation  des  Égyptiens. 

Ave;*,  la  religion  ,  et  probablement  avec  les  sciences  et  les  arts  de 
la  civilisation  en  général ,  ils  avaient  adopté  la  langue  et  les  hiéro- 
glyphes égyptiens  pour  tous  les  sujets  religieux;  mais,  d'autre 
part,  ils  écrivaient  leur  propre  langue  en  caractères  particuliers.  Ceci 
devient  évident  d'après  plusieurs  inscriptions  en  caractères  sembla- 
bles au  démotique  égyptien,  et  le  docteur  Lepsius  est  le  premier  voya- 
geur, je  crois ,  qui  y  ait  fait  attention  ;  on  trouve  beaucoup  de  ces 
inscriptions  aux  pyramides  de  Wâdi  es-Sur,  sans  doute  contempo- 
raines à  la  construction  de  ces  monuments;  nous  les  observâmes 
ensuite  le  long  du  Nil  jusqu'à  l'île  de  Philœ;  et  il  n'est  guère  permis 
de  douter  que  l'empire  de  Méroé  ne  se  soit  étendu ,  à  son  époque  la 
plus  florissante,  depuis  Méroé  jusqu'aux  frontières  de  l'Egypte.  Le 
temple  qui  est  à  Amara  (entre  Dongolah  et  Wâdi  Halfa,  un  peu 
avant  Soleb)  porte  le  même  nom  que  les  temples  de  Wâdi  Hawa  Taïb, 
et  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  que  l'empire  de  Méroé  ne  se  soit  pas 
prolongé  jusqu'à  la  frontière  romaine.  Dans  d'autres  temps ,  cette 
vaste  étendue  de  pays  aurait  pu  être  divisée  en  royaumes. 

Ce  fut  seulement  a  Gébel  Barcal,  après  avoir  traversé  le  désert  et 
le  pays  montagneux  de  Gébel  Agyllif(  improprement  compris  par  plu- 
sieurs voyageurs  dans  le  nom  de  Baioudah  qui  appartient  seulement 
à  la  partie  la  plus  méridionale,  et  qui  est  la  route  la  plus  directe  de 
Dabbe  à  Rhartoum),  que  nous  fûmes  ramenés  à  ce  que  l'on  peut 
réellement  appeler  anciens  temps.  Mais  ici  encore,  la  plus  vieille  épo- 
que dont  on  puisse  trouver  quelques  traces  n'est  pas  celle  de  la  do- 
mination indépendante  de  l'Ethiopie,  mais  de  la  conquête  de  ce  pays 
par  les  Egyptiens ,  probablement  durant  le  règne  de  la  dix-huitième 


174  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

dynastie.  Quant  aux  béliers  sur  lesquels  est  tracé  le  nom  d'Améno- 
phis  III ,  les  derniers  rois  éthiopiens  pourraient  bien  les  avoir  trans- 
portés de  Soleb  où  Aménophis  avait  érigé  un  magnifique  temple 
d'après  sa  propre  idée ,  lequel  temple  est  aussi  mentionné  dans  les 
inscriptions  de  ces  béliers  ;  mais  le  grand  et  magnifique  temple  d'A- 
màn ,  au  pied  du  mont  Barcal,  a  été  construit  au  moins  par  Ramsès  II, 
ou  Ramsès  le  Grand ,  et  avait  été  seulement  réparé  ou  restauré  par 
Tirhaka.  On  trouve  fréquemment  le  nom  de  Ramsès  parmi  les  ruines 
de  ce  temple  et  sur  un  grand  nombre  de  pierres  dispersées  çà  et  là 
aux  environs ,  ou  employées  comme  pierres  funéraires  par  les  indi- 
gènes. A  part  le  nom  de  Tirhaka ,  on  trouve  les  noms  de  plusieurs 
autres  rois  éthiopiens  parmi  les  ruines  des  nombreux  temples  qui 
entourent  le  grand  temple.  Ces  rois  sont  très-probablement  les  suc- 
cesseurs immédiats  de  Tirhaka  ;  quelques-uns  cependant  appartien- 
nent à  la  dernière  époque  méroétique ,  qui  est  aussi  l'époque  de  quel- 
ques pyramides  que  l'on  rencontre  près  du  Mont  sacré,  c'est  ainsi 
qu'il  est  nommé  dans  les  inscriptions  hiéroglyphiques  (ce  mont  est 
peut-être  le  même  que  le  Nysa  d'Hérodote,  III,  97,  dont  les  habi- 
tants étaient  tributaires  des  Perses).  Il  a  conservé  son  caractère  de 
sainteté  pendant  un  grand  nombre  de  générations  ;  et  à  présent  en- 
core il  est  en  vénération  parmi  les  Arabes  Schaigiia,  qui,  en  raison 
de  son  voisinage ,  l'ont  choisi  de  préférence  comme  lieu  de  sépulture. 
C'est  là  malheureusement  une  des  principales  causes  de  la  destruc- 
tion continuelle  des  monuments ,  les  dégradations  ont  fait  de  grands 
progrès  depuis  Cailliaud;  car  les  pierres  bien  taillées  et  carrées,  pro- 
venant des  ruines,  sont  très -commodes  pour  servir  de  pierres  tu- 
mulaires. 

Le  nom  de  Tirhaka  et  des  monuments  qu'il  a  érigés  sont  alors  les 
plus  anciennes  traces  que  nous  ayons  pu  reconnaître  de  la  puissance 
des  Éthiopiens.  Mais ,  de  plus,  ses  travaux  et  ceux  de  tous  ses  suc- 
cesseurs sont  parfaitement  égyptiens  dans  leur  style  et  leur  caractère, 
de  sorte  qu'il  est  presque  impossible  de  douter  qu'ils  n'aient  pas  été 
exécutés  par  des  ouvriers  égyptiens  envoyés  là  par  le  vainqueur,  et 
qui  peuvent  avoir  formé  des  sujets  parmi  les  Éthiopiens  afin  de  pro- 
pager leur  art.  Et  nous  ne  pouvons  hésiter  à  admettre  que  la  grande 
ville ,  dont  les  ruines  s'étendent  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  n'ait  eu 
la  gloire  d'être  la  plus  ancienne  capitale  de  l'Ethiopie,  avant  Méroé, 
et  il  est  remarquable  que  les  auteurs  grecs  et  romains  n'en  font  men- 
tion qu'à  une  période  plus  récente.  Son  nom  était  Napata ,  comme  le 
prouve  indubitablement  les  inscriptions  hiéroglyphiques  ;  il  reste  à 


EXPEDITION   DANS   LA    HAUTE  NUBIE.  175 

savoir  comment  Hérodote  a  su  le  nom  de  Méroé  plutôt  que  celui  de 
Napata. 

Aux  pyramides  de  Noûri ,  sur  la  rive  occidentale  du  fleuve ,  nous 
ne  pûmes  trouver  aucune  inscription  ou  sculpture  dont  le  style  eût 
pu  faire  connaître  lepoque  de  leur  érection  ;  mais  d'après  l'aspect  et 
la  forme  de  la  construction  de  ces  pyramides ,  nous  sommes  très-per- 
suadés  qu'elles  étaient  la  nécropole  de  l'ancienne  Napata  aux  temps 
de  l'indépendance  et  de  la  splendeur  de  cette  ville,  et  ces  pyramides 
contenaient ,  selon  toute  probabilité  ,  les  cendres  des  successeurs  de 
Tirhaka. 

Il  est  plus  difficile  encore  d'assigner  une  date  certaine  à  une  quan- 
tité de  sépultures  et  de  pyramides  ruinées  qui  s'étendent  de  Gébel 
Barcai  à  l'angle  où  le  Nil  reprend  son  cours  primitif  vers  le  nord; 
ces  pyramides  et  sépultures  semblent  avoir  échappé  à  l'observation 
des  autres  voyageurs.  On  les  trouve  à  Tengasi  (  ouest  ) ,  Kurroo  (  est  ) 
etSooma  (est);  elles  sont  appelées,  par  les  naturels ,  comme  celles 
de  Méroé ,  Tarabils  :  mais  bien  différentes  de  celles  que  nous  venons 
de  nommer,  ce  ne  sont  aujourd'hui  que  de  hautes  collines  en  forme 
conique;  quelques-unes  d'entre  elles  ne  sont  que  des  amas  de  terre 
et  de  décombres  ;  quelques-unes  paraissent  être  bâties  de  briques 
crues ,  tandis  que  les  autres  sont  construites  en  grandes  pierres  de 
taille,  mais  très-irrégulièrement  taillées  :  il  n'y  a  aucune  trace  de  re- 
vêtement, mais  devant  quelques-unes  d'entre  elles  les  fondations  de 
petits  sanctuaires  ou  temples  qui  leur  sont  annexés  sont  encore  visi- 
bles. A  Sooma  sont  aussi  les  ruines  d'une  forteresse  considérable, 
avec  d'épaisses  murailles  de  briques  crues  et  de  pierres  brutes  ;  ces 
ruines  sembleraient  plutôt,  comme  quelques-unes  des  environs,  ap- 
partenir à  l'ère  chrétienne  ;  quant  à  l'âge  des  pyramides,  je  ne  hasar- 
derai pas  d'opinion  à  ce  sujet.  ,    [ 

Dans  la  province  de  Dongolah  où  nous  nous  attendîmes  presque  à 
ne  trouver  que  les  deux  colosses  bien  connus  de  l'île  d'Argo,  qui,  bien 
que  sans  inscriptions  qui  aient  pu  servir  d'indication ,  doivent  être 
considérés  comme  appartenant  à  des  temps  plus  récents,  je  pourrais 
même  dire  aux  temps  méroétiques ,  nous  fûmes  agréablement  surpris 
de  trouver  des  traces  d'un  âge  plus  reculé.  D'abord ,  à  l'île  d'Argo 
même ,  nous  trouvâmes  parmi  les  ruines  la  statue  d'un  de  ses  anciens 
rois,  auquel  on  ne  peut  assigner  une  autre  période  que  le  temps  de 
la  domination  des  Pasteurs,  ou  celle  qui  l'a  immédiatement  pré- 
cédée ;  son  nom  est  Sebek  Atep  ;  ensuite  à  Kerma ,  à  la  rive  orientale, 
un  peu  au-dessous  d'Argo ,  la  construction  massive ,  que  Cailliaud  et 


176  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Hoskins  prirent  pour  une  forteresse,  semble  être  réellement  un 
tombeau  d'une  date  très-ancienne.  Un  peu  plus  loin,  dans  l'intérieur, 
est  une  autre  construction  semblable,  nommée  par  les  naturels 
De/Jufa,  sur  la  partie  supérieure  de  laquelle  il  y  a  deux  gros  blocs 
de.  pierre,  et  qui  semblent  avoir  appartenu  à  un  obélisque,  quoique 
sans  inscription.  Ces  deux  tombeaux  ressemblent  beaucoup  pour  la 
forme  au  iMastabet  Pbaraôn  de  Saceârah,  si  ce  n'est  qu'ils  sont  beau- 
coup plus  hauts;  ils  sont  entourés  d'un  grand  nombre  d'autres  tom- 
beaux dont  on  n'aperçoit  cependant  que  les  fondations;  quelques-uns 
sont  ronds,  d'autres  carrés,  quelques  autres  sont  oblongs ,  et  plusieurs 
d'entre  eux  sont  d'une  grande  dimension.  Le  tout  a  évidemment  été 
un  grand  cimetière  appartenant  à  quelque  grande  ville,  située  aux 
environs,  et  de  laquelle  même  on  peut  reconnaître  quelques  vestiges: 
les  fragments  épais  de  sculpture  indiqueraient,  parle  style  de  leur 
travail  et  le  peu  d'hiéroglyphes  qui  y  sont  gravés ,  une  période  très- 
reculée. 

Je  n'insisterai  pas  sur  les  magnifiques  monuments  de  la  dix-huitième 
dynastie,  trouvés  entre  Dongolah  et  Wâdi  Halfa,  monuments  de 
haut  intérêt  dans  leurs  détails  architecturaux  et  mythologiques  ;  je 
me  contenterai  de  mentionner  Scmne,  à  laquelle  aucun  voyageur  pré- 
cédent ,  je  crois ,  n'a  accordé  l'attention  qu'elle  mérite.  Là,  nous  trou- 
vâmes ,  au  milieu  d'une  grande  chaîne  de  montagnes ,  non-seulement 
les  ruines  de  beaux  temples  bâtis  par  les  rois  de  la  même  dynastie, 
mais  encore  les  traces  d'immenses  travaux  de  fortifications  exécutés  à 
une  période  plus  éloignée,  par  la  dynastie  des  Sésertasen  et  d'Ame- 
nemhie.  Le  docteur  Lepsius  a  prouvé  que  ces  travaux  étaient  anté- 
rieurs aux  rois  Pasteurs,  et  correspondaient  à  la  douzième  dynastie  de 
Manélhon.  Plusieurs  stèles  en  granit  rapportent  les  exploits  de  Sé- 
sertasen III ,  qui  est  adoré  dans  les  temples  comme  le  seigneur  et  la 
divinité  de  l'endroit.  Celte  vénération  particulière  que  lui  conservè- 
rent les  derniers  Pharaons  s'cxpliqueiait  facilement,  en  supposant 
qu'ils  aient  été  les  premiers  à  éjever  un  point  de  défense  solide  pour 
l'autorité  égyptienne  dans  ces  contrées,  et  aussi  pari  érection  de  cette 
forteresse, qui ,  dans  ces  temps,  peut  avoir  élé  la  frontière  méridio- 
nale de  la  domination  égyptienne,  et  avoir  protégé  le  pays  contre  les 
invasions  de  ses  voisins  du  sud. 

Mais  le  point  le  plus  intéressant  en  rapport  avec  cette  localité  est 
le  nombre  d'inscriptions  gravées  en  partie  sur  les  rocs,  en  partie  sur 
les  murailles  adossées  à  la  montagne  comme  appuis  de  ces  construc- 
tions. Ces  inscriptions  sont  courtes  ;  elles  contiennent  une  date  avec 


EXPEDITION    DANS    LA    HAUTE-NUBIE.  177 

le  nom  d'un  des  rois  de  la  douzième  dynastie,  dont  nous  avons 
parlé  (très-probablement  Aménemhe  III),  et  commençant  par  un 
groupe  hiéroglyphique,  qui,  au  premier  coup  d'œil,  ne  peut  que 
signifier  la  crue  du  Nil  à  cette  date;  car  ce  groupe  contient  littérale- 
ment Bouche  ou  Ouverture  du  Nil  Nous  fûmes  d'abord  frappés  de 
quelques  inscriptions  tracées  sur  des  blocs  tombés  sur  la  rive  orien- 
tale; et  il  était  évident,  d'après  la  place  de  ces  inscriptions,  qu'elles 
avaient  été  gravées  avant  que  les  pierres  ne  fussent  tombées;  nous 
trouvâmes  ensuite  plusieurs  de  ces  pierres  sur  la  rive  de  l'est  à  leur 
place  primitive ,  mais  à  une  hauteur  que  le  Nil  n'atteint  plus  à  présent  ; 
car  elles  ne  sont  pas  à  moins  de  9  à  10  mètres  au-dessus  des  plus 
hautes  eaux  d'aujourd'hui.  Par  conséquent,  ces  anciens  nilomèlres 
paraissent  prouver  qu'avant  le  temps  des  pasteurs,  le  Nil,  dans  cette 
partie  de  la  Nubie,  s'élevait  beaucoup  plus  haut  que  de  nos  jours,  et 
on  est  fondé  à  croire  positivement  qu'à  cette  époque  il  a  dû  exister, 
dans  ces  cataractes,  un  obstacle  plus  grand  que  celui  que  l'on  y  voit 
aujourd'hui;  que  cet  obstacle  a  dû  être  la  raison  pour  laquelle  le  Nil 
s'élevait  à  cette  époque ,  en  Nubie,  et  non  en  Egypte,  à  une  hau- 
teur qu'il  n'atteint  plus  maintenant,  et  a  ainsi  formé  le  dépôt  d'un 
limon  fertile  pour  le  sol  que  nous  trouvâmes  dans  la  haute  Nubie,  à 
des  distances  et  hauteurs  hors  de  toute  proportion  avec  les  crues  ac- 
tuelles du  fleuve;  et  qu'à  une  dernière  période,  cet  obstacle  a. été 
rompu  par  quelque  grand  bouleversement  qui  a  entraîné  aussi  la  chute 
des  blocs  dont  nous  avons  parlé ,  et  dès  lors  les  eaux  au-dessus  des 
cataractes  furent  réduites  au  même  niveau  que  celles  qui  étaient  au- 
dessous,  et  la  Nubie  fut  ainsi  privée  d'une  grande  partie  du  bénéfice 
de  l'inondation.  Pour  plus  de  détails,  il  faut  que  je  renvoie  le  lecteur 
aux  ingénieuses  idées  que  le  docteur  Lepsius  a  développées  dans  un 
rapport  adressé  à  l'Académie  des  sciences  de  Berlin.  Dans  ce  rapport,  on 
verra  aussi  la  connexion  qu'il  établit  si  ingénieusement  entre  ces  nilo- 
mètres  appartenant  presque  exclusivement  à  un  même  règne,  et  les 
grands  travaux  qu'on  dit  avoir  été  exécutés  par  le  roi  Mœris  pour  l'ir- 
rigation du  Fayoum  et  de  la  basse  Egypte. 

En  terminant  ce  coup  d'œil  rapide  et  très-incomplet  sur  celte  partie 
de  nos  recherches  qui  concernent  l'Ethiopie,  je  crois  que  nous  ne 
pouvons  guère  arriver  à  une  autre  conclusion  que  celle-ci  :  La  domi- 
nation égyptienne,  durant  l'ancien  empire  et  probablement  jusqu'à  la 
douzième  dynastie,  s  étant  étendue  jusqu'à  Semne,  après  que  les  Pas- 
teurs se  furent  rendus  maîtres  de  l'Egypte ,  ou  au  moins  de  sa  partie 
septentrionale,  les  rois  d'Egypte,  chassés  au  sud,  se  retirèrent  en 
m.  12 


i'ih  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Ethiopie,  non  pas,  comme  on  l'a  supposé,  en  fugitifs  suppliants  et 
en  hôtes  des  Ethiopiens;  mais  ils  formèrent  un  empire  indépendant 
et  assez  important  en  Nubie;  ainsi ,  non-seulement  ils  sauvèrent  la 
civilisation  de  leurs  pères,  mais,  les  premiers,  ils  l'introduisirent  en 
Ethiopie,  et  après  que,  sortant  de  la  Nubie,  ils  eurent  chassé  les 
pasteurs  et  se  furent  rendus  maîtres  une  seconde  fois  de  l'Egypte 
entière,  ils  étendirent  aussi  leur  domination  vers  le  sud,  au  moins 
jusqu'à  Gebel  Harkal  ou  Napata  ;  mais  ils  perdirent  une  partie  de  ce 
pays  sous  les  faibles  successeurs  de  Ramsès  le  Grand  ;  alors  seule- 
ment cette  partie  de  l'Ethiopie  s'étant  rendue  indépendante  se  forma 
en  un  royaume,  dont  Napata  était  lecentre  et  la  capitale,  et  qui  peut 
être  appelé  royaume  d'Ethiopie  ;  toutefois ,  il  doit  être  considéré  comme 
essentiellement  égyptien  dans  tous  ses  traits  (en  telle  sorte  que  je  suis 
porté  à  croire  que  la  famille  régnante  peiit  bien  avoir  été  d'origine 
égyptienne)  et  que  ce  n'est  que  Iorsquela  civilisation  eut  remonté  le  Nil , 
qu'après  Napata,  Méroé  fut,  la  première,  le  centre  du  pouvoir  éthio- 
pien; durant  la  dernière  période  du  paganisme,  et  dans  des  temps 
encore  plus  récents,  Soba  devint  la  capitale  du  royaume  chrétien 
d'Aloa. 

Quant  aux  populations  qui  adoptèrent  la  civilisation  égyptienne , 
je  renvoie  au  nouveau  développement  qu'a  donné  le  docteur  Lepsius 
dans  son  rapport,  résultat  de  laborieuses  et  scrupuleuses  recherches 
sur  les  langues  des  différentes  peuplades  qui  habitent  les  contrés  mé- 
ridionales d'Assaccan. 

Dr  Abeken 


CONSIDERATIONS 


SUR 


LÀ  QUESTION  DE  SAVOIR  S'IL  EST  CONVENABLE  AU  XIXe  SIÈCLE 
DE  BATIR  DES  ÉGLISES  EN  STYLE  GOTHIQUE. 


Le  lecteur  n'a  peut-être  pas  oublié  de  quelle  manière  la  Revue 
s'est  exprimée  l'année  dernière  (voy.  t.  II,  p.  187-250),  au  sujet  de 
l'Art  gothique,  dont  quelques  antiquaires  veulent  absolument  faire 
l'art  chrétien. 

Une  discussion  relative  au  même  sujet  s'est  engagée  tout  récem- 
ment dans  le  sein  de  l'Académie  des  Beaux- Arts,  et  ce  corps  savant 
a  cru  devoir  publier  une  sorte  de  manifeste  dans  lequel  est  exposée 
l'opinion  de  ses  membres  les  plus  compétents  sur  l'opportunité  qu'il 
pourrait  y  avoir  à  construire  des  églises  de  style  gothique. 

Nous  sommes  heureux,  en  reproduisant  ci-après  quelques  parties 
du  rapport,  rédigé  sur  les  conclusions  de  l'Académie  des  Beaux- Arts, 
par  son  secrétaire  perpétuel,  M.  Raoul  Rochette ,  d'avoir  à  constater 
que  les  doctrines  de  la  savante  compagnie  sont  entièrement  conformes 
aux  nôtres. 

On  propose  de  construire  de  nouvelles  églises  gothiques  qui  ne 
peuvent  être  que  des  copies  serviles  de  monuments  déjà  existant  ou 
des  inventions  malheureuses,  car  il  est  impossible  qu'un  artiste 
invente  dans  les  conditions  d'art  d'un  siècle  qui  n'est  pas  le  sien.  D'ail- 
leurs qui  ne  sait  que  les  constructions  gothiques  quelque  belles, 
quelque  parfaites  qu'elles  soient,  sont  plutôt  du  domaine  de  l'équi- 
libre que  de  celui  de  l'architecture  ?  qui  ne  sait  qu'une  cathédrale,  du 
XIIIe  ou  du  XVe  siècle,  suspendue  dans  les  airs  à  l'aide  de  contre- 
forts et  d'une  masse  effrayante  de  barres  de  fer,  a  besoin  d'être  reprise 
tous  les  demi-siècles  ? 

€e  que  nous  combattons,  c'est  la  passion  aveugle  et  peu  intelligente 
qui  tendrait  à  confondre  des  monuments  originaux  ,  par  conséquent 
pleins  de  charmes  et  de  valeur,  avec  des  copies  qui ,  encore  une  fois , 
ne  peuvent  satisfaire  que  des  esprits  sans  critique. 

Pour  montrer  jusqu'où  la  déraison  peut  aller,  nous  rappellerons 
que  dernièrement  les  membres  d'une  association  nomade  discutaient 
gravement  la  question  de  savoir  si  l'on  devait  dans  les  vitraux  donner 
h  saint  Vincent  de  Paul ,  à  saint  Stanislas  Kotzka  le  costume  du 


180  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

XIII1  siècle.  Un  jésuite  du  XIIIe  siècle  !  et  puis  après  cela  nez  si 
vous  l'osez  d'Achille  en  perruque  et  en  talons  rouges. 

Voici  comment  s'exprime  l'Institut  : 

«  Une  grave  discussion  s'est  élevée  dans  le  sein  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts  sur  un  des  sujets  les  plus  faits  pour  exciter  tout  son  in- 
térêt^ il  s'agissait  d'examiner,  d'après  une  série  de  questions  propo- 
sées par  un  de  ses  membres  qui  joint  à  sa  profession  d'architecte  une 
profonde  connaissance  de  l'histoire  de  son  art,  d'examiner,  disons- 
nous,  si,  à  l'époque  où  nous  sommes,  au  XIXe  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne ,  il  convenait  de  bâtir  des  églises  dans  le  style  de  l'architecture 
dite  gothique. 

«  L'intérêt  qu'excitent  les  beaux  édifices  gothiques  de  notre  pays 
ne  pouvait  manquer  de  trouver  dans  l'Académie  de  nombreux  et  d'élo- 
quents interprètes.  Ces  édifices,  dont  les  plus  parfaits  rappellent  l'un 
des  plus  grands  siècles  ae  notre  histoire,  celui  de  Philippe  Auguste 
et  de  saint  Louis ,  captivent  au  plus  haut  degré  le  sentiment  reli- 
gieux; ils  élèvent,  à  l'aspect  de  leurs  voûtes  sublimes,  la  pensée 
chrétienne  vers  le  ciel  ;  ils  plaisent  à  l'imagination ,  ils  agissent  même 
sur  les  sens  par  l'effet  de  leurs  brillants  vitraux,  où  tous  les  mystères 
de  l'Église  se  montrent  étincelants  de  l'éclat  des  plus  vives  couleurs, 
et  ils  réalisent  ainsi ,  à  l'œil  et  à  l'esprit ,  l'image  de  cette  Jérusalem 
céleste  vers  laquelle  aspire  la  foi  du  chrétien.  A  ne  les  juger  que  par 
les  impressions  qu'elles  produisent ,  impressions  toutes  de  respect . 
de  recueillement  et  de  piété,  les  églises  gothiques  charment  et  tou- 
chent profondément. 

«  Mais  aussi  n'est  il  question  ni  de  contester  cet  effet,  ni  de 
combattre  ce  sentiment ,  en  ce  qui  regarde  les  édifices  de  ce  style  qui 
couvrent  notre  pays,  et  qui  sont  les  monuments  sacrés  de  notre 
culte  ,  les  témoins  respectables  de  notre  histoire;  loin  de  là  :  il  s'agit 
de  les  entourer  de  tous  les  soins  que  leur  vieillesse  exige,  que  leur 
caducité  réclame  ;  il  s'agit  de  les  conserver,  de  les  perpétuer,  s'il  est 
possible,  aussi  longtemps  que  les  glorieux  souvenirs  qui  les  consa- 
crent, aussi  longtemps  que  vivra  la  langue  et  le  génie  de  la  France; 
et  pour  cela,  l'état  dans  lequel  ils  se  trouvent  aujourd'hui  ne  four- 
nira malheureusement  que  trop  d'occasions  de  se  signaler  au  zèle 
patriotique,  pourvu  de  toutes  les  ressources  d'une  nation  telle  que 
1.1  nôtre.  Que  l'on  répare  donc  les  édifices  gothiques ,  sur  lesquels 
s'est  si  sensiblement  appesanti  le  poids  de  huit  siècles,  joint  à  trois 
es  d'indifférence  et  d'abandon;  qu'on  les  répare,  avec  ce  respect 


ÉGLISES    EN   STYLE    GOTHIQUE.  181 

de  l'art  qui  est  aussi  une  religion,  c'est-à-dire  avec  cette  profonde 
intelligence  de  leur  vrai  caractère,  qui  n'y  ajoute  aucun  élément 
étranger,  qui  n'en  altère  aucune  forme  essentielle;  c'est  ce  que  de- 
mande la  raison ,  c'est  ce  que  conseille  le  goût ,  c'est  ce  que  veut 
l'Académie. 

«  La  question  se  présente  tout  autrement,  si  l'on  propose  de  bâtir 
de  nouvelles  églises  dans  le  style  gothique,  c'est-à-dire  de  rétrograder 
de  plus  de  quatre  siècles  en  arrière ,  et  de  donner  pour  expression 
monumentale  à  une  société  qui  a  ses  besoins,  ses  mœurs,  ses  habi- 
tudes propres ,  une  architecture  née  des  besoins ,  des  mœurs ,  des 
habitudes  de  la  société  du  XIIe  siècle;  en  un  mot,  il  s'agit  de 
savoir  si ,  au  sein  d'une  nation  telle  que  la  nôtre ,  en  présence  d'une 
civilisation  qui  n'a  plus  rien  de  celle  du  moyen  âge,  il  est  conve- 
nable ,  il  est  possible  de  construire  des  églises  qui  seraient  une 
singularité,  un  anachronisme,  une  bizarrerie,  qui  apparaîtraient 
comme  un  accident  au  milieu  de  tout  un  système  de  société  nouvelle, 
puisqu'elles  ne  pourraient  prétendre  à  passer  pour  une  relique  d'une 
société  défunte;  qui  formeraient  un  contraste  choquant  avec  tout  ce 
qui  se  bâtirait,  avec  tout  ce  qui  se  ferait  autour  d'elles,  et  qui,  par 
cette  contradiction  seule,  élevée  à  la  puissance  d'un  monument, 
blesseraient  la  raison,  le  goût,  et  surtout  le  sentiment  religieux. 
Envisagée  sous  ce  point  de  vue,  la  question  a  paru  à  l'Académie 
digne  d'être  sérieusement  approfondie,  et  tout  ce  qu'elle  a  entendu 
de  considérations  alléguées  de  part  et  d'autre  sur  ce  sujet,  n'a  pu  que 
la  confirmer  dans  l'opinioji  qu'elle  s'était  faite. 

«  Il  importe  d'écarter  d'abord  de  cette  grave  discussion  un  de  ces 
préjugés  nés  d'un  sentiment  respectable,  mais  qui  ne  sauraient  résister 
au  plus  léger  examen  ,  l'idée  que  l'architecture  gothique  serait  l'ex- 
pression propre  du  christianisme ,  quelle  serait ,  comme  on  voudrait 
l'appeler,  l'art  chrétien  par  excellence.  Il  suffit,  pour  réfuter  cette 
idée,  de  la  plus  simple  connaissance  de  l'histoire  de  notre  religion , 
considérée,  comme  le  peuvent  faire  des  artistes,  dans  les  monu- 
ments de  son  culte.  S'il  est  un  fait  avéré  par  les  travaux  de  tant 
d'hommes  habiles ,  Français,  Allemands,  Italiens,  Anglais,  qui  ont 
étudié  l'architecture  gothique  dans  toutes  ses  formes ,  qui  en  ont 
recherché  l'origine,  qui  en  ont  suivi ,  sur  le  terrain  et  dans  le  temps, 
les  développements  successifs  et  les  phases  diverses ,  c'est  que  cette 
architecture  s'est  formée  à  la  fin  du  XIIe  siècle ,  à  la  suite  d'une 
lutte  qui  avait  commencé,  un  siècle  auparavant,  entre  l'arc  cintré, 
principal  élément  de  l'architecture  romaine,  et  l'arc  ogive,  concep- 


182  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

tion  de  toute  une  société  nouvelle,  plutôt  qu'invention  de  tel  peuple 
ou  de  telle  époque.  S'il  est  aussi  une  notion  familière  aux  artistes, 
tels  que  ceux  qui  remplissent  l'Académie,  c'est  que  l'architecture 
gothique,  à  quelques  exceptions  près,  absolument  sans  conséquence, 
n'a  jamais  pénétré  à  Rome,  dans  le  centre  même  du  catholicisme. 
Rome,  la  ville  chrétienne  par  excellence,  Rome  la  grande  ville,  la 
ville  éternelle,  possède  des  monuments  de  toutes  les  époques  du 
christianisme,  depuis  ceux  des  Catacombes,  qui  ont  été  son  berceau, 
jusqu'à  ceux  du  Vatican ,  qui  offrent  le  plus  haut  degré  de  sa  magni- 
ficence et  de  son  génie;  elle  montre ,  à  côté  des  premières  basiliques 
élevées  par  Constantin  et  ses  successeurs,  une  longue  suite  d'édi- 
fices chrétiens  qui  expriment  chacun  la  physionomie  de  chaque  âge, 
et  qui  aboutissent  à  l'immense  et  superbe  basilique  où  s'est  imprimé 
le  siècle  de  Jules  II  et  de  Léon  X,  par  la  main  de  Bramante  et  de 
Michel- Ange ,  et  Rome  n'a  rien  de  gothique.  Cette  architecture,  née 
dans  les  siècles  du  moyen  âge ,  par  des  causes  qui  ont  dû  produire 
alors  leur  effet  et  qui  ont  cessé  plus  tard  d'avoir  leur  action,  n'est 
donc  en  réalité,  ni  une  ancienne  forme,  ni  un  type  exclusivement 
propre  de  l'art  chrétien  ;  c'est  l'expression  d'une  partie  de  la  société 
chrétienne  du  moyen  âge ,  très-respectable  sans  doute  à  ce  titre , 
mais  non  pas  au  point  de  constituer  à  elle  seule  une  règle  absolue 
du  génie  chrétien. 

«  Il  y  a  plus,  et  c'est  sur  ce  point  surtout  qu'il  importe  de  réfuter 
un  préjugé  qui  ne  repose  sur  aucune  base  historique.  On  ferait  tort 
au  christianisme,  on  méconnaîtrait  tout  à  fait  son  esprit,  si  l'on 
croyait  qu'il  ait  besoin  d'une  forme  d'art  particulière  pour  exprimer 
son  culte.  Le  christianisme  ,  cette  religion  du  genre  humain ,  ap- 
partient à  tous  les  temps ,  à  tous  les  pays ,  à  toutes  les  sociétés  ;  il 
ne  se  renferme  pas  plus  dans  telle  forme  de  société,  de  politique  et 
d'art,  que  dans  telle  contrée,  ou  dans  telle  époque;  immuable  dans 
sa  doctrine,  il  se  modifie  dans  les  éléments  extérieurs  de  son  culte, 
suivant  les  besoins  de  chaque  âge  et  les  convenances  de  chaque  pays. 
S'il  corrige i  s'il  adoucit  la  barbarie,  il  provoque,  il  favorise  la  civi- 
lisation ;  et  s'il  s'est  réfléchi  dans  le  gothique  du  XIIIe  siècle,  il  s'est 
imprimé  dans  la  renaissance  du  XVIe.  Ce  qui  est  sensible,  ce  qui 
éclate  dans  l'histoire  du  christianisme  ,  ce  qui  est  le  signe  de  sa  divi- 
nité et  le  garant  de  sa  durée,  c'est  que  partout  il  a  marché  avec  l'es- 
prit humain  ;  c'est  qu'à  toutes  les  époques  il  s'est  servi  de  tous  les 
matériaux  «Jil'il  avait  à  sa  portée;  c'est  qu'il  a  employé  à  son  usage, 
0*  les  marquant  de  son  empreinte,  non-seulement  des  éléments  de 


ÉGLISES   EN   STYLE   GOTHIQUE.  18:* 

l'architecture  antique,  des  colonnes,  des  chapiteaux,  des  entable- 
ments restés  sans  emploi  sur  le  sol  païen  ,  mais  des  édifices  antiques 
tout  entiers ,  dans  les  deux  églises  d'Orient  et  d'Occident ,  à  Athènes 
aussi  bien  qu'à  Rome.  Le  christianisme  n'a  donc  jamais  été  exclusif, 
en  fait  d'art  ni  en  rien  de  ce  qui  touche  au  régime  des  sociétés  hu- 
maines; il  s'accommode  à  tous  les  besoins,  il  se  prête  à  tous  les 
progrès  ;  et  soutenir  qu'il  n'a  que  le  gothique  pour  expression  de  son 
culte  ,  ce  serait  vouloir  que  l'esprit  humain  n'ait  d'autre  société  pos- 
sible que  celle  du  XIIe  siècle. 

«  Les  monuments,  qui  appartiennent  atout  un  système  de  croyance, 
de  civilisation  et  d'art  qui  a  fourni  sa  carrière  et  accompli  sa  destinée, 
doivent  rester  ce  qu'ils  sont,  l'expression  d'une  société  détruite,  un 
objet  d'étude  et  de  respect,  suivant  ce  qu'ils  ont  en  eux-mêmes  de 
mérite  propre  ou  d'intérêt  national ,  et  non  un  objet  d'imitation  ser- 
vile  et  de  contrefaçon  impuissante.  Ressusciter  un  art  qui  a  cessé 
d'exister,  parce  qu'il  n'avait  plus  sa  raison  d'être  dans  les  conditions 
sociales  où  il  se  trouveit ,  c'est  tenter  un  effort  impossible ,  c'est 
lutter  vainement  contre  la  force  des  choses,  c'est  méconnaître  la 
nature  de  la  société,  qui  tend  sans  cesse  au  progrès  par  le  change- 
ment, c'est  résister  au  dessein  même  de  la  Providence,  qui,  en 
créant  l'homme  libre  et  intelligent,  n'a  pas  voulu  que  son  génie  restât 
éternellement  stationnaire  et  captif  dans  une  forme  déterminée;  et 
cette  vérité  s'applique  aussi  bien  au  grec  qu'au  gothique;  car  il  n'est 
pas  plus  possible  à  l'esprit  humain  ,  dans  le  temps  où  nous  sommes, 
de  revenir  au  siècle  de  Périclès  ou  d'Auguste  ,  que  de  reculer  à  celui 
de  saint  Louis. 

«  A  l'appui  de  ces  idées  générales ,  l'Académie  a  entendu  des  obser- 
vations particulières  dictées  à  quelques-uns  de  ses  membres  par  la 
connaissance  profonde  de  l'art  qu'ils  exercent.  Elle  a  pu  se  convaincre 
que,  sous  le  rapport  de  la  solidité  ,  les  églises  gothiques  manquaient 
des  conditions  qu'exigerait  aujourd'hui  la  science  de  l'art  de  bâtir.  Il 
est  certain  que  la  hauteur  de  ces  édifices ,  se  trouvant  hors  de  propor- 
tion avec  leur  largeur,  il  a  fallu  les  étayer  de  tous  côtés ,  pour  em- 
pêcher, autant  que  possible ,  l'écartement  des  voûtes.  Ceux  qui  ad- 
mirent à  l'intérieur  l'effet  de  ces  voûtes  si  élevées  et  en  apparence 
si  légères,  et  qui  se  laissent  aller,  en  les  contemplant,  à  l'effet  d'une 
rêverie  pieuse  et  d'une  disposition  mystique  ,  ne  se  donnent  pas  la 
peine  de  réfléchir  que  cet  agréable  effet  est  acquis  à  l'aide  de  ces 
nombreux  arcs-boutants  et  de  ces  puissants  contre-forts  qui  mas- 
quent toute  la  face  extérieure  de  ces  édifices,  et  qui  représentent 


184  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

réellement  en  pierre  l'énorme  échafaudage  nécessaire  pour  les  ap- 
puyer. Or,  est-il  possible  de  nier  que  cet  aspect  extérieur  des  églises 
gothiques  ne  nuise  essentiellement  à  l'effet  quelles  produisent  à  l'in- 
térieur, et  qui  n'est  acheté  qu'aux  dépens  de  la  solidité,  première 
condition  de  toute  construction  publique? 

c<  Sous  d'autres  rapports,  l'architecture  gothique  n'offre  pas  moins 
de  ces  inconvénients  qu'il  semble  impossible  de  justiGer  par  les  lois 
du  goût,  et  de  concilier  avec  l'état  de  civilisation  des  sociétés  mo- 
dernes. Ces  figures,  sculptées  en  dehors  de  toutes  les  conditions  de 
l'art ,  sans  aucun  égard  à  l'imitation  de  la  nature ,  et  qui  semblent 
toutes  exécutées  d'après  un  type  de  convention  ,  peuvent  bien  offrir 
au  sentiment  religieux  l'espèce  d'intérêt  qu'elles  reçoivent  de  l'em- 
preinte de  la  vétusté,  et  qu'elles  doivent  à  leur  imperfection  même, 
et  à  ce  qui  s'y  trouve  de  naïf,  en  même  temps  que  de  traditionnel; 
mais ,  si  on  les  comprend ,  si  on  ies  excuse ,  à  raison  de  l'ignorance 
des  temps  dont  elles  sont  l'ouvrage,  voudrait-on,  pourrait-on  les 
reproduire  aujourd'hui  que  nous  sommes  habitués  à  traiter  la  sculp- 
ture autrement,  aujourd'hui  que  la  vérité  est  pour  nous  la  première 
condition  de  l'imitation,  et  la  nature,  le  seul  type  de  l'art? Où  trou- 
verait-on parmi  nous  des  artistes  capables  de  désapprendre  assez  tout 
ce  qu'ils  ont  étudié ,  de  se  détacher  assez  du  modèle  vivant  qu'ils  ont 
sous  les  yeux,  pour  refaire  des  figures  gothiques?  Et  si ,  dans  ces 
tentatives  désespérées  d'un  art  qui  chercherait  à  se  renier  lui-même, 
il  restait  un  peu  de  cette  vérité  imitative  à  laquelle  l'œil  et  la  main 
de  nos  artistes  sont  nécessairement  accoutumés-,  si  l'on  y  sentait 
quelque  chose  qui  accusât  la  nature,  ne  serait-on  pas  fondé  à  dire 
que  ce  n'est  plus  là  de  la  sculpture  gothique  ?  et  ne  refuserait-on  pas 
avec  raison  à  ces  fruits  avortés  d'une  contrefaçon  malheureuse , 
l'estime  et  l'intérêt  qui  ne  sont  dus  qu'à  des  œuvres  originales? 

a  11  en  serait  certainement  de  même  de  la  peinture,  qui  aurait  de 
plus  à  lutter  contre  le  jour  faux  produit  par  les  vitraux  coloriés ,  et 
qui  verrait  tout  l'effet  de  ses  tableaux  détruit  par  celte  illumination 
factice. 

«  L'Académie  croit  qu'en  présence  de  ce  gothique  de  plagiat ,  de 
contrefaçon ,  les  populations  qui  se  sentent  émues  devant  le  vieux, 
devant  le  vrai  gothique ,'  resteraient  froides  et  indifférentes  ;  elle 
croit  que  la  conviction  du  chrétien  n'irait  pas  où  aurait  manqué  la 
conv  iction  de  l'artiste  ;  et  c'est  parce  qu'elle  aime ,  parce  qu'elle 
comprend ,  parce  qu'elle  respecte  les  édifices  religieux  du  moyen 
âge,  qu'elle  ne  veut  pas  d'une  imitation  malheureuse,  qui  ferait 


EGLISES   EN    STYLE    GOTHIQUE.  185 

perdre  à  ces  monuments  sacrés  du  culte  de  nos  pères  l'intérêt  qu'ils 
inspirent,  en  les  faisant  apparaître,  sous  celte  forme  nouvelle,  dé- 
pouillés du  caractère  auguste  que  la  vétusté  leur  imprime,  et  pri- 
vés du  sceau  de  la  foi  qui  les  éleva. 

«En  résumé,  il  n'y  a,  pour  les  arts,  comme  pour  les  sociétés, 
qu'un  moyen  naturel  et  légitime  de  se  produire;  c'est  d'être  de  leur 
temps,  c'est  de  vivre  des  idées  de  leur  siècle;  c'est  de  s'approprier 
tous  les  éléments  de  la  civilisation  qui  se  trouvent  à  leur  portée; 
c'est  de  créer  des  œuvres  qui  leur  soient  propres,  en  recueillant  dans 
le  passé,  en  choisissant  dans  le  présent,  tout  ce  qui  peut  servir  à 
leur  usage.  C'est,  avons-nous  dit,  ce  que  fit  le  christianisme  à  toutes 
les  époques,  et  c'est  ce  qu'il  doit  faire  aussi  dans  la  nôtre,  dont  il  faut 
que  l'on  dise  qu'elle  a  eu  son  art  chrétien  du  XIXe  siècle ,  au  lieu 
de  dire  qu'elle  n'a  su  que  reproduire  l'art  chrétien  du  XIIIe.  Serait-ce 
donc  au  milieu  de  ce  progrès  général  dont  on  se  vante,  surtout  au 
sein  de  ce  retour  sincère  aux  idées  chrétiennes  dont  on  se  flatte ,  que 
notre  société  se  déclarerait  ainsi  impuissante  à  rien  inventer,  et  que 
l'on  désespérerait  du  talent  des  artistes  et  de  la  foi  des  peuples,  au 
point  de  n'en  rien  attendre,  et  de  refaire  ce  qui  a  été  fait?  Ces 
grands  architectes  des  XVe  etXVP  siècles,  les  Léon-Baptiste  Alherti, 
les  Brunelleschi,  les  Bramante,  les  San  Gallo,  les  Peruzzi,  les  Pal- 
ladio, les  Vignole,  qui  construisirent  tant  d'églises  chrétiennes,  sur 
la  terre  classique  de  l'antiquité  et  du  catholicisme ,  n'ont-ils  pas  su 
imprimer  à  leurs  monuments  le  caractère  qui  leur  convenait,  en  s'as- 
similant,  si  l'on  peut  dire,  tout  ce  qu'ils  empruntaient  à  l'art  an- 
tique? N'est-ce  pas  à  la  même  école  que  s'étaient  formés  ces  illustres 
artistes  de  notre  pays,  les  Jean  Bullant,  les  Philibert  Delorme,  les 
Pierre  Lescot ,  sous  la  main  desquels  l'architecture  antique  prit  une 
physionomie  française?  Et  qui  empêche  nos  architectes  modernes  de 
faire  de  même,  en  élevant,  avec  toutes  les  ressources  de  notre  âge, 
des  monuments  qui  répondent  à  tous  les  besoins  de  notre  culte,  et 
qui  soient  à  la  fois  marqués  du  sceau  du  christianisme  et  du  génie 
de  notre  société?  C'est  évidemment  là  ce  que  la  raison  conseille;  c'est 
ce  que  demande  l'intérêt  de  l'art  ;  c'est  ce  que  réclame  l'honneur  même 
de  notre  époque;  et  c'est  aussi  ce  que  pense  l'Académie.  S'il  devait 
en  être  autrement,  il  faudrait  fermer  toutes  nos  écoles,  où  l'on  en- 
seigne, non  pas  à  copier  les  Grecs  et  les  Romains ,  mais  à  les  imiter, 
en  prenant,  comme  eux ,  dans  l'art  et  dans  la  nature  ;  tout  ce  qui  se 
prête  aux  convenances  de  toutes  les  sociétés  et  aux  besoins  de  tous 
les  temps.  » 


COLLECTION  DE  SCEAUX  HISTORIQUES 


MUSEE  DE  L'ECOLE  DES  BEAUX-ARTS. 


11  y  aurait  une  infinité  de  choses  à  dire  sur  les  sceaux  et  sur  les 
avantages  que  l'on  peut  tirer  de  leur  étude,  mais  nous  ne  nous  arrê- 
terons que  sur  quelques-uns  des  plus  remarquables.  La  Revue  a 
publié  récemment  un  savant  mémoire  de  M.  Delloye  sur  quelques 
sceaux  inédits-  (voir  t.  II,  p.  650  et  suiv.). 

Le  nom  de  sceau  ne  devrait  être  donné  qu'à  l'instrument  ou  cachet 
qui  servait  à  sceller  les  actes;  mais  on  le  donne  aussi  communément 
aux  empreintes. 

Les  sceaux  ne  furent  d'abord  gravés  que  sur  des  anneaux;  plus 
tard,  vers  le  Xe  siècle,  on  les  grava  sur  des  morceaux  de  métal  de 
figures  diverses,  mais  le  plus  ordinairement  ovales  ou  rondes,  et  dont 
l'empreinte  sert  à  rendre  un  acte  authentique,  le  confirmer,  le  rendre 
secret. 

Ces  matrices  ont  été  gravées  aussi  sur  toutes  sortes  de  substances, 
métaux,  pierres  précieuses,  verre,  ivoire,  etc.;  les  matières  qui  re- 
çoivent l'empreinte  ont  également  varié.  La  craie  et  le  malthe ,  mé- 
lange de  poix,  de  cire,  de  plâtre  et  de  graisse,  sont  celles  dont  on 
s'est  servi  le  plus  anciennement.  Nos  rois  ont  emprunté  des  Romains 
l'usage  des  sceaux  de  cire. 

Les  sceaux  sont  au  moyen  âge  ce  que  les  médailles  sont  dans 
l'antiquité,  et  s'ils  forment  une  numismatique  moins  pure,  l'intérêt 
en  est  tout  aussi  grand.  Les  matrices  étaient  gravées  par  les  artistes 
les  plus  habiles  de  l'époque  et  dont  les  noms  de  quelques-uns  nous 
sont  transmis  par  ces  monuments.  Les  symboles  et  les  inscriptions 
des  sceaux  sont  ce  qu'on  y  doit  principalement  remarquer  ;  ils  ont 
à  peu  près  le  même  usage  pour  l'étude  de  l'histoire  que  les  mé- 
dailles; ce  sont  eux  qui  peuvent  servir  à  fixer  les  dates,  les  origines. 
La  beauté,  la  finesse,  la  franchise  de  leur  exécution  varient  selon  que 
l'art  est  en  décadence  ou  en  progrès  ;  souvent  même ,  on  remarque 
l'analogie  qui  existe  entre  les  figures  qui  sont  représentées  sur  les 


COLLECTION   DE    SCEAUX   HISTORIQUES.  187 

sceaux ,  et  celles  qui  se  voient  sur  les  monnaies  à  l'effigie  des  per- 
sonnages auxquels  appartenaient  ces  sceaux. 

Le  plus  ordinairement  les  sceaux  des  femmes  étaient  ovales  ou 
en  ogives.  Les  exceptions  à  cette  règle  sont  rares  et  remontent 
presque  toutes  au  delà  du  XIVe  siècle.  La  forme  ogivale  est  aussi 
l'attribut  des  gens  d'église  et  des  communautés  religieuses;  néan- 
moins, les  ecclésiastiques,  à  l'exemple  des  barons,  des  rois  et  surtout 
des  papes,  ont  fait  usage  des  types  ronds  plus  fréquemment  que  les 
femmes. 

11  est  à  regretter  que  les  matrices  en  cuivre  deviennent  de  jour 
en  jour  plus  rares  ;  et  quant  aux  empreintes ,  bien  que  nous  en  pos- 
sédions encore  un  assez  grand  nombre,  elles  sont  en  matière  si 
fragile  qu'on  peut  regarder  leur  destruction  totale  dans  un  avenir 
peu  éloigné  comme  un  malheur  inévitable.  On  ne  saurait  donc  trop 
applaudir  à  l'idée  conçue  il  y  a  quelques  années  par  M.  Dépaulis , 
notre  habile  graveur  de  médailles ,  de  former  une  collection  de  ces 
monuments  reproduits  par  le  moulage  en  plâtre. 

Depuis  l'année  1834,  époque  à  laquelle  M.  le  Ministre  de  Tinté- 
rieur,  sur  le  rapport  favorable  de  M.  Vitet,  alors  inspecteur  général 
des  monuments  historiques,  facilita  ses  recherches  dans  les  archives 
de  Paris  et  des  départements,  M.  Dépaulis  a  consacré  uri  mois 
chaque  année  à  la  recherche  et  au  moulage  des  sceaux  les  plus 
intéressants  sous  le  rapport  de  l'art  et  de  l'intérêt  historique. 
M.  Dépaulis  a  visité  successivement  les  archives  des  départements 
qui  lui  avaient  été  désignés,  et  indépendamment  des  pièces  impor- 
tantes trouvées  dans  ces  dépôts,  plusieurs  sceaux  remarquables  lui 
ont  été  communiqués  par  des  collecteurs  des  diverses  localités  qu'il 
a  parcourues.  C'est  ainsi  que  M.  Dépaulis  a  pu  rassembler  environ 
mille  pièces  du  plus  beau  choix  qui  embrassent  une  période  de  douze 
siècles,  depuis  les  rois  de  la  première  race  jusqu'au  siècle  de 
Louis  XIV.  Parmi  cette  nombreuse  collection,  on  distingue  la  série 
aussi  complète  que  possible  des  rois  de  France  ;  un  certain  nombre 
de  sceaux  d'abbayes,  d'évêques,  d'abbés  et  d'abbesses  de  diverses 
communautés;  de  villes,  de  collèges,  de  corporations,  de  grands 
feudataires  ainsi  que  de  princes  et  de  souverains  étrangers. 

L'œuvre  accomplie  par  M.  Dépaulis,  et  à  laquelle  a  concouru 
M.  Cave,  directeur  des  Beaux-Arts,  en  lui  accordant  avec  bien- 
veillance les  moyens  de  continuer  ses  recherches,  sera  de  plus  en 
plus  appréciée,  surtout  lorsqu'on  saura  que  cette  belle  et  utile 
entreprise  a  été  conçue  dans  une  intention  toute  désintéressée,  et 


188  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

dans  le  seul  but  de  créer  une  collection  nationale,  et  de  l'offrir  en 
don  au  gouvernement  pour  être  exposée  dans  un  monument  public 
et  mise  à  la  disposition  des  artistes  et  des  savants. 

La  noble  et  louable  intention  de  M.  Dépaulis  se  réalise  en  ce  mo- 
ment. M.  le  Ministre  de  l'intérieur  a  désigné  une  salle  de  l'école  des 
Beaux-Arts,  pour  recevoir  cette  collection  précieuse,  qui  sera  livrée 
incessamment  au  public.  Déjà  plusieurs  montres  sont  disposées  par 
le  donateur,  et  nous  avons  pu  admirer  et  apprécier  les  prodiges 
d'érudition ,  de  goût  et  d'habileté  pratique  accomplis  par  l'habile 
artiste  qui  attache  ainsi  à  son  nom  une  belle  part  de  gloire  et  de 
reconnaissance  qui  s'étendra  dans  l'avenir. 

J.  A.  L. 


DÉCOUVERTES   ET   NOUVELLES 


—  Mosaïque  trouvée  en  Egypte.  —  On  a  découvert  il  y  a  peu  de 
temps  à  Alexandrie,  dans  le  jardin  de  Sayd  pacha,  situé  sur  le 
bord  du  lac  Maréotis,  une  superbe  mosaïque  parfaitement  conservée. 
Ce  pavé ,  qui  a  environ  8  mètres  de  longueur  sur  moitié  de  largeur,  est 
divisé  en  trois  compartiments  principaux  -,  celui  du  milieu,  qui  a  2m,40, 
représente  une  tête  de  Méduse  ailée  et  comme  de  coutume  entourée  de 
serpents.  De  la  tête  divergent  de  nombreux  rayons  formés  d'écaillés 
qui  vonts'agrandissant.  Les  deux  compartiments  extrêmes  représentent 
des  (leurs,  des  fruits,  et  divers  oiseaux  dont  le  plumage  est  rendu 
avec  beaucoup  de  vérité.  Les  bordures  d'encadrement  sont  formées  de 
simples  ornements  en  zones  et  en  méandres.  Cette  mosaïque,  qui  est 
d'un  travail  très-ûn  et  dont  les  petits  cubes  de  la  tête  n'ont  pas  plus 
de  2  millimètres  de  côté,  semble  avoir  appartenu  à  des  bains  ou  à 
une  de  ces  délicieuses  villa  que  les  Romains  prodiguaient  partout 
avec  un  luxe  effréné.  Après  avoir  été  préservée  tant  de  siècles  grâce 
aux  décombres  qui  la  recouvraient,  cette  belle  mosaïque  ne  résistera 
pas  longtemps  au  soleil  d'Egypte,  si  les  Arabes  continuent,  sur  la 
demande  de  chaque  visiteur,  d'y  verser  l'eau  à  pleine  outre  pour  lui 
rendre  momentanément  son  éclat  primitif. 


190  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

—  M.  de  Mas-Latrie  a  fait  don  au  cabinet  des  antiques  de  la 
Bibliothèque  royale  d'une  collection  d'objets  antiques  qu'il  vient  de 
rapporter  de  l'île  de  Chypre,  et  qui  forment  une  série  importante  à 
ajouter  à  l'archéologie  asiatique.  Ces  monuments  ont  été  trouvés  au 
lieu  de,  Dali,  que  ce  jeune  savant  pense  être  l'ancienne  Idalie. 
Dans  une  des  dernières  séances  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
Belles-Lettres,  M.  Ch.  Lenormant  a  mis  sous  les  yeux  de  la  com- 
pagnie plusieurs  de  ces  objets.  Ce  sont  des  têtes  ou  statuettes  entières 
qui  représentent,  sous  des  formes  diverses  et  avec  des  caractères  d'art 
fort  différents,  Vénus  cypriote.  La  plus  ancienne  de  ces  figures,  à 
l'art  rudimentaire,  n'offre  qu'une  grossière  idole.  Les  figurines  de  la 
seconde  période  sont  déjà  d'une  exécution  remarquable.  On  y  recon- 
naît avec  évidence  les  traces  de  l'influence  phénicienne  et  assy- 
rienne. Une  tête  en  terre  cuite,  provenant  de  Citium,  et  trouvée 
dans  un  monticule  qui  semblait  dominer  le  port  fermé  dont  parle 
Strabon  ,  est  encore  remarquable  par  l'influence  de  l'art  égyptien 
sur  l'art  cypriote.  La  troisième  période,  celle  de  la  perfection 
de  l'art,  est  représentée  dans  la  collection  de  M.  de  Mas-Latrie 
par  une  belle  tète  de  Vénus  en  marbre  blanc,  d'une  exécution 
très-pure.  Il  est  curieux  de  pouvoir  suivre  ainsi,  par  les  antiquités 
trouvées  dans  un  seul  lieu  qui  était,  il  est  vrai,  l'un  des  princi- 
paux sanctuaires  de  Vénus,  les  modifications  survenues,  à  partir 
d'époques  très-éloignées,  dans  les  représentations  de  la  déesse,  en 
même  temps  que  les  progrès  de  l'art  depuis  les  ébauches  informes  de 
ses  premières  tentatives  jusqu'à  ses  productions  les  plus  parfaites. 
Ces  observations  d'archéologie  comparée  d'après  des  monuments 
d'une  origine  connue  contribuent  à  jalonner  fort  utilement  l'histoire 
de  l'art  ancien  par  des  observations  sûres  et  précises. 

L'Académie  a  remarqué  encore  un  fragment  de  statuette  qui  con- 
firme la  conjecture  qu'on  avait  appliquée  à  une  autre  statuette  anti- 
que du  cabinet  du  Roi,  en  la  désignant  sous  le  nom  de  Cyniras, 
personnage  de  Chypre.  Une  tête  de  Jupiter,  trouvée  dans  les  ruines 
de  Paléa  Famagouste,  l'ancienne  Salamine,  a  été  reconnu  pour 
le  Jupiter  Salaminius,  dont  on  n'avait  encore  de  représentations  que 
sur  les  médailles. 

— M.  Mérimée,  inspecteur  général  des  monuments  historiques, 
vient  de  présenter  à  M.  le  Ministre  de  l'intérieur,  au  nom  de  la 
Commission  des  monuments  historiques,  son  rapport  sur  les  travaux 
exécutés  sous  la  direction  de  la  Commission ,  et  sur  les  projets  qu'elle 


découvertes  et  nouvelles.  191 

désire  voir  se  réaliser.  L'économie  la  plus  sévère  a  été  suivie  dans  la 
répartition  annuelle  de  la  somme  de  six  cent  mille  francs  dont  dis- 
pose la  Commission  pour  la  restauration  et  la  conservation  de  nos 
monuments  nationaux.  Quelques  monuments  devenus  propriétés  par- 
ticulières et  qu'il  importait  de  sauver  de  la  destruction  ont  été  acquis 
sur  ces  fonds.  Le  plus  important  de  tous  est  l'église  de  Saint-Julien 
à  Tours,  admirable  modèle  de  l'architecture  du  XIIIe  siècle  arrivée 
à  son  complet  développement;  le  généreux  concours  de  M.  l'arche- 
vêque de  Tours,  joint  à  l'allocation  considérable  autorisée  par  M.  le 
Ministre  de  l'intérieur,  a  permis  d'effectuer  cette  acquisition.  Des 
allocations  extraordinaires,  dues  à  la  libéralité  des  chambres,  ont 
pourvu  aux  réparations  de  quelques  grands  monuments,  trop  coû- 
teuses pour  être  imputées  sur  le  budget  de  la  commission.  Des  se- 
cours extraordinaires  sont  réclamés  pour  des  édifices  qui  sont  pour 
ainsi  dire  des  types,  et  qu'on  ne  pourrait  abandonner  à  la  destruction 
sans  encourir  les  reproches  de  la  postérité.  Il  suffit  de  nommer  les 
églises  de  Sainte-Croix,  à  la  Charité  ;  de  Saint-Philibert ,  à  Tournus  ; 
de  Saint-Nazaire,  à  Carcassonne  ;  le  temple  d'Auguste  et  de  Livie, 
et  l'église  de  Saint-Maurice,  à  Vienne.  La  Commission  espère  que 
l'administration  fera  ses  efforts  pour  prévenir  la  démolition  de  l'hôtel 
de  Carnavalet,  l'un  des  monuments  de  Paris  les  plus  curieux  sous 
les  rapports  historique  et  artistique;  cette  ancienne  demeure  de 
madame  de  Sévigné,  ornée  des  sculptures  de  Jean  Goujon,  est  me- 
nacée d'une  destruction  prochaine;  la  ville  pourrait  peut-être  l'ac- 
quérir par  échange  d'immeubles  avec  le  propriétaire.  Il  est  à  regretter 
de  voir  quelquefois  les  conseils  municipaux  entraver  les  dispositions 
du  gouvernement  pour  la  conservation  des  monuments.  C'est  cepen- 
dant le  spectacle  que  vient  de  donner  le  conseil  municipal  d'Orléans 
en  faisant  démolir  l'ancien  Hôtel-Dieu  de  cette  ville ,  que  l'admini- 
stration supérieure  aurait  acquis  si  les  prétentions  de  la  ville  ne  l'eût 
fait  renoncer  à  ce  désir  de  conserver  un  édifice  dont  l'architecture  si 
élégante  et  les  dispositions  vastes  et  commodes  permettaient  de  lui 
donner  une  destination  utile.  Le  prétexte  de  cette  destruction  était 
le  besoin  de  faire  une  place  autour  de  la  cathédrale,  ce  qu'on  aurait 
pu  faire  dans  des  proportions  convenables ,  comme  l'avait  représenté 
la  Commission ,  sans  rien  abattre.  Voilà  donc  la  ville  d'Orléans  dotée 
d'une  espèce  de  plaine  pavée  au  lieu  d'un  monument  qui  était  un 
de  ses  plus  beaux  ornements  ;  et,  pour  mettre  le  comble  au  mauvais 
goût,  et  par  un  rare  oubli  des  convenances,  cette  place  met  en 
regard  la  salle  de  spectacle  et  la  cathédrale.  La  commission  a  dû 


192  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

s'occuper  de  conserver  le  souvenir  de  quelques  monuments  remar- 
quables dont  il  est  impossible  de  prolonger  indéfiniment  la  durée; 
il  n'y  avait  pas  un  moment  à  perdre  pour  étudier  la  disposition  et 
les  détails  de  ces  habitations  qui  jettent  le  plus  grand  jour  sur  les 
usages  et  les  mœurs  du  mo^en  âge;  pour  répondre  à  ce  vœu,  M.  le 
Ministre  de  l'intérieur,  à  la  demande  de  la  Commission,  a  chargé 
M.  Vaudoyer  de  relever  et  de  dessiner  un  assez  grand  nombre  de 
maisons  anciennes  qui  existent  encore  à  Orléans  ;  ce  travail,  nous 
l'espérons,  sera  continué  dans  d'autres  localités  non  moins  intéres- 
santes ;  plusieurs  villes  de  France  possèdent  encore  des  maisons  fort 
anciennes,  et  d'une  architecture  très-remarquable.  Un  autre  artiste  , 
M.  Denueîle ,  a  été  chargé  par  le  Ministre  de  dessiner  en  plusieurs 
lieux  des  peintures  anciennes  dont  chaque  jour  efface  quelque  trait. 

—  Le  conseil  de  l'association  britannique  d'archéologie  prend 
d'activés  mesures  pour  préparer  le  congrès  qui  se  tiendra  cette  année 
àGloucester,  dans  la  première  semaine  d'août,  sous  la  présidence 
du  savant  lord  Albert  Conyngham.  On  cite  déjà  parmi  les  mémoires 
qui  seront  lus  dans  cette  assemblée,  une  Notice  sur  la  cathédrale 
de  Gloucester,  par  M.  Cresy,  dont  le  travail  sur  la  cathédrale  de 
Winchester  a  été  si  remarqué  l'année  dernière;  un  Mémoire  sur 
V architecture  domestique,  par  M.  Fairholt;  sur  les  Voies  romaines 
du  Gloucester  shir  e ,  par  M.  Hatcher  ;  sur  les  Antiquités  de  Cirencester, 
par  M.  Roach-Smith,  l'infatigable  éditeur  des  Reliquiœ  antiquœ. 
On  parle  encore  de  plusieurs  écrits  sur  l'histoire,  la  géographie,  la 
poésie  du  moyen  âge  qui  seront  communiqués  par  M.  T.  Wright , 
correspondant  de  l'Institut  de  France;  de  notices  par  sir  Samuel 
Meyrick,  et  par  MM.  Planché,  Crofton-Croker.  La  numismatique 
et  la  philologie  du  moyen  âge  seront  représentées  par  MM.  Akerman 
et  Georges  Corner. 

Nous  rendrons  compte,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  l'année  der- 
nière, des  travaux  du  congrès,  auquel  nous  espérons  bien  que 
quelques  antiquaires  français  voudront  assister. 

—  Les  restes  d'un  monument  gallo-romain  ont  été  mis  à  décou- 
vert, près  des  sources  de  la  Seine,  sur  la  lisière  du  bois  communal 
de  Sainte- Seine;  les  fouilles,  commencées  en  1836,  ont  été  conti- 
nuées jusqu'en  1845  sous  la  direction  de  la  commission  des  anti- 
quités de  la  Côte- d'Or.  D'après  le  rapport  de  M.  H.  Baudot,  prési- 
dent de  la  commission ,  ce  temple  aurait  été  élevé  au  fleuve  de  la 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  193 

Seine ,  dont  les  eaux  passaient  pour  avoir  la  propriété  de  guérir  cer- 
taines maladies,  opinion  qui  paraît  démontrée  par  la  nature  des 
objets  trouvés  au  milieu  des  ruines.  Plusieurs  ex-voto,  découpés 
dans  des  feuilles  de  bronze  et  d'argent,  et  représentant,  d'une  ma- 
nière grossière,  différentes  parties  du  corps  affectées  de  maladies, 
furent  trouvés  dans  un  vase  de  terre.  Le  plan  des  fondations  mises  à 
jour  offre  un  quadrilatère  de  57  mètres  de  longueur  sur  une  largeur 
encore  indéterminée.  La  quantité  d'objets  d'ornements ,  la  dimension 
des  fragments  de  statues  et  de  colonnes,  leur  perfection  de  travail 
peuvent  donner  une  idée  de  la  décoration  somptueuse  de  l'édifice. 
Au  milieu  du  temple  de  la  Seine  était  une  salle  contenant  la  source 
sacrée  qui  s'écoulait  par  une  rigole  taillée  dans  la  pierre  et  recou- 
verte de  dalles.  A  droite  de  la  source,  tarie  aujourd'hui,  s'élevaient 
quatre  colonnes  d'ordre  dorique ,  dont  on  a  retrouvé  des  fragments 
et  les  bases  encore  à  leur  place.  Deux  marches  donnaient  entrée  à 
une  chapelle,  où  probablement  se  trouvait  la  statue  de  la  Seine, 
assise  en  face  de  la  source  principale.  Quant  à  l'âge  du  monument, 
M.  Baudot,  se  fondant  principalement  sur  la  pureté  des  chapiteaux 
et  des  autres  fragments  retrouvés,  croit  pouvoir  en  faire  remonter 
la  fondation  au  règne  d'Auguste.  Pour  fixer  l'époque  de  sa  destruc- 
tion, il  fait  remarquer  que  la  plus  récente  des  médailles  trouvées 
dans  les  fouilles  est  de  Magnus  Maximus,  mort  l'an  388  de  notre 
ère,  époque  du  triomphe  de  la  religion  chrétienne  dans  la  Gaule ,  et 
d'où  il  conclut  que  le  temple  de  la  Seine  subit  le  sort  de  presque  tous 
les  monuments  du  culte  païen ,  renversés  sur  l'ordre  des  évêques 
par  les  néophytes. 

—  La  salle  des  ancêtres  de  Thoutmès  III,  rapportée  d'Egypte  par 
M.  Prisse,  et  réédifiée  à  la  Bibliothèque  royale,  vient  d'être  livrée  au 
public.  Tous  les  détails  sur  l'enlèvement  et  le  transport  en  France 
de  ce  curieux  monument  se  trouvent  consignés  dans  une  brochure 
qui  se  vend  chez  le  Suisse  de  la  Bibliothèque.  La  Reçue  archéologique 
a  donné  une  description  détaillée  de  ce  monument,  accompagnée  de 
dessins.  (Voir  le  t.  II,  pages  1,  15  et  pi.  23.) 


m.  1 3 


BIBLIOGRAPHIE. 


Choix  de  peintures  de  Pompéi  ,  la  plupart  de  sujet  historique , 
lilhographiées  en  couleur  par  M.  Roux,  et  publiées,  avec  V explica- 
tion archéologique  de  chaque  peinture ,  et  une  introduction  sur  Vhis- 
toire  de  la  peinture  chez  les  Grecs  et  les  Romains ,  par  M.  Raodl 
Rochette,  etc.  lre  livraison,  1844,  Royal  in-fol.  (l). 

(Suite  et  fin.) 

Il  nous  reste  à  examiner  l'explication  que  donne  M.  Raoul  Rochette 
des  deuxième  et  troisième  planches  qui  composent  la  première  livrai- 
son de  cet  ouvrage,  la  seule  que  nous  ayons  sous  les  yeux. 

Planche  deuxième.  Neptune  et  Arnymone  (dehcasa  delVancora, 
publiée  dans  Mus.  Borbon.,  VI,  18,  et  par  0.  Mùller  et  Osterley,  II, 
7,83). 

M.  R.  R.,  on  le  conçoit,  ne  peut  se  dispenser  de  nous  donner  l'as- 
surance que  Neptune,  sous  le  rapport  de  Ximpurelé,  était  un  digne 
frère  du  maître  de  l'Olympe.  Il  revient  encore  sur  {indignation  d'Aris- 
tide à  ce  sujet  (  Orat.  in  Nept.,  I,  p.  36,  Dindorf);  on  devait  pour- 
tant croire  que  M.  Letronne  (  Append.  aux  lettres  d'un  antiquaire, 
p.  33)  lui  avait  suffisamment  démoutré  son  erreur  sur  le  sens 
de  ce  passage.  Mais  point  du  tout!  M.  R.  R. ,  qui  ne  voit  rien 
que  ce  qu'il  veut  voir,  au  lieu  de  baisser  la  tète,  ce  que  ferait 
tout  autre  après  une  telle  bévue ,  promet  que  «  dans  sa  quatrième 
«  lettre  il  établira  de  nouveau  la  valeur  et  l'autorité  de  ce  texte 
«  capital.  »  Cela  sera  curieux  !  Il  est  vraiment  fort  à  regretter  que 
cette  fameuse  lettre  tarde  tant  à  paraître ,  car,  à  en  juger  d'après 
l'assurance  quarante  fois  répétée  par  M.  R.  R.  en  cinquante- huit 
pages,  ce  sera  vraiment  un  morceau  di prima  sfera,  dans  lequel, 
selon  lui ,  avec  tout  V  emploi  des  ressources  de  la  philologie  (p.  18)  ; 
d'une  manière  aussi  complète  et  aussi  approfondie  que  possible  (p.  4), 
il  promet  d'éclaircir  (p.  18),  a  fond  (p.  38,  41),  la  liste  entière 
(  la  belle  avance)  !  des  maîtresses  de  Jupiter  (p.  9),  de  Neptune  (p.  1 8)  ; 

(l)  Voir  la  livraison  précédente,  p.  118. 


BIBLIOGRAPHIE.  î  95 

enfin ,  toutes  les  questions  qui  ont  rapport  à  ce  qu'il  a  appelé,  à  ce 
qu'il  appelle  encore  du  nom  de  pornographie,  c'est-à-dire,  à  toute 
l'impureté  et  à  l'obscénité  de  l'art  et  de  la  religion  antiques.  Grande 
et  belle  satisfaction  pour  un  antiquaire  ! 

Quant  au  mythe  d'Amymone,  selon  la  tradition  des  rnytho- 
graphes,  cette  nymphe,  la  plus  belle  des  Danaïdes,  fut  chargée  par 
son  père  d'aller  chercher  l'eau  nécessaire  aux  sacrifices.  Dans  une  de 
ses  courses,  elle  s'endormit;  un  satyre  voulut  abuser  de  son  sommeil. 
Elle  se  réveilla,  s'enfuit,  et  dans  son  épouvante  elle  appela  Neptune 
à  son  secours.  Le  dieu  mit  le  satyre  en  fuite;  il  obtint  d'elle  ce 
qu'elle  avait  refusé  au  satyre.  Une  fontaine  jaillit  des  trois  branches 
du  trident  de  Neptune.  Le  fils  qui  naquit  de  cette  union  fut  Nau- 
plius ,  foudateur  de  Nauplie.  Tel  est  le  mythe,  réduit  à  son  expression 
la  plus  simple. 

Après  en  avoir  donné  une  courte  exposition ,  M.  R.  R.  remarque 
que  déjà,  de  bonne  heure,  le  théâtre  s'en  était  occupé;  «et,  ce  que 
«  cette  fable  avait  de  licencieux,  par  l'intervention  du  satyre  et  par  Yac- 
«  lion  effrontée  de  ce  personnage,  par  l'apparition  même  de  Neptune, 
«  et  par  sa  passion  si  soudaine  et  si  exigeante,  la  rendait  surtout 
«  propre  à  fournir  le  sujet  de  drames  satiriques.  »  Il  paraît  que 
M.  R.  R.  a  des  idées  toutes  nouvelles  sur  le  drame  satyrique.  Nous 
espérons  qu'il  voudra  bien  ne  pas  négliger  de  nous  en  faire  part  dans 
sa  quatrième  lettre ,  qui  doit  nous  apprendre  tant  de  choses.  «  De  là, 
«  nous  dit-il,  des  danses  mimiques  qu'on  pourrait  appeler  thymé- 
«  liques  (II) ,  parce  qu'elles  s'exécutaient  près  du  thymélé.  »  L'art 
leur  avait  ainsi  emprunté  ses  représentations.  Seulement  M.  R.  R. 
n'aurait  pas  dû  citer  le  vase  de  Jatta  £  Gerhard,  Ànt  Vasenbîld., 
I ,  XI  ;  Jahn,  Vasenbilder,  4),  qui  bien  que  significatif  pour  ïe  mythe, 
ne  prouve  rien  du  tout  pour  le  point  en  question. 

Lenumération  des  monuments  relatifs  à  Àmymone,  que  donne 
M.  R.  R.,  est  fort  insignifiante.  Aux  rapprochements  de  Gerhard, 
(Auserles.  Vas.,  p.  48,  suiv.),  il  n'ajoute  qu'une  représentation  peu 
caractéristique  (Cab.  Pourtalès,  n.  181,  p.  41),  et  plusieurs  autres 
d'une  application  fausse.  A  cet  égard,  ses  notices  sont  tellement 
maigres  et  insuffisantes  qu'elles  ne  donnent  aucune  idée  des  sujets , 
sur  lesquels  Otto  Jahn  (Vasenbild.,  p.  34,  suiv.)  a  écrit  quelque 
chose  d'un  peu  plus  satisfaisant.  Tous  ces  rapprochements  peuvent 
montrer  d'ailleurs  de  quelle  façon  M.  R.  R.  se  sert  des  travaux  de  ses 
devanciers.  Il  suit  le  travail  de  M.  Gerhard  si  servilement  qu'il  copie 
même  les  fautes  d'impression;  par  exempte,  Neapét  dniik.  Bïldw., 


196  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

p.  298,  au  lieu  de  286;  et  d'un  autre  côté,  on  dirait  qu'il  ne  l'a 
pas  môme  ouvert,  ou  qu'il  ne  s'en  est  nullement  soucié.  En  consul- 
tant seulement  l'index,  il  n'aurait  pu  lui  échapper  que  le  dessin  du 
vase  de  Pisati  que  Gerhard  s'est  contenté  de  citer  dans  la  note  79, 
et  que  M.  R.  R.  se  contente  également  de  citer  d'après  cette  note, 
a  été  figuré  sur  la  pi.  65,  n.  2  de  ce  môme  ouvrage.  Mais  ce  n'est 
pas  encore  assez  :  M.  R.  R.,  avec  raison,  n'admet  pas,  au  nombre 
des  sujets  relatifs  à  ce  mythe,  une  peinture  d'un  vase  du  prince  de 
Canino,  représentant  une  femme  poursuivie  par  Neptune,  par  la 
raison  qu'une  corbeille,  au  lieu  de  Yhydrie,  se  trouve  parmi  les 
accessoires  (Descr.  des  vases  peints  de  l'Étrurie,  n.  64);  et  il  pense 
ce  qu'il  ri  est  pas  impossible  de  découvrir,  parmi  les  nombreux  objets 
«  des  amours  de  Neptune,  celui  qui  a  pu  être  désigné  par  cette 
«  particularité.  »  //  ri  est  pas  impossible  !  je  le  crois  bien  ;  s'il  avait 
tourné  une  seule  feuille  des  planches  de  l'ouvrage  de  Gerhard, 
il  aurait  vu  le  nom  d'^Ethra  auprès  d'une  femme  poursuivie  par 
Neptune,  avec  la  particularité  de  la  corbeille ,  qui  s'explique  ainsi 
de  la  manière  la  plus  claire. 

Dans  une  courte  addition  (p.  58)  à  la  fable  de  Neptune  et  Amymone, 
M.  R.  R.  cite  une  peinture  de  vase  du  Museo  Borbonico,  qu'il  avait 
perdue  de  vue.  C'est  que,  par  malheur,  Gerhard  ne  l'avait  pas  citée. 
«  Cette  peinture  lui  a  été  rappelée  par  l'indication  qu'a  donnée 
«  M.Minervini  d'un  vase  de  la  Basilicate  »  (Bulleltin.  archeol.  napol., 
«  n.  VII  et  VIII).  Mais  un  autre  sujet,  dont  ne  parle  ni  Gerhard, 
ni  Minervini ,  et  que  M.  R.  R.  a  conséquemment  perdu  de  vue,  c'est 
celui  que  nous  donne  le  miroir  du  Museo  Gregoriano  (Gerhard,  Etr. 
Spiegel,  64),  remarquable  par  la  présence  du  satyre  aux  écoutes, 
et  par  la  source  jaillissante ,  *qui  est  caractéristique,  dans  la  rencontre 
de  Neptune  et  d'Amymone. 

Du  reste ,  l'explication  même  de  la  peinture  de  Pompéi  ne  prend 
qu'une  page  et  demie  sur  les  huit  qu'occupe  cette  dissertation.  M.  R.  R. 
croit  «  pouvoir  détruire  l'espèce  de  réserve  que  M.  Quaranta  \é- 
«  moigne  au  sujet  de  cette  peinture,  en  montrant  qu'elle  s  accorde 
«  dans  tous  ses  détails ,  avec  tout  ce  que  nous  connaissons  des  particu- 
«  larités  du  mythe  d'Amymone,  par  le  témoignage  des  anciens  mylho- 
u  graphes,  et  par  les  monuments  qui  s  y  rapportent.  »  Je  voudrais  bien 
savoir  comment  M.  R.  R.  peut  concilier  cette  déclaration  de  la  p.  18, 
avec  celle-ci  de  la  p.  23  :  «Notre  peinture  de  Neptune  et  d'Amymone 
«  représente  d'une  manière  encore  différente  de  toutes  les  compositions 
u  que  nous  connaissons  du  même  sujet  ;  et  p.  24,  que  l'absence  de 


BIBLIOGRAPHIE.  197 

«  l'hydrie  laisse  subsister  quelque  incertitude,  »  Donc,  la  réserve  de 
M.  Minervini  n'est  pas  détruite.  Les  livres  de  M.  R.  R.  causent, 
à  chaque  instant,  de  ces  surprises  de  logique. 

II  voit  ici  :  «  Amymone  qui,  s'étant  dérobée  par  la  fuite  à  la  vio- 
«  lence  du  satyre ,  vient  se  livrer  à  la  protection  non  moins  dange- 
«  reuse  du  dieu.  »  Puis  :  «  elle  relève  son  péplus  de  la  main  droite, 
«  moins  pour  alléger  sa  fuite  devant  le  satyre  (c'était  l'idée  de  Tédi- 
«  teur  napolitain),  que  pour  opposer  un  faible  et  dernier  obstacle 
«au  désir  de  Neptune.  »  Contre  cette  explication,  déjà  proposée 
par  Millier  et  Quaranta,  Otlo  Jahn  a  objecté  avec  raison  que,  pour 
une  telle  scène ,  la  présence  du  satyre  serait  tout  à  fait  nécessaire , 
et  que,  d'ailleurs,  Amymone  n'a  pas  du  tout  l'air  d'une  femme 
effrayée  qui  s'enfuit. 

«  Neptune,  ajoute  M.  R.  R. ,  est  assis  à  l'ombre  d'un  rocher, 
«  duquel  devait  bientôt  jaillir  la  source  d' Amymone.  »  Certes  le 
peintre  se  serait  exprimé  plus  clairement  s'il  avait  voulu  représenter 
une  scène  où  la  source  jouait  un  rôle  principal,  comme  on  peut  le 
voir  sur  le  miroir  déjà  cité,  et  le  vase  dans  Neapel.  anlik.  Bildw.,  285 
et  286;  et  Bullet.  napol,  n.  VII  et  XXV.  Le  rocher  peut  n'être 
ici  qu'un  ornement  du  paysage  ;  comme  la  mer  n'est  pas  là  pour 
rappeler  la  localité  de  Lerne,  mais  pour  exprimer  l'élément  de 
Neptune. 

Ce  dieu  tient  le  trident  tout  à  fait  en  repos  (comme  Jupiter  le 
sceptre).  Tout  le  monde  dirait  que  c'est  l'ordinaire  attribut  de  Neptune. 
M.  R.  R.  n'est  point  de  cet  avis.  «  Ce  trident ,  dit-il ,  caractérise 
«  ici  (!)  Y  action  particulière  du  dieu,  dans  la  circonstance  qui  suivra 
«  son  triomphe.»  Et  là-dessus,  cette  belle  remarque  :  «Le  témoi- 
«  gnage  de  Lucien...  justifie  déjà  la  présence  du  trident  à  la  main 
«  de  Neptune,  dans  la  circonstance  dont  il  s'agit.»  Je  cite  tou- 
jours textuellement,  autant  que  possible,  les  paroles  de  l'auteur, 
de  peur  qu'on  ne  pense  que  je  les  ai  mal  comprises,  ou  que  je  le 
rends  ridicule  à  dessein.  Ainsi,  selon  lui,  le  trident  sur  lequel  s'appuie 
le  maître  de  la  mer,  a  besoin  d'être  justifié,  et  par*  le  témoignage  de 
Lucien,  et  par  la  circonstance  dont  il  s  agit  lîl 

Selon  notre  auteur,  si  Neptune  a  un  manteau  bleu,  c'est  que  le 
bleu  est  la  couleur  du  dieu  de  la  mer,  comme  le  dit,  entre  autres, 
Philostrate:  yèypamca.  (ô  ïlocet&av)  de  ov  y.voivEoç,  ohâe  QocIccttioc, 
<xlV  rweipuTyç)  :  «  mais  il  a  les  cheveux  et  la  barbe  de  couleur 
«brune  mêlée  de  blanc,  selon  l'épithète  homérique  xuavo/air/jç  ; 
«  ce  qui,  d'après  Voss  (Mytholog.  Briefe,  II,  36,  p.  256  ;  citation 


198  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

«  fausse ,  comme  cela  n'arrive  que  trop  souvent  à  M.  R.  R.  ) , 
«  signifie  à  chevelure  brune  foncée.  »  Encore  une  singulière  contra- 
diction, à  quelques  lignes  de  distance!  Dans  la  note  2,  -/.voveoç 
veut  dire  de  couleur  bleue,  et  dans  la  note  3,  de  couleur  brune,  e 
sempre  bene  !  ! 

Enfin,  il  prétend  que,  dans  notre  peinture,  «  la  pose  d'Amymone 
«  a  tant  d'analogie  avec  celle  qu'on  voit  sur  le  vase  d'Hinzelin , 
«  (Amallhea,  II,  277  ;  notez  bien  que  le  premier  coup  d'œil  montre 
<i  qu'il  n'y  a  rien  de  commun  entre  les  deux  sujets),  qu'il  suffit  de  ce 
«  rapprochement  pour  prouver  que  ce  groupe  appartient  sur.  notre 
«  peinture,  comme  sur  le  vase  où  figure  l'hydrie,  au  sujet  de  Nep- 
«  tune  et  d'Amymone.  » 

Telles  sont  donc  les  preuves  qu'il  nous  donne  que  «notre  peinture 
«  s'accorde ,  dans  tous  ses  détails ,  avec  tous  les  témoignages  et  tous 
«  les  monuments  :  »  et  cependant  on  conviendra  sans  peine  que,  si  cette 
interprétation  n'est  pas  radicalement  impossible ,  elle  n'a  rien  de  bien 
convaincant,  en  sorte  que  la  réserve  de  Minervini  était  bien  placée. 
Le  fait  est  que  le  mythe  de  Neptune  et  d'jEthra  n'était  pas  moins  cé- 
lèbre, et  convient  ici  beaucoup  mieux.  Pourquoi  n'y  pourrait-on  pas 
voir  aussi  une  nymphe ,  une  divinité  marine,  Amphitrite  elle-même , 
sortant  de  la  mer,  et  venant  chercher  son  divin  époux? 

Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que  pour  les  deux  premières  pein- 
tures ,  tel  est  son  tact  archéologique,  qu'entre  les  explications  possi- 
bles, il  va  chercher  la  moins  probable ,  qu'il  soutient  au  moyen  d'er- 
reurs que  chacun  a  pu  juger. 

11  sera  plus  heureux  pour  la  troisième  peinture ,  grâce  à  la  clarté 
parfaite  du  sujet;  mais  il  va  rencontrer  encore  bon  nombre  de  ces 
mésaventures  qui,  par  un  privilège  spécial ,  n'arrivent  qu'à  lui. 

Planche  IIIe.  Bacchus  et  Ariane  à  Naxos  (de  la  casa  dei  capilelU 
çoronati.  Mus.  Borbon.  XIII ,  6  ). 

On  se  souvient  que ,  dans  les  Grenouilles  d'Aristophane ,  Eschyle 
traite  de  fiole  (  ly/Miov,  ampulla  ) ,  les  prologues  d'Euripide.  Bac- 
chus finit  par  dire  à  ce  dernier  :  «  Cette  fiole  tient  à  tes  prologues, 
comme  le  fie  aux  yeux.  »  Ta  InvMiov  yàp  tout'  inï  toïç  npoléyoïGl 
OQVj  |  woTrep  rà  avvJ  £7Ù  toïgiv  oySoclpoïç  è'çpu  (Gren.  v.  1246),  Il 
n'en  est  pas  autrement  des  prologues  ou  introductions  dont  M.  R.  R. 
fait  précéder  toutes  ses  explications.  Le  for/sjQiov,  \ampallay  paraît 
en  être  inséparable. 

Ainsi ,  à  propos  de  cette  troisième  partie,  il  recommence  ses  pré- 
dications morales:  et,  pour  prouver  (contre  ce  qu'il  appelle  la  pré- 


BIBLIOGRAPHIE.  199 

occupation  systématique  de  M.  Letronne)  l'impureté  des  amours  de Bac- 
chus, il  cite  deux  faits  qu'il  regarde  comme  démonstratifs  :  un  texte 
et  un  monument.  Examinons-les  l'un  après  l'autre. 

1°  Le  texte  est  tiré  de  la  fin  du  Banquet  de  Xénophon,  où  ce 
charmant  auteur  décrit  avec  tant  de  grâce  la  représentation  mimique 
de  l'union  de  Bacchus  et  d'Ariane.  C'est  là  que  nous  devons  voir, 
selon  M.  R.  R.,  «  par  le  texte  même  de  Xénophon,  que  les  mouvements 
«  et  les  attitudes  imités  dans  ce  ballet  de  Bacchus  avaient  pour  but  d'ex- 
«  citer  les  désirs  dans  tous  les  spectateurs  (tyjv  $!  AypoàiTw  èyzipsiv, 
a  Xénoph.  Conviv.  III,  1).  » 

Je  ne  sais  vraiment  s'il  est  encore  possible  de  justifier  ici  M.  R.  R. 
du  reproche  de  maîa  fides ,  dont  j'ai  déjà  eu  tant  de  peine  à  l'absou- 
dre (plus  haut,  p.  120).  Comment  ose-t-il  donner  pour  preuve  de 
ses  rêveries  pornographiques  cette  expression  rhv  ùAypod.  eysipsiv, 
qui  se  lit,  comme  il  le  dit  lui-môme,  c.  III,  §  1,  et  l'appliquer  à 
la  danse  de  Bacchus  et  d'Ariane,  quand  ce  qui  concerne  cette  danse 
ne  commence  que  six  chapitres  plus  loin  (  c.  IX  ),  sans  qu'auparavant 
Xénophon  ait  dit  un  seul  mot  à  ce  sujet?  Car  voici  la  liaison  des  idées  : 
au  chapitre  précédent  (II,  24),  Socrate  avait  dit  ;  «  Semblable  à  la 
«  mandragore  qui  agit  sur  les  corps,  le  vin,  arrosant  les  âmes,  as- 
«  soupit  les  chagrins  (ràç  ptsv  limaç  xoi/ju'£ei),  et  il  éveille  la  joie 
«  (zàçâe  yàoypocrvvaçèyeipei),  comme  l'huile  excite  la  flamme  (&Gi:zp 
«  'ûaiov  yloya  iydpîi).  »  Un  peu  plus  bas,  Charmide  reprend  ces 
paroles  de  son  maître,  et  dit  (UI,  1)  :  «  Pour  moi,  j'attribue  à  ce 
«  mélange  des  sexes ,  joint  à  l'harmonie  des  sons ,  le  même  effet  que 
«  Socrate  attribuait  tout  à  l'heure  au  vin;  c'est  d'assoupir  le  cha- 
«  grin  (ràç  pisv  Ivnaç  xotpu'Çeiv),  et  d'éveiller  l'amour  Qrfo  <TAcppo&'- 
«  ttjv  iyzlpeiv).  »  S'il  n'y  a  pas  ici  malafidesf  ce  qui  coûte  toujours 
à  penser  comme  à  dire,  on  conviendra  qu'il  y  a  du  moins  une  fâ- 
cheuse distraction. 

Maintenant,  que  voit-il  donc  de  simonstrueux  dans  la  scène  finale  du 
banquet  (IX,  7)?  Les  convives,  voyant  Bacchus  et  Ariane  se  tenant  em- 
brassés, comme  deux  époux  qui  se  dirigent  vers  le  lit  nuptial  (oî  cruporo- 
Tpu  ,  idévTsç  7rept7rsT:W-OTaç  rs  aXknXovç  y*qù  wç  sic  zi>vw  a/uovraç), 
bien  loin  d'être  entraînés  par  cette  danse  à  aucune  impureté,  sont,  au 
contraire,  portés  à  s'engager  dans  les  saints  nœuds  du  mariage.  Car, 
dit  Xénophon  :  «  Ceux  qui  n'étaient  pas  mariés  jurèrent  qu'ils  le  se- 
«  raient  bientôt;  ceux  qui  l'étaient  montèrent  à  cheval ,  et  revolèrent 
ce  vers  leurs  épouses,  afin  de  jouir  de  cette  félicité  (  ol  [xh  àyauoi 
«  yapceïv  eTroipuffav  ?   ot  $e  yeyapwjzoTsç,  àvaêavrcç  èni  tqvç  fa-ouc, 


200  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  dcTrnlx'jvov  Tipbç  ràç  eaurwv  yjvoûy,aç,  ottwç  toutcov  tu^oiêv.)»  Serait- 
ce  là ,  par  hasard,  ce  que  M.  R.  R.  qualifierait  d'immoralité  et  dim- 
purelé? 

C'est  pourtant   à  cette  occasion  qu'il  ne  craint  pas  de  repro- 
cher à  M.  Letronne   «  une  préoccupation  systématique,  qui  ne  veut 
«  voir,  même  dans  les  représentations  de  Bacchus,  que  des  sym- 
«  boles  (Àppend.  aux  lettres  dun  antiquaire,  p.  27,  63,  74  et  ail- 
ce  leurs),  et  qui,  pour  conserver  l'opinion  qu'il  s'est  faite  de  la  chas- 
te teté  des  mœurs  grecques,  a  dû  fermer  volontairement  les  yeux  à 
«  tant  de  peintures  de  vases ,  où  la  licence  du  pinceau  est  poussée 
«  au  même  degré  d effronterie  que  celle  de  la  parole  et  de  l'action  dans 
«  la  vieille  comédie  grecque.  »  Mais,  M.  R.  R.  en  ceci,  comme  en 
bien  d'autres  circonstances,  prête  à  M.  Letronne  (l)  ce  qu'il  n'a 
jamais  dit  ni  pu  dire.  Aux  p.  27,  63 ,  74  de  X Appendice,  où  renvoie 
M.  R.  R. ,  il  n'est  pas  parlé  des  amours  de  Bacchus.   Ce  savant 
n'a  point  fermé,  ni  volontairement  ni  involontairement,  les  yeux  à  tant 
de  peintures  de  vases,  auxquelles  il  a  eu  le  soin  de  renvoyer,  comme 
les  connaissant  bien,  et  il  ne  s'est  pas  fait  le  défenseur  exagéré  de  la 
chasteté  des  mœurs  grecques,  qu'il  apprécie  à  sa  valeur.  Mais  il  a 
traité  ce  sujet  d'un  point  de  vue  élevé  et  étendu  que  ne  comprend  pas 
son  adversaire  (dirai-je  volontairement  ou  involontairement?),  M.  R.  R. 
qui ,  à  l'égard  du  passage  de  Xénophon,  comme  de  tant  d'autres,  voit 
des  étoiles  en  plein  midi,  est  bien  mal  venu,  il  faut  en  convenir,  a 
reprocher  aux  autres  une  préoccupation  systématique!!! 

2°  Quant  au  vase  allégué  par  M.  R.  R.  (p.  29),  c'est  l'amphore 
du  musée  de  Naples,  qui  a  été  publiée  dans  les  Monuments  de  l'Inst. 
archéolog.,  III,  31.  Il  est  très-bref  à  ce  sujet-,  mais,  quoiqu'il 
déclare  «  avoir  passé  une  journée  entière  à  étudier  ce  vase,  pendant 
«  son  dernier  séjour  à  Naples ,  »  il  paraît  cependant  qu'il  n'y  a  pas 
aperçu  la  circonstance  principale.  «  Le  sujet,  dit-il,  est  la  célébra- 
tt  tion  du  mariage  sacré  de  Bacchus  et  d'Ariane ,  représenté  d'après 

«  l'une  de  ces  danses  mimiques,  dans  le  moment  de  l'étude par 

v<  une  suite  de  jeunes  gens  des  deux  sexes.  »  A  la  p.  41,  il  parle  de 
ce  même  vase  ,  «sur  lequel  l'état  où  apparaissent  les  bacchants  des 
«  deux  sexes  qui  se  préparent  à  célébrer,  par  leurs  danses  lascives, 
«  l'union  de  Bacchus  et  d'Ariane,  assis  sur  le  lit  nuptial,  au  centre 
«  de  la  composition,  ne  saurait  laisser  de  doute  sur  le  caractère  U- 

(1)  M.  Letronne  a  déjà  répondu  a  ces  reproches  mal  fondés,  dans  la  Revue.  V.  ses 
Trois  fragment*  ,  t.  II ,  p.  700  et  sui?.  (  Note  du  traducteur.) 


BIBLIOGRAPHIE.  201 

«  cencieux  de  cette  représentation.  »  Il  s'ensuit  que  M.  R.  R.  n'a 
pu  découvrir ,  pendant  une  journée  entière,  ce  qui  s'aperçoit  au  pre- 
mier coup  d'œil ,  à  savoir  que,  sur  ce  vase,  il  y  a  deux  sujets  dis- 
tincts: l'un  mythique,  sans  rapport  avec  les  représentations  mimiques, 
l'autre  copié  de  la  vie  ordinaire.  Dans  ce  dernier,  au  milieu  des  dif- 
ficultés qu'offre  la  représentation,  ce  qu'il  y  a  de  fort  clair,  c'est  qu'il 
s'agit  de  préparation  à  un  drame  satyrique,  et  les  bacchants  des  deux 
sexes  sont...  des  hommes  tenant  à  la  main  leur  masque.  En  quoi  donc 
consiste  le  licencieux  de  ce  sujet?  Uniquement  dans  les  phallus  pos- 
tiches en  cuir  (attachés  à  la  ceinture)  du  chœur  des  satyres;  ce  qui, 
certainement  pour  les  Grecs,  n'avait  pas  plus  de  signification  que,  pour 
nous,  tant  de  masques  carnavalesques  à  Rome,  qui,  bien  que  fort  peu 
décents ,  ne  sont  pris  que  pour  bouffons.  Ce  n'en  est  pas  moins ,  pour 
M.  R.  R.,  «  l'image  la  plus  authentique  et  la  plus  conforme  à  la  réa- 
«  lité  de  ces  spectacles  populaires  de  l'antiquité  grecque,  où  le  plaisir, 
«  sous  toutes  les  formes,  et  la  licence,  à  tous  les  degrés,  étaient  provo- 
«  qués  par  la  religion  publique.»  ÀvjxuGtov! 

Il  nous  tient  en  réserve,  pour  sa  fameuse  IVe  lettre,  d'autres 
obscénités  et  impuretés,  et  je  n'ai  pas  à  m'y  arrêter  ici.  Qu'il  me 
soit  permis  seulement  de  répéter  cette  remarque,  que  la  pruderie  af- 
fectée de  nos  jours  ne  peut  être  prise  comme  règle  dans  l'appré- 
ciation des  anciens  ouvrages  de  l'art;  que,  par  exemple,  Yilhyphal- 
lisme  du  satyre,  être  à  moitié  animal ,  pour  les  Grecs  comme  pour 
ceux  qui  le  considéreront  de  leur  point  de  vue,  n'avait  rien  qui  pût 
exciter  les  passions,  et  n'était  qu'une  bouffonnerie.  C'est  un  point 
établi  par  M.  Letronne  (Append.,  p.  7  et  ailleurs),  et  reconnu  par 
M.  R.  R.  lui-même  (Peint,  ant. ,  p.  721  ),  ce  qui  ne  l'empêche  pas 
de  revenir  à  satiété  sur  Yobscénité  des  scènes  satyriques. 

Quant  aux  monuments  relatifs  au  sujet  d'Ariane  et  Bacchus  à  Naxos, 
ilenfait  six  classes,  d'après  la  circonstaneequ'ils  expriment.  «1°  Ariane 
«  endormie,  abandonnée  par  Thésée  ;  2°  Ariane  s'éveillant  et  voyant 
«  fuir  le  vaisseau  de  Thésée;  3°  Ariane  livrée  pendant  son  sommeil  à 
«  la  contemplation  de  Bacchus  et  de  son  thiase  (c'est  le  sujet  de  la 
«  peinture  dont  il  s'agit  ici);  4°  Ariane  ravie  par  Bacchus  ;  5°  Ariane 
«  menée  en  triomphe  par  Bacchus;  6°  Ariane  mariée  à  Bacchus.  » 
Disons  quelques  mots  de  chacune  de  ces  classes. 

1°  M.  R.  R.  cite  à  ce  sujet  Y  Ariane  du  Vatican  (dite  la  Cléopâtre), 
et  plusieurs  répétitions ,  ainsi  qu'un  tableau  de  Polygnote  à  la  Lesché 
de  Delphes  (Paus.X,  29,  2),  représentant  Ariane  et  Phèdre. 

Nous  avons  déjà  vu  que  M.  R.  R.  prend  peu  de  soin  de  concilier 


202  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

entre  eux  les  faits  qu'il  allègue.  On  en  a  la  preuve  dans  ce  qu'il  dit 
de  ce  tableau  de  la  Lesché.  «  Il  est  probable  que  Pausanias  fait  allusion 
«  au  triste  abandon  de  l'une  des  sœurs  à  Naxos ,  et  à  la  tragique  fin 
«  de  l'autre  à  Athènes,  probablement  représentée  dans  l'état  d'acca- 
«  blement  qui  suivit  son  réveil.  »  M.  R.  R.  paraît' donc  prendre 
Ariane  dans  les  enfers  pour  une  Ariane  à  Naxos  l  Contre  la  probabi- 
lité de  l'intention  que  M.  R.  R.  prête  au  peintre,  Pausanias  s'ex- 
prime assez  nettement  et  assez  clairement  :  «  Ariane  est  assise  sur 
a  une  pierre ,  les  yeux  tournés  sur  Phèdre ,  sa  sœur,  dont  tout  le 
«  corps  est  suspendu  en  l'air  à  une  corde ,  à  laquelle  elle  se  tient  de 
«  chaque  côté  par  une  main....  »  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  du  moins 
certain,  d'après  la  manière  dont  s'exprime  Pausanias,  qu'Ariane 
n'était  pas  représentée  endormie. 

2°  La  deuxième  classe  ne  comprend  que  quelques  peintures  mu- 
rales et  un  sujet  pris  de  la  mosaïque  de  Salzbourg  ;  je  reviendrai  tout 
à  l'heure  sur  la  troisième  classe. 

4°  La  quatrième  classe  (Ariane  ravie  par  Bacclms)  comprend, 
selon  M.  R.  R. ,  plusieurs  peintures  de  vases,  dans  lesquelles  Bac- 
chus  poursuit  une  femme  (l).  Comme  Ariane  n'y  est  nulle  part  dé- 
signée, ce  peut  être  aussi  bien  d'autres  maîtresses  de  Bacchus,  prin- 
cipalement des  nymphes  de  sa  suite.  Ceci  est  même  beaucoup  plus 
vraisemblable,  quand  on  considère  de  plus  près  les  témoignages  qui 
concernent  le  rapt  d'Ariane.  Carie  verbe  apîraÇgiv,  comme  le  sub- 
stantif àpnayri ,  s'y  rapporte  plutôt  à  Thésée  qu'à  Ariane;  ces  mots 


(1)  Ici,  une  nouvelle  preuve  de  la  logique  de  M.  R.  R.  Sur  un  vase  relatif  à  ce 
sujet,  du  musée  Blacas  (pi.  21  ),  on  voit  un  coussin  étendu  sur  un  rocher.  M.  R.  R. 
en  explique  l'intenlion  d'après  un  passage  de  Clément  d'Alexandrie  qu'il  ne  se  croit 
pas  permis  de  traduire,  sans  doute  parce  qu'il  y  aura  vu  des  énormitésqui  n'y  sont 
pas;  car  rien  n'est  plus  permis  que  de  traduire  ce  passage  entier  et  même  très- 
littéralement;  Clément  reproche  aux  Grecs  l'inconvenance  de  leurs  fables  reli- 
gieuses: «Apollon,  esclave  chez  Admèle ,  à  Phères;  Hercule  auprès  d'Omphalo, 
«  i  Sardes  j  Neptune  et  Apollon,  en  service  auprès  de  Laomédon....  Homère  ne 
«  rougit  pas  de  nous  dire  que  Minerve  se  montre  à  côté  d'Ulysse  ,  lui  portant  une 
m  lampe  d'or;  et  que  Vénus,  comme  une  esclave èhonlèe ,  se  présente ,  apportant 
«  à  Hélène  et  plaçant  en  face  de  ml adultère  (Paris)  le  siège  (rèv  Sifpov)  sur 
«  lequel  elle  doit  s'asseoir  pour  l'inviler  à  l'amour.  »  (Clem.  Alex.  Prolrept., 
II ,  35  ).  M.  R.  R.  est  à  cent  lieues  de  se  douter  que  le  terrible  passage  souligné 
qu'il  n'ose  traduire ,  est  tiré  presque  mot  à  mot  d'Homère  {11.  3,  34),  comme  le 
précédent  [Odyss.  19,  34).  Et  raainlenant,  parce  que  M.  R.  R.  voit  sur  un  vase  un 
coussin,  qui  n'a  nul  rapport  avec  le  cifpoç  sur  lequel  s'assit  Hélène,  cela  preuve, 
selon  lui  (  p.  34 ,  n.  7  )  :  «  Que  S.  Clément  d'Alexandrie  ,  tout  chrétien  et  docleur  de 
«  l'Église  qu'il  élait,  connaissait,  au  moins  aussi  bien  que  l'auteur  des  f.cUrrs  d'un 
«  antiquaire,  l'antiquité  grecque,  écrite  et  figurée !  !  !  » 


BIBLIOGRAPHIE.  203 

ne  signifient  pas  qu'Ariane  a  été  violemment  ravie  ou  enlevée;  mais 
qu'elle  a  été  enlevée  à  Thésée  par  Bacchus,  c'est-à-dire  que  celui-ci 
la  lui  a  prise.  Ainsi,  Pausanias,  X,  29,  2,  rhv  kpukàvw  xyeihzo 
<dwioi  6  kiéwaoq  ;  ajoutez  Diodor.  Sic.  IV,  tii,  V,  51.  Schol. 
Odyss.  XI,  321  ,  d'après  Phérécyde;  il  ne  peut  être  question  d'une 
poursuite;  cela  est  prouvé  par  les  paroles  de  Pausanias,  I,  20,  3, 
AptaJvyj  de  xoiBeûdovGoi  y  >wçj  ©yjceùç  xvocyépevoç  j  y.a\  Aiovvœoç  yjzwy 
èg  tTjç  ApidâvnçàpTïocy/iv...  «  [On  voit  dans  le  temple  de  Bacchus] 
«  Ariane  endormie;  Thésée  mettant  à  la  voile;  Bacchus  arrivant 
ce  pour  (lui)  enlever  Ariane.»  ApTiaÇeiv  et  âp-nayri  ne  s'entendent  que 
de  l'enlèvement  d'une  femme  à  un  autre  amant;  ainsi,  sur  un  vase 
du  plus  beau  style,  cité  par  M.  R.  R.  (à  présent  publié  dans  les 
Vases  étrusques  et  campaniens  de  Gerhard,  PI.  VI,  VII)  ;  on  voit 
Bacchus  entraînant  Ariane ,  et  Thésée  s'éloignant  à  regret ,  sur  l'avis 
de  Minerve.  II  est  clair  que  les  exemples  d'une  femme  poursuivie  et 
qui  s'enfuit,  ne  sont  pas  applicables  à  Ariane. 

Quant  aux  cinquième  et  sixième  classes,  M.  R.  R.  dit  que  son  but 
n'est  pas  d'épuiser  ici  le  sujet.  Fort  bien!  mais  il  devait  tâcher  au 
moins  de  le  caractériser  clairement  par  les  traits  principaux ,  ce  qu'il 
ne  fait  pas.  La  science  n'a  rien  à  gagner  à  ce  mélange  bigarré  de  ci- 
tations, qu'il  est  toujours  très-facile  de  rassembler,  surtout  à  l'occasion 
des  représentations  dionysiaques.  Du  reste,  il  faut  convenir  que  ses 
citations  nous  fournissent  de  riches  matériaux  pour  un  catalogue  de 
satyres  ithy phalliques  (c'est  peut-être  là  un  travail  préparatoire  pour 
une  phallologie  ou  phallographie  à  venir);  et  M.  R.  R.  les  recherche 
avec  d'autant  plus  d'empressement  qu'ils  sont,  à  peu  de  chose  près, 
le  seul  soutien  de  sa  thèse  favorite  sur  la  pornographie. 

Pour  la  cinquième  classe  (  Ariane  menée  en  triomphe  par  Bacchus), 
il  nous  donne,  en  vignette,  une  portion  d'un  vase  de  la  collection  de 
Santangelo,  àNaples,  et  la  description  d'un  semblable  vase  appar- 
tenant au  Museo  Borbonico.  Sur  l'un  et  l'autre  se  remarque  la  cir- 
constance que  le  vieux  Silène  n'est  vu  que  jusqu'aux  genoux;  une 
ménade,  penchée  de  son  côté,  l'aide  à  monter  sur  le  plan  supérieur 
où  elle  se  trouve.  Jusqu'ici,  rien  d'obscène  ni  de  licencieux  ;  pas  le  plus 
petit  ithyphallisme  !  mais,  comme  il  faut  absolument  que  cette  peinture 
soit  licencieuse,  M.  R.  R,  imagine  une  combinaison  trop  originale, 
pour  que  je  ne  transcrive  pas  ses  propres  paroles:  ce  CeSilène  a  la  tête 
«  et  la  poitrine  couvertes  d'un  manteau ,  qui  s'écarte  sur  le  devant  du 
«  corps,  pour  laisser  à  découvert  son  ventre  et  ses  cuisses  velues , 
a  motif  dont  l'indécence  est  trop  sensible  aux  yeux  pour  avoir  besoin 


204  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  d'être  démontrée  par  le  raisonnement,  et  qui  montre  jusqu'à  quel 
«  degré  delicence  pouvaient  être  portées  les  représentations  d'une  des 
«  scènes  de  l'hiérogamie  qui  s'exécutaient  publiquement  sur  le  théâ- 
«  tre.  »  M.  R.  R.  va-t-il  donc  nous  prouver  plus  tard  que  l'Apollon  du 
Belvédère  est  une  statue  licencieuse,  parce  que  le  dieu  tient  sa  chlamyde 
sur  son  bras,  pour  laisser  à  découvert  son  ventre  et  ses  cuisses? 

M.  R.  R.  réunit  dans  cette  cinquième  classe,  une  suite  de  mo- 
numents où  Bacchus  est  sur  un  char  avec  une  femme  ;  et  dans  la 
sixième  (Bacchus  mariée  avec  Ariane),  d'autres  monuments  où  le  dieu 
repose  avec  Ariane  sur  un  lit.  Des  uns  et  des  autres,  il  en  faut  re- 
trancher beaucoup  qui  n'ont  pas  de  rapport  au  sujet.  Ainsi ,  quand 
Bacchus  repose  sur  le  sein  d'une  femme ,  on  doit  plutôt  songer  à 
Melhe  ;  et  lorsqu'elle  précède  sur  un  char  séparé,  ce  doit  être  une 
pronuba,  qui,  dans  ce  cas,  serait  un  personnage  bachique  (p.  e. 
Sémélé). 

De  môme,  les  représentations  qu'il  range  dans  la  dernière  classe 
ne  sont  pas  toujours  caractéristiques;  ainsi,  par  exemple,  le  sujet 
du  vase  qu'il  cite,  d'après  Millingen  (Vases  peints ,  pi.  26),  est  privé 
de  tout  signe  bachique,  et  la  présence  de  divinités  erotiques  ne  suffit 
pas  pour  l'élever  au-dessus  du  cercle  des  représentations  de  la  vie 
commune.  Il  paraît  en  être  de  même  d'un  vase  provenant  de  Rertsch 
(p.  41). 

Mais  il  est  d'autant  moins  utile  d'entrer  ici  dans  plus  de  détails , 
que  M.  R.  R.  ne  montre  pas  une  seule  fois  l'intention  de  pénétrer 
un  peu  profondément  dans  son  sujet.  Toute  cette  partie  de  son  mé- 
moire peut  être  considérée  comme  supeiflue. 

Après  de  tels  détours,  M.  R.  R.  arrive  entin  à  la  classe  a  laquelle 
appartient  la  peinture  qu'il  se  propose  d'expliquer,  à  savoir,  Bacchus 
qui  trouve  Ariane  à  Naxos.  Ce  sujet  est  étranger  à  la  céramographie; 
mais  il  se  voit  très- fréquemment  dans  les  peintures  murales  et  sur 
les  bas-reliefs ,  qui  semblent  être  étroitement  liés  avec  le  tableau  dé- 
crit par  Philostrate  (1 ,  16). 

M.  R.  R.  revient  bientôt  à  son  thème  favori.  Il  est  obligé  de  con- 
venir que,  dans  toutes  les  représentations  connues  de  Bacchus  et 
d'Ariane,  accompagnés  de  Silène  et  des  satyres ,  jamais  le  dieu  n'est 
ithyphallique ,  eteetaveu  lui  coûte  assez;  mais  voilà  qu'heureusement 
on  lui  envoie  un  dessin  de  la  peinture  qu'il  a  reproduite,  où  Bacchus 
est  odieusemeut  ithyphallique.  Aussi,  voyez  quel  triomphe!  «Un 
«  rayon  de  lumière  inattendu,  dit-il  dans  son  enthousiasme  pornogra- 
«  phique ,  se  répand  sur  tout  le  génie  de  la  religion  hellénique,  et  sur 


BIBLIOGRAPHIE.  205 

«  celui  de  l'art  qui  y  était  si  étroitement  lié.  »  Mais ,  d'abord ,  quand 
cela  serait  vrai  pour  une  seule  peinture,  on  n'en  conclurait  rien 
contre  tout  le  génie ,  etc.  Cependant ,  prenons  garde  !  une  lettre  que  je 
reçois  de  Naples  en  ce  moment  m'annonce  que,  dans  ce  tableau,  Bac- 
chus  ncst  point  ilhyphallique.  L'auteur  de  cette  lettre  n'a  pu  s'en 
assurer  par  lui-même,  parce  qu'il  n'a  pu  obtenir  de  la  direction  du 
Musée  la  permission  de  voir  ces  tableaux ,  qui  sont  à  présent  dans 
les  magasins  ;  mais  il  rapporte  le  témoignage  exprès  de  M.  Qua- 
ranta,  qui  a  manié  ce  tableau,  et  le  connaît  parfaitement.  Il  déclare 
que  la  circonstance  n'a  jamais  existé.  Pour  éviter  d'articuler  le  re- 
proche de  falsification,  je  ne  me  prononce  pas  en  ce  moment.  J'at- 
tends un  plus  ample  informé ,  et  j'instruirai  nos  lecteurs  du  résultat. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  rayon  de  lumière  commence  un  peu  à  s'évanouir!  (l) 

(1)  Quoique  le  traducteur  de  cet  excellent  morceau  de  critique  ne  veuille  pas 
sortir  de  son  modeste  rôle,  il  ne  peut  pourtant  pas  se  dispenser  de  faire  remarquer 
combien  ce  passage  confirme  le  jugement/Mrdf,  téméraire  même  en  apparence,  que 
M.  Letronne  a  porté  de  ce  même  Irait,  dont  M.  H.  Brunn  conteste  à  présent  l'exis- 
tence. Dans  la  Revue ,  t.  II ,  p.  1G7,  il  a  osé  s'exprimer  ainsi  : 

«  Sur  un  tableau  de  Pompéi,  récemment  découvert,  dont  le  sujet  est  Bacchus 
et  Ariane,  Bacchus,  vêtu  à  mi-corps  de  son  péplum,  s'approche  d'Ariane;  la 
scène  est  des  plus  décentes  qui  se  puissent  voir;  et  cependant  le  dieu  était, 
selon  M.  Raoul  Rochettc  ,  armé  d'un  monstrueux  yvw/*wv  àviffrâ/Asvo; ,  maintenant 
efface.  C'est  la  première  fois,  il  l'avoue,  qu'un  dieu  est  ainsi  représenté.  Croyant 
la  circonstance  antique ,  il  ne  se  sent  pas  de  joie  à  la  vue  d'une  preuve 
si  frappante  de  l'indécence  des  anciens.  «<  Voilà  (s'écrie-t-il  avec  un  enlhou- 
«  siasme  qu'il  ne  peut  contenir)  une  révélation  neuve  et  curieuse  qui  vient  jeter 
«  un  rayon  de  lumière  inattendu  sur  tout  le  génie  de  la  religion  hellénique  »  (Choix 
de  peintures  de  Pompéi ,  p.  52  ).  Aussi  s'est-il  procuré  la  jubilation  d'embellir  de 
cet  infâme  accessoire  quelques  exemplaires  de  choix.  Eh  bien,  moi,  qui  ne  suis  point 
antiquaire,  au  dire  de  M.  R.  R,  je  déclare  qu'il  faut  n'avoir  aucun  sentiment  de 
l'art  antique,  ni  de  l'esprit  qui  a  présidé  à  toutes  ces  charmantes  compositions, 
conçues,  comme  celle-ci,  sans  aucune  intention  licencieuse,  pour  ne  pas  voir  que 
ce  yvw/Aeov  àytffré/tfvoj  est  en  contradiction  manifeste  avec  l'ensemble  de  la  compo- 
sition, avec  la  pose  du  dieu,  avec  l'expression  placide  de  sa  figure,  que  ce  trait 
ne  peut  être,  s'il  existe,  qu'une  surcharge  faite  par  quelque  mauvais  plaisant 
moderne.  Je  n'en  sais  rien;  mais,  en  vérité,  j'en  suis  sûr  ;  et  j'invoque  avec  con- 
fiance, sur  ce  point,  le  témoignage  des  antiquaires  napolitains ,  si  bien  placés 
pour  savoir  au  juste  ce  qu'il  en  est.  »  , 

Eh  bien  !  cette  affirmation  si  hardie  et  si  tranchante,  que  M.  Letronne  fondait  seu- 
lement sur  un  sentiment  juste  de  l'art  antique,  la  voilà  confirmée  par  le  témoignage, 
qu'il  invoquait,  d'un  des  antiquaires  napolitains,  de  M.  Quaranta.  M.  Brunn  attend 
un  plus  ample  informé  ;  à  la  bonne  heure.  Mais  l'antiquaire  français  (et  quiconque 
examinera  la  chasteté  de  celte  composition  sera  de  son  avis)  n'en  a  pas  besoin  pour 
être  convaincu  qu'un  mauvais  plaisant  s'est  amusé  de  la  manie  pornographique  de 
M  R.  R.  «  Ah  !  sest-il  dit,  vous  voulez  de  la  pornographie!  eh  bien  !  soyez  servi  à 
«•  souhait;  en  voilà!  » 

Une  seule  réflexion  en  finissant.  Le  même  archéologue  qui  se  laisse  ainsi  tromper, 


206  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

C'est  dommage,  car  M.  R.  R.  en  tire  de  superbes  conséquences, 
à  l'égard  des  deux  peintures  de  Bacchus  et  à' Ariane ,  décrites  par  les 
anciens,  et  qu'il  s'amuse  à  restituer  ex  ingenio.  Ce  que  c'est  que 
l'imagination!  La  première  est  expliquée  par  Philostrate  (/co/i.,1,  15). 
Le  Bacchus,  selon  M.  R.  R.,  devait  être  ithyphalliqae ;  car  l'auteur 
grec  dit  que  le  dieu  y  est  représenté  tout  entier  à  sa  passion  (et 
/zovou  toû  épâv  yéypariToci) ;  et  même  ivre  d'amour,  |k£0umv  epwrt. 
C'est  en  vain,  pour  lui,  que  d'après  la  description  même,  la  peinture 
était  empreinte  d'une  telle  modestie  que  le  savant  Welcker  nepeut 
s'empêcher  de  remarquer  nostrœpicturœpudicum  characterem  (p.  207). 

Tout  cela  échappe  aux  regards  prévenus  de  notre  archéologue  ;  il 
ne  voit  même  pas,  dit-il,  où  M.  Welcker  a  pris  ce  caractère  pudique! 
N'est-il  pas  évident,  selon  lui,  que  puisque  Bacchus  est  ithyphallique 
sur  la  peinture  de  Pompéi ,  ce  dieu  doit  l'être  encore  sur  celle  de 
Philostrate  :  «  et  sans  doute  aussi  sur  le  tableau  du  temple  de  Bacchus 
«  à  Athènes.  »  Voilà  un  sans  doute  bien  aventuré!  Car  tout  ce  que 
nous  savons  sur  ce  tableau  consiste  dans  ces  quelques  paroles,  déjà 
citées,  de  Pausanias  :  «  On  y  voit  Ariane  dormant,  Thésée  mettant  à 
«  la  voile,  et  Bacchus  arrivant  pour  enlever  Hélène.  »  Cependant 
M.  R.  R.  nous  promet  «de  démontrer  cela  ailleurs  d'une  manière 
plus  expresse.  »  D'une  manière  plus  expresse!  ce  ne  sera  pas  superflu  f 
et  certes,  s'il  y  parvient,  il  pourra  se  vanter  d'avoir  fait  un  vrai  chef- 
d'œuvre  d'interprétation  archéologique  ! 

Il  me  reste  à  présent  peu  de  chose  à  dire.  J'ai  déjà  parlé  du  dieu 
du  Sommeil.  J'ajoute  seulement  que  M.  R.  R.  se  trompe  lorsqu'il 
veut  corriger  le  texte  de  Philostrate  :  6pa  xoà  ttîv  Âpiââvnv,  ^àllov  ât 
rcv  jttvov;  il  a  tort  de  vouloir  lire  ifo  fm/ov.  Ce  qui  suit  montre  qu'il 
est  question  du  sommeil  et  non  du  dieu  du  Sommeil.  Le  sens  est  : 
«  Voyez  combien  Ariane  est  séduisante ,  et  surtout  pendant  son  som- 
meil, h 

prend,  à  l'heure  qu'il  est,  pour  antiques  les  trois  peintures  obscènes ,  publiées  il  y  a 
trente  ans  par  IVlillin  ;  et  c'est  encore  M.  Letronne  qui  a  été  oblige  de  lui  apprendre 
qu'elles  sont  fausses.  Cela  n'empêche  pas  que  M.  R.  R.  ne  déclare  à  tout  propos 
que  M.  Letronne  nest  point  antiquaire,  qu'il  est  étranger  à  l'antiquité  figurée  ! 
D'où  résulterait  la  nécessité  de  changer  la  délimitait  de  Vantiquaire,  jusqu'ici  ad- 
mise; car  il  est  évident  que  Vantiquaire  n'est  plus  ,  comme  on  le  croyait  assez  gé- 
néralement, celui  qu'un  œil  exercé,  guidé  par  un  sentiment  juste  de  l'art  et  uni'  pro- 
fonde connaissance  des  langues  et  de  la  littérature  anciennes,  conduit  presque  à  coup 
sur  dans  l'appréciation  des  monuments  antiques.  Il  faudra  dire  à  présent  que  l'anti- 
quaire est  celui  qui,  écrivant  comme  au  hasard  sur  ces  monuments,  touchant  à 
tout,  et  gâtant  tout  ce  qu'il  touche,  fabrique  de  gros  livres  pleins  de  vida,  ot*  il 
branche  et  tombe  lourdement,  aussitôt  qu'il  veut  faire  un  pas  sam  lisièraa* 

{Note  du  traducteur.) 


m  BIBLIOGRAPHIE.  207 

Après  avoir  parlé  en  détail  du  mérite  scientifique  de  ce  travail ,  il 
faut  dire  un  mot  de  celui  des  planches  qui  l'accompagnent  :  car  leur 
supériorité  pourrait,  jusqu'à  un  certain  point,  compenser  d'autres 
défauts. 

La  première  condition  qu'elles  doivent  offrir  est  naturellement  la 
fidélité  du  trait.  Une  comparaison  avec  les  originaux  m'est  à  présent 
impossible.  Cependant,  ayant  écrit  à  Naplespour  avoir  des  renseigne- 
ments sur  quelques  particularités,  il  m'a  été  fait  des  réponses  qui  ne 
sont  pas  du  tout  à  l'avantage  de  ce  travail.  Ainsi ,  dans  la  seconde 
peinture,  la  tête  de  Neptune,  comme  cela  est  exprimé  sur  la  planche 
du  Mus.  Borbonico,  porte  au-dessus  de  la  tète  une  espèce  de  ca- 
lotte, et  ses  cheveux  sont  bouclés  régulièrement.  La  partie  in- 
férieure du  voile  d'Amymone  est  mal  indiquée.  Ce  sont  là  de  pe- 
tites infidélités,  j'en  conviens  ;  mais  enfin  ce  sont  des  imperfections 
qu'on  ne  devrait  pas  trouver  dans  un  ouvrage  qui  vise  à  une  valeur 
scientifique.  Quant  à  l'exécution ,  il  est  juste  de  tenir  compte  des 
difficultés  qui  résultent  de  l'imperfection  du  procédé  lithographique. 
Mais  cette  part  faite,  il  reste  encore  beaucoup  à  désirer.  Au  lieu  de 
mon  jugement,  qu'on  pourrait  récuser,  je  donnerai  celui  d'un  artiste 
romain,  B,  Bartoccini,  qui,  habile  surtout  à  dessiner  l'antique,  a 
fait  une  étude  spéciale  des  peintures  murales  (l)  de  Pompéi,  et  est 
parfaitement  apte  à  juger  les  planches  de  cet  ouvrage.  Voici  son  opi- 
nion :  ce  Le  dessin  est  très-loin  de  la  finesse  de  l'antique ,  il  est  trop 
«  lourd.  Dans  ia  pratique  du  clair-obscur  on  ne  trouve  ni  la  largeur, 
«  ni  la  facilité,  ni  cette  belle  liaison  des  plans  qui  distinguent  l'original  ; 
«  on  ne  voit  que  des  masses  trop  rondes  et  trop  flou.  Les  couleurs  sont 
«  trop  criardes.  Dans  les  originaux,   les  tons,   pris  séparément, 
«  ont  un  aspect  sale  et  fumeux,  mais  pris  dans  leur  ensemble,  ils 
«  produisent  un  tout  flatteur  et  harmonieux.  Ici,  au  contraire,  tous 
«  les  tons  sont  également  brillants,  et  ne  produisent  aucun  effet 
«  d'ensemble.  Le  tout  a  l'apparence  d'un  travail  moderne  ;  le  vrai 
«  style  de  l'antique  y  est  complètement  perdu.  » 


(1)  Le  traducteur  n'a  point  hésité  a  rendre  partout  le  JVandgemœlde  allemand 
par  peintures  murales,  expression  que  M.  Letronne  a  le  premier  introduite,  pour 
éviter  l'horrible  cacophonie  depeintures  sur  mur.  M.  Raoul,  Rochette,  dont  l'oreille 
n'avait  pas  été  choquée  de  celle  cacophonie  ,  continue  à  repousser  l'adjectif  mural, 
sous  prétexte  qu'il  n'estpas  français  en  ce  sens  ;  mais  comme  il  est  nécessaire  et  par- 
faitement analogique,  il  est  devenu  français.  Tout  le  monde  s'en  sert  à  présentât 
certes  M.  R.  R.  s'en  servirait  lui-même,  s'il  pouvait  oublier  quel  est  celui  à  qui  l'on 
en  doit  l'utile  introduction.  f  Note  du  traducteur.) 


208  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Jetons  maintenant  un  dernier  coup  d'œil  sur  tout  le  travail  de 
M.  R.  R.  Nous  avons  déjà  parlé  de  ses  prologues  (lyv.vBix).  Quant 
à  sa  méthode  de  rassembler  une  multitude  de  monuments  pour  en 
expliquer  un  seul,  elle  ne  peut  se  justifier  que  dans  le  cas  où  ils 
sont  essentiels  à  l'éclaircissement  de  celui-ci  ;  ou  bien  lorsque,  par 
une  exposition  approfondie,  méthodique  et  claire,  on  s'en  sert  pour 
amener  un  cercle  quelconque  de  faits  et  de  recherches  à  un  résultat 
satisfaisant.    . 

Aucune  de  ces  conditions  n'a  été  remplie  dans  le  présent  ouvrage. 
Les  tableaux  de  Pompéi  n'ont  rien  à  y  gagner ,  et  les  rapproche- 
ments de  l'auteur,  comme  on  l'a  vu,  ne  mènent  absolument  à  rien. 
Aussi  ce  livre  n'est  pas  beaucoup  plus  qu'une  vaine  parade  d'érudi- 
tion qui,  examinée  de  près,  s'arrête  à  la  surface,  et  repousse  au  der- 
nier plan  tout  ce  qui  mériterait  d'être  mis  en  saillie  au  premier. 
Enfin  les  explications  des  tableaux  ne  nous  apprennent  rien  qui 
n'ait  été  dit  auparavant  par  d'autres. 

Or,  toute  publication  scientifique  qui  ne  sert  pas  à  avancer 
un  sujet,  doit  être  considérée  comme  étant  plutôt  à  charge  qu'utile 
à  la  science  et  au  public;  c'est  le  jugement  que  nous  devons,  en 
définitive,  porter  d'un  ouvrage  qui  d'ailleurs  est  remarquable  seule- 
ment par  une  suite  d'erreurs,  et  d'erreurs  telles,  que  même  un  mérite 
certain,  si  on  pouvait  l'y  reconnaître,  en  serait  complètement 
obscurci  (l). 

Dr  Heinrich  Brunn  ,  à  Rome. 

(1)  L'éditeur  de  la  Revue  n'a  pas  besoin  de  prévenir  qu'il  est  prêt  à  recevoir 
toute  rectification,  qu'on  lui  enverrait,  des  fails  qui  ont  été  allégués  dans  cet  exa- 
men. Dans  toute  appréciation  critique,  les  jugements  appartiennent  à  l'auteur;  il 
en  est  responsable;  mais  les  fails  appartiennent  à  la  science.  Il  est  utile  de  1rs  rec- 
tifier, lorsqu'ils  ne  sont  point  exacts  ,  et  qu'ils  peuvent  par  conséquent  la  troubler. 

(Noie  de  l'éditeur.) 


ERRATUM. 

Page  8)  ,  ligne  15,  kipoyivm  ,  lisez  ùipoyi-j^. 


EXPLICATION  DE  QUELQUES  DIFFICULTÉS 


RELATIVES 


AUX  ANCIENS  SCULPTEURS 
CALLIMAQUE,  CLÉOMÊNE,  BUPALUS,   CALAMIS,   ETC 

{Suite  et  fin.) 

Bclus.  (Bovloç  wro/et):  Encore  un  imparfait  dont  abuse  M.  Raoul 
Rochette;  car  tout  annonce  que  ce  prétendu  sculpteur  du  prétendu 
tombeau  d'Homère  dans  l'île  d'Ios,  n'a  jamais  existé.  M.  Lelronne  a 
montré  que  ce  nom  est  décidément  faux  et  qu'il  doit  être,  la  fin  d'un 
nom,  tels  qu'Aristobulus,  Cléobulus,  Eubulus,  Théobulus,  Thrasy- 
bulus,  etc.  II  est  hors  de  doute  qu'il  faut  exclure  ce  Bulus  de  la 
Liste  des  Artistes  où  l'on  avait  voulu  l'introduire. 

Bcpalus.  Ajoutez  à  ce  que  j'ai  dit  sur  ce  sculpteur,  p.  66, 
auquel  est  attribuée  une  statue  de  Vénus ,  qu'on  peut  appliquer  les 
mêmes  raisonnements  à  un  groupe  de  satyre  assaillant  un  herma- 
phrodite, trouvé  en  même  temps  et  au  même  lieu  que  la  Vénus,  et 
qui  est  à  présent  dans  les  magasins  du  Vatican. 

Selon  M.  Raoul  Rochette,  l'existence  d'un  Bupalus  moins  an- 
cien que  celui  que  cite  Pausanias  serait  extrêmement  douteuse. 
Mais  cependant,  si  l'inscription  trouvée  avec  ces  statues  est  authen- 
tique, et  si,  par  la  forme  de  ses  lettres,  elle  ne  peut  pas  remonter 
à  l'antique  époque  de  Bupalus,  vers  la  60e  olympiade,  540  avant 
J.  C,  cette  circonstance  n'autoriserait-elle  pas  à  présumer  qu'il  y 
eut  un  Bupalus  plus  moderne,  dont  on  ne  connaît  ni  les  ouvrages, 
ni  Tépoque,  et  de  qui  pourrait  être  ou  la  Vénus,  ou  le  groupe  du 
satyre  et  de  l'hermaphrodite?  Dans  tous  les  cas,  on  ne  risque  rien 
de  ne  pas  souscrire  à  l'arrêt  de  M.  R.  R.,  qui  déclare  que  ce 
second  Bupalus  doit  être  supprimé  de  Vhisloire  de  Vart.  Je  crois 
pouvoir  le  conserver  jusqu'à  plus  ample  informé  ;  car,  tout  en 
avouant  qu'il  est  incertain,  je  pense  qu'il  y  a  peut-être  plus  de  rai- 
sons pour  l'admettre  que  pour  le  rejeter.  Mais,  de  toute  manière,  l'in- 
scription dont  on  ignore  l'époque,  fût-elle  authentique,  ne  signifie 
m.  14 


210  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

absolument  rien,  et  ne  peut  servir,  dans  la  question  sur  è-noirme,  et 
èr.olei,  à  donner  une  nouvelle  preuve  de  l'antiquité  de  l'impar- 
fait, puisqu'il  est  bien  certain,  d'après  la  forme  de  ses  lettres,  et 
d'après  le  style  de  la  statue,  qu'elle  ne  peut  pas  avoir  été  tracée  par 
l'ancien  Bupalus,  vers  la  60e  olympiade,  540  avant  J.  C,  bien  avant 
Phidias.  Si  elle  n'appartient  pas  à  un  Bupalus  d'une  époque  beau- 
coup plus  rapprochée,  ce  ne  peut  être  alors  qu'une  de  ces  inscriptions 
qu'on  mettait,  atin  de  donner  plus  de  valeur  à  des  productions  des 
arts,  et  dans  l'intention  de  les  faire  passer,  souvent  sans  avoir  égard 
à  leur  style,  pour  être  de  la  main  d'anciens  grands  maîtres,  ainsi 
que  le  fait  remarquer  Visconti,  Mas.  Pio  Clem.,  1. 1 ,  p.  x,  au  sujet 
de  celle  prélendue  statue  de  Bupalus. 

Je  serais  aussi  très-porté  à  admettre,  avec  mon  ami  M.  Letronne, 
que  lorsque  l'on  rencontre  les  imparfaits  èitoUiy  è'ypa<pc,  avec  des 
noms  d'arlistes  bien  reconnus  pour  être  très-anciens  et  avant  l'époque 
d'Apelle  et  de  Praxitèle,  que  l'on  peut  porter,  avec  Pline,  à  celle 
de  Polyolète,  on  peut  admettre,  sans  crainte  de  se  tromper,  que 
c'est  un  indice  qtul  y  a  eu  deux  artistes  qui  ont  porté  le  même 
nom,  l'un  très-ancien,  l'autre  qui  l'était  moins.  N'est-il  pas  légi- 
time de  croire  qu'à  des  époques  différentes  et  souvent  très-éloi- 
gnées  l'une  de  l'autre,  il  ait  existé  parmi  les  artistes,  comme  parmi 
les  autres  personnages,  des  individus  qui  auraient  porté  le  même 
nom,  sans  qu'il  y  ait  eu  entre  eux  d'autre  rapport?  Bien  n'est  plus 
plausible  que  cette  supposition  qui  peut  devenir  une  certitude,  sur- 
tout lorsqu'une  inscription  reconnue  pour  authentique,  est  unie  à 
un  ouvrage  dont  le  style  dénonce  un  temps  beaucoup  moins  ancien 
que  celui  de  l'artiste  qui ,  jusqu'alors  n'était  connu  que  par  ce  qu'en 
rapportent  les  auteurs.  Quel  inconvénient  peut-il  y  avoir,  dans  cette 
circonstance,  à  croire  qu'il  y  eut  deux  artistes  du  même  nom?  la 
nomenclature  des  artistes  y  gagne,  sans  que  la  saine  critique  puisse 
en  souffrir. 

Calamïs,  stat,  KAAAMI2  EPOIEL  —  Il  se  pourrait  bien  que 
Cette  inscription  mutilée,  trouvée  sur  la  base  d'une  statue  détruite 
de  . .  .pos,  fils  d'Hippasus  Péloponésien  ,  fut  douteuse  et  qu'elle  ne 
fût  pas  aussi  utile  à  M.  R.  R.  qu'il  le  pense,  QuesL,  etc.,  p.  75. 
Ce  (ils  du  philosophe  pythagoricien  Hippasus  vivait  sous  Périclès , 
mort  428  avant  J.  C.  Or,  si  l'inscription  rapportée  par  Spon,  et  qui 
n'existe  plus,  était  telle  qu'il  la  donne  p.  138  de  ses  Misceîlanea: 
....P02  IPPA20Y  nEAOnON....  KAAAMI2  EPOIEI,  la  forme  des 


EXPLICATION    DE    QUELQUES   DIFFICULTES.  211 

lettres  n'appartiendrait  pas  à  l'époque  de  Périclès,  et  elle  devrait 
avoir  celle  de  nos  inscriptions  des  marbres  de  Nointel,  Mus.  des 
Ant.,  n°  222,  222  bis,  qui  datent  de  l'an  403,  vingt-cinq  ans  après 
la  mort  de  ce  grand  homme,  et  elle  serait  ainsi  figurée  :  -PO* 
IPPA*OY  PE,  OrON ...  KAVAMI*  ErOIEl ,  ou  bien  P02  IPPA20Y 
PE  OPON  ••  KAVAMI2  EPOIEL  On  pourrait  dire  il  est  vrai  que  du 
temps  de  Spon  on  n'avait  pas ,  en  transcrivant  les  inscriptions  an- 
tiques, poussé  le  scrupule  de  l'exactitude  jusqu'à  les  imprimer  avec 
les  formes  qu'elles  avaient  sur  les  pierres.  Cela  est  vrai;  mais  cepen- 
dant n'est-il  pas  à  croire  que  Spon  était  assez  exact  pour  ne  pas  re- 
trancher des  lettres  qui  se  trouvaient  sur  le  marbre.  Or,  à  l'époque 
de  Périclès,  comme  sur  nos  inscriptions  athéniennes,  l'H  était  en- 
core une  aspiration  qui  se  joignait  à  l'|  et  à  d'autres  voyelles  qui  ne 
les  portaient  pas  encore,  comme  depuis,  avec  elles,  et  Hippasus  de- 
vait être  écrit  HIPPA*0*  et  non  IPPA202,  comme  HIPPOÀAMA*, 
lig.  63  de  notre  inscription  222,  et  HIPPON  ,  lig.  62  du  n°  22  bis 
(Mus.  de  Sculpt.  anc.  et  mod.,  pi.  XXIll),  ou  comme  plusieurs  noms 
de  notre  belle  inscription  de  Choiseul,  qui  est  de  410  avant  J.  C. 
(Mus.  des  Anliq.,  n°  597,  pi.  XXXVI  de  mon  Mus.  de  Sculpt.  ant. 
et  mod.),  où  les  mots  Hellénorames,  Hiéropoies,  lig.  6,  Hermon, 
lig.  10,  sont  écrits  avec  l'H  comme  aspiration.  Il  est  vrai  que ,  aux 
447  A,E,  pi.  XXX Vil  et  XXX VIII ,  cette  lettre  est  quelquefois 
employée  comme  E  long,  H  ,  à  la  fin  des  mots  et  qu'elle  ne  sert  plus 
à  faire  aspirer  les  voyelles  initiales.  On  voit  que  cette  inscription  est 
moins  ancienne  de  quelques  années  que  la  première ,  et  qu'elle  pour- 
rait dater  d'une  époque  très-voisine  de  celle  où,  en  403  avant  notre 
ère  ,  on  introduisit  de  grands  changements  et  les  lettres  doubles  dans 
l'orthographe.  Celle  ci  n'était  pas  encore  bien  établie,  il  y  avait  incer- 
titude et  lutte  entre  l'ancienne  et  la  nouvelle.  Mais  sous  Périclès,  du 
temps  de  Calamis  et  du  fils  d'Hippasus,  l'ancienne  orthographe  était 
encore  dans  sa  vigueur,  et  le  nom  d'Hippasus  devait  s'écrire  HIPPA- 
202-  Si  ce  n'est  pas  positif,  c'est  du  moins  probable,  et  si  l'inscrip- 
tion était  telle  que  l'a  copiée  Spon,  il  se  pourrait  qu'elle  eût  été 
placée,  dans  des  temps  postérieurs,  sur  la  base  de  la  statue  du  fils 
d'Hippasus  qu'on  attribuait  à  Calamis,  et  qu'on  s'y  fût  servi  de  l'or- 
thographe et  des  formes  des  lettres  alors  en  usage.  Il  faudrait  donc, 
pour  que  le  nom  de  Calamis,  suivi  de  l'imparfait  ènoki,  eût  toute  sa 
validité,  qu'il  fût  produit  par  une  inscription  dont  l'orthographe  et 
l'écriture  fussent  d'accord  avec  celles  d'un  ouvrage  que,  par  son 
style,  on  pourrait  croire  de  Calamis.  Mais,  même  en  admettant  que 


212  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

l'inscription  donnée  par  Spon  appartient  au  célèbre  Calamis ,  qu'ajou- 
terait cette  concession  à  l'antiquité  de  l'imparfait  êirot'ei  ?  Rien ,  ou 
bien  peu  de  chose,  et  ce  ne  serait  nullement  un  triomphe  sur 
l'opinion  de  M.  Letronne.  En  effet,  d'après  Pline,  1.  1.,  on  accorde 
que  Polyclète  put  être  le  premier  qui  signa  iizoiti,  et  qu'il  donna  ce 
modeste  exemple  à  Apelle ,  qui  vécut  environ  quatre-vingts  ans 
après  le  grand  sculpteur  d'Argos.  Pourquoi  donc  tant  se  disputer 
pour  Calamis?  Il  paraît  que  cet  habile  maître  travaillait  encore  en 
430  avant  notre  ère,  et  qu'à  cette  époque  (lorissait  déjà  Polyclète. 
Pourquoi  Calamis,  sur  la  fin  de  sa  carrière  n'aurait-il  pas  eu,  comme 
Polyclète,  la  modestie  de  ne  mettre  que  Yinoltt  au  bas  de  sa  statue 
et  de  renoncer  à  l'ancien  iTtoimazt  II  avait  bien  assez  de  talent  pour 
être  modeste  dans  son  expression  :  il  n'y  a  là  rien  d'improbable.  Alors 
Calamis  ne  fournirait  pas  un  nouvel  exemple  de  l'emploi  très-ancien 
de  l'imparfait ,  et  il  se  confondrait  pour  ainsi  dire ,  quant  à  l'époque  , 
avec  celui  que ,  selon  Pline,  nous  offrirait  Polyclète.  Mais  je  ne  pré- 
sente tout  ceci  que  comme  des  hypothèses ,  et  je  reviens  à  celle 
qui  me  paraît  plus  plausible  et  dont  j'ai  dit  quelques  mots  à  l'ar- 
ticle de  Bupalus.  J'admettrai  donc  volontiers,  avec  M.  Letronne, 
qu'une  inscription  portant  le  nom  de  Calamis,  surtout  si  l'or- 
thographe et  la  forme  des  lettres  n'appartiennent  pas  à  l'époque, 
prouverait ,  ou  que  c'est  une  fraude  ancienne,  de  temps  postérieurs , 
ou  que,  malgré  le  silence  des  auteurs,  il  n'y  eut  pas  qu'un  seul  Ca- 
lamis, comme  il  n'y  eut  pas  qu'un  seul  Praxitèle,  ni  même  qu'un 
seul  Phidias. 

Tynnichus  ou  Tenichus,  fit  un  vaisseau  votif  consacré  à  Diane 
Bolosia.  Ce  vaisseau  était,  disait-on,  celui  qu Agamemnon  lui- 
même  avait  dédié  à  Diane,  pour  la  remercier  de  ce  qu'elle  avait  laissé 
partir  la  Hotte  d'Aulide.  Sur  ce  vaisseau ,  on  lisait  deux  vers  élé- 
giaques,  précédés  de  l'inscription  TYNNIX02  ErOIEI  APTEMIAI 
BOAOZIAI.  Proc,  Br.  Goth.,  IV,  22;  R.  R.,  N.  L.  Sch.,  p.  89, 
et  Questions,  p.  96.  M.  R.  R.  montre  ici  son  défaut  habituel  de 
critique.  Le  sculpteur  Tynnichus  n'était  pas,  comme  il  le  dit,  d'époque 
inconnue,  puisqu'il  devait  être,  d'après  la  tradition  ,  contemporain  do 
la  guerre  de  Troie.  Il  est  vrai  que  cette  tradition  est  absurde ,  et  que 
le  prétendu  vaisseau  d' Agamemnon  a  été,  comme  les  vers  élégiaques, 
fabriqué  à  une  époque  plus  ou  moins  récente.  Rien  ne  prouve  la 
haute  antiquité  que  M.  R.  R.  attribue  à  cette  inscription  rapportée 
par  Procope,  qui  vivait  vers  la  fin  du  VIe  siècle  de  notre  ère,  et 


EXPLICATION   DE   QUELQUES   DIFFICULTES.  213 

près  de  mille  ans  après  Alexandre  et  Praxitèle.  11  est  assez  simple 
qu'exposée  à  l'air  pendant  plusieurs  siècles,  elle  fût  devenue 
presque  illisible  au  temps  de  Procope.  Est- il  certain  qu'il  y  eût 
ETOIEI ,  sans  qu'il  y  manquât  quelques  lettres,  et  ne  se  pourrait-il 
pas  que  Procope,  en  rétablissant  le  mot,  ait  suivi  l'usage  de  signer 
des  artistes  de  son  temps?  Ainsi ,  sans  manquer  aux  premières  notions 
de  la  critique ,  on  ne  peut  pas  l'offrir  comme  une  preuve  de  l'usage 
de  l'imparfait  ETOIEI  aux  anciennes  époques,  comme  le  prétend 
M.  R.  R.,  Qaest.,  p.  97.  M.  Letronne  remarque  d'ailleurs  qu'un 
ancien  ne  l'aurait  pas  écrit  comme  le  rapporte  Procope,  mais  aurait 
dit  APTEMIAI  BOA02IAI  TYNNIX02  EPOIEI ,  le  nom  de  la 
déesse  et  la  dédicace  auraient  été  placés  avant  le  nom  de  l'artiste. 

Tout  ce  qui  précède  me  semble  démontrer  que  M.  R.  R.  ne  s'est 
pas  fortifié  d'un  appui  très-solide  en  appelant  à  son  aide  ces  exemples 
d'ènoUi  pour  prouver  la  haute  antiquité  de  l'imparfait,  et  qu'on  ne 
peut  tirer  un  grand  secours  de  noms  qui  ont  pu  appartenir  à  des 
artistes  différents  ;  surtout  lorsque  les  inscriptions  qu'il  invoque  comme 
garants,  ou  sont  suspectes,  ou  ne  sont  pas  du  temps  des  anciens  artistes 
auxquels  on  les  attribue. 

Je  me  borne  à  ces  exemples  qui  suffisent  pour  montrer  que  ce 
n'est  pas  sans  raison  que  M.  Letronne  a  révoqué  en  doute  l'usage 
de  Ximparfait  dans  les  inscriptions  des  artistes  antérieurs  au  siècle 
$  Alexandre.  Je  pourrais  citer  d'autres  exemples  ;  mais  je  laisse  à 
celui  que  M.  R.  R.  a  si  imprudemment  attaqué  le  soin  de  les  relever, 
ainsi  que  les  erreurs  de  fait  et  de  raisonnement,  qui ,  comme  je  l'ai 
dit  en  commençant,  déparent  les  Questions  d'histoire  de  Vart,  l'ou- 
vrage le  plus  défectueux  peut-être,  sous  ce  double  rapport,  de  tous 
ceux  qu'a  desserrés,  depuis  quelque  temps,  cet  infatigable  anti- 
quaire. 

Comte  de  Clarac. 


LETTRE  A  M.  PH.  LEBAS 

SUR 

LES   SUJETS    FUNÉRAIRES 

qu'on  croit  être 

DES  REPAS  FUNÈBRES  ET  DES  SCÈNES  F  ADIEUX, 


Mon  cher  Confrère  , 

Je  dois  vous  remercier,  à  un  double  titre,  de  la  lettre  que  vous 
m'avez  adressée  dans  la  Revue  de  l'avant-dernier  mois  (p.  8i  et  suiv.)  ; 
d'abord,  pour  l'attention  bienveillante  que  vous  avez  prêtée  à  mon 
explication  de  la  stèle  funéraire  de  M.  Laurin;  ensuite,  pour  les 
savantes  et  ingénieuses  observations  que  ce  monument  vous  a  suggé- 
rées, sur  le  seul  point  de  cette  explication  que  vous  ne  croyez  pas 
pouvoir  admettre.  A  mon  tour,  je  répondrai  à  votre  franchise  en  vous 
faisant  part  des  motifs  qui  ne  me  permettent  pas  de  me  rendre  à  vos 
observations,  quel  que  soit  d'ailleurs  mon  désir  de  penser  comme 


vous  sur  tous  les  points. 


Cinq  circonstances  m'avaient  paru  donner  un  assez  grand  intérêt 
à  cette  stèle  : 

1°  L'inscription  grecque  fort  curieuse  qu'on  y  lit; 

2°  La  condition  des  personnages  qui  y  sont  mentionnés; 

3°  Leur  relation  avec  ceux  qui  sont  figurés  dans  le  bas- relief; 

4°  Le  véritable  sujet  de  ce  bas-relief; 

5°  Enfin,  le  sujet  des  représentations  semblables  ou  analogues. 

De  ces  diverses  circonstances,  dont  je  me  suis  efforcé  de  rendre 
compte,  les  quatre  premières  vous  ont  paru  clairement  et  suffisam- 
ment expliquées,  sauf  un  seul  trait  de  l'inscription,  sur  lequel  je  dirai 
tout  à  l'heure  quelques  mots.  Sur  le  dernier  point  seulement,  mon 
opinion  vous  a  paru  contestable,  ou,  pour  parler  net,  inadmissible; 
puisque  vous  la  déclarez  tout  à  fait  contraire  au  génie  de  l'antiquité; 


LETTRE   A   M.   PH.   LEBAS.  215 

et  c'est  le  plus  grave  reproche  qu'on  puisse  adresser  à  une  opinion 
archéologique  ;  car  s'il  est  permis  de  ne  pas  rencontrer  juste  dans  une 
explication  difficile,  il  ne  peut  jamais  l'êlre  d'en  proposer  une  qui 
soit  contraire  au  génie  ou  aux  usages  de  l'antiquité.  L'archéologue, 
qui  se  donnerait  ce  tort,  ferait  bien  de  laisser  là  l'antiquité,  et  de 
s'occuper  d'autre  chose. 

Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que,  si  mon  opinion  à  cet  égard  était 
fondée,  il  vous  faudrait  renoncer,  en  partie  du  moins,  à  celle  que 
vous  avez  antérieurement  établie  dans  une  dissertation  très-appro- 
fondie  et  très-développée.  (Expéd.  deMorée,  t.  II,  p.  108  etsuiv.) 

Vous  avez  donc  pris  la  défense  de  votre  explication ,  et  vous  avez 
combattu  la  mienne.  C'était  votre  droit  et  même  votre  devoir.  À 
moins  d'avoir  contre  soi  l'évidence,  à  laquelle  doit  toujours  céder 
un  homme  judicieux  et  sincère,  on  a  raison  de  ne  pas  se  rendre  trop 
tôt  aux  objections,  et  de  faire  valoir,  jusqu'à  la  fin,  les  raisons 
qu'on  a  de  persister  dans  l'opinion  qu'on  a  soutenue  d'abord.  En  pa- 
reil cas,  la  persistance  n'est  pas  entêtement;  c'est  une  preuve  qu'on 
ne  s'était  pas  décidé  à  la  légère,  mais  qu'on  avait  considéré  le  sujet 
sous  toutes  ses  faces  avec  la  maturité  et  la  réllexion  convenables. 

De  mon  côté,  en  émettant  une  vue  un  peu  différente  de  la  vôtre 
sur  ce  seul  point,  je  n'ai  pas  obéi  à  un  vain  esprit  de  contradiction. 
J'ai  fait  ce  qu'il  est  toujours  utile  de  faire,  lorsqu'en  étudiant' un 
monument  nouveau  on  aperçoit  une  particularité,  inconnue  jus- 
que-là, qui  paraît  propre  à  jeter  du  jour  sur  une  matière  obscure. 

J'ai  tâché  d'indiquer  la  portée  probable  d'une  de  ces  particularités, 
à  savoir  l'inscription  de  la  stèle,  et  de  signaler  le  changement  qui 
pourrait  en  résulter  dans  les  idées  reçues. 

Nous  sommes  donc,  à  cet  égard,  l'un  et  l'autre  dans  les  vraies 
conditions  de  la  science  ;  et  je  me  félicite  sincèrement  d'avoir  soulevé 
cette  petite  controverse;  car  elle  nous  promet,  de  votre  part,  le  re- 
maniement d'une  question  importante  qui  vous  a  déjà  dû  de  pré- 
cieux éclaircissements,  et  sur  laquelle  les  observations  suivantes  vont 
reporter  votre  attention,  en  vous  signalant  quelques  difficultés  peut- 
être  plus  sérieuses  que  vous  ne  l'aviez  pensé. 


La  question  dont  il  s'agit  tient  fort  peu  de  place  dans  mon  expli- 
cation de  la  stèle  funéraire ,  car  elle  n'y  occupe  que  la  dernière 
page  ;  c'est  qu'en  effet  elle  n'y  était  qu'un  accessoire  ;  et  j'aurais  fort 


216  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

bien  pu  me  dispenser  de  l'y  joindre ,  d'autant  plus  que  je  n'ignorais 
pas  l'importance  de  cet  accessoire ,  comme  l'indiquent  ces  paroles  : 
«  Je  pourrais  étendre,  ai-je  dit,  ces  vues  que  notre  monument  m'a 
«  suggérées;  mais  je  ne  veux  pas  faire  un  traité  à  propos  d'un  menu- 
et ment  unique.  Je  laisse  aux  archéologues  qui  trouveront  juste  et 
«  fondé  le  principe  sur  lequel  elles  reposent,  le  soin  d'en  étendre  ou 
«  d'en  restreindre  les  applications.  »  En  faisant  cet  appel ,  j'espérais 
bien  qu'on  s'y  rendrait  un  jour  ou  l'autre.  Vous  vous  êtes  empressé 
d'y  répondre,  ce  qui  vous  convenait  plus  qu'à  tout  autre,  car  ici  vous 
êtes  plus  intéressé  que  personne;  mais,  quoique  vous  l'ayez  fait  d'une 
manière  digne  de  vous,  vous  ne  m'avez  pas  encore  convaincu; 
peut-être  que,  tout  entier  à  votre  point  de  vue,  vous  n'avez  pas 
complètement  saisi  celui  qui  me  paraît  ressortir  de  1  inscription 
de  notre  stèle. 

Dans  les  quinze  savantes  pages  de  votre  lettre ,  vous  touchez  à  tant 
de  questions  diverses  que,  pour  y  répondre  à  votre  satisfaction,  il  me 
faudrait  composer  ce  traité  que  j'ai  surtout  voulu  éviter  de  faire,  et 
que  je  n'ai  pas  davantage  le  loisir  ni  la  volonté  d'entreprendre;  je  me 
bornerai  donc  à  développer  le  point  que  je  n'ai  dû  qu'indiquer  alors 
sommairement ,  pour  ne  point  m  écarter  de  mon  sujet. 


Avant  de  commencer  cette  discussion  archéologique ,  permettez - 
moi  de  dire  quelques  mots  sur  la  dernière  ligne  de  l'inscription  : 
ewcay.iç  7ruxT£u<raç  w^ero  sic  Aôyiv  ou  Mâ-nv.  Vous  pensez  ,  comme 
moi ,  que  cette  ligne  est  poétique ,  et  que  ce  ne  peut  être 
qu'un  hexamètre  ou  un  pentamètre  ;  vous  préférez  y  voir  un  penta- 
mètre en  changeant  ivvexyAç  en  swaxt.  J'ai  pensé  que  ce  pouvait  être 
un  hexamètre;  ce  n'est  peut-^tre  ni  l'un  ni  l'autre,  comme  je  l'avais 
pensé  d'abord,  sachant  qu'à  toutes  les  époques  on  trouve  de  ces 
ligues  d'inscriptions  qui  offrent  des  vestiges  de  versification,  sans 
qu'on  puisse  les  ramener  à  un  vers  régulier.  Telles  sont  (  pour  remon- 
ter très- haut)  celles  du  casque  trouvé  à  Olympie  :  tm  Ai  7uppav'  àr.b 
Kuaaç ,  chute  qui  révèle  une  intention  poétique,  bien  qu'on  n'ait 
pu  la  ramener  à  un  mètre  quelconque ,  malgré  les  ellorts  des  plus 
habiles  critiques  (1). 

Mais,  dans  la  supposition  qu'il  y  aurait  là  réellement  un  vers  plus 
ou  moins  altéré  par  le  lapicide,  j'ai  préféré  d'y  chercher  un  hexamètre, 

(1)  Franz.  Elem.  epigr.  gr.  p.  70. 


LETTRE   A   M.    PH.    LEBAS.  217 

parce  qu'il  m'a  paru  que  rien  n'est  plus  rare,  en  pareil  cas,  qu'un 
pentamètre  isolé.  Comme  ce  vers  est  toujours  dans  une  situation  su- 
bordonnée, quand  on  ne  voulait  écrire  qu'un  seul  vers,  c'était  Y  hexa- 
mètre qu'appelait  naturellement  une  oreille  grecque,  ou  bien  l'iam- 
bique  trimètre ,  mais  plus  rarement  ;  aussi  les  exemples  de  ce  vers  isole' 
sont-ils  très-nombreux  (l),  tandis  que  ceux  du  pentamètre  sont  in- 
finiment rares;  encore  paraissent-ils  même  avoir  été,  non  composés  ad 
hoc,  mais  tirés  d'un  distique  plus  ancien.  Voilà  le  motif  qui  m'avait 
fait  préférer  l'autre  vers.  Vous  dites  que  j'ai  été  obligé  de  faire  trois  chan- 
gements pour  en  arriver  là.  Par  le  fat,  ces  changements  se  réduisent 
à  celui  de  si?  en  èç.  Car  le  lapicide  pouvait  se  dispenser  de  rappeler, 
au  commencement  du  vers,  le  nom  de  Aavaoç  qui  est  plus  haut,  et  qui 
forme  le  sujet  nécessaire  du  verbe  w/sto  ;  quant  à  l'elision  ou  à  la 
crase  de  Yo  que  je  supprime,  ce  n'est  pas  à  vous  qu'il  est  nécessaire 
d'apprendre  que  les  lapicides  négligent  sans  cesse  l'elision,  en  expri- 
mant sur  la  pierre  la  lettre  qui  devait  être  élidée  à  la  lecture.  Ainsi, 
dans  les  inscriptions  memnoniennes  :  TPICKAIAGKAGXONTI  pour 
Tpiaxai^cît'  sypvTi  (  n°  36  );  KAIGIAKOYEIN  pour  zà£axoueiv 
(n°  40);  GIKONAGKMGMArMGNON  et  KAIACAOH  pour  etxoV 
èz^s^ay^svov  et  zàa-acprj  (n°  42);  dans  une  inscription  en  vers  iam- 
biques  de  Pselcis  en  Nubie  :  HAOONÀGKAGrk)  pour  -nlQov  de  v.àyâ 
(Welcker,  Syllog.  n°  198*);  enfin,  KAIAAIKU)N  pourxa&W  dans 
une  autre  trouvée  à  Argos,  que  vous  avez  publiée  et  savamment 
commentée  (Expéd.  de  Morée,  t.  II,  p.  97). 

Vous  voyez  que  lire  w^st'  se,  pour  eo^ero  *èç  ce  n'est  point  faire 
une  correction;  c'est  rétablir  la  crase  que  les  lapicides  négligeaient 
eux-mêmes. 

Reste  donc  la  seule  correction  èç  pour  sic;  mais  vous  me  la  passe- 
rez ,  j'espère,  aussi  facilement  que  je  vous  passerai  la  double  correction 
ivvâ.y.1  pour  swsaxiç. 

Je  n'attache  pas,  je  vous  prie  de  le  croire,  plus  d'importance  à  mon 
hexamètre  que  vous  à  votre  pentamètre  ;  car  l'auteur  de  l'inscription  n'a 
peut-être  pas  plus  pensé  à  l'un  qu'à  l'autre.  Mais ,  s'il  est  également 
fort  permis  de  proposer  une  conjecture  qui  n'est  pas  la  meilleure, 
ce  qui  est  arrivé  aux  plus  habiles,  du  moins  il  est  nécessaire  qu'elle 
soit  toujours  conforme  aux  éléments  qui  sont  à  notre  disposition. 
J'ai  tenu  seulement  à  vous  montrer  que  je  n'avais  pas  manqué  à  cette 
condition  essentielle, 

(1)  Dans  le  seul  Syllogede  Welcker,  sur  seize  exemples ,  il  n'y  a  qu'un  seul  pen- 
tamètre isolé ,  n°  172. 


218  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Ce  très-petit  incident  vidé,  je  viens  à  ce  qui  mérite  un  peu  plus 
d'attention. 

Les  points  très-nombreux  que  vous  avez  touchés  dans  votre  savante 
lettre  se  rattachent  à  deux  principaux  : 

1°  Les  bas-reliefs  funéraires  sur  lesquels  on  voit  un  ou  plusieurs 
personnages  prenant  une  part  plus  ou  moins  directe  à  un  repas  ou 
banquet,  représentent-ils  un  banquet  funèbre  ou  ne  sont-ils  que  la 
reproduction  d'une  scène  de  famille? 

2°  Le  cheval  et  le  chien  qui  se  voient  dans  quelques-uns  y  figu- 
rent-ils à  titre  de  symboles  ou  n'<tit-ils  qu'une  expression  directe? 

Et  voyez  comme  tout  se  lie  dans  l'étude  de  l'antiquité!  Ce  point 
accessoire  que  j'ai  touché  à  peine,  soulève  une  question  vitale  dans 
l'interprétation  archéologique  ,  celle  de  l'emploi  du  symbolisme  sur 
les  monuments  de  l'antiquité  figurée. 

Pour  ne  pas  me  lancer  dans  ce  vaste  sujet,  plus  qu'il  ne  convient  au 
modeste  but  que  j'ai  devant  les  yeux,  je  ne  sortirai  pas  de  la  classe 
des  monuments  funéraires  auxquels  se  rattache  la  stèle  de  M.  Laurin, 


Dans  l'immense  variété  de  sujets  que  les  anciens  ont  représentés 
sur  leurs  monuments  funéraires,  il  en  est  dont  le  sens  est  clair  et 
l'explication  facile;  mais  il  en  est  un  grand  nombre  qui  peuvent  se  prêter 
à  plusieurs  explications  probables  ;  et  l'on  ne  saurait  être  sûr  d'arriver 
à  quelque  résultat  moins  incertain ,  que  lorsque  quelque  circon- 
stance extrinsèque,  telle  qu'une  inscription,  apporte  un  indice  plus 
significatif. 

Malheureusement  la  plus  grande  partie  des  inscriptions  funé- 
raires connues ,  à  présent  séparées  du  monument  dont  elles  fai- 
saient jadis  partie,  ne  sont  plus  liées  à  aucun  bas-relief:  et,  d'un  autre 
côté,  la  plupart  des  bas-reliefs  funéraires  n'ont  point  d'inscription, 
soit  qu'on  eût  négligé  d'en  mettre;  soit  que  celle  qu'on  y  avait  mise 
fût  planée  sur  une  partie  du  monument  qui  n'a  pas  été  conservée  ; 
et,  quant  à  celles  qui  accompagnent  un  bas-relief,  on  en  a  tiré  gé- 
néralement fort  peu  de  lumière,  parce  qu'elles  consistent  le  plus  sou- 
vent dans  des  noms  propres  indiquant  les  personnes  déposées  dans  le 
tombeau,  et  celles  qui  l'avaient  élevé,  sans  rapport  direct  avec  le 
sujet  même  de  ce  bas-relief. 

Voilà  ce  qui  explique  l'obscurité  qui  plane  encore  sur  cette  classe 
si   intéressante   de   monuments;   et  les  discussions  qui   s'élèvent 


LETTRE  A   M.   PH.   LEBAS.  219 

chaque  jour  sur  la  véritable  signification  des  sujets  qu'on  croit  le 
mieux  connaître. 

On  ne  peut  espérer  d'y  mettre  un  terme  qu'en  profitant  de  toutes 
les  lumières  qui  peuvent  se  tirer  des  monuments  qu'on  découvre 
chaque  jour.  C'est  ce  que  vous  avez  tâché  de  faire,  à, propos  du 
beau  bas-relief  qui  existe  à  Merbaka ,  près  d'Argos,  et  qui  a  été 
pour  vous  le  point  de  départ  et  le  pivot  d'une  discussion  du  plus 
haut  intérêt  sur  tous  les  monuments  de  ce  genre,  principalement 
ceux  où  un  cheval  est  représenté,  afin  de  déterminer  quel  sens 
leurs  auteurs  ont  attribué  à  la  figure  de  cet  animal. 

Selon  vous,  elle  a  presque  toujours  un  sens  purement  symbo- 
lique. Tout  en  reconnaissant  cette  signification  en  certains  cas,  je 
la  repousse  en  d'autres,  où  vous  l'admettez.  Ce  ne  serait  donc,  entre 
nous,  qu'une  question  déplus  ou  de  moins.  Mais  le  dissentiment  est 
plus  grave  et  plus  profond ,  comme  vous  l'avez  très-bien  aperçu  ;  il 
tient  à  la  signification  que,  selon  moi,  il  faut  attribuer  aux  bas-reliefs, 
dits  repas  funèbres,  dans  lesquels  je  ne  vois  qu'une  scène  de  la  vie 
intérieure,  un  repas  de  famille,  tandis  que  vous  y  voyez  une  scène 
éminemment  religieuse.  Plus  j'y  réfléchis,  plus  je  crois  mon  opinion 
certaine,  limitée  à  un  certain  ordre  de  monuments.  Car  il  y 
a,  sur  ce  point,  des  distinctions  à  établir,  que  peut-être  vous 
avez  négligées;  et,  dans  la  longue  promenade  archéologique  que 
vous  m'avez  fait  faire, .comme  vous  le  dites  (p.  91),  où  je  vous  ai 
suivi  d'ailleurs  avec  autant  de  plaisir  que  de  profit,  vous  m'avez 
conduit  à  travers  une  foule  de  monuments  dont  la  plupart  me 
paraissent  avoir  très-peu  de  rapport  les  uns  avec  les  autres;  et 
surtout  avec  les  banquets  funèbres  ou  de  famille;  vous  avez,  de 
cette  manière,  fort  compliqué  une  question  qui  n'est  déjà  pas  mal 
embrouillée;  et  vous  m'avez  fait,  en  outre,  des  objections  qui 
n'en  sont  pas  pour  moi,  attendu  que  je  n'ai  rien  dit  de  ce  qu'elles 
supposent. 

Ainsi  (p.  87),  vous  me  demandez  si  je  ne  reconnais  pas  qu'il 
y  ait  invocation  ou  supplication  sur  le  bas-relief  du  Musée  Royal 
(n°  261,  il  faut  lire  n°  257,  pi.  211):  sur  celui  de  M.  Pourtalès 
Gorgier  (pi.  18);  et  sur  un  troisième  publié,  entre  autres,  par 
M.  GerhardL Àrcheolog.  Zeitschr. ,  pi.  XXXIII,  f.  2).  Je  le  reconnaî- 
trais, que  cela  ne  m'engagerait  en  rien  pour  les  repas  funèbres  ou  de 
famille  (le  seul  sujet  dont  je  parle),  attendu  que  ceux-ci  sont  étran- 
gers à  une  invocation  ou  supplication. 

Vous  dites  encore  (p.  92)  :  «  Voulez- vous  d'autres  preuves?..  Les 


220  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  inscriptions  attestent  que  de  nombreux  ex-voto  étaient  consacrés 
«  à  Escnlape  et  à  Hygie  par  les  familles  ;  »  et  vous  citez  deux 
inscriptions  qui  le  prouvent.  Vous  auriez  pu  facilement  en  citer  dix 
fois  plus,  que  cela  n'aurait  pas  le  moins  du  monde  avancé  la  ques- 
tion. Je  n'ai  pas  nié,  et  personne  ne  niera  l'existence  des  nombreux 
ex-voto,  surtout  en  l'honneur  de  ces  deux  divinités  ;  mais  cela  ne  fait 
absolument  rien  à  nos  repas  funèbres  ou  de  famille,  qui  ne  sont  pas 
des  ex-voto. 


Je  vous  demande  donc  à  mon  tour  la  permission,  mon  cher  con- 
frère, de  circonscrire  la  question  au  seul  point  particulier  que  j'aie 
touché  dans  mon  explication  de  la  stèle.  Il  est  déjà  assez  étendu  ; 
d'autant  que,  pour  l'éclaircir  plus  complètement,  je  me  vois  obligé 
de  le  lier  avec  un  autre  sujet  funéraire,  répété  non  moins  souvent, 
qualifié  par  les  uns,  de  cérémonie  nuptiale,  par  d'autres,  de  scène 
d'adieux,  et  qui  n'est  ni  l'un  ni  l'autre;  ce  que  les  habiles  ar- 
chéologues qui  s'en  sont  occupés  auraient  vu  depuis  longtemps, 
s'ils  avaient  fait  plus  d'usage  des  inscriptions  qui  s'y  rapportent. 
Vous-même ,  mon  cher  confrère  qui ,  dans  votre  beau  travail ,  en 
avez  tiré  meilleur  parti  que  personne,  pour  l'éclaircissement  de  ces 
deux  sujets,  vous  verrez  qu'elles  fournissent  des  indications  pré- 
cieuses qui  vous  ont  échappé. 

A  l'aide  des  inscriptions ,  tant  de  celles  dont  vous  avez  fait  usage , 
que  de  celles,  en  plus  grand  nombre,  dont  vous  n'avez  pas  cru  de- 
voir vous  servir,  je  ne  désespère  pas  de  réussir  à  vous  montrer  que 
l'opinion  que  vous  déclarez  contraire  au  génie  de  V antiquité,  est  la 
seule  admissible. 

Mais,  dans  le  cas  môme  où  je  me  ferais  illusion,  je  suis  sûr,  au 
moins  de  vous  présenter  des  notions  et  des  aperçus  qui,  maniés 
tôt  ou  tard,  par  une  main  habile  telle  que  la  vôtre,  pourront  conduire 
à  d'utiles  résultats. 

Letronne. 

(  La  suite  du  prochain  numéro.  ) 


MEMOIRE 

SUR 

LES  DIVALIA  ET  LES  ANGERONALIA 

COMME   CULTE   SECRET   DE    VÉNUS   CHEZ   LES   ROMAINS  (i). 


DEUXIÈME  PARTIE. 

Nos  considérations  sur  les  Diva  lia  ayant  pris  beaucoup  plus  de  dé- 
veloppement que  nous  ne  pensions,  et  la  Reçue  Archéologique,  par 
sa  nature  et  son  plan ,  ne  comportant  pas  l'insertion  textuelle  d'un 
travail  aussi  étendu,  nous  avons,  quant  à  présent,  jugé  nécessaire 
d'en  supprimer  la  seconde  partie  que  nous  nous  réservons  de  publier 
plus  tard.  Mais,  afin  que  dans  la  suite  de  ce  mémoire  certains  pas- 
sages ne  soient  pas  inintelligibles  pour  nos  lecteurs,  nous  croyons 
utile  de  leur  présenter,  sous  forme  de  sommaires ,  les  idées  princi- 
pales contenues  dans  les  chapitres  de  cette  deuxième  partie. 

I.  Il  existait  à  Rome  un  culte  secret  et  très-ancien  de  Vénus,  pro- 
bablement institué  par  Énée,  culte  dont  les  Pénates,  c'est-à-dire  les 
Dioscures,  semblent  avoir  été  l'un  des  symboles.  Dans  les  premiers 
temps  de  Rome,  le  nom  de  Vénus  n'existant  point  encore,  cette 
déesse  était  adorée  sous  les  noms  de  Volupia  et  d'Angerona. 

II.  Cette  Vénus,  d'origine  orientale,  avait  de  nombreux  rapports 
avec  Cybèle.  Comme  celle-ci,  elle  désignait  les  grandes  forces  de  la 
nature,  et  surtout  la  reproduction. 

III.  On  lavait  figurée  primitivement  avec  les  attributs  des  deux 
sexe.*.  C'est  cette  Vénus  Ândrogyne  qui,  dans  le  principe,  a  été  la 
diçinité tutélaire  de  Rome,  représentée  aussi  sous  la  forme  d'Angeronia . 

IV.  Plus  taVd  elle  reçut  le  nom  de  Venus  Genitrix,  dans  le  dou 
ble  sens  de  Mère  de  la  race  Enéenne  (Genitrix  sEneadum  (2)),  et  de 
déesse  de  la  procréation  (yevsTeipa,  yevévEMc  ecpopoç  (3)  ).  Jules  Cé- 
sar le  premier  lui  érigea  un  temple. 

(1)  Voir  la  Revue,  t.  II,  p.  633-676. 

(2)  Lucret.  1,1. 

(3)  SchoL  Aristophan.  IVub.  v.  62. 


222  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

> 

V.  En  instituant  ce  culte,  il  est  probable  que  César  agissait  au 
moins  autant  par  des  calculs  d'intérêt  dynastique  que  par  un  senti- 
ment religieux. 

VI.  Venus  Genilrix  et  Venus  Victrix  sont  identiques. 

VII.  L'une  et  l'autre  ne  sont  également  rien  autre  chose  que  la 
divinité  tutélaire  de  Rome  (Dea  Roma  ,  Genius  Urbis,  Genius  Populi 
Romani,  Angerona) ,  dont  le  nom  véritable  et  primitif  était  tenu  dans 
le  secret  le  plus  inviolable.  Le  sexe  môme  de  cette  divinité  prolec- 
trice était  entouré  de  mystère,  et  pouvait  l'être  d'autant  plus  facile- 
ment qu'elle  avait  été  d'abord  adorée  sous  une  forme  bisexuelle. 

VIII.  Le  culte  de  Vénus  étant  la  religion  de  l'État,  et  devant 
néanmoins  rester  secret  quant  à  son  caractère  essentiel ,  les  images 
des  autres  dieux,  sur  les  monuments,  et  particulièrement  sur  les 
monnaies,  étaient  substituées  tour  à  tour  à  celle  de  Vénus,  quand 
elle  figurait  comme  déesse  tutélaire  de  Rome.  On  conservait  l'un  des 
attributs  de  Vénus,  et  l'on  y  ajoutait  ceux  de  la  divinité  qui  servait  à 
la  déguiser. 

IX.  Parmi  les  attributs  de  Vénus ,  plusieurs  ,  tels  que  les  étoiles, 
le  caducée,  la  corne  d'abondance,  le  serpent,  etc. ,  n'ont  pas  été  jus- 
qu'ici pris  en  considération  comme  ils  devaient  l'être. 

X.  Pour  représenter  certains  personnages  allégoriques  ou  cer- 
taines divinités  d'un  ordre  moins  élevé,  telles  que  Fortuna,  Salus , 
Clemenlia,  Concordia,  Lïberlas,  les  Romains  empruntaient  égale- 
ment les  traits  et  les  attributs  de  Vénus. 

XI.  Les  Triumviri  et  Qualuorviri  monetales  semblent  avoir  été 
choisis  parmi  les  Flamines  divales  ou  prêtres  de  Vénus- Angerona, 
afin  qu'ils  pussent  surveiller,  conformément  aux  règles  établies  pour 
l'observation  de  ce  grand  secret  d'État,  l'apposition  sur  les  mon- 
naies des  images  et  des  symboles  des  dieux.  P.  Sépullius  Macer  était 
investi  de  ces  fonctions  sous  César. 

XII.  Après  Vénus,  Mars  semble  avoir  foué  le  rôle  le  plus  con- 
sidérable dans  la  religion  primitive  des  Romains. 

XIII.  Le  culte  de  César  déifié  fut  plus  tard  adjoint  à  celui  de 
Venus  Genitrix. 

TROISIÈME  PARTIE. 

Jusqu'ici,  tout  en  nous  éclairant  des  documents  fournis  par  la 
numismatique  dans  les  recherches  que  nous  avons  dû  faire  sur 
le  culte  de  Vénus  et  de  la  déesse  de  Rome ,  nous  n'avons  pas  voulu 


MÉMOIRE    SUR   LES   DIVALIA.    ET    LES   ANGERONALIA.         223 

expliquer  Angerone  elle-même  autrement  que  par  les  traditions 
puisées  dans  les  anciens  classiques.  Nous  nous  sommes  abstenu 
à  dessein  de  la  considérer  d'après  les  monuments  de  l'art  anti- 
que, et  voici  la  raison  qui  nous  a  fait  agir  ainsi.  11  était  infiniment 
probable  que  leur  explication  resterait  difficile,  tant  que  nous  ne  se- 
rions pas  parvenu  à  éclaircir  les  obscurités  qui  entourent  les  opinions 
et  les  assertions  des  anciens  sur  cette  déesse.  Maintenant  que  le 
mot  de  cette  énigme  est  trouvé,  et  qu'avec  son  aide  nous  sommes 
arrivé  à  un  résultat  que  nous  nous  croyons  en  droit  de  considérer 
comme  positif,  examinons  les  œuvres  d'art  où  les  anciens  ont  re- 
présenté Angerone,  et  voyons  si  leur  étude,  jointe  à  ce  qu'ont  dit  à 
leur  occasion  les  archéologues  qui  les  ont  décrites,  détruit  ou  con- 
firme l'opinion  que  nous  avons  émise.  Voyons  si  l'explication  de  ces 
mêmes  figures  peut  à  son  tour  recevoir  quelque  lumière  des  recher- 
ches que  nous  avons  faites  sur  cette  mystérieuse  divinité. 

Nous  laissons  absolument  de  côté  la  question  de  savoir,  si  le  cachet 
de  Sépullius  est  ou  non  authentique.  A  ce  sujet  nous  déclarons  notre 
incompétence,  et  nous  nous  garderons  d'autant  plus  de  nous  pronon- 
cer que  des  opinions  tout  à  fait  opposées  ont  été  émises  sur  ce 
cachet  par  des  connaisseurs.  Dans  tous  les  cas,  la  solution  de  cette 
question  n'importe  pas  à  la  partie  actuelle  de  notre  travail.  Quand 
bien  même  cette  pierre  gravée  serait  l'œuvre  d'un  faussaire,  il  reste- 
rait toujours  très-probable  que,  pour  sa  confection,  il  lui  a  fallu  re- 
courir à  des  données  puisées  dans  d'autres  monuments  semblables  qui 
ne  nous  sont  pas  parvenus.  11  suffit  d'ailleurs  du  sacrifice  offert  chaque 
année  par  les  pontifes  à  Angerone,  dans  la  chapelle  de  Volupia,  et  des 
autres  circonstances  analogues  que  nous  avons  rapportées,  pour 
maintenir  tout  ce  que  nous  avons  dit  sur  l'identité  de  cette  divinité 
avec  Vénus  et  sur  le  culte  secret  de  celle-ci  comme  déesse  tutélaire 
de  Rome.  En  prenant  ce  point  de  départ,  et  en  nous  servant  de  ces 
particularités  pour  appliquer  aux  monuments  figurés  d'Angerone 
l'explication  qui  jusqu'aujourd'hui  leur  a  manqué,  nous  essayerons 
de  confirmer  et  de  développer  aussi  complètement  que  possible  les 
théories  que  nous  avons  établies.  S'il  nous  échappe  des  erreurs,  les 
archéologues  voudront  bien  nous  les  pardonner,  et,  s'ils  trouvent 
que  le  sujet  le  mérite,  les  corriger. 

Pour  procéder  avec  méthode  et  «clarté,  nous  diviserons  ces  monu- 
ments en  plusieurs  groupes  ou  sections.  Le  premier  comprendra  ceux 
où  Angeronia,  reconnaissable  par  son  sexe  et  par  son  geste  qui  com- 
mande le  silence,  n'offre  point,  à  l'exception  de  ses  formes  ou  de  la 


224  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

manière  dont  ses  vêtements  sont  drapés,  d'autres  caractères  qui 
puissent  mettre  en  évidence  son  identité  avec  Vénus. 

Dans  un  second  groupe,  nous  réunirons  les  figures  de  cette  déesse 
où  l'on  observe,  outre  les  caractères  dont  nous  parlions  à  l'instant, 
un  ou  plusieurs  attributs  qui  la  désignent  comme  Vénus  ou  comme 
Vénus-Cybèle. 

Une  troisième  section  enfin  embrassera  les  images,  à  l'égard 
desquelles  on  ne  peut  décider  avec  certitude  s'il  s'agit  d'Angerone  ou 
d'Harpocrate ,  mais  qui ,  selon  nous ,  permettent  de  reconnaître  cette 
ancienne  Vénus  masculine  (l),  formée  par  le  dédoublement  de  la 
Vénus  Androgyne;  car  la  première,  de  même  que  la  seconde  et 
Angeronia,  comme  nous  l'exposerons,  semblent  avoir  été  plus  tard 
réunies  et  confondues  avec  Harpocrate.  Dans  cette  catégorie  nous 
serons  forcé  de  placer  une  série  d'images  qui  peut-être  sont  étran- 
gères à  notre  sujet,  mais  qu'il  vaut  mieux  pourtant  citer  sous  forme 
dubitative ,  que  de  les  passer  sous  silence.  De  cette  manière  au  moins 
nous  n'aurons  négligé  aucune  des  faces  sous  lesquelles  cette  question 
peut  être  considérée. 

Autant  que  cela  se  pourra,  nous  classerons  les  monuments  de 
chaque  division  par  ordre  chronologique. 

PREMIÈRE   SECTION. 

Monuments  représentant  Angerone  sans  autres  caractères  ni  attributs. 

§  I.  (PL  51,  fig.  1 .  )  De  La  Chausse  (l)  représente  la  statue  d'une 
Angerone  qui  place  l'index  de  la  main  droite  sur  sa  bouche  fermée. 
C'est  une  figure  toute  nue,  aux  formes  élégantes,  dont  les  seins  sont 
arrondis  avec  grâce,  et  dont  la  chevelure  abondante  est  arrangée  comme 
on  le  voit  ordinairement  sur  la  tête  de  Vénus  que  représentent  les  mon- 
naies romaines  (2).  Enfin,  si  l'on  compare  cette  Angerone  avec  ces 
effigies  de  Vénus  et  avec  ses  statues,  il  est  impossible  d'en  mécon- 
naître la  grande  ressemblance.  Elle  tient  derrière  le  dos  lavant-bras 

(1)  Macrob.  Satum.  I,  8.  Apud  Calvura  Acterianus  affirmât  legendum,  Pol- 
lenlemque  deum  t^cnerem,  non  deam.  Signum  etiam  ejus  est  Cypri  barbatum 
corpore,  sed  vesle  mulicbri  cum  sccplro  ac  stalura  [nalura?]  virili;  et  putant 
eandem  marcm  ac  feminam  esse.  Aristophanes  cam  Â^ooitov  appellat. 

§ I.  (1)  M.  A.Causei  deLaChausse,  Rfjmanum  Muséum.  T.  I,  sect.  tl,  éd.  I  (1690) 
et  II  (1707),  lab.  28  ;  éd.  111  (1746) ,  tab.  35.  Le  texte  et  la  figure  sont  les  mêmes 
dans  les  trois  éditions. 

(2)  Jufta.'RiccioG,  Morell.  t.  1,  vin  ;  R.  7,  M.  vu,JN  ;  R.  8,M.v,  M;  R.  10,  M. 
t.  4,  i;  etc.  Voy.  notre  pi.  £»l,  ûg.  3. 


MEMOIRE   SUR   LES  DIVALIA   ET  LES  ANGERONALIA.        225 

du  côté  gauche,  probablement  dans  l'attitude  dont  il  sera  question  à 
l'occasion  des  statuettes  décrites  par  Caylus  (3).  Si  le  bras  droit, -au 
lieu  d'être  élevé  pour  inviter  au  silence,  avait  une  autre  position, 
nul  doute  qu'on  n'eût  pris  cette  statue  pour  celle  d'une  Vénus.  Les 
paroles  de  De  la  Chausse,  à  propos  de  cette  figure,  bien  que  Caylus 
leur  ait  donné  des  éloges,  ne  nous  apprennent  absolument  rien  de 
nouveau  ni  d'utile  sur  Angerone,  qu'il  regarde  comme  la  déesse  du 
silence,  analogue  à  l'Harpocrate  des  Egyptiens.  11  la  déclare,  toute- 
fois, la  divinité  tutélaire  de  Rome. 

§  IL  (PI.  51,  fig.  5.)  Montfaacon  (1)  a  fait  graver  trois  figures 
d'Angerone.  La  seconde  est  la  copie  de  celle  que  donne  De  la 
Chausse,  et  la  première  seule  appartient  à  notre  première  section. 

«  Angeronie,  »  dit  Montfaucon ,  «  est  la  déesse  du  silence Elle 

était  donc  chez  les  Romains  ce  qu'était  Harpocrate  chez  les  Égyp- 
tiens. La  première,  et  la  plus  belle  figure  que  nous  en  donnons, 
a  une  coiffure  extraordinaire,  et  est  habillée  à  peu  près  comme 
une  Vesta  donnée  aux  images  de  cette  déesse.  »  Cette  coiffure 
consiste  en  une  espèce  de  bandeau  roulé  en  spirale  autour  des 
cheveux;  elle  me  paraît  phrygienne  ou  au  moins  orientale.  Les 
tours  de  spirale  commencent  à  quelque  distancé  au-dessus  du  front, 
et  se  terminent  en  pointe  au  sommet.  Cette  figure  est  la  même 
que  celle  qui  a  été  représentée  par  Caylus,  et  dont  il  sera  ques- 
tion tout  à  l'heure;  seulement  elle  est  dessinée  dans  des  propor- 
tions un  peu  plus  grandes  que  les  six  pouces  quatre  lignes  indiqués 
par  cet  archéologue.  Cela  a  mis  l'artiste  en  position  de  rendre  plus 
exactement  les  détails,  ceux  de  la  coiffure  en  particulier;  mais 
le  dessin  est  évidemment  renversé  de  droite  à  gauche ,  sans  doute  par 
une  erreur  du  graveur.  La  déesse  a  le  bras  gauche  fléchi  dans  l'arti- 
culation du  coude,  et  la  main  gauche,  qui,  parle  renversement,  se 
trouve  être  la  main  droite,  est  à  demi  fermée  et  appuyée  sur  le  côté 
gauche.  Ce  qui  prouve  encore  que  la  figure  est  renversée ,  c'est  qu'elle 
tient  l'index  gauche  sur  sa  bouche  fermée,  tandis  que  sur  les  autres 
monuments,  par  une  mimique  beaucoup  plus  naturelle,  l'index  de  la 
main  droite  sert  pour  désigner  le  silence.  Il  n'y  a,  sous  ce  rapport, 
d'exception  que  dans  quelques-unes  des  figures  de  Caylus  (2),  où  la 
main  droite,  présentant  des  palmes,  ou  prenant  une  position  par- 

(3)  Voy.  ci  dessous,  §111. 

§11.  (1) Montfaucon,  l'Antiquité  expliquée,  t.  I,  2e  partie  (1719), pi.  213,  tig.  1, 
p.  359,  IV. 
(2)  Voy.  ci-dessous ,  sect.  i,  §*  3  et  4  ;  sec»,  u,  §  4. 

III.  15 


226  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ticulière  et  symbolique,  ne  peut  en  même  temps  faire  le  geste  du 
silence. 

Nous  joignons  ici  la  partie  essentielle  de  la  description  que  Caylus 
donne  de  cette  gravure  (3).  «On  pourrait  regarder  cette  figure  comme 
l'emblème  d'un  silence  particulier  qu'on  avait  intérêt  de  recomman- 
der; ce  pouvait  être  le  silence  sur  les  affaires  domestiques,  secret  si 

nécessaire  et  si  peu  pratiqué  dans  les  familles La  gorge  de  la 

déesse  est  assez  ferme  pour  faire  l'office  de  clou  et  soutenir  le  man- 
lelet  qui  recouvre  la  tunique La  tunique  ou  le  vêtement  de  des- 
sous n'est  retenu  par  aucune  espèce  de  ceinture;  cette  circonstance 
peut  être  nécessaire  à  remarquer,  d'autant  qu'elle  n'est  pas  ordi- 
naire   La  coiffure,  parfaitement  conservée,  n'est  pas  commune 

pour  le  temps  auquel  l'ouvrage  a  été  fait;  elle  conserve  une  sorte  de 
rapport  avec  celle  de  plusieurs  figures  étrusques  des  plus  anciennes. 

«  Hauteur  six  pouces  quatre  lignes.  » 

Tous  ces  détails,  indiqués  par  le  savant  dont  nous  venons  de  citer 
le  nom,  sont  aussi  rendus,  et  même  plus  exactement,  dans  la  gra- 
vuredeMontfaucon(4a).Il  est  probable  que  Caylus  a  fait  l'acquisition 
de  cette  statuette  qui,  d'après  Monlfaucon ,  appartenait  d'abord  au 
cabi  net  du  père  Albert.  C'est  sans  doute  à  cause  du  renversementque 
l'identité  n'a  pas  été  reconnue  par  un  observateur  aussi  exercé  que 
Caylus  ;  peut  être  aussi  a-t-il  été  induit  en  erreur  pour  avoir  fait 
la  comparaison  seulement  d'après  son  dessin,  dans  lequel  les  dimen- 
sions de  la  statuette  sont  diminuées  de  moitié  environ,  de  sorte 
que  les  détails,  ceux  de  la  chevelure  surtout,  disparaissent  à  cause 
de  la  petitesse.  Distrait  d'ailleurs  qu'il  était  par  tant  de  recherches, 
il  ne  portait  qu'un  médiocre  intérêt  à  cette  Angerone,  dont  le  sujet, 
comme  nous  verrons  plus  loin  (4  b) ,  lui  paraissait  inintelligible  ;  il  n'y 
a  donc  rien  d'étonnant  qu'il  ne  se  soit  pas  aperçu  de  la  négligence 
du  graveur  de  Montfaucon.  Quand  bien  même  notre  remarque  sur 
l'identité  de  ces  deux  figurines  serait  erronée ,  elles  ne  représente- 
raient pas  moins  le  même  sujet. 

La  ressemblance  avec  une  Vénus  ici  est  encore  frappante.  L'absence 
de  la  ceinture,  signalée  par  Caylus,  caractérise  principalement  cette 
déesse.  C'est  en  partie  à  cause  de  cela  que  César,  affichant  avec  os- 
tentation sa  dévotion  pour  Vénus ,  son  aïeule  (5),  et  voulant  même 

(3>  Recueil  d'Antiquités,  t.  IV,  pi.  72 ,  flg.  2 ,  p.  229. 

(4  a)Voy.notre  pi.  61,  flg.  5. 

(4  bj  Sccl.u,§4. 

(6)  DiQ  Cass.  XLIII,  43.  Tô  ôXov  t$  ye  À? poSir?  tc&s  àvkeiTO. 


MÉMOIRE    SUR   LES   DIVALIA    ET   LES    ANGERONALIA.         1T1 

faire  croire  à  une  certaine  ressemblance  entre  elle  et  lui  (6),  affec- 
tait de  se  ceindre  négligemment  (7),  ce  qui  lui  valut,  de  la  part  de 
Sylla  ,  l'épithète  de  garçon  à  la  ceinture  mal  serrée  (8). 

§  III.  (PI.  51 ,  fig.  2.)  Caylus  (1)  a  figuré  deux  autres  statuettes 
d'Angerona.  Toutes  les  deux  ressemblent  à  la  première  que  nous 
avons   décrite  (§1),  en  ce   qu'elles   sont  entièrement  nues,  et 
que  l'une  de  leurs  mains  affecte  une  position  particulière.  Dans 
la   figure  III,  la  plus  grande  ressemblance  avec  une  Vénus  se 
manifeste  par  la  nudité  complète,  les  belles  formes  du  torse  et 
des  seins,   et  la  chevelure  abondante,  dont  l'arrangement  est  à 
peu  près  le  même  que  dans  limage  de  Vénus  sur  les  médailles 
romaines.  Les  trois  premiers  doigts  de  la  main  gauche  sont  appli- 
qués sur  la  bouche,  tandis  que  la  main  droite  se  trouve  posée, 
comme  on  peut  le  voir  dans  la  gravure  (k2),  et  comme  dit  Caylus, 
«  sur  la  partie  diamétralement  opposée  à  la  bouche.  »  Quant  aux 
extrémités  inférieures,  elles  manquent  à  partir  du  tiers  moyen  des 
cuisses.  Voici  les  passages  essentiels  du  texte  de  Caylus  :  «  Ce  frag- 
ment de  la  même  divinité  prouve  que  l'usage  en  était  fréquent  chez 
les  Romains,  et  que  l'attitude  qu'on  lui  a  donnée  n'était  pas  absolu- 
ment arbitraire.  La  figure  précédente  était  l'image  d'un  enfant;  celle- 
ci  représente  une  jeune  personne.  Le  dessin  ne  laisse  aucun  doute 
sur  les  rapports  de  ces  deux  figures.  L'exacte  nudité  n'est  pas  une  de 
leurs  moindres  singularités.  Heureusement,  ce  qui  manque  à  ce  petit 

monument  n'est  pas  essentiel  pour  l'explication Ce  bronze  n'a 

plus  qu'un  pouce  et  demi  de  hauteur.  » 

La  position  de  la  main  droite  de  cette  figure  et  de  la  suivante,  de 
même  que  celle  du  bras  gauche  de  la  statue  décrite  dans  le  §  I,  ne 
me  semble  pas  être  l'effet  du  hasard  ou  du  caprice.  Puisque  nous 
voyons  cette  attitude  dans  plusieurs  monuments  découverts  en  des 
localités  différentes  et  à  des  époques  diverses,  elle  doit  avoir  une 
signification  cachée.  Vénus,  en  Orient,  a  été  figurée  primitivement 
hermaphroditique,  sans  doute  pour  indiquer,  que  l'amour  physique 
n'est  licite  que  par  le  congrès  des  deux  sexes ,  et  lorsqu'il  a  pour  but 
les  saintes  fonctions  de  la  propagation  de  l'espèce  (3).  Cette  image 

(6)  lhid.  KLsei  7rsi'0£iv  7T«vtx$  -<)'0s).sv,  oti  xxï  avôoç  ri  &pxç  àjr'  aùr/js  s^s«. 

(7)  Ihid.  T/5  èk  la&frt  ■/xwoTèpx  h  nxstv  hrfpvvero.  Sueton.  Cœs.  C.  45.  Cinge- 
batur  fluxiorecinclura.  > 

(8)  Suet.  ibid.  aullae  dictum  ,....  ut  maie  praecinclum  puerum  caverent. 

§  III.  (1)  Recueil  d'^rdiquilés ,  t.  II,  pi.  79,  fig.  i ,  n  et  m,  p.  281  et  suiv. 

(2)  Voy.  noire  pi.  61,  fig.  2. 

(3)  Comparez  sous  ce  rapport  l'important  passage  de  Codinus ,  cité  dans  la  note  4 
du  §  I  de  la  sect.  m. 


228  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

androgyne  était  la  réprobation  sensible  des  débauches  contre  nature , 
si  répandues  dans  l'Orient  dès  les  temps  les  plus  reculés,  et  châtiées 
dans  l'Écriture  sainte  par  l'extermination  de  Sodomeetde  Gomorrhe. 
Voici  pourquoi  le  fcreig,  et  non  le  phallus,  est  figuré  à  côté  de  cette 
Vénus  bisexuelle  sur  un"monument  curieux  appartenant  actuelle- 
ment à  la  Bibliothèque  du  Roi ,  et  décrit  par  M.  Lajard  ,  son  premier 
propriétaire ,  dans  un  intéressant  et  savant  Mémoire  (4).  C'est  par  la 
même  raison,  il  est  du  moins  permis  de  le  supposer,  qu'Angeronia  , 
formée  de  cette  Vénus  androgyne,  laisse  exposé  aux  regards  ce  que 
cherche  à  couvrir  pudiquement  Aphrodite  Anadyomène,  et  cache 
entièrement  avec  une  de  ses  mains  la  partie  opposée,  comme  pour 
désigner  en  elle  la  véritable  partie  honteuse.  Aujourd'hui  encore  , 
par  des  motifs  semblables,  les  Turcs  vraiment  religieux  mettent  la 
pudeur  à  ne  pas  se  déshabiller  facilement  les  uns  devant  les  autres; 
le  môme  sentiment  leur  inspire  une  répugnance  invincible  pour  les 
clystères  (5). 

§  IV.  Le  sujet  des  gravures  I  et  II  de  la  même  planche  de,  Cay- 
lus  (1),  par  sa  nudité  complète,  son  attitude,  la  position  de  la  main 
droite,  par  l'application  des  trois  premiers  doigts  de  la  main  gauche 
sur  la  bouche,  et  par  la  manière  dont  la  chevelure ,  très-épaisse ,  est 
arrangée,  offre  la  plus  parfaite  ressemblance  avec  celle  que  nous 
venons  de  décrire.  Elle  n'en  diffère  que  par  les  particularités  sui- 
vantes :  c'est  la  figure  d'une  toute  jeune  fille ,  ce  qui  la  rend  sembla- 
ble à  l'Angeronia  représentée  par  Goropius  (2).  La  main  gauche  est 
appuyée  sur  la  bouche  avec  un  effort  plus  marqué  dans  cette  statuette 
que  dans  la  précédente.  «La  belière,  »  dit  Caylus,  «qui  la  met  au 
rang  des  amulettes,  subsiste  dans  son  entier,  et  la  conservation  to- 
tale du  morceau  ne  peut  être  plus  complète.  Celte  figure  a  été  trou- 
vée, il  y  a  peuple  temps,  dans  les  débris  d'une  tour  bâtie,  à  ce  que 
l'on  prétend,  parCaligula,  à  l'entrée  du  port  de  Boulogne-sur  Mer. 
Quelques  autres  monuments  de  cette  espèce  pourraient  autoriser  le 
sentiment  de  ceux  qui  regardent  cette  ville  comme  l'ancien  port 
Icius. 

(4)  Nouvelles  Annales,  publiées  par  la  section  française  de  l'Institut  archéolo- 
gique ,  t.  I.  Paris,  183G,  p.  161  et  suiv.  F.  Lajard  ,  Mèm.  sur  la  Venus  orientale 
androgyne.  J'avais  déjà  réuni  de  nombreux  passages  sur  cette  déesse  fort  impor- 
tante pour  mon  sujet ,  lorsque  j'eus  connaissance  de  ce  beau  travail  qui  me  permit 
de  me  dispenser  de  la  continuation  de  ces  recherches. 

(6)  A.  Braver,  Neuf  années  à  Conslanlinople.  Paris,  1836,  in-8  ,  t.  I,  p.  183  et 
passim. 

Ç  IV.  (1)  Recueil,  l.  Il,  p\.  79. 

(2)  Voy.  sect.  n  ,  §  I,  et  pi.  51,  Og.  13. 


MÉMOIRE   SUR   LES   DIVALIA    ET   LES   ANGERONALIA.         229 

«  Ce  petit  monument  est  une  représentation  d'Angerona,  divinité 
romaine,  qui  tire  son  origine  de  l'Harpoerate  égyptien.  Macrobe  fait 
mention  de  la  fête  qui  se  célébrait  à  l'honneur  de  cetle  déesse.  Il  sem- 
ble cependant  qu'il  ait  moins  en  vue  une  divinité  positive  qu'une 
allégorie.  Mais  ce  qu'il  dit  ensuite  du  silence  que  les  Romains  gar- 
daient par  superstition ,  touchant  la  déesse  tutélaire  de  leur  ville , 
dont  ils  défendaient  qu'on  proférât  le  nom ,  caractérise  davantage  An- 
gerona.  Il  paraît  môme  qu'elle  était  l'emblème  et  la  figure  de  ce  se- 
cret (3) Montfaucon  a  fait  graver  trois  images  de  cette  divinité  , 

différentes  des  miennes;  elles  ont  toutes  un  doigt  sur  la  bouche,  mais 
l'autre  main  est  toujours  dans  une  attitude  qui  paraît  arbitraire.  Elle 
n'est  pas  placée ,  ainsi  que  dans  les  deux  figures  de  cette  planche,  sur 
la  partie  diamétralement  opposée  à  la  bouche. 

«  Cette  figure  est  fondue  en  or  massif.  Elle  est  d'un  pouce  de  hau- 
teur, et  du  poids  de  cent  vingt  et  un  grains.  » 

§  V.  M.  Bernard  Quaranta  (i),  dont  la  science  archéologique 
déplore  la  mort  récente,  reproduit  aussi  un  tableau  d'Angerone, 
trouvé  à  Pompéi  dans  la  maison  de  Castor  et  Pollux.  Il  le  décrit  avec 
soin,  et  après  avoir  réuni  un  grand  nombre  de  passages  des  anciens 
sur  l'avantage  qu'il  y  a  à  savoir  se  taire  à  propos,  il  déclare  que,  s'il 
n'est  pas  certain  que  cette  figure  soit  celle  d'Angerone,  au  moins 
doit-elle  représenter  le  Silence.  Selon  nous,  on  ne  peut  y  méconnaître 
Angeronia ,  dont  l'extérieur  rappelle  encore  ici  celui  de  Vénus.  C'est 
une  femme  assise,  aux  formes  accomplies;  sa  draperie,  riche  et  élé- 
gante, laisse  à  découvert  les  seins,  les  épaules,  la  plus  grande  partie 
de  la  poitrine  et  les  bras,  qui  portent  des  bracelets.  De  la  tête  il 
n'existe  plus  que  le  menton  et  la  lèvre  inférieure,  au  devant  de 
laquelle  est  placé  le  doigt  indicateur  de  la  main  droite ,  dans 
la  position  que  nous  connaissons  déjà ,  mais  sans  être  en  contact  im- 
médiat avec  la  bouche,  comme  dans  les  autres  monuments  que  nous 
avons  décrits. 

Sur  la  même  planche ,  au-dessous  de  cette  déesse ,  est  figurée  une 
truie  couchée  sur  le  côté  gauche,  avec  trois  pattes  liées,  et  n'ayant 
de  libre  que  le  pied  droit  de  derrière.  A  gauche  de  cette  truie  sont 
appuyées  contre  le  mur  deux  palmes  placées  debout,  disposées  en 
croix,  et  nouées  ensemble  par  le  milieu.  D'après  M.  Quaranta,  ce 

(3)  Ou  a  vu ,  §  II ,  n.  3  ,  que  dans  le  t.  IV.Caylus  est  revenu  sur  cette  opinion 
fort  juste  ou  l'a  oubliée. 

§  V.  (l)  Real  Museo  Borhonico,  vol.  XII,  t.  19.  Pittura  rinYenula  in  Pompei 
nelia  casa  di  Castorc  e  di  Polluce. 


230  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dernier  tableau  ne  fait  pas  partie  du  tableau  supérieur;  mais  nous 
sommes  porté  à  croire  que  l'un  a  été  le  pendant  de  l'autre,  ou  en  a 
formé  une  espèce  de  piédestal,  comme  appartenant  au  même  sujet.  S'ils 
n'avaient  pas  été  découverts  en  même  temps  et  l'un  plus  ou  moins 
rapproché  de  l'autre,  comment  se  ferait-il  que,  seuls  parmi  tant  de 
tableaux  qu'on  a  rencontrés  dans  la  maison  de  Castor  et  Pollux,  ils 
eussent  été  réunis  sur  la  même  planche? 

Dans  une  note  fort  étendue,  M.  Quaranta  indique  les  différents 
usages  qu'avait  la  truie  dans  les  sacrifices  de  Rome  et  du  Latium  en 
général.  Mais  ce  qu'il  ignore,  c'est  que,  seule  de  toutes  les  déesses, 
cette  Aphrodite  orientale,  d'où  dérive  Angerone,  acceptait  pour 
victime  la  truie,  qui  lui  était  consacrée.  Plusieurs  auteurs  l'affirment 
positivement.  Denys  le  Périégète  rapporte  qu'à  Aspendos,  ville  de 
Pamphylie,  sur  l'Eurymédon,  Dioné  était  vénérée  par  des  sacrifices 
de  truies  (2).  Callimaque,  d'après  Strabon  (3),  dit  qu'Aphrodite Cast- 
nienne  permet  seule  qu'on  lui  sacrifie  des  porcs.  Le  nom  de  cette 
Vénus  vient  du  mont  Castnion ,  près  d' Aspendos  (4).  Si  l'on  songe 
que  Lycophron ,  en  désignant  Énée  comme  l'aïeul  du  peuple  romain, 
l'appelle  le  fils  de  cette  Aphrodite  Castnienne  et  Choeras  (5),  on 
reconnaît  clairement  ici  Vénus  l'Énéade ,  qui  est  devenue  Angerone. 
A  Argos  aussi,  d'après  Callimaque  ou  Zénodote,  on  sacrifiait  des 
truies  à  Aphrodite  (6).  C'est  d'Aspendos  sans  doute,  colonie  d'Ar- 
gos  (7),  que  les  sacrifices  de  cette  espèce  avaient  été  introduits 
dans  la  métropole,  où  ils  reçurent  le  nom  d'Hystéria.  A  Cypre  en- 
core, où  le  culte  de  cette  Vénus  asiatique  avait  pénétré  de  bonne 
heure,  le  porc  lui  était  consacré,  d'après  un  vers  d'Antiphane  con- 
servé par  Athénée  (8).  Dans  cette  même  île,  ces  animaux  immondes 

(5)  DiOïiys.  Perieg.    V.   852.  "A*:rev£o;,   -kotxjxoXo  itxpx  pôov   Eu^UMe'oovTOç ,  "Ev0z 

wy/.Ton{,vi  Aimvxôjv    t/xovrat.  Schol.   "Ort  h  'Avnévdw  t>5  ïïocufvlix?}  rro7ei ovc'j* 

fluai'atç  t/.âc-x£T3u  'Ap/sod^r/7 ,  o  sort  bspxnîûsTxi. 

(3)  Strab.  IX,  p.  438.  Ka/).t/AK#d;  ?rtsi  èv  Toïi  ixpQoXç,  rà;  Aopooi-zx^,  vj  Qebi  yùp 
oh  /«a,  tv;v  K.arnvv$Tïjv  [leg.  K.3cotvi>;tiv  ]  VTrcpêsMejôai  tzxgxç  tô  fpo'JiX-j,  l'ff  juiv-, 
Ttxpxoiytzxi  rr,-t  twv  vû5v  Bvolxv'. 

(4)  Sleph.  Byz.,  v.  KâffTJtÇ:  '0  Attttixvo'î  yr,<ti'  Râffrvtov  opos  iv  Àyîrévow  trjfff  Ha/Asu- 
Molç.  T6  Mfrixà*,  KâffTvto;,  ê|  ou  xxi  KxffTVtvjTvjs. 

(5)  Lycophr.  1234.  '0  KasTvteç  rl.Tfc  V«  XoipiSo;  ydvo?. 

(G)  AlhenœilS  II I  ,  p.  05,  f.  "On  ôè  ©vtm;  *Aypo8iTY)  uj  Q'jîtzi ,  uxprvpîX  Kx//<- 
/**X°»  »  *?  Zjjvoooto;,  èv  ImpitOÏç  'ÏTro/rj/fyxxffi  ',  ypifotv  uSe  Apyiloi  AfpoSirvi  vv  Qûojzi  , 
xal  v)  iopTYi  xxXelrxi  'Ysrripîu* 

(7)  Slrab.  XIV,  p.  667,  D.  'AvmvSoç  nàliç  ,  Apyeiwv  xt^k. 

(8)  Alhen.  loc.  Cit.  Avnyâv/;; ,  JLopi'jBix* èv  rf   Kvnpu  outw    fiX-tfêt  ruX:    l:i 

(  \vpo JtT»7  )  ,  w;  tc  axxrofxyeXv  o\mXp%t  to  Çwov  ,  toùç  $è  |5o3»  tivdyxxvev. 


MÉMOIRE   SUR   LES  DIVÀLIA   ET  LES   ANGERONALIA..        231 

avaient  même  le  privilège  de  servir  aux  oracles  (9).  S'ils  occupaient 
une  place  aussi  marquée  dans  les  rites  sacrés  d'une  déesse  que  l'an- 
tiquité devait  regarder  comme  ayant  en  aversion  tout  ce  qui  est  anti- 
pathique aux  idées  d  eléganceetdegrâce  dentelle  étaitla  personnifica- 
tion, ce  n'est  sans  doute  point  parce  que  dans  le  principe  on  les  tenait 
en  honneur,  mais  parce  qu'on  voulait  en  faire  l'objet  d'une  vengeance 
particulière  et  incessante ,  en  expiation  de  la  mort  d'Adonis  et 
d'Altys  ;  car  ce  dernier,  également  tué  par  un  sanglier,  d'après  quelques 
mythes  (10),  est  probablement  identique  avec  le  premier,  comme  la 
Vénus  des  contrées  de  l'Asie  Mineure  se  confond  elle-même  avec  la 
Mère  idéenne  (Mater  Idm),  c'est-à-dire  avec  Cybèle.  Atlys  était  le 
favori  de  celle-ci,  comme  Adonis  était  celui  d'Aphrodite.  Par  le 
même  sentiment  de  haine  et  d'horreur  pour  l'animal  qui  fit  périr 
l'objet  de  sa  tendre  affection ,  cette  déesse ,  chez  d'autres  peuples  (1 1), 
à  Sicyone  par  exemple ,  repoussait  le  pourceau  comme  victime.  Il 
n'est  pas  impossible  non  plus  que  le  nom  d'Aphrodite  Chœras  (Xotpdç) 
et  le  sacrifice  du  porc  (%oïpoq)  aient  été  perpétués  chez  les  Grecs 
par  l'effet  d'une  de  ces  allusions  qui  leur  étaient  si  familières,  le  mot 
yolpoç  étant  en  même  temps  l'un  des  synonymes  du  fcfefç. 

A  ce  qui  vient  d'être  dit,  il  faut  ajouter  le  rôle  important  que  joue, 
dans  la  fondation  par  Énée  de  la  première  ville  sur  la  terre  du  La- 
tium  (12),  la  truie,  noire  d'après  Lycophron,  blanche  selon  les  au- 
tres autorités,  truie  que  le  héros  troyen  avait  apportée  d'Ilion  (13), 
et  qu'il  sacrifia  à  ses  dieux  paternels  (14).  Au  nombre  de  ces  dieux 
devait  nécessairement  se  trouver  Vénus,  sa  mère.  C'est  du  moins  ce 
que  nous  avons  essayé  de  prouver  dans  le  premier  chapitre  de  notre 
seconde  partie,  que  le  manque  d'espace  nous  a  forcé  de  supprimer. 

(9)  Pausaïl.  VI  ,  C.  H,  2.  VLvnpioi  8k  éiç  v.oà  vaïv  însÇevpàvTeç  eiaï  /&KV*c6s9.#«e< 
.  (10)  Paiisan.  VII  ,  C.  XVII  ,  5.  \Uot  ts  rûv  Av£wv  xai  aura;  3krn?fi  vTzidxvvj  vizb  roù 

vos.  Aussi  voit-on  un  sanglier  offert  en  sacrifice  à  Cybèle  chez  Maffei  (Gemm. 
antich.  II,  38). 

(11)  PttUSan.  II,  c.  X,  4.  Twv  Sk  îeptioi»  toù;  /a>?jOOÙ;  06ou<7£  (r-ç\fpo8inp),  itlr,v  ûwv. 

(12)  Dionys.  Halic.  I,  55,  p.  141 ,  lin.  3  et  1 1  Reisk.;  p'.  143,  lin.  16.  Fi) g. 
iEn.  III,  390;  VIII,  81.  Heine  Excurs.  II  ad  J$n.  VII ,  p.  129„  éd.  3. 

(13)  Farroêe  L.  L. ,  IV,  p.  40.  Bipont.  Oppidum  Alba  a  sue  alba  cognomina- 
tum.  Haec  e  nave  JEneœ  curn  fugisset  Lavinium,  triginta  parit  porcos.  Lycophr. 

V.  125G.  Suôç  y.£).atv7;;,  9ft  àîr'  'iâai'wv  \èf&rt....  vauîO/cjcrcTai. 

(14)  Dionys.  I  ,  57,  p.  144,  lin.  2.  Aivrfaç  Si  rfa  /*èv  uès  rbv  to'xov  «//.a  t/j  yeiva/*év>j 
rôti  TTXTpyoïs  xyiÇei  Hêiii  Le  mot  àyt'Çît  ne  désigne  pas  simplement  un  sacrifice 
(imnolavilfrm*  la  traduction  latine),  mais  encore  une  consécration.  Aussi  Denys 
ajoute  t-il  qu'au  même  endroit  une  chapelle  fut  érijjée  ,  qui  existait  encore  de  son 
temps,  et  dont  l'accès,  comme  d'un  sanctuaire,  était  défendu  aux  profanes.  Il 
s'agit  encore  ici  d'un  des  mystères  de  Vénus  Énéade. 


232  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Fixons  encore  notre  attention  sur  l'importance  que  cette  même  truie 
avait  dans  les  cérémonies  religieuses  pour  les  traités  d'alliance  chez 
les  Romains  (15),  et  sur  sa  représentation  si  fréquente  sur  les  mon- 
naies romaines.  Parmi  celles-ci ,  une  surtout  présente  un  grand  in- 
térêt (16)  :  sur  la  face,  elle  porte  deux  tètes,  qui,  d'après  la  légende 
(D.P.P.),  sont  celles  des  Pénates.  Sur  le  revers  se  trouve  la  truie, 
placée  entre  les  Dioscures  ou  les  Pénates,  symbole  de  Vénus  natio- 
nale et  tutélaire  (17). 

De  tous  ces  rapprochements  nous  devons  conclure  que  la  truie , 
dans  le  culte  secret  de  Vénus  Énéade,  était  la  victime  de  prédilection, 
et  que,  sur  ce  tableau,  trouvé  par  une  remarquable  coïncidence  dans 
la  maison  de  Castor  et  Pollux,  elle  est  un  attribut  d'Angeronia.  Les 
palmes,  placées  à  côté  de  l'animal  destiné  à  être  immolé,  donnent 
encore  plus  de  probabilité  à  cette  opinion.  Elles  sont  pour  M.  Qua- 
ranta  des  fouets  (flagelli)  formés  de  morceaux  de  bois  fendus  à  leur 
extrémité.  Il  les  croit  destinés  à  ouvrir  dans  la  peau  de  ce  quadru- 
pède quelques  plaies ,  dans  le  but  d'y  faire  mieux  pénétrer  les  condi- 
ments ;  mais  il  est  facile  de  reconnaître,  dans  ces  prétendus  fouets  (1 8), 
les  palmes  de  la  Victoire,  avec  cette  différence  seulement,  qu'au  lieu 
d'être  recourbées  comme  d'ordinaire,  ces  deux  branches  de  palmiers 
sont  restées  droites  pour  pouvoir  être  adossées  contre  le  mur.  En  les 
comparant,  par  exemple,  dans  tous  leurs  détails  à  une  branche  sem- 
blable placée  dans  la  main  de  Venus  Victrix  chez  De  la  Chausse  (19),  on 
reconnaît  parfaitement  leur  identité.  La  truie  est  vivante,  comme  le 
prouvent  ses  yeux  ouverts  ;  elle  est  par  conséquent  destinée ,  non  pas 
à  être  assaisonnée  et  servie  comme  mets  recherché ,  mais  bien  à  être 
sacrifiée  à  Angeronia  Venus  Victrix,  déesse  que  nous  fait  connaître 
une  intéressante  pierre  gravée ,  publiée  par  Caylus  (20).  Les  deux 
tableaux  réunis  se  rapportent  donc ,  selon  nous ,  au  sacrifice  offert  à 
cette  divinité. 

Nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  voir  quelque  analogie  entre 
l'attitude  de  cette  truie  et  celle  du  griffon  dans  une  figure  d'Angerone 

(15)  Virq.JEn.  VIII,  641;  XII,  170. Liv.  I,  24.  Morell.  Antistia  A ,  B  ;  Incert. 
t.  l  .m,  C,  D. 

(1G)  Sulpicia,  Morell.  t.  2,  ni;  Riccio  I  et  suppl.  LXVII  en  bas.  Comparez 
Mot.  Felluria,  Ici  II. 

(17)  Voy.  sect.  n ,  §  III ,  après  les  notes  1 1  et  13 ,  et  le  chapitre  I  de  la  deuxième 
partie. 

(18)  Voir  notre  pi.  61,  ûg.7. 

(19)  Roman.  Mus.  T.  I ,  sect.  u ,  tab.  36.  Voy.  notre  pi.  61,  fig.  9. 

(20)  Voy.  sect.  n,  §  IV,  et  pi.  51,  fig.  8. 


MÉMOIRE   SUR   LES   DIVALIA   ET   LES   ANGERONÀLIA.        233 

que  Caylus  a  publiée  (21).  Tous  les  deux  ont  un  des  quatre  pieds  dé- 
tachés des  autres.  Peut-être  même  y  a-t-il  quelque  rapport  mysté- 
rieux entre  cette  position  particulière  du  pied  et  entre  celle  du  bras, 
que  dans  plusieurs  statues  Angerone  tient  derrière  le  dos  ou  élevé. 

(21)  Voy.  sect.  u ,  §  IV,  et  pi.  51 ,  fig.  8. 

SlCHEL,  D.    M. 


(  La  suite  au  prochain  numéro. 


LETTRE  DE  M.  RANGARE  A  M.  LETROME 

SUR 

UNE  INSCRIPTION  GRECQUE  DU  PARTHÉNON; 
SUR  LES  PEINTURES  DU  THÉSÉUM  ET  DES  PROPYLÉES  ; 

ET  SUR  DEUX  MONUMENTS  INÉDITS  RÉCEMMENT  DÉCOUVERTS. 

Athènes  10  (22)  avril  1846. 

Monsieur  , 

Je  consigne  dans  la  lettre  que  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser 
plusieurs  renseignements  qui  m'ont  paru  propres  à  vous  intéresser, 
ainsi  que  tous  les  amis  de  l'antiquité.  Si  vous  en  jugez  ainsi,  veuillez 
la  faire  insérer  dans  la  Revue  Archéologique ,  recueil  que  nous  lisons 
ici  avec  grand  intérêt,  parce  qu'elle  nous  tient  au  courant  des  nou- 
velles découvertes,  ainsi  que  des  vues  qu'elles  suggèrent  aux  archéo- 
logues distingués  qui  la  rédigent. 

Le  premier  renseignement  que  je  vous  donnerai  est  relatif  à  une 
note  que  vous  à\ez  insérée  dans  le  Journal  des  Savants  (janvier  1 846), 
à  propos  de  l'inscription  suivante,  que  M.  Raoul  Rochette  a  comprise 
dans  son  Supplément  au  catalogue  de  M.  Sillig,  p.  162. 

"ON 

ANOMAXO 

ErOIEIE 

Dans  une  lettre  à  M.  de  Saulcy  (Revue  Archéol.,  t.  II,  p.  423), 
j'ai  dit  avoir  vainement  cherché  cette  inscription  sur  l'Acropole,  et 
m'être  adressé  sans  plus  de  fruit  à  M.  Pittaki,  qui  est  mieux  que  tout 
autre  au  fait  des  localités  et  des  mystères  de  cet  immense  dépôt  des 
antiquités  athéniennes  (l).  C'est  pourquoi  j'ai  cru  pouvoir  la  ranger 
parmi  celles  que  le  savant  auteur  du  supplément  avait  admises  dans 

(1)  Sur  cette  opinion  de  M.  Rangabé,  j'avais  dit  :  «  Cela  n'est  guère  possible  ; . . . . 
«  car  l'inscription  est  en  elle-même  irréprochable,  et  l'on  ne  voit  pas  quel  intérêt 
«  personne  aurait  eu  à  fabriquer  un  fragmenta  ce  point  mutilé.  »  Toutefois,  en 
présence  de  l'affirmation  de  M.  Rangabé,  je  n'avais  pas  osé  la  garantir  (Journal 
des  Savants,  1845,  p.  731,732).  Depuis,  M.  Raoul  Rochelle  m'ayant  affirmé  l'avoir 
copiée  lui  même  d'après  le  marbre  ,  j'ai  déclaré  n'avoir  plus  aucun  doute  (idem, 
janvier  1846).  C'est  à  cela  que  se  rapporte  ce  passage  où  M.  Rangabé  rétracte  son 
premier  dire.— L. 


LETTRE  A   M.    LETRONNE,  235 

son  ouvrage ,  se  fiant  à  de  faux  renseignements.  Mais  l'affirmation 
de  M.  R.  R.,  qui  vous  a  déclaré  l'avoir  vue  et  copiée  lui-même, 
ne  pouvait  me  laisser,  pas  plus  qu'à  vous,  aucun  doute.  Je  l'ai 
donc  cherchée  de  nouveau ,  avec  toute  la  persévérance  que  devait 
me  donner  la  certitude  de  son  existence,  et,  aidé  par  les  rensei- 
gnements que  vous  m'avez  transmis,  j'ai  été  assez  heureux  pour 
la  retrouver  écrite  sur  l'un  des  blocs  de  marbre  qui  forment  les 
deux  montants  de  la  grande  porte  occidentale  du  Parthénon. 

À  une  époque  postérieure  à  l'antiquité  hellénique ,  lorsque  le  temple 
de  la  UxpQévoç  antique  fut  affecté  au  culte  de  la  vierge  Marie,  ces 
blocs  y  furent  en  effet  encastrés  pour  rétrécir  l'ancienne  porte  de 
l'Opisthodome,  ou  pour  remplacer  les  revêtements  des  montants; 
car  il  est  bien  probable  que,  comme  les  yah.zoi  ovâol  homéri- 
ques, ces  montants  étaient  recouverts  d'airain,  qui  en  aura  été 
arraché  lorsque  le  respect  religieux  pour  les  anciens  sanctuaires 
n'était  plus  pour  eux  une  sauvegarde  suffisante  contre  les  spoliations 
de  la  cupidité  sacrilège.  Quelques-uns  de  ces  blocs  portent  des  inscrip- 
tions très-étendues,  relatives ,  autant  qu'il  m'a  été  possible  de  le  con- 
stater dans  la  position  incommode  où  ils  se  trouvent,  aux  effets  con- 
sacrés dans  le  Parthénon.  Plus  d'un  renseignement  précieux  pouvant 
être  contenu  dans  ces  inscriptions ,  la  Société  archéologique  d'Athènes 
a ,  depuis  longtemps,  donné  la  promesse  de  les  retirer  de  l'endroit  où 
elles  se  trouvent  encastrées,  pour  les  livrer  à  l'étude  des  antiquaires. 

Quant  à  la  pierre  qui  vous  intéresse ,  c'est  un  piédestal  haut  de 
Om,6,  long  de  0m,7  et  large  de  0m,73.  Il  est  placé  dans  le  montant 
gauche  ou  méridional,  vers  l'intérieur  du  temple,  è  la  hauteur 
d'à  peu  près  lm,2,  dans  une  position  renversée,  de  manière  que 
l'inscription  se  trouve  écrite  en  dessous ,  vers  l'extrémité  gauche  et 
supérieure  du  piédestal,  et  ne  peut  être  vue  que  lorsqu'on  se  penche, 
parce  que  la  pierre  inférieure  est  brisée.  Les  lettres  en  sont  très- 
belles  et  sculptées  avec  beaucoup  de  soin.  Elles  sonthautesde  0m,01  3; 
distantes  de  Om,016-7,  et  l'intervalle  des  lignes  estdeOm,01.  La  voici 
copiée  avec  exactitude  : 

NEOEK 
AI02 
ENAI02 
MErAAOS 

/ON 
ANOMAXO 
EPQIE2E 


236  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

En  même  temps  que  je  m'empresse  de  donner  mon  témoi- 
gnage à  M.  R.  R. ,  j'adopte  aussi  son  avis ,  et  la  considère  comme 
ayant  trait  à  Micon ,  peintre  et  sculpteur  de  l'antiquité.  Ce  qui 
reste  de  la  première  lettre  de  la  cinquième  ligne  indique,  bien 
clairement  un  K,  et . .  xwv,  précédé  d'une  lacune  de  deux  lettres,  est. 
suivant  toute  probabilité,  MiW. 

Rien  ,  je  crois ,  dans  l'histoire ,  ne  nous  dit  avec  une  grande 
précision  l'époque  de  cet  artiste.  Il  travailla  avec  Polygnote  aux 
peintures  du  temple  de  Thésée,  lorsque  cet  édifice  était  entière- 
ment achevé.  Mais  on  a,  pour  sa  construction,  tout  l'espace 
d'ol.  76,  1  à  ol.  82,  4,  c'est-à-dire  de  la  prise  de  Scyros  par  Cimon , 
à  la  mort  de  ce  général.  J'avoue  cependant  qu'entre  ces  deux 
limites,  je  penche  plutôt  vers  la  plus  récente;  car  le  caractère  gly- 
ptique de  sa  frise  indique  déjà  l'aurore  de  l'ère  de  Phidias.  Micon 
travailla  aussi  avec  Panaenus  (Paus.  V,  11),  qui  orna  de  peintures 
la  barrière  de  Jupiter  Olympien,  après,  sans  doute,  que  ce.  chef- 
d'œuvre  eut  été  terminé,  ce  qui  n'eut  lieu  qu'immédiatement  avant 
la  mort  de  Phidias,  en  ol.  87,  1.  Ce  fait  s'accorde  avec  la  date  ci- 
dessus.  Un  autre  ouvrage  de  Micon  semble  nous  reporter  à  une 
époque  plus  ancienne  :  c'est  sa  statue  de  Callias  à  Olympie,  qui 
remporta  le  prix  du  pancrace,  la  77e  olympiade  (Paus.  V,  9).  Mais 
si  ce  Callias  est  le  môme  individu  que  celui  qui  figure  dans  une  in- 
scription attique,  publiée  dans  mes  Antiquités  helléniques,  s.  n.  53, 
peut-être  ne  fit-il  élever  sa  statue  à  Olympie  qu'après  qu'il  eut  rem- 
porté quelques-unes  des  autres  victoires  qui  sont  énumérées  dans 
l'inscription  susmentionnée.  Enfin  un  sculpteur  Micon  travailla  con- 
jointement avec  d'autres  artistes  à  la  frise  du  temple  d'Érechthée 
(Ant.  hell,  n.  60),  qui  ne  fut  finie  qu'en  ol.  92,  3.  Si  les  ouvrages 
du  célèbre  Micon  ne  remontent  pas  plus  haut  que  la  83e  olympiade , 
il  peut  avoir  encore  travaillé  au  temple  d'Érechthée  dix  olympiades 
plus  tard.  C'est  aussi  précisément  cette  même  date  qui  est  indiquée 
par  le  caractère  paléographique  de  notre  inscription.  Il  est  indubi- 
table qu'avant  même  l'adoption  officielle  de  la  nouvelle  grammaire  à 
Athènes ,  la  forme  des  lettres  nouvelles  y  était  déjà  connue,  et  qu'on 
les  y  employait  avec  l'ancienne  orthographe  au  moins  dans  les  actes 
privés.  Quelques  traits  de  cette  orthographe  se  sont  conservés  encore 
pendant  les  premières  années  qui  ont  suivi  la  révolution  littéraire; 
mais  l'O  pour  Cl  dans  Mixwv  et  pour  OY  dans  Neyâlovç  de  cette 
inscription  appartient  bien  certainement  à  une  date  antérieure  à 
l'archontat  d'Euclide.  Lors  donc  qu'à  l'exception  de  la  statue  de  Cal- 


LETTRE   A   M.    LETRONNE.  237 

lias,  dont  la  date  peut  paraître  douteuse,  nous  voyons  que  tous  les 
autres  travaux  de  Micon  le  placent  entre  la  85e  et  la  90e  olympiade, 
et  qu'à  la  92e  olympiade  nous  trouvons  un  sculpteur  du  même  nom 
chargé  de  travailler  à  l'un  des  plus  beaux  monuments  d'Athènes,  il  y 
a  des  présomptions  assez  fortes  pour  admettre  que  notre  Mr/.wv  4>avo- 
tidyav  est  le  fameux  peintre  Micon  ,  dont  le  père  est,  il  est  vrai, 
nommé  $dvo%oç  dans  un  passage  sans  doute  corrompu  (l)  du 
scholiaste  d'Aristophane  (Lysistr.  679).  Il  m'est  impossible  de  faire 
aucune  conjecture  sur  la  première  partie  de  l'inscription.  L.  1  est 
àv£0yjx£  ou  àvsôyjxsv.  L.  3,  et  peut-être  aussi  1.  2,  AOyvcdoç.  L.  4  est 
usyâlovç;  peut-être  \).zyâ\o%oq  Bîq-jç  ou  pey<xlovç  àywjoq. 

De  l'artiste ,  je  passe  aux  peintures  qu'il  avait  exécutées  conjoin- 
tement avec  Polygnote  dans  le  temple  de  Thésée.  Dans  la  hui- 
tième de  vos  lettres  à  M.  Hittorf  sur  la  peinture  murale,  vous  communi- 
quez un  passage  d'une  lettre  que  M.  ïhiersch  vous  a  adressée  au 
sujet  de  l'arrangement  intérieur  de  ce  temple.  Éclairé  par  vos 
observations  contenues  dans  ces  lettres,  et  par  celles  que  vous  avez 
ajoutées  dans  leur  Appendice  (p.  134),  j'ai  examiné  l'édifice  avec 
attention  (2). 

fi)  M.  Rangabé  n'a  pas  remarqué  que  cette  hypothèse  est  peu  admissible  ,  parce 
que  Qivoyoç  étant  un  nom  si  rare  qu'on  ne  connaît  que  cet  exemple,  tandis  que 
txvd/jizxo;  est  au  contraire  un  nom  connu,  le  scholiaste  aurait  bien  pu  changer 
$ù>oyoç,  en  <by.v6>j.xyo$,  mais  jamais Qxvoticcyoç  en  «Êâvo^ç.  Pour  justifier  la  correction, 
M  R.  R.  avait  dit  que  ^ûvoyos  serait  difficilement  grec.  Mais  j'ai  prouvé,  au  contraire, 
qu'il  est  aussi  grec  et  atlique  que  possible;  témoin  Mr^ioyoç,  A£ûjxo«>  AeÇeoxoç, 
A^Loyoç ,  qui  en  est  le  synonyme  ($avd;  et  Sxïç ,  flambeau). 

On  ne  peut  donc  voir  ici  le  Mtxcov  dont  le  père  s'appelait  Qxvoyoç.  Si  la  finale 
NON  ,  qui  convient  aussi  bien  à  rA'Oxwv,  D.xûxwv,  UsUuv,  etc. ,  est  le  reste  du  nom 
de  Mt'/wv,  il  s'agirait  donc  ici  d'un  second  Micon,  fils  de  Phanomachus ,  peut- 
être  celui  qui  est  nommé  dans  l'inscriplion  relative  aux  travaux  du  temple 
d'Erechlhée  ,  qui  furent  terminés  en  olymp.  92e  (411  ).  Ce  qui  ferait  disparaître 
l'invraisemblance  que  ce  même  Micon  aurait  fait  la  statue  de  Callias  en  olymp.  77e 
(47i>  ;,  c'est-à-dire  soixante  et  un  ans  auparavant.  Le  nom  de  Micon  était  commun 
à  Athènes.— L. 

(2j  Celle  observation  se  rapporte  à  l'un  des  points  capitaux  de  la  discussion  sur 
l'emploi  de  la  peinture  murale ,  dans  les  temples  grecs.  Pausanias  ayant  parlé  des 
peintures  de  Polygnote  et  de  Micon  qui  décoraient  l'intérieur  du  Théséum  à 
Athènes,  il  devenait  du  plus  haut  intérêt  de  déterminer  à  quel  genre  elles  avaient 
appartenu.  D'après  des  indices  certains,  j'avais  cru  pouvoir  démontrer  qu'elles 
avaient  élé  exécutées  sur  le  stuc  même  (Lettres  d'un  antiquaire ,  p.  101  et  suiv.); 
ce  qui  était  une  forte  présomption  que  les  autres  grands  temples  du  siècle  de  Phi- 
dias avaient  reçu  le  même  genre  de  décoration.  Dans  ses  Peint ures  antiques,  p.  148- 
150,  M.  Raoul  Rochelle  continua  de  soutenir  qu'elles  avaient  été  sur  panneaux  de 
bois,  appliqués  au  mur;  M.  Welcker  partagea  son  avis  (  Bail,  allgemeine  Litterat. 
Zeilung,Oklober,mG). 

Dans  l' Appendice  aux  lettres  d'un  antiquaire,  p.  134,  je  les  réfutai  l'un  et 
l'autre ,  par  des  raisons  qui  m'ont  semblé  péremptoires  ;  c'est  ce  qu'a  vérifié  M.  Ran- 


238  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Lorsque  M.  Thiersch  écrivait  :  Puis  à  la  hauteur  de  dix  à  douze 
pieds  vient  la  surface  qui  est  couverte  d'un  stuc  dur  assez  bien  conservé, 
ce  n'est  pas  la  hauteur  du  socle  qu'il  voulait  indiquer,  mais  bien 
celle  de  la  partie  même  couverte  du  stuc.  Le  soubassement  n'a  en 

gabé,  après  avoir  examiné  ce  monument,  sans  parti  pris  et  à  loisir,  pour  l'éclair- 
cissement  de  ce  point  particulier.  Afin  qu'on  juge  mieux  de  l'état  où  en  était  la 
question,  lorsque  ce  savant  critique  l'a  reprise  avec  un  soin  scrupuleux,  ^je  vais 
transcrire  le  passage  de  Y  Appendice  où  j'ai  résumé,  en  peu  de  mots,  les  preuves 
de  mon  opinion,  ainsi  que  les  difficultés  qu'on  m'avait  opposées.  Si  l'on  veut  bien 
comparer  ce  passage  avec  les  observations  de  M.  Rangabé,  on  verra  qu'elles  confir- 
ment mes  vues  complètement  et  par  les  mêmes  motifs. 

«  Je  n'ai  pas  nié ,  je  ne  nie  point,  ai-jc  dit,  que  l'on  ait  pu  encastrer  des  tableaux 
peints  sur  bois  dans  l'épaisseur  des  murs.  Mais  je  persiste  à  croire:  1°  que  cet 
usage  a  toujours  été  réduit  à  des  cas  particuliers  et  exceptionnels  ;  2°  qu'il  ne 
s'est  appliqué  qu'à  de  très-petits  tableaux,  et  cela  par  la  raison  bien  simple  que 
le  bois  est  un  corps  hygrométrique  sur  lequel  agissent  fortement,  lorsqu'il  est 
réduit  en  plaques  minces  et  étendues,  les  variations  résultant  de  la  sécheresse  et 
de  l'humidité.  Toute  grande  surface  de  ce  grnre  ,  composée  d'ais  assemblés, 
quelque  adresse  qu'on  y  mette,  quelque  épaisseur  qu'on  lui  donne  ,  jouera  ou  se 
fendra  plus  ou  moins  si  elle  est  appliquée  à  une  muraille.  Or,  ce  qui  aurait  peu 
d'inconvénients  pour  de  simples  boiseries  d'ornements,  en  aurait  beaucoup  pour  de 
grands  panneaux  couverts  de  belles  peintures.  Aussi  rien  de  moins  vraisemblable,  à 
mon  avis,  que  l'emploi  de  pareilles  boiseries  dans  les  tombeaux,  dans  les  rez-de- 
chaussée  des  temples,  ainsi  que  sur  les  parois  des  portiques,  où  elles  étaient  ex- 
posées à  tous  les  vents  et  aux  intempéries  des  saisons  ;  surtout  quand  on  sait  quelle 
perfection  les  Grecs  savaient  donner  à  leur  stuc  qui ,  appliqué  aux  parois,  fournis- 
sait, pour  recevoir  la  peinture,  un  subslralum  aussi  commode  que  les  panneaux 
de  bois  les  mieux  dressés,  et  bien  plus  durable. 

«Il  serait  donc  bien  nécessaire  d'établir  l'existence  d'un  tel  usage  sur  des  textes 
et  des  faits  clairs  et  positifs  ;  et  c'est  à  quoi  l'on  n'a  pas  pu  réussir  Reprendre  et  discu- 
ter ceux  qu'on  allègue  me  mènerait  trop  loin.  Je  me  borne  ici  à  deux  seuls  faits 
qui  se  rapportent,  l'un  à  l'antiquité  grecque,  l'autre  à  l'antiquité  romaine. 
Je  ne  rapporterai  ici  que  celui  qui  est  relatif  au  Ihèsèum.  ) 

«  Le  premier  concerne  le  Thèsèum,  le  seul  monument  grec  qui  ait  conservé  les 
murs  de  sa  cclla  ,  et  dont  on  sache  en  même  temps  que  ses  murailles  étaient  peintes. 
M.  Welcker  y  applique  sa  théorie ,  quoique  cet  édifice  s'y  refuse  absolument.  Je  m'en 
tiens  aux  traits  principaux  et  caracléri»liques. 

«  l°  Les  parois  intérieures  de  la  cella  de  cet  édifice  étaient,  au  temps  de  Pausa- 
nias,  ornées  de  peintures  de  Polygnole  et  de  Micon. 

«  2*  Ces  parois  en  marbre  ont  été  piquées  régulièrement  au  ciseau  ou  à  la  bou- 
éharde;  ce  qui  n'a  pu  avoir  d'autre  objet  que  d'y  faire  adhérer  un  induit. 

«  3°  Kn  effet,  des  fraçmcnts  de  cet  enduit,  de  deux  à  trois  lignes  d'épaisseur. 
Couvrent  encore  des  parties  considérables  de  ces  parois  :  le  reste  est  tombé. 

«  4°  Que  ces  fragments  de  stuc  conservent  ou  ne  conservent  pas  de  trace  de  pein- 
ture, c'est  la  une  circonstance  indifférente  ,  puisque  la  cella  ayant  été  convertie  de 
bonne  heure  en  égli>e.  les  chrétiens  ont  dû,  selon  leur  usage,  ou  en  effacer  les  pein- 
tures ou  les  recouvrir  d'une  couche  de  blanc. 

«  5°  Le  trait  important  est  donc  l'existence  de  ce  stuc  qui  n'a  pu  être  appliqué  à 
une  paroi  de  marbre  que  pour  y  peindre. 

«  6"  Mais  en  supposant  même  que  les  Grecs  auraient  revêtu  les  murs  de  la  cella 
d'un  enduit  pour  n'y  rien  mettre ,  et  qu'ils  auraient  placé  par-dessus  des  panneaux 


LETTRE    A    M.    LETltONJNE.  239 

effet  que  la  hauteur  de  0m,8;  le  mur  est  sur  lui  en  retraite  seu- 
lement de  0m,01.  A  son  pied  règne  une  moulure  haute  de  Om,09, 
avec  une  saillie  de  Om,0'25. 

Comme  le  moindre  détail  de  cette  nature  peut  influer  d'une  manière 
plus  on  moins  immédiate  sur  la  question  principale,  je  ne  dois  pas 
taire  non  plus  que  M.  Thiersch  avait  été  trahi  pas  sa  mémoire  lorsqu'il 
parlait  d'une  frise  de  marbre  blanc  surmontant  la  muraille.  Une  telle 
frise  n'existe  point,  et  la  muraille  n'est  surmontée  que  par  une  voûte 
cylindrique,  toute  moderne.  La  surface  entière  du  socle  est  lisse  et 
polie  partout  où  elle  n'a  pas  été  endommagée.  La  partie  supérieure 

de  bois,  ces  panneaux  n'ont  pas  tenu  tout  seuls;  on  les  a  attachés  avec  des  clous  et 
d.escrampons,  non-seulement  en  haut,  mais  en  bas  etsur  les  côtés.  Or,  tous  les  observa- 
teurs reconnaissent  qu'il  n'y  a  pas  de  trace  des  trous  antiques,  qui  ont  dû  les  fixer. 

«  Les  adversaires  de  la  peinture  murale  ont  essayé  de  deux  manières  d'expliquer 
ce  fait  si  concluant  contre  leur  opinion. 

«  Comme  la  partie  des  parois  au-dessus  du  soubassement,  où  les  peintures  étaient 
placées,  forme  un  enfoncement  d'un  pouce  à  un  pouce  et  demi  environ  (Par  le  fait  il 
n'est  que  de  0m,  01),  M.  Raoul  Rochetle  imagine  que  dans  ce  renfoncement  étaient 
placés  les  panneaux  de  bois  peints  parMiconet  Polygnote.  Maison  peut  lui  demander 
par  quel  miracle,  des  panneaux  d'environ  neuf  â  dix  pieds  de  haut  se  tenaient  ainsi 
tout  droits,  le  long  d'une  muraille  perpendiculaire,  sans  y  être  fixés  par  des  tenons 
ou  des  clous? 

«  M.  Welcker,  qui  rejette  avec  toute  raison  cette  hypothèse ,  croit  que  les  ta- 
bleaux de  Micon  et  de  Polygnote  ont  été  encastrés  dans  t'enduit,  ce  qui  dispensait 
de  les  clouer.  Mais  il  n'y  a  pas  songé ,  ou  il  ignore  que  Venduit  antique  n'a  que  deux 
à  trois  lignes  d'épaisseur,  et  qu'il  est  malériellemeut  impossible  d'encastrer  un 
tableau  dans  un  enduit  si  mince ,  à  moins  de  faire  une  entaille  dans  le  mur  même , 
pour  recevoir  le  tableau. 

«  C'est  donc  en  vain  que  l'un  et  l'autre  se  débattent  contre  ce  fait,  clair  comme 
le  jour,  que  les  peintures  de  Micon  et  de  Polygnote  étaient  exécutées  sur  l'enduit 
même  dont  on  avait  recouvert  les  parois  de  la  cella. 

«  Ce  fait  capital  domine  toute  la  question,  et,  par  un  seul  exemple,  qui  s'ap- 
plique à  l'un  des  plus  célèbres  édifices  d'Athènes,  nous  montre  de  quelle  nature 
devaient  être  en  général  les  peintures  dont  les  grands  artistes  de  la  belle  époque 
avaient  décoré  les  temples  et  autres  édifices  publics.  »  (appendice,  p.  133,  134.) 
.  Ce  qui  me  paraissait  clair  comme  le  jour,  le  parut  si  peu  à  M.  Raoul  Ro- 
chette  ,  que  ,  persistant  à  le  regarder  comme  non  avenu,  il  ne  tr.iiguit  pas  de  dite, 
à  ce  propos ,  clans  le  Journal  des  Savants  (  1835  ,  p.  ni  )  :  «  C'est  une  assertion  si 
«  étrange,  dans  un  défaut  absolu  de  renseignements,  qu'elle  ne  peut  procéder  que 
«  d'une  préoccupation  systématique  et  d'une  Confiance  irréfléchie,  et  à  laquelle 
«  il  rne  suffit  d'opposer  la  dénégation  la  plus  formelle ,  ou,  du  moins,  le  défi  de 
*  citer  un  seul  monument  qui  la  justifie.  »  En  lisant  de  telles  paroles,  il  fallait 
renoncer  à  tout  espoir  de  le  ramener  aux  conditions  du  vrai.  Aussi,  je  me  bornai, 
en  lui  répondant  [Journal  des  Savants  ,  p.  392  ) ,  â  rappeler  sommairement  les 
principales  données,  puis  à  dire  :  «  Les  faits  sont  là  ;  chacun  peut  en  juger.  » 

Je  n'en  dirai  pas  davantage  aujourd'hui*  Que  nos  lecteurs  veuillent  bien  compa- 
rer, au  passage  rapporté  ci-d»ssus ,  les  observations  de  M.  Rangabc  sur  le Théséum  ; 
ils  jugeront  de  quel  côté  étaient  la  préoccupation  systématique  et  la  confiance 
irréfléchie.— L. 


240  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  la  muraille  est  au  contraire  piquée  au  ciseau  avec  une  industrie 
et  une  application  merveilleuses;  les  piqûres  en  sont  si  fines,  si 
pressées,  et  je  dirais  presque  si  régulières,  qu'il  est  impossible  d'y 
méconnaître  une  intention  de  l'architecte,  et  de  les  prendre  simple- 
ment pour  les  aspérités  des  pierres  laissées  brutes;. à  leur  aspect, 
on  reste  au  contraire  convaincu  qu'elles  n'ont  pu  être  faites  qu'à 
l'époque  de  la  construction  primitive  de  l'édifice.  Quoique  le  goût 
artistique  n'ait  pas  toujours  été  le  caractère  distinctif  des  premiers 
chrétiens,  on  aurait  cependant  encore  lieu  de  s'étonner  qu'ils  se 
fussent  donné  cette  immense  peine,  digne  d'un  plus  beau  résultat, 
pour  détruire  le  brillant  poli  que  les  anciens  avaient  donné  à  la 
surface  du  temple,  afin  de  pouvoir  le  badigeonner  à  leur  aise.  L'au- 
raient-ils fait  pour  y  peindre  les  images  du  nouveau  culte?  Mais 
comment  ne  trouvaient-ils  pas  plus  simple  d'appliquer  ces  peintures 
sur  le  marbre  même,  s'il  était  lisse,  et  par  conséquent  préparé  pour 
les  recevoir?  C'est  cependant  cette  pratique  qu'on  a  suivie  au 
Parthénon,  dont  les  parois  sont  encore  toutes  couvertes  d'images  chré- 
tiennes. S'il  ne  s'agissait  d'ailleurs  que  de  rendre  la  surface  raboteuse 
pour  y  faire  tenir  le  ciment,  il  est  sûr  qu'à  l'époque  où  le  temple 
changea  de  destination,  on  l'aurait  fait  d'une  manière  plus  grossière 
et  plus  expéditive,  et  jamais  avec  tant  de  perfection  qu'il  n'eût  été 
possible  d'y  distinguer  nulle  part  l'ancienne  surface  polie.  Le  mur 
a  donc  été,  je  le  répète,  piqué  dès  l'origine,  dans  le  but  de  rece- 
voir un  stuc. 

Le  socle  n'ayant,  ainsi  que  je  l'ai  observé  plus  haut,  qu'un  cen- 
timètre de  saillie  sur  le  mur,  je  crois  impossible  que  des  panneaux 
eussent  pu  rester  debout  sur  une  base  aussi  étroite,  ou  s'ils  y 
étaient  scellés,  leur  épaisseur  aurait  dépassé  celle  de  cette  base. 
Il  ne  m'a  au  contraire  pas  paru  déraisonnable ,  comme  à  M.  R.  R., 
de  faire  un  pareil  enfoncement  pour  y  appliquer  le  stuc,  qui,  ne 
couvrant  que  la  partie  supérieure  du  mur,  aurait  été  en  saillie  de 
quelques  centimètres  sur  le  socle ,  si  le  socle  était  partout  de  même 
épaisseur.  Je  dois  en  outre  observer  que  les  prolongements  des  murs 
hors  de  la  cella  et  jusqu'aux  autres,  avaient  cette  même  disposi- 
tion, ce  qui  prouverait  que  le  pronaos  était  aussi  recouvert  de  pein- 
tures. On  voit  encore  très-distinctement  des  décorations  peintes 
sur  les  parties  ornementales  ;  mais  ici  les  couleurs  sont  appliquées 
sur  le  marbre  même  qui  est  poli  :  un  ciment  très-dur,  de  quelques 
centimètres  d'épaisseur,  adhère  encore  à  plusieurs  parties  du  mur 
piqué.  La  chaux  en  est  évidemment  le  principal  ingrédient.  A  son 


LETTRE   A    M.    LETRONNE. 


241 


apparence,  je  ne  le  jugerais  pas  du  temps  de  Micon.  Il  me  semble 
trop  grossier  pour  avoir  servi  de  fond  aux  tableaux  de  ce  peintre,  et 
je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  moyen  d'en  déterminer  l'âge  avec  exacti  - 
tude  :  une  analyse  chimique  ne  pourrait  rien  nous  apprendre  à  ce 
sujet.  Les  ciments  des  anciens  qui  ont  été  examinés  jusqu'ici  se 
trouvent  composés,  comme  ceux  des  temps  postérieurs ,  de  sable,  de 
chaux,  et  les  plus  fins,  de  poudre  de  marbre  et  de  gypse;  dans 
quelques-uns  on  a  cru  reconnaître  de  la  pouzzolane;  et  dans  d'autres, 
qui  sont  noirâtres,  comme  sur  un  édifice  à  Délos,  on  voit  des  par- 
celles de  charbon  soumis  à  l'action  du  feu  ;  ce  ciment  exhale  une 
odeur  sulfureuse  assez  appréciable.  11  était  donc  mélangé  ou  de 
poudre  de  charbon,  ou  de  bitume  carbonisé  par  le  temps.  Panaenus 
composait  ses  ciments  avec  du  lait.  Mais  après  vingt  siècles  cette 
substance  animale  ne  peut  qu'avoir  été  détruite,  et  il  n'y  a  pas  de 
procédé  chimique  qui  l'accuserait. 

Un  des  arguments  les  plus  concluants  que  vous  ayez  empruntés 
aux  circonstances  extérieures,  contre  l'existence  de  panneaux  ou  de 
tableaux  en  bois ,  est  l'absence  de  toute  trace  de  scellement  aux  pa- 
rois du  temple.  M.  R.  R.  vous  l'accorde  (Peint,  ant.,  p.  149);  cepen- 
dant, il  est  de  fait  qu'il  y  a  des  trous  en  plusieurs  endroits.  Mais 
cette  circonstance  est  décisive  en  votre  faveur.  Sur  le  mur  septen- 
trional, on  voit,  à  une  hauteur  de  près  de  neuf  pieds,  une  ligne  de 
sept  trous,  presque  symétriquement  disposés  et  également  espacés, 
qui  n'ont  pu  servir  qu'à  un  scellement  et  qui,  au  premier  abord, 
paraîtraient  venir  fort  en  aide  aux  arguments  de  M.  R.  R.  On 
voit  de  ces  trous  aussi  sur  le  mur  méridional;  mais  ici  ils  tournent 
contre  lui  par  leur  forme  et  leur  disposition.  Pour  ne  pas  m'é- 
garer  dans  une  description  trop  diffuse  ,  j'ajoute  ici  une  figure 
que  vous  aurez  la  bonté  de  prendre  pour  le  mur  méridional  du 


temple  de  Thésée,  a  est  la  trace  de   l'ancien   mur  du   templt 
m.  16 


242  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

qui  séparait  le  pronaos  in  antis  de  la  cella  même,  et  que  les  chré- 
tiens, après  l'avoir  abattu  pour  rendre  leur  église  plus  spacieuse, 
remplacèrent  sans  aucun  doute  par  la  séparation  du  sanctuaire  ;  b 
est  la  petite  porte  latérale,  pratiquée  à  la  même  époque;  c  sont  deux 
enfoncements  qu'on  voit  dans  le  mur  à  la  hauteur  de  sept  ou  huit 
pieds  et  à  égale  distance  de  a  et  de  b;  d,  enfin,  sont  des  trous  qui 
entourent  ces  enfoncements  dans  une  disposition  semi-circulaire. 

Un. demi-cercle  de  trous,  pareil  à  celui-ci,  existe  aussi  sur  le  mur 
septentrional  en  face  de  la  petite  porte,  à  la  hauteur  de  onze  à  douze 
pieds  et  à  l'une  des  extrémités  de  la  ligne  dont  j'ai  parlé  plus  haut. 

Pour  quiconque  connaît  l'intérieur  des  églises  grecques,  il  est 
de  toute  évidence  que  ces  enfoncements  et  ces  trous,  ainsi  placés  sur 
le  mur  méridional,  ontservi  à  y  fixer  le  trône  de  l'évêque,  comme 
ceux  qui  affectent  une  figure  analogie  sur  le  mur  septentrional  ont 
servi  à  assujettir  la  chaire  et,  par  conséquent,  ceux  disposés  en  ligne 
droite  à  suspendre  les  images  chrétiennes.  J'observerai  encore  qu'on 
ne  voit  point  de  ces  trous  sur  la  partie  du  mur  qui  appartenait  autre- 
fois au  pronaos  et,  plus  tard,  au  sanctuaire,  ce  qui  est  tout  natu- 
rel; car  il  n'y  a  presque  jamais  de  tableaux  d'église  suspendus  dans 
les  sanctuaires.  Il  est  enfin  évident  que  tous  ces  trous  sont  posté- 
rieurs à  l'application  du  stuc,  car  il  paraît  détruit  partout  où  ils  ont 
été  pratiqués.  Je  crois  donc  pouvoir  conclure  de  ces  observations 
que,  dès  sa  construction  primitive,  le  temple  et  le  pronaos  eurent 
un  socle  en  marbre  poli ,  au-dessus  duquel  le  mur  était  enduit  d'un 
stuo  qui  servait  de  fond  aux  peintures  de  Polygnote  et  de  Micon  ; 
qu'à  l'époque  où  le  temple  fut  changé  en  église,  l'ancien  stuc  fut  ou 
conservé  et  repeint,  ou  plutôt  détruit  et  remplacé  par  un  nouveau 
ciment,  et  que,  par-dessus  ce  ciment,  on  fit  dans  le  mur  les  trous 
exigés  par  la  nouvelle  destination  de  l'édifice. 


Votre  but  unique ,  dans  tout  le  cours  de  vos  Lettres  et  de  X Appen- 
dice qui  les  a  suivies,  ayant  été  de  rechercher  la  vérité  et  non  pas 
de  soutenir  un  système,  vous  me  permettrez  de  vous  faire  observer 
que  M.  de  Dreux  s'est  trompé  lorsqu'il  a  déclaré  que  les  murs  de  la 
Pinacothèque  aux  Propylées  sont  piqués  de  même  que  ceux  du  tem- 
ple de  Thésée  (vos  Lettres,  p.  110).  Voici  quelle  en  est,  en  vérité, 
la  disposition  :  leur  soubassement,  haut  de  lm,07,  est  lisse  et  poli 
comme  toutes  les  parties  des  murs  en  marbre  que  les  anciens  desti- 
naient à  rester  entièrement  exposées  aux  regards.  Le  mur  même  est 


LETTRE    A.    M.    LETKOMSE.  243 

en  retraite  de  ce  soubassement  de  0m,0l.  A  une  hauteur  de  0^,83, 
il  est  coupé  par  une  bande  en  calcaire  noir,  dit  pierre  d'Eleusis, 
large  de  0m,  14.  L'intervalle  entre  le  soubassement  et  la  bande,  qui 
est  au  niveau  de  l'œil,  est  également  lisse;  et  ce  qui  me  paraît  prou- 
ver qu'il  n'était  couvert  ni  de  stuc  ni  de  peintures,  c'est  que  sur  sou 
côté  méridional,  à  droite  (à  l'ouest)  de  la  porte,  on  lit  cette  in- 
scription, tracée  irrégulièrement  par  les  mains  de  quelque  pieux  vi- 
siteur : 

AEirOINA 

APTEMIKOAAINH 

V        N     KION 

Or,  si  les  peintures  de  cet  édifice  étaient  encore  à  voir  dans  le  se- 
cond siècle  de  notre  ère ,  serait-il  permis  de  croire  que  le  stuc  même 
en  aurait  disparu  à  une  époque  encore  assez  païenne,  pour  que  cette 
inscription  votivepuisse  lui  être  rapportée(l)?  D'ailleurs,  le  culte  même 

(1)  Comme  cette  description  pourrait  ne  pas  paraître  bien  claire,  je  vais  mettre 
sous  1rs  yeux  du  lecteur  le  dessin  même  du  mur  de  la  Pinacothèque.  C'est  une 
réduction  du  trait  que  m'a  communiqué  M.  Morey,  qui  a  si  consciencieusement 
relevé  et  mesuré  tous  les  monuments  d'Alhènes  ,  et  dont  le  travail,  plein  d'intérêt , 
reste  enfoui  dans  ses  carions.  Ce  dessin  donne  la 
disposition  du  soubassement,  cl  du  reste  du  mur, 
dans  toute  sa  hauteur  ;  a  est  la  partie  du  sou- 
bassement, haut  de  \™,07  ;  o  est  l'espace  ,  en 
marbre  poli .  large  de  0«\83  ;  c  la  bande  de  cal- 
caire noir  d'Eleusis,  large  de  0^,14;  <J  est  la 
moulure  qui  encadre  le  mur,  proprement  dit.  e, 
qui  a  dû  être  cou\ert  de  tableaux  ou  de  pein- 
tures murales.  Personne  n'a  jamais  pu  croire 
qu'il  y  eût  de  ces  peintures  ,  au-dessous  de  l'en- 
cadrement d,  c'est-à-dire  dans  l'une  des  deux 
zones  tisses  et  polies  du  soubassement  a  et  b. 
L'inscription,  citée  par  M.  Rangabé,  ayant  été 
trouvée  sur  un  point  de  la  zone  6>  comme  il  le 
dit ,  ie:-te  tout  à  fait  indifférente  pour  la  question 
de  savoir  de  quelle  espèce  étaient  les  peintures 
qui  furent  placées  au-dessus  de  l'encadrement. 
J'avoue  donc  ne  rien  comprendre  à  la  conséquence 
qne  M.  Rangabé  tire  de  ce  fait. 

Cet  argument  écarté,  il  reste  trois  faits  im- 
portants qui  démontrent  que  les  peintures  de  la 
Pinacothèque  ont  été  muréales ,  comme  celles 
du  lhèsèum.  1°  Le  nu  du  mur  est  brut  ou  non 
poli,  tout  à  fait  propre  à  recevoir  un  stuc-  2°  11  y 
a  comme  auThé.-éum  absence  de  trous  pour  atta- 
cher des  tableaux.  3°  L'encadrement  qui  affleure 
le  mur,  à  deux  millimètres  près,  ne  permet  pas 
dépenser  qu'on  y  aurait  mis  de»  tableaux,  lesquels  auraient  débordé  l'encadrement 


244  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  Diane  Colaenis  ne  nous  paraît-il  pas  indiquer  une  période  plus  re- 
culée des  croyances  helléniques?  C'était  une  divinité  purement  lo- 
cale; Pausanias  (1,  17)  nous  dit  qu'elle  était  adorée  au  bourg  atti- 
que  Myrrhinus,  tirant  son  nom  d'un  roi  d'Athènes,  antérieur  à 
Cécrops;  et  Aristophane  la  cite  une  seule  fois ,  l'opposant  par  un  jeu 
de  mots  à  Acalanthis ,  un  autre  personnage  mystique ,  une  fille  de 
Piérius,  dont  le  nom  signifie  en  même  temps  l'oiseau  dit  tarin.  Un 
culte  aussi  partiel  aurait-il  résisté  au  temps  où  chancelaient  les 
croyances  les  plus  robustes?  Quant  au  caractère  paléographique  de 
l'inscription,  il  représente  une  époque  bien  antérieure  à  celle  de 
Pausanias.  La  troisième  ligne  est  fort  indistincte;  s'il  contient  le  nom 
de  la  personne  qui  a  fait  l'invocation,  ce  paraît  être  un  de  ces  noms 
diminutifs  de  genre  neutre ,  portés  par  cette  classe  de  femmes  qui 
n'invoquaient  pas  toujours  la  chaste  Diane.  Les  deux  premières  lignes 
sont  au  vocatif. 

Au-dessus  de  la  bande  noire ,  il  règne  une  moulure  rentrante  et 
lisse,  large  de  0m,05,  qui  entoure  et,  pour  ainsi  dire,  encadre  cha- 
cun des  pans  du  mur  de  la  Pinacothèque  ;  elle  devient  large  de  0m,2 
aux  deux  côtés  des  fenêtres  qui  s'ouvrent  dans  le  mur  méridional.  Les 
jambages  de  ces  fenêtres  sont  ornés  de  pilastres ,  lisses,  de  même 
que  les  chambranles  et  surmontés  de  moulures  peintes  de  fleurs  et 
de  raies  de  cœur.  La  porte  a  ses  parois  en  marbre  entièrement 
brut  ;  ses  deux  côtés  à  l'extérieur  ont  un  enfoncement  large  de  0n,,23 
et  profond  de  0m,06  ;  le  marbre  y  est  également  brut.  Cette  circon- 
stance, ainsi  que  deux  rigoles  creusées  dans  le  seuil ,  le  long  des  pa- 
rois, prouve  que  la  porte  était  revêtue  ou  de  plaques  de  marbre  min- 
ces et  polies,  ou  plutôt  d'airain  luisant.  A  l'exception  de  ces  parties, 
qui  étaient  ou  polies,  ou  évidemment  revêtues ,  la  surface  des  murs 
est  partout  ailleurs  un  peu  raboteuse,  mais  pas  assez  pour  indi- 
quer l'intention  d'y  faire  adhérer  un  stuc  (l).  Elle  n'est  point  piquée 
comme  on  l'a  cru  et  comme  le  sont  tous  les  murs  du  temple  de  Thé- 
sée; il  ne  lui  manque  que  le  dernier  lustre,  la  dernière  main;  d'où 
l'on  voit  qu'elle   n'était  pas  destinée  à  être  vue  sans  décoration, 

d'une  manière  insupportable;  aussi  l'impression  produite  sur  tous  les  voyageurs 
qui  ont  examiné  cette  circonstance  avec  soin ,  est  qu'il  n'a  pu  y  avoir  là  des 
tableaux  sur  bois  attachés  au  mur.  Tous  les  arguments  que  M.  Rangabé  fait  valoir 
pour  le  Théséum,  s'appliquent  aux  Propylées. 

Je  présente  ces  observations  au  docte  auteur  de  la  lettre ,  en  le  priant  de  soumettre 
la  question  à  un  nouvel  examen.  —  L. 

(i)  Je  dois  dire  que  ,  selon  M.  Morey,  le  mur,  au  contraire,  est  piqué  régulière- 
ment à  la  boucharde  ou  à  la  gradine,  comme  dans  le  Théséum. —  L. 


LETTRE    A    M.    LETRONNE.  245 

comme  l'intérieur  du  Parthénon  et  l'extérieur  des  Propylées.  J'en  in- 
fère donc  que  les  peintures  étaient  ici  exécutées  sur  des  tableaux 
mobiles.  Mais  alors  ces  tableaux  devaient  être  suspendus  à  des  clous, 
et  vous  me  demanderez  si  Ton  en  voit  les  traces  sur  les  murs.  Je  dois 
répondre  par  la  négative.  Au-dessus  de  la  porte  ,  on  voit  à  la  vérité 
deux  trous  et  deux  autres  à  chacun  des  côtés,  et  l'on  peut  y  distin- 
guer encore  les  restes  des  attaches  en  fer  et  le  plomb  qui  servait  à 
les  fixer.  Mais  je  suis  persuadé  que  c'étaient  les  attaches  du  revête- 
ment de  la  porte  ou  bien  de  ses  battants.  Tout  le  reste  de  la  surface 
du  mur  ne  présente  aucune  trace  de  scellement.  On  n'y  voit  qu'un 
seul  clou  enfoncé  dans  le  joint  entre-bâillé  de  deux  pierres;  mais  il 
me  paraît  être  de  l'époque  où  les  ducs  d'Athènes  changèrent  la  Pina- 
cothèque en  une  habitation  et  en  firent  leur  chancellerie.  Cette 
absence  de  trous  ou  d'attaches  est,  en  effet,  hostile  à  l'idée  des  ta- 
bleaux suspendus.  Mais  croyez-vous  impossible  que  les  crochets 
eussent  été  fixés  à  la  corniche  intérieure  du  plafond ,  qui  était  proba- 
blement en  bois?  car  des  poutres  en  marbre  de  la  largeur  de  la  Pi- 
nacothèque seraient  impossibles.  On  n'a,  d'ailleurs,  trouvé  en  cet 
endroit  aucun  débris  d'un  plafond  en  pierre.  Un  fragment  d'in- 
scription trouvé  dans  les  Propylées  {Ànt.  helL,  n.  88)  parle  de 
plusieurs  petits  escaliers,  d'autres  ouvrages  en  bois  et  aussi  de  cro- 
chets. J'ai  supposé  que  cette  inscription  pouvait  se  rapporter  à  la 
Pinacothèque.  Si  cela  est,  les  crochets  peuvent  avoir  été  fixés  dans 
les  ouvrages  de  menuiserie,  que  ceux-ci  eussent  fait  partie  du  pla- 
fond ,  ou  qu'ils  eussent  été  appliqués  contre  le  mur. 

Vous  avez  épuisé ,  Monsieur,  les  textes  qui  ont  rapport  à  la  ques- 
tion de  la  peinture  murale.  Les  observations  qui  précèdent,  tirées  des 
seules  circonstances  extérieures,  ne  font  qu'appuyer  vos  propres 
conclusions.  Elles  prouvent,  comme  vous  l'avez  établi,  que  les  an- 
ciens peignaient  tantôt  sur  des  tableaux  de  bois  mobiles,  tantôt  sur 
le  mur  enduit  de  stuc,  et  je  crois  qu'on  peut  considérer  comme  un 
fait  acquis  à  l'histoire  de  l'art  que  les  peintures  de  la  Pinacothèque 
étaient  des  tableaux  suspendus,  tandis  que  celles  deMicon  et  dePo- 
lygnote,  au  temple  de  Thésée,  étaient  exécutées  sur  le  mur  même. 

Rangaré. 

(La  suite  au  numéro  prochain.) 


SUR 


UNI  INSCRIPTION  ANTIQUE  DE  LA  VILLE  DE  SAINTES, 


Le  fragment  d'inscription  monumentale  que  nous  donnons  ci- 
après  a  été  longtemps  encastré  dans  le  mur  de  revêtement  dé  la  partie 
des  anciens  remparts  de  Saintes  (Mediolanum  SarUonum),  servant  de 
clôture  au  jardin  de  l'hôpital  général  de  cette  ville;  mais  placé  à  une 
élévation  qui  en  rendait  la  lecture  très-difficile ,  et  d'ailleurs  en  par- 
tie masqué  par  des  mousses  et  d'autres  plantes  murales  qui  en  re- 
couvraient entièrement  la  troisième  ligne ,  il  a  été  récemment  enlevé 
de  ce  lieu  par  les  soins  de  M.  le  conservateur  du  Musée  des  Antiques 
de  la  vieille  capitale  des  Santones,  et  plus  convenablement  déposé 
dans  ce  dernier  local. 


.  CONNETO.  DVBNI. 

AEFECTO.  FABRVM.  TRIB. 
I.  AD.  CONFLVENTEM.  C. 


Cette  inscription,  quoique  tronquée  et  incomplète,  est  intéres- 
sante et  importante  pour  notre  ville  de  Saintes,  parce  qu'elle  sert  à 
éclairer  un  point  de  critique  historique  locale  jusqu'ici  douteux  et 
contesté.  Ce  débris  précieux  d'un  marbre  votif  ou  commémoratif  qui, 
selon  toutes  les  probabilités,  a  appartenu  à  quelque  monument  public 
de  Mediolanum  sous  la  domination  romaine,  a  t  mètre  0m,475  cent,  de 
longueur  sur 0m,i61,  31  millimètres  de  haut;  la  lettre  en  est  fort  belle. 
Celles  de  la  première  ligne  ont  de  hauteur  11  centimètres  18  milli- 
mètres; elles  diminuent  de  moitié  à  la  seconde  et  à  la  troisième 
ligne. 


INSCRIPTION   ANTIQUE   DE   LA.  VILLE   DE   SAINTES.  247 

On  pourrait  lire  comme  suit  ce  qui  nous  reste  de  cette  inscription , 
sans  prétendre  à  la  retrouver  en  entier  et  à  en  compléter  le  texte  : 

CONNETO.DVBNI./i/to 

PRAEFECTO.  FABRUM.  TRIBliriO  Ugionis.    .    .    . 

Sacer  doli.  arœ .  Romœ(  t  )et.Augusli.  ad.confluentem  .  caranloni  et  Sonœ 

En  reconnaissant,  ce  qu'on  ne  peut  guère  se  refuser  ici  d'admettre, 
que  la  lettre  c  qui  suit  immédiatement,  à  la  troisième  ligne ,  les  mots 
ad.  conflventem,  soit  l'initiale  du  nom  de  Caneutelus ,  ou  plutôt 
de  Carantonus  que  Ptolémée ,  Marcien  d'Héraclée  et  Ausone  (2)  don- 
nent à  la  Charente,  le  texte  de  notre  inscription,  tout  mutilé  qu'il 
est,  suffit  encore  pour  compléter  et  expliquer  ce  que  laissait  de 
louche  et  d équivoque  celui  qui,  sur  les  deux  faces  de  la  frise  de 
l'arc  de  triomphe  de  Saintes,  contenait  les  circonstances  de  la  dédicace 
de  ce  monument. 

Voici  cette  dernière  inscription ,  dont  il  ne  faut  plus  chercher  au- 
jourd'hui les  lettres  éparses  et  mutilées  dans  leur  chute,  au  front  de 
ces  portes  triomphales  qu'elle  couronnait  depuis  dix-huit  siècles,  mais 
sur  la  grève  humide,  au  milieu  des  hautes  herbes  des  bords  de  ce 
fleuve,  auquel  commandait  encore,  il  y  a  peu  de  jours,  notre  monu- 
ment ,  vieux  et  renversé  de  son  trône,  comme  tant  d'autres. 

Caius  ivlivs  caii  ivlï  ottvanevmîfî/ww  rvevs  cou  ivlï  gededm  vnw 

NEPOS 
EPODSOROVIDI  PRO  epOS  SACERDOS  ROMAE  ET  AVGVSTI  AD  ARAMQVAE 

EST 
AD  CONFLVENTEM  PRAEFECTVS  Fa&RVffl  VedicavU. 

A  l'aspect  de  cette  dédicace,  dont  Élie  Vinet  avait  déjà  fait  men- 
tion dans  son  Antiquité  de  Saintes  et  de  Barbezieux,  mais  que  La  Sau- 
vagère  lut  et  interpréta  le  premier  en  son  entier,  et  qui  a  souvent  été 
reproduite  depuis  lui,  ce  savant  antiquaire,  et  plus  tard  son  conti- 
nuateur Bourignon,  ne  mirent  point  en  doute  que  le  confluent  dont 
il  est  fait  ici  mention,  mais  sans  le  nommer,  ne  fût  celui  de  la  Charente 
et  de  la  Seugne,  voisin  de  l'emplacement  où  les  Sântones  érigèrent 

(t)  Ou  peut-être  seulement  arak.  avgvsti. 

(2)  Le  poêle  bordelais  Ausone,  dont  le  domaine  de  JYoverus  était  situé  sur  le  ter- 
ritoire des  Sântones,  a  dit,  en  parlant  de  cette  rivière  :  Santonico  refluus  non  ipse 
Carœntonus  istu.  C'est  là  le  véritable  nom  ancien  de  la  Charente,  altéré  en  celui 
de  Caneutelus. 


248  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

l'arc  de  Germanicus ,  et  dont  pour  cette  raison  il  leur  parut  superflu 
de  désigner  plus  amplement  la  position  dans  l'inscription  commémora- 
tive  qui  nous  occupe  ici,  et  non  le  confluent  de  la  Saône  et  du 
Rhône,  à  Lyon,  où  l'an  de  Rome  744,  sous  le  principat  de  Tibère, 
fut  élevé  l'autel  de  Rome  et  d'Auguste  par  les  soixante  peuples  prin- 
cipaux des  Trois  Gaules  qui  y  entretenaient,  chacun  d'eux,  un  prêtre, 
à  leurs  frais,  pour  le  desservir,  et  dont  la  dédicace  fut  faite  avec  une 
grande  solennité  par  Drusus,  père  de  ce  même  Germanicus  auquel  il 
transmit  son  glorieux  surnom. 

Cependant  M.  Mahudel ,  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles- 
lettres,  dans  une  dissertation  sur  l'arc  de  triomphe  de  Saintes,  ad- 
mettant une  opinion  contraire  à  celle  dont  on  vient  de  parler,  avait 
vu,  dans  le  personnage  qui  fit  la  consécration  de  ce  monument,  un 
prêtre  de  l'autel  de  Lugdunum,  un  Sacerdos  arœ  Romœ  et  Âugusti  ad 
confluentem  Araris  et  Rhodani,  dont  tant  de  Gaulois  illustres  parmi 
leurs  compatriotes,  et  après  avoir  été  revêtus  des  premières  dignités 
de  leur  cité  ,  furent  honorés  par  eux ,  et  dont  le  sacerdoce  est  men- 
tionné dans  les  monuments  de  l'épigraphie  gallo-romaine. 

Cette  opinion  du  docte  académicien  ,  bien  que  contestée  et  com- 
battue encore  assez  récemment  par  feu  M.  Millin  dans  son  Voyage 
dans  les  départements  da  midi  de  la  France ,  a  souvent  été  re- 
produite jusqu'en  ces  derniers  temps,  et,  enjre  autres  archéo- 
logues, par  mon  honorable  confrère  et  ami,  M.  Champollion-Fi- 
geac ,  dans  un  article  du  Moniteur,  où  il  a  rendu  compte  de  mon 
ouvrage  sur  les  Antiquités  de  la  ville  de  Saintes  et  du  département 
de  la  Charente- Inférieure ,  inédites  ou  nouvellement  expliquées  (1), 
sans  que  la  question,  dans  l'absence  ou  le  silence  des  documents 
nécessaires,  ait  pu  jamais  être  contredite  ni  défendue  avec  un  suc- 
cès évidemment  complet.  Nul  doute,  d'un  côté,  que  les  Santones, 
peuple  considérable  de  la  province  aquitaine ,  n'eussent  fait  élection, 
parmi  leurs  concitoyens,  d'un  prêtre  accrédité  à  l'autel  de  Lyon,  qui 
prenait  le  titre  et  remplissait  les  fonctions  de  son  ministère;  mais, 
d'un  autre  côté,  on  sait  aussi  que  plusieurs  cités  des  Gaules,  et  celle 
des  Santons  entre  autres,  avaient  élevé  dans  leur  sein  des  monu- 
ments particuliers,  à  l'instar  du  premier,  temples  ou  autels,  en  l'hon- 
neur de  ces  deux  mêmes  divinités  (Rome  et  Auguste).  L'histoire  et 
de  nombreux  marbres  votifs  attestent  ce  fait  ;  mais  aujourd'hui ,  et 
grâce  à  l'inscription  qui  fait  le  sujet  de  cette  dissertation ,  il  nous 

(1)  Un  volume  in-4,  av*v  planches  gravées.  Paris,  182<>. 


INSCRIPTION    ANTIQUE   DE    LA   VILLE    DE    SAINTES.  249 

semble  qu'il  ne  peut  plus  guère  rester  d'incertitude  et  de  doutes  rai- 
sonnables sur  le  lieu  où  existait  l'autel  mentionné  dans  la  dédicace  de 
l'arc  de  Germanicus,  et  qu'il  doit  paraître  suffisamment  constaté 
que  le  local  sur  lequel  il  était  situé  était  celui  de  la  Charente  et  de 
la  Seugne  et  non  celui  de  la  Saône  et  du  Rhône. 

Nous  devons  fort  regretter  que  notre  fragment  d'inscription  ne 
nous  ait  point  fait  connaître  le  véritable  nom  latin  ou  gallo-romain  de 
la  Seugne ,  appelée  aussi ,  dans  notre  vieux  français ,  Seyne,  Seige  ou 
Sévigne  (l),  et  en  latin  du  bas  temps  et  du  moyen  âge,  Sona  et 
Seigna.  Hadrien  de  Valois  (Nolilia  Galliaram)  et  l'abbé  de  Longuerue 
(Description  de  la  France)  pensent  que  cette  rivière  a  été  connue  des 
anciens  sous  le  nom  de  Santona  qu'elle  a  pu  donner  au  peuple  dont 
elle  fécondait  en  partie  le  territoire,  et  particulièrement  le  chef- 
lieu  ,  si  toutefois  elle  n'a  pas  reçu  le  sien  de  ce  peuple  même  :  mais 
ce  ne  sont  là  que  de  simples  conjectures  auxquelles  il  ne  faut  pas 
s'arrêter  plus  de  temps  ni  attacher  plus  d'importance  qu'un  judicieux 
esprit  de  critique  ne  le  commande.  Maichin ,  Mahudel  et  quelques 
autres  auteurs  ont  aussi  voulu  retrouver  le  nom  de  la  Seugne  dans 
celui  corrompu  par  d'infidèles  et  ignorants  copistes  de  la  table  théo- 
dosienne  ou  de  Peutinger,  qui  ont  fait  un  barbare  Medilano  Saneon 
et  Sanaen  de  notre  Mediolanum  Sanlonum  (ainsi  que  l'écrivent  Stra- 
bon,  Marcien  d'Héraclée,  l'itinéraire  d'Antonin  (2),  etc.),  et  par 
suite  de  cette  altération  dans  l'orthographe  de  ce  dernier  mot  Sanlo- 
num, ils  ont  donné  à  cette  capitale  des  Santons  la  dénomination  de 
Milan-sur -Seugne.  Il  est  vrai  que  cette  rivière  baignait  alors  les  murs 
de  Mediolanum,  si  même  elle  ne  traversait  pas  son  enceinte,  tandis 
que  la  Charente,  dont  on  reconnaît  encore  facilement  l'ancien  lit  dans 
la  plaine  dite  du  Maine,  à  l'orient  de  Saintes,  circulait  à  une  petite 
distance  de  celui  qu'elle  parcourt  aujourd'hui,  et  coupait,  au  point 
de  l'abbaye  des  Dames,  le  faubourg  du  même  nom.   En  resser- 
rant ses  rives  et  en  desséchant  ses  marais,  on  a  rapproché  beaucoup 
plus  tard  cette  partie  de  son  cours,  de  la  ville  actuelle ,  et  l'on  a  éloi- 
gné son  point  de  jonction  ou  son  confluent  avec  la  Seugne,  jadis 
très-voisin  de  l'emplacement  de  l'arc  triomphal,  en  aval  du  pont  au 
milieu  duquel  ce  monument  se  trouva   à  une  époque  postérieure 
engagé  sur  la  Charente  par  suite  du  déplacement  du  lit  de  cette  ri- 
vière (3)  ;  on  a  cru ,  pendant  les  basses  eaux ,  reconnaître  de  nos 

(1)  Le  mot  Seugne  a  prévalu. 

(2)  Et  Ausone ,  Civitas  Sanlonum. 

(3)  Cet  arc  se  trouvait  primitivement  placé  au  couchant  de  la  Charente,  sur  la 


250  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

jours  le  reste  du  terre-plein  en  pilotis  sur  lequel  était  construit 
l'autel.  Il  est  encore  facile  de  se  rendre  compte  de  l'ancien  état  des 
lieux  sur  ce  point  souvent  parcouru  et  observé  par  nous. 

Nous  devons  encore  regretter  que  notre  inscription  fragmentée 
nous  laisse  aussi  ignorer  le  nom  du  ministre  santon  de  l'autel  ou 
temple  de  Rome  et  d'Auguste,  car  il  est  probable  que  c'est  au  père 
de  cet  Augustal  et  non  à  lui-même  qu'appartient  l'appellation  toute 
gauloise  de  Connetodubm,  si,  du  moins,  l'on  ne  veut  voir  ici  qu'un 
seul  mot ,  comme  il  est  assez  probable ,  car,  à  la  rigueur,  on  pour- 
rait y  trouver  deux  noms  propres;  le  premier,  au  datif  ou  à  l'ablatif, 
qui  serait  Conneto,  appartenant  au  prêtre  d'Auguste;  et  le  second, 
au  génitif,  Dubni,  qui  serait  celui  du  père. 

Du  reste,  on  sait  que  la  terminaison  d'un  grand  nombre  de  noms 
gaulois  était  en  0,  et  indéclinables,  comme  on  le  voit  par  ceux  in- 
scrits sur  l'arc  d'Orange  et  par  les  médailles.  Plusieurs  de  ces  der- 
nières, qui  appartiennent  à  l'autonomie  des  peuples  de  la  Belgique, 
nous  ont  conservé  le  nom  d'un  chef  gaulois,  dvbno  rexou  rix(1). 

Les  antiquaires  auront  également  une  autre  question  à  se  faire  en 
examinant  notre  inscription.  De  quelle  espèce,  de  quel  genre  de 
monument  a-t-elle  fait  partie?  se  raltache-t-elle  à  la  dédicace  d'un 
grand  monument  d'architecture,  religieux,  civil  ou  militaire?  se- 
rait-ce une  épitaphe,  un  débris  d'une  pierre  sépulcrale  (  mensa) ,  ou 
bien  encore  un  autel,  un  cippe,  mais  construit  dans  de  grandes  pro- 
portions et  dimensions,  érigé,  comme  témoignage  de  la  reconnais- 
sance publique,  à  un  personnage  éminent,  à  un  magistrat  ou  grand 
fonctionnaire  de  la  province  ou  de  la  cité,  à  un  bienfaiteur,  un  pro- 
tecteur exerçant  son  salutaire  patronage  en  faveur  de  la  même  lo- 
calité ?  tel  que  parmi  de  nombreux  exemples ,  nous  nous  bornerons 
à  rappeler  le  suivant,  que  nous  empruntons  à  un  marbre  rapporté 
par  M.  Champollion-Figeac  (Nouvelles  recherches  sur  là  ville  gau- 
loise d Uxellodanum ,  etc.  ) ,  et  élevé  par  les  Cadurci  ou  Cadurques, 
en  l'honneur  d'un  concitoyen  illustre ,  mort  honoré  de  toutes  leurs 
dignités  municipales,  Marcus  Lucterius  Léo  ,  et  le  petit-fils  (présumé) 
de  l'ami  et  du  compagnon  d'armes  de  l'Averne  Vercingetorix ,  et  du 
défenseur  d'Uxellodunum  ! 


voie  romaine  qui ,  un  peu  plus  loin ,  se  divisait  pour  aller,  d'un  côté ,  à  Limonum 
(Poitiers),  et,  de  l'autre,  à  Fesonna  (Périgueux). 

(I)  Eckhel,  Doclrina  Felerum  nummorum.  —  Gallia  Belgica.—Tornacum, 
l  1.  D'Enncry,  Mionnet,  etc. 


INSCRIPTION  ANTIQUE   DE  LA   VILLE   DE  SAINTES.  251 

M.  (1  )  LVCTERIO 

LVCTERII.  SENI 

CIANI.  F.  (2)  LEONI 

OMNIRVS.  BON 

NORIRVS.  IN.  PA 

TRIA.  FVNCTO 

SACERDOS.  AREA 

AVG.  (3)  INTEK.  CON 

FLVENT.  ARAR  (4) 

ET.  RHODANI 

CIVITAS.  CAD.  (5) 

OB.  MERIT.  (6)  E1VS 

PVB.  (7)  POSVIT.  (8) 

Ce  petit-fils,  dégénéré  du  dernier  des  Cadurques  (comme  Marcus 
Brutus  fut  le  dernier  des  Romains)  était  aussi  prêtre  d'Auguste,  du 
fils  adoptif  et  de  l'héritier  de  ce  Jules  César,  l'implacable  ennemi  de 
l'aïeul  de  notre  Cadurque;  mais  ici  le  marbre  est  sans  lacune  ,  et  le 
doute  inadmissible.  C'est  bien  à  l'autel  de  Lyon  (inter  conflaentem 
Araris  et  Rhodani)  que  LucteriusLeo  exerçait  son  sacerdoce,  le  com- 
plément des  distinctions  dont  il  fut  honoré  dans  sa  cité. 

Un  pareil  honneur,  et  dans  des  circonstances  et  des  conditions  à 
peu  près  semblables,  ne  put-il  pas  être  accordé  au  tribun  militaire, 
à  l'intendant  ou  au  préfet  des  ouvriers  et  au  prêtre  d'Auguste  de  notre 
inscription  de  Mediolanum  par  les  habitants  de  cette  ville?  E*à  ce 
sujet,  nous  ne  pouvons  nous  refuser  à  exprimer  ici  la  conjecture  que 
le  fragment  suivant  d'une  inscription  également  trouvée  à  Saintes, 
au  XVIIe  siècle ,  dans  les  démolitions  d'une  partie  de  ces  mêmes  murs 
de  ville  dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  et  publiée  par  Samuel  Veyrel 
dans  l'indice  de  son  cabinet  (9) ,  et  un  siècle  plus  tard  par  La  Sau- 

(l)  Marco. 

(2j  Tilio. 

(3)  \\gusU.  , 

(i)  Arrarîs. 

(5)  CADiircorum,  ante  divona. 

(6)  Mérita. 

(7)  VubUcc 

(8)  Ce  beau  marbre  antique  se  voit  aujourd'hui  sous  le  péristyle  du  grand  esca- 
lier de  l'hôtel  do  la  préfecture  du  Lot;  sa  restauration,  ordonnée  par  le  comte  César 
|«  Marncsia  ,  fut  dirigée  et  surveillée  par  M.  Champollion-Figeac,  qui  la  provoqua 
près  de  cet  ancien  préfet  du  Lot. 

(9)  Imprimé  à  Bordeaux,  en  1655.  Samuel  Veyrel  était  un  apothicaire  de  Sainte», 
amnteur  et  collecteur  d'antiques  plus  zélé  qu'éclairé. 


252  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

vagère  et  Bourignon ,  n'ait  appartenu  au  marbre  de  Connetodabrù,  et 
n'en  ait  été  détaché. 

ROMAE.  ET.  AVG 

TRES.  PRO VINCI AE.GALLIAE.  DE.  PVBLICO 


Mais  malheureusement  ce  débris  a  disparu  depuis  longtems  (l), 
ce  qui  ne  permet  pas  d'établir,  par  un  rapprochement  nécessaire,  la 
certitude  de  cette  hypothèse,  que  nous  produisons  seulement  à  titre  de 
probabilité. 

La  ville  de  Saintes,  nous  le  disons  ici  à  regret,  a  toujours  été 
mauvaise  ménagère,  et  s'est  montrée,  dans  tous  les  temps,  peu  ja- 
louse et  soucieuse  de  la  conservation  de  ses  titres  d'honneur  et  de 
gloire,  et,  nous  ajouterons,  d'une  antique  et  incontestable  noblesse, 
gravés  sur  ses  vénérables  monuments.  En  outre  des  nombreuses 
inscriptions  dont  nous  venons  de  déplorer  la  .perte,  nous  avons  vu 
disparaître ,  depuis  quelques  années ,  les  derniers  débris  de  ses 
temples,  de  ses  aqueducs,  de  ses  bains,  etc.;  ses  arènes,  dont  la 
ruine  est  si  imposante  et  si  pittoresque,  offrent  aux  bâtisseurs  de  leur 
voisinage  une  carrière  longtemps  exploitée  impunément  et  gratuite- 
ment par  eux;  enfin,  dans  les  lignes  qui  précèdent,  nous  avons 
rapporté  l'attentat  commis  sur  la  plus  intéressante  et  la  plus  connue 
de  ses  antiquités,  crimes  dont  se  sont  naguère  vivement  émus  tous 
les  amis  des  arts  et  les  hommes  éclairés  et  patriotes.  Au  milieu  de  ce 
besoin  de  destruction  qui  anime  les  hommes  encore  plus  que  le 
temps,  il  faut  tenir  compte  et  savoir  gré  aux  populations  qui, 
en  l'absence  d'un  sentiment  plus  noble  et  plus  généreux,  conservent 
leurs  monuments  par  le  même  calcul  qui  fait  que  les  mendiants  en- 
tretiennent leurs  plaies,  pour  me  servir  d'une  expression  du  président 
Dupaty,  dans  ses  Lettres  sur  V Italie,  en  parlant  des  Romains  mo- 
dernes. 

(1)  Ainsi  que  quinze  autres  recueillis  par  le  même  amateur,  et  tous  ceux  appor- 
tés par  Bourignon  ,  comme  existant  au  moment  où  il  écrivait. 

