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REVUE CRITIQUE
DBS
LIVRES NOUVEAUX
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:>iPRUi£iUB AAIIBOl ST SCHOCHAKDTy aUiù OË L'BÔT^L»l»&-VlLLi., 78«
W
REVUE CRITIODE
LIVRES NOUVEAUX
QUI ONT PARU
PENDANT L'ANNÉE 1857
PUBLlis
1>A« JOËL CHERBUHEZ
•«-' jLiiriirjBJB
PARIS
CHEZ JOKL CHERBULIEZ, LIBRAIRE
kOI DR U MONNAIE, iO
GENÈVE
MÊME MAISON , RUB DE LA CITÉ
1857
(
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
^AJinmoK t«»«.
COUP D'ŒIL
SUR
LA SITUATION LITTÉRAIRE ACTUELLE.
Le iQpuvement littéraire de notre époque semble subir une
espèce d'arrêt, depuis que les circonstances sont venues mettre
fip k ses iéc.arts désordonnés. Spit épuisement, soit dépit, b^aii*
çpnp d'écrivains se taisept, accusant le public d'ingratitude,
parce qu'il s'est détourné d'eux, et n'applaudit plus avec |«
m^ine enthousiasme les moindres productions de )eur plume.
Us prétendent que le progrès industriel étouffe les lettres, et le
rjagjardent pomme la cause de cette décadence aussi rapide
qu'i^iprévue. ^ les entendre, le culte de la poésie est tout k
fai) abandonné, les œuvres de l'imagination ne trouvent plus
d'appréciateurs, l'homme de lettres ne peut obtenir ni les symr
pythies, ni les encouragements qui lui sont indispensables dans
$0 ]c^de et laborieuse carrière»
Cependant, à nulle autre époque les droits de l'écrivain ne
firent ^lieux garantis, lia vive sollicitude qui s'est manifestée
pour la propriété littéraire offre çertainem^t une protection
trèj^efficace ; et, quant aux récompenses propres a stimuler
le zèle des auteurs, pous ne croyons pas que jamais elles aient
4\è plu3 ^o^lbreuse$ que maintenant. Si donc il y a déea-
<lence, ce n'est pas Ik qu'il faut ,'en chercher les causes. Mais
'd'^bprd examinoi^s si)a 4éc^nce est bi/en réelle, ei si, comme
nn le prétend, d9# |ie dat^ que des cinq o« six demièr^
années.
»
\I COUP D OKIL
Sans 'doute aujourd'hui les productions médiocres abon-
dent, tandis que les chefs-d'œuvre sont très-rares. C'est un "
fait incontestable ; seulement il ne nous semble pas nouveau :
le dix-huitième siècle présentait déjà le même spectacle, et,
lors même que dans le dix-neuvième la proportion des livres
sans valeur serait plus grande, cela s'expliquerait par la foule
toujours croissante des hommes qui se mêlent d'écrire. Dans
tous les temps, les dons du génie furent le privilège d'un fort
petit nombre. Les périodes mêmes sur lesquelles ils ont ré-
pandu tant de lustre virent aussi parfois le débordement de
la médiocrité et le triomphe du mauvais goût. Mais aux yeux
de la postérité, leur gloire dégagée de cet alliage apparaît bril-
lante et pure. Il ne faut donc pas les prendre pour points de
comparaison lorsqu'on veut juger l'époque présente. Laissons-
en le soin \ nos neveux, et contentons-nous d'apprécier la va-
leur intrinsèque des productions du jour avec toute l'impartia-
lité possible.
Le mouvement littéraire du siècle a commencé sous la Res-
tauration. Ses débuts furent très-remarquables. Après vingt-
cinq années de révolution et de guerre, l'activité intellectuelle
prit tout à coup un essor vigoureux. Cela s'explique aisément.
Le régime impérial avait contenu, mais non pas étouffé l'esprit
français. La génération nouvelle, qui s'était formée au milieu
des grandes entreprises conçues par le génie de Bonaparte, ne
devait manquer ni d'ambition, ni d'énergie, et quoique le champ
de bataille absorbât sans doute une bonne part de ces précieuses
ressources, il en restait assez encore pour féconder le domaine
de la pensée. Aussi, dès que la paix vint rendre à la culture
des lettres ses loisirs et son public, on la vit prospérer rapi-
dement. Des écrivains surgirent de toutes parts, et l'on put
bientôt constater un progrès sensible dans les diverses bran-
ches de la littérature.
Ce n'est pourtant pas au gouvernement de la Restauration
que doit être attribué ce réveil subit. Il avait bien autre chose
SUR LA SITUATION LITTBRAIRE ACTUBLLI. VU
à faire, placé comme il l'était entre les exigences de ses amis
et les intrigues de ses ennemis. Ce n'est pas non plus k la li«
berté du régime où s'exerçait encore une ombrageuse censure,
non-seulement sur les journaux, mais sur les livres aussi.
La véritable cause du mouvement fécond qui se manifesta
fut le retour de la paix. Aussitôt que les bulletins de la grande
armée cessèrent de préoccuper les esprits, la littérature reprit
son empire, et comme il y avait abondance de sève chez la
jeunesse, une fois lancée dans cette direction, elle ne tarda pas
à produire des fruits nombreux. L'élan se maintint pendant
quinze années, puis, après la révolution de 1830, il reçut une
impulsion nouvelle, qui le fit aller crescendo jusqu'en 1848.
Dès lors il s'est ralenti, cela n'est pas douteux. Les excès
amènent toujours une réaction en sens contraire, et l'abus
qu'on avait fait de^ la liberté de penser et d'écrire devait en
dégoûter, momentanément du moins, le public las de se voir
en butte aux roueries d'un charlatanisme sans pudeur.
Quand on prétend établir une comparaison entre la littéra-
ture actuelle et celle de la restauration, il faudrait d'abord
tenir compte de la période intermédiaire qui s'est écoulée de
1830 k 1848, et ne pas oublier que les circonstances ont
complètement changé. En 1814, le ressort intellectuel débar--
rassé des liens qui l'avaient longtemps retenu captif, possédait
toute sa force, tandis que maintenant usé, détendu par les
nombreuses et violentes épreuves auxquelles on Ta soumis, il
n'a presque plus d'élasticité ; son action lente et calme con-
traste surtout avec les mouvements convulsifs dont il offrait
naguère le spectacle. D'ailleurs, le goût ne peut pas être déjà
complètement guéri. A la fièvre succède l'abattement, et dans
cet état de faiblesse que laissent après elles les longues mala-
dies, les rechutes sont fréquentes.
C'est une convalescence pénible sans doute, et dont le
moindre écart de régime pourrait compromettre le succès; mais
je n'y trouve pas les symptômes de la décadence. Si le génie
Vni ^^^ »'(MUL
lût défaut, resprît abonde, ti raetivité de la feaaéi n$ ùmm
poiBt de se maaifester. Le malbeor est que la UttéiaUne, lani*
guissaote encore, et qmt, pour se remettre, aurait feesoiii qv'ea
laissât tranquillement agir ki nature, se voit entourée d'anûi
importuns qui prétendei^ la guérir par des moyens empiriques*
€hacun aj^rte son remède. Ce sont des excitants qu'il lut
faut suivant les uns, des calmants suivant les autres ; on la
soumet tour à tour k des e&p^iences contraires, et je m'étonne
seulemmt qu'elle les supporte si bien ; cela dénote une ton^
titution robuste qui finira sans doute par prendre tout k fait le
dessus. Ayons àont bon espoir. L'esprit français n'est pan
mort. Il possède peut-être même assez de vie pour vaincre les
tendances pernicieuses de notre époque.
C'est dans ces tendances que se trouve la véritable cause du
mal. Elles sont de deux sortes: tendances démocratiques et
tendances matérialistes. Mais, se rapprochant par plus d'un
point, elles ont produit ensemble, dans la littérature emnoM
dans les beaux-arts, cette espèce de lèpre énervante qui s'ap-
pelle réalisme. La démocratie, malgré tout le bien qu'on en
peut dire avec raison, a de graves inconvénients, «urtout en
matière d'art et de littérature. L'un des principaux est une
susceptibilité jalouse, qui ne souffre guère qu'on s'élève au^
dessus du niveau ^commun . Tout essor supérieur lui devient
facilement suspect. Le peuple souverain, qui se compose en
majorité d'hommes plus ou moins incultes, ne voit dans les
esprits d'élite que d'incorrigibles aristocrates, aspirant ï lut
imposer le joug de la morale et le respect des lumières deaiÉ
l'éclat l'offusque. Il use donc de son pouvoir pour y mettne
bon ordre. Les supériorités intellectuelles sont soigneusement
écartées, et, si l'on n'ose pas les bannir, du moins prend-*on
bien ses mesures pour empêcher qu'elles se multiplient. Dans
ce but, les hautes études sont amoindries et doivent céder la
place k l'enseignement primaire et gratuit, dont les éci^s s»<-
iisfont davantage la soif d'égalité qui tourmente sans cesse les
SUR LA SITUATION MTT^gAUB ACTUBLLB. Tf.
^émecraiies. C'est leur supplice 4b TnQtdle, çsr «ll^s oot bgam
faire, rigoonmee aura toujours ses de^éSt tout coanui^ Tiufl^
trueiioB. Mais en attendant, grâces k leurs efforts, le jour dé*-
eroit, les lumières s'en vont, et l'abaissement du niveau iuUiV^
lectuel porte ses fruits.
Je ne prétends point pour cela qu'il {aille perdre courage.
Au contraire, c'est un motif de plus de lutter avec ardeur M
persévérance. Les résultats de la démocratie peuvent être boDS
ou mauvais selon les principes qui la dirigent. Le despotisme
monarchique avait aussi des tendances fâcheuses qui, plus d'uoe
fois, ont arrêté l'essor de l'esprit humain. À cet égard, les pro-
grès accomplis ne son^t pas douteux. Malgré les déclamations
de quelques énergumènes, nous ne sommes plus au temps des
martyrs et des bourreaux. Si la liberté de penser rencontre w^
çore des obstacles, c'est une réaction momentanée produite ps^
la peur de ses excès ; mais dans la plupart des pays civilisés,
elle jouit paisiblement de son triomphe sur les vieux préjugés
qui l'accusaient d'être incompatible avec l'ordre social. Le bon
effet de la démocratie est de donner aux esprits plus d'indér
pendance, aux opinions individuelles plus d'essor. On respecte
moins l'autorité sans doute, mais elle ne peut plus appesantir
son joug sur les consciences avec le même empire qu'autrefois.
Chacun se sent maître de juger d'après ses propres impressions
et d'exercer autour de lui l'influence dont il est capable. Jadis
on attendait en toutes choses le mot d'ordre venu d'en haut ; la
oour était un oracle en fait de littérature et d'art comme pour
le reste ; ce qu'elle admirait était admiré, ce qu'elle condaoiM-
nait n'avait guère chance d'être approuvé. Maintenant, le m^
eès dépend des suffrages du public.
Cette situation nouvelle semble devoir être particulièrement
favoraUe aux productions littéraires, puisqu'elle leur ouvre m
•cbamp plus vaste et plus fécond. Mais ses conséquences ne
sauraient être bien appréciées qu'après un certain temps d'é-
preuve. On ne passe pas tout a coup du servilisme k l'indé^
COUP d'obil
pendance. La liberté demande un apprentissage, durant lequel
il y a nécessairement conflit entre les vieilles habitudes qui ré-
sistent, et l'ardeur inexpérimentée dont les écarts sont inévi^-
tables. De là résulte une espèce d'anarchie dans les idées et
dans les tendances. Chaque écrivain aspire à se frayer un sen-
tier nouveau, les imaginations fermentent, on voit le génie
même tenter des œuvres impossibles. Puis, k ce premier élan
succède un affaissement général, parce que le public refuse de
suivre jusqu'au bout les novateurs enthousiastes. Alors l'hon-
nête médiocrité reste maîtresse du champ de bataille, enterre
les morts, soigne les blessés, et tient des discours fort sages et
sensés, mais peu persuasifs.
C'est là que nous en sommes. Les novateurs ne sont pas
tous morts, mais leur voix ne trouve plus d'échos. Après les
avoir exaltés outre mesure, le public s'est ravisé tout à coup,
et semble honteux de son enthousiasme. Pour l'expier, il af-
fecte l'indifférence ou même le dédain. Jamais peut-être réac-
tion ne fut si prompte et si complète. A la plupart des écrivains
naguère proclamés de grands génies et dont les œuvres les plus
frivoles avaient le privilège de remuer les masses, on peut appli-
quer ce que Villon dit des dames du temps jadis :
Mais où sont les neiges d'an tan !
Le souffle révolutionnaire auquel ils s'abandonnaient, toutes
voiles déployées, les a balayés eux-mêmes, et la foule incons-
tante ne s'en est pas émue. C'est une leçon instructive pour
ceux qui seraient tentés encore de faire de la littérature un
instrument politique.
En devenant tribun le poète abdique, le romancier escompte
son avenir sur une popularité chanceuse; l'un et l'autre se pré-
parent ainsi de cruelles déceptions. Ce travers trop commun en
France peut être regardé comme l'une des causes les plus ac-
tives de la stérilité littéraire dont on se plaint aujourd'hui.
Combien de talents supérieurs se sont laissés fourvoyer par
SUR LA SITUATION LITTliUAIRB ACTUBLLB. XI
rambition politique. Les exemples abondent, et je crois su-
perflu de citer des noms. Chacun connaît ces décadences indi-
viduelles, dont le pénible spectacle afflige notre époque. Rien
n*est plus triste que de voir le génie dévier de sa route natu-
relle pour s'acharner à la poursuite d'un but indigne de lui,
ou bien s'enivrer de son propre mérite au point d'en perdre le
jugement; Si le ridicule n'est pas loin du sublime, c'est bien
dans ce cas, et l'homme qui se pose en demi-dieu, souvent
même en dieu tout entier, présente une caricature non' moins
déplorable que grotesque. Cette prétention superbe contraste
misérablement avec les habitudes et les besoins du luxe eflréné
qui, chez l'on, s'allieront peut-être aux idées les plus déma-
gogiques, tandis que chez l'autre elles produisent de fâcheux
écarts, et qu'elles en réduisent un troisième h tendre la main
aux passants.
Mais ne nous arrêtons pas davantage sur de telles infirmités,
n suflSt de les avoir indiquées pour faire comprendre comment
ceux qui s'en trouvent atteints n'exercent plus la haute influence
k laquelle ils avaient certainement des droits légitimes. Leur
règne est fini. La littérature suit d'autres chefs qui la con-
duisent dans des voies différentes.
L'œuvre d'émancipation entreprise il y a trente ans environ
par l'école romantique a porté ses fruits. Les entraves qui gê-
naient l'essor de la fantaisie n'existent plus, on s'est définiti-
vement affi^anchi des vieux moules imposés par la routine.
Mais les efforts qu'il a fallu faire pour cela ont produit une
lassitude générale, chez les écrivains comme chez leur public.
Après avoir donné libre carrière à toute sa fougue, si longtemps
contenue, l'imagination éprouve le besoin du repos. £n effet,
sa puissance a des bornes qu'elle ne franchit pas impunément.
Quand elle veut aller au delà, quand elle prétend défier en
quelque sorte la nature et se passer de son secours, bientôt
arrive l'épuisement avec sa compagne, la stérilité. C'est alors
que, par une tendance inhérente à l'esprit humain, on se jette
volontiers dans Tauire extFéoia. Aux éhauchçi^ wpQStjPUMMW ^
force de hardiesse, succèd^ot les copies servileoieot daguerp^Q^
typées. L'idéal fait place au terre à terra. L'exagéraùon du lai4,
la recherche du beau absolu sont abandonnées pour l'imitatii^
exacte de la nature ; la vérité semble n'existeir désonnais qu^
dans les limites étroites du monde réel.
Ce revirement s'opère d'une manière d'autant plus fiom^
plète qu'il trouve faveur auprès du grand nombre. En effet^^ U
offre aux intelligences vulgaires un attrait séduisant. Copier t^%
toujours beaucoup plus facile qu'inventer. L'observation qui s^
borne à bien saisir les détails, sans vue d'ensemble, sans choi^^
ni critique, est une faculté très-commune. Sans doute, pour
réussir il convient d'y joindre de l'esprit, mais l'esprit n'est pas
non plus rare en France. D'ailleurs, l'école réaliste ne paraît
point le regarder comme indispensable, et l'on doit bien reconr
naître avec elle que cet élément fait souvent défaut dans les
scènes les plus ordinaires de la vie. Sur ce point, elle se montre
parfaitement logique en n*exigeant ni l'esprit, ni le bon goAt,
ni le sens moral, car ce sont Ik tout autant de choses éUran*
gères au domaine matériel, qui est essentiellement le sien.
Yoyez le Casseur de pierres de M. Courbet. C'est le typ^ 4^
genre en littérature comme en peinture. U n'est pas beau, pas
spirituel, il ne songe à rien et fait encore moins songer les
autres ; mais il casse des pierres, on ne peut pas le nier.
Les dernières scènes populaires de M. Henri Monnier, lei^
Nouvelles de M. Champfleury, les romans de M. Murger et
beaucoup d'autres ouvrages récents qu'il serait trop long d'é-
numérer, présentent ce même caractère de vérité triviale et
sans portée aucune. La poésie elle-même aspire k descendre
du Parnasse pour aller s'enfermer dans ^'atmosphère enfum#
des usines. M. Maxime Ducamp la condamne aux travaux fpr-
cés de l'industrie, lui assigne pour unique sujet d'inspiration 1#§
forces brutales de la mécanique, et remplace l'Hypocrène par
le ruisseau fangeux de quelque manufacture.
SUR LA SlTUATlOIt LITTI^IIAlRE ACTUKLLI. Xltf
Assurément les découvertes de la science et leurs merveil-
hfUses applications méritent d'être signalées au poé(e comme'
ulie mine féconde ; mais c'est en les considérant an point de-
tue de rinteliigence humaine qui les a conçues, ou bien à celui
des conséquences morales dont elles sont la source. Le cdté
matériel de la question n'a pas besoin qu'on l'exalte; notre
ëj[>oque n'est déjà que trop portée a s'en préoccuper exclusi'^
Tcment. Ilîraporte plutôt de combattre cette préoccupation quf
devient de plus en plus menaçante pour les principes sur les-:
qnels^ en définitive, repose l'ordre social. L'école réaliste nous
dftèneratt droit à la négation de tout ^ce qui constitue la nature^
supérienre de l'homme^ fait k l'image de Dieu. Son système esl
aride pour le cœur et malsain pour l'àme. Il décolore la ne;
éteint la flaonme généreuse de l'enthousiasme^ et détruit un»
foule d'illusions qui, pour la plupart, sont nécessaires k notre»
bonheur, ainsi qu'à notre perfeclionnement.
Quoique plus dangereuse peut-être dans ses écarts, l'école
romantique avait du moins l'avantage de remuer des idées ; ell^
ne mutilait point l'homme en le dépouillant de ses plus nobles
attributs. Son tort fut, an contraire, un orgueil outré, mais
qui ne manquait pas de grandeur. Elle croyait pouvoir pro*-
dtfmer la puissance illimitée de l'imagination sans craindre
les chances de cette ^espèce de lutte avec la nature. Le
défaut de ses théories était d'être trop vagues, trop élevées et
tnp subtiles pour la foule des adeptes. Elles donnèrent aindi
prise \ ie fausses ^ applications, au premier rang desquelles
figure le réalisme. En suivant celte origine h travers les œuvres
de MM. Arsène Houssaye, Th. Gautier, Balzac, etc. , on re-*
laonte josqu'au maître par exceHeace, jusqu'à M. Victor Hugo^
tfà ne saurait renier tout à fait l'enfant rebeUe et dégénéré dé
iOBiede.
Henrensemaan il se manifeste dans la littérature une ten^
dMMe meilleure, qui semble avoir plus d'avaiir. G'eet le ré*
fml èm sens moral. Bien fliiUe encore, il ose pourttnt ébtrer
XIV COUP D OBIL
en scène, et ses pas chancelants ne sont pas trop mal accueillis.
On peut lui prédire un beau succès s'il sait bien comprendre
son rôle. La tâche est diificile assurément, mais le but assez
grand pour qu'on s'y dévoue. A la suite de la révolution de
1848, un revirement complet s'est opéré dans l'opinion pu-
blique. L'épouvante causée par les tentatives du socialisme, a
produit des résultats salutaires. On a pu mesurer l'abime où
conduisait l'oubli des vrais principes, et les esprits les plus lé-
gers ont compris que l'indifférence n'était plus de saison. Con-
vertis par la peur, il est à craindre sans doute que leur impres-
sion soit peu durable, mais elle est du moins très-générale, et
le rôle important que jouent aujourd'hui les intérêts matériels,
doit contribuer à la maintenir. L'utilité des notions morales
frappe même ceux qui n'en usent guère pour leur propre
compte ; ils sentent vivement combien cette garantie est indis-
pensable pour leur assurer la jouissance paisible de ce qu'ils
possèdent. Aussi la réaction a-t-elle été beaucoup plus forte
qu'on ne pouvait l'attendre d'une époque où dominent l'indus-
trialisme et l'agiotage.
De nombreux écrivains se sont tout k coup mis en devoir,
d'exploiter le genre simple et honnête, depuis longtemps dédai-
gné. La littérature s'est faite vertueuse au risque même d'être
monotone. C'est l'écueil d'une pareille tendance, pour ne pas
s'y heurter il faut beaucoup de tact et beaucoup d'esprit. Or
les entrepreneurs de morale n'en ont pas toujours et se distin*-
guent plus souvent par de bonnes intentions que par Thabi-»
leté.
Dans le cas présent l'impulsion première a bien été donnée
par un talent supérieur. Devinant la révolution qui se préparaitv
George Sand lança deux ou trois charmantes idylles romanes-*
ques auxquelles sont nom fit un éclatant succès. On comprit
dès lors que la littérature allait subir une métamofphose. I^a
veine des passions violentes et du drame terrible était épuisée,
l'auteur de Lélia sentait le besoin de retremper son génie aux-
sources fraîches et vivifiantes de la nature.
SUR LA SITUATION LlTTBKAlHE ACTUKLLK. XY
Cette soudaine conversion trouva des imitateurs qui se noul-
tîplièrent surtout après ia panique générale causée j)ar les évé-
nements de 1848. Mais chez la plupart ce n'était qu'une affaire
de calcul. I^s convictions ne s'improvisent pas et cepend ant
dies sont indispensables à ceux qui veulent opérer une réforme
quelconque. On ne saurait s'en passer surtout lorsqu'il s'agit
de réveiller le sens moral et de combattre les mauvais pen-
chants du cœur humain.
Pour remporter la victoire, le bien doit être deux fois plus
éloquent que le mal, encore ses triomphes seront-ils de courte
durée si la religion ne lui vient en aide pour enchaîner les in-,
stincts et dompter les résistances. C'est pourquoi des écrivains
doués d'un talent fort esûmable* amis sincères du beau et du
vrai, n'obtiennent que peu d'influence, tandis qu'on verra de
misérables sophistes séduire et remuer les masses. Les premiers
«'adressant h la raison ne peuvent avoir qu'un public très-res-
treint, les autres connaissent la puissance aveugle du sentiment
et l'exploitent avec non moins de succès que d'audace. Si l'on
veut un exemple, je citerai le Magasin pittaresque^ recueil em-
preint du plus sage esprit, qui compte certainement plus de
cent mille lecteurs habituels, et je ne crois pas que personne me,
contredise lorsque j'avancerai que l'effet produit par ses vingt-
trois ans d'existence peut être effaicé dans l'espace de quinze
jours par la vogue d'un mauvais roman tel que le Juif errant ou
bien encore les Mystères du peuple. ^ ces brandons d'incendie,
il faut opposer d'autres engins plus énergiques. Pendant que
vous prêchez le devoir on exalte le droit, et vos auditeurs eux-
mêmes se laissent émouvoir par ces déclamations passionnées,
contre le danger desquelles vous les avez trop faiblement pré-
munis.
C'est très-bien de peindre les joies de la famille, les douces
émotions d'un cceur honnête et pur, mais on oublie que ces,
tableaux paisibles ne sont guère propres k frapper l'imagination,
ni par conséquent k lutter d'influence avec ceux qui repré-^
xVt cour p'ofiL
sentent les séductions du vice, ses mouvements passionnés et
ses scènes dramatiques. L'homme s'appelle à tort un animal
rakonnable. En général il raisonne peu, fort mal ou pas du
t6nt. Le sentiment le mène beaucoup plus souvent que la rai-
sdtt, et ce n'est pas sur celle-ci qu'on doit compter pour répri-*
fûÉt les écarts de l'antre. Le proverbe dit vrai :
Chassez le naturel, il revient au galop !
iTous les raisonnements du monde n'y font rien, il n'y a que
l'autorité qui puisse en venir k bout, et cette autorité réside"
dâms une foi sincère, ardente , capable d'inspirer l'éloquence"
et d'exciter Tenthousiasme.
L'influence considérable de certains auteurs dont les ou-
vrages n'ont pourtant qu'un succès éphémère, s'explique ainsi,
parce qu'à défaut d'autres principes ils ont foi du moins en eux*^
mêmes, foi dans Tefficaciié des moyens qu'ils employent et
dans la puissance des sentiments ou des instincts auxquels ils^
s'adressent.
n arrive précisément le contraire k maintes productions, du
reste tout à fait dignes d'être recommandées, et dont la lecture
ne peut produire que du bien. Le Philosophe sous les totif, de^
M. Soûvestre, son Mémùrial de famille^ ses Souvenir $ éCuiy
vieillard ont un mérite incontestable; c'est de la saine littéra*^
tnfe populaire. Mais il y manque l'étincelle du feu sacré ; on .
n'y i^contre pas cette sève précieuse si nécessaire pour que les^
bonnes semences puissent germer et ne demeurent pas stériles.
Ds poftent le cachet d'une religiosité vague et sans foi posi-*
ûte , duffi^ante peut-être pour entretenir les penchants hon*^
nétes chez ceux qui les^ ont déjà, mais peu propre k les faire
naître et moins encore k combattre victorieusement les sé^
dircti(A)s ou les résistances. Gé sont des livres d'une portée
midioCt^e , surtout lés deux derniers , dans lesquels l'inspira*
iiûù i^it défaut. Le romaficii^r s'efl*ace trop derrière le moraliste^
él <Sè!ui-«i û'a pas là vervè Ori^lé et vigoureuse qti'il faudrait
SUR LA SITUATION LITTI^RAIRE ACTUELLE. XVII
pour suppléer à l'attrait du drame. A ses yeux la question de
forme semble être la plus importante; quant aux principes il
n'a pas de préférence exclusive, son choix dépend du moule
que la mode lui conseille d'adopter. M. Souvestre établit k cet
égard l'entière liberté de l'artiste, et n'admet point qu'on
puisse lui imposer de limites quelconques. Aussi l'a-t-on vu
cultiver tour k tour le roman socialiste et le roman populaire ;
puis, après maints petits volumes irréprochables, publier des
scènes intimes de la pire sorte. Avec un pareil éclectisme on ne
saurait être bien persuasif, et le public sera toujours enclin à
s'écrier comme le Satyre de La Fontaine :
Arrière ceux dont la bouche
Souffle le chaud et le froid !
Sans doute M. Souvestre possédait une âme noble, des
sentiments élevés, un sincère désir de faire le bien; mais il
n'en est pas moins vrai que pendant bien des années il a soufflé
le chaud sur les tisons du socialisme, et qu'ensuite il a soufflé
le froid pour les éteindre. Ce qu'il y a de plus fâcheux là-dedans,
c'est que la chaleur s'est dépensée au service de la mauvaise
cause. Je reconnais d'ailleurs que la faute en est aux circon-
stances plutôt qu'à la volonté de l'écrivain ; dans notre époque,
plus que jamais , les nécessités de la vie sont impérieuses, et
celui dont toute la fortune repose sur sa plume a droit à l'indul-
gence. Il a d'ailleurs, malgré ses défaillances , une supériorité
marquée sur les autres écrivains qui tentent de suivre la même
route.
Cette absence de convictions est le trait caractéristique des
œuvres de la littérature actuelle, et je crois qu'on peut la re-
garder comme la principale cause de l'espèce de maladie de
langueur dont elles semblent atteintes. En effet, il n'y a pas
décadence proprement dite, je le répète^ c'est l'abattement qui
suit la fièvre ; laissez passer cette crise et les forces repren-
dront bientôt. Déjà leur essor commence à se manifester par .
II
XVIII COtF D OEIL
des signes nombreux, avant-eoureurs d'un nouvel épanouisse-
menu
On m'objectera, sans doute, Tlmportance croissante des inté-
rêts matériels qui de plus en plus absorbent l'activité des es-
prits et tendent à les détourner de la culture des lettres. C'est
un obstacle, je le reconnais; cependant il ne faut pas en exa-
gérer la valeur. L'essor du commerce et de l'industrie n'est
point nécessairement hostile a la littérature, car en définitive
il crée de grandes richesses et par conséquent des loisirs fa-
vorables au développement comme à la satisfaction des besoins
intellectuels. L'histoire nous apprend que toutes les nations
procédèrent ainsi. L'art ne vint qu'à la suite de la prospérité
matérielle. Les républiques d'Italie, entre autres, et celle de
Hollande en offrent des exemples assez frappants. On peut
dire en quelque sorte que cette marche successive est une loi
de la nature qui régit l'exercice des facultés humaines. S'il en
résulte parfois une direction trop exclusive, du moins tant que
le mouvement se maintient énergique et continu la décadence
n'est pas à craindre.
Pourquoi notre époque ferait-elle exception a la règle?
Est-ce parce que son génie se montre si fécond en dé-
couvertes utiles et merveilleuses ! Mais j'y vois au contraire
une preuve de sa force, une garantie des succès qui l'attendent
dans les autres voies où la pousseront tour à tour les caprices
de la mode. D'ailleurs le public, malgré les préoccupations
qu'on lui reproche, ne reste point indifférent aux œuvres litté-
raires. Jamais peut-être on ne vit des auteurs jouir d'une in-
fluence aussi grande et pour eux aussi productive. La renom-
mée du talent ne connaît plus de frontières; ni les distances,
ni les préjugés nationaux ne peuvent l'entraver.
On se souvient avec quel enthousiasme fut accueilli naguère
en Europe Y Oncle Tom^ ce roman américain qui pourtant traite
un sujet étranger k nos mœurs, et dont l'auteur était jusqu'a-
lors tout a fait inconnu parmi nous. Un semblable fait indique
sua LA SITUATION LITTERAIRE ACTUELLE. XIX
assez que la fibre morale n'est pas devenue insensible, que la
vie intellectuelle subsiste encore; à nulle autre époque, même,
elle ne se manifesta dans les masses avec autant d'énergie. L'o-
pinion publique, lasse de servir d'instrument à dejfunestes
calculs, parait changer de direction. Aujourd'hui le beau et le
vrai reprennent sur elle leur légitime empire. Nous en avons de
sûrs indices dans les productions littéraires auxquelles [sa fa-
veur s'attache de préférence. Le théâtre doit nous servir de
critère à cet égard. En effet, l'auteur dramatique s'y trouve
en contact direct, immédiat avec les spectateurs, et pour obte-
nir leurs applaudissements il est obligé de se mettre , autant
que possible, k Tunisson avec eux. Or, depuis quelques an-
nées, les principaux succès de ce genre appartiennent presque
tous à la tendance honnête et sage qui distingue en particu-
Fier les remarquables pièces de M. Ponsard. Cet habile poète a
su se dégager des allures du mélodrame, tout en conservant ce
qu'il y avait de bon dans l'idée d'offrir sur la scène des leçons
utiles et des exemples salutaires. Quoique ses comédies ne
soient pas des chefs-d'œuvre irréprochables, elles ont le mé-
rite assez rare de renfermer des leçons spirituelles et piquantes,
un enseignement sérieux dont la forme enjouée captive au plus
haut degré l'intérêt des spectateurs. Déjà Balzac avait essayé,
par son Mercadet^ de ramener le théâtre aux bonnes tradi-
tions de Molière. Malheureusement cette pièce, empreinte
d'un talent vigoureux et d'une grande force comique, ne put
être qu'ébauchée par lui, mais elle n'en restera pas moins
comme la première attaque franche et résolue contre les tra-
vers du siècle.
La faveur qu'obtiennent de telles productions indique cer-
tainement une réaction salutaire dans les idées et dans le goû^t
du public. Il y a progrès, on ne peut le nier. Si la théorie de
l'art pour l'art convient davantage aux caprices de la fantaisie,
cette httérature qui se met au service des principes de l'ordre
social doit exercer une influence meilleure, et son rôle est bieo
XX COUP D*QEIL
plus digne de stimuler le zèle des écrivains. Il est vrai qu'elle
exige des efforts qui ne sont pas à la portée de tous. Le culte du
beau et du vrai suppose une âme élevée, un cœur noble et géné-
reux. Or ces qualités, qui devraient être Tapanage de Thomme
de lettres, lui manquent trop souvent. C'est peut-être moins sa
faute que celle du milieu^ dans lequel il a vécu. La société se-
rait injuste de le rendre seul responsable des pièges qu'elle lui
tend ou des sacrifices qu'elle lui impose. En général elle veut
avant tout être amusée, et, pour cela, prodigue son or à des
histrions, a des prestidigitateurs, a des saltimbanques , etc.
Comment s'étonner alors si les écrivains cherchent à gagner
aussi sa faveur par des tours de force ou des parades plus ou
moins ridicules. Voyant qu'on ne tient nul compte de leurs ef-
forts sérieux, ils y renoncent et se conforment au goût de
ceux qui les paient. C'est triste, mais dans les lettres, comme
dans les arts, le métier a des exigences auxquelles on ne peut
se soustraire. L'homme qui vit de sa plume doit avant tout
songer au dîner. S'il rêve l'indépendance, c'est pour le lende-
main, car aujourd'hui la faim ne lui peraiet guère d'en es-
sayer. Cette impérieuse souveraine, du fond de l'estomac do-
mine a la fois la tête et le cœur. Et le pire de l'affaire, tî'est
qu'elle ne se contente plus, comme jadis , d'une modeste pi-
tance : pour la satisfaire il faut le superflu, les conforts du luxe
et les recherches de la gastronomie.
Nos auteurs crient famine dès qu'ils n'ont pas de quoi vivre
en grands seigneurs, et la gloire qui ne s'escompte pas en écus
n'a pour eux nul attrait. Aussi les voit-on faire la cour au pu-
blic avec un zèle infatigable, se pliant à tous ses caprices, et
rivalisant d'ardeur pour prévenir les moindres fantaisies de son
humeur changeante. Une fois entrés dans cette voie, leur con-
science abdique ou s'embrouille dans des calculs qui faussent
de plus en plus le sens moral. Les principes deviennent pour
eux une espèce d'enseigne ou mieux encore une marque de
fabrique indiquant la qualité de la marchandise. Ce cachet leur
SUR LA SITUATION LITTI^RAIUE ACTUELLE. XXI
parait suffire, ils ne se croient pas obligés de faire davantage,
et sont d'ailleurs tout k fait inaptes à transmettre une impres-
sion qu'ils n'éprouvent point eux-mêmes. On peut appliquer
très-justement à leurs productions cette pensée .de Daniel
Stern : « Ce n'est pas la beauté de diction, moins encore l'a-
bondance ou l'éclat qui manquent k quelques ouvrages adressés
au peuple, c'est un certain accent de l'âme auquel seul il est
sen^ble. Pareil à cette marchande dont parle Théophraste, il
reconnaît f étranger a ce je ne sais quoi d'indéfinissable qui est
absent, et dont rien ne remplace pour lui l'éloquence. »
En effet, la première condition pour persuader est d'être
convaincu ou du moins d'avoir la ferme volonté de le paraître.
Or c'est Ik ce dont la plupart des auteurs s'inquiètent fort peu.
La mode les pousse k se lancer dans le genre honnête et sim-
ple, mais ils s'y trouvent tout k fait dépaysés : leur talent, quel-
que souple qu'il soit , ne peut pas ainsi tout k coup changer
son allure et rompre avec des habitudes invétérées.
Dès son entrée dans la carrière, l'homme de lettres rencon-
tre des obstacles et des séductions qui ne tendent que trop k
détruire chez lui le sentiment de sa dignité. En général il dé-
bute dans ce qu'on appelle la Bohême littéraire, déplorable so-
ciété qui n'a pas plus de respect pour les autres que pour elle-
même , et dont la corruption fanfaronne dessèche le cœur ou
fausse le jugement. S'il ne faisait que la traverser, le mal se-
rait moindre , mais tantôt des circonstances indépendantes de
sa volonté, tantôt ses propres penchants l'y retiennent. C'est
dans ce monde de viveurs et de grisettes que souvent se passe
toute sa jeunesse, et quand l'âge mûr arrive, il est comme la
êigâle.
Ayant chanté
Tout l'été.
Les provisions lui manquent , et le voilk réduit k danser pour
l'amusement du public. Triste ressource alors que les cheveux
XXII COUP d'oeil
grisonnent, le corps s'alourdit et les muscles commencent à
perdre leur souplesse.
L'esprit qu'on n'alimente pas d'études sérieuses, qui s'est
pendant nombre d'années livré sans frein aux écarts les plus
extravagants, risque beaucoup d'être ainsi frappé d'une com-
plète impuissance de travail. Bien rares sont ceux qui résistent
à pareille épreuve, encore s'en ressentent-ils plus ou moins. Pour
l'âme comme pour le corps l'habitude est une seconde nature.
Ce n'est pas a l'école du dévergondage qu'on peut apprendre la
décence et la morale. Malgréle ressort dont jouissent certaines
intelligences privilégiées, il leur est très-difficile de se méta-
morphoser entièrement. L'accent du langage, le tour, ou quel-
quefois même la confusion des idées trahissent presque toujours
l* étranger. Mais du moins chez les écrivains de cet ordre la su-^
périorité du talent excite une admiration qui peut avoir de bons
résultats.
Si des âmes fortement trempées éprouvent tant de peine à
se débarrasser d'un alliage impur, qu'attendre de cette foule
d'esprits vains et superficiels pour qui la pensée n'a jamais été
qu'un jouet d'enfant? Ils sont ingénieux, sans doute, habiles k
manier la plume, et savent s'accommoder à toutes les idées ,
d'autanl mieux qu'ils n'en professent sérieusement aucune. Mais
quand ils veulent prendre en main la cause del'honnéie, peindre
la vertu, prêcher le devoir, leur gravité affectée produit l'effet
d'une espèce de mascarade qui n'est pas gaie du tout. Sous le
prétexte d'être simples, leurs ouvrages tombent souvent dans
la trivialité ; loin de rendre la morale aimable, ils l'affublent du
lourd manteau de l'ennui, tandis que les séductions du vice ap-
paraissent revêtues des plus charmantes couleurs. Un tel con*
traste indique assez la gêne qu'ils s'imposent, en sorte qu'au lieu
d'applaudir k leurs efforts, on devrait leur dire : « Laissez là
cette triste comédie, parlez le patois de la Bohême, puisque
vous n'en savez point d'autre, ne forcez pas votre naturel et
contenlez-vous de cultiver l'art selon vos goûts sans vous mêler
d'enseignement. »
SURLA SJTJUATIOIf LIIIBRAIRE- ACTMfrtL-B. XXIII
Mais le public n'a pas cette sagesse ou plutôt cette franchise.
Il est lui-même en proie au doute, il flotte incertain entre ses
instincts qui Tentrainent et les principes auxquels il sent le be-
soin de se raccrocher. Une panique soudaine Ta jeté dans la
réaction contre l'esprit révolutionnaire, et cependant il en re-
grette beaucoup de choses qui lui sont devenues en quelque
sorte indispensables. Le désir de tout concilier le met dans un
grand embarras. D'une part, la nécessité de raffermir les bases
de l'ordre social lui parait évidente ; de l'autre, la crainte de
compromettre les Hbertés acquises mérite assurément toute sa
sollicitude. D'ailleurs il ne peut se soustraire a l'influence du
siècle dans lequel il est né, du milieu dans lequel il a vécu
jusqu'ici. Une réforme énergique serait trop au-dessus de ses
forces, des ménagements et des transactions lui conviennent
mieux. C'est pour cela qu'il ne dédaigne pas l'amalgame litté-
raire que je signalais tout à l'heure. Il y trouve le reflet de sa
propre incertitude, et se persuade volontiers que l'apparente
moralité des intentions sufiit pour atteindre le but : fâcheuse
erreur qui contribue puissamment k maintenir la littérature
dans une voie stérile. On l'empêche peut-être de faire du mal,
mais aussi de faire le bien ; on la condamne à jouer un rôle
hypocrite non moins déplorable que les excès de la licence.
Ce n'est donc pas sur les écrivains seuls que retombe tout le
blâme. Ils voient qu'en général on cherche dans leurs ouvrages
des distractions futiles, et que pour être lus ils doivent être amu-
sants. De hardis paradoxes assaisonnés d'impertinentes saillies
offrent les meilleures chances de succès, pourvu toutefois qu'il
s'y mêle une dose suffisante de banalités sociales et religieuses.
L'opinion, fort indifférente à l'endroit des principes, se déclare
satisfaite et n'exigera rien de plus aussi longtemps que des
plumes vigoureuses ne prendront point l'initiative, pour faire
cesser son hésitation, et donner un nouvel élan à ses tendances
encore vagues et timides. Du reste, il est juste de le reconnaître,
l'œuvre ne manque pas d'ouvriers actifs, intelligents et prêts k
X\IX COUP D OBIL
marcher droit au but dès qu'un chef résolu leur en montrera le
chemin. La littérature a besoin d'un homme de génie. Les talents
y abondent, mais ils voguent k l'aventure, sans gouvernail, ni
boussole. Dans le domaine de l'art, comme dans celui de la po-
litique, l'invasion de la démocracite se fait sentir : elle a dé-
truit le prestige d'autorité qu'exerçait jadis l'élite des beaux
esprits. Aujourd'hui le souverain c'est le peuple, et jusqu'à
présent le peuple s'est montré peu capable d'imprimer une di-
rection quelconque aux produits de la pensée. Les jouissances
intellectuelles lui sont encore beaucoup trop étrangères.
Nous voici , je crois , en présence du principal obstacle que
rencontre l'essor des lettres. Le nombre des lecteurs n'est pas
en rapport avec celui des auteurs. Ceux-ci produisent beau-
coup plus que les premiers ne consomment, en sorte que le
marché s'encombre, la vente languit et, sauf de rares excep-
tions , les travaux de l'esprit ne rapportent pas ce qu'ils coû-
tent. Ce défaut d'équilibre entre l'offre et la demande date
déjk de loin, mais il va toujours croissant, et l'urgence d'y re-
médier est bien comprise, puisque de toutes parts surgissent des
projets d'encouragements pour la littérature. Les concours se
multiplient, de nombreux prix sont offerts chaque année a l'é-
mulation des gens de lettres. On peut approuver ces moyens
factices lorsqu'ils proviennent d'efforts particuliers et ne grè-
vent point le budget de l'Etat; cependant je les crois moins
efficaces que l'action directe et naturelle du public sur les au-
teurs et des auteurs sur le public. Rien ne vaut Tinfluence
réciproque des idées, l'échange des sympathies qui naissent d'un
pareil contact. Les succès de concours demeurent sans por-
tée quand l'épreuve de la publicité ne les confirme pas. Il faut
donc recourir à d'autres mesures si l'on veut atteindre le but.
La plus importante serait assurément une réforme dans l'é-
ducation du peuple. En effet, les résultats de l'enseignement
primaire ne répondent pask l'attente de ses zélés promoteurs.
Il crée quelques demi-savants dont l'existence déclassée est le
SUR LA SITUATION LlTTEttAIRE ACTUELLE. XXY
plus souvent une source de malaise et de trouble, et se monti^
impuissant à populariser les notions morales, ainsi qu'a répandre
le goût de l'étude. Ici, comme dans toutes les questions qui
touchent au bien-être des classes ouvrières, la nécessité d'un
patronage devient évidente. L'instruction, reçue à l'école, doit,
pour porter de bons fruits, être continuée durant tout le cours
de la vie ; autrement elle reste stérile ou bien s'efface. L'étu--
diant même le plus assidu, qui, dès sa sortie de l'université,
renoncerait aux livres pour se faire manoeuvre, ne tarderait pas
a voir son esprit s'engourdir, son intelligence décliner, sa mé-
moire perdre peu k peu tous les trésors qu'elle avait acquis. A
plus forte raison en est-il de même pour l'enfant du peuple,
dont le développement k peine ébauché ne trouve autour de
lui ni stimulant, ni secours intellectuel d'aucune sorte.
En France, la centralisation attire toutes les forces vives du
pays sur un seul point, et quoique sans doute elle cherche en-
suite à les faire circuler et s'épandre, il en résulte un appau-
vrissement marqué dans la plupart de ses provinces. Le com-
merce des livres en offre une preuve frappante. Si la langue
française n'était pas plus ou moins cultivée dans presque tous
les pays du monde, les trois quarts des libraires de Paris de-
vraient fermer boutique. Les éditions qu'ils publient se vendent
surtout a l'étranger. Si Ton veut un exemple, je citerai ce que
M. Emile Souvestre me disait de ses ouvrages. D'après des
calculs exacts, la ville de Copenhague en consommait autant
que les divers départements français du midi pris ensemble, et
du plus populaire de tous. Un philosoplie sous les loils^ tiré
jusqu'alors à 12,000 exemplaires, 2000 seulement s'étaient
vendus dans la France entière, tandis qu'un seul des libraires
de Genève en avait placé 1500.
Ce fait significatif n'est malheureusement pas isolé, il se
reproduit souvent, quoique dans des proportions moindres.
D'ordinaire le parlage est plus égal entre la France et Télran-
ger, mais alors les éditions ne se tirent guère qu'à mille ou
XXVI COUP d'obil
quinze cents. D'ailleurs, le déplorable état de la librairie dé-
partementale indique assez l'absence du mouvement intellec-
tuel. Dans les villes au-dessous de 40,000 âmes elle est
presque nulle ou se borne aux livres de. collège et d'église. En
général, le nombre des publications locales est très-restreint,
car une espèce de défaveur s'attache à tout ce qui ne sort paà
des ateliers de la capitale. Aussi la librairie n'occupe- t-elle
point le rang qui devrait lui appartenir dans la hiérarchie com-
merciale. A Paris même, sur mille à douze cents libraires, c'est
à peine si Ton en compte cent qui soient des hommes réelle-
ment instruits, capables d'apprécier dans leur marchandise
autre chose que ^a valeur vénale. De telles données la con-
clusion est facile à tirer. Que dirait-on d'un pharmacien qui,
s'inquiétant peu des qualités vénéneuses de ses préparations,
les vendrait sans scrupule k tout venant? Si le poison des livres
iie tue pas le corps, il corrompt l'âme, et celle-ci vaut bien la
peine qu'on y prenne garde.
La librairie française, débarrassée de la contre-façon belge
qui lui causait un tort immense, a pourtant fait un pas dans la
voie du progrès. Elle s'est mise à publier des volumes au plus
bas prix possible, fondant ses espérances de bénéfice sur l'aug-
mentation considérable du débit. Plusieurs entreprises de ce
genre sont en pleine activité ; mais leur succès dépendra d'a-
bord du choix des livres, puis de l'empressement des ache-
teurs. La première de ces deux conditions me parait bien
remplie, surtout par la Bibliothèque des cliemins de fer^ qui se
maintient, il est vrai, pour les prix comme pour la nature de
ses livres, dans une région un peu plus élevée que ses rivales.
Quant à la seconde, pour l'obtenir il faut du temps, de la pa-
tience et des eiforts bien dirigés. On ne peut plus compter sur
les cabinets de lecture: leur concours, qui suffisait au place-
ment de ces volumes in-8^, imprimés à leur usage presque
exclusif, serait tout à fait insignifiant pour des éditions de dix
mille exemplaires au moins. Il s'agit maintenant de faire péné-*
SUR LA SITUATION LITTERAIRE ACTUELLE. XXVII
trer le goût des livres dans toutes les classes de la société.
Cest difficile peut-être, mais ce n'est pas impossible. L'An-
gleterre, l'Allemagne, la Suisse, la Hollande y sont bien par-
venues. Pourquoi ne réussirait-on pas comme elles ?
La France ne possède ni bibliothèques populaires, ni biblio-
thèques circulantes. Ses cabinets de lecture sont encore loin
du développement qu'ils pourraient prendre. La plupart ne
s'alimentent guère que de romans, et parmi les mieux achalan-
dés de la capitale, il n'en existe pas un qui puisse être com-
paré avec ceux de Londres, où les ouvrages de littérature sé-
rieuse, d'histojre, de philosophie, les publications scientifiques
les plus intéressantes se trouvent en nombre d'exemplaires
suffisant pour satisfaire les exigences de vingt, de cinquante,
et même de cent lecteurs à la fois. Cette circulation, qui s'é-
tend jusqu'aux colonies les plus lointaines de la Grande-Bre-
tagne, facilite beaucoup l'essor des goûts intellectuels. Elle
n'est pas moins favorable à la librairie, car ceux qui com-
mencerlt par louer des livres, finissent presque toujours par en
acheter quelques-uns. Ses résultats seraient précieux en France,
surtout pour la classe moyenne, tandis que des bibliothèques
populaires bien composées répandraient la lumière de l'instruc-
tion et de la morale jusque dans les derniers rangs du peuple.
Une semblable tâche est assurément plus belle et plus utile
que les utopies politiques ou sociales à la poursuite desquelles
s'acharnent tant d'esprits éminents et de cœurs généreux. Les
chances de succès sont d'ailleurs assez grandes. Si l'on diri-
geait vers ce but toute l'activité dépensée en agitations stériles,
bientôt sans doute on en recueillerait des fruits excellents. Le
peuple français parait mieux doué que nul autre pour les jouis-
sances de l'esprit. Dans le dessein de s'en servir comme d'un
instrument, on l'a matérialisé, mais ses nobles instincts ne sont
pas morts, ils dorment seulement ; réveillez-les, faites vibrer la
corde de l'honneur, de la loyauté, du devoir, et le naturel re-
prendra son empire.
xxvin COUP d'cbil sur la situation littbrairb actubllb.
On trouvera peut-être que j'assigne à la littérature un rôle
trop sérieux, trop difficile, qui ne saurait lui convenir ; cepen-
dant, il n'est pas nouveau pour elle : dans les siècles passés,
elle s'en acquitta plus d'une fois avec bonheur. Ses chefs-
d'œuvre datent précisément des époques où ce rôle fut le
mieux compris; ils portent le cachet de la pensée, ils ont l'é-
loquence de la franchise et l'accent de la conviction. N'est-ce
pas encore à ces mêmes qualités que doivent leur juste renom-
mée des écrivains d'élite qui, de nos jours, cultivent avec tant
d'éclat l'histoire et la philosophie. Le talent, tout seul, produit
des œuvres éphémères; pour leur donner quelque durée, il
faut de plus le concours de l'âme qui les associe à son immor-
talité : c'est la ce qui les fait vivre. Dans le domaine de l'in-
telligence, le faux clinquant passe vite, l'audace et le mensonge
vas a distance perdent tout prestige, les gentillesses de l'esprit
le plus subtil sont condamnées à l'oubli ; il n'y a que la foi qui
sauve.
Joël Gherbuliez.
REVUE CRITIQUE
DE8
LIVRES NOUVEAIX.
JAUTTIER t^59.
ItlTTKRATURi:.
La Cinéide ou la vache reconquise, poëme national héroï-comique eo
24 chants, par l'abbé Ch. Du Vivier de Streel. Bruxelles, Goemaere;
1 voLin-12.
Au treizième siècle, le vol d'une vache alluma la guerre dans le pays
de Liège. Le voleur étant bailli du Condroz, Jean de Cosne, à qui la vache
appartenait, rassembla la noblesse du voisinage, envahit le Condroz, as-
siégea le bourg de Ciney, et mit toute la contrée à feu et à sang. C'est le
sujet qu'a choisi M. Tabbé Du Vivier. II y avait en effet bien là de quoi
fournir matière à sa verve héroï-comique. Cette nouvelle Iliade, dont
l'Hélène est une vache, présente certainement une idée très-bouffonne,
qui se trouve rehaussée encore par le contraste des combats meurtriers»
de Tacharnement des seigneurs et de la résistance courageuse des bour-
geois de Ciney. Pour les gens du pays, d'ailleurs, il s'y joint l'intérêt
d'une tradition nationale, empreinte au plus haut degré de l'esprit belge,
et reproduisant maints détails de mœurs fort curieux. Quant au mérite
littéraire du poëme, il est assez remarquable pour permettre à la renom-
mée de l'auteur de franchir les limites de sa patrie. M. Du Vivier s'est
inspiré des chants de l'Arioste ; il adopte sa manière libre et capricieuse ;
il en imite la grâce enjouée, autant du moins que l'alexandrin français
peut s'y prêter. Les vers sont en général faciles, et ne manquent pa&
d'harmonie. Nous citerons comme exemple ce portrait de la Renommée»
.esquissé d'une façon originale et piquante :
Ce monstre curieux, indiscret et volage,
Que tout poète doit et devra d'âge en âge
Honorer à son tour d'une description ;
Ce monstre, femme, oiseau, gazette, opinion,
Qœ mondain, qui dévot, se fait bonheur et joie
De courir gueule au vent et de chercher la proie,
1
2 LITTIÎRATUaE.
Epiant, publiant, en y mêlant du sien,
Plus le faux que le yrai, plus le mal que le bien ;
La Renommée enfin, du fond de sa tannière.
Entendît et les chants de la troupe guerrière
Et ses lestes propos et ses mâles jurons
Mêlés aux sons discords des cloches, des clairons.
. L'auteur manie la plaisanterie avec esprit , seulement il se laisse par-
fois entraîner à des écarts que le bon goût no saurait accepter. C'est l'é-
cueil du genre. Quand il s'agit de faire rire son lecteur vingt-quatre chants
durant, on a bien de la peine à garder toujours un ton convenable, on est
fâciletùent conduit à lâcher quelque saillie plus ou moins incongrue pour
réveiller l'attention ; dans sept mille vers, une dose de gros sel paraît ex-
cusable. Mais M. Du Vivier aurait mieux fait de réduire son poëmc à des
proportions, plus modestes, afin de n'avoir pas besoin de cet assaisonne-
ment antipathique aux palais délicats. Son talent pouvait très-bien s'en
passer, il a des ressources meilleures. Non-seulement il aborde avec
succès le haut'Comique, mais il sait mêler à ses traits spirituels des vé^
flexions d'une portée sérieuse» des leçons de la morale la plus pure.
L'homme toujours désire et regrette toujours ;
Jamais de ses pensers il ne règle le cours :
Le présent raffadit ; . c'es^ le futur qu'il cherche.
Et' le plaisir pour lui n'est que dans la recherche.
L^oAbli seul est un bien qui s'offre sans apprêts.
Le paujnre bûcheron le trouve en ses forêts],
Le poète en ses vers» le peintre en sa peinture.
Le sage ami des champs dans la fraîche nature.
Le souvenir confus d'un bienfaisant sommeil,
Image de Toubli, fait jouir au réveil.
Et c'est là le bonheur que poursuit dans fivresse
Celui qui fuît lesi triaits de là sombré tristesse.
• ' . ' .
Chacun de ses chants débute ainsi par des sentences pbik)9opbH|WB»»
applicables aux diverses situations de la vie, et dans lesquelles on trou-
vera d'excellents conseils, ou d'utiles averiissements. Enfin, le poëte ne
craint pas non plus de donner essor à ses seatimente religicHJx qui s'ex-
priment avec un«i éloq^ente^ fonfevr. Nous «e saurifons. mieux terminer
notre article qd^«»i rept^fi^Alintont- âcftta énergique «iinëe knipirée par la
révolution de 1«»*f^ '
MTTiRAIURE.
Fermant Toreille au bruit, fuyant Tinquiétude,
Loin du monde cherchant Tutile solitude,
J'occupais mes loisirs paisibles, casaniers,
A peindre les combats, à chanter les guerriers :
Oaand tout à coup T éclat de la foudre lointaine
Interrompit mes chants et fit tarir ma veine.
Quel est donc ce volcan qui s'ouvre avec effort.
Et vomit la terreur, la ruine et la mort ?
Quoi ! ce puissant empire aassi vieux que le monde,
Secoué par les coups du tonnerre qui gronde ;
€e royaume guerrier, bardé de fer, d'airain,
Oue fonda sur le roc un soldat souverain ;
Ce trône qui dompta le démon anarchique.
Que, dix-huit ans entiers, l'adroite politique
Maintint, consolida, pressuré de dangers,
<lontre les factions, conti'e les étrangers :
Soudain sont ébranlés, s'affaissent sur eux-mêmes,
Tressaillent, et saisis d'une angoisse suprême,
S'écroulent satis efforts, comme aux vieilles forétf
Tombe, usé par les ans, un antique cyprès.
Un bras de chair n'a point opéré ce prodige.
Dieu seul est grand ! Son doigt qui soutient et dirige
Tout ce vaste univers qu'il n'a fait que pour lui.
Quand il le voit ingrat, le laisse sans appui.
Ce Dieu grand au mortel donna l'inteltigence.
Afin qu'il le connût et louât sa puissance ;
£t Fhomme, enorgueilli de ce don précieux,.
Du ciel qui Téelairait a détourné les yeux.
Ces immortels travaux, ces oeuvres de génie,
€es secrets qu'a trahis la nature asservie.
Loin d'élever ses sens, son espiiU vesrs le ciel.