Le  Baron  Chaddruc  de  Crazannes, 

Membre  titulaire  des  Comités  historiques ,.  correspondant  de 
l'Institut  (  Académie  des  Inscript,  et  Belles-Lettres),  etc. 


SUR 

L'AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR 

ET 

LE  CACHET  DE  SÉPULLIUS  MACER. 


J'ai  prorois  (  plus  haut,  pag.  153),  de  justifier  les  assertions  aux- 
quelles le  manque  de  temps  et  d'espace  m'avait  contraint  de  me 
borner  dans  la  livraison  précédente.  Comme  l'article  de  M.  Courtet 
était  composé  et  près  d'être  tiré,  lorsque  j'en  ai  eu  communication , 
je  ne  pouvais  disposer  que  d'une  fin  de  page,  que  j'ai  remplie  avec 
la  courte  note  qui  exprimait  ma  conviction  rapidement  acquise, 
mais  assez  mûrement  réfléchie,  ainsi  qu'on  en  pourra  juger. 

Je  viens  donc  remplir  ma  promesse  ,  et  je  le  ferai  le  plus 
brièvement  qu'il  me  sera  possible,  sans  négliger  aucun  des  points 
qu'il  est  indispensable  de  toucher,  si  je  veux  rendre  complète- 
ment compte  de  l'origine  et  de  la  nature  de  ces  deux  monuments 
problématiques. 

La  question  qu'il  importe  le  plus  d'examiner  et  d'établir  concerne 
Y  authenticité  de  l'un  et  de  l'autre  ;  car  la  réalité  des  notions  histori- 
ques qu'on  y  a  rattachées  dépend  ,  en  partie  ,  de  la  détermination 
indubitable  de  ce  point  unique.  La  discussion  où  je  vais  entrer  intro- 
duira, je  pense,  un  critérium  applicable  à  toute  une  classe  assez 
nombreuse  de  pierres  gravées,  qu'on  a  jusqu'ici  regardées  comme 
antiques;  mais  qui,  à  mon  avis,  ne  le  sont  pas  et  même  ne  peuvent 
pas  l'être. 

J'ai  dit  qu'il  n'avait  pas  échappé  à  la  sagacité  du  spirituel  inter- 
prète de  Y  amulette  de  César  que  cette  pierre  gravée  offre  la  plus 
grande  analogie  avec  ce  que  M.  le  docteur  Sichel  a  nommé  le  cachet 
de  Sépullius  Macer.  Ils  sont,  en  effet,  l'un  et  l'autre  exclusivement 
relatifs  à  Jules  César,  et  tous  les  symboles  qu'on  y  voit  gravés  se 
rapportent  à  ce  grand  personnage ,  ainsi  qu'aux  traditions  classiques 
sur  l'origine  de  la  famille  Julia. 

Il  s'ensuit  qu'en  bonne  critique  on  ne  peut  guère  les  séparer  ;  et 
que,  si  l'un  est  antique,  l'autre  lésera  probablement.  Par  contre, 
s'il  est  prouvé  que  l'un  d'eux  est  de  fabrique  moderne ,  on  devra 


254  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

concevoir  les  doutes  les  plus  sérieux  sur  Y  antiquité  de  l'autre.  Leur 
sort  paraît  être  inséparable. 

Dès  lors,  au  cas  où  il  deviendrait  prouvé  que  tous  deux  sont 
modernes,  l'erreur  de  M.  Courtet,  à  l'égard  de  l'amulette,  serait 
parfaitement  excusable.  Le  cachet  de  Sépullias  Macer  avait  été  pris 
pour  antique  par  M.  le  docteur  Sichel,  qui ,  n'étant  pas  versé  dans  cette 
matière ,  comme  il  le  dit  lui-même,  avait  eu  le  soin  de  prendre  l'avis 
d'un  homme  du  métier,  de  M.  Raoul  Rochette,  qu'il  devait  croire  très- 
compétent.  Celui-ci,  après  avoir  examiné  la  pierre  originale,  s'était 
prononcé  sur  son  authenticité,  et  avait  engagé  le  savant  docteur 
à  continuer  ses  recherches  curieuses,  fondées  sur  ce  monument 
(Sichel,  dans  la  Revue,  t.  II,  p.  682).  D'après  cette  garantie,  qui 
devait  sembler  suffisante,  le  cachet  ayant  été  reconnu  pour  antique, 
l'amulette  devait  l'être  également  ;  et  M.  Courtet ,  qui  avoue 
aussi  fort  modestement  son  inexpérience  en  fait  d'antiquité  (plus 
haut,  p.  150),  pouvait  difficilement,  de  son  côté,  concevoir  le 
moindre  doute.  Si  donc  les  deux  interprètes  ont  commis  une  erreur 
sur  ce  point,  la  responsabilité  doit  en  retomber  sur  l'autorité  com- 
mune à  laquelle  ils  avaient  donné  toute  leur  confiance.  Je  ne  veux 
rien  conclure  de  ce  contre-temps ,  sinon  que  la  critique  des  monu- 
ments de  ce  genre  était  assez  peu  avancée  pour  que  d'habiles  gens 
pussent  s'y  tromper  à  ce  point.  C'est  ce  qui  donnera  peut-être 
de  l'intérêt  et  de  l'utilité  à  la  discussion  suivante. 

J'ai  donc  affirmé ,  dans  ma  note ,  que  les  deux  pierres  sont  mo- 
dernes ;  ce  qui  résultait,  à  mes  yeux,  entre  autres  indices,  des 
preuves  matérielles  qui  se  tirent  des  inscriptions  et  des  signes  plané- 
taires qu'on  y  voit  gravés. 

I.  Inscriptions  :  : 

Lamulette  de  César,  dont  je  reproduis  la  figure,  est  un  monu- 
ment unique  en  son  genre.  L'inscription  mem.  aeternae  annonce 
une  intention  funéraire.  Or,  jamais  monument  funéraire,  soit  ef- 
fectif, soit  commémoratif  seulement,  n'a  revêtu,  chez  les  Romains, 
une  pareille  forme  ;  toutefois  ce  ne  serait  là  qu'un  motif  de  s'en 
défier  fortement,  non  de  la  rejeter  tout  à  fait. 

Mais  ce  qui  ne  permet  aucun  doute,  c'est  l'inscription  elle-même. 
D'après  sa  teneur,  si  le  monument  est  antique,  il  doit  avoir  été 
gravé  à  une  époque  voisine  de  la  mort  de  César,  par  l'ordre  d'un  de 
ses  chauds  partisans,  comme  un  hommage  rendu  à  sa  mémoire.  Or, 
il  est  évident  que  jamais  un  Romain  n'aura  pu  écrire  memoriae 


AMULETTE    DE    JULES   CÉSAR.  255 

aeternae  Julii  Cœsaris;  parce  qu'à  sa  mort,  ce  grand  homme  devint 


divusJulius,  titre  qu'il  reçoit  sur  tous  les  monuments  épigraphiques 
ou  nnmismatiques  postérieurs  à  cet  événement. 

Nous  ayons  donc  là  une  inscription  imaginée 
par  quelque  demi-savant  moderne,  qui,  sachant- 
que  des  inscriptions  funéraires  commencent  par 
mem.  aeternae,  suivi  d'un  nom  au  génitif  ou  au 
datif,  s'est  avisé,  en  faisant  de  son  jaspe  une  amulette  funéraire, 
de  l'appliquer  à  Jules  César;  et,  cela  sans  se  douter,  1°  que  pareille 
amulette  a  pu  difficilement  sortir  d'une  main  romaine  ;  2°  que  Jules 
César,  après  sa  mort ,  était  divvs  ivlivs  ,  et  non  ivlivs  (Lesar  ;  3°  que 
la  formule  mem.  jETERNJë  ne  peut  se  trouver  qu'avant  le  nom  d'un 
homme,  mais  non  pas  d'un  dieu,  comme  l'était  devenu  Jules  César 
après  sa  mort.  En  sorte  qu'en  tout  état  de  cause,  un  Romain  aurait 
écrit  sur  un  monument  votif  de  ce  genre,  divo  ivlio  sacrum,  ou 
quelque  chose  de  semblable. 

C'est  cette  observation  qui  m'avait  fait  prononcer  la  fausseté  du 
monument,  et  cela  du  premier  coup  d'oeil,  sans  même  que  j'eusse 
besoin  de  voir,  de  toucher  la  pierre,  ni  de  vérifier  si  les  caractères 
et  très-suspects  de  l'inscription  sont  bien  tels  sur  l'original  qu'ils  se 
montrent  sur  la  copie  ;  ce  dont  je  suis  sûr  d'avance. 

Cette  observation,  d'après  ce  que  j'ai  dit  plus  haut,  suffirait  pour 


256  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

fixer  le  sort  du  cachet  de  Publias  Sépullius  Macer,  et,  quand 
même  Fauteur  de  ce  cachet ,  plus  instruit  que  celui  de  l'amulette , 
aurait  évité  toute  occasion  de  montrer  le  bout  de  V oreille ,  on 
pourrait,  sans  hésiter,  mettre  la  seconde  pierre  (qu'on  me  permette 
cette  expression  familière,)  dans  le  même  sac  que  l'autre. 

Mais,  d'abord,  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  l'original  (qui  est 
un  caillou  assez  commun),  pour  apercevoir,  dans  la  forme  des 
lettres,  et  dans  toutes  les  parties  du  travail,  un  indice  qu'il  est 
moderne,  tout  au  plus  du  XVIe  ou  du  XVIIe  siècle. 

A  côté  de  cette  preuve  de  sentiment,  qui  frap- 
pera, j'ose  le  dire,  tout  connaisseur,  même  mé- 
diocre, se  placent  aussi  des  preuves  matérielles 
également  indubitables. 

On  remarquera  qu'à  l'exception  de  la  légende 
ven  GENi,  que  l'exiguïté  de  la  place  a  forcé 
d'abréger,  tous  les  noms  et  prénoms  gravés  sur  la 
pierre  sont  entiers,  sans  aucune  ligature  ni  abré- 
viation quelconque.  C'est  là  ce  qui  rend  impossible 
de  croire  que  le  graveur  eût  écrit  ^eneas,  au  lieu  de  aeneas  quand 
rien  n'obligeait  à  la  ligature  M,  au  lieu  de  ae. 

Saumaise  etConringius  affirment  que  la  double  lettre  je  a  été  incon- 
nue dans  l'antiquité,  et  ne  se  trouve  point  dans  les  manuscrits 
antérieurs  au  Xe  siècle.  Les  savants  bénédictins,  auteurs  du  Nou- 
veau Traité  de  diplomatique,  ont  contesté  le  fait,  d'après  quelques 
inscriptions  antiques  où  la  ligature  se  trouve ,  et  ils  assurent 
lavoir  reconnue  dans  des  manuscrits  antérieurs  au  Xe  et  même  au 
IXe  siècle  (1). 

Cela  est  vrai  ;  mais  il  y  a  pourtant  une  distinction  à  faire ,  que 
ces  savants  diplomatistes  ont  négligée.  Que  Yje  ait  été  employé  de 
bonne  heure,  comme  ligature,  cela  n'a  rien  de  plus  étonnant 
que  toute  autre  ligature,  \\,  NE>  Œ,  etc.,  qu'on  trouve  sur  des 
monuments  du  haut  empire,  et  même  de  la  république;  mais  il 
n'en  est  plus  de  même  quand  il  s'agit  de  Yje  comme  lettre  unique  ex- 
primant la  diphthongue. 

La  ligature  se  trouve  déjà  sur  des  médailles  consulaires  de  la 
famille  Cœcina ,  dont  le  nom  cm  ,  a  presque  le  caractère  d'un  mo- 
nogramme; et  dans  les  médailles (2)  de  Turiaso  en  Espagne,  de  la 

(1)  T.  II,  p.  576,577. 

[2)  Riccio,  le  Monde  di  famiglie  romane,  tav.  X. 


AMULETTE   DE   JULES   CÉSAR.  257 

famille  cecilia(1),  qui  offrent  un  caractère  analogue.  (2)  Les  m  de 
l'inscription  d'un  tuyau  de  plomb,  portant  Juliœ  il fammeœ  matris  Âug. 
nostri  (3),  ou  d'une  brique  du  temple  de  Nerva(4),  s'expliquent  par  les 
antres. ligatures  qui  l'accompagnent.  L'^ë,  à  la  fin  des  lignes,  dans 
plusieurs  inscriptions  antiques  (5) ,  s'explique  encore  par  la  néces- 
sité de  rapprocher  les  deux  lettres  finales,  là  où  la  place  de- 
venait insuffisante,  ob  spalii  anguslias,  comme  dit  Morcelli  (6). 

Cette  distinction  suffit  pour  les  inscriptions  lapidaires.  Je  n'ai 
rien  à  dire  des  chartes  ou  manuscrits  antérieurs  au  IXe  siècle  qui 
restent  étrangers  à  cette  discussion;  cependant  je  ferai  remarquer 
que,  s'il  est  bien  vrai  que  Y  m  s'y  trouve,  c'est  toujours,  à  ce  qu'il 
me  semble,  dans  des  abréviations  ou  à  la  fin  des  lignes,  quand 
l'espace  manque. 

Il  s'ensuit  que  le  nom  ^eneas, .écrit  en  toutes  lettres,  sur  le  cachet 
de  Sépullius  Macer ,  lorsque  la  place  ne  manquait  nullement,  ni 
avant  ni  après,  et  que  tous  les  autres  mots  n'offrent  ni  abréviation 
ni  ligature,  n'a  pu  sortir  d'une  main  antique.  Elle  ne  saurait  être 
antérieure  à  l'amulette,  et  je  la  crois  du  même  temps.  On  doit  re- 
marquer encore  l'absence  du  point,  non-seulement  après  pvblivs 
et  sepvllivs,  mais  après  les  deux  abréviations  ven  et  geni,  quoi- 
que l'espace  permît  de  l'y  placer;  voilà  ce  qu'on  ne  trouve,  sur 
une  inscription  antique,  que  lorsque  les  lettres,  resserrées  par 
l'espace,  sont  trop  rapprochées  pour  permettre  l'insertion  du  point. 
Enfin,  l'orthographe  geni.  pour  genitrix,  est  un  indice  certain 
d'une  main  moderne.  Il  est  reconnu  que ,  si  l'on  trouve  quelquefois 
l'adjectif  genitrix,  dans  de  bons  manuscrits,  l'orthographe  gene- 
trix  est  la  seule,  que  les  monuments  antiques,  médailles  ou  inscrip- 
tions, admettent  pour  ce  mot,  employé  comme  épithète  deVénus(7). 
Un  ancien  aurait  mis,  non  geni,  mais  gène.  ;  et  même,  comme  cette 


(1)  Morel,  Cœcil.  Tab.  III,  4. 

(2)  Quant  à  la  médaille  de  Patres,  portant  INDVLGENTIAE.  AVG.  MONETA. 
IMPKTRATA  que  citent  les  bénédictins  et  que  personne,  je  crois,  n'a  vue  depuis 
Séguin,  elle  porte  d'après  Séguin  lui-même  INDVLGENTIAE,  non  INDVLGENTIAE, 
comme  le  disent  les  bénédictins.  (Séguin,  Selecla  numism.,  p.  115). 

(3)  Monlfauc,  Anliq.  eœpl. 

(4)  Caylus,  Recueil,  t.  III,  pi.  LX VIII,  3. 

(5)  Millin  ,  Mon.  inéd.,  II,  p.  292.  Ajoutez  celle  de  la  jolie  statuette,  bien  an- 
tique ,  et  ingénieusement  trèsexpliquée  par  M.  Mérimée,  à  la  suite  de  cet  article. 

(6)  De  stylo  inscript.,  t.  II ,  p.  3i  1. 

(7)  Une  inscription  donnée  par  Spon  porte  VEN.  GENITRIC.  Orelli  (n°  1358) 
en  dit:  Non  omni  suspicione  caret.  Il  pouvait  être  plus  hardi,  et  la  déclarer 
fausse. 

111.  17 


258  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

abréviation  gène  serait  inusitée,  il  aurait  mis  genêt,  ou  genetr.  ;  car 
il  y  avait  place  pour  deux  lettres,  en  reculant  ven.  vers  la  gauche, 
et  en  serrant  les  deux  mots.  C'est  là  ce  qu'ignorait  l'auteur  de  notre 
cachet,  dont  l'érudition,  comme  on  le  verra,  n'était  ni  complète 
ni  sûre. 

On  voit  que,  prise  séparément,  chacune  des  deux  pierres  porte 
en  elle-même  la  preuve  de  sa  fausseté.  Si  on  les  rapproche  l'une  de 
l'autre,  cette  preuve  devient  l'évidence. 

La  question  de  leur  authenticité  serait  donc  décidée  pleinement  par 
les  inscriptions  seules  ;  et  c'est,  en  effet,  Tun  des  deux  caractères  qui 
m'avaient  frappé  au  premier  coup  d'œil.  Le  second,  qui  ne  m'avait 
pas  semble  moins  certain,  se  tire  de  deux  signes  planétaires  qui 
sont  au  nombre  des  symboles  gravés  sur  toutes  deux.  Ces  signes 
sont  et  a*,  qui  ont  été  reconnus  avec  raison  par  le  docteur 
Sichel  et  M.  J.  Courtet,  comme  étant  ceux  qui  désignent  encore 
maintenant  les  planètes  de  Vénus  et  de  Mars. 

II.  Signes  planétaires. 

Scaliger  (l),  Saumaise  (2)  et  Huet  (3)  font  remonter  jusqu'à 
l'antiquité  les  petites  figures  qui  servent  à  désigner  maintenant  le  so- 
leil, la  lune  et  les  cinq  planètes,  connues  des  anciens,  à  savoir:  Q,  C, 
$  5  <y  %  b  •  Selon  eux  ,  on  les  trouve  dans  les  plus  anciens  ma- 
nuscrits et  sur  des  pierres  gravées  antiques.  Quant  à  Beckmann,  il 
n'a  fait  que  reproduire  leur  opinion,  sans  y  joindre  de  nouveaux 
arguments  (4)  et  sans  la  soumettre  à  aucun  examen. 

Tout  annonce,  au  contraire,  que  les  signes  dont  nous  nous  ser- 
vons (à  l'exception  de  }  ou  i  )  ne  remontent  pas  si  haut,  à  beaucoup 
près.  Sur  les  monuments  dont  l'antiquité  n'est  pas  douteuse,  mé- 
dailles, pierres  gravées  ou  bas-reliefs,  les  planètes  sont  toujours 
exprimées,  soit  par  des  figures  entières,  soit  par  les  bustes  des  divi- 
nités correspondantes  :  Apollon  (soleil),  Diane  (lune),  Mercure, 
Vénus,  Mars,  Jupiter  et  Saturne,  avec  ou  sans  leurs  attributs  : 
la  faux  pour  Saturne;  le  caducée  pour  Mercure;  le  foudre  pour  Ju- 
piter, le  croissant  pour  la  lune,  les  rayons  pour  le  soleil. 

Jamais  on  ne  trouve  ces  signes ,  même  sur  les  pierres  gnosdques  et 

(1)  Ad  Manil.  aslron.  p.  460,  éd.  Strasb.  1655. 

(2)  Exercit.  Plinian.,  p  874. 

(3)  Noi.  in  Manilium,  ad  calcem  edit.  in  usum  Delphini,  p.  80. 

(4)  Beilrœge  zur  Geschichte  der  Erfindungen ,  III,  372,  ff. 


AMULETTE    DE    JULES    CESAR.  259 

abraxas,  bien  que  plusieurs  puissent  descendre  jusqu'au  VIe  siècle. 
Les  emblèmes  des  absurdes  superstitions  gnostiques  ,  carpocraliennes 
ou  basilidiennes  n'y  sont  jamais  môles  avec  aucun  de  ces  signes, 
à  l'exception  de  la  tète  radiée  pour  le  soleil,  et  du  croissant  C  pour 
la  lune;  encore  y  figurent- ils ,  non  à  titre  de  planètes ,  mais  comme 
divinités  célestes,  soleil  et  lune,  distinctes  des  planètes  proprement 
dites,  quinque  stellœ  errantes.  D'où  vient  cela?  c'est  que  celles  de 
ces  pierres  où  le  caractère  gnostique  est  évident  sont,  presque  sans 
exception,  toutes  antiques;  je  veu*  dire  qu'elles  ont  été  gravées  au 
temps  même  où  les  superstitions  qu'elles  expriment  furent  en  vigueur. 
Une  fois  ces  superstitions  éteintes,  comme  les  pierres  de  ce  genre 
étaient  trop  nombreuses  pour  avoir  de  la  valeur,  personne  n'a  eu  un 
intérêt  religieux  ou  pécuniaire  à  les  contrefaire  dans  la  suite.  Voilà 
pourquoi  les  signes  dont  je  parle  ne  s'y  trouvent  jamais;  et  ce  n'est 
pas  là  une  médiocre  preuve  qu'ils  n'appartiennent  pas  à  l'antiquité, 
et  conséquemment  que  les  pierres  où  on  les  trouve  sont  modernes. 

Quant  aux  manuscrits ,  les  signes  planétaires  ne  se  montrent  que 
rarement  dans  ceux  des  astronomes,  quelque  récents  que  soient  ces 
manuscrits,  parce  que  le  nom  des  planètes  n'y  revenant  qu'à  de 
longs  intervalles,  il  était  inutile  d'avoir  recours  à  une  sigle  pour  les 
exprimer;  les  planètes  y  sont  nommées  en  toutes  lettres.  C'est  ce 
dont  on  pourra  s'assurer,  en  parcourant  les  manuscrits  de  Ptolémée, 
de  Théon,  de  Geminus,  de  Cléomède  ,  etc. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  des  traités  ^astrologie  (1)  et  à'alchimie,  où  les 
noms  des  planètes  reviennent  sans  cesse  pour  exprimer,  dans  les 
uns,  les  planètes  en  conjonction  avçctel  ou  tel  astre;  dans  les  autres, 
les  métaux,  dont  chacun,  de  bonne  heure,  fut  attribué  à  une  divinité 
ou  à  la  planète  correspondante  :  te  plomb  à  Saturne,  Yélectrum  à  Ju- 
piter, le  fer  à  Mars,  le  cuivre  à  Vénus,  Yélain  à  Mercure,  l'or  au  so- 
leil, l'argent  à  la  lune. 

Il  a  bien  fallu  remplacer  alors  les  noms  par  des  marques  de  con- 
vention. Aussi  trouve-ton  les  signes  planétaires  dans  ces  manuscrits, 
dont  les  plus  anciens  sont,  à  ma  connaissance,  du  Xe  siècle  (2).  Dans 
l'un  d'eux,  on  trouve  (Vie  de  Proclus  par  Marinus)  les  signes  plané- 
taires à  l'occasion  du  thème  natal  de  Proclus  (3). 

(1)  Dans  le  papyrus  astrologique  de  la  quatrième  année  d'Antonin  ,  du  Musée 
royal,  les  planètes  y  sont  nommées  en  toutes  lettres.  Les  signes  ne  s'y  montrent  pas. 

(2)  M^nlfaucon,  Bibl.  Coislin,  p.  302.  Tels  sont  encore  les  Mss.  de  Julius  Fii- 
micus  Maternus.  Bibl.  Roy.,  n°  7311  ;  et  Fonds  de  Noire-Dame  ,  n>  170. 

(3)  Cf.  Marin.  VU.  Procli,  p.  138,  éd.  Boisson. 


-260  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Plus  ces  manuscrits  sont  anciens,  plus  la  forme  de  ces  signes  diffère 
de  celle  qu'on  leur  donne  maintenant.  Ils  varient  plus  ou  moins*de 
manuscrit  à  manuscrit.  En  parcourant  ceux  du  XIIe,  du  Xlir  siècle 
(par  exemple,  les  nos  2506,  2345,  2417  et  2423  de  la  Bibliothèque 
royale)  et  du  XIVe  siècle  (l),  on  trouve  ces  mêmes  signes  avec  peu 
de  variantes,  mais  assez  différents  de  ceux  dont  nous  nous  servons. 
Ainsi  le  Soleil  est  toujours  6guré  ^^",  jamais  O  ;  Jupiter  ^  ou  5 
au  lieu  de  %  ;  Mercure  7  »  jamais  J;  Saturne  t>   ou  h>. 

MarsQff  plus  rarement  $  et  •<,  jamais  0*  ;  Vénus  ?,?,?,  ^, 
jamais  Ç .  Pour  rencontrer  ces  dernières  formes ,  il  faut  descendre 
aux  manuscrits  du  XVe  et  du  XVIe  siècle  ou  aux  livres  imprimés  (2). 

Saumaise  s'est  efforcé  de  retrouver  (3) ,  dans  les  lettres  ini- 
tiales des  noms  des  planètes,  l'origine  des  signes  planétaires  (4). 
L'idée  est  ingénieuse  et,  je  crois,  vraie  pour  quelques-uns;  ainsi 
^  est  évidemment  la  première  lettre  de  Zevç  ;  §  paraît  bien  être 
une  abréviation  de  So-Spioc,  épithète  de  Mars  ;  mais  9  sera  plutôt 
un  miroir  avec  son  manche  qu'un  <£,  première  lettre  de  ®cùcy6pos , 
et  i)  ou  £  ,  plutôt  la  liarpé  que  les  deux  lettres  Kp,  de  Kpo'voç  ; 
quant  à  Mercure,  ^ ,  c'est  évidemment  la  même  figure  que  celle 
de  Vénus,  avec  les  petites  ailes  de  Mercure,  ou  %  ,  le  caducée, 
qu'on  trouve  déjà  comme  signe  planétaire  sur  une  pierre  gravée, 
avec  le  serpent  enroulé  autour  du  bâton. 

Les  signes  de  deux  planètes,  proprement  dites,  sont  donc  pris 
des  lettres  initiales,  Jupiter  et  Mars;  ceux  des  trois  autres  le  sont 
des  attributs  des  divinités,  Vénus,  Mercure  et  Saturne.  Plus  tard  on 
en  joignit  d'autres  ;  Mars  fut  aussi  quelquefois  de  ce  nombre  , 
puisque  le  signe  $  est  le  bouclier  traversé  par  une  lance ,  ce  qui 
fait  la  transition  pour  arriver  à  cf  ,  le  plus  récent  de  tous. 

Quant  au  Soleil  et  à  la  Lune,  qui,  dans  les  manuscrits,  sont  tou- 
jours figurés  £p^  et  }  ou  <  ,  le  premier  signe  est  le  disque  du  soleil 
avec  un  rayon  ;  le  second  est  le  croissant,  employé  de  toute  antiquité, 
pour  figurer  l'astre.  Le  O  ou  O,  que  nous  employons  maintenant 
et  que  les  Égyptiens  employaient  déjà,  il  y  a  des  milliers  d'années, 


(1)  Walter.  Lexic.  diplomat.,  p.  451. 

(2)  Cang.  Lexic.  inf.  grœcil.  T.  II ,  p.  17. 

(3)  Les  plus  anciens  sont  le  manuscrit  du  Telrabiblos ,  n"  24*25;  et  le  n°  2509  , 
du  XVe  siècle  (rào/sta  twv  irXxvQTfly;  comme  celui  qui  contient  la  version  latine 
d'Aben-Ezra  de  Pelrus  Paduanus  (Bibl  Reg  cod.  n°  7438  ) ,  puis  celui  des  Hypo- 
typoses  de  Proclus  et  du  Telrabiblos  (cod.  2363  ),  qui  est  du  XV*. 

(4)  ExerciL  Plin.,  p.  873. 


AMULETTE    DE    JULES    CESA.K.  261 

pour  exprimer  le  dieu  Soleil ,  ne  se  voit  guère  que  dans  les  livres  im- 
primés. 

Il  est  presque  inutile  d'ajouter  que  le  signe  <$ ,  pour  désigner  la 
Terre,  n'a  pu  être  en  usage  que  depuis  l'adoption  du  système  de  Co- 
pernic, la  Terre  n'étant  pas  une  planète  dans  les  idées  des  anciens. 
C'est  alors  qu'ont  été  adoptés  définitivement  Ç. ,  $  et  5  pour  les 
trois  planètes  de  Vernis ,  la  Terre  et  Mercure ,  et ,  depuis  les  nou- 
velles découvertes,  %  ,  Ê,  Ql  et  Ç  pour  Uranus,  Vesta,  Junon 
et  Cérès. 


Ce  qui  résulte  de  ces  observations,  c'est  que  les  formes  ^,  $  ,  pla- 
cées en  divers  sens,  et  <f,  pour  exprimer  Vénus  et  Mars,  appartien- 
nent aux  derniers  temps  et  se  trouveraient  difficilement  avant  le 
XVe  siècle. 

Or,  ce  sont  précisément  ceux-là  qui  ont  été  figurés  sur  nos  deux 
pierres  gravées.  J'ai  donc  eu  raison  d'avancer  (p.  153)  qu'il  suffirait 
de  ce  seul  indice  pour  prouver  qu'elles  sont  de  fabrique  moderne , 
quand  même  les  inscriptions  ne  nous  fourniraient  pas  une  preuve 
certaine. 

D'où  Ton  voit  qu'il  est  parfaitement  inutile  de  chercher  la  croix 
ansée  asiatique  dans  la  figure  ou  $,  puisque  celle-ci,  la  plus 
récente  de  celles  qui  ont  servi  à  représenter  Vénus,  ne  remonte 
évidemment  pas  à  l'antiquité.  C'est  encore  un  exemple  à  l'appui  de 
ce  que  j'ai  dit  ailleurs  (l),  qui  montre  combien  il  est  périlleux  de 
conclure  de  certaines  figures  identiques  une  identité  d'origine  et  de 
signification.  Il  peut  y  avoir  tout  un  monde  entre  deux  figures  abso- 
lument semblables. 

J'ai  dit  que  ce  résultat  établit  un  critérium  pour  certaines  pierres  gra- 
vées qu'on  a  crues  antiques.  Saumaise,  Scaliger  et  Huet,  en  se  fondant 
sur  ces  mêmes  pierres  pour  reporter  l'usage  des  signes  des  planètes 
jusqu'à  l'antiquité,  n'ont  fait  que  tourner  dans  un  cercle  vicieux;  car 
précisément  elles  ne  peuvent  être  que  modernes,  puisqu'elles  portent 
les  signes  planétaires  de  la  dernière  époque.  Telles  sont  les  suivantes  : 

1°  Du  Cabinet  des  antiques, 


(i)  Mèm.  sur  la  Croix  ansée.  (  Revue,  t.  II,  p.  666  et  suiv  ) 


262  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

2°  Celle-ci,  donnée  par  Gorlseus  et  Montfaucott  (1) , 


3°  Celle-ci,  de  Chifflet  et  Montraucon  (2 


J'y  joins  encore  cette  autre  pierre  du  Cabinet  dès  antiques ,  qùoi- 

O 


qu'elle  ne  nous  offre  que  le  signe  des  gémeaux  avec  le  soleil  et  la 
lune,  parce  que  les  lettres  de  l'inscription  Cleopatra  et  Alexander 
(qui  suffirait  seule  pour  en  prouver  la  fausseté)  ont  tout  juste- 
ment la  môme  forme  que  celles  dtt  cachet  de  Sépullius  Macer,    au 


(1)  Gorl.  pi.  LIV,  ir  105.  —  Montf.  Jnt.  expl.  II,  169. 

(2)  Ibid.  II,  170. 


AMULETTE   DE    JULES   CESAR.  263 

point  qu'on  les  croirait  tracées  par  la  même  main.  Si  M.  le  conser- 
vateur du  cabinet  des  médailles,  qui  a  déclaré  antique  ce  cachet, 
avait  seulement  pensé  à  le  comparer  avec  la  pierre  de  Cléopâlre  et 
d'Alexandre  qui  est  dans  ce  cabinet ,  il  n'aurait  pu  concevoir  aucun 
doute  sur  la  fausseté  de  l'un  et  de  l'autre  monument. 

J'y  joins  également,  1°  une  sorte  de  talisman ,  où  se  trouve  le  scor- 
pion, entre  le  soleil  et  la  lune;  au-dessus,  cy  et  une  *;  au-des- 
sous, la  lettre  gothique  M,  qui  exprime  sans  doute  le  scorpion  (1); 
2°  quatre  pierres,  que  M.  Matter  a  lui-même  considérées  comme  de 
travail  italien,  sans  avoir  besoin  du  crileriam  qui  me  guide  en  ce 
moment  ;  la  première,  dont  le  sujet  est  fort  compliqué  (2),  contient  le 


signe  $.  et  deux  autres  fantastiques;  la  deuxième,  un  Jupiter 
assis  Céraunophore ,  surmonté  du  sagittaire  ;  derrière  lui,  i]/?(3),  et 
devant  satoviel.  La  troisième,  Mercure  assis;  devant  lui  ,  le 
signe  moderne  du  scorpion  rr^,  et  le  nom  michael;  la  quatrième, 
une  lune  ou  Diane  assise ,  avec  le  Cancer  devant,  ainsi  que  le  nom 
Gabriel;  qu'on  examine  bien  toute  autre  pierre  qui  se  trouvera  dans 
le  même  cas ,  on  verra  qu'elle  n'est  pas  antique 

Il  suffit  de  ces  exemples  pour  établir  ce  principe  :  toute  pierre 
gravée  sur  laquelle  une  ou  plusieurs  planètes  sont  exprimées,  non 
par  des  figures  entières  ou  des  têtes  de  divinités,  mais  par  des 
signes  planétaires ,  est  de  fabrique  moderne.  Telles  sont,  dansGori, 
les  n0J  2,  8,  9,  12,  35,  51,  89,  90,  91,  101. 


11  reste  à  expliquer  dans  quel  intérêt  et  sous  l'influence  de  quelles 
idées  ces  deux  pierres  ont  été  composées  et  gravées.  A  mon  avis,  elles 
n'ont  rien  de  gnostique  ou  de  basilidien.  Elles  sont  purement  histo- 
riques, et  les  signes  planétaires  qu'on  y  a  gravés  n'ont  pas  d'autre 
caractère  ;  c'est  ce  que  je  vais  montrer. 


Letronnb. 


il)  Matter,  Hist.  crit.  du  gnostisme.  PI.  VII ,  n°  6. 
(2)  Le  même,  pi.  VIII,  flg.  6,  7  et  8. 
(8)  Le  même,  pi.  IX,  n«  6,  7  et  8. 

(La  suite  et  fin  au  numéro  prochain.) 


NOTICE 


SUR 


m  STATUETTE  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE  DE  MADRID, 


J'ai  fait  le  croquis  ci-joint,  à  la 
chambre  claire ,  d'après  une  jolie 
statuette  en  bronze  de  la  biblio- 
thèque nationale  à  Madrid.  Sui- 
vant M.  Castellanos ,  un  des  con- 
servateurs de  cet  établissement, 
elle  provient  des  premières  fouilles 
exécutées  à  Herculanum.  Personne 
jusqu'à  présent  n'a  élevé  de  doutes 
sur  son  origine ,  et  à  ne  considé- 
rer que  la  conservation  et  l'aspect 
du  métal,  le  faire  et  l'exécution 
de  la  statuette ,  il  est  impossible  de 
ne  pas  la  croire  antique.  L'inscrip- 
tion tracée  sur  le  socle  peut  seule 
exciter  quelques  soupçons.  J'y  re- 
viendrai tout  à  l'heure. 

La  patine  est  fort  belle ,  d'un 
vert  noirâtre,  uniforme  et  bien 
lisse,  sauf  quelques  rares  aspérités 
produites  çà  et  là  par  des  efflores- 
cqnces  d'oxyde.  Quant  à  l'exécu- 
tion, elle  est  un  peu  lâchée,  comme 
celle  de  presque  toutes  les  bam- 
boches de  cette  espèce,  mais  on  y 
reconnaît  comme  le  cachet  de  l'art 
antique.  On  voit  que  le  statuaire 
négligeant  à  dessein  les  menus  détails,  a  fait  ressortir  avec  une  faci- 
lité hardie  et  gracieuse,  tout  ce  qui  pouvait  donuer  du  caractère  à 


NOTICE   SUR  UNE   STATUETTE.  265 

son  œuvre.  Ce  sentiment  exquis  à  choisir  les  traits  caractéristiques 
dans  la  nature ,  à  les  mettre  en  évidence  dans  la  plus  rude  ébauche, 
est  à  mon  avis  ce  qui  distingue  par-dessus  tout  l'art  antique.  Aussi 
les  anciens  ont-ils  donné  souvent  à  des  figurines,  à  des  camées,  cet 
air  de  grandeur  que  n'ont  pas  beaucoup  de  colosses,  ouvrages  des 
modernes. 

Il  est  impossible  de  décrire  le  caractère  d'une  statue  ;  sans  in- 
sister davantage ,  je  me  bornerai  à  dire  qu'après  un  long  examen  j'ai 
cru  cette  figurine  antique ,  et  ma  conviction  s'est  en  quelque  sorte 
opérée  malgré  moi,  car  tout  d'abord  l'inscription  m'avait  prévenu  dé- 
favorablement. 

L'artiste  a  voulu  représenter  une  fort  jeune  fille ,  et  ne  s'est  nul- 
lement préoccupé  de  lui  donner  des  formes  idéales.  Au  contraire, 
le  nez  un  peu  épaté,  les  yeux  obliques,  les  lèvres  grosses,  un  certain 
déhanchement,  moitié  gracieux,  moitié  bizarre,  rappelle  certains  types 
orientaux,  et  je  serais  tenté  de  croire  que  le  modèle  appartenait  à  la 
race  égyptienne,  peut-être  à  la  race  nègre. 

La  coiffure  est  remarquable.  Deux  petites  tresses  pendent  le  long 
des  joues  ;  une  autre  partant  du  front  et  collée  sur  le  haut  de  la  tête, 
va  s'attacher  vers  la  nuque.  Il  est  évident  que  l'original  avait  les  che- 
veux courts,  ondes  sinon  crépus;  c'est  encore  un  caractère  qui  se 
rapporte  assez  bien  au  type  que  j'ai  indiqué.  Le  costume  est  des  plus 
succincts,  car  il  ne  se  compose  que  d'une  tunique,  montant  jus- 
qu'au col ,  avec  des  manches  larges  retroussées  au  coude.  Cette 
tunique  paraît  fendue  par  derrière,  mais  je  la  crois  plutôt  ouverte 
sur  le  côté;  seulement  la  jeune  fille,  en  la  tirant  et  en  la  tournant , 
s'arrange  de  façon  que  la  fente  laisse  voir  ce  qu'elle  veut  montrer. 

Les  genoux  ployés  en  avant ,  le  corps  légèrement  renversé  en 
arrière ,  n'indiquent  point  une  attitude  de  repos.  Elle  est  en  mouve- 
ment; elle  va  sauter,  ou  elle  danse;  peut-être  s'enfuit-elle  comme 
la  Galathée  de  Virgile. 

D'après  les  observations  qui  précèdent,  ce  n'est  point  assurément 
Une  Vénus  Callipyge  qu'il  faut  voir  dans  notre  statuette,  pas  même 
une  de  ces  Syracusaines  dont  Athénée  raconte  agréablement  le  dé- 
bat. Tout  au  plus  elle  pourrait  rappeler  une  des  belles  qui  prirent 
Rufin  pour  juge  de  leurs  charmes ,  car  notre  statuette  est  aussi 
tpoyjzkoîq  vypay iÇopévo  yzlaaivoic.  Je  crois  que  c'est  tout  simple- 
ment quelque  danseuse,  esclave  ou  affranchie,  qui  exécute  un  pas 
apprécié  par  les  débauchés  de  Rome,  et  qui  aujourd'hui  ne  serait 
pas  toléré  dans  nos  bals  du  mardi  gras.    } 


266  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

L'inscription  nous  dira  d'ailleurs  plus  précisément  quel  fut  le  mo- 
dèle de  notre  figurine;  elle  est  tracée  sur  le  socle  hexagone,  et  occupe 
les  trois  côtés  antérieurs,  disposition  qui  peut  surprendre,  car  la  sta- 
tuette ne  paraît  pas  destinée  à  être  vue  de  face.  Voici  cette  inscrip- 
tion dont  les  lettres  sont  bien  formées  et  parfaitement  distinctes  : 

BELLA   NATICA  IN    VIKIDARIO      |      C^SARINO   ROM^. 

Ce  style  est  étrange  assurément.  Deux  mots,  natica et  c^esarino, 
étonneront  les  latinistes.  Que  faire  du  premier?  Est-ce  un  nom 
propre?  ou  plutôt  un  sobriquet,  tiré  du  mot  nates,  traduction  bur- 
lesque de  xaAAi'miyoç?  C'est,  après  tout,  ce  qui  me  parait  le  plus  pro- 
bable. Bella  serait  l'épithète,  on  en  trouve  de  nombreux  exemples 
chez  les  poëtes  erotiques.  Dicis  amore  sui  bellas  ardere  puellas. 
Mart.  2,  87. 

Cœsarinus  est  une  forme  douteuse ,  bien  qu'elle  ait  été  admise  par 
quelques  philologues  illustres.  Cet  adjectif  se  trouve,  il  est  vrai, 
dans  le  lexique  de  Forcellini ,  mais  sans  exemples  certains  pour  l'ap- 
puyer, tandis  qu'il  en  cite  un  grand  nombre  pour  les  adjectifs  Cœsa- 
reus  et  Cœsariamis.  Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  supposer  que  le  gra- 
veur de  l'inscription,  omettant  une  lettre,  ait  écrit  Cœsarinus  pour 
Cœsarianus.  Caesarianus ,  à  vrai  dire ,  serait  dans  ce  cas  peut-être 
plus  insolite;  en  effet  on  ne  voit  ce  mot  appliqué  d'ordinaire 
qu'à  des  qualités  personnelles.  Cœsaraini  milites,  Cœsariana  cele- 
ritas.  Au  contraire  Cœsareas  s'emploie  pour  des  choses  et  Parti- 
culièrement pour  des  monuments  :  Cœsareum  forum,  amphilhealrum. 
Toutefois,  il  faut  avouer  que  nous  ne  connaissons  pas  fort  bien  la 
langue  du  peuple  de  Rome ,  et  Cœsarinus  dans  le  langage  des  ateliers 
pouvait  être  reçu.  Peut-être  encore  Cœsarimim  viridarium,  dési- 
gnait-il un  viridarium  bien  connu  ;  c'est  ainsi  que  pour  un  Parisien 
le  palais  du  roi  et  le  palais  royal  sont  des  lieux  distincts. 

Je  traduirais  donc  :  la  brave  Natica  ,  du  parc  aux  cerfs  de  César,  à 
Rome.  Presque  tous  les  Césars  ayant  eu  leurs  parcs  aux  cerfs ,  je 
crois  n'en  compromettre  aucun  particulièrement. 

J'avoue  que  je  ne  connais  pas  d'autre  exemple  d'inscription  tracée 
sur  le  socle  d'une  statuette,  encore  moins  de  monument  épigra- 
phique  du  genre  de  celui  que  je  viens  de  citer;  cependant  je  ne  pense 
pas  que  ce  soit  un  motif  suffisant  ponr  faire  regarder  comme  mo- 
derne la  statuette  de  Madrid.  Malheureusement  pour  moi ,  peu  de 
mes  lecteurs  ont  vu  l'original,  qui,  à  mon  avis,  ne  permet  pas  le 
doute,  et  ma  description  ne  peut  reproduire  le  caractère,  tout  an- 


NOTICE   SUR  UNE   STATUETTE.  267 

tique  de  la  statuette,  comme  la  copie  de  l'inscription  en  révèle  toutes 
les  étrangetés. 

On  a  vu  déjà  que  je  considérais  la  figurine  de  Madrid  comme  un 
portrait.  On  pourrait  encore  la  croire  la  copie  en  petit  dune  statue 
célèbre,  placée  dans  un  jardin  impérial.  Mais  cette  supposition  me 
paraît  peu  probable.  En  effet  ce  petit  bronze  est  sî  hardiment  modelé, 
qu'il  n'a  nullement  le  caractère  d'une  copie.  On  dirait  plutôt  une 
caricature  exécutée  de  souvenir. 

En  résumé ,  je  suppose  que  l'artiste  a  représenté  une  danseuse 
égyptienne,  peut-être  une  de  ces  ambubaiœ  dont  parle  Horace,  des- 
tinées à  amuser  quelque  tyran  par  ses  danses  lascives.  J'aurais  pu 
citer  quantité  de  textes  plus  on  moins  graveleux  à  l'occasion  de  la 
pose  de  la  Bella  Natica,  mais  j'ai  voulu  rendre  hommage  à  ces  sup- 
ceptibilités  respectables  dont  un  des  correspondants  étrangers  de  la 
Revue  nous  entretenait  il  y  a  peu  de  temps. 


P.  Mérimée,  de  l'Institul. 


A  M.  L'ÉDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE 


Monsieur, 

L'église  Saint-Merry  ou  Médéric,  à  Paris,  possède,  ce  dont  bien 
peu  de  personnes  se  doutent,  une  belle  chapelle  basse  ou  crypte  qui 
est  d'une  époque  beaucoup  plus  ancienne  que  l'église  actuelle.  On 
descend  dans  cette  crypte  par  un  petit  escalier  placé  à  gauche  du 
maître -autel;  cette  précieuse  construction  qui  rappelle  les  an- 
ciennes confessions  ou  memoriœ  des  basiliques  chrétiennes,  est  d'un 


aspect  très-imposant  malgré  son  état  d'abandon  ,  et  devrait  être 
environnée  d'une  grande  vénération ,  car  elle  renferme  de  précieux 
souvenirs.  Voici  ce  qu'en  dit  l'abbé  Lebeuf  (Diocèse  de  Paris, 
page  258  )  :  En  bâtissant  le  troisième  édifice  on  y  a  pratiqué  ou  con- 
servé, du  côté  septentrional,  une  chapelle  souterraine  en  mémoire  de  la 
crypte  où  le  tombeau  de  saint  Méry  avait  été  placé  du  temps  des  édifices 
précédents.  Il  serait  à  souhaiter ,  ajoute  l'abbé  Lebeuf,  qu'on  y  eût 
laissé ,  dans  un  endroit  visible ,  le  cercueil  de  pierre  du  saint  patron , 
aussi  bien  que  celui  du  célèbre  Odon,  surnommé  Falconarius,  fonda- 
teur de  l'église,  et  qui,  en  886,  défendait  si  vigoureusement  Paris 
contre  les  Normands...  Cette  chapelle  souterraine  est  donc  digne  de 
toute  notre  vénération ,  quand  elle  ne  ferait  pas  même  partie  d'une 
église  aussi  importante.  Eh  bien,  chose  incroyable!  si  nous  ne  pou- 
vions certifier  ce  que  nous  avons  vu,  dans  ce  moment  même  que 


LETTRE    A    M.    L'ÉDITEUR   DE    LA    REVUE.  269 

l'administration  s'occupe  avec  tant  de  sollicitude  de  la  conservation 
de  nos  monuments  nationaux,  et  particulièrement  des  édifices  reli- 
gieux, cette  chapelle  sert  de  magasin  :  on  y  trouve  des  bancs,  des 
chaises  cassées,  des  planches,  des  débris  de  vieux  meubles;   mais 
ce  qui  est  plus  révoltant,  c'est  que  l'allumeur  de  quinquets  attaché 
au  service  de  l'église  y  a  établi  une  mauvaise  baraque,  dont  les  sup- 
ports et  les  cases  sont  fixés  aux  dépens  d'un  chapiteau.  A  travers 
tous  les  débris  et  autres  objets  qui  encombrent  ce  lieu   vénérable, 
abandonné  aux  subalternes  de  l'église,  il  nous  a  semblé  apercevoir 
un  autel  qui  viendrait  encore  déposer  contre  le  triste  abandon  de  la 
crypte.  Nous  y  sommes  descendu  et  nous  avons  essayé  de  saisir  l'en- 
semble de  la  construction,  et  de  la  dessiner,  en  déplorant  le  vanda- 
lisme qui  est  venu  s'emparer  et  défigurer  cette  précieuse  portion  de 
la  maison  de  Dieu.  Nous  avons  tout  de  suite  fait  une  réclamation 
à  la  fabrique  pour  l'éclairer  sur  un  état  de  choses  aussi  déplorable. 
Nous  ignorons  ce  qu'on  peut  objecter  à  notre  modeste  réclamation , 
mais  la  chapelle  souterraine  est  restée  dans  l'état  d'abandon  où  nous 
l'avons  trouvée  il  y  a  deux  ou  trois  ans;  cependant  il  n'y  a  pas  de 
dépenses  bien  grandes  à  faire;  débarraser  d'abord  et  nettoyer,  sauf  à 
donner  à  ce  lieu  une  destination  plus  convenable,  telle  que  celle  qui  a 
été  donnée  à  la  chapelle  souterraine  de  l'église  Saint- Leu ,  à  Paris;  à 
celle  de  l'église  dite  des  Missions  Étrangères,  et  quelques  autres. 
Surtout  pas  de  badigeon ,   nous  insistons  sur  ce  point.  On  pour- 
rait y  rappeler  dans  une  inscription  la  mémoire  dû  patron  et  du 
guerrier  qui    y  sont   enterrés,  et  dont  les   restes  sont  peut-être 
encore  sous  cette  crypte.  Mais,  dira  peut-être  la  fabrique  ou  n'importe 
qui,  où  placer  tout  ce  qui  se  trouve  dans  cette  chapelle,  où  mettre 
notre  allumeur  de  quinquets  et  sa  baraque,  les  bancs,  les  planches,  etc.? 
Où  l'on  pourra,  pourvu  que  ce  ne  soit  pas  là,  pi  dans  l'église.  Une 
aussi  mince  considération  ne  peut  être  invoquée  pour  justifier  un 
acte  de  vandalisme,  une  sorte  de  profanation  qui  dure  depuis  plus  de 
cinquante  ans.  Espérons  que  notre  réclamation  sera  entendue  et  com- 
prise, et  que  la  crypte  de  Saint-Merry  sera  rendue  à  la  piété  des 
fidèles,  aux   souvenirs  qu'elle  rappelle,  et  aux  arts  qui  réclament 
cette  expiation  religieuse.   Je   profite  de   cette   lettre,   Monsieur , 
pour  vous  signaler    un    autre    acte   de   vandalisme  qui  a   lieu  à 
l'église  Saint- Germain -l'Auxerrois....  A  peine  sortie  de  ses  ruines, 
une    des  chapelles   adossées  à  la   rue   Chilpéric    est  transformée 
en    magasin   d'objets   ne    servant   pas    habituellement    au   culte  , 
de  débris  de  toute  sorte  qui   ne  devraient  pas  s'y  voir.  Cepen- 


270  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

dant  cette  chapelle  a  été  récemment  ornée  d'nn  vitrail  représentant 
le  roi  saint  Louis,  et  en  outre  elle  renferme  deux  belles  statues  à 
genoux  des  seigneurs  de  Rostaing,  dans  un  encadrement  style  delà 
renaissance.  Le  gouvernement  fait  de  grandes  dépenses  pour  rendre 
aux  églises  ce  que  le  temps  et  les  révolutions  leur  avaient  enlevé, 
ces  dépenses  ne  sont  pas  appréciées  par  les  personnes  auxquelles 
appartient  le  droit  d'empêcher  ces  actes  répréhensibles.  On  dégrade , 
on  change  la  destination  toute  naturelle  des  lieux ,  qu'on  aban- 
donne aux  subalternes  des  églises  ,  pour  en  faire  ce  que  bon  leur 
semble.  Si  nous  ne  pouvons  nous  faire  écouter,  si  nos  réclamations 
sont  des  cris  dans  le  désert,  du  moins  nous  protesterons,  nous  invo- 
querons l'opinion  du  public  éclairé  et  l'attention  de  l'autorité  pour 
faire  cesser,  s'il  est  possible,  de  pareils  actes  de  vandalisme. 

L.  J.  G*". 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


— M.  Je  Ministre  de  l'intérieur  s'est  rendu  récemment  à  Blois,  ac- 
compagné de  MM.  les  membres  de  la  commission  des  monuments  histo- 
riques, dans  le  but  d'examiner  les  travaux  de  restauration  de  l'aile  de 
François  Ier  au  château  de  Blois,  et  de  sauver  d'une  destruction  im- 
minente les  autres  parties  de  ce  bel  édifice  servant  de  caserne.  Les 
travaux  autorisés  par  la  loi  deia  session  dernière  sont  confiés  au 
talent  de  M.  Duban,  l'habile  architecte  sous  la  direction  duquel 
s'exécute  aussi  la  restauration  de  la  Sainte-Chapelle.  Les  souvenirs 
qui  se  rattachent  à  cette  résidence  de  plusieurs  de  nos  rois,  la  ren- 
dent aussi  importante  sous  le  rapport  historique  qu'au  point  de  vue 
archéologique.  Le  plan  des  bâtiments  est  très-irrégulier.  Le  palais 
présente  des  constructions  de  quatre  styles  différents,  qui  pro- 
duisent des  points  de  comparaison  fort  curieux  pour  l'histoire  de 
l'architecture  du  XIe  au  XVIIe  siècle.  Les  travaux  de  restauration 
de  l'aile  de  François  Ier,  commencés  il  y  a  à  peine  dix  mois,  sont 
déjà  très-avancés;  cette  partie  du  château,  la  plus  mutilée,  sans 
doute  à  cause  de  la  fragilité  de  ses  riches  dentelures,  a  été  particu- 
lièrement visitée  par  la  commission;  aujourd'hui  toute  la  parure 
architecturale  de  l'époque  de  François  Ier  est  venue  couvrir  les  mu- 
tilations et  les  ruines.  Les  travaux  intérieurs  sont  également  très- 
avancés.  La  commission,  guidée  par  M.  de  Lasaussaye,  l'histo- 
rien de  Blois,  après  une  visite  de  six  heures  dans  les  bâtiments, 
a  quitté  le  château.  M.  le  Ministre  a  témoigné  à  M.  Duban  la  satis- 
faction que  lui  faisait  éprouver  la  remarquable  et  rapide  exécution 
des  travaux.  On  espère  que  la  restauration  des  autres  parties  du 
château  ne  sera  pas  longtemps  différée. 

—  D'après  le  rapport  de  M.  Crémieux,  fait  à  la  Chambre  des 
députés,  le  7  mai  dernier,  et  celui  de  M.  le  chevalier  Jaubert,  fait 
à  la  Chambre  des  pairs,  le  27  juin,  les  Chambres  ont  adopté  le 
projet  de  loi  qui  ouvre  un  crédit  extraordinaire  de  292  550  francs, 
pour  être  appliqué  à  la  publication  de  l'ouvrage  de  MM.  Botta  et 
Flandin,  sur  les  découvertes  provenant  des  fouilles  opérées  dans 
les  ruines  de  l'ancienne  Ninive.  Nous  nous  proposons  d'insérer  dans 
notre  prochain  numéro  quelques  observations  à  ce  sujet. 

—  Sur  la  proposition  de  M.  Coletti,  ministre  de  l'instruction 
publique,  une  Société  des  beaux-arts  a  été  créée  à  Athènes,  par 
ordonnance  royale,  le  17  octobre  1844,  et  définitivement  constituée 


272  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

le  24  février  1845.  Cette  société  placée  sous  la  protection  du  roi 
et  sous  la  présidence  de  la  reine,  a  pour  but  de  concourir  au  déve- 
loppement des  beaux-arts  dans  leurs  différentes  branches,  la  peinture 
la  sculpture,  l'architecture  et  la  musique;  de  former  une  collection 
des  chefs-d'œuvre  encore  épars  sur  le  sol  de  la  Grèce,  et  d'établir 
une  école  spéciale  pour  l'enseignement  des  beaux-arts,  et  la  remise 
en  activité  des  idées,  des  règles  et  des  procédés  artistiques  de  l'anti- 
quité. La  Sociétéxdes  beaux-arts  d'Athènes  se  compose  de  membres 
réguliers  et  de  membres  correspondants.  Chaque  membre  régulier 
s'engage  à  une  contribution  annuelle  d'au  moins  vingt  drachmes. 
Les  membres  correspondants  sont  des  étrangers  qui ,  par  leurs  con- 
naissances et  leur  mérite  peuvent  contribuer  aux  progrès  de  la  société 
en  lui  accordant  leur  concours;  ces  membres  sont  honoraires  et 
ne  sont  tenus  à  aucune  contribution  pécuniaire.  La  Société  des 
beaux-arts  acceptera  avec  reconnaissance,  pour  sa  bibliothèque  et 
son  musée,  les  offrandes  en  argent,  livres,  estampes  et  tous  objets 
d'art,  pour  être  déposés  dans  les  salles  de  l'établissement  et  servir  à 
l'étude.  Nous  avons  appris  avec  satisfaction  que  des  relations  se  sont 
établies  immédiatement  entre  cette  honorable  société  et  l'Institut  de 
France;  plusieurs  membres  de  l'Académie  des  beaux-arts  viennent 
de  recevoir  leur  diplôme  de  membre  correspondant. 

—  On  vient  de  découvrir  à  Vienne  (Isère),  à  1  mètre  de  profon- 
deur, au  midi  de  la  nouvelle  halle,  en  creusant  pour  établir  les  fon- 
dations d'une  brasserie,  une  grande  quantité  d'amphores  romaines 
à  large  ventre,  placées  sur  trois  rangs,  les  unes  au-dessus  des  autres. 
Elles  sont  toutes  vides  et  paraissent  [n'avoir  jamais  reçu  de  liquide. 
Déjà,  il  y  a  environ  vingt-cinq  ans,  on  en  avait  trouvé  de  semblables 
dans  le  voisinage.  En  1831,  un  autre  dépôt  d'amphores  longues  fut 
découvert  au  couchant  du  premier  dont  nous  venons  de  parler,  dans 
nne  fouille  dirigée  par  M.  Delorme,  conservateur  du  Musée.  Il  offrit 
cette  particularité  qu'il  était  placé  au-dessous  des  restes  dune  ma- 
gnifique salle  romaine  dont  les  murs  et  le  sol  étaient  revêtus  de 
marbre ,  et  qui  avait  été  décorée  de  colonnes  et  de  pilastres  aussi  en 
marbre  d'ordre  corinthien.  En  fouillant  sous  cette  salle,  on  rencontra 
d'abord  une  couche  de  cendres  et  de  charbons  qui  s'étendait  entre  les 
dalles  de  marbre  du  carrelage  et  les  amphores,  ce  qui  attestait  qu'un 
incendie  avait  détruit  le  bâtiment  où  étaient  déposées  ces  amphores, 
et  que,  sur  ses  ruines,  on  avait  élevé  une  somptueuse  maison  ou 
palais. 


VOYAGES  ET  RECHERCHES  ARCHÉOLOGIQUES 

DE   M.   LE  BAS,    MEMBRE   DE   L'iNSTITUT, 

EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE, 

PENDANT  LES  ANNEES  1845  ET   1844. 

DIXIÈME  RAPPORT  A  M.  LE  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE. 

SUR  UNE   EXCURSION   DANS  L'ÎLE  D'ANDROS. 

Athènes,  31  juillet  1844. 

Monsieur  le  Ministre, 

Fatigué  de  voir  que  les  événements  politiques  de  la  Grèce  recu- 
laient de  jour  en  jour  le  moment  où  je  pourrais  commencer  l'excur- 
sion que  je  me  proposais  depuis  longtemps  dans  le  nord  du  continent 
hellénique,  je  me  décidai,  en  attendant,  à  entreprendre  une  tournée 
de  quelques  jours  dans  les  Cyclades. 

La  commission  de  Morée  n'ayant  pas  visité  Andros,  je  crus  de- 
voir commencer  par  cette  île,  à  laquelle  son  voisinage  d'Athènes  et 
surtout  de  l'Eubée  donna  dans  les  temps  anciens  une  certaine  im- 
portance et  où  à  différentes  époques  on  a  retrouvé  de  précieux  mo- 
numents de  l'art  ou  d'intéressants  documents  historiques. 

Presque  tous  ces  textes  communiqués  par  M.  Mustoxydi  à  M.  Virlet, 
qui  m'en  remit  des  copies  à  son  retour  en  France,  ont  été,  il  est 
vrai ,  publiés  et  expliqués  par  moi  dans  le  grand  ouvrage  de  Morée; 
mais  comme  l'exactitude  des  transcriptions  que  j'avais  eues  sous  les 
yeux  m'avait  toujours  paru  fort  équivoque ,  et  comme  elle  avait  été 
de  la  part  de  M.  Ross  (l)  l'objet  de  critiques  qui  me  semblaient 
plus  ou  moins  fondées,  je  tenais  beaucoup  à  voir  les  marbres  de  mes 
propres  yeux  et  à  prendre  des  fac-similé  qui  ne  laissassent  plus  d'in- 
certitude sur  les  leçons  à  adopter  dans  mon  travail  définitif. 

J'avais  d'ailleurs  un  motif  plus  puissant  encore.  M.  Ross  dans  le 
voyage  qu'il  fit  à  Andros  au  mois  de  juillet  1841  ,  trouva  chez  un 
paysan  de  Palœopolis,  village  qui  occupe  l'emplacement  de  l'ancienne 
ville  d' Andros ,  une  table  en  marbre  blanc  portant  une  longue  in- 

(1)  Dans  le  deuxième  cahier  de  ses  Inscr.  gr.  inéd.  Ath.  1842,  nos  87-89. 
III.  '  18 


274  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

scription  gravée  sur  quatre  colonnes.  C'est  une  hymne  d'environ 
cent  quatre-vingts  vers  en  l'honneur  de  la  déesse  Isis.  Le  savant  voya- 
geur, pressé  par  le  temps,  ne  put  copier  que  la  première  et  la  der- 
nière colonne,  les  mieux  conservées  des  quatre,  et  abandonna  la 
lecture  des  deux  autres ,  malheureusement  très-mutilées ,  aux  voya- 
geurs qui,  passant  dans  ces  lieux,  auraient  plus  de  loisir  que  lui. 
Je  tenais  d'autant  plus  à  compléter  ce  travail  que  l'édition  qui  a  été 
donnée,  en  1842,  à  Zurich,  par  M.  Hermann  Saup,  de  la  partie 
déjà  connue  de  ce  petit  poëme,  prouvait  à  quel  point  il  intéresse  à  la 
fois  l'histoire,  la  mythologie  et  la  littérature  grecque.  Enfin,  j  espé- 
rais encore  que  quelque  monument  déterré  depuis  le  passage  de  mon 
devancier  viendrait  s'ajouter  à  ma  récolte  et  accroître  les  notions  déjà 
acquises  sur  l'île  d'Andros. 

Le  1"  juillet,  le  bateau  à  vapeur  le  Papin  chargé  accidentellement 
de  porter  la  correspondance  à  Syra ,  et  sur  lequel  M.  le  ministre  de 
France  avait  bien  voulu  m'accorder  de  me  faire  transporter  à  ma 
destination,  me  débarquait  à  Porto  Gavrio,  l'antique  r«upiov,  dont 
Alcibiade  s'empara  en  407  avant  J.  C.  (1),  et  qu'il  fortifia  (2)  pour 
pouvoir  de  ce  point  venir  attaquer  les  Andriens.  C'est  de  ce  même 
port,  désigné  par  Tite Live  (3)  sous  le  nom  de  Gauroleon,  qu'Attale 
et  les  Romains  se  rendirent  maîtres  deux  cent  sept  ans  plus  tard. 
C'était  donc  autrefois  une  position  militaire  assez  forte.  On  n'y  trouve 
plus  aujourd'hui  que  des  ruines  insignifiantes  ;  quelques  assises  en 
marbre ,  un  beau  chapiteau  dorique  et  quelques  grossiers  chapiteaux 
byzantins  provenant  d'une  ancienne  église  et  décorant  une  fontaine 
au  bord  de  la  mer,  que  les  habitants  désignent  sous  le  nom  de 
noclccio  Xovrpà  (l'ancien  bain),  nom  justifié  par  quelques  ruines  de 
la  voûte ,  qui  subsistent  encore.  Je  ne  parle  pas  d'un  fragment  de 
statue  de  femme  et  d'une  inscription,  l'une  et  l'autre  encastrées 
suivant  l'usage  dans  les  murs  d'une  des  maisons  qui  bordent  le  port 
actuel ,  puisque  l'une  et  l'autre,  de  l'aveu  même  des  habitants,  pro- 
viennent de  Palaeopolis.  Je  me  bornerai  à  reproduire  ici  l'inscription, 
bien  qu'elle  se  trouve  déjà  dans  le  Corpus,  sous  le  n°  2349  m,  parce 
que  le  premier  éditeur  ne  l'a  pas  transcrite  avec  une  exactitude  ri- 
goureuse. Elle  est  gravée  sur  une  très-petite  base  que  surmontait 
sans  doute  une  statuette  d'Hadrien,  considéré  comme  un  dieu  par  un 
de  ses  nombreux  admirateurs,  et  placé  par  lui  au  rang  des  divinités 

(1)  Xen.Hell.  1,4,22. 

(2)  Diod.  Sic.  XIII ,  69. 

(3)  XXXI ,  45. 


VOYAGES   EN   GRECE   ET   EN  ASIE   MINEURE.  275 

protectrices  de  son  foyer  domestique ,  ainsi  que  cela  eut  lieu  dans 
tant  d'autres  villes  pour  les  deux  Antonins  (l)  et  pour  Hadrien  lui- 
même  (2)  : 

CnTHPIKAI 

KTIETHTHC 

OIKOYME 

NHEAYTO 

KPATOPIA 

APIANO 

OAYMnin 

Gavrio,  où  l'on  compte  aujourd'hui  une  trentaine  de  maisons  bâties 
depuis  environ  dix  ans ,  est  le  chef-lieu  d'un  dème  qui  embrasse  tout 
le  nord  de  l'île  et  dont  les  principaux  villages  sont  Amolochos  et 
Arna.  Toute  cette  contrée  est  habitée  par  des  Albanais.  L»  popula- 
tion du  sud  au  contraire  est  d'origine  grecque. 

En  arrivant  dans  ce  port,  Monsieur  le  Ministre,  nous  y  trouvâmes 
mouillée  la  corvette  anglaise  leBeacon,  commandée  par  M.  le  capi- 
taine Graves ,  chargé  depuis  dix  ans  par  l'amirauté  britannique  de 
relever  les  côtes  de  l'Asie  Mineure  et  des  îles  de  l'Archipel ,  et  qui 
achevait  en  ce  moment  la  carte  de  l'île  d'Andros.  Il  ne  fut  pas  plutôt 
instruit  de  notre  arrivée  que,  sans  nous  connaître,  et  avec  un  em- 
pressement qu'on  rencontre  bien  rarement  chez  les  officiers  de  sa 
nation,  il  envoya  un  de  ses  midshipmen  nous  inviter  à  venir  dé- 
jeuner avec  lui.  Nous  acceptâmes  et,  rendus  à  bord,  nous  fûmes  de 
sa  part  l'objet  de  l'accueil  le  plus  cordial  et  le  plus  empressé.  Il  nous 
communiqua  toutes  ses  cartes ,  notamment  la  partie  des  côtes  de  la 
Carie  que  j'avais  visitée  en  mars  et  en  avril.  Il  eut  l'amabilité  de  me 
donner  quelques  feuilles  déjà  tirées  de  sa  carte  d'Asie ,  et  poussa 
l'obligeance  jusqu'à  faire  immédiatement  exécuter  pour  moi  un  calque 
du  plan  qu'il  a  levé  d'une  ville  ancienne  de  la  presqu'île  d'Halicar- 
nasse ,  dans  laquelle  il  croit  pouvoir  reconnaître  Bargylia ,  ce  qui ,  je 
dois  le  dire,  me  paraît  encore  incertain ,  et  vint  le  soir  me  l'apporter 
lui-même  à  terre ,  à  notre  retour  de  l'excursion  dont  je  vais  vous 
rendre  compte*  Certes  il  était  difficile  de  pousser  plus  loin  la  cour- 
toisie. 


(1)  J'en  ai  cité  plusieurs  exemples  dans  mon  rapport  sur  Sparte. 

(2)  Dans  cette  inscription  les  deux  branches  des  alpha  sont  unies  par  un  chevron 
brisé.  Il  en  est  de  même  dans  celle  qui  est  reproduite  à  la  page  283. 


276  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

A  une  heure  environ  au  sud-est  de  Gavrio ,  sur  le  penchant  d'une 
montagne  et  non  loin  du  village  d'Hagios  Petros  s'élève  une  tour 
hellénique  dont  M.  Ross  a  donné  une  description  circonstanciée, 
mais  incomplète  et  inexacte  (1).  Cet  édifice,  d'où  l'œil  domine  toute 
la  partie  occidentale  et  tout  le  sud  de  la  mer  Egée ,  était  vraisembla- 
blement comme  d'autres  semblables  que  M.  Ross  a  observés  dans 
quelques-unes  des  Cyclades,  notamment  à  Amorgos,  à  Myconos  et  à 
Naxos ,  destiné  à  servir  de  retraite  et  de  lieu  de  défense  aux  habitants 
de  la  campagne,  lorsque  des  pirates  venaient  ravager  les  côtes  de 
l'île.  Elle  est  de  forme  conique  et  a  encore  une  hauteur  de  16m,57  ; 
elle  est  située  sur  une  pente  très-rapide  et  dans  une  position  qui 
commande  toute  la  petite  vallée  s'étendant  entre  elle  et  la  mer  vers 
laquelle  était  dirigée  sa  façade  principale.  Cette  façade  est  très-bien 
indiquée  par  les  grandes  ouvertures  placées  sur  une  même  verticale 
et  près  desquelles  d'autres  plus  petites  de  diverses  dimensions  sont 
disposées  d'une  manière  symétrique.  Ces  fenêtres  semblent  du  dehors 
indiquer  quatre  étages  à  peu  près  de  même  hauteur;  quelques-unes 
ont  tout  à  fait  la  forme  de  meurtrières.  Le  monument  dont  il  s'agit 
est  d'une  construction  assez  régulière  :  les  assises  en  sont  horizontales, 
travaillées  avec  grand  soin  et  les  joints  sont  souvent  obliques.  Toute 
la  partie  qui  s'élève  à  partir  de  la  deuxième  ouverture,  a  sa  paroi  re- 
piquée et  offre  une  surface  très-régulière  ;  tout  ce  qui  est  en  dessous 
n'a  été  travaillé  que  sur  les  joints  et  le  reste  est  demeuré  brut,  ce  qui 
doit  faire  supposer  que  sur  cette  hauteur  il  y  avait  en  avant  de  la  tour 
une  terrasse  qui  rachetait  la  pente  du  sol,  de  façon  à  ce  que  du  derrière 
de  la  tour  on  pût  arriver  de  plain-pied  au  niveau  de  l'ouverture  qui 
semble  aujourd'hui  avoir  été  la  fenêtre  d'un  premier  étage,  et  qui 
alors  formait  la  porte  d'entrée  de  l'édifice.  La  description  de  l'intérieur 
fera  voir  que  la  disposition  primitive  ne  peut  avoir  été  différente. 

La  porte  inférieure  donne  accès  dans  une  pièce  voûtée  à  la  ma- 
nière antique,  c'est-à-dire  par  assises  horizontales;  cette  voûte  devait 
être  complètement  fermée,  elle  est  aujourd'hui  écroulée  à  son  sommet 
par  suite  de  la  chute  des  matériaux  de  la  partie  supérieure  de  l'édi- 
fice. A  droite  et  à  gauche  et  un  peu  au-dessus  de  la  porte  dont  nous 
allons  parler,  on  remarque  une  ouverture  en  forme  de  meurtrière  et 
qui  faisait  sans  doute  l'office  de  soupirail.  Cette  pièce  n'avait  de  com- 
munication directe  avec  l'étage  supérieur  que  par  une  espèce  de  puits 
très-étroit  aboutissant  au  couloir  que  forme  la  porte  inférieure  pra- 

(J)  T.  II ,  p.  12  et  suiv.  de  ses  Voyages  dans  les  îles  grecques. 


VOYAGER  EN   GRÈCE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  277 

tiquée  dans  le  mur,  lequel  a  dans  cette  partie  une  épaisseur  de  plus 
de  deux  mètres.  Dans  le  cas  où  l'on  n'admettrait  pas  la  terrasse  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut  et  qui  faisait  de  la  première  fenêtre  la 
porte  d'entrée  du  premier  étage,  il  faudrait  supposer,  puisqu'il  n'y 
eut  jamais  d'escalier  extérieur,  que  ce  puits  était  le  seul  passage  ha- 
bituel qui  conduisît  à  ce  premier  étage,  ce  qui  est  tout  à  fait  impos- 
sible si  l'on  en  considère  la  dimension  et  la  disposition.  C'était  tout 
simplement  une  communication  secrète  dont  on  ne  se  servait  que  dans 
certaines  circonstances. 

Tout  le  reste  de  l'intérieur  de  la  tour  était  libre  et  en  communi- 
cation ;  les  étages  dont  nous  avons  parlé  et  qu'on  croit  reconnaître  à 
l'extérieur  n'existaient  pas  en  dedans  de  l'édifice  ;  seulement  à  ces 
hauteurs  d'étages  correspondaient  des  banquettes  disposées  sur  le 
pourtour  de  la  tour  et  ayant  une  largeur  d'environ  lm,70.  On  arri- 
vait à  ces  différentes  banquettes  au  moyen  d'un  escalier  général  qui 
montait  en  hélice  jusqu'au  haut  de  l'édifice  en  s'adossant  à  la  paroi 
intérieure.  La  hauteur  de  ces  banquettes  correspondait  à  la  hauteur 
d'un  quart  de  révolution  de  l'hélice ,  et  à  chaque  quart  d'hélice  se 
trouvait  un  palier  qui  donnait  accès  à  chaque  banquette.  C'était  au 
moyen  de  ces  banquettes  que  les  défenseurs  pouvaient  se  distribuer 
à  chaque  fenêtre  et  à  chaque  meurtrière  en  même  temps  dans  toute 
la  hauteur  de  la  tour.  Les  parois  intérieures  sont  verticales  et  dispo- 
sées par  redans  à  chaque  étage  ;  les  assises  ne  font  pas  parement  à 
l'intérieur  et  à  l'extérieur,  et  l'irrégularité  est  dissimulée  au  moyen 
d'un  revêtement  en  petits  matériaux  d'un  travail  très-régulier.  Toutes 
les  assises  de  cet  édifice  sont  de  grès  micaschiste  ,  d'une  très-grande 
dimension  surtout  à  la  base,  où  quelques-unes  ont  près  de  cinq  mè- 
tres ;  les  linteaux  et  les  jambages  des  fenêtres  et  de  la  porte,  qui  sont 
en  pierre  de  la  même  nature,  mais  d'une  couleur  blanchâtre,  ont  été 
pris  à  tort  pour  du  marbre  blanc. 

En  suivant  pendant  trois  quarts  d'heure,  droit  au  sud,  la  crête 
de  la  montagne  sur  le  penchant  de  laquelle  s'élève  le  village 
d'Hagios  Petros,  on  arrive  au  monastère  d'Hagia  (Àyla  ou  Zàçâoxpç 
ïïyyn  ) ,  bâti  presque  au  sommet  d'une  montagne  d'où  la  vue 
s'étend,  quand  l'atmosphère  est  transparente,  à  l'ouest  jusqu'aux 
montagnes  de  l'Attique,  à  l'est  jusqu'à  celles  de  Psyra  et  de  Chio; 
mais  au  pied  de  laquelle  l'œil  peut  en  tout  temps  contempler  une 
vallée  verdoyante  et  fertile.  C'est  dans  ce  cloître,  le  plus  riche  de 
l'île,  et  dont  l'aspect  extérieur  ressemble  beaucoup  à  celui  d'une 
forteresse,  que  se  trouve  une  inscription  publiée  pour  la  première 


278  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

fois  par  M.  Mustoxydi  dans  Y  Anthologie  Ionienne  (l) ,  pour  la 
deuxième  fois  par  moi  d'après  une  copie  que  M.  Virlet  tenait  sans 
doute  de  M.  Schaubert  (2),  pour  la  troisième  par  M.  Ross  (3),  pour 
la  quatrième  par  M.  Bœckh  (4)  et  dont  je  crois ,  Monsieur  le  Mi- 
nistre ,  devoir  mettre  une  copie  fidèle  sous  vos  yeux  : 

OI2TPATHrH2ANTE2EnAPXONT02API2TEOY 
NIKANnPNIKANOPOS      AHMEASAIOrENOY     KAIOTAMIA2 
EBA0M12K02API2TEH2  AHMHTPI02AINEOY  OYAlAAHSriAMOIA 
MENANAP02nEP20Y      KAIOrPAMMATEY2  KAlOYnOTPAMMATEï 

La  copie  de  M.  Virlet  laissant  supposer  que  le  monument  netait 
composé  que  de  quatre  lignes,  et  d'un  autre  côté  tout  portant  à 
croire  que  les  stratèges  à  Andros  devaient  être  au  nombre  de  six 
comme  à  Ténos,  j'avais  cru,  pour  retrouver  ce  nombre,  devoir  sup- 
poser que  le  sixième  était  Uliade,  fils  de  Pamphile,  et  que  la  place 
occupée  par  ce  nom  sur  le  monument  était  l'effet  d'une  erreur  com- 
mise par  le  lapicide  :  M.  Ross  en  présence  du  monument  s'aperçut, 
ce  qui  était  facile,  que  la  pierre  avait  été  rognée  dans  la  partie  infé- 
rieure, postérieurement  à  l'époque  où  l'inscription  y  avait  été  gravée, 
et  en  conclut,  ce  qui  était  non  moins  facile,  qu'une  ligne  avait  dis- 
paru, laquelle  contenait,  colonne  1 ,  le  nom  du  quatrième  stratège, 
colonne  2 ,  le  nom  du  greffier,  et  colonne  3  celui  du  sous-greffier. 
L'examen  que  j'ai  fait  moi-même  de  la  pierre  m'a  convaincu  de 
l'exactitude  de  cette  conjecture,  bien  que  je  n'aie  pu  retrouver  les 
traces  de  la  cinquième  ligne  que  mon  devancier  dit  avoir  vues. 

Il  faut  donc  avec  M.  Bœckh  lire  cette  inscription  de  la  manière 
suivante  : 

01  GTptxTYiyYifTavreç  ett'  ap%ovroç  Apioreou* 
Nnta'vwp  Nixdvopoç  ? 

Mevay^poç  Uépeov  y 
[  6  àeïvoc  tov  diïvoç  ]? 

(i)  Fasc.  II,  p.  476,  n<>2. 

(2)  Inscr.  gr.  et  lat.  recueillies  par  la  commission  de  Morée,  t.  II,  p.  54  et  suiv. 

(3)  Inscr.  gr.  inéd.  n°  87.  ^    ' 

(4)  Corpus  inscr.  gr.  n°  2349  c,  t.  II,  p.  10GG.  M.  Bœckh  donne  à  tort  au 
ciyfj.a.  la  forme  ancienne  S  malgré  les  indications  de  M.  Ross. 


VOYAGES  EN  GRÈCE   ET  EN  ASIE   MINEURE.  279 

Avisas  Atoyevou, 
A'/îprrptoç  Aivéov, 

[  o  $sîva  roû  &rvoç  ]  ? 

y.cu  o  vnoypot[j.[j.oc7evç 

Les  stratèges  en  charge  sous  Varchontat  d'Aristéas  : 

Nicanor,  fils  de  Nicanor, 

Hebdomisque ,  fils  d'Aristée, 

Ménandre,  fils  de  Perses , 

(un  tel  fils  d'un  tel) , 

Déméas ,  fils  de  Biogène, 

Démétrius,  fils  d'Ènée  ; 

et  le  greffier, 

(un  tel  fils  d'un  tel)  ; 

et  le  trésorier, 

Uliade,  fils  de  Pamphile; 

et  le  sous-greffier, 
(un  tel  fils  d'un  tel). 

Il  est  à  présumer  que  cette  pierre  provient  de  la  ville  d'Andros  et 
qu'elle  a  été  apportée  de  Palaeopolis  pour  servir  à  la  construction  ou 
plutôt  à  la  décoration  du  monastère ,  qui  n'est  pas  à  plus  de  deux 
heures  de  ce  village.  Le  nom  d'Énée  porté  par  le  père  du  sixième 
stratège  rappelle  et  confirme  jusqu'à  un  certain  point  la  tradition 
d'après  laquelle  Andros  avait  appartenu  autrefois  à  Ascagne,  fils 
d'Énée  (l).  On  sait  par  plus  d'un  exemple  que  les  noms  héroïques 
propres  à  une  localité  se  perpétuaient  dans  les  premières  familles  de 
cette  contrée;  c'est  ainsi  que,  même  assez  tardivement,  on  retrouve 
à  Messène  les  noms  de  Cresphonte  et  d'Aristomène  (2). 

Notre  visite  à  l'abbé  terminée ,  nous  descendîmes  à  pic  pendant 
près  d'une  heure  et ,  longeant  le  bord  de  la  mer  nous  nous  dirigeâmes 
vers  Porto  Gavrio  où  nous  avions  laissé  nos  bagages. 

S'il  fallait  en  croire  Bondelmonte  dans  son  Liber  insularum  Archi- 
pelagi  (3) ,  il  existait  de  son  temps  à  l'ouest  de  l'île  d'Andros  une 

(1)  Conon  ,  JYarr.  41. 

(2)  Corpus  inscr.  gr.  u°  1297.  <—Inscr.de  Morée,  n°  4, 

(3)  Chap.  xxviii,  p.  8G,  éd.  de  Sinner. 


280  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

petite  île  portant  une  cité  antique  à  laquelle  on  arrivait  par  un  pont 
en  pierre  construit  en  grands  appareils  ;  et  dans  la  mer,  près  du  rivage 
selevait  une  tour  où  les  gens  du  voisinage  se  réfugiaient  la  nuit  pour 
être  à  l'abri  des  pirates  (l).  Suivant  Pasch  de  Rrienen  (2)  ces  débris 
subsistaient  encore  vers  le  milieu  du  XVIIIe  siècle  (3)  ;  il  ajoute 
même  qu'on  voyait  à  l'extrémité  septentrionale  de  l'île,  vis-à-vis  de 
Négrepont ,  les  ruines  du  temple  de  Jupiter  avec  des  sculptures 
dignes  d'attention ,  et  même  les  restes  du  sanctuaire  de  Mercure  (4). 
Malheureusement,  d'après  les  informations  que  M.  Ross  a  prises  au- 
près des  habitants ,  et  d'après  ce  qui  m'a  été  attesté  par  M.  Graves, 
de  toutes  ces  merveilles  proposées  à  l'admiration  des  voyageurs,  il 
n'existe  rien  qu'une  tour  bâtie  sur  un  écueil ,  en  moellons  unis  par 
le  ciment  et  ne  datant ,  suivant  toute  vraisemblance  ,  que  du  moyen 
âge.  Que  Bondelmonte  l'ait  prise  pour  une  forteresse  antique ,  il  n'y 
a  rien  là  qui  puisse  surprendre.  Quant  à  Pasch  de  Rrienen,  il  aura 
amplifié  les  données  du  voyageur  italien ,  sans  avoir  rien  vu  de  ce 
dont  il  parle,  car,  ainsi  que  le  remarque  M.  Ross ,  il  résulte  évidem- 
ment de  son  récit  qu'il  n'a  vu  de  ses  yeux  que  le  port  d'Apanokastro 
à  l'est,  et  celui  de  Gavrio  à  l'ouest. 

Une  excursion  dans  le  nord  nous  paraissant  donc  inutile,  nous  nous 
embarquâmes  dès  le  lendemain  matin  pour  nous  rendre  à  Palœopolis, 
petit  village  qui ,  comme  je  l'ai  déjà  dit ,  a  remplacé  l'ancienne  ville 
d'Andros.  Nous  nous  arrêtâmes  chemin  faisant  dans  une  anse  appelée 
aujourd'hui,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  l'arsenal  (rapaevaç).  Nous 
y  trouvâmes  une  petite  chapelle  dans  la  construction  de  laquelle  ont 
été  employés  quelques  débris  de  sculpture  en  marbre  blanc  dont 
aucun  ne  remonte  au  delà  de  l'époque  byzantine;  dans  le  voisinage 
est  un  seuil  de  même  matière  ;  mais  en  vérité  on  ne  peut,  de  la  pré- 
sence de  tels  restes  conclure,  comme  l'a  fait  un  voyageur,  qu'ils  ont 


(1)  Ad  occiduum  vero  parva  insula  cam  antiquo  oppido  apparet,  ad  quam 
per  ponlem  lapideum  amplis  œdificiis  accedebant.  In  mare,  prope  littus,  turris 
cernitur  in  qua  circumadstùntes  in  nocte  residebant,  ut  a  piralis  salvi  fièrent. 

(2;  Brève  de sert zione  deW  archipelago  Livorno ,  1773,  8°,  p.  99. 

(3)  «  Un'  isoletta,  o  più  tosto  uno  scoglio  osservasi  alla  parte  di  ponenle,  c  nella 
«  sua  sommità  sono  le  dislruzioni  di  antichîssimo  castello  a  cui  non  era  possibile 
«  tragittare  se  non  se  per  un  ponte.  Sopra  altro  scoglio  poi  ail'  angolo  boréale  ve- 
a  donsi  le  diroccazioni  di  una  torre  untica  e  ad  essa  congiunto  altro  ponte  il  quale, 
«  non  meno  che  il  sopradetlo  è  veramente  raeraviglioso.  » 

(4)  «  Alla  eslremità  seltentrionale  dell'  isola  riguardante  Negreponte  vedonsi  le 
«  demolizioni  del  tempio  di  Giove,  con  diverse  slimabili  sculture;  parimente  le 
«  royine  di  quellodi  Mercurio.  Amborichiamano  i  curiosiammiratori  délie  antichilà 
«  pel  merito  che  hanno.  » 


VOYAGES  EN  GRECE  ET  EN  ASIE  MINEURE.       281 

appartenu  autrefois  à  des  bains  de  mer  (1).  Tout  ce  qu'on  peut  croire, 
c'est  que  ces  marbres  ont  été  apportés,  dans  ce  lieu,  de  Palaeopolis,  ou 
proviennent  de  quelque  tombeau  trouvé  dans  le  voisinage  (2)*;  qu'ils 
ont  été  travaillés  sur  place  pour  décorer  une  église  à  l'époque  byzan- 
tine, et  que,  cet  édifice  ayant  été  démoli,  soit  par  la  main  des  hommes, 
soit  par  l'action  de  la  mer,  les  plus  petits  d'entre  les  débris  existants 
ont  été  utilisés  dans  la  construction  de  l'humble  chapelle  qui  a  rem- 
placé l'église. 

Quatre  heures  après  notre  départ  de  Gavrio  nous  débarquions  sur 
le  rivage  de  Palaeopolis.  La  ville  d'Andros  s'élevait  sur  un  mamelon 
en  pente  presque  entièrement  enveloppé  à  l'est  et  au  sud  par  la  plus 
élevée  des  montagnes  d'Andros ,  du  sommet  de  laquelle  descendent , 
comme  deux  serpents  aux  reflets  argentés,  deux  ruisseaux  qui  répan- 
dent la  fécondité  dans  cette  partie  de  l'île.  Tout  porte  à  croire  que 
les  habitations  s'étendaient  jusqu'au  bord  de  la  mer,  et  qu'un  mur 
qui  défendait  la  ville  du  côté  du  nord  suivait  le  mamelon  jusque 
dans  la  partie  la  plus  élevée,  laquelle  se  terminait  par  une  acropole 
dont  la  partie  inférieure  d'une  tour  subsiste  encore. 

Andros  n'avait  pas  de  port  ;  car  on  ne  peut  donner  ce  nom  à  la 
petite  baie  qui  s'étend  en  avant  de  Palaeopolis  et  qui  n'est  qu'impar- 
faitement défendue  d'un  seul  côté,  du  côté  du  nord,  par  un  petit 
promontoire.  Il  est  donc  probable,  comme  le  remarque  M.  Ross, 
queScylax,  dans  son  périple,  en  faisant  mention  du  port  de  cette 
ville  (Avcfyoç  koù  liuw)  a  voulu  désigner  Gaurion,  qui  est  à  dix  ou 
douze  milles  environ  de  là. 

La  ville,  suivant  toute  vraisemblance,  était  bâtie  sur  des  terrasses 
et  descendait  comme  de  degré  en  degré  jusqu'à  la  mer.  C'est  au  pied  de 
ce  vaste  amphithéâtre  qu'un  paysan  ,  en  fouillant  le  sol ,  découvrit , 
il  y  a  quelques  années,  une  chambre  souterraine  que  M.  Ross,  croyant 
reconnaître  quelque  analogie  entre  cette  construction  et  d'autres  du 
même  genre  qui  existent  à  Anaphé,  regarde  comme  le  tombeau  de 
quelque  famille  considérable  d'Andros.  Dans  l'intérieur  de  cette 
chambre  furent  trouvées  deux  statues  un  peu  plus  grandes  que  na- 
ture placées,  dit-on ,  sur  une  espèce  de  socle  et  s'appuyant  presque 
contre  le  mur  du  fond. 

L'une  d'elles  dont  la  tôte  manque  (3) ,  représente  une  femme  vêtue 
d'une  tunique  longue  (x^wv  nod-np-nç)  entourée  d'un  manteau  formant 

(1)  C'est  ce  que  paraît  croire  M.  Ross.  Voy.  ouvr.  cité,  p.  14. 

(2)  M.  Ross  admet  cette  dernière  supposition. 

(3)  PI.  LUI,  fig.  1. 


282  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

peu  de  plis  et  descendant  jusqu'au-dessous  des  genoux  (repi6o').«tov). 
Le  bras  droit,  relevé  à  partir  du  coude,  est  entouré  dans  le  manteau, 
qui  laissait  la  main  à  nu.  Le  bras  gauche  est  pendant  le  long  de  la 
cuisse  et  forme  un  beau  jet  de  draperie,  bien  que  la  main  reste  en 
partie  à  découvert.  Le  style  de  cette  statue  est  large  et  noble,  le 
travail,  sans  être  très-fini ,  a  de  la  pureté  et  une  certaine  élégance. 
Rien  dans  ce  monument  ne  dénote  une  époque  tardive.  Tout  au  con- 
traire annonce  qu'il  est  l'ouvrage  d'un  artiste  distingué  et  antérieur  à 
l'ère  impériale.  Je  me  propose  de  la  faire  mouler  avant  mon  dé- 
part (1). 

L'autre  (2),  dont  j'ai,  il  y  a  environ  trois  mois ,  envoyé  un  plâtre  à 
l'École  royale  des  Beaux-Arts  ,  représente  un  jeune  homme  dont  la 
tête,  d'une  beauté  et  d'une  pureté  de  traits  remarquables,  est,  chose 
bien  rare,  conservée  et  adhérente  au  corps.  Le  tronc  est  nu,  et  seu- 
lement sur  l'épaule  gauche  on  voit  un  pan  de  draperie  dont  l'agence- 
ment rappelle  celui  de  la  statue  de  Méléagre ,  et  mieux  encore  de 
celle  qui  représente  Antinous  sous  la  forme  de  Mercure  (3).  Les  bras 
sont  brisés  ;  les  jambes  manquent  à  partir  des  genoux,  mais  on  en  a 
retrouvé  un  fragment  ainsi  que  les  pieds  adhérents  à  la  plinthe ,  en 
sorte  qu'il  resterait  bien  peu  à  faire  pour  la  restaurer  entièrement,  du 
moins  dans  la  partie  inférieure.  Près  du  pied  droit  est  un  tronc  d'arbre 
sur  lequel  portait  le  poids  du  corps  et  autour  duquel  s'enroule  un 
serpent. 

Ces  deux  statues,  dont  la  seconde  surtout  peut  être  à  juste  titre 
considérée  comme  un  chef-d'œuvre  de  la  statuaire  grecque ,  ont  été 
achetées  par  le  gouvernement  grec,  et  depuis  le  mois  de  décembrel  84 1 
elles  sont  conservées,  la  première  au  carré  d'Hadrien,  la  seconde  au 
temple  de  Thésée. 

Que  représentent  ces  deux  statues?  Dans  le  voisinage  du  lieu  où 
elles  ont  été  trouvées ,  on  voit  une  double  inscription  gravée  sur  une 
plaque  de  marbre  qui  peut ,  à  la  rigueur,  avoir  été  encastrée  dans  un 
piédestal  portant  les  statues  des  deux  personnages  romains,  l'un 
homme,  l'autre  femme,  dont  il  y  est  fait  mention.  Voici  en  quels 
termes  elle  est  conçue  : 

(1)  M.  Le  Bis  a  réalisé  ce  dessein.   Un  plâtre  de  la  statue  dont  il  s'agit  a  été 
envoyé  par  lui  à  l'École  royale  des  Beaux-Arts.  {Note  de  l'éditeur.) 

(2)  Voy.  PI.  LIII,fig.  2. 
(3)'  Voy.  ibid.  fig.  3. 


VOYAGES  EN  GRÈCE  ET  EN  ASIE  MINEURE.  283 

OAHM02  OAHM02 

ETNATIANMAIIMIAAANTHN      nOYnAIONrAEITIONrAAAO//// 
EAYTOYEYEPTETINAPETH2    TONEAYTOYTIATPnNAKAI 
////////  NEKA  EYEPTETHNAPETH2 

ENEKA 

Il  est  de  toute  évidence  que  le  nom  de  l'individu  dont  il  est  question 
dans  l'inscription  à  droite  a  été  altéré  soit  par  ie  lapicide ,  soit  par  le 
temps.  M.MustoxydilitTAEITION;  M.Tricupis,  TANTION;  M.  Vir- 
let  TAEITION,  leçon  sous  laquelle  j'avais  cru  reconnaître  nAniPION  ; 
M.  Ross  a  cru  voir  (légère  mihi  visus  sum)  TAEITION,  qu'il  propose 
de  changer  en  ErNATION;  M.  Bœckh  enfin,  adoptant  la  leçon  de 
M.  Tricupis,  pense  que  Ydvzioç  n'est  autre  que  Cantius,  gentilitium 
dont  je  regrette  qu'il  n'ait  pas  cité  quelques  exemples,  et  qui  me 
paraît  du  reste  ne  pouvoir  être  admis  ici  ;  car  il  résulte  pour  moi 
d'un  examen  attentif  de  la  pierre,  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  n  avant  la 
terminaison  TION  ,  et,  bien  que  de  Caius'les  Grecs  aient  fait  Tdïoç, 
je  crois  que  dans  Cantius  il  auraient  changé  le  C,  non  en  r  mais  en  K 
comme  ils  l'ont  fait  dans  Kavivioç,  KaiâUioç,  KanaAioç,  etc.  Les 
lettres  sont  du  reste  fort  effacées  en  cet  endroit  et  je  n'ai  pu  y  recon- 
naître que  ce  qu'y  a  vu  M.  Ross,  c'est-à-dire  TAEITION.  Faut-il 
persévérer  dans  ma  conjecture?  faut-il  lire  TA[B]l[N]ION  ,  ou 
[n]A[fl]TION,  qui  se  rapproche  encore  plus  de  ce  qui  semble  rester 
sur  le  marbre  (1)?  C'est  une  question  dont  il  faut  renvoyer  la  solu- 
tion à  l'époque  où  j'aurai  sous  la  main  les  livres  nécessaires  pour 
rechercher  quelle  est  de  ces  différentes  conjectures  celle  qui  doit 
obtenir  la  préférence,  et  décider,  s'il  est  possible,  avec  quelque  cer- 
titude, quel  était  le  véritable  nom  du  Publius  patron  et  bienfaiteur 
des  Andriens  auquel  l'inscription  dont  il  s'agit  est  consacrée. 

Quoi  qu'il  en  soit,  M.  Ross,  frappé  du  rapport  qui  lui  paraissait 
exister  entre  cette  inscription  et  les  deux  statues  découvertes  non  loin 
de  là ,  en  a  conclu  qu'inscription  et  statues  appartenaient  à  un  même 
monument  (2) ,  et  que  par  conséquent  la  statue  d'homme  était  celle 
de  Publius....  Gallus  proclamé  héros  par  les  Andriens,  et  que  celle 
de  femme  représentait  Egnatia  M aximilla  peut-être  mère  de  Publius  ; 
car,  suivant  lui,  le  costume  de  la  femme  est  celui  d'une  matrone  et 

(1)  Dans  ce  cas  le  personnage  en  question  aurait  été  de  la  famille  du  célèbre 
L.  Plotius  Gallus,  qui  le  premier  enseigna  la  rhétorique  en  latin,  à  Rome  ,  et  qui 
eut  la  gloire  de  compter  Cicéron  parmi  ses  auditeurs. 

(?)  «  Vehementer  autem  suspicor  hune  titulum  pertinere  ad  praestantissima  duo 
«  simulacra  marmorea  Andri  reperta.  »  (Inscr.  gr.  ined.  fasc.  II,  p.  2.) 


284  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

n'offre  aucun  attribut  divin ,  ce  que,  soit  dit  en  passant,  je  ne  saurais 
admettre.  En  effet,  la  tète  manquant,  on  ne  peut  savoir  si  elle  ne 
portait  pas  quelque  signe  caractéristique ,  et  de  plus  la  soi-disant 
matrone  offre  la  ressemblance  la  plus  frappante  avec  la  statue  du 
musée  Pio  Clementino  que  Visconti,  juge  compétent  en  pareille 
matière,  regarde  comme  l'image  de  la  muse  Polymnie.  Mais  suppo- 
sons un  instant  que  M.  Ross  soit  dans  le  vrai  :  comment  se  ferait-il 
que  le  fils  fût  représenté  nu ,  doué  d'une  beauté  idéale,  accompagné 
du  serpent  symbole  de  Xhéroïsation  (l)  (qu'on  me  passe  le  mot),  et 
que  la  mère  n'eût  que  le  vêtement  dune  matrone ,  quand  on  voit 
que  Publius  et  Egnatia  sont  honorés  par  le  peuple  d'Andros  au 
même  titre,  c'est-à-dire  comme  bienfaiteurs  de  la  cité?  Je  vais  plus 
loin  :  si  Publius  eût  été  héroïsé  par  les  Andriens,  on  n'eût  pas  man- 
qué de  faire  figurer  dans  l'inscription  le  terme  sacramental  acpyj- 
pwï£ev  (2),  ou  quelque  autre  équivalent,  et  dans  ce  cas  sa  mère  ou 
son  épouse  (car  rien  ne  dit  qu'Egnatia  fût  plutôt  l'une  que  l'autre) 
eût,  sans  doute,  puisqu'elle  avait  les  mêmes  titres  à  la  reconnais- 
sance publique ,  partagé  cet  honneur  dont  les  femmes  n'étaient  pas 
exclues,  ainsi  que  l'atteste  entre  autres  monuments  cette  inscription 
de  Théra  publiée  par  M.  Ross  : 

OAAMO2A0HPniZEN     . 
EPA2IKAEIANEPATOKPATOY2 
APETA2ENEKAKAI2OOP02YNA2 

0  dâpoç  açpyjpcoï£ev 
EpaffixXeiav  ËparoxpaTouç, 
àperàç  evexa  xat  cwçppoduvaç. 

Mais  il  est  une  difficulté  plus  grande  encore,  et  à  laquelle  le 
savant  professeur  ne  paraît  pas  avoir  songé  ;  les  deux  statues  sont 
manifestement  d'une  très -bonne  époque  grecque,  et  d'un  autre 
côté  tout  prouve  que  l'inscription  n'est  pas  antérieure  à  notre  ère. 
Comment  admettre  qu'il  puisse  exister  entre  elles  aucun  rapport? 

(1)  Voy.  Plutarque  ,  Vie  de  Cléomènes,  ch.  39. 

(2)  Voy.  Ross,  Inscr.  gr.  inéd.  n°*  203  ,  204  ,  207,  214  ,  et  dans  les  Annales 
de  Corr.  Arch.  vol.  XIII,  p.  13  et  suiv.,  la  dissertation  de  ce  même  savant  sur  les 
tombeaux  de  l'île  de  Théra.  C'est  surtout  dans  cette  île  que  la  formule  ày>j/9wï|ev 
était  en  usage.  M.  Franz  (Elem.  epigr.  gr.,  p.  331  )  pense  qu'elle  n'a  pas  d'autre 
sens  que  £0a|e  qu'on  lit  dans  d'autres  lieux  ,  ce  qui  semble  peu  admissible.  Il  me 
paraît  plus  naturel  de  croire  qu'à  Théra  on  était  plus  prodigue  qu'ailleurs  de  ce 
genre  de  récompense. 


VOYAGES   EN    GRECE   ET   EN   ASIE   MINEURE.  285 

Supposera-t-on  que,  dans  l'intention  d'honorer  ces  deux  grands  per- 
sonnages, les  Andriens  ont  débaptisé  ces  deux  statues  représentant, 
l'une  un  héros,  l'autre  une  héroïne  de  leur  île?  Mais  cela  ne  serait 
vraiment  admissible  que  pour  la  statue  de  femme,  dont  la  tête,  sans 
doute  idéalisée  dans  le  principe,  a  été  évidemment  enlevée  à  dessein, 
mais  à  une  époque  tardive  et  par  des  procédés  assez  grossiers,  pour 
être  remplacée  par  le  portrait  de  la  personne  que  cette  statue 
aura  été  appelée  ultérieurement  à  représenter  ;  fait  très-fréquent  à 
l'époque  romaine,  et  sur  lequel  il  ne  saurait  exister  aucun  doute (1). 
D'où  viendrait  dans  ce  cas  la  préférence  accordée  à  l'homme?  Dira- 
t-on  que  c'était  un  moyen  de  le  flatter  que  de  lui  supposer  une 
parfaite  ressemblance  avec  un  personnage  héroïque?  Mais  on  serait 
en  droit  de  demander  pourquoi  on  n'employait  pas  le  même  moyen 
d'adulation  à  l'égard  de  la  femme  qu'on  associait  aux  honneurs  dont 
il  était  l'objet,  surtout  quand  on  peut  déduire  de  l'ordre  des  deux 
inscriptions  qu'elle  occupait  le  premier  rang  dans  l'estime  publique  ? 

Autre  objection.  La  plaque  sur  laquelle  est  gravée  l'inscription 
n'a  que  1  mètre  29  cent,  de  largeur.  Or,  à  qui  fera-t-on  croire 
qu'une  base  de  cette  dimension  a  pu  porter  deux  statues  hautes  de 
plus  de  deux  mètres,  et  dont  les  plinthes  même  rapprochées  l'une 
de  l'autre,  ce  qui  n'est  pas  admissible,  auraient  seules  occupé  cet 
espace?  Je  dois  ajouter  que  j'ai  inutilement  recherché  dans  ce  lieu 
le  socle  sur  lequel  on  assure  que  les  deux  statues  ont  été  trouvées, 
et  que  ce  socle  ne  paraît  pas  avoir  été  transporté  avec  elles  à  Athènes. 

Il  est  d'ailleurs  une  circonstance  qui  ne  permet  pas  de  supposer 
que  ces  deux  statues  ont  dans  l'origine  appartenu  à  un  même  monu- 
ment, c'est  qu'on  ne  peut  y  voir  l'œuvre  de  la  même  main,  et 
qu'elles  sont  de  marbres  très-différents ,  celle  du  jeune  homme  étant 
en  marbre  blanc  du  Pentélique,  et  celle  de  la  femme  en  marbre 
bleuâtre  tirant  un  peu  sur  le  gris.  Disons  plus  :  dans  le  genre  de 
mutilation  qu'a  subi  la  statue  de  femme,  on  pourrait  voir  la  preuve 
que  ces  deux  statues  n'étaient  pas  réunies  primitivement  dans  un 
même  édifice,  puisqu'on  ne  s'expliquerait  guère  pourquoi  une  seule 
d'entre  elles,  la  plus  fragile,  aurait  été  seule  respectée. 

Enfin,  je  ne  saurais  me  ranger  davantage  à  l'opinion  de  M.  Ross, 
relativement  à  la  destination  de  l'édifice  où  ces  deux  statues  ont  été 
trouvées.  Comment  voir  un  heroum  digne  d'aussi  belles  et  d'aussi 
grandes  statues  dans  une  grossière  construction  en  briques  et  en 

(1)  C'est  ce  que  prouvent  tant  de  statues  dont  la  tête  manque,  mais  avait  été  évi- 
demment rapportée. 


286  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pierres  liées  entre  elles  avec  un  mauvais  ciment,  haute  da  peine 
2  mètres  50  cent.,  et  large  tout  au  plus  de  3  ou  4  mètres?  Il 
est  bien  plus  vraisemblable  d'y  reconnaître  une  citerne  abandonnée , 
où  quelque  paysan,  soit  à  l'époque  vénitienne,  soit  pendant  la 
domination  turque ,  aura  caché  ces  deux  chefs-d'œuvre  de  l'art  pour 
pouvoir,  quand  l'occasion  s'en  présenterait,  les  vendre  secrètement 
à  quelque  Européen ,  et  soustraire  ainsi  son  bénéfice  à  l'avidité  de 
ses  maîtres. 

En  résumé,  tout  ce  qu'on  peut  dire  de  ces  deux  statues,  c'est 
qu'elles  sont  l'une  et  l'autre  l'ouvrage  d'un  artiste  grec,  et  toutes 
deux  d  une  très-bonne  époque  ;  que  la  statue  d'homme  représentait 
un  personnage  héroïque;  que  rien  n'empêche  de  supposer  que 
c'était  un  personnage  distingué  d'Andros ,  auquel  ses  concitoyens 
avaient  décerné  Yhéroïsation  en  récompense  de  services  éminents 
rendus  à  la  patrie,  bien  qu'il  soit  peut-être  plus  naturel  encore 
d'y  voir  un  héros  local  tel  qu'Andros  fils  d'Anius.  Quant  à  la  statue 
de  femme ,  ses  dimensions ,  l'agencement  des  draperies ,  la  noblesse 
de  la  pose  permettent  d'y  voir  une  muse,  une  déesse  ou  une  hé- 
roïne; mais  rien  n'autorise  à  croire  que  ces  deux  chefs-d'œuvre 
soient  dus  au  même  ciseau  et  qu'ils  aient  appartenu  à  un  même 
monument;  et  dans  tous  les  cas,  il  est  impossible  d'y  voir  deux 
statues  de  l'époque  impériale,  non  plus  que  la  représentation  con- 
temporaine des  deux  personnages  mentionnés  dans  l'inscription  sur 
laquelle  M.  Ross  appuie  son  système  d'interprétation. 

Le  lieu  où  j'ai  lu  l'inscription  d'Egnatia  Maximilla,  et  de  Publius 
Cantius  ou  Plotius ,  paraît  avoir  été  choisi  par  le  propriétaire  pour 
en  former  comme  un  lieu  de  dépôt,  comme  une  sorte  de  musée  en 
plein  air,  où  il  a  entassé  tous  les  débris  antiques  trouvés  dans  le 
voisinage.  On  y  voit  en  effet,  indépendamment  de  plusieurs  chapi- 
teaux, fûts  de  colonnes,  architraves,  etc.,  cinq  inscriptions  qui 
toutes  sont  d'époques  différentes  :  d'abord  celle  dont  je  viens  de 
parler,  puis  celles  que  j'ai  publiées  sous  les  n05  177  et  181,  et  que 
M.  Boeckh  a  reproduites  sous  les  nos  2349  o  et  2349  k,  puis  deux 
fragments  en  grandes  lettres  d'une  époque  assez  tardive,  qui  doivent 
avoir  appartenu  à  une  architrave. 

En  gravissant  de  terrasse  en  terrasse  pour  atteindre  la  partie  haute 
du  village  où  se  trouve  la  demeure  de  Jannaki  Loukretzi,  proprié- 
taire de  l'hymne  à  Isis,  nous  avons  presque  à  chaque  pas  rencontré 
des  assises,  des  fûts,  des  chapiteaux,  des  bases  de  colonnes,  des 
fragments  de  sculptures  qui  tous  attestent  l'existence,  en  ce  lieu, 


VOYAGES  EN  GRECE   ET  EN  ASIE  MINEURE.  287 

d'une  ville  assez  considérable ,  mais  nulle  part  des  ruines  bien  con- 
servées d'un  caractère  monumental,  si  ce  n'est  une  substruction  en 
grosses  assises ,  qui  était  sans  doute  le  mur  de  soutènement  de  l'une 
des  terrasses  sur  lesquelles  s'élevait  la  ville.  Non  loin  de  là  on  voit 
sur  le  chemin  même  une  porte  d'environ  deux  mètres  de  hauteur, 
et  formée  de  trois  blocs  d'un  travail  assez  grossier  et  sans  aucune 
décoration;  cette  porte,  pour  cette  raison,  n'a  pu  appartenir  à  un 
temple ,  et  sa  position  ne  permet  pas  non  plus  de  supposer  qu'elle 
pût  se  rattacher  au  mur  d'enceinte ,  dont  on  retrouve  les  vestiges 
dans  une  autre  direction  à  vingt  minutes  plus  haut  dans  la  montagne. 

A  peu  de  distance  de  ce  lieu,  on  voit  dans  un  champ  un  bas- 
relief  en  marbre  pentélique  de  1  mètre  sur  0,94,  dans  lequel 
M.  Ross  a  cru  reconnaître  un  jugement  de  Paris.  J'en  ai  fait 
exécuter  un  dessin  que  je  me  propose  de  publier  plus  tard,  parce 
que  je  considère  cette  sculpture  comme  une  variété  d'une  classe  de 
monuments  votifs  très-importants  dont  le  sens  n'a  pas  encore  été 
bien  déterminé  (i)  ;  je  me  dispenserai  donc  d'en  donner  ici  une 
description  après  M.  Ross.  Je  me  bornerai  à  remarquer  que  le  sa- 
vant archéologue  a  pris  à  tort  pour  des  nuages  la  voûte  de  la  grotte 
où  la  scène  se  passe. 

Non  loin  de  là,  j'ai  découvert  dans  le  mur  d'un  champ,  un  frag- 
ment de  29  lignes,  lequel  doit  avoir  appartenu  à  un  décret  hono- 
rifique rendu  en  faveur  d'un  citoyen  qui,  autant  qu'on  peut  en 
juger,  avait  rendu  d'utiles  services,  et  rempli  successivement  plu- 
sieurs charges  importantes. 

C'est  à  peu  près  à  la  même  hauteur  qu'à  la  porte  d'un  pressoir 
j'ai  retrouvé  une  inscription  publiée  successivement  par  M.  Mu- 
stoxydi(2),  par  moi(3),  par  M.  Ross(4),  et  par  M.  Rœckh(5),  et 
qui  est  relative  à  la  reconstruction  d'un  temple,  de  son  pronaos,  et 
peut-être  de  son  portique,  faite  par  un  certain  nombre  de  citoyens 
dont  les  noms,  à  l'exception  d'un  seul,  ont  disparu.  J'ai  pu  me 
convaincre  que  la  copie  qui  m'avait  été  remise  par  M.  Virlet  était 
loin  d'être  exacte;  mais  le  savant  qui  a  publié  ce  monument  après 
moi ,  aurait  dû  ne  pas  m'attribuer  des  erreurs  dans  lesquelles  je  ne 


(1)  Voy.  mon  explication  des  monuments  d'antiquité  figurée ,  recueillie  par  la 
commission  de  Morée,  2e  cahier. 

(2)  Anih.  lonicum,  p.  478. 

(3)  Ouv.  cité,  n°  t76. 

(4)  Inscr.  gr.  inéd.  n°  18. 

(5)  N°  2349  d. 


288  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

suis  pas  tombé,  comme  par  exemple  d'avoir  lu  vnb  7raAaiwo-£wç , 
tandis  que  s'il  veut  bien  ouvrir  mon  livre,  il  verra  que  j'avais  corrigé 
vtto  7r[a]Xai[oT7}T]oç,  qui  est  la  véritable  leçon.  Il  aurait  pu  aussi  ne 
pas  me  faire  un  aussi  grand  crime  d'avoir  changé  la  leçon  vicieuse 
PÏ10NAION  en  YnorAION  ,  puisqu'il  est  constant  que  ce  change- 
ment n'a  rien  de  contraire  aux  lois  qu'on  peut  établir  sur  les  con- 
fusions de  lettres  le  plus  ordinairement  faites  par  les  copistes,  non 
plus  qu'aux  usages  de  la  religion  païenne.  N'est-il  pas  notoire  que 
presque  tous  les  temples,  et  notamment  ceux  où  l'on  célébrait  des 
mystères,  avaient  des  souterrains  dont  les  prêtres  tiraient  un  grand 
parti  dans  les  cérémonies  secrètes  (1)?  Triste  sort  des  archéologues 
qui  publient  des  inscriptions  d'après  des  copies  exécutées  par  au- 
trui et  qui  se  font  un  cas  de  conscience  de  ne  rien  changer  dans  la 
reproduction  de  ces  copies  en  caractères  épigraphiques  :  on  semble 
trop  souvent  leur  attribuer  toutes  les  erreurs  de  celui  qui  a  mal  lu 
le  monument  original,  sans  mentionner  les  corrections,  fussent- 
elles  les  meilleures  du  monde ,  qu'ils  proposent  ensuite  dans  leurs 
restitutions. 

Un  peu  plus  loin ,  dans  la  maison  de  Georges  Stéliano ,  j'ai  lu  la 
base  que  j'ai  publiée  sous  le  n°  179,  et  qui  a  paru  ultérieurement 
dans  le  Corpus,  sous  le  n°  2349  h;  puis  sur  la  sainte  table  à'Hagia 
Soiira,  le  n°  174  de  ma  publication,  ou  2349  g  du  Corpus,  et  dans 
le  mur  d'une  maison,  le  nô  91  du  recueil  de  M.  Ross.  Tous  trois 
m'ont  présenté  des  variantes  assez  importantes ,  mais  qu'il  me  paraît 
hors  de  propos,  Monsieur  le  Ministre,  de  mettre  en  ce  moment  sous 
vos  yeux. 

A  quelque  distance  de  là,  un  peu  plus  vers  l'ouest,  j'ai  trouvé, 
dans  la  cabane  d'un  pêcheur,  une  base  en  l'honneur  d'Hadrien. 
Elle  est  conçue  absolument  dans  les  mêmes  termes  que  celle  de 
Porto  Gavrio,  mais  elle  en  diffère  par  la  forme  des  lettres,  et 
par  la  division  des  lignes.  Vous  pourrez  en  juger  par  la  copie  sui- 
vante :  '    . 


(1)  Suis-je  aussi  bien  coupable  d'avoir  conjecturé  que  le  temple  en  question  pou- 
vait avoir  été  celui  de  Bacchus,  le  plus  important  de  l'île?  En  disant  le  temple 
restauré  était  sans  doute  celui  de  Bacchus ,  je  n'affirmais  rien  ;  j'émettais  une 
simple  conjecture,  qui  me  paraissait  plus  vraisemblable  que  toute  autre.  Si  la  chose 
m'eût  paru  incontestable,  j'aurais  dit  :  était  sans  aucun  doute,  etc.  Il  y  a  du  reste 
entre  ces  deux  locutions  une  nuance  qui  peut  échapper  à  un  étranger  quelque  versé 
qu'il  soit  dans  la  connaissance  de  notre  langue- 


VOYAGES   EN   GRECE    ET   EN    ASIE    MINEURE.  289 

SnTHPIKAI 

KTI2THTH2 

OIKOYMENH2 

AYTOKPATOPI 

AAPIANHI 

OAYMnin 

Au  delà  du  torrent ,  dans  la  maison  d'un  paysan ,  on  m'a  présenté 
le  n°  90  du  recueil  de  M.  Ross ,  et  les  deux  fragments  suivants  qui 
n'ont  d'autre  mérite  que  celui  d'être  inédits. 

MKEPn2XPH2TE 
Al        PE 

[Njixspcoç  ygnarl  [x]aîp£. 

AIAIO 
AHMO20ENO 
NOMIKOY 

Ailiov  Ayj^o<70£Vo  [vç]  No/uuxoO. 

Un  peu  plus  haut ,  vers  le  nord ,  dans  la  maison  voisine  du  terme 
de  notre  excursion ,  Demetrius  Loukretzi ,  frère  du  paysan  auquel 
j'allais  demander  l'hospitalité  et  l'exhibition  de  son  trésor  épigra- 
phique,  me  présenta  un  fragment  de  décret  gravé  en  petites  lettres, 
et  par  lequel  le  sénat  et  le  peuple  accordent  le  droit  de  cité  à  Sos- 
thène,  fils  d'Ariston ,  bien  qu'il  soit  déjà  citoyen  d'Eleutherne,  et 
cela,  parce  qu'il  a  montré  sa  bienveillance  même  aux  plus  pauvres 
lorsqu'ils  lui  exposaient  leurs  besoins,  etc.  Il  me  fit  voir  ensuite  une 
inscription  qui  doit  avoir  contenu  une  liste  de  noms  propres  et  dont 
toute  la  moitié  gauche  paraît  avoir  disparu,  car  on  ne  lit  plus  sur 
ce  qui  reste  que  des  noms  au  génitif.  Enfin  sur  l'un  des  jambages  dune 
porte  je  lus ,  distribuée  en  deux  lignes ,  cette  inscription  bilingue  qui 
doit  dater  de  l'époque  où  la  religion  catholique  et  la  religion  grecque 
étaient  également  en  vigueur  dans  l'île,  et  où  la  première  faisait 
peut-être  des  avances  à  l'autre  pour  amener  un  rapprochement  : 

SANCTUS  à  eUS  SANCTUS  FORTIS  SANCTUS  INMORTALIS 

MISERERE  NOS  * 

Anocoeos  AnbcicxYPOc  ahoc  aoanatoc  gaghcon 

HMAC  * 
m.  1 9 


290  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Cette  longue  et  fatigante  pérégrination  achevée  nons  allâmes 
frapper  à  la  porte  de  Jannako  qui  nous  ouvrit  avec  empressement, 
moins  par  un  sentiment  d'hospitalité  que  dans  l'espoir  d'exploiter 
notre  curiosité  épigraphique ,  espoir  dont  il  ne  tarda  pas  à  faire  une 
réalité.  Tant  pour  retirer  les  haillons  qui  couvraient  le  marbre  sacré; 
tant  pour  l'épousseter,  tant  pour  le  laver,  tant  pour  le  placer  dans 
un  bon  jour,  tant  pour  en  permettre  la  lecture,  tant  encore  pour 
consentir  à  ce  que  nous  en  prissions  un  estampage.  Le  résultat  ob- 
tenu fut  au  delà  des  exigences  de  l'avide  paysan  ,  mais  ne  répondit 
cependant  pas  à  mon  attente.  Quelques  additions  aux  vers  incom- 
plets de  la  première  colonne ,  quelques  lettres  des  seize  premiers  vers 
et  le  premier  pied  des  dix-huit  derniers  de  la  deuxième,  les  deux 
ou  trois  derniers  pieds  de  presque  tous  les  vers  de  la  troisième,  quel- 
ques futiles  acquisitions  pour  la  quatrième ,  voilà  tout  le  fruit  d'une 
journée  de  travail  sous  l'ardeur  d'un  soleil  dévorant.  Certes  ce  n'est 
pas  du  temps  perdu ,  mais  à  moins  qu'on  ne  retrouve  un  nouvel 
exemplaire  de  cette  hymne,  ce  qui  ne  paraît  pas  impossible  quand 
on  songe  à  quel  point  le  culte  dlsis  devint  général  sous  les  empe- 
reurs, une  complète  restitution  de  ce  précieux  monument  mytholo- 
gique est  un  espoir  auquel  il  faut  désormais  renoncer. 

Ce  travail  achevé  je  m'enquis  d'une  longue  inscription  copiée  au- 
trefois dans  le  café  de  Léonard  Bouïatzi  et  provenant  de  Palaeopolis. 
inscription  que  j'avais  publiée  sous  le  n°  175  avec  un  long  commen- 
taire favorablement  accueilli  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres  ainsi  que  par  le  savant  éditeur  du  Corpus,  et  que  je  tenais 
d'autant  plus  à  voir  que  M.  Ross  ne  l'avait  pas  retrouvée  et  qu'une 
collation  m'en  paraissait  indispensable. 

J'appris  que  Léonard  Bouïatzi  existait  encore  aussi  bien  que  son 
inscription,  que  tous  deux  se  trouvaient  à  quatre  heures  de  là  de 
l'autre  côté  de  la  montagne  dans  un  village,  Opiso-Lamyra ,  peu 
éloigné  à'Âpano-Kastro,  chef-lieu  de  l'île.  Nous  ne  songeâmes  donc 
plus  qu'au  départ,  et  à  peine  fûmes-nous  parvenus  à  nous  procurer 
des  moyens  de  transport  pour  notre  bagage,  que,  malgré  la  chaleur 
du  jour,  nous  nous  mîmes  en  route.  Pendant  deux  heures  nous  gra- 
vîmes pédestrement  une  montagne  escarpée  qui  s'élevait  devant  nous 
comme  un  mur  de  marbre,  et  après  bien  des  fatigues,  bien  des 
efforts,  nous  atteignîmes  le  sommet,  qui  semblait  toujours  fuir  de- 
vant nous.  Le  soir  nous  surprit  sur  la  crête  de  cette  montagne  que 
nous  suivîmes  pendant  deux  autres  heures,  et  il  était  déjà  nuit 


VOYAGES  EN  GRECE   ET  EN  ASIE  MINEURE.  291 

quand  nous  commençâmes  à  descendre  par  une  route  non  moins  dif- 
ficile et  plus  dangereuse  que  ne  l'avait  été  la  montée.  Il  était  dix 
heures  quand  nous  arrivâmes  au  gîte  et  à  peine  commencions-nous  à 
prendre  quelque  repos  que  nous  fûmes  réveillés  par  les  bruyantes 
lamentations  de  pleureuses  à  gages  disant  un  dernier  adieu  à  une 
jeune  femme  morte  en  couche  dans  le  voisinage  de  notre  demeure. 
Quel  que  soit  l'intérêt  que  m'inspire  la  persistance  des  anciens  usages, 
je  ne  pus,  dans  cette  occasion ,  me  défendre  de  les  maudire  et  de 
trouver  ces  chants  de  mort  au  moins  très-inopportuns. 

Dès  le  matin ,  grâce  aux  pvpoloyoi  ,  je  remontais  la  délicieuse 
vallée  de  la  Messaria  pour  me  rendre  à  Lamyra  et  gravissais  bientôt 
la  verdoyante  colline  sur  laquelle  s'élève  ce  charmant  village  ombragé 
de  cyprès,  d'orangers,  de  citronniers,  de  figuiers  unis  entre  eux  par 
des  pampres  de  vignes,  et  arrosé  par  de  nombreuses  sources  qui, 
même  au  fort  de  la  canicule,  y  entretiennent  la  plus  agréable  fraî- 
cheur. Léonard  Bouïatzi  tout  charmé  d'apprendre  que  son  nom  avait 
eu  du  retentissement  en  Europe,  grâce  à  son  inscription,  nous 
montra  ce  monument  avec  une  satisfaction  désintéressée. 

Je  ne  m'étais  pas  trompé,  Monsieur  le  Ministre,  en  pensant 
qu'une  collation  de  cette  inscription  était  nécessaire  ;  je  n'ai  pas 
tardé  à  me  convaincre  qu'elle  avait  été  très -mal  lue  par  le  voyageur 
qui  en  avait  communiqué  une  copie  à  M.  Virlet.  Au  moyen  de  la 
transcription  que  j'en  ai  faite  et  de  l'estampage  que  j'en  ai  pris ,  je 
suis  en  mesure  de  rectifier  sous  plus  d'un  rapport  et  de  compléter  en 
plus  d'un  point  le  mémoire  que  j'ai  publié  sur  ce  curieux  document 
historique.  Je  dois  désormais  reconnaître  que  les  trois  décrets  qu'il 
contient  émanaient  de  la  ville  d'Adramytte,  mais  je  puis  dire  aussi 
que  la  plupart  de  mes  conjectures  et  de  mes  corrections  se  trouvent 
confirmées  par  les  leçons  de  l'original.  C'est  une  satisfaction  qu'aug- 
mentent encore  les  fatigues  par  lesquelles  il  m'a  fallu  l'acheter  ;  c'est 
une  satisfaction  que  je  vous  dois ,  Monsieur  le  Ministre ,  et  dont  je 
me  plais  à  vous  témoigner  ma  vive  gratitude. 

De  retour  à  Apano-Kastro,  nous  dûmes  nous  occuper  des  moyens 
de  passer  à  Ténos ,  car  d'après  les  informations  prises  auprès  des 
personnes  les  plus  capables  de  nous  éclairer  à  cet  égard,  Andros 
n'avait  plus  rien  qui  pût  exciter  notre  curiosité  qu'une  église  du  vil- 
lage de  Ménidès  dans  laquelle  coule  une  fontaine,  qui,  s'il  faut  en 
croire  les  habitants,  est  celle-là  même  dont  chaque  année  à  la  fête 
de  Bacchus  les  eaux  pendant  quelques  jours  se  changeaient  miracu- 


292  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

leusement  en  vin  (1).  Sur  l'assurance  qui  nous  fut  donnée  que  nous 
n'y  trouverions  aucuns  débris  antiques  qui  prêtassent  quelque  appui 
à  cette  opinion ,  nous  nolisâmes  un  7repa/*a  qui  devait  nous  conduire 
successivement  à  Ténos,  à  Myconos,  à  Délos  et  à  Syros,  et  nous 
partîmes  pleins  de  confiance  dans  les  heureux  résultats  que  nous 
présageait  le  nom  de  notre  navire  Nea  T-J^y?  ?  la  Nouvelle  Fortune  ! 

Je  suis  avec  respect , 

Monsieur  le  Ministre , 

Votre  dévoué  serviteur, 


Ph.  Le  Bas. 


(1)  Pline,  II,  103;  XXXI,  13;  Pausanias,  VI,  26,  1.  Cf.  Ross,  ouvr.   cité 
p.  22  et  suiv. 


LETTRE  DE  M.  MNGABÉ  A  M.  LETROME 

SUR 

UNE  INSCRIPTION  GRECQUE  DU  PARTHÉNON; 
SUR  LES  PEINTURES  DU  THÉSÉUM  ET  DES  PROPYLÉES; 

ET  SDR  DEUX  MONUMENTS  INÉDITS  RÉCEMMENT  DÉCOUVERTS. 

(Suite  et  fin.) 

Le  sujet  de  ces  observations  m'amène  à  vous  parler  d'une 
pierre,  qui,  à  mon  avis,  n'est  pas  étrangère  aux  moyens  maté- 
riels employés  par  la  peinture  des  anciens,  et  qui  doit  vous  in- 
téresser à  ce  titre.  Cette  pierre  fut  trouvée  il  y  a  quelques  mois 
à  Athènes,  dans  la  maison  de  M.  le  sénateur  Prassakaki.  Pour 
abréger  mon  explication,  j'en  ajoute  ici  (voyez  pi.  52)  le  plan  ré- 
duit, et  les  deux  coupes  (nos  2,  3,  4).  C'est  un  parallélogramme 
en  marbre,  long  de  0m,55  ,  large  de  Om,38,  avec  des  rebords  hauts 
de  0m,09.  Au  milieu  de  l'un  des  petits  côtés  du  parallélogramme 
(aô),  tout  près  du  rebord,  un  trou  conique  (c),  ayant  le  diamètre 
supérieur  (dg)  de  Om,065,  le  diamètre  inférieur  (ef)  de  0m,035,  tra- 
verse le  marbre  perpendiculairement  dans  toute  son  épaisseur.  Ce 
trou  a  un  rebord  (ghi),  haut  de  0m,048.  La  surface  intérieure 
(gfde)  de  ce  trou  est  laissée  brute.  Adossé  au  rebord  du  trou,  et 
tourné  vers  l'un  des  côtés  longs  (al),  est  un  buste  de  femme  (e), 
taillé  du  même  marbre;  la  tête  manque,  les  bras  sont  nus,  la  tunique 
est  fixée  par  un  seul  bouton  sur  chacune  des  deux  épaules.  Le  tra- 
vail est  fait  avec  goût,  mais  sans  un  très-grand  soin.  Au  côté  opposé 
au  buste,  le  rebord  est  traversé  par  un  petit  trou  (i/c),  incliné  vers 
l'intérieur,  et  partant  de  la  surface  du  marbre.  Cette  surface  n'est 
pas  horizontale.  Depuis  le  côté  vers  lequel  le  buste  est  tourné  (al) , 
elle  décline  rapidement  jusqu'au  milieu  (m),  de  0m,018  ;  de  là  elle 
devient  presque  horizontale  jusqu'à  l'autre  côté  (bn).  Il  y  a  aussi 
une  très-légère  inclinaison  de  2-3  millimètres  des  deux  petits  côtés 
vers  le  milieu  (o). 

Dans  l'angle  qui  est  derrière  le  trou,  il  existe  un  exhaussement 


294  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

circulaire  (p),  de  la  hauteur  (qr)  de  0m,008,  et  du  diamètre  (rs) 
de  Om,ll.  11  est  massif;  sur  sa  surface,  et  à  0m,013  de  son  bord,  est 
tracée  une  ligne  (ta)  concentrique  à  sa  circonférence,  large  (tv)  à 
peine  de  0m,004,  et  profonde  (tx)  de  0n,,002.  Cet  exhaussement 
circulaire  se  termine  par  un  bec  de  lampe  (s  y),  long  de  0m,019,  et 
parallèle  aux  longs  côtés  du  parallélogramme  (b  n),  regardant  vers  le 
petit  côté  opposé  (ni).  Un  petit  trou  (uzy)  part  du  cercle  tracé  en 
creux ,  et  traverse  le  bec  de  lampe  dans  une  direction  inclinée.  A 
une  distance  de  0m,05  de  ce  bec,  est  creusé  vers  le  milieu  du  côté 
le  plus  long  (b  n)  un  petit  bassin  quadrangulaire  (R),au  fond  concave 
(aêy<h),  et  profond  de  0m,019.  Il  est  large  de  0m,083,  long  de 
0m,155.  Il  a  aussi  un  petit  rebord  (aÇ#)  ?  haut  de  0m,006  ,  qui  est 
percé  à  ses  trois  côtés  de  trois  petits  trous  inclinés  (a<Je),  dont  l'un 
(â)  correspond  à  celui  qui  vient  de  la  ligne  circulaire  (zy).  A  l'ex- 
térieur et  dessous  le  marbre  est  taillé  en  angle  rentrant  (xA/x), 
ayant  chacun  des  côtés  (yJ^ly.)  de  0m,02. 

Il  paraît  assez  difficile  de  déterminer  l'objet  auquel  ce  marbre  était 
destiné.  Quelques-uns  y  ont  vu  une  table  de  toilette.  Quant  à  moi , 
je  penche  plutôt  à  le  prendre  pour  un  meuble  où  un  peintre  à  l'en- 
caustique, quelque  artiste  fashionable,  aêpo&airoç,  préparait  ses 
couleurs.  M.  Cartier,  dans  ses  articles  sur  la  peinture  encaustique 
des  anciens  (Renie  ArchéoL,  t.  II,  p.  278,  365,  437)  soutient  que 
les  anciens  préparaient  leurs  couleurs  encaustiques  en  mêlant  les 
matières  colorantes  à  de  la  cire,  et  à  un  dissolvant,  qui  était,  selon 
lui,  le  blanc  d'œuf.  Ce  mélange  s'opérait  par  l'action  du  feu,  et  il 
s'en  rapporte  avec  raison  à  la  caricature  bien  connue  de  Pompéi ,  où 
l'on  voit  un  broyeur  assis  à  côté  d'une  table  )posèe  sur  du  charbon 
ardent ,  et  mêlant  sans  effort  les  couleurs  à  la  cire  déjà  amollie  par  la 
chaleur. 

Adoptant  ses  conclusions ,  je  crois  que  notre  marbre  avait  servi 
à  ce  môme  usage.  La  manière  dont  sa  surface  inférieure  est  tail- 
lée ,  indique  qu'il  était  posé  sur  un  autre  meuble ,  et  s'appliquait 
exactement  à  ses  parois.  Ce  meuble  pouvait  être  une  chaufferette  ; 
mais  afin  que  les  couleurs  les  plus  délicates  ne  fussent  pas  altérées 
par  le  contact  de  l'acide  carbonique  qui  s'en  exhalait,  et  aussi 
peut-être  pour  tempérer  l'action  du  feu,  la  chaufferette  aura 
été  couverte  et  munie  d'une  cheminée  qui  conduisait  le  gaz  et  la 
fumée.  Le  trou  (c)  dans  notre  marbre  aurait  donné  passage  a 
la  cheminée  ;  c'est  pourquoi  aussi  sa  surface  intérieure  n'est  pas 
polie.  Mais  l'ouvrier  qui  fit  cet  ustensile  n'a  pas  eu  moins  en  vue 


LETTRE  A   M.   LETRONNE.  295 

l'élégance  que  la  commodité.  Trouvant  que  la  cheminée  déparait 
son  œuvre ,  il  la  masqua  par  cette  figure  féminine  que  je  vous  ai 
décrite,  et  qui  représente  peut-être  une  déesse,  une  muse,  ou  la 
peinture  personnifiée,  ou  qui  n'est  qu'une  simple  décoration.  L'ex- 
haussement circulaire  (p)  recevait  la  cire,  qui,  à  mesure  que  la 
pierre  était  traversée  par  la  chaleur,  se  liquéfiait,  remplissait  le 
cercle  [tzu)  creusé  au  bord  de  cet  exhaussement,  et  par  le  trou 
[z y)  qui  le  termine  coulait  dans  le  bassin  opposé  en  petite  quantité 
à  la  fois,  et  se  mêlait  graduellement  à  la  couleur  qui  s'y  trouvait,  en 
même  temps  que  le  blanc  d'œuf,  préparé  dans  le  fond  de  la  pierre, 
pénétrait  aussi  en  petites  quantités  dans  le  bassin  par  les  trous  laté- 
raux. Le  superflu  de  la  cire  et  de  l'œuf  s'écoulait  enfin  par  le  trou 
ik,  qui  est  à  la  partie  la  plus  basse  de  la  pierre.  Telle  me  paraît  avoir 
été  la  destination  de  ce  monument.  M.  Cartier,  publie  (ib.,  p.  447) 
deux  vases  et  un  broyon  antiques,  dont  il  trouva  les  représentations 
dans  la  bibliothèque  de  l'Institut,  et  qu'il  prend  avec  beaucoup  de 
vraisemblance  pour  des  ustensiles  de  peinture.  Le  plus,  grand  de  ces 
vases  avec  le  bec  de  lampe  et  le  trou  a  exactement  la  forme  de  l'ex- 
haussement circulaire  qui  est  sur  notre  pierre. 


Mais  en  fait  de  monuments ,  dont  l'usage  est  difficile  à  deviner,  je 
veux  vous  en  communiquer  un  autre ,  qui  n'est  pas  moins  destiné  à 
mettre  en  défaut  la  perspicacité  des  savants.  C'est  une  plaque  de 
marbre  longue  de  lm,5  ,  large  de  0m,75.  Elle  fut  trouvée  presqu'en 
même  temps  sur  l'île  de  Salamine.  Elle  est  d'une  conservation  par- 
faîte,  et  ne  contient  absolument  que  ce  que  vous  voyez  dans  la 
figure  ci-jointe.  Les  autres  dimensions  du  monument  sont  les  sui- 
vantes :  à  une  distance  de  0m,25  du  bord  supérieur  il  y  a  cinq  lignes 
parallèles,  longues  de  0m,27,  distantes  entre  elles  de  Om,03.  A  dis- 
tance de  0m,5  au-dessous  de  la  dernière  de  ces  cinq  lignes ,  il  y  en 
a  onze,  longues  de  0m,38,  distantes  entre  elles  de  0m,035.  Une  ligne 
transversale  coupe  ces  onze  lignes  perpendiculairement  et  en  deux 
parties  égales.  La  troisième ,  la  sixième  et  la  neuvième  de  ces  lignes 
sont  marquées  dune  croix  à  leur  point  d'intersection.  Ces  croix,  ainsi 
que  les  chiffres  tracés  sous  la  ligne  inférieure ,  sont  longues  de  0m,02  ; 
la  distance  de  ces  chiffres  entre  eux  est  deOm,05.  Les  chiffres  des 
lignes  latérales  sont  longs  de  Om,013  ,  et  distants  de  0m,04. 

Je  vous  avoue  franchement  toute  mon  ignorance  sur  la  destination 


296  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  ce  monument  curieux.  Il  me  paraît  une  énigme  dont  le  mot 
m'échappe.  Serait-ce  une  de  ces  planches  de  calcul,  dont  parle  Polybe 


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X-LDI     U    V  J   H   iiJX 


dans  un  passage  (V,  26),  où  il  compare  avec  beaucoup  d'esprit  les 
amis  des  rois  aux  cailloux  de  numération?  Ovtwç  yxp  eiav  ovtoi 
napait'kriaioi  raïç  ènt  tmv  àêaxtwv  tyriyoïç.  Exelvxi  te  yàp ,  zarà  tt,v 


LETTRE   A.   M.    LETRONNE.  297 

tov  ^y)Qpi<7avroç  $ovfo\GiV)  ôcprt  yahtovvy  xai  Trapavrtxa  râlavrov  dvvocv- 
?<xi.  Nous  ne  connaissons  rien  de  précis  sur  ces  tables,  et  s'il  faut 
croire  qu'elles  avaient  une  disposition  particulière  pour  faciliter  les 
opérations  arithmétiques ,  celle  de  notre  pierre  ne  me  paraît  point 
propre  à  cet  usage.  Ne  serait-elle  pas  plutôt  un  échiquier?  Cette 
conjecture,  qui  paraît  offrir  quelque  vraisemblance,  est  cependant  loin 
de  me  satisfaire ,  et  de  répondre  aux  difficultés  multiples  que  pré- 
sentent les  signes  tracés  sur  la  pierre. 

Nous  avons  des  notions  peu  précises  sur  ce  jeu  des  anciens  ;  d'abord 
les  grammairiens  le  confondent  souvent  avec  le  jeu  de  dés.  Ainsi,  par 
exemple,  Eust.,  Od.  I,  p.  1  397.  Ai'ôov  ètf  ov  è^éacrsvov  kyoaol...  xal 
orie^pûJVTo  ol  noîkaiol  toiai  xvSoiç.  —  Hesych.  IIsTTSta,  77  âioc  xvêcoy 
noudeicè.  — ÏÏ£TT£iaiç?  xvêoiç  j  raêXaiç.  —  UeTrevovai  ?  xuêeuouo'u 
Cependant,  ailleurs  ce  même  auteur  reconnaît  la  différence  essentielle, 
de  ces  jeux,  qui  consiste  en  ce  qu'on  jette  les  dés ,  tandis  qu'on  ne  fait 
que  mouvoir  les  pièces  de  l'échiquier.  Aia<pépei  H  izerreioc'  xvêsiaç* 
sv  y  fjLSV  yocp  rovç  xuêouç  oLVocppimovaiv ,  ev  $1  zfi  TtSTTeia  ocvrb  {a6vov 
zàg  tyriyovq  ^eraxtvoOat.  D'autres,  tels  que  Cedrenus,  Isaac  Porphy- 
rogénète  (Paralip.  Hom.  ) ,  et  Suidas,  confondent  le  jeu  d'échecs  des 
Grecs  avec  la  table  Çzocvlav,  neTrevrnpiov)  des  Egyptiens,  qui  avait 
deux  cases ,  sept  pièces  et  une  tour,  avec  des  lignes  courbes  di- 
versement tracées ,  pour  représenter  les  constellations ,  les  mou- 
vements des  astres,  la  hauteur  du  ciel  (Schol.  ad  Plat.  Phœdr. 
ap.  Eust.  ib.).  Cette  table  était  moins  faite  pour  la  récréation 
des  oisifs  (Tepirvov  àpyiaç  axoç.  Soph.  Palam.),  que  pour  la  médita- 
tion des  hommes  sérieux  (xal  où  TzaLwtvm,  àllcx.  çpiXoacxpoç  77  aiyv- 
TtTtaxYj  7T£TT£ta  léyetau  Eust.  17.  II).  Mais  aussi  Meursius  (de  Ludîs 
Grœc.  dans  Gronov.  Thés.  t.  VIT,  p.  982),  Souter  (de Âleator.,  ib. 
p.  1038),  Bulengerus  (de  Lud.  vet.  ib.,  p.  934),  qui  relèvent  cette 
erreur,  en  commettent  une  autre,  en  confondant  les  f&tàoi  avec  le 
jeu  dit  nàhç,  qui  en  était  évidemment  une  variété  bien  distincte  : 
H  $1  izokiq  elâoç  èazi  naidiàç  izzrtevxiKriç.  Zenob.  Cent.  V,  pr.  lxviii. 

Le  jeu  des  irecaol  était  fort  ancien.  Platon  (Phœdr.,  p.  274))  en 
attribue  l'invention  à  Theuth ,  le  dieu  d'Egypte  ;  mais  nous  avons  vu 
^ue  d'après  ses  schol iastes  il  entend  parler  de  la  table  astronomique  des 
Egyptiens.  Suivant  d'autres,  Palamède  les  inventa  en  Aulide  (Eurip. 
Iph.  in  Aul.  194.  —  Alcidam.  Palam.,  p.  74,  76.  — Philost.  Her. 
—  Elym.  Soph.  ad  Palam.) ,  car  ce  jeu  est  le  seul  de  cette  espèce 
dont  les  Lydiens  n'eussent  pas  réclamé  l'invention  (Hérod.,  I,  94)  : 
ïlXyjv  7r£<7crwv*  tovtgw  yàp  wv  ttjv  £^£.up£crtv  ovx  oiy.riiovvx<xi  A.vâot.  Au 


298  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

moins  est-il  certain  que  les  iteaaoi  étaient  connus  du  temps  d'Ho- 
mère, car  les  prétendants  de  Pénélope  -neavoïai  ixpoTizpoiQe  Gupawv 
0vjuwv  èrspTTov  (Hom.,  Od.  I,  107).  Athénée  (I,  17)  raconte  sur  la 
foi  d'Apion  d'Alexandrie  qui  l'avait  entendu  d'un  certain  Ctéson , 
lequel  prétendait  le  savoir  par  la  raison  très-peu  concluante  qu'il 
était  d'Ithaque,  que  ce  jeu  consistait  en  cent  huit  pièces  ou  cail- 
loux rangés  des  deux  côtés  par  cinquante-quatre.  Un  caillou  placé 
seul  dans  l'espace  intermédiaire  était  appelé  Pénélope,  et  il  s'agis- 
sait de  pousser  celui-ci  avec  son  propre  caillou  de  case  en  case  sans 
avoir  touché  les  pièces  de  ses  partenaires;  l'heureux  vainqueur  se 
flattait  d'emporter  la  véritable  Pénélope,  comme  il  l'avait  fait  de  la 
dame  du  jeu.  Cette  relation  ne  nous  apprend  sans  doute  à  connaître 
que  quelque  jeu  en  usage  à  Ithaque  du  temps  de  Ctéson. 

Le  jeu  dit  r.éhq  ou  icôfeiç  (nôleiç  7raiÇetv.  Zenob.  Prov.  cent., 
V,  67)  était  un  casier  à  pièces  de  deux  couleurs.  Le  joueur  enlevait 
la  pièce  de  son  adversaire,  lorsqu'il  avait  réussi  à  l'enfermer  entre 
deux  de  ses  propres  pièces  (UhvBtov  sari  yàpxç  iv  ypa^odç  e/ov. 
Poil.  IX,  98.  —  Plat,  de  Rep.  IV,  p.  423  et  Schol  —  Zenob.  ib.), 
ou  bien  assiégeait-il  celui-ci  de  manière  à  l'empêcher  de  faire  aucun 
mouvement?  (Plat,  ib.,  p.  487.  — Eryx,  p.  395.  —  Polyb.  I,  84). 
Ce  jeu  ne  peut  donc  pas  s'appliquer  à  notre  pierre ,  qui  n'est  pas 
divisée  en  cases. 

Mais  il  y  avait  indubitablement  une  autre  espèce  de  izeaaoi , 
distincte  de  celle-ci.  C'est  celle  que  Sophocle  (in  Nau7rAfe>  m>pxaeî, 
ap.  Hesych.)  appelait  :  ïleo-o-à  7revTaypa^«.  Pollux  (IX,  97)  les 
décrit  en  ces  mots  :  Ènziàri  àï  -tyriyoi  pév  siaiv  ol  iteaaoi,  itévre  de 
ixarepoç  iiyz  rwv  7ratÇovrwv  èn\  Ttkwzt  ypap^wy ,  eixdrwç  eïpriTcxt 
So^oxAe?* 

Kat  mvaà  7r£VTày pajxpa  xat  xûêwv  /3o).ài. 

Twv  de  izivxe  rwv  IxarépwQev  ypapptwv  piar?  ziç  riv  iepà  xalovpiévYi 
ypa.p.ph.  Kal  6  tôv  gxeîGev  .juvwv  Tiezxbv  7iapoipuav  inouï,  xiveîv  xbv 
àtf  iepccç. 


Comme  les  pièces  sont  des  cailloux,  et  que  chacun  des  deux  joueurs 
en  avait  cinq  sur  cinq  lignes ,  Sophocle  a  bien  dit  :  «  Et  des  échecs  à 
cinq  lignes ,  et  le  jet  des  dés.  »  Au  milieu  des  cinq  lignes  qui  sont  des 
deux  côtés ,  il  y  avait  une  ligne  qui  sf appelait  sacrée  ;  et  le  mouvement 
qu'on  faisait  de  la  pièce  placée  sur  cette  ligne  a  donné  lieu  au  proverbe  : 
mouvoir  la  pièce  de  la  ligne  sacrée. 


LETTRE  A   M.   LETRONNE.  299 

Pollux  paraît  vouloir  faire  entendre  que  chacun  des  joueurs  avait 
cinq  lignes  pour  son  jeu.  Tel  est  aussi  le  sens  de  ce  passage  d'Eu- 
stathe  (  Od.  I)  :  Tovç  de  keggovç  liyzi  (lirTrcova^)  tyriyovç  ehai  TtivtV 
ou'g  M  7T£vrs  ypappàv  snaiÇov  gjtaTÉpwGev,  (va  exâoroç  twv  ttettsuov- 
twv  ïyrr\  ràg  xa9'  laurov.  D'autres  s'expriment  plus  généralement; 
par  exemple,  Hésychius  :  wap*  ôVov  r.zvxzypappoCiq  eTraiÇov.  De  là, 
disent  les  grammairiens,  le  mot  Trerreia  pour  irevreia,  Trevraç. 

Il  se  présente  maintenant  la  question  de  savoir  quelle  était  la  posi- 
tion de  la  ligne  sacrée.  Ces  mots  d'Eustathe  (i&.),  empruntés  peut- 
être  à  Hipponax  lui-même  :  Uccpetdvezo  de  <pw  ât}  avzàv  xaî 
jueoTj  ypapp-h  h  iepàv  wvo^aÇov ,  pourraient  faire  croire  qu'elle 
traversait  perpendiculairement  les  autres  lignes  du  jeu.  Mais  ils  peu- 
vent également  indiquer  une  ligne  parallèle  aux  autres,  et  tracée  dans 
l'espace  qui  sépare  les  lignes  de  chaque  joueur;  de  même  que  le  àià 
(j.iaov  Ttiyoç  d'Athènes  n'indiquait  pas  la  partie  du  mur  de  la  ville , 
contenue  entre  les  deux  longs  murs  et  les  coupant  perpendiculaire- 
ment, mais  un  mur  construit  dans  le  sens  des  deux  cmélm  sur  le  ter- 
rain contenu  entre  eux  (Plat.  Gorg.,  p.  455. — Harp.  V,  AiàpeVou 
rsïXoç.—  Plut.  Pér.,  XIII,  et  glos.  Ath.  VII.  —  iEsch.  de  f.  leg., 
p.  373.  —  Andoc.  de  Pac,  p.  135).  Dans  un  autre  passage  d'Eu- 
stathe on  lit:  IIsvts  ricav  (rà  neveâ)  olç  e^pcovro,  xaî  im  névre 
ypappatç  ràq  tyriyovç  stiBow'  wv  r\  pétro  ispà  exaAsrro  ;  et,  d'après 
lui ,  sans  doute,  Y Etymologicum  Magnum  répète  :  Ék\  il  rwv  ravre 
ypapuàv  zovç  ^<pouç  èriBovv  ?  wv  -r\  pé(TY]  ypccppri  lepSc  èy.aletTo.  Ici 
encore  on  pourrait  traduire  à  la  rigueur  :  wv  r)  pion  ypappr) ,  par 
dont  la  ligne  transversale.  Mais  la  traduction  littérale  serait  :  Ils 
mettaient  les  cailloux  sur  cinq  lignes,  dont  la  mitoyenne  s'appelait  sa- 
crée; ce  qui  indiquerait  que  dans  les  cinq  lignes  dont  chaque  joueur 
disposait,  la  mitoyenne  était  la  ligne  sacrée.  Enfin  le  passage  de 
Pollux  rapporté  plus  haut  :  Twv  $1  izévxz  twv  èxarspwQev  ypa^nwv 
fjieV/3  rtç  r\v  Upà  y.akovp.êvri ,  veut  dire  ou  qu entre  les  cinq  lignes  qui 
étaient  de  chaque  côté  il  y  avait  une  ligne  mitoyenne  qui  s'appelait  la 
sacrée,  ou  que  des  cinq  lignes  qui  étaient  de  chaque  côté,  la  mitoyenne 
était  appelée  la  sacrée.  Il  me  paraît  donc  que  tous  les  témoignages 
sont  assez  unanimes  là-dessus ,  que  cette  ligne  était  parallèle  aux 
autres,  et  était  ou  la  ligne  mitoyenne  des  cinq,  ou  celle  tracée  entre 
les  cinq  de  chaque  côté.  Meursius  (Thés.  Gron.,  p.  983)  ne  me  pa- 
raît pas  être  dans  le  vrai  lorsqu'il  dit  :  A  quinta  linea,  quœ  lepx 
sacra  dicebatur. 


300  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Maintenant  si  nous  passons  à  notre  monument  pour  chercher  à  y 
appliquer  ces  notions  incomplètes,  nous  voyons  à  sa  partie  inférieure 
des  lignes  parallèles,  onze  en  nombre.  A  moins  qu'on  ne  veuille  voir 
la  ligne  sacrée  dans  la  transversale  qui  coupe  les  onze  lignes,  pourquoi 
celles-ci  ne  représenteraient-elles  pas  un  jeu  complet  avec  deux  fois 
cinq  lignes,  et  la  ligne  sacrée  au  milieu,  qui  est  aussi  marquée  d'une 
croix?  Ou  bien  encore,  dans  l'autre  supposition  que  la  sacrée  était  la 
mitoyenne  des  cinq,  on  pourrait  voir  cette  ligne  dans  la  troisième 
et  la  neuvième ,  également  marquées  d'une  croix  ;  et  ce  même  signe 
placé  sur  la  sixième  ligne  indiquerait  peut-être  qu'elle  n'est  là  que 
pour  diviser  le  jeu  des  deux  adversaires. 

Mais  alors  que  signi6ent  les  cinq  lignes  plus  courtes  qui  sont  au 
haut  de  la  pierre?  Je  n'en  sais  rien ,  et  nous  connaissons  si  peu  les 
règles  et  les  variétés  de  ce  jeu  qu'il  serait  oiseux  de  chercher  à  le 
deviner.  Hésychius  parle  d'un  syedpoç  (etpectyoç,  zaGharfiç,  rpiroç 
èvedpev(ùv).  Je  voudrais  entendre  par  ce  mot  un  troisième  joueur  qui 
attend  son  tour  pour  remplacer  celui  qui  aurait  perdu.  Cependant 
rien  n'empêche  qu'il  n'eût  aussi  quelquefois  un  rôle  actif  dans  le  jeu, 
et  que  ce  ne  fût  là  sa  place.  Aristaenète  donne  à  l'un  des  personnages 
de  ses  lettres  (1. 1,  ép.  xxin)  le  nom  de  Movo^wpoç,  emprunté  évi- 
demment aux  jeux  de  hasard,  comme  celui  de  son  correspondant 
QikoxvÇoç.  Ne  serait-il  pas  permis  de  croire  qu'on  le  donnait  à  ce 
joueur,  qui  avait  sa  place  à  l'écart  ?  Les  commentateurs,  remarquant 
sans  doute  que  ce  ^ovô-/Mpoç  est  un  joueur  malheureux,  veulent 
entendre  par  ce  mot  celui  qui  reste  avec  une  seule  pièce  sur  une  seule 
case  (Roi  dépouillé,  en  langue  d'échecs),  et  j'avoue  que  cette  expli- 
cation me  paraît  plus  probable  ;  car  x^Pat  étaient  sans  contredit  les 
cases. 

Il  y  aurait  peut-être  encore  une  manière  d'expliquer  ces  lignes ,  et 
c'est  celle  qui  me  paraît  le  moins  invraisemblable.  Chacune  des  extré- 
mités de  la  pierre  représenterait  le  jeu  de  l'un  des  deux  adversaires, 
et  les  lignes  superflues  de  l'extrémité  inférieure  n'offriraient  qu'un 
moyen  de  varier  et  de  régler  la  valeur  de  l'enjeu,  qui  augmenterait  ou 
diminuerait  selon  qu'on  aurait  pris  dans  les  onze  lignes  les  cinq  pre- 
mières, les  cinq  du  milieu,  ouïes  cinq  dernières.  Dans  cette  hypo- 
thèse la  ligne  sacrée  serait  la  mitoyenne  des  cinq ,  et  elle  est  marquée 
d'une  croix  pour  les  trois  circonstances.  On  comprend  aisément  que 
les  lignes  opposées  n'avaient  pas  besoin  d'être  aussi  multiples ,  car 
elles  acquéraient  la  valeur  donnée  au  jeu  moyennant  le  choix  qu'on 
avait  fait  du  système  des  lignes  inférieures.  Aussi  n'y  avait-il  aucun 


LETTRE    A    M.    LETRONNE.  301 


besoin  d'y  marquer  la  mitoyenne,   car  elle  était  ici  facile  à  dis- 


tinguer. 


Je  ne  dois  cependant  pas  passer  sous  silence  une  autre  dénomina- 
tion de  jeu  qu'on  trouve  dans  les  anciens  auteurs ,  et  qui  paraît  avoir 
quelque  rapport  avec  notre  pierre  :  c'est  le  ^aypappapioç  ou  ypap- 
pai.  Pollux  (IX,  99)  ,  dit  :  èyyvç  dé  èori  rauryj  ryj  itoudia  (ty)  tt£T- 
ret'a)  xal  6  diocypa[jL[u(T[xbç  xa*  tq  ^taypa/utpÇeiv ,  rivrivoc  izoudiàv  koli 
ypappàç' àvoiiakoV'  Eustache  (//.  VI),  la  décrit  plus  au  long  : 
T-oLiàiocnq  6  $iaypapfju<3Y/.oV  èyivero  $é7  yaciv ,  avrn  ,  xuêsiaç.  ovea. 
zlâoç  âtà  twv  sv  nlivBloiç  ^çpwv  (sv  y&pociq  IXxoptsvcov  ,  Hésych.) 
é&fîxovra,  Asuxwv  T£  ûfyia  xai  pelaivàv .  Si  cette  description  est  juste, 
le  diaypapii.iap6ç  était  plutôt  un  jeu  de  dés,  ou  au  moins,  et  malgré 
son  nom ,  un  jeu  approchant  les  mizda  de  l'espèce  dite  Tzokziç. 

Les  chiffres  inscrits  sur  les  trois  côtés  de  la  pierre  ne  sont  pas  moins 
extraordinaires.  Ils  ont  sans  doute  rapport  à  la  manière  dont  le  jeu 
était  joué ,  et  à  ses  règles  particulières.  Mais  sur  ce  point  aussi  les 
anciens  nous  laissent  dans  une  complète  ignorance.  Philostrate 
(  Heroic.  )  nous  dit  que  c'était  un  jeu  très-ingénieux  :  Où  pâQvpLog 
Koudid,  àlX  ày^ivovg  xai  àVw  Gitovdijç.  Euripide  [lph.  in  Aul.)  le 
dit  très-compliqué  :  Êm  Qomoïç  tzKjgîùv  -hiïopivovc,  popçûKçiroAu7rXoxoiç. 
Le  scholiaste  de  Théocrite  dit  que  la  pièce  placée  sur  la  ligne  sacrée 
s'appelait  le  Roi^rov  outw  $ot.aikia.  Koùovpevov) ,  et  il  s'accorde  avec 
tous  les  autres  à  dire  qu'on  ne  la  déplaçait  qu'à  la  dernière  extrémité  ; 
ce  qui  donna  naissance  au  proverbe  :  Kiveïv  zbv  à<p'  i£pâç ,  pour  ceux 
qui  ont  recours  à  leur  dernière  ressource.  Eust.  Od.  I  :  ÂAxaloç  ai 
(pyjaiv  £z  lùwpovq  «  vOv  à9  ovxoq  67rixpexei  xivvfaaç  xbv  Tidpotq  (1.  àtf 
Upàq")  ttuxivov  liBov.  » 

Ce  peu  de  détails  n'est  pas  suffisant  pour  expliquer  la  nature  et 
l'application  des  caractères  qu'on  voit  sur  la  pierre  :  ce  sont  des 
chiffres  numériques  du  système  décimal.  Ceux  du  côté  gauche  sont 
les  mêmes  que  ceux  du  côté  inférieur.  Ils  représentent  le  nombre  de 
1,666  drachmes  et  1  7  oboles  ;  et,  ce  qui  doit  paraître  très-étonnant , 
après  la  désignation  des  oboles ,  suivent  deux  chiffres  qui  indiquent 
1  talent  et  1,000  drachmes,  ou  7,000  drachmes.  Les  chiffres  du  côté 
droit  présentent  le  même  nombre,  précédé  de  1  talent  et  5,000  dr. 
ou  de  11,000  dr.  ;  ces  chiffres  représentent  donc  le  nombre  de 
12,666  dr.  et  1  T  oboles,  et  puis  7,000  dr.  Pourquoi  ce  nombre  de 
1,666  dr.  1  7  ob.  qui  se  retrouve  sur  les  trois  côtés?  Est-ce  une 
somme  de  10,000  dr.  divisée  en  six,  ou  une  somme  de  5,000  dr. 
divisée  en  trois,  et  pourquoi?  D'ailleurs  les  oboles  ne  donnent  pas 


302  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

un  dividende  exact.  Ensuite  pourquoi  les  talents  ne  précèdent-ils 
pas  les  chiffres  moindres,  et  les  milliers  ne  figurent-ils  pas  ensemble? 
et  qu'est-ce  enfin  que  cette  similitude  du  nombre  du  côté  droit  avec 
les  deux  autres,  dont  il  ne  diffère  que  par  les  deux  premiers  chiffres? 
Cette  observation  me  porte  à  penser  que  ces  nombres  ne  sont  pas 
le  produit  d'un  calcul,  mais  bien  le  résultat  de  l'assemblage  de  chiffres 
indépendants  les  uns  des  autres.  Ce  qui  me  confirme  dans  cette  idée , 
c'est  que  ces  nombres  sont  composés  de  chiffres  du  système  décimal, 
décroissant  régulièrement  depuis  T  (  1  talent)  au  côté  droit ,  et  depuis 
X  (1,000  drachmes)  aux  deux  autres  côtés,  jusqu'à  C  (un  j  obole), 
avec  addition  de  deux  autres  chiffres  à  la  fin.  Ainsi  le  seconde  chiffre 
au  côté  droit  est  F  ,  qui  dans  le  système  décimal  de  numération  est 
le  plus  grand  existant  après  T;  le  troisième  estX,  qui  est  le  plus 
grand  chiffre  après  fî  ,  et  ainsi  des  autres  jusqu'à  Cqui  est  le  plus 
petit  chiffre  exprimant  une  valeur  monétaire.  Une  autre  circonstance 
digne  d'attention  est  que  le  nombre  des  chiffres  du  côté  inférieur  et 
du  côté  gauche  est  de  1 1 ,  comme  celui  des  grandes  lignes. 

De  toutes  ces  remarques  on  pourrait  peut-être  inférer  que  chacun 
de  ces  chiffres  correspond  à  l'une  des  lignes  du  côté  inférieur,  X  à  la 
première ,  P*  à  la  seconde  et  ainsi  de  suite.  D'après  la  dernière  des 
conjectures  que  j'ai  proposées  plus  haut  sur  l'emploi  des  lignes,  cette 
pierre  se  prêterait  à  trois  jeux  de  différente  force.  Dans  le  premier 
les  cinq  lignes  (de  1-5)  auraient  les  valeurs  suivantes  :  1,000  dr., 
500  dr.,  100  dr.,  50  dr.,  10  dr.  Dans  le  second,  qui  serait  le  plus 
petit  des  trois,  les  lignes  (de  4-8)  auraient  la  valeur  de  50  dr., 
10  dr.,  5  dr.,  1  dr.,  1  ob.  Dans  le  troisième ,  le  plus  grand  des  trois , 
les  lignes  (de  7-11)  auraient  la  valeur  de  1  dr.,  1  ob.,  \  ob.,  1  talent, 
1,000  dr.  Le  second  de  ces  jeux  serait  le  plus  ordinaire ,  celui  de  tous 
les  jours  ;  le  premier  serait  celui  des  grands  joueurs  ;  le  troisième 
enfin ,  le  plus  intéressant  des  trois ,  celui  qui  offrait  les  chances  les 
plus  extrêmes ,  où  l'on  pouvait  gagner  un  talent,  ou  perdre  un  demi- 
obole. 

Il  y  aurait  enfin  un  jeu  plus  fort  encore ,  celui  qui  est  indiqué  par 
les  chiffres  du  côté  droit;  les  cinq  premières  lignes  auraient  d'après 
ces  chiffres  la  valeur  de  6,000  dr.,  5,000  dr.,  1,000  dr.,  500  dr.  et 
100  dr.  Les  cinq  secondes  de  500 ,  1 00 ,  50 ,  1 0  et  5  dr. ;  et  les  cinq 
dernières  comme  dans  les  jeux  ci-dessus.  La  répétition  des  mêmes 
chiffres  au  côté  gauche  et  au  côté  inférieur  n'a,  je  crois,  aucune 
raison  particulière,  excepté  la  facilité  qu'elle  offrait  aux  joueurs  qui 
les  consultaient.  Il  faut  supposer  que  les  lignes  de  l'autre  partenaire 


LETTRE   A   M.    LETRONNE.  303 

acquéraient  toujours  la  valeur  de  celles  sur  lesquelles  jouait  celui 
qui  était  à  l'extrémité  inférieure  de  la  pierre.  La  valeur  de  l'en- 
jeu pourrait  paraître  exorbitante.  Mais  peut-être  n'était-ce  qu'une 
seule  ligne  qui  gagnait ,  et  alors  la  plus  forte  perte  serait  de  6,000  dr. 
Nous  connaissons  une  partie  jouée  pour  1 ,000  dariques  d'or  (xaî  ro 
XpvŒiov  àr.i$(ùY.e.  Plut.  Artax.  17),  ou  20,000  drachmes.  Il  est  vrai 
que  les  joueurs  étaient  le  grand  roi  et  sa  mère.  Mais  les  jeunes  Athé- 
niens pour  être  des  républicains  n'en  dépensaient  pas  moins  de  grandes 
fortunes  en  jeux  et  en  débauches.  Témoin  Alcibiade ,  son  beau-frère 
Callias,  et  tant  d'autres. 

Que  la  table  eût  été  faite  en  marbre  comme  pour  braver  les  siècles , 
rie  doit  pas  étonner,  si  on  la  suppose  placée  dans  un  lieu  public ,  et 
destinée  à  l'usage  journalier  de  toute  la  ville.  Polémon,  cité  par  Eu- 
stath.  (Od.  I),  a  conservé  le  souvenir  d'une  table  de  jeu,  en  pierre, 
conservée  à  Ilium,  et  d'une  autre  existant  à  Argos  (Àe'yei  âï  kou  ev 
[xlv  lllod  deUvvaQat  ItQov  eçp'  ov  iitiaGsvov  A%ouoi  ?  e'v  $1  Apyei  tov 
Aeyoaevov  IlaAap^ouç  izeaeàv.  (Voy.  aussi  Eust.  II.  II.)  Cette  pierre 
peut  enfin  avoir  été  placée  dans  un  temple,  car  on  nous  dit  que  les 
anciens  s'assemblaient  souvent  dans  les  temples  pour  se  livrer  aux 
jeux  des  dés  et  des  échecs ,  et  que  c'est  du  temple  de  Minerve  Sciras , 
qu'une  espèce  de  ces  jeux  a  reçu  le  nom  de  o-xipacpeta.  (  Eust. 
Od.  I,  107):  Ot  (AÔyîvalot)  xa!  ev  iepoïq  àôpoiÇopievoi  èxuêeuov,  xaî 
piaAtoTa  e'v  tco  tvjç  Hxipddoç  AQyjvàç  rco  km  Sxtpcj)  ?  àcp'  ou  xal  toc 
alloc  xv^evr/ipia  crxtpacpeta  wvopiaÇovTo.  (Voyez  aussi  Etym,  M, — 
Harpocr.  — -  Suid.  —  Hésych.  —  Stéph.  ^(poq).  L'endroit  nommé 
Sciron  était,  d'après  Pausanias  (I,  36),  sur  le  chemin  d'Athènes  à 
Eleusis.  Il  reçut  ce  nom  d'un  héros  qui  y  aurait  été  enterré ,  et  qui 
avait  bâti  aussi  le  temple  de  Minerve  Sciras ,  près  du  Phalère.  Eu- 
stathe  nomme  aussi  ZyJpov,  l'endroit  où  s'élevait  le  temple.  Mais 
d'après  Strabon  (IX,  p.  393,  d),  Minerve  Sciras  et  l'endroit  de 
l'Attique  dit  Sciron,  et  le  mois  scirophorion  reçurent  leur  nom  d'un 
héros  salaminien ,  d'après  lequel  l'île  elle-même  était  anciennement 
nommée  Exipaç.  D'après  ce  qui  précède  ne  serait-on  pas  autorisé  à 
rattacher  le  jeu  des  wApayua-  à  l'île  de  Salamine ,  ou  au  moins  à 
penser  que  les  Salaminiens  pourraient  s'en  attribuer  l'invention  ?  Et 
dans  ce  cas,  quoi  de  plus  naturel  que  de  retrouver  dans  un  temple 
de  cette  île  un  monument  représentant  ce  jeu  indigène,  comme  pour 
témoigner  de  cette  réclamation? 


304  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Ce  sont  là ,  monsieur,  des  conjectures  qui  ont  bien  peu  de  fonde- 
ment ,  je  le  sais.  Mais  aussi  j'avoue  qu'à  mes  yeux  la  pierre  offre  très- 
pçu  de  prise  à  des  suppositions  très-fondées.  C'est  pourquoi  j'attends 
avec  la  plus  grande  impatience  votre  opinion  éclairée  à  ce  sujet  pour 
en  faire  la  mienne ,  vous  priant  d'agréer  l'expression  de  la  haute 
estime  avec  laquelle  j'ai  l'honneur  d'être 

Votre  très-humble  et  très-obéissant  serviteur, 


A.  R.  Rangabé. 


NOTE 

SUR 

L'ÉCHELLE  NUMÉRIQUE  D'UN  ABACUS  ATHÉNIEN, 

KT 

SUR   LA   DIVISION   DE   LOBOLE   ATTIQDE. 


Les  deux  monuments  que  M.  Rangabé  vient  de  nous  faire  con- 
naître sont  au  nombre  des  plus  intéressants  que  la  Revue  Archéolo- 
gique ait  publiés  jusqu'ici.  L'un  et  l'autre,  uniques  en  leur  espèce, 
présentent  des  difficultés  bien  propres  à  piquer  la  curiosité,  et  à 
exercer  la  sagacité  des  archéologues.  Le  premier,  malgré  les  ingé- 
nieuses explications  du  docte  interprète,  reste  peut-être  encore  à 
expliquer,  comme  il  le  reconnaît  lui-même. 

Mais,  pour  le  moment,  je  ne  trouve  rien  de  mieux  à  dire  que  ce 
qu'il  a  dit. 

Je  vois  un  peu  plus  clair  dans  le  second  monument,  sur  lequel 
M.  Rangabé  appelle  spécialement  mon  attention.  Je  ne  pense  pas 
que  ce  soit  un  échiquier,  ni  un  appareil  pour  jouer  aux  dés.  Les  ob- 
servations de  ce  savant  helléniste  sur  le  ksttslx  et  le  xuêsi'a  des  an- 
ciens sont  éruditeset  curieuses;  mais  elles  me  paraissent  peu  appli- 
cables à  notre  monument.  Pour  ma  part,  je  regrette  qu'il  ait  renoncé 
à  sa  première  idée,  qui  était  de  voir  là  une  table  ou  planche  à  cal- 
cul, autrement  dit  un  abacus.  Le  docte  interprète  n'aurait  peut- 
être  pas  si  vite  abandonné  sa  première  conjecture,  s'il  n'avait 
pas  méconnu  ,  jusqu'à  un  certain  point,  la  nature  des  séries  nu- 
mériques inscrites  sur  le  monument. 

Ces  trois  séries  sont  rangées  sur  trois  côtés  de  la  table  de  marbre, 
et  disposées  évidemment  de  manière  qu'on  pût  toujours  facilement 
lire  chacune  d'elles ,  de  quelque  côté  qu'on  tournât  la  table. 

Ces  trois  séries  sont  composées  des  mêmes  lettres  numériques 
qui  se  suivent  dans  le  même  ordre;  F*  (500),  H  (100),  p  (50), 
A  (10),  n  (5),  h  (l  drachme),  |  (1  obole),  C  (7),  puis  les  deux 
lettres  T  X  dont  M.  Rangabé  n'a  pas  deviné  la  valeur.  La  série  de 
droite  offre  en  tête  deux  lettres  de  plus  que  les  deux  autres,  T  (l  ta- 
lent ou  6000  drachmes)  et  F1  (5,000).  Ces  deux  lettres  additionnées 
vaudraient  11,000,  comme  l'a  dit  M.  Rangabé. 

III.  20 


306  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Mais  il  faut  se  garder  d'additionner  tous  ces  chiffres,  ni  d'en  tirer 
les  sommes  de  12;666  drachmes  ou  1,666  drachmes  1  obole  J-. 
Car  ils  expriment  un  ordre  de  quantités  qui  doivent  être  prises  sé- 
parément; et  ils  répondent  probablement  aux  lignes  tracées  au 
milieu.  C'est  une  échelle  numérique,  qui,  dans  deux  séries,  com- 
mence au  chiffre 500;  et  dans  la  troisième,  autalent  (6,000);  toutes 
les  trois  finissent  au  chalque  (monnaie  de  cuivre),  c'est-à-dire 
qu'elles  vont  se  terminer  à  la  plus  faible  unité  de  l'échelle  monétaire. 
Car  il  s'agit  bien  ici  de  quantités  monétaires  et  pas  d'autre  chose. 

La  preuve  se  tire  d'abord  de  la  lettre  T  (en  tête  de  la  troisième 
échelle),  sigle  du  mot  raAovtov  =6,000  drachmes-,  ensuite,  de  la 
figure  f-  qui  est  la  sigle  connue  de  la  drachme;  et  enfin,  de  la  dernière 
lettre,  X .  qui  est  la  sigle  du  mot  ^«Ay.oû^  ;  voilà  ce  que  n'a  pas  vu 
M.  Rangabé  ;  et  c'est  ce  qui  l'a  empêché  de  comprendre  la  sigle  T  qui 
précède  le  X  de  la  fin. 

Mais  il  a  très-bien  vu  que  | ,  après  f- ,  indiquait  Yobole,  ou  *  de  la 
drachme;  c'est  en  effet  ainsi  qu'on  l'exprimait  (1);  il  a  reconnu  de 
même  que  C  indique  la  demi-obole.  S'il  avait  poussé  plus  loin  son 
analyse,  il  aurait  deviné  que  T  signifie  rphov,  T,  que  la  dernière 
lettre  X  est  l'initiale  de  x«**oûs»  l'unité  de  la  monnaie  de  cuivre,  et 
qu'ainsi  nous  avons  les  subdivisions  de  l'obole  en  six  chalques ,  au 
moyen  des  six  fractions  : 

I  ou  3  chalques  , 
T  ou  2  chalques, 
1  chalque, 

En  tout  6  chalques. 

L'obolé  est  donc  ici  décomposée  en  nombres  fractionnaires,  ayant 
toujours  1  au  numérateur,  selon  l'usage  grec  :  et  c'est  ainsi,  par 
exemple,  que,  dans  la  géographie  de  Ptolémée,  les  degrés  sont  divi- 
sés, non  en  minutes,  mais  en  fractions  du  degré,  ayant  l'unité  pour 
numérateur  comme  : 


^ 

y'   le 

1     X  ! 

1 1    -— " 

55'. 

^ 

/, 

7  - 

= 

50'. 

4C 

**, 

7   - 

= 

45'. 

& 

<'. 

7 

ï          r=- 

40' (2), 

etc. 

[\)  Voy.  me»  Nouv*  observ.  sur  les  noms  des  vases  ,  dans  le  Joum.  des  Sav. 
1S37  ,  p.  750  etsuiv. 

(2) Pourtant,  celte  fraction  -• de  degré,  par  une  exception  unique,  est  exprimée 
ainsi  yo. 


note  sur  l'échelle  numérique.  307 

Ceci  n'est  pas  sans  importance  pour  éclaircir  un  point  du  système 
monétaire  athénien  qui  n'est  pas  encore  fixé.  La  drachme,  l'unité 
monétaire  d'argent,  se  divisait  en  6  oboles;  cela  est  constant.  L'obole 
était,  à  son  tour*  divisée  en  chalques  ;  mais  en  combien  ?  Naturelle- 
ment on  devait  croire  qu'il  y  en  avait  six,  autant  que  d'oboles  à  la 
drachme.  Mais  ici ,  il  y  a  dissidence  entre  les  autorités. 

Heron-Didyme  et  Cléopâtre ,  auteurs  d'époque  fort  récente ,  don- 
nent la  drachme  divisée  en  8  chalques  ;  d'autres  même ,  comme  Pline, 
en  10  (l).  On  peut,  en  bonne  critique,  douter  que  cette  division 
appartienne  réellement  à  l'antiquité  attique;  et  croire  qu'elle  est  due 
aux  métrologues  de  l'époque  romaine,  qui  auront  confondu  les  usages 
de  divers  peuples  grecs ,  lesquels  ne  divisaient  pas  tous  l'obole  de  la 
même  manière;  ainsi  les  Delphiens,  par  exemple,  la  partageaient  au 
moins  en  dix  chalques;  ce  qui  résulte  du  passage  d'une  inscription 
delphique...  oiïelév  (6&olo*)9  riptédelov  (  yj/uuoêoAiov  ) ,  ^aXîteous 
TeTTopaç ,  obole,  \  obole,  quatre  chalques  (2).  Commeil  faut  que  quatre 
chalques  soient  au-dessous  de  Xhémiobole,  celui-ci  était  au  moins 
de  cinq  chalques  ;  cinq  et  quatre  donnent  les  -^  de  l'obole  (3). 

D'un  autre  côté,  Suidas  dit  expressément  que  l'obole  était  divisée , 
chez  les  Athéniens,  en  six  chalques:  OêoAoç  de  rcap'  ÀQyvcu'oiç  e%  eort 
Xatawv  (4).  Ce  qu'il  répète  sur  l'autorité  de  Diodore,  ancien  mé- 
trologue  :  Ô  $£  tâoloç  ç  ^«A/.wv  («g  fqfa  Aïo&opoç  sv  tw  ittpi 
2Toc0p.<av   (5). 

Cette  dissidence ,  sur  laquelle  les  meilleurs  critiques  n'avaient  pu 
prendre  un  parti,  doit  maintenant  cesser,  d'après  l'autorité  de  notre 
monument.  Il  est  certain  que  l'obole  était  divisée  en  six  chalques , 
chez  les  Athéniens ,  comme  l'a  dit  Suidas  5  et  qu'ainsi  Yobok  (  ce 
qu'on  pouvait  présumer  d'avance)  était  soumise  à  la  même  division 
que  la  drachme. 

Or,  la  présence  du  mot  %tfaw%  à  la  fin  de  nos  échelles  numé- 
riques achève  de  montrer  qu'elles  sont  monétaires,  descendant  de 
l'unité  la  plus  forte  à  la  plus  faible;  et  c'est  ici  que  le  beau  pas- 
sage de  Polybe,  cité  par  M.  Rangabé  (p.  296  en  bas),  trouve  son 
application  ;  «  Les  favoris  des  rois  sont  comme  les  cailloux  de  Yaba- 
«  eus ,  car,  à  la  volonté  du  calculateur,  ceux  qui  valaient  tout  à 

(1)  Bœckh,  Melrolog.  Untersuch.  S.  32. 

(2)  Id.,  ad  Corp,  Ingcr.,  p.  818,  çol.  2. 

(3)  roce'OZoXài,  p.  2640. 

(4)  Voce  Ti/avTov  ,  p.  3488, 

(5)  Le  Schol.  d'Homère  [lliad.  E',«v.  576,  éd.  Bekker),  citant  ce  même  Dio- 
dore ,  divise  l'obole  en  8  chalques. 


308  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  l'heure  un  chalque,  un  instant  après,  valent  un  talent.  »  Nous  voyons 
également  ici  les  deux  extrémités  de  l'échelle,  le  talent  et  le  chalque. 
Je  me  suis  demandé  pourquoi ,  dans  l'échelle  de  droite ,  après  le 
talent  T,  venait  immédiatement  le  chiffre  F,  5,000,  puis  le  chiffre 
X,  1,000.  Entre  le  talent  de  60  mines  ou  de  6,000  drachmes  et  le 
nombre  1,000,  il  devrait  y  avoir  des  chiffres  intermédiaires,  divisant 
le  talent  en  nombres  plus  réguliers,  tels  que  4,000,  3,000  et  2,000 
donnant  T ,  7  et  7  de  talent.  Je  crois  en  trouver  la  raison  dans  la 
symétrie  de  ces  nombres,  qui  se  divisent  alternativement  par  5  et  2. 
Ainsi,  après  le  talent,  nous  avons  : 

|*  =  5,000 


X  = 

1,000 

p*  = 

500 

H  = 

100 

JH     « 

50 

A  = 

10 

n  = 

5 

h  = 

1, 

C'est  donc  un  abacus  attique  que  cette  table ,  et  probablement  à 
l'usage  de  quelque  banquier  ou  rpomeÇirinç ,  qui  s'en  servait  pour 
compter  les  sommes  d'argent. 

Quant  à  la  manière  de  s'en  servir,  je  ne  la  vois  pas  clairement. 
Les  onze  lignes  à  la  partie  inférieure,  ou  plutôt  les  dix  intervalles, 
ainsi  que  les  cinq  lignes  ouïes  quatre  intervalles  du  haut,  étaient  cer- 
tainement employés  à  cet  usage. 

On  peut  présumer  que  ces  quatre  intervalles  servaient  pour  les 
fractions  de  la  drachme  I  C  T  X ,  1  777. 

Je  ne  puis  en  ce  moment  pousser  plus  loin  l'étude  de  ce  monu- 
ment. Mais  ce  que  j'ai  dit  me  paraît  suffire  pour  en  établir  le  vrai 
caractère ,  et  mettre  sur  la  voie  d'une  explication  plus  complète. 

Ce  qui  me  paraît  certain ,  c'est  que  nous  avons  là  un  abacus  attique, 
d'une  époque  peut-être  antérieure  à  l'archontat  d'Euclide.  C'est  le 
plus  ancien  que  l'on  connaisse  ;  et  il  serait  fort  intéressant  de  le  com- 
parer avec  les  abacus  romains,  pour  déterminer  ce  que  ceux-ci 
doivent,  sous  ce  rapport,  à  Yabacus  romain.  J'espère  que  notre 
savant  collaborateur,  M.  Vincent ,  si  versé  en  cette  matière ,  voudra 
bien  prendre  cette  peine.  C'est  un  service  qu'il  rendrait  aux  lecteurs 
de  la  Revue ,  et ,  en  particulier,  à  l'auteur  de  cette  note. 

Letronne. 


ARGUS    BIFRONS 


II  est  à  regretter  que  M.  Panofka  n'ait  point  eu  connaissance  des 
deux  vases  que  nous  publions.  Leur  place  était  marquée  parmi  les 
monuments  qu'il  a  recueillis  dans  son  intéressante  monographie  sur  le 
mythe  d'Argus  (l).  Ils  lui  auraient  fourni  l'occasion  de  développer 
quelques-unes  des  théories  ingénieuses  dont  cet  archéologue  émi- 
nent  a  si  souvent  enrichi  la  science. 

L'un  de  ces  vases  (-2)  est  un  oxybaphou  à  figures  rouges  prove- 
nant de  Ruvo.  Nous  l'avons  trouvé  à  Naples  au  mois  de  mai  de  l'an- 
née dernière,  chez  M.  Raphaële  Barone,  dont  le  magasin  d'antiquités 
est  si  connu  des  archéologues  qui  voyagent  en  Italie.  L'autre  est 


une  amphore  archaïque  à  figures  noires ,  découverte  à  Bomarzo ,  près 


(1)  Arços  Panoptes ,  eine  Archœologisch.  Abhandlung.  Berhn,  1830,  in-4. 

(2)  M.  Minervini  a  donné  une  nolice  sur  ce  vase  accompagnée  d'un  dessin ,  dans 
le  Bulletin  napolitain  du  mois  de  juin  1845.  Nous  regrettons  de  n'avoir  pas  eu 
connaissance  de  ce  travail,  qui  malheureusement  reste  inédit  pour  les  archéologues 
du  Nord ,  la  difficulté  de  se  procurer  le  curieux  journal  que  nous  venons  de  citer 
étant  extrême. 


310  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  Viterbe,  et  qui  faisait  partie,  à  la  même  époque, de  la  riche  col 
lection  de  M.  Bassegio ,  à  Rome  (3). 


Un  Argus  bifrons  nous  paraît  une  importante  nouveauté  archéo- 
logique, car  notre  indigence  est  grande  à  l'égard  des  représentations 
de  ce  personnage.  Un  vase  de  la  collection  de  M.  Hope  (4) ,  une 
pierre  gravée  du  musée  de  Berlin  (5),  tels  sont,  du  moins  à  notre 
connaissance,  les  seuls  monuments  qui  montrent  Mercure  prêt  à 
frapper  ou  venant  de  frapper  Argus  d'un  coup  mortel.  Tous  les 
autres  se  bornent  à  reproduire  les  scènes  qui  précèdent  cette  san- 
glante péripétie  (6),  ou  bien  transportent  le  spectateur  sur  le  terrain 


(3)  Le  revers  de  notre  amphore  représente  Hercule  et  Iole  combattant  contre 
trois  guerriers.  M.  Emile  Braun,  dans  le  Bulletin  archéologique  de  1839,  1.  XXI, 
indique  une  amphore  archaïque  dont  la  face  principale  est  parfaitement  semblable 
à  la  nôtre;  mais  le  revers  représente  Hercule  et  le  lion  de  Némée.  De  plus  ce  vase 
aurait  été  découvert  à  Ponte  dell,  Abadia,  sur  le  territoire  de  Canino.  Or,  nous 
croyons  être  sûr  de  la  provenance  du  nôtre  ,  qui  nous  a  été  indiquée  par  M.  Basse- 
gio lui-même. 

(4)  Argos  Panoptes,  tafel  III,  n°  2.  Cf.  Pan ofka ,  Annal.  IV,  1.  365.  Bronsted, 
a  brie f  Description  of  thirly  two  greek  vases,  n°  I.  Cf.  de  Witte,  Calai.  Durand, 
n°  318  ,  Gerhard,  Auserlesene  f^asenbilder  zweiler  Iheil,  s.  118,  taf.  CXVI. 

(5)  Argos  Panoptes,  tafel  III ,  n°  1. 

(6)  Une  améthyste  de  la  galerie  de  Florence  ,  une  pâte  de  verre  de  la  collection 
de  Slosh  nous  montrent  Argus  surveillant  la  vache  Io  (Argos  Panoptes,  tafel.  1  , 
n°*  2,  ■)).  Une  peinture  de  Pompéi  représente  Mercure  ofTrant  la  syrini  à  Argus  eu 
présence  d'Io  (Idem,  tafel  II,  n*  t  .  Sur  une  autre  peinture  de  Pompéi  on  voit 
Io  ayant  auprès  d'elle  Epaphus  selon  les  antiquaires  napolitains,  et  le  héros  Argus 
suivant  M.  Pauofka  ,Ibid.  taf.  I,  nJ  6  .  Un  vase  augures  rouges,  signalé  dans  le  Bulle- 
tin de  l'institut  archéologique,  année  1836,  p.  171,  représente  la  prêtresse  de  Junon 


ARGUS  BIFRONS.  311 

des  allusions  mythologiques  (7).  Il  est  fort  heureux  que  les  vases  de 
Ruvo  et  de  Bomarzo  soient  venus  combler  cette  lacune. 

Le  vase  de  Ruvo  porte  les  caractères  de  la  décadence  de  cette 
école.  On  retrouve,  dans  cette  peinture,  du  mouvement,  delà  vérité, 
mais  le  dessin  en  est  lourd  et  négligé.  La  composition  est  très-simple; 
elle  se  réduit  à  trois  figures;  mais  elle  est  bien  plus  intéressante 
que  celle  du  vase  de  M.  Hope,  où  le  Démos  de  Némée  (8),  selon  les 
uns,  le  fleuve  Astérius,  selon-  les  autres  (9),  remplace,  on  ne  sait 
pourquoi,  Io,  dont  la  présence  est  si  nécessaire  à  l'action.  Au  centre 
on  voit  Argus  couvert  d'une  peau  de  chèvre.  D'une  main  il  cherche  à 
retenir  Io,  qui  veut  s'enfuir,  et  de  l'autre  il  se  défend  avec  une  mas- 
sue (10)  contre  les  attaques  de  Mercure.  Le  corps  d'Argus  Panoptes 
est  couvert  d'yeux.  Nous  ne  parlerons  point  de  la  double  tête  que  lui 
a  donnée  l'artiste,  dont  l'une  est  imberbe  et  l'autre  barbue  et  que  re- 
couvre le  pétase  des  bergers.  Nous  reviendrons  plus  bas  sur  cette 
particularité,  qui  fait  le  principal  objet  de  cet  article. 

Mercure  est  barbu;  un  casque  recouvre  sa  tête,  une  tunique, 
qu'une  étroite  ceinture  assujettit  autour  de  la  taille,  descend  jusqu'aux 
genoux.  La  chlamydequi  recouvre  ses  épaules  est  attachée  autour  du 
cou  par  une  large  fibule  ;  il  a  des  brodequins  pour  chaussure.  Le  dieu 
s'est  emparé  du  bras  d'Argus  et  le  serre  d'un  poignet  vigoureux.  De 
l'autre  main  il  tient  un  large  glaive  et,  à  voir  la  façon  énergique  dont 
il  le  manie,  on  reconnaît  sans  peine  que  les  destinées  d'Argus  vont 
s'accomplir.  L'aspect  de  ce  Mercure  ne  rappelle  en  rien  le  svelte , 
le  rusé  messager  des  dieux;  il  nous  ferait  songer  plutôt  aux  lourds, 
mais  invincibles  soldats  romains  qui  figurent  sur  la  colonne  Trajane. 

gardée  par  Argus.  Hermès  assiste  à  cette  scène.  Sur  une  amphore  de  la  collection 
de  Munich,  figures  noires  sur  un  fond  rouge,  Argus,  assis  par  terre,  retient  la 
vache  Io  par  une  corde  que  Mercure  essaye  de  délier.  Argos  Panoptes,  tafel  V. 

(7)  Deux  bydries  d'Anzi,  dans  la  Luccnie,  qui  ont  éveillé  l'intérêt  des  archéo- 
logues, et  un  superbe  cratère  de  Ruvo  faisant  partie  de  la  collection  de  ma- 
dame Jalta  à  Naples,  reproduisent  la  fable  d'Io  et  d'Argus,  avec  des  circonstances 
qui  la  séparent  presque  totalement  de  la  tradition  populaire.  La  scène  représentée 
sur  les  deux  hydries  est  la  même,  sauf  quelques  différences  très-peu  importantes. 
On  a  cru  pouvoir  reconnaître  dans  ce  sujet  l'union  de  Jupiter  et  d'Io  (Lenormant 
et  de  Witte,  Élite  des  monuments  céramographiques ,  pi.  XXV  et  XXVI,  p.  51). 
Sur  le  cratère  de  Ruvo,  fort  bien  expliqué  par  un  savant  antiquaire  napolitain 
(M.  Gargallo),  Io  et  Argus  paraissent  accompagnés  de  quelques  divinités  de  la  mer 
{Annales  de  Vlnstit.  archéolog.,  t.  X,  p.  253,  pi.  LIX). 

(8)  Panofka,  Argos  Panoptes,  s.  16. 

(9)  De  Witte,  Catalog.  Durand,  n°  318. 

(10}  Argus  est  armé  d'une  massue,  sur  l'un  des  vases  d'Anzi  cités  plus  haut. 
Cf.  Elite  des  Monum.  céramograph.,  pi.  XXV. 


312  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Derrière  Argus  on  voit  Io;  à  l'aspect  du  dieu  qui  doit  la  sauver 
elle  s'élance  impatiente  de  reconquérir  sa  liberté.  Io  est  représentée 
sous  la  forme  humaine;  sa  métamorphose  n'est  indiquée,  comme 
dans  plusieurs  monuments,  que  par  deux  cornes  (11)  naissantes 
placées  au-dessus  du  front.  Elle  a  la  tète ,  les  pieds  et  les  bras  nus. 
Une  tunique  d'une  étoffe  épaisse  l'enveloppe  jusqu'aux  talons.  Une 
peau  de  chèvre,  par  laquelle  Argus  essaye  de  la  retenir,  lui  sert  d'hé- 
miploïdion. 

Le  vase  de  Bomarzo  nous  reporte  à  un  autre  temps ,  à  une  autre 
école.  Ici  tout  est  fortement  accentué ,  ce  qui  n'exclut  nullement  la 
finesse  et  la  naïveté.  Les  artistes,  encore  mieux  que  les  antiquaires, 
apprécieront  cet  heureux  accord.  Ils  trouveront  en  outre,. dans  cette 
peinture,  ce  qui  distingue  le  stylé  archaïque  del'Etrurie,  un  grand 
caractère,  un  effet  saisissant  produit,  chose  remarquable,  par 
l'absence  de  tout  détail  et  certaines  négligences  de  convention. 

Cette  peinture  de  vase  nous  fait  voir  Argus  terrassé  par  Mercure. 
Le  gardien  d'Io  semble  demander  grâce  au  fils  de  Jupiter.  De  même 
que  sur  le  vase  de  Ruvo,  il  est  représenté  avec  deux  tètes  ;  l'une  et 
l'autre  sont  nues  et  terminées  par  une  barbe  pointue ,  <7(p72vo7rwywv. 
Les  bras,  les  cuisses  et  les  pieds  sont  nus.  Le  vêtement  d'Argus  se 
compose  d'une  courte  tunique  brodée  aux  deux  extrémités  et  recou- 
verte d'une  peau  de  chèvre  ou  d'agneau  serrée  sur  la  poitrine;  au- 
dessus  de  sa  tête  on  lit  les  deux  dernières  lettres  du  nom  d'Argus,  02 , 
fragment  fort  utile ,  car  on  ne  voit  point  d'yeux  sur  son  corps. 

Mercure  est  également  vêtu  d'une  tunique  ornée  d'une  bordure, 
une  courte  chlamyde  flotte  sur  ses  épaules.  Sa  tète  est  surmontée 
d'une  espèce  de  pétase.  Il  porte  une  barbe  pointue.  Le  dieu  s'est  pré- 
cipité sur  Argus  et  le  retient  à  terre  par  le  bras.  Pour  mieux  le  frap- 
per il  élève  son  glaive  à  la  hauteur  du  visage.  Le  nom  de  HEPMES 
est  retracé  à  côté  de  cette  figure. 

Cette  lutte  violente,  les  armes  dont  le  dieu  et  le  berger  font  usage 
se  retrouvent  seulement  dans  les  peintures  de  vases  (12).  Apollodore 

(11)  C'est  ainsi  qu'elle  est  représentée  sur  les  deux  hydries  d'Anzi  dont  il  a 
déjà  été  question,  sur  un  énoehoé  à  figures  rouges  provenant  de  Vulci  (Bullet.  de 
l'Instil.  archéolog.,  1836,  I.  CLXXI.  Cf.  Monum.  inéd.  de  l'Instil.  archéolog., 
II,  pi.  LXIX,  n°  1  ;  sur  le  vase  de  la  collection  Jalta ,  dont  nous  avons  déjà 
parlé,  et  dans  deui  peintures  de  Porapéi  (Panofka,  Argos  Panoptes  ,  tafel  I, 
n°  0,  tafel  II ,  n°  1  ). 

(1-2)  Sur  la  pâte  de  verre  du  musée  de  Berlin,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut, 
Hercule,  qui  tient  la:tctetl'ArgusJà  la  main,  est  armé  de  la  harpe  {Argos  Pan- 
oples,  tafel  III,  u*  i). 


ARGUS  BIFRONS.  313 

nous  dit  que  Mercure  se  servit  d'une  pierre  pour  renverser  Argus  (13). 
Selon  Ovide ,  l'imprudent  berger  était  endormi  lorsqu'il  reçut  le  coup 
mortel  (14).  Serait-ce  parce  que  certaines  traditions  prêtent  à  Argus 
un  rôle  héroïque  que  ces  peintures  le  représentent  sous  les  traits  d'un 
guerrier? 

Io,  métamorphosée  en  génisse,  assiste  en  tournant  le  dos,  à 
cette  scène.  L'absence  de  toute  personnification  humaine ,  l'attitude 
paisible  que  lui  donne  l'artiste,  ajoutent  encore  au  caractère  archaïque 
de  cette  composition  (15). 

Une  femme  placée  derrière  cette  tranquille  génisse  fait,  à  la  vue 
d'Argus  prêt  à  périr,  un  geste  de  surprise  et  d'effroi.  Cette  femme  a 
la  tête ,  les  bras  et  les  pieds  nus.  Une  longue  tunique,  ornée  d'une 
bordure  aux  deux  extrémités,  l'enveloppe  depuis  le  cou  jusqu'au  bas 
des  jambes.  Rendons  grâce  à  l'artiste  qui  nous  a  épargné  jusqu'à  la 
plus  légère  incertitude  sur  ce  personnage,  en  inscrivant  à  côté  le 
nom  de  la  jalouse  compagne  de  Jupiter  HEPAS  (sic)  (16). 

Nous  arrivons  à  une  question  aussi  curieuse  que  délicate  ;  nous 
voulons  parler  de  la  double  tête  d'Argus.  Ici  on  pourrait  croire  que 
les  textes  et  les  monuments  manquent  à  la  fois.  Si  nous  mettons  de 
côté  le  témoignage  assez  ambigu  d'un  ancien  poëte,  témoignage  sur 
lequel  nous  allons  revenir,  on  ne  trouve  nulle  part  qu'il  soit  question 
d'un  Argus  à  deux  têtes.  D'un  autre  côté,  nos  deux  vases  sont  les 
premiers  sur  lesquels  on  ait  encore  vu ,  je  ne  dis  pas  un  Argus  à  deux 
tètes,  mais  une  figure  bicéphale;  à  l'exception  d'un  monument  pu- 
blié par  Caylus,  où  l'on  remarque  deux  têtes  de  femme  accolées,  la  cé- 
ramographie  n'avait  point  encore  offert  d'exemple  de  ce  genre  (17). 

Il  existe,  avons-nous  dit,  un  témoignage  écrit  pouvant  se  ratta- 
cher à  un  Argus  bifrons.  Ce  témoignage  nous  est  fourni  par  l'auteur 
du  poëme  sur  iEgimius,  roi  des  Doriens  (18).  Argus,  dit-il,  était 

(13)  Aîôw  ^alwv,  oôev  Â^ystpoVrvjç,  II,  1,  3. 

(14)  Firmalque  soporem  Languida  permulcens  medicata  lumina  virga.  (Me- 
tamorph.,  1,715.)  r 

(1 5)  La  vache  Io ,  sur  la  pâte  de  verre  de  Berlin ,  s'enfuit  à  toutes  jambes ,  à  la  Yue 
d'Argus  renversé  à  lerre. 

(16)  Le  bas-relief  de  bronze  de  Bathyclès  de  Magnésie,  qui  décorait  le  trône 
d'Apollon,  à  Amycles,  représentait  Io  sous  la  forme  d'une  génisse,  ayant  auprès 
d'elle  Junon.  Paus.  III,  18,  7. 

(17)  Recueil  d'Anl.  Il,  pi.  XXVI,  2;  les  têtes  à  double  face  se  trouvent  seule- 
ment sur  des  vases  en  relief.  Cf.  ÉLU.  des  Monum.  céram.,  p.  5.  Nous  indiquerons 
plus  bas  quelques-uns  de  ces  monuments. 

(18;  O  Se  7qv  Atyi>iov  Trotta*  yvjai.  Ce  poëme  fut  attribué  à  Hésiode  ou  à  Cercops 
de  Milet. 


314  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

grand  et  fort,  sa  taille  était  élevée  et  il  regardait  ça  et  là  avec  quatre 
yeux  : 

h 

K«t  oi  ènlaxonov  Apyov  ïet  xparepov  rs  péyav  ts  , 
Terpaciv  oçp9aA^oîc7iv  ppupevov  ev0«  x«t  ev0a.  (19) 

Il  faut  l'avouer,  les  paroles  de  notre  poëte  manquent  de  clarté  et 
peuvent  donner  lieu  à  une  double  interprétation. 

Doit-on  entendre  qu'Argus  était  doté  d'une  paire  d'yeux  derrière 
la  tête,  idée  assez  bizarre,  il  est  vrai,  mais  qui  pourrait  s'induire, 
à  la  rigueur,  d'une  tradition  rapportée  par  Phérécydes,  d'après  la- 
quelle Junon  aurait  placé  un  œil  sur  la  nuque  d'Argus  (20)  ;  ou  bien, 
est-il  nécessaire  d'admettre  que  l'auteur  dTEgimius  fait  ici  quelque 
allusion  à  un  Argus  bifrons? 

M.  Panofka  tranche  la  difficulté.  Il  compare  l'Argus  de  notre  vieux 
poëte  au  Janus  des  Latins  (21).  Nous  aussi,  comme  on  le  verra  plus 
bas,  nous  croyons  qu'il  y  a  lieu  de  rapprocher  Janus  d'Argus;  mais, 
à  la  différence  de  l'habile  archéologue  allemand ,  nous  éviterons  de 
choisir,  comme  point  de  départ,  les  vers  du  poëme  sur  iEgimius. 
C'est  dans  des  considérations  puisées  ailleurs  que  nous  chercherons 
l'origine  de  cette  similitude  et  l'explication  de  notre  Argus  bifrons. 

Les  vases,  avons-nous  dit,  n'offrent  point  de  figures  bicéphales, 
mais  les  marbres,  les  bronzes  et  les  médailles  fournissent  un  grand 
nombre  de  tètes  accolées  ou  adossées  et  de  divinités  à  double  face. 

On  connaît  des  hernies  doubles  d'Apollon  et  de  Diane  (22),  de  Mi- 
nerve et  de  Mercure  (23) ,  de  Vesta  et  de  Vulcain  (24),  de  Mars  et 
de  Mercure  (25),  de  Bacchus  et  de  Mars  (26) ,  de  Mercure  et  d'Her- 
cule selon  Visconti  (27),   ou  de  Bacchus  et  d'Hercule  suivant 


(19)  Ap.  Schol.  Eurip.  Phœniss.,  1122. 

(20)  Pherccyd.  Fragm:,  éd.  Sturz,  p.  161. 

(21  )  Hiernach  wuerde  unser  Argos  mit  dem  doppelkoefigen  Janus,  wenn  nicht 
eine  vollkomne  jEhnlichkeil  des  Gesichls,  doch  eine  unbeslreibare  Geislesver- 
wandlschaft  fuer  sich  in  Anspruch  nchmen  duerfen.  (Argos  Panoples  ,  s.  7.) 

(22)  Gerhard,  Anlik.  BUdwerk,  tafel  CCCXX,  7,  8.  On  a  reconnu  aussi,  dan* 
le  type  des  monnaies  de  Ténédos,  non-seulement  le  héros  Ténès  et  sa  sœur  Hémi- 
théa,  mais  Jupiter  et  Junon.  Voy.  Lenormant,  nouvelle  Caler,  mylholog.,  p.  8. 

(23)  Museo  capilolino,  t.  I,  tavol.  IV,  délie  Osservazioni.  Cf.  Gerhard, 
Beschreib  d.  S  lad  Rom.,  III ,  2,  190,  n°  99. 

(24)  Gerhard  ,  Anlik.  BUdwerk.,  tafel  LXXXI.I,  3. 

(26)  Ibid.,  taf.  CCCXVIII,  1. 
(2C)  Ibid.,  taf.  CCCXVIII  ,3. 

(27)  Museo  Pio  Clem.,  tav.  XIII,  n°  2. 


ARGUS  BIFRONS.  315 

M.  Gerhard  (28),  d'Ammon  et  de  Bacchus  (21)),  de  Silène  et 
d'Ariadne  (30),  de  Bacchus  etd'Ariadne  (31),  de  Pan  etd'Ariadne(32), 
d'un  Triton  et  d'une  Tritonide  (33).  Plusieurs  vases  de  la  collection 
Durand  ont  la  forme  de  deux  têtes  accolées,  surmontées  d'un  mo- 
dius  (34);  une  pierre  gravée  du  Cabinet  des  Antiques  représente  les 
têtes  adossées  de  Minerve  et  de  Marsyas. 

On  connaît  aussi,  ce  qui  rentre  bien  mieux  dans  la  catégorie  de 
notre  Argus  bifrons ,  un  assez  grand  nombre  de  monuments  qui 
montrent  deux  têtes  parfaitement  semblables  ou  du  moins  offrant  une 
grande  analogie;  nous  citerons  le  Bacchus  barbu  du  musée  Pio  Cle- 
mentino(35),  le  type  d'une  divinité  mâle,  à  double  face,  sur  les  mé- 
dailles de  Thessalonique,  d'Amphipolis  (36),  de  Catane  (37),  de 
Panorme  (38)  et  des  iEtoliens  (39),  la  Minerve  à  double  face  des 
médailles  d'Athènes  (40)  et  d'Uxente  (41)  et  un  assez  grand  nombre 
de  figures  féminines  géminées  sur  les  monnaies  de  Lampsaque  (42), 
de  Rhégium  (43)  et  de  Syracuse  (44).  Enfin  nous  signalerons  les 
nombreuses  têtes  do  Janus  qui  figurent  dans  la  numismatique  ita- 
lienne, notamment  sur  les  as  deVolterra  (45)  et  sur  les  monnaies  des 
familles  romaines  (46). 

Plusieurs  savants  ont  recherché  l'origine  des  figures  bicéphales, 
et,  comme  cette  question  a  été  traitée  diversement  par  des  hommes 


(28)  Beschreib.  d.  Slad  Rom.,  II,  2 ,  s.  279,  n°  5. 

(29)  Viscontl,  Museo  Pio  Clem.,  t.  V,  A.  III,  p.  47.  Cf.  Gerhard ,  Beschreib. 
d.Slad  Rom.,  II,  p.  281  ;  Campana  ,  Opéra plaslica,  taf.  XXVII. 

(30)  Anlik.  Bildwerk,  taf.  CCCXX,  4. 

(31)  Beschreib  d.  Slad  Rom.,  II,  2,  s.  281  ,  nos  27,  35. 

(32)  Ibid. ,  II,  2  ,  s.  281 ,  n°*  25  ,  38. 

(33)  Anlik.  Bildwerk,  taf.  CCCXX,  1,2. 

(3i)  De  Witte,  Calalogue  Durandt  n*3  1256  ,  1257.  On  peul  ranger  aus§i  dans 
cetle  classe ,  les  médailles  de  Ténédos  sur  lesquelles  on  Yoit  une  tête  mille  et  bar- 
bue à  eftlé  d'une  tête  de  femme. 

(35)  Visconti ,  t.  VI ,  tavol.  VIII. 

(30)  Mionnet,  DescripL,  I,  p.  492. 

(37)  Ibid.,  I,  p.  465.  Cf.  nouv.  Galer.  mylhol.,  p.  11 ,  n8  6. 

(38)  Mionnet,  ibid.,  l,p.  222. 

(39)  Ibid.,  I,  p.  279. 

(40)  Ibid.,  II,  p.  88,  n°  16. 

(41)  Hunter,  IVum.  populor.,tdib.  X  ,  26;  Mionnet,  t.  III,  Suppl. 

(42)  Mionnet,  I,  149.  Cf.  nouv.  Gai.  mylholog.,  pi.  II,  n*  14. 

(43)  Ibid.,  II,  p.  560,  56. 

(44)  Ibid.,  I,p.  200,  201. 

(45)  Ibid.,  I,p.  303,  304. 

(46)  Telles  par  exemple  que  les  médailles  des  familles  Accilia ,  Afrania,  An- 
tislia,  Cœcilia,  etc.,  etc. 


316  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

très-habiles,  on  nous  permettra  de  passer  rapidement  en  revue  les 
opinions  les  plus  graves  de  ce  débat  scientifique. 

Caylus  (47)  considère  les  monuments  nombreux  où  l'on  voit  deux 
têtes  de  femmes  adossées,  comme  un  emprunt  fait  aux  Etrusques  par 
les  Grecs  et  les  Romains.  Plus  tard  il  a  supposé  que  les  doubles  tètes 
de  l'antiquité  étrusque  et  le  Janus  des  Étrusques  n'étaient  que  des 
imitations  d'un  type  adopté  par  les  Égyptiens  ou  l'application  d'une 
des  idées  de  ce  peuple  inventeur  (48). 

Le  prudent  Eckhel  (49)  évite  de  se  prononcer  sur  cette  question, 
sans  doute  pour  ne  point  compromettre  sa  haute  réputation  de  cri- 
tique. Le  motif  qui  a  fait  accoupler  deux  têtes  lui  échappe  ;  il  y  a  ici 
une  idée  allégorique,  mais  laquelle?  Il  faut  se  garder,  dit-il ,  de  toutes 
les  subtilités  plus  ou  moins  ingénieuses  débitées  par  les  anciens  sur 
l'origine  des  deux  têtes  de  Janus. 

Visconti  (50)  trouve,  dans  les  hermès  doubles,  un  exemple  de  cette 
coutume  des  peuples  primitifs,  d'employer  les  formes  sensibles  pour 
représenter  les  qualités  et  les  analogies  de  l'esprit.  C'est  ainsi  qu'on 
a  exprimé  la  supériorité  de  l'intelligence  et  de  la  prudence  par  plu- 
sieurs têtes  ou  quantité  d'yeux. 

Le  savant  Zoéga  (51)  nous  paraît  beaucoup  plus  précis  qu'Eckhel  et 
beaucoup  plus  instructif  que  Visconti.  Selon  lui ,  pour  trouver  l'ori- 
gine de  ces  simulacres  doubles,  où  l'art  hellénique  se  montre  dans 
toute  sa  puissance ,  il  est  nécessaire  de  remonter  à  un  type  grossier, 
aux  hermès  qui  servaient  à  marquer  la  borne  des  héritages  et  aux- 
quels on  donnait  très-souvent  une  double  tête ,  comme  si  on  avait 
voulu  exprimer  de  la  sorte  que  la  mission  de  ce  dieu  Terme  était  de 
surveiller,  avec  une  égale  sollicitude,  la  contenance  et  les  limites  des 
propriétés  qu'il  séparait. 

Dans  sa  prédilection  pour  les  Phéniciens,  Boettiger(52)  ne  pouvait 
manquer  de  trouver  chez  ce  peuple  l'origine  des  figures  à  deux  faces. 
Ce  type  est  le  symbole  des  deux  grandes  divinités,  des  mystérieux 
Cabires,  le  dieu  Soleil  et  la  déesse  Lune.  Énée  apporte  ce  symbole 
dans  les  montagnes  du  Latium;  la  côte  orientale  de  l'Italie  le  reçoit 
aussi  par  la  mer  Egée;  les  Étrusques  l'adoptent;  mais  sa  véritable 
signification  se  perd,  sa  forme  se  modifie.  Deux  têtes  d'hommes  âgés, 

(47)  Recueil  d'antiquités ,  II,  p.  160. 

(48)  Ibid.,  IV,  p.  18. 

(49)  Doclrina  Num.,  VI,  p.  216. 

(50)  Musco  Pio  Clem.,  t.  VI,  p.  07. 

(61)  De  origine  et  usu  Obeliscorum ,  p.  224.  Cf.  Pausanias,  II,  38,  7. 

(62)  Jdeen  zur  Kunit-Mylhologie ,  I,  §  263. 


ARGUS   BIFRONS.  317 

ou  bien  celle  d'un  homme  barbu  associée  à  une  tête  de  femme  ou 
bien  encore  deux  têtes  de  femmes ,  tels  sont  les  altérations  du  type 
primitif. 

Le  symbole  des  têtes  accouplées ,  ajoute  le  savant  Allemand ,  a 
laissé  des  traces  de  son  passage  d'Asie  en  Italie ,  les  médailles  des 
villes  grecques  en  font  foi,  ici  sous  des  formes  helléniques  se  cache 
une*idée  phénicienne. 

Nous  voudrions  pouvoir  reproduire  les  développements  ingénieux 
auxquels  se  livre-  M.  Lenormant  (53)  pour  expliquer  la  double  face 
de  Janus  qui,  selon  lui,  exprime  le  dualisme,  l'antagonisme,  la  sta- 
bilité, le  mouvement;  mais  l'espace  nous  manque  et,  d'ailleurs,  le 
travail  d'un  antiquaire  aussi  judicieux  qu'expéfimenté,  M.  Gerhard, 
sur  le  caractère  religieux  des  hermès  (54) ,  peut  nous  servir  beaucoup 
plus  que  les  remarques  de  M.  Lenormant ,  toutes  savantes  qu'elles 
sont. 

M.  Gerhard  ne  conteste  point  l'emploi  assigné  en  Grèce  aux  hermès 
par  Zoéga  ;  mais  il  leur  reconnaît  une  destination  plus  élevée  et  plus 
sainte.  Leur  origine  se  rattache  à  la  religion  de  Samothrace,  dont  la 
liaison  avec  les  mystères  d'Eleusis  et  du  reste  de  la  Grèce  est  si 
étroite.  Cette  forme,  dit-il,  était  particulière  à  Hermès  et  même  à 
Bacchus  qui ,  sous  les  noms  de  Cadmile  et  d'Axieros,  jouent  un  rôle 
si  important  dans  cette  religion.  Plus  tard,  on  fit  usage  de  ce  type 
pour  représenter  les  divinités  que  certain  trait  rapprochait  de  Mer- 
cure. De  là  vient,  ajoute  le  savant  auteur,  que  l'on  rencontre,  sous 
forme  d'Hermès ,  un  Jupiter-borne  et  un  Jupiter  infernal ,  dont  l'ana- 
logie avec  Mercure,  à  raison  des  fonctions  que  la  mythologie  lui  as- 
signe, ne  peut  être  un  instant  contestée.  Un  motif  sembable  fit  ap- 
pliquer la  forme  de  Thermes  aux  statues  de  Minerve  et  d'Hercule, 
leurs  attributions  les  appelant  à  présider  aux  exercices  des  gymnases, 
lesquels  étaient,  comme  on  sait,  consacrés  à  Mercure  (55). 

Si  ce  principal  objet  de  notre  recherche  était  de  connaître  l'origine 
des  têtes  accolées,  les  vues  de  M.  Gerhard,  combinées  avec  le  système 
de  Zoéga,  pourraient  nous  mettre  sur  la  voie.  Nous  pensons  même 
en  savoir  assez  quant  à  présent  pour  dire  que  nous  ne  sommes  pas 
très-loin  de  la  vérité,  en  considérant  un  grand  nombre  de  monuments 
de  ce  genre  comme  une  imitation  des  antiques  hermès  (56) ,  imitation 

(53)  Nouvelle  Galet,  mythol.,  p.  5  et  suiv. 

(64)  De religione  Hermarum,  Berlin ,  1845, in-4.     : 

(65)  De  religione  Hermar.,  p.  12. 

(56)  Les  antiquaires  connaissent  la  double  tête  féminine,  au  revers  d'un  triobole 


318  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

déterminée  le  plus  souvent  par  quelques  idées  mystiques  ou  reli- 
gieuses. 

Maintenant  il  est  temps  de  revenir  à  nos  deux  figures  d'Argus ,  les 
faits  nouveaux  que  nous  avons  rencontrés  et  les  instructions  qui  en 
ressortent  pouvant  nous  servir  utilement  pour  les  expliquer. 

Il  est  possible  que  le  peintre  de  Ruvo  et  celui  de  Bomarzo  aient  eu 
connaissance  d'une  tradition  sur  un  Argus  à  deux  têtes,  tradition 
dont  il  n'existe  plus  de  trace  aujourd'hui.  Mais  en  tout  cas,  le  pas- 
sage du  poëme  sur  ^Egimius,  cité  plus  haut,  ne  nous  semble  point 
assez  positif,  assez  précis  pour  faire  supposer  qu'il  ait  servi  de  guidé 
à  des  artistes.  D'ailleurs,  ceux-ci,  en  général,  ne  s'inspiraient,  ne 
devaient  s'inspirer  que  des  traditions  bien  établies,  bien  populaires; 
une  légende  douteuse ,  un  fait  mythologique  en  dehors  des  idées  vul- 
gaires ne  donnait  que  très-rarement  à  leur  pinceau  l'occasion  de 
s'exercer. 

Quand  on  est  réduit  à  expliquer  un  monument  en  l'absence  des 
textes ,  on  a  le  droit  d'admettre  tout  ce  qui  ne  choque  point  outre 
mesure  la  raison  ou  le  bon  sens.  Ainsi,  on  peut  supposer  que  nos 
peintres,  en  donnant  Une  double  tête  à  Argus,  aient  voulu  indiquer 
une  vigilance  supérieure.  Mais  ceci  nous  semble  bien  abstrait,  bien 
métaphysique.  Si  cette  pensée  est  véritablement  celle  de  ces  deux 
artistes,  il  est  assez  probable  qu'elle  se  lie  à  un  ensemble  d'idées  que 
nous  croyons  nécessaire  d'exposer. 

Nous  avons  vu  c|ue  l'on  donnait  la  forme  d'hermès  aux  divinités 
qui  se  rapprochaient  de  Mercure.  Or,  la  relation  étroite  entre  ce  dieu 
et  Argus  laisse  supposer  qu'on  a  pu  représenter  le  surveillant  d'Io 
sous  cette  même  forme  ;  c'est-à-dire  celle  d'un  hermès  bicéphale. 

Quel  est  le  trait  dominant  d'Argus?  C'est  celui  de  surveillant,  de 


athénien,  au  type  de  Minerve,  publié  par  Hunter ,  JVum.  Populor.,  lib.  X  ,  26, 
et  dont  M.  de  Longpérier  a  donné  l'explication  dans  la  Revue  numismatique. 
Année  1843,  p.  424.  M.  de  Longpériei*  et  M.  de  Wilte  {Élite  des  monum.  cèram., 
p.  98),  reconnaissent  ici  la  figure  d'une  double  Minerve,  ce  qui  exprimerait, 
selon  eux,  l'existence  complexe  de  cette  divinité,  personnifiée  tantôt  sous  le  nom 
de  Pallas,  tantôt  sous  celui  d'Athénée;  en  un  mot,  l'image  du  dualisme  féminin. 
Nous  croyons  pouvoir  donner  une  interprétation  plus  simple  et  plus  locale  de 
ce  type  ,  en  voyant  ici  un  hermès  bifrons  de  Minerve,  tel  qu'il  s'en  trouvait  dans 
lés  gymnases  :  Uermathena  gralum  et  ornamentum  academiœ  proprium  meœ, 
dit  Cicéron  dans  une  de  ses  lettres  à  Âllicus,  I,  4;  ce  qui  signifie,  comme 
l'explique  fort  bien  M.  Gerhard,  une  Minerve  en  forme  d'Hermès,  de  religione 
Hermarum,  p.  98.  Le  monument  du  Musée  Capitolin,  dans  lequel  on  a  cru  recon- 
naître les  tôles  adossées  de  Minerve  et  de  Mercure»  n'est  peut-être  qu'un  hermès 
bifrons  de  Minerve.  Cf.  Gerhard  toc.  cit.,  p.  Il* 


ARGUS  B1FR0NS.  319 

gardien.  On  le  considérait  dans  la  vieille  religion  de  l'Àrgolide  comme 
le  JDyàovypç  ou  le  portier  du  temple  de  Junon  (57).  D'un  autre  côté, 
une  des  principales  fonctions  de  Mercure ,  c'était  également  celle  de 
surveillant, attributions  transférées,  en  partie,  à Priape,  son  fils  (58), 
constitué  par  la  mythologie  gardien  des  jardins  et  des  héritages,  qu'il 
protégeait  sous  la  figure  d'un  hermès.  Les  images  de  Mercure  étaient 
placées  à  l'entrée  des  habitations  afin  d'arrêter  la  main  des  voleurs  (59). 
Ces  images ,  du  moins  il  y  a  lieu  de  le  croire ,  n'étaient,  le  plus  souvent, 
que  des  hermès  à  double  visage  (60),  exprimant  ainsi  une  double 
surveillance,  celle  qui  s'exerçait  sur  l'entrée  et  la  sortie  (61). 

Nous  n'affirmons  rien ,  mais  il  nous  semble  que  des  considérations 
de  cette  nature  ont  pu  agir  sur  l'esprit  de  nos  artistes  lorsqu'ils  ont 
voulu  représenter  Argus.  Seulement,  comme  ils  ne  se  trouvaient 
point  en  Grèce  mais  en  Italie,  au  lieu  de  placer  sur  les  épaules  de 
leur  Argus  un  hermès  bicéphale ,  ils  lui  ont  implanté  la  double  tête 
d'une  des  principales  divinités  de  cette  contrée,  celle  de  Janus,  qui 
rappelle  si  parfaitement  l'Hermès  des  Grecs  (62).  Il  est  certain  que 
le  masque  géminé  de  Janus,  le  gardien  des  portes,  des  murailles  et 
des  maisons  de  la  vieille  Rome,  s'applique  parfaitement  sur  la  figure 
d'Argus,  dont  le  nom  seul  éveille  l'idée  de  la  vigilance. 

L'Argus  représenté  sur  le  vase  de  Bomarzo  semblerait  surtout 
appuyer  cette  conjecture.  Il  paraît  avoir  été  emprunté  à  un  type  de' 
Janus  parfaitement  semblable  à  celui  qui  figure  sur  les  monnaies  de 
la  famille  Titia. 

L'Argus  bifrons  de  Ruvo  peut  très-bien  rentrer  aussi  dans  la  caté- 
gorie des  têtes  de  Janus.  Toutefois,  ce  monument  nous  suggère  la 
remarque  suivante  :  cette  figure  nous  rappelle  les  Hemeracles ,  c'est- 

(57)  Voy.  Panofka,  Argos  Panoptes,  s.  34.  „ 

(58)  Hygin,  FabuU,  168. 

(59)  Scholiast.  Aristoph.  in  Plut.,  1152. 

(60)  Lucien  dans  son  Jupiter  tragœdus,  décrit  fort  nettement  ces  sortes  d'hermès  : 

Afj.<srly.Yjç  ^v  x.cù  SmpàzoiTïàç  oloi  elai  twv  'Ep//div  ivioi ,  Snroï  xaî  ccfiforépuOiv  o/xoioi , 
npbç  ôttots/sov  av  auTwv  [lipoz  iTZKTTpccffcy.  Hemsler.,  II,  p.  691. 

(61)  Ce  trait  particulier  aux  hermès,  n'a  point  échappé  à  Zoéga:  Nam  ostiorum 
pariter  viarumque  deos  bifrontes  finœerunt  prisci  homines ,  velut  eœitus  et  in- 
troilus  reditusque  polentes.  (De  usu  Obeliscor.,  p.  224.) 

(62)  Zoéga,  toc.  cit.  et  M.  Gerhard,  de  religione  Êermarum,  p.  21,  recon- 
naissent pleinement  celte  analogie.  Le  premier  s'exprime  ainsi  :  Dico  Janum 
Mercurio  quam  cuilibet  alii  Grœco  deo  similiorem  esse.  Quant  au  second, 
après  avoir  observé  que  partout  on  rencontrait  des  hermès  de  Mercure  Agorœus, 
Enagonius,  Chlhonius,  etc.,  il  continue  ainsi  :  Eumque  ipsum  morem  seculi  Lalini 
atque  FArusci  Janum  simillimum  Mercurio  deum,  solo  bifronte  capile  trun- 
coque  quadrato  expresserunt. 


320  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

à-dire  les  têtes  conjuguées  d'Hercule  et  de  Mercure  (63),  comme  dans 
Thermes  double  du  Vatican,  ou  sur  les  monnaies  de  la  famille  Rubria. 
La  massue  dont  est  armé  le  bras  placé  du  côté  de  la  tête  barbue,  le 
pétase  qui  couronne  la  tête  imberbe,  sont  des  particularités  tout  à 
fait  dignes  de  fixer  l'attention.  L'observation  d'Eckhel  (64),  que  le  plus 
souvent  les  hermès  àdouble  face  cachent  une  allégorie,  trouverait- 
elle  ici  son  application?  La  physionomie  herculéenne  donnée  à  Argus 
serait-elle  une  allusion  au  caractère  héroïque  qu'il  revêt  dans  cer- 
taine partie  de  la  légende?  Le  masque  de  Mercure,  reproduit  sur  son 
autre  face,  indiquerait-il  l'étroite  relation  qui  existe  entre  le  dieu  et 
le  gardien  d'io,  relation  si  bien  exprimée  par  l'épithèted'ApyctcpovTyjç, 
et  qui  indiquerait,  en  quelque  sorte,  que  la  personnalité  d'Argus 
s'absorbe  dans  celle  de  Mercure? 

Cette  conjecture,  qui  peut,  par  la  suite,  donner  naissance  à  quel- 
ques observations  utdes,  nous  paraît  assez  fondée  pour  ne  point 
hésiter  à  la  soumettre  au  lecteur. 

Ernest  Vinet. 


(63)  L'association  des  têtes  d'Hercule  et  d'Hermès  paraît  avoir  été  assez  fréquente 
dans  l'antiquité.  A  cet  égard  il  nous  suffirait  de  citer  le  passage  suivant  du  rhéleur 
Arislide  :  'E/»/aou  ye  xat  'HpaxAéous  l<srï  vùv  àyâi/iara  xotvà.  Oral,  de  Laud.  Hercul. 
p.  63. 

(64)  Doctrin.  Num.  VI,  p.  216. 


MEMOIRE 


SUR 


LES  DIVALIA  ET  LES  ANGERONALIA 

COMME   CULTE   SECRET   DE   VÉNUS  CHEZ   LES  ROMAINS. 


TROISIÈME  PARTIE  (1). 

§  VI.  La  rédaction  de  ce  Mémoire  était  complè- 
tement achevée,  il  était  même  déjà  imprimé  en 
partie ,  quand  les  matériaux  de  ce  paragraphe  et  des 
deux  suivants  sont  venus  à  ma  connaissance. 

Une  figure  tout  à  fait  semblable  à  celle  que  j'ai 
décrite,  d'après  Caylus,  dans  le  §  IV,  se  trouve  dans 
le  dernier  ouvrage  de  M.  l'abbé  Lanci  (2),  pour  ainsi 
dire  perdue  au  milieu  des  monuments  arabes  que 
ce  volume  représente  exclusivement.  M.  A.  de  Long- 
périer  m'en  a  communiqué  l'Atlas.  Le  texte  n'ayant 
point  encore  paru ,  il  m'est  impossible  de  dire ,  par 
quel  singulier  hasard  cette  statuette  romaine  fait 
partie  d'une  planche  qui ,  comme  le  dit  son  titre  : 
Da  pro fumier o  e  da  piatto  in  Bologna,  contient  un 
parfumoir  et  un  plat  conservés  à  Bologne,  l'un  et 
l'autre  d'origine  arabe.  Au  premier  coup  d'œil  ,  cette  statuette 
ressemble  tellement  à  celle  reproduite  par  Caylus  que,  n'ayant 
pas  sous  les  yeux  cette  dernière,  je  crus  tout  d'abord  qu'il  s'agis- 
sait peut-être  d'un  monument  identique  observé  par  les  deux  anti- 
quaires. Mais  on  ne  peut  s'arrêter  un  seul  instant  à  cette  idée ,  dès 
qu'on  place  ces  deux  gravures  l'une  à  côté  de  l'autre.  Telles  sont  les 
différences  essentielles  que  la  comparaison  fait  ressortir  :  la  figurine 

(1)  Voir  la  Revue,  t.  III,  p.  221-233. 

§  VI.  (2)  Michetangelo  Lanci ,  Traltato  délie  simboliche  rappresentanze  ara- 
biche.  T.  III.  Parigi.  1845,  in-4.  maj.  Atlante,  tav-  VI. 

III.  21 


322  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  Caylus  est  un  amulette ,  muni  d'une  belière ,  et  sans  piédestal  ; 
elle  tient  l'index  gauche  seul  sur  les  lèvres  fermées,  et  la  main  droite 
à  l'endroit  indiqué.  Celle  de  M;  Lanci ,  au  contraire ,  est  une  statuette 
sans  belière ,  ayant  les  pieds  plus  rapprochés  et  posés  sur  une  espèce  de 
soubassement  assez  semblable  à  celui  de  la  figurine  donnée  par  Pi- 
gnorius,  et  copiée  par  Cuper(3),ihâis  formé  de  deux  marches  carrées, 
qui  font  croire  que  cette  figurine  était  plutôt  destinée  à  être  placée 
debout  qu'à  être"  fixée  cbntre  lin  mur.  La  chevelure,  pluô  riche,  à  là 
jonction  de  l'occiput  et  de  la  nuque  forme  une  natte  semi-circu- 
laire qui  fèhl&hte  à"  quelque  distancé  au-dessus  dttfrënt  f  éëtfë  natte, 
qu'on  ne  voit  pas  chez  Caylus ,  rend  la  tête  encore  plus  ressemblante 
aux  Vénus  des  médailles.  C'est  la  main  gauche  qui  a  la  position  déjà 
mentionnée;  l'index  et  le  médius  droits  ferment  la  bouche.  Ce  geste 
du  silence,  plus  conforme  aux  autres  monuments  figurés  d'Ange - 
rone ,  me  fait  soupçonner  que  peut-être,  dans  ceux  de  la  planche  79 
de  Gâylus  (4),  le  graveur  a  par  ërfëur  oilblié  dé  redresser  le  dessin. 
M.  Lâhci  a  représenté  bette  figuré  de  déiix  manières  !  une  fois , 
comme  Caylus,  en  face  ;  une  seconde  fois,  îlôn  |pàs  de  profil*  comme 
l'antiquaire  français  ,  mais  Vile  par  derrière,  ce  qui  permet  de  mieux 
juger  l'arrangement  dfes  cheveux  et  la  posîtioh  dé  la  main  bien 
plus  franchement  accusée.  Nous  avons  (hit  Copier  cette  dernière 
gravure. 

Voici  donc  quatre  monuments  différents  où  cette  singulière  posi- 
tion dé  la  main  d'Ahgérbné  est  répétée  sans  la  moindre  modification. 
On  eh  verra  encore  plusieurs  autres  de  la  même  nature  dans  le 
paragraphe  suivant.  Cela  rté  prouVé4-il  point  que  cette  attitude , 
loin  d'être  l'effet  du  hasard,  doit  avoir  une  signification  symbolique, 
et  que  notre  explication,  quelque  risquée  qu'elle  puisse  paraître,  ne 
manque  pas  d'un  certain  degré  de  probabilité? 

§  VII.  M.  Ràôul  Roehette  nous  a  fait  connaître  les  planches  XII 
et  XIII  de  l'ouvrage  de  M.  Gerliard  sur  les  miroirs  étrusques  (i). 
Ces  planches  contiennent  des  ftionuments  d'une  très-haute  impor- 
tance pour  la  questioh  que  nous  avons  essayé  d'élucider.  Malheu- 
reusement nous  n'avohs  ni  le  temps  ni  l'espace  nécessaires  pour  en 
parler  avec  d'assez  grands  détails,  et  en  tirer  tout  le  parti  possible. 
Nous  nous  contenterons  donc  de  lès  faire  connaître  d'une  manière 

(3)  Voy.  sect.  h  ,  §  H,  pi.  51 ,  fig.  12. 

(4)  Voy.  §  III  et  IV  et  pi.  51 ,  fig.  2. 

§  VU.  (1)  Ed.  Gerhard,  Etruskische  Spiegel.  Berlin,  1839,  îh-fol.  p.  36  à  4C. 
Pennacchische  Cisla. 


MEMOIRE  SUR  LES  DIVALIA   ET   LES   ANGERONALIA.        323 

succincte,  en  y  ajoutant  l'explication  qui  nous  paraît  la  plus  natu- 
relle. 

En  1696,  dans  des  fouilles  faites  à  Rome,  on  trouva,  au  milieu 
d'autres  antiquités,  une  ciste  mystique,  fermée  de  toutes  parts,  et 
contenant  de  nombreux  objets  de  petite  dimension  et  de  trois  caté- 
gories différentes.  Ceux  de  la  première  et  de  la  troisième  catégorie 
sont  figurés  dans  la  planche  XII  de  M.  Gerhard.  Ce  sont  : 

1°  Une  quantité  considérable  d'amulettes  en  pierre,  dont  un  très- 
grand  nombre  représentent  le  xreiç. 

2°  De  petites  images  métalliques  d'animatix  de  tous  genres,  réunis 
par  couples.  Pour  les  grandes  espèces ,  au  moins ,  on  pouvait  mani- 
festement distinguer  que  chaque  couple  se  composait  d'un  mâle  et 
d'une  femelle. 

3°  Cette  catégorie ,  la  plus  remarquable  de  toutes ,  se  composait 
de  figurines  humaines,  également  en  métal,  au  nombre  de  trente- 
six  (2),  toutes  complètement  nues,  isolées,  ou  réunies  par  groupes 
de  deux  ou  de  trois  ,  suivant  une  espèce  de  gradation.  Nous  les  dé- 
crivons d'après  la  planche  de  M.  Gerhard. 

Les  figures  isolées  représentent  les  unes  une  femme ,  les  autres 
un  homme.  La  femme  a  tantôt  le  bras  droit  pendant  et  appliqué 
contre  la  cuisse  droite,  et  le  bras  gauche  plié  dans  l'articulation  du 
coude  avec  le  poing  fermé,  attitude  très-semblable  à  celle  que  nous 
avons  déjà  vue  chez  une  statue  d'Angérone  (3) ,  et  que  nous  trou- 
verons chez  une  autre  encore;  tantôt  l'une  des  deux  mains,  la 
gauche  ou  la  droite  indifféremment,  appliquée  sur  la  bouche  et  l'autre 
à  l'endroit  déjà  désigné ,  absolument  comme  les  figurines  que  nous 
avons  décrites  dans  les  paragraphes  I ,  III ,  IV  et  VI  de  la  première 
section.  L'homme  a  toujours  la  main  droite  placée  sur  la  bouche ,  et 
le  bras  gauche  pendant  le  long  du  côté.  Une  note  de  M.  Gerhard 
nous  apprend  (4)  qu'il  existé  même,  parmi  celles  de  ces  images  qui 
seraient  encore  actuellement  conservées  au  Musée  de  Naples,  une 
figure  d'homme  semblable  en  tout  à  celle  de  la  femme ,  ayant  une 
des  mains  posée  sur  la  bouche ,  l'autre  par  derrière. 

Les  groupes  de  deux  sont  formés  de  la  même  femme  et  d'un 
homme  dans  une  attitude  un  peu  différente;  mais  presque  toujours 
la  femme,  posée  sur  les  épaules  de  son  compagnon,  lui  ferme  la  bou- 
che et  même  les  yeux  avec  les  mains. 

(2)  Loc.  cit.  p.  38 ,  med. 

(3)  Sect.  i ,  §  II. 

(4)  P.  45 ,  n.  72. 


324  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Enfin,  dans  les  groupes  de  trois,  la  femme,  placée  au  milieu  des 
deux  hommes ,  soit  debout ,  soit  sur  leurs  épaules ,  leur  ferme  de  la 
même  manière  la  bouche  et  l'un  des  yeux. 

Bianchini,  qui  le  premier  a  décrit  ce  monument  excessivement 
curieux  et  important,  l'a  regardé  comme  symbolique  du  déluge  de 
Deucalion.  M.  Gerhard  le  rapporte  aux  mystères  bachiques.  L'un  et 
l'autre  manquaient  des  éléments  nécessaires  pour  interpréter  cette 
représentation  très-complète  des  mystères  de  Vénus  Angérone  bi- 
sexuelle,  déesse  tutélaire  de  la  ville  de  Rome ,  où  la  ciste  a  été  trouvée. 
C'est  elle ,  sans  aucun  doute  ,  que  désigne  cette  femme  nue.  Lors- 
qu'elle est  accompagnée  d'une  figure  mâle  placée  dans  la  même  atti- 
tude du  silence ,  nous  y  voyons  la  déesse  androgyne  dans  son  dédou- 
blement (5).  Lorsqu'elle  est  placée  entre  deux  hommes,  elle  est 
entourée  des  Pénates  ou  des  Castors ,  qui  forment  son  symbole  mysté- 
rieux, et  auxquels  elle  ferme  la  bouche  et  les  yeux,  pour  indiquer 
d'une  manière  sensible  que  rien  ne  doit  être  divulgué  aux  profanes 
ni  sur  la  nature  de  la  déesse ,  ni  sur  la  signification  véritable  et  pro- 
fonde du  symbole.  Pour  mieux  inculquer  aux  yeux  et  à  l'esprit  des 
adeptes  le  devoir  du  silence  le  plus  inviolable  et  la  punition  formi- 
dable qui  attendait  le  parjure,  l'un  des  groupes  de  trois  figures  (6) 
est  placé  sur  le  dos  d'un  homme  mort  en  apparence,  étendu  par 
terre  sur  le  ventre ,  et  foulé  aux  pieds  par  les  trois  personnages  qui 
composent  ce  groupe.  N'y  a-t-il  pas,  dans  cette  représentation  terrible 
du  châtiment ,  de  quoi  expliquer  les  hésitations  et  les  craintes  mani- 
festées par  Denys  d'Halicarnasse  et  Ovide  (7),  lorsqu'il  s'agit  de 
la  véritable  signification  des  Pénates  et  de  la  divinité  que  le  culte 
de  l'État  défendait  de  nommer?  Les  animaux  réunis  par  paires  sont 
également  une  allusion  aux  éternelles  lois  de  la  reproduction  et  à  la 
pérennité  des  races,  attributions  de  Vénus-Cybèle,  identique,  comme 
nous  verrons  (8) ,  avec  Angérone.  Les  amulettes  de  la  forme  du  xrefc 
rappellent  plus  positivement  encore  Vénus. 

Sur  la  planche  XIII,  M.  Gerhard  a  réuni  d'autres  monuments  sem- 
blables ,  pour  expliquer  et  confirmer  son  opinion  ;  mais  ils  déposent 
encore  mieux  en  faveur  de  la  nôtre.  Ces  monuments  figurés  nous 
semblent  plutôt  appartenir  à  noire  troisième  groupe  d'images  d' An- 
gérone devenue  mâle  par  son  dédoublement.  Néanmoins ,  nous  les 

(5)  Voy.  scct.  m, §  I ,  notes  4  et  5. 

(6)  PI.  XII,  fig.  10.  Voy.  notre  pi.  51  ,  fig.  10. 

(7)  Voy.  4e  partie ,  §  1 1 ,  notes  11  et  1 2. 

(8)  Voy.sect.  n  ,  §  III. 


MEMOIRE   SUR  LES   DIVALIA   ET   LES  ANGERONALIA.        325 

conserverons  ici ,  afin  de  ne  pas  scinder  ce  que  M.  Gerhard  a  réuni 
dans  l'intention  d'apporter  une  preuve  de  plus  en  faveur  de  son  ex- 
plication. 

La  première  de  ces  figures  (fig.  2  à  4),  qui  est  un  amulette  à 
belière,  comme  l'une  des  figures  de  Caylus  (9),  représente,  vue  de 
face ,  un  jeune  garçon  qui  se  comprime  la  bouche  avec  la  main  droite, 
et  vue  par  derrière,  une  figure  à  tête  de  lion,  se  couvrant  de  la  main 
droite  toute  la  région  inguinale  qui  correspond  à  la  région  postérieure 
du  jeune  garçon.  Cette  tête ,  que  M.  Gerhard  regarde  comme  celle  de 
Bacchus  à  tête  de  lion,  peut  très-bien  rappeler  le  lion  de  Cybèle, 
déesse  identique  avec  Angérone.  Cette  figure  rentre  dans  la  catégorie 
de  celles  de  notre  troisième  section  qui  pouvaient  donner  lieu  à  la 
confusion  entre  Harpocrate  et  Angérone. 

Le  second  monument  (  fig.  5  à  6  )  représente  un  hermaphrodite 
qui  porte  dans  la  main  gauche  une  figure  semblable  à  celle  que  nous 
venons  de  décrire ,  c'est-à-dire  un  jeune  garçon  qui  tient  une  des 
deux  mains  sur  la  bouche  et  l'autre  du  côté  opposé.  Vu  par  derrière , 
cet  enfant  porte  une  tête  de  lion  ;  mais  les  contours  en  étant  moins 
bien  accusés,  il  est  plus  difficile  de  la  reconnaître.  Cette  figure  à  tête 
de  lion  se  cache  également  toute  la  région  inguinale  avec  la  main. 

M.  Gerhard  (10)  cite  quelques  autres  figures  qu'il  a  décrites  dans 
le  Kunstblatt  (11  ).  Parmi  elles ,  il  y  a  encore  une  Angérone  avec  une 
main  sur  la  bouche  et  l'autre  sur  la  partie  opposée ,  selon  l'expression 
de  Caylus.  Nous  n'avons  pas  eu  le  temps  de  nous  procurer  cette 
feuille.  M.  Gerhard  rapporte  ces  figures,  et  même  celles  de  Caylus 
que  nous  avons  citées  dans  les  paragraphes  III  et  IV,  aux  mystères 
de  Bacchus  à  tête  de  lion. 

§  VIII.  (PI.  51,  fig.  6).  Cartari  (1)  nous  fournit  encore  une 
curieuse  figure  d' Angérone.  Les  images  que  cet  auteur  donne  des 
divinités  anciennes  semblent,  pour  la  plupart,  non  pas  des  copies 
fidèles  ou  même  approximatives  de  monuments  antiques ,  mais  des 
compositions  arbitraires  faites  seulement  d'après  les  descriptions  des 
anciens.  Je  n'aurais  donc  attaché  nulle  importance  à'  la  représenta- 
tion d'Angérone  que  je  reproduis,  si  elle  n'offrait  quelques  particu- 
larités non  mentionnées  par  les  auteurs  et,  sous  certains  rapports, 

(9)  Voy.  sect.i,§IV. 

(10)  P.  41,  n.  40-42. 

(11)  Année  1827,  p.  349. 

§  VIII.  (1)  Vincenzo Cartari,  Leimagini  dei  Dei  degli  antichi.Ed.  II.  Venetia, 
1680,  in-4,  p.  373  et  suiv. 


326  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

une  grande  analogie  avec  plusieurs  monuments  figurés  que  j'ai  déjà 
décrits.  Ces  circonstances  me  font  présumer  qu'ici ,  par  exception  , 
Cartari  a  copié  un  monument  perdu  depuis,  ou  du  moins  non  men- 
tionné par  aucun  antiquaire. 

La  statue  d'Angcronia  qu'il  a  fait  graver  est  conforme  par  sa  che- 
velure à  plusieurs  de  celles  qui ,  telles  que  nos  figures  1-3 ,  pi.  51 , 
ont  déjà  été  passées  en  revue  dans  notre  mémoire.  La  draperie  et  la 
manière  dont  la  tunique  est,  pour  ainsi  dire,  suspendue  aux  seins 
fermes  et  parfaitement  modelés ,  se  rapportent  assez  exactement  à  ce 
qui  se  voit  dans  les  statues  que  donnent  Caylus  et  Montfaucon  (2). 
La  position  des  bras  est,  à  peu  près,  celle  que  l'on  trouve  chez 
plusieurs  des  figurines  découvertes  dans  la  ciste  mystique,  et  que 
M.  Gerhard  a  représentées  (3).  Toutes  ces  circonstances  ne  peuvent 
être  fortuites  ni  inventées  à  plaisir  par  Cartari  ;  on  y  reconnaît  mani- 
festement une  copie  fidèle  d'un  monument  dont  cet  antiquaire  a  eu 
connaissance. 

La  bouche,  au  lieu  d'être  fermée  avec  le  doigt,  est  entourée  d'une 
bande  et  scellée  d'un  cachet ,  d'après  les  paroles  déjà  citées  de  Pline , 
Sol  in  et  Macrobe  :  Ore  obllgato  obsignaloque  simulacrum  habet , 
prœnexo  obsignaloque  ore  simulacrum  habet ,  simulacrum  ore  obligato 
atque  signatoin  ara  Volupiœ  collocatum  (4).  Ce  bandeau,  après  avoir 
ceint  la  bouche  et  la  partie  correspondante  de  la  tête ,  s'enroule  une 
seconde  fois  autour  du  cou,  sans  doute  pour  faire  allusion  aux  mots 
angere  et  angina  (5).  Personne,  parmi  les  anciens,  n'a  signalé  cette 
bande  enveloppant  le  cou  ;  il  faut  donc  que  Cartari  l'ait  copiée  sur  un 
monument  réel.  Aussi  ajoute-t-il  qu'il  regarde  cette  bande  qui 
serre  le  cou  comme  une  allusion  à  l'épidémie  d'angine,  dont  quelques 

auteurs  font  dériver  le  nom  de  la  déesse  (6)  : Il  maie  délia  squi- 

lantia  chiamata  angina  da'  Latini...  E  per  questo  for  se  il  suo  simu- 
lacro  haveva  qualche  panno  intorno  al  collo ,  che  gli  legava  anco  la 
bocca. 

Peut-être  que  cette  curieuse  statue,  dans  laquelle  on  reconnaît 
encore,  quant  au  port  et  è  la  draperie,  une  certaine  analogie  avec 
Vénus,  existe  en  Italie,  et  qu'elle  se  retrouvera,  lorsqu'on  y  aura 
dirigé  l'attention  des  connaisseurs. 

(2)  Voy.  troisième  partie,  sect.  i ,  §  II,  et  notre  pi.  51,  fi*,  5. 

(3)  Voy.  le  §  précédent,  note  3,  et  l'ouvrage  cité  de  M.  Gerhard,  pi,  XJf ,  ûg.  7. 

(4)  Voy.  Revue  archéologique ,  2e  année,  p.  635  eUuiv, 

(5)  Voy.  Revue  Archéologique,  2»  année ,  p.  t>36 ,  deuxième  alinéa ,  et  p.  639 , 
à  la  fin  du  premier  alinéa. 

(6)  P.  374. 


MEMOIRE   SUR  LES  DIVALIA   ET  LES  AINGERONALIA.        327 
DEUXIÈME   SECTION. 

Images  d' Angérone  figurées  avec  un  ou  plusieurs  attributs  de  Vénus 

ou  de  Cybèle. 

§L  (PL  51,  fig.  13).  Nous  avons  déjà  parlé  (i)  dune  statuette 
de  jeune  fille  figurant  Angérone  et  publiée  par  Cavlus.  Goropius  (2) 
en  donne  une  autre  que  Cuper  (3)  a  copiée.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'a 
décrit  ou  expliqué  cette  image,  qu'ils  regardent  comme  celle  d'Har- 
pocrate.  Une  jeune  fille  assise  se  comprime  les  lèvres  fermées  avec 
l'index  droit.  La  draperie  de  sa  tunique  ressemble  un  peu  à  celle 
décrite  dans  le  §  H  de  la  première  section.  Parmi  ses  attributs  se 
trouvent  le  carquois  et  l'arc  qui  rappellent  l'Amour  et,  indirecte- 
ment, sa  mère.  Trois  têtes  de  pavot,  placées  dans  sa  main  gauche, 
indiquent  la  fécondité  dont  ils  étaient  le  symbole  (4),  et,  par  consé- 
quent, Venus  Genitrix.  Dans  sa  chevelure,  magnifique  comme  celle 
de  Vénus,  se  trouvent,  en  guise  de  diadème,  le  serpent  et  le  crois- 
sant de  la  lune ,  autres  symboles  de  cette  divinité  (5).  Dans  la  même 
main,  elle  tient  un  flambeau  allumé  qui  peut  faire  allusion  à  celui 
de  l'hyménée,  et  qui  se  trouve  d'ailleurs  parmi  les  emblèmes  d'Aphro- 
dite (6).  Le  coq,  placé  à  côté  de  la  déesse  et  sous  son  bras  gauche, 
"indique  la  virilîlé,  dont  les  attributs  se  trouvaient  également  dans 
les  images  de  cette  antique  Vénus  androgyne.  Le  hibou ,  oiseau  de 
Luna,  semble  encore  se  rapporter  au  croissant,  et,  par  ce  symbole, 
à  Vénus.  Le  coq,  le  flambeau  et  les  pavots,  dans  leur  réunion, 
peuvent  encore  servir  à  rappeler  qu'Aphrodite  préside  à  l'amour  légi- 
time ,  dont  le  but  est  la  fécondité. 

On  pourrait  aussi  voir  dans  le  croissant,  Tare,  le  carquois,  et  même 
dans  le  flambeau,  les  attributs  de  Diane,  et  dans  le  hibou,  l'emblème 
de  Minerve.  Cette  image  deviendrait  ainsi  celle  d'une  Angérone 

$  I.  (1)  Sect.  i ,  §  Vf. 

(2)  Jo.  Goropii  Becani  Opéra,  etc.  Antverp.  1580,  in-fol.  Hieroglyphicor. 
1ib.  IV,  p.  49. 

(3)  Gisb.  Cuperi  Harpeerates.  Traj.  ad-Rhen.  1687,  in-4,  p.  154. 

(4)  Euseb.  Prœpar.  Evang.  HI,  il,  p.  66.  Lutet.  1544,  in-fol.  M>5xwveç  -nfe 
TTo/uyovtaç  riytCoÀov.  Vénus  cbez  Maffei  (G'emm.  ant.  fig.  P.  III,  t.  3),  et  Cybèle 
chez  Monlfancon  (  Ant.  expl.  t.  I ,  première  partie ,  pi.  8,  fig.  10)  tiennent  chacune 
deux  pavots  à  la  main.  Pausanias  aussi  (II,  c.  x,  4)  décrit  une  statue  d'Aphrodite 
qui  porte  une  tète  de  pavot  dans  l'une  des  mains. 

(5)  Lajard,  Mèm.  sur  la  Venus  Androgyne,  loc.  cit.,  p.  165  ,  169  ,  177. 

(6)  Vénus  porte  un  flambeau  dans  beaucoup  de  monuments  antiques,  comme, 
par  exemple ,  chez  Maffei ,  Gemm.  ant.  fig.  II,  74 ;  HI ,  2  et  9. 


328  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

panthée;  sa  destination  serait,  de  mettre  en  évidence  les  rapports 
qui,  dans  le  polythéisme  romain,  existaient  entre  Vénus  et  les  diffé- 
rentes divinités  qu'on  y  substituait,  et  qui,  pour  les  initiés,  lui 
étaient  identiques.  C'est  un  point  sur  lequel  nous  ne  pouvons  ici  nous 
étendre  davantage ,  attendu  que  nous  l'avons  développé  dans  le  cha- 
pitre vin  de  la  deuxième  partie.  Nous  aurons  occasion  de  faire  une 
remarque  analogue  à  propos  de  la  figure  11  qui  fait  le  sujet  du 
troisième  paragraphe  de  la  présente  section. 

Quant  à  l'espèce  de  fleur  de  lotus  que  la  déesse,  ainsi  que  le  hibou, 
porte  sur  la  tête ,  et  qu'on  voit  si  souvent  sur  les  images  d'Harpo- 
crate ,  elle  est  évidemment  empruntée  à  ce  dieu.  Néanmoins,  ce  n'est 
pas  là  une  raison  suffisante  pour  voir,  avec  Goropius  et  Cuper,  Har- 
pocrate  dans  la  figure  qui  nous  occupe.  Plus  la  signification  d'An- 
geronia  était  obscure  et  incomprise  des  Romains  mêmes,  plus  ceux-ci 
pouvaient  la  confondre  avec  ce  dieu  égyptien ,  alors  que  son  culte 
commençait  à  s'étendre  parmi  eux,  ce  qui  semble  avoir  eu  lieu  de 
bonne  heure  (7).  11  n'y  a  donc  rien  d'étonnant,  s'ils  ajoutaient  par- 
fois aux  attributs  d'Angérone  quelques-uns  de  ceux  du  dieu  du 
silence. 

Cette  statuette ,  en  bronze,  semble  avoir  été  trouvée  en  Italie  (8). 

Sur  un  Abraxas ,  reproduit  par  Maffei  (9) ,  on  voit  la  réunion  de 
tous  les  emblèmes  dont  l'Angeronia  que  nous  venons  de  décrire  est 
entourée;  mais  il  y  en  est  encore  ajouté  plusieurs  autres  qui  appar- 
tiennent également  à  Vénus,  tels  que  le  dauphin ,  le  lièvre,  la  palme, 
le  bélier  et,  en  outre,  une  tête  d'homme,  que  Maffei  regarde,  nous 
ne  savons  pourquoi,  comme  celle  de  Sérapis.  L'explication  de  cette 
tête  se  trouvera  peut-être  dans  le  profil  d'une  autre  tête  d'homme 
qu'on  voit  tracée  sur  le  bouclier  de  Venus  Victrix  chez  Morel  (10) ,  à 
moins  que  ce  profil  ne  soit  l'effet  d'une  erreur  du  graveur,  puisque 
dans  la  description  de  cette  médaille  le  numismatiste  cité  n'en  fait 
aucune  mention. 

Un  clypeus  que  de  La  Chausse  (il)  a  fait  graver,  porte  aussi  une 

(7)  Piin.  H.  IV.  XXXIII,  12,  éd.  Bipont.  Jam  yero  etiam  Harpocratem,  statuas- 
que  iEgypliorum  numinum  ,  in  digitis  viri  quoque  portare  incipiunt- 

(8)  Gorop.  loc.  Laud.,  p.  48,  infrà.  «  Priorem  imaginem  Pigbius,  curiosissimus 
«  Romae  veteris  explorator,  et  plurimorum  mibi  per  totura  Latium  priscae  mémorise 
«  vestigiorum  prœmonstrator,  se  fatelur  a  Pyrrho  Lïgorio  ,  Neapolitano ,  diligen- 
«  tissimo  item  antiquario,  accepisse.  »  Voici  à  quoi  se  réduit,  mot  pour  mot ,  tout 
ce  que  Goropius  nous  apprend  sur  cette  intéressante  figure. 

(9)  Gemm.  ant.  fig.  II ,  20. 

(10)  Julia,t.  4.,  vi. 

(il)  Roman.  Muséum,  1. 1 ,  seul.  î,  lab.  G4. 


MEMOIRE   SUR   LES   DIVALIA   ET   LES   ANGERONALIA.         329 

figure  humaine  semblable;  cet  antiquaire  la  regarde,  sans  en  indi- 
quer aucune  raison,  comme  celle  de  la  Sagesse  (Sapientia).  Nous 
croyons  qu'on  doit  bien  plutôt  y  reconnaître  la  tête  de  Venus  Victrix. 

§  II.  (PL  51,  fig.  12).  Chez  Cuper  (1)  on  voit  une  figure  fémi- 
nine qu'il  ne  décrit  ni  n'explique,  et  qui,  par  sa  nudité,  a  les  plus 
grands  rapports  avec  celles  dont  nous  avons  déjà  rapporté  la  descrip- 
tion. De  la  main  droite,  élevée  au-dessus  des  seins,  elle  tient  une 
spatule  assez  longue  avec  laquelle  elle  se  comprime  les  lèvres  fermées. 
Dans  le  bras  gauche  elle  porte  une  corne  d'abondance,  symbole  que 
nous  trouvons  très-fréquemment  sur  les  images  de  Vénus  (2).  Sur 
la  partie  postérieure  de  la  tète,  elle  a  une  espèce  de  coiffure  qui  res- 
semble assez  à  un  bonnet  phrygien.  Cet  attribut,  qui ,  sur  des  mon- 
naies (3),  est  quelquefois  placé  à  côté  de  la  tête  de  Vénus,  a  été 
interprété  d'une  manière  trop  exclusive  comme  le  signe  de  la  li- 
berté (4).  Toutefois,  dans  la  gravure  originale  de  Pignorius,  fort 
mal  dessinée  à  la  vérité ,  cette  coiffure  ressemble  davantage  à  la  fleur 
de  lotus,  telle  qu'on  la  voit  fréquemment  sur  la  tête  d'Harpocrate. 
La  statuette  est  posée  sur  un  petit  socle  plus  étroit  en  bas  qu'en 
haut ,  d'après  la  forme  duquel  on  peut  croire  qu'elle  était  destinée  à 
être  fixée  contre  un  mur. 

Cuper  donne  de  cette  figure  une  gravure  assez  bien  faite,  et  qui 
représente  très-manifestement  une  femme.  Il  dit  l'avoir  empruntée  à 
Pignorius,  dans  l'un  des  ouvrages  duquel  j'ai  réussi,  après  beaucoup 
de  recherches,  à  découvrir  l'original  (5);  il  est  fort  mal  gravé,  et 
ressemble  plutôt  à  un  homme  qu'à  une  femme.  Il  en  est  de  même  de 
la  spatule  que  Cuper  a  fait  dessiner  si  nettement ,  et  qu'il  déclare 
sans  hésitation  pour  cet  instrument.  Chez  Pignorius ,  elle  n'est  pas 
reconnaissable ,  et  pourrait  fort  bien  être  regardée  comme  un  doigt 
allongé  et  mal  fait.  Comme  dans  le  texte  de  Pignorius  on  ne  trouve 
pas  un  seul  mot  d'explication ,  il  serait  possible  que  l'auteur  de  l'Har- 
pocrate  se  fût  servi  d'une  autre  édition ,  dans  laquelle  une  gravure 
en  traits  plus  nets  lui  eût  permis  de  reconnaître  positivement  des 
formes  féminines. 

En  tout  cas ,  dans  l'état  actuel  des  choses ,  j'ai  dû  maintenir  cette 

§  II.  (1)  Harpocralès.  Traj.  ad  Rhen.  1687,  in-4,  p.  28. 

(2)  Voy.  sect.  ii,  §  III,  note  20. 

(3)  Voy.  sect.  ii,  §  III ,  note  13. 

(4)  Voy.  sect.  n,  §  III,  note  18., 

(5)  Laur.  Pignorius,  Fetustissimœ  tabulœ  œneœ  sacris  /Egyptiorumsimulacris 
cœlalœ  explicatif).  Venet.,  1605  ,  in-4.  (PI.  II,  dernière  figure.) 


330  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

image  dans  cette  section,  sauf  à  la  reléguer  dans  la  troisième,  ou 
à  la  regarder  comme  un  Harpocrate ,  si  j'arrive  à  trouver  une  autre 
édition  de  Pignorius  qui  ne  laisse  plus  aucun  doute  à  ce  sujet. 

§  IIL  (PL  51  ,  fig.  11.)  Cette  figureaété  publiée  par  JWa#èî(l), 
d'après  une  carnéole  gravée ,  et  reproduite  par  Montfaucon  (2).  C'est 
une  femme  qui  place  l'index  de  la  main  droite  sur  la  bouche  fermée  ; 
elle  est  revêtue  d'une  tunique  très-lâche  et  sans  ceinture,  absolu- 
ment comme  l'une  de  celles  déjà  décrites  (3).  Maflei  y  voit  «  Harpo- 
crate, ou  bien  un  signe  panthée.  »  Elle  a  sur  la  tête  un  boisseau  et 
un  voile;  selon  l'antiquaire  que  nous  venons  de  nommer,  l'un  dé- 
signe Osiris,  et  l'autre  Isis.  «Elle  pourrait,  »  dit  Montfaucon, 
«  être  prise  pour  Harpocrate,  si  elle  n'avait  pas  la  figure  et  l'habit 
de  femme.  »  Tous  les  deux  déclarent  les  autres  emblèmes  pour  la 
massue  d'Hercule  et  les  bonnets  de  Castor  et  Pollux  avec  les  étoiles 
au-dessus. 

Pour  moi,  je  ne  puis  m'empêcher  de  voir  dans  cette  curieuse 
figure  une  statue  destinée  à  rappeler  l'identité  entre  Angérone,  Ve- 
nus Genitrix  et  Cybèle.  Le  culte  de  ces  deux  dernières  tirait  également 
son  origine  de  l'Asie  Mineure.  Ce  que  Maffei  et  Montfaucon  re- 
gardent comme  le  modius,  n'est  peut-être  qu'une  forme  particu- 
lière de  la  tour  qui,  avec  le  voile,  forme  l'attribut  principal  de 
Cybèle.  De  même  que  Venus  Genitrix ,  Cybèle  est  le  symbole^de  la 
fécondité  et  de  la  perpétuité  dans  la  création.  Aussi  la  nommait-on 
la  Mère  de  toutes  choses ,  Magna  Mater.  L'idée  de  la  procréation 
chez  elle  s'étend  même  aux  dieux  :  elle  est  la  Mère  des  dieux,  Mater 
deorum,  ce  qui  en  fait  naturellement  une  divinité  panthée ,  et  pour- 
rait, à  la  rigueur,  expliquer  la  multiplicité  des  emblèmes  réunis  dans 
cette  pierre  gravée.  C'est  sans  doute  à  cause  de  son  identité  avec  Ja 
déesse ,  sous  la  protection  directe  de  laquelle  Rome  et  ses  destinées 
étaient  placées ,  que  les  Romains  attachaient  un  si  grand  prix  à  la 
possession  de  son  image  conservée  à  Pessinunte,  et  que  plus  tard  ils 
la  confondirent  dans  le  culte  mystérieux  d'Angeronia  Venus  Geni- 
trix. C'est  donc,  selon  nous,  une  Angérone-Cybèle  que  représente 
cette  statue.  Dans  la  massue,  attribut  ordinaire  d'Hercule  et  devenu 
l'insigne  de  la  force ,  nous  voyons  une  allusion  à  l'étymologie  grecque 
qu'on  a  assignée  au  nom  de  Rome  (  Pwpj,  Force,  Puissance),  qui  l'a 
fait  traduire  par  Valentia.  Nous  croyons  devoir  lui  donner  le  même 

£  JH.  (i)  Gemm,  «ni.  fig.,  parte  M  ,  U07,  tay  m 

(2)  Antiq.  expL,  t.  \,  2e  partie,  pi,  213,  p.  359,  IV. 

(3)  Voy.  ci-dessus,  sect.  I,  §  II,  et  pi.  61,  fig.  5. 


MEMOIRE   SUR  LES  DIVALIA   ET   LES  ANGERONALIA.        331 

sens  dans  plusieurs  médailles  romaines.  C'est  ainsi  que  la  massue 
seule  se  trouve  figurée  sur  le  revers  de  monnaies  de  César  (4)  et  de 
Cn.  Domitius  (5).  Cette  allusion  devient  plus  manifeste  dans  une  au- 
tre médaille  (6),  où,  directement  au-dessous  de  la  massue,  on  lit  le 
mot  Roma.  On  m'objectera  peut-être  que  sur  la  face  de  cette  der- 
nière médaille  se  trouve  la  tête  d'Hercule  ;  mais  Hercule  lui-même, 
par  suite  du  polythéisme,  sous  lequel  les  Romains  déguisaient  Vé- 
nus ,  la  déesse  tutélaire  de  leur  race,  de  leur  ville  et  de  leur  empire, 
ne  sert  ici  qu'à  remplacer  Venus  Dea  Roma.  C'est  ainsi  qu'on  voit 
son  image  sur  d'autres  monnaies  associée  tantôt  à  celle  de  la  Déesse 
Rome  (7),  tantôt  à  celles  des  Pénates  (8),  symbole  de  Vénus  (9).  Le 
mot  Roma,  regardé  par  les  numismatistes  comme  indiquant  tout 
simplement  qu'une  monnaie  a  été  frappée  à  Rome,  me  semble 
cacher  le  plus  souvent  un  sens  plus  profond ,  et  désigner  que  le  si- 
mulacre de  la  divinité ,  au-dessous  duquel  il  se  trouve ,  est  le  symbole 
de  Venus  Dea  Roma.  A  l'appui  de  l'explication  que  nous  avons 
donnée  de  la  massue  comme  personnification  de  Rome  et  de  sa  déesse 
tutélaire  ,  nous  trouvons  une  pierre  gravée  chez  Maffei  (10) ,  sur  la- 
quelle est  figurée  une  massue  avec  deux  palmes,  un  caducée  et  deux 
épis,  tous  attributs  de  Vénus.  , 

Les  deux  emblèmes,  placés  au-dessus  et  des  deux  côtés  de  cette 
Angérone-Cybèle ,  peuvent  être  deux  bonnets  phrygiens  destinés  à 
rappeler  Attys  son  favori,  et  surmontés  d'une  double  étoile  de  Vé- 
nus que  nous  avons  également  vue  double  au-dessus  de  l'autel  de 
cette  déesse  (il).  Mais  rien  ne  s'oppose  à  les  regarder  comme  les 
chapeaux  et  les  étoiles  des  Dioscures  qui ,  eux-mêmes,  sont  un  des 
symboles  du  culte  de  Vénus.  On  trouve  également  au-dessus  d'un 
Amour,  dans  une  pierre  gravée  (12),  dont  Maffei  a  en  vain  essayé  de 


(4)  Cornelia,  Morell.  t,  6,  iv,  Riccio,  9,  ».  38. 

(5)  Curlia,  M.  IV,  R.  2. 

(6)  Opeimia,  M.  II,  R.  suppl.  2. 

(7)  Acilia3M.  I  I,v,  R.  5.  ^ 

(8)  Anlia,M.  II,  R.  2. 

(9)  Voy.  p.  232,  note  17. 
(10;  Gemm.  ant.  fig.,  IV,  82. 

(il)  Voy.  la  Revue  Archéologique ,  2e  année,  au  bas  de  la  p.  $41.  Ce  que  bous 
avons  dit,  dans  ce  passage  cilé,  des  deux  étoiles  de  Vénus  et,  à  la  même  page,  de 
ses  deux  colombes  placées  sur  une  monnaie  de  Marc-Antoine,  est  confirmé  par 
plusieurs  médailles  grecques  de  Gypre,  où  ces  étoiles  et  ces  oiseaux  figurent  au- 
dessus  de  la  pierre  conique  qui  représente  symboliquement  Apbrodite-  Voy.  La- 
jard,  Mèm.  sur  la  Vénus  androgyne,  loc.  cit.,  p.  203,  et  pi.  IV,  n°8  10,  il  et  12. 

(12)  Maffei,  Gemm,  ant.  fig.,  III,  14. 


332  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

donner  l'explication ,  ces  bonnets  surmontés  des  étoiles;  preuve  nou- 
velle qu'il  existait  une  étroite  corrélation  entre  les  Dioscures  et  la 
déesse  de  l'amour,  et  que  c'est  elle  que  cette  coiffure  doit  désigner 
dans  la  figure  d'Angérone  dont  il  s'agit  ici. 

Je  ne  doute  nullement  que  les  deux  étoiles  de  Vénus ,  mentionnées 
dans  la  note  11  de  la  page  précédente,  ne  soient  une  des  causes 
principales  pour  laquelle  les  Dioscures  ont  été  si  souvent  substitués 
à  Vénus  dans  le  système  monétaire  et  religieux  des  Romains ,  et  pour 
laquelle  ici  nous  trouvons  leurs  attributs  sur  l'image  d'Angérone-Cy- 
bèle.  Cela  était  d'autant  plus  naturel  que  le  pileus  de  Castor  et  Pollux 
ressemble  parfaitement  au  bonnet  phrygien  qui  désignait  primitive- 
ment Attys,  chéri  par  Cybèle.  Ce  bonnet  phrygien  a  été  conservé, 
sur  certaines  médailles  romaines,  à  Venus  Genitrix,  à  cause  des  rap- 
ports qui  existent  entre  elle  et  Adonis  d'un  côté,  et  Cybèle  et  Attys 
d'autre  part.  Bien  que  le  pileus  soit  aussi  un  emblème  de  la  liberté, 
les  numismatistes,  selon  moi,  n'ont  pas  tout  à  fait  raison  de  lui  don- 
ner cette  signification  constante  et  exclusive.  C'est  ainsi,  par  exem- 
ple ,  qu'un  denier  romain ,  fort  curieux  et  inexpliqué  jusqu'ici  (13) , 
porte  une  tête  absolument  semblable  à  celle  de  Venus  Genitrix  pla- 
cée sur  d'autres  monnaies,  et  ayant  à  côté  d'elle  le  bonnet  phrygien. 
Sur  le  revers  on  voit,  dans  une  couronne  de  myrte  et  sous  les  deux 
bonnets  étoiles,  un  enfant  ailé  monté  sur  une  chèvre.  L'exergue  est 
occupé  par  un  thyrse.  Dans  cette  tête,  regardée  jusqu'ici  comme 
celle  de  la  Liberté,  je  crois  reconnaître  Venus  Genitrix,  syno- 
nyme de  Cybèle  dans  la  religion  intime  des  Romains.  Il  me  semble 
impossible  d'expliquer  les  emblèmes  du  revers  autrement  que  par 
une  allusion  aux  mystères  de  Vénus,  dans  lesquels  les  Dioscures 
étaient  le  symbole  visible  de  cette  déesse.  Celle-ci  est  encore  révélée 
ici  par  son  fils,  l'Amour,  par  le  myrte,  son  arbre  sacré,  par  le  thyrse, 
qu'elle  porte  également  dans  d'autres  monuments  de  l'antiquité  (14), 
et,  enfin ,  par  la  chèvre.  Cette  dernière  est  celle  de  la  nymphe  Amal- 
thea  (15);  elle-même  est  appelée  Amalthea  par  quelques  auteurs  (16). 
Elle  a  fourni  la  corne  d'abondance,  un  des  attributs  les  plus  fréquents 
de  Vénus  (17).  Dans  une  gravure  sur  pierre,  publiée  par  Maffei  (l  8), 

(13)  Morell.  Fonteia,  D. 

(14)  Maffei,  Gemm.  ant.  flg.,  III,  8. 

(15)  Ovid.  Fast.  V,  115-128. 

(16)  Apollodor.  I,  1,  s.  7.  Hygin.  Astron.  II,  13,  p.  448,  éd.  Staveren.  Muncker 
sur  Hygin,  p.  300,  12. 

(17)  Voy.note20. 

(18)  Gemm.  ant.  flg.,  III ,  66. 


MEMOIRE    SUR   LES    DIVALIA    ET   LES    ANGERONALIA.         333 

qu'il  regarde  comme  représentant  la  Liberté,  nous  croyons  aussi 
reconnaître  une  Venus  Victrix  caractérisée  par  le  sceptre,  le  bonnet 
phrygien  et  la  palme.  Comment,  en  effet,  appliquer  ce  dernier  em- 
blème à  la  Liberté?  Quant  aux  rapports  mystérieux  qui  existaient 
entre  les  Pénates ,  c'est-à-dire  entre  Castor  et  Pollux ,  comme  sym- 
bole, et  Vénus,  déesse  tutélaire  de  Rome,  nous  les  avons  exposés 
tout  au  long  dans  le  chapitre  I  de  la  seconde  partie  de  ce  Mémoire. 
Ce  que  nous  venons  de  dire  nous  semble  suffisant  pour  expliquer  la 
figure  d'Angérone-Cybèle,  publiée  par  Maffei,  et  pour  attirer  l'atten- 
tion des  archéologues  sur  ce  point  capital  de  la  religion  des  Ro- 
mains. 

Au  sujet  de  la  multiplicité  des  emblèmes,  on  peut  encore  com- 
parer deux  statues  représentées  par  de  La  Chausse  (19),  que  cet  au- 
teur considère  comme  des  signes  panthées ,  opinion  analogue  à  celle 
de  Maffei  sur  la  figure  d'Angérone  que  nous  venons  de  décrire.  Pour 
nous,  ces  images,  sous  le  rapport  des  attributs  essentiels  (les  ailes, 
le  casque,  la  cuirasse),  ne  sont  que  des  figures  de  Venus  Victrix, 
désignée  en  même  temps  comme  Venus  Félix  par  la  corne  d'abon- 
dance et  le  gouvernail.  La  corne  d'abondance,  symbole  de  la  fécon- 
dité ,  est  fréquemment  attribuée  à  Vénus ,  même  quand  elle  prend  la 
forme  de  Venus  Victrix  (20).  Le  carquois  de  l'Amour  est  encore 
ajouté  pour  désigner  Aphrodite.  Si,  dans  l'une  de  ces  deux  figures, 
il  fallait  absolument  reconnaître  les  attributs  de  quelques  autres 
dieux,  cela  s'expliquerait  par  l'analogie  qui  existe  entre  Venus  Ge~ 
nitrix  et  la  Mère  des  dieux,  et  entre  celle-ci  et  Isis ;  car  il  ne 
faut  pas  oublier  la  grande  extension  que  l'adoration  des  divinités 
égyptiennes  avait  prise  chez  les  Romains  à  une  certaine  époque ,  ce 
qui  leur  fit  souvent  réunir  les  emblèmes  de  ces  dieux  à  ceux  de  leurs 
dieux  indigènes,  comme  nous  le  verrons  encore  pour  Harpocrate  et 
Angérone.  Lorsqu'il  s'agissait  d'Angérone  ou  de  la  Déesse  Rome, 
une  pareille  confusion  devait  être  d'autant  plus  facile  de  la  part  des 
Romains  que  leurs  prêtres  avaient  pris  à  tâche  d'envelopper  de  l'ob- 


(19)  Roman.  Mus.,  sect.  II,  tab.  31  et  32.    t 

(20)  Comparez  entre  elles,  et  avec  Maffei  Gemm.  ant.  fig.  II,  75  ,  les  médailles 
suivantes:  Carisia,  Morell.  VI;Riccio,  1,  2.  Considia ,  R.  9.  Julia ,  M.  t.  1, 
VIII;  R.  6.  M.  t.  1,  VII,  N;  R.  7;  M.  t.  4,  A  ;  M.  t.  7,  H  ;  R.  75.  Lwia,  M.  III; 
R.  2.  Mœcilia,  M.  B,  C;  R.  t.  Mussidia,  M.  VI,  F,  G;  R.  1.  Oppia,  M. 
I,  A,  B;  R.  2.  (Ici  Venus  Victrix,  en  place  de  la  corne  d'abondance,  tient  une 
patère  remplie  de  fruits,  comme  Isis  chez  Jac.  Oisel.  Thesaur.  numism.,  t.  47, 
n.  5.)  Sempronia ,  M.  V;  R.  9.  Tullia,  R.  3. 


334  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

scurité  la  plus  profonde  le  culte  de  ces  divinités ,  et  qu'en  effet,  dans 
ledr  polythéisme  systématique,  Isis  elle-même  (21)  était  la  per- 
sonnification des  grandes  forces  créatrices  de  la  nature  et  regardée 
comme  une  divinité  analogue  à  Vénus  et  à  Cybèle. 

La  coiffure  de  cette  Angérone  que  nous  avons  mise  sous  les  yeux 
de  nos  lecteurs  (fig.  11  )  pourrait,  à  la  rigueur,  être  aussi  bien  celle 
d'Isis  que  celle  de  Cybèle.  D'après  ce  qui  vient  d'être  dit,  cela  ne  pro- 
duirait pas  un  changement  bien  essentiel  dans  le  sens  intime  de 
cette  figure. 

(21)  Voy.  sect.  m\  §  I ,  n.  6,  et  4e  partie,  §  II,  n.  9  b.  Comparez  p.  333 ,  à  la  fin 
de  la  n.  20. 

SlCHEL,  I).    M. 

(  La  laite  et  fin  du  prochain  numéro.) 


NOTE 


SUR 


LA  DÉCOUVERTE  D'UNE  TÊTE  DE  PHIDIAS 

A   LA   BIBLIOTHÈQUE  ROYALE. 


Un  Mémoire  de  M.  Mérimée ,  inséré  dans  le  Reçue,  t.  I,  p.  832  et 
suiv.,  décrit  l'heureuse  découverte  faite  à  Venise,  par  M.  le  comte 
de  Laborde,  d  une  tète  de  déesse  provenant  du  fronton  du  Parthénon. 

Une  découverte  du  même  genre ,  et  plus  inattendue  encore ,  vient 
d'être  faite  à  la  Bibliothèque  royale. 

En  déblayant  une  cave  de  cet  établissement,  on  a  trouvé,  au  milieu 
de  débris  de  peu  de  valeur,  une  tête  colossale  de  femme,  ayant  de 
hauteur  0m,26;  de  largeur  0m,17.  Le  nez  est  cassé;  et  la  cassure 
régulière,  ainsi  que  le  trou  pratiqué  au  milieu  pour  recevoir  un 
tenon,  annoncent  qu'on  a  eu,  à  une  époque  quelconque,  l'intention 
de  le  restaurer. 

L'un  des  conservateurs  du  Cabinet  des  Antiques,  M.  Ch.  Lenor- 
mant,  dont  on  connaît  le  goût  et  l'œil  exercé,  frappé  du  style 
grandiose  de  cette  tête,  en  marbre  pentélique,  n'a  pas  hésité  à  y 
reconnaître  la  plus  grande  analogie  avec  ce  qui  reste  des  sculptures 
du  tympan  du  Parthénon;  la  dimension  colossale >  qui  correspond  à 
celle  des  autres  figures,  était  encore  une  preuve  à  l'appui  de  son 
hypothèse.  Tout  lui  parut  donc  se  réunir  pour  établir  que  ce  débris 
précieux  de  sculpture  provenait  d'une  des  statues  jadis  placées  dans 
le  tympan  du  Parthénon. 

VI1  eut  alors  l'idée  de  consulter  le  dessin  de  Carey,  fait  par  les  ordres 
de  Nointel  en  1674 ,  treize  ans  avant  le  bombardement  de  Morosini , 
en  1687.  Il  reconnut  facilement,  sur  ce  dessin,  à  quelle  figure  cette 
tête  doit  avoir  appartenu.  Le  sexe  de  la  figure ,  son  attitude ,  le  mou- 
vement de  sa  tète  rendent  l'identité  à  peu  près  certaine.  On  explique 
même  par  là,  d'une  manière  très- satisfaisante,  une  circonstance 
qui,  au  premier  abord,  semblait  être  Une  grave  objection. 

On  sait  que  les  statues  des  frontons  grecs  sont  entièrement  de  ronde 
bosse,  et  aussi  terminées  derrière  que  devant.  Or,  cette  tête  n'est  pas 
finie  à  la  partie  postérieure ,  le  marbre  n'y  est  pas  même  dégrossi  ; 


336  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  derrière  de  tête  manque  absolument  et  a  toujours  manqué  ;  mais 
M.  Lenormant  remarque  très  à  propos  que  la  figure ,  à  laquelle  il 
la  rapporte,  est  mise  au  second  plan  dans  le  dessin  du  fronton;  or, 
comme  la  saillie  du  tympan  était  limitée,  il  fallait  de  deux  choses 
l'une,  ou  qu'une  figure  ainsi  placée  ne  fût  pas,  en  totalité,  de 
ronde  bosse,  ou  qu'on  entaillât  le  nu  du  mur,  ce  qui  n'était  guère 
possible. 


Cette  circonstance  même  est  donc  favorable  à  l'hypothèse  de 
M.  Lenormant,  qui  l'a  exposée,  vendredi  31  juillet,  à  l'Académie 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres ,  dans  une  note  développée, 
dont  celle-ci  n'est  qu'un  extrait,  fait  d'après  une  simple  audition. 

Il  paraît  qu'à  cette  heure  toute  tradition  est  perdue  sur  l'époque 
où  cette  tête  a  pu  entrer  au  Cabinet  des  Antiques.  Cependant  il  est 


DECOUVERTE    DUNE   TETE    DE    PHIDIAS.  337 

possible  que  des  recherches  ultérieures  fassent  connaître  par  quelle 
route  ce  précieux  débris  a  passé,  pour  arriver  d'Athènes  à  Paris. 
Mais,  en  attendant,  l'origine  attique  ne  nous  semble  pas  douteuse. 

C'est  une  découverte  qui  fera  beaucoup  d'honneur  à  la  sagacité 
de  M.  Lenormant. 

Nous  publions  le  trait  ci-joint ,  sans  autre  prétention  que  de  plaire, 
aux  lecteurs  de  la  Revue ,  en  leur  offrant  un  modeste  croquis  de  ce 
beau  reste  de  la  sculpture  athénienne.  Cette  tête  mérite  certainement 
d'être  reproduite  par  un  très-habile  crayon  ;  et  nous  avons  lieu  d'es- 
pérer que  l'auteur  de  cette  heureuse  découverte ,  en  publiant  le  Mé- 
moire où  il  l'a  exposée ,  y  joindra  un  dessin  digne  du  modèle. 


m.  22 


MIROIR  ARABE  A  FIGURES 


PL.  XLVIIÏ. 


L'usage  des  miroirs  de  métal  remonte  à  une  haute  antiquité,  et  les 
ustensiles  de  cette  nature  qui  ont  été  mis  au  jour  par  les  fouilles  pra- 
tiquées en  Étrurie  ont,  depuis  quelques  années,  été  le  sujet  de  nom- 
breux mémoires  archéologiques  et  même  d'ouvrages  considérables. 
Parmi  les  monuments  de  cette  classe  découverts  en  Italie,  il  ne  s'en 
est  trouvé  qu'un  très-petit  nombre  qui  fussent  ornés  de  figures  en 
relief;  presque  tous  sont  gravés  au  simple  trait.  Les  miroirs  orien- 
taux au  contraire  sont  presque  toujours  ornés  de  reliefs  assez  sail- 
lants; mais,  à  cette  différence  près,  la  forme  générale,  les  dimen- 
sions et  le  métal  établissent  une  relation  frappante  entre  les  miroirs 
étrusques  et  ceux  que  les  musulmans  de  la  Mésopotamie  fabriquèrent 
au  moyen  ège  en  se  conformant  très-vraisemblablement  au  modèle 
adopté  dans  cette  contrée  depuis  la  haute  antiquité.  M.  Micali  a 
publié  (1)  un  miroir  étrusque  sur  lequel  on  remarque  une  bordure 
ornée  d'animaux  qui  se  poursuivent  et  se  combattent;  il  est  extrê- 
mement intéressant  de  retrouver  cette  particularité  dans  le  miroir 
arabe  que  cette  notice  a  pour  but  de  décrire.  Déjà  nous  avons  eu 
occasion  de  parler  de  ces  rangées  processionnelles  d'animaux  em- 
ployées par  les  artistes  arabes  (2),  et  de  rappeler  qu'elles  forment  le 
motif  principal  de  décoration  pour  tous  ces  vases  de  fabrique  ar- 
chaïque que  l'on  recueille  dans  l'archipel  grec,  dans  les  plus  anciennes 
sépultures  de  l'Italie  et  qui  sont  depuis  quelques  années  désignés  par 
le  nom  de  tyrrhéno-phéniciens. 

Le  miroir,  dont  M.  Prisse  a  rapporté  d'Alexandrie  une  fort  bonne 
empreinte  et  que  la  planche  48  reproduit  en  demi-grandeur,  porte 
au  centre  un  cavalier  coiffé  d'un  turban ,  en  costume  de  chasse , 
tenant  sur  le  poing  gauche  un  oiseau  de  vol  ;  à  ses  côtés  est  un  chien 
et  dans  un  plan  éloigné  on  voit  fuir  un  lièvre.  Autour  de  ce  médail- 
lon est  une  zone  chargée  de  dix  animaux;  deux  lièvres,  deux  re- 
nards, une  biche,  une  panthère,  un  lion  ,  une  lionne  et  deux  anti- 

(1)  Sloria  degli  ant.pop.  Italiani,  tav.  XLIX. 

(-2)  Revue  Archèoioq.,  t.  1 ,  1844  ,  p.  544.  Voy.  aussi  1845  ,  p.  777. 


MIROIR   ARABE   A    FIGURES.  339 

lopes.  Vient  ensuite  une  seconde  zone  qui  borde  le  miroir  et  sur 
laquelle  on  lit  en  beaux  caractères,  élégamment  tracés  : 

*jiljJtj     kbLJtj     à*JÎjJ|     ibLauJlj      SJULàJl      ioJtJlj     fjJjJt     Lxj| 

C'est-à-dire  :  Gloire  perpétuelle  et  félicité  complète,  prospérité  con- 
tinuelle, salut,  santé,  bonheur  toujours  renouvelé  à  son  possesseur. 

Le  sens  de  cette  légende  n'a  rien  qui  nous  fixe  sur  l'âge  du  miroir; 
toute  cette  phrase  ressemble  à  celle  que  l'on  connaît  sur  la  coupe  de 
Fajio  qui  représente  aussi  des  chasseurs  (1).  Ici  cependant  il  existe 
une  petite  difficulté  de  lecture.  Après  le  mot  *J&**m  vient  un  groupe 
de  caractères  >4!  que  je  considère  comme  le  commencement  du 
mot  'if^i\  répété  par  inadvertance  ou  plutôt  pour  remplir  la  bor- 
dure; on  pourrait  lire  ce  mot  *4t  entier,  parfait ,  mais  il  serait  in- 
concevable que  la  terminaison  de  cet  adjectif  ne  s'accordât  pas  avec 
celle  du  substantif  qui  précède.  Je  crois  qu'il  est  assez  naturel  de 
penser  qu'un  ouvrier  auquel  on  avait  donné  à  graver  un  certain 
nombre  de  mots  et  qui  n'était  pas  assez  lettré  pour  allonger  la  phrase, 
aura  redoublé  une  portion  de  mot  pour  remplir  l'espace  libre,  et  que 
s'il  a  choisi  un  mot  dans  l'intérieur  de  l'inscription  et  non  pas  répété 
celui  qui  la  termine ,  c'était  pour  que  son  expédient  fût  moins  re- 
marqué. 

Le  style  de  ce  miroir,  la  forme  des  lettres  qui  composent  la 
légende  ,  se  rapportent  au  XIIIe  siècle.  A  cette  époque  on  fabriquait 
dans  la  Mésopotamie  des  ustensiles  de  cuivre,  ce  qui  résulte  non- 
seulement  de  la  mention  du  nom  de  Mouçoul  sur  des  vases  de  ce 
métal  (2),  mais  d'un  passage  d'Ibn  Saïd,  recueilli  par  M.  Reinaud. 
Il  existe  dans  cette  partie  de  l'Asie  des  mines  de  cuivre  très-impor- 
tantes à  l'exploitation  desquelles  on  peut  attribuer  l'émission  de  cette 
quantité  considérable  de  monnaies  de  grand  module  que  frappèrent 
les  Ortokides  et  les  Atabegs  des  XIIe  et  XIIIe  siècles.  Aujourd'hui 
encore  on  remarque  à  Diarbekr,  près  de  la  porte  de  Mardin ,  un 
fourneau  où  l'on  épure  le  cuivre  qui  provient  de  la  mine  d'Argana 


(1)  Revue  Archèol,  t.  1 ,  1844  ,  p.  54 i. 

(2)  Reinaud ,  Monum,  arab.  du  cabinet  de  M.  le  duc  de  Blacas ,  t,  II ,  p.  424. 


340  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Maden  ;  et  à  Tokat  on  fabrique  des  ustensiles  de  cuivre  qui  sont 
expédiés  en  Syrie  et  en  Egypte. 

Dans  les  Mille  et  une  Nuits  et  même  dans  la  chronique  d'Abou'l- 
féda,  il  est  question  d'une  étoffe  nommée  ^J^^yo  qui  a  plus  dune 
fois  embarrassé  les  commentateurs.  M.  Reinaud  en  examinant  ce 
nom,  qui  exprime  l'action  des  animaux  sauvages  qui  se  poursuivent, 
a  pensé  qu'il  se  rapportait  à  des  étoffes  ornées  de  sujets  analogues 
à  ceux  que  représente  ce  miroir.  Il  est  constant  que  sous  l'influence 
des  hordes  turques  qui,  au  temps  des  Croisades,  avaient  envahi 
l'empire  des  Khalifs,  les  musulmans  se  laissèrent  aller  à  retracer  des  - 
figures  d'êtres  animés,  non -seulement  composés  ou  imaginaires 
comme  la  jument  du  prophète,  mais  aussi  tels  que  la  nature  en 
produit,  ce  qui  est  manifestement  contraire  à  la  doctrine  du  Coran. 

M.  Maury,  dans  la  savante  notice  d'un  miroir  magique  qu'il  a 
donnée  dans  cette  Revue  (voy.  plus  haut,  p.  169  ),  a  fait  observer 
que  le  mot  £a^  qui  se  lit  sur  ce  bizarre  monument  des  sciences 
occultes,  figure  parmi  les  lettres  milésiennes,  au  nombre  desquelles 
je  remarque  aussi  Bsc5u  qui  n'a  aucune  signification  en  grec  et  qu'il 
me  sera  peut-être  permis  de  rapprocher  de  ^j^  ,  bedouh,  mot  qui 

n'appartient  pas  aux  idiomes  sémitiques  et  qui  se  trouve  cependant 
inscrit  sur  les  monuments  magiques  ou  astrologiques  des  Arabes.  Je 
sais  que  ce  mot  bedouh  a  été  expliqué  de  différentes  façons  par  les 
musulmans;  les  uns  y  voient  le  nom  d'un  patriarche,  les  autres  une 
progression  arithmétique  douée  d'un  sens  mystique  ;  mais  en  pareil 
cas  il  n'est  pas  interdit  de  se  défier  de  l'érudition  orientale. 

Adrien  de  Longpébier. 


DES  ESTAMPAGES  EN  PAPIER 

ET  DE  LEUR  REPRODUCTION  EN  PLATRE. 

On  est  parvenu,  depuis  quelques  années,  à  reproduire  les  an- 
ciennes inscriptions  au  moyen  d'estampages  en  papier  faits  dans  le 
creux  ou  sur  le  relief  de  la  pierre  même. 

Ces  fac-similé  ont,  sur  les  meilleurs  dessins,  un  avantage  incon- 
testable ,  en  ce  sens  qu'ils  n'altèrent  en  rien  les  caractères  du  styie 
qui  sont  souvent,  faute  de  dates,  une  indication  presque  certaine 
pour  déterminer  l'époque  à  laquelle  appartient  tel  ou  tel  monument. 
Le  papier  estampé  a  l'apparence  d'un  plâtre  ;  malheureusement  il 
a  peu  de  consistance,  et  s'altère  aisément  par  le  fripage  et  l'humi- 
dité. C'est  pourquoi  tous  ceux  qui  s'occupent  d'art  et  d'antiquités 
apprendront  probablement  avec  plaisir  que  ces  fragiles  empreintes, 
seul  bagage  archéologique  que  les  voyageurs  rapportent  facilement 
de  pays  éloignés ,  peuvent  aujourd'hui  se  reproduire  en  plâtre  ou  en 
stuc,  grâce  à  un  procédé  fort  ingénieux  d'un  de  nos  meilleurs  artistes, 
M.  Achille  Dévéria. 

On  a,  depuis  longtemps,  publié  la  manière  d'obtenir  ces  estam- 
pages en  papier;  mais  comme  ce  procédé  simple  et  expéditif  est  en- 
core fort  peu  connu,  et  qu'il  peut  être  employé  avec  succès  par  tous 
les  voyageurs ,  nous  allons  l'indiquer  en  peu  de  mots. 

On  choisit  pour  ces  estampages  du  papier  peu  collé,  du  papier 
d'imprimerie,  par  exemple,  assez  mince  pour  les  petites  inscriptions, 
mais  fort  et  épais  pour  les  bas-reliefs  et  les  grands  monuments  ;  on 
l'imbibe  d'eau  avec  une  éponge  ou  en  le  plaçant  entre  des  linges 
mouillés,  puis  on  l'applique  sur  l'inscription  qu'on  a  soin  de  bien 
nettoyer  auparavant.  On  presse  ensuite  légèrement  ce  papier  sur  la 
pierre  avec  un  tampon  de  linge  bien  sec,  et  on  le  bat  avec  une  brosse 
dont  les  poils  sont  assez  longs  sans  être  trop  flexibles,  pour  que  les 
moindres  détails  du  monument  soient  reproduits  d'une  manière  satis- 
faisante. Si  la  brosse  venait  à  plucher  le  papier,  on  le  tamponne  de 
nouveau  avec  le  linge  sec,  ou  bien  si,  par  la  profondeur  des  carac- 
tères ou  le  relief  des  figures  il  venait  à  se  percer,  on  recouvre  les 
déchirures  par  d'autres  morceaux,  jusqu'à  ce  que  le  relief  reste  tout 
entier  dans  cette  espèce  de  moule.  Après  cette  opération ,  on  enlève 
soigneusement  le  papier  de  dessus  l'inscription ,  et  on  le  laisse  sécher 
sur  une  surface  plane.  Si  l'inscription  est  grande ,  on  ajoute  d'autres 
feuilles  à  la  première  et  on  a  soin  de  les  numéroter  ou  de  les  repérer. 


342  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Ce  procédé  donne  en  quelques  minutes  une  double  empreinte  de 
l'inscription  dans  le  sens  direct  des  lettres  et  dans  le  sens  inverse , 
contre-épreuve  fort  utile  pour  la  reproduction  des  textes  par  l'im- 
pression. Quand  on  opère  sur  une  surface  verticale  et  bien  polie,  il 
est  nécessaire  de  fixer  le  papier  avec  quelques  pains  à  cacheter,  et  de 
le  détacher  aussitôt  que  l'empreinte  est  prise  afin  que  le  retrait  du 
papier  se  fasse  d'une  manière  uniforme.  Quand  les  feuilles  estampées 
sont  bien  sèches,  on  les  place  dans  un  portefeuille,  ou  dans  une 
caisse  sans  trop  les  presser;  elles  se  transportent  ainsi  facilement, 
en  ayant  soin  de  les  mettre  à  l'abri  de  l'humidité. 

La  reproduction  en  plâtre  des  estampages  de  papier  avait  été 
maintes  fois  tentée  sans  succès.  M.  A.  Dévéria,  qui  s'est  dernièrement 
occupé  de  la  solution  de  ce  problème,  a  réussi  à  obtenir  des  épreuves 
aussi  belles  que  les  estampages  mêmes. 

Le  procédé  de  moulage  de  M.  Dévéria  est  aussi  simple  que  celui 
de  l'estampage.  Au  lieu  de  chercher,  comme  on  a  fait  jusqu'ici,  à 
solidifier  le  papier,  ce  qui  n'en  ôtait  pas  le  fripage,  il  lui  donne,  au 
contraire ,  tout  son  développement  au  moyen  d'une  couche  de  savon 
noir  peu  étendu  d'eau. 

Aussitôt  que  le  papier  a  repris  la  forme  tranquille  qu'il  devait  avoir 
lorsqu'il  fut  estampé  sur  le  monument ,  il  y  passe  une  légère  couche 
d'huile  de  lin,  puis  il  y  verse  son  plâtre,  ayant  le  soin  de  réserver 
intact  environ  un  centimètre  de  papier  tout  autour,  afin  qu'il  ne 
soit  pas  soudé  sur  la  table. 

Dès  que  le  plâtre  est  bien  pris ,  le  papier,  si  l'on  agit  avec  précau- 
tion ,  s'enlève  comme  une  étoffe  gaufrée  qu'on  détache  du  moule.  Le 
plâtre  a  absorbé  l'huile  et  une  partie  du  savon ,  et  le  peu  qui  reste 
sur  le  papier,  ne  l'empêche  pas  de  sécher  et  d'être  remis  en  porte- 
feuille si  on  désire  le  conserver. 

Les  nombreuses  et  intéressantes  empreintes  rapportées  d'Egypte , 
par  M.  Prisse,  viennent  d'être  presque  toutes  reproduites  par  ce 
procédé  et  nous  avons  pu  juger  de  toute  la  pureté  de  l'exécution. 

Nous  ajouterons  ici  deux  procédés  différents  et  très-simples  pour 
rendre  ces  empreintes  moins  fragiles  et  leur  donner  la  consistance  de 
la  pierre  :  le  premier  s'opère  en  les  imbibant  de  silicate  de  potasse  en 
liqueur.  Le  second  consiste  à  mêler  et  bien  triturer  avec  le  plâtre, 
avant  de  remployer,  une  forte  pincée  d'alun  en  poudre  pour  deux 
poignées  de  plâtre.  Ce  mélange  bien  fait  suffit  pour  rendre  très- 
durs  les  objets  moulés  avec  celte  préparation. 

J.  A.  L. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Fouilles  de  Pompéla.  —  La  visite  du  septième  congrès  scienti- 
fique d'Italie  et  celle  de  l'empereur  et  de  l'impératrice  ont  fait  faire 
à  Pompéia  des  excavations  nouvelles.  Le  résultat  de  la  première  a 
été  la  découverte  d'une  maison  près  de  la  voie  des  Taverniers ,  mai- 
son qui ,  évidemment  a  été  la  demeure  d'un  riche  citoyen ,  et  a 
toutes  les  commodités  d'une  habitation  somptueuse.  Uatrium  est 
spacieux,  et  en  partie  pavé  en  mosaïque  d'un  élégant  dessin.  L'im- 
plavium  a  une  fontaine  de  marbre  de  couleurs  variées ,  derrière 
laquelle,  chose  peu  commune,  on  a  trouvé  une  table  portée  par 
des  pattes  de  lion  à  griffes.  Les  appartements  particuliers,  de  l'un 
et  de  l'autre  côté  de  la  cour,  sont  ornés  de  fresques  peintes,  d'un 
mérite  artistique  ordinaire. 

En  février  dernier,  on  a  achevé  de  mettre  au  jour  la  maison  dite 
du  Chasseur;  c'est  une  demeure  fort  curieuse  et  qui  a  fourni 
quelques  détails  nouveaux.  Elle  appartenait  sans  doute  à  quelque 
riche  Romain  amoureux  de  la  chasse.  Une  peinture  sur  la  droite 
occupe  tout  un  côté  d'une  large  salle.  Là,  sont  représentés  des 
animaux  sauvages ,  un  lion  chassant  un  taureau.  L'autre  partie  de 
la  maison  est  un  peu  plus  élevée  ;  on  y  trouve  une  colonne  agréa- 
blement peinte  et  couverte  de  festons  rouges  et  jaunes;  derrière 
cette  salle,  sur  une  porte,  est  une  fresque  qui  représente  une  rési- 
dence d'été,  sans  doute  quelque  possession  du  propriétaire.  De 
l'autre  côté  sont  peintes  des  trompes  de  chasse.  Franchissant  cette 
porte,  on  arrive  à  une  salle  carrée  parfaitement  conservée.  La  plus 
belle  peinture  de  cet  appartement  est  un  Vulcain  à  la  forge ,  assisté 
par  trois  hommes  nus  et  noircis  par  la  fumée.  Le  Vulcain  est  fort 
beau ,  et  fait  avec  beaucoup  de  hardiesse  et  de  vigueur.  Dans  la  niche 
de  la  salle  extérieure,  on  a  trouvé  une  petite  statue. 

L'architecture  et  les  ornements  de  cette  maison  ont  été  dus 
évidemment  au  caprice  du  propriétaire  ;  elle  est  remarquablement 
riche  en  décorations,  qui  diffèrent  de  celles  qu'exécutaient  ordinaire- 
ment les  artistes  lorsqu'ils  étaient  laissés  à  leur  inspiration.  Les 
couleurs  sont  très-brillantes  et  très-vives,  particulièrement  celles 
des  oiseaux  et  des  vases  qui  font  immédiatement  face  à  l'entrée. 


344  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

La  maison  que  l'on  a  mise  au  jour  lors  de  la  visite  de  l'empereur 
de  Russie,  n'a  rien  présenté  de  curieux.  Quelques  amphores,  quel- 
ques bronzes  ont  été  trouvés,  mais  fort  ordinaires. 

Les  inspecteurs  qui  sont  venus  présider  récemment  aux  fouilles 
ont  été  plus  heureux.  Les  travaux  venaient  d'être  commencés,  quand 
un  des  travailleurs  s'est  écrié  :  Des  ossements  et  des  pièces.  On  entra 
alors  dans  une  petite  salle  où  se  trouvaient,* en  effet,  trois  squelettes 
complets;  près  de  l'un  d'eux,  qui  paraissait  être  celui  d'un  jeune 
homme,  étaient  trente-six  pièces  d'argent  et  deux  d'or.  Quelques- 
unes  des  premières  étaient  attachées  à  une  clef.  Les  deux  pièces 
d'or  étaient  bien  conservées  et  portaient  l'effigie  de  Domitien  ;  le 
revers  de  l'une  d'elles  était  très-remarquable.  Quant  à  celles  d'ar- 
gent, elles  sont  à  l'effigie  de  Vespasien.  Les  malheureux  qui  ont 
péri  là  étaient-ils  les  habitants  de  cette  demeure,  ou  des  larrons  qui 
profitaient  du  trouble  général?  C'est  une  énigme  dont  personne  ne 
peut  donner  le  mot.  Nous  dirons  seulement  que  le  petit  nombre 
des  squelettes  trouvés  à  Pompéia  se  comprend  ,  si  l'on  se  rappelle 
que,  selon  Pline,  les  gens  alertes,  et  qui  ne  le  sont  pas  par  peur, 
eurent  le  temps  de  fuir. 

Nous  allions  oublier  de  mentionner  que  la  fouille  partielle  faite 
devant  l'impératrice  de  Russie,  a  amené  la  découverte  d'un  meuble 
domestique  curieux,  une  cuisine  portative.  Cet  ustensile,  assez  grand 
et  qui  ne  serait  pas  sans  analogie  avec  une  plaque  de  fourneau,  est 
en  fer  et  surmonté  de  deux  trous  circulaires  disposés  pour  recevoir 
des  marmites.  La  table  de  fer  était  sans  doute  couverte  de  feu  pour 
pouvoir  chauffer  les  mets,  plats,  etc.  Une  poignée,  placée  en  avant, 
prouve  bien  que  ce  meuble  était  portatif. 

—  Notre  collaborateur  M.  Letronne  vient  d'être  nommé  membre 
honoraire  des  deux  sociétés  archéologiques  de  Nassau  et  Mayence. 

Il  vient  aussi  de  recevoir  le  diplôme  de  docteur  en  philosophie  et 
maître  es  arts  à  l'université  de  Tubingen. 

—  M.  le  marquis  de  la  Grange  vient  d'être  nommé  membre  ho- 
noraire de  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  en  rempla- 
cement de  M.  Evriès,  décédé. 


DEUXIÈME  LETTRE  A  M.  PH.  LE  BAS 

SUR 

LES  BAS-RELIEFS  FUNÉRAIRES 

qu'on  croit  représenter 

DES  REPAS  FUNÈBRES  ET  DES  SCÈNES  D'ADIEUX. 

Mon  cher  Confrère  , 

L'explication  d'un  monument  isolé  n'est  jamais  entièrement  dé-' 
nuée  d'intérêt  ni  d'utilité ,  quand  elle  rend  compte ,  d'une  manière 
probable,  de  tous  les  détails  qu'il  présente.  Mais  cette  explication  peut 
acquérir  une  véritable  importance ,  si  le  monument  tient  à  un  en- 
semble de  sujets  semblables ,  qui  sont  restés  encore  plus  ou  moins 
obscurs;  car  elle  peut  servir  à  jeter  sur  tout  cet  ensemble  une  lu- 
mière nouvelle,  en  nous  révélant  le  sens  des  idées  morales  ou  la 
nature  des  notions  historiques  dont  ils  sont  l'expression  commune. 

Voilà,  mon  cher  confrère,  ce  qui  vous  a  fait  donner  une  attention 
sérieuse  au  bas-relief  trouvé  à  Merbaka,  près  d'Argos.  Votre  savoir 
et  votre  tact  archéologiques  ne  vous  ont  pas  trompé  sur  l'intérêt  des 
circonstances  qui  l'accompagnent,  et  vous  en  avez  fait  le  point  de 
départ  de  cette  discussion  approfondie  dont  j'ai  déjà  reconnu  le  mé- 
rite ,  quoique  je  ne  croie  pas  pouvoir  en  adopter  tous  les  résultats. 

A  votre  exemple ,  je  n'ai  pas  non  plus  considéré  isolément  la  stèle 
de  Danaiis  (l),  que  le  hasard  avait  placée  sous  mes  yeux;  et,  tout 

(1)  Cette  stèle  vient  d'être  donnée  au  Musée  impérial  des  Antiques  de  Vienne  par 
son  propriétaire ,  M.  Laurin  ;  c'est  ce  que  m'apprend  ,  par  une  lettre  du  25  juin ,  le 
savant  directeur  de  ce  Musée,  M.  J.  Arneth.  Ayant  le  monument  sous  les  yeux,  il 
a  pu  l'étudier  à  loisir.  Il  approuve  tout  ce  que  j'en  ai  dit  ;  et  veut  bien  qualifier  ma 
dissertation  d'excellente,  même  de  magnifique;  éloges  dont  je  ne  prends  que  ce 
qui  m'en  revient  légitimement,  c'est-à-dire  la  plus  faible  part-  M.  Arneth  m'a  en- 
voyé aussi  le  catalogue  imprimé  (Wien,  1S46)  des  antiques  du  Musée.  Ce  catalogue, 
rédigé  avec  autant  de  précision  que  de  savoir,  donne  les  indications  sommaires  qu'on 
peut  désirer  sur  les  dimensions,  l'état  et  l'objet  des  monuments,  ainsi  que  le  texte 
exact  des  inscriptions  latines  et  grecques,  en  petit  nombre,  que  ce  musée  contient.  Je 
soumettrai  à  l'auteur  deux  rectifications.  La  première  concerne  le  nom  ACACLYTO, 
dans  une  inscription  funéraire  (n°  185)  :  il  le  lit  Acaclyto;  mais  ce  nom  n'eit  ni 
III.  23 


346  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

en  me  renfermant  dans  l'explication  du  monument  en  lui-même, 
j'ai  voulu  au  moins  indiquer  ou  faire  pressentir  quelle  lumière  pour- 
rait en  rejaillir  sur  tous  les  sujets  du  même  genre.  À  Cette  occasion  , 
j'ai  touché  indirectement  au  bas-relief  de  Merbaka  ,  et  à  quelques- 
unes  des  conséquences  ingénieuses  et  savantes  que  vous  en  avez 
tirées. 

Je  vais  reprendre  cette  discussion  ;  et ,  comme  je  crois  que  notre  dis- 
sentiment tient ,  en  grande  partie ,  à  ce  que  je  n'ai  pu  suffisamment 
exposer  les  fondements  de  mon  opinion ,  je  vais  la  développer  davan- 
tage, en  continuant  de  partir  de  la  stèle  de  Dandiis,  dont  le  sujet, 
vous  en  convenez,  est  parfaitement  établi  par  l'inscription.  J'espère 
vous  montrer  que,  dans  l'usage  que  j'avais  fait  de  ce  monument ,  je 
m'étais  fondé  sur  un  examen  assez  exact  des  autres  bas-reliefs  ana- 
logues, et  que  j'avais  pensé  à  la  plupart  des  points  sur  lesquels  vous 
avez  cru  nécessaire  d'appeler  mon  attention. 


Entre  les  sujets  funéraires  que  vous  avez  passés  en  revue  dans  votre 
érudite  dissertation ,  j'en  choisirai  deux  seulement  qui  tiennent  en 
même  temps  à  la  stèle  de  Danaiis  et  au  bas-relief  de  Merbaka.  Ces 
deux  sujete  sont  au  nombre  des  plus  curieux  qu'offrent  les  monuments 
antiques,  parce  qu'ils  peuvent  nous  amener  à  chercher  dans  une  foule 
d'autres,  non  une  cérémonie  religieuse  ,  ou  des  souvenirs  mytholo- 

grec  ni  latin.  En  regardant  bien  l'original ,  on  verra  peut-être  un  petit  crochet  à 
la  partie  inférieure  du  C,  qui  en  faU  un  G;  car  la  vraie  leçon  est  AGACLYTO; 
c'est  le  grec  Ayâxiuro;  (nom  d'un  ancien  historien.  Voss.  Hisl.  grœc,  p.  378,  West.), 
synonyme  de  Ayax/v-s  (  de  ayav  etdex/vrdsou  ?.).ioç\  La  confusion  réciproque  du  C 
et  du  G  est  ordinaire  ;  elle  suffit  souvent  pour  dénaturer  entièrement  un  nom. 
Ain>i,  que  faire  de  GALOMEDES  (Otto  Jahn  ,  Spec.  Epigr.,  p.  98),  à  moins 
de  lire  CALOMEDES  (Kzlop.rlSv}$ ,  comme  l^xï'Mfi^ùr^)?  Ce  sont  de  ces  noms  grecs 
que  M.  Pape  pourra  joindre  à  son  utile  lexique.,  quoiqu'ils  ne  nous  aient  été  fournis 
que  par  une  source  latine. 
L'autre  rectification  est  relative  à  l'inscription  (  n°  23  ). 

KPATH2 

ÏHEPEÏ*PANOP02 

SAPAUN2I  {Sic) 

qu'il  traduit  Craies,  [ils  d'Hypereuphranor,  à  S ar apis.  Mais  hypereuphravor 
est  un  nom  impossible,  et ,  à  la  dernière  ligne,  il  y  a  certainement  sur  la  pion1 
ÏAPM1IISI;  il  faut  lirekpir/;;,  Lnèp  Evfpivopoi ,  Zxpini,  "l<rt  [àvi0>jx«]  ,  c'est-à-dire 
Craies ,  pro  salule  Ëûphranoris,  Sarapidi,  lsidi ,  D.  D.  M.  Arneth  quaiitie 
cette  pierre  de  fragment.  L'inscription ,  du  moins,  parait  être  entière. 


LETTRE   A   M.    PH.   LE    feAS.  347 

giques,  mais  l'expression  d'une  pensée  morale,  d'un  sentiment  ou 
d'un  acte  de  la  vie  commune.  Il  y  a  là  comme  une  sorte  de  question 
vitale  pour  une  des  théories  les  plus  importantes  de  l'archéologie. 

Veuillez  donc,  mon  cher  confrère,  me  suivre  dans  l'examen  ré- 
gulier de  ces  deux  sujets ,  auxquels  je  me  borne,  pour  le  moment. 

I. 

Sur  les  bas-reliefs  qualifiés  de  banquets  funèbres. 

La  stèle  de  Danaîis  (2)  représente  un  repas,  auquel  prennent 
part  trois  personnes  :  un  homme  barbu ,  couché ,  ou  plutôt  accoudé 
(accumbens ,  reclinatus),  sur  un  lit  (lectus  tricliniaris) ,  à  la  place 
d'honneur  (superior  locus)  ;  un  jeune  homme  demi-nu ,  couché  de- 
vant lui ,  et  une  femme  vêtue  complètement  et  voilée ,  assise  à  la 
tète  du  lit  sur  un  siège  à  part.  Un  sujet  analogue  se  retrouve,  avec 
des  variantes ,  dans  un  grand  nombre  de  bas-reliefs  funéraires. 
Tous,  comme  celui-ci ,  sont  de  fort  petite  dimension;  car  la  plupart 
n'excèdent  pas  0,n,40  à  0m,50  en  un  sens,  et  0m,20  à  0m,30  dans 
l'autre,  et  plusieurs  sont  plus  petits  encore. 

Celui-ci  se  distingue  par  une  inscription  grecque  qui  fixe  nette- 
ment la  condition  des  trois  personnages  ;  car  ce  sont  évidemment 
ceux  qu'elle  mentionne ,  à  savoir  :  le  gladiateur  thrace  Danaùs  à  qui 
le  monument  est  consacré ,  sa  femme  Uéorté  (3)  et  son  fils  Âsclé- 
piade  qui  le  lui  ont  élevé.  Quant  aux  accessoires,  les  neuf  couronnes 
se  rapportent  aux  neuf  victoires  remportées  par  Danaùs  (swea'îuç 
TzvY.zîTjGQLq)  ;  et  les  armes  (à  savoir  le  casque  et  le  bouclier) ,  sont 
celles  de  ce  gladiateur;  je  ne  doute  pas  que  si,  au  lieu  d'être 
un  Thrace,  il  avait  été  un  Andabata,  ou  gladiateur  à  cheval,  on 
verrait  la  tête  de  son  cheval  dans  un  des  coins  du  tableau. 

Tous  ces  accessoires,  y  compris  le  chien,  qui ,  la  patte  levée,  de- 
mande sa  part  du  repas ,  ont  un  sens  direct,  relatif  à  la  situation  des 
personnages. 

D'après  l'accord  du  sujet  et  de  l'inscription ,  il  m'a  paru  que  ce 
repas  ne  peut  être  un  repas  funèbre,  puisqu'il  est  de  l'époque  où  Da- 
naùs était  encore  vivant,  où  les  trois  membres  de  la  famille  se  réu- 
nissaient pour  prendre  en  commun  leur  repas  quotidien. 

En  étendant  cette  explication,  comme  il  était  légitime  de  le  faire, 
à  tous  les  sujets  semblables  (sauf  quelques  variantes  dans  le  nombre 

^2)  Voy.  la  pi.  4G  ,  en  tête  de  la  lre  livraison  de  la  3e  année  (15  avril  1846). 
(3)  Je  ne  connaissais  pas  d'exemple  grec  du  nom  d' Uéorté.  Depuis,  j'en  ai  trouvé 
deux  latins ,  HEORTE.  (Gruter,  p.  708,  10.  Passionei,  Iscr.  anliche,  p.  101,  15.) 


348  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

des  personnages),  j'en  avais  conclu  qu'ils  doivent  également  repré- 
senter une  scène  dintérieur,  dont  les  acteurs  sont  les  membres  de  la 
famille,  avant  la  mort  d'aucun  d'eux,  et  non  pas,  soit  un  banquet  fu- 
nèbre, soit  une  cérémonie  religieuse,  telle  qu'un  lectisternium ;  sujet 
que  vous  croyez  reconnaître  dans  le  bas-relief  de  Merbaka ,  dans  la 
stèle  de  Samos  rapportée  par  Tournefort,  et  d'autres  monuments 
(plus  haut,  p.  96).  C'est  par  suite  de  cette  interprétation  que 
vous  voulez  voir  une  déesse  (p.  90)  dans  la  femme  le  plus  souvent 
voilée,  assise  auprès  du  lit,  compagne  ordinaire  des  hommes  couchés , 
qui  n'est  à  mes  yeux  que  Y  épouse ,  que  la  mère  de  famille. 

C'est  là,  j'en  conviens,  un  système  fort  différent  du  vôtre,  et  qui  doit 
influer  sur  la  signification  que  vous  avez  donnée  à  divers  accessoires 
du  sujet;  aussi  avez-vous  beaucoup  de  peine  à  vous  y  rendre;  et  vous 
persistez  à  voir  dans  ces  bas-reliefs,  tantôt  un  lectisternium  ayant  des 
divinités  pour  acteurs,  tantôt  un  de  ces  repas  funèbres  que  les  membres 
dune  famille  offraient  aux  morts  héroïsés  (p.  94),  en  tout  cas,  une  céré- 
monie éminemment  religieuse  (p.  95).  En  vous  exposant  ici ,  avec 
quelques  détails,  les  motifs  sur  lesquels  se  fondait  alors  ma  convic- 
tion ,  je  ne  désespère  pas  de  vous  y  ramener  cette  fois. 


Et  d'abord,  je  dois  le  dire,  cette  dénomination  de  repas  ou  de 
banquet  funèbre  appliquée  à  ces  monuments,  me  paraît  être  une  de 
celles  qui ,  introduites  de  bonne  heure,  ont  été  consacrées  par  l'usage, 
et  sont  répétées  par  habitude,  mais  qu'on  se  sent  disposé  à  abandonner 
dès  qu'on  cherche  à  en  apprécier  la  justesse  ou  la  convenance.  Celle- 
ci,  en  effet,  ne  me  semble  pas  pouvoir  soutenir  un  examen  sérieux. 

Je  ne  reproduirai  pas  les  détails  que  chacun  peut  trouver  réunis 
dans  l'érudite  monographie  de  Kirchmann  (4).  Je  me  borne  à  rap- 
peler que  les  repas  funèbres  privés  (epulœ  funèbres  privatœ),  les  seuls 
dont  il  puisse  être  ici  question  (les  leclisternia  étant  exclus,  comme  je 
le  montrerai),  étaient  de  deux  espèces  : 

1°  Le  repas  des  morts ,  qui  consistait  à  déposer  sur  le  bûcher  même 
certains  mets  auxquels  les  vivants  ne  pouvaient  toucher.  Les  âmes 
des  morts  étaient  censées  voltiger  autour,  se  nourrir  de  la  fumée  des 
graisses,  et  boire  le  vin  qu'on  jetait  dans  la  fosse  (5). 

Il  est  clair  que  ce  n'est  pas  un  tel  repas  que  peuvent  représenter 
les  bas- reliefs  du  genre  de  celui  de  Danaùs. 

(4)  De  Funer.  Roman.  IV,  6. 

(5)  Lucian.  ContempL,  §  22 ,  ibique  Heinsterh. 


LETTRE   A   M.    PH.   LE   BAS.  349 

2°  Le  repas  des  vivants  :  c'est  celui  que  les  parents  célébraient  en 
l'honneur  du  défunt;  ils  se  réunissaient  dans  un  banquet commémo- 
ratif,  près  du  tombeau,  ad  tumulum,  soit  neuf  jours  après  la  mort 
(novemdialis  cœna),  soit  une  fois  par  an,  lors  des  Feralia.  Ce 
festin ,  appelé  en  grec  nepidenwov ,  faisait  ordinairement  partie  des 
parentalia,  en  grec  vexucria. 

C'est  la  deuxième  de  ces  cérémonies  qui  seule  pourrait  être  re- 
présentée dans  nos  bas-reliefs;  et  conséquemment  on  pourrait,  au 
premier  coup  d'oeil,  les  qualifier  de  repas  funèbres ,  bien  que  célébrés 
par  des  vivants.  Ce  serait  à  la  fois  un  repas  de  famille,  en  ce 
sens  que  la  famille  du  mort  s'y  trouvait  réunie,  et  en  même  temps 
un  repas  funèbre,  puisqu'il  aurait  lieu  en  mémoire  du  défunt.  De  cette 
manière,  les  deux  opinions  seraient  réunies  et  conciliées. 

Mais  la  conciliation  n'est  possible  qu'à  cette  condition ,  c'est 
que  tous  ceux  qui  assistent  au  repas  sont  les  survivants ,  c'est-à-dire 
ceux  qui  le  donnent  aux  morts.  Or,  s'il  était  prouvé,  au  contraire, 
par  les  inscriptions  ,  qu'au  nombre  des  convives  sont  aussi  les  per- 
sonnes défuntes,  ce  ne  pourrait  plus  être  un  repas  funèbre  ;  évidem- 
ment ce  ne  serait  que  le  repas  ordinaire,  le  repas  quotidien,  où  tous 
les  membres  d'une  famille  étaient  réunis,  avant  qu'aucun  d'eux  n'eût 
été  ravi  par  la  mort;  et  cette  explication  rendrait  en  outre  parfai- 
tement compte  des  variétés  qui  existent  dans  le  nombre  des  person- 
nages couchés  sur  le  lit ,  tantôt  un  seul,  souvent  deux,  parfois 
trois,  de  même  que  dans  celui  des*  personnes  assises  ou  debout, 
femmes,  enfants  ou  esclaves,  qui  assistent  ou  prennent  part  au  re- 
pas ;  car  toutes  ces  variétés  n'exprimeraient  que  la  situation  ou  la 
condition  particulière  de  chaque  famille. 

Vous  accordez ,  mon  cher  confrère ,  que  la  stèle  de  Danaùs  offre 
ce  mélange  de  morts  et  de  vivants  ;  vous  le  reconnaissez  aussi  pour  la 
stèle  d'Eucléa,  au  musée  de  Vérone  (sur  laquelle  je  reviendrai),  mais 
ce  sont,  à  votre  avis ,  de  ces  exceptions  dont  on  ne  peut  juger  que  si 
l'on  a  pour  se  guider  le  secours  d'une  inscription  (p.  97).  Permettez- 
moi  de  presser  un  peu  plus  l'argument,  et  de  dire  qu'il  suffirait  de  ces 
deux  inscriptions,  non- seulement  pour  établir  le  fait,  mais  pour  nous 
donner  le  droit  de  l'étendre  à  tout  autre  sujet  semblable ,  qui  n'aurait 
point  d'inscription;  car  c'est  un  principe  sur  lequel  toute  X archéologie 
interprétative  se  fonde ,  que  deux  monuments  semblables  doivent  rece- 
voir la  même  explication.  Or,  les  inscriptions  dont  on  peut  tirer  des 
lumières  sur  ce  point  sont  bien  plus  nombreuses  que  vous  ne  l'avez  cru; 
et  la  plupart,  comme  vous  le  verrez,  presque  aussi  claires  que  celle  de 


350  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Danaùs,  prouvent  aussi  que  ce  sont  exclusivement  des  vivants  qui 
assistent  à  ces  repas ,  lesquels  sont  toujours  d'une  époque  antérieure 
à  la  mort  des  personnages  qUe  l'inscription  du  monument  donne 
comme  défunts.  Tout  se  réunit  donc,  sujets  et  inscriptions,  pour 
repousser  Vidée  de  banquets  funèbres. 

Afin  d'expliquer  ce  mélange  des  vivants  et  des  morts  en  de  telles 
scènes,  mélange  que  vous  êtes  obligé  de  reconnaître,  au  moins  pour 
quelques-unes,  vous  avez  recours  à  une  conjecture  qui  ne  me  semble 
pas  suffisamment  autorisée.  Vous  dites  (p.  97)  que,  comme  les  morts 
étaient  censés  assister  au  repas  funèbre,  on  pouvait,  par  une  sorte  de  fic- 
tion, les  y  faire  assister  réellement;  et,  pour  le  prouver,  vous  rappelez 
que,  selon  Eustathe  (il  fallait  dire  Arrien  cité  par  Eustathe,  le  fait  en 
a  plus  de  poids),  les  Bithyniens,  dans  les  vex-Jo-ia,  appelaient  par  trois 
fois  les  âmes  de  ceux  qui  étaient  morts  en  pays  étranger ,  et  les  sup- 
pliaient de  remonter  sur  terre,  pour  prendre  part  au  festin  (6).  D'abord, 
Arrien,  par  cela  seul  qu'il  attribue  cet  usage  aux  Bithyniens  en  par- 
ticulier ,  exclut  tous  les  autres  Grecs;  mais,  existât-il  parmi  ceux-ci, 
vous  lui  donnez  une  extension  un  peu  forte,  ce  me  semble,  en  présu- 
mant que  les  âmes  des  défunts  ,  par  la  raison  qu'elles  étaient  invitées 
à  assister  au  repas,  pouvaient  être  représentées  dans  ces  bas- 
reliefs,  comme  si  elles  y  assistaient,  sous  la  figure  qu'ils  avaient  de 
leur  vivant;  car,  entre  les  inviter  à  être  présents  et  les  figurer  en  per- 
sonne, il  y  a  une  grande  distance,  qu'on  ne  peut  franchir,  sans  y  être 
autorisé  par  un  texte  ou  par  un  monument.  Une  simple  observation 
me  semble  repousser  la  conjecture  ;  il  paraît  évident,  en  effet,  que  si, 
au  moyen  d'une  fiction  ,  on  les  avait  représentés  comme  vivants , 
quoique  morts ,  ils  auraient  été  distingués  des  autres  convives  par 
quelque  signe  particulier;  ce  qui  eût  été  d'autant  plus  nécessaire 
qu'ils  sont,  presque  partout,  comme  dans  la  stèle  de  Danaùs,  couchés 
sur  le  même  lit  et  dans  la  même  attitude  que  les  vivants.  Mais  on  ne 
trouve  jamais  rien  qui  les  distingue  du  reste  de  la  compagnie. 
> 

Vous  reconnaissez  que  «  le  mort  peut  être  une  des  femmes 
«  assises,  aussi  bien  qu'un  des  hommes  couchés;  que  plusieurs  des 
«  assistants  peuvent  être  morts,  et  même  tous  (p.  97)  :  »  et  plus  bas 
(même  page) ,  vous  dites  :  «  A  ces  repas,  tous  les  convives  assistaient 
«  assis;  et  voilà  pourquoi,  sur  un  grand  nombre  de  marbres,  le  mort, 

G)  Arrian.  ap.  Eustath  ad  Qdyss.  I .  v.  65  ,  p.  1615,  2. 


LETTRE    A    M.    PH.    LE    BAS.  3 51 

c<  quand  c'est  un  homme .  paraît  souvent  seul  couché;  la  dénomina- 
«  tion  de  repas  funèbre  convient  donc  bien  à  ce  genre  de  représenta- 
«  tions.  »  Tout  cela  me  semble  un  peu  confus,  et,  en  certains  points, 
contradictoire. 

Ce  que  je  vois  de  bien  clair  dans  ce  double  passage,  c'est  que  vous 
admettez  qu'il  peut  y  avoir  mélange,  en  de  telles  scènes,  des  vivants 
et  des  morts.  Mais  votre  bon  sens  ne  tarde  pas  à  se  choquer  d'une 
telle  association  ;  alors  vous  avez  recours,  pour  la  rendre  possible,  à 
l'hypothèse  que  le  sujet  serait  un  lectislernium.  Or ,  je  ne  crois  pas 
que  vous  fassiez  là  une  juste  application  de  cet  usage  romain. 

Personne  n'ignore  que  le  leclisternium  (a  lec(is  sternendis)  consistait 
à  dresser,  dan?  certains  temples  de  Rome ,  principalement  dans  celui 
de  Jupiter  Capitolin,  des  lits  et  des  sièges  sur  lesquels  les  statues  des 
dieux  étaient ,  les  unes  couchées,  les  autres  assises,  comme  l'auraient 
été  des  personnes  vivantes;  on  mettait  alors  devant  elles  des  tables 
chargées  de  mets.  C'étaient  là  des  banquets  divins,  non  funèbres. 

Cette  cérémonie  n'était  célébrée  qu'en  de  solennelles  circonstances, 
comme  lorsqu'on  voulait  apaiser  les  dieux  à  la  suite  de  quelque  fléau 
ou  au  moment  de  commencer  une  guerre  dont  on  sentait  la  gravité. 
Elle  était  donc,  de  toute  nécessité,  fort  rare. 

En  effet,  le  premier  lecdsternium  fut  célébré,  selon  Tite  Live,  l'an 
355  de  Rome  (7)  ;  et  le  cinquième  le  fut  l'an  429  (8).  Il  n'y  en  avait 
donc  eu  que  cinq  en  soixante-quatre  ans.  Tite  Live,  qui  les  note  avec 
soin,  en  place  un  sixième  (9)  en  534,  un  septième  (10)  en  535,  un 
huitième  (11)  en  538,  un  neuvième  (12)  en  548,  un  dixième  (13)  et 
un  onzième  (14)  en  561  et  573.  Il  n'en  compte  que  onze  en  tout, 
dans  un  laps  de  deux  cent  dix-huit  ans;  c'est  à  peu  près  un  tous 
les  vingt  ans. 

Lorsque  cet  usage  s'est  introduit  chez  les  Romains ,  l'an  355  de 
Rome,  d'où  venait-il?  Était-ce  une  invention  romaine?  je  le  croirais; 
car  rien  n'indique  qu'elle  fût  connue,  ni  des  Étrusques,  ni  des  Grecs; 
ceux-ci  même  n'eurent  jamais  de  mot  pour  rendre  l'idée  du  Uctister- 
nium  (15). 

(7)  tit.  Liv.  V,  13. 
(«)  Id.  VIII,  25. 

(9)  Id.  XXI ,  G2. 

(10)  Id.  XXII,  10. 

(11)  Id.  XXIV,  10. 

(12)  Id.  XXIX,  14. 

(13)  Id.  XXXVI  ,  1. 

(14)  XL,  59.      . 

(15)  Si  Vénus  et  Adonis  sont  représentés  couchés  sur  des  lits,  dans  la  fête  dt  Pto- 


352  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Vous  parlez  des  iepoà  Bolvat,  repas  sacres  des  Grecs ,  sans  citer 
d'exemples  de  cette  expression ,  et  pour  moi ,  je  n'en  connais  pas  ; 
mais  je  m'en  rapporte  à  vous;  si  vous  la  citez,  c'est  que  vous  l'avez 
vue  employée  quelque  part.  En  tout  cas,  je  suis  convaincu  que  ces 
repas  sacrés  ne  peuvent  être  que  ceux  qui  avaient  lieu  à  la  suite  de 
certaines  cérémonies  religieuses,  sans  avoir  rien  de  commun,  ni  avec 
le  lectisternium  latin,  ni  avec  les  repas  funèbres,  qui  portaient  le  nom  de 

Or,  c'est  d'après  l'hypothèse  que  ces  bas-reliefs  représentent  des 
leclisternia  que  vous  essayez  d'expliquer  la  présence  des  personnes 
mortes  couchées  sur  le  lit,  en  disant  qu'elles  sont  héroïsées  et  traitées 
en  qualité  de  héros,  ainsi  que  les  dieux  fans  les  leclisternia;  c'est  à - 
dire  que  leur  effigie  était  transportée  dans  la  salle  du  festin  et  étendue 
sur  le  lit.  Pour  justiûer  cette  explication  ,  vous  dites  que  plusieurs 
inscriptions  latines  montrent  que  le  lectisternium  était,  par  la  suite, 
devenu  une  cérémonie  funéraire  faisant  partie  des parentalia. 

J'aurais  désiré  que  vous  eussiez  indiqué  où  se  trouvent  ces  inscriptions; 
car  vous  n'en  citez  qu'une  seule,  et  je  n'en  connais  pas  d'autre  (16). 
Il  y  est  dit,  à  propos  des  parentalia  :  Prœbeant  item  lectisternimu 
tempore  parentaliorum  (sic).  Dans  cette  inscription,  qui  est  de  bas 
temps  (comme  l'indique  le  barbarisme  parentaliorum  pour  parenta- 
lium),  rien  ne  prouve  que  le  mot  lectisternium  ne  soit  pas  ici  une  im- 
propriété de  langage  au  lieu  de  silicernium;  impropriété  d'autant 
plus  explicable,  à  cette  époque,  que  le  silicernium  ou  repas  funèbre 
exigeait  des  lits  dressés  exprès  (lecti  strati) ,  comme  le  vrai  lectister- 
nium, et  c'est  ainsi  que  Gudio  et  Guthier  ont  entendu  ce  pas- 
sage (17).  Quand  on  accorderait  que,  dans  cet  unique  exemple,  lec- 
tisternium se  rapporte  au  mort,  il  faudrait  bien  admettre  qu'on 
aurait  apporté  dans  la  salle  du  repas  sa  statue  ou  son  buste;  mais  com- 
ment reconnaître  une  effigie  de  ce  genre  dans  ce  personnage  tou- 
jours bien  vivant,  qui  mange  et  boit  comme  le  reste  des  mortels, 
dont  rien  absolument  ne  le  distingue? 

Je  crois  donc  que  la  notion  du  lectisternium  n'est  nullement  appli- 
cable ici;  mais,  avant  de  vous  en  donner  la  preuve,  je  dois  encore 
établir  une  notion  importante  que  vous  m'avez  contestée. 


lémée  Philadelphe  (Theocrit.  Idyll.  XV,  v.  127),  cela  n'arien  de  commun  avec 
le  lectisternium. 

(16)  Gruter,  p.  753,4. 

(17)  De  Jure  Manium  ,  \\ ,  10  ,  p.  2 41. 


LETTRE   A   M.    PH.    LE    BAS.  353 

Ayant  donc  reconnu  des  leclisternia  ou  des  banquets  sacrés  dans 
plusieurs  de  ces  bas-reliefs,  que  vous  assimilez  à  ceux  deMerbaka,  de 
Samos,  etc.,  et,  conséquemment ,  des  personnages  divins  dans  les 
convives ,  vous  êtes  amené  à  prendre  pour  une  déesse  la  femme  vê- 
tue, le  plus  souvent  voilée,  assise  auprès  du  lit.  J'ai  dit,  au  con- 
traire (p.  8  ) ,  que  cette  prétendue  déesse  est  toujours  V épouse  d'un 
des  hommes  couchés  sur  le  lit  ;  ce  qui  est  évident  pour  la  stèle  de 
Danaùs  ;  et  j'avais  cru  pouvoir  rapprocher  de  ce  monument  le  pas- 
sage de  Valère  Maxime  :  Feminœ  cum  viris  cubantibus  sedentes  cœni- 
tabant  (18). 

Vous  m'objectez  (p.  98)  que,  dans  ce  passage,  Valère  Maxime 
parle  d'un  temps  antérieur  ;  selon  vous,  l'imparfait  cœnitabant  montre 
bien  que  «  du  temps  de  cet  historien,  sous  Auguste  et  Tibère,  les 
«  femmes  avaient  renoncé  à  cet  usage,  qu'on  ri  observait  plus  que  dans 
«  les  solennités  des  lectisternia.  »Vous  en  concluez  que  tous  nos  bas- 
reliefs  dont  l'époque  paraît  être  du  IIe  ou  du  IIIe  siècle,  ne  peuvent 
représenter  un  usage  perdu  depuis  si  longtemps;  enfin,  vous  pensez 
que ,  n'ayant  pas  suffisamment  compris  le  texte  en  entier,  j'ai  un  peu 
abusé  de  la  première  phrase.  Je  ne  crois  pourtant  pas  que  l'erreur 
soit  de  mon  côté;  car  voici,  les  unes  après  les  autres,  les  quatre 
phrases  dont  se  compose  ce  passage  : 

Feminœ  cum  viris  cubantibus  sedentes  cœnitabant  ;  c'était,  en  effet, 
l'usage  chez  les  Romains  au  temps  de  la  république  (19).  Mais, 
à  l'époque  de  Valère  Maxime ,  cet  usage  n'était  plus  aussi  général  ; 
toutefois  les  femmes  ri  y  avaient  pas  renoncé,  comme  vous  le  dites; 
c'est  ce  que  prouve  la  suite  : 

Quœ  consuetudo  ex  hominum  convictu  ad  divina  penetravit  ;  ce  qui 
veut  dire  que  cet  usage  avait  passé  des  repas  de  famille  dans  les 
leclisternia,  banquets  donnés  aux  dieux,  où  leurs  statues  étaient 
amenées  et  placées  autour  de  la  table  du  festin  ;  celles  des  dieux 
toujours  couchées  (cubantes)  sur  les  lits ,  et  celles  des  déesses  assises 
(sedentes)  sur  des  sièges,  comme  cela  avait  lieu  dans  la  vie  ordinaire 
pour  les  hommes  et  les  femmes. 

C'est  ce  que  l'auteur  explique  :  Nam  Jovis  epulo,  ipse  in  lectulumf  Juno 
et  Minerva  in  sellas ,  ad  cœnam  invitantur.  Il  arrivait  même  que  si ,  en 
certaines  occasions ,  le  leclisternium  était  célébré  uniquement  par  des 
femmes ,  il  ne  concernait  que  les  déesses;  et,  dans  ce  cas ,  leurs  statues 


(18)  11,1,2. 

ri9)  Varro ,  ap.  Isid.  Orig.  XX ,  2,  9. 


354  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

seules  étaient  alors  déplacées  et  assises  sur  des  sièges;  d'où  la  cérémonie 
prenait  le  nom  de  sellislernium  (a  sellis  slernendis)  ;  c'est  ce  qui 
explique  le  passage  où  Tacite,  parlant  des  cérémonies  expiatoires  qui 
suivirent  l'incendie  de  Rome  sous  Néron,  dit  que  «  les  femmes  en 
«  possession  de  mari  célébrèrent  des  sellisternes  et  des  veillées;  »  et 
sellislernia  ac  pervigilia  celebravere  feminœ  quibus  mariti  erant (20);  où 
quelques  commentateurs  veulent  à  tort  lire  leclisternia  (21). 

La  suite  du  passage  de  Valère  Maxime  montre  bien  que  les  femmes 
n'avaient  pas  renoncé  à  cet  usage  dans  l'intérieur  des  maisons  :  Quod 
genus  severitalis  œtas  nostra  dimgenthjs  in  CapitoUo  quam  in  suis 
domibns  servat.  C'est-à-djre  qu'au  Gapitole,  où  avait  lieu  le  lectister- 
nium  de  Jupiter,  on  maintenait  l'usage  d'asseoir  les  déesses  au  ban- 
quet divin  pins  soigneusement  qu'on  ne  conservait,  dans  les  maisons 
des  particuliers,  celui  de  faire  asseoir  les  matrones.  Donc  l'usage 
n'avait  pas  été  abandonné,  seulement  il  était  constamment  observé 
pour  les  déesses  ,  mais  quelquefois  négligé  pour  les  femmes , 
quoiqu'il  fût  convenable  à  la  pudicité  féminine  (turpis  visus  est 
in  muliere  accubitus,  dit  Varron);  Valère  Maxime  finit  par  cette 
réflexion  :  Videlicet  quia  magis  ad  rem  pertinet  dearum  quam 
mulierum  disciplinam  contineri.  Ces  comparatifs  diligenlius  et  magis 
quam  prouvent  que,  dans  la  pensée  de  Valère  Maxime,  l'usage 
était,  de  son  temps  à  Rome,  plus  négligé  qu'autrefois,  mais  non 
abandonné.  J'ai  donc  pu  le  chercher  sans  invraisemblance  sur  des 
bas-reliefs  romains  du  IIe  siècle,  à  plus  forte  raison,  sur  des  bas-reliefs 
grecs,  comme  le  sont  ceux  qui  nous  occupent? 

Car,  en  Grèce,  tout  annonce  qu'à  l'époque  romaine,  dans  l'inté- 
rieur de  la  famille,  lors  des  repas,  les  hommes  continuaient  d'être  cou- 
chés sur  le  lit,  et  la  femme,  la  matrone ,  d'être  assise ,  comme  Héorté 
la  femme  de  Danaiis  :  ce  qu'atteste,  entre  autres,  un  passage  où 
Dion  Chrysostome,  vers  la  fin  du  Ier  siècle  de  notre  ère,  décrit  un 
de  ces  repas  familiers  comme  ils  avaient  lieu  ordinairement  :  «  Etant 
«  entrés  dans  la  maison ,  nous  passâmes  le  reste  du  jour  à  nous 
«  réjouir;  nous  autres  hommes,  couchés  (fipeïç  julev  xoTaxAiSsvreç) 
«  sur  des  feuilles  et  des  peaux  formant  une  épaisse  litière  ;  la 
«  femme,  assise  près  de  son  mari  (ft  de  ywh  -Klnaiov  napz  tov  xvdpa 
«  y.xBn{j.évYi)  ;  la  fille,  en  âge  d'être  mariée,  nous  servait  et  nous  ver- 
ce  sait  un  vin  délectable,  haut  en  couleur  (pélava.  ohov  ridvv)  ;  les 


(20)  Annal.  XV,  44. 
21)  Voy.  l'excellente  note  de  mon  savant  ami  Dubner  sur  ce  passage. 


LETTRE   A    M.    PH.    LE    BAS.  355 

c<  enfants  distribuaient  les  viandes,  et  eux-mêmes  mangeaient  placés 
«  à  côté  de  mws  (*cù  xvrol  apx  èâdnvovv  nxpxziQévzeç)  (22).  )) 

Ce  passage  semble  fait  exprès  pour  expliquer  tous  ceux  de  nos 
bas-reliefs  qui  offrent,  outre  un  ou  plusieurs  hommes  couchés,  une 
femme  assise  près  du  principal  personnage,  et  des  enfants  ou  des 
esclaves  qui  servent  les  convives. 


Ce  passage  d'un  auteur  grec,  décrivant  un  usage  grec,  est  d'au- 
tant plus  remarquable  que  presque  tous  ces  bas-reliefs  sont  grecs  et 
non  romains.  Ce  fait  important  ressort  de  ces  deux  observations  : 

La  première,  c'est  que  la  plupart  de  ceux  dont  la  provenance  est 
connue  appartiennent  à  la  Grèce  ou  à  l'Asie  Mineure.  Cela  est  cer- 
tain (sans  parler  de  ceux  qui  existent  en  Grèce),  pour  ceux  qu'ont 
publiés  Biagi  et  Pacciaudi;  pour  celui  de  Samos  décrit  par  Tourne- 
fort;  pour  la  stèle  de  Danaùs,  qui  vient  de  Cyzique;  pour  une  autre 
copiée  par  M.  Dubois  aux  Dardanelles;  pour  ceux  des  musées  de 
Vérone  et  d'Oxford \  et  enfin  pour  quinze  (sur  dix-sept)  des  bas- 
reliefs  du  musée  du  Louvre,  lesquels  proviennent  de  la  collection 
Choiseul-Gouffier,  ou  ont  été  acquis  du  consul  de  Saint-Sauveur; 
il  n'en  reste  donc  plus  qu'un  fort  petit  nombre  dont  la  provenance 
soit  inconnue;  et,  à  peu  d'exceptions  près,  on  a  toute  liberté  de 
leur  attribuer  la  même  origine  qu'aux  autres. 

La  seconde  observation  confirme  la  première.  J'ai  dit  que  plu- 
sieurs de  ces  bas-reliefs  sont  dénués  d'inscription.  Or,  un  monument 
funéraire  peut  difficilement  s'en  passer.  11  devrait  porter  au  moins 
le  nom  du  mort.  Je  crois  donc  qu'ils  ont  tous  eu  jadis  une  in- 
scription. Si  elle  a  disparu ,  c'est  que  la  partie  qui  la  portait  a  été 
cassée  et  perdue;  ou  bien  que  l'inscription,  seulement  écrite  à  l'encre 
rouge  et  non  gravée  (ce dont  on  a  plus  d'un  exemple) ,  a  été  effacée 
par  le  temps. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  il  s'est  conservé  beaucoup  de  ces  inscriptions, 
douze  au  seul  Musée  du  Louvre;  quatre  à  celui  de  Vérone;  deux  à 
celui  d'Oxford,  sans  compter  une  dans  la  collection  Nani,  une  parmi 
celles  qu'a  publiés  Pacciaudi,  etc.  Ainsi,  plus  des  quatre  cinquièmes 
ont  conservé  leur  inscription.  Or,  elle  est  toujours  grecque ,  à  peu 
d'exceptions  près,  qui  concernent  des  bas-reliefs  d'un  caractère  tout 
particulier. 

Ceci  achève  de  prouver  que  la  plupart  de  ces  stèles  ont  été  élevées 

(?r  Dio  Chrysost.  Oral.  VII ,  p.  243  ,  944,  Reiske. 


356  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

à  des  Grecs,  ou  à  des  Romains  établis  dans  les  pays  helléniques; 
d'où  il  suit  que  l'usage  de  représenter  de  ces  repas  s*ur  les  stèles 
funéraires,  était,  à  cette  époque,  principalement  répandu  en  Grèce; 
car  pourquoi  en  trouverait-on  si  peu  en  Italie? 

De  ces  deux  observations  on  conciliera  qu'il  faut  renoncer,  pour 
les  expliquer,  au  lectisternium ,  que  les  Grecs  ne  connaissaient  point; 
en  sorte  que  l'association  des  vivants  et  des  morts  devient  inexpli- 
cable; et  l'on  ne  peut  plus  voir  dans  de  telles  scènes ,  que  l'expression 
d'un  repas  quotidien,  qui  réunissait  tous  les  membres  d'une  famille, 
comme  celui  que  décrit  Dion  Chrysostome. 


Permettez-moi  d'achever  cette  démonstration  en  vous  présentant 
encore  une  observation  qui  me  paraît  exclure  tout  aussi  nettement 
l'idée  du  repas  funèbre  donné  aux  morts  héroïsés. 

Il  n'y  a  presque  jamais  que  des  hommes  couchés  sur  le  Ut  ;  quand 
une  femme  prend  part  au  repas ,  elle  est  presque  toujours ,  comme 
dans  la  stèle  de  Danaùs,  assise  sur  le  bord  du  lit,  ou  sur  un  siège  à 
part,  complètement  vêtue,  le  plus  souvent  voilée,  et  ramenant  le  voile 
sur  son  visage  ;  or,  c'est  là  un  des  caractères  de  la  pudicité,  qui  con- 
vient aux  mères  de  famille. 

Que  cette  femme  soit  Y  épouse  de  l'homme  couché  auprès  de  qui 
elle  se  trouve  placée,  c'est  ce  dont  personne  ne  doutera  plus  main- 
tenant ,  si  l'on  rapproche  du  passage  de  Dion  Chrysostome ,  notre 
stèle  de  Danaùs,  où  sa  femme  Héorté  est  assise  auprès  de  lui. 

Or,  s'il  fallait  reconnaître  là  des  banquets  funèbres,  en  Yhonneur 
des  morts,  qui  y  assistent  comme  des  convives  ordinaires,  on  devrait 
en  conclure  que  ces  banquets  n'avaient  pas  lieu  pour  les  femmes,  les 
hommes  étant  les  seuls  qui  sont  représentés  couchés  sur  des  lits. 
Conclusion  entièrement  inadmissible. 


J'appellerai  maintenant  votre  attention  sur  deux  distinctions  à 
faire  entre  ces  divers  sujets  ;  distinctions  fondées  sur  l'attitude  et  le 
costume  de  la  femme,  le  deuxième  acteur  principal  dans  ces  scènes. 

Première  distinction.  —  Je  connais  quatre  ou  cinq  exemples  de 
repas  où  la  femme,  assise  sur  le  bord  du  lit,  n'est  ni  vêtue  ni  voilée; 
mais  il  est  à  remarquer  que  ce  sont  les  seuls  qui  soient  accompagnés 
d'une  inscription  latine. 

Dans  le  premier,  composé  de  deux  personnages,  homme  et  femme, 


LETTRE   A    M.    PH.    LE   BAS.  357 

l'homme  est  couché  à  l'ordinaire  ;  d'une  main ,  il  tient  un  vase ,  il 
pose  l'autre  sur  l'épaule  d'une  jeune  femme ,  à  moitié  mie ,  assise  sur 
le  bord  du  lit,  les  pieds  sur  un  escabeau  (23). 

Au-dessous  du  bas-relief,  il  y  a  une  inscription  latine  fort  mu- 
tilée, où  je  distingue  les  lettres  qvinc bene.  merenti.  et. 

rarissimae.  conjvgi  ;  d'où  il  résulte  que  la  femme  est  bien  une 
épouse  légitime,  mais  que  les  deux  époux  ne  tenaient  plus  à  l'an- 
cienne rigidité  des  mœurs  romaines. 

Un  autre ,  tout  semblable  ,  est  relatif  à  une  jeune  mariée,  enlevée 
par  la  mort,  à  peine  le  mariage  était-il  consommé.  Le  bas-relief  ex- 
prime le  moment  où  l'époux  attire  à  lui  sa  jeune  femme.  L'inscription 
latine  en  vers  exprime  sa  profonde  douleur  (24). 

Dans  un  troisième  (25),  la  femme  vêtue,  non  voilée,  tient  une 
guirlande;  l'inscription :d. m.  ||  c.  licini.  c.  lib.  ||  primigenî.  et.  [| 
licimae.  c.  lib.  hygiae.  montre  que  C.  Licinius  Primigenius  et  Li- 
cinia  Hygia  étaient  deux  affranchis  de  C.  Licinius.  Licinia  était  non 
une  conjux,  mais  une  simple  conlubernalis ,  peut-être  une  maîtresse. 
Des  amis  ou  des  parents  leur  ont  élevé  ce  tombeau  à  tous  deux. 

La  même  observation  peut  s'appliquer  à  un  quatrième  bas-relief 
que  Montfaucon  a  tiré  de  Boissard  (26).  On  y  voit  un  repas  entre 
■  deux  personnes  ;  l'homme  sur  le  lit  ;  la  femme  assise  au  pied ,  le  sein 
nu,  non  voilée;  un  chien  est  couché  à  ses  pieds,  un  serpent  se 
roule  sur  la  table  (je  parlerai  plus  bas  de  ces  deux  accessoires). 
L'homme  couché  est  L.  Stalilius  Tenesimus;  la  femme,  Terentia  Suc- 
cessa,  d'après  l'inscription  :  l.  statilio.  tenesimo.  ||  terentia. 

SVCCESSA.    |     PATRONO.    BENE  MERENTI.     |     F.  F.   Il   s'ensuit  que  le 

tombeau  a  été  élevé  par  Terentia  Successa  à  son  patron.  L'attitude 
un  peu  libre  de  la  Terentia ,  et  son  vêtement  décolleté  attestent 
qu'après  avoir  été  l'esclave  de  Statilicus  Ténésimus,  elle  était  devenue 
sa  maîtresse.  Elle  avait  voulu  représenter  leur  manière  de  vivre. 

Ce  résultat  me  semble  assez  remarquable ,  car  il  s'ensuit  que  de 
ces  quatre  exemples  où  la  femme  est  nue  ou  non  voilée  ,  portant  des 
inscriptions  latines,  deux  ne  concernent  que  des  maîtresses.  Dans 
presque  toutes  les  autres ,  la* femme  est  vêtue,  presque  toujours  voilée, 
toujours  assise ,  presque  jamais  couchée  sur  le  lit. 

(23)  Clarac,  Mus.  de  Sculp.,  pi.  155,  n°  338. 

(24)  Gruter,  p.  843.  Un  autre  semblable  (Spon,  p.  118)  n'a  pas  d'in- 
scription. 

(25)  Clarac  ,  pi.  155,  n°  339.  Inscriptions ,  pi.  19. 

(26)  Ant.  expl.  III ,  pi.  57.  Boissard  ,  IV,  p.  126. 


358  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE, 

Vous  devez  reconnaître,  mon  cher  confrère,  que  vous  n'avez  pas  eu 
raison  de  me  blâmer,  pour  avoir  dit  «  que  toute  femme  assise  (vêtue 
«  ou  voilée)  est  une  épouse  légitime,  et  toute  femme  couchée  est  une 
«  courtisane  ou  une  maîtresse  ;  »  ni  d'ajouter  (en  vous  fondant  sur  le 
passage  de  Valère  Maxime)  «  que  la  loi  que  je  pose  est  bien  loin  d'être 
«  absolue,  et  que ,  si  la  femme  de  Danaiis  est  assise,  c'est  peut-être 
«  parce  que  la  place  manquait  sur  le  lit.  »  Point  du  tout  ;  elle  est 
assise,  parce  que  c'est  la  position  de  presque  toutes  les  femmes  en  de 
telles  scènes;  elle  est  vêtue  et  voilée,  parce  que  c'était  le  costume 
obligé  des  matrones.  Il  n'y  a  donc  pas  moyen  de  chercher  une  déesse 
dans  chacune  de  ces  femmes  ! 


Deuxième  distinction,  —  En  combattant  ma  proposition,  mon  cher 
confrère,  vous  me  paraissez  avoir  perdu  de  vue  un  autre  fait,  que  je 
signalerai  à  votre  attention  :  c'est  que ,  dans  le  grand  nombre  de  ces 
sujets,  sculptés  sur  des  monuments  funèbres,  il  n'en  est  que  quatre 
ou  cinq  où  la  femme  soit  couchée  à  côté  de  Yhomme;  et  encore ,  dans 
une  attitude  amoureuse  qui  annonce ,  non  pas  une  scène  paisible  et 
décente ,  comme  le  serait  un  repas  entre  l'homme  et  la  femme ,  mais 
une  orgie,  une  débauche ,  entre  un  amant  et  sa  maîtresse. 

Un  de  ces  exemples  est  fourni  par  un  bas-relief  du  musée  du 
Louvre  (27) ,  où  l'on  voit  un  homme  barbu ,  demi-nu ,  aux  formes 
athlétiques,  comme  Danaùs,  couché  devant  une  table  chargée  de 
mets;  de  la  main  gauche  il  tient  une  couronne,  de  la  droite  il  prend 
un  vase  que  lui  présente  un  jeune  esclave  ;  sur  le  même  lit  est  cou- 
chée une  femme  demi-nue,  qui  se  penche  vers  lui  et  l'embrasse  amou- 
reusement. 

Voilà  encore  une  scène  familière ,  et  de  plus  tout  à  fait  erotique. 
L'absence  d'inscription  ne  nous  permet  pas  de  savoir  si  le  tombeau  avait 
été  élevé  par  la  maîtresse  à  l'amant  ou  vice  versa.  Mais  certainement 
l'un  ou  l'autre  a  voulu  représenter  leur  façon  habituelle  de  vivre ,  et 
mettre  en  action,  sur  le  monument  qui  recouvrait  l'un  d'eux ,  cette 
maxime,  qui  leur  servait  de  règle  :  Ti  âï  Tsp7rvov ,  ârep  xpvafiç  Acppo- 
ftnft;  «Où  serait  l'agrément  de  la  vie,  sans  la  belle  Aphrodite?»  comme 
disait  Mimnerme(28);  pensée  imitée  par  Horace  (29),  qui  se  retrouve 

(27)  Clarac  ,  pi.  160,  n°  336.  Un  sujet  analogue  se  voit  dans  Spon,  p.  306  ,  5. 

(28)  Ap.  Stob.  Florileg.  LXUI,  6.  10.  Cf.  Naeke  in  Chœril.,  p.  223. 

(29)  Horat.  Epist.  1,6,  65. 


LETTRE    V    M,    1>H.    LE    BAS.  359 

encore  dans  Catulle  :    Vivamus ,  mea  Lesbia,  atque  amemur  (30); 
dans  une  inscription  funéraire  :  Amici,  ckim  vivimus,  vivamus  (31),  etc. 

Un  autre  exemple  est  dans  Un  bas-relief  funéraire,  publié,  d'après 
Boissard(32),par  Gruter  et  Montfaucon  (33),  on  y  voit  un  autre  repas 
épicurien,  où  un  homme  est  couché  sur  un  lit  ;  une  femme  est  couchée 
à  côté  ou  plutôt  sur  lui;  Uri  serpent  se  roule  sur  la  table.  Une  autre 
femme ,  faisant  fonction  de  cilhârède ,  assise  dans  un  fauteuil  à  dos- 
sier, chante,  en  s'accompagnant  d'une  sorte  de  mandoline;  des  en- 
fants et  trois  femmes  servent  les  deux  convives.  Si  l'on  pouvait  avoir 
des  doutes  sur  la  signification  de  cette  scène  et  de  la  précédente , 
elle  serait  établie  par  l'inscription ,  gravée  le  long  du  bord  du  lit  : 
HAYCBIOCTOZHNrAYKYTOOANeiNYnOOIA...  J'ignore  si  per- 
sonne s'est  occupé  de  cette  inscription;  mais  je  la  lis  et  la  complète 
ainsi  :  Èâvç  fiioç  ,  xb  £yjv*  yAuxù  xb  Qxvsïv  vxib  <pia[Awv].  «  Une 
«  existence  douce,  [c'est  de]  vivre  ;  il  est  doux  de  mourir  au  bruit  des 
«  phiales.  »  Ces  deux  phrases  sont  remarquables. 

1°  Edvç  ftioç,  xb  £?jv.  On  sait  que  Çyjv,  ainsi  que vivere,  en  latin, 
signifie  mener  joyeuse  vie ,  comme  nous  disons,  faire  la  vie,  être  vi- 
veur. Ainsi,  Agathias  s'adressant  à  un  vieillard,  lui  dit  :  mve,  yioov, 
y.oà  £nQi  (34).  Il  y  a  donc  ici  opposition  entre  (3i'oç,  la  vie  ordinaire, 
et  xb  Çyv,  la  vie  de  plaisir;  comme  dans  l'épitaphe  de  Similis,  rap- 
portée par  Dion  Cassius.  Retiré  des  affaires,  sur  ses  vieux  jours, 
Similis  avait  vécu  sept  années  au  sein  du  repos.  Il  fit  mettre  sur  sa 
tombe  :  Hipuhç  evxavda.  ksïxou*  fiiovç  piv  ïxr\  x6ax9  tyiaoLç  dl  ïx-r\  Ç. 
«  Ci-gît  Similis  ;  sur  tant  d'années  qu'a  duré  son  existence ,  il  n'en  a 
«  vécu  que  sept  (35).  » 

2°  VkuvAJ  xb  Baveïv  vr.b  <j>ta[Awv] ,  ce  supplément  me  paraît  certain, 
puisqu'il  y  a  place  pour  trois  lettres  après  <Ï>IA.  La  locution  est  très- 
belle  et  très-élégante  ;  vno  s'employait  au  lieu  de  \lzx6l  pour  indi- 
quer la  cause  concomitante.  Hérodote  :  ivxpaxevovxo  vnb  aodmy- 
ywv  (36)  ,  wpuffffov  vnb  uaortyeov  (37)  ;  vitb  xiopuxoç  -nponyâ- 
psue(38);  Euripide:  vn'  ■ûxXsÏHç  Baveïv ,  mourir  accompagné  d'une 
bonne  renommée  (39),  etc.  De  même  xb  0av£tvu7:o9i«Awv,  est  mourir  au 

(30)  Catull.V,  1. 

(31)  Gruter,  p.  619. 

(32)  T.  IV,  p.  145. 

(33)  Gruter.,  p  843  ;  Montf.  Anl.  expL,  t.  III ,  p.  57. 

(34)  Agath.  ép.  26 ,  Afilhol.  IV ,  p.  13  et  la  note  de  Jacobs. 

(35)  Dio  Cassius ,  LXIX ,  19 ,  et  la  note  de  Fabricius.  —  Cf.  Boissonade ,  Anecd. 
gr.,  t.  IV,  p.  151. 

36)  Herod.  I,  17  et  la  note  de  Lareher. 
(37)  ld.  vil ,  22  ,  56. 

38;  ld.  IX,  98. 
^39)  Hippol.  v.  1299.  Cf.  Matthiai,  Ausfûhrl.  gr.  Gramm.  §«  593  ,  b. 


360  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

bruit  des  plùales ,  avec  accompagnement  de  phiales  ;  yidlr,  étant  pris 
ici  d'une  manière  générique  pour  noxripiov  (40). 

Cette  pensée  a  été  gravée  sur  le  bord  du  lit,  parce  qu'elle  exprime 
ce  que  chante  la  citharède,  en  s'accompagnant  de  la  cithare  ;  ce  sera 
donc  le  refrain  de  quelque  scolie  (ffxo'Aiov),  ou  chanson  à  boire 
(napolmoç  «<%)  qui  se  chantait  dans  les  repas.  Selon  toute  appa- 
rence ,  ce  sont  des  vers  lyriques ,  où  l'on  peut  s'attendre  à  trouver 
cette  irrégularité  (axohbç  vo^oç)  qui  distinguait  ce  genre  de  poésie. 
Je  soupçonne  qu'ils  étaient  disposés  ainsi  : 

nèbç  (3toç  ,  rb  ÇfjV  (-  -  «  -  ,9  -) 
ylvM  rb  Bavêïv  (  ««««-) 
vnb  yioàm.  (      «    »    w    «   -) 

Le  premier  vers  peut  être  un  iambique  dimètre  brachycatalectique  ; 
les  deux  autres,  des  monomètres  ,  uniformément  composés  d'un  tri- 
braque  et  d'un  iambe.  Je  préfère  cette  coupe,  parce  qu'elle  suspend  le 
sens  après  Bavetv;  ici  la  musique  faisait  une  pose  qui  arrêtait  la 
pensée  sur  le  paradoxe  :  yXuxù  to  0aveîv,  mourir  est  doux;  puis, 
après  quelques  moments  de  suspension,  arrivait  le  correctif  £7:0  cptaXwv, 
au  bruit  des  phiales,  qui  complétait  la  pensée;  car  dans  ces  scolia,  comme 
dans  nos  chansons,  la  musique  s'ajoutait  au  mètre,  pour  compléter  le 
sens  et  l'effet.  Le  scolion,  dont  je  crois  retrouver  ici  un  fragment,  doit 
être  d'un  bon  temps ,  à  en  juger  par  l'excellent  emploi  de  une  dans 
vnb  cpiaXwv.  Un  poëtastre,  de  la  basse  époque  qu'annoncent  la  forme 
des  lettres  et  le  style  du  bas-relief,  aurait  parlé  tout  autrement. 

Un  sujet  semblable ,  auquel  se  joint  une  pensée  philosophique  qui 
est  bien  dans  l'esprit  des  anciens,  se  remarque  sur  un  bas-relief  funé- 
raire découvert  à  Chiusi  (41).  On  y  voit  représenté  un  repas  auquel 
assistent  plusieurs  personnages,  dont  les  deux  principaux,  l'homme 
et  la  femme,  sont  couchés  sur  le  lit  tricliniaire;  au-dessus  d'eux  sont 
suspendues  des  guirlandes  et  des  couronnes.  Tout  y  respire  la  joie  ; 
mais  derrière  se  montre  une  divinité  infernale,  cachée  sous  un  lin- 
ceul qui  ne  laisse  à  découvert  que  son  visage;  elle  semble  menacer 
de  mettre  fin  à  toute  cette  allégresse.  C'est  la  pensée  de  la  mort  qui  se 
mêle  aux  scènes  les  plus  joyeuses  de  la  vie  ;  les  anciens  aimaient  à 
rappeler,  en  de  telles  occasions,  combien  la  vie  est  courte  et  passa- 
gère ;  ils  y  trouvaient  un  stimulant  à  se  livrer  au  plaisir  avec  plus 
d'abandon:  Ilîve,  noiïÇe,  Qvnrbç  6  |3toç*  oltyoç  ovnl  ytiç  yjpovoç. 
«  Bois  (dit  le  poëte  Amphis)  et  amuse-toi,  la  vie  est  mortelle;  tu 

(40)  Voy.  mes  Observations  sur  les  noms  des  vases,  p.  <»5. 

(41)  Emil  Braun ,  dans  le  Bullelino  dell'  Inslit.,  ann.  1844 ,  p.  87. 


LETTRE   A  M.    PH.   LE  BAS.  361 

«  n'as  que  peu  de  temps  à  passer  sur  terre  (42)  ;  »  pensée  qui  fait  le 
fond  de  la  fameuse  épitaphe  de  Sardanapale  (43).  Le  poëte  anacréon- 
tique  dit  de  même  :  «  Dans  peu,  nous  ne  serons  que  poussière.  Cou- 
ce  ronnez-moi  donc  de  roses  et  faites  venir  mon  amie  (44).  »  Quand 
Trimalchion ,  à  l'imitation  des  Egyptiens ,  fait  apporter  un  squelette 
au  milieu  du  festin,  il  s'écrie  :  Sic  erimus  cunctl...  ergo  vivamus, 
dum  licet  esse  bene  (45). 

Le  bas-relief  de  Chiusi  n'est  que  la  traduction  d'une  pensée  qui  a 
été  très-bien  exprimée  par  l'auteur  de  l'opéra  des  Danàides,  et  mer- 
veilleusement mise  en  relief  par  la  muse  de  Salieri  : 

Souvent,  sans  bruit,  la  mort  se  glisse  , 
Et  nous  frappe  au  sein  des  plaisirs. 


Ce  sont  là,  mon  cher  confrère,  autant  de  scènes  familières  ou 
d'actes  de  la  vie  privée ,  qui  se  retrouvent  sur  des  vases  grecs  et  dans 
des  peintures  murales  de  tombes  (46);  elles  expriment  la  pensée 
joyeuse  que  les  anciens  aimaient  à  rappeler  au  moment  suprême ,  en 
reproduisant  sur  leurs  monuments  funèbres  les  images  de  la  vie  sen- 
suelle (47).  Telle  est  cette  charmante  peinture  d'Herculanum  (48)  qui 
représente  un  homme  demi-nu,  couché  sur  un  lit,  buvant  apuori, 
à  même  d'un  rhython  ,  et  ayant  devant  lui  une  jeune  femme ,  sa  maî- 
tresse (49),  assise  sur  le  lit,  le  bras  gauche  amoureusement  appuyé 
sur  sa  cuisse  ;  scène  erotique  tout  à  fait  semblable  à  plusieurs  de 
celles  qui  viennent  d'être  citées,  et  qui  en  montre  clairement  la  na- 
ture et  la  signification. 

Ainsi,  la  tombe  des  célibataires,  qui  avaient  vécu  dégagés  des 
liens  moraux  de  la  famille,  était  décorée  des  joyeuses  images  de  leur 
vie  passée;  mais,  sur  celle  des  pères  ou  mères  de  famille,  on  repro- 
duisait principalement  la  scène  qui  les  montrait  réunis,  avec  leurs 
enfants  et  leurs  esclaves,  autour  de  la  table  du  repas  quotidien. 

En  deux  exemples,  nous  avons  une  scène  familière  d'un  tout 

(42)  Ap.  Athen.  VIII,  p.  336 ,  E.  —  Meineke,  Fragm.  poet.  corn.,  t.  III, p.  303. 
.    (43)  Cf.  Naeke,  ad  Chœril.,  p.  223,  sq. 

(44)  Pseudo-Anacr.  od.  4. 

(45)  Petron.  Salyr.,  c.  34,  p.  197.  Burin. 

(46)  Entre  autres  ,  Mon.  dell'  Jnstit.  t.  II,  pi.  33. 
[WyMuseo  Chiusino,  pi.  36,  38,  106  ,  123,  183. 

(48)  Peint.  d'Hercul.,  t.  1 ,  pi.  14  ,  p.  75,  79. 

(49)  L'interprète  dit  una  moglic  o  un'  arnica.  Tout  ce  qui  précède  rend  lé 
deuxième  plus  probable. 

III.  24 


362  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

autre  caractère  (50).  L'homme  couché  et  la  femme  assise  à  côté  de  lui 
ont  devant  eux  une  table  sur  laquelle  on  ne  voit  ni  mets  ni  vases  à 
boire  ;  chacun  d'eux  tient  un  volume  qu'il  lit  tranquillement  de  son  côté. 
L'inscription  latine  porte  quAlfidia  Irène  a  élevé  ce  tombeau  à 
son  mari ,  C.  Alfidius  Callippe ,  et  à  son  fils ,  G.  Alfidius  Trium- 
phalis.  Elle  a  donc  voulu  se  représenter,  elle  et  son  mari  (défunt) , 
dans  l'occupation  qui  charmait  leur  intérieur,  lorsque,  à  côté  l'un  de 
l'autre,  chacun  d'eux  passait  les  longues  soirées  d'hiver  à  lire  un 
livre  qui  les  intéressait. 

Une  autre  fois,  nous  voyons  le  mari  et  la  femme  paisiblement  assis 
à  côté  l'un  de  l'autre  sur  un  sopha  et  faisant  la  conversation  (51). 
Ce  sont  encore  là  des  actes  Je  la  vie  privée,  dont  l'objet  ne  peut  lais- 
ser de  doute. 


Une  scène  familière  d'un  genre  différent  est  représentée  dans  un 
bas-relief  de  Cyzique  (52).  Un  homme,  accoudé  sur  les  coussins 
d'un  lit,  couronne  une  femme  vêtue  et  voilée,  assise  au  milieu  et  sur 
le  bord  du  même  lit ,  les  pieds  sur  un  escabeau  ;  un  jeune  homme 
est  debout,  derrière  l'homme  couché  qu'il  couronne  à  son  tour. 
La  table  n'est  pas  devant ,  la  place  étant  prise  ;  elle  est  reculée  au 
pied  du  lit.  Aussi  les  personnages  sont  occupés  à  tout  autre  chose 
qu'à  manger.  Sur  la  table ,  il  n'y  a  pas  de  mets ,  on  n'y  voit  que  deux 
vases,  un  cratère  et  une  coupe;  deux  jeunes  filles,  dont  l'une  est 
adulte,  contemplent  les  trois  personnages.  11  est  évident  que  le  repas 
est  fini,  et  qu'à  l'issue  on  célèbre  quelque  cérémonie,  comme  serait  un 
anniversaire  de  mariage  ou  de  naissance,  dans  laquelle  la  fille  cou- 
ronne son  père,  et  celui-ci  son  épouse;  car  telle  est  la  condi- 
tion des  trois  personnages  ;  comme  le  prouve  surabondamment  l'in- 
scription: M^vioçEp^«tou,yuvy)  NdcoîtoXiç,  vibç  Ayjprrpioç,  xat'P£T£  (53). 
«  Ménius,  fils  d'Hermœus,  Nicopolis,  sa  femme,  Démétriusf  son  fils; 
«  adieu  (tous  trois).  »  Autre  scène  ^intérieur,  dont  le  souvenir  était 
cher  au  parent  ou  à  l'ami  qui  leur  a  élevé  ce  tombeau. 

Les  exemples  que  je  viens  de  citer  vous  feront  peut-être  regretter, 
mon  cher  confrère ,  d'avoir  dit  que  c<  l'idée  de  voir  des  scènes  de 

(50)  Boissard,  IV,  pi.  92. 

(51)  Mus.  Capitol.  IV,  pi.  29. 

(52)  Caylus  ,  Recueil ,  t.  II ,  pi.  74  ,  p.  265. 

(53)  Le  nom  de  Mrjvtos ,  qui  manque  au  lexique  de  Pape  ,  se  retrouve  dans  une 
inscription  des  environs  de  Cyzique  (Corp.  Inscr.,  n°  3699).  C'est  le  même  que 
M>?vis(/d.  n°  1685),  venant  du  dieu  M>fr. 


LETTRE   A  M.    PH.   LE   BAS.  363 

«  famille  ou  d'intérieur  dans  ces  bas-reliefs  est  contraire  aux  usages 
«  de  Vantiquité;  »  car  il  est  clair  à  présent  que,  dans  tous  ceux  que 
je  viens  de  citer,  et  dans  ceux  qui  leur  ressemblent,  le  sujet  ne  peut 
avoir  d'autre  signification  ;  et  qu'il  exprime,  dans  ses  variétés,  soit  les 
situations  ou  conditions  diverses  des  personnes  en  l'honneur  de  qui 
ces  monuments  furent  élevés ,  soit  la  pensée  qui  les  occupait  au  mo- 
ment suprême,  ou  était  censée  chère  à  leur  mémoire. 


Je  vais  compléter  ces  résultats  au  moyen  des  autres  inscriptions. 
Celles  que  je  viens  de  rapprocher  des  bas  reliefs  qu'elles  accompa- 
gnent montrent  déjà  quelles  se  rapportent  aux  personnages  dont  elles 
font  connaître  le  nom  et  la  qualité. 

Si  je  ne  me  trompe ,  il  en  e9t  de  même  de  toutes  celles  dont  on 
peut  deviner  le  sens;  elles  expliquent  le  rapport  des  personnages  entre 
eux ,  et  par  conséquent  la  nature  du  sujet,  presque  aussi  clairement 
que  peut  le  faire  l'inscription  de  Danaùs;  enfin  elles  prouvent  que  les 
principales  figures  de  ces  bas-reliefs  sont  des  portraits,  autant  que  l'a 
permis  la  petitesse  ou  la  faiblesse  de  l'exécution  ;  en  sorte  qu'ils  nous 
offrent  le  plus  souvent,  non  seulement  un  acte  de  la  vie  privée,  mais 
un  vrai  tableau  de  famille. 

C'est  après  avoir  éclairci  ces  divers  sujets,  que  j'arriverai  à  votre 
bas-relief  de  Merbaka  et  à  ceux  de  même  espèce,  qui  sont  bien  réel- 
lement des  banquets  funèbres,  où  les  deux  convives  sont  des  défunts , 
mais  représentés  ad  formam  deorum  ;  sujet  distinct ,  à  la  fois ,  et  des 
précédents,  et  des  ex  voto,  avec  lesquels  on  rte  doitpas  les  confondre. 

Je  finirai  donc  par  où  vous  avez  commencé  ;  mais  peut-être  juge- 
rez-vous  que  ce  détour  était  nécessaire  pour  pouvoir  justement  ca- 
ractériser ces  sujets,  si  divers  dans  leur  apparente  uniformité,  et 
fixer  le  sens  des  accessoires  qui  les  accompagnent,  tels  que  le  chien, 
le  serpent ,  la  tête  de  cheval ,  et  les  objets  d'armure ,  qu'on  y  trouve 
quelquefois  représentés  ;  lesquels ,  dans  ces  cas  au  moins  (je  m'ex- 
plique), ne  me  paraissent  pas  avoir  la  signification  symbolique  que 
vous  leur  attribuez,  ainsi  que  d'autres  habiles  archéologues.  Vous 
allez  juger,  au  reste ,  de  la  valeur  des  raisons  sur  lesquelles  j'appuie 
cette  théorie,  si  différente  de  la  vôtre. 

Letronne. 

(La  suite  à  un  prochain  cahier.) 


MEMOIRE 

sur 

LES  DIVALIA  ET  LES  ANGERONAL1A 

COMME   CULTE   SECRET   DE   VÉNUS   CHEZ   LES   ROMAINS. 


TROISIÈME  PARTIE  (1). 

§  IV.  (PI.  51 ,  fig.  8.)  Nous  empruntons  encore  cette  figure  à 
Caylus  (2) ,  qui  l'accompagne  des  réflexions  suivantes  :  «  Cette  gra- 
vure, sur  une  cornaline,  se  ressent  encore  beaucoup  des  impressions 
égyptiennes  ;  mais  tout  est  énigme  dans  le  sujet  :  la  principale  figure 
représente  une  femme  drapée ,  et  qui  porte  de  très-grandes  ailes. 
Les  Romains  ont  été  dans  l'habitude  de  représenter  ainsi  la  Victoire  ; 
d'ailleurs,  je  ne  connais  point  d'autre  divinité  que  l'on  puisse  soup- 
çonner :  il  est  vrai  que  le  silence  ne  fut  jamais  un  attribut  de  cette 
déesse  légère  et  bruyante  ;  cependant  elle  a  le  doigt  sur  la  bouche , 
et  semble  recommander  le  secret  à  un  Amour  assis  par  terre  et  sur  le 
premier  plan ,  dont  la  disposition  est  absolument  celle  d'un  captif. 
Il  paraît  appuyé  contre  un  piédestal  qui  porte  la  représentation  d'un 
griffon  ailé ,  auquel  la  Victoire  offre  ou  laisse  prendre  trois  palmes 
qu'elle  tient  dans  la  main  qui  n'est  point  employée  à  caractériser  le 
secret. 

<c  On  avoue ,  sans  rougir,  quon  ne  comprend  rien  à  une  pareille  com- 
position. 

«  La  gravure  de  cette  pierre  est  médiocre  dans  toutes  ses  parties  ; 
la  bizarrerie  du  sujet  peut  seule  la  rendre  recommandable.  » 

L'aveu  que  fait  ici  un  archéologue  si  renommé  montre  combien 
dans  la  science  de  l'antiquité,  ainsi  que  dans  toutes  les  autres,  lors- 
qu'il s'agit  d'un  point  particulier,  tout  l'édifice  peut  pendant  longtemps 
être  mal  établi  à  défaut  de  la  clef  de  voûte.  Cette  clef  de  voûte  dans 
l'histoire  du  culte  d'Angérone ,  c'est  son  identité  avec  Volupia,  c'est- 
à-dire  Vénus.  Avant  que  ce  point  ne  fût  élucidé,  l'explication  des 

(1)  Voir  la  Revue,  t.  III,  p.  321-334. 

§  IV.  (2)  Recueil,  t.  VI,  p.  262  ;  pi.  81 ,  flg.  2. 


MÉMOIRE   SUR   LES  DIVALIA   ET  LES  ANGERONALIA.        365 

monuments  était  impossible,  et,  comme  si  le  silence  recommandé  par 
Angérone  elle-même  dût  se  prolonger  indéfiniment,  son  culte  res- 
tait obscur  même  pour  les  plus  profonds  connaisseurs  de  l'anti- 
quité. Au  contraire,  cette  identité  une  fois  trouvée,  les  ténèbres 
qui  entourent  cette  déesse  se  dissipent.  La  figure  dont  il  s'agit  ici 
est,  de  la  manière  la  plus  évidente,  une  Angérone  victorieuse  ou 
Venus  Victrix  Angeronia.  Son  attitude  est  absolument  la  même  que 
dans  les  autres  statues;  seulement,  ici  c'est  l'index  gauche  qui  clôt 
la  bouche ,  la  main  droite  tenant  les  palmes,  attributs  de  la  Victoire. 
Ses  formes  parfaites ,  les  beaux  contours  de  son  sein ,  la  draperie  de 
sa  tunique,  sa  ceinture  lâche,  sa  belle  chevelure,  arrangée  comme 
dans  les  autres  figures  et  statues  de  Vénus  et  d'Angerona ,  et ,  pour 
ne  point  laisser  de  doute ,  l'Amour  assis  à  terre  devant  elle  :  tout 
enfin  indique  Vénus.  Les  ailes,  attribut,  comme  les  palmes,  de 
Venus  Victrix,  sont  plus  grandes  que  ne  le  sont  d'ordinaire  les  ailes 
de  la  Victoire ,  sans  doute  pour  faire  allusion  à  Vénus  Uranie.  L'A- 
mour aussi,  peut-être  par  la  même  raison ,  a  des  ailes  plus  grandes 
que  de  coutume.  Par  ses  mains  liées  derrière  le  dos ,  on  a  voulu  pro- 
bablement indiquer  qu'on  doit  proscrire  la  légèreté  et  l'imprudence 
dans  l'accomplissement  des  rites  sacrés;  que  la  raison,  au  contraire, 
doit  dominer  le  sentiment  et  réprimer  les  mouvements  de  la  passion , 
lorsqu'il  s'agit  d'une  religion  sur  laquelle  repose  le  salut  de  l'État.  On 
peut  donc  reconnaître  encore  dans  cette  attitude  de  l'Amour  une  allu- 
sion au  secret  exigé  dans  le  culte  de  Vénus-Angérone.  Enfin ,  cette 
déesse  elle-même  est  placée  devant  un  griffon  ailé  posé  sur  un  piédes- 
tal. Cet  animal ,  absolument  dans  la  même  attitude  que  nous  lui 
voyons  ici ,  se  trouve  figuré  sur  quelques  monuments ,  avec  la  patte 
qui  est  élevée  reposant  sur  une  roue  (3).  En  tant  que  symbole  du 
soleil ,  il  concourt  ici  à  désigner  d'une  manière  mystérieuse  Vénus 
Uranie ,  parmi  les  attributions  et  les  emblèmes  de  laquelle  se  trou- 
vait cet  astre  (4). 

TROISIÈME   SECTION. 

Monuments  figurés,  où  Angerona  revêt  la  forme  mâle. 

§  I.  Nous  nous  sommes  déjà  expliqué  d'une  manière  générale  sur 
les  monuments  compris  dans  cette  section  (1).  La  déesse  tutélaire  de 

(3)  Maffei,  Gemm.  ant.  fig.,  II,  15,  et  surtout  De  la  Chausse,  Roman.  Mus. 
T.  I,  sect.  v,tab.  8. 

(4)  Lajard ,  Mém.  sur  la  Pènus  Androgyne ,  loc.  cit.,  p.  177. 
§  I.  (1)  Voy.  p.  224,  troisième  alinéa. 


366  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Rome  était  primitivement  cette  Vénus  orientale  bisexuelle  dont  par- 
lent plusieurs  auteurs.  De  là  vient  l'inscription  du  bouclier  consacré 
qui  existait  au  Capitole  :  Gemo  urbis Romœ ,  sive  mas,  sive  femina  (2). 
Delà  également  l'interdiction,  mentionnée  par  Plutarque,  de  la  re- 
cherche du  sexe  de  cette  divinité  (3),  Le  dédoublement  de  cette  Aphro- 
dite androgyne  (  ààpevéB-olvç)  (4)  a  produit  un  dieu  Vénus  mâle  (5). 
Cette  circonstance  explique  pourquoi  Angérone  prend  quelquefois 
l'extérieur  d'un  jeune  garçon  ou  celui  d'un  homme.  Parmi  les  figures 
qui  jusqu'à  présent  ont  été  classées  parmi  celles  d'Harpocrate ,  nous 
en  trouvons  plusieurs  que  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  regar- 
der comme  des  Angérones. 

Dans  les  images  et  statues  où  Angérone,  selon  nous,  revêt  la 
forme  d'un  enfant  mâle  ou  d'un  homme,  il  est  vrai  qu'il  y  a  très-sou- 
vent un  mélange  d'attributs  qui  rappellent  Harpocrate;  mais  il  n'y  a 
rien  là  qui  doive  nous  étonner.  De  même  qu'Angérone  ordonne  le 
silence  sur  le  secret  de  sa  conformité  avec  Vénus ,  Harpocrate  le 
commande  en  sa  qualité  de  dépositaire  et  de  gardien  des  mystères 
d'Isis  et  d'Osiris.  Il  est  permis  en  même  temps  de  rappeler  l'analogie 
qui  existait,  surtout  d'après  un  passage  de  Varron  (6),  entre  Vénus 
orientale  (Astarté) ,  Cybèle  et  Isis,  déesses  qui  toutes  étaient  la  per- 
sonnification des  grandes  forces  de  la  nature ,  et ,  plus  particulière- 
ment, de  la  reproduction.  Il  n'y  a  donc  rien  de  surprenant  dans 
l'analogie  qu'on  trouve  entre  Harpocrate  et  Angérone,  et  dans  la 
similitude  d'une  partie  de  leurs  attributs. 

Cette  similitude  devait  être  augmentée  forcément ,  et  même  avec 
l'intention  calculée  d'entourer  de  ténèbres  la  véritable  signification 
d'Angérone ,  dans  les  siècles  où,  par  suite  du  polythéisme  romain, 
le  culte  des  divinités  égyptiennes  fut  mêlé  à  celui  des  dieux  du 
Latium  et  de  la  Grèce,  On  trouvera  donc  moins  étrange  de  ma 

(2)  Serv.  ad  Mn.  II,  351. 

(3)  Voy.  Revue  archéologique ,  2e  année  ,  p.  636. 

^4)  Joh.  Lydus,  de  Mensib.,  éd.  Rœtber,  p,  26.  Codinus  (Selecta  de  originib. 
conslanlinopolilanis.  Aurel.  Allobrog.  1607,  in-8,  p.  -i5)  dit  avoir  vu  à  Constan- 
tinople  la  statue  de  l'Aphrodite  bisexuelle.  Il  ajoute  expressément  que  celte  Vénus, 
révérée  par  les  Romains,  était  figurée  avec  les  attributs  des  deux  sexes  ,  pour  indi- 
quer qu'elle  présidait  à  la  reproduction  de  l'espèce  (ifopoç  ysvéfxswç),  et  qu'Enée 
avait  érigé  en  l'honneur  de  sa  mère  un  simulacre  ayant  cette  forme  (tôv  fxriTépa 

£Tt//.»;ff5  TOtOÛTW  àyscA/iart). 

(5)  Voy   troisième  partie  ,  p.  224 ,  note  1. 

(6;  De  L.  L.  IV,  p.  17,  éd.  Biponl.  Principes  d«i ,  Cœlum  et  Terra  ;  hi  dei  iidem, 
qui  in  ^Egypto  Serapis  et  Isis,  et  st  [etsi?J  Harpocratesdigito  [silentium  ?]  signitu-.it; 
qui  sunt  Taautes  et  Aslartu  apud  Pliœnicas,  ut  iidem  principes  in  Latio  Saturnus 
et  Ops. 


MEMOIRE   SUR  LES  DIVALIA   ET   LES   ANGERONALIA.         367 

part  une  opinion  qui  peut  d'abord  sembler  paradoxale  ,  et  qui , 
cependant ,  découle  naturellement  de  la  corrélation  entre  la  divi- 
nité tutélaire  de  Rome  et  la  Vénus  orientale  androgyne,  dont  le 
dédoublement  a  produit  une  Vénus  mâle.  Je  crois  donc  qu'il  existait 
une  Angérone  mâle ,  d'après  le  même  principe  qui  fît  représenter 
aux  Cypriotes  leur  Aphrodite  avec  une  barbe  et  d'autres  attributs  de 
la  virilité.  Nous  avons  d'ailleurs  vu  que  l'image  d'une  Angérone 
mâle  a  été  trouvée  dans  la  ciste  mystique  de  Pennacchi  (7). 

§  IL  Guper  (l)  a  figuré  un  jeune  garçon  ailé  et  presque  nu, 
ayant  le  bras  gauche  appuyé  sur  une  massue  entourée  d'un  serpent, 
près  de  laquelle  se  trouvent  deux  oiseaux.  L'index  de  sa  main  droite 
est  appliqué  sur  les  lèvres  fermées.  A  côté  de  son  pied  droit  se 
trouve  un  lièvre.  Dans  cet  enfant,  que  Cuper  regarde  comme  un 
Harpocrate,  nous  voyons  Amor-Angerona ,  dans  la  massue  l'allusion 
déjà  signalée  au  mot  Home  (2),  dans  les  oiseaux,  les  colombes  de 
Vénus. 

Quant  au  serpent ,  nous  avons  parlé  de  ses  rapports  avec  Vé- 
nus (3).  Le  lièvre  était  consacré  à  Aphrodite  (4),  principalement 
à  cause  de  sa  prodigieuse  fécondité,  qui  avait  frappé  les  anciens  (5) , 
mais  aussi,  très-présumablement,  à  cause  d'une  fable  bizarre  qui , 
chez  eux,  s'était  accréditée  sur  cet  animal  (6).  Le  mâle,  dans  les 
fonctions  de  la  reproduction  de  l'espèce,  passait  pour  remplir  l'office 
des  deux  sexes  :  tantôt  il  fécondait;  tantôt,  fécondé  à  son  tour,  il 
mettait  des  petits  au  monde.  Peut-on  méconnaître  ici ,  dans  la  con- 
sécration à  Vénus  de  cet  animal  réputé  hermaphrodite,  un  nouvel 
indice  d'Aphrodite  androgyne? 

Tous  les  emblèmes  réunis  sur  cette  planche  de  Cuper  se  rappor- 
tent donc  aussi  bien ,  et  mieux  peut-être ,  à  Vénus  qu'à  Harpocrate. 
Il  en  reste  deux  seulement  capables  de  soulever  quelques  doutes ,  le 
vase  que  la  figure  porte  au  bras  (situla),  et  le  lotus  placé  sur  sa  tête. 

(7)  Voy.  p.  323 ,  n.  4. 

§  II.  (1)  Harpocrates,  p.  2. 

(2)  Voy.  sect.  n ,  §  III ,  avant  la  note  4. 

^3)  Sect.  ii ,  §  I ,  note  5. 

(4)  Philostrat.  Icon.  I,  C,  éd.  Olear.  p.  772.  Aayws,  îepetov  'AfpoSîry  fàiorov. 
Eustath.  ad  Iliad.  A ,  206  ,  p.  87.  Kaî  Aaywèç  èpûroiv  àvâfly?/*a. 

(5)  Herodot.  III,  108,  copié  par  Pline ,  H.  N.  VIII,  55,  §  81. 

(6)  Plin.  H.  N.  VIII,  55  ,  §  81.  yElian.  de  Anim.  nal.  XIII,  12.  Geoponic, 
XIX,  4.  Cette  erreur  reposait  peut-être  sur  la  fausse  interprétation  et  l'amplification 
d'une  particularité  observée  par  Aristote  {H.  A.  V,  2)  :  pendant  l'accouplement  la 
femelle  monte  quelquefois  sur  le  mâle.  Dans  le  siècle  dernier  cette  fable  n'avait  pas 
encore  perdu  toute  croyance.  Voy.  Niclas  sur  les  Géoponiques  ,  p.  1219. 


368  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Mais  nous  avons  aussi  vu  ce  dernier,  dans  le  §  T  de  la  seconde  sec- 
tion ,  parmi  les  emblèmes  d'une  déesse ,  qui  est  très-manifestement 
une  Angérone  et  ne  peut  être  expliquée  autrement.  Il  n'y  a  donc 
pas  lieu  de  se  laisser  arrêter  par.  quelques  symboles  du  dieu  égyp- 
tien. Les  artistes  romains,  par  des  raisons  que  nous  avons  déjà 
développées,  les  ont  ajoutés  à  ceux  d'Angérone,  divinité  que  les 
précautions  de  leurs  prêtres  avaient  réussi  à  leur  rendre  incompré- 
hensible, et  à  faire  prendre  souvent  pour  Harpocrate. 

§  III.  Aux  pages  32  et  118  de  son  ouvrage  cité,  Cuper  a  fait 
graver  deux  autres  figures  d'Harpocrate,  presque  entièrement  con- 
formes, par  leurs  attributs,  à  celle  que  nous  venons  de  décrire.  Il 
doit  être  facile  d'en  réunir  d'autres  semblables ,  mais  nous  nous  en 
dispenserons;  car  nous  ne  croyons  pas  que  cela  puisse  répandre  au- 
cune nouvelle  lumière  sur  notre  sujet. 

La  ressemblance  entre  les  symboles  de  Vénus  et  d'Harpocrate  n'a 
d'ailleurs  rien  qui  doive  surprendre,  ce  dernier  étant  regardé  comme  la 
personnification  du  soleil,  astre  qui,  nous  l'avons  déjà  dit  (1),  est 
dans  les  attributions  de  Vénus-Uranie.  Celle-ci,  en  outre,  a  été  re- 
gardée par  les  Romains  comme  analogue  à  l'Isis  (2)  des  Égyptiens, 
dont  les  mystères  étaient  confiés  à  la  garde  d'Harpocrate . 

§  IV  (1).  11  y  a  peu  de  jours,  on  a  découvert,  dans  le  cabinet  des 
médailles  de  la  Bibliothèque  royale,  une  figurine  d'Angérone,  en  tous 
points  semblable  à  celles  qui  sont  décrites  dans  les  §  III  et  IV  de  la 
lre  section,  et  représentées  pi.  51,  fig.  2. 

La  coiffure,  la  nudité  complète,  les  formes  du  torse  ,  la  position 
des  mains ,  et  surtout  celle  de  la  main  gauche ,  tout  enfin  rend 
l'identité  complète.  Ici  encore  la  main  gauche  est  placée  par  der- 
rière et  la  main  droite  sur  la  bouche  ;  malheureusement  il  ne  reste 
plus  qu'une  partie  de  cette  main  qui,  toutefois,  est  dans  une  attitude 
telle  que  l'on  peut  parfaitement  reconnaître  de  quelle  déesse  il 
s'agit.  Cette  figurine  est  en  argent;  il  y  a  entre  elle  et  les  autres 
monuments  du  même  ordre  une  différence  marquée,  quant  à  leur 
destination  probable.  Ce  n'est  ni  un  amulette,  ni  une  statuette  à 
piédestal  libre.  Le  petit  socle  sur  lequel  elle  repose  est  soudé  à  la 
partie  supérieure  d'une  sorte  de  style  également  en  argent,  qui  va  en 
s'amincissant  de  haut  en  bas  et  se  termine  en  pointe  à  son  extrémité 

S  III.  (l)  Sect.  ii,  §IV,  fin. 
(2)  Varro,  loc.  cit.\oy.  ci-dessus ,  p.  3G6  ,  n.  6. 

§  IV.  (1)  Ce  paragraphe  et  les  deux  suivants  complètent  la  première  section  dont 
ils  forment  les  §  IX  à  XI. 


MEMOIRE    SUR   LES   D1VALIA    ET   LES   ANGERONALIA.         ,'}69 

inférieure,  ce  qui  fait  croire  qu'il  s'agit  ici  d'une 
épingle  à  cheveux.  C'est  aussi  parmi  les  épingles 
à  cheveux  que  cet  objet  d'art  se  trouve  classé  dans 
la  collection. 

§  V.  Parmi  ces  épingles ,  il  y  en  a  une  autre 
en  cuivre,  dont  la  partie  supérieure  porte  une 
figurine  très-fruste,  mais  dans  laquelle  je  crois 
reconnaître  une  Angérone  mâle ,  ou  plutôt  une 
statuette  tout  à  fait  semblable  à  celle  décrite,  dans 
le  §  VII  de  la  1"  section  (l),  par  M.  Gerhard, 
qui  la  rapporte  au  culte  de  Bacchus  à  tête  de 
lion. 

Le  côté  antérieur  de  cette  figurine  me  semble 
présenter  les  particularités  suivantes,  que,  néan- 
moins, vu  son  état  de  dégradation,  je  n'ose  donner 
comme  positives.  La  tête  ,  sur  laquelle  la  main 
droite  est  appliquée ,  est  celle  d'un  lion  ;  les 
parties  génitales  indiquent  un  homme  ;  Tavant- 
bras  gauche  occupe  la  partie  postérieure  et  in- 
férieure du  corps. 

Le  dos  et  le  derrière  de  la  tête  sont  tellement 
altérés  qu'on  ne  saurait  juger  si  primitivement 
une  seconde  figure  était  adossée  à  celle  que  je 
viens  de  décrire;  mais  je  penche  pour  l'affirmative. 

Il  ne  paraît  pas  y  avoir  eu  de  socle ,  et  les  pieds  ne  sont  pas  sou- 
dés, mais  font  corps  avec  la  partie  supérieure  de  l'épingle. 

§  VI.  M.  Prévoteau,  à  Chartres,  possède  une  petite  statuette 
d'Angérone,  en  cuivre  fortement  oxidé,  d'un  travail  assez  grossier  et 
dans  un  état  de  conservation  peu  satisfaisant.  Elle  a  47  millimètres 
(21  lignes)  de  hauteur.  On  l'a  trouvée,  vers  le  milieu  du  mois  de 
juin  de  cette  année  ,  au  débarcadère  du  chemin  de  fer  de  Chartres, 
avec  des  fragments  de  poteries  romaines. 

Sa  nudité  complète,  son  attitude,  sa  chevelure  épaisse  enroulée  au- 
tour de  la  tête,  la  main  droite  placée  sur  la  bouche  et  la  gauche  forte- 
ment tendue  sur  la  fesse  du  même  côté,  enfin ,  une  bélière  entre  les 
épaules,  lui  donnent  la  plus  parfaite  ressemblance  avec  la  statuette 
décrite  d'après  Caylus  dans  le  §  IV  de  la  première  section. 

Je  dois  ces  détails  descriptifs  à  la  bonté  de  MM.  Cartier  fils  et 
Prévoteau ,  et  je  regrette  de  ne  pouvoir  donner  un  dessin  de  cette 


1)  P.  325,  alinéa  2  et  3. 


370  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

figurine,  mais  je  n'en  ai  eu  connaissance  qu'au  moment  de  la  mise 
en  pages  du  présent  cahier  de  la  Revue. 

Les  monuments  inédits  décrits  dans  les  trois  derniers  paragraphes 
viennent  de  nouveau  à  l'appui  de  ce  que  j'ai  dit  sur  l'identité  de 
Vénus  et  d'Angérone.  Ils  confirment  l'explication  que  j'ai  donnée  de 
l'attitude  particulière  de  cette  dernière,  et  l'opinion  que  j'ai  émise  (1) 
sur  l'interversion  probable  de  la  position  des  deux  bras  dans  les  deux 
gravures  de  Caylus. 

QUATRIÈME  PARTIE. 

§  I.  Historique.  Pour  rendre  ces  recherches  aussi  complètes  que 
possible,  j'ai  compulsé  consciencieusement  tous  les  auteurs  qui  se 
sont  occupés  de  ce  sujet,  à  l'exception  d'un  seul,  J.  van  Vliel, 
prœside  Christophoro  Saxio ,  Diatribe  de  dea  Angerona ,  Trajecti 
Batav.,  1766,in-4°,  qu'aucune  bibliothèque  publique  de  Paris  ne 
possède,  et  que  je  n'ai  même  pu  jusqu'ici  me  procurer  dans  celles 
de  la  Hollande  et  de  la  Belgique.  Aucun  auteur,  pas  même  ceux 
qui  se  sont  spécialement  occupés  du  culte  de  Vénus  et  des  mys- 
tères ,  n'a  soupçonné  l'identité  de  Vénus  et  d'Angérone.  Cette  der- 
nière n'est  que  très-superficiellement  mentionnée  dans  les  ouvrages 
les  plus  remarquables  sur  les  religions  des  anciens.  Dans  la  Symbo- 
lique de  M.  Creuzer ,  son  nom  n'est  prononcé  qu'une  seule  fois  et  en 
passant  (1).  Sainte-Croix  \  dans  son  Traité  des  mystères,  n'en  a  point 
parlé  du  tout.  M.Hartung  (2)  regarde  Angeronia  comme  la  déesse  de 
l'anxiété ,  et  comme  un  être  directement  opposé  à  Volupia.  M.  L.  La- 
croix (3-4)  passe  sous  silence  l'une  et  l'autre  de  ces  divinités.  Klau- 
sen  et  M.  Gerhard  ,  non  plus  que  les  autres  archéologues  ,  ne  soup- 
çonnèrent la  véritable  signification  de  cette  divinité.  Le  premier 
dit  (5)  qu'elle  est  plutôt  le  gardien  du  secret  du  génie  de  la  ville  de 
Rome  que  ce  génie  lui-même.  Le  second  (6),  en  saisissant  les  indices 
fournis  dans  le  passage  déjà  cité  de  Macrobe  (7) ,  passage  que ,  par 
erreur,  il  regarde  comme  le  seul  qui  puisse  nous  éclairer  sur  Angé- 

(1)  P.  322,  note  4. 

§  I.  (1)  Ed.  2,  t.  II, p.  1004  (livre II,  en.  ix),  note  248. 

(2)  Die  Religion  der  Rœmer,  t.  II,  p.  247. 
(3-4)  La  Religion  des  Romains.  Paris ,  1846. 

(6)  Rlausen  ,  ACneas  und  die  Penaten,  t.  II ,  p.  1037.  Hamburg,  1840, 

(6)  Ed.  Gerhard,  Prodromus mythologischer Kunsteiklœrung, p.  103,  note  J4â. 
MUenchen  ,1828. 

(7)  Voy.  Revue  archéologique ,  2«  année ,  p.  636  ,  en  haut. 


MÉMOIRE   SUR  LES  DIVALIA   ET  LES   ÀNGERONÀLIA.        371 

rone,  dit  que  le  génie  de  la  ville  de  Rome  a  été  interprété  tantôt 
comme  Jupiter,  tantôt  comme  Némésis-Hécate  Rhamnusienne.  Puis 
il  ajoute  les  mots  suivants,  qui  sont  dune  grande  vérité:  «Privé 
que  nous  sommes  des  formules  empruntées  aux  temples  qui  pour- 
raient déterminer  les  rapports  de  ce  démon  énigmatique  avec  les  au- 
tres divinités  romaines,  nous  pouvons  à  peine  échapper  à  des  procé- 
dés arbitraires,  quand  il  s'agit  ici  d'interpréter  ou  de  choisir Mais 

peut-être  que  des  comparaisons  générales  d'anciens  mystères  on 
pourrait  faire  ressortir  une  solution  môme  pour  cette  énigme.  »  On 
voit  que  la  solution  s'est  fait  attendre  jusqu'au  moment  où  une  de 
ces  formules  empruntées  aux  temples  nous  a  été  révélée  par  le  cachet 
de  Sepullius  Macer;  car  cette  pierre,  fût-elle  fausse,  n'en  doit  pas 
moins  avoir  été  composée  avec  des  éléments  puisés  dans  des  monu- 
ments antiques  se  rapportant  aux  mystères  et  qui  n'existent  plus 
aujourd'hui.  En  faveur  de  cette  assertion  il  suffit  d'invoquer  la  con- 
formité remarquable  entre  le  sens  des  inscriptions  de  ce  cachet  et  ie 
résultat  de  nos  recherches  sur  les  figures  d'Angérone. 

§  H.  Conclusion.  D'après  tout  ce  qui  a  été  dit  jusqu'ici,  l'identité 
qui  existe  entre  Angerona  ,  Volupia  ,  Vénus  et  Cybèle ,  dans  le  culte 
de  l'ancienne  Rome,  ne  nous  semble  pas  douteuse.  Nous  avons  encore 
à  mentionner  Junon  et  Ops,  divinités  qui,  conformément  à  la  teneur 
d'un  passage  déjà  rapporté  (1),  avaient  été;  regardées ,  d'après  cer- 
taines autorités  citées  par  Macrobe,  comme  le  génie  tutélaire  de  Rome. 
Elles  aussi  se  confondaient  avec  Vénus-Angérone ,  ou  lui  étaient 
substituées  successivement  (2).  Junon  était  synonyme  de  la  Mère 
des  dieux.  On  représentait  l'image  d'Astarté-Cybèle  à  Hiérapolis 
sous  la  forme  de  Junon,  avec  la  tour  et  le  sceptre  de  Cybèle  et  la  cein- 
ture (jteoroç)  de  Vénus-Uranie  (3),  La  truie  blanche,  si  importante 
dans  les  mystères  de  Vénus  Énéade  (3  b) ,  a  été  sacrifiée  à  Junon  la 
grande  déesse;  et  si  Virgile,  avec  une  emphase  extraordinaire  et  néan- 
moins avec  une  certaine  hésitation  ?  dit ,  à  cette  occasion  (4)  :  sus , 
Qnampius  jEneas  tibi  enimjibi,  maxuma  Juno,  Mactat  sacra  ferens; 
cela  me  semble  indiquer  que,  initié  peut-être  comme  ami  de  la  fa- 
mille julienne  aux  secrets  de  la  religion  de  l'État,  il  n'osait  révéler 

S  II.  (i)  Voy.  Revw  Archéologique ,  2e  année ,  p.  636  ,  en  haut. 

(2;  Il  n'estpas  impossible  que  la  déesse  Tacita,  mentionnée  par  Plutarque  {N\imat 
c.  S)  et  Ovide  (FasJ.  11,569,  sqq.  et  surtout  581),  se  rapporte  également  à  Ange 
rone  Toutefois  c'est  une  question  difficile  à  résoudre. 

(3)  Lucian.,  de  Dea  syria,%  32  ,  p.  478. ,  éd.  Hemsterh. 
(3b)  Voy  troisième  partie,  sect.  i,  §  V. 

(4)  Mn.  VIII,  83,  sqq. 


37*2  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

autrement  que  par  une  réticence  l'identité  de  cette  Junun  la  grande 
déesse  avec  la  Mère  des  dieux,  c'est-à-dire  avec  Vénus-Cybèle,  déesse 
tutélaire  de  Rome  (4  b).  Cette  même  identité  avec  les  déesses  de  la  re- 
production et  de  la  fécondité  ressort  mieux  encore  dans  Juno  Lucina. 
C'est  pour  cette  raison  ,  et  pour  donner  le  change  à  l'indiscrète  cu- 
riosité des  profanes ,  que  les  triumvirs  monnayeurs,  prêtres  de  la  re- 
ligion de  l'Etat,  avaient  mis  le  système  monétaire  de  Rome  sous  le 
patronage  de  Juno  Moneta,  dont  la  tête,  sur  les  médailles  (5),  est 
absolument  celle  de  Venus  Genitrix.  Quant  à  Ops  elle-même  ,  son 
nom  n'est  qu'un  de  ces  noms  latins,  tels  que  ceux  de  Volupia  et  d'An- 
gerona ,  sous  lesquels  les  prêtres  romains  avaient  caché  Vénus-Cy- 
bèle. Seulement  ils  attribuaient  à  Ops  des  points  de  ressemblance 
avec  Junon  qui ,  elle  aussi ,  sous  le  nom  de  Lucina ,  quoique  dans 
d'autres  circonstances,  portait  secours  (6).  C'est  ainsi qu'Ops  pouvait 
être  regardée  comme  cette  déesse  tutélaire  obscure  «  qui  était  in- 
connue même  des  plus  savants  (7).  »  Aussi  un  vieux  glossaire  (8), 
en  définissant  Angérone  :  ri  Qebç  fiovliiç  xal  xaipàv,  vient-il  corrobo- 
rer l'opinion  qu'Ops  Consivia,  ainsi  appelée,  comme  Consus(9),  a 
consiliis,  n'était  autre  qu'Angeronia.  On  substituait  Jupiter  lui-même 
à  la  divinité  tutélaire ,  pour  ne  pas  le  frustrer  d'un  culte  qui  était 
dû  au  maître  de  la  terre  et  des  cieux.  De  là  vient  qu'on  voit  sa  tête 
sur  des  monnaies  dont  le  revers  porte  Venus  Victrix  avec  l'inscrip- 
tion Roma. 

Le  polythéisme  romain  forme  de  cette  manière  un  cercle  fermé  de 
toutes  parts,  dans  lequel  se  trouvent  comprises  les  divinités  nationales 
et  étrangères,  rangées  autour  de  Vénus-Cybèle.  C'est  vers  celle-ci 
qu'elles  convergent  toutes.  Ses  représentants  les  plus  importants 
étaient  Angérone,  Volupia,  Ops  et  même  les  Pénates,  c'est-à-dire 
les  Dioscures.  Junon,  Diane,  Minerve,  Isis,  et  jusqu'aux  dieux 

(4  b)  Servius  ad  loc.  cit.  Quaesitum  est  quae  sit  Juno  maxima.  Nam,  ut  diximus, 
variai  sunt  ejus  potestates  :  ut  Curctis,  Lucina,  Matrona,  Regina.  Et  dicunt  theo- 
logi  ipsam  esse  matrem  Deûm ,  quae  Terra  dicitur,  unde  etiam  porca  ei  sacrificatur. 
Ergo  perite  elegit  epitheton ,  ut  maximam  diceret. 

(5)  Carisia,  Mor.  III,  iv. 

(G)  Juno  Lucina,  fer  opeml  Terent.  Andr.  III,  i,  15.  —  Ipse  (Jupiter)  sit  Lu- 
cina, quœ  a  parturientibus  invocetur;  ipseopem  ferai  nascentibus,  excipiendo 
in  sinu  terrœ,  et  vocetur  Opis.  S.  Augustin.  Civ.  D.  IV,  11. 

(7)  Macrob.  loc.  cit.  Voy.  p.  371,  n.  1. 

(8)  Salmas.  ad  Solin.  c.  1. 

(9)  Festus,  v.  Consulia.  Consus  quem  Deum  consilii  putabant.  —  S.  Augustin. 
Civ.  D.  IV,  11.  (Jupiter)  Ipse  sit  et  Deus  Consus,  prœbendo  consilia.—  Une  autre 
étymologie  fait  dériver  le  nom  Consivia  a  conserendo. 


MÉMOIRE   SUR  LES  DIVALIA   ET  LES  ANGERONALIA.        373 

mâles ,  tels  que  Jupiter,  avaient  leur  part  dans  ce  culte  primitive- 
ment consacré  à  la  Nature  créatrice,  mère  de  tous  les  êtres  (9  b). 

La  vraie  signification  de  ces  divinités,  leurs  noms  véritables  et 
pour  ainsi  dire  intimes ,  surtout  le  nom  hiératique  du  génie  tutélaire 
de  Rome ,  d'après  les  lois  religieuses  sur  lesquelles  des  auteurs  dignes 
de  foi  ne  nous  laissent  aucune  espèce  de  doute,  devaient  rester  cachés 
pour  les  masses ,  et  n'étaient  connus  que  des  prêtres  et  d'un  petit 
nombre  d'initiés.  Nous  insistons  de  nouveau  sur  cette  idée  qui,  loin 
d'être  imaginaire,  nous  semble  reposer  sur  des  bases  solides.  Elle  est 
encore  confirmée  par  un  passage  très-explicite  de  Servius  (l  0)  que 
nous  avons  oublié  de  rapporter. 

Sans  parler  de  l'exécution  déjà  mentionnée  de  Valerius  Soranus, 
Denys  d'Halicarnasse  (1 1  )  et  Ovide  (1 2)  nous  fournissent  des  exem- 
ples de  ce  scrupule  religieux  qui  interdisait  d'appeler  par  son  vrai 
nom  la  divinité  protectrice,  pour  laquelle  les  Romains  professaient 
une  si  haute  vénération.  11  ne  faut  pas  chercher  d'autre  cause  à  l'ab- 
sence de  nom  latin  ou  grec  chez  les  anciens  Romains  pour  exprimer 
Vénus,  non  plus  qu'au  silence  complet  des  Saliens  qui  ,  dans  leurs 
chants ,  ne  font  aucune  mention  de  cette  déesse  (1 3).  Dans  les  temps 
primitifs  de  Rome ,  elle  n'était  invoquée  ostensiblement  que  sous  les 
noms  de  Volupia,  d'Angeronia,  d'Ops  ou  des  autres  divinités  qu'on 
lui  substituait. 

Ce  travail,  assurément,  à  cause  de  la  nouveauté  et  de  l'importance 
du  sujet,  comporterait  des  développements  plus  étendus  ;  mais  actuel- 
lement ni  le  temps  ni  les  dimensions  d'une  publication  mensuelle , 
ne  nous  permettent  de  nous  y  livrer. 

(9  b)  Apulei  Melamorph.  1.  XI,  paulo  post  initium  :  Rerum  Natura  parens , 
elementorum  omnium  domina. . . ..,  cujus  numen  unicum ,  multiformi  specic  ,  rilu 
vario,  nomine  multijugo,  totus  veneralur  orbis.  Me  primigenii  Phryges  Pessinun- 
ticam  nominant  deum  matrem;  hinc  Autochthones  Attici  Cecropiam  Minervam  ; 
illinc  fluctuantes  Cyprii  Paphiam  Vcnerem;  Crêtes  sagittiferi  Dictynnam  Dia- 
nam;. . .  Junonem  alii  ; . . .  et. . .  ^Ethiopes  ,  Ariique,  priscaque  doctrina  pollentes 
iEgyptii. .     appellant  vero  nomine  Reginam  Isidem. 

Sur  l'analogie  entre  Vénus  et  Isis  comparez  aussi  p.  334 ,  n.  21 ,  et  troisième  par- 
tie, sect.  m,  §  III,  n.  2. 

(10)  jEn.  II,  351.  Excessere  omneslemplis  adytisque  reliclis  Di  quibus  impe- 
rium  hoc  stelerat.  Quia  ante  expugnationem  evocabantur  ab  hostibus  numina , 
propter  vitanda  sacrilegia.  Inde  est,  quod  Romani  celatum  esse  voluerunt ,  in 
cujus  dei  tutela  urbs  Roma  sit,  et  jure  pontificum  cautum  est,  ne  suis  nominibus 
dii  Romani  appellarentur,  ne  exaugurari  possint,  etc. 

(11)  Antiq.  rom.J.I,  67  fln.  68  init. 

(12)  Metamorph.  XV,  867,  sqq. 

(13)  Macrob.  Satum.  1, 12. 


374  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Si  quelques-unes  de  nos  opinions  et  de  nos  conjectures  sem- 
blent trop  hasardées,  nous  prions  les  lecteurs  de  ne  pas  oublier 
qu'elles  ne  sont,  pour  ainsi  dire,  que  le  résumé  des  idées  développées 
dans  la  deuxième  partie  supprimée  par  manque  d'espace.  Nous  avons 
donc  l'espoir  que,  jusqu'à  sa  publication,  on  voudra  bien  ne  pas 
juger  trop  sévèrement  celles  de  nos  assertions  dont  l'exactitude, 
quanta  présent,  ne  paraîtrait  pas  suffisamment  démontrée. 


SlCHEL  D.  M. 


SUR 

LES  NOMS  DES  ARTISTES  GRECS  OU  ROMAINS. 

(deuxième  article.) 

Dans  le  premier  article,  publié  il  y  a  cinq  mois  (Reçue,  p.  34  et 
suiv.  de  ce  volume),  j'ai  dit  que  mes  observations  ont  été  rédigées 
principalement  en  vue  du  Supplément  au  Catalogue  des  Artistes  de 
M.  Silligt  par  M.  Raoul  Rochette ,  ouvrage  dont  le  but  est  de  résu- 
mer ce  qu'on  savait ,  à  l'époque  de  sa  publication ,  sur  un  sujet  qui 
intéresse  à  un  haut  degré  Yhisloire  de  Vart  chez  les  anciens.  J'ai  dit 
aussi  que  je  désirais  tirer  de  mon  travail  une  double  utilité  ;  et  qu'en 
rectifiant  les  principales  des  nombreuses  et  graves  erreurs  que  con- 
tient ce  livre,  j'ai  voulu  d'abord  débarrasser  la  science  d'une  foule 
de  notions  fausses  qui  pourraient  entraver  sa  marche;  ensuite ,  faire 
sentir  à  l'auteur  de  ce  livre  la  nécessité  d'être  à  l'avenir  plus  indul- 
gent pour  son  prochain ,  et  moins  prodigue  de  ces  critiques  acerbes, 
de  ces  jugements  passionnés  dont  j'ai  montré  qu'il  continue  de 
poursuivre  les  antiquaires  qui  ont  le  malheur  de  lui  déplaire  ou  de 
n'être  pas  de  son  avis.  Tels  sont  Kœhler,  MM.  Welcker,  Emil 
Braun,  Lenormant,  de  Witte,  Dubois,  surtout  M.  de  Glarac,  dont 
M.  R.  R.  a  payé  le  généreux  dévouement  à  la  science  par  des  appré- 
ciations aussi  blessantes  qu'injustes,  qui  ont  provoqué,  de  la  part  de 
ce  savant,  des  représailles  aussi  rudes  que  méritées.  Je  ne  parle  pas 
de  moi,  parce  qu'étant,  comme  l'assure  M.  R.  R. ,  tout  à  fait  dé- 
pourvu de  la  connaissance  de  T  antiquité  figurée,  et  écrivant  en  français 
d'un  style  qui  n'est  bon ,  selon  lui ,  que  pour  V  Allemagne ,  je  ne  dois 
me  compter,  accablé  de  ce  double  anathème,  ni  parmi  les  antiquaires 
ni  parmi  les  écrivains. 

Déjà ,  la  lettre  de  M.  Emil  Braun  sur  la  statue  antique  de  Daphné, 
que  M.  R.  R.  l'a  si  ridiculement  accusé  de  confondre  avec  le  groupe 
connu  du  Bernini  ;  le  profond  et  spirituel  article  de  M.  H.  Brunn  sur 
les  peintures  de  Pompéi,  et  celui  de  M.  le  comte  de  Clarac  sur  les 
questions  d'Histoire  de  l'Art,  deux  écrits  tout  récens  de  M*  R.  R., 
ont  signalé  aux  lecteurs  de  la  Revue  les  énormes  défauts  de  ses  der- 
niers ouvrages  ;  or,  comme  leurs  articles  me  semblent  très-propres  à 
lui  inculquer  cette  indulgence  que  nous  lui  désirons  tous,  j'aurais 
peut-être  renoncé  à  la  besogne  ingrate  de  faire  chorus  avec  eux 
sur  le  troisième  ouvrage,  le  Supplément  aux  Noms  des  Artistes,  si, 


376  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

d'une  part,  je  n'avais  porté  de  ce  livre  un  jugement  très-sévère  >  dont 
on  me  somme  à  présent  d'articuler  enfin  la  preuve,  ce  que  je  ne  puis 
refuser;  et  si ,  de  l'autre,  je  n'avais  à  produire  quelques  notions  nou- 
velles, qui  ne  sont  pas  dénuées  d'intérêt. 

Je  reprends  donc  la  publication  interrompue  de  mon  travail ,  dans 
l'espoir  de  donner  satisfaction  à  tout  le  monde. 


L'auteur  du  Supplément  n'a  pas  suivi  la  méthode  de  MM.  Sillig  et 
de  Clarac,  qui  consiste  à  ranger  tous  les  noms  dans  un  ordre  alpha- 
bétique continu.  Il  a  quatre  fois  brisé  cet  ordre,  et  présenté  à  part 
les  noms  des  potiers  et  des  peintres  de  vases  ;  puis ,  ceux  des  graveurs 
en  médailles;  ensuite ,  ceux  des  graveurs  en  pierres  fines;  enfin,  ceux 
des  artistes  de  toute  profession;  disposition  que  je  ne  veux  point  blâ- 
mer, mais  qui  aurait  exigé,  pour  la  facilité  des  recherches ,  que  l'ou- 
vrage eût  été  terminé  par  une  table  générale  de  tous  ces  noms. 

La  première  classe  contient  69  noms;  la  seconde  28;  la  troi- 
sième 83;  la  quatrième  388,  plus  16  à  l'appendice;  en  tout  584 
noms  d'artistes  ;  et ,  comme  l'ouvrage  de  M.  Sillig  en  contient  déjà 
766 ,  le  nombre  total  des  anciens  artistes  connus  serait  maintenant 
porté  à  1350. 

Mais  ce  nombre  doit  être  considérablement  réduit;  car  ces  584 
noms  ne  sont  pas  tous  nouveaux,  c'est-à-dire  qu'ils  n'étaient  pas  in- 
connus  avant  la  publication  du  Supplément.  En  effet,  l'auteur  y  a 
réuni  tous  ceux  que  MM.  Osann  ,  Welcker  ,  Gerhard ,  etc.,  ont 
recueillis  sur  divers  monuments ,  et  que  M.  de  Clarac  a  ensuite 
consignés  dans  son  Catalogue,  ouvrage  aussi  complet  qu'il  pouvait 
l'être  au  mois  d'août  1844.  D'ailleurs,  il  est  un  bon  nombre  de 
noms  que  le  Catalogue  de  M.  Sillig  contient  déjà;  mais  que  l'auteur 
du  Supplément  rappelle,  sous  prétexte  d'y  ajouter  quelques  détails 
qu'il  croit  avoir  été  omis  par  M.  Sillig ,  ou  de  relever  quelque  erreur 
qu'il  lui  attribue. 

J'aurais  beaucoup  à  reprendre  dans  ces  remarques  de  M.  R.  R.  Le 
plus  souvent  elles  sont  insignifiantes;  quelquefois  elles  tombent  à 
faux,  M.  Sillig  ayant  justement  cité  les  noms  que  M.  R.  R.  lui  re- 
proche d'avoir  omis  ;  ou  ayant  eu  parfaitement  raison  de  ne  pas  dire 
ce  que  M.  R.  R.  voudrait  qu'il  eût  dit.  Mais,  comme  ces  observations 
ne  portent  que  sur  des  inexactitudes  dont  la  rectification  aurait  peu 
d'utilité  pour  la  science,  je  n'en  parlerai  pas,  non  plus  que  des  cri- 


NOMS  DES   ANCIENS  ARTISTES   GRECS  OU  ROMAINS.        377 

tiques  inconsidérées  et  fausses  qu'il  lance  à  droite  et  à  gauche  avec 
une  incomparable  assurance,  comme  on  l'a  vu  (plus  haut,  t.  II, 
p.  762  ).  Je  réserve  mon  attention  et  celle  de  nos  lecteurs,  pour  les 
points  qui  auraient  dû  fournir  à  l'auteur  une  occasion  de  dire  quelque 
chose  de  nouveau;  occasion  qu'il  a  presque  toujours  laissé  échapper; 
ou,  quand  il  l'a  saisie,  c'est  pour  avancer  des  erreurs  dans  lesquelles  un 
antiquaire  un  peu  au  courant  de  la  science  ne  devrait  jamais  tomber. 
Je  suivrai,  dans  cet  examen  critique,  la  division  en  quatre  classes 
adoptée  par  l'auteur. 


lro  classe.  Noms  des  fabricants  et  des  peintres  de  vases. 

Le  catalogue  de  ces  noms  est  précédé  d'un  mémoire  qui  a  déjà 
paru  dans  \e  Journal  des  Savants ,  contenant  des  considérations  géné- 
rales limitées  à  une  question  unique ,  celle  de  la  provenance  des 
vases  grecs. 

Dans  l'origine,  on  les  avait  crus  tous  indigènes  de  l'Italie  moyenne, 
et  ils  avaient  été  nommés,  par  excellence,  étrusques.  Cette  dénomi- 
nation n'a  pu  subsister,  depuis  qu'on  en  a  trouvé,  en  plus  ou  moins 
grande  abondance,  dans  nombre  d'établissements  grecs  de  l'Italie  mé- 
ridionale et  de  la  Sicile,  dans  la  Grèce  proprement  dite,  dans  les 
Cyclades,  et  en  d'autres  lieux  (jusqu'au  Bosphore,  à  Alexandrie 
d'Egypte  et  à  Tripoli  d'Afrique).  De  là,  cette  autre  opinion  que  la 
Grèce  était  la  véritable  patrie  de  ces  précieux  restes  de  l'art  cérameu- 
tique,  que  le  commerce  avait  transportés  en  tous  lieux.  Puis,  est  venue 
cette  troisième  opinion  mixte,  plus  voisine  peut-être  de  la  vérité,  c'est 
qu'on  a  dû  fabriquer  de  ces  vases  partout  où  les  Grecs  avaient  introduit 
leurs  usages  et  leurs  arts.  Mais,  chez  eux,  comme  chez  nous,  il 
a  pu  y  avoir  des  fabriques  plus  célèbres  que  d'autres  (comme  celles 
d'Athènes  ) ,  dont  les  produits  auront  été  recherchés  et  conséquem- 
ment  portés  en  divers  lieux,  même  là  où  l'on  en  fabriquait  aussi. 
Il  devient  donc  plus  difficile  que  jamais  de  distinguer,  parmi  les 
vases  qu'on  trouve  dans  un  pays,  ceux  qui  s'y  fabriquaient,  de  ceux 
qu'y  amenait  le  commerce.  La  question  est,  à  certains  égards, 
presque  insoluble.  Heureusement  que,  réduite  à  ces  termes,  elle  a 
au  fond  peu  d'importance. 

Dans  tous  les  cas,  M.  R.  R.,  qui  énumère  (sans  les  nommer  tous), 
les  lieux  où  l'on  a  trouvé  de  ces  vases,  n'a  rien  ajouté  d'utile  à  ce 
que  nous  savions ,  ni  apporté  aucune  lumière  nouvelle  pour  ceux  qui 
ni.  25 


378  RKVUL   ARCHÉOLOGIQUE. 

ont  lu  ce  que  tant  d'hommes  habiles  ont  écrit  à  ce  sujet ,  depuis  l'ad- 
mirable Rapporlo  volceiUe  de  Gerhard,  jusqu'à  Y  Introduction  à  V  Élite 
dès  Monuments  céramographiques .  Cette  introduction,  bien  que  trai- 
tée, comme  on  l'a  vu  (plus  haut,  p.  39,  40) ,  avec  un  suprême  dé- 
dain par  M.  R.  R. ,  qui  n'y  trouve  que  légèreté  desprit,  offre  un  ex- 
posé, à  mon  avis,  plus  complet  et  plus  instructif  que  le  sien  ,  lequel 
n'offre  rien  de  nouveau  ,  si  ce  n'est  des  erreurs  de  fait  ou  de  raison- 
nement, dont  j'ai  tâché  de  me  garder  moi-même,  comme  je  vais 
m'efforcer  d'en  garder  les  autres. 


1°  Tout  le  monde  connaît  le  beau  vase  (trouvé  à  Corinthe  par 
Dodwell),  qui ,  par  ses  peintures  et  son  inscription,  paraît  appartenir 
à  une  très-ancienne  fabrique.  Selon  M.  R.  R.  :  «  Il  suit  [de  cette  dé- 
«  couverte]  que  Corinthe  fut,  dès  une  haute  époque,  un  des  sièges 
«  de  cette  fabrique  (p.  5).  »  Cela  est  possible;  mais  nul  ne  conclura 
ce  fait  de  la  découverte  d'un  vase  unique  ou  même  de  deux  ou  trois 
vases,  qui  ont  pu  tout  aussi  bien  être  apportés  d'ailleurs.  M.  R.  R. 
tire  là  une  très-mauvaise  conséquence,  dont  il  s'est  chargé  lui-même 
de  montrer  le  vice,  en  reconnaissant  que  de  tels  vases  ont  été  trouvés 
à  Nota,  à  Vulci,  à  Athènes,  à  Égine,  dans  les  îles  de  Milo,  de 
Sanlorin  et  à'Eubée  (p.  6).  Comment  donc  savoir  s'ils  émanent  dune 
source  commune,  ou  s'ils  ont  été  fabriqués  dans  ces  diverses  loca- 
lités? Je  me  contente  de  donner  ce  seul  exemple  d'un  raisonnement 
qu'affectionne  beaucoup  M.  R.  R.,  et  qui  consiste  à  conclure  du 
particulier  au  général. 

2°  Pour  revenir  à  la  dispersion  des  vases  grecs,  je  dirai  encore  un 
mot  de  la  colonie  et  de  Y  entrepôt  d'Adria ,  qui  ont  valu  une  si  verte 
semonce,  de  la  part  de  notre  impeccable  archéologue,  aux  auteurs 
de  Y  Élite  des  Monuments  céramographiques  (plus  haut,  p.  40). 
L'entrepôt  t  selon  lui,  est  irrésistiblement  prouvé  (p.  27)  par  les  frag- 
ments de  vases  peints  trouvés  à  Adria.  Mais  ces  débris,  au  nombre 
de  trente  ou  quarante,  prouvent  seulement  que  le  commerce  les  avait 
amenés  jusque-là,  et  non  qu'il  y  en  eût  un  dépôt  ou  un  entrepôt,  d'où 
ils  étaient  colportés  dans  les  lieux  environnants.  On  avait  d'abord 
admis  l'existence  d'une  colonie  desÉpidamniens  à  Adria  (Bullettino  de 
1834,  p.  134,  sg.)j  par  suite  d'une  mauvaise  explication  des  mots 
elç  tov  Aàplzv. 

Quant  à  la  colonie  athénienne,  dont  l'histoire  n'a  conservé  au- 


NOMS  DES   ANCIENS   ARTISTES   GRECS   OU   ROMAINS.  370 

cune  trace,  elle  repose  uniquement  sur  le  passage  d'une  in- 
scription athénienne  où  il  est  question  d'une  colonie,  «Trotitta, 
envoyée  sic  zbv  Adpiav.  Mais,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  on  n'avait  pas 
réfléchi  que  d§  rbv  Adplocj  (dans  T Adriatique) ,  n'est  pas  la  même 
chose  que  elç  rriv  Aàplav  (à  Adria) ,  et  qu'il  ne  peut  être  question  là 
que  d'établissements  de  colons  épidamniens  et  athéniens,  en  tels  ou 
tels  lieux  des  côtes  de  T Adriatique.  M.  R.  R.  reconnaît  que  ce  pas- 
sage ne  peut  avoir  d'autre  sens;  d'où  il  suit  que  l'inscription  n'a 
plus  aucun  rapport  avec  une  colonie  d Adria;  ce  qui  ne  l'empêche 
pas  de  dire  que  «  le  fait  de  cette  colonie  nous  a  été  recelé  par  rin- 
ce scription  athénienne  (p.  23  ).  »  On  ne  comprendras  une  telle  in- 
conséquence. 

3°  L'auteur  parie  des  lécythus  de  fabrique  athénienne,  trouvés  dans 
la  fouille  d'un  des  tumulus  cîu  cap  Sigée,  celui  qui  est  connu  sous 
le  nom  de  tombeau  d'Achille  ou  de  Festus.  «  Ces  lécythus  prou- 
«  vent,  dit-il,  d'accord  avec  ce  que  nous  connaissons  de  l'histoire 
«  d'Athènes,  que  ce  monument  avait  dû  être  renouvelé  dans  le  cours 
«  du  VIe  siècle  avant  notre  ère  (p.  9).  » 

M.  R.  R.  devait  s'exprimer  avec  plus  de  réserve.  Comment  ne  sait- 
il  pas  que  la  fameuse  découverte  faite  aux  frais  de  Choiseul-Gouffier, 
par  le  juif  Salomon  Gormezzano,  dans  le  tombeau  dit  d'Achille  ou  de 
Festus ,  repose  uniquement  sur  le  témoignage  de  cet  effronté  coquin, 
qui  voulut  gagner  à  toute  force  la  montre  d'or  et  le  barat  que  l'ambas- 
sadeur lui  avait  promis ,  si  la  fouille  produisait  quelque  chose.  Cet 
honnête  juif  profita  de  l'éloignement  de  Choiseul-Gouffier,  pour 
vendre  aux  touristes  ce  qui  lui  tombait  sous  la  main,  comme  venant 
toujours  du  tombeau  d'Achille.  Ce  loyal  commerce,  qui  prospérait 
encore ,  lorsque  Dallaway  visita  la  Troade  (  Constantinople  anc.  et 
moderne,  t.  II,  p.  190  ) ,  ne  cessa  que  lorsque  mon  ami  M.  Dubois 
arriva  aux  Dardanelles  en  1815.  Ces  vases  provenaient,  selon  toute 
apparence,  des  environs  du  Gargare  et  des  tombeaux  de  Parium 
et  de  Lampsaque ,  où  l'on  en  découvre  de  ce  genre.  Je  puis  affirmer 
que ,  sur  la  fin  de  sa  vie ,  le  comte  de  Choiseul-Gouffier  regrettait 
fort  d'avoir  été  la  dupe  du  Gormezzano. 

Il  est  donc  très-douteux  que  ces  lécythus  prouvent  quelque  chose 
pour  le  renouvellement  du  tombeau  d'Achille. 

4°  Un  autre  fait  (p.  10),  que  M.  R.  R.  a  produit,  je  crois,  le 
premier  (Ann.  de  l'Inst.  arch.,  t.  VI,  p.  287),  et  que  lui  et  d'autres 
ont  répété  plusieurs  fois,  c'est  qu'une  amphore  panathénaïque,  avec 


380  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

l'inscription  TONA0ENE0EN  AOAON,  «  a  été  trouvée  à  Cyrène, 
«  au  temps  de  Paul  Lucas.  »  Il  croit  aussi  que  ce  vase  est  celui  «dont 
«  M.Bœckh  a  publié  de  nouveau  l'inscription  (Corp.  Inscr.,  n°  2035).» 
Il  y  a  là  une  double  erreur;  1°  cette  inscription,  déjà  publiée  par 
Muratori,  d'après  l'envoi  que  lui  en  avait  fait  Bimard  de  La  Bastie, 
avait  été  trouvée  par  P.  Lucas  non  à  Cyrène,  mais  à  Péra  (Perce, 
in  urna  fictili).  Aussi  M.  Bœckh  l'a-t-il  mise  parmi  les  inscriptions  de 
Byzance.  2°  Quant  au  vase  dont  il  est  question  dans  le  Mémoire  de 
éd.  Lemaire  (à  la  fin  dusecond  voyage  de  Paul  Lucas,  t.  II,  p.  184, 
Amst.;  et  t.  II,  p.  108,  Par.,  1710),  il  n'a  point  été  trouvé  à  Cyrène, 
mais  bien  à  Tripoli  d'Afrique,  comme  le  dit  expressément  Lemaire. 
Ce  ne  peut  être  le  même  que  celui  dont  M.  Bœckh  a  donné  l'inscrip- 
tion, puisque  les  mots  twv  ÀQwnOev  àQlwv,  n'y  sont  pas  précédés, 
comme  sur  le  vase  de  Péra ,  des  mots  Âyaaixç  ap/wv.  Ainsi ,  la  con- 
fusion entre  les  deux  objets  n'est  pas  possible.  Il  s'agit  donc  de  deux 
vases  distincts,  portant  twv  AQrwBev  aôXwv,  trouvés,  l'un  à  Tripoli, 
l'autre  à  Péra.  C'est  une  autre  erreur  qu'il  faut  se  garder  de  ré- 
péter désormais ,  et  qui  doit  être ,  une  bonne  fois ,  bannie  de  la 
science. 


Après  les  considérations  générales,  M.  R.  R.  vient  aux  noms  qu'il 
.propose  d'ajouter  à  ceux  que  l'on  connaît  déjà.  Sur  ces  noms  eux- 
mêmes,  il  n'est  ni  plus  exact  ni  plus  clairvoyant,  quand  ils  offrent 
quelque  difficulté. 

5°  Par  exemple ,  il  cite  (p.  7 )  un  vase  qu'il  a  vu  à  Naxos ,  où  sont 
représentés,  de  style  archaïque  (à  figures  noires  sur  fond  blanchâtre), 
deux  hommes,  dont  l'un  à  cheval;  chacun  d'eux  est  accompagné 
d'une  inscription  en  lettres  très-anciennes  et  rétrogrades  ;  à  savoir  : 
MATAZOmZB  et  MOOOqTMOmZB.  Sans  nous  dire  ce  que 
signifient  ces  deux  mots,  il  les  lit  l'un  et  l'autre  :  HinnOZATA2 
etHinn02TPOd>02,  «peut-être,  dit-il,  HinnOTPO$02.  » 

De  ces  deux  mots ,  qui  sont  des  noms  propres ,  le  premier  a  été 
mal  lu  et  le  deuxième  à  tort  corrigé.  En  effet,  en  lisant  Hin- 
nOZATA2,  M.  R.  R.  change,  au  milieu  du  mot,  la  valeur  de  la 
lettre  Z  (ou  plutôt  5-)  qui  le  commence,  ainsi  que  l'autre,  et  qui 
ne  peut  être  qu'un  I.  Il  faut  donc  lire  ce  nom,  sans  y  rien  changer, 
HIPPOIATA2,  ImtoïdTaç  pour  ImtiaTQiç ,  comme  on  disait  oikotx- 
?poç  pour  çiXiarpoçj  yikoepyoç  pour  yikzpyoç ,  etc.;  c'est,  en  effet, 
un  nom  de  profession  devenu  un  nom  propre,  synonyme  de  ÏT:r.iazpoq 


N03IS   DES    ANCIENS   ARTISTES    GRECS  OU  ROMAINS.        381 

(hippiatre,  médecin  de  chevaux),  car  iannp  et  ixTinç,  doriquement 
larûLç  ,  sont  des  synonymes  de  iocrpoç. 

Le  second  n'a  pas  été  mieux  compris  de  M.  R.  R.,  comme  le 
prouve  sa  conjecture  innOTPOOOS,  au  lieu  de  innO2TPO0O2. 
Pourquoi  retrancher  le  2  moyen  qu'il  a  lui-même  copié  d'après  le 
monument?  C'est  qu'il  n'a  pasvuquel7T7rooTpo<poç  est  un  nom  excel- 
lent, analogue  au  Navorpotpoç ,  père  de  l'architecte  Eupalinus  de  Mé- 
gare,  dont  parle  Hérodote  (III,  60).  Le  sens  de  celui-ci  est  :  «  qui 
fait  virer,  évoluer  les  vaisseaux;»  épithète  laudative d'un  marin. Celui 
du  premier  est  :  «  qui  dirige,  manie,  fait  évoluer  les  chevaux;  »  épi- 
thète d'un  bon  écuyer;  l'une  et  l'autre  étaient  devenues  des  noms 
propres. 

Le  nom  à'ïmtorpoyoç,  qui  n'est  pas  mauvais  en  lui-même  (quoique 
les  finales  des  noms  propres  composés  venant  de  rpe'cpw  soient  ordi- 
nairement en  Tpéfnç  ;  ainsi  Aiéèpéfoç,  ÈmTpêfnç),  a  rappelé àM.  R.  R. 
l'aristocratie  des  Hippobotes  (iTTTroêoTai)  d'Hérodote ^  iTmorpocpoç  est, 
en  effet,  un  synonyme  de  Ir.r.oÇiérnç, ,  mais  lirnovTpoyoç  n'y  a  plus  au- 
cun rapport.  D'ailleurs  les  Hippobotes ,  au  moins  d'après  cet  historien, 
le  seul  qui  en  parle,  ne  formaient  pas  ce  qu'on  appelle  une  aristocra- , 
lie,  comme  les  Géomores  de  Syracuse  :  c'étaient,  dans  l'île  d'Eubée, 
ceux  qui  avaient  assez  de  terre  pour  nourrir  un  cheval ,  les  riches 
de  l'île,  les  gros,  oî  nayéeç,  dit  Hérodote  (V,  77). 

6°  Un  vase  porte  l'inscription  AA2IM02ErPAyE  ,  très-bien  lue 
dès  le  temps  de  Winckelmann.  «  Ce  nom,  dit  M.  R.  R.,  a  donné 
«  lieu  à  plusieurs  leçons  sur  lesquelles  les  antiquaires  ne  sont  pas 
«  encore  bien  fixés  (p.  15).  »  En  conséquence,  il.passe  en  revue  les 
leçons  proposées,  AA2IM02  et  MAEIM02,  qu'il  écarte  avec  raison 
toutes  deux  ;  puis,  il  propose  de  son  chef  AI2IM02 ,  qui  se  lit  dans 
Aristophane,  et  qu'il  croit  être  la  vraie  leçon.  Tout  cela  est  de  l'éru- 
dition perdue.  Si  M.  R.  R.  avait  su  que  le  vase  est  au  Musée  du 
Louvre,  il  y  aurait  jeté  les  yeux,  et  se  serait  convaincu  qu'il  y  a  bien 
AA2IM02  ,  comme  avait  lu  Winckelmann  ;  ce  qui  doit  à  la  un  fixer 
les  antiquaires.  Son  AI2IM02  (/Esimos)  doit  disparaître  de  la  liste 
des  peintres  de  vases. 

7°  Un  autre  nom  à  retrancher  est  celui  de  Chariton,  que  M.  R.  R. 
écrit,  par  inadvertance,  XAPIOHN  (p.  36).  Il  reproche  à  M.  Sillig 
de  l'avoir  cité  comme  peintre,  au  lieu  de  le  citer  comme  potier.  Le 
fait  est  qu'il  aurait  mieux  valu  ne  pas  le  citer  du  tout.  M.  R.  R.  n'aura 
pas  regardé  le  vase  unique  qui  porte  ce  nom,  quoiqu'il  renvoie  à  la 
planche  XI  de  Millingen  (  Vases  de  Coghill),  où,  en  effet,  il  s'est 


382  REVUK    ARCHÉOLOGIQUE. 

dessiné  ;  car  le  nom  y  est  isolé,  XAPITHN ,  sans  être  suivi  de  l'un  des 
deux  verbes  ènoiviae  et  eypa^ev.  Il  n'y  a  point  de  motif  suffisant  pour 
suppléer  l'un  ou  l'autre.  Ce  n'est  qu'un  de  ces  noms ,  au  nominatif, 
avec  ou  sans  holIqç,.-  si  nombreux  sur  les  vases,  indiquant,  soit  un 
donataire,  soit  le  propriétaire,  soit  celui  ou  l'ami  de  celui  qui  avait 
commandé  le  vase.  M.  Sillig  n'était  certainement  pas  autorisé  à  en 
faire  un  peintre;  mais  on  ne  l'est  pas  davantage  à  en  faire  un  potier. 
8°  Il   se  flatte  d'avoir  le   premier  introduit   dans  l'histoire  de 
Vart  (p.  21),  ce  fait,  plus  curieux  encore,  dit-il,  qu'un  des  frag- 
ments de  vase  trouvés  à  Adria  ,  porte  le  nom  de  XAIPE2TPAT02; 
et,  comme  un  poëte  attique,  Phrynichus,  parle  d'un  potier  athénien 
de  ce  nom,  il  identifie  ce  potier  avec  le  Chérestrate  du  vase;  c'est 
donc  là,  selon  lui,  un  vase  athénien,  transporté  dans  Y  entrepôt  d' Adria. 
Mais,  encore  ici,  je  n'aperçois  pas  de  quel  droit  on  ferait  du  Chérestrate 
du  vase  un  potier  ou  un  peintre.  Si  M.  R.  R.  avait  eu  recours  au 
texte  même  de  Lanzi ,  le  seul  auteur  qui  en  parle,  il  aurait  vu 
que   Lanzi   dit   expressément  qu'il  y  avait  sur  le  vase  seulement 
XAIPE2TPAT,  et  rien  au  delà  (Giornale  dell  italiana  Letteratura , 
t.  XX,  p.  181,  182).  Tout  ce  qu'il  est  légitime  d'en  tirer,  c'est  le 
nom  de   XAIPE2TPAT02.  Il  est  vrai  que  Lanzi  rappelle  à  cette 
occasion  le  XaipeoTparoç  du  poëte  comique  ;  mais  il  s'exprime  avec 
la  plus  grande  réserve  :  Che  fosse  il  nome  Cherestrato,  i  cui  vasi  fossero 
trasportati  in  Adria,  chi  pub  assicurarlb?  Quant  à  M.  R.  R. ,  il  ne 
doute  pas,  lui,  de  ce  qui  est  au  plus  haut  degré  douteux,  à  savoir 
que  ce  Xcapiepcc-oç  est  le  potier  de  Phrynichus,  comme  si  ce  nom 
grec  ne  pouvait  pas  se  trouver  tout  autre  part  qu'à  Athènes,  ainsi  que 
Xalpmnoç ,  Xccipifaij.Qç ,  Xaipsnuoç,  etc.  Par  inadvertance ,  Lanzi 
a  cru  qu'un  tel  nom  est  celui  d'un  homme  qui  quitte  l'armée,  qui  lui 
dit  adieu,  «  Che  si  allontana  dall'  esercito,  egli  dà,  per  fine,  il  vale, 
«  exercitus  (!).  » 

A  propos  du  fragment  de  Phrynichus  (ap.  Athen.  XI,  p.  474,  b) 
je  rappellerai  que  c'est  moi  qui ,  le  premier,  l'ai  rendu  intelligible, 
par  une  correction  fort  simple,  en  lisant  ïy.olzv  (il  mettait  au  feu  cent 
canthares),  au  lieu  de  l%kàiev  (il  pleurait)  qui  ne  donnait  aucun  sens. 
M.  R.  R.  approuve  cette  correction;  mais  il  dit  qu'elle  a  été  propo- 
sée aussi  par  M.  Bergk,  expression  qui  donnerait  lieu  de  croire  que 
la  correction  a  été  faite  par  un  autre,  en  même  temps  que  par 
moi;  ce  qui  n'est  pas.  M.  (fcrgff  (Comment,  de  Heliq.  Corn, 
attic.  Anliq.,  p.  366,  Lips.  1838)  l'a  proposée  cinq  ans  après 
que  je  l'avais  indiquée  dan>   je  Journal  des  Savants  (en    1833\ 


comme  l'a  remarqué  M.  Meineke  (Fragm.  Poet.  comic,  t.  II, 
p.  586).  On  voudra  bien  me  pardonner  cette  petite  réclama- 
tion. Un  tin  connaisseur  en  ce  genre,  M.  Fr.  Jacobs,  ayant  jugé 
cette  correction  fort  heureuse ,  je  désire  assez  naturellement  m'en 
conserver  le  petit  mérite,  puisqu'il  m'appartient. 

9°  Un  nom  que  M.  R.  R.  veut  ajouter  à  ceux  des  anciens  artistes 
(lisez  potiers)  (p.  34),  mais  qui  n'existe  pas  et  n'a  jamais  pu  exister, 
est  celui  d'APAXION  qu'il  a  cru  discerner  dans  une  inscription  de  vase, 
indéchiffrable  à  Ja  vérité.  Il  ne  tient  pas  beaucoup  ,  dit-il ,  à  cette 
leçon  conjecturale;  mais  il  ne  devait  pas  même  la  proposer,  parce  que 
le  nom  n'est  pas  grec;  le  seul  nom  possible  est  APPIXION ,  comme 
on  lit  à  présent  dans  le  texte  dePausanias  (VIII,  40,  1 ,  éd.  Dindorf); 
Ip  même  nom  est  dans  Philostrate  (Imag,  II,  6). 

10°  A  l'intérieur  d'un  vase  de  Vulci,  on  lit  deux  inscriptions. 

La  première  est  EYKEP02  UkoUgvj).  M,R.  R,  lit  cenom,IiwJta~ 
ros;  mais  E&cgpoç  ou  Eùxe'pws  n'est  guère  possible.  M.  de  Witte,  en  li- 
sant Eucheros  (Catal.  de  Canino ,  n°  121  )  l'avait  cependant  mis  sur 
la  voie  ;  il  est  évident,  en  effet,  que  le  K  est  ici  pour  un  X,  ainsi  qu'en 
vingt  autres  cas,  où  ces  deux  lettres  sont  mises  lune  pour  l'autre 
comme  dans  Xa^puAiwv  pour  Ka^pv^'wv,  Xol^oç  pour  KoA^oç,  etc. 
Eu^epoç  est  pour  Evyjipoç,  un  nom  déjà  connu  pour  être  celui  d'un 
sculpteur  (Paus.  VI,  4,  4).  Ce  nom  revient  à  celui  d'Ei^eip  , 
autre  sculpteur,  fils  d'Eubulide  (Paus.  VIII,  14,  10). 

La  seconde  inscription  porte  HOPrOTIMO  HVIHV*,  que  M.  de 
Witte  a  lu  Epyoriptou  viéç  ,  c'est-à-dire  que  Eucheros  le  potier,  était 
fils  d'Ergotime.  M.  R.  R.  assure  que  cette  interprétation  ne  lui  a  in- 
spire  aucune  confiance.  C'est  un  malheur  dont  M.  de  Witte  peut  se 
consoler;  car  sa  leçon  est  de  toute  certitude.  HOPrOTIMO  est  pour 
b  EpyozL[j.ovy  l'E  initial  ayant  été  omis  par  suite  d'un  de  ces  oublis 
si  communs  dans  les  inscriptions  des  vases;  et  il  est  inutile  de  recourir 
au  dorisme  OpyoTipoç  pour  Èpyériu.oç,  comme  opyov  se  disait  en 
éolien  pour  ïpyov.  HVIHV*  pour  viéç  ne  devait  pas  arrêter  non  plus 
M.  R.  R.,  l'aspiration  tenant  ici  lieu  du  digamma,  qu'on  ne  trouve 
jamais  dans  les  inscriptions  des  vases  grecs;  etl'Y  s'y  trouvant  aussi 
à  la  place  de  O,  comme  AEI0YBO2  pour  AEI0OBO2  (Gherard, 
Rapporto  volcente,  n°  636). 

11°  Il  propose  de  lire  I1O0EINO2  (  ErPAVE)  sur  un  vase,  au 
lieu  de  nEIOIN02  qui  s'y  trouve;  mais  ces  deux  noms  ne  peuvent 
se  confondre;  et  il  n'est  pas  possible  de  changer T1EIOI  en  nOOEI. 
M.  R.  R.  n'aurait  certes  pas  proposé  cette  correction ,  paléographi- 


384  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quement  impossible,  s'il  avait  réfléchi  que  HEIOIN02,  parfaitement 
conforme  à  l'analogie,  est  un  nom  excellent,  qu'on  le  lise  UeiBïvoç  ou 
Ileiôtvoç  ;  car,  ce  sera,  dans  le  premier  cas,  un  dérivé  en  îvoç  de  IïetQco  ; 
dans  le  second,  un  nom  identique  avec  UeiQlvovçy  comme  on  trouve 
sur  des  vases  Ueipiôoç  pour  IIeipi9ouç,  Aopiç  pour  àovpiç,  etc. 

12°  Il  en  sera  de  même  du  dessinateur  dont  il  lit  le  nom  Taconides 
(p.  60),  qui  ne  peut  pas  non  plus  exister.  M.  Gerhard  avait  pourtant 
averti  M.  R.  R.  qu'il  y  a  sur  l'original  *AKONIAE2;  avertissement 
perdu  ;  car  celui-ci  n'a  pas  vu  qu'en  ce  cas  la  seule  leçon  possible  est 
2AK0NIAE2;  c'est  le  patronymique  de  Saxwv  (covoç),  un  des  Zan- 
cliens  fondateurs  d'Himère,  selon  Thucydide  (VI,  5);  et  Scbtwv  est 
le  dérivé  du  substantif  golkoç  ,  bouclier. 

13°  Theoxotos,  qui  ne  le  choque  pas  non  plus  ,  n'existe  pas  davan- 
tage; c'est  un  nom  impossible.  Le  nom  doit  être  écrit  ©EOIOT02 
(®eéÇozoç  pour  SeôùoTog)  et  non  OEOIÔT02,  qui  n'est  pas  grec. 
14°  Le  nomKAIAYMA2  (ZTœZî/mas),  que  M.  R.R.  persiste  à  lire  sur 
un  vase,  n'est  pas  moins  étrange.  J'ai  fait  voir  ailleurs  que  l'inscription 
KITT02HOKAIAYMA ,  doit  se  lire  Kitto'ç  6  x«ï  A-ôuocxog  (pour 
Awcipia/oç.  On  trouve  en  effet ,  sur  des  médailles ,  Avppxyoç  pour 
Aufftpia/os  et  Àupia  pour  Àvpta^oç;  comme,  sur  une  pierre  gravée, 
Apupo  pour  ÀpyoTepoç. 

15°  M.  R.  R.  en  terminant  (p.  68),  cite  l'inscription  d'un  vase 
de  la  forme  balsamaire  :  APO2Y^AMHTHPnAOYTC0N|.  Il  veut 
changer  la  traduction  du  P.  Lupi  (1)  :  Drosyla  mater  Plutoni  (filio 
dat)  en  (hoc  vasculum  consecrat).  Mais  il  est  évident  que  UIovtwv  est 
le  nom  du  fils  de  Drosyla  ,  non  celui  du  dieu  Pluton  ;  et  que  ApocruAa 
pfanp  IIAouTwvt  a  le  même  sens  que  ApocxuAa  tw  ts'xvw  ïïIojtmvi. 
Dans  l'autre  cas ,  panrmp  ,  mis  absolument,  serait  dénué  de  sens.  Les 
noms  de  ILVJtwv  ,  liïovzi «v,  IïAouriaç,  ÏIAouTia^/jç,  sont  dérivés  de 
ÏIIqvtoç.  ApoŒuAa,  est  un  diminutif  du  féminin  Apo'07? ,  Apocn'ç  ou 
Apocrw,  comme  ApoViÀAa,  qui  pourrait  bien  être  aussi  le  Drusilla 
des  Latins. 


16°  Si  notre  auteur  ne  trouve  rien  à  dire  de  nouveau  dans  les 
détails,  il  est  également  stérile  quant  aux  vues  d'ensemble.  Je 
cherche  en  vain  dans  ce  travail ,  une  idée  ou  une  observation  utile 
qui  lui  appartienne  ;  et  cependant  le  sujet  particulier  qui  l'occupait , 

(1)  Le  P.    Lupi   avait    lu,  par  inadvertance,  HAOYTCONI,    au  lieu  de 
RAOYTCONI. 


NOMS   DES   ANCIENS   ARTISTES   GRECS   OU   ROMAINS.        385 

les  noms  d'artistes  sur  les  vases,  donnait  lieu  à  plus  d'une  recherche 
de  quelque  intérêt. 

17°  Par  exemple,  il  remarque  que  M.  Sillig  n'a  cité  que  cinq  de 
ces  noms,  les  seuls  qui  fussent  connus  en  1827,  année  où  son  livre  a 
paru  ;  tandis  qu'on  en  connaît  maintenant  environ  soixante-dix,  qui 
tous,  pour  la  plupart,  proviennent  des  fouilles  de  l'Étrurie.  Comment 
n'a-t-il  pas  cherché  à  se  rendre  compte  de  cette  singularité?  Pourquoi, 
en  effet,  ces  noms  ^artistes  ou  de  potiers,  si  rares  dans  le  reste  du 
monde  grec,  étaient-ils  si  communs  dans  l'Étrurie,  principalement 
à  Vulci?  Je  ne  crois  pas  qu'on  soit,  à  présent,  en  état  d'expliquer 
cette  singularité  d'une  manière  certaine;  mais,  du  moins,  un  anti- 
quaire qui  s'occupe  des  noms  des  artistes,  devait -il  en  faire  la 
remarque,  s'il  n'en  essayait  pas  la  solution?  Pour  moi,  il  me  semble 
que ,  si  les  vases  italo-grecs ,  co'mme  le  croyent  à  présent  les  plus 
habiles  archéologues,  et  comme  je  suis  assez  porté  à  le  croire  aussi, 
sont  un  produit  de  fabricants  athéniens  établis  dans  l'Étrurie,  on 
devra  admettre  que ,  travaillant  sur  les  lieux ,  ils  tenaient  davantage 
à  répandre  leurs  noms  dans  ce  pays  étranger,  où  ils  briguaient  la 
vogue  et  la  fortune  qui  s'y  attache.  Ce  serait  un  indice  de  plus  de 
l'établissement  d'artistes  athéniens  en  Étrurie. 

Toutefois  je  ne  présente  cette  conjecture  que  pour  en  susciter  une 
meilleure  ;  mais  on  s'étonne  qu'un  fait  de  ce  genre  ait  été  négligé 
par  M.  R.  R.  Je  le  recommande  donc  à  l'attention  des  auteurs  de 
Y  Élite  des  Monuments  céramographiques ,  qui  n'ont  donné  que  la 
première  partie  de  leur  introduction.  Car  j'espère  bien  qu'ils  ne  se  lais- 
seront pas  décourager  par  les  duretés  que  leur  adresse  M.  R.  R.,  à 
propos  de  la  légèreté  d'esprit  dont  il  les  gratifie  généreusement. 

18°  Un  second  point  que  je  leur  recommande  est  celui-ci  :  dans 
tous  les  exemples  de  iizoiwz  que  l'on  connaît,  sur  les  vases  peints,  à  la 
suite  du  nom  du  fabricant,  ce  verbe  est  écrit  EnOIE2E  et  non 
EI"IOIH2E  ;  ce  qui  annoncerait  que  l'usage  de  ces  sortes  d'inscriptions 
ne  s'est  pas  étendu  jusqu'à  l'époque  où  l'emploi  de  l'H  a  remplacé  l'E  ; 
à  moins  que,  par  archaïsme ,  on  eût  conservé  l'E  ,  comme  les  Athé- 
niens Vont  fait  pour  le  mot  AGE  dans  leurs  médailles.  Ceci  mérite 
encore  d'être  étudié. 

19°  Enfin  un  troisième  fait  remarquable  n'a  pas  été  moins  négligé, 
e'est  qu'avant  les  découvertes  de  l'Étrurie,  les  vases  à  sujets  obscènes 
étaient  fort  rares ,  et  que  la  plupart  de  ceux  que  l'on  connaît  à  présent 
proviennent  des  fouilles  de  l'Étrurie ,  principalement  de  Vulci  ;  ce  qui 
semble  attester,  dans  ce  pays ,  un  goût  particulier,  et  annoncer  une 


386  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

corruption  de  mœurs  plus  grande  et  plus  répandue,  au  moins  parmi 
les  gens  riches,  auxquels  appartiennent  les  tombeaux  où  ces  vases 
ont  été  déposés ,  comme  objet  de  luxe  et  de  caprice  ;  car  on  sait 
que  la  plupart  des  vases  peints  ne  servaient  pas  dans  l'usage  de  la 
vie.  C'est  encore  là  une  raison  de  croire  que  ces  vases  et  leurs  pein- 
tures sont  le  fruit  d'une  industrie  locale;  car  si  l'on  en  avait  exécuté 
de  même  dans  les  fabriques  d'Athènes  ou  d'autres  pays  de  la  Grèce  ou 
de  l'Italie,  on  les  trouverait  aussi  nombreux  dans  ces  mêmes  pays, 
au  lieu  qu'ils  y  sont  très-rares. 

Ce  sont  encore  deux  observations  que  je  livre  à  l'étude  des  per- 
sonnes qui  s'occupent  des  vases  grecs. 

20°  M.  R.  R.  ne  nous  donne  point  d'idées  nouvelles;  mais ,  en  re- 
vanche, il  conserve  une  classification  fausse  qu'il  a  déjà  mise  en  avant 
dans  sa  première  édition,  et  qui  a  été  assez  constamment  reproduite, 
d'après  lui.  «  Il  se  propose  [dans  ce  premier  chapitre],  dit-il,  de  dres- 
«  ser  la  liste  des  errâtes  qui  prirent  part  à  la  fabrication  des  vases,  soit 
«  comme  dessinateurs,  soit  comme  fabricants  ou  potiers.»  Les  uns  el 
les  autres  ne  montent  pas,  dit-il ,  à  moins  de  soixante-cinq  ,  au  lieu  de 
cinq  que  M.  Sillig  avait  connus  et  insérés  dans  son  catalogue.  C'est 
donc  une  soixantaine  de  plus.  L'addition  est  considérable;  mais  j'en 
retrancherais,  sans  hésiter,  une  cinquantaine,  au  moins  les  quatre  cin- 
quièmes, d'un  catalogue  d'artistes.  Partout,  il  qualifie  ces  potiers  du 
nom  d'artistes.  C'est  abuser  des  termes,  et  se  laisser  entraîner  trop  loin 
par  le  désir  d'enfler  un  catalogue.  Que  dirait-on  de  l'auteur  d'un 
catalogue  d'artistes  modernes  qui  jugerait  à  propos  d'y  insérer  tous 
les  fabricants  de  porcelaine  ou  de  faïence,  sous  prétexte  que  ces  pote- 
ries ont  quelquefois  des  figures  ou  des  paysages ,  qui  ne  sont  pas 
leur  œuvre?  Ainsi,  des  soixante- cinq  noms  que  M.  R.  R.  a 
rassemblés,  à  l'aide  de  ses  propres  recherches  ou  de  celles  de  ses  pré- 
décesseurs, il  n'y  en  a  qu'une  vingtaine  environ  que  M.  Sillig  devra 
joindre  à  son  catalogue,  sous  peine  de  gâter  son  livre;  car  c'est  gâter 
un  livre  que  d'en  rompre  l'unité,  en  y  mettant  ce  qui  n'y  doit  pas  être. 

21"  On  peut  objecter,  il  est  vrai,  que  M.  Sillig  ayant  déjà  mis,  dans 
son  catalogue,  deux  noms  suivis  de  EnOIHIE ,  il  peut  bien  y  joindre 
les  cinquante  autres  qui  y  figureraient  au  même  titre.  A  cela  je  réponds, 
et  M.  Sillig,  au  besoin,  répondrait  pour  moi,  qu'à  l'époque  où  il  a  fait 
paraître  son  livre,  on  n'était  pas  encore  fixé  sur  la  différence  du  sens  de 
ènoiyee  et  de  èypa^s  dont  il  y  avait  si  peu  d'exemples;  on  pensait,  eu 
général ,  que  iiioiwz  pouvait  s'entendre  du  travail  de  l'artiste,  comme 
dans  les  inscriptions  des  statuaires.  Depuis  les  découvertes  de  l'Étru- 


NOMS   DES   ANCIENS   ARTISTES    GRECS   OU  ROMAINS.         387 

rie,  le  doute  n'est  plus  permis,  ainsi  que  M.  Gerhard  Ta  remarqué  le 
premier;  et  personne  ne  peut  croire,  à  présent,  que  les  individus 
dont  les  noms  sont  accompagnés  de  Itol^gî,  soient  autre  chose  que 
des  potiers.  On  ne  pourrait  donc  les  ranger  au  nombre  des  artistes, 
à  moins  d'y  mettre  aussi  les  menuisiers ,  les  tourneurs,  les  teinturiers. 
les  tisserands,  les  cordonniers  et  autres  artisans;  ce  qui  serait  re- 
tomber dans  le  cahos  du  catalogue  de  Junius ,  qui  n'a  pas  craint  d'y 
fourrer  les  ouvriers  de  soixante  métiers  différents.  J'en  fais  la  re- 
marque, parce  que  de  savants  archéologues,  entraînés  par  l'exemple 
de  M.  R.  R. ,  mettent  encore  ces  potiers  parmi  les  artistes.  J'espère 
que  M.  Sillig  ne  se  laissera  point  gagner  par  ces  exemples. 


22°  Au  reste,  M.  R,  R.  ne  persiste  pas  seulement  à  convertir  en 
artistes  des  potiers  de  vases.  Confondant  toujours  le  métier  de  la  céra- 
meutique  avec  Y  art  de  la  céramographic ,  il  se  met  à  rechercher  curieu- 
sement les  noms  de  tous  ceux  que  les  anciens  ont  appelés,  en  général, 
v.zoy.udq,  potiers,  et  qui  ont  pu  n'être  que  de  simples  fabricants  de 
cruches,  de  tonneaux  et  de  marmites;  il  va  même  jusqu'à  reprocher  à 
M.  Welcker  d'avoir  négligé  les  secours  que  pouvait  lui  fournir,  à  ce 
sujet,  Yancienne  comédie attique .  De  là,  des  citations  sans  but,  sans 
utilité,  et  malheureusement  accompagnées  des  plus  grosses  erreurs. 

23°  Ainsi,  qu'importe  à  l'éclaircissement  d'un  tel  sujet  que  le  poëte 
phlyacographe  (qu'il  valait  mieux  nommer  burlesque  pour  se  faire  com- 
prendre) appelé  Rhinthon  (et  non  Rhinton)  fût  le  fds  d'unpotier?  que 
le  fameux  Agathocle  eût  pour  père  un  potier  du  nom  de  Carcinus,  selon 
Diodore  de  Sicile  (p.  30)?  Uhistoire  de  Vart  n'a  rien  à  faire  avec  eux  ; 
mais  au  moins  devait-on  mettre,  dans  ces  inutiles  détails,  un  peu 
d'exactitude;  or,  il  n'est  pas  dit  que  le  père  d'Agathocle  fût  un  potier. 
M.  R.  R.  n'a  certainement  pas  jeté  les  yeux  sur  le  passage  de  Dio- 
dore qu'il  cite;  il  y  aurait  vu  que  Carcinus,  obligé,  par  crainte  des 
Carthaginois,  de  quitter  Thermes,  ville  de  Sicile,  qui  était  en  leur 
pouvoir,  s'enfuit  à  Syracuse,  et  que  là,  à  bout  de  ressources,  il  fit 
apprendre  à  son  fils  Agathocle,  Y  état  de  potier:  iâiâoc^e  (sens  transitif) 
TÔv  AyccQozlia  ryjv  xepapevTHurîv  re^wjv  (Diod. ,  XIX,  2,7).  Polybe 
dit  qu'il  exerça  ce  métier  jusqu'à  l'âge  de  dix-huit  ans  (XII,  15,  6; 
XV,  35,2). 

24°  A  quoi  bon  encore  une  longue  dissertation  pour  savoir  si  le 
démagogue  Céphalus  fut  un  mauvais  fabricant  de  petits  plats 
( Tû-jQia ) ,  et  si  un  autre  démagogue,  Hyperbolus,  fut  simplement 


388  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

marchand  de  lampes y  fàywttéùfaç ,  selon  Aristophane,  ou  un  fabri- 
cant, Iv^yonoioq,  selon  le  scholiaste? 

25°  Là-dessus,  M.  R.  R.  fait  cette  remarque  incroyable  :  «  L'usage 
«  des  lampes  d'argile  qui  se  fabriquaient  an  moyen  du  tour  à  potier, 
«  roû  zpoyrilaTou  tpoyov  (Aristoph.  Eccles.,i),  ou  qui  se  tiraient 
«  d'un  moule ,  ou  yxp  sv  tpoyû  èlocvvzraij  alla  zvtïm  yiverat,  est 
«  établi ,  ainsi  qu'on  le  voit ,  par  le  témoignagne  d'Aristophane  lui- 
re même,  comme  un  usa^e essentiellement  attique  (p.  29,  n.  6).»  M.  R.  R. 
n'entend  rien  à  ce  grec.  Les  lampes  de  terre  cuite  devaient  le  plus 
souvent  être  fabriquées  au  moule  et  non  au  tour.  Si  donc  Aristophane 
se  sert  de  l'expression  ?ov  rpo^Aarou  1-ùyyov,  le  scholiaste  a  le  soin  de 
remarquer  que  le  mot  zpoxriloczoç,  est  ici  employeur  catachrèse  (abus), 
/.«Ta^pyî(7Tiy.àjç  zlizzv  ;  car,  ajoute-t-il  (dans  ce  même  passage  que 
M.  R.  R.  a  cité  sans  le  comprendre)  :  où  yàp  (  6  Ivyyoç)  sv  ïpoyà 
ilavvsTaij  alla  TÙiitd  yivzrat.  «  La  lampe  n'est  point  formée  au  tour, 
«  mais  elle  est  faite  au  moule.  »  C'est  assez  clair,  ce  me  semble. 

26°  Ce  qui  n'est  pas  moins  singulier,  c'est  que  M.  R.  R.  conclut 
de  là  que  l'usage  des  lampes  d'argile  était  essentiellement  attique, 
comme  si  cet  usage  n'était  pas  essentiellement  général  et  commun  à 
toute  la  Grèce  ;  il  va  même  jusqu'à  tirer  de  cette  glose  d'Hesychius 
(y.epocueiiç  6  Ivyyovpyoç) ,  la  preuve  que,  «dans  l'acception  la  plus 
«  usuelle  de  ce  mot  (xspa^suç),  la  profession  de  potier  s'enten- 
de dait  d'un  fabricant  de  lampes,  tant  on  faisait  généralement ,  à 
«  Athènes ,  usage  de  lampes  de  terre  cuite.  »  C'est  l'inverse  de  l'idée 
qu'il  fallait  prendre,  et  M.  R.  R.  devait  dire  :  «  Le  fabricant  de  lampes 
«  était  compris  dans  la  classe  des  potiers.  »  Il  n'a  pas  entendu  la  glose 
d'Hesychius  qui,  selon  son  usage,  se  rapporte  à  un  passage  de  quelque 
auteur  classique  où  l'on  désignait  un  Ivyyovpyoç  par  le  mot  xepocy.s-j;  ; 
sur  quoi  le  glossateur  remarque  qu'ici,  par  xepapisvç_,  l'auteur  entend 
le  Ivyyovpyoç  dont  il  est  question  dans  le  passage  allégué.  M.  R.  R. 
observe  «  qu'au  lieu  de  l'jy.ovpyoç ,  que  porte  le  texte  d'Hesychius , 
«  il  faut  lire  1-jyyovpyoç.  »  La  correction  est  heureuse;  mais  il  n'au- 
rait pas  été  superflu  d'ajouter  qu'elle  appartient  à  Samuel  Petit, 
comme  le  remarque  Alberti  dans  sa  note. 


Quoique  j'aie  annoncé  plus  haut  (p.  376)  que  je  ne  relèverais  pas 
les  critiques  fausses  et  inconsidérées  que,  dans  ce  livre,  M.  R.  R.  lança 
à  tort  et  à  travers  contre  plusieurs  archéologues,  et  surtout  contre 
moi  (j'en  ai  cité  des  exemples,  t.  H,  p.  702,  note),  je  crois  devoir 


NOMS  DES   ANCIENS   AUTISTES   GRECS  OU   ROMAINS.        389 

faire  deux  seules  exceptions  pour  deux  reproches  qui  supposeraient, 
de  ma  part,  l'ignorance  ou  l'oubli  des  principes  de  la  matière. 

27°  Sur  le  bord  de  la  tunique  d'une  Palias,  à  la  villa  Ludovisi , 
on  lit  : 

TIOXOC 
INAIOC 

noiei 

Cette  inscription  a  été  lue  par  Winckelman  et  par  tous  ceux  qui 
l'ont  citée  :  Avrto^oç  (ou  Myrloyoç)  Mwcdoç  inoUi.  Rien  de  plus 
naturel  que  cette  leçon;  toutefois,  je  me  suis  demandé  si  INAIOC  ne 
proviendrait  pas  plutôt  de  [AONAIOC ,  conjecture  qui  devait  avoir 
au  moins  l'avantage  de  faire  examiner  de  plus  près  l'original  ;  car  si 
le  premier  I  de  INAIOC  ne  porte  aucun  vestige  du  trait  transversal 
de  l'H ,  il  faudra  bien  lire  AIHNAIOC;  dans  le  cas  contraire,  ce 
sera  AOHNAIOC  Toute  la  question  est  là. 

M.  R.  R.  transporte  cette  innocente  conjecture  sur  un  autre  ter- 
rain; et,  enflant  la  voix  à  son  ordinaire  quand  il  croit  trouver  les 
gens  en  défaut,  il  assure  qu'en  proposant  de  lire  Aiyivoiïoq,  j'ai  fait 
deux  méprises  :  1°  contre  [histoire  de  ïart,  attendu  que  X école  d'Égine 
n'existant  plus  depuis  longtemps  à  l'époque  romaine,  qui  est  celle  de 
l'inscription ,  c'est  violer  toutes  les  notions  de  l'histoire  de  l'art  que 
de  supposer  qu'un  sculpteur  pût  être  de  cette  île;  2°  contre  la  langue 
gi'ecque,  attendu  qu'un  homme  né  à  Égine,  s'appelait  toujours  Aiyt- 
yfanç<,  et  jamais  Aiyivxïoç.  Je  réponds  : 

1°  C'est  un  bien  faux  raisonnement  que  celui-ci  :  «Le  sculpteur 
«  Antiochus  (ou  Métiochus)  était  de  l'époque  romaine;  or,  l'école 
«de  sculpture  d'Égine  n'existait  plus  depuis  longtemps;  donc  c'est 
«  violer  ï histoire  de  Vart,  que  d'en  faire  un  Èginète.  »  N'est-ce  pas 
justement  comme  si  Ton  prétendait  qu'il  ne  peut  pas  y  avoir  à  présent 
un  peintre  né  à  Milan,  à  Venise  ou  à  Bologne,  parceque  les  ancienues 
écoles  milanaise,  vénitienne  et  bolonaise  sont  depuis  longtemps 
éteintes?  Uhistoire  de  Vart  ne  s'oppose  donc  pas  à  ce  que  l'île 
d'Egine,  à  l'époque  romaine,  eut  donné  naissance  à  un  sculpteur. 

2°  1! ethnique  usité  était  en  effet  Aiy ivrirnç  ou  Pdyvuzvq,  ce  que 
personne  n'ignore  ni  ne  conteste;  mais  il  est  faux  que  les  Grecs 
n'aient  jamais  employé,  dans  le  môme  sens,  l'adjectif  Aiywocïoç ,  et 
qu'il  soit  contraire  à  la  langue  grecque  de  lire  AIHNAIOC.  M.  R.  R., 
sans  aller  plus  loin,  n'avait  qu'à  regarder  seulement  l'article  Aïyivcc, 
dans  Etienne  de  Byzance,  il  aurait  vu  que  l'adjectif  Alyivouoç  servait 


390  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

aussi  comme  ethnique,  puisqu'on  disait  fort  bien  iViyivxïoç  (pour 
klyiwitijt)  z-noiy.oç;  et  qu'un  orateur  athénien,  Dinarque,  avait  dit  : 
kiyivxia.  (  pour  klyvjriziz)  yvvrt. 

28°  La  seconde  méprise  qu'il  m'attribue  concerne  un  nom  d'ar- 
tiste dans  l'inscription  d'une  statue  du  Louvre.  Elle  porte  : 


HPA. ... 

AH2 

ArAOY 

Ed>E2l02 

KAlAr 

NEI02 

Enoi 

OYN      (1) 

Il  n'y  a  rien  eu  entre  les  deux  parties  de  chaque  ligne,  on  le  voit 
par  le  mot  ènoiovv;  il  s'ensuit  que  ces  parties  doivent  être  immé- 
diatement rapprochées.  Le  premier  nom  ne  fait  aucun  doute.  On  a 
lu  le  deuxième  AI"ACIOY;  mais  l'intervalle  (2)  ne  permet  pas  d'in- 
sérer les  deux  lettres  Cl  entre  AI"A  et  OY.  Je  le  lis  AI"AYOY 
(Ayavov) ,  nom  connu  dérivé  de  l'adjectif  àyxvôç.  Quant  au  troi- 
sième, APNEI02,  M  de  Clarac  et  moi  nous  avons  proposé  de  lire 
APNEI02  ou  APNEI02  ;  je  persiste  à  croire  que  c'est  l'un  ou  l'autre. 
M.  R.  R.,  qui  les  repousse  tous  deux ,  renonce  à  lire  ce  nom  d'au- 
cune manière;  ce  qui  est  plus  commode.  Mais  il  a  tort  d'objecter, 
contre  kyveioç,  que  le  nom  est  faux  et  n'a  pas  une  forme  vraiment 
grecque  (p.  165,  166).  Avec  un  peu  de  réflexion,  il  aurait  aperçu 
que  ArNI02  et  AI"NIA2  sont  des  noms  fort  usités,  et  qu'à  la  place 
de  ce  dernier  on  trouve  aussi  ArNEIA2-  Pourquoi  n'aurait  on  pas  dit 
également  AFNEI02,  puisque  la  double  orthographe  par  |  et  E|  est 
employée  dans  tous  ces  noms?  D'ailleurs,  les  inscriptions  latines 
donnent  AG>Eivs(Grut.,  p.  349,  7;  Gud.  Inscr.,  p.  9,  6),  le  même 
nom  grec  en  lettres  latines,  sans  l'aspiration,  ce  qui  arrive  souvent. 
La  leçon  est  donc  légitime  et  le  nom  très-grec.  S'il  y  a  ici  une  mé- 
prise, on  voit  de  quel  côté  elle  se  trouve. 

Ces  deux  exemples  donneront  lieu  de  juger  jusqu'à  quel  point 
M.  R.  R.  réussit,  quand  il  veut  faire  entrer  les  autres  en  partage  des  mé- 
prises dont  il  garde,  au  moins  jusqu'à  ce  jour,  le  privilège  exclusif ', 
entre  tous  les  érudits  passés  et  présents. 


Et,  afin  que  personne  ne  songe  à  le  lui  contester,  je  vais  ter- 
miner ce  deuxième  article  par  un  Appendice  qui,  sous  un  autre  rap- 
port, est  devenu,  de  ma  part,  nécessaire. 

(l,  Clarac,  Jnscr.  pi.  LVI,n°  411. 

(2)  Cet  intervalle  est  tenu  un  peu  trop  large  dans  la  copie  de  M.  de  Clarac. 


NOMS   DES   ANCIENS    AUTISTES    GRECS   OU    ROMAINS.         391 

Dans  le  morceau  intitulé  trois  Fragments  (voyez  la  Reçue,  t.  II , 
p.  758),  j'avais  affirmé,  sans  donner  à  l'appui  ni  preuve  ni  citation 
précise  (ce  n'était  pas  la  place),  que  M.  R.  R. ,  dans  son  Supplément 
au  Catalogue  de  Sillig,  où  il  gourmande  si  rudement  les  autres,  avait 
poussé  l'inexactitude  et  le  défaut  de  critique  jusqu'à  «  changer  un 
a  poète  en  potier;  un  pharmacien  en  graveur;  et  un  peintre  en  bou- 
«.  langer.»  Quelques  personnes  instruites,  ne  pouvant  se  figurer 
qu'un  académicien  tombe  en  de  telles  erreurs,  m'ont  mis  tout 
récemment  au  défi  de  prouver  mon  dire.  Je  ne  puis  donc ,  sans 
compromettre  ma  sincérité ,  me  dispenser  de  leur  répondre  et  de 
justifier  mon  assertion  sur  trois  points  aussi  graves.  Je  ferai  plus; 
pour  montrer  que,  bien  loin  de  m'être  trop  avancé,  j'en  savais 
à  cet  égard  beaucoup  plus  que  je  n'en  disais,  aux  trois  métamor- 
phoses annoncées,  j'en  joindrai  neuf  autres  de  la  même  force ,  opérées 
par  la  même  baguette  magique ,  et  toujours  dans  ce  même  Supplé- 
ment au  Catalogue  de  Sillig.  Ce  sera  une  douzaine  de  métamorphoses , 
dont  six  latines  et  six  grecques;  d'où  l'on  pourra  conclure  que  les 
deux  langues  sont  aussi  bien  traitées  l'une  que  l'autre  dans  ce  livre 
extraordinaire. 

29°  Première  métamorphose.  Un  peintre  en  boulanger.  —  Dans  une 
inscription  de  Pisauro,  on  lit  :  d.  m.  ti.  clavdi.  soteris.  pictoris. 
qvadrigvlari  (Orelli ,  n°  4262).  M.  R.  R.  (p.  443-445)  propose 
de  changer  pictoris  (peintre)  en  pistoris  (boulanger) ,  correction  qui, 
prise  en  elle-même,  est  assurément  fort  naturelle,  et  pourrait  être  ad- 
mise sans  peine.  Mais  la  difficulté  n'est  pas  là  ;  elle  est  dans  l'adjectif 
quadrigularius;  car  que  peut  signifier  pistor  quadrigularius  ?  Rien 
de  plus  simple,  répond  M.  R.  R.  «  De  même  qu'on  disait  pi^or  can- 
«didarius  (boulanger  de  pain  blanc)  ou  similaginarius  (de  fleur  de 
a  farine),  on  disait  aussi  pistor  quadrigularius,  boulanger  de  pain  en 
«  quatre  on  partagé  en  quatre.  »  On  peut  lui  faire  cette  petite  ob- 
jection qu'il  aurait  dû  prévoir  :  c'est  qu'un  boulanger  peut  très-bien 
ne  manipuler  qu'une  seule  espèce  de  pain  ,  au  pain  blanc,  du  pain  bis, 
du  pain  de  gruau  ;  mais  je  vous  prie,  qu'est-ce  qu'un  boulanger  de 
pain  en  quatre  ou  en  trois  ou  en  deux?  Cela  n'a  pas  le  sens  commun. 
En  vain,  pour  expliquer  ces  pains  en  quatre,  M.  R.  R.  va  chercher 
le  mot  latin  quadrœ;  il  ne  montre  là  que  la  plus  incroyable  inad- 
vertance. Car  quadrus  ne  veut  pas  dire  ce  qui  est  en  quatre ,  mais  ce 
qui  a  quatre  côtés.  Il  cite  en  sa  faveur  Virgile  et  Sénèque.  Mais 
le  quadra  de  ces  deux  auteurs  n'a  rien  de  commun  avec  un  pain  en 
quatre.  Dans  le  passage  allégué  de  Virgile  (sEneid.,  VII,  114  :  Va- 


392  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tulis  necparcere  quadris),  le  mot  quadrœ  ne  désigne  que  les  gâteaux 
earrés  [adorea  liba  per  herbas  epulis  subjecta)  étendus  sur  l'herbe 
en  guise  de  tables  (quadrœ).  Dans  le  second  :  Çuadra  panis  aut  stips 
œris  abjecti.  (Senec.,  de  Benefic,  IV,  29) ,  le  mot  quadra  ne  signifie 
que  ce  que  nous  appellerions  un  morceau  de  pain.  On  ne  saurait 
abuser  davantage  de  textes  plus  clairs. 

"Mais  ce  n'est  pas  tout.  La  nature  même  du  mot  quadrigularius , 
s'oppose  à  son  idée;  car  c'est  évidemment  l'adjectif  dérivé  de  quadrigula 
(petit  quadrige)  comme  quadrigarius  de  quadriga  ou  quadrigœ;  eu 
sorte  que  pictor  quadrigularius  ou  quadrigarius  n'est  rien  autre 
chose  qu'un  peintre  en  voitures.  On  sait  que ,  dans  la  décadence  de  la 
langue  latine,  les  diminutifs  prirent  quelquefois  la  place  du  po- 
sitif (1).  Toutefois,  je  pense  qu'on  donnait  le  nom  de  quadrigulœ  aux 
chars  légèrement  et  délicatement  construits ,  tels  que  ceux  qui  ser- 
vaient dans  les  jeux  du  cirque.  Ils  devaient  être  peints  et  vernis  avec 
soin ,  comme  nos  voitures  de  luxe. 

On  peut  donc  garder  Soter  sur  la  liste  des  peintres;  pourtant  je  ne 
jurerais  pas  que  ce  fût  autre  chose  qu'un  barbouilleur. 

30°  Deuxième  métamorphose.  Un  inspecteur  de  théâtre  en  peintre  ou 
dessinateur.  — Celle-ci  est  inverse  de  la  précédente.  M.  R.  R.  «  pro- 
«  pose  d'ajouter  à  la  liste  des  anciens  artistes  T.  Statilius  Myron,  qua- 
<(  lifié  dissignator  (  designator  )  scenarvm,  un  de  ces  dessinateurs 
«  ou  peintres  de  scènes  dramatiques ,  qui ,  le  plus  souvent,  exerçaient 
«  en  même  temps  la  profession  d'architectes  (p.  366).  »  Ici  l'auteur 
a  été  trompé  par  l'italien  designatore  qui  signifie  un  dessinateur; 
mais,  en  latin,  il  n'y  a  rien  de  commun  entre  l'art  du  dessin  et 
designator  ou  designare,  dont  les  sens  divers  se  rattachent  tous  à 
l'idée  de  désigner,  de  distribuer,  d'ordonner;  de  là  designator  signifiait 
l'ordonnateur  dans  les  théâtres,  ou  dans  les  funérailles,  ou  le  juge 
qui  distribuait  les  prix  dans  les  jeux.  Designator  scenarum  ne  pourra 
donc  être  autre  chose  que  l'inspecteur  du  théâtre,  ou  bien  celui  qui 
surveille  la  mise  en  scène,  l'entrée  et  la  marche  des  acteurs;  jamais 
ni  dessinateur,  ni  peintre  ou  un  arclùtecte. 

31°  Troisième  métamorphose.  Un  brodeur  en  armurier. — Dans  une 
autre  inscription  (ap.  Gud.,  p.  282,  etOrelli,  n°4152),  un  certain 
Hermès  est  qualifié  de  barbaricarius.  M.  R.  R.  traduit  ce  mot  par 

(1)  En  grec,  les  diminutifs  sont  employés  souvent  pour  une  classe  d'objets;  ainsi 
rà  ohipia,  rx  tixiv.  ou  même  oiTipix  ont  le  même  sens  de  classe  qu'en  français  les 
vin$,  les  vivres,  les  huiles,  les  sucres,  elc. 


NOMS   DES   ANCIENS   ARTISTES   GRECS   OU   ROMAINS.         393 

fabricant  de  casques  et  $  armures  (p.  325)  ;  mais  est-il  permis  d'igno- 
rer que  les  barbaricarii ,  dont  le  nom  classique  est phrygiones ,  étaient 
les  ouvriers  qui  travaillaient  les  étoffes  brochées  en  or?  (quiexauro 
coloratis  filis  exprimebant  hominum  formas,  animalium,  etc. ,  comme 
dit  Donatus.  )  Ces  étoffes  étaient  quelquefois  appelées  barbaricœ 
vestes,  c'est-à-dire  barbarico  vel  phrygio  more  pictœ.  Du  Cange  et 
Forcellini,  sur  ce  mot,  me  dispensent  d'en  dire  davantage. 

32°  Quatrième  métamorphose.  Un  nom  propre  en  architecte.  — A  la 
page  415,  on  lit  cet  article  :  «  P.  Cornélius  Thallus,  fils  de  Corne- 
«  Mus,  architecte,  et  sans  doute  arcMtecte  lui-même...  sur  une  inscrip- 
«  don  latine.  Si  l'on  n'admet  pas  que  le  fils  exerçât  la  profession  du 
«  père,  au  moins  celui-ci  doit-il  être  admis  à  titre  à' architecte ,  sur 
«  la  liste  des  artistes  romains.  »  M.  R.  R.  n'a  rien  compris  à  cette 
inscription  :  p.  cornelivs.  thallus.  p.  corneli.  architecti.  fil. 

MAG.  QVINQ.  COLL.  FABR.  TIGNAR.  LVSTR.  XXVII.  NOMINE.  P.  COR- 
NELI. ARCHITECTIANT.  FIL.  SVI.    ALLECTI.  IN.  ORDINEM.  DECVRION. 

fidei.  signvm.  dédit.  (Grut.,  p.  99,  9).  Il  est  clair  que  le  mot 
architecti  ne  désigne  pas  une  profession;  c'est  le  cognomen  du  père 
de  p.  cornelivs  thallvs;  et,  ce  qui  le  prouve,  c'est  que  le  fils  de 
celui-ci  s'appelait  architectianvs,  dérivation  latine  du  nom  de  l'aïeul, 
selon  l'usage  grec  et  romain.  Nous  avons  donc  ce  stemma  :  p.  corn, 
architectvs,  père  de  p.  corn,  thallus  (magister  quinquennalis 
collegii  fabrum  tignariorum  (charpentiers),  lustri.  xxvn),  et  aïeul 
de  p.  corn,  architectianvs.  Chacun  d'eux  a  son  cognomen  différent 
joint  aux  mêmes  prœnomen  et  nomen ,  p.  cornelivs.  Il  faut ,  sans 
hésiter,  retrancher  l'un  et  l'autre  de  la  liste  des  artistes  romains. 

33°  Cinquième  métamorphose.  Deux  personnes  en  une  seule.  — 
M.  R.  R.  (p.  348)  parle  «  d'un  sculpteur  sur  argent  nommé  dans  une 
«  inscription  (Mus.  Veron.,  p.  267,  3.)  malchio.  phileros.  arg.,  » 
sur  quoi  l'on  peut  observer ,  d'abord  qu'argentarius  signifie , 
non  pas  sculpteur  sur  argent,  mais  simplement  argentier,  ouvrier 
en  ustensiles  d'argent  ,  banquier  ou  même  caissier  ;  mais  ceci 
tient  à  ce  que  M.  R.  R.  veut  faire  des  artistes  de  tous  les  orfèvres, 
argentiers ,  bijoutiers ,  marchands  de  perles  ou  de  pierres  fines , 
potiers ,  etc.  qu'il  rencontre.  J'en  parlerai  ailleurs.  Ensuite,  on  ne 
sculpte  pas  sur  les  métaux;  on  les  fond,  on  les  repousse,  on  les  ciselle. 
Mais  le  point  principal ,  c'est  que  X argentier  en  question  ne  s'appelait  pas 
Malchio  Phileros;  il  s'appelait  seulement  Phileros;  le  nom  précédent 
désigne  une  autre  personne.  Si  M.  R.  R.  a  lu  l'inscription  qu'il  cite, 
m.  26 


394  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

à  coup  sûr  il  no  l'a  pas  comprise  ;  à  la  vérité ,  la  formule  n'en  est 
pas  claire.  Comme  l'inscription  ,  qui  est  au  Vatican  (Otto  Jahn  , 
Specim  epigr.,  p.  97),  n'est  expliquée  nulle  part,  je  la  transcris,  et 
j'en  donne  le  sens  pour  que  d'autres  ne  s'y  trompent  pas,  comme 
M.  R.  R. 

CN.  CN.  CN.  SEPTVMIEIS.   CN.  CN.  C.  L. 

PHILARGVRVS.  MALCHIO.  PHILEROS.   ARG.    (l) 

CORxWFICIA.  D.  L.  SELENIO. 

SEPTVMIA.  CN.   CN.  L.   AVGE. 

Il  s'agit  d'une  dédicace  en  l'honneur  de  trois  Cneius  Septumius,  par  cinq 
affranchis,  trois  hommes  etdeux  femmes.  Les  hommes  sontPhylargy- 
rus,  Malchio  et  Phileros  ;  les  deux  premiers,  affranchis  de  deux  Cneius 
Septumius;  le  troisième  de  Caius  Septumius  ;  les  femmes  sont  Cornu- 
ficia  Selenio  (SsAifaiov),  affranchie  de  Caius  Cornuficius,  et  Septumia 
Auge,  affranchie  de  deux  Cneius  Septumius. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  les  noms  de  Phylargyrus,  de 
Malchio  et  de  Phileros  désignent  trois  personnes  distinctes.  M.  R.  R. 
n'a  pu  faire  une  seule  personne  des  deux  dernières  que  parce  qu'il  ne 
s'est  pas  demandé  ce  que  devient  Phylargyrus  dans  cette  hypothèse. 
Ce  sont  les  trois  noms  grecs  <t>ààpyvpoç ,  MaA^'wv,  «ÊiAépcoç.  Malclùo 
se  lit  dans  plusieurs  inscriptions  latines  (Grut. ,  p.  578,  2;  597,  6; 
627,  13);  et  dans  Martial  (Epigr.,  III,  82,  32).  Il  est  singulier 
que  d  habiles  critiques  hésitent  encore  sur  l'étymologie  de  ce  nom  , 
et  "penchent  à  le  faire  venir  de  l'adjectif  ^aAaxoç  (  Weichert,  Relliq. 
Poet.  latin. ,  p.  433  sq.).  C'est  le  nom  grec  MaX^'wv,  dérivé  de 
MaA/oç ,  nom  syrien  (tiré  de  melk,  roi)  qui  est  celui  d'un  roi  arabe 
(Joseph.  ,Ant.jud.,  XII,  5,  1;  XIV,  14,  1  ;  XV,  6,  27),  et  de 
l'esclave  (de  Caïphe)  dont  saint  Pierre  coupa  l'oreille  droite  (  Johan., 
18,  10).  Il  répond  au  fioLcCkzioç,  grec.  Le  nom  de  Malchio ,  qui 
est  donné  à  une  femme  (Gori ,  Columbar. ,  p.  98,  35  )  s'écrirait  en 
grec  MaA^iov,  non  Malyi wv?  comme  Malchis ,  autre  nom  de  femme 
(Passionei  Inscr.  ant.,  p.  36,  13),  est  le  grec  Moà%iç.  L'origine  est 
la  même. 

34°  Sixième  métamorphose.  Une  tribu  romaine  en  adjectif  conjonctif. 
- —  Dans  une  autre  inscription  latine  que  cite  M.  R.  R.  (p.  363),  un 
architecte  porte  le  nom  de  c.  vedennivs.  c.  f.  qvi.  modérât vs.  Il 

(i)  Je  ne  serais  pasélonné  qu'il  y  eût  sur  la  pierre  ARC.  (arcarius,  caissier). 
La  sigle  ARC.  se  trouve  aussi  bien  que  ARK,  qui  est  plus  commun.  Le  G  et  le  C  se 
confondent  sans  cesse.  (Plus  haut,  p.  346.) 


NOMS   DES   ANCIENS   ARTISTES    GRECS   OU   ROMAINS.         395 

prétend  que  qvi.  veut  dire  qui  et  Modérants  (qui  s'appelle  aussi  Mode- 
ralus) ,  locution,  dit-il,  dont  il  y  a  tant  d'exemples  (!).  11  cherchera 
bien,  avant  d'en  trouver  un  seul  La  formule  qui  et,  quœ  et  est  souvent 
employée  sans  doute,  mais  en  tout  autre  cas;  ainsi  pavlvs.  qvi. 
et.  savlvs  (Morcelli,  de  Stylo  Inscr.  III,  5,  4,  3,  p.  46);  ou  pardo. 
qvae.  et.  hilarine  (Otto  Jahn ,  Spec.  Epig.  p.  80)  qu'on  dirait  en 
grec,  Uapàà  (l)  r)  xoù  llaplvn ;  parce  que  cet  homme  et  cette 
femme  portaient  deux  noms.  Au  contraire,  jamais  on  ne  trouve 
qui  et  comme  ici ,  pour  joindre  le  nomen  au  cognomen,  après 
le  nom  paternel  et  le  F.  de  filius ;  d'ailleurs  la  conjonction  et,  qui 
serait  indispensable,  manque  ici.  qvi.  est  donc  tout  simplement  l'abré- 
viation du  nom  de  la  tribu  romaine  Qvirina  ,  et  il  faut  lire  :  caius 
vedrennivs,  caii  mlius ,  Qxirinâ,  moderatvs?  L'usage,  comme  per- 
sonne ne  l'ignore,  était  de  placer  ainsi  le  nom  de  la  tribu,  souvent 
abrégé,  qvi.  ovf.  aem.  cam.  ,  etc.  Quirinâ,  Oufentinâ,  JEmiliâ, 
Camiliâ,  etc.  M.  R.  R.  cite  lui-même  plus  bas  (p.  422),  l'inscrip- 
tion K.  AEMILIVS.  K.  F.  QVIRINA.  VARRIVS. 

Il  ne  fallait  pourtant  pas  un  grand  effort  de  critique  pour  s'élever 
de  qvi.  à  Quirinâ,  et  éviter  cette  grave  mésaventure  de  prendre  une 
tribu  romaine  pour  un  adjectif  conjonctif. 

Que  M.  R.  R.  entende  l'épigraphie  latine,  je  le  crois;  mais,  d'après 
ces  six  métamorphoses,  auxquelles  je  me  borne,  on  conviendra  qu'il 
s'en  sert,  comme  s'il  avait  oublié  les  premiers  éléments. 

Je  passe  maintenant  aux  six  métamorphoses  grecques ,  qui  sont 
à  peu  près  de  la  même  force. 

35°  Septième  métamorphose.  Une  forteresse  en  tour  à  potier.  —  Nous 
avons  vu  (p.  388)  que  le  rpoypç,  ou  tour  à  potier,  a  été  pour 
M.  R.  R.  une  pierre  d'achoppement  dans  un  passage  d'Aristo- 
phane; ce  mot  lui  porte  encore  une  fois  malheur,  à  propos  d'un  fragment 
de  Sophocle  cité  dans  une  autre  glose  d'Hésychius,  dont  il  ne  com- 
prend pas  un  mot  :  «  Hyperbios,  dit-il,  avait  inventé  le  tour  à  potier, 
«  xvîtÀW7reiov  Tpoypv,  comme  s'exprime  Sophocle,  et  ici  nous  retrou- 
«  vons  une  allusion  aux  ouvrages  de  l'âge  pélasgique  (p.  335).  » 

Le  texte  d'Hésychius  porte  :  KvkIovç  xai  zpo-^ovç'  rà  nMik  rpo^ôv 
ùï  to  TBÏ-/0Ç,  wç  SoçoxXtîç,  HpaxXsî*  KujtXwireiov  rpo%6v.  Ce  qui  si- 
gnifie littéralement:  «  v^vSkot  et  Tpo/pi  [s'entendent]  des  murailles. 
«  Tpoyoç  [se  dit]  de  la  muraille,  témoin  Sophocle,  dans  Y  Hercule  : 

(1)  Il  est  clair  que  ce  nom  féminin,  n'est  que  la  transcription  latine,  du  nom 
de  femme  terminé  en  » ,  UupSû. 


396  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

ce  zpoyôç  cyclopéen.  »  Nous  voilà  terriblement  loin  du  tour  à 
potier  (1).  Il  s'agit  ici  d'une  acception  particulière  du  mot  rpo/oç, 
que  Sophocle  avait  employé  dans  le  sens  de  xûyoq ,  en  disant  xuxXw- 
Tzeioc,  zpoyéç  au  lieu  de  xuxA.  ïûypt ,  parce  qu'il  voulait  désigner  une 
fortification  circulaire  ou  une  enceinte  de  ville,  à  laquelle  convenaient 
également  les  mots  myIoç  et  rpo^oç.  L'erreur  est  d'autant  plus  sin- 
gulière que  ce  fragment  a  été  déjà,  depuis  longtemps,  très-bien  ex- 
pliqué (Brunck,  Lex.  Sophocl.,  h.  v.  ;  ensuite,  Bast,  sur  Grégoire 
de  Corinthe,  p.  512;  enfin,  Gœttling  dans  le  Rh.  Muséum,  1845, 
p.  325  et  suivantes).  Par  y.vy,1(ùt:eioç  rpoypç  (Hesychius  met  l'ac- 
cusatif parce  qu'il  cite  textuellement),  Sophocle  désignait  une  de 
ces  constructions  que  les  anciens  appelaient  cyclopéenhes ,  comme 
celles  de  Tyrinthe ,  de  Mycènes ,  d'Argos ,  etc. 

36°  Huitième  métamorphose.  Un  poète  en  potier.  —  Celle-ci  est 
plus  extraordinaire  encore.  M.  R.  R.  a  découvert  le  nom  de  Yartiste 
athénien  qui  a  inventé  les  petits  plats  à  saumure  ou  fioles  à  vinaigre 
qu'on  nommait  à^iùeçl  «  Aristophane,  dit  M.  R.  R.  (p.  28,  n.  3), 
«  semble  attribuer  l'invention  des  o%i$eç  à  un  certain  Céplùsophon 
«  (Ran.,  1439,  Cf.  Suid.  v.  Kyjcp lo-ocpwv.)  »  Les  citations  ne  man- 
quent pas.  On  va  voir  ce  qu'il  y  a  derrière. 

Dans  des  vers  qu'Aristarque  et  Apollonius  ont  cru,  en  grande 
partie,  interpolés,  et  que  les  critiques  modernes  traitent  de  spurii, 
Aristophane  fait  dire  à  Euripide  «  qu'en  cas  de  combat  naval,  Ciné- 
«  sias  et  Cléocrite  jetteraient  dans  les  yeux  de  l'ennemi  des  o'iiàtç , 
«  de  petits  plats  (ou  fioles)  remplis  de  vinaigre  pour  l'aveugler.  » 
Etvav/juz^oîev,  y.az1  eypvreç  6%ldaç  paivoiev  iç  tol  j3Xeçpapa  twv  svavrtwv. 
Alors  Bacchus  lui  demande  :  «  As-tu  trouvé  cela  tout  seul,  ou  bieu 
«  est-ce  Céphisophon»  ?  Taurl  nérep9  avzbç  evpeç,  yj  Kyj^picroçwv  ;  Or,  il 
faut  savoir  que  ce  Céphisophon  était  un  poète,  esclave  d'Euripide,  qui 
passait  pour  son  collaborateur  (sch.  ad  Ran.,  944,  1408.  Acharn., 
395. Fragm.  231,  b,  éd.  Didot). Euripide  répond  :  «Oui,  moi  tout 
seul;  mais  c'est  Céphisophon  qui  a  trouvé  les  oxides.  »  Êyù  [xovoç' 
tùç  Foliùxç  Ky)(pi<ro<pwv.  Ainsi ,  l'invention  se  rapporte  au  procédé 

(1)  M.  Rangabé  a  déjà  signalé  cette  erreur  (Revue,  t.  II,  p.  431).  On  pourrait 
s'étonner  que  notre  savant  collaborateur  n'ait  trouvé  que  six  remarques  critiques 
à  faire  sur  ce  livre,  qui  offre  matière  à  plus  de  deux  cents  autres,  aussi  sérieuses  pour 
le  moins;  or,  comme  il  comble  le  reste  du  livre  d'éloges  sans  restriction,  on  est  en 
droit  d'en  conclure  qu'il  n'en  a  pas  aperçu  davantage.  Ceci  montre  que  ces  erreurs 
peuvent  échapper  aux  plus  clairvoyants,  qui  n'y  regardent  pas  d'assez  près.  C'est 
ainsi- qu'elles  s'introduiraient  dans  l'archéologie,  à  la  faveur  du  silence,  si  les 
principales  n'étaient  une  bonne  fois  signalées. 


NOMS  DES   ANCIENS    ARTISTES   GRECS   OU   ROMAINS.         397 

imaginé  par  Céphisophon  pour  aveugler  l'ennemi,  et  non  pas  au  vase 
appelé  b\iç ,  inventé  longtemps  avant  lui. 


37°  Neuvième  et  dixième  métamorphoses.  Deux  pharmaciens  en  gra- 
veurs. —  Je  finis  cette  énumération  par  quatre  métamorphoses  que 
M.  R.  R.  a  réunies  dans  un  seul  article  de  huit  lignes  et  de  trois  phrases 
seulement.  Je  vais  le  transcrire  en  entier  ;  ce  sera  un  exemple,  entre 
beaucoup  d'autres ,  de  ce  qu'il  peut  réussir  à  condenser  d'erreurs 
(et  quelles  erreurs  !  )  dans  un  si  court  espace. 

(P.  135)  «  Eudamos.  On  doit  comprendre  au  nombre  des  anciens 
«  artistes  ce  personnage  athénien  désigné  par  Aristophane  (Plut., 
«  v.  884)  comme  un  graveur  de  ces  sortes  d'anneaux  magiques  dont 
«  il  se  faisait  un  si  grand  usage  à  Athènes.  »  (Id.  Nub.,  756-758; 
v.  schol.  ad  1.  c.  Amipsias  etEupol.  ap.  schol.  ad  Plut.,  v.  884).  — 
«  Un  autre  de  ces  graveurs  athéniens,  Phertatos,  est  nommé  par 
«  Antiphane  (ap.  Athen.  ,  III,  p.  123)....  Il  est  fait  dans  Aris- 
«  tophane  d'assez  fréquentes  allusions  à  cet  usage  attique.  »  (Lysistr., 
v.  1027.) 

C'est  Aristophane  qui  a  défrayé  à  peu  près  ce  petit  article  ;  mais  ce 
poëte,  si  maltraité  dans  les  exemples  cités  plus  haut ,  continue  d'être 
tout  aussi  funeste  àM.R.R.  que  l'ont  été  jadis  Ménandre  et  Philémon. 

Eudamos  (ou  Eudémos)  et  Phertatos  n'étaient  pas  plus  des  gra- 
veurs l'un  que  l'autre  ;  c'étaient  des  pharmaciens ,  <j>ap^axo7:cota« , 
qui  vendaient,  entre  autres  remèdes,  des  bagues  auxquelles  la  supersti- 
tion prêtait  des  vertus  curatives. 

Voici  d'abord  ce  qui  concerne  Eudémus  dans  Aristophane.  «Je 
«  ne  me  soucie  pas  mal  de  toi  (  dit  l'homme  de  bien ,  6  dlxocioç ,  à 
«  Chremylus),  je  porte  cet  anneau  qu'Eudémus  m'a  vendu  une 
«  drachme.  »  Ovdlv  Tzporipà  <rov'  çpopw  yap  npixpLZVoç  rbv  d<xy.zvhov 
-;6vàz  irap'  Evdripov  $pxffl?iç.  Ces  anneaux  étaient  censés  une  sorte 
de  talismans  préservatifs  du  mauvais  œil,  et  curatifs  de  certaines  af- 
fections morbides,  surtout  des  effets  de  la  morsure  des  serpents  ;  aussi 
Chremylus  répond  :  «  Fort  bien!  mais  cet  anneau  n'est  pas  un  re- 
«  mède  contre  une  morsure  de  sycophante.»  klV  ovy.  è'vscri  cuxocpav- 
to-j  d-ny(j.<xToç.  Cet  Eudémus  était  donc  un  yocppocxonuAnç,  ou  ven- 
deur d'anneaux  (retù&apévoùç  da.Y.Tvliovç  ttwXwv.  Schol.)  et  d'autres 
médicaments,  en  un  mot  un  pharmacien  qui  vendait  ces  anneaux 
comme  remède  (ov  ol  <pap^ay.07rô)Xai  £iw0a<7i  7rnrpaory.£tv  àvxt  cpao- 
uaxov.  Hesych.  1.  c). 


39>  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

38°  Il  en  est  de  même  du  Phertatos  d'Ar  tiphane  (  ap.  Athen.,  III, 
p.  123;  Meineke,  Fragm.  Corn,  grœcor. ,  t.  III,  p.  97).  Dans  un 
passage  de  YOmphale  de  ce  poëte  comique,  Hercule  dit  :  «  Si  la  co- 
te lique  me  tourmente ,  j'ai  un  anneau  [acheté]  de  Phertatos  au  prix 
<c  d'une  drachme.  »  Uapx  ®spTazov  daKTvhoç  iarr^oi  $pa%y.vjç.  La 
modicité  de  ceprix  (90  cent.),  qui  paraît  avoir  été  fixe,  montre  assez 
que  ces  bagues  médicinales  devaient  être  en  cuivre ,  en  argent  ou  en 
fer,  sans  gravure  aucune,  comme  ces  anneaux  de  fer  ou  d'acier  qui 
se  vendent  encore  de  nos  jours  chez  les  pharmaciens  et  les  serruriers, 
pour  la  guérison  prétendue  de  la  migraine ,  des  rhumatismes  ou  de 
l'épilepsie  ;  car  il  est  assez  remarquable  que  cet  absurde  préjugé  des 
bagues  merveilleuses  a  traversé  les  siècles. 

39°  Onzième  métamorphose.  Une  bague  ordinaire  enbague  médicinale. 
—  Pour  prouver  qu'Aristophane  fait  d'assez  fréquentes  allusions  à  cet 
usage  superstitieux,  M.  R.  R.  renvoie  au  v.  1027  de  la  Lysistrate; 
mais  en  cet  endroit,  il  ne  s'agit  nullement  de  ces  anneaux.  Le 
chœur  des  femmes  dit  au  chœur  des  vieillards  :  «  Si  tu  ne  m'avais 
«  pas  tant  maltraitée,  je  retirerais  (eJeîXov  av)  l'insecte  (rb  Hpiov) 
«  qui  t'est  entré  dans  l'œil  (roi>m  tùyQalpû).  »  Le  chœur  répond  : 
«  C'est  en  effet  lui  (l'insecte)  qui  me  tourmente  fort.  Tiens,  voici 
«  mon  anneau  (daxrvhoç  ovro*n),  retire  l'insecte  (excraAeuo-ov  avro), 
«  et  montre-le-moi  (xara  <Je?£ov),  après  me  l'avoir  ôté  («(peXoio-a 
((  poi).  » 

Il  s'agit  donc  ici,  non  d'une  bague  médicinale,  mais  d'un  anneau 
mince,  que  le  vieillard  doit  ôter  de  son  doigt  et  donner  à  la  femme 
pour  qu'elle  le  lui  passe  sous  la  paupière  et  retire  l'insecte  qui  s'y  était 
logé.  C'est  là  ce  qui  se  fait,  encore  maintenant,  pour  retirer  ainsi. les 
petits  insectes  ou  les  ordures  qui  entrent  dans  l'œil. 

Le  scholiaste  ne  s'y  est  pas  trompé  :  Ai'o&xnv  avrri  3a/,TuAiov,  IW 
s&veyxyj  ?w  spmda.  toO  o^0afy.oû.  «  Il  lui  donne  son  anneau  pour 
«  qu  elle  lui  ôte  le  cousin  de  l'œil.  » 

40°  Douzième  métamorphose.  Une  magicienne  en  anneau.  —  Dans  le 
passage  des  Nuées  d'Aristophane  (v.  756-*/ 58),  auquel  M.  R.  R.  nous 
renvoie  à  propos  des  anneaux  magiques,  il  s'agit  de  bien  autre  chose. 
Strepsiade  annonce  à  Socrate  qu'il  a  trouvé  un  bon  moyen  de  ne  pas 
payer  ses  dettes.  «  Socu.  Voyons  donc  en  quoi  il  consiste.  Streps.  Eh 
((  bien  !  que  dirais-tu  si  j'achetnis  une  magicienne  deThessalie  ywcây.x 
«  epapp-azt^  et  ixpiQctJ.evot;  Oêttz/^v),  et  si  je  lui  ordonnais  de  faire 
«  descendre  la  lune  pendant  la  nuit,  je  la  renfermerais  dans  une 


NOMS   DES   ANCIENS   ARTISTES  GRECS  OU   ROMAINS.         399 

«  boîte  ronde  comme  un  miroir,  et  je  la  garderais  près  de  moi.  »  (C'est- 
à-dire  que,  comme  la  lune  ne  marcherait  plus,  le  1er  du  mois ,  terme 
fatal,  n'arriverait  pas,  et  Strepsiade  serait  dispensé  de  payer  ses  dettes). 
On  cherche  en  vain  dans  ce  passage  (comme  dans  le  Schol.  ad  l  c. 
que  cite  M.  R.  R.),  la  moindre  mention  du  (Docpp.ocy.knc  tJocxrvhoç; 
rien  n'y  ressemble,  excepté  le  mot  yxppocxtô',  qui  s'y  trouve  en  effet; 
c'est  donc  là  ce  que  M.  R.  R.  a  pris  pour  un  yapp.ay.iTnc  daxruAtoç, 
n'apercevant  ni  yvvaïKa  qui  est  avant,  ni  ©erraAwqui  est  après;  il  a. 
de  cette  façon,  changé  une  magicienne  en  anneau,  ainsi  que,  dans  les 
Fragments  de  Ménandre  et  de  Philémon ,  il  avait  métamorphosé  une 
tunique  ylocvlc)  en  une  femme  (et  quelle  femme  !  ),  descendant  jus- 
que-là par  une  suite  de  cascades  qui  ont  soulevé  un  rire  homérique 
dans  tout  le  monde  érudit.  Cette  dernière  métamorphose  fera  le 
pendant. 

Je  pense  que  ceux  qui  m'avaient  défié  de  prouver  mon  dire  seront 
à  présent  satisfaits  ;  je  n'ajouterai  plus  qu'une  réflexion  dont  per- 
sonne ne  contestera  la  justesse. 

Les  plus  habiles  se  trompent  ;  outre  les  oublis  et  les  inadvertances 
légères  que  personne  n'évite  entièrement  (quas  aut  incuria  fudit ,  aut 
humana  parum  cavit  natura),  il  leur  arrive  parfois  de  mal. rencontrer 
dans  leurs  conjectures ,  et  même  de  ne  pas  prendre  la  bonne  route  en 
présence  d'un  texte  ou  d'un  monument  difficile.  Ni  Bentley  ni  Visconti, 
les  héros  de  la  philologie  et  de  l'archéologie,  ne  sont  exempts  de  fautes 
de  ce  dernier  genre,  fautes  presque  toujours  savantes,  et  qui  sont 
rarement  inutiles.  Mais  quant  à  des  méprises  pareilles  à  celles  qui 
viennent  d'être  signalées  dans  les  récents  écrits  de  M.  R.  R.,  on  peut 
mettre  au  défi  qui  que  ce  soit  d'en  découvrir  une  seule  dans  les  tra- 
vaux, je  ne  dis  pas  des  maîtres  de  l'art,  mais  de  tout  homme  qui,  suf- 
fisamment préparé  par  des  études  classiques,  parle  d'antiquité  avec 
réflexion  et  connaissance  de  cause. 

Je  termine  ici  ce  que  j'avais  à  dire  sur  la  première  partie  du  Sup- 
plément, relative  aux  vases.  Quoiqu'elle  n'ait  que  soixante-neuf  pages, 
j'y  trouverais  à  faire  une  fois  autant  de  remarques  semblables.  Mais 
ces  exemples  suffisent,   en  ce  qui  concerne  cette  première  partie. 

Je  ne  m'étais  donc  pas  trop  avancé,  quand  je  disais  (t.  H,  p.  758, 
note)  que  l'auteur  ne  s'est  montré  ni  plus  fort  ni  moins  léger  dans  ce 
livre,  élaboré  pendant  quatorze  ans,  que  lorsqu'il  composait  les 
Antiquités  du  Bosphore,  ou  traduisait  Ménandre  et  Philémon. 


400  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Il  en  sera  de  même  de  la  seconde  et  principale  partie,  que  je  vais 
examiner,  de  celle  qui  concerne  les  graveurs  de  médailles  et  de  pierres 
fines.  Les  erreurs  y  sont  nombreuses,  et  tellement  graves,  que  si 
tout  autre  archéologue,  et,  par  exemple,  l'un  de  ceux  qui  n'ont  point 
l'heur  de  lui  plaire ,  en  eût  fait  seulement  le  quart,  M.  R.  R.  n'aurait 
pas  manqué,  avec  cette  urbanité  qui  lui  est  propre,  de  lui  reprocher 
sa  légèreté  d'esprit,  et  de  lui  dénier  toute  connaissance  de  V antiquité 
figurée. 

Pour  moi,  je  serai  plus  poli  et  plus  équitable.  Je  ne  lui  contesterai 
aucun  de  ses  mérites.  Je  veux  seulement,  dans  l'intérêt  de  la  science, 
démontrer,  non  par  des  assertions,  mais  par  des  faits  positifs,  dont  tout 
homme  instruit  et  impartial  peut  être  excellent  juge,  avec  quelle 
précaution  il  faut  lire  les  derniers  écrits  qu'enfantent  son  activité 
souvent  malheureuse  et  sa  précipitation  toujours  regrettable  j  et,  en 
même  temps,  lui  ôter  tout  droit  d'être  tranchant,  rigoureux  et  dur 
envers  les  autres. 

Or,  si  le  présent  article,  joint  à  ceux  de  MM.  Emil  Braun,  Heinrich 
Brunn  et  de  Clarac,  n'avait  point  la  vertu  de  guérir  en  lui  cette 
cruelle  habitude ,  je  doute  qu'il  en  conserve  la  moindre  trace,  quand  il 
aura  lu  le  suivant.  Letronne. 

(La  suite  à  un  numéro  prochain.*) 

P.  S.  Le  tome  XVI  des  Annali  delV  Instituto  dl  Corrisp.  ar- 
cheologica  vient  de  marri  ver,  depuis  l'impression  de  cet  article. 
Ce  volume  contient  (p.  268-287)  une  excellente  critique  de 
M.  Heinrich  Brunn  sur  le  Supplément  au  Catalogue  de  Sillig.  Le  ju- 
gement qu'en  porte  ce  savant  philologue  et  antiquaire  est  tout 
aussi  peu  favorable  que  le  mien;  et  il  le  fonde  sur  une  cinquantaine 
de  remarques  ,  dont  il  n'en  est  que  trois  ou  quatre  ^qui  se  retrou- . 
vent  dans  les  quarante  qu'on  vient  de  lire.  Toutes  les  autres  portent 
sur  des  points  différents.  Cela  tient  à  ce  que  M.  H.  Brunn  s'est 
attaché  à  la  dernière  partie  de  l'ouvrage,  négligeant  les  vases  et  les 
pierres  gravées,  tandis  que  cet  article  et  le  suivant  portent  princi- 
palement sur  ces  deux  seules  classes  de  monuments  antiques. 

—  Mon  observation  n°  10,  page  385,  vient  d'être  confirmée  par 
un  autre  vase  trouvé  à  Vulci,  portant  l'inscription  EYXEP2  (pour 
ÉtyjtifZç)  HOErOTIMOY  YIHH2  (o  Épyori>ou  vioç),  qui  ne  laisse 
aucun  doute  ni  sur  la  leçon  de  M.  de  Witte,  que  j'ai  défendue  contre 
M.  R.  R.,  ni  sur  les  raisons  que  j'ai  données  à  l'appui.  (V.  H.  Brunn 
et  Th.  Panofka ,  dans  le  Arch.  Zeitung,  februar.  1846,  S.  233.) 


LETTRE  A  M.  LETROME 

SUR    UN  ABAGUS    ATHÉNIEN. 


Monsieur, 

Dans  le  précédent  cahier,  vous  m'avez  fait  l'honneur  d'appeler 
mon  attention  sur  un  monument  curieux  découvert  à  Salamine,  et 
dans  lequel  vous  proposez ,  avec  toute  raison ,  je  crois ,  de  voir  un 
abacus  ou  une  table  à  compter.  Vous  avez ,  d'ailleurs,  complètement 
expliqué  la  véritable  signification  des  signes  numériques  qui  s'y  trou- 
vent :  il  me  restera  donc  peu  de  chose  à  dire  pour  faire  comprendre 
l'usage  et  de  cette  table  et  de  ces  signes  ;  et  c'est  ce  que  je  vais 
essayer,  en  commençant,  conformément  à  \otre  désir,  Monsieur,  par 
comparer  l'abacus  grec  aux  abacus  romains  que  nous  trouvons 
décrits  d'après  Welser,  dans  Gruter  (p.  224),  dans  Bianchini  (la 
Istoria  universale  ,  p.  107) ,  dans  Pignorius  (de  Servis ,  p.  165) ,  et 
enfin,  à  l'abacus  de  la  bibliothèque  du  roi,  décrit  par  du  Molinet 
dans  le  Cabinet  de  Sainte-  Geneviève  (p.  23);  cette  comparaison 
aura  l'avantage  de  nous  aider  à  comprendre  l'abacus  athénien,  dont 
la  composition  est  moins  explicite ,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi. 

Les  abacus  romains  dont  nous  parlons  consistent  en  plaques  de 
métal  percées  de  rainures  oblongues ,  dans  lesquelles  glissent  à 
frottement  des  boutons  ou  clous  à  deux  têtes.  En  voici  la  figure  telle 
que  la  donne  Gruter  (  voy.  la  fig.  1  )  : 


P   P  c 
IxlûitoK 

U     U     k 

3   p 
»  cb 

H 
«              M 

*           M 

D    □ 
C     X-     • 

H       H 

H            K           > 

i  r 

in* 
.A 

«    H 

M 

Fi 

g-*- 

y 


2  n  o  8  h  x 


R  R 


Fig.  2. 


On  y  remarque  d'abord  huit  longues  rainures  inférieures,  et  huit 
supérieures.  Chacune  des  premières  (inférieures)  porte  quatre  hou- 


402  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

tons,  excepté  la  huitième,  qui  en  a  un  de  plus.  Quant  aux  rainures 
supérieures,  elles  portent  toutes  uniformément  un  seul  bouton. 
Entre  chaque  rainure  inférieure  et  la  rainure  supérieure  qui  lui 
correspond ,  se  trou?e ,  en  allant  de  droite  à  gauche ,  une  des 
sigles  0,i,  x,  c,  c|d,  cc|d3,  ccc|ddd,  ixi,  signifiant,  la  pre- 
mière, 0,  l'once  ou  le  douzième  de  Vas,  et  les  autres,  1  as, 
10  as,  100  as,  jusqu'à  un  million  d'as,  je  dis  d'as  ou  de  tout  autre 
espèce  d'unités ,  sive  asses  sive  quid  aliud  (Gruter). 

Le  moyen  de  représenter  un  nombre  quelconque  avec  ce  petit 
appareil,  est  fort  simple;  les  unités  d'un  certain  ordre,  quand  elles 
ne  dépassent  pas  4,  se  désignent  par  un  pareil  nombre  de  boutons 
de  la  rainure  inférieure  correspondante,  que  l'on  pousse  vers  le 
haut;  le  bouton  supérieur  désigne  5  unités  quand  on  le  rapproche 
des  premiers.  De  cette  façon  ,  on  peut,  avec  les  boutons  des  deux 
rainures  correspondantes,  représenter  tous  les  nombres  absolus 
depuis  1  jusqu'à  9.  Pour  les  onces ,  on  peut  aller  de  1  à  11 ,  parce 
que  le  bouton  isolé  vaut  6.  Ainsi,  la  figure  deuxième,  représente 
2630854  as  et  7  onces. 

Quant  aux  trois  petites  rainures,  dont  je  n'ai  pas  parlé,  et  qui 
sont  marquées  s,  3,z,  les  boutons  qui  s'y  trouvent  valaient  (suivant 
Gruter),  pour  la  première,  s,  une  demi-once,  pour  la  seconde,  d, 
une  sicilique  ou  un  quart  d'once,  et  pour  la  troisième  z,  chacun  une 
duelle  ou  un  tiers  d'once. 

La  manière  de  calculer  avec  cet  instrument  se  déduit  facilement 
de  ce  qui  précède  ;  et  ce  serait,  je  crois,  Monsieur,  abuser  de  votre 
patience  et  vous  faire  perdre  un  temps  précieux,  que  de  vous  faire 
suivre  le  détail  d'une  méthode  d'opération  fort  simple ,  pour  laquelle 
je  crois  pouvoir  me  contenter  de  renvoyer  les  lecteurs  de  la  Revue 
au  procédé  très-connu  que  suivent  les  joueurs  de  piquet  au  cent 
pour  marquer  leurs  points  :  la  carte  découpée  à  l'ordinaire  pour 
remplir  cette  destination ,  est  un  véritable  abacus  à  l'antique  :  seule- 
I  ment  il  ne.  va  que  jusqu'à  100.  Mais  comme  tout  calcul 
réduit  à  ses  derniers  éléments ,  ne  porte  jamais  à  la  fois 
que  sur  deux  chiffres  ou  sur  deux  ordres  d'unités,  ou, 
pour  m'exprimer  comme  les  Romains,  sur  des  digits  (uni- 
tés) etdes  articles  (dizaines) ,  il  s'ensuit  que  quand  on  sait 
marquer  un  cent  de  piquet  avec  la  carte  découpée,  on  sait 
se  servir  de  l'abacus  romain,  quelque  loin  qu'il  s'étende;  et  ainsi,  cette 
simple  comparaison  du  connu  à  l'inconnu  me  dispensera,  je  l'espère, 
dune  explication  fastidieuse.  Je  ferai  seulement  remarquer  combien 


LETTRE   A   M.   LETRONNE.  403 

ce  genre  d'instrument  est  merveilleusement  adapté  au  système  de 
numération  écrite  des  Romains ,  système  semi-décimal ,  si  je  puis 
m'exprimer  ainsi ,  où  non-seulement  chacune  des  puissances  de  10  , 
chaque  ordre  d'unité  décimale,  est  représenté  par  un  caractère 
spécial  x,  c,  c|d,  etc. ,  mais  encore  la  moitié  de  chacune  de  ces 
puissances  a  sa  figure,  sa  sigle  propre,  v,  l  ,  id,  etc.  (l). 

Ce  qui  précède  va  nous  mettre  à  même  d'expliquer  l'abacus  athénien. 
(V.  Rev. ,  t.  III,  p.  296.)  Pour  cela,  supposons  notre  table  de 
marbre  placée  horizontalement ,  le  calculateur  assis  à  l'un  des  deux 
longs  côtés  où  sont  inscrits  les  caractères  dont  vous  avez  ,  Monsieur, 
complètement  expliqué  la  signification.  Ici,  nous  n'avons  point  de 
boutons  mobiles  ;  ils  seront  remplacés  par  des  monnaies,  ou  plus  géné- 
ralement par  des  jetons  de  valeurs  conventionnelles  :  c'est  le  seul  mode 
d'emploi  de  la  table,  qui  soit  admissible  ici;  et  ces  jetons  seront 
placés  sur  les  diverses  bandes  que  séparent  les  lignes  creusées  dans 
la  table.  L'analogie  nous  porte  donc  à  penser,  qu'outre  l'usage  spécial 
de  la  table  pour  la  supputation  des  monnaies ,  elle  en  avait  un  plus 
général ,  c'est-à-dire  qu'elle  servait  à  compter  toute  espèce  de  quan- 
tité (asses  sive  quidaliad)  exprimée,  quant  à  sa  partie  entière,  con- 
formément au  système  décimal  de  numération  tel  qu'il  était  admis 
parles  Grecs  et  par  les  Romains,  et  qu'en  conséquence,  les  nombres  1, 
10,  100,  1  000,  10  000,  figurés  par  les  caractères  I-.  A,  H,X,  M 
(le  dernier  M,  initial  de  txvpia,  remplaçant  alors  la  sigle  du  talent), 
étaient  représentés  par  des  jetons  que  le  calculateur  plaçait  à  la 
partie  antérieure  de  la  table,  en  deçà  de  la  ligne  transversale,  tandis 
que  les  unités  quinaires  n,  ,  ,5,50,  500,  etc.,  étaient  rejetées  à  la 
partie  de  la  table  la  plus  éloignée,  au  delà  delà  transversale,  absolument 
comme  dans  l'abacus  romain.  Or,  comme  pour  cela  il  ne  fallait  que 
les  cinq  bandes  qui  sont  à  la  droite  de  la  croix  centrale,  les  cinq 
bandes  restantes  devaient  servir  à  continuer  le  calcul  suivant  la  pro- 
gression décuple,  et  sur  des  unités  100  000  fois  plus  grandes  que 
l'unité  simple,  s'étendant  ainsi  jusqu'aux  unités  du  10e  ordre,  tandis 
que  l'abacus  romain  ne  s'étendait  que  jusqu'aux  millions  ou  aux 
unités  du  7e  ordre. 

(1)  Les  Chinois  ont  également  une  machine  à  compter  qu'ils  nomment  souan- 
pan,  et  dans  laquelle,  au  lieu  déboutons,  ils  emploient  des  boules  enfilées  dans  des 
tringles  de  fer.  Une  autre  différence  plus  notable,  en  ce  qu'elle  accuse  chez  les 
Chinois  une  sorte  de  faiblesse  et  de  lenteur  de  conception  à  l'égard  des  procédés 
du  calcul ,  ou  simplement  du  principe  de  la  numération  ,  c'est  qu'ils  emploient  pour 
chaque  ordre  d'unité  cinq  boules  unitaires  au  lieu  de  quatre  qui  suffisent ,  et  deux 
boules  quinaires  au  lieu  d'une. 


404  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Telle  serait  donc  l'explication  de  cette  croix  centrale.  Quant  aux 
deux  autres ,  j'ai  déjà  dit  plus  haut  que  tous  les  calculs  se  réduisant 
élémentairement  à  deux  ordres  d'unités,  digits  et  articles,  ils  de- 
vaient en  conséquence  se  faire  sur  les  deux  premières  bandes  à 
droite,  sauf  à  reporter  ensuite  les  jetons  obtenus  dans  les  bandes  qui 
leur  appartiennent  respectivement  en  ayant  égard  à  l'ordre  des  unités. 
Ce  serait  là  l'usage  de  la  croix  de  droite ,  celle  de  gauche  servant  pour 
la  position  opposée  du  calculateur  (1). 

Quant  aux  quatre  petites  bandes  isolées  ,  vous  avez  supposé  , 
Monsieur,  qu'elles  servaient  pour  les  fractions  de  la  drachme  I ,  C,  T,  X  ; 
cette  opinion  me  paraît  incontestable  ;  nous  trouvons  l'analogue 
dans  les  abacus  romains,  comme  nous  l'avons  vu  plus  haut.  Il  y  a 
cependant  cette  différence  à  noter,  qu'ici,  dans  l'abacus  grec,  il  faut 
faire  la  somme  de  ces  trois  fractions,  la  moitié  C,  le  tiers  T,  et  le 
sixième  X ,  pour  avoir  une  obole,  tandis  que  les  fractions  de  l'abacus 
romain  semblent  appartenir  à  deux  systèmes  distincts  :  d'une  part  on  a  la 
moitié  S  et  le  quarto  de  l'once,  auxquels,  ajoutant  un  nouveau  quart, 
on  aune  once;  d'autre  part  on  a  deux  duelles  ou  deux  tiers,  auxquels, 
ajoutant  un  nouveau  tiers,  on  a  aussi  une  once  ;  mais  les  trois  frac- 
tions réunies  ne  reproduisent  pas  l'ouce. 

Je  terminerai ,  Monsieur ,  en  vous  soumettant  une  conjecture. 
M.  Rangabé  a  cru  voir  dans  l'abacus  athénien  une  table  à  jouer  ; 
et  vous  avez  décidé  fort  judicieusement ,  je  le  pense ,  que  ce  ne  pouvait 
être  là  son  usage,  au  moins,  dis- je ,  son  usage  principal.  Il  se 
pourrait  bien,  toutefois,  que  M.  Rangabé  n'eût  pas  tout  à  fait 
tort;  car,  secondairement,  na-t-on  pas  pu  employer  la  table  à  compter 
à  un  usage  moins  sérieux?  Quant  à  moi,  après  y  avoir  réfléchi,  je 
suis  porté  à  penser  que  cette  sorte  d'abacus  aux  jetons  pourrait  bien 
être  l'origine,  non  pas  de  Yéchiquier,  mais  de  notre  jeu  de  trie  trac; 
et  cette  hypothèse  du  double  usage  de  la  table  athénienne  expli- 
querait peut-être  d'une  manière  plus  satisfaisante,  diverses  particu- 
larités que  nous  avons  remarquées  dans  sa  description.  Ainsi,  l'on 

(1)  Il  fallait  une  explication  de  ces  croix  :  bien  que  celle  que  j'ai  donnée  puisse 
paraître  satisfaisante,  cependant  j'avoue  que  je  serais  assez  disposé  à  croire  que  leur 
usage,  tout  matériel,  était  étranger  au  calcul  :  je  m'explique.  Nous  voyons,  dans  la 
figure  de  M.  Rangabé,  que  les  lignes  noires  tracées  sur  la  table  sont  terminées  par 
de  gros  points.  Cela  me  semble  indiquer  que  les  lignes  noires  étaient  remplies  ou 
couvertes  par  des  tringles  métalliques  ayant  leurs  extrémités  enfoncées  dans  la  table, 
ces  tringles  étant  ainsi  comme  des  rails  entre  lesquels  se  plaçaient  les  jetons,  et 
servant  à  les  empêcher  de  glisser  d'une  bande  à  l'autre.  Les  croix  ne  seraient  alors 
que  la  marque  des  attaches  métalliques  employées  pour  assujettir  la  tringle  transver- 
sale après  les  autres. 


LETTRE    A    M,    LETRONNE.  405 

verrait  d'abord  clairement  pourquoi  il  y  avait  dix  colonnes  au  lieu 
des  cinq  rigoureusement  nécessaires  pour  supputer  jusqu'aux  talents 
inclusivement,  chacun  des  joueurs  assis  aux  deux  longs  côtés  de  la 
table,  opérant  sur  les  cinq  colonnes  qui  étaient  à  sa  droite ,  et  y  mar- 
quant les  points  amenés  par  le  jet  successif  de  deux  ou  de  trois  dés  ; 
et  nous  aurions  encore  ainsi  l'explication  complète  des  cinq  jetons 
sur  cinq  colonnes  mentionnées  dans  le  texte  de  Pollux  relatif  au  jeu 
nommé  néoaoï.  La  croix  qui  occupe  le  milieu  de  la  table  indiquerait 
la  ligne  sacrée  (1),  chaque  joueur  visant  ainsi  à  la  dépasser  le  pre- 
mier pour  vaincre  son  adversaire,  ce  qui  exigeait  qu'il  eût  fait  cent 
mille  points  (2).  L'ennemi  était  alors  obligé  de  retirer  les  pièces  qu'il 
avait  sur  sa  cinquième  colonne,  d'où  le  proverbe  xivstv  HBov  aq>' 
hpâçj  ayievou  àrf  lepâç ,  ày9  kpov  TzeaGeveiv ,  etc. ,  pour  dire  être 
réduit  à  X extrémité.  Alors  le  combat  s'établissait  dans  le  jeu  de  l'ad- 
versaire vaincu;  et  le  gain  définitif  de  la  partie  consistait  à  par- 
venir à  la  croix  latérale  qui  était  comme  la  forteresse  de  chacun  des 
deux  jeux. 

J'ajoute  une  dernière  remarque.  Si  vous  m'accordez,  Monsieur, 
ce  double  usage  de  l'abacus  athénien,  et  que  vous  consentiez  pour 
un  moment  à  voir  une  sorte  de  synonymie,  ou  du  moins  d'analogie , 
aux  expressions  trie  trac ,  échiquier,  abacus ,  peut-être  alors  recon- 
naitrez-vous,  dans  cette  assimilation,  l'origine  de  l'expression  chambre 
de  V échiquier,  pour  dire  chambre  des  comptes.  (Voir  à  cet  égard  la 
nouvelle  Reçue  encyclopédique  publiée  par  M.  Firmin  Didot,  n°  I.) 
Au  reste,  je  le  répète,  Monsieur,  je  vous  livre  ces  idées  comme 
purement  conjecturales ,  m'en  rapportant  à  vous  pour  leur  faire 
bonne  justice. 

Je  termine,  Monsieur,  en  vous  priant  d'agréer  l'expression  du  dé- 
vouement respectueux  avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

A.  J.  H.  Vincent. 


(1)  Pour  correspondante,  nous  avons  sur  le  trictrac  la  case  du  diable,  qui  est 
également  la  porte  du  jeu  de  l'adversaire. 

2)  On  objectera  que  la  partie  devait  durer  bien  longtemps.  Mais  le  joueur  qui 
avait  le  premier  fait  cent  points ,  et  en  conséquence  dépassé  sa  croix ,  aurait  pu  être 
autorisé  à  compter  toutes  les  nouvelles  unités  à  partir  de  celte  croix ,  et  à  leur  donner 
ainsi  une  valeur  cent  fois  plus  grande;  alors  il  ne  fallait  plus  réellement  que  onze 
cents  points  pour  franchir  la  ligne  sacrée. 


LETTRE  A  H.  A.  DE  LONGPÉRIER 


SUR 


L'EMPLOI  DES  CARACTÈRES  ARABES  DANS  L'ORNEMENTATION 
CHEZ  LES  PEUPLES  CHRÉTIENS  DE  L'OCCIDENT. 


Pl.  LIV. 

Monsieur, 

Dans  l'article  que  vous  avez  inséré  dans  le  numéro  de  février  der- 
nier de  la  Revue  (  t.  II,  p.  696  et  pl.  45),  au  sujet  de  l'emploi  des 
caractères  arabes  dans  l'ornementation  chez  les  peuples  chrétiens  de 
l'Occident,  vous  citez  diverses  inscriptions  de  ce  genre  figurées  sur  des 
monuments  d'espèce  différente ,  et  vous  nous  faites  connaître  qu'au 
XVe  et  au  XVIe  siècles  de  grands  peintres  avaient  fréquemment  si- 
mulé des  inscriptions  arabes  sur  la  bordure  des  vêtements  du  Christ , 
de  la  Vierge  et  des  Saints.  Aux  exemples  que  vous  citez,  voulez- 
vous  me  permettre  d'ajouter  celui  d'un  tableau  assez  remarquable , 
non  par  le  mérite  de  l'exécution ,  mais  par  sa  composition ,  peint  en 
1504  sur  l'un  des  volets  de  l'orgue  de  la  cathédrale  de  Perpignan,  et 
représentant  la  décollation  de  saint  Jean?  Le  moment  choisi  par  l'ar- 
tiste est  celui  où  Hérode  et  sa  femme  étant  assis  à  table ,  Salomé 
leur  présente  sur  un  plat  la  tête  du  saint  précurseur.  Suivant  l'usage 
du  temps,  les  personnages  sont  vêtus  à  la  moderne.  La  fille  d'Héro- 
diade,  la  seule  qui  doive  nous  occuper,  porte  une  robe  blanche  dont 
les  lés  sont  séparés  par  une  large  bande  rouge,  faisant  également  le 
tour  du  bas  de  la  jupe.  Sur  ces  bandes  court  un  ornement  supposé 
brodé  en  or,  affectant  des  formes  de  caractères  coufiques  symétrique- 
ment accouplés,  mais  sans  signification. 

Voici  encore  quelques  exemples  d'un  autre  genre.  L'église  de  l'an- 
cienne abbaye  de  Saint-Martin  du  Canigou,  près  de  Vernet,  commune 
célèbre  par  son  bel  établissement  thermal  et  par  le  séjour  que  vient 
d'y  faire  Ibrahim-Pacha  ,  possédait  autrefois  deux  devants  d'autel  et 
deux  voiles  de  calice,  en  toile  blanche,  brodés  très-anciennement  en 
soies  de  couleur.  Ces  broderies  formaient  des  arabesques  très-artiste- 


LETTRE    A    M.    A.    DE    LONGPER1ER.  407 

nient  agencées,  parmi  lesquelles  on  remarquait  des  espèces  de  car- 
touches remplis  d'enlacements  de  caractères  arabes.  Ces  quatre  pré- 
cieuses reliques  de  l'ait  de  la  broderie  au  moyen  âge ,  qui  lors  de  la 
sécularisation  du  monastère,  en  1781,  avaient  été  données  à  l'église 
du  petit  village  de  Castell,  situé  au  pied  du  mont  Canigou  entre  l'ab- 
baye et  Vernet,  où  je  les  avais  vues  il  y  a  un  quart  de  siècle,  en  ont 
été  enlevées  depuis  et  ont  complètement  disparu;  la  seule  idée  qu'on 
puisse  en  prendre  maintenant,  à  ma  connaissance,  c'est  sur  un  des- 
sin qu'en  avait  fait  dans  le  temps  mon  savant  ami  M.  Tastu,  l'un  des 
conservateurs  de  la  bibliothèque  de  Sainte-Geneviève. 

Les  ornements  d'église  dont  je  parle  n'étaient  pas  les  seuls  monu- 
ments de  ce  genre  qui  existassent  dans  les  Pyrénées-Orientales  ;  en 
voici  un  autre  exemple  plus  curieux  et  plus  intéressant.  Dans  l'église 
de  cette  même  commune  de  Vernet ,  on  voit  un  vieux  reliquaire  en 
argent  représentant  un  avant-bras  avec  la  main  ,  reliquaire  qui , 
comme  beaucoup  d'autres  existant  dans  les  églises  de  cette  partie 
des  Pyrénées,  et  qui  tous  sont  plus  ou  moins  curieux  et  précieux 
souvent,  sous  le  rapport  de  l'art,  ont  été  sauvés  pendant  la  révolution 
par  la  piété  des  habitants.  Quelques  réparations  à  faire  au  reliquaire 
dont  il  s'agit  ayant  amené  l'ouverture  de  la  partie  vitrée  de  cette  pièce 
d'orfèvrerie ,  on  trouva  dans  l'intérieur  deux  lambeaux  de  toile  blan- 
che qui  avaient  dû  servir  probablement  à  envelopper  la  relique  de 
saint  Saturnin ,  et  qu'on  avait  voulu  conserver  en  les  déposant  dans 
son  reliquaire.  De  ces  deux  lambeaux ,  l'un  est  nu  et  uni ,  l'autre 
porte  un  fragment  d'inscription  arabe  en  broderie  de  soies  de  cou- 
leurs, dont  je  joins  ici  un  fac-similé  réduit  au  quart  de  la  grandeur 
de  l'original  (V.  pi.  LIV,  n°  1).  Cette  inscription,  vous  le  voyez ,  était 
en  très-beaux  et  très-grands  caractères  coufiques ,  formant  par  leur 
symétrie  quatre  carrés  et  demi,  où  je  crois  voir  les  mots  el  melek , 
suivis  d'un  autre  mot  que  je  vous  laisse  le  soin  de  lire ,  ma  science 
n'allant  pas  au  delà  des  cinq  premières  lettres.  Ce  même  mot  el  melek 
est  répété  en  petit  dans  le  troisième  carré,  avec  un  lam  isolé  à  la 
suite,  et  un  autre  mot  au  côté  opposé.  Cette  broderie  singulière, 
toute  au  point  de  chaînette,  est  aussi  remarquable  par  la  vivacité  de 
couleur  des  soies  que  par  la  manière  artistique  avec  laquelle  on  a  dé- 
coré l'inscription ,  dont  chacun  des  carrés  est  fermé  par  une  espèce 
de  papillon  aux  ailes  étendues,  décoration  très-variée  et  pleine  de  goût 
dans  son  uniformité. 

J'ai  pensé,  Monsieur,  que  la  connaissance  de  ces  divers  faits,  se 
rattachant  au  sujet  de  votre  notice,  pourrait  vous  paraître  de  quelque 


408  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

intérêt,  et  je  me  fais  un  devoir  autant  qu'un  plaisir  de  vous  la  trans- 
mettre. 

Veuillez  agréer  en  même  temps,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  con- 
sidération la  plus  distinguée , 

Henry. 

Toulon,  le  5  juin  184G. 


OBSERVATIONS. 

Je  dois  véritablement  des  remercîments  à  M.  Henry  pour  la  bien- 
veillante attention  qu'il  a  prêtée  au  travail  que  j'ai  publié  dans  la 
Revue,  aussi  bien  que  pour  les  nouveaux  renseignements  qu'il  m'a 
fournis,  et  dont  j'ai  tenu  à  faire  profiter  les  lecteurs  de  ce  recueil. 
La  question  n'est  pas  tout  à  fait  sans  importance;  elle  constitue  un 
petit  chapitre  d'esthétique  qui  doit  trouver  sa  place  dans  l'histoire 
de  l'art.  D'ailleurs,  quand  même  les  faits  que  j'ai  rassemblés  et  la 
notion  qui  en  résulte  n'auraient  pour  effet  immédiat  que  de  prévenir 
des  explications  forcées  analogues  à  celles  que  j'ai  signalées  dans 
le  Traité  de  Diplomatique  des  bénédictins,  ce  serait  déjà  un  progrès 
utile. 

Mais  quelque  simples  et  quelque  clairs  que  soient  en  eux- 
mêmes  ces  faits  que  j'ai  exposés,  ils  n'ont  pas  été  acceptes  par  tout 
le  monde  avec  la  même  confiance  que  montre  M.  Henry  ;  il  est  vrai 
que  ce  savant  a  étudié  l'arabe.  Certains  antiquaires,  moins  heureu- 
sement préparés,  m'ont  refusé  leur  assentiment.  J'en  suis,  je  dois 
l'avouer ,  moins  touché  pour  moi-même  que  pour  l'honneur  de 
l'archéologie,  et  en  attendant  que  l'on  prouve  publiquement  combien 
je  me  suis  abusé,  je  tiens  à  faire  savoir  que  ma  doctrine  «  tend  à 
«  rabaisser  l'art  national,  qui  ne  dut  jamais  rien  qu'au  génie  français, 
«  et  à  donner  une  fausse  idée  de  l'influence  chrétienne  au  moyen  âge.  » 
Un  de  mes  contradicteurs ,  qui ,  bien  malheureusement  pour  la 
cause  que  je  soutiens,  n'imprimera  pas  son  opinion,  m'affirmait 
qu'il  était  impossible  de  reconnaître  des  caractères  arabes  dans 
les  échantillons  d'ornements  que  j'ai  reproduits  dans  ma  notice 
(y.Rev.  1846,  p.  699  et  suiv.,  et  pi.  XLV).  Seulement,  par  une  dis- 
traction que  j'excuse  très-volontiers,  il  enveloppait  dans  son  arrêt 
de  proscription  les  fractions  de  lignes  écrites  empruntées  à  des 
inscriptions  réellement  musulmanes  en  même  temps  que  les  imi- 


LETTRE   A   M.    A.    DE   LONGPERIEK. 


409 


tations  tirées  des  monuments  chrétiens.  Ma  réponse  était  abrégée 
d'autant. 

Ce  qu'il  y  a  de  remarquable  dans  les  oppositions  que  je  signale, 
c'est  qu'elles  sont  manifestées  par  des  gens  qui ,  trouvant  fort 
humiliant  pour  l'occident  l'emploi  des  caractères  arabes  dans  quelques 
monuments  chrétiens,  n'en  considèrent  pas  moins  comme  très- 
naturel  de  professer  une  religion  instituée  au  mont  Sinaï  et  sur  les 
bords  du  Jourdain.  Oublient-ils  qu'à  l'exception  de  quelques  figures, 
relativement  très-rares,  de  saints  nationaux,  ce  sont  toujours  des 
représentations  orientales,  comme  les  anges,  les  prophètes,  les 
patriarches,  les  apôtres  qui  ofnent  nos  œuvres  de  peinture,  de 
sculpture  pendant  tout  le  moyen  âge  ? 

Que  dirait-on  donc  si  j'osais  soutenir  que  la  monnaie  d'or  et 
d'argent  du  roi  saint  Louis  dut  son  grand  module ,  qui  la  rend  si 
remarquable,  à  l'imitation  des  espèces  arabes,  lesquelles  avaient 
emprunté  leurs  dimensions  aux  drachmes  des  Sassanides  ;  en  sorte 
que  ce  sont  des  adorateurs  du  feu,  des  sectateurs  d'Ormouzd  qui  ont 
fourni  au  bienheureux  fils  de  Blanche  de  Castille  et  à  toute  l'Europe 
chrétienne  des  XIIIe  et  XIVe  siècles  la  forme  de  leur  monnaie? 

Je  reviens  à  l'inscription  copiée  avec  tant  de  soin  par  M.  Henry 
(v.  pi.  54),  et  dont  l'interprétation  soulève  quelques  difficultés.  On  se 
rappellera  peut-être  que  pour  expliquer  la  formation  de  cet  orne- 


ment, j'ai  indiqué  «  un  genre  d'écriture  architecturale  qui  consiste 
«  à  élever  certains  jambages  deux  à  deux  au-dessus  des  autres  lettres, 
«  en  découpant  l'extrémité  supérieure  de  ces  jambages  en  forme  de 
«  lleurons.  »  (Revue,  t.  II,  p.  705).  La  riche  bordure  qui  décore  le 
fragment  d'étoffe  découvert  dans  le  reliquaire  de  saint  Saturnin, 
offre  une  application  parfaite  du  système  graphique  que  j'ai  tâché 
de  définir.  C'est  même  à  l'observation,  beaucoup  trop  rigoureuse 
comme  on  va  le  voir,  de  la  symétrie  qu'il  faut  attribuer  selon  moi 
la  présence  d'une  lettre  superflue  dans  l'inscription.  On  y  lit  en 
effet  :  aM  JjidKel  moullklillah),  pour  *M  jjy  (el  moulk  lillah),  la 

puissance  est  à  Dieu  ;  on  pourrait  vouloir  reconnaître  ^IJLJLl  (  el 
malik)  dans  le  premier  mot;  cela   ne  donnerait  aucun  sens,  et 


m. 


27 


410  REVUE.  ARCHÉOLOGIQUE. 

d'ailleurs  les  deux  lam  consécutifs  dans  le  premier  mot  sont  claire- 
ment liés  par  le  même  ornement  qui  se  retrouve  entre  le  lam  et  le  lie 

de  4M.  Il  semble,  en  outre,  que  le  brodeur  ait  voulu  expliquer 

son  intention  en  ajoutant  à  l'intérieur  du  mot  JosS  la  même  petite 
phrase  correctement  orthographiée  [ak]i  JJJLî  qu'il  a  répétée  en  sens 
rétrograde  dUJLl  <*N  et  toujours  en  caractères  qui  se  rapprochent 
beaucoup  du  neskhi  ordinaire. 

Si  l'on  observe  la  forme  exagérée  du  hé  final  de  «aN  et  l'épais- 
seur insolite  donnée  à  la  tête  du  kef,  la  distance  régulière  qui 
sépare  chaque  couple  de  jambages,  on  ne  doutera  pas  de  l'intention 
générale  qui  a  présidé  à  l'exécution  de  cette  bordure ,  et  l'on  admettra 
avec  moi  que  le  lam  parasite  ne  peut  être  attribué  qu'au  paral- 
lélisme d'un  dessin  dans  lequel  la  forme  l'a  emporté  sur  le  fond. 

Maintenant,  il  me  reste  un  second  point  à  examiner.  Il  s'agit  de 
savoir  si  la  broderie  a  été  exécutée  par  un  Arabe  ou  par  un  chrétien. 
Malgré  la  faute  d'orthographe  que  je  viens  de  discuter ,  je  crois  voir 
ici  des  indices  frappants  d'une  origine  musulmane.  Ces  caractères 
qui,  comparés  à  ceux  que  nous  conservent  les  monnaies,  me 
paraissent  appartenir  à  la  dernière  moitié  du  XIIe  siècle,  sont  trop 
purs  et  trop  bien  conçus  dans  le  sentiment  sémitique,  pour  n'être 
que  des  imitations  européennes.  Je  ne  vois  rien  dans  cette  bordure 
qui  rappelle  le  style  des  Maures  d'Espagne,  et  je  serais  tenté 
d'affirmer  qu'elle  a  été  brodée  en  Egypte  sous  les  Àyoubites.  Je 
serais  heureux  que  M.  Henry  voulût  accepter  mes  explications  ; 
car ,  bien  que  foute  d'avoir  sous  les  yeux  comme  moyens  de  com- 
paraison les  nombreux  documents  que  j'ai  rassemblés,  il  n'ait  pas 
lu  en  entier  la  belle  inscription  dont  nous  lui  devons  la  découverte, 
je  ne  l'en  reconnais  pas  moins  pour  un  juge  compétent.  La  paléo- 
graphie est  une  étude  toute  spéciale  que  de  très-habiles  philologues 
n'ont  jamais  abordée,  et  d'éminents  hellénistes  font  souvent  à 
l'humble  déchiffreur  l'honneur  de  le  consulter  sur  la  lecture  de 
médailles  grecques  dont  les  légendes  appartiennent  cependant  à 
une  langue  qu'ils  savent  admirablement. 

Je  profite  de  l'occasion  qui  se  présente  à  moi  de  faire  connaître 
un  monument  inédit  qui  donne  un  nouvel  exemple  d'imitation 
d'inscriptions  arabes.  C'est  une  dague  que  M.  l'amiral  Massieu  de 
Clerval  m'a  bien  voulu  communiquer.  (V.  pi.  54  ,  nos  2  et  3.) 
Un  vieil  ecclésiastique  lui  donna  cette  arme  lorsqu'il  était  au  début 
de  sa  carrière  maritime ,  en  lui  enseignant  que ,  suivant  une  tra- 


LETTRE   A    M.    A.    DE    LONGPÉRIER.  411 

dition  constante ,  elle  provenait  d'Anguerran  de  Coucy.  A  cela , 
je  vois  une  objection ,  c'est  que  cette  dague  paraît  appartenir  à  la  fin 
du  XVe  siècle,  et  qu'Anguerran  VII,  dernier  seigneur  de  la  se- 
conde branche  de  Coucy,  est  mort  en  1397.  Mais  on  sait  sur  quel 
fondement  reposent  la  plupart  des  attributions  d'armes  et  d'usten- 
siles divers  à  tel  ou  tel  personnage  historique  (l).  Je  n'insisterai  donc 
pas  sur  l'illusion  qu'a  pu  se  faire  de  très-bonne  foi  le  vieil  ecclé- 
siastique de  Coucy. 

Cependant ,  pour  n'avoir  pas  été  rapportée  des  croisades ,  cette 
dague  n'en  est  pas  moins  très-curieuse  et  très-élégante.  La  lame , 
damasquinée  d'or  à  sa  naissance,  est  très-forte  et  à  deux  tran- 
chants. La  poignée  est  d'ivoire  gravé  à  l'aide  d'un  fer  chaud  qui  a 
noirci  les  fonds ,  sur  lesquels  se  détachent  de  gracieux  arabesques. 
Le  pommeau  est,  comme  celui  de  quelques  yatagans  arabes ,  divisé 
en  deux  rondelles  entre  lesquelles  se  place  le  pouce;  la  face  inté- 
rieure de  ces  rondelles  est  revêtue  d'acier  damasquiné  et  chargé  de 
fausses  inscriptions.  L'extérieur,  qui  est  en  cône  irrégulier  dont  le 
sommet  est  au  point  où  l'on  voit  le  centre  d'une  rosace,  est  entière- 
ment d'ivoire  gravé.  Au-dessus  de  cette  rosace  est  un  écusson 
portant  une  barre  avec  une  inscription  U  ?  aM  qui  me  semble 
empruntée  à  la  légende  M  $\  ,-Jû  $  aMJ  ^î  JU  ^  dont  on  a 
pris  seulement  le  centre  en  négligeant  la  première  lettre  d'^WÎ  et  les 
deux  dernières  de  4^1*  ;  cette  devise  la  rhalleb  illa  Allah  (il  n'y 
a  de  vainqueur  que  Dieu)  est  répétée  plusieurs  fois  de  suite  en 
divers  endroits  de  l'Alhambra  ;  c'était  la  devise  des  rois  de  Grenade, 
et  les  lecteurs  de  la  Revue  la  trouveront  (t.  I,  pi.  24,  fig.  12), 
placée  dans  un  écusson  peint  sur  une  brique  arabe  qui  provient  du 
célèbre  palais.  J'ai  la  conviction  que  le  poignard  de  M.  l'amiral  Mas- 
sieu  de  Clerval  a  été  fabriqué  en  Espagne  à  l'imitation  des  armes 
mauresques,  mais  par  un  ouvrier  chrétien.  Les  caractères  qui  sont 
damasquinés  à  la  naissance  de  la  lame ,  ne  présentent  aucun  sens. 

Ad.  de  Longpérier. 

(1)  Voy.  Moniteur  des  Arts ,  année  1845  ,  1. 1 ,  p.  53 ,  les  nombreux  exemples 
de  fausses  traditions  dont  j'ai  présenté  le  tableau. 


VITRAUX 

DE  SAINT- GERMAIN  L'AUXERROIS,  A  PARIS. 


Ud  des  premiers  organes  de  la  presse  quotidienne  avait  osé ,  le 
16  février  1831  ,  formuler  en  ces  termes  incroyables  l'arrêt  de 
destruction  de  l'antique  paroisse  de  nos  rois,  l'un  des  plus  beaux  et 
des  plus  curieux  monuments  religieux  de  Paris  :  a  L'église  qui  a 
servi  à  vos  coupables  De  profanais,  est  rayée  du  nombre  des  églises 
de  France.  »  Depuis  que  l'ordonnance  royale  du  12  mai  1837  a,  par 
un  acte  de  stricte  justice,  relevé  le  vénérable  édifice  de  cet  anathème, 
offensant  tout  à  la  fois  la  religion  et  les  arts,  anathème  qui  pesa  pen- 
dant sept  ans  sur  lui  ,  le  conseil  municipal  de  Paris  n'a  cessé,  par 
d'immenses  travaux  de  consolidations  et  de  réparations,  par  des  dé- 
corations monumentales  de  toute  nature,  d'effacer  les  traces  des 
désastres  causés  par  les  ravages  des  hommes  plutôt  que  par  les 
outrages  du  temps,  et  les  stigmates  des  odieuses  profanations 
d'une  populace  aveugle  et  frénétique.  Le  chiffre  de  ces  généreux 
sacrifices  pour  cette  restauration  typique  qui,  sous  le  point  de 
vue  archéologique,  doit  avoir  dans  l'avenir  une  immense  inlluence, 
s'élevait  déjà  en  1840,  à  260,499  fr.  05  c. ,  en  ce  non  compris  le 
fonds  de  26,000  fr.  alloué  par  le  gouvernement  pour  les  peintures  du 
porche  ;  décoration  considérée  par  quelques-uns  comme  une  super- 
fétation  insolite,  puisque,  sauf  l'ornementation  de  la  voussure  de 
la  grande  porte,  ce  vestibule  n'a  jamais  été  peint  (1). 

Sur  la  production  d'un  Mémoire  de  M.  le  comte  de  Rambuteau, 
préfet  de  la  Seine,  portant  proposition  d'encourager  les  efforts  tentés 
pour  les  reproductions  des  vitraux  historiés  des  églises,  suivant 
l'ancien  système,  et  de  l'appliquer  d'abord  aux  trois  croisées  du 
fond  du  chœur  de  Saint-Germain-l'Auxerrois  ,  le  conseil  municipal, 
par  arrêté  du  15  juin  1838,  vota  10,000  fr.  pour  ces  trois  verrières 
de  neuf  mètres  de  hauteur,  qu  il  fit  suivre  aussitôt  de  deux  autres.  De 
son  côté,  M.  Demerson ,  curé  de  la  paroisse,  donna  le  vitrail  de  la 
Passion,  placé  au  centre  de  la  chapelle  du  milieu  du  rond  point, 
composé  par  MM.  Lassus  et  Didron,  d'après  des  miniatures  de  ma- 

(I)  En  effet,  tout  ou  rien.  Si  l'église  est  dorée  au  dehors,  il  faut  qu'elle  soit  peinte 
au  dedans  comme  elle  l'était  autrefois ,  ainsi  qu'il  résulte  d'un  devis  de  peinture  du 
25  avril  1635,  dont  nous  avons  pris  copie  sur  l'original  que  nous  avons  découvert  et 
que  possède  aujourd'hui  notre  ami  M.  Lassus,  architecte. 


VITRAUX  DE   SAINT-GERMAIN  L'AUXERROIS.  413 

nuscrits  du  XIIIe  siècle,  et  les  vitraux  de  la  Sainte-Chapelle,  et 
exécuté  par  M.  Steinheil,  peintre,  et  M.  Reboulleau ,  chimiste, 
pour  le  prix  de  4,000  fr.  Malgré  la  juste  critique  dont  il  est  suscep- 
tible ,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce  vitrail  peut  être  considéré 
comme  la  première  tentative  sérieuse  faite  pour  arriver  à  la  repro- 
duction des  vitraux  du  XIIIe  siècle.  Peu  de  temps  après,  la  ville  de 
Paris  fit  exécuter  à  Clermont-Ferrand  les  deux  autres  verrières  qui 
décorent  la  même  chapelle. 

La  restitution  partielle  de  ce  brillant  ornement  de  la  belle  église 
qui  a  conservé  dans  son  transsept  huit  de  ses  vieux  vitraux  des  XVe 
et  XVIe  siècles  (l),  était  la  prémice  rationnelle  d'une  restauration 
aussi  importante.  Telle  fut  l'impression  qui  en  résulta,  que  M.  le 
curé  et  le  bureau  de  la  fabrique  émirent  le  vœu  de  rétablir,  avec 
le  temps ,  toute  h  vitrerie  historiée  de  Saint-Germain  l'Auxerrois. 
Le  conseil  municipal ,  ami  de  toutes  les  gloires  nationales,  encoura- 
geant la  réalisation  de  ce  projet,  consentit  à  contribuer  pour  une 
part  dans  la  dépense  que  s'est  imposée  la  fabrique  pour  cet  objet. 
En  conséquence,  des  vitraux  ont  été  commandés  simultanément,  à 
Paris ,  au  Mans ,  à  Choisy,  à  Clermont-Ferrand  et  à  Metz  ;  de  sorte 
que  d'ici  à  trois  ans  toutes  les  chapelles  du  pourtour  seront  vitrées 
en  verres  de  couleur.  Et  plus  tard  on  pourra  entreprendre  la  rose 
occidentale,  les  grandes  vitres  delà  nef  et  du  chœur. 

Si  la  restauration  d'une  église  doit ,  selon  la  doctrine  archéolo- 
gique professée  aujourd'hui ,  être  faite  rigoureusement  dans  le  style 
et  le  caractère  de  l'édifice,  sans  y  rien  ajouter  ni  retrancher,  on  ne 
doit  pas  apporter  moins  de  soins  et  de  précision  dans  l'agencement 
chronologique  ou  l'ordre  historique  des  vitraux  à  sujets,  surtout  quand 
rien  n'existe  encore  et  qu'il  faut  créer.  On  sait  quel  ordre  hiératique 
existait  jadis  dans  les  vitraux  de  la  plupart  de  nos  vieilles  églises 
cathédrales  et  collégiales.  Dans  le  chœur  étaient  représentés  les  mys- 
tères ,  les  patriarches ,  les  prophètes ,  les  apôtres  et  les  évangélistes  ; 
les  plus  sublimes  actions  de  la  vie  et  de  la  mort  du  Sauveur,  ou  les 
grandeurs  de  Marie  ,  la  reine  du  ciel.  La  nef  retraçait  les  histoires 
et  les  leçons  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  car  l'Église 
avait  voulu  que  cette  magnificence  ne  fût.  point  un  luxe  stérile  et 

(1)  La  fenêtre  rose  du  midi  représente  la  descente  du  Saint-Esprit  ;  les  deux  fe- 
nêtres du  transsept  de  ce  côté  ont  pour  sujet  l'incrédulité  de  saint  Thomas  et  l'As- 
somption. La  rose  du  midi  retrace  la  gloire  dessaints  dans  le  ciel  ;  trois  des  vitraux 
du  transsept  offrent  les  miracles  de  Jésus-Christ  et  la  Passion;  le  quatrième  est 
la  légende  du  martyre  de  saint  Vincent ,  diacre  de  Saragosse,  second  patron  de  la 
paroisse. 


414  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sans  fruit  pour  ses  enfants:  ou  bien  le  fidèle  y  contemplait  le  triom- 
phe des  martyrs,  la  gloire  des  confesseurs  et  des  vierges,  l'humilité 
des  saints  moines  et  cénobites,  les  rois,  les  évoques,  abbés  et 
princes,  saints  et  saintes,  directeurs  des  peuples  et  pasteurs  des 
âmes.  Les  vitres  des  bas  côtés  ou  des  chapelles  représentaient  les 
miracles  et  les  légendes  merveilleuses  des  saints  patrons,  les  hauts 
faits  des  croisades  et  des  preux  chevaliers.  Leurs  armoiries  resplen- 
dissant sur  les  vitres ,  portaient  encore  éclat  et  défense  au  saint  lieu. 
Souvent  une  belle  verrière,  "offrande  de  la  commune  piété  d'une 
corporation  de  marchands  ou  d'artisans ,  se  dressait  dans  la  chapelle 
de  la  Confrérie,  auprès  de  l'autel  du  saint  patron,  et  où  presque 
toujours  figuraient  les  insignes  et  les  produits  de  leurs  professions , 
comme  un  hommage  à  Dieu  qui  a  commandé  le  travail  ,  et  au 
bienheureux  dont  l'exemple  encourageait  et  sanctifiait  le  leur. 

En  se  décidant  à  restituer  à  l'église  de  Saint-Germain  l'Auxer- 
rois  l'antique  magnificence  de  sa  vitrerie  peinte,  on  avait  compris 
combien  il  était  rationnel  de  suivre  l'ancienne  règle  chronologique  du 
symbolisme  et  de  l'esthétique  chrétiens.  Ainsi  à  l'abside  le  vitrail  du 
centre  représente,  élevés  ascensionnellement  les  uns  au-dessus  des 
autres,  les  quatre  personnages  principaux  de  la  généalogie  de  Jésus- 
Christ.  Dans  la  verrière  de  gauche  les  quatre  grands  prophètes ,  et 
dans  celle  de  droite  les  quatre  évangélistes.  Dans  les  deux  autres 
fenêtres  de  chaque  côté  sont  figurés,  au  nord,  quatre  des  petits  pro- 
phètes, et  au  midi,  quatre  apôtres.  Au-dessous,  dans  les  trois 
vitraux  de  la  chapelle  du  rond-point,  sont  représentés  les  faits  prin- 
cipaux de  la  vie  du  Sauveur;  sa  passion,  sa  mort  et  sa  résurrection 
glorieuse.  Nous  avons  peu  à  nous  préoccuper  ici  de  ces  verrières 
sous  le  rapport  de  l'art;  elles  offrent  à  cet  égard  un  intérêt  plus  ou 
moins  contestable;  nous  n'en  parlons  que  sous  le  point  de  vue  de 
l'ordre  hiératique  et  chronologique  parfaitement  observé.  Mais 
bientôt  on  s'est  lassé  de  cette  ordonnance  si  poétique  qui  aurait  formé 
de  tout  le  monument  comme  un  livre  ouvert  où  le  peuple  aurait 
lu  le  rudiment  de  l'histoire  sacrée,  comme  un  hymne  national, 
ou  une  prière  à  Dieu.  L'ordre  est  désormais  interverti.  Le  ca- 
price ou  un  but  d'économie  ont  détruit  la  sage  unité  du  système 
hiératique  projeté.  Les  vitres  de  trois  des  chapelles  polygonales  du 
chevet  se  sont  remplies  de  verrières  en  compartiments  mosaïques, 
simplement  d'ornement  et  sans  figures.  Ainsi,  les  deux  croisées  de 
l'ancienne  chapelle  des  chanceliers  cTAligre,  dite  aujourd'hui  de  saint 
Landry,  sont  remplies  par  deux  grisailles  polychromes  à  feuilles  d'un 


VITRAUX   DE   SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  415 

yert  tendre  sur  fond  bleu  plat.  Une  bordure  bleue  et  verte  encadre 
l'ensemble,  et  donne  à  ces  verrières  une  lourdeur  qu'on  évitait  au 
moyen  âge  en  détachant  le  tout  par  un  liseré  lumineux  et  bleu  ; 
trois  gros  pavots  rouges,  sans  styles,  sont  assoupis  au  sommet  de  ces 
fenêtres.  La  grisaille  argentine  en  entrelacs,  semée  de  croisillons 
rouge  et  bleu,  au  centre  de  la  chapelle  du  Purgatoire,  est  aussi 
légère  de  ton  et  de  dessin  que  celles  de  saint  Landry  sont  pesantes  : 
c'est  un  heureux  essai  d  une  peinture  sur  verre  qui  coûte  beaucoup 
moins  cher  que  celle  des  vitraux  à  personnages;  mais  qui,  comme 
nous  le  disions  tout  à  l'heure,  interrompt  l'ordre  hiératique  si  bien 
commmencé.  La  grande  verrière  de  la  chapelle  de  sainte  Geneviève, 
qui  fut  autrefois  la  chapelle  de  famille  des  ducs  de  Villeroy,  est  une 
grisaille  imitée,  dit-on,  d'un  vitrail  du  XVe  siècle;  elle  offre  un 
damassé  de  feuilles  et  de  médaillons  blancs  sur  une  hachure  en 
résilles  noirâtres.  Quelques  feuilles  jaunes  et  quelques  fleurs  rouges 
relèvent  le  ton  pâle  de  cette  fenêtre,  qui  perd  beaucoup  à  être  vue 
de  loin.  Ces  trois  vitres  ont  été  exécutées  en  1843  à  Clermont- 
Ferrand,  sous  la  direction  de  M.  Thevenot. 

Si  ces  vitraux ,  ainsi  que  ceux  du  chœur  et  les  deux  latéraux  de  la 
chapelle  du  Calvaire,  n'offrent  réellement  aucun  mérite  qu'on  ne 
puisse  aisément  surpasser,  M.  Thevenot  s'est  en  revanche  montré 
dessinateur  et  coloriste  habile  dans  les  cinq  délicieux  panneaux 
cintrés  qui  composent  le  vitrail  de  la  tribune  de  la  reine ,  au-dessus 
de  la  porte  Sainte-Anne,  tribune  qui,  soit  dit  en  passant,  n'a 
jamais  été  fréquentée ?  et,  selon  toute  apparence,  ne  le  sera  jamais 
par  cette  princesse,  qui  préfère  la  luxueuse  église  de  Satot- 
Roch.  Les  deux  tableaux  du  centre  offrent  pour  sujet  l'Annoncia- 
tion ;  dans  l'un  est  l'ange  Gabriel,  dans  l'autre  la  Sainte  Vierge. 
Dans  les  deux  panneaux  des  côtés  sont  représentées  les  quatre 
reines  canonisées  de  France  :  sainte  Clotilde,  femme  de  Clovis  Ier; 
sainte  Batilde,  femme  de  Clovis  II,  fondatrice  des  abbayes  de  Chelles 
et  de  Corbie  ;  sainte  Radegonde ,  femme  de  Clotaire  Ier,  et  Jeanne  de 
Valois ,  femme  répudiée  de  Louis  XII ,  institutrice  de  l'ordre  de 
l'Annonciade.  Le  panneau  ovale  au-dessus  représente  la  Vierge 
conversant  avec  Jésus-Christ  Ce  vitrail  est  signé  Thevenot,  1845. 

La  transition  est  rude  et  le  contraste  désagréable,  lorsqu'après 
avoir  regardé  cette  série  de  petits  tableaux  diaphanes,  si  remar- 
quable par  la  pureté  et  la  rectitude  du  dessin  ,  la  finesse  et  la  variété 
dans  les  tons,  on  examine  les  vitraux  des  cinq  chapelles  qui  suivent, 
où  des  couleurs  ternes  et  mornes  le  disputent  à  la  lourdeur,  la  mol- 


416  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

iesse  et  la  confusion  du  dessin,  ou  à  la  médiocrité  de  l'exécution. 
Des  vases  en  fuseau  d'où  sortent  des  flammes,   surmontés  d'une 
espèce  de  thyrse  auquel  se  rattachent  des  arabesques  et  des  feuilles 
retombant  en  panaches  -.telle  est  l'ornementation  qui  sert*  d'enca- 
drement aux  effigies  en  pied  des  saints  patrons ,  sous  le  vocable  des- 
quels ont  été  récemment  dédiées  ces  chapelles.  Et,  sans  doute  pour 
s'éviter  la  fatigue  de  la  composition  d'autres  dessins,  l'artiste  a  répété 
comme  un  estampage  le  même  type  dans  toutes  les  fenêtres,  en  chan- 
geant seulement  la  couleur  de  chaque  pièce  d'ornement,  sauf  à  la  cha- 
pelle de  saint  Denis  et  ses  compagnons,  où  la  dimension  étroite  de  la 
fenêtre  ne  lui  ayant  pas  permis  de  peindre  de  figure  ,  il  a  modifié  le 
dessin  et  s'est  borné  à  inscrire  dans  le  haut  le  nom  des  trois  saints, 
en  faisant  figurer  en  bas  six  haches,  instrument  de  leur  martyre. 
Le  panneau  au-dessous  des  pieds  de  chaque  personnage  retrace  une 
action  de  sa  vie  ,  et  l'ovale  dans  l'ogive  offre  un  emblème  qui  rap- 
pelle sa  charité ,  ou  le  blason  de  ses  armes.  Du  reste ,  les  images  de 
ces  bienheureux  ne  sont  guère  mieux  traitées  que  l'ornementation  , 
surtout  saint  Charles  Borromée  et  saint  Vincent  de  Paul,  dont  les 
portraits  sont  si  connus.  Il  semble,  en  vérité ,  que  le  dessinateur  ou 
le  peintre  verrier  aient  oubliés  ces  paroles  divines  :  Creamus  homi- 
nem  ad  imaginem  nostram.  Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  ces 
détails,  ce  serait   une  description  fastidieuse.  Il  y  a  là  toute  la 
bizarrerie  du  style  sans  nom  qui  fleurissait  entre  les  galanteries 
de  Louis  XIV  et  les  orgies  de  Louis  XV.  Il  est  fâcheux  qu'à  ces 
vitraux  donnés  en  1846  par  la  ville  de  Paris,  se  rattachent  les  noms 
de  deux  artistes  de  qui  on  devait  attendre  mieux,  M.  Quentin  comme 
dessinateur  et  M.  Vigne  comme  peintre.  Ce  dernier  disait ,  dans  un 
opuscule  sur  la  peinture  sur  verre,  qu'il  publia  en  1840,  que  les 
vitraux  anciens  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  sont   de  véritables 
chefs-d'œuvre  des  XVe  et  XVIe  siècles,  qu'on  remarque  à  peine.  Tout 
porte  à  croire  que  les  siens  partageront  à  plus  juste  titre  la  même 
indifférence. 

Les  éclatantes  verrières  qui  sont  aux  deux  fenêtres  de  la  façade 
occidentale ,  en  regard  des  bas  côtés ,  ont  été  exécutées  à  Metz , 
en  1845,  par  un  artiste  plein  de  talent,  M.  Maréchal.  Celle  au  bas 
de  la  chapelle  de  la  Sainte  Vierge  représente  le  commencement  de 
la  généalogie  de  Jésus-Christ ,  qui  doit  se  développer  dans  tous  les 
vitraux  de  cette  chapelle  et  se  relier  avec  les  peintures  de  l'autel, 
représentant  le  couronnement  de  Marie,  confiées,  par  le  ministère 
de  l'intérieur,  au  talent  de  M.  Amaury-DuvaL  Dans  les  trois  grands 


VITRAUX  DE    SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  417 

jours  de  cette  fenêtre,  sont  les  images  en  pied  des  patriarches 
Abraham,  Isaac  et  Jacob,  se  détachant  sur  un  riche  fond  fleuri.  Dans 
les  réseaux  de  l'ogive  et  parmi  une  riche  végétation  de  feuilles  et  de 
fleurs,  apparaissent  les  gracieuses  figures  de  Sara,  femme  d'Abraham  ; 
d'Agar,  l'Égyptienne,  servante  de  Sara  et  mère  d'Ismaël  ;  et  de 
Rebecca,  femme  d'Isaac.  L'autre  verrière  auprès  des  fonts  baptis- 
maux est  consacrée  à  la  liturgie  catholique  ,  et  semble  raconter  au 
peuple  chrétien  «  les  mystérieuses  beautés  et  les  harmonies  célestes 
que  l'Esprit-Saint  a  répandues  sur  les  formes  du  culte  divin ,  tel  que 
l'exerce  la  sainte  Église  romaine,  mère  et  maîtresse  de  toutes  les 
autres.  >*  Comme  à  l'autre  vitrail ,  les  grands  jours  sont  remplis  par 
trois  personnages  debout.  Le  premier  à  droite  est  Pépin  le  Bref, 
père  de  Charlemagne,  protecteur  de  l'Église  romaine  ,  dont  le  goût 
était  si  vif  pour  tout  ce  qui  concerne  le  culte  et  la  liturgie,  qu'on 
appelait  alors  l'amour  des  lettres ,  que  le  pape  Paul  1er  lui  envoya  des 
chantres  pour  instruire  ceux  de  son  palais;  au  centre  est  saint 
Grégoire  le  Grand,  considéré  comme  l'instaurateur  de  la  liturgie 
romaine  après  saint  Gelase,  dont  l'effigie  se  remarque  dans  les 
trèfles  de  l'ogive  en  regard  de  saint  Gélestin  Ier,  qui  perfectionna  la 
liturgie,  et  au-dessous  de  saint  Pierre,  caractérisé  par  les  clefs. 
Saint  Grégoire  s'occupa  particulièrement  du  chant  ecclésiastique , 
qui ,  de  son  nom  est  appelé  Grégorien.  Son  Antiphonaire  et  son 
Graduel  sont  encore  en  usage  dans  le  rit  romain.  Le  troisième  per- 
sonnage est  Charlemagne ,  qui  introduisit  le  chant  grégorien  dans 
les  églises  de  son  empire ,  et  fit  des  règlements  spéciaux  sur  le  culte 
dans  ses  Capitulaires.  Dans  les  lobes  sous  les  courbes  de  l'ogive  sont 
figurés  tous  les  objets  nécessaires  à  la  célébration  du  culte,  tels  que 
la  croix,  les  chandeliers,  les  cierges,  les  livres,  les  encensoirs,  les  vases 
sacrés,  etc.  Le  ton  de  ces  deux  verrières  est  trop  vif  pour  la  place  où  elles 
sont,  où  le  soleil  les  frappe  longtemps  dans  les  jours  sereins.  Cela  pro- 
vient de  ce  qu'assez  généralement  les  artistes  de  notre  époque  em- 
ployent  des  verres  trop  minces ,  des  nuances  trop  fines  et  des  couleurs 
qui  ont  trop  de  transparence  et  d'éclat  ;  aussi ,  ne  peut-on  regarder  plus 
d'un  moment  les  deux  vitraux  de  M.  Maréchal  sans  se  fatiguer  les 
yeux.  On  ne  devrait  employer  pour  les  vitraux  d'églises  que  des 
verres  épais,  des  nuances  prononcées,  telles  que  le  bleu,  le  jaune 
et  le  rouge  foncés,  à  travers  lesquels  ne  pénètre  qu'un  jour  doux, 
sombre  et  religieux,  comme  dans  les  admirables  roses  de  Notre- 
Dame  de  Paris,  et  les  vitres  de  la  Sainte-Chapelle.  Au  reste,  cette 
trop  vive  chaleur  de  coloris  est  rachetée  ici,  tant  par  la  vigueur  du 


418  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dessin ,  que  par  le  luxe  varié  des  costumes  et  des  ornements  ;  seule- 
ment, il  serait  à  désirer  que  le  peintre  eût  donné  un  regard  moins 
farouche  aux  deux  monarques  français,  et  un  caractère  plus  imposant 
aux  patriarches, 

Le  gracieux  vitrail  du  aux  talents  réunis  de  MM.  Gallimard  et 
Lami  de  Nozan,  représentant  les  funérailles  de  saint  Landry,  évêque 
de  Paris,  et  la  translation  de  ses  reliques  dans  la  collégiale  de  Saint- 
Germain  l'Auxerrois,  paraît  bien  incolore  par  l'opposition  résultant 
de  son  voisinage  avec  l'œuvre  si  éclatante  de  M.  Maréchal.  Mais  il 
n'est  là  que  provisoirement,  et  doit  être  bientôt  remplacé  par  une 
des  verrières  qui  retraceront  la  vie  de  la  Sainte  Vierge.  La  destina- 
tion de  ce  vitrail  est  d'autant  plus  incertaine,  qu'étant  fait  spécia- 
lement pour  la  forme  de  fenêtre  qu'il  remplit  actuellement,  il  sera 
difficile  de  le  placer  ailleurs.  Les  auteurs  l'ont  offert  même  en  don  à 
l'église;  mais  M.  le  curé,  tenant  à  l'exécution  de  son  plan  histo- 
rique pour  cette  chapelle ,  et  engagé  d'ailleurs  par  les  commandes 
de  vitraux  faites  précédemment,  n'a  pas  cru  pouvoir  agréer  cette 
offre  généreuse.  Cependant  cette  vitre  présente  un  double  intérêt  :  le 
mérite  de  l'exécution  et  le  choix  du  sujet  retraçant  une  page  des 
chroniques  de  la  paroisse.  Elle  appartient  évidemment  par  son  style 
à  la  seconde  moitié  du  XV  siècle*  Elle  est  du  genre  historié  le  plus 
brillant  de  cette  époque;  et,  chose  fort  rare,  les  costumes  rap- 
pellent ceux  de  l'époque  de  Louis  XII.  La  rosace  supérieure,  envi- 
ronnée d'anges,  représente  saint  Landry  fondant  l'Hôtel-Dieu  de  Paris. 

L'ancienne  chapelle  sépulcrale  des  Ponchers,  des  Sourdis  et  des 
d'Alluyes,  à  droite  du  chœur,  a  été  ornée,  en  juin  1846,  d'un  vitrail 
exécuté  au  Mans  par  M.  Lusson,  sur  les  dessins  de  M.  Viollet- 
Leduc,  qui  assurément  laisse  moins  à  désirer  que  ceux  dont,  nous 
venons  de  parler.  La  science  de  composition  des  figures,  la  correc- 
tion du  dessin,  la  suavité  et  la  vérité  des  tons,  accusent  dans  cette 
œuvre  un  progrès  réel  qui  met  en  évidence  la  supériorité  des  pro- 
cédés nouveaux  sur  les  anciens.  Assurément  cette  verrière  peut  être 
mise  en  parallèle  avec  les  vitraux  si  vantés  du  XVIe  siècle ,  dont  les 
teintes  et  les  carnations  ordinairement  sombres  et  tirant  sur  le  roux , 
sont  en  général  plus  ou  moins  éloignées  de  la  nature  et  de  la  vérité. 
Le  sujet  est  parfaitement  d'accord  avec  le  nouveau  vocable  de  la 
chapelle  dédiée  aux  saints  pères  de  l'Église.  Dans  la  bande  du 
milieu  dé  la  fenêtre,  Jésus  docteur  est  assis  sur  un  trône  à  dossier 
gothique,  vêtu  d'une  longue  tunique  ornée  de  broderies.  Le  nimbe 
crucifère]  environne   sa  tête,  et  ses  pieds  sont  nus,  parce  qu'en 


VITRAUX   DE    SAINT-GERMAIN  i/AUXERROIS.  419 

iconologie  chrétienne  la  nudité  des  pieds  est  un  signe  des  plus 
illustres;  on  ne  fait  les  pieds  nus  qu'à  Dieu,  aux  anges  et  aux 
apôtres.  La  Sainte  Vierge  elle-même  a  les  pieds  chaussés;  et  les 
plus  grands  saints,  même  les  pères  de  l'Église,  ne  doivent  pas  être 
représentés  les  pieds  nus.  Jésus-Christ  tient  la  main  droite  levée 
pour  bénir;  de  la  main  gauche  il  tient  un  livre  à  fermails.  Sous  ses 
pieds  deux  anges  aux  ailes  en  ciseaux,  l'un  vêtu  d'une  robe  bleue, 
l'autre  d'une  robe  brun  clair,  tiennent  un  phylactère  sur  lequel  on 
lit  :  Ecce  ego  vobiscum  sum  omnibus  dlebus.  Le  Christ  est  entre 
saint  Léon  et  saint  Grégoire,  papes-,  ce  dernier  est  attentif  aux 
inspirations  que  souffle  à  son  oreille  le  Saint-Esprit  sous  la  forme 
d'une  blanche  colombe  placée  à  sa  droite.  Ces  deux  figures  sont  debout, 
sous  des  dais  gothiques,  revêtues  des  insignes  du  souverain  pon- 
tificat, et  coiffées  de  la  tiare.  Leur  main  gauche  est  armée  de  la 
croix  à  double  croisillon ,  et  de  la  droite  ils  bénissent.  Le  panneau 
sous  leurs  pieds  est  rempli  par  des  végétations  vigoureuses,  encadrées 
d'une  décoration  architecturale  où  figurent  de  petites  colonnes 
torses.  Dans  l'ovale,  à  la  pointe  de  l'ogive,  se  détache  sur  un  ciel 
bleu,  parsemé  d'étoiles,  un  ange  assis  et  vêtu  d'une  robe  blanche, 
tenant  ouvert  devant  lui  le  livre  des  Évangiles.  A  ses  côtés,  des 
anges  à  genoux  tiennent  des  chandeliers  garnis  de  cierges  flam- 
boyants. Tout  est  calme  et  harmonieux  dans  cette  composition.  Mais 
nous  dirons  pour  être  impartial ,  que  les  figures  des  papes  sont  trop 
jeunes ,  surtout  celle  de  saint  Grégoire, 

Les  bornes  de  cet  article  ne  nous  permettant  pas  d'entrer  dans 
tous  les  détails  techniques,  nous  faisons  seulement  remarquer  que, 
suivant  la  pratique  de  l'art  moderne,  les  résilles  de  plomb  servant  à 
réunir  les  nombreuses  pièces  de  verre  de  tous. ces  vitraux,  tracent 
les  contours  du  dessin  représenté  par  l'artiste ,  ou  se  perdent  dans 
les  ombres  et  les  plis  des  draperies ,  de  manière  à  éviter  toute  con- 
fusion pour  l'œil  du  spectateur. 