Ont fait dire à son cœur : Il n'est rien d'étemel*
Alors le Dieu puissant s'est armé de sa foudre.
£t BKurtels et travaux, confondus dans la poudre,
Et nations et rois, l'un par Fautre punis,
Dans les mêmes périls fatalement unis,
Comme Ninive, n'ont de salut à prétendre
Qu'en implorant le ciel sous le sac et la cendre.
i LITTÉRATCHI.
Les Traditionnelles, nouvelles poésies, par Jean Reboul. Paris, 1857;
i vol. in-IS: 3 fr. 60 c,
Le titre de ce volume indique assez que l'auteur n'appartient ni par ses
idées, ni par ses tendances à l'école du jour. En effet, la tradition est ce
que respectent le moins nos poètes novateurs. M. Maxime Oucamp, par
exemple, n*en veut plus entendre parler, et l'on sait avec quel aplomb il
enterre comme choses mortes, la mythoiogici l'histoire, les souvenirs hé-
roïques, en un mot tout ce qui tient au passé, de près ou de loin. Mais
pour M. Reboul, c'est au contraire là précisément que se trouve la source
féconde de l'inspiration. Ses principes et ses croyances ne suivent pas la
marche capricieuse de la mode. Peut-être même trouvera-t-on qu'il dé-
daigne un peu trop les enseignements de l'expérience. Fervent disciple de
l'auteur des Harmonies poétiques et religieuses^ il demeure, s'il est per-
mis de parler ainsi, plus Lamartinien que Lamartine lui-même. Mais
tout en conservant une vive reconnaissance pour ce protecteur de ses dé-
buts, il s* est franchement séparé de lui dès la publication de l'Histoire
des Girondins :
maître I quels lauriers ont troublé ton sommeil ?
Toi qui perdais ton vol dans les flots du soleil.
Pourquoi le rabaisser vers cette froide terre
Où le louche examen rampe sur le mystère,
Et croit, comme le ver dans la nuit du tombeau,
Régner sur ce qui doit ressusciter plus beau ?
N'as-tu donc pas sondé cette misère extrême
De l'esprit qui n'a plus d'autre appui que lui-même.
Toute la profondeur de cette infirmité
Qui frappe la raison dans sa divinité?
Et rimmense chaos qui se forme autour d'elle,
Nuage ténébreux où la foudre étincelle,
Et qui têt ou tard laisse échapper de son flanc
L'orage expiateur de larmes et de sang ?
Nous voilà reportés à quinze ans en arrière, pour le moins, et les évé-
nements postérieurs n'ont point changé les allures du poëte. 11 parle tou-
jours le même langage, il garde la même foi. C'est le fidèle écho d'une
lyre dont les accents ont cessé de se faire entendre. Ses chants portent
encore le cachet de la vague rêverie et de la ferveur religieuse» mais ils
manquent d'originalité. Chez M. Reboul, l'artisan et l'écrivain forment
LITTERATURE. 5
deux êtres complètement distincts ; quand le second prend la plume, le
premier s'efface, et ses besoins intellectuels ou moraux ne sont pas ceux
de la classe ouvrière. Aussi, malgré le mérite incontestable de la po^ie,
les Traditionnelles pourront bien sembler pâles et monotones aux lec-
teurs qui ne sont plus habitués à ce genre. Elles renferment cependant de
belles pages, noblement pensées, écrites avec élégance, et quelquefois
pleines de vigueur. Nous y remarquons de plus deux ou trois petites
pièces, (l'une touche fine et spirituelle, où le talent du poëte se montre
sous un aspect nouveau. La citation suivante, extraite du Bric'à-brac,
prouve que la muse de M. Rcboula plus d'une corde à son luth, et peut
sans inconvénient descendre des hauteurs de la méditation :
Quelle bizarrerie aujourd'hui nous travaille ?
Le siècle novateur adore l'antiquaille !
Un meuble vermoulu se vend à beaux deniers ;
Pour orner les salons, on vide les greniers.
Une lame rouillée, un débris de vieux vase
Captivent les esprits et provoquent Textase.
Il faut qu'un beau tableau soit un peu dévasté :
Rien ne vaut en fait d'art que la vétusté.
Le plus petit grimaud se fait archéologue ;
IJ a son cabinet avec son catalogue.
Admirez ce tesson, car c'est là qu'autrefois
Les marmitons romains faisaient cuire leurs pois !
Ce bouclier d'Annibal protégea sa personne,
Quand, près de Roquemaure, il traversa le Rhône ;
Il fut trouvé jadis avec ces trois flacons
Pleins du fameux vinaigre à dissoudre les monts.
Ce miroir de métal est celui de Poppée,
Dame de sa parure à toute heure occupée.
Voici de Damoclès le glaive suspendu ;
Il tenait par un ûl, mais le fil s'est perdu,
Cest une pièce rare, une pièce classique.
Qui mit beaucoup de gens en frais de rhétorique.
Contes Kosâks, par Michel Czaykowski, aujourd'hui Sadyk-Pacha, tra-
duits par W. M. Paris, 1857; i vol. in-12 : 3 fr.
Ces contes ne manquent certainement pas d'originalité. Ils sont écrits
par un Polonais, attaman de Kosaks ; ils décrivent les mœurs de ces peu-
6 LlTTl^RATtJllX.
pîades peu . connues, et le nono seul âè leur auteur suffirait d^ pour
éveiller la curiosité publique. Il faisait partie des réfugiés auxquels, après
la guerre de Hongrie, Thospitalité musulnïane fut garantie à la conditioft
qu'ils abjurassent le christianisme. Michel Czaykowski suivit l'exemple du
général Bem; et reçut le nom de Sadyk, avec la dignité de pacha. Il
commande aujourd'hui un régiment de Kosaks ottomans qui s'est distingué
par sa belle conduite au siège de Silislrie. Voilà sans doute d'étranges
titres littéraires, et l'on trouvera que ce genre de vie n'est guère propre à
former un homme de lettres. Aussi les Contes kosaks semblent-ils écrits
avec la pointe d'une épée plutôt qu'avec une plume. Le style en est bref,
saccadé, la composition fort simple et l'allure toute militaire. Ce sont des
esquisses empruntées à l'histoire d'un peuple éminemment guerrier. L'au-
teur y mêle quelques scènes caractéristiques où la famille kosake se
montre avec ses affections, ses coutumes et ses croyances. Il n'y a pas de
longueurs, l'action marôhe rapideinent, l'intrigue tient peu de'place, et
les détails se distinguent surtout par la vigueur du trait. Dans presque
tous ces récits, on sent Todeur de la poudre, on entend le bruit des
armes, on assiste à de sanglants combats. Les Kosaks aiment la guerre
avec passion, ils l'aiment pour elle-même, pour la gloire, puis aussi pour
le pillage. «Un Polonais fugitif, raconte l'auteur dans une note, rencontra,
en 1830, une bande de Kosaks errants, et en fut élu attaman. Ces Kosaks,
l'hiver, pillaient les Russes sous le drapeau turc. Au bout de la première
année, ses compagnons trouvèrent qu'il avait mal géré leurs affaires : le
butin avait été plus considérable l'année d'avant, sous son prédécesseur^
Il rejeta la faute sur le juif économe, qui fut pendu. Cinq années de suite,
sous le coup de la même accusation, il échappa par le même subterfuge,
et chaque fois se trouva facilement un juif pour remplir cette place, où il
savait que son prédécesseur avait laissé là vie. La sixième année, le Po-
lonais craignant que ses juges ne se contentassent pas de Téconome, s'é-
chappa et vint en France. » Cette anecdote donne une idée du genre
d'intérêt que présentent les contes de Michel Czaykowski Leur principal
mérite est de peindre avec vérité la farouche indépendance de ces hordes
à demi barbares, qui n'ont jamais été complètement soumises par la
Russie.
LITTBEATURE. 7.
Petits mémoires de l'Opéra, par Ch. de Boigne. Paris, 1857 ; 1 vol.
in-12: 1 fr. 25 c.
Ces très-petits mémoires pourraient du moins être assez amusants si
l'auteur avait su leur donner une forme plus piquante. La matière est
riche. L'Opéra ne manque pas de figures originales. C'est un monde à
part, qui a ses mœurs particulières. Poêles, musiciens, chanteurs, dan-
seurs, comparses, claqueurs, sont autant de types curieux à étudier.
Combien d'intrigues, de rivalités, de luttes d'amour-propre, devant les-
quelles souvent le directeur le plus habile voit échouer tous ses efforts. Sur
ce théâtre, la représentation d*une œuvre exigeant de nombreux artistes de
diverses catégories et maints auxiliaires indispensables, chacun s'attribue
volontiers la meilleure part du succès. De là des prétentions bouffonnes,
des scènes plaisantes, d'étranges conflits, dont l'observateur peut assuré-
ment tirer un bon parti. Mais il faut pour cela de l'esprit et du tact, afin
de ne pas tomber dans la chronique scandaleuse, ou dans le commérage
des coulisses, qui ne vaut guère mieux. M. de Boigne n'a pas su toujours
éviter ce double écueil. On trouve dans son livre beaucoup d'anecdotes
insignifiantes et quelques-unes d'assez mauvais goût.Il est vrai que ve~
nant après MM. Castil-Blaze, Véron et Charles Maurice, sa tâche n'était
pas facile. Lesglanures qu'il a ramassées dans ce champ moissonné satis-
feront peu le lecteur. Elles ne valaient en général pas la peine d'ôtre re-
cueillies, et malheureusement le mérite de la forii.e ne rachète point la
nullité du fond.
Etude des lai<I6Ues, par S.-H. Possien. Paris, Â Durand, 1856; in-8.
L'auteur de cet opuscule se présente comme Tinventeur d'une nouvelle
méthode pour étudier les langues, méthode infaillible, dit-il, et par consé-
quent très-supérieure à toutes celles employées jusqu'ici. Au lieu de con-
sacrer des années à meftre les règles de la grammaire dans la tête de ses
élèves, au lieu de surcharger leur mémoire d'un bagage aussi lourd que
superflu, il prétend les amener en quelques mois à posséder la connais-
sance d'une langue assez bien pour l'écrire et la parler. Le résultat serait
beau; mais Jacotot et beaucoup d'autres le promettaient également, et
oous oe voyons pas qu'ils l'aient obtenu. Après eux comme avant, les diffi-
cultés sont demeurées à peu près les mêmes. M. Possien sera-t-il plus
heureux? Nous eu doutons. Sans doute il fait très-bien ressortir les dé-
8
LITTERATURE.
fauts de l'enseignement routinier. La plupart de ses critiques sont justes
et présentées souvent d'une manière piquante On doit reconnaître avec
lui que la grammaire abonde en subtilités inutiles, et que parmi ses règles
il en est un certain nombre d'inexplicables et qui ne se peuvent apprendre
que par l'usage. On ne lui contestera pas non plus que la mémoire est un
moyen empirique dont l'emploi trop fréquent a pour effet de rendre l'in-
telligence paresseuse. Mais la grammaire occupe dans les langues une
place considérable, et sans la mémoire il serait impossible de se rappeler
son mécanisme compliqué, ses exigences parfois bizarres et ses nombreuses
exceptions. M. Possien a beau faire, ses élèves ne pourront pas s'en
passer; peut-être môme seront-ils obligés plus que d'autres d'y recourir.
En effet, sa méthode consiste à traduire et retraduire. On prend le texte
d'un auteur avec la traduction française et juxta-linéaire, puis on s'exerce
'à-dessus. Or, dès les premières lignes doivent nécessairement se présen-
ter des questions grammaticales, et si l'explication ^n'en est pas donnée,
c'est la mémoire qui doit y suppléer. L'élève, après avoir lu le texte plu-
sieurs fois très-attentivement avec l'aide de la traduction, prend celle-ci
pour thème, et s'efforce de la remettre dans sa langue originale, excellent
exercice assurément, mais exercice de mémoire, quoi qu'en dise l'auteur,
et qui n'a pas du tout le mérite de la nouveauté. Cela s'appelait autrefois
traduction interlinéaire, cela s'appelle aujourd'hui traduction juxta-linéaire,
voilà toute la différence. Du reste, en changeant de nom, le vieux procédé
ne nous semble pas avoir acquis une vertu plus grande. Il offre toujours
les mêmes avantages pour ceux qui savent le combiner avec l'étude de la
grammaire, et les mêmes inconvénients pour les jeunes élèves enchantés
de n'avoir qu'à transcrire un travail tout fait.
Scènes de la vie hollandaise, par Hildebrand, traduites par L. Woc-
quier. Paris, 1856; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25 c.
Ces scènes portent le cachet de l'exactitude la* plus minutieuse. L'au-
teur est un peintre de détails, qui ne se met pas en frais d'imagination et
se borne à reproduire fidèlement les mœurs et les usages de son pays.
Les données qu'il a choisies n'ont rien de dramatique, ni de romanesque ;
elles offrent même fort peu d'incidents. Ce sont de simples esquisses de la
vie hollandaise dans la société bourgeoise des petites villes. Tout l'intérêt
gît dans ce qu'on est convenu, d'appeler la couleur locale. Il est vrai qu'à
cet égard la Hollande jouit d'un privilège assez rare. Son originalité na-
LITTl&EATURB. 9
4ionaie s'est maintenue mieux que nulle autre. Le niveau de la civilisation
moderne n'en a pas encore effacé les traits distinctifs. On y retrouve des
habitudes traditionnelles, religieusement conservées au sein des familles,
<)ui se les transmettent de génération en génération, sans permettre que
la mode y change rien. Si la poésie tient peu de place dans cette existence
flegmatique et monotone, les qualités solides, la piété, la droiture de
cœur, les sentiments honnêtes et bons s y rencontrent fréquemment. La
plupart des personnages que l'auteur met en scène sont plus estimables
qu'amusants, mais leurs allures si différentes de celles qu'on remarque
ailleurs excitent la curiosité comme pourrait le faire la relation d'un voyage
lointain ou quelque chronique bien naïve des siècles passés. M. Hilde-
brand se. montre observateur habile et consciencieux. On regrettera seu-
lement qu'il ne sache faire en quelque sorte que les accessoires d'un récit,
et ne comprenne pas la nécessité d'une action bien conduite pour captiver
l'intérêt de ses lecteurs.
Le Roman de Jean de Paris, publié d'après les premières éditions, et
précédé d'une notice, par Emile Mabille. Paris, Jannel, 1855;in-18.
On ignore l'auteur du roman de Jean de Paris, mais cet ouvrage, écrit
au seizième siècle, a toujours joui d'une grande popularité, et il en est
digne : la naïveté du style s'allie chez lui à une finesse satirique vraiment
piquante. Le sujet est des plus connus, le théâtre s'en est emparé et a
fait connaître partout ce jeune roi de France qui, tiancé à une princesse
espagnole, se rend incognito au delà des Pyrénées, se présente comme fils
d'un riche bourgeois de Paris, se montre jeune, beau, hardi, étale je plus
grand luxe, se fait aimer de la princesse, et l'emporte sans peine sur un
roi d'Angleterre, maussade et d'un âge mûr. Lorsque son succès est com-
plet, il se fait connaître, et le mariage est bientôt conclu. Ce récit, qui a
dû être composé de 1525 à 1535 par quelqu'un attaché à la cour de
France, est rempli d'allusions à François 1". Trois ou quatre éditions an-
térieures à 1570, et devenues presque introuvables, donnent un texte qui
a été remanié et abrégé dans de nombreuses réimpressions. M. Jannet a
très-judicieusement reproduit le texte primitif, bien préférable à celui
qu'ont fabriqué des arrangeurs maladroits. Ce volume est une fort bonne
addition à la BMiothhjue elzevirienne, déjà considérable, et qui le de-
viendra bien davantage, à la grande satisfaction des amis des livres. *
H) VOTAGBS £T Hl&TOlRB.
IfOmka^» ET HISTOIRE.
Essai de chronographie byzantine, pour servir à t'exameft des an-
nales du Bas-Empire, et particulièrement des chronographes slavons»
de 395 à 1057, par Edouard de Murait. Saint-Pétersbourg et Leipzig,
1855; 1 vol. grand in-8 de XXXll et 858 pages.
Ce n'est pas l'histoire de l'orient de l'Europe seulement que la belle
publication de M. de Murait vient enrichir de bien des fails et éclairer
d'une nouvelle lumière. Elle a, sans doute, pour premier objet l'histoire
des pays slavons ; elle permet de suivre les pas que fait Taneienne juris-
prudence et l'ancienne administration romaine, altérée par les influences
de l'Orient ; de se rendre compte des différences qui se manifestent dans
les pays soumis à l'Eglise grecque, et ceux soumis à l'Eglise latine;
elle montre, dans leur contact avec l'Église et une civilisation vieillie,
les peuples germaniques, slaves et arabes, rudes, jeunes et pleins d'éner-
gie ; mais elle jette aussi sur l'histoire de l'Occident plus d'un jour nou-
veau. Tantôt elle rapproche des fails qui s'éclaircissent mutuellement ;'
tantôt elle fixe une date longtemps incertaine ; tantôt une discussion som-
maire, mais toujours approfondie, des autorités invoquées, permet à l'o-
pinion de se déterminer sur leur valeur et leur degré de crédibilité. Le
corps des historiens byzantins, publié à Berne, est la source principale à
laquelle a puisé M. de Murait; mais elle est loin d'être la seule ; les ar-
chives slaves, celles de Rome, de Venise, de Gênes, des sources inédites
en grand nombre ont été par lui sérieusement étudiées. Les chroniques lui
ont donné leur contingent de faits incontestés. Celles de l'Arménie, de
ribérie, de la Géorgie, les historiens arabes et musulmans ont été consul-
tés aussi bien que la collection des historiens de l'Allemagne de M. Pertz.
L'auteur n a pas négligé non plus de traiter les questions numismatiques
et ethnog;raphiques qui se trouvaient sur son chemin. Nous sommes donc
heureux d'avoir à faire connaître un livre qui, en même temps qu'il enri-
chit l'Orient delà science de l'Occident, éclaire l'Occident de la lumière de
l'Orient. Il appartenait à peu d'hommes de remplir cette tâche comme à
M. de Murait, également versé dans l'histoire de nos pays et des pays
slaves, esprit net et ferme, savant laborieux, entouré de considération»
et placé, à Saint-^Pétershourg, dans une position qui lui donne l'accès à
des sources jusqu'auxquelles seul, peut-être, il pouvait pénétrer. V.
V0TA6EB BT HtSTOlAK. If
ÀDVis ET DEVIS de la source de Hdolatrie et tyrannie papale, par quelle
practfqueet finesse les papes sont en si haut degré montez, smvis des
difformes réformateurz, del'adviset devis de menconge, et des faulx
miracles du temps présent, par François Bonivard, ancien prieur de
Saint- Victor. Genève^ chez J.-G. Fick, 1856; 1 vol. in-8 orné dea
portraits des papes, relié en parchemin : 8 fr.
Sous le titre de Advis et devii de la source de lidalatrie, François
Bonivard, le prisonnier de Chilien et le chroniqueur de Genève, avait re-
cueilli maints détails historiques et anecdotes curieuses touchant les onze
papes qui vécurent de son temps, savoir depuis Alexandre VI jusqu'à
Pie IV. C'est ce travail que M. G. Revilliod etM. le docteur Chaponnière
mettent en lumière aujourd'hui pour la première fois, car il n'avait point
été publié jusqu'à présent, lis y ont joint d'autres opuscules également
inédits du même auteur.
Dès les premiers temps de la réforme, le prieur de Saint-Victor se
rangea parmi les adversaires de la papauté, dont il connaissait à fond les
abus et les scandaleux excès. Mais ce fut plutôt par esprit d'indépendance
et d'opposition que par dévouement à la cause évangélique. Jamais on ne
le vit prendre part aux rudes travaux des réformateurs. Il ne voulait être
ni chef, ni soldat dans la bataille. Son drapeau était celui du libre pen-
seur qui se tient en dehors des partis, et les attaque tous avec la même
vivacité. S'il se montre sévère pour les papes, il n'épargne guère davan-
tage les ministres et les princes protestants. Après avoir exposé de la ma-
nière la plus crue les vices de la cour de Rome, il déplore dans ses dif-
formes réformateurs, que tant de gens aient suivi l'Evangile pour avoir le
bien d*autrui ou pour donner libre cours à leurs mauvais penchants, et ne
craint pas de les vouer au blâme public en dévoilant les motifs de leur
conversion. Ayant été à Rome sous le pape Léon X, il y a vu des choses
qui l'ont révolté ; le tableau qu'il fait de la vie des cardinaux en offre une
preuve certaine. Mais, d'un autre côté, les mœurs du roi Henri VIII, du
landgrave de Hesse, du comte Guillaume de Fufstenherg, des deux Al-
brecht de Brandenbourg ne lui semblent pas plus conformes à la morale
évangélique, en sorte que, sauf dans le val d'Angrogne et peut-être à
Genève, il ne trouve nulle part la vraie réforme, c Certainement, qui bien
considère de tous côtés, l'on trouvera qu'il est beaucoup plus aisé à dé-
truire le mal qu'à construire le bien, et que ce monde est fait à dos d'âne»
12 TOTAGBS BT HISTOIRE.
si un fardeau penche d'un côté et vous le voulez redresser et le mettre au
milieu, il n'y demeurera guère mais penchera de 1 autre. Aussi Cicéron en
la guerre citoyenne entre Pompée et César, étant requis d'un chacun
côté, disait : Quêm fugiam scio, ad quem neacio, démontrant qu'il n'y
avait de bien ni en l'un, ni en l'autre. Nous avons de cette sentence e.\-
trait un emblème de la vraie Eglise que nous avons figurée par une bre-
bis que nous appelons la brebis désespérée^ laquelle nous coUoquons entre
un loup qui la veut dévorer d'un côté, et de l'autre son pasteur qui tient
un couteau pour l'écorcher. * Cette courte citation, à laquelle nous n'a-
vons changé que l'orthographe, peut donner une idée de la verve spiri-
tuelle et de l'élégante fermeté dont le style de Bonivard est empreint.
On y reconnaît le littérateur, homme d'esprit plutôt que de conviction
profonde, mais il manie la langue avec une aisance qui n'était pas com-
mune alors. Ses deui petits traités sur le mensonge et sur les vrais ou les
faux miracles sont surtout remarquables à cet égard. Ils se distinguent
par la clarté non moins que par le tour na'if et piquant de l'expression. Sans
doute on peut reprocher à l'écrivain un goût peu délicat dans le choix de
ses anecdotes sur les papes, et trop de crudité dans la manière dont ii les
raconte. Mais c'étaient les défauts de l'époque, et les austères réforma-
teurs n'en furent pas toujours exempts. Or, par la nature de son caractère,
Bonivard nous semble se rapprocher plutôt de ceux qu'on appelait les
libertins, qui ne voulaient plus du catholicisme et reculaient devant les
sacritices indispensables pour assurer le triomphe de la réformation. C'est
, un esprit frondeur, indépendant, rétif, et fort mal à Taise dans son siècle
entre l'autorité romaine et la discipline des nouveaux sectaires. Ainsi que
le disent les éditeurs : « Bonivard rappelle la fougue et la raillerie gau-
loises, et il partage les qualités et les défauts des auteurs de son temps,
les Rabelais, les Marot, les Brantôme, les Henri Estienne, les Mon-
taigne, etc.. au milieu desquels il mérite d'occuper sa place. Estimé
comme historien, il ne pourra que gagner à être plus connu comme lit-
térateur, critique et philosophe. > Le volume que publie M. G. Revilliod
est exécuté d'ailleurs avec un goût typographique remarquable. Le pa-
pier, les caractères, l'ornementation rappellent autant que possible l'im-
primerie telle qu'elle était à l'époque de Bonivard, et les letires illus-
trées sont celles d'un imprimeur distingué de la fin du seizième siècle.
Les portraits des papes, gravés sur cuivre avec une manière large qui
leur donnent tout à fait l'aspect de.> anciennes gravures sur bois, sont in-
sérés dans le tfxte en tête de chacune des notices. Tout cet ensemble
VOYAGES ET BISTÔimS. 13
harmonieux et bien combiné fait le plus grand honneur aux presses do
M. Fick. Nous espérons que les encouragements du public ne manqueront
pas à de tels efforts, dont le bui est de relever la typographie genevoise, et
de lui rendre quelque peu de son ancien éclat.
Séjour chez le grand ghérif de la Mekke, par Charles Didier. Paris,
1857; 1 vol. in-16: 2 fr.
M. Charles Didier, après un séjour de quelques mois au Caire, a tra-
versé le désert de Suez, visité le mont Sinaï, la ville de Djeddah, puis
celle de Taïf, dans le voisinage de laquelle se trouve le palais du grand
chérif de la Mekke. Favorisé par les circonstances, il obtint le privilège
accordé très-rarement à des Européens, d'êlre accueilli par ce haut per-
sonnage avec une bienveillance marquée. Celte faveur exceptionnelle
donne à son voyage un intérêt assez piquant. Il nous fait du moins con-
naître des lieux et des personnages nouveaux, et s'écarte de Téternel itir
oéraire des touristes C'est d'ailleurs un écrivain exact, un observateur
consciencieux dont les notes ont une véritable valeur, parce qu'il cherche
à recueillir des données utiles plutôt qu'à se mettre lui-même en scène. Ses
jugements sur les mœurs et les usages des habitants portent en général le
cachet du bon sens. On ne trouve point chez lui cet enthousiasme banal au-
quel d'ordinaire les voyageurs en Orient semblent se croire obligés de payer
leur tribut. Sobre de descriptions poétiques, il les réserve pour les scènes
qui en valent réellement la peine, et sait intéresser le lecteur par des dé-
tails curieux, instructifs, choisis avec tact et peints avec la plus grande
ddélité. Son but est de signaler surtout les traits principaux qui caracté-
risent les Turcs et les Arabes, afin de mettre en évidence l'état de dis-
solution dans lequel se trouve l'empire ottoman. M. Charles Didier re-
garde comme impossible l'œuvre entreprise par les puissances européennes
de maintenir la domination turque, et voudrait plutôt les voir tourner leurs
efforts vers Taffranchissement des nationalités opprimées sous son détes-
table joug. Les faits qu'il cite nous paraissent en effet indiquer une déca-
dence irréparable. Chez les Arabes, au contraire, il montre des éléments
de vigueur morale et d'intelligente activité, dont Tessor ne saurait être
qu'avantageiJM dans l'intérêt de la civilisation. L'accueil fait à notre voya-
geur par le grand chérif de la Mekke en offre une preuve frappante. Ce
prince, héritier d'une famille qui régnait sur l'Arabie, comprend que
Tavenir de son pays dépend de l'Europe, et c'est à cela que M. Ch. Didier
t4 ¥0Ti«B8 ET fllSTOlRB.
et 800 compagnon anglais, ont dû d'être reçus avec uAe distinction toute
particulière. Ils étaient, en quelque sorte, pour le grand chérif les repré-
sentants de deux puissances qui, tdl ou tard, décideront du sort de la
Turquie.
Histoire du commerce de toutes les nations, depuis les temps anciens
jusqu'à nos jours, par H. Scherer, traduit de l'allemand, par H. Ri-
chelot et Ch. Vogel. Paris, i 857 ; 2 gros vol. in-S : 18 fr.
L'histoire du commerce est, en quelque sorte, celle de la civilisation,
surtout pour les temps modernes. Dans l'antiquité, sans doute, il tient
une place moins considérable, cependant son rôle n'en eut pas moins une
importance assez grande. On ne peut concevoir en effet de société deye*
nue forte et prospère sans le concours de Télément commercial. Chez les
sauvages déjà l'échange existe sous sa forme la plus rudimentaire, et son
4éveloppement marque chacun des pas qu'une nation fait dans la carrière
4\x progrès. Il est donc bien difficile de dire quel peuple se livra le pre*
oiier au commerce. Cette branche de l'activité humaine a ses racines dans
les âges les plus reculés, et nous ne possédons aucun document qui puisse
iious servir de guide pour une semblable recherche. Ce qu'il y a seule-
ment de certain, c'est que dès le début de la période historique on trouve
le commerctt pratiqué de pays à pays, de peuple à peuple, d'une manière
plus ou moins étendue. L'Inde et la Chine possèdent à cet égard des tra-
ditions fort anciennes, et de récentes découvertes prouvent que l'Assyrie
«t TEgypte n'étaient pas moins avancées. Il est évident que le luxe monu»
mental, dont les ruines de leurs cités et de leurs palais nous offrent tant
de vestiges n'aurait pu se développer sans le secours d'un essor com-
mercial assez grand. On en doit conclure que diverses contrées de l'Asie
et de l'Afrique trafiquaient ensemble longtemps avant que les Phéniciens
eussent commencé leurs expéditions aventureuses. Ce furent ceux-rci qui
donnèrent Timpuision au commerce maritime; leur exemple trouva bientôt
d'habiles imitateurs chez les Gr^cs, dont le génie moins exclusivement
mercantile . sut poursuivre à côté du gain matériel des satisfactions d'un
ordre- plus élevé. Leurs voyages exploités dans l'intérêt de la sciencecoo*
tttt)uèrent saas doute au vif éclat que répandit la civilisation.de la Gi*èce;
mais le commerce en Ini-mème ne jouait encore qu'un rôle secondaire: il
était regardé comme un moyen plutôt que cmnme un but ^ ses opéirattoB^
VOYAGES BT HIST0IR1S. 15
^e renfermaient dans des limites assez restreintes, et quand la puissance
romaine domina le monde, il eut pour unique mission de satisfaire les be-
soins et les fantaisies de la métropole. C*est donc seulement de Tère mo-
derne que date son véritable essor. Il coïncide avec la révolution sociale
opérée par rétablissement du christianisme. Après la chute de l'empire
tomain, l'Europe sembla retomber dans la barbarie ; mais du sein de ce
chaos ne tardèrent pas à sui^ir les éléments d'une vigueur^nouvelle et
féconde en résultats bienfaisants. L'esprit humain reçut des circonstances
Télan le plus salutaire. L'invention de l'imprimerie et la découverte de
l'Amérique vinrent ouvrir un vaste champ à son activité. Dès lors» lêt
entreprises mercantiles prirent toujours plus d'extensioB, et Ton comprit
que dorénavant le commerce allait être l'une des principales sources de la
puissance nationale. C'est à lui que les peuples modernes doivent leurs
plus belles conquêtes ; il tend sans cesse à les rapprocher, à les détourner
de la guerre, it se fait le civilisateur du monde, et favorise partout les
institutions libres nécessaires à sa prospérité. M. Scherer montre que
chez les dififérentes nations le mouvement commercial fut toujours en
rapport proportionnel avec le degré de liberté dont elles jouissent. Ainsi
rEspagoe et le Portugal, pays despotiques, ont promptement perdu leur
ancienne splendeur commerciale, tandis que la constitutionnelle Angle-
terre s'est élevée au premier rang et s'y maintient. Les autres Etats de
TEurope présentent plus ou moins le même spectacle; Chacun d'eux est
pour l'auteur l'objet d'une étude approfondie, et ses intâressantes re«-
cherches le conduisent à reconnaître que partout où le commerce a pros^
péré, les lettres, les sciences et tes beaux-arts ont fleuri, .que les peuples
les plus commerçants, !ès plus industrieux, les plus riches, sont aussi les
peuples les plus éclairés. C'est dire assez l'importance d'un sembiattte
travail, dans lequel on voit comment se dévotoppèrent les forces natioaales,
et quels précieux services le commerce a de tous'tempsrendusà la civili*
sation. Les nombreuses notes dont la trafduotion ^t enrichie, complètent
l'ouvrage et rectifient quelquefois les idées 'émises par Tsuteur, ou du
moins mettent en présence l'ofiiniofi contrait*6, de sorte que chaque lec-
teur puisse comparer et juger. La préface de M. fticbelot est un mijffoieait
remarquable qui signale avec beaucoup de sagacité tes phases-principales de
l'histoire du commerce depuis son origine jusqu'à nos jours, ainsi que fea
Inriilanftes perspectives oôveiles à son avenifr par le génie du dix-ueuvièœa
siècle.
16 VOTAGKS ET HI8T0IAB.
Histoire de Bienne (Geschichte der Stadt Biel und ihres Panner-Ge-^
bietes), par le docteur C.-A. Blœsch. Six Ii\raisons, formant trois vo-
lumes, avec cartes, plans et dessins.
Bienne est une ville peu considérable du canton de Berne, et cepen-
dant l'histoire de cette cité mérite d'être annoncée. Elle le mérite, parce
qu'elle est un modèle de l'intérêt que l'histoire peut retirer de recherches
approfondies sur un espace donné, si limité soit-il. C'est la médecine qui a
conduit M. Blœsch, frère du landammann de ce nom, à l'étude de l'histoire.
Hyppocrate lui avait appris l'importance, pour la médecine, de connaître
la constitution physique des lieux où il exerce son art, et c'est ainsi qu'il
se trouva amené à dépouiller les milliers d'actes que renferment les ar-
chives de sa ville natale et des contrées environnantes. De ce travail est
sorti un tableau, resserré sans doute, mais toujours vrai, toujours l'image
fidèle, vivante et colorée du siècle auquel il appartient, et qui, sur plus
d'un point, jette sur l'histoire de la patrie suisse une lumière nouvelle.
V.
De la république des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, par M. de
la Gracerie. Paris, 1857; 1 vol. in-8*> : 4 fr.
La situation actuelle des Etats-Unis préoccupe vivement tous les amis
4lu régime républicain. Il est évident que l'Union américaine entre dans
une crise menaçante qui peut produire les plus funestes résultats. D'une
part les tendances démocratiques poussées à l'extrême, de l'autre la ques-
tion de l'esclavage semblent concourir également à rompre le lien fédératif
dans lequel résident sa force et sa prospérité. De plus, le flot de l'émigration
lui amène sans cesse des éléments étrangers qui sont pour elle une source
d'embarras. L'action de ces diverses causes se fait sentir depuis quelque
temps d'une manière inquiétante. Chaque élection est marquée par Ihos-
tilité croissante des partis, et leur lutte devient de plus en plus vive.
Jusqu'ici pourtant la paix du pays n'avait point paru compromise ; on se
plaisait à croire la jeune république assez vigoureuse pour résister
aux tentatives anarchiques. Mais plusieurs circonstances récentes ont dis-
sipé bien des illusions à cet égard, et tous ceux qui s'intéressent aux des-
tinées de l'Amérique sentent le besoin de mieux connaître ses mœurs,
ses institutions et les garanties sur lesquelles repose sa liberté. Il importe
d'ailleurs d'éclairer le public sur les véritables conséquences de l'émi-
V0YA6BS JU A18«01E»« . 17
gV9t^» mv les conditions qu^imp^sent , soit les lois, soit les babitude»
aiDéricai[D^. C'est là le but principal ques*est proposé H. de la Gracerie;
il veut pn^munir contre les dangers d'un enthousiasme irréfléchi. Son livre
offire» ea effet, ^ un tableau peu séduisant. Quoiqu'il rende hommage au
géçie^oational des Américains, à leur activité féconde , à leur énergie, au
merveilleui développement de leur république, il ne paraît pas avoir
qoaflance dans la durée d'un semblable état de choses. Suivant lui la
constitution américaine ne mérite point les éloges dont elle a souvent été
l'objet ; loin de favoriser lessor des Etats-Unis» c'est elle au contraire
qui a créé les plus grands obstacles, et qui renfermait dans son sein
tovs les germes de discorde qu*on voit se développer aujourd'hui. Son
vice radical est de laisser libre carrière aux instiiycts démagogiques.
H. de la Gracerie lui attribue une influence déplprabie contre laquelle la
peuple a dû constamment lutter, mais qui finira par rendre ses efforts
inutiles. Au lieu de mœurs vraiment républicaines, il trouve aux. Etats-
Unis beaucoup d'égoïsme, des partis violents, de nombreux abus dans tooto»
les administrations, une absence complète de bonne foi et de dignité dan»
Texercice de la souveraineté populaire. On l'accusera sans doute d'exa-
gération ; cependant les faits qu'il cite ne peuvent être contestés, et do
tels exemples qui se multiplient chaque jour semblent annoncer, en effet,
la ruine prochaine de l'Union. Ce sont les excès de la démocratie, aux-
quels iln'eixiste d'autre contre*poids que l'intensité du sens moral. Or ee-
)uioci.sera-t-il assez fort pour résister avec succès. Là est toute )a ques-
tion) • Notre auteur en désespère. Ses eraintes sont fondées sur des im-*
pressions personnelles dont la valeur exacte ne saurait être bien jugée
par. ceux qui n'ont pas eu comme lui l'occasion d'étudier de près le peu-^
pl^ américain. Non-seulement il redoute les divisions politiques, mais'
eocore la prospérité matérielle lui semble assise 'sur des bases peu so-^
lidas. Un trait le frappe surtout, c'est la précipitation apportée dans les
travaux publics : point de surveillance, point de responsabilité, aueuhf
r«»sp6Ct pour la vie humaine. Chemins de fer, bateaux à vapeur, ^isines
sa construisent à la hâle, se font une concurrence acharnée, et quand !l
eo résulte des -catastrophes, la justice n'intervient le plus souvent que
pour la forme. Les coupables échappent , en général , par une fuite'
momentanée , ou bien achètent leur acquittement. M. de la Gracerie ac-
cuse de vénalité les tribunaux, ainsi que le régime tout entier, à partir du
suffrage universel, auquel sans cela, dit-iU les deux tiers des électeurs
18 VOtAGBS CV RISTOIAB.
ne prendraient aucune part. Le reproche est bien grave, et nous croyons
que les deux ou trois cas cit^ pari*auteur ne sauraient suffire à le prou-
ver. Evidemment il se laisse un peu trop dominer par son désir de mettre
le public en garde contre Tattrait de l'émigration. Il ne tient pas assez
oompte de l'élément moral et religieux qui joue encore un grand rôle
chez le peuple des Etats-Unis ; il oublie les bienfaits de la liberté, pour ne
faire ressortir que ses travers. Les périls sont imminents, cela n'est pas
douteux; mais l'Amérique ne manque pas de ressources et si peut-être un
déchirement devient inévitable , du moins on a tout lieu de compter sur
la venir de cette nation pleine de sève et de vigueur. H. de la Gracerie ex*
pose d*une manière très-complète les divers symptômes précurseurs de
i orage. C'est un pessimiste, mais son livre renferme une foule d'obser-
vations intéressantes, de détails curieux et de données instructives. Il
forme en quelque sorte la contre-partie de celui publié récemment par
M. W. Rey. Ces deux ouvrages écrits à des points de vue très-différents,
contribueront par leur contraste à faire mieux comprendre la situation ac-
tuelle des Etats-Unis.
MÉMOIRES SUR lItalie, par Joseph Montanelli, traduction de Fr. Arnaud.
Paris, 1857; 2 vol.in-12 : 7 fr.
M. Joseph Montanelli a joué un rôle important dans les dernières ré-^
volutions d'Italie ; c'est un ex-président du conseil des ministres, un
ex-triumvir du gouvernement provisoire toscan. Il se trouve donc aujour-
d'hui assez bien qualifié pour écrire l'histoire de cette curieuse époque.
La Toscane occupe naturellement la place principale dans son livre, qui
débute par un exposé des vues politiques du gouvernement de ce petit
État, à partir de 1814. On y voit le germe révolutionnaire nattre et
se développer sous l'influence de l'active propagande dont Mazzini était
déjà le chef. C'est grâce aux efforts de cet infatigable agitateur que les
sociétés secrètes finirent par enlacer dans leurs liens mystérieux presque
toute la jeunesse italienne. Montanelli, sans être un de ses fervents
adeptes, ne put résister à l'entraînement génénal. Il se fit, comme tant
d'autres» conspirateur permanent, et prit plus ou moins part aux diverses
tentatives qui ont précédé la grande insurrection de 1848. Ses mémoires
renferment à ce sujet des détails fort intéressants, qui répandent une vive
lu^nière sur les tendances, les illusions et les fautes du parti libéral italien.
L'effet du tableau nous parait en somme peu favorable à rilalie. Malgré
VOTAGBS BT HISVOiRB. 19
les efforts de l'auteur, il en ressort une confusion d*idées et d'in-
térêts qui s'entrechoquent sans aucun profit pour la cause de la li-
bevié. Ce sont toujours les mêmes espérances chimériques suivies des
mêmes déceptions. Une jeunesse ardente, exaltée, aussi remarquable par
son développement intellectuel que par ses nobles sentiments, se lance
^vec témérité dans des entreprises impossibles qui ont pour issue l'exil, la
prison ou l'échafaud, et le peuple assiste aux répétitions de ce drame en
simple spectateur. Les sympathies ne manquent pas, mais elles ne produi-
sent guère que de vaines démonstrations. Ce sont de pompeux discours, de
brillantes parades , des protestations sans nombre, et point d'entente, point
d'accord; au lieu de concerts, des charivaris dans lesquels chacun crie à
tue-tête sa chanson, sans s'inquiéter de celles des autres. M. Montanelli
n'épargne pas plus ses collègues que ses adversaires. Il laisse voir tous les
dissentiments qui régnaient entre les chefs du parti libéral italien, et nous
ùit ainsi très-bien comprendre la cause de ses continuels revers. Hais il
semble n'y pas attacher beaucoup d'importance. A ses yeux la nationalité
italienne ne peut renaître que par le triomphe complet de la démocratie, et
la défaite des partis modérés a l'avantage de frayer le chemin en simplifiant
la question. Loin d'être découragé par tant d'essais malheureux il rêve en-
core ritalie républicaine, et se persuade qu'une pareille entreprise présen-
terait les plus belles ctiances de succès et de durée. On aura de la peine
^ partager sa confiance, surtout après avoir lu l'histoire de la révolution
de 1848. Evidemment la grande majorité du peuple italien n'est point
préparée pour ce changement de régime. Les idées démocratiques fer-
mentent chez quelques esprits cultivés dont le courage téméraire n'ob-
tient, en général, de la foule qui les contemple, que des applaudisse-
ments lorsqu'ils réussissent et des larmes lorsqu'ils succombent. Sans
doute le dévouement de plusieurs d'entre eux a jeté de l'éclat sur la
cause qu'ils défendent; mais cela ne suffit pas pour démontrer qu'un gou-
vernement populaire soit possible ni désirable chez une nation depuis si
longtemps privée d'indépendance et de liberté. En jugeant même d'après
te livre de M. Montanelli, on n'entrevoit d'autre perspective que l'a-
narchie. Les récriminations auxquelles il se livre donnent une idée de ce
que seraient les rivalités ambitieuses qui suivraient 1q triomphe. Chacun
voudrait faire prévaloir ses vues, réaliser ses utopies, et la philosophie spé»
culative ou le mysticisme religieux des révolutionnaires italiens échoue-
raient infailliblement contre les éoueils de la pratique*
^ SClBNGSi MOdULB» BJ POlfiflQUBS.
Journal de la femme d'un missionnaire dans les prairies de Pouest aùt
Etats-Unis, traduit de l'anglais par H^** RiHiet-de Constant. fienèVe^
E. Beroud, 1857; 1 vol. in-l«.
Ce journal, écrit très«simplement, offre le tableau des privations et des
fatigues auxquelles sont exposés les missionnaires. C'est un récit vrai,
dit la traductrice, dont le but est de réveiller le zèle et la charité des
Eglises en faveur des ouvriers qu'elles envoient dans des contrées loin-
taines et nouvellement habitées. On y trouve, en effet» le récit d'une via
fort pénible, supportée avec beaucoup de courage et de résignation. Hais^
l'auteur nous semble manquer de vues élevées: ses observations portent^
en général, sur de petits détails de ménage qui n'ont guère d'intérêl
La cuisine du missionnaire tient un peu trop de place dans ces notes, et
forme un étrange contraste avec la ferveur pieuse dont elles sont
raapretntes. Quoique l'absence de confort et les difficultés matérielles*
doivent sans doute être grandes chez le pasteur d'une colonie naissante.,
ce ne sont pourtant que des objets bien secondaires dans l'œuvre à fa-
quelle il se dévoue. On aimerait mieux un aperçu de l'état mori^l des ha-
bitants, de l'influence exercée par le missionnaire, et des résultats qu'oni
obtenus ses efforts. Ce serait là , selon nous, le véritable moyen de sti-
muler le zèle des Eglises, en leur montrant l'utilité de l'entreprise qu'il
s'agit dé soutenir. Du reste les sentiments exprimés par l'auteur sont tout
ï fait dignes de sympathie et décèlent un cœur humble, plein de foi ei de,
charité:
Recherche de là méthode qui conduit à la vérité sur nos plus grands
intérêts, avec quelques applications et quelques exemples, par Gh.
Secrétan. Neuchâtel, Leidecker, 1857; 1 vol. in-13.
Sous ce titre l'auteur a réuni plusieurs fragments publiés par la Revue de
théologie de Strasbourg. Ce sont des essais de philosophie religieuse, em-
preints d'un esprit large et fécond. Rejetant ies vues systématiques, M. Se-
crétan s'attache à démontrer que la conscience et la raison soat deux
guides indispensables pour la recherche de la vérité. H combat tour à tour
le scepticisme, l'autorité, la philosophie même qui, malgré les éaiinents
services qu'elle peut rendre, ne lui paraît pas suffire seule. Sa méthode
lui sert à tracer les premiers linéaments d'une apologie du christianisaie»
BCnmCKS KORALIS BT POLITIOUtS. 21
«t, eomme exemple des avantages qu'elle présente dans Tapplication, il
donne les diverses pièces de ta discussion soulevée par un travail de
M. Ed. Scherer sur le péché. Ces débats sont très-remarquables, quoiqulîs
n'offrent sans doute point encore la solution définitive du problème. Dans
cette espèce de tournoi tbéologique, d'habiles champions ont rompu plus
d'une lance, mais la victoire reste indécise, parce qu'en de semblables
questions il est impossible d'arriver à la certitude et surtout de la rendre
évidente pour tous. M. Secrétan le reconnaît lui-même : t Au bout de
tous les sentiers, dit-il, nous trouvons les contradictions de notre igno-
rance.» Mais l'homme possède en lui le besoin de chercher la vérité, le
désir impérieux de la découvrir. Or, ce germe n'a pas été déposé sans
but dans son âme, et quand il s'efforce de le développer il remplit assu*
tément l'une des plus nobles tâches de sa destinée. L'indifférentisme à
l'égard des intérêts spirituels ne saurait conduire qu'à la décadence de
)*état social. Ce ne sont pas les perfectionnements matériels qui sauveront
le monde, ils tendraient même bientôt à disparaître sans le secours de
Ylnteltigence qui les a produits, et qui doit être entretenue saine et vigou-
teUse si l'on veut qu'elle en produise de nouveaux. Ainsi que le remar-
que M. Secrétan : c Les croyances religieuses n'ont pas seulement formé
l'art, la tangue et la littérature, elles sont à la base de toutes les créations
historiques, elles ont présidé visible.iient à l'organisation des sociétés.»
Pourquoi donc notre siècle se prétendrait-il apte plus qu'un autre à se
passer d'elles? Ne renferme-t-il pas au contraire des éléments de dissolution
dont Tactivité menaçante exige d'énergiques remèdes ; et pour conjurer ce
péril où l'homme puisera-t-il la force voulue si ce n'est en Dieu? L'écrivain
qui, dégagé des préoccupations du jour, poursuit patiemment ses études
sérieuses dans le domaine de la pensée accomplit une œuvre méritoire.
i\ empêche la flamme de l'esprit de s'éteindre , et les semences qu'il
jette au vent rencontreront t6t ou tard un sol favorable sur lequel on les
verra germer, croître, fleurir et porter des fruits excellents.
Quelques bonnes pensées, par la traductrice du vieil Humphrey. Lau-
sanne, J. Durel-Corb^, 1857; ia-lS.
c Mon Dieu 1 sans la pensée du oieh que d'existences inutiles dans ce
monde, tant pour soi-même que pour les autres! Vie de souffrances de
tcenr, d'amoiir-propre blessé, de coups d'épingles ! j»
€èHe féflexion extraite do volume que nous annonçons ici en indique
22 8CIVICB8 «OAALES ET P0UXIQ1IE8.
assez bien la tendance et la portée. L'auteur a voulu montrer l'impoi:-
tance de ta religion dans les diverses circonstances de la vie. C'est un ob-
servateur ingénieux qui ne manque pas de finesse' dans sa manière de jugep
les penchants du cœur et les petits mobiles de nos actions. Ses remar-
ques sont, en général» pleines de bon sens; on y rencontre même çà et là-
quelques trait» assez piquants par leur originaJité. Nous citerons par
exemple celle-ci : c Les pelotes, je vous le confesse, ont ma sympathie»
car je connais peu de familles qui n'aient pas un membre souffre-douleur^
sorte de pelote vivante, laquelle, parfois irritée au delà de la patience hu-
maine, se change au grand étonnement de se^ épingles-bourreaux en uoe^
sorte de hérisson. ■ A de semblables maux la résignation chrétienne est le
seul remède efficace, comme pour beaucoup d'autres misères qui font de
la vie humaine une perpétuelle épreuve, mais doivent être ainsi tournées
au profit de notre âme. C'est là l'enseignement que l'auteur s'est proposé
de mettre en évidence par des applications tout à fait usuelles. L'esprit et le
cadre du livre sont excellents ; l'exécution seule laisse à désirer. Dans ui»
livre de ce genre la forme n'est pas indifférente, le charme du style rehausse
beaucoup la valeur du fond; les bonnes pensées ont besoin d'être biei^
dites, pour produire tout leur effet. Nous regrettons que l'auteur ait parfois-
un peu négligé cet accessoire qui aurait donné certainement plus d'attrait
^ la lecture de son petit ouvrage.
Les philosophes français du dix-neuvième siècle, par H. Taine.
Paris, 1857 ; 1 vol. in-12: 3 fr. 50 c.
Laromiguière, Royer-Collard, Maine de Biran, Cousin, JouSiroy, tel»^
sont les philosophes auxquels est consacré ce volume. M. Taine passe en
revue leurs idées, et les critique avec beaucoup de vivacité. U leur ac*
corde de l'esprit, du talent, de l'éloquence» mais les regarde comme de
pauvres philosophes, qui manquent à la. fois d'invention et de vigueur
originale. Laromiguière seul lui paraît digne de quelques éloges, encore
n'est ce que comme étant l'écho de Condillac. Maine de Biran et Victor
Cousin sont, au contraire, ceux qu'il ménage le moins, car il témoigne u^
certain respect pour Royer-Collard et Jouffroy; tout en démolissant leurs
systèmes. Toute la philosophie française de notre époque semble n'avoir
à ses yeux aucune valeur sérieuse* Ce sont des élucubralioos plus ou
moins élégantes, qui ne prouvent rien et n'enseignent rien. EvidemmeiU
.M. Taine appartient à l'école du dix-huitième siècle,, dont l'arme favorite
SCIBKCBS XORALBS Ul Pj9UllQUBS# 23
était le scepticisme railleur. Od ne peut pas dire s'il est matérialiste, ou
panthéiste, ou déiste* Ce qui ressort plius clairemeot de son livre, c'est
qu'il n'aine pas les philosophes du dix^neuvième siècle, et nous sommes
tentés de croire qu'il a peu de goût pour la philosophie elle-même. En
effet, ses attaques dirigées contre le spiritualisme et réclectisme ont un
ton d'ironique dédain qui n'annonce pas beaucoup de vénération pour le
travail de la pensée. 11 fait de la satire amusante plutôt que de la critiqoe
profonde et sérieuse. Pour lui, Maine de Biran n'est qu'un rêveur presque
visionnaire, et Cousin un 4àdroit compilateur, mais léger, sup^fîciel et
sans mérite original. Ce dernier surtout sert de bot à ses traits les plus
mordants. Ici M. Taine se montre censeur impitoyable, et sa férule n'é-
pargne ni le savoir,, ni le beau style, ni les tendances élevées de l'illustre
écrivain. C'est une exécution fort injuste, qui nous semble offrir le cachet
de l'animosité personnelle plutêt que celui d'un jugement impartial et
droit. Nous croyons que la plupart des lecteurs en seront désagréablement
frappés, d'autant plus qu'après avoir ainsi pulvérisé l'éclectisme dans la
personne de son principal représentant, M. Taine met à la place un sys-
tème qui ne brille ni par l'élégante clarté de l'exposition, ni par la pro^
fondeur ou la nouveauté des idées.
Simple commentaire sur la vie de N. -S. Jésus-Christ, puisé dans les
quatre Évangiles, traduit de l'anglais de lady Wake, par M^^deCha-
baud-Latour; l^^^ volume; le second n'a pas encore paru. Un volume
grand in-8 de 410 pages; chez Lafontaine et Vulliemin: 5 fr.
Ce commentaire a été particulièrement destiné par son auteur au culte
domestique et à l'usage des personnes qui dirigent des écoles du dimanche.
L'auteur et le traducteur se sont donc appliqués à le rendre le plus clair
et le plus simple possible. Ils ont évité toute expression qui ne serait pas
généralement comprise. Ils ont multiplié les exemples pris dans la vie
domestique et journalière. Ce n'est pas que, pour être mis à la portée des
moins instruits, ce livre soit écrit sans élégance; il suffit de dire qu'il est
trinduit par la personne à qui nous devons la traduction des ouvrages de
Jean Newton et des pensées d'Âdams, pour rassurer à cet égard; ce n'est
pas qu'il doive intéresser moins les personnes instruites ; car il est plein
d'expérience chrétienne, et Ton respire à toutes les pages Tamour de l'E-
vangile. V.
S4 SetSUOBS VOHAlESf IV POLITIOUSS.
Dd louage d'inddstrie, du mandat et de la comimssîon en droit roroaiii»
dans l'ancien drcnt français et dans le droit aetuel, par l.-J. Cla-
mageran. Paris, Aug. Durand, 1856; 1 vol. in-8 : 7 (t,
' Les dispositions légales à Tétude desquelles est eonsacré ce voiltime ont
une importance considérable pour lindustrie et le commerce. Elles en ré-
gissent les rapports les plus compliqués, ceux qui donnent lieu le plus
fréquemment à des contestations et à des procès. Le louage d'industrie,
contrat, par lequel l'une des parties s'engage è faire quelque chose pouf
l'autre, moyennant un certain prix que ceHe*ci s'oblige à lui payer, con-^
cerne les domestiques, les ouvriers, les apprentis, les matelots, les rem-*
plaçants militaires et beaucoup d'autres personnes. Il comprend aussi !es
entreprises de transports, et celles sur devis et marchés. Le mandat et h
commission se rattachent plus spécialement aux opérations commerciales,
dont ils forment une des parties les plus importantes. Les obligations des
mandataires et des mandants, celles des commissionnaires et des commet-
tants, présentent de nombreuses difficultés, sur lesquelles m6me les jor is->>
consultes ne sont pas toujours d'accord. On sent donc l'utilité d*un com-
mentaire où sont discutées avec clarté les interprétations diverses de la
loi. M. Clamageran s'est acquitté de celte tâche d'une manière très-com-
plète et très-remarquable, qui a fait couronner son travail dans le concours
ouvert par la faculté de droit de Paris. Exposant tour à tour les trois lé-
gislations romaine, française ancienne et française actuelle, il fournit les
éléments d'une étude comparative éminemment féconde, et les connais-
sances pratiques dont il fait preuve ajoutent encore au mérite de son livre.
D'ailleurs» les dispositions légales qui s'y trouvent passées ea revue
touchent aux plus graves intérêts de la société. Elles peuvent, en quelque
sorte, servir à constater les progrès de la civilisation. Ainsi que le dit
l'auteur en terminant : « On reconnaîtra que leur but suprême et leufr rérr
sultat final, c'est de mettre au service de chacun les aptitudes de tous^ et
au service de tous les aptitudes de chacun, c'est de protéger en tou^
lieux les intérêts des absentSi c'est d'étendre de plus en plus la sphère de
Tactivité humaine, et de présider, en quelque sorte^ à ce déveloii^pemeiift
gigantesque du commerce et de l'industrie, dont nous admirons sans cesse
les prodiges,, et qui est, à coup sûr,^ une des plus. belles gloires du dix-
neuvième siècle. »
SCliBIMfiS MORALES BT ^OlfTttnJKtf. S^
Delà portion de^ biens disponible et de la réduction» par C.-J. Beau-
temps-Beaupré. Paris, Â. Durand, 1856; t vol. in-8 : 14 Tr.
Les ^positions du code, commentées par M. Beautemps-Beaupré,
forment l'un des chapitres les plus ardus et les plus compliqués de U
législation qui règlb les héritages. EHes ont été souvent l'objet de discus-
sions approfondies, et de nombreux arrêts prouvent combien sont fré-
quentes les contestations iqu*elles soulèvent. Il était en effet impossible au
légi^ateur de prévoir tous les cas qui se présenteraient, surtout par suite
de maiiages entre les conjoints ayant déjà des enfants et se trouvant sous
l'empire de contrats antérieurs qui restreignent plus ou moins la part de
biens dont ils sont aptes à disposer. On comprend quelles difficultés peu->
Tent surgir de complications semblables, et combien il importe surtout de
sauvegarder les intérêts des enfants du premier lit, qui risqueraient sou-
vent d'être sacrifiés à ceux des nouveaux venus. S'il est vrai, comme Ta
dit un jurisconsulte que < toujours les seconds mariages, comme les* en-
fants avides et dissipateurs d'un père économe, dévorent la substance du
mariage précédent, > les garanties ne sauraient être trop multipliées
contre un résultat si désastreux. Quoi qu'il en soit, du moins convient-il
que toutes les questions relatives à cette matière soient élucidées d'une
manière aussi complète que possible. C'est ce que M. Beautemps-Beaupré
s'est proposé de faire dans le remarquable travail que nous annonçons ici.