Tel  est,  aujourd'hui,  l'état  avancé  de  la  restauration  monumen- 
tale de  Saint-Germain  l'Auxerrois.  Rien  n'a  été  épargné  pour  que 
la  perfection  y  égalât  la  splendeur  ;  si  ce  but  n'a  point  été  tout  à  fait 
atteint,  on  n'en  doit  pas  moins  féliciter  Je  conseil  municipal  de 
Paris  d'avoir  encouragé  les  arts,  et  particulièrement  celui  de  la 
peinture  sur  verre,  avec  tant  de  libéralité. 

Troche, 

Auteur  d'une  Monographie  inédite  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois. 
Paris,  le  1er  septembre  1S4G. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


Dans  la  séance  annuelle,  tenue  le  2Î  août  184fr,  par  l'Aca- 
démie des  Inscriptions  et  Belles-Lettres,  l'assemblée  a  entendu  la 
lecture  des  écrits  suivants  : 

1°  Notice  historique  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  M.  Mionnet,  par 
M.  le  baron  Walckenaër,  secrétaire  perpétuel. 

C'est  la  peinture  très-fidèle  d'une  de  ces  existences  toutes  dé- 
vouées à  l'étude ,  qui  ne  se  révèlent  au  monde  extérieur  que  par 
d'utiles  travaux.  Mionnet,  qui  n'a  jamais  écrit  une  page  de  théorie 
ou  de  critique ,  est  continuellement  cité  par  les  archéologues  ;  son 
livre  est  un  immense  répertoire  où  les  savants  puiseront  toujours 
d'indispensables  renseignements. 

2°  Introduction  au  mémoire  sur  l'Hercule  assyrien  et  phénicien, 
considéré  dans  ses  rapports  avec  l'Hercule  grec,  principalement  à 
l'aide  des  monuments  de  l'antiquité  figurée ,  par  M.  Raoul  Rochette. 

Travail  empreint  de  cette  facilité  qui  distingue  les  écrits  du 
même  auteur.  Les  assertions  contenues  dans  cette  introduction  ont 
tellement  besoin  d'être  appuyées  de  preuves  que  l'on  doit  s'abstenir 
de  tout  jugement  jusqu'au  jour  où  paraîtra  le  Mémoire  annoncé. 
Quelques  auditeurs  ont  semblé  surpris  en  entendant  déclarer  que 
l'Asie  Mineure  était,  dès  la  haute  antiquité,  tout  imprégnée  de 
l'élément  sémitique.  Ce  n'est  pas  là  jusqu'à  présent  ce  que  révèlent 
l'étude  des  langues  et  la  découverte  des  monuments,  tels  que  ceux 
par  exemple  qui  ont  été  retrouvés  en  Phrygie  et  en  Lycie.  Mais  il 
est  probable  que  M.  Raoul  Rochette  n'a  pas  avancé  une  telle  pro- 
position sans  être  en  mesure  d'en  démontrer  l'exactitude ,  et  ce  sera 
certainement  un  des  grands  mérites  de  son  travail. 

3°  Extrait  d'un  Mémoire  géographique ,  historique  et  scientifique 
sur  l'Inde,  antérieurement  au  milieu  du  XIe  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, d'après  les  écrivains  arabes,  persans  et  chinois,  par  M.  Rei- 
naud,  vice-président. 

Depuis  quelques  années,  M.  Reinaud  s'est  appliqué  à  découvrir 
dans  les  auteurs  arabes  et  persans ,  les  documents  propres  à  fixer  des 
points  de  chronologie  qui  sont  si  nécessaires  pour  classer  les  faits 
que  les  annales  de  l'Inde  ont  enregistrés  sans  indication  de  temps. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  421 

Cette  fois,  le  savant  académicien  avait  pu  ajouter  au  résultat  de 
ses  propres  recherches  les  renseignements  qu'a  extraits  pour  lui  des 
écrivains  chinois,  .M.  Stanislas  Julien,  le  plus  habile  des  sinologues 
contemporains. 

Ces  lectures  ont  été  précédées  par  l'annonce  des  prix  suivants 
décernés  par  la  savante  compagnie ,  et  proclamés  par  le  président , 
M.  Naudet  : 

jugement  des  concours.  — L' Académie,  dans  sa  séance  pu- 
blique de  1845,  avait  prorogé  jusqu'au  1er  avril  18^6,  le  concours 
ouvert  en  1842,  sur  la  question  suivante  : 

Tracer  l'histoire  des  guerres  qui,  depuis  V empereur  Gordien  jusqu'à 
V invasion  des  Arabes,  eurent  lieu  entre  les  Romains  et  les  rois  de  Perse 
de  la  dynastie  des  Sassanides ,  et  dont  fut  le  théâtre  le  bassin  de 
l'Euphrate  et  du  Tigre,  depuis  ï  Oronte  jusqu'  enMédie ,  entre  Erzeroum 
au  nord,  Ctésiphon  et  Pétra  au  sud. 

L'Académie,  qui  à  reçu  deux  mémoires,  accorde  le  prix  au 
numéro  deux,  écrit  en  latin,  intitulé  :  De  Bellis  inter  reges  Persiœ 
Sassanidas  atque  imperium  romanum  ab  Alexandro  Severo  ad  Hera- 
clium  imperatorem  gestis  Disquisitiones  maxime  geographicœ,  qui  a 
pour  auteur  M.  Henri  Kiepert,  docteur  en  philosophie,  géographe 
de  l'Institut  industriel  à  Weimar. 

L'Académie  avait  proposé,  dans  sa  séance  de  1843,  pour  sujet 
de  prix  à  décerner  en  1845 ,  la  question  suivante  : 

Examen  critique  des  historiens  de  Constantin  le  Grand,  comparés 
aux  derniers  monuments  de  son  règne. 

L'Académie ,  pour  donner  aux  concurrents  le  temps  de  per- 
fectionner leur  travail  ,  avait  prorogé  ce  concours  jusqu'au 
1er  avril  1846. 

Deux  Mémoires  ont  été  envoyés  à  ce  concours. 

L'Académie  accorde  le  prix  au  numéro  premier ,  qui  a  pour 
auteur  M.  Nicard. 

L'Académie  a  proposé,  dans  sa  séance  de  1844  ,  pour  sujet  de 
prix  à  décerner  en  1846,  la  question  suivante  : 

Examen  critique  de  la  succession  des  dynasties  égyptiennes,  d'après 
les  textes  historiques  et  les  monuments  nationaux. 

Deux  Mémoires  ont  été  envoyés. 

L'Académie  accorde  le  prix  au  numéro  premier,  qui  est  de  M.  Le- 
sueur,  architecte; 


422  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Et  une  mention  très -honorable  au  numéro  deux ,  dont  l'auteur  est 
M.  Brunet  de  Presle. 

L'Académie,  quoiqu'elle  n'ait  reçu  que  ces  deux  Mémoires,  dé- 
clare qu'elle  se  félicite  d'avoir  proposé  cette  question ,  et  émet  le  vœu 
que  ces  Mémoires  soient  publiés. 

prix  de  numismatique.  -—  L' Académie  décerne  le  prix  de  nu- 
mismatique, fondé  par  M.  Allier  de  Hauteroche,  à  M.  Duchalais, 
pour  son  ouvrage  intitulé  :  Description  des  médailles  gauloises  faisant 
partie  des  colléôtions  de  la  Bibliothèque  royale. 

Il  a  été  décerné  une  mention  très-honorable  à  M.  Giulio  di  San- 
Quintino,  pour  l'ouvrage  intitulé  :  Délie  monete  delV  imperatore 
Giustiano  IL 

antiquités  de  la  France. — M.  Lenormant  qui,  depuis  plu- 
sieurs années,  a  présenté  le  rapport  sur  le  concours,  s'est  encore 
cette  fois-ci  acquitté  de  cette  tâche  avec  son  habileté  ordinaire.  Sous 
sa  plume,  les  jugements  de  l'Académie  revêtent  souvent  la  forme 
de  préceptes  et  de  conseils  ;  il  prouve  que  la  commission  des  anti- 
quités de  la  France  n'est  pas  comme  la  pierre  à  aiguiser,  acutum 
reddere  quœ  ferrum  valet,  exsors  ipsa  secandi. 

L'Académie  a  décerné  la  première  médaille  à  M.  Long,  pour 
ses  Recherches  sur  les  antiquités  romaines  du  pays  des  Vocontiens , 
manuscrit  ; 

La  seconde  médaille  à  M.  Leymarie,  pour  son  Histoire  du 
Limousin,  La  Bourgeoisie,  2  vol.  in-8°. 

Elle  partage  la  troisième  médaille  ex  œquo  entre  M.  Cartier,  pour 
ses  Recherches  sur  les  monnaies  au  type  chartrain,  1  vol.  in-8°; 

Et  M.  Girardot,  pour  son  Histoire  du  Chapitre  de  Saint-Étienne 
de  Bourges,  manuscrit. 

L'Académie  exprime  le  regret  qu'il  n'y  ait  pas  une  quatrième 
médaille  à  partager  entre  M.  Vaudoyer  pour  son  ouvrage  intitulé  : 
Ancien  Orléanais. — Architecture  privée ,  manuscrit, 

Et  M.  Le  Roux  de  Lincy,  pour  son  Histoire  de  l'hôtel  de  ville  de 
Paris,  1  vol.  in-4. 

Rappel  de  médailles. 

M.  Marchegay,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Archives  du  bas  Poitou, 
recueil  de  chartes  et  documents  inédits,  in-8°. 

M.  Clerc,  pour  son  Essai  sur  T Histoire  de  la  Franche-Comté, 
1  vol.  in-8°. 


DÉCOUVERTES   ET   NOUVELLES.  423 

Des  mentions  très-honorables  sont  accordées  : 

1°  A  MM.  Mazure  et  Hatoulet,  pour  leur  ouvrage  intitulé  :  Fors 
du  Béarn,  législation  inédite  du  XIe  au  XIIIe  siècle  m-4°  ; 

2°  A  M.  de  la  Querrière,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Architecture 
du  moyen  âge  f  in-8°  ; 

3°  A  M.  Bouthors ,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Coutumes  locales 
du  baillage  d'Amiens  rédigées  en  1507,  in- 4°  ; 

4°  A  M.  de  la  Villemarqué ,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Chants 
populaires  de  la  Bretagne,  in- 18  ; 

5°  A  M.  deQuatrebarbes,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  OEuvres 
complètes  du  roi  René,  in-4°  ; 

6°  A  M.  Louandre,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Histoire  d'Abbe- 
ville  et  du  comté  de  Pontieu  jusqu'en  1789,  in- 8; 

7°  A  M.  Batissier,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Histoire  de  l'art 
monumental  au  moyen  âge,  suivie  d'un  Traité  de  peinture  sur  verre, 
in-8°; 

8°  A  M.  Guignard,  pour  son  ouvrage  manuscrit  intitulé  :  Lettre 
à  M,  le  comte  de  Montalembert  sur  les  reliques  de  saint  Bernard  et  de 
saint  Malachie  ; 

9°  A  M.  Haureau,  pour  son  ouvrage  intitulé  :  Histoire  littéraire 
du  Maine,  2  vol.  in-8°; 

10°  A  M.  Eysenbach  ,  pour  son  ouvrage  manuscrit  intitulé  : 
Histoire  des  évêques  de  Nevers. 

Des  mentions  honorables  sont  accordées  : 

1°  A  M.  Baudot,  pour  son  ouvrage  intitulé  ;  Rapport  sur  les 
découvertes  archéologiques  faites  aux  sources  de  la  Seine,  in-4°  ; 

2°  A  M.  l'abbé  Saint-Yves,  pour  son  ouvrage  intitulé:  Vie  de 
sainte  Geneviève,  patronne  de  Paris  et  du  royaume  de  France,  in-8°; 

3°  A  M.  de  Chergé,  pour  son  Mémoire  historique  de  l'abbaye  de 
Montierneuf  de  Poitiers,  broch.  in- 8°  ; 

4°  A  M.  Barbeu  du  Rocher,  pour  son  ouvrage  manuscrit  intitulé  : 
Ambassade  de  Pétrarque  auprès  du  roi  Jean  le  Bon  ; 

5°  A  M.  Duchalais ,  pour  sa  Dissertation  sur  une  charte  inédite  de 
l'an  1138,  relative  à  l'histoire  des  vicomtes  de  Melun,  in-8°; 

6°  A  M.  Boileau  et  Morand,  pour  leur  Esquisse  iconographique 
et  historique  sur  l'église  de  Saint-Pierre  d'Aire  sur  la  Lys,  in -fol.  ; 

7°  A  M.  Dumège ,  pour  son  Histoire  des  institutions  religieuses  , 
politiques  Judiciaires  et  littéraires  de  Toulouse,  in-  8°; 


424  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

8°  A  M.  Fouque,  pour  son  Histoire  de  Chalon-sur-Saône,  depuis 
les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours,  in-8°.   ' 

PRIX  EXTRAORDINAIRES  FONDÉS  PAR  M.  LE  RAJtON  GORERT  ,  pour 

le  travail  le  plus  savant  et  le  plus  profond  sur  l'histoire  de  France  et 
les  études  qui  s'y  rattachent, 

L'Académie  décerne  le  premier  de  ces  prix  à  M.  Aurélien  de 
Courson ,  pour  son  Histoire  des  peuples  bretons  dans  la  Gaule  et  dans 
les  îles  britanniques y  langues,  coutumes ,  mœurs  et  institutions,  2  vol. 
in-8°;  et  elle  décide  que  M.  de  Monteil  sera  maintenu  dans  la 
possession  du  second  prix  qui  lui  a  été  décerné  en  1840.  Le  livre 
de  M.  de  Courson  dénote  une  connaissance  approfondie  de  l'histoire 
des  Bretons ,  mais  il  a  l'inconvénient  de  remettre  en  présence  des 
antagonismes  fondés  sur  les  différences  de  race  ;  il  va  donc  diamé- 
tralement contre  l'heureuse  tendance  des  meilleurs  esprits  de  notre 
époque.  On  est  affligé  aussi  de  trouver  dans  cet  ouvrage  certaines 
attaques  contre  d'illustres  écrivains,  que  l'honnêteté  de  leurs  vues  et 
leur  talent  incontestable  auraient  dû  faire  citer  avec  plus  de  respect. 

rappel  du  prix  proposé  pour  1847.  L' Académie  rappelle 
qu'elle  a  proposé  pour  sujet  du  prix  ordinaire  à  décerner  en  1847, 
Y  Histoire  de  l'étude  de  la  langue  grecque  dans  l'occident  de  l'Europe , 
depuis  la  fin  du  Ve  siècle  jusqu'à  celle  du  XIVe. 

nouveau  sujet  de  prix  proposé  pour  1848.  —  L'Académie 
propose  pour  sujet  du  prix  ordinaire  à  décerner  en  1 848  : 

Êclaircir  les  annales  et  retracer  l'état  de  la  France  pendant  la 
seconde  moitié  du  Xe  siècle,  d'après  les  documents  publiés  ou  inédits. 

—  M.  Sichel  nous  informe  qu'il  a  été  induit  en  erreur  par  un  de 
ses  correspondants,  en  annonçant  (Revue  Archéologique,  t.  III, 
p.  229  ,  §  V)  la  mort  de  M.  Bernard  Quaranta,  de  Naples.  Ce  n'est 
pas  le  célèbre  antiquaire ,  mais  un  de  ses  parents  ou  homonymes  qui 
a  succombé  récemment. 

—  Le  clocher  de  l'église  de  Vitry,  près  Paris ,  monument  remar- 
quable du  XIIIe  siècle,  va  être  restauré;  outre  un  secours  que  la 
commune  a  reçu  du  département,  elle  est  autorisée  à  s'imposer  ex- 
traordinairement  en  sept  ans  d'une  somme  de  13,000  francs  pour 
concourir  au  payement  des  travaux  projetés. 


REVUE 

ARCHÉOLOGIQUE 

OU  RECUEIL 

DE  DOCUMENTS  ET  DE  MÉMOIRES 

RELATIFS  A  L'ÉTUDE  DES  MONUMENTS  ET  A  LA  PHILOLOGIE 

DE   LANTIQUITÉ   ET    DU   MOYEN    AGE 

PUBLIÉS   PAR   LES  PRINCIPAUX   ARCHÉOLOGUES 

FRANÇAIS    ET    ÉTRANGERS 

ET    ACCOMPAGNÉS 

DE  PLANCHES  GRAVÉES  D'APRÈS  LES  MONUMENTS  ORIGINAUX 

IIIe   ANNÉE 


SECONDE    PARTIE 

DU  15  OCTOBRE  1846  AU  15  MARS  1847 

l 


PARIS 
A.  LELEUX,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

RUE   PIERRE-SARRAZIN  ,   9 

1847 


4gs 


Il 


UV  J/1WRIMF,R!E  DE  CRAPFLET 

RUF.    I)E    VAl'filRARp,    9 


TABLE   DES  MATIÈRES 

CONTENUES  DANS  LA  DEUXIÈME  PARTIE  (Octobre  1846  a  Mars  1847). 


DOCUMENTS   ET   MEMOIRES. 


Uf1 


Sir  l'amulette  de  Jules  César,  !e  ca- 
chet de  Sépullius  Macer  ,  le  sabre  de 
\  esj.;isiei»  et  autres  antiquités  modernes, 
deuxième  article,  par  M.  F«l— «M  ) 
membre  rie  l'Institut PAGE  q?f> 

Pgi.Émon,  le  Voyageur  archéologue,  esquisses 
de  l'antiquité,  par  M.  Egger,  professeur 
j  la  faculté'  des  lettres. ...    .^6  ,  qpq 

Lettre  de  M.  Letronne  a  M.  Lenormant 
sur  la  tête  de  Phidias,  trouvée  à  la  Biblio- 
thèque royale,  et  sur  la  Collection  de 
Nointel /160 

Le  Château  de  Loches  (Indre-et-Loire)  , 
par  M.  Pinard ^76 

Sun  Le  grand  Aqueduc  près  de  Beyrout, 
par  M.  Letronne .......    \8g 

Kpitaphe  latine  d'un  peintre  grec  établi 
dans  la  Gaule,  par  M,  Letronne . m  •> 

Dissertation  sur  l'arme  qui  se  voit  dans 
une  pejnture  de  vase  grec  conserve  au 
Musée  dp  >Taples  ,  par  M,  B.  Quarant»  , 
professeur  de  l'Université  de  Naples 5 1  f> 

Embellis§kMEKTS  de  Paris  ,  ancien  mo- 
nastère des  FUJes-du-Calyaire ,  par  M. 
Troche 5aO 

Inscription  cunéiforme  de  Behistun,  \w 
M.  A.  Maury,  sous-conservateur  à  la  Bi- 
bliothèque de  l'Institut 5qÇ) 

Bectification  de  la  valeur  alphabéti- 
que d'un  caractère  de  l'écriture  pu- 
nique, par  M.  de  Saulcy,  membre  tk 
l'Institut 5f>7 

Notice  su*  une  statuette  antique  en 
Bronze  d'Isis,  par  M.  le  baron  Chau- 
druc  de  Crazannes  ,  correspondant  de 
l'Institut 5;6 

Lettre  a  M.  Letronne  sur  le  nom  romain 
du  peintre  grec  Diogène  ,  par  M.  J.  Cbe- 
vrier 58H 

Notice  sur  un  monument  connu  sous  le 
nom  de  haute  borne  ,  par  M.  Pinard 585 

Mémoire  Historique  et  Critique  sur  le 
portail  ,  le  porcbe  et   les    peintures   de 


l'église  <le  Saint-Germain  l'Auxerrois  , 
par  M.  Troche page  5pi 

Lettre  de  M.  T.  de  Bertou  a  M.  Le- 
tronne sur  les  ruines  antiques  de  Deir- 
el-Kalaah  ,  près  de  Beyrout Qfj 

Lettre  a  M.Ch.  Lenormant  sur  un  point 
de  l'épigraphie  punique  ,  par  M,  de 
Saulcy , ,  tiig 

Nouvelles  observations  sur  les  Àugus- 
TALES  ,  par  M.  Kgger b'35  ,  77  j 

Lettre  a  M.  de  Saulcy  sur  quelques  anti- 
quités égyptiennes  et  sur  le  bœuf  Apis, 
par  M.  A.  Clerc 6^9 

Lettre  de  M.  J.  Courtet  sur  l'amulette 
de  César,  le  cachet  de  Sépullius  Macer 
et  le  pont  Julien 668 

Lettre  a  M.  Prisse  ,  sur  un  four  romain  à 
cuire  les  poteries  ,  par  M.  Henry ..,,.,,,   672 

Sur  un  Sceau  de  saint  Louis  de  1240;  de 
la  Collection  des  Sceaux  des  Archives  du 
royaume  ,  par  M.  E.  Cartier >  .   675 

Inscription  funéraire  de  Nicolas  Fla- 
mel  ,  par  M.  J.  A.  L 680 

Eglise  de  Bougival  ,  par  M.  Pinart 685 

Antiquités  égyptiennes  du  Musée  Britan- 
nique, parM.  Prisse  d'Avennes 6cj3 

Aperçu  statistique  des  monuments  de 
l'Algérie,  par  M.  Ch.  Texier,  inspecteur 
gén.  des  bât.  civils  de  l'Algérie;  complété 
avec  des  Notes,  par  M.  A.  Maury 72^ 

Sceau  inédit  de  Philippe  I«r,  par  M.  E.  de 
Stadler ?36 

jNotice  historique  sur  le  quartier  de  la 
Cite  a  Paris,  à  l'occasion  de  la  démoli- 
tion des  restes  de  l'église  paroissiale  de 
Sainte-Croix. ,  par  M.   Troche 740 

Inscription  phénicienne  gravée  sur  la 
jambe  du  colosse  brisé  d'Ipsamboul,  par 
M.    Saulcy ?5? 

Sur  une  Statue  du  dieu  Aschmoun  ou 
EsMON  ,  par  M.  A.  Maury 76^ 

Extrait  d'une  Lettre  de  M.  Layabd  a 
M.  Botta  ,  au  sujet  des  fouilles  de 
N  imroud 79 l 


TABLE    DES   MATIERES. 


Statue  d'Hercule  ,  découverte  à  Dénia  , 
par  M.  P.  Mérimée P4«Ê  70,3 

DESCRIPTION  DE  L'ÉGLISE  Saint-Nicolas 
du  Port  (Meurthc),  par  M.  l'abbé  Bal- 
ibasàr 8o5 


Notes  archéologiques  et  historiques 
sur  la  crypte  de  l'ancienne  cathédrale  <U* 
Boulogne  .  par  M.  P.  Hédouin 


Kl! 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


DESCRIPTION  de  divers  objets  antiques  trou- 
vées  au    pont    de    Metz  ,    près    Amiens 

(Somme  ) page  485 

Préparation    de    plusieurs   salles   au 

Louvre  pour  les   antiquités  de  Ninive.  53o 
Création    d'une    chaire   d'archéologie 
Égyptienne    à   l'Université  de   Berlin  , 

par  M.  le  docteur  Leptius 53o 

Chaussée  romaine,   dite  les  Ponts  Cliar- 

trains Id. 

Eglise  de  Vaugirard Ici. 

Eglise  de  Belleville 53 1 

Peintures  de   l'Église   Saint -Germain 

l'Auxerrois Id. 

Hôtel  pe  ville  de  Louvain Id. 

Découverte  de  Monnaies  a  Rouen 53s 

Incendie  de  l'Abbaye  de  Dissentis Id. 

Le  Cabinet  des  antiques  a  la  Biblio- 
thèque  ROYALE 62^ 

Ancienne  porte  de  l'Hôtel  des  Guises  a 

Paris 625 

Arrivée  au  Havre  des  antiquités  deKor- 

SABAD 6*27 

Visite  de  S.  A.  le  Bey  de  Tunis  à  la  Bi- 
bliothèque royale Id. 

Objets  antiques  découverts  a  Audenge 
(Gironde) 628 

Rectification  fournie  par  M.  J.  J.  Dubois.  628 


Nominations  des  correspondants ,  des  prési- 
dent et  vice-président  de  l'Académie  des 

Inscriptions  et  Belles-Lettres 689 

Renouvellement  du  bureau  de  la  Société 

royale  des  Antiquaires Id. 

Antiquités    et    Inscriptions    rapportées 

d'Orient   par  M.  Loltin  de  Laval Id. 

DÉCOUVERTE  DE  LA  SEPULTURE  DE   I.'lMPÉ- 

RATRICE  MÀTHILDE :  •  •    6o/> 

Concours  pour  la  restauration  des  vitraux 

de  la  Sainte-Chapelle  à  Paris 691 

NÉCROLOGIE.  M.  J.  J.   Dubois Id. 

M.    LE    COMTE  DE  ClARAC 75^ 

M.  LE  COMTE  De  LabORDE  ET  M.  Ad.  DE 
Longpérier,    nommés  Conservateurs  du 

Musée  des  Antiques  au  Louvre 756' 

Dalles  de  pierres  gravées  du  XIIIe  siè- 
cle ,  provenant  de  l'église  Saint-Nicaise 

de  Reims 820 

Objets  antiques  découverts  dans  les  fouilles 

du  théâtre  romain  à  Arles Id. 

Empreintes  de  sceaux  de  la  bibliothèque 
de  Grenoble  envoyée  à  M.  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique  qui  en  fait  don  au 
musée   sigillographique  des  Archives  du 

Royaume 821 

Interprétations  des  Hiéroglyphes  ,  par 
le  R.  P.  Secchi Id. 


BIBLIOGRAPHIE. 

Publications  nouvelles q88    Virgilius  Nauticus  ,  examen  des  passages 

de  Y  Enéide  qui   ont  trait  à  la  marine  , 

Ouvrages  dont  il  a  été  rendu  compte  dans  P»»'  Jal ,   in-8° 539 

ce  volume.  L'Arbre    de  JessÉ  ,    peinture    murale  du 

XVe  siècle ,  décrite  par  M.  Janssen 5!\l 

Rome  au   siècle  d'Auguste,  pat  M.  Cb.  Statistique   monumentale  de  la.  Cha- 

Déiobry,  \  vol.  in-8° Ifi6         RENTE ,  par  M.  l'abbé  Michon 5^7 

Annales  de  l'Institut   de   correspon-           The  youth  or  Jason  renewed  by  Medeia  , 
DANCE  archéologique  ,  t.  XVI ,  XVII .   533         par  Samuel  Birch 821 


V-25 


SUR 

L'AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR, 

LE  CACHET  DE  SÉPULLIUS  MACER,  LE  MÉDAILLON  DE  ZÉNOBIE, 

LE  COFFRET  D'ANTINOUS,  LE  SABRE  DE  VESPASIEN, 

LE  VASE  DE  LYSIPPE 

et  d'autres  ANTIQUITÉS  MODERNES. 

(deuxième  mémoire.) 

Dans  un  précédent  mémoire  (l),  j'ai  traité  de  l'authenticité  des 
deux  premiers  monuments.  J'ai  dit  que  le  sort  de  l'un  est  lié  à  celui 
de  l'autre;  que  si  l'un  est  vrai,  l'autre  l'est  certainement,  et  vice  versa; 
que,  s'ils  sont  vrais  tous  deux ,  ce  sont  des  monuments  uniques  en 
leur  genre  ;  enfin  que  le  deuxième  est  la  plus  importante  pierre  gravée 
qui  existe ,  sinon  pour  le  travail ,  du  moins  pour  le  sujet.  Mais 
j'ai  prouvé  en  même  temps  que,  par  malheur ,  elles  sont  modernes 
l'une  et  l'autre;  ce  qui  résulte,  pour  le  prétendu  amulette,  de  l'in- 
scription :  AETERNAE.  MEMORIAE.   IVLII.  CAESARIS  ;  pour  le  Cachet 

de  Sepullius  Macer,  1°  de  l'orthographe  jEneas  ,  au  lieu  de  aeneas  , 
qu'un  Romain  du  temps  de  Jules  César  aurait  écrit  certainement , 
rien  ne  l'obligeant  à  aucune  abréviation  ou  ligature  ;  2°  de  l'ortho- 
graphe geni.  pour  genetr.  ;  3°  pour  toutes  les  deux ,  de  l'em- 
ploi des  signes  planétaires  d'une  forme  moderne.  Ces  indices, 
qui  seraient  certains,  pris  séparément,  le  sont,  à  plus  forte  raison, 
réunis  sur  deux  pierres  que  condamnent  d'avance  leur  aspect  et  le 
travail  de  la  gravure. 

Pour  compléter  l'enseignement  archéologique  qui  doit  résulter  de 
mes  observations ,  et  tenir  encore  plus  en  garde  contre  d'autres  pro- 
duits non  moins  mensongers  qui  ont  trompé,  ou  pourraient  tromper 
plus  tard,  même  des  yeux  exercés,  il  faut  montrer  sous  l'influence  de 
quelles  idées  et  dans  quelles  intentions  ont  été  exécutées  les  deux 
pierres  de  Jules  César,  ainsi  que  d'aulres  forgeries  analogues.  Ce 
sera  le  moyen  de  faire  servir  à  l'intérêt  général  de  la  science ,  l'étude 

(1)  y o\t  Revue,  t.  III,  p.  252-263. 

III.  28 


426  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'un  point  spécial  qui,  par  lui-même,  semblait  avoir  peu  d'impor- 
tance. 


J'ai  annoncé  (p.  263)  que  ces  deux  pierres  sont  étrangères  aux 
superstitions  gnostiques  et  cabalistiques,  auxquelles  on  avait  cru  devoir 
rattacher  lune  d'elles  ;  j'ajoute  ici  que  le  sujet  en  est  exclusivement 
historique,  relatif  à  Jules  César,  et  choisi  de  préférence,  par  suite  du 
crédit  que  ce  grand  nom  a  conservé  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos  jours, 
tant  en  France  qu'en  Italie  ;  souvenir  qui  prit  une  nouvelle  force  à 
la  renaissance  des  lettres  classiques. 

En  France  ,  par  exemple  ,  ce  conquérant  de  la  Gaule  avait  conti- 
nué d'être  considéré  comme  le  héros  principal  de  l'ancienne  Rome. 
Son  nom  est  encore  maintenant  attribué  à  tous  les  mouvements  de 
terrain  qui  peuvent  ressembler  à  un  ancien  campement  :  ce  sont  tous 
des  camps  de  César  (2)  ;  mais  la  plupart  remontent  aussi  sûrement  à  ce 
grand  homme,  que  le  fort  de  Caligula,  dans  Y  Antiquaire  de  W.  Scott, 
remonte  à  ce  méchant  empereur  ;  le  vieux  pont  Julian ,  près 
d'Apt  (3) ,  qui  n'est  pas  même  romain  -,  la  pile  dAmboise  et  celle  de 
Cinq-Mars,  près  de  Tours  (4),  avaient  pris  leur  nom  du  conquérant  ; 
une  des  sources  de  Cauterets  s'appelle  encore  le  bain  de  César, 
quoique  ni  César  ni  aucun  empereur  n'aient  jamais  pris  les  eaux 
de  Cauterets;  et,  lorsqu'en  1755  on  refouilla  le  sol  des  bains  de 
Luxeuil  pour  retrouver  et  nettoyer  les  sources  minérales ,  on  ne 
manqua  pas  de  découvrir  cette  belle  inscription  latine  : 

LIXOVII.    THERM. 

REPAR.    LABIENVS 

IVSSV.   IVL.   CAES. 

IMP. 

qui  donnait  à  ces  bains  une  antiquité  fort  respectable,  puisqu'ils  au- 
raient eu  déjà  besoin  d'être  réparés  au  temps  de  Jules  César,  et  qu'ils  le 
furent  ni  plus  ni  moins  que  par  ses  ordres  (jussu)  et  par  l'entremise  de 
son  lieutenant  Labienus.  La  découverte  de  cette  pièce  curieuse,  trou- 
vée, dit-on,  enfouie  en  terre,  fut  constatée  par  un  procès-verbal  au- 
thentique qu'avait  rédigé  le  médecin  du  lieu.  Ce  procès- verbal ,  en 

(2)  Voy.  les  observations  de  Caylus,  Recueil,  t.  IV, p.  404. 

(3)  Millin,  Voyage  dans  le  midi  de  la  France,  t.  ni,  p.  91,  92. 

(4)  Voy.  une  bonne  dissertation  de  M.  De  la  Saussaye  ,  sur  la  pile  de  Cinq- 
Mars  ,  dans  les  Mêm.  de  la  Soc.  des  Anliq.  de  France ,  t.  XI ,  p.  47-51». 


AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR.  427 

bonne  forme,  n'empêche  pas  que  l'inscription  ne  soit  de  toute  fausseté, 
comme  l'a  reconnu  Cay lus  lui-même  (5),  et  comme  le  reconnaîtront  tous 
ceux  qui  prendront  la  peine  d'y  jeter  les  yeux.  Il  paraît  bien  que  ce 
sont  les  moines  bénédictins  de  l'endroit  qui ,  à  une  époque  quelcon- 
que, s'étaient  amusés  à  fabriquer  cette  inscription ,  et  probablement 
une  seconde ,  trouvée  au  même  lieu ,  et  rédigée  tout  aussi  mala- 
droitement, quoique  aussi  bien  authentiquée (6). 

Je  donne  la  même  origine  à  cette  inscription  que  cite  Gruter  d'après 
Scaliger ,  comme  étant  sur  un  arc  d'Antibes  :  s.  ivlii.  caesarw. 
architectvs.  (7).  Elle  ne  peut  être  antique  :  un  érudit  du  lieu 
l'aura  fait  graver  pour  illustrer  le  monument  ;  mais ,  ne  connaissant 
pas  d'architecte  de  César,  et  craignant  de  faire  quelque  sottise,  il  a 
prudemment  désigné  le  prétendu  architecte  par  une  lettre  unique  ;  ce 
qui ,  pensait-il ,  ne  pourrait  le  compromettre  :  il  s'est  trompé,  car  la 
désignation,  parfaitement  inusitée,  est  absurde  dans  l'espèce.  Ima- 
gine-t-on  qu'un  architecte,  qui  veut  transmettre  son  nom  à  la  posté- 
rité ,  en  le  faisant  graver  sur  le  monument  qu'il  a  construit ,  se 
contente  d'une  initiale  qui  ne  pouvait  rien  apprendre  à  personne? 
M.  Raoul  Rochette  pouvait  donc  se  dispenser  de  compter  un  S. 
parmi  les  noms  des  anciens  artistes  (8). 


Depuis  la  renaissance  des  lettres,  on  vit  paraître  une  multitude  de 
monuments  faux  de  tout  genre,  inscriptions ,  médailles ,  pierres  gra- 
vées, figurines  et  ustensiles  de  bronze ,  fabriqués ,  à  l'aide  des  monu- 
ments, réellement  antiques,  qui  se  découvraient  chaque  jour.  Une 
foule  d'artistes  furent  occupés  à  profiter  de  ce  goût  pour  l'an- 
tique,  qu'avaient  éveillé  ces  découvertes  et  l'étude  des  auteurs 
classiques  grecs  et  latins.  Les  cabinets  des  curieux  se  remplirent  de 
ces  antiques  modernes,  qui  se  payaient  souvent  fort  cher,  parce  que 
l'adresse  des  faussaires,  aidée  de  la  mauvaise  érudition  du  temps ,  ren- 
dait très-souvent  la  fraude  difficile  à  reconnaître  ;  et,  maintenant  en- 
core, il  est  peu  de  collections  publiques  d'où  une  critique,  même 
indulgente,  ne  trouve  à  éliminer  plus  d'un  monument  fort  en  crédit, 
qui  n  en  est  pas  pour  cela  plus  antique. 

Cette  coupable  industrie  s'est  continuée  sans  relâche  ;  elle  est 

(5)  Caylus ,  Recueil ,  t.  III,  pi.  XLIX  ,  n°  1,  et  p.  364. 

(6)  Le  même,  p.  366. 

(7)  Gruter,  p.  594,  5. 

(8)  Lettre  à  M.  Schorn,  ou  Supplément  au  Catalogue  de  Sillig,  p.  402. 


428  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

môme  devenue  plus  florissante  que  jamais.  Le  nombre  toujours  crois- 
sant des  points  de  comparaison,  ainsi  que  l'habileté  des  faussaires  qui 
s'est  perfectionnée  de  jour  en  jour,  donnent  souvent  à  leurs  mensonges 
toutes  les  apparences  de  la  vérité.  Aussi  l'on  voit  de  grands  connais- 
seurs en  dissentiment  sur  telle  inscription,  sculpture,  médaille, 
pierre  gravée  ou  figurine ,  les  uns  la  croyant  authentique ,  les 
autres  la  déclarant  fausse,  sans  pouvoir  s'accorder  (quelquefois  la 
prévention  aidant),  parce  que  les  faussaires  n'ont  laissé  aucune 
marque  certaine  où  la  critique  puisse  se  prendre  avec  assurance.  Et 
c'est  ainsi,  par  exemple,  que  les  sculptures  et  les  inscriptions  de 
Nérac,  faites  d'hier,  ont  pendant  longtemps  trompé  des  yeux 
exercés. 

Nos  deux  pierres  sont  le  produit  d'une  semblable  fraude;  mais 
heureusement  que  l'inhabileté  des  auteurs  a  laissé  visiblement  per- 
cer le  bout  de  V  oreille;  aussi,  quoiqu'ils  se  soient  mis  sous  l'égide  de  Jules 
César ,  ce  grand  nom  ne  protégera  pas  plus  leurs  œuvres  que  celles 
des  graveurs  auxquels  on  doit  d'autres  gemmes  du  même  temps  et 
du  même  goût  ;  par  exemple  ,  deux  pierres  représentant ,  l'une  un 
aigle  sur  un  foudre  ,  avec  la  légende  ivlivs  (9)  ;  la  deuxième  ,  un 
aigle  sur  une  colonne,  qui  sépare  en  deux  le  nom  de  : 

IVL  ||  IVS 

CES  ||  AR  (10) 

Le  faussaire  ignorait  que  caesar  est  le  dernier  des  noms  où  un  Ro- 
main du  temps  aurait  mis  I'e  à  la  place  de  I'ae,  réduisant  à  cinq  let- 
tres ce  nom  illustre,  qui  n'en  pouvait  avoir  moins  de  six.  On  sait 
que,  lorsqu'on  portait  la  santé  de  l'empereur,  on  devait  remplir  six 
verres  et  non  cinq  : 

JYunc  mihi  die,  quis  erit ,  cui  te,  Calocisse,  Deorum 
Sex  jubeo  cyathos  fundere?  caesar  erit  (1 1). 

Pour  DOMiTiANVS ,  on  préparait  dix  couronnes  de  roses ,  autant 
que  de  lettres  à  son  nom  : 

Sulilis  aptetur  decies  rosa  crinibus... 

Le  faussaire,  en  écrivant  césar  ,  a  lui-même  démasqué  sa  fraude. 

(9)  Gori,  Gemm.  aslrif.  n°  Hl.Gorl.,  Cabinet  de  pierres  gravées, l  I ,  n°  13â. 

(10)  Gori,  n°  170.  Gorl.,  t.  I,  n°  157. 
<\l)  Mart.  Epigr.,  IX, 94. 


AMULETTE   DE  JULES  CÉSAR.  429 

De  même  fabrique  sont  plusieurs  autres  gemmes  qui  portent  aussi 
la  tète  de  César,  avec  divers  attributs,  parmi  lesquels  se  trouve  assez 
constamment  lelituus,  symbole  du  pontificat  de  ce  grand  homme  (1 2); 
et  d'autres  pierres  ,  dont  les  sujets  ont  été  composés  avec  des  mé- 
dailles de  César  et  d'Auguste. 

César  n'est  pas  encore  à  l'abri  même  des  faussaires  de  nos  jours. 
Tout  récemment  un  habile  homme  de  Sens  n  a-t-il  pas  essayé  de  nous 
tromper  par  une  inscription  en  bronze,  couverte  d'une  superbe 
patine,  obtenue  par  des  moyens  chimiques?  Ce  fabricant  aurait  pu 
faire  des  dupes,  s'il  avait  su  un  peu  plus  de  latin  et  d'histoire.  Depuis 
cette  mésaventure ,  l'inscription  de  César  et  les  ustensiles  si  bien 
patines  n'ont  plus  osé  se  produire. 

Mais  ce  nom  illustre  n'est  pas  le  seul  dont  les  faussaires  de  ce 
temps-là  et  du  nôtre  aient  abusé  ;  tout  nom  romain  un  peu  célèbre 
leur  a  paru  de  bonne  prise.  On  voit ,  sur  une  agate  donnée  pour 
antique  ,  Mutius  Scevola  ,  armé  de  pied  en  cap ,  qui  met  hardiment 
sa  main  dans  un  brasier.  Au-dessus  de  sa  tête ,  entre  deux  étoiles , 
est  le  signe  moderne  de  Mars  <f ,  qui  orne  aussi  X amulette  de  César 
et  le  cachet  de  Sepùllius  ;  c'est  là  un  symbole  du  courage  martial  de 
Mutius  Scévola  ;  ce  qui  forme  un  très-joli  jeu  de  mots  tout  à 
fait  dans  le  goût  antique  (13).  Sur  une  autre  pierre  se  lisent 
les  noms  de  marc,  antonivs  et  de  cleopatra  (14);  alliance  un 
peu  mieux  assortie  que  celle  de  cleopatra  et  d'ALEXANDER,  que  j'ai 
déjà  signalée  sur  une  pierre  du  cabinet  des  antiques ,  qui  doit  être 
mise  au  rang  des  fausses  (15).  Faut-il  citer  encore  un  beau  profil  de 
Néron  (16);  puis  les  portraits  de  Néron  et  d'Agrippine(17)  ;  de 
Claude (18),  de  Sabine (19),  d'Adrien (20),  d'Antonin(21),  l'apo- 
théose deLucius  Verus(22),  Cléopâtre  piquée  au  sein  par  l'aspic  (23); 
et  cette  jolie  femme  qu'on  a  voulu  faire  passer  pour  Anna  Lucilla; 
femme  de  Lucius  Verus,  en  écrivant,  autour  de  la  tête ,  lvcilla  av- 

(12)  Gorl.,t.  I,  n°  3,  50;  11,81,  138. 

(13)  Id.,  t.  I ,  n°  14.  Cf.  nJ  182  ;  t.  II ,  n°*  206,  207. 

(14)  Gori,  Gemm.  aslrif.,  n°  172. 
(16)  Plus  haut,  p.  262. 

(16)  Gorl.,t.  I,n°201. 

(17)  Id.,  t.  I,  n°lll. 

(18)  Id.,  t.  II,  n°138. 

(19)  Id.y  t.  II,  n<>  33,  34. 

(20)  Id.,  t.  II,  n°«  177,269. 
(31)  Id.,  t.  II,n°270. 

(22)  Id.,  t.  II  ;  n°  464. 
(:>3)  Id.,  t.  II,  DM 46. 


430  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

gvsta  virgo  (24).  Enfin,  parlerai-je  du  disque  en  marbre  publié  par 
Caylus,  sur  lequel  se  voit  une  tête  de  femme  couverte  du  plus  beau 
casque  de  style  florentin  qu'il  soit  possible  de  voir,  et  entourée  de  la 
pompeuse  inscription  :  zenobia-oîuentis  domina  (25).  Malgré  l'au- 
torité de  Caylus ,  qui  croit  le  médaillon  antique ,  mais  des  dernier* 
temps  de  la  Grèce,  l'auteur  de  Y  Iconographie  grecque  et  romaine  a 
eu  le  mauvais  esprit  de  ne  pas  y  puiser  un  portrait  authentique  de  la 
fameuse  reine  de  Palmyre,  d'autant  plus  précieux  et  nécessaire  ,  que 
les  médailles  font  connaître  bien  imparfaitement  la  figure  de  cette 
mmtresse  de  V Orient.  Or.  nous  voyons  ici  quelle  avait  un  gros  œil 
à  fleur  de  tète,  comme  Pallas  J3ou7rcç,  le  nez  retroussé  à  la  Roxelane, 
et  la  bouche  en  cœur  ;  ce  qui  est  bon  à  savoir. 

Outre  ces  noms  célèbres ,  les  faussaires  ne  dédaignaient  pas  de 
prendre  des  inscriptions  romaines  insignifiantes ,  mais  à  leur  conve- 
nance ,  et  qu'ils  croyaient  propres  à  donner  du  prix  à  des  ustensiles 
de  leur  façon  :  tels  sont  deux  petits  vases  de  bronze  (  que  d'autres  di- 
raient des  OEnochoè)  absolument  semblables  de  forme ,  de  grandeur 
et  de  patine,  portant  tous  deux,  sur  la  panse,  cette  inscription  latine, 
dont  les  lettres  sont  en  relief: 

IVLIO.   GRATO 

FVLVIA.    MESTISS. 

SOROR.    L.   C. 

L'inscription  funéraire  f  originale,  copiée  par  notre  vascularius ,  por- 
tait F.  ou  p.  c.  ;  mais,  ne  distinguant  pas  la  première  lettre,  il  aura  fait 
du  F  un  l,  qui  ne  signifie  rien  avant  le  c  (26).  Ces  deux  vases  ont  été, 
à  bon  droit,  relégués  au  rebut  par  les  conservateurs  du  Cabinet  des  An- 
tiques, avec  d'autres  ustensiles  (27)  de  même  aloi,  parmi  lesquels  je 
citerai  (parce  qu'on  l'a  publié  comme  antique  (28))  un  coffret  votif  en 
plomb,  coulé  d'après  un  modèle  bien  travaillé ,  orné  avec  élégance  et 
recherche,  œuvre  de  quelque  artiste  florentin  assez  habile;  sur 
le  couvercle  sont  les  sept  planètes ,  figurées  par  sept  étoiles  ;   sur 

(24)  Gorl.,  t.  I,  no  212. 

(25)  Recueil,  t.  VI ,  pi.  45,  p.  157. 

(26)  Cette  même  inscription,  copiée  en  camée,  a  passé  de  la  collection  Van-Hoorn 
au  cabinet  de  la  Haye. 

(27)  Il  est  bon  que,  dans  un  cabinet  d'antiquités,  on  possède  au  moins  un  échan- 
tillon de  chacun  des  objets  que  produit  l'industrie  des  faussaires.  Ce  sont  des  points 
de  comparaison  utiles  pour  aider  à  découvrir  leurs  fraudes ,  trop  souvent  difficiles 
à  discerner. 

(28)  Dans  l'Encyclopédie  du  XIX*  $iècle  au  mot  Reprêteniations  zodiacales. 


AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR.       »      431 

l'une  de  ses  grandes  faces  est  une  inscription  latine,  en  relief,  de 
sept  lignes,  qui  annonce  l'intention  d'exprimer  une  dédicace  au  favori 
d'Adrien,  Antinous,  car  elle  commence  par  div.  antino.  her.  sac. 
Mais  le  reste  est  composé  de  mots  tronqués  mis  au  hasard,  sans 
suite  et  dénués  de  sens.  Sur  l'autre  face,  est  un  beau  médaillon 
d'Antinous,  entouré  des  lettres  div.  antino.  hero.,  et  dont  l'enca- 
drement circulaire  renferme  les  douze  signes  du  zodiaque ,  à  l'imi- 
tation des  médailles  où  l'on  voit  un  empereur  ou  Sérapis  ainsi 
entouré,  dont  une  est  déjà  publiée  dans  le  Voyage  de  Spon  (29),  où 
notre  faussaire  a  pu  la  voir. 

J'insiste  un  peu  sur  ce  coffret  d'Antinous,  parce  qu'il  montre 
combien  les  faussaires  étaient  attentifs  à  corhbiner  toutes  les  cir- 
constances propres  à  donner  du  relief  et  par  conséquent  du  prix  à 
leurs  inventions.  Remarquez,  en  effet,  quelle  serait  la  rareté  de 
ce  coffret  en  plomb,  s'il  était  vrai!  La  forme,  la  matière,  qui  n'est 
jamais  employée  pour  un  tel  objet,  les  sculptures,  le  zodiaque,  les 
inscriptions ,  le  choix  du  héros  Antinous ,  dont  le  nom  ne  se  montre 
jamais  sur  les  médailles  romaines  (30),  et  une  seule  fois  dans  une 
inscription  latine  (31),  tout  concourrait  à  faire  de  ce  coffret  un  mo- 
nument du  premier  ordre,  unique  en  son  genre.  Du  même  genre, 
sont  les  quatre  petits  cailloux  roulés  (32) ,  de  l'espèce  de  ceux  qu'on 
trouve  dans  le  Rhône,  sur  lesquels  ont  été  gravés,  1°  l'inscription 
divvs.  avgvstvs.  et  imp.  nerv.  cae.  avg.  rest.  copiée  d'une 
médaille  de  restitution  (33).  Le  faussaire  était  loin  de  se  douter  combien 
devait  paraître  merveilleuse,  gravée  sur  une  pierre,  la  médaille  d'Au- 
guste, restituée  par  Nerva.  S'il  l'avait  su,  il  aurait  évité  le  danger 
de  rendre  sa  pierre  trop  rare;  2°  une  formule  propitiatoire  en  grec; 
3°  une  invocation  ;  4°  un  fragment  d'une  lettre  des  empereurs 
Valentinien  et  Valens,  où  la  date  est  exprimée  en  chiffres  arabes  (!) 
18  Kalend.  Febr.  De  tels  cailloux,  selon  la  remarque  de  Caylus, 
ne  se  trouvent  qu'en  France.  «  A  quel  dessein ,  dit-il ,  sont-ils 
«  chargés  d'inscriptions  en  latin  et  en  grec?  (34)  »  Faut-il  le  de- 
mander? Évidemment  pour  donner  une  grande  valeur  à  des  cailloux 
qui  n'en  avaient  aucune.  Pour  ce  but,  toute  invention  semblait 
bonne.  On  n'en  savait  pas  assez  pour  être  timide. 

(29)  T.  III,  p.  191,  éd.  de  1678,  t.  I,  p.  358,  éd.  de  1724. 

(30)  Eckhel ,  Doct.  numm.,  VI ,  p.  530. 

(31)  Orelli,  n°  823.  Encore  cette  inscription  unique  me  parait-elle  suspecte. 

(32)  Caylus,  Recueil,  t.  IV,  pi.  10G. 

(33)  Lebeau  ,  Mèm.  de  VAcad.y  t.  XX  ,  p.  384  ,  335. 

(34)  Caylas  ,  t.  IV,  p.  339. 


432  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Le  même  caractère  distingue  Yamulette  de  César  et  le  cachet  de 
Sépuliius  Macer  qui,  s  ils  étaient  vrais,  seraient,  comme  je  l'ai  dit, 
les  premières  pierres  gravées  du  monde,  par  leur  importance  his- 
torique. 

Il  en  faut  dire  autant  d'un  sabre  ou  coutelas  votif  de  Vespasien, 
que  M.  Raoul  Rochette  a  fait  connaître,  par  une  dissertation  spéciale, 
accompagnée  d'un  dessin  exact  (35).  Cet  antiquaire  ne  doute  pas  de 
Vauthenticité  de  cette  arme  votive  ;  selon  lui ,  «  le  travail  seul  suffirait 
«  pour  attester  qu'il  appartient  à  une  assez  haute  époque  de  Tempire, 
«  quand  bien  même  Yinscriplion  qui  se  lit  d'un  côté,  sur  la  plaque 
«  carrée,  qui  forme  la  partie  supérieure  de  la  lame,  n'en  fournirait 
«  pas  la  preuve  positive,  imp.  césar,  vespasianvs.  avg.  ponttf. 

«  MAX.  TRIB.    POT.    VI.    IMP.  » 

Je  regrette  d'être  encore  ici  d'un  avis  diamétralement  opposé 
à  celui  de  M.  Raoul  Rochette ,  dont  le  tact  archéologique  me  paraît 
s'être  trouvé  en  défaut  sur  ce  point,  autant  qu'à  l'égard  du  cachet 
de  Sépuliius  Macer.  J'oserai  dire  de  ce  sabre  votif  (  l'inverse  de  ce 
qu'il  en  a  dit  )  :  «  Le  travail  seul  suffirait  pour  attester  que  le 
«  sabre  est  moderne,  fabriqué  au  XVIIe  siècle,  quand  bien  même 
«  [inscription  ne  le  démontrerait  pas  sans  réplique.  » 

Dans  la  crainte  de  me  tromper,  en  me  fondant  sur  un  dessin  qui 
pouvait  être  fautif,  j'écrivis  à  M.  Balbâtre  aîné,  de  Nancy,  Je  pro- 
priétaire de  l'arme  redoutable,  pour  lui  demander  si  l'on  pouvait 
se  fier  au  dessin  publié.  11  me  répondit  affirmativement;  il  fit  plus; 
il  eut  l'extrême  bonté  de  m'envoyer  le  sabre  même  dont  la  vue  n'a^ 
fait  que  confirmer  ma  première  impression. 

Or,  comme  le  point  est  curieux  et  très-propre  à  faire  connaître  les 
procédés  des  faussaires ,  je  vais  mettre  nos  lecteurs  en  état  de  se 
former  par  eux-mêmes  une  opinion  à  ce  sujet,  en  leur  mettant  sous 
les  yeux  un  dessin  de  ce  sabre ,  dont  la  longueur  totale  est  de 
0m,505.    (V.  la  pi.  55.) 

A  ceux  de  nos  lecteurs  qui  ont  quelque  expérience  des  monu- 
ments ,  la  vue  seule  de  ce  dessin  en  apprendra  plus  que  je  ne 
pourrais  ici  leur  dire  en  beaucoup  de  paroles.  La  forme  de  la  lame , 
de  la  garde,  de  la  poignée  (36);  les  ornements  mesquins  et  sans 

(35)  Dans  les  Mém.  de  la  Société  royale  des  Antiquaires  de  France,  t.  XI, 
p.  346  etsuiv.  Paris,  1837. 

(36)  La  garde  est  ornée  de  chaque  côté  d'un  bœuf  d'un  fort  mauvais  travail;  elle 

« 


AMULETTE  DE   JULES   CÉSAR.  433 

goût  qui  entourent  la  poignée,  tout  décèle  à  l'œil  le  moins  exercé 
une  fabrication  moderne.  Que  sera-ce ,  quand  on  saura  que  le  sabre 
a  été  fondu  tfune  seule  pièce ,  lame,  garde  et  poignée? 

Quant  à  l'inscription,  elle  ne  peut  supporter  l'examen;  tout  la 
condamne,  la  forme  des  lettres,  leur  relief,  leur  disposition,  mais 
surtout  l'orthographe  et  la  ponctuation ,  avant  même  qu'une  étude 
plus,  attentive  n'y  découvre  des  preuves  certaines  de  fausseté. 

M.  R.  R.  croit  «  qu'un  gladiateur  émérite,  missus,  ou  bien  quelque 
«  chasseur,  vieilli  dans  les  hasards  d'un  exercice  cher  à  nos  ancêtres, 
<(  a  consacré  cette  arme  à  Diane.  Entre  ces  deux  suppositions ,  je 
«  pencherais  davantage  pour  la  seconde ,  qui  s'accorde  mieux ,  ce 
«  me  semble,  avec  le  mérite  d'art  et  avec  l'exécution  soignée  du  mo- 
rt nument  qui  en  est  l'objet  (37).  » 

Il  est  fâcheux  pour  le  docte  antiquaire,  qu'il  n'ait  pas  même 
essayé  de  construire  la  phrase  de  l'inscription,  qu'il  a  transcrite,  de 
sa  main  ;  car  il  aurait  renoncé  à  l'une  et  à  l'autre  de  ses  deux  con- 
jectures, qu'elle  repousse  également.  Il  lui  suf6sait  de  remarquer 
qu'il  n'y  a,  ni  imp.  caesare.  vespasiano,  ni  pro.  salvte.  imp. 
caes.  vespasiani.  ;  il  y  a  imp...  vespasianvs.;  en  sorte  qu'on  ne  peut 
traduire  autrement  que  :  l'empereur  Vespasien...  à  Artemis  Oritène, 
C'est  donc  l'empereur  lui-même  qui  dédie  le  sabre  à  la  déesse. 

Or,  voyez  la  conséquence  d'une  première  erreur:  ce  sabre  ou  coutelas 
recourbé ,  inusité  chez  les  Romains  ,  comme  arme  de  guerre ,  ne  ser- 
vait qu'aux  combats  de  gladiateurs,  sous  le  nom  de  sica  ou  harpe; 
M.  R.  R.  avait  donc  fait  une  conjecture  raisonnable,  en  présumant 
que  l'arme  fut  dédiée  par  un  gladiateur  émérite;  mais,  du  moment  que 
l'auteur  de  la  dédicace  est  Vespasien ,  il  devient  inexplicable  que  l'em- 
)ereur  eût  dédié  un  sabre  gladiatorial.  Voilà  ce  que  le  faussaire  ne 
savait  pas  ;  autrement ,  ou  il  aurait  donné  une  autre  forme  à  la  lame 
de  son  coutelas,  ou  il  aurait  choisi  un  autre  consécrateur  qu'un  em- 
>ereur  romain.  C'est  ce  qu'aurait  compris  sans  doute  M.  R.  R.  lui- 
lême ,  s'il  avait  remarqué  le  nominatif  vespasianvs,  dans  l'inscrip- 
tion qu'il  copiait  de  sa  main;  mais,  par  malheur,  il  aura  suivi 
l'exemple  de  ce  prudent  expéditionnaire  qui,  en  transcrivant  les  pièces 
[u'on  lui  confiait,  poussait  la  discrétion  jusqu'à  ne  pas  les  lire. 

se  termine  par  une  tête  d'animal  que  M.  R.  R.  croit  être  une  brebis.  «  Ce  sont , 
«  dit-il ,  les  deux  victimes  qu'il  était  d'usage  d'offrir  dans  les  sacrifices  romains 
«  (p.  351  ).  »  Par  malheur  pour  cette  explication ,  la  tête  de  brebis  est  une  tête  de 
cheval,  d'une  exécution  détestable.  Le  savant  qui  dirigeait  l'artiste  aura  choisi  la 
tète  de  cheval  comme  symbole  de  guerre, 
(37)  Aléinoirc  cité  ,  p.  356. 


434  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Remarquons  que,  d'après  le  sens  indubitable  de  l'inscription,  le 
sabre  devient  bien  plus  rare  et  précieux  que  ne  l'a  cru  M.  le  conser- 
vateur du  Cabinet  des  Antiques.  On  peut  dire  même  qu'à  raison  de  son 
caractère  historique ,  c'est  le  plus  précieux  ustensile  en  bronze  qui 
etiste.  Maintenant,  il  est  à  peine  nécessaire  d'ajouter  que  le  mérite 
d'art  attribué  par  M.  R.  R.  à  ce  sabre,  fondu  d'une  seule  pièce,  est 
réellement  si  mince,  et  l'exécution  en  est  si  peu  soignée  (38),  quoi 
qu'il  en  dise,  qu'on  serait  bien  surpris  que  l'empereur  Vespasien  eût 
dédié  dans  un  temple,  un  aussi  pauvre  ustensile  ,  qui  n'est  pas  plus 
impérial  par  le  travail  que  par  la  forme  ;  à  moins  qu'on  ne  trouve 
là  urte  preuve  de  l'avarice  proverbiale  de  cet  empereur.  C'est  une 
défaite  que  je  suggère. 

Je  ferais  injure  à  mes  lecteurs ,  si  je  les  arrêtais ,  en  détail ,  devant 
les  preuves  de  fausseté  qui,  dans  l'inscription ,  trahissent  la  main 
du  faussaire.  J'en  citerai  trois  qui  me  dispenseront  des  autres. 

1°  Le  mot  césar,  pour  caesar.  J'ai  déjà  dit  ce  qui  condamne 
décidément  cette  orthographe,  qui  n'a  pu  sortir  que  d'une  main 
moderne,  italienne  ou  française.  M.  R.  R.  croit  la  faute  due  à 
\ inadvertance  du  graveur,  comme  on  en  a  tant  à" exemples  (39).  Il  n'y  a 
nul  exemple  de  césar  pour  caesar,  surtout  dans  les  monuments  du 
haut  empire  ;  et  la  faute  serait  principalement  inexplicable  sur  un 
ustensile  dédié  par  l'empereur  lui-même  ou  par  son  ordre. 

2°  Le  faussaire  n'a  pas  mis  de  chiffre  après  imp.  ,  quoique  ce 
chiffre  fût  indispensable ,  et  que  la  place  ne  manquât  pas  pour  le 
recevoir;  mais  il  n'a  pas  osé  l'exprimer,  parce  que  l'inscription  qu'il 
copiait  était  mutilée  en  cet  endroit.  Or,  ne  sachant  pas  quel  chiffre 
impératorial  pouvait  répondre  à  la  VIe  puissance  tribunitienne ,  il 
a  craint  de  se  fourvoyer  en  mettant  un  chiffre  pour  un  autre.  Il 
s'est  abstenu ,  comme  le  prétendu  architecte  de  César,  qui  n'a  osé 
mettre  que  X initiale  de  son  nom.  C'est  avec  cette  prudence  qu'agis- 
saient en  pareil  cas  les  faussaires  embarrassés.  Et  celui-ci  en  donne 
une  seconde  preuve  bien  évidente,  dans  l'inscription  de  l'autre  côté. 

(38)  n  n'y  a  de  passable  que  l'extrémité  de  la  poignée ,  qui  consiste  en  une  tête 
d'aigle  d'assez  bonne  forme,  qui  me  paraît  avoir  été  moulée  sur  un  original  inconnu, 
analogue  à  la  poignée  en  ivoire  conservée  au  musée  de  Naples ,  publiée  dans  le 
Museo  Borbonico  (t.  V,  pi.  29,  4)  ;  le  savant  interprète,  M.  Avellino,  rappelle  fort 
à  propos  un  passage  du  romancier  Héliodore  (rà  h*<è*)/**v  HN  )*ZZi  Û«¥*l  rt<  «£ràv 
i/.rtrépvzvTou ,  ^Elhiop.  II,  11),  que  notre  faussaire  a  pu  connaître  par  la  traduction 
d'Amyot.  La  tête  d'aigle  est  trop  petite  et  mnl  emmanchée  ;  mais  il  n'avait  rien 
de  mieux.  Quant  a  la  petite  figure  et  à  la  tête  de  profil,  elles  auront  été  prises  de 
quelque  pierre  antique,  dont  il  aura  introduit  une  empreinte  dans  son  moule. 

(39)  Mémoire  cité,  p.  347. 


AMULETTE  DE  JULES  CÉSAR.  435 

3°  Car  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  c'est  le  nom  de  la  divinité, 
écrit  en  grec  avec  lettres  latines,  ARTEMIAI  OREIT...  La  Diane  Ori- 
tène  ou  montagnarde,  n'est  jusqu'ici  connue  que  par  une  médaille  et 
une  inscription  de  Thyatira.  Sur  la  médaille,  le  nom  est  écrit 
BOPEITHNH,  sur  l'inscription  publiée  par  Pococke  et„Peysso- 
nel,  OREITHNH,  ce  qui  revient  au  même,  comme  l'a  bien  vu 
Eckhel  (40). 

Maintenant,  par  quelle  bizarrerie  l'empereur  Vespasien ,  à  la  suite 
de  ses  nom  et  titre  en  latin,  aurait-il  fait  mettre  celui  de  la  déesse  en 
grec,  ARTEMIAI  OREIT...  au  lieu  de  Dianœ  montanœ  (41) ,  qui  en 
est  la  traduction ,  ou  tout  au  moins  de  dianae  oritene  ? 

M.  R.  R.  prétend  qu'il  y  a  des  exemples  de  cette  bizarrerie.  Il  ne 
pourrait  citer  que  le  mélange  de  quelques  lettres  grecques  parmi  des 
latines,  ou  du  latin  en  lettres  grecques,  et  vice  versa;  mais  un 
exemple  comme  celui  ci,  où  une  dédicace  toute  latine  finit  par  du 
grec  en  caractères  latins,  il  n'en  trouvera  pas.  Celui-ci  principale- 
ment est  impossible ,  le  monument  émanant  de  l'empereur  Vespa- 
sien ,  et  étant  dédié  par  lui-même  ou  par  son  ordre. 

D'un  autre  côté ,  pourquoi  s'est-on  arrêté  au  T,  et  n'a-t-on  pas 
donné  le  nom  entier  oreitene,  au  lieu  de  oreit....,  quand  on 
avait  la  place  nécessaire  pour  acbever  le  mot?  C'est  évidemment 
parce  que,  dans  l'inscription  que  l'on  copiait,  l'épithète  n'était  pas 
entière  ,  et  qu'on  ne  savait  comment  la  compléter. 

Ceci  montre  que  le  faussaire  n'a  pu  tirer  ce  mot  ni  de  Pococke, 
ni  de  Peyssonnel  (42) ,  qui  donnent  le  nom  entier  APTEMIAI 
OPEITHNH-  Il  l'a  pris  certainement  de  Spon,  qui,  dans  ses 
Miscellanea,  et  dans  son  Voyage,  cite  les  deux  mots,  comme  les  a 

(40)  Doct.  Num.,  III ,  121.  Il  est  à  remarquer  toutefois  que  ,  tandis  que  Spon  , 
Smith,  Pococke  et  Peyssonnel  s'accordent  pour  lire  OPEITHNH  dans  l'inscription, 
Sherard,  qui  l'a  aussi  copiée,  donne  BOPEITHNH,  comme  sur  la  médaille,  leçon 
que  M.  Bœckh  a  préférée.  {Corp.  ïnsc.  n°  3477).  Au  reste,  elles  reviennent  au 
même  et  ne  diffèrent  que  par  l'aspiration.  Ainsi  B1EP06E0S  sur  une  médaille  d'Ol- 
biopolis  ,  est  pour  IEPO0EOS  ÇUpôBeoi). 

(41)  Une  Diana  montana  paraît  n'avoir  pas  été  connue  des  Romains.  Il  n'en 
est  question  nulle  part.  Durandi  a  voulu  introduire  ce  nom  dans  une  inscription 
latine  (Dissert,  degli  antichi  cacciatori,  p.  2;  mais  ce  n'est  qu'une  correction 
que  n'admettent  ni  Marini  (Frat.  Arv.,  p.  302),  ni  Orelli  (n°  1462). Tout  annonce 
qne  la  Diane  Orilenè  ou  montagnarde,  était  une  divinité  locale  à  Thyatira  Ce  qui 
rend  tout  à  fait  singulière  cette  grande  dévotion  de  Vespasien  ;  mais  nous  ne 
devons  pas  nous  embarrasser  d'un  caprice  de  faussaire. 

(42}  Pococke ,  Insc.  ant. ,  p.  39 ,  3.  1752.  Peyssonnel,  Voyage  à  Thyatira, 
p. 253,  1765. 


436  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

écrits  l'auteur  du  sabre  ,  APTEMIAI  OPE1T...,  avec  les  trois  points 
qui  indiquent  que  le  mot  n'est  pas  fini;  mais  le  faussaire  a  cru  niai- 
sement que  ces  points  faisaient  partie  du  mot,  et  il  les  a  fidèlement 
reproduits. 

On  peut  se  demander  pourquoi  Spon ,  ayant  écrit  APTEMIAI 
OPEIT. . .  l'auteur  du  sabre  a  substitué  les  R  aux  P ,  et  écrit  ARTEMI  Al 
OREIT...  Le  fait  s'explique  facilement.  Dans  les  Miscellanea  (43)  et 
dans  la  première  édition  du  Voyage  (1678) ,  les  deux  mots  sont 
écrits  en  grec;  mais,  dans  l'édition  de  1679  et  celle  de  Hollande, 
1724  (44),  ils  sont  écrits  justement  ARTEMI  Al  OREIT...,  avec  une 
seule  lettre  grecque ,  a  >  °,ui  est  aussi  de  plus  petit  corps  que  les 
autres  lettres  du  mot  ;  et  si  le  faussaire  l'a  mise  un  peu  plus  bas , 
c'est  probablement  parce  que,  dans  l'exemplaire  qu'il  copiait,  la 
lettre  avait  glissé  et  était  descendue  (45).  C'est  donc  l'une  des  deux 
éditions  de  1679  ou  de  1724  que  le  faussaire  avait  sous  les  yeux;  ce 
qui  donne  une  limite  supérieure  pour  l'époque  de  la  fabrication  de 
cet  antique  moderne. 


C'est  ainsi  que  ces  faussaires  ont  presque  toujours  travaillé.  Ils 
s'environnaient  d'une  érudition  à  bon  marché,  que  le  plus  souvent  ils 
ne  comprenaient  pas  ;  et  elle  leur  plaisait  d'autant  plus  qu'elle  leur 
paraissait  plus  abstruse.  C'est  le  cas,  comme  nous  Talions  voir,  des 
graveurs  du  prétendu  amulette  et  du  cachet  de  Sépullius  Macer. 

Mais  que  nos  lecteurs  nous  permettent  encore  deux  exemples  ,  qui 
contribuent  à  prouver  combien  il  importe  de  regarder  de  près  les  an- 
tiques qu'on  vous  présente. 


Il  y  a  quelques  mois,  un  de  mes  amis,  mon  confrère  à  l'Académie 
des  Inscriptions  et  Belles-Lettres ,  me  parla  d'un  amateur  étranger 
qui  possédait  une  admirable  figurine  en  bronze,  représentant  le 
groupe  du  Laocoon.  A  la  manière  dont  on  m'en  parla,  ma  curiosité 

(43)  P.  88. 

(44)  T.  I,p.  311. 

(45)  Dans  la  nouvelle  édition  du  Thésaurus  (t.  VI,  p.  2162  ,  A  ),  on  cite  OPEIT. 
d'après  Spon  ,  et  l'on  admet  le  complément  OpstTtî  {iSoç) ,  proposée  par  Koen  ,  sur 
Grég.  de  Corinthe  (  p.  307).  Le  savant,  éditeur  n'a  pas  remarqué  que  le  mot  est  en- 
tier dans  l'inscription  de  Peyssonnel  et  sur  la  médaille,  OPE1THNH  et  BOPE1TILM1  ;  et 
qu'en  conséquence  la  leçon  OPEITIZ  ne  devait  pas  être  admise. 


AMULETTE   DE   JULES  CÉSAR.  437 

fut  très-éveillée  ;  car  ce  ne  devait  pas  être  moins  qu'un  pendant  à  cette 
admirable  figurine  en  bronze,  qui  rappelle  (malgré  quelques  diffé- 
rences) le  sphériste  ou  héros  combattant  d'Agasias.  On  sait  que  cette 
figurine,  qui  pourrait  être  la  perle  de  tout  musée,  est  à  présent  recluse 
dans  le  cabinet  Blacas,  d'où  elle  passera  peut-être  à  l'étranger  un  jour 
ou  l'autre;  tandis  qu'elle  devrait  faire  l'ornement  perpétuel  du  musée 
de  Lyon;  ce  qui  aurait  eu  lieu  certainement,  si  le  conservateur, 
excellent  homme  d'ailleurs,  n'avait  pas  été  possédé  de  la  manie  (déplo- 
rable dans  un  conservateur)  d'avoir  une  collection  particulière ,  qu'il 
aimait,  choyait  et  nourrissait  avec  autant  de  sollicitude,  pour  le 
moins,  que  la  collection  publique  confiée  à  sa  garde  (46). 

Pour  en  revenir  au  Laocoon ,  comme  j'avais  témoigné  un  vif  désir 
de  le  voir,  mon  confrère  m'amena,  il  y  a  peu  de  temps,  l'amateur  étran- 
ger, qui  m'apportait  le  précieux  antique.  Lorsqu'on  l'eut  tiré  de  son 
enveloppe ,  à  peine  y  avais-je  jeté  les  yeux ,  que  je  m'écriai  :  «  //  est 
moderne  !  —  Et  pourquoi  donc  moderne?  — Je  n'ai  pas  besoin,  dis-je, 
de  m'arrêter  sur  la  patine,  ni  sur  d'autres  détails  suspects ,  tels  que  la 
maigreur  et  la  sécheresse  du  faire;  il  me  suffit  de  voir  la  pose  tour- 
mentée de  ces  deux  pauvres  petits  hommes ,  pour  y  reconnaître  l'exa- 
gération florentine ,  et  être  sûr  que  j'ai  devant  les  yeux  l'œuvre  de 
quelque  artiste  italien  du  XVIIe  siècle,  qui,  mécontent  des  fils  de 
Laocoon,  aura  voulu  faire  mieux  que  l'antique,  en  donnant  à  leur  dou- 
leur une  expression  plus  poignante.  Ne  dirait-on  pas  qu'il  s'est  inspiré 
de  quelque  tableau  ou  dessin  représentant  l'horrible  supplice  d'Ugo- 
linoet  de  ses  malheureux  enfants,  qui  se  tordent  autour  de  leur  père 
dans  les  angoisses  de  la  faim?  »  (V.  la  pi.  56.) 

L'amateur,  qui  est  homme  d'esprit ,  bien  loin  de  se  fâcher  de  ma 
franchise ,  me  laissa  le  bronze  pour  que  je  pusse  l'examiner  plus  à 
loisir.  Quelques  jours  après ,  M.  J.  J.  Dubois ,  connaisseur  d'autant 
plus  sûr  qu'il  est  dessinateur  excellent ,  vit  le  Laocoon  chez  moi  ;  il 
en  porta  le  même  jugement,  et,  le  lendemain,  il  m'écrivit  la  lettre 
instructive  que  je  mets  en  note  (47).  Les  antiquaires  seront  édifiés 
sur  Xhistoire  de  cet  antique  moderne. 


(46)  Voy.  mes  observations  sur  celle  manie ,  Revue,  t.  II ,  p.  T56. 

(47)  «  Vous  avez  parfaitement  jugé  le  nouveau  Laocoon.  C'est  tout  ce  qu'il  y  a  de 
moins  antique.  Je  ne  me  trompais  pas  moi-même ,  quand  je  lui  ai  trouvé  tout  de 
suite  un  petit  air  de  connaissance.  L'original ,  en  effet,  a  appartenu  autrefois  à  M.  de 
Smeth  ,  amateur  hollandais,  qui  possédait  aussi  une  suite  de  pierres  gravées,  bonnes 
et  mauvaises ,  dont  Gori  a  publié  les  figures  et  la  description. 

«  Quant  au  bronze  sur  lequel  le  vôtre  a  été  moulé,  il  avait  attiré  l'attention  du 
sculpteur  Falconet  qui  le  vit  à  son  passage,  à  Amsterdam ,  et  qui  n'hésitait  pas  â  le 


438  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Au  reste,  les  auteurs  de  ces  bronzes  n'ont  pas  toujours  eu  l'inten- 
tion de  frauder.  Quand  ils  n'ont  pas  rais  de  ces  inscriptions  préten- 
dues antiques,  qui  prouvent  cette  intention,  on  peut  croire  qu'ils 
n'ont  voulu  que  reproduire  un  modèle  qui  leur  plaisait,  le  modifiant 
à  leur  guise  ou  le  copiant  avec  fidélité.  Ce  sont  les  brocanteurs  qui , 
plus  tard,  pour  en  rehausser  le  prix,  les  patinent  et  les  donnent  pour 
antiques. 

Je  croirais  que  notre  Laocooncino  est  de  ce  genre ,  de  même  que  le 
vase  de  Lysippe,  qui  fit  tant  de  bruit,  il  y  a  quelques  années,  dans  le 
monde  archéologique,  et  dont  je  vais  donner,  en  peu  de  mots,  l'his- 
toire assez  peu  connue  : 

Dans  la  collection  d'antiquités  rapportée  par  M.  Mimaut,  consul 
général  d'Alexandrie,  se  trouvait  un  superbe  vase  en  bronze  qu'il 
disait  avoir  vu  lui-même  retirer  d'une  fouille  à  Sais ,  circonstance 
qui  repose,  quant  à  présent,  sur  son  unique  témoiguage.  Il  lui 
donnait  le  nom  pompeux  de  vase  de  Lysippe,  le  croyant  une  œuvre 
de  ce  sculpteur  privilégié  d'Alexandre.  Il  l'estimait  200,000  fr. ,  et  ce 
n'était  pas  trop  cher  pour  un  vase  de  Lysippe.  A  sa  mort,  la  collec- 
tion dut  être  mise  en  vente.  M.  Dubois  fut  chargé  d'en  dresser  le 
catalogue  ;    on  ne  pouvait  mieux  s'adresser.  Quant  au  vase  de 

croire  antique  et  supérieur  même  de  composition  au  groupe  célèbre  conservé  au 
Vatican.  Cette  opinion  particulière  d'un  homme  qui  n'avait  pas  étudié  l'antique  , 
ne  mérite  aucune  attention.  (  Voy.  Falconet,  OEuvres  diverses,  III,  p.  284).  Il  y 
a  là ,  comme  vous  l'avez  très-bien  vu,  un  florentinisme  évident.  J'ignore  tout  à  fait 
ce  qu'est  devenu  le  bronze  de  Falconet  ;  tout  ce  que  je  puis  dire ,  c'est  qu'il  a  dû 
être  moulé ,  il  y  a  quelque  trente  ans,  époque  où  ses  reproductions,  assez  bien  pa- 
linées,  ont  commencé  à  paraître  chez  nos  marchands  et  à  s'introduire  chez  quelques 
amateurs.  Le  sculpteur  Ruxthiel  en  avait  un  qui  a  été  vendu  avec  le  reste  de  ses 
curiosités. 

«  Le  sujet  si  tragique  de  la  mort  de  Laocoon  avait  été  traité  par  d'autres  artistes 
que  les  trois  fameux  Rhodiens.  Voici  la  liste  assez  complète  de  ce  qui  nous  est  resté 
de  ces  divers  ouvrages  : 

«  1.  Le  groupe  du  Vatican. 

«  2.  Grande  tête  et  débris  de  serpents ,  trouvés  derrière  le  palais  Farnèse ,  au- 
jourd'hui au  Museo  Rorbonico. 

«  3.  Tête ,  appartenant  au  comte  Litta ,  à  Milan  ;  gravée  dans  Y  Histoire  de  l'Art, 
de  Winckelmann.  Édition  de  Jansen,  II ,  p.  309. 

«  4.  Tête ,  qui  appartenait  au  cardinal  Maffei  (Voy.  Aldovrandi,  Statue di  Roma, 
p.  241). 

«  5.  Tête ,  au  musée  de  Leyde  {Mon.  ant.  inéd.  de  l'inst.  arch.,  pi.  41  ). 

«  C  Tête,  chez  le  duc  d'Aremberg  ,  à  Rruxelles  (est-elle  antique?;. 

«  7.  Le  sujet  entier  sur  une  médaille  de  Lampsaque. 

«  $.  Le  même  sujet  parmi  les  peintures  du  Virgile  du  Vatican. 

«  Les  pierres  gravées  connues  qui  représentent  la  même  scène  sont  toutes  modernes. 

«  J.  J.  DUBOIS,  i 


AMULETTE   DE  JULES  CÉSAR.  439 

Lysippe,  la  famille  désira  que  M.  de  Clarac,  M.  Dubois  et  moi,  le 
vissions  des  premiers.  On  voulait  avoir  notre  opinion  sur  l'impor- 
tance de  cet  inappréciable  trésor. 

Le  fameux  vase  fut  déballé  et  apporté  devant  nous.  Le  premier 
aspect  lui  fut  très-favorable  ;  c'était  une  très-élégante  répétition  en 
petit  du  célèbre  vase  de  Warwick,  qui  est  en  Angleterre  ;  bien  entendu 
que  cette  répétition,  étant  de  la  main  de  Lysippe,  devait  être  l'ori- 
ginal, et  celui  de  Warwick  seulement  la  copie.  Examiné  de  plus 
près,  il  perdit  beaucoup  de  ses  avantages;  la  patine  n'en  parut 
pas  sincère,  et  le  travail,  quoique  élégant,  nous  sembla  trop  sec  et 
trop  maigre  pour  être  antique.  Toutefois,  quoique  unanimes  sur  ce 
point,  comme  notre  opinion  n'était,  après  tout,  qu'une  affaire  de  goût 
et  de  sentiment ,  nous  y  aurions  regardé  à  deux  fois  avant  de  pro- 
duire un  avis  défavorable,  dans  la  crainte  de  faire  naître  des  préven- 
tions fâcheuses,  peut-être  injustes.  Mais  voilà  qu'un  de  nous  s'avise 
(de  quoi  ne  s'avise-t-on  pas?)  d'un  de  ces  arguments  qui  coupent 
une  question  dans  le  vif  et  la  décident  sans  réplique.  Nous  avions  sous 
les  yeux  un  dessin  exact  du  vase  de  Warwick.  Or,  le  vase  de 
Lysippe  était,  dans  ses  détails ,  exactement  identique  avec  le  dessin , 
sans  qu'il  y  manquât  un  trait.  Mais  nous  savions,  et  aucun  antiquaire 
n'ignore,  que  le  vase  de  Warwick,  quand  il  fut  découvert  en  Italie, 
était  fort  mutilé  en  quelques  parties  essentielles,  et  qu'il  fut  com- 
plètement réparé  par  Cavaceppi.  11  était  donc  évident,  de  deux 
choses  l'une,  ou  que  Lysippe  avait  deviné  les  restaurations  de 
Cavaceppi ,  ou  que  le  bronze  avait  été  fabriqué  d'après  le  marbre 
antique,  lorsqu'il  eut  été  remis  à  neuf.  11  n'y  avait  plus  à  douter  que 
le  vase  de  Lysippe  n'eût  été  exécuté  depuis  cette  opération ,  acheté 
par  quelque  brocanteur ,  apporté  à  Alexandrie ,  et  enterré  à 
Sais ,  la  Yeille  du  jour  où  le  consul  général  devait  venir  visiter  les 
célèbres  ruines.  N'est-ce  pas  ainsi  que  de  nos  jours  on  retire,  de  plus 
d'un  lieu  antique,  en  Grèce  ou  en  Asie  Mineure ,  de  belles  médailles 
gravées  en  Italie  ou  à  Constantinople ,  et  qui  sont  toujours  dé- 
terrées, à  point  nommé,  devant  les  touristes  ébahis? 

Nous  présentâmes  avec  modestie  notre  petit  argument  qui  ne  fut 
pas  trop  apprécié,  encore  moins  bien  accueilli.  Nous  promîmes  le 
secret;  mais  les  antiquaires  qui  virent  ensuite  le  vase  lurent  de 
notre  avis.  Aussi,  quand,  lors  de  la  vente,  le  vase  fut  mis  sur  table 
au  prix  modeste  de  10,000  fr.,  un  plaisant  cria  10,000  sous;  et 
personne  n'enchérit.  Le  vase  fut  retiré  et  n'a  plus  reparu. 

J'espère  que  les  observations  précédentes   mettront  les  anti- 


440  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quaires  un  peu  en  garde  contre  ces  plus  ou  moins  anciens  pro- 
duits de  la  fraude  ou  de  la  cupidité,  qui  se  montrent  de  temps  en 
temps.  Si  l'on  s'était  tenu  à  ce  sujet  un  peu  plus  en  défiance,  on 
aurait  évité  la  grave  mésaventure  de  prendre  pour  antiques  des 
pièces  aussi  évidemment  fausses  que  Yamulette  de  César,  le  cachet 
deSépullius  Macer  et  le  sabre  de  Vespasien;  peut-être  aussi  que  la  fa- 
meuse controverse  sur  les  sculptures  et  inscriptions  de  Tétricus 
découvertes  àNérac,  n'aurait  été  ni  si  longue,  ni  si  vive,  et  qu'on  se 
serait  plutôt  rendu  à  l'opinion  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  qui  a  plaidé  longtemps,  en  vain,  la  cause  de  la 
raison  et  de  la  vérité  (48J. 

Je  reviens  aux  deux  pierres  ,  l'objet  spécial  de  cette  dissertation. 
A  présent,  nous  ferons  plus  facilement  apprécier  à  nos  lecteurs 
l'esprit  qui  a  présidé  à  leur  composition. 

Ainsi ,  la  pierre  dont  il  a  été  fait  ce  qu'on  a  nommé  Yamulette  de 
César,  doit  être  assez  commune  d'après  la  désignation  de  M.  Courtet 
(jaspe  rouge).  La  taille  à  six  pans ,  si  elle  n'est  pas  antique,  doit 
avoir  été  imitée  de  quelque  autre  pierre,  comme  la  pierre  gnostique 
qu'a  donnée  Gorlée  (49) ,  et  deux  autres  amulettes  en  cornaline  du 
musée  du  Louvre,  a  eu  pour  objet  de  donner  déjà  une  certaine  valeur 
à  un  morceau  qui,  par  lui-même ,  n'en  avait  guère.  Mais  l'inscription 
mem.  aeternae.  îvui.  caesaris  ,  en  faisait  décidément  un  monu- 
ment des  plus  rares.  Car  il  devenait  h  pieuse  consécration  d'un  chaud 
partisan  de  César,  qui  professait  une  sorte  de  culte  à  sa  mémoire. 
Pour  escorter  ce  nom  illustre ,  on  eut  le  soin  d'ajouter  deux  sym- 
boles, qui  s'y  rattachent  ordinairement,  h  palme  qui  rappelle  les 
victoires  du  héros  ;  le  lituus  qui  se  rapporte  à  son  pontificat. 

(48)  La  défaite  complète  de  l'empereur  Tétricus,  en  cette  occasion,  n'a  pas  em- 
pêché que  depuis  on  n'ait  encore  exploité  son  nom.  Quelque  temps  après  cette  mé- 
morable défaite,  on  produisit  une  amphore  en  forme  àcpilhos  ou  de  dolium  (trouvée, 
disait-on,  à  Nérac).  Elle  n'a  de  remarquable  qu'une  double  inscription  latine,  où 
se  montre  encore  le  nom  de  Lucius  Publius  Caïus  Tétricus.  Le  vase  lui-même 
doit  être  antique;  mais  la  double  inscription  latine,  profondément  gravée  après 
coup, des  deui  côtés,  est  de  même  fabrique  que  les  autres  inscriptions  de  Nérac. 
On  en  a  jugé  ainsi,  avec  toute  raison,  au  Cabinet  des  Antiques  où  il  a  été  offert 
et  refusé.  Heureusement  pour  le  propriétaire ,  le  vase  a  trouvé  un  asile  inespéré 
au  musée  de  Rouen ,  où  une  critique  moins  difficile  ne  s'est  pas  effrayée  des 
fautes  contre  la  langue  et  le  bon  sens  qui,  dans  celle  inscription,  trahissent  la 
main  du  faussaire.  (V.  Deville,  Précis  analytique  des  travaux  de  l'Académie  de 
Rouen,  en  1842). 

(49)  T.  II,  n°  388. 


AMULETTE   DE   JULES  CÉSAR.  441 

Mais,  comme  notre  graveur  ne  connaissait  probablement  encore 
aucune  de  ces  médailles ,  il  ignorait  que  les  artistes  romains  avaient 
représenté  la  comète  de  César  par  une  sorte  de  chevelure  placée  le 
long  d'un  des  rayons  de  l'étoile  ;  aussi  l'a-t-il  figurée  d'une  manière 
toute  fantastique,  sous  forme  d'une  belle  queue  qui  flotte  au  vent, 
comme  celle  d'un  cheval  à  tous  crins.  (V.  plus  haut,  p.  255.) 

D'une  autre  part,  les  planètes  de  Vénus  et  de  Mars  se  rapportent 
à  Jules  Éésar,  en  ce  sens  que  ces  deux  divinités,  outre  le  rôle  qu'elles 
jouaient  dans  les  traditions  sur  l'origine  de  Rome,  étaient  surtout 
vénérées  de  la  famille  Julia,  qui  prétendait  descendre  de  Vénus  par 
Énée  et  son  fils  Jule.  Mais  ici  se  montre  encore  la  fausse  érudition  de 
notre  graveur  ;  car  ce  ne  sont  pas  les  signes  planétaires  de  Vénus  et  de 
Mars  qu'un  contemporain  aurait  représentées  en  cet  endroit,  ce  sont 
les  divinités  elles-mêmes,  figurées  au  moins  en  buste.  Mais  la 
préoccupation  astrologique  du  temps  a  entraîné  l'artiste  qui,  trouvant 
plus  facile  de  graver  un  sigle  qu'une  tête,  n'était  nullement  arrêté 
par  l'objection  qu'on  pouvait  lui  faire;  car  il  était  loin  de  la  prévoir. 

Il  a  mis  pourtant  une  certaine  sobriété  dans  l'emploi  des  sym- 
boles Juliens,  car  le  champ  dont  il  disposait  en  aurait  pu  rece- 
voir bien  davantage  s'il  avait  voulu  ou  osé. 


Mais  l'auteur  du  cachet  de  Sépullius  Macer  ne  s'est  pas  montré  si 
réservé.  Avec  une  prodigalité  qui  l'a  compromis  beaucoup  plus,  il  a 
accumulé  les  symboles  sur  le  petit  ovale  de  sa  pierre,  brûlée  avant 
la  gravure  et ,  par  là ,  fort  dépréciée. 

Il  a  montré  une  érudition  qui  n'est  assurément  pas  moins  fausse 
que  celle  du  premier  graveur,  mais  qui  est  assez  étendue.  Je  soup- 
çonne qu'il  a  dû  travailler,  comme  l'auteur  du  sabre  de  Vespasien, 
sous  l'inspiration  et  avec  les  conseils  de  quelque  scholar  du  temps, 
peut-être  de  celui-là  même  qui  lui  avait  commandé  cette  œuvre  mé- 
ritoire. 

On  voit  qu'il  a  mis  à  contribution  à  la  fois  les 
auteurs  classiques  et  les  recueils ,  alors  connus , 
de  médailles  romaines.  Aussi,  la  disposition  gé- 
nérale des  symboles  et  des  inscriptions  autour 
d'un  autel ,  donne  à  la  pierre  l'aspect  de  certaines 
médailles  de  Jules  César,  qu'on  trouve  déjà  dans 
les  autres  anciens  recueils. 


m. 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

La  comète  ne  pouvait  manquer  d  y  figurer  aussi  ; 
mais  le  graveur  a  connu  une  des  médailles  où  cet 
astre  a  été  représenté;  car  la  queue  y  est  exprimée 
d'une  manière  analogue,  le  long  de  deux  branches 
de  l'étoile  ;  on  voit  cette  queue  en  haut  et  en  bas , 
formée  par  des  points  isolés  qui  ressemblent  à  des  goulles  de  pluie, 
imitation  qui  tient  à  la  difficulté  d'exprimer  avec  la  bouterolle  les 
poils  de  cette  queue  ;  ce  que  le  burin  exprimait  facilement  sur  le 
flan  de  cuivre. 

Le  lituus  et  le  signe  de  la  planète  Vénus  ornent  les  deux  coins 
de  l'autel. 

De  chaque  côté,  en  regard,  sont  les  noms  d'^NEAS  et  de  ivlvs, 
les  auteurs  de  la  famille  ivlia;  et  au-dessous,  yen.  gkni.  (pour 
ge>etr.)  Venus  Genitrix,  la  mère  d'Énée,  souche  divine  de  la  race. 
'H  àp/YjysTtç  toïï  févouç,  comme  dit  Dion  Cassius  (50),  *j  lau-rou 
Trpoyovoç,  comme  dit  Appien  (51),  qu'il  honorait  d'un  culte  parti- 
culier (52),  parce  qu'il  prétendait  à  cette  céleste  origine,  comme  il 
le  dit  lui-même  dans  l'éloge  de  sa  tante  Marcia.  Nam  ab  Anco  Marcio 
sunt  Mardi  reges,  quo  nomine  fuit  mater'  a  Venere  Julii ,  cujus 
genlis  familia  est  nostra  (53). 

Mais  ce  n'était  pas  le  tout  de  faire  un  pareil  cachet,  il  fallait  lui 
trouver  un  propriétaire  parmi  les  personnages  du  temps ,  amis  de 
Jules  César.  Le  faussaire  n'a  rien  trouvé  de  mieux  (et  il  pouvait  plus 
mal  choisir)  que  de  prendre  pvblius  sepvllius  macer,  un  des 
quatuorvirs  monétaires ,  dont  le  nom  se  trouve  sur  un  assez  grand 
nombre  de  médailles  de  César.  Il  devait  paraître  en  effet  bien  naturel 
qu'un  de  ses  monétaires  eût  fait  graver  un  cachet,  où  il  perpétuait 
tous  les  symboles  relatifs  à  son  ami  divinisé.  Ce  nom  était  d'autant 
mieux  choisi,  qu'il  se  lit  encore  sur  des  médailles,  avec  divvs 
ivlivs  ,  frappées  après  la  mort  de  César. 

La  même  recherche  d'érudition  se  montre  encore  mieux  dans  le 
mot  divalia  gravé  le  long  de  l'autel.  Ce  nom  de  fête  ne  se  trouve,  dans 
toute  l'antiquité  latine,  que  dans  les  Fasli  calendares,  sans  autre  in- 
dication que  le  jour  de  la  célébration  (XII  des  calendes  de  janvier  )  ; 
il  a  placé  là  le  nom  de  cette  fête,  justement  parce  que  personne 

(50)  XLIII,22. 

(51)  Bell.  civ.  11,68. 

(52)  Suelon.  J.  Cœ«.,c.  61. 
(  53)  Ibid.,  c  G. 


AMULETTE   DE   JULES   CESAR.  443 

n'en  parle,  et  qu'il  ne  savait  pas  plus  que  nous  ce  qu'elle  pou- 
vait être.  Les  érudits  modernes  l'ont  identifiée  avec  les  Angero- 
nalia  par  une  simple  conjecture,  fondée  sur  ce  que  les  angeronalia 
se  célébraient ,  selon  Pline  et  Macrobe ,  le  XII  des  calendes  de  jan- 
vier, le  même  jour  qui  est  assigné  aux  Divalia  dans  les  Fastes. 
Le  fondement  paraît  assez  léger,  car  rien  n'empêche  qu'on  ne  célé- 
brât à  Rome  deux  fêtes  différentes  dans  le  même  jour,  en  divers 
temples.  Il  paraîtra  toujours  singulier  que  lorsqu'une  fête  avait  un 
nom  connu  et  déterminé,  celui  à' Angeronalia,  on  lui  eût  substitué, 
dans  les  Fastes,  un  tout  autre  nom  parfaitement  inconnu  d'ailleurs. 
Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  identité  conjecturale ,  qui  ne  fait  rien  à 
notre  sujet ,  on  ne  peut  douter  que  le  divalia  de  la  pierre  ne  soit 
une  recherche  d'érudition  qui  ne  surprendra  pas  au  milieu  des  autres 
traits  analogues. 

Je  crois  avoir  suffisamment  rendu  compte  de  la  présence  de  ces  di- 
vers symboles,  en  partant  du  fait,  à  présent  certain,  que  le  cachet 
de  Macer  est  moderne.  Ce  fait  détruit  toutes  les  conséquences  qu'on 
avait  cru  pouvoir  en  tirer,  d'après  l'hypothèse  qu'elle  serait  l'œuvre 
d'un  artiste  contemporain  de  César.  Dans  ce  cas,  elle  exprimait  un 
fait  réel  ;  dans  l'autre,  elle  n'est  plus  que  la  combinaison  capricieuse 
d'un  homme  qui  n'en  savait  pas  plus  que  nous. 

Ainsi  les  fêtes  Divalia,  qui  jusqu'ici  ne  sont  nommées  que  dans  les 
Fastes ,  trouvaient  là  une  seconde  mention ,  d'autant  plus  remarquable 
qu'elle  se  montrait  liée  avec  Jules  César,  avec  les  traditions  sur  l'ori- 
gine de  la  famille  Julia,  et  avec  la  Venus  Genetrix,  qui  en  était  la 
souche;  ce  que  M.  le  docteur  Sichel  a  d'ailleurs  fait  ressortir  avec 
beaucoup  de  sagacité  ;  et  il  en  avait  ingénieusement  déduit  que  ces 
Divalia,  en  les  supposant  la  même  fête  que  les  Angeronalia ,  devaient 
être  la  fête  de  cette  mystérieuse  divinité  protectrice  de  Rome,  dont  il 
était  défendu ,  sous  peine  de  mort,  de  prononcer  le  nom. 

Cet  ingénieux  édifice  perd  maintenant  sa  base  principale.  Les  Di- 
valia ne  viennent  plus  là  que  par  hasard  ;  et  s'il  n'est  pas  impossible 
que  cette  fête  soit  la  même  que  les  Angeronalia,  ou  celle  de  la  déesse 
Angerona,  la  conjecture  qui  fait  de  cette  divinité,  tout  à  la  fois  la 
Divinité  secrète  des  Romains  et  une  Vénus  orientale,  amenée  en  Italie 
par  \essFnéades,  devient  entièrement  problématique,  étant  d'ailleurs 
soumise  à  de  graves  difficultés. 

N'est-il  pas,  en  effet,  bien  difficile  de  croire  que  nous  autres  mo- 
dernes ,  nous  puissions  découvrir  maintenant  ce  qu'était  cette  Divi- 
nité secrète  ,  lorsqu'il  est  constant  que  les  plus  savants  romains  l'igno- 


444  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

raient  entièrement  ;  et  la  preuve  qu'ils  l'ignoraient  se  trouve  dans  le 
passage  même  où  Macrobe  énumère  les  diverses  opinions  des  archéo- 
logues romains  à  ce  sujet:  les  uns  croyaient  que  c'était  Jupiter;  d'autres 
h  Lune;  d'autres  Angerona,  déesse  qui  indique  le  silence  en  portant  un 
doigt  à  sa  bouche;  d'autres,  enfin  (et  leur  opinion  paraît  la  plus 
solide  à  Macrobe),  pensaient  que  c'était  Ops  consivia (54) ;  d'où  il  est 
facile  de  conclure  que  personne  ne  savait  ce  qu'elle  était  réel- 
lement. 

En  outre ,  le  moyen  de  croire  qù Angerona ,  dont  le  nom  et  le  culte 
n'étaient  un  secret  pour  personne,  fût  cette  même  déesse  dont  il 
n'était  pas  permis  de  prononcer  ni  même  de  rechercher  le  nom ,  sous 
peine  de  mort? 

Pour  Pline  (55),  Plutarque  (56)  et  Macrobe  (57),  cette  déesse  n'est 
qu'un  dieu  (ôeo'ç  ou  deus),  sous  la  protection  duquel  Rome  était 
placée  ;  il  était  défendu  d'en  prononcer  le  nom ,  dans  la  crainte  qu'un 
ennemi  n'en  abusât,  en  invoquant  contre  Rome  elle-même  cette  divi- 
nité mystérieuse.  Ce  que  Pline  ajoute  prouve  bien  que,  pour  lui,  la 
déesse  (diva)  Angerona  n'a  rien  de  commun  avec  la  divinité  secrète. 
Car,  après  avoir  parlé  de  son  nom  mystérieux,  il  parle  de  la  déesse 
Angerona  de  manière  à  montrer  qu'il  la  croyait  toute  différente ,  la 
citant  comme  un  second  exemple  de  l'emploi  du  silence  recommandé 
dans  l'ancienne  religion  :  Non  alienum  videtur  inserere  hoc  loco  exem- 
plum  religionis  antiquœ  ob  hoc  maxime  silentium  institutœ.  Namque 
Diva  Angerona,  cuisacrificatura.  d.  XII  kalend.  Ianuarii,  ore  obligato 
obsignatoque  simulacrum  hdbet.  Il  est  évident  que  Pline  ne  se  doute 
pas  le  moins  du  monde  de  l'identité  d' Angerona  et  du  dieu  secret.  Or, 
comment  pourrions-nous  savoir,  sur  un  point  de  la  religion  romaine, 
ce  qu'ignore  le  plus  savant  des  Romains? 

Relativement  à  Angerona ,  où  trouver  un  indice  que  cette  déesse 
du  silence  est  la  même  qu'une  Vénus  orientale  ou  autre? 

Et  pour  faire  arriver  cette  Vénus  de  Y  Orient,  n'est-ce  pas  abuser 
beaucoup  de  l'étymologie ,  que  de  chercher  Astarté  ou  Aslaroth  dans 
Angerona,  dont  les  Latins  s'accordent  à  dériver  le  nom  des  mots  an- 
gores  animi  ou  du  verbe  angere?         * 

Expliquer  l'arrivée  de  cette  Vénus  phénicienne  en  Italie  par  la  co- 
lonie des  JEnéades  asiatiques  (qui  n'étaient  pas  Phéniciens),  n'est-ce 

(54)  III,  619.  Macrob.  sat.  I,  10. 

(55)  Plin.  III,  5,  9.  XXVIII,?,  3.  Solin.  c,  1. 

(56)  Quœst.  Rom.,  p.  01. 
v57)  Saturn.,  III,  9. 


AMULETTE  DE   JULES   CESAR.  445 

pas  faire  rétrograder  la  critique  historique,  en  fondant  ces  conjectures 
hasardées  sur  une  tradition  fabuleuse  due  à  un  préjugé  national, 
que  détruit  le  témoignage  d'Homère  lui-même? 

Enfin ,  partir  de  là  pour  établir  chez  les  Romains  l'existence  d'un 
culte  secret  de  Venus,  dont  aucun  auteur  n'a  jamais  parlé,  ne  serait-ce 
pas  abuser  un  peu  de  la  permission  qu'on  a  de  conjecturer  dans  une 
matière  obscure,  surtout  à  présent  qu'on  ne  peut  plus  croire  à 
l'authenticité  du  seul  monument  qui  pouvait  donner  un  appui  très- 
faible  à  ces  ingénieuses  hypothèses  ? 

Je  ne  voudrais  pas ,  par  ces  observations ,  décourager  des  recher- 
ches qui ,  conduites  comme  elles  l'ont  été ,  avec  conscience  et  talent, 
auront  toujours  leur  utilité,  quel  qu'en  soit  le  résultat  positif. 

Je  veux  seulement  faire  sentir  la  nécessité  d'épurer  ces  recherches, 
en  les  séparant  des  renseignements  suspects  qui  ne  pourraient 
qu'en  compromettre  les  résultats. 


Quant  au  but  principal  de  ce  travail ,  je  rappellerai  qu'invité  par 
l'ingénieux  interprète  du  prétendu  amulette  de  César  à  lui  donner 
mon  avis  sur  un  détail  de  son  explication ,  j'ai  cru  devoir  lui  pré- 
senter mon  sentiment  sur  ce  monument  lui-même  et  sur  le  cachet  de 
Sépullius  Macer,  qui  me  paraissaient  modernes  l'un  et  l'autre.  Je  ne 
donnai  d'abord  cette  opinion  que  sous  forme  d'assertions  dans  une 
note  de  quelques  lignes  improvisée,  mais  assez  réfléchie  pour  que 
les  assertions  fort  explicites  qu'elle  contenait  aient  été  complète- 
ment justifiées  dans  ces  deux  mémoires,  où  je  me  suis  efforcé  de  re- 
mettre en  lumière  des  principes  de  critique  trop  souvent  oubliés  ou 
méconnus,  quoiqu'ils  soient  la  base  de  l'archéologie.  Car  c'est  par 
leur  application  seule  qu'on  peut  discerner  ces  plantes  parasites  qui 
se  glissent  dans  le  champ  de  la  science,  y  prennent  racine,  et 
finiraient  par  en  étouffer  les  produits  les  plus  salutaires,  si,  de  temps 
en  temps,  on  ne  prenait  la  peine  de  les  extirper. 

A  présent ,  j'ai  lieu  d'espérer  que  si  l'on  vient  présenter  aux  ar- 
chéologues ou  aux  amateurs  quelque  belle  antiquité,  ornée  d'un 
nom  illustre  encadré  de  circonstances  remarquables ,  ils  voudront 
bien  s'en  défier  d'autant  plus  qu'elle  leur  paraîtra  plus  rare,  et  l'exa- 
miner d'un  peu  près ,  en  pensant  à  Y  Amulette  de  César,  au  Ca- 
chet de  Sépullius  Macer,  au  Médaillon  de  Zénobie ,  au  Coffret  d'An- 
tinous, et  surtout  au  Sabre  de  Vespasien. 

Letronne. 


POLÉMON, 


LE   VOYAGEUR   ARCHEOLOGUE. 

ESQUISSE   DE  L'ANTIQUITÉ  (1) 


I. 

Nous  nous  étonnons  de  voir  sur  le*soI  de  la  France  certains  monu- 
ments bâtis  au  moyen  âge  avec  des  ruines  romaines  ;  mais  on  a  dé- 
couvert en  Egypte  des  temples  construits  dans  le  XVIe  siècle  avant 
notre  ère  avec  les  débris  d'édifices  plus  anciens  encore.  Aux  temps 
de  Salamine  et  de  Platée ,  Troie  n'était  plus  qu'un  amas  de  pous- 
sière, entouré  de  souvenirs  glorieux.  Des  peuples  entiers  avaient 
disparu  de  la  Grèce,  n'y  laissant  d'autre  trace  de  leur  séjour  que  des 
constructions  informes,  mais  d'une  masse  en  quelque  sorte  impéris- 
sable. A  Athènes,  il  y  avait  le  Pelasgicon,  monument  mystérieux 
d'un  âge  sans  histoire.  Ailleurs  c'étaient  des  figures  de  Dieu  en  bois 
ou  en  pierre,  hideusement  absurdes;  c'étaient  des  plaques  d'airain 
couvertes  de  caractères  étranges  qu'on  ne  savait  plus  lire,  ou  qu'une 
vanité  complaisante  reportait  jusqu'aux  origines  de  la  nation.  Héro- 
dote ,  dans  un  de  ses  voyages ,  avait  vu  à  Delphes  quelques-uns  de 
ces  vieux  textes  sur  des  trépieds,  déposés  là,  disait-on,  dès  les  temps 
héroïques  ;  il  y  croyait  reconnaître  les  traits  de  l'alphabet  phénicien, 
de  cet  alphabet  primitivement  commun  à  la  Grèce  et  à  l'Italie ,  et 
qui  de  l'Italie  s'est  répandu  avec  la  civilisation  sur  toute  une  moitié 
du  globe. 

(1)  En  publiant  la  présente  esquisse  dans  une  Revue  spécialement  consacrée  à 
l'exposition  des  découvertes  et  des  recherches  nouvelles,  nous  croyons  devoir  avertir 
le  lecteur  savant  qu'il  n'y  trouvera  pas  ce  genre  d'intérêt ,  et  que  notre  intention  a 
été  simplement  de  réunir  dans  un  cadre  historique  quelques  traits  propres  à  carac- 
tériser et  à  faire  aimer  les  études  d'archéologie.  Noire  Polémon  d'ailleurs  n'est  pas 
un  personnage  imaginaire,  comme  le  jeune  Anacharsis,  et,  dans  cette  restaura- 
tion de  son  œuvre,  nous  avons  toujours  distingué  avec  soin  les  conjectures  et  h  s 
rapprochements  artificiels  des  faits  établis  sur  les  témoignages  anciens.  Ouant  aux 
citations,  qu'il  était  facile  de  multiplier  en  un  pareil  sujet,  on  nous  pardonnera  de 
ne  les  avoir  pas  prodiguées.  Pour  les  inscriptions  surtout,  l'ordre  géographique  que 
nous  suivons,  permettra  de  retrouver  sans  peine  dans  les  recueils  les  principaux 
textes  qui  ont  servi  à  notre  travail. 


POLÉMON.  447 

Peu  de  mois  avant  la  mort  du  grand  César  des  colons  romains  dé- 
couvrirent à  Capoue ,  dans  un  tombeau ,  une  inscription  grecque  où 
l'assassinat  du  dictateur  était  clairement  annoncé  ;  et  quelle  fut  l'oc- 
casion de  cette  découverte?  Des  fouilles  d'abord  entreprises  pour  les 
fondements  d'une  villa ,  puis  continuées  avec  plus  d'ardeur  dans  un 
autre  intérêt  :  on  avait  rencontré  d'anciens  tombeaux  d'où  l'on  tirait 
des  vases  peints  qui,  sans  doute,  se  vendaient  à  grand  prix  aux  ama- 
teurs (l).  Ces  fouilles  ont  été  reprises  sur  plusieurs  points  de  l'Italie  et 
elles  ont  enrichi  nos  musées  de  véritables  trésors. 

Il  y  avait  donc  une  antiquité  pour  l'antiquité  elle-même ,  et  l'ar- 
chêologie  n'est  pas  une  invention  de  la  curiosité  moderne. 

Toutefois  l'archéologie  n'a  pris  qu'assez  tard  une  place  dans  l'en- 
cyclopédie des  sciences  et  des  lettres  grecques.  Les  premiers  histo- 
riens préoccupés  surtout  du  spectacle  des  grands  événements  politi- 
ques, n'ont  guère  décrit  que  les  luttes  de  la  tribune  et  les  champs  de 
bataille,  ou  ,  s'ils  ont  quelquefois  peint  les  mœurs  et  les  institutions 
d'un  peuple ,  c'était  moins  d'après  les  monuments  de  l'art  que  d'après 
le  témoignage  des  personnes  qu'ils  avaient  pu  consulter.  Qu'on  lise 
le  second  livre  d'Hérodote,  on  y  sera  frappé  de  ce  singulier  caractère. 
L'historien  veut  nous  faire  connaître  l'Egypte  ,  et  il  est  incroyable 
avec  quelle  insouciance  il  a  passé  devant  les  plus  curieux  monu- 
ments de  sa  civilisation.  Il  semble  devoir  à  l'observation  des  hommes, 
à  la  tradition,  presque  tout  ce  qu'il  nous  apprend  des  sciences,  des 
arts  et  de  la  religion  pharaoniques.  Thucydide,  Xénophon,  tous  deux 
Athéniens  de  naissance,  n'ont  peut-être  jamais  écrit  dans  leurs  his- 
toires le  nom  d'un  artiste  ou  d'un  poëte  contemporain.  Cette  école 
d'écrivains  éminents  s'attache  avec  prédilection  à  certains  faits ,  à 
certains  personnages  d'un  caractère  solennel  et  en  quelque  sorte 
héroïque;  elle  a  honte  des  vérités  triviales,  on  dirait  qu'elle  ne 
compte  même  pas  parmi  les  titres  d'un  peuple  à  l'immortalité  les 
œuvres  peu  bruyantes,  fussent-ce  des  tragédies  comme  YOEdipe  roi 
ou  des  temples  comme  le  Parthénon.  Mais  après  les  Xénophon  et  les 
Thucydide ,  il  s'est  formé  en  Grèce  une  école  d'écrivains  plus  mo- 
destes, qui ,  comme  Philochore  (2),  ont  pris  pour  tâche  d'exposer  sans 
réticence,  sans  omission  dédaigneuse,  la  vie  tout  entière  d'un  peuple. 
Ces  recueils  où  la  géographie  de  l'Attique,  la  chronologie  de  son 

(1)  Suétone,  César,  c.  18.  Cf.  Gerhard,  Rapporto  intorno  i  vasi  volcenli.  et 
V Élite  des  Monuments  céramographiques ,  par  MM.  Lenormant  et  de  Witte. 

(2)  Voy.  Philochori  fragmenta,  par  Lenz  et  Siebelis.  Ups.  1811. 


448  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

histoire,  tout  le  détail  de  ses  institutions  et  de  ses  mœurs,  sont 
traités  avec  le  même  respect ,  avec  la  môme  exactitude  ,  s'appellent 
des  atlhides  ;  leurs  auteurs  ne  sont  pas  des  historiens  orateurs  ,  mais 
de  simples  grammairiens*.  Ils  n'ont  pas  eu  sans  doute,  comme  le 
montre  ce  qui  reste  de  leurs  ouvrages ,  cette  haute  intelligence  des 
affaires  de  la  Grèce,  cet  art  d'expression  éloquente  que  Démosthène 
étudiait  dans  Thucydide.  Peut-être  cependant  ne  seraient-ils  pas 
moins  lus  aujourd'hui,  parce  qu'ils  satisferaient,  sur  bien  des  points, 
notre  curiosité  devenue  exigeante  à  l'endroit  des  petites  choses  mé- 
prisées par  les  écrivains  de  génie. 

Après  les  compilateurs  d'atthides ,  il  y  a  des  écrivains  plus  mo- 
destes encore  et  d'une  plus  humble  origine.  Ce  sont  les  pe'riégètes. 
Sous  ce  nom  de  periégètes  ou  exégètes  ou  mystagogues ,  on  désigna 
d'abord  les  gens  dont  la  fonction  était  de  guider  les  étrangers  dans 
une  ville ,  dans  un  lieu  sacré,  de  leur  montrer,  de  leur  expliquer  les 
antiquités  ,  les  monuments ,  les  traditions  relatives  aux  vieux  héros 
du  pays.  Ce  sont  les  ciceroni  de  ce  temps ,  babillards  à  l'érudition 
aventureuse  et  imperturbable ,  sachant  la  date  et  l'auteur  des  statues, 
des  peintures,  l'âge  des  moindres  pierres,  la  généalogie  de  tout  per- 
sonnage dont  ils  rencontraient  le  nom  ou  la  figure  ;  exerçant  d'ail- 
leurs cet  honnête  métier  sans  nul  souci  de  l'avenir,  ni  de  l'histoire. 
La  crédulité  des  touristes  les  faisait  vivre;  «Si  l'on  avait  ôté,  dit 
Lucien  ,  toutes  les  fables  dont  s'amusait  la  Grèce ,  les  guides  seraient 
morts  de  faim ,  car  pas  un  voyageur  n'eût  voulu,  même  pour  rien  , 
entendre  d'eux  la  vérité.  » 

Quelques  periégètes  cependant  se  sont  élevés  au-dessus  de  leur 
conaition  ,  ils  sont  sortis  de  leur  petite  ville ,  pour  visiter  le  monde, 
c'est-à-dire  le  monde  connu ,  les  peuples  civilisés  ;  ils  ont  écrit  et 
publié  la  relation  de  leurs  voyages.  Alors  on  a  eu  des  Guides  du  voya- 
geur en  Grèce,  des  Conducteurs  dans  les  rues  d'Athènes,  chose,  comme 
on  le  voit,  bien  peu  nouvelle  au  XIXe  siècle.  Enfin  dans  cette  foule 
de  petits  archéologues ,  collecteurs  d'anecdotes ,  il  s'est  trouvé  de 
véritables  savants.  Partis  d'un  peu  plus  bas  les  guides  pittoresques 
ont  rejoint  Yhistoire,  non  pas  à  ses  plus  hautes  régions,  mais  dans 
la  sphère  où  nous  avons  vu  briller  tout  à  l'heure  les  écrivains  d'at- 
thides. A  côté  de  Philochore  est  venu  se  placer  Polémon ,  son  suc- 
cesseur dans  l'ordre  des  temps ,  comme  il  fut  son  rival  de  gloire  (1). 

(1  )  Voy.  Polemonis  periegetœ  fragmenta.  Collegil ,  digessit ,  nolis  auxit 
L.  Prellcr.  Accedunt  de  Polemonis  vita  et  scriplis  et  de  hisloria  atque  arte  pe- 
riegetarum  commenlaliones.  Lipsi»,  1838  ,  in-8  de  200  pages. 


POLÉMON.  449 

Polémon,  fils  d'Évégétus ,  naquit  vers  la  fin  du  IIP  siècle  avant 
notre  ère,  dans  un  bourg  du  territoire  de  la  NouvelIe-IIion.  On 
ne  sait  rien  de  son  éducation ,  et  ce  n'est  que  par  conjectures  qu'on 
en  a  fait  un  élève  des  grammairiens  de  Pergame  ou  d'Alexandrie. 
Il  eut  de  bonne  heure  sans  doute  le  goût  des  voyages,  il  y  consacra 
la  plus  grande  partie  de  sa  vie,  et  recueillit  d'honorables  distinctions 
dans  les  villes  qu'il  parcourut;  c'est  ainsi  qu'on  le  voit  tour  à  tour 
appelé  citoyen  d'Athènes,  de  Samos,  de  Sicyone.  Il  connaissait  sans 
doute  ces  villes  aussi  bien  que  la  Nouvelle-llion  (1) ,  et  par  ses  re- 
cherches il  avait  répandu  quelque  jour  sur  leurs  antiquités  ;  de  tels 
services  touchaient  vivement  la  vanité  grecque,  fort  prodigue  d'ail- 
leurs de  récompenses  envers  ceux  qui  savaient  la  flatter. 

Les  nombreux  ouvrages  de  notre  voyageur  offrent  à  première  vue 
des  titres  très-variés.  C'est  d'abord  son  Voyage  autour  du  monde  qui 
comprenait  depuis  l'Asie  Mineure  et  le  Pont  jusqu'à  Carthage;  puis 
des  livres  de  polémique  contre  l'historien  Timée,  contre  le  géo- 
graphe et  astronome  Ératosthène,  contre  l'historien  Ister  (que ,  pour 
le  dire  en  passant,  il  proposait  de  jeter  dans  le  fleuve  du  même 
nom,  sans  doute  en  punition  de  quelque  grosse  méprise);  des  lettres 
à  divers  personnages,  dont  l'une  à  un  certain  Attale,  que  l'on  croit 
sans  raison  positive  être  le  troisième  roi  de  Pergame  ;  des  Mémoires 
sur  divers  points  d'antiquité  ou  de  géographie.  Mais  en  regardant  de 
près  les  cent  fragments  ou  environ  qui  nous  restent  de  ces  diverses 
compositions,  on  y  retrouve  partout  le  même  caractère  ;  c'est  partout 
de  la  science  recueillie  sur  les  lieux  mêmes,  d'après  les  monuments  ou 
les  traditions  locales;  c'est  l'histoire  des  inventions,  des  arts,  des 
mœurs ,  des  institutions  rattachée  à  la  topographie.  Que  Polémon 
ait  dédié  à  un  protecteur,  à  un  ami  tel  ou  tel  de  ses  Mémoires ,  ou 
qu'il  ait  particulièrement  attaqué  sur  tel  ou  tel  sujet  quelque  savant 
de  ses  prédécesseurs  comme  étaient  Ératosthène  et  Timée ,  cela  est 
fort  naturel ,  sans  doute ,  et  fort  convenable  au  rôle  d'un  voyageur 
érudit ,  qui  avait  pu  apprendre ,  en  parcourant  le  théâtre  de  grands 
événements,  combien  il  est  difficile  d'être  exact  dans  la  description 
des  lieux  que  ion  n'a  point  vus.  Ératosthène ,  écrivain  honnête  et 
laborieux,  avait  vécu  à  Athènes,  on  n'en  saurait  douter;  mais  il  en 
parlait  trop  légèrement,  de  souvenir;  de  là  bien  des  erreurs  dont 

(1)  Un  ancien,  dit  de  lui ,  comme  nous  dirions  en  français,  qu'il  savait  bien  sa 
ville  de  Dodone  (  fragment  30,  dans  le  recueil  de  Preller  ).  Quant  au  titre  de  citoyen 
obtenu  dans  plusieurs  villes  par  la  même  personne,  on  en  a  des  exemples  dans 
Bœckh,  n°  2811,  b,  3674  et  ailleurs. 


450  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

s'irritait  Polémon  jusqu'à  dire  que  le  savant  astronome  n'était  pas 
même  allé  à  Athènes ,  hyperbole  de  colère  qu'on  a  eu  tort  de  prendre 
au  mot.  Timée  le  Sicilien  était  un  grand  érudit  sans  jugement,  pui- 
sant à  toutes  les  sources ,  le  vrai  comme  le  faux  ;  crédule  jusqu'à  la 
puérilité,  rhéteur  à  l'excès  dans  son  style.  Polybe  a  cruellement  relevé 
les  méprises  grossières  dont  ses  histoires  étaient  semées;  il  lui  reproche 
surtout  d'ignorer  la  géographie;  il  trouve  fort  impertinent  qu'on 
décrive  les  lieux  qu'on  n'a  pu  visiter  et  qu'on  fasse  de  la  stratégie 
d'après  des  cartes.  Polémon ,  un  siècle  avant,  relevait  sans  doute  les 
mêmes  impertinences.  Mais,  comme  on  le  voit,  c'étaient  là  autant 
d'épisodes  dans  la  rédaction  de  ses  voyages.  En  réalité ,  il  semble , 
toute  sa  vie ,  n'avoir  fait  qu'une  chose,  observer  et  recueillir  des  do- 
cuments, en  rectiûant  çà  et  là  les  fautes  de  ses  devanciers.  Nous 
pouvons  donc  renvoyer  les  amateurs  d'un  plus  exact  détail  à  l'ex- 
cellent travail  de  M.  Preller,  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Polémon , 
et,  quant  à  nous,  suivre  simplement  ce  voyageur  sur  les  divers 
points  de  la  Grèce  où  il  reste  des  traces  de  son  passage  ;  comme  ces 
traces  d'ailleurs  sont  rares  et  souvent  à  demi  effacées ,  nous  nous  per- 
mettrons d'y  suppléer  par  des  témoignages  plus  récents,  mais  non 
moins  dignes  de  foi.  Strabon ,  Plutarque ,  Pausanias ,  plusieurs  siècles 
après  Polémon ,  visitant  les  mêmes  lieux  que  lui ,  y  rencontraient 
de  nouvelles  villes,  de  nouveaux  chefs-d'œuvre;  mais  aussi  d'autres 
ruines  ;  et  les  voyageurs  modernes ,  sur  un  sol  tant  de  fois  exploré , 
découvrent  encore  chaque  jour  des  objets  d'art,  des  inscriptions,  qui 
confirment  ou  complètent  les  récits  de  notre  voyageur;  nous  nous  aide- 
rons de  ces  secours  pour  faire  comprendre  tout  ce  que  dès  l'antiquité, 
l'archéologie  prêtait  de  lumières  à  l'histoire  ;  car  tel  est  en  réalité 
l'objet  principal  de  celte  esquisse.  Aussi  bien  le  nom  même  de  Polé- 
mon étant  devenu  celui  du  voyageur  par  excellence,  ce  n'est  pas 
une  grave  licence  de  personnifier  en  lui  la  recherche  de  ces  faits 
historiques  qui  n'ont  guère  d'autres  historiens  que  les  archéologues. 

II. 

Il  y  a  des  lieux  prédestinés  à  la  gloire  des  lettres  et  des  sciences, 
comme  il  en  a  de  prédestinés  à  la  prospérité  commerciale  ou  mari- 
time. Dans  la  plaine  de  Troie  on  devait  naître  antiquaire  et  mytho- 
logue, et  si  quelque  chose  m'étonne  c'est  de  ne  trouver  que  deux  ou 
trois  savants  de  ce  pays  dans  l'histoire  dcs'lettres  anciennes.  Là,  en 
effet,  on  n'avait  qu'à  choisir  entre  les  plus  belles  et  les  plus  piquantes 


POLÉMON.  451 

études,  Aimez-vous  les  grands  problèmes  et  les  conjectures  hardies 
sur  l'origine  des  sociétés?  Contemplez  ces  ruines  échelonnées  à  di- 
verses hauteurs  sur  les  flancs  du  mont  Ida  et  du  mont  Olympus.  Les 
plus  hautes  appartiennent  aux  villes  primitives  ;  tout  l'atteste  ;  à 
mesure  qu'on  descend  vers  la  plaine  on  s'approche  en  même  temps 
des  époques  historiques.  Platon  avait  jadis  remarqué  ce  fait,  et  le 
rattachant  au  souvenir  des  déluges  qui  jadis  couvrirent  le  monde  , 
il  supposait  que  les  hommes  alors  réduits  à  n'habiter  que  le  sommet 
des  montagnes  avaient  peu  à  peu  suivi  la  retraite  des  eaux  ;  ainsi 
les  villes  maritimes  auraient  été  fondées  les  dernières,  lorsque  l'Océan 
fut  rentré  dans  son  lit.  D'autres  expliquaient  plus  sagement  par  les 
progrès  de  la  civilisation  et  par  ceux  de  la  sécurité  publique  cette 
tendance  des  hommes  à  quitter  les  montagnes  pour  s'établir  dans  la 
plaine,  sur  le  bord  des  fleuves  et  de  la  mer  (1)  ;  on  a  souvent  de  nos 
jours  observé  le  même  phénomène  ;  et  Vico  en  a  fait  une  des  lois  de 
sa  Science  nouvelle  (2).  Voulez-vous ,  Homère  à  la  main ,  étudier  les 
champs  de  bataille  de  l'Iliade?  Pas  un  monticule,  dans  cet  espace  de 
quelques  lieues ,  pas  une  source,  un  ruisseau ,  qui  n'ait  son  nom  et 
sa  légende.  Seulement  il  ne  faut  pas  se  montrer  trop  sévère  sur  le 
menu  détail ,  ni  chercher  une  trop  juste  coïncidence  entre  l'état  pré- 
sent des  lieux  et  les  descriptions  du  poëte.  La  topographie  homérique 
est  chose  fort  satisfaisante  pour  l'antiquaire ,  à  une  condition  toute- 
fois, c'est  qu'il  ne  consultera  là-dessus  qu'un  seul  auteur;  dès  qu'on 
»en  rapproche  deux  les  débats  commencent,  et  voilà  des  siècles  qu'ils 
durent.  Démétrius,  natif  de  Scepsis  (  c'était  une  ville  de  laTroade) 
avait  son  système  sur  l'application  des  vers  homériques  aux  diverses 
localités  de  la  plaine  de  Troie  ;  Strabon  a  le  sien  ;  chez  les  modernes , 
-  autant  de  voyageurs,  autant  de  systèmes.  Dans  ce  dédale,  à  défaut 
d'inscriptions ,  les  monuments  fourniraient  d'utiles  indices.  Mais  dès 
le  temps  de  Polémon  sans  doute  il  ne  restait  plus  une  seule  pierre 
authentique  de  l'ancienne  Troie.  C'est  pis  encore  aujourd'hui  ;  ce 
qu'on  avait  longtemps  pris  pour  le  tombeau  d'Achille,  et  où  l'on  dé- 
terrait encore  il  y  a  cinquante  ans  pour  M.  de  Choiseul  des  curio- 
sités d'un  âge  prétendu  homérique  (3) ,  s'est  trouvé  le  tombeau 
d'un  favori  de  Caracalla.  Une  tour  grecque  où  l'on  avait  mis  l'espoir  de 
belles  découvertes  s'est  trouvée  n'être  que  la  base  d'un  moulin  à  vent. 

(1)  Platon  (Lois,  livre  III),  cité  par  Strabon,  Geogr.,  XIII,  c.  1. 

(2)  Fin  du  livre  II ,  p.  292  de  la  traduction  publiée  par  l'auteur  de  l'Essai  sur 
la  formation  du  dogme  catholique. 

(3)  Voy.  Le  Chevalier,  Voyage  dans  la  Troade,  t.  II ,  p.  315. 


452  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Recherchez-vous  les  questions  moins  générales  dans  la  critique 
des  monuments  d'antiquité  ?  La  plaine  de  Troie  est  couverte  de  petites 
villes  assez  riches  en  vieux  débris  et  en  inscriptions  curieuses.  Sigée, 
par  exemple,  renferme  une  pierre  qui  devait  faire  un  jour  le  désespoir 
des  érudits  européens  ;  on  y  a  vu  longtemps  l'un  des  premiers  monu- 
ments de  l'art  d'écrire,  puis  regardée  de  plus  près  la  double  inscrip- 
tion de  cette  pierre  a  laissé  deviner  quelque  supercherie,  une  super- 
cherie déjà  ancienne,  contemporaine  peut-être  de  Polémon  ;  en  effet 
chez  les  Grecs,  certains  amateurs  ont  eu  cette  manie  du  faux  an- 
tique; un  avocat  millionnaire  du  siècle  des  Antonins,  Hérode  Atticus, 
faisait  graver  pour  ses  villas  des  inscriptions  en  lettres  du  temps  de 
Lycurgue  ;  on  en  possède  au  musée  de  Naples  quelques  échantil- 
lons (t). 

Enfin  l'histoire  seule  de  Troie  offrait,  au  milieu  d'obscurités  dignes 
d'exciter  l'attention  curieuse  d'un  philologue,  les  plus  intéressantes 
vicissitudes.  Durant  deux  ou  trois  siècles  après  la  victoire  des  Grecs, 
Troie  paraît  être  demeurée  sans  habitant  ;  une  sorte  de  malédiction 
plana  longtemps  sur  les  lieux  profanés  par  l'adultère  de  Paris  et  en- 
sanglantés par  la  vengeance  des  Grecs  ;  c'est  seulement  sous  la  domi- 
nation des  Lydiens  qu'on  voit  se  former  auprès  de  la  ville  de  Priam, 
un  pauvre  village  sous  le  nom  d'Ilion.  Là  était  un  temple  de  Minerve 
où  les  Locriens  envoyaient  tous  les  ans  deux  jeunes  filles  choisies  dans 
les  cent  plus  nobles  familles  pour  expier  le  crime  d'Ajax  qui  jadis 
avait  souillé  le  sanctuaire  de  la  déesse  en  y  violant  Cassandre.  Ces 
jeunes  filles,  dit  un  ancien  poëte,  «  les  corps  et  les  pieds  nus  ba- 
layaient dès  l'aurore  le  pavé  du  temple ,  toujours  esclaves  jusqu'à  la 
vieillesse.  »  Un  oracle  avait  prononcé  que  l'expiation  durerait  dix 
siècles;  elle  finit  vers  le  temps  de  Plutarque.  Un  grave  témoignage , 
celui  de  l'historien  Hellanicus  se  mêle  à  ces  fables  qui  entourent  le 
berceau  obscur  de  la  nouvelle  ville  ;  sans  doute  pour  flatter  la  vanité 
de  ses  voisins ,  Hellanicus  de  Lesbos  reconnaissait  en  eux  les  descen- 
dants directs  de  Priam  et  d'Hector.  Décidément  Troie  allait  revivre, 
Xerxès  passant  en  Grèce,  s'arrêtait  pour  sacrifier  à  Minerve  Iliade; 
Alexandre  en  partant  pour  la  conquête  de  l'Asie  venait  s'incliner 
devant  le  tombeau  d'Achille  et  accordait  aux  gardiens  de  ces  ruines 
des  privilèges  importants  avec  une  sorte  de  liberté.  Les  successeurs 
du  conquérant  macédonien  se  firent  honneur  de  continuer  la  protec- 
tion généreuse  dont  il  avait  donné  l'exemple.  Un  décret  des  Iliens, 

(1)  Franz,  Elementa  epigr.  gr.,  n°  33. 


POLÉMON.  453 

parvenu  jusqu'à  nous,  témoigne  de  leur  reconnaissance  envers  Antio- 
chus  Soter,  vainqueur  et  pacificateur  de  l'Asie.  Du  temps  même  de 
notre  Polémon  ,  le  frère  d'Antiochus  le  Grand  ayant  été  blessé  à  la 
guerre  et  guéri  par  un  médecin  d'Amphipolis ,  nommé  Métrodore, 
un  autre  décret  des  Iliens  conférait  des  distinction  honorifiques  à 
Métrodore  en  souvenir  de  cet  insigne  service.  On  voit  quels  liens 
étroits  de  clientèle  et  d'amitié  unissaient  les  nouveaux  Troyens  avec  la 
dynastie  macédonienne  ;  mais  cette  prospérité  devait  durer  peu.  Déjà 
Polémon  avait  pu  voir  Lucius  Scipion,  sacrifier  après  Xerxès,  après 
Alexandre,  après  les  rois  de  Syrie,  sur  l'autel  de  Minerve  ;  de  tels 
hommages  étaient  des  menaces.  Ilion  fut  bientôt  enveloppée  dans  la 
ruine  d'Antiochus  ;  au  milieu  du  IIe  siècle  elle  n'offrait  plus  que  des 
cabanes  couvertes  de  chaume  ;  on  dit  que  les  Gaulois  nos  ancêtres 
l'avaient  prise  pour  but  d'une  expédition ,  espérant  s'en  faire  une 
place  forte  ;  mais  la  voyant  faible  et  sans  rempart ,  ils  l'eurent  bientôt 
abandonnée.  Dans  la  guerre  contre  Mithridate,  Fimbria  s'en  empara 
après  onze  jours  de  siège;  comme  il  se  vantait  d'avoir  en  onze  jours 
fait  plus  que  n'avait  fait  Agamemnon  en  dix  ans  avec  mille  vaisseaux, 
«  C'est,  lui  répondirent  les  Iliens,  que  nous  n'avions  pas  Hector  pour 
nous  défendre,  »  Le  farouche  Sylla  fut  touché  apparemment  des  mal- 
heurs d'Ilion  et  de  son  imperturbable  patriotisme  :  il  la  releva  une  fois 
encore.  César,  puis  Auguste,  ajoutèrent  aux  bienfaits  de  Sylla  en 
mémoire  d'Alexandre,  sans  doute,  et  aussi  en  mémoire  de  Vénus  et 
d'Énée  que  de  jour  en  jour  on  s'habituait  mieux  à  considérer  comme 
les  auteurs  du  peuple  romain  ;  c'est  en  effet  vers  le  temps  de  notre 
voyageur  que  se  répandent  et  s'établissent  moitié  par  le  zèle  des  Grecs 
érudits  et  flatteurs ,  moitié  par  la  crédulité  du  peuple ,  les  traditions 
qui  rattachaient  les  origines  de  Rome  à  celles  de  Troie  ;  César  les 
invoquait  sérieusement  dans  l'oraison  funèbre  de  sa  tante  Julia;  Tite- 
Live ,  qui  doutait  peut-être  de  la  vérité  de  ces  fables  séduisantes , 
affirmait  du  moins  que  Rome  avait  le  droit  de  les  imposer  au  monde, 
comme  elle  lui  imposait  ses  lois.  Après  Y  Enéide  on  ne  douta  même 
plus.  Troie  fut  désormais  considérée  comme  le  berceau  de  Rome.  A 
seize  ans,  Néron,  comme  descendant  d'Énée,  plaidait  devant  le  tri- 
bunal de  Claude  en  faveur  des  Iliens  (1),  et  leur  faisait  restituer  de 
vieux  privilèges.  Au  temps  de  Pline  ,  Troie  était  redevenue  la  ville 
des  souvenirs  et  des  reliques  ;  on  y  montrait  la  lyre  de  Paris,  l'échi- 

(l)  Tacite,  Annales,  XII,  58. 


454  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE.       - 

quier  de  Palamède  (1)  et  une  lettre  écrite  sur  papyrus ,  par  Sarpédon 
le  Lycien ,  l'un  des  héros  de  l'Iliade  (2).     • 

On  ne  saurait  dire  aujourd'hui  si  Poléraon  se  laissa  séduire  à  ces 
complaisances  envers  les  vainqueurs  de  la  Grèce,  ni  s'il  croyait  bien 
sérieusement  comme  quelques-uns  de  ses  contemporains  à  l'origine 
grecque  de  Romulus,  mais  je  pense  qu'il  écoutait  volontiers  les  contes 
où  se  reflète  au  moins  d'une  manière  naïve  la  croyance  vulgaire  ,  et 
à  ce  titre  il  avait  pu  recueillir  avec  une  exactitude  qui  n'était  pas  de 
la  crédulité,  certains  mensonges  qui  se  propageaient  par  le  monde 
au  temps  de  la  conquête  romaine  pour  la  favoriser  ou  la  consacrer. 

Voici  d'autres  traditions  du  même  genre  qu'il  recueillait  sans  y 
croire.  A  Sminthe  dans  la  Troade  était  un  temple  d'Apollon  Smin- 
thien,  c'est-à-dire  Dieu  des  rats  ;  selon  les  gens  du  lieu  ,  un  certain 
Crinis  ,  prêtre  d'Apollon  à  Chrysé  s'était  attiré  la  colère  de  ce  Dieu  ; 
celui-ci  envoya  dans  les  champs  de  Crinis  une  armée  de  rats  qui  les 
ravagèrent  ;  puis  voulant  arrêter  le  fléau ,  il  vint  sans  se  faire  con- 
naître chez  Ordès ,  chef  des  troupeaux  de  son  prêtre ,  tua  tous  les  rats 
à  coups  de  flèches ,  puis  se  découvrit  à  Ordès  et  lui  ordonna  d'an- 
noncer ce  miracle  à  Crinis.  Justement  reconnaissant,  Crinis  fit  con- 
struire en  l'honneur  d'Apollon ,  vainqueur  des  rats ,  le  temple  que 
desservait  le  Chrysès  dont  l'imprécation  ouvre  si  dramatiquement 
l'Iliade. 

Ailleurs  Polémon  notera  que  la  statue  de  Bacchus ,  à  Chio ,  se 
voyait  enchaînée,  comme  à  Erythrée  celle  de  Diane ,  parce  que  selon 
l'opinion  vulgaire ,  les  statues  des  dieux  s'évadaient  quelquefois  et 
couraient  le  monde.  Ainsi  les  Romains  croyaient  par  des  formules 
religieuses  décider  les  dieux  d'une  ville  ennemie  à  la  quitter  pour  se 
rendre  dans  leur  camp  (3).  Polémon  avait  vu  quelque  part  une 
statue  d'Apollon  gastronome;  une  autre  d'Apollon  béant;  cette  der- 
nière avait  sa  légende  que  Pline  nous  a  conservée ,  en  la  rapportant 
à  Bacchus  au  lieu  d'Apollon.  Elpis  de  Samos  étant  débarqué  en 
Afrique ,  un  lion  se  présente  à  lui  la  gueule  béante.  Elpis  s'élance 
sur  un  arbre  en  invoquant  le  secours  de  Bacchus  ,  alors  le  lion  se 
couche  au  pied  de  l'arbre ,  toujours  la  gueule  béante ,  mais  cette  fois 
avec  une  expression  pitoyable;  le  pauvre  animal  s'était  démis  la  mû- 

(1)  Voy.  plus  haut,  dans  la  Revue  archéol.,  t.  III,  p.  303. 

(2)  La  plupart  de  ces  faits  sont  réunis  ,  soit  dans  Strabon  ,  soit  dans  l'introduc- 
tion de  M.  Bœckh  en  tête  des  inscriptions  de  la  Nouvelle  Troie. 

(3)  Voir  sur  ce  sujet  la  dissertation  spéciale  d'Ansaldi  :  De  Romana  tutelarium 
Deorum  in  oppugnalionibus  urbium  evocatione,  2«  éd.  Venise ,  1756,  in-8. 


POLÉMON.  450 

choire.  Elpis  descend  de  l'arbre  et  le  sauve  d'embarras  ;  le  lion  re- 
connaissant, tant  que  le  navire  d'Elpis  resta  sur  le  rivage,  apportait 
chaque  jour  à  son  bienfaiteur  le  produit  de  sa  chasse.  De  retour  à 
Samos,  Elpis  y  consacra  la  statue  de  Bacchus  béant.  Changez  les 
noms  des. divinités,  ne  dirait-on  pas  quelque  légende  chrétienne  du 
moyen  âge? 

Enfin  Polémon  apparemment  ne  dédaignait  pas  même  les  contes  de 
bonne  femme,  quand  il  écrivait  que  la  poule  d'eau  est  douée  d'une 
telle  sensibilité  à  l'endroit  de  l'adultère ,  que  si  son  maître  est  menacé 
de  certain  malheur  conjugal ,  elle  s'étrangle  pour  l'en  avertir.  Nous 
irions  loin  à  vouloir  le  suivre  dans  ces  petites  digressions.  Revenons 
à  l'histoire  sérieuse  dont  les  monuments  abondent  à  chaque  pas;  que 
va  faire  notre  archéologue  sortant  de  son  glorieux  village. 

S'il  n'admet  pas  le  fabuleux  blason  qui  rattache  la  généalogie  des 
Romains  à  celle  de  Vénus  et  d'Énée ,  il  y  a  du  moins  des  pièces  au- 
thentiques où  les  rapports  présents  de  Rome  et  de  la  Grèce  se  mon- 
trent au  grand  jour.  A  Téos,  en  Ionie,  on  lit  sur  la  place  publique 
le  dossier  presque  complet  d'une  négociation  concernant  le  droit 
d'asile  dont  jouissent  les  Téiens.  L'affaire  se  traite  en  193 ,  lorsque 
Polémon  a  vingt  ans  peut-être,  ou  environ.  Treize  villes  grecques 
ont  par  autant  de  décrets,  confirmé  ce  droit  d'asile.  Le  roi  Antiochus 
le  confirme  également ,  mais  que  seront  les  onze  décrets  et  l'autori- 
sation du  roi  Antiochus,  si  les  Romains  n'y  consentent?  Heureu- 
sement Rome  a  parlé.  Par  une  lettre  aux  Téiens,  lettre  dont  nous 
avons  la  traduction  grecque,  M.  Valérius  Messalla,  préteur,  les  tri- 
buns et  le  sénat  ont  promis  de  respecter  et  de  faire  respecter  l'asile. 
Malgré  la  dignité  affectueuse  du  langage,  on  sent  dans  cette  dépêche 
la  puissante  main  du  peuple  qui  ne  protège  que  pour  dominer.  Rome 
n'a  pas  plutôt  paru  en  Grèce  qu'elle  y  a  pris  le  premier  rang,  et  pour- 
tant Carthage  la  menace  toujours,  malgré  sa  défaite  à  Zama  ;  que 
Carthage  succombe ,  Rome  n'aura  plus  de  rivale.  On  proclame  déjà 
ses  généraux  Sauveurs  du  pays  qu'ils  oppriment  (l)  ;  on  élèvera 
bientôt  des  autels  à  Rome  et  au  peuple  romain  (2)  ;  il  sera  même 
permis  d'offrir  les  honneurs  divins  aux  gouverneurs  proconsuls,  à 
de  simples  citoyens  romains.  Mais,  chose  remarquable,  dans  leur  hu- 
miliation, souvent  volontaire ,  les  Grecs  seront  traités  encore  avec 

(1)  Inscription  en  l'honneur  de  T.  Quinctius  Flamininus ,  à  Gythea ,  dans  le  Pé- 
loponèse.  Bœckh,  n°  1325.       i 

(2)  Voy.  Le  Bas,  Explication  d'une  inscription  grecque  de  l'île  d'Egine. 
Paris,  1842,  in-8. 


456  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

quelque  respect.  Un  siècle  après  cette  lettre  de  Messalla  aux  Téiens , 
je  vois  le  sénat  traiter,  comme  de  puissance  à  puissance  avec  une 
toute  petite  île  des  Sporades.  Les  habitants  d'Astypalée  envoient  en 
Italie  des  commissaires  pour  conclure  une  alliance.  Un  sénatus-con- 
sulte  décrète  X alliance  dont  les  termes  sont  acceptés  par  Astypalée: 
qu'on  s'imagine  la  république  de  Saint-Marin  concluant  un  traité  avec 
la  France  ou  avec  la  Grande-Bretagne. 

Toutefois  les  mœurs  de  l'Italie  s'imposent  moins  vite  que  ses 
armes  à  la  Grèce  conquise.  Dès  le  temps  de  Ménandre  on  avait  en- 
tendu parler  à  Athènes  de  ces  combats  de  gladiateurs  récemment 
introduits  dans  les  fêtes  de  Rome  :  «  Nous  sommes  plus  malheureux 
que  les  gladiateurs  en  champ  clos  » ,  disait  alors  un  personnage  de 
comédie  ;  mais  il  se  passe  plus  d'un  siècle  avant  que  ces  jeux  barbares 
s'établissent  dans  les  pays  grecs ,  et  c'est  toujours  par  les  Romains 
qu'ils  y  sont  introduits.  Entre  autres  spectacles  offerts  par  Sylla  aux 
Asiatiques  réunis  dans  Ephèse,  on  trouve  des  combats  de  gladiateurs 
et  d'athlètes  ;  on  en  trouve  à  Corinthe  avec  la  colonie  qu'y  envoie 
Jules  César;  et  là  ils  devinrent  l'objet  d'une  vive  passion;  il  paraît 
même  que  l'émulation  gagna  un  jour  le  peuple  d'Athènes  ;  lorsqu'un 
orateur  lui  proposa  d'imiter  les  fêtes  sanguinaires  de  Corinthe ,  un 
philosophe  s'écria,  dit-on,  dans  l'assemblée  :«  Athéniens,  avant 
d'appeler  les  gladiateurs  renversez  donc  l'autel  de  la  Pitié.  »  L'autel 
resta  debout,  et  Athènes  eut  des  gladiateurs;  mais  cela  se  passait 
seulement  au  premier  siècle  de  l'empire. 

Les  Athéniens  n'aimaient  pas  le  sang;  et  s'ils  l'avaient  plus  d'une 
fois  versé ,  c'était  du  moins  pour  d'apparentes  raisons  d'État.  Les  jeux 
mêmes  d'athlète  répugnaient  à  leur  humanité,  ou,  si  l'on  veut,  à  leur 
élégante  mollesse.  J'en  juge  par  l'amère  dérision  qu'en  a  faite  un 
poëte  de  la  comédie  nouvelle;  il  fallut  trois  cents  ans,  le  contact  et 
presque  l'invasion  d'une  société  toute  romaine  pour  leur  faire  ac- 
cepter les  divertissements  du  cirque.  C'est  à  la  même  date  que  se 
rapportent  le  petit  nombre  de  monuments  où  sont  mentionnés  des 
jeux  de  gladiateurs  à  Mégare,  à  Milet,  à  Aphrodisias,  en  Carie  ,  à 
Ancyre ,  en  Galatie  où  on  les  voit  aussi  joints  à  des  combats  de  tau- 
reaux. Mais  on  n'a  pas,  que  je  sache,  trouvé  les  traces  d'un  seul 
amphithéâtre  construit  par  des  Grecs  et  pour  eux  avant  la  conquête 
des  Romains;  c'est  là  un  fait  honorable  pour  les  mœurs  grecques  et 
que  l'on  ne  saurait  trop  remarquer  (1). 

(1)  Bœckh,nos  1053,  2880,  2889,  2759,  b,  4039,  où  la  mention  des  jeux  de  gla- 


POLÉMON.  457 

Au  contraire  dès  le  temps  de  Polémon  la  Grèce  était  couverte  de 
théâtres.  On  en  peut  compter  plus  de  cent  connus  par  les  ruines  qui 
en  restent  ou  par  des  témoignages  certains  (1).  Rien  n'égalait  l'ému- 
lation des  cités  helléniques  pour  les  exercices  du  gymnase  et  surtout 
pour  les  fêtes  de  l'intelligence.  Sur  les  côtes  seules  de  l'Asie  Mineure 
d'innombrables  fragments  d'archives  municipales  attestent  quelles 
dépenses  s'imposaient  les  habitants  des  plus  humbles  villes  pour 
honorer  leurs  fêtes  par  la  lutte  des  artistes  les  plus  distingués.  La 
seule  Téos ,  patrie  d'Anacréon ,  nous  en  fournira  des  exemples.  Elle 
avait  des  concours  de  musique ,  de  déclamation  pour  tous  les  genres, 
et  elle  était  même  devenue  le  chef- lieu  d'une  corporation  d  artistes 
dont  l'existence  nous  serait  à  peine  connue  sans  le  témoignage  des 
monuments  (2).  Cette  corporation  renfeimait  des  musiciens  et  des 
acteurs  ;  placée  sous  la  tutelle  particulière  du  dieu  Bacchus  dont  les 
fêtes  se  célébraient  ordinairement  par  des  représentations  drama- 
tiques, elle  s'intitulait  Synode  des  artistes  de  Bacchus  pour  VIonie  et 
l'Hellespont;  mais  on  voit  qu'en  réalité  ses  services  s'étendaient  au 
delà  de  ces  deux  pays.  En  etlèt  d'autres  confréries  analogues  se  rat- 
tachaient au  synode  de  Téos,  d'abord  à  Téos  même  celle  des  artistes 
auxiliaires  sans  doute  recrutée  tous  les  ans  par  de  nouveaux  venus 
de  diverses  écoles  grecques;  puis  à  Pergame,  celle  des  Attalisles 
plus  spécialement  placée  sous  la  protection  des  Eumène  et  des  At- 
tale;  celle  de  l'isthme,  de  Némée,  de  Delphes,  de  Thespie.  Toutes 
étaient  en  vertu  d'un  oracle  d'Apollon  également  inviolables,  en 
temps  de  paix  comme  en  temps  de  guerre  ;  chacune  avait  ses  fonc- 
tionnaires, ses  règlements,  ses  revenus;  elle  pouvait  décréter  des 
distinctions  honoritiques  à  ses  protecteurs  et  à  ses  bienfaiteurs.  Ainsi 
un  joueur  de  flûte,  natif  de  Chalcédoine  et  nommé  Craton,  deux  fois 


diateurs  est  presque  toujours  accompagnée  de  quelque  nom  romain ,  preuve  que 
les  Grecs  y  avaient  rarement  l'initiative.  Les  autres  textes  relatifs  à  ces  jeux  en 
Grèce  sont  réunis  par  M.  Welcker,  livre  cité,  p.  62,  63;  et  par  M.  Letronne ,  à 
l'occasion  d'un  monument  inédit,  dans  un  article  de  la  Revue  Archéologique , 
15  avril  1846. 

(1)  Voy.  Welcker,  la  Tragédie  grecque  dans  ses  rapports  avec  le  Cycle, 
p.  1298  etsuiv. 

(2)  Les  principaux  textes  relatifs  aux  Artistes  de  Bacchus  sont  réunis  par  Grysar, 
de  Tragœdia  circum  tempora  Demoslhenis  (in-4.  Cologne,  1830};  et  par  Bœckh , 
dans  son  riche  commentaire  sur  la  première  des  inscriptions  relatives  a  Craton  , 
Corpus,  n  »'  3067.  Quant  au  dernier  trait  de  notre  esquisse,  voir  le  fragment  95e  de 
Polémon.  Sur  la  mise  en  scène  chez  les  anciens,  on  peut  lire  trois  savants  articles, 
publiés  sur  ce  sujet ,  par  M.  Magnin ,  dans  la  Revue  des  Peux-Mondes  (  ltr  sep- 
tembre 1839;  i  "  avril  et  1"  novembre  1840). 

ni.  30 


458  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

prêtre  du  synode  de  Téos  et  ordonnateur  des  jeux ,  d'ailleurs  bon 
chef  de  troupe,  ayant  rendu  à  ses  confrères  et  administrés  d'émiueuts  i 
services  par  sa  générosité  personnelle  et  en  appelant  sur  eux  les 
bienfaits  des  Attales,  les  artistes  du  grand  synode  lui  ont  successive- 
ment voté  des  couronnes  avec  proclamation  au  théâtre  et  dans  les 
repas  de  corps ,  trois  statues  dont  une  à  Téos ,  1  autre  à  Délos ,  la 
troisième  au  lieu  qu'il  choisira  lui-môme ,  entin  un  trépied  destiné 
à  être  placé  sous  sa  statue  dans  le  temple  de  Uacchus  a  Téos.  Les 
attahstes  ont  ajouté,  pour  leur  part,  à  ces  honneurs,  et  l'exemple 
a  été  suivi  par  ceux  de  l'Isthme,  et  ceux  de  i^émée.  Tant  de  recon- 
naissance stimula  sans  doute  le  zèle  bienfaisant  de  Craton.  Ln  mou- 
rant il  légua  aux  attahstes  des  sommes  considérables  pour  les  dé- 
penses de  leurs  fêtes  ;  l'emploi  de  ces  sommes  était  réglé  par  un  acte 
spécial  qu'approuva  le  roi  de  Pergame.  Craton  laissait  encore  à  &o& 
anciens  confrères  un  mobilier  dont  l'inventaire  minutieux  était  an- 
nexé aux  deux  pièces  précédentes.  Il  s'est  conservé  de  cet  inventaire 
quelques  lignes  où  je  remarque,  entre  autres  curiosités,  des  lapis, 
une  lampe  a  deux  mèches,  un  bouclier  et  une  lance;  c'était  donc  a 
n'en  pas  douter  des  ustensiles  de  théâtre.  Polémon  s  intéressait  dans 
ses  visites  à  tous  ces  détails ,  et  c'est  peut-être  dans  le  magasin  de 
quelque  théâtre  comme  celui  de  Craton  qu'il  avait  vu  ces  épées , 
qu'il  nous  montre  fabriquées  tout  exprès  pour  que  la  laaie  au 
moindre  eiïbrt  rentrât  dans  le  fourreau.  Ajax  en  avait  une  ainsi  laite 
lorsqu'il  se  donnait  la  mort  dans  la  pièce  de  Sophocle.  Combien  est 
vieux  le  secret  de  se  tuer  au  théâtre  sans  danger  pour  la  vie  I 

Cette  société  des  artistes  que  Polémon  avait  vue  si  llonssanie  sous 
la  protection  des  Attales,  changea  plusieurs  fois  de  chef-lieu  et  aussi 
de  tortune  pendant  les  révolutions  qui  ravagèrent  1  Asie  avant  l'éta- 
blissement définitif  des  Romains,  mais  il  ne  paraît  pas  qu'elle  ait  un 
instant  cessé  de  desservir  les  théâtres  grecs  de  1  Orient  j  ou  la  retrouve 
sous  les  empereurs  à  Smyrue ,  à  Aphrodisias ,  à  Athènes  j  elle  avait 
alors  des  afliliés  dans  les  artistes  latins,  et  le  féroce  Commode 
compte  parmi  ses  derniers  protecteurs.  C'était,  à  ne  partir  que  des 
Attales  environ,  cinq  siècles  de  durée.  D'abord  salariées  par  les  répu- 
bliques comme  jadis  chez  les  Athéniens,  puis  constitués  eu  corps 
presque  indépendants ,  les  artistes  allaient  retomber  sous  l'étroite 
dépendance  du  despotisme  impérial  (1).  L'époque  des  synodes  est 

(1)  Voy.  Orelli ,  Insc.  lai.,  n08  884  ,  2203,  2625,  2627.  Le  Beau,  dans  les  Mém. 
de  l'Acad.  de  Vins.,  t.  XXXI ,  p.  58-61.  liist.  L'étrange  oppression  qui  pèse  sur 
les  artiste»  dramatiques ,  au  IV  siècle  de  l'ère  chrétienne ,  est  constatée  par  diverses 


POLEMON.  459 

peut-être  la  plus  brillante  de  leur  histoire,  comme  c'est  la  plus  né- 
gligée par  les  historiens.  Nos  confréries  dramatiques  du  moyen  âge 
ont  eu  moins  longue  et  moins  glorieuse  vie;  et  quant  à  là  Société  du 
théâtre  français,  si  riche  de  noms  illustres,  sommes-nous  sûrs  que 
dans  vingt  siècles  la  postérité  lise  encore  les  registres  de  ses  délibé- 
rations, comme  nous  lisons  aujourd'hui  dans  le  musée  du  Louvre  (l) 
le  décret  rédigé  à  l'honneur  de  Craton  par  les  ancêtres  de  Lekain  et 
de  Talma  ? 

E.  Egger. 

constitutifs  du  code  Thèvdosien,  XXV,  9, 1  ;  XV,  7  et  12.  Cf.  Justinien,  2Vov.  M. 
Aulh.  50. 

(1)  Voir  le  fac-similé  de  ce  marbre  précieux  dans  le  recueil  de  M.  de  Clarac, 
Inscriptions  du  musée  du  Louvre,  pi.  XXXIV. 

oW 

(  La  suite  au  prochain  numéro. } 


LETTRE  DE  M,  LETR01E  A  M.  LEMIRÏAXT 

SUR 

LA  TÊTE  DE  PHIDIAS 

TROUVEE  A   LA  BIBLIOTHEQUE   ROYALE, 
ET 

SUR  I  A   COLLECTION  DE  NOINTEL  DONT  ELLE  FAISAIT  JADIS  PARTIR. 


IBONSLEUR  ET  CHER  CONFRÈRE , 

Dans  une  des  dernières  séances  de  l'Académie,  yous  avez  lu  un 
très-intéressant  Mémoire  sur  une  tête  de  femme  en  marbre  pen- 
télique,  qui  se  trouvait  dans  les  caves  de  la  Bibliothèque  royale. 
Vous  avez  établi  que  cette  tête  doit  être  celle  d  une  des  figures  qui 
ornaient  l'un  des  frontons  du  Parthénon.  C'est  là  une  découverte, 
aussi  curieuse  qu'inattendue,  qui,  dès  le  premier  moment  que  j'ai 
entendu  votre  exposition,  m'a  paru  complètement  démontrée. 
Vous  vous  souviendrez  que,  séance  tenante,  je  vous  ai  témoigné 
combien  j'étais  frappé  de  la  justesse  de  vos  rapprochements,  et  con- 
vaincu de  la  réalité  de  votre  conjecture.  Une  note  que  j'ai  fait 
insérer  dans  la  Reçue,  quelques  jours  après  (1),  en  rappelant  très- 
sommairement  les  preuves  que  vous  aviez  données,  exprimait  aussi 
ma  propre  conviction. 

En  avouant,  ainsi  que  vous,  l'ignorance  complète  où  j'étais  sur  la 
provenance  de  ce  beau  reste  antique,  je  témoignais  l'espoir  qu'on  la 
découvrirait  un  jour,  comme  on  y  était  parvenu  pour  deux  autres 
restes  des  sculptures  du  Parthénon ,  trouvés,  de  même  que  celui-ci , 
en  des  lieux  où  personne  ne  soupçonnait  qu'ils  pussent  être. 

C'est  en  effet  la  troisième  découverte  de  ce  genre. 

La  première  eut  lieu  en  1828,  au  musée  de  Copenhague.  Mon 
savant  ami  Olaùs  Brœndsted  y  remarqua  deux  fragments  en  haut 
relief  antiques  du  plus  beau  temps  de  l'art,   qui  gisaient  là  sans 

(1)  Voir  la  Revue,  p.  336  de  ce  volume. 


LETTRE   A   M.    LENORMÀJNT.  461 

honneur ,  personne  n'en  connaissant  ni  la  valeur  ni  la  provenance. 
Ayant  fait  une  étude  approfondie  des  sculptures  du  Parthénon,  tant 
sur  les  lieux  qu'en  Angleterre,  il  reconnut  aussitôt  dans  ces  deux 
fragments  deux  têtes  ayant  appartenu  à  une  des  métopes  du  temple 
de  Minerve.  Mais  n'osant  pas  ,  comme  il  le  dit,  ce  s'en  rapporter 
a  uniquement  à  des  ressemblances  qui  pouvaient  le  tromper  (2),  »  il 
ne  fut  certain  dune  découverte,  qui  le  surprenait  lui-même,  que 
lorsqu'il  fut  parvenu,  à  force  de  recherches,  à  démontrer  que  ces 
fragments  avaient  été  apportés  d'Athènes,  en  1688,  par  le  capi- 
taine danois  Hartmand,  qui  accompagnait  le  comte  de  Kœnigsmark, 
commandant  la  cavalerie  dans  l'armée  du  général  vénitien  Morosini , 
lors  du  siège  et  du  bombardement  de  l'Acropole,  en  1687.  Tous  ses 
doutes  furent  alors  dissipés  (3). 

La  seconde  découverte  du  même  genre  fut  faite  à  Venise,  il  y  a 
deux  ans,  par  notre  confrère  M.  de  Laborde;  après  avoir  constaté , 
par  une  comparaison  attentive  et  éclairée,  que  la  tête  de  femme  qu'il 
trouva,  malheureusement  très-mutilée,  provenait  des  sculptures  du 
Parthénon,  il  chercha  une  explication  historique,  et  la  trouva 
facilement.  On  sait  que  Morosini  emporta  d'Athènes  plusieurs  an- 
tiquités, entre  autres  le  lion  colossal  du  Pirée,  et  un  autre  lion 
trouvé  près  d'Athènes  ;  en  outre,  qu'il  tenta  même  d'enlever  les  che- 
vaux du  char  de  Minerve  sur  le  fronton  occidental  du  Parthénon  ; 
mais  qu'on  s'y  prit  si  maladroitement,  que  le  groupe  tomba  et  se 
brisa  sur  le  rocher.  Cette  circonstance  explique  très -bien,  comme 
l'a  remarqué  M.  Mérimée,  d'après  les  observations  de  M.  de  La- 
borde (4),  la  présence  à  Venise  de  cette  belle  tête  de  Phidias, 
que  notre  confrère  a  eu  le  bon  goût  de  reconnaître,  et  le  bonheur 
d'acquérir. 

Nous  vous  devrons,  monsieur  et  cher  confrère,  la  troisième  dé- 
couverte de  ce  genre;  car  vous  avez  très-bien  établi  que  la  tête  de 
femme  provient  du  Parthénon ,  et  déterminé  à  quelle  figure  elle 
appartenait;  mais  vous  n'aviez  pu  deviner  quand  et  comment  elle  a 
pu  être  apportée  d'Athènes,  et  par  quel  hasard  elle  se  trouvait  dans 
les  caves  de  la  Bibliothèque  royale ,  à  l'insu  de  tout  le  monde. 

Convaincu  qu'avec  un  peu  de  peine  on  devait  y  parvenir,  j'ai  fait 
quelques  recherches  qui  m'ont  mis,  je  crois,  en  état  de l tracer  la 


(2)  Brœndstcd  ,  Voyages  et  recherches  en  Grèce,  V  livraison,  p.  17ô. 

(3)  Le  même,  p.  182. 

(4)  Voir  la  Revue,  t.  !,  p.  83?. 


462  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

route  fort  dilïérente  que  ce  fragment  a  suivie  pour  arriver  d'Àthèrres 
au  lieu  où  il  a  été  si  heureusement  retrouvé. 

J'ai  pensé  qu'un  exposé  de  ces  recherches  ne  serait  pas  sans- 
intérêt,  puisqu'il  doit  ajouter  une  preuve  historique  aux  ingénieux 
rapprochements  que  vous  avez  faits. 


On  n  aperçoit  qu  une  seule  occasion  qui  puisse  historiquement 
expliquer  le  transport  à  Paris  de  ce  fragment  du  Parthénon.  C'est  le 
retour  de  M.  de  Nointel ,  qui  fut  ambassadeur  à  Constantinople,  entre 
1670  et  1679.  On  sait  que  cet  ami  éclairé  des  arts,  voulant  mettre 
à  profit  sa  mission  en  Orient ,  avait  emmené  avec  lui  deux  dessi- 
nateurs, dont  l'un  était  Carrey ,  disciple  de  Le  Brun,  que  ce  grand 
peintre  désigna  lui-même.  Nointel ,  après  être  resté  à  Constan- 
tinople jusqu'au  1 5  octobre  1 673 ,  en  partit  pour  visiter  les  diverses 
échelles  du  Levant.  Arrivé  à  Athènes  vers  la  fin  de  1674,  il  y  fit 
dessiner  par  Carrey  un  grand  nombre  d'antiquités ,  notamment  les 
figures  des  deux  frontons  du  Parthénon  dans  l'état  où  elles  se  trou- 
vaient alors. 

Ces  précieux  dessins,  dont  M.  Quatremère  de  Quincy,  et,  après  lui, 
d'autres  savants ,  ont  fait  un  judicieux  usage  pour  la  restitution  con- 
jecturale des  deux  frontons ,  existent  à  la  Bibliothèque  royale.  Sur  le 
dessin  qui  représente  le  fronton  occidental ,  la  figure  à  laquelle , 
d'après  vos  rapprochements,  a  dû  appartenir  la  tête  en  question, 
est  intacte;  du  moins  cette  tète  y  est-elle  en  place.  Mais,  il  serait 
possible  que  ce  fût  une  restauration  de  Carrey  ;  et  que  la  tête  fût 
alors  tombée,  gisant  au  pied  de  la  figure,  sur  la  saillie  même  du 
fronton.  Dans  cette  chute  de  quelques  pieds ,  la  tête,  tombée  sur 
le  nez,  n'a  perdu  que  cette  partie  saillante;  car  tout  le  reste,  même 
les  lèvres  et  le  menton,  est  presque  intact.  Carrey  ne  devait  avoir 
aucun  doute  sur  la  figure  à  laquelle  la  tète  avait  appartenu;  il  put 
sans  erreur  la  remettre  en  place  dans  son  dessin.  Quant  à  la  tète 
elle-même,  il  la  descendit,  et  elle  fit  partie  de  cette  belle  collection 
^Antiquités  attiques ,  que  Nointel  rapporta  de  son  ambassade. 

Voilà  donc  par  quelle  voie  la  tète  de  Phidias  a  dû  parvenir  à  Paris. 
Maintenant  comment  est-elle  entrée  si  secrètement  à  la  Bibliothèque 
royale  ?  Pour  s'en  rendre  compte,  il  faut  suivre,  autant  que  possible, 
les  vicissitudes  de  la  collection  de  Nointel. 


De  retour  à  Paris,  en  1679,  l'ex-ambassadeur  y  vécut  encore  six 


LETTRE   A  M.   LENORMANT.  463 

armées  jusqu'au  34  mars  1685,  gardant  avec  soin  auprès  de  lui  les 
pr&ieux  monuments  qu'il  avait  réunis  avec  tant  de  sollicitude  ;  et 
ce  fut  probablement  kî  qui ,  sachant  bien  que  la  tête  provenait  cfu 
Parthénon ,  et  en  connaissant  toute  la  valeur ,  y  fit  remettre  un  nou- 
veau nez  qui  sera  tombé  dans  l'une  des  translations  postérieures  de 
la  collection. 

Caylus  écrit,  en  1704  :  «  Nointel  avait  donné  plusieurs  de  ses 
«  antiquités  à  Baudelot  de  Dairval ,  qui  a  légué  son  cabinet  à  l'Aca- 
«  demie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  (5);  et  je  publie,  de  Vas- 
te semblage  qu'on  y  conserve,  les  quatre  planches  suivantes  (LXI  à 
«  LXIV,  dut.  VI),  »  contenant  deux  inscriptions  et  sept  bas- 
reliefs  funéraires,  qui  tous  sont  au  Musée  du  Louvre ,  moins  un 
qui  s'est  égaré  en  chemin.  Caylus  croit  que  la  collection  de  Nointel 
contenait  d'autres  monuments  que  ceux  qui  formaient  le  legs  aca- 
démique, puisqu'il  dit  :  «  J'avoue,  à  la  honte  de  mon  pays,  qu'on 
«  ignore  ce  qu'ils  sont  devenus.  »  MiniJflOD  4  b 

Je  ne  sais  où  Caylus  a  pris  que  la  collection  de  Nointel  n'était 
pas  entière;  mais  il  semble  en  contradiction  avec  de  Boze ,  qui  a 
rédigé  l'éloge  de  Baudelot  vers  1724,  deux  années  seulement  après 
la  mort  de  celui-ci,  et  quarante  ans  avant  que  Caylus  n'écrivît 
le  passage  cité.  Parlant  du  legs  fait  par  Baudelot  à  l'Académie,  de 
ses  médailles,  de  ses  bronzes  et  de  ses  marbres  antiques,  notamment 
des  deux  grandes  inscriptions ,  de  Boze  dit  seulement  :  Ces  marbres 
passèrent  de  M.  de  Nointel  à  M.  (Melchisedec)  Thévenot,  garde  de  la 
Bibliothèque  du  roi  (fi).  11  ne  dit  point  que  M.  de  Nointel  en  eût  donné 
aucun  de  son  vivant,  et  j'avoue  qu'il  ne  me  parait  pas  fort  probable 
que  l'ex- ambassadeur,  qui  attachait  tant  de  prix  à  sa  collection,  l'eût 
décomplétée  en  se  privant  de  quelques-uns  des  morceaux  qui  la  com- 
posaient. De  Boze  ne  laisse  pas  même  soupçonner  que  la  collection 
ne  passa  pas  tout  entière  dans  les  mains  de  Thévenot  ;  et  il  n'y  à 
nulle  raison  de  croire  qu'il  en  fût  autrement. 

On  ne  s'étonnera  pas  que  Nointel  eût  choisi  Thévenot  pour  léga- 
taire de  sa  collection.  11  connaissait  l'instruction  profonde  et  variée 
de  ce  savant  communicatif,  qui  était  consulté  avec  fruit  par  tous  les 
voyageurs  ;  et  il  avait  pu  profiter  de  ses  conseils  pour  la  relation  de 
ses  propres  voyages,  qui  l'occupa  constamment  dans  sa  retraite.  A 
quelles  plus  dignes  mains  pouvait-il  laisser  son  trésor? 

D'ailleurs ,  au  moment  de  la  mort  de  Nointel ,  le  31  mars  1685, 

(5)  Caylus ,  Rec.  d'Antiq.,  t.  vr,  p.  197. 

(6)  jtfm.  Acad.  Intcr.,  U  V.  MM.,  p.  W ,  «**£*  l0W 


464  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

il  y  avait  déjà.u»  an  que  Thévenot  était  garde  delà  Bibliothèque 
du  roi.  Nointel  devait  désirer  et  espérer  que  celui-ci ,  à  son  tour , 
léguerait  la  collection  à  cet  établissement  public. 

Mais  il  n'en  fut  rien,  peut-être  uniquement  par  la  négligence  de 
Thévenot  à  faire  son  testament;  ce  qui  arrive  trop  souvent  à  ceux 
même  qui  ont  le  plus  de  motifs  pour  laisser  des  dispositions  dernières, 
et  qui,  attendant  toujours  au  dernier  moment,  sont  surpris  par 
la  mort ,  avant  d'avoir  rien  arrêté. 

De  Boze  nous  apprend  que  Thévenot  avait  fait  transporter  la  collec- 
tion à  sa  maison  de  campagne,  située  à  Issy,  où  il  mourut  en  1692  , 
peu  de  mois  après  avoir  renoncé  à  ses  fonctions  de  bibliothécaire. 

C'est  alors  que ,  dans  le  récit  de  de  Boze ,  se  montre  pour  la 
première  fois  le  nom  de  Baudelot  de  Dairval.  Baudelot  apprit  que 
Thévenot  n'avait  fait  aucune  disposition  à  l'égard  de  sa  collection  d'an- 
tiquités. Pour  prévenir  une  dispersion  fâcheuse,  il  se  rendit  à  la  maison 
d'Issy.  «Là,  continue  son  biographe,  proOtant  de  la  mauvaise  humeur 
«  que  causaient  aux  héritiers  ces  maudites  masses  de  pierre  qui 
«  leur  remplissaient  toute  une  salle  basse ,  il  leur  en  proposa 
«  le  marché,  les  acquit  enfin  et  ne  les  perdit  pas  de  vue.  Sa  joie 
«  lui  prêta  ce  jour-là  des  forces  d'athlète  pour  les  charger  presque 
«  seul  sur  la  première  voiture  qu'on  trouva ,  et  les  conduire  pas  à 
<  pas,  jusqu'au  faubourg  Saint-Marceau,  où  il  demeurait.  Il  donna 
pc  la  même  attention  à  son  déménagement  quand  il  vint  loger  au 
«  faubourg  Saint-Germain.  » 

C'est  de  là  que  les  marbres  antiques  de  Nointel ,  par  suite  du 
legs  de  Baudelot,  passèrent  à  l'Académie,  et  furent  placés  dans  une 
pièce  du  vieux  Louvre ,  comme  il  est  dit  dans  une  note  de  l'édi- 
tion de  1727  de  son  livre,  intitulé  de  TUdlité  des  Voyages  (7): 
a  A  l'Académie  royale  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres ,  qui  siège 
«  au  vieux  Louvre,  on  conserve  le  cabinet  de  feu  M.  Baudelot,  qui 
«  était  pensionnaire  de  cette  académie;  il  est  composé  d'une  suite 
«  de  médailles  antiques  d'argent  et  de  bronze,  etc.  Mais,  ce  qui  est 
«  ici  de  plus  précieux  sont,  entre  autres, plusieurs  morceaux  antiques 
ce  de  marbre f  et  deux  tables  chargées  d'inscriptions  grecques.  »  (Ce 
sont  celles  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de  Nointel.) 

Je  ne  doute  point,  pour  ma  part,  que  la  tête  de  Phidias  ne  fût 
au  nombre  de  ces  morceaux  antiques  de  marbre.  Personne  ne  s'éton- 

(7)  T.  II,  p.  32». 

(S)  L'auteur  anonyme  de  celle  addition  à  l'ouvrage  de  baudelot  dit  que  les  in- 
scriptions avaient  été  rapportées  par  Thévenot;  cela  n'est  guère  vraisemblable. 


LETTRE   A   M.   LENORMANT.  465 

nera  qu'une  pièce  de  ce  mérite  n'y  ait  pas  été  remarquée  ,  même  de 
Caylus ,  qui  pourtant  était  connaisseur.  Pour  sentir  la  valeur  et 
deviner  l'origine  de  ce  morceau  mutilé,  il  aurait  fallu  avoir  des 
points  de  comparaison  dont  on  manquait  entièrement.  La  sculpture 
de  Phidias  était  inconnue.  Vous-même ,  monsieur  et  cher  confrère , 
vous  êtes  convenu  que,  si  vous  n'aviez  pas  eu  sous  les  yeux  les  plâtres  des 
figures  du  Parthénon ,  et  surtout  la  tête  rapportée  de  Venise  par 
notre  confrère  M.  de  Laborde ,  vous  n'auriez  peut-être  pas  eu  l'idée 
de  chercher  dans  celle-ci  un  débris  du  Parthénon,  tant  on  devait 
être  loin  de  soupçonner  qu'un  pareil  débris  pût  se  trouver  égaré 
dans  une  cave  de  la  Bibliothèque  au  milieu  d'autres  débris. 

La  collection  de  Nointel  resta  au  Louvre,  telle  que  Caylus 
l'avait  vue,  jusqu'à  la  destruction  des  Académies,  qui  eut  lieu  le 
8  août  1793  (21  thermidor  an  i);  j'avais  d'abord  cru  qu'elle 
passa  aussitôt  après ,  partie  au  Musée  central  des  arts  formé  au 
Louvre,  partie  au  Musée  des  monuments  français  ou  au  Cabinet  des 
Antiques  de  la  bibliothèque  nationale.  Mais  les  pièces  qui  existent 
aux  Archives  du  Royaume  montrent  qu'il  en  fut  autrement. 

J'ai  trouvé  d'abord  un  inventaire  des  objets  d'antiquités  provenant 
du  mobilier  de  là  ci-devant  Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres, 
déposés  dans  un  cabinet  au  rez-de-chaussée ,  derrière  la  salle  de  la 
ci-devant  Académie  française.  Cet  inventaire,  signé  Le  Blond  (  agent 
et  secrétaire  de  la  commission  des  monuments),  est  du  18  nivôse 
de  l'an  h  (7  janvier  1794),  environ  six  mois  après  la  destruction  de 
l'Académie.  Cet  inventaire  contient  : 

1°  Les  cinq  bas-reliefs,  trouvés  en  1711,  dans  une  fouille  à 
Notre-Dame  (maintenant  au  Musée  de  Cluny)  ; 

2°  L'inscription  ABYAHN0IT0NAYTÛN2QTHPA  (Caylus,  t.  VI, 
p.LXI,  1); 

3°  Les  deux  marbres  de  Nointel  ; 

4°  Le  bas-relief  avec  l'inscription  AHMHTPI02 ,  etc.  (Caylus, 
t.  VI,  pi.  LX1II,2); 

5°  Un  bas-relief  avec  inscription  grecque  (sans  autre  désignation); 

6°  Inscription  grecque  commençant  par  EIII  APX0j\T02  <I>AI- 
APIOY  [Musée  du  Louvre,  n°  452  )  ; 

7°  L'inscription  greco-phénicicnne:  N0YMHNI02(le  même,  n°488); 

8°  Vingt-six  fragments  de  marbre ,  bas-reliefs ,  petites  statues 
antiques,  etc.  que  l'espace  (le  temps)  n'a  pas  permis  de  décrire. 

Et  nous  devons  fort  le  regretter ,  car  nous  aurions  là  un  inven- 
taire détaillé  et  probablement  complet  de  la  collection  de  Nointel. 


466  HEVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Elle  était  donc  encore  au  Louvre  le  7  janvier  1794. 

En  août  (thermidor)  de  cette  même  année,  elle  y  était  ertcore;  mais 
un  autre  inventaire  de  l'année  suivante,  à  la  môme  époque  (thermi- 
dor an  m),  prouve  qu'elle  n'y  était  plus.  On  croirait  naturellement 
qu'elle  dut  être  retirée  de  la  salle  au  rez-de-chaussée,  pour  être 
réunie  au  Musée  central  des  antiques  au  Louvre.  Mais,  ptar  une 
bizarrerie  que  je  ne  m'explique  pas ,  elle  fut  portée  au  Musée  des 
monuments  français ,  rue  des  Petits- Augustins. 

J'ai  sous  les  yeux  un  inventaire  de  h  Salle  des  Antiques  au  Lonvre, 
daté  du  4  septembre  1793  (18  fructidor  an  i).  Les  antiques  se  com- 
posent de  statues,  bustes  et  bas-reliefs  en  marbre,  parmi  lesquels 
rien  ne  se  trouve  de  ce  qui  faisait  partie ,  soit  du  dépôt  des  monu- 
ments français,  soit  de  la  collection  de  Nointel. 

Depuis,  on  commença  de  retirer  du  dépôt  des  monuments  français,  les 
objets  d'antiquités  qu'on  y  avait  réunis.  Ce  dépôt  avait  reçu  d'abord  ce  qui 
se  trouvait  dans  les  églises,  les  châteaux,  les  hôtels  des  émigrés,  sans 
distinction  des  natures  d'objets.  Il  s'y  trouva  donc  un  grand  nombre 
d'objets  antiques  dont  il  existe  un  inventaire  du  29  septembre  1793 , 
signé  Favé  et  Lenoir.  On  en  retira  peu  à  peu  tout  ce  qui  n'était  pas 
relatif  à  l'histoire  nationale. 

Une  lettre  de  Ginguené,  du  27  frimaire  an  ni  (l  7  décembre  1 794), 
écrite  à  Al.  Lenoir,  au  nom  de  la  commission  executive  de  l'in- 
struction publique,  annonce  que  le  Conservatoire  du  musée  des  arts 
est  autorisé  à  prendre  dans  le  Musée  des  monuments  français  tout  ce 
qui  lui  paraîtra  de  nature  à  en  faire  partie,  et  l'invite  à  remettre  tout 
ce  que  ce  conservatoire  voudra  choisir.    «  ebitai-eed  pnfo 

Suit  un  état  des  objets  d'art  remis  au  Muséum  :  ce  sont,  en  fait 
d'antiquités,  les  statues  de  Méléagre,  de  Junon,  de  Germanicus,  de 
Bacchus,  du  petit  Méléagre.  Ces  statues  y  avaient  été  apportées  du 
jardin  de  Richelieu,  comme  on  le  voit  par  un  catalogue,  adressé 
le  22  thermidor  an  n  (9  août  1794  ),  où  Lenoir  décrit  en  détail  les 
statues,  bustes  et  bas-reliefs,  antiques  ou  modernes,  que  possédait 
ce  qu'on  appelait  encore  \e  dépôt  provisoire  des  Petits- Augustins ,  et 
il  indique  la  provenance  de  chacun  des  objets.  Lenoir  demandait  la 
permission  défaire  imprimer  son  catalogue;  Lebrun,  qui  fut  chargé 
de  l'examiner,  ne  fut  pas  de  cet  avis,  parla  raison  assez  bonne, 
que  le  dépôt  étant  provisoire  et  movible  (sic),  le  catalogue,  avant 
que  l'impression  ne  fût  même  terminé ,  serait  inexact  et  incom- 
plet. Il  donnait  cette  autre  raison,  qu'il  s'y  est  glissé  quelques 
erreurs  accréditées  par  les  possesseurs  de  ces  objets  qui  s  étaient 


LETTRE   A   M.    LENORMÀNT.  467 

fak  un  devoir  très-chrétien  de  mentir  et  de  tromper  le  peuple  con- 
tinuellement. Je  ne  serais  pas  surpris  que  cette  raison  n'ait  paru  alors 
la  meilleure.  1  Jgom  ii  tiO  , 

Quoi  qu'il  en  soit,  ce  catalogue  ne  contient,  en  fait  de  monu- 
ments antiques,  que  les  statues  que  Lenoir  fut  obligé  de  céder  au 
Muséum,  en  vertu  de  la  lettre  de  Ginguenédu  27  frimaire  an  m. 

Mais  ce  conservateur  voyait  toujours  avec  déplaisir  qu'on  retirât  de 
son  dépôt  des  objets  antiques  qu'il  avait  l'espoir  de  conserver,  même 
quand  ce  dépôt  provisoire  serait  devenu  musée;  ce  qui  arriva  enfin  le 
19  germinal  an  iv  (8  mars  1796),  qu'il  prit  le  titre  de  Musée  spi-- 
cial  des  monuments  français. 

Le  second  catalogue  de  Lenoir  est  daté  du  22  thermidor  de  l'an  m 
(9  août  1795),  juste  une  année  après  le  premier.  Ce  catalogue,  qui 
lui  fut  demandé  par  la  commission  temporaire  des  arts,  contient-, 
au  chapitre  antiquités,  tous  les  objets  (qui  n'étaient  pas  dans  le 
précédent  inventaire),  appartenant  à  la  collection  de  l'Académie 
(plus  haut,  p.  465).  Ce  sont  : 

1°  Un  tombeau  égyptien  en  porphyre  (celui  de  Caylus)^h  lioneJ 

2°  L'inscription  greco-phénicienne ,  Noo^vwç  ;  n  li  ;aok 

a?  Quatre  inscriptions  grecques  (  dont  les  deux  de  Nointel  )  ; 

4°  Huit  statues  antiques  ; 

5°  Treize  bas-reliefs  antiques,  chargés  d'inscriptions  (les  stèles 
funéraires  publiées  par  Caylus ,  de  la  collection  de  Nointel  ); 

6°  Treize  bustes  antiques  en  marbre,  tant  grands  que  petits; 

7°  Dix-neuf  bustes  en  bronze;  b  fcûlq  ueq 

8°  Un  tombeau  antique ,  avec  bas-relief; 

9°  Un  vase  antique  en  marbre  gris;  un  autre  en  albâtre; 

10°  Un  vase  cinéraire  en  verre;    K&i&'b  uJio/  j:*j  in   , 

11°  Un  autel  antique  en  pierre  chargé  de  bas-reliefs;     |  Jidoenoo 

12°  Quatre  autres  pierres  antiques  chargées  d'inscriptions  et  bas- 
reliefs  ;  ttaèai9teilcfeJè  I  !$i§)ni 

1 3°  Une  armoire  garnie  de  petites  figures  en  bronze  inventoriées 
par  les  membres  dé  la  commission  (je  n'ai  pas  retrouvé  cet  in- 
ventaire); îpbup 

14°  Médailles  inventoriées  par  les  mêmes  (inventaire  non 
retrouvé).  &âWm$  Wiifi9 

On  reconnaît  ici,  avec  quelques  autres  objets,  tous  ceux  qu'in- 
dique sommairement  l'inventaire ,  rapporté  plus  haut,  de  ce  qui  ayajt 
appartenu  à  l'Académie ,  provenant  de  la  collection  de  Nointel.  Ainsi* 
le  22  thermidor  an  u ,  ils  n'étaient  pas  au  dépôt  des  Petits-Au- 


468  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE . 

gustins;  un  an  après,  ils  y  étaient  entrés,  et  la  plupart,  comme 
nous  Talions  voir,  n'en  sortirent  qu'en  l'an  xi,  huit  ans  après. 

Or,  il  m'est  impossible  de  me  rendre  compte  de  cette  translation. 
On  a  vu ,  par  la  lettre  de  Guiguené  du  27  frimaire  de  cette  année, 
que  Lenoir  devait  céder  les  antiques  qu'il  possédait  au  Musée  du 
Louvre.  Comprend-on  que  huit  mois  après,  la  collection  académique, 
toute  composée  d'antiquités ,  bas-reliefs ,  tombeaux ,  inscriptions , 
bronzes  et  médailles,  déposés  dans  une  salle  au  Louvre,  soit  portée 
en  bloc,  au  dépôt  des  Petits-Augustins,  où  elle  était  complètement 
déplacée,  au  lieu  d'être  mise,  soit  au  Musée  du  Louvre,  soit  au 
Cabinet  des  Antiques,  où  elle  était  appelée  si  naturellement? 

Ce  que  je  ne  comprends  pas  davantage,  c'est  qu'il  n'existe  aucune 
trace  de  cette  translation.  J'ai  lu  les  recueils  des  pièces  relatives  au 
Musée  des  Petits-Augustins  ;  de  plus,  tous  les  procès-verbaux,  jour 
par  jour,  de  la  commission  des  arts,  signés  Le  Blond,  où  se  trouve 
mentionné  tout  ce  qui  tient  au  mouvement  des  Musées,  et  en  outre 
les  états  partiels  contenant  le  mouvement  du  dépôt  provisoire  que 
Lenoir  dressait  une  ou  deux  fois  par  mois,  et  présentait  à  la  commis- 
sion ;  il  m'a  été  impossible  de  trouver  entre  les  époques  des  deux  in- 
ventaires de  thermidor  an  n  et  de  thermidor  an  ni,  aucune  trace  de 
la  translation  de  la  collection  Nointel ,  du  Louvre  au  dépôt  des 
Petits-Augustins.  Le  dernier  de  ces  états  est  daté  du  15  prairial 
an  ni ,  je  n'en  trouve  plus  un  seul  entre  cette  époque  et  le  22  ther- 
midor, date  de  l'inventaire.  Il  y  a  là  une  lacune  administrative  d'un 
peu  plus  de  deux  mois.  C'est  dans  cet  intervalle  que  la  translation 
s'est  opérée. 

Tout  semble  donc  indiquer  que  ce  transport  n'a  pas  eu  lieu  régu- 
lièrement, ni  en  vertu  d'autorisations  écrites.  Lenoir ,  qui  ne  se 
consolait  pas  de  n'avoir  plus  d'antiques ,  aura  proGté  d'un  moment 
de  trouble ,  lorsque  la  commission  du  Musée  ne  veillait  plus  aux 
intérêts  de  cet  établissement,  pour  se  hâter  de  transporter  aux 
Petits-Augustins  la  collection  du  Louvre;  Le  Blond ,  ainsi  que 
Mongez ,  anciens  membres  de  l'Académie,  obtinrent  de  détacher 
quelques  morceaux  pour  le  cabinet  de  la  Bibliothèque  nationale; 
et,  dans  le  nombre,  se  trouvèrent  avec  le  buste  provenant  du 
Parthénon,  les  autres  têtes,  grandes  et  petites,  en  marbre  grec  qui 
y  ont  été  trouvées  en  même  temps,  mais  dont  l'entrée,  opérée  à  la 
même  époque,  n'avait  pas  laissé  plus  de  trace  que  celles  que  reçut  le 
Musée  des  Petits-Augustins. 

L'ordre  régulier  des  opérations  administratives  se  rétablit.  On  en 


LETTRE   A  M.    LENORMANT.  469 

voit  le  premier  indice  dans  une  lettre  du  ministre  de  l'intérieur  Be- 
nezech,  aux  conservateurs  du  Musée  des  arts,  en  date  du  4  germi 
nal  an  4  (24  mars  1796),  ainsi  conçu  : 

Je  vous  préviens,  citoyens,  que  j'ai  chargé  le  citoyen  Le  Noir,  conservateur  du 
Musée  des  antiquités  et  monuments  français,  rue  des  Petits- Augustins ,  de 
mettre  à  votre  disposition,  les  statues,  vases,  tombeaux  et  antiques,  colonnes 
précieuses,  enfin  tous  les  objets  qui ,  n'étant  point  des  monuments  de  notre  histoire, 
seraient  conséquemment  déplacés  dans  ce  Muséum  et  peuvent  embellir  la  belle 
collection  confiée  à  vos  soins. 

Mais  j'autorise  d'une  autre  côté  ce  conservateur  à  revendiquer  dans  les  autres 
dépôts  les  objets  qui  peuvent  compléter  la  collection  des  monuments  français. 

Mon  intention  est  que,  désormais,  chaque  Muséum  spécial  ne  contienne  que  des 
objets  analogues  au  but  de  son  établissement,  et  qu'ils  y  soient  placés  dans  un  ordre 
méthodique.  Il  me  semble  que  l'un  de  ces  moyens  doit  contribuer  à  compléter  ces 
collections,  et  l'autre  à  les  rendre  plus  utiles  à  l'instruction  publique. 

J'espère  que  l'avenir  nous  donnera  les  moyens  de  réunir  au  palais  national  du 
Muséum  ,  tout  ce  qui  peut  compléter  l'histoire  de  l'art  et  de  ses  collections. 

Le  Musée  de  la  rue  des  Petits-Augustins  n'est  qu'une  branche  du  Musée  central 
de  la  république,  mais  en  attendant  qu'elle  soit  réunie,  il  ne  faut  pas  la  décom- 
poser et  lui  ôter  son  caractère,  il  faut  au  contraire  la  compléter.  C'était  le  but  de 
l'arrêté  du  comité  d'instruction  publique  du  29  vendémiaire  dernier;  mais  cet 
arrêté  n'organisait  rien  et  empêchait  le  Muséum  central  de  la  république  de  prendre 
aux  Petits-Augustins  ce  qui  lui  appartenait  réellement. 

Voici  les  mesures  qui  m'ont  paru  convenables  pour  éviter  les  inconvénients  et 
remplir  le  but  d'utilité  et  de  conservation  ,  etc. 

Cette  lettre  est  remarquable,  parce  qu'elle  exprime  une  pensée 
d'unité  et  de  concentration  dans  la  composition  des  Musées,  qui  pou- 
vait être  exécutée,  à  cette  époque  de  réforme  radicale;  et  qui,  ne 
l'ayant  pas  été  alors ,  ne  pourra  plus  l'être  désormais  (9). 

(9)  Cette  pensée  d'unité  se  montre  plus  clairement  et  d'une  manière  plus  complète 
dans  une  lettre  des  membres  du  Conservatoire  des  arts,  aux  représentants  com- 
posant la  deuxième  section  du  comité  d'instruction  publique  ;  il  s'agissait  de  savoir 
si  le  casque,  le  bouclier  et  Vépée ,  dits  à  tort  de  François  1er,  apportés  de  Belgique , 
devaient  être  déposés  au  Muséum  central  des  arts  (  au  Louvre)  ;  ou  au  Muséum 
d'antiquités  (Bibl.  nationale).  La  lettre  est  du  12  messidor  an  3 ,  antérieure  de  dix 
mois  à  celle  de  Benezech. 

«  Le  Muséum  des  antiques  réclame  un  bouclier,  un  casque,  une  épée  ciselée  et 
damasquinée,  récemment  arrivés  de  Hollande.  Nous  pensons  que  ces  objets  seront 
placés  plus  utilement  au  Muséum  des  arts.  Voici  nos  motifs  : 

«  Les  objets  dont  il  s'agit  sont  précieux  par  l'art  du  dessin  et  de  la  ciselure; 
mais  ils  ne  peuvent  être  considérés  comme  devant  faire  partie  d'une  collection 
d'antiques,  car  ces  ouvrages  florentins  portent  l'empreinte  d'une  date  récente,  celle 
du  règne  des  Médiçis. 

«  Un  décret,  dit  on,  attribue  au  Muséum  des  antiques  toutes  les  armures  antiques 
ou  étrangères.  Nous  ignorons  si  l'intention  des  législateurs  a  été  de  tracer  une  ligne 
de  démarcation  entre  les  deux  Musées  dont ,  au  contraire ,  tous  les  intérêts  géné- 
raux nous  semblent  demander  la  réunion ,  mais  nous  pensons  que  cette  ligne 


470  REVU»   ARCHÉOLOGIQUE. 

Une  lettre  à  peu  près  semblable  fat  écrite  par  le  ministre,  un  mois 
après,  le  2  floréal  an  iv  (21  avril  1796),  aux  conservateurs  d'anti- 
quités près  la  Bibliothèque  natioîiale.  Elle  commence  ainsi  : 

Le  dépôt  situé  rue  des  Petits -Augustins  doit  être,  citoyens,  une  espèce  de 
Muséum  provisoire  des  antiquités  et  monuments  français,  mais  s'il  renferme 
des  objets  qui  ne  puissent  pas  être  compris  sous  celle  dénomination  ;  ils  doivent 
selon  leur  classification  passer  dans  les  autres  établissements.  Ainsi,  les  inscrip- 
tions anciennes ,  grecques  et  latines  qui  y  sont,  appartiennent  à  la  collection 
confiée  à  vos  soins.  Je  vous  invite  à  les  visiter  et  à  les  faire  enlever,  ainsi  que  tout 
ce  qui  tiendrait  à  votre  Musée  d'antiquités.  Le  citoyen  Lenoir  est  chargé  de 
mettre  à  votre  disposition  tous  les  objets  de  ce  genre  que  vous  réclamerez.  Je  l'ai 
autorisé  par  la  même  raison  à  revendiquer  dans  les  autres  dépôts  les  objets  qui 
peuvent  compléter  la  collection  des  monuments  français. 

Mon  intention  est  que,  désormais,  chaque  Muséum  spécial  ne  contienne  que 
des  objets  analogues  au  but  de  son  établissement,  et  qu'ils  y  soient  placés  dans 
un  ordre  méthodique.  Il  me  paraît  que  l'un  de  ces  moyens  doit  contribuer  à  com- 
pléter les  collections ,  et  l'autre  à  les  rendre  plus  utiles  pour  l'instruction  pu- 
blique. 

Le  ministre  a  parlé  dans  sa  première  lettre,  de  statues,  de  vases , 
de  tombeaux,  d'antiques,  de  colonnes  précieuses,  etc.  Dans  la  seconde, 
il  ne  spécitie  que  les  inscriptions  grecques  et  latines  ;  pour  le  reste , 
il  se  contente  de  dire,  tout  ce  qui  tiendrait  à  votre  Musée  d'antiquités  : 
par  là,  il  entend  ce  qui  n'était  pas  exprimé  dans  la  première  lettre , 
à  savoir,  les  idoles  ou  figures  des  dieux,  les  ustensiles,  instru- 
ments, etc.  C'est,  en  effet,  tout  ce  que  comprend  l'inventaire  qui  lut 
dressé  plus  tard.  Mais,  dès  lors,  en  vertu  de  cette  lettre,  la  place 
des  inscriptions  deNointel  était  marquée  au  Cabinet  des  Antiques,  où 
pourtant,  elles  n'ont  jamais  été,  ainsi  qu'on  va  le  voir. 

Mais  on  comprend  que  ce  n'est  pas  à  la  suite  de  cette  lettre  que  la 
tête  de  Phidias  put  y  être  portée.  Si  elle  eût  été  encore  au  dépôt  des 
monuments  français ,  c'est  au  Louvre  qu'on  l'aurait  alors  transportée, 

serait  difficile  à  bien  prononcer  :  le  droit  qu'on  oppose  à  la  justice  de  nos  motifs 
-en  sont  la  preuve. 

«  Le  Muséum  des  antiques  possède  toutes  les  armes  qui  étaient  à  Chantilly.  Il  eu 
réunit  donc,  non-seulement  de  l'âge ,  mais  encore  du  genre  et  du  mérite  de  celles 
dont  il  veut,  sans  utilité  pour  lui-même,  priver  le  Muséum  des  arts. 

«  Ce  n'est  point  une  armure  complète  qu'on  nous  envie  j  le  bouclier,  l'épée  et  le 
casque  en  litige  ne  servant  point  à  la  chronologie  des  armes,  mais  seulement  à 
l'histoire  des  arts.  Nous  devons  les  offrir  aux  étudiants  ;  ce  qui  est  parfait  dans  l'art 
du  dessin  doit,  dans  chaque  genre,  avoir  des  modèles  au  Muséum  des  arts. 

«  C'est  en  leur  nom ,  citoyens  représentants,  que  nous  vous  portons  nos  récla- 
maUons.  Les  progrès  des  arts  dépendront  essentiellement  de  la  réunion  dans  un 
même  local  des  modèles  de  tout  genre,  et  surtout  de  beaux  antiques  :  de  l'étude  de 
ceux-ci  et  de  leur  comparaison  iacile  et  fréquente,  naîtra  le  perfectionnement  de 
l'art ,  mais  l'émulation  s'éteindra  si  les  moyens  d'étudier  sont  divisés.  » 


LETTRE   A   M.   LENORMÀNT.  471 

et  non  au  Cabinet  des  Antiques.  Mais,  comme  nous  l'avons  yu,  elle 
était  déjà  à  la  Bibliothèque  nationale. 

Cinq  ans  se  passèrent,  sans  qu'il  lût  donné  suite  aux  dispositions 
contenues  dans  ces  deux  lettres,  du  moins  en  ce  qui  concerne  le 
Cabinet  des  Antiques;  car  l'inventaire  des  objets  d'antiquités  qui  lui 
furent  cédés  par  le  Musée  des  monuments  français ,  n'est  pas  plus 
ancien  que  l'an  ix,  comme  on  va  le  voir.  iecn  ^h 

Une  lettre  de  Millin  à  Lenoir,  en  date  du  4  frimaire  de  cette 

année  (25  novembre  1801  ),  est  ainsi  conçue  : 

ivs/mi  : 

Je  viens  d'apprendre  que  l'administration  du  Musée  central  des  arts  a  enlevé 
chez  vous  plusieurs  objets  déjà  destinés  au  cabinet  de  la  Bibliothèque  nationale.  Je 
vous  prie  ,  au  moins ,  de  vouloir  bien  retenir  les  deux  inscriptions  de  ISointel  que 
vous  avez  encore,  jusqu'à  ce  que  je  les  puisse  enlever,  d'après  une  nouvelle  dispo- 
sition du  ministre. 

Cette  lettre  prouve  deux  choses  :  qu'un  arrêté  ministériel,  rendu 
probablement  sur  la  demande  des  conservateurs  de  la  Bibliothèque 
nationale  avait  accordé  la  remise  de  certains  objets ,  autres  que  des 
inscriptions  grecques  et  latines  ;  mais  que  le  Musée  des  arts ,  prenant 
les  devants,  avait,  sans  façon,  mis  la  main  sur  ce  qui  était  destiné 
à  l'autre  établissement.  Millin,  ne  voulant  pas  établir  une  lutte 
difticile,  peut-être  inégale,  accepte  les  faits  accomplis,  et  se  borne 
à  réclamer  les  deux  inscriptions  de  Nointel.  On  croirait  qu'il  dut 
être  fait  droit  à  une  si  juste  réclamation.  Point  du  tout.  Elles 
restèrent  au  Musée  des  monuments  français ,  par  l'effet  d'une  rési- 
stance qui,  dans  notre  temps  de  ponctualité  administrative,  paraîtra 
fort  extraordinaire;  c'est  plus  tard  quelles  furent  transportées  au 
Musée  du  Louvre. 

En  effet,  je  trouve,  à  la  date  du  7  frimaire  an  ix,  trois  jours 
seulement  après  la  lettre  de  Millin ,  un  inventaire  des  objets  d'anti- 
quités remis  par  Lenoir  à  Capperonnier ,  administrateur  de  la  bi- 
bliothèque nationale ,  sous  le  titre  de  :  objets  d'antiquités  déposés  au 
Muséum  des  monuments  français ,  et  remis  par  le  citoyen  Lenoir  au 
conservateur  Capperonnier.  C'est  le  premier  et  le  seul  inventaire  de 
ce  genre  que  j'aie  trouvé,  et  j'ai  tout  lieu  de  croire  que  le  Cabinet 
des  Antiques  n'a  pas  reçu  du  Musée  des  monuments  français,  d'autres 
objets  que  ceux-là.  Il  ne  contient  que  des  bronzes  égyptiens,  étrus- 
ques et  grecs,  terres  cuites,  ustensiles,  etc.,  exprimés  d'une  manière 
trop  vague,  pour  que  l'identité  ne  soit  pas  souvent  difticile  à  con- 
stater 


472  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

On  voit  par  cet  inventaire ,  que  la  part  du  Cabinet  des  Antiques 
fut  assez  large,  et  comprenait,  aux  termes  de  la  lettre  du  4  fri- 
maire an  iv,  tout  ce  qui  paraissait  être  du  ressort  des  antiquités.  On 
remarquera  pourtant,  qu'il  n'est  pas  parlé  d'une  seule  inscription 
dans  le  cours  de  l'inventaire.  Ce  n'est  qu'après  la  rédaction  qu'on 
semble  s'être  ravisé  :  car,  au-dessous  de  la  barre  qui  le  termine, 
et  d'une  autre  main ,  on  lit  cette  addition  :  Inscriptions  grecques  en 
marbre.  Deux  grandes  inscriptions  à  colonnes  ;  deux  petites ,  dont 
une  mutilée.  Nous  retrouvons  ici  les  quatre  inscriptions  qua  men- 
tionne l'inventaire  de  l'Académie  (plus  haut,  p.  467),  quant  aux 
deux  grandes  inscriptions  à  colonnes ,  elles  ne  peuvent  être  que  celles 
de  Nointel.  Car  cette  désignation  ne  saurait  convenir  à  aucune  autre 
du  Musée  ou  du  Cabinet  des  Antiques.  Ainsi,  on  n'avait  pas  d'abord 
songé  à  les  y  comprendre,  mais  on  se  ravisa;  et  il  est  permis  de 
croire  que  c'est  grâces  à  la  réclamation  de  Mi'llin  qu'elles  furent 
ajoutées  après  coup.  Au-dessous  de  l'addition,  se  lisent  les  deux 
signatures  de  Lenoir  et  de  Capperonnier,  qui  attestent  que  les  objets 
ci-dessus  mentionnés  ont  été  livrés  par  l'un  et  reçus  par  l'autre. 

Qui  ne  croirait,  d'après  cela,  que  les  inscriptions  de  Nointel, 
reçues  par  Capperonnier,  ont  été  transportées  alors  avec  les  autres 
objets  au  Cabinet  des  Antiques?  Cependant  il  est  certain  qu'elles  n'y 
ont  jamais  été,  et  que  Lenoir,  par  suite  de  ce  même  zèle  pour  l'an- 
tiquité qui  lui  avait  fait  transporter  dans  son  Musée  la  collection  de 
Nointel,  parvint  à  retenir  et  ces  inscriptions  et  d'autres  objets 
antiques.  J'ai  trouvé  cette  lettre,  adressée  à  Lenoir  par  Chaptal, 
ministre  intérimaire  de  l'intérieur,  le  23  frimaire  de  l'an  ix,  posté- 
rieure de  quinze  jours  à  la  rédaction  de  cet  inventaire  : 

Il  existe,  citoyen  ,  dans  le  Musée  que  vous  dirigez,  deux  inscriptions  grecques 
sans  bas-relief  ni  ornement,  et  qui ,  par  cette  raison ,  appartiennent  spécialement  à 
l'étude  de  la  paléographie. 

J'ai  arrêté  que  ces  monuments  seraient  réunis  au  Cabinet  des  antiques  de 
la  Bibliothèque  nationale.  Je  vous  invite,  en  conséquence,  à  vouloir  bien  les 
remettre  à  la  personne  qui  se  présentera  de  la  part  de  l'administration  de  cet 
établissement. 

Chaptal  ignorait  donc  que  ces  inscriptions  fussent  déjà  acquises 
au  Cabinet  des  Antiques ,  où  elles  auraient  dû  être  déjà  déposées  aux 
termes  de  l'acte  signé  des  deux  conservateurs  ! 

Or,  l'arrêté  du  ministre  ne  fut  pas  exécuté  davantage.  Les  inscrip- 
tions restèrent  au  Musée  des  monuments  français.  Elles  y  étaient 


LETTRE   A   M.    LENORMANT.  473 

encore  deux  ans  après;  car  dans  la  septième  édition  de  sa  Description 
du  musée  des  monuments  français,  qui  a  paru  à  la  fin  de  1802, 
A.  Lenoir  décrit  comme  appartenante  ce  Musée,  non- seulement  les 
deux  inscriptions  de  Nointel,  dont  il  donne  même  la  copie  ;  mais  douze 
autres  pièces,  tant  bas-reliefs  antiques  qu'inscriptions  latines  et 
grecques,  qu'il  avait  trouvé  moyen  de  garder;  et  l'on  voit,  par  le 
texte  même  de  son  livre,  qu'en  dépit  des  prescriptions  ministé- 
rielles, il  persistait  à  croire  que  son  Musée  devait  avoir,  pour 
introduction,  un  certain  nombre  de  monuments  antiques  (il),  tant 
grecs  que  gaulois..  C'est  ainsi  qu'un  rapport,  rédigé  en  ventôse  de 
Tan  ni  par  Barthélémy  et  Millin,  et  écrit  tout  entier  de  la  main  du 
premier,  adressé  à  la  commission  d'instruction  publique,  contient  la 
demande  expresse  du  monument  relatif  à  la  déesse  Nehallénia.  Un 
arrêté  de  cette  commission,  en  date  du  24  ventôse  an  ni  (18  fé- 
vrier 1795)|,  ordonne  le  transport  de  ce  monument  au  Cabinet  des 
Antiques  ;  et  une  note,  en  marge  de  cette  lettre,  dit  :  «  Déposé  au 
«Muséum des  Antiques,  ce  28  ventôse  an  in,  signé  Dulaure.  » 
Cependant  le  bas-relief  de  Nehallénia  n'a  jamais  quitté  le  Musée 
des  monuments  français,  où  il  est  resté  jusqu'en  1815,  qu'il  fut 
rendu  à  la  Hollande. 

Que  Lenoir  ait  tenu  à  conserver  ces  monuments  qu'il  persistait  à 
croire  du  domaine  de  son  Musée,  on  le  conçoit;  c'est  une  prétention 
qui  fait  honneur  à  son  zèle  pour  les  intérêts  de  l'établissement  qu'il 
avait  formé  avec  tant  de  peine  ;  mais  qu'il  ait  pu  la  soutenir  et  ré- 
sister si  longtemps  à  ces  injonctions  réitérées ,  c'est  ce  qu'on  a  plus 
de  peine  à  comprendre. 

Toutefois  cette  résistance  opiniâtre  devait  enfin  être  vaincue  par 
une  force  à  laquelle  il  était  difficile  de  résister. 

L'administration  du  Musée  des  arts  fut  changée.  Le  premier 
consul  remplaça  le  conservatoire  par  un  Directeur  unique  ;  le  6  floréal, 
an  xi  (26  avril  1803),  Denon  fut  nommé  Directeur  général  du  Musée 
central  des  arts,  contre  l'avis  de  Chaptal,  qui  aurait  bien  voulu  nom- 
mer son  fils  à  cette  place,  et  l'avait  même  fait  voyager  en  Italie  pour 
lui  créer  un  droit.  Mais  le  premier  consul  en  ordonna  autrement  et 
Chaptal  fut  obligé  de  céder.  A.  Lenoir  fut  informé  de  ce  changement 
par  une  'lettre  ministérielle ,  qui  lui  annonce  que  désormais  il  aura 
un  supérieur;  ce  qui  lui  plut  assez  médiocrement,  comme  on  l'ap- 
prend d'une  note  de  sa  main ,  où  perce  un  peu  d'humeur. 

(Il)  P.  79etsuiv. 

m.  31 


474  HEVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  24  messidor  an  xi  (  13  juillet  1803),  trois 
mois  après  sa  nomination  ,  Denon  écrit  cette  lettre  à  Lenoir. 

Je  vous  préviens ,  citoyen  conservateur,  que  les  places  destinées  dans  le  Musée 
des  Antiques  aux  deux  inscriptions  grecques  où  sont  mentionnés  les  noms  des 
braves  morts  dans  la  guerre  du  Péloponnèse ,  sont  prêts  à  les  recevoir.  Ces  deux 
monuments  précieux  ont  été  marqués  par  l'ancienne  administration  pour  le 
Musée  et  n'ont  été  laissés  en  dépôt  dans  votre  établissement,  que  parce  qu'ils  ne 
pouvaient  être  exposés  aussitôt. 

Je  vous  invite  à  les  remettre  aux  charpentiers  du  Musée  qui  se  présenteront 
le  26  messidor  pour  les  enlever. 

Tout  ce  que  j'ai  dit  plus  haut  montre  que  cette  lettre  contient  une 
allégation  matériellement  fausse.  Les  inscriptions  de  Nointel  avaient 
été  marquées  par  l'ancienne  administration,  mais  pour  être  déposées 
au  Musée  du  Cabinet  des  Antiques ,  et  non  pas  au  Musée  du  Louvre. 
Denon  ne  pouvait  l'ignorer,  Lenoir  encore  moins,  qui  avait  signé 
l'inventaire.  Ce  fut  là  un  pas  rétrograde  dans  la  voie  sage  qu'avait 
tracée  Benezech ,  aux  directeurs  des  grandes  collections.  Depuis , 
ces  empiétements  mutuels  n'ont  fait  qu'augmenter,  au  détriment 
des  collections  publiques.  La  volonté  de  Denon  fut  donc  accomplie.  Il 
était  en  mesure  de  se  faire  la  part  du  lion. 

Toutefois ,  le  26  messidor,  jour  fixé  pour  la  cession  tant  reculée , 
se  passa  sans  que  Denon  fût  obéi.  Il  fut  obligé  de  revenir  encore 
une  fois  à  la  charge.  Le  11  thermidor,  quinze  jours  après,  Lenoir 
reçoit  une  nouvelle  injonction  plus  pressante;  et  le  17  du  même 
mois ,  il  annonce  enfin  qu'il  a  fait  transporter  les  deux  inscriptions 
de  Nointel,  «  avec  les  encadrements  de  marbre,  dont  il  avait  orné  ces 
«monuments  précieux  (12).  »  Ils  furent  dès  lors  placées  au  Musée 
du  Louvre ,  avec  les  autres  marbres  antiques  de  Nointel ,  qui  sont 
décrits  dans  la  septième  édition  du  livre  de  Lenoir.  Aucun  d'eux 
n'est  parvenu  au  Cabinet  des  Antiques.  Lenoir,  ne  pouvant  s'habituer 
à  ne  pas  avoir  d'antiques  dans  son  Musée  des  monuments  français,  se 
consola  en  conservant  au  moins  les  plâtres  (  qu'il  appelle  des  arché- 
types) des  objets  qu'il  avait  été  obligé  de  rendre;  et  il  continue  de 
les  décrire  encore  dans  sa  huitième  édition  (de  1806). 

Cette  dernière  mesure  mit  fin  à  toutes  les  vicissitudes  de  la  riche 
collection  de  Nointel,  léguée  par  Baudelot  à  l'Académie.  La  pos- 

(12)  Comme  singularité,  je  remarque  que,  sur  sa  lettre  du  11  thermidor,  Denon 
prend  encore  le  titre  de  directeur  du  Musée  central  des  arts  ;  et  que  Lenoir,  en 
lui  répondant  le  17  du  même  mois,  lui  donne  le  titre  de  directeur  du  Musée  Napo- 
léon. Est-ce  donc,  dans  cet  intervalle  de  six  jours,  que  s'est  faille  changement 
de  titre? 


LETTRE  A   M.    LENORMANT.  475 

sède-t-on  entière,  répartie  entre  le  musée  du  Louvre  et  le  Cabinet 
des  Antiques?  J'en  doute;  du  moins,  je  puis  citer  deux  monuments 
qui  en  faisaient  partie,  et  qui  ne  se  trouvent  plus  dans  l'un  ni  dans 
l'autre.  Le  premier  est  un  petit  bas- relief  funéraire  publié  par 
Caylus  (13),  avec  l'inscription  Au^ctç  'AvSpaou,  xpw^i»  x°"P£î  l'autre 
est  un  charmant  bas-relief  choragique ,  qui ,  porté  du  Louvre  au 
Musée  des  monuments  français ,  fut  ensuite  donné  à  la  citoyenne 
Bonaparte.  Il  fut  depuis  déposé  à  la  Malmaison,  d'où  il  a  passé  dans 
le  cabinet  Pourtalès  (14)  où  il  se  trouve  à  présent.  Il  est  donc  fort  à 
craindre  que  d'autres  pièces  se  soient  également  égarées  en  route , 
comme  par  exemple,  les  médailles,  dont  je  perds  entièrement  la  trace. 


Telles  sont,  monsieur  et  cher  confrère,  les  vicissitudes  qu'a 
subies  la  belle  et  précieuse  collection  que  la  France  devait  à  l'un  de 
ses  ambassadeurs  les  plus  éclairés. 

C'est  dans  une  de  ces  vicissitudes  que  la  belle  tête  de  Phidias  rap- 
portée en  France ,  fut  portée  à  la  Bibliothèque  royale ,  à  l'insu  de 
tout  le  monde ,  lorsqu'elle  aurait  dû  être  placée  au  Musée  du  Louvre. 
Par  compensation ,  les  inscriptions  de  Nointel  sont  au  Louvre,  lors- 
qu'elles seraient  si  bien  placées  au  Cabinet  des  Antiques. 

Mais  à  présent ,  il  n'y  a  guère  lieu  d'espérer  qu'un  échange  m- 
telligent  vienne  réparer  les  effets  de  la  précipitation,  du  caprice 
ou  du  hasard. 


Je  serais  heureux  si  ces  recherches ,  en  faisant  sortir  de  l'obscurité 
quelques  notions  curieuses,  donnaient  à  votre  belle  conjecture  l'appui 
historique  qui  lui  manquait.  C'est  le  but  principal  que  je  me  suis 
proposé  en  écrivant  cette  lettre. 

Quoi  qu'il  arrive,  cette  tête,  après  être  restée  inconnue,  au 
Louvre  pendant  soixante-dix  ans,  à  la  Bibliothèque  royale  pendant 
un  demi-siècle,  va  partager  enfin,  grâce  à  votre  sagacité,  la  gloire 
et  l'éclat  qui  environnent  les  autres  restes  de  la  sculpture  de  Phidias. 


Letronne. 


(13)  T.  VI,  pi.  LXIV,  2. 

(14)  Publiés  dans  le  Catalogue  ds  Pourtalès,  p.  12  ,  n°  48. 


LE  CHATEAU  DE  LOCHES. 

(  INDRE-ET-LOIRE.) 


La  Touraine  dont  on  a  formé  le  département  d'Indre-et-Loire ,  est 
couverte  de  débris  des  monuments  féodaux  dont  la  dota  le  moyen 
âge  ;  l'un  des  plus  vastes,  des  plus  imposants  et  des  mieux  conservés, 
est  sans  contredit  le  château  de  Loches,  qui  offre  encore  beaucoup 
d'intérêt,  malgré  son  état  d'abandon  et  de  dégradation. 

On  prétend,  sans  preuves,  qu'il  existait  une  forteresse  sur  le  même 
emplacement  dès  le  VIe  siècle;  ce  n'est  toutefois  qu'au  XIe  que  le 
cap  qu'occupe  ce  château,  si  bien  protégé  déjà  par  sa  position,  fut 
enveloppé  de  tours  et  de  courtines ,  qui  le  rendirent  longtemps  inex- 
pugnable. Il  reste  encore ,  çà  et  là ,  quelques  vestiges  informes  de  la 
triple  muraille  qui  défendait  l'accès  d'un  pareil  nombre  d'enceintes  ; 
la  dernière  était  précédée  d'un  fossé  que  le  temps  n'a  pas  complète- 
ment comblé,  et  où  se  répandaient  au  besoin  les  eaux  de  l'Indre. 
Telle  était  l'importance  du  castra  de  Loches  au  moyen  âge. 

Les  constructions  qui  couvrent  encore  la  vaste  esplanade  qu'il  oc- 
cupe, eurent  dans  tous  les  temps  une  destination  différente  :  les 
unes  furent  élevées  pour  sa  défense ,  les  autres  pour  l'habitation  ;  au 
centre  est  le  noyau  primitif  de  la  cité,  qui  est  dominé  par  l'église  ci- 
devant  collégiale  de  Saint- Ours ,  monument  remarquable  de  la  pé- 
riode romane ,  devenu  la  principale  paroisse  de  Loches ,  depuis  la 
suppression  de  son  chapitre  en  1791  (l). 

La  première  partie  est  la  plus  ancienne,  elle  servit  de  tout  temps 
à  la  défense  de  la  place,  jusqu'à  ce  que  Louis  XI  en  eût  fait  une  pri- 
son d'État,  destination  qu'elle  a  conservée  jusqu'en  1789  ;  elle  a  de- 
puis été  convertie  en  une  maison  de  détention  et  est  encore  affectée 
à  cet  usage. 

Il  est  difficile  de  fixer  la  date  à  laquelle  peut  appartenir  le  beau 
donjon  ,  qui  s'élève  au  milieu  des  ruines  de  cette  partie  du  château. 
La  hauteur  de  ce  polygone  irrégulier  est  encore ,  malgré  les  outrages 

(1)  C'était  un  usage  généralement  adopté  au  moyen  âge  ,  d'ériger  des  collégiales 
dans  l'intérieur  des  châteaux»  Amboise ,  Blois,  Vendôme,  eurent  la  leur;  plus 
loin ,  Melun ,  Pontoise ,  Provins.  Nous  pourrions  en  citer  un  grand  nombre  d'autres. 


LE  CHATEAU   DE   LOCHES. 


477 


du  temps  et  des  sièges  qu'il  eut  à  soutenir,  de  cent  vingt  pieds  au- 
dessus  du  sol;  son  intérieur,  jadis  pourvu  d'appartements  distribués 
dans  trois  étages,  dont  l'inférieur  seul  était  voûté,  est  aujourd'hui 
entièrement  nu  et  à  jour.  Nous  ne  savons  s'il  se  terminait  supérieu- 
rement par  une  plate-forme ,  ou  par  une  toiture  à  quatre  pans  aigus, 
ou  enfin  par  une  galerie  de  mâchicoulis,  surmontée  de  créneaux, 
ainsi  que  cela  se  pratiquait  alors.  Ainsi  ruinée,  cette  tour  sert  de 
préau  aux  plus  coupables  des  détenus,  qui  ne  sauraient  s'en  évader, 
ses  murs  n'ont  pas  moins  de  huit  pieds  d'épaisseur.  On  respire  à 
peine  dans  cet  espace  étroit,  de  soixante-seize  pieds  environ  de  l'est  à 
l'ouest,  et  de  quarante-deux  pieds  du  nord  au  sud.  L'humidité  y  règne 
même  pendant  la  chaude  saison ,  parce  que  les  fenêtres  ouvertes  sur 
toutes  ses  faces,  sensiblement  évasées  à  l'intérieur,  n'offrent  qu'une 
ouverture  extrêmement  étroite  à  l'extérieur. 

Plusieurs  personnes  attribuent  la  construction  de  ce  remarquable 
édifice  à  Foulques-Nerra ,  comte  d'Anjou,  qui  vivait  sous  le  roi  Ro- 
bert, et  qui  fut  la  terreur  de  la  Touraine;  d'autres  à  Geoffroy-Grise- 
gonelle,  son  père,  ainsi  surnommé  à  cause  de  la  couleur  de  la  ca- 
saque de  grossière  étoile  qu'il  était  dans  l'habitude  de  [porter.  Cette 


BISSON.SO. 


tour,  bâtie  en  moellons,  est  solidifiée  par  des  contreforts,  ornés  de 
demi-colonnes  cylindriques;  elle  est  si  bien  établie  et  si  élégante  dans 


•478  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

son  genre,  malgré  ses  fenêtres  irrégulièrement  espacées,  que  Ton 
serait  tenté  de  ne  la  faire  remonter  qu'au  XIIe  siècle,  époque  à  la- 
quelle l'architecture  militaire  était  plus  perfectionnée;  on  peut  au 
reste  en  juger  par  le  dessin  exact  que  nous  en  donnons. 

La  féodalité  n'a  rien  élevé  de  plus  horrible  que  les  cachots  super- 
posés qui  existent  dans  une  autre  partie  de  cette  masse  de  pierres. 
Combien  d'innocentes  victimes  ont  coulé  des  jours  de  douleur  dans 
ces  souterrains,  privés  d'air  et  de  lumière,  à  côté  de  criminels  d'État, 
souvent  plus  insensés  que  coupables  ! 

Notre  cicérone  nous  y  fit  voir  l'emplacement  des  oubliettes  ou  vade 
in  pace,  creusées  sous  Louis  XI ,  et  que  des  règnes  moins  barbares 
ont  comblées.  Il  existait  jadis  dans  ces  mêmes  cachots  deux  cages  en 


bois,  garnies  de  fers,  qui  avaient  chacune  huit  pieds  carrés  sur  six  de 
hauteur.  Ces  instruments  de  la  vengeance  des  nommes  n'ont  été  dé- 


LE  CHATEAU  DE  LOCHES.  479 

truits  qu'en  1789.  Le  dessin  d'autre  part,  de  lune  d'elles ,  est  ex- 
trait de  l'un  des  portefeuilles  du  cabinet  des  estampes  de  la  Biblio- 
thèque royale ,  qui  renferme  les  monuments  d'Indre-et-Loire. 

Parmi  les  plus  célèbres  personnages  qui  ont  été  détenus  au  châ- 
teau de  Loches,  nous  trouvons,  en  1455,  Jean,  duc  d'Alençon,  l'un 
des  descendants  de  Charles  de  Valois,  et  cousin  germain  du  roi 
Charles  VII  (1).  Il  fut  arrêté  au  milieu  de  Paris,  sous  l'accusation 
d'intelligence  avec  les  Anglais  ,  par  le  comte  de  Dunois  (2),  qui  en 
avait  reçu  l'ordre ,  et  subit  son  premier  interrogatoire  à  Melun;  il  fut 
de  là  transféré  à  Montargis ,  puis  à  Vendôme ,  où  il  fut  condamné  à 
mort.  Le  roi  commua  cette  peine  capitale  en  une  détention  perpé- 
tuelle ,  et  c'est  alors  qu'il  fut  conduit  au  château  de  Loches ,  d'où  il 
sortit  lors  de  l'avènement  de  Louis  XI  au  trône.  Il  avait  conspiré 
pour  ce  prince  contre  lequel  il  dirigea  de  nouvelles  intrigues  lorsque 
la  liberté  lui  eut  été  rendue  :  condamné  de  nouveau  à  la  détention , 
ce  fut  encore  le  château  de  Loches  qui  le  reçut  ;  il  obtint  encore  son 
pardon  dans  la  suite.  Ainsi,  deux  fois  sur  le  point  d'expier  par  sa 
mort  ses  trahisons,  et  deux  fois  pardonné,  il  finit  par  mourir  tran- 
quillement dans  son  lit,  de  la  mort  des  justes  et  des  sages  (1476). 

Sous  le  même  règne,  nous  y  trouvons  (1477)  Jean,  comte  de 
Roucy,  militaire  distingué,  qui  suivit  Dunois  à  la  reddition  de  la 
Guyenne,  et  prit  part  à  la  bataille  de  Fronsac ,  où  il  fut  fait  cheva- 
lier (3).  On  cite  encore,  Pierre  de  Brézé,  deuxième  du  nom,  grand 
sénéchal  d'Anjou ,  de  Poitou  et  de  Normandie. 

Il  n'est  pas  constant,  ainsi  que  quelques  auteurs  l'ont  avancé,  que 
ce  soit  à  Loches  que  Louis  XI  ait  fait  enfermer  pendant  onze  années , 
à  la  grande  joie  du  peuple  qui  en  fit  des  chansons,  le  cardinal  de  La 
Balue,  l'un  de  ses  plus  ingrats  favoris.  M.  Bodin  (4)  dit  qu'il  eut  le 
château  d'Angers  pour  prison.  Cependant  nous  lisons  ce  passage  dans 
une  pièce  ayant  pour  titre  :  Extrait  des  comptes  et  dépenses  de 
Louis  XI  (5)  :  ce  A  Guion  de  Broc,  escuier ,  seigneur  de  Var,  maistre 
ce  d'hostel  du  roy  nostre  sire,  la  somme  de  soixante  livres  tournois , 
«  que  ledit  seigneur,  par  sa  cédule  signée  de  sa  main,  donnée  à  Am- 

(1)  Ce  fut  le  premier  prince  du  sang  qui  fut  condamné  à  mort  par  la  cour  des 
Pairs. 

(2)  Fruit  illégitime  des  amours  de  Louis  d'Orléans  ;  l'un  des  héros  de  notre  his- 
toire, mort  en  14G8  à  l'âge  de  soixante-six  ans.  Il  avait  été  créé  duc  de  Longue- 
ville  ,  et  fut  le  chef  de  cette  maison  qui  finit  par  un  imbécile. 

(3)  E.  Dumont ,  Histoire  de  Commercy  (  Meuse) ,  1. 1 ,  p.  269. 
•   (4)  Recherches  sur  l'Anjou  et  ses  Monuments. 

(5)  Archives  curieuses  de  l'histoire  de  France. 


480  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  boise  le  onzième  jour  de  février  1469 ,  lui  a  ordonné  et  fait  bailler 
«  comptant  ledit  jour  pour  icelle  estre  par  lui  emploiée  à  faire  faire 
«  une  caige  de  fer  au  chasteau  Douzain  (l) ,  laquelle  ledit  seigneur 
«  a  ordonné  y  estre  faite  pour  la  seureté  et  garde  du  cardinal  d'An- 
«  giers.  »  C'est  évidemment  de  La  Balue  dont  il  est  ici  question  ;  on 
sait  qu'il  a  été  évoque  de  cette  ville.  Enfin ,  suivant  l'auteur  des  Ta- 
blettes chronologiques  de  la  Touraine  (2),  il  fut  incarcéré  au  château 
du  Plessis-lès-Tours  ;  Chalmel  ajoute  plus  loin  (3)  :  «  Le  cardinal  de 
La  Balue  sort  de  sa  prison  de  Loches,  à  la  sollicitation  du  cardinal  de 
La  Rovère,  et  se  retire  à  Rome  (1480).  »  Ces  contradictions  ne  prou- 
vent qu'une  chose,  c'est  que  ce  prélat  aura  successivement  eu  ces 
divers  lieux  pour  prison. 

Charles  de  Melan  (4),  capitaine  du  château  d'Usson,  en  Auvergne, 
fut  décapité  en  la  ville  de  Loches,  pour  avoir  laissé  évader  le  sei- 
gneur d'Usson,  que  le  roi  lui  avait  donné  en  garde,  et  dont  il  répon- 
dait sur  sa  tête  (5). 

On  sait  aussi  que  le  jeune  et  bouillant  Philippe  de  Bresse ,  duc  de 
Savoie ,  fut  retenu  deux  années  au  château  de  Loches  par  Louis  XI , 
à  la  suite  des  démêlés  qu'il  eut  avec  Anne  de  Chypre ,  sa  mère.  Le 
roi,  d'accord  avec  cette  dernière,  attira  l'étourdi  à  Lyon,  et  l'ayant 
mis  sous  bonne  garde ,  il  le  fit  conduire  dans  cette  prison  d'État ,  où 
il  le  logea  royalement  pendant  le  temps  que  nons  venons  d'indiquer. 

Philippe  de  la  Clyte,  plus  connu  sous  le  nom  de  Commines ,  qui 
était  celui  du  lieu  de  sa  naissance,  et  qui  a  été  surnommé  le  Tacite 
français,  a  également  eu  ce  château  pour  prison,  parce  qu'il  avait 
trempé  dans  les  entreprises  audacieuses  du  duc  d'Orléans.  Il  y  fut 
enfermé  dans  une  cage  de  fer ,  ainsi  qu'il  nous  l'apprend  dans  ce  pas- 
sage de  ses  curieux  Mémoires  :  «Plusieurs  depuis  l'ont  maudit,  et 
«  moy  aussi ,  qui  en  ay  tasté ,  sous  le  roy  de  présent,  l'espace  de  huict 
((mois.  »  Hélène  de  Montsoreau ,  sa  femme,  sollicita  si  vivement 

(1)  C'est  Onzain.  Ce  château  qui  était  d'une  grande  beauté  et  d'une  grande  anti- 
quité ,  n'existe  plus.  Depuis  La  Balue,  qui  y  fut  détenu  par  ordre  de  Louis  XI , 
Catherine  de  Médicis  y  fit  enfermer  le  prince  de  Condé,  chef  du  parti  huguenot, 
qui  avait  été  fait  prisonnier  à  la  bataille  de  Dreux. 

(2)  J.  L.  Chalmel ,  p.  208. 

(3)  Tablettes  chronologiques  de  la  Touraine,  p.  314. 

(4)  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  le  chef  de  sa  famille ,  des  mêmes  nom  et  pré- 
nom ,  grand  maître  de  France  et  gouverneur  de  Paris,  qui  fut  décapité  au  Cbàtcau- 
Gaillard,  près  les  Andelys  (Eure),  dans  le  même  temps  (1468),  par  suite  des 
intrigues  gouvernementales  dans  lesquelles  il  avait  trempé  avec  La  Balue  ,  qui  eut 
le  talent  de  sauver  sa  tète. 

(5)  J.  Rouillard ,  Histoire  de  Melun,  p.  575. 


LE  CHATEAU  DE  LOCHES.  481 

qu'elle  obtint  son  transfèrement  à  la  Conciergerie  du  palais,  à  Paris, 
pour  y  être  jugé.  Il  comparut  devant  le  parlement  le  14  mars  i488, 
et  cette  cour  le  déclara  atteint  et  convaincu  d'intelligence  suspecte  ; 
ordonna  la  confiscation  du  quart  de  ses  biens,  et  le  condamna  à  l'exil. 
Il  fut,  par  suite  de  cet  arrêt,  relégué  dans  une  de  ses  terres  de  la 
province  de  Flandre ,  et  y  subit  tout  d'abord  cette  peine  dans  toute 
sa  vigueur;  mais  Charles  VIII  le  rappela  au  bout  de  quelques  années 
à  sa  cour,  et  le  chargea  de  négociations  importantes. 

C'est  une  tradition  populaire  que  Louis  Sforce,  duc  de  Milan,  sur- 
nommé le  More,  ayant  été  livré  aux  Français  par  les  Suisses  en  1500, 
fut  conduit  par  ordre  de  Louis  XII  au  château  de  Loches.  On  y 
montre  le  cachot  où  il  fut  enfermé,  et  où,  à  côté  des  tons  verts  et 
rougeâtres  produits  par  l'humidité  des  murailles ,  se  voient  encore 
quelques  restes  de  peintures ,  qu'on  dit  être  les  résultats  de  ses  inter- 
minables loisirs.  Mais  cette  tradition  est  démentie  par  le  récit  de 
plusieurs  écrivains  contemporains. 

En  1512,  Pierre  de  Navarre,  l'un  de  ces  hardis  capitaines  du 
XVIe  siècle ,  dont  le  nom  seul  valait  une  armée,  est  fait  prisonnier 
à  la  bataille  de  Ravennes  et  amené  à  Loches.  Quelques  années  plus 
tard  (1524) ,  ce  fut  le  tour  de  ce  Jean  de  Poitiers  ,  comte  de  Saint- 
Vallier,  qui  avait  si  bien  bravé  la  mort  sur  les  champs  de  bataille,  et 
dont  les  cheveux  blanchirent  dans  l'espace  d'une  seule  nuit,  à  la  pen- 
sée de  l'échafaud  qui  l'attendait. 

Le  maréchal  Oudard  de  Biez ,  condamné  à  mort  par  arrêt  du  par- 
lement de  Paris  du  3  août  1 552 ,  vit  l'exécution  de  son  jugement 
suspendue,  et  sa  peine  commuée  par  le  roi  en  une  détention  perpé- 
tuelle dans  le  château  de  Loches;  il  finit  par  recouvrer  sa  liberté  (l). 

Enfin,  après  l'assassinat  des  Guise,  au  château  de  Blois,  le  duc 
d'Eibeuf  eut  également  ce  même  château  pour  prison  (2). 

Nous  nommerons  encore  le  marquis  de  Chandenier,  l'aîné  de  la 
maison  de  Rochechouart ,  qui  vécut  au  château  de  Loches  (1653) , 
du  pain  du  roi ,  comme  un  criminel ,  et  de  ce  que  les  bourgeois  de 
cette  ville  lui  envoyaient  à  dîner  et  à  souper  dans  une  petite  écuelle 
qui  chaque  jour  faisait  le  tour  de  la  cité;  cette  dure  captivité  dura 
plus  de  deux  ans. 

La  seconde  partie  du  château,  appelée  le  Logis  du  roi,  est  occupée 
de  nos  jours  parla  sous- préfecture  et  le  tribunal  civil  de  l'arrondis- 

(i)  J.  L.  Chalmel ,  Tablettes  chronologiques  de  la  Touraine,  p.  243. 
(2)  Ibid.,  p.  261. 


482  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

sèment  de  Loches.  Une  portion  de  ces  bâtiments  a  été  élevée  par 
Charles  VII ,  alors  que  les  railleurs  parisiens  ne  l'appelaient  que  le 
roi  de  Bourges,  parce  qu'il  ne  possédait  de  son  royaume,  à  cette 
époque ,  que  le  Languedoc ,  le  Poitou ,  le  Berry  et  quelques  places 
fortes  qui  avaient  refusé  d'ouvrir  leurs  portes  aux  Anglais.  C'est  là 
qu'Agnès  lui  dit  :  Sire,  il  m'a  été  prédit  que  je  deviendrais  la  mat- 
tresse  du  plus  grand  roi  de  V Europe  ;  permettez  que  je  vous  quitte  pour 
me  rendre  auprès  du  roi  Henri  d'Angleterre.  Et  le  roi  de  France  se 
lève  et  s'arme.  Sire,  vient  lui  dire  une  autre  jeune  fille  de  dix-huit  ans, 
à  Chinon ,  suivez-moi,  je  prendrai  avec  vous  Orléans ,  et  vous  ferai 
sacrer  roi  de  France  à  Reims.  Et,  s'appuyant  sur  ces  deux  femmes, 
Charles  VII  combat ,  triomphe  et  règne  ! 

L'autre  portion  date  du  règne  de  Louis  XII.  Quelle  finesse  se  re- 
marque dans  les  sculptures  qui  l'ornent  à  l'extérieur.  Ici ,  point  de 
ces  lubricités  qui  désolent  le  regard,  comme  à  Blois,  sur  la  façade 
additionnelle  du  château,  élevée  du  temps  de  ce  prince. 

La  tourelle  au  levant,  qui  est  adhérente  à  cette  partie  du  château, 
est  divisée  en  deux  étages  voûtés  ;  le  supérieur  renferme  l'oratoire 
discret  et  mignon  d'Anne  de  Bretagne;  ses  parois,  parsemées  d'her- 
mines, sont  encadrées  dans  de  riches  dentelles  de  pierre;  le  tout  est 
fort  endommagé  ;  on  le  doit  à  l'incurie  des  sous-préfets  de  Loches , 
qui  ont  longtemps  fait  de  ce  lieu  d'oraisons  le  dortoir  de  leur  posté- 
rité. L'inférieur  a  reçu ,  en  1809 ,  le  cénotaphe  d'Agnès  la  Sorelle  ou 
Surelle  (1  ) ,  qui  occupait  jadis  le  milieu  du  chœur  de  la  collégiale 
Saint-Ours,  dont  nous  dirons  bientôt  un  mot.  Louis  XVI,  sur  la 
demande  des  chanoines,  en  permit  le  déplacement  en  1777;  il  fut 
alors  transféré  dans  la  nef,  d'où  la  révolution  le  déplaça  de  nou- 
veau f2).  Par  suite,  il  gisait  oublié  dans  une  des  chapelles  du  monu- 
ment, lorsque  vint  la  pensée  de  le  réédifier  dans  ce  lieu.  En  voici  le 
dessin  fidèle. 

La  statue  de  la  mie  par  amour  du  sire  roi  Charles  VII  est  d'al- 
bâtre, et  couchée  sur  une  base  cubique  en  marbre  noir;  ses  pieds 

(1)  Elle  naquit  dans  cette  bonne  Touraine  (  au  château  de  Fromenteau ,  voisin  de 
Loches),  où  le  paysan  parle  encore  notre  vieux  gaulois  dans  tout  son  charme,  mol- 
lement ,  lentement  et  avec  un  semblant  de  naïveté.  La  promptitude  de  sa  mort, 
arrivée  au  château  du  Mesnil ,  près  Jumièges  ( Seine- Inférieure) ,  en  1450,  fit 
penser  qu'elle  était  le  résultat  du  poison.  Son  corps  rapporté  à  Loches ,  fut  inhumé , 
suivant  son  désir  dans  la  collégiale  Saint-Ours. 

(2)  A  cette  époque  ,  Amédée  Pocholle  ,  député  à  la  Convention  nationale ,  envoyé 
en  mission  dans  la  Vendée,  passa  par  Loches  ;  le  premier  il  porta  la  main  dans  le 
cercueil  d'Agnès,  et  arracha  une  partie  des  cheveux  dont  sa  tête  était  encore  garnie. 


LE   CHATEAU  DE   LOCHES 


483 


sont  appuyés  sur  deux  agneaux,  figures  symboliques  dont  il  serait 
assurément  difficile  d'expliquer  le  sens  ;  ajoutons  encore  que  les  deux 


anges  agenouillés  qui  soutiennent  l'oreiller  sur  lequel  repose  la  tête 
de  madame  de  Beauté  (1),  et  semblent  épier  son  réveil,  ont  une  atti- 
tude toute  céleste  (2).  On  lit  à  la  base  de  ce  monument  ces  vers  sin- 
guliers et  agréables  tout  à  la  fois  : 

Hac  jacet  in  tumba  raitis  simplexque  columba , 
Candidior  cygnis,  flamma  rubicondior  ignis; 
Agnès  pulchra  nimis,  terrae  latitatur  in  imis. 
Ut  flores  veris  ,  faciès  hujus  mulieris. 
Belaltaeque  domum  ,  nemus  adstans  Vincenarium 
Rexit ,  et  a  specie  nomen  suscepit  utrumque. . . 
Alloquio  mitis,  corapescens  scandala  litis, 
Ecclesiisque  dabat,  et  egenos  sponte  foyebat,  etc. 

Cette  espèce  de  caveau  reçoit  son  jour  par  des  vitraux  coloriés  qui 
portent  d'un  côté  les  armes  de  France  et  de  l'autre  celles  d'Agnès  : 
un  sureau  dor,  par  allusion  à  son  nom.  Il  faut  deviner  l'existence  de 
ce  tombeau  ;  on  a  dit  avec  raison  que  la  popularité  manquerait  tou- 
jours à  un  monument  tenu  sous  clef. 

L'ancienne  église  collégiale  Saint-Ours,  dont  nous  n'indiquerons 
pas  de  nouveau  la  position,  vient  d'être  soigneusement  restaurée  sous 
la  direction  delà  commission  du  ministère  de  l'intérieur,  et  par  suite  de 


(i)  Ce  nom  lui  fut  donné  par  Charles  VII  ;  c'était  celui  que  portait  alors  un  déli- 
cieux castel,  bâti  dans  le  bois  de  Vinccnnes ,  non  loin  de  la  Marne. 

(2)  Il  est  étonnant  qu'on  n'ait  pas  songé  jusqu'ici  à  mouler  ce  beau  monument, 
pour  figurer  au  Musée  national  de  Versailles. 


484  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

l'inspection  de  M.  Mérimée.  Cette  belle  et  curieuse  église  est  ac- 
compagnée de  deux  collatéraux  remarquablement  étroits.  La  voûte 
principale  de  ce  temple  est  des  plus  singulières;  elle  offre  quatre 
dômes  construits  dans  le  même  axe;  et  comme  ces  coupoles  se  répètent 
extérieurement ,  elles  laissent  supposer  que  l'édifice  est  couronné  par 
quatre  tours  d'inégales  dimensions,  tandis  qu'il  n'y  en  a  en  réalité 
que  deux  :  l'une  au  frontispice,  l'autre  à  l'abside.  Une  crypte  fort 
simple  a  été  découverte  en  1844,  sous  la  chapelle  latérale  au  midi , 
et  a  été  rendue  au  culte  parles  soins  de  l'abbé  Nogret,  curé  de  la 
paroisse. 

On  voyait  jadis  au  grand  portail  de  cette  église  la  statue  de  Geoffroy- 
Grisegonelle,  son  fondateur  au  Xe  siècle,  où  elle  avait  pour  pendant 
celle  de  Foulques-Nerra ,  son  fils  (l).  L'une  et  l'autre  ont  été  renver- 
sées en  1 704.  Ce  porche  mutilé  est  encore  orné  de  figures  et  de  rin- 
ceaux qui  font  vivement  regretter  ce  qui  a  été  brisé  par  le  marteau 
révolutionnaire. 

T.  Pinard. 


(1)  Ces  comtes  d'Anjou  avaient  obtenu  de  grands  privilèges  pour  le  doyen  et  les 
chanoines  qu'ils  avaient  établis  à  Saint-Ours. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  On  avait  trouvé  il  y  a  quelques  années  dans  une  propriété 
située  au  pont  de  Metz,  près  Amiens,  un  priape  dont  M.  Guenard 
a  fait  don  à  la  bibliothèque  de  la  ville.  Une  nouvelle  découverte , 
beaucoup  plus  considérable,  et,  comme  on  va  en  juger,  bien  plus 
importante ,  vient  d'avoir  lieu  dans  le  même  endroit.  En  voici  le  détail  : 

1°  Un  petit  vase  cylindrique  en  terre  noire  ;  2°  un  vase  de  bronze, 
en  forme  d'aiguière,  dont  l'anse  est  ornée  à  la  naissance  d'une  tête 
d'un  beau  style;  l'ouverture  est  largement  évasée  en  forme  de 
trèfle;  3°  un  anneau  en  or  à  onze  facettes ,  sur  lesquelles  sont  ces 
lettres  :  v.  campanilla;  4°  une  belle  médaille  d'or  munie  d'une 
belière;  d'un  côté,  on  y  voit  le  buste  couronné  de  l'empereur 
Probus,  portant  un  javelot  sur  l'épaule  droite.  On  lit  autour  cette 
inscription  :  imp.  probvs.  avg.  ;  de  l'autre  côté,  six  soldats  des 
légions,  tenant  des  enseignes,  écoutent  l'empereur  monté  sur  une 
estrade  et  accompagné  d'un  second  personnage  ;  autour  est  l'inscrip- 
tion suivante  :  adlocvtio.  avg.  ;  on  nous  signale  ce  monument 
comme  un  médaillon,  ce  que  nous  ne  pouvons  vérifier.  Dans  ce 
cas,  il  serait  inédit  et  fort  précieux.  Si  c'est  un  aureus  ordinaire,  il 
est  encore  assez  rare ,  mais  publié  et  bien  connu.  Il  paraît  que  la 
soudure  de  la  belière  recouvre  deux  caractères  ;  la  lettre  v  de  probvs 
au  droit,  et  la  lettre  a  de  avg.  au  revers;  5°  un  anneau  en  or, 
composé  d'un  serpent  qui  se  mord  la  queue  ;  une  pierre  fine,  for- 
mant collier,  sépare  la  tête  du  corps  ;  6°  deux  petites  fioles  en  verre  ; 
7°  un  petit  vase  en  verre,  en  forme  de  cuvette;  8°  une  belle  paire 
de  boucles  d'oreilles  en  or;  des  pierres  fines  de  couleur  rouge, 
taillées  en  rosettes  et  en  globes  à  côtes ,  leur  donnent  beaucoup 
d'élégance. 

Tous  ces  objets,  dont  l'époque  se  trouve  fixée  au  milieu  du 
IIP  siècle  par  la  présence  d'une  médaille  de  Probus ,  ont  été  immé- 
diatement acquis  par  M.  Bouvier-Guenard ,  déjà  possesseur  d'objets 
antiques  d'une  grande  valeur  et  de  curiosités  remarquables.  On 
espère  que  cet  antiquaire  conservera  ces  nouveaux  monuments  dont 
la  découverte  est  intéressante  pour  l'histoire  du  département  de  la 
Somme. 


BIBLIOGRAPHIE 


Rome  au  siècle  d'Auguste  ,  ou  Voyage  d'un  Gaulois  à  Rome ,  à 
V époque  du  règne  d'Auguste  et  pendant  une  partie  du  règne  de  Ti- 
bère ,  précédé  dune  Description  de  Rome  aux  époques  d'Auguste  et 
de  Tibère...,  par  M.  Ch.  Dezobry  ;  4  vol  in-8°,  nouvelle  édition, 
revue,  augmentée  et  ornée  d'un  grand  plan  et  de  vues  de  Rome 
antique.  (Les  deux  premiers  volumes  sont  en  vente.  ) 

Quelques  personnes  condamneront  peut-être  cet  ouvrage  à  la  seule 
lecture  du  titre,  estimant  que  le  temps  des  Voyages  d'Anacharsis  est 
passé,  et  que  la  science  de  l'antiquité  réclame  une  forme  plus  sévère, 
plus  rigoureusement  vraie.  On  nous  pardonnera  d'être  moins  exi- 
geant même  dans  cette  Revue ,  et  de  croire  que  la  science  de  l'anti- 
quité peut  s'adresser  à  d'autres  qu'aux  savants  de  profession,  et,  jus- 
qu'à un  certain  point ,  se  rendre  populaire  par  l'intérêt  habilement 
mesuré  d'une  fiction  dramatique.  C'est  dans  cet  esprit  qu'a  été  conçu 
le  livre  de  M.  Dezobry  ;  et  le  succès  a  prouvé  que  l'auteur  avait  bien 
rempli  sa  tâche ,  unissant  au  charme  d'une  exposition  piquante  le 
mérite  d'une  érudition  très-solide  (1).  Nous  ne  voulons  rien  exagérer  à 
cet  égard  :  les  Lettres  du  Gaulois  Camulogène  n'ont  pas  l'élégance  et 
le  sel  des  Lettres  d'Anacharsis,  même  dans  cette  seconde  édition,  dont 
le  style  est  souvent  corrigé  avec  bonheur.  Peut-être  l'histoire  des 
mœurs  et  des  institutions  romaines  ne  devra  pas  non  plus  à  la  cri- 
tique de  M.  Dezobry  un  grand  nombre  de  résultats  importants  ;  mais 
l'archéologie  proprement  dite  s'enrichira  par  ses  efforts  d'acquisitions 
précieuses.  Dans  l'intervalle  de  ses  deux  publications ,  M.  Dezobry  a 
visité  l'Italie  ;  il  a  observé  la  plupart  des  lieux  où  il  place  la  scène  de 
ses  petits  drames  ;  il  a  formé  avec  d'habiles  architectes  des  relations 
qui,  aujourd'hui,  servent  singulièrement  au  perfectionnement  de  son 
travail.  De  là  est  sortie  cette  Description  de  Rome  sous  Auguste  et 

(,1)  Il  nous  est  tombé  sous  la  main  une  traduction  allemande  de  la  première  édi- 
tion de  ce  livre ,  par  M.  Hell.  C'est  plutôt  un  nouvel  ouvrage  sur  le  même  sujet.  On 
a  supprimé ,  sans  en  rien  dire,  plusieurs  lettres  ,  toutes  les  notes,  les  tables ,  plu- 
sieurs planches ,  et  la  Table  générale ,  qui,  à  elle  seule ,  forme  un  demi-volume. 
Nous  souhaitons  fort  que  les  critiques  à"outre-Rhin  n'aienLpas  jugé  l'original  par  ce 
produit  d'une  spéculation  mercantile. 


BIBLIOGRAPHIE.  487 

sous  Tibère,  morceau  tout  à  fait  neuf  dans  la  présente  édition,  et  qui 
forme ,  en  dehors  du  plan  épistolaire  de  l'ouvrage ,  un  manuel  des 
plus  complets  et  des  plus  commodes  pour  l'étude  de  la  ville  éternelle 
à  cette  époque  de  sa  splendeur.  Tout  ce  qu'une  lecture  attentive  des 
auteurs  anciens  ou  les  recueils  épigraphiques  renferment  de  docu- 
ment sur  chaque  édifice  de  Rome  y  est  classé ,  selon  l'ordre  des  ré- 
gions, avec  une  lucidité  et  une  exactitude  remarquables.  Les  frag- 
ments du  vieux  plan  en  relief  de  Rome  y  sont  tous  insérés  à  leur 
place ,  outre  plusieurs  figures  fournies  par  les  médailles.  Les  faits 
surtout  parlent  dans  ce  recueil,  où  les  conjectures  sont  rares  et  tou- 
jours produites  avec  réserve.  On  peut  ça  et  là  penser  autrement  que 
l'auteur  sur  tel  ou  tel  monument;  mais  c'est  l'auteur  lui-même  qui 
nous  offre  les  textes  contraires  à  son  opinion  ,  comme  ceux  qui  l'ap- 
puient :  par  exemple,  s'il  soutient  qu'il  n'y  eut  jamais  à  Rome  qu'une 
tribune  aux  harangues ,  et  que  les  rostrajulia  n'étaient  qu'une  partie 
antérieure  du  temple  de  Jules  César,  d'où  l'on  a  pu  ,  par  accident , 
prononcer  des  discours  dans  certaines  circonstances  solennelles,  nous 
demeurons  libres  de  penser  autrement,  en  lisant  dans  la  même  page 
ce  témoignage  de  Suétone:  Bifariam  laudatus  est  Augustus  pro  œde 
D.  Julii  a  Tiberio,  et  pro  rostris  veteribus  a  Druso  Tiberii  filio  ;  et  ces 
lignes  d'un  plébiscite  du  temps  d'Auguste  :  T.  Quinctius  Crispinus 
cos.  populum  jure  rogavit ,  populusque  jure  scivit  in  foro  pro  rostris 
œdis  Divi  Julii.  Une  table  alphabétique  (  p.  198-206  )  rend  d'ailleurs 
très-facile  la  récherche  des  renseignements  topographiques  que  le 
lecteur  désire  en  parcourant  Rome  à  la  suite  du  jeune  Gaulois. 

Les  Lettres  de  Camulogène  sont  aussi,  en  général,  d'une  concision 
instructive ,  et  annotées  avec  une  religion  de  consciense  qui  dépasse 
Barthélémy.  Les  plus  simples  jugements,  les  plus  innocentes  plaisan- 
teries ,  tout  est  traduit  du  grec  et  du  latin.  L'auteur  ici  n'a  voulu 
fournir  que  le  cadre  et  comme  le  ciment.  Quelques  notes  et  explica- 
tions supplémentaires  rejetées  à  la  fin  exposent  ses  doutes  sur  les 
points  les  plus  obscurs,  ou  expriment  les  réserves  de  sa  bonne  foi 
sur  de  petites  libertés  hasardées  dans  le  texte,  ou,  enfin,  expliquent 
certains  traits  des  mœurs  romaines  par  des  rapprochements  avec  nos 
mœurs  modernes.  C'est  là  surtout  qu'abondent  les  sujets  de  discus- 
sion. M.  Dezobry  tout  le  premier  nous  provoque  à  la  controverse. 
Nous  pourrions  donc  lui  demander  s'il  n'hésite  pas  sur  l'explication 
qu'il  nous  donne  de  l'abréviation  JR.  jR.  dans  une  inscription  relative 
au  pomœrium  (t.  I,  p.  483-484  ).  M.  Orelli  (  Inscr.  lat.,  n°  5011  ) 
en  offre  une  beaucoup  plus  satisfaisante,  qu'il  appuie  sur  des  exem- 


488  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

pies  sans  réplique.  Nous  doutons  fort  aussi  que  M.  Dezobry  ait  raison 
de  traduire  cavea  par  arcade,  par  laquelle  on  devait  entrer  dans  un 
théâtre  ou  un  amphithéâtre.  Que  signifierait  alors  cette  expression 
de  Senèque  :  Verba  ad  summam  caveam  spectantia ,  pour  désigner  les 
mots  qui  s'adressent  à  la  populace  (  de  Tranquill.  animi,  11.  Cf.  Cic. 
deSenect.  14.  Suétone,  Aag.  44)?  On  entend  d'ordinaire  par  cavea 
une  ceinture  de  gradins ,  et  on  admet  que  les  mots  summa,  média  et 
ima  cavea  marquent  trois  ceintures  de  gradins  séparées  Tune  de 
l'autre  par  une  espèce  de  couloir ,  et  divisées  chacune  en  un  certain 
nombre  de  cuneL  Pourquoi  s'écarter  de  cette  explication  vulgaire? 
Les  artistes  aussi  trouveront  ample  matière  à  leurs  observations  dans 
les  plans  et  vues  de  Rome  exécutés  pour  M.  Dezobry,  et,  quelquefois 
sous  sa  direction  ,  par  d'habiles  collaborateurs.  Nous  devions  nous 
borner  ici  à  signaler  en  peu  de  mots  le  caractère  sérieux  d'un  ou- 
vrage qui  formera  bientôt  une  véritable  encyclopédie  des  antiquités 
romaines,  rédigée  tout  entière  d'après  les  textes  originaux  et  avec  l'é- 
tude directe  des  monuments. 

E. 


NOUVELLES  PUBLICATIONS  ARCHÉOLOGIQUES. 

The  Archaeological  Journal  ,  published  under  the  direction  of 
the  central  committee  of  the  archaeological  institute  of  Great 
Britain  and  Ireland ,  for  the  encouragement  and  prosecution  of 
researches  into  the  arts  and  monuments  of  the  early  and  middle 
âges.  N°  10,  june  1846.  London. 

Monuments  Anciens,  recueillis  en  Belgique,  par  L.  Haghe  de 
Tournai,  in-f.  Bruxelles,  1845. 

Bulletin  de  la  Société  archéologique  et  historique  du 
Limousin,  in-8°,  t.  I,  2e  livraison,  15  juillet  1846.  Limoges. 

Nouveau  programme  d'un  liturgiste,  par  Joseph  Bard,  in-4°, 
de  huit  pages.  Lyon ,  1846. 


SUR 

LE  GRAND  AQUEDUC,  PRÈS  DE  REYROUT. 

(V.  PI.  57.  ) 


Les  lecteurs  de  la  Revue  n'ont  peut-être  pas  entièrement  perdu  le 
souvenir  d'une  inscription  de  Deir-el-Kalaah,  près  de  Beyrout,  que 
j'ai  expliquée,  dans  la  livraison  de  mai  dernier  (p.  78-83),  et  qui  m'a 
conduit,  je  ne  dis  pas  à  découvrir,  mais  à  faire  connaître  l'existence 
d'un  monument  dont  aucun  voyageur  n'avait  parlé. 

On  a  vu  que  cette  inscription ,  qui  a  dû  se  rapporter  à  une  fon- 
taine d'où  l'eau  sortait  par  la  bouche  d'un  masque  de  Jupiter  Am- 
mon  (p.  83  ),  se  termine  par  les  mots  wpoxéovxa  ppo-co??  AGPOAPO- 
MON  u&op,  leçon  que  j'avais  tirée  des  lettres  /GPOAPOMON, 
qui  se  trouvaient  dans  une  copie  rapportée  par  M.  Smith ,  au  lieu 
de  IGPOAPOMON,  que  donnait  la  copie  publiée  dans  le  Corpus 
inscriptionum.  La  leçon  àepo'Spofxov  me  parut  ne  pouvoir  exprimer 
qu'une  eau  qui  était  venue  par  une  voie  aérienne,  ou  à  travers  les 
airs  (i),  c'est-à-dire  amenée  par  un  aqueduc,  élevé  sur  plusieurs 
rangs  d'arcades ,  comme  le  Pont  du  Gard  (  p.  81  ).  J'en  avais  conclu 
qu'il  a  dû  nécessairement  exister  en  ce  lieu  un  monument  de  ce 
genre ,  quoique  aucun  voyageur  n'en  ait  fait  mention. 

Enfin,  on  se  souviendra  peut-être  encore  que,  plein  de  confiance 
dans  mon  explication,  je  m'adressai  à  M.  le  colonel  Gallier,  qui,  ayant 
séjourné  à  Beyrout ,  en  connaissait  tous  les  environs.  11  me  donna 
l'assurance  qu'il  existait,  bien  réellement,  près  de  Deir-el-Kalaah, 
un  aqueduc  tel  que  je  pouvais  le  désirer,  formé  de  trois  arcades  su- 
perposées ,  tout  à  fait  analogue  au  Pont  du  Gard. 

C'était  la  première  nouvelle  de  l'existence  d'un  monument  de  cette 
importance,  dans  une  telle  localité. 

(1)  L'obligation  de  faire  brève  la  première  de  xspôopoy.o-f ,  de  longue  qu'elle  est 
ordinairement,  ne  peut  arrêter  dans  une  inscription  du  IIe  ou  IIIe  siècle.  La  même 
quantité  se  trouve  dans  le  Pseudo-Pliocylide  (v.  102) ,  qui  doit  être  de  ce  temps  j 
et  dans  Grégoire  de  JVazianze  (p.  99  ,  A).  On  a  trouvé  cette  quantité  jusque  dans 
Sophocle  (  Eleclr.,  v.  8T  ).  Mais  M.  G.  Hermann  a  écarté  cet  exemple ,  unique 
dans  un  auteur  de  la  belle  époque,  en  lisant  içépoto  hty,  au  lieu  de  îw/aoi^î 
*ip ,  leçon  qui  rendait  brève  la  première  de  «>j> 

III.  32 


490  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Il  ne  me  restait  plus  à  désirer  qu'une  chose,  c'était  d'en  posséder 
une  vue  qui  pût  en  donner  au  moins  une  idée  approximative.  Je 
viens  d'avoir  cette  satisfaction  ,  et  je  puis  la  faire  partager  à  nos  lec- 
teurs, grâce  à  la  complaisance  de  M.  Jules  de  Bertou,  voyageur 
connu  par  ses  excursion^  en  Syrie ,  et  par  .ses  belles  observations 
sur  le  niveau  comparé  de  la  mer  Morte  et  de  la  mer  Rouge  (l), 
qu'il  a  le  premier  déterminé  avec  une  grande  exactitude,  et  par  son 
mémoire  sur  la  ville  de  Tyr. 

A  son  retour  de  Rome,  M.  de  Bertou  vint  me  voir;  je  l'inter- 
rogeai sur  Yàqaedac  de  Beyrout;  il  me  dit  le  connaître  parfaitement, 
et  avoir  souvent  chassé  de  ce  côté;  il  m'en  donna  la  description  sui- 
vante, qui  revient  à  celle  que  m'avait  donnée  M.  le  colonel  Callier: 

«  A  deux  heures  environ  ,  à  l'est  de  Beyrout ,  dans  la  vallée  où 
coule  le  Nahr- Beyrout,  ou  plutôt  le  Nahr-el-Sazib,  on  rencontre  un 
fort  bel  aqueduc,  qui  m'a  tout  d'abord  rappelé  le  fameux  pont  du 
Gard. 

«  L'aqueduc  syrien,  désigné  ici  sous  le  nom  àeKonoter-Sbdidy,  ou 
Kanater-Esbaïdie,  a  été  construit  en  fort  belles  et  fort  grandes  pierres, 
et  avait  trois  ordres  d'arcades  superposés;  sa  plus  grande  hauteur, 
avant  l'écroulement  presque  complet  du  troisième  ordre,  devait  être 
de  cinquante  mètres  à  peu  près,  et  sa  plus  grande  largeur ,  de  cent 
soixante  à  cent  quatre-vingts  mètres. 

ce  L'eau  ne  traverse  plus  la  vallée  sur  son  canal  suspendu  ,  mais 
elle  tombe  encore  en  grande  abondance  sur  la  roue  d'un  moulin  à 
farine  quelle  fait  marcher  sans  interruption ,  et  entretient  ainsi  la 
vie  et  le  mouvement  dans  un  endroit  qui,  sans  elle,  serait  toute 
fait  désert. 

ce  Les  belles  cascades  que  cette  nappe  d'eau  forme  en  tombant  de 
pierres  en  pierres ,  les  mousses,  les  lichens  et  les  autres  végétations 
qui  croissent  partout  sur  son  passage,  tout  cela  ajoute  quelque  chose 
de  souriant  et  de  pittoresque  qui  contraste  fortement  avec  l'aspect 
imposant  et  sévère  de  cette  grande  ruine,  et  contribue  à  faire  de  cet 
endroit  le  motif  d'un  tableau  qui  aurait  été  digne  du  pinceau  d'un 
Salvator  Rosa.  » 

A  l'appui  de  cette  description,  il  m  envoya  de  plus,  non  pas  un 
simple  croquis,  mais  un  superbe  dessin,  exécuté  sur  les  lieux  mômes, 
par  un  artiste  des  plus  distingués,  M.  Montfort ,  son  compagnon  de 


(0  Callier,  dani  le  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie,  août  1838 ,  Hum- 
boldt,  Asie  centrale,  t.  II,  p.  32 1. 


GRAND  AQUEDUC  ,  PRÈS  DE  BEYROUT.  491 

voyage.  C'est  ce  dessin ,  qu'avec  ia  permission  de  l'artiste ,  M.  de 
Bertou  m'a  permis  de  reproduire,  et  que  l'éditeur  de  la  Reçue, 
n'épargnant  rien  pour  donner  à  ce  recueil  tout  l'intérêt  dont  il  est 
susceptible ,  a  fait  graver  sur  acier  d'une  manière  digne  du  beau 
dessin  qui  lui  était  confié. 

Nos  lecteurs  seront  frappés  de  la  ressemblance  de  ce  monument 
avec  le  Pont  du  Gard  (voir  pi.  57).  Il  réunit  de  même  deux  collines 
élevées,  et  il  traverse  le  lit  du  Nahr-Beyrout ,  comme  l'autre,  le  lit 
du  Gardon  ;  il  a  de  même  trois  rangs  d'arcades,  et  est  construit  en 
grands  matériaux  superposés  sans  chaux  ni  ciment. 

Ce  grand  monument ,  à  présent  acquis  à  l'histoire,  serait  encore 
caché  dans  le  portefeuille  ou  les  notes  inédites  de  nos  voyageurs ,  si 
un  jambage  oblique,  au  lieu  d'un  jambage  droit,  ne  s'était  pas  ren- 
contré dans  une  copie  d'inscription. 

Il  est  peu  de  traits  plus  indifférents ,  qui  aient  conduit  à  un  ré- 
sultat plus  heureux. 

Je  tiens,  en  outre,  de  la  tonte  de  M.  de  Bertou,  un  plan  des 
ruines  antiques  qui  existent  à  Deir-el-Kalaah.  Elles  seront  publiées 
dans  un  prochain  cahier,  ainsi  que  plusieurs  inscriptions  recueillies 
sur  les  lieux  par  le  même  voyageur.  Ce  sont  des  documents  d'un  assez 
grand  intérêt,  qui  seraient  aussi  restés  dans  le  carton  du  voyageur, 
sans  l'heureux  hasard  qui  m'a  fourni  une  occasion  de  les  connaître 
et  de  les  mettre  au  jour. 

Lbtronne. 


POLÉMON, 

LE  VOYAGEUR  ARCHÉOLOGUE. 

ESQUISSE   DE  L'ANTIQUITÉ  (1), 


III. 

La  Carie  et  les  provinces  les  plus  méridionales  de  la  mer  Egée , 
Rhodes ,  la  Crète ,  la  Syrie ,  n'étaient  guère  moins  riches  en  monu- 
ments et  en  souvenirs  que  les  villes  ioniennes  ;  mais  de  cette  partie 
du  journal  de  notre  voyageur  il  reste  à  peine  deux  lignes.  Je  ne  vois 
pas  même  sûrement  qu'il  ait  été  en  Egypte.  Comment  croire  pour- 
tant, s'il  ne  fut  point  élevé  à  Alexandrie ,  qu'il  n'ait  pas  du  moins 
visité  l'école  où  brillaient  alors  tant  de  personnages  célèbres  :  Hip- 
parque,  Ératosthène  dans  les  sciences;  Aristophane  dans  l'érudi- 
tion, Apollonius  et  Nicandre  dans  la  poésie?  Alexandrie  d'ailleurs 
était  sur  la  route  de  Carthage,  où  nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 
Entre  ces  deux  villes,  Cyrène  offrait  un  repos  utile  avec  une  ample 
collection  d'oeuvres  curieuses  à  observer  pour  un  antiquaire.  Au 
reste,  même  à  Alexandrie,  la  bibliothèque  du  Musée  ne  devait  pas 
seule  retenir  notre  voyageur  ;  il  aimait  déchiffrer  sur  le  marbre  ou 
l'airain  les  vieux  textes  de  lois,  les  traités,  les  dédicaces,  les  épi— 
taphes,  et  en  Egypte  le  contact  de  deux  civilisations  donnait  un 
double  intérêt  aux  monuments  de  ce  genre;  ils  étaient  souvent  bi- 
lingues ou  même  trilingues ,  comme  la  fameuse  inscription  de  Ro- 
sette ,  qui  s'écrivait  précisément  vers  cette  époque.  Qui  nous  dira 
aujourd'hui  si  l'attention  des  touristes  philologues  allait  jusqu'à  re- 
cueillir à  côté  des  textes  grecs  les  traductions  hiéroglyphiques  et  dé- 
motiques ;  s'ils  consultaient  quelquefois  le  collège  des  interprètes  sur 
le  secret  de  ces  langues  mystérieuses  ?  Pour  ma  part,  j'en  doute  fort  ; 
telle  était  l'insouciance  des  Grecs  pour  les  langues  barbares,  telle 
était  l'inclination  des  autres  peuples  à  se  faire  grecs  pour  comprendre 
Homère  dans  sa  langue!  Dans  la  foule  d'écrits  sur  la  grammaire 

(1)  Voir  plus  haut  p.  446  et  suiv. 


POLEMOtf.  493 

qu'ont  produits  les  écoles  grecques,  je  n'en  vois  qu'un  seul  qui  semble 
attester  quelque  souci  de  cette  comparaison  entre  les  idiomes,  devenue 
aujourd'hui  une  branche  nouvelle  et  féconde  des  connaissances  hu- 
maines ,  c'est  le  traité  de  Didyme  sur  la  langue  des  Romains,  dont  il 
reste  quelques  fragments;  mais  le  latin  avait  pris,  grâce  à  la  con- 
quête romaine ,  une  si  grande  importance  dans  le  monde  qu'il  fallait 
bien  se  relâcher  un  peu  à  son  égard  du  dédain  où  l'on  enveloppait 
tous  les  autres  idiomes  étrangers  (l).  D'ailleurs,  chose  remarquable 
et  peu  remarquée  dans  l'antiquité  comme  de  nos  jours,  ce  n'est  pas 
d'ordinaire  par  les  savants  que  se  développe  cette  connaissance  des 
langues  :  les  relations  du  commerce  en  font  naître  le  premier  besoin. 
Les  grammairiens  ne  viennent  que  bien  longtemps  après  les  inter- 
prètes. Ceux-ci  sont  constitués  en  Egypte  dès  le  VIIe  siècle  avant 
notre  ère ,  on  en  retrouve  plus  tard  sur  toutes  les  frontières  grecques, 
ou  romaines ,  dans  tous  les  comptoirs  où  s'échangeaient  les  marchan- 
dises de  l'Europe  ,  de  l'Asie  et  de  l'Afrique  ;  on  cite  même  une  ville 
de  la  Colchide,  où  cent  trente  interprètes  desservaient  le  commerce 
romain  avec  soixante-dix ,  ou  selon  d'autres ,  trois  cents  nations  de 
l'Orient.  En  Italie,  où  le  latin  s'était  formé  de  divers  idiomes  primitifs, 
l'osque  était  familier  à  beaucoup  de  Romains  ;  l'étrusque  était  appris 
par  quelques  jeunes  citoyens  comme  langue  des  vieux  rituels.  Le 
grec,  plus  tard,  remplaça  l'osque  et  l'étrusque,  et  les  grammairiens 
romains  nous  laissent  voir  quelque  chose  de  l'heureuse  influence  que 
ces  études  exerçaient  naturellement  sur  le  progrès  des  théories  gram- 
maticales. La  traduction  des  livres  hébreux,  dès  le  temps  des  Ptolé- 
mées  en  Egypte,  celle  des  livres  hébreux  et  chrétiens  sous  l'empire, 
mettaient  en  contact  des  langues  bien  autrement  diverses  de  génie. 
C'était  à  renverser  les  petites  théories  des  grammairiens  occidentaux; 
il  n'en  fut  rien  cependant;  on  n'apprit  de  l'hébreu  que  tout  juste  ce 
qu'il  en  fallait  pour  le  métier  de  traducteur.  On  n'y  chercha  pas  de 
quoi  éclairer  les  procédés  généraux  de  l'esprit  humain  dans  la  forma- 
tion du  langage  ;  cette  insouciance  devait  durer  jusqu'à  la  renais- 
sance des  lettres  (2). 

Si  Polémon  ne  savait  rien  des  idiomes  nationaux  de  l'Egypte , 
sans  doute  il  ne  savait  pas  mieux  le  phénicien  ou  le  numide  de  Car- 
Ci  )  «  Opéra  data  est,  *  dit  noblement  saint  Augustin  fde  Civilale  Dei,  XIX,  7), 
«  ut  imperiosa  civitas  non  solum  jugum,  verum  eliam  linguarn  suam  domitis  gcn- 
«  tibus  et  per  pacem  sociatis  imponeret.  » 

(2)  Tous  les  textes  relatifs  à  la  connaissance  des  langues  étrangères  chez  les  an- 
ciens sont  réunis  dans  une  dissertation  intéressante  de  M.  J.  F.  Cramer  sur  ce  sujet. 
Stralsund,  1844,  in-4. 


494  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

» 

thage;  heureusement  cette  ville  lui  réservait  d'autres  sujets  d'études 
que  les  livres  de  Magon  sur  l'agriculture  et  les  autres  richesses  des 
bibliothèques  que  les  Romains  distribuèrent,  quelques  années  après , 
aux  petits  rois  de  V  Afrique  (1).  L'autre  partie  du  butin  de  Carthage  , 
les  objets  d'art ,  les  offrandes  de  tout  genre  ornaient  encore  la  puis- 
sante cité  dans  l'intervalle  des  deux  dernières  guerres  puniques  ; 
c'étaient  rarement  des  œuvres  d'artistes  carthaginois  ,  presque  tou- 
jours des  statues  ou  des  peintures  enlevées  aux  villes  grecques.  Sci- 
pion  Émilien,  après  sa  victoire,  convia  les  Siciliens  et  les  Italiens  à 
venir  reprendre  ce  qui  avait  pu  échapper  aux  flammes.  Himère  y  re- 
trouva sa  statue  personnifiée  sous  les  traits  d'une  femme ,  et  celle  du 
poëte  Stésichore  ;  Ségeste  sa  Diane  ;  Agrigente  le  fameux  taureau  de 
Phalaris.  «  La  destinée  de  ces  admirables  statues  de  la  Sicile,  dit  un 
savant  archéologue,  est  tout  à  fait  singulière.  Transportées  de  Sicile 
à  Carthage  par  la  victoire,  une  autre  victoire  les  rend  à  la  Sicile  ;  le 
pillard  Verres  les  conduit  à  Rome  ,  d'où  un  autre  pillard,  Genséric , 
les  emporte  et  les  ramène  à  Carthage,  d'où  elles  avaient  été  enle- 
vées six  siècles  auparavant  »  (2). 

La  seule  note  qui  nous  reste  des  observations  de  Polémon,  à  Car- 
thage, prouve  à  quelles  minuties  descendait  sa  curiosité;  il  avait 
consacré  un  chapitre,  peut-être  tout  un  livre  auipeplus,  c'est-à- 
dire  à  ces  longs  voiles  ou  manteaux  dont  les  Grecs,  dès  le  temps 
d'Homère,  décoraient  souvent  les  statues  de  leurs  divinités.  L'un  de 
ces  péplus  orné  de  figures  en  broderie  qu  Aristote  a  brièvement  dé- 
peintes, était  l'ouvrage  d'un  artiste  de  Sybaris.  Celui-ci  l'exposa  dans 
le  temple  de  Junon  Lacinienne,  dont  la  fête  réunissait  tous  les  habi- 
tants de  l'Italie.  Là ,  Denys  l'Ancien  s'en  empara  un  jour  et  le  vendit 
aux  Carthaginois  pour  le  prix  énorme  de  cent  vingt  talents.  On 
ignore  si  les  Romains  restituèrent  à  la  déesse  ce  précieux  tissu. 
Ainsi  Polémon  ne  s'est  pas  seulement  occupé  des  peintres  et  des 
statuaires  :  les  artistes  de  tout  genre  obtenaient  quelque  mention 
dans  son  journal  ;  et  en  chaque  genre  les  plus  humbles  comme  les 
plus  illustres  apparemment;  car  ceux  que  nous  trouvons  nommés 
dans  ses  fragments  sont  tout  à  fait  inconnus  ;  mais  rien  n'est  petit 
pour  les  amateurs  d'antiquités. 

En  Sicile,  où  nous  pouvons  sans  invraisemblance  le  faire  aborder 
après  son  excursion  dans  la  capitale  des  Carthaginois,  Polémon  re- 
trouvait bien  des  souvenirs  de  Carthage  et  de  ses  conquêtes,  mais 

(1)  Pline,  HiU.  naL,  XVIII,  5 ,  p.  204  ,  éd.  Sillig. 

(î)  Dureau  de  La  Malle,  Recherches  sur  la  Topogr,  de  Carthage,  p.  99 ,  100, 


POLÉMON.  495 

encore  plus  de  fables  et  de  monuments  grecs.  Ici  encore  j'admire  la 
profondeur  et  la  variété  de  son  érudition  ,  qui  s'étend  depuis  la  plus 
ancienne  histoire  des  villes  et  la  description  des  lieux  célèbres  jus- 
qu'aux petites  superstitions  locales.  Pourquoi  ne  pouvons-nous  lire 
aujourd'hui  de  sa  relation  pittoresque  qu'une  page  sur  les  dieux 
Pcilich  Pourquoi  faut-il  que  nous  ne  sachions  plus  comment  Polé- 
mon  retrouvait,  dans  la  patrie  même  de  Théocrite ,  les  origines  du 
poëme  bucolique ,  et  ce  qu'il  pensait  des  traditions  relatives  au  si- 
cilien Daphnis;  on  aimerait  aussi  à  le  suivre  au  tombeau  d'Ar- 
chimède,  à  lire  avec  lui  l'inscription  alors  récente,  qu'un  siècle  et 
demi  plus  tard  Cicéron  y  recherchait  avec  peine,  sous  les  broussailles. 
Rome  alors  occupait  déjà  Syracuse,  mais  Archimède  n'y  était  pas 
encore  oublié. 

Rome,  toujours  Rome.  Ce  nom  fatal  que,  dès  son  enfance,  Polé- 
mon  devait  entendre  prononcer  avec  terreur,  ce  nom  le  poursuit 
partout,  à  Téos,  à  Alexandrie,  à  Carthage,  en  Sicile.  Le  voilà  près  du 
centre  de  la  puissance  romaine  ;  s'y  laissera-t-il  attirer  par  cet  invin- 
cible charme  qui  nous  entraine  au  spectacle  des  grandes  choses , 
même  quand  ces  grandes  choses  sont  pour  nous  un  reproche ,  une 
humiliation?  Quelques  traits  de  ses  ouvrages  le  montrent  si  bien 
instruit  des  fables  du  Latium,  qu'il  faut  croire  du  moins  qu'il  séjourna 
beaucoup  en  Italie.  C'est  le  temps  où  y  vieillissaient,  comme  otages, 
mille  Achéens  et  parmi  eux  Polybe,  que  Polémon  avait  déjà  pu  voir, 
dans  Alexandrie,  à  la  cour  du  roi  Ptolémée  Épiphane.  Voilà  pour 
notre  archéologue  un  digne  introducteur  auprès  des  Scipions;  mais 
aussi  le  vieux  Caton  est  là  avec  sa  haine  contre  les  Grecs  et  contre 
leur  langue  qu'il  n'a  pas  encore  apprise.  Pour  lui  tous  ces  hommes 
sont  des  brigands  et  des  empoisonneurs  (l).  Il  paraît  peu  sensible  au 
service  que  leur  érudition  veut  rendre  à  Rome  en  décorant  son  ber- 
ceau des  glorieuses  fables  de  Troie.  Polémon  fera  bien  de  descendre 
vers  la  grande  Grèce  à  Rhegium,  à  Sybaris ,  à  Tarente,  à  Héraclée, 
il  y  trouvera  une  hospitalité  plus  sûre.  Ces  cités  sont  demeurées 
toutes  grecques,  avec  la  permission  de  leurs  vainqueurs;  elles  rédi- 
gent en  grec  leurs  actes  publics ,  elles  adorent  leurs  héros  fondateurs, 
qui  sont  quelquefois  des  capitaines  d'Agamemnon.  Arrivé  en  Mes- 
sapie,  Polémon  n'a  plus  qu'à  traverser  un  étroit  bras  de  mer,  le  voici 
à  Ithaque  dans  le  royaume  d'Ulysse  ;  encore  quelques  heures  et  il 

(1)  \oy.  surtout  les  curieuses  paroles  citées  par  Pline,  Hist.  nat.,  XXIX,  7.  Cf. 
Van  Bolhuis,  Diatribe  litt.  in  M.  P.  Calonis  Censorii  quœ  supersunt  scripta 
(t  fragmenta,  p.  194. 


406  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

touchera  la  côte  d'Épire  ;  c'est  l'un  des  plus  vénérables  lieux  de  la 
Grèce,  celui  peut-être  où  parurent  les  premiers  Hellènes.  L'oracle 
de  Dodone  est  un  de  ceux  d'où  partirent  dès  la  plus  haute  antiquité 
ces  voix  mystérieuses  qui  lançaient  les  peuples  helléniques  sur  les 
pays  ouverts  à  leur  génie  civilisateur.  Mais  à  Dodone  comme  à  Car- 
thage  c'est  nous  qui  cherchons  les  secrets  de  l'histoire  ;  Polémon  tout 
simplement  observe  et  recueille  des  faits. 

Voici,  par  exemple,  une  œuvre  dart  assez  étrange  qu'il  a  ainsi 
décrite  sans  emphase  :  «  Il  y  a  ,  dit-il ,  à  Dodone  (dans  le  temple  de 
Jupiter)  deux  colonnes  voisines  et  de  même  hauteur;  sur  l'une  des 
deux  est  un  vase  d'airain  à  peu  près  de  la  dimension  de  nos  chau- 
drons, sur  l'autre  une  statue  d'enfant  tenant  un  fouet  à  la  main 
droite;  c'est  à  la  droite  de  cet  enfant  qu'est  située  la  seconde  colonne. 
Quand  le  vent  souffle,  les  lanières  du  fouet,  qui  sont  cependant  en 
métal,  sont  soulevées  comme  des  lanières  en  cuir,  et  vont  frapper  le 
vase  ;  cela  dure  tant  que  le  vent  souffle.  »  Cette  œuvre  était  une  of- 
frandes de  Corcyréens.  Du  temps  de  Strabon ,  soit  qu'on  l'eût  en  effet 
changée  en  quelque  partie,  soit  que  l'imagination  du  narrateur  ait 
augmenté  le  fait  de  quelques  accessoires  fabuleux ,   il  n'est  plus 
question  de  deux  colonnes.  La  statue  repose  sur  le  vase  même  (ap- 
paremment renversé);  le  fouet  qu'elle  porte  se  compose  de  trois 
chaînes  de  métal  terminées  par  un  bouton  et  un  osselet,  et  la  durée 
du  son  est  telle  que  l'on  peut  avant  qu'il  cesse  compter  jusqu'au 
nombre  quatre  cents.  De  là  est  venu  le  proverbe  :  C'est  un  fouet  de 
Corcyre,  pour  désigner  les  gens  babillards.  Trois  siècles  plus  tard  la 
tradition  s'est  encore  altérée.  Des  Pères  de  l'Église  font  de  l'offrande 
des  Corcyréens  une  machine  sacrée  dont  les  sons  inspiraient  la  pro- 
phétessede  Dodone.  On  se  souvenait  vaguement  alors  que  jadis,  dans 
le  même  temple ,  des  cloches  disposées  d'une  certaine  façon  ser- 
vaient au  charlatanisme  des  prêtres  pour  rendre  au  peuple  de  pré- 
tendus oracles.  Des  deux  récits  confondus  s'est  formé  le  troisième 
qui  les  défigure  également  l'un  et  l'autre.  C'est  ainsi  que  souvent  les 
chefs-d'œuvre  de  l'art  deviennent  peu  à  peu  des  merveilles,  ou  pour 
mieux  dire  des  miracles.  Nous  ne  savons  pas  assez  aujourd'hui  com- 
bien l'histoire  des  temps  primitifs  est  pleine  de  ces  métamorphoses. 
Si  au  lieu  de  gagner  par  le  continent  Delphes,  cet  autre  sanc- 
tuaire des  superstitions  grecques ,  nous  redescendons  par  mer  dans 
le  Péloponèse ,  nous  trouverons  parmi  les  notes  de  notre  voyageur, 
certains  traits  de  mœurs  plus  caractéristiques  encore.  Ce  sont  des 
épigrarames  comme  celle-ci  sur  la  ville  d'Élis  :  «  Élis  boit  et  ment; 


POLÉMON.  497 

ainsi  fait  chacun  dans  sa  maison,  ainsi  toute  la  ville  ;  »  et  cette  autre, 
probablement  relative  à  quelque  habitant  d'Élis  :  «  Au  buveur  Ar- 
cadion ,  ses  fils  Dorcon  et  Charmyle  ont  élevé  ce  tombeau  près  du 
chemin  que  tu  vois.  Le  bonhomme  est  mort,  ô  passant,  en  buvant 
tout  pur  en  une  large  coupe.  »  On  croira  peut-être  que  de  telles 
plaisanteries  couraient  les  almanachs  poétiques  du  temps,  mais  ne 
s'inscrivaient  pas  sur  les  monuments;  ce  serait  une  erreur.  Les 
marbres  nous  en  ont  conservé  d'aussi  étranges,  et  que  la  volonté 
même  du  mort  a  souvent  fait  inscrire  sur  son  tombeau.  Ici  c'est  un 
mari  qui  se  plaint  d'avoir  été  tué  par  l'amant  de  sa  femme  (le  mo- 
nument est  à  Paris ,  au  Musée  du  Louvre  )  ;  là  un  élégant  à  bonnes 
fortunes  qui  se  vante  de  mourir  regretté  des  belles  ;  ailleurs  c'est  un 
épicurien  qui  traite  de  vaine  chimère  la  croyance  aux  dieux.  Mais 
souvent  aussi ,  il  faut  le  dire,  des  pensées  nobles  et  touchantes  ont  tra- 
versé les  siècles  sur  la  pierre  où  une  main  obscure  les  avait  gravées. 
Au  premier  rang  je  citerai  celle  de  l'immortalité  de  l'âme,  qui  se 
renouvelle  sous  cent  formes  diverses  ;  puis  ces  pieuses  formules,  sur 
la  tombe  d'un  jeune  homme  de  vingt  ans  :  «  Eutychus,  jadis  l'espoir 
de  ses  parents,  maintenant  leur  chagrin  ;  »  sur  celle  d'un  enfant  de 
trois  ans  :  «  Heureuse  pierre  qui  renferme  un  tel  trésor.  »  Un  mari 
compare  en  vers  élégants  les  vertus  de  sa  femme  à  celles  de  Pénélope; 
une  jeune  esclave,  une  pauvre  nourrice  reçoivent  des  hommages  qui 
respirent  la  tendresse  chrétienne.  «  Il  n'y  a  qu'une  belle  chose  en  la  vie, 
dit  un  de  ces  païens  dont  nous  parcourons  les  tombes,  c'est  la  bien- 
faisance. »  J'aime  encore  mieux  cela  que  l'emphase  de  Pline  :  «  Deas 
est  juvare  morlales,  c'est  être  Dieu  que  secourir  les  hommes  (1).  » 
Beaucoup  d'humbles  sépultures  ne  se  distinguent  que  par  la  briè- 
veté, par  la  recherche  malheureuse  ou  par  la  barbarie  du  style;  il 
n'importe,  qualités  ou  défauts,  ce  sont  des  traits  dignes  de  l'obser- 
vateur. «  L'homme ,  dit  un  célèbre  archéologue,  ne  croit  pas  mourir 
tout  entier,  s'il  laisse  de  lui-même  quelque  souvenir,  et  quand  il  ne 
l'attend  pas  du  témoignage  de  l'histoire  ou  des  productions  de  son 
génie ,  il  veut  au  moins  qu'un  marbre  annonce  à  la  postérité  quelque 
édifice  élevé  par  ses  soins ,  quelque  présent  de  sa  munificence ,  ou 
qu'une  inscription  gravée  sur  l'urne  funéraire  y  fasse  foi  de  son 
existence  passée  (2).  » 

(1)  Voir  la  A'ylloge  de  Welcker,  nPS  8  ,  14-16 ,  56  ,  59  ,  fiO  ,  75 ,  1S6.  Je  ne  parle 
pas  des  épilaphes  d'animaux ,  bien  qu'on  en  ait  d'assez  nombreux  exemples.  Voy.  le 
même  recueil ,  n°  102.  —  Ai-je  besoin  d'ajouter  que  ma  traduction  émousse  triste- 
ment, quelque  effort  que  j'y  mette,  les  traits  de  l'original? 

(2)  Lanzi ,  Saggio  di  lingua  elrusca. 


498  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

L'anthologie  grecque  contient  plusieurs  centaines  de  ces  pièces 
qui  sans  doute  ne  sont  pas  toutes  des  jeux  d'esprit.  Les  successeurs 
modernes  de  Polémon  en  ont  recueilli  un  plus  grand  nombre  encore 
dans  les  cimetières  de  l'ancien  monde.  Ce  n'est  pas,  à  mon  sens ,  la 
moins  intéressante  partie  de  leurs  recueils.  Le  testament  des  hommes 
d'Etat  est  dans  Thucydide  et  dans  Tacite,  mais  le  testament  du 
peuple  est  sur  ces  pierres  (1) ,  non  moins  honorable  pour  l'antiquité 
que  bien  des  pages  éloquentes  de  ses  historiens  (2). 

Nous  sommes  bien  près  d'Olympie ,  ou  plutôt  puisqu'il  n'y  avait 
point  de  ville  de  ce  nom ,  nous  sommes  près  du  temple  de  Jupiter 
Olympien  ,  ce  grand  rendez-vous  de  toutes  les  vanités ,  de  toutes  les 
ambitions  de  la  Grèce.  Polémon  faisait  l'histoire  des  jeux  divers  que 
comprenait  la  solennité  olympique  ;  il  décrivait  les  merveilles  des 
arts  déposés  dans  le  temple  et  dans  les  édifices  voisins.  A  Sicyone,  il 
visite  une  riche  galerie  de  tableaux;  c'était  le  moment  favorable  pour 
étudier  la  peinture  grecque,  elle  venait  d'atteindre  sous  Alexandre  et 
ses  successeurs  le  plus  haut  point  de  perfection,  et  les  Romains  peu 
curieux  de  beaux-arts  ne  dépeuplaient  pas  encore  les  musées  de 
l'Orient  pour  enrichir  leurs  monuments  publics  ou  leurs  villas.  En 
sortant  de  Sicyone,  Polémon  pourra  admirer  à  Corinthe  les  nombreuses 
merveilles  de  l'art  que  bientôt  après  dévastèrent  les  soldats  de  Mem- 
nius.  J'ai  hâte  d'arriver  à  Athènes,  mais  je  ne  puis  m'empècher 
de  transcrire  auparavant,  d'après  la  relation  de  notre  antiquaire,  cette 
anecdote  qui  peint  au  naturel  l'admirable  enthousiasme  des  Grecs 
pour  les  chefs-d'œuvre  :  «  Alors  florissait  l'école  de  Sicyone,  et  on 

(1)  Je  ne  puis  résister  au  plaisir  de  citer  cette  épitaphe  dont  un  pauvre  citoyen 
de  la  Gaule  romaine  décorail  la  tombe  de  sa  femme  : 

CVPITIAE  FLORENTINAE 

CONIVGI  PIAE  ET  CASTAE 

D  IANVARIVS   PRIMITIVVS  M 

MARITVS  QVALEM  PAVPER 

TAS  POTVIT  MEMORIAM  DEDI. 

La  simple  beauté  de  ces  deux  dernières  lignes  ne  peut  être  traduite. 

(2)  Sur  ce  point  il  y  aurait  à  faire  de  curieuses  comparaisons  avec  les  monu- 
ments modernes-  L'histoire  des  morls  a  eu  des  vicissitudes  intéressantes  et  tout  à 
fait  dignes  de  trouver  un  historien.  Qu'il  me  suffise  de  renvoyer  ici  à  quelques  ou- 
vrages où  l'on  peut  se  faire  une  idée  de  notre  épigraphie  funéraire  :  l°  Le  Champ 
du  Repos  ou  Cimetière  JMonl-Louis,  par  MM.  Roger  père  et  fils,  181G,  2  vol.  in-8  ; 
2°  Recueil  de  tombeaux  des  quatre  cimetières  de  Paris ,  par  C.  P.  Arnaud,  181", 
2  vol.  in-8.  L'ouvrage  estdédié  aux  âmes  sensibles;  3?  Promenade  aux  cimetières 
de  Paris ,  par  P.  de  S.  A.  2e  édition ,  1 825 ,  in- 1 2  ;  4°  Promenade  aux  sépultures 
royales  de  Saint-Denis  et  aux  Catacombes ,  par  le  même .  1826 ,  in- 12, 


POLÉMON.  499 

la  regardait  comme  seule  dépositaire  des  traditions  du  beau  ;  au  point 
que  le  grand  Apelle ,  déjà  célèbre ,  y  vint  et  fréquenta  pour  un  talent 
(plus  de  cinq  mille  francs)  les  ateliers  de  ces  artistes,  moins  pour 
s'instruire  que  pour  en  partager  la  gloire.  Aussi  Aratus  rendant  la 
liberté  à  la  ville  de  Sicyone,  lorsqu'il  détruisit  les  portraits  et  les  sta- 
tues des  tyrans ,  délibéra  longtemps  sur  celui  d'Aristratus  le  contem- 
porain de  Philippe  ;  le  tyran  y  était  représenté  debout  derrière  un 
char  portant  une  Victoire.  Toute  l'école  de  Mélanthe  avait  travaillé  è 
cette  œuvre.  Apelle  même  y  avait  mis  la  main.  Partagé  entre  son 
admiration  pour  une  si  belle  œuvre  et  sa  haine  contre  les  tyrans , 
Aratus  finit  par  condamner  le  tableau.  Alors  le  peintre  Néalcès,  qui 
était  de  ses  amis,  intercéda  avec  des  larmes.  Aratus  restait  inflexible. 
Néalcès  s'écria  qu'il  était  bon  de  faire  la  guerre  aux  tyrans ,  mais 
non  pas  à  leur  cortège  :  «  Laissons  le  char  et  la  Victoire  ;  je  me  charge 
«  de  faire  sortir  Aristratus  du  tableau  ».  Cette  fois  le  terrible  Aratus  se 
laissa  vaincre  ;  Néalcès  effaça  la  figure  d'Aristratus ,  et  peignit  à  la 
place  une  palme  (ou  un  palmier)  n'osant  faire  plus  à  côté  de  telles 
merveilles.  On  dit  même  que  les  pieds  du  tyran  s'aperçoivent  encore 
derrière  le  char  (l).  »  Ce  n'est  pas  la  seule  fois  que  le  fanatisme  des 
révolutions  a  fait  main  basse  sur  les  monuments  des  arts.  Le  moyen 
Age  et  la  réforme  ont  eu  leurs  iconoclastes,  et  le  temps  n'est  pas  seul 
coupable  de  la  destruction  de  nombreux  chefs-d'œuvre. 

IV. 

À  mesure  qu'on  approche  de  l'Attique  et  de  sa  capitale ,  les  mo- 
numents se  pressent  sur  la  route,  soit  que  de  Mégare  on  gagne 
Eleusis ,  soit  qu'on  passe  à  Salamine  pour  se  rendre  par  mer  de  Sala- 
mine  au  Pirée.  Il  paraît  que  Polémon  suivit  de  préférence  le  premier 
de  ces  deux  chemins,  puisqu'il  avait  écrit  un  livre  entier  sur  la  seule 
voie  sacrée  par  où  se  rendaient  d'Athènes  à  Eleusis  les  processions  en 
l'honneur  de  Cérès.  Malheureusement  il  ne  reste  de  ce  livre  que  le 
titre,  et  une  perte  aussi  regrettable  est  mal  compensée  par  les  deux 
maigres  chapitres  que  Pausanias  consacre  au  même  sujet.  Entrons 
dans  Athènes.  C'est  le  musée  national  de  la  Grèce  ;  chaque  page  de 
son  histoire  revit  en  traits  immortels  ici  sur  les  murs  d'un  portique 
ou  d'un  temple,  là,  sur  un  tombeau,  à  la  citadelle,  au  Pirée,  dans  les 

(1)  Plutarque  ,  Vie  d' Aratus ,  c.  13.  II  ne  cite  Polémon  que  pour  une  circon- 
stance particulière  de  cette  petite  histoire ,  mais  il  est  évident  qu'il  lut  emprunte 
davantage. 


600  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

bibliothèques,  par  la  main  des  Sophocle,  des  Thucydide,  des  Praxi- 
tèle ,  et  des  Parrhasius.  Strabon  (1)  nous  dépeint  l'enthousiasme  et 
aussi  l'embarras  d'un  historien,  esprit  médiocre  d'ailleurs,  en  pré- 
sence de  cet  éblouissant  panorama.  Ne  sachant  par  où  commencer, 
par  où  finir,  Hégesias  (c'est  l'historien  dont  il  nous  parle)  se  borna 
à  décrire  un  seul  des  monuments  qui  se  voyaient  dans  la  citadelle. 
Mais  Polémon  n'était  pas  un  historien  occupé  à  faire  des  harangues 
pour  Miltiade  ou  Périclès ,  à  creuser  les  grands  secrets  de  la  politique 
d'Athènes  et  de  Lacédémone  ;  c'était  un  archéologue,  il  avait  tout  son 
temps  à  lui  pour  se  promener  et  prendre  des  notes;  aussi  écrivait-il, 
dans  sa  relation,  quatre  livres  sur  les  offrandes  consacrées  dans  ï Acro- 
pole, un ,  sur  les  héros  qui  ont  donné  leur  nom  aux  tribus  et  aux  bourgs 
de  VÂttique;  un,  enfin,  sur  les  peintures  des  Propylées, 

Les  offrandes  déposées  dans  le  temple  de  Minerve  étaient  de  tout 
genre ,  de  tout  prix  ,  et  de  dates  fort  diverses.  C'étaient  tantôt  des 
hommages  volontaires ,  tantôt  des  curiosités  prises  parmi  le  butin 
que  rapportaient  de  leurs  guerres  les  armées  athéniennes.  On  en 
dressait  annuellement  l'inventaire ,  que  les  gardiens  du  temple  se 
transmettaient  avec  les  clefs  du  trésor.  On  pourra  lire  dans  le  recueil 
de  Bœckh  d'assez  longs  fragments  de  ces  inventaires  où  quelques 
noms  historiques  se  distinguent  dans  la  foule  des  donateurs  obscurs. 
C'est  par  exemple  le  nom  de  la  femme  ou  de  la  fille  de  Cimon,  celui 
de  Lysandre  dans  un  inventaire  postérieur  de  cinq  ans  à  la  prise 
d'Athènes  par  le  général  lacédémonien  (2).  Ainsi  celui  qui  écrivait 
fièrement  en  trois  mots  à  ses  concitoyens  :  Athènes  est  prise,  quelques 
jours  peut-être  après  avoir  fait  raser  les  murailles  d'Athènes  et  brûler 
ses  vaisseaux  au  son  de  la  flûte,  venait  s'incliner  devant  la  déesse 
protectrice  du  peuple  vaincu,  et  il  signait  de  son  nom  l'humble  of- 
frande d'une  petite  couronne  d'or  ;  ce  trait-là  manque  aux  récits  de 
Xénophon  et  de  Plutarque. 

Les  trésors  de  quelques  églises  chrétiennes  se  peuvent  seuls  com- 
parer à  ces  riches  collections  déposées  dans  l'Acropole  d'Athènes , 
dans  le  temple  d'Apollon  Pythien  à  Delphes ,  dans  celui  d'Apollon 
Didyméen  à  Milet.  De  tant  d'objets ,  bien  peu  sont  parvenus  jusqu'à 
nous,  bien  peu  surtout  de  ceux  que  la  matière  rendait  doublement 
précieux.  On  sait  qu'il  faut  fabriquer  en  airain  les  statues,  les  mon- 

(1)  Ce  passage  du  célèbre  géographe  est  malheureusement  fort  mutilé. 

{2)  Bœckh  ,  n.  160.  Franz,  n.  68.  Inscription  qui  conflrme  la  restitution  proposée 
pour  le  nom  du  père  de  Lysandre  dans  le  texte  de  Plutarque.  Lysandr.,c,  7, 
p.  325,  éd.Sintenis. 


POLÊMON.  501 

naies ,  les  ustensiles ,  où  l'on  veut  que  la  beauté  du  travail  soit  long- 
temps respectée;  quelquefois  le  bronze  même  n'a  pas  aussi  bien  pro- 
tégé que  la  pierre  les  inscriptions  qu'on  lui  confiait.  Si  nos  musées 
comptent  aujourd'hui  à  peine  un  texte  sur  bronze  contre  cent  textes 
sur  pierre,  cela  ne  tient  pas  seulement  à  la  cherté  relative  de  ces 
deux  substances  chez  les  anciens ,  cela  tient  encore  à  ce  que  l'on 
trouva  plus  facilement  des  pierres  neuves  (l)  pour  construire ,  que 
du  métal  pour  fabriquer  des  armes  ou  des  instruments  d'agriculture. 
La  conquête  romaine  commença  le  ravage  dans  les  trésors  des  tem- 
ples grecs.  Polémon  arrivait  à  temps  pour  jouir  encore  des  richesses 
qui  allaient  bientôt  être  dispersées.  Titus  Flamininus,  Manius  Aci- 
lius,  Paul  Emile,  chassant  de  la  Grèce  Antiochus  ou  ruinant  les 
rois  de  Macédoine  ,  s'abstinrent  de  violer  les  lieux  sacrés  :  ils  com- 
mandaient encore  à  des  soldats  bien  disciplinés.  Mais  lorsque  la  cor- 
ruption eut  relâché  les  liens  de  cette  vieille  discipline  qui  avait  fait 
tant  de  miracles,  les  généraux,  trop  souvent,  n'achetèrent  que  par  de 
honteux  sacrifices  l'obéissance  de  leurs  armées.  Sylla  fut ,  le  croirait- 
on  si  l'aveu  ne  s'en  lisait  dans  Plutarque  (2)?  un  des  premiers  qui 
subirent  cette  nécessité.  Après  la  prise  d'Athènes,  manquant  de  res- 
sources pour  continuer  la  guerre ,  il  fit  argent  des  opulentes  of- 
frandes arrachées  aux  sanctuaires  des  dieux  d'Epidaure  et  d'Olympie. 
Il  écrivit  même  aux  amphictyons  de  Delphes  que  les  trésors  d'Apol- 
lon seraient  mieux  dans  son  camp  ;  en  effet ,  ou  Apollon  n'en  aurait 
pas  besoin ,  et  alors  personne  mieux  que  lui  n'était  capable  de  les 
garder;  ou  il  s'en  servirait,  mais  alors  c'était  pour  les  rendre  avec 
usure.  Deux  Grecs,  amis  de  Sylla,  vinrent  bientôt  appuyer  de  leur 
présence  ces  paroles  hautaines  ;  on  leur  raconta,  comme  un  prodige 
menaçant,  qu'on  avait  entendu  la  lyre  du  dieu  résonner  d'elle-même 
au  fond  du  sanctuaire  ;  l'un  des  honnêtes  députés  crut  devoir  en 
référer  à  Sylla  qui  répondit  en  badinant  :  «  Eh  !  ne  voyez-vous  pas 
que  le  dieu  abandonne  gaiement  ce  que  je  lui  démande?  »  Nous 
sommes  loin  du  temps  où  le  Dorien ,  vainqueur  de  la  métropole  de 
l'Ionie,  laissait  à  Minerve  un  témoignage  de  respect  et,  pour  ainsi 
dire,  de  réconciliation.  Quelque  chose  de  fraternel  tempère  les  inimi- 
tiés d'Athènes  et  de  Lacédémone  :  on  voit  que  vainqueurset  vaincus  ado- 

(1)  11  est  vrai  pourtant  que  l'industrie  exercée,  chez  nous,  par  la  bande  noire , 
n'était  pas  inconnue  à  l'antiquité,  comme  le  témoignent  explicitement  deux  in- 
scriptions latines  du  temps  de  l'empire ,  dont  l'une  ne  renferme  rien  moins  qu'un 
sénatus-consulte  sur  ce  sujet.  Voy.  Orelli,  n.  3115.  Cf.  3316. 

(2)  Plutarque ,  Vie  de  Sylla, 


502  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

mit  les  mêmes  dieux  ;  mais  quel  autre  dieu  que  leur  ambition  adorent 
donc  ces  Romains  qui  promènent  avec  une  si  impitoyable  énergie 
sur  le  front  des  peuples  un  niveau  de  servitude  ?  Et  pourtant  ce 
Sylla ,  en  ses  jours  de  bataille ,  portait  sur  lui,  comme  notre  Louis  XI, 
des  reliques  et  des  amulettes  ! 

Toutefois  les  Romains  ne  détruisaient  pas  pour  le  plaisir  de  dé- 
truire ;  ils  ne  pillaient  les  temples  que  pour  .payer  les  frais  de  la 
guerre  ;  ils  ne  brisaient  les  constitutions  nationales  que  si  elles  répu- 
gnaient absolument  aux  convenances  du  nouveau  gouvernement;  en 
tout  cas  ils  laissaient  volontiers  subsister  les  monuments  législatifs 
qui  rappelaient  dans  leurs  anciennes  vicissitudes  des  libertés  abolies; 
il  faut  que  ces  monuments  fussent  bien  nombreux,  à  Athènes  surtout, 
pour  qu'après  tant  de  ravages  de  la  barbarie  on  les  retrouve  encore 
par  centaines ,  souvent  mutilés,  il  est  vrai,  mais  encore  assez  riches 
pour  doubler  presque  nos  connaissances  sur  l'histoire  ancienne  de 
la  Grèce. 

Je  ne  finirais  pas  si  je  voulais  relever  seulement  les  plus  remar- 
quables des  pièces  officielles  qui  se  disputent  ici  l'attention  de  notre 
archéologue.  On  gravait  alors  sur  le  marbre  tout  ce  qu'on  imprime 
aujourd'hui  dans  le  Bulletin  des  lois,  dans  les  Almanachs  royaux,  dans 
les  Annuaires,  dans  le  Moniteur  enfin;  c'étaient  les  décrets  du  sénat 
et  du  peuple ,  les  comptes  de  finance,  les  listes  de  soldats  morts  pour 
la  défense  d'Athènes ,  les  procès- verbaux  d'installation ,  de  concours 
dramatiques.  Nous  avons  quelques  fragments  à  peine  déchiffrables 
des  registres  de  la  comédie  athénienne  ;  j'aimerais  en  voir  une  copie 
sous  le  vestibule  du  Théâtre  français  ;  nous  avons  une  liste  de  dé- 
penses pour  la  construction  du  temple  de  Minerve  Poliade ,  morceau 
qui  a  besoin  d'être  commenté  par  les  architectes  autant  que  par  les 
philologues;  un  compte  pareil  pour  la  dépense  des  murailles  d'Athènes  ; 
une  liste  des  tributs  que  payaient  aux  Athéniens  leurs  prétendus 
alliés  (  il  y  a  là  tel  nom  de  peuple  qui  ne  se  retrouve  nulle  part  ail- 
leurs sur  les  monuments ,  ni  dans  les  livres ,  et  qui  ne  figure  ainsi 
dans  l'histoire  que  par  un  stigmate  de  servitude);  un  traité  d'al- 
liance et  d'amitié  avec  Denys  le  fameux  tyran  de  Syracuse.  Mais  au 
milieu  de  ces  richesses,  il  faut  choisir,  et  je  choisirai  celles  que  me 
signalent  les  fragments  du  voyage  de  Polémon ,  je  veux  dire  les  lois 
de  Solon  et  les  règlements  relatifs  aux  parasites. 

On  écrivait  peu  du  temps  de  Solon ,  parce  qu'on  manquait  de  ma- 
tière commode  pour  écrire.  Les  lois  alors  étaient  donc  en  petit  nombre 
et  fort  concises.  Solon  avait  fait  graver  les  siennes  sur  des  pièces  de 


POLÉMON.  503 

bois  carrées ,  selon  les  uns ,  triangulaires ,  selon  les  autres  (  axones 
oucyrbis),  Polémon  les  lut  dans  le  Prytanée.  Mais,  comme  on  le 
pense  bien,  ce  n'étaient  pas  les  seuls  exemplaires  de  ces  lois.  Outre 
que  le  temps  avait  dû  agir  sur  la  matière  de  ces  pièces  de  bois ,  l'al- 
phabet et  le  dialecte  attiques  avaient  changé  à  tel  point,  surtout  vers 
l'époque  de  Périclès,  que  les  vieux  textes  devaient  être  fort  difficiles  à 
lire.  Chez  nous  ce  qui  s'imprime,  se  réimprime,  quand  les  exemplaires 
d'une  première  édition  sont  devenus  trop  rares  ou  d'une  lecture  in- 
commode. A  Athènes ,  en  pareil  cas ,  on  regravaii  les  lois  et  autres 
actes,  sans  parler  des  copies  qui  se  répandaient  dans  les  livres  quand 
on  eut  des  livres;  et  c'est  une  chose  curieuse  combien  souvent  ces 
transcriptions  se  renouvelaient,  dans  la  mobilité  perpétuelle  de  la 
législation.  A  Athènes  on  ignorait  l'art  que  les  Romains,  et  à  leur 
exemple  les  modernes  ont  poussé  si  loin ,  de  coordonner  et  de  conci- 
lier les  vieilles  lois  dans  un  ensemble  approprié  aux  mœurs  nou- 
velles, en  un  mot  l'art  de  codifier.  Aussi  on  était  sans  cesse  forcé  de 
reproduire  sous  leur  forme  primitive,  ou  avec  les  seuls  changements 
nécessités  par  le  progrès  de  la  langue,  une  foule  de  lois  à  demi  abrogées 
par  l'oubli,  plutôt  que  par  des  lois  contraires.  Tout  simple  qu'il  pa*- 
raisse ,  ce  travail  ne  se  faisait  pas  quelquefois  sans  d'étranges  infidé- 
lités au  texte  original,  comme  nous  le  voyons  dans  un  curieux  plaidoyer 
de  Lysias  contre  un  citoyen  accusé  à  ce  chef  (1).  La  sévère  rigueur 
de  nos  procédés  d'impression  rendrait  aujourd'hui  impossibles  de  pa- 
reils désordres.  Tant  de  nouvelles  causes  de  procès  sont  dues  aux 
progrès  mêmes  de  la  civilisation,  qu'on  est  heureux  de  reconnaître  que 
celle-là  du  moins  a  disparu. 

Pour  revenir  aux  lois  de  Solon ,  dont  la  sagesse  profonde  pour  le 
temps  où  elles  parurent,  contrastait  avec  le  style  bref  et  naïf  du  légis- 
lateur, il  en  est  une  surtout  qu'un  Grec  ne  devait  pas  relire  sans 
tristesse  au  temps  de  Polémon  :  c'est  celle  qui  déclarait  infâme  le 
citoyen  coupable  d'être  resté  neutre  dans  une  sédition.  Tout  l'esprit 
des  républiques  anciennes  est  dans  ces  deux  lignes.  La  neutralité, 
c'est  le  calcul  des  intérêts  privés  au  milieu  des  troubles  publics  ,  c'est 
la  mort  d'un  État  populaire  -,  Solon  avait  résumé  d'avance  le  génie  des 
trois  siècles  où  la  gloire  d'Athènes  se  répandit  si  loin  et  s'éleva  si 

(1)  Voy.  Weijers,  Diatribe  in  LysitB  orationem  in  Nicomachum,  Leyde,  1839, 
in-8.,  surtout  p.  43-60.  Nous  possédons  quelques  exemples  d'inscriptions  recopiées. 
Bœckh ,  n.  1050  (le  monument  est  à  Paris ,  à  la  Bibliothèque  royale,  vestibule  qui 
mène  à  l'escalier  de  la  salle  de  lecture,  mur  de  droite],  1051  et  2655.  Orêlli , 
n.  4409.  Cf.  J.  V.  Le  Clerc,  des  Journaux  chex  les  Romains  ,  p.  77  et  suiy. 


504  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

haut;  il  excitait  cette  noble  émulation  qui  arme  tous  les  citoyens 
pour  la  défense  commune ,  à  la  tribune ,  devant  les  tribunaux  ;  il 
préparait  de  loin  cette  école  de  grands  orateurs  couronnée  par  le 
nom  de  Démosthène.  Aucune  démocratie  ne  fut  pUis  vivace  que  celle 
d'Athènes ,  et  c'est  aussi  la  seule  où  l'éloquence  ait  jeté  un  grand 
éclat;  Cicéron  (1)  a  remarqué  avant  nous  que  ni  Thèbes,  ni  Argos, 
ni  Corinthe,  n'ont  produit  d'orateurs  célèbres.  —  Au  IIe  siècle 
avant  notre  ère  la  loi  de  Solon  n'était  plus  qu'un  beau  souvenir  comme 
la  liberté;  et  dans  l'Europe  moderne,  il  y  a  telle  république,  telle 
monarchie  où  l'on  pourrait  utilement  tempérer  par  une  loi  contraire 
l'impatience  du  patriotisme. 

On  s'étonnera  peut-être  que  Solon  eût  parlé  des  parasites.  C'est 
que  ce  nom ,  devenu  plus  tard  une  injure ,  désignait  dans  l'origine 
une  espèce  de  dignité  religieuse.  Laissons  témoigner  là-dessus  un 
parasite  de  la  comédie  athénienne,  donnant  l'histoire  et  la  théorie  de 
son  métier  :  «  Je  veux  vous  montrer  clairement  que  c'est  là  une 
grande  institution,  une  invention  des  dieux,  oui  des  dieux,  tandis 
que  tous  les  autres  arts  sont  nés  de  l'industrie  humaine.  L'inventeur 
de  notre  métier,  c'est  Jupiter  Philius  (dieu  de  l'amitié),  le  plus 
grand  de  tous  les  dieux ,  chacun  le  sait.  C'est  lui  qui  entre  dans  les 
maisons,  pauvres  ou  riches,  peu  lui  importe,  et  partout  où  il  voit 
un  lit  bien  couvert  et ,  devant ,  une  table  bien  pourvue ,  se  couche 
proprement  avec  les  convives,  prend  sa  part  du  dîner,  boit  et  mange, 
et  s'en  retourne  chez  lui  sans  rien  payer.  C'est  là  précisément  ce  que 
je  fais.  Quand  je  vois  les  lits  couverts,  la  table  servie  et  la  porte  ou- 
verte, j'entre  en  silence,  je  me  fais  petit  pour  ne  pas  gêner  mon 
voisin  ,  et  quand  j'ai  pris  ma  part  de  tout  le  service,  quand  j'ai  bien 
bu ,  je  me  retire  chez  moi  à  la  façon  de  Jupiter  Philius.  Veut-on 
une  preuve  plus  claire  encore  que  ce  métier  fut  de  tout  temps  glo- 
rieux et  estimé?  Notre  ville,  honorant  Hercule  par  de  brillants  sacri- 
fices dans  tous  les  bourgs ,  n'a  jamais  exclu  de  ces  sacrifices  les  para- 
sites du  dieu ,  et  pour  ces  fonctions  elle  ne  prend  même  pas  les 
premiers  venus;  elle  choisit  avec  soin  douze  citoyens  de  haute  nais- 
sance ,  ayant  biens-fonds  et  bonne  renommée.  Depuis ,  à  l'exemple 
d'Hercule,  de  riches  citoyens  ont  invité  à  leur  table  des  parasites 
choisis,  non  parmi  les  plus  beaux,  mais  parmi  les  plus  habiles  à 
llatter,  à  louer  toujours ,  etc.  (2)  »  Tout  n'est  pas  plaisanterie  dans 
cette  page  plaisante;  plusieurs  textes  de  lois  réunis  par  Athénée  et 

(1)  Brutus  ,  c.  13. 

(2)  Diodorus,  dans  un  fragment  de  sa  comédie  intitulée  Epiclerus. 


POLEMON.  505 

dont  quelques-uns  sont  dus  au  recueil  de  Polémon ,  prouvent  qu'en 
effet  les  parasites  d'Hercule  et  d'Apollon  remplissaient,  dans  les  repas 
célébrés  en  l'honneur  de  ces  dieux ,  l'étrange  fonction  de  bien  boire 
et  de  bien  manger.  Une  loi  de  Solon,  citée  par  Plutarque,  leur  infli- 
geait même  une  amende,  s'ils  ne  faisaient  honneur  à  ce  devoir.  Les 
parasites  avaient  à  Athènes  un  lieu  officiel  de  réunion ,  ils  étaient 
régulièrement  inscrits  comme  les  plus  honorés  d'entre  les  magistrats, 
sur  les  registres  publics ,  ils  signaient  ce  titre  avec  leur  nom  sur  les 
offrandes  qu'ils  faisaient  aux  dieux.  De  tout  temps ,  à  ce  qu'il  semble , 
on  a  fait  de  bons  repas  dans  les  temples.  A  Rome  certains  ministres 
du  culte  s'appelaient  epulones ,  comme  qui  dirait  ministres  des  repas. 
La  cuisine  des  prêtres  saliens  était  proverbiale.  En  France,  nous 
avons  eu  les  ordres  mendiants  et  les  chanoines  fainéants  qui  ont  aussi 
laissé  dans  la  langue  du  peuple  un  proverbe  ineffaçable.  Mais  ce  qui 
ne  s'est  pas  vu  ailleurs  que  chez  les  Athéniens,  c'est  la  bombance 
érigée  en  acte  de  dévotioft ,  c'est  l'obligation  de  se  régaler  sous  peine 
d'amende.  Il  se  cache  sans  doute  derrière  ce  bizarre  usage  quelque 
ancien  mystère  de  superstition  ,  je  voudrais  pouvoir  dire  de  charité. 

Les  inscriptions  qui  révèlent  tant  de  traits  des  mœurs  grecques  ne 
sont  pas  sans  fruit  non  plus  pour  l'histoire  des  lettres;  or  Polémon 
aimait  aussi  les  recherches  littéraires;  nous  lui  devons  à  peu  près 
tout  ce  qu'on  sait  aujourd'hui  sur  la  parodie  dramatique  en  Grèce.  A 
Corinthe,  je  vois  qu'il  avait  recueilli  un  chant  religieux  et  populaire  ; 
en  Béotie  l'épitaphe  d'un  chanteur,  nommé  Cléon,  avec  une  petite 
légende  qui  s'y  rapportait  ;  à  Sicyone ,  il  remarquait  l'offrande  faite 
par  une  femme  poëte  couronnée  aux  jeux  isthmiques. 

Nous  pourrions  aller  plus  loin  que  lui  sur  les  mêmes  traces ,  et , 
par  exemple ,  relever  un  peu  la  Béotie  de  l'injuste  renommée  qui  pèse 
sur  elle,  comme  si  son  peuple  eût  été  sans  goût  et  sans  vocation  pour 
les  arts  (1).  La  tradition  qui  place  dans  ce  pays  le  séjour  des  Muses 
passera  facilement  pour  une  fable  ;  Pindare  et  Corinne  avec  Éparni- 
nondas  pour  de  brillantes  exceptions.  Mais  quand  on  suit  sur  les 
monuments,  depuis  l'époque  de  Polémon  jusqu'à  celle  de  Plutarque, 
la  célébration  des  jeux  de  Thèbes,  d'Orchomène,  de  ïhespies,  où 
figurent  les  exercices  les  plus  variés  de  poésie  et  de  musique,  et  où 
les  vainqueurs  sont  souvent  natifs  de  Béotie,  on  n'hésite  pas  à  rendre 
aux  Béotiens  une  place  honorable  dans  la    grande  famille   hellé- 

(1)  «  Thebis  crassum  cœlum  ,  ilaque  pingues  Thcbani  et  valentes.  »  Cicéron,  de 
Faix),?.,  i.  L'influence  fatale  des  climats  préoccupait ,  dès  l'antiquité,  les  philo- 
iophes  observateurs. 

III.  33 


506  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

nique (1).  Ceux  qui  couronnaient  annuellement  des  poëtes  épiques  et 
lyriques,  des  rhapsodes,  des  auteurs  de  satires  (ou  drames  sati- 
riques), de  tragédies,  de  comédies,  des  acteurs  et  des  musiciens  de 
tout  genre,  et  qui  ouvraient  des  concours  aux  talents  de  tous  les 
pays  grecs ,  n'étaient  certainement  pas  insensibles  aux  nobles  plaisirs 
de  l'imagination.  Ceux  qui  conservaient  comme  une  relique  précieuse 
les  vers  d'Hésiode  gravés  sur  des  plaques  de  plomb,  et  dans  leurs  édi- 
fices publics,  gardaient  encore,  lorsque  les  visita  Pausanias,  tant  d'ex- 
quises productions  de  l'art,  méritaient  sans  doute  une  mention 
d'honneur  dans  le  récit  de  notre  archéologue. 

Le  style  seul  des  inscriptions  béotiennes  offrait  à  Polémon  un  bien 
curieux  phénomène.  'Elles  étaient  la  plupart  écrites  en  dialecte  du 
pays,  c'est-à-dire  en  un  patois  de  famille  éolienne,  et  fort  éloigné  de 
la  belle  langue  de  Pindare  le  Thébain  ;  d'autre  part,  cette  langue  même 
ne  diffère  pas  moins  du  dorien  de  la  Phocide  ou  de  Lacédémone  ;  com- 
prise à  Thèbes  comme  à  Delphes  ou  à  Sparte ,  parce  qu'elle  se  com- 
pose, outre  le  fond  commun  à  toute  la  Grèce,  de  formes  empruntées 
aux  idiomes  de  ces  diverses  localités,  c'est  avant  tout  la  langue 
d'un  poëte.  Hérodote,  natif  d'une  ville  dorienne,  n'écrit  pas  non  plus 
en  dialecte  dorien  ;  c'est  l'ionique  qu'il  a  choisi  comme  plus  conve- 
nable à  la  prose,  mais  non  pas  l'ionique  de  telle  ville  de  l'Asie  Mi- 
neure où  il  signalait  lui-même  dans  des  limites  assez  étroites  quatre 
variétés  de  ce  dialecte.  Comme  celle  de  Pindare ,  la  langue  d'Héro- 
dote s'est  faite  d'éléments  pris  aux  dialectes  de  plusieurs  petits  peu- 
ples pour  être  ensuite  fondus  avec  un  art  à  la  fois  savant  et  popu- 
laire qui  est  le  secret  du  génie.  A  Lesbos ,  Sapho  n'écrit  pas  le  pur 
dialecte  de  sa  patrie,  elle  a  pris  ses  licences  pour  l'embellir.  Ainsi  le 
patois  grossier  qu'on  déchiffre  sur  les  marbres  de  Thèbes  et  d'Or- 
chomène  dans  des  contrats  de  vente  ou  des  comptes  de  finances; 
l'idiome  roide  et  grave  où  les  amphictyons  rédigeaient  leurs  décrets; 
les  formes  archaïques  et  sévères  du  lesbien  ;  les  formes  traînantes  et 
molles  qui  allongent  le  style  des  Ioniens  asiatiques ,  tout  cela  consti- 
tuait en  quelque  sorte  le  fonds  nourricier  du  beau  langage  qu'immor- 
talisent les  chants  de  Pindare ,  d'Eschyle  et  de  Sapho  ,  la  prose  d'Hé- 
rodote et  de  Platon.  Ainsi  chacun  de  ces  dialectes  littéraires  dont 

(1)  Cf.  sur  les  fêtes  béotiennes,  Plutarque,  de  sera  Numinis  Vinàicia,  p.  55, 56, 
éd.  de  Wyttenbach.  Le  sensualisme  béotien  se  déploie  avec  complaisance  dans  un 
décret  de  la  ville  d'Acrœphia?  en  l'honneur  d'un  de  ses  citoyens,  nommé  Epami 
nondas  ,  qui  avait  dépensé  beaucoup  d'argent  en  fêtes  et  en  festins  publics.  Bœckb. 
n°  1625. 


POLÉMON.  507 

nous  admirons  dans  leurs  œuvres  l'éclatante  variété,  avait  ses  racines 
au  sein  du  peuple,  et  c'est  par  la  merveille  d'une  culture  industrieuse 
qu'il  venait  s'épanouir  aux  plus  hautes  régions  de  l'art  et  de  la  pen- 
sée. Voilà  ce  qu'on  soupçonnait  à  peine  avant  les  découvertes  ré- 
centes et  les  travaux  qui  ont  jeté  tant  de  jour  sur  l'étude  des  dialectes 
grecs  ;  voilà  ce  qui  nous  apparaît  aujourd'hui  avec  toute  l'évidence 
d'un  fait  démontré. 

On  ose  maintenant  aller  plus  loin,  jusqu'à  comparer  la  création  des 
quatre  langues  littéraires  de  la  Grèce  avec  les  procédés  qui ,  en  Italie 
au  XIIIe  siècle,  ont  fait  naître  de  plusieurs  idiomes  vulgaires  Yeloquio 
illustre  de  la  Divine  Comédie  (1).  Mais  pourquoi  s'arrêter  à  cette  com^ 
paraison ,  et  ne  voir  pas  là  quelque  chose  de  plus  encore ,  une  véri- 
table loi  du  développement  des  langues  humaines?  Le  peuple  prépare 
sa  langue,  elle  s'achève  par  les  écrivains  créateurs,  qui  seuls  la  ren- 
dent capable  de  vivre  jusqu'à  la  postérité.  Chez  le  peuple,  elle  a  tous 
les  charmes  de  l'invention  naïve,  mais  aussi  toutes  les  infirmités  du 
désordre  et  du  morcellement.  La  littérature,  qui  est  une  expression 
plus  générale  de  la  vie  intellectuelle,  a  besoin  d'un  instrument  plus 
régulier,  plus  étendu  que  ne  sont  tous  ces  petits  idiomes  de  villages; 
aussi  quand  une  littérature  commence,  et  qu'avec  elle  paraît  une 
langue  proprement  dite ,  c'est  qu'une  grande  nationalité  se  forme , 
c'est  que  du  sein  des  provinces,  il  est  sorti  des  hommes  supérieurs 
qui  en  ont  résumé  les  caractères  communs  en  leur  laissant  à  chacune 
ce  qu'elles  ont  d'étroit  et  de  mesquin ,  qui  ont  su  ressembler  un 
peu  à  tout  le  monde  sans  calquer  les  traits  de  personne.  Ce  travail 
est  plus  ou  moins  long,  et  l'œuvre  qu'il  produit  plus  ou  moins  bril- 
lante ,  selon  les  facultés  qu'un  peuple  a  reçues  de  la  nature.  Tantôt 
c'est  (comme  en  Grèce,  Homère,  ou  comme  en  Italie,  Dante)  un 
seul  homme  qui  fonde  l'unité  du  langage  en  produisant  un  mo- 
dèle sublime  ;  tantôt  ce  sont  des  écoles  entières  qui  travaillent  len- 
tement ,  comme  dans  la  France  du  moyen  âge ,  à  rapprocher  et  à 
fondre  les  éléments  épars  dont  se  doit  former  un  jour  la  langue  natio- 
nale ;  d'abord  il  y  a  vingt  idiomes  voisins  et  presque  étrangers  l'un  à 
l'autre  ;  puis  ces  vingt  idiomes  se  ramènent  à  deux  variétés  princi- 
pales, celle  du  nord  et  celle  du  midi,  dont  chacune  peut  avoir  une 
littérature  ;  mais  c'est  seulement  quand  les  troubadours  et  les  trou- 
vères ne  feront  plus  qu'une  seule  école,  qu'il  y  aura  vraiment  une 

• 
i    Voy.  un  très-ingénieux  mémoire  de  M.  A.  Peyron  ,  dans  le  recueil  de  l'Acadé- 
mie de  Turin,  série  it,  vol.  I:  Origine  dei  tre  illuslri  cUalelti  greci parangonata 
ton  quella  delV  eloquio  illustre  italiano. 


508  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

langue  et  une  littérature  françaises  ;  c'est  aussi  le  moment  où  se  con- 
stitue la  monarchie,  splendide  et  vivante  image,  sous  Louis  XIV,  de 
l'unité  du  grand  peuple.  En  Grèce,  cette  unité  ne  put  devenir  par- 
faite comme  nous  voudrions  l'entendre  ;  il  n'y  eut  jamais  de  capitale, 
jamais  de  monarchie  hellénique  ;  partout  de  petits  États  souvent  en 
guerre,  Athènes  et  Sparte  tour  à  tour  prédominantes  ;  mais  dans  ces 
discordes  passionnées  un  vif  sentiment  de  la  famille  commune,  une 
vive  opposition  aux  idées,  aux  langages  des  barbares;  des  rendez-vous 
où  se  rencontrent  sans  se  méconnaître,  malgré  bien  des  dissonances, 
les  divers  dialectes  du  monde  grec ,  où  toutes  les  sympathies  se  res- 
serrent et  se  raniment.  Olympie ,  Delphes,  Némée ,  c'étaient  comme 
les  mobiles  capitales  de  la  Grèce  ;  aux  jours  de  fêtes  elles  avaient  cent 
mille  habitants ,  et  le  lendemain  elles  restaient  presque  vides  avec 
leurs  magnifiques  monuments ,  avec  leurs  registres  de  victoires  où 
des  rois  étaient  venus  conquérir  une  place.  Quant  à  la  ville  d'Athènes, 
c'était,  disent  les  historiens  et  les  rhéteurs,  un  théâtre  perpétuelle- 
ment ouvert  aux  fêtes  de  la  civilisation  (1);  son  dialecte  servait  et  à 
la  politique  et  aux  relations  commerciales.  Aussi  quand  s'affaiblirent 
pour  s'éteindre  peu  à  peu  sous  le  gouvernement  romain  les  diffé- 
rentes nationalités  dont  la  lutte  anime  si  vivement  l'ancienne  his- 
toire grecque ,  c'est  du  dialecte  attique  corrompu  que  sortit  la  langue 
commune,  parlée  en  Grèce  depuis  les  Césars  jusque  sous  la  domi- 
nation ottomane;  long  et  pacifique  triomphe  d'Athènes  et  de  son 
génie. 

Soit  que  je  ramène  Polémon  dans  sa  patrie  par  la  Macédoine  et  la 
Thrace ,  soit  que  je  traverse  avec  lui  pour  la  seconde  fois  l'Archipel 
où  nous  avons  fait  à  sa  suite  une  rapide  excursion ,  les  monuments 
vont  encore  se  presser  sur  notre  passage.  En  Macédoine,  ce  sont  les 
antiquités  de  cette  nation  devenue  en  un  demi-siècle  maîtresse  de  la 
Grèce  ;  en  Thrace,  ce  sont  les  colonies  d'Athènes,  les  petites  royautés 

(1)  Madame  de  Staël,  de  la  Littérature:  «  Toutes  les  institutions  d'Athènes  exci- 
taient l'émulation.  Les  Athéniens  n'ont  pas  toujours  été  libres ,  mais  l'esprit  d'en- 
couragement n'a  jamais  cessé  d'exercer  chez  eux  la  plus  grande  force.  Aucune  nation 
ne  s'est  jamais  montrée  plus  sensible  à  tous  les  talents  distingués.  Le  penchant  à 
l'admiration  créait  les  chefs-d'œuvre  qui  la  méritent.  La  Grèce,  et  dans  la  Grèce 
l'Attique,  était  un  petit  pays  civilisé  au  milieu  du  monde  encore  barbare.  Les  Grecs 
étaient  peu  nombreux,  mais  l'univers  les  regardait.  Ils  réunissaient  le  double  avan- 
tage des  petits  États  et  des  grands  théâtres  :  l'émulation  qui  naît  de  la  certitude  de 
se  faire  connaître  et  celle  que  doit  produire  la  possibilité  d'une  gloire  sans  bornes. 
Ce  qu'ils  disaient  entre  eux  retentissait  dans  le  monde.  »  C'est  la  pensée  qui  respire 
dans  le  Panégyrique  d'Isocratc  et  dans  l'oraison  funèbre  que  Thucydide  fait 
prononcer  à  Périclès  au  IIe  livre  de  son  Histoire  de  la  guerre  du  Pèlopon'esc. 


POLE MON.  509 

demi-barbares  qui  briguaient  l'honneur  de  son  amitié ,  en  lui  assurant 
l'avantage  de  certaines  importations  dont  l'Àttique  avait  grand  be- 
soin. ASamothrace,  ce  sont  ces  mystères  les  plus  anciens  peut-être 
du  monde  grec,  laissés  là,  comme  en  passant,  par  quelques-unes 
des  premières  peuplades  qui  émigraientde  l'Asie  vers  l'Occident,  et 
conservées  presque  dans  leur  rudesse  originelle ,  au  milieu  des  pro- 
grès de  la  religion  et  du  symbolisme  païens.  Mais  il  faut  résister  à 
la  tentation  de  tout  observer  avec  notre  voyageur  :  il  avait  rempli 
de  ses  notes  et  de  ses  récits  quarante  volumes  ou  plus,  et  nous  ne 
pouvons  ici  étendre  davantage  un  cadre  où  la  multiplicité  des  sujets 
fatiguerait  l'attention. 


E.  ËGGER. 


LETTRE  A  M.  A.  DE  IMGPÉRIER, 


Mon  cher  Monsieur  * 

La  pierre  dont  vous  m'avez  parlé  est  toujours  entre  mes  mains  ; 
elle  appartient  au  Muséum  d'Histoire  naturelle  :  M.  Brongniart  me 
l'a  depuis  longtemps  remise  dans  l'espoir  que  le  Cabinet  du  Roi  pour- 
rait lui  offrir  en  échange  un  objet  plus  propre  à  figurer  dans  les  ga- 
leries minéralogiques  du  Muséum  ;  mais  jusqu'ici  je  n'ai  pas  trouvé 
l'occasion  de  proposer  une  opération  avantageuse  pour  les  deux  éta- 
blissements. 

C'est  un  jaspe  rouge,  très-beau  et  très-pur,  de  forme  ovale  (haut, 
met.  0,049,  larg.  met.  0,035),  au  revers  duquel  on  voit  gravée  en 
creux  la  triple  Hécate,  coiffée  du  modius ,  et  tenant  dans  ses  mains 
les  attributs  or- 
dinaires de  cette 
divinité,  le  flam- 
beau ,  le  glaive 
et  le  fouet.  Au- 
dessus  de  cette 
figure  on  lit  : 
IACO,  au-des- 
sous en  deux  li- 
gnes ABPACA2 
(sic).  Le  droit 
est  plus  cu- 
rieux :  il  repré- 
sente   Hercule  . 

nu  et  debout,  étouffant  le  lion  de  Némée;  à  la  gauche  du  dieu  est 
sa  massue  :  l'exergue  est  décoré  de  trois  K ,  dont  les  extrémités  se 
terminent  en  boucle  (sic  K  ) ,  et  une  étoile  à  huit  rayons  qui  pré- 
sente la  même  particularité  :  une  légende  circulaire  se  développe 
au-dessus  du  groupe  d'Hercule  et  du  lion.  Le  travail  de  cette  pierre 
est  misérable  et  ne  répond  nullement  à  la  beauté  de  la  matière. 

Cet  Abraxas  se  trouve  expliqué  par  une  recette  qu'a  conservée 
Alexandre  de  Tralles  ( Med.  lib.  X,  sub  finem)  :  El?  Xi'fov  Mr.5ty.ov 

fXu^ov  'HpaxXeoc,  ôpÔbv  TrviyovTa  Xéovxa,  xai  lyiùi&lmiç  i\ç  oaxruXtSiov  ^pusoov, 

otèov  cpopeTv  :  Gravez  sur  une  pierre  médiane  (l),  Hercule  étouffant  le 

(1)  Nous  ne  saurions  dire  précisément  ce  que  c'était  que  la  pierre  médique  ; 
mais  le  jaspe  de  toute  couleur  était  considéré  comme  la  matière  la  plus  propre  à 
faire  des  amulettes  :  Dioscor.  de  Mat.  med.  V,  159  :  Aéyovrat  Se  ttxvtî;  «Tvai 

ç>u).axT>j/9ta   mply.Trza.. 


LETTRE  A  M.   A.   DE  LONGPÉRIER.  511 

lion  qui  se  dresse,  et  après  avoir  fait  enchâsser  cette  pierre  dans  un 
anneau  d'or,  donnez-la  à  porter.  La  recette  que  nous  venons  de  tran- 
scrire est  rangée  par  Alexandre  parmi  les  remèdes  propres  à  guérir 
la  colique  :  c'est  ce  qui  a  fait  penser  à  Macaire,  chanoine  d'Aire  (l), 
que  les  K  qui  accompagnent  la  figure  d'Hercule ,  étouffant  le  lion 
sur  un  autre  Abraxas  qu'il  a  publié  (n08  89  et  90)  avaient  pour  but 
d'indiquer  l'affection  dont  on  cherchait  ainsi  le  remède. 
L'inscription  de  la  pierre  du  Muséum  est  ainsi  conçue  : 

ANAXCOPIKOAGTOOIONCeAIOKei 

je  crois  qu'il  faut  la  lire  ainsi  en  la  corrigeant  :  'Ava^wpec,  x^M'  *& 
QeTdv  as  BiMY.ii  :  Retire-toi,  ô  bile  :  la  divinité  te  poursuit.  Le  médecin 
grec  que  je  citais  tout  à  l'heure  vient  encore  ici  à  notre  secours  par 
cette  autre  recette,  transcrite  quelques  lignes  plus  bas  que  la  précé- 
dente :  Aaéwv  SaxxuXtov  ori&qpouv,  7:otY]Gov  YfyveaOai  to  xpix&Xtov  ocjtou  oxtoc- 
ytovov  xai  ouxtoç  IrciYpoccpe  sic  to  oxTaywvov  (2)'  cpsuys*  9£^Y£(3),  îoti  /wX-rç'  yj 

xopuôaXoç  eÇvyrei  (1.  jj  xopuSaXoç  ae  ^-a)  :  Prenez  un  anneau  de  fer,  faites- 
en  tailler  le  chaton  à  huit  pans,  et  inscrivez  ces  mots  sur  V octogone  : 
fuis y  fuis,  ô  bile  :  V alouette  (aliment  recommandé  pour  la  cure  de  la 
colique  ;  ïbid.  :  KopuôaXoç  wôtofxevoç  to-  ocùto  TioteT  xaXwç)  te  cherche. 
Alexandre  ajoute  :  Inscrivez  en  tête  de  cette  pierre  le  caractère  sui- 
vant  Eî    (4).  Tov  Bï  j^apaxi^pa  t©v  uTCOxstjxsvov   ypuys.  sîç  T'Jjv  xs^aX-Jjv  tov 

SaxTuXiou  St.-  Mais  notre  monument  nous  permet  encore  de  cor- 
riger le  texte  grec  :  évidemment  c'est  le  K  initial  du  mot  xwXixVj, 
qui  devait  se  trouver  dans  le  manuscrit  d'Alexandre  de  Tralles. 

Alexandre  de  Tralles  était  frère  de  l'architecte  Anthemius  qui  re- 
bâtit pour  Justinien  la  basilique  deSainte-Sophie  entre  les  années  532 
et  537.  Ainsi  tandis  que  l'empereur  proscrivait  les  derniers  philoso- 
phes platoniciens,  le  premier  médecin  de  l'époque  employait  encore 
les  représentations  mythologiques  au  traitement  des  maladies.  Le  style 
de  notre  pierre  paraît  coïncider  avec  l'époque  même  où  florissait  ce 
médecin,  c'est-à-dire  la  première  moitié  du  VIe  siècle  de  notre  ère. 

Agréez,  etc.  Ch.  Lenormant. 

(1)  Dans  son  curieux  ouvrage  intitulé:  Abraxas  seu  Apistopistus  (Anvers , 
Plantin,  1657,  in-4°). 

(2)  L'étoile  à  huit  rayons  qui,  sur  notre  pierre ,  est  placée  en  bas  de  l'exergue , 
a  le  même  seDs  que  le  chaton  octogone. 

(3)  C'est  bien  comme  cela  qu'il  faut  lire  :  la  bile  (yw>>j)  était  en  effet  considérée 
comme  une  des  principales  causes  de  la  colique  :  Alex.  Trall.X,  I.  Kal  yàp  Stà. 
<fyv%povç  yy[io\><;  xal  %ol'J>Seii .  ...  -  to  toioutov  ylv-ra.i  mx.doç.- . 

(4)  L'imprimé  reproduit  ici  exactement  la  figure  qui  se  trouve  à  la  même  place 
dans  tous  les  manuscrits  d'Alexandre  de  Tralles  que  possède  la  Bibliothèque  royale. 


EPITAPHE    LATINE 

D'UN  PEINTRE  GREC  ÉTABLI  DANS  LA  GAULE. 


Cette  inscription  inédite  est  gravée  sur  une  pierre  tumulaire 
servant  de  dalle  dans  le  chœur  de  Saint-Nazaire ,  à  Bourbon -Lancy. 
J'en  dois  la  communication  à  M.  Compin ,  maire  de  cette  petite  ville, 
qui  m'a  envoyé  en  même  temps  le  fac  simile  d'une  autre  inscription, 
que  Millin  a  déjà  publiée  dans  ses  monuments  inédits  (1). 


DIOG 

NI'AL 
POT 


Ce  qui  fait  l'intérêt  de  celle  dont  je  donne  ici  la  copie  exacte , 
c'est  le  nom  et  la  profession  du  personnage  :  Diis  Manibus  diogem 
ALpmo  piCTom*.  Le  défaut  de  place  a  empêché  de  finir  le  deuxième 
nom  ;  ce  qui  le  rend  incertain.  Je  pense  toutefois  que  c'est  un  sur- 
nom romain  à  la  suite  du  nom  grec  (comme  en  Dio  Cassius,  Âristides 
Quintilianus ,  Achilles  Talius,  etc.),  indiquant  un  Grec  affilié  à  une 
famille  romaine  ;  alp  me  paraît  ne  pouvoir  être  que  alpino  ,  nom 
que  portait  un  poëte  tragique  ampoulé,  dont  se  moque  Horace  (2); 


(1)  T.  I,  p.  146  etsuiv. 

(2)  Salir.  \,  I0,3fi. 


EPITAPHE  LATINE.  513 

Turgidus  Aîpinus  jugulât  dum  Memnona  ;  et  qu'on    trouve   aussi 
dans  une  inscription  de  Salzbourg,  au  Musée  de  Vienne  (3). 

ALPINVS 

SILVANI.    F. 

OB1IT.    ANN. 

VIII. 

«  Alpinus,  fils  de  Silvanus,  est  mort  à  huit  ans.  »  Si  l'on  s'était 
contenté  d'écrire  les  trois  lettres  alp,  la  place  manquant  pour  en 
mettre  davantage ,  ces  lettres  auraient  pu  appartenir  à  un  autre  nom 
qu Alpinus,  par  exemple  à  Alphius.  C'est  pourquoi  l'on  a,  mis  l'i  dans 
l'interligne;  ce  qui,  ne  pouvant  convenir  qu'à  Alpinus ,  levait  toute 
équivoque.  J'ai  déjà  remarqué  qu'en  pareil  cas ,  on  ne  faisait  nulle 
difficulté  de  tronquer  les  noms  ;  ainsi  AM<M)  et  AYMA ,  qui  ne  con- 
viennent à  aucun  autre  nom  qu'à  AM^Oxspoç  et  AYMA^o;  pour  Avori- 

Dans  le  mot  pictor,  on  remarquera  la  forme  du  c ,  dont  la  partie 
inférieure  est  recourbée,  comme  on  le  voit  ordinairement  au  g;  ce 
qui  explique  très-bien  la  confusion  perpétuelle  des  deux  lettres  c  et  g 
que  j'ai  déjà  remarquée  (5).  Pictor,  n'étant  pas  suivi  d'un  qualifi- 
catif, tel  que  scenarius  (  peintre  de  décors) ,  quadrigularius  (peintre 
de  voitures  (6),  etc.,  doit  désigner  ici  un  véritable  artiste,  non  un 
barbouilleur. 

Voilà  donc  un  peintre  grec,  qui  s'était  établi  dans  la  Gaule,  et  y 
avait  fini  ses  jours.  La  forme  des  lettres  est  d'un  très-bon  temps , 
qui  doit  appartenir  au  Ier  siècle  de  l'empire.  Ce  devait  être  un 
contemporain  du  sculpteur  et  ciseleur  grec  Zénodore,  qui,  à 
l'époque  de  Néron ,  vint  exercer  ses  talents  dans  la  Gaule ,  où  il 
exécuta,  pour  les  Arvernes,  une  statue  colossale  de  Mercure;  et, 
dans  le  même  temps,  cisela  deux  coupes,  d'après  deux  ouvrages 
de  Calamis,  qu'il  sut  imiter  si  bien,  qu'on  ne  pouvait  distinguer 
l'original  de  la  copie  (7). 

On  voit,  par  cet  exemple,  que  ce  n'étaient  pas  seulement  des 

(3)  J.  Arneth ,  Beschreibung  der  K.  K.  mûnz-und-antiken  Kabinette ,  p.  9 , 
nû  20. 

(4)  Mêm.  sur  les  noms  propres  grecs,  dans  les  Nouvelles  Annales  de  l'In- 
stitut archéologiques ,  t.  XVII ,  p.  ?60. 

(5)  Plus  haut,  p.  346. 
(G)  Plus  haut,  p.  391. 
(7)  Pliu.  XXXIV,  7,  18. 


514  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

artistes  grecs  du  dernier  ordre  qui  se  rendaient  alors  dans  la 
Gaule.  Il  n'y  a  donc  nulle  difficulté  à  croire  que  les  vases  d'argent 
trouvés  près  de  Bernay  (  qui  sont  de  plusieurs  mains  et  de  plusieurs 
temps)  aient  été  exécutés,  même  les  plus  beaux,  par  des  artistes 
grecs,  plus  ou  moins  habiles,  établis  à  diverses  époques  dans  la 
Gaule,  depuis  le  temps  de  Pline ,  jusqu'au  IIIe  siècle;  car  l'exécution 
de  quelques-uns  de  ces  vases  peut  descendre  jusque-là ,  sinon  plus 
bas  encore. 

Il  me  paraît  impossible  de  ne  pas  trouver  une  sorte  de  ressem- 
blance entre  le  travail  des  vases  de  Bernay  qui  offrent  des  sujets 
homériques ,  avec  celui  du  grand  plat  d'argent  déposé  au  Cabinet  des 
Antiques  (8),  pinax  ou  lanx,  appelé  vulgairement  le  bouclier  de 
Scipion,  quoiqu'il  représente  Achille  et  Briséis,  comme  on  le  recon- 
naît depuis  Winckelmann  ;  les  figures  y  ont  moins  de  relief  que 
sur  le  vase;  mais  le  style  du  dessin  est  analogue  dans  tous  les  deux; 
et  la  pose  de  Phœnix  sur  l'un,  celle  d'Ulysse  sur  l'autre,  sont 
presque  semblables.  Ce  plat,  du  genre  de  ceux  qui  ornaient  les  buffets 
des  riches ,  a  probablement  été  exécuté  en  Gaule ,  par  un  de  ces 
artistes  grecs  qui,  comme  Zénodore  et  Biogène  Âlpinus,  étaient  venus 
y  exercer  un  art  dont  nos  ancêtres  les  Gaulois  paraissent  avoir  aimé 
et  recherché  les  produits. 

Ceci  m'a  paru  donner  de  l'intérêt  à  cette  petite  inscription  qui , 
sans  le  nom  du  peintre  grec ,  serait  fort  insignifiante. 

Letronne. 

(8)  Publié  plusieurs  fois,  et  en  dernier  lieu  par  Millin ,  Mon.  inédits,  t.  I , 
p.  94,  9b. 


DISSERTATION  SUR  LARME 

QUI  SE  VOIT  DANS  UNE  PEINTURE  DE  VASE  GREC 

CONSERVÉE   AU    MUSÉE    DE   NAPLES. 


Les  archéologues  ne  réussissent  pas  toujours  à  expliquer  d'une 
manière  complète  les  œuvres  de  l'art  antique;  et  cependant  plus 
l'importance  d'un  monument  est  grande,  plus  le  désir  de  le  voir 
illustré  dans  tous  ses  détails  devient  impérieux.  Les  difficultés  aiguil- 
lonnent l'intelligence  suivant  cette  disposition  de  l'esprit  ,qui  nous 
porte  à  désirer  avec  plus  d'énergie  ce  qui  nous  est  refusé.  D'ailleurs 
il  y  a  toujours  une  grande  utilité  à  tenter  l'interprétation  des  parties 
inexpliquées  d'un  monument,  parce  que  si  les  résultats  de  cette  nou- 
velle recherche  concordent  avec  l'interprétation  des  autres  parties  de 
ce  même  monument ,  c'est  la  preuve  la  plus  certaine  delà  justesse  des 
appréciations  des  précédents  commentateurs.  Ce  que  je  viens  d'indi- 
quer est  précisément  arrivé  pour  l'admirable  vase  de  Vivenzio  (1), 

(1)  Ce  célèbre  monument,  qui  représente  le  sac  de  Troie  ,  est,  par  son  grand 


516  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

découvert  il  y  a  un  demi-siècle  et  publié  infidèlement  par  plusieurs 
archéologues.  Quelques  détails  de  la  scène  qu'il  retrace  n  ont  pas 
été  interprétés  comme  ils  auraient  dû  l'être;  un  entre  autres  est 
resté  une  énigme.  Me  réservant  de  décrire  complètement  ce  vase 
dans  un  autre  mémoire,  je  me  borne  actuellement  à  discuter  la 
nature  de  l'arme  tant  de  fois  étudiée  que  tient  une  femme  troyenne, 
et  à  l'aide  de  laquelle,  elle  va  achever  un  guerrier  grec  qui  est 
devant  elle  tombé  sur  le  genou  et  qui  cherche  à  se  défendre,  se  cou- 
vrant de  son  bouclier,  qu'il  soutient  d'une  main,  tandis  que  de  l'autre 
il  manie  son  épée. 

L'arme  en  question  ressemble  à  une  espèce  de  massue,  mais 
elle  a,  au  milieu ,  une  entaille  qui  permet  de  la  saisir,  et  l'on  remar- 
quera du  reste  que  le  personnage  féminin  qui  tient  cette  arme,  la 
tient  par  le  bout  ie  plus  mince  afin  de  la  soulever  et  l'abaisser  avec 
facilité  et  de  pouvoir  asséner  un  coup  avec  plus  de  force. 

Vivenzio,  possesseur  du  vase,  voyait  dans  cette  figure  une 
lance  (1);  Millin  a  cru  que  c'était  un  joug  (2);  Schorn  désapprouve 
cette  opinion  sans  en  fournir  une  nouvelle  (3);  Boettiger  de  son  côté 
avait  trouvé  à  cet  objet  de  la  ressemblance  avec  un  joug  (4);  M.  Pa- 
nofka  y  voit  un  instrument  formé  de  deux  hampes  de  lance ,  placées 
l'une  contre  l'autre.  Enfin  M.  Raoul  Rochette  dit  que  c'est  un  objet 
très-difficile  à  déterminer  (5).  Cette  diversité  dans  les  opinions  de 
savants  si  habiles  m'a  engagé  à  étudier  spécialement  un  point  dont 
l'éclaircissement  devenait  nécessaire  à  l'intelligence  parfaite  de  l'un 
de  vases  les  plus  classiques  du  musée  Bourbon. 

Que  l'arme  discutée  n'est  pas  un  joug,  cela  ressort  non-seulement 
de  sa  dissemblance  avec  tous  les  autres  jougs  que  représentent  les 
peintures  et  les  bas-reliefs  antiques ,  mais  encore  de  cette  simple  ob- 
servation que  l'une  des  extrémités  est  plus  mince  que  l'autre ,  par- 
ticularité qui  ne  se  rencontre  dans  aucun  joug. 

Quant  à  l'opinion  de  M.  Panofka,  je  ne  puis  que  répéter  une 
observation  fort  judicieuse  de  M.  Raoul  Rochette,  c'est  qu'il  est  très- 
style,  sa  couleur,  la  finesse  du  dessin ,  sa  remarquable  conservation,  l'un  des  plus 
précieux  morceaux  de  ce  musée  de  Naples,  si  riche  en  raretés  de  toute  espèce.  Il 
n'est  pas  un  voyageur,  quelque  peu  versé  dans  l'étude  de  la  céramographie  qu'on  le 
suppose,  qui  ne  soit  arrêté  par  l'admiration,  en  présence  du  vase  des  Troyennes. 

(1)  Catal.,  etc.,  p.  71. 

(2)  rases  peints,  I,  xxvi ,  64. 

(3)  Homer  nach  Anlika ,  Heft  IX ,  v,  vi.  33,  34. 

(4)  Arch.  de  Mahlerei,  p.  341. 
(6)  Mon.  inéd.,  Achilleld.,  p.  80. 


PEINTURE   DE   VASE   GREC.  517 

difficile  de  comprendre  ce  que  pourrait  être  un  instrument  résultant 
de  la  juxta-position  de  deux  bois  de  lance,  et  j'ajoute  qu'en  effet 
l'auteur  lui-même  ne  s'explique  pas  sur  l'usage  d'un  semblable  objet. 

Pour  moi  je  crois  que  c'est  un  pilon,  et  j'espère  donner  une  com- 
plète démonstration  de  ce  que  j'avance.  On  ne  peut  nier  que  la  forme 
de  cet  objet  est  celle  qui  convient  à  un  pilon,  car  il  a  deux  extré- 
mités d'inégales  grosseurs  ,  propres  à  broyer  des  corps  plus  ou  moins 
durs  et  résistants ,  et  uue  entaille  au  milieu ,  au  moyen  de  laquelle 
on  peut  le  saisir  et  l'agiter.  Les  Grecs  nommaient  cet  ustensile  : 
(nrepo; ,  àXitpiêavov  et  ôoiSu£  ;  les  Latins ,  pilum.  Il  servait  à  moudre 
divers  grains;  consultons  Popma.  (De  instr.  fandi  in  Scriptor.  rei 
msticœ,  t.  IV.) 

«  Villatici  opifices  et  ministri  sunt  molitores,  pistores,  coqui 

«  Horum  instrumenta  quum  sint  multa  et  diversa  pro  ratione  artis  et 
«  operae  recensentur  inter  caetera  a  scriptoribus  rei  rusticae,  maxime 
«  a  Catone  pila  farraria  ad  far  pinsendum,  pila  fabaria  ad  fabam  fre- 
«  sam ,  pila  seminaria  ad  terendos  seminum  nucleos.  » 

Pline  (XVIII,  16) ,  dit  aussi  :  «  Pilum  fabarium,  farrearium, 
«  seminarium  quo  faba ,  far  et  semina  in  pilo  sive  mortario  feriuntur 
«  et  tunduntur.  » 

On  m'objectera  sans  doute,  avec  beaucoup  d'apparence  de  raison 
qu'un  pilon  n'a  pu  avoir  ces  dimensions,  mais  je  répondrai  que  c'est 
ce  même  pilon  dont  on  fait  usage  aujourd'hui  en  Asie ,  comme  l'ob- 
serve M.  d'Olenine  (Lettres  d'un  dilettante  à  un  Antiquaire,  p.  35), 
renseignement  précieux  qui  m'a  été  communiqué  par  mon  savant 
ami  et  confrère  M.  Letronne  au  moment  où  il  jettait  les  yeux  sur 
une  épreuve  imprimée  de  ma  dissertation.  D'ailleurs  Hésiode  nous 
apprend  que  les  anciens  en  fabriquaient ,  non-seulement  de  la  taille 
de  celui  que  nous  montre  le  vase  de  Vivenzio,  mais  même  de  trois 
coudées. 

Hpioç  Sif)  lyyu  jzsvoç  o£soç  yùioto 

/aûptaroç  IBotUpov  ,  jXsTOTrwpivôv  o^êp^cravro; 

Zïjvô;  IptffOevéoç,  psrà  §k  rpéizzxa.t  Ppôrsoç  %pw$ 

■xoXkbv  èXaçppoTspoç*  £rj  yàp  tôts  lûpioç  àarrjo 

|3atov  vnïp  xsçpa^YJç  xvjptTpsyswv  àvQpwTTMV 

foyerat  rçjAoçTtoç,  nlûo-j  #é  ts  vvxtôç  kiïctvpu' 

•zr.poç  à^/jxTOTàTïj  izùzTGu  TpjÔsïa-a  aid-hpto 

vh),  tpvkïa.  5*  spaÇs  yju,  itxôpQoiô  ts  Hyst* 

Tijfxoç  ap'  wXoTOfutu  piejxvyjuévo;  wpia  epya. 

6>fzov  p.sv  Tpir.6$r}V  xâpsiv,  v7rspov  §ï  Tplnr)%vv,  x.  t.  /. 

{Opéra  et  Dies,  v.'  412-421.) 


518  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

((  Lorsque  déjà  la  force  d'un  ardent  soleil ,  décline  avec  l'été  acca- 
«  blant,  quand  le  grand  Jupiter  envoie  la  pluie  d'automne,  le  corps 
((humain  influencé  par  ce  changement  devient  plus  agile;  déjà 
«  l'étoile  de  Sirius  vient  pendant  le  jour  presque  sur  la  tète  des  mor- 
te tels  et  fait  plus  encore  pendant  la  nuit.  Alors  la  forêt  jaunie  est 
«  abattue  par  le  fer,  les  feuilles  couvrent  la  terre  et  n'ont  plus  de 
«  sève  ;  alors  souviens-toi  que  c'est  la  saison  de  couper  le  bois,  taille 
«  un  mortier  à  trois  pieds  et  un  pilon  de  trois  coudées.  » 

Maintenant  que  pourra-t-on  dire  en  trouvant  que  l'arme  qui  nous 
occupe  a  environ  trois  coudées  de  hauteur,  et  le  passage  d'Hésiode 
ne  semblera-t-  il  pas  écrit  par  quelqu'un  qui  l'aurait  eu  sous  les 
yeux?  Cette  preuve  ne  vient-elle  pas  appuyer  celle  qui  est  fournie 
parla  forme,  et  ne  se  réunissent-elles  pas  étroitement  toutes  deux 
pour  confirmer  ce  que  j'ai  avancé? 

Si  l'on  me  demandait  encore  quel  rapport  peut  avoir  existé  entré 
un  pilon  et  la  nuit  suprême  de  Troie ,  et  pourquoi  je  le  considère 
comme  une  arme?  à  la  dernière  de  ces  questions  je  répondrai  qu'au 
dire  de  Varron ,  on  nomme  arme  toute  chose  avec  laquelle  on  re- 
pousse l'ennemi  :  «  Arma  ab  arcendo,  quod  his  arcemus  hostem.  » 
(IV  de  Ling.  lat.).  C'est  pourquoi  Caïus  le  jurisconsulte  assurait  que 
les  pierres  et  les  bâtons  doivent  être  considérées  comme  armes  lors- 
qu'ils servent  contre  l'ennemi  ;  ainsi  le  mot  arme  est  convenable- 
ment appliqué  à  un  objet  quelconque  que  l'on  emploie  à  attaquer 
ou  à  se  défendre. 

Les  paroles  si  connues  de  Virgile  :  «  Furor  arma  ministrat ,  » 
satisfont  à  la  seconde  question. 

Le  triumvir  M.  Antoine ,  fuyant  de  Modène ,  donna  des  écorces 
d'arbre  à  ses  soldats  en  place  de  boucliers.  Dans  la  troisième  guerre 
punique,  comme  les  Carthaginois  manquaient  de  cordes ,  les  femmes 
leur  livrèrent  leurs  tresses  pour  garnir  les  arcs.  Les  femmes  d'Aquilée 
assiégée  par  l'empereur  Maximin  firent  la  même  chose  ainsi  que  les 
Marseillais  attaqués  par  César  et  les  Romains  resserrés  dans  le  Ca- 
pitale par  le  siège  des  Gaulois;  c'est  pour  cela  que  les  Romains  dé- 
dièrent une  statue  à  Vénus  Chauve.  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
qu'une  femme  troyenne  qui  n'aura  pu  se  procurer  une  véritable 
massue  pour  se  défendre  contre  le  glaive  du  soldat  grec;  d'ailleurs 
enflammée  d'une  ardeur  virile,  se  soit  emparée  d'un  pilon  et  que  le 
désespoir  ait  changé  cet  ustensile  en  arme  de  guerre.  C'est  ce  que 
j'affirme  avec  d'autant  plus  de  confiance  que  dans  ce  grand  désastre 
les  Troyens  cherchèrent  à  exterminer  les  Grecs  à  l'aide  de  tout  ce  qui 


PEINTURE  DE  VASE  GREC.  519 

leur  tombait  sous  la  main  et  qu'ils  lancèrent  contre  eux  des  vases, 
des  tables,  les  tisons  ardents  du  foyer,  et  les  percèrent  avec  des 
broches  dans  lesquelles  étaient  enfilées  les  pièces  de  viande  rôtie  : 

•  Où£s  pèv  Aoysîoiffiv  àvoûraroç  izils  àypiç  , 
àlV  ot  pèv  iïzTtocecrtn  TôTvyj/ivoi,  ol  §k  rpouzé'^cLiz, 

Ot#'  STl  ZatOplSVOt  (m*   k(T%<ZpîCÔ<Tt   TVTTSVTSÇ 

Soàoïç,  r}8*  oês).oi<n  TzsTzoLppévoi ,  s/.îTvsteo-xov, 

Oîq  Ire  Trou  xat  «r^ay^va  (iv&>v  tts^î.  ôsppià  >iXsi7TT<ï 

Hi^ata-Tou  pLalîpoïo  7rspiÇsîovro;  àur^  (1). 

«  Le  combat  que  les  Grecs  avaient  à  soutenir  ne  laissait  pas  que 
a  d'être  meurtrier.  On  lançait  aux  uns  des  vases  et  des  tables;  les 
«  autres  perdaient  la  vie,  atteints  tantôt  par  des  tisons  qui  flambaient 
«  encore  sur  le  foyer,  ou  bien  traversés  de  part  en  part  par  des 
«  broches  auxquelles  les  entrailles  brûlantes  des  porcs  se  trouvaient 
«  encore  attachées ,  et  dont  s'échappait  une  vapeur  épaisse.  » 

C'est  ainsi  que  s'exprime  Quintus  Calaber,  et  c'est  par  ces  vers  que 
je  termine ,  me  flattant  d'avoir  enfin  trouvé  l'explication  d'un  objet 
qui  était  une  énigme  pour  les  plus  savants  archéologues. 

Bernardo  Quaranta, 

Professeur  d'archéologie  et  de  littérature  grecque  à  l'université  deîïaples , 
Correspondant  de  lTnstitut  de  France. 

(1)  Ha^tît. ,  lib.  XIII,  146,  150, 


EMBELLISSEMENTS  DE  PARIS 

ANCIEN  MONASTÈRE  DES  FILLES  DU  CALVAIRE , 


RUE   DE   VADGIRARD,    23, 


Chaque  lieu  où  l'homme  vit  en  société  résume ,  dans  des  propor- 
tions plus  ou  moins  restreintes ,  l'éternelle  loi  de  la  mutabilité  des 
choses  terrestres  ;  mais  Paris ,  cette  reine  des  cités  de  la  France ,  est 
assurément  le  point  de  départ  qu'un  philosophe  chrétien  peut  choisir 
aujourd'hui  pour  rendre  cette  vérité  plus  sensible ,  puisque  toutes 
les  secousses  y  naissent  "ou  vont  y  aboutir ,  que  tous  les  progrès  mo- 
raux ,  intellectuels  et  industriels  en  proviennent  ou  s'y  perfection- 
nent. Le  vieux  Paris  ne  vit  plus  que  dans  les  ouvrages  de  ses  anna- 
listes et  dans  leurs  topographies  à  figures.  Disons  mieux  :  quiconque 
n'a  pas  visité  depuis  trente  ans  cette  vaste  capitale,  aurait  quelque 
peine  à  s'y  reconnaître,  et  trouverait  dans  ses  rues  nouvelles  et  spa- 
cieuses, dans  ses  quais  agréablement  ombragés  d'arbres ,  dans  ses 
nouveaux  édifices ,  et  enfin  jusque  dans  la  disparition  d'une  foule 
de  monuments  historiques,  des  signes  matériels  de  la  révolution  que 
les  années ,  que  les  siècles  apportent  dans  les  choses  de  la  société. 

Les  voies  publiques  se  sont  formées  au  hasard,  par  suite  de  l'ac- 
croissement des  populations  et  les  nécessités  survenues  dans  l'intérêt 
général  de  la  sûreté  et  de  la  salubrité.  Les  courbes  décrites  par  nos 
rues  doivent  particulièrement  leur  origine  à  ce  que  la  plupart  furent 
d'anciens  chemins  qui  se  sont  successivement  bordés  de  maisons , 
sans  qu'on  ait  pensé  à  en  redresser  les  sinuosités.  Chez  nos  aïeux, 
les  rues  principales  avaient  seize  pieds  environ  de  largeur  ;  les  autres, 
de  six  à  dix  pieds.  Ce  qui  reste  du  vieux  Paris  peut  nous  donner  une 
idée  de  ce  qu'il  fut  au  moyen  âge. 

A  la  fin  du  XVIe  siècle,  lorsque  l'usage  des  carrosses  fut  substitué 
aux  palefrois  des  grandes  dames ,  et  aux  mules  que  montaient  les 
magistrats  et  les  personnages  éminents ,  les  villes  du  moyen  âge 
commencèrent  à  changer  de  physionomie  par  la  nécessité  qui  se 
fit  sentir  d'élargir  les  rues,  et  de  faire  plus  spacieuses  celles  que 
l'on  créa. 

L'assainissement  de  plusieurs  quartiers  de  Paris,  l'élargissement 


ANCIEN   MONASTÈRE  DES   FILLES  DU   CALVAIRE.  521 

de  ses  vieilles  rues ,  le  percement  de  nouvelles  voies  pour  faciliter  les 
grandes  communications  entre  les  points  les  plus  éloignés,  les  sub- 
structions  pour  l'écoulement  des  eaux,  étaient  un  des  besoins  les 
plus  impérieux  de  la  population.  De  grands  et  utiles  travaux  d'assai- 
nissement furent  entrepris  sous  la  Restauration  ;  c'est  aussi  une  des 
améliorations  physiques  dont  le  pouvoir  s'occupe  aujourd'hui  avec 
une  louable  persévérance  :  et  ces  immenses  travaux  assurent  à  ceux 
qui  les  dirigent  la  reconnaissance  des  générations,  en  perpétuant 
parmi  elles,  le  souvenir  de  leur  édilité. 

Au  XVIIe  siècle,  nous  voyons  des  ordonnances  royales  prescrire  le 
redressement  des  rues.  En  1765,  et  à  des  époques  plus  rapprochées, 
des  plans  d'alignement  ont  été  tracés  en  vertu  d'édits  royaux ,  afin 
d'améliorer  les  rues  existantes  et  d'organiser  à  l'avenir  les  construc- 
tions futures.  D'après  ces  plans  et  d'autres  plus  récents,  déposés 
dans  chaque  mairie ,  on  recule  ou  on  avance  les  constructions  irré- 
gulières. Soixante-douze  communications  nouvelles  furent  ouvertes 
en  moins  de  quinze  années,  sous  le  règne  de  trop  courte  durée  du 
bon  et  infortuné  Louis  XVI.  Quand  le  règne  de  la  terreur  se  fut 
établi  en  France  :  le  vandalisme  s'attaquant  aux  pierres  vint,  parla 
destruction  d'un  grand  nombre  d'édifices  civils  et  religieux ,  apporter 
de  notables  changements  à  l'aspect  général  de  Paris.  Les  monuments 
des  siècles  passés,  ces  derniers  témoins  qui  disent  ce  que  furent  nos 
pères,  s'écroulèrent  et  disparurent  sous  une  double  cause  de  ruines  : 
la  fièvre  de  l'anarchie  et  la  spéculation  égoïste.  Peut-être  môme 
l'avidité  sordide  de  ces  acquéreurs  de  biens  nationaux,  réunis  en 
sociétés  mercantiles,  qu'on  a  stigmatisées  du  nom  de  bandes  noires, 
fit-elle  plus  de  mal  encore  que  l'effervescence  révolutionnaire. 

Après  le  Consulat,  l'Empire  nous  arriva  avec  toutes  ses  gloires  et 
ses  misères.  Le  sabre  régnait  de  par  la  force;  cependant  l'embellisse- 
ment de  Paris  préoccupait  Napoléon.  En  même  temps  que  nos  armées 
victorieuses  portaient  leurs  aigles  de  capitale  en  capitale ,  il  faisait 
percer  des  rues,  construire  des  fontaines  et  restaurer  le  Louvre. 
Alors  le  démon  des  alignements  s'empara  de  l'administration  :  une 
église,  un  cloître,  une  maison  historique,  s'ils  se  trouvaient,  même 
dans  la  partie  la  plus  accessoire  d'un  projet,  ne  pouvaient  trouver 
grâce  devant  les  ingénieurs  ;  car,  dans  leur  pensée,  ces  jalons  de  notre 
histoire  nationale  ne  valaient  pas  la  peine  qu'on  fît  faire  la  plus  im- 
perceptible déviation  à  une  rue.  Le  niveau,  le  cordeau  et  la  chaîne 
de  l'arpenteur  devaient  passer  sans  rencontrer  le  moindre  obstacle , 
parce  que  tout  devait  reculer  devant  l'inflexible  ligne  droite.  Puis 
m.  34 


522  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

enfin,  de  honteuses  spéculations,  l'ignorance  et  la  barbarie  des  par- 
ticuliers vint  en  aide  à  l'entraînement  officiel. 

Sous  la  Restauration  l'autorité  municipale  eut  bien  aussi  à  se 
reprocher  la  destruction  de  divers  monuments  historiques ,  destruc- 
tion qui  tourna  souvent,  il  est  vrai,  au  profit  de  la  voie  publique  01 
de  la  salubrité,  mais  qui  aurait  pu  être  évitée  quelquefois,  avec 
moins  d'insouciance  ou  de  préventions  de  la  part  de  certains  agents 
Nous  vivons  aujourd'hui  sous  un  pouvoir  véritablement  restaurateui 
et  conservateur  de  nos  richesses  monumentales  et  historiques 
cependant  l'œuvre  de  destruction  commencée  en  1792,  se  continue 
dans  l'occasion  avec  un  calcul  désespérant,  pour  tous  les  amis  de: 
arts ,  de  la  religion  et  du  pays.  Entre  des  exemples  que  nous  pour 
rions  multiplier,  choisissons  le  plus  récent.  Au  mois  de  février  1846 
et  à  la  face  du  comité  des  arts  et  monuments ,  M.  le  ministre  de  h 
guerre,  ou  ses  représentants ,  viennent  de  faire  abattre  sans  regre 
comme  sans  urgente  nécessité,  dans  l'enclos  de  l'École  polytechnique 
la  vaste  et  vénérable  chapelle  de  Navarre  toute  parfumée  encore  de: 
souvenirs  de  Nicolas  Oresme ,  précepteur  de  Charles  V,  des  cardi- 
naux d'Ailly  et  Descamps,  de  Jean  Gerson,  l'auteur  présumé  d< 
X Imitation  de  Jésus- Christ ,  de  Rollin  ,  de  Bossuet,  et  d'une  foub 
d'autres  savants  hommes,  la  gloire  de  la  France  (l). 

Mieux  inspirée  que  les  destructeurs  de  la  chapelle  de  Navarre 
l'autorité  qui  vient  de  diriger  en  1845  ,  l'élargissement  de  la  rue  d 
Va-ugirard,  en  vertu  d'une  loi  du  2  juillet  1844,  a,  ail  contraire 
apporté  tous  ses  soins  pour  conserver  une  autre  chapelle,  monumen 
de  la  piété  de  Marie  de  Médicis ,  beaucoup  moins  intéressante  ai 
point  de  vue  de  l'art  et  de  l'antiquité  que  la  chapelle  de  l'ancien  col- 
lège de  Navarre  ;  et  cependant  le  portail  de  l'édifice  de  la  rue  de  Vau 
girard  avançait  de  trois  mètres  sur  le  nouvel  alignement.  Ce  serai 
sans  doute  ne  pas  trop  présumer  que  d'attribuer  à  la  haute  influenc» 
de  M.  le  chancelier  de  France ,  ou  à  celle  de  M.  le  grand  référendain 
de  la  Chambre  des  Pairs,  la  précaution  avec  laquelle  on  a  démonté  e 
numéroté  pierre  à  pierre  ce  portail  :  après  quoi  on  l'a  réédiûé  ai 
niveau  du  nouveau  tracé  de  la  rue,  d'une  manière  si  parfaite,  qui 
faut  savoir  en  le  voyant  qu'il  a  été  déplacé.  Cette  restauration  a  ét< 
faite  par  M.  deGisors. 

Cette  chapelle  construite  il  y  a  deux  cent  vingt  et  un  ans,  au  temp: 
où  l'architecture  encore  distinguée  expirait  en  France,  pour  laisse 

(1)  Nous  avons  publié  en  1844 ,  une  Kolice  historique  et  descriptive  de  la  chapell 
de  Navarre ,  Ravue  Archéologique ,  t.  I,  p.  192  et  suif. 


ANCIEN    MONASTÈRE    DES   FILLES   DU    CALVAIRE.  523 

prévaloir  le  style  sans  couleur  et  sans  richesse  qui  caractérise  l'époque 
de  Louis  Xlli,  était  l'église  des  religieuses  observantines  de  la  pri- 
mitive règle  de  Saint-Benoît,  connues  sous  le  nom  de  Congrégation  de 
Notre-Dame  du  mont  Calvaire,  fondée  en  1620,  par  Marie  de  Mé- 
dicis ,  épouse  de  Henri  IV.  «  L'église  et  le  couvent  de  ces  religieuses, 
dit  Germain  Bnce ,  n'ont  rien  que  de  triste  et  de  fort  mauvais  goût  ; 
l'espace  quelles  occupent  est  si  serré  qu'elles  ont  bien  de  la  peine  à  y 
trouver  les  commodités  qui  leur  sont  nécessaires.  »  (T.  111,  p.  104.  j 
Or,  l'on  sait  que  iirice  était  aussi  ignorant  archéologue  que  pauvre 
historien. 

Le  père  Joseph,  Le  Clerc  du  Tremblay,  capucin,  confesseur  et 
agent  du  cardinal  de  Richelieu ,  est  regardé  comme  le  premier  insti- 
tuteur de  cet  ordre  :  soit  qu'il  en  ait  conçu  l'idée,  soit  qu'il  en  ait 
seulement  rectifié  le  plan,  il  est  certain  que  cette  institution  prit 
naissance  a  Poitiers,  en  1617,  par  les  soins  d'Antoinette  d'Orléans 
Longueviile,  après  la  mort  de  Charles  de  Gondi,  marquis  de  Belle- 
Isle,  qui  la  laissa  veuve  à  vingt-deux  ans,  elle  se  retira  dans  le 
monastère  des  Feuillantines  de  Toulouse,  dont  île  prit  l'habit  en 
1559,  elle  passa  ensuite  à  Fontevrault ,  dont  elh;  embrassa  la  règle, 
et  fut  nommée  coadjutrice  de  cette  abbaye.  Ce  îut  vraisemblable- 
ment alors  que,  de  concert  avec  le  père  Joseph,  elle  établit  dans  un 
monastère  de  son  ordre ,  à  Poitiers ,  la  dévotion  à  la  Sainte-Vierge 
accablée  de  douleur  sur  le  Calvaire  ,  et  qu'elle  en  ht  une  loi  particu- 
lière. Le  pape  Paui  V,  par  son  bref  du  25  octobre  1617,  lui  permit 
de  sortir  de  Tordre  de  Fontevrault,  de  prendre  à  Poitiers  l'habit 
particulier  qu'elle  avait  choisi  pour  les  nouvelles  religieuses,  d'y 
mener  tel  nombre  de  tilles  qu'elle  jugerait  à  propos,  et  d'établir  des 
monastères  de  celte  nouvelle  congrégation,  sous  le  titre  de  Notre- 
Dame  du  Calcaire.  Sa  mort,  qui  arriva  ie  25  avril  1618,  n'arrêta  pas 
les  progrès  de  cet  ordre  naissant.  Le  père  Joseph  en  établit  un  cou- 
vent à  Angers,  dont  ia  reine  Marie  de  Médicis  se  déclara  la  fonda- 
trice ;  elle  lit  plus,  car  elle  voulut  établir  ces  religieuses  à  Pans  dans 
l'enceinte  môme  du  palais  du  Luxembourg  ,  qu'elle  avait  lait  bâtir 
en  1615,  sur  le  modèle  du  palais  Pitti,  à  Florence,  et  sur  les  des- 
sins de  Jacques  de  Brosses.  Le  père  Joseph,  qui  avait  inspiré  ce  pieux, 
dessein  à  la  reine,  avait  piis  de  son  coté  des  mesures  dignes  de  sa 
prudence,  il  avait  ménagé  aux  bénédictines  la  protection  de  madame 
do  Lauzon,  veuve  d'un  conseiller  au  parlement,  qui  avait  promis 
douze  cents  livres  de  rente,  et  dix-huit  mille  livres  en  argent  pour 
cet  établissement.  En  conséquence  la  révérende  mère  Gabrielle  do 


524  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Saint-Benoît,  dite  de  l'Espronière,  et  cinq  autres  religieuses  c 
Notre-Dame  du  Calvaire ,  sous  la  conduite  de  la  baronne  de  Ché 
merau,  arrivèrent  à  Paris  le  22  octobre  1620.  On  les  logea  prc 
visoirement  dans  une  maison  que  madame  de  Lauzon  leur  avait  fa 
préparer,  rue  des  Francs-Bourgeois ,  près  de  la  porte  Saint-Michel 
où,  par  acte  du  même  jour,  le  cardinal  Henri  de  Gondi,  évêque  c 
Paris ,  leur  permit  d'avoir  une  chapelle. 

Leur  ordre  fut  approuvé  sous  le  titre  de  Notre-Dame  du  Calvain 
et  sous  la  règle  de  Saint-Benoît ,  par  une  bulle  de  Grégoire  XV,  d 
22  mars  1621.  Marie  de  Médicis  passa  en  même  temps  un  contn 
de  fondation  avec  ces  religieuses ,  par  lequel  elle  leur  donna  cin 
arpents  de  terre ,  joignant  son  palais ,  et  mille  livres  de  rente 
prendre  sur  son  domaine  du  comté  de  Dourdan  ,  à  charge ,  dit  ce 
acte  du  16  juin  1621 ,  de  célébrer  à  perpétuité  son  anniversair 
après  son  décès ,  de  faire  dire  tous  les  ans  une  messe  pour  le  roi ,  so 
fils,  et  après  sa  mort,  un  anniversaire  aussi  à  perpétuité. 

L'auguste  fondatrice  voulant  planter  de  ses  royales  mains  la  croi 
du  Sauveur  sur  le  terrain  qu'elle  venait  de  concéder  aux  bénédictine 
du  Calvaire,  elles  firent  commencer  aussitôt  les  constructions,  ma 
les  architectes  de  Sa  Majesté  s'y  opposèrent ,  lui  représentant  que  le 
bâtiments  du  monastère  intercepteraient  les  vues  de  son  palais.  Le 
religieuses,  obligées  de  chercher  un  autre  emplacement  dans  le  vois 
nage,  achetèrent,  le  19  mars  1622,  une  grande  maison  et  ses  dé 
pendances ,  nommée  Hôtel  du  Mont-Herbu,  située  rue  de  Vaugirart 
et  deux  autres  propriétés  contiguës ,  appelées  dans  les  titres  Hôte 
des  Trois  Rois  et  de  Saint- Nicolas ,  elles  y  firent  construire  quelque 
cellules  et  une  petite  chapelle,  et  en  payèrent  le  prix  avec  les  dis 
huit  mille  livres  de  madame  de  Lauzon,  leur  bienfaitrice.  Ell< 
prirent  possession  de  leur  nouveau  monastère  le  28  juillet  162S 
et  y  furent  introduites  par  mademoiselle  de  Longueville,  si  célèb 
sous  la  Fronde,  et  par  madame  de  Lauzon,  qui  les  meubla  de  toi 
ce  qui  leur  était  nécessaire. 

Environ  trois  ans  après,  Marie  de  Médicis  fit  bâtir  la  chapel 
que  nous  voyons  aujourd'hui  sur  l'emplacement  d'un  corps  de  logi 
qu'elle  donna  à  cet  effet,  joignant  le  Petit-Luxembourg.  La  premiè 
pierre  en  fut  posée  en  son  nom  au  mois  de  mai  1 625  ,  par  Marie  i 
Braguelogne ,  femme  de  Claude  de  Bouthilliers ,  son  chancelier,  < 
présence  de  la  mère  Gabrielle  de  Saint-Benoît,  supérieure  du  mon 
stère.  On  encastra  dans  cette  pierre  une  médaille  d'argent  porta 
cette  inscription  :  «  A  la  gloire  de  Dieu  et  de  la  très-Sainte- Vier 


ANCIEN  MONASTÈRE   DES   FILLES   DU   CALVAIRE.  525 

sa  mère  ;  Marie  de  Médicis  a  posé  la  première  pierre  de  cette  église  e 
monastère ,  afin  que ,  comme  elle  reconnaît  cette  mère  da  Roi  des  Rois 
pour  la  conservatrice  du  Royaume  et  de  sa  Royale  lignée ,  et  pour  le 
modèle  et  exemplaire  de  sa  vie  et  de  son  nom,  aussi  elle  la  puisse  avoir 
dans  le  ciel  pour  médiatrice  de  son  salut  éternel,  Tan  de  notre  rédemp- 
tion 1625.  »  La  chapelle  fui  bénite  par  René  de  Rieux,  évêque  de 
Saint-Pol  de  Léon  ,  qui  y  célébra  la  messe  le  jeudi-saint  1631 ,  et  le 
même  jour  les  religieuses  commencèrent  à  y  célébrer  l'office  divin , 
mais  elle  ne  fut  dédiée  qu'en  1650,  par  René  du  Louest,  évêque  de 
Quimper,  sous  l'invocation  de  saint  Jean-Raplisle.  La  cloche  avait 
aussi  été  bénite  le  13  avril  1631 ,  elle  fut  nommée  Marie,  nom  de 
la  reine  fondatrice  qui  l'avait  donnée.  Cette  princesse  mettant  le 
comble  à  tant  de  libéralités,  donna  à  ce  monastère ,  par  brevet,  daté 
de  Lyon  le  3  juillet  1630,  un  demi-pouce  d'eau  des  fontaines  de  son 
palais;  puis  elle  fit  construire  le  chœur  des  religieuses ,  le  cloître,  qui 
subsiste  encore;  le  logement  du  prédicateur  et  une  chapelle  dans 
l'intérieur,  appelée  Chapelle  de  la  reine,  parce  qu'elle  venait  y  en- 
tendre la  messe.  Une  bulle  du  pape  Urbain  VIII  confirmée  par  lettres 
patentes  de  Louis  XIII  du  mois  de  juin  1621 ,  avait  bien  permis  aux 
bénédictines  du  Calvaire  de  s'établir  à  Paris,  mais  il  leur  fallut  en- 
core l'agrément  de  Henri  de  Bourbon ,  duc  de  Verneuil ,  évêque  de 
Metz  et  abbé  de  Saint- Germain  des  Prés,  qui  leur  permît,  comme 
seigneur  foncier,  de  Rétablir  et  de  bâtir,  rue  de  Vaugirard  ;  suivant 
acte  du  27  juillet  1621  ,  Marie  de  Médicis  fit  approuver  le  tout  par 
autres  lettres  patentes  de  Louis  XIII ,  du  mois  de  juillet  1 634,  enre- 
gistrées le  22  août  suivant. 

Le  but  spécial  de  l'institut  des  bénédictines  de  Notre-Dame  du 
Calvaire ,  était  d'honorer  et  d'imiter  le  mystère  de  la  compassion  de 
la  Sainte-Vierge  aux  douleurs  de  Jésus-Christ,  son  fils,  et  à  cet 
effet ,  il  y  avait  continuellement  dans  cette  chapelle,  employée  au- 
jourd'hui à  des  usages  si  divers  et  si  profanes ,  des  religieuses  pro- 
sternées incessamment  au  pied  de  la  croix,  tant  le  jour  que  la  nuit. 
Et  pour  indiquer  ostensiblement  cette  dévote  pratique,  on  avait  orné 
le  portail  d'une  statue  de  Notre-Dame  de  Piété,  tenant  son  fils  mort 
sur  ses  genoux  ,  image  qui  était  très-  estimée  comme  œuvre  d'art.  La 
générale  de  l'ordre  faisait  sa  résidence  au  couvent  du  Calvaire  du 
Marais,  qui  était  situé  entre  les  rues  Neuve-de-Bretagne  etNeuve- 
de-Ménilmontant,  lequel  avait  été  bâti  en  1637  par  les  soins  du  père 
Joseph. 
Le  palais  du  Luxembourg,  après  avoir  été  successivement  palais 


526  KEVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'Orléans,  prison  pendant  la  terreur,  palais  du  Directoire,  du  Con- 
sulat et  du  Sénat  conservateur,  est  aujourd'hui  le  siège  de  la  Chambre 
des  Pairs,  l'un  des  trois  pouvoirs  de  notre  État  constitutionnel  :  pou- 
voir à  qui  est  dévolue  la  mission  de  poursuivre  les  crimes  d'État. 
L'humble  monastère  du  Petit  Calvaire  a  partagé  les  vicissitudes  du 
palais  de  sa  royale  fondatrice  dans  le  pourpris  duquel  il  est  enclavé. 
Supprimé  par  la  loi  de  1790  et  devenu  propriété  nationale,  il  fut 
vendu  en  deux  portions,  les  2  décembre  1790  et  28  juillet  1791. 
Les  bâtiments  ont  été  longtemps  affectés  à  une  caserne  d'abord  pour 
les  gendarmes  des  chasses ,  ensuite  pour  les  vétérans  faisant  le  ser- 
vice du  Luxembourg. 

Depuis  1834  ils  sont  devenus  la  geôle  criminelle  de  cette  cour 
suprême  de  justice ,  attribuée  à  la  pairie.  Quel  sujet  de  graves  ré- 
flexions et  d'étonnants  rapprochements!  Ce  vieil  et  saint  asile,  otj 
pendant  cent  soixante-dix  ans,  vécurent  des  anges  de  paix,  modèle? 
de  toutes  les  vertus,  fut  habité  dès  lors  par  des  meurtriers  fanatiques. 
Une  hideuse  succession  de  furieux,  en  qui  toute  pensée  du  ciel  s'esl 
évanouie,  et  qui,  repoussant  l'idée  de  la  majesté,  se  sont  livrés  sui 
le  chef  de  l'État  au  délire  d'une  aveugle  vengeance,  ont  attendu  dan? 
cette  ruine  chrétienne  l'arrêt  vengeur  de  leur  crime ,  que  la  main  de 
Dieu  a  toujours  empêché.  Lecomte,  l'assassin  de  Fontainebleau,  y 
occupait  naguère  leur  place ,  qu'un  autre  misérable ,  Joseph  Henry 
est  venu  remplir  à  son  tour.  C'est  dans  une  saïïe  basse  de  ce  mona 
stère,  qu'à  sa  voûte  en  plein  cintre  et  ses  colonnes  monocylindriques 
on  pourrait  prendre  pour  l'ancien  chapitre  des  religieuses,  aujour- 
d'hui travestie  en  ateliers  de  moulage  et  de  menuiserie;  c'est,  disons 
nous,  dans  cette  salle,  que  furent  faits  sur  Fieschi  et  ses  deux  com 
plices,  Morey  et  Pépin,  les  tristes  apprêts  du  supplice.  Ainsi  de: 
ruines  d'un  monument  jadis  consacré  à  honorer  le  mystère  de  h 
rédemption  des  hommes,  sort  aujourd'hui  la  preuve  matérielle  d< 
cette  grande  vérité,  que  là  où  l'on  a  ôté  le  respect  de  la  second' 
majesté  et  de  l'inviolabilité  des  rois;  les  faits  de  la  politique,  de- 
viennent seuls  la  règle  naturelle  du  commandement  et  de  l'obéis- 
sance. 

L'église  et  le  cloître  existent  encore,  mais  bien  mutilés.  L'église 
qui  servit  d'écurie  à  Paul  Barras ,  l'un  des  cinq  directeurs  de  la  repu 
blique,  est  un  petit  édifice  rectangle,  voûté  à  plein  cintre,  dont  1 
voûte  de  plâtre  est  ornée  de  lourds  cartouches ,  profilés  en  relief  e 
de  rinceaux  de  fleurs ,  de  graines  et  de  fruits.  Les  parois  latérale 
offrent  une  décoration  en  relief  figurant  quatre  travées ,  dont  les  arc 


ANCIEN  MONASTERE   DES   FILLES  DU  CALVAIRE, 


527 


retombent  sur  des  pilastres  avee  une  frise  régnant  au  pourtour.  La 
nef  est  éclairée  par  de  petites  fenêtres  cintrées ,  percées  irrégulière- 
ment, et  dont  deux  sont  géminées.  Plusieurs  niches  sont  creusées 
dans  les  murs.  La  décoration  à  colonnes,  ou  retable  de  l'autel,  d'assez 
bon  style,  sépare  encore  cette  nef  de  ce  qui  formait  au  chevet  le 
chœur  des  dames.  La  grande  fenêtre  en  plein  cintre,  régnant  au- 
dessus  de  la  porte,  est  ornée  sur  sa  face  intérieure  d'un  fronton  cir- 
culaire surbaissé ,  reposant  sur  des  pilastres  portés  par  des  demi- 
figures  de  femme  ou  cariatides  à  gaines. 

L'extérieur  présente  une  remarquable  corrélation  d'ordonnance 
avec  l'aspect  pesant  de  l'intérieur.  Les  murs  sont  soutenus  par  des 
contre-forts,  entre  les  fenêtres  surmontées  d'arcs-boutants  en  consoles, 


DQUr  soutenir  la  voûte.  Le  portail,  d'une  ordonnance  simple  et  lourde, 
Bien  qu'offrant  assez  de  symétrie  dans  l'ensemble  s  est  décoré  de  pi- 


528  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

lastres  divisés  en  trois  ordres.  Le  gable  ou  pignon  percé  de  deux 
oculés  dans  son  tympan,  avec  chaperons  à  moulures  sur  les  rampants 
est  accompagné  de  deux  vases  clos  à  sa  naissance,  l'acrotère  formant 
la  pointe  de  ce  pignon  supporte  le  symbole  chrétien  du  pélican  se 
perçant  avec  son  bec  pour  nourrir  ses  petits  ;  touchante  allégorie , 
exprimant  le  dévouement  du  Fils  de  Dieu  pour  la  créature,  et  parfai- 
tement choisie  pour  caractériser  une  église  destinée  spécialement  au 
culte  de  la  croix.  Ce  portail  a  été  soumis  à  un  retranchement,  qui , 
en  raison  de  sa  disposition  oblique  Ta  fait  rentrer  de  cinquante  cen- 
timètres à  trois  mètres  d'un  angle  à  l'autre. 

L'intérieur  de  la  chapelle  est  divisé  par  un  plancher  horizontal  ;  à 
l'étage  supérieur  est  le  magasin  des  décors  du  théâtre  de  l'Odéon  ,  le 
bas  sert  de  bûcher  et  de  remise;  la  chapelle  de  la  reine  est  changée 
en  cuisines  à  l'usage  de  M.  le  grand-chancelier.  Telle  est  aujourd'hui 
la  condition  de  cette  royale  fondation  où  d'humbles  religieuses  unis- 
saient dans  la  méditation  et  la  prière ,  le  mystère  douloureux  de  la 
déchéance  de  l'homme,  au  glorieux  mystère  de  sa  réparation. 

Le  cloître,  qui  a  servi  de  passage  public  pendant  quelques  mois  en 


1836  ,  est  un  petit  édifice  quadrilatère,  dont  les  travées  cintrées  en 
anse  de  panier  ont  pour  clef  des  tètes  de  chérubins  sous  des  consoles 
écrasé  es.  Un  méridien  porte  la  date  de  1 698.  Les  murs  de  fond  étaient 
couverts  d'ornements  d'architecture,  peints  à  la  fresque,  aujourd'hui 


ANCIEN  MONASTÈRE   DES   FILLES  DU   CALVAIRE.  529 

presque  effacés.  Nous  y  avons  remarqué  des  niches  dont  la  voussure 
est  en  coquille,  et  déchiffré  ces  deux  sentences  :  «  Je  vous  envoie  mon 
ange  qui  préparera  ma  voye  devant  vous.  —  Dieu  a  commandé  à  ses 
anges  de  vous  garder  dans  toutes  vos  voies.  »  (Ps.  90). 

Ainsi  en  même  temps  que  la  rue  de  Vaugirard  ,  d'étroite  et  fan- 
geuse qu'elle  était ,  dans  la  partie  longeant  le  palais  de  la  Chambre 
des  Pairs  et  l'hôtel  de  la  présidence ,  se  transformait  en  une  large 
voie  ornée  d'une  belle  grille,  qui,  des  maisons  riveraines  laisse  planer 
sur  le  jardin  du  Luxembourg,  l'un  des  plus  beaux  de  l'Europe  :  le  por- 
tail de  l'ancienne  chapelle  du  Petit  Calvaire,  conservé  à  l'archéologie, 
était  reculé  et  réédifié,  sans  lui  ravir  le  cachet  architectural  du  temps 
où  la  reine  Marie  de  Médicis  le  fit  construire.  Au  point  de  vue  de 
l'art,  cette  restauration  est  bonne  à  constater;  mais  nous  avons  be- 
soin de  dire  aussi  que  pour  la  rendre  plus  utile  ou  plus  rationnelle 
il  eût  été  convenable  de  faire  cesser  une  profanation  permanente,  qui 
afflige  les  cœurs  catholiques ,  en  faisant  de  cet  édifice  la  chapelle  de 
la  Chambre  des  Pairs.  Ses  proportions  assez  vastes  et  son  aspect  sévère 
pourraient  assurément  inspirer  plus  de  recueillement  que  la  chapelle- 
salon  où  la  noble  Chambre  fait  célébrer  le  service  divin. 

Troche  , 

Auteur  d'une  Monographie  inédite  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES 


—  On  s'occupe  très-activement  de  déblayer  les  trois  salles  du 
Louvre  qui  doivent  contenir  les  sculptures  découvertes  à  Ninive.  Ces 
salles,  situées  au  rez-de-chaussée  de  la  partie  nord  du  Palais, 
étaient  occupées  par  les  bureaux  de  l'architecte  du  roi,  le  logement 
de  M.  l'adjudant  commandant ,  remplaçant  le  gouverneur,  et,  enfin, 
l'atelier  de  moulage  ,  qui  retourne  a  l'hôtel  d'Angiviller.  On  ignore 
encore  quels  sont  les  moyens  qu'on  pourra  prendre  pour  introduire 
en  ce  lieu  les  colosses  qui  font  partie  du  même  envoi.  On  doit  s'oc- 
cuper d'autant  plus  de  cette  difficulté,  que  les  monuments  en  ques- 
tion sont  formés  d'une  pierre  peu  dure  par  elle-même ,  et  dont  la 
décomposition  serait  très-rapide  si  elle  était  exposée  à  l'air  variable 
de  notre  climat. 

—  M,  le  docteur  Lepsius  vient  d'être  nommé  à  la  chaire  d'archéo- 
logie égyptienne  créée  récemment  par  S.  M.  le  roi  de  Prusse,  à  l'uni- 
versité de  Berlin. 

—  Un  antiquaire  d'une  petite  ville  du  département  de  Loire-et- 
Cher,  nous  communique  la  note  suivante  :  Nous  avons  été,  par 
suite  de  l'inondation ,  sans  communication  avec  Blois ,  sans  lettres  et 
sans  nouvelles  pendant  quatre  jours  ;  quelques  personnes  seulement 
se  hasardaient  dans  les  deux  derniers  jours  à  passer  en  nacelle.  La 
route  étant  entièrement  détruite,  les  communications  ne  seraient  pas 
encore  rétablies,  et  je  ne  sais  quand  elles  pourraient  l'être,  si,  par 
bonheur,  il  n'existait  pas,  au  milieu  de  la  vallée,  une  vieille  chaussée 
romaine  qu'on  nomme  les  Ponts-Chartrains;  cette  voie  antique,  au- 
dessus  de  laquelle  l'eau  passait  à  la  hauteur  de  neuf  mètres,  a  résisté 
à  tout;  elle  s'est  retrouvée  parfaitement  intacte,  à  l'exception  d'une 
petite  portion  que  nos  ingénieurs  avaient  cru  devoir  refaire ,  et  qui  a 
été  emportée.  La  chaussée  romaine  est  aujourd'hui  le  seul  moyen  de 
communication  qui  reste  entre  les  deux  rives  de  la  Loire,  entre  la 
Sologne  et  la  Beauce. 

— L'église  de  Vaugirard,  l'une  des  plus  anciennes  des  environs  de 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  Ml 

Paris ,  va  être  démolie.  Cet  édifice  modeste,  sous  le  vocable  de  saint 
Lambert ,  martyr  et  évêque  de  Maestricht ,  n'était  dans  l'origine 
qu'une  chapelle  dépendant  de  la  paro:sse  d'Issy.  Elle  fut  érigée  en 
cure  en  1346.  Simon  de  Bucy,  premier  président  du  parlement  de 
Paris  à  cette  époque,  fit  agrandir  la  chapelle  à  deux  reprises  diffé- 
rentes; c'est  ce  qui  explique  l'irrégularité  de  sa  construction,  qui  est 
du  reste  sans  aucun  mérite  d'architecture.  Son  état  de  vétusté  et  sa 
position  à  l'une  des  extrémités  de  la  commune ,  sur  la  principale 
voie  publique  qu'elle  obstrue ,  sont  les  motifs  qui  font  prendre  la 
détermination  de  la  démolir  et  d'ériger  une  nouvelle  paroisse  plus  au 
centre  des  habitations  de  ce  village,  l'un  des  plus  considérables  de 
la  banlieue  de  Paris ,  et  d'une  dimension  plus  en  rapport  avec  sa 
nombreuse  population,  évaluée  d'après  le  dernier  recensement  à  dix 
mille  habitants. 

—  L'église  de  Belleville  vient  d'être  classée  au  nombre  des  monu- 
ments historiques ,  M.  le  ministre  de  l'intérieur  a  promis  d'allouer 
des  fonds  pour  la  faire  convenablement  restaurer. 

—  Les  peintures  du  porche  de  l'église  Saint-Germain  VAuxer- 
rois  de  Paris,  exécutées  par  M.  Mottez ,  viennent  d'être  livrées  aux 
regards  du  public.  M.  Troche,  l'historien  de  ce  remarquable  monu- 
ment et  l'un  de  nos  collaborateurs ,  nous  promet ,  pour  le  prochain 
numéro,  un  mémoire  historique  et  critique  sur  cette  portion  de 
l'église. 

— M.  Jean  Theys,  élève  archiviste,  à  l'hôtel  de  ville  de  Louvain  , 
vient  de  découvrir  le  nom  de  l'architecte  qui  a  construit  ce  bel 
édifice,  et  qui  était  demeuré  ignoré  jusqu'à  ce  jour.  M.  Jean  Theys 
a  acquis  la  preuve  incontestable  que  le  constructeur  de  l'hôtel  de 
ville  s'appelait  Matheeus  de  Layens.  Ce  maître  maçon  de  la  ville  et 
banlieue  avait,  pendant  près  de  trente  ans,  manié,  pour  le  compte 
du  magistrat,  la  truelle  et  la  pioche,  au  prix  de  quatre  sols  par 
jour  en  été,  et  un  peu  moins  de  trois  sols  en  hiver.  Il  a  reçu,  comme 
gratification,  cinq  florins  ou  cinq  péters  dix  sols,  pour  la  confection 
de  cet  immortel  édifice.  Ce  prix ,  bien  que  supérieur  à  celui  qu'il 
annonce  de  prime  abord ,  à  raison  de  la  valeur  du  sou  à  cette  épo- 
que, est  cependant  encore  bien  faible,  quand  on  pense  au  travail, 
au  talent  même  qu'il  était  destiné  à  rétribue?, 


53*2  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

—  On  a  fait  dernièrement  à  Rouen  une  découverte  numisma- 
tique tout  à  fait  intéressante.  Dans  les  travaux  de  percement  qui 
s'exécutaient  à  travers  la  rue  du  Loup  pour  l'établissement  de  la  rue 
Royale,  on  eut  à  détruire  un  ancien  mur  d'enceinte,  épais  de  plus 
d'un  mètre,  et  l'on  découvrit,  à  environ  trois  mètres  de  profondeur, 
un  vase  de  terre  noire  grossière ,  qui  contenait  environ  quatre  cents 
monnaies  romaines  de  petit  bronze  ;  trois  pièces  d'argent  seulement 
y  étaient  mêlées.  Comme  ces  médailles  étaient  fort  oxidées,  il  fallut 
les  nettoyer,  et  dans  cette  opération,  il  y  en  eut  environ  quatre- 
vingts  de  détruites.  Un  peu  plus  de  deux  cents  pièces  furent  portées 
à  M.  Deville,  le  savant  directeur  du  Musée,  qui  reconnut  que,  sauf 
une  douzaine  de  petits  bronzes ,  à  l'effigie  de  Gallien  ,  Postume , 
Victorin ,  Tétricus ,  ce  dépôt  tout  entier  appartenait  à  l'empereur 
anglais  Carausius.  Voici  un  aperçu  des  différents  revers  que  signale 
M.  Deville  : 

Bronze.  —  Ecuitas  mundi 5  pièces. 

Fortuna  red 14 

Romœ  œternœ 1 

Concord  milit 1 

Virtus  aug 10 

Securilas  per 20 

Salas   aag .     .  29 

Temporam  fe 19 

Lœlitia 6 

Providentia  aag  et  prvidenlia  aug.     .     .  30 

Tutela  aag .  72 

Argent.  —  Uberita  aug.  Femme  qui  trait  une  vache.  2 
Uberilas  aug.  L'empereur  et  une  femme 

debout 1 

Total.     .     .  210 
On  pourrait  supposer  que  ce  dépôt  date  de  l'époque  de  Carausius, 
si  un  petit  bronze  de  Constantinopolis  qui  s'est  rencontré  au  milieu 
des  médailles  de  ce  tyran ,  ne  le  reportait  à  Constantin  le  Grand, 
c'est-à-dire ,  à  une  quarantaine  d'années  plus  près  de  nous. 

—  L'antique  et  belle  abbaye  de  Dissentis,  au  canton  des  Grisons, 
fondée  au  VIIe  siècle ,  par  Sigebert ,  bénédictin  écossais ,  vient  d'être 
entièrement  détruite  par  un  incendie.  Sa  magnifique  église  ,  son 
trésor ,  sa  riche  et  précieuse  bibliothèque ,  tout  est  détruit.  Cette 
abbaye  avait  déjà  été  incendiée  en  1799. 


BIBLIOGRAPHIE. 


Annales  de     rnstilut  de  Correpondance  Archéologique,  tome  XVI  et 
XVII.  Paris,  Benjamin  Duprat. 

Un  de  nos  collaborateurs  a  déjà  rendu  compte,  dans  la  Revue  Ar- 
chéologique, du  tome  XVe  des  Annales  de  V Institut  de  Rome.  Aujour- 
d'hui nous  allons  essayer  de  faire  connaître  à  nos  lecteurs  les 
tomes  XVIe  et  XVIIe  de  cette  intéressante  collection. 

On  sait  que  la  savante  association  dont  se  compose  l'Institut  Ar- 
chéologique se  divise  en  deux  sections  :  l'une ,  qui  compte  dans  son 
sein  les  érudits  allemands  et  italiens,  porte  le  nom  de  section  ita- 
lienne; l'autre,  comme  son  nom  l'indique,  doit  sa  formation  aux 
érudits  français. 

C'est  aux  membres  de  la  section  italienne  que  nous  devons  le 
tome  XVIe  des  Annales.  Ce  volume  contient  plusieurs  mémoires 
concernant  divers  monuments  de  sculpture,  des  peintures ,  des  vases , 
des  médailles,  des  inscriptions>  et  quelques  articles  de  critique.  Nous 
commencerons  par  nous  occuper  des  travaux  relatifs  à  la  sculpture. 

Une  tète  de  Minerve,  un  bas-relief  de  la  villa  Albani,  et  une  coupe 
de  verre  antique  du  musée  de  Modène,  ont  été  l'objet  des  recherches 
de  deux  savants  allemands  et  d'un  célèbre  antiquaire  italien.  Dans  la 
tête  de  Minerve,  M.  Hermann  Hettner  reconnaît  Pallas  Tritogenia; 
sur  le  bas-relief  de  la  célèbre  villa  du  cardinal  Albani,  M.  C.  Bles- 
sig  voit  la  représentation  d'une  de  ces  distributions  faites  par  les 
empereurs  au  peuple,  et  nommées  communément  congiaria;  enfin,  la 
coupe  de  verre  du  musée  de  Modène  fournit  à  l'abbé  Cavedoni  l'oc- 
casion d'ajouter  un  nom  nouveau  au  catalogue  des  anciens  artistes, 
celui  d'Ennion,  lequel  Ennion  recommande  son  œuvre  aux  ache- 
teurs par  une  petite  légende  gravée  au  haut  du  vase/ 

M.  Emile  Braun,  secrétaire  de  l'Institut  Archéologique,  a  donné 
une  explication  des  bas-reliefs  qui  ornent  le  fameux  sépulcre  de  la 
ville  de  Xanthus  en  Lycie  ;  l'interprétation  de  l'habile  archéologue 
diffère  de  celle  de  M.  Panofka,  auquel  on  doit  un  mémoire  très-cu- 
rieux sur  le  même  monument;  elle  s'éloigne  du  naturalisme  mytho- 
logique de  l'antiquaire  de  Berlin,  et  se  rapproche  du  symbolisme  mo- 
ral de  l'ancienne  érudition  française.  Ainsi,  par  exemple,  les  harpies 


534  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

figurées  sur  ce  sépulcre  expriment,  selon  M.  Braun,  cette  pensée, 
que  l'homme  soit  dans  la  iieur  de  la  jeunesse  ou  comblé  de  dons  de 
la  fortune ,  ne  peut  échapper  à  la  mort. 

Investigateur  infatigable ,  M.  Welcker  saisit  toutes  les  occasions 
de  jeter  du  jour  sur  un  point  d'antiquité,  n'importe  lequel.  Aujour- 
d'hui il  nous  explique  un  bas-relief  de  la  ville  d'Oropus;  il  y  voit 
Amphiaraus  et  son  tidèle  aurige  Bâton  au  moment  où  la  terre  s'en- 
tr'ouvre  pour  les  engloutir.  Nous  n'avons  nulle  besoin  de  dire  que 
cette  dissertation  porte  tous  les  caractères  d'une  vieille  expérience 
dans  le  champ  de  l'antiquité. 

M.  H.  Keii  a  essayé  d expliquer  deux  groupes,  1  un  de  bronze  et 
l'autre  de  marbre ,  représentant  Hercule  et  la  biche  de  Diane.  L  au- 
teur abordant  la  question  mythologique,  a  combattu  les  explications 
astronomiques  de  AL  Gerhard,  et  vu  dans  cet  hercule  dont  l'archéo- 
logue de  Berlin  fait  un  dieu  solaire ,  une  divinité  de  la  course  et  de 
la  lutte. 

On  doit  savoir  gré  à  M.  H.  Brunn  d'avoir  songé  à  illustrer  le  beau 
sarcophage  découvert  assez  récemment  par  les  soins  de  M.  Campana 
dans  les  environs  de  Tivoli.  Ce  monument,  que  nous  avons  eu  occa- 
sion d'admirer  à  Kome ,  reproduit ,  ce  qui  n'est  pas  très-commun 
parai  ceux  de  ce  genre,  un  acte  de  la  vie  réelle,  une  scène  de  ma- 
riage. Mais  cette  représentation  prend  ici  un  caractère  tout  poétique, 
parlaitement  en  rapport  avec  les  épithaiames  de  Claudien  et  des  écri- 
vains de  même  sorte:  c'est  ce  que  M.  Brunn  met  très-bien  en  lu- 
mière. 

Les  études  céramographiques  sont  représentées  dans  ce  volume 
avec  un  certain  éclat:  nous  indiquerons  un  mémoire  de  Al.  Emile 
Braun  sur  un  vase  du  musée  de  Paierme,  où  1  on  voit  Silène  et  Midas. 
M.  J.  Louis  Ussing  s'est  chargé  d'interpréter  les  peintures  qui  déco- 
rent un  vase  de  lEtrurie ,  dans  lesquelles  il  reconnaît  le  triomphe 
d'Hercule  et  dlolaûs.  Un  vase  du  musée  de  Berlin  reproduit,  selon 
M.  Panoîka,  le  combat  de  Diomède  contre  les  Messaptens .  Le  môme 
savant  trouve  les  images  de  la  Persuasion  et  de  la  Grâce,  Pitlw  et 
Charis,  sur  une  hydne  de  Nola.  iiuhn,  nous  devons  sigualer  une 
longue  dissertation  de  M.  Ludoifo  Stephaui ,  concernant  un  vase  de 
Lentini.  Le  savant  archéologue  voit  ici  un  sujet  assez  rare,  une 
scène  empruntée  à  quelque  comédie  antique ,  dont  Hercule  et  Auge 
auraient  été  les  principaux  personnages. 

La  numismatique  n'occupe,  dans  le  XVIe  volume  des  slnnales, 
qu'une  place  très-restreinte,  Nous  ne  pouvons  citer  qu'une  notice  de 


BIBLIOGRAPHIE.  535 

M.  G.  Friedlaender,  concernant  une  nouvelle  monnaie  autonome  ;  ii 
s'agit  d'une  médaille  trouvée  dans  la  Russie  méridionale ,  qu'il  attri- 
bue à  la  ville  de  Cercine,  dans  la  Chersonèse  taurique. 

Nous  arrivons  à  l'épigraphie:  deux  mémoires ,  l'un  de  M.  Henzen, 
l'autre  du  professeur  Matranga  ,  en  font  les  frais.  Le  travail  de 
M.  Henzen  intitulé  de  Tabula  alimentaria  Bœbianorum  est  très- 
important  et  très-curieux.  Il  s'agissait  d'interpréter  une  inscription 
sur  une  table  de  bronze  trouvée  il  y  a  quelques  années  à  Campolati 
près  de  Bénevent.  Cette  inscription,  relative  à  l'une  des  libéralités  de 
Trajan  en  faveur  des  Liguriens  réduits  à  l'indigence,  est  expliquée  et 
complétée  par  l'auteur  de  manière  à  lui  mériter  les  suffrages  de  tous 
lesérudits;  nous  croyons  aussi  qu'il  a  quelque  droit  aux  éloges  de  ceux 
qui  étudient  l'histoire  de  la  charité  publique  chez  les  Romains.  Le 
mémoire  de  M.  le  professeur  Matranga  est  d'un  intérêt  moins  géné- 
ral, mais  plus  littéraire.  L'auteur  a  retrouvé,  sur  une  tuile  conservée 
dans  le  musée  de  Syracuse ,  l'anlistrophe  de  la  VIe  olympique  de 
Pindare.  C'est  une  petite  découverte  ,  mais  qui  n'en  doit  pas  moins 
piquer  la  curiosité  des  philologues ,  puisque  l'inscription  offre  une 
variante  que  n'indiquent  point  les  manuscrits. 

Il  nous  reste  à  dire  un  mot  au  sujet  des  observations  de  M.  H. 
Brunn  sur  le  dernier  ouvrage  d'un  célèbre  antiquaire  français ,  inti- 
tulé :  Lettres  à  M.  Schorn ,  Supplément  au  Catalogue  des  Artistes  de 
V antiquité  grecque  et  romaine,  par  M.  Raoul  Rochette.  Il  y  a  des  li- 
vres malheureux  ,  et  celui  que  nous  citons  est  du  nombre.  Les  lec- 
teurs de  la  Revue  connaissent  les  critiques  dont  les  Lettres  à  M.  Schorn 
ont  été  l'objet  de  la  part  d'un  philologue  éminent;  et  voilà  que  du 
fond  de  l'Allemagne  ou  de  l'Italie  un  autre  érudit  adresse  à  M.  Raoul 
Rochette  des  reproches  non  moins  vifs  à  propos  de  quelques  erreurs 
fort  peu  pardonnables.  On  a  beau  se  souvenir  de  la  prodigieuse  acti- 
vité de  M.  Raoul  Rochette,  des  services  incontestables  rendus  par  lui 
à  l'archéologie,  on  ne  peut  méconnaître  la  justesse  des  remarques  de 
l'antiquaire  allemand.  La  franchise  de  M.  H.  Brunn  est  empreinte  de 
rudesse  germanique  ;  mais  la  vérité  nous  contraint  d'avouer  qu'il  est 
difficile  de  connaître  mieux  que  lui  l'histoire  des  artistes  anciens  ,  et 
toutes  les  questions  qui  peuvent  s'y  rattacher. 

Deux  morceaux  fort  remarquables  terminent  ce  XVIe  volume. 
Nous  devons  le  premier  à  la  plume  de  M.  Th.  Mommsen.  L'auteur 
traite  ici  sous  forme  d'observations  une  de  ces  questions  de  topogra- 
phie, sujet  éternel  de  controverse  entre  les  antiquaires.  11  récherche 
quel  était  dans  le  forum  l'emplacement  des  comices  ;  il  veut  retrou- 


536  REVUE   ARGHÉOLOGIQUE. 

ver  les  vestiges  du  temple  de  Janus.  Nous  devons  le  dire,  l'auteur 
apporte  un  soin  minutieux  à  débattre  ces  divers  points  ;  et  comme  il 
déploie  beaucoup  de  science,  nous  serions  tenté  de  lui  donner  raison, 
s'il  n'était  pas  téméraire  de  rien  affirmer  en  pareil  cas  ;  car  on  sait 
que  les  monuments  du  forum  romain,  comme  ceux  qui  l'environnent, 
changent  de  nom  et  de  destination  tous  les  dix  ans. 

Une  lettre  du  comte  Borghesi  au  docteur  Henzen  forme  le  second 
article.  Il  s'agissait  de  restituer  le  nom  d'un  personnage  désigné 
seulement  dans  le  chapitre  116  de  YHistoire  de  Velleius  Paterculus, 
par  un  titre  honorifique.  M.  le  comte  Borghesi  suppose  que  cet  in- 
connu doit  être  un  certain  JEYms  Lamia  qu'Horace  dépeint  dans  une 
de  ses  odes  comme  un  ami  des  muses.  Le  nom  de  M.  Borghesi  nous 
donne  toute  confiance  dans  cette  résurrection  historique. 

Le  XVIIe  volume  des  Annales ,  publié  par  la  section  française , 
n'offre  pas  moins  d'attrait  à  la  curiosité  que  celui  dont  nous  venons 
de  rendre  compte.  Si  nous  suivons  l'ordre  adopté  dans  notre  précé- 
dente analyse,  nous  devons  signaler  dès  l'abord  quelques  observations 
fort  curieuses  et  fort  bien  présentées  par  M.  Le  Bas.  Au  sujet  de 
deux  bas- reliefs  votifs  de  Gortyne  et  d'Athènes.  Nous  citerons  en- 
suite un  mémoire  de  M.  Lenormant  sur  une  statuette  de  bronze 
que  cet  antiquaire  considère  comme  le  génie  de  la  tragédie  en  ap- 
puyant cette  opinion ,  à  défaut  de  textes ,  sur  la  comparaison  ingé- 
nieuse de  divers  monuments  figurés.  Pour  ne  rien  omettre  d'impor- 
tant nous  indiquerons  une  note  de  M.  le  duc  de  Luynes  sur  un 
bronze  représentant  un  nègre.  Ce  monument ,  publié  par  Caylus , 
mais  d'une  manière  inexacte,  a  été  trouvé  à  Châlons-sur-Saône  vers 
la  fin  du  siècle  dernier. 

Dans  ce  volume  comme  dans  le  précédent ,  les  vases  peints  ont 
fourni  ample  matière  aux  recherches  des  savants  rédacteurs  des  An- 
nales. Nous  trouvons  dès  les  premières  pages  les  conclusions  d'un 
mémoire  de  M.  le  duc  de  Luynes  concernant  les  Harpies.  La  vue 
d'un  vase  athénien  représentant  ces  monstres  emplumés  expulsés  du 
palais  de  Phinée  a  suggéré  ce  travail  à  l'habile  antiquaire.  Les  opi- 
nions de  M.  le  duc  de  Luynes  sur  la  mythologie  peuvent  être  discu- 
tées ;  mais  ce  qu'on  ne  peut  lui  refuser,  c'est  la  connaissance  appro- 
fondie des  monuments  figurés.  Un  vase  de  la  Lucanie  a  donné 
occasion  à  un  savant  napolitain,  M.  Gargallo,  de  disserter  sur  le 
mvthe  d'Amymone  et  de  Neptune;  et  plusieurs  autres  vases  ont 
fourni  à  M.  Panofka  le  sujet  de  trois  opuscules ,  intitulées  :  Diony- 
sus  et  les  Cabires,  Marsyas  et  Olympus ,  et ,  enfin ,  Athéné  Memnon. 


BIBLIOGRAPHIE.  537 

Dans  ce  dernier  écrit ,  le  célèbre  archéologue  de  Berlin  émet  une 
opinion  difficile  à  justifier  ;  il  croit  pouvoir  retrouver  sur  deux  vases, 
l'un  de  Nola  et  l'autre  de  Vulci ,  l'image  ou  plutôt  le  type  grec  de 
cette  Minerva  memor,  qui  n'est  connue  que  par  plusieurs  inscrip- 
tions latines.  M.  Roulez  est  un  antiquaire  laborieux  auquel  on 
doit  une  très-bonne  dissertation  sur  une  peinture  représentant  les 
fureurs  de  Lycurgue.  Quant  à  M.  de  Longpérier,  il  s'est  fort  bien 
acquitté  d'une  tâche  difficile,  celle  d'expliquer  un  vase  du  musée 
de  Naples  représentant  Bellérophon  ;  car  la  scène  est  disposée  de 
manière  qu'on  ne  sait  si  le  héros  reçoit  de  Prœtus  les  tablettes  qui 
doivent  lui  être  si  fatales ,  ou  bien  si  c'est  à  lobâtes  qu'il  les  remet. 
Nous  retrouvons  dans  ce  volume  un  mémoire  de  M.  Welcker,  fait 
avec  cette  conscience  allemande  qui  recueille  tout  et  s'éclaire  des  lu- 
mières de  la  plus  vaste  érudition.  A  l'occasion  d'un  vase  de  Pistici 
dans  la  Basilicate ,  sur  lequel  on  voit  d'un  côté  le  Jugement  de  Paris, 
et  de  l'autre  Ulysse  évoquant  l'ombre  de  Tire'sias,  ce  savant  passe  en 
revue  tous  les  jugements  de  Paris  connus  jusqu'à  ce  jour.  Dans  cet 
examen ,  il  donne  une  nouvelle  preuve  de  son  habileté  à  tirer  parti 
de  la  comparaison  des  textes  aux  monuments. 

Les  limites  de  cette  analyse  sont  bien  étroites  ;  aussi  avons-nous 
le  regret  de  ne  pouvoir  indiquer  qu'en  passant  une  nouvelle  explica- 
tion d'un  des  plus  beaux  et  des  plus  curieux  miroirs  étrusques  du  mu- 
sée grégorien.  Cette  explication,  qui  est  la  troisième,  si  je  ne  me 
trompe ,  à  laquelle  ce  monument  a  donné  naissance ,  appartient  à 
M.  Panofka.  L'ingénieux  archéologue  reconnaît  sur  ce  miroir  Apollon 
faisant  à  Neptune  cession  de  Vile  de  Calaurie.  Nous  avons  encore  à 
signaler  les  recherches  de  M.  de  La  Saussaye  concernant  des  monnaies 
gauloises ,  celles  des  Éduens ,  et  un  excellent  mémoire  de  M.  Le- 
tronne,  intitulé  :  Observations  philologiques  et  archéologiques  sur 
l'étude  des  noms  propres  grecs ,  suivies  de  iexamen  particulier  d'une 
famille  de  ces  noms.  Le  savant  académicien  s'est  proposé,  dans  ce 
mémoire ,  de  prouver  que  l'étude  des  noms  propres  grecs  pouvait 
rendre  de  grands  services  non  point  seulement  à  l'histoire  et  à  la 
géographie,  mais  à  l'archéologie  ,  en  servant  à  rectifier  les  légendes 
des  médailles ,  et  à  mieux  lire  les  inscriptions.  M.  Letronne  possède 
un  mérite  rare ,  c'est  d'avoir  introduit  dans  l'érudition,  à  une  époque 
où  les  théories  les  plus  hasardées  menacent  l'étude  de  l'antiquité, 
cette  précision  rigoureuse,  cette  logique  sévère  qui  paraissaient  n'ap- 
partenir jusqu'ici  qu'aux  sciences  naturelles.  C'est  un  de  ces  es- 
prits pour  lesquels  la  vérité  est  un  besoin,  que  les  paradoxes  irritent, 
III.  35 


538  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

et  qui  les  combat  avec  une  verve  et  un  talent  de  style  peu  communs 
chez  les  érudits. 

En  terminant,  nous  signalerons  un  mémoire  :  Sur  V origine  et  la 
signification  de  la  croix  ansée ,  par  M.  Lajard ,  et  les  Recherches  de 
M.  de  Saulcy  sur  les  inscriptions  votives,  phéniciennes  et  puniques.  Le 
travail  de  M.  Lajard  est  en  quelque  sorte  le  complément  de  la  dis- 
cussion survenue  entre  M.  Raoul  Rochette  et  M.  Letronne  au  sujet 
de  ce  symbole.  M.  Letronne  considère  la  croix  ansée  comme  parti- 
culière à  l'Egypte.  M.  Lajard ,  ainsi  qu'on  pouvait  s'y  attendre ,  la 
fait  venir  de  l'Asie  :  c'est,  dit-il,  la  reproduction  abrégée  et  linéaire  de 
la  triade  divine.  Voilà  une  découverte  dont  nous  féliciterons  le  savant 
auteur  si  jamais  elle  parvient  à  être  suffisamment  établie.  Le  mé- 
moire de  M.  de  Saulcy  renferme  de  précieux  documents.  On  s'étonne 
quand  on  voit  M.  de  Saulcy,  dont  on  connaît  l'esprit  si  vif,  l'heu- 
reuse et  souple  intelligence,  traiter  avec  tant  de  patience  et  de  scru- 
pule des  sujets  d'une  aridité  désolante.  C'est  un  véritable  service 
rendu  à  la  science ,  et  dont  les  amis  de  l'épigraphie  phénicienne  et 
punique  doivent  lui  savoir  un  gré  infini. 

La  partie  critique  du  XVIIe  volume  des  Annales  se  compose  d'une 
lettre  de  M.  Otto  Jahn  à  M.  de  Witte,  de  la  réponse  de  M.  de  Witte, 
et  d'une  lettre  adressée  à  ce  dernier  par  M,  Lenormant.  Le  mythe 
d'Adonis  fait  le  fond  de  cette  discussion.  L'habile  antiquaire  al- 
lemand reproche  à  M.  de  Witte  de  voir  trop  généralement  dans  les 
peintures  de  vases  et  dans  d'autres  monuments  qui  représentent  un 
couple  amoureux  ,  l'union  de  Vénus  et  de  son  amant.  M.  de  Witte 
se  défend,  et,  pour  mieux  combattre,  il  appelle  à  son  secours  ce 
qu'il  nomme  Y  euphémisme  grec.  Il  entend  par  là  ces  allusions  délicates 
aux  idées  de  mort  que  la  fable  d'Adonis,  à  la  fois  erotique  et  funèbre, 
exprimait  d'une  manière  si  heureuse. 

Dans  !a  lettre  qu'il  adresse  à  M.  de  Witte,  M.  Lenormant  tente 
une  nouvelle  explication  des  peintures  examinées  par  cet  antiquaire 
et  par  M.  Jahn.  11  défçnd  l'interprétation  qu'il  a  donnée  d'un  vase 
de  la  collection  Durand  sur  lequel  il  reconnaît  :  Bacchus,  Orphée  et 
Prosymnus  auprès  de  Vénus  et  d'Adonis.  Si  les  idées  qu'il  émet  peu- 
vent paraître  hasardées,  voici  du  moins  comment  il  se  justifie  :  a  Je 
me  serai  compromis  peut-être,  dit-il,  mais  j'aurai  excité  à  la  re- 
cherche et  à  la  discussion;  et  je  ne  crois  pas  qu'il  en  soit  de  même 
des  savants  qui,  plus  prudents  que  moi,  aiment  mieux  rester  en  deçà 
de  la  vérité  que  d'aller  au  delà.  » 

H  y  a  dans  lesdeux  volumes  que  nous  annonçons  beaucoup  d'éra* 


BIBLIOGRAPHIE.  639 

dition,  quelques  idées  nouv  elles  et  des  monuments  inédits  ;  en  un  mot, 
tout  ce  qu'il  faut  pour  contribuer  au  progrès  des  bonnes  et  saines 
éludes  archéologiques.  Nous  n'avons  pas  besoin  d'en  dire  davantage 
pour  inspirer  aux  lecteurs  de  la  Revue  le  désir  de  les  lire. 

0. 

ViRGixirjs  natjticus,  examen  des  passages  de  ï Enéide  qui  ont  trait 
à  la  marine,  par  M.  Jal,  historiographe  de  la  marine,  auteur  de 
{'Archéologie  navale.  Paris,  1843,  in-8. 

Le  titre  latin  de  cet  opuscule  pourrait  prévenir  défavorablement 
le  lecteur  sur  les  connaissances  de  M.  Jal  en  fait  de  latinité  classique, 
mais  une  telle  prévention  serait  injuste.  A  lire  l'ouvrage  on  s'aper- 
çoit bien  que  l'auteur  connaît  à  merveille  la  langue  de  Virgile  et 
qu'il  l'a  seulement  oubliée  un  instant  par  amour  de  la  brièveté. 
L'objet  qu'il  se  propose  est  assez  piquant  et  assez  neuf.  Virgile  était 
un  peintre  de  la  nature,  ses  traducteurs  sont  ordinairement  des  écri- 
vains de  cabinet.  Ce  que  Virgile  a  vu ,  ses  traducteurs  ne  le  connais- 
sent que  par  ouï  dire  ;  de  là  vient  que  souvent  ils  comprennent  mal 
dans  le  poëte  certains  détails  techniques  et  remplacent  par  des  syno- 
nymes inexacts ,  par  des  périphrases  plus  ou  moins  mensongères  le 
mot  propre  dont  il  s'était  servi.  Cela  est  surtout  sensible  en  ce  qui 
touche  à  la  marine.  Virgile,  selon  son  vieux  biographe,  est  resté 
sept  ans  à  Naples,  écrivant  les  Géorgiques,  puis  onze  ans  en  Sicile, 
dans  la  Campanie,  composant  Y  Enéide.  Ce  sont  dix-huit  années 
pendant  lesquelles  il  n'a  cessé  de  voir  des  vaisseaux,  des  manœuvres 
de  mer,  et  sans  doute,  avant  de  s'embarquer  en  Grèce,  il  avait  plus 
d'une  fois  cédé  à  la  tentation  de  visiter  dans  tout  leur  détail  quelques- 
uns  de  ces  navires  élégants  et  agiles  où  l'art  romain  égalait,  s'il  ne 
surpassait  pas  celui  des  Grecs  et  des  Carthaginois.  Enlin  le  voyage 
du  poëte  en  Orient,  voyage  précisément  entrepris  pour  achever 
ï  Enéide,  dut  perfectionner  son  éducation  nautique;  d'où  il  faut  con- 
clure, selon  M.  Jal,  que  Virgile  n'a  pu  parler  légèrement  de  choses 
qu'il  savait  si  bien,  et  que  dans  toutes  les  descriptions  qu'il  a  faites  d'un 
navire  et  de  ses  manœuvres,  dans  toutes  ses  allusions  aux  travaux 
de  la  marine,  on  doit  trouver,  malgré  les  exigences  de  la  forme 
poétique ,  une  rigoureuse  exactitude.  Chez  lui  puppis  doit  toujours 
signifier  la  poupe,  c'est-à-dire  l'arrière  du  vaisseau,  prora,  la  proue, 
c'est-à-dire  l'avant  ;  carina,ce  qu'on  appelle  proprement  la  carène,  etc. 
Or  cette  précision  savante  disparaît  presque  toujours  dans  les  para* 


540  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

phrases,  comme  celle  du  père  La  Rue,  dans  les  traductions  en  vers, 
en  quelque  langue  qu'elles  soient  écrites.  A  cet  égard  M.  Jal  n'épargne 
pas  même  la  merveilleuse  traduction  allemande  de  Voss.  La  plupart 
de  ses  critiques  sont  aussi  justes  qu'ingénieuses.  Quand  Virgile  écrit, 
par  exemple  : 

Obvertunt  pelago  proras et  littora  curva» 

Prœtexunt  puppes , 

quand  il  nous  peint  Hector  : 

Danaum  Phrygios  jaculatus  puppibus  ignés, 

il  est  évident  que  remplacer  dans  ces  passages puppis  par  navis,  le  tra- 
duire vaguement  par  vaisseaux,  c'est  en  altérer  ou  même  détruire  le 
sens  de  l'original.  Mais  dans  cet  autre  vers  d'un  discours  de  Junon 
{Enéide,  I,  73): 

Incute  vim  ventis  submersasque  obrue  puppes, 

peut-on  dire  que  naves  serait  mal  employé  à  la  place  de  puppes? 
«  Junon  voulant  que  les  poupes  renversées  soient  submergées ,  abî- 
mées ,  brisées,  et  ne  puissent  revenir  à  la  surface  des  ondes,  parce 
que  c'est  à  l'arrière  des  navires  que  sont,  les  Pénates  (?)  et  les  chefs 
des  Troyens  ,  c'est-à-dire  tout  Ilion  qu'Énée  porte  en  Italie  : 

llium  in  Italiam  portons  victosque  Pénates.  (P.  23.  j  » 

Si ,  dans  le  second  livre ,  Anchise ,  après  l'embarquement  de  tous  les 
siens ,  se  tient  debout  celsa  in  puppi,  pour  offrir  aux  dieux  des  prières 
et  des  libations ,  est-ce  parce  que  «  la  poupe  est  la  place  d'honneur, 
celle  qu'il  doit  occuper,  et  en  ce  moment  plus  que  jamais,  puisque, 
s'il  fait  un  sacrifice  aux  dieux  de  la  mer  et  des  tempêtes ,  il  en  fait  en 
même  temps  un  aux  divinités  de  la  terre,  et  qu'il  faut  (?)  qu'en  tom- 
bant de  la  coupe  des  libations  le  vin  touche  à  la  fois  le  rivage  et 
l'onde  qui  le  baigne?  »  (P.  30.)  J'accorde  que  Virgile  aime  en  général 
peindre  fidèlement  les  objets;  mais  enfin  c'est  un  poëte ,  et  je  ne  puis 
me  résigner  à  lui  attribuer  en  toute  occasion  ces  subtiles  recherches 
d'exactitude;  je  veux  bien  qu'on  l'appelle  un  poëte  exact,  mais  non  pas 
un  homme  spécial.  Qu'on  y  prenne  garde  d'ailleurs,  quelquefois  ces 
calculs  dont  on  lui  fait  honneur,  pourraient  bien  tourner  aussi  à  sa 
confusion.  «  Beroë,  dit,  à  la  p.  32,  M.  Jal,  conseille  aux  Troyennes 
d'incendier  les  navires  de  leurs  époux  (  1.  V,  v.  635);  et  ce  sont  les 
infauslas puppes  qu'elle  les  engagea  brûler  d'abord,  tant  parce  que  les 
poupes  sont  approchées  du  rivage ,  que  parce  qu'elles  recèlent  des 


BIBLIOGRAPHIE.  541 

dieux  qui  les  ont  trompées,  des  dieux  funestes  (infauslos).  Mais 
Jupiter  sauve  les  poupes  à  demi-brûlées  en  les  inondant  d'une  pluie 
abondante ,  implenlurque  super  puppes.  —  Vénus ,  priant  Neptune 
d'être  favorable  à  son  fils,  entre  autres  cruautés  de  Junon,  lui  raconte 
les  poupes  brûlées  par  les  femmes  troyennes  ;  ces  poupes  où  étaient 
ses  images  avec  celles  des  dieux  de  Troie  (?),  et  auxquelles  Iris  s'est 
acbarnée  peut-être  pour  cette  seule  raison.  »  Mais  que  veulent  donc 
les  Troyennes?  rester  en  Sicile  et  mettre  fin  à  tant  de  périlleux 
voyages.  Pour  cela  il  faut  brûler  les  vaisseaux,  non  pas  seulement 
la  poupe  ou  la  proue  des  vaisseaux ,  ce  qui  serait  un  jeu  puéril  ; 
aussi  est-ce  bien  les  vaisseaux  tout  entiers  que  désigne  le  poëte,  dans 
la  suite  du  même  récit ,  par  ces  variantes  et  ces  périphrases  : 

At  maires ,  primo  ancipites  ,  oculisque  malignis 
Ambiguae  spcctare  raies  ,  miserum  inlcr  amorcm 
Praesentis  terrae  falisque  vocantia  régna. 

.  .  .  Furit  immissis  Vuicanus  habenis 
Transira  per  et  remos  et  pictas  abiete  puppes. 

Incensas  perfert  naves  Eumelus.... 

Udo  sub  robore  vivit 

Sluppa,  vomens  tardum  fumum  ,  lentusque  carinas 
Est  vapor  et  tolo  descendit  corpore  pestis. 

Et  l'hémistiche  implenturque  super  puppes  est  suivi  de  ces  mots  signi- 
ficatifs : 

.     .     .     .    Semiusta  madescunt 

Robora ,  restinctus  donec  vapor  omnis ,  et  omnes, 

Quatuor  amissis ,  servatae  a  peste  carinœ. 

On  pourrait  relever  dans  le  Virgilius  nauticus  plusieurs  traits  du 
même  genre.  M.  Jal  est  avant  tout  un  très-habile  archéologue  ;  et 
bien  qu'il  se  montre  animé  d'un  vif  sentiment  des  beautés  poétiques  de 
Y  Enéide ,  c'est  surtout  au  point  de  vue  de  l'archéologie  qu'il  a  étudié 
ce  poème.  Dès  lors  il  est  difficile  qu'il  n'ait  pas  quelquefois  prêté  à 
Virgile  des  intentions  qui  lui  sont  plus  ou  moins  étrangères.  Mais  cet 
inconvénient  note  rien  au  mérite  solide  de  ses  recherches,  qui  reste- 
ront comme  un  fort  bon  chapitre  d'archéologie  navale.  Nous  recom- 
manderons surtout  au  lecteur  les  dernières  pages  et  les  notes ,  pleines 
de  discussions  et  de  rapprochements  curieux.  En  général ,  de  telles 
monographies  sont  utiles  au  progrès  de  la  science  ;  elles  éclairent 
la  critique  des  traducteurs  et  des  interprètes  ;  elles  préparent  les 
matériaux  à  ceux  qui  veulent  rédiger  avec  suite  l'histoire  des  arts 
dans  l'antiquité.  E. 


542  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Den  Boom  van  Jessé ,  eene  muurschilderij  uit  de  XV  eeuw  in  âe 
Buurkerk  te  TJlrecht,  beschreven  en  opgehelderd,  doorL.  F.  Jans- 
sen. Utrecht,  1846. 

L'Arbre  de  Jessé,  peinture  murale  du  XVe  siècle  de  l'église  dite 
Buurkerk,  à  Utrechf,  décrite  par  L.  F.  Janssen. 

Le  savant  conservateur  du  Musée  des  Antiquités  de  Leyde  , 
M.  Janssen,  vient  de  publier  cette  brochure  que  nous  jugeons  utile 
d'annoncer  aux  lecteurs  de  la  Reçue,  attendu  qu'elle  se  rapporte  â 
un  sujet  que  nous  avons  traité  dans  un  des  numéros  de  Tannée 
1844.  Comme  cette  dissertation  est  écrite  en  hollandais,  langue  qui 
n'est  pas  familière  à  la  majeure  partie  des  archéologues  français , 
nous  pensons  leur  rendre  service ,  en  mettant  sous  les  yeux  l'analyse 
des  faits  qui  y  sont  consignés. 

L'église  d'Utrecht,  appelée  Buurkerk  ,  est  dédiée  à  la  Vierge,  et 
porte  le  nom  de  Sainte -Marie-Mineure,  H.  Maria  de  Mindere,  mais 
on  lui  a  imposé  vulgairement  le  sobriquet  de  Buurkerk  (Ecclesia 
civilis  ou  popularis) ,  parce  qu'elle  fut  longtemps  le  lieu  de  réunion 
du  conseil  de  la  ville  qui  y  rendait  ses  ordonnances  ou  plébiscites 
(Buurspraken.) 

Sur  la  muraille  méridionale  de  cette  église ,  se  trouvent  les  restes 
d'une  peinture  à  fresque,  fort  curieuse ,  représentant  le  sujet  célèbre 
de  l'arbre  de  Jessé  ou  de  la  généalogie  de  la  Vierge.  Les  dimensions 
du  tableau  sont  de  5el,07  de  hauteur ,  et  de  4el,52  de  largeur. 
Les  figures  sont  un  peu  plus  grandes  que  nature,  proportion  néces- 
saire pour  que  les  personnages  parussent  de  taille  naturelle,  le  tableau 
étant  élevé  de  3e,,45  au-dessus  du  sol. 

Retrouvée  par  hasard,  en  1840,  cette  peinture  a  été  restaurée  par 
les  soins  de  l'ancien  bourguemestre ,  feu  Van  Asch  van  Wijck ,  et, 
depuis,  soigneusement  conservée.  Elle  est  actuellement  préservée  par 
un  rideau  qui  ne  se  tire  que  pour  les  étrangers.  Malheureusement , 
le  temps  avait  déjà,  lors  de  la  découverte,  fortement  endommagé 
diverses  parties. 

Voici  la  description  qu'en  donne  M.  Janssen  : 

Jessé  repose  sur  un  lit  de  couleur  jaune,  dans  une  salle  tendue  en 
bleu,  percée  de  fenêtres  à  plein  cintre,  et  carrelée  de  carreaux  vert- 
clair  ou  sombre.  Sa  tète  est  coiffée  d'une  toque  ronde  ,  de  couleur 
rouge,  comme  sa  tunique  de  dessous.  Son  manteau  et  les  couver- 


BIBLIOGRAPHIE.  543 

tore*  du  lit  sont  bleu-clair ,  semé  de  taches  brunes.  Le  nom  de 
Jessé,  qui  se  lit  au-dessus  de  la  tête  de  ce  personnage  endormi ,  ne 
laisse  aucun  doute  sur  son  identité  avec  le  père  de  David.  Au 
sommet  de  l'arbre  qui  sort  de  son  côté  droit,  est  la  Vierge  debout , 
portant  l'Enfant  Jésus.  Sa  tête  est  ceinte  d'une  couronne  formée  de 
trèfles  ou  de  lis  d'or,  et  surmontée  d'une  auréole  de  la  même  couleur. 
La  tunique  qu'elle  porte  est  bleu  de  ciel,  et  son  manteau  de  la  même 
nuance  que  celui  de  Jessé.  Le  petit  Jésus  est  revêtu  de  la  pourpre 
royale,  et  ce  riche  vêtement  laisse  apercevoir  dessous  une  tunique 
verte.  La  tête  du  Dieu-Enfant  est  ceinte  de  rayons  lumineux.  Les 
figures  des  rois ,  ancêtres  de  Marie ,  sont  disposées  symétriquement 
sur  les  deux  rameaux  de  l'arbre  qui  se  bifurquent  eux-mêmes  , 
chacun ,  au  sortir  du  tronc  dont  ils  s'échappent.  L'artiste  n'a  repré- 
senté que  les  bustes  de  ces  personnages  qu'il  a  placés  dans  des  espèces 
de  fenêtres  ou  de  niches.  Chacun  d'eux  porte  la  couronne  et  le 
sceptre,  emblème  de  la  royauté.  David  seul  n'a  point  été  posé  sur 
la  tige  généalogique ,  et  il  est  peint  assis  et  jouant  de  la  harpe  au 
chevet  de  Jessé.  Une  portion  de  sa  figure  est  effacée.  Il  en  est  de 
même  des  figures  de  Salomon,  de  Roboam  et  de  Joram.  Le  vètemeot 
varie  de  couleur  pour  chacun  d'eux ,  mais  dans  la  distribution  qu'il 
a  adoptée,  le  peintre  paraît  n'avoir  consulté  que  son  goût  ou  son 
caprice ,  et  nullement  les  règles  du  symbolisme  iconologique. 

Tout  cela  est  peint,  non  pas  à  l'huile,  mais  en  détrempe.  M.  Janssen 
soupçonne  que  l'on  a  pu  employer  aussi  pour  la  préparation  des 
couleurs,  la  gomme,  le  miel,  le  jaune  d'œuf,  et  peut-être  même  le 
vin.  Le  vernis  qui  recouvrait  l'aire  du  tableau,  a  disparu,  par  l'effet 
du  grattage  du  miur. 

Il  eût  été  à  souhaiter  que  la  planche  jointe  à  la  dissertation ,  ne 
nous  offrît  pas  qu'un  trait  fort  imparfait ,  et  qu'elle  eût  reproduit 
les  couleurs  qui  contribuent  puissamment  à  l'intérêt  de  cette  fresque. 

Le  nom  des  rois  figurés  étant  inscrits  près  d'eux  sur  des  phylac- 
tères ou  banderolles  ,  cette  circonstance  fait  disparaître  la  difficulté 
d'identifier  chacun  d'eux  à  l'un  des  ancêtres  de  la  Vierge,  difficulté 
qui  nous  avait  embarrassé  dans  la  notice  que  nous  avons  rap- 
pelée plus  haut.  Nous  retrouvons  parmi  ces  noms  celui  de  Salomon, 
que  nous  avions  supposé ,  avec  raison ,  devoir  être  au  nombre  des 
aïeux  que  l'artiste  avait  représentés.  Mais  celui  de  Sadoc  n'y  paraît  pas , 
ce  qui  rend  probable  l'absence  de  ce  docteur  tant  soit  peu  hérétique 
sur  la  boiserie  de  M.  Gallois.  La  place  toute  particulière  qu'occupe 
le  roi  David,  assis  et  jouant  de  la  harpe,  au  chevet  du  lit  de  Jessé , 


544  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

donne  a  penser  que,  sur  cette  boiserie,  le  monarque  devait  occuper 
une  place  analogue ,  et  que  le  défaut  d'espace  a  empêché  ,  une  fois 
le  reste  du  sujet  déjà  exécuté,  de  l'introduire  sur  le  premier  plan. 
Cette  supposition  expliquerait  son  absence  sur  l'arbre  symbolique  de 
M.  Gallois.  Car,  comme  le  roi-prophète  ne  paraît  jamais  sans  sa 
harpe  caractéristique ,  on  a  lieu  de  penser  qu'il  n'est  pas  compris 
parmi  les  rois  représentés. 

Les  noms  font  aussi  voir  que,  dans  l'impossibilité  où  le  défaut 
d'espace  suffisant  le  mettait  de  figurer  ces  vingt -huit  ou  deux 
fois  quatorze  générations,  l'artiste  n'a  peint  que  la  première  moitié, 
celle  qui  va  jusqu'à  l'époque  de  la  captivité  à  Babylone. 

La  manière  dont  la  tige  sort  de  la  région  subthoracique  du  corps 
de  Jessé  est  tout  à  fait  conforme  à  la  prescription  que  donne  Denys, 
moine  de  Fourna  d'Agrapha,  dans  son  Guide  de  la  Peinture-,  qui  a 
été  traduit  par  le  docteur  Paul  Durand,  conformité  que  l'on  ne 
remarque  pas  partout ,  ainsi  que  l'a  fait  remarquer  M.  Didron ,  dans 
ses  notes  sur  cet  ouvrage  (l). 

Dans  la  fresque  de  Buurkerk ,  aux  pieds  de  Jessé ,  sont  deux  per- 
sonnages à  genoux ,  ayant  près  d'eux  l'écusson  blasonné  à  leurs  ar- 
moiries. Tout  le  monde  reconnaîtra  en  eux,  avec  M.  Janssen,  le 
couple  qui  fait  hommage  de  cette  peinture  à  la  Vierge.  C'est  un 
homme  et  une  femme.  Le  premier  a  la  tète  nue  ;  il  porte  un  man- 
teau noir,  et  une  épée  courte  engainée  d'or  est  suspendue  à  sa  cein- 
ture; la  seconde  a  le  chef  recouvert  d'un  capuchon.  Ces  deux  figures 
sont  plus  petites  que  les  autres.  Au-dessous,  on  lit: 

IN  'T  JAER  ONS  HERE  MCCCC  EN  L...  SINTE  MATHEUS  DACH 
STERF   GI1ERTRUT.    FLORES.    OTTE...  WYF.  RIT  VOR  DE  S1EL. 

C'est-à-dire  :  En  Van  de  Notre-Seigneur  mcccc.  l..,  le  jour  de 
saint  Matthieu,  mourut  Gertrude  Flores,  femme  de  Othon.  Priez 
pour  son  âme. 

Cette  inscription  fait  supposer  qu'Othon  avait  perdu  Gertrude  lors- 
qu'il fit  faire  cette  peinture  en  l'honneur  de  Marie  et  pour  le  salut 
de  l'âme  de  sa  compagne.  Mais  il  a  voulu  placer  à  ses  côtés  celle 
aux  prières  célestes  de  laquelle  il  se  joignait  sur  la  terre. 

M.  Janssen  a  vainement  parcouru  tout  l'armoriai  des  Pays-Bas , 

(1)  M.  Didron  cite  notamment  une  bible  historiaie  qui  est  à  la  bibliothèque  pu- 
blique de  Reims  où  l'arbre  sort  de  la  bouche  du  patriarche,  une  bible  latine  ,  dans 
laquelle  le  tronc  sort  du  crâne.  Voy.  Ouv.  cil.,  p.  164. 


BIBLIOGRAPHIE.  545 

il  n'a  pu  y  découvrir  à  qui  appartenaient  les  armoiries  dont  sont 
chargés  les  écussons.  Il  croit  reconnaître  sur  celui  de  l'homme  trois 
lanternes.  Le  champ  de  1  ecu  de  la  femme  est  de  deux  émaux  diffé- 
rents, il  est  parti,  à  gauche  au  même  que  son  époux,  à  droite, 
tiercé  de  faces  d'or  et  d'argent. 

La  date  étant  en  partie  effacée ,  le  savant  archéologue  hollandais  a 
dû  rechercher  celle  qui  avait  été^riginairement  inscrite,  et  qui  donne 
par  conséquent  l'époque  de  l'exécution  de  cette  peinture.  En  consi- 
dérant l'espace  vide  qui  suit  le  chiffre  romain  l,  et  en  tenant  compte 
de  l'époque  de  la  construction  de  la  partie  de  l'église  attenante  à  cette 
muraille,  il  est  conduit  à  adopter  la  date  mcccclxxx  (1480).  C'est 
en  effet  dans  la  seconde  moitié  du  XVe  siècle  et  au  commencement 
du  XVIe,  que  les  peintures  à  fresque ,  jusqu'alors  si  rares  dans  les 
églises  des  contrées  septentrionales,  sont  devenues  plus  communes. 

Plusieurs  des  noms  inscrits  sur  les  phylactères  ont  été  effacés  en 
partie.  M.  Janssen  les  a  facilement  restitués.  Deux  des  noms  écrits 
ne  semblent  pas  s'accorder  avec  ceux  qui  sont  consignés  dans  la 
généalogie  de  saint  Matthieu.  Mais  cela  n'est  que  le  résultat  d'une 
erreur.  Voici  en  effet  l'ordre  de  la  première  tetracœdecade  donnée 
par  l'évangéliste  : 


Jessé, 

Abias. 

Ozias. 

Manassès, 

David. 

Asa. 

Joathan. 

Amon. 

Salomon. 

Josaphat. 

Achaz. 

Roboam. 

Joram. 

Èzéchias. 

La  peinture  présente  au  contraire  la  lignée  divine  de  la  manière 
suivante  : 

Jessé.  Abias.  Anas.  Manassès. 

David.  Asa.  Joathan.  Amon. 

Salomon.  Josaphat.  Achar. 

Roboam.  ...  m.  (Joram).        .  .  chias. 

Or,  évidemment,  c'est  par  erreur  que  le  nom  de  Achar  a  été  inscrit 
pour  celui  de  Achaz;  il  y  là  une  substitution  de  lettres  facile  à  com- 
prendre (2).  Quant  au  changement  du  nom  de  Ozias  en  celui  à' Anas, 
M  Janssen  l'explique  en  admettant  qu'on  a  écrit  par  erreur  Anas 
pour  Ahas,  et  (\uAhas  est  une  forme  altérée  d'Ozias,  en  hébreu 

(2)  M.  Janssen  a  retrouvé  ce  même  nom  V Achar,  mis  en  place  d' Achaz  dans 
une  vulgate  de  la  Bibliothèque  royale  de  La  Haye. 


546  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Achazia ,  traduit  en  grec  par  'Otfa;.  On  sait  l'analogie  de  ïo  et 
de  l'a  long;  analogie  qui  s'offre  en  anglais  dans  la  prononciation  des 
mots  allf  sait  et  autres,  et  qui  est  démontrée  en  hébreu  dans  l'emploi 
des  points-voyelles,  par  l'identité  du  kamets  et  du  kamets-kateph.  Le 
savant  néerlandais,  fait  de  plus  observer  que,  dans  le  Codex  Alexan- 
drinus,  on  trouve  'CtyoÇi'a;  écrit  par  'OÇtaç,  forme  qui  rend  plus  exac- 
tement le  nom  hébreu,  et  sert  de  passage  à  celle  de  Ahas  qui  paraît 
avoir  été  ici  adoptée.  Quanta  la  syllabe  finale  chias,  elle  termine 
sans  aucun  doute  le  nom  d'Ézéchias. 

Ainsi  rétablie ,  cette  généalogie  confirme  ce  que  nous  avons  dit 
dans  notre  notice,  que  la  liste  donnée  par  saint  Matthieu  était  adoptée 
de  préférence  à  celle  de  saint  Luc.  Nous  n'avons  du  moins  jamais  vu 
celle-ci  dans  les  manuscrits  offrant  la  miniature  de  l'arbre  de  Jessé 
que  nous  avons  eu  occasion  de  feuilleter. 

M.  Janssen  a  signalé,  dans  sa  dissertation,  diverses  autres  repré- 
sentations de  l'arbre  de  Jessé  qui  se  trouvent  dans  la  Néerlande  : 
1°  une  peinture  d'un  manuscrit  de  la  vulgate  du  XIVe  siècle , 
appartenant  à  la  Bibliothèque  de  l'Académie  de  Leyde;  2°  une 
seconde  sur  un  manuscrit  d'une  autre  vulgate  appartenant  à  la 
Bibliothèque  royale  de  la  Haye ,  peinture  placée  comme  dans  le  pré- 
cédent, entête  de  l'Évangile  selon  saint  Matthieu;  3°  une  troisième 
occupant  la  même  place  dans  un  second  manuscrit  de  la  vulgate  de 
la  même  Bibliothèque;  4°  une  quatrième,  sur  une  traduction  fla- 
mande manuscrite  de  la  Bible  ,  du  XVe  siècle ,  appartenant  aussi  à 
la  Bibliothèque  de  la  Haye.  On  n'a  représenté  également  que  la  pre- 
mière tetracœdécade ,  et  les  paroles  d'Isaïe  :  Egredietur  virga  de  ra- 
diée Jesse,  etc.,  expliquent  le  sujet;  5°  une  cinquième  dans  un  livre 
de  prières ,  manuscrit  du  XVe  siècle,  appartenant  à  M.  Schinkel, 
de  la  Haye.  Dans  cette  dernière,  qui  est  d'une  fort  belle  exécution , 
et  offre  de  curieux  détails,  la  Vierge  n'est  plus  seule  au  sommet  de 
la  tige  symbolique,  tenant  entre  ses  mains  son  divin  Enfant;  elle 
est  agenouillée  entre  les  trois  personnes  de  la  Trinité. 

M.  Janssen  a  cité  ,  d'après  notre  article ,  les  représentations  de 
l'arbre  de  Jessé  que  nous  avons  rappelées.  Nous  devons  dire  que 
nous  n'avons  pas  eu  l'intention  de  donner  de  ce  sujet  si  souvent  répété, 
une  iconographie  complète.  Si  le  savant  Néerlandais  eût  consulté 
[utile  Dictionnaire  iconographique  des  Monuments  de  M.  Guenebault 
à  l'article  Tige  de  Jessé,  il  y  eût  trouvé  un  Catalogue  bien  plus 
complet  que  celui  qu'il  a  bien  voulu  extraire  de  nos  citations,  en  nous 
faisant  l'honneur  de  prévenir  le  public  qu'il  nous  en  était  redevable. 


BIBLIOGRAPHIE.  547 

Toutefois,  la  liste  donnée,  depuis  l'impression  de  notre  article, 
par  M.  Guenebault  est  loin  encore  de  faire  connaître  toutes  les 
représentations  que  l'art  du  dessin  a  reproduites,  et  nous  espérons 
qu'en  publiant  un  supplément  à  son  ouvrage,  cet  estimable  bi- 
bliographe enrichira  cet  article,  ainsi  que  bien  d'autres,  de  nou- 
velles indications.  Nous  renverrons  donc  M.  Janssen  au  Diction- 
naire iconographique,  au  mérite  duquel  nous  rendons  une  justice 
d'autant  plus  désintéressée ,  que  l'auteur  s'y  est  permis ,  en  nous 
citant  plusieurs  fois,  des  réflexions  qui  ne  semblent  guère  à  leur 
place  dans  un  ouvrage  qui  n'a  aucun  caractère  polémique.  Mais 
il  n'en  faut  sans  doute  accuser  que  l'excès  d'orthodoxie  de  l'auteur; 
seulement  il  lui  eût  été  plus  simple  de  marquer  d'un  astérisque  les 
noms  de  ceux  contre  les  écrits  desquels  il  prémunissait  ses  lecteurs. 
Nous  n'eussions  pas  alors  été  les  seuls  ainsi  mis  à  l'index  de  M.  Gue- 
nebault ,  et  plus  d'un  antiquaire  eût  partagé  avec  nous  les  reproches 
catholiques  dont  nos  travaux  sont  l'objet.  Du  reste,  qu'importe  que 
M.  Guenebault  approuve  ou  non  notre  mode  de  critique  !  son  livre 
est  utile,  voilà  le  principal,  et  toutes  les  personnes  qui  s'occupent 
d'archéologie  chrétienne ,  y.  puiseront  de  précieux  renseignements. 

Nous  ne  finirons  pas  l'analyse  du  travail  de  M.  Janssen,  sans 
signaler  comme  une  des  plus  belles  représentations  de  l'arbre  de 
Jessé  que  nous  connaissions,  celle  qui  est  sculptée  sur  le  retable  du 
grand  autel  de  la  chapelle  du  duc  d'Abrantès,  dans  la  cathédrale  de 
Burgos.  C'est  un  excellent  morceau  dû  à  un  artiste  du  XVIe  siècle, 
Rodrigo  del  Haya,  et  qui  jusqu'à  présent  avait  échappé  à  l'attention 
de  presque  tous  les  antiquaires.  Une  autre  représentation  également 
curieuse  du  même  sujet  se  voit  sur  les  stalles  du  chœur  de  la  célèbre 
abbaye  de  Solesmes.  La  disposition  en  est  toute  particulière ,  chaque 
stalle  est  ornée  de  deux  rangs  de  bustes,  en  relief,  représentant  les 
ancêtres  de  Jésus-Christ.  Le  rameau  généalogique  se  continue  sous 
chacun  des  personnages  et  aboutit  à  la  statue  de  Marie.  11  serait  à 
désirer  qu'on  publiât  une  bonne  planche  de  ces  stalles  singulières. 

Alfred  Maury. 

Statistique  monumentale  de  la  Charente ,  publiée  par  livraisons,  in-4% 
par  M. -l'abbé  Michon  ,  correspondant  du  Comité  des  Arts  et 
Monuments.  Angoulême,  1844  à  1846;  et  Paris,  Derache, 
Borani  ,  dépositaires. 

L'étude  des  monuments  n'intéresse  plus  seulement  aujourd'hui  les 


548  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

éruditsde  profession,  les  ecclésiastiques,  sans  abandonner  leurs  études 
spéciales  et  l'exercice  de  leurs  graves  fonctions,  sont  aussi  descendus 
dans  la  mine  féconde  de  l'archéologie,  et  plusieurs  se  sont  déjà 
montrés  maîtres  dans  un  genre  d'étude  qui  semblait  ne  devoir  les  in- 
téresser que  fort  médiocrement. 

L'ouvrage  que  nous  signalons  aujourd'hui  en  est  une  preuve ,  le 
savant  abbé,  l'un  des  plus  laborieux  correspondants  du  comité  des 
arts  et  monuments,  n'a  pas  fait  son  ouvrage  en  copiant  ce  que  d'au- 
tres ont  pu  dire  déjà  sur  la  province  dont  il  donne  la  statistique.  On 
reconnaît  de  suite  qu'il  a  voulu  voir  par  lui-même,  qu'il  ne  s'est  pas 
contenté  de  copier  des  descriptions  toutes  faites  et  qu'il  a  fouillé  aux 
sources  ;  aussi  il  relève  bien  des  inexactitudes ,  rétablit  la  vérité  sur 
plusieurs  points,  jette  la  clarté  sur  des  textes  restés  obscurs,  et  rend 
aux  faits  vraiment  historiques  toute  la  lumière  dont  ils  avaient  été 
bien  souvent  privés.  C'est  un  véritable  service ,  c'est  un  beau  monu- 
ment élevé  à  la  fois  à  la  science  et  à  la  religion  que  cette  Statistique 
monumentale  de  la  Charente;  déjà  vingt  livraisons  sur  trente  sont 
publiées ,  et  tout  ce  qui  est  livré  aux  souscripteurs  peut  donner  l'as- 
surance que  ce  qui  reste  à  faire  sera  traité  avec  le  même  soin  et  le 
même  talent.  Au  mérite  du  texte  cette  publication  réunit  la  bonne 
exécution  des  planches,  ce  qui  n'existe  pas  toujours,  surtout  dans 
les  ouvrages  faits  à  longs  intervales.  Nous  citerons  la  Vue  générale 
d'Angoulême,  le  Château  de  la  Rochefoucault,  les  Ruines  de  l'ab- 
baye de  la  Couronne,  l'Abbaye  de  Chartres,  la  Cathédrale  d'Angou- 
lême et  plusieurs  planches  de  détails  ;  le  Bâtiment  du  trésor  de  l'ab- 
baye de  Nanteuil,  monument  curieux  du  XIe  au  XIIe  siècle,  et  dont 
on  trouve  peu  d'exemples  en  France  et  ailleurs  ;  le  beau  Château  de 
Boutteville ,  construction  militaire  du  XVIe  siècle  ;  une  crosse  du 
XIIe  siècle  ;  des  sceaux  et  des  monnaies  de  diverses  époques  dont  le 
texte  donne  les  origines  historiques  et  monumentales ,  appuyés  de 
preuves  authentiques.  On  y  trouve  diverses  inscriptions  et  d'autres 
détails  qu'il  serait  trop  long  d'énumérer  ici.  Ce  que  nous  disons  peut 
suffire  à  nos  lecteurs  pour  leur  donner  une  idée  exacte  du  travail 
consciencieux  de  l'auteur  et  de  l'ouvrage  que  nous  indiquons  à  ceux 
qui  aiment  les  antiquités  nationales. 

L.  J.  G. 


L'INSCRIPTION  CUNÉIFORME  DE  BÉHISTW. 


«  The  Persian  cuneiform  inscription  at  Bchistun  decyphered  and  translated  with 
«  a  memoir  on  Persian  cuneiform  inscriptions  in  gênerai  and  on  that  of  Be- 
«  histun  in  particular,  by  major  H.  C.  Rawlinson.  »  [Journal  of  ihe  Royal 
Asialic  Society,  vol.  I,  part.  I.  London  ,  1846,  in-8.) 

«  L'inscription  cunéiforme  persane  de  Béhistun ,  déchiffrée  et  traduite  et  accom- 
«  pagnéc  d'un  mémoire  sur  les  inscriptions  persanes  cunéiformes  en  général 
«  et  sur  celle  de  Béhistun  en  particulier,  par  le  major  H.  C.  Rawlinson  ,  au 
«  service  de  la  Compagnie  des  Indes  de  Bombay,  agent  politique  à  Bagdad  , 
«  correspondant  de  l'Institut  de  France  (Académie  des  Inscriptionsct  Belles- 
«  Lettres.)  » 

Nulle  inscription  n'était  venue  depuis  longtemps  jeter  sur  l'his- 
toire ancienne  une  lumière  plus  vive  et  plus  inattendue  que  celle 
dont  M.  le  major  Rawlinson  vient  de  nous  donner  la  traduction. 
Écrite  en  caractères  cunéiformes,  et  gravée  sur  un  rocher  à  Béhis- 
tun, dans  le  Curdistan  méridional,  cette  inscription  entoure  un  vaste 
bas-relief.  En  examinant  celui-ci,  on  reconnaît  un  style  analogue  à 
celui  des  sculptures  assyriennes.  Un  roi,  d'une  taille  plus  élevée  que 
celle  des  autres  personnages  qui  composent  la  scène,  fait  amener 
devant  lui  des  prisonniers.  Chacun  de  ceux-ci  a  les  mains  liées  au 
dos,  et  une  chaîne  commune  les  retient  par  le  cou.  Le  premier  de 
la  file  est  seul  renversé  à  terre,  supinatus  humi  ;  il  élève  ses  mains 
suppliantes  vers  le  monarque,  qui,  appuyant  sur  lui  l'arc  qu'il  tient 
à  la  main,  pose  le  pied  sur  son  ventre.  Derrière  ce  prince  sont 
deux  gardes  ou  officiers  ;  au-dessus ,  dans  une  sorte  d'auréole ,  on 
aperçoit  une  divinité  qui  étend  sur  le  roi  ses  bénédictions,  et  lui  pré- 
sente de  la  main  gauche  une  couronne,  emblème  de  son  triomphe. 
L'inscription  est  donc  destinée,  à  en  juger  uniquement  par  la  place 
qu'elle  occupe,  à  expliquer  le  sujet  de  ce  curieux  bas-relief.  M.  Raw- 
linson l'a  copiée  avec  un  dévouement  et  un  courage  bien  dignes 
d'éloges ,  car  l'on  sait  quels  dangers  court  le  voyageur  dans  ce 
pays  inhospitalier  :  le  massacre  récent  des  Nestoriens  peut  donner 
la  mesure  des  périls  auxquels  s'expose  celui  qui  brave  la  cruauté  et 
le  brigandage  des  Curdes,  les  préjugés  superstitieux  qu'ils  attachent 
m.  36 


550  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

à  ces  antiques  monuments.  Le  savant  anglais  a  reconnu ,  dans  ces 
gigantesques  colonnes  decriture  cunéiforme,  trois  ordres  de  carac- 
tères, constituant  chacun  un  alphabet  différent.  C'est  donc  une 
inscription  trilingue,  écrite  dans  les  trois  écritures  cunéiformes  con- 
nues, la  babylonienne,  la  médique  et  la  persépolitaine  ;  et  naturelle- 
ment M.  Rawlinson  s'est  attaché  à  déchiffrer  la  dernière  ;  car,  outre 
que  les  parties  de  l'inscription  écrites  avec  les  deux  autres  caractères, 
sont  beaucoup  moins  bien  conservées  que  la  partie  persépolitaine, 
l'ignorance  où  l'on  est  encore  des  langues  dans  lesquelles  elles  sont 
composées ,  s'est  jusqu'à  présent  opposée  à  ce  qu'on  pût  en  entre- 
prendre une  version  littérale  :  si  la  philologie  seule  y  perd,  l'his- 
toire en  effet  n'eût  eu  que  peu  à  gagner  de  cette  triple  traduction , 
puisque  les  trois  inscriptions  ne  sont  que  la  version  en  trois  langues 
d'un  seul  et  même  récit. 

La  société  asiatique  de  Londres  vient  de  publier  le  travail  de  l'o- 
rientaliste anglais  ;  et  nous  nous  hâtons  de  dire  qu'il  a  reçu  des 
hommes  compétents  un  assentiment  qui  fait  honneur  à  la  sagacité  et 
au  zèle  de  son  auteur.  Cette  compagnie  savante  a  joint  au  texte  et  à 
la  version  de  M.  Rawlinson,  la  première  partie  d'un  mémoire  com- 
posé par  ce  dernier  sur  les  inscriptions  cunéiformes  en  général  ;  et 
elle  nous  fait  espérer  la  prochaine  publication  de  la  suite  de  cette 
intéressante  dissertation. 

Quoiqu'il  eût  semblé  plus  régulier  d'entretenir  d'abord  le  lecteur 
du  contenu  de  l'inscription  de  Béhistun ,  nous  pensons  qu'il  est  pré- 
férable d'assigner  tout  d'abord  à  son  interprète  la  part  qui  lui  revient 
dans  le  mérite  du  déchiffrement.  L'introduction  du  mémoire  est  con- 
sacrée à  ce  que  l'on  peut  appeler  l'histoire  de  la  découverte  de  l'alpha- 
bet persépolitain  :  c'est  donc  à  cette  partie  de  la  publication  que 
nous  nous  arrêterons  préalablement. 

M.  Rawlinson  paye  à  ses  devanciers,  à  MM.  Grotefend,  E.  Bur- 
nouf  et  Lassen,  le  tribut  d'éloges  qu'ils  méritent  ;  il  rend  justice  aux 
efforts  que  ces  savants  ont  tentés  pour  arriver  à  la  détermination  de 
ces  lettres  mystérieuses  ;  il  montre  combien  le  dernier  de  ces  orien- 
talistes surtout  s'était  approché  de  l'exacte  détermination,  malgré 
l'incorrection  des  copies  qu'il  avait  entre  les  mains.  Toutefois,  en 
rectifiant  sur  plusieurs  points  les  idées  du  savant  professeur  de 
Bonn  (1  ) ,  le  philologue  anglais  prétend  partager  avec  lui ,  avec 

(1)  MM.  Béer  et  Jacquet  avaient  déterminé  chacun  deux  nouvelles  lettres  de 
récriture  persépolitaine,  M.  Rawlinson  a  déterminé  le  V ,  le  m',  le  ch,  lu  impro- 
prement 5  ,  le  tf  le  ri  et  le  fi. 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  551 

M.  E.  Burnouf,  son  émule,  l'honneur  de  cette  découverte.  Loin  de 
tout  secours,  à  Téhéran,  à  Bagdad,  en  Afghanistan,  il  n'a  pu, 
nous  dit-il,  recevoir  que  bien  longtemps  après  leur  publication  les 
travaux  de  ces  deux  maîtres  ;  et  l'on  comprend  facilement  qu'il  ait 
pu,  de  son  côté,  être  déjà  arrivé  aussi  loin  qu'eux  quand  il  a  eu 
connaissance  de  leurs  découvertes.  M.  Rawlinson  affirme  ce  fait,  que 
nous  ne  pouvons  vérifier.  C'est  ici  une  question  de  bonne  foi  ;  et 
nous  jugeons  trop  favorablement  M.  Rawlinson,  par  le  dévouement 
qu'il  a  mis  à  poursuivre  son  travail  au  milieu  des  dangers  et  des 
obstacles  de  toute  nature,  pour  en  douter  un  instant.  Nous  conce- 
vons aisément  qu'ignorant  la  langue  allemande,  il  n'ait  pu  trouver, 
dans  l'excellent  mémoire  de  M.  Lassen,  toutes  les  lumières  qu'il  y 
cherchait,  et  qu'un  interprète  germanique  lui  ait  souvent  fait  défaut. 
Cependant,  comme  nous  savons  aussi  à  quel  point  on  s'illusionne 
sur  ses  propres  œuvres,  et  avec  quelle  facilité  on  s'attribue,  de  fort 
bonne  foi  du  reste,  les  idées  que  d'autres  vous  ont  suggérées,  nous 
dirons  que  peut-être  M.  Rawlinson  n'a  pas  fait  une  appréciation  as- 
sez sévère  de  la  part  qui  revient  à  MM.  Burnouf  et  Lassen,  non  pas 
seulement  dans  la  découverte  de  l'alphabet,  mais  encore  dans  le  dé- 
chiffrement de  l'inscription  de  Béhistun  même. 

Et  d'abord  le  savant  anglais  reconnaît  lui-même  que  c'est  à  l'admi- 
rable commentaire  de  M.  Burnouf  sur  le  Yaçna  (nous  ne  faisons  que 
reproduire  ses  expressions),  qu'il  est  redevable  d'une  connaissance 
grammaticale  et  sérieuse  de  la  langue  zende.  Comment  alors  concevoir 
qu'avant  cette  époque  il  ait  pu  être  arrivé  aussi  loin  que  l'académi- 
cien français  dans  le  déchiffrement  du  persépolitain  ?  Qu'il  ait  été 
plus  loin  que  Saint-Martin ,  cela  est  probable  ;  car  cet  orientaliste 
n'avait  guère  avancé  la  question  ;  mais  qu'il  ait  devancé  les  résultats 
consignés  dans  le  mémoire  sur  les  inscriptions  d'Hamadan,  voilà  ce 
qui  nous  semble  invraisemblable  ;  et,  sans  nier  le  fait,  nous  enga- 
geons M.  Rawlinson  à  revoir  les  notes  qu'il  écrivait  en  1836 
et  1837. 

Cette  réclamation,  faite  par  nous ,  absolument  étranger  à  la  con* 
testation  de  priorité  qui  pourrait  s'élever,  nous  est  uniquement  dictée 
par  un  sentiment  de  justice.  Elle  a  dû  être  présentée  dès  le  début 
de  ce  compte  rendu ,  afin  qu'en  admirant  la  sagacité  et  la  finesse 
philologique  qui  nous  a  rendu  des  pages  entières  perdues  de  l'his- 
toire de  Perse ,  le  lecteur  impartial  n'oublie  pas  que  la  France  et 
l'Allemagne  ont  des  droits  à  cette  admiration ,  droits  que  l'équité 
ne  permet  pas  qu'on  aliène. 


Il 


552  ■   REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Passons  maintenant  à  l'étude  du  contenu  de  l'inscription,  telle  que 
M.  Rawlinson  l'a  donnée,  en  l'appuyant  d'excellentes  notes  gramma- 
ticales et  épigraphiques. 

Nous  allons  voir  que  le  roi  représenté  dans  le  bas-relief  est  Da- 
rius, fils  d'Hystaspes,  et  que  ce  monument  date,  par  conséquent,  de 
la  fin  du  VIe  siècle  avant  notre  ère. 

C'est  Darius  qui  parle  lui-même-,  c'est  lui  qui  nous  expose  le  récit 
de  ses  hauts  faits,  ainsi  que  l'indique  la  formule  initiale  de  chaque 
paragraphe  :  Le  roi  Darius  dit.  Il  nous  apprend  d'abord  le  nom  de 
ses  ancêtres  en  remontant  jusqu'à  Acheménès ,  qui  formait  la  tète  de 
sa  dynastie.  Ni  les  historiens  anciens,  ni  les  inscriptions  cunéi- 
formes déjà  expliquées  par  MM.  Lassen  et  Burnouf,  n'avaient  en- 
core fait  connaître  cette  généalogie  d'une  manière  complète.  Voici 
les  noms  que  lit  M.  Rawlinson ,  en  remontant  de  Darius  à  Achemé- 
nès :  Hystaspes,  Arsamis,  Ariyaramnis,  Teispes.  Nous  prévenons, 
en  passant,  le  lecteur,  que  nous  transcrivons  ici  les  formes  gréco- 
latines  que  le  savant  anglais  a  données  aux  noms  persépolitains,  pour 
les  mettre  d'accord  avec  les  noms  tels  que  les  Grecs  nous  les  avaient 
transmis,  et  tels  qu'ils  sont  passés  dans  notre  langue.  Les  noms  sont 
naturellement  un  peu  différents  dans  le  texte;  mais  il  est  toujours 
facile  de  reconnaître  leur  identité  avec  ceux  que  nous  avons  adoptés. 

Dans  les  lignes  suivantes,  Darius  nous  dit  qu'il  est  devenu  roi 
par  la  grâce  d'Ormuzd  qui  a  soumis  à  sa  puissance  le  vaste  empire 
dont  il  énumère  les  provinces  dans  l'ordre  suivant  :  la  Perse,  la  Su- 
siane,  la  Babylonie,  l'Assyrie,  l'Arabie,  l'Egypte,  Sparte  et  l'ionie, 
provinces  maritimes ,.  l'Arménie,  la  Cappadoce,  la  Parthie,  la  Zaran- 
gie,  l'Arie,  la  Chorasmie,  la  Bactriane,  la  Sogdiane,  le  pays  des 
Saces,  celui  des  Sattagydes,  l'Arachosie  et  le  pays  des  Méciens;  en 
tout  vingt  contrées.  On  est  étonné  de  rencontrer  dans  cette  énumé- 
ration  Sparte  qui  ne  subit  jamais,  à  ce  que  nous  sachions,  le  joug 
de  la  Perse.  Sans  doute  cette  ville  n'est  mentionnée  que  pour  mé- 
moire et  à  raison  des  droits  que  le  monarque  persan  s'attribuait  sur 
cette  république.  S'il  en  était  ainsi  nous  aurions  là  un  exemple  fort 
ancien  de  ces  prétentions  bizarres  dont  les  souverains  de  France  et 
d'Angleterre  nous  donnaient  le  spectacle  ridicule,  en  s'intitulant,  le 
premier,  roi  de  Navarre  et  le  second,  roi  de  France,  et  qu'aujourd'hui 
encore,  continuent  les  rois  de  Sardaigne  en  prenant  le  titre  de  rois  de 
Jérusalem  et  de  Chypre. 

Cette  énumération  ne  correspond  qu'en  partie  à  celle  qu'Hérodote 
nous  a  laissée  des  États  qui  composaient  l'empire  persan.  Cette  dilîé- 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  553 

rence  s'explique  facilement,  soit  en  admettant  que  l'inscription  ne  fait 
connaître  que  le  nom  des  pays  qui  relevaient  du  grand  roi,  sans  s'at- 
tacher à  donner  la  division  par  satrapies  que  l'écrivain  grec  nous  a 
minutieusement  fait  connaître,  soit  en  supposant  que  le  monument 
de  Béhistun  est  antérieur  à  l'établissement  de  cette  division  admi- 
nistrative. 

Darius  annonce  qu'il  protège  dans  son  royaume  tous  les  fidèles 
adorateurs  d'Ormuzd  et  qu'il  en  extirpe  tous  les  hérétiques.  Pom- 
peuse démonstration  d'intolérance  ,  d'accord,  sans  doute  ,  avec  les 
idées  religieuses  de  cette  époque ,  mais  qu'il  faut  plus  rapporter  à  la 
politique  qu'à  la  religion ,  car  sous  ce  nom  d'hérétique  la  teneur  de 
l'inscription  nous  laisse  entrevoir  qu'il  ne  faut  guère  entendre  autre 
chose  que  les  ennemis  de  la  dynastie.  En  effet,  pour  un  monarque 
qui  s'intitule  roi  par  la  grâce  d'Ormuzd,  de  la  rébellion  est  de 
l'hérésie. 

Le  récit  historique  commence  par  le  meurtre  de  Smerdis  nommé 
Bart'iya  dans  l'inscription.  Ce  meurtre  est  mis  sur  le  compte  des 
troubles  que  ce  frère  de  Cambyse  avait  suscités  dans  l'État.  Héro- 
dote n'assigne  pas  précisément  les  mêmes  causes  à  cet  odieux  fratri- 
cide. Nous  sommes  plus  porté  à  nous  ranger  de  son  côté,  le  pensant 
plus  en  position  d'être  impartial  et  véridique,  qu'un  prince  achémé- 
nide.  Certainement  la  haine  de  Cambyse  pour  son  malheureux  frère  a 
eu  sa  bonne  part  dans  le  crime.  Il  est  au  reste  à  noter  que  le  texte, 
admirablement  d'accord  avec  l'historien  grec,  dit  que  Bart'iya  était 
frère  de  Cambyse  de  père  et  de  mère,  et  par  conséquent  également 
fils  de  Cyrus  et  de  Cassandane,  bien  qu'il  ne  soit  rien  rapporté  du  songe 
qui,  selon  l'écrivain  d'Halicarnasse ,  détermina  Cambyse  à  faire  as- 
sassiner secrètement  un  frère  qu'il  haïssait. 

A  la  courte  mention  de  ce  triste  événement ,  succède  la  relation 
succincte  de  l'usurpation  du  faux  Smerdis,  appelé  dans  le  persépoli- 
tain  Gomates.  Nous  apprenons  par  le  monument  de  Béhistun  que  ce 
mage  imposteur  était  natif  de  Pissiachada.  La  Perse,  la  Médie  et  les 
provinces  de  l'empire  reconnurent  le  faux  Bart'iya ,  et  Cambyse  aban- 
donné de  ses  sujets  mourut. 

Darius,  continue  le  texte  persépolitain,  dévoila  la  fourbe  du  mage; 
il  s'écria  :  N'y  aura-t-il  personne,  soit  un  Persan,  soit  un  Mède,  quelque 
membre  de  ma  famille  qui  dépossède  du  trône  ce  Gomates?  Mais  on 
redoutait  l'usurpateur,  et  personne  n'osait  répondre  en  face  à  l'affir- 
mation effrontée  qu'il  faisait  sur  son  identité  avec  Smerdis.  Alors  le 
fils  d'Hystaspes  implora  l'appui  d'Ormuzd  et  par  le  secours  du  dieu , 


554  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

le  10  du  mois  de Bagayadich,  assisté  de  ses  partisans,  il  tua  Gomates 
et  tous  ses  adhérents ,  dans  le  fort  de  Siktakhotes,  situé  au  district 
de  Médie,  nommé  Nisaea.  Ce  récit  ne  contredit  en  rien  Hérodote. 
Toutefois  il  semble,  par  la  relation  donnée  par  ce  dernier,  que  le 
meurtre  eut  lieu  à  Persépolis,  ou  dans  la  capitale  quelle  qu'elle  fût 
du  royaume,  car  on  est  loin  d'être  assuré  que  ce  fut  alors  Persépolis, 
tandis  qu'ici  il  est  fait  mention  d'une  simple  forteresse,  soit  qu'il  se 
trouvât  là  un  des  châteaux  des  rois  de  Perse,  soit  que  Gomates,  pour 
sauver  sa  vie,  s'y  fût  réfugié. 

Darius  triomphant  rétablit  donc  la  couronne  dans  la  dynastie  des 
Achéménides.  Il  restaura  les  anciens  rites  abolis  par  le  faux  Bart'iya 
et  en  rendit  la  direction  à  la  famille  qui  en  avait  été  dépossédée  par 
cet  usurpateur. 

Darius  dit  ensuite:  Voici  ce  que  je  fis,  une  fois  monté  sur  le  trône  : 
Après  le  meurtre  de  Gomates,  un  certain  Atrines  (1),  fils  d'Opa- 
darmes,  se  déclara  roi  de  Susiane  et  fit  insurger  la  province  ;  à  Baby- 

lone,  un  Babylonien  nommé  Natitabirus,  fils  d'Aena s'empara 

également  de  la  couronne,  se  donnant  faussement  pour  Nabokho- 
drosor  fils  de  Nabonidé. 

Hérodote  ne  dit  rien  de  l'insurrection  du  premier,  à  moins  que, 
ce  qui  est  au  reste  peu  vraisemblable ,  on  ne  veuille  voir  dans  cet 
Atrines,  îlntapherne  dont  il  parle,  et  dont  une  insulte  faite  à  Darius 
fut  punie  de  mort. 

L'inscription  ajoute  que  le  roi  de  Perse  envoya  une  armée  en  Su- 
siane; celle-ci  ramena  prisonnier  Atrines  qui  fut  mis  à  mort. 

Quant  à  la  révolte  de  la  Babylonie  on  sait  qu'Hérodote  en  a  parlé 
avec  de  grands  détails,  et  l'on  se  rappelle  le  célèbre  trait  de  Zopyre, 
dont  il  n'est  ici  fait  aucune  mention  ;  le  nom  de  ce  dévoué  serviteur 
n'est  pas  même  rapporté.  Ne  nous  étonnons  pas  de  cette  omission , 
toute  cette  inscription  n'est  guère  qu'un  hymne  à  la  louange  du  mo- 
narque persan  et  il  n'y  a  eu  de  place  que  pour  ce  qui  le  touche  per- 
sonnellement. 

On  reconnaît  dans  le  Nabonidé ,  cité  comme  père  de  Nabokho- 
drossor  le  Labynetes  d'Hérodote,  que  Bérose  désigne  par  son  véri- 
table nom  de  Nabonidé  ;  c'était  le  fils  de  Nitocris  que  Cyrus  avait 
dépossédé  de  son  empire.  Le  siège  de  Babylone  ici  rapporté  est-il 
celui  dont  il  est  question  dans  le  prophète  Daniel?  Une  difficulté  cé- 

(1)  Nous  prévenons  ici,  une  fois  pour  toutes,  le  lecteur  que  nous  adoptons  la 
transcription  latine  des  noms  persans  que  M.  Rawlinson  a  suivie  dans  la  version 
anglaise  qu'il  a  jointe  à  la  traduction  latine  interllnéaire  de  l'inscription. 


L'INSCRIPTION  cunéiforme  de  béhistun.  555 

lèbre  se  représente  naturellement  à  ce  propos.  Faut-il  croire  que 
Cyrus  a  été  désigné  dans  ce  livre  de  la  Bible  sous  le  nom  de  Darius 
le  Mède?  Ce  fait,  plus  qu'improbable,  le  devient  d'autant  plus  que 
notre  inscription  nous  apprend  actuellement  qu'un  roi  gouvernait  à 
Babylone,  lors  du  siège  de  Darius,  et  qu'il  s'appellait  Natitabiruss 
Balthasar  serait-il  ce  dernier  personnage ,  et  régnerait-il  dans  le  livre 
attribué  au  prophète  quelque  confusion  à  ce  sujet?  Nous  le  pensons. 
Darius  a  été,  ce  nous  semble,  substitué  à  Cyrus;  les  deux  sièges  ont 
été  confondus  l'un  pour  l'autre,  en  même  temps  que  le  double  sou- 
venir de  Labynetes  et  de  Natitabirus,  qui  se  donnait  pour  son  fils, 
s'est  réuni  dans  le  personnage  de  Balthasar.  Une  confusion  de  ce 
genre  enlève  au  livre  de  Daniel  une  authenticité  que  tant  d'exégistes 
célèbres  lui  ont  contestée.  Elle  confirme  l'opinion  plus  d'une  fois 
avancée  que  cet  écrit  chaldéen  est  postérieur  à  la  mort  d'Alexandre. 
Le  récit  du  partage  des  États  du  roi  de  Macédoine,  mis  sous 
forme  de  prophétie ,  est  trop  clair  pour  qu'on  ne  reconnaisse  pas 
une  main  moderne,  et  d'un  autre  côté  les  renseignements  historiques 
incomplets  que  possédait  l'auteur  et  que  trahit  le  chiffre  inexact  qu'il 
donne  du  nombre  des  successeurs  de  Darius,  fils  d'Hystaspes, 
expliquent  la  confusion  qu'il  a  introduite  dans  l'histoire  de  Babylone. 

Reprenons  maintenant  l'étude  de  notre  inscription.  Darius  envoya 
une  armée  contre  le  prétendu  Nabokhodrossor ,  dont  les  troupes 
étaient  campées  sur  les  bords  du  Tigre.  Des  bateaux  armés  avaient 
été  placés  par  les  Babyloniens  sur  le  fleuve.  Un  détachement  perse 
passa  la  rivière  sur  des  radeaux  et  défit  l'armée  de  Natitabirus  le  27 
du  mois  d'Atriyata. 

De  là  Darius  marcha  sur  Babylone  ;  il  rencontra  de  nouveau  les 
insurgés  qui  avaient  opéré  leur  retraite,  à  Zazana,  ville  située  à  peu 
de  distance  de  la  première  sur  les  bords  de  l'Euphrate.  Un  nouvel 
engagement  eut  lieu,  il  se  termina  par  la  déroute  des  Babyloniens, 
le  second  du  mois  d'Anamarka.  Natitabirus  harcelé  de  si  près,  s'en- 
fuit à  Babylone ,  suivi  de  quelques  cavaliers.  Il  s'y  fortifia  ;  mais  le 
roi  de  Perse  continuant  de  marcher  à  sa  poursuite,  alla  mettre  le 
siège  devant  cette  capitale,  la  prit,  et  le  faux  Nabokhodrossor  paya 
de  sa  vie  cette  tentative  malheureuse  d'indépendance. 

Pendant  que  Darius  était  devant  Babylone,  la  Perse,  la  Susiane, 
la  Médie,  l'Assyrie,  l'Arménie,  la  Parthie,  la  Margiane,  la  Sattagydie, 
et  le  pays  des  Saces  levèrent  l'étendard  de  la  révolte.  Un  certain 
Martius,  fils  de  Sisicres,  habitant  de  la  ville  de  Cyganaca,  se  déclara 
roi  de  Susiane  sous  le  nom  d'Omanes.  Darius  expédia  une  armée 


556  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

pour  cette  province  ;  mais  les  habitants,  effrayés,  firent  leur  soumis- 
sion et  livrèrent  Martius,  qui  fut  mis  à  mort. 

Le  Mède  Phraortes ,  usant  d'un  stratagème  fort  en  vogue  à  ce 
qu'il  paraît  à  cette  époque,  se  donna  pour  Xathrites ,  fils  de 
Cyaxares,  et  s'empara  de  la  couronne  de  Médie.  Sans  doute  que  le 
soin  pris  par  les  monarques  persans  et  mèdes  de  tenir  leurs  enfants 
enfermés  et  comme  prisonniers  au  fond  de  leurs  palais,  de  peur 
qu'ils  ne  les  détrônassent,  usage  répandu  encore  aujourd'hui  en 
Asie,  était  cause  que  ces  princes  étaient  peu  connus  du  peuple,  et  il 
était  facile  à  des  imposteurs  de  se  faire  passer  pour  eux. 

L'armée  des  Perses  et  des  Mèdes  qui  servait  sous  Darius  lui  de- 
meura fidèle.  Il  envoya  contre  Phraortes  Hydarnes  à  la  tête  d'un 
corps  de  troupes.  Ce  corps  atteignit  les  partisans  de  cet  usurpateur 
dans  une  ville  de  Médie,  dont  le  nom  est  effacé  dans  l'inscription,  et 
les  battit  le  6  du  mois  d'Anamarka.  Puis ,  d'après  l'ordre  du  roi  de 
Perse,  l'armée  persane  prit  ses  quartiers  à  Kapada  ,  ville  de  Médie , 
attendant,  dit  le  texte,  Darius  en  personne,  ou  plutôt,  ainsi  que  la 
suite  nous  le  fait  voir,  l'envoi  de  nouveaux  renforts.  Le  monarque 
ordonna  à  l'Arménien  Dadarses ,  un  de  ses  sujets ,  de  se  rendre  en 
Arménie  pour  achever  la  soumission  des  rebelles.  Dadarses  alla  à  la 
rencontre  de  l'armée  de  Phraortes  près  d'un  village  d'Arménie,  dont 
le  nom  est  effacé,  et  grâce  à  l'appui  d'Ormuzd,  le  dieu  toujours  pro- 
tecteur des  Achéménides,  il  la  défit  le  8  du  mois  de  Thurawahara. 
Cette  victoire  fut  suivie  d'une  autre  que  Dadarses  remporta  le  18  du 
même  mois  à  Tigra,  en  Arménie,  puis  d'une  troisième  gagnée  le  3 
du  mois  de  Thaigarchich.  Cependant  les  rebelles  n'étaient  point 
encore  soumis,  ce  qui  donne  à  penser  que  la  campagne  de  Dadarses 
fut  moins  heureuse  que  l'inscription  ne  semble  l'indiquer.  A  Da- 
darses succéda  Vomises,  qui  battit  les  troupes  de  Phraortes,  une 
première  fois  dans  un  district  d'Assyrie,  dont  le  nom  n'est  plus  li- 
sible, une  seconde  dans  le  district  arménien  d'Otiara.  Darius  fut 
enfin  forcé  d'arriver  en  personne.  Il  rencontra  l'armée  mède  à 
Gudrusia  en  Médie,  et  y  défit  Phraortes  le  26  du  mois  d'Askhana. 
Phraortes  fut  contraint  de  se  réfugier  à  Rhages,  avec  sa  cavalerie. 
Darius  envoya  à  sa  poursuite  et  le  fit  prisonnier  :  on  lui  coupa  le  nez  et 
les  oreilles  ;  et,  amené  au  monarque  persan ,  ce  Mède  fut  enchaîné  à 
la  porte  de  son  palais  pour  se  voir  bientôt  crucifié  à  Ecbatane  ;  ses  par- 
tisans, si  l'on  peut  suivre  du  moins  M.  Rawlinson,  dans  la  traduction 
d'une  phrase  qui  lui  laisse  encore  des  doutes ,  furent  emprisonnés 
dans  la  citadelle  de  la  ville. 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  557 

Ce  tableau  rapide  de  l'expédition  des  Perses  contre  Phraortes  est 
plein  d'intérêt.  Quelques-unes  des  localités,  dont  l'inscription  donne 
les  noms,  nous  étaient  connues  par  les  géographes  anciens,  et  cette 
circonstance  est  une  preuve  nouvelle  de  l'exactitude  de  la  lecture  de 
M.  Rawlinson.  Tigra  est  probablement  Tigrana;  quant  au  district 
de  Rhages,  c'est  certainement  la  Rhagiane,  dont  la  capitale  était 
Rhaga,  ville  qui  est  mentionnée  dans  l'expédition  d'Alexandre  contre 
les  Parthes.  C'est  dans  cette  province  de  Rhagiane  que  se  trouvait  la 
contrée  appelée  Nisée ,  IIsôiov  ^s'ya  Nfoaiov,  dans  laquelle  nous  avons 
vu  plus  haut  que  fut  tué  Gomates,  ou  le  faux  Smerdis.  Cette  contrée 
montagneuse,  défendue  par  les  célèbres  portes  caspiennes,  était  émi- 
nemment propre  à  perpétuer  des  guerres,  et  l'on  conçoit  la  longue 
résistance  de  Phraortes  contre  la  Perse. 

Cette  révolte  était  à  peine  apaisée  qu'une  nouvelle  s'élevait  en 
Sagartie,  où  un  certain  Sitratachmes  se  déclarait  roi,  se  donnant 
pour  appartenir  à  la  race  de  Cyaxares.  On  voit  que  le  sentiment  na- 
tional était  vivace  dans  l'ancienne  Médie,  et  que  la  population  n'ac- 
ceptait que  forcément  la  domination  persane.  Darius  envoya  contre 
Sitratachmes  une  armée  de  Perses  etdeMèdes,  commandée  par  un 
Mède  du  nom  de  Camaspathes.  Le  général,  toujours  grâce  à  l'appui 
d'Ormuzd,  l'intervention  favorable  de  la  divinité  n'est  jamais  oubliée, 
vainquit  les  Sagartiens,  et  fit  prisonnier  Sitratachmes.  On  amena 
l'usurpateur  à  Darius  qui  lui  fit  endurer  le  môme  traitement  qu'au 
malheureux  Phraortes,  c'est-à-dire  que  le  roi  de  Sagartie  fut  crucifié 
à  Arbelles,  après  avoir  été  exposé  enchaîné  à  la  porte  du  palais  du 
monarque  perse,  le  nez  et  les  oreilles  coupés. 

La  suite  du  récit  est  ici  si  effacée  que  M.  Rawlinson  a  été  malheu- 
reusement dans  l'impossibilité  d'en  donner  la  traduction  ;  cependant 
en  interrogeant  le  texte  mède,  le  savant  anglais  a  pu  comprendre  que 
la  Parthie  et  l'Hyrcanie  se  révoltèrent  pour  Phraortes  ;  Darius  envoya 
contre  ces  provinces  son  père  Hystaspes,  qui  défit  les  rebelles  à 
Hyspaotoisa,  ville  de  Parthie,  le  22  du  mois  de  Viyakhana. 

Nous  voudrions  être  bien  assuré  de  l'exactitude  de  la  traduction 
de  ce  paragraphe.  Nous  ne  comprenons  pas  bien  comment  il  est  dit 
que  la  Parthie  et  l'Hyrcanie  se  déclarèrent  pour  Phraortes ,  puisque 
celui-ci  était  mort,  à  moins  qu'il  ne  soit  question  d'un  fils  de  cet 
usurpateur,  ou  que  l'inscription  ait  voulu  exprimer  que  les  Parthes 
et  les  Hyrcaniens  continuèrent  l'insurrection  que  Phraortes  avait 
provoquée. 

Dans  la  troisième  colonne,  M.  Rawlinson  reprend  le  texte  perse- 


558  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

politain  ;  nous  y  voyons  que  Hystaspes  bat  les  rebelles  à  Patigapana , 
et  soumet  la  province.  Vient  le  tour  de  la  terre  de  la  Margiane;  et 
disons  ici  que  bien  qu'on  ait  été  obligé  dans  l'inscription  de  raconter 
ces  événements  les  uns  après  les  autres ,  ceux-ci  doivent  être  néan- 
moins à  peu  près  contemporains,  puisque  l'inscription  nous  dit  plus 
haut  que  ces  révoltes  éclatèrent  pendant  que  Darius  était  devant 
Babylone.  Le  monarque  envoya  contre  les  révoltés  Dadarses,  alors 
satrape  de  Bactriane.  Cette  circonstance  semble  établir  que  l'insur- 
rection éclata  en  Margiane,  lors  de  l'envoi  de  Vomises  en  Arménie  à 
la  place  de  Dadarses.  Celui-ci  battit  les  insurgés,  et  rétablit  l'ordre 
dans  la  province.  Un  certain  Veisdates,  de  Tarba  en  Perse,  dans 
le  district  de  Yutiya,  essaya  à  cette  époque  de  recommencer  à  son 
profit  le  mensonge  de  Gomates  ;  il  se  donna  pour  Barthya  ou  Smer- 
dis,  et  se  déclara  roi  de  Perse.  Darius  envoya  contre  lui  Artabardes, 
tandis  qu'il  faisait  marcher  une  autre  armée  perse  contre  la  Médie. 
Artabardes  rencontra  les  troupes  de  Veisdates  à  Racha  et  les  battit. 
Peut-être  cette  ville  est  elle  celle  que  Ptolémée  nomma  Rapsa,  'Petya, 
et  qu'il  place  en  Médie. 

Veisdates  s'enfuit  à  Pissiachada,  cette  même  ville  qui  avait  donné 
le  jour  à  Gomates  ;  mais  Artabardes  le  battit  de  nouveau  dans  les 
montagnes  de  Parga,  le  fit  prisonnier,  et  l'amena  à  Darius,  qui  le  fit 
empaler  à  Chadidie,  en  Perse,  si  toutefois  M.  Rawlinson  a  bien 
compris  ;  car  il  y  a  ici  quelque  doute  sur  le  supplice  qui  fut  infligé  à 
ce  malheureux. 

En  Arachosie,  Vibanus,  qui  en  était  satrape,  se  révolta.  Darius 
envoya ,  pour  le  soumettre ,  ces  mêmes  troupes  qui  avaient  triomphé 
de  Veisdates.  Vibanus  fut  battu  près  de  la  forteresse  de  Capiscania, 
peut-être  l'Arachotus  de  Ptolémée ,  qui  s'appelait  auparavant  Co- 
phen.  Les  insurgés  livrèrent  une  seconde  bataille  aux  Perses  dans 
le  district  de  Gadytia,  près  delà  forteresse  d'Archada.  Est-il  besoin 
de  répéter  que  ce  fut  pour  se  voir  encore  vaincus  ?  L'inscrip- 
tion ne  mentionne,  on  l'a  remarqué,  que  les  victoires.  Vibanus  étant 
fait  prisonnier,  l'insurrection  fut  étouffée. 

Pendant  que  Darius  était  en  Perse  ou  en  Médie ,  la  Babylonie 
tentait  une  nouvelle  insurrection.  Un  Arménien  du  nom  d'Aracus 
s'y  faisait  passer  pour  Nabokhodrossor,  fils  de  Nabonide ,  dont  Nati- 
tabirus  avait  déjà  cherché  à  jouer  le  personnage.  Le  district  de  Do- 
bafia  donnait  l'exemple  de  la  soumission  au  monarque  improvisé , 
et  Babylone  le  suivait  dans  sa  défection  contre  Darius.  Ce  monarque 
expédia  dans  cette  province  Intaphres  : la  suite  est  effacée  : 


LINSCRIPTION  CUNEIFORME   DE   BÉHISTUN,  559 

mais  quelques  mots  qu'on  peut  lire  encore  semblent  indiquer  qu'A- 
racus  fut  tué  et  la  Babylonie  réduite  à  l'obéissance. 

La  quatrième  colonne  qui  reprend  ici  est  tellement  altérée,  que 
M.  Rawlinson  n'en  garantit  pas  la  traduction.  Disons  cependant  ce 
qu'il  a  pu  y  déchiffrer.  Darius  récapitule  les  succès  qu'il  a  remportés 
sur  les  révoltés  dont  nous  venons  de  donner  les  noms.  Il  reprend 
donc,  mais  plus  succinctement,  le  récit  précédent,  et  compte  dix- 
neuf  victoires.  Il  annonce  que  c'est  au  dieu  Ormuzd,  à  la  fidélité 
qu'il  a  montrée  à  son  culte,  à  son  zèle  à  combattre  les  hérétiques,  à 
son  caractère  de  roi  légitime ,  qui  ne  cherche  pas  à  abuser  le  peuple 
par  un  nom  mensonger,  qu'il  est  redevable  de  l'heureuse  issue  des 
guerres  qu'il  a  entreprises.  Il  rappelle  que  c'est  à  cette  même  fidélité 
pour  le  culte  d'Ormuzd  que  ses  prédécesseurs  ont  dû  leur  prospérité. 
Il  promet  l'amour  d'Ormuzd  à  ceux  qui  publieront  les  hauts  faits 
consignés  dans  l'inscription  ;  et  il  menace  de  l'inimitié  du  dieu ,  de 
la  privation  d'héritiers  ceux  qui  les  déroberont  à  la  connaissance  de 
l'univers.  Il  invite  donc  chacun  à  ne  point  détruire  ce  monument  de 
sa  puissance,  et  de  le  conserver  à  la  postérité,  afin  de  s'attirer  les 
bénédictions  d'Ormuzd. 

Darius  fait  ensuite  connaître  le  nom  de  ceux  qui  l'ont  aidé  à  ren- 
verser Gomates.  Plusieurs  de  ces  noms  sont  malheureusement  effa- 
cés. M.  Rawlinson  a  néanmoins  pu  en  déchiffrer  quelques-uns  qui 
s'accordent  parfaitement  avec  ceux  que  nous  a  fait  connaître  Héro- 
dote :  tels  sont  ceux  d'Intaphernes ,  fils  d'Hys d'Otanes,  fils 

de.,..,  persan;  de  Gobryas,  fils  de  Mardonius;  d'Hydarnes,  fils 
de....,  persan;  de  Mégabyze,  fils  deZopyre;  d'Aspathines,  fils 
de  ....,  persan. 

On  ne  saurait  trop  regretter  la  disparition  de  cette  partie  de  l'in- 
scription. 

La  cinquième  et  dernière  colonne  n'est  pas  d'une  conservation 
meilleure  que  la  précédente  ;  elle  mentionne  deux  révoltes ,  l'une  en 
Susiane  :  le  nom  de  celui  qui  en  fut  le  chef  a  disparu  -,  l'autre  dans 
le  pays  desSaces,  soulevée  par  Saruk'ha,  habitant  des  bords  du 
Tigre.  Darius  envoya  contre  ce  rebelle  Gobryas. 

Cette  colonne,  plus  courte  que  les  précédentes,  paraît  avoir  été 
ajoutée  après  coup  ;  elle  se  termine  par  des  actions  de  grâces  à  Or- 
muzd, et  une  injonction  de  conserver  ce  monument,  dans  le  même 
style  que  celui  de  la  colonne  précédente. 

Ce  sont  donc  ces  divers  chefs  de  révoltés  qui  sont  représentés 
dans  le  bas-relief  comme  des  captifs  amenés  à  Darius.  L'image  du 


560  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Sace  Saruk'ha  a  été  ajoutée  plus  tard  ;  mais  il  n'est  point  resté  de 
place  pour  le  provocateur  de  la  dernière  insurrection  de  Susiane, 
dont  nous  avons  ainsi  perdu  la  figure  et  le  nom.  Au-dessus  de  cha- 
cun de  ces  personnages  est  inscrit,  dans  une  tablette  écrite  seule- 
ment en  mède  et  en  persépolitain ,  le  nom  de  chacun  d'eux.  On  re- 
trouve donc  ceux  que  nous  venons  d'énumérer;  ils  sont  tous  qualifiés 
d'imposteurs,  à  l'exception  du  dernier,  pour  lequel  on  lit  seulement  : 
Celui-ci  est  Saruk'ha  le  Sace.  La  traduction  d'une  seule  de  ces  petites 
inscriptions  donnera  une  idée  suffisante  de  la  teneur  de  toutes  les 
autres  :  la  première  porte  : 

«  Celui-ci  est  Gomates  le  mage  ;  c'était  un  imposteur  ;  il  déclarait 
qu'il  était  Bart'ya ,  fils  de  Cyrus  et  roi.  » 

On  voit  combien  le  contenu  de  cette  inscription  ajoute  aux  faits 
que  nous  a  transmis  Hérodote,  puisque  cet  écrivain  ne  dit  rien  de 
toutes  ces  dernières  insurrections  ,  qui  lui  étaient  inconnues ,  ou 
dont  le  récit  n'entrait  pas  dans  le  cadre  qu'il  s'était  tracé.  Peut-être 
voudra-t-on  voir ,  dans  la  campagne  de  Gobryas  contre  Saruk'ha  , 
le  chef  des  Saces ,  la  célèbre  expédition  de  Darius  contre  les  Scythes, 
à  propos  de  laquelle  le  père  de  l'histoire  nous  a  donné  de  si  précieux 
détails  sur  les  peuples  compris  sous  ce  nom.  En  effet,  il  nous  dit 
ailleurs  que  les  Perses  appelaient  les  Scythes  Saces.  Néanmoins ,  la 
mention  faite  de  la  révolte  de  Saruk'ha  est  trop  courte  pour  que 
nous  puissions  y  reconnaître  la  célèbre  expédition  dans  laquelle  Da- 
rius marcha  en  personne,  circonstance  qui  n'eût  pas  manqué  d'être 
mentionnée  ici,  en  l'honneur  de  ce  grand  roi. 

Nous  retrouvons,  dans  quelques  détails  du  costume  attribué  dans 
le  bas-relief  à  chacun  des  personnages,  plusieurs  particularités 
qu'Hérodote  a  signalées  dans  la  description  qu'il  donne  de  la  manière 
de  se  vêtir  et  de  s'armer  des  différents  peuples  composant  l'armée 
de  Xerxès.  Le  Sace  Saruk'ha  a  bien  le  bonnet  pointu  propre  à  cette 
nation,  ainsi  qu'on  le  lit  au  livre  de  Polymnie;  l'officier  perse  placé 
derrière  Darius  porte  le  grand  arc  et  les  flèches  de  canne  en  usage 
chez  les  Perses.  Sitratachmes  a  un  vêtement  court  :  c'est  probable- 
ment la  saie  de  peau  de  chèvre  que  les  Sagartiens  portaient,  ainsi 
que  les  Pactyices  ;  Atrines  est  vêtu  de  la  longue  robe  qui  était  sans 
doute  propre  aux  habitants  de  la  Susiane  comme  à  ceux  de  la  Perse. 

S'il  était  permis  de  tirer  quelques  inductions  ethnologiques  du 
trait  si  imparfait  que  M.  Rawlinson  nous  a  donné  du  bas-relief  de 
Béhistun,  nous  dirions  que  la  figure  du  dieu  Ormuzd,  qui  est  placée 
dans  le  ciel,  au-dessus  de  la  scène,  nous  a  rappelé,  par  son  profil, 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  561 

le  type  persan  moderne.  Tous  les  personnages  ont  le  nez  aquilin ,  et 
le  Sace  plus  qu'aucun  autre,  circonstance  qui  tend  à  confirmer  l'ori- 
gine indo-germanique  ou  japétique  des  Scythes. 

Nous  avons  été  aussi  très-frappé  de  la  ressemblance  du  visage  de 
Veisdates  avec  la  figure  juive.  Si  l'on  rapprochait  cette  circonstance 
du  nom  de  Yutiya  donné  par  l'inscription  au  district  dont  il  était 
originaire,  on  sera  peut-être  tenté  de  penser  que  ce  pays  avait  été 
habité  par  des  Hébreux  lors  de  la  captivité,  et  l'était  même  encore 
à  cette  époque.  Il  est  à  noter,  en  effet,  que  c'est  précisément  dans 
les  livres  contemporains  du  siècle  de  Darius,  qu'on  commença  à  dé- 
signer les  Hébreux  sous  le  nom  de  Juifs  ;  dans  le  livre  à'Esther,  on 
lit  Jehoudi,  au  pluriel  Jehoudim ;  dans  Daniel,  le  mot  est  écrit  Je- 
hoadaïé.  Nous  laissons,  au  reste,  cette  conjecture  pour  ce  qu'elle 
mérite,  et  nous  la  livrons  à  l'appréciation  des  savants. 

Nous  avons  fait  connaître  l'inscription  de  Béhistun  ;  il  nous  reste 
à  parler  du  mémoire  de  M.  Rawlinson  sur  les  inscriptions  cunéi- 
formes ;  nous  serons  plus  bref;  car  ici  ce  n'est  plus  le  témoignage 
formel  de  l'antiquité,  ce  ne  sont  plus  que  les  idées  propres  à  un 
orientaliste  moderne  que  nous  exposons. 

M.  Rawlinson,  remarquant  que  le  caractère  cunéiforme  babylo- 
nien se  rencontre  sur  les  briques  déterrées  en  Babylonie,  en  Méso- 
potamie et  en  Chaîdée,  le  regarde  comme  le  plus  ancien  des  trois  al- 
phabets cunéiformes  que  nous  connaissons.  Il  croit  reconnaître  trois 
variétés  de  cet  alphabet  qu'il  nomme  babylonienne,  assyrienne  et 
élyméenne.  Dans  la  première  de  ces  variétés,  l'alphabet  babylonien, 
il  distingue  deux  sous-variétés:  lune,  à  ses  yeux,  la  plus  ancienne, 
est  celle  qu'on  voit  sur  les  cylindres  babyloniens;  l'autre  constitue  la 
troisième  colonne  des  inscriptions  trilingues  de  la  Perse.  La  sous- 
variété  observée  sur  les  cylindres  se  voit  également  sur  les  briques 
avec  lesquelles  étaient  construits  les  édifices  de  Schinar,  Babylone , 
Erech,  Accad,  Calneh.  On  possède  quelques  fragments  sur  pierre 
d'inscriptions  écrites  avec  les  caractères  qui  lui  sont  propres,  lesquels 
ont  été  déterrés  à  Babylone  et  à  Cutha.  M.  Rawlinson  pense  que 
l'inscription  gravée  sur  un  rocher  à  Cheikhan,  entre  les  an- 
ciennes villes  de  Resen  et  du  Calah  est  le  seul  monument  épi- 
graphique  de  ce  genre  que  l'on  possède  en  vieux  babylonien. 
Il  va  jusqu'à  penser  que  c'est  peut-être  l'alphabet  dont  les 
peuples  se  servaient  avant  la  dispersion.  La  seconde  sous-variété 
se  rencontre  dans  les  inscriptions  de  Persépolis",  de  Van  ,  de 
Hamadan,  de  Béhistun.  M.  Rawlinson  ne  dit  absolument  rien  de 


562  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

précis  à  son  sujet.  Ainsi,  sur  le  caractère  babylonien ,  cet  orientaliste 
ne  nous  a  proposé  que  des  hypothèses  fort  arbitraires,  et  aussi  va- 
gues qu'elles  sont  hasardées.  Sur  les  caractères  qu'il  nomme  assy- 
riens, le  savant  anglais  est  plus  précis;  il  ne  pense  pas  qu'on  puisse 
identifier  l'alphabet  employé  dans  les  inscriptions  de  Khorsabad  (Ni- 
nive  ) ,  et  celui  qui  figure  dans  celles  de  Van  ;  il  rencontre  dans  les 
unes  et  les  autres  des  lettres  qui  ne  sont  pas  communes.  Il  désigne 
donc,  sous  le  nom  d'alphabet  médo- assyrien,  celui  qui  se  rencontre 
sur  les  rochers  de  Van,  à  Dasch-Tappeh,  dans  la  plaine  de  Miyandab 
et  sur  les  colonnes  de  Kel-è-Chin ,  et  réserve  le  nom  d'assyrien  à 
celui  des  inscriptions  de  Khorsabad,  qu'il  pense  être  particulier  à 
l'Assyrie  (l).  L'inscription  trouvée  à  l'embouchure  du  Nahr-el-Kalb, 
près  de  Beirouth,  paraît  appartenir  à  cette  catégorie,  bien  que 
quelques  groupes  rappellent  le  type  adopté  dans  les  inscriptions  de 
Van.  Le  caractère  que  M.  Rawlinson  nomme  élyméen  n'est  encore 
connu  que  par  deux  inscriptions  découvertes  dans  le  voisinage  de 
Mal-Amir,  l'ancienne  cité  des  Uxii,  contrée  qui  n'a  été  encore  explo- 
rée que  par  deux  voyageurs,  le  baron  de  Bode  et  M.  Layard.  En 
somme,  notre  orientaliste  distingue  donc  cinq  caractères  assyriens 
différents  :  1°  l'alphabet  babylonien  primitif;  2°  le  babylonien  de  l'é- 
poque des  Achéménides  ;  3°  le  médo-assyrien  ;  4°  l'assyrien  ;  5°  l'é- 
lyméen.  Les  recherches  ultérieures  décideront  de  la  valeur  de 
cette  classification.  Elles  nous  apprendront  si  ces  variétés  sont 
réellement  des  alphabets  différents ,  répondant  peut-être  à  un  sys- 
tème phonétique  identique ,  ou  si  ces  différences  ne  doivent  être  at- 
tribuées qu'à  la  main  qui  les  a  gravées ,  à  la  diversité  du  style ,  opi- 
nion vers  laquelle  paraît  incliner  le  célèbre  découvreur  des  ruines  de 
Ninive,  M.  Botta. 

M.  Rawlinson  a  cherché  à  donner  la  raison  de  la  grande  variété 
que  l'on  observe  dans  la  manière  d'écrire  les  noms  adoptée  sur  les 
inscriptions  assyriennes  ;  il  en  trouve  l'explication  dans  la  supposi- 
tion qu'il  existait  deux  formes  distinctes  pour  les  consonnes ,  selon 
que  celles-ci  figurent  comme  muettes  ou  comme  vocales,  en  admet- 
tant, en  outre,  l'emploi  de  consonnes  euphoniques  ;  enfin,  en  tenant 
compte  des  erreurs  dans  lesquelles  la  complication  de  l'écriture  a  dû 
fréquemment  entraîner  l'artiste. 

(1)  On  a  trouvé ,  il  est  vrai ,  dans  les  ruines  de  Ninive  une  inscription  écrite  avec 
les  caractère»  propres  aux  cylindres ,  et  que  M.  Rawlinson  désigne  par  le  nom  de 
babylonien,  mais  cet  orientaliste  suppose  que  celte  inscription  C6t  d'une  prove- 
nance étrangère  à  la  localité. 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  563 

L'ingénieux  orientaliste  conjecture  avec  beaucoup  de  vraisem- 
blance qu'il  devait  exister  en  Perse  et  en  Assyrie  une  écriture  cur- 
sive  employée  concurremment  avec  l'écriture  cunéiforme  réservée  à 
l'usage  épigraphique  ;  et  cet  alphabet  plus  commode  semble  même 
être  celui  qu'on  retrouve  sur  quelques  briques. 

Le  mémoire  dont  nous  analysons  la  première  partie  ne  fournit  que 
bien  peu  de  détails  sur  l'écriture  cunéiforme  qui  a  été  appelée  mé- 
dique.  M.  Rawlinson  fait  observer  qu'on  y  a  compté  jusqu'à  présent 
environ  cent  lettres ,  dans  lesquelles  les  voyelles  sont  liées  aux  con- 
sonnes toutes  les  fois  qu  elles  ne  commencent  pas  les  mots  ;  le  sys- 
tème phonétique  de  cet  alphabet  semble  assez  avancé,  et  l'orthographe 
paraît  à  notre  orientaliste  offrir  une  grande  affinité  avec  celle  de 
l'écriture  cunéiforme  babylonienne. 

L'étude  des  formes  grammaticales  des  inscriptions  médiques,  au- 
tant qu'on  a  pu,  du  reste,  en  juger,  à  l'aide  d'un  déchiffrement  dou- 
teux et  incomplet,  classe,  au  dire  du  savant  anglais,  la  place  des 
inscriptions  médiques  parmi  les-Jangues  scythiques,  bien  que  la  con- 
struction se  rattache  plutôt  à  celle  des  langues  de  souche  arienne. 

La  première  partie  du  mémoire  de  M.  Rawlinson  se  termine  par 
une  esquisse  de  l'histoire  de  l'alphabet  persépolitain,  telle  qu'on 
peut  la  tracer  avec  les  faibles  linéaments  que  l'histoire  et  lepigra- 
phie  nous  fournissent. 

Les  témoignages  historiques  ne  nous  permettent  guère  de  douter 
qu'il  n'ait  existé  eu  Perse ,  dès  l'époque  de  Cyrus ,  une  écriture  cur- 
sive.  Le  caractère  cunéiforme  lapidaire  était-il  employé  aussi  à  cette 
époque?  nous  ne  pouvons  l'assurer;  mais  l'inscription  du  tombeau 
de  Cyrus  à  Murghab,  qui  ne  peut  être  de  beaucoup  supérieure  à  la 
mort  de  ce  monarque,  rend  ce  fait  extrêmement  probable. 

L'inscription  la  plus  moderne  que  nous  possédons  en  caractères 
persépolitains ,  est  du  règne  d'Artaxerxès  III,  Ochus. 

Nous  ne  dirons  que  peu  de  chose  des  idées  de  M.  Rawlinson  sur 
l'origine  de  cet  alphabet  ;  car,  dans  l'absence  d'éléments  suffisants 
pour  résoudre  la  question,  ce  savant  n'a  pu  émettre  que  quelques 
vagues  suppositions.  Il  incline  à  croire  à  l'existence  de  deux  antiques 
alphabets,  l'un  d'origine  arienne,  l'autre  d'origine  sémitique;  l'un 
écrit  de  gauche  à  droite,  l'autre,  de  droite  à  gauche.  Ces  deux  al- 
phabets prototypes  auraient  été  usités  dans  les  États  persans  anté- 
rieurement à  Cyrus. 

Quel  était  le  plus  ancien?  M.  Rawlinson  n'est  pas  éloigné  de 
donner  le  droit  d'aînesse  au  premier,  l'écriture  cunéiforme  persépo- 


564  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

litaine  présentant  un  système  d'organisation  en  quelque  sorte  plus 
primitif.  C'est  de  cet  alphabet  arien  que  dériveraient  les  caractères 
pâlis  et  ceux  avec  lesquels  furent  écrits  les  premiers  livres  bouddhi- 
ques. Le  cunéiforme  babylonien,  que  M.  Rawlinson  croit  radicale- 
ment distinct  du  persépolitain,  serait,  au  contraire,  le  prototype  des 
alphabets  sémitiques.  Notre  orientaliste  rattache  volontiers  à  cette 
seconde  source  les  caractères  employés  sur  les  dariques  de  Cilicie, 
l'alphabet  de  l'Ariane,  dont  le  plus  ancien  spécimen  nous  est  fourni 
par  l'édit  d'Asoka,  et  ses  dérivés,  qui  se  voient  sur  les  monnaies 
baetriennes;  les  caractères  des  topes  ou  stupas  bouddhiques,  le  zend, 
les  trois  variétés  du  parthe,  les  trois  écritures  pehlvies,  lapidaire, 
monétaire  et  cursive.  La  direction  sinistriligne ,  la  forme  des  lettres 
accuse,  suivant  M.  Rawlinson,  une  origine  commune,  bien  que  la 
dérivation  ait  pu  s'opérer  chez  chacun  de  ces  alphabets,  indépen- 
damment les  uns  des  autres'. 

Pourquoi  ne  trouvons-nous  pas  d'inscriptions  cunéiformes  posté- 
rieures à  Artaxerxès  III  ?  Sans  doute  que  l'usage  de  cette  écriture 
s'est  perdue  lors  de  la  chute  des  Achéménides  et  de  la  conquête  d'A- 
lexandre. Faut-il  croire  que  c'est  à  cette  époque  de  décadence  de  la 
puissance  persane,  que  s'est  formé  le  zend  dans  lequel  sont  écrits  les 
livres  du  Zend-Avesta?  Les  fables  et  le  caractère  mythologique  qu'on 
remarque  dans  ceux-ci  accusent-ils  une  œuvre  moderne ,  la  supposi- 
tion de  quelque  prêtre?  c'est  ce  que  soupçonne  M.  Rawlinson;  et 
ici  nous  nous  inscrivons  formellement  contre  son  assertion ,  fort  des 
excellentes  raisons  qu'ont  fait  valoir  MM.  E.  Burnouf  et  Lasscn. 
Quand  on  compare  la  langue  des  descriptions  persépolitaines  avec 
celle  du  Zend-Avesta ,  on  s'aperçoit  que  la  première  est  dans  la 
même  relation  avec  la  seconde,  que  l'italien  avec  le  latin,  le  grec 
moderne  avec  le  grec  ancien ,  c'est-à-dire  que  le  persépolitain  a 
tous  les  caractères  d'une  langue  dérivée  du  zend,  et  que  celle-ci, 
plus  voisine  du  sanscrit,  porte  avec  elle  la  trace  de  son  antiquité. 

M.  Rawlinson  n'a  rien  établi  qui  combatte  ces  beaux  résultats  du 
travail  de  MM.  Burnouf  et  Lassen  ;  et  il  nous  permettra  de  préférer, 
jusqu'à  preuve  du  contraire,  l'opinion  des  deux  illustres  philo- 
logues. 

Est-ce  à  dire  pour  cela  que  le  Zend-Avesta  soit  de  beaucoup  anté- 
rieur à  Darius?  non,  sans  doute;  il  peut  même  lui  être  contempo- 
rain; car  le  langage  écrit  pouvait  s'être  conservé,  au  temps  de  ce 
monarque,  pur  des  altérations  que  l'usage  fait  subir  au  langage  vul- 
gaire,  langage  dans  lequel  étaient  probablement  écrites  les  inscrip- 


l'inscription  cunéiforme  de  béhistun.  565 

tions  que  nous  possédons.  L'altération  est  sensible  du  règne  de  Da- 
rius à  celui  d'Artaxerxès  III,  et  la  langue  de  l'inscription  contem- 
poraine de  ce  dernier  roi  s'éloigne  plus  du  zend  que  celle  de  l'in- 
scription de  Béhistun. 

Il  est  d'ailleurs  à  remarquer  que  le  Zend-Avesta  est  non  pas  un 
livre  persépolitain,  mais  un  livre  bactrien;  que  rien  n'y  annonce 
la  moindre  connaissance  de  la  Perse;  qu'aucune  mention,  par 
exemple,  n'y  est  faite  de  l'Euphrate;  l'on  ne  peut,  par  consé- 
quent, rien  inférer  de  la  dissemblance  du  langage  employé  d'une 
part  dans  une  inscription  de  la  Perse,  et  de  l'autre,  dans  un  rituel 
religieux  de  la  Bactriane.  Rien  ne  légitime  non  plus  l'hypothèse 
faite  par  M.  Rawlinson,  que  l'écriture  zende  fut  inventée  pour  la 
transcription  des  livres  sacrés  mazdéens ,  à  une  époque  où  l'on  ne  sa- 
vait plus  lire  la  cunéiforme  :  ce  sont  là  des  suppositions  fort  gra- 
tuites que  l'on  est  étonné  de  rencontrer  dans  la  bouche  d'un  orienta- 
liste qui  a  dû  faire  une  étude  approfondie  de  la  langue  zende. 

Le  culte  d'Ormuzd  mentionné  dans  l'inscription  de  Béhistun,  et 
plusieurs  autres  expliquées  par  MM.  Burnouf  et  Lassen ,  le  carac- 
tère qui  est  donné  à  ce  dieu  suprême  du  mazdéisme,  sont  parfaite- 
ment d'accord  avec  ce  que  nous  trouvons  dans  le  Vendidad-Sadé. 
L'inscription  de  Béhistun  nous  démontre  même  que  le  mazdéisme 
était  bien  antérieur  au  fils  d'Hystaspes  ;  qu'il  était  la  religion  de 
toute  la  race  des  Achéménides  :  cette  analogie  est  en  faveur  de  l'an- 
tiquité du  Zend-Avesta.  Quant  aux  fables  qu'on  rencontre  dans  ce 
livre  sacré,  et  dont  M.  Rawlinson  accuse  les  mages  d'avoir  travesti 
l'histoire,  elles  se  lient  évidemment  à  des  traditions  antéhistoriques, 
mythologiques ,  et  ne  contredisaient  pas  pour  cela  l'histoire  plus  mo- 
derne que  chacun  pouvait  lire  dans  les  inscriptions  commémoratives 
des  Achéménides,  dont  nous  déchiffrons  aujourd'hui  le  contenu. 

Nous  sommes  loin  de  nier  que  ce  ne  soit  sous  le  règne  des  Sassa- 
nides,  restaurateurs  du  culte  d'Ormuzd,  que  les  livres  de  Zoroastre 
ont  été  recueillis.  Mais,  comme  les  monnaies  et  les  inscriptions  de 
l'époque  de  cette  dynastie  nous  démontrent  que  c'était  la  langue  pehl- 
vie  qui  était  alors  en  usage  ;  comme  la  rédaction  en  pehlvi  du  livre 
incontestablement  assez  moderne  le  Boun-Dehesch,  nous  indique  que 
cette  langue  était  aussi  celle  du  corps  sacerdotal,  nous  devons  croire 
que  le  zend  et  les  livres  écrits  en  cette  langue  étaient  beaucoup 
plus  anciens  ;  le  peu  d'altérations  que  cet  antique  idiome  a  subies 
témoignent  du  soin  que  la  tradition  religieuse  avait  mis  à  transmettre 
à  la  mémoire  des  Guèbres  les  paroles  d'une  loi  qu'on  avait  cessé  de 
III.  37 


566 


REVUE   ARCHEOLOGIQUE 


comprendre.  M.  Rawlinson  est  lui-même  forcé  de  reconnaître  l'exi- 
stence de  livres  attribués  à  Zoroastre  précisément  à  une  époque  bien 
antérieure  aux  Sassanides.  Ces  livres,  cités  par  Platon,  étaient  entre 
les  mains  des  disciples  de  Prodicus  dès  le  Ve  siècle  avant  notre  ère; 
et  ils  avaient  fourni  à  Osthanes,  qui  accompagna  Xerxès  dans  son 
expédition  en  Grèce,  les  matériaux  de  son  ouvrage  sur  la  magie. 
Quelle  raison  s'oppose  alors  à  ce  que  ces  livres  ne  soient  précisément 
ceux  qui  composent  le  Zend-Avesta? 

À  notre  avis,  M.  Rawlinson  a  donc  tort  de  faire  descendre  à  une 
époque  aussi  moderne  tout  le  code  sacré  du  mazdéisme  et  la  langue 
dans  laquelle  il  est  écrit.  Si  la  religion  d'Ormuzd,  si  celle  de  Mithra, 
que  rappelle  l'inscription  du  règne  d'Artaxerxès-Ochus,  ont  pu  se 
conserver  après  la  conquête  macédonienne,  y  a-t-il  lieu  de  s'étonner 
que  l'alphabet  employé  dans  les  rituels  de  ce  culte  n'ait  pas  péri? 
Faut-il  lui  chercher  une  origine  plus  moderne,  quand  la  langue  qu'il 
traduit  aux  yeux  s'annonce,  par  les  formes  grammaticales,  comme 
la  sœur  aînée  du  persépolitain  ?  Nous  ne  le  croyons  pas. 

Alfred  Maurv. 


Nota.  La  planche  donnée  ici,  est  une  réduction  du  dessin  publié  par  M.  Raw- 
linson. On  a  cru  inutile  de  reproduire  l'indication  de  l'inscription  même  et  l'artiste 
a  seulement  indiqué  les  tablettes  placées  au-dessus  des  personnages;  on  comprend 
qu'il  ait  été  difficile  dans  cette  réduction  de  reproduire  toujours  exactement  le  type 
propre  à  chacune  des  figures. 


RECTIFICATION 

DE   LA  VALEUR  ALPHABETIQUE 

DUN  CARACTÈRE  DE  L'ÉCRITURE  PUNIQUE, 


De  toutes  les  satisfactions  qu'on  peut  se  promettre  en  se  livrant  à 
l'étude  de  la  paléographie  ,  il  n'en  est  pas  de  plus  vraie,  à  mon  sens, 
que  celle  que  l'on  éprouve  quand  on  parvient  à  reconnaître  une 
erreur  que  l'on  a  longtemps  admise  et  défendue,  et  quand  surtout  on 
sait  dire  hautement  et  de  bon  cœur  :  Je  me  suis  trompé.  Tous  les 
esprits  honnêtes  qui  cherchent  la  vérité  pour  elle-même .  et  qui 
savent  se  garantir  des  fâcheux  conseils  de  l'amour-propre ,  com- 
prendront toute  la  sincérité  de  la  joie  avec  laquelle  je  saisis  l'occa- 
sion de  revenir  sur  la   réalité  d'un  fait  paléographique  admis  par 
beaucoup  d'autres  avant  moi ,  et  que  je  suis  aujourd'hui  forcé  de 
reconnaître  erroné.  Il  s'agit  de  la  valeur  d'une  lettre  !  C'est  bien  peu 
de  chose ,  sans  doute  ;  mais  si  les  conséquences  d'une  rectification  de 
ce  genre  peuvent  être  nombreuses  et  importantes,  on  pensera  comme 
moi,  je  l'espère,  que  c'est  un  devoir  de  la  proposer  le  plus  prompte- 
ment  possible,  et  un  devoir  d'autant  plus  impérieux ,  que,  l'erreur 
que  l'on  doit  combattre ,  on  a  plus  activement  servi  à  la  propager. 
Or,  c'est  précisément  le  cas,  dans  lequel  je  me  trouve.  Dans  un 
mémoire  sur  les   inscriptions  votives  phéniciennes  et  puniques , 
publié  cette  année ,  je  me  suis  efforcé  de  reconstruire  l'alphabet  de 
l'Ecriture  que  Gesenius  a  nommée  numidique.  Sur  la  parole  de 
Lindberg  et  de  Gesenius,  j'ai  admis  que  le  signe  punique,  tout  à 
fait  semblable  à  17?  latin  rétrograde,  était  un  resch.  Aujourd'hui,  je 
puis  démontrer  que  cette  analogie  de  son ,  basée  sur  une  simple 
analogie  de  forme  ,   est  purement  illusoire ,  et  que  le  signe  en 
question  n'est  autre  chose  que  le  hhe ,  dont  je  n'avais  pu  trouver 
nulle  part  l'équivalent  punique  des  bas  temps ,  grâce  à  la  malen- 
contreuse attribution  qui  me  l'avait  fait  reléguer  parmi  les  équiva- 
lents du  resch. 

Je  viens  de  promettre  de  démontrer  la  légitimité  de  cette  rectifi- 


568  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

cation  alphabétique  ;  c'est  ce  que  je  vais  tâcher  de  faire.  Dans 
l'alphabet  punique  primitif,  lequel  n'est  autre  chose  que  l'alphabet 
phénicien  pur,  les  deux  lettres  si  voisines  hhet  et  hhe  sont  repré- 
sentées par  deux  signes  qui  ne  diffèrent  que  par  l'addition  pour  le 
hhet y  d'un  trait  parallèle  au  corps  du  hhe,  et  placé  à  gauche  de 
celui-ci.  Dans  l'écriture  punique  des  bas  temps  le  nom  divin  Baal- 
Khamon  nous  a  fourni  le  hhet  ;  il  se  compose  d'une  sorte  de  R 
latin  rétrograde,  muni  vers  la  gauche  d'un  petit  trait  parallèle  au 
trait  rectiligne  du  corps  de  la  lettre.  Cet  alphabet  des  bas  temps 
étant  dérivé  de  la  manière  la  plus  palpable  de  l'alphabet  primitif, 
il  eût  été  a  priori  assez  raisonnable  d'imaginer  que  le  même  signe 
débarrassé  du  petit  trait  supplémentaire  de  gauche  devenait  un 
hhe.  Cette  idée,  parce  qu'elle  était  toute  simple  et  toute  natu- 
relle, n'est  venue  à  personne.  Le  signe  en  question  ressemblait  si 
bien  à  un  R  écrit  de  droite  à  gauche,  qu'on  s'est  décidé  à  en  faire  un 
resch.  Quelques  légendes  numismatiques  se  sont  tant  bien  que  mal 
accommodées  de  cette  valeur  hypothétique,  et  dès  lors  on  a  regardé 
celle-ci  comme  parfaitement  constatée ,  tandis  qu'elle  n'était  qu'un 
heureux  bentrovato,  et  rien  de  plus.  Ainsi  donc,  si  l'on  eût  bien 
voulu ,  et  moi  tout  comme  mes  devanciers ,  mettre  de  côté  cette 
analogie  de  forme  entre  un  signe  punique  et  un  signe  latin ,  en 
respectant  cette  môme  analogie  de  forme  dès  qu'elle  rattachait  entre 
eux  deux  signes  de  l'écriture  punique,  on  eût  infailliblement  trouvé 
sur-le-champ  la  véritable  valeur  de  cette  lettre,  et  l'on  n'eût  pas  eu 
si  longtemps  lieu  de  s'étonner  de  l'absence  d'une  hhe  dans  l'alphabet 
punique  des  bas  temps. 

Voici  maintenant  ce  qui  m'a  révélé  la  véritable  valeur  de  ce  carac- 
tère. M.  Fulgence  Fresnel  a  eu  le  bonheur  de  trouver  à  Leptis 
Magna  deux  inscriptions  trilingues,  latine-grecque-puniques  qui 
viennent  d'être  publiées  par  lui  dans  le  Journal  Asiatique  :  ce  sont 
les  épitaphes  fort  courtes  d'un  médecin  et  de  sa  mère.  Les  textes 
puniques  recueillis  ne  sont  pas  très-corrects;  mais  il  est  heureuse- 
ment facile  de  les  reconstruire  d'une  manière  satisfaisante.  Voici  ces 
textes  précieux  : 

BONCAR   MECRASI  CLODIUS   MEDICUS. 

Btovxocp      (xexpaat       KXwoioç    taxpoç. 

kïth    wAp    >unpDii    Trichera, 


ÉCRITURE   PUNIQUE.  569 

Boncar  est  un  nom  punique  connu  déjà  par  une  inscription  latine 
du  musée  de  Cortone  (Gesenius,  p.  397)  ;  mais  ce  nom  est  altéré  et 
sa  forme  primitive  mpbcrav  (abdmelkart),  se  trouve  déjà  mo- 
difiée dans  le  texte  punique  de  notre  épitaphe ,  par  la  suppression  de 
Yàin  initial  du  mot  âbd.  Par  erreur  le  mem  et  le  lamed  ont  été 
copiés  comme  s'ils  ne  formaient  qu'un  seul  signe.  Mecrasi  ne  peut 
être  qu'un  ethnique,  servant  de  surnom  à  Boncar,  puisqu'il  est  répété 
correctement  dans  les  trois  textes.  Mais  dans  le  texte  punique  il  est 
précédé  du  signe  toujours  pris  jusqu'ici  pour  un  resch,  parce  qu'il 
ressemble  à  \'R  latin  ;  deux  lettres  seules  peuvent  se  trouver  dans 
cette  position ,  Yaleph  ou  le  hhe.  Ce  ne  peut  être  un  aleph ,  dont 
nous  connaissons  la  forme  et  que  nous  allons  d'ailleurs  retrouver 
tout  à  l'heure  dans  le  mot  dn,  mère,  de  la  deuxième  épitaphe  ;  il  est 
donc  déjà  probable  que  c'est  un  hhe. 

Le  groupe  punique  qui  correspond  au  Clodius  et  au  KXwStoç  des 
deux  textes  latin  et  grec,  se  lirait  W^p  Klodi ,  Klogaï ,  si  la 
copie  de  M.  Fresnel  était  rigoureusement  exacte  ;  mais  il  se  peut 
qu'au  lieu  d'un  àin  après  le  lamed,  il  y  ait  véritablement  sur  la  pierre 
un  daleth  dont  la  tête  seule  aura  été  reconnue ,  et  dès  lors  le  nom 
se  lirait  Klodeï,  ou  Klodaï. 

Reste  un  dernier  groupe  qui  doit  correspondre  au  medicus  et  au 
îaxpoç  des  deux  textes  supérieurs;  ce  groupe,  précédé  du  signe 
punique  qui  fait  le  sujet  de  cette  note ,  se  lit  an.  Or ,  en  hébreu , 
«ffi ,  signifie  médecin.  De  I'f  au  b  il  y  a  bien  près ,  et  la  permuta- 
tion de  ces  deux  sons  congénères,  si  fréquente  en  copte,  a  pu  faire 
du  NSI  hébraïque,  le  Hàl  phénicien  et  punique.  11  est  inutile,  je 
pense ,  de  faire  observer  ici  que  les  Juifs  prononcent  le  plus  souvent 
leur  lettre  ej  comme  le  p  de  notre  alphabet ,  ce  qui  achève  d'établir 
l'analogie  des  trois  sons  p,  b,  f,  et  de  légitimer  la  transcription  et  la 
traduction  de  ce  groupe.  La  lettre  qui  le  précède  ne  peut,  cette  fois 
encore  être  que  l'article  n  ou  n.  Ce  n'est  pas  a,  qui  se  lit  nettement 
à  la  fin  du.  mot  lui-même  ;  c'est  donc  bien  n. 

Voici  maintenant  les  textes  de  la  deuxième  inscription  : 

BYRYCTH  BALSILECHIS  F.  MATER  CLODII  MEDICI. 

Bupu)(Ô  BaXfftXXv)^  ÔuyaTYip      (XY)T7)p  KXwâtou   taxpou. 

ttm  ^ayf)p  dn  ^objn  m  n:ro 


570  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  mots  Byryclh-beth-Baâlsillecham,  c'est-à-dire  «  Byrycth ,  fille 
deBaalsillech,  mère......  »  se  lisent  sans  aucune  difficulté.  Je  crois 

reconnaître  un  samedi  dans  le  quatrième  signe  du  nomBaalsillech. 
Quant  au  caf  final  de  ce  nom,  sa  transcription  n'est  pas  douteuse; 
mais  la  régularité  voudrait  que  ce  fût  un  hhet,  puisque  le  véritable 
radical,  signifiant  condonare,  est  vbo. 

Le  nom  propre  du  médecin  Clodius,  dans  la  copie  de  M.  Fresnel, 
est  écrit  cette  fois  avec  deux  dm  entre  lesquels  serait  placé  un 
aleph.  L'un  de  ces  deux  àin  est  sûrement  un  daleth  mal  reconnu ,  et 
je  n'hésite  pas  à  lire  Klaodi,  en  faisant  le  daleth  nécessaire  du  second 
àin  de  la  copie. 

Reste  encore  le  groupe  correspondant  aux  génitifs  medici  et 
taxpou ,  c'est  celui  que  nous  avons  trouvé  dans  la  première  épitaphe , 
c'est-à-dire  le  mot  N21 ,  précédé  de  l'article  n  qui  se  trouve  ici  par- 
faitement à  sa  place. 

On  voit  que  l'étude  de  ces  deux  épitaphes  trilingues  est  décisive 
et  qu'elle  impose  forcément  au  signe    <V   la  valeur  du  hhe  hébraïque. 

Voyons  maintenant  si  cette  nouvelle  valeur  peut  conduire  à 
des  sens  admissibles  pour  les  légendes  qui  avaient  suggéré  l'idée 
d'en  faire  un  resch. 

Cette  valeur  du  resch  a  été  attribuée  pour  la  première  fois  au  ca- 
ractère punique  en  question  par  Lindberg.  Il  la  déduisit  de  l'analyse 
de  la  légende  des  monnaies  bilingues  de  Juba  Ier.  Quiconque 
s'est  occupé  de  la  numismatique  punique ,  sait  que  cette  légende  se 
partage  en  deux  lignes  superposées  : 

loj^CLV  ou  bien    ZoJ\l 

Swinton  a  lu  la  première  *w ,  et  y  a  retrouvé  le  nom  royal 
de  la  légende  latine  rex  jura.  Lindberg  transcrit  la  seconde  ligne 
roSa  di,  et  la  traduit  magnum  regnum.  Gesenius,  adoptant  la  lec- 
ture de  Lindberg,  pour  cette  seconde  ligne ,  la  traduit  par  alla  sedes 
imperii.  Quant  â  la  première ,  il  rejette  la  lecture  matérielle  de  Swin- 
ton, et,  faisant  du  vav  un  tzade,  il  obtient  W  as* ,  qu'il  traduit  erexit 
rainam,  d'où  le  sens  complet,  erexit  ou  qui  erexit  ruinam  altœ  sedis 
imperii.  Je  l'avoue,  ce  sens  m'a  toujours  paru  peu  vraisemblable,  pré- 
cisément à  cause  de  ce  qu'il  présentait  d'ampoulé.  J'aime  mieux  voir 
simplement  dans  la  légende  les  mots  *»*,  Joubaï,  Juba,  ou 
ïîOTur,  à  Juba,   et  naSann ,  imperium,  regnum,  dignitas  regia  ; 


ÉCRITURE   PUNIQUE.  571 

de  telle  sorte  que  nous  avons  la  phrase  roSoDH  part  ou  *3QW  : 
«  A  Juba  la  royauté  ou  l'empire.  » 

Ce  qui  donne  beaucoup  de  poids  à  cette  supposition  sur  la  valeur 
du  signe  f\  déduite  de  la  légende  des  monnaies  de  Juba,  c'est  l'exi- 
stence des  monnaies  puniques  de  cuivre ,  attribuées  à  tort  à  Juba  le 
Jeune  (Gesen.  Tab.  42,  xxi.  Juba  II.  Lett.  A,  B,  C).  Ces  mon- 
naies offrent  au  revers  un  cavalier  au  galop,  au-dessous  duquel  se 
voit  une  légende  formée  malheureusement  de  très-petits  caractères, 
Mionnet  (t.  I,  p.  273,  n°  548,  et  pi.  XX,  n°  49),  mais  dont  la 
fin  se  lit  clairement  rotaon.  Cette  légende  étant  écrite  en  caractères 
puniques  primitifs ,  c'est-à-dire  avec  les  formes  phéniciennes  pures 
des  lettres  hhe  et  mem,  il  me  paraît  hors  de  doute  ou  que  ces  mon- 
naies sont  antérieures  à  celles  de  Juba ,  ou  qu  elles  ont  été  frappées 
dans  une  autre  région  plus  rapprochée  de  Carthage.  Revenons  main- 
tenant aux  trois  premiers  caractères  de  la  légende.  Ils  se  lisent , 
comme  Mionnet  les  a  lus ,  pN3 ,  bah ,  bôk.  Je  n'hésite  donc  pas  à 
traduire  :  «  A  Bocchus  la  royauté ,  »  et  si  ces  monnaies  étaient  bi- 
lingues ,  elles  offriraient  la  légende  bocchvs  rex. 

Gesenius  a  cru  deviner  que  la  légende  devait  se  transcrire  Dnp  m 
idSd,  et  se  traduire  donnas  perpétua  imperii,  ou  domus  sustentans 
imperium.  Ce  sens  est  tout  aussi  peu  satisfaisant  que  celui  des  mon- 
naies de  Juba. 

Mionnet  (t.  VI,  592,  n°  15)  décrit  une  autre  monnaie  punique 
dont  Gesenius  rapporte  la  légende  (tab.  43,  XXIV,  Sabratha,  lett.  F). 
Cette  légende  certainement  altérée,  peut  se  rétablir  aisément;  le 
troisième  signe  est  vraisemblablement  un  p  ,  et  la  légende  se  lit  alors 
sans  difficulté  : 

jyrraw  *UDy  opon 

La  grande  ville  ou  la  métropole,  Sabrathan. 

Uàin  qui  précède  le  mot  *UD  est  superflu  ;  mais  l'on  trouve  dans 
toutes  les  épigraphes  conçues  en  écriture  punique  des  bas  temps , 
une  telle  surabondance  de  aïn  intercalés  sans  raison  apparente  dans 
les  textes ,  que  l'on  a  véritablement  le  droit  de  ne  pas  trop  se  préoc- 
cuper de  leur  présence.  Peut-être  ici  cet  aïn  ne  joue-t-il  d'autre 
rôle  que  celui  d'une  prise  de  son  guttural  inhérente  au  caph  initial 
du  mot  133 ,  sous  sa  forme  punique  ;  peut-être  encore  avons-nous 
réellement  l'équivalent  du  superlatif  arabe  elakbar,  formé  de  l'adjectif 
kebir.  Je  ne  me  permettrai  pas  de  le  décider. 


572  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  trois  leçons  que  je  viens  de  proposer  ont 
l'avantage  de  substituer  des  légendes  simples  et  naturelles  à  des 
phrases  entortillées  et  invraisemblables  ;  et  je  vois  là  un  grand  motif 
de  plus  pour  les  transcrire  ainsi  que  je  viens  de  le  faire. 


Examinons  maintenant  quelques  inscriptions  lapidaires,  et  com- 
mençons par  la  fameuse  inscription  bilingue  de  Tripoli,  publiée 
pour  la  première  fois  par  le  chevalier  Badia  (Ali-Bey-el-Abbassi),  et 
qui,  en  1825,  fut  transportée  en  Angleterre,  où  Gesenius  l'a  re- 
trouvée servant  de  base  à  une  statue  de  Flore  ou  de  Cérès ,  dans  le 
jardin  d'un  château  royal  (Virginia- Water  ) ,  situé  près  de  Windsor  ; 
notre  lettre  s'y  retrouve ,  et  le  nouveau  rôle  que  je  lui  assigne  n'est 
pas  moins  satisfaisant.  On  se  rappelle  (V.  Gesenius,  LXIV.  Tripo- 
litana  prima)  que  la  pierre  porte  les  deux  textes  avg.  svfe.  pour 
Âuguslo  sufetes.  Et 

^  *YA  D^^A- 

Gesenius ,  pour  arriver  à  sa  transcription  et  surtout  à  sa  tra- 
duction 

nby  Dp  m  nrtaS  iran 
Dominium  imperii  Romani  perstat  in  œternum 

a  été  obligé  de  supposer  qu'à  la  droite  du  bloc  de  pierre  il  ne  man- 
quait qu'une  lettre ,  et  rien  du  tout  à  la  gauche ,  et  que  l'ouvrier 
avait  taillé  la  pierre  des  deux  côtés  pour  la  ramener  aux  dimensions 
dont  il  avait  besoin,  «  Caeterum  ab  utraque  ejus  parte  aliquid  deest  : 
«  non  quod  fractus  sit  lapis,  sed  quia  f'abri  murarii  inscriptionem 
«  minus  curantes,  et  minore  lapide  opus  habentes  partem  ejus  deci- 
<c  derunt.  Quod  ab  anteriore  parte  decisum  est,  perexiguum  et  ipsa 
«  inscriptio  ibi  intégra  est  :  a  posteriore  tantum  deest  quantum  ad 
«  unius  litterae  spatium  requiritur.  »  Outre  que  l'ouvrier  mis  en 
cause  par  Gesenius ,  eût  été  un  maladroit  de  tailler  sa  pierre  à  droite 
et  à  gauche,  quand  il  pouvait  se  contenter  d'en  entamer  un  seul 
côté,  il  eût  été  plus  mal  avisé  encore  de  toucher  précisément  la 
seule  pierre  offrant  l'inscription  dédicatoire  de  l'arc  de  triomphe. 
Enfin ,  il  ne  paraît  pas  possible  d'admettre  que  ces  deux  lambeaux 
de  texte  latin  et  punique  aient  jamais  pu  constituer  à  eux  seuls  une 
inscription  en  l'honneur  d'un  empereur  romain  ,  et  probablement  de 
Septime  Sévère  comme  l'a  pensé  Gesenius.  Quoi  qu'il  en  soit,  je 


ÉCRITURE  PUNIQUE.  573 

crois  qu'il  est  prudent  de  s'abstenir  de  toute  restitution  du  premier 
mot  de  la  partie  punique  dont  nous  ne  reconnaissons ,  avec  netteté  , 
que  le  n  final.  Le  reste  se  lit  couramment  : 

a?>y  apan  rdrch 

Remarquons  d'ailleurs  que  les  groupes  puniques  sont  si  nettement 
séparés  les  uns  des  autres  par  les  blancs  que  le  lapicide  a  laissés  à 
dessein,  qu'il  devient  impossible  de  ne  pas  transcrire  ce  texte  ainsi 
que  je  viens  de  le  faire.  Quant  au  sens  des  trois  mots  que  je  retrouve, 
il  est  assez  clair  pour  n'être  pas  trop  sujet  à  contestation.  Nous  avons 
donc  la  fin  de  phrase  : 

A  la  souveraine  de  la  demeure  éternelle. 

apo  étant  écrit  ainsi  pour  aipa,  locus,  domicilium,  oppidum,  rien 
déplus  régulier  quelaforme  apan,  «  la  demeure,  le  séjour.  » 

C'est  ici  le  lieu  de  revenir  sur  les  inscriptions  votives  que  j'ai  dé- 
crites dans  le  mémoire  précité,  et  de  les  analyser  de  nouveau  en  tous 
les  points  où  le  hhe,  aujourd'hui  bien  reconnu,  se  trouve  remplacé 
par  un  resch  dans  mes  précédentes  transcriptions. 

Parmi  ces  épigraphes  précieuses ,  il  s'en  trouve  deux  qui  ont  été 
découvertes  à  Guelma,  par  MM.  Delcambe  et  de  Lamare,  et  dans  le 
contexte  desquelles  un  seul  passage  présentait  une  incertitude  qui 
se  dissipe  aujourd'hui,  grâce  à  la  nouvelle  lecture  du  caractère  en 
question.  Ce  passage  se  reproduit  textuellement  dans  l'une  et  l'autre 
inscription ,  et  il  est  précédé  de  la  particule  -j ,  «  lorsque ,  dès  que , 
selon  que,  ou  parce  que,  »  qui  le  sépare  nettement  de  tout  le  reste 
du  texte. 

Dans  la  première  (celle  de  M.  Delcambe),  je  lis  aujourd'hui  : 

—  yv  i  wm  *n«;*o 

Nfnpna    ko  — 

Dans  la  deuxième  (celle  de  M.  de  Lamare),  je  lis  de  même  : 

—  n  awka  ■ 

*Aipna  now  t  un  — 

On  se  rappelle  que  ces  inscriptions  votives  ont  été  gravées  en 
actions  de  grâces. 

La  fin  de  la  phrase  se  traduit  nettement  :  Et  qu'il  a  écouté  ma 
voix  ;  pour  :  Et  quil  a  exaucé  ma  prière. 

Restent  les  mots  rcan  *rraw,  qu'il  ne  me  paraît  plus  possible  de 
lire  autrement.  En  effet ,  l'inclinaison  de  gauche  à  droite  du  daleth 
du  mot  jTK  des  mêmes  textes ,  démontre  que  la  troisième  lettre  du 


574  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

premier  mot  est  un  resch,  que  sa  position  tout  à  fait  verticale  carac- 
térise suffisamment.  Nous  avons  donc  bien  >nwt. 

Quant  au  mot  suivant  wan ,  il  pourrait  y  avoir  des  doutes  sur  sa 
transcription,  si  l'on  ne  possédait  que  l'inscription  de  M.  Delcambe. 
Sur  celle-là,  en  effet,  il  semble  que  l'on  doive  lire  trwi.  Mais  dans 
celle  de  M.  de  Lamare,  toute  incertitude  de  transcription  s'évanouit , 
et  il  faut  lire  rcan. 

Voyons  maintenant  ce  que  signifient  ces  mots.  Je  crois  avoir , 
dans  le  mémoire  précité,  établi  que  Yaleph  affixe  tenait  lieu  de  pro- 
nom personnel  de  la  première  personne ,  ce  qui  rend  bien  compte 
de  la  formule  ordinaire  JCû  *6p  yn^D  :  Lorsqu'il  a  entendu  ma 
prière,  il  m'a  béni.  S'il  en  est  réellement  ainsi,  nous  avons  pour  le 
nouveau  passage  formulaire  dont  il  s'agit  cette  fois,  rcan  KTW*q 
j  ubi  ou  quia,  niun,  me  felicem,  me  beatum  effecit,  wnh,  sacrificium. 
C'est-à-dire  :  Parce  que  le  sacrifice  que  j'ai  offert  m'a  donné  le 
bonheur.  Je  ne  développerai  pas  ici  la  convenance  de  cette  traduc- 
tion; cela  me  semblerait  superflu.  De  la  sorte,  le  sens  des  deux 
inscriptions  votives  de  G uelma  devient  complet  et  simple  dans  toutes 
ses  parties.  La  nouvelle  transcription  du  caractère,  toujours  pris  à 
tort  pour  un  resch ,  malgré  la  présence  dans  les  mêmes  textes  d'un 
autre  resch  bien  distinct  et  bien  déterminé ,  a  donc  encore  cette  fois 
le  mérite  d'éclaircir  singulièrement  le  seul  passage  obscur  de  ces 
épigraphes. 

II  y  a  plus  encore,  cette  nouvelle  attribution  du  hhe  permet  au- 
jourd'hui de  pénétrer  plus  avant  dans  le  sens  d'une  inscription  votive 
punique,  dont  je  ne  connais  pas  d'autre  copie  que  celle  qu'a  publiée 
Gesenius,  et  sur  le  compte  de  laquelle  je  n'avais  pu  émettre  que  des 
doutes  et  des  hypothèses  plus  ou  moins  satisfaisantes.  Je  veux  parler 
de  la  première  numidique  de  Gesenius  (LVII.  Tab.  21).  En  effet, 
elle  se  transcrit  aujourd'hui  de  la  manière  suivante  : 

top  vd  pan  byz  fié/ 

oaynaon  *Aya  orra  nbp 

parown  p  -jrDW 

Au  seigneur  Baal-Khamon;  dès  qu'il  a  écouté  leurs  prières ,  il  les  a 
bénis.  Ceux  qui  ont  ordonné  décrire  ces  lignes  sont  at....  ben  Mesinan 
et  lachiklak  ben  Mesitenan. 

Ce  qui  complète  le  sens  de  cette  inscription  ,  c'est  précisément 
l'ensemble  des  deux  mots  Dayrom  *6ya ,  ont  ordonné  tous  deux  ces 


ÉCRITURE  PUNIQUE,  575 

écritures.  Il  me  semble  que  Nte  peut  s'assimiler  au  duel  arabe  ; 
Ssd,  signifie  au  propre,  dominatus  est  in  aliquem,  et  ce  duel  du 
prétérit  signifierait  par  conséquent  :  Ont  été' tons  les  deux  maîtres  de, 
pour  ont  ordonné  tous  deux.  Je  ne  sais  jusqu'à  quel  point  on  ad- 
mettra cette  assimilation  d'un  duel  arabe  avec  un  duel  punique;  mais 
comme  nous  ignorons  à  peu  près  complètement  le  mécanisme  gram- 
matical du  dialecte  phénicien  et  punique ,  il  peut  fort  bien  se  faire 
que  ce  dialecte  ait,  comme  l'arabe,  conservé  l'emploi  de  ce  nombre 
dans  la  conjugaison  des  verbes.  D'ailleurs,  de  ce  qu'un  fait  n'a  pas 
encore  été  reconnu,  il  ne  s'ensuit  pas  qu'il  n'a  pas  existé,  et  jusqu'à 
meilleure  explication,  on  me  permettra  d'admettre  celle-là.  Quant 
au  pluriel  Dnyrcm ,  je  me  permets  aussi  d'y  voir  un  analogue  du 
pluriel  arabe  el  mekatib ,  les  écritures ,  comportant  l'article  punique 
ordinaire  n  et  la  finale  □  indice  du  pluriel.  lïaïn  qui  suit  le  tau  est 
une  lettre  d'une  prononciation  et  d'un  emploi  si  vagues  dans  les 
textes  puniques,  que  sa  présence  ne  peut  en  aucune  façon  empêcher 
que  l'on  admette  la  leçon  que  je  propose. 

Dans  un  mémoire  qui  va  suivre  immédiatement  celui-ci ,  j'exa- 
minerai quelques  inscriptions  funéraires,  appartenant  à  la  classe  des 
épigraphes  que  Gesenius  appelait  numidiques,  et  j'espère,  tout  en 
publiant  bon  nombre  de  monuments  entièrement  inédits,  montrer 
que  le  fait  que  je  me  suis  efforcé  d'établir  dans  ce  premier 
travail ,  se  vérifie  de  la  manière  la  plus  constante ,  et  mérite  toute 
confiance. 

F.  de  Saulcy. 


NOTICE 


UNE  STATUETTE  ANTIQUE  EN  BRONZE,  D'ISIS, 

RÉCEMMENT  DÉCOUVERTE  AUX  ENVIRONS  DE  TOULOUSE. 

Dans  la  statuaire  symbolique  et  religieuse  des  anciens ,  comme 
dans  la  sculpture,  sur  leurs  médailles,  etc.,  certains  types  convenus , 
et,  l'on  pourrait  dire ,  consacrés,  se  reproduisent  assez  fréquemment 


d'une  manière  uniforme.  Entre  mille  exemples  de  ce  fait  que  tous  les 
archéologues  et  les  observateurs  des    monuments  de  l'antiq  uité 


STATUETTE   ANTIQUE   EN   BRONZE.  577 

figurée  ont  eu  mainte  occasion  de  remarquer ,  nous  produirons  le 
suivant,  qui  vient  encore  de  nous  être  offert,  à  l'occasion  d'une 
statuette  en  bronze  (1),  découverte  tout  récemment ,  en  creusant 
le  lit  du  canal  latéral  à  la  Garonne ,  entre  Dieupentale  et  Pompi- 
gnan,  à  côté  des  voies  romaines  de  Tolosa  (  Toulouse) ,  Âginnum 
(Agen) ,  et  à  Divona  (Cahors)  (2) ,  et  de  la  grande  route  actuelle  de 
Toulouse  à  Bordeaux  et  à  Paris,  mine  féconde  en  débris  antiques  de 
tout  genre.  La  figurine  dont  nous  donnons  ici  la  gravure,  quoique 
inédite,  en  rappelle  deux  autres  déjà  connues  et  de  même  métal  , 
l'une  ayant  appartenu  à  M.  le  maréchal  d'Estrées,  et  publiée  et 
expliquée  par  Montfaucon ,  dans  son  grand  ouvrage  (Supplément, 
t.  I,  p.  220),  l'autre  provenant  du  cabinet  de  M.  le  duc  de 
Sully ,  gravée ,  et  l'objet  d'une  nouvelle  explication ,  dans  dom 
Martin,  Explication  de  divers  monuments  singuliers,  etc.,  p.  310  et 
suivantes. 

L'auteur  de  l'antiquité  expliquée  s'exprime  de  la  manière  sui- 
vante au  sujet  de  l'exemplaire  de  notre  antique  ayant  appartenu 
à  M.  d'Estrées  :  «  Voici  une  lune  représentée  dans  toute  sa  gran- 
deur (c'est-à-dire  les  dimensions  exactes  de  la  statuette);  l'image 
est  fort  singulière,  elle  a  un  grand  croissant  sur  la  tête,  les  bras, 
les  épaules  et  la  gorge  nus.  Une   large  bande  qu'elle  porte   en 
écharpe,  relève,  d'un  côté,  sa  tunique:  une  ceinture  encore  plus 
large  retient  cette  tunique ,   qui  ne  commence  qu'au-dessous  des 
aisselles.  Dans  sa  main  droite  élevée ,  est  un  vase  rond  d'où  il  sort 
quelque  chose;   quelques-uns  prétendent  que  c'est  une  flamme, 
d'autres  pensent  que  c'est  un  vase  rempli  d'une  liqueur  soporifère , 
ce  qui  conviendrait  fort  à  Diane  la  lune,  ou  à  la  nuit  qui  est  la 
même  chose.  Si  ce  qu'elle  tient  à  sa  main  gauche  est  un  pavot, 
comme  je  l'avais  d'abord  cru,  cela  favoriserait  cette  première  expli- 
cation ;   mais  ce  pourrait  bien  être  une  partie  de  sa  robe  qu'elle 
relève  de  ce  côté-là,  comme  l'écharpela  relève  de  l'autre  :  cela  n'est 
pas  bien  clair;  il  vaut  mieux  demeurer  dans  le  doute,  que  de  prendre 
parti  dans  l'incertitude.  Quelqu'autre  monument  nous  fera  peut-être 
mieux  connaître  celui-ci  (3).  » 

(1)  Grandeur  de  la  gravure. 

(2)  La  première  de  ces  voies  militaires  des  Romains,  encore  conservée  dans  une 
grande  partie  de  son  cours,  n'a  point  été  indiquée  dans  l'itinéraire  d'Antonin  ni 
dans  la  table  de  Pentinger,  et  est  demeurée  inconnue  à  Danville,  à  M.  Walckenaer, 
à  M.  Dumège ,  et  nous  l'avons  les  premiers  reconnue  et  décrite  de  son  point  de 
départ  à  son  point  d'arrivée,  après  l'avoir  parcourue  en  son  entier.  La  seconde  de 
ces  lignes  militaires  est  marquée  dans  la  table  théodosienne. 

(3)  Deux  autres ,  à  notre  connaissance ,  ont  été  effectivement  découverts  depuis. 


578  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Nous  ne  donnerons  qu'un  précis  ou  un  résumé  de  l'opinion 
beaucoup  plus  étendue,  de  D.  Martin,  sur  l'exemplaire  de  M.  le 
duc  de  Sully.  «  La  divinité  qui  est  ici  représentée ,  dit  ce  savant 
bénédictin,  n'a  pour  tout  habit  qu'une  simple  et  unique  tunique 
(bien  que  Montfaucon  ait  cru  voir  deux  vêtements  séparés  et  super- 
posés), relevée  d'un  côté  par  cette  large  bande  qui  est  en  écharpe, 
et  de  l'autre,  par  la  main  gauche  de  la  déesse.  C'est  donc,  sans  le 
plus  léger  fondement,  qu'on  a  soupçonné  que  cette  divinité  tenait 
un  pavot  ou  quelqu'autre  chose  que  ses  habits  :  il  n'en  est  pas  de 
même  de  la  main  droite;  il  est  constant  qu'elle  tient,  non  un  vase 
rempli  dune  liqueur  soporifère,  mais  une  mamelle  pleine,  que  la 
divinité  presse ,  et  d'où  elle  exprime  et  fait  sortir  le  lait  qu'elle 
contient  :  et  c'est  ce  qui  décide  de  la  nature  et  du  nom  de  la  déesse 
qui  tient  cette  mamelle;  car,  il  n'y  a  qu'/sis  dans  les  mystères  de 
laquelle  figure  la  mamelle,  et  à  qui  les  anciens  avaient  donné  cet 
organe  comme  symbole.  Aussi ,  Apulée  observe-t-il ,  que  dans  la 
pompe  magnifique,  instituée  en  l'honneur  de  cette  divinité,  où  il 
fut  rétabli  dans  son  premier  état  (d'homme),  il  y  avait  un  prêtre 
qui  tenait  en  l'air  un  vase  d'or ,  fait  en  forme  de  mamelle ,  d'où 
il  faisait  sortir  du  lait  qu'il  répandait  dans  le  chemin  où  devait  passer 
la  déesse ,  etc. ,  etc.  (4).  » 

D.  Martin,  auteur  parfois  très-systématique,  a  bien  vu  ce  petit 
monument,  et  la  description  qu'il  a  donnée  de  notre  idole  d'Isis  est 
assez  exacte.  Mais  nous  pensons  qu'il  en  a  fort  embelli  la  représen- 
tation dans  la  gravure  qui  accompagne  sa  dissertation ,  si  nous  en 
jugeons  du  moins  par  la  pièce  de  comparaison  que  nous  mettons  ici , 
avec  fidélité ,  sous  les  yeux  des  lecteurs  ;  mais  à  l'époque  où  écri- 
vaient nos  deux  doctes  bénédictins ,  l'exactitude  était  chose  inconnue 
aux  dessinateurs  et  aux  graveurs  d'antiques,  figurines,  médailles, 
pierres  gravées ,  etc. ,  etc. 

Nous  pensons,  avec  D.  Martin,  que  notre  figurine  représente 
la  reine  et  principale  divinité  de  l'Egypte,  Isis,  devenue  plus  tard, 
en  quelque  sorte,  cosmopolite,  et  celle  des  divinités  étrangères  dont 
le  culte  et  les  mystères  (avec  ceux  de  Mithra) ,  eurent  le  plus  de 
vogue  à  Rome  et  dans  nos  Gaules ,  dans  les  derniers  temps  de  la 
république  et  sous  les  empereurs,  attribution  qui,  du  reste,  ne 


(1)  11  est  à  remarquer  que  la  statuette  d'Isis  de  M.  le  duc  de  Sully  était  creuse 
et  évidée  par  derrière.  Nous  avons  observé  cette  même  particularité  sur  une  figurine 
en  pied  de  liacchus. 


STATUETTE   ANTIQUE   EN   BRONZE.  579 

s'éloigne  point  de  celle  de  Montfaucon^  puisqu'Isis  et  Diane-Lune 
sont  deux  personnages  mythologiques  identiques. 

L'ornement  ou  attribut  dont  la  tête  de  notre  idole  est  surmontée , 
nous  paraît  ressembler  davantage  aux  cornes  naissantes  d  un  jeune 
taureau  dont  la  déesse  égyptienne  était  quelquefois  coiffée,  qu'au 
disque  de  la  lune  (5).  Son  vêtement,  par  sa  forme  et  son  agencement, 
n'est  rien  moins  que  celui  de  la  chaste  et  mystérieuse  déesse  de  Sais, 
dont  nul  mortel  n'avait  soulevé  le  voile.  Mais  c'est  ici  un  costume  tout 
romain ,  jusqu'à  l'ordonnance  de  la  coiffure,  et  qui,  par  conséquent, 
n'a  rien  d'égyptien.  Notre  statuette  date  du  temps  des  empereurs, 
or ,  l'Isis  de  Commode ,  d'Élagabale  et  des  orgies  (6)  auxquelles  ils 
présidaient  sous  les  prétendus  noms  d'initiations  et  de  mystères  isia- 
ques,  n'était  plus  cette  déesse  dont  le  voile  était  impénétrable  et 
immuable;  et  d'ailleurs,  cette  tunique  sans  corsage,  retenue  au- 
dessous  de  la  gorge  nue,  et  qui  laissait  le  buste  à  découvert,  conve- 
nait assez  à  cette  reine  de  la  nature,  à  cette  mère  de  toutes  choses, 
nommée  Multimamia,  et  qui,  entre  autres  attributions,  présidait 
à  la  fécondité  et  à  la  reproduction  de  tous  les  êtres ,  dont  étaient 
l'emblème  dans  ses  pompes  et  ses  processions ,  le  phallus  et  le 
ctéïs  que  renfermait  la  cyste  mystique  qu'on  y  portait  avec  tant  de 
solennité 

Nous  remarquerons  encore  ici ,  dans  la  disposition  de  la  draperie 
de  nos  Isis,  une  différence  sensible  au  premier  coup-d'œil,  et  qui 
prouve  qu'elles  n'ont  point  été  jetées  au  même  moule,  et  qu'elles 
appartiennent  sans  doute  à  des  ouvriers ,  et  nous  pourrions  même 
ajouter  avec  beaucoup  de  probabilité,  à  des  temps  différents,  du 
moins ,  s'il  y  a  quelque  vérité  dans  les  gravures  de  nos  deux  érudits  de 
la  congrégation  de  Saint-Maur  :  dans  mon  exemplaire  la  tunique  est 
fixée  immédiatement  sous  le  sein,  dans  les  deux  premiers,  elle  l'est 
beaucoup  plus  bas.  Ce  vêtement  y  paraît  ouvert  par  devant,  et  rien 

(5)  Si  l'on  peut  ajouter  foi  à  l'exactitude  des  gravures  des  deux  bénédictins,  l'or- 
nement de  tête  ou  le  disque  ou  croissant  qui  surmonte  la  tête  de  leurs  Isis  varie 
sensiblement  de  forme  avec  celui  qui  domine  le  front  de  la  nôtre.  Sur  les  premières 
les  deux  branches  du  croissant  s'arrondissent  et  se  rapprochent  par  le  haut,  au  lieu 
qu'elles  s'écartent  sensiblement,  en  forme  de  petites  cornes,  sur  notre  idole,  ce  qui 
indiquerait  plutôt  une  Taupoxi/Dws.  Cette  différence  est  à  signaler. 

(6)  Ces  mystères  avaient  bien  dégénéré  de  leur  but  primitif  qu'exprimaient  leurs 
symboles,  leurs  allégories  dont  les  seuls  initiés  avaient  la  clef ,  à  l'époque  dont  nous 
parlons.  A  Rome,  les  temples  d'Isis  et  ses  initiations,  devinrent  des  lieux  et  des 
occasions  de  débauches,  de  prostitutions  et  de  scandale,  ce  qui  y  fit  souvent  défendre 
son  culte  toujours  rétabli  par  le  crédit  des  partisans  de  ces  orgies ,  en  tête  desquels, 
au  rapport  de  Lampride ,  il  faut  placer  l'empereur  Commode. 


Ô80  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

n'indique  qu'il  ait  cette  forme  sur  notre  monument;  on  pourrait 
plutôt  présumer,  à  l'aspect  Je  la  partie  qui  tombe  par  derrière  jusque 
sur  les  talons  de  l'idole  ,  que  la  tunique  doit  être  ouverte  sur 
les  côtés  et  composée  de  deux  pièces  distinctes ,  selon  l'usage  des 
Lacédémon  ien  nés . 

La  ceinture  est  plus  large  que  celles  destinées  au  même  objet, 
qu'on  remarque  ordinairement  sur  les  statues  antiques,  et  qui  pa- 
raissent n'avoir  été  qu'un  simple  cordon  ou  ruban.  Celle  dont  il  s'agit 
ici  ressemble  à  une  sorte  de  ceste  ou  d'ornement  peut-être  destiné 
à  soutenir  la  gorge  à  la  hauteur  convenable ,  comme  le  font  les  cor- 
sets d'aujourd'hui.  Dans  la  gravure  publiée  par  D.  Martin,  cette 
ceinture  offre  encore  une  forme  différente  de  celle  qu'on  voit  ici. 
Elle  a  la  figure  d'un  diadème,  présente  dans  l'espace  compris  entre 
les  deux  seins ,  une  éminence  qui  se  termine  en  pointe ,  peut-être 
destinée  à  les  tenir  séparés.  Le  savant  Nadal ,  de  l'Académie  des 
Inscriptions ,  pense  que  cette  partie  de  la  parure  des  femmes ,  sou- 
mise à  l'empire  et  aux  variations  de  la  mode,  reçut,  avec  le  temps, 
une  forme  particulière ,  et  que  sa  largeur  fut  augmentée ,  appuyant 
cette  conjecture  très-probable,  de  cette  exclamation  d'une  jeune  fille 
qui,  dans  le  poëte  ïurpilius,  s'écrie:  ce  Ah!  malheureuse  que  je 
suis ,  j'ai  perdu  une  lettre  qui  s'est  échappée  de  mon  sein.  »  Plusieurs 
statues  justifient  cette  assertion  du  savant  Académicien.  L'emploi 
de  la  main  gauche  de  notre  figurine  nous  paraît  être,  comme  à 
D.  Martin ,  celui  de  tenir  relevés  et  comme  suspendus  à  la  hauteur 
du  genou ,  les  pans  ou  jets  de  sa  tunique  de  ce  même  côté.  Il  nous 
paraît  difficile  d'y  voir  un  attribut  quelconque  de  la  déesse  qui  ne  pour- 
rait guère  être  que  le  vase  rempli  d'eau  du  Nil  qu'elle  porte  quel- 
quefois dans  cette  main,  mais  dans  une  autre  attitude  (7).  L'objet 
que  nous  voyons  figurer  dans  la  main  droite  élevée  de  notre  Isis,  et 
qui  diffère  encore  sensiblement  de  forme  et  d'action  de  celui  que  la 
statuette  de  D.  Martin  tient  dans  la  même  main ,  et  qui  a  la  forme 
d'une  mamelle  dont  la  pression  fait  jaillir  du  lait,  peut  être  effecti- 
vement la  représentation  de  cet  emblème  défini  par  Macrobe  (8) , 


(7)  Dans  quelques-unes  de  ses  statues  ou  des  bas-reliefs  où  elle  est  figurée,  Isis 
est  représentée,  tenant  dans  la  main  gauche  étendue  le  long  du  corps,  un  vase  con- 
tenant de  l'eau  du  fleuve  sacré ,  et  un  sistre  ,  instrument  de  musique ,  qui  lui  était 
consacré ,  dans  la  droite  qu'elle  élève  à  la  hauteur  de  sa  tête. 

(8)  Macrobe  et  Porphyre  nous  apprennent  que  les  initiés  aux  mystères  d'Isis  trai- 
taient de  la  théorie  des  âmes,  et  que  l'aliment  symbolique  du  lait  employé  dans  ces 
mêmes  mystères ,  et  renfermé  dans  celte  mamelle ,  ou  plutôt  le  vase  en  ayant  la 


STATUETTE   ANTIQUE   EN   BRONZE.  581 

quoique  la  configuration  n'en  soit  pas  très-exacte,  et  d'un  dessin  gra- 
cieux, et  qu'il  ne  s'en  épanche  pas  plus  de  flamme,  que  de  liquide. 
Mais  nous  y  trouverions  plutôt  ce  vase  ou  récipient  destiné  à  contenir 
la  liqueur  lactée ,  signalé  dans  les  mystères  et  les  solennités  isiaques. 
C'est  avec  cette  même  bouteille ,  car  notre  prétendue  mamelle  ne 
•s'éloigne  guère  de  cette  forme  (9) ,  que  sur  un  bas-relief  en  ivoire , 
de  Buonarroti,  Isis  allaite  le  bœuf  Apis.  La  déesse  a  la  tête  coiffée 
de  la  poule  de  Numidie  ;  elle  porte  des  brasselets  au  haut  des  bras , 
aux  poignets  et  aux  chevilles  des  pieds ,  comme  on  le  voit  sur 
d'autres  figures  égyptiennes  :  elle  est  placée  sur  une  barque  de 
Papyrus,  tandis  qu'elle  vaque  à  ce  soin.  (Buonarroti,  Osserv.  Utor. 
soprà  aie.  Medagl.,  etc.,  et  Winkelmann ,  Hist.  de  lart,  t.  I, 
pages  562,  569  et  570.) 

Winkelmann  s'est  évidemment  trompé  en  paraissant  croire  que 
c'est  avec  son  véritable  sein,  et  non  avec  cette  bouteille  qu'elle 
soutient  et  élève  de  la  main  droite,  à  la  hauteur  de  sa  gorge,  en- 
tièrement couverte,  et  presque  dissimulée  par  son  vêtement,  qu'Isis 
donne  à  teter  à  Apis. 

Du  reste ,  on  doit  dire  que  plusieurs  statues ,  bas-reliefs  où  l'on 
croit  voir  figurée  la  grande  déesse  de  l'Egypte ,  ne  représentent  que 
ses  prêtresses,  les  initiées  à  ses  mystères;  telle  est,  entre  autres, 
la  belle  statue  de  cette  divinité,  de  la  galerie  du  Capitole,  offrant  la 
tunique  à  longues  manches  qui  descendent  jusqu'aux  poignets , 
tandis  que  les  parties  inférieures  du  même  vêtement  abritent  les 
pieds  du  marbre  et  que  par-dessus  se  drapent  l'habit  et  le  manteau , 
ouvrage  d'un  habile  artiste  grec  fait  sur  le  costume  égyptien,  mais 
agencé  avec  plus  de  grâces ,  de  légèreté  et  de  souplesse. 

Notre  idole,  d'origine  égyptienne,  mais  de  style  romain  ou  gallo- 
romain,  accuse  les  bas  temps  (10)  de  l'art  ;  c'est  une  copie,  une 
imitation  imparfaite  d'un  bon  modèle  (11),  qu'on  aimerait  à  re- 
forme ,  faisait  allusion  à  la  voie  lactée  où  les  âmes  descendaient  et  remontaient. 
Beaucoup  y  voyaient  seulement  un  emblème  de  la  fécondité  et  de  l'abondance. 

(9)  Ce  vase  ressemble  aussi  beaucoup  au  biberon  dont  on  se  sert  de  nos  jours 
pour  l'allaitement  artificiel  des  enfants. 

(10)  Sans  doute,  entre  la  seconde  moitié  du  IIe  siècle,  et  la  première  partie 
du  IIIe. 

(11)  Peut-être  une  statue  d'Isis  ou  d'une  de  ses  prêtresses  par  quelque  sculp- 
teur célèbre  de  l'antiquité.  C'est  ainsi  que,  dans  les  fouilles  de  Saintes,  nous 
avons  vu  découvrir  une  figurine  en  marbre,  de  Diane  chasseresse ,  d'après  la  belle 
statue  antique,  dite  de  Rambouillet,  et  qu'on  admire  aujourd'hui  au  Musée  du 
Louvre  où  elle  occupe  dignement  la  place  qu'avait  conquise  à  son  frère  l'incon- 
stante victoire. 

III.  38 


582  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

trouver  dans  les  gravures  publiées  par  D.  Bernard  de  Montfaucon  et 
D.  Martin ,  et  surtout  dans  celles  de  ce  dernier  antiquaire ,  si 
quelque  chose  de  moderne  qu'on  y  remarque  dès  la  première  vue , 
n'attestait  le  burin  d'un  artiste  complaisant.  Ce  serait  donc  encore 
une  belle  infidèle,  comme  les  traductions  de  Perrot  d'Ablancourt. 


Le  baron  Chaudruc  de  Crazannes, 


Correspondant  de  l'Institut  (Académie  royale  des  Inscriptions  ) ,  membre 
titulaire  des  Comités  historiques,  Officier  de  l'Université,  etc. 


LETTRE  A  M.  LETROME 

SUR 

LE  NOM  ROMAIN  DU  PEINTRE  GREC  DIOGÈNE. 

Chalon-sur-Saône ,  29  novembre  1846. 

Monsieur  , 

Abonné  à  la  Revue  Archéologique ,  je  reçois  aujourd'hui  le  nu- 
méro du  15  novembre.  Vous  y  avez  inséré  une  notice  sur  une  pierre 
tumulaire  qui  existe  dans  l'église  Saint-Nazaire  à  Bourbon -Lancy , 

DVM   DIOGENI.    ALP.  PICTOR. 

Ayant  découvert  cette  pierre,  j'eus  l'honneur  inattendu  de  vous  en 
envoyer,  par  M.  Compin,  un  fac-similé  en  même  temps  qu'un 
estampage  fait  par  moi  sur  l'inscription  presque  illisible  de  c.  ivlivs. 
eporedirigis que  depuis  quelque  temps  j'étais  occupé  à  net- 
toyer et  à  débrouiller.  Ce  fac-similé  avait  été  fait  après  une  première 

lecture  un  peu  rapide  ;  aussi,  plus  tard,  en  nettoyant  et  en  étudiant 

i 
attentivement  cette  épitaphe ,  je  reconnus  qu'il  fallait  lire  ALB  au 

lieu  de  ALP.  ...  En  effet,  le  bord  de  la  pierre  étant  usé,  le  bas  du 
B  était  un  peu  effacé.  Son  peu  d'apparence  m'avait  empêché  de 
le  voir. 