Nous empruntons à sa préface l'aperçu suivant de la méthode qu'il a suivie
et des points principaux qu'il traite : « J'ai divisé ce traité en deux par-
ties, correspondant à peu près aux deux sections du chapitre tll du titre
des Donatums entre vifs et des testaments.
€ Dans la pi*emière, j'expose les règles relatives au calcul de la quotité
disponible.
« Après avoir, dans un premier chapitre, retracé sommairement l'his-
toire du droit de disposer dans le droit romain et dans Tancien droit fran-
çais jusqu'au code Napoléon, j'examine dans les chapitres suivants : !<> quelle
est la nature de la réserve sous le code Napoléon, à quel titre elle est at-
tribuée à ceux qui y ont droit, et quels sont ceux qui doivent figurer dans
les calculs qui y sont relatifs ; î» quelle est la quotité disponible lorsqu'il
y a des descendants légitimes ou naturels ou des ascendants; 3* quelle
est la quotité disponible entre époux, selon qu'il y a ou non des enfants
^'un premier mariage, et dans quels ca^ les donations dites entre épots^x
26 8CIK1CCBS MORALBS ET POLITIQUBS»
sont nulles ; A^ comment se distribue la quotité disponible, lorsque le dé-
funt a fait des libéralités au profit de son conjoint et au profit d'étrangers ;
5* quelle est la quotité de biens dont le mineur peut disposer.
■ La seconde partie est consacrée à l'examen des règles suivant les-
quelles doit se faire la réduction des libéralités excessives. J'aurai alors à
rechercher: 1* quelles personnes peuvent demander la réduction des do-
nations et des legs» ou en profiter ; f^ comment se forme la masse sur
laquelle se calcule la quotité disponible, et à quelles conditions les héri-
tiers peuvent s'affranchir des dispositions excessives en usufruit par l'a-
bandon de la quotité disponible ; 3<* si la réserve peut être grevée de quel-
ques charges; 4,^ comment s'imputent les libéralités faites par le 1^0 ««^'ut,
soit par préciput, soit en avancement d'hoirie; ^ dans quel ordre et de
quelle manière s'opère la réduction ; 6<^ quels sont les effets de la réduc-
tion ; 7^ quelles fins de non-recevoir peuvent être opposées à la demande
en réduction ; et 8®, quel est l'effet des lois nouvelles sur les libéralités
antérieures à leur promulgation. >
«
La famille chrétienne, sermons par E. de Pressensé. Paris, Meyrueis„
etC", 1856; 1 vol. in-8.
' La famille, cet élément indispensable de toute société humaine, a reçu
du christianisme une consécration nouvelle. Elle lui doit de s'être élevée
bien au-dessus de ce qu'elle était dans le monde païen, et môme chez le
peuple juif. Sous l'influence de la doctrine évangélique, le pouvoir paternel
a perdu son ancienne rigueur ; l'amour^ le support, la piété ont adouci
les relations de la famille et développé dans son sein une liberté plus fa-
vorable au perfectionnement moral. Le lien conjugal a pris un caractère
religieux qui Ta sanctifié. Mais cette nouvelle sanction implique des de-
voirs nouveaux aussi : l'homme, en se plaçant sous la protection divine^
contracte l'obligation étroite de s'en montrer digne par ses continuels
efforts pour marcher dans le sentier de la vertu, pour donner à tous les
siens l'exemple d'une vie conforme aux préceptes de l'Évangile. Le but
qu'il doit poursuivre est de former une famille vraiment chrétienne, tou-
jours prête à glorifier Dieu, dans la misère comme dans l'opulence, dans
la douleur comme dans la joie. C'est là ce que M. de Pressensé fait res-
sortir avec une éloquence persuasive, bien propre à produire de bons
fruits. Pour lui, c servir Dieu dans la famille, c'est chercher à le glorifier
par ces relations si précieuses, si douces» avant d'y chercher son propre
SCIBMCSB ET ARTS. il
bonheur; e'est donner à la famille un but noble, élevé, qui soit en dehors
de noue *, c'est reconnaître que, pas plus que l'individu, elle ne doit vivra
pour elle-même> mais que sa fin et sa destination sont en Dieu. » De cette
simple définition découlent une foule de conséquences, dont il expose très-
nettement l'effet salutaire ainsi que l'utilité pratique. Après avoir établi
de cette manière quel est, au point de vue chrétien, le principe dominant
de la vie de famille, il en montre les applicatioos dans ses relations di-
verses, ti*aitant tour à tour du mariage, de l'éducation, des rapports des
enfants et des parents et de ceux des maîtres et des serviteurs. C'est la
jnatière de ses cinq premiers sermons ; les deux derniers sont consacrés à
la famille dans les grandes circonstances de la vie humaine, dans la pros-
périté et dans le deuil.
La prédication de M. de Pressensé se distingue par des qualités remar-
quables. Elle s'adresse à l'intelligence non moins qu'au sentiment, et nous
paraît convenir surtout à la classe éclairée. Fortement empreint d'or-
thodoxie, son christianisme ne méprise pas les lumières du siècle ; il
cherche plutôt à se les approprier en soumettant les principales questions
du jour au critère de la doctrine éVangélique.
SCmiVCES ET AMTB.
La terre et l'homme, ou aperçu historique de géologie, de géographie
et d'ethnologie générales, pour servir d'introduction à l'histoire uni-
verselle, par Alfred Maury. Paris, 1857 ; 1 gros vol. in-i2 : 5 fr.
Ce volume, destiné à figurer en tête de l'histoire universelle publiée
«ous la direction de M. Duruy, renferme l'ensemble des données que peut
aujourd'hui fournir la science, en ce qui concerne la formation de notre
globe, les révolutions diverses qu'il a subies, les minéraux, les végétaux
et les animaux qui se trouvent répandus à sa surface, la distribution des
races humaines, leurs langues, leurs religions primitives, la constitution
de la famille et les premiers besoins de l'homme. Sur tous ces points, la
phipart des traités de géographie ne donnent guère que des aperçus très-
insuffisants, et se contentent de renvoyer aux ouvrages spéciaux, soit pour
se dispenser d'en (aire l'aoalyae, soit peut-être aussi pour ne pas aborder
certaines questions épineuses. Ce sont pourtant des notions indispensables
à quiconque veut se mettre au courant des éludes modernes* 11 serait bien
impossible de passer complètement sous silence les savante^ explorations
j|8 SCIBlfCBS ET A ATS.
dont; surtout depuis le siècle dernier, tes origines de la terre et de ses
habitants ont été l'objet. Pourquoi donc n'en pas présenter les principaux
i'ésultats, sinon comme des faits posttifs, du moins comme des hypothèses
qui méritent d'être examinées? S'ils paraissent quelquefois être en déssc-
cord avec les récils bibliques, doit-on craindre une discussion sérîeose;
approfondie, n'ayant d'autre but que la recherche de la vérité? Nous ne
îe pensons pas. Il nous semble, au contraire, que la foi ne peut que ga-
gner au contact de la science, dont les découvertes ont même contribué
p!ut(yt à confirmer les traits essentiels de la €enèse. D'ailleurs l'exposé
scientifique de M. Maury est plein de tact et de mesure. Il fait prews
d'une vaste érudition, qui n'admet rien à la légère et puise toujours aux
meilleures sources. La simple liste des ouvrages qu'il a consultés, forme
douze pages à deux colonnes, imprimées en très-petits caractères. C'est
une bibliothèque nombreuse et parfaitement choisie, dans laquelle figurent
les principales publications relatives aux diverses branches suivantes :
ensemble des sciences physiques; astronomie et météorologie; chimie,
minéralogie, géologie, métallurgie, botanique, zoologie et paléontologie;
ethnologie générale-, ethnologie spéciale; archéologie*, géographie génér
raie ; géographie de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique, de
rOcéanie; voyages autour du monde et aux régions polaires ; linguistique
et philologie comparée; langues de l'Europe et de l'Asie, de TAfrique, de
l'Amérique, de la Malaisie, de la Polynésie et de Madagascar; histoire des
religions: institutions, lois et mœurs; enfin, auteurs orientaux qui mé-
ritent d'être consultés. On voit, par celte nomenclature, que M. Haury
n'a pas reculé devant les recherches, et s'est imposé la tâche d'approfondir
chacune des questions soulevées dans son livre. Se bornant en général à
reproduire les opinions des auteurs les plus accrédités, il ne s'est permis
d'y mêler ses propres vues que dans les chapitres consacrés à l'ethnologie
etè la linguistique. Après un résumé clair et succinct des indices qui peu-
vent répandre quelque lumière sur la marche de la création, ainsi que
sur les cataclysmes dont eiie fut accompagnée, il décrit l'état actuel de la
terre, sa configuration générale, et les phénomènes de différentes sortes
dont elle est continuellement le théâtre. Ce tableau remarquable fait trèsr
bien connaître ce qu'on peut appeler la vie de notre globe, les change-
' ments subits ou graduels qui s'opèrent à sa surface, les causes qui déter-
minent ses climats et les agents qui, sans cesse, modifient sa forme. Les
productions naturelles des trois règnes sont successivement passées en
< revue selon leur distribution géographique, siùet fort intéressant, stir le^
quel M. Maury a su rassembler une foule.de détails curieux, bien propres
à captiver le lecteur. Mais on trouvera plus<l*attrait encore dans la partie
qui traite des races humaines, de l'origine des lai^f^ues, de l'institution de
la famille et de la société. L'auteur rentre ici dans le domaine de ses études
favorites, et déploie une richesse de connaissances d'autant plus précieuse
qu'elle est mise à la portée de tous, sans la moindre trace de pédanterie^
La lerre et l'homme est un excellent travail, dont le mérite sera certaine*
ment apprécié par tous ceux qui aiment^ l'instruction solide. Il porte le
cachet d'une supériorité de talent et de savoir qu'on rencontre rarement,
dans les livres élémentaires.
L ANNÉE SCIENTIFIQUE ET INDUSTRIELLE, 00 exposé annucI dos trâvaux
scientifiques, des inventions et des principales applications de iar
science à l'industrie et aux arts, par L. Figuier. Paris, 1857 ; 1 voL
in.l2: 3 fr. 50 c.
M. Figuier se propose de publier à la fin de chaque année la revue des
nouvelles découvertes de la science, envfsagée surtout au point dé vue de
ses applications industrielles. C'est une heureuse idée, que le public accueil-
liera certainement avec faveur. Aujourd'hui plus que jamais on éprouve le
besoin de se tenir au courant des travaux scientifiques, dont les résultats
intéressent tout le monde par leur influence directe, non-seulement sur le
bien-être individuel, mais encore sur la puissance et la prospérité des Etats^
A cet égard, la supériorité de notre époque est incontestable. Nous avançoDa
rapidement sur la voie du progrès, la vie matérielle s'améliore sans cesse»
et l'intelligence voit s'ouvrir devant elle une sphère d 'activité toujours plus
grande. On ne saurait donc méconnaître les avantages que peut offrir un
résumé bien fait des principales inventions utiles, dues au concours du
savant et de Tindustriel, du chimiste ou du physicien et du simple ar-
tisan. Le succès obtenu par les précédents ouvrages de M. Figuier le
prouve d'une manière assez frappante. Son Exposition des découvertes
modernes compte déjà quatre éditions; V Année scientifique et indusr
trielle, qui en forme la suite, ne sera sans doute pas moins aj^préciée. Elle
présente en effet la même clarté, le même talent de style, et l'auteur y
montre une aptitude remarquable à faire bien saisir le côté pratique des
données fournies par la science. 11 s'efforce de déterminer nettement la
valeur réelle de chaque découverte, et sans entrer dans des discussions
savantes qui ne seraient pas à la portée de tous ses lecteurs, il n'oublie
30 SGlSlfCBS Bt ARTS.
point la nécessité d'une critique judicieuse. Son unique but est de mettre
le public à même d'apprécier les perfectionnements accomplis dans le do-
maine de l'industrie et des arts, ainsi que ceux sur la voie desquels les ef-
forts ont quelque chance de se diriger avec succès. Possédant des con-
naissances non moins variées que solides, il f raite avec une égale supério-
rité les nombreux sujets divers qui doivent nécessairement trouver place
dans son livre. Il passe en revue les grands travaux du génie civil, les
progrès de la météorologie, de la chimie, de la physique, les expériences
et les observations qui peuvent intéresser l'hygiène publique, la méde-
cine, la physiologie, les procédés ou les conquêtes dont l'agriculture s'est
enrichie, enfin maintes inventions plus ou moins dignes d'être signalées à
l'attention soit des manufacturiers et des industriels, soit des simples
amateurs.
Le monde avant la création de l'homme ou le' berceau de l'univers,
par le D' Zimmermann, traduit de l'allemand par MM. Hymans et
L. Strens. Bruxelles 1857; 1 vol. in-8®, fig. : 8 fr.
Le but de ce travail est d'offrir une histoire populaire de la création et
des transformations du globe, c'est-à-dire de mettre I la portée du grand
nombre les principaux résultats dus aux recherches des savants. Une pa-
reille tentative nous semble un peu prématurée. La géologie n'est pas
«ncore une science assez positive, assez complète surtout, pour se prêter
facilement 4 ce genre d'exposition. Sans doute elle présente des faits très-
curieux, bien propres à captiver l'intérêt, mais leur ensemble n'a fourni
jusqu'à présent que des théories incerlainesj ardues, qui pour être com-
prises demandent déjà de fortes études. Il nous paraît impossible de
trouver dans son état actuel les éléments d'une histoire populaire de la créa-
tion ; tout ce qu'on peut faire à cet égard c'est de signaler la concordance
de quelques-unes de ses découvertes avec les principaux points du récit
biblique. Or, M. Zimmermann a d'autres prétentions. 11 veut suivre pas
à pas l'œuvre du Créateur ou plutôt de la nature, car sa tendance incline
vers le matérialisme. Se lançant dans les hypothèses avec l'ardeur d'une
imagination allemande, il décrit l'origine des mondes et leurs révolu-
tions successives comme s'il y avait assisté. C'est un rêve ingénieux,
hardi, grandiose, mais fantastique et tout à fait inintelligible pour la
masse des lecteurs. Suivant lui la puissance créatrice s'est manifestée par
la gravitation universelle qui donna d'abord naissance à un immense
SCISMCSS ET ABT8. 31
globe galeux duquel se détachèrent des anneaux destinés à former
les différents corps célestes par la condensation des parties de la ma-
tière dont ils étaient composés. Prenant ensuite la terre comme exemple,
il essaie de retracer les phases successives de ce travail, dont la pre-
mière période comprend le passage de l'état gazeux à Tétat liquide, puis
le refroidissement qui produit l'état solide, Taction de Peau, le soulèvement
des couches et les formations géologiques. La seconde période est celle de
^apparition des plantes et des animaux. La matière organique joue ici le
principal rôle, car fauteur admet la génération spontanée dans les pre-
miers temps du moins. C'est une supposition commode- pour son système,
et si l'on objecte qu'elle est contraire aux lois de la nature, il répond que
oelles-ci ont pu changer une fois que la reproduction des espèces était as-
surée par d'autres moyens. Une telle manière de raisonner nous paraît
peu scientifique. Elle laisse le champ libre à rimagination, et permet de
tout arranger suivant les exigences d'une théorie quelconque. Aussi
M. Zimmermann en use-t-il assez largement. 11 avance maintes hypo-
thèses qui ne sont pas à leur place dans un ouvrage populaire, parce
qu'elles peuvent contribuer à répandre des idées fausses ou du moins
très-douteuses* Du reste son travail offre un tableau fort intéressant des
phénomènes géologiques et fait bien connaître l'état actuel de la science.
On y trouve de nombreux détails sur les formations secondaire et tertiaire,
sur les modifications qu'a subies l'écorce terrestre, sur les volcans et les
tremblements de terre.
Des arts graphiques destinés à multiplier par l'impression, considé-
rés sous le double point de vue historique et pratique, par F.-M.-H.
r Hammann. Genève et Paris. J. Cherbuliez, 1857; 1 gros vol.ïn-12:
5fr.
Ce travail est le fruit de recherches immenses. Il offre, en effet, le ré-*
sumé de toutes les inventions relatives aux arts graphiques depuis l'ori*
\ gine jusqu'à nos joui^. M. Hammann a voulu dresser un inventaire corn-
^ plet des procédés imaginés par l'homme \^\xv reproduire et fixer ses
pensées à l'aide de l'écriture, du dessin ou de la gravure, et pour ne pas:
«mbrasser un champ trop vaste, il se borne aux arts qui ont pour but
la reproduction d'un objet quelconque sur une surface plane, destinée \
multiplier l'original au moyen de l'impression en couleur. Toutes les dé*
couvertes passées en revue dans ce volume appartiennent donc seulement
3S SCl,BIIiCU KV ^Afr^.
à la gravure ou à rimprimerie. Mais leur sombre Beù e^t j^ns moid»
très-consic|érable. La gravure fut trouvée la première. Dès les temps le»
pliAs reculés l'homme employa ce moyen pQur transmettre ses kikées par
des lignée figuratifs, plus ou moins grossiers, tels que ejeu:^ qu on i^
découverts sur les parois des cavernes de l'AustraliOt sur les rochers d«r
TAfrique australe et dans plusieurs contrées de rAmérjque. De tels ves*-
tiges prouvent que du moins ce mode barbare remplissait le but cf) ee
qui concerne la durée. Aussi devint-il bientôt l'objet de nombreux per-
fectionnements. La récente exploration des ruines de Ninive prouver
qu'à cet égard les peuples anciens avaient fait déjt de remarquables pro-
grès. Us gravaient soit sur les métaux, soit sur la pierre, et les ruinesi
de leurs monuments sont en général couvertes d'une foule d'inscriptions..
Chez les Grecs et les Romains, en particulier, b gravure prit unr
grand essor, mais comme art plastique et sans conduire à d/aolres appli-
cations. C'est aux temps modernes qu'appartient rimprimerie avec toutes
les découvertes ingénieuses dentelle fut la source. Après avoir rappelé les
longs tâtonnements qui précédèrent l'invention de Guttenberg, M* Ham*
mann nous fait passer en revue les progrès de cet art merveilleux auquel
Ja civilisation doit ses plus belles conquêtes. Il donne une foule cke détails
curieux sur la marche de la typographie depuis le quinzième siècle jusqu'à
nos jours, sur les modifications apportées soit dans les presses à impri**
mer» soit dans la fonte des caractères, sur le polytypage destinée rendre
fixes les formes composées de lettres mobiles, sur l'impression polychrome
aujourd'hui si perfectionnée, sur celle de la musique et des cartes géo-
graphiques, sur l'ectypographie enfin qui produit des livres à l'usage des
aveugles. Traitant ensuite de la gravure en relief et de la gravure en
creux, il expose tes innombrables ressources que l'emploi de ces deux
procédés a fournies aux arts graphiques. Des chapitres non moins éten-
dus sont consacrés à la lithographie, à la zincûgrapbie, à la galvano-
plastie et à l'héliographie. C'est un tableau très-complet où l'auteur n'a
rien omis d'important, et qui, bien que sous la forme la plus concise, n'a
point l'aridité d'une sèche nomenclature. Non-seulement il pourra ren^.
dre de précieux services aux artistes, mais encore il ofl're aux gens du
monde une instruction fort attrayante.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
FÉVRIER t9ft9.
lilTTKRATUME.
V
L'Auberge du Spessart, contes allemands traduits et imilés de HaufT»
par Â. Talion. Paris, 1857 ; 1 vol. in-16, fig. : 2 fr.
Un jeune compagnon orfèvre et un compagnon taillandier se rencontrent
avec un étudiant et un voiturier dans l'auberge du Spessart, située au
milieu de la Forêt noire. C'est une maison assez mal famée» sur laquelle
courent des bruits fâcheux, mais le bagage des quatre voyageurs est trop
léger pour exciter la convoitise, et d'ailleurs ils ne trouveraient pas
d'autre gîte pour passer la nuit. Cependant, comme plus d'un indice leur
fait craindre d'être tombés dans un véritable repaire de brigands, ils
prennent la résolution de se tenir sur leurs gardes, et de vaincre le som-
meil en se racontant des histoires. Chacun aura bien à son service quel-
qu'une de ces légendes populaires qui abondent en Allemagne. Ils s'éta-
blissent donc dans la salie à manger, et le taillandier débute par le récit
de ce qui arriva jadis au seigneur de Hohenzollern, pour n'avoir pas voulu
faire l'aumOnedun florin au cerf à la pauvre vieille sorcière qui avait sauvé
la vie à son fils. Cette tradition, empreinte des mœurs brutales et des idées
superstitieuses du moyen âge, excite vivement Tintérêt de ses auditeurs.
Mais à peine est-elle finie, que l'hôtesse vient engager les voyageurs à se
retirer dans leurs chambres. En vain ils la prient de les laisser tranquilles,
elle insiste avec aigreur, elle donne au jeune étudiant un tout petit bout
de chandelle, et déclare que ses compagnons peuvent bien se coucher sans
lumière. Cette injonction leur paraît fort suspecte. Evidemment ils sont
dans un guêpier dont il faut à tout prix sortir. Après avoir discuté les
moyens, le voiturier se dévoue pour aller à la découverte. Comme il va
franchir le seuil de la porte extérieure, un boule-dogue se jette sur lui et
donne Talarmepar ses aboiements furieux. Le pauvre diable est d'autant
pjus embarrassé que certaines figures sinistres apparaissent derrière l'hô-
tesse, dont la mauvaise humeur éclate. Il a pourtant la présence d'esprit
3
34 UTTliaATlIR&»
de trouver une excuse, et, obtenant la permission d'aller prendre un man-
teau dans sa voiture, il en rapporte une provision de bougies qui permet
aux voyageurs de continuer leur veillée. C'est l'étudiant qui raconte la
seconde histoire, le Cœur-froid, légende fantastique tiès-amusante, à la
suite de laquelle survient un nouvel «nctdent* Une voiture s'arrête devant
l'auberge ; il en descend une jeune et belle comtesse, qui doit être sans
doute la proie que les brigands attendaient pour cette nuit. Aussi l'étu-
diant propose de s'entendre avec ses gens sur les mesures à prendre, et
Tun d'eux admis dans le cercle des conteurs, les régale d'une anecdote
assez piquante. Puis bientôt se fait entendre le bruit d'une porte qu'on
cherche à forcer. Les voyageurs, munis de leurs armes, se précipitent
dans le corridor. Mais le nonibre des brigcinds rend toute résistance inu-
tile Ils ne veulent d'ailleurs qu'emmener la comtrsse en lieu sûr, pour
traiter ensuite de sa rançon avec son mari. Le jeune orfèvre conçoit alors
un hardi projet. Il changera de costume avec cette noble dame, et subira
pour elle la captivité. Aussitôt dit, aussitôt fait La comtesse, après quel-
ques objections, consent au stratagème, qui lui permet de s'évader, ac-
compagnée du taillandier, tandis que les autres sont conduits par les bri-
gands dans leur retraite secrète, où pour se distraire ils écoutent encore
un récit merveilleux. Enfin le comte, instruit du tout par l'arrivée de sa
femme, met en campagne une troupe de soldats; les brigands sont cernés,
et le jeune orfèvre, délivré avec ses deux camarades, reconnaît dans la
comtesse sa marraine, pour laquelle il apportait dans son sac un chef-
d'œuvre, objet de toute sa sollicitude, car c'était le seul espoir d'avenir du
pauvre ouvrier orphelin.
L* Auberge du Spesxart aura certainement de nombreux lecteurs. C'est
un des plus jolis recueils de contes qui aient paru depuis quelques années.
Plaisantes recherches d'un homme grave, sur un farceur, ou pro-
logue tabarinique pour servir à l'histoire littéraire de Tabarin, par
M. C. Leber. Paris, Techener, i856; in-18.
Tabarin fut, de 16*2^ à 1625, un bouffon qui débitait sur le Pont-Neuf
des plais:mteiies de fort mauvais goût, mais qui ne choquaient point le
public peu difBciie entassé autour de ses tréteaux. On vit paraître sous son
nom un p^'tit recueil de facéties qui se vendait six sous dans le principe,
et dont les exemplaires, devenus d'une rareté extrême, se payent aujour-
LITTERATURE. 35
d'hui deeentà deux cents francs. La littérature tabarinique, que nous ne
r,
donnons nullement comme un modèle, se compose de sept ou -huit publi-
cations collectives et d'une vingtaine d'opuscules publiés isolément, tels
que les Eureines universelhê de Tabarin, pour 1621 ; la Descente de
Tabarin aux enfers; les Arrêts admirables tt aulkenUqnes du sieur Ta»
barin; l* Adieu de Tabarin au peuple de Paris; les Fantaisies plai--
santês et facétieuses du chapeau de Tabarin, etc. Tous ces livrets sont
nécessaires pour former la collection complète de ce qui se rattache à
Tabarin, mais il est certain qu'aucune bibliothèque publique ou particu-
lière ne les possède réunis ; il en est qui sont devenus complètement in-
trouvables ; leur bibliographie offrait l'image du chaos. En la débrouil-
lant, M. Leber a rendu service aux amis des livres curieux, et il a jeté
iin jour tout nouveau sur un recoin singulier de la littérature populaire
4IU commencement du dix^septième siècle. Le petit volume que nous an-
nonçons est d'une exécution typographique fort soignée, et il se recom-
mande en outre par une très-jolie vignette, offrant le portrait du célèbre
larceur entouré des acteurs qui l'aidaient à faire les délices de la plèbe
parisienne. Le travail de M. Leber avait déjà paru en 1835, mais il n'en
^vait tiré que cinquante exemplaires. En le réimprimant, l'auteur y a
introduit quelques additions, mais il aurait pu en faire un plus grand
Qombre. Nous regrettons qu^il n'ait pas fait mention d'un opuscule ravis-
sant qui lui a échappé, et dont il a été fait à Paris, en 1 850, chez Crape-
let, une réimpression fort soignée (le Carême prenant de Tabarin et d'Isa"
belle); en parlant de la biographie si peu connue de Tabarin, il aurait pu
citer les détails que donne D. Martin, dans un volume peu connu publié à
Strasbourg en 1637 (le Parlement français).
Inventaire des mel'Bles, bijoux et livres étant à Chenonceaux le
8 janvier 1603, précédé d'une histoire sommaire de la vie de Louise
de Lorraine, reine de France, suivi d'une notice sur le château de
Chenonceaux, par le prince Auguste Galitzin. Paris, Techelier,
1856 ; in-8.
Les inventaires anciens d'objets appartenant à des personnages d'un
rang élevé, offrent de curieux matériaux pour l'histoire des mœurs et des
visages ; celui que nous venons de mentionner sera mis au rang de ce qu'il
j a de plus curieux en ce genre. Imprimé avec le plus grand soin, il est
36 LITTERATURE.
précédé d*un portrait authentique de la reine Louise, femme de Henri III ;
au milieu d'une cour corrompue, elle donne l'exemple d'une vertu par--
faite, et, après la mort d'un époux peu digne de regrets, elle passa dans
le deuil le reste d'une vie consacrée à la piété. L'inventaire dressé après
le décès de cette reine trop oubliée, intéressera les antiquaires et les bi-
bliophiles; ces derniers parcoureront avec empressement le catalogue
de la librairie de la princesse ; au milieu de beaucoup d'ouvrages de
piété, ils remarqueront les auteurs classiques couvertes de maroquin bleu
dorez par tes tranches, et les Opuscules de Démosthène, estans en gree^
Les robes de la reine, ses joyaux, ses ornements de tout ge/ire sont décrits
minutieusement ; nous transcrirons deux articles de cet inventaire:
< Une robbe a double queue de velourz noir figuré à fond de satin gris
avecques quatre passementz de clinquand un tour, doublée de taffetaz
noir, les manches pendantes, deuxcorpz, ung hault et ung bas, et le haut
démanches le tout semblable. >
• Une robbe de satin collombin, a double queue avecques quatre ban-
dages tout autour de salin orange avecques un passepoil, de satin verd»
les bandes brodées de clinquant, avec ses grandes mouches pendantes^
corpzet hault de manches semblables, doublez de taffetas colombin. >
Nous ferons une petite observation sur un point de la préface : Dreux
du Radier y est signalé comme un écrivain de l'empire, à cause de ses
Mémoires sur les reines et régentes de France, i809. De fail, cet auteur,
né en 1714, mort en 1780, appartient à l'époque de Louis XV, et le&
Mémoires en question, publiés en 1763 pour la première fois, eurent sous
l'Empire, en 1809, tes honneurs d'une quatrième édition.
La Fleur de la famille, ou simple histoire pour les jeunes filles; par
l'auteur des six jours de naissance de Suzanne, trad. de l'anglais.
Toulouse, 1856; 1 vol. in-18: 4 fr. 50 c.
La fleur de la famille, on le devine d'avance, est une jeune. fill« douce,
aimable, dévouée, qui fait la joie de ses parents pauvres et chaînés de
nombreux enfants. Lucy Grant, âgée de 16 ans à peine, seconde activement
sa mère dans les travaux du ménage, s'occupe de ses petits frères et sœurs
avec une sollicitude constante. C'est un sacrifice, car elle aime la lecture,
elle voudrait pouvoir satisfaire son goût pour Télude, mais l'idée du de-
voir la domine, et le désir de se rendre utile à ceux qui l'entourent lui
LITTBRATURB. 37
fait tout supporter avec une résignation sereine. Son cœur s*est développé
sous Hntluence du sentiment religieux. Une piété sincère la soutient, la
guide et la console. Tirée de sa difficile position par un oncle qui lui four-
nit les moyens de s'instruire, elle en profite avec une vive reconnaissance»
mais ce changement de milieu n'altère en rien son caractère simple et mo-
deste. C'est encore un bonheur pour elle de revenir plus tard prendre sa
place dans la maison paternelle où Taltendent de nouveau les soucis et les
fatigues. On ne saurait imaginer une créature plus charmante. Peut-être
même la trouvera-t-on trop accomplie. Il est bien difficile d'admettre chez
une jeune tille cet équilibre parfait, ce jugement si ferme, cette sagesse
chrétienne, pleine à la fois de zèle et de mesure. L'auteur nous semble
avoir peint un idéal plutôt qu'une réalité. Sans doute, ce sont là les fruits
que devrait porter la foi, mise en pratique dans la condune de la vie. Mais
que d'écueiis, et combien il faut de prudence et de vigueur pour ne pas
s'y briser. Du reste, la lecture de ce petit livre ne peut qu'être salutaire,
en montrant la religion sous l'aspect le plus propre à la faire aimer, c'est-
à-dire dans son action bienfaisante sur nos affections et nos penchants,
plutôt que dans un formalisme rigide.
La Comédie de l*âmour, par Charles de la Rounat. Paris, 1857 ; 1 vol.
in-12: 1 fr. 25 c.
Ce titre paraîtra trop philosophique pour un volume qui renferme six
petits contes sans autre prétention que d'amuser le lecteur. Cependant it
exprime assez bien leur portée morale. Si Tamour offre quelquefois des
incidents tragiques, on y peut trouver aussi des scènes de comédie, et
peut-être ce dernier enseignement est-il plus propre que Tautre à faire
une impression salutaire. Sur beaucoup de natures, le ridicule agit plus
efficacement que le terrible. On le redoute ;sn général, tandis que pour
les caractères romanesques, il a dans le m?Iheur des amants un certain'
attrait. C'est pourquoi M. delà Rounat choisit de préférence les incidente
propres à produire le premier de ces deux effets. Il raconte quelques-unes
des mésaventures que rencontrent en amour les séducteurs et les roués ;
il esquisse d'une manière fort piquante un de ces mariages vulgaires où
le sentiment ne nattqu'à la suite de la jalousie, et nous montre aussi l'a-
mour formant un tendre lien entre deux célibataires d'âge déjà mûr, qui
tièmblaient destinés à passer leur vie dans l'isolement. Ces divers tableaux
38 LITTiRATUhB.
ODttous une teinte satirique, mais sans exagération. Ils sont empruntés à
la vie réelle» et les personnages ne manquent pas d'originalité. On regret-
tera seulement que l'auteur se laisse parfois entraîner à des description»
de mauvais goût. Il a de l'esprit, mais ne fait pas toujours preuve de tact
ni de délicatesse. Au milieu de fort jolis détails se trouvent çà et là des
peintures un peu choquantes, qui gâtent l'ensemble et nuisent au but. L'a-
mour ne doit pas être soumis au scalpel du chirurgien ; c'est le dépouiller
de toute poésie, et ses dangereuses illusions valent mieux encore que le
vide du cœur qui résulte d'une semblable analyse. Quand on veut exercer
une influence morale, la pureté de pensée et de style est la première con-
dition du succès. Du reste, il serait facile à M. de la Rounat de faire dis-
paraître les taches que nous signalons, car elles se rencontrent en général
dans des développements accessoires, dont ses contes ingénieux peuvent
fort bien se passer.
Le Paradis de Dante, illuminé a giorno, dénouement tout maçonnique
de sa comédie albigeoise, par E. Aroux. Paris, veuve J. Renouard,
1857; 1 vol. in.8:7 fr. 50 c.
M. Aroux poursuit son œuvre en dépit des nombreuses critiques dont
elle est l'objet. Plus il avance et plus il se déclare convaincu d'avoir trouvé
la véritable clef du Dante. C'est un passe-partout, dit-il, qui ouvre la
porte du paradis, aussi bien que celles de Venfer et du purgatoire, et per-
met de livrer au grand jour tous les mystères de la Divine Comédie, Il
adé^uvert ainsi que le vieux Gibelin était pasteur de l'Église albifeoise
dans la ville de Florence, affiliée à l'ordre du temple, ennemi du catholi-^
cisme, disciple fervent de la religion des Parfaite. Tout est allégorie dans
son poème, jusqu'aux moindres détails ; mais sous la plume du nouveau^
commentateur, tout s explique, se coordonne, et concourt à représenter
*« la fusion de trois éléments d'une énergie vivace, également hostiles à
l'Eglise romaine, à savoir : la Massénie albigeoise, les débris du temple^
et le parti impérialiste ou gibelin; triple opposition qui, transformée dés-
ormais, ne constituera plus qu'un seul corps, sous le nom de franc-ma**
çonnerie, et ne cessera de porter tantôt dans l'ombre, tanlOt en plein jour,
les coups les plus redoutables au catholicisme. • Chaque vers, môme le
plus étranger en apparence à de semblables idées, vient précisément coop
firmer cette hypothèse. M. Aroux fait preuve d'une habileté sans pareiUe
LITTiEATVRI. 39'
à .deviner les énigmeft. Il ne perd jamais de vue son but ; l'idéal qu'il s>8t
fait do Dajiie, pasteur albigeois, lui sert de fil condueteur au milieu dea
inexirioabies difficultés du langage symbolique. C'est un travail de sphinx»
dans lequel ne pourront le suivre que ceux qui possèdent comme lui l'ar-
deur du système. Quant aux admirateurs du poêle, celte cruelle dissec-
tion les révolte; ils voient disparaître toutes les beautés du chef-d'œuvre
sous le scal|)el do l'analyse, et n'estiiTAent pas que le secret des francs^
maçonssoit une trouvaille assez précieuse pour justitier un pareil sacrilège
Pour beaucoup d'autres entin, il semble im(M)ssible de concilier une cir-*
conspection de langage si> minutieuse et soutenue avec ce qu'on connaUdu
caractère de Dante. Mais M. Âroux ne se laisse décourager ui par le
nombre, ni par la valeur de ses adversaires. Il tient tête à lenrs attaques»
et nous affirme que dix années ne s'écouleront pas avant que pleine justice
lui soit rendue. Les académies s empresseront à l'envie de reconnaître le
mérite de sa découverte ; les francs-maçons lui décerneront quelque titre
d*hoDBeur ; la bénédiction papale lui sera certainement accordée pour avoir
ouvert les yeux des iidèles sur un livre inspiré par l'esprit d'hérésie.
Loin donc de s'arrêter en si beau chemin, il projette déjà de faire subir à
TArioste la même opération, et de nous prouver que le Roland furieu»
n'est aussi qu'un pamphlet de controverse albigeoise.
PflitOBiBLiON, excellent traité sur l'amour des livres, par Richard de
Bury, traduit pour la première lois en français, précédé d'une intro*
duction, et suivi du texte latin, par H. Cocheris. Paris, 1856; 1 vol.
petit in-8, cart. en toile : 12 fr.
Cet ouvrage, qui fait partie de la charmante collection publiée par
M. Âubry, sous le titre de Trésor des pièces rares ou inédites , a été
composé dans le quatorzième siècle par un évêque de Durham, grand
chancelier d'Angleterre. Richard de Bury aimait passionnément les livres.
Au milieu d'une époque assez peu favorable aux lettres, il cherchait ses
jouissances dans la lecture, dans l'étude et dans le commerce des esprits
les plus distingués. Pétrarque, qu'il avait connu probablement à Avignon,
faisait grand cas de lui, le traitant de vir ardentis ingenii, dans une do
SOS lettres. Le Philobiblion est une apologie de l'érudition en contrasto^
avec la décadence qui régnait alors. Loin de partager le dédain que beau-
coup montraient pour les livres, Richard de Bury les appelle des mattrea
4H) YOTAGSS BT HISTOmE.
qui nous instruisent sans verges et sans férnles, sans cris et sans colère, -
sans costume et sans argent. Si on les approche, on ne les trouve point
endormis, si on les interroge, ils ne dissimulent point leurs idées ; si on se
Ux)mpe, ils ne murmurent pas ; si on commet une bévue, ils ne connaissent
point la moquerie, t U estime donc qu'on ne saurait les payer trop cher
quand l'occasion se présente d'en acheter. L'ignorance et le dérèglement
des moines lui causent une indignation vigoureuse. Il esquisse avec une
verve tout à fait originale les mœurs dissolues, l'indolence et Toisiveté '
dans lesquelles s'écoule la vie de la plupart des religieux. C'est d'autant
plus piquant, que le digne évoque devait sans doute les bien connaître, et
qu'on ne peut soupçonner chez lui les intentions satiriques d*un Guillaume
deLorris ou d'un Jean deMeung. Seulement, il poussa trè&-loin la pas-
sion du bibliophile. Assez puissant pour suivre ou protéger, de Bury ne
résistait guère à Toffred'un manuscrit précieux; dans plus d'une circon^
stance, il se laissa séduire par de tels présents. Mais» du moins, son goût
pour les livres n'était pas une vaine manie. Maints chapitres du Philobiblion
prouvent combien il utilisait sa bibliothèque. On y trouve des aperçus
ingénieux, des détails intéressants et de nombreuses citations qui décèlent^
une culture aussi solide qu'étendue.
La traduction de M. Cocherissera certainement accueillie avec recon«
naissance par les amateurs de raretés bibliographiques. Elle a de plus le
mérite de reproduire un document, jusqu'ici peu connu, et qui n'est pas
sens importance pour l'histoire littéraire. Les notices dont elle est enri-
chie ajoutent encore à sa valeur.
irOYACtES BT HISTOIRE.
MiTTHEiLUNGEN aus Justus Perthès geographischer Ânstalt tiber wichtige
neue Erforschungen auf dem Gesammtgebiete der Géographie, von
D'A. Petermann. Gôtha, J. Perthès, 1856. Lief.9 à 12, in-4, cartes.
Parmi les remarquables notices que renferment ces livraisons du re-*-
cueil de M Petermann, nous signalerons les suivantes :
Voyage de Joaquim Rodriguez Graça à Muata^ya-Nov^ dans Z'A»
frique centrale. D'après les données fournies par ce voyageur, M. Des«
boroug-Couley cherche à répandre quelque lumière sur la route que sui-*'
vent les naturels du continent africain dans leur trafic intérieur. Cette >
arn^lyse l'amenant à critiquer la carte du docteur Livingston, il en est ré-»
T0TA6VS BT UISTOIRB. 41^
suite une discussion assez vive, qui prouvé combien la géographie de TA**'
frique est encore conjecturale, malgré les nombreux voyages éni repris *
dans ces dernières années.
Voyages êcientifiqueu en ballon, entrepris par Us Anglais en 1852,
extrait des rapports de la Société royale de Londres, par A. Pelermano.
Quatre ascensions, les deux premières en août, la troi.sième en octi>bre, et
la quatrième en novembre, ont permis à M.Vl. Welsh et Nieklin de re-
cueillir .un grand nombre d'observations météorologiques. Les hauteurs
auxquelles ils s'élevèrent varient entré 12,000 et 21,000 p. Dans cette
dernière ascension, qui se tlt en 1 h. 24 m;, ils éprouvèrent un abaisse-
ment de température de 25® B. Le thermomètre qui, à 2 h. 21 m., mo-
ment du départ, marquait -|-7, était descendu au-dt'hsous de — 18,
lorsque, à 3 h. 45 m., ils cessèrent de monter. La rareté de 1 air leur
causait une assez grande gène de respiration, le moindre mouvement étdit
accompagné d'une lassitude extrême. Mais la marche rapide du ballon ne
leur tit ressentir aucun malaise ; ils s en apercevaient è\ peu que, pour
reconnaître s'ils montaient ou s'ils descendaient, ils devaient jet<T en l'air
de petits morceaux de papier propres à leur servir de |»oints de compa-
raison. C'est, du reste, un effet ordinaire de la navigation aérienne.
H. Green, surpris dans une de ses ascensions par un ouragan dont la vi-
tesse était de quatre-vingt-quinze milles anglais à ThiMire, ne s'aperçut de
la violence du vent qu'en approchant de terre, lorsqu'il fallut jeter Taucre
pour aborder. Le résultat des expériences de iVIM. Welsh et Nicktin est
résumé dans un tableau fort ingénieux, qui permet d'en saisir à la fois
l'ensemble et les différents détails.
Distribution des principaux produits agricoles dans les Etats-Unis
de l* Amériqtte du Nord, par A. Petermann et E. Dehra, données statis-
tiques fort intéressantes, d'après lesquelles on peut se faire une assez juste
idée des immenses ressources que possède lUnion américaine.
Géographie de l* Australie et de la Tasmanie, par A. Petermann.
Les naturels de r Australie, leurs mœurs et leurs iisagea, par J. Hrowne.
On trouvera dans ces deux notices une foule de détails nouveaux et cu-
rieux, soit sur les résultats des expéditions entreprises par les Anglais
pour explorer Tintérieur de l'Australie, soit sur les peuplades sauvages
qui s'y maintiennent et repoussent les bienfaits de la civilisation.
Et€U actuel de la révolution en Ckine^ par R. Krone; aperçu 'très-
piquant des diverses péripéties de cette grande lutte, par un E(kro|)éen
qui habite la ville chinoise de Hoau, et qui se trouve bien placé pour ob- •
42 VOYAGES BT HISTai&l.
m
tenir des renseignejMDts plus sûrs que ceux fournis par les journaux. Le
Gële$te Empire paratt être dans la position la plus critique. Ses armées se
désorganisent, ses généraux se suicident, l'anarchie fait des progrès me-
naçants, tandis que les insurgés, au contraire, établissent l'ordre et ga-
gnent le peuple par de sages mesufes administratives dans les proviuces
déjà soumises à leur administration. La tendance religieuse du mouve-
ment n'est pas encore bien connue, mais elle semble se rapprocher du
christianisme, si Ion en juge d'afirès cette thèse proposée aux candidats
dans les examens qui ont eu lieu à Nankin, c Prouver que le Père céleste
des saintes Ecritures et Schong*tei des anciens Chinois sont une seule et
même personne, i il est bien remarquable aussi que les soldats de Tin**
surrection, partout où ils pénètrent, disent au peuple: Priez le Père ce»
leste, honorez vos pères et mères, travaillez avec zèle, et abandonnez le»
idoles et leur cuite.
Trois drames historiques: Enguerrand de Marigny, Semblaoçay, le.
chevalier de Rohan, suivis de pièces justificatives et de documents'
inédits, par P. Clément. Paris, Didier et C*% 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr.
Les trois personnages auxquels sont consacrées ces études eurent une
même tin tragique. Leur carrière se termina sur l'échafaud, sans égard
pour les services rendus par les deux premiers, ni pour le nom illustre
que portait le troisième. Enguerrand de Marigny et Semblançay sont des
exemples assez frappants de l'ingratitude avec laquelle on traitait souvent
à h cour les serviteurs les plus dévoués. L'un et l'autre avaient habilement
administré les finances de TEtat dans des temps très-difficiles. Chargés de
fournir aux dépenses de guerres continuelles, ils surent multiplier les res-
sources et faire face à des besoins sans cesse renaissants. C'était une rude
tâche, alors que chez les grands régnaient le désordre et l'imprévoyance,
tandis que le peuple se trouvait en proie à toutes les souffrances de la mi-
sère. L'impôt ne se prélevait qu'à force d'exactions, qui rendaient le»
financiers odieux, et ceux-ci devaient encore défendre, à leurs périls et
risques, la recette si chèrement obtenue, contre la prodigalité du souver»
rain ou les exigences de courtisans insatiables. Un tel métier ne compor«»
tait guère à celle époque la délicatesse et le désintéressement qui, même
aujourd'liui, sont assez rares. Les ministres des finances travaillaient à
leur propre fortune, aussi bien qu'à celle de l'Etat. L'instabilité de leur
V0TAGB8 IT HISTOIRB. 43
position, la perspective à peu près certaine d*une disgrâce, le nombre et
le pouvoir de leurs ennemis sont autant de motifs qu'on |>eut faire valoir
pour les excuser de s'être enrichis en maniant les deniers publics. Il faut
tenir compte de la corruption générale au milieu de laquelle ils avaient à
lutter contre la mauvaise foi soutenue par la violente. IJnguerrand de Ma-
rigny succomba victime d une de ces réaclions qu'amenaient les change-
roeuls de règne. Louis le Huiin, en moniant sur le trône, trouva le trésor
à sec, et, dans cette pénurie, la fortune colossale du trésorier de Philippe
le Bel lui parut de bonne prise. C'était d'ailleurs up expédient auquel on
avaii eu déjà recours. Peut-être, celte fuis, Tinjustice fut-elle plus criante»
mais le peuple n'en applaudit pas moins à l'exécution d'Enguerrand de
Marigny.
Quant à la condamnation de Semhlançay, elle s*explique par la haine
que lui portait la reine-mére, Louise de Savoie, et par l'irritation de Fran-
çois 1^ contre les refus que le uiinistre économe opposait à ses continuelles
demandes d argent, ici le caractère honnête et ferme du tinancier fait d'au-
tant mieux ressortir l'ingratitude royale. Aucun des chefe d'accusation di-
rigés contre Sembtançay ne put être bleu prouvé, il fut sacrifié par une
intrigue de cour, et ses contemporains eux-mêmes témoign^'ut de son in-
nocence. Le supplice de ce vieillard est un acte de barbarie que rien ne
saurait justifier.
Mais ni St'mblançay, ni Enguerrand de Marigny ne nous semblent être
des personnages historiques d'une bien haute portée. Ils manquent de
grandeur, et n'excitent qu un faible intérêt.
Le chevalier de Ruban méritait encore moins d'être mis en scène. Son
complot contre Louis XIV et la constitution monarchique du royaume
n'offre aucun incident remarquable. Le procès et ta condamnation qui en
résultent sont également dénués de tout attrait dramatique. C'est de la
procédure écrite, dont la marche régulicre aboutit au châtiment du cou-
pable, et l'or) ne comprend pas trop pourquoi l'auteur sVst donné la peine
de reproduire ces détails arides. M. Clément pourrait mieux choisir le
sujet de ses études. Il se montre investigateur consciencieux, historien
impartial, son style a des qualités précieuses, et quand il voudra se livrer
à des recherches plus fécondes, nous ne doutons |)9s que le succès n&
couronne ses efforts.
44 YOTAUES ET UISTOIftB.
ViB ET LETTRES DU CAPITAINE Hedley ViGARS, du 97* régiment, tra-
duit de l'anglais. Paris, 1857 ; 1 vol. in-l2 avec portrait : 3 fr.
Hedley Vicars offre un exemple remarquable du développement reli-
gieux dans une âme noble et dévouée. Un en sera d'autant plus frappé
que cette tendance contraste avec tes habitudes ordinaires du soldat. Ca-
pitaine du 97* régiment anglais, Hedley Vicars fit partie de Texpédiiion de
Crimée, et jusqu'au moment où la mort vint le frapper, dans la tranchée,
devant Sébaslopol, il ne cessa pas d'écrire chaque jour, soit i sa mère,
soit à ses sœurs, des lettres pleines de sentiments affectueux, de détails
intéressants, de confidences intimes sur l'état de son âme au milieu des
devoirs si pénibles de sa profession. Cette correspondance porte le cachet
reli^îieux le pins prononcé. Chez Hedley Vicars, la foi n'est pas moins vi-
vante que la charité. Aux élans d'une vive sympathie pour les souffrances
de ses semblables, il joint le zèle du missionnaire, qui place en première
ligne les intérêts spirituels. Sa préoccupation constante est d'éveiller dans
les âmes l'hoireur du péché, la repentance, la crainte de Dieu, l'espoir du
salut. Toutes les heures de loisir que lui laisse le service militaire» sont
consacrées à répandre autour de lui des secours et des consolations. Dans
les ambulances, sous les tentes, sur le champ de bataille, il se montre
animé d'une seule pensée , qui est d'accomplir son devoir en véritable
chi'étien, de rendre témoignage par ses actes comme par ses paroles à la
vérité de l'Evangile. Le courage et la résignation de ce héros obscur
touchent et captivent au plus haut d^^ré. C'est d'ailleurs un cœur excel-
lent, ouvert à toutes les inspirations généreuses, et qui, dans l'apostolat
chrétien qu'il s'était donné pour mission de poursuivre parmi ses compa-
gnons d'armes, n'apporte ni dureté, ni rigorisme pédantesque.
Lettres sur l'Egypte, par J. Barthélémy Saint-Hilaire. Paris, 1856 ;
1 vol.in-S: 7fr. 50 c.
M. Barthélémy Sàinl-Hilaire a fait le voyage d'Egypte avec la commis-
sion d'ingénieurs chargée d'étudier sur les lieux le projet de ft^. F. de
Lesseps pour le percement de l'isthme de Suez. Cette entreprise, à la-
quelle le vice-roi Mohamed-Saïd a donné son approbation, paraît offrir des
chances certaines de succès. Les études préparatoires sont à peu près ter-
minées et Ton s'est assuré des moyens d'exécution suffisants pour la mener
YOTAGBS ET HISTOIPIB. 45
i bonne fin, quelque gigantesque que soient les travaux nécessaires à son
achèvement. Quand il s'agitd'accourcir de moitié, de réduire à 3000 lieues
au lieu de 6000 la route entre TEuro^ie et les Indes orientales, ce n*est
pas quelques millions de plus ou de moins qui doivent peser beaucoup dans
la balance. Outre des milliards de francs d'économie sur les frais de trans-
port, cette abréviation de chemin promet d'ailleurs d'autres résultats d'une
haute importance. Elle favorisera puissamment les progrès de la civilisation
chez de nombreuses peuplades qui, jusqu'ici, sont restées en dehors de
son contact, étrangères à ses bienfaits. C'est ce côté de la question que
M. Barthélémy Saint-Hilaire traite de préférence: tandis que les ingé-
nieurs exploraient le sol, il s'est occupé surtout des habitants, et ses lettres
renferment une foule d'observations intéressantes. L'Egypte lui paraît of-
frir de nombreux éléments de prospérité, soit dans son sol, que le Nil
fertilise avec une largesse inépuisable, soit dans sa population, qui ne
manque ni de vigueur, ni d'intelligence. Sans doute, les efforts de Mebe*
met-Ali n'ont pas été toujours heureux, ses vues civilisatrices rencontrè-
rent d'insurmontables obstacles, et, malgré Ténergie avec laquelle il usa
des ressources du pouvoir despotique, il ne pdt accomplir Tœuvre que son
génie avait conçue. Cependant, l'impulsion donnée par cette volonté puis-
sante subsiste encore; elle continue à se faire sentir dans la sphère admi-
nistrative, et le peuple semble la subir avec moins de répugnance. C'est
déjà beaucoup, cardans un pays semblable, le peuple n'est et ne peut être
qu'un instrument aveugle entre les mains de ses chefs. On ne saurait lui
demander autre chose que de se laisser conduire. M. Barthélémy Saint-
Hilaire remarque très-justement qu'en Egypte il en fut ainsi dès les temps
les plus anciens, sous le gouvernement des Pharaons comme sous celui
des pachas. Jamais le peuple ne cesse d'être exploité par ses souverains,
maîtres absolus, pouvant disposer suivant leurs caprices de la terre et
des hommes. C'est grâce à ce pouvoir exorbitant que s'élevèrent jadis ces
merveilles d'architecture, dont les ruines, après des milliers d'années,
nous causent encore une si vive admiration. Son initiative seule pourra
faire rentrer l'Egypte dans la voie du progrès soit matériel, soit moral.
L'entreprise est difficile, sans doute ; les données recueillies par M. Saint-
Hilaire le prouvent assez. 11 faut une réforme administrative complète, et
surtout des mesures propres à reconstituer la famille à peu près dissoute par
la polygamie et par Texlrême facilité du divorce. En attendant, la construc-
tion d'une roule ouverte au commerce des nations chrétiennes aura cer-
tainement beaucoup d'influence sur l'avenir du pays. On peut dire qiie
46 TOTAOVS BT HtSTOIM.
c'est, en quelque sorte» une épreuve décisive. Si le peuple égyptien ne
fie met pas résolument I l'eeuvre, il devra tôt ou t;ird céder la place à h
eivtlisalion européenne. Les lettres «consacrées aux monuments antiques
tmi pleines d'intérêt. Quoique ces ruimw aient été souvent décrites, l'au^-
leur sait leur donner un attrait nouveau par son érudition non moins élé-
gante que solide.
Souvenirs d'un votaob bn Sibérie, par Ch. Hansteen, traduit du
ntnrwégien, par M*** Colban, et revu par MM. Sédilloi et De la Ko*»
quelte. Paris 1857 ; 1 vol. io-8, carte : 6 fr.
En t827 M. Hansteen, directeur de {observatoire de Christiana, ob-
tint du gouveriiemeikt suédois les secours nécessaires pour une expédition
dont le but étail dVludier le système magnétique de la Sibérie. Il voulait
ainsi combler une lacune regrtîttdble dans la théorie du n^agnéiisme
terrestre, et le roi Charles-Jean accueillit avec faveur ce projet, auquel
fut également assurée la protection de l'empenur de Russie. Après avoir
publié les im)K>rtaots résultats scientitiques do son. voyage, l'auteur in-
séra successivement dans le Calendrier du peuple norwégien quelques
fragments de son journal qui furent très-goûlés. Ce sont ces Souvenirs
qu'il a complétés en y ajoutant plusieurs chapitres inédits pour la tra-
duction frauçaise.. Leur caractère est donc essentiellement descriptif et
anecdotique. On y trouve de nombreux détails relatifs à l'aspect du pays,
à ses productions, à son industrie , aux mœurs et coutumes des habi-
tants. M. Hansteen joint au talent de l'observation une bcmhomie tout à
fait aimable. Ses remarques portent en général rem|)reinte d'une grande
bienveillance, et lorsqu'il blâme ou critique c'est toujours avec beaucoup
de mesure. Notre voyageur parti de Saiiit*Péter$bourg se dirigea, par
Moscou, Nisschni-Novgorod, Kazan et Ekatherineobourg, sur Tubolsk, où
il fit un séJDur de quelques semaines. De là, malgré ta rigueur d'un hi-
ver sibérien, il prtit pour Irkutsk d'oi^ il put aller visiter la foire chi-
noise de Maimatschin et assister aux cérémonies du culte lamatique des
Burètes. Puis, ctmtinuant son voyage, il visita Jieniseisk, descendit le fleuvo
Jienisei jusqu'à Turmhansk, parcourut les mines Kol) vanes vers la froD-
iière ebinoise et le long de la ligne Kirghise jusqu'à Slatoml et Orea-
bourg, se rendit enfin à Astrakan, d'où il revint à travers les colonies alle-
mandes et françaises établies le long du Volga. Cet itinéraire est riche
VOTA&tS BT HISTOIRE. 47
€0 contrées intéressantes et fort peu connues. Grftce à Texcellent accueil
<|ue lui firent fMirtdut les autorités russes, M. Hansteeo a pu tout voir et
bien voir. D'ailleurs, eo Sibérie, la population est éininemmenl hospita-
lière ; les plus pauvres partage4it volontiers ce qu'ils ont avec l'étranger,
«ans vouloir d'autre récompense que l'honneur de sa visite. Les Souni-
«itrs de M. Hansieen en offrent mainte exemples, et si la rudesse du di-
mat rend son voyage pénible, du moins trouve-t-il de précieuses eem*
pensations dans la cordialité des habitants. Sans attaquer directement le
système russe, il sait, au moyen de faits choisis avec laet, mettre eo'évi*
dence tes déplorables abus qui en résultent. Ainsi quelques traits> doet il
fut témoin, font en quelque sorte toucher au doigt rarbitraire et la vé-
nalité des administrateurs , les misères du servage, et le terrible despo-
tisme du souverain qui peut condamner au travail des mines ou bien au
service périlîeux des frontière», sans autre forme de procès qu'un ordre
revêtu de sa signature. Ce sont des ombres au tableau de re vaste et puis-
sant empire; mais on doit reconnaître qu'elles tendent à diminuer dephis
en plus à mesure que la civilisation s'y développe. La prospérité va ereis-
sant, des contrées jadis désertes se peuplent, les villes se muUipltent, les
voies de communication s'améliorent, et te progrès matériel amènera né-
cessairement des réformes qui jusqu'ici n'étaient pas possibles. 11 fout tenir
compte de la situation dans laquelle se trouve la Russie, entourée de peuples
encore à demi barbares, de hordes nomades ou sauvages. Plusieurs ex-
cursions sur leur territoire fournissent à M. Hansleen des épisodes fort cu-
rieux, dont l'originalité présente beaucoup d'attrait Nous citerons entre
autres son séjour dans le palais du khan Kirghise-Dschanger, au milieu
du steppe, et sa visite chez la princesse kalmouke Tinmén.