C'est  donc  diogenes  alrinvs  (1)  pictor  qu'il  faut  inscrire  au 
Catalogue  des  noms  d'artistes  anciens. 

Je  suis  heureux  d'avoir  pu,  pendant  mon  séjour  à  Bourbon- 
Lancy ,  rendre  quelques  services  à  l'archéologie ,  d'une  part  en  dé- 
couvrant cette  pierre  tumulaire  qui,  sans  moi,  serait  encore  et 
peut-être  pour  toujours  ignorée  ou  perdue;  d'autre  part  en  débrouil- 
lant et  rétablissant  la  véritable  leçon  de  l'inscription  suivante,  mal 
écrite  (2)  dans  Millin  : 

OTVLIVS*  EPOREDIRIGIS'  F'  MAGNVS 

PRO  *  L  *  IVLIO  v  CALENO  '  FILIO 

BORJttONIv  ET  *  DAMONAE 

VOT    SOL 

(1)  Ou  Albinius  ,  nom  qui  n'est  pas  moins  connu  qu'Albinut.  — •  L. 

(2)  Elle  n'est  pas  si  mal  écrite.  Il  n'y  a  qu'une  seule  variante  :  BORMONIEE 
DAMONAE,  au  lieu  de  BORMONI.  ET.  DAMONAE  ;  mais  Millin  avait  déjà  pro- 
posé la  correction.  Cette  légère  différence  ne  me  paraissait  pas  assez  importante 
pour  rendre  nécessaire  une  seconde  publication.  —  L. 


584  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Aussi,  Monsieur,  viens-je,  à  ce  sujet,  vous  réclamer,  la  part  qui 
me  revient  (3).  A  vous,  illustre  archéologue,  l'honneur  d'expli- 
quer et  de  commenter  ces  inscriptions  ;  nul  mieux  que  vous  ne  sau- 
rait le  faire;  à  moi,  modeste  antiquaire,  celui  d'avoir  découvert 
l'une  et  rétabli  l'autre. 

Je  suis  très-flatté,  Monsieur,  que  cette  circonstance  m'autorise  à 
entrer  directement  en  relation  avec  vous ,  et  j'ose  espérer  que  vous 
voudrez  bien  faire  insérer  ma  lettre  dans  la  prochaine  livraison  de  la 
Reçue. 

Agréez ,  etc. 


J.  Chevrier, 

Membre  de  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Chalon-sur-Saône. 

(3)  J'aurais  accordé,  de  grand  cœur,  cette  part  à  M.  Chevrier,  si  la  lettre  de 
M.  Compin  eût  fait  mention  de  lui.  Il  est  de  toute  justice  que  le  zèle  des  archéolo- 
gues reçoive  de  nous  la  seule  récompense  qu'il  soit  en  notre  pouvoir  de  leur  don- 
ner, la  mention  publique  de  leurs  découvertes  et  de  notre  reconnaissance.  —  L. 


NOTICE 


SUR 


Il  MONUMENT  C01U  SOUS  LE  NOM  DE  HAUTE-BORNE. 


Le  département  de  la  Haute-Marne  est  un  des  plus  riches  du 
royaume  en  antiquités  romaines ,  apparentes  ou  enfouies  ;  il  les 
doit  à  l'opulence  dont  jouissait  la  célèbre  cité  à'Aiidematunum ,  au- 
jourd'hui Langres  (1). 

Le  monument  dont  nous  allons  parler,  connu  dans  le  pays  sous 
le  nom  de  Haute-Borne,  nom  qui  n'est  pas  dépourvu  de  sens ,  est 
du  nombre  de  ceux  qui  appartiennent  à  cette  même  période,  quoique 
quelques  archéologues  aient  voulu  le  classer  dans  la  catégorie  de 
ceux  appelés  pierres  levées,  reconnaître  dans  sa  forme  ce  que  Ton 
appelle  un  peulvan  ou  un  men-hir,  et  le  faire  ainsi  remonter  jusqu'à 
l'ère  celtique.  Bien  que  sa  forme  soit  à  peu  près  celle  de  ces  sortes 
de  monuments,  produits  d'une  civilisation  barbare,  dont  nous  avons 
vu  un  grand  nombre  dans  nos  anciennes  provinces  d'Anjou  et  de 
Bretagne,  et  que  nous  reconnaissions  que  le  lieu  où  nous  le  voyons 
ait  jadis  été  couvert  de  bois  (  c'est  au  milieu  des  forêts  qu'ils  étaient 
ordinairement  dressés),  nous  ne  pouvons  admettre  que  les  Gaulois 
aient  donné  une  destination  à  ce  prétendu  fétiche  des  Druides,  alors 
qu'il  est  reconnu  qu'aucun  d'eux,  en  France  du  moins,  ne  porte 
d'inscription  (2);  et  puis,  n'eût-il  pas  été  bien  extraordinaire  que 
cette  borne  se  rencontrât  précisément  sur  les  confins  des  deux  États 
qu'elle  allait  délimiter?  Mais  n'anticipons  pas. 

Ce  monolithe  domine  une  plaine  très-élevée ,  assez  accidentée , 
au  pied  de  laquelle  coule  la  Marne,  à  l'aspect  du  sud-ouest.  Le 
point  qu'il  occupe  fait  partie  du  territoire  de  Fontaines-sur-Marne 

(1)  Ce  qui  a  valu  la  création  de  la  Société  historique  et  archéologique  Lan- 
groise,  autorisée  par  décision  ministérielle  du  17  juillet  1836;  et  l'établissement 
dans  cette  ville,  d'un  Musée  qui  est  disposé  dans  la  partie  absidiale  de  l'ancienne 
église  Saint-Didier,  partie  seule  encore  debout. 

(2)  On  ne  cite  que  la  pierre-écrile  de  Saulieu ,  dont  un  des  côtés  présente  des 
figures  grossièrement  dessinées ,  et  le  peulvan  de  Tredion  ,  en  Basse-Bretagne ,  qui 
se  termine  par  une  tête  barbare ,  à  peine  dégrossie. 


586  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

et  se  trouve  à  même  distance  des  villes  de  Joinville  et  de  Saint- 
Dizier  qui  sont  également  arrosées  par  cette  rivière.  Cette  énorme 


pierre  brute ,  originairement  d'une  seule  pièee,  est  de  l'espèce  dite 
fromentelle.  Son  grain  est  presque  aussi  fin  que  celui  du  marbre.  Elle 
est  néanmoins  raboteuse,  chargée  de  saillies  et  de  fonds  sur  toutes 
ses  faces,  et  semble  avoir  été  plantée  dans  l'endroit  où  nous  la 


NOTICE   SUR   UNE   HAUTE-BORNE.  587 

voyons,  telle  quelle  fut  extraite  de  la  carrière.  Sa  hauteur  est 
de  6  mètres  56  centimètres;  sa  plus  grande  largeur  à  la  base 
de  2  mètres  24  centimètres,  et  son  épaisseur  moyenne  de  45  à 
60  centimètres. 

M.  Legendre,  ingénieur  de  la  généralité  de  Champagne,  fit  opérer 
des  fouilles  à  sa  base,  en  1751  ,  dans  l'espoir  de  rencontrer  des 
indices  de  sa  destination  ;  M.  Grignon  (3) ,  membre  correspondant 
de  l'Académie  des  Sciences,  si  connu  dans  nos  cantons  par  ses  re- 
cherches sur  la  montagne  du  Châtelet  (4) ,  à  l'est  de  laquelle  se 
trouve  la  haute-borne ,  à  une  distance  de  1  kilomètre  environ ,  les 
fit  renouveler  en  1773,  dans  la  même  intention  et  tout  aussi  infruc- 
tueusement. Cette  malencontreuse  pensée  ne  servit  qu'à  ébranler 
le  monument  et  à  en  déterminer  la  chute  pendant  la  durée  d'un  vent 
violent,  le  25  novembre  1782.  Cet  accident  occasionna  la  fracture 
qui  l'a  divisé  en  deux  parties;  fort  heureusement,  le  morceau  déta- 
ché étant  resté  presque  intact ,  il  a  été  possible  de  le  rajuster  à  la 
place  qu'il  avait  occupée  ,  lors  du  redressement  du  monolithe , 
le  5  juin  1845,  par  les  soins  du  préfet  du  département  (5),  qui 
avait  obtenu  du  conseil  général  les  fonds  nécessaires  pour  cette 
restauration. 

L'inscription  que  porte  ce  monument ,  se  lit  sur  la  face  au 
levant  :  ce  n'est  pas  sa  partie  la  moins  curieuse.  Les  caractères  qui 
la  composent  sont  romains  et  assez  irrégulièrement  formés;  les 
lettres  de  la  première  ligne  ont  toutes  15  centimètres  de  hauteur, 


(3)  Pierre-Clément  Grignon,  né  à  Saint-Dizier  le  24  août  1723,  mort  à  Bourbonne- 
lès-Bains  le  2  août  1784.  L'histoire  naturelle,  la  physique  pratique  et  l'archéologie 
réclament  également  cet  homme  laborieux,  zélé  pour  sa  propre  gloire  et  pour 
l'utilité  publique.  Ses  recherches  sur  le  Châtelet  surtout,  lui  ont  fait  une  réputation 
qui  a  eu  un  immense  retentissement  au  XVIIIe  siècle.  Il  a  publié  les  résultats  des 
découvertes  faites  dans  les  fouilles  qu'il  fit  opérer  sur  cette  montagne,  et  les 
bulletins  qu'il  en  a  donnés ,  ont  été  insérés  dans  les  Mémoires  de  l'Académie ,  dont 
il  était  le  correspondant  (t.  IX,  p.  170  et  t.  XL,  p.  153.) 

(4)  Il  existait  sur  le  plateau  de  cette  montagne,  du  temps  des  Romains,  une  cité 
qu'on  suppose  avoir  été  fondée  par  les  Gaulois,  et  avoir  porté  le  nom  de  Gorse, 
Gorson,  Gorsum,  qui  est  d'origine  celtique  et  signifie  lieu  frontière,  ou  limite 
dressée.  C'est  un  élément  de  preuve  en  faveur  de  la  traduction  donnée  par 
M.  Pothier,  de  l'inscription  que  porte  la  haute-borne. 

Les  anciens  habitants  de  cette  cité  se  sont  transplantés  sur  la  rive  gauche  de  la 
Marne,  opposée  à  celle  où  se  trouve  le  Châtelet,  lorsqu'ils  furent  forcés  d'aban- 
donner leur  ville  après  les  malheurs  qui  amenèrent  sa  destruction,  avant  l'établis- 
sement du  christianisme  dans  les  Gaules.  Le  village  formé  alors  a  conservé  le  nom 
de  Gourzon. 

(6)  M.  A.  Romieu,  maître  des  requêtes  au  conseil  d'État, 


588  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

et  celles  de  la  deuxième  1 1  ;  mais  les  première,  sixième  et  huitième 
de  cette  dernière,  en  ont  environ  16,  ainsi  que  le  deuxième  t, 
dont  la  ligne  perpendiculaire  dépasse  l'horizontale  et  le  rend  aussi 
grand  que  les  trois  i.  Voyez  la  figure  plus  haut  et  l'inscription  qui 
s  y  trouve  gravée. 

Elle  a  longtemps  exercé  la  sagacité  des  savants  du  dernier  siècle  , 
témoins  l'antiquaire  Moreau  de  Mautour  (6)  et  Grignon.  Voici  ce 
qu'en  dit  le  premier  :  Viromarus,  qu'on  ne  trouve  nulle  autre  part, 
paraît  être  l'abrégé  du  nom  de  Viridomarus ,  prince  d'Autun  ,  men- 
tionné par  César  au  septième  livre  de  ses  Commentaires.  A  l'égard 
des  lettres  istat  il  if ',  comme  elles  ne  signifient  rien  par  elles- 
mêmes,  il  faut  qu'elles  soient  initiales;  elles  doivent  naturellement 
se  rendre  ainsi  :  Jovi  statoH  Ingentem  Lapidem  Inscribi  Fecit.  Le 
second  dit:  ce  Dans  une  dissertation  que  nous  avons  lue  à  l'Académie 
des  Belles-Lettres ,  nous  avons  essayé  de  rendre  le  sens  de  cette 
inscription  par  les  termes  les  plus  simples  ,  et  nous  croyons  qu'elle 
doit  se  lire  ainsi  :  Viromarus  Julii  Statili  Fïluis  (7).  » 

L'abbé  Lebœuf,  ce  savant  infatigable,  et  le  comte  de  Caylus  (8),  s'en 
sont  aussi  occupés  ;  le  premier  cherche  à  prouver,  par  des  légendes  et 
chroniques  du  Ve  siècle,  l'existence  du  nom  gaulois  Viromarus.  Le 
second ,  qui  le  cite ,  dit  :  «  Je  crois  qu'il  faut  lire  ainsi  la  dernière 
ligne  de  l'inscription  :  In  srrata  Ama  Infossus.  Pour  moi , 
ajoute-t-il,  je  voudrais  conserver  à  Viromarus  le  monument  qu'on  a 
élevé  à  sa  mémoire  :  ce  n'est  pas  sa  faute  si  César  n'a  point  parlé 
de  lui  dans  ses  commentaires.  D'ailleurs,  l'histoire  nous  apprend 
que  plusieurs  Gaulois  ont  suivi  le  parti  des  Romains ,  et  leur  ont 
donné  des  preuves  d'attachement.  » 

De  nos  jours ,  M.  l'abbé  Phulpin  (9),  curé  de  Fontaines  pendant 
plus  d'un  demi-siècle,   pour  avoir  été  plus  à  même  de  vérifier,  n'a 

(6)  Né  à  Beaune,  le  23  décembre  1654,  mort  à  Paris  le  7  septembre  1737.  L'Aca- 
démie des  Inscriptions  lui  ouvrit  ses  portes  en  1701.  Boze,  son  ami ,  lui  a  consacré 
une  courte  notice  imprimée  dans  le  tome  III  du  Recueil  de  cette  compagnie,  p.  379, 
édition  in-12. 

(7)  Second  Bulletin;  Paris,  1775.     ' 

(8)  Antiquités  Gauloises,  t.  III,  p.  427.  Il  donne  la  ligure  de  ce  monument, 
planche  CXVIII. 

(9)  Antoine  Phulpin,  né  à  Mathons,  le  4  septembre  1758  ,  mort  curé  de  Fon- 
taines, le  30  octobre  1845.  Il  sut  mettre  à  profit  les  indications  laissées  par  Grignon, 
pour  faire  opérer  sur  le  Châtelet  de  nouvelles  fouilles,  qui  furent  pour  lui  une 
source  de  fortune  ,  par  de  précieuses  découvertes  de  médailles  en  or,  en  argent  et 
en  bronze,  de  différents  modules,  parmi  lesquelles  des  Tibère,  desCaligula,  des 
Néron  et  des  Éliogabalel  dont  tout  le  monde  connaît  les  monstrueux  désordres ,  à 


NOTICE  SUR  UNE  HAUTE-BORNE.  589 

pas  été  plus  heureux.  «Nous  pensons,  dit-il  (10) ,  qu'on  peut  expli- 
quer cette  inscription ,  comme  Grignon ,  ou  adopter  l'interprétation 
suivante  :  Viromarus  Julio  Statilio  Filio;  ce  qui  ferait  de  cette  pierre 
un  monument  funèbre  élevé  par  un  père  à  son  fils.  » 

Disons  encore  que  M.  Jacob-Kolb ,  associé  correspondant  des 
Académies  royales  des  antiquaires  de  France  et  de  Châlons-sur- 
Marne,  l'a  ainsi  rendue,  dans  son  Traité  sur  la  Numismatique  (1 1)  : 
Viromarus  Jovi  Statori  Istam  Lapidem  Jussit  Fieri. 

On  voit  combien  ces  interprétations  sont  variées  et  même 
opposées. 

Nous  nous  associons  plus  volontiers  à  la  traduction  qui  en  a  été 
donnée  par  M.  Pothier,  juge-de-paix  du  canton  de  Chevillon  (  dans 
lequel  se  trouve  la  haute-borne),  à  qui  nous  en  devons  la  commu- 
nication officieuse,  parce  qu'elle  nous  semble  être  l'expression  de 
la  vérité  ;  la  voici  :  «  Viromarus  Imperator  statuù  Ibi  Leucorum 
Imperii  Fines.  Viromarus ,  nom  propre  de  celui  qui  a  érigé  le  monu- 
ment ,  qu'elle  qu'ait  été  sa  destination  ;  imperator ,  titre  honorifique 
qui  n'est  ni  celui  d'empereur,  ni  celui  de  général,  mais  tient  comme 
le  milieu  entre  l'un  et  l'autre.  Ce  titre  était  très-usité  chez  les  Ro- 
mains. Viromarus  imperator  a  fixé  en  cet  endroit  la  frontière  de 
lz État  des  Leuci  (12).  Effectivement,  Toul  (Tulli  Leucorum)  faisait 
partie  de  la  Gaule  -  Belgique ,  qui  était  séparée  de  la  Gaule-Cel- 
tique par  la  Marne  (  Matrona  ) ,  et  cette  rivière  coule  non  loin 
du  monument. 

La  même  pensée  a  été  émise,  il  y  a  quelques  années  ,  par 
MM.  Batissier,  dans  ses  Éléments  d Archéologie  nationale  (p.  163); 
et  Bourrasse,  dans  son  Archéologie  chrétienne,  (p.  38);  il  est  certain 
pour  nous  que  M.  Pothier  l'ignorait  absolument.  Cette  coïncidence  a 
l'avantage  de  fortifier  notre  opinion.  Mais  les  deux  auteurs  précités, 
font  de  la  haute-borneun  men-hirt  ce  que  nous  ne  pouvons  admettre  ; 
nous  voudrions  cependant  (  notre  notice  n'a  pas  d'autre  but)  appeler 

côté  d'hommes  incomparables ,  tels  que  des  César,  des  Auguste,  des  Antonin  le 
Pieux  et  des  Marc  Aurèle,  qui  seront  à  jamais  la  gloire  de  leurs  siècles! 

M.  Benjamin  Phulpin  ,  curé  de  Fronville,  son  neveu  et  son  légataire,  est  en  pos- 
session de  ce  riche  médailler  que  nous  voudrions  bien  voir  devenir  la  propriété  de 
l'État. 

(10)  Notes  archéologiques  sur  le  Chàtelet,  pages  86  et  87  ;  Neufchâteau ,  1840 , 
in-8°. 

(11)  Paris,  1825;  t.  Ier,  p.  66. 

(12)  Ou  bien  encore i  Viromarus  Judicio  STATuiï  Iniri Leucorum  Ibi  Fines; 
c'est-â  dire ,  Viromarus  a  décidé  par  jugement ,  qu'ici  commence  la  frontière  des 
Leuci.  Nous  devons  également  cette  interprétation  à  l'obligeance  de  M.  Pothier. 


590  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

de  nouveau  l'attention  des  érudits  sur  la  haute-borne,  soit  pour 
donner  une  nouvelle  interprétation  à  l'inscription  qu'elle  porte ,  soit 
enfin  pour  nous  fixer  sur  les  motifs  de  son  érection;  en  attendant, 
nous  persistons  à  dire  que  si  elle  eût  été  d'origine  druidique,  les 
Gaulois  l'eussent  renversée  quand  ils  reçurent  les  bienfaits  de  la  foi 
catholique. 

En  terminant ,  nous  ajouterons  qu'à  quelques  mètres  de  ce  mono- 
lithe ,  existent  encore  les  restes  d'une  voie  romaine ,  dont  on  suit  le 
tracé  depuis  la  montagne  du  Châtelet  jusqu'à  Naix  (Nasium),  quatre 
lieues  plus  loin  dans  la  Meuse,  entre  lesquelles  ce  chemin  servait 
alors  de  communication.  Il  est  à  peu  près  certain  qu'elle  a  été 
établie  sur  une  voie  plus  ancienne ,  construite  alors  que  fut  élevée 
la  haute-borne. 


T.  Pinard. 


MEMOIRE  HISTORIQUE  ET  CRITIQUE 

SUR 

LE  PORTAIL ,  LE  PORCHE  ET  LES  PEINTURES  DU  PORCHE 

DE  L'ÉGLISE  BOYALE  ET  PAROISSIALE 

DE  SAINT-GERMAIN  L'AUXERROIS,  A  PARIS. 

Orania  autem  honeste ,  et  secundum  ordinem  fiant, 
I  Cor.  xiv,  40. 

Après  cinq  longues  années  de  curieuse  attente,  le  porche  de  Saint- 
Germain  l'Auxerrois ,  l'un  des  plus  précieux  et  rares  monuments  du 
vieux  Paris ,  confié  exclusivement  aux  savantes  élucubrations  de 
M.  Victor  Mottez ,  vient  enfin  d'être  livré  aux  regards  et  aux  études 
du  public.  Par  une  heureuse  coïncidence ,  c'est  le  jour  même  où 
l'église  célébrait  le  triomphe  de  tous  les  saints  qu'a  été  exposée,  pour 
la  première  fois ,  cette  grande  page  retraçant  :  L'établissement  de 
T enseignement  évangélique  par  Jésus- Christ.  Dès  le  mois  de  juil- 
let 1844,  nous  avions  fait,  pour  notre  part,  des  réflexions  sur  l'état 
trop  disgracieux  et  stationnaire  du  vieux  portique  (Reçue  Archéolog. 
t.  I,  p.  254);  mais  l'honorable  artiste  aurait  pu,  avec  quelque  fon- 
dement, taxer  d'injustice  notre  trop  vive  impatience,  en  nous  citant 
l'exemple  d'un  de  ses  savants  confrères  qui  tient  une  des  chapelles 
du  collatéral  nord  de  Saint-Sulpice ,  fermée  depuis  douze  ans,  au 
moins.  Il  est  vrai,  qu'après  avoir  bien  et  dûment  barricadé  le  porche, 
M.  Mottez ,  qui  nous  avait  déjà  prouvé  qu'il  connaissait  parfaitement 
le  procédé  d'exécution  (l),  est  allé  s'inspirer  sur  les  fresques  de 
Rome  et  de  l'Italie  ;  mais  qu'il  nous  permette  de  le  lui  demander  : 
pour  rendre  au  portail  gothique  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  son 
ornementation  dogmatique ,  et  même  pour  l'augmenter,  était-il  né- 
cessaire d'aller  chercher  des  modèles  en  Italie?  Non,  car  il  avait  en 
France  tout  ce  qu'il  lui  importait  de  connaître  ;  en  étudiant  nos 

(1)  Par  son  essai  de  la  fresque  de  V Aumône,  peinte  dans  une  arcade  muette, 
sous  le  collatéral  sud,  auprès  de  la  sacristie.  Nous  avons  consacré  un  article  à  cette 
fresque  dans  le  journal  YUnivers,  18  février  1841. 


Jf 


592  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

richesses  en  ce  genre ,  nous  y  aurions  gagné  du  temps  et  peut-être 
plus  d'homogénéité  hiératique. 

L'ornementation  du  portail  et  du  porche  de  Saint-Germain  l'Au- 
xerrois  était  plus  endommagée  que  l'architecture;  parce  que  le  tronc 
de  l'arbre  résiste  toujours  plus  longtemps  aux  tempêtes  que  les  bran- 
ches. Le  temps  avait  rongé  les  moulures ,  détaché  les  feuilles  sculp- 
tées, émoussé  les  pinacles,  mutilé  les  statues,  décoloré  la  grande 
voussure  de  la  porte  centrale  de  ses  peintures  séculaires;  les  hommes 
et  les  animaux ,  les  monstres  fantastiques  des  gargouilles ,  agraffés 
aux  corniches ,  étaient  corrodés ,  enduits  d'une  poussière  séculaire 
dans  leurs  refouillements ,  ou  totalement  disparus.  L'homme  venant 
en  aide  à  l'action  lente  des  intempéries,  avait  raclé  la  psychostasie  du 
pèsement  des  âmes  dans  le  tympan ,  abattu  le  trumeau  de  la  baie  et 
sa  statue ,  rasé  la  galerie  à  jour  qui  couronnait  le  portique ,  les 
toits  aigus,  les  lucarnes,  les  crêtes  et  les  panonceaux  de  ses  pavil- 
lons latéraux.  La  réparation  de  tous  ces  ravages  naturels  et  physiques 
est  maintenant  aussi  digne  et  aussi  complète  que  fut  aveugle  et  in- 
juste le  mépris  dont  pendant  trois  siècles  on  a  flétri  l'architecture 
du  moyen  âge.  Aujourd'hui  que  la  faveur  revient  aux  idées  du  passé, 
que  l'administration  civile  déploie  un  grand  zèle  et  une  activité  pro- 
digieuse pour  la  description,  la  conservation  et  la  restauration  des 
monuments  religieux  que  nous  ont  légués  nos  pères  :  ceux  qui  les 
dédaignaient  naguère  se  laissent  guider  aujourd'hui  par  des  pensées 
plus  nobles  et  des  sentiments  plus  élevés.  Ainsi  les  publicistes  qui, 
dans  un  moment  d'égarement,  avaient  demandé  qu'on  renversât  cette 
vénérable  église  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  que  le  savant  histo- 
rien du  Louvre,  M.  le  comte  de  Clarac,  a  appelée  le  Saint-Denis  du 
génie,  de  la  probité  et  du  talent  (1);  viennent  aujourd'hui  par  un  juste 
retour  applaudir  à  la  bienveillance  dont  elle  est  l'objet,  et  déclarer 
quelle  en  est  digne  à  bien  des  titres.  Mais  avant  que  d'examiner  l'exé- 
cution, l'intelligence  et  l'esprit  religieux  des  peintures  de  la  statuaire 
et  du  porche,  qui  viennent  d'être  livrées  au  public,  l'urgence  ou  la 
nécessité  de  cette  décoration ,  et  si  on  y  a  toujours  suivi  les  règles 
qu'impose  une  sérieuse  restauration  monumentale,  nous  avons  jugé 
qu'il  était  indispensable  de  donner  quelques  détails  historiques  et 
techniques  sur  ce  portail. 

Il  n'y  a  à  Paris  que  deux  monuments  du  style  ogival  qui  soient 

(I)  Par  allusion  aux  sépultures  des  personnages  illustres  et  des  savants  qui  y 
furent  inhumés. 


ÉGLISE   SAINT-GERMAIN  l'AUXERROIS.  593 

précédés  d'un  porche  :  la  Sainte-Chapelle  et  Saint-Germain  l'Auxer- 
rois.  Le  portail  occidental  de  Notre-Dame  a  perdu  les  statues  de  ses  * 
trois  voussures ,  parce  qu'elles  se  présentèrent  au  premier  plan  à 
l'œil  des  iconoclastes  de  1793.  Tout  porte  à  croire  que  le  curieux 
porche  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  a  protégé  contre  leur  fureur  les 
effigies  de  rois,  reines  et  saints  qui  se  dressent  encore  dans  l'ébrase- 
ment  de  la  grande  entrée  du  portail  de  l'ouest.  Ce  magnifique  portail 
fut  construit  de  1 285  à  1 300 ,  sous  le  règne  de  Philippe  le  Bel ,  pen- 
dant l'épiscopat  d'Etienne  Tempier  ou  de  Ranulphe  de  la  Homblon- 
nière;  mais  la  sculpture  n'en  fut  exécutée  que  de  1300  à  1314. 
Tandis  que  Philippe  faisait  bâtir  le  portail  collatéral  nord  de  Notre- 
Dame,  avec  une  partie  des  sommes  qu'il  avait  confisquées  sur  les  tem- 
pliers, les  chanoines  de  Saint-Germain  l'Auxerrois,  considérant  que 
l'instruction  du  peuple  et  l'édification  des  fidèles  est  le  but  principal 
du  christianisme,  firent  sculpter,  sur  la  voussure  et  le  tympan  de  la 
porte  d'honneur  de  leur  collégiale  (l),  la  représentation  du  jugement 
dernier,  figurée  au  milieu  par  le  prince  de  la  milice  céleste ,  Saint- 
Michel  pesant  les  âmes  dans  une  balance  ;  le  paradis  où  les  âmes 
des  justes  voyent  Dieu,  et  jouissent  d'un  bonheur  éternel  ;  les  anges 
qui  prient  le  trois  fois  saint  ;  les  apôtres  qui  siègent  sur  des  trônes 
en  chantant  sa  gloire  et  sa  justice.  La  parabole  divine  des  vierges 
sages  attendant  l'époux,  et  des  vierges  folles  privées  de  lumière  au 
moment  de  son  avènement.  Puis  l'enfer  destiné  au  supplice  éternel 
de  ceux  qui,  par  une  mauvaise  vie,  se  sont  rendus  indignes  de 
l'inépuisable  miséricorde.  Sur  le  trumeau  séparant  la  porte  en  deux 
parties,  le  Christ,  lumière  du  monde,  ou  bien,  suivant  une  opinion 
avancée  sans  preuve  par  quelques  topographes,  Saint -Germain, 
évêque  d'Auxerre,  siégeant  dans  la  niche  attachée  à  ce  pilier  central. 
Ainsi  le  chapitre  de  la  royale  église  voulait  qu'en  entrant  dans  la 
maison  de  Dieu ,  tous ,  même  le  grand  nombre  de  ceux  qui  ne  sa- 
vaient pas  lire ,  eussent  sous  leurs  regards,  partout  où  ils  les  dirige- 
raient ,  l'image  toujours  aimable  du  Christ  et  de  ses  saints  ;  il  pro- 
voquait ainsi  la  méditation  sur  le  bienfait  de  l'incarnation  du  Verbe, 
sur  les  promesses  divines ,  et  rappelait  en  montrant  le  dernier  juge- 
ment la  nécessité  de  s'examiner  sévèrement ,  et  d'expier  ses  fautes 
par  la  pénitence. 
Au-dessous  de  cette  imposante  psychostasie  dogmatique,  et  de 

(i)  Anciennement  la  porte  du  centre  était  exclusivement  réservée  aux  proces- 
sions et  aux  personnes  royales.  Les  hommes  et  les  femmes  étant  séparés  pendant  les 
offices,  entraient  et  sortaient  par  les  portes  latérales ,  du  côté  qui  leur  était  affecté. 


594  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

chaque  côté  de  l'arcade  formant  l'encadrement  de  cette  solennelle 
entrée ,  se  dressèrent  les  personnages  d'élite,  rois,  reines  et  saints , 
fondateurs,  patrons  et  protecteurs  de  la  collégiale.  Toutes  ces  statues 
roides  et  immobiles  portées  depuis  six  siècles  par  des  monstres  gro- 
tesques et  fantastiques,  personnification  ingénieuse  des  vices  dont  ces 
bienheureux  ou  princes  avaient  triomphé ,  et  qui  semblent  hurler  de 
désespoir,  comme  si  les  redoutables  paroles  de  l'exorcisme  pronon- 
cées le  jour  de  la  consécration  de  l'église ,  avaient  frappé  leur  fureur 
d'impuissance  :  toutes  ces  statues ,  disons-nous ,  étaient  alors  nuan- 
cées de  haut  en  bas  ;  les  parties  nues  avec  les  tons  de  la  carnation , 
les  draperies  alternativement  en  couleur  et  en  dorure,  à  l'imitation 
des  étoffes  damassées.  Déjà  ce  portail  était  dès  l'origine  précédé  d'un 
porche  dont  il  nous  reste  des  vestiges  dans  les  deux  pavillons  laté- 
raux ,  contenant  à  droite  la  curieuse  chambre  aux  archives ,  et  à 
gauche  l'ancien  retrait  du  gardien  prêtre  de  l'église  ,  occupé  aujour- 
d'hui par  la  soufflerie  du  grand  orgue.  Jusqu'en  1838,  les  fenêtres 
à  meneaux  trefflés  de  ces  chambres  furent  armées  de  treillis  de  fer 
dont  les  mailles  à  nœuds  étaient  fort  serrées.  On  a  descellé  ces  vieux 
treillis  ;  à  peu  près  contemporains  des  fenêtres  qu'ils  protégaient,  sous 
le  prétexte  que  formant  saillie  sur  l'architecture ,  ils  en  brisaient  les 
lignes  ;  comme  si  l'architecture  gothique ,  celle  des  XIVe  et  XVe  siè- 
cles surtout,  ne  se  distinguait  pas  essentiellement  par  des  lignes 
brisées ,  des  ressorts ,  des  saillies  et  des  retraites  continuelles. 

Environ  cent  trente  ans  après  l'élévation  du  portail,  et  pendant  la 
domination  des  Anglais ,  les  marguilliers  de  la  paroisse ,  dont  l'érec- 
tion ne  remontait  pas  encore  à  deux  siècles ,  firent  construire  avec 
l'autorisation  du  chapitre ,  aux  frais  de  l'œuvre  et  des  paroissiens,  le 
porche  à  physionomie  anglaise  que  nous  voyons,  sur  l'emplacement 
de  l'ancien.  Jean  Gaussel ,  mâçon-tailleur  de  pierres ,  ainsi  que  se 
qualifiaient  modestement  les  architectes  de  ce  temps,  y  procéda  en 
comblant  l'intervalle  qui  séparait  les  pavillons ,  et  en  les  réunissant 
au  moyen  des  trois  grandes  arcades  du  devant ,  qu'il  raccorda  habile- 
ment avec  les  constructions  de  la  fin  du  XIIIe  siècle.  Suivant  un 
renseignement  puisé  par  nous  dans  un  cartulaire  du  chapitre,  Gaussel 
commença  ce  travail  en  1431,  et  non  en  1435  comme  l'a  écrit  Sau- 
vai ,  1. 1 ,  p.  302.  Or  ce  fut  en  cette  même  année  1431  que  Henry  V, 
roi  d'Angleterre ,  croyant  ranimer  son  parti,  affaibli  par  la  haine  des 
Français  et  les  exploits  victorieux  de  Charles  VII ,  vint  se  faire 
sacrer  à  Paris  :  les  troubles  incessants  et  la  misère  publique  qui  sui- 
virent cette  vaine  cérémonie,  firent  suspendre  les  travaux  du  porche, 


ÉGLISE   SAINT-GERMAIN    L'AUXERROIS.  595 

ils  ne  furent  continués  qu'après  la  prise  de  Paris  sur  les  Anglais,  le 
13  avril  1436  :  expulsion  à  laquelle  contribua  glorieusement  un  des 
plus  notables  paroissiens  de  Saint-Germain  l'Auxerrois ,  Michel  de 
Lallier,  prévôt  des  marchands  en  1437,  dont  les  cendres  reposaient 
dans  cette  église ,  sous  le  collatéral  nord ,  vers  le  banc  de  l'œuvre. 
Le  porche  de  Saint-Germain  ne  fut  totalement  achevé  qu'en  1439. 
Jean  Gaussel  reçut  pour  sa  main  d'oeuvre  neuf  cent  soixante  livres 
parisis,  représentant  environ  six  mille  six  cent  dix  francs  de 
notre  valeur  actuelle  (1).  Alors  les  chanoines,  rigides  observateurs 
des  formules  liturgiques  ,  eurent  pour  l'accomplissement  de  certaines 
cérémonies  extérieures  du  culte ,  une  large  et  long  portique  ,  ouvert 
par  deux  arcades  ogivales  sur  les  côtés ,  et  par  cinq  de  face  qui  répon- 
dent ,  ou  à  peu  près,  aux  cinq  nefs  de  l'intérieur  (2). 

(1)  Suivant  l'Almanach  des  monnaies  de  1785,  et  le  Dict.  des  dates,  au  mot  : 
argent ,  le  marc  d'argent  valait  alors  huit  livres  ,  et  la  livre  représentait  6  francs 
88  c.  4  m.  d'aujourd'hui.  Nous  disons  que  Gaussel  reçut  cette  somme  pour  sa  main- 
d'œuvre,  parce  que  rien  ne  prouve  qu'il  ait  fourni  les  matériaux  qui  sont,  en  gé- 
néral ,  d'excellente  roche  dure  pour  les  soubassements  et  de  roche  du  moulin  pour 
le  corps  du  monument.  Cette  pierre,  d'un  grain  fin  et  serré,  paraît  provenir  des  car- 
rières Saint- Jacques,  qu'on  exploitait  alors,  et  de  celles  du  territoire  entre  Arcueil 
et  Gentilly.  Son  prix  devait  être  peu  élevé  et  relatif  au  taux  de  l'argent:  puisqu'au 
siècle  suivant,  la  pierre  qui  entra  dans  la  construction  de  la  tour  de  Saint-Jacques 
la  Boucherie,  de  1508  à  1522,  ne  coûta  que  vingt  sous  le  charriot.  (Levillain, 
Hist.  de  Saint-Jacques  la  Boucherie,  p.  71.) 

(2)  A  l'imitation  du  temple  de  Jérusalem  les  premières  églises  eurent  des  portiques 
devant  lesquels  il  y  avait  souvent  une  fontaine  ou  une  citerne.  Les  personnes  qui 
entraient  dans  l'église  allaient  s'y  laver  le  visage  et  les  mains.  Cette  purification 
était  un  emblème  de  la  pureté  intérieure  de  l'âme.  C'est  sous  le  portique  que,  sui- 
vant l'ancienne  discipline,  se  tenaient  les  pénitents.  On  y  instruisait  les  catéchu- 
mènes, et  plusieurs  cérémonies  du  culte  s'y  accomplissaient.  Le  clergé  du  moyen 
âge  observa  longtemps  ces  édifiantes  coutumes,  soit  sous  le  porche  ou,  à  défaut,  à  la 
porte  de  l'église.  C'était  sous  le  porche  que  siégeait  le  juge  ecclésiastique,  soit  offi- 
ciai ,  soit  archi-prêtre ,  dans  les  siècles  où  leurs  sentences  se  prononçaient  aux  portes 
des  églises.  C'était  là  que  se  faisaient  les  exorcismes  et  les  initiations  du  baptême, 
la  célébration  des  mariages,  les  relevailles  et  l'imposition  des  cendres  au  peuple. 
C'était  là  ,  en  France,  la  destination  des  porches;  peu  d'églises  en  étaient  privées; 
on  en  voit  encore  beaucoup ,  surtout  devant  les  églises  des  campagnes;  mais  selon 
la  discipline  actuelle  ils  ne  servent  plus  à  aucun  usage ,  sinon  pour  abriter  dans  les 
jours  de  grandes  solennités  annuelles,  ceux  qui  n'ont  pu  trouver  place  dans  les  rangs 
pressés  des  fidèles  qui  remplissent  l'intérieur  de  l'église.  Cependant  il  est  bien  de 
conserver  les  porches  ,  non-seulement  sous  le  point  de  vue  archéologique  ;  mais  pour 
ne  pas  rompre  la  chaine  qui  lie  les  temps  anciens  aux  temps  modernes.  Sous  ce  rap- 
port, le  porche  de  Saint-Germain  l'xVuxerrois  offre  un  immense  intérêt,  puisqu'il 
fut  bâti  pour  y  continuer  la  pratique  de  saintes  cérémonies  qui  s'accomplissaient 
avant  à  l'air  libre ,  dans  les  temps  où  la  civilisation  était  moins  avancée  et  nos  pères 
plus  robustes.  On  sait  que  cette  église  fut  longtemps  le  baptistère  de  la  cathédrale 
pour  les  habitants  des  campagnes  à  l'ouest  de  Paris  :  «  Alors,  dit  l'abbé  Lebeuf , 
«  qu'elle  était  dans  la  campagne  et  qu'elle  n'était  pas  resserrée  dans  une  cité  dont 


596  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Nous  avons  trouvé  dans  une  espèce  d'invention  de  titres  faisant 
partie  des  anciennes  archives  capitulaires  de  cette  collégiale,  que  la 
cotisation  des  paroissiens  pour  subvenir  aux  frais  de  construction  de 
ce  porche,  devenait  une  sorte  d'impôt  exigible ,  même  en  justice.  Ce 
qui  le  prouve ,  c'est  qu'un  boulanger,  que  ce  document  manuscrit 
appelle  Regnault  Deste  ,  ayant  été  taxé  pour  sa  part  à  huit  sous  pa- 
risis ,  dont  il  paya  d'abord  la  moitié ,  subit  ensuite  un  procès  que  lui 
intentèrent  les  marguilliers,  parce  qu'il  leur  avait  sans  doute  fait  dif- 
ficulté de  solder  le  reste  de  sa  taxe,  et  il  fut  condamné  à  payer,  avec 
dépends  (1). 

Le  porche  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  appartient  au  style  ogival 
tertiaire  ou  flamboyant  introduit  dans  les  édifices  de  1400  à  1450. 
Les  piliers  sont  cantonnés  de  nervures  prismatiques  qui  suivent  le 
contour  des  arcades  jusqu'aux  voûtes  quelles  traversent  pour  se 
réunir  à  des  clefs  délicatement  ciselées.  A  l'extérieur,  les  rampants 
sont  ourlés  d'une  élégante  archivolte  formée  de  feuilles  de  lierre ,  de 
vigne  ou  de  chardon,  réunies  en  guirlandes  dans  les  gorges  ;  de  di- 
stance en  distance,  de  larges  feuilles  de  chou  ou  de  chicorée  s'en 
échappent  pour  se  développer  en  crosses  ou  en  crochets.  Le  sommet 
de  l'arc  est  amorti  par  un  acrotère  dont  le  culot  de  couronnement 
est  formé  par  un  ajustement  singulier  d'hommes  et  d'animaux  en- 
trelacés. On  y  remarque,  entre  autres  grotesques,  un  singe  jouant 
de  la  cornemuse  devant  trois  autres  singes  qui  gambadent ,  et  un 
autre  qui  prend  un  chien  par  le  cou,  tandis  qu'un  loup  le  mord  lui- 
même  au  bas  de  l'échiné.  Du  reste,  les  piliers  à  l'extérieur  sont 
chargés  de  niches  remplies  récemment  de  statues  abritées  sous  leurs 
dais  déchiquetés,  et  de  pinacles  simulés  appliqués  sur  les  murs.  Les 
feuilles  qui  courent  dans  les  gorges  ou  qui  grimpent  sur  les  ram- 


les  murs  impénétrables  étaient  solidement  entretenus.  La  Seine  y  avait  été  conduite 
fort  facilement ,  et  elle  y  formait  un  bassin  pour  y  donner  le  baptême  par  immer- 
sion. L'évêque  s'y  transportait  dans  le  besoin  avec  quelques  uns  de  son  clergé,  qui 
étaient  censés  ne  faire  qu'un  corps  avec  celui  de  cette  église  baptismale.  »  (Disser- 
tation sur  l'origine  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois.  —  Dissertations , 
t.  II,pxj.) 

(1)  Suivant  la  législation  ecclésiastique  et  civile  du  moyen  âge ,  la  réparation  des 
églises  paroissiales  était  une  charge  privilégiée  partagée  entre  la  fabrique  et  les  ha- 
bitants. Ces  derniers  étaient  tenus  de  réparer  la  nef,  le  portail,  les  murs  du  cimetière 
et  de  fournir  un  logement  au  curé  ;  mais  ni  l'entretien  ni  les  reconstructions  du 
chœur  et  du  canccl,  ainsi  que  les  livres,  ornements  et  vases  sacrés,  n'étaient  à  la 
charge  des  paroissiens ,  mais  à  celle  de  l'œuvre.  A  Saint-Germain  l'Auxerrois ,  le 
chapitre  ,  comme  gros  décimateur,  était  tenu  subsidiairement  des  grosses  répara- 
tions du  chœur,  dont  il  jouissait  exclusivement. 


ÉGLISE   SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  597 

pants  des  arcs  de  la  façade  et  des  extrémités,  sont  fouillées  avec  la 
plus  grande  délicatesse.  Parmi  cette  végétation  de  pierre,  on  dis- 
tingue des  escargots  qui  s'y  traînent  et  des  chiens  qui  en  piétinent 
les  rinceaux.  Tel  est  le  caractère  général  de  ce  curieux  monument 
de  style  anglais  à  surface  horizontale,  style  qui  exclut  les  toitures  et 
les  combles.  Mais,  pour  mieux  en  faire  ressortir  tout  l'archaïsme  et 
la  gracieuse  originalité,  entrons  dans  quelques  détails  rapides. 

Des  trois  grandes  voûtes  du  porche,  celle  du  milieu  comprend  la 
grande  porte  historiée  du  XIIIe  siècle.  Toutes  les  trois  ont  la  forme 
d'une  voûte  d'arête  croisée  en  pendentif,  pénétrée  par  quatre  ber- 
ceaux en  ogives  ;  seulement  la  plus  grande  se  présente  en  largeur, 
et  les  deux  autres  dans  le  petit  sens.  Toutes  les  nervures  formées 
de  moulures  prismatiques  sont  décorées  à  leur  point  d'intersection 
par  de  fines  rosaces  et  de  bizarres  figures  fantastiques  d'hommes  et 
d'animaux.  Elles  tombent  ou  se  pénètrent,  suivant  la  manière  carac- 
téristique de  cette  époque,  sur  de  délicieux  culs-de-lampe  de  même 
nature  que  les  clefs,  dont  celui  à  gauche  de  la  porte  représente  un 
fou  qui  tire  une  espèce  de  lézard  par  la  queue  ;  et  celui  à  droite,  un 
personnage  tenant  un  phylactère  entre  deux  figures  grotesques  (l  ). 
On  voit,  aux  quatre  points  de  la  rosace  centrale,  les  quatre  animaux 
mystérieux  de  la  vision  d'Ézéchiel,  dont  ce  prophète  a  fait  le  sym- 
bole de  toute  la  nature  vivante ,  et  dont   chacun  est  le  roi  de  son 
espèce  :  l'homme,  le  lion,  le  bœuf  et  l'aigle,  êtres  allégoriques  que 
ce  même  prophète  attache  au  char  de  l'Éternel ,  et  dont  les  saints 
Pères  ont  appliqué  la  figure  aux  quatre  évangélistes.  Dans  les  deux 
arcades  de  flanc,  on  retrouve  la  même  décoration  que  sur  la  façade  : 
elles  sont  encadrées  de  pinacles  anguleux,  accompagnées  de  niches 
avec  dais  et  piédestaux  ornés.  Ces  niches  sont  au  nombre  de  dix-huit, 
réparties  dans  toute  l'étendue  du  porche.  Deux  seulement  à  l'intérieur 
avaient  conservé  leurs  figures  :  dans  celle  à  gauche  on  voyait  saint 
François  d'Assise,  instituteur  de  l'ordre  des  frères  mineurs,  ou  capu- 
cins, enlevée  mal  à  propos  de  la  place  qu'elle  occupait  depuis  un 
siècle ,  et  placée  aujourd'hui  dans  la  niche  en  retour  du  côté  de  la 

(1)  On  pourrait  voir  dans  ces  sculptures  drolatiques  du  portail  de  Saint-Germain 
l'Auxerrois,  une  réminiscence  de  Grand  Johan,\e  fou  en  titre  d'office  de  Char- 
les V,  que  ce  roi ,  surnommé  le  Sage,  fit  inhumer  dans  cette  collégiale,  sous  un 
riche  mausolée  de  divers  marbres,  surmonté  de  l'effigie  en  pied  de  ce  prince  de  la 
Marotte.  Charles  porta  même  la  générosité  jusqu'à  faire  brûler  douze  livres  de  cire 
aux  obsèques  de  Grand  Johan  ,  dont  M.  A.  A.  Monleil  a  retrouvé  la  quittance  dans 
les  comptes  de  la  maison  de  ce  roi.  (Hist.  des  Français  des  div.  Étals.  XIVe  siècle. 
Les  anc.  et  les  nouv.  abus.  Ep.  97,  t.  H ,  p.  310  et  note  t32c.) 

III.  39 


598  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

rue  des  Prêtres.  Et  dans  celle  à  droite,  où  elle  est  restée,  sainte 
Marie  l'Égyptienne,  pénitente  des  déserts  de  la  Palestine,  tenant 
cinq  pains  enveloppés  dans  un  linge,  et  couverte,  pour  tout  vêtement, 
de  ses  longs  cheveux,  que  M.  Mottez  a  eu  l'attention  de  dorer  à  la 
manière  des  divinités  païennes  trouvées  dans  les  ruines  de  la  Grèce  et 
de  l'Italie. 

Dans  les  gorges  des  ogives,  sur  les  rampans  des  archivoltes,  ou  en 
support,  apparaissent  parmi  les  légers  rinceaux  de  feuilles  et  de 
fleurs,  des  figures  humaines,  des  aigles,  des  coqs,  des  salamandres, 
des  dragons  et  des  chiens.  Sur  la  clef  principale  de  la  voûte  latérale 
à  gauche ,  on  a  sculpté  plus  tard  un  assez  beau  bas-relief  représen- 
tant l'adoration  des  mages;  et  à  la  clef  correspondante  de  l'autre 
voûte  à  droite,  qui  était  demeurée  lisse,  on  a  appliqué  dernièrement 
un  bas-relief  dont  le  sujet  est  la  Cène.  Ce  bas-relief,  dont  la  dimen- 
sion exacte  nous  fait  présumer  qu'il  aurait  pu  avoir  été  détaché  jadis 
de  cette  même  clef,  a  été  retrouvé  en  1839  par  M.  Lassus  :  il  fer- 
mait en  guise  de  tampon  l'œillard  que  l'on  remarque  à  la  voûte  en 
bas  du  collatéral  de  la  Sa inte- Vierge ,  et  qui  est  un  vestige  de  l'an- 
cien clocher  ou  campanille  paroissial ,  au  temps  où  le  chapitre  ne 
laissait  que  ce  collatéral  pour  l'usage  d'une  paroisse  six  fois  plus  con- 
sidérable en  population  qu'aujourd'hui. 

Les  seize  niches  quittaient  vides  ont  été  remplies,  en  1842,  par 
des  statues  en  pierre  tendre,  exécutées  par  M.  Desprez,  sculpteur, 
ou  sous  sa  direction.  On  y  remarque  particulièrement  les  effigies 
des  six  évêques  canonisés  de  Paris  et  des  quatre  reines  de  France 
mises  aussi  au  nombre  des  saints  (l).  Toutes  ces  statues  sont  placées 
dans  l'ordre  suivant,  y  compris  les  deux  anciennes  dont  nous  venons 
de  parler  : 

(1)  Toutes  ces  statues  ,  trop  courtes  pour  les  niches,  et  qui  semblent  n'avoir  pas 
été  faites  pour  la  place  qu'elles  occupent,  puisqu'elles  ne  s'y  collent  pas  parfaite- 
ment ,  laissent  aussi  beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  du  Gni  d'exécution  :  i!  est 
vrai  qu'elles  n'ont  été  payées  que  deux  cent  quatre-vingt-cinq  francs  vingt-cinq  cen- 
times chacune ,  suivant  délibération  du  conseil  municipal  du  12  juin  ISiO,  qui 
alloue  un  crédit  de  treize  mille  quatre  cent  cinquante -deux  francs,  destiné  à  l'exécu- 
tion de  quarante-huit  statues  pour  les  façades  de  Saint-Germain  l'Auxerrois,  Saint- 
Mer.ry  et  Saint-Nicolas  des  Champs.  Ceci  rappelle  un  peu  l'anecdote  de  ce  bibliophile 
qui  demandait  à  un  libraire  combien  il  lui  vendrait  la  toise  cube  de  livres.  Au 
reste,  les  statues  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  sont  assurément  les  plus  mauvaises 
de  cette  commande  en  bloc.  Indépendamment  de  leurs  effigies  au  portail ,  les  quatre 
reines  canonisées  de  France,  sont  encore  représentées  dans  le  vitrail  qui  éclaire 
la  tribune  de  la  reine.  (Voir  Revue  Archéolog.,  t.  III,  p.  412.) 


EGLISE    SAINT-GERMAIN    L'aUXERROIS.  599 

Partie  da  milieu  ai  porche  (XVe  siècle)  : 

Saint  Charlcinagnc ,  empereur,  mort  le  28  janvier  814. 
Saint  Louis,  roi  de  France  ,  mort  à  Tunis  le  25  août  1270. 
Saint  Denis,  premier  évêque  de  Paris  et  martyr,  entre  275  et  286. 
Saint  Marcel,  neuvième  évoque  de  Paris,  le  1er  novembre 436. 
Saint  Germain  .vingtième  évêque  de  Paris,  le  28  mai  576. 
Saint  Cérau  ,  vingt-cinquième  évêque  dé  Paris  ,  qui  vivait  en  614. 
Saint  Landry,  vingt-huitième  évêque  de  Paris,  enterré  dans  cette  église  vers  666. 
Saint  Agilbcrt  (ou  Aglibert),  trente-deuxième  évêque  de  Paris,  mort  en  68!. 
(  La  proportion  de  ces  huit  statues  est  de  1  mètre  40  c  ) 


Côté  droit 


Parties  latérales  da  porche  (XIVe  siècle)  : 

Sainte  Clotilde ,  femme  de  Clovis  Ier,  morte  entre  537  et  555. 
Sainte  Radegonde ,  femme  de  Clotaire  Ier,  13  août  587. 
Sainte  Marie  l'Égyptienne,  solitaire  vers  431. 
{  Saint  Cloud,  prêtre,  petit-fils  de  sainte  Clotilde,  560.  (En  re- 
tour d'angle.) 
Saint  Amateur,  évêque  d'Auxerre ,  prédécesseur  de  Saint-Ger- 
main l'Auxerrois,  sur  ce  siège,  mort  en  418.  (Au  fond.) 

Sainte  Isabelle  de  France,  vierge,  sœur  de  saint  Louis,  abbesse 

et  fondatrice  de  Longchamps  ,  morte  en  1270. 
Sainte  Bathilde ,  femme  de  Clovis  II ,  et  abbesse  de  Chelles , 

en  680. 
Sainte  Jeanne  de  Valois ,  fille  de  Louis  XI ,  et  première  femme  de 

Louis  XII,  en  1505. 
Saint  François  d'Assise,  fondateur  des  frères  mineurs ,  en  1226. 

(Statue  ancienne,  en  retour  d'angle.) 
Saint  Allode,  disciple  et  successeur  de  Saint-Germain  sur  le  siège 

d'Auxerre ,  vers  460. 

(  La  proportion  de  ces  dix  statues  est  de  1  mètre  70  c7) 

Ce  porche ,  si  richement  ciselé  et  dont  les  pavillons  ont  recouvré , 
en  1840,  leurs  toits  à  angles  aigus,  leurs  lucarnes  et  leurs  riches 
faîtages  à  découpures,  est  là,  comme  une  sorte  de  proscenium,  au 
fond  duquel  se  développe  le  dogme  sacré  de  la  vie  future ,  des  peines 
et  des  récompenses  éternelles.  Les  portes  de  cette  façade,  que  recouvre 
le  porche,  sont  au  nombre  symbolique  de  trois,  comme  à  la  plupart 
des  cathédrales,  pour  honorer  le  mystère  d'un  seul  Dieu  en  trois 
personnes ,  et  parce  qu'aux  XIIIe  et  XIVe  siècles,  les  hommes  étant 
placés  du  côté  de  l'Épitre  et  les  femmes  du  côté  de  l'Évangile ,  les 
hommes  sortaient  par  la  porte  à  droite  et  les  femmes  par  la  porte  à 
gauche.  La  grande  porte  centrale,  étant  réservée  à  Dieu  qui  com- 


600  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

mande  à  l'univers  et  au  roi  son  représentant  sur  la  terre,  devait  se 
distinguer  par  sa  magnificence;  aussi  y  retrouve-t-on  tout  le  carac- 
tère de  l'ornementation  chrétienne  à  la  fin  du  XIIIe  siècle.  Sa  vaste 
baie  est  décorée,  dans  l'ébrasement,  de  colonnes  et  de  colonnettes 
couronnées  de  chapiteaux  finement  découpés.  Six  grandes  figures 
d'un  caractère  hiératique  très-remarquable  sont  adossées  contre  les 
colonnes  et  abritées  de  dais  figurant  des  villes ,  où  on  distingue  des 
tours  rondes ,  coniques  ou  en  pointe  obtuse ,  percées  de  fenêtres  ogives 
et  carrées;  des  remparts  crénelés  et  des  maisons  dont  les  toits  à  deux 
pentes  simulent  des  tuiles  ciselées  avec  une  indicible  patience  de  dé- 
tails. Le  soubassement  au-dessous  de  cette  ordonnance  se  compose 
d'un  système  d'arcatures  en  ogives  tréflées,  supportées  par  de  triples 
colonnettes  engagées.  Les  trois  bandeaux  de  la  voussure  sont  garnis 
de  figures  en  demi-relief,  échelonnées  de  la  base  de  l'ogive  au  som- 
met, comme  les  anges  de  l'échelle  mystérieuse  de  Jacob. 

La  critique  historique  s'est  tellement  exercée  sur  les  six  grandes 
statues  qui  remplissent  si  majestueusement  l'ébrasement,  qu'il  est 
difficile  de  les  bien  expliquer  et  de  concilier  les  opinions  de  Dubreul , 
de  Sauvai ,  de  Piganiol  de  La  Force  et  de  l'abbé  Lebeuf  sur  cette 
question.  S'il  fallait,  suivant  le  livret  que  M.  le  curé  fait  vendre  en 
ce  moment  au  profit  des  pauvres,  considérer  comme  étant  celles  de 
saint  Vincent  et  de  saint  Germain  d'Auxerre,  ces  deux  statues  de 
diacre  et  d'évèque  les  plus  rapprochées  des  vantaux  de  la  porte,  on 
serait  en  contradiction  avec  Lebeuf,  le  plus  compétent  des  antiquaires 
de  son  époque,  qui  y  reconnaît  levêque  saint  Landry,  et  saint  Vul- 
franc,  diacre  de  Paris,  tous  deux  inhumés  dans  cette  église.  Il  est 
évident  que  Lebeuf  se  fonde  sur  ce  que  Piganiol  prétend,  d'après 
Sauvai ,  qu'au  XVIIe  siècle  la  statue  du  patron  titulaire  ornait  le  tru- 
meau, et  qu'à  l'époque  où  ce  trumeau  fut  supprimé  pour  élargir  la 
porte,  cette  statue  fut  enfouie,  suivant  une  prescription  canonique, 
sous  la  première  arcade  de  la  contre-nef  à  droite  (l);  mais  le  savant 

(1)  La  manière  habile  dont  les  vanteaux  de  la  belle  porte  gothique  qui  clôt  cette 
baie  avaient  été  élargis  sans  déranger  l'harmonie  de  sa  décoration ,  aurait  pu  con- 
duire à  admettre  que  la  suppression  du  trumeau  avait  été  opérée  par  Jean  Gaussel  ; 
car  cette  remarquable  menuiserie  sculptée  est  véritablement  contemporaine  du 
porche.  Mais  il  est  plus  plausible  de  fixer  l'époque  de  cette  suppression  vers  la  fin  de 
la  première  moitié  du  XVIIe  siècle  ,  lorsqu'on  imagina  de  modifier  la  forme  des  dais 
de  processions,  pour  lui  substituer  les  immenses  et  disgracieux  ciels  carrés  avec 
pentes  et  panaches,  en  usage  en  France  depuis  lors.  On  conçoit  qu'une  simple  pièce 
de  riche  étoffe  jetée  sur  quatre  bâtons  ou  portée  par  des  lances  se  prêtait  facilement 
aux  inégalités  du  sol ,  aussi  bien  qu'aux  descentes  ou  aux  montées  des  emmarche- 
ments.  Le  dais  passait  sans  difficulté  par  la  porte  gothique  divisée  par  le  trumeau, 


ÉGLISE   SAINT-GERMAIN   L'AUXERkOIS.  601 

archéologue  ignorait  sans  doute  que  sur  le  tympan  déjà  depuis  long- 
temps privé  de  son  bas-relief,  était  jadis  sculpté ,  conformément  à 
l'usage  du  XIIIe  siècle ,  saint  Michel  pesant  les  âmes ,  et  que ,  suivant 
ce  système  hiératique ,  c'était  la  statue  du  Christ  et  non  celle  de  saint 
Germain  d'Auxerre  qui  devait  occuper  la  place  d'honneur  (1).  Or, 
puisque  l'église  a  deux  patrons,  saint  Germain  et  saint  Vincent,  qui, 
dans  les  clefs  de  la  grande  voûte  de  la  nef  sont  représentés  avec  leurs 
insignes  et  leurs  monogrammes,  c'est-à-dire,  saint  Vincent  en  diacre, 
entre  un  S  et  un  V,  et  saint  Germain  entre  un  S  et  un  G ,  il  était 
rationnel  qu'on  les  plaçât  encore  au  portail,  de  chaque  côté  du 
Christ ,  de  préférence  à  deux  autres  saints  moins  connus.  Mais  sans 
nous  arrêter  plus  longtemps  à  cette  controverse  archéologique ,  pas- 
sons à  la  description  de  ces  curieuses  figures. 

La  première  à  droite,  que  l'on  croit  aujourd'hui  être  saint  Germain 
d'Auxerre,  est  en  costume  épiscopal  et  coiffé  de  la  mitre;  sa  crosse 
dans  la  main  droite,  un  livre  à  fermoir  appuyé  sur  la  poitrine  et 
soutenu  par  la  main  gauche.  Ses  pieds  foulent  une  figure  d'homme 
accroupie ,  les  mains  pendantes ,  et  enveloppée  d'une  draperie.  — 
Après  la  figure  du  saint  prélat,  vient  celle  de  sainte  Geneviève,  l'il- 
lustre patronne  de  Paris,  dont  la  sainteté  future  avait  été  prédite 
par  le  même  saint  Germain.  L'humble  bergère  est  vêtue  d'un  man- 
teau gracieusement  agraffé  sur  sa  poitrine,  sa  tête  est  couverte  d'un 
voile  ;  elle  tient  dans  sa  main  gauche  un  livre  richement  relié  et  sa 
robe  relevée  ;  de  la  droite  elle  tient  un  cierge  allumé.  A  la  hauteur 
de  son  oreille,  un  petit  démon  ailé,  cornu  et  grotesque,  paraît  lui 
adresser  des  paroles  insidieuses  tout  en  cherchant  à  éteindre  de  son 

complément  de  l'imagerie  du  portail.  Mais  quand  chaque  paroisse  tint  à  se  distinguer 
par  le  dais  le  plus  vaste,  le  plus  riche  et  le  plus  lourd,  qui  souvent  n'exigeait  pas 
moins  de  douze  à  seize  robustes  porteurs,  il  n'y  eut  plus  moyen  de  faire  passer  une 
telle  machine  par  une  porte  ordinaire.  La  raison  et  le  goût  eussent  conseillé  de  ré- 
duire le  meuble  aux  proportions  de  l'immeuble  j  ce  fut  le  parti  contraire  qu'on 
adopta  ,  et  l'édifice  que  l'on  contraignit  de  s'élargir  par  la  suppression  du  trumeau. 
(1)  Il  est  plus  que  probable  que  la  statue  adossée  à  ce  trumeau  était  celle  du  Sau- 
veur; car,  parmi  divers  fragments  de  sculpture  trouvés  dans  les  tranchées  faites  en 
juillet  1839  dans  la  chapelle  polygonale  à  droite  du  chevet,  dite  des  morts,  pour  la 
reprise  en  sous-œuvre  du  mur  d'enceinte,  on  découvrit,  employée  comme  blocage  , 
une  belle  tête  de  Christ,  dont  la  longue  chevelure  est  ciselée  avec  finesse.  Cette  tête, 
fort  mutilée,  est  déposée  dans  la  chambre  aux  Archives ,  et  paraît  être  du  XIIIe  siècle. 
Elle  est  identique  avec  le  style  des  figures  du  portail.  Or,  on  sait  qu'à  cette  époque 
il  était  d'un  usage  presque  général ,  lorsqu'il  n'y  avait  qu'une  seule  grande  entrée  au 
portail  principal ,  de  placer  sur  le  pilier  du  milieu  une  grande  statue  de  Jésus-Christ 
portant  le  livre  des  Évangiles,  pour  indiquer  qu'il  est  la  lumière  du  monde  :  Ego 
lux  mundi,  et  donnant  sa  bénédiction. 


602  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 

souffle  impur  le  cierge  quelle  tient (1).  Sous  les  pieds  de  la  sainte, 
l'Esprit  de  ténèbre  exhale  en  rampant  sa  fureur  impuissante,  sous 
la  forme  d'un  monstre  fantastique  à  la  tète  d'animal  sur  un  corps 
d'homme.  —  Sainte  Geneviève  est  accompagnée  d'une  délicieuse 
figure  d'ange,  aisée  à  reconnaître  par  les  ailes  étroites  et  emplumées 
attachées  à  ses  épaules.  Sa  tète  est  nue  et  abondamment  pourvue  de 
cheveux  bouclés  ;  il  est  vêtu  d'une  robe  attachée  par  une  ceinture  et 
recouverte  d'une  longue  draperie.  Protecteur  attentif  de  la  vertu 
miraculeuse  de  Geneviève ,  il  tient  dans  ses  deux  mains  un  chande- 
lier garni  d'un  cierge  flamboyant  qu'il  semble  présenter  à  sa  protégée, 
tout  en  écrasant  sous  ses  pieds  une  figure  chimérique  ayant  une  tôle 
de  lion  attachée  à  un  corps  d'homme. 

La  première  statue  à  gauche ,  présumée  être  celle  de  saint  Vin- 
cent, diacre  de  Saragosse,  tient  dans  ses  deux  mains  un  livre  à  fer- 
mail  appliqué  sur  sa  poitrine,  les  manches  de  l'aube,  le  manipule  et 
l'étole  (qui  pourrait  bien  n'être  qu'une  ceinture  dont  on  voit  seule- 
ment les  bouts  dépasser  sous  l'aube)  sont  ornés  de  fines  broderies. 
Ses  pieds  reposent  sur  une  figure  humaine  accroupie,  vêtue  d'une 
longue  robe  et  la  tête  ceinte  d'une  couronne  orientale  rehaussée  de 
fleurons  et  de  pierreries.  En  reconnaissant  ici  l'effigie  de  saint  Vin- 
cent, diacre,  cette  figure  en  support  pourrait  bien  être  celle  de 
Dacien,  gouverneur,  pour  les  Romains,  delà  province  d'Espagne, 
par  les  ordres  duquel  saint  Vincent  fut  martyrisé.  Comme  les  gou- 
verneurs et  les  proconsuls  romains  sont  souvent  représentés  couron- 
nés sur  d'anciens  monuments  d'art ,  il  est  possible  que  le  tailleur 
d'images  du  XIIIe  siècle  ait  voulu  glorifier  le  martyr,  en  condamnant 
son  persécuteur  à  lui  servir  de  marchepied,  tout  couvert  des  insignes 

(i)  Les  anciens  sculpteurs  et  peintres  verriers  représentaient  toujours  sainte  Ge- 
neviève avec  un  cierge,  à  cause  de  cette  légende  racontée  par  les  anciens  hagio- 
graphes.  Un  dimanche  qu'elle  allait,  avant  l'aurore ,  visiter  la  basilique  de  Saint- 
Denis,  le  cierge  porté  devant  elle  par  les  filles  qui  l'accompagnaient  fut  éteint  par 
le  vent.  Il  pleuvait  ;  le  chemin  était  mauvais ,  et  les  ténèbres  épaisses.  Dans  cette  po- 
sition ,  Geneviève  prit  le  cierge  ,  qui  se  ralluma  aussitôt  qu'elle  l'eût  touché  ,  et  elle 
le  porta  ainsi  jusqu'à  l'église  ,  où  il  acheva  de  brûler  sur  le  tombeau  de  Saint-Denis. 
D'autres  légendaires,  poétisant  ce  prodige,  y  firent  intervenir  le  diable  en  per- 
sonne. Nous  avons  vu  jadis ,  au  Musée  des  monuments  français,  un  vitrail  repré- 
sentant sainte  Geneviève  qui  tenait  un  livre  d'une  main,  et,  de  l'autre ,  un  cierge 
allumé,  que  le  diable  essayait  d'éteindre  avec  un  soufflet,  tandis  qu'un  ange  ,  pla- 
nant au-dessus  de  la  sainte,  repoussait  le  souffle  du  malin  esprit.  Nicolas  Pinaigrier 
a  représenté  le  même  sujet  dans  un  des  vingt-Jeux  vitraux  du  charnier  de  Saint- 
Étienne  du  Mont.  Il  y  était  encore  en  1833  ,  lorsqu'un  vicaire  de  la  paroisse  inspira 
la  déplorable  idée  de  noyer  ce  précieux  morceau  de  six  pieds  sur  quatre  dans  une 
immense  vitre  blanche ,  où  il  perd  tout  son  effet. 


ÉGLISE   SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  603 

de  sa  puissance. — Auprès  du  saint  diacre  se  dresse  une  statue  de  roi, 
la  couronne  en  tête,  un  sceptre  dans  la  main  gauche  et  la  droite  passée 
dans  le  cordon  de  son  manteau.  Il  a  sous  les  pieds  un  monstre  fantasti 
que  à  pattes  de  chien  et  à  tète  de  vautour,  dont  les  ailes  recouvrent  une 
queue  de  reptile.  —  La  figure  qui  vient  ensuite  est  celle  dune  reine, 
la  tète  ceinte  du  diadème ,  vêtue  d'une  longue  robe  attachée  avec  une 
ceinture  brodée ,  à  laquelle  est  suspendue  une  escarcelle  qui  tombe 
du  côté  droit.  Elle  relève  sa  robe  de  la  main  gauche  et  tient  dans  la 
droite  un  bouquet  de  fleurs.  Elle  foule  de  tout  son  poids  une  figure 
d'homme  velue,  péniblement  accroupie,  dont  une  main  s'appuie  sur 
le  genou  gauche,  tandis  que  la  droite  saisit  avec  effort  la  partie  pos- 
térieure de  son  corps.  Le  savant  M.  Alfred  Maury  a  cru  voir,  dans  ces 
deux  monstres  fantastiques,  le  démon  en  personne,  écrasé  par  le 
couple  royal,  par  allusion  à  ce  texte  de  saint  Paul  :  Deus  autempacis 
conterat  Satanam  sub  pedibus  vestris  velociter  :  «  Que  le  Dieu  de  paix 
écrase  bientôt  Satan  sous  vos  pieds,  »  Ép.  Rom.,  xvi,  v.  20  (1). 

Jaillot,  le  plus  judicieux  et  le  plus  exact  des  topographes  de  Paris, 
se  fondant,  avec  une  grande  puissance  de  logique,  sur  le  testament 
de  Bertichram,  évêque  du  Mans,  établit  invinciblement  que  cette 
église  n'a  point  été  originairement  construite  par  Childebert  et  Ultro- 
gothe,  mais  bien  par  Chilperic  Ier .  Or,  si  ces  deux  statues  sont  en 
possession ,  depuis  longtemps,  des  noms  de  Childebert  et  à'Ultrogothe, 
premiers  fondateurs  supposés  de  Saint-Germain  l'Auxerrois ,  c'est 
qu'on  lisait  ces  deux  noms  sur  une  inscription  jadis  placée  entre  ces 
deux  personnages,  et  évidemment  apocryphe,  puisque  l'abbé Lebeuf 
a  remarqué  que  les  caractères  de  cette  inscription  ne  pouvaient  être 
estimés  plus  anciens  que  le  XVe  siècle,  et  que  dès  lors  ces  noms 
n'avaient  qu'une  autorité  traditionnelle  qu'il  était  permis  de  con- 
tester, aussi  bien  que  celles  qui  s'appliquent  aux  autres  statues  de  ce 
portail.  «Ainsi,  dit  M.  Pottier,  en  écartant  l'autorité  suspecte  de 
l'inscription,  on  pourrait  supposer,  avec  non  moins  de  fondement, 
que  ces  deux  statues  représentent  le  roi  Robert  et  la  reine  Constance, 
seconds  fondateurs,  et  à  titres  bien  plus  incontestables,  de  Saint- 
Germain  l'Auxerrois (2).»  Toutes  ces  statues,  qui  préparent  à  l'in- 
telligence de  la  psychologie  évangélique  représentée  au-dessus  d'elles 
dans  l'ogive,  se  distinguent  par  de  longs  bustes,  des  corsages  élevés, 
une  certaine  immobilité  dans  la  pose,  peu  de  mouvement  dans  les 


(i)  Essai  sur  les  légendes  pieuses,  p.  136. 

(2)  Te*(e  des  Monuments  français  inédits  de  X.  Villemin ,  1. I«r,  p.  57. 


604  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

draperies ,  et  par  une  naïveté  ascétique  bien  supérieure  au  sensua- 
lisme luxuriant  de  la  beauté  païenne. 

L'idée  du  jugement  universel,  aussi  effrayante  pour  les  pécheurs 
que  consolante  pour  les  justes,  est  de  toutes  les  leçons  de  morale  du 
christianisme  la  plus  capable  de  faire  une  impression  forte  et  de  lais- 
ser un  souvenir  durable  :  c'est  ce  qu'explique  la  prédilection  des  ar- 
tistes du  XIIIe  siècle  pour  la  représentation  de  cet  événement  redou- 
table, du  bonheur  des  élus  et  des  supplices  que  l'enfer  garde  aux 
réprouvés.  L'avertissement  suprême  de  la  fin  du  monde  plane  sur 
toutes  les  têtes  à  Saint-Germain  l'Auxerrois,  comme  à  Notre-Dame 
de  Paris ,  dans  la  voussure  et  le  tympan  de  la  porte  occidentale,  pour 
graver  dans  les  cœurs  ces  paroles  du  psalmiste  :  ïnitium  sapientiœ 
timor  Domini  (Ps.  110). 

La  voussure  est  divisée  en  trois  bandeaux  ou  cordons  de  figures 
couronnées  de  dais  en  arcatures  :  dans  le  premier,  les  douze  apôtres , 
tenant  les  divers  attributs  qui  les  caractérisent,  siègent  sur  des  trônes 
et  chantent  les  louanges,  la  justice  et  la  gloire  de  Jésus-Christ.  Au 
sommet ,  les  deux  dais  crénelés  qui  se  rencontrent  à  la  jonction  forment 
des  couronnes  symboliques  qui  rappellent  ce  passage  de  saint  Paul  : 
Le  Seigneur,  comme  un  juste  juge ,  donnera  en  ce  jour  la  couronne 
de  justice  à  tous  ceux  qui  désirent  son  avènement*  (2e  Ép.  à  Tim.,  4.) 
Puis,  afin  de  rappeler  que  le  fils  de  l'homme  apparaîtra  tout  d'un 
coup,  comme  un  éclair  qui  sort  de  l'orient  (Matth.,  xxiv,  v.  27), 
pour  frapper  aux  consciences,  l'artiste  a  sculpté  dans  le   second 
bandeau  la  parabole  des  vierges  sages  et  des    vierges  folles ,   que 
Jésus-Christ  expliqua  lui-même  en  recommandant  de  veiller,  parce 
qu'on  ne  sait  ni  le  jour  ni  l'heure  de  son  avènement  (Matth.  xxv,  1 
à  13).  Les  cinq  vierges  sages,  placées  à  droite  du  portail  (la  gauche 
du  spectateur),  sont  coiffées  d'un  voile;  elles  tiennent  leurs  lampes 
droites  et  pleines,  attendant  l'époux  qui  doit  venir.  Les  cinq  folles,  por- 
tant la  coiffe  mondaine  du  XIIIe  siècle,  tiennent  avec  imprévoyance 
leurs  lampes  renversées.  A  la  pointe  de  l'ogive  apparaît  le  sens  mys- 
tique de  la  parabole  :  Les  sages  sont  recompensées  et  les  folles  pu- 
nies. Deux  mains  sortent  des  nuages  tenant  chacune  un  rouleau.  Sur 
celui  de  gauche  était  écrit  :  Je  ne  vous  connais  pas  ;  et  sur  celui  de 
droite  :  Entrez  avec  moi.  Ces  deux  mains  sont  celles  de  Jésus-Christ, 
époux  aimé  des  sages  et  dédaigné  des  folles.  Ainsi,  d'un  côté  la  foi 
vive ,  gage  de  l'immortelle  béatitude  ;  de  l'autre  l'indifférence  qui  pro- 
duit la  mort  de  l'âme. 

Ainsi,  bien  averti  de  se  tenir  prêt  pour  «  le  jour  du  Seigneur,  » 


ÉGLISE    SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  605 

l'homme  est  appelé  par  les  anges,  ministres  du  Très-Haut,  au  juge- 
ment final,  qu'on  voyait  autrefois  au  milieu  de  ce  cadre (1).  Sept  de 
ces  esprits  célestes  occupent  le  troisième  bandeau  de  la  voussure.  Ils 
sont  représentés  debout,  et  plusieurs  ont  les  mains  jointes,  dans 
l'attitude  de  la  prière,  qu'on  faisait  autrefois  le  corps  droit,  sur  ses 
pieds,  cherchant  ainsi  à  fléchir  l'inexorable  justice  :  car  la  foi  nous 
enseigne  que  les  anges  intercèdent  souvent  pour  nous,  et  que  c'est 
une  salutaire  pratique  de  les  invoquer.  Au  bas  du  bandeau  et  à  gau- 
che, le  Paradis  est  figuré  par  un  vieillard  barbu  et  assis,  tenant  dans 
un  linceul  trois  âmes  sous  forme  d'enfants  nus  et  vus  à  mi-corps. 
Au-dessus,  sont  suspendues  deux  palmes  qui  se  croisent  sur  la  tête 
du  vieillard  :  touchant  et  poétique  symbole  de  la  victoire  et  du  bon- 
heur des  élus,  recueillis  comme  le  fut  l'âme  de  Lazare  portée  par  les 
anges  dans  le  sein  d'Abraham. — De  l'autre  côté,  à  droite,  aussi  au  bas 
du  bandeau,  le  pieux  artiste,  pénétré  de  la  pensée  que  l'enfer  bien 
vu  et  médité  peut  conduire  au  ciel  et  former  les  plus  grands  saints, 
a  exposé  dans  cet  étroit  espace  un  sommaire  des  peines  éternelles  : 
deux  démons  hideux  et  cornus  foulent  sous  leurs  pieds  les  réprouvés. 
Satan,  le  plus  grand  de  ces  impitoyables  exécuteurs  de  la  justice  de 
Dieu ,  se  prend  d'un  rire  effroyable  à  la  vue  des  pleurs  et  des  con- 
torsions des  damnés  ;  puis,  en  même  temps  qu'il  précipite  une  femme 
à  peu  près  nue ,  la  tête  en  bas ,  dans  l'abîme  éternel  des  vengeances 
divines,  il  excite  l'autre  démon,  armé  d'une  massue,  à  frapper  trois 
personnages  grimaçants  dans  un  gouffre  de  feu ,  et  dont  les  flammes 
ne  laissent  apercevoir  que  les  têtes.  L'un  de  ces  personnages,  coiffé 
d'une  mitre,  est  un  évêque;  les  deux  autres  sont  un  prince  et  un 
bourgeois  :  ce  qui  constitue  les  trois  ordres  du  monde  social,  le 
clergé,  la  noblesse  et  le  peuple;  et  qui,  en  nous  rappelant  que  tous  les 
rangs  et  toutes  les  conditions  fournissent  des  reprouvés  à  l'enfer, 
nous  enseigne  aussi  que  personne  ne  peut  être  justifié  devant  Dieu 
que  par  un  effet  tout  gratuit  de  sa  miséricorde. 

Puisque  le  dogme  chrétien  des  peines  et  des  récompenses  éternelles 
a  été  représenté  avec  tant  de  détails  dans  cette  voussure ,  il  devient 
évident  que,  suivant  la  même  pensée  hiératique,  l'artiste  avait  aussi 
retracé ,  dans  le  tympan ,  le  jugement  dernier  qui  doit  les  décerner. 
En  effet,  cette  formidable  scène  y  formait,  ainsi  que  nous  le  prouve- 
rons, le  complément  des  sujets  que  nous  venons  d'expliquer.  Comme 

(t)  «  Il  enverra  ses  anges ,  qui  feront  entendre  le  son  éclatant  de  leurs  trompettes, 
et  qui  rassembleront  ses  élus  des  quatre  coins  du  monde,  depuis  une  extrémité  du 
ciel  jusqu'à  l'autre.  »  (Matth.,  XXIV,  v.  31.) 


606  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

aux  Notre-Dame  de  Paris,  d'Amiens  et  de  Rouen,  le  pèsement  des 
âmes,  un  des  sujets  allégoriques  les  plus  singuliers  et  les  plus  sou- 
vent reproduits  au  moyen  âge,  était  sculpté  au  fond  de  cette  suite 
d'arcs  concentrique  et  décroissante  qui  simule  une  perspective ,  où 
M.  Mottez  à  peint  si  peu  à  propos  son  Christ  en  croix,  au  milieu  de 
la  glorieuse  plèbe  des  saints.  Saint  Michel  occupait  cette  place,  que 
tôt  ou  tard  la  science  éclairée  devra  lui  rendre,  non  pas  en  peinture, 
chose  inusitée  dans  l'espèce,  mais  en  relief,  comme  il  était  autrefois  ; 
à  peine,  pour  les  hommes  d'art  qui  ont  dirigé  cette  restauration  mo- 
numentale, de  voir  suspecter  leur  science  archéologique.  L'archange 
tenait  d'une  main  le  glaive  de  la  justice;  de  l'autre,  la  balance  du 
jugement.  Dans  l'un  des  bassins  de  cette  balance  étaient  les  âmes, 
sous  la  forme  de  têtes  humaines,  avec  leurs  bonnes  actions  et  leurs 
mérites  ;  dans  l'autre  bassin  se  trouvaient  sans  doute  les  péchés  et 
toutes  les  mauvaises  actions.  A  côté  des  âmes,  un  ange  très-bienveil- 
lant surveillait  cette  opération,  et,  de  l'autre  côte,  un  ange  déchu 
cherchait  sournoisement  à  faire  pencher  vers  lui  le  plateau  des  actions 
coupables,  en  posant  sa  lourde  griffe  sur  le  bord.  La  statue  de  saint 
Michel  terrassant  le  diable  s'élevait  en  outre  sur  la  pointe  du  pignon 
occidental ,  à  la  place  de  cet  ange  si  hétéroclyte  qui  l'amortit  aujour- 
d'hui, symbole  de  la  vélocité,  bien  que  porté  sur  une  tortue.  Le 
conseil  municipal  ayant  préféré  à  l'archange,  pour  éviter  certaines 
allusions,  cette  figure  singulière  due  cependant  au  savant  ciseau  de 
M.  Marochetti ,  mais  qui,  sans  doute,  n'a  fait  qu'exécuter  un  pro- 
gramme imposé. 

Sur  le  trumeau  l'artiste  inspiré  avait  placé  une  haute  statue  de 
Jésus-Christ  debout,  dans  l'action  de  bénir,  ou  tenant  le  livre  des 
Évangiles  ouvert,  avec  ce  texte  de  saint  Jean  gravé  sur  les  pages  : 
Ego  sum  via,  veritas  et  vita,  ou  tout  autre  applicable  au  sujet;  car 
cette  figure  était  le  corollaire  de  la  symbolique  de  l'ogive  et  du  tym- 
pan. D'où  il  résulte  qu'il  est  également  subversif  du  sens  de  cette 
symbolique  de  placer  sur  ce  trumeau,  qu'on  a  bien  fait  de  rétablir, 
une  statue  de  la  Vierge  divine ,  que  termine  en  ce  moment  M.  Des- 
prez ,  œuvre  dont  la  perfection  devra  racheter  l'inanité  des  statues  du 
porche. 

Vers  les  premières  années  du  XVIIe  siècle  commença  l'ère  des 
modifications  inintelligentes  de  la  belle  collégiale  de  Saint-Germain 
l'Auxerrois ,  et  la  destruction  de  son  unité  monumentale.  Le  vanda- 
lisme emhellisseixr  du  chapitre  et  des  marguilliers ,  préludant  aux  dé- 
vastations architecturales  de  Baccarit,  exécutées  plus  d'un  siècle 


ÉGLISE  SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  607 

après,  avec  l'agrément  de  Louis  XV,  sous  le  patronage  de  l'Académie 
royale  d'architecture,  fit  supprimer,  vers  1645,  le  trumeau  symbo- 
lique du  portail  (1),  sous  prétexte  de  rendre  l'entrée  de  l'église  plus 
vaste  et  plus  commode.  C'est,  en  conséquence,  de  cette  opération 
funeste  que  disparut  du  tympan  le  demi-relief  du  pèsement  des  âmes. 
Il  fut  remplacé  par  une  mesquine  rosace  à  huit  redans,  au-dessus 
d'un  linteau ,  décoré  à  son  milieu  d'une  tète  de  chérubin ,  bouffie  et 
de  mauvais  style  :  tête  reproduite  à  la  pointe  et  qui  a  survécu.  Toute 
cette  ornementation  pauvre  et  bizarre  vient  de  disparaître,  même 
l'inscription  tirée  du  vingt-sixième  chapitre  du  Lévitique,  gravée  en 
lettres  d'or  sur  le  revêtement  de  marbre  du  linteau  :  Pavete  ad  sanc- 
tuariam  meum.  «Tremblez  en  entrant  dans  mon  sanctuaire.»  Mal- 
heureusement les  règles  archéologiques  n'ont  pas  été  plus  respectées 
dans  ce  qu'on  y  a  substitué.  La  décoration  nouvelle  de  la  voussure 
est  anormale  et  insolite.  Quant  aux  peintures  murales  du  porche, 
c'est  une  question  à  part,  sur  laquelle  nous  reviendrons  en  son 
lieu  (2). 

C'était ,  comme  nous  venons  de  le  démontrer,  tout  un  poème  sacré 
que  le  ciseau  de  l'artiste  avait  écrit  dans  cette  voussure  au  moyen  âge; 
mais  il  en  manquait  deux  chants,  qu'une  stupide  manie  de  rajeunis- 
sement avait  lacérés  il  y  a  deux  siècles,  et  que  les  fraîches  peintures 
de  M.  V.  Mottez  ne  nous  ont  point  rendus.  Cet  habile  et  patient  fres- 
cateur  travaillait  cependant  sous  les  auspices,  peut-être  même  sous 
la  direction  de  la  commission  des  monuments  historiques  du  ministère 
de  l'intérieur,  au  sein  de  laquelle  se  trouvent  probablement  des  mem- 
bres correspondants  du  comité  historique  des  arts  et  monuments  du 
ministère  de  l'instruction  publique.  Il  est  donc  surprenant  que  ce 
docte  collège  ait  laissé  intercaller  dans  ce  vieux  poëme  de  pierre,  qui 
chantait  si  harmonieusement  les  fins  dernières  de  l'homme,  deux 
pages  (la  fresque  du  Christ  en  croix  et  la  statue  de  la  sainte  Vierge), 
qui  en  détruisent  l'ordre  et  la  pagination.  Toutefois,  nous  ne  pou- 
vons croire  que  cette  commission  savante  ait  pu  ignorer  ou  ne  pas 
deviner  ce  qui  manquait  à  cette  précieuse  psychologie  :  nous  aimons 
mieux  penser  que  la  faute  a  été  commise  à  son  insu.  11  est  vrai  que, 
pour  compenser  cette  lacune  déplorable,  et  racheter  l'incohérence 

(1)  La  porte  était  séparée  en  deux  par  allusion  aux  deux  voies  prédites  dans  l'E- 
vangile :  l'une  à  droite ,  pour  les  justes  ;  l'autre  à  gauche ,  pour  les  pécheurs. 

(2j  Pour  faciliter  l'intelligence  de  toute  la  description  ci-dessus,  nous  donnons, 
en  tête  de  cette  notice,  un  dessin  de  l'arcade  du  portail  de  Saint-Germain  PAuxer- 
rois ,  gravé  au  trait.  Voy.  pi.  59. 


608  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

hiératique  du  tympan,  on  a  prodigué  l'or  jusqu'à  l'abus  sur  les  anges 
et  les  grandes  statues  ;  mais  cet  or,  peut-être  d'aloi  équivoque,  comme 
la  plupart  des  substances  falsifiées  du  commerce  de  nos  jours,  et  que 
les  intempéries  altéreront  bientôt,  en  le  faisant  passer  du  bronze  au 
noir,  a  pour  inconvénients  d'empâter  les  longs  plis  tuyautés  et  les 
ondulations  des  vêtements  ;  de  fatiguer  l'œil  du  spectateur  qui  regarde 
toutes  ces  faces  de  bienheureux  se  dessinant  sous  des  nimbes  pleins, 
qu'on  aurait  peut-être  pu  indiquer  par  des  cercles  lumineux,  et  qui, 
de  loin,  lui  paraissent  coiffés  d'assiettes  d'or.  C'est  ce  que  nous  avons 
entendu  dire  à  ceux  qui  ignorent  le  symbolisme  du  nimbe,  et  qu'on 
le  représentait  encore  ainsi  sous  forme  de  disque  au  XIVe  siècle  (l). 
Pour  être  dans  la  vérité  classique  des  costumes ,  les  esprits  sérieux  et 
connaisseurs  auraient  préféré  à  tout  ce  fracas  de  dorures  la  blancheur 
mystique  des  aubes  de  lin ,  le  damassé  des  étoffes,  les  galons  ouvrés, 
les  broderies,  les  perles  et  les  pierreries  des  ornements  sacrés  et  des 
habits  royaux  :  c'est  ainsi  qu'on  a  procédé  à  la  Sainte-Chapelle  à 
l'égard  des  statuts  des  douze  apôtres ,  et  ce  sage  exemple  aurait  dû 
être  suivi  au  portail  de  Saint-Germain  l'Auxerrois,  dont  la  statuaire 
est  presque  de  l'époque  hiératique.  Un  jeune  artiste  qui  a  coopéré 
aux  travaux  manuels  de  cette  décoration  grandiose,  et  à  qui  nous 
faisions  cette  objection,  nous  a  laissé  entendre  que  M.  Mottez  aurait 
été  excité  à  prendre  le  parti  de  dorer  pour  économiser  le  surcroît  de 
dépense  qu'aurait  entraîné  une  foule  de  minutieux  détails  sur  les 
surfaces  des  étoffes  et  entre  les  nombreux  plis  des  vêtements;  de 
sorte  que  cette  économie  après  coup  a  tourné  au  préjudice  d'une 
restauration  véritablement  monumentale;  c'est  ce  même  esprit  par- 
cimonieux qui  a  fait  peindre  où  il  fallait  sculpter,  et  qui  avait  fait  d'a- 
bord surgir  la  bizarre  idée  de  peindre  le  tympan  et  la  figure  du  tru- 
meau en  grisailles,  comme  celles  exécutées  à  la  Bourse  par  MM.  Abel 
de  Pujol  et  Meunier.  On  fait  aisément  justice  de  cette  économie  étroite 
quand  on  sait  tout  ce  que  le  conseil  municipal  et  le  ministère  de  l'in- 
térieur ont  alloué,  depuis  1838  jusqu'en  1846,  pour  la  restauration 
de  cette  église  :  quelques  centaines  de  francs  de  plus  ou  de  moins  ne 
pouvaient  balancer  un  intérêt  d'esthétique  et  d'histoire.  Une  restau- 
ration aussi  capitale  est  autant  une  œuvre  historique  qu'une  œuvre 

(1)  La  vue  de  ces  brillantes  statues  rangées  comme  six  lingots  d'or  présente  encore 
un  autre  inconvénient  très-dangereux  :  c'est  que  le  populaire  voit  dans  ce  clinquant 
une  valeur  idéale ,  qu'il  prétend  mal  employée,  et  qu'il  décuple;  or,  cette  erreur 
soulève  des  passions  haineuses  qui  se  résument  en  paroles  qu'on  ne  peut  répéter  pour 
la  honte  de  notre  époque. 


EGLISE   SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  609 

d'art,  et  non  une  opération  industrielle  où  l'épargne  est  une  règle  de 
nécessité. 

Nous  prétendons  que  ce  porche  n'a  jamais  été  peint ,  sauf  l'arcade 
centrale  du  portail,  son  imagerie,  et,  tout  au  plus,  la  Voûte  médiaire 
en  azur  étoile  d'or.  Nous  soutenons  pareillement  que  le  tympan  était 
rempli  par  un  bas-relief  représentant  la  psychostasie  du  pèsementdes 
âmes  par  saint  Michel  :  nous  en  avons  puisé  la  preuve  dans  un  devis 
authentique  en  onze  articles,  provenant  des  anciennes  archives  parois- 
siales, dressé  par  «  Edme  Petitpas,  maître  paintre  à  Paris,  et  Jean 
«  Maressal ,  paintre  et  valet  de  chambre  ordinaire  du  roy.  »  Reçu  et 
approuvé  le  25  avril  1635  par  les  marguilliers  de  l'œuvre ,  y  dénom- 
més et  qualifiés.  Cette  pièce  est  intitulée  :  «  Devis  des  ouvrages  de 
«  paintures  d'or  et  d'azur  et  autres ,  qu'il  convient  faire  de  neuf  en 
«  la  voulte  de  la  nef  et  dans  la  grande  croisée  de  l'église  de  Saint- 
«  Germain  l'Auxerrois,  à  Paris,  en  l'année  1635.»  Le  huitième 
article  est  ainsi  conçu  :  «  Item.  Sera  encore  tout  pareillement  imprimé 
«deux  fois  à  huille  et  fleurdelysé  d'or  à  champ  d'azur,  pouldré 
«  comme  dessus,  sur  blanc  de  plomb  à  huille.  Le  fondz  de  la  nef 
«  despuis  la  gallerie  qui  est  au-dessus  de  la  porte  jusques  en  bas,  à 
«  quatre  pieds  de  l'aire  de  l'église ,  y  compris  les  deux  demy-piliers  du 
«  costé  de  la  grand' porte  qui  seront  paintz  et  enrichis  de  mesmes 
«jusqu'aux  petites  portes  pour  monter  au  trésor  et  aux  orgues.  Et 
«  sera  repeint  de  neuf  l'image  de  saint  Michel  qui  est  au-dessus  de 
«  ladite  grand1  porte ,  avec  les  anges  et  le  ciel  qui  sont  autour  et  dessus  ; 
«  le  tout  comme  il  estoit  à  champ  d'azur  et  estoiles  d'or.  »  Il  nous 
semble  que  rien  n'est  plus  positif  en  faveur  de  nos  assertions. 

On  a  voulu,  dit-on,  embellir  la  ville  de  Paris  d'un  ornement  reli- 
gieux qu'elle  n'avait  jamais  vu  jusqu'ici,  et  ouvrir  une  nouvelle  car- 
rière à  l'art  en  décorant  extérieurement  de  peintures  à  fresques,  à 
l'instar  des  églises  d'Italie,  celle  de  Saint-Germain  l'Auxerrois;  c'est 
fort  bien  ;  et  à  part  la  question  mixte  d'archéologie  et  de  hiératique 
qui  s'opposait  ici  à  cette  innovation ,  on  pourrait  aussi  rendre  hom- 
mage à  la  pensée  pieuse  qui  a  désiré  satisfaire  tout  à  la  fois  l'œil, 
l'esprit  et  la  foi  par  l'exposition  iconographique  de  Y  Établissement  de 
l'Enseignement  évangélique  par  Jésus- Christ.  Mais  assurément,  les 
hommes  éminents  dans  la  science  de  l'art  religieux ,  tous  ceux  qui  en 
possèdent  la  théorie  générale  et  les  règles  fondamentales,  n'applau- 
diront jamais  à  une  nouveauté  qui  a  dépouillé  ce  porche  typique  de 
son  caractère  classique  et  sévère.  Ils  diront  au  contraire  que  ce  n'est 
pas  tout  que  de  se  constituer  restaurateur  ou  décorateur  d'un  monu- 


610  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ment  historique,  mais  qu'il  faut  d'abord  être  logicien  ,  et  qu'il  n'est 
pas  rationnel  de  décorer  si  splendidement  l'extérieur  de  l'église,  lorsque 
l'intérieur  n'offre  que  des  murs  poudreux  et  nus  (1).  Or,  d'après  ce 
raisonnement  sans  réplique  possible,  l'ornementation  seule  de  la 
grande  porte  devait  être  peinte  avec  la  simplicité  du  coloris  qu'elle 
devait  comporter  au  moyen  âge ,  et  là  aurait  dû  se  borner  la  restau- 
ration historiée  du  portail. 

11  n'existe  point  d'exemples  de  peintures  murales  sous  les  porches 
des  églises  de  France  au  moyen  âge;  mais  toutes  étaient  ornées  de 
sculptures  magnifiques  où  les  textes  sacrés,  mis  en  action,  formaient 
une  sorte  de  catéchisme  qui  instruisait  les  ignorants  et  les  simples 
selon  le  cœur  de  Dieu.  Sauf  quelques  exceptions  fort  rares,  les 
fresques  à  l'extérieur  n'ont  jamais  été  employées,  à  cause  de  l'intem- 
périe de  notre  climat.  C'est  donc  en  raison  de  l'absence  totale  de  ce 
système  d'ornementation  que  M.  Mottez  s'est  cru  obligé  d'aller  en 
Italie  pour  y  étudier  les  fresques  du  bienheureux  Fiesole,  et  celles  de 
Giotto.  Alors,  l'imagination  remplie  de  ces  beautés  ineffables,  l'ar- 
tiste est  venu  se  remettre  à  l'œuvre,  et  a  produit  dans  l'espace  de  cinq 
ans  une  vaste  composition  dont  le  désaccord  iconographique  avec  les 
antiques  sculptures  du  portail  n'est  pas  le  seul  défaut  qu'on  ait  à 
blâmer. 

Cependant,  lorsque  nous  voyons  le  pouvoir  civil  faire  rechercher 
avec  tant  de  sollicitude  les  témoignages ,  les  preuves  et  les  solutions 

(1)  Ce  précédent  déterminera  probablement  à  peindre  l'intérieur  de  l'église.  Si 
jamais  on  s'y  décidait,  il  serait  bien  à  désirer  qu'on  ne  représentât  sur  les  surfaces 
propres  à  recevoir  des  décorations  historiées  que  des  sujets  relatifs  aux  nombreux 
fastes  de  cette  collégiale,  jadis  l'aide  de  la  métropole,  sa  fille  aînée,  et  le  berceau 
de  l'Université.  Il  est  fâcheux  que  cette  idée  n'ait  point  été  suggérée  à  M.  Guichard, 
lorsque  sa  générosité  l'a  porté  à  peindre  gratuitement ,  à  la  cire,  la  descente  de 
croix,  d'après  Rubens  ,  sur  le  mur  du  transsept,  au  sud,  près  la  porte  des  Prêtres, 
sujet  intéressant ,  assurément ,  mais  choisi  bénévolement,  sans  autre  but  motivé  que 
d'utiliser  une  place  vide.  Il  eût  été ,  sans  contredit,  plus  à  propos  de  retracer  à  cette 
place,  si  favorable  par  son  étendue,  une  page  des  chroniques  paroissiales,  telle  que 
les  funérailles  de  saint  Landry  en  656;  son  exhumation  en  1171 ,  par  Maurice  de 
Sully,  évêque  de  Paris,  en  présence  du  doyen  Remy,  ou  la  translation  de  ses  reli- 
ques, par  l'évèque  Pierre  d'Orgemont ,  en  1408;  le  baptême  du  fils  posthume  de 
Louis  le  Hutin,  en  1316;  d'Isabelle  de  France,  fille  de  Charles  VI,  en  1389,  ou 
celui  d'Isabelle,  iille  de  Charles  IX,  en  1573;  quelques-unes  des  processions  gé- 
nérales à  diverses  époques  et  pour  diverses  causes ,  où  l'on  apporta  à  Saint-Ger- 
main l'Auxerrois  toutes  les  châsses  de  la  Sainte-Chapelle,  de  Notre-Dame,  etc., 
et  où  assistèrent  nos  rois  et  tous  les  corps  de  l'État  ;  enfin  le  pain  bénit  offert  par 
Henri  IV  et  Louis  XIV  en  personnes ,  etc.  En  voilà  assez,  il  nous  semble ,  pour  dé- 
montrer qu'aucun  monument  religieux  à  Paris,  après  Notre-Dame  et  la  Sainte- 
Chapelle  ,  n'est  plus  fertile  en  événements  que  les  arts  peuvent  reproduire.  Nous  en 
avons  dressé  une  chronologie ,  depuis  556  jusqu'en  1842,  dans  notre  monographie. 


EGLISE   SAINT-GERMAIN    L'AUXERROIS.  611 

du  symbolisme  hiératique  écrits  en  caractères  de  granit  sur  les  façades 
de  nos  basiliques  du  moyen  âge,  il  était  bien  permis  d'espérer  qu'il 
exigerait  des  architectes  et  des  artistes  à  qui  il  confie  la  restauration 
de  ces  vénérables  monuments,  de  replacer  le  sujet  même  qui  a  été 
détruit,  surtout  lorsqu'il  doit  compléter  l'action  dogmatique  ou  sym- 
bolique représentée  par  les  autres  sujets  qui  ont  résisté  aux  causes 
de  destruction,  ou  sa  copie  la  plus  exacte,  autant  que  possible,  d'a- 
près les  types  des  autres  églises  qui  offrent  encore  le  même  sujet. 
Mais ,  au  lieu  d'en  agir  ainsi ,  M.  Mottez  s'est  permis  une  innovation 
esthétique  sans  analogue.  C'est  en  vain  qu'on  chercherait  au  fron- 
tispice des  églises  du  moyen  âge  l'image  de  Jésus  crucifié  occupant 
cette  place  principale ,  entourée  d'une  réunion  idéale  de  saints  per- 
sonnages de  différents  siècles,  triés  dans  toutes  les  conditions  sociales, 
y  compris  Jeanne  d'Arc,  qui  cependant  n'est  point  encore  inscrite, 
que  nous  sachions,  aux  diptyques  sacrés  (l).  Malgré  notre  sentiment 
de  respect  et  de  profonde  adoration  à  l'aspect  de  ce  signe  auguste  de 
notre  salut ,  nous  ferons  observer  que  jamais  thème  aussi  contraire 
aux  règles  de  l'esthétique  chrétienne  ne  s'est  vu  sur  le  front  de  nos 
temples.  L'esthétique  est  la  science  du  sentiment;  mais ,  en  vérité, 
il  a  fallu  y  être  absolument  étranger  pour  concevoir  cette  fantasque 
mystagogie.  Ce  que  la  pensée  religieuse  des  artistes  a  créé  dans  les 
tympans  de  nos  basiliques,  sous  les  auspices  des  évêques  ou  des 
abbés,  ce  fut  d'abord  la  représentation  sculptée  de  Jésus-Christ  revêtu 
de  quelques-uns  des  attributs  que  lui  prêtent  les  livres  saints ,  en- 
touré des  apôtres  ou  du  symbole  des  évangélistes ,  d'après  l'Apoca- 
lypse; tantôt  debout  avec  un  aspect  terrible,  il  porte  le  livre  des  sept 
sceaux,  et  de  sa  bouche  sort  le  glaive  à  deux  tranchants;  tantôt  assis 
sur  son  trône  et  vêtu  d'une  longue  tunique,  il  tient  la  main  droite 
levée  pour  bénir  son  peuple.  Ce  n'est  qu'à  dater  du  milieu  du 

(1)  Ces  personnages,  au  nombre  de  dix-huit ,  sont  ainsi  placés  :  à  gauehe  :  Saint 
Èloy,  orfèvre,  évêque  de  Noyon,  et  conseiller  du  roi  Dagobert.  —  Saint-Denis, 
premier  évêque  de  Paris,  et  martyr.  —  Saint  Landry,  évêque  de  Paris,  fondateur 
de  l'Hôtel-Dieu.—  Saint  Remy,  évêque  de  Reims.  — -  Saint  Louis ,  roi  de  France.— 
Saint  Jean  de  Valois ,  fondateur  des  Trinitaires  pour  la  rédemption  des  captifs.  — 
Saint  Martin ,  soldat,  puis  évêque  de  Tours.  — Sainte  Geneviève,  bergère ,  patronne 
de  Paris.  —  Jeanne  d'Arc,  dite  la  Pucelle  d'Orléans.  —  A  droite  :  Saint  Crespin  , 
cordonnier  et  martyr.  —  Saint  Bernard,  abbé  de  Clerveaux ,  docteur  de  l'Église.  — 
Saint  Léon  IX ,  pape.  -  Saint  Roch,  solitaire,  mort,  par  dévouement,  de  la  peste.— 
Saint  Vincent  de  Paul ,  fondateur  des  Missionnaires  lazaristes  et  des  Sœurs  de  la 
Charité.  —  Saint  Cloud ,  prêtre.  —  Saint  Ambroise ,  archevêque  de  Milan,  et  docteur 
de  l'Église.  —  Sainte  Clotilde ,  reine  de  France.  —  Sainte  Biandine  ,  esclave  ,  mar  < 
tyre  à  Lyon. 


612  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

XIIe  siècle  qu'on  vit  pour  la  première  fois  l'imposante  scène  du  ju- 
gement dernier,  non  en  peinture,  mais  sculptée  dans  le  tympan  de 
la  porte  principale  de  l'abbatiale  de  Saint-Denis,  point  de  départ  des 
nombreuses  représentations  de  ce  redoutable  événement,  qui  décorent 
ou  décoraient  le  frontispice  des  églises  de  France ,  depuis  cette  époque 
jusqu'à  la  fin  du  XVe  siècle.  Alors,  et  au  commencement  du  XVIe, 
cette  symbolique  fut  remplacée  par  l'arbre  de  Jessé ,  ou  la  généalogie 
de  la  sainte  Vierge,  telle  qu'on  la  voit  au  grand  portail  de  Notre- 
Dame  de  Rouen,  et  à  celui  de  l'ancienne  église  bénédictine  de 
Saint-Riquier,  en  Picardie.  Ainsi  donc  que  nous  le  disions  plus  haut, 
une  statue  de  la  sainte  Vierge  sur  le  trumeau  du  portail  de  Saint- 
Germain  l'Auxerrois  vient  encore,  sous  le  point  de  vue  hiératique, 
augmenter  le  désordre  et  le  non-sens  de  cette  tropologie  mystique  : 
c'était  Jésus-Christ  debout  et  bénissant  qui  devait  occuper  cette  place. 
L'image  de  la  Reine  du  ciel  ne  pouvait  rationnellement  s'y  trouver 
que  si  l'église  lui  était  dédiée.  Il  eût  été  même  plus  régulier  de  resti- 
tuer le  nom  de  saint  Landry,  donné  par  l'abbé  Lebeuf  à  la  statue 
d  evêque  qui  est  à  droite  de  1  ebrasement  de  l'arcade ,  et  de  mettre 
dans  la  niche  centrale  la  statue  de  saint  Germain  d'Auxerre ,  patron 
titulaire. 

Au  reste  ,  c'est  dans  la  fresque  du  tympan  que  le  génie  et  le  talent 
incontestables  de  M.  Mottez  apparaissent  le  moins  :  peintre  catho- 
lique ,  la  fibre  mystique  ne  s'est  point  réveillée  dans  son  cœur  en  pei- 
gnant cette  page.  Le  Sauveur ,  attaché  sur  la  croix,  manque  de  style 
et  sent  trop  le  naturalisme.  Il  est  impossible  de  deviner  dans  ce  corps 
chétif  et  que  la  douleur  fait  contracter,  le  calme,  la  résignation 
et  l'expression  divine  du  Sauveur  mourant  pour  le  salut  des  hommes. 
Un  tel  sujet  ne  souffre  point  de  médiocrité  et  demande  de  la  convic- 
tion :  Angelico  Fiesole  se  mettait  en  prières  avant  de  commencer  à 
peindre,  et  c'était  à  genoux  qu'André  del  Sarto  peignait  le  Christ  et 
la  Vierge  :  malheureusement ,  nous  avons  aujourd'hui  peu  d'artistes 
pénétrés  à  ce  point  de  la  sublime  mission  de  l'art  chrétien.  Une  erreur 
qui  blesse  essentiellement  la  saine  doctrine  en  matière  de  foi  a  aussi 
échappé  à  l'intelligence  catholique  de  M.  Mottez  ,  dans  le  classement 
des  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité  :  il  a  biffé  d'un  coup  de  pin- 
ceau ces  paroles  du  symbole  de  Nycée  :  Qui  ex  Pâtre  Filioque procedit  ; 
car  au  lieu  de  placer  le  Saint-Esprit  au-dessous  de  la  face  du  Père 
Éternel,  sur  le  sommet  de  la  croix,  suivant  l'usage  des  artistes  du 
XVe  siècle  qu'il  a  voulu  imiter ,  il  l'a  perché ,  plutôt  que  posé,  sur  le 
nimbe  de  cette  première  personne  divine  dans  l'ordre  hiératique. 


EGLISE  SAINT-GERMAIN  i/AUXERROIS.  613 

Tous  ceux  qui  ne  sont  pas  initiés  dans  letude  de  nos  monuments 
sacrés ,  ou  qui  n'ont  pas  d'idées  arrêtées  sur  cette  science  qui  a  ses 
règles,  ses  principes  et  ses  motifs,  considéreront  avec  complaisance 
cette  ornementation  polychrome  extérieure  jusqu'alors  inusitée.  Ils 
préféreront  ces  statues,  ces  figurines  couvertes  d'or  et  d'enluminures, 
l'aspect  luxuriant  et  juvénile  des  fresques,  aux  teintes  grisâtres  et 
austères  que  les  siècles  avaient  déposées  sur  les  murailles  et  sous  les 
arceaux  du  vieux  porche  ;  puis ,  faisant  abnégation  de  la  vraisem- 
blance archéologique,  ils  ne  se  demanderont  pas  par  quelle  fantaisie 
on  s'est  déterminé  à  peindre  ces  pierres  que  les  générations ,  eux 
compris,  ont  vues  constamment  nues.  Pour  nous,  cette  décoration 
nouvelle  est  un  hors-d'œuvre  sans  connexion  avec  l'ornementation 
hiératique  de  la  porte  centrale.  Mais  puisque ,  par  l'effet  d'un  retour 
d'admiration  pour  l'art  religieux  qui  élève  l'âme  à  la  contemplation 
de  l'éternelle  beauté  et  de  l'immortelle  espérance,  on  a  voulu,  par 
cette  exhibition  inusitée,  familiariser  le  peuple  avec  les  scènes  évan- 
géliques  et  les  plus  secrets  mystères  de  l'amour  divin ,  nous  rendrons 
justice  aux  heureuses  inspirations  qui  se  font  remarquer  dans  diverses 
parties  de  ces  peintures  murales.  Telle  doit  être  d'ailleurs  toute  cri- 
tique sage  et  amie  des  arts,  plus  curieuse  d'en  exalter  la  beauté  que 
d'en  faire  ressortir  les  imperfections;  au  reste,  celles  qui  peuvent  se 
rencontrer  dans  l'immense  et  patient  travail  de  M.  Mottez  servent  à 
démontrer  combien  il  est  difficile  à  l'homme  de  peindre  les  choses  du 
ciel ,  ou  d'atteindre  cette  perfection  idéale  qui  appartient  seulement 
aux  créatures  angéliques. 

Toutefois ,  à  ne  considérer  les  fresques  de  M.  Mottez  que  sous  le 
point  de  vue  technique  de  l'exécution,  on  peut  dire  avec  raison  qu'il  a 
sagement  divisé,  suivant  le  caractère  et  les  dispositions  architecturales 
du  monument,  les  scènes  qu'il  devait  représenter.  Il  faut  louer 
l'agencement  des  tableaux  et  la  disposition  des  personnages  de  ma- 
nière à  produire  un  grand  effet  de  perspective.  Il  a  profité  habilement 
de  tous  les  espaces  si  étroits  qu'ils  fussent ,  pour  y  développer  dans 
un  ordre  méthodique  tous  les  sujets  de  l'édifiant  thème  de  i l'Etablisse- 
ment, c'est-à-dire  de  la  Stabilité  de  V enseignement  évangélique  par 
Jésus-Christ.  Voici  dans  quel  ordre  il  a  disposé  les  interprétations 
hiératiques  de  cette  religieuse  pensée. 

1°  Tympan  de  la  porte  latérale  à  gauche  ;  —  Jésus  enseignant  dans  le  temple , 

assis  au  milieu  des  docteurs  de  la  loi. 
2°  Grand  mur  du  même  côté  .  —  Jésus  prêchant  sur  la  montagne ,  et  instruisant 

ses  disciples  et  le  peuple  par  la  sublime  leçon  des  huit  béatitudes. 
III.  40 


614  RBVUK   ARCHÉOLOGIQUE. 

3°  Tympan  de  la  porte  oentrale  .•  —  Jésus  sur  la  croix,  au  pied  de  laquelle  sont 
réunis  despersonnagesqui  l'ont  glorifié,  pris  dans  les  diverses  conditions,  comme 
réalisation  de  la  promesse  du  Rédempteur  d'attirer  tout  à  lui  après  son  glorieux 
sacrifice. 

4°  Grand  mur  à  droite  ;  —  Mission  des  apôtres  envoyés  par  Jésus-Christ  pour 
instruire  et  baptiser  les  nations  au  nom  de  la  Trinité  divine. 

5°  Tympan  de  la  porte  latérale  :  —  L'esprit  Saint  descendant  sur  les  apôtres 
réunis  dans  le  cénacle. 

fi°  Sur  les  murs  latéraux  en  pendentifs  :  —  Les  quatre  évangélistes  écrivant 
leurs  textes  sacrés  sous  l'inspiration  du  Saint-Esprit. 

En  regard,  dans  les  moulures  creuses  des  piliers  du  porche  se  dé- 
veloppent huit  figures  dont  la  pensée  allégorique  est  puisée  dans  la 
cosmogonie  biblique  pour  caractériser  quelques-uns  des  vices  et  des 
passions  que  l'enseignement  évangélique  vient  combattre  et  extirper. 
Ainsi,  en  suivant  de  droite  à  gauche  apparaissent  Adam  et  Eve, 
coupables  de  désobéissance,  condamnés  à  la  mort  du  corps  et  aux 
douleurs  de  l'âme.  —  Le  juste  Abel  et  Càin  fratricide  :  crimes  de 
l'homme  contre  l'homme.  —  Absalon  :  révolte  contre  l'autorité  pa- 
ternelle. —  Balthasar  :  impiété,  profanation  des  choses  saintes.  — 
Héroctiade  :  impudicité  et  cruauté.  —  Judas  ;  type  de  l'avarice  et  de 
la  trahison.  On  voit  que  l'artiste  n'a  pu  donner  tout  l'essor  désirable 
à  sa  pensée  en  peignant  ces  huit  sujets  symboliques  ;  s'il  était  possible 
de  les  arracher  de  ces  moulures  concaves  où  ils  se  dressent,  pour  les 
soumettre  au  jugement  d'une  académie,  assurément  ils  feraient  une 
figure  étrange;  au  lieu  que  dans  la  place  étroite  qu'ils  occupent,  ils 
font  un  certain  effet  et  offrent  quelque  valeur  esthétique. 

Les  petits  tableaux  dans  les  deux  ogives  au-dessus  des  portes  laté- 
rales sont  pleins  de  grâces  et  d'élégance.  Ils  ont  une  vigueur  de  ton 
qui  contraste  avec  la  couleur  un  peu  grise  et  terne  des  deux  fresques 
en  pendentif  au-dessus  des  arcades  latérales  du  porche.  Les  voûtes 
sont  enduites  d'un  bleu  zénith ,  étincelant  d'étoiles ,  pour  figurer  le 
firmament  ;  leurs  nervures  et  formerets  sont  réchampis  en  or ,  rehaussé 
d'ornements  en  arabesques  pour  relier  le  tout  avec  la  décoration  gé- 
nérale. 

C'est  plus  spécialement  dans  les  deux  grandes  fresques  séparées 
par  la  porte  principale,  que  M.  Mottez  nous  paraît  avoir  le  plus 
approché  de  la  conciliation  difficile  dans  le  dessin  et  le  coloris  avec  la 
suavité  et  la  profondeur  des  traditions  mystiques.  Dans  le  sujet  du  Ser- 
mon sur  la  montagne,  la  figure  du  Sauveur  est  pleine  de  cette  sublime 
expression  où  le  calme  laisse  deviner  que  la  beauté  physique  n'est  que 
le  rayonnement  de  la  beauté  morale.  Tous  ceux  qui  l'entourent  ont 


EGLISE    SAINT-GERMAIN   L'AUXERROIS.  615 

la  tête  levée  pour  écouter  sa  parole;  tous  le  regardent  avec  amour  et 
reconnaissance.  Dans  la  Mission  des  apôtres,  on  remarque  assez  gé- 
néralement la  beauté  grave  et  pure  du  visage  de  la  Vierge ,  à  genoux 
et  étendant  les  mains  au  milieu  des  saintes  femmes  qui  l'environnent 
et  semblent  lui  dire,  en  sollicitant  sa  miséricordieuse  protection: 
«  Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes  !  »  Au-dessous  des  apôtres, 
de  ces  douze  pêcheurs  qui  vont  conquérir  le  monde,  Madelaine, 
l'amie  du  Christ,  a  genoux  et  absorbée  dans  les  sentiments  de 
l'amour  et  de  l'adoration ,  est  une  figure  d'un  dessin  correct  et  sans 
exagération  anatomique  ;  mais  nonobstant  sa  noble  extraction  nous 
ne  pouvons  en  dire  autant  de  sa  robe  de  brocart  d'or  à  fin  corsage. 
Quelques-unes  des  autres  figures  de  ce  grand  travail  présentent 
peut-être  beaucoup  moins  de  perfection  dans  certains  détails  ;  nous 
pensons  que,  dans  un  esprit  de  juste  impartialité,  il  faudrait  voir 
tous  ces  personnages  avec  leur  valeur  de  position  et  d'harmonie; 
mais  en  somme  on  y  remarque  de  l'union,  de  l'inspiration  et  du 
technique  de  l'art. 

Il  faut  encore  tenir  compte  à  M.  Mottez  de  la  tâche  complexe  et 
difficile  qu'il  avait  à  remplir,  soit  pour  s'identifier  avec  Fart  catho- 
lique du  moyen  âge  et  suppléer  à  l'insuffisance  de  ses  théories  par 
les  pratiques  plus  arrêtées  et  plus  savantes  de  l'art  moderne ,  soit 
pour  vaincre  les  difficultés  qui  abondent  dans  le  système  de  peintures 
à  la  fresque.  Plusieurs  des  artistes  qui  le  critiquent  auraient  peut- 
être  moins  bien  réussi  ;  mais  quelque  nombreux  que  puissent  être 
les  défauts  que  la  science  y  découvrira,  il  restera  encore  assez  de  beau- 
tés qu'elle  proclamera  comme  telles.  Quant  à  savoir  si  ces  fresques 
résisteront  aux  intempéries,  à  l'humidité  de  nos  hivers  longs  et  bru- 
meux ,  à  la  poussière  et  aux  vents  d'équinoxe  si  destructeurs,  ce  n'est 
là  qu'une  question  de  temps  qui  ne  tardera  pas  à  se  décider;  quelques 
peintures  murales  dans  l'intérieur  de  l'église ,  déjà  endommagées  par 
l'humidité ,  pourraient  justifier  les  craintes  que  l'on  exprime  à  cet 
égard.  Bien  que  la  peinture  à  la  fresque  ne  se  détériore  et  ne  périsse 
que  par  la  destruction  progressive  de  l'enduit  sur  lequel  elle  est 
appliquée ,  cependant  il  est  de  fait  que  cette  destruction  est  beaucoup 
moins  lente  qu'on  pourrait  le  croire,  surtout  sous  les  climats  humides. 
Mais  il  est  un  fait  qui  pourrait,  jusqu'à  certain  point,  nous  rassurer 
sur  les  détériorations  que  l'on  redoute  :  nous  avons  vu,  en  1844,  sur 
le  pignon  d'une  église  de  Turin,  une  fresque  exposée  à  ciel  nu,  et 
qui  résiste  peut-être  depuis  plus  d'un  siècle  à  1  apreté  des  hivers  des 
Alpes  qui  en  sont  très-proches,  sans  que  son  coloris,  plus  chaud  que 


t 


616  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

celui  des  fresques  de  M.  Mottez ,  en  paraisse  sensiblement  altéré.  Il 
est  vrai  que  sous  ce  climat  on  ne  voit  jamais  de  ces  vapeurs  salines 
qui  noircissent  et  dégradent  insensiblement  nos  monuments. 

En  résumé,  de  tout  ce  travail  monumental,  il  jaillit  çà  et  là  des 
accidents  de  génie  qui  feront  tolérer  le  fait  accompli  de  cette  décora- 
tion insolite  du  vieux  porche  ;  mais  nous  dirons  ici  franchement  et 
sans  crainte  d'être  contredit,  qu'on  aurait  employé  bien  plus  utile- 
ment dans  l'église  même ,  les  vingt-six  mille  francs  que  M.  le  Mi- 
nistre de  l'Intérieur  a  donnés  pour  cette  décoration  polychrome  en 
plein  air.  Si  les  pieux  sujets  qui  y  sont  exposés  aux  yeux  du  peuple 
pouvaient  être  vus  sans  toucher  les  âmes ,  du  moins  les  indifférents 
devront  confesser,  en  les  regardant ,  qu'il  y  a  dans  le  dogme  du  ca- 
tholicisme quelque  chose  de  merveilleusement  approprié  aux  besoins 
et  au  cœur  de  l'homme.  Le  faire  et  la  religieuse  simplicité  de 
composition  de  cette  œuvre  feraient  presque  deviner,  si  on  ne  le 
savait,  que  M.  Mottez  est  élève  de  M.  Ingres ,  aujourd'hui  à  peu  près 
le  seul  représentant  de  ces  grandes  écoles  qui  obéissaient  à  une 
inspiration  religieuse,  et  qui  réalisaient  quelques-uns  de  ces  types 
sublimes  transmis  par  les  traditions  catholiques.  Les  fresques  du 
portail  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  font  honneur  au  talent  indivi- 
duel de  l'artiste ,  et  nous  paraissent  montrer  tout  ce  qu'il  est  possible 
de  faire  aujourd'hui  avec  ce  système  de  peinture. 


Troche  , 

Auteur  d'une  Monographie  inédite  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois. 


LETTRE  DE  M,  J,  DE  BERTOU  A  M,  LETROIE 


SUR 


LES  RUINES  ANTIQUES  DE  DEIR-EL-KALAAH, 

près  de  beyrout. 

Monsieur, 

Les  deux  articles  que  vous  avez  publiés  sur  Yaquedac  romain  situé 
près  de  Beyrouth ,  ont  mis  en  lumière  un  monument  qui  n'était  jus- 
qu'ici connu  que  de  quelques  voyageurs  isolés  ;  et,  sans  la  sagacité 
qui  vous  l'a  fait  découvrir  dans  le  jambage  oblique  d'une  seule  lettre 
d'une  inscription,  il  serait  encore  caché  dans  leurs  cartons  et  leurs 
souvenirs.  La  science  de  l'antiquité  a  donc  aussi  ses  prévisions  que 
l'événement  vient  confirmer  ! 

En  vous  remettant  le  dessin  de  M.  Montfort,  j'ai  placé  sous  vos 
yeux  le  plan  que  j'ai  dressé  sur  les  lieux  des  ruines  de  Deir-el- 
Kalaah  ;  et  vous  les  avez  honorablement  mentionnés  ;  ce  qui  suffira 
pour  tirer  ces  ruines  de  l'obscurité  dans  laquelle  ils  sont  restés 
jusqu'ici ,  et  engagera  quelque  voyageur  architecte  à  reprendre  un 
travail  ébauché  et  bien  imparfait,  qui  n'aura  que  le  mérite  d'en 
faire  exécuter  un  bien  meilleur,  tant  sur  ces  ruines  que  sur  celles 
du  grand  aqueduc. 

Je  m'empresse,  sur  votre  demande,  de  vous  dire  sommairement 
le  peu  de  détails  qui  sont  restés  dans  mes  notes  ou  mes  souvenirs  à 
l'égard  des  ruines  de  Deir-el-Kalaah. 

En  quittant  Beyrout  par  la  porte  du  nord-est,  et  en  suivant  la 
route  de  Tripoli  jusqu'un  peu  au  delà  du  pont  qui  réunit  les  deux 
rives  du  Nahr-Beyrout,  on  rencontre  bientôt  un  petit  chemin  qui  se 
dirige  droit  à  l'est  vers  la  montagne  ;  c'est  celui-là  qu'il  faut  prendre 
pour  arriver  à  Deir-el-Kalaah. 

Ce  chemin ,  ou  plutôt  ce  sentier,  frayé  par  les  bêtes  de  somme 
qui  montent  et  descendent  de  la  montagne,  serpente  capricieuse- 
ment au  milieu  d'un  bois  de  pins,  sur  un  sol  quelquefois  sablonneux, 
quelquefois  hérissé  de  rochers  et  couvert  d'innombrables  silex,  dont 
l'abondance  sur  ces  montagnes  fait  dire  à  leurs  habitants  que  Dieu  , 


618  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

après  qu'il  eut  terminé  l'œuvre  de  la  création,  ne  sachant  que  faire 
des  cailloux  qui  lui  restaient,  les  répandit  sur  le  Liban  (1). 

Après  une  ascension  de  deux  heures ,  on  arrive  au  sommet  d'un 
mamelon  qui  s'élève  d'environ  sept  cents  mètres  au-dessus  du  niveau 
de  la  mer,  et  là,  tout  à  coup  et  sans  y  être  préparé,  au  lieu  d'un 
horizon  borné  par  les  détours  d'un  chemin  sinueux,  oft  aperçoit  un 
magnifique  panorama  :  d'un  côté  c'est  le  cap  Beyrout,  qui  porte 
bien  loin  au  sein  des  flots  la  verdure  de  ses  jardins  et  les  remparts 
crénelés  de  la  petite  ville  qui  lui  donne  son  nom  ;  puis  l'immensité 
de  la  mer  bleue  comme  le  ciel  et  se  confondant  avec  lui  ;  du  côté 
opposé,  on  découvre  les  pentes  du  Liban  qui  s'échelonnent  les  unes 
au-dessus  des  autres ,  et  qui  sont  couvertes  d'abord  de  petits  vil- 
lages, puis,  un  peu  plus  haut,  de  forêts  de  pins ,  et,  enfin,  cou- 
ronnées de  neiges  qui  ne  fondent  jamais  complètement. 

Le  mamelon  dont  je  viens  de  parler  est  parfaitement  isolé  ;  il  a  la 
forme  d'un  cône  tronqué  très-près  de  son  sommet  ;  en  sorte  que  le 
plateau  qu'il  présente  n'a  pas  beaucoup  plus  d'un  hectare  de  super- 
ficie :  c'est  là  que  l'on  trouve  les  monuments  qui  vous  occupent,  et 
que  les  Arabes  connaissent  sous  le  nom  de  Deir-el-Kalaah  (  couvent 
du  chèteau  ),  à  cause  du  monastère  que  des  religieux  de  l'ordre  de 
Saint-Antoine  ont  élevé  au  milieu  de  ces  ruines.-  Les  pieux  moines 
sont  les  seuls  habitants  de  la  localité  ;  ils  y  prient  Dieu ,  y  cultivent 
la  terre  de  leurs  mains,  et  y  pratiquent  la  charité  envers  les  habitants 
pauvres  des  villages  voisins. 

Quand  on  arrive  à  Deir-el-Kalaah,  on  n'y  aperçoit  d'abord  distinc- 
tement les  ruines  que  d'un  seul  monument,  celui  qui  est  désigné  sur 
le  plan  qui  accompagne  cette  note  par  la  lettre  A  ;  et  c'est  ensuite 
par  un  examen  plus  attentif  des  matériaux  entassés  sur  ce  petit  pla- 
teau, qu'on  arrive  à  reconnaître  qu'il  a  servi  d'assiette  à  plusieurs 
monuments  considérables  qui  peuvent  être  divisés  en  deux  groupes 
de  trois  temples  chacun.  Dans  le  premier  groupe,  qui  comprend 
les  temples  A,  B,  C,  l'axe  des  monuments  est  dans  le  sens  du  nord- 


(l)  Cette  explication  mythique  d'un  fait  géologique  est  tout  à  fait  analogue  à 
colle  que  les  poêles  grecs  donnaient  de  l'immense  quantité  de  cailloux  roulés  qui 
couvrent  la  plaine  de  la  Crau ,  située  entre  le  Rhône  et  l'étang  de  Berre  ou  de 
Martigucs.  Dans  le  Prométhée  délivré  d'Eschyle,  Promélhée,  indiquant  à  Her- 
cule le  chemin  du  Caucase  aux  Hespérides,  lui  prédit  qu'à  son  arrivée  dans  le  pays 
des  Ligyes,  ses  flèches  seront  épuisées,  mais  que  Jupiter  fera  pleuvoir  sur  la 
terre  une  grêle  de  pierres  rondes  avec  lesquelles  il  pourra  facilement  repousser 
l'armée  ligyenne.  (Strab.  IV,  p.  183.)  —  L. 


LETÏftÉ   A  M.   LETR0NNË. 


619 


ouest  au  sud-est-,  dans  le  second,  qui  comprend  les  temples  D,  E,  F, 
l'axe  est ,  au  contraire,  du  nord-est  au  sud-ouest. 


PLAN  GÉNÉRAL  DES   RUINES. 


_j 


ECHELLE 


50 


100  mètres. 


p- 


H 


Deux  inscriptions,  Tune  grecque,  l'autre  latine,  trouvées  au 
milieu  des  ruines  du  premier  groupe,  portent  le  nom  de  Jupiter- 
Balmarcos,  tandis  que  le  nom  de  Junon  se  lit  sur  une  des  in- 
scriptions retrouvées  au  milieu  des  monuments  du  second  groupe. 
Sans  vouloir  tirer  moi-même  aucune  conséquence  de  cette  remarque, 
je  la  livre,  monsieur,  à  votre  savante  pénétration. 

Les  dimensions  du  temple  A  (  voir  la  planche  58  )  sont  parfaite- 
ment déterminées  par  les  murailles  qui  existent  encore  jusqu'à  la 
hauteur  d'un  mètre  environ  sur  trois  côtés  du  parallélogramme,  et 
par  les  cinq  colonnes  qui  restent  debout  sur  les  huit  qui  formaient 
son  pronaos.  Leur  piédestal  est  figuré  en  I,  p.  621. 

Je  serais  disposé  à  croire,  sans  avoir  aucune  certitude  à  cet  égard, 
que  ces  colonnes  étaient  corinthiennes ,  car  je  n'ai  retrouvé  qu'un 
seul  chapiteau  dont  les  proportions  fussent  en  rapport  avec  les  leurs, 
et  il  appartient  à  cet  ordre.  Aujourd'hui ,  ce  chapiteau  unique  a  été 
creusé,  et  sert  de  margelle  à  une  citerne;  malheureusement  ses 
ornements  sont  si  frustes ,  qu'il  m'a  paru  impossible  d'en  donner  un 
dessin. 

Comme  vous  le  verrez  sur  mon  plan ,  les  religieux  de  Saint- An- 
toine ont  inscrit  leur  église  a  dans  l'enceinte  du  temple  A,  et  ils  y  ont 


620  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

appuyé  leur  couvent  H  qui  a  été  construit  avec  les  matériaux  que  cet 
édifice  leur  a  fourni.  Aussi,  retrouve-t-on  dans  les  murs  de  la  con- 
struction nouvelle  une  grande  quantité  de  pierres  sculptées  et  plu- 
sieurs autres  qui  portent  des  inscriptions  en  caractères  grecs  et 
latins. 

L'inscription  grecque  où  se  trouve  le  nom  de  BAAMARKtOC  » 
est  dans  le  mur  du  couvent ,  près  de  la  porte  d'entrée  ,  qui 
ouvre  sous  le  pronaos  de  l'ancien  temple.  L'inscription  latine,  qui 
contient  ce  môme  nom ,  est  gravée  sur  une  pierre  cubique  aban- 
donnée dans  la  cour  du  monastère.  Je  regrette  beaucoup  de  ne  pou- 
voir joindre  ici  la  copie  d'une  autre  inscription,  en  caractères  grecs 
très-fins  et  très-nets,  qui  couvre  tout  un  côté  d'un  petit  autel  votif, 
lequel  sert ,  dans  la  cuisine  du  couvent ,  de  bloc  pour  hacher  les 
légumes.  J'en  avais  pris  un  calque ,  mais  un  accident  m'a  privé  de 
cette  empreinte  qui  a  été  perdue  avec  beaucoup  d'autres. 

Il  y  a  encore  d'autres  monuments  épigraphiques  incrustés  dans 
les  murs  du  cloître  :  j'ai  indiqué  la  place  qu'ils  occupent  dans  les 
copies  que  j'ai  eu  l'honneur  de  vous  remettre. 

L'existence  du  temple  B  est  une  hypothèse  que  j'ai  formée  à  la 
vue  des  matériaux  amoncelés  dans  l'endroit  que  ce  monument  occupe 
sur  le  plan.  J'ai  exécuté,  au  milieu  de  ces  décombres,  quelques  fouilles 
qui  m'ont  fait  découvrir  les  fondations  d'après  lesquelles  j'ai  cru  pou- 
voir déterminer  les  proportions  de  cet  édifice.  Les  colonnes  repré- 
sentées en  K ,  sont  celles  qui  paraissent  avoir  appartenu  à  ce  mo- 
nument. 

Le  temple  C  est  encore  une  restauration  hypothétique  qui  repose 
aussi  sur  la  réunion  ,  la  forme  des  matériaux  et  sur  la  découverte  de 
substructions  considérables.  Au  milieu  d'un  grand  nombre  de  fûts  de 
colonnes  abandonnés  en  cet  endroit  et  figurés  en  J ,  j'en  ai  trouvé 
plusieurs  qui  sont  taillés  de  manière  à  présenter,  d'un  côté,  l'appa- 
rence de  deux  fûts  accouplés,  tandis  que  du  côté  opposé ,  ils  forment 
un  angle  droit,  de  sorte  que  ces  tronçons  ont  à  peu  près  la  forme 
d'un  cœur.  Comme  j'avais  vu  à  Gérasa  des  colonnes  tout  à  fait  sem- 
blables à  celles  que  je  viens  de  décrire,  et  que  là  elles  formaient  les 
angles  d'un  portique  qui  existe  encore  en  partie,  et  régnait  autrefois 
tout  autour  d'un  des  principaux  temples  de  cette  ancienne  ville,  j'ai 
pensé  que  les  colonnes  de  Deir-el-Kalaah  avaient  dû  avoir  une  desti- 
nation pareille ,  et  c'est  cette  analogie  qui  m'a  conduit  à  proposer  la 
restauration  du  temple  C. 


LETTRE   A   M.   LETRONNE. 


621 


Voilà  pour  les  trois  temples  du  premier  groupe  ;  ceux  du  second 
sont  au  milieu  d'un  petit  bois  de  chênes  verts  qui  les  cache  sous  ses  om- 
brages, et  donne  à  leurs  ruines  un  aspect  singulièrement  mystérieux. 


Je  ne  sais  si  le  bois  est  contemporain  des  monuments;  je  com- 
prends qu'il  serait  téméraire  à  moi  de  hasarder  aucune  supposition  à 
ce  sujet,  mais  ce  que  je  puis  dire ,  c'est  que  les  autres  voyageurs  que 
j'ai  dirigés  vers  ces  ruines,  ont  spontanément,  comme  je  l'avais  fait 
moi-même ,  nommé  ce  bosquet  le  Bois  sacré. 

Le  temple  D  est ,  dans  le  second  groupe  ,  celui  dont  la  forme  et 
les  dimensions  sont  le  plus  faciles  à  relever,  parce  que  ses  murailles 
existent  encore  presque  partout  jusqu'au  niveau  du  sol,  et  même  un 
peu  au-dessus  en  plusieurs  endroits. 

Ce  monument  paraît  n'avoir  pas  eu  de  pronaos  extérieur ,  mais  il 
était  orné  à  l'intérieur  de  quatre  colonnes ,  dont  deux,  quoique  tron- 
quées, sont  encore  assises  sur  leurs  bases;  elles  sont  figurées  sur  le 
plan.  Ces  colonnes  sont  en  calcaire  très-dur,  et  elles  ont  près  de  la 
base,  environ  63  centim.de  diamètre.  C'est  près  de  ce  temple 
que  j'ai  trouvé  l'autel  votif  sur  lequel  on  lit  le  nom  de  Junon. 

Le  temple  E  n'est  plus  qu'un  amas  de  décombres ,  et  si  je  n'ai 
pas  mis  partout  ses  fondations  à  découvert,  j'ai  cependant  fait  assez 


622  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

de  fouilles  pour  en  retrouver  une  partie  et  me  convaincre  que  les 
matériaux  que  j'avais  sous  les  yeux,  étaient  bien  réellement  lés 
ruines  d'un  monument  qui  avait  existé  dans  la  situation  et  les  pro- 
portions que  je  lui  ai  données  sur  mon  plan.  Les  fûts  de  colonnes 
qui  gisent  pêle-mêle  avec  les  autres  débris  de  cet  édifice  ,  ont 
53  centim.  de  diamètre  et  tout  de  pierre  calcaire. 

Le  temple  F  était  situé  à  l'extrémité  du  petit  bois  du  côté  du 
N.  E.  A  juger  par  la  qualité  des  matériaux  que  mes  fouilles  ont  mis 
à  découvert ,  il  parait  avoir  été  décoré  avec  plus  de  soin  et  de  luxe 
que  les  autres.  En  effet ,  j'y  ai  trouvé  des  colonnettes  en  marbre 
blanc,  des  colonnes  en  granit  gris  et  d'autres  en  calcaire  d'un  grain 
si  fin  et  si  dur,  que  le  poli  devait  lui  donner  l'apparence  du  marbre. 
J'ai  mjs  aussi  à  découvert  une  partie  de  la  mosaïque  qui  servait  de 
pavement  à  cet  édifice  ;  elle  était  ornée  d'un  encadrement  en  pierres 
de  différentes  couleurs  formant  une  grecque ,  mais  je  n'ai  pu  en  voir 
le  centre  à  cause  de  la  grande  quantité  de  matériaux  qui  le  recou- 
vrent, et  j'ignore  si  l'on  y  avait  représenté  quelque  autre  dessin. 

La  découverte  d'un  morceau  de  l'architrave ,  portant  un  fragment 
d'inscription ,  m'avait  fait  espérer  que  j'allais  savoir  à  quelle  divinité 
ce  temple  avait  été  consacré  ;  mais  j'ai  vainement  cherché  là  les 
autres  morceaux  de  cette  architrave ,  ils  auront  été  dispersés  et  em- 
ployés peut-être  dans  d'autres  constructions.  J'ai  remarqué  que  les 
caractères  dont  il  est  ici  question,  se  rapportent  parfaitement  pour 
la  forme  et  les  dimensions  à  ceux  qui  se  trouvent  sur  une  pierre  for- 
mant le  seuil  de  l'une  des  cellules  du  monastère.  Cette  pierre  serait- 
elle  un  fragment  de  l'architrave?  cela  me  paraît  possible,  et  peut- 
être,  en  rapprochant  ces  deux  lambeaux,  parviendrez-vous  à  les  faire 
parler. 

A  quelques  mètres  du  temple  F,  du  côté  du  S.  E.,  il  y  a  un  petit 
caveau  G  à  enviroïi  2  m.  50  centim.  en  contre-bas  du  sol.  Je  l'ai 
débarrassé  d'une  partie  de  la  terre  que  les  eaux  y  avaient  amenée , 
mais  sans  y  rien  rencontrer,  ni  ossements,  ni  inscriptions  qui  pus- 
sent me  fixer  sur  l'usage  auquel  il  avait  été  destiné.  On  ne  voit  pas 
dans  cet  hypogée  les  petites  niches  dont  sont  ordinairement  criblées 
les  parois  des  colombarium ,  et  cependant  il  paraît  difficile  de  suppo- 
ser qu'il  ait  été  autre  chose ,  puisque  la  lumière  n'y  pénétrait  que 
par  une  porte  d'entrée...  Les  murs  et  la  voûte  de  ce  souterrain  sont 
recouverts  d'un  stuc  fort  dur  et  très- blanc  ,  dans  lequel  une 
main  habile  a  ménagé  des  moulures  et  des  ornements  d'un  goût 
délicat. 


LETTRE  A   M.    LETRONNE.  623 

Les  derniers  objets  sur  lesquels  il  me  reste  encore  à  appeler  votre 
attention,  Monsieur,  avant  de  terminer  cette  lettre  déjà  bien  longue, 
sont  d'abord  un  chapiteau  d'ordre  ionique  (l)  qui  m'a  paru  d'un 

M 


dessin  et  d'un  travail  très-supérieur  aux  autres  ornements  d'archi- 
tecture que  j'ai  trouvés  à  Deir-el-Kalaah,  et  ensuite  une  urne  ciné- 
raire qui  n'a  pas  moins  de  80  centim.  de  diamètre.  Cette  urne,  en 
marbre  blanc,  n'a  point  d'ornements,  mais  elle  est  couverte  de 
caractères  latins  formant  quatre  lignes.  A  ma  première  visite  aux 
ruines  de  Deir-el-Kalaah  ,  j'avais  fait  de  ces  caractères  la  copie  que 
j'ai  eu  l'honneur  de  vous  remettre,  et  plus  tard,  j'en  pris  un  calque 
sur  l'original ,  mais  il  a  eu  malheureusement  le  même  sort  que 
celui  dont  je  regrettais  la  perte  en  commençant  ma  lettre. 

Je  ne  terminerai  pas  sans  vous  exprimer  encore  une  fois,  Mon- 
sieur ,  combien  je  regrette  de  ne  pouvoir  fournir  à  vos  savantes 
recherches,  des  matériaux  plus  complets  sur  les  monuments  de  cette 
localité,  qui  paraît  avoir  été  le  mont  sacré  des  Beyritiens.  Le  peu 
que  j'ai  pu  vous  dire  ne  vous  permettra  pas  sans  doute  de  pénétrer 
encore  tous  les  secrets  de  ces  ruines,  mais  l'attention  que  vous  venez 
de  leur  accorder,  stimulera  le  zèle  des  voyageurs  qui  visiteront  la 
Syrie,  et  bientôt,  j'espère,  toutes  les  lacunes  que  j'ai  laissées  dans 
mes  recherches  seront  remplies  par  de  plus  heureux  et  de  plus 
habiles  explorateurs  (2). 

Veuillez  agréer,  Monsieur,  la  nouvelle  assurance  de  mes  senti- 
ments les  plus  distingués.  J.  de  Bertou. 

(1)  Ce  chapiteau  est  unique  de  son  modèle.  Je  l'ai  trouvé  au  milieu  d'un  las  de 
décombres  non  loin  de  l'emplacement  du  temple  C.  Généralement  les  chapiteaux 
sont  très-rares  parmi  les  ruines  de  Deir-el-Kalaah  ,  il  paraîtrait  qu'après  la  ruine 
des  monuments  on  les  a  enlevés  pour  s'en  servir  ailleurs.  La  colonne  figurée  en  L 
(p.  fi21  )  se  retrouve  trés-souvént  dans  les  constructions  modernes. 

(2)  L'abondance  des  matières  ne  permet  pas ,  à  l'éditeur  de  la  Bévue,  d'insérer  ma 
réponse  à  cette  lettre  intéressante,  qui  renferme  la  première  description  connue  de  cet 
hiéron  remarquable. Cette  réponse  paraîtra  dans  le  cahier  suivant,  accompagnée  des 
inscriptions,  trouvées  en  ce  lieu,  de  celles ,  du  moins,  qui  ont  quelque  intérêt.— L. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Le  département  des  antiques  de  la  Bibliothèque  royale  s'est 
enrichi  cette  année  d'un  assez  grand  nombre  de  monuments  d'une 
haute  importance ,  grâce  surtout  à  la  persévérance  de  l'un  des  con- 
servateurs ,  M.  Lenormant ,  dont  le  zèle  rencontre  des  obstacles  de 
plus  d'un  genre.  Les  fragments  d'un  vase  d'argent  de  travail  attique , 
acquis  des  héritiers  du  voyageur  Linck  ont  été  réunis  et  soudés.  On 
peut  juger  maintenant  de  la  forme  gracieuse  de  ce  rare  monument 
dont  Stackelberg  avait  publié  une  restauration  tout  à  fait  infidèle 
(Die  Graeber  der  Hellenen;  tab.  liv).  Ce  vase  en  effet  n'a  jamais 
eu  la  hauteur  qui  lui  est  donnée  par  l'antiquaire  allemand ,  et  le 
dessous  travaillé  au  repoussé  montre  une  rosace  élégante.  Un  autre 
vase  de  grandes  dimensions  (  haut.  35  cent.)  et  d'un  travail  tout  dif- 
férent a  été  également  acquis  et  restauré  avec  le  plus  grand  soin. 
C'est  une  aiguière  d'argent  du  temps  des  rois  Sassanides  de  Perse , 
dont  la  forme  est  tout  à  fait  celle  d'un  vase  publié  dans  les  Mé- 
moires de  l'Académie  des  Inscriptions ,  par  le  président  de  Brosses 
(t.  XXX ,  p.  777).  Sur  celui  du  Cabinet  des  Antiques  on  voit  deux 
groupes  composés  chacun  de  deux  lions  qui  se  croisent ,  et  qui  por- 
tent un  astre  sur  le  milieu  du  corps;  ces  groupes  sont  séparés  par 
deux  arbres  dont  l'un  est  couvert  de  feuillages  et  de  fleurs ,  tandis 
que  l'autre ,  cepé  à  la  base ,  a  poussé  deux  tiges  dont  les  rameaux 
sont  entièrement  dépouillés.  Ces  figures  se  détachent  en  relief  sur 
un  fond  doré.  —  La  collection  des  pierres  gravées  s'est  augmentée 
d'une  intaille  de  grande  dimension ,  représentant  l'empereur  Com- 
mode à  cheval,  lançant  un  javelot  contre  un  tigre,  sardonyx  à 
deux  couches  d'un  très-beau  style  ;  et  d'un  grand  camée  de  132  mil- 
limètres de  hauteur  sur  80  de  largeur,  pierre  magnifique  dont  la 
matière  est  déjà  fort  précieuse  et  dont  le  sujet  qui  est  un  buste  de 
Minerve  ou  de  Déesse-Rome,  présente  les  caractères  d'un  très-bon 
ouvrage  romain  du  règne  de  Constantin.  Ce  monument  a  été  décou- 
vert à  Bavay,  l'ancien  Bagacum  Nerviorum,  lieu  qui  avait  à  l'époque 
de  l'occupation  romaine  une  grande  importance  qu'il  a  perdue  tota- 
lement aujourd'hui. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  la  trouvaille  faite  au  Gourdon ,  près 


DECOUVERTES   ET   NOUVELLES.  625 

Dijon  ,  d'un  vase  d'or,  accompagné  de  son  plateau  et  d'une  quantité 
considérable  de  monnaies  d'or  d'Anastase  et  de  Justinien.  Le  vase  et 
le  plateau  (qui  porte  au  centre  une  croix  incrustée  de  verre  rouge, 
comme  les  monuments  recueillis  dans  le  tombeau  de  Childéric), 
ont  été  achetés  par  la  Bibliothèque  royale,  et  sont  exposés  au 
regard  du  public.  Cet  établissement  a  pu  encore  ajouter  à  la  riche 
collection  de  monuments  d'argent  qu'il  possède,  un  beau  vase  an- 
tique, d'environ  quinze  centimètres  de  diamètre,  sur  lequel  on  voit 
en  bas-relief,  un  autel  entre  deux  cyprès,  accompagné  de  groupes, 
dont  l'un  représente  un  lion  dévorant  un  cheval ,  et  l'autre  une 
lionne  dévorant  un  sanglier,  composition  évidemment  symbolique, 
et  qui  rappelle  le  double  type  des  monnaies  d'Acanthe,  en  Macé- 
doine. Enfin,  la  collection  de  vases  peints  antiques,  a  reçu  un  choix 
de  monuments  céramographiques ,  recueillis  à  Athènes  et  dans  la 
Cyrénaïque  par  MM.  le  baron  de  Prokesch-Osten  et  de  Bourville. 
Le  second  envoi,  surtout,  offre  un  haut  intérêt  pour  l'histoire  de 
l'art.  Les  vases  peints  et  les  terres  cuites,  rassemblées  par  les  soins 
de  M.  de  Bourville,  font  connaître  la  fabrique  particulière  de  Cyrène, 
et  montrent  aussi  qu'elle  extension  l'importation  des  ouvrages  athé- 
niens, avait  reçue  en  Afrique. 


—  L'entrée  des  archives  du  royaume  vient  d'être  transférée  de  la 
rue  du  Chaume  dans  la  rue  de  Paradis.  Ce  changement  a  donné 
lieu  à  deux  petites  découvertes  qui  ne  sont  pas  sans  importance  pour 
l'histoire  de  l'ancien  Paris,  et  dont  nous  allons  dire  un  mot  à  nos 
lecteurs  (l). 

On  sait  que  les  Archives  occupent  l'ancien  hôtel  Soubise,  au 
Marais,  connu  auparavant  sous  le  nom  d'hôtel  de  Guise,  et  plus 
anciennement  sous  celui  d'hôtel  de  Clisson  ou  de  la  Miséricorde. 

En  1697,  François  de  Rohan,  prince  de  Soubise,  l'acheta  des 
héritiers  de  la  duchesse  de  Guise,  et  le  fit  reconstruire  presque  en 
entier,  tel  qu'on  le  voit  à  présent.  Le  Maire,  architecte  en  réputa- 
tion de  ce  temps,  sous  la  conduite  duquel  les  travaux  furent  com- 
mencés en  1702,  ne  laissa  guère  subsister  que  les  deux  tours  du 
XIVe  siècle  que  l'on  voit  encore  sur  la  rue  du  Chaume.  A  ces  deux 
tours,  qui  forment  un  angle  avec  la  rue,  s'applique  une  misérable 

(1)  Ces  découvertes  «ont  dues  à  M.  Lallemand,  commis  d'ordre  aux  Archives  du 
royaume. 


626  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

construction  moderne  qui  lui  est  parallèle  et  qui  masque  entière- 
ment l'ancienne  porte  de  l'hôtel  de  Guise  placée  entre  elles  deux  . 
c'était  le  logement  du  portier.  Or,  le  changement  de  l'entrée  des 
Archives  l'ayant  laissé  libre,  on  y  a  découvert,  dans  une  soupente, 
les  armes  de  Henri  de  Lorraine,  duc  de  Guise,  et  de  Catherine  de 
Clèves,  sa  femme,  peintes  sur  le  cintre  de  l'ancienne  porte. 

La  seconde  découverte  offre  encore  plus  d'intérêt,  quoiqu'il  ne 
s'agisse  que  d'une  pauvre  lettre,  une  M  couronnée  peinte  en  noir 
sur  la  lucarne  de  l'une  des  deux  tours.  Mais  c'est  que  cette  M  est  à 
elle  seule  toute  une  histoire.  La  voici  en  deux  mots  : 

En  1383,  au  moment  où  Charles  VI  était  encore  occupé  à  sa 
guerre  de  Flandre,  les  Parisiens  se  révoltèrent  au  sujet  de  nou- 
veaux impôts.  Cette  sédition  est  fameuse  dans  l'histoire  sous  le  nom 
de  révolte  des  Maillotins.  La  punition  suivit  de  près  la  faute.  Vers 
le  milieu  du  mois  d'avril,  le  roi  rentra  dans  Paris  à  la  tête  de  son 
armée  partagée  en  trois  corps ,  commandés  l'un  par  le  connétable  de 
Clisson,  l'autre  par  le  maréchal  de  Sancerre,  le  troisième  par  lui- 
même.  Seul  à  cheval  dans  les  rangs  pressés  de  ses  hommes  d'armes , 
il  s'avança  d'un  pas  lent  et  menaçant  jusqu'à  Notre-Dame ,  après 
avoir  fait  renverser  devant  lui  les  barrières  et  les  portes  de  la  ville. 
De  là  il  se  rendit  au  Palais ,  où  ses  troupes  lui  rabattirent ,  si  l'on 
peut  s'exprimer  ainsi,  toute  une  population  désarmée  et  pâle  d'ef- 
froi, qui,  se  jetant  à  genoux  dans  la  cour  du  Palais,  lui  cria  misé- 
ricorde. Donc,  cette  petite  chose,  cette  M  onciale,  c'est  le  signe 
ineffacé,  subsistant,  implacable  dune  journée  qui  fut,  pour  les 
Parisiens ,  un  jour  terrible. 

Piganiol  dit  que  ce  fut  à  cette  occasion  que  les  Parisiens  donnè- 
rent au  connétable  une  maison  qui  était  nommée  le  grand  chantier 
du  Temple,  et  qui  devint  ainsi  l'hôtel  de  Clisson.  Il  cite  Pasquier, 
dans  lequel  nous  n'avons  pu  retrouver  ce  fait.  Quoi  qu'il  en  soit,  il 
paraît,  d'après  le  Religieux  de  Saint-Denis ,  que  Clisson  chercha  à 
adoucir  la  colère  du  roi,  ou,  du  moins,  tempéra  quelque  peu  la 
rigueur  du  châtiment  infligé  aux  Parisiens.  Piganiol  ajoute  qu'on  a 
vu  longtemps  ,  sur  les  murailles  et  les  combles  de  l'hôtel  dont  nous 
parlons ,  des  M.  d  or  couronnées ,  qui ,  dit-il ,  «  faisoient  connoître 
«  qu'on  les  avoit  ainsi  peintes  pour  insulter  aux  Parisiens  et  leur 
«  reprocher  leur  faute.  Elles  indiquent  aussi  la  raison  pour  laquelle, 
«  sous  Charles  VI ,  et  même  après ,  on  nommoit  cet  hôtel  Y  Hôtel  de 
«  la  Miséricorde.  » 


DÉCOUVERTES   ET   NOUVELLES.  627 

Nous  savons  que  M.  le  garde  général  des  archives  est  dans  l'inten- 
tion de  demander,  lorsque  le  moment  sera  venu ,  que  Ton  déblaye 
et  restaure  cette  porte.  On  n'attendait  pas  moins  de  son  zèle  poul- 
ies monuments  de  nos  arts  anciens  et  de  notre  histoire. 

-—  On  apprend  que  les  monuments  assyriens ,  découverts  à  Khor- 
sabad,  par  M.  Botta,  viennent  d'arriver  au  Havre,  et  seront  dans 
peu  de  jours  à  Paris. 

A  ce  sujet  nous  ferons  observer  qu'il  eut  été  bien  naturel  d'at- 
tendre la  venue  de  ces  précieuses  antiquités ,  pour  commencer  la 
gravure  des  dessins  de  M.  Flandin.  Quelque  confiance  que  puisse 
inspirer  le  talent  de  cet  artiste,  on  ne  pourra  nier  qu'il  se  fût  in- 
spiré avec  avantage  de  la  vue  des  monuments  originaux  considérés 
à  tète  reposée  et  dans  des  conditions  de  calme  et  d'étude  qui  ne  pou- 
vaient exister  sous  le  ciel  brûlant  de  l'Asie.  Les  graveurs  de  leur 
côté  eussent  gagné  à  connaître  la  nature  du  marbre  employé  par 
les  sculpteurs  assyriens,  et  leur  burin  eut  acquis  plus  de  sûreté  et 
de  vérité.  Nous  espérons  que  la  commission  qui  veille  à  la  publi- 
cation des  antiquités  de  Ninive,  sera  du  même  avis  que  nous. 

—  Ahmed-Pacha ,  bey  de  Tunis,  a,  la  semaine  dernière,  visité  la 
Bibliothèque  royale.  S.  A.  a  examiné  avec  intérêt  le  plan  en  relief 
des  pyramides  d'Egypte ,  et  s'est  fait  présenter  M.  Champollion  , 
frère  du  savant  interprète  de  la  langue  hiéroglyphique.  Parvenu  au 
Cabinet  des  Antiques,  Ahmed-Bey  a  regardé  avec  attention  diffé- 
rents monuments,  particulièrement  l'armure  de  Henri  IV.  Ensuite 
S.  A.  a  voulu  voir  les  monnaies  des  différentes  dynasties  musulmanes, 
et  s'est  arrêtée  à  la  collection  des  khalifs ,  des  princes  africains  de 
Tunis  et  de  Maroc ,  lisant  à  haute  voix  à  ses  officiers  les  explica- 
tions écrites  en  langue  arabe  sous  chacune  des  pièces  par  M.  de 
Longpérier.  Le  bey  s'entretenant  en  arabe  avec  cet  antiquaire  et 
un  savant  scheïk  qu'il  a  amené  de  Tunis,  a  commenté  diverses 
monnaies  très-rares,  dont  l'existence  excitait  son  intérêt  et  son 
étonnement.  Ahmed-Bey  a  terminé  sa  visite  par  le  département  des 
manuscrits  où  il  a  demandé  à  examiner  les  ouvrages  historiques; 
une  charte  arabe  contenant  le  traité  passé  entre  Philippe  le  Hardi 
et  le  prince  de  Tunis  a  fixé  son  attention  ;  S.  A.  a  paru  attacher 
beaucoup  de  prix  à  en  emporter  une  copie  imprimée.  Le  bey  de 
Tunis  est  sans  contredit  le  souverain  le  plus  éclairé  qu'il  y  ait  en 
Orient. 


628  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

—  On  a  fait  récemment,  à  Audenge  et  à  Cestas  (Gironde),  une 
découverte  assez  intéressante.  M.  Dumur  a  trouvé  divers  frag- 
ments antiques  ou  romans,  dont  les  traces  sont,  en  général,  rares 
dans  ces  contrées.  Ce  sont  des  débris  de  vases,  d'amphores  et  le 
buste  d'une  statue  d'homme  en  marbre  blanc  d'un  beau  travail.  La 
tète  en  est  bien  conservée ,  les  cheveux  courts  et  bouclés  sont  en- 
tourés d'une  couronne  de  chêne. 


A  M.  L'EDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Monsieur,  en  parcourant  le  tome  III  des  Monuments  inédits ,  pu- 
bliés par  l'Institut  archéologique  de  Rome,  je  remarquai  particu- 
lièrement (pi.  XLI,  B)  la  gravure  d'une  tète  de  Laocoon  dont  la 
provenance  était  ainsi  indiquée  :  del  Museo  di  Leida,  d'où  je  con- 
clus que  ce  morceau  de  sculpture  faisait  partie  du  musée  de  Leide. 

Mais,  apprenant  aujourd'hui,  par  une  lettre  de  M.  Leemans, 
que  la  tête  en  question  n'est  autre  que  celle  qui  appartient  à  M.  le 
duc  d'Aremberg,  à  Bruxelles,  et  que  son  attribution  au  musée  de 
Leide  est  le  résultat  d'une  erreur  déjà  signalée  par  M.  Schorn ,  je 
m'empresse  de  réparer  la  faute  assez  excusable  que  j'ai  commise  à 
cet  égard ,  et  de  réformer  en  ce  point  la  petite  note  que  j'ai  donnée 
dans  l'avant-dernier  numéro  de  votre  Reçue  (p.  438),  sur  quelques- 
uns  des  monuments  antiques  relatifs  à  Laocoon. 

Agréez,  etc. 

-     J.  J.  Dubois. 


LETTRE  A  M.  CH.  IMORMANT, 

DE  L'ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES  , 

SUR  UN  POINT  DE  L'ÉPIGRAPHIE  PUNIQUE. 

Mon  cher  Confrère, 

Mieux  que  personne  vous  savez  que  tous  les  points  de  la  science 
archéologique  se  touchent,  et  que  pour  éclaircir  un  seul  fait  il  est 
presque  toujours  indispensable  d'emprunter  à  d'autres  faits  la  lu- 
mière qui  lui  manque.  Je  viens  donc  faire  un  appel  à  votre  grande 
connaissance  des  théogonies  de  tous  les  peuples  de  l'antiquité,  et 
signaler  à  votre  attention  une  rectification  qu'il  faut  nécessaire- 
ment faire  subir  à  la  version  de  certaines  inscriptions  votives  pu- 
niques ,  version  admise  par  les  philologues  les  plus  éminents.  Si  je 
ne  me  suis  pas  trompé,  cette  rectification  doit  donner  lieu  à  quelques 
remarques  curieuses,  à  quelques  rapprochements  intéressants  qui 
ajouteront  quelque  peu  à  l'histoire  de  la  mythologie  carthaginoise. 

Comme  je  ne  me  sens  pas  de  force  à  les  déduire  moi-même , 
parce  qu'il  faut  pour  oser  aborder  des  questions  de  ce  genre ,  être 
pourvu  d'une  connaissance  approfondie  des  idées  théogoniques  de 
l'antiquité  tout  entière,  je  ne  saurais  mieux  m'adresser  qu'à  vous, 
mon  cher  confrère ,  pour  obtenir  les  éclaircissements  que  je  désire , 
et  qui  ne  peuvent  manquer  de  piquer  la  curiosité  des  archéologues. 
D'ailleurs  le  terrain  sur  lequel  je  vais  vous  conduire,  vous  est  si  fa- 
milier, vous  en  êtes  si  bien  le  maître,  que  ce  qui  pour  moi  resterait 
une  difficulté  probablement  inextricable ,  vous  semblera  tout  simple 
et  tout  naturel  ;  à  vous  donc  l'honneur  d'expliquer  ce  qui  me  semble 
obscur:  aux  lecteurs  de  h  Reçue  et  à  moi  surtout  le  plaisir  et  l'avan- 
tage de  profiter  de  l'explication  que  j'attends  de  votre  bonne  amitié. 


Vous  connaissez  à  merveille  les  inscriptions  votives,  déterrées  à 
Carthage  même ,  et  qui  ont  été  rédigées  en  l'honneur  de  la  déesse 
Tanit,  et  du  dieu  solaire ,  Baal-Khamon.  Beaucoup  d'habiles  philo- 
logues ont  appliqué  leur  savoir  au  déchiffrement  de  ces  textes  pré- 
III.  41 


360  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

cieux,  et  un  travail  spécial  que  j'ai  inséré,  Tan  dernier,  dans  les 
Mémoires  de  V Institut   archéologique  de  Rome,  a  résumé  les  re- 
cherches de  mes  devanciers  sur  cette    classe  de  monuments  ;  j'y 
adoptais  pleinement  la  traduction  tout  à  fait  naturelle  et  vraisem- 
blable proposée  par  notre  savant  confrère,  M.  E.  Quatremère,  dans 
un  article  dont  il  a  enrichi  le  Journal  Asiatique  (année  1828). 
Les  inscriptions  expliquées  par  M.  Quatremère  sont  les  première , 
deuxième ,  troisième  et  quatrième  carthaginoises  du  recueil  de  Ge- 
senius(l).  Un  peu  plus  tard  (1833),  M.  Falbe  en  publiant  ses  recher- 
ches sur  l'emplacement  de  Carthage ,  fit  connaître  une  nouvelle  in- 
scription de  la  même  famille,  recueillie  dans  la  régence  de  Tunis,  par 
Scheele,  secrétaire  du  consulat  de  Danemark.  Gesenius  reproduisit 
cette  nouvelle  inscription  dont  l'état  parfait  de  conservation  avait 
suggéré  au   savant  Lindberg  une  transcription  un  peu  différente 
de  celle  qu'ont  adoptée  MM.  Quatremère  et  Gesenius.  Ce  dernier 
(p.  70)  me  semblait  pourtant  avoir  victorieusement  réfuté  l'asser- 
tion de  Lindberg ,  qui  prétendait  que  la  lettre  qui  suit  le  mot  7m 
n'était  pas  un  noun  mais  bien  un  caph,  et  qu'il  fallait  lire  :  by&  i 
pK   Sr> ,  et  Domino  cujusque  heri;  à  cette  transcription  et  à  cette 
traduction,   Gesenius   substituait  la  leçon  suivante  :  p*6  f)V2b  l 
et  Domino  nostro  ,  hero ,  que  j'ai  moi-même  adoptée  sur  sa  parole 
dans  le  travail  précité.  Maintenant  je  viens  protester  contre  l'une  et 
l'autre  de  ces  deux  transcriptions,  parce  qu'elles  ne  sont  basées  que 
sur  la  supposition  toute  gratuite  que  les  graveurs  de  ces  inscriptions 
se  sont  trompés,  en  copiant  les  textes  qu'ils  étaient  chargés  de  repro- 
duire. Peut-être  use-t-on  quelquefois  trop  largement  du  moyen 
d'interprétation  qui  consiste  à  dire  :  ïl  doit  y  avoir  ceci ,  au  lieu  de 
cela  que  le  lapicide  n'a  pu  tracer  que  par  erreur.  À  mon  avis  il  n'est 
jamais  bien  prudent  de  prêter  aux  autres  des  erreurs  de  copie ,  pour 
arriver  plus  aisément  au  sens  que  l'on  cherche,  et  je  n'en  veux  d'autre 
preuve  que  celle  que  va  me  fournir  la  transcription  matérielle  du 
passage  sur  lequel  Gesenius  et  Lindberg  sont  restés  en  désaccord. 

"Vous  saveî  tout  aussi  bien  que  moi,  mon  cher  confrère,  qu'il  n'y 
a  presque  jamais  possibilité  de  se  tromper  sur  la  valeur  des  caractères 
alphabétiques  employés  dans  les  inscriptions  carthaginoises  primi- 
tives. Chaque  lettre,  en  effet ,  comporte  son  critérium  qui  la  distingue 
invariablement  des  lettres  qui  offrent  avec  elle  une  certaine  ana- 
logie de  formes.  Il  est  donc  tout  à  fait  impossible  à  moins  de  le 

(1)  En  les  interprétant ,  notre  confrère  se  plaignait  avec  raison  de  la  négligence 
avec  laquelle  avaient  été  tracées  les  copies  remises  entre  ses  mains. 


LETTRE  A  M.   LËNORMANT.  631 

vouloir  a  priori,  de  prendre  un  t\  pour  un  «j,  un  «j  pour  un  "|,  un 
b  pour  un  j  et  un  v  pour  un  D.  Je  ne  prétends  pas  nier  d'ailleurs 
qu'il  puisse  arriver  qu'un  lapsus  scalpri  ait  substitué  parfois  une  de 
ces  lettres  à  son  analogue.  Mais  si  ce  prétendu  lapsus  scalpri  se 
reproduit  invariablement  sur  plusieurs  épigraphes  tracées  par  des 
mains  diverses,  et  à  des  époques  différentes,  il  devient  impossible 
d'admettre  l'existence  d'un  parti  pris  de  commettre  perpétuellement 
les  mêmes  bévues. 

Or  c'est  là  précisément  le  cas  qui  se  présente  lorsqu'il  s'agit  des 
inscriptions  votives  puniques,  dédiées  à  Tanit  et  à  Baal-Khamon. 
Passons-les  donc  rapidement  en  revue  et  examinons  sur  chacune 
d'elles  la  forme  matérielle  du  passage  douteux  dont  il  s'agit. 

La  première  carthaginoise  de  Gesenius  (tab.  XIV)  est  mutilée  ; 
la  première  ligne  presque  entière  a  disparu  et  on  n'y  retrouve  que 
les  lettres 

{HÙïh  (sic)  fi  «i 

Le  1  est  d'ailleurs  très-reconnaissable  à  cause  de  la  direction  du 
trait  principal.  En  général  cette  lettre  se  distingue  du  caph,  en  ce 
que  celui-ci  est  incliné  de  droite  à  gauche,  tandis  que  le  vau  est 
incliné  de  gauche  à  droite. 

Cette  première  inscription  ne  nous  donne  que  celte  seule  indi- 
cation ,  que  la  lettre  qui  précède  les  mots  pn  byib ,  doit  se  lire  i, 
et  représente  par  conséquent  la  conjonction  ordinaire. 

La  deuxième  carthaginoise  de  Gesenius  (tab.  XV)  est  plus  entière 
que  la  précédente,  et  cependant  elle  a  perdu  quelques  lettres.  Il  n'en 
résulte  pas  moins  que  le  caractère  qui  suit  le  nom  divin  n:n  est  un  *] 
et  ne  peut  être  un  \ 

Au  reste  toute  cette  inscription  me  paraît  peu  fidèlement  copiée, 
et  je  ne  crains  pas  d'affirmer  que  la  figure  publiée  par  Gesenius  est 
fort  souvent  incorrecte.  Il  n'y  a  donc  pas  en  réalité  de  conclusion 
péremptoire  à  tirer  de  son  examen,  malgré  l'assurance  que  nous 
donne  Gesenius,  qu'il  a  fait  des  textes  des  quatre  premières  cartha- 
noises  conservées  à  Leyde ,  une  étude  si  scrupuleuse  que  ses  co- 
pies sont  d'une  fidélité  inattaquable.  Je  n'en  persiste  pas  moins 
à  croire  que  Gesenius  n'a  pas  toujours  exactement  copié  ce  qu'il 
avait  sous  les  yeux. 

La  troisième  carthaginoise  (tab.  XVI)  est  si  parfaitement  con- 
servée qu'à  elle  seule  elle  suffirait  pour  donner  le  texte  le  plus  pur, 
en  ce  qui  concerne  le  passage  en  question.  Pour  quiconque  voudra 


632  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

lire  ce  qui  est  écrit  et  rien  de  plus,  la  transcription  suivante  sera 
nécessairement  la  seule  à  prendre  : 

Il  n'y  a  rien  à  tirer  de  la  quatrième  carthaginoise  de  Gesenius 
(tab.  XVII);  car  celle-ci  n'est  qu'un  fragment  tronqué  et  sans 
grande  valeur  scientifique. 

La  cinquième  carthaginoise  (tab.  XVII)  se  lit  encore  sans  hési- 
tation possible  : 

p$  1  byz  }2 

Des  quatre  premières  inscriptions  que  je  viens  de  citer,  une  seule, 
la  troisième,  étant  entière ,  il  était  bien  permis  de  supposer  un  dé- 
faut de  gravure,  et  d'admettre  a  priori  la  leçon  toute  simple 

p*A  fiïïb  i 

Mais  une  fois  la  cinquième  trouvée,  il  devait  résulter  de  la  com- 
paraison des  deux  seuls  textes  entiers,  faite  avec  tout  le  soin  qu'exige 
ce  genre  d'étude,  la  conviction  que  la  leçon  proposée  était  pure- 
ment hypothétique  et  devait  être  abandonnée.  Cette  comparaison  , 
j'ai,  sur  la  parole  du  maître  de  la  science,  négligé  de  la  faire  ,  et  j'ai 
ainsi  servi  à  propager  son  erreur,  que  je  m'impose  le  devoir  de 
combattre  aujourd'hui ,  parce  que  j'y  ai  regardé  de  plus  près. 

Enfin  la  douzième  carthaginoise  de  Gesenius  (tab.  XLVII)  com- 
mence bien  nettement  par  les  mots  p*A  l  que  j'ai  correctement  lus 
dans  mon  mémoire  sur  les  inscriptions  votives,  sans  en  tirer  la 
conclusion  nécessaire  que  toutes  mes  autres  lectures  de  la  même 
formule  consacrée  étaient  fautives. 

Aujourd'hui  trois  textes  de  plus  nous  sont  connus:  ce  sont  d'abord 
l'inscription  de  la  stèle  votive  découverte  dans  les  fouilles  de  Car- 
thage  et  échue  par  la  voie  du  sort  à  notre  savant  confrère  M.  Du- 
reau  de  La  Malle.  On  y  lit  sans  hésitation 

p*A  i byi  p 

Ensuite  deux  inscriptions  découvertes  tout  récemment  à  l'île  du 
Port-Cothon ,  par  M.  l'abbé  Bourgade ,  desservant  de  la  chapelle  de 
Saint-Louis ,  et  conservées  à  Tunis.  L'honneur  de  publier  ces  textes 
curieux  appartenant  de  plein  droit  à  celui  qui  a  eu  la  satisfaction  de 
les  découvrir,  je  dois  me  borner  à  dire  que  l'une  et  l'autre  de  ces 


LETTRE   A  M.    LENORMANT.  633 

inscriptions ,  parfaitement  claires  et  lisibles  d'ailleurs,  porte  encore 
en  toutes  lettres 

Pourrions-nous  maintenant  persister  à  voir  des  fautes  de  gravure 
dans  ce  passage  qui  se  reproduit  invariablement  tant  de  fois,  bien 
que  tracé  par  des  mains  différentes?  Ce  serait  par  trop  abuser  du 
privilège  de  suspecter  l'habileté  des  graveurs  carthaginois.  Ce  ne  sont 
donc  pas  eux  qui  se  sont  trompés,  et  l'erreur  doit  nous  être  im- 
putée à  nous-mêmes. 

Mais  il  ne  suffit  pas  d'avoir  obtenu  la  transcription  matérielle  de 
ce  passage ,  il  faut  maintenant  voir  ce  qu'il  signifie.  Prenons  donc  la 
formule  dédicatoire  entière  :  nous  lisons  avec  la  rectification  indis- 
pensable que  je  viens  de  reconnaître  (je  prends  la  troisième  cartha- 
ginoise pour  exemple)  : 

)m  bv^b  p*6  i  bv2  p  n:nS  nrb 
iptyony  p  ÉffioH  mTOjna  tu  ua 

Or  p  veut  dire,  faciès,  mitas,  aspectus ,  et  ce  mot  entre  en 
composition  dans  le  nom  propre  hébraïque  ^N£jB  ou  WteB  ,  Faniel 
ou  Fanuel,  aspectus  Bel;  il  en  résulte,  je  crois,  que  les  mots, 
te  as,  signifient  aspectus  Baalis,  et  que  la  déesse  Tanit  portait, 
chez  les  Carthaginois,  un  surnom  signifiant,  manifestation  de Baal. 

Nous  avons  donc  en  définitive  : 

A  la  souveraine  Tanit ,  manifestation  de  Baal,  et  au  seigneur  Baal- 
Khamon.  Ceci  est  consacré  par  Gadastaroth  le  scribe ,  fils  d'Abd- 
meïkart. 

De  la  sorte  le  texte  se  simplifie  et  devient  plus  naturel ,  car  com- 
ment expliquer  la  présence  du  pronom  possessif  noun  après  le  mot 
Baal ,  tandis  qu'il  n'est  pas  exprimé  après  le  mot  Rabbet?  Pourquoi 
nommer  simplement  la  souveraine,  la  déesse  qui  paraît  au  premier 
rang,  tandis  que  l'on  dit  notre  maître,  en  parlant  de  Baal-Khamon? 
Je  ne  me  chargerais  pas  d'expliquer  cette  étrange  anomalie. 

Quant  aux  deux  mots  formulaires  TU  uw  que  Gesenius  tradui- 
sait: virvovens,  M.  Quatremère  a  démontré  que  cette  leçon  était 
inadmissible ,  puisque  l'une  des  inscriptions  votives  de  cette  classe 
avait  été  dédiée  par  une  femme.  Il  a  en  conséquence  proposé  de 
traduire  ainsi  :  hoc  quod  vovit,  et  je  me  suis  empressé  de  suivre  cette 
version.  Aujourd'hui  j'éprouve ,  à  mon  tour,  quelques  scrupules  pour 


G34  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

continuer  à  l'admettre,  précisément  à  cause  de  l'accord  qui  devrait 
se  trouver  et  qui  manque  entre  le  prétérit  Tu  et  le  nom  féminin  de 
celle  qui  a  dédié  l'inscription;  il  devrait  y  avoir  en  effet,  quand  il 
s'agit  d'une  femme ,  htu  ou  nTu.  Ce  désaccord  est  bien  plus  frap- 
pant encore  lorsqu'il  s'agit,  comme  sur  les  candélabres  de  Malte ,  de 
deux  frères  qui  accomplissent  un  vœu  commun  ;  là  nous  devrions 
lire  pour  quod  voverunt ,  itu  vx ,  et  nous  lisons  encore  tu  uk 
simplement;  il  y  a  donc  probablement  un  autre  sens  caché  sous 
cette  expression  formulaire.  M.  le  docteur  Judas  voit  dans  le 
mot  wn  ,  le  mot  ignis,  sacripcium  accendendum,  et  prenant  la  partie 
pour  le  tout,  il  conclut  que  les  mots  tu  tzm,  signifient  autel,  pierre 
consacrée.  Sans  me  permettre  de  décider  entre  ces  trois  leçons ,  je 
crois  fermement  aujourd'hui  que  le  mot  Tu  qui  reste  constamment 
le  même,  que  ce  soit  un  homme  ou  une  femme,  ou  une  collection 
d'hommes  qui  érige  l'objet  consacré,  est  en  réalité  le  substantif  Itl, 
votum,  res  voto  promissa.  Peut-il  y  avoir  une  liaison  entre  notre  uw 
punique  et  le  W  hébreu,  signifiant,  fait,  est?  Si  cela  était  possible, 
le  sens  deviendrait  tout  à  fait  clair,  car  tu  w  se  traduirait  alors  :  est 
res  voto  promissa.  A  de  plus  habiles  revient  le  droit  de  prononcer. 

Quoi  qu'il  en  soit,  mon  cher  confrère,  le  but  de  cette  lettre  est 
de  soumettre  à  votre  appréciation  le  surnom  de  manifestation  de  Baal, 
attribué  à  Tanit.  J'espère  que  vous  voudrez  bien  me  communiquer 
votre  opinion  sur  ce  point  et  je  vous  en  remercie  sincèrement  à 
l'avance. 

Veuillez  agréer,  etc. 

F.  de  Saulcy. 

Paris,  7  décembre  1846. 


NOUVELLES  OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES. 


i. 


De  toutes  les  corporations  du  monde  romain ,  la  corporation  des 
Augustales  est  sans  contredit  la  plus  célèbre  -,  c'est  en  même  temps 
une  de  celles  dont  il  est  le  plus  difficile  de  marquer  précisément  l'ori- 
gine et  les  attributions.  Des  milliers  d'inscriptions  la  mentionnent  ; 
mais  son  nom  même  ne  se  trouve  pas  une  seule  fois  dans  l'immense 
recueil  des  lois  romaines ,  et  Pétrone  est  le  seul  de  tous  les  auteurs 
anciens  qui  en  parle,  encore  est-ce  avec  une  excessive  brièveté.  Rei- 
nesius,  Noris,  Fabretti,  Oderici,Morcelli,  et,  de  nos  jours,  M.  Orelli, 
M.  Borghesi  (l),  M.  Aldini  (2),  M.  Roulez  (3),  ont  traité  ce  sujet, 
les  uns  en  passant,  les  autres  avec  quelque  étendue;  aucun  ne  l'a  fait 
avec  ensemble  et  de  manière  à  présenter  sous  une  seule  vue  tous  les 
éléments  du  problème ,  et  à  en  donner  une  solution  aussi  définitive 
qu'il  la  comporte.  Conduits  à  l'étudier ,  dans  tous  ses  détails  ,  par 
des  recherches  sur  les  historiens  de  la  vie  et  du  règne  d'Auguste  (4), 
nous  croyons  avoir  le  premier  réuni  sur  le  sujet  des  Augustales , 
sinon  la  totalité  des  faits  épars  dans  les  livres  de  nos  devanciers ,  au 
moins  les  plus  intéressants  et  les  plus  utiles  (5)  ;  nous  croyons  en  avoir 

(1)  Bolletino  dell'  Instituto  di  Corresp.  archeol.,  1S42,  p.  101-108,  à  l'occasion 
de  quelques  inscriptions  nouvellement  découvertes  en  Dalmatie. 

(2)  Aldini  :  Sulle  antiche  lapidi  Ticinesi,  Pavia,  1831  ;  in-8 ,  p.  135  et  suiv. 

(3)  Dans  un  Mémoirelu  àl'Académie  de  Bruxelles,  et  dont  un  résumé  se  trouve  dans 
le  Journal  V Institut ,  1840,  p.  90.  Je  ne  mentionne  ici  que  les  travaux  qui  m'avaient 
échappé,  lorsque  je  publiai  mes  études  sur  ce  sujet.  Quant  à  l'article  Augustales, 
dans  l'Encyclopédie  de  Pauly  (Stuttgard,  1839),  ce  n'est  qu'une  très-courte  notice 
rédigée  d'après  le  livre  et  selon  l'opinion  même  de  M.  Orelli  sur  ce  sujet- 

(4)  Examen  critique  des  historiens  anciens  de  la  vie  et  du  règne  d'Auguste  (Mé- 
moire couronné  en  1839  par  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres).  Paris, 
1844.  Appendice  II.  Quelques  exemplaires  de  cet  Appendice  ont  été  tirés  à  part, 
sous  le  titre  de  Recherches  sur  les  Augustales. 

(5)  A  ce  propos,  je  me  permettrai  de  réclamer  contre  une  assertion  échappée  à  la 


636  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

déduit  quelques  conclusions  précises.  Partant  d'un  rapprochement 
heureux  qu'avait  indiqué  M.  Orelli ,  nous  avons  essayé  d'établir  : 

1°  Que  le  corps  des  Augustales  fut,  dans  les  provinces,  l'imitation 
d'une  institution  analogue  existant  dans  la  métropole  ; 

2°  Que  cette  institution,  à  Rome,  était  le  corps  à  la  fois  muni- 
cipal et  sacerdotal  des  magistri  vicorum  ou  quarteniers ,  rétabli  par 
Auguste  après  plusieurs  années  de  désuétude,  et  rétabli  sur  des  bases 
en  partie  nouvelles  ; 

3°  Que  de  même  que  les  magistri  vicorum  cumulaient  la  charge  du 
culte  des  Dieux  Lares  avec  certaines  attributions  civiles  très-secon-. 
daires,  de  même,  dans  les  provinces,  des  magistri  Larum  augustorum, 
ou  magistri  augustales t  appelés  depuis  seviri  augustales,  ou  simple- 
ment Augustales,  avaient,  du  vivant  même  d'Auguste,  exercé  des 
fonctions  à  la  fois  municipales  et  religieuses,  qui  peu  à  peu,  de  l'état 
de  simple  corporation ,  les  avaient  élevés  au  rang  d'un  ordre  dans  le 
municipe,  et  qui  en  avaient  fait  de  véritables  chevaliers  municipaux , 
classe  intermédiaire  entre  le  peuple  et  les  décurions; 

4°  Que  cette  institution ,  indirectement  associée  au  culte  tout  païen 
dont  la  personne  des  empereurs  était  l'objet,  après  avoir  fleuri  pen- 
dant trois  siècles,  avait  dû  disparaître  avec  les  autres  institutions 
païennes,  soit  par  le  progrès  même  des  mœurs  publiques,  soit  par 
l'effet  des  rescrits  des  empereurs  chrétiens  ; 

5°  En  marquant  ce  qu'était,  selon  nous,  Yaugustalité,  et  d'où  elle 
venait,  nous  avions  dit  aussi  ce  qu'elle  n'était  pas;  et,  sur  ce  point , 
nous  avions  cru  ou  réfuter  d'anciennes  erreurs,  ou  répondre  d'avance 
à  des  objections  prévues. 

L'auteur  d'une  dissertation  récente  sur  le  même  sujet  (1), 
M.  A.  W.  Zumpt,  déjà  connu  par  divers  mémoires  philologi- 
ques fort  distingués  (2) ,  vient  de  remettre  en  doute  plusieurs  des 


critique,  d'ailleurs  trop  bienveillante  à  mon  égard ,  de  M.  Ch.  Giraud.  L'auteur  de 
l'Essai  sur  l'histoire  du  droit  français  au  moyen-âge,  me  reproche  (T.  I,  p.  142, 
note  7) ,  d'avoir  omis  dans  mes  recherches  sur  les  Augustales,  une  inscription  im- 
portante ;  celle  que  rapporte  Gruter  ,  p.  378,  1.  Je  l'ai  citée  et,  en  partie ,  trans- 
crite p.  394  du  volume  sur  les  historiens  d'Auguste  (p.  42  du  tirage  à  part  de  la 
dissertation  sur  les  Augustales). 

(1)  De  Augustalibus  et  Seviris  Augustalibus ,  commentatio  epigraphica.  Be- 
rolini,  86  pages  in-4°,  184G. 

(2)  Caesaris  Augusti  Index  Herum  a  se  geslarum ,  sive  Monumentum  Ancyranum 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  637 

résultats  de  notre  travail ,  et  les  plus  importants.  Nous  saisissons  vo- 
lontiers cette  occasion  pour  y  revenir  nous-mêmes  ,  et  nous  corriger 
en  quelques  points,  mais  avec  l'espoir  de  maintenir  nos  premières 
conclusions.  Malgré  toutes  les  réserves  dune  courtoisie  qu'il  nous 
sera  facile  d'imiter,  M.  Zumpt  nous  déclare  coupable  de  propager 
une  grave  erreur  parmi  les  savants.  Examinons  donc  si  l'erreur  est 
de  ce  côté  du  Rhin  ou  de  l'autre,  et  tâchons  de  ramener  le  problème 
à  ses  éléments  les  plus  essentiels. 

Voici  d'abord  les  faits  que  M.  Zumpt  admet  avec  nous  comme  in- 
contestables : 

1°  Le  culte  des  Dieux  Lares  existait  à  Rome  de  toute  antiquité.  Il 
était  confié  aux  soins  des  chefs  de  quartiers ,  magistri  vicorum  ;  il 
avait,  dans  le  calendrier  romain,  ses  jours  solennels. 

2°  Quand  Auguste,  en  746 ,  divisa  Rome  en  quatorze  régions  et 
en  deux  cent  soixante-cinq  quartiers,  qu'à  chaque  viens  il  préposa 
quatre  magistri,  assistés  d'autant  de  ministri,  et  qu'il  chargea  ces  ma- 
gistrats du  culte  des  Dieux  Lares ,  il  ne  fonda  pas  un  nouveau  culte , 
pas  plus  qu'il  ne  fonda  l'organisation  municipale  de  Rome.  Il  res- 
taura seulement  et  il  étendit  une  vieille  institution ,  ce  qui  n'empêche 
pas  que  les  Dieux  remis  en  honneur  par  ce  prince  aient  pu  légitime- 
ment se  parer  de  son  surnom  et  devenir  Lares  AugustL 

3°  Comme  tous  les  sacerdoces,  comme  toutes  les  magistratures 
temporaires,  la  magistrature  demi-sacerdotale  des  quarteniers  avait 
ses  fastes,  comptant  à  partir  de  l'an  746  de  Rome.  Nous  avions  formé, 
dans  notre  mémoire,  la  liste  de  toutes  les  inscriptions  qui  se  rapportent 
textuellement  à  des  années  de  cette  ère  peu  connue.  M.  Zumpt  veut 
bien  louer  l'exactitude  de  ce  petit  travail.  Comme  nous  en  sommes  au- 
jourd'hui un  peu  moins  satisfaits  que  lui,  nous  prions  qu'on  nous 
permette  de  le  reproduire  ici  corrigé  et  complété  en  plusieurs  points 
qui  ne  manquent  pas  d'importance. 

ex  reliquiis  graecae  interprétations  restituit  Jo.  Franzius,  commentario  perpetuo 
instruxit  A.  W.  Zumpt,  Berlin,  1845,  in-4°.  —  De  Lavinio  et  Laurentibus  La- 
vinalibus,  1845.  in-4°— De  Ciceronis  ad  Brutum  etBrutiad  Ciceronem  epistolis 
quœ  vulgo  feruntur.  Berlin ,  1845.  in-4°,  etc. 


638 


REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 


ANS 

SB   ROME. 


ANS 
de  l'ère  chré- 
tienne. 

s.  S 

AVANT  J.  G. 

1  * 

32 

7—6 

\ 

6-5 

2 

3—2 

5 

2—1 

6 

1—1 

7 

Ê      INSCRIPTIONS  CORRESPONDANTES. 


746—747 
747—748 
750—751 
751—752 
752—753 

756—757 
763—764 
764—765 
776-777 
795—796 
797—798 
837—838 
845—846 
849—850 

851—852 
852—853 


861—862 


Apres  J.  C, 


4—5 

11 

11—12 

18 

12—13 

19 

24-25 

31 

43—44 

50 

45—46 

52 

85-86 

92 

93—94 

100 

97—98 

104 

99—100 

106 

100—101 

107 

109—110 

116 

Orelli,  n<s  1386, 1658 ,  1659,  3220.  Fabr.  p.  487, 

n<>  170.  Vise.  M.  P.  C.  IV,  p.  93  (*). 
Orelli,  n°  1388,  sans  indication  de  consuls. 

Gruter,  54,  1,  sans  indication  de  consuls.  Gruter, 

106 ,  7  consuls  de  751,  sans  indication  d'ère. 
Gruter,  36,  7,  sans  indication  de  consuls. 

Orelli,  n°  2425;  consuls  de  753,  sans  indic.  d'ère. 


Orelli,  n°  1530,  sans  indication  de  consuls.  Fabr., 
p.  528  ,  n°  379,  sans  indication  de  consuls. 

Orelli,  n°  18,  consuls  de  764,  avec  indication  de 
l'année  xvni. 

Orelli,  n°  1530,  sans  indication  de  consuls. 

Orelli,  n°  1574,  sans  indication  de  consuls. 
Orelli,  n°  13S7,  sans  indication  de  consuls. 
Orelli,  n°  1436,  sans  indication  de  consuls  (**). 

Gruter,  106,  6  ;  consulat  de  Doraitien  et  année  de 
l'ère  ;  la  lre  indication  demande  correction. 

Donius ,  II ,  5  ;  consuls  de  846 ,  et  année  de  l'ère, 
mais  mutilée. 

Donius ,  1, 137  ;  consulat  de  850  et  année  de  l'ère, 
mais  à  restituer,  si  cette  inscription  n'est  pas 
la  même  que  celle  de  M.  Gruter,  128  ,  3. 

Orelli ,  n°  782,  en  conservant  le  chiffre  evi  que 
M.  Borghesi  a  lu  sur  la  pierre  même. 

Inscription  publiée  par  M.  Sarti  et  communiquée 
par  M. Borghesi,  consuls  et  année  de  l'ère  indi- 
qués ;  et  Orelli ,  n°  782 ,  en  corrigeant  cvn  pour 
evi,  ce  qui  paraît  exigé  par  les  noms  des  con- 
suls que  porte  cette  inscription. 

Fabretti,  p.  103,  n°  241,  où  il  faut  lire  cxvi  au  lieu 
de  cxxi ,  selon  la  conjecture  de  M.  Borghesi. 


(*)  Par  une  coïncidence  assez  singulière,  cette  année  initiale  de  l'ère  des  magistri  vi- 
corum  se  trouve  être  celle  même  de  l'ère  chrétienne ,  selon  les  calculs  de  plusieurs 
habiles  chronologistes.  Voyez  E.  W.  Fischer,  Rœmische  Zeittafeln  von  Rom's  Griind- 
ung  bis  auf  Angusius'  Tod.  Altona,  1846,  4°,  p.  418. 

('•)  Ni  de  lieu;  c'est  donc  par  conjecture,  mais  par  une  conjecture  très-vraisemblable 
que  je  la  rapporte  aux  magistri  de  Borne. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  639 

4°  M.  Zumpt  pense  encore  volontiers  avec  nous  que  les  magistri 
çicorum  entraient  en  charge  au  mois  d  août  ;  c'est  ce  qu'indique  assez 
clairement  un  passage  des  Fastes  d'Ovide.  Mais  il  n'accepte  pas  l'in- 
duction que  nous  avons  tirée  de  ce  fait,  relativement  à  la  formule  qui 
primi  Kalendis  augustis  magisterium  ou  ministerium  inierunt,  lorsque 
nous  rapportions  les  monuments  où  elle  se  trouve  à  des  magistrats 
de  l'année  de  l'installation  746-747.  Ces  monuments  se  réduisent  à 
quatre ,  dont  nous  donnerons  le  texte  : 

LARIB.    AVG 

MINISTRI 

QVI.  K.  AVG.  PRIMI.  INIERVNT 

ANTIGONVS.  M.  1VNI.  EROTIS 

ANTEROS.  D.  POBLICI.  BARNAE 

EROS.  A.  POBLICI.  DAMAE 
IVCVNDVS.  M.  PLOTIAM.  EROTIS 

(Dans  l'île  du  Tibre.  Fabretti,  p.  465, 
n0s96,  97.  Orelli,n°1658.) 

MERCVRI?]  0.  AVGVSTO.  SACRVM.  MAG.  VICI 
QVI.  KAL.]  AVG.  PRIMI.  MAGISTER.  INIERVNT 
N.  LVCIVS.  N.  L.   HERMEROS 

L.  SVTORIVS.  L.  L.  ANTIOCHVS 

Q.  CLODIVS.  Q.  Q.  L.  NICANOR 

(Fabretti,  p.  487,  n°  170  et  171.  Un  peu  moins 
complète  dans  Donius,  I,  96.) 

L]ARIBVS.  AVGVSTIS.  G[ENIO  QVE.  CAESARIS.  AVGVSTI.  SA]CRVM 

Q.  RVBRIVS.  SP.  F.  L.  AVFIDIVS...  CN [Ll]CINlv[s 

COL.  POLLIO  FELIX [ph]ïLEROS 

MAGl]STRI.   QVI.  K.  AVGVSTIS.  PRIMI.  MAG[lST.  INIE]rVNT 

(Marini,  dans  Visconti,  Museo  Pio  Clem.,  IV,  p.  93. 
Cf.  OrelIi,n08  1659,  3220.) 

FORTVNAE.  AVGVST 

SACRVM 

Q.  AVILLIVS.  ADAEVS 

MAGISTER.  VICI 

QVI.  K.  AVGVSTIS.  PRIMVS 

MAGISTERIVM.  INIT. 

(Gruter,  40, 14.  Complété  à  l'aide  d'une  autre  leçon 
de  la  même  inscription,  p.  74 ,  n°  2.) 


640  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

A  l'égard  de  cette  formule,  M.  Zumpt  pense  que,  de  même  que 
pour  les  consuls  et  autres  magistrats  de  premier  ordre,  c'était  un 
honneur  d'être  nommé  (renuntiari)  le  premier  d'un  collège ,  de  même 
parmi  les  magislri  vicorum,  le  premier  désigné  s'honorait  sans  doute 
de  cette  distinction  (p.  7,  note  1  ).  Nous  lui  répondrons  d'abord  par 
le  témoignage  d'une  autorité  qu'il  ne  récusera  pas  (1),  celle  du  comte 
Borghesi.  Dans  une  lettre  qu'il  voulut  bien  nous  écrire ,  à  l'occasion 
de  nos  recherches  sur  les  Augustales  (2) ,  l'illustre  antiquaire  nous 
communiquait  les  observations  suivantes  que  nous  croyons  devoir 
reproduire  dans  leur  intégrité ,  parce  qu'elles  établissent  à  la  fois 
et  le  point  initial  de  l'ère  des  magislri  vicorum  et  le  vrai  sens  de  la 
formule  en  question  : 

« Ces  observations  me  sont  suggérées  par  un  monument 

«  nouveau  et  parfaitement  authentique ,  que  vous  n'avez  point  con- 
«  nu  :  il  a  été  trouvé  à  Rome,  et  publié  par  le  professeur  Sarti  dans 
«  son  Appendice  In  Dionysii  opus  de  Cryptis  Vaticanis,  p.  62.  Vous 
«  avez  dit  que  les  vicomagislri  avaient  aussi  leurs  fastes  et  leur  al- 
«  bum,  et  c'est  précisément  un  fragment  de  ces  fastes ,  en  compre- 
«  nant  quatre  années  dont  je  ne  transcrirai  qu'une  seule,  les 
«  débris  des  trois  autres  étant  trop  minimes  pour  qu'on  en  puisse 
a  rien  tirer  : 

IMP.  NERVA.  TRAJANO.  CA 

ESARE.  AVG.  GER.  III.  SEX.  IVLIO 

FRONTINO.  III.  COS.  MAGISTRl 

ANNI  CVli 

M.  OPTICIVS.  HELPISTVS 

.......      AGATHOPVS 

VS.  HERMES 

HERMOLAVS 

((  or,  du  rapprochement  de  cette  pierre  avec  celle  d'Orelli ,  n°  18,  je 
«  crois  qu'il  ressort  d'importantes  conséquences  : 

germanico.  caesare 

c.  fonteio.  [cap]ltone.  cos 

k[al.  i]an. 

(1)  M.  Zumpt,  Dissert,  citée,  p.  53,  s'exprime  en  ces  termes  sur  M.  Borghesi  :«  Vire- 
«  longe  omnium  in  hoc  génère  litterarum  peritissimo,  quem  et  populares  sui  tanquam 
«  oraculum  aliquod  consulere  soient,  et  nos  merito  Yeneramur.  » 

(5)  En  date  du  26  Janvier  1845. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  641 

SIEIAE.  (sic)  FORTVNAE.  AVG 

SACR 

SEX.  FONTEIVS.  3.  L.  TROPHIMVS 

CN.  POMPEIVS.  CN.  L.  NICEPHOR 

MAG.  VICI.  SANDALIARI.  REG 

TIII.  ANNI.  XVIII 

D.  D 

<(  Si  l'ère  des  magistri  vicorum  s'ouvrait  avec  l'année  746  (l),  leur 
«  année  xvme  aurait  dû  commencer  avec  le  1er  janvier  et  finir  avec 
«le  31  décembre  de  l'an  763,  à  quoi  s'oppose  l'inscription  citée 
«  d'Orelli  qui  rattache  ladite  année  xvme  aux  calendes  de  764. 
«  Vice  versa,  si  on  abaisse  d'un  an  le  point  initial  de  cette  ère,  et 
«  qu'on  le  transporte  au  commencement  de  747,  on  verra  que  leur 
«  année  cvn*  aurait  dû  commencer  au  1er  janvier  de  853  ,  à  quoi 
«  s'oppose  le  nouveau  monument  produit  ci-dessus,  parce  que  ce  jour 
«  là  était  déjà  expiré  le  troisième  consulat  de  Trajan  et  de  Frontin  que 
«  chacun  sait  avoir  occupé  l'an  852.  Il  est  donc  évident  que  l'ère  des 
«  magistri  vicorum,  comptait  réellement  de  l'an  746  ,  mais  d'un  autre 
«  jour  que  celui  où  commençait  l'année  civile.  Cela  étant ,  il  me 
«  semble  qu'aucun  jour  n'avait  plus  de  droit  à  cette  distinction  que 
«  le  1er  du  mois  d'août,  mois  qui  était  précisément  consacré  à  Au- 
«  guste ,  l'auteur  de  ladite  institution.  On  se  rappelera  qu'il  existe 
«  au  moins  six  marbres  (2)  mentionnant  des  mag.  vie.  q.  k.  avg. 
«  primi.  magisterivm  iniervnt.  Or,  si  Ces  magistri  entrèrent  en 
«  charge  pour  la  première  fois  aux  calendes  d'août ,  rien  ne  leur 
«  était  plus  naturel  que  d'attacher  à  ce  jour  l'ouverture  de  leur  ère. 
«  Si,  maintenant,  c'est  de  ce  jour,  en  763,  que  commençait  leur 
«  xvme  année,  elle  comprenait  aussi  les  calendes  de  janvier  764; 
«  et  si  c'est  du  même  jour  en  852  que  commençait  leur  cvne  an- 
ce  née,  il  reste  vrai  qu'elle  comprenait  cinq  mois  du  consulat  de 
ce  Trajan  et  de  Frontin.  On  en  peut  dire  autant  de  la  pierre  d'Orelli, 
«  n°  782,  que  j'ai  vue,  et  qui,  étant  écornée,  ne  montre  plus  que 
«  le  chiffre  evi  ;  on  ne  peut  douter  que  ce  chiffre  ait  perdu  une 

(1)  M.  le  comte  Borghesi  a  suivi  dans  ses  calculs  l'ère  de  Vairon.  Je  prends 
ici,  en  le  traduisant,  la  liberté  de  ramener  tous  ses  chiffres  à  l'ère  des  Fastes  Capi- 
tolins ,  que  j'avais  constamment  suivie  dans  mes  recherches  sur  Auguste  et  les 
Augustales. 

(2)  En  rapprochant  les  citations  que  me  fournissait  ici  le  savant  archéologue  et 
celles  que  j'avais  moi-même  recueillies ,  je  ne  trouve,  tout  compte  fait,  que  les  quatre 
monuments  dont  on  vient  de  voir  le  texte. 


642  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

«  unité ,  puisqu'il  y  est  question  de  la  quatrième  iribunilia  poteslas 
«  de  Trajan  : 

LAR1BVS.  AVGVSTI9.  ET.  GENIS.  CAESARVM 
IMP.  CAESARI.  MVI.  NERVAE.  FILIO.  NERVAI  (sic)  TRAIANO.  AVG 
GERM.  PONTIFICI.  MAXIMO.  TRIB.  POT.  IIII.  COS.  III.  DESIG.  IIII 
PERMISSV.  C.  CASSI.  INTERAMNANI.  P1SIBANI.  PRISCI.  PRAETORIS 
AEDICVLAM.  REGIONIS.  XIIII.  VICI.  CENSORI.  MAGISTRI.  ANNI.  CVI 
VETVSTATE.  DILAPSAM.  IMPENSA.  SVA.  RESTITVERVNT.  IDEM.  PR 
PROBAVIT. 

L.  ROSCIO.  AELIANO 

ti.  clavdio.  sacerdotae  (sic)  cos  (an  de  R.  852) 

h.  CERCENIVS.  L.  LIB.  HERMES.  M.  LIVIVS.  D.  LIB.  EVARISTVS 
DEDICATA 

un.  k.  ian varias  (29  décembre.) 

«  Car  depuis  les  changements  que  les  nouveaux  diplômes  publiés  par 
«  M.  Arneth  (l),  ont  forcé  de  faire  au  calcul  des  puissances  tribuni- 
«  tiennes  de  ce  prince,  à  partir  de  la  mort  de  Nerva ,  cette  quatrième 
«puissance  tribunitienne  ayant  commencé  au  27  janvier  852,  le 
ce  29  décembre  de  cette  année,  l'année  courante  des  magistri  vicorum 
<(  était  la  cvne.  D'après  les  mêmes  règles,  les  cinq  derniers  mois  du 
«  second  consulat  de  Trajan  se  rattachent  bien  à  l'an  cve  qu'on 
«  trouve  dans  l'inscription  de  Gruter,  p.  128,  3.  Le  même  accord 
«  n'existerait  pas  dans  l'inscription  de  Fabretti,  p.  103,  n°  241, 
«  qu'il  a  lui-même  jugée  incorrecte,  et  où  l'an  cxxi  des  magistri 
«  se  trouve  uni  à  la  xme  puissance  tribunitienne  de  Trajan ,  com- 
te mençant  au  27  janvier  861  ;  mais  il  est  facile  de  s'apercevoir  que, 
«  soit  par  la  faute  du  graveur,  soit  par  celle  du  copiste,  un  v  a  été 
«  changé  en  un  x.  En  lisant  cxvi  on  remet  ce  monument  en  pleine 
«  concordance  avec  les  autres.  Le  seul  texte  qui  reste  en  désaccord 
«  avec  ces  résultats  est  un  fragment  du  temps  de  Domitien  donné  par 
«  Gruter,  p.  106,  6,  et  conservé  aujourd'hui  au  musée  de  Vérone 
«  (Maffei,p.  107,  l).  Mais  avant  de  prendre  en  sérieuse  considération 
«  cette  discordance,  il  faudrait  vérifier  si  on  a  bien  lu  sur  le  monument 
«  cos.  ix.  desig.  x.  p.  p.  au  lieu  de  cos.  xi.  desig.  xii.  Quoi  qu'il 
ce  en  soit,  cette  dissidence  ne  suffit  pas  pour  ébranler  une  théorie 
«  déjà  établie  sur  d'assez  solides  fondements.  » 

(i)  Zwœlfrœmische  militœr-Diplomcn.  Vienne,  1843,  in-4°. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  643 

Après  une  discussion  si  nette  et  si  concluante ,  nous  n'avons  plus 
qu'une  remarque  à  faire  sur  l'opinion  de  M.  Zumpt  concernant  la 
formule  en  question  :  le  savant  philologue  ne  remarque  pas  que  pour 
les  consuls  et  autres  magistrats  de  première  classe,  il  s'agit  d'un 
ordre  de  proclamation  et  non  d'un  ordre  d'entrée  en  fonctions.  Les 
consuls  entraient  tous  deux  en  fonctions  le  même  jour,  les  préteurs 
aussi,  et  les  édiles;  mais  ils  n'étaient  pas  élus  tous  au  même  tour 
du  scrutin,  ni  proclamés  sur  le  même  rang  après  l'élection.  Voilà  pour- 
quoi c'était  un  honneur  d'être  élu  et  proclamé  le  premier.  Il  n'en 
était  pas  de  même  des  magistri  vicorum  choisis  dans  le  peuple  par 
l'autorité  supérieure.  Primi  iniervnt  ne  peut  donc  marquer  que  leur 
entrée  en  charge  avant  d'autres  collègues.  Mais  quels  collègues? 
ceux  des  années  suivantes ,  selon  notre  première  opinion,  confirmée 
par  M.  Borghesi  ;  ou  si  l'on  veut  revenir  à  une  seconde  conjecture  que 
nous  avions  aussi  proposée ,  en  admettant  que  les  quatre  magistri  se 
partageassent  en  deux  collegia ,  un  pour  chaque  semestre  de  l'année, 
les  primi  seraient  ceux  qui  exerçaient  leurs  fonctions  dans  le  premier 
semestre  de  l'année  particulière  aux  magistri,  c'est-à-dire  dans  le 
semestre  commençant  aux  kalendes  d'août.  Alors  les  quatre  inscrip- 
tions ci-dessus  transcrites,  au  lieu  d'appartenir  toutes  à  l'an  de 
Rome  746-747,  pourraient  appartenir  à  toute  autre  année  des  trois 
premiers  siècles  de  l'empire.  Mais  à  quoi  bon  tant  de  conjectures 
quand  on  a  sous  la  main  une  explication  si  naturelle ,  quand  il  est 
si  facile  de  concevoir  que,  sur  deux  cent  soixante-cinq  vici>  organisés 
en  746-747,  et  par  conséquent  sur  autant  de  dédicaces  des  édicules 
consacrées  alors  aux  dieux  Lares,  il  nous  soit  parvenu  quatre  ou 
cinq  inscriptions  en  partie  mutilées? 

5°  M.  Zumpt  reconnaît  aussi  comme  nous  qu'à  l'imitation  de 
Rome  le  culte  des  dieux  Lares  était  répandu  dans  les  provinces. 
Mais  nous  croyons  que  dans  les  provinces,  ainsi  qu'à  Rome,  ce  sacer- 
doce était  joint  à  l'exercice  d'une  charge  municipale;  avec  M.  Orelli, 
avec  M.  Aldini,  nous  pensons  que  les  prêtres  provinciaux  des  dieux 
Lares  augusli  sont  devenus  peu  à  peu  la  corporation  puissante  des 
Augustales,  véritable  chevalerie,  intermédiaire,  dans  les  municipes 
et  les  colonies,  entre  le  peuple  et  les  décurions.  Ici  commence  le  débat. 
Selon  M.  Zumpt,  on  n'a  pas  apporté  une  seule  preuve  à  l'appui  de 
cette  origine  des  Augustales  ;  au  contraire  elle  est  sujette  à  de  graves 
objections.  Voyons  d'abord  si  l'on  n'a  apporté  aucune  preuve  de  l'af- 
finité originelle  des  magistri  vicorum  et  des  Augustales. 

S'il  s'agit  de  témoignages  historiques,  il  est  vrai  qu'aucun  historien 


644  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE, 

grec  ou  latin  ne  nous  a  rien  laissé  sur  ce  point  ;  on  lit  seulement 
dans  les  scoliastes  d'Horace,  à  l'occasion  de  ces  deux  vers  (Sa- 
lir. II,  3,  v.  281): 

Liberlinus  erat  qui  circum  compila  siccus 
Lautis  mane  senex  manibus  currebat. 

«  Ab  Augusto  enim  Lares ,  id  est  dii  domestici ,  in  compitis  positi 
«  sunt^ex  libertinis  sacerdotes  dati,  qui  Augustales  sunt  appellati.  » 
(Porphyrion.) — «  Jusseratenim  Augustus  in  compitis  deos  Pénates 
«  constitui ,  ut  studiosius  colorentur.  Erant  autem  libertini  sacer- 
«  dotes  qui  Augustales  dicuntur.  »  (Acron).  Il  est  vrai  que  les 
faits  contenus  dans  ces  deux  scholies  ne  peuvent  se  rapporter  au  sens 
des  deux  vers  d'Horace ,  écrits  bien  avant  la  réforme  municipale  et 
religieuse  de  l'an  746;  il  est  vrai  que  les  quarteniers  de  Rome  ne 
s'appelaient  pas  Augustales ,  mais  seulement  magistri  vicorum  ;  que 
ce  ne  fut  pas  de  la  part  d'Auguste  une  création  toute  nouvelle,  mais 
plutôt  la  restauration  d'un  ancien  culte.  Mais  ce  ne  sont  pas  là  des 
raisons  pour  dénier  toute  autorité  à  ces  deux  témoignages,  confirmés 
d'ailleurs,  dans  leur  partie  essentielle,  par  les  monuments!  Pour- 
quoi Acron  et  Porphyrion  n'auraient-il  pas  confondu  les  magistri 
Larum  augustorum  de  la  métropole  avec  les  Augustales  de  la  pro- 
vince ,  à  cause  même  de  la  similitude  de  leurs  fonctions? 

Quant  aux  témoignages  des  monuments ,  nous  avons  cité  d'abord 
cette  inscription  qui  appartient  à  une  ville  du  pays  des  Falisques  : 

HONORIS 

1MP.  CAESARIS.  DIVI.  F 

AVGVSTI.  PONT.  MAXIM 

-  PATR.  PATRIAE.  ET.  MVNICIP 

MAGISTRI  AVGVSTALES 

C.  EGNATIVS.  M.  L,  GLYCO 

C.  EGNATIVS.  CL.  MVSICVS 

C.  IVLIVS.  CAESAR.  L.  ISOCHRYSVS 

Q.  FLORONIVS.  Q.  L.  PRINCEPS 

VIAM.  AVGVSTAM.  AB.  VIA 

ANNIA.  EXTRA.  PORTAM.  AD 

CERERIS.  SILICE.  STERNENDAM 

CVRARVNT.  PECVNIA.  SVA 

PRO.  LVDIS. 

(Gruter,  p.  149,  5.  Orelli,  n°  3310.) 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.         645 

L'on  y  remarquera:  1°  la  date,  évidemment  comprise  entre  750, 
année  où  Auguste  fut  proclamé  père  delà  patrie,  et  766,  année  de 
sa  mort  ;  2°  la  mention  d'un  affranchi  des  Césars ,  le  troisième  ici 
sur  la  liste;  3°  l'expression pro  ludis,  qui  prouve  que  légalement  les 
magistri  nommés  sur  ce  marhre  devaient  donner  des  jeux ,  et  qui 
rappelle  deux  vers  de  Calpurnius  (Ecloga,  IV,  125)  : 

Ut  quoque  turba  bono  plaudat  saginata  magistro 
Qui  facit  egregios  ad  peryia  compila  ludos  ; 

et  ce  curieux  témoignage  d'Asconius  ,  notoirement  relatif  aux 
usages  de  l'ancienne  Rome ,  abolis  pendant  les  troubles  politiques , 
mais  restaurés  par  Auguste  :  Solebant  magistri  collegiorum  ludos 
facere ,  sicut  magistri  vicorum  faciebanl  compitalicios  prœteœtati , 
qui  sublatis  collegiis  discussi  surit,  (In  Pisonianam,  p.  7,  éd.  Baiter, 
dans  le  Cicéron  de  M.  Orelli.)  On  sait  en  effet  que  c'est  dans  les 
compila  que  se  trouvaient  les  édicules  des  Lares  et  que  se  célé- 
braient les  compitalia  en  l'honneur  de  ces  dieux,  d'où  l'expression 
Lares  compitales  dans  un  monument  de  Mayence.  (Orelli ,  n°  1664, 
Cf.  1654.) 

Nous  avons  cité  cette  inscription  de  Vérone ,  qui  est  de  l'an  752  : 

MAGISTRI 

M.  LICINIVS.  M.  F.  PVSILI0 

SEX.  VIPSANIVS.  M.  F.  CLEMENS 

Q.  CASSIVS.  C.  F.  NIGER 

MINISTRI 

BLANDVS.  C.  AFINI.  ASCLAE.  SER 

MVRRANVS.  P.  CLODI.  TVRPIONIS.  SER 

AVCTVS.  M.  FABRICI.  HILARI.  SER 

COMPITVM.  REFECERVNT.  TECTVM 

PARIETES.  ALLEVARVNT.  VALVAS 

LIMEN.  DE.  SVA.  PECVNIA.  LARIBVS.  DANT 

COSSO.  CORNELIO.  LENTVLO.  L.  (?).  PISONE 

AVGVRE.  COS. 

(Gruter,  107,1.) 

où  l'on  ne  peut  méconnaître  les  magistri  Lamm  compitalium  et  les 
charges  attachées  à  leur  sacerdoce. 
Nous  avons  cité  deux  inscriptions  qui  prennent  surtout  de  la  va- 
in. ■  *2 


646  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

leur  par  leur  rapprochement  avec  les  deux  précédentes.  L'une  est 
celle  de  Bologne  : 

APOLLIN1.  GENIOQVE.  AVGVST1.  C  A  ES  AU  15 

L.  APVSVLENVS.  L.  L.  EROS.  MAGISTER 

PVTEVM.  PVTEAL.  LAVRVS 

SACRVM.   I).  S.  P. 

(Orelli,  n°  1435.) 

et  l'autre,  celle  d'Osimo  dans  le  Picenum  (Donius,  V,  80) ,  où  l'on 
voit  un  C.  Octavius  Aug.  Ub.  (donc,  selon  toute  apparence,  avant 
la  mort  d'Auguste)  faire  distribuer  des  sommes  d'argent  aux  décu- 
rions, aux  colons  et  à  un  troisième  corps,  désigné  par  l'abréviation 
avg.  ,  qui  ne  peut  être  que  les  Augustales. 

Enfin  nous  avions  .cité  dans  un  autre  passage  de  notre  mémoire 
l'inscription  de  Pérouse  que  M,  Zumpt  a  aussi  reproduite ,  et  qui 
est  de  l'an  de  Rome  753  : 

C.  CAESARE.  AVG.  F.  L.  PAVLO.  COS 

LARES   AVGVSTOS 

Q.  >YM1S1VS.  Q.  L.  LECTO 

L.    SAFIMVS.    L.    L.    HILARVS 

SODALIS.    C    MODI.  CÏMBR1.   SER 

AESCHINVS.    OCTAVI.    M.    (sic)  SER 

MAGÏSTR.   DE  SVO.  F.  C. 

(Orelli,    n°  2425.) 
Nous  avions  renvoyé  aussi  à  une  inscription  deSantiponce  * 

C.  3IARCIVS.  APILVS 

MAGISTER.  LARVM 

AVGVSÏOR.   ET.    GENI 

CAESARIS.   AVGVST 

HIC.   S1TVS.  EST.  ÏN.  F.  P.  XX.  IN.  AG.  P.  XX. 

(Orelli,  n°  1661.) 

Si  maintenant  nous  voulons  dépasser  la  limite  chronologique  de  la 
mort  d'Auguste  (l),  nous  trouvons  de  nouvelles  preuves  de  l'affinité 

(1)  Je  n'ai  pas  mentionné  dans  cette  première  série  de  documents  l'inscription 
d'Orelli,  n°  1386,  qui  nous  donne  une  dédicace  à  Slala  mater,  la  mère  des  Dieux 
Lares,  par  un  magisler  vici,  l'an  de  Rome  747,  parce  que  ce  monument,  aujour- 
d'hui conservé  à  Florence,  me  paraît  originaire  de  Rome  même.  Aussi  l'ai-je  indiqué, 
dans  la  liste  ci-dessus,  parmi  ceux  qui  se  rapportent  à  l'année  initiale  des  magistri' 
vicorum.—Je  ne  m'autorise  pas  non  plus  d'un  MIN.  AVG.  qui  se  trouva  a  Pompei 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTÀLES.  647 

des  Âugustales  de  province  avec  les  magislri  de  Rome.  On  peut  citer 
un  ingénu  et  un  affranchi  avec  le  titre  de  seviu.  mag.  larvm.  avg. 
à  Tarracone.  (Orelli,  n°  2424.  Cf.  Gruter,  406 ,  4  ;  432,  5  ;  462,  5. 
Masdeu,  Hist.  crit.  de  Esp.,  t.  VI,  n°  801-806.) 

Un  affranchi  mag.  avg.  à  Hadria.  (Orelli,  n*  3018.  Cf.  Reine- 
sius,  p.  185,  n°  168;  Gruter,  452,  3.) 

Un  affranchi  (?)  vivir.  magister.  avgvstalis  à  Parentium  en 
Histrie.  (Orelli,  n°  3956.  Cf.  Muratori,  194,  3,  répété  677,  3; 
Donati ,  261 ,  3  ;  Zumpt,  de  Augustàlibus ,  p.  50,  51.) 

Un  ingénu  (?)  larvm  avg.  magister  à  Antequera  ,  en  Espagne. 
(Gruter,  1068,8.) 

On  trouve  parmi 'les  inscriptions  de  Venuse(l)  cette  dédicace 
encore  plus  significative  : 

LAR1BVS.  AVG 

G.  AVITTIVS 

EPAPHRODITVS 

MAG.  AVG. 

(Orelli,  n°  1660.) 

En  troisième  lieu ,  on  peut  remarquer  que,  si  à  Rome  presque  tous 
les  monuments  des  magislri  vicorum  sont  des  dédicaces,  soit  aux  Lares 
augusd,  soit  à  quelque  autre  divinité  dont  le  nom  est  décoré  de  la 
même  épithète,  de  même,  dans  les  provinces,  les  Augustales  figurent 
très-souvent  dans  des  dédicaces  à  quelque  dieu  avgvstvs  ou  à 
quelque  déesse  avgvsta.  Par  exemple  : 

victoriae.  avgvstae,  dans  deux  villes  d'Espagne  (Céan-Bermu- 
dez ,  Sumario  de  las  Anligiiedades  romanas  en  Espafia.  Madrid,  1 832, 
p.  147,  230.  Cf.  Gruter,  1075,  7). 

marti.  avgvsto,  à  Antequera  (Masdeu,  1.  c,  n°  805  ). 

nymphis.  et.  viribvs.  avgvstis  (Pietro  de  Lama,  Isçr.  Ant. 
collocate  ne  mûri  délia  scala  Famese.  Parme ,  1818,  n°  xxi). 

nvmini.  avg.  (id.  ibid.,  n°  ix). 

ayant  la  mort  d'Auguste  (B.  Guarini,  Fasli  Duumvirali  ed  Annali  délia  Colonia 
di  Pompci,  Naples,  1842,  p.  58),  parce  que  ce  pouvait  être  un  minister  Fer- 
lunaeAuguslac,  déesse  dont  le  culte  fut  précisément  institué  à  Pompeï  sous  le  règne 
d'Auguste.  V.  Orelli,  n0S24G5,  246G,  40H  ,  et  l'ouvrage  cité  de  M  Guarini,  passim. 
(1)  11  n'est  pas  inutile  de  noter  que  si  les  premières  inscriptions  de  cetle  liste  ap- 
partiennent à  des  villes  d'Espagne  ,  et  peuvent  par  là  même  exciter  quelques  soup- 
çons, le  reste  appartient  à  d'autres  localités.  Il  nous  semble  d'ailleurs  qu'à  l'égard 
des  inscriptions  espagnoles,  le  scepticisme  a  été  poussé  un  peu  trop  loin,  ou  ,  du 
moins,  appliqué  sans  règles  précises. 


648  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

silvano.  avg.  à  Aquilée  (Labus,  de  la  Certitude  de  la  science  des 
Antiquités,  p.  56.  Cf.  Gruter,  64  ,  1). 

tvtelae.  avg.  à  Decursa  (Esp.  cit.  Gruter,  104,  11). 

volkano.  avg.  à  Brescia  (Gruter,  356,  3). 

mercvrio.  avg.  à  Narona  en  Dalmatie  (Donati,  27,  2.  Cf. 
Borghesi,  Bolletino  deïï Inslit.  di  Corresp.  archeol.  1842,  p.  101 
et  suiv.  ). 

minervae.  avgvst.  près  de  Brescia  (Donati,  30,  1  ). 

apollini.  avg.  à  Sassina  (?)  (Fabretti,  p.  409,  n°  344). 

satvrno.  avg.  à  Vérone  (Gruter,  25,  14). 

dianae.  avg.  à  Alba  Julia  (Gruter,  40,  15). 

lvnae.  et.  isidi.  avg.  à  Nîmes  (Gruter,  42, 1). 
Et  d'autres  qu'il  serait  superflu  d'énumérer  ici. 

Enfin  nous  aurions  pu  ajouter  à  tout  ce  qui  précède  un  rappro- 
chement curieux  qui  nous  est  suggéré  par  M.  Zumpt  lui-môme. 
Pétrone,  le  seul  auteur  de  l'antiquité,  avec  les  deux  scholiastes  d'Ho- 
race, qui  mentionne  les  Augustales,  paraît  indiquer  que  des  faisceaux 
étaient  l'insigne  principal  de  cette  magistrature  :  «  In  postibus  tri- 
«  clinii  fasces  erant  cum  securibus  fixi,  quorum  imam  partem  quasi 
«  embolum  navisseneum  finiebat,  in  quo  erat  scriptum  :  c.  pompeio. 

«  TRIMALCHIONI.    VIVIRO.    AVGVSTALI.  CINNAMVS.    DISPENSATOR.    » 

Or,  Dion  Cassius ,  dans  le  précieux  témoignage  qu'il  nous  a  laissé 
sur  l'organisation  des  vici  par  Auguste ,  dit  positivement  que  les  ma- 
gislri  vicorum  avaient  le  droit  de  porter  la  prétexte  et  d'avoir  des 
faisceaux  dans  la  circonscription  de  leurs  quartiers  respectifs  (1). 

Voilà,  ce  nous  semble,  sinon  des  preuves  directes  et  péremptoires, 
au  moins  beaucoup  de  vraisemblances  en  faveur  de  l'opinion  qui  rat- 
tache les  Augustales  aux  magistri  vicorum,  et  l'on  s'est  trop  hâté  de 
la  déclarer  une  opinion  purement  arbitraire  (2).  Il  nous  reste  main- 
tenant à  examiner  :  1  °  les  difficultés  que  cette  opinion  rencontre  ; 
2°  l'hypothèse  que  M.  Zumpt  croit  devoir  y  substituer.  Ce  sera  l'objet 
d'un  second  article. 

E.  Egger. 

(1)  Pétrone ,  Satyricon ,  c.  30,  cf.  66 ,  et  Zumpt,  p.  73  ;  Dion  Cassius ,  LV,  8. 

(2)  Dissertation  citée,  p.  10  :  «  Statuithoc  nulloprorsus  documenta  addilo,  ac 
ne  illud  quidem  scholiastarum  horatianorum  testimonium  urgct ,  quod  et  parum 
per  se  accuratum,  et  aliter  iRtelligendum  esse  docuimus»  Ita,  cum  nulla  sit  ratio 
qua  il  la  de  origine  Augustalium  opinio  defendatur....  —  Cura  Orellii  Eggerique 
sententia  nonmodo  nulla ralione  ac  ne  levissimo  quidem  scholianlarum  horatia- 
norum testimonio  nitatur,  sed  ctiam,  etc    » 


LETTRE  A  M.  DE  SAULCY 


SUR 


QUELQUES  ANTIQUITES  EGYPTIENNES 

ET  SUR  LE  BOEUF  APIS. 


Monsieur  , 

Nous  avons  causé  quelquefois  ensemble  d'Antiquités  égyptiennes, 
et  il  m'a  paru  que  vous  n'aviez  pas  vu  sans  intérêt  les  quelques 
débris  que  j'ai  réunis  du  fruit  de  mes  petites  économies  pendant  les 
dernières  années  que  j'ai  passées  au  Caire.  C'était  pour  moi  un  amu- 
sement attachant  par  lequel  j'occupais  mes  loisirs  et  qui  m'a  conduit 
tout  naturellement  à  étudier  un  peu  les  mythes  et  les  divinités  nom- 
breuses dont  se  composait  la  théodicée  si  multiple  des  anciens  hié- 
rophantes du  Nil ,  les  dieux  du  ciel ,  les  dieux  de  la  terre  et  les  dieux 
de  l'Amenthi ,  tous  pauvres  dieux  dont  l'existence  est  finie  depuis 
longtemps  et  qui  reposent  aujourd'hui  bien  tranquillement  dans  les 
hypogées  et  les  tombeaux,  les  temples,  les  grottes  où  repose  aussi 
l'ancienne  Egypte. 

Vous  me  parliez  encore  de  ce  que  valaient ,  comme  prix  d'achat , 
ces  vieux  restes  souvent  rouilles  ou  mutilés ,  restes  de  dieux,  de 
rois,  de  prêtres,  figurines,  animaux,  scarabées,  décors,  parures; 
par  suite  nous  vînmes  à  parler  des  falsifications  et  adultérations  que 
l'avidité  curieuse  et  mal  éclairée  des  voyageurs  en  Egypte,  avait 
donné  l'idée  de  faire  aux  Égyptiens  actuels,  et  c'est  de  cela  que  je 
veux  principalement  vous  entretenir  dans  cette  lettre  toute  simple , 
qui  peut-être  au  moins  servira  à  mettre  en  défiance  les  curieux 
ouïes  amateurs  qui,  chaque  année,  dans  la  saison  d'hiver,  vont 
visiter  les  souvenirs  de  \à  vallée  pharaonienne  du  Nil.  Touristes  ou 
Voyageurs,  tous  veulent  avoir  à  rapporter  d'Egypte  quelques  frag- 
ments qui,  en  Europe,  dans  leur  ville,  témoignent  de  leur  course 
sur  la  terre  d'Egypte,  de  leur  venue  chez  ce  peuple  qui  a  dres.^'- 
les  pyramides  et  cru  à  une  si  longue  vie  dans  la  postérité, 


650  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Il  n'y  a  guère  que  trois  ou  quatre  ans  que  l'on  fabrique  en  assez 
grand  nombre  de  fausses  antiquités.  Avant  ce  temps  on  se  procurait 
des  antiquités  vraies  et  antiques ,  à  un  prix  très-modéré.  Mais  depuis 
que  le  nombre  des  Voyageurs  a  augmenté,  les  restes  pharaoniens, 
les  moindres  brimborions,  les  plus  vulgaires  débris  sont  devenus  d'une 
cherté  exagérée;  bon,  mauvais,  tout  est  cher.  Depuis  1843  sur- 
tout, un  grand  nombre  de  Voyageurs,  de  Touristes,  plus  ou  moins 
aptes  à  voir  ce  qu'ils  venaient  voir,  sont  tombés  comme  des  nuées  de 
sauterelles  sur  et  dans  les  catacombes,  les  hypogées,  les  grottes,  et 
se  sont  jetés  sur  tout  ce  que  les  Arabes  ou  les  fouilleurs  européens 
autorisés  par  le  Pacha ,  exhumaient  de  reliques  des  Pharaons.  Ces 
messieurs,  ardents  coureurs,  ne  regardaient  à  aucun  prix;  il  leur 
fallait  des  statuettes,  des  scarabées,  des  anneaux,  des  vases,  des 
dieux,  des  diables  en  pierre,  ou  bois,  ou  cuivre,  ou  or,  ou  toute  ma- 
tière possible,  et  ils  achetaient  et  achetaient  ;  l'œuvre  était  toujours 
bonne,  materiam  saper  abat  opus,  pourvu  que  cela  parlât  de  l'Egypte 
ancienne.  Un  ventre  de  Typhon,  un  poupon  d'Isis ,  un  museau 
d'Anubis ,  une  crinière  de  Pashte ,  une  babine  d'Apis ,  que  sais-je 
encore?  tout  cela  se  vendait  à  outrance  et  s'achetait  sans  marchan- 
der. Les  Touristes  anglais  surtout  ont  tout  gâté  ;  ils  mettaient  à 
l'enchère ,  et  un  morceau  d'Apis  avait  pour  eux  un  fumet  alléchant , 
qu'ils  eussent  payé  trois  fois  plus  que  n'en  demandait  le  vendeur. 
L'espèce  de  vanité  que  ces  messieurs  mettent  à  semer  des  guinées  sur 
tous  les  chemins  par  où  ils  passent,  attise  partout  la  cupidité ,  et  tout 
est  gâté. 

Comment  fallait-il  faire ,  bon  Dieu!  pour  fournir  des  antiquités  à 
tant  d'amateurs,  de  demandeurs ,  de  curieux?  comment  trouver  des 
divinités ,  des  statuettes ,  des  scarabées  ?  comment  en  trouver  quand 
on  n'en  a  pas?  on  en  cherche ,  ou  l'ou  en  fabrique.  On  en  fabriqua; 
ce  fut  le  chemin  le  plus  court.  Et  le  Voyageur  ou  le  Touriste  qui  ne 
fut  pas  assez  connaisseur  pour  éviter  le  piège  ou  la  fraude,  fut  à 
chaque  moment  exposé  à  être  la  dupe  de  l'apparente  simplicité  des 
Arabes,  ou  de  l'adroite  malice  de  deux  ou  trois  Européens  qui  aussi, 
et  plus  habilement  que  les  Arabes ,  façonnent,  taillent  des  antiquités 
qui,  bien  qu'âgées  de  quelques  jours,  sont  cotées  à  quelques  deux 
ou  trois  mille  ans  de  vétusté  et  à  quelque  cinq  francs  de  cherté.  Car 
en  tout  et  partout  c'est  la  foi  qui  sauve.  Le  moyen  de  croire  qu'une 
statuette  bien  brunie  de  cette  couleur  brune  qui  sent,  à  l'œil  et  à 
l'odorat,  le  pharaon  et  l'asphalte,  n'est  pas  de  quelque  bon  et  véritable 
hypogée?  Le  diable  lui-même,  qui  est  bien  fin,  s'y  laisserait  peut- 


ANTIQUITES   EGYPTIENNES.  651 

être  tromper,  s'il  n'était  pas ,  comme  le  disent  les  Musulmans ,  pour 
beaucoup  dans  ces  maçâkhyt  ou  lithomorphoses?  Car  sachez  bien  que 
toutes  ces  figurines  en  pierre  ou  bois  sont  des  Coptes  qui  ont  jadis 
vécu  comme  vous  et  moi  eu  chair  et  en  os ,  et  qui ,  pour  leurs  pé- 
chés, pour  leur  incrédulité  obstinée,  ont  été  bien  et  dûment  trans- 
mutés en  pierre  et  bois,  lesquels  ont  gardé  les  traits  rapetisses , 
mais  toujours  humains,  de  ces  incorrigibles  hommes,  de  ces  indi- 
vidus réfractaires  aux  paroles  d'Abraham,  de  Jacob,  de  Joseph  et  de 
Moïse  dont  les  voix  prophétiques  n'ont  pu  avoir  prise  et  effet  sur 
ces  intelligences.  Des  masses  de  ce  peuple  égyptien  de  jadis  ont  été 
ainsi  et  à  cause  de  cela  métamorphosées,  et  aujourd'hui  on  les 
trouve  par  paniers  pleins ,  par  sarcophages.  Des  gens ,  simples  qu'ils 
sont  !  s'imaginent  peut-être  que  l'histoire  de  Battus,  de  Daphné,  etc., 
n'avait  eu  lieu  qu'en  Grèce,  chez  les  polythéistes  de  l'Hellade,  de 
l'Ionie  et  autres  ;  erreur!  Voyez  plutôt  dans  les  restes  de  la  vieille 
Egypte  ;  des  milliers  de  milliers  de  statuettes,  de  figurines  ;  bêtes  et 
gens  ont  été  métamorphosés  dans  la  Thébaïde  et  la  Mestrée.  Fort 
heureusement!  car  alors  il  y  en  a  pour  tout  le  monde,  pour  tous 
ceux  qui  en  veulent;  il  ne  s'agit  que  de  chercher,  de  fouiller.  Rien 
que  dans  l'espace  qui  va  de  Gyzeh  à  Sakkâra,  il  y  en  a  certainement 
bien  plus  qu'il  n'est  possible  de  trouver  de  truffes  dans  tout  lePérn 
gord  et  la  banlieue.  Mais  aussi  que  l'on  se  donne  la  peine  de  cher- 
cher et  de  fouiller,  et  que  l'on  ne  vous  trompe  pas. 

Qui  sait  même,  et  on  pourrait  presque  en  répondre,  qui  sait  si 
autour,  aux  environs  du  beau  colosse  de  Sésostris,  qui  là-bas  sur  le 
sol  de  l'antique  Memphis  gît  depuis  tant  d'années  déjà ,  la  face  dans 
la  boue,  dans  un  ignoble  fossé  inondé  durant  quatre  mois  de  l'année, 
qui  sait  s'il  n'y  a  pas  un  autre  beau  fragment  de  cette  sculpture  an- 
tique ,  magnifique  pendant  de  ce  magnifique  Sésostris  qui  devait , 
majestueuse  cariatide,  être  enchâssée  et  cimentée  par  son  dos  brut 
et  fruste,  à  la  porte  d'un  temple?  Qui  sait  si  autour  et  aux  environs 
il  n'y  a  pas  des  statues  et  des  figures  de  toute  grandeur,  depuis  la 
mince  et  courte  figurine  jusqu'aux  proportions  des  figures  et  statues 
gigantesques? 

Le  malheur  pour  les  découvertes  qu'on  pourrait  faire,  c'est  qu'il 
n'y  a  que  deux  individus  au  Caire  qui  aient  reçu  du  Pacha  d'Egypte 
l'autorisation  écrite  de  faire  des  fouilles  ;  et  d'autre  part,  il  est  dé- 
fendu d'exporter  hors  d'Egypte  toute  espèce  d'antiquité.  Néanmoins 
une  permission  du  pacha  lève  cet  embargo,  et  ordinairement  ce  n'est 
guère  qu'aux  consuls  qu'est  accordée  cette  permission  soit  pour  eux, 


652  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

soit  pour  des  voyageurs.  Il  y  a  donc  licence  à  deux  individus  d'ex- 
ploiter, de  fouiller,  et  il  y  a  défense  d'exporter;  contradiction  singu- 
lière qui  a  pour  but  d'empêcher  une  trop  grande  soustraction  d'an- 
tiquités ,  et  surtout  la  mutilation  et  la  dégradation  des  monuments 
anciens  et  des  grandes  pièces  que  l'on  pourrait  découvrir  ;  mais  en 
réalité  à  quoi  sert  cette  mesure?  Quel  avantage  y  a-t-il  à  laisser  tout 
ce  passé  dormir  inaperçu  sous  le  sol?  Il  vaudrait  mieux,  ce  semble, 
laisser  les  fouilles  libres ,  les  faire  surveiller  pour  prévenir  les  dé- 
gâts, et  être  utile  à  la  science.  Encore  si  avec  cette  défense,  le  Pacha 
faisait  recueillir  pour  construire  et  enrichir  un  musée  d'antiques,  s'il 
pensait  à  réunir  un  panorama  de  tout  ce  que  l'ancienne  Pharaonie  a 
produit,  à  exhumer  ces  âges  si  vieux  pour  les  offrir  aux  regards  et 
aux  investigations  des  curieux  et  des  savants  !  Mais  non ,  l'Egypte 
nouvelle  ne  se  soucie  nullement  de  l'Egypte  antique.  L'islamisme  a 
si  peur  des  statues  et  des  idoles  !  On  défend  donc  de  chercher  et  on 
ne  laisse  pas  les  autres  chercher.  Si  le  Pacha  le  voulait,  on  aurait  au 
Caire,  avant  trois  ou  quatre  ans,  la  plus  riche,  la  plus  magnifique  , 
la  plus  scientifique  galerie  du  monde,  et  cela  presque  sans  frais.  On 
irait  en  Egypte  ne  fût-ce  que  pour  voir  les  trésors  pharaoniens  et  les 
sciences  hermétiques  dans  un  temple  de  notre  siècle.  Que  1  Egypte 
devienne  jamais  possession  européenne  ,  et  le  monument  sera,  il  le 
faut  espérer ,  bientôt  inauguré  et  rempli.  L'olympe  égyptien ,  les 
restes  des  sciences  hiérophantiques,  seront  arrachés  de  dessous  terre, 
l'Egypte  morte  de  longtemps  se  remontrera  aux  vivants  étonnés.  Ce 
pauvre  Sésostris  sera  retiré  de  son  trou  et  fera  reparaître  debout  sa 
face  admirable.  Mais  si  ce  temps  est  encore  loin  ,  il  n'y  aura  donc  pas 
un  homme  qui  demandera  au  Pacha  à  faire  transplanter  en  France 
le  Grand  Roi,  fils  d'Aménophis? 

En  attendant ,  on  fabrique  en  Egypte ,  des  statuettes ,  des  figu- 
rines, des  scarabées,  pour  tromper  ces  bons  Voyageurs  qui  en  dé- 
sirent. 11  est  vrai  que  cette  fabrication  est  contraire  à  la  religion 
musulmane;  mais  qu'importe?  C'est  pour  tromper  des  chrétiens,  et 
alors  c'est  bénédiction. 

Voici  comment  ces  supercheries  s'accomplissent,  voici  toute  la 
malice  du  métier  qui ,  du  reste ,  n'est  pas  chose  bien  merveilleuse 
et  ne  se  pratique  en  somme  que  par  peu  d'individus,  au  moins 
parmi  les  Arabes  ou  Musulmans. 

Pour  les  objets  en  bois,  les  fabricateurs  d'antiquités  récentes  et 
fraîches  prennent  un  moyen  bien  simple;  le  premier. fait  à  accom- 
plir, est  de  leur  donner  l'odeur  et  l'aspect  antique.  Ils  prennent  du 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  653 

bois  de  sycomore,  et  le  taillent  sur  un  modèle  qu'ils  veulent  imiter  ; 
ensuite  ils  le  font  bouillir  dans  une  décoction  de  tabac,  puis  le 
frottent  de  bitume  en  poussière,  ce  qui  lui  fait  sentir  la  momie  et 
l'antique  et  le  fait  jaunir  à  la  nuance  convenable.  Aussi ,  mon  cher 
monsieur,  conseillez  bien  de  n'acheter  nul  objet  en  bois  qu'avec 
beaucoup  de  sagesse  et  de  réserve ,  parce  qu'il  est  très-facile  de  s'y 
tromper. 

J'ai  vu  aussi  faire  beaucoup  de  statuettes  en  plâtre.  Je  l'ai  vu, 
vous  dis-je,  de  mes  propres  yeux  vu;  et  voici  le  mode  d'opérer  :  on 
fabrique  une  statuette  en  plâtre,  on  lui  barbouille  la  tète  de  rouge, 
on  y  mêle  des  raies  noires  pour  marquer  les  yeux.  Le  devant  des 
jambes,  depuis  la  poitrine,  c'est-à-dire  depuis  l'endroit  où  l'on  veut 
et  doit  dessiner  des  hiéroglyphes ,  est  peint  en  jaune ,  et  ensuite  tout 
simplement  avec  du  cirage  anglais,  on  trace  quelques  à  peu  près 
hiéroglyphiques,  surtout  en  haut.  On  s'arrange  de  manière  que 
ces  inscriptions  qui  devraient  descendre  jusqu'en  bas,  aient  l'air 
d'avoir  été  effacées  par  le  temps ,  ce  qui  doit  donner  à  la  statuette  un 
extérieur  antique.  Mais  voici  le  malheur  :  si  on  considère  une  sta- 
tuette de  ce  genre  un  peu  attentivement ,  pendant  une  minute ,  on 
arrive  de  suite  à  se  demander  comment  il  se  fait  que  les  trois  quarts 
de  l'inscription  soient  effacés  et  que  la  statuette  et  le  premier  groupe 
hiéroglyphique  soient  frais.  Du  reste  cette  partie  manufacturière  des 
antiquités ,  est  de  beaucoup  en  retard  sur  la  partie  industrielle  des 
fabrications  en  bois ,  comme  vous  le  voyez.  Mais ,  outre  les  défauts 
que  je  viens  de  vous  indiquer,  il  en  est  un  autre  non  moins  sail- 
lant et  saisissable  :  c'est  que  le  relief  qui  semble  vouloir  dessiner 
la  place  des  fesses,  se  trouve  porté  beaucoup  trop  haut  sur  la  colonne 
vertébrale  et  bien  au-dessus  du  niveau  du  ventre,  ridicule  qui  ne 
se  rencontre  pas  dans  les  statuettes  antiques.  Je  m'étonne  qu'on 
n'ait  pas  encore  eu  l'idée  de  fabriquer  des  statuettes  à  dossier  ou 
appui  plat  sur  le  dos.  D'ailleurs  les  hiéroglyphes  sont  faciles  à  recon- 
naître par  leurs  formes  hasardées  et  fautives,  par  leur  allure  gauche 
et  mal  assurée  ,  et,  surtout  pour  ceux  qui  savent  les  lire,  par  leur 
sens  coupé  et  incomplet  et  souvent  nul.  Car  parfois  on  trace  au  ha- 
sard un  hiéroglyphe  d'une  statuette  vraie ,  et  un  d'une  autre ,  au 
lieu  de  chercher  toujours  à  copier  une  légende. 

Il  se  trouve  quelques  statuettes  qui  ont  des  hiéroglyphes  jusqu'aux 
pieds ,  mais  celles-là  se  vendent  très-cher,  parce  qu'elles  sont  alors 
très-bien  conservées. 

Malgré  les  défauts  que  j'ai  indiqués  tout  à  l'heure,  beaucoup 


654  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

d'acheteurs  se  laissent  tromper  dans  l'acquisition  des  statuettes.  Je 
connais  au  Caire  une  personne  possédant  une  assez  belle  collection 
d'antiquités,  et  par  conséquent  devant  avoir  quelque  habitude  de  ces 
choses-là,  qui  a  acheté  au  prix  de  quinze  francs  une  statuette  en 
piètre ,  fausse.  Il  est  vrai  que  cette  statuette  avait  une  superbe 
inscription  hiéroglyphique;  mais*  par  malheur,  presque  tous  les 
groupes  étaient  insignifians ,  et  la  saillie  du  derrière  était  au  milieu 
du  dos. 

On  prépare  aussi  à  la  môme  fabrique,  des  scarabées  prétendus 
funéraires,  en  plâtre  et  sans  inscriptions.  L'animal  est  assez  bien 
posé;  mais  les  formes  de  sa  tête  trahissent  visiblement  la  supercherie 
et  le  mensonge.  Dans  les  scarabées  antiques,  la  tète  se  continue  hori- 
zontalement et  en  droite  ligne  avec  le  corps,  et  les  yeux  sont  petits 
et  placés  de  côté  ;  dans  ceux  que  l'on  fait,  la  tète  tombe  tout  à  coup , 
et  présente  deux  gros  yeux  ronds  et  de  front  ;  la  couronne  de  la 
tète,  au  lieu  d'être  dentelée  et  en  avant,  est  ronde  et  rampe  par  terre. 
J'ai  acheté  un  de  ces  scarabées  par  curiosité  et  comme  échantillon  de 
comparaison.  Un  jour  que  je  reprochais  à  celui  qui  les  fabrique, 
de  tromper  ainsi  les  acheteurs  et  les  amateurs,  et  que  je  lui  deman- 
dais quelles  étaient  les  personnes  qui  pouvaient  acheter  de  pareilles 
monstruosités ,  il  me  répondit  :  «  Les  Anglais  prennent  tout,  bon  ou 
mauvais;  ils  ne  s'y  connaissent  pas.  »  Du  reste  je  n'ai  presque  pas 
vu  de  petits  scarabées  faux. 

Les  Voyageurs  qui  vont  visiter  les  pyramides  de  Gyzeh  ou  de 
Sakkâra  sont  assaillis  par  les  Arabes  qui  tâchent  de  leur  vendre  de 
petits  objets  antiques;  mais  ces  objets  sont  presque  toujours  faux. 
Toutes  les  fois  que  je  suis  allé  visiter  ou  les  monuments  de  Gyzeh 
ou  ceux  de  Sakkâra ,  les  Arabes  étaient  surpris  de  s'entendre  dire  : 
k  Ceci  est  faux  ,  cela  est  de  la  fabrique  d'un  tel.  »  Mais  ils  se  gar- 
dent bien  de  convenir  du  fait ,  d'accepter  la  vérité  de  l'accusation  ; 
ils  ont  toujours  à  donner  quelques  raisons  qui  tendent  à  absoudre 
leur  improbité. 

Les  Arabes  taillent  encore  des  espèces  de  bas-reliefs.  Us  prennent 
une  pierre  calcaire,  la  polissent  avec  quelque  soin  et  y  copient, 
d'une  autre  pierre,  un  sujet  antique;  mais  ils  n'y  tracent  que  des 
hiéroglyphes,  et  jamais  des  figures;  n'ayant  aucune  habitude  du 
dessin,  ils  sentent  qu'ils  ne  représenteraient  que  des  monstruosités  à 
faire  peur  et  qui  ne  se  rapprocheraient  en  rien  des  formes  humaines 
ou  animales  dont  ils  voudraient  agencer  et  coordonner  les  linéa- 
ments; ils  ne  peuvent  obtenir  cette  netteté  de  traits,  cette  justesse 


ANTIQUITES   EGYPTIENNES.  65.% 

d'ensemble,  ce  galbe  particulier  et  physiognomoniqne  qui  caractérise 
les  dessins  et  les  images  antiques. 

Les  fabricants  arabes  s'essayent  rarement  à  faire  de  petits  objets 
d'antiquités,  comme  divinités,  animaux  sacrés  et  symboliques,  etc. 
Toutes  ces  menues  figurines  sont  empreintes  d'un  caractère  trop  par- 
ticulier et  sont  trop  bien  découpées  et  allurées  pour  être  imitées  par 
des  artistes  aussi  peu  exercés  et  adroits  que  le  sont  les  Arabes,  tous 
les  Arabes ,  voulais-je  dire. 

Je  doute  qu'ils  tentent  aussi  de  fabriquer  des  pièces  de  bronze, 
bien  que  ce  soit  peut-être  pour  eux  l'œuvre  la  plus  facile  par  le 
moyen  du  moulage  et  du  coulage;  mais  l'esprit  peu  inventif  des 
artistes  arabes,  si  artistes  arabes  il  y  avait,  Juifs,  si  artistes  juifs  il 
y  avait  dans  les  juifs  nés  en  Orient,  Coptes ,  si  artistes  coptes 
existaient  aujourd'hui  dans  la  Coptie  ou  Egypte  actuelle ,  l'esprit  peu 
inventif,  dis-je,  du  jour  en  la  vallée  du  Nil,  n'a  pas  eu  encore  cette 
idée,  ne  peut  pas  encore  s'élever  jusque-là.  Les  quelques  bronzes 
faux  que  l'on  ait ,  viennent  de  l'étranger,  de  Grèce  principalement  et 
aussi  d'Italie.  Du  reste,  on  ne  m'en  a  jamais  apporté.  C'est  d'Italie 
surtout  qu'on  apporte  en  Egypte,  des  scarabées  bien  taillés,  bien 
imités  et  dans  le  dessin  et  dans  la  pose  du  coléoptère.  C'est  encore 
d'Italie  que  viennent  tout  faits  et  avec  la  forme  et  la  tournure  an- 
tiques, des  pendants  d'oreilles,  des  bagues;  mais  ces  objets  ont  gé- 
néralement trop  de  fini  et  de  parfait. 

Je  n'ai  vu  pendant  mon  séjour  en  Egypte ,  c'est-à-dire  depuis  que 
je  me  suis  occupé  d'antiquités  et  d'histoire  égyptienne,  que  trois  faux 
scarabées  en  bronze.  Ils  étaient  affreux  et  tous  trois  pareils ,  ce  qui 
est  presque  impossible  ;  je  n'ai  jamais  rencontré  deux  scarabées  de  la 
même  taille ,  se  ressemblant  parfaitement  par  l'inscription ,  la  ma- 
tière ,  la  grandeur  et  la  tournure.  J'eus  l'envie  un  moment  de  me 
donner  la  satisfaction  d'en  avoir  un ,  mais  ils  étaient  plus  chers  que 
les  vrais  scarabées  et  j'y  renonçai. 

On  vend,  au  Caire,  un  nombre  considérable  de  fausses  médailles. 
Ce  sont,  la  plupart  du  temps,  des  Juifs  quf  en  font  le  trafic.  Ces 
médailles  viennent  d'Italie  et  d'Athènes  ;  mais  il  paraît  que  la  fa- 
brique d'Athènes  est  la  plus  productive  et  la  plus  renommée.  Il 
faut ,  et  vous  le  savez  mieux  que  moi ,  avoir  un  peu  d'habitude  et 
d'expérience  pour  reconnaître  une  fausse  médaille  d'une  vraie.  Il 
importe  quand  on  achète  une  médaille  de  voir  si  les  lettres,  les  traits 
de  la  tète  sont  bien  nets ,  si  le  coup  du  coin  est  marqué,  et  c'est  ce 
qui  caractérise  les  bonnes  médailles;  car  toutes  les  médailles  fausses 


656  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

sont  coulées ,  et  dès  lors ,  quoiqu'elles  aient  l'air  d'être  neuves ,  elles 
n'ont  jamais  que  des  traits  mousses,  sans  reliefs  vifs  et  bien  dressés. 
On  m'apporta  un  jour  un  sac  qui  contenait  environ  trois  cents  mé- 
dailles, parmi  lesquelles  il  pouvait  y  en  avoir  cinq,  six  et  jusqu'à  dix 
parfaitement  pareilles,  même  dans  leurs  défauts,  leurs  éraillures,  etc. 
Or  il  est  presque  impossible  de  trouver  plus  de  deux  ou  trois  mé- 
dailles ou  monnaies  antiques  qui  aient  cette  exactitude  rigoureuse  de 
ressemblance  dans  tous  les  moindres  détails.  Je  regardai  donc  le  sac 
comme  un  sac  de  charlatan  et  ne  voulus  pas  donner  de  bonne  mon- 
naie nouvelle  pour  de  mauvaises  monnaies  anciennes.  Je  congédiai 
le  juif  en  lui  souriant  en  face. 

Il  n'y  a  guère  que  les  médailles  en  billon  qui  soient  fausses.  Il  est 
rare  d'en  rencontrer  en  or  qui  le  soient ,  et  encore  plus  rare  d'en 
trouver  en  cuivre.  Dans  ce  cas,  on  vend  plutôt  la  matière  que  la  mé- 
daille ;  car  bonnes  ou  mauvaises ,  dans  ce  qu'on  me  présentait,  toutes 
valaient  soixante-quinze  centimes  ou  trois  piastres  d'Egypte.  Enfin 
certains  individus  d'assez  louable  apparence,  vantent  parfois  au  Voya- 
geur l'antiquité  des  monnaies  qu'ils  lui  offrent  à  acheter  ;  c'est  en- 
core une  autre  malice  dont  il  faut  se  défier.  Quelquefois  aussi  ces 
éloges  de  mérite  d'antiquité  sont  allégués  de  bonne  foi  ;  n'a-t-on  pas 
vu  à  Paris  le  haut  personnage  égyptien  qui  visita  le  cabinet  des  mé- 
dailles de  la  Bibliothèque  royale ,  assurer  d'un  air  pcremptoire  qu'il 
avait,  lui,  des  monnaies  des  quatre  premiers  khalifes? 

Mais  voici  bien  un  autre  fait  sur  un  autre  article,  l'article  momie  : 
Il  y  a  deux  ans  un  Anglais  touriste  voulut  avoir  une  momie  dé- 
pouillée de  toutes  ses  bandelettes.  Un  Arabe  de  Thèbes  promit  au 
gentleman  de  lui  en  envoyer  une.  Comme  il  est  assez  difficile  de  se 
procurer  une  momie  parfaitement  conservée  telle  que  la  désirait 
l'Anglais ,  voici  comment  s'y  prit  mon  gaillard  d'Arabe  :  il  prit  le 
cadavre  d'un  Anglais  qui  venait  de  mourir,  et  le  fit  bouillir  dans  du 
goudron;  l'Anglais  qui ,  vivant,  n'était  rien  moins  que  dodu,  une 
fois  qu'il  fut  bouilli  dans  son  brouet  noir,  joua  admirablement  le  rôle 
de  momie  ;  le  Touriste  acheta  son  countryman  pour  une  belle  et 
bonne  momie  très-antique ,  et  il  retourna  en  Angleterre  avec  son 
compatriote  momifié.  Voyez  le  monde;  trois  mois  avant,  l'Anglais 
sortait  plein  de  vie  de  Londres  ,  et  le  voilà ,  de  retour  dans  sa 
patrie ,  momifié ,  Pharaon  antique ,  que  sais-je  encore  !  Il  est  vrai- 
ment bien  dommage  que  les  morts  ne  puissent  pas  réclamer,  car  je 
suis  intimement  persuadé  que  ce  brave  squire  eût  revendiqué  son 
titre  de  bon  et  récent  Anglais;  mais  que  réclamer  ou  plaider  étant 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  657 

mort?  Avisez-vous  donc  d'aller  mourir  en  Egypte  pour  revenir,  trois 
mois  après,  momie  des  siècles  les  plus  reculés  !  Et  l'Arabe,  qu'eu  dites- 
vous  ?  Que  dites-vous  de  l'idée  qui  lui  vint  en  tête?  Dut-il  rire ,  cet 
enfant  de  l'Islamisme?  Et  la  ruse  n'a-t-elle  pas  son  côté  plaisant? 
Pour  l'Anglais-momie,  qu'est-il  devenu?  Je  l'ignore;  je  ne  l'ai  jamais 
su.  Au  moins  il  eut  la  consolation  de  rentrer  dans  sa  patrie,  et  c'est 
quelque  chose. 

Voilà  pour  une  momie  ;  mais  pour  les  toiles,  Arabes  et  Juifs  n'ont 
jamais  essayé  de  frauder  sur  cet  article.  La  tromperie  est  trop  difficile 
pour  eux.  Il  en  est  de  même  pour  les  papyrus.  La  contrefaçon  est 
impossible. 

Dans  toutes  ces  indications  de  malices  que  je  vous  ai  exposées 
jusqu'ici,  je  ne  vous  ai  dit  que  ce  que  j'ai  vu,  excepté  cependant  le 
dernier  fait  de  la  momie-gentleman.  Je  l'ai  entendu  raconter  et  l'au- 
thenticité m'en  a  été  certifiée ,  jurée  par  des  personnes  dignes  de  foi. 

Passons  à  autre  chose. 

Les  Arabes  appellent  les  antiquités  enlîquéh,  du  mot  italien  antica, 
qu'ils  ont  arabisé ,  et  ils  appellent  les  médailles  Feloûs-el-Kouffàr 
(argent  des  infidèles ,  des  païens).  Il  n'y  a  pas  de  contes  ridicules  qu'ils 
n'aient  inventés  et  débités  sur  les  antiquités.  Ils  racontent  avec  la 
plus  parfaite  persuasion ,  avec  la  plus  ferme  assurance  ,  que  toutes 
les  statuettes  en  pierre ,  en  terre  cuite  et  en  bois ,  étaient,  comme  je 
vous  l'ai  déjà  fait  remarquer,  des  hommes  que  Dieu ,  à  cause  de  leur 
incrédulité,  a  maudits  et  transformés  en  viles  statuettes  pour  être 
cassées  dans  les  siècles  d'ensuite  par  les  vrais  croyants ,  c'est-à-dire  les 
musulmans  ;  et ,  ajoutent-ils  encore ,  les  plus  coupables  de  ces  vieux 
mécréans,  de  ces  vieux  endurcis ,  sont  ceux  qui  ont  été  transformés 
en  statuettes  de  bois,  car  ça  été  pour  être  brûlés.  Ce  sont  des  idées 
consacrées  d'ailleurs  depuis  longtemps  par  des  traditions ,  qui  portent 
les  paysans  égyptiens  à  tout  abimer,  casser  et  détruire,  et  puis  il  est 
de  l'essence,  du  devoir  même  du  musulman  de  détruire  tout  ce 
qui  n'est  pas  lui,  tout  ce  qu'il  n'a  pas  fait ,  et  il  ne  fait  rien.  Mahomet 
a  renversé  toutes  les  idoles  de  Raabah;  ses  religionnaires  l'imitent; 
ils  sont  iconoclastes  dans  toute  l'étendue  du  terme.  Ils  ne  peuvent  pas 
voir  une  statue  sans  crier  au  scandale ,  à  l'impiété. 

Toutes  les  figurines  égyptiennes  antiques  sont  bien  faites  ;  les  ani- 
maux surtout  sont  parfaitement  bien  posés  ;  et  ce  sont  là  les  plus  sail- 
lants caractères  qui  trahissent  les  pièces  vraies  et  les  pièces  fausses. 
Mais  il  est  assez  rare  de  trouver  des  statuettes  qui  aient  les  bras  dé- 
tachés ,  et  les  jambes ,  le  genou ,  la  rotule ,  le  mollet  bien  indiqués. 


658 


REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 


J'ai  un  petit  groupe  en  bronze  de  cinq  chats  assis ,  dont  voici  la 


figure 


Celui  du  milieu  est  plus  grand  que  tous  les  autres.  Personne  n'a 
pu  me  donner  d'indications  sur  ce  que  signifiait  ce  groupe. 

C'est  dans  la  basse  Egypte  que  se  trouvent  les  plus  beaux  bronzes. 
Dans  cette  partie  de  l'Egypte,  beaucoup  plus  humide  et  plus  coupée 
de  canaux ,  et  plus  longtemps  inondée  que  le  reste  du  pays ,  on  a  dû 
songer  surtout  à  faire  des  bronzes  ;  les  plâtres  auraient  eu  trop  peu 
de  durée.  C'est  à  Sakkâra,  qui  est  sur  la  limite  du  désert  et  sur  un 
lieu  élevé,  que  se  trouvent  les  plus  beaux  papyrus  et  les  statuettes 
le  mieux  conservées.  Les  plus  belles  momies  proviennent  de  Thèbes. 
A  Sakkâra,  on  en  trouve  de  fort  belles  aussi  ;  mais  il  est  rare  d'en 
rencontrer  là  à  doubles  cercueils,  tandis  que  dans  la  haute  Egypte 
on  en  rencontre  même  à  triples  cercueils. 

Les  Arabes  brisent  et  détruisent  les  momies  qui  ne  sont  pas  suffi- 
samment bien  conservées,  et  ils  trouvent  assez  souvent  dans  l'inté- 
rieur des  antiquités  curieuses.  Quelquefois  les  bandelettes  qui  en- 
veloppent la  momie  sont  couvertes  de  dessins  et  de  caractères 
hiératiques.  Il  y  a  quelques  années  ces  toiles  étaient  jetées  comme 
quelque  chose  de  nul  ;  aujourd'hui  elles  sont  rares.  Je  possède  des 
échantillons  assez  beaux  de  ces  toiles. 

J'ai  vu  extraire  d'une  momie  une  fort  belle  Isis  en  or,  les  ailes 
étendues.  Cette  forme  d'Isis  n'est  pas  commune,  même  en  bronze. 
J'en  ai  une  de  ce  dernier  métal  ;  c'est  la  seule  que  j'aie  rencontrée. 
La  personne  qui  me  l'a  procurée  assistait  à  l'ouverture  de  la  momie 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  659 

dont  elle  a  été  retirée.  J'ai  vu  vendre  une  fort  belle  bague  en  or  pro- 
venant aussi  d'une  momie  ;  dessus  était  gravée  une  figure  de  reine, 
et  une  ligne  d'hiéroglyphes  fins  en  encadrait  le  dessin.  Cette  bague 
fut  achetée  par  M.  le  marquis  de  La  Valette,  alors  consul  général 
en  Egypte. 

On  trouve  aussi,  dans  le  cercueil  de  quelques  momies,  des  figu- 
rines plates  collées  au  moyen  de  bitume  sur  les  parois  intérieures. 
Ces  figurines  sont  arrangées  de  manière  à  représenter  les  hiérogly- 
phes peints  sur  le  cercueil.  Je  possède  quelques-unes  de  ces  figu- 
rines :  telles  sont  les  deux  suivantes  : 


11  y  a  environ  trois  ans  on  pouvait  se  procurer  de  fort  jolies 
pièces  à  très-bon  marché  ;  les  Arabes  n'en  connaissaient  pas  encore 
le  prix.  Ainsi,  les  petits  scarabées  valaient  de  cinquante  à  soixante- 
quinze  centimes,  les  scarabées  moyens  de  dix  à  quinze  francs,  et  les 
plus  beaux  scarabées  funéraires  valaient  de  vingt-cinq  à  trente  francs. 
A  présent,  les  petits  valent  de  cinq  à  sept,  et  même  dix  francs,  les 
autres  ontaugmenté  dans  la  même  proportion.  Des  statuettes,  que  j'ai 
achetées  vingt  paras  ou  deux  sous  et  demi,  se  vendent  à  présent 
neuf  piastres,  aux  Anglais,  par  exemple. 

Dans  le  nombre  de  ces  objets,  il  s'en  trouve  assez  souvent  de 
curieux  et  au  même  prix  que  les  médiocres.  Ainsi,  j'ai  acheté  une 
fois  trois  scarabées  pour  cinq  francs.  Parmi  les  trois ,  il  y  en  avait 
un  très-beau  comme  exécution  et  comme  gravure.  A  présent,  je  suis 
persuadé  que  je  ne  l'aurais  pas  lui  seul  pour  vingt  francs  ;  je  n'ai  pas 
vu  en  ce  genre  de  gravure  plus  fine,  plus  parfaite  : 


Les  élytres  mêmes  sont  indiquées  avec  une  délicatesse  extrême, 


6G0  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Dans  le  premier  achat  d'antiquités  que  je  fis  en  1842,  j'eus,  par- 
dessus le  marché,  un  petit  scarabée  d'un  très-joli  travail.  Il  s'est 


trouvé  que  ce  scarabée  est  assez  intéressant 


Il  est  dommage 


qu'il  soit  ébréché  d'un  côté,  mais  l'inscription  est  intacte. 

Les  anciens  Égyptiens  avaient  le  talent  de  représenter,  avec  quel- 
ques traits  seulement,  les  caractères  d'une  figure.  J'ai  une  toute 
petite  tète  de  nègre  en  cornaline  qui  est  remarquable  par  la  vérité  de 
l'expression  de  la  figure  : 


Je  n'ai  pas  pu  savoir  ce  que  représentait  une  espèce  de  cachet  ou 
pièce  carrée  portant  d'un  côté  l'inscription  : 


et  de  l'autre  : 


Cette  pierre  vient  de  Sakkàra  ;  c'est  la  seule  que  j'ai  vue  en  ce  genre. 

On  a  découvert  il  y  a  environ  dix  mois,  dans  la  basse  Egypte, 
un  grand  nombre  d'antiquités  grecques  en  pierre,  et  surtout  en 
bronze,  et  aussi  beaucoup  de  médailles.  Mais  tous  ces  objets  sont 
nécessairement  d'une  époque  postérieure,  quoique  le  caractère  soit 
grec  ;  la  justesse  de  la  pose,  l'exactitude  du  dessin  et  des  propor- 
tions ne  sont  pas  toujours  irréprochables ,  et  plusieurs  statues  ont 
l'air  boiteuses  et  mal  articulées. 

Je  vais  vous  indiquer  en  deux  mots  l'état  des  ruines  et  des  fouilles 
de  Sakkàra,  car  ce  sont  les  seules  que  j'ai  vues.  En  fouillant,  les 
Arabes  trouvent  beaucoup  de  tombeaux  ;  mais  comme  ils  ne  travail- 
lent que  dans  l'intention  de  chercher  et  de  trouver  des  antiquités, 
ils  cassent  et  dégradent  la  plupart  des  bas-reliefs  et  des  inscriptions, 
et  les  jettent  sur  le  sable ,  les  inscriptions  en  dessous.  Dans  ce  der- 
nier fait,  il  n'y  aurait  pas  grand  mal,  si  les  sables  ne  venaient  bien- 
tôt recouvrir  et  enfouir  une  seconde  fois  ces  débris,  qui,  alors,  se 
perdent  de  nouveau,  au  moins  pour  un  certain  temps.  A  Sakkàra, 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  661 

il  v  a  un  magnifique  tombeau,  découvert  depuis  environ  une  dou- 
zaine d'années  seulement.  Les  inscriptions,  qui  en  sont  anciennes, 
sont  d'une  fraîcheur  admirable.  Eh  bien  !  des  Voyageurs  français  et 
anglais  surtout  gravent  leurs  noms  au  milieu  d'un  cartouche,  qui 
reste  alors  défiguré  et  méconnaissable.  Il  y  a  des  Anglais  qui  ont 
voulu  enlever  des  inscriptions  d'une  petite  niche  charmante  ;  mais 
comme  tout  est  gravé  dans  des  pierres  détaille  solidement  cimentées 
et  fixées  sur  les  parois  du  roc,  ils  ne  peuvent  parvenir  à  rien  déta- 
cher qu'en  mettant  tout  en  morceaux.  S'ils  réussissaient  à  déplacer 
des  fragments  assez  considérables,  afin  de  les  réunir  ensuite  après 
les  avoir  emportés  en  Europe,    le  mal   serait  presque  excusable, 
puisqu'on  pourrait  étudier  ces  débris  ;  mais  ces  voyageurs  vandales 
ne  font  que  marteler,  casser,  réduire  en  poussière;  et,   dans  leur 
dépit  ridicule  et  sot,  là  où  ils  n'ont  pu  foire  d'autre  dégradation,  ils 
plantent  leurs  noms.  La  belle  chose,  en  effet,  que  de  rencontrer  là 
un  nom  français,  anglais,  italien  et  autres  !  Les  visiteurs,  qui  n'ont 
pas  à  ce  point  l'amour  du  sacrilège,   méprisent  ces  vandales,   et 
parfois   les  régalent  de    blasphèmes  plus   ou    moins   violemment 
exprimés. 

Dans  la  haute  Egypte,  ces  mômes  outrages  sont  faits  souvent  aux 
monuments  ;  mais,  heureusement,  le  pacha  a  fait  des  magasins  de 
coton  de  plusieurs  temples  antiques,  ce  qui  les  garde  d'incidents 
désastreux,  de  la  griffe  dégradatrice  des  touristes  et  des  coureurs  ;  ils 
sont  à  l'abri  de  la  poussière  et  aussi  du  marteau  destructeur. 

Aux  Pyramides  de  Gyzeh  et  aux  environs,  il  n'y  a  presque  pas  de 
dégâts,  vu  d'abord  qu'il  y  a  fort  peu  de  ruines  à  découvert;  mais  les 
deux  ou  trois  tombeaux  qui  sont  à  une  centaine  de  mètres  des  Pyra- 
mides, et  qui  sont  assez  bien  conservés,  n'ont  rien  eu  à  souffrir  de 
l'esprit  vandale  des  voyageurs  et  des  Arabes. 

Pour  les  Pyramides  en  particulier,  ceux  qui  désirent  avoir  quel- 
ques notions  curieuses  sur  ces  monuments,  objets  de  tant  de  conjec- 
tures plus  hasardées  les  unes  que  les  autres,  peuvent  lire  l'intéres- 
sant ouvrage  du  colonel  Vysc  et  le  mémoire  de  M.  Fiai  in  de  Per- 
signy ,  intitulé  :  De  la  destination  et  de  V utilité  permanente  des 
Pyramides,  dans  lequel  l'auteur,  pour  soutenir  une  hypothèse  plus 
ingénieuse  que  solide,  a  rassemblé  d'utiles  renseignements. 

Je  vais  vous  raconter  une  petite  histoire  arabe  concernant  les 
pierres  de  taille  tombées  des  Pyramides,  et  qui  sont  semées  çà  et  là 
alentour. 

«  Un  Pharaon,  la  légende  ne  dit  pas  quel  fut  ce  roi ,  ni  quel  fut 
III.  43 


662  REVUK    ARCHÉOLOGIQUE. 

son  nom,  ni  à  quelle  époque  il  vécut,  n'importe.  Or  donc,  un  roi 
Pharaon  fort  riche,  très-riche,  immensément  riche,  se  fit  bâtir  un 
palais  d'or  et  d'argent.  Le  palais  était  presque  entièrement  fini;  mais 
les  trésors  du  Pharaon  étaient  épuisés  ;  et  il  ne  fallait  plus  qu'un 
petit  morceau  d'or,  un  tout  petit  morceau  pour  terminer  la  porte , 
qui  était  aussi  en  or.  Ni  les  ministres,  ni  les  amis  du  roi  ne 
pouvaient  se  procurer  le  petit  morceau  de  métal  précieux.  Comment 
faire  ?  Pendant  que  le  Pharaon  et  ses  courtisans  étaient  à  délibérer 
en  face  de  la  porte  du  palais,  voilà  que  vint  à  passer  un  enfant  qui 
portait  aux  oreilles  un  anneau  d'or,  juste  ce  qu'il  en  fallait  pour  ter- 
miner la  porte.  Les  braves  gens  du  roi ,  en  courtisans  attentifs ,  tuè- 
rent le  pauvre  enfant  et  lui  enlevèrent  sa  boucle  d'oreille.  Ils  n'eu- 
rent pas  plutôt  terminé  la  porte ,  que  le  palais  s'écroula  sur  le  roi  et 
sur  sa  suite  ;  les  pierres  de  taille,  qui  étaient  en  or  et  en  argent,  se 
métamorphosèrent  en  véritables  pierres  de  taille  ordinaires.  »  Mais 
voici  le  plus  beau  de  l'histoire  :  on  a  découvert  depuis  lors  \e  moyen 
de  rendre  à  ces  pierres  leur  origine  métallique  ;  écoutez-moi;  voici 
comment,  et  s'il  vous  prenait  par  hasard  l'envie  d'en  avoir,  remar- 
quez-le bien,  une  pierre  de  taille  en  or  !  employez  la  recette,  et 
vous  m'en  direz  des  bonnes  nouvelles.  Or  donc ,  mon  cher  monsieur, 
la  voici,  cette  recette  merveilleuse,  très-simple  moyen  de  trouver 
la  pierre  philosophale,  et  une  pierre  philosophale  de  taille.  Chacun 
ne  risque  que  de  gagner  son  poids  d'or,  et  son  pesant  d'argent  au 
moins.  Réfléchissez,  cela  en  vaut  la  peine,  et  surtout  tâchez  de 
réussir. 

Dunque,  comme  on  dirait  en  italien,  allez  d'abord  aux  Pyramides 
de  Gyzeh  ;  puis,  là,  yous  vous  coucherez  à  deux  heures  après  le 
soleil  ;  mais  il  faut  qu'il  y  ait  clair  de  lune,  sans  cela  vous  ne  ferez 
rien  qui  vaille;  vous  vous  coucherez  donc,  la  tête  appuyée  sur 
une  de  ces  pierres ,  que  vous  choisirez  aussi  grosse  que  vous  vou- 
drez; au  risque  d'avoir  une  affreuse  courbature,  un  solide  torticolis 
le  lendemain,  il  faut  dormir,  et  bien  dormir,  jusqu'à  un  peu  avant 
le  lever  du  soleil  ;  et,  à  votre  réveil ,  vous  trouverez  votre  pierre 
transformée  en  or  ou  en  argent  ;  mais  si  vous  bougiez  le  moins  du 
monde  durant  votre  sommeil,  ou  bien  si  vous  le  prolongiez  jusqu'a- 
près le  lever  du  soleil ,  votre  affaire  serait  manquée ,  votre  pierre 
d'or  ou  d'argent  redeviendrait  pierre  de  pierre,  comme  devant.  Ce 
qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  que  je  n'ai  encore  vu  personne  qui  ait 
rapporté  un  petit  brin  d'or  ou  d'argent  de  cette  expérience  ;  per- 
sonne qui  ait  tenté  cette  simple  nuitée,  cet  expédient  par  lequel  l'or, 


ANTIQUITES   ÉGYPTIENNES.  663 

la  fortune  nous  vient  en  dormant.  Moi,  je  n'ai  pas  encore  fait  l'essai  ; 
je  suis  encore  jeune  ;  je  remue  toujours  dans  mon  sommeil.  Quand 
un  peu  d'âge  m'aura  calmé  le  sang  et  le  sommeil,  j'espère  bien 
essayer  du  procédé. 

Les  Arabes,  si  avides  d'or  et  d'argent,  comme  tant  d'autres,  ne 
veulent  pas  hasarder  la  tentative.  Us  croient,  comme  article  du 
Coran,  à  l'efficacité  du  moyen  ;  mais  quand  je  leur  demandais  pour- 
quoi nul  d'entre  eux  n'allait  essayer  le  procédé,  et  ne  confondait  par 
expérience  les  incrédules,  ils  me  répondaient  :  «  £e  serait  de  l'ar- 
gent mal  gagné  et  qui  ne  serait  pas  agréable  à  Dieu.  »  Si  vous  avez 
les  mêmes  scrupules  de  conscience,  n'allez  pas  dormir  au  pied  des 
pyramides  ;  et  puis  il  y  a  par  là  des  hyènes  qui  pourraient  bien  man- 
ger un  chrétien  tout  comme  un  musulman. 

A  propos  des  Pyramides,  les  Arabes  vous  racontent  encore  que 
Pharaon  (et  par  là  ils  entendent  toujours  le  pharaon  de  Moïse  ;  ils 
ne  connaissent  que  celui-là),  fit  bâtir  les  Pyramides  par  les  Juifs,  et 
que  la  plus  haute  lui  servait  de  tabouret  :  il  était  alors  assis  comme 
vous  sur  une  chaise  dans  votre  cabinet. 

Les  livres  arabes  disent  que  ce  fut  un  Pharaon  d'avant  Noë  qui 
fit  bâtir  les  Pyramides  pour  s'y  réfugier  lors  du  déluge,  car  il  avait 
été  instruit,  par  la  science  de  la  divination,  de  l'arrivée  du  grand 
cataclysme.  Vraiment  on  s'instruit  en  voyageant. 

Mais  quittons  nos  Pyramides,  et  allons  un  moment  du  côté  du 
sud  jusqu'à  Boucyr,  tout  petit  hameau  situé  entre  le  désert  et  les 
terres  cultivées,  et  qui  rappelle  le  nom  de  Busiris.  Là,  à  trois  ou 
quatre  cents  mètres  dans  le  désert,  il  y  a  environ  dix  mois,  on  a 
découvert  (et  c'est  un  des  fouilleurs  autorisés  du  Caire  qui  a  fait  la 
découverte  )  un  hypogée  à  galeries  rempli  de  bœufs  Apis.  Cette 
découverte  est  unique  jusqu'à  présent,  je  crois,  et  me  semble  d'une 
grave  importance,  en  ce  qu'elle  pourra  jeter  quelque  lumière  sur 
plusieurs  points  de  la  religion  de  l'antique  Egypte,  et  provoquer  les 
réflexions  et  les  travaux  de  plusieurs  savants  européens. 

Jusque  aujourd'hui  l'on  n'avait  encore  trouvé  que  çà  et  là  de  petits 
veaux  dans  les  hypogées.  L'hypogée  de  Boucyr  est  une  véritable 
galerie  souterraine  à  plusieurs  embranchements  ;  on  y  descend  par 
plusieurs  puits  ;  mais  le  principal  est  beaucoup  plus  large  que  les 
autres.  Autour  de  l'embouchure  de  cette  descente,  il  y  a  des  mon- 
ceaux d'ossements,  de  têtes  dépouillées  de  leurs  toiles,  de  membres 
épars,  de  sabots,  de  cornes,  etc.  En  fouillant  dans  ces  débris, 
j'aperçus  un  morceau  de  branche  de  dattier,  qui,  comme  vous  le 


664  REVUK    ARCHÉOLOGIQUE. 

pensez-bien,  n'était  pas  très-fraîche;  je  In  tirai,  elle  nie  vint  avec 
une  épine  dorsale  de  bœuf  dans  laquelle  elle  était  passée.  Il  paraît 
de  là  que  jadis  on  employait  ce  simple  procédé  pour  maintenir  la 
colonne  vertébrale  dans  sa  position ,  et  conserver  les  vertèbres  dans 
leur  ordre  et  place  naturelle.  Les  momies  de  ces  bœufs  sont  enve- 
loppées d'une  quantité  considérable  de  toiles.  M.  Perron,  mon  oncle, 
en  a  recueilli  une  tête  entière  qu'il  a  envoyée  au  musée  de  la  ville 
de  Langres;  la  couche  de  toile  qui  l'enveloppe  est  de  plus  de  deux 
pouces  d  épaisseur.  Des  yeux  en  verre  noir  enchâssés  dans  une  pierre 
calcaire  grise ,  sont  maintenus  dans  l'épaisseur  des  toiles  d'enve- 
loppe, et  sont  recouverts  encore  d'une  toile,  sur  laquelle  est  collée 
une  figure  d'œil  peint  sur  un  morceau  de  toile  taillé  en  forme  ocu- 
laire, comme  la  figure  que  voici  : 


J'ai  deux  de  ces  formes  d'yeux  que  j'ai  recueillies  au  puits  même. 
J'ai  vu  là  aussi  des  oreilles  telles  qu'elles  sont  dessinées  dans  Hora- 
pollon  Nilous(l).  Les  bœufs  que  l'on  exhume  de  l'hypogée  de  Bou- 
cyr,  devaient  être  beaucoup  plus  gros  que  ceux  de  l'Egypte  actuelle 
On  voit  collés  immédiatement  sur  le  front  de  l'animal  des  morceaux 
de  papyrus  sur  lesquels  il  y  avait  des  dessins,  et  souvent  par-dessus 
il  y  a  une  toile  qui  enveloppait  la  tête;  cette  toile  était  enduite  d'une 
matière  qui  permettait  de  tracer  des  dessins  ou  ornements  en  rose 
tendre,  en  or  et  en  bleu  de  cobalt,  et,  malgré  le  temps,  ces  cou 
leurs  sont  parfaitement  conservées  et  ont  encore  toute  leur  première 
fraîcheur  ;  tout  cela  est  recouvert  de  plusieurs  couches  de  toiles. 

On  trouve  aussi  parmi  ces  bœufs  de  tout  petits  veaux  embaumé 
qui  ont  de  grandes  cornes  postiches  en  forme  de  croissant.  Il  est 


i)  Voy.  l'édition  de  Leemans ,  grecquc-anglain'. 


ANTIQUITÉS    ÉGYPTIENNES.  665 

remarquer  que  la  plupart  de  ces  bœufs  ont  tous  de  belles  cornes  for- 
mant bien  le  croissant  lunaire.  Dans  la  magnifique  tête  de  bœuf  qui 
a  été  envoyée  à  Langres,  et  qui  est  parfaitement  conservée  avec 
toutes  ses  toiles,  je  remarquai  qu'une  des  cornes  avait  été  sciée, 
apparemment  pour  qu'elles  fussent  toutes  deux  de  la  même  longueur 
de  saillie,  car  il  ne  manquait  rien  à  l'autre,  et  elles  formaient  le 
croissant  exact  :  cette  tête  a  aussi  deux  beaux  yeux  en  verre. 

Les  Arabes  brisent  beaucoup  de  ces  bœufs,  c'est-à-dire  ceux  qui 
sont  un  peu  avariés  et  qui  ne  pourraient  que  difficilement  supporter 
le  voyage  de  Boucyr  au  Caire,  vu  la  fatigue  de  la  route  ;  car  on  est 
obligé  de  les  emporter  à  dos  de  chameau.  Les  Arabes  les  ouvrent 
pour  y  chercher  quelques  antiquités.  Dans  le  ventre  de  ces  momies 
bovines,  on  trouve  quelquefois  une  figure  de  divinité,  ordinairement 
une  figure  de  bœuf  Apis,  presque  toujours  en  bronze  et  de  petite 
taille.  J'ai  demandé  aux  Arabes  s'ils  n'avaient  rien  trouvé  dans  le 
puits  ;  ils  me  répondirent  qu'ils  n'avaient  encore  trouvé  qu'une  statue 
en  bronze  d'un  pied  et  demi  de  haut.  Je  n'ai  pu  savoir  ce  que  repré- 
sentait cette  statue;  cela  eût  été  intéressant,  sans  doute.  Il  serait, 
je  pense,  curieux  et  utile  pour  les  savants,  de  faire  venir  de  ces 
momies  de  bœufs  Apis.  Il  n'y  a  guère,  je  crois,  que  le  musée  de 
Turin  qui  en  possède  un.  Une  pareille  pièce  ne  serait  pas  déplacée 
dans  un  musée  royal,  et  j'espère  que  celui  du  Louvre  ne  tardera  pas 
à  avoir  le  sien. 

Peu  d'auteurs  ont  parlé  en  détail  du  bœuf  Apis.  M.  Champolhon- 
Figeac,  dans  son  Egypte  ancienne,  en  dit  peu  de  chose,  et  il  ne 
s'occupe  que  du  matériel  ;  M.  Henry ,  dans  son  Egypte  pharaonique  (1), 
en  parle  un  peu  plus  longuement.  M.  Champollion-Figeac  n'indique 
guère  que  l'époque  où  on  l'adorait  et  l'époque  où  l'on  rétablit  son 
culte. 

«  ....  A  Bôchos,  dit-il,  succéda  Choùs,  qui  régna  trente-neuf 
ans,  et  régla  le  culte  des  trois  animaux  sacrés,  Apis  à  Memphis, 
Mnévis  à  Héliopolis ,  et  le  bouc  à  Mendès.  » 

Plus  loin,  il  dit  :  «  Psammétichus  fit  construire  les  propylées 
méridionaux  du  temple  de  Phtha,  à  Memphis,  ainsi  que  le  prome- 
noir du  bœuf  Apis.  Ce  promenoir  était  situé  en  face  du  péristyle  ; 
le'mur  d'enceinte  était  couvert  de  sculptures,  et,  au  lieu  de  colonnes, 
on  y  avait  employé  des  statues  colossales  de  douze  coudées  de  hau- 
teur. » 

i    i  vol,  in-8,  chez  Firniin  Didol.  Paris,  1840. 


660  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Plus  loin,  il  ajoute  :  «  Le  règne  de  Julien  fut  plus  favorable 
pour  les  Égyptiens  demeurés  fidèles  à  l'ancien  culte  maternel,  et  le 
préfet  d'Egypte  annonça  comme  une  heureuse  nouvelle  à  l'empereur, 
qu'on  venait  de  découvrir  un  nouveau  bœuf  Apis.  »  Voilà  à  peu 
près  tout  ce  qu'on  lit  à  ce  sujet  dans  Champollion-Figeac  -,  mais  cela 
n'indique  point  (juel  but  on  se  proposa  dans  l'établissement  du  culte 
du  bœuf  Apis.  Écoutons  un  moment  Henry  : 

«  Au  culte  des  astres,  vint  se  mêler,  en  Egypte ,  celui  de  certains 
animaux  utiles.  Toutes  les  bêtes  fuient  à  l'approche  de  l'homme,  ou 
redoutent  sa  société;  quelques-unes  seulement  semblent  appelées  à 
recevoir  de  sa  main  leur  nourriture.  Le  bœuf,  qui  à  la  force  réunit 
la  patience  et  la  mansuétude,  supporte  une  grande  partie  de  la 
fatigue  qui  doit  assurer  la  fertilité  de  la  terre  ;  il  dut  être  le  premier 
des  animaux  réputés  sacrés.  Mais  le  bœuf  n'était  pas  indispensable 
à  l'Egypte  pour  la  culture  de  ses  dépôts  de  limon  ;  la  sanctification 
de  cet  animal,  n'est  donc  pas,  à  ce  titre,  originaire  de  ce  pays. 
Aussi  Manéthon  ne  laisse  pas  ignorer  que  ce  fut  sous  le  second  roi 
de  la  deuxième  dynastie  que  cette  idolâtrie  s'introduisit  en  Egypte. 
Deux  villes  l'accueillirent  particulièrement  :  Memphis,  qui  reçut  le 
taureau  sacré  sous  le  nom  à' Apis  ;  Héliopolis,  qui  lui  donna  le  nom 
de  Mnévis.  Une  troisième  ville,  Hermonthès,  l'adopta  sous  le  nom 
à'Onuphès.  Une  fois  admis  dans  les  temples,  le  bœuf,  type  de  la 
force  physique ,  devint  le  symbole  du  Dieu  fort  et  puissant  ;  et  c'est 
en  cette  qualité  qu'il  commença  à  recevoir  des  honneurs  auxquels 
le  mythe  d'Osiris  vint,  par  la  suite,  mettre  le  comble.  » 

D'après  une  idée  que  j'ai  entendu  répéter  à  mon  oncle,  et  que  je 
n'ai  trouvée  indiquée  dans  aucun  des  livres  que  je  connais,  le  bœuf, 
dans  un  pays  tel  que  l'Egypte,  c'est-à-dire  qui  a  sa  plus  grande 
richesse  dans  la  fertilité  de  son  sol ,  et  par  conséquent  dans  la  cul- 
ture, a  dû  être  considéré  comme  la  ressource  la  plus  utile  et  la  plus 
puissamment  productive  ;  et,  me  disait  encore  mon  oncle  :  «  Les 
prêtres  égyptiens ,  pour  exprimer  cette  idée  aux  yeux  de  la  multitude 
ignorante ,  ont  consacré  le  bœuf,  et  en  ont  fait  un  dieu  vivant  et 
visible,  un  dieu  qui  avait  son  temple,  et  des  honneurs  pendant  ses 
apparitions  dans  le  monde,  sous  la  forme  de  la  vie  ordinaire,  et 
après  ses  disparitions  du  monde.  Les  collèges  des  prêtres,  ces  sanc- 
tuaires étonnants  de  science  et  de  philosophie  rationnelle  et  pra- 
tique, savaient  bien  ce  que  valaient,  dans  la  réalité,  ces  consé- 
crations, ces  divinisations;  ils  avaient  et  gardaient  la  science  pure 
et,  pour  ainsi  dire,  contemplative  dans  leurs  prêtres;  et  l'appa- 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  667 

rence,  la  partie  matérielle  de  la  science  était  offerte  et  communi- 
quée à  la  multitude  incapable  de  pénétrer  les  grands  mystères  du 
monde.  L'adoration  des  figures,  le  culte  des  idoles  a  toujours  été 
la  question  palpable  de  la  science  religieuse,  de  la  science  de  la 
réflexion  :  l'esprit  était  dans  les  collèges,  la  matière  était  pour  les 
masses. 