La Norwége, par Louis Enault, Paris, 4857 ; f vol. in-12 : 3 fr. 50.
Ghiistiana, le Mjosenetle Gulbrandsdal, Troodhjem, la Laponie, Ber-
gen et le Cap Nord, telles sont les principales stations de l'itinéraire suivi
par M. Enault. Touriste observateur, il a parcouru ces contrées, seul, cher-
chant surtout à connattre les mceurs et coutumes locales, et dans ce but
évitant autant que possible les grandes routes et leurs auberges pour alier
demander un gîte aux fermes isolées, aux chaumières des paysans. C'est
le vrai moyen de voyager avec fruit, même dans des régions plus con-
nues que celles-là. Sans doute une pareille méthode offre de grjindes dif«
48 V0TA6RS ET HI8T01RI.
fleultës. Il faut so passer de confort , prendre son parti d*une foule d*ifi-
convénients, de privations pénibles, de contretemps fâcheux ; de plus oo
doit posst'der la langue du pays, assez du moins pour se faire comprendre.
Mais M. Enault n'en était pas à son apprentissage. Il a déjà beaucoup voyagé.
Unissant à la vivacité de l'esprit français une dose suffisante d'instruction
et de curiosité investigatrice , il est très-bien qualifié pour de semblables
entreprises. Les mœurs du foyer n'ont pas moins d'attrait pour lui que les
grandes scènes de la nature. Histoire, littérature, beaux-arts, industrie»
commerce rintéressent également ; ses goûts le portent à s'enquérir de
tout ce qui constitue la vie d'un peuple et \>e\i{ répandre quelque lu-
mière sur la tendance d*^ son génie national. Parmi les contrées de l'Eu-
rope, h Norwt^ge est une de celles qui ont encore le mieux conservé
leur physionomie originale. On y trouve une civilisation saine et vigou-
reuse qui ne s*est point abâtardie dans les jouissances du bien-être ma-
tériel. Ce n'est pas l'essor brillant et facile des peuples méridionaux»
mais on y rencontre, plus qu'ailleurs des qualités solides, des sentiments
vrais, des cœurs honnêtes et purs. Les détails que M. Enault donne sur
le caractère du paysan norwégien, ainsi que sur ses habitudes et ses tra-
vaux, sont tout à f^it propres à captiver le lecteur. Il a parcouru le pays
de la manière la plus convenable pour le bien voir. Ses jugements por-
tent, en général, le cachet de l'étude et de l'observation.
F.-C.-L. DE SiSMONDi, fragments de son journal et correspondance.
Genève et Paris, J. Cherbuliez; i vol. in-8.
Le nom de Sismondi tiendra sa place au premier rang parmi les his-
toriens de l'école moderne. En effet, ce fut lui qui fraya'courageusement la
route nouvelle où tant d'illustres écrivains ont suivi ses traces. Si sa ré-
putation semble éclipsée par l'éclat de ceux-ci, l'on ne peut méconnaître
le solide mérite de ses travaux ni Tinfluence qu'ils exercèrent sur les
études hisioriques. Les laborieuses recherches auxquelles il se livrait
ne lui permirent fias toiijours d'accorder à la rédaction les soins néces-
saires. Il attachait beaucoup plus d'importafice à Texactitude des faits
qu'aux ressources du style. C'est regrettable, sans doute, car l'excellence
de la forme est le pincipal élément du succès littéraire. Mais, quoique le
style de Sismondi manque de grâce et d'élégance, il a d'autres qualités
qui compensent en partie ce défaut. On y trouve l'accent de la franchise
VOYAGES ET HISTOIRE. 49
et de la sécuriK^, iine verve rhaleurense, les seniimenLs d'un cœur hon-
nête et biin. C'est le carhel qui di>tin^iie tous ses ouvrages, parce que
c'était celui de son car<h'i^re , et le volume que nous annonçons ici eo
porte rernpreinle plus furiement prononcée encore. Les fragments du jour-
nal et fes lettres, adressées soit à M"*« Mojon, soit à M"*» de Saint-Au-
laire, exciieront un vif intérêt. Ce nVsl pas seulement l'historien qui s'y
montre, c'est le penseur avec ses nobles as|iirations philosophiques et re»
ligieuses, c'est I honime excellent, plein de sympathie et de charité pour
ses semblab e.^. Rien ne pouvait mieux faire apprécier la haute valeur
morale de Si>montli et servir en môuie temps de pièces justificatives à
Thommage que lui rend M"* de Montgoltier dans la notice insérée en tète
du recueil. Il y a d'ailleurs beaucoup de charme dans ces épanchements
intimes où l'écrivain s'abandonne avec bonhomie à ses impressions, et
donne libre essor à ses idées. On y rencontre des observations judi-
cieuses, des traits spirituels ou profonds entremêlés d'anecdotes dans les-
quelles tigurent maintç personnages éminenls : tels que M"*® de Staël»
B. Constant, le roi Louis Philippe, etc. Plusieurs lettres fort remarqua-
bles traitent de la religion, des réformes sociales, de l'exercice de la bien*
faisance Ëritin Sismondi ne laisse échapper aucune occasion d'exposer le&
principes d'un libéralisme large et vrai, qui ne veut pas plus des excès de
la démagogie que de ceux du despotisme Dans une lettre à Channing il
déplore avec one douleur é'oquente les résultats du mouvement popu-
laire qoi renversa le gouvernement de Genève en 1841 et servit de pré-
lude à la révolution de 1846.
Un été dans le Sahara, par Eugène Fromentin. Paris, 1857 ; 1 voL
in-12 : 1 fr. 25.
M. Fromentin est un peintre dont le voyagea pour but d'étudier le^
admirables effets de lumière qui ne se rencontrent guère ailleurs que dan&
le Sahara. Il aime le soleil du désert et voudrait enrichir sa palette de$^
éclatantes couleurs de cette contrée sans ombre. La^chaleur l'incommode
peu, quelque excessive qu'elle soit ; son zèled*artiste brave courageusement
les privations et les souffrances inséparables d'un séjour dans le Pays de la:
sci/" (Bled-el-Ateuch). On comprend que la vie de caravane doit avoir uft
certain charme. A ta longue sans doute elle peut devenir fatigante et mo-
notone, mais au début l'originalité de ses moindres incidents lui donne
beaucoup d*atlrait, surtout pour les caractères aventureux. Là le voya*^
50 VOYAGES ET HISTOIRE.
geur européen rompt avec ses habitudes el s'abandonne complètement aux
chances de l'imprévu. M. Fromentin apprécie fort ce cachet d'étrangeté
qui, grâce aux progrès de la civilisation devient de ))lu8 en plus rare. Le
désert lui paraît le seul endr(»it où l'on é<'hap))e à la teinte uniforme el dt^co-
lorée que revêtent l'un après l'autre les pays civilisés. Il y retrouve, comme
peintre, des tons vigoureux el tranchés, comme observateur, des mœurs
et des usages dont la tradition s'est conservée à travers les siècle>s dejiuis
les temps les |)lus anciens. Â ce double point de vue lArabe Tiniéresse tout
particulièrement, et son livre renferme une foule de détails qui n'inté-
resseront pas moins le lecteur. 11 décrit en artiste les grands spectacles
de la nature, la poésie du soleil et du silence est son thème favori; mais
pour ce qui concerne l'homme, il nous semble plutôt inclifier vers le réa-
lisme. Du reste le contraste qui résulte d'une telle opposition n est proba-
blement que l'image fidèle de ce beau climat d'Orient où, selon Byron,
«tout est divin excepté l'âme humaine. • Il n'y a d'ailleurs rien de trop
exagéré dans les esquisses de M. Fromentin, et Ton sympathisera volon-
tiers avec la plupart de ses impressions.
Dedx ans de révolution en Italie, par F. -T. Perrens. Paris 1857 ;
i vol. in 12 : 3 fr. 50.
Dans les années 1848 et 1849 l'Italie a fait un violent effort pour
reconquérir son indépendance. Tour à tour M'Ian, Venise, Fl(»rence,
Rome, Naples accomplirent leur révolution et proclamèrent la liberté
du peuple italien. Mais le défaut d'unité ne tarda pas à porter ses fruits
tiabituels. Chaque Etat prétendant se suffire à lui-même, il n'y eut au-
cun ensemble dans les mesures de résistance contre l'ennemi commun
qui réussit bientôt à rétablir partout son pouvoir. C*est l'histoire de ces
deux années de lutte que M. Perrens a voulu retracer en jirofitant des
nombreux écrits publiés, soit en France, soil surtout en Italie. Son désir
est de présenter autant que possible les événements sous leur véritable
jour, et, dans ce but, il traite tour à tour les ditfé'*entes révolutions par*
lielles el consacre une étude à charun des principaux personnages qui en
furent comme l'incarnation vivante. Ainsi, pour les Etats romains, c'est
l^Iazzini ; pour le Piémont, l'abbé Gioberti ; pour Milan, Charles Catta-
neo ; pour Venise, Daniel Mauin ^ p<uii; la Toscane, Joseph Montanelli ;
|}Our je royaume de Naples, Charles Poerio; enfin pour la Sicile, Hug*
giero Settimo. Ces hommes émiuents représentent en effet d*une manière
votàgbs ex bistoieb. 51
Irès-frappante les tendances diverses qui se sont manifestées en Italie et
dont rantagonisQ)e a certainement été l'un drs plus grands obstacles au
succès de leurs tentatives. Tous paraissent animés d'une égale ardeur
pour l'indépend^ince italienne, mais il n'y a point entre eux d'accord sur les
moyens de l'obtenir ni sur la forme de gouvernement qu'elle doit adopter.
L'un rêve une espèce d'utopie mystique sans autre formule que cette devise:
Dieu et le peuple; l'autre veut conserver la suprématie du pape, en faire
le lieu de l'unité nationale, un troisième aspire à la république fédérative,
tandis qu'un quatrième inclinerait plutôt vers la monarchie. Grâce à de
telles divergences, ils ne s entendent point sur les mesures promptes et
vigoureuses quVxige l'intérêt commun. Chacun poursuit avant tout le
triomphe de ses vues f>articulières et l'énergie se d*^pense en actes isolés
qui ne servent qu'à faire mieux ressortir le manque d'unité nationale.
On a vu les résultats de cette lâcheuse préoccupation dans la guerre
contre l'Autriche. Les Italiens réunis en armée n'ont pas su montrer le
même héroïsme dont ils firent preuve dans l'insurrection milanaise, dans
le siège de Venise et dans celui de Rome. Ce contraste marque bien la
portée de leur sentiment national qui se renferme comme jadis dans les
limites de chaque Eiat. Les anciennes rivalités jalouses subsistent encore,
par tradition du moins, et semblent toujours prêtes à faire érhoiier les efforts
de ceux qui voudraient une Italie indépendante et libre. C'est là l'obsta-
cle léel qu'il s'agit de détruire. En d'autres termes, il faut travailler au
dévelo|)pement du [peuple italien et renoncer à ces impuissantes révoltes qui
ne servent qu'à rendre sa position plus mauvaise. M. Perrens le dit avec
raison : « Que les Italiens se hâtent donc de relever les caractères, et,
s'il est possible, d'améliorer les institutions civiles qui forment l'homme.
Cht'z eux, jusqu'à présent, l'éducation mal dirigée ne laisse que peu de
germe sérieux, Palpitation se ptM'd en manifestations sans portée, la lutte
militaire n'aboutit qu'à des échecs, les tentatives d organisation qu'à des
avortements. L'accord n'est qu'une vague aspiration. Partout règne la
division, entre les sujets comme entre les princes, d'une province, d'une
ville à lauire et jusqu'au s<'in d'une même cité. Rien ne s'y fait de ce qui
demande des efforts collemifs. i
Ces reproches ne sonLiiialheureusement que trop fondés, et l'expérience
de 18i8 prouve combien il est urgent d'y apporter remède si l'on veut
préparer à l'Italie un avenir meilleur.
5â YOfAGEfi ET HISTOIRE.
Relation des particularités de la rébellion df^ Stenko-Razin, conlre le
grand-duc de Moseovie ; épisode de l'histoire de Russie du dix-sep-
tième siècle, précédé d'une introduction et d'un glossaire sur le princo
Auguste Galitzin. Paris, Techener, t856;in-!8.
Réimpression fort jolie d'un opuscule devenu tellement rare, qu'à peine
en connaît-on un ou deux exemplaires, et qu'il aviit échappé aux investi-
gations des bibliographes les plus diligents. Il offre la traduction française
faite en 1672» d'une relation écrite par un négociant angUis résidant à
cette époque en Russie, et qui se rapporte à un épisode curieux peu connu
de l'histoire de la Moscovie avant Pierre le Grand. Â la suite de griefs
assez fondés, les Cosaques, commandés par leur chef Stenko Haziii. tirent
avecsuccèslaguerreauczarAlexis.lIss'emparèrentd'Astracan, dévastèrent
les bords du Volga, et faisaient trembler Moscou, lorsqu'aprés cin(| an-
nées d'une lutte sanglante, la trahison aida enfui une nombreuse armée à
conduire au Kremlin leur chef chargé de fers; il fut bientôt livré au sup-
plice. De part et d'autre, la guerre se faisait avec une extrême barbarie;
on égorgeait tous les prisonniers ; on imaginait d'horribles ratfîfiements do
tortures. Le narrateur raconte tout cela sans s'émouvoir, et montre ce qu'é-
tait alors la civilisation aux confins de l'Euroi^e et de l'As e. Le livret dont
nous avons donné le titre n'a été imprimé qu'à un petit nombre d'exem-
plaires, ainsi qu'un autre du même genre: Discours de roriyine de»
Russiens et de leur miraculeuse conversion^ par le cardinal Baronius^
traduit en français par Marc LescarboL ils sont dus l'un et l'autre au
zèle éclairé d'un grand seigneur russe, en faveur de l'histoire de ss^
patrie.
MÉMOIRES DE Hollande, histoire particulière en forme de roman, par
M"»« la comtesse de la Fayette, publiée avec des notes, par A. T. Bar-
bier. Paris, Techener, 1856; in- 18.
Ce volume, d'une exécution typographique fort soignée, reproduit ui>
roman publié pour h première fois en 1*678, et qui contient la relation
des amours d'une belle Juive d'Amsterdam avec un cadet de la maison
ée Lusignan, amours qui se termineni de la façon la plus édifi.iflte par
un baptême et un heureux mariage. Longtemps oubliée, cette production
n'est pas sans mérite^ l'histoire elle-même peut la consulter avec profit..
VOTAGES ET HISTOIRE. 53
On y froiivf en effet une curieuse relation du siège d'Amsterdam, entre-
pris en 1G50 {>ar Guillaume d'Oraiige» et qu*il fallut lever, les Hoibn-
•dais ayani rompu les digues de la mer et inondé le pay». On remarque
•(également un tableau satirique des pratiques minutieuses de dévotion que
rarciiiduc t^éopold. gouverne^jr des Pays-Bas espagnols, imposait à ses
o»uriLsans et aux (»ificiers de sa maison. Le style élégant et simple donne
4le 1 intérêt à ses récits, mais il ne paraît pas qu'il convienne, sur la foi du
litre, d*y voir l'œuvre de M"* de la Fayette. L'éditeur dit avoir trouvé
celte indication dans 4jne note de la main de l'éruëit Gr^vius, écrite sur
i>n volume de la BMiothtoa Hsinsiana, qui, de la bibliothèq^ie de Tar-
clievéque de Bheims, le Tellier, a |vasaé dans la bibliothèque Saint^Ge-
iieviève à Paris. Celte autorité n est pas suffisante, et te ton générait du
livre, les discussions théoiogiques qui s'y font remarquer, la connaissance
qui sy montre des cérémonies du culte mosaïque, indiquent un écrivain
<\n\ partageait, à certains égards, les principes de Porl-Royal. Il est bien
sûr aussi que, quoi qu'en dise l'éditeur, les Mémoires de Hollande n*of-
fr^nl |uiint l'histoire particulière de M*"* de la Fayette; à cet égard, les
assertions de M. Barbier ont été vivement critiquées; sa préface, ses
Dotes, et les piè4*es jusiifioatives qu'il a placées à la fin du volume, les
lettres qu'il attribue à M°^^ de la Fayetto et qui ne paraissent nullement
sor'iesde sa plume, tout cela a donné lieu à un débat qui n'a pas, ce nous
^nible, lonrué à l'avantage de l'édiieiir. Laissant de côté ces pages
étrangèrfs au texte des Mémoires de Hollande, il restera une charmante
édition d un livre digne d'être lu ; elle se recommande d'ailleurs par deux
portraits aduvirableuient etécutés par M. A. Riffaul, Tun de M"« de Sé-
\ignH, l'autre de M^ de la Fayette-, Taulhenlicité de ce dernier peut
tnalheu rendement être révoquée en doute, mais c'est une discussion qui
fioua entraînerait trop loin ; nous n'y entrerons pas.
Histoire: de la guerre de Navarre, en 1276 et en 1277, par Guil-
lemme Anelier de Toulouse, publiée avec une traduction, une intro-
duction et des notes, par Francisque Michel. Paris, imprimorieimpé-
ricilM. 1856; 10-4.
Ce volume fait partie de la C&lUciion de$ doGumenls inédits swt Chis-
ioire de France^ publiés par les soins du ministre de l'instruction pu«»
bliquc, et il n'a rien à démêler avec les œuvres légères et sans portée qui
^ I
54 YOtAGBS ET HISTOIRE.
se montrent, disparaissent, et ne laissent aucune trace. C'est un travail
digne des bénédictins les plus infatigables. Le manuscrit originï'l a été
retrouvé par le secrétaire de la muuicipatité de Pampelune, dans les ar»
chives de Tabbaye de Fitéro. On ne possède aucun détail sur la vie de
Fauteur ; il paraît avoir été témoin des faits qu'il raconte. Ses réciis com-
mencent par la bataille delasNavasde Tolosa, gagnée le 16 juillet i^it
sur les musulmans par le roi de Navarre, Sancho le Port ; après queiques^
détails relatifs aux évén^ ments qui se passèrent ensuite dans la Navarre^
le piètre raconte l'avènement au trône de Tliibaul, comte de (Champagne»
neveu de Sancho. Ce prince devint roi en 123i; il prit part à la croisade
contre Tunis, ex|)édition dans laquelle Ânelier le suivit, et il mourut en
Sicile en 1270 Son frère Henri lui succéda, et la guerre civile éclata en
Navarre; les habitants de Pam|ielune se soulevèrent contre leur gouver-
neur; te pays fut ravHgé, après de longs et sanglôuts démêlés; Philippe
le Hardi intervint; une armée française passa les Pyrénées, attaqua
Pampelune, et mit en fuite les populations soulevées. Tels sont les événe-
ments peu connus que raconte Anelier; ils montrent avec quelle cruauté
la guerre se f.iisait alois, et révèle maintes circonstances [uvcieuses pour
rhistoire. M. Francisque Michel a donné à cette publication les soins qu'il
a prodigués aux autres ouvrages du même genre qu'on lui doit déjà ; sa
préface de trente et une pages et des notes nombreuses (pages 337-666)>
renferment une multitude de détails sur l'histoire de la Navarre au trei-
zième siècle. Fouillant courageusement le même lieu ptu exploré de^ ar-
chives municipales de Pam|)eluiie, l'infatigable éditeur en a retiré des do-
cuments d'un haut intérêt, qu'il a livrés à la publicité. Il dis«'ute avec sor^
jérudition habituelle certains points concernant les usages du moyen âge;
nous citerons, entre autres objets, ce qui concerne (page 483) l'eraploi
de l'aigle comme enseigne de guerre; (page 485) l'o))ifiiou [»ublique à
l'égard des Lombards; (pag'S 504-527) le prix des chevaux et leurs di-
verses races; (page 563) les arbalètes et autres engins de guerre; (|>age
622) les cors ou oliphantSy etc.
Histoire des protestants et des Églises réformées du Poitou, par
Aug. Lièvre, tome l". Poitiers, 1856; in-8: 4 fr.
L'histoire du protestantisme français, naguère à peu près inconnue, est
depuis quelque temps Tobjel de nombreux travaux. La société qui s'est
formée à Paris pour encourager les recherches de ce genre, n*a pas ei>
SCIENCES MORALES XT POLITIQUES. 55
Tâin fait entendre son appel. « Vos pères, où soni-ils? » Le jour com-
mence à pëntHrer dans les sombres archives de la persécution, et bour-
reaux et victimes sont enfin évoqués devant le tribunal de Topinion pu-
blifpie. C'est une justice bien tardive, mais qui n'en sera que plus complète
sans doute. Â mesure que les détails de cette terrible lutte sont mis en
lumière, la cause protestante est mieux comprise. Partout, en effet, on
retrouve parmi ses premiers ade|)tes des hommes d'élite dont la France
peut, à bon droit, être fière Le livre de M. Lièvre montre qu'à cet égard
le Poitou ne fut pas moins privilégié que les autres provinces où la réforme
s'était introduite. Les huguenots y déployèrent la même énergie morale,
la même foisimère, la même constance à braver les supplices. Sans autre
perspective que le martyre, ils persévéraient avec un courage admirable»
et là, comme ailleurs, leurs ennemis n'en vinrent à bout que par une
guerre d'extermination. Ce fut un malheur pour eux de devenir un parti
politique, mais les circonstances de l époque les y forcèrent, en quelque
sorte, et l'appui que l'Eglise romaine avait dans le pouvoir civil leur sug-
géra naturellement ce moyen de résistance. M. Lièvre nous raconte d'une
manière fort intéressante les diverses péripéties qui en résultèrent. Sod
style nerveux et jiitioresque donne du relief aux moindres incidents de ce
récit, et quoique ce soit nécess<iirement plutôt un recueil de matériaux
qu'une histoire bien suivie, le lecteur sera captivé d'un bout à l'autre par
maints traits remarquables. Le premier volume s'arrête à ledit de grâce
de juillet 4629.
Traité des mariages mixtes, par M. le pasteur Âthanase Coquerel.
Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-i2: 1 fr. 50c.
Dans la plupart des pays de l'Europe, le mélange des catholiques et
des protestants rend aujourd'hui les mariages mixtes fort nombreux.
L'ancienne répugnance qu'ils rencontraient a beaucoup diminué, surtout
chez les laïques. On est devenu phis tolérant à cet égard, trop même quel*
quefoîs, car alors c'est de l'ir.difl'érence religieuse. Maintes unions de ce
genre se contractent à la légère, sans tenir compte des difficultés que
présentera 1 éducation d* s enfants, si les époux ne sont pas d'accord dans
leurs vues et leura tendances. Il n'est pas rare que le conjoint protestant
se laisse entraîner à faire sur ce point 1 abandon de ses droits en signant
56 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
la promesse exig(^e de lui par l'Eglise cathi)liqiie; ce n'est à ses yeux
qu'une formalité qui ne rem|)ê«-hHra |)as d«^ faire plus tard triompher son
influence. Or celle espèce de réserve mentale, qui ne lui prépare souvent
que des déceptions cruelles, est de plus une grave faute, car il était libre
de ne prendre aucun enj^agemeiit, puisque la bénédiction nuptiale n'est
pas obligatoire. Il n'a pas même IVx/use du conjoint catholiqui', auquel $a
foi impose l'obligation d'obéir à I Eglise. Celui-ci du moins, si ses
croyances viennent à changer, ppnt ri^gardei* sa jw-omesse comme annulée
par sa conversion, tandis que le proiestaut est dans une |)osition ti'^s^
différente: il a donné sa signature eu échange d'un service, et n»^ saurait
la violer sans ftufa ire à l'honneur. C'est là ce que M. Ciïquerel s'est sur*-
tout proposé de bien mt^itre en évidem-e. .
Il ne proscrit point absolument les mariages mixtes, mais il croit né-
cessaire de prémunir ceux qui les contractent contre certaines consé-
quences au sujet desquelles «m est trop enclin à sefdre de fà<'heuses illu-
sions. La question intéressant les deux cultes, il la traite d une manière
très-ap|)rofondie, et n'omet rien de ce qui [»ent servir à l'éclairer, soit
pour les catholiques, soit pour les protestants. L'essentiel, en effet, quand
il s'agit de prendre une aussi grave détermination, est de peeer uittrement
toutes ces éventualités probables. Le bonheur des époux exige, sinon la
communauté de foi, du moins une haute tolérance qui rest^ecte les convic-
tions individuelles et ne ''onlraiwt personne. Mais en dehors de c^-s deux
cas, le repos de la famille risque dètie comjuomis. Vainement cherche-
rait-on à se le dissimuler; l'incrédulité, le fanatisme, la tiédeur et même
la faiblesse de caractère sont des agents de inujble dom^^slique dans les
mariages mixtes. Il importe donc, avant de s'engager sur uite route pa-
reille, de se rendre compte des dilTérents obstailes qu'on y rencontrera.
Les conseils que donne à cet ég^ird M. Coquerel sont le fruit de l'expé-
rience, et depuis l'année 1822, où, pour la première fois, il bénit un ma-
riage mixte, les occasions ne lui ont pas manqué d'étudier le sujet sous
ioutes ses faces, soit dans des discussions ap)U'ofoudiesavec des ecclésiaS'*
(iques des divers cultes, .soit dans des entretiens intimes avec des familier
prêtes à contracter une alliaoce de cette sorte, soit dans des confidencas
diversifiées à l'infini sur riolérieur des ménages oijL les deux cultes sont en
présence, soit enfin dans des tentatives pour rétablir la \)d\% domestique
troublée par les différences religieuses. Son livre, remarquable par l'élé-
vation des vues aussi bien que par l'intelligence de la vie pratique, nous
semble offrir le meilleur guide qu'on puisse consulter sur ce point déhcat»
SCIBNCBS MORALES ET POLITIQUES. 57
It résume avec beaucoup de clarté la législation tant civile que canonique
relative au mariage, et présente une foule de détails propres à faire en
quelque sorte toucher au doigt les inconvénients qui peuvent résulter
d'une alliance mixte. .
Maine de Biran, sa vie et ses pensées, par Ernest Naville. Paris et Ge-
nève, J. Cherbuliez, 1857 : 1 vol. in-12 : i fr.
Cette intéressante publication étant sur le point de paraître, nous insé-
rons ici lavant-propos de l'éditeur, qui en fera comprendre le mérite et
bien appri^cier la portée.
Maine de Biran est mort il y a trente-trois ans. On ne pos3ède, toute-
fois, que d'une manière fort incomplète Texposition des doctrines de ce
l^hilosophe, que M.. Cousin a nommé t le plus grand métaphysicien qui
ait honoré la France depuis Mallebranche. • Une période entière du dé-
veloppement progressif de ses théories est presque ignorée ; ses œuvres
les plus importantes sont inédites. Aussi, bien que son nom soit souvent
floentionné, on le lit peu et on le connaît mal en France. L'Angleterre e
l'Allemagne ont gardé, à son égard, un silence presque absolu.
En un mot, s'il a une place marquée dans l'histoire de la philosophie, il
n'a pas encore obtenu dans cette histoire sa place légitime.
Il existe cependant une édition, en quatre volumes, des œuvres de
Maine de Biran, et cette édition a été mise au jour par Ihomme d'Europe
le mieux placé pour accomplir convenablement une telle œuvre. La notice
annexée à cet avant-pro))OS dira quelles circonstances ont paralysé les ef-
forts d'un éditeur illustre qui, désirant publier les œuvres capitales du
penseur éminent qui avait été Tun de ses maîtres, a été réduit, par la force
des choses, à n'imprimer que quelques écrits spéciaux et de simples
fragments.
Cette même notice expliquera comment il est devenu possible de mettre
an lumière aujourd'hui les grandes compositions scientifiques de M. da
Biran.
Le présent volume sera, je l'espère, l'avant-coureur d'une telle publi-
cation ; il n'en est pas le commencement Ce volume forme un tout parfai-
tement distinct, et s'adresse à un public beaucoup plus étendu que celui
qui absorbe les abstractions de la philosophie proprement dite. Je ferai
connaître en peu de mots sa nature et son but.
58 SCIBRCBS MORALES ET POLITIQUES.
M. de Biran a laissé des cahiers de souvenirs dont M. Cousin a, depuis^
longtemps, signalé l'existence. Ces cahiers, joints à quelques documents^
analogues, constituent le Journal intime de l'auteur qui se compose dans-
sa totalité de :
1® Un manuscrit assez volumineux portant les dates de 1794 et 1795.
!2« Quatre cahiers, formant une série non inierrompue, et doni la ré-
daction commence en février 1814, pour se terminer deux mois avant la
mort de Tauteur, en mai 1824.
3*> Quelques agendas de poche et un grand nombre de feuilles volantes^
appartiennent à la période qui sépare 1795 de 1814; il n'existe pas de
période plus complète pour cet intervalle de dix neuf années.
Tous ces papiers réunis forment un ensemble de plus de douze cents
pages, qui offrent une grande variété dans leur contenu. Des dissertations
politiques, le récit souvent fort détaillé des incidents de la vie journalière,,
des aperçus philosophiques offrant toute la spontanéité d'une pensée qui
vient de naître, s'y môle à des analyses d'une nature personnelle et in-
time» à l'expression des mouvements les plus secrets de l'âme. La rédac*
tion, dans son ensemble, n'offre aucune régularité: tantôt il ne se passa
pas un jour dont quelques lignes ne conservent sa trace, tantôt il y a des
lacunes de plusieurs semaines; ici les moindres circonstances du dehors
sont scrupuleusement enregistrées ; là les produits de la réflexion rem—
plissent seuls des pages qui revêtent un caractère scientitique. Ces varia-
tions même sont un des traits essentiels de ce tableau, dans lequel Técri-
vain a vivement empreint son image.
En me confiant ces documents précieux, avec l'autorisation d'en faire
tel usage qui me paraîtrait convenable, le fils de l'auteur, M. Félix MainOr
de Biran m'a honoré d'une confiance pour laquelle je le prie de vouloir
bien agréer mes publics remerciements.
La pensée d'extraire de cet ensemble de matériaux la partie propre à
être communiquée au public, s'offrait tout naturellement. Telle estrorigine
des Pensées de M. de Biran, qui ne sont autre chose qu'un choix de frag*
ments textuellement empruntés aux manuscrits du Journal intime. Il
était nécessaire de choisir. L'étendue des rédactions originales et les ré-
pétitions fréquentes qu'elles renferment ne permettaient |)as de les publier
intégralement; les lois de la discrétion interdisaient de reproduire telle
page relative à des personnes encore vivantes ; ses dissertations politiques»
enfin, auraient rompu l'unité d'intérêt que ce recueil peut offrir. Ce qu'it
fallait demander avant tout aux cahiers de souvenirs de M. de Biran» c'é-
SCIBIfCBS MORALES ET POLITIQUES. 59
tait Maine de Biran lui-même, dans sa personnalité vivante. Montrer le
mouvement de la vie intérieure de l'écrivain, mettre le lecteur à même Ah
discerner, dans les expériences personnelles du philosophe, l'origine de
ses théories meta | physiques et de ses pensées religieuses ; retracer, en un
mot, la marche que suit, dans son développement, cette lime remarqua-
blement sincère, tel est le but qui m'a servi de guide dans mon choix,
au milieu des hésitations inséparables d'un travail de cette nature. Le
lecteur, du reste, sera mis à même de se former une idée exacte de la
physionomie du Journal intime, dans son intégrité : les pages relatives
au mois de mars 1818 ont été transcrites tout entières dans ce volume, à
titre de spécimen.
La pensée, ou, pour mieux dire, l'âme de M. de Biran, prise à son
point de départ, et suivie dans ses phases diverses, jusqu'au moment où
elle se Uturnc avec ardeur vers le monde invisible et les espérances éter-
nelles offre un spectacle d*une haute moralité. Cette considération justi-
fieia, je l'espère, ce qui aura toujours besoin d'être justifié par un but sé-
rieusement utile, ce que, sans cela, les exemples les plus nombreux et
même les plus illustres ne sauraient absoudre à mes yeux : le fait de livrer
au public des pages conridenlielles. Du reste, s il en était besoin» on pour-
rait invoquer, en faveur de la convenance de celte publication, l'autorité
de l'homme que M. de Biran choisit lui-même pour son exécuteur testa-
mentaire, M. Laine Après avoir parcouru les cahiers laissés par son ami,
M. Laiiié écrivait que cdans ce persévérant ouvrage de tous les jours, on
trouverait beaucoup de pensées capables de faire honneur ù la mémoire
du défunt. >
On voudra bien ne pas chercher dans ce livre une forme achevée et un
style toujours correct, se rappelant qu'on a sous les yeux une rédaction
rapide, que l'auteur n'a jamais revue, et que l'éditeur a dû respecter. Le
manuscrit renferme un grand nombre de citations qui, quelquefois, ne
srmt séparées du texte par aucun signe distinciif. J'ai indiqué toutes celles
de ces citations que j'ai su reconnaître, mais il n'est pas impossible que
plusieurs n'aient échappé à mes regards, et qu'un certain nombre de
lignes étrangèn^s demeurent ainsi confondues avec l'œuvre propre de
M. Maine de Biran
Dans la biographie qui ouvre le volume*, les questions métaphysiques
ne sont abordées qu'au degré nécessaire pour l'intelligence des pensées.
* Des fragments considérables de cette biographie ont été publiés déjà
dans la Revue des Deux Mondes (15 juillet 1851).
^0 SCIENCBd BT ARTS.
L'exposition étendue et spéciale que méritent les doctrines àe l'auienr»
trouveraient sa place naturelle dans l'introduction qui piiurrail être mise
en tête de ses écrits philosophiques.
Ce livre ne s'adresse pas seulement aux métaphysiciens. Son cohIpqu
est fait pour intéresser toutes les âmes sérieuses ; sa fonne le rend acces-
sible à tous les esprits cultivés. Mais pmir en reconnaître le niériie, il
est indispensable de le lire tout entier. S4>n caract^^' extérieur ne doit
pas faire illusion ; en apparence, on a sous les yeux des fri«*,'nu'nts dfia-
chés, mais en réalité ces fragments sont les moments successifs et étroi-
tement enchaînés d'un mouvement continu. La fin seule doime au com-
mencement son intérêt véritable, et le commencement, à son tour, peut
seul donner à la fin toute sa valeur.
SCIEMCES ET ARTS.
Traité DES DÉGÉNÉRESCENCES PHYSIQUES, intellecluelles et morales de
l'espèce humaine, et des causes qui produisent ces variétés mal««lives,
par le docteur B.-A. Morel. Paris, 1857 ; 1 vol. in-8 avec allas in-4 :
18 fr.
Médecin en chef d'un hospice d'aliénés, M. Morel a |)u constater que,
<lans la plupart des cas, les maladies mentales provenaient soit de l'abus
des boissons alcooliques, soit de l'usage habituel de substances plus ou
moins malfaisantes. Les lésions organiques qui en résultent dtvenani hé-
réditaires, lui semblent rentrer dans les dégénérescences maladives, et
€'est ce qui la conduit à vouloir embrasser Tensemble du sujei comme
propre à répandre des lumières nouvelles sur cette branche spéciale. L'es-
pèce humaine, appelée à vivre sous tous les climats, à subir les ré-
|[imes d'alimentation les plus divers, se trouve nécessairement soumise
à des influences qui modifient sa nature primitive. De là, ces variétés nom-
breuses dont les caractères assez tranchés ont pu l'aire croire à Texistence
de plusieurs races d'origine différente. En prenant pour point de départ
les contrées de l'Asie qui furent le berceau du genre bumam, ou v^iit
l'homme changer de plus en plus d'aspect à mesure qu'il s'en éioi$:ne, et
ses facultés intellectuelles semblent décroître en même temps que son phy-
sique s'altère. Ce n'est pourtant pas une dégénérescence proprement dite,
car les peuples de couleur ont eu jadis leur civilisation. S'ils sont tombés
8CIBNCBS BT ARTS. 61
dans la barbarie, cela tient à d'autres causes qui pourraient produire chez le&
biarirs les mêmes résuhals. La nature modifie l'homme pour le mettre en
rapport avec les conditions du climat, mais l'homme seul est Tauteur de
sa propre di^^énérescence, soit par les habitudes funestes auxquelles il se
livrr', soit par refTot des passions dont il ne sait pas comprimer l'essor.
M. Morel insiste sur cette distinction fondamentale, qui marque les limites
dans lesquelles doivent se renfernfï^ ses recherches. Il ne traite que ce
qu'il appelle les variétés maladives, mais certaines races tout à fait abâtar-
dies qui s y rattachent lui fournissent les éléments d'une étude compara-
tive non moins féeonde qti'ingénieuse. On y trouvera de curieux rappro-
chenieiMs entre les faits que sa pratique lui a permis d'observer, et les
doiMiées recueillies par des voyageurs touchant les peuplades placées au
déféré le plus bas de l'échelle humaine. Il montre que les causes de la dé«
générescenoe sont à peu pr^s les marnes partout, et qu'elles agissent sur
les sociétés comme sur les individus. Seulement, leurs effets deviennent
beaucoup plus intenses lorsque la civilisation n'a plus assez de sève pour
les combattre. Il doit même arriver un moment où toute résistance cesse;
la race est alors condamnée à dis|»araflre, comme ces fomilles atteintes
d'affections héréditaires, que nous voyons s'éteindre au milieu de nous
malgré les efforts de la science. Les lois qui président à la conservation de
l'espèce humaine privent bientôt les variétés maladives de la faculté de se
reproduire. C est un résultat contre lequel il n'y a guère d'autre préser-
vatif que le mélange des races. M. Morel en conclut que le seul moyeo
d'empéf her la dégénérescence consiste dans des réformes hygiéniques dont
il expose le (>lan dans le dernier chapitre de son ouvrage. Elles sont le
fruit d'études apj»rofond»es, et la lecture de ce remarquable travail en fera
mieux sentir encore louto l'importance.
Des INFLUENCES de la lumière et de t'ombre sur les essences forestières,
par G. Heyer, trad. de Tallemand par Aloys de Loes. Lausanne, 1856 ;
in-8 6s.
•o-
Les désastreux résultats du déboisement des montagnes font aujour-
d'hui sentir Turgenre d'imprimer à la sylviculture un nouvel essor. Aussi
les recherches de M. Heyer présentent-elles, outre leur mérite scienti-
fique, un véritable intérêt de circonstance. Leur but est d'introduire dans
l'économie forestière des éléments nouveaux qui paraissent jouer un rôle
assez important. L'influence de la lumière et de rombre sur la végétation
62 SCIBNCB8 ET ARTS.
ne saurait, en effet» être contestée. Cependant jusqu'ici Ton avait plus ou
moins négligé ce fait dans la culture des forêts. Ce n'est qu'a|irès des ob-
servations nombreuses et faites avec beaucoup de soin, que M. Heyer est
parvenu à constater son importance. Il a tour à tour étudié les dilTérenles
essences, de manière à pouvoir les classer suivant Taction qu'exercent sur
elles la lumière et l'ombre. Aux unes il faut tout l'éclat de la première,
tandis que les autres ne prospèrent qu à l'abri de la seconde. De là, deux
groupes dans lesquels se rangent les es|>èces d'après le couvert épais ou
léger de l'arbre, la faculté des tiges et des brancht's surcimées de se main-
tenir longtemps en vie, et la propriété de jeunes plantes de pouvoir réus-
sir à l'ombre des vieux arbres. On peut établir comme principe général
que • les essences qui ont des couronnes épaisses exigent moins de lu-
mière que celles qui ont un faible couvert. » Cela s'explique par 1 action
de la lumière sur le développement des feuilles. L'ombre est funeste aux
espèces naturellement très-feuillées, parce qu'elle les prive d'organes né-
cessaire> à leur existence; elle convient, au contraire, à celles qui le sont
peu, et qui risqueraient d être bientôt épuis^^es par une végétation sura-
bondante. On comprend sans peine combien ces données sont précieuses
pour la sylviculture. M. Heyer en fait l'application au peuplement des
forêts, à leur régénération artificielle, à leurs transformations diverses.
Les résultats qu'ils présentent concernent plus particulièrement l'Alle-
magne, théâtre de ses expériences. Mais liront cependant une valeur gé-
nérale qui permettra d'en tirer des directions utiles pour les autres pays,
en faisant la part des différences qui peuvent exister soit dans le climat,
soit dans la nature du sol. D'ailleurs, loin de prétendre avoir épuisé le
sujet, il provoque les recherches, il appelle la di.^cussion et se propose
surtout d'attirer l'attention des forestiers sur des faits qui lui semblent
être d'une haute importance pour la pratique.
Rome agrigolr; de l'état actuel de Tagriculture dans les Etats romains,
par M. de Vernouillet. Paris, 1857, 1 vol. in-12 : 3 fr.
Le but de ce petit livre est de rectifier les idées répandues de tout temps
par des touristes qui ne font que traverser la campagne de Rome en cliaise
de poste. M. de Vernouillet afBrme-que, du moins en ce qui concerne l'a-
griculture, les reproches adressés au gouvernement pontifical sont fort
injustes. Il prétend démontrer, au contraire, que la grande culture, telle
8CISNCB8 BT ARTS. 63
qu'on la pratique en Italie, donne les résultats les plus avantageux, et
<|n'elle est d ailleurs la seule qui convienne soit au climat, soit à la nature
du sol. Si la campiigne romaine offre au voyageur supertîciel un aspect
<léso1é, cela provient, suivant lui, d'abord de la vaste étendue des do-
maines, puis de ce qoe le mauvais air ne permet pas à la population de s'y
fixer. Mais pour qui veut étudier avec soin la question, ct'S inconvénients
paraissent largement compensés par le beau produit que les propriétaires
retirent du fe mage. Les domaines qu'il a visités se distinguent par une
culture très-perfectionnée, enrichissent ceux qui les exploitent, et rap-
portent le 8 p. ®/o d'intérêt Si ce ne sont pas des cas exceptionnels,
M. Vernouillet a certainement raison de dire que l'agriculture romaine
«st calomniée. Mais deux seuls exemples, choisis sans doute parmi les
fermes les mieux tenues et dans la situation la plus favorable, ne nous
paraissent pas suffire. D'ailleurs, quelque productif que soit ce mode de
culture, il laisse beaucoup à déi^irer pour le bien-être du peuple. Celui-ci
ne pourrait que gagner à l'adoption d'un autre système, qui combattrait
plus activement le mauvais air, et s'efforcerait de rendre habitables les so-
litudes où la fièvre attend chaque année les moissonneurs descendus des
montagnes. M. de Vernouillet avoue lui-même qu'on n'apporte pas la
persévérance nécessaire aux travaux d'assainissement. Plus d'une fois on
entreprit de dessécher les marais pontins, foyer principal de l'infection,
«t toujours le projet fut bientôt abandonné. C'est cependant la première
mesure indispensable pour chasser le fléau de la campagne de Rome.
L'administration pontificale, qui depuis des siècles n'a pas su trouver les
moyens d'accomplir une œuvre aussi urgente, mérite donc bien quelques
reproches. Elle pouvait assurément montrer plus de sollicitude, et les tou-
ristes n'ont pas tout à fait tort de s'mdigner contre les résultats de cette
incurie. Du reste, le volume dt* M. de Vernouillet renterme des données
fort intéressantes. Il est divisé en quatre parties, qui traitent : 1" des con-
ditions climatériques, de la nature des terrains, des produits du sol, du
mode de culture ; 2* des principales exploitations agricoles du pays ; 3° des
-encouragements donnés à Tagriculture par les papes, et des essais d^amé-
iiorations qu'ils ont tentés; 4® des réformes et des perfectionnements
4ililes que l'on pourrait encore api>ortf'r à la culture dans les Etats pontifi-
caux, spécialement à celle de la campagne de Rome.
64 SCIBlfCES ET ARTS.
Harqubs bt devises typographiques, publiées par M. Silvestre.
Paris 1856; in-S».
Les marques et devises adoptées par les imprimeurs et dont l'usage^
un peu tombé aujourd'hui en désuétude, était général autrefois, offrent aux
bibliographes, non moins qu'aux artistes, un intéressant sujet d'études.
Quelques écrivains se sont déjà occupés de ce sujet ; il y a près de cent
trente ans que Roth-Scholz mit au jour à Nuremberg, sous le titre de Emble^
mata typographorum, un volume recherché des amateurs, malgré son dé-
faut de plan et de méthode. L'excellent Manuel du libraire de M. J.-Ch.
Brunet renferme diverses marques gravées avec une exactitude scrupu-
leuse ; l'éditeur de cette importante publication, M. Silvestre a voulu, ei>
faisant un tirage à part des problèmes gravés dans le Manuel, y peindra
un grand nombre de marques du même genre, mais pour fixer des li-
mites à un champ d'une étendue immense, il s'est imposé la loi de s'en^
tenir aux typographes français, et de ne pas dépasser le dix-septième siè-
cle. Six livraisons successives de ce recueil curieux reproduisent, avec
l'exactitude d'un fac-similé scrupuleux, cinq cent quinze marques diverses.
II y en a d'un travail très-soigné, d'autres sont dignes de l'enfance d'un art
bien peu habile. La plupart ont des devises morales empruntées à l'Ecri-
ture sainte ; fréquemment se montrent des rébus ou allusions au nom du
typographe; c'est ainsi que l'imprimeur parisien Lutquand fait choix pour
emblème de trois sots coifl'és de bonnets à longues oreilles d'âne ; Delà-
marre^ à Sens, met sur le frontispice des livres qui sortent de ses-
presses une marre où barbotent c||^s canards ; Etienne Maillet, à Lyon,
fait graver un maillet ; J. Maréchal adopte l'image de maréchaux-fer-
rants travaillant le fer avec activité, tandis qu'un libraire de Poitiers,
nommé Blanchet, adopte un cygne et écrit à côté : Ut in cute albus. Bie&
d'autres petits faits curieux se révéleront en examinant le recueil dû au
zèle de M. Silvestre et dont la continuation est désirable; c'est la première-
fois que ce sujet, concernant à la fois les arts du dessin et la science de&
livres, est traité avec autant de méthode et d'exactitude. .
REVUE CRITiaiIE
DES
LIVRES NOUVEAUX
HARS t#ftV«
lilTTERATURE.
Nouvelles historiques extraordinaires, par Edgar Poe, traduites de
l'anglais par M. Ch. Baudelaire. Paris. 1857; 1 vol. iD-12 : 1 fr.
25 c. — Les émotions de Polydore Marasquin, par L. Gozlan»
Paris ^857 ; 4 vol. io-lS : 1 fr, 25 c.
Nous ne nous rangeons pas au nombre des admirateurs d'Edgar Poe.
Sauf quelques jolies pages, les produits de son imagination déréglée
ressemblent trop aux rêveries d'un homme ivre. On n'y trouve, en géné-
ral, ni plan, ni but. Ce sont des ébauches, des fragments, des boutades,
où l'originalité ne manque pas sans doute, mais qui n'offrent aucun intérêt.
Le titre à' Histoires extraordinaires, adopté par le traducteur, caracté-
rise assez bien leur seul mérite , et selon nous c'est un bien petit mérite
que celui-là, surtout quand on l'achète aux dépens du naturel et du vrai»
L'invention qui ne crée que des monstres donne tout simplement la
preuve de son impuissance. M. Baudelaire essaie bien de combattre d'a-
vance un pareil reproche, auquel il s'altend d'autant plus que les criti-
ques américains l'ont adressé souvent à leur compatriote. Pour lui, Edgar
Poe est un poëte de génie, ses oeuvres sont des joyaux précieux f C'est,
dit-il, quelque chose de profond et de miroitant comme le rêve, de mys-
térieux et de parfait comme le cristal.» Malheureusement cette définition
pompeuse éclaircit peu la question. La profondeur du rêve qui miroite et
le mystère du cristal ne nous réconcilieront pas avec les extravagances^
les absurdités et les tableaux dégoûtants dont est rempli le nouveau vo-
lume d'Edgar Poe. Mais le public français fera bonne justice de ces élu-
cubrations d'un cerveau détraqué.'; Quelque gâté que puisse être son goût
littéraire, on ne lui fera pas prendre les fumées de l'ivresse pour le ca-
chet du génie. Si Edgar Poe possédait certainement de belles qualités,
elles furent de bonne heure atrophiées par les funestes excès dont il est
5
66 LITTÉRATURE.
mort, et ses productioDS exhalent une odeur d'alcool qui repoussera tou-
jours les lecteurs délicats.
Quant à M. Léon Gozian, son Polydore Marasquin est une bien pauvre
historiette, dans laquelle il entasse des aventures impossibles dont le
moindre défaut est d'être d'une monotonie désespérante. On dirait qu'il
prend à lâche de singer l'inexpérience d un débutant qui croit faire mer-
veille en donnant libre essor à sa fantaisie d'écolier. Il n'y a rien de neuf
ni d'original dans ce récit. C'est une espèce de compilation , où se ren-
contrent à chaque pas quelque trait déjà connu, quelque donnée plus ou
moins extravagante qui n'a pas même le mérite de l'invention. L'auteur
place en Chine le lieu de la scène, mais sans pour cela se mettre le moins
du monde en frais de couleur locale. Polydore Marasquin est un pour-
voyeur de ménageries, uniquement occupé de la chasse et de l'éducation
des animaux qui font l'objet d^ son commerce Ruiné par un incendie, il
entreprend d'aller au sein des forêts s'approvisionner à nouveau, fait nau-
frage en route, est jeté sur une côte habitée par des singes, se voit en
butle à mille outrages de la part de ces malicieux quadrupèdes , et finit
par devenir leur chef en dissimulant sa qualité d'homme sous la peau
d un mandrille. La monotonie de cette fiction n'est point rachetée par le
charme des détails, et l'on ne comprendra pas qu'un homme d'esprit ait
pu signer de son nom une rapsodie pareille.
MÉMOIRES DE M. Joseph Prudhomme, par Henri Monnier. Paris, 1857;
2 vol. in-12 : 7 fr.
Comment se fait-il qu'un homme d'esprit ne s'aperçoive pas qu'il fatigue
son public en étirant en tout sens une donnée, quelque ingénieuse et pla-
quante qu'elle fût dans son premier jet? Il devrait pourtant savoir qu'en fait
de plaisanterie surtout, la plus courte est la meilleure. Le Prudhommedes
Scènes populaires était une figure très-originale, dans la Famille impro^
visée il a déjà perdu beaucoup de son mérite, et voici que l'auteur se
charge lui-même de l'achever par un véritable coup d'assommoir. L'élève
de Brard et Saint-Omer ne s'en relèvera pas, ses mémoires lui serviront
de tombeau. Ce n'est pas là sans doute le but que se proposait M. Henri
Monnier. il a voulu plutôt com[iléler son personnage dont nous ne pos-
\iédions encore qu'une légère et spirituelle esquisse. Mais la caricature
pi qlongée s'afi'adit singulièrement; H. Prudhomme, dont l'importance
bouifonne excitait le rire, devient un être fort ennuyeux. On peut s'amu-
LITTÉRATURC. 67
ser parfois des naïvetés d'un sot présomptueux, tandis que vivre habi-
tuellement avec lui serait insupportable. M. Henri Monnier paraît ne pas
comprendre cette distinction. Au lieu de se contenter de mettre en saillie
les travers et les ridicules, il s'attache à reproduire avec une exactitude
minutieuse des caractères qui souvent n'offrent aucun attrait. M. Prud-
homme en est un exemple; on n'aura pas le courage de lire jusqu'au bout
ses mémoires pleins de lieux communs et de détails insignifiants. L'au-
teur a lui-même échoué dans cette autobiographie : on n'y retrouve ni la
verve originale» ni le talent d'observation qui distinguent ses autres ou-
vrages.
Étddes sur Virgile, par Sainte-Beuve. Paris, 1857; 1 vol. in-12 :
3 fr. 50.
Cette étude est un fragment du cours que M. de Sainte-Beuve devait
donner au Collège de France. Elle nous paraît bien propre à faire regret-
ter que l'enseignement du professeur n'ait pas eu lieu. La littérature an-
cienne a besoin aujourd'hui plus que jamais d'interprètes habiles qui sa-
chent en inspirer le goût à la jeunesse, et M. Sainte-Beuve ne manque
certainement pas des qualités nécessaires pour une tâche semblable. Sa
critique ingénieuse et fine sait glaner encore de nombreux épis dans ce
champ si souvent moissonné. Ce n'est pas un commentateur hérissé de
grec et de latin, discutant à perdre haleine sur le temps d'un verbe ou
sur la place d'une virgule, mais c'est un homme de goût, un esprit déli-
cat, qui se plaît surtout à mettre en saillie les beautés dont l'œuvre du
poëte abonde. Sobre de conjectures, il s'attache de préférence au point de
vue liltérairo, tout en résumant avec clarté les opinions émises sur le reste
par les érudits. Après avoir posé d'abord en principe qu'il faut que le poëte
épique soit plus ou moins de son temps dans son poëme, il montre à quel
point Virgile remplit cette première condition, et comment on doit en tenir
compte pour établir le parallèle entre Homère et lui. Les deux poètes re-
présentent deux époques bien différentes, séparées par des siècles et par des
révolutions profondes : le premier est un chantre, le second un écrivain.
Celui-ci ne peut plus sans doute avoir la même puissance, la même spon-
tanéité d'improvisation ; mais il possède un art plus parfait , une sensibi-
lité plus développée, et l'œuvre de son génie présente un ensemble mieux
harmonisé quoique peut-être moins grandiose. « C'est une poésie qui se
marie à l'histoire , à Tamour de la religion, de la patrie, de rhumanilé.
68 LITTiHATURB.
de la famille, au culte des ancêtres et au respect de la postérité, à toutes
les grandes affections vertueuses, comme aussi aux affections déli-
cates et tendres sans trop de mollesse et d'un pathétique tempéré par la
dignité décente ; une poésie magnifique d*où sortent d'indirectes et sa<»
lutaires leçons, puisées dans des impressions profondes et sensibles, e(
rendues dans de beaux vers qui se gravent d'eux-mêmes. • Virgile est
éminemment romain , mais son âme élevée aspire à se dégager des lien&
du patriotisme antique pour embrasser l'humanité tout entière. Sous sa
plume le personnage d'Enée se métamorphose et revêt une physionomie
plus moderne, sans perdre pourtant les traits essentiels de son caractère.
M. Sainte-Beuve signale ainsi dans le cours du poëme les diverses mo-
difications que les éléments de la narration épique ont dû subir pour
satisfaire aux exigences de l'époque. C'est une analyse pleine de charme
où l'on trouve maints aperçus neufs, originaux et forts attrayants. On
suivra volontiers l'habite explorateur dans les sentiers fleuris qu'il affec-
tionne, et qui parfois conduiseat à d'admirables perspectives, jusqu'à pré*
sent à peine entrevues. Le curieux travail sur Quintus de Smyrne et le
fragment sur Horace, qui terminent ce volume, seront aussi lus avec un
vif intérêt, et feront désirer que M. Sainte-Beuve ne s'en tienne pas à
cette première excursion dans le riche domaine de la littérature latine.
Vie et aventures de Nicolas Nigkleby, par Ch. Dickens, traduit de
l'anglais par P. Lorain, Paris 1857; 2 vol. in-12 : 5 fr.
Les romans de M. Dickens n'ont pas eu jusqu'à présent en France ia
popularité qu'ils méritent. Cela provient de ce que, sauf une ou deux
exceptions, ils étaient fort mal traduits. L'un des plus remarquables^
entre autres,-.0/m6r Twist, défiguré par une plume inhabile, n'est vrai-
ment pas lisible. Les traducteurs français, soit dit en passant, se per-
mettent parfois d'étranges licences. Ils semblent ne pas comprendre que
leur premier devoir est de rendre l'original aussi fidèlement que possible.
Lorsque le sens d'un passage leur échappe, ils passent outre sans scrupule,
ou bien y substituent leurs propres élucubrations. En général l'étude des
langues n'est pas leur côté brillant; ils lisent à peine couramment celle
de l'auteur dont ils se font les interprètes, et ne savent guère écrire le fran*
çais. Chez quelques-uns c'est moins ignorance peut-être que légèreté, mais
le résultat n'en vaut pas mieux, et justifie trop souvent le dicton italien :
traduttorêf tvaditore. Lorsqu'il s'agit surtout d'un écrivain qui se dis-
LlTtÉRAÏURB. 69
tingue par le mérite du style autant que par la féceiidité de rimagination,
ses oeiivres se trouvent ainsi défigurées au point d*être rendues tout à
bit méconnaissables. C'est le cas de Dickens, des traducteurs de cet es-
pèce l'ont sabré, sautant à pieds joints par-dessus les passages difficiles,
effaçant les nuances, ne se donnant pas k moindre peine pour conserver
le cachet original qui le caractérise. Peintre de détails, observateur in-
génieux, il devait plus qu'un autre souffrir d'une transformation pareille ;
ses œuvres ont été présentées au public français, dépourvues en grande
partie de ce charme particulier auquel est dû leur succès en Angleterre.
Aussi l'entreprise de MM. Hachette et Lahure sera-t-elle certainement
accueillie avec joie par tous ceux qui ne peuvent pas lire le romancier
anglais dans sa langue. Cette traduction, surveillée par l'auteur lui-même,
est à la fois élégante, fidèle et complète. Elle donne à Nicolas Nickieby
un attrait tout nouveau, et contribuera, nous en sommes convaincus, à
faire beaucoup mieux apprécier en France les éminentes qualités du ta-
lent de Charles Dickens.
Afrâja, par Miigge, traduit de l'allemand par MM. Suckau. Paris, 1S57;
1 vol. in-12: 2 fr. 50. — Mémoires de Barry Lyndon du royaume
d'Irlande, par W. Thackeray, traduit de l'anglais par L. de
Wailly. Paris. 1857; 1 vol. in-12 : 2 fr. 50.
Afraja est un vieux Lapon qui possède des troupeaux considérables et
jouit d'uiie réputation de sorcier fort bien établie, en sorte qu'on attribue
toute sa richesse à la découverte d*un trésor enfoui dans les entrailles de la
terre. Cette croyance superstitieuse était très-répandue autrefois et n'est
peut-être pas tout à fait détruite dans la contrée où les pâturages de la
Laponie confinent avec les derniers établissements nonvégiens. Chez les
habitants de ceux-ci elle se trouvait d'ailleurs renforcée par l'aversion
profonde que leur inspiraient ces peuplades nomades à demi sauvages et
païëiines. Â Tépoque où M. Mùgge place son récit, le préjugé régnait
d'autant plus que la délimitation des frontières n'élapt pas fixée d'une
manière bien positive, il en résultait souvent des conflits. Les Lapons se
voyaient enlever ainsi par des usurpations successives un territoire sur
lequel ils avaient de tout temps fait paître leurs rennes, et les Norwégiens
s'étaient habitués à ne tenir aucun compte des droits de leur s voisins. Là,
comme en Amérique, la civilisation s'étendait aux dépens des aborigènes
en s'appuyant sur l'injustice et la violence. Afraja, précisément parce quH
70 UTTliRATURI.
était riche et considéré dans sa tribu, devait être en butte, plus qu'un
autre, à de semblables exactions. Qui eût osé prendre la défense du vieux
sorcier? En vain le digne pasteur du district s'efforçait, avec le zèle
le plus charitable, de rap()eler à ses ouailles leurs devoirs envers
des hommes plongés encore dans le paganisme, sans doute, mais inof-
fensifs et susceptibles d'être convertis. Il donnait lui-même en toute oc-
casion l'exemple du support et de la tolérance. Mais les rudes natures
auxquelles il s'adressait ne comprenaient ni ses paroles, ni ses actes.
On regardait, au contraire, comme très-légitime le désir de s'emparer
des trésors qu'Âfraja devait avoir reçu pour prix de son âme vendue au
diable. Les baillis du voisinage et maître Helgestad, rusé spéculateur bien
connu dans le pays, concertaient ensemble les moyens d'en venir à bout.
Déjà Helgestad avait par une indigne manœuvre enlevé la tille .d'Âfraja
pour en faire sa servante. La jeune Gula se résigne assez vite, embrasse
la foicbrélienne et trouve une amie dans llda, la fille de son maître; mais le
vieux Lapon jure dès lors une haine mortelle au ravisseur. Sur ces entre-
faites arrive chez Helgestad un jeune seigneur danois que des revers de
fortune obligi^nt à venir dans ces contrées lointaines demander des resr
sources au travail. Il est porteur d'une concession de terrain et d'une cer-
taine somme d'argent suffisante pour le début. Aussi Helgestad l'accueille-
t-il volontiers dans sa maison, car il espère bien pouvoir exploiter à son
protit l'inexpérience du novice Marstrand. Celui-ci, loin de soupçonner le
piège, s'estime fort heureux de rencontrer un homme caf^able de le diriger,
et se livre sans réserve à ses conseils. Cependant la noblesse de son cœur est
froissée par les habitudes peu scrupuleuses du traticant ; il s'intéresse au
sort de la jeune Lapone, il sympathise avec l'âme élevée dlida, il se
sent même entraîné par un attrait mystérieux vers Âfraja qui linit par
le prendre sous sa protection et lui dévoile tous les infâmes projets de
leurs ennemis communs. Après bien des péripéties diverses vient la
catastrophe. Le vieux sorcier est livré à la justice, tandis que Marstrand
se voit arrêté comme coupable de haute trahison. Un ordre du roi arrive
fort heureusement assez tôt pour rendre à celui-ci ses biens et sa liberté,
mais trop tard pour Afraja que ses bourreaux ont fait périr sur un bû-
cher. Les baillis reçoivent leur châtiment, Helgestad bouleversé par ce
dévouement imprévu tombe dans un état voisin de la démence, et Mars-
trand devient l'époux d'Ilda.
Telle est la donnée que M. Mugge développe avec un talent très-
original. Son roman, plein de charmants détails excite Tinlérét au plus
LITTÉRATUEB. 71
haut degré. On y trouvera d'excellentes peintures de mœurs, des ta-
bleaux d intérieur adnoirablennent esquissés, des caractères bien soutenus,
des incidents dramatiques» entin une certaine teinte fantastique qui ne
s harmonise point mal avec la sévère nature du nord et les traditions
merveilleuses encore si répandues chez ses habitants.
Les Mémoires de Barry Lyndoii offrent un tout autre genre d*attrait.
C'est l'histoire d'un aventurier d Irlande qui, possédant pour tout patri-
moine un nom de noblesse plus ou moins authentique, s'est frayé son
chemin à travers le dévergondage du dix-huitième siècle, par Taudace
et le jeu. Avec ces deux seules ressources il est parvenu, non-seulement
à faire figure dans le monde, mais à contracter un brillant mariage avec
la veuve d'un lord, puissamment riche. C'était Tépoque de ces fortunes
étranges, obtenues par des procédés qui risqueraient aujourd'hui de ne
conduire que sur les bancs de la cour d'assises. La société de l'ancien
régime marchait alors d'un pas rapide à sa dissolution ; les chevaliers d'in-
dustrie abondaient et leurs exploits ne scandalisaient personne. Aussi Barry
Lyndon put-il mettre en œuvre ses petits talents sans courir de grands ris-
ques. Malheureusement il ne savait point gouverner ses passions, et c'est ce
qui le perdit. On ne hante pas en vain les tabagies et les tripots pendant
maintes années. Après comme avant son mariage il resta joueur, ivro^
gne et brutal Une fois marié, son unique désir parut être de dilapider
sa fortune et de tourmenter sa femme. Les choses allèrent même si loin
qu'une séparation devint inévitable. Barry Lyndon tomba plus vite en-
core qu'il n'était monté, donnant par sa fin misérable une nouvelle
preuve de la vérité du dicton populaire : « Ce qui vient par la flûte s'en
va par le tambour. » M. Thackeray montre dans cette espèce de bio-
graphie un talent fort ingénieux. Les défauts du caractère irlandais y
sont mis en relief de la manière la plus piquante. On y trouve en même
temps une peinture fidèle de l'époque et de nombreux détails qui ne man-
quent ni d'attrait, ni d'originalité.
L'amour, les femmes et le mariage, historiettes, pensées et réflexions
glanées à travers champ, par Adolphe Ricard. Paris, 1857 ; 1 vol.
in-i2 : 3 fr. — Journal dune jeune fille, par Ârnould Fremy.
Paris, 1857; 1 vol. in-12: 3 fr.
Dans ces deux ouvrages l'amour joue le principal rôle. L'un est une
compilation, l'autre un petit roman; mais ils tendent au même but, ils
72 LITTlfiRATURE.
ont également pour objet d'analyser le cœur de la femme, opération foH
déRcate que beaucoup d'autres avant eux ont déjà tentée. M. Ricard paraît
en comprendre assez bien la difficulté, car à ses propres lumières il
ajoute celles de tous ses prédécesseurs. Son livre présente, sous forme de
dictionnaire , ce que les moralistes, les poëtes et les romanciers ont écrit
de plus ingénieux et de plus piquant, en bien comme en mal , sur Va-
mour, les femmes et le mariage. Ce sont, dit-il, les leçons de Texpé-
rience, signées presque toutes par les plus grands écrivains des deux
sexes. Un pareil recueil a le mérite incontestable d*être fort amusant.
L'esprit y abonde ; les compliments flatteurs, les portraits gracieux, les
mordantes épigrammes, tes pensées fines, ingénieuses, origfnales même
n'y font pas défaut. Mais nous n'y trouvons pas précisément le cachet de
l'expérience. En général on parle de Tamour et des femmes sans se donner
beaucoup la peine de les étudier. Chacun les juge d'après ses impres-
sions personnelles et ne sort guère du cercle restreint dans lequel il se
trouve appelé à vivre. De là maintes théoriçs souvent fondées sur des
cas exceptionnels, sur un froissement d'amour-propre ou sur quel-
que illusion déçue. La plupart des écrivains commencent leur carrière
dans une société qui ne peut pas leur fournir à cet égard des données
suffisantes. Ils s'y trouvent plus que d'autres exposés à des séductions
dangereuses dont le résultat est de corrompre ou dessécher le cœur.
L'homme de lettres quitte de bonne heure sa famille et rarement se marie.
Ses études se font au milieu de ce qu'on appelle des femmes de contrebande;
or ce n'est assurément pas là qu'il peut rencontrer un essor moral bien
remarquable. Aussi que de sottises débitées sur l'amour et le mariage par
des gens qui ne connaissent ni l'un ni l'autre. Le choix de M. Ricard,
quoique fait avec soin, n'en est pas exempt. On y trouve d'ailleurs plus
de traits spirituels que de pensées profondes; le ton général est fort lé-
ger, quelquefois même il frise la licence. M. Ricard donne place aux opi-
nions les plus diverses, mais la tendance dominante nous semble être dé
railler le mariage et de considérer la femme comme un charmant jouet.
M. Arnould Frémy nous offre une étude plus sérieuse. C'est le journal
d'une jeune fille simple, naïve, innocente, dont le cœur se livre sans
beaucoup de peine aux séductions de l'amour. La donnée est assez ingé-
nieuse, les détails ne manquent ni de charme, ni de vérité. Placée par
des revers de fortune dans une position dépendante, l'héroïne a bien des
luttes à soutenir contre son orgueil qui se révolte, et la vie tirés-
retirée qu'elle mène avec sa mère ne lui fournit pas l'occasion d 'apprend
LITTrfRATûaE. 75
drë à connaître le monde. Aussi le premier jeune ho^me qui lui 'téitaoi-
gne quelque sympathie s'empare-tnl facilement do son cœur. Ceèt tout
naturel, et Ton ne peut nier la justesse de Tobservation. Mais M. FVènfiy
n'a malheureusement pas su conserver d'un bout à Vautre de son iivire
Fallure qu'exigeait une semblable donnée. H oublie ce que doit être ntte
jeune fille tout à fait inexpérimentée, et lui attribue parfois des sentiments
et des réflexions qui décèlent au contraire une grande connaissance do
monde. M. Fremy a beau prétendre n'être ici que l'éditeur d'un manus-
cirit confié à ses soins, on s'aperçoit bien vite qu'il a tenu la \A\\tne,
et quel que soit le mérite de son talent, il y manque cette fleur de déli-
catesse féminine, si nécessaire surtout en un pareil sujet.
PsTGHÉ, poëme. — Odes et poèmes, par Victor de Laprade. Paris,
1857; 1vol. in-12: 1 fr. 25.
H. de Laprade est un poëte à tendances philosophiques bien pronon-
cées, trop même peut-être pour plaire beaucoup au commun des lecteur».
Quoique revêtue de formes nobles et gracieuses, sa pensée n*est pas tou-
jours facile à saisir ; il faut des efl'orts d'attention pour en suivre l'essor,
et la fatigue empêche de goûter tout le charme de la poésie. Le public
capable de la comprendre est nécessairement assez restreint, en sorte que
h rénommée de M. Laprade ne pourra jamais devenir populaire. C'est
dommage, car il possède un talent très-remarquable. Mais ses idées man-
quent en général de précision et de clarté. Aussi Taccuse-t-on de pan-
théisme, reproche dont il se défend avec succès dans sa préface. Nons
reconnaissons comme lui que de tout temps la po^ie a fait parler lès
animaux, les plantes, les éléments même, et que c'est une ressource pré-
cieuse pour c exprimer les modes généraux de la sensibilité, les harnao-
nies de la vie morale et de la vie extérieure, les rapports de toute forme
visible à une idée dans la création.» Seulement il ne faut pas en abuser
de manière à rendre le rôle de Thomme presque insignifiant tandis qu'on
exalte les puissances de la nature. M. de Laprade se heurte quelquefois
éontre cet écueil. Sans doute ce n'est pas son intention, il vise plus haut,
il aspire à s'élancer dans les régions de l'idéal. Mais ses tendances trop
vagues risquent d'échapper à la plupart des lecteurs qui, sans le secours
d'un commentaire, ne seront pas en état d'apprécier une semblable poé-
sie. Si cette critique paraft trop sévère, nous citerons à l'appui ce que
74 LITTBRATURS.
l'auteur dit lui-même de l'une des pièces dont se compose son volume :
• Le but principal est de peindre l'inquiétude des âmes au moment où les
symboles religieux s'évanouissent sous la libre interprétation et la criti-
que, où l'ancienne foi se retire des esprits, sans que ce principe de la vie
morale soit encore remplacé par un dogme nouveau ; de faire sentir le vide
immense qu'une croyance disparue laisse dans le cœur, dans l'imagina-
tion, dans la volonté. Altérés de vérités nouvelles, des hommes ont frappé
à la porte de tous les sanctuaires, de toutes les écoles, poursuivant une
révélation plus complète de l'idéal, implorant leur initiation à I idée in-
connue. •
On voit bien que chez M. de Laprade le philosophe domine le poëte,
et si le langage harmonieux de ce dernier offre un attrait plein de charme,
il n'a pas précisément les qualités désirables pour des spéculations de ce
genre. Les exigences du vers contrarient celle de la logique ; la rigueur
du raisonnement disparaît pour faire place à la méditation rêveuse qui»
sans autre guide que la fantaisie, va se perdre dans les nuages.
Œuvres complètes de P. de Ronsard, nouvelle édition, publiée sur
les notices les plus anciennes avec des variantes et des notes, par
M. Prosper Blanchemain. Paris, Jannet, 1857; tome 1<". 1 vol.
in-18 : 5fr.
Après avoir joui d'une célébrité immense et incontestée, Ronsard tomba
dans l'oubli et fut délaissé perdant deux siècles ; sa réhabilitation s'est
opérée, et sans lui prodiguer tous les éloges que décerna l'admiration des
contemporains, on reconnaît dans ce poète un auteur d'un mérite rare,
souvent inégal, souvent en possessiou de trésors de grâce et de fraîcheur.
Chaque ami éclairé des lettres tient aujourd'hui à lire et à posséder
Ronsard, mais les anciennes éditions, subissant les conséquences du dé-
dain qui les avait frappés, sont devenus à peu près introuvables. L'intel-
ligent éditeur de la Bibliotkèque elxevirienne a donc été bien inspiré
iorsq«r'il a pris la résolution de mettre à la portée du public un texte
aussi pur et aussi complet que possible de cet auteur. Il a bien fait de
confier l'exécution de ce projet à un critique qui s'était déjà livré à de
patientes études sur les écrits de Ronsard. L'établissement du texte n'é-
tait pas chose des plus faciles. Neuf éditions posthumes des œuvres de
Ronsard se silccédèrent de 1587 à 1630; sept éditions avaient paru du
.vivant de l'auteur, et un grand nombre de pièces furent mises au jour,
T0TAGB8 BT HISTOIEB.
75
soit en volume, soit dans des recueils contemporains, soit en feuilles vo-
lantes. Les éditeurs du dix-septième siècle négligèrent de recueillir non-
seulement un certain nombre de pièces, mais encore des modiBcations rn*
nombrables, les retranchements souvent très-importants que le poëte avait
fait subir à ses vers dans les éditions publiées de son vivant. De là néces-
sité de réunir les variantes, de remonter aux éditions originales, les-
quelles sont d'ailleurs les meilleures» car vers la fin de sa vie, Ronsard
remania ses ouvrages, corrigea beaucoup et gâta souvent. M. Blanche-
main a donc eu raison de prendre pour point de départ la première édition
que ce poëte donna de ses œuvres en 1560. Pour les pièces parues depuis,
l'éditeur a reproduit, autant qu'il l'a pu, la leçon fournie par les publi-
cations originales, notant, vers par vers, les mutilations que chaque œu-
vre a^ait subie, et rétablissant, en les entourant de crochets, les passages
retranchés qu'il est ainsi fort aisé de reconnaître. Ajoutons que M. Blan-
cbemain a soigneusement noté les emprunts que fait Ronsard aux poètes
italiens, à Pétrarque surtout, et qu'il a placé avec une judicieuse sobriété
des notes aux endroits où elles étaient nécessaires. Cette édition de Ron-
sard, qui doit former six volumes, méritera donc le titre de définitive et
ne laissera rien à désirer. Nous nous bornons à l'annoncer, l'apprécia-
tion littéraire des vers contenus dans les 442 pages du premier tome se-
rait aujourd'hui prématurée. ^
ITOYACtES ET HISTOIKE.
«
Voyage dans l'Amérique centrale, l'île de Cuba et le Yucatan, par
Arthur Morelet. Paris, 1857 ; 2 vol. in-8®, ornés de vignettes et
d'une grande carte : 18 fr.
L'objet principal de ce voyage, exécuté dans les années 1846, 1847 et
1848, était l'étude de l'histoire naturelle. Peu de contrées offrent autant
de ressources aux collecteurs, et malgré le nombre considérable de ses
devanciers, M. Morelet put, en effet, enrichir à son tour le Muséum de
Paris de plusieurs espèces nouvelles, ainsi que de maints échantillons
précieux par leur rareté. Mais la relation qu'il publie intéressera davan-
tage encore, et d'une manière plus générale, en faisant connaître des
pays sur lesquels on ne possédait jusqu'ici que des notions assez vagues.
L'Amérique centrale est loin d'avoir été complètement explorée. La ra-
reté des voies de communication, la fréquence des troubles politiques et
76 YOTAGBS ET HISTOIRE.
le manque de sécurité qui en résulte créent srux voyageurs Aeè obstacles
pr^«que insurmontables. M. Morelet toi-même n*^ pas pu accomplir eb^-
tièrement ses projf'ts, les difficultés ont dépassé son attenté. H est vtai
que les forces lui ont fait défaut» et que sa santé altérée par un dccideftft
Ta contraint d'abréger sa route. L'entreprise était aufssi peutêtfe au-
dessus des ressources d'un simple particulier. Parti du Havre, en tiô-
vembrel846, il se rendit d'abord à la Havane. Un séjour de plusieurs mois
dans 1 tle de Cuba lui parut nécessaire, soit pour se familiariser avec la na-
ture tropicale, soit pour recueillir des renseignements sur les districts tfti
continent américain qu'il se proposait de visitet*. De ces deux buts le pre-
mier fut parfaitement rempli par de nombreuses excursions dont le récit
présente un vif intérêt. Quant au second, tes efforts de notre voyageur
échouèrent devant l'ignorance des habitants de Cuba, qui ne surent que
lui faire un tableau fabuleux des périls auxquels il allait s'exposer en
s'aventurant ainsi dans une contrée sauvage, peuplée d'Indiens féroces
et d'animaux malfaisants. Sans se laisser décourager par ces pronostics
lugubres, M. Morelet, accompagné d'un jeune matelot avec lequel il avait
ifait la traversée et qu'il s'était attaché comme domestique, se mit en route
le i9 février 1847, et vint débarquer dans le golfe du Mexique, près de
Mérida. De là, suivant la côte, il visita successivement Campêche, l'île
de Carmen, les ruines de Palanque, traversa les districts de Tabasco, du
Péten, de la Véra-Paz, parvint à Guatemala et poussa jusqu'à l'océan
Pacifique ; puis, se dirigeant par Chimalapa et Ysabal vers le golfe Âma<
tique, il s embarqua de nouveau pour la Havaoe. Cette longue expédition^
faite tantôt à cheval, tantôt en bateau, le plus souvent à pied, lui fournit
une foule de détails fort curieux sur l'aspect du pays, sur les produc-
tions du sol, sur les mœurs des habitants, etc., etc. M. Morelet joint à
l'esprit d'observation une intelligence prompte qui saisit facilement les
questions de tous genres et les expose avec clarté. Il sent vivement les
beautés de la nature et les décrit avec beaucoup de charme. Enfin c'est
un dessinateur habile, comme le prouvent les jolies vignettes qui sont
placées en tête des chapitres de son livre.
I
Le christianisme en Chine, en Tartarie et au Tbibet, par M. Hue.
Paris, 1857 ; 2 vol. in-8 : 12 fr.
M. Hue, qui s'est fait connaître d*une manière si avantagetise pat* ses
voyages en Tartarie , au Thibet et en Chine, entreprend d'écrire l'his-
VOYAGES ET BISTOIEE. 77
toire du c^istianisme dans ces trois pays. Son but est d'attirer l'at-
tention sur l'œuvre des missionnaires et de signaler les importants
résultats qu'on peut en attendre. Il croit que la politique européenne
sera t6t ou lard app^ée à s'occuper de l'insurrection chinoise. Déjà
la Russie et l'Angleterre ont pris les devants» et par l'envoi d'une
escadre dans les eaux du Japon les Elats«Unis semblent également
avoir voulu se mettre en mesure d'exercer une part d'influence sur
les destinées du Céleste Empire. La France restera-t-elle indiffé-
rente aux événoQients qui se préparent? H. Hue ne le pense pas. et
c'est surtout en vue des intérêts français qu'il se propose de raconter
les efforts de la propagande, ses succès et ses revers au sein des popula-
tions asiatiques. H voudrait que le catholicisme reprit avec plus de vi-
gueur que jamais son ancien rôle d'éclaireur de la civilisation euro-
péenne. En effet, ce furent ses fervents adeptes qui les premiers péné-
trèrent dans l'intérieur de la Chine. Des légendes et quelques documents
d'une authenticité plus ou moins douteuse font remonter l'origine de ces
tentatives à saint Thomas. Maïs il paraît du moins assez probable que
dès le septième siècle la doctrine nestorienne était répandue en Chine.
On a cru pouvoir fixer cette date d'après une inscription qui fut décou-
verte en 1625 près de la ville de Singnou-Fou. Cependant ce n'est
guère qu'à partir du dixième siècle qu'on retrouve des traces certaines
de l'introduction du christianisme en Tartarie, et le voyage de Marco-
Polo, vers la fin du treizième siècle, fournit à cet égard les premières
données positives pour ce qui regarde la Chine. Au moyen âge les mis-
sions catholiques prennent une importance beaucoup plus grande. Grâce
à l'activité remuante des jésuites, les conversions se multiplièrent au point
de devenir un sujet d'inquiétude pour le gouvernement chinois. Dès lora
ce sont des phases successives de tolérance et de persécutions qui ont
continué jusqu'à nos jours, quoique le zèle se soit beaucoup ralenti.
La palme du martyre n'est plus aussi recherchée que jadis, mais les
semences répandues ont germé çà et là, de telle sorte qu'aujourd'hui
l^œuvre de la propagande présenterait des chances favorables, surtout si
l'on forçait l'empereur à la respecter en observant les règles du droit
international. L'auteur assigne cette tâche à la France qui contre-balan-
cerait ainsi les efforts de la Russie schismatique et de l'Angleterre pro-
testante, tout en s'assurant une part dans les profils que Tindustrie et
le commerce pourront en recueillir. Cet emploi de la religion au service
des intéi^ôts matériels n'est pas nouveau ; les anciens missionnaires, sur-
78 T0TA6B8 BT B18T0IEB.
tout les jésuites, en ont souvent donné l'exemple. Le livre de M. Hue ren*
ferme à ce sujet une foule de détails fort curieux. 11 intéressera d'autant
plus qu'on y trouve une connaissance approfondie du caractère chinois, et
des moyens auxquels on doit recourir pour le développer avantageusement.
M. Hue fait grand cas de rinielligence de ce peuple, qui lui paraît sus-
ceptible d*une régénération sous l'empire du christianisme. Son récit
s'arrête au dix-septième siècle. Nous espérons qu'il en publiera la suite
jusqu'à nos jours et pourra jeter quelque lumière sur les causes de la
terrible révolution qui depuis plusieurs années déjà bouleverse le Céleste
Empire.
Rapport fait le 19 décembre 1856 à la seconde assemblée générale de
la Société de géographie sur ses travaux et sur les progrès des
sciences géographiques en 1856, par A. Maury. Paris, 1857; in-8».
Ce rapport offre un intéressant tableau de toutes les explorations ou
découvertes nouvelles dont la science géographique s'est enrirhie pen-
dant l'année 1856. On sera frappé du nombre et de l'importance de ces
travaux auxquels la France, 1 Allemagne, et l'Angleterre prennent sur-
tout une part active. C'est à ces différents pays qu'appartiennent les har-
dis voyageurs aux efforts desquels on devra bientôt la connaissance com-
plète du continent de lAfrique ainsi que des contrées soit de l'Amérique,
soit de l'Asie qui n'avaient pas encore été suffisamment étudiées. Les
progrès de la cartographie ne sont pas moins remarquables. A cet égard
une sorte d'émulation paraît animer les gouvernements de la plupart des
Etats européens. La Russie, les Pays-Bas, la Suède, rivalisent avec la
Fmnce pour élever un monument topographique digne de notre époque.
L'Espagne elle-même ne reste pas en arrière, et l'on sait avec quelle
perfection de travail sont exécutées les cartes de la Confédération suisse.
Enfin l'Allemagne se distingue entre toutes par l'excellence aussi bien que
par la quantité prodigieuse de ses publications en ce genre. Le dépôt de
la Société de géogra()hie, enrichi par les dons qui lui arrivent de toutes
parts renferme un trésor de documents précieux |»our l'étude. Ses rela-
tions étendues lui permettent d'être également fournie des principaux
ouvrages qui se publient en Amérique. Elle a d'ailleurs dans la personne
de son secrétaire un homme capable de lui donner l'impulsion la plus
féconde. M. Maury possède une érudition vaste et profonde. L'histoire,
VOYAGES ET HISTOIRE. 79
rarchéologie, la philologie, les sciences naturelles lui sont familières. Il
lit plus ou moins couramment toutes les langues de TEurope, est secondé
par une Thémoire prodigieuse, et joint à ces dons naturels un zèle ar-
dent, un esprit large et plein de bienveillance. On en trouvera la preuve
dans l'impartialité avec laquelle il rend comfite des travaux étrangers,
accordant l'éloge ou se permettant la critique, toujours très-modérée,
sans distinction de nationalité.
Journal de M. Miertsching, interprète du capitaine Mac Clure dans
son voyage au pôle nord. Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; in-8« avec
une carte : 1 fr.
M. Miertsching est un missionnaire morave qui, ayant passé plusieurs
années au Labrador, connaissait bien les Esquimaux et leur langue. Il
fut donc désigné au capitaine Mac Clure comme pouvant lui servir d'in-
terprète dans son voyage à la recherche de Franklin. Parti en 1850, il
a passé quatre hivers dans les glaces du pôle, et son journal offre un
tableau touchant des souffrances de cette longue captivité. La résignation
pieuse du digne interprète, son. énergit? morale, son excellent cœur et
son dévouement toujours prêt à tous les sacrifices, excitent le plus vif
intérêt malgré la monotonie du récit dont les incidents ne peuvent être
fort variés. On éprouve une profonde estime pour cet homme simple
et bon qui cherche sans cesse à relever le courage de ses comfiagnons
d'infortune, et, par la vive sympathie qu'il leur témoigne, sait trouver
le chemin de leur âme afin d'y verser le beaume consolateur de la
religion. C'est un vrai chrétien, dont la foi se montre toujours accom-
pagnée de la charité la plus ardente. Les détails qu'il donne portent
d'ailleurs le cachet de l'observation. La rigueur du froid ne le rend point
insensible aux grands spectacles de la nature, et ses descriptions pré-
sentent beaucoup de charme. Enfin le ton de naïve bonhomie qui règne
d*un bout à l'autre de son journal en rehausse encore le mérite.
Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes, faisant
suite à La Normandie souterraine, par M. l'abbé Coobet. Paris 1857;
1 vol. in.8«, fig. : 7 fr. 50.
Ce volume forme le complément de la Normandie soulerraine , ou-
vrage du même auteur couronné par llnstitut en 1854. M. l'abbé Cochet
80 SClBlfCBS HOHALBS BT P0LITIQUB8.
poursuit ses explorations avec zèle, et le nombre des objets recueilli^ par
ses soins dans le d^partenoent de la Seine inférieure augmente chaque
jour. Les tombes qui sont l'objet de ses fouilles archéologiques appar-
tiennent soit aux Francs ou aux Normands, soit aux Gaulois et aux Ro-
mains. Elles offrent donc des vestiges de deux civilisations différentes et
fournissent d intéressantes données sur les usages particuliers à chacun
de ces peuples. La coutume d'enterrer le mort avec ses armes, ses orne-
ments et quelques ustensiles, tels que des urnes ou des coupes, leur
était commune. Toutes les sépultures renferment des vases, tantôt en
terre cuite, tantôt en bronze, quelquefois en verre, mais de formes très-
variées, suivant leur origine. Dans les tombeaux romains et gaulois se
trouvent des objets d'un travail plus délicat, bijoux d'or ou de bronze,
agraies, boucles de ceinture, bracelets, fermoirs, etc. Cependant Tari de
travailler les métaux n'était pas inconnu chez les Francs et les Nor-
mands, car leurs sépultures présentent aussi maints objets de ce genre,
entre autres des coffrets en bois recouverts de cuivre estampé, d'os gra-
vés, etc. Leurs armes, quoique moins perfectionnées, prouvent qu'ils
connaissaient l'emploi du fer et savaient le forger assez habilement.
M. Cochet décrit ses trouvailles d une manière bien propre à captiver
le lecteur. Il met à profit les ressources d'une vaste érudition archéolo-
gique et se livre à des études comparatives du plus haut intérêt.
SCIEMCGS mORAIiES ET POIilTlf^lJl».
Lectures PHiLOSOPHiQUES, ou leçons de logique extraites des auteurs
dont l'étude est prescrite par l'université, rédigées par Emile Beaus-
sire. Paris, Aug. Durand, 1857; 1 vol. in-12 : 3 fr.
Ce volume se compose d'extraits tirés des ouvrages de Platon, Aris-
tote, Cicéron, Samt-Augustin, Bacon, Descartes, Pascal, Malebranche,
Bossuet, Fénelon, Leibniz, Enler, et de la logique de Port^Royal. Il
offre ainsi, sous la forme d'un enseignement divisé par chapitres suivant
Tordre des idées, les préceptes des maîtres qui font autorité dans la
science. Le but de l'éditeur est de faciliter aux jeunes gens l'étude exi-
gée par le programme universitaire. Il veut leur rendre service en les
dispensant de lire en entier les œuvres des auteurs sur lesquels doit
rouler l'examen du baccalauréat. Nous ne partageons pas tout à fait cette
manière de voir. Il nous semble plus avantageux de laisser aux élèves le
8C1BKGBS MORALKS ET POLITIQUES. 81
soin d'exploiter eux-mêmes la mine qtti leur est assignée, et de choisir
parmi les richesses qu'elle renferme ce qui convient le mieux à chacun
selon la portée ou la tendance de ses facultés. Les jeunes gens ont sur-
tout besoin d'apprendre à travailler, or ce n'est pas en leur fournissant
des oi*eillers de paresse qu'on éveillera chez eux le goût de l'étude. Les
difticultés et les obstacles sont des stimulants nécessaires pour l'intelli-
gence qui, sans cela, ne fait aucun effort et se repose entièrement sur la
mémoire. On apprendra par cœur ces fragments pour l'examen, puis
bientôt après ils seront oubliés et risquent fort de ne laisser aucune
trace dans l'esprit. Du reste le livre de M. Beaussire est fait avec goût.
C'est une compilation très-ingénieuse de beaux passages, dans lesquels
les préceptes de la logique sont exposés avec autant de clarté que de
force. Assurément de pareilles lectures sont excellentes, et nous croyons
qu'elles peuvent être fort utiles à tous ceux qui désirent avoir quelques
notions des éléments de la philosophie.
Philosophie DE la procédure civile. Mémoire sur la réformation de
la justice, par Raymond Bordeaux. Paris, Aug. Durand, i857;
1 vol. in-8 : 8 fr.
Dans cet ouvrage, couronné par TAcadémie des sciences morales et
politiques, l'auteur s'efforce de faire pénétrer les lumières de la philoso-
phie jusqu'au sein de la pratique judiciaire. Son but est de combattre
ainsi les abus d'une routine dangereuse qui, trop souvent encore, annule
ou du moins atténue singulièrement l'influence des réformes introduites
dans la législation. Les hommes qui s'occupent spécialement de la pro-
cédure civile y voient en général un métier plutôt qu'une science ; la
théorie leur est assez indifférente ou même tout à fait étrangère. Ils se
soucient peu des principes et ne se * font pas toujours scrupule de les
fausser dans l'application lorsqu'ils y trouvent quelque avantage, pe là
naissent de graves inconvénients qui peuvent entraver la marche de la
justice et qui nuisent beaucoup au respect dont elle a besoin d'être en*-
tourée. La sécheresse de la pratique judiciaire, ses allures tortueuses^
son langage même, sont autant d'obstacles à la prompte solution des
affaires litigieuses. Dans bien des cas les formes de la procédure devien-
nent une source de chicanes interminables. On comprend donc combien
il importe de remettre en évidence l'intention du législateur, et d'oppo-
6
82 0QtBllCB8 HO«AL£S ET FOLITIQUBS.
ser les vues saiDes de la théorie à l'empirisme des praticiens. Déjà les
abus ont diminué, grâce au perfectionnement de l'organisation judiciaire,
mais pour opérer une réforme, dont la nécessité n'est pas douteuse, il
dut remonter aux principes de justice et de morale qui doivent éclairer
ia pratique elle-môme et la relever en lui donnant un caractère plus ho-
norable. C'est à ce résultat que vise le mémoire de M. Bordeaux, tra-
vail remarquable non moins par la clarté de l'exposition que par la vi-
gueur de la pensée. Tous les détails de la procédure civile y sont soumis
au critère de l'analyse philosophique, et l'on y trouvera les directions les
plus propres à rétablir l'accord entre la pratique et la théorie.
L'art d'être malheureux, légende, par F. -T. de Saint-Germain.
Paris, J. Tardieu. 18^7 ; 1 vol. in-3i2 : 1 fr.
Pour bien rendre son idée, l'auteur aurait dû dire l'art de supporter
le malheur et de le faire servir à notre perfectionnement moral. En effet,
il ne s'agit point ici des moyens de se rendre malheureux, au contraire,
le but est plutôt de montrer qu'au sein de l'infortune même peut se
trouver le vrai bonheur. Les épreuves dont l'homme se plaint avec tant
d'amertume ont pour lui de précieux avantages. Elles élèvent son âme en
la détachant des joies éphémères et frivoles de ce monde pour la tourner
vers Dieu; elles développent dans son cœur la piété, la charité, le dé-
vdoement ; à celui qui sait en profiter elles offrent l'enseignement le plus
fécond. D'ailleurs on ne peut le nier, la souffrance est une des condi-
tions inévitables de la vie humaine ; en vain prétendrait-on s'y soustraire,
tôt ou tard on doit lui payer son tribut, a Sans vouloir décourager ceux
qui entrent dans la carrière, ne faut-il pas les prémunir contre les em-
bûches du chemin, pour qu'ils ne restent pas faibles el désarmés en pré-
sence du danger? Les illusions et le mirage de la prospérité sont sou-
vent plus funestes que le malheur m^me, puisqu'ils éveillent les passions
mauvaises et er^endrent les fautes et les remords.»
L'intention de M. de Saint-Germain est donc très-digne d'éloge. Il a
bien raison de vouloir nous apprendre à supporter le malheur, à l'ex-
ploiter en quelque sorte au profit de notre éducation morale. Mais son
livre, quoique plein d'excellents conseils, ne répond pas précisément à
celte idée. C'est l'histoire d'un bon prêtre dont toute la carrière est con-
sacrée à faire le bien. L'abbé Paul, animé du zèle le plus charitable.
t
SGIBlfCSS «OUALBS XV fOlMtqvW* 83
gagne l'amour de ses paroissiens par ses actes non moins que par ses
discours. A l'éloquence du cœur il joint la pratique des vertus chré-
tiennes et prêche 1 Evangile de la mamère la plus eftlcaoe. Encourager,
consoler, raffermir, leHe est la tftche qu'il remplit avec une ardeur infa-
tigable, aussi la béfiédiotion divine repose-t-eUe sur son œuvre. Mais
qu'a de commun ce doux ministère avec l'art d'ôtre malheureux ? Noms
y voyons plutôt l'art de soulager les malheureux, belle et grande mis-
sion, noblement comprise par un modeste curé de village. L'auteur a
Sans doute pensé que, dans sa bouche, les enseignements de la religion
seraient mieux écoutés, et l'abbé Paul ne manque en effet ni d'onction
louchante, ni de force persuasive. Cependant, quelque remarquable que
soient ses discours, ils restent dans des généralités un peu vagues. Nous
croyons que, pour faire ressortir l'utilité du malheur, il vaudrait mieux
présenter des exemples que des préceptes, et mettre surtout en relief
les résultats salutaires qu'on peut attendre des épreuves dans les circon*
stances qui se présentent le plus communément. En d'autres termes, au
lieu d'une prédication, H. de Saint»Germain devait nous donner une lé-
gende comme l'indique son titre. Du reste, malgré un mélange assez bi-
zarre parfois de citations sacrées et profanes, la tendance du livre est fort
bonne, et le charme du style en rendra la lecture attrayante.
Nouvelles lettres et opuscules inédits de Leibniz, précédés d'une in-
troduction, par A. Foucher de Careil. Paris, Aug. Durand, 1857;*
1 gros vol. in-8 : 7 fr. 50.
Les mamiscrits de Leibniz que M. Foucher Careil publie étaient restés
jusqu'à présent enfouis dans les archives de Hanover. Ils ont assez
d'importance, parce qu'ils peuvent jeter une lumière nouvelle sur le point
de départ de la pensée du grand philosophe et sur la marche de son dé-
veloppement successif. Ce sont comme de,s anneaux qui manquaient à la
chaîne par laquelle furent liées ensemble les phases diverses de sa philo-
sophie. Au lieu d'être obligé de recourir à de vagues hypothèses pour
expliquer l'origine des idées de Leibniz et les modifications qu'elles su-
birent, on a dans ces fragnoents des traces certaines du travail de son es-
prit, on y retrouve en quelque sorte le programme des études auxquelles
il se livrait, cje le vois, dit M. Foucher de Careil, dans son introduction,
au sein d'une majestueuse et paisible lumière faire convei^er vers un
^ I
84 SCIBMGBS MORALES ET FOLITIQUBS.
centre unique tout ce qu'il y a de science et de philosophie dans les âges
antérieurs, reiiant par d'imperceptibles traits de lumière Âristote à
Platon, tous deux à la scolastique, et la scolastique à lui-même. Il mé-
dite à quinze ans, dans ses promenades solitaires, sur les nécessités de
réhabiliter la scolastique. A trente ans , il traduit les dialogues de Pla*
ton pour se préparer à la réforme de la philosophie de Descartes. Vingt
ans plus tard il est devenu , par la force de la dialectique platonicienne
et de la scolastique restaurée, le premier philosophe de son temps. Sou
esprit avide d'unité, effaçant de plus en plus les limites et surmoniant les
obstacles, s'élève à Tharmonie de l'ensemble, et l'étend à tout, au monde,
à nous-mêmes, et surtout à Dieu qui la produit ; dans son système, où il
a recueilli tous ces germes, la nature, l'homme et Dieu se répondent. »
Ainsi se découvre à nos regards la route qu'il a suivie avec les erreurs
dans lesquelles il tomba parfois, mais qui n'ont pas empêché le progrès
constant de ses doctrines.
Un abrégé du Phédon et une traduction latine du Théétete prouvent
évidemment que le platonisme exerça sur Leibniz une part d'influence
assez grande. C'est à cela sans doute qu'il dut d'avoir porté le sentiment
profond de l'art et de la poésie dans les problèmes les plus épineux de la
scolastique. Ses Lettres à Hobbes nous le montrent plus tard agité de
la pensée des réformes. Les idées se pressent sous sa plume ; il n'a pas
encore une conception bien nette de l'œuvre qu'il veut accomplir, mais le
but vers lequel tendent tous ses efforts est le triomphe de la vérité. La
perspicacité de son génie lui fait entrevoir déjà les mauvaises tendances
du dix-huitième siècle. Enfin son Attaque au cartésianisme marque
d'une manière frappante l'essor plus élevé qu'il aspirait à donner à la phi-
losophie. C'est une critique sévère dont les admirateurs de Descartes se-
ront peu satisfaits; mais, comme le fait observer avec raison M. Fouchér
de Careil, pour la juger sainement on doit se placer au point de vue de
Leibniz. « En le voyant, dit-il, saper par la base ce système célèbre, et
découvrir le vice caché de sa psychologie qui manque d'étendue ; en
l'entendant reprocher à ce philosophe d'avoir fini dans le naturalisme,
' où a commencé Spinosa, et poursuivre dans les cartésiens de son temps
cet aveuglement de secte qui ferme leur esprit aux découvertes, ou se
récriera contre une injuste critique et des attaques violentes et passion-
nées. Pour nous, nous n'avons jamais pensé à déprécier Descartes au
profit de Leibniz, et nous ne voudrions pas enlever une seule admiration
légitimée la gloire de ce grand homme; mais il nous est impossible de ne
SCIBHCSS MORALES ET POLITIQUES» 85
point voir que si Descartes a sécularisé la philosophie, il n'a pas excepté
ses disciples d'une sujétion presque aveugle à ces préceptes. L'époque
où Leibniz a vécu est une époque de transition entre cet âpre dogma-
tisme et des tendances plus modernes, et son système est surtout un
essai de transactions philosophiques entre Tesprit d'absolutisme et celui
de liberté. Si Tépoque où nous sommes est elle-même une ère de transi-
tion pour la philosophie, le nom de Leibniz peut-être proposé comme un
de ceux qui, tout en continuant le dix-septième siècle, s'associent le mieux
âux tendances du nôtre. >
Cours gradué d'instruction civique, manuel de l'école, de la famille et
du citoyen, par L. Bornet. Fribourg, Marchand et O, 1856; 1 vol.
in- 12.
L'instruction civique bien comprise serait certainement l'un des moyens
les plus efficaces d'assurer la marche du progrès moral. Dans les démo-
craties surtout il n'y a guère d'autre frein qu'on puisse opposer à Tessor
des mauvais instincts, et c'est la seule arme dont elles disposent pour
combattre l'influenee du sophisme ou du mensonge. Â défaut de force
répressive, il est urgent qu'elles empêchent le mal de se développer.
L'éducation du citoyen doit donc être l'objet de leur constante sollicitude.
Jusqu'ici l'enseignement primaire n'a pas atteint ce but. Ses résultats
sont, en général, peu satisfaisants. S'il contribue à dissiper les ténèbres
de l'ignorance, trop souvent c'est pour leur substituer un vague crépus-
cule, dans tequel ombres et lumières se confondent. Le deipi-savoir res-
semble à ces feux follets qui trompent le voyageur, lui font quitter la
route tracée et l 'égarent dans de perfides fondrières. En vain a-t-on
multiplié les connaissances et perfectionné les méthodes, l'absence de l'é-
lément moral s'est toujours fait plus sentir. Au libre exercice des droits ci-
viques il faut absolument pour contre-poids la règle du devoir ; sans cette
condition la souveraineté populaire ne saurait produire que de fISicheuses
conséquences. Mais la morale peut-elle s'apprendre à l'école comme la
lecture, l'orthographe et le calcul? C'est difficile, et les préceptes du
maître risquent fort d'être stériles si l'élève n'en trouve pas la confir-
mation dans la conduite habituelle de ceux qui l'entourent. La pratique
est ici beaucoup plus utile que la théorie. Cependant cette dernière ne
doit pas être non plus dédaignée, car pour opérer une pareille réforme
86 Bcnncss morales %t pouTii)UB0«
on est bien obligé de recourir d'abord à ses leçons. 'D'ailleurs les se-
mences ainsi déposées dans de jeunes âmes ne sont pas toutes perdues.
L'instruction civique a l'avantage d'inspirer du respect pour les notions
morales. C'est là du moins le principal but que lui assigne l'auteur du
livre que nous annonçons. L'exposé des lois et des formes constitution-*
nelles n'occupe dans son enseignement qu'une place secondaire. Il s'ef-
force avant tout d'inculquer aux enfants des sentiments d'aSectioo et de
gratitude, de leur faire comprendre ce qu'ils doivent à Dieu, à leurs parents,
à leurs maîtres, combien ils ont besoin d'être aimés de tous ceux qui les
entourent. Viennent ensuite plusieurs chapitres consacrés aux devoirs de
la vie pratique . dans lesquels il insiste particulièrement sur les bienfaits
de la vérité, de la modération, de la bienveillance, du travail, et présente
quelques sages directions sur l'usage que l'homme doit faire de sa li-
berté. En général ses explications sont claires, précises, et propres à se
graver dans la mémoire. 11 laisse aux instituteurs le soin de les déve-
lopper suivant la portée des intelligences et se borne à leur en tracer le
cadre. La seconde partie , qui s'adresse évidemment à des élèves plus
avancés, traite des droits et devoirs sociaux. La famille, la patrie, le culte
en forment les divisions principales. De tels sujets sembleront un peu
trop élevés pour la jeunesse qui fréquente les écoles primaires. Mais leur
importance est incontestable; dans un pays où tous les citoyens sont ap^^
pelés à prendre part aux affaires publiques , on ne peut se passer d'un
enseignement de ce genre. Il faut trouver le moyen d'éclairer le peuple
sur ses intérêts véritables, et M. Bornet indique très-nettement la ten*
dance qu'on doit suivre si l'on veut arriver à des résultats salutaires. Se»
principes sont ceux d'un républicain loyal, qui cherche à concilier autaol
que possible le bien de l'Etat avec le perfectionnement individuel. Il
termine son livre par une analyse de la constitution fédérale et de celk
du canton de Pribourg.
La liberté de conscience, par Jules Simon. Paris, Hachette et C^^
1857; 1 vol. in-42 : 3 fr. 50.
Sous ce titre M. Jules Simon publie la matière de leçons qu'il a pi^fw
fessées à la Société littéraire de Gand. C'est une esquisse pleine d'aperçus
ingénieux, de belles et bonnes pensées, où l'on retrouve bien l'esprit de
sage modération qui distingue l'auteur. Sous sa plume la discussion n'a.
SCimCES HORAiIiES ET POLITiOUEB. 87
rien d^bsolu ; il admet des divergences de vues et ne suspecte pas la
bonne foi de ceux qui raisonnent autrement que lui. Le. principe méma
de la liberté de conscience lui fait respecter les convictions différentes des
siennes. C'est un résultat qui semble tout naturel, mais dont quelquefois
les philosophes se soucient fort peu. Il n'est pas très-rare d'en voir qui,
tout en réclamant la tolérance, n'en usent guère à l'égard des systèmes
qu'ils combattent. M. Jules Simon n'appartient pas à cette catégorie, ses
allures sont plus modestes, il cherche la vérité, mais ne prétend pas être
infaillible. Ainsi, quoique partisan de la liberté religieuse la plus com-
plète, il reconnaît que la séparation de l'Eglise et de l'Etat peut offrir
de graves inconvénients dans un pays où leur union a toujours existé.
Pour être salutaire, une pareille réforme doit s'opérer graduellement
et se produire en quelque sorte d'elle-même dans les faits avant qu'il
convienne de la décréter d'une manière définitive. En d^autres termes,
la liberté doit s'établir librement et non pas être imposée par une loi.
Si la religion d'Etat est incompatible avec la marche des idées, le ré-
gime contraire a besoin pour prospérer que la tolérance soit entrée dans
les mœurs et les habitudes du peuple. Il faut donc recourir à des trans-
actions entre «ces deux principes absolus. Elles sont difficiles sans doute
et deviennent souvent une source de conflits dangereux ; mais avec de la
prudence et de l'énergie on peut réussir à conjurer le péril. M. Simon
traite habilement cette matière délicate ; il montre une connaissance
approfondie des détails de la constitution ecclésiastique, ainsi que de ses
rapports compliqués avec le pouvoir civil. Ce qu'on remarquera surtout
chez lui, c'est la largeur des vues et la dignité du langage. Sa polémique
n'est jamais passionnée, il respecte ses adversaires et s'indigne seule-
ment contre l'intolérance, quel que soit le camp dans lequel il la ren-
contre. C'est là l'ennemi qu'il s'agit de combattre résolument si l'on veut
obtenir le triomphe de la liberté. Mais M. Simon se garde bien d'em-
ployer les armes des philosophes du dix-huitième siècle. Il ne prétend
pas ôter aux Eglises le droit d'excommunier ceux qui rejettent leurs
doctrines ou méprisent leurs pratiques. Cette espèce d'intolérance pure--
ment religieuse lui paraît légitime, pourvu que d'autre part il n'y ait
aucune contrainte exercée sur les récalcitrants. Le but vers lequel les
efforts doivent tendre est précisément un état de choses tel que chacun
soit libre de choisir entre les. Eglises ou d'en fonder une nouvelle s'il
n'en trouve point à sa convenance. On ne saurait demander plus, car
la tolérance pbilosoi^ue semble destinée à rester toujours le privilège
88 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
d*uD petit nombre d'esprits, même parmi les philosophes. M. Simon
lui-même Tavoue, et cette franchise lui servira d'excuse aux yeux de
ceux qui le trouveront peut-être trop sévère à l'égard des sectes chré-^
tiennes.
De l'athéisme et du déisme, par Âmédëe Pommier. Paris, Garnier
frères, 1857; 1 vol. in-i8 : 1 fr.
M. Am^dée Pommier présente une nouvelle démonstration de l'existence
de Dieu qu'il croit particulièrement propre à frapper la foule. Elle est, eo
eff(^t, d'un genre assez nouveau, du moins dans la forme, et porte
le cachet d'excentricité que l'auteur imprime à tous ses écrits. On y
trouve les objections de l'athéisme très-crûment exposées, mais com-
battues avec non moins de franchise. L'auteur ne craint pas d'être un
peu brutal dans sa manière de raisonner. Il marche droit au but, sans
se soucier de ce qu'on appelle convenances ou ménagements. Dès le dé-
but il se place dans la position d'un homme qui n'accepte ni l'autorité
des- théologiens, ni celte des philosophes, et prend pour unique guide le
gros bon sens, afîn de se mettre, autant que possible» à la portée du plus
grand nombre. Son argumentation a surtout pour objet de renverser l'é-
chafaudage de l'athéisme, en montrant combien sont absurdes les hy-
pothèses sur lesquelles il repose. Le système des causes finales ne lui
paraît guère meilleur ; de part et d'autre on s'obstine à vouloir tout expli-
quer, et cette orgueilleuse prétention apporte le plus grand obstacle aux
progrès d'une foi raisonnable. Les secrets de Dieu sont au contraire, pour
M. Pommier, l'une des principales preuves de son existence. Nous
sommes forcés par là de reconnaître un pouvoir qui régit l'univers,
et dont la sagesse éclate sans cesse à nos yeux dans les résultats de ses
lois mystérieuses. Ce point de vue est ingénieux; on regrettera seu-
lement qu'il ne soit pas mieux développé. L'auteur manque d'élévation,
il affecte même le ton vulgaire, et se fait en quelque sorte un mérite de
plaider la cause du spiritualisme en termes fort peu dignes du sujet.
Le MONDE marche, par Eug.Pelletan. Paris, 1857; 1 v. in-12: i fr. 75.
Le monde marche, c'est un fait certain, il a toujours marché, tantôt
bien, tantôt mai, tantôt lentement, tantôt vite. Mais cette marche cons-
titue-t-elle un progrès véritable ? La question est difficile à résoudre. Il
SCIKNCES MORALES BT POLITIQUES. 89
fiivdraît pour cela connaître le point de départ et celui de Farrivée, or,
l'un et l'autre sont pour nous des mystères impénétrables. Tant que les
origines de l'humanité ne seront pas mieux éclaircies, on manquera de
points de comparaison entre le passé et le présent ; quant à l'avenir, nul
ne peut apercevoir le but qu'il nous cache. La discussion est donc assez
oiseuse; il vaudrait mieux la renfermer dans des limites plus restreintes,
et diriger ses efforts vers le perfectionnement individuel qui est à notre
portée, tandis que celui de Kespèce nous échappe complètement. Mais
M. Pelletan ne partage pas cette manière de voir. Il a foi dans le progrès
continu; pour lui le monde marche d'un pas sûr vers le bonheur, et
c'est la démocratie qui doit en faire un jardin d'Eden où c les femmes au
cœur haut, les fiancées au front pur n'auront de guirlandes et de sou-
rires que pour les forts qui auront noué la ceinture et fait Tœuvre du
Dieu vivant. » Ce paradis terrestre n'est guère propre à séduire ceux
qui savent par expérience quelles sont les douceurs du suffrage universel
et les charmes des assemblées populaires. Ils reconnaissent trop la réa-
lité du régime démocratique pour se laisser prendre aux illusions de
la poésie. Aussi comprend-on facilement que M. de Lamartine, désen-
chanté par les femmes au cœur haut et les hommes forts de 18i8, ait
perdu sa croyance à l'infaillibilité du progrès. Il s'est même permis d'at-
taquer la Profeisi&n de foi du dix-neuvihne siècle, ouvrage dans lequel
M. Pelletan a prétendu révéler au monde ses destinées futures, sa re-
ligion définitive et sa vraie rédemption. Ce livre, auquel une certaine verve
chaleureuse et des idées assez hardies ont fait un succès de vogue, ren-
ferme, il est vrai, quelques doctrines plus ou moins suspectes, soit de
panthéisme, soit de socialisme. C'est l'impression de ce qu'on peut ap-
peler l'école humanitaire, composée de jeunes enthousiastes qui suivaient*
les traces de Lamartine jusqu'au moment où celui-ci s'est retourné contre -
eux. Ils ne s'attendaient point à ce brusque revirement; mais le poète
est homme d'impression plutdt que de principes, et d'ailleurs il a tra-
versé des épreuves bien faites pour modifier ses idées. En voyant le
peuple de près il s'est pris à douter des merveilleux bienfaits de la dé-
mocratie. C'est ce doute qui cause l'indignation de M. Pelletan. Malgré
le culte qu'il professe pour M. de Lamartine, il ne craint donc pas d'entrer
en lice contre lui, et de soutenir vivement la doctrine de la perfectibilité.
Son argumentation ne nous semble pas très-forte, elle est plutôt déclama-
toire. Ce sont des tirades passablement ampoulées qui s'adressent moins
à la raison qu'au sentiment et ne prouvent, en général, pas grand'cbose,
90 BCIVHCBS BT AR9t.
81 00 n'fst que Fauteur mt un eotbomiMte à tendances vagues de la portée
desquelles ii ne se reod pas bien eompte lui-même. Nous croyons que
M. de Lamartine aura peu de ^peine à triompher d un tel adversaine.
Quant au style, la supériorité du poëie n'est pas douteuse, et les principe»
qu'il défend ont Tavantage d'ôtre clairs, positifs et nettement arrKés.
Etudes et lectures sur les sciences d'observation et leurs applications^
pratiques, par M. Babinet. Paris, 1857; 3 vol. in-18 : 7 fir. 50.
Ce sera la gloire de l'époque actuelle que d'avoir su tirer un nerveil^
leux parti des découvertes scienllfiques en les appliquant au service des
arts et de Tindustrie. Les matériaux laborieusement amassés par le&
siècles antérieurs ont été mis en œuvre dans le nôtre avec autant de zèle
que d'intelligence. Pour ne parler que des résultats les plus importants^
la vapeur et Télectricilé semblent destinés à changer la face du monde ;
notre civilisation portera de plus en plus le cachet de leur influence
puissante. Mais ce ne sont pas les seuls bienfaits dus aux travaux dee
savants. Grâce à leurs recherches, de nombreuses routes nouvelles sou*
vrent à l'activité de respril humain, et chaque jour, en quelque sorte, y
voit surgir d'ingénieuses applications qui viennent contribuer au déve-^
loppemeot matériel et moral des peuples. L'impulsion est donnée, il ne
s'agit que de l'entretenir par une diffusion toujours plus grande des tré-^
sors de la science. Autrefois celle-ci, renfermée dans le domaine de la
théorie, dédaignait de se mettre à la portée de tous, maintenant, au coo»
traire, elle aspire à la popularité, car elle a reconnu que c'est le meilleur
moyen d'étendre soe em(»ire et d'en féconder le sol. Aussi M. Babinet,
membre de rinstitut, savant de premier ordre, ne croit^il point déroger
en écrivant des mémoires ^ l'usage du public profane, et il a parfaite-
ment raison ; les connaissances qu'il propage de cette manière rendreoi
de précieux services. Son petit livre aura beaucoup de lecteurs, superfi--
ciels peut-être» ipais chez quelques-uns il éveillera le goût de l'étude et
tous y puiseront du moins le res^iect de la science dont il fait ressortir
avec ifclat les titres glorieux. Le talent de l'écrivain est d'ailleurs très*
heureusement doué pour une 4Buvre semblable. U possède l'art d'expo-
ser les questions les plus ardues dans un langage clair, élégant, familier
ipéne, bien propre à séduire ceux que repousse l'appareil scientifique.