«  Ces  idées  de  consécrations  s'appliquèrent,  pour  les  yeux  du 
peuple,  à  une  foule  d'êtres  animaux;  et  en  cela  encore  se  trou- 
vait une  belle  et  magnifique  pensée  :  c'est  que  la  divinité  était 
partout,  pénétrait  tout,  et  que  les  animaux  même  nuisibles  en 
étaient  aussi  une  manifestation.  Pour  faire  entrer  cette  manière 
de  voir  dans  les  esprits,  on  avait  consacré  tel  animal  à  tel  dieu, 
à  telle  fonction  auprès  d'un  dieu  ou  par  ordre  d'un  dieu;  mais  il 
y  avait  toujours  le  Dieu  suprême.  Et  tous  ces  dieux  avaient  des 
formes  multiples  comme  indications  matérielles  de  leur  puissance. 
En  donnant  même  aux  dieux  des  formes  animales,  on  voulait  signi- 
fier que  tout  rentre  dans  la  Divinité,  qu'elle  n'est  dégradée  par 
rien,  et  qu'elle  paraît  partout  digne  d'elle-même.  Enfin ,  un  signe, 
le  haut  signe,  résumant,  par  son  emblème,  toute  la  haute  méta- 
physique ,  était  comme  le  sommet  et  le  nœud  central  de  la  science  : 
je  veux  parler  du  sphinx  :  une  tête  humaine,  c'est-à-dire  la  forme 
matérielle  la  plus  élevée  dans  ce  monde  et  le  siège  de  l'intelligence, 
c'est-à-dire  de  la  plus  noble  faculté  humaine,  puisqu'elle  monte 
jusqu'à  la  connaissance  de  la  Divinité;  et  un  corps  d'animal,  c'est 
à-dire  la  dernière  représentation  de  la  matière  agissante,  compo- 
sait la  qualité  combinée  de  l'esprit  et  de  l'animalité,  de  l'intelli- 
gence et  de  la  matière....  Il  fallait  bien  qu'il  y  eût  une  immense 
science  dans  les  collèges  de  l'antique  Egypte,  pour  que  les  Grecs, 
qui ,  certes ,  avaient  une  véritable  valeur  dans  le  champ  des  con- 
naissances humaines,  et  surtout  en  philosophie,  eussent  consenti, 
malgré  leur  orgueil,  à  qualifier  le"  nom  d'Hermès,  dans  lequel  se 
rassemble  toute  la  science  de  l'Egypte  pharaonienne  dès  sa  plus 
haute  antiquité,  du  titre  imposant  de  trismégiste  (ou  trois  fois 
grand  ),  titre  que  la  Grèce  et,  après  elle,  les  autres  nations,  n'ont 
donné  et  conservé  à  personne.  » 

Alfred  Clerc,  bibliophile. 


A  M.  L'ÉDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE 


L'AMULETTE  DE  CÉSAR ,  LE  CACHET  DE  SEPULLIUS 
MACER  ET  LE  PONT  JULIEN,  PRfiS  D'APT. 


Monsieur  , 

Ce  n'est  pas  sans  motif  qu'en  finissant  la  description  de  l'amu- 
lette, que  j'avais  quelque  raison  alors  d'attribuer  à  Jules  César 
(Reçue,  t.  III,  p.  152),  j'invoquais  la  grave  autorité  de  M.  Le- 
tronne.  Quelque  chose  me  faisait  douter  de  l'antiquité  de  cette  pièce, 
et  j'étais  persuadé  d'avance  que,  tout  en  donnant  l'explication  des 
signes  devant  lesquels  reculait  mon  inexpérience ,  le  savant  et  judi- 
cieux archéologue,  auquel  j'osais  faire  un  appel,  saurait  démêler  le 
caractère  vrai  ou  faux  de  la  gemme  en  question.  Je  m'applaudis  au- 
jourd'hui de  cette  détermination.  Nous  y  avons  tous  gagné  :  moi , 
une  conviction  raisonnée  à  l'endroit  de  cette  pierre  dont  j'admettais 
l'authenticité  avec  quelque  peine,  et  le  public  un  excellent  article 
qui  servira  désormais  de  critérium  aux  archéologues.  Pour  excuser 
mon  erreur,  je  n'irai  pas  invoquer  le  brevet  d'authenticité,  un  peu 
légèrement  donné  au  prétendu  cachet  de  Sepullius  Macer  par  un  de 
nos  savants  les  plus  féconds,  par  un  homme  du  métier,  en  un 
mot.  Que  gagnerai-je  à  mettre  mon  inexpérience  à  l'abri  d'un  nom 
respectable  aux  yeux  de  beaucoup  de  gens?  Tous  les  pornographes 
du  monde  échoueraient  aujourd'hui  à  vouloir  réhabiliter  le  cachet 
du  docteur  Sichel  et  la  gemme  du  docteur  Long,  objets  que  M.  Le- 
tronne  vient,  d'une  manière  évidente,  de  réduire,  ce  me  semble,  à 
leur  plus  juste  valeur.  Je  me  permettrai  quelques  courtes  obser- 
vations. 

Les  arguments  tirés  de  l'inscription  me  paraissent  rationnels  et 
sans  réplique.  Aussi,  j'en  prends  mon  parti,  beaucoup  plus  facile- 
ment que  M.  le  docteur  Long  qui  ne  renonce  pas  tout  à  fait  a  pos- 


SUR  l'amulette  de  CÉSAR  ,  ETC.  669 

séder  un  monument  unique,  et  qui  serait  une  des  premières  pierres  gra- 
vées du  monde,  s'il  était  vrai.  Un  contemporain  du  dictateur  n'eût  pas 
manqué  d'accompagner  son  nom  de  l'épithète  Divus  :  cela  est  incon- 
testable. Mais  plus  tard,  quand  les  idées  chrétiennes  se  furent  pro- 
pagées ,  aux  époques  de  Constantin  ou  de  Julien ,  un  admirateur  de 
Jules  César  ne  pouvait-il  pas  se  montrer  moins  scrupuleux?  Voilà 
ce  que  se  demande  le  propriétaire  de  l'amulette  dont  l'Académie  des 
Inscriptions  et  Belles -Lettres  vient  de  couronner  récemment  le 
Mémoire  sur  les  antiquités  des  Voconces.  ^ 

Quant  aux  signes  planétaires,  l'opinion  de  Scaliger,  de  Saumaise 
etdeHuet,  est  certainement  fort  respectable;  mais  pour  croire  avec 
eux  que  les  petites  figures  qui  servent  à  désigner  maintenant  les 
planètes  ont  été  connues  des  anciens,  et  qu'on  les  trouve  sur  des 
pierres  gravées  antiques ,  cela  me  devient  impossible.  M.  Letronne 
nous  l'a  démontré  victorieusement,  à  moi,  du  moins.  Sur  ce  second 
chef,  je  lui  donne  donc  encore  pleinement  raison.  Seulement  (car 
il  y  a  des  restrictions  à  tout) ,  je  n'aurais  pas  voulu  qu'il  intercalât 
une  petite  erreur  à  l'appui  de  ses  excellentes  preuves,  et  cela,  pour 
s'être  fié  au  témoignage  de  Millin. 

Dans  son  second  Mémoire,  M.  Letronne ,  rappelant  quelques  mo- 
numents que  la  tradition  reporte  à  tort  jusqu'au  temps  de  Jules 
César ,  cite  le  vieux  pont  Julian ,  près  d'Âpt ,  qui  nest  pas  même 
romain  (vov.  plus  haut ,  p.  426  ).  Jusqu'à  présent ,  tout  le  monde 
l'avait  cru  tel ,  M.  l'inspecteur- général  des  monuments  historiques 
tout  comme  les  autres  (l),  et  je  suis  persuadé  que  M.  Letronne 
lui-même  en  serait  convaincu,  si  jamais  il  le  voyait  de  ses  propres 
yeux. 

Et  d'abord  le  pont  romain,  qui  est  près  d'Apt,  s'appelle  Julien 
plutôt  que  Julian,  qui  est  une  locution  vulgaire  :  c'est  le  patois 
du  pays.  Les  deux  locutions  ont  une  origine  commune ,  pour 
Julianus.  Or,  cette  dénomination  n'est-elle,  comme  tant  d'autres, 
qu'une  ambitieuse  allusion  à  Jules  César?  Ici,  l'histoire  indique  le 
contraire.  Apt  devint  cité  Julienne,  sinon  sous  le  dictateur,  du  moins 
sous  Auguste  :  elle  s'appela  Colonia  Apta  Julia.  Qu'y  aurait -il 
d'étonnant  à  ce  qu'un  pont  voisin  prît  le  nom  de  la  cité  Julienne, 
et  devînt  ainsi  pons  Julianus,  pont  Julien? 

Voici  maintenant  une  présomption  en  faveur  de  son  origine.  Ce 
pont  est  situé  sur  le  Caulon ,  précisément  à  l'endroit  où  la  voie  ro- 

(I)  Notes  d'un  voyage  dans  le  midi  de  la  France ,  par  Mérimée,  p.  216, 


670  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

mairie  de  Milan  à  Arles  par  les  Alpes  Cottiennes ,  appelée  encore 
aujourd'hui  chemin  romain  dans  le  pays,  sautait  de  la  rive  gauche 
sur  la  rive  droite  du  torrent.  Vous  conviendrez,  Monsieur,  qu'un 
pont  romain  ne  jure  pas  trop  sur  un  débris  de  voie  romaine.  Vous 
m'objecterez  qu'il  pourrait  être  roman;  mais  je  répondrai  à  cela  que 
nous  avons  des  ponts  du  moyen-âge  dans  le  Midi  ;  que  l'inclinaison 
de  la  voie,  que  l'appareil,  que  la  coupe  en  sont  bien  différents;  en 
un  mot,  que,  malgré  toute  notre  bonne  volonté  de  nous  soumettre 
aux  lumières  d'un  docte  académicien ,  il  nous  est  impossible ,  sur  ce 
chef,  de  ne  pas  nous  montrer  tant  soit  peu  récalcitrant. 

Au  reste,  M.  Letronne  est  tout  à  fait  excusable  de  ne  pas  croire 
à  la  romanité du  pont  Julien;  n'ayant  pas  visité  les  lieux,  il  a  cru 
Millin  sur  parole.  Millin  était  un  fort  habile  homme  pour  son  temps; 
mais  il  avait  une  singulière  manière  de  voir.  N'a-t-il  pas  vu  des 
ogives  au  pont  Saint-Benezet  d'Avignon?  Etait-ce  une  manie  de 
l'époque?  Un  dédain  pour  ce  qui  venait  du  moyen-âge?  Les  auteurs 
du  Voyage  pittoresque  de  la  France  (T.  III,  pi.  73),  donnent  aux 
arcades  du  pont  Saint-Esprit  la  forme  ogivale.  Millin  dit  que  c'est 
à  tort;  à  la  bonne  heure  pour  cette  fois.  Mais  lui-même,  en  parlant 
du  pont  Saint-Benezet,  écrit  :  ce  La  forme  ogive  de  ses  arches  annonce 
«  qu'il  avait  été  fait  dans  un  temps  de  superstition  et  d'ignorance  où 
«  le  génie  des  lettres  et  le  goût  des  arts  d'imitation  étaient  presque  en- 
ce  tièrement  éteints,  mais  où  l'on  vit  s'élever  cependant  des  édihees  qui 
ce  nous  étonnent  encore  par  la  grandeur  de  leur  plan  et  la  hardiesse  de 
ce  leur  construction  (2).  »  Abstraction  faite  de  tout  ce  qu'il  y  a  de 
faux  dans  cette  phrase ,  qui  a  été  longtemps  stéréotypée  dans  une 
foule  d'ouvrages  estimables,  pense-t-on  que  celui  qui  voyait  des 
ogives  aux  arcades  à  plein  cintre  du  pont  Saint-Benezet  ne  devait 
pas  se  tromper  sur  l'âge  du  pont  Julien? 

Je  ne  chercherai  pas  à  prouver  par  les  détails  de  construction 
l'origine  romaine  et  non  romane  du  pont  Julien,  en  invoquant  les 
arguments  irrésistibles  de  l'appareil,  du  pian ,  etc. ,  etc.  Autant  vau- 
drait-il prouver  que  le  Panthéon  d' Agrippa  est  du  siècle  d'Auguste , 
la  Sainte-Chapelle  de  Paris  du  siècle  de  Saint-Louis,  et  la  colonne 
Vendôme,  de  nos  jours.  Si  M.  Letronne  n'a  pas  eu  de  peine  à  prouver 
que  l'amulette  de  Jules  César  et  le  cachet  de  Sepullius  sont  ejusdem 
farinœ  que  le  sabre  de  Vespasien  et  tant  d'autres  fausses  antiquailles  ; 
s'il  a  démontré  que  mon  antiquité  était  moderne ,  il  voudra  bien  me 

(2)  Voyage  dans  le  midi  de  la  France ,  IV,  p.  202. 


ETC.  671 

pardonner  d'avoir  osé  lui  prouver  que  son  moderne,  ou  plutôt  celui 
de  Millin,  était  véritablement  antique. 
Agréez,  etc. 

Jules  Courtet, 

Sous-préfet  de  Die ,  correspondant  des  comités  historiques. 


Note  sur  la  Lettre  précédente. 

J'apprends  avec  plaisir  que  \epont  Julien  ou  Julian,  près  d'Apt, 
est  de  construction  romaine.  Tout  en  étant  surpris  que  Millin  ait 
pu  se  méprendre  sur  un  point  si  facile  à  reconnaître,  je  n'hésite  pas 
ù  m'en  rapporter  au  jugement  de  M.  J.  Courtet,  qui  a  examiné  le 
monument  à  loisir.  Mais  de  ce  que  le  pont  est  romain,  il  ne  s'ensuit 
pas  qu'il  mérite  l'épithète  de  Julien ,  c'est-à-dire  qu'il  ait  été  con- 
struit du  temps  de  Jules  César.  Sans  doute  cela  est  fort  possible  ; 
mais  rien  encore  ne  le  prouve ,  puisqu'on  ne  sait  pas  même  si  la 
Colonia  Âpta  Julia  avait  reçu  son  nom  du  conquérant  de  la  Gaule, 
plutôt  que  d'Auguste ,  fondateur  d'autres  colonies  juliennes. 

Je  suis  bien  aise  d'avoir  intercalé  cette  observation  dans  mon 
Mémoire ,  puisqu'elle  a  fourni  à  M.  Courtet  l'occasion  de  rectifier 
une  erreur  de  Millin ,  que  d'autres ,  faute  d'avoir  vu  les  lieux  ,  au- 
raient pu  partager  aussi.  Letronne. 


LETTRE  A  M,  PRISSE  D'AVEWES 


SUR 


UN  FOUR  ROMAIN  A  CUIRE  LES  POTERIES. 

Teulon  ,  le  3  octobre  1846. 

.Monsieur  , 

Permettez-moi  de  vous  entretenir  quelques  instants  d'une  décou- 
verte faite  depuis  près  d'un  an ,  non  loin  de  l'établissement  ther- 
mal d'Amélie-les-Bains  (département  des  Pyrénées-Orientales),  et 
sur  laquelle  personne  n'a  appelé  encore  l'attention  des  antiquaires, 
bien  que  l'objet  en  vaille  assez  la  peine  :  je  veux  parler  d'un  four  ro- 
main à  cuire  les  poteries. 

L'établissement  thermal  d'Arles,  désigné  aujourd'hui  sous  le  nom 
d'Amélie -les- Bains,  remonte  à  une  grande  antiquité  dans  la  période 
gallo-romaine.  Il  n'y  a  pas  bien  longtemps  encore  qu'on  y  voyait 
beaucoup  de  restes  de  la  construction  primitive  ;  tout  cela  a  disparu 
sous  les  exigences  des  dispositions  modernes.  La  vaste  et  belle  piscine, 
dont  on  voyait  encore  il  y  a  peu  d'années,  une  portion  notable,  par- 
faitement conservée,  a  achevé  de  s'eflacer  pour  faire  place  à  des 
cabinets  particuliers ,  il  ne  reste  plus  guère  de  l'établissement 
antique  que  la  salle  voûtée  qui  enclôt  le  tout  et  l'église  de  la  com- 
mune attenant  à  l'établissement,  dont  le  local  était  une  dépendance 
des  thermes. 

Certaines  restaurations  qu'on  fit  il  y  a  un  an,  ayant  amené  la  dé- 
molition de  quelques  bâtisses  modernes  adossées  au  monument,  on  a 
pu  reconnaître  que  cet  édifice  était  flanqué  de  tours  dont  on  a  re- 
trouvé les  vestiges.  En  escarpant,  il  y  a  quelque  temps ,  la  roche  de 
granit  à  travers  laquelle  coule  la  principale  source  minérale,  dans  le 
but  d'augmenter  le  volume  de  son  jet,  ces  eaux  ,  en  sortant  en  effet 
avec  plus  d'abondance,  entraînèrent  avec  elles  des  médailles  romai- 
nes et  celtibériennes,  des  inscriptions  sur  lames  de  plomb  pliéesen 
plusieurs  doubles ,  et  d'autres  objets  sur  lesquels  je  reviendrai  une 
autre  fois  avec  détail  ;  pour  le  moment ,  je  ne  vous  parlerai  que  de 
la  découverte  plus  récente  du  four  à  poteries. 


FOI  R    ROMAIN   A    CUIRE    LES  POTE R  1RS.  6/3 

Les  restes  de  ce  four,  qui  netaient  couverts  que  d'environ  cin- 
quante centimètres  de  terre,  consistaient  en  une  aire  formée  de  deux 
épaisseurs  de  briques  posées  obliquement,  et  en  sens  contraire  l'une 
de  l'autre,  de  manière  à  produire  Yopns  spicatum  de  Vitruve,  système 
de  construction  qui,  pour  le  dire  en  passant,  s'est  conservé  en  Rous- 
sillon  pendant  tout  le  moyen  âge.  Ces  briques  laissaient  entre  elles, 
de  distance  en  distance,  des  ouvertures  rondes  pour  le  passage  de  la 
tlamme  (Voyez-  b,  b,  b,  dans  la  coupe  transversale).  Le  pavé  de 
Taire ,  que  devait  recouvrir  une  voûte-réverbère  depuis  des  siècles 
sans  doute,  reposait  sur  des  cloisons  formées  par  une  brique  posée  de 
champ  et  percée  pour  le  libre  passage  du  calorique.  Deux  canaux  hauts 


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A.  Aire  du  four  sur  laquelle  se  plaçaient  les  poteries  à  cuire. 
R.  Coupe  horizontale,  au-dessous  de  l'aire. 
C  Coupe  transversale. 

de  54  centimètres  sous  la  clef  des  arceaux,  s'étendaient  parallèlement 
dans  toute  la  profondeur  du  four,  qui  était  de  3m,65,  et  étaient  séparés 
l'un  de  l'autre  par  un  massif  à  peu  près  égal  à  leur  largeur,  formant  les 
pied-  droits  des  arceaux.  Entre  ces  arceaux  ,  au  nombre  de  six  sur 
chaque  canal,  s'étendaient  les  bandes  des  briques  constituant  le  sol 


674  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

de  l'aire,  percé  d'ouvertures  pour  le  passage  de  la  flamme.  L'aire 
était  composée  de  sept  de  ces  bandes,  dont  les  deux  plus  rapprochées 
de  la  bouche  du  four  ne  présentaient  qu'une  seule  rangée  de  trous  ; 
les  cinq  autres  en  avaient  deux  rangées  symétriquement  disposées 
dans  toute  l'étendue  de  la  bande.  Les  poteries  les  plus  fortes  et  qui, 
devaient  être  soumises  à  l'action  d'un  feu  plus  violent,  étaient  pla- 
cées vraisemblablement  au  fond  du  four  ;  les  vases  de  moindre  vo- 
lume devaient  être  rangés  sur  le  devant.  Le  sol  des  deux  canaux 
conducteurs  du  feu  offraient  encore  quelques  vestiges  de  charbon. 
Les  trous  traversant  ainsi  l'aire  avaient  0U1,035  de  diamètre,  et  l'in- 
tervalle qui  séparait  ceux  placés  de  deux  en  deux,  était  de  0m,15. 
Les  briques  étaient  à  rebord  pour  le  plus  grand  nombre ,  et  sembla- 
bles à  celles  qu'on  employait  à  la  toiture  des  maisons,  à  la  construc- 
tion des  tombeaux,  et  souvent  en  guise  de  moellons  dans  l'épaisseur 
des  murailles. 

J'ai  le  regret  d'être  obligé  d'ajouter  que  ce  débris  d'antiquité  a  subi 
le  sort  qu'avait  éprouvé  jadis  la  voûte  ;  le  fermier  du  champ  l'a  dé- 
moli pour  que  le  soc  de  sa  charrue  puisse,  à  l'avenir,  se  promener 
librement  sur  ces  neuf  mètres  carrés  de  terrain  l 

Pour  ne  pas  me  parer  des  plumes  du  paon,  et  voulant  rendre  justice 
à  qui  elle  est  due  ,  je  dirai ,  en  terminant,  que  le  dessin  de  ces  restes 
intéressants  des  travaux  de  l'art  romain  m'a  été  transmis  de  Perpi- 
gnan par  M.  le  capitaine  du  génie  Puiggari,  officier  studieux,  plein 
de  connaissances  et  dévoué  aux  études  archéologiques. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Henry, 

Archiviste  de  la  ville  de  Toulon. 


SCEAU  DE  SAINT  LOUIS  EN  1240. 


Dans  les  travaux  sérieux  qu'on  fait  maintenant  sur  les  arts  du 
moyen  âge ,  l'étude  des  sceaux  doit  occuper  une  place  très-impor- 
tante. Ces  précieux  monuments  ayant  leur  authentique ,  leur  date 
certaine ,  sont  pour  notre  passé  ce  que  les  médailles  de  la  Grèce  et 
de  Rome  sont  pour  l'antiquité  païenne,  La  numismatique  française 
entre  dans  peu  de  détails  ,  et  n'exprime  qu'imparfaitement  les 
croyances  par  ses  types  et  ses  inscriptions;  les  sceaux  fournissent 
en  abondance,  au  contraire,  les  documents  les  plus  précis  sur  l'his- 
toire, les  légendes,  les  usages,  les  costumes,  la  civilisation  et  les 
arts  d'autrefois.  Malgré  cette  rude  guerre  de  93  contre  les  chartes  et 
les  parchemins,  nos  archives  offrent  encore  à  l'étude  de  nombreux 
matériaux.  Mais  ces  matériaux  perdraient  beaucoup  de  leur  utilité , 
s'ils  n'étaient  point  réunis  dans  une  collection  générale.  C'est  là  seu- 
lement que  la  science  peut  comparer,  compléter  et  classer  ces  débris 
faits  par  le  temps  et  par  les  hommes.  Aussi  bien,  avant  le  travail  de 
M.  Dépaulis,  qui  lui  a  fait  tant  d'honneur  (1),  on  avait  songé  à  réunir 
les  empreintes  de  nos  anciens  sceaux,  et  à  les  rendre ,  par  le  mou- 
lage, indestructibles  et  populaires.  Dès  l'année  18-21  (séance  du 
3  août),  il  en  était  question  à  l'Académie  des  inscriptions  et  des 
belles-lettres;  mais  ce  fut  en  1842  seulement  que  ce  projet  reçut  sa 
complète  exécution.  Maintenant,  grâce  à  la  puissante  direction  de 
M.  Letronne ,  et  à  l'infatigable  érudition  de  M.  de  Wailly ,  nous 
possédons  une  collection  de  sceaux  unique  en  France  et  en  Europe. 

M.  Letronne  et  M.  de  Wailly  ont  été  heureusement  secondés  pour 
l'exécution  matérielle  de  cette  collection  par  M.  Lallemand,  commis 
d'ordre  aux  archives. 

M.  Lallemand  s'est  fait  mouleur,  et  est  parvenu,  à  force  de  re- 
cherches, de  patience  et  d'adresse,  à  n'avoir  aucun  rival  dans  sa  spé- 
cialité. Quelques  empreintes  de  sa  collection  sont  de  véritables  énigmes 

(1)  Lorsque  M.  Dépaulis  s'occupait  de  moulage  aux  archives,  M.  Dubois,  gra- 
veur, y  travaillait  de  son  côté  à  mouler  une  collection  de  sceaux  des  rois  de  France, 
destinée  au  musée  monétaire.  Les  archives  possèdent  des  échantillons  des  belles 
épreuves  qu'il  a  obtenues. 


676  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pour  les  plus  habiles  praticiens.  Le  moulage  n'est  point  une  opération 
purement  mécanique  :  la  reproduction  d'une  œuvre  d'art  demande  le 
concours  de  l'intelligence.  M.  Lallemand  est  devenu  artiste,  comme 
les  imprimeurs  anciens  étaient  savants  pour  produire  ces  éditions  si 
parfaites  qui  ne  pâlissent  devant  aucun  de  nos  chefs-d'œuvre  mo- 
dernes. Il  a  étudié  les  sceaux  avec  passion ,  et  il  est  parvenu  à  les 
rendre  avec  toute  la  fidélité  possible.  Au  lieu  d'employer  le  plâtre  , 
qui  offre  plus  de  facilité,  plus  de  promptitude,  mais  aussi  moins  de 
finesse  et  de  solidité  ,  il  a  moulé  ses  épreuves  en  soufre,  et  il  a  su 
donner  à  celte  matière  une  dureté  qui  assure  la  conservation  des 
moindres  détails ,  et  une  couleur  agréable  qui ,  en  rappelant  la  cire, 
en  évite  les  teintes  trop  foncées  et  trop  transparentes.  Non-seulement 
il  a  choisi  avec  un  goût  parfait  les  exemplaires,  mais  encore  il  a 
réussi  à  restituer  des  sceaux  perdus,  en  réunissant,  avec  une  adresse 
inconcevable,  leurs  fragments  séparés,  et  à  reconstruire  ainsi  leur 
ensemble.  Un  amateur  n'est  pas  plus  passionné  pour  sa  suite  de  gra- 
vures ou  de  médailles  que  M.  Lallemand  ne  l'est  pour  la  collection 
confiée  à  ses  soins.  Aucune  considération  ne  l'arrête  :  quand  il  trouve 
un  exemplaire  meilleur,  il  renonce  au  moule  qui  souvent  lui  a  donné 
tant  de  peine,  et  il  en  fait  un  nouveau,  qu'il  n'hésitera  point  à  rem- 
placer encore,  si  le  hasard  vient  lui  offrir,  le  lendemain,  la  possibilité 
d'avoir  quelque  chose  de  plus  parfait.  Tant  de  zèle,  de  dévouement, 
a  été  récompensé  par  l'estime  de  ses  chefs;  je  me  plais  à  y  joindre  ces 
premières  lignes  de  publicité;  elles  sont  non-seulement  une  justice, 
mais  encore  l'acquittement  d'une  dette  personnelle.  J'ai  eu  bonne 
part,  en  effet,  à  cette  complaisance  affectueuse  que  rencontrent  tou- 
jours chez  M.  Lallemand  ceux  qui  désirent  quelques  renseignements. 

La  collection  des  archives  du  royaume  est  nécessairement  la  plus 
complète.  Déjà  très-riche  par  elle-même ,  elle  s'est  augmentée  rapi- 
dement des  sceaux  fournis  par  les  archives  des  départements  et  par  les 
cabinets  des  amateurs.  Elle  possède  maintenant  plus  de  douze  mille 
types,  qui  sont  tous  savamment  classés  en  deux  cents  catégories: 
cent  vingt  pour  la  partie  ecclésiastique,  les  papes,  les  cardinaux,  l?s 
évêques ,  les  abbés ,  les  chapitres  et  les  congrégations  ;  quatre-vingts 
pour  la  partie  laïque,  les  rois  de  France,  les  souverains  d'Europe, 
les  grands  feudataires,  la  noblesse,  les  villes,  les  corporations,  la 
bourgeoisie. 

La  suite  des  rois  de  France,  qui  est,  sans  contredit,  la  plus  re- 
marquable, a  été  présentée  dernièrement  au  roi,  qui  a  donné  l'ordre 
d'en  enrichir  son  musée  national  de  Versailles. 


SCEAU  DE   SAINT  LOUIS   EN   1240.  677 

C'est  de  cette  collection  que  vient  le  sceau  de  saint  Louis  que  nous 
publions  (voir  la  pi.  60).  Nous  en  devons  la  communication  à  l'o- 
bligeance de  M.  Lallemand. 

Ce  sceau  pend  à  un  acte  de  1240  ;  il  intéresse,  par  sa  date  et  sa 
conservation ,  l'iconographie  de  saint  Louis.  C'est  une  pièce  au  procès 
intenté  par  l'archéologie  moderne  contre  ce  type  encore  généralement 
suivi  par  les  artistes  pour  représenter  le  chevaleresque  Louis  IX. 
Leur  entêtement  à  ce  sujet  est  une  triste  preuve  de  la  pauvreté  in- 
tellectuelle des  écoles  modernes  en  fait  de  types  et  de  connaissances 
historiques  et  religieuses.  Parce  que  le  véritable  héros  du  moyen  ège 
a  joint  à  toutes  les  gloires  humaines  celle  d'être  honoré  comme  saint 
par  l'Eglise  catholique,  on  a  cru  bien  faire  en  lui  donnant,  bon  gré 
malgré ,  la  figure  débonnaire  de  Charles  V,  qu'on  s'est  efforcé  d'ap- 
pauvrir et  de  rendre  naïve  à  l'excès.  Est-ce  là  pourtant  le  signalement 
donné  par  Joinville,  qui  déclare  son  maître  et  son  ami  le  plus  bel 
homme  de  son  royaume?  Est-ce  là  le  type,  la  portraiture  idéalisée  de 
ce  génie  supérieur,  digne  de  nommer  son  époque ,  comme  ont  nommé 
la  leur  Auguste,  Léon  X  et  Louis  XIV?  Si  l'âme  de  saint  Louis 
avait  eu  pour  enveloppe  l'extérieur  de  Charles  V,  elle  l'aurait  certai- 
nement illuminé  d'un  merveilleux  éclat.  L'être  immatériel  et  invisible 
que  nous  portons  en  nous  prend  une  forme  dans  nos  traits;  le  vice  y 
flétrit  la  beauté  la  plus  parfaite  ,  tandis  qu'il  n'est  pas  de  laideur  que 
la  vertu  ne  sache  modifier  et  ennoblir.  L'âme  est  présente  à  notre 
figure;  elle  y  écrit,  elle  finit  même  par  y  graver  profondément  ses 
pensées ,  ses  désirs ,  ses  habitudes ,  ses  mérites ,  et ,  si  nous  ne  les 
voyons  pas,  c'est  que  nous  ne  savons  pas  y  lire. 

Maintenant  qu'il  est  bien  constaté  par  les  monuments  et  par  le 
bon  sens  que  la  figure  qui  convient  très-bien  à  Charles  V  n'est  point 
celle  de  saint  Louis ,  l'artiste ,  pour  représenter  cette  gloire  de  la 
France,  doit  interroger  le  passé,  et  savoir  si  le  temps  n'a  pas  épargné 
quelques  souvenirs  des  traits  qu'il  cherche  à  reproduire.  Il  doit  re- 
monter à  travers  les  siècles  jusqu'à  des  données  contemporaines ,  et 
examiner  les  travaux  d'une  époque  où  l'art  était  une  œuvre  collective, 
et  non  un  chaos  de  caprices  individuels.  Il  doit,  pour  être  dans  la 
justice  et  la  vérité  à  l'égard  de  son  modèle ,  consulter  consciencieu- 
sement les  monuments,  les  vitraux,  les  manuscrits  et  jusqu'à  cette 
figure  que  la  douce  main  de  Fra  Angelico  de  Fiesole  a  placée  dans 
le  couronnement  de  la  Vierge  que  nous  avons  au  Louvre.  Une  ico- 
nographie complète  de  saint  Louis  est  encore  à  faire.  Je  n'ai  pas  la 
m.  M 


678  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

prétention  de  l'ébaucher  dans  cette  courte  notice;  j'apporte  simple- 
ment une  pierre  à  qui  voudra  bâtir. 

Les  figures  historiques  qui  se  trouvent  sur  les  sceaux  ne  peuvent 
certainement  pas  être  données  comme  offrant  l'exacte  ressemblance 
des  personnes  qu'elles  représentent.  Elles  indiquent  cependant  un 
certain  degré  de  vérité ,  une  exactitude  de  costume  et  de  caractère , 
un  reflet  enfin  de  cette  harmonie,  de  cette  unité  qui  distingue  chaque 
siècle  et  chaque  pays.  L'artiste  peut  y  trouver  aussi  quelquefois  des 
détails  plus  exacts  et  plus  précis.  Le  défaut  de  ressemblance  ne  vient 
pas  d'un  système,  d'un  parti  pris;  l'impuissance  en  est  la  véritable 
cause.  Pourquoi  un  artiste  du  XIIIe  siècle  n'aurait-il  pas  été  plus 
heureux  ou  plus  habile  que  les  autres  à  reproduire  son  modèle? 

Dans  le  sceau  que  nous  publions,  l'intention  est  incontestable;  la 
date  de  1240  s'accorde  parfaitement  avec  l'âge  qu'on  peut  donner  à 
cette  figure  élégante  et  juvénile  qui  porte  ici  le  sceptre  et  la  cou- 
ronne. L'imagination  n'est  point  choquée  des  proportions  et  des  traits 
donnés  par  l'artiste  au  fils  de  la  reine  Blanche,  à  celui  qui  savait  si 
bien  réunir  dans  une  même  âme  sa  passion  si  touchante  pour  Mar- 
guerite de  Provence,  son  amour  si  actif  pour  Dieu  et  pour  l'Église, 
et  une  énergie  si  grande  et  si  éclairée  pour  l'accomplissement  de  tous 
ses  devoirs  ;  rien  ne  nous  blesse  dans  ce  souvenir  lointain  d'une  vie 
si  merveilleusement  tissue  de  poésie ,  de  justice ,  de  religion  et  de 
gloire. 

Quoique  le  sceau  qui  servit  la  première  année  du  règne  de  saint 
Louis  semble  être  identique  à  celui  de  1240  par  la  forme  des  lettres 
et  le  détail  des  ornements,  il  y  a  quelque  chose  de  plus  mâle  et  de 
plus  vigoureux  dans  celui  que  nous  publions  ;  mais  la  différence  d'âge 
est  incontestable  sur  le  sceau  qui  fut  employé  au  retour  des  Croisades. 
Malgré  le  fâcheux  état  de  la  figure,  on  ne  peut  se  refuser  à  recon- 
naître que  l'artiste  a  voulu  représenter  un  personnage  moins  jeune 
que  sur  les  précédents. 

Ainsi  l'intention  est  positive;  reste  maintenant  le  succès  â  con- 
stater. Je  n'ai  pas  les  preuves  nécessaires ,  et  je  me  contenterai  de 
protester  en  faveur  des  graveurs  du  XIIIe  siècle,  beaucoup  trop  lé- 
gèrement accusés  d'inhabileté  en  fait  de  ressemblance.  Les  remarques 
précieuses  que  M.  de  Wailly  a  bien  voulu  me  communiquer  sur 
l'emploi  simultané  de  plusieurs  sceaux  copiés  les  uns  sur  les  autres 
me  portent  à  croire  que  les  artistes  d'alors  joignaient,  au  contraire ,  à 
un  talent  réel  et  à  des  qualités  bien  rares  de  nos  jours  une  fidélité 
remarquable  de  copiste.  II  existe,  par  exemple,  trois  sceaux  de  Phi- 


SCEAU   DE   SAINT  LOUIS  EN   1240.  679 

lippe  le  Bel ,  différents  de  grandeur,  mais  parfaitement  semblables  par 
le  caractère,  les  détails  et  le  modelé  de  la  figure  royale.  Celui  qui  a 
réussi  à  reproduire  si  exactement,  si  minutieusement,  une  même  tête 
était  capable  sans  doute  de  la  copier  sur  un  modèle,  et  il  n'eût  pas 
été  si  scrupuleux  dans  son  imitation  successive,  si  la  première  œuvre 
n'avait  été  qu'une  création  capricieuse  de  son  talent. 

J'ai  comparé  le  sceau  de  saint  Louis  aux  figures  de  ce  roi  qui 
étaient  sur  nos  anciens  monuments,  et,  quoique  la  ressemblance  ait 
bien  dû  s'affaiblir  dans  les  dessins  et  les  gravures  d'une  époque  inca- 
pable d'en  apprécier  la  valeur  artistique ,  et  surtout  d'en  rendre  le  ca- 
ractère, j'ai  cru  y  reconnaître  des  rapports  véritables;  mais  je  me 
méfie  de  cette  manie  d'accaparement  qu'on  a  toujours  pour  son  sujet, 
et  je  m'en  remets  à  l'examen  impartial  de  mes  lecteurs,  qui  trouveront 
dans  le  Diclionnaire  iconographique  de  M.  Guenebault  toutes  les  fa- 
cilités de  faire  de  consciencieuses  et  complètes  recherches.  Puisse  la 
science  préparer  toujours  ainsi  à  l'art  un  meilleur  avenir,  en  renouant 
cette  tradition,  cette  filiation  avec  le  passé,  sans  laquelle  le  talent 
isolé  s'épuise  dans  des  études  et  des  efforts  individuels,  et  s'éteint 
dans  des  œuvres  sans  grandeur  et  sans  portée  sociale! 


E.  Cartier. 


INSCRIPTION  FUNÉRAIRE 

DE  NICOLAS  FLAMEL. 


Les  fables  ridicules  débitées  par  quelques  historiens  sur  Nicolas 
Flamel ,  qui  vivait  à  Paris  au  XIVe  siècle,  et  y  mourut  en  1418,  le 
merveilleux  dont  on  avait  voulu  entourer  ses  actions,  lui  ont  donné 
une  célébrité  plus  grande  qu'il  ne  lui  appartenait  d'en  avoir,  et  sur 
laquelle  il  n'avait  sans  doute  pas  compte. 

L'existence  de  ce  personnage  parut  mystérieuse  et  pleine  de  pro- 
diges à  ses  contemporains ,  parce  qu'ils  lui  virent  faire  des  choses  qui 
leur  semblèrent  fort  au-dessus  de  la  condition  obscure  dans  laquelle 
il  était  né,  et  des  moyens  que  pouvait  lui  fournir  la  position  d'écri- 
vain qu'il  exerçait  ;  car,  sortant  tout  à  coup  de  la  médiocrité  où  il 
semblait  devoir  toujours  vivre,  on  le  vit  fonder  ou  doter  des  hôpitaux, 
faire  restaurer  à  ses  frais  des  édifices  religieux ,  enfin  répandre  ses 
largesses  avec  une  opulence  extraordinaire.  Toutefois ,  il  est  probable 
qu'il  ne  produisit  cet  effet  qu'à  la  classe  populaire ,  qu'étonne  tout  ce 
qui  est  nouveau  à  ses  yeux ,  qui  est  disposée  à  trouver  du  merveilleux 
dans  tout  ce  qui  lui  paraît  inexplicable,  et  qui  est  la  meilleure  trom- 
pette pour  toutes  les  renommées.  Voyant  donc  un  homme  dont  l'état 
semblait  peu  lucratif  faire  tout  à  coup  des  dépenses  aussi  considé- 
rables, le  peuple  de  ce  temps-là ,  ne  pouvant  approfondir  les  causes 
d'un  événement  dont  les  apparences  avaient  quelque  chose  d'extra- 
ordinaire, se  fit  sur  le  compte  de  Flamel  mille  idées  bizarres 
dont  la  tradition  s'est  perpétuée  et  peut-être  grossie  d'âge  en  âge.  Les 
moins  exagérés  crurent  qu'il  avait  trouvé  la  pierre  philosophale,  et 
cette  croyance  a  trouvé  des  partisans  jusque  vers  la  fin  du  der- 
nier siècle;  divers  ustensiles  de  chimie  découverts  à  cette  époque  dans 
les  caves  de  la  maison  qu'il  habitait ,  et  qui  lui  avaient  probablement 
servi  à  préparer  les  couleurs  qu'il  employait  pour  peindre  ses  ma- 
nuscrits, semblèrent  confirmer  ces  idées  de  sciences  occultes,  au 
moyen  desquelles  on  cherchait  à  expliquer  les  actions  de  ce  person- 
nage. Quelques  autres,  cherchant  des  explications  plus  raisonnables, 
prétendirent  que  cet  homme  avait  dû  ses  immenses  richesses  à  la  con- 
naissance qu'il  avait,  comme  écrivain ,  des  affaires  des  juifs,  et  aux 


INSCRIPTION    FUNERAIRE    DE    NICOLAS   FLAMEL.  681 

dépôts  d'argent  qu'ils  lui  firent  et  qu'il  s'appropria  lors  de  leur  ban- 
nissement. Ce  fait  n'a  pas  plus  de  fondement  que  les  autres,  et  il 
suffit ,  pour  être  convaincu  de  sa  fausseté ,  de  lire  les  déclarations  de 
Charles  VI,  à  l'occasion  de  ce  bannissement  :  la  première,  du  17  sep- 
tembre 1394,  porte  plusieurs  clauses,  tant  pour  la  sûjreté  de  leurs 
personnes  que  pour  celles  de  leurs  biens  et  le  remboursement  de 
leurs  créances;  les  autres,  de  1395  et  1397,  sont  dans  le  même 
esprit. 

Toutes  les  fables  ridicules  et  les  conjectures  qui  ont  été  faites  et 
débitées  sur  Nicolas  Flamel  prenaient  leur  source  dans  une  erreur 
première,  qui  leur  faisait  supposer  qu'en  effet,  il  avait  fallu  d'im- 
menses richesses  pour  exécuter  tout  ce  que  ce  personnage  avait  fait. 
Il  a  suffi  à  un  homme  de  sens ,  pour  anéantir  toutes  ces  fables ,  d'é- 
carter d'abord  celte  supposition.  M.  l'abbé  Villain,  dans  son  Histoire 
de  la  paroisse  Saint-Jacques  de  la  Boucherie,  et  Histoire  de  Nicolas 
Flamel  et  de  Pernelle,  son  épouse ,  prouve ,  qu'à  l'exception  de  quel- 
ques bizarreries  de  caractère,  les  œuvres  et  la  vie  de  Nicolas  Flamel 
ne  sortent  pas  de  la  classe  des  événements  les  plus  communs.  Il  fait 
remarquer  que  la  profession  d'écrivain  était  très -lucrative  à  cette 
époque ,  antérieure  à  la  découverte  de  l'imprimerie ,  que  sa  femme, 
à  laquelle  il  survécut  plus  de  vingt  années,  avait  accru  sa  fortune 
par  une  donation  qu'elle  lui  fit  du  patrimoine  qu'elle  possédait;  et, 
enfin ,  après  un  recensement  fait  de  son  avoir,  il  est  démontré  que 
cet  homme ,  qui  vivait  avec  l'économie  la  plus  sévère ,  n'a  pas  dé- 
passé la  valeur  de  son  capital  dans  toutes  les  donations  ou  fondations 
qu'il  a  faites. 

Nicolas  Flamel ,  par  un  goût  naturel  aux  parvenus ,  aimait  à  re- 
produire son  effigie  et  d'autres  signes  caractéristiques  sur  les  monu- 
ments dont  il  était  le  fondateur  ou  le  bienfaiteur.  C'est  ainsi  que  l'on 
trouvait  son  effigie  et  celle  de  sa  femme  sculptées  sur  la  seconde  ar- 
cade du  charnier  des  Innocents.  Sa  statue  à  genoux  se  voyait  à  côté 
du  portail  de  Sainte-Geneviève  des  Ardents,  dans  la  Cité,  pour  la 
reconstruction  duquel  il  avait  donné  une  somme  d'argent,  en 
1402. 

Le  portail  de  l'église  Saint-Jacques  la  Boucherie ,  du  côté  de  la 
rue  Marivaux,  avait  été  bâti  en  1399,  aux  dépens  de  Nicolas  Flamel. 
La  maison  qu'il  habitait  faisait  le  coin  de  cette  rue  et  de  celle  des 
Écrivains ,  aussi  dans  le  siècle  dernier  on  voyait  encore  sur  ce  por- 
tail la  représentation  de  Flamel  et  de  Pernelle,  sa  femme,  et  sur  un 
pilier  de  cette  église,  près  de  la  chaire,  était  l'inscription  que  nous 


682  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

publions  aujourd'hui.  Cette  inscription  est  gravée  sur  une  pierre  de 
liais ,  sa  hauteur  est  deOm,58,  sa  largeur  de  0m,45  et  son  épaisseur 


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de  Om,04  ;  la  partie  supérieure  est  occupée  par  trois  figures  dessinées 
sur  le  plan  même  de  la  pierre ,  et  qui  ne  s'en  détachent  que  parce 


INSCRIPTION    FUNERAIRE    DE    NICOLAS    FLAMEL.  683 

que  la  pierre  a  été  fouillée  entre  les  figures.  Celle  du  milieu  repré- 
sente Jésus-Christ  tenant  le  monde ,  sous  la  forme  d'une  boule  sur- 
montée d'une  croix,  dans  la  main  gauche;  saint  Pierre,  une  clef  à 
la  main,  est  placé  à  droite,  et  saint  Paul,  armé  d'une  épée,  à 
gauche.  Entre  le  Sauveur  et  saint  Pierre ,  on  remarque  le  soleil',  et 
du  côté  de  saint  Paul,  la  lune.  Au-dessous  de  l'inscription  est  un 
squelette  couché  dans  un  suaire.  Quelques  vestiges  d'une  matière 
résineuse  et  noire,  que  l'on  était  dans  l'usage  de  mettre  au  fond  de 
ce  genre  de  gravure  pour  en  faire  ressortir  le  travail ,  sont  encore 
adhérents  à  cette  pierre ,  et  indiquent  que  le  fond  du  tableau  devait 
être  autrefois  de  cette  couleur. 

Cette  inscription,  mentionnée  par  tous  les  historiens  de  Paris,  et 
que  l'on  croyait  détruite  depuis  la  démolition  de  l'église,  a  été  re- 
trouvée récemment  par  M.  Dépaulis,  graveur  de  médailles,  chez  un 
marchand  de  curiosités  qui  avait  longtemps  cherché  amateur,  et  qui, 
n'en  trouvant  pas,  commençait  à  éprouver  un  dédain  pour  ce  monu- 
ment, qui  aurait  certainement  amené  sa  destruction  pour  toujours. 
311.  Dépaulis,  frappé  de  l'intérêt  qu'offrait  cette  pierre,  en  a  de  suite 
donné  connaissance  à  M.  Pontonnier,  chef  de  division  à  la  préfecture 
de  la  Seine,  qui  fit  un  rapport  à  M.  le  comte  de  Rambuteau,  pour  lui 
en  demander  l'acquisition.  C'est  donc  aux  soins  empressés  de  M.  Pon- 
tonnier que  nous  devons  la  conservation  de  ce  monument. 

M.  de  La  Villegille ,  membre  de  la  Société  des  antiquaires ,  chargé 
par  le  préfet  de  dire  son  avis  sur  l'authenticité  de  cette  pierre,  re- 
connut, après  un  examen  scrupuleux,  que  le  dessin  des  figures,  le 
caractère  des  lettres  employées  pour  l'inscription ,  l'orthographe  des 
mots,  tout  concourait  à  démontrer  que  cette  inscription  date  du  com- 
mencement du  XVe  siècle ,  et  est  bien  le  monument  funèbre  que 
Nicolas  Flamel  s'était  élevé  à  lui-même ,  qu'il  avait  fait  exécuter  de 
son  vivant  et  gardé  chez  lui  jusqu'à  sa  mort.  M.  de  La  Villegille  a 
constaté  la  différence  qui  existe  entre  l'original  et  les  diverses  copies 
qu'en  ont  données  les  historiens  de  Paris;  celle  entre  autres  renfermée 
dans  le  recueil  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale ,  des  épitaphes 
des  personnes  remarquables  inhumées  dans  les  églises  de  Paris,  ce 
qu'il  attribue  au  peu  de  soin  que  l'on  apportait  autrefois  à  la  repro- 
duction des  inscriptions,  comme  aussi  à  la  difficulté  de  les  lire  lors- 
qu'elles étaient  placées  à  une  trop  grande  hauteur. 

Cette  pierre,  après  avoir  été  scellée  à  un  pilier  de  l'église  Saint- 
Jacques  de  la  Boucherie,  suivant  les  intentions  de  Flamel,  y  est  restée 
jusqu'à  la  démolition  de  l'église.  Alors,  c'est-à-dire  vers  l'an  t797, 


684  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

cette  table  de  pierre  aura  semblé  pouvoir  être  de  quelque  utilité  à  un 
habitant  du  voisinage,  qui  l'aura  achetée. 

Ce  monument  était  depuis  six  ans  en  la  possession  d'un  marchand 
de  curiosités ,  qui  le  tenait  de  l'un  de  ses  confrères ,  qui  lui-même 
l'avait  acheté  à  une  fruitière  de  la  rue  Saint- Jacques  de  la  Boucherie, 
qui  s'en  servait  pour  mettre  dessus  ses  épinards. 

M.  de  La  Villegille,  ayant  fait  partager  sa  conviction  sur  l'authen- 
ticité de  ce  monument  à  M.  le  comte  de 
Rambuteau,  le  préfet  en  fit  l'acquisition 
pour  le  compte  de  la  ville.  On  eut  d'abord 
l'idée  de  le  placer  dans  la  tour  de  Saint- 
Jacques  de  la  Boucherie;  mais,  sur  la  de- 
mande de  M.  le  ministre  de  l'intérieur, 
M.  le  comte  de  Rambuteau  en  a  fait  don  au 
musée  de  Cluny,  où  il  se  voit  dans  une  des 
salles  du  rez-de-chaussée. 

La  tour  de  l'église  Saint-Jacques  de  la 
Boucherie,  dont  nous  donnons  ici  un  dessin, 
s'élève  aujourd'hui  muette  et  solitaire,  car 
il  y  a  déjà  longtemps  que  l'édifice  dont  elle 
faisait  partie  a  cédé  la  place  à  un  marché 
public.  Cette  tour,  remarquable  par  son  élé- 
vation et  la  beauté  de  son  travail ,  ne  fut 
terminée  que  sous  le  règne  de  François  Ier. 
Ce  curieux  monument,  vendu  à  l'époque  de 
la  révolution  comme  propriété  nationale,  a 
été  utilisé  jusqu'en  1836,  par  un  fabricant 
de  plomb  de  chasse  ;  à  cette  époque  , 
M.  Pontonnier,  dont  nous  avons  déjà  cité 
le  zèle  pour  la  conservation  de  nos  monu- 
ments historiques ,  contribua  puissamment 
à  en  faire  faire  l'acquisition  par  la  ville  de 
Paris,  pour  la  somme  de  250,000  francs. 
(Voir  le  Dictionnaire  historique  et  topogra- 
phique  des  rues  et  des  monuments  de  Paris , 
1  vol.  in-8°.)  Le  pied  de  cette  tour,  maintenant  dégarni  des  maisons 
qui  s'appuyaient  dessus,  porte  les  empreintes  des  dégradations  occa- 
sionnées par  ces  constructions  modernes,  et  qu'il  conviendrait  de 
restaurer.  J.  A.  L. 


L'EGLISE    DE    BOUGIVAL 

(  SEINE-ET-01SE.  ) 


Le  village  de  Bougival  ne  consiste  pas  seulement  dans  cette  ma- 
gnifique chaussée  qui  présente  une  suite  de  jolies  maisons,  aussi 
remarquables  par  leurs  décorations  et  leurs  dispositions,  que  par 
leur  agréable  situation ,  et  que  la  voie  de  fer  de  Saint-Germain  a 
déshéritée  du  passage  des  voyageurs.  La  majeure  partie  du  village  est 
groupée  dans  une  gorge  fort  pittoresque,  irrégulièrement  ouverte  et 
montueuse,  qui  ne  laisse  apercevoir  son  église  que  quand  on  y  est  en 
quelque  sorte  arrivé.  Nous  allons  tâcher  de  donner  la  monographie 
de  ce  petit  édifice ,  qui  mérite  vraiment  l'attention  de  l'archéologue  et 
du  curieux. 

Quoique  ce  lieu  ne  se  trouve  mentionné  pour  la  première  fois 
que  dans  quelques  titres  du  XIIIe  siècle  ;  il  est  bien  évident  pour 
nous  qu'il  a  une  antiquité  plus  reculée.  Il  suffit  d'ailleurs ,  d'exa- 
miner son  église  pour  le  reconnaître.  La  sainte  Vierge  dans  son 
Assomption  en  est  la  patronne;  on  y  invoque  aussi  Saint- Avertin, 
qui,  après  avoir  été  archidiacre  de  Chartres,  gouverna  cet  évêché 
en  qualité  de  cor-évêque  (1),  du  vivant  de  Saint-Souleine ,  auquel 
il  succéda  sur  ce  siège,  et  mourut  l'an  528  (2).  On  conservait  autre- 
fois des  reliques  de  ce  saint  dans  cette  église  où  il  existait  une 
confrérie  en  son  honneur  qui  s'est  soutenue  jusqu'à  la  fin  du 
XVIIIe  siècle. 

Le  judicieux  abbé  Lebeuf  (3)  pense  que  quelque  abbaye  a  dû 
contribuer  à  l'érection  de  cet  édifice ,  et  que  ce  ne  peut  être  que  celle 
de  Saint-Florent  de  Saumur.  A  la  vérité,  ajoute-t-il,  cette  église  est 
petite  ,  mais  très-solidement  bâtie  :  le  chœur  paraît  être  de  la  fin 
du  XIIe  siècle.  Il  est  étroit,  ainsi  qu'on  les  bâtissait  alors,  mais 

(1)  Dignité  qui  consistait  à  suppléer  l'évêque  dans  ses  fonctions  pastorales  à  la 
campagne. 

(2)  Il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  un  bienheureux  du  même  nom  ,  mort  en  Tou- 
raine  l'an  1189,  et  où  son  nom  est  porté  par  un  bourg  arrosé  par  le  Cher,  qui  est 
posé  non  loin  de  Tours. 

(3)  Histoire  du  diocèse  de  Paris,  t.  VII ,  p.  168. 


686  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

voûté  aussi  bien  que  le  sanctuaire,  au-dessus  duquel  est  élevée  une 
belle  pyramide  de  pierres,  taillées  en  écailles  :  les  arcs  sont  en  demi- 
cercles  sans  pointes ,  et  quatre  petits  pavillons  de  pierre  en  ornent 
les  quatre  coins.  »  On  peut  juger  de  la  beauté  de  cette  tour  par  le 
dessin  que  nous  en  donnons. 


L'auteur  précité  dit  encore:  ce  La  nef,  quoique  seulement  lam- 
brissée, a  des  galeries  bouchées  et  des  colonnades  qui  sont  au  plus 
tard  du  XIIIe  siècle;  l'église  a  aussi  deux  ailes  terminées  par  des 
chapelles  bâties  également  dans  le  môme  siècle.  Son  portail  méri- 
dional paraît  être  d'une  construction  du  XIIe  siècle ,  ou  même 
du  XIe;  on  y  voit  la  statue  d'un  saint  évêque  qui  a  un  nimbe  der- 
rière la  tête  ;  il  tient  un  livre  de  la  main  gauche  ;  la  main  droite , 
qui,  ainsi  que  le  bras,  est  cassée,  devait  tenir  la  crosse.  »  Cette 
image  était,  au  dire  de  l'abbé  Lebeuf ,  celle  de  Saint- Avertin  ,  invo- 
quée dans  la  chapelle  voisine,  pour  obtenir  la  guérison  de  la  folie. 

Nous  aussi,  nous  avons  été  frappé  des  belles  proportions  de  cette 


l'église  de  bougival.  687 

église  dans  certaines  de  ses  parties;  mais  depuis  un  siècle  qu'elle  a 
été  examinée  par  le  laborieux  historien  du  diocèse  de  Paris,  combien 
a-t-elle  souffert  des  injures  du  temps  et  des  hommes!  Sa  curieuse 
tour,  surmontée  d  une  flèche  hexagone,  ne  se  soutient  plus  qu'à  l'aide 
de  charpentes  dont  sont  obstruées  les  arcades  de  communication  avec 
les  bas  côtés ,  et  qui  en  détruisent  les  lignes  autrefois  si  pures.  Il  ne 
nous  reste  d'espoir  ,  pour  conserver  ce  monument ,  que  de  le  voir 
classer  par  la  commission  des  monuments  historiques ,  dans  la  caté- 
gorie de  ceux  qu'elle  sauve  par  ce  moyen  de  la  destruction  ;  autre- 
ment, le  triste  état  des  finances  de  la  fabrique  ne  permettra  jamais 
de  faire  face  à  cette  dépense  excessive. 

La  nef  qui ,  beaucoup  plus  tôt  eut  également  besoin  d'urgentes  ré- 
parations ,  a  été  restaurée  de  nos  jours  par  des  barbares  qui  en  ont 
détruit  la  voûte  hardie  et  une  portion  notable  du  triforium,  figuré 
dans  l'attique,  des  deux  côtés  de  la  nef.  Ils  n'ont  trouvé  rien  de 
mieux  à  faire  non  plus,  que  de  murer  l'immense  rosace  dont  le  fron- 
tispice était  décoré ,  sans  doute ,  parce  que  leur  ignorance  ne  leur 
donnait  pas  les  moyens  de  la  consolider. 

Mais  c'est  surtout  au  dehors ,  que  ces  modernes  restaurateurs  se 
sont  complu  à  deshonorer  cet  édifice ,  en  lui  enlevant  le  cachet  si 
auguste  d'antiquité;  fort  heureusement  leurs  mains  sacrilèges  ont 
respecté  la  tour. 

Nous  sommes  d'avis ,  qu'en  fait  de  monuments  délabrés ,  il  vaut 
mieux  consolider  que  réparer ,  mieux  réparer  que  restaurer ,  mieux 
restaurer  qu'embellir,  et  que  dans  aucuns  cas  il  ne  faut  supprimer. 

L'abside  décrit  cinq  pans  ;  elle  était  jadis  éclairée  par  cinq  croisées 
étroites  et  allongées,  d'un  style  grave  et  sévère  ,  en  rapport  avec  le 
reste  du  monument,  elles  ont  toutes  été  murées  ;  il  serait  convenable 
de  les  rouvrir  à  tous  égards  ;  cette  partie  de  l'édifice  nous  semble 
beaucoup  trop  sombre,  quoique  nous  aimions  le  jour  mystérieux  dans 
nos  églises;  c'est  sans  doute  en  souvenir  des  cryptes  où  les  premiers 
chrétiens  se  retiraient  pour  leurs  exercices  de  religion ,  pendant  la 
persécution.  L'usage  des  lampes  et  des  cierges,  conservé  aujourd'hui 
même,  dans  les  églises  les  plus  éclairées,  est  dû  à  la  profonde  obscu- 
rité qui  régnait  dans  ces  souterrains,  et  ce  fut  encore  moins  pour 
les  décorer  que  pour  les  rendre  plus  sombres,  que  l'on  imagina,  au 
moyen  âge,  d'en  peindre  les  verrières  ;  le  goût  en  était  si  fort  répandu 
au  XIIIe  siècle,  que  nous  pensons  avoir  à  regretter  ceux  qui  gar- 
nissaient autrefois  ces  fenêtres  où  il  serait  facile  de  les  remplacer. 

Nous  ne  savons  ce  qui  a  déterminé  l'addition  de  la  construction 


688  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

insolite  qui  enferme  dans  l'église  l'ancien  portail  méridional  dont 
nous  avons  déjà  parlé;  sa  vaste  ouverture  ogivale,  dépourvue  de  ses 
portes,  est  libre.  Elle  était  autrefois  décorée  de  la  statue  de  Saint- 
Avertin,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut;  elle  ne  s'y  voit  plus; 
il  est  à  présumer  que  ce  sont  nos  iconoclastes  de  1793  qui  l'auront 
renversée  et  détruite. 

Avant  de  sortir  de  cet  édifice,  nous  rappelerons  que  l'inventeur  de 
l'étonnante  et  merveilleuse  machine  de  Marly  y  reçut  la  sépulture. 
Son  épitaphe,  gravée  sur  un  marbre  blanc,  était  placée  au  bout 
occidental  de  l'aile  méridionale  ;  elle  était  ainsi  conçue  :  Cy  gissent 
honorables  personnes  sieur  Rennequin  Sualem,  seul  inventeur  de  la 
machine  de  Marly,  décédé  le  29  juillet  1 708 ,  âgé  de  64  ans  ;  et  dame 
Marie  Houelle,  son  épouse,  décédée  le  4  mai  1714,  âgée  de  84  ans. 
La  veuve  Philibert,  de  Marly,  en  fit  l'acquisition,  lorsqu'on  la  vendit 
pendant  la  révolution.  Il  serait  fort  convenable,  il  nous  semble, 
de  restituer  ce  marbre  à  l'église  de  Bougival ,  pour  perpétuer  le  sou- 
venir de  ce  charpentier  liégeois,  qui,  dit-on,  ne  savait  pas  même 
lire;  ses  derniers  jours,  au  dire  des  historiens,  ses  contemporains , 
furent  abreuvés  d'amertume  et  de  dégoûts. 

T.  Pinard. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


L'Académie  des  Inscriptions  et  Belles-Lettres  a  procédé,  dans  sa 
séance  du  23  décembre  1846  ,  à  l'élection  d'un  correspondant 
en  remplacement  de  M.  Ideler,  décédé.  Les  candidats  présentés 
étaient,  1°  M.  Lobeck,  à  Kœnigsberg;  2°  M.  Panofka ,  à  Berlin  ; 
3°  M.  K.  F.  Hermann ,  à  Berlin ,  auxquels  l'Académie  avait  adjoint 
M.  Leemans  à  Leyde.  M.  Panofka,  a  réuni  la  majorité  des  suffrages. 

Dans  la  même  séance ,  l'Académie  a  pourvu  au  remplacement  de 
M.  Duboys-Aimé ,  correspondant  regnicole,  décédé.  Les  candidats 
présentés  par  la  commission  étaient,  1  °  M.  Long ,  à  Die  ;  2°  M.  Eichoff, 
à  Lyon;  3°  M.  Rouard ,  à  Aix;  auxquels  l'Académie  a  adjoint 
MM.  Fontanier  et  Prisse.  M.  Fontanier,  agent  diplomatique  à  Sé- 
rampour,  a  réuni  la  majorité  des  suffrages. 

Dans  la  séance  du  30  décembre,  l'Académie  a  procédé  au  renou- 
vellement de  son  bureau  annuel;  M.  Reinaud,  vice-président  sortant, 
est  monté  au  fauteuil  de  la  présidence ,  M.  Eugène  Burnouf  a  été 
élu  vice-président. 

—  Dans  sa  séance  du  9  janvier,  la  Société  royale  des  Autiquaires 
de  France  a  renouvelé  son  bureau ,  qui  est  ainsi  composé  : 

Président  :  M.  Taillandier  ; 

Vice-présidents  :  MM.  Ch.  Lenormant  et  Ph.  Le  Bas. 
Secrétaires  :  MM.  Léon  Renier  et  Grézy  ; 
Bibliothécaire  :  M.  Maury; 
Trésorier  :  M.  Vincent  ; 

Commission  des  impressions  :  MM.  de  La  Villegille ,  de  Longpérier 
et  Bourquelot. 

—  M.  Lottin  de  Laval,  jeune  et  courageux  artiste,  parti  il  y  a 
trois  années  pour  l'Orient ,  vient  de  rapporter,  après  avoir  enduré 
mille  fatigues  et  bravé  mille  dangers ,  une  collection  de  plâtres  mou- 
lés ,  par  un  procédé  qu'il  a  découvert ,  sur  des  monuments  perses  et 
assyriens  d'un  haut  intérêt.  A  la  différence  de  tant  de  voyageurs  qui, 
après  avoir  épuisé  les  sommes ,  quelquefois  considérables ,  que  le 
gouvernement  leur  a  allouées ,  reviennent  les  mains  vides,  M.  Lottin 
de  Laval  a  fait  des  sacrifices  pécuniaires  importants  dans  le  seul  in- 
térêt de  la  science.  Sa  récolte  est  abondante  et  lorsque  l'on  considère 
avec  quelle  habileté  il  a  su  reproduire  des  sculptures  du  plus  haut 
relief  ou  du  travail  le  plus  délicat ,  on  se  prend  à  regretter  que  le 


690  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

voyageur  n'ait  pas  été ,  par  l'envoi  de  quelque  argent ,  mis  à  même 
d'exécuter  le  vaste  projet  qu'il  avait  conçu ,  et  qui  consistait  à  mouler 
dans  leur  entier  les  grandes  sculptures  de  Persépolis ,  les  inscriptions 
du  même  lieu,  celles  de  Van  et  les  bas-reliefs  de  Schapour. 

A  défaut  de  ces  richesses,  que  le  procédé  inventé  par  M.  Lottin  de 
Laval  nous  permettra  peut-être  d'acquérir  un  jour,  les  nombreux 
échantillons  que  nous  avons  pu  examiner  seront  accueillis  avec  re- 
connaissance par  les  archéologues  et  les  artistes. 

Dans  le  prochain  numéro  de  la  Revue,  nous  donnerons  un  cata- 
logue détaillé  de  ces  monuments  dont  la  description  n'a  pu  trouver 
place  dans  cette  livraison. 

—  Dans  les  travaux  de  nivellement  que  M.  le  capitaine  Germain  , 
commandant  le  dépôt  de  remonte  du  Bec-Hellouin  (Eure),  fait 
exécuter  sur  l'emplacement  de  l'ancienne  abbaye  des  Bénédictins  du 
Bec-Hellouin,  on  a  trouvé  une  boîte  en  plomb  d'environ  0m,65 
de  long  sur  0m,40  de  large  et  0m,15  de  haut,  dans  laquelle  était 
parmi  des  ossements  et  quelques  parties  de  galons  d'argent ,  une 
inscription  gravée  sur  plomb,  qui  établit  l'authenticité  de  cette  sé- 
pulture. M.  Germain  a  bien  voulu  nous  transmettre  une  copie 
exacte  de  cette  inscription,  dont  l'original  est  encore  entre  ses  mains, 
elle  est  ainsi  conçue  : 

OSSA  ILLUSTRISSIME  D.  1).  MATHILDIS  IMPERATRICIS  INFRA  MA- 
JORE ALTARE  REPERTA  2  MARTI  1684,  IN  EODEM  LOCO  COLLOCATA, 
EODEM  MENSE  ET  ANNO. 

Mathilde  était  fille  d'Henri  Ier,  roi  d'Angleterre  et  duc  de  Nor- 
mandie, veuve  d'Henri  V,  dit  le  Jeune,  empereur  d'Allemagne,  et 
mère  d'Henri  H,  roi  d'Angleterre  et  duc  de  Normandie;  c'était  la 
petite-fille  de  Mathilde,  femme  de  Guillaume  le  Conquérant;  elle 
mourut  à  Rouen  en  1 167,  et  fut  inhumée  dans  l'église  du  prieuré  de 
Notre-Dame  du  Pré ,  aujourd'hui  Bonne-Nouvelle. 

D'après  la  chronique  de  l'abbaye  du  Bec-Hellouin ,  les  restes  de 
Mathilde  furent  transférés  du  prieuré  Bonne-Nouvelle  en  l'abbaye  du 
Bec,  et  déposés  dans  le  chœur,  devant  l'autel. 

En  l'année  1 684 ,  lorsque  les  religieux  du  Bec  firent  établir  les 
fondements  du  magnifique  autel  qui,  depuis  1793,  décore  le  chœur 
de  l'église  Sainte-Croix  de  Bernay,  on  découvrit  les  restes  de  l'impé- 
ratrice Mathilde  renfermés  dans  un  cuir  de  bœuf;  c'est  alors  qu'ils 
furent  placés  dans  la  boîte  de  plomb  qui  vient  d'être  retrouvée. 


DÉCOUVERTES   ET   NOUVELLES.  691 

—  M.  le  Ministre  des  travaux  publics  a  chargé  une  commission , 
composée  en  grande  partie  de  membres  de  l'Académie  des  sciences  et 
de  l'Académie  des  beaux-arts,  d'examiner  les  moyens  les  plus  propres 
à  assurer  le  succès  de  l'une  des  parties  les  plus  importantes  des 
travaux  qui  s'exécutent  depuis  plusieurs  années  à  la  Sainte-Chapelle 
de  Paris 5  cette  partie  des  travaux  s'applique  à  la  restauration  des 
vitraux  peints  qui  offrent  un  si  grand  intérêt.  La  commission ,  après 
avoir  entendu  plusieurs  verriers  habiles ,  et  passé  en  revue  leurs 
procédés,  a  été  d'avis  qu'il  serait  avantageux  d'ouvrir  un  concours 
sur  un  programme  donné,  et  auquel  seraient  appelés  à  prendre  part 
tous  ceux  qui  ont  fait  une  étude  spéciale  de  la  peinture  sur  verre.  Les 
artistes  et  fabricants  français  qui  désirent  être  admis  à  concourir , 
devront  adresser,  à  cet  effet,  une  demande  à  M.  le  Ministre  des 
travaux  publics,  avant  le  15  février  1847.  A  l'appui  de  leur  de- 
mande ,  ils  devront  justifier  de  ressources  industrielles  suffisantes 
pour  l'exécution  complète  de  la  restauration  projetée. 


Nécrologie.  —  L'archéologie  a  fait  depuis  la  publication  de  notre 
dernier  numéro,  une  perte  que  nous  avons  apprise  avec  un  regret 
d'autant  plus  vif  qu'elle  nous  prive  d'un  de  nos  collaborateurs  les 
plus  distingués  :  M.  L.  J.  J.  Dobois,  sous-conservateur  des  An- 
tiques du  Louvre,  est  mort,  à  Paris,  le  2  décembre,  à  l'âge  de 
soixante- six  ans. 

Il  n'était  point  un  savant,  et  n'a  jamais  eu  la  prétention  de  l'être. 
Mais  il  s'était  fait,  dans  l'archéologie,  une  place  à  part,  qui  ne  sera 
pas  remplie  de  longtemps. 

Son  éducation  fut  celle  d'un  artiste.  Élève  de  David,  il  avait  puisé 
dans  cette  école ,  le  sentiment  et  le  grand  goût  de  dessin  qui  la  dis- 
tinguait des  autres.  Toute  sa  vie,  il  a  été  un  excellent  dessinateur, 
non-seulement  de  l'antique,  mais  de  toute  espèce  de  figure. 

De  bonne  heure,  lié  avecMillin  et  plusieurs  antiquaires  du  temps, 
il  s'appliqua  à  l'étude  de  tous  les  monuments  figurés ,  principalement 
des  vases  et  des  pierres  gravées;  il  devint  en  ce  genre  un  des  meil- 
leurs connaisseurs.  Dans  ses  voyages  en  Grèce,  d'abord  en  1814  et 
1815,  par  les  ordres  de  M.  le  comte  de  Choiseul-Gouffier,  puis  lors 
de  l'expédition  deMorée,  il  rendit  plus  d'un  service  à  la  science. 
On  lui  doit  plusieurs  catalogues  raisonnes ,  tels  que  ceux  des  collec- 
tions de  Choiseul-Gouffier,  de  Mimaut,  de  Pourtalès,  où  l'on  re- 


692  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

marque  une  grande  sûreté  d'appréciation ,  une  simplicité  et  une 
brièveté  d'explication ,  qui  en  font  des  modèles  du  genre.  Son  ami 
Champollion  le  Jeune,  l'appela  au  Musée  du  Louvre,  pour  l'aider 
dans  le  rangement  du  Musée  égyptien  au  Louvre.  La  diversité  de 
ses  talents  ne  tarda  pas  à  lui  donner,  dans  cet  établissement,  une 
position  stable ,  et  le  rang  de  sous-conservateur  des  Antiquités.  Dans 
cette  place,  il  a  continué  de  rendre  les  plus  grands  services,  non- 
seulement  pour  le  classement ,  et  le  rangement  des  antiquités ,  mais 
pour  l'acquisition  des  objets,  faisant  fonction  d'expert.  Nul  mieux 
que  lui  ne  connaissait  leur  valeur  vénale,  et  n'appréciait  leur  au- 
thenticité. On  ne  cite  pas ,  dans  toute  sa  carrière ,  un  seul  exemple 
d'une  de  ces  méprises ,  dont  les  antiquaires  les  plus  habiles,  sans  en 
excepter  Visconti,  n'ont  pas  toujours  su  se  garantir. 

Dubois,  qui  n'écrivait  rien,  emporte  avec  lui  une  foule  de  détails 
curieux  ,  dont  il  se  proposait  de  faire  part  au  public ,  lorsque  la  mort 
l'a  enlevé  à  une  science  qu'il  aimait,  et  dont  il  aurait  certainement 
hâté  les  progrès,  s'il  avait  été  moins  modeste,  et  moins  défiant  de 
ses  forces. 

Le  dernier  travail  de  Dubois,  celui  qui  fera  vivre  sa  mémoire,  est 
le  dessin  des  poinçons  destinés  à  reproduire  typographiquement  les 
hiéroglyphes,  à  l'Imprimerie  royale.  Tout  le  monde  admire  l'élé- 
gance et  la  pureté  de  trait  de  ces  poinçons,  tirés  des  monuments 
pharaoniques  des  plus  beaux  temps. 

Dubois  préparait,  dans  les  derniers  années  de  sa  vie,  une  nou- 
velle édition  de  Y  Introduction  à  la  science  des  pierres  gravées  de 
Millin ,  son  maître.  Nul  n'a  été  plus  que  lui  versé  dans  cette  branche 
de  l'archéologie  et  au  courant  comme  il  l'était,  des  richesses  glyp- 
tiques contenues  dans  tous  les  cabinets  de  l'Europe,  il  eût  certaine- 
ment fait  de  cette  nouvelle  édition  un  ouvrage  entièrement  neuf  et 
plein  d'intérêt. 

Tous  ceux  qui  l'ont  connu ,  et  qui  ont  eu  recours  à  lui  pour  ob- 
tenir des  renseignements  l'ont  toujours  trouvé  bienveillant ,  commu- 
nicatif ,  tout  prêt  à  leur  dire  ce  qui  pourrait  leur  être  utile. 

Dubois  n'a  vécu  que  pour  la  science  à  laquelle  il  s'était  exclusive- 
ment consacré  ;  chargé  des  acquisitions  du  Musée  des  Antiques,  il 
s'est  acquitté  de  ces  fonctions  délicates  avec  une  probité  et  un  dé- 
sintéressement dont  témoigne  hautement  l'honorable  pauvreté  dans 
laquelle  il  est  mort. 


ANTIQUITÉS  EGYPTIENNES 


DU 


MUSEE   BRITANNIQUE 

(british  muséum). 


La  collection  d'antiquités  égyptiennes  du  Musée  britannique  est 
la  plus  vieille  et  l'une  des  plus  riches  de  l'Europe  :  c'est  notre  bril- 
lante et  aventureuse  expédition  sur  les  rives  du  Nil  qui  a  en  fourni 
le  noyau.  Les  objets  recueillis  en  Egypte  par  Sait,  Belzoni ,  Burton, 
Yani  et  quelques  dons  de  riches  particuliers  tels  que  lord  Prudhoe  , 
sir  G.  Wilkinson  ,  H.  Vyse,  etc.,  ont  successivement  augmenté 
cette  intéressante  série  du  Brilish  Muséum. 

Deux  superbes  lions  de  syénite  ouvrent,  d'une  manière  tout 
égyptienne,  l'entrée  de  la  galerie ,  appelée  the  Egyptian  saloon.  La 
première  chose  qui  frappe  les  regards  des  visiteurs,  et  surtout  des 
Français,  c'est  une  pompeuse  inscription  peinte  sur  les  plus  beaux 
monuments  de  la  grande  salle,  — la  pierre  de  Rosette,  le  sarcophage 
d'Amyrtée  ,  le  buste  colossal  de  Ramsès  et  autres ,  sur  lesquels  on 
lit  en  grands  caractères  : 

CAPTURED   IN   EGYPT    BY   THE   BRITISH   ARMY,    1801. 
PRESENTED   BY   KING   GEORGE   III. 

Sans  la  fermeté  et  le  courage  des  membres  de  l'Institut  d'Egypte, 
cette  collection  serait  bien  plus  nombreuse.  Le  troisième  article  de 
la  capitulation  qui  fut  offerte  à  Menou  par  le  général  anglais,  lord 
Hutchinson ,  portait  : 

«Quant  à  la  Commission  des  Sciences  et  Arts,  elle  n'empor- 
tera aucun  des  monuments  publics,  ni  manuscrits  arabes,  ni  cartes, 
ni  dessins,  ni  mémoires,  ni  collections,  et  elle  les  laissera  à  la  dis- 
position des  généraux  et  commandants  anglais.» 

A  peine  les  savants  de  l'expédition  eurent-ils  connaissance  de  cet 
article  de  la  capitulation  qu'ils  s'adressèrent  au  général  Menou  pour 
protester  contre  le  pouvoir  abusif  qui ,  sans  les  consulter,  aliénait 
ni.  45 


694  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

leur  propriété  individuelle  et  les  dépouillait  du  fruit  de  leurs 
travaux.  Obligé  de  reconnaître  la  justice  de  leur  réclamation  ,  Menou 
écrivit  au  général  anglais  qui  refusa  de  résilier  cette  étrange  condi- 
tion. Les  membres  de  l'Institut  députèrent  alors  vers  le  général  en- 
nemi trois  de  leurs  collègues,  MM.  Geoffroy,  Delille  et  Savigny, 
chargés  de  lui  déclarer  que  la  violence  dont  ils  se  voyaient  menacés 
était  contraire  à  toutes  les  lois  des  nations ,  et  que  s'il  persistait  à 
exiger  leurs  dessins,  manuscrits  et  collections,  ils  les  jeteraient  à  la 
mer  et  dénonceraient  à  l'Europe  l'odieux  attentat  qui  frappait  en  eux 
le  monde  civilisé.  Cette  détermination ,  qui  menaçait  d'anathème  le 
nom  de  Hutchinson,  fit  révoquer  sa  mesure  spoliatrice.  Ce  fut  ainsi 
que  nos  savants  sauvèrent ,  par  la  seule  énergie  de  leur  caractère , 
le  précieux  trésor  de  documents  qu'ils  avaient  recueilli  au  milieu  des 
dangers  et  des  privations  de  tout  genre.  Les  monuments,  considérés 
comme  propriété  nationale ,  tombèrent  en  la  possession  des  Anglais 
et  figurent  aujourd'hui  au  British  Muséum  en  témoignage  de  la  va- 
leur britannique.  Le  grand  ouvrage  intitulé  Description  de  V Egypte , 
ce  beau  livre ,  destiné  par  son  prix  à  ceux  qui  n'ont  pas  le  loisir  ou 
la  volonté  de  le  lire ,  fut  notre  seul  trophée  de  cette  mémorable 
campagne  (1). 
Parmi  les  monuments  tombés  entre  les  mains  des  Anglais ,  par 

(1)  On  aime  autant  à  connaître  le  caractère  des  auteurs  qu'on  lit  que  celui  des 
gens  qu'on  rencontre  dans  le  monde;  il  n'est  pas  hors  de  propos  de  dire  ici  que 
l'instigateur  des  mesures  qui  ont  failli  nous  priver  de  tous  les  matériaux  recueillis 
par  les  savants  de  la  commission  ,  est  M.  William  Harnilton ,  l'illustre  auteur  d'un 
ouvrage  beaucoup  trop  estimé  et  intitulé  :  JEgypliacu  or  some  accounl  of  Ihe 
ancient  and  modem  state  of  Egypt  as  obtainedin  ihe  years  1801-1802.  1  vol. 
in-4°  de  texte  et  1  vol.  pet.  in-fol.  de  planches  (fort  mal  dessinées).  Lbndoh ,  1800. 

Martin,  dans  son  Histoire  de  l'expédition  d'Egypte,  t.  II,  p.  291  ,  rapporte 
que:  «  M.  Hutchinson  était  poussé  dans  cette  a  flaire  par  un  M.  Harnilton  qui  désirait 
infiniment  s'approprier  les  travaux  faits  par  les  Français  en  Egypte M.  Hut- 
chinson se  désista  enfin  de  ses  prétentions  ;  M.  Harnilton  même,  se  rapprochant  de» 
membres  de  la  Commission,  leur  demanda  la  permission  d'aller  les  voir  à  Alexan- 
drie ,  dans  l'espoir  au  moins  de  Jouir  de  la  \ue  de  leurs  beaux  dessins ,  les  assurant 
qu'il  n'avait  rien  tant  à  cœur  que  de  regagner  leur  estime  et  leur  confiance; 
qu'étant  venu  dans  le  même  but  qu'eux ,  il  désirait  profiter  de  leurs  lumières  et  de 
leur  expérience.  Les  trois  commissaires  lui  promirent  au  nom  de  leurs  collègues  de 
faire  tout  ce  qui ,  sous  ce  rapport,  pourrait  lui  être  agréable-  M.  Harnilton  vint  en 
effet,  et,  après  avoir  vu  une  grande  partie  des  dessins,  il  proposa  à  quelques-uns 
des  membres  de  la  Commission  de  retourner  avec  lui  dans  la  haute  Egypte;  il  alla 
même  jusqu'à  lés  engager  à  publier  en  Angleterre  le  résultat  de  leurs  travaux , 
leur  promettant  les  plus  brillants  effets  de  la  munificence  du  gouvernement  anglais. 
Mais  on  lui  ferma  la  bouche  par  un  seul  mot  :  «  Si  vous  étiez  dans  la  même  position 
«  que  nous,  lui  dit-on,  viendriez-vous  en  France?  »  Il  sentit  la  justesse  de  cette 
réplique  et  se  tut.  a 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  695 

suite,  de  là  capitulation  d'Alexandrie,  figure  en  première  ligne  la 
fameuse  pierre  de  Rosette  dont  la  triple  inscription  a  été,  comme  on 
sait ,  la  source  féconde  de  l'interprétation  des  écritures  égyptiennes. 
Près  de  cent  ouvrages  ont  été  écrits  sur  ce  précieux  monument,  et 
nous  dispensent  d'entrer  ici  dans  aucun  détail  à  ce  sujet.  Nous  men- 
tionnerons seulement  la  belle  découverte  de  M.  de  Saulcy  (1)  qui 
complète  l'étude  philologique  du  décret  des  prêtres  de  Memphis  en 
faveur  de  Ptolémée  Epiphane. 

Le  fameux  sarcophage ,  trouvé  à  Alexandrie  dans  la  mosquée  de 
Saint- Athanase  et  décoré  si  pompeusement  par  les  Anglais  du  nom 
de  tombeau  a" Alexandre  le  grand ,  fait  aussi  partie  de  leurs  dépouilles 
opimes  (2).  Ce  sarcophage  de  brèche  verte  paraît  avoir  contenu  la 
momie  d'un  roi  dont  le  nom,  fort  difficile  à  lire,  a  toujours  été  con- 
sidéré comme  celui  d'Amyrtée,  pharaon  de  la  vingt-huitième  dynastie, 
qui  réussit  à  délivrer  l'Egypte  du  joug  des  Perses  et  s'empressa  de 
réparer  leurs  dévastations.  L'exécution  des  hiéroglyphes  et  des  figu- 
rines qui  couvrent  ce  magnifique  sarcophage  est  parfaite,  et  l'on  est 
tenté  de  croire ,  vu  la  longueur  d'un  pareil  travail  sur  la  matière  la 
plus  dure,  que  le  premier  soin  de  ce  pharaon ,  dont  le  règne  dura 
seulement  six  ans ,  fut  de  commander  son  tombeau.  La  pensée  de  la 
mort  était  la  préoccupation  journalière  des  Égyptiens  ;  elle  se  ma- 
nifeste dans  tous  les  actes  de  leur  vie,  ils  semblent  n'en  avoir  jamais 
envisagé  que  le  dernier  terme  :  ils  ont  consacré  toute  la  force ,  toute 
la  puissance  dont  ils  étaient  animés  à  rendre  leur  cadavre  impéris- 
sable, à  lui  faire  une  demeure  indestructible,  à  édifier  ce  qu'ils  ap- 
pelaient une  maison  éternelle. 

Deux  autres  sarcophages ,  possédés  aujourd'hui  par  les  Anglais , 
étaient  également  destinés  à  orner  notre  collection  nationale  :  l'un  , 
en  granit  noir,  a  fait  longtemps  au  Caire,  au  bas  de  l'escalier  de 
Gama-el-Goury ,  l'ornement  d'une  citerne  que  les  Égyptiens  appe- 
laient la  Fontaine  des  Amants,  et  sur  laquelle  ils  débitaient  maints 
contes  merveilleux.  Il  avait  été  taillé  et  soigneusement  sculpté  pour 
contenir  la  dépouille  mortelle  et  perpétuer  la  mémoire  d'un  scribe 
royal ,  nommé  Hapimen.  L'autre  sarcophage ,  en  basalte  noir,  est 
aussi  d'un  superbe  travail.  Il  porte  le  nom  d'Amasis ,  pharaon  de  la 
vingt-sixième  dynastie  (3),  qui  usurpa  la  couronne  sur  Apriès. 

(1)  Voy.  Analyse  grammaticale  du  texte  démotique  du  décret  de  Rosette,  par 
F.  de  Saulcy,  t.  ï ,  lre  partie,  1  vol.  in-4.  Paris ,  1845. 

(2)  Pour  avoir  une  idée  de  ce  monument  voyez  Description  de  l'Egypte.  Anti- 
quités ,  vol.  V,  pi.  40. 

(3)  \ royez  Description  de  l'Egypte.  Antiquités  1 1.  V,  pi.  25. 


696  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Deux  petits  obélisques  de  basalte  noir  portent  les  légendes  d'Amyr- 
tée  en  l'honneur  du  dieu  Thoth  Ibiocéphale  (le  second  Hermès) 
auquel  ce  pharaon  paraît  avoir  voué  un  culte  tout  particulier.  Les 
légendes  hiéroglyphiques  gravées  sur  les  quatre  faces  disent  que -Je 

Souten  et  le  Hit,  seigneur  du  monde,  <jsoleil approuvé  par  Moui>, 

le  fils  du  soleil,  <Meri-Thot,  Nacht  Hor  em  Hebi^>,  vivant  comme 
le  soleil,  a  fait  exécuter  ce  monument  en  Vhonneur  du  dieu  Thoth,  deux 
fois  grand ,  seigneur  de  Schmoun  (Hermopolis),  seigneur-dieu,  grand, 
et  a  érigé  les  obélisques  dans  la  demeure  du  dieu.  Ces  deux  obé- 
lisques, dont  les  hiéroglyphes  sont  sculptés  avec  une  rare  perfection, 
ont  été  trouvés  au  Caire  et  paraissent  provenir  des  ruines  de  Mem- 
phis.  lis  ont  été  gravés  dans  le  grand  ouvrage  de  la  Commission  (l). 

Deux  poings  colossaux  en  granit,  capturés  aussi  par  l'armée  bri- 
tannique, sont  parfaitement  placés  dans  cette  collection.  C'est  un 
véritable  emblème  national  que  tout  Anglais  doit  considérer  avec 
orgueil.  Ces  deux  poings,  qui  proviennent  des  ruines  de  Memphis, 
sont  connus  par  divers  dessins  et  ont  été  souvent  reproduits. 

A  côté  de  ces  monuments  conquis  par  la  valeur  britannique,  sui- 
vant l'expression  du  docteur  Young,  on  en  voit  d'autres  dont  tout 
paraissait  assurer  la  possession  à  la  France,  et  qui  ont  été  acquis  sur 
notre  sol  par  l'argent  britannique  ;  ce  sont  la  Table  dAbydos  et  le 
sarcophage  dïOnkhnas.  J'écrirais  volontiers  sur  ces  deux  monuments: 

CAPTURED   IN   FRANCE   BY   THE   BRITISH   MONEY,    1834-1837. 

La  table  d'Abydos,  cette  vénérable  page  de  l'histoire  égyptienne, 
semblait  devoir,  à  plus  d'un  titre,  orner  le  Musée  royal  du  Louvre. 
Elle  avait  été  acquise  en  Egypte  par  M.  Mimaut ,  consul  général  de 
France,  qui  l'apporta  à  Paris.  A  sa  mort,  survenue  peu  de  temps 
après  son  arrivée,  sa  collection  fut  mise  en  vente  et  la  table  d'Abydos 
fut  achetée  par  les  conservateurs  du  Brilish  Muséum  pour  la  somme 
de  quatorze  mille  francs.  C'est  ainsi  que,  par  une  misérable  spécu- 
lation des  héritiers  de  M.  Mimaut,  ce  précieux  monument,  vendu  à 
l'enchère,  a  passé  au  Musée  britannique,  dont  il  est  un  des  plus 
beaux  ornements. 

Cette  Table  célèbre  a  été  plusieurs  fois  décrite  et  dessinée  ;  après 
tout  ce  qui  a  été  dit,  pour  en  parler  de  nouveau  il  faudrait  écrire 
un  mémoire  sur  les  dynasties  égyptiennes.  Je  me  bornerai  en  pas- 
sant à  noter  ici  que  le  catalogue  de  la  collection  Mimaut,  dressé  par 
M.  J.  J.  Dubois ,  contient  une  notice  intéressante  sur  l'état  de  con- 

(1)  Voyez  Antiquités ,  t.  V,  pi.  XXI  et  XXII. 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  697 

servation  de  ce  précieux  monument  et  un  examen  critique  des  copies 
qu'en  ont  données  divers  voyageurs  (1). 

La  Table  d'Abydos,  qui  est  en  calcaire  d'un  grain  fin  et  dont  plu- 
sieurs parties  ont  été  détruites,  est  aujourd'hui  maladroitement  en- 
castrée dans  un  cadre  de  pierre;  il  eût  été  plus  intelligent  de  laisser 
un  peu  d'espace  autour  de  ce  curieux  fragment  pour  le  restaurer  et 
lui  rendre  sa  valeur  primitive  en  figurant  par  un  trait  rouge  tout  ce 
qui  a  disparu ,  soit  avant ,  soit  depuis  sa  découverte. 

Une  autre  spéculation  a  mis  aussi  le  British  Muséum  en  possession 
du  plus  beau  sarcophage  connu,  celui  qui  avait  contenu  la  momie 
de  la  reine  Onkhnas,  épouse  d'Amasis.  On  ne  saurait  trop  flétrir  de 
pareils  marchés,  quand  ils  sont  faits  par  des  fonctionnaires  de  l'État, 
qu'une  mission  conduit  en  pays  étranger.  Lors  du  voyage  fait  à  Thèbes 
par  le  navire  français  le  Luxor,  les  officiers  de  l'équipage  trouvèrent, 
près  du  temple  de  Tmei  et  Hâthor,  un  superbe  sarcophage  de  basalte 
vert  tout  sculpté  de  bas-reliefs  et  d'inscriptions.  Séduits  par  la  beauté 
de  la  pierre  autant  que  par  les  qualités  du  travail,  ils  le  firent  tirer  à 
grand' peine,  par  les  matelots,  d'un  puits  funéraire  de  cent  vingt- 
cinq  pieds  de  profondeur,  avec  les  cabestans  d'un  bâtiment  de  l'État, 
l'apportèrent  en  France  avec  l'obélisque ,  et  le  vendirent  au  Musée 
royal  de  Londres  (2).  Triumph  of  the  buitish  money  over  the 
frenchnavy!  La  loi  n'atteint  pas  de  semblables  félonies ,  mais,  à  dé- 
faut de  châtiment  infligé  par  les  tribunaux,  l'opinion  publique,  cette 
justice  suprême  de  la  société ,  doit  punir  les  auteurs  de  ce  genre  d'in- 
civisme ,  et  punir  sévèrement,  tant  l'exemple  est  contagieux ,  tant  la 
chose  devient  fréquente  : 

This  is  a  common  vice  ,  though  ail  things  hère 
Are  sold,  and  sold  unconscionably  dcar. 

Le  magnifique  sarcophage  d'Onkhnas  est  couvert,  tant  à  l'intérieur 
qu'à  l'extérieur,  d'inscriptions  hiéroglyphiques  qui  retracent  à  plu- 
sieurs reprises  le  nom  de  la  défunte  dont  l'image,  sous  les  attributs 
d'Hâthor,  est  sculptés  en  haut  relief  sur  le  couvercle  du  sarcophage. 
Le  nom  de  la  reine  Onkhsen  ou  Onkhnas  Re  nofre  Hét,  est  beau- 
coup plus  fréquent  sur  les  monuments  de  la  vingt-sixième  dynastie 
que  celui  de  son  époux,  AmAsis-NeWise.  En  effet,  les  légendes  du 

(1)  Cf.  Description  des  Antiquités  égyptiennes,  etc.,  composant  la  collection 
de  feu  M.  Mimaut.  Paris,  1837,  p.  19  et  suiv. 

(2)  Voyez  au  sujet  de  ce  sarcophage  un  intéressant  article  de  M.  Champollion- 
Figeac  dans  le  Moinleur  du  25  juillet  1833.  —  Voy.  aussi  Synopsis  or  guide  book 
oflhe  British  Muséum,  p.  4.  London,  1843.  —  Léon  de  Joannis,  Campagne  pit- 
toresque du  Luxor,  p.  143  et  suiv. 


608  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sarcophage  disent  que.  cette  reine  eut  pour  mère  Netocris,  épouse 
de  Psammetik  II.  Amasis;  qui  usurpa  la  couronne  d'Apriès  et  épousa 
la  sœur  de  ce  pharaon,  gouvernait  pour  ainsi  dire  au  nom  de  la  reine, 
qui  succédait  à  Iacouronne,  à  défaut  d'enfant  mâle  ;  le  titre  qu'elle  porte 
dans  son  cartouche — Re  nofre  Eêt  est  un  véritable  prénom  royal. 

Il  est  probable  qu'au  jour  de  l'invasion  des  Perses ,  ce  sarcophage, 
tiré  de  son  caveau  royal ,  fut  caché  au  fond  d'un  puits  dont  quelque 
traître  livra  le  secret.  Le  sarcophage  fut  ouvert,  et  la  momie  dorée , 
après  avoir  subi  sans  doute  des  outrages  pires  que  ceux  infligés  au 
corps  d' Amasis ,  fut  brûlée  près  du  cercueil.  Le  puits,  à  demi  comblé 
aujourd'hui ,  renferme  plusieurs  chambres  sépulcrales  qui  paraissent 
n'avoir  jamais  reçu  de  décoration. 

Revenons  maintenant  aux  autres  monuments  contenus  dans  cette 
salle,  et  commençons  par  les  deux  superbes  lions  qui  en  décorent 


Sfë  «  (M^BôfljâgiH  ^  Çgi£>e&g.  i5S4£  v^M 


»  *MuULl4^''''t>'■,''^l^^"T7i^u1^tît^,;;it^!Aii•'i^^^^liT,u  ••••!"Mjilwiilli!Hj|||i_„„    m      .  „|| 


l'entrée.  Ils  ont  été  rapportés  de  Gebel  Barkal  par  lord  Prudhoe 
qui  en  a  fait  présent  au  Musée  britannique.  Ces  deux  lions  de  gra- 
nit rose  sont  d'un  admirable  travail  et  probablement  le  chef-d'œuvre 
de  la  plus  belle  époque  de  la  sculpture  égyptienne.  Ils  reposent  l'un 
sur  le  flanc  gauche,  l'autre  sur  le  flanc  droit,  la  tête  tournée  vers  le 
spectateur,  les  pattes  de  devant  croisées  et  l'une  des  pattes  de  der- 
rière retournée.  Il  y  a  un  naturel  parfait  dans  ce  repos  et  une  mol- 
lesse étonnante  dans  les  chairs  de  ces  lions  de  syénite  :  ils  semblent 
pétrifiés.  L'un  d'eux  était  brisé,  mais  les  fragments  ont  été  réunis 
avec  soin,  et,  ainsi  restaurés,  ils  nous  ofl'rent  ce  que  l'art  égyptien  a 
laissé  de  plus  beau  et  de  plus  noble  en  ce  genre. 
Ces  monuments  portent  diverses  inscriptions,  celle  qui  se  lit  sur 


ANTIQUITÉS  ÉGYPTIENNES.  699 

la  base  de  celui  que  nous  représentons  ici  se  traduit  :....  L'approuvé 
des  dieux  ,  le  roi  seigneur  des  deux  terres ,  seigneur  des  autres  choses 
royales  < soleil  seigneur  des  Mondes>,  le  fils  du  soleil  seigneur  des 

diadèmes  <CAmoun >  a  réparé  ou  embelli  les  édifices  de  son  père, 

le  roi  seigneur  des  deux  mondes  <soleil  seigneur  de  justice,  germe  (?) 
du  soleil>,  le  fils  du  soleil  <CAmounôph,  directeur  d'Egypte^-  a  fait 
(le  lion)  avec  ses  constructions  à  son  père  Amon-Ra,  seigneur  des  trônes 
ai  monde,  à  Athom  ,  seigneur  de  la  terre  de  Pouné et  à  Ioh-Thoth;  il 
Va  fait  afin  d'être  vivifié  comme  le  soleil  à  toujours.  Cette  inscription 
n'occupe  qu'une  moitié  de  la  base  et  devait  être  complétée  par  une 
autre  qui  n'a  pas  été  gravée  :  sur  la  crinière,  on  voit  aussi  le  nom 
et  les  titres  d'Amounôph  III,  appelé  dieu  bienfaisant,  lion  des  rois, 
ou  modérateur,  etc.  Enfin,  au-dessous  de  cette  inscription,  on  lit  les 
cartouches  d'Amounasro. 


t  *m   ;  S^ 


Leemans,  qui  a  rapporté  ces  inscriptions  d'une  manière  assez  fau- 
tive (l),  prétend  que  le  cartouche  martelé  est  celui  d'Horus,  et  que 
le  roi  éthiopien ,  Amounasro  de  la  vingt-cinquième  dynastie ,  y  a 
laissé  subsister  seulement  le  mot  Amoun  pour  inscrire  à  la  suite  les 
signes  qui  achèvent  son  propre  nom.  Pourtant  la  fin  du  cartouche 
qu'on  voit  sur  la  poitrine  ne  concorde  certainement  pas  avec  celui  du 
roi  Horus ,  mais  suivant  toute  probabilité  celui  d'Amounôph  III.  Le 
cartouche  martelé  paraît  être  celui  de  Amountoonhh  ou  Amounonkh- 
tou,  dont  il  présente  encore  les  principaux  éléments.  Cette  inscrip- 
tion est  d'autant  plus  importante  qu'elle  fixe  la  place  de  ce  cartouche 
qu'on  ne  savait  encore  au  juste  dans  quelle  dynastie  ranger.  Mais 
cet  Amountoonkh  était-il  le  frère  aîné  d'Amounôph  III  comme 
le  prétend  Wilkinson?  Était-il  le  fils  aîné  de  ce  pharaon,  ou  tout  sim- 
plement son  gendre  ?  En  attendant  une  solution  précise  de  ces  ques- 
tions difficiles  dont  l'examen  dépasse  les  bornes  de  cet  article,  on  peut 
hardiment  placer  ce  cartouche  avant  celui  d'Horus  dans  les  listes  royales. 

(1)  Monuments  égyptiens ,  etc.,  pi.  XI  et  XII ,  p.  64. 


700  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Du  reste,  ce  monarque  a  dû  avoir  un  règne  assez  glorieux  pour  mériter 
un  souvenir  dans  l'histoire.  Plusieurs  pierres  employées  dans  les 
propylées  de  Karnac  et  le  pylône  de  la  salle  hypostyle  contiennent 
des  bas-reliefs  qui  portent  ses  légendes  et  des  fragments  de  scènes 
militaires  (l).  Dans  le  superbe  hypogée  de  Gournah  morrai,  creusé 
pour  un  gouverneur  des  terres  du  midi  (  l'Ethiopie  ) ,  le  royal  fils  de 
Kousch  présente  à  ce  pharaon  de  nombreux  tributs  en  anneaux  d'or, 
en  sachets  de  pierreries  et  de  matières  précieuses  ;  plus  loin  il  reçoit 
de  semblables  tributs  des  chefs  de  Lodan  ou  Rotennou.  Enfin,  on 
trouve  représentés ,  parmi  les  divers  fonctionnaires  qui  assistent  à  ces 
cérémonies,  un  purificateur,  un  grand  pontife  et  un  prêtre  d'Amoun- 
toonkh  (2) ,  personnages  dont  la  présence  atteste  suffisamment  les 
honneurs  rendus  à  ce  pharaon. 

L'autre  lion  porte  une  inscription  du  même  genre  que  la  précé- 
dente; elle  occupe  toute  la  base,  mais  les  cartouches  ont  dû  con- 
tenir primitivement  un  même  prénom  semblable  en  tout  à  celui 
d'Amenophis ,  qui  à  cette  époque  portait  les  mêmes  signes  hiérogly- 
phiques dans  les  deux  cartouches  de  sa  légende. 

Champollion ,  ni  Rosellini  n'ont  aperçu  cette  particularité  ;  sir 
G.  Wilkinson  (3)  est  le  premier  qui  a  remarqué  cette  identité  des  deux 
cartouches  primitifs  d'Amounôph.  J'ai  depuis  fait  la  même  observation 
sur  divers  cartouches  de  rois  de  la  même  dynastie,  et  je  n'ai  pu  encore  en 
trouver  une  raison  explicative.  L'inscription  gravée  sur  le  deuxième  lion 
met  en  évidence ,  pour  les  savants  dont  les  explorations  ne  sortent  pas 
des  musées  d'Europe,  que  lorsque  Amounôph  fit  sculpter  cette  dé- 
dicace il  portait  le  nom  et  le  prénom  composés  des  mêmes  signes. 

Il  est  probable  que  ces  lions  qui  étaient  placés  à  l'entrée  d'un 
dromos  des  temples  de  Djebel  Barkal,  selon  toute  apparence  l'an- 
cienne Napata,  capitale  de  la  basse  Ethiopie,  y  avaient  été  transportés 
de  Soleb  par  un  roi  éthiopien ,  nommé  Amounasro  ou  Asorouamon, 
qui  fit  graver  son  nom  sur  les  pattes  de  l'un  et  sur  le  cou  de  l'autre. 
A  en  juger  par  le  travail  et  par  la  place  qu'elles  occupent,  ces  légendes 

(1)  Voyez  Monuments  égyptiens,  bas-reliefs,  peintures ,  inscriptions ,  etc., 
d'après  les  dessins  exécutés  sur  les  lieux,  par  E.  Prisse  d'Avennes,  pour  faire 
suite  aux  Monuments  de  l'Egypte  et  de  la  Nubie,  de  Champollion  le  Jeune. 
1  yoK  grand  in-folio.  Paris,  Didot,  184G. 

(2)  Champollion,  qui  a  décrit  avec  soin  ce  tombeau  du  prince  d'Ethiopie  ,  n'ayant 
pas  eu  connaissance  d'autres  cartouches ,  qu'on  ne  trouve  complètement  conservés 
que  dans  les  ruines  de  Karnac  et  sur  quelques  amulettes ,  attribue  ce  nom  à  un  des 
Amcnothph.  «  Le  cartouche  du  roi,  dit-il,  p.  480  des  Notices  descriptive  s,  est  bien 
le  prénom  du  roi  Amenôph  ou  Aménémès  ou  Amenemsès.  » 

(3)  Maleria  Hierog.,  p.  87.  —  Topography  of  Thebes,  p.  473. 


ANTIQUITES  EGYPTIENNES.  701 

ont  été  sculptées  longtemps  après  celles  d'Amounôph  III.  L'époque 
précise  du  règne  de  ce  roi  éthiopien  est  assez  difficile  à  déterminer, 
mais  ,  d'après  le  style  des  hiéroglyphes ,  et  d'autres  circonstances,  on 
est  port  é  à  lecroire  contemporain  des  Ptolémées  plutôt  qu'à  lui  assigner 
une  place  dans  les  lacunes  laissées  par  les  monuments  entre  les  rois 
connus  de  la  XXVe  et  de  la  XXVIe  dynastie. 


On  remarque  dans  cette  première  salle  du  Musée  égyptien  un 
bloc  de  syénite  d'environ  quatre  pieds  de  hauteur  autour  duquel 
sont  taillées,  presque  en  ronde  bosse,  six  figures  qui  se  donnent 
la  main.  Il  y  en  a  deux  sur  les  faces  les  plus  larges  et  une  seulement 
sur  chacun  des  côtés.  Le  pharaon  Thoutmès  III,  qualifié  de  dieu 
bienfaisant,  soleil  stabililear  de  l'univers,  aimé  d'Amon-Ra,  y  est 
représenté  deux  fois  en  relief  plus  saillant  que  les  autres  figures, 


702  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

vêtu  de  la  schenlei,  et  coiffé  probablement  du  pschenl  qui  a  disparu. 


ii 


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^    î:    ni 

m    =    77, 


0 


1  et  5. 


3. 


6. 


Il  donne  la  main  d'un  côté  à  Mandou,  ou  Month-Ra,  seigneur  du 
ciel,  résidant  au  milieu  de  la  terre  de  puissance  (V Egypte),  et  de 
l'autre  à  Hâthor,  gardienne  de  la  terre  de  puissance,  dame  du  ciel, 
régente  des  dieux. 

Ce  monolithe  remarquable  par  la  beauté  et  le  poli  de  la  matière, 
l'est  encore  davantage  par  la  pureté  et  le  fini  du  travail.  Malheureu- 
sement il  a  été  fort  endommagé  :  les  pieds  de  toutes  les  figures  man- 
quent et  quelques  têtes  ont  été  brisées.  Il  gisait  au  milieu  des  ruines 
du  palais  de  Karnak,  en  face  du  promenoir  de  Thotmès,  où  l'on  voit 
encore  un  large  piédestal  qui  paraît  lui  avoir  servi  de  base.  Lors  de 
l'expédition  d'Egypte,  des  Français  avaient  l'intention  de  l'enlever, 
mais  ils  abandonnèrent  ce  projet  à  cause  des  difficultés  de  l'exécu- 
tion (l).  Il  fut  enlevé  et  expédié  en  Angleterre  par  Belzoni  pour  le 
le  compte  de  M.  Sait,  qui  le  céda  au  Musée  britannique ,  en  1821. 
Ce  monument  a  été  gravé  dans  la  Description  de  V Egypte,  A.  t.  III , 
pi.  XXXI,  mais  d'une  manière  assez  inexacte.  Les  hiéroglyphes 
en  sont  si  incorrects  que  Champollion  (  lettre  au  duc  de  Blacas)  avait 
lu  les  noms  de  Amon-Ra ,'  Mandouei,  Neith  et  le  roi  Thoutmosis, 
au  lieu  de  ceux  que  nous  avons  transcrits. 


(1)  «  If  we  may  judge  from  the  French  engraving  one  of  the  maie  figures  was 
«  entire  at  the  lime  when  their  drawing  was  madc  ;  and  Ihe  olher  was  cntire  ail 
«  but  the  head.  The  injury  was  possibly  done  in  the  atternpt  lo  remove  il.  »  (  The 
Brilish  Muteum,^.  37,  vol.  II).  Avis  aux  amateurs  qui  restaurent  leurs  dessins. 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  703 

Un  des  plus  curieux  spécimens  du  symbolisme  égyptien  est  un 
petit  monument  en  granit  noir,  représentant  une  barque  ou  bari 


(j^  jK 


..--// 


dont  la  proue  est  ornée  d'une  double  tète  d'Hâthor,  et  sur  les  bords 
de  laquelle  on  a  sculpté  les  yeux  d'Horus.  La  reine  est  assise  sur 
un  trône,  tenant  l'emblème  de  la  vie  divine;  debout  derrière  elle  le 


704  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

vautour  sacré ,  emblème  de  la  maternité  (Horap.  Hierog.,  I,  11), 
semble  la  protéger  de  ses  ailes.  Une  inscription  enfermée  dans  un 
long  cartouche  court  sur  les  deux  côtés  de  la  barque ,  et ,  si  l'on  exa- 
mine la  légende  qu'elle  contient  ou  plutôt  celle  qui  se  lit  aux  pieds 
de  la  reine,  près  d'un  groupe  d'offrandes,  on  voit  que  tout  ce  petit 
monument  est  une  allusion  au  nom  que  renferme  ce  cartouche, — 
la  royale  épouse,  la  grande,  la  mère  divine  Mauth-hem-ba  ou  Maute- 
moua,  qui  signifie  la  mère  dans  la  barque,  et  fut  porté  par  la  reine 
épouse  de  Thoutmès  IV  et  mère  d'Amenophis  III.  Ce  petit  monu- 
ment a  beaucoup  souffert  et  toute  la  partie  supérieure  de  la  figure 
et  les  extrémités  de  la  base  manquent  ;  il  fut  trouvé  dans  le  palais  de 
Louqsor,  où  Amounôph  l'avait  sans  doute  consacré  à  la  mémoire  de 
sa  mère. 

Deux  chambranles  de  porte  pris  dans  un  hypogée  des  environs  des 
pyramides  sont  d'une  haute  antiquité;  ils  décoraient  l'entrée  du 
tombeau  d'un  haut  fonctionnaire  nommé  Toti  qui  doit  avoir  vécu 
sous  le  règne  de  Schafre ,  pharaon  de  la  quatrième  dynastie.  Par  une 
flatterie  assez  commune  à  l'époque  des  premières  dynasties  et  qui  a 
été  remise  en  usage  sous  les  Saïtes,  les  noms  d'hommes  et  même 
de  femmes  étaient  souvent  composés  du  cartouche  du  roi  suivi  de 
quelque  épithète.  Ainsi,  un  des  fils  de  Toti  s'appela Schafre-ônkh, 
c'est-à-dire  le  vivant  Schafré;  un  autre  Schafre-osh,  le  glorieux  Scha- 
fre; une  fille  Schrafre-nofre....  la  bonne  Schafré.  Cette  particularité 
qui  avait  induit  en  erreur  plusieurs  égyptologues  (1),  a  été  signalée 
par  M.  Birch  dans  un  opuscule  sur  le  tombeau  qui  nous  occupe  (2). 

11  existe  au  Brilish  Muséum  deux  proscynèmes  et  des  petits  sphinx 
provenant  du  temple  compris  entre  les  pattes  du  grand  sphinx  des 
pyramides  de  Ghizeh. 


(1)  C'est  de  l'ignorance  de  ce  fait  que  provient  l'erreur  de  Rosellini  et  de  Wil- 
kinson  qui  ontqualiûé  Cheops  de  prêtre  royal,  parce  que  le  cartouche  de  ce  roi  en- 
trait dans  le  nom  d'uu  prêtre  attaché  à  son  service.  N.  L'Hôte  a  poussé  l'ignorance 
encore  plus  loin  en  donnant,  p.  32  de  ses  Lettres ,  l'image  d'un  fonctionnaire 
nommé  Papi-ônkh  pour  le  portrait  du  pharaon  Papi  lui-même.  Dans  ces  mêmes 
Lettres,  p.  47-48,  l'auteur  fait  descendre  Osorlasen  II  d'un  intendant  nommé 
Thoulopht.  «  Cette  circonstance  ,  dit-il,  est  un  fait  nouveau  acquis  à  l'histoire  des 
dynasties  égyptiennes.  Elle  est  mise  hors  de  doute  par  la  lecture  des  inscriptions 
qui  accompagnent  la  figure  du  roi.  »  Le  prétendu  pharaon  qui  marche  à  la  suite 
du  défunt  est  tout  simplement  son  troisième  (ils  qui  se  nommait  Osortasen-ônkh  , 
probablement  parce  qu'il  était  né  sous  le  règne  du  pharaon  de  ce  corn.  Les  Lettres 
de  N.  L'Hôte  fourmillent  d'erreurs  de  ce  genre  et  d'assertions  aussi  fausses  que  ridi- 
cules. 

(î)  Voy.  S.  Birch's  Description  of  an  Egyptian  Tomb,  in-4.  London ,  1841. 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  705 

Parmi  quelques  figures  de  divinités ,  de  grandeur  naturelle ,  on 
distingue  une  statue  du  dieu  Nil ,  appelé  en  égyptien  Hapi-moou , 
les  nombreuses  eaux,  par  allusion  à  tous  les  canaux  qui  fécondent 
la  vallée.  Derrière  la  jambe  du  dieu,  on  a  représenté  une  petite 
image  de  Scheshonk ,  pharaon  de  la  vingt-deuxième  dynastie. 

On  voit  un  fragment  d'u  n  naos  en  basalte  vert  taillé  sous 
le  règne  de  Nectanèbe  dont  le  cartouche-prénom  est 
inscrit  dans  les  franges  de  la  bannière.  Au-dessus  de 
la  corniche  de  ce  petit  monument,  il  reste  encore  une 
ligne  de  pattes  d'oiseaux  ;  ce  vestige  indique  qu'il  était 
couronné  d'une  rangée  de  volatiles,  de  vautours  ou 
d'ibis,  au  lieu  d'avoir,  comme  de  coutume ,  des  urœus 
ou  des  cynocéphales.  C'est  le  seul  exemple  de  ce  genre 
que  j'aie  jamais  rencontré.  Les  pattes  sont  trop  faibles 
pour  appartenir  à  des  vautours,  qui  sont  des  symboles 
de  l'hémisphère  supérieur  tandis  que  l'hémisphère  in- 
férieur est  représenté  par  un  urœus,  elles  doivent 
avoir  fait  partie  de  figures  d'Ibis ,  symboles  de  Thoth. 

Sur  le  sarcophage  n°  86  du  catalogue,  on  voit  un 
petit  pyramidion  en  pierre  calcaire  portant  les  lé- 
gendes d'Enintefnaa  que  j'ai  déjà  publiées  dans  cette 
Revue  (  t.  II ,  p.  7  ).  Ce  petit  monument  a  été  trouvé 
à  Gournah  et  offert  au  Musée  par  sir  G.  Wilkinson. 

Les  stèles  que  renferme  la  collection  du  British  Muséum  sont 
assez  nombreuses.  Parmi  celles  qui  portent  des  dates  et  des  légendes 
royales,  nous  citerons  les  suivantes  : 


m 


{;:/;°n;=ËMofâ 


MZVfiçirySEï 


3. 


f^î^dEMAfâ 


706  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

4. 


\i)  n  n  n  i  ©  ww^  n  •  •  i  wwwv 


Parmi  les  monuments  historiques  du  même  genre,  on  distingue 
encore  une  petite  stèle  en  calcaire,  grossièrement  peinte,  qui  repré- 
sente un  acte  d'adoration  à  Amounôph  Ier  ou  Amounôph  Resorka, 
suivi  de  sa  femme ,  Ames  ou  Âlimes-Nofreari  l'Éthiopienne,  et  d'une 
autre  reine ,  une  blanche,  uncÉgyptienne  sans  doute,  qui  bien  que  son 
titre  semble  la  désigner  comme  fille  du  roi,  me  paraît  avoir  été  une  de 
ses  femmes,  épousée  dans  la  vieillesse  du  pharaon.  Le  dicton  égyptien 
d'aujourd'hui  avait  peut-être  déjà  cours  alors.  «Prends  une  noire  pour 
le  plaisir  et  une  blanche  pour  les  yeux.  »  La  reine  Ames  Nofreari, 
toujours  peinte  en  noir  (2),  paraît  être  une  Éthiopienne  de  sang  royal 
dont  la  plupart  des  pharaons  de  la  dix-huitième  dynastie  et  des 
dynasties  thébaines  postérieures,  sont  issus  et  à  laquelle  ils  ren- 
dirent des  honneurs  religieux.  Le  nom  ne  se  retrouve  point  dans  le 


(1)  La  plupart  des  légendes  hiéroglyphiques  qui  entrent  dans  cette  notice  présen- 
tent des  incorrections  inhérentes  aux  caractères  typographiques  qu'on  a  voulu  em- 
ployer pour  en  faciliter  l'impression.  N'ayant  pu  obtenir  de  l'Imprimerie  royale  un 
texte  plus  correct,  après  deux  mois  de  délais ,  on  a  été  forcé  de  laisser  subsister 
ces  erreurs  en  se  réservant  de  les  signaler. 

JS°*  1,  2  et  3.  Tous  les  signes  de  ces  trois  inscriptions  sont  exacts  :  ils  ne  sont  pas 
groupés  de  la  même  manière  que  sur  les  monuments  originaux,  mais  le  seus  n'en 
est  pas  altéré. 

N°  4.  Il  manque  au-dessus  du  cartouche  le  signe  symbolique  du  ciel. 

N°  5.  Les  deux  segments  de  sphère  qui  suivent  les  deux  parties  du  Pschent  de- 
vraient être  placés  au-dessous  de  ces  coiffures  royales. 

(2)  Une  peinture  des  tombeaux  de  Gournah  représente  Amounftph  Iev  peint  en 
noir  comme  un  Éthiopien.  Voy.  aussi  Charapolllon  ,  Monuments  de  l'Egypte  et  de 
la  Nubie.  PI.  CLXII. 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  707 

tableau  de  famille  d'Amounôph  Ier  (1),  ni  dans  uue  autre  liste  dé- 
couverte à  Thèbes  par  un  de  mes  amis,  G.  Lloyd  de  Brynestyn. 


Une  stèle  ptolémaïque,  portant  le  n°  147,  offre  une  grande  ana- 
logie avec  la  stèle  de  M.  Harris  que  j'ai  publiée  dans  mes  Monuments 
Égyptiens.  Voy.  pi.  XXVI. 

Enfin  une  stèle  en  grès  du  règne  de  Tiberius  César.  Cet  empereur 


«i*=(ÎESE1^XQ!ïl 


y  est  représenté  agenouillé,  faisant  offrande  à  Mauth  et  àKhons  (2). 

Il  y  a  encore  diverses  stèles  de  l'époque  romaine,  mais  elles 
manquent  de  cartouches  et  de  dates. 

Parmi  les  stèles  funéraires  qui  ne  portent  point  de  légendes  royales 
et  ne  contiennent  que  des  actes  d'adoration  et  des  prières,  la  plus 
intéressante ,  non-seulement  du  Musée  britannique .  mais  encore  de 
toutes  celles  connues  jusqu'à  ce  jour,  est  une  petite  stèle  en  pierre 

(1)  Conf.  Monuments  Égyptiens }  etc.,  pi.  III. 

(2)  Les  caractères  de  l'Imprimerie  royale  ont  forcé  de  disposer  les  signes  de  ces 
deux  cartouches  autrement  que  sur  l'original ,  mais  la  lecture  reste  la  même. 


708  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

calcaire,  dont  sir  G.  Wilkinson  avait  publié  une  partie  dans  son 
Panthéon  et  que  je  viens  de  publier  en  entier  dans  mes  Monuments 
Égyptiens  y  pi.  XXXVII.  La  partie  supérieure  est  occupée  par  une 
déesse  vue  de  face  et  placée  debout  sur  un  lion  passant  :  elle  présente 
dune  main  un  bouquet  de  lotusàAmon  Rhat-en-nouf(i),  et  de  l'autre 
deux  serpents  à  Ranpo  ou  Renpho ,  divinité  dont  le  rôle  n'est  pas 
connu  et  qui  ne  se  rencontre  que  sur  des  monuments  de  ce  genre , 
jamais  dans  les  temples,  que  je  sache.  La  légende  de  la  déesse,  qui  se 
traduit  Koun,  reine  absolue  du  ciel,  semble  indiquer  que  cette  divinité 
représente  le  principe  femelle  de  la  nature ,  en  rapport  avec  Amon, 
le  principe  mâle ,  et  un  autre  dieu  qui  complète  peut-être  cette 
triade  à  la  manière  indienne  et  paraît  indiquer  la  destruction.  La 
divinité  représentée  dans  le  registre  inférieur,  et  à  laquelle  les 
défunts  adressent  leur  prière,  est  Anla  ou  Tanata  (avec  le  t  article 
féminin  ),  l'origine  primordiale  du  grec  eàva-roç,  la  mort,  et  qui  a  la 
même  signification  dans  les  langues  sémitiques.  Tanata  est  la  com- 
pagne habituelle  du  dieu  Ranpo. 

Il  existe  au  Brilish  Muséum  un  autre  petit  monument  en  pierre 
calcaire ,  portant  de  chaque  côté  une  figure  en  bas-relief.  L'une  re- 
présente Ramsès  le  grand,  tenant  l'emblème  des  panégyries  fTt, 

et  l'autre,  la  déesse  ^JJ^,  montée  sur  un  lion ,  tenant  d'une  main 
des  lotus  et  de  l'autre  des  serpents.  La  déesse  ne  porte  aucun  nom, 
mais  tout  l'ensemble  de  cette  représentation  ne  laisse  aucun  doute 
sur  l'identité  des  déesses  auxquelles  sont  consacrées  l'une  et  l'autre 
stèle ,  non  plus  qu'à  l'égard  des  attributs  mutilés  sur  celle  que  j'ai 
publiée  et  qui  paraît  aussi ,  par  son  beau  style ,  remonter  à  l'époque 
de  la  dix-huitième  dynastie. 

On  voit  encore  dans  cette  salle  plusieurs  fragments  de  peintures 
sur  enduit  de  terre  qui  ont  été  arrachées  dans  les  hypogées  de 
Thèbes.  Ils  sont  compris  sous  les  numéros  169  à  181,  et  furent  pré- 
sentés en  1834  par  sir  H.  Ellis,  directeur  du  Musée. 

On  peut  juger,  partout  ce  qu'il  existe  au  Brilish  Muséum  de 
fragments  brutalement  détachés  des  ruines  égyptiennes,  que  les 
Anglais  ont  plus  dévasté  que  nous.  S'ils  n'entretiennent  point  le  pu- 
blic des  nombreuses  déprédations  de  Sait ,  de  Bob-slraw ,  lieck ,  etc., 
ils  ne  manquent  pas  de  mentionner  l'enlèvement  par  Champollion 

(1)  Koun,  en  égyptien ,  signifie  les  aines  sans  distinction  de  sexe  :  avec  l'article 
féminin  le  cunnus  des  latins,  dont  il  est  évidemment  l'origine. 


ANTIQUITES  EGYPTIENNES.  709 

d'un  bas-relief  du  tombeau  de  Menepthah,  à  Thèbes  (1) ,  et  de  le  dé- 
signer à  tous  les  visiteurs  comme  l'auteur  de  mutilations  exercées 
par  d'autres.  J'ai  passé  bien  des  heures  à  effacer  des  injures  et  des 
malédictions  prodiguées  à  l'immortel  auteur  de  la  Grammaire  égyp- 
tienne, et  entre  autres  cette  inscription,  parodie  d'une  célèbre  épitaphe  : 

CHAMPOLLION. 

Dost  thou  wish  to  behold  his  works ,  look  around. 

En  vérité,  regardez  donc  impartialement  autour  de  vous  et  con- 
fessez que  si  vous  comprenez  aujourd'hui  quelque  chose  à  ces  mysté- 
rieuses représentations ,  si  tous  ces  textes  ne  sont  plus  lettre  close , 
c'est  à  son  génie  que  vous  le  devez.  Dost  thou  wish  to  comprehend 
his  genins ,  look  around  and  try  to  read. 

Les  salles  supérieures  du  Musée  égyptien  contiennent  une  foule 
d'objets,  parmi  lesquels  je  remarquai  d'abord  des  cercueils  du  plus 
haut  intérêt ,  ceux  de  Menkaré,  d'Enintef ,  et  plusieurs  momies 
gréco-romaines. 

Le  cercueil  de  Menkaré  ou  Mycérinus,  dont  M.  Lenormant  a  ré- 
vélé l'existence  au  public  français,  en  traduisant  et  annotant  l'opus- 
cule de  M.  Birch ,  est  un  des  plus  intéressants  débris  de  l'antiquité 
égyptienne.  Composé  de  plusieurs  planches  de  bois  de  sapin,  ce  cer- 
cueil porte  une  inscription  hiéroglyphique  dont  la  signification 
prouve  non-seulement,  qu'il  a  servi  à  contenir  la  dépouille  mortelle 
de  Mankaré ,  mais  encore  qu  à  l'époque  de  la  quatrième  dynastie  la 
langue  égyptienne  était  déjà  fixée  et  écrite  avec  les  mêmes  caractères 
que  nous  retrouvons  encore  employés  trois  mille  ans  plus  tard  sur 
les  monuments.  Le  cartouche  de  Mankaré  offre  beaucoup  d'analogie 
avec  un  autre  qui  paraît  aussi  fort  ancien  ,  et  qui  pourrait  bien  en 
être  une  variante.  Le  Musée  du  Louvre  possède  un  scarabée  qui 
porte  ce  cartouche  doublé. 

Le  sarcophage  de  Mankaré,  trouvé  aussi  par  le  colonel  H.  Vyse 
dans  la  troisième  pyramide,  ne  portait  aucune  inscription  ,  et  était 
simplement  orné  comme  un  naos  égyptien.  Il  fut  embarqué  à  Alexan- 
drie, dans  l'automne  de  1838,  à  bord  d'un  navire  marchand  qui  nau- 
fragea  et  se  perdit  corps  et  biens  aux  environs  de  Carthagène. 

Le  colonel  H.  Vyse,  qui  a  fait  exécuter  d'importants  travaux  dans 
la  nécropole  de  Memphis,  a  dépensé,  dit-on,  environ  dix  mille  livres 

(1)  Ce  superbe  bas-relief  colorié  esl  déposé  dans  les  salles  basses  du  Louvre. 
III.  46 


710  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

sterling  (  deux  cent  cinquante  mille  francs  )  pour  faire  des  fouilles 
aux  pyramides  et  publier  le  résultat  de  ses  recherches.  Le  chiffre  est 
évidemment  fort  exagéré  :  avec  une  pareille  somme  il  y  aurait  de 
quoi  explorer  toute  l'Egypte  d'une  manière  plus  fructueuse. 

On  voit  dans  cette  même  salle  une  caisse  de  momie  entièrement 
dorée ,  couverte  de  légendes  royales  et  parfaitement  conservée  ,  qui 
fut  découverte,  en  1827,  par  les  Arabes  de  Gournah  dans  une  partie 
de  la  nécropole  de  Thèbes  appelée  Dra  abou  nagga.  Elle  était  dans 
un  sarcophage,  qui  n'a  jamais  été  détaché  du  roc  calcaire  dans  lequel 
a  été  creusée  Tunique  salle  du  petit  tombeau  isolé  de  ce  roi.  Au-des- 
sus des  linceuls  et  des  bandelettes ,  sur  la  tète  du  défunt,  on  trouva 
un  diadème  orné  de  l'uraeus  en  or,  et,  de  chaque  côté  du  corps,  deux 
arcs  et  des  flèches  armées  de  silex.  L'appât  du  gain  engagea  les 
Arabes  à  briser  la  momie  dans  l'espoir  d'y  trouver  un  trésor  ;  mais 
rien  ne  paraît  avoir  réalisé  leur  attente  :  la  momie  ne  contenait  au- 
cune chose  précieuse,  à  l'exception  d'un  scarabée  en  jaspe  vert,  monté 
en  or,  avec  une  inscription  de  cinq  lignes  sur  la  partie  inférieure,  et 
une  ligne  d'hiéroglyphes  autour  de  la  base.  La  caisse  fut  achetée 
par  un  Grec  nommé  Yanni  Athanasi ,  et  fut  vendue  à  Londres  en 
1835,  avec  la  collection  Sait.  Mais  pour  rendre  toute  sa  valeur  à  la 
caisse  dont  ils  avaient  sacrifié  la  momie  royale  à  l'envie  de  recueillir 
de  l'or,  les  Arabes  substituèrent,  au  corps  qu'elle  avait  renfermé, 
la  momie  d'un  prêtre  qui  fut  achetée  comme  la  dépouille  d'un  roi.  Le 
cadavre  du  pharaon ,  ou  plutôt  ses  membres  mutilés  restèrent  épars 
sur  le  sol  qui  les  avait  préservés  tant  de  siècles  de  l'avidité  des  con- 
quérants et  des  ravages  du  temps.  La  caisse  et  le  scarabée  se  trou- 
vent à  présent  dans  la  magnifique  collection  du  Musée  britannique. 
Le  diadème ,  objet  unique  par  le  genre  du  travail  autant  que  par  son 
antiquité,  tomba  en  partagea  d'autres  Arabes,  fut  vendu  séparé- 
ment ,  et  acquis  par  le  Musée  de  Leyde  avec  quelques  autres  anti- 
quités. Il  ressemble  par  sa  forme  aux  diadèmes  que  portent  les  pha- 
raons, et  au  signe  hiéroglyphique  du  mot  mour,  l~- \  le  chef,  le 
préposé.  11  est  formé  dune  bande  de  cuir  ornée  de  petites  plaques  d'or 
et  d'argent,  et  le  milieu  du  bandeau  est  décoré  d'un  urœus  d'or. 
Ces  renseignements  mont  été  fournis  à  Thèbes  par  l'associé  de 
Yanni ,  qui  a  bien  voulu  me  guider  dans  de  minutieuses  recherches 
pour  retrouver  le  tombeau d'Enintef,  comblé,  selon  toute  apparence, 
par  des  fouilles  postérieures. 

A  côté  de  ces  vieux  cercueils,  on  en  voit  d'autres  bien  moins  an- 
ciens ,  et  qui  datent  de  l'époque  gréco-égyptienne  :  ce  sont  deux 


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V 


ANTIQUITÉS  EGYPTIENNES. 

/>  Jt     ca'sses  de  momies  provenant  d'un  même  hy- 
X       P°gée  de  Thèbes ,  d'où  paraissent  aussi  avoir 

^J  été  tirées  la  momie  de  Petamenoph  rapportée 
par  M.  Cailliaud  et  qui  se  trouve  aujourd'hui  au 
Musée  royal  du  Louvre  (l),  celle  àePhaminis 
que  possède  le  Musée  de  Berlin  et  celle  de 
Sensaos  qui  est  au  Musée  de  Leyde.  Ces  di- 
verses momies  paraissent  avoir  appartenu 
aux  membres  d'une  puissante  famille  établie 
-*A  J  1    à  Thèbes  sous  les  règnes  de  Trajan ,  d'Ha- 

*1~Q  I  drien  et  d'Antonin  le  Pieux.  La  collection 
égyptienne  du  Louvre  contient  encore:  1°  une 
toile  de  momie  représentant  un  portrait  en 
pied  d'un  membre  de  cette  famille,  vêtu  de 
la  toge  romaine  et  environné  d'attributs  égyp- 
tiens; 2°  cinq  portraits  peints  à  l'encaus- 
tique représentant  des  parents  de  Soter  ; 
3°  enfin  trois  papyrus  qui  se  rapportent  àt 
d'autres  individus  ses  consanguins  ou  alliés.  Il 
y  aurait  un  intéressant  mémoire  à  faire  sur 
jcette  famille  avec  toutes  les  dépouilles  épar- 
ses  dans  les  divers  musées  de  l'Europe. 

La  forme  des  deux  cercueils  du  Musée  bri 
tannique  est  celle  du  tabout,  nom  donné  par 
les  Arabes  de  Gournah  aux  caisses  de  mo- 
mies qui  ne  dessinent  point  la  forme  du  corps, 
mais  sont  construites  carrément,  couvertes 
en  berceaux ,  et  dans  lesquelles  les  quatre 
montants  des  angles  s'élèvent  au-dessus  du 
cercueil.  Le  style  des  peintures  de  ces  deux 
caisses  est  de  la  même  époque,  les  scènes 
funéraires  qui  y  sont  peintes  sont  les  mêmes  ; 
enfin,  elles  contiennent  toutes  deux  des  re- 

fiw     Présentati°ns  zodiacales. 

^^Ê         Lune  de  ces  représentations  a  déjà  été 
publiée  dans  les  Transactions  of  ihe  royal  i 
Society  of  Literaturef  t.  III,  part.  ne.  Elle  est  peinte  à  l'intérieur 
du  couvercle  du  cercueil,  qui  renfermait  la  dépouille  ou  la  momie 

(1)  Voy,  Ch.  Musée  Charles  X,  p.  155. 


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712  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

d'un  nommé  Soter,  archonte  de  Thèbes,  ainsi  que  nous  l'apprend  l'in- 


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scription  grecque  peinte  sur  le  listel  d'un  petit  naos  qui  décore  l'ex- 
trémité du  cercueil  du  côté  de  la  tête  : 

CCOTHPKOPNHAIOYnOAAIOYMHTPOC0IAOYTOCAPXCONOHBCON5 

Les  légendes  hiéroglyphiques  expriment  aussi  le  nom  et  le  titre  du 
défunt  :  VOsirien  Soter,  le  ve'ridique ,  le  grand  chef  dans  sa  terre,  né 
de  l  Athorlenne  (1)  Philout.  Les  légendes  hiéroglyphiques  sont  cu- 
rieuses, en  ce  qu'elles  donnent  :  1°  l'équivalent  égyptien  du  mot 
archonte;  2°  le  nom  égyptien  de  la  mère  de  Soter;  enfin,  plusieurs 
variantes  du  nom  du  défunt  qui  démontrent  la  valeur  homophone  du 
carquois  et  du  segment  employés  indifféremment.  Outre  la  représen- 
tation des  signes  du  zodiaque ,  ce  cercueil  est  encore  décoré  du  ju- 
gement de  l'âme  du  défunt ,  scène  tout  à  fait  semblable  à  celle  qu'on 
rencontre  sur  la  plupart  des  rituels  funéraires.  Le  fond  du  cercueil 
est  orné  d'une  grande  figure  de  femme  d'un  style  gréco-égyptien. 

Le  deuxième  zodiaque  est  inédit,  mais  diffère  peu  du  précédent. 
La  forme  et  l'ordre  des  douze  signes  sont  les  mêmes ,  seulement  ceux 
qui  sont  peints  dans  le  premier  à  droite  de  la  figure  de  Nepte ,  le 
sont  dans  celui-ci  à  gauche.  Les  légères  différences  qu'on  remarque 
dans  l'ensemble  de  ces  deux  tableaux  semblent  n'avoir  aucune 
importance  réelle.  Cette  caisse ,  qui  contenait  la  momie  d'une 
femme  nommée  Cléopatra  dans  les  légendes  hiéroglyphiques ,  est 

(1)  Les  défunts  hommes  ou  femmes  étaient  généralement  appelés  Osiriens ,  Osi- 
Tiennes,  après  la  seizième  dynastie  et  leurs  corps  étaient  enveloppés  de  bandelettes, 
suivant  le  mode  usité  pour  cette  divinité.  Mais  à  l'époque  des  premières  dynasties  et 
à  la  renaissance  qui  eut  lieu  sous  les  Psammétiques,  on  voit  la  plupart  des  défuntes 
appelées  Athoritnnes  au  lieu  d'Osiricnnes.  On  sait  que  Hàthor  était  régente  de 
l'Amenti. 


ANTIQUITÉS  ÉGYPTIENNES.  713 

dénuée  d'inscription  grecque  ;  mais  le  style  des  peintures  me  porte 
à  croire  qu'elle  est  de  la  môme  époque  que  la  précédente.  J'ai  copié 
avec  soin  les  représentations  zodiacales  de  ces  deux  cercueils  ,  et  je 
les  ai  données  à  M.  Letronne  qui  les  publiera  probablement  dans  la 
deuxième  partie  de  son  Mémoire  sur  les  Zodiaques  égyptiens  (1). 

Les  vitrines  de  ces  deux  salles  renferment  divers  petits  monu- 
ments qui  portent  des  légendes  royales.  Un  des  plus  curieux  est  un 


cylindre  de  bronze  sur  lequel  est  gravé  non-seulement  le  cartouche 
de  Remai  ou  Maire,  mais  encore  une  bannière  appartenant  au  pha- 
raon Papi  ou  Apep  dont  le  cartouche  se  rencontre  très-souvent  avec 
celui  de  Maire.  Une  union  aussi  fréquente  me  paraît  attester  que 
cette  bannière  et  ces  deux  cartouches  doivent  être  attribués  à  la  lé- 
gende royale  d'un  seul  et  même  pharaon  ,  tous  ses  titres  rassemblés 
d'après  divers  monuments,  se  composeraient  ainsi ,  à  mon  avis  :  | 


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(1)  Voyez,  pour  de  plus  amples  détails  archéologiques  et  paléographiques  sur  ces 
curieuses  sépultures ,  le  savant  ouvrage  de  M.  Letronne  :  Observations  critiques  et 
archéologiques  sur  l'objet  des  représentations  zodiacales  qui  nous  restent  de 
l'antiquité,  à  l'occasion  d'un  zodiaque  égyptien  peint  sur  une  caisse  de  momie 
qui  porte  une  inscription  grecque  du  temps  de  Trajan.  In-S.  Paris ,  1824. 


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LU 


714  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  inscriptions  de  la  vallée  de  Qosseir,  de  Koum- el-Akhmar,  de 
Qasr-Essayad ,  de  Bercheh  ;  les  vases  de  la  collection  Abbott  ;  un 
petit  cylindre  conservé  au  Cabinet  des  Antiques  de  la  Biblio- 
thèque royale,  lequel  porte  la  bannière  ci-contre;  enfin, 
la  série  de  la  chambre  des  ancêtres  de  Thoutrnes  III ,  dans 
laquelle  il  n'a  point  été  ménagé  de  place  pour  le  nom  de 
Maire ,  qui  se  trouve  sur  les  inscriptions  des  hypogées  de 

'©Y  (7d 

Qasr  Es-sayad  et  ailleurs  toujours  placé  entre       ,L 

ii 


et 


— ces  divers  documents  rapprochés,  éclaircis  l'un  par  l'autre,  semblent 
ne  laisser  aucun  doute  sur  la  liaison  de  ces  deux  cartouches  et  l'iden- 
tité de  leur  bannière  commune.  Quant  aux  deux  colonnes  d'hiéro- 
glyphes du  cylindre,  dont  j'ai  donné  ci-dessus  le  développement,  elles 
contiennent  des  titres  qu'il  me  paraît  impossible  de  traduire  d'une  ma- 
nière satisfaisante  dans  l'état  actuel  des  études  égyptiennes ,  mais  je 
lésai  estimées  trop  intéressantes  pour  négliger  de  les  reproduire  ici. 
Une  petite  feuille  d'or  porte  les  deux  cartouches  ci-dessous ,  sur 


Pi 

Lî 


LI 


l'authenticité  desquels  on  a  élevé  quelques  doutes ,  mais  que  je  crois 
d'autant  plus  orthodoxes  qu'ils  se  retrouvent  sur,  la  table  d'Abydos , 
numéros  21  et  22,  première  ligne. 

Une  tablette,  formée  de  toile  préparée  avec  du  stuc,  a  été  évidem- 
ment quadrillée  en  rouge  par  un  artiste  de  l'époque ,  pour  réduire  ou 
proportionner  une  figure.  Il  y  a,  en  effet,  tracé  l'image  d'un  pharaon 
assis  et  portant  d'une  main  la  masse,  et  de  l'autre  une  canne. 
Le  cartouche  peint  à  côté  de  cette  figure  est  un  nouveau 
prénom  qui  semble  devoir  trouver  place  dans  la  dix-huitième 
dynastie,  et  qu'on  a  pris  à  tort  pour  une  variante  du  prénom 
de  Thoutrnes  III.  Les  variantes  contiennent  des  titres  divers 


O 
7 

Lî 


ajoutés  au  nom ,  mais  jamais  un  signe  qui  en  change  complètement 


ANTIQUITÉS  ÉGYPTIENNES.  715 

le  sens.  Malheureusement ,  on  n'a  pas  encore  rencontré  le  nom  qui 
doit  accompagner  ce  prénom  ;  et  à  l'époque  où  cette  esquisse  a  été 
tracée ,  certes  les  pharaons  portaient  déjà  dans  leur  légende  le  double 
cartouche. 

1|  On  voit  aussi  des  objets  nécessaires  à  la  toilette  des  dames 
i  d'autrefois:  des  peignes  en  bois,  des  petits  vases  à  parfums 
^^  et  à  cosmétiques,  des  vases  ou  étuis  de  diverses  matières 
pour  contenir  la  poudre  noire,  le  sthêm  dont  les  Égyptiennes, 
comme  les  Arabes,  se  coloraient  le  bord  des  paupières.  L'un 
d'eux,  en  faïence  blanche,  porte  le  prénom  à'Amountuonkh 
et  celui  de  sa  femme  Amounonkhsen  ou  Onkhsen  Amoun  (1). 

\    ^  y 

I  Enfin ,  un  petit  naos  de  bronze ,  qui  contient  une  Jk 

'  •    image  d'Amoun-Ra ,  présente  sur  un  de  ses  montants l— ~ 
3^    la  bannière  et  le  prénom  de  Siphthah,  le  mari  de  la 


© 
m 


\ 


reine  Taoser  ou  Taosra ,  de  la  dix-neuvième  dynastie  (2) 

La  bannière  est  nouvelle;  celle  que  j'ai  découverte  à 

Thèbes    porte  :   Le  seigneur  des  Panégyries ,   comme 

l'y     Pthah  Toutounen.  Le  prénom  offre  une  variante  où  ne 

\?*V    figure  pas  le  titre — Approuvé  du  Soleil,  qui  est  joint  1L~ 


ordinairement  au  groupe  initial  de  ce  cartouche. 


O 


Les  grandes  divinités  égyptiennes,  dont  se  compose  le  pan- 
théon du  Musée  britannique,  sont  réparties — les  plus  grandes 
dans  les  salles  basses ,  les  plus  petites  dans  les  vitrines  des  ^-^ 
salles  supérieures,  et  ne  sont  point  classées  suivant  le  rang  que  yjQ 
tenait  chacune  d'elles  dans  le  système  théogonique.  La  plu- 
part des  statuettes  et  figurines  que  renferment  les  armoires  furent 
des  objets  d'un  culte  privé  professé  dans  l'intérieur  des  familles ,  ou 
des  amulettes  portées  par  dévotion  ;  elles  sont  toutes  de  petite  di- 
mension ,  et  quelques-unes  sont  aussi  précieuses  sous  le  rapport  de 
l'art  que  sous  celui  de  la  matière. 

Parmi  les  nombreuses  images  d'Amon ,  le  roi  des  dieux,  on  dis- 
tingue une  statuette  d'argent  dont  les  ornements  sont  damasquinés 
ou  plaqués  en  or.  Cette  figurine,  du  plus  précieux  travail,  a  été 
trouvée  dans  les  habitations  incendiées ,  au  nord  du  palais  de  Kar- 

(1)  Le  nom  d'Amon  dans  ce  dernier  cartouche,  devrait  être  écrit  comme  il  l'est 
généralement  dans  tous  les  textes,  mais  l'emploi  des  caractères  de  l'Imprimerie 
royale  a,  sans  doute,  forcé  le  Prote  à  le  composer  ainsi. 

(2)  Voyei  Ch.  Lettres  écrites  d'Egypte,  p.  255. 


*eC 


716  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

nac.  On  voit  à  côté  une  statuette  du  même  dieu  sous  une  autre 
forme  :  c'est  une  image  en  bronze  d'Amoun-Harsaphès  ou  Kha- 
moun,  tenant  d'une  main  l'aspersoir  mystique,  de  l'autre  son  phallus 
dans  toute  son  intumescence.  Ses  pieds  reposent  sur  les  neuf  arcs , 
emblèmes  des  peuples  barbares  ;  au-devant,  on  a  gravé  le  cartouche 
de  la  reine  Onkhnas  ou  Onkhsen  Renofre  hêt ,  l'épouse  d'Amasis. 
La  légende  du  dieu  se  traduit  :  «  Amoun-Ra  ,  le  fécondateur  (  Rhat 
en  nouf)  (l),  résidant  au  cœur  de  Thèbes,  vivificateur,  etc.  » 

Viennent  ensuite  plusieurs  images  d'Amon,  de  Mauth,  Khons, 
Noum-Pthah  ,  Neith ,   Sevek ,  Osiris ,  Isis  ,  et  autres  divinités   du 
panthéon  égyptien.  Je  m'arrête  seulement  ici  à  celles  qui  présentent 
quelques  particularités  remarquables. 
Une    petite    statuette    de 
Pascht-  Méréplûa  ,   une   des 

¥  formes  de  Neith  ,  donne  un 
curieux  symbole  employé  au 
lieu  de  son  nom  phonétique. 
Ce  signe,  qui  paraît  repré- 
senter un  sistre ,  en  égyptien 
schash,  est  une  variante  re- 
marquable du  nom  symboli- 

û  4  que  de  cette  déesse ,  écrit 
tantôt  par  une  lionne,  et  tan- 
tôt par  un  vase  qui  sert  ordi- 
nairement   de    déterminatif 

^mT   pour  indiquer  les  corps  gras. 

Une  statuette  de  Nofre- 
Athom,  debout  sur  un  lion 
couché. 

Une  figurine  en  or  d'Ha- 
Ihor  Boucéphale. 

La  statuette  qui  fait  l'objet 
de  notre  vignette ,  paraît  d'é- 
poque grecque  ou  romaine  ; 
elle  représente  le  dieu  appelé 

(1)  Rhat  kn  nouf,  Emanans  semen.  J'adopte  ici  la  lecture  de  M.  Lanei  qui 
me  parait  beaucoup  plus  orthodoxe  et  plus  claire  que  la  version  Mari  de  sa  mére , 
proposée  par  Champollion  et  adoptée  sans  examen  sur  l'autorité  du  maître.  Le 
sens  de  celte  légende  est  démontré  dans  un  ouvrage  intitulé  :  De  VI nier pré talion 
des  Hiéroglyphes,  que  publie  en  ce  moment  M.  Lanci. 


PJ 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES. 


717 


Onouris  par  Champollion,  qui  en  fait  le  Mars  égyptien  ,  principe  de 
désordre  et  de  destruction ,  et  par  suite  dieu  de  la  guerre.  C'est  un 
pataeque  barbu ,  portant  sur  la  tète  un  diadème  de  plumes  surmonté 
d'un  petit  naos  renfermant  un  bœuf.  Ce  dieu  trapu,  vêtu  d'un  court 
jupon  appelé  shantei,  porte  un  bouclier  de  la  main  gauche  et  brandit 
un  glaive  de  la  droite.  Cette  divinité,  dont  le  véritable  nom  hiérogly- 
phique paraît  inconnu,  n'est  jamais  représentée  sur  les  sculptures; 
elle  offre  beaucoup  d'analogie  avec  le  dieu  Ranpo  ou  Renpho,  et 
semble  être  une  forme  de  Pthah  ou  de  Seth.  Il  est  bien  démontré 
que  ces  dieux  lares  appelés patœques  étaient  également  et  indifférem- 
ment chez  les  Grecs  Hercule  et  Vulcain  ,  avec  lesquels  les  divinités 
égyptiennes  offrent  une  analogie  remarquable. 

On  trouve  encore  dans  ces  vitrines  beaucoup  de  petites  divinités 
et  d'images  de  génies  qui  ne  sont  guère  connues  que  par  le  rituel  fu- 
néraire. 

Après  les  divinités  viennent  les  animaux  qui  leur  étaient  consa- 
crés, et  qui  en  étaient  le  symbole.  On  sait  que  le  cynocéphale  et 
l'ibis  étaient  des  emblèmes  du  dieu  Thoth  dans  différentes  fonctions  : 
le  lion,  d'Horus  et  d'Athom  ;  la  lionne,  de  Mauth  et  de  Pascht  ;  le 
bélier,  d'Amon  et  de  Noum;  le  crocodile,  de  Sevek;  le  chacal,  d'Anu- 
bis  ;  l'oie,  de  Seb  ;  un  héron  appelé  ben  (  ardea  bubulcus  ) ,  d'Osiris  ; 
le  scarabée,  de  Thoré  ;  le  scorpion,  de  Selk,  etc. 


□  mi 


La  mygale  ou  musaraigne  paraît  avoir  été  consacrée  à  Mauth  ou 
Buto.  Elle  n'est  jamais  représentée  dans  les  bas-reliefs ,  et  on  en 
trouve  rarement  des  figurines.  Celle  que  représente  notre  vignette 
est  en  bronze  et  d'un  beau  travail;  le  corps  est  couvert  de  trois  disques 

ailés,  symboles  de  Hat.  L'inscription  du  piédestal  %k  A  Hp 

Hor  Neb  Skhem  vivificateur,  semblerait  indiquer  que  cet  animal  était 
consacré  à  Horus. 

On  remarque  aussi  dans  cette  collection  un  oxyrhyncus ,  poisson 


718  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

consacré,  selon  quelques  auteurs,  à  Hathor,  dame  de  Sné,  ou  suivant 
Champollion  à  Thot  ou  à  la  Lune.  Celui  que  représente  notre  vi- 
gnette est  un  bronze  provenant  de  Thèbes  ;  il  porte  sur  la  tête  un 
disque  flanqué  de  cornes  et  orné  d'un  uraeus,  coiffure  ordinaire  de 
la  déesse  Hâthor. 


Dans  les  salles  supérieures ,  de  nombreuses  vi  trines ,  élevées  en 
forme  de  naos  égyptien,  contiennent  plusieurs  momies  humaines 
avec  leurs  triples  enveloppes  de  bandelettes,  de  cartonnage  et  de  bois, 
couvertes  de  peintures.  Dans  les  armoires  environnantes,  on  voit  une 
collection  d'animaux  momifiés,  des  chacals,  des  singes,  des  chats, 
des  crocodiles ,  des  éperviers,  des  ibis,  et  un  poisson  doré  à  museau 
pointu,  probablement l'oxyrhincus. 

A  l'entour  de  ces  momies,  on  a  réuni  une  foule  de  petits  objets 
qui  ornaient  et  consacraient  les  cadavres  :  des  tissus,  des  réseaux 
formés  de  perles  et  de  tubes  d'émail,  et  des  verroteries  de  toutes  cou- 
leurs qui  dessinent  des  ornements  ayant  servi  de  couvertes  et  de 
ceintures  à  ces  momies  ;  de  petites  figurines  en  terre  émaillée  per- 
cées d'un  trou  ;  des  scarabées  de  même  composition  qui  se  trou- 
vaient aussi  enfilés  au  cou  des  momies,  placés  dans  leurs  mains, 
derrière  leurs  oreilles,  entre  les  couches  de  bandelettes,  ou  noyés 
dans  le  bitume  qui  les  préservait.  Ceux  de  ces  derniers  qui  sont  de 
grande  dimension  portent  ordinairement  une  prière  extraite  du 
Rituel  funéraire.  Cette  prière,  constamment  la  même,  ne  diffère 
que  par  le  nom  du  défunt.  Les  amulettes  de  bois ,  de  pierre,  et  les 
petites  divinités  étaient  placées ,  soit  auprès ,  soit  dans  l'intérieur 
des  cercueils. 

On  voit  encore,  rangés  avec  ordre  dans  ces  vitrines,  une  foule  d'ob- 
jets qui  nous  initient  aux  usages  et  aux  mœurs  des  anciens  Égyptiens  • 


ANTIQUITÉS  ÉGYPTIENNES.  719 

Une  grande  variété  de  vases  de  toutes  formes,  de  toutes  couleurs, 
en  terre,  en  poterie,  en  faïence,  en  albâtre  ,  en  serpentine,  en  stéa- 
tite  et  en  bronze;  quelques-uns  portent  des  légendes  royales. 

Parmi  les  meubles ,  j'ai  distingué  des  chevets  ou  accotoirs  appelés 
ouols,  faits  de  diverses  matières  et  semblables  à  ceux  dont  se  servent 
encore  les  Ababdehs  et  les  Nubiens  pour  dormir  sans  déranger  leur 
coiffure.  J'ai  remarqué  aussi  un  fauteuil  en  bois  de  sandal  incrusté 
d'ébène  et  d'ivoire,  d'un  galbe  élégant,  et  dont  les  pieds  sont  sculptés 
en  forme  de  pattes  de  lion  ;  des  tabourets  en  bois  incrustés  en  ivoire; 
des  pliants  dont  les  jambages,  qui  se  meuvent  sur  un  pivot  de  bronze, 
sont  terminés  par  des  têtes  d  oie. 

J'ai  vu  beaucoup  d'objets  fabriqués  avec  des  feuilles  de  jonc  entre- 
lacées comme  les  sparteries  modernes  ;  des  tabourets  sur  lesquels  on 
pourrait  encore  s'asseoir;  des  corbeilles,  des  paniers  tressés  et  ornés 
de  dessins  comme  les  Nubiens  en  fabriquent  encore  aujourd'hui ,  et 
jusqu'à  l'humble  balai  formé  d'une  feuille  de  dattier  divisée  en 
faisceaux,  industrie  que  les  Égyptiens  ont  continuée  jusqu'à  nos  jours. 

Une  suite  de  petits  objets  :  des  boîtes  de  différentes  formes,  riche- 
ment peintes  ou  incrustées;  des  ustensiles  de  ménage,  des  que- 
nouilles avec  leurs  fuseaux,  et  de  grands  peignes  pour  le  teillage  du 
lin  et  du  chanvre  ;  des  petites  cuillers  de  diverses  formes. 

Un  grand  nombre  d'objets,  de  vêtements,  de  parures,  de  linges  d'une 
finesse  étonnante  ;  des  bracelets  en  émail,  en  bronze,  en  ivoire  et  en 
or;  des  colliers  de  figurines  et  d'amulettes  en  or  et  en  pierres  dures; 
des  bagues  et  des  sceaux  ;  des  sandales ,  des  semelles  en  palmier,  en 
jonc,  en  papyrus  et  en  cuir  travaillées  avec  soin  ;  des  bottines  en 
cuir  ;  plusieurs  perruques  à  cheveux  crépus  et  tressés ,  montés  assez 
grossièrement  sur  un  réseau ,  qui  témoignent  que  la  coutume  de 
porter  de  faux  cheveux  est  beaucoup  plus  ancienne  qu'on  ne  le  croit 
généralement  :  une  d'elles  est  fort  remarquable ,  d'un  excellent  tra- 
vail, et  ferait  honneur  à  nos  artistes  modernes.  La  couronne  de  la 
perruque,  qui  descend  aussi  bas  que  les  oreilles,  est  entièrement  cou- 
verte de  petites  boucles ,  tandis  que  la  partie  qui  tombe  sur  les 
épaules  est  formée  d'un  grand  nombre  de  petites  tresses  de  cheveux 
comme  les  portent  encore  actuellement  les  Égyptiennes.  La  couleur 
de  cette  perruque  est  presque  noire,  et  la  légère  teinte  brunâtre 
qu'elle  présente  pourrait  être  attribuée  à  sa  vétusté  ;  elle  provient 
d'un  hypogée  situé  derrière  le  petit  temple  de  Tmei  et  Hâthor,  à 
Thèbes.  On  voit  des  perruques  semblables  sur  la  tète  des  musi- 
ciennes et  sur  celle  des  dames  de  haut  rang.  L'usage  de  raser  la 


720  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

tète,  et  de  suppléer  à  son  vêtement  nature!  par  des  moyens  artificiels, 
est  une  coutume  égyptienne  qui  paraît  remonter  à  la  plus  haute 
antiquité. 


On  remarque  au  Musée  britannique  plusieurs  instruments  de  mu- 
sique :  des  clochettes  ;  des  cymbales  ;  une  flûte  en  roseau  percée  de 
sept  trous;  différents  sistres,  dont  l'un  est  fort  remarquable;  des 
harpes  et  des  mandores  à  long  manche.  Ce  dernier  instrument ,  si 
souvent  représenté  dans  les  hiéroglyphes  comme  le  symbole  de  la 
bonté  et  de  la  bienfaisance,  témoigne  que  les  anciens  croyaient  à  la 
présence  constante  de  ces  deux  qualités  chez  tout  être  sensible  à  la 
musique. 

J'ai  parcouru  à  la  hâte  une  belle  collection  de  papyrus  bien  con- 
servés ,  qui  doivent  sans  doute  nous  apprendre  encore  quelques  dé- 
tails sur  l'histoire  et  la  vie  des  anciens  Égyptiens  ;  j'ai  regretté  de 
n'avoir  pas  le  loisir  de  les  étudier.  A  côté  des  papyrus,  on  a  réuni 
des  boîtes  de  bureau,  des  étuis  à  pinceaux,  des  longues  palettes  de 
scribe  avec  leurs  calem  ou  kasch;  la  palette  d'un  peintre  où  se  voient 
encore  des  couleurs  ;  des  godets  de  diverses  formes  et  de  diverses 


ANTIQUITÉS   ÉGYPTIENNES.  721 

matières;  entin,  plusieurs  tablettes  portant  des  inscriptions  hiéra 
tiques  et  démotiques. 

Divers  ustensiles  et  instruments  employés  dans  les  cérémonies  du 
culte  ;  un  fragment  à'amschir  ou  encensoir  en  bronze ,  formé  d'un 
petit  fourneau  posé  sur  une  main  sortant  d'une  tige  de  lotus  ter- 
minée par  une  tête  d'épervier.  On  voit  de  semblables  instru- 
ments dans  les  mains  des  rois  et  des  prêtres  qui  brûlent  des  parfums 
devant  les  dieux. 

Un  chacal  sur  une  espèce  de  potence,  petit  modèle  en  bois  des 
grands  étendards  qu'on  portait  dans  les  processions  funéraires  ;  plu- 
sieurs autels  à  libations,  avec  des  bas-reliefs  représentant  des  vases, 
des  gâteaux  et  des  fleurs  de  lotus  ;  un  grand  sceau ,  qui  servait  peut- 
être  à  marquer  les  bœufs  mondes  propres  aux  sacrifices ,  et  d'autres 
sceaux  plus  petits  pour  marquer  des  victimes  de  moindre  taille. 

Plusieurs  beaux  vases  à  anses  en  bronze,  couverts  d'inscriptions 
et  de  figures  gravées  au  burin  ;  ils  paraissent  avoir  servi  à  contenir 
l'eau  lustrale  dans  les  cérémonies  religieuses. 

Des  armes  et  des  instruments  en  pierre,  en  bois,  en  bronze 
trempé  et  en  fer;  des  arcs  en  bois;  quelques  flèches,  les  unes  ar- 
mées de  pointes  triangulaires  en  bronze,  les  autres  d'un  silex  aigu  ; 
des  javelines  armées  d'une  pointe  de  fer  ou  de  bronze  ;  des  haches 
d'armes,  des  poignards  à  lame  de  bronze,  et  dont  les  manches  d'ivoire 
sont  ornés  de  clous  d'argent  ;  des  boumerangs  pour  la  chasse  des 
oiseaux;  des  cannes,  des  bâtons  noueux  ornés  d'une  inscription 
hiéroglyphique ,  et  qui  ressemblent  aux  nabbouts  que  portent  encore 
les  Arabes. 

J'ai  remarqué  une  suite  d'outils  de  menuisier  :  une  doloire ,  un 
drill,  son  archet,  ses  forets  et  sa  plaque  ;  de  petites  scies  à  main  , 
des  maillets,  des  ciseaux,  des  manches  d'outils,  une  corne  pour 
l'huile,  et  plusieurs  outils  dont  l'usage  est  inconnu.  J'ai  vu  aussi 
quelques  clous  de  bronze  et  de  fer  ;  mais  ils  ont  dû  être  d'un  emploi 
bien  rare  ,  car  tous  les  ouvrages  de  menuiserie  égyptienne  ne  sont 
assemblés  qu'avec  des  chevilles  et  une  colle  très-forte,  dans  laquelle 
était  mêlée  de  la  filasse.  On  voit  encore  des  gonds  et  des  pivots  en 
bronze  qui  proviennent  de  portes,  et  une  clef  de  fer.  Le  Musée  con- 
tient quelques  petites  maisons,  véritables  jouets  qui  ne  peuvent  don- 
ner une  idée  aussi  complète  des  habitations  égyptiennes  que  les  pein- 
tures retrouvées  encore  dans  les  tombeaux,  mais  qui  montrent 
quelques  détails  domestiques  fort  intéressants. 
On  voit  aussi  quelques  instruments  aratoires  :  des  pioches  et  des 


722  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

houes  en  bois ,  une  faucille  de  fer  brisée  en  trois  parties,  et  trouvée 
sous  une  statue  à  Karnac  ;  un  joug  pour  atteler  les  bœufs.  On  peut 
examiner  à  côté  des  instruments  les  produits  de  l'agriculture  :  des 
graines  de  Palma  Christi,  dont  l'huile  était  employée  sans  doute  jadis 
à  oindre  les  cheveux ,  comme  elle  l'est  encore  aujourd'hui  chez  les 
Nubiens  ;  le  fruit  du  tamarin ,  dont  la  médecine  faisait  déjà  peut- 
être  usage  ;  des  petits  paniers  avec  des  fruits  de  doum,  de  nebbek, 
deheglyg  ou  perséa;  du  raisin,  et  d'autres  fruits  inconnus  ;  enfin,  du 
pain  et  du  blé  conservés  jusqu'à  nous  à  travers  quarante  siècles  (1). 

La  dernière  salle  du  Musée  égyptien  est  ornée  d'un  long  bas-relief 
colorié,  moulé  sur  les  superbes  sculptures  historiques  du  spéos  de 
Beit-el-Waly  en  Nubie.  C'est  un  des  plus  beaux  sujets  de  l'histoire  de 
Ramsès,  et  un  des  plus  précieux  spécimens  de  l'art  égyptien.  La  paroi 
droite  représente  Sésostris ,  jeune  encore  ,  triomphant  d'un  peuple 
asiatique;  la  paroi  gauche,  la  déroute  d'un  peuple  africain.  Les 
types  de  ces  deux  races,  éternelles  ennemies  de  l'Egypte,  sont  par- 
faitement représentés  :  d'un  côté,  ce  sont  des  peuples  au  teint  blanc, 
à  haute  stature,  à  larges  épaules,  au  nez  aquilin,  à  la  barbe  roide 
et  pointue  ;  de  l'autre  des  noirs ,  bien  caractérisés  d'ailleurs  par 
leurs  nez  épatés,  leurs  lèvres  épaisses  et  leurs  chevelures  laineuses. 
11  serait  trop  long  de  décrire  minutieusement  ces  bas-reliefs  et  tout 
ce  qu'ils  présentent  d'intéressant  pour  l'étude  de  l'art  et  de  l'histoire. 
La  vérité  des  types,  la  précision  des  mouvements,  la  naïveté  des  dé- 
tails ,  la  finesse  de  l'exécution ,  et  l'imitation  parfaite  des  animaux , 
recommandent  ces  sculptures  comme  un  résumé  de  l'art  égyptien  , 
auquel  Thèbes  même  n'offre  rien  à  comparer.  Champollion  a  donné 
une  description  et  des  planches  de  ces  deux  superbes  tableaux  ; 
M.  Lenormant  les  a  décrits  d'une  manière  très-éloquente;  enfin, 
M.  de  Cailleux,  qui  a  senti  toute  l'importance  de  ces  bas-reliefs 
pour  les  études  historiques  et  artistiques,  les  a  fait  mouler  sur  les 
lieux,  et  les  nouvelles  salles  du  Musée  royal  du  Louvre  en  seront 
bientôt  ornées. 

On  voit  encore,  dans  les  salles  du  Musée  britannique,  plusieurs 
plâtres  moulés  en  Egypte  et  de  charmantes  petites  réductions  des 
principaux  obélisques  égyptiens  exécutés  par  M.  J.  Bonomi,  qui, 

(1)  Le  blé  égyptien,  préservé  du  contact  de  l'air  dans  des  vases  hermétiquement 
fermés,  conserve  encore  toutes  ses  qualités  après  plusieurs  siècles.  En  1845,  j'ai  vu  à 
l'exposition  des  produits  agricoles  de  Chester,  dans  le  pays  de  Galles  ,  du  blé  égyp- 
tien provenant  de  semences  extraites  d'une  amphore  apportée  de  Thèbes  avec 
d'autres  antiquités. 


ANTIQUITES  EGYPTIENNES.  723 

pendant  son  long  séjour  dans  la  vallée  du  Nil ,  s'est  tellement  initié 
à  l'art  égyptien  qu'on  le  croirait  sorti  d'un  collège  de  Thèbes  ou  de 
Memphis. 

En  résumé,  la  collection  égyptienne  du  Musée  britannique  ne 
vaut  pas  celle  du  Musée  royal  du  Louvre ,  mais  les  antiquités  y 
sont  disposées  avec  autant  de  goût  que  de  discernement.  Tous  les  dé- 
bris, tous  les  fragments  sont  encadrés  dans  des  naos  construits  en 
pierre,  ce  qui  leur  donne  beaucoup  d'apparence.  Les  stèles  n'adhè- 
rent point  au  mur  et  on  a  laissé  en  dessous  de  petites  ouvertures , 
a6n  que  la  chaleur  puisse  circuler  entre  elles,  les  pierres  qui  les  en- 
vironnent et  celles  sur  lesquelles  elles  reposent,  et  les  préserver  ainsi 
de  l'humidité.  Enfin,  tous  les  objets  contenus  dans  les  salles  que  nous 
venons  de  parcourir  y  sont  classés  avec  science  et  méthode ,  —  deux 
choses  qui  manquent  chez  nous  depuis  la  mort  de  Champollion. 

Je  ne  saurais  terminer  cet  article  sans  recommander  à  mes  lecteurs 
et  spécialement  à  ceux  qui  voudraient  prendre  une  connaissance  plus 
approfondie  des  richesses  du  Musée  britannique,  l'intéressant  ou- 
vrage publié  par  MM.  J.  Bonomi  et  S.  Birch,  et  intitulé  :  Gallery  of 
Anliquities  selected  from  the  British  Muséum  (1).  Le  texte  est  dû  à 
M.  Birch,  sous-conservateur  du  British  Muséum,  et  l'un  de  nos 
plus  savants  égyptologues. 

Prisse  d'Avennes. 

(1)  1  vol.  in-4e.  London,  1841. 


EXTRAIT 


APERÇU  STATISTIQUE  DES  MONUMENTS  DE  L'ALGÉRIE  (0 

PAR  M.  CHARLES  TEXIER, 

INSPECTEUR   GÉNÉRAL  DES   BATIMENTS  CIVILS  DE  L'ALGERIE. 


Dans  une  des  dernières  séances  de  l'Académie  des  Inscriptions  et 
Belles-Lettres,  M.  Charles  Texier,  inspecteur  général  des  bâtiments 
civils  en  Algérie  ,  et  chargé  en  cette  qualité  de  la  conservation  des 
monuments  historiques,  a  lu  la  partie  de  son  dernier  rapport  au 
ministre  de  la  guerre,  où  est  exposé  l'état  de  ces  monuments  dans 
plusieurs  parties  de  l'Afrique  française.  C'est  au  mois  d'août  dernier 
que  M.  Texier  a  exploré  la  plupart  de  ces  lieux,  en  se  joignant  à 
M.  le  contre-amiral  Rigodit,  qui  avait  à  inspecter  tous  les  ports  de 
l'ouest.  Il  a  pu  aussi  observer,  avec  les  autres  détails  des  bâtiments 
civils,  les  moyens  de  conserver  les  ruines,  traces  des  anciennes  civi- 
lisations. Par  des  circulaires  du  gouverneur  général,  les  principaux 
chefs  militaires  et  M.  le  général  Charon,  commandant  supérieur  du 
génie ,  avaient  été  informés  de  la  mission  officielle  de  M.  Texier. 
Aussi  a-t-il  trouvé  partout,  chez  les  généraux  et  chez  les  comman- 
dants des  .territoires  mixtes,  le  plus  grand  empressement  à  seconder 
les  intentions  conservatrices  du  ministre  de  la  guerre. 

Le  corps  du  génie  a  puissamment  contribué  à  la  formation  d'une 
collection  des  inscriptions  antiques  de  l'Algérie.  Mais  cette  collection 
ne  peut  s'accroître  autant  qu'elle  en  est  susceptible ,  que  lorsque  des 
moyens  seront  fournis  par  l'administration  pour  le  transport  des 

(1)  Nous  joignons  à  l'intéressant  Aperçu  que  M.  Ch.  Texier  présente  ici  des  anti- 
quités de  l'Algérie,  des  notes  qui  ont  pour  but  de  compléter  les  renseignements 
fournis  par  le  célèbre  voyageur.  Ces  notes  sont  empruntées  soit  à  des  publica- 
tions antérieures  à  cette  esquisse  ,  soit  à  nos  observations  personnelles.  Nous  avons 
cru  être  agréable  et  utile  au  lecteur  en  remettant  sous  ses  yeux  les  faits  qu'il  lui 
est  nécessaire  d'avoir  présent  à  l'esprit  pour  se  représenter  exactement  ce  qu'on 
peut  appeler  l'état  archéologique  de  l'Algérie.  -Alfred  Maury. 


MONUMENTS  DE   L'ALGÉRIE.  725 

pierres   épigraphiques  dans  le  musée  local  le  plus  voisin  ,  comme 
celui  que  le  ministre  de  l'instruction  publique  a  récemment  visité 
à  Cherchell.  Bien  des  inscriptions  anciennes  gisent  encore  sur  le 
bord  des  chemins ,  exposées  à  chaque  instant  à  être  brisées  ou  em- 
ployées comme  matériaux  de  construction.  Tel  a  été  l'emploi  des 
restes  de  beaucoup  de  monuments   à  Philippeville,  à  Cherchell, 
à  Ghelma.  Il  faut  sans  doute  faire  la  part  de  la  nécessité  qui  com- 
mandait de  construire  au  plus  vite  les  édifices  nécessaires  aux  prin- 
cipaux centres  de  population.  Ces  considérations-là  passent  avant 
toutes  les  autres,  «  Mais,  dit  M.  Texier,  si  Ton  peut  regretter 
ainsi  quelques  monuments  détruits ,  il  en  est  encore  une  multitude 
qui ,  convenablement  dégagés  de  leurs  décombres  et  restaurés  seule- 
ment pour  en  arrêter  la  ruine ,  seront  encore  un  des  ornements  de 
l'Algérie  et  un  but  d'excursion  pour  les  voyageurs  de  l'Europe.  Il  est 
urgent  pour  cela  que  l'administration  les  prenne  sous  sa  garde  et 
qu'un  crédit  soit  demandé  pour  les  soutenir.  » 

Les  instructions  du  ministre  de  la  guerre  s'opposent ,  en  général , 
à  la  destruction  des  monuments  antiques.  Mais ,  pour  prescrire  des 
mesures  précises,  «  il  serait  nécessaire,  dit  M.  Texier,  que  l'adminis- 
tration fût  informée  des  découvertes  produites  par  les  fouilles  et  par 
les  travaux  des  routes ,  et  pût  envoyer  sur-le-champ  un  dessinateur 
pour  copier  les  monuments  découverts,  de  manière  à  pouvoir  sta- 
tuer sur  leur  conservation.  Les  archives  recevraient  tous  les  docu- 
ments recueillis,  tant  par  les  officiers  du  génie  que  par  les  agents 
des  bâtiments  civils  et  des  ponts  et  chaussées,  et  chaque  année  ces 
documents  seraient  imprimés  à  la  suite  du  tableau  statistique.  Alors 
si,  par  la  force  des  choses,  les  monuments  se  trouvaient  détruits, 
leur  description  serait  au  moins  consignée  dans  un  registre  officiel, 
et  ainsi  conservée  pour  la  science.  » 

M.  Texier  présente  lui-même  un  spécimen  de  ce  genre  de  statis- 
tique des  monuments  anciens.  Dans  l'extrait  que  nous  allons  donner 
de  cette  partie  de  son  travail ,  nous  classerons  ces  indications  topo- 
graphiquement,  sous  le  nom  des  villes  ou  des  lieux  principaux  aux- 
quels elles  se  rapportent. 

Djebel  Chenouan. 

Le  monument,  encore  indéterminé  aujourd'hui,  connu  sous  le 
nom  de  Tombeau  de  la  Chrétienne,  et  dominant  la  chaîne  de  collines 
que  baigne  le  cours  du  Mazafran ,  est  un  des  plus  remarquables  de 
III.  47 


726  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

l'Algérie  (2).  Il  aurait  besoin  d'être  dégagé  des  terres  accumulées  à 
l'entour.  Il  doit  se  composer,  comme  les  grands  tumulus  asiatiques, 
d'un  soubassement  circulaire,  surmonté  d'un  cône  dont  la  majeure 
partie  est  conservée.  L'intérieur  renferme,  sans  aucun  doute,  une 
chambre  sépulcrale ,  et  rien  dans  la  tradition  ne  peut  faire  supposer 
que  les  Arabes  ou  les  Romains  auraient  visité  l'intérieur.  Dût-on  ne 
rien  trouver  dans  le  Tombeau  de  la  Chrétienne,  l'état  de  ses  dispo- 
sitions intérieures  et  de  la  forme  sépulcrale  qui  en  forme  le  centre 
serait  d'un  véritable  intérêt  pour  la  science  historique,  et  pourrait 
mettre  fin  aux  incertitudes  sur  la  destination  primitive  de  ce,  monu- 
ment. Loin  de  l'endommager,  les  travaux  de  ce  genre,  en  le  déga- 
geant des  terres  qui  l'entourent,  le  débarrasseraient  des  buissons  qui 
croissent  dans  les  insterstices  et  deviennent  une  cause  progressive 
de  ruine. 

Tefesed. 

Depuis  le  cap  Caxine  jusqu'au  pied  du  mont  Chenouan ,  la  côte 
n'offre  aucun  mouillage ,  même  pour  les  balancelles.  Une  petite 
anse,  formée  par  une  presqu'île  élevée,  a  été  regardée  par  les  an- 
ciens comme  propre  à  former  un  port.  Bientôt  les  habitations  se 
seront  multipliées,  et  on  découvre  aujourd'hui  des  ruines  qui, 
s'étendant  de  la  presqu'île  sur  le  continent ,  ont  dû  appartenir  à  une 
ville  considérable.  Les  Arabes  appellent  ce  lieu  Tefesed.  On  retrouve 
dans  ce  nom  les  traces  de  celui  de  Tepasa,  ville  romaine  de  la  Mau- 
ritanie césarienne  (3). 

Abrité  à  l'ouest  par  la  haute  presqu'île  dont  je  viens  de  parler,  le 
port  est  clos  à  l'est  par  une  langue  rocheuse  que  des  ouvrages  pa- 

(2)  Ce  monument  est  appelé  par  les  Arabes  K'ber  Roumia,  c'est-à-dire  le 
Tombeau  de  la  Chrétienne  ou  de  la  Romaine.  Pomponius  Mêla  (I,  m,  10)  en 
fait  mention,  et  dit  qu'il  est  situé  entre  feosium  et  Césarée  (Cherchell);  d'après 
ce  géographe,  c'était  la  sépulture  de  famille  des  rois  de  Numidie  et  de  Mauritanie. 
Ce  curieux  monument  rappelle  celui  que  Pcyssonnel  a  trouvé  à  huit  ou  dix  lieues 
au  nord-oue6t  de  Lamba  ,  à  Mcdrachcm  ou  Medresen  ,  lequel  est  aussi  formé  d'une 
pyramide  placée  sur  une  base  cylindrique;  la  hauteur  est  également  de  00  mètres. 
Cf.  Dureau  de  La  Malle,  Province  de  Conslanline,  p.  212-213.  Marmol  a  soutenu 
sans  fondement  que  le  K'ber  Roumia  était  le  tombeau  de  la  fameuse  Cava ,  la  fllle 
du  comte  Julien.  On  prétend  que  l'on  a  jadis  découvert  près  de  ce  monument  une 
inscription  latine  qui  portait  le  nom  de  Cléopâlre.  Si  le  fait  est  vrai ,  ce  monument 
était  peut-être  le  lieu  de  la  sépulture  de  Cléopâtre  Séléné,  la  fille  de  Marc-Antoine 
et  de  la  célèbre  Cléopâtre,  laquelle  avait  été  mariée  par  Auguste  à  Juba  II.— A.  M. 

(3)  Tepasa  était,  scion  Pline,  une  colonie  de  vétérans  établie  par  l'empereur 
Claude.  Cette  ville  est  mentionnée  par  Ptolcmce  et  Y  Itinéraire  d'Antonin.— A.  M. 


MONUMENTS  DE   L'ALGÉRIE.  727 

raissent  avoir  rattachée  à  des  roches  plus  avancées  dans  la  mer,  ce 
qui  formait  une  jetée  aujourd'hui  détruite  ;  mais  on  en  voit  des  blocs, 
d'un  volume  considérable,  épars  sur  la  plage  ou  sortant  des  basses 
eaux.  Ce  port ,  de  petite  dimension ,  était  suffisant  pour  les  barques 
romaines  et  pourrait  être  utilisé  si  jamais  on  établit  dans  le  voisi- 
nage un  centre  de  population.  Du  côté  de  l'ouest,  le  pied  de  la 
presqu'île  est  formée  par  un  plateau  de  rochers  dont  la  surface 
quoique  inégale,  est  à  peu  près  de  niveau.  Dans  ces  rochers  tendres 
les  anciens  ont  taillé  un  bassin  carré  de  trente  mètres  de  côté,  et  dont 
la  conservation  est  encore  parfaite.  Le  fond  de  ce  bassin  est  seulement 
de  cinquante  centimètres  en  contre-bas  du  niveau  de  la  mer,  à  la- 
quelle il  ne  communique  que  par  une  entrée  de  deux  mètres  de 
longueur.  Il  serait  difficile  de  voir  dans  cet  ouvrage  un  bassin  destiné 
aux  barques;  c'était  plutôt  ,  à  mon  avis,  un  vivier  pour  retenir  et 
engraisser  le  poisson.  Les  anciens  mettaient  de  la  recherche  dans 
cette  industrie.  On  observe  encore  de  ces  viviers  sur  les  côtes  de 
France  et  sur  celles  d'Italie.  Une  vanne  levée  ou  baissée  devait  main- 
tenir l'eau  au  niveau  nécessaire  ou  la  laisser  écouler  lorsqu'on  vou- 
lait vider  le  bassin. 

Près  de  là  sont  trois  chambres  voûtées  qui  servaient  de  citernes 
pour  le  port.  Le  grand  nombre  des  autres  citernes  que  Ton  observe 
montre  que  la  ville  et  le  port  étaient  amplement  fournis  d'eau  par  le 
moyen  d'un  aqueduc  dont  on  retrouve  les  traces.  Des  quais  environ- 
naient le  port  et  sont  encore  apparents  ;  mais  il  est  à  croire  que  les 
eaux  de  la  mer  ont  gagné  du  terrain ,  car  plusieurs  escaliers  de  mai- 
sons particulières  descendent  directement  dans  l'eau. 

En  suivant  une  dépression  de  terrain  qui  se  dirige  au  sud-ouest, 
on  reconnaît  la  direction  d'une  des  rues  principales.  A  droite  et  à 
gauche  on  retrouve  presque  tous  les  soubassements  des  maisons,  qui 
étaient  bâties  avec  autant  de  soin  que  les  édifices  publics,  en  pierre 
de  taille  et  en  briques.  A  l'extrémité  de  cette  rue  s'élèvent  de  grandes 
ruines  dans  lesquelles  on  observe  deux  salles  parallèles,  et  divisées 
en  trois  par  des  pilastres.  L'édifice  était  carré  et  devait  avoir  une 
cour  ou  atrium.  Cette  disposition  permet  de  supposer  que  ces  ruines 
sont  celles  d'un  gymnase.  Parmi  les  Blocs  de  pierre  équarris  que 
nous  avons  trouvés ,  les  chambranles  de  portes  ou  de  fenêtres  sont 
percés  de  trous  indiquant  que  les  ouvertures  des  édifices  étaient  or- 
nées de  moulures  de  marbre.  Mais  presque  tout  a  été  enlevé  ou 
reste  enseveli  sous  les  décombres.  Une  corniche  appartenant  à  l'en- 
tablement du  gymnase  est  le  premier  morceau  qui  permette  de  juger 


728  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  caractère  des  moulures.  On  y  retrouve  les  principes  en  usage  du 
temps  des  empereurs  Septime  Sévère  et  Adrien. 

On  peut  observer  dans  ce  quartier  de  la  ville  d'autres  monuments 
auxquels  les  Arabes  ont  donné  les  noms  de  palais  du  Roi ,  palais  de 
la  Reine.  Un  vaste  édifice ,  que  nous  n'avons  pu  étudier  qu'impar- 
faitement, paraît  avoir  été  le  prétoire.  Les  Arabes  de  la  tribu  voi- 
sine, qui  s'étaient  offerts  pour  nous  guider,  nous  entraînaient  tou- 
jours vers  la  presqu'île  pour  nous  montrer  l'église.  Nous  allâmes 
cependant  vers  la  limite  ouest  de  la  ville.  Là  était  un  beau  théâtre , 
dont  heureusement  les  gradins  sont  presque  tous  enterrés ,  ce  qui  les 
a  sauvés  de  la  destruction.  Un  portique  d'ordre  dorique  donnait 
accès  dans  l'orchestre.  La  scène  est  presque  entièrement  détruite  ; 
mais  la  cavea ,  ou  salle ,  est  conservée  dans  tout  son  pourtour  ;  et 
des  fouilles  y  mettraient  certainement  à  découvert  des  objets  inté- 
ressants. 

Les  remparts  de  la  ville  étaient  composés  de  murailles  défendues 
par  des  tours  demi-circulaires;  ils  étaient  bâtis  en  grands  blocs  de 
pierre  et  avaient  une  épaisseur  de  six  mètres.  L'amas  des  ruines 
couvre  une  surface  beaucoup  plus  étendue  que  celle  de  Cherchell  , 
capitale  du  pays.  Le  vent  nous  obligea  de  partir  avant  d'avoir  pu 
compléter  l'exploration  -,  et  c'est  au  grand  regret  des  Arabes  que  nous 
renonçâmes  à  visiter  la  presqu'île,  et  par  conséquent  les  ruines  de 
l'édifice  qu'ils  appellent  l'église.  Cependant,  avant  de  s'embarquer, 
l'amiral  voulut  faire  le  tour  de  la  presqu'île  en  canot.  Nous  vîmes  que 
partout  elle  avait  été  défendue  par  la  nature  et  par  l'art.  Les  tom- 
beaux des  anciens  habitants  sont  situés  sur  le  revers  ouest  kde  la 
presqu'île  ;  ils  sont  formés  de  grottes  à  moitié  taillées  dans  le  rocher 
et  ayant  une  porte  en  maçonnerie. 

La  masse  de  débris  de  toute  sorte  accumulés  sur  le  sol ,  et  surtout 
les  beaux  blocs  de  pierre  de  taille ,  avaient  déjà  attiré  l'attention  des 
spéculateurs,  et  ils  y  envoyaient  des  barques  qui  se  chargeaient  pour 
Alger.  La  direction  de  l'intérieur  a  arrêté  à  temps  ce  trafic,  qui  me- 
naçait les  ruines  de  Tefesed  d'un  anéantissement  très-prochain. 

Cherchell. 

Cherchell  est  l'ancienne  Césarée.  Le  port  de  cette  ville  était  un  des 
meilleurs  de  la  côte,  aussi  avait-il  été  décoré  avec  un  soin  particu- 
lier. Le  quai  était  entouré  d'un  portique.  Les  débris  de  ces  colonnes 
ont  servi  à  former  la  levée  faite  pour  l'agrandissement  du  bassin. 


MONUMENTS  DE  L'ALGÉRIE.  729 

L'ancien  port  deviendra  ainsi  lavant-bassin  du  nouveau  ;  une  jetée 
en  équerre  arrêtera  les  brisants  du  côté  de  l'ouest  :  on  arrivera  par 
là  à  offrir  un  abri  à  cinquante  ou  soixante  bâtiments  d'un  petit 
tonnage. 

Chaque  fouille  faite  à  Cherchell  met  à  découvert  quelques  débris 
plus  ou  moins  importants  des  monuments  de  l'antique  Césarée.  Par 
les  soins  de  l'administration  locale,  ces  fragments  ont  été  réunis  dans 
une  salle  qui  forme  déjà  un  musée  intéressant.  On  y  remarque  plu- 
sieurs tombeaux  avec  des  inscriptions ,  un  torse  de  Vénus  en  marbre, 
plusieurs  statues  et  statuettes  qui  ne  manquent  pas  de  mérite.  Les 
fragments  d'architecture  ne  le  cèdent  pas  à  ceux  de  sculpture  :  plu- 
sieurs grands  chapiteaux  corinthiens  provenant  d'un  temple ,  un  cha- 
piteau composite  orné  de  dauphins  et  de  palmettes ,  des  corniches  de 
marbre,  ne  seraient  déplacés  dans  aucun  musée.  Les  rues  de  la  ville 
sont  pleines  de  colonnes  de  marbre  qu'on  pourrait  fort  bien  em- 
ployer. Le  monument  qui  a  principalement  fixé  mon  attention  est 
déposé  dans  la  cour  de  l'hôtel  des  bâtiments  civils  et  a  été  récem- 
ment découvert.  C'est  une  statue  barbare,  d'un  mètre  environ  de 
hauteur;  elle  représente  un  dieu  imberbe,  coiffé  du  modius.  Sur  le 
devant  de  sa  coiffure  est  une  palme  ou  palmette;  la  tête  est  gros- 
sièrement modelée,  le  corps  sans  bras,  ou  bien  les  bras  sont  si  fai- 
blement indiqués  qu'on  en  suit  difficilement  les  contours.  Les  jambes 
sont  grêles  et  les  pieds  tournés  en  dedans.  Cette  figure  est  appuyée 
contre  une  gaine  ou  un  pilastre  ;  elle  n'offre  aucun  des  caractères 
des  sculptures  romaines  ou  vandales;  j'y  reconnaîtrais  plutôt  quel- 
ques symptômes  de  l'art  asiatique  (4). 

Philippeville. 

L'ancienne  Rusicada  était  située  à  l'embouchure  d'une  vallée  dont 
les  flancs  sont  escarpés  (5).  Cette  vallée  communique  à  une  plaine 
arrosée  par  la  rivière  appelée  aujourd'hui  le  Saf-Saf  (6).  Mais  Rusi- 

(4)  Nous  renverrons  pour  l'explication  de  cette  statue,  à  la  notice  que  nous  pu- 
blierons dans  un  des  prochains  numéros.  —  A.  M. 

(5)  La  table  de  Peutinger  donne  seule  à  Rusicada  le  titre  de  colonie.  La  distance 
de  cette  ville  à  Cirta,  fixée  par  Pline  à  quarante-huit  railles,  et  les  nombreuses 
inscriptions  trouvées  à  Sk'ik'da,  aujourd'hui  Philippeville,  établissent  l'identité  de 
celle  ci  avec  Rusicada.  Cf.  Pellissier,  Mémoires  historiques  et  géographiques  sur 
l'Algérie,  p.  366.  D'après  Gesenius,  le  nom  de  Rusicada  viendrait  du  phénicien, 
mp  UNI  mot  à  mot  caput  ardoris  ou  caput  ignis,  expression  qui  semble  indiquer 
l'existence  en  ce  lieu  d'un  phare  destiné  à  éclairer  le  golfe  de  Stora. —  A.  M. 

(6)  Il  est  probable  que  si  l'on  entreprend  les  travaux  nécessaires  pour  remplacer 


730  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

cada  n'était  pas  abreuvée  par  des  cours  d'eau  naturels.  Les  anciens 
rejetaient  l'usage  des  eaux  de  rivière  par  des  principes  d'hygiène 
qui ,  plus  que  partout,  doivent  être  observés  en  Afrique.  Les  ruines 
des  citernes  de  Rusicada  existent  encore;  mais  jusqu'à  ces  derniers 
temps,  on  ignorait  complètement  comment  elles  étaient  alimentées. 
Les  uns  imaginaient  qu'elles  étaient  remplies  par  des  sources  au- 
jourd'hui perdues,  les  autres  par  des  eaux  pluviales.  Cette  dernière 
hypothèse  est  la  plus  voisine  de  la  vérité;  mais  comme  la  conte- 
nance de  ces  citernes  dépasse  pour  chacune  plusieurs  mille  mètres 
cubes,  on  concevait  difficilement  des  pluies  assez  abondantes  et 
assez  prolongées  pour  y  fournir. 

Il  vient  d'être  reconnu  que  les  grandes  citernes  de  Philippeville 
sont  toutes  alimentées  par  un  même  système  qui  les  fait  dépendre 
les  unes  des  autres.  Celles  qui  sont  situées  à  mi-côte,  non  loin  de 
la  place  Royale ,  et  celles  qui  se  trouvent  dans  un  grand  soubasse- 
ment d'un  ancien  édifice ,  reçoivent  l'une  après  l'autre  leur  volume 
d'eau  particulier.  Les  plus  belles  et  les  mieux  conservées  se  trouvent 
sur  la  montagne  ;  leur  ensemble  se  compose  de  cinq  grandes  salles 
à  ciel  ouvert,  communiquant  entre  elles  par  des  arcades.  On  a  fait 
de  grands  travaux  pour  reconnaître  la  source  que  l'on  croyait  seule- 
ment détournée  ;  mais  le  service  des  ponts  et  chaussées  s'est  con- 
vaincu que  ces  citernes  n'étaient  alimentées  que  par  un  barrage  , 
situé  dans  une  des  vallées  supérieures ,  qui  porte  le  nom  de  Bou- 
Meïeh.  Un  grand  nombre  d'affluents  se  réunissent  dans  cette  vallée. 
La  citerne  était  divisée  en  ces  divers  compartiments ,  afin  que  les 
eaux  eussent  le  temps  de  déposer  et  de  s'épurer.  Dans  la  première 
salle,  celle  qui  est  voisine  du  regard  d'arrivée,  on  a  reconnu  plu- 
sieurs piles  de  briques  qui*  la  coupent  en  deux  parties.  Je  suppose 
que  ces  piles  retenaient  une  grille  qui  arrêtait  les  débris  d'arbustes , 
les  cailloux  et  les  autres  impuretés.  L'eau,  se  déposant  ainsi  dans  la 
première  salle,  était  introduite  dans  la  seconde,  après  avoir  subi  un 


la  misérable  estacade  de  Philippeville  par  une  jetée  convenable,  on  trouvera  dans 
la  baie  les  vestiges  de  monuments  ayant  appartenu  à  l'ancienne  Rusicada.  Divers 
objets  antiques,  rejetés  par  la  mer  sur  le  rivage,  prouvent  que  la  Méditerranée 
s'est  avancée  dans  la  baie.  Ce  phénomène,  observé  en  différents  points  de  la  côte 
d'Afrique,  et  notamment  à  San,  l'anclnne  Tanis,  semble  être  dû  à  un  affaisse- 
ment du  terrain  plutôt  qu'à  un  exhaussement  du  niveau  de  la  mer  ,voy.  le  Mémoire 
de  M.  L  Cordier,  ch.  xxm  du  tome  II  des  antiquités ,  descriptions,  du  grand 
ouvrage  de  l'expédition  d'Egypte).  Nous  avons  nous-même  trouvé  sur  la  plage  une 
monnaie  romaine  très-fruste  et  deux  petits  fragments  de  moulure  que  venait  d'y 
laisser  le  flot  en  se  retirant.  —  A.  M. 


MONUMENTS  DE  L'ALGÉRIE.  731 

premier  degré  d'épuration ,  et  successivement  ainsi  dans  les  salles 
suivantes,  jusqu'à  la  dernière  qui  était  la  salle  de  distribution. 
Celle-ci  était  contiguë  à  une  grande  coupure  à  laquelle  aboutissaient 
ces  conduits  descendants. 

Le  mur  extérieur  de  la  salle  est  attenant  à  une  tour  circulaire, 
dont  l'usage  n'avait  pas  encore  été  bien  déterminé.  Je  crois  pouvoir, 
après  un  mûr  examen ,  émettre  l'opinion  que  c'était  une  balance 
d'eau,  dont  le  mécanisme  marchait  à  l'aide  d'un  flotteur.  Le  flotteur 
(sans  doute  une  boule  creuse  en  bronze)  était  attaché  à  un  levier, 
qui ,  de  l'autre  bout,  tenait  la  chaîne  d'une  vanne,  laquelle  fermait 
l'issue  de  la  salle  de  distribution.  Le  flotteur,  en  baissant,  opérait 
ainsi  un  mouvement  de  bascule  qui  faisait  lever  la  vanne.  En  remon- 
tant ,  il  laissait  retomber  la  vanne  par  son  propre  poids.  Tant  que 
la  tour  était  pleine,  le  flotteur  était  élevé  et  la  vanne  fermée.  Lorsque 
l'eau  de  la  tour  était  épuisée,  le  flotteur  baissant ,  la  vanne  s'ou- 
vrait et  donnait  entrée  aux  eaux. 

Les  eaux  introduites  dans  le  canal  de  descente  étaient  portées  dans 
les  citernes  inférieures,  qui  étaient  aussi  divisées  en  plusieurs  salles, 
presque  toutes  assez  bien  conservées  aujourd'hui  pour  être  facilement 
restaurées.  Les  citernes  de  la  ville  basse  sont  voûtées  et  parfaite- 
ment closes;  elles  sont  bâties  en  briques,  recouvrant  un  mur  en 
retour  de  deux  ou  trois  mètres  d'épaisseur.  L'administration,  en 
rétablissant  tout  le  système  d'alimentation  des  citernes,  rendra  un 
grand  service  à  Philippeville,  tout  en  faisant  une  intéressante  appli- 
cation de  l'hydraulique  des  anciens. 

On  n'a  trouvé  dans  ces  monuments  aucun  indice  certain  qui  puisse 
faire  connaître  l'époque  à  laquelle  ils  furent  bâtis.  D'après  la  con- 
struction on  peut  cependant  supposer  qu'ils  datent  de  Septime-Sé- 
vère  ou  d'Adrien. 

L'amphithéâtre,  le  théâtre  et  plusieurs  autres  édifices  sont  dans 
un  état  plus  ou  moins  fruste ,  mais  offrent  encore  des  ruines  qui  ne 
sont  pas  sans  intérêt.  Trois  statues  de  marbre  ont  été  découvertes, 
au  mois  de  mai  dernier,  dans  des  fouilles  sur  la  montagne  des  ci- 
ternes. L'exécution  en  est  bonne  ;  deux  paraissent  des  portraits  de 
sénateurs;  elles  sont  vêtues  de  la  toge  et  ont  à  leurs  pieds  le  scri- 
nium ,  garni  de  manuscrits  roulés.  Le  travail  de  la  tête  est  bien  infé- 
rieur à  celui  du  corps;  remarque  qu'on  a  lieu  de  faire  souvent  pour 
les  statues  anciennes.  Dans  la  troisième,  qui  est  une  statue  de 
femme ,  la  tète  manque.  L'ajustement  des  draperies  est  moins  cor- 
rect que  dans  les  premières.  Un  bras  fléchi  sur  la  poitrine,  l'autre 


732  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

main  ,  tenant  une  plante,  rappellent  la  pose,  souvent  imitée ,  de  la 
Cérès. 

Les  environs  dePhilippeville  fournissent  encore  un  certain  nombre 
de  monuments,  principalement  dans  le  genre  tumulaire.  On  a  trouvé 
plusieurs  sarcophages  de  marbre  qui  offrent  tous  le  cachet  chrétien. 
Ils  n'ont  généralement  pas  d'inscriptions. 

CONSTANTINE. 

Au  contraire,  on  trouve  journellement  quelque  inscription  nou- 
velle dans  les  travaux  qui  s'exécutent  à  Constantine  (7).  Mais  la  sur- 
face de  la  ville  étant  limitée  de  toutes  parts,  on  sera  dans  la  néces- 
sité d'occuper  l'emplacement  des  monuments  anciens  qui  existaient 
dans  l'acropole  ou  casbah.  Cet  édifice  contenait  les  monuments  les 
plus  importants  de  la  ville,  les  citernes ,  le  palais  et  les  casernes. 
Les  murailles  qui  subsistent  encore  sont  de  trois  époques  :  la  pre- 
mière, que  l'on  doit  faire  remonter  aux  rois  numides,  présente  un 
appareil  d'une  précision  merveilleuse  ,  en  pierres  de  grand  échantil- 
lon ,  irrégulières ,  mais  par  assises  réglées  ;  l'autre  appareil  est  évi- 
demment romain  ;  enfin  un  troisième ,  dans  lequel  on  retrouve  des 
fûts  de  colonnes  et  des  débris  d'édifices ,  paraît  être  un  ouvrage  des 
princes  vandales  (8). 

(7)  Nous  ajouterons,  pour  les  personnes  qui  ne  connaissent  point  les  localités,  les 
détails  suivants  sur  la  situation  de  Constantine  : 

La  ville  est  construite  sur  la  table  de  rochers  séparée  du  Mans'ourah  par  un  im- 
mense ravin;  sa  forme  est  celle  d'un  quadrilatère  irrégulicr;  sa  surface,  qui  offre 
une  étendue  de  42  hectares,  est  entièrement  couverte  de  constructions,  la  plupart 
mauresques,  et  forme  un  plan  fortement  incliné  vers  le  sud.  La  partie  la  plus 
élevée  de  la  ville,  située  vers  le  nord,  est  de  GC4  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer;  la  partie  sud,  qui  est  la  plus  basse,  est  juste  de  100  mètres  moins  élevée 
que  l'extrémité  opposée.  Le  ravin  se  termine  au  nord  par  des  cascades  qui  ont 
63  mètres  de  haut  et  sont  placées  à  175  mètres  au-dessus  de  la  ville.  Ce  gouffre 
vraiment  effrayant  présente  donc  une  profondeur  totale  de  228  mètres.  —  A.  M. 

(8)  Pour  compléter  les  détails  donnés  ici  sur  les  antiquités  de  Constantine  par 
M.  Cb.  Texier,  nous  empruntons  les  renseignements  suivants  à  l'ouvrage  intitulé  : 
Excursions  dans  l'Afrique  septentrionale  par  les  délégués  de  la  société  fran- 
çaise établie  à  Paris  pour  l'exploration  de  Carlhage  ; 

«  Les  anciens  édifices  de  Constantine  ont  souffert  de  rudes  dévastations  :  la  ma- 
jeure partie  de  ceux  qui  ont  été  mentionnés  par  Shaw  n'existent  plus  aujourd'hui. 
Les  belles  portes  de  marbre  rouge  et  l'arc  appelé  Qasr-el-Ghoulab  (le  Château  de 
la  Goule  ou  Ogresse)  furent  démolis,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  pour  servir  à 
d'autres  bâtisses,  et  les  derniers  débris  ont  été  employés,  dans  l'intervalle  des 
deux  expéditions  de  Constantine,  à  la  réparation  et  à  l'extension  des  fortifications. 

«  Auprès  du  sanctuaire  de  Sidi-Mabrouk,  sur  la  terrasse  de  Mansourah,  on 
voit  encore  l'enceinte  d'une  construction  bâtie  en  pierres  carrées.  Parmi  les  débris 


MONUMENTS  DE   L'ALGÉRIE.  733 

Les  égouts  de  Constantine  étaient,  après  les  aqueducs,  les  ou- 
vrages les  plus  remarquables  de  la  ville.  Comme  elle  est  partout 
fondée  sur  le  roc  vif,  il  a  fallu  y  creuser  ces  égouts ,  qui ,  selon 
toute  apparence ,  suivaient  la  direction  des  rues.  L'égout  principal  a 
son  issue  au  sud  de  la  ville  par  une  ouverture  de  plus  de  trois  mètres 
de  large.  Il  était  recouvert  par  de  grandes  dalles  plates,  ce  qui  est  un 
caractère  de  haute  antiquité.  Plus  tard ,  lorsqu'il  fut  restauré  par  les 
Romains ,  on  le  voûta  en  pierres  dans  certaines  parties  de  son  par- 
cours. Enfin ,  au  moyen  âge ,  il  fut  voûté  en  briques.  Mais,  pendant 
toute  la  période  arabe ,  les  égouts  ne  reçurent  aucune  espèce  de 
soins  ;  les  directions  des  rues  antiques  furent  abandonnées  pour  les 
rues  tortueuses  des  Arabes;  plusieurs  maisons,  construites  sur  les 
voûtes  mêmes ,  défoncèrent  la  couverture ,  et  les  fondations  furent 
descendues  jusque  dans  l'intérieur  de  l'égout,  de  sorte  que  les  eaux 
et  le  limon  accumulés  formèrent  des  dépôts  qui  finirent  par  acquérir 
la  dureté  de  la  pierre.  Les  branches  secondaires ,  n'étant  jamais  cu- 
rées, s'encombrèrent  ;  on  perdit  la  trace  de  la  plupart  des  conduits, 
et  aujourd'hui  que  la  population  de  Constantine  prend  un  accroisse- 
ment considérable ,  le  service  des  égouts  devient  insuffisant.  Les 
eaux  pluviales  s'écoulent  par  les  rues,  se  perdent  inutilement,  et 
les  résidus  des  maisons  répandent  l'infection  partout. 

Le  curage  et  la  réparation  des  égouts  anciens  auraient  donc  un 
double  but  :  celui  de  retrouver  presque  trait  pour  trait  les  disposi- 
tions des  rues  de  l'ancienne  ville ,  et  surtout  d'assainir  la  ville  ac- 
tuelle. Il  y  avait  sous  les  Arabes  une  sorte  d'administrateur  qu'on 
appelait  Yamin  des  égouts;  c'est  le  curator  cloacaram  des  temps  ro- 
mains. Ces  fonctions  subsistent  encore  ;  mais  l'agent  est  d'une  igno- 
rance telle  qu'il  ne  sait  pas  indiquer  la  trace  des  conduits;  il  faut, 
pour  les  retrouver,  faire  le  tour  de  la  ville  en  marchant  sur  la  cor- 
niche élevée  qui  domine  le  Roummel.  Ce  trajet  n'est  pas  sans  danger. 

Le  pont  du  Roummel ,  fondé  sur  une  des  voûtes  qui  couvrent  le 
cours  du  torrent  (9),  est  un  ouvrage  des  temps  romains.  J'en  attribue 

s'est  trouvé  le  fragment  d'une  inscription  funéraire.  La  ruine  n'offre  aucun  indice 
qui  puisse  faire  sûrement  reconnaître  la  destination  primitive  de  l'édifice.  Nous 
soupçonnons  cependant  que  c'était  une  station  romaine.  Il  est  bon  à  noter  ici  que 
nous  ne  connaissons  pas  un  seul  de  ces  sanctuaires  ou  tombeaux  de  marabouts  qui 
n'ait  été  élevé  sur  les  fondements  d'un  édifice  plus  ancien  ;  en  voyant  de  loin  la 
coupole  blanche  d'une  telle  bâtisse,  seul  signe  distinclif  d'habitation  dans  ces  con- 
trées ,  on  peut  d'avance  être  assuré  d'y  trouver  des  ruines  plus  ou  moins  considéra- 
bles, ou  tout  au  moins  quelques  vestiges  de  plus  anciennes  constructions.  —  A.  M. 
(9)  Ces  voûtes  du  Roummel  sont  un  produit  naturel  des  plus  curieux.  On  avait 


734  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

là  destruction  à  un  mouvement  qui  se  sera  opéré  dans  la  voûte  qui  lui 
sert  de  base.  Les  piles  qui  existent  encore  et  qui  sont  bâties  en 
grosses  pierres  à  bossage  sont  fendues  dans  toute  leur  hauteur;  les 
fentes  ont  été  rebouchées  avec  du  mortier  lorsque,  en  1796,  le 
pont  fut  rétabli  par  les  soins  de  Salah  Bey  (10). 

Il  ne  reste  d'antique  que  les  piles  du  pont  et  une  partie  des  culées 
jusqu'à  la  hauteur  du  parapet.  Deux  éléphants,  sculptés  sur  un  bloc 
de  pierre  ,  se  remarquent  du  côté  de  l'est.  Je  pense  que  ce  bas-relief 
n'est  pas  en  place  et  a  été  encastré  là  quand  on  a  rétabli  le  pont; 
mais  je  crois  qu'il  appartenait  à  l'édifice  même,  peut-être  au  parapet. 
Une  tête  de  victime  avec  des  bandelettes,  sculptée  sur  la  doucine 
qui  forme  l'imposte,  appartient  à  l'art  romain. 

Le  pont  du  Roummel  n'était  pas  le  seul  qui  donnait  accès  dans 
la  ville  de  Constantine;  un  pont-aqueduc  avait  été  construit  plus  à 
l'ouest  ;  mais  malgré  la  défense  naturelle  que  présente  l'assiette  de 
la  ville ,  elle  était  de  plus  entourée  par  une  muraille  flanquée  de 
tours  rondes  et  carrées  dont  les  soubassements  s'observent  presque 
partout,  et  qui  dans  quelques  endroits  sont  entièrement  conservés. 
Un  bas-relief  représentant  un  bouclier  et  des  armes  me  paraît  une 
ancienne  sculpture  indigène.  Les  monuments  d'art  de  cette  époque 
sont  extrêmement  rares. 

J'ai  dit  que  les  citernes  de  Constantine  étaient  situées  dans  le  pa- 
lais ou  casbah.  Elles  étaient  ainsi  doublement  à  l'abri  de  toute  des- 
truction, occupant  le  point  culminant  à  cent  soixante  mètres  au- 
dessus  du  cours  du  Roummel,  et  à  plus  de  trente  mètres  au-dessus 
du  point  inférieur  de  la  ville.  Elles  sont  au  nombre  de  trente-deux 
et  formaient  des  salles  voûtées.  On  suit  bien  dans  la  plaine  voisine 
les  traces  de  l'aqueduc  qui  les  alimentait;  mais  ce  n'est  que  cette 
année  qu'on  a  déterminé  la  prise  d'eau  par  des  nivellements  et  des 
opérations  topographiques.  L'aqueduc  qui  traverse  le  Roummel ,  et 
dont  le  rang  inférieur  est  parfaitement  conservé ,  avait  trois  étages 
d'arcades.  Il  s'élevait  ainsi  jusqu'à  la  hauteur  du  Koudiat'-Aty  (11). 

cru  jusqu'ici  qu'elles  faisaient  partie  de  la  roche  même  de  Constantine;  mais  j'ai 
constaté  qu'elles  sont  d'une  formation  beaucoup  plus  moderne.  —  C  T. 

(10)  Le  pont  du  Roummel  a  5G  mètres  au-dessus  de  la  rivière;  les  arches  à  deui 
étages  qui  le  soutiennent,  ont  une  hauteur  de  48  mètres  ;  le  ravin  offre  donc  en  cet 
endroit  une  profondeur  de  104  mètres.  —  A.  M. 

(11)  Parmi  les  ruines  de  Koudiat'ati,  l'on  voit,  dans  plusieurs  endroits,  les  restes 
d'une  voie  romaine  encore  intacte  à  l'endroit  où  se  trouve  le  canal  du  grand 
aqueduc.  Cette  roule  est  pavée  avec  des  pierres  dures  et  de  couleur  grisâtre  de  la 
seconde  couche.  Elles  sont  placées  en  losanges;  leurs  dimensions  varient  un  peu, 
mais  la  majeure  partie  mesurait  1  mètre  de  long  sur  60  centimètres  de  large  et 


MONUMENTS  DE   L'ALGERIE .  735 

Là  il  déposait  les  eaux  dans  des  citernes ,  après  les  avoir  conduites 
par  un  système  de  piles  creuses  dont  je  n'ai  pu  déterminer  l'usage , 
mais  qui ,  je  pense  ,  ont  eu  pour  objet  l'épuration  des  eaux  dans  un 
premier  château  d'eau ,  d'où  elles  passaient  dans  les  grands  réser- 
voirs (12).  La  prise  d'eau  est  située  dans  une  vallée  qu'on  appelle 
Oaed-Yacoub.  Deux  sources  très-abondantes,  au  milieu  de  débris  de 
constructions  romaines ,  s'écoulent  aujourd'hui  dans  le  Roummel. 
Ces  sources  sont  à  une  hauteur  suffisante  pour  arriver  dans  les  ci- 
ternes de  la  casbah.  Mais  depuis  la  destruction  des  aqueducs  on  n'a 
d'autre  eau  à  Constantine  que  celle  du  Roummel,  montée  péniblement 
à  dos  d'âne  du  fond  du  précipice  où  coule  le  torrent.  Heureusement 
les  trente-deux  citernes  de  Constantine  sont  aujourd'hui  totalement 
restaurées  par  les  soins  du  génie,  et  si  une  partie  a  dû  être  con- 
vertie en  casernes ,  l'autre  n'attend  plus  que  les  eaux  qui  doivent 
l'alimenter  (13). 

Ainsi  la  domination  française  ,  ramenant  en  Afrique  la  civilisa- 
tion ,  se  rattache  d'abord  aux  grands  ouvrages  de  la  domination  ro- 
maine ,  partout  où  ils  peuvent  être  rétablis. 

12  centimètres  d'épaisseur.  La  route  est  large  de  cinq  mètres ,  bordée  par  une  petite 
banquette  élevée  de  35  centimètres  au-dessus  du  pavé.  La  voie  romaine  de 
Constantine  à  Stora  ,  qu'a  reconnue,  en  avril  1838,  M.  Puillcn-Boblaye,  et  qui  est 
d'une  si  admirable  conservation,  est  large  de  G  mètres.  Voy.  Excursions  dans 
l'Afrique  septentrionale ,  p.  85. 

Une  seconde  voie  romaine,  pavée  de  la  même  manière  que  l'autre,  passe  près 
Bardo,  où  étaient  les  écuries  du  bey.  La  position  et  la  direction  des  traces  qui  en 
restaient  font  supposer  qu'elle  traversait  le  Roummel  a  l'endroit  appelé  aujourd'hui 
Mdjez-al-Ghanem  (le  Gué  des  Troupeaux). 

C'est  entre  Koudiat'ati  et  Mans'ourah,  dans  la  vallée  du  Roummel ,  que  se  trou- 
vait le  faubourg  appelé  Mugure,  mentionné  dans  un  des  actes  des  martyrs ,  publiés 
par  D.  Ruinart,  ainsi  que  l'a  démontré  une  inscription  trouvée  sur  les  lieux  par  le 
capitaine  du  génie  Carette.  Cf.  Pellissier,  ouv.  cit ..  p.  370.—  A.  M. 

(12  On  pourra  comparer  ce  système  de  distribution  des  eaux  de  Constantine  avec 
celui  de  Constantinople ,  si  bien  étudié  et  si  savamment  décrit  par  le  général 
Andréossy,  dans  son  Voyage  à  l'embouchure  de  la  mer  Noire,  publié  en  1818 
(Paris,  in-8°).  —  A.  M. 

(13)  Au-dessous  de  ces  citernes  s'étend  un  long  espace  de  terrain  assez  uni  sur  le 
bord  du  précipice  dans  lequel  coule  la  rivière.  Cet  emplacement  était  ancienne- 
ment occupé  par  un  cirque  ou  hippodrome.  Les  carceres  étaient  en  ligne  avec  le 
pont,  l'entrée  était  à  l'autre  bout  vers  le  sud  ,  où  commence  le  ravin  escarpé.  Cette 
entrée  semble  avoir  été  vers  l'arc  appelé  Qasr-el-Goulah,  qui  avait  trois  entrées 
dont  celle  du  milieu  était  la  plus  large.  Shaw  fait  observer  que  les  pilastres  étaient 
d'un  goût  particulier  à  Cirta,  ce  qui  nous  fait  croire  que  cet  édi6ce  était  peut  être 
d'une  architecture  numidique.  La  forme  générale  du  cirque,  quelques  fondements 
des  murs  qui  l'environnaient  à  l'extrémité  arrondie  vers  son  entrée,  se  distinguent 
encore  faiblement.  La  spina  est  enterrée  sous  le  sol ,  charrié  par  les  pluies  du  haut 
des  côtes  rapides  de  la  terrasse  de  Mans'ourah.  (Excursions  dans  l'Afrique  sep- 
tentrionale, p.  80.)  —  A.  M, 


SCEAU  INEDIT  DE  PHILIPPE  I 


er 


.  Dans  un  intéressant  article  sur  l'iconographie  de  Saint-Louis  , 
inséré  dans  le  dernier  numéro  de  cette  Revue  (p.  675  et  suiv.) , 
M.  E.  Cartier  a  fait  ressortir  l'importance  que  présente,  au  point  de 
vue  de  l'art ,  le  Musée  sigillographique  des  Archives  du  Royaume.  Ce 
n'est  là  qu'un  des  côtés  utiles  de  la  précieuse  collection  dont  une 
heureuse  et  féconde  pensée  de  M.  Letronne  a  doté  l'établissement 
confié  à  sa  direction.  Une  découverte  ,  due  tout  récemment,  comme 
beaucoup  d'autres  du  même  genre ,  à  la  sagacité  et  aux  recherches 
persévérantes  de  M.  Auguste  Lallemand ,  commis  d'ordre  aux  ar- 
chives et  chargé  du  moulage  des  sceaux ,  nous  fournit  l'occasion 
d'indiquer ,  par  un  exemple,  les  ressources  que  ce  Musée  peut  fournir 
aux  études  historiques ,  soit  pour  aider  à  combler  les  lacunes  des  ou- 
vrages publiés  sur  la  matière,  soit  pour  rectifier  les  erreurs  qui  s'y 
sont  glissées. 

M.  A.  Lallemand  a  trouvé  apposé  à  un  diplôme  de  l'an- 
née 1082,  et  à  un  autre  acte  de  l'année  1100,  un  sceau  du  roi 
Philippe  Ier,  employé  par  ce  prince,  au  moins  pendant  les  vingt-six 
dernières  années  de  son  règne ,  et  qui  n'a  été  mentionné  ni  par 
D.  Mabillon ,  ni  par  les  auteurs  du  Nouveau  traité  de  diplomatique. 
D'un  autre  côté,  le  sceau  qui ,  dans  ces  deux  ouvrages  ,  est  donné 
comme  étant  le  sceau  unique  de  Philippe  Ier,  a  été  gravé  d'une  ma- 
nière défectueuse.  Nous  rectifierons  ce  type  déjà  publié  avant  de 
parler  de  celui  que  nous  signalons  comme  inédit. 

On  lit  dans  le  Nouveau  traité  de  diplomatique  (l)  :  Le  sceau  de  Phi- 
lippe Iet  ne  diffère  guère  de  celui  de  Henri  /er,  que  par  V inscription. 
Néanmoins,  les  dessins  que  cet  ouvrage  donne  des  deux  types  en 
les  reproduisant  d'après  les  gravures  publiées  par  D.  Mabillon  (2), 
présentent  entre  eux  quelques  différences  essentielles  qui  ne  de- 
vraient pas  exister.  Le  sceau  de  Philippe  Ier  (Voir  pi.  61  ,  n°  1) 
n'est  autre,  en  effet,  que  celui  de  Henri  Ier,  sur  lequel  on  a  changé 
seulement  le  nom  ;  des  comparaisons  minutieuses ,  des  mesures  ma- 

(1)  Nouveau  traité  de  diplomatique,  par  deux  religieux  bénédictins  de  la 
congrégation  de  Saint-Maur;  in-4°.  Paris,  1759,  t.  IV,  p.  126. 
(2;  D.  Mabillon,  Dere  diplomatica-,  in-fol.  Paris,  1709,  pages  423  et  425. 


SCEAU   INEDIT    DE    PHILIPPE    Ier.  737 

thématiquement  prises  sur  les  originaux  qui  ont  servi  de  modèles  au 
graveur  de  D.  Mabillon ,  et  que  Ton  possède  aujourd'hui  aux  ar- 
chives ,  prouvent  cette  assertion  jusqu'à  l'évidence.  C'est  donc  à  tort 
que  le  sceau  de  Henri  Ier,  gravé  dans  l'ouvrage  de  D.  Mabillon  et 
dans  le  Nouveau  traité  de  diplomatique,  ne  donne  qu'un  étage  au 
trône  en  forme  de  palais  sur  lequel  le  roi  est  assis.  Ce  trône  doit 
être  à  deux  étages,  et  avec  des  ornements  aux  moulures,  tel  qu'il 
est  dans  le  sceau  de  Philippe  Ier,  publié  à  sa  suite.  D'un  autre  côté, 
c'est  également  à  tort  que,  dans  la  légende  de  ce  dernier  sceau,  on  a 
complété  le  mot  gratia.  L'original  ne  le  donne  qu'en  abrégé  :  gba. 
L'erreur  remarquée  dans  le  sceau  de  Henri  Ier,  provient  du 
mauvais  état  de  l'empreinte  fournie  au  graveur  de  D.  Mabillon,  par 
les  archives  de  Saint-Denis.  Sur  ce  type,  en  effet,  aujourd'hui  dé- 
posé aux  archives  du  royaume  (l),  l'étage  inférieur  du  trône  et  les 
ornements  des  moulures  ont  presque  entièrement  disparu,  mais  on 
les  retrouve  bien  distincts  sur  une  autre  empreinte  du  même  sceau, 
qui  existe ,  comme  la  première ,  aux  archives ,  et  qui  provient  des 
titres  de  l'abbaye  de  Sainte-Geneviève  (2). 

Il  résulte  de  l'identité  complète  des  deux  sceaux  de  Henri  Ier  et  de 
Philippe  Ier y  que  ce  dernier,  qui  était  monté,  comme  on  sait,  sur 
le  trône,  à  l'âge  de  sept  ans,  n'a  pas  eu  pendant  sa  minorité,  et 
certainement  avant  Tan  1068,  d'autre  sceau  que  celui  de  son  père, 
avec  simple  substitution  de  nom  dans  la  légende.  La  découverte 
due  à  M.  A.  Lallemand,  établit  de  plus,  que  dès  l'année  1082, 
au  plus  tard,  Philippe  Ier  s'est  servi  d'un  autre  sceau  gravé  spéciale- 
ment pour  lui,  et  qu'il  a  dû  employer  jusqu'à  la  fin  de  son  règne, 
puisqu'on  le  retrouve  encore  en  usage  le  25  février  11 00,  sans 
qu'il  y  ait  d'exemple  que  le  premier  type  ait  reparu  depuis. 

Ce  second  sceau,  se  trouve  apposé  pour  la  première  fois,  ainsi 
que  nous  l'avons  dit ,  à  un  diplôme  de  l'an  1082 ,  daté  de  Poissy  le 
6  janvier  de  cette  année,  et  par  lequel  Philippe  Ier  faisant  droit  aux 
plaintes  d'Isambart,  abbé  de  Saint-Germain  des  Prés,  déboute  un 
chevalier ,  nommé  Hugue  Stavello ,  du  droit  de  lever  des  taxes  sur 
les  habitants  de  Dammartin  (3).  Sur  ce  sceau  (V.  pi.  61,  n»  2) 

(1)  Cartons  des  Rois,  K.  19,  3. 

(2)  Idem.  K.  19  1  bis. 

(S)  Ce  diplôme  existe  en  original  aux  archives  du  royaume,  cartons  des  Rois, 
K  20,  6.  Il  est  imprimé  dans  l'histoire  de  l'abbaye  de  Saint-Germain-des-Prés,  par 
D.  Jacques  Bouillard,  religieux  bénédictin.  Paris,  1724,  in-fol.  Pièces  justificatives, 
n° XXXII.  Il  en  est  aussi  faitmention  dans  le  Galliana  chrisliana  (nouv.  édition), 
t.  VII,  col.  438. 


738  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

le  roi  est  représenté  jeune  et  sans  barbe.  Il  est  assis  sur  un  trône 
à  tètes  et  à  pieds  de  lions  (  particularité  qu'il  est  bon  de  remarquer, 
caries  bénédictins  ne  la  faisaient  remonter  qu'à  Louis  le  Gros).  Sa 
couronne  est  surmontée  de  trois  Heurs  de  lis;  il  tient  delà  main 
gauche  un  bâton  royal  terminé  par  une  fleur  de  lis,  et  de  la  droite, 
un  petit  sceptre  en  forme  de  trident. 

Il  est  probable  que  ce  sceau  de  Philippe  Ier,  postérieur  à  1068 
et  antérieur  à  1082,  date  de  l'époque  de  sa  majorité,  c'est-à-dire 
de  l'année  1074  environ  ,  si  l'on  s'en  rapporte  à  Y  Art  de  vérifier  les 
dates.  Cet  ouvrage  contient  d'ailleurs ,  à  l'article  qui  nous  occupe , 
une  erreur  assez  grave,  pour  qu'il  nous  paraisse  nécessaire  de  la 
relever  ici  :  on  y  lit  (1).  ce  Le  jeune  prince  gouverna  d'abord  sous  la 
«  tutelle  et  la  régence  de  la  reine  sa  mère  ;  puis ,  après  la  retraite  de 
«  cette  princesse,  arrivée  l'an  1062,  sous  celle  de  Baudoin  V,  comte 
«  de  Flandres ,  qui  exerça  ce  double  emploi  jusqu'à  sa  mort  arri- 
«  vée  le  1er  septembre  1067.  —  Philippe,  à  la  mort  de  Baudoin , 
«  n'était  que  dans  sa  quinzième  année,  et  la  majorité  de  nos  rois 
«  était  alors  communément  fixée  à  21  ans.  Baudoin,  cependant, 
«  n'eut  pas  de  successeur  dans  la  régence ,  et  Philippe  commença 
«  dès  lors  à  gouverner  par  lui-môme  ,  et  à  faire  expédier  les  actes 
«  en  son  nom ,  car  il  est  à  remarquer  qu'autrefois  les  régents  pre- 
«  naient  absolument  la  place  des  rois,  mettaient  leurs  propres  noms 
«  à  la  tète  de  tous  les  actes  émanés  de  l'autorité  souveraine  et  les 
«  scellaient  de  leurs  sceaux.  » 

Loin  que  les  actes  originaux ,  seule  source  de  certitude  en  tel 
cas,  fournissent  rien  en  faveur  de  cette  assertion,  ceux  que  possè- 
dent les  archives  prouvent  le  contraire  de  la  manière  la  plus  évi- 
dente. Il  suffirait  d'en  énoncer  quelques-uns  datés  des  premières  an- 
nées du  règne  de  Philippe  Ier,  pour  démontrer  que  l'opinion  énoncée 
dans  XArt  de  vérifier  les  dates ,  au  sujet  des  attributions  de  la  ré- 
gence à  cette  époque,  n'a  aucune  espèce  de  fondement. 

Nous  nous  bornerons  à  citer  un  diplôme ,  daté  de  Senlis , 
l'an  1Q6Q ,  première  année  du  règne  de  Philippe  Ier,  donné  an  nom  du 
roi,  revêtu  de  son  monogramme  »  et  scellé  de  son  sceau,  et  par  lequel 
ce  prince  confirme  une  donation  d'Adèle,  sa  tante  paternelle,  à 
l'abbaye  de  Saint-Denis.  Un  seul  passage,  dans  ce  diplôme,  peut 
rappeler  la  régente  et  son  conseil ,  c'est  celui  où  le  roi  dit  qu'il  ac- 
corde cette  confirmation  per  interventum  matris  A.  et  per  assensum 

[i)  Art  de  vérifier  les  dates,  3e  édit.,  in-fol.  1783,  1. 1,  p.  671. 


SCEAU  INEDIT  DE  PHILIPPE  Ier.  739 

fidelium  (l).  Les  autres  actes  du  commencement  de  ce  règne,  sont 
semblables  à  celui-ci  pour  la  forme  ;  tous  sont  au  nom  du  roi ,  aucun 
au  nom  de  la  régence.  On  en  peut  consulter  plusieurs,  réunis  dans 
un  intéressant  ouvrage  du  prince  Alexandre  de  Labanoff  (2). 

On  reconnaîtra  que  les  rectifications  de  la  nature  de  celles  que 
nous  venons  d'indiquer,  ne  sont  pas  sans  importance,  lorsqu'elles 
portent  sur  des  ouvrages  aussi  généralement  et  aussi  justement 
estimés.  Ces  ouvrages  remplacent  en  effet  entre  les  mains  de  la 
plupart  des  savants  les  actes  originaux  qui ,  antérieurement  au 
XIIe  siècle ,  ne  se  trouvent  guère  que  dans  quelques  grands  dépôts 
publics;  et  dans  ces  dépôts  mêmes,  le  nombre  en  est  très-restreint. 
C'est  donc  en  général  sur  les  fac  simïle  publiés  par  D.  Mabillon  et 
et  par  les  auteurs  du  Nouveau  traité  de  diplomatique,  ainsi  que  sur 
les  assertions  de  Y  Art  de  vérifier  les  dates,  que  s'appuient  les  disserta- 
tions relatives  aux  anciens  diplômes  de  notre  histoire ,  et  à  quelles 
erreurs  n'est-on  pas  exposé ,  surtout  dans  l'appréciation  de  l'authen- 
ticité des  actes,  lorsque  le  point  de  départ  de  cette  appréciation  n'est 
point  rigoureusement  exact.  Or,  il  faut  l'avouer,  c'est  sous  le  rap- 
port des  reproductions  graphiques  que  les  magnifiques  monuments 
dus  à  la  science  des  bénédictins  laissent  le  plus  à  désirer.  Depuis 
le  siècle  dernier  les  arts  ont  fait  de  grands  progrès  en  ce  genre  ,  et 
la  science  exige  plus  aujourd'hui.  Nous  pouvons  citer  comme  un 
exemple  de  la  perfection  qu'elle  est  désormais  en  droit  d'attendre , 
les  belles  planches  de  fac  simïle,  dues  au  burin  de  M.  S.  Jacobs,  et 
qui ,  exécutées  aux  archives  du  royaume ,  sous  la  surveillance 
consciencieuse  de  M.  Natal  is  de  Wailly,  ont  été  jointes  à  son  Manuel 
de  paléographie ,  publié  en  1838. 

E.  DE  Stadler. 

(1)  Archives  du  royaume,  K  20,  i. 

(2)  Recueil  de  pièces  historiques  sur  la  reine  Anne  ou  Agnès ,  épouse  de 
Henri  Ier,  roi  de  France,  par  le  prince  Alexandre  de  Labanoff  de  Rostoff  ;  in-8.  Paris, 
Firmin  Didot,  1825.  Preuves,  p.  29. 


NOTICE  HISTORIQUE 


SUR 


LE  QUARTIER  DE  LA  CITÉ,  A  PARIS, 

A   L'OCCASION 

DE   LA   DÉMOLITION   DES   RESTES   DE   LEGLISE   PAROISSIALE 
DE    SAINTE- CROIX. 


Lorsqu'on  fouille  le  sol  de  l'ancien  Paris,  quand  les  besoins  et  les 
perfectionnements  de  notre  civilisation  nécessitent  la  suppression  ou 
la  modiûcation  de  ses  vieilles  rues  étroites  et  tortueuses ,  il  est  bien 
rare  de  n'y  pas  rencontrer  de  précieux  vestiges  d'antiques  monu- 
ments de  son  histoire  militaire,  civile  et  ecclésiastique.  Tantôt  appa- 
raissent des  substructions  remontant  aux  époques  les  plus  reculées, 
des  chaussées  avec  leur  pavement  de  pierres  plates,  des  murailles  ou 
des  aqueducs  du  temps  de  la  domination  romaine.  Tantôt  les  assises 
inférieures  des  remparts  et  des  tours  de  son  enceinte  au  moyen  âge 
viennent  déterminer  les  points  demeurés  indécis  du  périmètre  muni- 
cipal. Souvent,  dans  les  détours  anguleux  de  quelque  rue  obscure,  et 
serrés  entre  de  vieilles  et  hideuses  maisons  que  le  pic  du  manœuvre 
démolit  sans  effort,  surgissent  les  restes  d'une  église,  d'une  simple 
chapelle,  une  crypte  sépulcrale,  ou  quelque  inscription  funéraire. 
La  Cité ,  comme  étant  le  plus  ancien  quartier,  et  même  le  berceau 
de  Paris,  offre  souvent,  et  surtout  depuis  qu'on  s'occupe  de  l'em- 
bellir en  l'assainissant ,  l'occasion  de  ces  découvertes  pleines  d'intérêt 
pour  l'archéologie. 

Ainsi,  au  mois  d'avril  1842,  en  démolissant  plusieurs  vieilles  mai- 
sons situées  entre  les  rues  des  Deux-Hermites  et  de  Perpignan  pour 
le  percement  de  la  rue  de  Constantine,  aboutissante  celle  d'Arcole, 
on  découvrit  plusieurs  caves  superposées,  dont  l'une  plus  rappro- 
chée de  la  rue  des  Deux-Hermites,  sous  laquelle  elle  passait,  offrait 
une  voûte  ogivale  à  nervures  croisées  et  taillées  en  coin. 


QUARTIER  DE   LA.   CITÉ,   A  PARIS.  74l 

Il  n'existe  point  dans  l'histoire  ,  ni  dans  les  anciens  plans  de  Paris 
d'indication  ou  de  traces  que  ces  curieuses  substructions  aient  appar- 
tenu à  un  édifice  religieux  ou  civil  ;  à  moins,  ce  qui  paraît  probable, 
qu'elles  n'aient  fait  partie  des  anciennes  prisons  et  cachots  de  la  jus- 
tice seigneuriale  du  chapitre  de  Notre-Dame,  que  l'on  croit  avoir  été 
anciennement  établis  à  l'entrée  de  l'impasse  de  Sainte-Marine  en 
entrant  à  gauche  (l).  Mais  le  bâtiment  destiné  à  cet  usage  avait  subi 
d'immenses  modifications  dans  sa  forme  pendant  la  suite  des  siècles. 
Ce  n'était  plus  qu'une  vieille  maison  fort  ordinaire  appropriée  depuis 
longues  années  aux  travaux  d'un  atelier  de  serrurerie,  successive- 
ment occupé  par  les  sieurs  Bouresche,  Garnier  et  Duverne,  tour  à 
tour  serruriers  de  l'ancien  et  du  nouveau  chapitre  de  l'église  métro- 
politaine. Plus  tard ,  en  1843  ,  en  creusant  près  de  cette  même  rue 
de  Perpignan,  pour  asseoir  les  fondements  de  la  maison  de  M.  Re- 
gnard  Sylvestre,  commissaire-priseur,  on  découvrit  un  aqueduc  de 
construction  romaine ,  dont  les  briques  formant  le  canal  furent  re- 
connues pour  appartenir  à  cette  époque. 

Au  moment  où  nous  écrivons  ceci,  les  utiles  travaux  d'élargisse- 
ment de  la  rue  de  la  Cité  et  d'achèvement  de  la  rue  de  Constantine, 
font  disparaître  tout  à  la  fois  la  rue  de  la  Vieille  Draperie  et  le  por- 
tail de  l'antique  église  paroissiale  de  Sainte-Croix.  Respectable  dé- 
bris, d'une  grande  solidité,  qui  s'élevait  encore  avec  son  pignon  sur 
la  rue  Sainle-Croix  ;  mais  qui  demeurait  inaperçu  dans  celte  ruelle 
fangeuse  de  trente-sept  mètres  de  long,  sur  à  peine  deux  mètres  de 
large,  sans  boutiques  au  rez-de-chaussée  et  aboutissant  à  des  repaires 
infâmes.  Hormis  quelques  antiquaires,  les  voisins,  même  les  plus 
près  de  celte  ruine  chrétienne  ignoraient  peut-être  que  là,  pendant 
plus  de  sept  siècles,  avait  existé  une  église. 

Dès  le  règne  de  Louis  VI ,  dit  le  Gros ,  la  rue  de  la  Vieille-Dra- 
perie était  habitée  par  des  juifs.  Mais  ces  boucs  émissaires  de  préven- 
tions populaires  plus  ou  moins  fondées,  furent  chassés  du  royaume, 


(1)  Celte  petite  église  qui  fut  pendant  plus  de  trente  ans  l'atelier  de  teinture  du 
sieur  Mahussier,  existe  encore  au  fond  de  l'impasse.  Elle  n'a  rien  de  remarquable 
que  son  abside,  en  ogive  à  nervures  croisées,  t:ès-surbaissée,  sans  doute  à  cause  de 
l'élévation  postérieure  du  sol.  La  cure  était  à  la  collation  pure  et  simple  de  l'ar- 
chevêque de  Paris.  Elle  était  la  paroisse  des  officiers  et  domestiques  de  sa  maison 
bien  qu'éloignée  du  palais  épiscopal.  Aux  termes  d'un  procès-verbal  d'enquêle  de 
1495,  cité  par  l'abbé  Lebeuf  (Bisl.  du  D.  de  Paris ,  t.  I,  p.  352)  ,  le  curé  de 
Sainte-Marine  avait  sa  pitance  à  l'évêché  ;  mais  aussi,  il  était  chargé  de  confesser 
les  prisonniers  des  prisons  épiscopalcs.  Il  faisait  aussi  dans  son  église  les  mariages 
ordonnés  par  sentence  de  l'officialité. 

m.  48 


742  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

par  un  édit  de  Philippe-Auguste,  du  mois  d'avril  1182;  alors  les 
drapiers  vinrent  s'établir  dans  cette  rue  qui,  pour  ce  motif  fut  ap- 
pelé la  draperie.  Dans  le  rôle  des  tailles  de  Philippe  le  Bel,  dressé 
en  1313,  elle  y  figure  sous  le  nom  de  Vieille  Draperie,  qu'elle  a 
porté  jusqu'à  sa  suppression  en  1846.  C'était  au  coin  de  cette  rue, 
vers  la  place  du  Palais ,  qu'était  la  maison  du  père  de  Jean  Châtel , 
qui  attenta  à  la  vie  de  Henri  IV  en  le  blessant  d'un  coup  de  couteau 
à  la  lèvre,  le  27  décembre  1594. 

Dans  l'enceinte  si  étroite  de  la  Cité  se  dressaient  autrefois  les 
clochers  de  vingt-une  églises  ou  chapelles,  de  toute  date,  de  toute 
forme,  et  de  toute  grandeur  :  décoration  merveilleuse,  riche  et  im- 
posante ,  que  la  faux  révolutionnaire  a  rasée,  et  dont  elle  a  privé  nos 
grandes  villes ,  probablement  pour  toujours  (1).  Toutes  ces  églises 
étaient  bâties  avec  une  magnificence  proportionnée  à  leur  impor- 
tance relative  ;  car,  au  moyen  âge ,  rien  n'était  épargné  pour  décorer 
la  maison  de  Dieu.  Mais ,  par  un  contraste  qui  sert  à  faire  ressortir 
la  foi  ardente  de  nos  pères  et  la  simplicité  patriarcale  de  leurs  ha- 
bitudes domestiques ,  leurs  demeures  n'offraient  rien  que  de  triste 
et  de  misérable.  Les  rues  étaient  étroites,  tortueuses,  sales,  humides 
et  sans  air.  Elles  étaient  bordées  de  maisons  à  pignons  en  avant- 
solier  (2) ,  obscures ,  encombrées  et  malsaines  :  celles  qui  nous  res- 
tent attestent  par  la  laideur  de  leur  structure  et  leur  distribution  in- 
commode que  les  hommes  illustres  qui  préparèrent  et  firent  la  renais- 
sance dans  le  XVe  et  le  XVIe  siècle ,  avaient  à  peine  mis  leurs 
contemporains  sur  la  voie  des  améliorations  et  des  inventions  utiles 
que  les  siècles  plus  polis  sont  venus  faire  éclore  ou  perfectionner. 
Avant  cette  ère  de  progrès ,  les  choses  les  plus  ordinaires  suffisaient 
à  tous  les  besoins  ;  car,  alors ,  même  dans  les  conditions  les  plus 
élevées ,  on  vivait  sans  luxe ,  avec  une  économie  et  une  simplicité  à 
peine  croyables  aujourd'hui ,  à  tel  point  que  les  appartements  de  nos 
rois  et  des  seigneurs  étaient  jonchés  de  paille,  au  lieu  de  lapis  et  de 

(1)  Voici  les  noms  de  ces  vingt-une  églises  :  Notre-Dame.  —  Saint-Denis  du  Pas. 

—  Saint-Jean  le  Rond.  —  Saint-Aignan.  —  Sainte-Marine. — Saint-Pierre  aux 
Bœufs.  —  Saint-Christophe.  —  Sainte-Geneviève  des  Ardents.  —  Saint-Landry.  — 
Saint-Denis  de  la  Chartre.  —  Sainl-Symphoricn  (  depuis  Saint-Luc).  — Sainte-Ma- 
deleine. —  Sainte-Croix.  —  Saiul-Pierre  des  Arcis.  —  Srtint-Germain  le  Vieux. 

—  Saint-Martial.  —  Saint-È!oy.  — Saint-Barthélémy.  —  La  Sainte  -Chapelle.  —  La 
chapelle  de  l'Hôtel-Dicu.  —  L'antique  et  double  chapelle  du  palais  épiseopa!, 
démolie  par  l'émeute  en  1831. 

(2)  On  voit  encore  de  ces  avant-solicr  dans  plusieurs  rues  de  Paris,  notamment 
à  une  maison  rue  des  Prêtres  Saint-Germain  l'Auxerrois  et  à  celle  formant  l'angle 
de  celle  rue ,  sur  la  façade  regardant  la  place  de  l'École. 


QUARTIER   DE    LA   CITE,   A   PARIS.  743 

nattes.  Souvent  un  seigneur  netait  guère  mieux  logé  qu'un  simple 
bourgeois.  Ainsi,  dans  la  partie  la  plus  triste  et  la  plus  infime  de  la 
Cité,  se  trouve  une  rue  formant  encore  une  équerre  qui  commençait 
à  la  rue  Saint-Pierre  aux  Bœufs  (aujourd'hui  rue  d'Arcole),  et  qui 
aboutit  à  la  ruelle  des  Trois  Canettes.  Les  vieilles  maisons  de  plâtre 
de  cette  rue ,  dont  les  soubassements  de  pierre  de  taille  révèlent  l'an- 
cienne importance,  formaient  jadis  l'ancien  fief  de  Cocatrix ,  ainsi 
appelé  de  Geoffroy  de  Cocatrix,  échanson  du  roi  Philippe  le  Bel ,  et 
seigneur  de  ce  fief,  où  il  demeurait  vers  1300.  Il  est  vrai  qu'ignorant 
les  délicatesses  d'une  civilisation  dont  les  nombreux  avantages  com- 
pensent largement  certains  travers,  ces  vieilles  générations,  plus 
robustes  que  les  nôtres,  n'étaient  point  blasées  par  un  confortable 
sans  bornes ^  comme  sans  mesure,  ou  énervées  par  des  causes  qui  se 
rattachent  à  la  mollesse ,  et  peut-être  jusqu'à  un  certain  point  au 
relâchement  des  principes  et  des  mœurs. 

Nous  sommes  loin  de  nous  extasier,  comme  certains  romanciers  à 
la  mode,  sur  cet  ancien  et  hideux  état  de  la  vieille  Cité  parisienne. 
Nous  pensons  au  contraire  qu'il  appelait  une  réforme  intelligente , 
mais  qu'il  était  dû  à  l'absence  de  toute  police  et  de  sages  règlements 
sur  la  voirie  ;  de  sorte  que  toutes  personnes,  propriétaires  ou  prolé- 
taires ,  pouvaient  agir  suivant  leur  intérêt  privé  ou  leurs  caprices. 
L'hygiène  publique  était  à  peu  près  inconnue;  aussi  les  épidémies 
sévissaient-elles  souvent  sur  cette  population,  entassée  dans  des  mai- 
sons dont  l'aspect  seul  nous  fait  reculer  d'horreur.  On  ne  commença 
à  construire  des  égouts  dans  Paris  qu'en  1381.  La  première  ordon- 
nance pour  le  nettoyement  des  rues  date  de  1476  ;  avant,  on  amon- 
celait les  immondices  dans  les  carrefours,   et  lorsque  leur  masse 
gênait  la  circulation,  les  voisins  la  faisaient  enlever  à  frais  com- 
muns. Ceux  qui  ne  pouvaient  payer  leur  part  portaient  leurs  ordures 
sur  les  places  publiques.  Les  premières  fosses  d'aisance  ne  furent 
établies  à  Paris  qu'en  1539,  et  encore  toutes  les  maisons  n'en  étaient 
pas  pourvues  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV.  Il  est  facile  d'ima- 
giner combien  étaient  infects  et  dangereux  ces  détritus  de  toute  na- 
ture stagnant  dans  des  rues,  telles  que  celles  de  la  Lanterne  et  de 
la  Juiverie  ne  formant  qu'une  seule  voie,  aujourd'hui  élargie  d'en- 
viron neuf  mètres,  où  le  soleil  pénétrait  à  peine,  avant  que  le  lieu- 
tenant de  police  de  La  Beynie  eût  établi  vers  1667  un  service  régu- 
lier pour  le  nettoyage  des  rues  et  l'enlèvement  des  immondices. 
Après  ces  deux  rues,  artères  de  la  Cité,  la  rue  des  Marmouzets 
était  une  des  mieux  entretenues  par  sa  population  industrielle,  et 


744  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

cependant,  au  dire  du  commissaire  de  La  Marre,  (  Iraitéde  la  Police,^ 
1. 1,  p.  560)  et  de  Sainte-Foix  (Essais  sur  Paris,  t.  I,  p.  205,  édit. 
de  1777),  le  médecin  Courtois,  qui  y  demeurait  sous  Louis  XIV, 
voyait  ternir  dans  l'espace  du  matin  au  soir,  les  chenets  de  cuivre , 
ornement  de  son  foyer,  qu'il  faisait  frotter  tous  les  jours. 

Si ,  au  moyen  âge,  les  rues  étaient  étroites  et  sinueuses  ,  les  mai- 
sons drues ,  hautes  et  obscures ,  cela  tenait  à  des  habitudes  immé- 
moriales qu'on  peut  faire  remonter  à  l'antiquité  païenne.  Nous 
croyons  assez  à  l'intelligence  de  ceux  qui  persiflent  cette  vieille  civi- 
lisation pour  admettre  qu'ils  ne  prétendent  point  emprisonner  dans 
leur  pensée  propre ,  la  pensée  progressive  d'une  société  qui  n'est 
plus  :  car  la  réformation  ou  la  transformation  dans  les  lois ,  les 
sciences  et  les  arts  a  été  relative  à  l'état  actuel  de  ses  habitudes ,  de 
ses  instincts  et  de  ses  besoins.  Nos  aïeux ,  dont  tous  les  transports  se 
faisaient  à  somme  d'animaux,  à  cause  du  mauvais  état  des  chaussées, 
et  qui  ne  circulaient  dans  la  ville  qu'à  cheval  ou  sur  des  mules, 
n'avaient  aucun  besoin  de  rues  spacieuses;  c'est  pourquoi  ils  ne 
leur  donnaient  presque  toujours  que  des  proportions  étroites,  peut- 
être  aussi  par  économie  de  terrain;  leur  irrégularité  pouvait  avoir 
aussi  un  motif  de  défense,  une  raison  stratégique,  pour  le  cas  d'en- 
vahissement de  la  ville  par  l'ennemi.  Deux  circonstances  ont  amené 
depuis  deux  siècles  seulement ,  l'élargissement  des  rues  :  l'usage  des 
carrosses  dont  l'invention  remonte  à  Henri  II  ;  mais  dont  l'emploi 
permanent  ne  date  que  du  commencement  du  XVIIe  siècle  ;  et  sur- 
tout la  multiplication  plus  récente  des  charrettes,  chariots,  haquets 
et  voilures  de  roulage. 

Pour  ce  qui  est  du  confortable  et  des  précautions  hygiéniques  ; 
tous  ces  perfectionnements  ne  pouvaient  être  que  l'ouvrage  du  temps 
et  de  l'expérience  :  pour  y  arriver,  il  a  fallu  traverser  bien  des  jours 
malheureux.  Il  est  notoire  que  nos  pères,  excessivement  routiniers, 
se  départaient  difficilement  de  leurs  habitudes.  11  est  donc  évident 
que  l'abolition  des  usages  et  des  procédés  de  leur  époque  n'aurait  pu 
se  faire  par  la  conception  a  priori  d'un  système  d'améliorations 
pleinement  conformes  à  ce  que  le  cours  des  âges  a  pu  réaliser  plus 
tard.  Est-ce  qu'il  ne  serait  point  contraire  à  toutes  les  idées  de  lo- 
gique, d'imaginer  qu'on  eût  pu  imposer  de  prime  saut  à  une  société 
pleine  de  préjugés,  une  foule  d'usages  admis  aujourd'hui  dans  nos 
mœurs?  Et  qui  donc  eût  compris  une  semblable  perturbation?  Qui 
l'eût  voulu?  Qui  ne  l'eût  repoussée  comme  une  pensée  diabolique? 
Puis  d'ailleurs,  quiconque  a  étudié  le  moyen  âge,  a  pu  y  apprendre 


QUARTIER   DE   LA   CITÉ,   A   PARIS.  745 

que  chaque  société  a  son  caractère  propre  ;  que  le  bonheur  des 
hommes,  leur  liberté  même  réside  le  plus  souvent  dans  l'idée  qu'ils 
ont  conçue,  idée  pour  eux  relative  aux  habitudes  présentes  et  par- 
faitement distincte  de  l'idée  générale  que  peut  en  donner  la  philoso- 
phie ;  et  ceci  s'applique  à  notre  époque  môme ,  si  flère  de  ses  per- 
fectionnements. 

Au  reste,  qu'a  fait  l'édilité  parisienne ,  depuis  un  demi-siècle  de 
progrès ,  pour  assainir  et  transformer  la  vieille  Cité,  mère  de  la  capi- 
tale de  la  France?  —  Peu  de  choses.  — Les  repères  de  ses  rues  si 
noires  et  si  tortueuses  sont  restés  à  peu  près  les  mêmes  ;  car, 
excepté  le  changement  de  l'étroite  rue  Saint-Pierre  aux  Bœufs  en 
une  voie  large  et  droite,  conduisant  du  pont  d'Arcole  au  parvis 
Notre-Dame ,  le  percement  de  la  belle  rue  de  Constantine  en  face  du 
Palais  de  Justice ,  et  l'élargissement  de  la  rue  médiaire  de  la  Cité  : 
ses  vieilles  maisons  offrent  encore  un  ensemble  assez  complet  et  des 
cloaques  assez  fétides ,  pour  donner  aux  étrangers  une  idée  de  ce 
qu'elle  fut  matériellement  au  moyen  âge.  Le  changement  le  plus 
apparent  que  ce  quartier  ait  subi,  au  point  de  vue  des  arts,  depuis 
cinquante  ans  :  c'est  la  démolition  de  toutes  ses  églises,  excepté 
Notre-Dame  et  la  Sainte-Chapelle ,  que  l'on  restaure  splendidement 
aujourd'hui.  Encore  doit-on  regarder  la  conservation  de  Notre-Dame 
comme  providentielle,  car  à  la  Convention  nationale  et  dans  le  con- 
seil général  de  la  commune,  il  fut  plus  d'une  fois  question  de  mettre 
en  vente  cette  belle  et  vénérable  basilique ,  pour  être  démolie  ;  et  la 
Sainte-Chapelle,  précieux  reliquaire  de  saint  Louis,  ne  fut  sauve- 
gardée que  pour  servir  d'Archives  judiciaires  du  palais  auquel  elle 
confine ,  et  eu  subissant  les  plus  brutales  mutilations. 

C'est  dans  les  instincts  moraux  de  la  population  pauvre  de  la  Cité, 
qu'une  triste  métamorphose  s'est  presque  complètement  accomplie 
depuis  les  dix  dernières  années  du  XVIIIe  siècle.  Dans  des  temps 
meilleurs  et  moins  agités,  cette  population  obscure,  industrielle  et 
de  mœurs  pures,  avait  des  habitudes  d'ordre  intérieur  et  de  sobriété. 
Elle  se  mêlait  peu  de  politique,  parce  qu'elle  ne  formait  point  son 
opinion  sur  des  journaux.  Ce  n'était  point  là  que  les  séditieux  allaient 
chercher  des  complices  pour  répandre  l'anarchie  dans  la  capitale  : 
car  l'aisance  des  petites  gens  est  le  meilleur  préservatif  contre  la 
révolte.  Il  est  vrai  que  nous  n'étions  pas  encore  arrivés  à  cet  âge  d'in- 
crédulité systématique  qui  étouffe  toute  noblesse  d'âme,  tout  senti- 
ment généreux  et  conduit  l'homme  à  l'instinct  de  la  brute  :  il  y  avait 
de  la  foi  et  des  convictions  ardentes.  Mais  depuis  lors,  l'oisiveté  du 


746  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

grand  nombre  causée  par  une  recrudescence  de  population  pendant 
trente  ans  de  paix ,  et  par  la  simplification  ingénieuse  des  procédés 
industriels  qui  fait  qu'une  simple  machine  supplée  à  une  multitude 
de  bras,  a  fait  prendre  des  habitudes  de  débauche  qui  ont  Gni  par 
tout  envahir  dans  les  parties  les  plus  obscures  de  ce  quartier  excen- 
trique. Il  faut  reconnaître  cependant  que  la  population  infime  forcée 
d  emigrer  des  autres  quartiers  de  Paris ,  où  se  font  actuellement  tant 
de  somptueuses  constructions,  vient  chercher  une  retraite  moins 
coûteuse  dans  les  sombres  garnis  et  les  vieilles  maisons  de  la  Cité  ; 
elle  choisit  de  préférence  les  parties  les  plus  populeuses  où  la  boue 
tapisse  les  rues  en  toute  saison ,  où  le  ruisseau  est  un  marais  en  petit, 
où  des  forêts  de  masures  hautes  et  drues  lui  permettent  d'installer 
librement  sa  misère  et  ses  penchants. 

Dans  la  seule  rue  de  la  Cité  (1)  qui  traverse  l'île  dans  toute  sa 
largeur  on  ne  compte  pas  moins  de  trente-cinq  boutiques  d'estami- 
nets ,  de  marchands  de  vins,  de  liquoristes  ou  épiciers  rogomistes.  Il 
y  en  a  au  moins  autant  dans  le  reste  de  la  Cité  ;  preuve  infaillible  de 
l'épouvantable  consommation  de  liquides  spiritueux  qui  se  fait  jour- 
nellement dans  ce  petit  espace.  C'est  là  qu'on  voit  des  hommes  et  des 
femmes  en  guenilles  debout  autour  d'un  comptoir,  vociférant  l'orgie 
ou  échangeant  des  quolibets  licencieux,  en  doublant  et  triplant  la 
dose  d'une  boisson  incendiaire,  ce  Au  milieu  de  cette  population 
abrutie ,  disait  naguère  un  savant  écrivain  ;  au  milieu  de  cette  popu-, 
lation  dont  les  hommes  se  répandent  le  jour  dans  les  ateliers  où  le 
travail  les  appelle,  dont  les  femmes  et  les  enfants,  hâves  et  déco- 
lorés, végètent  au  bord  du  ruisseau  où  ils  cherchent  un  peu  d'air  et 
de  jour,  se  glisse  une  autre  population  qui  fuit  la  lumière  et  qui  se 
dérobe  à  l'œil  de  la  police ,  en  s'enfonçant  dans  les  inextricables  dé- 
tours de  ce  labyrinthe  de  maisons  aux  chambres  noires ,  aux  innom- 
brables cloisons,  et  qui,  au  moyen  de  faciles  communications, 
peuvent  offrir  plusieurs  issues.  Douze  cents  malfaiteurs  habitent 
ordinairement  dans  ce  quartier.  II  est  vrai  qu'on  ne  peut  mettre  la 
main  sur  eux  que  quand  on  les  prend  en  flagrant  délit  ;  mais  parmi 
eux  se  cachent  des  gens  repris  de  justice,  des  scélérats  dont  les 
crimes  sont  avérés,  les  mêmes  dont  à  certains  jours  on  voit  appa- 
raître les  figures  étranges,  et  dont  les  physionomies  font  un  tel  con- 
traste avec  celles  qui  circulent  journellement  dans  la  ville,  qu'elles 
effrayent  les  honnêtes  gens ,  en  révélant  une  horde  inconnue  dont  on 

(1)  Ci-devant  rues  de  la  Lanterne  et  de  la  Juiverie.    « 


QUARTIER  DE   LA  CITÉ,   A    PARIS.  747 

ne  peut  deviner  les  habitations.  Telle  est  la  Cité,  qui  était  jadis  tout 
Paris ,  et  que  cependant  l'empereur  Julien  appelait  sa  chère  Lutèce  !  » 
(Du  Mersan,  art.  Cité,  Encyclop.  cath.,  t.  VIII). 

Le  Prado,  ancienne  salle  de  spectacle  bâtie  sur  les  ruines  de 
l'église  paroissiale  de  Saint-Barthélémy,  est  aujourd'hui  un  lieu  où 
une  exorbitante  liberté  est  laissée  aux  danses  obscènes,  aux  excès 
les  plus  cyniques  et  les  plus  dégradants.  A  quelques  pas  de  cet 
antre  ,  dans  les  rues  Gervais-Laurent ,  aux  Fèves,  de  la  Licorne,  de 
la  Calandre  et  Saint-Martial ,  existent  des  établissements  plus  dan- 
gereux encore  :  des  êtres  dégradés  pénètrent  dans  les  nombreux  dé- 
tours de  ces  repaires  et  s'y  livrent  avec  impunité  à  toutes  les  turpi- 
tudes du  vice,  à  tous  les  excès  de  la  débauche.  Un  crime  a-t-il  été 
commis,  la  police  jette  son  filet  dans  ces  cloaques,  et  presque  tou- 
jours elle  y  saisit  les  coupables.  Aussi  les  voleurs,  commensaux  de 
ces  horribles  lieux,  ont  maintenant  une  certaine  importance  depuis 
que  les  feuilletons  à  la  mode  leur  ont  donné  droit  de  cité  dans  les 
salons ,  et  que  l'argot  est  enseigné  comme  une  de  ces  largues  vi- 
vantes ,  dont  l'illustre  chancelier  d'Aguesseau  disait  que  leur  étude 
devrait  être  la  récréation  de  la  jeunesse.  C'est  dans  l'une  de  ces 
rues:  la  rue  aux  Fèves,  qu'un  écrivain  prétendu  moraliste,  qu'un 
publiciste  plus  sérieux  a  spirituellement  appelé  le  barde  des  bagnes, 
a  placé  les  premières  scènes  d'un  roman  tristement  fameux  où  la 
théorie  du  vol ,  de  l'adultère  et  de  l'assassinat  est  exposée  et  discutée 
aussi  gravement  qu'une  leçon  de  philosophie  des  cours  de  la  Sor- 
bonne.  Des  travaux  de  voirie  et  de  salubrité  qui  prennent  chaque 
jour  plus  d'impprtance,  doivent  heureusement,  dans  un  temps  plus 
ou  moins  prochain ,  purger  le  quartier  de  la  Cité ,  de  cette  lèpre 
sociale. 

C'est  en  faisant  disparaître,  pour  former  l'alignement  du  côté 
méridional  delaruedeConstantine,  un  pâté  considérable  de  ces  hi- 
deuses maisons ,  véritable  échantillon  de  l'art  de  bâtir  avant  qu'il  ait 
été  assujetti  à  une  méthode  régulière,  et  à  des  règles  puisées  dans  la 
raison  et  dans  le  goût ,  que  les  derniers  vestiges  de  la  vieille  église 
de  Sainte-Croix  viennent  d'être  atteints.  Ce  n'est  point  une  perte 
pour  l'art  que  nous  enregistrons,  mais  simplement  un  souvenir 
historique,  pour  montrer  qu'un  monument  sacré,  sans  avoir  par  lui- 
même  ou  par  ses  ruines,  une  grande  importance,  par  cela  seul 
qu'il  a  traversé  plusieurs  siècles,  se  trouve  renfermer  dans  ses  hum- 
bles annales  des  renseignements  précieux  et  dignes  de  passer  à  la 
postérité. 


748  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Les  historiens  sont  partagés  sur  la  véritable  origine  de  l'église  de 
Sainte-Croix.  Mais  l'opinion  la  plus  probable  est  celle  de  Jaillot  : 
ce  juge  excellent  en  fait  d'antiquités  parisiennes,  estime  qu'elle  fut 
d'abord  une  chapelle  ayant  pu  servir  à  l'inGrmerie  du  monastère  de 
Saint-Éloy,  dès  le  VIP  siècle.  En  631,  saint  Éloy,  aidé  des  libéra- 
lités du  roi  Dagobert,  fonda  dans  sa  propre  maison  ,  située  près  de 
l'église  de  Saint-Martial,  dans  la  Cité,  un  monastère  où  il  réunit 
trois  cents  religieuses,  sous  la  conduite  de  sainte  Aure ,  fille  de 
Maurice  et  de  Quirie.  Après  trente-trois  ans  de  vertus  et  de  péni- 
tence, Aure  mourut  de  la  peste,  en  666,  avec  cent  soixante  de  ses  reli- 
gieuses; toutes  furent  inhumées  dans  le  cimetière  de  l'église  de  Saint- 
Paul,  sur  la  rive  droite  de  la  Seine,  que  saint  Éloy,  d'après  le 
témoignage  de  saint  Ouen  ,  évoque  de  Rouen ,  son  biographe  et  son 
ami ,  avait  destiné  à  servir  de  sépulture  à  la  communauté  dont  il 
était  le  fondateur,  parce  qu'alors  il  était  défendu  d'enterrer  les  morts 
dans  les  villes  (1). 

Le  périmètre  de  ce  monastère  occupait  primitivement  dans  la  Cité 
un  espace  carré  qu'on  appelait  la  ceinture  Saint-Éloy.  11  s'étendait  au 
nord  depuis  la  rue  de  la  Calandre  jusqu'à  celle  de  la  Vieille  Draperie 
qu'on  vient  de  supprimer;  et  du  couchant  au  levant,  depuis  la  rue 
de  la  Barillerie  jusqu'à  la  rue  aux  Fèves  :  circonstances  qui  dé- 
montrent, dit  l'abbé  Lebeuf(2),  combien  la  cité  de  Paris  était  peu 
peuplée  au  VIP  siècle,  puisque  l'habitation  de  l'orfèvre  du  roi  occu- 
pait tant  de  terrain.  Ce  vaste  domaine,  situé  devant  le  palais  nou- 
vellement bâti,  lui  avait  été  donné  par  le  roi  Robert.  Les  rois  car- 
lovingiens  demeuraient  à  la  campagne.  Leur  palais  était  à  Gentilly, 
alors  un  des  plus  agréables  lieux  des  environs  de  Paris,  village  au- 

(1)  L'église  de  Saint-Paul  fut  bâtie  sur  l'ancienne  chapelle  en  1108.  Vendue  le 
6  nivôse  an  v,  elle  fut  démolie  deux  ans  après.  Il  n'en  reste  plus  que  les  ruines  de 
la  cage  d'escalier  à  vis  de  la  tour,  engagées  dans  le  pignon  de  la  maison  n°  3G  de 
la  rue  Saint-Paul.  Le  dimanche  23  août  1846  ,  par  suite  de  travaux  de  terrassement 
ouverts  pour  l'assiette  des  fondations  d'une  grande  et  belle  maison  sur  le  sol  de  cette 
ancienne  église,  les  ouvriers  découvrirent  des  masses  d'ossements  humains  qu'ils 
réunirent  en  las  pour  cire  transférés  ultérieurement  dans  l'un  des  grands  cime- 
tières de  Paris.  Quelques  jours  après  ils  exhumèrent  environ  quarante  cercueils  de 
plomb  portant  tous  une  inscription  pectorale  d'où  il  résultait  qu'aucun  ne  remontait 
au  delà  du  XVllie  siècle  et  que  les  individus  qui  y  reposaient  étaient  de  simples 
bourgeois.  Par  un  esprit  de  rapacité  aussi  indécent  que  sordide,  le  propriélaire  du 
terrain  s'est  emparé  des  plombs  après  avoir  dispersé  les  restes  qu'ils  contenaient. 
C'était  là  qu'était  le  célèbre  cimetière  Saint-Paul  où  Piabelais  ,  mort  le  9  avril  1553, 
fut  inhumé.  L'homme  au  masque  de  fer  y  fut  également  enterré  sous  le  nom  de 
Marchiali,  le  2G  novembre  1703* 

(2)  Bist.  du  Dioc.  de  Paris,  t.  II ,  p.  494. 


QUARTIER   DE   LA   CITÉ,   A   PARIS.  749 

jourd'hui  marécageux ,  rempli  de  carrières  et  désagréable.  Mais  les 
rois  capétiens  crurent  qu'ils  seraient  plus  en  sûreté  dans  la  ville, 
située  au  milieu  d'une  île,  et  bordée  de  remparts.  En  conséquence 
Hugues  Capety  fit  bâtir  un  palais.  Robert  le  Pieux,  son  fils,  y 
fonda  la  chapelle  Notre-Dame  que  saint  Louis  fit  rebâtir  avec  magni- 
ficence sous  le  titre  de  Sainte- Chapelle.  Louis  XII  abandonna  le  pa- 
lais dont  nous  parlons.  Il  en  donna  une  partie  au  parlement,  qui 
depuis  y  a  toujours  tenu  ses  séances  jusqu'à  sa  suppression  en  1790; 
c'est  encore  aujourd'hui  le  Palais  de  Justice.  Après  bien  des  vicissi- 
tudes et  des  changements  arrivés  dans  le  cours  des  siècles ,  et  dont 
le  récit  serait  étranger  à  notre  sujet  le  monastère  de  Saint-Martial 
qu'on  nommait  aussi  de  Saint-Eloy  à  cause  de  son  fondateur,  fut 
donné  en  1629 ,  par  Jean  François  de  Gondi ,  premier  archevêque  de 
Paris,  aux  clercs  réguliers  venus  de  Milan ,  et  connus  sous  le  nom 
de  Barnabites.  L'église  séparée  en  grande  partie  de  l'ancien  monastère 
qui  tombait  en  ruines,  était  depuis  longtemps  devenue  paroissiale. 
Démolie  en  1722  ,  elle  fut  rebâtie  au  XVIIIe  siècle  par  ces  religieux, 
qui  ne  l'ont  jamais  achevée  ni  voûtée.  Supprimée  en  1790,  elle  sert 
maintenant  de  dépôt  général  des  comptabilités  du  royaume.  On  ap- 
pelle encore  ce  quartier  de  la  Cité  la  ceinture  de  Saint-Éloy,  mais 
les  temps  comme  les  lieux  ont  bien  changé  !  Dans  les  détours  étroits 
de  ces  rues  sombres  et  populeuses  on  voit  parmi  de  tristes  boutiques 
d'artisans,  de  cabaretiers  et  de  liquoristes,  d'exécrables  maisons 
dont  les  habitantes  immondes,  stationnées  à  l'entrée  de  ces  cloaques, 
s'efforcent  d'appeler  avec  un   odieux  sourire   le  passant  qui  fuit 

épouvanté 

Sous  la  race  mérovingienne ,  presque  toutes  les  abbayes  avaient 
indépendamment  de  l'église  principale  des  oratoires  ou  chapelles  dé- 
tachés et  dispersés  dans  leurs  vastes  enclos;  il  en  était  ainsi,  à 
Paris,  dans  le  pourpris  des  abbayes  de  Saint-Germain  des  Prés,  de 
Sainte-Geneviève  et  de  Saint-Martin  des  Champs.  C'est  à  cause  de 
cet  usage  que  les  églises  de  Saint  Pierre  des  Arcis  et  de  Sainte-Croix 
qui  étaient  très-voisines  durent  leur  commencement  au  monastère  de 
Saint-Eloy  dont  elles  dépendaient.  Mais  ce  monastère  ayant  été 
donné  en  1 107  à  Galon  ,  évoque  de  Paris ,  la  chapelle  de  Sainte-Croix 
en  fut  détachée ,  et  rebâtie  plus  loin  hors  de  la  Ceinture ,  ainsi  que 
Saint-Pierre  des  Arcis,  au  milieu  du  XIIe  siècle.  Lorsque  le  culte  de 
saint  Hildevert,  évoque  de  Meaux,  disciple  et  successeur  de  saint 
Faron  fut  pratiqué  à  Paris  vers  la  fin  du  XIIe  siècle  ,  la  chapelle  de 
Sainte-Croix  dans  laquelle  avaient  été  déposées  ses  reliques ,  lui  fut 


750  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

dédiée.  Alors  l'ancienne  infirmerie  de  Saint-Éloy  fut  changée  en 
hôpital  pour  les  épileptiques  et  les  frénétiques  qu'on  y  menait  pour 
être  guéris  ou  soulagés  par  l'intercession  de  saint  Hildevert.  Mais  les 
cris  de  ces  malades  interrompant  les  voisins,  qui ,  pour  la  plupart,  dit 
Duhreul,  étaient  gens  de  justice,  obligèrent  de  transférer  cette  dévo- 
tion à  Saint-Laurent  (aujourd'hui  au  faubourg  Saint-Martin  ) ,  où  on 
leur  donna  une  chapelle  dans  la  nef,  et  quelques  chambres  auprès  de 
Cette  église  pour  les  loger  pendant  qu'ils  faisaient  leur  neuvaine. 
L'église  de  Sainte-Croix  reprit  alors  son  premier  vocable,  et  fut 
érigée  plus  tard  en  paroisse.  Elle  est  mentionnée  sous  le  nom 
d'Église  dépendante  de  Saint-Ëloy ,  dans  une  bulle  d'Innocent  II , 
de  l'an  1136,  quoiqu'elle  ne  soit  qualifiée  que  de  chapelle  dans  les 
lettres  de  Maurice  de  Sully,  en  faveur  de  Saint- Maur  des  Fossés, 
datées  du  mois  de  septembre  1105.  (Félib  ,  Hist.  de  Paris,  Preuv. 
t.  III,  p.  23.)  Les  anciennes  constructions  de  cette  église  qui 
avaient  été  faites  du  XIIe  au  XIVe  siècles  n'existaient  déjà  plus  pour 
la  majeure  partie  quand  les  marguilliers  voulant  en  agrandir  le  bâ- 
timent ,  achetèrent,  par  contrat  du  2  mars  1450 ,  une  masure  d'un 
nommé  Hugues  de  Guillemeaux,  vendeur  de  vins  et  bourgeois  de 
Paris.  Sur  le  terrain  de  cette  masure  ils  firent  bâtir  le  chœur  et  le 
chevet  de  l'église  et  quelques  temps  après,  lorsqu'ils  eurent  des 
fonds  suffisants ,  une  partie  de  la  nef.  Le  tout  ne  fut  achevé  qu'en 
1529.  La  dédicace  de  cette  église  avait  été  faite  dix-huit  ans  avant 
ces  reconstructions ,  par  Pierre  Aureacella ,  évêque  in  parlibus  de 
Mégare,  le  premier  dimanche  de  septembre  de  l'ère  1511,  ainsi 
qu'il  résultait  d'une  inscription  scellée  dans  le  mur  septentrional  de 
l'église,  et  insérée  dans  les  Antiquités  de  Paris,  de  D.  Dubreul, 
p.  105.  On  voit  par  cette  inscription  que  le  prélat  y  consacra  trois 
autels  dont  le  principal  était  sous  le  titre  de  la  Croix,  de  Notre-Dame 
de  Pitié  et  de  Saint-Hïldeverl.  L'abbé  Lebeuf  fait  observer  que  c'était 
le  premier  monument  faisant  mention  de  ce  saint  prélat  par  rapport 
à  cette  église.  Elle  avait  en  outre  deux  autels  latéraux  :  celui  adossé 
au  mur  de  la  rue  de  la  Vieille  Draperie,  était  dédié  sous  l'invocation 
de  saint  Jean-Baptiste ,  saint  Jacques  le  Majeur  et  saint  Nicolas  ;  et 
celui  de  l'autre  côté  avait  pour  patrons  Notre-Dame,  sainte  Anne 
et  saint  Sébastien.  Il  est  certain  que  cette  église  était  paroisse  depuis 
déjà  longtemps  au  commencement  du  XVe  siècle ,  car  il  y  avait  dans 
le  chœur  une  pierre  tombale,  datée  du  jeudi  17  juillet  1428,  por- 
tant que  Nicolas  du  Pont  et  Jacqueline,  sa  femme,  paroissiens  de 
ceste  église,  gisaient  sous  ladite  tombe.  On  voit  dans  les  anciens 


QUARTIER   DR   LA   CITÉ,   A  PARIS.  751 

plans  figurés  de  Paris ,  notamment  celui  de  Jaillot  pour  le  quartier 
de  la  Cité,  que  le  plan  du  bâtiment  de  Sainte-Croix ,  orienté  selon 
la  règle  canonique,  était  un  parallélogramme  d'une  seule  nef  avec  un 
pan  coupé  à  l'angle  nord  du  chevet  ;  et  que  le  clocher  dont  on  voit 
la  base  était  dans  l'angle,  à  gauche  de  la  porte  occidentale.  Une 
autre  porte  au  bas  de  l'église  est  indiquée  sur  la  rue  de  la  Vieille 
Draperie.  Suivant  qu'on  en  pouvait  juger  par  ce  qui  était  resté  du 


F 


* 


] 


Rue  de  la  Vieille  Draperie. 

mur  septentrional  pour  servir  de  fond  à  la  maison  bâtie  sur  l'em- 
placement de  cette  église,  elle  appartenait  au  style  ogival,  on  voyait 
encore  des  fragments  de  pied  droits  à  moulures  prismatiques  dans 
la  cour,  et  l'intrados  d'un  arc  de  fenêtre.  Supprimée  en  1790  ,  elle 
fut  vendue  comme  propriété  nationale,  le  2  mars  1792  et  démolie 
en  1797.  Le  portail  seul  fut  conservé  à  cause  de  sa  grande  solidité 
pour  en  former  un  mur  de  pignon  à  la  maison  qui  remplaçait  l'église. 
Il  n'offre  rien  de  remarquable  qu'une  muraille  épaisse  en  grandes 
pierres  bien  appareillées ,  avec  un  soubassement  marqué  par  une 
large  moulure  à  talon.  Au  milieu  on  voit  la  baie  carrée  de  la  porte 
bouchée  à  fleur  du  mur  et  au-dessus  une  grande  fenêtre  à  plein 
cintre  également  bouchée.  En  démolissant  cette  maison  on  vient  de 
trouver  sous  l'ancien  sol  de  l'église ,  les  restes  d'une  maison  romaine, 
des  médailles  et  des  monnaies  impériales  qui  seront  reproduites  dans 
la  statistique  monumentale  de  Paris,  publiée  sous  les  auspices  de 
M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique ,  par  M.  Albert  Lenoir. 

Parmi  les  curés  qui  ont  administré  la  paroisse  de  Sainte-Croix,  on 
cite  particulièrement  Pierre  Danet,  abbé  de  Saint-Nicolas  de  Verdun, 
linguiste  distingué,  qui  fut  du  nombre  des  savants  choisis  par  le  duc 
de  Montausier  pour  éclaircir  les  auteurs  à  l'usage  du  Dauphin.  Il  eut 
en  partage  Phèdre  qu'il  publia  avec  un  commentaire  et  des  notes 
latines.  Il  publia  en  outre  deux  dictionnaires  :  l'un  français-latin , 
l'autre  latin -français,  beaucoup  moins  estimé  que  le  précédent; 
mort  en  1709. 

Le  percement  de  la  partie  de  la  rue  de  Constantine  qui  débouche 
sur  la  rue  de  la  Cité,  s'est»  opéré  sur  l'emplacement  du  hideux  pas- 


752  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sage  de  la  Madelaine ,  qui  communiquait  de  la  rue  de  la  Licorne  à 
celle  de  la  Cité.  Ce  passage  était  lui-môme  formé  du  sol  de  l'an- 
cienne église  paroissiale  et  archipresbytérale  de  Sainte-Madelaine. 
Toute  la  muraille  nord  de  la  nef  de  cette  église,  avec  les  grandes 
ogives  à  moulures  en  tores  de  ses  fenêtres,  dominaient  encore  les 
laides  baraques  et  les  hangars  d'un  marchand  de  planches  qui 
occupait  la  majeure  partie  du  passage.  Puis ,  sur  la  rue  de  la  Li- 
corne régnait  une  délicieuse  porte  gothique  à  ogive  en  accolade  avec 
culots  et  pyramidion  feuillages ,  style  de  transition  du  XVIe  siècle. 
Cette  église,  dont  le  portail  occidental  s'élevait  sur  la  fraction  de  la 
rue  de  la  Cité,  qu'on  nommait  encore,  en  1840,  rue  de  la  Juiverie, 
avait  été  bâtie  au  XIIe  siècle,  sur  l'emplacement  de  la  synagogue  des 
juifs  qui  habitaient  alors  ce  quartier.  Mais  après  les  avoir  bannis, 
Philippe-Auguste  donna  à  Maurice  de  Sully,  évoque  de  Paris,  l'au- 
torisation de  convertir  cette  synagogue  en  église.  Les  lettres  royales 
sont  de  1183.  Ce  ne  fut  d'abord  qu'une  chapelle  où  les  poissonniers 
et  les  bateliers  de  la  Seine  avaient  établi  leur  confrérie  de  Saint- 
Nicolas  ,  bien  que  cette  chapelle  était  déjà  sous  le  vocable  de  Sainte- 
Madelaine  avant  1197.  Un  titre  de  1232,  qui  existait  dans  les  an- 
ciennes archives  de  l'abbaye  bénédictine  de  Saint-Magloire ,  désigne 
la  cure  de  Sainte-Madelaine  en  la  cité  comme  archipresbytérale  (1). 
Ainsi  que  cela  existe  aujourd'hui  dans  l'église  des  anciens  Augustins 
réformés,  ou  Petits-Pères,  dite  de  Notre-Dame  des  Victoires,  il  y 
avait  dans  cette  église  de  Sainte-Madelaine  ,  une  célèbre  confrérie 
de  la  Sainte-Vierge,  nommée  la  grande  confrérie  de  Noire-Dame 
aux  seigneurs,  prêtres,  bourgeois  et  bourgeoises  de  Paris.  Elle  était 
comme  la  mère  de  toutes  les  autres  confréries,  car  elle  était  si  an- 
cienne, que  rien  ne  révélait  son  origine. 

Les  vieux  monuments  du  catholicisme  ont  cela  de  particulier,  que 
leurs  nobles  débris,  quelque  frustes  qu'ils  soient,  portent  jusqu'à  !a 
fin  l'empreinte  de  la  foi  qui  les  planta  sur  le  sol  de  la  patrie.  La 
main  du  manœuvre  aura  beau  les  défigurer,  il  restera  toujours  assez 
de  trace  pour  signaler  leur  origine  et  leur  destination  sacrée,  tant 

(1)  L'archiprêtre  est  un  curé  ou  prêtre  préposé  au-dessus  des  autres  pour  l'office 
sacerdotal.  Il  exerce  sur  les  autres  prêtres  et  clercs  le  droit  de  surveillance  atlaché 
à  sa  charge,  la  première  après  celle  de  l'évêque ,  qu'il  pouvait  remplacer  en  cas 
d'absence;  ce  qui  existe  encore  dans  quelques  diocèses.  Il  n'y  avait  autrefois  qu'un 
seul  archiprêtre  dans  chaque  cathédrale;  le  nombre  en  fut  augmenté  dans  le 
VIe  siècle.  On  vit  des  archiprètres  de  ville,  ou  doyens  des  curés  ;  et  des  archiprètres 
de  campagne,  ou  doyens  ruraux.  Paris  a  eu  deux  archiprètres  :  c'étaient  les  curés 
de  Sainte-Madelaine  en  la  Cité ,  et  de  Saint-Sé vérin. 


QUARTIER  DE  LA    CITÉ,   A  PARIS.  753 

que  les  derniers  vestiges  de  leurs  fondements  n'auront  point  été 
arrachés  du  terrain  béni  qu'ils  occupaient.  Ainsi,  en  1845,  un  phar- 
macien s'est  fait  construire  une  assez  jolie  maison  qu'on  a  adossée 
contre  l'ancien  mur  nord  de  l'église  de  Sainte-Madeiaine  :  les  règles 
d'alignement  de  la  rue  de  la  Licorne ,  et  sans  doute  le  plan  adopté 
pour  cette  maison,  qui  finit  en  pan  coupé  de  ce  côté,  ont  laissé  à 
découvert  dans  un  angle  l'intrados  d'une  grande  fenêtre  ogivale 
qu'on  a  voulu  dissimuler  en  bûchant  la  moulure  curviligne.  Mais  ou 
a  eu  beau  faire,  le  vénérable  stigmate  paraît  toujours.  Puis,  d'ail- 
leurs, en  retour  sur  la  rue  de  la  Licorne,  on  aperçoit  encore  une  no- 
table portion  du  chevet  qui  se  distingue  par  trois  contre-forts  saillants, 
entre  lesquels  apparaissent  les  traces  de  deux  fenêtres  plein  cintre. 
On  ne  peut  donner,  en  général,  que  des  louanges  aux  travaux 
d'élargissement  et  de  constructions  nouvelles  qui  s'exécutent  depuis 
six  ans  dans  le  quartier  de  la  Cité.  Une  fontaine  monumentale,  d'un 
caractère  religieux ,  vivifie  la  promenade  un  peu  monotone  créée  sur 
l'emplacement  de  l'antique  demeure  des  archevêques.  L'image  de  la 
Vierge  divine  fait  presque  oublier  la  brusque  confiscation  de  ce  der- 
nier débris  du  riche  et  antique  domaine  de  l'Eglise  de  Paris.  Les 
travaux  en  projet  pour  ce  quartier  en  opéreront  totalement  la  trans- 
formation architectonique  ,  en  même  temps  que  la  condition  morale 
et  d'hygiène  publique  pour  ses  habitants.  Un  vaste  palais  archiépis- 
copal d'un  style  noble  et  gracieux,  dans  lequel  entreront  les  débris 
de  l'ancien  hôtel  de  Louis  de  La  Trémouille,  le  vainqueur  de  For- 
noue  et  d'Agnadel,  ou  leur  imitation,  viendra,  d'ici  à  quelques 
années,  mirer  une  de  ses  façades  dans  la  Seine  sur  sa  rive  gauche, 
en  regard  du  splendide  hôtel  de  ville.  Les  travaux  de  consolidation , 
d'ornementation  et  de  restauration  générales  de  Notre-Dame  et  de 
la  Sainte-Chapelle  sont  en  voie  d'exécution.  Ces  deux  admirables 
édifices  sortiront  bientôt  de  leur  état  de  ruines.  Mais  là ,  nous  le  di- 
sons avec  franchise,  se  montrent  trop  visiblement  l'inconséquence  et 
la  contradiction  des  jugements  de  la  commission  des  bâtiments  civils, 
ou  de  toute  autre  autorité  compétente  sur  cette  matière;  ainsi  on  a 
trop  dénudé  Notre-Dame  et  compromis  la  sûreté  de  ses  abords  en 
voulant  l'isoler  ;  tandis  qu'au  contraire,  on  va  étrangler  la  Sainte- 
Chapelle  dans  l'étroite  ceinture  de  bâtiments  dont  on  agrandit  le 
Palais  de  Justice,  comme  si  le  bon  goût  et  les  convenances  devaient 
être  étoulïés  à  jamais  sous  les  progrès  de  plus  en  plus  menaçants 
de  la  chicane. 

Troche. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


Nécrologie.  — La  Reçue  avait  à  peine  fait  connaître  à  ses  lec- 
teurs la  perte  douloureuse  quelle  venait  de  faire ,  d'un  de  ses  colla- 
borateurs, M.  L.  J.  J.  Dubois,  que  la  mort  lui  en  enlevait  tout  à  coup 
un  nouveau  encore  plein  de  vie  et  d'activité.  Pour  remplir  le  pieux 
devoir  que  ce  recueil  s'est  imposé,  et  pour  obéir  personnellement  à 
un  sentiment  de  reconnaissance  et  d'affection  ,  nous  rappellerons , 
ainsi  qu'il  a  été  fait  pour  le  collègue  qui  l'a  précédé  dfe  si  près  dans 
la  tombe,  les  principaux  événements  de  la  vie  et  les  travaux  de  ce 
collaborateur  regretté ,  M.  le  comte  de  Clarac. 

Charles-Othon-Frédéric-Jean-Baptiste,  comte  de  Clarac,  était  né  à 
Paris,  le  18  juin  1777,  d'une  ancienne  famille  de  la  Gascogne  qui  a 
compté  dans  son  sein   plusieurs  officiers  généraux  de  terre  et  de 
mer.  Forcé  d'émigrer  encore  très-jeune,  à  la  suite  de  son  père,  le 
maréchal  de  camp  comte  de  Clarac,  il  alla  achever  en  Suisse,  puis 
en  Allemagne ,  les  études  qu'il  avait  commencées  à  Paris.  Le  goût , 
les  heureuses  dispositions  qu'il  montrait  pour  les  arts,  et  que  déve- 
loppa encore  un  premier  voyage  qu'il  fit  en  Italie ,  en  allant  re- 
joindre son  père,  eussent  décidé  de  sa  vocation,  si  les  liens  de  fa- 
mille et  les  nécessités  de  sa  position  ne  l'eussent  pas  mis  dans  l'obli- 
gation de  prendre  du  service  à  l'armée  de  Condé.  Le  jeune  officier 
s'y  fit  chérir  par  son  aimable  naturel;  il  reçut,  plusieurs  fois  du 
général  Lecourbe,  des  témoignages  d'intérêt  pour  l'humanité  qu'il 
apportait  à  soigner  les  blessés  de  notre  armée  contre  laquelle  le 
malheur  des  temps  lui  faisait  porter  les  armes.   L'infortuné  duc 
d'Enghien  se  l'attacha  comme  officier  d'ordonnance.  Lors  du  licen- 
ciement de  l'armée  royale  ,  M.  de  Clarac  passa  en  Pologne ,  et  il  y 
accepta  momentanément  un  grade  dans  un  régiment  de  la  Volhynie. 
Néanmoins,  la  carrière  militaire  ne  lui  fit  négliger  ni  la  culture  du 
dessin,  ni  celle  des  langues  anciennes  et  modernes.  Il  apprit  à  parler 
presque  toutes  les  langues  européennes  ;   il   s'adonna  aussi   aux 
sciences  naturelles.  Lors  de  l'amnistie  rendue  en  faveur  des  émigrés 
parle  premier  consul,  notre  collaborateur  s'empressa  d'en  profiter; 
il  rentra  en  France  et  vint  poursuivre,  à  Paris,  les  travaux  qu'il 
avait  commencés  au  milieu  des  camps.  L'archéologie  à  laquelle  le 
conduisait  naturellement  son  goût  pour  les  arts,  attira  surtout  son 
esprit  curieux  de  s'instruire.  C'est  alors  que  son  mérite,  distingué  par 
L  archer,  Gossellin  et  Sainte-Croix,  le  fit  choisir  par  la  reine  Caroline 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES.  755 

Murât,  pour  diriger  l'instruction  de  ses  enfants.  Il  se  rendit  à  Naples 
en  1808;  la  vue  de  ce  sol  où  tout  est  antiquité,  parla  vivement 
à  son  imagination ,  et  acheva  de  déterminer  sa  vocation.  Il  fut 
chargé  de  conduire  les  fouilles  de  Pompeï ,  et  il  s'acquitta  de  ce  soin 
avec  savoir  et  intelligence;  il  a  consigné  dans  un  petit  ouvrage  ,  de- 
venu aujourd'hui  fort  rare,  le  résultat  de  ses  explorations. 

En  1814,  la  restauration  ramena  M.  de  Clarac  en  France.  Un 
instant  il  parut  rentrer  dans  la  carrière  des  armes,  mais  son  goût 
l'entraînait  ailleurs.  Désireux  d'aller  étudier  en  Amérique  les  scènes 
les  plus  magnifiques  de  la  nature,  il  accompagna  M.  le  duc  de 
Luxembourg  dans  son  ambassade  au  Brésil  ;  de  ce  pays ,  il  passa  en 
Guyane,  et  revint  en  France  par  les  Antilles.  C'est  de  ce  voyage  que 
notre  collaborateur  a  rapporté  les  charmants  paysages  que  ses  amis 
admiraient  chez  lui ,  et  notamment  celui  d'une  forêt  vierge  des  bords 
du  Rio-Bonito.  Ce  beau  dessin,  que  la  gravure  a  reproduit ,  a  été 
cité  par  M.  de  Humboldt,  comme  la  reproduction  la  plus  fidèle  qu'il 
ait  rencontrée,  de  la  végétation  du  nouveau  monde. 

A  peine  de  retour  dans  sa  patrie ,  M.  de  Clarac  fut  appelé  par 
Louis  XVIII  à  l'honneur  de  succéder  à  Visconti,  dans  la  conserva- 
tion du  Musée  des  Antiques  du  Louvre ,  puis  nommé  successivement 
chevalier  et  officier  de  la  Légion  d'honneur.  Il  rédigea  le  catalogue 
des  statues  et  bas-reliefs  confiés  à  sa  garde,  catalogue  dont  deux 
éditions  successives  ont  été  rapidement  épuisées,  et  dans  lequel  il  a 
fait  preuve  d'une  connaissance  solide  de  la  sculpture,  et  en  général , 
des  arts  et  des  usages  de  l'antiquité.  11  donnait  en  même  temps  plu- 
sieurs dissertations  sur  divers  points  d'archéologie,  et  un  catalogue 
des  artistes  anciens.  Mais  la  plus  grande  de  ses  publications  a  été, 
sans  contredit,  son  Musée  de  sculpture,  commencé  en  1826:  vaste 
répertoire  dans  lequel  sont  dessinés  et  expliqués  les  bas -reliefs  du 
Louvre  et  la  plupart  des  statues  de  l'Europe  ,  et  que  précède  une 
intéressante  histoire  de  l'ancien  palais  de  nos  rois.  Quand  la  mort  a 
frappé  à  iimproviste  M.  de  Clarac,  l'antépénultième  livraison  de  ce 
bel  ouvrage  venait  d'être  imprimée,  et  les  autres  étaient  en  partie 
gravées  et  rédigées.  Espérons  que  ce  monument  que  notre  collabo- 
rateur a  élevé  à  l'art,  pour  lequel  il  a  fait  tant  de  sacrifices  pécu- 
niaires, entrepris  plusieurs  voyages,  sera  achevé  par  la  volonté  de 
l'État  ou  de  ses  héritiers.  Les  nombreux  matériaux  qu'il  laisse ,  ren- 
dent la  tâche  facile  à  remplir. 

M.  de  Clarac  avait  en  outre  commencé  l'impression  d'un  Manuel 
de  Vart  ancien,  auquel  ont  été  empruntés  les  articles  qu'il  a  communi- 


756  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

qués  à  cette  Revue ,  et  auquel  appartenait  aussi  le  nouveau  catalogue 
d'artistes  dont  il  avait  fait  tirer  à  part  un  petit  nombre  d'exemplaires 
pour  ses  amis.  Il  est  bien  à  désirer  que  le  public  puisse  un  jour  jouir 
de  cet  ouvrage  consciencieux. 

Bon  et  atfectueux,  toujours  prompt  à  obliger,  plein  de  bien- 
veillance pour  la  jeunesse ,  encourageant  sans  cesse  de  ses  con- 
seils et  aidant  souvent  même  de  sa  bourse  les  artistes  et  les  jeunes 
antiquaires ,  sans  ambition  ,  modeste ,  constamment  prêt  à  se 
rendre  à  l'avis  des  autres,  le  demandant  même  ,  simple  dans  sa  vie, 
désintéressé  au  dernier  point,  nullement  infatué  des  idées  aristocra- 
tiques dans  lesquelles  il  avait  été  élevé,  M.  de  Clarac  a  laissé  une 
mémoire  bien  chère  et  de  bien  légitimes  regrets. 

Il  y  a  eu  sans  doute  des  antiquaires  plus  habiles  et  plus  exercés 
que  lui;  on  ne  trouvait  en  lui  ni  la  sagacité  et  la  puissance  de  cri- 
tique de  quelques-uns  des  archéologues  français ,  ni  l'érudition  pro- 
fonde des  Allemands,  ni  le  style  et  la  clarté  qui  font  l'écrivain.  Mais 
M.  de  Clarac  n'eut  jamais  aucune  prétention;  il  reconnaissait  mo- 
destement ce  qui  lui  manquait.  Que  de  fois  nous  lui  avons  entendu 
dire  :  Je  ne  suis  qu'un  amateur!  Mais  si  ce  ne  fut  qu'un  amateur, 
avouons,  du  moins,  que  ce  fut  un  amateur  des  plus  distingués. 
L'Académie  des  Beaux-Arts  de  l'Institut,  les  Académies  de  Berlin,  de 
Turin,  de  Bruxelles,  la  Société  des  Antiquaires  de  Londres,  en  se 
l'associant,  le  jugèrent  ainsi,  et  rendirent  hommage  à  ses  mérites. 

Quant  à  nous,  qui  avons  pu  apprécier  toutes  les  qualités  de  son 
cœur  et  de  son  esprit ,  qui  avons  connu  cet  homme  de  bien  dans 
l'intimité  et  le  laisser-aller  de  la  vie  privée,  nous  pouvons  dire 
hardiment  qu'il  en  est  peu  qui  aient  plus  gagné  à  être  connus,  et 
qui  aient  montré  pour  la  science  et  l'art ,  plus  d'amour  et  de  vrai 
dévouement.  Alfred  Mauuy. 