SCIBNGB8 BT ARTS, 91
Oo en trouvera surtout la preuve dans ses charmants articles sur rastro-^
Domie, et maintes personnes qui n'ont jamais sai distinguer une éioite
d'une autre se laisseront volontiers entraîner à faire avec lui le voya^î^
du ciel. Quant à ses notices météorologiques, les aperçus ingM^i^
qu'elles renferment» quoique parfois un peu trop aventurés, exciteot ie
plus vif intérêt. La Télégraphie éUclrique, la Pértpeclivt aérienne, le
Stéréoscope., V Electricité onvrihe ne sont pas moins attrayantes par la
quantité de faits curieux dont elles rendent compte. Enfin la franchise
avec laquelle l'auteur attaque le prétendu phénomène des tables tour«
nantes nous paraît digne d'être hautement approuvée. C*est un devoir
qu'en général les savants négligent trop de remplir. Ils ne sentent pas
la nécessité de combattre l'absurde, parce qu'il est sans aucune valeur
pour eux. Mais leur silence a le double inconvénient de laisser le champ
libre aux dupeurs et de faire croire que la science redoute un débat pu-
blic. Lorsque vient à se manifester quelqu'une de ces aberrations aux-
quelles est sujette la foule, et que les charlatans exploitent avec tant die
succès, il importe que la cause du bon sens ne reste pas sans déf^pnseur.
En effet, maigre les progrès dont nous sommes si fiers, le culte du mer-
veilleux compte encore d'innombrables adeptes, et les croyances super-*
stitieuses que l'on s'imaginait avoir détruites reparaissent tout à coup aussi
vivaces et contagieuses que par le passé. Les tables tournantes en soni
un exemple frappant. Qui pouvait prévoir qu'au milieu du dix-neuvième
siècle, des esprits, plus ou moins cultivés, seraient susceptibles de re-
venir à la religion des fétiches, de consulter un oracle de bois, et d'être
dupes de la plus grossière supercherie qui ait été jamais inventée?
M. Babinet critique cette étrange folie de la façon la plus spirituelle et
termine par la citation suivante, dans laquelle M. Morin, après avoir étu-
dié les tables avec la bonne foi d'un adepte en dénonce non moins ioya-
lea»ent toute l'absurdité :
« Je ne crois pas que les tables tournent, marchent on lèvent le pied
pcHissées par un être immatériel.
t Je ne erois pas qu'après avoir eu l'esprit de se débarrasser des en-
traves du corps huittain, une âme soit assez bête pour se fourrer dans un
moeeeau de bms, et manifester sa présence par des exercices d'équilibre
aussi absurdes qu'indignes de la strpériorité que s'arroge à juste titre
ri«talligen£$ sur la matière.
« le ne orois pas qiie> si vous a<ve8 des parents merts ou des amis qui
V4M^ sont ebers, — en supposant mémo qu'ils veuillent ou puissent corn-
92 SCIBNCBS ET ARTS.
«
muniquer avec vous, — ils aient choisi uo aussi pauvre moyen de vous
parler; car si vous em{iloypz le jou^à vos affaires personnelles, ils ont au
moins la nuit pour vous souffler leurs pensées à Toreille ou même pour
vous apparattre.
« Les fanlômes qui ^>euplaient les campagnes de nos pères, les reve-
nants qui hantaient les ruines des vieux châleaux, s'ils n'étaient pas plus
vrais que ceux des tables^, savaient au moins imposer un certain respect.
• Les esprits de notre siècle, si tristement affublés de noyer, d'acajou
ou de palissandre, n'inspirent que du méftris^ et feraient désespérer à
jamais d*élever une barrière contre la démagogie de l'ignorance super-
stitieuse et l'oligarchie détestable de ceux qui voudraient alimenter la su-
perstition pour l'exploiter à leur protit, si l'excès même du ridicule des
esprits ne devait pas leur donner le dernier coup ! >
« Ces paroles sont rudes, ajoute M. Babinet, durus est hicsermo!
Seront-elles entendues ! Dans tous les cas, la stérilité des vieux prestiges
rajeunis en dégoûtera le public à la longue et les reléguera où ils étaient
avant la crise actuelle. Les gens à imagination se trouveront avoir perdu
leur temps à courir après des chimères, et les esprits sérieux pourraient
bien avoir perdu le leur à démontrer la vanité des espérances nou-
velles, en les jugeant au point de vue des méthodes rigoureuses d'inves-
tigation qui ont déterminé les progrès de toutes les sciences ayant pour
base l'observation des faits.»
Le TRÉSOR DE LA CURIOSITÉ, tiré des catalogues de vente de tableaux,
dessins, estampes, livres, marbres, etc., par M. Charles Blanc. Pa-
ris, veuve J. Renouard, 1857 ; i vol. in-S® : 8 fr.
Le premier volume de cet ouvrage, très-digne d'intéresser tous les amis
des arts, vient de paraître; il renferme l'énumération de ce que pré-
sentent de plus remarquable les ventes de tableaux, estampes, etc.^ faites
depuis 1727 ( époque de la dispersion du cabinet de la comtesse de Ver-
rue) jusqu'en 1779. Il ne faut pas croire d'ailleurs que le livre se borne
à une sèche, mais exacte nomenclature; il se recommande à d'autres
titres ; nous mentionnerons notamment une notice intéressante sur un
graveur dont la vie était peu connue, Hollar, si admiré chez tes An-
glais, et une autre notice bien spirituelle sur Gravelot, dessinateur char-
mant, qui orna de ses vignettes les éditions de luxe publiées sous le règne
SCIRNCBS ET ABTS 93
de Louis XV. M. Ch. Blanc a illustré son texie fc'esl le mot consacré) de
quelques images choisies avec beaucoup de Koût ; il offre, entre autres
objets, des fac-similé d'une rigoureuse fidéliié de quelques estampes
de Rembrandt tellement rares qu on n*en connaît qu une seule épreuve.
L'élévation des prix survenue depuis un siècle dans la valeur de ces ob-
jets fournit parfois matière à' des rapprochements curieux. Parfois se ren*
contre l'indication de ces bizarreries dues à des caprices artistiques et qui
séduisent quelques amateurs ; nous nous bornerons à citer le crucifix au
coup de poing, gravure de Pomius où ion voit un ange donnant un
coup de poing à un autre ange qui le rend au diable, et un dessin du
Guerchin, représentant saint François à genoux; un ange qui «est en l'air,
joue du violon.
De l'application des arts a l'industrie. Rapport fait par M. le
comte de la Borde, membre de la commission française à Tex position
de Londres en 1851. Paris, imprimerie impériale, in-8.
Ce volume ne contient pas moins de 1039 pages, et il est d'une lec-
ture fort attachante. On connaît depuis longtemps l'autorité d'intelligence
et Tardeur au travail de M. de la Borde ; ses nombreux ouvrages attes-
tent l'étendue de ses connaissances en tout ce qui a rapport aux beaux-
arts et la sûreté de son goût. L'occasion d'apprécier l'avenir des arts et
de l'industrie au moyen de leur association, s'est présentée pour lui dans
les conditions les plus favorables ; l'habile et zélé membre de Tlnstitut Ta
saisie avec bonheur ; il s'est proposé, comme il le dit lui-même, d'indi-
quer sommairement le rôle qu'ont joué les arts aux époques florissantes
de la civilisation et de signaler en quoi, de nos jour%, ils ont changé leur
voie, quels sont les vices de constitution qui arrêtent leur essor. Après
avoir marqué la place de la France dans l'exposition de Londres, il cons-
tate les efforts qui sont faits de tous côtés pour lutter avec elle, et il
recherche quelles sont, dans cette nouvelle situation, les mesures à
prendre , les réformes à introduire , les institutions à fonder pour
maintenir le haut rang de l'industrie française. Aujourd'hui rensei-
gnement des arts est désorganisé tandis que l'étude des sciences est for-
tement constituée; il est indispensable de rétablir une harmonie bien né-
cessaire. Beaucoup d'innovations sont proposées dans le travail que nous
signalons, M. de la Borde s'exprime en ami enthousiaste du progrès ; tout
94 8GI1SNCBS ET ARTS.
ce qu'il réclame ne se fera pas, mais les idées qu'il agite, les considé-
rations qu'il développe ne seront point sans résultat. Les parties de son
livre consacrées à l'art dans l'enseignement, à l'enseignement de lart dans
les carrières spéciales de l'industrie, à renseignement supérieur des arts,
sont dignes d'une attention spéciale. Qu'on examine aussi avec soin les
110 pages consacrées ï la création d'une iuanufacture modèle. Un ap-
pendice de plus de 1 00 pages renferme, sous une forme laconique et
avec un style entraînant, l'ensemble d'un système de mesures propres à
développer dans les masses Tintelligence des beautés de l'art. Une foule
de choses sont réunies, serrées dans un court espace; on pourra ne pas
adopter toutes les vues émises par M. de la Borde, on dira qu'il n'est
pas possible d'organiser de longtemps tout ce qu'il réclame, et qu'il de-
vance d'un siècle ou deux l'époque où il vit, mais on reconnaîtra que
l'avenir se chargera de réaliser un grand nombre des projets qu'il re-
cooimande. Telle est d'ailleurs rim[>ortance et la variété des objets irÂtés
dans ce rapport d'un genre nouveau que nous désirons vivement qu'une
plume exercée et compétente se charge d'en rendre compte avec toute
rétendue et avec toute l'ampleur de discussion qu'il mérite. ^
Théorie des intérêts composés infinitésimaux, suivie de quelques
remarques sur les intérêts composés ordinaires et sur les intérêts
simples, parÂ.-L. Dutoit. Lausanne, 1857; in-8 : 50 cent.
On sait quelle est la marche ordinaire des intérêts composés, ils ac-
croissent rapidement le capital , et plus les règlements de compte sont
rapprochés les uns des autres plus il y a avantage pour le créancier. Mais
dans le commerce il est d'usage de régler chaque année, ou tout au plus
diaque semestre. Or si ce terme était réduit toujours davantage, il est
évident que la capitalisation deviendrait de plus en plus rapide jusqu'à
ce qu'elle atteignît une certaine limite vers laquelle devraient nécessai-
rement tendre les différents résultats à mesure qu*on diviserait Tannée
en périodes de temps de plus en plus courtes. C'est là ce que M. Dutoit
appelle les intérêts composés infinitésimaux. 11 en expose la théorie dans
les quatre problèmes suivants :
1 . Que deviendrait le taux annuel d'une somme placée à intérêts com-
posés, en supposant que les règlements de compte se lissent à des épo-
ques intinimeni rapprochées les unes des autres, c'est-à-dire que ia ca-
pitalisation des intérêts fût incessante et continue?
6CIBNCBS BT AETS. ,95
â« Quelle serait au bout de n aonées ia valeur (S) d*uQ capital (C), s'il
^feait placé à intérêts composés iDfinitésimaux et à raison de r pour m
franc l'an?
3. En combien de temps un capital dont on connaît le taux deviendrait-
il p fois plus grand par l'accumulation de ses intérêts composés inlinité-
simaux ?
4. Une personne emprunte  francs à intérêts composés infinitésimaux
à raison de r pour un franc l'an, et s'engage à rembourser cette somme
en m versements égaux effectués à égale distance les uns des autres de
manière à éteindre complètement sa dette ea n années : quel doit être le
montant de chaque versement?
Les solutions de ces problèmes offrent plusieurs formules ingénieuses
qui pourront être utilisées par les négociants. M. Dutoit leur suggère en
effet l'idée d une réforme dans le calcul de l'intérêt. Il voudrait qu'au
taux annuel on substituât le taux journalier^ afin de simplifier les cal-
tu\s et d'obtenir une exactitude plus grande. Ce changement, dont il fait
ressortir les avantages^ s'appliquerait, soit à l'escompte, soit aux ques-
tions d'intérêt qui concernent le commerce proprement dit.
Là médecine et les médecins, philosophie, doctrines, institutions, cri-
tiques, mœurs et biographie médicales, par L. Peisse. Paris, 1857;
2 vol. in-42 ; 7 fr.
Cet ouvrage se compose d'articles qui ont été écrits soit pour des Re*
vues. Suit pour les feuilletons de différents journaux. Sans être docteur,
M. Peisse paraît avoir des notions assez étendues sur la médecine et
connaître fort bien ceux qui la pratiquent. C'est un observateur intelli-
gent, dont l'esprit, formé par l'étude de la philosoplrie, saisit avec promp-
titude les traits généraux de chaque doctrine et ne se laisse point en-
traîner aux séductions du système. Dans les débats qu'il analyse d'une
manière aussi judicieuse que piquante, il ne se montre jamais tranchant
ni passionné. Son rôle est celui d'un rapporteur impartial qui passe en
revue les opinions opposées en les soumettant au critère du simple bon
sens, mais qui ne craint pas d égayer le sujet, quand l'occasion se pré-
sente, par quelques saillies spirituelles. Il fait habilement ressortir les
inconséquences, les contradictions, les témérités dangereuses ou les ha-
bitudes routinières, auxquelles la science médicale est encore trop su-
96 SGIBN€XS ET AETS.
jette, et réussit à donner aux discussions qu'il résume ainsi un véritable
attrait même pour les lecteurs les moins versés dans ces matières. Les
chapitres intitulés : Découvertes et découvreurs, la Métkode numérique^
le Microscope et les microscopisles. Mission sociale de la médecine et
du médecin j la Philosophie et les philosophes devant les médecins, etc. y
sont pleins d'aperçus ingénieux. Il expose avec clarté, s'abstient de toute
forme pédantesque et sait être populaire dans ia meilleure acception du
terme. Quand il aborde les superstitions scientifiques, sa critique de-
vient plus vive et mordante, quoiqu'elle n'ait point celte roideur magis-
trale qui prononce à priori sans vouloir prendre la peine d'examiner. Le
magnétisme animal, la phrénologie, l'homoeopathie, les tables tournantes,
et maints autres procédés de ce qu'il appelle la médecine occulte, lui four-
nissent une série de remarques fort amusantes, dans lesquelles il donne
essor à sa verve avec d'autant plus de liberté qu'en général il ne recule
point devant l'expérimentation, seul moyen de découvrir les illusions ou
les supercheries dont le public est trop souvent la dupe. On trouve enfin
de jolis détails dans ses observations sur les mœurs des médecins, et les
notices nécrologiques qui terminent le second volume seront lues avec
un vif intérêt.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
Avmiii tsftv.
JLlTOrKRATURfi.
Les Tragiques, par Théodore-Âgrippa D'Âubigné; nouvelle édition,
revue et annotée par Lud. Lalanne. Paris, 1857 ; 1 vol. in-18 : 5fr.
Ce nouveau volume de la bibliothèque elzévirienne sera certainement
bien accueilli, car il reproduit une œuvre très-remarquable qui, grâce à
Textrême rareté de ses anciennes éditions, n'est guère connue que de
quelques amateurs privilégiés. C'est un poëme écrit sur le champ de ba-
taille, au plus fort de la lutte religieuse, et dans lequel règne une verve
satirique delà plus grande énergie. 11 ne faut pas sans doute y chercher
la perfection littéraire: le plan est défectueux, les vers sont parfois bar-
bares ou grossiers, mais l'inspiration du poëte éclate en maints endroits
par des traits vigoureux, par de nobles sentiments, par des pensées har-
dies exprimées avec bonheur, qui décèlent un talent plein de sève et d'o-
hginalité. Agrippa d'Aubigné a divisé ses Tragiques en sept livres, dont
le but principal est de donner cours à l'indignation du soldat huguenot
contre la détestable tyrannie sous le joug de laquelle gémissaient ses co-
religionnaires, c Du milieu des extrémités de la France et même de plus
loin, dit-il dans sa préface, notamment d'un vieil pasteur d'Ângrogne»
plusieurs écrits secondaient les remontrances de vive voix par lesquelles
les serviteurs de Dieu lui reprochaient le talent caché, et quelqu'un ea
ces termes : « Nous sommes ennuyés de livres qui enseignent, donnez-
Dous-en pour émouvoir, en un siècle oti tout zèle chrétien est péri, où la
différence du vrai et du mensonge est comme abolie, où les mains des en»
nemis de TEglise cachent le sang dont elles sont tachées sous les présents
et leurs inhumanités sous la libéralité. » Pour répondre à cet appel, d'Au-
bigné publia son poëme, quoique, ajoute-t-il, « je gagnerai une place au
rôle des fous, et, de plus, le nom de turbulent, de républicain ; on con-
fondra ce que je dis des tyrans pour être dit des rois, et l'amour loyal et
7
98 LITTBRATLRE.
la fidélité que j'ai montrées par mon épée à mon grand roi jusque à la fin,
les distinctions que j'apporte partout seront examinées par ceux que j'of-
fense, surtout par l'inique Justice, pour me faire déclarer criminel de
lèze-majesté. • En effet, il y avait bien de quoi. D'At^né n'épjfgne ni
les princes, ni les rois, et manie l'arme de la satire avec une incroyable
audace. Dans son premier livre, intitu&élfi's^M, il retrace les calamités et
les guerres civiles qui ont désolé la France, durant la dernière moitié du
seizième siècle, et qu'il attribue soit aux vices des rois et des grands,
contre lesquels est dirigé son second livre, les Princes ; soit à la corrup-
tion des gens de justice, qui forme le sujet du troisième livre, la Chambre
dorée. Dans le quatrième^ les Feux, il peint les persécutions e^^çrcées
contre les réformés, dont les com^bats et les victoires sont chantées dans
le cinquième, les Fers. Le sixième. Vengeances, offre le tableau des chat i-
«iSiMkB à/^i Dieu a frappé sur cette terre les impies et les per^écutei^rs^^ en
attendant l'expiation suprême à laquelle le poë^e nous fait assister ^^^^
sfin septième livre, Jugement, qui décrit la fin du moj^de etj le lifg^Jija^jài
dejînier.
Cette courte analyse, que nous empruntons à la notice c|e M. Lalanne,
ré^uo^e fort bien la donnée du poëme^ dans lequel, à défaut d'une ac^ipn
silivie, le§ épisodes abondent et présentent une image fidèle do cette ter-
rible époque, où, s'écrie le poëte:
Les bélistres armez ont le gouvernement
Le sac de nos cité$ ; comme apcienn^qf^^^t
Une croix hqurguiponne eçpouvantoit nos pères,
Le blanc les fait trembler ; les pitoiables mères
Pressent à festomac leurs enfans esperdus,
Quand les tambours françois sont de loin entendus.
Les places de repos sont places étrangères,
Les villes du milieu sont les villes frontières ; .
Ije village se garde, et nos propres maisons
Nous sont le plus souvent garnisons et prisons.
La France, déchirée par les factions, voit ses enfants se livrer sur son
sei/A mêgie des combats acharnés. Chez ceux qui devraient avoir le plufk
à çqeur son bien et sa renommée, elle ne trouve que félonie.
Les rois, qui sont du peuple et les rois et les p^ws.
Du troupeau domesticq sopit les loupts sanguinaines ;
Ils sont rire aUurnée et les v^ges de Dieu,
La craiate des vivans
LIITBaAlU&S. 09
C'est chez les vitlageois qu*il faut aller chercher la vertu, et pour eux
elle est une cause de persécution, en sorte (fue la terre qui les aime,
La terre semble donc, pleurante de souci,
Consoler les petits en leur disant ainsi :
« Enfans de ma douleur, du haut ciel l'ire esmeuê
« Pour me vouloir tuer, premièrement vous tuë ;
4i Vous tanguiez, et lors le plus doux de mon bien
< Va saoulant de plaisir ceux qui ne valent rien.
< Or, attendant le temps que le ciel se retire,
c Ou que le Dieu du ciel destoume ailleurs son ire
< Pour vous faire goûter de ces douceurs après,
< Cachez-vous sous ma robbe en mes noires forests.»
En eSet, il n'y a plus de sécurité que dans les solitudes sauvages; par-
tout ailleurs régnent l'injustice et la tyrannie.
Jadis nos rois anciens, vrais pères et vrais rois.
Nourrissons de la France, en faisant quelquefois
Le tour de leur pays en diverses contrées.
Faisaient par les citez de superbes entrées.
Chacun s'esjouissoit, on savoit bien pourquoi ;
Les enfants de quatre ans crioient : Vive le roi !
Nos tyrans aujourd'hui entrent d*une autre sorte,
La ville qui les void a visage de morte :
Quand son prince la foulle, il la void de tels yeux
Que Néron voioit Romm' en Tesclat de ses feux.
Quand le tyran s'esgaie en la ville où il entre,
La ville est un corps mort, il passe sur son ventre.
Aussi n'entend-on sur leur passage ni des bénédictions ni des actions
de grâces ; les cœurs ulcérés respirent la vengeance et n'adressent plus à
' Dieu qu'une seule prière :
Que ceux qui ont fermé les yeux à nos misères.
Que ceux qui n'ont point eu d'oreille à nos prières.
De cœur pour secourir» mais bien pour tourmenter.
Point de mains pour donner, mais bien pour nous oster,
Trouvent tes yeux fermés à juger leurs misères ;
Ton oreille soit sourde en oyant leurs prières ;
T6n sein ferré soit clos aux pitiez, aux pardons ;
Tft main sèche stérile aux bienfaits et aux dons*
Soient tes yeux clair-voyans à leurs péchés extrêmes ;
100 LITTi^RATURB.
Soit ton oreille ouverte à leurs cris de blasphèmes,
Ton sein déboutonné pour s'enfler de courroux
Et ta main diligente à redoubler tes coups.
Les voustes célestes
N'ont-elles plus de foudre et de feux et de pestes ?
Ne partiront jamais du trône où tu te sieds,
Et la mort et l'enfer qui dorment à tes pieds?
La verve du poëte se soutient avec la même énergie dans le second
livre, où sont dévoilées toutes les turpitudes de la cour de Henri IH. Il
flagelle impitoyablement roi, princes, courtisans, ministres, flatteurs,
ne ménage pas davantage les femmes, et pousse la satire jusqu'au der*
nier degré de violence. Mais le tableau d'une semblable époque ne sau-
rait être exagéré. La corruption avait atteint son apogée. On voyait les
plus hauts emplois distribués à de vils complaisants ; le vice et la débau-
che étaient des titres aux faveurs du monarque. D*Âubigné représente
un jeune homme qui, visitant la cour pour la première fois, accoste un
vieillard et lui demande les noms des éminents personnages autour des-
quels s'empresse la foule. Ce courtisan grison, fort étonné que q^ielqu'un
puisse ne pas connaître les mignons du roi,
Raconte leurs grandeurs, comment la France entière,
Escabeau de leurs pieds, leur estoit tributaire.
A l'enfant qui disoit : c Sont-ils grands terriens
Que leur nom est sans nom par les historiens ?j»
n respond.: c Rien du tout ; ils sont mignons de prince.
— Ont-ils sur l'Espagnol conquis quelque province ?
Ont-ils par leurs conseils relevé un mal-heur?
Délivré leur pays par extrême valeur ?
Ont-ils sauvé le roi, commandé quelque armée,
Et par elle gagné quelque heureuse journée ? >
A tout fut respondu : c Mon jeune homme, je croy
Que vous estes bien neuf; ce sont mignons du roy.»
Dans un tel repaire, il est dangereux de séjourner. On échappe diffi-
cilement à la contagion, et mieux vaut s'en tenir aussi loin que possible.
Ceux mêmes qui se font gloire d'y demeurer purs, sont obligés de tran-
siger plus ou moins avec leurs principes, car, sans cela, comment pour-
raient-ils soutenir la vue de si monstrueuses iniquités. L'habitude émousse
leur sens moral et l'exemple risque de les pervertir peu à peu. Aussi le
poëte leur crie :
LITTÉRATURE. 101
Fuyez, Lots, de Sodome et Gomorre bruslantes ;
N'ensevelissez pas vos âmes innocentes
Avec ces reprouvez : car combien que vos yeux
Ne froncent le sourcil encontre les hauts cieux,
Combien qu'avec les rois vous ne hochiez la teste
Contre le ciel esmu, armé de la tcmpeste,
Pource que des tyrans le support vous tirez,
Pouree qu'ils sont de vous comme dieux adorez,
Lorsqu'ils veullent au pauvre et au juste mesfaire,
Vous estes compagnons du mesfaict pour vous taire.
Lorsque le fils de Dieu, vengeur de son mespris,
Viendra pour vendanger de ces rois les esprits,
De sa verge de fer brisant, espouvantable.
Ces petits dieux enflés en la terre habitable.
Vous y serez compris. Comme, lorsque Tesclat
D'un foudre exterminant vient renverser à plat
Les chesnes resistans et les cèdres superbes.
Vous verrez là dessous les plus petites herbes,
La fleur qui craint le vent, le naissant arbrisseau,
En son nid l'escurieu, en son aire l'oiseau.
Sous ce daix qui changeait les gresles en rosée,
La bauge du sanglier, du cerf la reposée,
La ruche de l'abeille et la loge au berger,
Avoir eu part à l'ombre, avoir part au danger.
Cette première partie du poëme est la meilleure. Dans les cinq autres
chants on trouve moins de passages à citer, quoique le talent de l'auteur
jette encore çà et là de brillants éclairs. C'est un génie fort inégal sans
doute, qui s'abandonne à sa fougue et ne suit aucune règle. Son langage
est souvent incorect, grossier, brutal ; mais il a bien l'inspiration du
poëte, et s'élève parfois à des beautés de premier ordre. Les Tragiquei
méritent, comme le dit M. Lalanne, d'être appelés V Epopée du calvi^
nisme. On lui saura gré de leur avoir rendu, dans la littérature, la place
il laquelle le cachet profondément original dont elles portent l'empreinte
leur donne un droit incontestable.
Théâtre et souvenirs» par E.-U. Bouzique. Paris» Ghamerot, 1857 ;
1 vol. in-12.
Ce volume renferme deux tragédies qui n'ont pas été représentées.
L'auteur les écrivait à l'époque oh s'engagea la lutte entre Tancienne et
102 LlTTàRATURI.
la nouvelle école. Disciple de la première, il ne voulut sans doute pas
affronter la chance d'un échec que les passions alors surexcitées rendaient
presque inévitable. D'ailleurs ses pièces offrent une tendance soit politi*
que, soit surtout religieuse, à laquelle on eût difficilement permis de se
manifester sur le théâtre. Dans Tune, intitulée Servius Tullius, H. Bou>
zique se montre fidèle observateur des traditions classiques. C'est un pas-
sage de Tite-Live qui lui fournit le sujet. 11 se borne à mettre en scènes
le récit de l'historien sans y rien changer. L'imagination ne joue pas un
grand rôle dans son œuvre, le développement des caractères semble être
le seul mérite auquel il aspire. Tarquin, poussé par l'ambition de sa
femme Tullie, entreprend de détrôner Servius Tullius. Il profite pour
cela du mécontentement de la noblesse qui ne supporte qu'avec peine
la popularité du vieux roi. Servius, en effet, ne cherchait pas son appui
dans l'aristocratie, M. Bouzique lui attribue même des vues fort démo-
cratiques.
Je veux m' ouvrir à toi, comme je l'ai promis,
Tarquin, lis en mon cœur, apprends pourquoi jadis
Les dieux ont sur mon front déposé la couronne.
Je suis né dans les fers, le sort m'offrit un trône.
J'y montai : les Romains, dociles à ma voix,
Ont pendant quarante ans exécuté mes lois.
Aujourd'hui sous le temps ma vieillesse succombe ;
J'ai vécu, mais je puis, en entr'ouvrant la tombe,
Me dire : < J'ai voulu le bonheur des humains ;
Mes jours n'ont point passé stériles pour les Romains ;
Leurs fils reconnaissants béniront ma mémoire.]»
Mais j'aurais trop peu fait pour Rome et pour la gloire.
Si, du peuple à mes jours mesurant l'avenir.
Et complice des maux qui viendraient l'assaillir,
Mon trépas le laissait sans force et sans défense
Contre les ennemis de son indépendance.
Rendre tous les Romains égaux devant les lois;
Préparer leur grandeur en assurant leurs droits,
Loin de ces murs sacrés bannir la servitude.
Tel fut l'objet constant de ma sollicitude.
Dans ce but généreux, j'ai longtemps médité
Pour accorder les rois avec la liberté.
Tous mes calculs sont vains, et plus je l'envisage,
Plus je vois dans les cours se traîner l'esclavage.
L'intérêt de l'Etat a commandé mon choix :
LITTERATURE.
m
La crainte des tyrans doit proscrire les rois.
De Rome pour toujours leur nom va disparaître ;
£t ses remparts verront, sous la loi pour seul maître,
D*âge en âge grandir de fiers républicains.
- Ces vers sont assez remarquables» mais les idées qu'ils expriment nous
paraissent un peu trop républicaines pour sortir de la bouche d'un roi.
En admettant même que telles furent les intentions de TuUius, ce n'est
pas à Tarquin qu'il les aurait confiées, à moins qu'il ne voulût se faire le
complice des trames ourdies contre sa propre personne. Que la royauté,
menacée par la noblesse, cherche un appui dans le peuple, cela se com-
prend, mais elle n'abandonne pas ainsi le pouvoir au moment où ses en-
nemis conspirent pour s'en emparer. Se montrer prêt à déposer la cou-
ronne était le moyen d'assurer le triomphe de Tarquin, qui n'hésite plus
et se fait proclamer roi par le sénat. Le tort de l'auteur est d'avoir vu
dans Tullius un héros démocrate selon les idées modernes, une espèce
de Washington se dévouant pour le bien public sans aucun égard à ses
intérêts personnels. On ne retrouve pas non plus toujours le cachet ro-
main dans les sentiments qu'il attribue à ses autres personnages. Ce sont
les défauts du genre classique, la vérité des détails est sacrifiée à l'har-
monie de l'ensemble ; l'action doit être avant tout majestueuse, digne et
conforme aux règles. Du reste, cette tragédie ne manque pas d'un cer-
tain mérite, le style en est noble et pur, l'action bien conduite quoique
trop froide pour qu'elle pût subir l'épreuve de la scène. Les mêmes re-
marques s'appliquent davantage encore aux Dragonnades, Ici l'absence
de ce qu'on appelle couleur locale se fait sentir plus vivement, parce que
répoque du drame est assez rapprochée de nous pour qu'on en connaisse
bien les traits caractéristiques. Le pompeux alexandrin ne rend d'une
manière convenable ni le langage des martyrs protestants, ni l'ardeur fa-
natique de leurs bourreaux. Jetée dans le moule classique, cette lutte si
féconde en péripéties émouvantes perd toute vie et tout intérêt. On se sou-
vient de VHownête criminel; eh bien les Dragonnades lui ressemblent
beaucoup, quoique des incidents plus nombreux donnent à l'action un
mouvement qui manque tout à fait au larmoyant mélodrame de Falbaire
de Quingey.
M. Bouzique réussit mieux dans les poésies diverses qui terminent
son volume. On peut dire qu'il est de l'école de Béranger. Son talent suit
les traces de cet habile maître, de loin sans doute, mais souvent avec
assez de bonheur. Nous citerons comme exemple la pièce intitulée Le
vieux chemin :
104 LITTÉRATURE.
Tout le pays de routes se sillonue ,
Au nord, au sud, par le haut, par le bas.
Vieux grand chemin, la foule t'abandonne
Lorsqu'à la viUe elle porte ses pas.
Sur l'autre voie, où la vitesse appelle ,
Qu'on roule donc du matin jusqu'au soir ;
Moi, quand je puis, je te reste fidèle ;
vieux chemin , que j'aime à te revoir !
Seul, autrefois, tu conduisais nos pères ;
D'un bout à l'autre ils te savaient par cœur.
Tes mauvais pas, tes profondes ornières
Aiguillonnaient et ne faisaient pas peur.
Là s'embourbait la lourde cariole !
Deux bons chevaux peinaient à l'émouvoir;
On criait fort, on poussait de l'épaule :
vieux chemin, que j'aime à te revoir!
Et lorsqu'on nuit, au sein de la famille,
On arrivait, bien las et bien crotté.
Au coin de l'être, à la femme, à la fiUe,
De point en point le cas était conté.
On exaltait l'adresse et le courage ;
En longs récits on se faisait valoir :
Comme on enflait les dangers du voyage !
vieux chemin, que j'aime à te revoir !
Qui me rendra les beaux faits historiques
Qu'on redisait aux passagers nouveaux.
Et le parfum des légendes antiques
Qui s'exhalait et par monts et par vaux ?
Des humbles croix on notait Torigine ;
On saluait les esprits du manoir ;
On frissonnait au bas de la colline :
vieux chemin, que j'aime à te revoir !
Pour une route où la poussière aride
Et le sol nu vous fatiguent les yeux,
Ils ont quitté tes sources d'eau limpide,
Tes verts gazons, tes prés délicieux,
Et tes buissons bordés de violettes,
Et ta cascade où l'on allait s'asseoir,
Et tes taillis où pendait la noisette :
vieux chemin que j'aime à te revoir :
LITTiÈRATURE. 105
Quaod du retour, aux bannis du collège,
Septembre enfin redonnait le signal,
Quel charme, à pied, devançant le cortège,
De s'élancer vers le pays natal !
D'un pas rapide on brûlait la distance ;
Tout souriait, chemin, passant, espoir.
Oui, c'est pour moi, c'est un ami d'enfance
vieux chemin, que j'aime à te revoir !
Revue des principaux écrivains littéraires de la Suisse française, par
Â. Daguet. Fribourg, 1857, in-8.
La Suisse française a fourni, vers la fin du siècle dernier et au com-
mencement de celui-ci, un nombre assez considérable d'écrivains plus ou
moins distingués. Neuchfttel, Lausanne et Genève, trois petites villes,
dont la plus importante ne comptait guère que 25,000 âmes, devinrent
des centres littéraires, dont la renommée s'est maintenue jusqu'à nos
jours. Les circonstances qui avaient favorisé cet essor n'existent plus.
Des révolutions successives ont transformé les institutions et nui, sans
aucun doute, à la culture des lettres qui, d'ailleurs, se ressent là comme
autre part de la prédominance des intérêts matériels. Cependant, grâce
aux semences fécondes que le sol renfermait dans son sein, le mouvement
n*a point cessé. Depuis quelques années, même, il semble prendre une
activité nouvelle, et si la littérature suisse ne présente pas aujourd hui,
comme jadis, des talents de premier ordre, elle peut du moins prétendre
encore à tenir son rang avec honneur dans l'histoire de notre époque.
Ses œuvres se sont beaucoup multipliées, et portent un cachet plus na-
tional. On peut dire que la Suisse française possède maintenant une
école littéraire, autour de laquelle se groupent de nombreux disciples
dont les tendances très-diverses n'excluent point une communauté de
principes et de sentiments bien caractérisée. M. Daguet les passe en
revue d'une manière fort intéressante, en les rangeant sous quatre che&
principaux: 1® sciences philosophiques, droit, éducation, théologie;
S® histoire; 3^ poésie, romans, critique; 4^ philologie et linguistique.
C'est une esquisse rapide, mais faite avec soin, et d'un bout à l'autre
empreinte de la plus grande bienveillance. On regrette seulement que
l'auteur n'ait pas donné plus d'étendue à son travail. Mais nous espérons
qu'il le complétera dans une nouvelle édition, et profitera des excellents
iOè LItTIÉIlATURB.
matériaux qu'il a rassemblés» afin de retracer un tableau historique du
mouvement intellectuel de la Suisse française. M. Daguet nous semble
très-bien qualifié pour remplir dignement cette tâche. Il joint à des con-
naissances solides, un esprit libéral, du goût, de Tindépendance et beau-
coup d'impartialité.
Traduction nouvelle de l'Ecglésiaste, d'après l'hébreu, par A. Janin.
Genève, J. Cherbuliez, 1857; in-i8 : 50 c.
Cet essai de Iraduction nouvelle nous paraît assez remarquable. Le
style en est ferme, sobre et d'une élégante concision. M. Janin a su très-
heureusement concilier le respect du cachet original, avec les exigences
de la langue française. Nous ne sommes pas à môme d'apprécier jbsqo'à
^uel point il est resté fidèle au texte hébreu, mais, comme travail litté-
raire, ss> traduction nous semble avoir une supériorité bien décidée. On
y trouve le ton sintple et grave qui convient aux leçons de l'éternelle sa-
gesse. Les pensées de TEcclésiaste, rendues avec énergie et nobles&e,
produisent une impression beaucoup plus profonde, et leur éloquence est
beaucoup mieux sentie. Nos lecteurs en pourront juger d'après la citatîoïi
suiva^nte: c Réjouis-toi, jeune homme, en ta^jeunesse, et contentë-toi dans
ceè jours de ta jeunesse, et marche comme ton cœur te mène, et selon
les regards de tes yeux, mais sache que Dieu t'appellera en jugement sui^
toutes ces choses. — Eloigne l'irritation de ton cœur et bannis loin de
loi les soucis rongeurs, car l'enfance et l'adolescence passent comme une
Vapeur. — Souviens-toi de ton Créateur dès le jour de ta jeunesse, avant
qût les jours mauvais viennent, et que s'approchent les années auxquelles
tu dises: Je n'y prends plus de plaisir; — avant que le soleil et h lu-
oiiêre, la lune et les étoiles s'obscurcissent, et que les nuages reviennent
afprès la pluie; — avant qu'arrive le temps où les gardiens de la maison
tremblent, où les hommes forts fléchissent, où celles qui étaient occupées
à moudre se rdâchent parce que leur nombre a diminué, où celles qui re-
gardaient par les fenêtres n'ont plus d'éclat, — où les deux battants de la
porte sont fermés sur la rue ; où il y a abaissement du bruit de la meule,
où l'on se lève au chant du passereau, où les filles de l'harmonie sont
muettes, — où Ton s'effraie de ce qui est élevé, où Ton marche en
tremblant, où l'amandier a cessé de plaire, où la sauterelle est indigeste,
où les câpres n'excitent plus l'appétit, parce que l'homme s'en va à sa
demeure éternelle, et que les pleureurs font déjà le tour des rues ; -—
LlTTl^RATUtiE. f07
avant le temps où fa corde d'argent devient lâche, où le vaisseau d'or se
Tùrûpi, où la cruche se casse sur la fontaine, et où la roue se brise âU
puits ; — avant enfin que la poudre retourne à la poudre d'où elle a été
tirée, mais que l'esprit retourne à [Heu qui l'avait donné. >
Chojx d'études sur la littérature contemporaine, par M. Villemain. Paris,
Didier et C", 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr.
M. Villemain a réuni dans ce volume ses rapports annuels sur les con-
cours de l'Académie française, de 1846 à 1856, et sept articles de cri-^
tique littéraire sur des œuvres contemporaines, savoir : la traduction du
Raradis perdu et l'essai sur la littérature anglaise par Chateaubriand ;
l'Histoire de la littérature française sous la Restauration, par M. Nette-
ment; 1 Histoire de Tbéodoric le Grand, roi d'Italie, par M. Du Roure ;
Florence et ses vicissitudes, par M. Delecluze; les écrits de lord Broug-
ham;j l'Angleterre au dix-huitième siècle, par M. deRémusat; l'Eglise
et l'Empire romain au qualrième siècle, par M. Albert de Broglie. Tous
ces fragments avaient déjà paru dans différents recueils, mais on ne se
plaindra pas.de les voir reproduire ainsi, car ils sont du nombre de ceux
qu'on aime à lire plus d'une fois. D'ailleurs M. Villemain leur donne un
nouvel attrait par la pensée qui les rassemble en faisceau, et concentre
leurs rayons épars pour en former une vive lumière dont l'éclat soit plus
intense et l'intluence plus féconde. Son but est de chercher à ramener
Tattention publique vers tes études littéraires, et de combattre sur ce
point la tendance fâcheuse de notre époque. Cette tendance est en effet
assez menaçante ; elle le devient surtout à mesure que le mouvement in-
dustriel prend une plus grande extension. Les études classiques sont re»
gardées comme un luxe inutile. On nie leur importance, on méconnaît
leurs services. Tout ce qui n*offre pas des applications directes» promptes,
et dont les avantages soient évidents, semble à peine digne d'occuper les
loisirs de l'esprit. La poésie, l'érudition, la littérature se trouvent aujour-
d'hui dans ce cas, et leur action sur l'essor des intelligences ne saurait
être facilement comprise par le plus grand nombre. Les adversaires des
études classiques refusent d'admettre la nécessité de cette gymnastique
intellectuelle. Ils prétendent y substituer l'enseignement scientifique dont
les résultats ont, à leurs yeux, une tout autre portée. L'instruction qu'ils
préconisent est celle qui peut fournir le plus vite un certain nombre de
108 LITTBRATURR
données pratiques. Peu leur importe de réduire l'homme au rôle d'un
simple rouage dans la machine sociale, pourvu que celle-ci fonctionne
avec précision, et que la somme de ses produits aille toujours croissant.
Ils dédaignent les lettres, oubliant que, sans l'éducation Httéraire, la
science ne serait jamais sortie d'un petit cercle d'adeptes, et n'aurait
point porté les fruits qui sont l'objet de leur enthousiasme. Cette étrange
aberration a fait de tels progrès, que les études en souffrent d'une ma-
nière évidente. Sous le prétexte d'allier les lettres et les sciences plus
intimement, le programme des éludes est compliqué outre mesure, c On
enseigne mal, à la fois, des choses disparates; on intervertit l'ordre na-
turel des esprits et la vocation des âges, en chargeant de mathématiques
les années de l'enfance propres à l'étude des langues, et en exerçant l'at-
tention technique, avant l'intelligence morale. C'est là une contradiction,
que le choix arbitraire déféré à l'enfant ne saurait corriger, et qui suffit à
fausser tout un plan d'études. 9
C'est contre un tel abus que M. Villemain s'élève avec raison. Sa sol-
licitude pour les lettres nous paraît inspirée par une appréciation très-
juste des véritables besoins de la société. < Quelle que soit, dit-il, l'ar-
deur de notre époque pour le progrès matériel de la richesse, et quel que
soit même le degré d'imagination qui se môle, de nos jours, à cet intérêt
positif, tout le monde convient que l'existence d'un peuple se compose en-
core d'autre chose ; on y comprend aussi les hautes vérités sociales, le
perfectionnement des lois, la tendance élevée des lettres, l'admiration du
beau dans les arts, la science enfin, et toutes les sciences, non pas dans
quelques applications vulgairement pratiques, mais dans la grandeur des
méthodes et des résultats. »
On ne saurait mieux caractériser les bienfaits de la culture littéraire,
et M. Villemain, joignant l'exemple au précepte, nous offre, surtout dans
ses rapports académiques, une admirable richesse d'aperçus. La littéra-
ture peut, à bon droit, être fière de cette haute intelligence ouverte à
toutes les idées, et dont le jugement, non moins éclairé que ferme, s'exerce
avec le même succès dans les branches les plus diverses du savoir hu-
ipain. Là, même^ où manque peut-être la profondeur, on trouve toujours
des réflexions ingénieuses, des traits spirituels, des pensées fécondes qui
sont, éminemment propres à réveiller chez les lecteurs le goût de l'étude
en la leur présentant sous la forme la plus attrayante. Le style de M, Vil-
lemain a de brilla.nles.qualité^, dès longtemps reconnues et dignement ap-
préciées, mais ce qui nous plaît davantage encore, c'est l'aimable bien-
LITTÉRATURE. 109
veillaoce qui l'anime jusque dans les sévérités de la critique, sans que
pour cela le censeur faiblisse, ou transige avec les principes du beau et
du vrai. Ainsi, dans son étude sur Chateaubriand, il sait conserver le
ton respectueux auquel a droit un nom pareil, tout en signalant, avec non
moins de délicatesse que de tact, les écarts, les fautes de goût, les lacunes
regrettables qu'on rencontre soit dans sa traduction de Milton, soit dans
son essai sur la littérature anglaise. L'article sur le livre de M. Nette-
ment est un modèle de polémique parfaitement convenable, quoique les
sentiments et les opinions du critique soient en général diamétralement
opposés à ceux de l'écrivain qu'il analyse. Mais le morceau capital de cet
intéressant recueil est celui consacré à lord Brougham. Dans l'apprécia-
tion d'un talent si multiple, dont les travaux ont exploré avec un égal
succès le domaine de la science et celui des lettres, M. Yillemain déploie
toutes les ressources de son esprit. 11 le juge comme publiciste, comme
historien, comme littérateur, avec une impartialité noble et courtoise, et
rend la plus entière justice aux qualités éminentes du grand orateur
anglais.
Les autres articles que renferme ce volume, quoique moins remar-
quables, répondent cependant assez bien au but de l^auteur, qui voulait
« rassembler surtout des essais d'analyse critique, des études de goût et
d'art, pour ceux qui s'y plaisent encore, et que l'amour des lettres rend
indulgents à tout travail indépendant inspiré par elles. »
Histoire de l'Académie française, depuis sa fondation jusqu'en 1830,
par Paul Mesnard. Paris, 1857-, 1 vol. in-12: 3fr. 50 c.
Malgré les critiques et les sarcasmes lancés contre l'Académie par
ceux qui n'en sont pas, cette institution tient une place importante dans
l'histoire des lettres. Tout en la dénigrant, on accepte plus ou moins son
autorité, parce que le besoin s'en fait sentir. Les services qu'elle a rendus
à la littérature ne peuvent être niés. Elle était un frein nécessaire pour
arrêter le développement fâcheux des tendances anarchiques dans la
langue et peut-être aussi dans les idées. Si quelquefois son joug paraît
lourd, Tesprit français se venge par un bon mot^ mais il ne saurait sans
péril être affranchi de cette espèce de tutelle qui, d'ailleurs, s'exerce
d'une manière peu redoutable. En définitive, c'est un tribunal du goût,
dont les arrêts n'obligenti personne et n'entraînent aucune conséquence
Pénale. Quand rAcadémie prononce, il but encore que le public confinne,
autreioent la sentence est comme non avenue. Aujourd'hui surtout la plus
grande liberté règne à cet ^ard ; les jugements académiques ne sont
que des préavis d'experts que chacun peut admettre ou rejeter selon sa
(antaisie. Jadis ils avaient, soit à la cour, soit dans les salons, un appui qpi
repdait plus difficile de s'y soustraire. Cependant, dès l'origine, l'Académie
usa ^ ce pouvoir avec modération. Il est juste de reconnaître qu'en gé-
néral elle sut se tenir en garde contre les entraînements de l'esprit de
corps. Fidèle à la mission que Richelieu lui avait confiée de régler la
langue et de la rendre plus éloquente, on ne peut lui reprocher de s'être
sQuv^nt écartée de ce rôle. C'est d'autant plus remarquable qu'en France
leç préteutions politiques sont très-promptes à se manifester chez Içs
hommes qui se trouvent réunis pour quelque objet que ce soit. Aussi le
parlement s'opposa-t-il d'abord à la création de cette compagnie dans
laquelle il redoutait une magistrature rivale. Pour vaincre sa résistar)çç|,
il fallut recourir aux lettres de cachet. Richelieu ne recula pas devant ce
moyen. Mais une protection si marquée n'enorgueillit point l'Acadénile,
qui parut au contraire vouloir se renfermer strictement dans le domaine
des lettres. Elle'se mit à l'oeuvre avec beaucoup de zèle et môme avec
plus d'indépendance qu'on ne devait en attendre de ses membres vis-à-vis
dç la volonté puissante du fondateur. Le dessein du cardinal était-il de
fonder une institution forte et glorieuse, ou bien simplement de se donaer
à lui-môme plus d'éclat en s'entourant des illustrations littéraires de l'é-
poque? M. Mesnard hésite entre ces deux explications qui, du reste, ne
se contredisent pas absolument. Il est probable en effet que Richelieu ne
prévit point toute la portée de sa création, mais il voulut pourtant la
rendre vivace, en lui donnant la faculté de se recruter elle-même, et de
choisir son secrétaire perpétuel. Le directeur et le chancelier furent dési-
gnés par le sort. C'est grâce à cette existence assez indépendante que l'A-
cadémie a pu se maintenir jusqu'à nos jours, tandis que l'édifice monar-
clique dont elle semblait faire partie s'est écroulé. Sa sauvegarde fut de
pquvoir se renfermer dans des fonctions bien déterminées et tout à fait
étrangères à la politique. A peine venait-elle d'être constituée, que déjà
ses premiers membres essayèrent de résister à Richelieu, qui leur dero^n-
dfiitla cqndamnatioo.duCid de Corneille. Pour les faire céder, il fallut
Qbtc^qir le consentement de l'auteur, et la modération de leur critique m
m^^^ gMère leic^rdioaL Les|^nt^|ives dirigeas contre la liberté d^ leur^
élection eurent souvent un récital semblable. L'esprit de corps s'y ma-
LITTBRATUEB. 1^
nifesia presque loujours par une opposition plus ou moins prononce.
BI. Mesnard en cite de nombreux exemples ; il montre rAcadémie obligée
quelquefois d'obéir aux ordres du maître, mais reprenant bjentôt son ini-
tiative, et n'écoutant que l'intérêt des lettres, malgré 1^ intrigues ou Iqs
menaces de ses ennemis. Sous Louis XIV même, les académiciens sau-
vèrent la dignité de leur compagnie par une conduite à la fois prudente et
courageuse. « L'Académie vous a choisi, dit Racine en recevant Tabbé
€olbert, oui, Monsieur, elle vous a choisi ; car, nous voulons bien qu'on
\e sache, ce ne sont pas les sollicitations qui ouvrent les portes de TAca-
hernie. » Ce langage contrastait sans doute avec les flatteries adressées au
roi et le servile empressement qu'on apportait à l'exécution de ses volon-
tés. Mais quand la liberté de l'Académie avait ainsi reçu quelque atteinte,
un de ses membres se chargeait d'amortir le coup, comme fit, par
exemple, l'abbé Caumarlin, à la réception de M. de Clermont-Tonperre»
en écrasant le récipiepdaire sous ses impitoyables sarcasmes. Pendant le
dix-huitièroe siècle, l'esprit d'indépendance parut s'affaiblir à mesure que
diminuaient ses dangers. En 1718, déjà, l'exclusion de l'abbé de Saint-
Pierre, pour s'être permis d'attaquer la mémoire de Louis XIV, mit en
évidence les progrès de la courtisanerie. L'invasion philosophique n'e^t
pas une influence beaucoup meilleure. Elle divisa l'Académie en deux
camps ennemis, et fit éclater de fâcheuses querelles peu propres à la re-
lever dans l'estime publique. Aussi ne trouva-t-elle guère de défenseurs
lorsque la révolution vint l'entraîner dans la ruine commune de l'ancien
régime. Cependant, c'était moins la faute de l'institution elle-môi^e que
de ses membres, car elle fut l'une des premières que l'on s'emprpssa de
relever aussitôt après la chute de la Terreur. L'Institut national lui re-
donna vie, quoique sous une forme difierente, qui n'était plus aussi favo-
rable à son essor, et qui doit lui servir d'excuse pour le rôle qu'elle joua
durant le régime impérial. Restaurée, en 1816, avec ses anciens statuts,
elle s'est dès lors librement développée, montrant en topte occasipn un
soin jaloux de son indépendance, ainsi que de la gloire et de la dignité
des lettres. Jamais, à nulle autre époque, elle ne réalisa si bien l'idéal
d'un corps d'élite composé des principales illustrations littéraires du pap.
« C'est par l'Académie française que les lettres ont commencé à prendre
pl^ce dans notre état social et, dès les temps même du privilège, se sont
trouvées portées au niveau de toutes les supériorités que la France re*
connaissait. C'eçt l'Académie qui les a mj^ en contact direct et immé4i)^t
avec la vie publique, et qi^i les a retrancbéeç dans une position, menacée
112 LITTERATURE
quelquefois, mais assez forte en définitive, et assez respectée, où elle»
peuvent défendre leurs droits, leur indépendance, leur dignité. •
On voit que M. Mesnard loue hautement les services rendus par l'Aca-
demie française. Nous l'approuvons d'autant plus qu'il le fait avec beau-
coup de tact et d'esprit. Mais peut-être le trouvera-t-on trop indulgent
pour les faiblesses, trop facile à pardonner les fautes commises. Il aurait
pu, sans inconvénient, critiquer davantage le personnel de la compagnie,
qui n'a pas été toujours à la hauteur de sa mission. Son travail n'en eût
été que plus piquant, et d'ailleurs c'était un excellent moyen de mettre en
évidence le progrès très-remarquable qui s'est accompli à cet égard dans
la composition du corps académique.
L'ours et l'ange, légende suisse, tirée du portefeuille de Valentin, par
J. Porchat. Paris, 1857 ; i vol. in-12 ; 2 fr.
L'ours et 1 ange sont deux enseignes d'auberges rivales dans un vil-
lage du canton de Vaud. Les propriétaires de ces établissements se dis-
putent les voyageurs; l'un y met beaucoup d'acharnement, tandis que
l'autre voudrait lutter sans porter préjudice à son voisin. L'ours rêve la
ruine complète de l'ange, et peu s'en faut qu'il n'y réussisse. L'auber-
giste honnête et pacifique se voit bien près d'être réduit à fermer sa mai-
son. Heureusement il trouve un ami dont les conseils suppléent à l'éner-
gie qui lui manque; puis il possède une fille, et son antagoniste un fils, et
ces deux enfants, loin de partager la jalousie de leurs pères, s'aiment
tendrement. L'amour se charge donc de rétablir le bon accord entre l'ouns
et l'ange. Après des péripéties diverses, il triomphe de tous les obstacles,
et la paix se conclut par un mariage. Telle est la donnée de cette nou-
velle, qui ne mérite assurémentguère le nom de légende, et n'offre qu'un
très-médiocre intérêt. Pour captiver le lecteur avec un sujet si vulgaire,
il faudrait de jolis détails, des sentiments nobles et vrais, des caractères
bien esquissés. Mais M. Porchat paraît avoir compté sur l'unique attrait
que peut offrir la concurrence des deux auberges. 11 ne nous fait pas grâce
du moindre incident de cette lutte^ et sa peinture porte le cachet du réa-
lisme le plus prosaïque, sauf pourtant l'intrigue amoureuse, qui pèche
plutôt par invraisemblance. Nous ne reconnaissons pas là le charmant
écrivain de Trois mois sous la neige et des Colons du rivage, ni le spi-
rituel auteur des Glanures d'Esope. Evidemment il s'est fourvoyé, mais
VOYAGES ET HISTOIEB. IIS
son imagination lui fournira bientôt le moyen de prendre une revanche»
pourvu qu'il reste simple et vrai, sans tomber dans le genre trivial, si
contraire aux tendances de son esprit, dont les qualités dislinctives sont
précisément la grâce et la finesse.
irOYAQfiS KT HISTOIRE.
Histoire de l'Eglise réformée de Nîmes, depuis son origine en i533,
jusqu'à la loi organique du 18 Germinal, an X, par Â. Borrel, pas-
teur, 2* édition. Toulouse, 1856; 1 vol. in-12.
Pendant que MM. Haag poursuivent avec autant d'abnégation que de
savoir leur œuvre encyclopédique, on aime à voir se multiplier les ou*
vrages consacrés à la monographie des Eglises réformées. Ce sont là au-
tant de fragmenls précieux pour Tbistoire du protestantisme français, dont
M. de Félice nous a donné Télégant résumé ; ce sont autant de sources
nouvelles que la science et la piété interrogent avec un égal profit. Â ce
double titre, Y Histoire de l'Egliêe réformée de Nîmes nous paraît digne
d'une atlenlion particulière, et ne se recommande pas moins à nos yeux
par l'importance du sujet que par l'exactitude de son historien. Pas-
teur de l'Eglise dont il retrace les destinées, M. Borrel a su trouver au
milieu des labeurs d'un ministère fidèlement exercé durant plus d'un
quart de siècle, les loisirs nécessaires pour réunir les matériaux d'un
ouvrage concis, sans aridité, instructif en même temps que populaire. Les
registres du consistoire de Nîmes et les collections épistoiaires de Genève
lui ont fourni de précieuses pages, qui ont agrandi son travail. Aussi,
n'est-on pas étonné d'apprendre que la seconde édition qu'il nous offre
aujourd'hui n'est pas la reproduction de la première, mais une nouvelle
étude c^faite sur des documents puisés aux meilleures sources. C'est là
un bon ensemble, qui mérite de trouver des imitateurs en nos temps
d'oeuvres improvisées et d'études superficielles. Le récit de M. le pasteur
Borrel, semé de faits intéressants, et d'une lecture attachante par sa sim-
plicité, nous paraît répondre au but que se propose la société des livres
religieux de Toulouse, qui a bien mérité du public, en lui offrant un bon
livre de plus. L'Eglise de Nîmes a contracté une nouvelle dette de re-
connaissance envers celui de ses ministres qui, par un rare privilège,
est aussi devenu son historien. .
8
11 i VUYAGES ET HISTOIRE.
Le Prince de Ligne, ou un écrivain grand seigneur à la fin du dix-
huitième siècle, par N. Peeterroans. Liège, F. Renard, 1857;
1 vol.in-i2: 3 fr. 50 c.
On a déjà beaucoup parlé du prince de Ligne; sa renommée littéraire
repose, en quelque sorte, moins sur ses écrits, qui ne sont plus guère lus,
que sur les appréciations nombreuses dont ils ont été l'objet. L'esprit,
quand il s'allie aux avantages d'une position élevée, jette un plus vif
éclat; ses saillies frappent davantage, elle public est enclin à les accueil-
lir avec une faveur toute particulière. Les bons mots d'un prince ne
manquent jamais de prôneurs enthousiastes, qui les transforment volon-
tiers en traits de génie. Charles-Joseph de Ligne devait, à cet égard,
être d'autant plus privilégié, que sa brillante carrière l'avait mis en scène
dans les principales cours de l'Europe. Mais s'il se distingua comme mi-
litaire, s'il possédait toutes les qualités d'un homme du monde instruit et
parfaitement aimable, ce ne fut pourtant ni un écrivain supérieur, ni un
moraliste profond. Aussi M. Peetermans nous paraît-il avoir bien mieux
compris le genre d'intérêt que peut présenter une semblable vie. Sa no-
tice biographique est pleine de charmants détails, qui peignent d'une
manière fort piquante le caractère de son héros et Taspect de la société
du dix-huitième siècle. La figure du prince de Ligne a besoin de cet en-
tourage; elle ne saurait sans inconvénient être détachée du milieu dans
lequel il a vécu. C'est un produit du dix-huitième siècle; pour en bien
juger le mérite, il ne faut pas l'isoler des influences qu'il a subies et de
celles qu'il exerçait. Son éducation fut celle de l'époque : on lui donna
pour instituteurs des jésuites, à dix-huit ans on lui fit épouser une jeune
princesse qu'il n'avait pas même vue, et lorsque, quatre années plus tard,
il fut nommé colonel d'un régiment, son père, auquel il avait annoncé cette
bonne nouvelle, lui répondit: c II était déjà assez malheureux pour moi,
Monsieur, de vous avoir pour mon fils, sans avoir le malheur encore de vous
avoir pour mon colonel ! » Ne trouvant pas de sympathie du côté de sa fa-
mille, il s'abandonna d*autant plus aux séductions mondaines. La philoso-
phie, qui devenait fort è la mode, lui donna une certaine hardiesse de pensée,
tempérée cependant par sa légèreté naturelle et par ses habitudes aristocra-
tiques. Ses écrits portent bien le cachet du grand seigneur qui daigne jeter
sur le papier des aperçus ingénieux, de spirituelles boutades, mais regarde
1 étude comme un travail dont sa noblesse le dis[*ense. Quoique bon ob-
servateur, il reste toujours superficiel, parce que pour lui le charme d'une
VOYAGES ET HISTOIRE. 115
saillie a beaucoup plus de prix que la recherche de la vérité. Ce qui le
caractérise surtout, c'est l'esprit de la conversation. La tinesse, l'élégance»
le tact sont ses qualités principales. Â la profondeur des idées qui lui
manque, il supplée en général par le tour gracieux et quelquefois assez
original de l'expression. En littérature comme en politique, il incline vo-
lontiers vers les anciennes traditions, sans pour cela se montrer trop sé-
vère pour les tendances nouvelles. « Je n'aime pas, dit-il en t812, la mé-
lancolie à la mode, ou le trop d'imagination pour le peu d'esprit qu'on a
souvent. C'est faute d'en avoir qu*on se donne Tair de penser, et on est
pensif ou lieu d'être penseur. Les Grecs, les Français, les Italiens en ont
trop pour être mélancoliques. Cela ne va ni à leur physionomie, ni à leur
langue. L'une et Tautre des Anglais sont propres à mieux et à pis que
cela : c'est-à-dire, au sombre que respirent leur poésie et leurs ouvrages
intéressants. Ovide était triste lorsqu'il écrivait ses Tristes, et était plus
ou moins mélancolique. Horace, Virgile, Boileau et Voltaire n'auraient
jamais pu l'être. Jean-Jacques était sombre comme vingt Anglais à la fois,
et c'est pour ne pas savoir prendre un vol si haut qu'on voit tous ces pe-
tits poëtes mélancoliques et champêtres. Un petit gentilhomme, qui a son
petit château et son verger dans un fond entouré de petites montagnes de
mauvaise végétation, dit que son site est mélancolique. Un auteur, quitté
par sa maîtresse, qui l'a trouvé ennuyeux, fait, dit-il, des vers mélanco-
liques. > Le prince de Ligne conserva jusqu'à la fin de sa vie cet enjoue-
ment qui le fit briller dans les salons de Paris, comme dans ceux de Vienne
ei de Saint-Pétersbourg. 11 était l'âme de toutes les fêtes, et put encore
présider à celles du congrès de 1814. Cette existence un peu futile ne
manque pourtant pas d'intérêt, parce qu elle se rattache aux événements
de l'histoire durant une période riche en péripéties remarquables. Dans
son récit, M. Peetermans a su profiter habilement de tous les détails qui
pouvaient le mieux captiver l'attention du lecteur. Il rend justice aux mé*
rites du prince de Ligne, sans chercher à dissimuler ses travers, et nous
paraît se maintenir d'un bout à l'antre dans la sage mesure qui convient
au biographe.
Trois ans aux Etats-Unis, étude des mœurs et coutumes américaines,
par Oscar Comettant. Paris, 1857 ; i vol. in-i2: 3 fr. 50 c.
M, Oscar Comettant est un observateur éminemment français, spiri*
tuel, ingénieux, un peu léger, mais fort amusant. S'il n'approfondit pas
116 VOYAGES BT HISTOIRB.
beaucoup les questions, du amm ses aperçus en donnent le plus souvent
iwe idée assez juste. li n'y a chez lui ni vues systéniatiques, ni préten-
tions outrecuidantes. Le seul reproche qu'on puisse lui faire, c'est de
prendre les choses par le côlé plaisant et de s*arrêter un peu trop à leur
superficie. Son livre a les allures du feuilleton parisien. Il esquisse avec
beaucoup de verve la physionomie de la société américaine, et laisse k
d'autres le soin d'en tirer des inductions sur son état moral et politique»
ainsi que sur son avenir probable. Sans vouloir exagérer la portée de ses
croquis, nous croyons pourtant qu'ils ont le mérite d'être vrais, quoique
parfois chargés. En Amérique, l'essor de la démocratie imprime aux
mœurs et coutumes un cachet particulier. D'une part, le respect de la
liberté individuelle poussé jusqu'à l'excès, de l'autre le despotisme de l'o-
pinion publique érigée en souveraine absolue produisent des résultats fort
étranges, bien propres à choquer nos habitudes européennes. Aux Etats-
Unis, chacun se livre à ses goûts, à ses penchants, à ses fantaisies les plus
excentriques, sans craindre jamais de paraître ridicule. Dans les plaisirs
comme dans les affaires, on ne se soucie nullement du qu'en-dira-t-on,
sauf toutefois en ce qui touche deux ou trois {Kunts, sur lesquels la souve-
raineté populaire a mis son veto. L'observation du dimanche, la tempé*-
rance, l'esclavage figurent en tête de ces restrictions, qui ne sont pas les
mêmes dans tous les Eiats de TUnion. Mais en revanche les scrupules de
délicatesse et de probité semblent être abandonnés au libre arbitre de la
conscience individuelle. L'Américain se montre toujours prêt à se lancer
dans les entreprises les plus hasardeuses, sans s'inquiéter des échecs -, une
activité fébrile et l'art de jeter la poudre aux yeux lui fournissent des res-
sources inépuisables. Aussi le charlatanisme atteint-il, aux Etats-Unis,
des proportions inconnues ailleurs. M. Comeltant raconte à ce sujet maintes
anecdotes fort piquantes. 11 rappelle les hauts faits du célèbre Barnum»
et montre que ce n'est |.\as un exem.ple unique ; la blague américaine
fait partie, suivant lui, du carai^tèie national. On eu use dans les plaisirs,
comme dans les aiïaires, dans la religion, dans l'éducation, dans la méde-
cine, dans la littérature, et jusque dans l'amour. Il est vrai que le peuple
s'y prêle avec beaucoup de complaisance. Sa curiosité ne se lasse pas |)lus
que le zèle de ceux qui l'exploitent. Cette tendance produit de singuliers
contrastes à côté des merveilles d'une civilisation qui marche à pas de
géant. L'Amérique, après avoir poussé le progrès niatériel aussi loin que
possible, dirige aujourd'hui ses efforts vers le développement de l'intelli-
gence. L'instruction gér\^éraleroent répandue commencée porter des fruils
SCIENCES HORALEB ET rOLITtQUES. tl7
remarquables. C'est nn pays plein de sève et de vigueur. Mais i) renferme
aussi des germes pernicieux, qui semblent menacer son avenir. Tous ces
éléments fermentent encore, et tm\ ne saurait dire oe qu'il en sortira. En
attendant, les Etats-Unis présentent un sujet d'étude digne d'exciter l'at-
tention publique, et le livre de M. Comettant, s'il n'a pas sans doute une
baute portée, renferme du moins des détails propres à faire bien connaître
les habitudes de la vie américaine.
Du PRINCIPE DE POPOLATiON. par Joscpb Garnier. Paris, !857 ; 1 vol.
in-12 : 3 fr. 50.
L'ouvrage de Malthus sur la population a rencontré des adversaires nom-
breux dont la plupart l'ont mal compris ou l'ont attaqué sans se donner
la peine de le lire. De là des jugements absui'des et des préventions fort
injustes qui se sont répandus en France d'autant plus facriement que les
principes de l'économie politique n'y jouissent pas encore d'une bren
grande popularité. Le titre de Malthusien est devenu synonyme d'arist^
crate de la pire espèce, d*homme sans cœur et sans entrailles, qui regarde
froidement les souffrances de la classe pauvre, et n'y voit d'autre remède
que de la laisser décimer par la misère et la mort. C'est pour combattre
cette étrange aberration que M. Garnier entreprend d'exposer les idées de
l'économiste anglais d'une manière plus exacte et plus propre à faire bien
comprendre leur portée réelle. Son but est de rectifier l'opinion publique,
en lui présentant un résumé clair et logique de V Essai sur le principe de
population avec quelques développements nouveaux à Tappui des doc*
trines qu'il renferme. On trouvera peut-être que, dans l'inlérêl de la cause,
il eût mieux fait de ne pas donner à son livre la forme d'un plaidoyer
en faveur de Malthus. Une argumentation toute française n'aurait du
moins pas éveillé certaines susce|)tibiiités nationales qui sont toujours
Tobstacle le plus difficile à vaincre. Quoi qu'il en soit, M. Garnier a pris
ouvertement la défense des Malthusiens et s'attache à démontrer que
leurs principes, loin d'être, comme on le prétend, entachés d'égo'isme et
d'inhumanité, portent le cachet d'une véritable philanthropie. Frappé
des maux qu'entraîne Texcès de population, Malthus voulut d'abord cons-
tater d'une manière positive ce fait qui se trouvait en contradiction avec
118 SCIBNCES KORALBS BT POLITIQUES.
les idées reçues de son temps. Les recherches auxquelles il so livra le
conduisirent à reconnaître que l'accroissement de la population, lorsque
rien n'entrave sa marche, suit une progression géométrique, tandis que
l'accroissement des subsistances, beaucoup moins rapide, a pour formule
une progression arithmétique. « La race humaine, dit-il, croîtrait comme
les nombres 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 ; tandis que les subsis-
tances croîtraient comme ceux-ci : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Au bout de
deux siècles, la population serait aux moyens de subsistance comme 26&
est à 9. > Cette assertion ne doit sans doute pas être prise à la lettre :
elle exprime seulement une tendance dont l'essor est plus ou moins con-
tenu par des causes sans cesse agissantes. Mais la différence des deux
marches progressives est un fait incontestable, et les causes qui contri-
buent à l'atténuer sont, en général, presque aussi désastreuses que les
résultats de celte différence elle-même. La surabondance de population
produit la misère, et la misère engendre des fléaux qui se chargent de
rétablir en partie léquilibre. Tel est le cours naturel des choses. Après l'a*
voir constaté, Malthus se demande si l'on ne pourrait pas le moditîer dans
un sens plus favorable au bien-être social. Il cherche donc un remède
efficace, et n'en trouve pas de meilleur que ce qu'il appelle la contrainte
morale, c'est-à-dire l'obligation pour l'homme de maintenir la multipli-
cation de son espèce dans les limites que lui assignent les moyens de
subsistance dont il dispose. En effet, si les mariages ne se contractaient
qu'avec la parfaite certitude d'en pouvoir supporter les charges, si le
nombre dos enfants était toujours en rapport avec les ressources de la
famille, le paupérisme perdrait bientôt son caractère menaçant et ne se-
rait plus qu'accidentel. Malthus ne se livre pas à des déclamations senti-
mentales, c'est vrai , il procède par voie d'enquête afin de faire toucher au
doigt les plaies de la société, le vice et la misère, qui proviennent d'un fâ-
cheux conflit entre la civilisation et les lois de la nature. Pour atténuer
les résultats de ce conflit, il conseille la prudence, que depuis longtemps
la sagesse des nations a regardée comme la mère de toutes les vertus,
et le travail, que la religion place au rang des premiers devoirs de
l'homme. Son système, en butte à tant d'accusations violentes, est em-
preint de la plus vive sollicitude pour les souffrances de la classe pauvre,
et n'a d'autre but que de les soulager ou même d'en tarir la source. L'ex-
pédient qu'il propose offre d'ailleurs l'avantage d'être simplement pré-
ventif, ce qui le rend très-supérieur aux tentatives de répression essayées
avec si peu de succès jusqu'ici. M. Garnier insiste avec raison sur ce
SCIENCES IIORALES KT POLITIQUES. 119
point. Il fait voir le danger de la plupart des mesures par lesquelles on
a voulu remédier au mal. L'action de TEtat, Tassociation, la charité même
se sont montrées impuissantes, et quelquefois nuisibles. Leurs fréquents
échecs ont donné naissance aux utopies du socialisme, encore plus dé*
sastreuses parce qu'elles attaquent les bases de Torganisation sociale.
On trouve à ce sujet dans le livre de M. Garnier plusieurs chapitres fort
intéressants, pleins de détails curieux et d'arguments propres à faire une
vive impression sur le lecteur. C'est dommage qu il manque un peu
d'ordre et de méthode. Les idées ne s'enchaînent pas très-logiquement
d'un bout à Tautre. Ce sont plutôt des fragments juxtaposés, mais aux-
quels l'auteur a donné beaucoup d'attrait, soit par les aperçus ingénieux
qu'ils renferment, soit par Tallure spirituelle et piquante du style.
DiZIONARIO DËLLA BCONOMIA POLITIGA E DEL GOMMERGIO COSi teoricO
come pratico, ôpera originale italiana del professore G. Boccardo. To-
rino, Seb. Franco e fîgli, 1857. Livraisons 1 à IV. L'ouvrage complet
formera 4 volumes grand in~8 de 600 à 800 pages chacun : Prix de
la livraison, de 40 pages, 1 fr. 25.
M. Boccardo veut doter l'Italie d'un ouvrage semblable à ceux du même
genre que possèdent déjà l'Angleterre et la France. Il tient à faire une
œuvre essentiellement italienne, qui mette en relief les services rendus
par ses compatriotes à la science économique. C'est un sentiment fort
légitime d'orgueil national, et d'ailleurs on ne peut nier qu'il y ait de l'a-
vantage à ce que certaines questions d'histoire ou de doctrine soient trai-
tées plus spécialement au point de vue des conditions politiques et sociales
de l'Italie. L'utilité de l'économie politique comme science qui étudie les
lois régulatrices de la production, de la distribution et de la consomma-
tion des richesses est aujourd'hui généralement reconnue. Elle ne ren-
contre plus que de rares adversaires , encore leurs attaques portent-
elles moins sur le fond que sur la forme ou l'étendue de ses recherches.
On lui reproche de n'avoir point encore exactement déterminé les li-
mites de son domaine, d'empiéter sur le champ du voisin, et d'aborder
souvent des questions qui ne sont point de sa compétence. Mais, comme le
remarque M. Boccardo, c'est le cas de toutes les sciences; un lien com-
mun les enchaîne et crée entre elles une foule de rapports inévitables.
120 SGIBHCBS MOEALBS BT P0LITI(HUI8.
La chimie et la physique, la physiologie et Tanalomie. la géologie ai U
minéralogie en fournissent des preuves assez frappantes. U est vrai
que l'économie politique étend davantage ses relations, et sa trouve
plus ou moins en contact avec toutes les branches du savoir humai».
Cela vient de ce qu'elle est le résultat final, et pour ainsi dire l'ex»
pression synthétique d'un grand nombre de vérités dérivées des diffié-»
rentes sciences. Elle touche à la morale, à la politique, à la législation,
à Ihistoire, à la statistique, à la géographie. Elle ne saurait même
sans inconvénient rester étrangère aux sciences exactes» physiques et
naturelles. En effet, l'économiste qui veut traiter de la productioik, de h
division du travail, de l'agriculture, des fabriques, des machines, dm
chemins de ïer, des télégraphes, ne peut se passer de connaissances
technologiques, mécaniques, agronomiques, etc., de même qu'il a besoin
de savoir les mathématiques pour approfondir les questions d'amortisse-
ment, d'annuités, d'assurances, les lois de la population, etc. A cet égard
les opinions de M. Boccardo nous paraissent très-justes^ et ce qu'il dit et
particulier de la morale fait bien comprendre la nécessité de ces rapports
multiples : c La morale, dans sa partie pratique et la plus utile» se pro-
pose d'enseigner les préceptes de la vertu, et, plaçant l'homme en regard
de lui-môme et de ses semblables, cherche à la diriger sur la bonne
route. Or, là où la morale finit, commence et continue l'économie politi-
que, qui reçoit l'un après l'autre les problèmes dont sa sœur lui fournit
la solution au point de vue du (t'en, et à son tour elle les résout au point
de vue de VuttUf démontrant comment la richesse découle de Tordre et
du travail; comment l'épargne, inspirée parla prévoyance et par l'amour
de la famille, est la base du capital sur lequel reposent l'industrie et le bien-
être commun ; comment, enfin, la bienfaisance, que la morale et la re-
ligion recommandent, doit être entendue pour tourner au profit de celui
qui l'exerce et de celui qui la reçoit. »
Le rôle de l'économie politique est d'intervenir ainsi dans les applica-
tions sociales de toutes les sciences. On ne peut donc l'isoler tout à Hiit
de ce nombreux cortège; c'est incontestable. Mais il ne faut pas oublier
non plus qu'elle a sa mission particulière et bien distincte, qui est d 6tu«
dier les faits de l'ordre social, de rechercher quels sont les résultats pro-
duits dans la pratique par les données que lui fournissent les autres scien-
ces, et comment il est possible de parvenir à les modifier d'une manière
avantageuse. Dans ce but un dictionnaire de l'économie politique peut Atre
fort utile, soit pour éclairer le public sur ses véritables intérêts, soit pour
SCnstlCiB K0RALB8 MT POLlTfQBMT. tSl
éfeiller le gol^t de Tinvesligation, et signaler les points vers lesquels doi-
fent surtout se diriger ses efforts. Mais celte forme a bien aussi quelques
ioeenvénients : elle ne permet pas l'ordre logique des idées, elle mor-
oell« l'enseignement, elle donne essor aux divagations.
Nous remarquons déjà dans les premières livraisons de M. Bœcardo
me certaine tendance à sortir du cercle dans lequel il devrait se ren-
fermer. Deux au trois questions de droit civil s'y trouvent traitées. Ce-
pendant il se montre, en général, beaucoup plus circonspect que ses
devanciers, et, dans ses notices biographiques, par exemple, on ne trouve
que les indications strictement nécessaires, savoir la nationalité, la date de
la naissance et de la mort, et les titres des ouvrages avec une très-brièv6
appréciation de leur contenu. Quant aux sujets importants, il estime que
tout corps de doctrine spéciale doit avoir dans un article son développe*
floeiii complet, en renvoyant à des articles secondaires les matières qui,
tout en se rattachant à l'argument principal, peuvent fournir Tobjet d'un
examen particulier. L'article Agriculture présente un exemple très-re*
ttarquable de cette méthode, appliquée avec non moins de talent que de
savoir. Si, d'après ce spécimen, il est permis de formuler un jugement,
net» dirons que le travail de M. Boccardo nous paraît digne des plus
grands éloges. Etant l'œuvre d*un seul écrivain il promet d'ailleurs
d'offrir deux mérites qui ne se rencontrent pas d'ordinaire dans les com-
pilations de cette nature : l'originalité des vues et l'unité de tendance.
L'abbé de Saint -Pierre, membre exclu de l'Académie française, sa vie
et ses œuvres, avec des notes et des éclaircissements, par G. de Mo-
linari. Paris, 1857; 1 vol, in-12 : 3 fr. 50.
L'abbé de Saint-Pierre était un excellent homme, qui rêvait la paix per-
fsétuelle, et qui prêcha la bienfaisance aussi bien par sa conduite que par
ses écrits. La loyauté de son caractère ne lui permit pas de se ranger au
nombre des admirateurs enthousiastes de Louis XIV, il osa juger sévè-
rement le grand roi, et l'Académie indignée d'une telle audace l'expulsa
ée son sein. Grâce à cette persécution, l'abbé de Saint-Pierre obtint plus
tard une certaine renommée parmi les libres penseurs du dix-huitième
siècle. Cependant, malgré les efforts de J.-J. Rousseau , ses œuvres ne
rencontrant qu'indifférence chez le public tombèrent bientôt dans l'oublil
122 8C1BNCS8 MORALES ET POLITIQUES.
La nouvelle réhabilitation que tente M. de Molinari sera-t-elle plus heu*
reuse? Cela nous paraît douteux. L'abbé de Sainl^Pierre n'a pas cette
originalité vigoureuse qui seule peut donner de Tattrait à de semblables
htopies. Il manque de profondeur, d'élégance et de clarté. Le sentiment
le domine plus que la raison. C*est un philanthrope, animé d'intentions
fort bonnes sans doute, mais qui ne connaît les questions sociales que
d'une manière superticielle. Ses idées sont ternes et son imagination peu
féconde, en sorte que même lorsqu'il rêve, ce qui lui arrive souvent, son
style conserve toujours la même allure froide et monotone. On aurait bien
de la peine à lire un chapitre entier de ses élucubrations , et les frag-
ments, cités par l'éditeur du volume dont le titre figure en tête de cet
article, paraîtront, en général, très-médiocres. Nous ne comprenons pas
pourquoi M. de Molinari s'est donné la tâche ingrate de faire revivre un
écrivain si pâle. Il est vrai, qu'à ses yeux, le projet de paix perpétuelle
mérite cet honneur, mais on partagera difficilement sa confiance en la
possibilité d'atteindre un pareil but. Le véritable titre de l'abbé de Saint-
Pierre à l'estime publique gît plutôt dans l'indépendance avec laquelle
il attaqua l'idole de son temps et ne craignît point d'opposer le langage
d'un honnête homme aux viles flatteries dont Louis XIV était l'objet.
Quant à la valeur de ses vues sur les réformes sociales, le livre de M. de
Molinari n'a fait que confirmer ce que nous pensions déjà.
Etudes historiques et critiques sur le principe et les conséquences
de la liberté du commerce international , par E. de Laveleye.
Bruxelles, Ch. Mucquard, 1857; in-8.
La cause du libre échange paraît être à peu près gagnée. Le nombre
des protectionnistes a sensiblement diminué, on n'en rencontre plus guère
parmi les hommes qui ont fait une étude approfondie de l'économie po-
litique. Cependant si le principe triomphe en théorie, son application
soulève encore bien des résistances. Les intérêts créés par le régime an-
térieur, les préjugés^ la routine sont autant d'obstacles difficiles à vaincre.
Pour y réussir, la discussion doit peut-être changer de terrain et porter
davantage sur les questions de détail. C'est du moins l'opinion de
M. de Laveleye qui> dans ce but, esquisse rapidement l'histoire de la
liberté du commerce et passe en revue les principaux arguments en sa
faveur. Il croit que les partisans du libre échange ont pu contribuer eux-
8CIBNCES MORALES KT POLITIQUES. 123
mêmes à retarder sod établissement par leurs propositions tçop absolues,
et leurs formules abstraites qui ne tiennent pas toujours compte de la
réalité des faits. Suivant lui,*la plupart des axiomes de l'économie politi-
que sont des vérités boiteuses, vraies dans un sens, fausses dans un autre.
Les résultats diffèrent selon la manière dont la richesse se trouve distri-
buée, et ce qui serait rigoureusement applicable quand tous les peuples
n'en formeraient qu'un seul, ne saurait l'être de même dans l'état actuel
de la société. II admet bien avec les économistes que la liberté du com-
merce est un bienfait parce que, dit-il :
< lo Elle fait jouir toutes les nations des avantages du sol et du cli-
mat de chaque pays ;
c 2* Elle applique à Tunivers entier le principe fécond de la divi-
sion du travail, qui fait qu'on lire le meilleur parti de toutes les aptitudes;
« 3® Elle pré|)are l'union de tous les peuples, en faisant de la prospé-
rité des uns la condition de la prospérité des autres, et en donnant à la
charité universelle Tincitement de l'intérêt bien entendu. •
Mais il ne veut pas qu*on brusque la réforme, sans égard pour les faits
existants, ni que Ton en exagère la portée. La conséquence du libre
échange sera de stimuler la production de la richesse et non d'en mo-
difier la répartition. Les écrivains qui prétendent y voir le remède in-
faillible à toutes les misères sociales sont les charlatans de la science
économique ; ils détournent les esprits de la bonne route et leur prépa-
rent de fâcheuses déceptions.
M. de Laveleye expose d'une manière fort intéressante la marche du
principe de la liberté commerciale depuis le dix-septième siècle jusqu'à
nos jours. Il montre ses luttes, ses progrès, sa victoire déiinitive qu'il
regarde comme assurée, et critique en passant les assertions hasardées
auxquelles se sont laisse plus d'une fois entraîner ses défenseurs. Ses
efforts tendent surtout à faire comprendre aux industriels les avantages
qu'aura pour eux le libre échange, dont l'action ne peut qu'être bien-
faisante si l'on procède avec les ménagements rendus nécessaires par les
droits acquis. Il insiste sur ce dernier point, car toute mesure imprudente
lui paraît risquer de compromettre le succès» et sa confiance dans la théo-
rie n'est pas assez robuste pour le rendre indifférent aux résultats d'un
échec même partiel.
À ses yeux < les économistes ont eu plus raison en fait qu'en théorie,
et mieux vaut suivre leurs avis, que s'en rapporter de tout point à leurs
raisonnements. ) Mais cela ne l'empêche pas d'arriver aux mêmes con-
124 SCIEMCB8 ET ARTS.
chisions. • Le régime protecteur, dit-il, s'en va pièce à pièce. L'hos-
tilité tacite de peuple à peuple, et le système des armées permanentes ne
tiendront point davantage devant le progrès des échanges internatio-
naux, des moyens de communication et de la raison publique.
f L'union de tous les membres de ta famille humaine tend à s'accom-
plir. Elle est manifestement dans les dessins de la Providence. Tous les
faits la préparent. Le régime protecteur y est un obstacle. Comme il doit
disparaître, il disparaîtra, i
SCUBMCKS ET ARVS.
Des beaux-arts en Italie au point de vue religieux , avec un appen-
dice sur l'iconographie de l'immaculée conception, par Alh. Coque -
rel fils. Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857; 1 v. in-12 : 3 fr. 50.
L'influence exercée par le catholicisme sur les beaux-arts forme le
sujet de ce petit volume, dans lequel on trouvera des vues assez nou-
velles exposées avec beaucoup d'esprit et d'indépendance. M. Coquerel
Xît craint pas de fronder à cet égard des idées reçues en fait de peinture.
11 conteste les bienfaits attribués à la protection de TEglise romaine. Elle
hii paraît au contraire avoir exploité, et corrompu le goût de la manière
la plus désastreuse. Cette thèse hardie étonnera peut-être, mais c'est le
sort de toute opinion qui s'écarte de la routine. On est convenu d'ad-
mettre comme un fait incontestable l'accord du catholicisme avec le dé-
veloppement des beaux-arts, et cela se répète depuis des siècles sans que
personne ait pris la peine d'en vérifier l'exactitude. La question mérite
pourtant bien d'être examinée de plus près. Sans doute les grandes écoles
de la peinture appartiennent à des pays catholiques et leurs chefs-d'œuvre
en portent le cachet^ on ne peut pas le nier; seulement il faut aussi re-
connaître, d'abord qu'à l'époque où ces écoles fleurirent le catholicisme
dominait partout en Europe, puis que l'intervention de l'Eglise s'y mani-
feste d'ordinaire, soit par des anachronismes, soit par des exigences
ridicules. C'est là le signal réel de la présence du catholicisme dans
les tableaux des maîtres , tandis que leurs inspirations étaient puisées à
la source plus élevée et plus spiritualiste du sentiment chrétien. Chez
les artistes d'un ordre inférieur il se manifeste en donnant plein essor au
mauvais goût, comme nous en trouvons d'abondantes preuves dans les
SCIBRCBS ET AET8. 125
peintures du moyen âge et dans celles de nos temps moderoes. L'Eglise
aime surtout les couleurs éclatantes, criardes, les proportions colossales,
les formes gigantesques et tourmentées, en un mot tout ce qui semble pro-
pre à frapper la foule, c Lorsqu'une procession a lieu, soit à Naples, soit
dans les villes et les villages des alentours, on élève de somptueux re«
posoirs, qui sont presque toujours des variations sur ce thème monotone :
une chapelle en coton ou en soie écarlale, avec un fronton et quatre co-
lonnes couverts de la môme étoffe, largement chamarrée d'or ; puis sur
l'autel, comme au reste dans toutes les églises, six énormes bouquets
de fleurs en argent, bien roides, parfaitement symétriques, en forme
d'œuf ; au milieu de ces ornements disgracieux, le tabernacle, et au fond
un tableau qui représente un saint quelconque. >
Les jésuites s'y distinguent entre tous par leur étalage de luxe et de
clinquant, c Voyez leur église principale, le GieshNuovo : elle n'est pas
très-grande; mais les pilastres qui portent les voûtes sont démesui*és;
les peintures et les statues sont plus gigantesques et plus tourmentées
que partout ailleurs, et une sainte Philomène en bois et en cire, vêtue
d'étoffes éclatantes, parée de broderies et de joyaux splendides , est as-
sise sur l'autel dans un tombeau de verre.»
 Rome, quoique les cérémonies présentent, en général, un aspect plus
solennel, il règne la même tendance à produire de l'effet aux dépens du
gaQt. C'est en Toscane que se rencontrent les véritables productions sé-
rieuses de l'école catholique. M. Coquerel apprécie dignement leur mérite,
mais il fait remarquer avec raison qu'elles sont antérieures à Raphaël, c'est-
à dire à la brillante période de l'art dont les illustres peintres lui semblent
s'être plutôt inspirés de l'Evangile seul. L'architecture italienne lui fottP*
nit encore des ai^uments à Tappui de son opinion. C'est un fait étrange,
en effet, que le siège du catholicisme soit précisément la contrée où l'art
gothique ait le m^ins péoétré. Ne peut-on pas en inférer que, pour
donner naissance à ce genre d'architecture, l'idée chrétienne avait b^
soin d'être dégagée de l'influence trop immédiate du formalisme, et qu'il
fut Texpression du sentiment religieux des peuples du Nord plutôt que
celle de la ferveur catholique dont l'empreinte ne s'y retrouve guère que
(tons des ornements de détails.
Quoi qu'il en soit, l'auteur a recueilli une foule d'observations ingé-
nieuses qui donnent à sou livre un vif attrait. En particulier Vlcono^
graphie de l'immaeî^lée eoneeption offre un curieux spécimen de ce qu'est
devenu l'art cathdliqtte. C'est l'instruction publiée parM>'Malou,évêquede
126 SCIBMCKS ET ARTS.
Bruges, sur la meilleure manière de représenter ce mystère. fNous avouons,
dit M. Coquerel, que Déprogramme nous rappelle malgré nous une pres-
cription de pharmacie ou une recette de ménage : tous les éléments de
l'œuvre, et, quand il y a lieu, le nombre et la quantité des ingrédients y
sont rigoureusement déterminés. Souvent même l'auteur indique, comme
le Codex, quelques changements permis, quelques équivalents admissibles,
quelques succédanés, classés dans l'ordre de leur convenance relative, ren-
chérissant sur tous les recueils de prescriptions médicales ou autres, l'évé-
que pousse la précision jusqu'à donner deux programmes opposés, l'un
mauvais et l'autre bon. 11 montre d'abord comment on ne doit pas figurer
l'Immaculée; puis comment il faut la représenter.» Le minutieux évo-
que réduit l'artiste au rôle d'un manœuvre qui doit suivre exactement
le plan convenu, étendre à leur place les couleurs indiquées, et ne pas
se permettre le moindre élan d'imagination. Avec de pareilles conditions
la peinture religieuse est évidemment condamnée à n'avoir plus d'autres
ateliers que ceux de ces maisons de gros qui, dans leurs annonces, c ga-
rantissent une exécution parfaite et artistique aux prix les plus modérés. >
Le petit Layater et le petit docteur Gall, ou l'art de connaîire les
hommes par la physiognomonie et la phrénologie. Paris, L. Passard,
1857;! vol. in-18, fig. : 2 fr.
La physiognomonie et la phrénologie ont été tour à tour l'objet d'un
engouement général. Dans la ferveur de l'enthousiasme, ces deux sys-
tèmes semblaient devoir amener une réforme complète de l'éducation, soit
physique, soit intellectuelle. Le docteur Gall surtout, avec sa classifica-
tion des bosses du crâne, eut un succès prodigieux. Quelques-uns de ses
adeptes allèrent même jusqu'à vouloir mouler la tête des enfants d'après
les données de la théorie. Puis à celte tendance exagérée succéda,
comme il arrive toujours, une réaction en sens contraire. La crânologie
fut ridiculisée et perdit la place que son inventeur lui avait faite dans la
science. Lavater, moins ambitieux dans ses vues, n'éprouva pas tout à
fait le même sort. Quoique sujette à l'erreur, la physiognomonie repose sur
une foule d'observations ingénieuses qui peuvent être facilement vérifiées,
et l'art de lire le caractère sur les traits du visage obtint une popularité
plus durable que celui d'interpréter des bosses douteuses, impercepti-
SCIENCES ET AETS 127
ble8 OU conlradioîoiies. Mais Gall et Lavater oui également perdu Tau*
réole scientifique dont leurs noms avaient été d*abord entourés. Après
eux leurs systèmes sont tombés dans le domaine de l'empirisme ; on a
reconnu l'impossibilité d'une tbéorio dont les principes se trouvaient
sans cesse démentis par les faits. 11 en résulte qu'aujourd'hui c'est plutôt
un amusement qu'une étude, et le volume que nous annonçons a pour
but de fournir toutes les données nécessaires à ceux qui voudront s'y
livrer. On y trouve l'exposé clair et succint des deux systèmes avec des
applications nombreuses. De petites gravures sur bois, insérées dans le
texte> en facilitent beaucoup Tintelligence. Ainsi réduites à des propor-
tions modestes, la physiognomonie et la phrénologie présenient un certain
attrait qui pourra leur assurer encore beaucoup d'amateurs.
La pêche â la ligne et au filet dans les eaux douces de la France,
par N. Guillemard. Paris, 1857; 4 vol. in-16, fig. : 2fr.
•
M. Guillemard, qui paraît être un grand amateur de la pêche, se plaint
de ce que cette distraction est trop dédaignée en France. On l'abandonne,
dit-il, aux gens de peu, ou bien aux artisans spéciaux qui en font mé-
tier. Cependant elle offre, tout comme la chasse, des jouissances nom-
breuses et donne beaucoup moins de fatigues. Les Anglais qui s'y con-
naissent l'estiment fort, chez eux les hommes les plus distingués se font
honneur d'y exceller. C'est donc dan^ le but de répandre davantage ce
goût parmi ses compatriotes, que M. Guillemard a pris la plume pour ex-
poser d'une manière attrayante les procédés et les connaissances diverses
nécessaires au pêcheur. 11 conduit son néophyte au bprd d'un cours d'eau,
le fait successivement assister à la prise des différents poissons que pro-
duisent nos rivières, en commençant par les plus communs et les plus
faciles, l'initie aux pratiques nécessitées par l'espèce [particulière ou les
instincts spéciaux de chacune des proies qu'il s'agit de poursuivre, et lui
présente d'une façon en quelque sorte épisodique les préceptes de l'art,
qui se graveront ainsi plus sûrement dans sa mémoire. Son travail se
divise en deux parties : la pêche à la ligne et la pêche au filet. CVst la
première qui occupe la principale place, comme étant la plus commode
et la plus simple, en même temps que celle où le succès dépend davantage
de l'adresse et du sang-froid déployés par le pêcheur. L'auteur sait
128 SaSRCIS ET ARTS.
rendre son enseignement non moins agréable qu'utile. Ses instructions
elaires et précises sont assaisonnées de piquantes anecdotes, et les accès*
soires pittoresques de la pêche leur servent de cadre. Des gravures fort
bien exécutées ajoutent au mérite de ce livre qui trouvera certainement
de nombreux acheteurs.
De PLOMB, de son état dans la nature, de son exploitation, de sa métal*
lurgie et de son emploi dans les arts, par M. H. Landrin. Paris,
1857; 1 vol. in-12, fig. : 5 fr.
Cet ouvrage n'est pas seulement un traité complet des propriétés, des
gttes et des usages divers du plomb ; il renferme de plus l'histoire de ce
métal connu dès les temps les plus anciens. On y remarque une érudition
qui ne se rencontre pas d'ordinaire dans de semblables livres. M. H. Lan-
drin cite de l'hébreu, du grec, discute les éfymologies, donne à l'appui
de sa manière de voir des passages de la Bible, d'Hésiode et d'Homère.
Cet accoixl de la littérature avec la science nous praîl digne d'être si-
gnalé comme un moyen d'exciter davantage l'intérêt et d'exercer une
action féconde sur le développement de l'intelligence. Du reste, l'auteur
a surtout en vue l'utilité pratique, son livre est fait pour les industriels.
On y trouve tous les détails relatifs soit à l'exploitation des mines, soit à
l'affinage du métal, soit aux différentes formes sous lesquelles il est em-
ployé dans les arts. M. Landrin n'omet pas non plus les précautions hy-
giéniques nécessaires aux ouvriers et le traitement propre à les garantir
des funestes résultats d'un travail Jiialsain. Il se dislingue également par
l'étendue de ses connaiss;inces et par la clarté de ses explications, deux
qualités précieuses pour une monographie de ce genre, dont le principal
but est de suppléer à l'instruction que les industriels n'ont eu ni le temps
ni les moyens d'acquérir.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
lilTTKRATVRi:.
Jeanne d'Arc, drame historique en cinq actes et en prose, par Daniel
Stern. Paris, Michel Lévy, frères, 1857 5 * vol. in-12.
On a déjà souvent essayé de reproduire sur la scène l'épisode de Jeanne
d'Arc, auquel ne manquent assurément ni le caractère tragique, ni les
conditions nécessaires pour captiver l'intérêt. Mais, comme le remarque
l'auteur de la nouvelle tentative que nous annonçons ici, • une action si
prodigieuse et une fin si tragique n'ont été célébrées qu'en de froides
compositions, en des rimes insipides et vulgaires. > Plusieurs causes ont
pu contribuer à ce résultat. D'abord l'histoire de Jeanne d'Arc était assez
mal connue. On la regardait comme une tradition plus ou moins fabuleuse,
et depuis quelques années seulement la vérité s'est fait jour sur des cir-
constances auxquelles les passions contemporaines avaient imprimé leur
cachet d'aveugle partialité. Le patriotisme de la Pucelle ne pouvait pas
être compris; la plupart des écrivains s'attachaient de préférence au côté
merveilleux du rôle de Jeanne d'Arc. Ainsi traité, le sujet produisait peu
d'effet dramatique. Enfin, il faut ajouter encore que les formes de la tra-
gédie classique ne conviennent pas du tout aux mœurs et aux caractères
du moyen âge. Elles les dénaturent en leur ôtant l'originalité vigoureuse
qui en fait le principal mérite.
Pour échapper à cet inconvénient» Daniel Stern s'est affranchi des
règles ordinaires du théâtre. Il a fait un drame destiné plutôt à la lecture
qu'à la représentation. C'était bien le meilleur parti à prendre. Sa pièce,
si elle n'obtient pas les honneurs de la scène, dont cependant elle nous
semble très-digne, aura du moins le mérite de frayer la route, et de mon-
trer quel usage on doit faire du résultat des investigations modernes. Da-
niel Stern a su mettre en oeuvre ces nouveaux documents avec beaucoup
d'intelligence. Il présente Jeanne d'Arc sous un aspect plus vrai, plus
130 LITTtfaATQRB.
humain, et par cela môme plus intéressant. La lutte du devoir et des sen-
timents, le contraste de l'inspiration avec la timidité naturelle d'une jeune
fille ignorante et simple, fournissent de précieuses données, qui com-
plètent en quelque sorte le personnage de la Pucelle, dont on n'avait jus-
qu ici qu'une ébauche à peite^^Mquistée. iiCS autres acteurs qui figurent
dans le drame sont également peints de manière à reproduire autant que
possible l'époque avec ses allures diverses. L'auteur a suivi les récits les
plus exacts, et ne s'est permis que de légères modifications, qui lui ont
paru nécessaires pour la marche du drame, c Pour le reste, dit-il, tout
en m'efiEbrçant de rendra le caractère de. Jeanne, 4^1 qu'il râsaort'^de-ces
interrogatoires et des tfoioignages comparés* des contemporains, j'ai in-
sisté, c'est le privilège de l'artiste, sur les côtés par lesquels je me sen-
tais personnellement le plus attii'é: sur T'amour' filial, sur' le détathement
nalfdes gratideurs, sur la fidélité du cœur au séf natal, aux éhamps pa-
temèîs; sur tme certaine peur féminine de la mort qui, «ans àliîérer
l'héroïsme, lui i'ioone je ne sais quels accents plus attendris et plus sym-
paffhiqaes. »
Les oubliés et les dédaignés, figures littéraires de la fin du dix-huitième
siècle, par Ch. Monselet. Paris, 1857; 2 vol. in-12: 5 fr.
M. Mooselet a le goûtdes eodiumations Httéraipes. On lui doit déjàoeUe
de 'Rétif de la Bretonne, et voici maiiitenant dafttsees deux volumes «toute
trne série déorivaiiis, pour la |:rfupart incomifis, auic^els il'C0imcre>d6s
ft^tioes assez étendues. Mais>Doiis ne soyons pas pourquoi il range' Lia*
gnet, Mercier et Gnvuaud de la Reynière au jiombredas^^Mpbliësou tbs
dédaignés L'auteur des ^Annales politiques et Uuéraires a t«ertain«m«Bt
obtenu la place à laquelle H avait droit dans l'histoirede-son teivrps;Hep-
cier et Grimaud de la Reynière ont joui naguère Tun et l'autre des hon-
neurs ée la réimpression, avec préface, notes.'biogfaphie, etc. Ilest'ralôme
peu flatteur pour eux d'être accolés avec des personnages tel^que Ga-
bières, Olympe de Gouges, La Morlière, de l^oudiy, Desforges, Gorjy,
Pkincber-Vaic0ur. Evidemment, M. Menaeteltavaèt besoind'eux poundoa-
ner du relief à s&galeme, qui sans cela n'attirait pas offert on attrait isuffi-
-aont. Les lecteurs se seraient défiés peut«6tre ide ces noms d)SGttr8 et de
iâ tentative faite «pour leur refidfe«q«ielqtte'ëeiat. hs autaimit eu^tert «e-
pendant, oar le but de>M. Hw\se\ét n'eal<p9Înt»d^lever sur on ^piédestal
des talents frappés au coin de la médiocrité et de l'impuissance, ni de
LITT^BUMrOAB. 13)1
réhabiliter des oeuvres insignifiantes ou mauvaises. Il veut simplement
compléter le tableau du dix-huitième siècle, en esquissant certaines fi-
gures qui, malgré leur £aible valeur intrinsèque, lui semblent former h
liaison entre cette époque et la nôtre. Ses<recherohes se sont dirigées vers
les bas-fonds de la littérature, parce que, en général, c'est là que s'opère
la transition. Dans cette espèce de laboratoire littéraire, les idées et les
formes sont soumises à maints essais empiriques, dont le résultat exerde
une grande influence sur le goût, influence corruptrice, qui détruit l'ad'-
miration pour les chefs-d'oeuvre du passé, mais qui fraie ainsi la voie
à des tendances nouvelles, et favorise, en définitive, la marche de l'es*-
prit humain, par le même procédé de fermentation que la nature em-
ploie constamment. Il est fort curieux, par exemple, de voir poindre efaez
oespetits écrivains de la fin du dix-huitième siècle, des idées et des t«D^
dances qui ont pris leur 'essor dans la littérature du dix-neuvième. Les
travers de 'l'école romantique y trouvent des précurseurs^ et M"^ Olympe
de Gouges a devancé toutes les déclamations de nos jours, en faveurde la
femme libre. D'ailleurs le livre de M. IHonselet amusera les lecteurs par
une foule de détails qui font assez bien connaître les mœurs littéraires de
Tépoque. Au nombre des dédaignés dont il esquisse la physionomie, on
remarquera surtout Dorvigny, auteur de maintes petites pièces, d'un
genre trivial sans doute, mais dans lesquelles circule plusde^ève comique,
pluS'de véritable gatté que n'en eurent la plupart des hautes comédies
représentées sous le régime du Consulat et de l'Empire. C'est l'auteur
des Janot, des Jocrisse, du DirecPeur dans Vtmhatras, ou VOnfàHût
qu'on ^eat «£ nou pas en qu on veut, etc., etc. Nous avouons sans honte
notre faible pour ces bouffonneries, qui nous semblent t)eaucoup plus
amasantes que les vaudevilles du jour. Quant à Mercier, que M. Monselet
loue un peu trop, ses drames nous ont toujours paru froidement déclama*
toires, ennuyeux et faux; mais c'est une figure très-originale, dont les
excentricités ne manquent pas d'attrait. On n'en peut dire autant de Ba*
ciilard d'Arnaud, ni de Dorat-Cubière, ni même du Cousin Jacques, qui
ne valaient guère la peine d'être exhumés, malgré la vdgue qu'obtinrent
tin instant leurs écrits. Mais la notice sur Grimiaiud de la 'Reynière ptaira
beaucoup aux amateurs d'anecdotes.
132 V0TA6B8 IT HISTOIRE.
VÔYACES ET HISTOIKE.
Etudes historiques et biographiques, par le baron de Barante. Paris»
1857; 2 vol. iD-8: 1-4 fr.
Ces études, quoique pour la plupart connues depuis longtemps, seront
bien accueillies, car elles offrent en général un vif intérêt. Ce sont de
courtes notices» historiques plutôt que biographiques, sur le rôle joué par
des personnages célèbres soit de la période révolutionnaire, soit de notre
époque; sur quelques villes dont l'auteur a compulsé les annales ; el sur
plusieurs des publications faites par la société de l'histoire de France. Au
nombre des biographies les plus étendues que renferme ce recueil fîgu*
gurent celles de MM. de Saint-Priest, Mollien, de Saint-Aulaire, dont la
carrière se rattache aux événements de l'Empire et de la Restauration»
Gathelineau, Bonchamp, Lescure, Charetle, Larochejaquelein nous re-^
portent au sein de Tinsurreclion vendéenne, tandis que les généraux De«
saix, Foy, Caulaincourt, Gouvion*Saint-Cyr rappellent à notre souvenir les
exploits de la grande armée, et Mootlosier, Talleyrand, d'Haussonville,
Pontécoulant, etc., représentent les débals politiques ou les intrigues de
la diplomatie. Ces fragments détachés forment ainsi, dans leur ensemble,
un tableau assez complet de l'histoire contemporaine. Ils renferment une
foule de détails qui ne trouveraient peut-être pas place dans un récit suivi,
et leur variété captive l'attention sans fatigue. Le talent de M. de Barante
y revêt une allure plus familière que dans ses ouvrages de longue ha*-
leioe. 11 se distingue d'ailleurs par une haute impartialité, qui reste tout
à fait en dehors de la polémique des partis. Le but de ses efforts est d'ar-
river, autant que possible, à l'appréciation juste des hommes et des choses.
Il se montre animé d'une grande bienveillance, mais sait se tenir en garde
eontre les sympathies personnelles ou les divergences d'opinions qui trop
souvent fourvoient la critique et dénaturent l'histoire. Ainsi qu'il ledit
lui-même dans sa préface : < La bienveillance est souvent plus juste que
l'aversion ou l'esprit chagrin et satirique. Lorsqu'on a pénétré dans une
intime connaissance, lorsqu'on a observé les intentions plus que les opi-
nions, le caractère plus que la conduite déterminée par l'action des cir-
constances, on est amené à apprécier la véritable valeur de celui dont on
raconte la vie. Ce n'est pas indulgence, ni apologie, c'est justice; on peint
le modèle tel qu'on Ta vu, de près et souvent. >
Y0TAGB8 ET BISTOIRB. . 133
4YENTURBS d'dn gentilhomiie BRETON aux îles Philippines, par P. de la.
Gironière. Paris; 1 vol. gr. in-8 fig. et carie: 12 fr.
L'auteur de ce livre est un courageux aventurier, dont les exploits jus-
tifient bien son titre de geniilhomme breton. Il s'embarqua de très-bonne
heure en qualité de chirurgien de marine, et, dès son premier voyage, le
désir d'explorer des pays nouveaux s'empara de lui. Dans ce but, il alla
$e Hxer aux îles Philippines, où Texercice delà médecine lui fournit bien-
tôt d'abondantes ressources. Mais quelque brillante que fût sa position,
elle ne le satisfaisait pas, Manille était encore un pays trop civilisé. Pour
réaliser son rêve favori, M. de la Gironière acheta donc des terres dans
rintérieur de Ttle, et choisit de préférence la pointe de Jala-Jala, située
sur les bords du lac de Bay, dans un canton infesté de pirates. En vain
ses amis cherchèrent-ils à le détourner d'une si périlleuse entreprise. 11
n'était pas homme à reculer devant des considérations de cette espèce, et,
loin de craindre la présence des brigands, il résolut d'utiliser leurs ser-
vices. En effet, son audace réussit à les subjuguer. Il les organisa en corps
de gendarmerie, dont if prit le commandement, et parvint à si bien établir
son autorité, qu'il était en quelque rorte comme le roi de la contrée. Le
domaine de Jala-Jula prospérait admirablement. Mais, au milieu de ses
succès, M. de la Gironière eut le malheur de perdre une femme chérie. Le
chagrin lui rendit la solitude insupportable. Ses instincts aventureux, se'
réveillant, le poussèrent à de nouvelles excursions chez des peuplades
sauvages, et sa santé, gravement compromise par les fatigues de ce dernier
voyage, ne tarda pas à lui faire désirer de revenir en Europe.
On comprend qu'une pareille existence doit être riche en péripéties
dramatiques, en incidents extraordinaires. Le récit du gentilhomme bre-
ton a certainement beaucoup d'attrait. Il renferme d'ailleurs des données
intéressantes sur l'histoire naturelle, l'agriculture, l'industrie et le com-
iherce des îles Philippines, ainsi que sur les mœurs de ses habitants. Mais
on lui reprochera peut-être de ne pas présenter toutes les conditions vou-
lues pour inspirer une entière confiance. M. de la Gironière donne parfois
un peu trop d'essor à sa fantaisie. Son style est plutôt celui du romancier
que celui du voyageur. Evidemment il ne pousse pas l'exactitude jus-!>
qu'aux moindres détails, et la mise en scène le préoccupe fort. Du reste
5on volume, orné de jolis dessins, peut figurer avec avantage-parmi le&
meilleures productions de la littérature illustrée.
i39 V0VMB8 nr HisvoiaB».
Esquisses historiques sur Moscou et Saint-Pétersbourg, à rât)oque do
couronnement de l'enopereur Alexandre II, par A. Regnault. Paris»
1857; Ivol. in*8: 5fr.
La relation des cérémonies du couronnement offre un médiocre intérêt.
Ces descriptions de costumes et de fêtes, ces nomenclatures de hauts per-
sonnages ne sont pas fort attrayantes : 11 faudrait des gravures, pour qu on
pût se faire une idée de la magnificence du spectacle. Le programme seul
ne suffit pas. Aussi M. Regnault a-t-il eu soin d'en rompre la monotonie
et d'en corriger ta sécheresse par de nombreuses digressions, qui forment
l^s trois quarts de son livre. Il profite du couronnement pour étudier la
société russe, d'une manière superficielle, sans doute, mais qui porte ce-
pendant le cachet de l'observation, et lui permet d*en esquisser assez bien
les principaux traits caractéristiques. Les coutumes religieuses, les usages
domestiques, Torganisation administrative, les monuments de Moscou et
de Saint-Pétersbourg lui fournissent autant de sujets sur lesquels il donne
maints détails nouveaux ou peu connus. Mais ce qui nous semble propre
à frapper surtout le lecteur, c'est l'hospitalité avec laquelle les Russes
ont accueilli des hôtes qui, quelques mois auparavant, étaient leurs enne-
mis. Un semblable fait est le plus bel éloge qu'on puisse faire des progrès
de la civilisation. *
Rléber et Marcead, par €1. Desprez. Paris, J. Dumaine, 181^7; != voL
in-i8, caries: 2 fr.
Pamî les hommes remarquables (jue mirent en évidence les guerres do.
l«>révolutido, Kléber et Marceau tiennent une place distinguée. Egaux par
le eourage et le talent, ils furent de plus unis par une amitié très-intime.
Cette circonstance ajoute beaucoup à l'intérêt que présente leur brillante
carrière. On sent combien une semblable affection devait avoir de prix au
nnlieu des fatigues de k vie des camps et des périls du champ de bataille,
qùe\ apfHii mutuel et vraiment efficace ces deux hommes devaient trouver
duos la confiance qu'ils avaient Tua pour l'autre. C'est en Vendée qu ils
SB rencontrèrent. Kléber s'était déjà fait une renommée glorieuse ; Mar-
oeau, très-jeune encore, venait à lui, poussé par le désir de voir un géné-
ral dont il admirait les exploits. Mais son enthousiasme lui avait fait our
blier les règles sévères de la discipline: c Vous n'auriez pas dû quitter
vitre- po6t6>, lui dit Kléber; véiowrnei*^, nw» aurons phi» tard toutittt
teAi(>&d6;faiFd^ci(MiinaiâsaB0êL.»Le leodemaiiiy uacomlKit eut lieie* Mar*
ceaii< y prit- pa^rt ; Kiébar pnl apprécier le» eiicelkentes qualités de sen
jeunaémiileveAdè» lors^'établit entre eox une miimité qui du r» )iisqu'ài
la^iMoH. Plusvtafdi ils se relrotiwent sur le Rhin, àTaroiée de Sambre^
ei^Meuse, aecemplissenl^ ensemble la conquête- delà «Bdgique> la prisée*.
Cobfentz^ le blocus deMayence* font les campagnes de i795 et 1796,
toujours unis de vues et de sentiments, partageant la gloire en frère», et
ne«se livrant point à ces rivalités jalouses si comiaunes chez les généraux
de cette époque. Après la mort de Marceau, Kléber continue à se main-
tenir au premier rang. La campagne d'Egypte imprime à son nom le ca«-
chet de rimmorialité. Ces deux existences, racontées avec la verve qui
convient aux réeits de ee genre, captiveront vivement les lecteurs.
M. Desprez décrit très-bien les batailles, les mouvements des différenl»
corps, les péripéties importantes de la lutte. Quoique animé d'enthou-
siasme pour la bravoure française, il évite en général avec bonheur les
écueils du chauvinisme et de la monotonie. Ses petits volumes nous sem-
blent tout à fait dignes d'obtenir un succès vraiment populaire.
hm MbivuMEi«rrs rm luistoike db France. Catalogue des productions
é^ la sculpture, de la peinture et de la gravure relatives à l'histoire
dO'la France et des Frawçais, parM. ffennin. Paris, Delion, 1857, in-S.
Qa paru deux tomes de cet ouvrage, qui sera sans doute d'une étendue
-considérable^ mais qui offrira aux travailleurs de précieuses ressources.
M« Hennin a entrepris de donner, par ordre chronologique, une liste de
toutes, les monnaies, portraits, monuments, etc., relatifs à l'histoire de
Erance, et disséminés dans un grand nombre d'ouvrages divers. On com-
prend sans peine conabien il a fallu de recherches et de temps pour réu-
nii! et classer ces indications, mais aussi celui qui voudra savoir où il trou-
vera les inforn»tion& dont il a besoin au sujet de tel ou tel personnage
iUustreou de tel événement mâsiorable, apprendra de suite, grâce h H. Hen-
nin, quels ouvrages il doit ouvrir et à quelle page; autrement il aurait
perdu beaucoup de temps à faire des investigations qui seraient, sans doute,
demeurées incomplètes. La liste publiée jusqu'à présent, dans l'ouvrage.
dent nous avons transcrit le titre, commence à l'an 481 par des objets
divers trouvés dans le tombeau de Childéric, et se termine avec l'année
136 T0TA6B8 BT HISTOIRB.
1061. Une longue introduction donne sur le but du travail entrepris et
sur les matériaux mis en œuvre, des détails étendus; une Table des auteurs,
ouvrages et recueils cités entre dans des détails étendus sur des publica-
tions importantes ou rares ; le curieux recueil de gravures publié par Tor-
torel et Perrissin, sous le titre de : Premier volume^ contenant quarante
tableaux ou hiêtoireê diverêes, touchant les guerres, massacres et troubles
advenus en France, est Tobjet d'une longue et minutieuse description ;
ces monuments très-remarquables représentent pourtrais à la vérité les
événements les plus importants qui se sont accomplis en France de 1559
à 1570; la véritable physionomie du temps s'y retrouve avec une fidélité
naïve. Il faut désirer que M. Hennin ait le temps et le courage d'accom-
plir jusqu'au bout la vaste carrière dans laquelle il est entré. Son travail
sera pour l'historien et pour l'artiste un trésor de renseignements où il
faudra sans cesse venir puiser.