—  Nous  annonçons  avec  une  vive  satisfaction  que  deux  de  nos 
collaborateurs,  M.  le  comte  de  Laborde  et  M.  Ad.  de  Longpérier 
viennent  d'être  nommés  par  le  roi ,  conservateurs  des  Antiques  au 
Musée  du  Louvre.  La  division  des  Antiquités  grecques  et  romaines 
est  confiée  à  la  direction  de  M.  le  comte  de  Laborde,  celle  des  monu- 
ments égyptiens  et  orientaux  à  M.  de  Longpérier.  Cette  deuxième 
section,  restée  vacante  depuis  la  mort  de  Champoliion  le  jeune,  vient 
d'acquérir  un  nouveau  degré  d'importance  par  la  découverte  des  mo- 
numents de  Ninive  qui  sont  arrivés  à  Paris.  La  place  de  sous-con- 
servateur demeurée  vacante  par  la  mort  de  M.  Dubois  est  supprimée. 


INSCRIPTION  PHENICIENNE 

GRAVÉE 

SUR  LA  JAMBE  DU  COLOSSE  BRISÉ  D'IPSAMBOUL 


Un  des  quatre  grands  colosses  placés  à  l'entrée  du  temple  souter- 
rain d'Ipsamboul  (c'est  celui  qui  est  à  gauche  de  la  porte),  a  été 
brisé  à  une  époque  indéterminée,  et  par  une  cause  qui  jusqu'ici  est 
restée  inconnue.  La  tête  de  ce  colosse  a  été  séparée  du  tronc  par 
un  choc  violent,  et  l'on  a  supposé  qu'une  masse  de  rocher  se  dé- 
tachant de  la  montagne  dans  laquelle  le  temple  est  creusé,  avait  pu 
en  roulant  au  hasard ,  atteindre  cette  tête  qu'elle  avait  rompue  et 
entraînée  avec  elle  dans  sa  chute.  Cette  hypothèse  toute  gratuite 
semble  aujourd'hui  devoir  être  abandonnée,  et,  si  je  ne  me  suis  pas 
trompé ,  la  petite  inscription  que  je  vais  analyser,  nous  révélera  la 
cause  réelle  de  cette  mutilation  extraordinaire,  qui  ne  saurait  être 
imputée  à  la  violence  humaine.  Les  jambes  du  colosse  brisé  ayant 
été  dégagées  du  sable  qui  encombre  toute  la  base  du  temple, 
M.  Ampère,  à  son  passage  à  Ipsamboul,  a  remarqué  sur  l'une  de  ces 
jambes  deux  épigraphes  antiques  qu'il  a  eu  le  soin  de  recueillir  et 
dont  je  dois  un  estampage  à  son  amitié.  Ces  inscriptions  sont  conçues 
en  lettres  phéniciennes  d'une  grande  dimension ,  mais  qui  ont  été 
altérées  à  une  époque  probablement  fort  éloignée  déjà ,  par  l'adjonc- 
tion de  quelques  traits  parasites  tracés  par  une  main  ignorante  et 
barbare.  Heureusement  ces  altérations  des  textes  primitifs  sont  assez 
faciles  à  reconnaître ,  pour  que  ces  textes  précieux  puissent  être 
restitués  avec  un  degré  suffisant  de  probabilité.  Je  vais  donc  exa- 
miner successivement  les  deux  inscriptions  et  j'ose  espérer  que  les 
transcriptions  que  je  proposerai  ne  trouveront  pas  beaucoup  de  con- 
tradicteurs. 

N°  1. 

La  première  inscription  se  compose  de  deux  lignes,  dont  la  pre- 
mière contient  vingt-sept  caractères  d'assez  grande  dimension  (  ils 
III.  49 


758  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

ont  moyennement  six  à  sept  centimètres  de  hauteur  ).  La  seconde 
ligne  tracée  malheureusement  avec  plus  de  négligence  que  la  pre- 
mière est  aussi  plus  fruste  que  celle-ci ,  bien  que  cependant  sa  lec- 
ture ne  présente  pas  de  très-grandes  difficultés  ;  elle  contient  neuf 
caractères  seulement  et  de  dimension  un  peu  moindre.  Dans  la  pre- 
mière ligne ,  les  cinq  derniers  caractères  sont  séparés  de  tous  ceux 
qui  les  précèdent,  par  un  petit  intervalle  suffisant  pour  insérer  une 
lettre.  Cet  intervalle  laissé  en  blanc  pourrait  faire  supposer  que  ces 
cinq  caractères  appartiennent  à  une  phrase  distincte  de  celle  que 
constituent  les  vingt-deux  premiers;  mais  comme  il  est  possible  que 
la  présence  d'une  veine  plus  dure  que  le  reste  de  la  pierre  ait  em- 
pêché d'y  tracer  des  lettres,  il  n'y  a  rien  à  conclure  a  priori  de  la 
présence  de  cet  intervalle,  toute  explication  préalable  pouvant  être 
réellement  réfutée  par  la  simple  analyse  du  texte.  Il  n'y  a  aucune 
erreur  possible  à  commettre  dans  la  transcription  des  dix-sept  pre- 
mières lettres  de  l'épigraphe  ;  elles  nous  fournissent  l'ensemble  suivant  : 

Vient  ensuite  un  mem  très-reconnaissable,  mais  dont  le  trait  qui 
doit  recouper  la  tête  formée  d'une  courbe  concave,  a  été  doublé  par  ui 
trait  vertical ,  ajouté  après  coup.  La  lettre  suivante  a  été  altérée  de 
même  par  l'adjonction  de  plusieurs  traits  inutiles,  qui  n'empêchent 
pas  d'ailleurs  d'y  retrouver  la  forme  régulière  d'un  tzade,  facile 
dégager  des  linéaments  parasites  que  l'on  y  a  postérieurement  ajoutés 
La  lettre  qui  suit  est  certainement  un  daleth;  puis  vient  un  groupe 
dans  lequel  on  ne  peut  voir  qu'un  lamed  suivi  d'un  aleplu  Nous  avor 
-ainsi  en  définitive  l'ensemble  de  caractères 

ïfjfôùfàH  nn>:anrû"nyrraD 

Cherchons  à  nous  rendre  compte  du  sens  de  cette  première  phrase. 

En  général  les  inscriptions  du  genre  de  celle  qui  nous  occupe 
constatent  le  passage  d'individus  qui  à  toutes  les  époques  ont  eu  la 
malencontreuse  idée  de  couvrir  de  leurs  noms  obscurs  les  monuments 
qu'ils  visitaient  (1).  L'Egypte  est  un  des  pays  où  les  monuments  ont 
la  plus  fréquemment  subi  les  mutilations  qui  résultent  de  cette  manie 

(1)  Comment  qualifier,  par  exemple,  la  rnonomanie  d'un  certain  Samuel  Baird 
et  de  son  frère  qui  se  sont  obstinés  à  constater,  sur  tous  les  pans  de  mur,  leur 
visite  aux  monuments  les  plus  respectables  de  la  Grèce  entière,  en  y  affichant 
leurs  noms  en  lettres  d'un  demi-pied  de  haut,  qu'il  n'ont  pu  tracer  qu'en  se 
condamnant  à  colporter  opiniâtrement  tout  un  attirail  de  barbouilleur!1 


INSCRIPTION   PHÉNICIENNE.  759 

ridicule.  Il  est  vrai  que  sous  le  ciel  de  l'Egypte  rien  ne  s'efface  que  par 
le  contact  de  la  main  des  hommes ,  et  il  en  résulte  que  beaucoup  de 
ces  inscriptions  rachètent  leur  futilité  originelle  par  l'importance 
qu'elles  tirent  de  leur  respectable  antiquité.  C'est  ainsi  que  les  in- 
scriptions tracées  sur  la  statue  colossale  de  Memnon ,  et  les  proscy- 
nèmes  répandus  à  foison  sur  toutes  les  parois  des  temples,  ont  servi 
à  constater  bon  nombre  de  faits  dignes  de  toute  l'attention  des  éru- 
dits.  Nous  allons  voir  que  notre  inscription  du  colosse  d'Ipsamboul 
peut  à  bon  droit  être  mise  au  rang  des  plus  curieuses. 

La  première  phrase  nous  offre  dès  l'abord  le  mot  p ,  fils  de,  très- 
nettement  écrit  ;  il  est  donc  tout  naturel  de  chercher  des  noms 
propres  d'homme  avant  et  après  ce  mot.  En  le  faisant  nous  recon- 
naissons dans  les  trois  premières  des  six  lettres  qui  précèdent,  le  mot 
t9i  serviteur,  qui  entre  si  fréquemment  en  composition  dans  les 
noms  phéniciens  ;  nous  avons  donc  ainsi  à  n'en  pouvoir  douter  le 
commencement  du  premier  des  deux  noms  cherchés.  Par  suite  ce 
nom  est  forcément  composé  ainsi  qu'il  suit  :  nrfîTO ,  Abdftah.  Il  est 
impossible  de  ne  pas  reconnaître  dans  le  second  composant ,  le  nom 
divin  de Phtah,  divinité  égyptienne  que  les  Grecs  ont  assimilée  à  leur 
"HcpaisToç ,  et  les  Romains  à  leur  Vulcain.  11  est  facile  de  se  rendre 
compte  de  la  présence  d'uti  nom  de  divinité  égyptienne  dans  un  nom 
propre  d'homme  de  race  sémitique,  en  admettant  que  ce  personnage 
en  se  fixant  en  Egypte  avait  adopté  le  culte  du  pays.  Après  le  mot  p, 
vient  un  groupe  trilittéral  qui  se  lit  Tfi9  ilâr.  Or,  ce  mot  qui  signifie 
excellent,  est  un  nom  propre  fort  en  usage  chez  la  nation  hébraïque; 
nous  avons  donc  en  définitive  pour  le  nom  de  celui  qui  a  gravé  l'in- 
scription, Abdftah-ben-Itâr,  Abd-Ftah  fds  d'Itâr.  Ce  nom  une  fois 
mis  de  côté ,  il  nous  reste  deux  parties  de  phrase  à  analyser,  savoir  : 
m*o  qui  commence  la  phrase  et  *At  ïsun  qui  la  termine.  Procédons 
par  ordre  :  le  mot  rp*o ,  si  nous  le  considérons  comme  concret ,  ne 
nous  donne  aucun  sens.  Nous  sommes  donc  amenés  à  séparer  comme 
particule  de  temps  le  -|  initial,  qui  signifie  quand,  lorsque,  quùm, 
*Ûç.  Reste  alors  le  mot  mx  que  je  n'hésite  pas  à  assimiler  au  chaldéen 
VVH,  équivalent   de  l'hébreu  W  ,  fuit,  est,  adest,  et  de   l'arabe 

'*] ,  de  même  signification,  qui  perd  son  elif  prosthétique  dans  le 

contracté  JJJ  ,  pour  J^Iy,  non  est.  n^3,  signifie  donc,  quum 
adfuit,  lorsqu'il  fut  présent,  idée  qui  a  pour  complément  nécessaire 
et  naturel,  le  nom  propre  trouvé;  nous  avons  donc  :  lorsque  fut 
présent  Abd-Ftah  fds  d'Ilâr. 


760  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

Passons  à  la  dernière  partie  de  la  phrase  dans  laquelle  nous  de- 
vons nécessairement  trouver  la  mention  complète  d'un  fait  accompli. 
Nous  lisons  vfyl  tQ  wk  ,  et  cet  ensemble  de  lettres  doit  vraisembla- 
blement à  cause  du  caractère  essentiel  de  la  langue  et  de  la  nature 
même  des  lettres,  contenir  trois  mots  distincts. 

va  signifie,  ignis,  feu;  d'où  l'expression  dv6n  un,  ignis  Dei, 
fulmen,  la  foudre.  Mais  les  recherches  antérieures  sur  la  paléogra- 
phie phénicienne  ont  démontré  surabondamment  que  le  même  mot 
représente  rigoureusement  notre  qui  relatif. 

ya,  ou  son  équivalent  }pû"9  signifie  pressit,  oppressa,  a  poussé,  et 
très-probablement  frappé.  D'un  autre  côté  xro,  signifie  attigit,per- 
venit  ad,  accidit.  On  pourrait  choisir  entre  ces  deux  sens ,  mais  je 
préfère  le  premier. 

NTT,  n'est  certainement  pas  différent  de  l'hébreu  nVr  ou  rhi , 
janua,  porte. 

Ceci  posé,  nous  avons  :  le  feu,  la  foudre  a  frappé  ou  atteint 
cette  porte,  ou  beaucoup  plus  simplement  :  ce  qui  a  frappé  la  porte. 
Voyons  ce  que  signifie  le  reste  de  la  phrase.  On  lit  : 

UNSTTnnS 

Le  groupe  de  cinq  lettres  qui  termine  la  première  ligne  comporte 
vraisemblablement  l'article  N;  celui-ci  misa  part  il  nous  reste  le 
mot  *Dqh  qui  se  rapporte  nécessairement  au  radical  DOTl ,  violenter 
tractavil,  vim  intulit ,  violenter  revellit ,  destruxit;  d'où  le  substantif 
oan  ,  et  avec  les  suffixes  "Dan ,  violentia.  Je  traduis  donc  cette  fin  de 
ligne  :  la  violence. 

Les  trois  premières  lettres  de'  la  ligne  suivante  nous  fournissent 
de  nouveau  le  nom  divin  Phtah;  puis  viennent  les  mots  VH  *ptv  , 
le  radical  *pn,  signifie pepulit,  trusit,  impulit,  lancer  sur  ou  contre; 
\M*,  placé  à  la  fin  de  la  phrase ,  ne  peut  naturellement  recevoir  qu'un 
seul  sens,  celui  de  feu,  de  foudre,  et  nous  trouvons  en  définitive  : 
la  violence  de  Phtah  il  lance  la  foudre ,  phrase  sémitique  qui  revient 
à  celle-ci  :  la  violence  de  Phtah  qui  lance  la  foudre. 

En  résumé  notre  inscription  signifie,  du  moins  je  le  crois  : 

«  Pendant  qu'était  présent  Abd-Phtah  fils  d'Itâr,  ce  qui  a  frappé 
«  cette  porte,  est  la  violence  de  Phtah  qui  lance  la  foudre.  » 

A  côté  de  cette  première  inscription  se  trouve  la  seconde  qui  nous 
reste  à  analyser.  Celle-ci  qui  ne  se  compose  -que  de  dix  lettres  en 


INSCRIPTION  PHÉNICIENNE.  ?6l 

tout,  est  tracée  en  deux  lignes  dans  un  cercle  orné  d'une  espèce 
de  manche  ou  de  support  placé  verticalement  et  au-dessous  du 
cercle. 

La  première  ligne  contient  trois  lettres  seulement  et  la  seconde 
sept.  Elles  se  lisent  ; 

W3 

ojnrn  33 

Dans  notre  premier  groupe  ^Nr ,  nous  retrouvons  les  trois  pre- 
mières lettres  de  l'épigraphe  précédente  qui  commence  par  les  mots 
n\N3,  quùm  fait,  lorsque  fut  présent.  Ici  le  n  final  manquant,  il 
serait  téméraire  d'aifirmer  et  môme  de  croire  que  le  sens  du  groupe 
trilittère  reste  le  même  que  celui  du  groupe  quadrilittère  précité. 
Je  renonce  prudemment  à  proposer  aucune  version  positive  de  ce 
mot  et  je  me  bornerai  à  faire  remarquer  qu'il  existe  un  radical  TO  , 
ussit,  cauterio  notant,  transfodit,  auquel  se  rattachent  les  mots  id, 
fenestra,  îTO,  adaslio,  nota  adastionis,  stigma,  et  *i  pour  '"D,  stigma. 
A  la  rigueur  on  pourrait  encore  chercher  un  rapport  entre  notre 
mot  phénicien  et  le  radical  dont  je  viens  d'énumérer  quelques  déri- 
vés, si  on  se  laissait  guider  par  le  sens  général  de  la  première  épi- 
graphe, et  surtout  par  le  sens  des  deux  mots  qui  suivent.  Ceux-ci  se 
lisent  ainsi  que  je  l'ai  dit  : 

DTVCQ3 

ojnra  signifie  littéralement  par  ou  avec  la  fondre,  33,  se  rattache 
tout  naturellement  au  radical  313,  d'où  provient  H33,  cavitas,  fora- 

men,  et  qui  n'est  que  l'arabe  «w^  »  porte. 

La  rencontre  du  mot  la  foudre  Djnn  dans  cette  seconde  inscription 
ne  saurait  être  fortuite,  et  à  mon  sens  du  moins,  elle  corrobore  et 
justifie  jusqu'à  un  certain  point  ma  version  de  la  première.  Que 
signifie  maintenant  la  seconde  qui  vraisemblablement  fut  tracée  par 
le  même  Abd-Phtah  fils  d'Itâr,  puisqu'elle  ne  contient  aucun  nom 
propre  nouveau ,  et  que  d'ailleurs  elle  est  placée  si  près  de  l'autre  ? 
Je  ne  saurais  le  dire ,  et  je  m'abstiens  de  toute  hypothèse  sur  ce 
point.  La  seule  chose  que  je  veuille  me  permettre  d'avancer,  c'est 
qu'il  y  est  question  de  la  foudre,  d'une  excavation  faite  par  celle-ci , 
ou  enfin  de  la  porte  qu'a  frappée  la  foudre.  Puissent  de  plus  habiles 
venir  à  bout  de  déterminer  le  sens  précis  de  cette  épigraphe  ! 

'  Quoi  qu'il  en  soit ,  il  me  paraît  ressortir  de  ces  deux  textes  phéni- 


76*2  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ciens  que  le  feu  du  ciel  a  frappé  l'entrée  du  temple  souterrain  d'Ip- 
samboul,  à  une  époque  fort  reculée  sans  doute,  et  que  c'est  à  cet 
accident  qu'il  faut  attribuer  la  mutilation  du  colosse  placé  à  la 
gauche  de  ia  porte,  et  dont  la  tête  a  été  brisée  par  une  cause  restée 
inconnue  et  inexpliquée  jusqu'à  ce  jour. 

Quant  à  la  forme  des  caractères  phéniciens  employés  par  Abd- 
Phtah  ,  elle  est  très-pure  et  très-correcte;  et  je  ne  crois  pas  qu'il  y 
ait  de  la  témérité  à  penser  que  ce  personnage  les  a  écrits  quatre  ou 
cinq  siècles  avant  notre  ère. 


F.  de  Saulcy. 


SUR 


ME  STATUE  DU  DIEU  ASCHIOUN  OU  ESMOIY 

TROUVÉE  A  CHERCUELL  PAR  M,  CHARLES  TEXIER. 


La  statue  que  M.  Ch.  Texier  a  fait  connaître  dans 
l'intéressant  article  sur  les  monuments  de  l'Algérie  qu'il 
a  communiqué  à  la  Bévue,  a  été  reconnue  par  divers 
antiquaires ,  et  notamment  par  M.  F.  de  Saulcy,  pour 
une  figure  du  dieu  phénicien  Aschmoun  ou  Esmon. 
Pour  compléter  les  notes  que  nous  avons  cru  utile  de 
joindre  au  travail  du  savant  voyageur,  nous  ferons  con- 
naître à  nos  lecteurs  les  renseignements  qu'on  possède 
sur  cette  divinité.  Malheureusement,  ces  renseignements 
sont  peu  nombreux  ,  et  nous  nous  trouvons ,  relative- 
ment au  culte  d'Aschmoun,  dans  cette  désolante  igno- 
rance où  nous  plonge ,  pour  tout  ce  qui  se  rattache  à 
l'histoire  du  peuple  phénicien ,  l'insuffisance  des  documents  que  nous 
a  transmis  l'antiquité. 

Peut-être  les  progrès  rapides  que  fait,  depuis  quelques  années, 
l'épigraphie  phénicienne ,  la  découverte  d'inscriptions  nouvelles , 
viendront-ils  combler  cette  immense  lacune  de  l'histoire  ancienne. 
La  voie  ouverte  par  Gésenius  est  aujourd'hui  suivie  avec  une  ex- 
trême ardeur,  et  a  amené  aux  plus  heureux  résultats.  C'est  surtout 
à  l'un  des  collaborateurs  de  cette  Revue,  à  M.  F.  de  Saulcy,  dont 
nous  venons  d'invoquer  l'opinion  pour  la  dénomination  à  attribuer  à 
cette  statue,  que  les  études  phéniciennes  doivent  l'importance  qu'elles 
ont  enfin  conquise.  C'est  de  lui  et  des  philologues  qui  marchent  sur 
ses  traces,  que  nous  attendons  la  lumière.  Avec  cette  sagacité  qui 
semble  croître  de  puissance  à  proportion  de  la  difficulté  du  sujet, 
l'ingénieux  académicien  tirera  des  phrases  les  plus  vulgaires ,  des 
inscriptions  en  apparence  les  plus  insignifiantes,  ces  aperçus  lumi- 
neux qui  jettent  tout  à  coup  une  vaste  clarté  sur  les  points  demeu- 
rés jusqu'alors  dans  l'obscurité  (1). 

(1)  Voyez  l'intéressant  article  que  M.  F.  de  Saulcy  a  publié  dernièrement  (1$  dé- 
cembre 1846),  sur  les  Études  phéniciennes ,  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes. 


764  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Mais,  en  attendant  qu'un  hasard  fortuné  fasse  tomber  sous  l'œil  pé- 
nétrant de  M.  de  Saulcy,  un  de  ces  monuments  qui  valent  un  passage 
de  Sanchoniathon  ou  de  la  Bible,  nous  devons  nous  borner  à  faire 
connaître  modestement  le  peu  que  nous  savons  du  dieu  Aschmoun. 
Dans  nos  recherches ,  nous  emprunterons  beaucoup  au  savant  ou- 
vrage de  M.  Movers;  car  cet  érudit  a  tellement  avancé  cette  ques- 
tion mythologique ,  qu'il  ne  nous  reste  que  fort  peu  de  chose  à  dire 
pour  compléter  son  travail. 

Aschmoun,  Esmoun  ou  Eschmôn  (jiqun)  était  le  huitième 
des  dieux  Cabires ,  ainsi  que  son  nom  l'indique,  en  hébreu  ruDW 
(schemona),  signifie  huit,  et  fSQXS  (schcmini),  huitième; 
l'aleph  initial  (tt)joue  ici  le  môme  rôle  que  Thé  (n),  article  hé- 
breu ;  on  sait  que  ces  deux  lettres  sont  affines;  en  chaldéen  l'aleph 
final  remplace  souvent  l'hé  final  correspondant.  Cette  substitution 
de  l'aleph  au  hé ,  paraît  avoir  été  très-fréquente  en  phénicien  (2). 
La  voyelle  vau  dans  la  composition  des  adjectifs  peut ,  comme  on 
sait,  se  remplacer  par  l'iod,  changement  dont  le  mot  phénicien 
T.T  répondant  au  grec  f/.ovoy£vr'ç ,  nous  fournit  un  exemple,  puis- 
qu'il correspond,  au  témoignage  de  Sanchoniathon,  à  l'hébreu  ttf 
(iakhid),  unicus ,  unigenitus  (3).  L'iod  final  du  mot  hébreu  est  tombé 
comme  l'iod  antépénultième  ,  et  cette  disparition  de  la  voyelle  est 
constatée  par  le  nom  d' 'Aarpsc^ouviix ,  ynux  iot  Hatsir  Aschmoun  , 
herbe  d  Aschmoun  ou  à' Esculape,  que  nous  fournit  Dioscoride  (4). 

Cette  étymologie  du  nom  de  ce  dieu  qui  nous  est  formellement 
donnée  par  Damascius  (5),  est  infiniment  plus  vraisemblable  que 
celle  qui  dérive  ce  nom  de  l'égyptien ,  et  que  Champollion  s'est 
efforcé  de  faire  prévaloir. 

M.  Movers  regarde  Aschmoun  comme  correspondant  au  Tat  ou 
Alholis  des  Égyptiens.  En  effet,  les  Grecs  identifiaient  Aschmoun  à 
Esculape,  et  les  Pères  de  l'Église  citent  souvent  un  livre  hermé- 
tique ,  dans  lequel  le  second  Thot  ou  Hermès  donne  ses  enseigne- 
ments à  un  élève  appelé  tantôt  Tat,  tantôt  Esculape  (6).  Manéthon 
mentionne  ce  Tat  parmi  les  dieux  que  l'on  regardait  comme  auteurs 

*(2)  «  In  aîeph  et  ne  litteris  ni!  memoratu  fere  dignum  est  quam  Phœnices 
«  subinde  more  Tyrorum  ^  ponere  ubi  Hebraei  habent  n  velut  in  articulo  ^  pro  n 
«  et  in  nota  femini  generis.  »  Gesenius ,  Scriplur.  ling.  phœnic.  Pars  I ,  p.  430. 

(3)  Sanchonialhonis  Fragmenta,  éd.  Orelli ,  p.  38. 

(4)  Dioscor.  IV,  71. 

(5)  Apud  Pholii  Bibliolh.,  p.  352  ,  éd.  Bekkcr. 

(6)  Cf.  S.  Cyrill.  adv.  Julian.,  p.  33,  35.  S.  Augustin,  de  civil.  Dei ,  V1I1 , 
23.  Chron.  Pasch.  65,  66. 


STATUE  DU   DIEU  ASCHMOUN.  765 

d'une  littérature  sacrée  (7)  ;  il  lui  donne  pour  père  Agathodaemon 
Cneph ,  et  en  fait  un  descendant  du  second  Hermès  (8).  Ce  Tat  est 
aussi  identique  à  Athotis,  le  second  roi  d'Egypte,  qui  avait  composé 
des  traités  de  médecine  (9) ,  ainsi  qu'on  le  rapportait  également 
d'Esculape  Imouthes. 

Imouthes  ou  Imatep  (c'est-à-dire  I-em-atep,  en  égyptien  je  viens 
à  l'offrande),  avait,  à  Philae,  un  temple  qui  a  été  découvert  par  Sait. 
L'inscription  placée  sur  ce  monument  a  été  expliquée  par  Young  (10), 
avec  assez  d'exactitude,  eu  égard  au  peu  d'avancement  où  se  trou- 
vaient alors  les  études  hiéroglyphiques.  Elle  est  de  l'époque  des 
Antonins,  et  porte  Asclepios  ,  qui  est  Imouthos  ,  fils  d'Héphaestos 
(  Vulcain ,  Phtah  ).  Ainsi  comme  fils  de  Vulcain,  Tmouthes  rappelait 
les  dieux  Cabires,  et  ainsi  qu'Aschmoun  ,  l'un  d'eux,  il  était  iden- 
tifié à  Esculape.  Le  titre  de  fils  de  Phtah  lui  est  donné  dans  un 
grand  nombre  d'inscriptions  hiéroglyphiques  (11). 

Ce  premier  rapprochement  identifie  le  dieu  égyptien  au  dieu 
phénicien.  Les  bas-reliefs  de  l'Egypte  donnent  à  Imouthes  la  calotte 
ou  coiffure  sacrée  qui  est  l'attribut  de  Phtah. 

Quant  à  Athotis ,  second  roi  de  la  première  dynastie  égyptienne , 
son  nom  est  le  même  que  celui  de  Thot  ou  Tat.  11  est  écrit,  en  effet, 
dans  une  inscription  hiéroglyphique  fort  ancienne,  Alt,  ou,  en  sub- 
stituant un  e  muet  ou  scheva  entre  les  deux  lettres  doublées,  suivant 
le  système  de  transcription  adopté  par  M.  Lepsius,  Atet  (l  2),  mot  qui 
est  identique  à  Tat. 

Le  dieu  Toth  étant  spécialement  adoré  dans  la  ville  égyptienne  de 

Schmoun,  UJjuiO  Y  ïï  ;  les  Grecs,  qui  assimilaient  ce  dieu  à  leur 

Hermès,  avait  changé  ce  nom  en  celui  à'Hermopolis  (13).  Or,  ce  nom 
de  Schmoun  est  précisément  celui  du  dieu  égyptien,  l'aleph  article 
étant  supprimé.  En  égyptien,  Schmoun  signifiait  aussi  huit  (14).  Les 
Égyptiens  semblent  donc  avoir  imposé  à  la  ville  d' Hermopolis- Magna, 
le  nom  de  la  divinité  phénicienne,  qui  était  également  passé  dans 
leur  langue,  pour  exprimer  le  nombre  cardinal  dont  Aschmoun  tirait 
sa  dénomination. 

(7)  Ap.  Syncell.,  p.  75. 

(8)  Jablonsky,  Panth.,  t.  III,  p.  192. 

(9)  Manethon.,  1.  c. 

(10)  Young,  Hieroglyphics ,  pî.  52. 

(il)  Bunsen  ,  Mgyptens  Stelle  in  der  Wellgeschichte ,  t.  I ,  p.  460. 

(12)  Ib.,  t.  II,  p.  40. 

(13)  Champollion  ,  L'Egypte  sous  les  Pharaons,  1. 1,  p.  290. 

(14)  Cf.  Champollion,  Grammaire  égyptienne ,  p.  212.  Th.  Benfey,  Ueber  das 
Verhœltniss  der  jEgyptischen  Sprache  zum  semilischen  Sprachslamm,  p.  19. 


766  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

Une  tradition ,  conservée  par  les  Arabes ,  tendrait  à  faire  croire 
que  la  ville  avait  été  bâtie  par  Athotis  identique  à  Tat  et  à  Asch- 
moun, et  expliquerait  par  là  pourquoi  Thot  y  était  spécialement 
adoré  ;  Oschmounein,  disent  les  Arabes  qui  donnent  actuellement  ce; 
nom  àHermopolis,  fut  bâtie  par  lclimoun  ,  fils  de  Missr(15), 
Missr  étant  le  même  que  Menés,  lchmoun  se  reconnaît  pour  Athotis, 
son  successeur  et  son  fils. 

Ainsi  Hermopolis  Magna  avait  probablement  une  origine  phé- 
nicienne et  le  culte  du  Cabire  Aschmoun  qui  y  fut  apporté  de 
bonne  heure ,  la  fit  regarder  comme  ayant  été  construite  par  ce 
dieu ,  dont  les  Égyptiens  avaient  fait  le  second  de  leurs  rois. 

Les  rapprochements  que  nous  venons  de  faire  entre  Thot  ou 
Tat  et  Aschmoun ,  nous  ont  déjà  conduit  à  reconnaître  dans  ce  der- 
nier dieu  TEsculape  des  Grecs.  Les  preuves  de  cette  identité  ne  se 
bornent  pas  là ,  et  les  faits  abondent  pour  établir  l'origine  phéni- 
cienne de  la  divinité  médicale  des  Hellènes. 

Sur  les  médailles  deCossura,  aujourd'hui  Pantellaria,  on  voit  (16) 
un  des  dieux  Cabires,  sous  l'invocation  desquels  l'île  était  placée, 
représenté ,  la  tète  ornée  de  huit  rayons  et  un  serpent  à  la  main. 
C'est  très-certainement  Aschmoun ,  le  huitième  de  l'Ogdoade  cabi- 
rique.  Or,  l'ophiuchus  ou  serpentaire  était,  comme  on  sait,  une 
constellation  qui  portait  aussi  le  nom  d'Esculape  ;  et  l'on  sait  éga- 
lement que  le  serpent  était  l'animal  symbolique  par  excellence  du 
dieu  d'Épidaure. 

Un  passage  de  Damascius,  que'nous  a  conservé  Photius  (17),  éta- 
blit formellement  l'identité  d'Aschmoun  ou  d'Esculape  :  TEsculape 
que  l'on  adore  à  Berythe,  rapporte  cet  écrivain,  n'est  ni  grec  ,  ni 
égyptien  ;  il  est  né  en  Phénicie.  Sadyk  engendra  sept  fils  qui  furent 
appelés  Cabires  ou  Dioscures;  puis  il  en  eut  un  huitième,  Es- 
moun ,  que  l'on  nomme  Esculape,  efdont  quelques-uns  tradui- 
sent le  nom  par  huitième,  à  raison  de  cette  circonstance  (18).  Sancho- 
niathon  (19)  parle  aussi  de  sept  fils  de  Sydyk  et  du  huitième  qui  fut 
Esculape. 

C'est  dans  les  idées  astronomiques  qui  constituaient  le  fond  de  la 

(15)  Champollion ,  L' Egypte  sous  les  Pharaons,  1. 1,  p.  250. 

(16)  Voy.  Fr.  Neumann,  Populorum  et  regum  numi  veteres  inedili.  Part.  If, 
tab.  4,  fig.  10  et  11.  Mionnet,  Med.  anliq.  supplem.,  t.  IV,  p.  404.  Geseniu$, 
Monum.  Phœnic.  tab.  39 ,  XII,  o.  c  f.  g.  1. 

(17)  P.  352,  éd.  Bekker. 

(18)  Cf.  Champollion ,  1.  c 

(19)  Sanchoniathonis  fragmenta,  éd.  Orelli,  p.  38. 


STATUE  DU  DIEU  ASCHMOUN.  767 

religion  des  Phéniciens,  qu'il  faut  chercher  le  sens  du  mythe  des  huit 
dieux  Cabires.  Xénocrate,  écrivain  carthaginois,  cité  par  S.  Clé- 
ment d'Alexandrie  (20),  nous  apprend  que  les  sept  Cabires  étaient  les 
sept  planètes ,  et  que  le  huitième  (Aschmonn) ,  était  le  monde  formé 
de  leur  assemblage.  Cicéron  (21)  paraît  avoir  fait  allusion  à  ce  pas- 
sage, lorsqu'il  dit  :  «  Xénocrate,  dans  ce  qu'il  a  écrit  des  dieux, 
ne  dit  point  de  quelle  figure  ils  sont,  mais  seulement  qu'il  y  en  a 
huit.  Les  planètes  en  font  cinq;  les  étoiles  fixes  n'en  font  qu'une 
toutes  ensemble  comme  autant  de  membres  épars  ;  le  soleil  fait  le 
septième ,  et  enfin  la  lune  le  huitième.  » 

Aschmoun  présentait  le  triple  caractère  uranique,  cosmique  et 
médical.  Image  du  cercle  céleste  embrassant  les  sept  orbites  des 
planètes,  il  se  confondait  avec  Thoth  ou  Taaut,  avec  Cadmus  et 
Ophion,  divinités  serpentiformes.  L'attribut  du  serpent  rappelait  la 
marche  sinueuse  et  orbiculaire  des  astres.  Le  Jupiter  assyrien  paraît 
être  sorti  du  même  mythe  astronomique.  Les  huit  divinités,  en  l'hon- 
neur desquelles  s'élevaient,  à  Babylone,  ces  huit  tours  superposées 
qui  formaient  le  monument  de  Belus,  n'étaient  autres  que  les 
Cabires  représentant  chacun  l'orbite  d'une  planète.  La  huitième 
tour  qui  constituait  l'étage  supérieur,  renfermait  un  petit  temple 
dédié  à  Jupiter-Belus.  Ainsi  Belus,  de  même  qu'Aschmoun,  était 
regardé  comme  le  dernier  et  le  plus  grand  des  huit  dieux. 

Creuzer  (22)  et  Boettiger  (23)  ont  établi  l'identité  d'Aschmoun  et 
d'Esculape,  et  beaucoup  de  points  rapprochent  Belus  de  ce  dernier, 
ce  qui  corrobore  la  liaison  intime  que  M.  Movers  reconnaît  entre 
la  divinité  assyrienne  et  la  divinité  phénicienne.  Esculape  était  fort 
révéré  dans  la  Cyrénaïque  ;  il  avait  un  temple  à  Balagre  (24) ,  à 
Cyrène  (25).  C'était  de  cette  première  ville ,  que  son  culte  avait  été 
apporté  à  Lébéné  en  Crète  (26).  Or,  nous  voyons  que  Belus  (Bel  ou 
Baal,  Bal),  était  honoré  en  Cyrénaïque,  et  avait  un  hiéron  à  Balis , 
ville  qui  lui  devait  son  nom  (27).  Les  adorateurs  de  Belus  venaient 
coucher  la  nuit  dans  son  temple,  comme  ceux  d'Esculape  dans  les 


(20)  ProtrepL,  c.  V,  §  66. 
(2i)  De  JYalur.  deor.  I,  13. 

(22)  Religions  de  V  Antiquité ,  trad.  Guigniaut,  t.  II ,  p.  336  et  suiv. 

(23)  Boettiger,  Kleine  Schriflen,ed.  Sillig.  Th.  I,  p.  193  et  suiv.  112  et  suiv. 

(24)  Pausan.  Cor.  26,  7. 
(26)  Tacit.  Annal.  XIV,  18. 

(26)  Pausan.  II.  Cor.  26,  7. 

(27)  Steph.  Byzant.  Y.  Bi/t?. 


763  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

hiérons  qui  lui  étaient  consacrés  à  Épidaure  (28),  à  Naupacte  (29), 
en  Phocide,  à  Athènes  (30). 

En  tant  que  dieu  Cabire,  Aschmoun  se  rattachait  à  l'Hercule 
tyrien  ou  Melkarth,  divinité  cabirique  qui  était  l'un  des  ancêtres  de 
l'Hercule  hellénique.  Aussi,  voit-on  que  celui-ci  était  quelquefois  in- 
voqué comme  dieu  de  la  Santé,  par  exemple  au  temple  d'Hyette  (31). 
Aschmoun  et  Belus  étaient  la  personniflcation  de  la  sphère  étoilée; 
de  là  l'usage  de  leur  élever  des  temples,  de  les  adorer  spécialement 
dans  les  lieux  élevés  d'où  l'on  pouvait  découvrir  toute  l'étendue  des 
cieux.  Cette  circonstance  nous  donne  à  penser  que  le  Jupiter  des 
anciens  Perses ,  dont  fait  mention  Hérodote  (32),  devait  être  égale- 
ment le  ciel.  Car,  nous  dit  cet  auteur,  ce  peuple  est  dans  l'usage  de 
lui  sacriûer  sur  les  montagnes,  d'où  ils  l'invoquent  comme  la  sphère 
étoilée.  C'était  sur  la  crête  la  plus  élevée  de  la  citadelle  de  Carthage 
qu'Aschmoun  (Esculape)  avait  son  temple  (33).  M.  Movers  a  fait 
observer  que  Plutarque  (34)  nous  apprenait  qu'Esculape  avait  de 
même  son  temple  sur  les  hauteurs.  Mais  on  lui  en  élevait  aussi  sur 
le  bord  de  la  mer  et  près  des  sources  réputées  bienfaisantes ,  et  il 
semble,  d'ailleurs,  plus  probable  que  les  montagnes  n'étaient  choi- 
sies à  cet  effet,  qu'à  raison  de  l'air  plus  pur  qu'y  trouvaient  les  malades 
qui  venaient  consulter  le  dieu.  Ecbatane,  dont  la  sextuple  enceinte 
avait  sans  doute  été  élevée  à  dessein  pour  rappeler  les  sept  orbes  pla- 
nétaires (35) ,  renfermait  un  temple  de  Belus,  sur  son  point  le  plus 
élevé,  et  le  dieu  y  était  invoqué,  de  même  qu'Esculape,  comme 
divinité  médicatrice.  Aussi,  Arrien  (36)  l'identifie-t-il  à  ce  dieu. 

C'est  en  tant  que  personnification  de  la  sphère  étoilée  ,  qu'Asch- 
moun est  appelé  par  Damascius  le  plus  beau  de  tous  les  dieux. 
Sanchoniathon  avait  dit  la  même  chose  d'Uranus ,  en  nous  rappor- 
tant que  ce  nom  lui  avait  été  imposé  à  cause  de  l'excellence  de  sa 

(28)  Pausan.   Cor.  c.  26. 

(29)  Pausan.  Phdc.  38,  7. 

(30)  Pausan.  Attic.  c.  21. 

(31)  Pausan.  Beot.  24,  3. 

(32)  Herodot.  Mb.  I.c.  131. 

(33)  Strab.  XVII ,  p.  382.  Appian.  Punie,  VIII ,  30.  Apul.  Florià.,  lib.  IV, 
c.  18.  Cf.  Mùnter,  Religion  der  Carthager,  p.  91.  C'est  dans  ce  temple  qu'Asdru- 
bal  et  son  épouse  se  brûlèrent- 

(34)  Quœst.  roman.  94. 

(35)  Herodot.  I,  98. 

(3G)  Arrian.  VII ,  14.  Nous  renverrons  pour  le  développement  de  la  question  des 
liens  de  parenté  qui  unissent  Aschmoun  à  Esculape,  à  la  note  de  nous  que  le  savant 
M.  Guigniaut  a  bien  voulu  insérer  dans  le  dernier  volume  de  sa  Symbolique,  ac- 
tuellement sous  presse. 


STATUE  DU  DIEU  ASCHMOUN.  769 

beauté.  Uranus  et  Aschmoun  ne  sont,  en  effet,  qu'un  seul  et  même 
dieu ,  ainsi  que  l'indiquent  les  rapports  dans  lesquels  ces  divi- 
nités sont  placées  avec  la  mère  des  dieux. 

L'étoile  polaire  était  donnée  comme  mère  à  Aschmoun ,  précisé- 
ment parce  que  celui-ci  représentait  la  sphère  étoilée  :  c'est  ce  qui 
résulte  du  rapprochement  de  divers  mythes  que  Sanchoniathon  nous 
a  fait  connaître.  Cronos  avait,  nous  dit-il,  eu  sept  filles  d'Astarté, 
c'étaient  les  sept  Titanides  ou  Artémides  ;  de  Rhéa,  le  dieu  avait  eu 
autant  de  fils ,  dont  le  plus  jeune  fut  placé  au  rang  des  dieux , 
immédiatement  après  sa  naissance.  La  mère  d' Aschmoun  était  l'une 
des  sept  Titanides  (37).  Or,  une  légende  très-répandue  dans  l'anti- 
quité, racontait,  relativement  aux  pléiades,  quelque  chose  de  fort 
analogue  à  ce  que  Sanchoniathon  nous  rapporte  des  sept  fils  de 
Rhéa.  Ces  étoiles ,  dont  Ovide  nous  dit  :  Quœ  septem  dici,  sex  tamen 
esse  soient  (38) ,  ne  sont  pas  toutes  de  la  même  grandeur.  L'une 
d'elles  est  de  la  troisième,  trois  sont  de  la  cinquième,  deux  de  la 
sixième ,  et  les  autres ,  en  grand  nombre ,  sont  plus  petites  encore 
et  cessent  par  conséquent  d'être  visibles  à  l'œil  nu.  Ainsi,  bien  qu'on 
voulut  retrouver  dans  les  Pléiades  le  nombre  sacramentel  sept, 
il  n'y  en  avait  réellement  que  six  pour  des  observateurs  dépourvus , 
comme  étaient  les  anciens  ,  d'instruments  d'optique.  De  là  s'était 
accréditée  l'idée  que  l'une  des  Pléiades  avait  disparu  ;  Ton  racontait, 
tantôt  qu'elle  avait  été  atteinte  de  la  foudre,  tantôt  qu'elle  s'était 
perdue  dans  la  queue  de  la  petite  Ourse  ;  on  disait  aussi  que  la  sep- 
tième de  ces  divinités  stellaires  avait  épousé  le  mortel  Sisyphe, 
tandis  que  ses  sœurs  s'étaient  unies  à  des  dieux,  et  qu'elle  avait  eu 
tellement  honte  de  cette  mésalliance,  qu'elle  avait  disparu  des  cieux, 
ou  ,  que  depuis  ce  moment ,  elle  se  cachait  le  visage  dans  ses 
mains  (39).  Cette  disparition  de  la  septième  pléiade  rappelle  dans  le 
mythe  égyptien  celle  du  septième  fils  de  Cronos  et  de  Rhéa. 

La  seconde  heptade  ,  mentionnée  par  Sanchoniathon ,  celle  des 
Titanides ,  ne  peut  être  qu'une  autre  heptastérisme ,  et  l'on  est  na- 
turellement conduit  à  y  reconnaître  la  grande  Ourse,  les  seplem  triones 
des  anciens,  ou  la  petite;  en  un  mot,  l'un  des  gemini  triones  de 
Virgile.  Or,  parmi  les  étoiles  composant  ces  constellations,  nulle 
ne  dut  attirer  plus  l'attention  que  l'étoile  polaire  ;  car,   dans   le 

(37)  Sanchoniathon ,  éd.  Orelli,  p.  30. 

(38)  Ovid.  Fast.,  IV,  170. 

(39)  Ovid.  1.  c.  IV,  171.  Ideler,   Ueber  den   Ursprung  und  die  Bedeulung 
der  Slemnamen ,  p.  145  »  316. 


770  REVUE   ARCHEOLOGIQUE. 

grand  Charriot ,  aucune  ne  se  distinguait  assez  pour  pouvoir  être 
considérée  comme  la  mère  d'Aschmoun.  L'étoile  polaire  avait  origi- 
nairement été  peu  remarquée  des  Grecs ,  et  Thaïes  passait  pour  en 
avoir  apporté  la  connaissance  en  Occident.  Les  Phéniciens,  au  con- 
traire ,  comme  peuple  navigateur,  avaient  appris  de  bonne  heure  à 
connaître  son  importance,  et  cette  circonstance  lui  fit  imposer  chez 
les  Grecs  le  nom  de  Ootvixv)  (40).  C'est  peut-être  là  qu'il  faut  cher- 
cher le  motif  qui  faisait  dire  aux  Phéniciens  qu'Aschmoun  était 
originaire  de  leur  patrie,  'E-jrr/wptoç  <boivtç ,  suivant  l'expression  de 
Damascius.  Rien  n'était  plus  convenable  dans  cet  ordre  d'idées  sym- 
boliques, que  de  donner  pour  mère  au  dieu  qui  était  la  personnifica- 
tion de  la  sphère  étoilée ,  l'étoile  autour  de  laquelle ,  comme  centre , 
tourne  la  voûte  céleste. 

Aschmoun,  envisagé  comme  divinité  cosmique,  comme  emblème 
du  xoVoç,  répondait  au  dieu  Pan.  En  Egypte,  le  culte  de  Pan,  d'ori- 
gine certainement  phénicienne ,  avait  de  nombreuses  relations  avec 
celui  de  Schmoun  dont  nous  avons  fait  voir  plus  haut  l'identité  avec 
Aschmoun.  La  ville  que  les  Grecs  avaient  baptisée  du  nom  de  Pano- 
polis ,  et  où  Pan  était  spécialement  adoré,  portait  chez  les  Egyptiens 
le  nom  de  Schmin  IlfuS^  ,  qui  est  presque  le  même  que  celui  de 

Schmoun  (41).  Creuzer  et  Hug  ont  éclairci  ce  point.  M.  Mo- 
vers,  par  de  nouveaux  rapprochements,  a  parachevé  la  démonstra- 
tion. Au  dire  de  Damascius ,  Aschmoun  recevait  un  culte  spécial  à 
Bérythe ,  et  Strabon  mentionne  le  lucus  de  cette  divinité  dans 
le  voisinage  de  cette  cité.  Nonnus,  qui  a  consacré  trois  livres  de  ses 
Dionysiaques  à  l'exposition  des  mythes  de  Bérythe,  et  qui  énumère 
au  commencement  du  XLP,  les  dieux  et  les  temples  de  la  ville,  ne 
dit  rien  d'Aschmoun  ni  d'Esculape ,  mais  il  parle  du  lucus  de  Pan 
et  de  la  mère  des  dieux,  précisément  là  où  Damascius  parle  d'Aschmoun 
et  d'Astronoé,  la  mère  des  dieux.  Aschmoun,  nous  rapporte  cet 
auteur,  était  le  plus  beau  des  dieux,  et  Astronoé  fut  éprise  d'amour 
pour  lui.  Us  se  rencontrent  un  jour  à  la  chasse;  la  déesse  poursuivit 
le  jeune  dieu,  qui,  pour  résister  à  sa  tentative  amoureuse,  se  coupa  le 
membre  viril  d'un  coup  de  hache.  Astronoé,  au  désespoir,  le  ressus- 
cita, par  sa  chaleur  vivifiante,  et  elle  lui  donna,  en  mémoire  de  cet 
événement,  le  nom  d'Aschmoun,  puis  elle  le  plaça  au  rang  des  dieux. 

(40)  Cf.  Ideîer,  Ueber  den  Ursprung  und  die  Bedeutung  der  Sternnamen , 
p.  6. 

(41)  Champollion,  VEgypU  sous  les  Pharaons,  tA,  p.  260. 


STATUE   DU  DIEU  ASCHMOUN.  771 

Ge  mythe,  dans  lequel  se  trouve  une  allusion  au  radical  un  (Ascii, 
Esch)  «feu,  »  qui  entre  dans  le  nom  de  la  divinité  phénicienne, 
offre  une  analogie  nouvelle  entre  son  personnage  et  celui  d'Uranus, 
privé  aussi  des  parties  génératrices.  Cette  étymologie,  attribuée  au 
nom  du  dieu  ,  est  tirée  du  mot  composé,  pan  Un,  (Esch-Homcn, 
Asch-Hemoun) ,  ignis  calefaciens,  fut  probablement  l'origine  du 
mythe  lui-même. 

On  sait  combien  de  légendes  ont  été  fabriquées  sur  les  diverses 
significations  que  présentaient  certains  noms  de  dieu. 

Une  parenté  plus  proche  encore,  résulte  de  ce  mythe  entre  Asch- 
moun  et  l'Attys  ou  TAttes  de  la  religion  phrygienne.  Attes  est 
aussi  le  favori  de  la  mère  des  dieux ,  il  succombe  aussi  des  suites  de 
sa  castration  volontaire  ,  mais  il  ressuscite  par  les  chauds  embras- 
sements  de  la  déesse,  image  de  la  nature  que  l'haleine  vivifiante  du 
printemps  arrache  à  la  torpeur  hivernale.  Esculape-Aschmoon  et 
Attes  sont  tous  deux  exposés  par  l'ordre  de  leur  aïeul  qu'avait 
irrité  le  commerce  de  ses  filles;  des  bergers  recueillent  les  dieux- 
enfants,  et  les  nourrissent  de  lait  de  chèvre  (42). 

Attes  etEsculape,  lequel  est  identique  à  Aschmoun,  chassaient 
tous  deux  dans  les  forêts  avec  la  mère  des  dieux.  Le  cône  de  pin , 
placé  dans  la  main  du  dieu  grec ,  rappelle  le  pin  sous  lequel  Attes 
semascula  et  en  mémoire  duquel  les  Galles  plantaient,  tous  les  ans, 
au  printemps,  un  de  ces  arbres  entouré  de  laine  (43). 

Aschmoun-Esculape,  Attes  et  Pan  étaient  tous  trois  des  divinités 
pastorales  ;  ils  se  plaisaient  au  milieu  des  bois  et  formaient  le  cor- 
tège de  la  mère  des  dieux.  Pan-Aschmoun  semble  être  le  Dan- 
Jaan,  dont  il  est  question  dans  le  second  Livre  des  Rois  (44),  et  qui 
plus  tard  fut  adoré  dans  une  grotte  de  Paneos,  sous  le  nom  de  Pan. 
Sur  les  monnaies  de  Paneos  ou  de  Dan-Jaan,  appelé  plus  tard  Bel- 
Inas,  au  lieu  de  Baal-Jaan,  on  voit,  figurer  tantôt  entre  les  mains  de 
la  divinité  la  syrinx  à  sept  trous  ou  llûte  de  Pan ,  tantôt  le  serpent 
d'Esculape  (45),  et  il  serait  fort  possible  que  la  prétendue  statue 
du  Christ  dont  il  est  fait  souvent  mention  à  Paneos,  et  au  pied  de 
laquelle  croissait  une  herbe  qui  guérissait  toutes  les  maladies  (46) , 


(42)  Pausan.  II ,  2G  ,  4.  Cf.  Arnob.  adv.  Génies,  V,  199. 

(43)  Pausan.  II,  10,  3. 

(44)  XXIV,  G. 

(45)  Eckhel ,  Doclrin.  num.  vêler,  t.  III ,  p.  342. 

(46)  Voy.  Euseb.  Hist.  Eccles,  VII ,  18.  Glycas ,  p.  253. 


772  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

ait  été  auparavant  une  image  du  dieu  phénicien  Aschmoun  (47). 
Quand  on  voit  les  Pères  de  l'Église  prendre  pour  une  statue  de 
Simon  le  Magicien ,  celle  du  dieu  Sangus  ou  Sancus ,  à  Rome ,  on 
comprend  la  possibilité  d'une  pareille  erreur  chez  des  chrétiens 
moins  éclairés. 

Le  rôle  qu'Aschmoun-Esculape  jouait  comme  divinité  médica- 
trice,  paraît  avoir  été  la  conséquence  de  l'attribution  qu'on  lui  avait 
faite  du  serpent  comme  symbole  cosmique,  ou,  pour  parler  plus 
simplement,  de  ce  que  ce  reptile  était  le  fétiche  sous  la  figure  du- 
quel les  Phéniciens  rendaient  un  culte  à  ce  dieu.  En  Grèce,  Esculape 
était  adoré  sous  la  forme  d'un  serpent  :  Anguis  in  quo  ipsum  numen 
esse  constabat ,  dit  Tite  Live  (48)  ;  in  serpente  deusy  écrit  Ovide  (49). 
Les  Israélites  adoraient  le  serpent  d'airain  comme  symbole  du  dieu 
de  la  santé.  Ézéchias ,  lit-on  dans  le  IVe  Livre  des  Rois  (50),  brisa  le 
serpent  d'airain  qu'avait  fait  Moïse;  car,  jusqu'à  ce  jour,  les  en- 
fants d'Israël  lui  avaient  sacrifié  sous  le  nom  de  Nehoustan. 

Ainsi ,  l'habitude  que  l'on  avait  de  représenter  le  monde  par  un 
serpent  qui  formait  avec  son  corps  allongé  un  orbe,  image  du  cercle 
céleste ,  et  la  vertu  thérapeutique  attribuée  à  cet  animal,  expliquent 
l'apparente  discordance  qu'offre  l'identification  d'un  dieu  de  la  santé 
et  du  Cabire  phénicien,  image  du  monde. 

La  liaison  qui  rattachait  le  culte  du  serpent  d'airain  à  celui 
d'une  divinité  d'un  peuple  voisin ,  montre  comment  il  avait  pu  se 
conserver  si  longtemps  chez  les  Hébreux  ;  ce  fut ,  en  effet ,  près  de 
mille  ans  après  Moïse,  que  cette  image  cessa  d'être  environnée  de 
leur  respect  superstitieux.  Il  semble  donc  que  le  serpent  d'airain  et 
celui  d'Épidaure  aient  eu  la  même  origine. 

Lorsqu'à  une  époque  plus  récente,  le  culte  du  soleil  se  développa 
chez  les  Phéniciens,  on  subordonna  à  ce  nouveau  dieu,  Aschmoun- 
Esculape.  C'est  de  la  sorte  qu'Escuiape  est  devenu  fils  d'Apollon , 
mythe  par  lequel  on  exprimait  sous  le  voile  de  l'allégorie ,  l'effet 
bienfaisant  sur  la  nature  animée  des  rayons  du  soleil  qui  venaient 
purifier  l'air  (51). 

(47)  Le  Christ  a  pu  d'autant  plus  être  confondu  avec  Esculape  que  les  mani- 
chéens ,  qui  formaient  une  secte  fort  nombreuse  et  qui  avaient  certains  dogmes  de 
commun  avec  les  chrétiens ,  faisaient  du  serpent  l'image  du  Christ.  Chrislum 
fuisse  affirmant,  dit  à  leur  sujet  saint  Augustin,  quem  dicil  noslraScriplura  ser- 
pentent a  quo  illuminalos  eos  afferunl,  nempe  Adam  et  Evam.  (Dehœres.  c.  46.) 

(48)  Epil.  lib.  XI. 

(40)  Melamorph.  XV,  670. 

(50)  XVIII,  4. 

(Si)  Macrob.  Salurn.  I,  20. 


STATUE   DU   DIEU   ASCHMOUN.  773 

Le  célèbre  dieu  Sérapis  paraît  avoir  résumé  en  lui  une  partie 
des  attributs  divers  que  nous  avons  rencontrés  chez  Aschmoun.  Le 
serpent  lui  étant  attribué  comme  un  symbole  qui  renfermait  les 
différentes  faces  sous  lesquelle  la  divinité  phénicienne  s'est  offerte  à 
nous  (52).  Sérapis  était  étranger  à  la  religion  phénicienne,  on  n'y 
rencontre,  eh  effet,  aucune  trace  de  son  culte.  Mais  Arrien  (53) 
nous  apprend  que  ce  dieu  était  adoré  à  Babylone ,  et  son  nom,  dans 
lequel  on  retrouve  le  radical  indo-germanique  sarpa,  serpens  (en 
grec  âp™,  serpô,  d'où  le  dieu  serpent  des  Lombards  Saribant), 
accuse  une  origine  chaldéenne.  Dans  un  Mémoire  que  nous  prépa- 
rons sur  le  serpent  et  les  idées  qui  s'attachaient  à  ce  reptile  dans 
l'antiquité  et  au  moyen  âge ,  nous  reviendrons  sur  ce  sujet  si  riche 
et  si  fécond  pour  la  connaissance  de  la  mythologie.  Qu'il  nous 
suffise  de  remarquer  ici  que  l'on  passait  aussi  la  nuit  dans  le  temple 
de  Sérapis  à  Babylone,  lorsqu'on  voulait  consulter  le  dieu  (54), 
circonstance  qui  rapproche  encore  cette  divinité  d' Aschmoun -Es- 
culape. 

Ne  voulant  donner  ici  qu'une  simple  Notice  destinée  à  faire  con- 
naître le  dieu  représenté  dans  la  statue  de  Cherchell ,  nous  nous 
bornerons  à  ce  court  aperçu ,  et  nous  rappellerons  encore  une  fois 
au  lecteur  que  c'est  au  savant  M.  Movers  qu'il  doit  rapporter 
l'intérêt  et  la  nouveauté  que  ces  recherches  ont  pu  lui  présenter. 

Ajoutons  seulement  que  la  présence  fréquente  du  nom  d'A- 
schmoun  dans  les  noms  propres  phéniciens  que  l'histoire  et  les 
inscriptions  nous  ont  transmis ,  indique  la  vénération  toute  particu- 
lière dont  ce  dieu  était  environné.  Les  noms  de  "puma?  (Hàb- 
deschmouri),  c'est-à-dire  serviteur  d'Aschmoun  ou  de  "DtzmTz  (  Bede- 
schtyoun) ,  qui  a  la  même  signification,  "|BU*03U  (  Netzibeschmoun) , 
colonne  d'Aschmoun  ,  ;pnm*un  (  ' Hannaschmoun  ) ,  grâce  d'Asch- 
moun (55),  en  fournissent  une  preuve  incontestable. 

Alfred  Maurv. 

(52)  «  Le  serpent ,  symbole  de  la  terre  et  des  pouvoirs  souterrains,  de  la  vie  ,  de 
la  santé,  de  l'immortalité ,  de  l'élernité  appartenait,  sous  tous  ces  points  de  vue,  au 
Sérapis  d'Alexandrie,  »  Guigniaut,  Sérapis  et  son  origine ,  t.  V,  p.  549  du  Tacite , 
trad.  par  Burnouf. 

(53)  Arrian.  lib.  VII ,  c.  6. 

(54)  Ib.  1.  c. 

(55)  Gesenius,  Scriptur.  ling.  phœnic.  Pars  I,  p.  347.  Cf.  Falbe ,  Recherches 
sur  l'emplacement  de  Carthage,  p.  94  et  105. 


III. 


50 


NOUVELLES  OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES. 


h  (i). 


Nous  avons  dans  !e  précédent  article  montré  sur  quelles  preuves 
ou,  si  l'on  veut,  sur  quelles  vraisemblances  s'appuie  l'opinion  qui 
assimile  l'institution  provinciale  des  Àugustales  à  celle  des  Magistri 
vicorum  dans  la  capitale  du  monde  romain.  Cette  opinion  rencontre 
aussi  des  difficultés  de  plusieurs  genres  que  nous  allons  successive- 
ment examiner. 

i°  M.  Zumpt  remarque  avec  nous  que  les  Magistri  vicorum  ne 
sont  jamais  nommés  Augustales  sur  les  monuments  ;  mais  il  en  tire 
contre  notre  hypothèse  une  objection  qui  nous  paraît  assez  faible. 
Qu'est-il  besoin  en  effet  que  les  magistrats  prêtres  des  dieux  Lares 
aient  porté  dans  les  provinces  précisément  le  même  nom  qu'à  Rome? 
Si  les  Lares  Augusti  étaient  honorés  à  Rome  par  des  Magistri  vico- 
rum, pourquoi  ces  Magistri  ne  seraient-ils  pas  devenus,  dans  les 
provinces ,  Magistri  Larum  Auguslorum ,  puis  Magistri  Larum  Au- 
gustales ,  puis  enfin  Magistri  Augustales ,  puis  simplement  Augus- 
tales ?  (2)  M.  Zumpt  se  préoccupe  mal  à  propos  de  la  forme  de  ce 
dernier  adjectif,  voulant  qu'il  désigne,  non  ce  qui  a  été  institué  par 
Auguste,  mais  ce  qui  se  fait  en  l'honneur  d'Auguste,  comme  jeux, 
sacrifices,  etc.  (page3);  c'est  combattre  une  erreur  imaginaire.  En 
effet ,  nous  n'avons  pas  dit  que  les  Augustales  fussent  directement 
appelés  du  nom  de  leur  fondateur.  La  série  des  formes  que  nous  rap- 
pelions ci-dessus  montre  comment  cet  adjectif  honorifique  Augustus 
passa  de  l'empereur  aux  dieux  Lares ,  et  de  ceux-ci  à  leurs  prêtres  ; 
dans  le  dérivé  Augustalis  il  n'y  a  plus,  à  vrai  dire,  qu'un  souvenir 
du  fait  accompli  par  l'empereur.  Nous  allons  plus  loin.  Il  nous  semble 
a  priori  peu  naturel  que  les  magistrats  prêtres  des  dieux  Lares 
eussent  dans  les  municipes  et  les  colonies  le  même  titre  que  dans 

(1)  Voy.  plus  haut,  p.  635. 

(2)  C'est  d'une  manière  analogue  que  le  fiamen  de  Jupiter  s'est  appelé  d'abord 
flamen  dialis ,  puis  plus  brièvement  dialis.  Voy.  Aulu-Gelle,  iV.  A,  X%  15. 


OBSERVATIONS   SUR    LES   ÀLGUSTALES.  77^ 

la  capitale.  Les  municipes  et  les  colonies  avaient  des  consuls,  mais 
qui,  sauf  de  rares  exceptions,  s'y  nommaient  duumvirs;  ils  avaient 
des  censeurs ,  mais  qui  s'y  nommaient  quinquennales  ;  ils  avaient  des 
préteurs,  mais  qui  s'y  nommaient  quatuorvirijuri  dicundo.  Les  édiles 
seuls  gardent  habituellement  le  même  titre  dans  les  provinces  que 
dans  la  métropole  (1).  Les  titres  des  prêtres  provinciaux  des  dieux 
Lares  s'ajoutent  donc,  dans  notre  hypothèse,  aux  exemples  de  la 
règle;  aimerait-on  mieux  qu'ils  s'ajoutassent  aux  exceptions? 

2°  Deuxième  objection.  Il  n'y  a  jamais  eu  de  collège  des  Magis- 
tri  vicorum;  les  Augustales,  au  contraire,  forment  un  collège,  un 
corps  constitué.  —  C'est  tout  simplement  que  les  prêtres  provinciaux 
des  dieux  Lares  sont  devenus  un  peu  autre  chose  que  n'étaient  leurs 
confrères  de  Rome.  Ceux-ci  n'étaient  nommés  que  pour  un  an,  et 
ne  gardaient,  après  leur  sortie  de  charge,  aucun  privilège,  aucun 
titre;  seulement  ils  pouvaient  être  nommés  une  seconde  fois.  De 
même  les  grands  magistrats  de  Rome,  consuls,  préteurs,  questeurs, 
édiles,  tribuns,  ne  conservaient,  après  l'expiration  de  leurs  pouvoirs, 
aucun  droit  de  se  réunir,  ou  d'agir  en  commun,  mais  seulement  la 
capacité  d'être  réélus  ou  d'exercer  une  autre  charge.  Les  titres  de 
consularis,  prœtorius,  etc. ,  étaient  purement  honorifiques.  Or,  il  n'était 
pas  nécessaire  que  l'institution  augustale  restât  dans  les  provinces 
tout  juste  ce  qu'elle  était  à  Rome  ;  au  contraire ,  on  comprend  bien 
que,  sous  l'influence  de  circonstances  très-diverses,  elle  se  soit  mo- 
difiée dans  le  sens  qu'indiquent  les  monuments  compris  selon  notre 
hypothèse.  Nous  avons  parlé  d'origine  commune,  de  similitude, 
jamais  d'une  parfaite  identité  entre  l'institution  romaine  et  l'institu- 
tion provinciale  (qu'on  nous  passe  ces  deux  termes  pour  plus  de 
brièveté)  ;  et  l'on  verra  plus  bas  que  dans  l'hypothèse  de  M.  Zumpt 
il  y  a  aussi  des  différences  entre  Rome  et  les  provinces,  mais  des 
différences  plus  essentielles  encore. 

3°  Troisième  objection.  D'une  part  on  ne  trouve  pas  d'Augus- 
tales  avant  la  mort  d'Auguste  ;  et ,  de  l'autre ,  il  y  a  des  Magistri 
Larum  Augustorum  même  après  sa  mort ,  lorsque  déjà  X Augustalitas 
était  répandue  dans  tout  l'empire.  Nous  avons  déjà  répondu,  dans 
le  précédent  article ,  à  la  première  partie  de  l'objection ,  en  citant 
plusieurs  textes  dont  deux  même  sont  transcrits  à  la  page  9  et  à  la 
page  50  de  la  dissertation  de  M.  Zumpt.  D'ailleurs,  n'eût-on  pas  de 
monument  antérieur  à  la  mort  d'Auguste ,  qui  se  rapportât  à  l'exten- 

(1)  Voyei  le  chap.  xvi  de  la  Collection  d'Orelli. 


776  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

sion  dans  les  provinces  d'une  institution  organisée  à  Rome  par  cet 
empereur,  y  aurait-il  là  une  raison  de  croire  que  l'organisation  ro- 
maine n'eût  pas  été  imitée  par  les  municipes  et  les  colonies?  Cela 
ne  prouverait  rien  ,  sinon  que  les  monuments  de  ce  genre  ont  tous 
disparu ,  ou  que  l'imitation  ne  commença  qu'après  la  mort  d'Au- 
guste, ce  qui,  après  tout,  ne  serait  pas  impossible. 

Quant  à  la  deuxième  partie  de  l'objection  ,  trop  brièvement  ex- 
posée par  M.  Zumpt  (l),  si  nous  l'avons  bien  saisie,  elle  aurait  ce 
sens  que  pour  être  assimilée  aux  Âugastales  les  Magistri  Larum  Au- 
gustorum  devraient  porter  le  même  titre  ;  c'est ,  en  d'autres  termes , 
la  première  objection,  que  nous  croyons  avoir  réfutée,  et  que,  du 
reste,  M.  Zumpt  détruit  lui-même  lorsqu'à  la  page  52  de  son  mé- 
moire, il  reconnaît  dans  les  Magistri  Augastales ,  Magistri  Larum 
Augastales,  etc.,  un  sacerdoce  provincial  imité  de  celui  des  Magistri 
vicorum.  Seulement  il  ne  veut  toujours  pas  reconnaître  dans  ces 
Magistri  les  Augustales  qui  font  le  sujet  de  sa  dissertation. 

M.  Zumpt  affirme  ensuite  que  beaucoup  d'autres  objections  non 
moins  graves  ressorlent  de  ses  études  sur  la  constitution  des  Au- 
gustales. Nous  avons  tâché  de  les  recueillir  exactement  à  travers  les 
détours  de  ce  long  travail  ;  elles  nous  semblent  se  réduire  à  deux 
que  nous  reproduisons  sans  les  atténuer. 

4°  Quatrième  objection  (2).  Choisis  par  les  décurions  et  formant 
un  ordre  intermédiaire  entre  la  curie  et  le  peuple ,  un  ordre  où  la 
curie  se  recrute  quelquefois ,  les  Augustales  sont  bien  supérieurs 
en  dignité  aux  Magistri  vicorum  et  Larum.  S'agit-il  des  Magistri 
Larum  dans  les  provinces?  Les  prêtres  de  cette  classe,  que  M.  Zumpt 
reconnaît  sur  les  marbres  (3) ,  sont  précisément  de  la  même  classe 
que  les  Augustales,  c'est-à-dire  de  la  classe  moyenne,  tous  ou 
presque  tous  affranchis.  S'agit-il  des  Magistri  vicorum  de  la  capitale, 
la  seule  différence  des  lieux  explique  bien  la  différence  de  condi- 
tion que  M.  Zumpt  a  remarquée.  Dans  la  capitale  de  l'empire,  il 
y  avait  plus  de  mille  Magistri  vicorum;  l'honneur  de  cette  charge 
perdait  Beaucoup  à  être  ainsi  divisé,  il  perdait  surtout  au  voisinage 
de  la  cour,  de  cette  aristocratie  de  hauts  fonctionnaires  qui  peuplait 
les  palais  de  Rome.  D'ailleurs  M.  Zumpt  ne  s'est-il  pas  exagéré  cette 
dignité  du  rôle  des  Augustales  ?  Nous  n'insisterons  pas  sur  certains 

(1)  «  At  Larum  Augustorum  magistri  fuerunt  etiam  post  decessum  ejus,  cum 
«  dudum  per  totum  imperium  Augustalitas  propagata  erat,  »  p.  10. 

(2)  Résumée  par  l'auteur,  p.  30. 

(3)  Pages  50  ctsuiv. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.         777 

monuments  qui  nous  montrent  des  esclaves  revêtus  de  l'augustalité  ; 
ces  monuments  sont  très-rares  et  peuvent  paraître  suspects  (l),  mais 
à  côté  des  nombreuses  inscriptions  où  tant  d'Augustales  affranchis 
figurent  pour  le  souvenir  de  très-modiques  dépenses ,  qu'on  relise  le 
curieux  passage  de  Pétrone  (2)  que  nous  avons  déjà  produit  dans 
l'examen  de  cette  question.  Un  affranchi  parle  à  une  chevalier  ro- 
main :  «  Tu  es  chevalier  romain ,  et  moi ,  je  suis  fils  de  roi. 

Pourquoi  donc  étais-tu  esclave?  —  Parce  que  je  me  suis  moi-même 
livré  en  servitude....  Et  maintenant  j'entends  vivre  de  façon  que 
personne  n'ait  le  droit  de  me  rire  au  visage  ;  je  me  promène  le  front 
découvert  parmi  mes  égaux  ;  je  ne  dois  pas  un  sou  de  cuivre  à  qui 
vive  au  monde  ;  je  ne  sais  pas  ce  que  c'est  qu'une  assignation.  Per- 
sonne ne  m'a  dit  sur  la  place  :  rends-moi  ce  que  tu  me  dois.  J'ai  de 
petits  sillons  à  moi,  voire  un  peu  de  vaisselle  plate  ;  je  nourris  vingt 
bouches  et  mon  chien  ;  j'ai  racheté  ma  compagne  de  lit ,  pour  avoir 
le  droit  d'en  user  seul  (3).  Il  m'en  coûte  mille  beaux  deniers.  Aujour- 
d'hui me  voilà  sévir  et  sans  frais  (sévir  gratis  factus  sum),  et  je  compte 
bien  trépasser  de  façon  à  ne  pas  rougir  dans  ma  tombe.  »  Ce  portrait 
de  l'affranchi  parvenu,  maintenant  sévir  augustale  dans  sa  petite 
ville,  ne  répond-il  pas  bien  en  général  à  l'idée  qu'on  s'est  faite,  par 
les  monuments,  de  ces  vanités  municipales  assurément  fort  compa- 
rables à  celles  des  quarteniers  de  Rome? 

5°  Une  cinquième  objection  plus  sérieuse ,  à  mon  avis ,  résulte 
de  ces  inscriptions  où  le  titre  d'Augustalis  se  voit  uni  à  celui  de 
Claudialis  et  de  Flavialis  (4).  Il  paraît  certain  en  effet  que  ces  deux 
derniers  titres,  comme  ceux  à'HadrianaUs,  Anloninianus ,  etc.,  dési- 

(1)  M.  Zumpt ,  p.  9  ,  note  2 ,  décline,  à  cet  égard ,  l'autorité  de  cette  inscription 
d'Orelli ,  n°  2423  : 

PHILEROS.  DISPEN 

MELANTA.  CELLAR 

MAG.  L.  F.  D.  D. 

Il  refuse  d'y  voir  un  monument  du  culte  public  des  Lares.  L'inscription  n°  2425, 

qu'il  a  transcrite,  et  qu'on  a  lue  aussi  dans  notre  premier  article,  p.  G46,  est  plus 

embarrassante. 

(2)  Satyricon,  c.  57. 

(3)  Ici  on  n'ose  pas  traduire.  «  Contubernalem  meam  redemi ,  ne  quis  sinu  illius 
manus  tergeret.  » 

(4)  Au  sujet  de  l'inscription  de  Gruter,  376, 1  (Orelli,  n°  3932  )  où  le  texte  donne 
IIIIII  VIR.  ET.  AVGVSTALIS.  ET.  FLAMINALIS,  M.  Zumpt  (p.  36)  ne  doute 
pas  que  Hagenbuch  n'ait  changé  avec  raison  FLAMINALIS  en  FLAVIALIS,  quia 
flaminales  nulli  omnino  sunt.  Est-ce  parce  que  l'inscription  d'Orelli ,  n°  155,  où 
sont  mentionnés  des  FLAMINALES.  VIRI  (flamines  sortis  de  charge),  ne  lui  pa- 
raît pas  authentique?  Cela  demandait  au  moins  quelques  mots  d'explication. 


778  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

gnent  les  membres  de  corporations  vouées  au  culte  des  empereurs , 
de  Claude,  de  Vespasien  et  de  sa  famille,  d'Hadrien,  etc.;  mais 
puisque,  même  selon  notre  hypothèse,  le  titre  des  Aagiislales  est  un 
nommage  d'adulation  envers  Auguste,  puisque  les  fonctions  de  ces 
prêtres  sont  comme  un  culte  indirect  de  la  personne  de  l'empereur, 
dans  les  cas  en  question,  on  peut  penser,  sans  invraisemblance,  de  deux 
choses  l'une,  ou  bien  que  le  titre  de  Claiidiaïis  ou  de  Flavialis  était 
ajouté  par  forme  de  flatterie  à  celui  d'Augustalis,  lors  de  l'avènement 
de  Claude  ou  de  la  famille  Claudia,  ou  que  le  même  personnage  était 
associé  à  deux  corporations  :  celle  des  prêtres  Augustales  et  celle  des 
Claudiales,  ou  des  Flaviales.  Un  tel  cumul  de  fonctions  n'est  con- 
traire ni  au  bon  sens ,  ni  aux  usages  de  l'antiquité.  M.  Zumpt  en 
reconnaît  un  exemple  incontestable  et  sur  lequel  il  se  propose  de 
revenir  quelque  jour  ;  ce  sont  les  hercvlanei  avgvstales  men- 
tionnés dans  deux  inscriptions  d'Orelli,  nos  2679,  3933,  et  ailleurs. 
Nous  en  remarquons  un  autre  dans  l'inscription  de  Grumentum  que 
M.  Zumpt  transcrit  lui-même  d'après  Orelli,  n°  2467  : 

SILVANO.    DEO.    SAC 

Q.    VIBIEDIYS.    PHILARGIRVS 

MINIST.    LAR.    AVG.    ET.    AYG 

MERC.    TECTVM.    MENSAM 

LAPID.    ARAM.    VOTO.    SVSC 

E.    M.    D.    P.    S.    E.    (1) 

où  Ton  voit  assez  clairement,  ce  nous  semble,  d'une  part  le  culte  des 
dieux  Lares,  de  l'autre  le  culte  de  mercvrivs  avgvstvs.,  tous  deux 
représentés  par  le  même  personnage  ;  puis ,  dans  une  inscription 
indiquée  aussi  par  M.  Zumpt  : 

D.    M 

L.    AVIDÎVS 

L.    L.    PHILOGENES 

MERC.    ET.   AVG.  VIX.    AN.    LXV 

FILI.   PUS.   PATRI. 

(Orelli,  n°  2381.) 

(1)  M.  Zumpt  écrit  en  note  :  «  Eitremae  tituli  not»  recte  apud  Orell.  explican- 
«  tur  :  emonitu  de.  (vel  dei)  pecunia  sua  erexit.  »  Ne  pourrait-on  pas  expliquer 
plutôt  les  premières  lettres  par  c  magistrorum  decreln ,  puisqu'il  y  avait  des  ma- 
gistri  dans  l'une  et  l'autre  corporation  ,  et  que  les  arrêtés  de  ees  magiilri  s'appe- 
laient quelquefois  décréta  (Orelli ,  n°  4133\  De  méTtie,  si parva  HcH  componere 


OBSERVATIONS  SUR   LES  AUGUSTALES.  779 

M.  le  comte  Borghesi  (l)  admet  même  une  fusion  régulière  et 
constante  de  ces  deux  corporations ,  dans  la  ville  de  Narona  en 
Dalmatie,  selon  le  témoignage  de  plusieurs  inscriptions  dont  nous 
citerons  seulement  les  deux  plus  significatives  : 

1. 

MERCVRIO.   AVG.  SACR 

M.  VLPIYS.  AVG.  LIB.  NEDYMVS 

C.  POIXIVS.  ALBANVS 

T.  VETVLEIÎVS.  T.  L.  ABASCANTVS 

Q.  CORNELIVS.  AVGVSTALIS 

L.  VOLCEIVS.  CERDO 
IIIIII  VIRI.  M.  M.  OB.  HON. 


DIVO.  AVG.  SACR 
Q.  SEXT1LIVS.  CORINTHVS.  C.  SEXTILIVS.  SYNECDEMVS 

L.  VIBIVS.  AMARANTHVS.  L.   AQVILLIVS.  APIVS 

L.  TITIVS.  1DIVS.  CHRYSEROS      C.   VALERIVS.  HERMA 
IIIIII  VIRI.  M.  M.  OB.  H. 

Il  y  explique  la  sigle  m.  m.  par  magistri.  mercvriales  ;  et  de 
ces  inscriptions  ainsi  comprises ,  il  tire,  pour  expliquer  l'origine  des 
Augustales  et  leur  constitution ,  une  hypothèse  particulière  que  nous 
ne  devons  pas  examiner  ici.  La  dernière  objection  de  M.  Zumpt 
touche  au  fond  même  de  sa  théorie  historique  sur  les  Augustales  et 
nous  conduit  naturellement  à  l'examen  de  cette  théorie. 


III. 


M.  Zumpt  renouvelle  une  opinion  déjà  fort  ancienne,  celle  de 
Reinesius  et  de  Morcelli ,  qui  rattache  les  Augustales  de  province 
aux  Sodales  Augustales,  institués  à  Rome  par  Tibère,  selon  ces  té- 
moignages classiques  de  Tacite  (Annales,  I,   54):  Idem  annus 

maquis,  l'an  de  Rome  570,  lorsque,  selon  le  récit  de  Tite  Live  (XL,  34),  M.  Aci- 
lius  Glabrion  dédia  le  temple  de  la  Piété  :  «  Is  erat  qui  ipse  eam  œdera  voverat, 
«  quo  die  cum  rege  Antiocho  ad  Therraopylas  depugnasset ,  locayeratque  idem  ex 
«  senatusconsulto.  » 
(1)  Daos  le  Mémoire  que  nous  avons  cité  plus  haut. 


780  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

(14  après  J.-C.)  novas  cerimonias  accepit  ada]ito  Sodalium  Augusta- 
lium  sacerdotio ,  ut  quondam  Titus  Tatius  retinendis  Sabinorum  sacris 
sodales  Titios  instituerai.  Sorte  ducd  e  primoribus  cwitatis  unus  et 
viginti.  Tiberius  Drususque  et  Claudius  et  Germanicus  adjiciuntur. 
Hist.  II,  95,  à  l'occasion  des  funérailles  de  Néron  :  Cœsœ  publiée 
victimœ  crematœque;  facem  Augustales  subdidere,  quod  sacerdotium 
ut  Romulus  Tatio  régi ,  ita  Cœsar  lïberius  Juliœ  genti  sacravit.  Enfin 
au  troisième  livre  des  Annales,  ch.  64,  Tacite  range  les  sodales  Au- 
gustales parmi  les  prêtres  du  premier  ordre  qui  présidaient  aux  jeux 
publics.  Les  monuments  sont  unanimes  à  confirmer  ces  témoignages; 
ils  nous  montrent  toujours  la  fonction  de  sodalis  Augustalis  confiée 
à  des  primores  cwitatis ,  souvent  même  à  des  princes  de  la  famille 
impériale.  A  côté  de  ce  haut  sacerdoce,  on  voit  se  former,  par  l'ému- 
lation des  particuliers,  certains  collèges  très-inférieurs,  également 
voués  au  culte  de  la  divinité  d'Auguste.  Tacite  encore  nous  l'apprend 
dans  un  chapitre  du  premier  livre  des  Annales  où  l'on  voit  un  pauvre 
chevalier  romain  accusé  de  lèse-majesté ,  quod  inter  cultores  Àugusli 
quiperomnes  domos  inmodum  collegiorumhabebantur,  Cassium quem- 
dam  mimum,  corpore  infamem,  ascwisset  (l)  ;  et  M.  Zumpt  rapporte 
avec  raison  à  ces  cultores  Augusti  l'inscription  suivante ,  trouvée  à 
Rome  : 

IMP.  CAESARl.  DIVI.  NERVAE.  F 

NERVAE.  TRAIANO.  AVG.  GERM 

DACICO.  PONT.  MAX.  TRIB.  POTEST.   VIII 

IMP.  VIII.  COS.  V.  P.  P.  OPTIMO.  PRINCIPI 

SAGARI  [THEJATRI  (2)  MARCELL 

CVLTORES.  DOMVS.  AVG. 

(Gruter,  246,  9.) 
Il  pouvait  ajouter  cette  autre  inscription ,  de  Tibur  : 

P.  FLAVIVS.  SP.  F.  CAM.  DEC1MVS 

P.  FLAVIVS.  PALAESTRICVS.  HA 

M.  TREBONIVS.  TIBVRTINVS.  HA  (3) 

(1)  C.  73.  Voyez  sur  les  deux  passages  des  Annales,  le  commentaire  de  M.  Orelli 
dans  l'excellente  édition  de  Tacite  qu'il  publie  en  ce  moment. 

(2)  Nous  proposons  cette  restitution  vraisemblable  et  que  nous  croyons  être 
neuve. 

(3)  M.  Orelli  avoue  ne  pas  comprendre  la  sigle  HA.  Pourtant  dans  son  Index 
nolarum  il  devine  que  la  première  lettre  désigne  Hercule  ,  qui  était  particulière- 
ment honoré  à  Tibur;  il  ne  lui  restait  plus  qu'à  se  souvenir  de  deux  inscriptions  de 
son  recueil  (n°  2070,  3933)  pour  rétablir  avec  confiance  lier culaneus  Augustalis. 


OBSERVATIONS  SUR   LES  AUGUSTALES.  781 

CVR 

CVLTORIBVS.  DOMVS.  DIVINAE 

ET  FORTVNAE.  AVG.  LARES 

AVG.  D.  D. 

(Orelli,  n°  1662.) 

Des  deux  classes  de  cultores   dont  l'existence  est  attestée    par 
l'histoire  et  par  les  monuments,  c'est  la  première  que  M.  Zumpt 
choisit  pour  en  faire  le  modèle  des  Augustales  de  provinces ,  et 
quelle  raison  apporte-t-il  de  cette  préférence?  Aucune,  si  j'ai  bien 
lu  sa  dissertation ,  aucune  du  moins  qui  se  puisse  appeler  une 
preuve.  Pas  un  témoignage  d'auteur  ancien ,  pas  un  texte  épigra- 
phique  dont  la  clarté  et  l'autorité  soient  décisives.  M.  Zumpt  insiste 
beaucoup  sur  l'identité  de  dénomination  Augustales  à  Rome ,  Au- 
gustales dans  les  provinces,  identité  que  nous  avons  suffisamment 
expliquée  dans  le  sens  de  notre  opinion.  Il  exagère  l'importance  des 
Augustales  provinciaux ,  pour  les  élever  jusqu'à  leurs  nobles  con- 
frères de  Rome  qui  étaient  les  premiers  personnages  de  l'État.  Or,  pour 
répondre  en  dignité  à  des  princes,  à  des  consuls,  à  des  gouverneurs 
de  provinces,  les  Augustales  municipaux  devraient  être  au  moins 
des  décurions  (1);  et,  au  contraire,  on  les  voit  constamment  infé- 
rieurs aux  décurions ,  qui  les  nomment,  qui  les  honorent ,  par  excep- 
tion, de  leurs  insignes  (ornamentis  decurionalibus),  qui  les  appellent, 
mais  plus  rarement  encore ,  à  siéger  dans  la  curie.  Pour  résoudre 
cette  grave  difficulté,  M.  Zumpt  imagine  que  les  charges  du  décu- 
rionat  étant  déjà  bien  lourdes ,  ou  n'y  put  ajouter  celles  de  YAugus- 
talité,  elles-mêmes  fort  coûteuses ,  et  qu'on  chercha  ainsi  de  riches 
affranchis,  capables  et  peut  être  heureux  de  les  subir-,  comme  si  la  curie 
du  temps  de  Tibère  pouvait  être  jugée  d'après  la  curie  du  IIP  et  du 
IVe  siècle  de  l'empire ,  comme  si  l'oppression  du  décurionat,  oppres- 
sion dont  témoignent  et  l'histoire  et  les  textes  législatifs  du  temps  de 
la  décadence ,  avait  commencé  avec  le  règne  des  premiers  Césars.  A 
l'appui  de  sa  conjecture ,  toute  gratuite  comme  on  le  voit,  M.  Zumpt 
allègue  les  inscriptions,  assez  rares  d'ailleurs,  qui  nous  représentent 
des  enfants  appelés  à  l'Augustalité  ;  il  suppose  qu'à  défaut  d'autres 
personnes  assez  riches  pour  suffire  aux  frais  de  cette  fonction,  on  fut 

(1)  Dans  une  seule  inscription  ,  du  temps  d'Antonin  le  Pieux,  on  voit  un  citoyen 
nommé  quinquennal,  ou  censeur,  donner  la  même  somme  d'argent  aux  décurions 
et  aux  Augustales  (Orelli,  n°  842);  c'est  une  exception,  qui  ne  prouve  pas  d'ail- 
leurs que  ces  décurions  et  ces  Augustales  eussent  précisément  le  même  rang  dans 
la  cilé. 


782  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

dès  le  IIe  siècle  forcé  de  faire  tomber  ces  charges  sur  des  enfants  (1). 
Nous  avions  considéré  ces  exemples  comme  des  faveurs  purement 
honorifiques,  et  jusqu'à  preuve  positive  du  contraire  ,  nous  sommes 
autorisé  à  maintenir  cette  explication;  nous  pouvons  même  l'ap- 
puyer d'une  preuve  analogique  assez  frappante  en  rappelant  cette  in- 
scription, du  temps  des  Antonins,  transcrite  par  M.  Zumpt,  p.  31, 
où  l'on  voit  le  fils  d'un  C.  Titius  Chresimus  qui  avait  dépensé  beau- 
coup d'argent  pour  la  ville  de  Suessa,  élevé  à  l'honneur  gratuit  ai 
décurionat  :  c'était  évidemment  dans  ce  cas  un  remercîment,  une 
politesse  des  habitants  de  Suessa  envers  leurs  bienfaiteurs.  Or  rien 
n'empêche  de  croire  qu'il  en  fut  de  même  de  YAugustalité  conférée  à 
des  enfants.  D'ailleurs ,  sur  trois  exemples  que  nous  connaissons  de 
ces  collations  étranges ,  il  y  en  a  deux  qui  répugnent  tout  à  fait  à 
l'induction  qu'en  veut  tirer  M.  Zumpt  : 

D.  M 

M.  CAVIO.  M.  F.  SVAVISSIMO 

VIVIR.  SVASAE.  VIXIT 


ANNOS.  XIII.  MES.  XXVII 

M.  CAVIVS.  VIRNEI 

CAVIA.  IANVARII.  FILIO 

PIENTISSIMO. 

(Orelli,  n«  3938.) 

DIBVS.  SECVRÏS 

M. SALVVI 

FELICISSIMl 

HERACLITIANI.  TRIBV 

ESQ.  CORPORE.  AVG 

PVERO.  PIISS.  ET.  DVLCISS 

M.  SALWIVS 

ANTIOCHVS.  PAT.  FEC.  ET.  S1BI 

VIX.  ANN.  XÏÏÏ.  MEN.  IIII.  DIEB.  XI. 

(Orelli,  n°  3091.) 

On  remarquera  en  effet  que  ces  deux  Augustales  enfants  avaient 
l'un  sa  mère  et  son  père ,  l'autre  son  père.  Dans  quel  intérêt  les 
charges  de  l'Augustalité  pouvaient-elles  être  dévolues  à  un  enfant 

(1)  Voyez  pages  22 ,  47,  77.  La  troisième  inscription  qui  nous  montre  un  enfant 
augiistale,  est  celle  d'Orelli,  n°  3937. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  783 

dont  le  père  vivait,  et  n'était  pas  Augustale  (l) ,  pas  plus  que  Titius 
Chresimus  n'était  décurion  lorsqu'il  vit  son  fils  appelé  aux  honneurs 
de  la  curie? 

Mais  ce  ne  sont  pas  là  les  seules  difficultés  que  présente  l'opinion 
de  M.  Zumpt.  Énumérons  à  notre  tour  les  objections  qui  la  com- 
battent. 

1°  Pour  admettre  que  les  Augastales  de  province  soient  une  imi- 
tation des  sodales  Augustales  de  Rome,  il  faut  placer  leur  création 
après  la  mort  d'Auguste.  Or  nous  avons  vu  qu'il  y  a  sur  les  marbres 
des  mentions  de  nos  Augustales  expressément  antérieures  à  l'an  766. 
M.  Zumpt  cite  lui-même  quelques-uns  des  monuments  qui  nous  les 
offrent ,  mais  il  nie  que  ces  monuments  se  rapportent  à  nos  Augus- 
tales ;  il  y  reconnaît  seulement  la  trace  d'une  imitation  provinciale 
du  culte  des  dieux  Lares,  mais  étrangère  à  la  grande  institution 
dont  il  écrit  l'histoire.  Et  pourquoi  cela?  parce  que ,  selon  lui ,  nos 
Augustales  sont  de  création  postérieure  à  la  mort  d'Auguste.  Or  cette 
postériorité  est  précisément  un  des  faits  essentiels  qu'il  fallait  dé- 
montrer. Le  raisonnement  tourne  donc  dans  un  cercle  vicieux. 

2°  Dès  qu'on  admet  que  les  Augustales  sont  les  confrères  provin- 
ciaux des  sodales  de  Rome ,  comment  expliquer  cette  dédicace  qu'on 
a  trouvée  dans  une  ville  d'Espagne  : 

NBRONI.  CAESABI 

GERMANICI.  F 

TI.  AVGVSTI.  N.  DIVI  AVG 

PRON.  FLAMINI.  AVGVSTALI 

SODALI.  AVGVSTALI 

Q.  NOVANIVS.  Q.  L.  SALVIVS 

C.  CVLMINIVS.  Q.  F.  FVSCVS 

L.  FVLVIVS.  L.  F.  DOCIMVS 

L.  FVLVIVS.  L.  L.  RECTVS 

L.  POPILLIVS.  L.  L.  APOLLONIVS 

L.  FYRIVS.  L.  L.  GEMELLVS 

vi.  vir.  avgvst.       (Gruter,  237,  1 .  ) 

(1)  Il  est  vrai  que,  dans  le  premier  exemple,  M.  Zumpt  croit  que  les  parents 
étaient  des  esclaves.  Mais ,  d'une  part,  il  n'est  pas  démontré  sans  réplique  que,  dans 
de  très-petites  villes,  des  esclaves  n'aient  pu  être  appelés  à  l'Augustalité  (  voy.  plus 
haut,  p.  777)  ;  de  l'autre  il  faudrait,  pour  être  sûr  que  GAVIVS  et  CAVIA  étaient 
des  esclaves,  établir  :  1°  que  nous  avons  sous  les  yeux  le  texte  bien  exact  du  mo- 
nument ;  2°  que  le  nom  au  génitif  qui  suit  chacun  de  ces  deux  noms  est  véritable- 
ment celui  d'un  maître.  Or  on  sait  que  ce  génitif  désigne  également  le  maître,  le 
père ,  le  mari. 


784  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

En  effet  dans  ce  rapprochement  d'un  petit-fils  d'Auguste ,  sodalis 
Augustalis ,  et  des  seviri  Aagustales ,  pauvres  bourgeois  d'un  muni- 
cipe  espagnol,  la  plupart  affranchis,  on  voit  clairement  la  distance 
qui  sépare  et  les  personnages  et  leurs  dignités  respectives. 

3°  Si  les  sodales  dans  le  témoignage  de  Tacite  et  sur  les  monu- 
ments se  montrent  fort  supérieurs  aux  Augustales,  le  même  fait  est 
prouvé ,  et  plus  abondamment  encore  pour  les  flamines  Augusti  ou 
(lamines  Augustales.  Nous  avons  dit  nous-même,  mais  trop  légère- 
ment ,  «  que  les  flamines  se  rapprochent  des  sévirs  Augustales  par 
leur  condition  civile ,  et  qu'on  trouve  sur  les  marbres  de  fréquents 
exemples  du  cumul  de  ces  deux  dignités.  »  Il  fallait  dire  de  rares 
exemples.  Tout  compte  fait  et  après  examen  attentif  des  inscrip- 
tions citées  dans  notre  travail  et  de  celles  que  nous  avons  depuis  réu- 
nies, nous  ne  trouvons  que  deux  ou  trois  monuments  où  le  titre 
d'Augustale  et  celui  de  flamine  d'Auguste  se  trouvent  réunis  sur  la 
même  tête  (1).  Tous  les  autres  monuments,  et  ils  sont  assez  nom- 
breux, qui  mentionnent  des  flamines  d'Auguste  attribuent  cette 
charge  ,  soit  à  de  hauts  fonctionnaires  de  l'armée  et  de  l'administra- 
tion ,  soit  à  des  citoyens  qui  avaient  passé  par  tous  les  honneurs  mu- 
nicipaux (omnibus  muneribus  functi  ou  omnes  honores  adepti),  dans  leur 
ville  (2) ,  ou  qui  en  avaient  du  moins  exercé  quelqu'un  des  plus 
importants ,  comme  celui  d'édile ,  de  duumvir,  de  questeur  ;  ce  sont 
quelquefois  aussi  des  décurions ,  jamais  ,  que  je  sache ,  des  affran- 
chis (3).  Il  en  est  de  même  des  sacerdotes  Romœ  et  Augusti,  assez 
fréquents  aussi  sur  les  marbres  (4)  ;  et  quand  le  sacerdoce  de  la 
divinité  d'Auguste  se  trouve  dévolu  à  des  femmes ,  particularité  dont 
il  y  a  plusieurs  exemples  très-authentiques  (5),  c'est  encore  à  la 
première  classe  de  la  société  municipale  que  ces  femmes  appartien- 
nent. Or,  si  les  sévirs  Augustales  sont  des  prêtres  d'Auguste ,  com- 
ment concevoir  qu'ils  soient  constamment  choisis  dans  une  classe  in- 

(1)  Muratori,  181,  7,  à  Préneste;  1104,  3,  à  Caeré  (le  n°  1108,  3,  quej'avais 
cité,  offre  un  sévir  du  municipe  forum  Flaminii ,  FOR.  FLAMIN.  Iunl  VIR. 
AVGVST.,  d'où  la  confusion  où  m'avait  induit  la  table  de  Muratori  ).  Gruter,  382, 
6  ,  près  de  Côme. 

(2)  Orelli,  n°*  155  ,  2183,  3905.  Muratori,  166  ,  3. 

(3)  Orelli,  no*311,  344,  488,643,  3725,  3770,  3881,  4025.  Gruter,  345,  6; 
354,6;  399,  5;  411,  1  ;  489 ,  11  et  12.  Muratori,  43,  5;  58,5;  167,2;  747,  let2. 

(4)  Orelli,  nos  363  ,  2171,  4031.  Gruter,  58  ,  5.  Artaud,  Musée  de  Lyon,  n°  4; 
et  les  trois  inscriptions  réunies  par  M.  Osann  dans  la  Zeitschrift  fur  die  Aller- 
thumswissenschaft ,  1837,  n°  47.  La  même  observation  s'applique  aux  flamines 
des  autres  empereurs.  Il  y  a  du  reste  sur  ce  sujet  un  curieux  témoignage  d'Arrien. 

(  Dissert.  Epict.  1 ,  19) ,  qui  n'a  pas,  que  je  sache ,  été  encore  relevé. 
<5)  Orelli ,  n°  345.  Cf,  344 ,  360  et  363  ,  n°'  618 ,  3272 ,5019. 


OBSERVATIONS  SUR  LES  AUGUSTALES.  785 

férieure  à  celle  où  se  recrutaient  les  flamines;  et  puisque  c'est  dans 
cette  classe  inférieure ,  presque  toujours  parmi  les  affranchis,  que 
les  sévir  s  Augustaîes  se  recrutent,  combien  il  est  invraisemblable  de 
voir  dans  leur  collège  une  imitation  du  sodaîicium  Augustale  de  Rome 
que  son  fondateur  avait  précisément  placé  au-dessus  de  toutes  les 
corporations,  de  tous  les  prêtres  consacrés  au  culte  de  la  divinité 
d'Auguste  !  Puisqu'il  y  avait  à  Rome  d'humbles  magistrats  chargés 
des  fonctions  de  prêtres  pour  honorer,  deux  fois  l'an,  à  côté  des  dieux 
Lares,  génies  domestiques  et  protecteurs ,  le  génie  éminemment  pro- 
tecteur d'un  prince  qui  les  avait  restaurés,  n'est-il  pas  plus  na- 
turel de  voir  dans  ces  Magistri  vicorum ,  en  même  temps  cultores 
Larum  Augustorum,  les  premiers  modèles  d'une  institution  provin- 
ciale qui  associait  indirectement  au  culte  de  l'empereur  divinisé,  non 
plus  des  princes,  des  proconsuls,  des  généraux  (comme  sont  tous  les 
sociales),  non  plus  des  décurions  et  des  magistrats  municipaux 
(comme  sont  les  flamines),  mais  les  derniers  habitants  libres  d'un  mu- 
nicipe  ou  d'une  colonie? 

4°  Cela  offre  d'ailleurs  le  seul  moyen  de  résoudre  une  grave  diffi- 
culté qu'on  a  jusqu'ici  passée  sous  silence  dans  toute  la  polémique 
relative  aux  Augustaîes.  On  voit  en  effet  ces  fonctionnaires,  dès  le 
premier  siècle  de  l'empire,  constitués  non-seulement  en  corporation  , 
mais  en  ordre  de  l'État  ;  ils  ont  rang ,  dans  la  colonie  ou  le  municipe 
entre  les  décurions  et  le  peuple  ;  ce  sont  de  véritables  chevaliers  mu- 
nicipaux. Plus  de  trente  inscriptions,  dont  on  pourrait  encore  aug- 
menter le  nombre  (l),  nous  ont  montré  ce  fait  sur  autant  de 
points  de  l'Occident  romain  ,  avec  des  variations  légères  qui  n'en  al- 
tèrent pas  l'uniformité  essentielle.  Or  de  deux  collèges ,  l'un  voué  au 
culte  d'un  dieu  de  création  toute  politique ,  l'autre  attaché  au  culte 
des  Lares  ,  qui  sont  les  génies  du  foyer  de  la  famille,  du  quartier  et 
comme  du  carrefour  (compitales) ,  laquelle  devait  plus  facilement 
prendre  un  rôle  dans  les  affaires  municipales?  La  seconde,  sans 
doute.  A  supposer  même  que  les  Magistri  Augustaîes  n'eussent  pas 
dès  l'origine  des  attributions  civiles  comme  les  Magistri  vicorum,  on 
s'explique  sans  peine  comment  ils  ont  pu  en  acquérir;  de  leur  premier 
rôle  au  second,  il  y  a  une  transition  pour  ainsi  dire  indiquée  par  la 
nature  des  choses;  du  rôle  de  prêtre  d'Auguste  à  celui  de  chevalier 
municipal ,  il  n'y  en  a  point.  Enfin  pour  former  dans  tant  de  villes  un 

(1)  J'ajouterai  ici  à  celles  que  j'ai  déjà  réunies  p.  383  et  suiv.  de  mon  Mémoire, 
Orelli,  n^  842  ,  3714,  3716,  5090  (Supplément  encore  inédit,  dont  1  éditeur  a  Dicn 
■voulu  me  communiquer  les  premières  feuilles  ). 


786  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ordre  particulier  il  fallait  que  les  Augustales  fussent  très- nombreux , 
condition  qu'ils  remplissent  très-bien  si  on  les  suppose  attachés  au 
culte  et  à  l'administration  dans  chaque  quartier  de  leur  petite  ville  ; 
condition  au  contraire  qui  leur  convient  fort  mal  si  on  en  fait  des 
prêtres  d'Auguste.  Tibère  créa  dans  Rome  vingt  et  un  sodales  Au- 
gustales; le  nombre  àesflamines  y  était  sans  doute  le  même  que  celui 
des  temples  d'Auguste ,  c'est-à-dire  fort  restreint  ;  mais  Rome  comp- 
tait plus  de  mille  Magistri  viconun,  gens  libres,  et  autant  de  Minislri, 
esclaves  auxiliaires! 

5°  Ici  nous  prévoyons  une  réponse  de  M.  Zumpt.  Il  nous  dira  que 
ses  Augustales  ne  sont  pas  à  proprement  dire  des  prêtres  d'Auguste, 
mais  des  commissaires  en  permanence  ou  perpétuels ,  chargés  de 
célébrer  par  des  fêtes,  qui  n'ont  pas  toutes  un  caractère  religieux , 
les  anniversaires  mémorables  dans  la  vie  de  l'empereur,  par  exemple 
celui  de  sa  naissance,  du  jour  où  il  a  reçu  le  surnom  d'Auguste,  du 
jour  où  il  a  conféré  quelque  bienfait  à  la  ville  dans  laquelle  ces 
jeux  se  célèbrent.  Mais  outre  que  cette  distinction  n'explique  suffi- 
samment ni  le  rôle  municipal  de  l'Augustalité ,  ni  le  grand  nombre 
des  Augustales,  sur  quoi  parviendra-t-on  à  l'établir?  sur  de  simples 
conjectures  ou  sur  le  témoignage  d'un  monument  qu'on  a  déclaré 
formellement  étranger  à  la  question,  d'un  monument  dont  on  a 
reconnu  le  caractère  tout  exceptionnel ,  je  veux  dire  l'autel  de  Nar- 
bonne  (1).  C'est  là  un  procédé  de  critique  beaucoup  trop  arbi- 
traire. 

En  général,  M.  Zumpt,  qui  tient  pour  nulles  le  preuves  de  notre 
opinion ,  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  appuie  souvent  la  sienne  sur  des 
preuves  encore  plus  faibles.  On  a  vu  que  le  titre  seul  d' Augustales 
est  pour  lui  une  raison  considérable  en  faveur  de  l'assimilation  des 
Augustales  provinciaux  aux  sodales  de  Rome;  plus  loin  il  déclare  que 
les  chefs  de  la  corporation  augustale  ne  sont  pas  les  Magistri  dont 
on  trouve  quelques  exemples  sur  les  marbres,  mais  bien  les  se- 
viri  (2),  et  cela  parce  qu'il  ne  veut  pas  reconnaître  l'existence  de  la- 
dite corporation  avant  celle  des  sodales,  avant  la  mort  d'Auguste. 
Lorsqu'il  s'agit  de  la  création  des  collèges  Augustales ,  M.  Zumpt 
pense  qu'on  s'abstint  d'en  instituer  dans  beaucoup  de  provinces  et 

(1)  Pages  10-12,  37  ctsuiv. 

(2)  Page  55  :  «  Nec  magistros  Augustales  ad  hoc  de  quo  haec  quaestio  instituta 
«  est,  Augustalium  sodalicium  refero  ,  nec  oranino  ullos  horum  magistros  fuisse 
«  ulique  censeo  :  eos,  qui  sexviri  magistri  augustales,  qui  sexviri  magistri 
«  mercuriales  appellaniur,  duos,  non  unum  honorera  gessisse  staluo.  —  Prœerant 
«  Augustalibus  Seviri,  etc.  »  Cf.  p.  52  au  commencement. 


OBSERVATIONS   SUR    LES  ÀUGUSTALES.  787 

dans  beaucoup  de  villes  où  il  n'eût  pas  été  d'une  bonne  politique  de 
provoquer  les  habitants  à  des  associations;  que  pour  ouvrir  un  de  ces 
collèges  les  décurions  demandaient  l'autorisation  du  pouvoir,  comme 
Tibère  s'était  autorisé  d'un  sénatus-consulte  pour  créer  les  sodales  (i). 
Voilà  bien  des  suppositions,  vraisemblables  peut-être,  mais  certaine- 
ment gratuites.  Ce  n'est  pas  tout;  les  Augustales  étant  des  prêtres 
d'Auguste,  devaient,  selon  M.  Zumpt,  avoir,  dans  chaque  ville,  un 
temple  d'Auguste  ;  comme  le  collège  de  Diane  et  d'Antinous,  dont  on 
a  récemment  publié  un  monument  très-curieux ,  se  réunissait  dans  le 
temple  d'Antinous,  comme  les  sodales  Ântoniniani  se  réunissaient  dans 
le  temple  d'Antonin  et  de  Faustine ,  item  Augustales  ternplum  suum 
habebant,  divo  Augusto  dedicatum,  cujus  religione  nullam  civitatem  ca- 
ruissc  existimo  (2).  Mais  que  fera-t-on  alors  des  flamines  d'Auguste 
si  on  n'admet  pas  qu'ils  desservaient,  dans  chaque  ville,  le  temple 
de  cette  divinité?  On  connaît  en  effet  l'existence  de  temples  d'Au- 
guste dans  un  très-grand  nombre  de  villes  du  monde  romain,  et  l'on 
peut  supposer  que  presque  toutes  en  possédaient  ;  mais  pour  affir- 
mer que  ces  temples  étaient  desservis  par  nos  Augustales ,  il  faudrait 
au  moins  quelque  témoignage;  or  jusqu'ici  on  n'en  a  pu  citer  un 
seul;  et  cela  est  d'autant  plus  remarquable  que  les  inscriptions 
relatives  aux  Augustales  sont  plus  nombreuses. 

M.  Zumpt  va  plus  loin  encore  dans  cette  voie.  Il  lui  arrive  de  nous 
reprocher  une  conjecture  que  lui-même  il  adopte,  ou  peu  s'en  faut, 
précisément  au  même  endroit.  Nous  disions  :  «  Soit  qu'un  édit  de 
l'empereur  eût  imposé  aux  villes  d'Italie  le  culte  des  dieux  Lares , 
soit  qu'un  mouvement  spontané  d'imitation  y  ait  sollicité  jusqu'aux 
moindres  municipes,  on  voit....  se  multiplier  hors  de  Rome  la  magis- 
trature et  le  sacerdoce  des  Augustales.  »  M.  Zumpt  trouve  cela  tout 
à  fait  étranger  aux  usages  romains ,  prorsus  alienum  a  more  romano. 
Pourtant,  de  nos  deux  suppositions,  il  y  en  a  au  moins  une  qu'il 
ne  désapprouve  pas,  c'est  la  seconde,  puisque,  après  avoir  défini 
l'origine  et  le  caractère  des  sodales  Augustales,  il  ajoute  :  «Com- 
ment donc  de  cette  institution  est  dérivée  celle  qui  fait  proprement 
l'objet  de  nos  recherches?  Comme  se  sont,  en  général ,  constitués 
les  municipes ,  par  une  imitation  de  ce  qui  se  faisait  à  Rome.  Il  est 
incroyable  combien  cette  imitation  toute  spontanée  (sponteillaquidem 

(1)  Page  19  et  suiv. 

(2)  Page  43.  On  trouve  une  ample  liste  des  villes  où  l'on  sait  qu'il  a  existé  des 
temples  d'Auguste ,  dans  M.  Artaud  :  Discours  sur  les  médailles  d'Auguste,  notes 
M  et  104. 


788  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

siiscep(a),  sans  aucune  intervention  de  lois  ou  dédits  impériaux,  a 
eu  d'intluence  dans  tout  l'empire,  combien  elle  a  contribué  à  établir 
la  belle  unité  que  nous  admirons  dans  le   monde  romain  (l).  » 
Nous  croyons,  ainsi  que  notre  savant  contradicteur,  à  la  puissance 
des  exemples  quand  ils  partaient  de  la  métropole,  quand  ils  partaient 
d'un  prince  comme  fut  Auguste  ;  mais  si  nous  renonçons  pour  le 
moment  à  la  supposition  d'un  édit  spécial  promulgué  à  l'effet  d'insti- 
tuer les  Augustales,  c'est  parce  quelle  n'est  appuyée  d'aucun  témoi- 
gnage, non  parce  qu'elle  nous  semble  contraire   à  l'esprit  de  ce 
temps.  Auguste  avait  traité  de  stata  Municipiorum  dans  un  discours 
que  J.  Frontin  cite  comme  une  autorité  (2);  et  c'est  sans  doute 
les  discours  de  ce  genre  qu'on  lisait  encore  chaque  année  dans  le 
sénat,  aux  kalendes  de  janvier,  sous  le  règne  de  Claude  (3).  Un 
édit  du  même  prince,  auquel  se  réfère  Pline  le  Jeune  dans  sa  cor- 
respondance officielle  avec  Trajan  ,  déterminait  l'âge  à  partir  duquel 
on  pouvait  exercer  des  magistratures  dans  les  villes  de  Bithynie. 
Dans  une  autre  affaire ,  relative  à  la  condition  de  certains  esclaves , 
on  produisait  à  Pline  un  autre  édit  d'Auguste  dont  il  réclame  vérifi- 
cation à  la  chancellerie  impériale  (4).  Vespasien,  dans  une  lettre  (5) 
aux  habitants  d'une  petite  ville  de  Corse,  confirme  les  bienfaits  qui 
leur  ont  été  accordés  par  Auguste  après  son  septième  consulat  et  qu'ils 
avaient  conservés  jusqu'au  temps  de  Galba.  Un  rescrit  deDomitien  (6) 
aux  habitants  de  Faléries,  dans  le  Picenum,  nous  montre  Auguste 
écrivant  aux  soldats  de  sa  quatrième  légion  (diligentissimi  et  indulgen- 
tissimi  erga  quartanos  suos  principis  epistola)  pour  les  avertir  de  réunir 
et  de  vendre  leurs  subsiciva,  conseil  salutaire  que  Domitien  aime  à 
croire  qu'ils  auront  suivi  (quos  tam  salubri  admonitioni  paruisse  non 
dubito).  L'inscription  n°  4474  du  Corpus  nous  montre  les  habitants 
d'une  petite  ville  de  Syrie,  soumettant  à  la  sanction  d'Auguste  un  rè- 
glement relatif  à  la  police  d'une  foire  de  bestiaux  et  d'esclaves  qui 
se  tenait  dans  leurs  environs  (7).  Enfin ,  on  cite  comme  trouvée  à 
Pompéi  l'inscription  suivante  : 

(1)  Page  18. 

(2)  De  Limitibus  agrorum,  p.  41,  éd.  Goes  (p.  16,  du  Choix  publié  par 
M.  Ch.  Giraud  en  1843)  :  «  Hujus  soli  jus  quamvis  habita  oratione  Divus  Augustus 
•  de  statu  municipiorum  tractaverit,  in  proxiraas  urbes  pervenire  dicitur,  »  etc. 

(3)  Dion  Cassius  LX ,  10  ;  LXI ,  3. 

(4)  Pline,  Epist.X,  83  et  71. 

(5)  Orelli,n°  4031. 
(G)  Orelli,  n°3U8. 

(7;  Cf.  n<>  2715,  inscription  de  Stratonice.  Tacite,  Ann.  III,  G2. 


OBSERVATIONS  SUR    LES    AUGUSTALE&.  789 

1[V]SSV.   IMP.    CAESARIS 

AVGVSTI 

GERVLIS.    PED.    îïï  S. 

qui  prouve  qu'en  un  certain  endroit  de  la  ville  un  espace  de  trois 
pieds  et  demi  était  réservé  aux  porte-faix  par  un  ordre  (que  je  veux 
bien  croire  indirect)  de  l'empereur  Auguste  (1). 

On  voit  sous  combien  de  formes,  discours,  lettres,  édits,  l'inquiète 
sollicitude  du  gouvernement  impérial  se  multiplie  et  pénètre  jusque 
dans  les  plus  minces  affaires  des  colonies  et  des  municipes  ;  il  y  a 
donc  quelque  témérité  à  déclarer  cette  intervention  étrangère  aux 
principes  de  l'administration  romaine. 

Un  monument  retrouvé  à  Rome,  sur  la  Voie  Sacrée,  porte  l'in- 
scription suivante  : 

LARIBVS.    PVBLICIS.    SACRVM 

IMP.    CAESAR.    DIVI.   F.   AVGVSTVS 

PONTIFEX.    MAXIMVS 


TRIBVMC.    POTEST   XVIIII 

EX.    STIPE.    QVAM.    POPVLVS.    El 

CO&TVLIT.  KAL.    IANVAR.    APSENT1 

C.   CALVISIO.    SABINO 

L.    PASSIENO.    RVFO.   COS. 

(Orelli,  n°  1668.) 

Telle  est  la  simple  et  majestueuse  dédicace  qu'Auguste  faisait 
graver  deux  ans  après  la  réorganisation  des  régions  de  Rome  et  du 
culte  des  Lares  ;  telle  était  sa  dévotion  aux  dieux  Lares,  dévo- 
tion de  politique  pu  de  bon  croyant,  peu  importe.  Dès  lors,  nous 
étonnerons-nous  qu'il  ait,  par  un  des  mille  moyens  qui  s'offraient  à 
son  habileté,  recommandé  aux  villes  de  provinces  le  renouvelle- 
ment (2)  d'un  culte  éminemment  général,  éminemment  fait  pour 
contribuer  à  la  fusion  de  tous  les  autres  cultes  en  une  religion  de 
l'empire? 

La  plupart  des  arguments  que  nous  avons  fait  valoir  contre 

(1)  Guarini,  Fasli  duumvirali,  etc.,  p.  82.  Cf.  Orelli,  n0>675,  874,  976, 
i  198. 

2)  Je  dis  renouvellement,  car  il  est  certain  que  plusieurs  villes  de  province  ado- 
raient déjà  leurs  dieux  lares.  Voy.  par  exemple  ,  Orelli ,  n°  1670,  inscr.  de  l'an  de 
Rome  731. 

111.  51 


790  REVUE    AKCHÉOLOGIQUK. 

M.  Zumpt  étaient  ou  indiqués  ou  développés  dans  notre  Mémoire  sur 
les  Augustales  ou  dans  quelque  autre  partie  de  nos  recherches  sur 
les  historiens  d'Auguste.  En  négligeant,  par  des  préoccupations 
que  nous  ne  nous  expliquons  pas,  de  les  y  relever  pour  les  combattre 
sérieusement,  M.  Zumpt  nous  a  fourni  l'occasion  d'approfondir  et  de 
rectifier  en  quelques  points,  par  un  nouvel  examen,  nos  idées  sur  l'ori- 
gine de  la  corporation  augustale,  de  les  exposer  avec  plus  d'ensemble 
et  sous  un  jour  nouveau.  Nous  l'en  remercions  pour  notre  part, 
et  nous  serons  très-heureux  si  nos  lecteurs  ne  lui  en  savent  pas 
mauvais  gré. 

Quant  à  l'organisation  du  corps  augustale,  qui  fait  le  prin- 
cipal sujet  du  travail  de  M.  Zumpt,  nous  avons,  sur  ce  terrain, 
le  plaisir  de  nous  trouver  plus  souvent  d'accord  avec  l'habile  philo- 
logue ,  et  peut-être  un  jour  réviserons-nous  en  quelque  sorte  avec 
lui,  cette  seconde  partie  d'une  intéressante  question  historique. 


E.  Egger. 


EXTRAIT 

DUNE  LETTRE  DE  M.  LAYARD  A  M.  BOTTA 

AU  SUJET  DE  SES  FOUILLES  A  MMROUD. 


M.  Botta  a  communiqué  à  l'Académie  des  inscriptions  et  Belles- 
Lettres  ,  la  note  suivante  qu'il  nous  a  permis  de  reproduire  dans  la 
Revue. 

«  Plusieurs  membres  de  l'Académie  savent  que  depuis  mon  départ 
deMossul  un  Anglais ,  M.  Layard ,  encouragé  par  mes  succès  archéo- 
logiques, est  allé  dans  ce  pays  pour  y  tenter  des  recherches.  II  y  a 
ouvert  le  monticule  de  Nimroud ,  situé  au  confluent  du  grand  Zàb  et 
du  Tigre,  à  huit  lieues  au  sud  de  Mossul,  et  y  a  découvert  des  mo- 
numents remarquables.  Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  M.  Layard, 
et  je  vais  en  lire  quelques  passages  à  l'Académie,  espérant  qu'ils  lui 
offriront  quelque  intérêt.  Voici  ce  qu'il  m'écrit  : 

«  Les  fouilles  à  Nimroud  se  continuent  maintenant  sur  une  grande 
«  échelle;  je  suis  occupé  jour  et  nuit,  mais  ne  dois  pas  me  plaindre 
«  de  mes  fatigues,  car  j'en  suis  amplement  récompensé.  Dans  ma 
«  lettre  précédente,  je  vous  avais  dit  que  dès  le  commencement  j'avais 
«  soupçonné  qu'il  y  avait  eu  à  Nimroud  deux  monuments  d'âges  dif- 
«  férents  :  ce  soupçon  est  maintenant  confirmé  ;  je  trouve  qu'il  y  a  eu 
«  deux  palais  ou  deux  édifices ,  quelle  qu'ait  pu  être  leur  destina- 
it tion;  le  plus  ancien  et  le  mieux  conservé  doit  appartenir  à  la  prê- 
te mière  dynastie  assyrienne,  car  le  major  Rawlinson  et  moi-même 
«  nous  nous  accordons  à  trouver  dans  les  inscriptions  des  noms  de 
«  rois  de  cette  dynastie.  Le  costume  des  figures ,  le  style  des  sculp- 
«  tures  et  des  ornements ,  les  grands  lions  et  les  taureaux  diffèrent 
«  de  ceux  de  Khorsabad.  Le  second  édifice  est  sous  tous  ces  rapports 
«  identique  avec  celui  de  Khorsabad,  et  dans  sa  construction  on  a 
«  employé  plusieurs  blocs  appartenant  à  l'autre  et  plus  ancien  édi- 
te fice.  On  y  voit  même  des  plaques  sculptées  appartenant  à  ce  der- 
«  nier,  placées  contre  les  briques  séchées  au  soleil  et  sculptées  de 
«  nouveau  à  leur  face  postérieure. 


792  REVLE    ARCHÉOLOGIQUE. 

«  L 'édifice  le  plus  moderne,  comme  celui  de  Khorsabad,  a  été 
«  très -endommagé  par  le  feu,  tandis  que  le  plus  ancien  n'a  pas  été 
«  incendié,  mais  est  simplement  tombé  en  ruine.  Parmi  les  objets 
«  nouvellement  découverts  est  un  obélisque  d'environ  sept  pieds  de 
«  haut,  taillé  dans  une  espèce  de  marbre  noir;  il  offre  vingt  bas- 
ce  reliefs  qui  semblent  représenter  la  conquête  de  quelque  contrée 
«  éloignée.  Parmi  les  animaux  qui  s'y  trouvent  représentés ,  se 
«  trouvent  l'éléphant,  le  rhinocéros,  le  chameau  de  la  Bactriane, 
«  des  lions  et  plusieurs  espèces  de  singes.  Sous  les  bas-reliefs  il  y 
«  a  de  longues  inscriptions  en  petits  caractères  qui  semblent  con- 
«  tenir  beaucoup  de  noms  propres.  C'est,  à  tout  prendre,  un  sin- 
«  gulier  monument  et  que  je  crois  unique.  Il  est  dans  le  plus  bel  état 
.«  de  conservation. 

a  11  me  semble  que  Nimroud  n'a  pas  été  saccagé  aussi  complè- 
te tement  que  d'autres  ruines  de  ce  genre,  car  j'ai  déjà  fait  une  col- 
ce  leclJon  considérable  de  petits  objets  tels  que  poteries,  vases, 
«  armures ,  ornements  ,  qui  sont  très-intéressants  et  caractéristiques 
u  des  usages  et  des  arts  des  Assyriens  :  un  fait  remarquable  est  la  dé- 
cc  couverte  d'une  petite  chambre  voûtée  dont  la  position  prouve 
«  qu'elle  a  dû  être  bâtie  à  l'époque  la  plus  reculée.  » 

«  Tels  sont,  dans  la  lettre  de  M.  Layard,  les  faits  qui  peuvent  inté- 
resser l'Académie;  ils  prouvent,  comme  je  l'avais  dit  dès  l'origine, 
que  la  découverte  de  Khorsabad  n'est  que  le  premier  pas  fait  dans 
une  voie  de  découvertes  du  plus  grand  intérêt.  Ces  nouvelles  me 
font  regretter  encore  plus  vivement  d'être  retenu  en  France  plus 
longtemps  que  je  ne  le  pensais.  » 

Botta. 


STATUE  D'HERCULE  DÉCOUVERTE  A  DÉNIA. 


La  statue  ,  dont  nous  donnons  un  croquis  (voir  la  pi.  62  bis) ,  a 
été  découverte  à  Dénia,  dans  le  royaume  de  Valence,  autrefois  Dia- 
nium  ou  Artemisium,  colonie  massaliotte.  Elle  appartient  à  M.  F.  de 
Lesseps,  consul  de  France  à  Barcelone.  Elle  est  d'un  marbre  blanc 
assez  semblable  à  celui  de  Carrare ,  mais  qui  peut  provenir ,  me 
dit-on,  de  carrières  autrefois  exploitées  dans  la  Péninsule.  Je  sup- 
pose que ,  dans  son  intégrité ,  la  figure  avait  un  peu  plus  d'un  mètre 
de  haut.  Par  le  travail ,  elle  paraît  appartenir  à  l'époque  romaine. 
Les  cheveux,  les  draperies  refouillés  au  trépan,  une  certaine  faci- 
lité un  peu  triviale  dans  l'exécution  ,  tout  me  porte  à  croire  qu'elle 
remonte  au  siècle  des  Antonins. 

La  tête,  aujourd'hui  séparée  du  tronc,  s'y  rapporte  sensiblement 
par  la  cassure  ;  d'ailleurs ,  la  peau  de  lion  dont  le  mufle  couvre 
la  tête ,  et  dont  les  pattes  se  croisent  et  se  nouent  sur  la  poitrine 
du  personnage ,  ne  permet  pas  de  douter  que  les  deux  principaux 
fragments  n'appartiennent  à  une  même  statue.  Le  bras  droit  cassé 
à  l'épaule  n'a  pu  être  retrouvé,  mais  sa  position  est  parfaitement 
indiquée  par  le  poignet  qui  touche  au  torse.  Les  jambes  et  la  partie 
inférieure  des  cuisses  sont  perdues.  Quant  aux  pieds  que  l'on  a  dé- 
couverts avec  les  deux  premiers  fragments  ,  pour  supposer  qu'ils 
ont  autrefois  appartenu  à  notre  statue,  on  a  pour  indices  leurs  pro- 
portions, l'identité  du  marbre,  enfin  leur  position  qui  convient  à 
celle  des  cuisses.  Us  sont  fracturés  au-dessous  de  la  cheville,  et 
adhérents  à  un  socle  assez  mince  et  de  forme  irrégulière.  On 
remarque  un  trou  dans  un  des  pieds  qui  semble  annoncer  une  res- 
tauration ancienne. 

Le  costume ,  aussi  bien  que  le  caractère  de  force  que  le  sculp- 
teur a  donné  à  cette  figure,  indiquent  clairement  un  Hercule.  Quel- 
ques mutilations  qu'elle  ait  subies,  on  devine  sa  position.  Le  héros 
est  debout,  les  deux  mains  ramenées  et  réunies  derrière  le  dos  , 
sous  la  peau  de  lion;  il  est  adossé  à  un  objet  cylindrique  qui  paraît 
être  une  colonne  ou  une  stèle  décorée  d'une  ornementation  bizarre  , 
que  le  croquis  fait  mieux  connaître  qu'une  description.  Aux  poi- 
gnets ,    on   remarque  de  gros  bracelets  arrondis,   ou  plutôt   des 


794  REVUE  ARCHÉOLOGIQUE. 

menottes ,  et  si  l'on  fait  attention  à  la  manière  dont  le  corps  est 
placé  le  long  de  la  stèle ,  on  s'assurera  que  la  figure  n'est  point 
représentée  dans  une  attitude  de  repos,  mais  dans  une  situation  con- 
trainte. En  effet,  si  elle  s'appuyait  volontairement  à  la  stèle,  elle 
n'y  toucherait  que  par  les  épaules ,  et  le  bas  du  torse ,  ainsi  que 
les  cuisses ,  formeraient  un  angle  avec  ce  point  d'appui  ;  les 
pieds  seraient  écartés ,  peut-être  croisés ,  comme  ceux  de  l'Hercule 
Farnèse  (1).  Au  contraire,  le  corps  est  serré  contre  la  stèle,  les 
cuisses  sont  étendues  droites  et  rapprochées  parallèlement  à  cette 
même  stèle.  A  mon  avis,  le  héros  est  captif,  enchaîné  fort  étroite- 
ment. Ses  mains  sont  assujetties  par  des  menottes ,  peut-être  ses 
jambes  étaient-elles  également  retenues  par  des  entraves. 

Je  ne  dois  pas  oublier  l'expression  très-remarquable  du  visage.  Les 
yeux  levés  au  ciel,  les  sourcils  abaissés,  la  bouche  à  demi  ouverte, 
dénotent  l'abattement  et  la  tristesse.  Le  caractère  général  de  la  tête 
rappelle  le  Laocoon.  Si  je  ne  me  trompe,  la  barbe  et  la  chevelure 
sont  plus  longues  qu'il  n'est  ordi naire  dans  les  représentations  d'Her- 
cule qui  datent  de  la  même  époque.  Peut  être  l'artiste  romain  a-t-il 
voulu  exprimer  la  douleur  par  cette  barbe  et  cette  chevelure  en 
désordre,  signes  de  deuil  bien  connus  chez  ses  compatriotes.  D'un 
autre  côté,  on  pourrait  supposer,  qu'en  donnant  à  son  Hercule,  au 
lieu  de  la  coiffure  d'athlète  qu'il  porte  ordinairement,  une  chevelure 
ondoyante  et  une  barbe  touffue ,  le  sculpteur  a  voulu  mettre  en  évi- 
dence le  caractère  héroïque  ou  divin  de  son  modèle. 

J'abandonne  ces  deux  explications  pour  ce  qu'elles  valent,  et  peut- 
être  ai-je  tort  d'attacher  tant  d'importance  à  un  détail  médiocrement 
caractérisé.  D'ailleurs,  Euripide  ne  décrit-il  pas  Hercule  avec  une 
barbe  touffue,  ^vet^ç  sutci/oç?  Hercfur.,  934.  Mais  pourquoi  repré- 
senter captif  et  enchaîné,  le  destructeur  des  monstres,  le  protégé  de 
Jupiter  et  de  Minerve,  le  héros  toujours  heureux  dans  ses  entreprises 
les  plus  téméraires?  Telle  est  la  question  que  l'on  s'adresse  et  à  la- 
quelle j'essayerai  de  répondre.  Le  but  de  ce  petit  travail  est  de 
rechercher ,  premièrement  si  la  légende  d'Hercule  peut  offrir  une 
explication  de  cette  curieuse  statue;  en  second  lieu,  si  la  représenta- 
tion d'un  héros  ou  d'un  dieu  captif  était  compatible  avec  les  idées 
religieuses  des  anciens. 

(1)  Une  échincrure  au  socle,  assez  profonde,  derrière  les  pieds,  indique  à  mon 
avis  le  point  oii  la  stèle  s'y  joignait.  C'est  une  nouvelle  présomption  pour  l'origine 
des  pieds. 


STATUE  D'HÉKCULE.  795 

Je  rapporterai  d'abord  tous  les  passages  des  auteurs  qui  me  sont 
connus,  et  dans  lesquels  je  trouve  une  allusion  quelconque  aux 
chaînes  ou  à  la  captivité  d'Hercule. 

1°  Léprée,  petit-fils  de  Neptune,  conseilla,  suivant  Élien,  à 
Augias  de  jeter  Hercule  dans  les  fers,  de  le  lier,  prétendant  qu'il 
avait  usé  de  supercherie  pour  nettoyer  les  fameuses  étables.  2uvêêou- 
Xeuss  Toi  Auysa  ÔYjdctc  tov  cHpaxX?i.  Var.  Hist.  I,  24.  Mais  rien  n'in- 
dique que  le  conseil  fut  suivi  par  Augias,  et  le  récit  assez  détaillé 
de  Pausanias,  lib.  V,  cap.  1  et  3,  semble  prouver  le  contraire. 
Quelle  apparence  d'ailleurs  que  ce  mythe  fût  assez  populaire  en 
Espagne ,  pour  y  être  commenté  et  pour  y  donner  un  sujet  à  la 
statuaire? 

2°  Hercule  fut  vendu  à  Omphale,  et  conduit  captif  à  cette  reine 
par  Mercure.  Mais  ce  mythe  a  des  caractères  très-précis,  qu'il  est 
impossible  de  retrouver  dans  la  statue  de  Dénia.  On  sait  d'abord 
que  l'esclavage  d'Hercule  fut  volontaire.  Il  s'y  soumit  d'après  un 
oracle  pour  guérir  d'une  maladie ,  punition  du  meurtre  d'Iphitus  ou 
de  l'enlèvement  du  trépied  de  Delphes.  Puis,  je  ne  vois  nulle  part 
que  la  reine  Omphale  l'ait  fait  attacher  à  une  colonne.  Elle  le  traita 
mieux.  Ajoutons  encore  que  deux  monuments  très-curieux,  publiés 
par  mon  savant  ami,  M.  de  Witte,  s'accordent  pour  représenter  le 
captif  d'Omphale  revêtu  d'habits  de  femme.  (Voir  Catalogue  Du- 
rand, nos  316,  317.)  Dans  ce  mythe,  d'origine  évidemment  asiatique, 
le  héros  grec  paraît  assimilé  au  Sandon  de  Lydie.  (Voir  Lyd.  de 
Mag.  3,  44;  Lucien,  Dialogi  Deor.  13  ,  2).  Ici  encore,  nul  rap- 
port avec  notre  Hercule  de  Dénia. 

3°  Hercule  traversant  les  États  de  Busiris ,  roi  d'Ethiopie ,  fut 
arrêté  et  conduit  à  l'autel  pour  y  être  sacrifié,  suivant  la  coutume  de 
ce  roi  inhospitalier.  Mais  ayant  rompu  ses  liens,  dit  Apollodore,  t&  SI 
oscuA  Stap^aç,  Ap. ,  II,  5,  11  ,  il  tua  Busiris.  Mieux  que  les  pré- 
cédents, ce  dernier  trait  peut  convenir  à  notre  statue.  Restent 
cependant  bien  des  difficultés.  Comparons  d'abord  l'Hercule  de 
Dénia  avec  le  captif  de  Busiris,  représenté  sur  un  vase  grec,  que 
M.  de  Witte  a  décrit,  dans  son  excellent  Catalogue  de  la  Collection 
Durand,  n°  306.  Dans  cette  peinture,  Hercule,  la  tête  baissée, 
marche  au  supplice  conduit  par  un  esclave  éthiopien ,  qui  tient 
l'extrémité  des  courroies  attachées  aux  pieds  et  aux  mains  du 
héros.  —  On  peut  supposer ,  qu'arrivé  au  lieu  du  sacrifice ,  il 
aurait  été;  lié  à  une  colonne,  auprès  de  l'autel,  pour  y  être  égorgé. 
—Toutefois,  j'ai  plusieurs  objections  contre  cette  hypothèse.  D'abord 


706  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

je  ne  sais  trop  comment  expliquer  une  colonne  ou  une  stèle  auprès 
d'un  autel  où  l'on  égorge  des  victimes,  car  le  sacrifice  avait  lieu , 
en  général ,  en  dehors  des  temples.  Admettons ,  au  lieu  d'une 
colonne  un  pieu  planté  exprès  pour  l'exécution.  J'hésiterai  encore 
à  voir  une  victime  prête  pour  le  sacrifice  dans  cet  Hercule  lié  à 
un  pieu.  En  effet,  la  victime  ,  au  moment  où  on  allait  la  frapper, 
ne  devait-elle  pas  être  libre?  Je  crois  que  dans  les  idées  religieuses 
du  paganisme ,  le  sacrifice  était  censé  volontaire ,  et  pour  qu'il  fût 
agréable  aux  dieux ,  il  fallait  que  la  victime  fît  un  signe  de  con- 
sentement, obtenu  par  surprise.  De  là  l'usage  des  libations  répandues 
sur  la  tête  des  animaux  conduits  à  l'autel.  C'est  du  moins  ce  qu'on 
pourrait  conclure  de  ce  passage  de  Plutarque  :  "A^çi  81  vuv  xapacpu- 

Aocttoiku  'uTyjjpwç  xo  pr\  ffcparrEtv  rcpiv  sTUveuaa'.   xaxacr7i£vôo(jt.£vov .  SympOS., 

Iib.  VIII,  quœst.  8. 

J'avoue  qu'un  vase  grec  de  la  collection  d'Hamilton  autorise- 
rait à  croire  que  cette  cérémonie  n'était  pas  de  rigueur ,  et  qu'on 
ne  laissait  pas  aux  victimes  les  moyens  de  protester.  En  effet , 
on  voit  Oreste  (t.  II,  pi.  4)  les  mains  liées  derrière  le  dos ,  assis 
sur  l'autel  où  il  va  être  immolé.  D'ailleurs ,  la  mauvaise  réputation 
de  Busiris  permettrait  de  le  supposer  affranchi  de  pareils  scrupules. 
En  résumé,  s'il  faut  expliquer  historiquement  notre  statue,  je 
veux  dire,  si  c'est  un  trait  de  la  légende  que  l'artiste  a  voulu  repré- 
senter, l'aventure  de  Busiris  me  paraît  fournir,  après  tout,  l'inter- 
prétation la  plus  plausible,  ou  plutôt  la  moins  improbable.  Nous 
sommes  réduits  malheureusement  à  des  données  fort  insuffisantes  pour 
une  explication  complète,  puisque  nous  n'avons  qu'une  statue 
mutilée ,  et  que  nous  ignorons  absolument  si  cette  statue  était 
isolée  ou  si  elle  faisait  partie  d'un  groupe;  si  elle  se  rattachait  à  une 
suite  d'autres  compositions  relatives  à  l'histoire  d'Hercule ,  enfin  si 
elle  était  placée  dans  un  temple,  dans  un  musée,  ou  dans  une  maison. 

A  supposer  toujours  que  la  statue  de  Dénia  se  rapporte  à  un 
fait  historique  ou  légendaire ,  il  peut  paraître  singulier  qu'un  artiste 
ait  choisi  pour  sujet  le  moment  où  son  héros  joue  un  si  triste  rôle. 
N'eût-il  pas  mieux  valu,  en  effet,  le  représenter  tuant  Busiris, 
qu'enchaîné  par  ce  roi  cruel?  A  cela,  je  ne  puis  répondre  que 
par  les  vers  d'Horace  :  Pictoribus  atque  poetis ,  etc.  J'ajouterai 
que  le  vase  décrit  par  M.  de  Witte ,  offre  un  exemple  d'un 
sujet  pareil;  enfin,  je  rappellerai  l'Hercule  de  Tégée  ,  dont  la 
statue,  au  rapport  de  Pausanias ,  montrait  la  blessure  à  la  cuisse 
que  le  héros  reçut  en  combattant  les  fils  d'Hippocoon ,  lib.  VIII , 


STATUE   D'HERCULE.  797 

53,  9.  Seulement,  dans  ce  dernier  exemple,  on  s'explique  cette 
statue  à  Tégée,  car  Hercule  avait  été  blessé  dans  une  expédition  en- 
treprise de  concert  avec  les  guerriers  Tégéates  (Apollodore,  I,  7,  3), 
tandis  que  je  ne  trouve  aucune  raison  qui  rende  l'aventure  de  Busiris 
particulièrement  intéressante  pour  les  habitants  d'Artemisium  (1). 
4°  J'ignore  jusqu'à  quel  point  dans  sa  tragédie  d'Hercule  furieux, 
Euripide  s'est  inspiré  des  légendes  antiques,  et  quelle  est,  dans  cette 
pièce,  la  part  d'invention  qui  appartient  au  seul  poëte.  J'y  trouve, 
d'ailleurs,  une  scène  qu'il  nous  importe  d  étudier  avec  soin.  Hercule, 
de  retour  à  Thèbes,  après  avoir  achevé  ses  travaux,  tue  Lycus  qui 
allait  faire  mourir  la  femme  et  les  enfants  du  héros.  Au  moment 
où  il  se  prépare  à  se  purifier  de  ce  meurtre,  Iris,  par  l'ordre  de  Junon, 
conduit  dans  son  palais  la  Fureur,  Au<x<ra.  Aussitôt  Hercule  donne  des 
signes  de  folie;  il  monte  sur  un  char  sans  chevaux  ,  et  agite  son 
fouet  dans  l'air,  croyant  courir  vers  Mycènes,  où  il  veut  égorger 
Eurysthée.  Bientôt ,  à  la  vue  de  ses  propres  enfants,  il  se  persuade 
qu'il  est  devant  les  fils  de  son  ennemi  ;  il  les  tue  ainsi  que  Mégart; , 
leur  mère.  Il  va  môme  massacrer  Amphitryon ,  lorsque  Minerve , 
en  lui  jetant  une  pierre,  le  plonge  dans  un  sommeil  léthargique.  En 
tombant ,  il  heurte  de  son  dos  le  tronçon  d'une  colonne  qu'il  avait 
renversée  lui-même  comme  Samson. 

....  IIÎ7rTSi  S'  sç  7réô\>v ,  rcô;  xîova 
vwtov  7:aTâÇa;,  oç  7rsenfyza<7i  arsyijç 
lît^oppayyjç  sxsito  xpïj7rt^wv  sizi.  (Herc.  fur.  1006.  ) 

Amphitryon ,  et  quelques  Thébains  ,  profitent  de  son  sommeil 
pour  l'enchaîner  à  la  colonne  brisée. 

H/xeïç.... 

2ùv  t£>  yipo-JTt  Szvpà  «xstpatwv  ^pô^coit 
àvwrcopsv  npoç  xtova.  —  (lOlO.y 

En  me  rappelant  ces  vers,  je  crus  d'abord  avoir  trouvé  la  meil- 
leure explication;  mais  la  position  de  l'Hercule  de  Dénia  peut-elle 
convenir  à  cette  scène?  Le  sculpteur  a  représenté  son  héros  debout, 
cela  me  semble  hors  de  doute;  et,  suivant  le  poëte  ,  les  Thébains 
le  chargent  de  liens,  tandis  qu'il  est  couché,  étendu  sur  le  sol  k  re&v, 
étourdi   par   le  coup   que    Pallas   vient  de  lui  porter.   Plusieurs 

(1)  M.  de  Witte  cite  une  statuette  en  bronze  inédite  du  musée  de  Florence,  qui 
représente  Hercule  blessé.  Voy.  Nouvelles  Annales  archéol.,  t.  II,  p.  331,  note  4. 


798  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

passages  décrivent  d'ailleurs  fort  exactement  l'attitude  d'Hercule 
sur  la  scène  tragique.  «  Voyez  ces  enfants  devant  leur  père  qui 
dort  d'un  sommeil  étrange,  le  corps  tout  entouré  de  liens  attachés 
aux  colonnes  du  palais.  » 

iSeaQe  Se  réxvcc  izpb  izccTpàç 


eO^OVTOÇ  U7TVOV  SziVOV  VATToSàit)    (fÔVOV 

îTspt  Sï  Sevpà  -/.où  nol\)%po%   à^aTwv 

èpeiapccQ'  Ûpâxkeiov 

âpyt  Séuaç  zôSz  )>aivotç 

àvîjfx^sv'  àpfi  v.Locri'j  oî'xwv.  —  (1032.) 


Plus  loin,  Hercule,  à  son  réveil,  s'écrie  :  «  Pourquoi  suis-je  amarré 
comme  un  navire?  Pourquoi  ces  liens  sur  mes  bras  et  ma  poitrine? 
Comment  suis-je  couché  auprès  de  cette  colonne  brisée,  entouré  de 
cadavres?  » 

iSoù  ti  Se<T[ioïç  vavç  ottwç  wppiffjxévoç 

vsavtav  ôwpaxa  xaî  |3pa^(ova 

Tcpbç  icpiôpaiiorw  ).atvw  TVY.ivpa.Ti 

7]y.a.L  vsxpoïcrt  «yeirovaç  ôàxovç  s^wv  ;  —  (1094.) 

On  le  voit,  la  mise  en  scène  est  parfaitement  indiquée,  et  un 
artiste  qui  aurait  voulu  prendre  pour  sujet  Y  Hercule  d'Euripide , 
ne  pouvait  le  représenter  autrement  que  couché.  Cependant,  si  l'on 
admet ,  ce  qui  est  probable  ,  que  le  poëte  a  suivi  en  la  modifiant , 
une  légende  antique  moins  précise  que  sa  description  ,  on  pourrait 
supposer,  à  la  rigueur,  que  le  sculpteur,  ayant  connaissance  de 
cette  légende ,  a  voulu  représenter  le  héros ,  alors  qu'attaché  au 
tronçon  de  la  colonne ,  et  retrouvant  sa  raison  ,  il  déplore  sa  fureur 
et  exhale  ses  plaintes,  entouré  de  ses  victimes  innocentes. 


Je  passe  à  l'examen  de  la  seconde  question  que  je  me  suis  pro- 
posée. C'est  à  savoir,  si,  indépendamment  de  toute  légende,  et  seu- 
lement par  une  forme  de  la  symbolique  païenne,  on  a  pu  représenter 
Hercule  enchaîné.  La  raison,  si  c'est  ici  le  cas  de  l'invoquer,  et  la 
plupart  des  monuments  de  l'antiquité  semblent  d'accord  pour  que 
les  dieux  soient  représentés  plutôt  dans  leur  glorification  que  dans 
leur  abaissement.  Cependant  des  exemples  du  contraire  ne  nous 
manqueraient  pas,  et  la  mythologie  païenne  offre  tant  de  dieux  vain- 
cus, captifs,  enchaînés,  que  dans  la  conformité  singulière  de  ces 


STATUE   D'HEKCULE.  799 

phases  d'humiliation  où  tombe  chaque  dieu  du  paganisme,  on  est 
tenté  de  voir  comme  une  formule  mystérieuse,  une  espèce  de  loi  des 
religions  antiques.  Rappellerai-je  Jupiter  enfermé  dans  une  caverne 
par  Typhon  qui  lui  a  coupé  les  nerfs?— Junon  suspendue  entre  le  ciel 
et  la  terre  par  une  chaîne  d'or?—  Bacchus  enchaîné  par  les  géants 
Ascus  etLycurgue?— Mais  emprisonné  treize  mois  parles  Aloades? 
Je  pourrais  multiplier  les  citations  à  l'infini.  Le  rapprochement  de 
ces  différents  mythes,  leur  origine  et  leur  interprétation  forment  une 
des  questions  les  plus  intéressantes  qu'offre  l'étude  de  la  mythologie. 
Elle  dépasserait  les  bornes  de  cet  article,  et  serait  en  outre  fort  au- 
dessus  de  mes  forces.  Je  ne  puis  que  renvoyer  les  lecteurs  aux  excel- 
lents travaux  de  M.  Guigniaut,  sur  les  religions  de  l'antiquité,  surtout 
au  Mémoire  si  remarquable  de  M.  Lenormant,  sur  le  culte  deCybèle. 
Je  ne  doute  pas  que  la  suite  de  ce  travail,  promise  depuis  longtemps, 
ne  jette  une  vive  lumière  sur  toute  cette  classe  de  mythes  à  laquelle 
je  fais  allusion.  Ma  tâche  est  plus  simple,  et  je  m'occuperai  seule- 
ment à  réunir  quelques  exemples  pour  prouver  que  des  statues  de 
dieux  ou  de  héros  enchaînés  n'étaient  point  inconnues  dans  l'anti- 
quité. A  l'incohérence  des  explications  qu'en  donnent  les  auteurs,  on 
reconnaîtra  sans  doute  qu'il  ne  faut  point  chercher  dans  ces  repré- 
sentations ,  soit  des  traits  empruntés  à  des  légendes,  soit  des  allé- 
gories poétiques.  Restera  donc  une  forme  symbolique  et  particulière 
aux  religions  naturelles. 

1°  On  lit  dans  Quinte  Curce,  qu'un  habitant  de  Tyr,  pendant  le 
siège  de  la  ville  par  Alexandre ,  vit  en  songe  Apollon ,  une  des 
divinités  topiques  des  Tyriens,  sortant  des  remparts  comme  s'il 
retirait  sa  protection  à  une  cité  condamnée  par  les  dieux.  Sur  le 
rapport  du  songeur ,  on  lia  la  statue  avec  des  chaînes  d'or  qu'on 
attacha  à  l'autel  d'Hercule,  comme  pour  charger  ce  dieu  de  retenir 
Apollon.  Quasi  Mo  deo  Apollinem  retenluri,  Q.-Curt.  IV,  3.  Il  est 
vrai  que  la  superstition  ne  recule  devant  aucune  absurdité,  mais  on 
peut  se  demander  si  l'histoire  rapportée  par  Quinte  Curce  n'est  pas 
une  invention  moderne,  trouvée  tout  exprès  pour  rendre  compte  du 
mystère  de  ces  chaînes  dont  nous  allons  trouver  d'autres  exemples 
tout  aussi  bizarrement  expliqués. 

2°  Pausanias ,  à  l'occasion  du  culte  que  les  Orchoméniens  ren- 
daient à  Actéon ,  raconte,  avec  sa  brièveté  désespérante,  que  le  ter- 
ritoire d'Qrchomène  fut  autrefois  ravagé  par  un  spectre  en  posses- 
sion d'un  rocher.  Je  traduis  littéralement  un  texte  assez  obscur. 
IIecI    Se    'Àxtou'ortoç   Xsyoasva  :^v    'Opyojxevfoiç  XufjiaiveàOat   t^v    y^v  iwrpav 


800  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

£/ov  st&oXov.  Siebélis  paraît  croire  que  ce  spectre  était  un  revenant 
quelconque,  une  espèce  de  loup-garou  (V.  Pausanias,  t.  IV,  p.  129, 
ad  not.  ).  La  suite  du  récit  me  donne  lieu  de  penser ,  avec 
0.  Mùller,  qu'il  s'agit  du  spectre  d'Actéon  lui-même.  — On  consulta 
l'oracle  de  Delphes  qui  prescrivit  aux  Orchoméniens  de  chercher  les 
restes  d'Actéon  et  de  les  couvrir  de  terre  ,  puis  de  faire  une  statue  de 
bronze  semblable  au  spectre,  laquelle  serait  attachée  avec  du  fer  à 

SOn   rocher. KsAEuet  xai  tou  sîocoXov    yjxkxrp  7:oty)(Ta|i.£vouç    Etxova  -zpoç   t9j 

7T£Tpa  «Tior'pw  87j<yat.  «  J'ai  vu  moi-même  la  statue,  »  ajoute  Pausanias, 
(lib.  IX,  38,  5),  oubliant  de  nous  dire  si  le  spectre  posa  pour  le 
sculpteur.  Ici,  l'absurdité  de  la  légende  ne  laisse  aucun  doute  que 
l'explication  des  fers  de  la  statue  ne  soit  très-postérieure  à  son  érec- 
tion. 0.  Miïller  n'hésite  point  à  reconnaître  dans  cette  figure  en- 
chaînée à  un  rocher,  une  espèce  de  talisman  de  la  Fécondité  attaché 
à  la  terre.  (Orchomenos,  p.  342,'  éd.  de  Breslau  ,  1844.)  C'est  ainsi 
qu'on  explique!,  ce  me  semble,  ces  phallus  gigantesques  trouvés !en 
plusieurs  parties  de  l'Italie.  Mais  je  ne  prétends  pas  discuter  le  sens 
du  symbole  ;  je  passe  à  un  nouvel  exemple,  et  c'est  encore  Pausanias 
qui  me  le  fournira. 

3°  A  Sparte,  dit-il,  on  voit  une  vieille  statue  de  Mars  ayant 

des  chaînes.  Il££a<;  èWtv  syiov  "EvuaXioç,  ayocXua  àp/aïov,  III,   15,5.  Les 

Lacédémoniens ,  poursuit  Pausanias,  ont  représenté  Mars  enchaîné , 
par  un  motif  semblable  à  celui  qui  a  fait  élever  dans  l'Acropole 
d'Athènes  un  temple  à  la  Victoire  sans  ailes.  Us  ont  cru  que  le  dieu 
enchaîné  de  la  sorte  ne  s'enfuirait  jamais  d'eux.  Prise  du  côté  poé- 
tique ,  l'allégorie  me  semble  détestable.  Tout  belliqueux  qu'ils 
fussent ,  les  Spartiates  n'aimaient  pas  à  avoir  la  guerre  chez  eux  ; 
ils  voulaient  la  faire  loin  de  leurs  frontières,  et  longtemps,  en 
effet,  ils  se  vantèrent  que  jamais  leurs  femmes  n'avaient  vu  la  fumée 
d'un  camp. 

4°  Ce  n'était  pas  seulement  Mars  qu'on  enchaînait  à  Sparte.  Il  y 
avait  encore  une  statue  de  Vénus  voilée,  avec  des  fers  aux  pieds, 
fabriquée,  dit-on,  par  Tyndarée.  Kàô^xai  oè  xaXu7rrpav  t£  èyouca,  xal 
TrÉSaç  Tcepi  toT;  Tcoai.  On  appelait  cette  Vénus  Morphô.  L'image  était  de 
cèdre,  comme  presque  toutes  les  vieilles  statues.  Pausanias  rapporte 
l'explication  populaire,  et  celle  des  honnêtes  gens.  Suivant  la  pre- 
mière, Tyndarée  avait  voulu  punir  Vénus  d'avoir  si  mal  inspiré  ses 
filles ,  ces  grandes  héroïnes  de  l'adultère.  Mais  Pausanias  rejette  bien 
loin  cette  tradition  vulgaire.  Ces  fers  lui  paraissent  un  symbole  de 
l'attachement  que  les  femmes  doivent  avoir  pour  leurs  maris.  «Quelle 


STATUE    D'HERCULE.  801 

apparence,  dit-il,  que  Tyndarée  ait  pu  croire  qu'il  se  vengeait  de  la 
déesse  en  faisant  une  statue  de  cèdre  et  en  appelant  cette  image 

VénUS  ?  »  ~H  yàp  $Jj  7ravxà:ra<7tv  efojôsç  xÉSpou  Troi7)<rausvov  Çctàiov  xoù  c(vo(xa 
AcppoâiTY.v  Ô£U£vov  IXttiÇeiv  àjxuWôat  tt;v  Gsov.  Paus.  III,  15,  8.    A  mon 

avis  les  deux  explications  se  valent.  La  seconde  même  me  paraît  un 
peu  trop  subtile  pour  les  Lacédémoniens ,  peuple  fort  superstitieux, 
mais  dont  l'esprit  était  loin  d'avoir  un  tour  si  poétique.  Au  contraire 
la  vengeance  de  Tyndarée,  à  laquelle  d'ailleurs  je  ne  crois  point, 
pourrait  être  justifiée  par  des  exemples  modernes.  Me  permettra-t-on 
de  rapporter  ici  un  trait  de  superstition  dont  j'ai  été  témoin  il  y  a 
quelques  années?  C'était  dans  une  petite  ville  d'Andalousie;  on 
avait  perdu  un  objet  précieux,  et  l'on  avait  fait  une  prière  à  saint 
François  qui  passe  parmi  le  peuple  pour  faire  retrouver  les  choses 
perdues.  Après  bien  des  recherches  inutiles,  l'image  du  saint  (il  y 
en  a  une  dans  toutes  les  maisons) ,  fut  admoneslée  et  les  recherches 
continuèrent  sans  plus  de  succès.  Il  fallut  en  venir  à  des  mesures 
de  rigueur.  On  mit  une  corde  au  cou  du  saint  et  on  le  descendit 
dans  un  puits,  en  l'avertissant  qu'il  y  resterait  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
rendu  l'objet  qui  avait  disparu.  Moins  d'une  heure  après  l'exécution, 
on  le  retrouva,  c'est  l'objet  perdu  que  je  dis,  dans  un  tiroir  où  l'on 
ne  s'était  pas  encore  avisé  de  fouiller.  Aussitôt,  on  retira  le  saint 
du  puits ,  on  le  remit  honorablement  dans  sa  niche ,  et  l'on  alluma 
devant  une  petite  bougie  en  signe  de  remercîment. 

5°  Au  reste  Pausanias  à  force  de  donner  des  interprétations  finit 
par  s'épuiser.  A  Phigalie  il  trouve  une  déesse  enchaînée  dont  il  ne  sait 
que  dire.  Il  est  vrai  qu'il  ne  l'a  point  vue  lui-même,  car  son  temple 
ne  s'ouvrait  qu'une  fois  par  an  et  il  n'a  pu  que  répéter  la  description 
que  lui  ont  fournie  les  Phigaliens.  Dans  l'opinion  du  peuple  cette 
déesse  nommée  Eurynome  était  identifiée  avec  Diane,  mais  selon  les 

doctes  et  les  antiquaires  (  ôW  81  ocÙtwv  7rap£iXr]cpo«7iv  facopin^uotTa  apyaîa  ) , 

Eurynome  était  fille  d'Océan  ;  Homère,  ajoutaient-ils,  la  désigne  dans 
Y  Iliade  comme  la  compagne  de  Thétis.  L'une  et  l'autre  avaient  re- 
cueilli Vulcain  lorsque  Jupiter  le  précipita  des  cieux.  Quant  à 
l'image  de  cette  divinité  mystérieuse,  elle  était  liée  de  chaînes  do- 
rées; son  corps  jusqu'aux  hanches  était  celui  d'une  femme,  et  les 
membres  inférieurs  finissaient  en  queue  de  poisson  :  T&v  ^tyaXstov 

os  yjxoucra  wç  ^puaatç  t£  to  Ijo'avov  cuvoÉoudiv  àXuffStç  xat  eixàv    yuvatxoç  xa 

à'/pt     TWV    yXoUTWV  ,     TO   OLTZO  TOUTOU    ôs    IffTtV     t/OuÇ.     PaUS.    VIII,     4l,     3. 

Pausanias  remarque  fort  bien  que  cette  queue  de  poisson  ne  con- 
vient guère  à  Diane  et  qu'elle  doit  plutôt  appartenir  à  quelque  divi- 


802  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

ni  té  marine.  Des  chaînes  il  ne  dit  pas  un  mot  et  l'on  peut  supposer 
que  les  Phigaliens  en  avaient  perdu  la  tradition. 

6°  A  Rome ,  la  statue  de  Saturne  avait ,  pendant  une  partie  de 
l'année ,  des  cordes  de  laine  en  manière  d'entraves  aux  pieds.  Ma- 
crobe,  qui  relate  ce  l'ait  curieux ,  en  donne  une  explication  évidem- 
ment trop  restreinte.  Après  avoir  rapporté  que  la  statue  était  déliée 
au  mois  de  décembre ,  au  moment  des  Saturnales  :  «  Les  semences , 
dit-il,  animées  dans  le  sein  de  la  terre ,  et  retenues  jusqu'alors  par 
les  doux  liens  de  la  nature  ,  s'échappent  à  la  lumière  au  dixième 
mois.  »  Decimo  mense  semen  in  utero  animatum  in  vitam  grandescere  ; 
quod  donec  erumpal  in  lucem  mollibus  naturœ  vincalis  dednetur. 
(Sat.  I,  8.)  Verrius  Flaccus,  tout  antiquaire  qu'il  fût,  avouait  qu'il 
ne  comprenait  rien  à  ces  liens  de  laine  (Macrob.  loc.  cit).  Quant  à 
Macrobe ,  plus  hardi,  on  peut  lui  demander  comment  il  se  faisait 
que  les  liens  se  détachassent  précisément  dans  la  saison  de  l'année 
où  les  semences  sont  le  plus  étroitement  renfermées  dans  la  terre. 
Mais  mon  but  n'est  pas  de  discuter  les  interprétations  des  anciens  , 
et  je  me  borne  à  constater  leurs  usages. — Il  paraît  que  les  Romains 
donnaient  des  liens  à  bien  d'autres  divinités  encore ,  car  Macrobe 
cite  ce  proverbe  vulgaire,  même  de  son  temps ,  comme  il  semble  : 
Deos  laneos  pedes  habere.  Ibid.  Le  même  dicton  se  retrouve  dans 
la  bouche  d'un  des  personnages  introduits  par  Pétrone  dans  le  festin 
de  Trimalchion ,  et  le  sens  en  est  fixé  :  «  Autrefois,  dit  Ganymèdes , 
quand  il  y  avait  une  sécheresse,  on  priait  les  dieux  ;  les  femmes 
faisaient  de  belles  processions  pieds  nus.  Aussitôt  il  pleuvait  à 
seaux.  Maintenant  on  estime  les  dieux  autant  que  les  rats, 
aussi  ont-ils  des  pieds  entravés  de  laine,  parce  qu'on  n'a  plus  de 
religion;  et  nos  champs  sont  perdus.»  Nunc dii tanquam  mures!,.. 
Itaque  dii  pedes  lanatos  habent ,  quia  nos  religiosi  non  sumus  ;  agri 
jacent.  Porphyrion ,  à  l'occasion  des  vers  d'Horace  : 

Raro  antecedentem  Sceleslum 

Deseruit  pede  Pœna  claudo.  {Carm.  III ,  od.  2.) 

cite  encore  le  même  proverbe,  et  en  rapprochant  tous  ces  passages, 
on  en  pourrait  conclure,  qu'à  une  époque  ancienne,  les  dieux  qui 
président  à  la  fécondité,  et  les  dieux  vengeurs  des  parjures,- tout 
au  moins,  étaient  représentés  avec  des  entraves. 

Malgré  le  mollïbus  vinculis  de  Macrobe,  je  ne  pense  pas  qu'il  faille 
donner  beaucoup  d'importance  à  la  matière  dont  ces  entraves  étaient 
fabriquées.  La  laine  était  d'un  usage  général  chez  les  Romains,  et 


STATUE    1)  HEKCLJLE.  803 

s'ils  la  prêteraient  pour  attacher  leurs  dieux,  c'est  qu'ils  regardaient 
probablement  des  cordes  de  laine  comme  plus  élégantes  que  des 
cordes  de  chanvre  ou  d'écorce. 

Voilà,  décompte  fait,  six  exemples  de  statues  de  dieux  ou  de 
héros  enchaînées.  L'Apollon  de  Tyr  peut  avoir  été  lié  à  l'occasion 
d'une  superstition  postérieure  à  l'établissement  de  son  culte.  Je  con- 
céderai, si  l'on  veut,  qu'il  en  était  de  même  pour  le  Saturne  de 
Rome;  quant  aux  autres  statues,  elles  semblent  avoir  toutes  été 
faites  pour  être  liées,  et  la  Morphô  de  Sparte  surtout,  d'après  le  texte 
de  Pausanias,  paraît  avoir  eu  des  entraves  figurées  en  bois  de  cèdre, 
comme  sa  statue.  Qu'on  me  pardonne  d'insister  sur  ce  point;  les 
chaînes  de  l'Hercule  de  Dénia,  sont  de  marbre  comme  sa  statue,  et 
je  cherche  à  établir  que  c'était  l'idée  d'enchaînement,  de  lien  qui 
importait  chez  les  anciens  dans  de  telles  représentations ,  non  la 
matière  même  des  liens. 

On  n'en  peut  douter  pour  la  Diane  d'Éphèse  dont  on  voit  les 
images  dans  un  grand  nombre  de  musées  et  sur  les  médailles  de 
beaucoup  de  villes.  La  déesse  est  invariablement  figurée  avec  des 
bandelettes  qui  la  lient  très-étroitement  par  la  partie  inférieure  du 
corps.  Elle  porte  un  voile  comme  la  Vénus-Morphô  de  Lacédémone. 
Remarquons ,  en  passant ,  qu'outre  les  bandelettes  qui  la  serrent 
comme  une  momie,  la  Diane  d'Éphèse,  sur  beaucoup  de  médailles, 
porte  aux  mains  des  chaînes.  Du  moins ,  c'est  ainsi  que  MM.  Le- 
normant  et  de  Witte  ont  interprété  les  traits  saillants  qui  partent 
de  ses  mains  et  se  dirigent  vers  ses  pieds  ou  vers  la  terre.  Je  sais 
qu'on  a  expliqué  ces  traits  d'une  autre  manière,  et  que  quelques 
antiquaires  les  prennent  pour  des  broches  ou  des  tiges  métalliques 
destinées  à  soutenir  les  membres  d'une  statue  qui,  en  raison  de  leur 
saillie  extraordinaire,  avaient  besoin  d'un  appui.  Mais  il  me  semble 
tout  à  fait  contraire  au  génie  de  l'art  antique ,  d'exprimer  dans  la 
représentation  d'une  statue  ,  un  objet  inutile  pour  la  caractériser. 
Les  artistes  grecs  suppriment  les  détails  sans  intérêt  au  sujet  qu'ils 
traitent;  or,  les  tiges  en  question  n'ayant  d'importance  que  pour 
la  solidité  de  la  statue,  comment  supposer  qu'on  leur  eût  donné  une 
place  dans  une  gravure  de  quelques  millimètres?  Lorsque  l'on  voit 
sur  des  médailles,  et  même  sur  de  grands  bas-reliefs  des  archers 
bandant  un  arc  sans  corde,  des  chars  traînés  par  des  chevaux  sans 
harnais,  on  peut  croire  que  les  anciens  ne  se  piquaient  guère  de 
reproduire  scrupuleusement  la  réalité  dans  leurs  monuments  figurés. 

On  sait  que  le  culte  de  la  Diane  éphésienne  avait  été  apporté  en 


804  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

Espagne  par  les  Massai iotes.  Artémisium  était  sous  sa  protection  parti- 
culière; elle  avaitdonné  son  nom  à  la  ville,  et  suivant  Strabon  (lib.  III, 
p.  215),  elle  y  avait  un  temple  révéré.  De  l'existence  de  ce  culte  tout 
asiatique  sur  la  côte  de  Dénia,  on  peut  inférer  que  le  symbole  ou  l'allé- 
gorie religieuse  des  liens  était  connue  dans  le  pays,  et  même  qu'elle 
pouvait  être  appliquée  à  d'autres  divinités.  Je  sais  qu'il  est  im- 
possible de  conclure  logiquement  que,  parce  que  Diane  était  garrottée 
de  bandelettes,  Hercule  devait  avoir  des  chaînes  à  son  tour.  Cepen- 
dant on  a  vu  tout  à  l'heure  des  divinités  fort  différentes  en  apparence 
par  leurs  attributions,  Apollon,  Actéon,  Mars,  Vénus,  Eurynome, 
Saturne ,  Diane ,  représentées  dans  une  même  situation  ;  on  a  pu 
remarquer  que  les  explications  proposées  sont  évidemment  posté- 
rieures à  la  fabrication  des  statues ,  et  qu'elles  portent  toutes  l'indice 
d'un  système  d'interprétation  moderne.  N'est-ce  pas  une  forte  pré- 
somption pour  croire  à  l'existence  d'un  symbole  que  j'appellerai 
divin,  compatible  avec  les  idées  religieuses  du  paganisme? 

Je  me  hâte  de  répondre  à  une  objection  qui  se  présente  naturellement. 
Les  statues  citées  par  Pausanias  étaient  très-anciennes,  si  anciennes 
que  de  son  temps,  la  tradition  concernant  les  liens  qui  les  distin- 
guaient, s'était  altérée  ou  perdue.  Or,  l'Hercule  de  Dénia  ne  re- 
monte qu'à  l'époque  des  empereurs.  Pourquoi  aurait- on  imité  alors 
des  représentations  archaïques  dont  on  avait  oublié  la  signification 
depuis  longtemps?  On  peut  répondre  que  la  Diane  éphésienne  a  été 
souvent  reproduite  dans  sa  forme  archaïque.  Il  en  existe  une  statue 
dans  le  musée  de  Naples,  par  exemple,  postérieure  peut-être  aux 
Antonins.  Rien  d'extraordinaire  qu'un  type  consacré  soit  retracé  à 
différentes  époques.  Les  statues  de  Mithra  Léontocéphale  datent, 
pour  la  plupart,  du  Bas-Empire,  et  il  ne  serait  peut-être  pas  difficile 
d'établir  un  rapport  entre  le  serpent  qui  les  entoure  de  ses  replis  et 
les  chaînes  des  statues  archaïques  (1). 

En  résumé ,  ce  n'est  point  une  explication  de  la  statue  de  Dénia 
que  j'ai  prétendu  donner.  Dans  l'état  où  ce  fragment  nous  est  par- 
venu, on  ne  peut  que  former  des  conjectures  nécessairement  fort 
incertaines.  J'ai  voulu  montrer  que  ces  conjectures  pouvaient  être 
cherchées,  soit  dans  la  légende  d'Hercule,  soit  dans  les  formes  de  la 
symbolique  des  anciens.  De  quelque  côté  que  soit  la  vérité,  la  statue 
de  Dénia  me  paraît  mériter  l'intérêt  des  archéologues ,  et  je  serais 
heureux,  si  ce  petit  travail  pouvait  engager  de  plus  habiles  que  moi,  à 
des  recherches  plus  complètes  et  plus  fructueuses.      P.  Mérimée. 

(i)  V.  Mémoire  sur  le  bas-relief  Milhriaque  de  Vienne,  par  M.  F.  Lajard. 


DESCRIPTION  DE  L'ÉGLISE  DE  S- NICOLAS 

(  MEURTHE.  ) 


Lorsqu'on  pénètre  dans  une  de  ces  basiliques ,  bâties  par  la  foi  et 
la  piété  de  nos  pères ,  on  ne  peut  se  défendre  d'un  certain  sentiment 
d'admiration.  L'homme  le  plus  ignorant  ne  peut  maîtriser  une 
certaine  émotion ,  il  ne  comprend  pas  peut-être  les  beautés  de  ces 
édifices  ;  mais  la  nature  qui  parle  en  lui,  lui  dit  que  c'est  là  vraiment 
une  demeure  digne  de  Dieu  sur  la  terre. 

Le  sol  français  est  riche  en  monuments  du  moyen  âge,  mais  peu 
sont  connus;  les  grandes  cathédrales,  et  quelques  églises  élevées 
dans  les  grandes  villes  sont  étudiées ,  mais  un  grand  nombre  d'édi- 
fices religieux  non  moins  dignes  d'admiration  demeurent  inconnus; 
car  la  piété  de  nos  pères  ne  s'est  pas  arrêtée  aux  grandes  cités. 
Existait-il  un  célèbre  pèlerinage  ?  aussitôt  une  église  était  bâtie 
dans  ce  lieu  ;  témoin ,  Notre-Dame  de  l'Épine ,  près  de  Châlons- 
sur- Marne  ;  aussi  c'est  jusque  dans  les  bourgs  et  les  villages  que  l'on 
trouve  quelquefois  de  magnifiques  monuments  du  moyen  âge.  J'en 
donnerai  un  exemple  :  Une  église  peu  connue  existe  en  Lorraine  ; 
cette  église  qui  a  les  proportions  d'une  cathédrale,  est  digne  à  bien 
des  titres  de  l'attention  des  connaisseurs  ;  c'est  pourquoi  je  vais  es- 
sayer d'en  donner  une  courte  description,  afin  de  pouvoir  la  tirer  de 
l'obscurité  dans  laquelle  elle  demeure. 

La  petite  ville  de  Saint-Nicolas ,  aujourd'hui  chef-lieu  de  canton 
du  département  de  la  Meurthe ,  est  agréablement  située  sur  le  bord 
de  cette  rivière,  au  débouché  d'une  magnifique  vallée,  au  milieu  de 
laquelle,  mais  à  deux  lieues  plus  loin,  est  bâtie  Nancy.  Notre  but 
n'est  pas  d'entreprendre  l'histoire  de  la  ville  ;  mais  nous  voulons 
seulement  raconter  tous  les  événements  qui  ont  rapport  a  sa  magni- 
fique basilique.  En  1087,  un  gentilhomme  lorrain  avait  apporté  de 
Bari  l'os  d'un  article  de  la  main  de  Saint-Nicolas,  évêque  de  Myre  , 
relique  qui  fut  donnée  à  l'église  de  la  sainte  Vierge ,  modestement 
bâtie  dans  un  petit  village  qui  fut  le  noyau  de  Saint-Nicolas. 

A  la  nouvelle  de  l'arrivée  de  la  relique,  le  concours  des  pèlerins 
fut  immense  ;  beaucoup,  séduits  par  la  beauté  du  site  et  par  la  facilité 
m.  52 


806  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

d'y  faire  le  commerce ,  à  cause  des  foires  qui  commençaient  à  s'y 
tenir,  se  fixèrent  près  de  l'église,  qui,  devenue  trop  petite,  fut 
remplacée  par  une  autre  plus  grande,  sous  l'invocation  de  saint 
Nicolas. 

Ce  fut  Eudes  de  Vaudemont,  évêque-comte  de  Toul ,  qui  fit  la  dédi- 
cace de  la  nouvelle  église,  en  1193.  Les  miracles  opérés  par  l'inter- 
cession de  saint  Nicolas  furent  très-nombreux ,  si  l'on  en  croit  la 
tradition.  Des  chaînes  suspendues  par  les  croisés  y  demeurèrent  long- 
temps comme  un  témoignage  sensible  de  la  bienveillante  protection  du 
patron  des  matelots.  Enfin  le  concours  des  pèlerins  étant  devenu  de 
plus  en  plus  considérable,  l'église  fut  trop  petite  pour  les  contenir. 
Simon  Moyset ,  prieur  du  lieu,  que  d'autres  nomment  curé,  résolut 
de  bâtir  une  église  en  rapport  avec  le  grand  nombre  des  pèlerins , 
et  qui  soit  digne  du  grand  saint  dont  on  avait  reçu  tant  de  témoi- 
gnages de  protection.  Il  jeta  les  fondements  de  la  magnifique  basi- 
lique que  nous  admirons  aujourd'hui. 

Elle  fut  commencée  en    1494,  et  les  travaux  se  continuèrent 
jusqu'en  1530,  époque  à  laquelle  elle  fut  complètement  terminée, 
d'où  l'on  voit  que  la  construction  de  cetle  église  fut  poussée  avec 
activité.  Simon  Moyset  fut  aidé  dans  cette  grande  entreprise  par  les 
ducs  de  Lorraine  René  II  et  Antoine,  et  plusieurs  personnes  puis- 
santes. René,  dit  la  chronique,  avait  fait  paver  le  chemin  de  Saint- 
Nicolas  à  la  carrière  de  Viterne  pour  faciliter  le  transport  des  pier- 
res. Cette  église  fut  ensuite  enrichie  de  magnifiques  présents  faits 
ou  par  les  ducs  de  Lorraine ,  ou  par  les  rois  de  France  ,  ou  même 
par  plusieurs  princes  étrangers  qui  avaient  une  dévotion  toute  par- 
ticulière à  saint  Nicolas.  L'église  se  montra  dans  toute  sa  splendeur 
jusqu'au  règne  de  Charles  VI,  duc  de  Lorraine.  Ce  fut  alors  qu'une 
invasion  de  Français,  d'Allemands  et  de  Suédois  envahit  cette  pro- 
vince; mais  ce  furent  surtout  les  Suédois  qui  firent  le  plus  de  ravages, 
pillèrent  l'église  profanée  en  mille  manières ,  et  l'incendièrent  en 
décembre  1635.  Elle  ne  put  jamais  réparer  ses  pertes.  La  révolution 
n'augmenta  pas  de  beaucoup  les  mutilations  déjà  si  nombreuses  ; 
elle  se  présente  à  nous  encore  pleine  de  beautés  mais  dépouillée  de 
tous  les  ornements  et  de  toutes  les  statues  qui  donnaient  tant  de  vie 
à  son  magnifique  portail. 

Tout  ce  que  le  XVe  siècle  a  de  plus  noble,  tout  ce  qu'il  a  de  plus 
grandiose  a  été  employé  pour  la  construction  de  cette  église.  Il  ne 
faut  pas  y  chercher  d'autre  style;  bâtie  en  moins  de  quarante  années, 
elle   n'a  pas  subit    l'inlluence  des  changements    qu'apporte  dans 


DESCRIPTION   DE   L'ÉGLISE   DE    SAINT-NICOLAS.  807 

l'architecture  le  long  cours  des  années.  Ce  n'est  point  cependant  une 
profusion  d'ornements  comme  on  en  voit  dans  bien  des  églises  de  ce 
siècle;  mais  l'architecture,  quoique  pleine  de  grâce  et  de  beauté,  a 
quelque  chose  de  sévère  qui  plaît  à  l'œil. 


Le  plan  de  l'église  de  Saint-Nicolas  est  celui  de  la  basilique  an- 


808  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

cienne  à  croix  latine,  avec  un  transsept,  qui  est  remarqué  seulement 
par  lelévation  des  voûtes.  Une  grande  nef  occupe  le  milieu  de  l'édi- 
fice, deux  petites  nefs  l'accompagnent,  lesquelles  sont  aussi  accom- 
pagnées de  chapelles,  comme  on  le  peut  voir  dans  le  plan  ci-dessus. 

Les  petites  nefs  ne  tournent  pas  autour  du  chœur  comme  dans 
beaucoup  d'églises  du  moyen  âge  ,  mais  s'arrêtent  à  la  naissance  de 
l'abside ,  ou  sont  elles-mêmes  terminées  par  de  petites  absides  sem- 
blables à  la  grande.  Cette  modification  du  plan ,  peut-être  moins 
pittoresque  que  lorsqu'il  existe  des  nefs  déambulatoires  accompagnées 
de  chapelles,  se  fait  sentir  dans  presque  toutes  les  églises  de  Lor- 
raine. 

Mais  une  chose  très-remarquable  dans  l'église  de  Saint-Nicolas  I 
c'est  que  la  nef  dévie  à  la  naissance  du  transsept  et  se  dirige  vers  le 
sud-ouest,  de  sorte  que  le  collatéral  de  gauche  est  un  peu  plus  long 
que  celui  de  droite.  Cette  déviation  s'explique  par  trois  raisons.  Li 
première,  tout  à  fait  symbolique,  est  assez  probable.  Le  Christ,  et 
mourant,  avait  la  tète  penchée  sur  la  croix.  L'église  matérielle  est  h 
figure  du  Christ ,  le  chœur  en  est  la  tête ,  le  transsept  les  bras ,  et  h 
nef,  la  poitrine  et  les  jambes;  l'on  aura  voulu  figurer  par  cette  dé- 
viation la  tête  du  Christ  penchée  sur  la  croix.  L'autre  moins  pro- 
bable, c'est  qu'on  aura  été  gêné  par  quelques  propriétés  voisines,  ei 
obligé  de  se  renfermer  dans  le  seul  terrain  que  l'on  possédait;  enur 
la  troisième  raison  que  l'on  peut  adopter  est  que  cette  déviation  de- 
mandant beaucoup  de  calcul  ,  l'architecte  aurait  voulu  par  là  faire 
briller  son  habileté. 

La  longueur  de  l'église,  depuis  le  fond  du  chœur  jusqu'à  la  porU 
d'entrée,  est  de  84  mètres,  sa  largeur  est  de  37  ;  l'on  voit  parce; 
dimensions  qu'elle  peut  le  disputer  à  bien  des  cathédrales  de  France 
La  voûte,  magnifiquement  traitée  dans  le  style  du  XVe  siècle,  esi 
divisée  par  des  arceaux  qui  forment  la  croix,  tel  qu'on  peut  le  voii 
dans  le  plan  ci -joint.  Dix-huit  colonnes  rondes  supportent  cette 
voûte,  qui  s'élève  à  31  mètres  au-dessus  du  sol;  et  qui  produil 
un  majestueux  effet  ;  aussi  l'on  ne  peut  entrer  dans  cette  magni- 
fique basilique  sans  éprouver  un  sentiment  d'admiration  -,  l'œil  con- 
temple de  suite  ces  arcs  si  artistement  rangés,  s'aflaissant  sur  le; 
colonnes  comme  les  arbres  d'une  avenue  qui  à  une  certaine  hauteui 
marient  leurs  branches,  et  forme  une  espèce  de  berceau  ;  tel  es 
l'effet  produit  par  les  colonnes  et  les  arceaux  de  l'église. 

Les  colonnes  sont  traitées  dans  le  style  du  XVe  siècle  ;  elles  son 
rondes,  sans  chapiteaux;  à  la  naissance  des  arcs  qui  forment  la  voût< 


DESCRIPTION  DE   L'ÉGLTSE   DE   SAINT-NICOLAS.  809 

tes  petites  nefs,  une  guirlande  de  feuilles  surmontée  de  trilobés 
es  entoure.  Ce  qui  fait  surtout  l'admiration  des  connaisseurs, 
je  sont  deux  colonnes  qui  soutiennent  le  transsept.  Quoique  de  la 
argeurde  la  nef,  ce  transsept  est  divisé  par  ces  deux  colonnes, 
pi  s'élèvent  depuis  le  sol  de  l'église  jusqu'à  la  naissance  des  maî- 
resses  voûtes ,  à  la  hauteur  de  28  mètres  :  l'une,  celle  de  gauche, 
îst  ornée  à  la  moitié  d'arcs  trilobés  et  de  festons;  l'autre,  celle  de 
Iroite,  unie  jusqu'à  la   moitié,  est  ornée  également  de' festons, 


t  ensuite  elle  devient  torse  jusqu'à  la  retombée  des  voûtes  dont  elle 
3utient  tout  le  poids. 

Les  fenêtres  qui  éclairent  l'église  sont  aussi  traitées  avec  beaucoup 
e  goût  et  avec  beaucoup  d'art  ;  production  du  XVe  siècle,  elles  sont 
)utes  flamboyantes,  mais  elles  se  ressentent  encore  de  la  prospérité 
e  l'art  ogival  :  on  voit  dans  un  siècle  où  ce  système  d'architecture 
tait  déjà  sur  sa  décadence ,  qu'il  avait  conservé  en  Lorraine  toute 
i  gravité  et  qu'il  la  conserva  encore  dans  toute  la  durée  du  siècle 
aivant.  La  partie  qui  existe  entre  le  sommet  des  arcs  des  petites  nefs 
t  le  pied  des  fenêtres,  partie  occupée  dans  les  autres  églises  par  le 
iphorium  ,  est  ici  remplacée  par  un  mur  plein  orné  d'arcs  trilobés  ; 
n  peut  se  faire  une  idée  de  cette  ornementation  par  le  dessin  que 
ous  donnons  page  811. 

La  rose  du  portail  étale  ses  magnifiques  pétales  avec  grâce  et 
armonie.  Elle  est  aussi  traitée  dans  le  style  flamboyant.  Mais  c'est 
^rtout  dans  les  fenêtres  du  transsept  que  l'art  a  déployé  toute  sa 
îagnificence.  Le  chœur  est  orné  de  cinq  grandes  fenêtres  assez 


810 


REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

étroites  qui,  quoique  du  XVe  siècle,  nous  rappellent  le  style  si 
sévère  et  si  grave  du  XIIIe. 


Fenêtres  du  transsept. 


DESCRIPTION   DE   L'ÉGLISE   DE    SAINT-NICOLAS-  811 

Les  chapelles  qui  accompagnent  les  nefs  sont  aussi  très-remar- 
quables ;  cependant  on    s'aperçoit  que  c'est  la  dernière   partie  de 


l'édifice  qui  ait  été  achevée  ;  on  voit  apparaître  déjà  les  arcs  Tudor  ; 
mais  elles  sont  traitées  avec  élégance  ;  élevées  entre  les  contre-forts 
de  l'édifice ,  elles  sont  moins  hautes  que  les  petites  nefs ,  deux  fe- 
nêtres les  éclairent,  et  un  pilier,  ou  un  simple  pendentif  les  séparent 
en  deux  parties  égales. 

Que  dirai-je  de  l'ornementation  de  toutes  ces  chapelles  ?  Souve- 
nons-nous que  l'église  dont  nous  donnons  la  description  est  bâtie 
dans  un  bourg ,  cela  suffira  pour  nous  donner  une  idée  de  ce  que 
peut  être  cette  ornementation.  Quelques  chapelles  ont  été  revêtues 
d'une  espèce  de  plâtre,  recouvert  de  marbrures  plus  ou  moins 
exactes  ;  on  a  jugé  à  propos  dans  une  chapelle  de  boucher  les  belles 
fenêtres  flamboyantes  pour  les  remplacer  par  de  petits  ceils-de-bçeuf 


812  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

entre  lesquels  est  placé  un  autel  d'ordre  grec.  Les  autres  sont  ornées 
de  misérables  autels ,  qui  forment  un  contraste  peu  agréable  avec  la 
beauté  architecturale  de  l'édifice.  Pour  moi ,  si  je  puis  donner  mon 
sentiment,  j'aimerais  mieux  que  l'on  détruisît  tous  ces  autels  qui  sont 
complètement  inutiles,  et  que  l'on  employât  les  quelques  fonds  destinés 
à  leur  entretien  pour  faire  exécuter  dans  le  style  de  l'église  ceux  qui 
sont  nécessaires.  Dans  une  chapelle  à  gauche  en  entrant,  un  autel 
nouvellement  sculpté,  dans  le  style  du  XVIe  siècle,  nous  montre  le 
plan  que  l'on  suivra  sans  doute  dans  la  restauration  des  autres.  L'on 
ne  peut  voir  non  plus  sans  éprouver  un  sentiment  de  tristesse  ces 
lourds  tambours  qui  obstruent  les  portes  d'entrée,  ni  le  badigeon 
épais  qui  recouvre  les  murailles  de  l'église.  Au  reste,  pourquoi 
être  si  exigeant  ?  l'ornementation  d'une  aussi  grande  église  ogivale 
coûte  beaucoup,  et  les  fonds  dont  on  peut  disposer  sont  loin  d'être 
en  rapport  avec  toutes  les  dépenses  à  faire. 

Mais  avant  de  sortir  de  l'édifice  jetons  nos  regards  sur  les  restes 
des  anciens  vitraux.  Les  plus  complets  ornent  les  fenêtres  du  chœur, 
celle  du  milieu  surtout  est  la  mieux  conservée.  On  peut  y  remarquer 
la  beauté  du  coloris  et  l'exactitude  du  dessin.  Cette  fenêtre  date  du 
XVIe  siècle  ;  les  personnages  sont  représentés  en  pied  à  peu  près 
de  grandeur  naturelle.  Quelques  fenêtres  du  collatéral  gauche  vers  le 
haut  ont  encore  conservé  quelques  fragments  que  je  crois  plus  ré- 
cents. Mais  c'est  surtout  la  rose  du  portail  qu'il  faut  admirer,  elle  est 
conservée  tout  entière,  et  représente  une  Gloire  entourant  le  nom 
de  Dieu  renfermé  dans  la  petite  rosace  du  milieu.  Si  vous  allez  voir 
l'église  au  soleil  couchant,  vous  ne  pouvez  vous  empêcher  d'être 
charmé  en  voyant  cette  rose  briller  de  mille  feux  qui  colorent  les 
piliers  de  l'église  de  toutes  les  nuances  de  l'arc-en-ciel. 

Mais  sortons  de  la  basilique ,  arrêtons-nous  devant  ce  magnifique 
portail  qui  se  dresse  devant  nous  ;  le  peu  d'espace  qui  existe  entre  ce 
portail  et  les  maisons  qui  sont  vis-à-vis,  nous  fait  perdre  malheu- 
reusement l'ensemble  des  beautés  qu'il  déroule  à  nos  yeux. 

Deux  tours  surmontent  ce  portail  (voir  la  pi.  62);  elles  s'élèvent 
à  84  mètres  au-dessus  du  sol.  Leur  ornementation  diffère  un  peu 
du  point  où  elles  prennent  leur  essor  vers  les  cieux. 

Trois  voussures  donnent  accès  dans  les  trois  nefs  ;  elles  sont  gar- 
nies de  piédestaux  et  de  niches  de  la  plus  grande  délicatesse  et  de  la 
plus  grande  beauté  ;  mais  elles  sont  vides  de  leurs  saints.  La  grande 
porte  est  divisée  en  deux  parties  par  un  trumeau  orné  d'un  piédes- 
tal et  d'un  dais  d'une  bien  grande  beauté.  Un  saint  Nicolas  de  je  ne 


DESCRIPTION   DE   L'ÉGLISE   DE   SAINT-NICOLAS.  813 

sais  quel  artiste,  barbouillé  en  toutes  sortes  de  couleurs,  occupe  la 
place  d'une  ancienne  statue  qui  ne  le  cédait  en  rien  aux  productions 
des  grands  maîtres.  Plusieurs  antiquaires  veulent  que  ce  soit  la 
statue  primitive,  seulement  badigeonnée.  Il  suffit  de  la  voir  pour 
être  convaincu  du  contraire. 

s  Une  accolade  entoure  la  dernière  arcade  et  s'élève  surmontée 
d'un  magnifique  crochet  jusqu'au  milieu  de  la  rosace  qui  tient  le 
milieu  de  l'édifice.  Dans  une  plate-bande  qui  surmonte  la  voussure 
du  portail  se  trouvent  quatre  anges  qui  supportent  à  deux  un  écusson 
uni  qui  a  été  destiné  sans  doute  à  représenter  les  armes  des  princi- 
paux bienfaiteurs  de  l'église. 

Le  portail  est  couronné,  comme  nous  l'avons  dit,  par  deux  tours 
d'une  ornementation  diverse;  elles  sont  terminées  par  des  calottes  en 
bois  couvertes  d'ardoises ,  qui  ne  font  pas  le  meilleur  effet.  On  peut 
croire  que  cette  construction  n'entrait  pas  dans  le  plan  de  l'archi- 
tecte ,  et  que  sans  doute  elles  devaient  être  remplacées  par  des  flèches 
en  pierre,  que  le  manque  de  fonds  aura  sans  doute  empêché  d'élever. 
Au  reste,  ce  portail  est  magnifique.  Une  description  en  serait  fasti- 
dieuse et  peut-être  peu  exacte  ;  j'ai  pensé  qu'il  serait  plus  avantageux 
de  mettre  sous  les  yeux  des  lecteurs  un  dessin  exact  de  ce  portail. 
Malheureusement  plusieurs  fenêtres  de  ces  tours  ont  été  bouchées 
avec  des  briques ,  ce  qui  produit  un  effet  désagréable. 

Si  nous  examinons  l'église  dans  son  ensemble  nous  verrons  que 
l'effet  produit  par  les  contre-forts  qui  soutiennent  l'édifice  est  vraiment 
majestueux,  mais  il  est  à  regretter  que  quelques-uns  soient  privés  de 
leurs  pinacles.  Une  corniche  ornée  de  feuilles  de  vignes  et  d'animaux 
soutenait  la  balustrade  sculptée  en  pierre  qui  n'existe  plus.  Dans  la 
partie  septentrionale  de  l'édifice  est  percée  une  petite  porte ,  ornée  de 
dais  et  de  niches,  aussi  d'un  beau  travail. 

En  poursuivant  notre  marche  nous  trouvons  à  l'est  de  l'abside  de 
la  nef  de  gauche  une  chapelle  carrée,  qui  n'a  d'autre  entrée  que  sur 
la  voie  publique.  Peu  connue,  elle  a  échappé  aux  investigations  de 
bien  des  curieux,  et  cependant  elle  renferme  un  chef-d'œuvre  de 
sculpture  du  XVIe  siècle.  C'est  un  rétable  d'autel  composé  d'abord 
d'une  plate-bande  contre  laquelle  sont  appuyées  neuf  petites  niches 
surmontées  de  dais,  qui  ont  encore  conservé  leurs  statues  ;  au-dessus 
est  une  espèce  de  tabernacle  surmonté  d'une  magnifique  pyramide 
sculptée  tout  à  jour;  aux  angles  existent  encore  deux  petites  pyra- 
mides de  la  même  beauté  que  la  grande.  Il  serait  à  désirer,  s'il  était 
possible ,  que  ce  rétable  fût  transporté  dans  l'intérieur  de  l'église  ;  on 


814  REVUE    ARCHÉOLOGIQUE. 

pourrait  y  ajouter  un  tombeau  d'autel  du  même  style  et  il  remplace- 
rait un  des  autels,  style  Louis  XV,  qui  ornent  1  abside  des  petites 
nefs ,  et  qui  par  la  suite  servirait  de  modèle  à  celui  que  l'on  placerait 
du  côté  opposé.  Telles  sont  les  particularités  tant  historiques  qu'ar- 
chéologiques qui  méritent  d'être  remarquées  sur  l'église  de  Saint- 
Nicolas.  On  a  pu  voir,  par  cette  faible  esquisse,  que  cette  église  mé- 
rite quelque  attention,  et  qu'on  ne  peut  attribuer  l'obscurité  dans 
laquelle  elle  demeure  qu'à  son  éloignement  de  la  capitale.  Si  on  nous 
demande  dans  quel  état  de  conservation  elle  se  trouve,  nous  répon- 
drons que  ce  bel  édifice  exige  bien  des  réparations  :  une  des  tours 
menace  ruine,  une  partie  des  voûtes  demandent  une  prochaine  res- 
tauration ,  bien  des  parties  sont  lézardées  ;  nous  désirons  ardem- 
ment que  l'attention  du  gouvernement  se  porte  de  ce  côté-là ,  et 
qu'il  ne  laisse  point  périr  un  monument  qui  est  notre  gloire,  à  nous 
Lorrains ,  et  qui  est  aussi  digne  d'être  conservé ,  tant  à  cause  de  sa 
magnificence  que  de  sa  grandeur.  Rangée  parmi  les  monuments 
historiques,  nous  espérons  que  ce  sera  pour  l'église  de  Saint-Nicolas 
un  moyen  de  salut.  Si  quelquefois  des  membres  de  la  commission 
des  monuments  historiques  viennent  à  lire  ce  faible  travail,  je  leur 
demande  indulgence  ;  car  le  pas  que  j'ai  fait  dans  la  science  archéolo- 
gique n'est  pas  encore  bien  grand;  mais  aussi  je  les  prie  de  penser  à 
l'église  de  Saint-Nicolas ,  et  ce  n'est  pas  moi  seulement  qui  les  prie , 
mais  tous  ceux  qui  ont  étudié  un  peu  le  moyen  âge ,  et  qui  sentent 
combien  serait  fâcheuse  la  perte  d'un  monument  si  digne  d'intérêt  ; 
c'est  toute  une  population ,  qui  ne  peut  voir  sans  peine  le  lieu  de  son 
pèlerinage  dans  un  aussi  triste  état.  Nous  pensons  que  nous  serons 
compris,  et  qu'on  nous  aidera  à  rendre  à  cet  édifice  toute  sa  beauté 
et  surtout  sa  solidité.  Tel  est  le  vœu  que  nous  exprimons  tous  et 
que  noui  tenons  à  voir  réaliser. 

C.  G.  Balthasar  , 

Membre  de  la  Société  française  pour  la  conservation 
des  Monuments  historiques. 


NOTES  ARCHÉOLOGIQUES  ET  HISTORIQUES 


LA  CRYPTE,  OU  CHAPELLE  SOUTERRAINE 

QUI  A  ÉTÉ  DÉCOUVERTE  SOUS  i/EMPLÀCEMENT  OU  SE  TROUVAIT  LE  CHOEUR 
DE   L'ANCIENNE   CATHÉDRALE   DE   BOULOGNE  SUR  MER  (1). 


Les  monuments  sont  les  témoins  vivants  des  siècles  les  plus 
reculés,  et  de  l'histoire  des  peuples.  Sans  leur  découverte  et  leur 
juste  appréciation,  combien  de  faits  intéressant  une  foule  de  loca- 
lités resteraient  ensevelis  sous  la  poudre  de  l'oubli? 

Dans  un  rapport  que  M.  Vitet,  inspecteur  général  des  monu- 
ments historiques,  fit  en  1831  au  ministre  de  l'intérieur,  il  disait  : 
«  A  Boulogne  sur  Mer,  ville  où  l'on  apprécie  les  arts  presque  au- 
tant qu'on  les  néglige  ailleurs ,  on  respecte  les  monuments  :  mal- 
heureusement il  y  en  a  peu.  »  Rien  de  plus  vrai  que  cette  obser- 
vation ;  car,  à  l'époque  où  M.  Vitet  écrivait,  Boulogne  ne  pouvait 
montrer,  en  fait  d'édifices  anciens ,  que  la  tour  du  beffroi ,  ancienne 
dépendance  du  palais  des  comtes,  où  le  héros  du  Tasse  avait  reçu 
la  naissance;  le  vieux  chastel  que  Philippe  Hurpel  fit  construire 
en  1231;  et  le  chœur  de  l'église  Saint-Nicolas.  Implacable  dans  son 
aveuglement,  le  génie  de  la  destruction  avait  renversé,  à  la  suite 
des  sanglantes  saturnales  de  1793,  presque  tous  nos  monuments 
religieux,  et  en  particulier  notre  cathédrale. 

C'est  en  creusant  la  surface  couverte  d'épais  décombres,  dans 
l'emplacement  occupé  par  l'ancien  chœur  de  cette  basilique,  que  l'on 
a  retrouvé  les  premiers  vestiges  de  la  crypte  dont  je  vais  retracer 
l'origine  et  l'histoire. 

En  voici  la  description  :  cette  crypte  a  douze  mètres  de  longueur, 
dix  mètres  trente  centimètres  de  largeur,  et  sa  hauteur  sous  voûte 
est  de  quatre  mètres.  Elle  est  décorée  de  huit  colonnes,  distantes  les 

(1)  Extrait  du  manuscrit  de  l'Histoire  de  Notre-Dame  de  Boulogne,  par 
M.  P.  Hédouin. 


816  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

unes  des  autres  de  deux  mètres  soixante-dix  centimètres,  avec 
demi-banc  formant  son  pourtour.  Leurs  bases  sont  extrêmement 
simples;  le  diamètre  de  ces  colonnes  est  de  cinquante  centimètres. 
Plusieurs  de  leurs  cbapiteaux  n'existaient  plus  ;  ceux  retrouvés  sur 
place ,  et  ceux  ajoutés  en  les  enlevant  à  des  colonnes  des  bas  côtés 
de  l'ancienne  église,  sont  variés,  d'une  baute  antiquité,  et  suppor- 
taient des  cintres  surbaissés.  A  l'entrée  de  la  crypte,  faisant  face  à 
la  place  Notre-Dame ,  se  trouvent  pratiquées ,  sur  les  côtés ,  deux 
ouvertures  ou  portes  cintrées.  Je  pense  que  ces  portes  sont  bien 
moins  anciennes  que  le  reste  du  monument;  je  dirai  bientôt  pour- 
quoi. Quatre  pierres  carrées ,  ayant  évidemment  servi  de  bases  à 
d'autres  colonnes ,  occupent  symétriquement  le  centre  de  cet  édifice. 

Voilà ,  en  masse ,  l'aspect  qu'offre  cette  crypte  :  quelques  détails 
particuliers ,  se  liant  à  la  partie  historique ,  vont  compléter  sa  des- 
cription. 

C'est ,  selon  moi ,  du  VIP  au  IXe  siècle  qu'il  faut  remonter  pour 
fixer  l'époque  de  sa  construction.  Alors  l'architecture  dite  gothique 
n'était  point  née,  et  les  églises  et  chapelles,  presque  toutes  souter- 
raines, en  mémoire  des  catacombes  où  les  premiers  chrétiens  enseve- 
lissaient les  restes  des  martyrs,  et  célébraient  les  saints  mystères, 
avaient,  comme  le  font  observer  tous  les  archéologues,  beaucoup 
d'analogie,  sinon  avec  les  constructions  romaines,  du  moins  avec 
celles  des  premiers  siècles  de  la  conquête,  ce  C'étaient,  disent-ils,  de 
grands  caveaux  simples ,  réguliers ,  avec  de  grosses  colonnes ,  et  dont 
les  murs,  à  angles  droits,  n'avaient  ni  filets  ni  moulures.  »  Or,  ce 
genre  de  construction  est  bien  celui  que  présente  la  crypte  dont  je 
m'occupe. 

Les  chroniques  locales,  surtout  celles  concernant  Notre-Dame , 
viennent  à  l'appui  de  la  date  indiquée  ci-dessus,  et  nous  paraissent 
prouver  que  cette  crypte  servit  de  chapelle  pour  la  vierge  miraculeuse 
des  Boulonnais. 

En  effet,  d'après  Valesius,  de  Gesoriaca,  le  père  Malbrancq,  de 
Morinis ,  l'archidiacre  Leroi,  Ancienne  histoire  de  Notre-Dame,  et 
autres  chroniqueurs ,  ce  fut  sous  le  règne  de  Dagobert  que  la  sainte 
image  arriva  dans  notre  port.  On  la  transporta  dans  la  ville  haute 
dont  la  chapelle  n'avait  de  grand,  ont-ils  écrit,  que  la  sainteté  du 
lieu  .puisqu'elle  était  couverte  de  genêts  et  de  joncs  marins;  ce  fut  elle 
ensuite  qui  désigna  l'endroit  où  Ton  n'avait  qu'à  fouir  pour  construire 
un  édifice  digne  de  la  renfermer. 

En  enlevant  même  à  ce  récit  ce  qu'il  peut  avoir  de  surnaturel , 


CRYPTE   OU   CHAPELLE    SOUTERRAINE.  817 

il  fixe  la  destination  primitive  de  la  crypte,  et  à  peu  près  la  date  de 
sa  fondation. 

Plusieurs  monuments  semblables  existent  en  Europe ,  et  c'est  du 
VIP  au  IXe  siècle  que  part  leur  origine.  La  chapelle  souterraine  de 
Cantorbéry,  celle  contenant  les  reliques  de  sainte  Radegonde,  à  Poi- 
tiers ,  sont  de  ce  nombre. 

Les  colonnes  décorant  la  crypte  de  Notre-Dame  étaient  peintes, 
et  l'une  d'elles  a  conservé  une  fraîcheur  de  coloris  très-remarquable. 
Les  dessins  qui  y  sont  représentés  appartiennent  au  genre  byzantin  : 
c'est  une  importation  de  l'Orient,  dont  l'invasion  en  France  remonte 
au  VIe  siècle ,  et  qui  devint  générale  au  retour  de  la  première 
croisade. 

En  ce  qui  concerne  les  deux  ouvertures  ou  portes  cintrées  qui 
communiquaient  sans  doute  par  des  escaliers  aux  collatéraux  de 
l'église,  elles  me  paraissent,  ainsi  que  je  l'ait  dit  plus  haut,  bien 
moins  anciennes  que  la  crypte.  On  sait  que  cette  disposition ,  dans 
les  monuments  religieux,  n'est  pas  très-primitive,  et  n'a  guère  été 
employée  qu'à  dater  du  XIe  siècle.  La  chapelle  souterraine  de  Saint- 
Médard  en  offre  un  exemple. 

Tout  me  porte  donc  à  croire  que  cette  crypte  fut  la  plus  ancienne 
chapelle  de  la  vierge  miraculeuse,  et  qu'autour  d'elle  s'éleva  la  ca- 
thédrale, comme  à  Lorette,  en  Italie,  s'éleva  l'église  qui  renferme 
la  Sancta  casa. 

Cette  chapelle,  qui  acquérait  un  vif  intérêt  de  son  antiquité,  a 
été  jadis  très-précieusement  ornée  par  les  dons  des  souverains  et  des 
grands  personnages  l'ayant  visitée.  Arnoui  de  Ferron,  dans  son 
Supplément  à  l'histoire  de  Paul-Emile ,  livre  IX,  édition  de  1550, 
en  parle  en  ces  termes  :  «  C'était  un  lieu  des  plus  secrets,  des  plus 
saints  et  des  plus  augustes.  Sept  lampes,  dont  quatre  étaient  d'ar- 
gent, et  les  trois  autres  d'or,  brûlaient  incessamment  devant  l'image 
de  Notre-Dame.  Les  colonnes  près  de  l'autel  étaient  revêtues  de 
lames  d'argent.  » 

Cet  état  de  choses  dura  jusqu'au  siège  de  Boulogne  par  Henri  VIII, 
en  1544.  Après  la  reddition  de  la  place,  malgré  les  efforts  généreux 
du  brave  mayeur,  Antoine  Eurvin ,  et  des  habitants ,  l'église  de 
Notre-Dame  fut  abandonnée  par  le  vainqueur  au  pillage  de  ses 
soldats.  On  transporta  la  sainte  image,  en  partie  mutilée,  en  Angle- 
terre, ainsi  que  plusieurs  objets  précieux  ornant  son  temple,  entre 
autres  le  buffet  d'orgues  dont  les  tuyaux  sont  d'argent ,  et  que  l'on 
voit  encore  dans  la  cathédrale  de  Cantorbéry. 


818  REVUE    ARCHEOLOGIQUE. 

Quant  à  la  crypte  ou  ancienne  chapelle,  sa  voûte  fut  crevée,  ses 
colonnes  centrales  et  les  voussures  à  arêtes  les  unissant  disparurent, 
et  on  la  combla  entièrement  avec  les  démolitions  produites  par  ces 
actes  de  vandalisme  et  d'impiété.  Sur  ces  ruines  les  Anglais  élevèrent 
une  espèce  de  boulevard  qu'ils  garnirent  de  pièces  d'artillerie.  Il  est 
à  remarquer  qu'il  y  a  peu  d'années,  en  enlevant  les  décombres  et  la 
terre  remplissant  la  crypte,  on  a  retrouvé,  à  peu  de  profondeur,  de 
nombreux  projectiles.  On  avait  fait  un  arsenal  de  l'église.  Aussi 
Guillaume  Paradin,  en  Y  Histoire  de  son  temps ,  imprimée  en  1554, 
livre  IV,  dit-il  avec  autant  d'énergie  que  de  naïveté  :  Ils  chan- 
gèrent en  magasin  de  Vulcain  et  sanguinaire  officine  de  Mars ,  un 
lieu  de  si  grand  amour,  sainteté  et  dévotion. 

Depuis  cette  époque,  la  crypte  avait  disparu.  Lors  de  la  réédifi- 
cation de  l'église,  après  l'évacuation  de  la  place,  et  à  la  suite  des 
ravages  qu'elle  eut  encore  à  subir  de  la  part  des  troupes  huguenotes, 
sous  le  commandement  du  seigneur  de  Morvilliers ,  on  ne  songea 
point  à  la  rétablir. 

Ce  fut  derrière  le  chœur  de  la  nouvelle  église  qu'on  plaça  la 
chapelle  de  la  Vierge,  miraculeusement  revenue  d'Angleterre  en  1 550, 
et  retrouvée  dans  le  puits  d'Honvault  en  1607. 

Il  est  certain  que  la  crypte  était  sous  le  chœur  de  la  cathédrale. 
Or,  à  partir  du  moment  où  elle  a  été  comblée,  on  a  souvent  en- 
terré en  cet  endroit  des  personnages  marquants  dans  la  hiérarchie 
ecclésiastique.  C'est  ce  qui  explique  la  présence  d'une  assez  grande 
quantité  de  crânes  et  d'ossements  dans  ses  décombres.  Vers  le  fond, 
une  tombe  voûtée  en  briques  a  été  ouverte  ;  elle  contenait  une 
crosse  en  bois  conservant  des  restes  de  dorure ,  des  fragments  de 
tissu  de  soie,  des  gants  et  le  cuir  de  chaussures,  le  tout  assez  bien 
conservé.  Quelques  ossements  d'un  brun  foncé,  et  chargés  de  petits 
cristaux  de  phosphate  de  chaux  surgissaient  au  milieu  d'un  amas  de 
cendres.  Cette  tombe  a  été  refermée ,  et  sa  conservation  est  entrée 
dans  la  restauration  de  la  crypte. 

Il  résulte  de  nombreux  renseignements  que  c'est  là  que  furent 
déposés  les  restes  de  l'avant-dernier  évêque  de  Boulogne ,  monsei- 
gneur François-Joseph-Gaston  de  Partz  de  Pressy.  Une  note  ma- 
nuscrite en  la  possession  de  M.  l'abbé  Haffreingues  porte ,  confor- 
mément à  la  tradition  orale  des  contemporains ,  que  ce  digne  pasteur 
fut  enterré  dans  le  chœur  de  la  cathédrale.  En  outre ,  voici  l'extrait 
d'un  journal  tenu  par  M.  Abbot  de  Basingham,  de  1778  à  1798, 
ne  laissant  aucun  doute  sur  ce  point  :   Le  jeudy,  jour  de  sa  mon 


CRYPTE   OU    CHAPELLE  SOUTERRAINE.  819 

(8  octobre  1789),  on  V exposa  dans  une  chapelle,  visage  el pieds  dé- 
couverts ,  et  toute  la  ville  s'y  rendit.  Il  fut  inhumé  sous  les  marches  du 
trône ,  dans  le  chœur  de  la  cathédrale. 

Ajoutons  que  le  pavé  de  la  crypte  était  formé  de  carreaux  en  terre 
cuite,  dont  plusieurs,  encore  adhérents  au  sol,  ont  été  retrouvés 
intacts.  Us  sont  peints  en  rouge  et  blanc  et  de  dessins  variés.  Les 
uns  représentent  une  grande  fleur  de  lis ,  placée  de  coin  en  coin  ; 
les  autres  sont  couverts  d'un  semis  de  cette  fleur;  d'autres  enfin 
offrent  aux  regards  un  aigle  déployé  posé  en  bande.  On  sait  que  les 
manoirs  et  édifices  des  plus  anciens  temps  de  la  féodalité  étaient 
ornés  d'un  pavage  en  carreaux,  représentant  des  fleurs,  des  oiseaux 
et  des  emblèmes  chevaleresques.  Plusieurs  carreaux  de  ce  genre, 
provenant  du  château  de  Domart ,  en  Picardie ,  ont  été  donnés  au 
musée  d'Amiens  par  M.  l'abbé  Deroussen  ,  et  par  M.  Tilliette 
d'Acheur  (1). 

Je  considère  la  découverte  de  cette  crypte  comme  précieuse  pour 
l'art  archéologique,  et  l'histoire  religieuse  de  l'ancienne  Morinie. 
C'est  bien  certainement  le  monument  le  plus  curieux  existant  à 
Boulogne,  et  le  plus  ancien  qu'il  y  ait  peut-être  dans  le  départe- 
ment du  Pas-de-Calais. 

Sa  restauration  a  été  confiée  à  un  homme  de  talent,  ayant  fait 
une  étude  particulière  de  nos  antiquités  nationales.  Tant  de  souve- 
nirs se  rattachent  à  ce  vieux  berceau  de  pierres,  asile  primitif  eu  des 
temps  de  foi  de  la  vierge  patrone  du  Boulonnais  et  de  son  divin  en- 
fant, que  l'architecte  a  dû  tenir  à  honneur  de  nous  rendre  ces  sou- 
venirs dans  toute  leur  force  et  leur  naïveté. 

P.  Hédouin  , 

Membre  honoraire  de  la  Société  des  Antiquaires  de  la  Morinie. 


(1)  Je  possède  un  de  ces  carreaui  représentant  deux  aigles  couleur  d'azur,  ailes 
éployées  et  sur  fond  jaune. 


DECOUVERTES  ET  NOUVELLES. 


—  Le  chœur  de  leglise  Saint-Nicaise  de  Reims,  véritable  chef- 
d'œuvre  d'architecture  gothique  du  XIIe  ou  XIIIe  siècle ,  détruite 
pendant  la  révolution  de  89 ,  offrait  une  particularité  bien  remar- 
quable. Il  était  orné  d'une  suite  de  grandes  dalles  de  pierres  gra- 
vées en  creux,  sur  lesquelles  on  voyait  représentés  les  laits  les  plus 
remarquables  de  l'ancien  Testament.  Pour  donner  au  dessin  plus  de 
durée,  on  avait  rempli  les  creux  avec  du  plomb.  Lors  de  la  démoli- 
tion de  cette  église,  ces  dalles  furent  vendues;  quarante-huit  de  ces 
précieux  monuments  de  la  sculpture  du  XIIIe  siècle,  servirent  à  dal- 
ler une  cour,  et  furent  exposés  à  tous  les  hasards  de  la  destruction. 
Pendant  sept  années  consécutives  ,  M.  Brunette  ,  architecte  de 
Reims,  ne  cessa  de  réclamer  contre  ce  vandalisme  qui  s'attachait  à 
des  monuments,  peut-être  uniques.  Enfin,  en  1846,  sa  persévérante 
sollicitude  fut  couronnée  d'un  plein  succès  ;  les  précieuses  dalles 
furent  acquises  par  la  ville ,  enlevées  à  leur  profane  destination , 
reportées  à  Reims  et  placées  dans  l'église  de  Saint-Méry.  Ces  dalles, 
qui  sont  en  forme  de  losange,  encadrées  d'un  ornement  dans  le  style 
d'un  quatre  feuilles  ,  ont  environ  58  centimètres  sur  chaque  face. 
On  ignore  combien  il  y  en  avait  en  tout.  Elles  viennent  d'être 
dessinées  par  les  soins  de  M.  Prosper  Tarbé ,  qui  en  donne  la  des- 
cription. La  première  représente  la  construction  de  l'arche,  la  der- 
nière, la  descente  de  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions. 

—  Dans  les  fouilles  que  l'administration  municipale  fait  exécuter 
en  ce  moment  pour  le  déblayement  du  théâtre  romain  à  Arles,  on  a 
découvert  du  côté  méridional  du  monument,  des  constructions  nou- 
velles,  dont  des  architectes  versés  dans  l'étude  de  l'antiquité ,  n'au- 
raient pu  supposer  l'existence.  Parmi  les  objets  de  sculptures  qui  y 
ont  été  trouvés,  le  plus  remarquable  est  le  buste  d'un  adolescent;  ce 
buste,  rai-corps,  trouvé  dans  l'enceinte  du  théâtre,  non  loin  de  la 
scène,  représente  le  portrait  d'un  jeune  homme  de  seize  à  dix-huit 
ans  ;  il  est  vêtu  du  paludamerdum  agrafé  sur  l'épaule  droite.  La 
figure  présente  peu  de  relief,  les  cheveux  sont  longs  et  tombants,  la 
prunelle  est  marquée  comme  chez  toutes  les  statues  delà  décadence: 
le  nez  manque,  et  sur  le  dos,  on  remarque  une  forte  entaille  qui  fait 
présumer  que  ce  buste  était  mobile  et  exhibé  lorsqu'une  représenta- 
tion l'exigeait. 


DÉCOUVERTES  ET  NOUVELLES.  821 

—  M.  le  maire  de  Grenoble  vient  d'envoyer  à  M.  le  Ministre  de 
l'Instruction  publique ,  cent  soixante-seize  empreintes  des  sceaux 
que  possède  la  bibliothèque  de  cette  ville.  Ces  empreintes,  prises 
avec  beaucoup  de  soin  par  M.  H.  Gariel,  bibliothécaire  adjoint, 
sont  d'une  grande  netteté  :  plusieurs  sont'remarquables  pour  le  tra- 
vail de  la  gravure  ;  la  plupart  sont  précieuses  et  serviront  à  remplir 
quelques-uns  des  vides  qui  existent  dans  la  sigillographie.  M.  le  Mi- 
nistre de  l'Instruction  publique  s'est  empressé  de  les  faire  déposer  aux 
Archives  du  royaume ,  pour  compléter  le  vaste  musée  sigillogra- 
phique  qui  se  forme  dans  ce  grand  établissement ,  et  qui  bientôt , 
on  a  lieu  de  l'espérer,  pourra  être  l'objet  d'une  exposition  publique 
des  plus  intéressantes. 

—  Plusieurs  lettres  reçues  de  Rome  à  Paris,  ont  annoncé  que  le 
R.  P.  Secchi  vient  d'ouvrir,  dans  cette  première  ville,  un  cours 
public  sur  un  nouveau  système  d'interprétation  des  hiéroglyphes  qui 
lui  est  propre.  Nous  ne  savons  si  les  idées  émises  par  l'illustre  savant 
tendent  à  compléter  celles  de  Champollion,  relativement  aux  carac- 
tères purement  symboliques ,  ou  si  elles  lui  sont  contradictoires. 
Dès  que  nous  aurons  reçu  des  renseignements  authentiques  à  cet 
égard  ,  nous  en  ferons  part  à  nos  lecteurs.  En  attendant,  l'autorité 
qu'a  le  nom  du  R.  P.  Secchi  en  Europe,  nous  fait  un  devoir  d'an- 
noncer cette  nouvelle,  malgré  tout  le  vague  dont  elle  est  entourée. 


BIBLIOGRAPHIE. 

The  youth  ofJason  renewed  by  Medeia  (a  Canino  vase),  par  Samuel 
Birch.  Londres,  1846,  8°,  1  pi. 

Le  vase  publié  dans  cette  brochure ,  et  que  l'auteur  considère 
comme  contemporain  d'Eschyle,  est  une  hydrie  ou  vaisseau  à  trois 
anses ,  décoré  de  figures  rouges  sur  fond  noir.  Le  sujet  est  emprunté 
à  un  mythe  bien  connu,  mais  traité  d'une  manière  inaccoutumée. 
A  droite,  on  aperçoit  Jason ,  déterminé  par  le  mot  IA20N  tracé 
dans  le  champ.  Ce  personnage  est  drapé  dans  une  tunique  talaire, 
par-dessus  laquelle  est  jeté  un  péplus  ;  sa  main  droite  est  étendue 
en  avant,  mouvement  qui  exprime  le  commandement  ou  la  surprise; 
de  la  main  gauche  il  tient  un  bâton  ;  les  cheveux  et  la  barbe  sont 
III.  53 


822  REVUE   ARCHÉOLOGIQUE. 

blancs.  On  voit  que  Jason  est  arrivé  au  terme  de  son  existence. 
Devant  lui  est  un  chaudron  soutenu  par  un  grand  trépied ,  rpircov* 
Xs&jç ,  et  dans  lequel  est  un  bélier  qui  sort  à  moitié  du  vase  sous 
lequel  est  allumé  un  grand  feu.  A  gauche  est  Médée,  reconnaissant 
au  nom  AI3A3LM]  écrit  devant  sa  tête  en  sens  rétrograde.  Les  che- 
veux de  la  sorcière  sont  retenus  par  une  bandelette  ;  elle  est  vêtue 
comme  Jason,  tient  de  la  main  gauche  une  coupe,  et  semble  oindre 
le  bélier. 

On  trouve  sur  plusieurs  vases  archaïques  ou'de  beau  style,  la 
représentation  de  Médée  et  Pélias  à  peu  près  semblable  à  celle  que 
nous  venons  de  décrire.  M.  Birch  compare  ces  différents  sujets,  et 
remarque  que  ces  monuments  prouvent  que  l'histoire  de  Jason  et 
celle  de  Pélias  sont  également  antiques,  ce  qui  s'accorde  avec  le 
témoignage  de  Phérécydes,  qui,  vers  le  milieu  du  VIe  siècle  avant 
notre  ère,  cite,  comme  une  tradition  bien  établie,  le  trait  des 
Péliades  engageant  leur  père  à  se  soumettre  à  l'expérience  du  chau- 
dron régénérateur.  Le  premier  récit  positif  du  renouvellement  de 
Jason  est  fourni  par  le  scoliaste  d'Aristophane  (dans  les  Chevaliers), 
et  la  citation  est  empruntée  au  VIIe  livre  de  Phérécyde.  D'après 
ce  texte,  on  voit  que  l'idée  de  cette  fable  était  conçue  d'après  le 
mythe  du  rajeunissement  dTEson. 

Ottfrid  Mûller,  qui  a  connu  ces  témoignages,  les  rapproche  du 
passage  de  Lycophron,  Xéêr,Ti  oioexpiuôeiç  Sstxat,  qui  s'applique  parfai- 
tement à  la  peinture  du  vase. 

M.  Birch  rappelle  ensuite  des  mythes  analogues  à  celui  de  Jason, 
et  leur  rapport  avec  le  mystère  de  Bacchus  mis  en  pièce  par  les 
Titans,  cuit  dans  un  chaudron,  puis  découvert  par  Jupiter,  et 
ramené  à  la  vie  par  Mélicertes.  Le  savant  archéologue  remarque  et 
approuve  une  opinion  émise  dans  ce  recueil  par  M.  Vinet  au  sujet 
du  nom  de  Jason.  Le  vase  du  musée  Britannique,  dit,  en  finissant, 
M.  Birch,  prouve  que  les  peintres  céramographes  n'inventaient  pas 
les  variantes  qu'ils  introduisaient  dans  la  représentation  des  fables, 
mais  qu'ils  copiaient  les  grandes  œuvres  d'art,  ou  suivaient  des  tra- 
ditions admises  dans  le  pays  qu'ils  habitaient. 

A.  L. 


TABLE  ALPHABETIQUE  DES  MATIÈRES 


DU   TROISIEME   VOLUME 


DE  LA  REVUE  ARCHEOLOGIQUE. 


PAGES 

Abacus  athénien.  Monument  inédit  puhlié 

par  M.  Rangabé  ,  avec  des  notes  de  M.  Le- 

tronne ,  3o5.  —  Recherches  sur  Vabacus 

chez  les  Romains  et  les  Grecs.  En  quoi  ils 

diffèrent.  Lettre  de  M.  Vincent 401 

Alihaye  de  Disseutis  incendiée,  532;  —  du 

Bec-Helloin 690 

Abbott  (  M.).  Sa  collection  d'antiquités  égyp- 
tiennes      116' 

Abeken  (  Le  docteur  ).  Traduction  française 

de  son  rapport  sur  la  haute  Nubie   171 

Abraxas ,  publié  par  Maffeï  et  cité  pour 
tous  ses  attributs  ,  3x8  ;  —  autre  expli- 
quée par  M.  Cb.  Lenormant 5to 

Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres , 

53 ,  420 ,  689 
Adoration  des  Mages  ,  bas-relief  du  XVe  siè- 
cle     IIO 

Adoration  (Acte  d'  )  à  Amounôph  I",  pein- 
ture égyptienne 707 

Adria  et  Hadria. .  •    .  • 379 

JE.  Cette  double  lettre  a-t-elle  été  connue 

des  anciens 256 

Ajrica  sacra  de  Morcelli.  Citée it\7. 

Agnès  Sorel.  Son  tombeau  à  Loches 483 

Agrippa  (Cornélius).  Cité  pour  les  miroirs 

magiques 160 

Alchimie  (Traités  d').  Mentionnés,  25g;  — 

ouvrage  cité 1 55 

Algérie  (  Aperçu  statistique  des  monuments 

de  F  ) 724 

Alphabet  hiéroglyphique.  Recherches  sur  les 
auteurs  de  cette  découverte,  12  et  suiv. — 
Observations  sur   Falphabet  phonétique, 

67 Alphabet  Salvolini.  Cité 68 

Amphithéâtre  d'Oudenah iq7 

Amphore  panathénique  trouvée  à  Tripoli. 
379.  —  Amphores  romaines  trouvées    à 

Vienne  (  Isère  ) 272 

Amulette  de  Jules  César.  Dissertation  sur 
cette    curiosité,    148;    —   contestée   par 

M.  Letronne 253,  426',  668 

Avaôvj/JiaTa  (  Les  ).  Cités 97 

Andreossi  (Général  ).  Son  ouvrage  cité. . . .   735 
Andros  (L'île  d')  visitée  par  M.  Le  Bas,  273  ; 

—  sa  description 28 1 

Angerona.  Dissertation  du  docteur  Sichel  sur 

cet  objet 224 ,  327,  364,  ^7X 

Anneaux  magiques  connus  et  en  usage  à 
Athènes 397 


PAGES 
Antinous  (Coffret  d'  )  jugé  de  fabrique  mo- 
derne  43 1 

Antiquaires  de  France  {Société  des).  53  , 
689.  —  Antiquaires  {Mémoires   de  la 

Société  des  )  de  l'ouest 57 

Antiquité  expliquée  (L').  Voir  Mont- 
faucon. 
Antiquités  du  Bosphore.  Ouvrage  de 
M.  Raoul-Rochette.  Cité,  37  ;  —  du  dé- 
partement de  la  Creuse,  109. —  Antiquités 
helléniques.  Recueil  de  M.  Rangabé.  Cité, 
326  ;  —  égyptiennes  ,  649 ,  694  ;  —  trou- 
vées à  Nimroud 791 

Antiquités    nouvellement  découvertes   près 

d'Amiens 485 

Aoriste  (De  l'emploi  de  F)  dans  les  inscrip- 
tions des  artistes i33 

Appel  des  âmes 35o 

Aqueduc   de  Oudenah ,    147.  —  Lettre   de 

M.  Letronne  sur  celui  de  Beyrouth,  82,  489 
Arbalète  avec  arc  d'acier.  Epoque  de  l'usage 

de  cette  arme  ,  note  1 45 

Arbre  de  Jessé 5q2 

Archéologie  (De  F  )  dans  l'antiquité 44? 

Archiprêtre  (L').  Quelle  est  cette  dignité? 

à  la  note 752 

Architecte  du  VIIe  siècle  mentionné,  48;  — 
de  la  basilique  de  Sainte-Sophie,  5li  ;  — 

de  l'hôtel  de  ville  de  Louvain 53 1 

Archivas  de  la  Sicile.  Citées,  55.  — Archives 

du    royaume.    Améliorations  qui  y    sont 

'    faites  par  le  garde  général ,  625.  Voir  aussi 

à  Sceaux. 
Argus  bifrons.  Recherches  sur  cette  figure.  .   309 
Arme  qu'on  croit  être  un  pilon,  517;  — 

Armes  des  gladiateurs 5 

Art  de  vérifier  les  dates.  Rectification  de 
diverses  erreurs  commises  par  les  auteurs 

de  cet  ouvrage 738 

Artistes.  Recherches  sur  les  noms  et  les  ou- 
vrages de  plusieurs  sculpteurs  de  l'an- 
tiquité  34 ,  i3i,  209 

Artistes  grecs.  Voir  Synodes. 
Aschmoun  (  dieu  )  ,  763  ;  —  ce  dieu  identi- 
fié à  Esculape 764 

Ascia  (Sub).  Recherches  sur  cette  for- 
mule      57 

Asile.  Déerels  de  treize  villes  grecques  sur  le 

droit  d'asile 4^5 

Astrologie  (Traités  d').  Mentionnés 359 


824 


TABLE   ALPHABETIQUE 


PAGIS 
.Athènes,  499  i  — caractère  de  ses  habitants.  5o8 
Atthidcs  (  Les).  Traites  descriptifs  de  l'At- 

ti.jue 4^8 

Atticus  (lîe'rôde),  inscriptions  erronées  de 

ses  villa 4^2 

Augustales  (  Nouvelles  observations). .  635,  774 
Balthasar  (  L'abbé  ).  Description  de  l'église 

Saint-Nicolas  du  Port 8o5 

Bannière  égyptienne  sur  un  cylindre 7  i  3 

Banquets  funèbres  • 9 

Barbezieux.  Ses  antiquités.  Voir  Saintes. 

Bari  ou  la  barque  allégorique ^o3 

Bas-relief  assyrien  de  l'Arcana,  i  iZj  ;  — —  ob- 
servation de  M.   Letronne  sur  ce  monu- 
ment,   n5.  —  Celui   de  Merbaka,  près 
d'Argos,  expliqué  par  M-  Le  Bas.  Cité.. .   219 
Bassin  orné  d'une  mosaïque.  Voir  à  ce  mol. 
Baudelot   de  D'Airval.  Sa  collection  léguée 

à   l'Académie 4^3 

Beaux-arts  (Société  des)  fondée  à  Athènes.    271 

Behistun  (  Inscription  cunéiforme  de) 549 

Belleville.  Son  église  classée  comme  monu- 
ment historique 53 1 

Bénéiech     (  Ministre    de    l'intérieur).     Sa 
lettre  sur  les  attributions  respectives  dos 

musées 4^9 

Béotic  (  La  )  vengée  ,  5t>5;  —  inscriptions  de- 
ce  pays;  ce  qu'elles  offrent  de  particulier.  5o6 
Bertou(J.  de).    Sa    note   sur   l'aqueduc  de 
Beyrout    et   sur   les    antiquités  do    Dcir- 

el-Kalaah 617 

Beyrout  (  Aqueduc  de  ) 82  ,  489 

Bianchiui.  Cité 024 

Bibliographie...  54,  u8,  194»  4^6,  &^i  ^2I 
Bibliothèque  de  l'école  des  chartes.  2e  série. 

Citée,  54  ;  —  autre  citation  à  la  note  t .  .    io3 
Bicéphales  (  Figures).  Becherches  à  ce  sujet, 

3i5; —  sentiment  de  Zoëga 3 it> 

Birch(iVL).  Mémoire  sur  un  vase  grec...    821 

Blé  (  Semences  de)  égyptien 722 

BlêYourt  (  Église  de  tf.-D.  de) 47 

Blvis  (Château  de).  .Notice  sur  la   resta  u- 

iatiou  de  ce  monument 27 1 

Bcechll.  Sou  feeueil  de»  inscript.  tro  y  finies  .  454 
Banrf  Apis.  Becherches  sur  cette  djvini'é. . .  649 
Bœuf  à  l'dtat  de  momie  ornée  de  découpures 

en  or. 117 

Bœufs  momifiés  trouvés  dans  un  puits. ...  i  10 
Bonleinps   (M.   G.).    Ses    réflexions  sur  la 

peinture  sur  verre  au  XIXe  siècle 63 

Botta  (M.  ).  Communication  d'une  lettre  de 

M.   Layard 791 

Boucliers  des  gladiateurs,  leurs  différentes 

lorme» 5 

Bouclier  prétendu  de  Scipion 5i4 

Bougival  (Eglise  de).  Description  de  ce  mo- 
nument ;  — son  clocher 686 

Bourgeoisie  (  Sceaux  de  la  )  aux  archives. .  .   676 
Brunn  (Le  docteur).  Examen  critique  des 
explications   mythologiques  de  M.  Baoul 

Bochette \ 1 18  T  3io 

Bulus.  Nom  d'artiste 209 

Bupalus.    Nom  d'artiste , 209 

Cabinet  des  antiques  de  la  Bibliothèque 
royale  ,  469 ;  — ce  qu'il  a  perdu  ,  4/4  »  "*" 

enrichi  de  diverses  acquisitions ...   624 

Cachet  punique  expliqué,  99; — de  Sépul- 
lius-Macer  ;  ->on  importance,  3y  i  ;  re- 
connu de  fabrique    moderne   256,  44 l  t  ^°'8 


PAGES 

Cage  de  fer  du  château  de  Loches 478 

Cannai*.  Observations  sur  ce  nom  d'artiste,   210 
Callier   (M.  le  colonel).   Sa   reconnaissance 
géographique  de  la  Syrie  ;  mentionné*. ...      Si 

Callimaque,  nom  d'un  artiste  grec i34 

Calvaire  (Mouaslère  des  filles  du  ) 52U 

Camps  de  César.  Cités 420 

Carreaux    en    terre    cuite    trouvés   dans  la 

crypte  de  Notre-Dame  de  Boulogne 819 

Cartier  (  M.  )  fils.  Notice  sur  des  chapiteaux 
de  l'église  Saint-Denis  à  Aniboise,  106;  — 
recherches  sur  le  sceau  de  saint  Louis ,  sur 
le  mérite  de  ce  genre  de  collection  pour 

l'histoire 670 

Casque  trouvé  à  Olympie 216 

Castella.  Sorte  de  réservoir  antique 83 

Catoptromantie  (La) i58,    162 

Çavea.   Ce   qu'on    doit  entendre  par  cette 

expression • 488 

Caylus  (De).  Monuments  publiés  et  expli- 
qués par  ce  savant 22.5  <  233 ,  3 13  ,   3i6 

Cl  laïques  ou.subdivisions  de  l'obole 3o6 

Chambon  (Église  de) m 

Champollion  jeune.   Examen    de  sa   décou- 
verte dj}  l'alphabet  hiéroglyphique.  «    12  et  65 
Champollion-Figeac.  Becherches  sur  la  ville 

à  Uxellodunum 25o 

Chapiteaux  du  XIIe  siècle  avec  sujets  sculp- 
tés  106 

Charles  le  Téméraire.  Monnaie  de  ce  prince .      56 
Chasses  et  chasseurs  sculptés  sur  un  tombeau 

du  moyen  âge,  pi.  47  et  le  texte.    4^ 

Château  fort  de  Loches ^iS 

Chaudruc  de  Crazannes  (M.  ).  Police  sur 
quelques  médailles  et  monnaies ,  etc.,  59; 
—  sur  une  inscription  de  la  ville  de  Sain- 
tes ,  246;  — explication    d'une  statuette 

d'Isis 576 

Cherchell,  l'antique  Césarée ^. .    728 

Cheval.  Ce  qu'il  représente  sur  les  bas-reliefs 
funèbres  ,  10;  —  d'après  d'autres  savants, 

87,89,     91 
Chien  (Le)  représenté  sur  des  monuments 

funèbres 90 

Christ  (Statue  du  )  à  Po:naos 771 

Ciivpre    (Excursion    dans    l'île    de),   par 

M.  de  Mas-Latrie i\\ 

Cité  de  Paris.  Becherches  historiques  sur  ce 

quartier,  par  M.  Troche 7^0 

Citernes  d'Ôudnah.  Beraarques  sur  leur  ar- 
chitecture     .  .    i45,    \\-t 

Citernes  (Grandes)  de  Busicada  ,  /3u;  —  de 

Constaiitine 704 

Clarac  (M.  de).  Son  ouvrage  sur  le  Musée  du 
Louvre,  9,  note  l  ; —  son  Catalogue  des 
anciens  artistes,  35  ,  75b  ;  —  réfute  les  as- 
sertions de  M.  Baoul  Bochette  ,  sur  l'em- 
ploi du  mot  STro'si,  1 3 1 ,  209  ;  —  sa  mort , 
7Ô4; — notice  sur  ce  savant  et  ses  travaux  .    7^4 

Cléomène  ,  artiste  grec . . . .  < 1 38 

Clere  (M.  Alfred).  Becherches  sur  les  anti- 
quités égyptiennes 6^9 

Cloches  du  temple  de  Dodone 49° 

Cloître  du  XVII*  siècle 5^8 

Coffret  d'Antinous,   fausseté  de  ce  meuble. 

43o,  45t 
Collections  Noinlèï.   Becherches  historiques 
de  M.  Letronne  sur  ce  qui  en  faisait  pallie     fô3 


DES  MATIERES. 


Collection  Pourtalès  citée,  17"»  ; — de  la  Mal- 
maison 176 

Comète  sur  des  médailles  romaines 442 

Commission  d'histoire  et  d'archéologie  du 
département  de  la  Haute-Vienne,  117;  — 
des  monuments  historiques  du  ministère 

de  l'intérieur -  •    IQO 

Constantine  (Antiquités  de) 782 

Corporations  (Sceaux  des)  aux  archives  du 

royaume -  67(5 

Couriet  (M.  Jules).  Sa  Notice  sur  un  portrait 
de  Jésus-Christ,  99  ;  —  et  d'un  médaillon , 
io5;  — Amulette  de  Jules  César,   148,  668 

Couvent  de  Deir-el-Kalaah ,  pi.  58 616 

Craton,  musicien  grec 4^7 

Creuse  (Antiquités  du  département  delà). 

Notice  de  M.  J.  A.  L 109 

Croix  ansée.  Méprise  de  M.  Raoul  Rochette 
à  ce  sujet.  Ouvrage  de  M.  Letronne  cité, 

261  ;  —  de  M.  Lajard  cité 538 

Croix  romane  avec  ornements 4^ 

Croix  (Eglise  Sainte-) 748 

Crypte  de  l'église  Saint-Mérv  à  Paris  ,  268  ; 
—  de  l'ancienne  cathédrale  de  Boulogne- 

sur-Mer 8i5 

Cuir  de  bœuf,  ayant  servi  à  ensevelir  une 

princesse  au  XIIe  siècle 690 

Cuisine  portative  trouvée  à  Pompéia 344 

Culte  des  pierres  pratiqué  chez  les  Celtes  , 
in.  —  Culte  d'Isis ,  1 5o.  —  Culte  de  Mi- 

thra l5o 

Cuper  sur  Harpocrates.  Cité 32g 

D'Agincourt.  Compte  vendu  de  son  Histoire 

de  l'art 126 

Dague  de  forme  curieuse  avec  inscription 

arabe , 4 1 1 

Danaûs  (Stèle  de  ) 346 

Danses  armées. 7 

Darius,  fils  d'Hystaspes  ,  représenté  sur  un 

bas-relief  de  la  fin  du  VIe  siècle 552 

Décret  de  Rosette.  Cité,  21,29.  —  Décret 
des  Athéniens  en  faveur  de  Craton,  joueur 

de  flûte 458 ,  459 

Déesse  de  Rome.  Recherches  sur  cette  divi- 
nité tulélaire 222 

Degrés,  comment  divisés  dans  la  géographie 

de  Ptolémée 3o6 

Déir-el-Kalaah.  Lettre  de  M.  Bertou  sur  les 
ruines  antiques  de  ce  lieu  et  sur  le  couvent 

de  ce  nom 617 

Denderah  (Temple  de)  déblayé  par  ordre  du 

pacha  d'Egypte 5j 

Dezobry  (M.).  Importance  de  son  ouvrage, 

Rome  au  siècle  d'Auguste 4"8 

Diadème  d'une  momie  pharaonique,  au  Mu- 
sée de  Leyde 710 

Dialectes  grecs;  leur  formation 507 

Diana  Montana.  Divinité  supposée 4^5 

Aia.ypscfJ.fJii(jài;  (Le).  Sorte  de  jeu  chez  les 

anciens.  Cité 3oi 

Dictionnaire  iconographique  des  Monu- 
ments. Cité 546 ,  679 

Dictionnaire  de  l'Architecture  du  moyen 
âge  ,    etc.  ,    par    Jules    Berty  ;    compte 

rendu 64 

Dits     manibus.    Cette   formule  païenne   se 

trouva  sur  des  tombeaux  chrétiens 4^ 

Dissenlis  (Abbave  de).  Sa  destruction 532 


PAGES 

Divalia  et  Angeronaliu.  Recherches  sur  ce 

genre  de  culte  ,  2a  1  ,  233  ,  3ao 36^ 

Drùme  (  Statistique  de  la),  par  de  Lacroix, 

Citée  102,  note  I. 
Dubois.  Sa  lettre  à  M.  Letronne,  sur  un 
Laocoonde  fabrique  moderne,  437,  628  5  «% 
son  Catalogue  du  cabinet  d'antiquités  de 
M.  Mimaut ,  438  ;  —  mort  de  cet  archéo- 
logue  691 

Dtijardin  (  Le  D*  )  rétracte  sa  critique  des 

travaux  de  Ghampollion  le  jeune .      I» 

Dureau  de  la  Malle,  Recherches  sur  Car- 
tilage, 494  ■>  n<Jle  2- 
Duvivier  (  le  général  )  remarque  sur  sa  pu- 
blication d'Inscriptions  puniques ,  numi- 

diqueSj  etc. ,  in-8 68 

Eaux  thermales  d'Amélie-les-Bains 672 

Echiquier  (jeu  de  1')  chez  les  anciens.  . .   297 

Eckhel.  Cité 3i6,  3?,o 

Edfou  (Temple  d' )  déblayé  par  ordre  du 

pacha  d'Egypte 53 

Egger(M-).  Polémon,  44^,  494  > — Mémoire 

sur  les  Âugustales  et  les  dieux  Lare$,  635,  774 
Eglise  de  Blécourt.  Voir  à  Notre-Dame,  etc. 

Eglise  Saint-Denis    à  Amboise 106 

Eglise  de  Cliambon.  Ce  monument  offre  des 
traces  positives  du  Xe  siècle,  dans  sa  toi- 
ture en  tuiles  de  forme  romaine,  112;  — 
plus  large  que  longue,  112;  —  Saint-Ni- 
colas du  Port,  8o5.  —  Notre-Dame  de 

Boulogne 8i5 

Eglises   (  Noms  de  21  )    détruites    dans    la 

Cité ,  à  Paris ?42 

Egypte  (  Fab.  de  fausses  antiq.  en) O49 

Egyptianisme  dans  le  style  des  monuments..        2 
Egyptiens  (Monuments),  658,  698  ;  r— meu- 
bles ,  vases ,  armes  ,  outils ,  7 19 731 

Emaux  remarquables  du  Musée  de  Guéret. .    110 
Encyclopédie    Britannique.    Recueil   cité 

16,   18,      19 

Epingles  antiques 369 

Epitaphe  du  XII  I«  siècle.  Voir  Joinville  ; 

—  anciennes   comparées  aux   modernes, 
498;  — d'un  peintre  grec 5l2 

EIIÔIE2E.  Remarque  sur  cette   expression 

usitée  sur  les  vases  antiques 385  ,  386 

Esculape  identifié  au  dieu  Aschmoun  ,  764  ', 

—  et  au  Christ "7* 

Estampages  (des)  en  papier  reproduits  en 

plâtre .34f 

Euphémisme   grec 538 

Evéques  de  Uthina  (Oudnah) l43 

Fahrionies  de  fausses  antiquités  égyptiennes. 

^  652,  655 

Faciebat  ;  sur  l'usage  et  la  valeur  de  ce  mot 

comme  signature  d'artiste  de  l'antiquité.. .    i3a 
Fastes  de  l'église  Saint-Germain  l'Auxerrois.  610 

Fasti  calendares.  Cité 4?? 

Faussaires  en  antiquités.  Divers  exemples  de 

leurs   fabrications,  4^7  -,  4a8  ■>  429*  43°' 

^5,436,  652 
Femme  assise  aux  repas.  Voir  Matrone. 

Feudataires  (Sceaux  des)  aux  archives 676 

Figures  d'êtres  animés;  —  quand  sculptées 

chez  les  musulmans 340 

Figurines  de  terres  cuites  trouvées  à  Khor- 

sabad 53 


826 


TABLE   ALPHABETIQUE 


PAGES 
Filles  du  Calvaire  (  Monastère  des  ).  Sa  des- 
cription par  M.  Troche Û20 

Flamel  (Nicolas).  Recherches  critiques  sur 

son  inscription  funéraire 682 

Flamines  divales.  Leurs  fonctions 222 

Fleur.  Image  du  diable ,  note  1 160 

Flûtiste  grec.  Son  talent,  ses  largesses  et  son 
mobilier  de  théâtre,  ses  dons  à  ses  con- 
citoyens  457 

Fouilles  à  Pompéia ,  3^3  ;  —  à  Nimroud . . .   791 
Formules  des  mystères  des  temples  antiques.  37 1 

Four  romain  pour  cuire  les  poteries 672 

Gassendi.    Ses  expériences  sur  l'aliénation 

mentale 167 

Génie  (Le)  familier  des  morts.  Cité,  96, 
note    10.  —  Génie  de  Rome ,  si  c'est  le 

même  qu'Angérone 37 1 

Géomores  de  Syracuse 38 1 

Gerhard    (M.).   Ses  travaux,  cités,   3iq.  à  326 
Germain  (Saint-)  l'Auxerrois.   Réflexions 
sur    les    dévastations    et    réparations    de 

cette  église 41^'  ^9l 

Giraud  ,  sculpteur.  Sa  discussion  avec  Emé- 

ric  David i3g 

Gladiateurs.  Leurs  diverses  classes,  4;  — 
représentés  armés,  6;  — longtemps  incon- 
nus aux  villes  grecques q56 

Gloucester  (Congrès  archéologique  de  ) 192 

Gnostiques.  Valeur  des  monuments  de  cette 

secte 369  ,  263 

Goropius-Bécanus ,  antiquaire.  Cité.  .   327,   328 
Gothique  (Architecture).    Rapport    sur  la 
question  de  savoir  si  on  doit  bâtir  dans  ce 

style  au  XIXe  siècle 179 

Grenoble  (Sceaux  de  la  biblioth.  de) 821 

Grignon,  naturaliste  et  archéologue 687 

Guénebault  (L.  J.),  sur  la  crypte  de  l'église 
Saint-Méry  à  Paris,  268  ;  — sur  l'ouvrage 
ded'Agincourt,  Histoire  de  l'Art  ,  I2<)  ; 
—  sur  le  Dictionnaire  de  l'Architecture 
au  moyen  âge,  164  ;  —  sur  l'ouvrage  de 

l'abbé  Michon  sur  la  Charente 5^7 

Guerrier  grec  représenté  sur  un  vase 5 15 

Guide  de  la  peinture,  manuscrit  grec.  Cité.  5fy'\ 
Guides  des  voyageurs   touristes  dans  l'an- 
rt  cienne  Grèce.  Comment  on  les  désignait.   44^ 
Hachisch,  substance  végétale  provoquant  des 

hallucinations 166 

Haute-Borne.  JNotice  sur  ce  monument 585 

Hainaut  (Catalogue  des  monnaies  des  comtes 

de).  Cité 56 

Hécate  (Triple).  Comment  représentée. ...   5lO 
Hédouin  (  M.  ).  Note  sur  la  crypte  de  l'an- 
cienne cathédrale  de  Boulogne  sur  Mer. . .   8i5 

Hémiploïdion.  Vêtement  de  femme 3l2 

Henri  1er  (roi  de  France).  Son  sceau,  pi .  6 1  ; 

—"Pièces  et  documents  touchant  la  femme 

de  ce  prince,  73g,  note  2. 

Henri  (M.).  Sa  lettre  à  M.  de  Longpérier 

sur  une  inscription  arabe,  ^.oÉJ ;  — sur  un 

four  romain 67 2 

Hercule  (Statue  d'  )  ,  trouvée  à  Dénia 793 

Herméracles.     Ce    que    c'étaient    que    ces 

figures 319 

Hermès  (Sur  le  culte  des  religieux  des),  ou- 
vrage de  M.  Gerhard 317, 3i8,  3i9 

Himyaritique     (  Inscriptions   en   langue  ).     55 

Hippobotes  (  Les  ) 38 1 

fjisloire  de  l'Art,  depuis  la  décadence,  etc.    1 26 


FAGFS 
Homère.  Ce  qu'on  doit  penser  de  sa  descrip- 
tion des  lieux  antiques -\>l 

Horeau  (M.).  Mérite  de  son  ouvrage  et  des 
planches  de  son  Panorama  d'Egypte  et 

de  Nubie 62 

Hôtel    Carnavalet  menacé  de    destruction.    191 
Hôtel-Dieu  (Ancien)  d'Orléans.  Sa  destruc- 
tion      191 

Hôtel-de-ville  de  Louvain.  Nom  de  son  archi- 
tecte   retrouvé 53 1 

Hunter.  Sur  les  médailles  des  peuples 3l5 

Hysteria.  Quel  est  ce  genre  de  sacrifice  ....    23u 
Icius  (Le  port).  INom    ancien  présumé   de 

Boulogne  sur  Mer 228 

Ilion.  Origine  et  vicissitudes  de  cette  ville.   q5:>. 
Inde  (  Mémoire  géographique  ,  etc. ,  sur  1') , 

par  M.  Reinaud.  Cité 120 

Inscription  cunéiforme  de  Béhisîun.  Rap- 
port de  M.  Alf.  Maury  sur  ce  monument, 
5/J9;  —  autre  à  Larcana,  Il5.  — funé- 
raires des  auciens  ,  498- — Inscription  fu- 
néraire de  Nicolas  Flamel 680 

Inscription  sur  le  bord  d'une  tunique.  Voir 
à  Tunique  ;  —  autre  à  Déir-del-Kalaah , 
expliquée    par    M.    Letronne ,    78,   83; 

—  ce    qu'elle    lui    fait    découvrir.  Voir 
-     Aqueduc. 

Inscriptions    memnoniennes.    Citées  ,  217  ; 

—  Carthaginoises 6*29 

Inscription  antique  de  la  ville  de  Saintes. . . .    2^> 
Inscription  phénicienne  trouvée  à  Marseille, 

53;  —  du  colosse  d'Ipsamboul ,  707. — 
Remarque  sur  la  méthode  du  général 
Duvivier,  pour  l'explication  de  ce  genre 

d'inscriptiou 58 

Inscriptions  augustales 63g  à  648 

Inscriptions  Nointel,  leur  importance,  464  1   4/2 
Institut  Archéologique  (  Bulletin  de   1'  ). 

Cité 3io,  3i2 

Inventaires  du  temple  de  Minerve 5oo 

Isis.  Statuette  en  bronze  de  cette  divinité 

trouvée  près  de  Toulouse 576 

Jahrbucher  fur  Wissens  chajliche  kritih. 

Voira  Annales  critiques,  etc. 
Jal  (M.).  Son  travail  remarquable  sur  Vir- 
gile et  la  navigation  antique 53g 

Janssen    publie  un    tableau   de    l'arbre  de 

Jessé 542 

Jason  ,    représenté    dans   une    peinture    de 

vase 82 1 

Jeanne  d'Arc  (Nouvelle  histoire  de)  d'après 

une  chronique  inédite 55 

Jessé.  Comment  représenté 5/j.j 

Jésus-Christ.  Recherches  sur  son  portrait. . .    toi 
Jeux  (  Recherches  sur  divers  )  connus  des 
anciens,  297  ;  — on  jouait  dans  les  temples 

des  dieux 3o3 

Joinville  (  Le  sire  de).  Epitaphe  de  son  tom- 
beau, 48-  —  Verrières  exécutées  pour  sa 

chapelle 3o 

Journal  Asiatique.  Paris,  i845.  4e  série, 
t.  VI,  juillet  à  décembre,  55;  — Journal 
Archéologique  d'Athènes.  Cité,  87  , 
note  6  ;  —  de  Berlin,  id. 
Journal  {The  Archéologie  al)  ,  10e  livrai- 
son de  cette  publication 488 

Journal  des  Savants.  Cité 234 

Jugement  de  Paris,  sur  un  bas-relief....  287 


DES  MATIERES. 


827 


PAO  ES 

Jules  César  déifié  après  sa  mort ,  et  ce  qui  en 
résulte ,  255  ;  —  sa  haute  réputation  dans 

les  Gaules §2.6 

Julien  (Eglise  Saint-)  de  Tours.  Monument 
du  XIIIe  siècle,  acquis  par  le  gouverne- 
ment     191 

Junius  (F.).  Son  Catalogue  des  noms  des 

artistes '•.'( 

Jupiter  Salaminius  (  Tête  de  ) 190 

K  cellier.    Savant  antiquaire 36 ,     37 

Khorsabad.  Monuments  trouvés  dans  les 
ruines  de  cette  ville,  53;  —  annonce  de 
l'arrivée  de  plusieurs  antiquités  de  cette 

ville  à  Paris 627 

Klaproth.   Examen  de  ses  critiques  sur  la 

découverte  de  Cbampollion 12,     65 

La  Borde  (  Le  comte  de)  apporte  en  France 
une  tête  de  Phidias,  461  ; —  nommé  con- 
servateur   du    Musée    des    Antiques    au 

Louvre 756 

Lajard  (M.).Mémoiie  de  ce  savant  sur  une 

sculpture  antique.  Cilé^ 228  à  33 1 

Lallemand  (  M.  ).  On  doit  à  sa  persévérance 
la  plus  belle  collection  de  sceaux  qui  soit 

en  Europe 675 ,  676 

Lampes  noires  des  Arabes 164 

Lanci  (  L'abbé).  Interpr.  des  hiéroglyphes.   7  16 
Lan grès,  ville  du  département  de  la  Haute- 
Marne  585 

Laocoon.  Bronze  de  fabrique  moderne.   fyi6,  628 
Laurin  (M.).  Stèle  funéraire  de  sa  collection, 

pl-46 ; ' 

Layard  (M.).  Lettre  sur  les  louilles  exécu- 
tées à  Nimroud 791 

Le  Bas  (M.).  Sa  lettre  à  M.  Letronne  sur  la 
manière  dont  il  explique  un  bas-relief 
de  pierre  funèbre,  84?  — son  Expédition 
scientifique  en  Morée.  Citée,  p.  86,  n°  4- 
—  io*  rapport  au  ministre  sur  ses  voyages 
archéologiques  en  Grèce  et  dans  l'Âsie- 
Mineure    173 

Lechevalier  et  non  Lechevaler,  auteur  cité  , 
p.  89 ,  note  2. 

Lectisternium.  Signification  de  ce  mot 
suivant  M.  Le  Bas ,  94  ;  — suivant  M.  Le- 
tronne  35 1 

Lécythus  (Les).  Noms  de  certains  vases 
athénien.-» 379 

Lenoir  (  Alex.  ),  conservateur  du  Musée  des 
Petits-Augustins 467 

Lenormant  (  M.  Ch.)  découvre  ,  dans  une 
cave  de  la  Bibliothèque  royale,  une  tête 
de  Phidias.  Lettre  que  lui  adresse  M.  Le- 
tronne à  ce  sujet,  460;  —  explique  un 
abraxas  ,  5 10  ;  —  Diverses  acquisitions 
qu'il  fait  faire  au  Cabinet  des  antiques. .  .   624 

Lepsius  (  Le  D').  Son  rapport  sur  les  nilo- 
mètres  de  la  Nubie,  177;  — nommé  à  une 
chaire  d'archéologie 53o 

Letronne  (M^).  Son  examen  critique  des 
assertions  de  M.  Raoul  Rochette ,  34  ;  — 
Discussion  avec  M.  Le  Bas ,  au  sujet  d'un 
bas-relief  antique ,  84  214  ;  —  son  rapport 
à  l'Académie,  sur  une  inscription  cunéi- 
forme, trouvée  à  Larnaca ,  n5;  — note 
sur  un  abacus  grec ,  3o5  ;  —  nomme 
membre  de  diverses  sociétés  savantes  étran- 
gères ,  344  i  —  sur  les  noms  des  artistes, 
375  ;  —  sur  diverses  antiquités  fausses  , 


4a5  ;  —  sa  lettre  à  M.  Lenormant  sur  une 
tête  de  Phidias ,  460  ;  —  devine  l'existenre 
d'un  aqueduc  par  suite  d'une  inscription  , 
78  ,  83  ;  —  donne  la  description  de  ce 
monument,  4^9- — Mémoire  sur  l'étude 
des  noms  propres  grecs,  537;  —  son  ex~ 
plication  d'un  bas-relief  antique,  repré- 
sentant un  Repas  de  famille  ,  p.  i.  — 
Critique  de  la  prétendue  Amulette  de 
César 

Lettres  éphésiennes.  Citées,  169,  170. —  mi- 
lésiennes.  Citées  par  Clément  d'Alexan- 
drie, 169.  —  Lettres  d'un  Antiquaire. 
Collection  citée  ,  237,  note  2. 

Lettres  numériques  grecques  ,  avec  leur  va- 
leur en  chiffres .... 

Lexique  copte  de  A.  Peyron.  Cité 

Liège  (Monnaie  de).  ISotice  citée 

Ligature  des  lettres  doubles;  à  quelle  épo- 
que apparaît 

Limoges.  Bulletin  de  la  Société  archéologi- 
que de  cette  nulle.  Annonce  de  la  2e  li- 
vraison   

Lion  égyptien 

Loches.  Reclieixhes  historiques  sur  son  châ- 
teau fort,  476 ;  —  son  donjon,  477  ;  —  son 
église 

Lois  de  Solon  écrites  sur  du  bois 

Longpérier  (  M.  de).  Recherches  sur  un  mi- 
roir arabe  et  des  inscriptions  arahes,  338, 
4o8.  —  Nommé  conservateur  des  antiques 
égyptiens  et  orientaux  au  Louvre 

Longue  rue  (  L'abbé  ).  Description  de  la 
France.   Citée 

Lottin  de  Laval  (M.).  Ses  beaux  moulages 
d'antiquités  persépolitaines 

Louis  (saint).  Beau  portrait  de  ce  prince  , 
677.  —  Son  Sceau,  pi.  60 

Lysippe  (Ecole  de),  fondée  dans  l'île  de 
Rhodes,  81. — Vase  de  ce  sculpteur 

Magie.  Recherches  sur  cette  science 

Magistri  vicorum.  Recherches  sur  l'année 
de  leur  installation 

Magnin  (M.).  Ses  dissertations  sur  la  mise 
en  scène  des  Grecs,  457,  note  2. 

Maguelone.  Monnaie  d'évêque  de  cette  ville. 

Malval  (Église  de) 

Manassés  (Monnaies  de),  archevêque 

Manneken-Pis  ,  fontaine  de  la  ville  de 
Bruxelles 

Mars  égyptien.  Statuette.  Voir  Onouris. 

Mas-Latrie  (M.  de).  Son  rapport  sur  sa  mis- 
sion scientifique  en  Chypre  ,  114.  —  Ob- 
jets donnés  par  ce  savant  et  trouvés  dans 
l'ancienne  Idalie 

Masque  de  Fer  (Le).  Ce  qu'il  était,  104  ;  — 
lieu  de  sa  sépulture 

Mater  Ideea.  Nom  donné  à  Cybèle 

Mathilde,  imp.  Sa  sépulture  retrouvée 

Matrone  (La)  assise  au  repas.  Remarque  sur 
cette  particularité 354  , 

Maury  (M.  Alfred).  Dissertation  sur  un  mi- 
roir magique  ,  et  recherches  sur  l'histoire 
des  sciences  occultes,  l5^  ;  —  sa  disserta- 
tion sur  les  divinités  psychopompes,  citée 
p.  89,  note  I.  Analyse  d'un  Mémoire  de 
M.  Janssen  sur  l'arbre  de  Jessé  ,  542  ;  — 
son  explication  d'un  bas-relief  persépoli- 
tain,  relatif  à  Darius  ,  trouvé  à  Behistun, 


3o8 
26 
56 


2r)6 


488 
69S 


756 

^9 
690 

675 

438 
1.54 

64 1 


190 


23  r 

690 

356 


828 


TABLE   ALPHABETIQUE 


PAGES 
049.  — Notice  sur  M.  de  Clarac  et  ses  tra- 
vaux ,  /S^  ;   —  sur  une   statue  du  dieu 

Aschmoun 76.3 

Menuiserie  du    XVe  siècle  dans  l'église  de 

.Notre-Dame  de  Blécourt 5?. 

Merbaka  (Bas-relief  de) 346 

Mérimée  (M.  Prosper).  Notice  sur  un  tom- 
beau du  moyen  âge  ,  43.  —  Beclierches 
sur  une  statuette  antique ,  264  ;  —  son 
rapport  au  ministre  de  l'intérieur  sur  les 
travaux  de  la  commission  des  monuments 
historiques,  190.  —  Sur  une  statue  d'Her- 
cule découverte  à  Dénia,  793.  — Méta- 
morphoses   opérées    par    M.   Raoul    Ro- 

chelte 3gi 

Métaux.  Quels  sont  les  dieux  à  qui  ils  étaient 
attribués,  25g.  — Comment  désignés  aux 

divers  siècles  dans  les  manuscrits 260 

Michoh  (M.  l'abbé).  Son  ouvrage  sur  la  Cha- 
rente monumentale 5^7 

Millin.  Voyage  dans  les  départements  de 

la  Fiance.  Cité 248 ,  669 

Minervini,  antiquaire  italien.  Cité,  p.  3og, 

note  2. 
Mionnet  (M.).   Éloge  de  ce  savant  et  de  ses 

ouvrages fan 

Miroir  arabe  à  figures 338 

Miroirs  étrusques  (Recherches  sur  les  ),  ou- 
vrage de  M.  Gerhard.  Cité 322 

Miroirs  japonais.  Leur  singulière  propriété, 

167;  «-magiques  du  XV  au  XVI*  siècle.    i54 
Miséricordes  du  chœur  de  l'église  du  Val- 

des-Ecoliers , 52 

Modius.  Ce  que  désigne  celte  coiffure  et  à 

qui  elle  appartient 92 

Monastère   d'Hagia 277 

Monétaires.  Exemples  de  leur  nom  sur  la 

monnaie  avec  celui  du  roi 69 

Monnaie  (La)  90us  la  protection  de  Junon. 

Pourquoi  ? 3^2 

Monnaies  inédites  du   XI V«  siècle,  60;  — 

d'évêques   de   Reims,    60;  —  du   comte 

Eudes  de  Champagne,  61  ;  —  du  roi  Cha- 

ribert  retrouvées,  59; — du  XIVe  siècle.     60 

Monnaies  d'or  et  d'argent  de  saint   Louis  , 

4<>9  ;  —  romaines  trouvées  à  Rouen 532 

Montfaucon.  Son  ouvrage  l'antiquité  ex- 
pliquée. Cité 9  ,  80,  89,  225,  226,  327 

Monuments  céramographiques  {Elite  des).     3u 
Monuments    figurés.    Ouvrage   de    M.    Le 
Bas.  Cité,  85,  note  t.  —  Monuments  iné- 
dits. V.  Winckelman.  —  Monuments  de 
de  l'Art  Antique.  Y.  Muller. 

Monumenta  Mattheiana.  Cités 96" 

Morée.   Expédition  scientifique   de  M.   Le 

Bas  en  ce  pays.  Cité,  86,  note  4,  et  p.  88,  2t5 
Mort  (Personnification  de  la),  89  et  les  notes 

2  et  3. 
Mort.  Sa  représentation  sur  un  bas-relief.  .  .   36o 
Morts.  Comment   transportés  aux  Champs- 
Elysées,  8g,  note  2, 
Mosaïque  découverte  à  Chaîna li,  142; — autre 

trouvée  en  Egypte 189 

Movers  (M.).  Arcliéolog.  Cité 76*4 

Moyen  ûge.  Ce  que  lui  doit  la  décoration  des 

tombeaux 44 

Miiller  (K.  O.).  Son  ouvrage  sur  les  Monu- 
ments de  l'Art  antique.  Cité  ,  8;,  n<»  3. 


PA6I8 
Munus  gladiatorium.  Sorte  de  combat  che* 

les  Grecs (> 

Musaraigne  égyptienne 717 

Musée  Sigillaire  des  Archives  du  royaume  , 

736,  821 
Musée  à  Guéret.   Son  importance ,  1 10.  — 
Musée  fondé  à  Limoges ,   1 17  ;  —  de  Lan- 

gres 585 

Musée  de  Leyde,  710; —  égypt.  à  Londres.   693 
Musée  du  Louvre.  Cité,  9,  note)i;  —  son  ori- 
gine, 466,  53o,  756,  note  1  ; —  d'Oxford, 
id.  ;  —  de  Munich-,  ib.  ;  — de  Vérone,  ib. 

et  p.  97,  note  2,  —  de  Niort  Cité 4^ 

Musée  Nani.  Cité,  96.  — Musée  de  l'école  des 

Beaux-Arts  ,  186;  — de  Turin.  Cité,  23  ; 

—  impérial  de  Vienne.  Cité,  345  ,  note  1 . 

Musée  des  Petits-Augustins.    Son  origine , 

4W>. — Catalogue  des  objets  d'antiquités 

qui  s'y  trouvaient  en  1790 ^67 

Musées.  Leurs  attributions  respectives  sage- 
ment déterminées /((>() 

Museo  Borbonico.  Cité 229 

Muséum  romanum  de  la  Chausse.  Cité,  224, 

23î,328,  133 
Muséum  (British),  ou  Musée  britannique.  Sa 

description 694 

Muséum  Worslejanum.  Cité,  87  ,  92,  aux 

notes. 
Mycérinus  ouMeukaré.Son  tombeau  restitué 

par  M.  Lcnormant 709 

Nécrologie 691  ,  754 

Nécropole  de  Memphis.  Cité 117 

Ncxûeria  (Les).  Signification  de  ce  mot.  97,  35o 
Nil  (Dieu),  statue  du  musée  de  Londres. . .  705 
Nil.  Recherches  sur  les  preuves  de  la  hauteur 

ancienne  et  actuelle  de  ses  eaux 177 

Nilomètres  (Anciens)  de  la  Nubie 177 

Nimroud  (  Objets  antiq.  trouvés  à  ) 791 

Ninive.  Description  des  ruines  de  celte  ville 
par  MM.  Botta  et  Flandrin  ;  crédit  pour  la 
publication  de  cet  ouvrage,  271.  —  Sculp- 
tures de  cette  ville  au  Louvre 53o 

Niort  (Tombeau  du  Musée  de) ,  pi.  47 4-* 

Noblesse   (Sceaux  de  la)  aux  archive»  du 

royaume .  .  .  ., 676 

Nointel.  Sa  précieuse  collection  et  recher- 
ches à  ce  sujet,  460.  Voir  aussi  à  Inscrip- 
tions. 
Noms  de  bon  augure  chez  les  Grecs  ,  3.— - 
Noms  de  monétaires  français  sur  les  mon- 
naies avec  celui  du  roi r>C) 

Noms  des  vases  dans  l'antiquité 3et> 

Noms  des  artistes  grecs  et  romains,  34,  129, 
3^5,  499  —  Noms  des  évêques  de  Uthina 
(Oudnaii),  i43.  —  Noms  anciens  de  quel- 
ques villes  et  rivières  du  département  de 

la  Charente z\(i 

Notre-Dame    de    Blécourt   ou   Bléchicourt. 

Notice  sur  cette  église 4/ 

Nubie  (Haute).   Rapport  sur  l'expédition 

dans  ce  pays 171 

Numidiques  (  Inscriptions  ).  Voir  au  mot 
Inscriptions  et  à  Duvivier. 

Numismatique  orientale.  Lettres  citées 55 

Obole  atlique.  Recherches  sur  sa  subdivision 

en  six  chalques 3o5 ,  3o6 

Onouris  (Dieu) 717 

Ops  Consista.  Quelle  est  cette  divinité 444 


DKS    MATIERES. 


829 


PAGES 
Oniemenlsde  vêtements  cl  d'étoffés  eu  carac- 
tère* arabes /jo6 

Oxybaphon.  INom  d'un  vase  antique 3op 

Panégyries  (  Emblème  des) 708 

Panofka(M).  Argns  Pnnoptes.  Cite.    3o(}  à  319 
Panorama   d'Egypte    et    de   Nubie ,    par 

M.  H.   Ilorcau 62 

Panthéon  Egyptien    de    M.   Cliampollion. 

Cité 24  ,  71  ,     73 

Papyrus  astrologique  du  Musée  royal 209 

Parentalia  (Les).  Signification  de  ce  mot. .    35s 

Parasites  dans  l'antiquité    .  . .   5o^ 

Parthénou.  Détails  de  diverses  sculptures  de 
ce  temple,  l\6i  ; — converti  en  église  dédiée 
à  la  vierge  Marie,  235. — Inscription  grec- 
que retrouvée  et  expliquée  par  M.  Ran- 

gabé 235 

Pasteurs    (Bois).  Statue  présumée  de  celte 

époque. . 175 

Pavage  des  églises  Notre-Dame  de  Boulogue. 

819.  —  De  Saint-Nicaise  à  Reims 820 

Pavots  (Trois  têtes  de).  Ce  qu'elles  signi- 
fient,     027 

Peintre  grec  mort  en  Gaule 5l2,  583 

Peinture  sur  verre  au  XIXe  siècle,  63. — 
Peinture    murale    dans     les    monuments 

grecs 237 

Peintures  (Choix-  de)  de  Pomjiéi ,  avec 
figures  en  couleurs,  par  M.  Roux  et  des 
explications  par  31.  Raoul  Rochette , 
in-fol.  Jugement  porté  sur  cette  publi- 
cation    118,  1 94 

Peintures  murales    de  tombes   représentant 

des  scènes  familières 36 1 

Pelasgicou.  Monument  d'Athènes. Cité 44^ 

Pénales.  Ce  que  disent  de  leur  culte  les  au- 
teurs anciens 32q 

Peplus.  Détails  sur  ce  genre  de  voile 491 

HepiSeiîtvz.  Ce  que  c'est 97  ,  352 

Périégfctes  (  Les)  ,  écrivains  compilateurs .  .  .   44^ 

Perruque  égyptienne 720 

Hc77oé.  Nom  d'un  jeu  connu  des  anciens. .  .   297 
Peyron  (A.).  Voir  à  Lexique  copte. 
Phénicienne  (Langue).  V.  Inscription. 
Phidi3s.    Lettre  de   M.    Lettonne  ,  sur  une 
tête  de  ce  sculpteur,  retrouvée  par  M.  Le- 
normant ,  335  ,    !\6o.  Voir  aussi  à   Par- 
thé  non. 
Philippe  Ier  (Sceau  de  )  ,  roi  de  France. ...      736 
Philochore.  JNom  d'un  voyageur  antiquaire.    44'^ 
Phonétique.  Valeur  de  ce  mot,  25,  3o.Voir 

aussi  à  Alphabet. 
Pierres  (  Culte  des  )  chez  les  Celtes  ,  1  ï  1 .  — 
Pierres  gravées  ,   faussement  réputées  an- 
tiques, 261,  262,  263.  —  Pierres  levées. .   585 
Pile  de  Cinq-Mars.    Dissertation  sur  cette 

antiquité l\"iiS 

Pilon,  employé  comme  arme  par  une  femme 

troyenne 5l5 

Pinacothèque  (La)  d'Athènes.  Citée 242 

Pinard  (M.).  Notice  sur  l'église  deBlécourt, 
47  ;  —  sur  la  Haute-Borne  ,  585  ;  —  re- 
cherches sur  l'église  de  Bougival 685 

Planètes.  Comment  désignées  du  XIIe  au 
XIII*  et  du  XV*  au  XVI*  siècle,   258,   260 

Plâtre.  Procédé  pour  le  durcir 342 

Poignard  curieux.  Voir  Dague* 


PAGES 

Polcinon,  ou  voyageur  archéologue,  44^-  — 
Recherches  s»  "  ce  voyageur 449  *  49^ 

IldAiç  ou  nô^eiç,  Nom  d'un  jeu  connu  des 
anciens 298 

Poinnéi.  Choix  de  peintures  de  cette  ville, 
118,  194,  3io,343. — Fouilles  exécutées 
dans  cette  ville 343 

Pont  à  trois  rangs  d'arcades  superposées  en 
Syrie.  Monument  inédit  ,  82.  —  Pont 
Julian 426,   b'0'9 

Pont  de  Saitit-Benezet  ;  n'est  pas  en  ogives  , 
mais  en  plein-cintre 670 

Porcs  offerts  en  sacrifice  à  Vénus .    a3o 

Porche  de  Saint-Germain  l'Auxerrois  cou- 
vert de  peintures 596 

Port  e  de  l'ancien  hôtel  de  Guise 625 

Portrait   de  Jésus-Christ toi 

Poteries  romaines  trouvées  à  Vienne  (Isère), 
272  ;  — autres  trouvées  dans  le  déparle- 
ment de  la  Gironde 628 

Potiers  (Les)  rangés  à  tort  parmi  les  artistes.  386 

Pourtalès-Gorgier  (M.  le  comte  de).  Son  ca- 
binet des  antiques  ,  mentionné 87 

Preller  (M.),  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de 
Polémon 45o 

Priape  trouvé  près  d'Amiens A85 

Prison  de  la  Chambre  des  pairs 526 

Prisonniers  célèbres  détenus  au  château  de 
Loches 479 

Prisse  d'Avennes.  (M.).  Description  du  Mu- 
sée de  Londres 6g3  à  72J 

Prix  offerts  par  ra  Société  des  antiquaires  do 
la  Morinie,  117;  —  Prix  et  mentions 
honorables  décernés  par  l'Académie 42î 

Proscvnème  de  l'époque  d'Aten-re-Baklian  . .     53 

Prussienne  (Expédition)  en  Nubie 171 

l'unique  (Langue).  Rectification  d'un  carac- 
tère, 567. — Explication  de  quatre  inscrip- 
tions carthaginoises,  629.  —  Cachet 99 

Puy-de-Gaudy ,  lieu  de  sépulture  près  de 
Guéret  au  XIIe  siècle 1 10 

Quaranta  (M.  Bernard),  archéologue.  Cité 
229,  23o;  —  son  explication  d'un  sujet  de 
vase  antique 5i5 

Quatuorviri  monetales.  Quelles  étaient 
leurs  fonctions 222 

Questions  de  l'histoire  de  l'Art ,  par 
M.  Raoul  Rochette.  Critique  de  cet  ou- 
vrage     1 29 

Rangabé.  (M.)  Sa  lettre  sur  les  peintures 
murales  du  temple  de  Thésée,  234.  — 
Lettre  à  M.  Letronne  sur  une  table  nu- 
mérique antique  et  inédite 293 

Raoul  Rochette.  (M.).  Examen  de  ses  cri- 
tiques, par  M.  Letronne,  34-  —  Rapport 
sur  les  églises  gothiques,  179. —  Critique 
de  son  Choix  de  peintures  de  Pompci , 
par  le  docteur  H.  Brun,  118; — ses  as- 
sertions sur  les  arls  et  les  artistes  réfutées, 
129;  —  ses  méprises  sur  divers  noms 
d'anciens  artistes 377 

Régence.  S'il  est  vrai  que  les  sceaux  des  rois 
de  France,  mineurs  ,  aient  été  remplacés 
par  ceux  de  !eu<  s  régents *)S6 

Rapport  sur  l'expédition  prussienne  en 
Nubie . 171 

Rawlinson  (Le  major)  fait  connaître  l'in- 
scription cunéif.  de  Behistun  » , 54<J 


830 


TABLE    ALPHABETIQUE 


l'AGES 

Recette  cabalistique  contre  la  colique 5tO 

Reims  (Evoques  de).  Monnaies  retrou- 
vées      6l 

Beinaud  (M.).  Sa  traduction  d'une  relation 
de  voyages  dans  l'Inde  et  la  Chine  au 
IXe  siècle,  128  ;  —  sa  description  du  ca- 
binet Blacas.  Cite' 164  ,  33g 

Reine  blanche  et  Beine  noire  ,  sur  une  stèle 

pharaonique 706 

Reliquiir  antiquœ.  Ouvrage  cité 192 

Renaissauce.  Cette  époque  jugée 44 

Bepaires  des  malfaiteurs  à  Paris 74^>   /4? 

Bepas  de  famille  représenté  sur  un  bas- 
relief,  pi.  46,  p.  9,  218,  347.  —  Bepas 
funèbre.  Bemarque  sur  cette  attribution  , 
9.  — Béponse  de  M.  Le  Bas  à  ce  sujet,  85, 
92,  97.  — Bepas  des  vivants  dans  l'anti- 
quité  349 

Betable  d'une  cbapelle  de  la  catbédrale  de 
Burgos,  547  ;  —  autre  de  l'église  de  Saint- 

JNicolasdu  Port 8l3 

Revue  Numismatique  Belge,    i843-i8^5  , 

t.  IL  Citée,  56;  — de  Blois 54 

Revue  philologique  de  littérature  et  d'his- 
toire, année  i845.  Citée 54 

Rheinzaben  (Antiquités  de).  Ouvrage  pos- 
thume de  feu  Schweiglueuser,  in-fol.  avec 

planches 62 

Biccio.  Le  monete  difamiglie  romane.  Cité , 
256,  à  la  note. 

Richardson.  Histoire  de  la  Peinture 189 

Rois  de  France.  Leurs  sceaux  réunis 676 

Rome  au  siècle  d'Auguste.  Ouvrage  de 
M.  Dezobry.  Analyse  des  deux  premiers 

volumes q86 

Borne.  Description  nouvelle  de  cette  ville 
d'après  les  fragments  d'un  vieux  plan  en 

relief,  487  ;  —  mérite  de  ce  travail 4^8 

Bosette  (Décret  ou  inscription  de),  Citée,  17, 

21,     29 
Boss    (M.).   Voyages  dans   les  îles  grec- 
ques ,  ouvrage  cité  ,   276;  — son  grand 

recueil  d'iuscriptions 281,  284,  287 

Bues  (Nétoyage  des)  au  XVIIe  siècle iZj|3 

Sabre  votif  faussement  attribué  à  Vespasien.  432 
Saint-Germain  l'Auxerrois  (Eglise).  Sa  res- 
tauration    591 

Saint-Jacques  la  Boucberie  (Eglise) 68 1 

Saint-Paul  (Église)  à  Paris 748 

Sainle-Sopbie  (  Basilique  de  ).   Nom  de  son 

architecte 5lt 

Saintes  (Antiquités  de  cette  ville  et  de  celle 
de  Barbezieux ,  par  Élie  Vinet.  Cité, 
p.  247  ;  — autre  ouvrage  sur  les  antiquités 
de  cette  ville,  etc.  ,  par  M.  Chaudruc  de 

Crazannes 248 

Salvolini.  Alpbabet  phonétique  de  ce  savant, 
68  ;  —  son  travail  sur  les  valeurs  alphabé- 
tiques de  Champollion 69  ,     70 

Saulcy  (  M.  de).  Son  examen  des  écrits  de 
Klaprot  h  contre  Champollion ,  12*,  65 
à  77  ;  —  ISTote  sur  un  cachet  punique,  99; 
—  son  Mémoire  sur  l'épigraphie  phéni- 
cienne et  punique  ,  538  ,  55g  ;  —  restitu- 
tion d'une  inscription  trilingue  ,  567  ;  — 

inscription  pbénicienned'Ipsamboul 707 

Saumaise.  Son  travail  sur  l'origine  des  pla- 
nètrs 260 


rAGES 
Sceau  de  saint  Louis  ,  publié  par  M.  Cartier, 
675. —  Bemarques  sur  le  soin  apporté  par 
les  graveurs  du  moyen  âge,  à  la  reproduc- 
tion de  sa  figure,  677.  — Sceau  de  Phi- 
lippe Ier,  roi  de  France  (1082),  736,  et  la 

pi.  61.  — Sceau  égyptien 721 

Sceaux  bistoriques  réunis  à  l'école  des  Beaux- 
Arts  ,  186.  —  Magnifique  collection  de 
12,000  sceaux  de  tous  genres,  etc.  ,   aux 

Archives  du  royaume,  676 Importance 

de  ce  genre  de  collection ,  736  ;  —  de  la 

bibliôlbèque  de  Grenoble 821 

Scènes  d'adieux  (Des)  dans  l'antiquité 214 

Sculptures  de  divers  artistes  grecs,  expli- 
quées par  M.  deClarac 129 

Seccbi  (  B.  P.).  Interpr.  des  biéroglyphes.   821 
Seine.    Monument  gallo-romain  découvert 

prés  de  ses  sources 192 

Sépullius  Macer  (Cachet  de  )  reconnu  de  fa  • 

brique  moderne 44 r  '  ^^8 

Sépulture  (  Découverte  de  la  )  de  l'impéra- 
trice Mathilde 690 

Sépultures  des  évéques  de  Boulogne 818 

Serapis ,  divinité  payenne 773 

Serpent.  Ce  qu'il  représente  sur  les  bas- 
reliefs  96  ,  773 

Shaw  (Le  Dr).  Son  ouvrage  cité 142 

Siebel  (D.  M.).  Mémoire  sur  le  culte  secret 

et  les  attributs  de  Venus  Genitrix  ,  221  ,  32t 
Siècle  (Xe).  Beste    d'arebitecture   romano- 

byzantine . ni 

Sigles   monétaires 3o6 

Signes  planétaires  sur  les  monuments.  Com- 
ment représentés,  i5o,  258; — dans  les 

manuscrits 25g ,  260 

Silence  (Déesse  du) 225 

Silicernium  (Le).  Ce  que  c'est 352 

Sillig  (M.).  Son  Catalogus  Arli/îcum,  etc. 
Cite,  34  1  35.  —  Additions  qu'y  a  faites 
M.     Baoul     Bocbette.    Ce    qu'en    pense 

M.  Letronne 35,  386 

Société  royale  des  antiquaires  de  France ....      53 
Société  des  Beaux-Arts  à  Atbènes,  fondée  en 

i845 27 1 

Solesme  (  A.bbaye  de).  Ses  sculptures  citées.  547 
Souterrains  des  temples.  Leur  usage  dans  les 

cérémonies  secrètes 280 

Souverains  de  l'Europe  (Sceaux  des)  aux 

Arcbives  du  î-oyaume 676 

Specularii.  Nom  donné  à  certains  magiciens 

au  moyen  âge IÔ9 

Stadler  (M.  de),  sur  les  sceaux  de  deux  rois 

de  France 736 

Stalles  de  Solesmes 547 

Statue  trouvée  à  Andros  ,  moulée  et  placée  à 

l'école  des  Beaux-Arts «...   282 

Statues  des  dieux  enebaînées  à  Chio,  à  Ery- 
thrée   454 

Statuette  trouvée  à  Herculanum  ,  actuelle- 
ment à  la  Bibliothèque  royale  de  Madrid  .    264 
Stèle  funéraire  avec   bas-reliefs ,  p.  1  ,    et 
pi.    46-  —  Ce  qu'en  pense  M.  Le  Bas  , 

84  ,  85.  —Stèle  de  Danaùs 346 

Stratèges  d' Andros.  Inscription  qui  les  con- 
cerne, 278  ;  —  leurs  noms 279 

Subligaculum  (  Le  ).  Partie  du  costume  des 
gladiateurs 6 


DES  MATIERES. 


831 


PAGKS 
Supplications.   Discussion   à  ce   sujet    entre 

M.  Letronne  et  M.  Le  Bas 10,     94 

Supposilii  gladialores.  Espèce  de  gladia- 
teurs          5 

Symboles  (Les)  sur   les  monuments  arabes. 

V.  Lanci.  Cite' 321 

Symbolique  cbre'liennc  au  moyeu  âge 44 

Symbolisme  (Du)  dans  l'antiquité'  figurée , 
218.  V.  Cheval j  Serpent  et  Chien. 

Synode  des  artistes  des  villes  grecques q5r 

Table  léonlocéphalopode 9 

'Table  théodosienne  ou.  de  Peulinger.  Cite'e, 
2^9. — Table  astronomique  des  Egyptiens, 

297.  —  Table  à  compter 401 

Table  d'Ahydos 697 

Tabula  alimentaria  Bœbianarum.  Travail 

de  M.  Heuzen.  Cité,. 535 

Temples  déblayés  en  Egypte ,  53.  —  De'tails 

sur  celui  de  Tbe'se'e ,  2.1\  1  ;  —  de  Bacchus .    288 
Teniclius  ou  Tynnicbus.  Observations  sur  le 

nom  de  cet  artiste 2! 2 

Tète  de  Méduse.  Mosaïque  romaine 189 

Texier  (M.  Cb.).  Statistique  des  monuments 

de  l'Algérie 724 

Thème  natal  de  Proculus.  Cité 25g 

Tliéocrite  critiqué  à  tort  par  M.  Raoul  Ro- 

cbette ,  p.  123,  à  la  note  1 . 
Théogonie   égyptienne.  Recherches    de    M. 

Cliampollion  à  ce  sujet 2q,   29,     3[ 

Thésée  (  Temple  de  ) l(\  1 

Thcséurn(TLe) ,  ou  temple  de  Thésée.  Ses 

peintures  murales.  Citées,  23(5,  237,  238,  2^3 
Timée   le  Sicilien.  Jugement  porté    sur  ce 

compilateur 4**° 

Tombeau    (Le)    d'Achille,    379,45'»  — 

d'Agnès  Sorelle 4^3 

Tombeau  du  moyeu  âge  et  chrétien.  IS'otiee 
de  M.  Mérimée,  43;  —  assyrien  décou- 
vert dans  l'île  de  Chypre 1 14 

Tour  hellénique  à  Gavrio 276 

Tour  Saint- Jacques  la  Boucherie 684 

Toumefort.  Voyage  au  Levant.  Cité 96 

Tragédie  (  De  la  )  chez  les  Grecs.  Ouvrages 

cités,  p.  457,  notes  I  et  a. 
Traités  d'alliance  chez  les  Romains,  accompa- 
gnés de  cérémonies  religieuses,  232,  et  la 
note  i5. 
Tribune  aux  harangues  ;  s'il  est  vrai  qu'il  n'y 

en  a  eu  qu'une  seule 4^7 

Tiic  trac.  Origine  présumée  de  ce  jeu 4°4 

Triumviri  monelales.  Leurs  fonctions 222 

Troche  (M.  ).  INotice  sur  les  vitraux  anciens 
et  modernes  de  l'église  Saint -Germain 
l'Auxerrois ,  412-  — Les  peintures  et 
sculptures  de  la  même  église,  5gi.  — No- 
tice sur  le  couvent  des  Filles-du-Calvaîrc, 
5i5. — Recherches  sur  le  quartier  de  la 

Cité 740 

Trône  à  tête  et  pieds  de  lions.  Cette  particu- 
larité remonte    plus    haut    que    Louis   le 

Gros 738 

Troye  (La  nouvelle  ville  de  ce  nom).  Fables 

qui  s'y  rattachent.  Voir  Won. 
Troyenne  (Femme)  tuant  un  soldat  grec.  .  .   5 14 


PAGES 
Truie  (  La  )  otlèrle  en  sacrifice  ,  23o  ;  —  de 
couleur  noire  ou  blanche  apportée  d'Ilion  , 
23 1.  —  Truie  à  deux  têtes  ,  232. — Sym- 
bole de  Vénus  nationale  et  tutélaire .   2.32 

Tuile   du   musée  de   Syracuse  portant    une 

date  d'Olympiade  . .  ".. 535 

Tunique  de  Pallas  avec  une  inscription  dans 

la  bordure ...    38<) 

Tunis  (Lebey)  visite  la  Bibliothèque  royale.   627 

Tynnichus.  Voir  Tenichtts. 

Uthina  (L'aucienne)  aujourd'hui  Oudnab. 

Voir  Mosaïque.  Evêque  de  cette  ville. . .    1^3 
Valois  (Hadrien).  Galliarum.  Cité.  .....  249 

Vandalisme   (Actes  de)  dans    les  églises  à 

Paris 268,  270 

Vase  attribué  à  Lysippe ,  q38  ;  —  servant  à 
broyer  les  couleurs  ,  293  ;  —  de  Vivenzio 

représentant  le  sac  de  Troye 5 1 5 

Vases  antiques.  Mémoire  de  M.  Letronne 
sur  leurs  divers  noms.  Cité,  3or>,  note  I  ; 

—  d'où  proviennent-ils  ? 077 

Vaugirard  (Eglise  de) 53o 

Vautour  sacré  d'une  bari 704 

Vénus-Cybèle ,  22^; — sou  culte  à  Rome  , 
3^2. —  Vénus  nationale  et  tutélaire.  Sou 
symbole.  V.  Truie.  —  Du  culte  secret  de 
Vénus  chez  les  Romains,  prouvé  par 
les  Divalia    et    les    Angeronalia ,    221; 

quels  sont  ses  attributs 222 

Vénus  Euéade ,  23o.  —  Venus  Genitrix  , 
déesse  de  la  procréation  chez  les  Romains.   22t 

Vespasien  (Sabre de),  pi.  55 425 

Vie  divine.  V.  à  Bari. 

Villes  (Sceaux  des)  aux  Archives 6*76 

Vincent  (M.).  Recherches  sur  YAbacus. . .  ,    4ot 
Vinet(M.   Ernest).    Recherches  sur  les   fi- 
gures à  double  visage.  Argus  Bifrons. . .  .   3o8 
Virgilius   yanticus.    Ouvrage  de    M.  Jal.  539 

Visconti.   Cité. 37,     87 

Vitraux  de  Saint-Germain  l'Auxerrois ,  et 
par  occasion  recherches  sur  la  fabrication 

moderne  des  vitraux  d'églises 4*2 

Vitry  (Eglise  de).  Restauration  de  son  clo- 
cher   ^2l\ 

Voie  romaine  près  de  Blois  ,  53o  ;  —  du  midi 
de  la  France,  577.  —  Voies  romaines  à 

Constantine 734 

Vovages  et  recherches  archéologiques  de 
M.  Le  Bas,  pendant  les  années  i843~44  '■> 

dixième  rapport 273 

Voyages  des  Arabes  et  des  Persans  dans 
l'Inde  ,  la  Chine  au  IX*  siècle.  Texte  et 

noie.  Annonce  de  cet  ouvrage 128 

Walbert ,  architecte  du  VIIe  siècle 48 

Welcker.  Antiquaire  critiqué  par  M.  Raoul 

Rochette ,  3g  ;  —  ses  ouvrages  cités.  237,  2,'ùij 
Wincester  (  Cathédrale  de).   Notice  sur  ce 

monument.  Citée '92 

Winckelman  justifié  contre  les  critiques  de 
M.  Raoul  Rochette,  l35j  —ses  Monu- 
ments inédits.  Cités 86 

Vénus  de  Médicis.  Inscription  de  sa  base. . .    i38 

Visconti.  Cité 3l5 ,  3i0 

Witte  (M  .  de)  cité  sur  les  monuments  ccra- 
mograpbiques,  3l8.— Catalogue  Durand, 


832  TABLE   ALPHABETIQUE    DES   MATIERES. 

pages  taol:- 

Woolsey  (M.  Th.).  Auteur  dune  édition  du  Zodiacales  (Rèpiésent.  )  sur  des  monunicuts 

Gorgirts  de  Platon  ,  p.  78,  note  1.  égyptiens 711 

Youug   (Le  D?).  (Quelle  est  la  valeur  de  sa  'Loï^.  Son  ouvrage  sur  les  bas-reiiefs  anti- 

découvcrle   lneroglyphique,    l5,    17,18,,     19  ques  85  ;—  et  cet  autre  de  usu  et  origine 

Zeitschrisl   fur    Munz-Siegel     JVappen-  vbelisrorum,  du  même.  Cité  ,  29; —  son 

kunde,  par  le  docteur  Kœline 55  opinion  sur  les  figures  bicéphales,  3 16;  — 

Zends  (Texte).  Études  citées 55  on  lui   doit  le  nom   de  phonétique  appli- 

Z.zim .  Quelques  mots  sur  le  sort  et  la  fin  de  'lue'  à  l'écriture  égyptienne 29 

ce  jeune  prince 102     Zumpt  (M.).  Philologue  rite 774 


tlS  DE  LA  TABLS   ALPHABÉTIQUE  DU  TROISIÈME  VOLUME. 


0 


BSNDÏî;c^__.    MAR201970 


ce 

3 
R4 

année  3 


Revue  archéologique 


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