La Corse et son avenir, par Jean de la Rocca. Paris, H. Pion,
1857; in-8.
Le but de ce livre est de faire connaître ce qu*a été la Corse, ce qu'elle
est, ce qu'elle peut être. L'auteur établit qu'il y a dans cette île, trop peu
appréciée, une vaste perspective d'avenir ouverte au commerçant, à l'agri-
culteur, à rindustriel. Dans son travail, divisé en vingt et un chapitres,
on peut dire qu'il épuise son sujet. Une analyse succincte fera , bien
mieux que tout compte rendu, connaître le cercle dans lequel il a porté
ses recherches. Après un coup d'œil sur l'histoire de la Corse, il donne
une description générale du pays, il en fait connaître la situation, l'é-
tendue, le sol, les divisions politiques et administratives, les villes prin-
cipales, le climat; il passe ensuite à la botanique et à l'état actuel de l'a-
griculture en Corse. Il consacre le chapitre cinquième aux améliorations
à introduire dans la culture des céréales, aux assolements, aux instru-
ments aratoires, aux engrais, au drainage. Le chapitre suivant roule sur
la culture de la vigne; si les vins de la Corse étaient bien soignés, ils occu-
peraient un rang fort distingué dans le commerce. Il est ensuite question'
de la culture de Tolivier, de celle du mûrier, de l'élève des bestiaux et de
l'amélioration des races, des cultures à perfectionner et à introduire en
Corse. Les chapitres onze à quatorze ont rapport à l'horticulture, aux fo-
rêts, à la minéralogie et aux eaux minérales. M. de la Rocca discute en-
suite Tétat actuel de l'industrie en Corse, et il montre sans peine qu'il y,
TOTAGES XT HISTOIEB. tST
aprait un immense progrès à réaliser; il dit ce qu'est le commerce et ce
qu'il pourrait être ; il parle des institutions de crédit et d'un système de
colonisation, et il arrive ainsi au chapitre dix-neuf» dont les ports de la
Corse forment le sujet. Les routes, chemins de fer et service» de ba-
teaux à vapeur, les comices agricoles, les institutions de bienfaisance oc-
cupent les chapitres vingt à vingt-deux. Enfin, après avoir envisagé ce
qui a rapport à la statistique et à la bibliographie de l'île, l'auteur formule
des conclusions, il montre qu'en fécondant les marais, en améliorant les
races, en introduisant des cultures nouvelles, en fondant des établissements
de crédit, en frayant des routes, en déblayant les ports, en activant l'essur
de l'industrie, en donnant à un peuple actif et heureusement organisé de
Tinstruction et de l'émulation, on portera à un haut degré de prospérité,
un pays qui, trop longtemps délaissé, reste pauvre, tout en regorgeant
de biens qui ne sont pas mis en œuvre. Aujourd'hui la Corse se trouve à
quarante heures de Paris, et une ère nouvelle va sans doute s'ouvrir pour
elle; sous ce rapport, l'ouvrage que nous signalons sera certainement con-
sulté avec grand profit. ^
Sophie ârnould, d'après sa correspondance et ses mémoires inédits, par
M.-E. et J. de Concourt. Paris, 1857-, 1 vol. in-12: 2 fr.
Sophie Arnould méritait-elle les honneurs d'une biographie? Cela nous
paraît douteux. Par son rôle, elle appartient de plein droit à la chronique
scandaleuse, et si les qualités de sou esprit la distinguent de la foule des
femmes galantes, cela ne suffit pas pour qu'on doive ainsi la mettre sur
un piédestal. Les bons mots qu'on lui prête sont nombreux et fort jolis
sans doute, mais sa vie, quoique pleine d'incidents, offre, en définitive,
peu d'intérêt. Elle débute par un enlèvement, suivi de beaucoup
d autres aventures du même genre, gagne la faveur du public par le
charme de sa belle voix, obtient fortune et renommée, puis dissipe bientôt
Tune comme l'autre, et s'en va déclinant jusqu'à se voir obligée de vivre
aux dépens de ses amis. C'est l'histoire assez ordinaire des princesses de
théâtre. Les lettres et fragments de journal que publient MM. de Con-
court montrent seulement que Sophie Arnould sollicitait sans relâche,
écrivait mal et ne savait pas l'orthographe. Son style ne reflète point l'é-
clat de sa conversation ; il est incorrect, débraillé, flasque, et ne brille
m par l'élévation des idées, ni par la noblesse des sentiments. La vieille
1981 yowjMakm masoiMM.
actrice, mahde et beaogneuse, réelamaDi sans cesse de nouveaux secours»
produit une îmjfMression pénible, d'autant plus que son malheur ne lui
iMpife-jamais aueme réflexion sérieuse ni sur le passé, ni sur ïwmït.
Le repentir et Kespoir lui paraissent également étrangers. De l^u», m de'
r««tre, il n'est question milla part, sauf dans le dernier paragraphe du
livre, où MM. de Goncourttnons apprennent que c le curé de Saint-Ger-
maiiiH-riAuxerrois promettait le pardon à la Madelema. • Quant à Sophie
Araottk), le souvenir de sa oonduite ne lui suggère le plus souvent que*
des> plaisantems tHvialeset de fort mauvais goût.
Historié dbs rduoions db la Grèce antiiiob, depuis leur origine, jus^
qu'à leur complète constitution, par Alfred Maury, tome 1^. Paris»
1857; 4 voLin-8: 7lr. Î50'C.
Dans cet ouvrage, qui se distingue par une vaste érudition, M. A. Mauiy
veut faire connaître le développement progressif du polythéisme grec et
les diverses transformations que ses dogmes ont subies. C'est une tâche
très-difficile, qui demande d'immenses recherches, mais dont les résul*
tats peuvent offrir le plus haut intérêt. Jusqu'ici l'on s'est trop exclusi-
vement attaché à l'étude des monuments, aux formes du culte, tandis
qu'on perdait de vue le sentiment religieux, qui est l'essence des reli-
giaos. C'est sur ce dernier point que se dirigent les recherches <le
M* Maury. Son but est de montrer comment la nation divine se dégage gni*
docilement du naturalisme au sein duquel elle s'était éveillée, et de faire
scKtir les rapports qui liaôent keculteà la morale, et l'instinct de k vertu -
àicelui du monde iftvisiblev 11 remonte donc à l'origine de chaque dieu,
puisiSKamine cequ'il est devenu au milieu des révolutions religieuses qui
s'aiccompërent dans le monde antique. Les Grecs paraissent avoir puisé
Isur première notion de la divinité aux mêmes sources que les autres races,
ifldo^^européennes; « L'étude des Védas, les mc^numents de la plus, an-^
denne sodété indienne, nous fournit des éléments curieux de comparaison
aires ce que nous retracent les premiers écrivains de la Grèce. » Ce qu'oa
saâtidés Pélasges offre beaucoup d'analogie avec les mœurs et les usages
de.rjnde antique. Le Zeus grec se retrouve en tête du Panthéon indien^
qui fui probablement son berceau. Mais la riche imagination de la rac»*
beiléniqse ne tarda pas à le modifier suivant les tendances de son propi^
géftie. L'origme asiatique fut remplacée par des traditions fabuleuses^ el^
VOTA6B0 BT HISTOIRB. tdfè
KtMi vil nallne toute uoe mythologie nouvelle eaiptreinte du<caraotère.OAt-^
fmalidea populattoo» de la Grèoo. Auk «ulroft^ dieu» issu» do la mêtno
QsigiBej.se môlèrenltte nombreux héros, doott les.exploits ou le» serviicoo:
partirent Bkériter une place dans^O/ciel, etranlbropomorphiMnesIépMimi
doplus; en pkiSi jusqu'au moment oii la philosophie vint miner le vioilt
édifiée neiigieiix.
Le travail de M . Maury doit embrasoer toute celle pépiode. Soa premieri
volume va jusqu'au siède d'Alexandre. C'est une œuvre très-'savante».,
pleine d'aperçus ingénieux, qui répand la lumière sur unefouledepoiutai
obscurs^ et dans laquelle règne un esprit de saine critique très^remar-*»
qoable. Nous nous proposons de lui consacrer une analyse plus étendue
leisque paraîtra la: seconde partie, qui doit traiter des institutions. relir
f^enseset de leur influeocesur la vie morale oheziiles^ipeupks greoSi
CbANNiNG, sk VIE ET SES ŒUVRES, avec Une préface, de M. Ch. de Ré-
musat. Paris, Didier et C*«, 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr.
Depuis quelque temps^ le nom de Ghanning attire, en France, l'atten^
tioa d'un certain nocsbre d'hommes éclairés, qui sont fibitaots encore
entre la philosophie et la religion, ne voulant point adop^ter entièrement;
Tune, ni tout à fait rejeter l'autre. C'est bien peureux, en effet, que
Ghanning semble avoir écrit. Soa christianisme large leur convient, sa
parfaite tolérance les attire» Il insiste fort pea sur les dogmes et beaucoup
sur la morale; il est trèsi-rationaliste, mais en même temps plein, dune
ferViOur sincère^ et son âme se montre profondément pénétrée de l'impor-
tance des choses célestes. On ne peul d'ailleurs le rattacher à aucune
secte, son individualité se développe avec la plus complète indépeadance ;
jamais aucune arrière- pensée politique ou autre ne vient influer sur son
jugement, ni se jeter au travers de ses convictions. Chez lui le sentiment
i^igieux domintiit d'une manière très^iolense, et l'on en retrouve l'em-
preinte dans tous ses discours. Les œuvres de charité, la questioa.de
l'esclavage, Tédueation populaire étaient les sujets favoris deses préoccu-
pations. Il y apportait le lèle le plus ardent et le plus éclairé ; aussi sa voix
éiail* elle écoutée, quoiqu'elle heurtât souvent les préjugés et les passions
de la foule. Aux Etats-Unis, comme aUheurs, les progrès delà démocratie
tendent à faire passer le pouvoir entre les mains, non pas des plus dignes
etdes plus capables, mais de ceux qui savent le plus habilement exploiter
letjsuffiirage universel. Channingi frappé de ce résultat déplorable*, cher-^
i40l VOYAGES BT UI8T0IRB.
cfaait le moyen d'y remédier, soit en répandant les notions morales, soit
en insistant avec force et sans relâche sur Timportance des devoirs qu'en-
traîne l'exercice d'un pareil droit. Ses écrits renferment à cet égard le&
meilleures directions ; la sagesse de ses vues n'est pas contestable. Il veut
élever le peuple pour le rendre vraiment apte à jouir des heureux fruits
d'un gouvernement libre, et la première condition qu'il demande, c'est
que la majorité soit assez éclairée pour ne pas se laisser séduire par les
artifices de quelques meneurs ambitieux. Du reste, Channing ne fut point
un homme d'action ; il n'exerça jamais aucun rôle politique. La parole
était sa seule arme, et comme Ta dit M. Laboulaye, « sa vie est tout en-
tière dans les idées qu'il a propagées et défendues. » Aussi la notice insé-
rée dans le volume que nous annonçons n'est-elle qu'une analyse de ses
opinions sur les événements de son époque et les divers objets d'utilité
publique dont il faisait le but de ses constants efforts. L'auteur y a joint
une série de lettres et des extraits de trois sermons de Channing : du renon-
cement à soûmême, les Preuves du christianisme et la Liberté' spirituelle.
Cette publication ne pourra qu'augmenter le nombre des admirateurs
de Channing. Au point de vue dogmatique, sans doute, elle soulèvera
beaucoup d'objections, mais, comme le dit M. de Rémusat, pour appré-
cier convenablement le pasteur américain, il ne faut pas l'isoler du milieu
dans lequel il a vécu, ni oublier que son influence peut servir à réconci-
lier avec le christianisme un grand nombre de ceux qu'on est parvenu à
en éloigner, c La piété du cœur ! là nous paraît en effet le mérite carac-
téristique de Channing. Pour le bien comprendre, il faut nous dégager
des habitudes d'esprit que les traditions d'une vieille société laissent à
ceux mêmes qui se piquent le plus d'indépendance. Toujours il nous est
assez difficile de concevoir comme un directeur des âmes, comme un mi-
nistre delà religion, un homme qui n'agit que par des prédications et des
écrits. Nous ne voulons voir en lui qu'un orateur, qu'un auteur fort res-
pectable; mais nous ne pouvons, dans notre pensée, séparer le genre de
mission dont il se sent investi de certaines {ormes extérieures et d'un pou-
voir en quelque sorte officiel, dont il devrait porter les signes et exercer
lés fonctions. Cependant, comme la religion est purement de l'ordre moral,
un peu plus, un peu moins de choses extérieures n'importe pas, si l'es-
prit est convaincu, si le cœur est changé. Or, dans la société américaine,
dans celle surtout des Etats du Nord, le culte est en général réduit à ses
ifioindres termes, et la parole n'en a pas moins pour cela de force et d'in-
fhience. C'est un pays de religion sans culte. De treize républiques, celle de
SCISIfCES MORALES BT POLITIQUES; 141
Rhode-Island est la plus petite ; ;mais sur cette terre favorisée du cieK
la religion et la liberté se sont embrassées dès leur berceau. Sous i'in*
fluence du généreux Henri Vane, des hommes pieux, qui fuyaient Tint-
tolérance des puritains du Massacbussets, fondèrent une colonie indépen*-
danle, dont le parlement et la restauration consacrèrent également
l'existence et les droits. Une charte, qu^elle tient du roi Charles II, bien
inspiré cette fois par sa sceptique indifférence, proclame en termes vrai^
ment admirables des principes qui n ont peut-être encore pleinement
triomphé sur aucun point du lerritoire de cette orgueilleuse Europe. 11 y
^ura, dans six ans, deux siècles que cette petite démocratie jouit en paix
des plus grands biens qui puissent être départis aux sociétés humaines.
C'est là, c'est dans la ville de Newport, que naquit Channing, et qu'il
suça avec le lait ces doctrines à la fois chrétiennes et libérales, qui font
tout ensemble la consolation et la dignité de l'homme sur la terre. C'est
de là qu'il partit, fort du pur amour de Dieu et de l'humanité, pour
exercer jusque dans les Etats voisins un empire d'amélioration et d'en-^
«eignement qui ne se comprend pas aisément dans nos mœurs euro^
péennes, et dont ses ouvrages ne donnent encore qu'une imparfaite idée^
11 faut se placer» par l'imagination, dans le milieu social où sa missioa
s'est accomplie, pour en mesurer l'importance et l'utilité; il faut créeri
par hypothèse, autour de soi un ordre purement moral, où les institutions
et les conventions disparaissent, où ne régnent que l'intelligence» le sen--
timent et la volonté, et se représenter, dans la simplicité des mœurs ré*
publicaines, des assemblées toutes spontanées, réunies par l'appât de la
vérité et de l'émotion, autour d'un homme de leur choix, qu'elles ac-
ceptent librement pour conseiller et pour guide. C'est là presque tout ce
que la religion a d'extérieur dans la plupart des sectes de l'Amérique du
Nord, et l'on sait qu'elle n^en est pas moins puissante sur le plus énerr
gique des peuples, t
SCIGMCfiS MORAIiEd £T POIilVl^llJllS.
Eléments de droit romain, par Charles Maynz, professeur de droit
à l'Université de Bruxelles. Deuxième édition ; tome l^. 1 vol. grand
in-S*» de 600 pages.
La première édition de ces éléments ayant été fort peu répandue en
dehors de la Belgique, nous pouvons les signaler comme un ouvrage nou-
veau et d'un grand mérite. Le mouvement imprimé en France depuis plus
ttïSl SCmSGIS ■ORÀLBS BT FOLITlQUSa.
4'un qusrt de siècle à toutes les branches de la science du droit, s'«st
principalement manifesté, pour l'étude du droit romain, par des travaux
-tn général historiques ou exégétiques et portant sur des matières spé-
ciales. Quanta l'ensemble des institutions et des règles du droit civil
TOfBain on n'a guère chei*ché à l'exposer que dans des commentaires dee
•Institutes de Justinien : or, malgré l'érudition et le talent dont ont fait
•preuve plusiemrs des auteurs de ces manuels, le cadre étroit qu'ils ont
4idopté, peut-être avec répugnance, ne se prête point à des développe*-
ments assez complets, et l'importance donnée au seul textedes Institutes ne
permet pas de mettre suffisamment en relief les points de vue sous les^
quels il est le plus nécessaire d'étudier le droit romain dans les pays qui
ne lui reconnaissent plus force de loi. M. Maynz a des coudées plus fran-
dies et une méthode plus rationnelle. Il puise à toutes les sources, li pré«
«ente le tableau rapide des évolutions successives du droit aussi bien que
l'exposé systématique de sa dernière condition, il initie par de nombreux
exemples, par descitations bien choisies aux procédés de la jurisprudence
romaine. Le volume que nous avons sous les yeux renferme, outre Hintr»-
ductioD» Ivsdeux premiers livres^ (Notions générales. — Droits réels). Le
second volume sera consacré aux obligations et aux 'droits de famille. Le
dernier aux successions. 11 est deux portions du premier volume qo*H
importe de signaler particulièrement : l'ntroduction, qui contient, en 200
pi^s, une remarquable histoire du droit romain «et le titre cinquième du
premier livre, i^elatif aux actions formant un traité sommaire de prooé*-
dure civile.
Nous regrettons de ne pouvoir entrer dans plus de détails ; mais nous
tenions à indiquer au moins le caractère général et l'importance d'un
ouvrage qui fraie à renseignement une voie nouvelle, et Mi connaître à la
France les principaux résultats de la science allemande; nous tenions aussi
à remercier sincèrement M. Maynz, car, pour apprécier les services que
son livre est appelé à rendre, il faut tenir compte et de l'instruction directe
qu'on peut^^puiseret de l'impulsion ultérieure^u'ilimprimer^ux études.
CL.
Nouveau système de comptabilité commerciale ou de tenue de livres
dite probante, à l'usage des personnes destinées au'commerce» par
Jacob Melly. Genève, J. Cherbuliez, 1856; 1 vol. in-8 : 3 fr.
Simplifier la tenue des lûvres, la readre plus daire, et fournir le
8GimCB8 M0AALI8 BT rOlKilWEB. H^
moyen d'éviter ces longues ^riicatiofis qQ'antratoe souvent b moinëife
«rrear, tel est le but que s'est proposé M. J. JMeNy. Le princifUil «Tin«
U^e de son systène consiste dans la possibilité d'avoir chaque jmr'h
habnice exacte, et de pouvoir en quelque «ofle eonnaUve >à toMe faeune
la véritable situmldoii du commerce auquel il est^^pphqué. Rsur ob*»
4iiiur ce précieuoL résultat, il suffit d'un nouveau registre dan» le*-
nquel la page de gauche est consacrée tu jouniol, et ceU« de droite
sa igrand livre, en sorte «(u'eii peut, du premier <îOup d'ceil , s'as>-
«urer si Taccord existe entre ces deux bases essentieWes de lacompla^
HbvHté. Les comptes généraux occupent sur le grand livre, cfaacuoiâeux
colonnes, diMit Tune dans les débiteurs et l'autre dans les oréditetirs, et
-kssommes se trouvant ainri placées :sur la ligne: eorr«spOBdante4(CBilB
é» journal où leur rubrique est; inscrite, )U n'y a pas. lieu delà répéter,
oe qm fait une grande économie d'écritwes. D'ailleurs, avecoeipegislre
jouroal'^nd livre, on tient celui des oomptes^courants-eni parties simiplee,
«aiBsique celui de la caisse, sans que eelA' nuise en rien à l'harmonie gé^
nérale.iqui s'établit même beaucoup plus. aisément que (bus la 'méthode
actuellement en uaage. La tenue délivres probante mous «omble, autant
du moins que nousen pouvons Juger, une innovation très*heureuse, -qui
mérite d'être adoptée surtout par le commerce, car l'expérience de
M. Mellyen-eette matièrcest une garantie «ertaine des avantages qu'elle
procure. 11 en fait habilement ressortir la supériorité sur les autrsnsné*
tbades, donne t tous les détailsetles medôles néoessaires :paurison applica*-
!|ion, et la recommande aussi comme susceptible d^tre appropriée soit
iiux usines et manufactures» soit aux administrationsffinanoièvfa de^p^ilB
^uvernements.
Il I t I M
Droit COMMERCIAL. Commentaire du code de commerce; livrel, 'titre BL
Des sociétés, suivi d'un commentaire des lois du 17-23 juillet 18^6,
sur l'arbitrage forcé et les sociétés en commandite par actions, par
3. Bédarride. Paris, Aug. Durand, Î857 ; 2 vol. in-8* : f 5 fr.
Aujaund'hui, que l'association tend ^ prendre «m développementidoiplus
«n piustcottsidérable^ le titre «du oode de icommence.qui règke«l'<H*ganiA»«-
tion dbs sociétés acquiert une haute ii»partiaAce. ,ll<eat à désirer (|ue, tsttr
ce point, lalun&ière se fasse aussi. complète que'possible, afin deprév^enir
les désAstrainx résultats que pourraient entraîner Tignoffance ou. la fraude
dans des entreprises dont la ruine aenait. une ivéritable calamité publique,
144 SC1BHGI8 aORALBB IT POLITIQUBB.
Li puissance de Tassociation n'est pas une découverte nouvelle, sans
cloute, mais elle est restée longtemps à peu près inexploitée. Il fallait le
progrès des institutions civiles pour lui fournir les garanties de sécurité
nécessaires à son essor. Depuis le commencement de notre siècle seule-
ment on s'en est préoccupé dune manière plus active, et Ton a bien
compris que, selon Texpression d*un économiste moderne : • Les capitauSL
sont comme les hommes : unis, ils sont puissants ; divisés, ils sont sans
force. » L'action efficace de ce levier une fois reconnue, le commerce n*a
pas tardé à se l'approprier pour en faire l'àme de ses opérations. Si l'i^
nitiative du mouvement n'appartient pas à la France, du moins c'est elle
qui, la première, s'est empressée de mettre sa législation commerciale en
harmonie avec les exigences probables de cet essor, dont, avec sa pers-
picacité ordinaire, elle avait deviné la portée. Mais les vues de la théorie
ont toujours besoin d'être modifiées dans la pratique, et, faute de ce cor-
rectif, elles paraissent quelquefois insuffisantes ou même dangereuses.
C'est ce qui est arrivé pour le code de commerce. 11 est devenu l'objet de
reproches exagérés et d'attaques passionnées, a On lui a reproché de
méconnaître le véritable esprit d'association, de favoriser les fraudes. De
toutes parts, des réformes étaient sollicitées au nom de l'intérêt général,
qu'on indiquait comme sérieusement menacé, t En réponse à ces plaintes,
M. Bédarride fait observer avec raison que tous les projets enfantés par
la fièvre de la spéculation et de l'agiotage, n'ont pu soutenir un examen
«érieux, et qu'après des discussions approfondies on a jugé qu'en défini-
tive le mieux était de s'en tenir au code de commerce. Mais il admet en
même temps qu'au point de vue pratique, il convient de donner à ce code
une interprétation parfaitement claire et très-détaillée, qui ne laisse pas
de doute sur son aptitude à régler les rapports nouveaux que peuvent
faire naître les grandes opérations commerciales de notre époque. Dans ce
but, son commentaire s'attache à résoudre successivement les nombreuses
questions que soulève chaque article du titre III. Tous les cas qui peuvent
se présenter sont passés en revue et discutés avec soin. Ce livre nous pa-
raît propre à rendre de précieux services. Il est écrit simplement, n'offre
point un appareil trop scientifique, et les difficultés de droit s'y trouvent
exposées de telle sorte que toutes les personnes versées dans les matières
commerciales en saisiront facilement le sens et l'application. M. Bédar-
ride joint au mérite du savoir, comme jurisconsulte, la connaissance réelle
des usages du commerce, et montre une intelligence remarquable des
bienfaits que l'association peut produire.
SCIinCBS MORALES ET POLITIQUES. 14&
De l état actuel du protestantisme en Frange, par J.-J. Clama-
geran. Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-12 : 1 fr. 50.
Le protestantisme est depuis quelque temps en France l'objet d'études
et de publications qui se multiplient de plus en plus. Son histoire a pour
la plupart des lecteurs tout Tintérôt de la nouveauté, car jusqu'à présent
elle n'était guère connue. Grâce aux travaux de Michefet, de Martin, etc.,
elle reprend sa place dans les annales françaises, et d'autres écrivains
non moins distingués s'attachentà répandre également la lumière, soit sur
ses doctrines, soit sur les résultats de son influence. Mais pour compléter
cette œuvre de réhabilitation, il convenait d'y joindre un aperçu aussi
exact que possible de l'état actuel des églises protestantes, de leur organi-
sation, et des progrès qu'elles ont pu faire depuis que la liberté leur a été
rendue. C'est la tâche que s'est donnée M. Clamageran. Il débute donc par
nous apprendre que le nombre des pasteurs, qui n'était que de 200 en
1807, est maintenant de 814; que celui des lieux consacrés au culte est
de 1341, tandis qu'au synode d'Alençon, en 1637, on ne comptait que
à06 églises; puis il nous offre une analyse très-claire, quoique très-suc-
cincte du régime législatif sous lequel ce développement remarquable s'est
accompli et se continue. L'extension du culte protestant rencontre encore
des difficultés assez grandes, qui proviennent en partie de la manière dont
la loi est interprétée ou appliquée, en partie aussi du manque d'unité dans
les efforts des églises. Quant au premier point, M. Clamageran se borne
à le constater en citant plusieurs cas récents dans lesquels les tribunauxse
sont prononcés contre le droit d'ouvrir de nouveaux temples ou des écoles
protestantes. Sur le second, il s'étend davantage et passe en revue les
différentes nuances d'opinions qui se partagent le protestantisme français.
Ainsi qu'il le remarque très-bien, aucune d'elles ne peut prétendre à re-
présenter d'une manière exclusive le principe protestant, dont l'essence
est d'admettre la seule autorité de la Bible, en laissant chacun libre et
responsable dans ses efforts pour en comprendre l'enseignement et pour
le mettre en pratique. Entre les tendances variées qui, de celte manière,
prennent leur essor, il n'y a pas d'autre unité qu'une tolérance large et
féconde, à laquelle toutes ont les mêmes droits, quelque divergentes
qu'elles puissent être. Or, le besoin de cette unité se fait tellement sentir,
que Ton voit orthodoxes et libéraux, après avoir été longtemps divisés en
deux camps ennemis, chercher à se rapprocher et comprendre la nécessité
10
146 SC1BNCB8 MORALES BT P0L1TIQUB8.
de mettre Kn à leurs stériles débats. En effet, pour atteindre son but, la
réforme doit grouper autour de l'Evangile toutes les sectes et même toutes
les opinions individuelles unies par le lien de la cbarité chrétienne. Cette
noble mission est assignée par M. Clamageran au protestantisme, qui
n*est et ne peut pas être un parti politique, mais dont les principes lui pa-
raissent propres à exercer une haute influence sur la marche des choses
humaines, sur les transformations sociales et sur la forme des gouverne-
ments. Il veut, comme Channing, réaliser le progrès humain par l'éléva-
tion graduelle de Tensemble de l'humanité, et croit la religion protestante
destinée à remplir une pareille tâche. < Tâche difficile, dit-il, mais glo-
rieuse au point de vue social : c'est de préparer la transformation future,
c'est d'inculquer dans les esprits la notion de la solidarité humaine, et de
graver dans les coeurs le sentiment de la charité universelle. La science
économique fera le reste; elle indiquera comment le luxe, qui ruine les
uns et déprave les autres, peut être détruit, comment la misère peut être
vaincue, comment l'inégalité peut faire place à la diversité, comment le
bien-être de chacun peut sortir du concours de tous. Auparavant, il faut
régénérer les âmes, non pour les jeter dans les égarements du mysticisme,
mais pour les rendre plus ardentes à la pratique de la vertu. La forme
extérieure, l'organisation officielle, le nom même du protestantisme, tout
cela est sujet à périr. Ce qui restera, c'est l'idéal chrétien dégagé de toute
superstition, c'est la doctrine évangélique réduite à la loi d'amour, ce sont
ces trois choses enfin introduites pour la première fois dans la vie reli-
gieuse : la liberté, la raison et le progrès. Sur ces bases désormais iné-
branlables s'élèvera un jour la religion de l'avenir, religion individuelle
par la personnalité de la croyance, universelle par la simplicité de la foi,
la religion de l'humanité afl'ranchie, et de tous les êtres qui aspirent vers
Dieu. »
Œuvres de Ph. de Marnix de Sa'inte-Aldegonde, précédées d'une
introduction et accompagnées de notes, par Edgar Quinet. Bruxelles,
4857.
Cette curieuse publication, qui témoigne de l'intérêt avec lequel on se
tourne aujourd'hui vers les écrivains de la réformation, formera 6 vo-
lumes in-8». Nous pensons faire une chose agréable à nos lecteurs
en leur donnant l'extrait du prospectus qui vient de paraître.
Philippe de Marnix de Sainte-Mdegonde, né à Bruxelles en 1538, est
1
SCIETÏGES MORALES ET POLITIQUES. 147
non-seulement Tun des plus grands hommes de la Belgique, mais l'un des
plus grands écrivains de la littérature française et de la littérature fla-
mande.
Homme de plume, homme d'épée et homme d'Etat, Marnix consacra
sa vie à rafifranchissemenl de son pays et au triomphe des principes de
tolérance et de liberté. Ami et soutien de Guillaume le Taciturne, il con-
tribua puissamment à la fondation des Provinces-Unies et à l'établisse*
ment de la foi nouvelle chez le peuple batave.
Ses œuvres littéraires, où se reflète toute la révolution politique et re-
ligieuse du seizième siècle, sont devenues extrêmement rares : à peine
quelques exemplaires existent-ils encore. C'est là un véritable monu-
ment qu'il importe de reconstruire et de compléter, à la gloire de la
Belgique, de la Hollande et de l'Europe entière.
« Si l'on pouvait se représenter, dit M. Edgar Quinet, la moquerie
d'un Voltaire plein de foi, on ne serait pas loin de Marnix. Il faudrait y
joindre le pittoresque de Rabelais sur le fond sérieux d'une ébauche de
Pascal ; la manière abondante, le génie plantureux des Flandres, accom-
pagnés des éclats de malédiction qui partent d'une âme éprouvée par
quarante ans de combats en pleine mêlée.
«.... Marnix entreprend de rassembler dans une seule œuvre, pas-
sionnée, savante, railleuse, toutes les armes que cette grande époque a
fourbies contre l'esprit du moyen âge. 11 veut composer un immense
pamphlet sacré qui ne laissera en oubli aucune des plaies de l'humanité
morale au seizième siècle : œuvre de bon sens et de justice, qui sera lue
par les bourgeois et par le peuple dans les courts intervalles de repos, au
milieu des guerres religieuses. H rivalisera d'ironie avec Érasme, de fiel
avec Ulric de Hulten, de sainte colère avec Luther, de jovialité et d'i-
vresse avec Rabelais. >
La publication des œuvres de Marnix commencera : 1® par le Ta-
bleau des différends de la religion , cette œuvre toute française , prodi-
gieuse d'ironie, de verve et de profondeur, suivie de V Exposition de la
Ruche romaine, écrite aussi en français par Marnix, et 2^ le Byenkorf
der roomsche kercke ( la Ruche de l'Eglise romaine ), œuvre toute fla^
mande, écrite dans un style populaire, vif et original.
Ces deux ouvrages formeront : 1° le Tableau, quatre volumes petit
in-8<^ (de grosseurs différentes, afin de suivre l'ordre adopté par l'auteur,
mais ayant en moyenne au moins 400 pages chacun), du prix de
dfr. 50 cent, par volume pour les souscripteurs, payable à la réception
148 8CIV1ICB8 VORALBS ET POLITIQUES.
du volume ; après la publication du 2"*« volume, le prix sera porté à 4 fr.;
— 2» le Byenkorf, deux volumes petit io-8° (en moyenne d'environ 30O
pages chacun ), du prix de 3 fr. par volume pour les souscripteurs ;
après la publication du 1'' volume, le prix sera porté à 3 fr. 50 cent.
Le prix total des 6 volumes pour les souscripteurs sera de 20 fr. et
pour les non-souscripteurs de 23 fr. On pourra souscrire pour les deu^
.ouvrages à la fois ou pour chacun séparément, aux conditions ci-dessus.
Les souscripteurs aux deux ouvrages recevront un exemplaire du
portrait de Marnix.
La publication commencera incessamment. Rien ne sera négligé pour
rendre celte édition digne de figurer dans toutes les bibliothèques.
PÉPÊGHES DES AMBASSADEURS MILANAIS sur les campagnos de Charles le
Téméraire, de \Ali à 1477, publiées en original, avec sommaires et
notes historiques par le baron Fréd. de Qingins-La-Sarra. Genève^
J. Cherbuliez.
Cet ouvrage, qui est sous presse pour paraître dans le courant de cette
année, formera 2 beaux volumes in-8<*, imprimés sur papier collé, avec
beaucoup de soin. Ils seront publiés en 3 livraisons. Prix de chaque li-
vraison pour les souscripteurs, avant la mise en vente, 6 fr.
Les correspondances des ambassadeurs et des envoyés des souverains
près des puissances étrangères sont considérées comme une source fé-
conde de renseignements nouveaux et importants au point de vue d'une
connaissance approfondie et plus exacte de l'histoire. Les monuments di-
plomatiques, qui ne remontent guère au delà du milieu du quinzième
siècle, ont échappé pendant longtemps aux recherches des historiens.
Ils forment le complément indispensable et le meilleur correctif des ré-
cita et des documents nationaux. Pour tous les événements qui se sont
accomplis depuis quatre siècles, nulle histoire n'est définitive tant qu'elle
c'a pas puisé à cette source.
Ce jugement porté par les publicistes et les historiens les plus émi-
nents de notre temps, s'applique tout particulièrement à Thistoire des
dernières guerres que le duc 4e Bourgogne, Charles le Téméraire, sou-
tint contre les Suisses, alliés du roi de France, Louis XL Les récils des
écrivains contemporains portent, pour la plupart, l'enjprfiinte des préjugés
et des passions fomentées par la lutte. Ces récits nationaux demandent, ^
SClfiNCKS Bf ARTS.
i4d
être éclairés et contrôlés par des témoignages moins suspects, tek que
ceux que l'on trouvera abondamment dans les dépêches et les correspon-
dances des divers agents diplomatiques que le duc de Milan entretenait, à
cette époque, auprès des partis belligérants et de leurs adhérents.
Les correspondances milanaises, dont nous annonçons la publicatioiï
prochaine, se composent d'environ trois cents pièces originales, dont là
majeure partie sont des dépêches des ambassadeurs du duc Galeaz-Marie
Sforze, résidant, soit auprès de la personne du duc Charles de Bourgo-
gne, soit à la cour de la duchesse régente de Savoie, propre sœur dii
roi Louis XL On y trouvera, de plus, de nombreuses communication^
d'autres agents milanais envoyés à Venise, à Florence et à Rome, ainsi
qu'à la cour de France , en Angleterre et dans les villes suisses ; sanâ
compter plusieurs lettres autographes des divers souverains contempo-
rains. Ces correspondances, qui toutes se rapportent d'une manière plus
ûu moins directe aux événements de la guerre de Bourgogne, commen-
cenl avec l'année 1474, et finissent à la mort de Charles le Téméraire,
tué devant Nancy en janvier 4477. Rédigées, presque joOr par jour, dané
les camps et sur le théâtre même des événements, par des observateur^
intelligents et haut placés, chargés de tout voir et de rendre de tout un
compte tidèle, elles répandent une nouvelle et vive lumière sur Tun des
plus grands drames historiques de l'époque et sur les intrigues croisées
des cours qui alimentaient le feu de la guerre, sans en courir les dangers^
SClElVCKS KT ARTS*
Traité de la science de Dieu, ou découverte des causes premières,
par P. Roux. Paris, V. Masson, 1857 ; 1 vol. iD-12.
L'auteur de ce livre s'annonce comme ayant fait la découverte la plus
merveilleuse qu'on puisse citer depuis Torigine du monde jusqu'à nos
jours. Quatorze années de recherches l'ont conduit à se persuader que la
solution de tous les grands problèmes théologiques se trouve dans l'élec-
tricité, qui vient de Dieu, tandis que le magnétisme, au contraire, vient
du diable, et n'est qu'un instrument de tromperie dont Satan se sert pour
séduire les âmes. Mais ce n'est pas tout encore. M. Roux prétend possé-
der le secret de la nature et pouvoir se rendre tnaître du fkiide électrique
de manière à produire facilement des effets tels qu'on tf en a jamais ob-
150 SCIBIICBS BT ARTS.
tenu jusqu'ici. « J*ai découvert un agent» dit-il, avec lequel je peux faire;
(de différentes manières) des piles électriques oinnipuissantes, c'est à-dire
d'une puissance qui est soumise à l'art, et qui est sans bornes, et qui dé-
passe, haut la main, tous les besoins à venir que l'homme pourra avoir
sur cette terre. Ces piles s'alimentent d'elles-mêmes et elles peuvent
s'appliquer soit à la mécanique, soit à toutes les nécessités des autres arts
et sciences.
t Cette découverte est si gigantesque, qu'il n'en a pas été fait de pa-
reille depuis le déluge, et elle dépasse celle de Newton d'autant que les
cieux sont élevés au-dessus de la terre. Et je ne peux assez méditer,
comment le grand Dieu des cieux peut s'abaisser à un tel point que de
venir mettre une chose semblable entre les mains d'un misérable et chétif
humain comme moi ! >
Du reste, M. Roux trouve, soit dans la Bible, soit dans une foule d'é-
crivains beaucoup antérieurs à l'ère chrétienne, surtout en Chine, aux
Indes, au Thibet, en Perse, maintes descriptions de tous les caractères de
son agent, ce qui lui confirme la haute importance de sa découverte eo
montrant que c'est bien cet agent sublime dont l'humanité déplore la perle
depuis tant de siècles, et qui doit lui être enfin rendu pour achever plei-
nement l'œuvre de la rédemption. L'électricité pure constitue la grâce
efficace ; l'hydrogène céleste est le créateur universel ; la physique, l'hy-
giène et la morale se confondent ensemble pour former un tout qui s'ap-
pelle la vertu ou la sainteté. Voilà du moins ce que nous avons cru com-
prendre dans le Traité de la science de Dieu, qui, traitant de toutes
choses, exige, pour le bien juger, des connaissances non moins variées
qu'approfondies, et dont nous nous bornerons, dans le sentiment de notre
impuissance, à citer ici quelques-unes des têtes de chapitres ou plutôt
d'articles, d'après lesquelles nos lecteurs pourront se faire une idée du
plan et de la méthode de M. Roux.
t Le règne de Dieu est descendu sur la terre. La découverte de l'agent
sublime perdu depuis quatre mille ans.
« Don du S. E. et purgation.
« Recette pour faire un homme.
c Chemins de fer, prophétie d'isaïe.
« Vertu, vice, passion. Observations sur les six agents du ciel et de
l'enfer.
« Acide carbonique ou esprit des excrétions, ou agents du diable.
c Grand mystère des songes pénibles, hideux et terribles.
SCIENCES ET ARTS. 15 il
« Sources des manx. Orphée et Orgie. Véhicule et Python, ou alcool
pur et impur. Rhée ou la toison d'or. Janus. Culte de la femme.
« Langue primitive.
« Pile, foudre, électricité, magnétisme.
«Affinité, attraction.
« Injections et excrétions.
« Les excrétions ont fait fuir le paradis. Chiffonniers. Puits perdus.
« Division des éjections terrestres et des êtres en injections et excré-
tions.
c La divisibilité infinie de la matière est la source de l'amour pur, ou
du plaisir, ou de l'élévation et de la perfectibilité.
c Eponge de Tunivers.
« Un commerce bien géré. Tyr moderne ou Albion. L'industrie et la
théologie.
c Ma philosophie.
« La clef de la science enlevée aux théologiens, et donnée aux chimistes-
mécaniciens.
c Paris ou la Jérusalem moderne.
« La politique de Dieu et du diable.
« Le magnétisme est le gouffre qui absorbe la société.
c Le cuisinier des cuisiniers est la vraie science du diable.
< Grand mystère de la nutrition et de Talambic universel et de la santé
parfaite.
c La médecine des médecins ; la médecine purgative.
« Médecine, vertu, esprit et hygiène pure ne sont qu'un.
c Courant de magnétisme et courant d'agent sublime, ou courant de
l'esprit du diable et courant de l'esprit de Dieu.
c Histoire d'un ange déchu et histoire abrégée de la création univer-
selle. Les comètes. Adam et Eve. Vulcain. Les patriarches. Azaïs et
Fourcault.
€ Dualisme. Sec et humide.
« Principes de la pile et de l* électricité pure et nouvelle,
t II n'y a point de vide. L'électricité ne se propage que par l'intermé-
diaire de la matière.
< Contagion universelle. Effets physiologiques de l'électricité dyna-
mique.
c Mort des impies ou impurs et des coquins. Mort des purs ou justes.
Fatalités. Suicides. Dissolution du corps.
159 SaSHCBS ET ARfi.
• La pile électrique omnipuiêeante et intari$$ahU.
« Solution du problème des libertés célestes.
• Piles terrestres et piles célestes. La raison ou vérité vient d'en haut
ou du nord. Innpureté du midi.
c Piles des tours de silices,
c Mystère des fers à cheval ou électro-aimants dévoilé.
« Isolement et pureté appliqués à la pile.
« Dieu vient épouser la terre.
« Locomotives aériennes.
« Mouvement perpétuel.
« La foi et les œuvres,
u Cause de l'attraction de la chair,
f Grand Lama.
« Trois univers,
c Le diable ou satan.
c L'Angleterre. L*esclavag&. La lib^té.
« Dix-sept cent nouante.
« Kempis.
« Grand centre d'infection,
c Le règne de Dieu, c'est le règne des bagnes.
« 11 n'y a qu'une âme ou véhicule, ou être spirituel, chez l'homme ou
chez les bétes.
c Emanation, ou sueur ou véhicule Python.
« Grand Lama, faux Melchisédech, grande hôte, etc., etc., etc.»
Essais scientifiques, par Victor Meunier. Paris, rue des Noyers, 74.
Tome 1«, 1857; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25.
Nous sommes dans le siècle des utopies sociales. Jamais on ne vit nattre
tant de projets pour assurer à tous la jouissance du bien-être que promet
l'essor du mouvement industriel, si remarquable aujourd'hui. Il est cer-
tain que jusqu'à présent ses résultats ont profité surtout au petit nombre,
tandis que la condition des masses est restée à peu près la même. Les
travailleurs, semblables aux abeilles, n'obtiennent en général du miel de
la ruche que tout juste ce qu'il leur faut pour vivre, et l'inégalité du
partage devient plus flagrante à mesure que s'accroît la richesse des pro-
duits. On ne peut le nier ; c'est un fait que l'emploi des machines a
SCIBNCBjl BS AaVS. 153
en évidence. Aussi ne sommes-noas pas étonna que des cœurs généreux
cherchent les moyens de remédier à ce qui leur paraît une injustice. Au
point de vue du sentiment leurs efforts peuvent ôtre louables, mais ie
sentiment ne s'accorde pas toujours avec la raison et quelquefois enfante
des erreurs fort dangereuses. C'est à lui qu'on doit les rêves du socia-
lisme avec leur mirage trompeur par lequel se laisse si facilement séduire
la foule. Trop souvent la philanthrope humanitaire débute en apportaoi
le trouble et la ruine dans les existences individuelles. C'est tout simple»
quand on embrasse le monde entier, les détails n*ont plus aucune valeur*
L'enthousiasfle qu'inspire la perspective du bonheur universel produit
une certaine indifférence pour les moyens d'exécution. De là viennent
ces étranges projets qui, sans le moindre scrupule, bouleversent la société
de fond en comble. M. Victor Meunier, hâtons-nous de le dire, ne pro-
cède pas d'une manière aussi brutale. Il est socialiste, mais non révolu*?
tionnaire. Suivaat lui, la réforme est en train de s'accomplir, il ne s'agit
plus que de favoriser sa marche par des mesures toutes pacifiques. Ga
sont les progrès de la science qui réalisent à ses yeux la véritable éman-
cipation sociale , qui font Thomme prêtre et roi de ce monde. L'esprit
hunaain, grâce à cette initiation nouvelle, participe en quelque sorte au
pouvoir créateur, et nul obstacle ne peut plus entraver sa marche*
« Pendant que les revenants des plus sombres époques nous taillent (en
pensée) des vêlements dans leurs suaires, qu'ils nous préparent des loge-
ments dans leurs sépulcres, et que de la poussière du passé ils essaient
de former une digue contre la vie et le progrès ; pendant qu'ils rêvent de
transformer la France en un musée d'un genre nouveau , où les choses
passées, au lieu de figurer elles-mêmes, seraient représentées par les
vivants dressés au rôle de morts ; nouvelle venue et déjà sans rivale, ni
royaliste, ni bigote, au contraire ; ennemie des oiseaux de proie et des
oiseaux de nuit, voulant donner à tous les hommes la paix et le bien-être,
et les établir dans la dignité de leur nature, la science va devant elle
«omme s'il n'y avait dans le monde ni adversaires du droit commun, ni
obscurantistes, ni apologistes gagés de la misère ; sans plus s'inquiéter
des apostats et des traîtres, que le voyageur ne se soucie des êtres in-
fimes qui barbottent inaperjus dans la fange' sous la semelle de ses
pieds. •
On voit par cette tirade que l'auteur a le souffle long et la verve exu-
bérante. Mais du moins son socialisme ne prétend pas détruire les supé^
riorités intellectuelles. Au contraire, il aspire à les multiplier en nombre
154 SCIBNCB8 ET ARTS.
infini. Si l'œuvre ne paraît pas plus facile, on doit reconnaître que les
efforts dirigés vers un tel but ne sauraient avoir des résultats bien fâcheux.
M. Meunier fait appel au zèle des particuliers et ne veut qu'une libre pro-
pagande pour étendre de plus en plus l'empire de la science jusqu'à ce
que tout le monde y soit soumis. Alors elle deviendra naturellement I au-
torité suprême, elle remplacera la religion, le gouvernement, les lois, et
ses prodiges continuels lui assureront une puissance plus respectée que
ne le fut jamais celle d'aucun souverain. L'auteur n'entre pas encore dans
les détails ; il se contente de donner un aperçu de l'idée fondamentale sur
laquelle doit reposer l'avenir social. Son système reste une énigme à de--
viner ; mais en attendant il nous promet merveille : la liberté univer-
selle, l'abondance universelle, l'instruction universelle. C'est magnifique,
et vraiment pas cher, car les élucubrations de M. Victor Meunier for-
meront 12 volumes, dont le prix pour les souscripteurs est 12 francs.
Pour cette modique somme on aura l'Apostolat scientifique ; la Recon-
struction matérielle de la société ; le Tableau synthétique des sciences ;
l'Anarchie scientifique ; une Vue synoptique sur le ciel, la terre, les
animaux et l'homme; l'Exposition des découvertes modernes; des Bio-
graphies, des articles de critique, etc. Nous croyons, du reste, que ce
socialisme d'un nouveau genre ne compromettra pas la paix de l'Europe.
Scènes de la nature dans les États-Unis et le nord de l'Amérique, ou-
vrage traduit d'Audubon , par Eugène Bazin, avec préface et notes
du traducteur. Tome !•'. Paris, P. Bertrand, 1857 ; 1 vol. in-S® :
7 fr. 50.
Le naturaliste américain Audubon s'est rendu célèbre par son grand
ouvrage sur les oiseaux, que Cuvier appelait le plus beau monument que
la science eût encore élevé à la nature. Cette publication forme cinq gros
volumes, « ornés de quatre cents planches où les figures, de dimensions
naturelles et d'un coloris achevé, sont représentées chacune dans l'atti-
tude propre à ses mœurs, et même avec Tencadrement harmonique du
ciel, de la terre et des eaux, t Observateur passionné, qui ne reculait,
pour satisfaire son désir de connaître, ni devant les fatigues, ni devant les
périls, Audubon décrit avec amour les scènes dont il fut le témoin durant
ses excursions au milieu des vastes solitudes alors plus communes qu'au-
jourd'hui dans sa patrie. Le goût de l'histoire naturelle s'était développé
SGIBNCB8 ET ARTS.
155
chez lui de très-bonne heure et 1 âge n*âvait fait que l'accroître. Muni de
son fusil et de ses crayons, accompagné de son chien, il partait à Tau-
rore pour aller en quelque sorte prendre la nature sur le fait. Souvent
sa journée se passait à suivre un oiseau dans le but d'étudier ses habi«*
tudes, la chasse n'étant qu'un accessoire auquel il recourait seulement
afin de se procurer des modèles qu'il pût copier à son aise. Vivant sans
cesse au sein des forêts, tous leurs habitants lui devenaient familiers.
Aussi son livre joint-il à ses autres mérites celui d'une exactitude par-
faite. Ce sont des tableaux variés, pleins de fraîcheur et de poésie, em-
preints du sentiment religieux le plus élevé, qui satisfont le cœur autant
que l'esprit et donnent à la science un charme irrésistible. Comme ils ne
se trouvent point rangés par ordre systématique, M. Bazin, ne pouvant
les traduire tous, en a détaché ceux qui lui ont paru le plus propre à
faire apprécier dignement le génie de l'auteur. Âudubon connaissait trop
bien la nature pour attacher beaucoup d'importance aux classifications.
Peintre tidèle, il préférait rendre 1 harmonieuse diversité de ses œuvres
telle qu*elle s'olTrait à ses regards ravis. L'enthousiasme qui l'anime est
d'ailleurs contagieux ; on partage ses joies et ses admirations d'autant
plus volontiers qu'elles ont toujours quelque chose de naïf, de vrai, qui
inspire une entière confiance. Le choix fait par M. Bazin nous semble
très-judicieux. On y trouve, à côté de descriptions scientifiques fort in-
téressantes, des scènes de mœurs qui ne le sont pas moins et qui nous
transportent dans les parties encore à demi sauvages du territoire de
l'Union. Les habitants de l'air y tiennent la place principale. Âudubon
avait pour eux une préférence marquée. 11 pouvait consacrer des heures
à contempler leurs ébats, leurs travaux, leurs querelles et leurs caresses.
Le chant des oiseaux était une musique dont il ne se lassait point. Les
accents propres à chaque espèce lui étaient familiers. On en trouvera
d'abondantes preuves dans ses notices, où rien n'est omis de ce qui peut
servir à faire bien connaître les animaux auxquels elles sont consacrées.
Audubon se montre fort habile à voir et non moins habile à décrire. 11
s'identifie avec les objets de ses études. Ce n'est pas l'éloquence pom-
peuse de ButTon, mais c'est un style toujours coloré, plein de chaleur et
de vie. Parmi les morceaux les plus remarquables, nous signalerons le
Dindon sauvage, l'Aigle à tête blanche, l'Oiseau mouche à gorge de rubis,
le Moqueur, etc., qui renferment une foule de détails curieux qu'on
ignorait avant lui. On trouvera beaucoup d'attrait également dans les
épisodes empruntés à l'existence des bûcherons, des pionniers et des
I5é SCnSKClSS BT ARt0.
chasseurs. L*incendie des forêts, la pêcbe de la torlue, la chasse à l'élan
îui fournissent aussi d'agréables digressions qui font de son livre une lec-
ture aussi variée qu'instructive. Nous espérons que le succès de ce vo-
lume engagera M. Bazin à nous donner promptement ta suite.
DÉVELOPPEMENT DE LA SÉRIE NATURELLE avec schéfflatisoies daus le
texte, par le D' Henri Favre. Bruxelles, 1856 ; 2 vol. in-12 : 8 fr.
Au milieu des phénomènes multiples et si divers qui l'entourent,
l'homme aspire sans cesse à Tunitë. Les lois de la nature doivent évidem-
ment avoir un point de départ commun ; spiritualisteset matérialistes sont
d'accord pour l'admettre. Mais quel est-il, où se trouve- t-il? Là commen-
cent les hypothèses qui, jusqu'à présent, n'ont guère avancé la solution du
problème. Au contraire, à mesure que la science fait de nouveaux progrès,
le but semble s'éloigner davantage, et plus s'aggrandit le champ de l'oh*
servation plus il devient difficile d'en coordonner les résultatsd'une manière
satisfaisante. L'énigme n'a pas encore trouvé son spbynx et ne le trouvera
probablement jamais, parce que nos facultés sont trop limitées pour sonder
les profondeurs de l'infini. La théorie exposée par M. H. Favre n'est pas
nouvelle. Geoffroy Saint-Hilaire s'en était fait le champion et l'avait op-
posée aux vues plus positives de Cuvier. Mais elle a de l'attrait pour les
esprits systématiques. Cette série de développements successifs qui for-
ment une chaîne non interrompue entre tous les êtres, à quelque règne
qu'ils appartiennent, qui les rattachent même aux corps inorganiques et
comblent ainsi toutes les lacunes, présente assurément un magnifique spec-
tacle. On ne peut le nier, l'idée est belle et porte le cachet de grandeur
et de simplicité qui convient aux oeuvres du Créateur. Seulement elle
s'appuie sur des hyfiothèses plutôt encore que sur des observations, en
sorte qu'elle n'offre point les éléments nécessaires à la rigueur d'une dé-
monstration scientifique. C'est pourtant sous cette forme que M. H. Favre
h conçoit et l'expose. 11 prétend même la rendre accessible à tous par
des figures de géométrie, des circonférences, des cônes, des paraboles,
des triangles, auxquels il donne le nom de schématismes. La tentative ne
nous paraît pas très-heureuse. Ce langage hérissé de ternies plus ou
moins barbares nuit à la clarté des explications sans autre avantage que
de nécessiter une élude pénible pour suivre la marche du raisonnement.
Un exemple pris au hasard suffira pour justifier noire critique « La ConfH'
jîon de la tensation et de l'indvetfon, dans un même organisme ner-
veux, amène immédiatement une réaction à une sensation perçue, ce qui
est, à proprement parler, VinêtincL
fl II ne fallait donc pas en faire tant de bruit, de ce mot imtinet^
dont je conserve l'usage pour montrer clairement combien on était loin
de compte, en s'en tenant à lui pour tout expliquer. Il grandira avec le
reste, cet instinct, mais son fonctionnement, bien que toujours d'un em-
ploi très -fréquent, sera le degré le plus inférieur de la fonctionnalité ner-
veuse partout où il se montrera. >
Ne serait-on pas tenté de dire, comme Sganarelle, • et voilà pourquoi
votre fille est muette. » Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que l'auteur qui
parle de cette façon s'imagine être populaire. Il déclare que le symbolisme
a fait son temps, qu'il ne faut plus aujourd'hui sortir du réel, et iessché-
noatismesdont il orne son texte sont des hiéroglyphes beaucoup plus com-
pliqués que ceux des obélisques égyptiens. Evidemment la manie du sys-
tème le possède un peu trop. Son plan sériaire est si bien conçu a priori
dans sa tête que, si quelque chaînon lui manque, vite il y supplée par une
phrase entortillée comme celle que nous venons de citer. C'est donomage,
car son livre renferme des choses intéressantes» et s'il était écrit d*un
autre style, nous croyons qu'il aurait de nombreux lecteurs.
Lettres sur l'agriculture, par Victor de Tracy. Paris 1857 ; 1 vol.
in-12 : 2 fr. 50.
La cause de l'agriculture a trouvé dans M. de Tracy un avocat spirituel,
habile et profondément convaincu. Il possède de plus l'avantage de pou-r
voir citer à l'appui de ses arguments une expérience très-concluante. Le
domaine de Coligny , qu'il exploite depuis dix années , rapportait à
son ancien propriétaire, en 1847, la modique somme de 950 francs;
aujourd'hui, grâce à des soins intelligents, à des améliorations sagement
calculées, le produit net s'élève à 16,000 fr. On ne peut nier l'éloquence
d'un pareil résultat pour combattre les préjugés qui s'opposent encore au
progrès de l'agriculture française. Maintenant, en effet, ce senties gros
bénéfices des entreprises industrielles quj détournent les capitaux de l'ex-
ploitation agricole et font prendre en pitié, par beaucoup de gens, les pro-
priétaires assez fous à leurs yeux pour aller enfouir leur argent dans la terre.
L'agriculture est dédaignée comme n'offrant aucune chance de fortune ;
il arrive bien rarement que des hommes instruits se livrent à son étude, et
158 SCIBHCB8 ET ARTS.
parmi les paysans eux-mêmes quiconque le peut aspire à donner à ses
fils d'autres professions. C'est contre cette tendance que les lettres de
M. de Tracy sont dirigées. Il s'attache à montrer combien elle est fausse
dans son principe et désastreuse dans ses résultats. La France, contrée
essentiellement agricole, reste en arrière de pays beaucoup moins favo-
risés qu'elle à cet égard. On y profite fort peu des améliorations intro-
duites ailleurs depuis longtemps, et malgré les précieuses découvertes de
la science, la routine domine encore chez le plus grand nombre des
agriculteurs. Cela provient surtout de ce que les propriétaires n'exploi-
tent pas eux-mêmes leurs domaines ; ils préfèrent les abandonner à des
métayers ou des fermiers qui ne sont point en position de faire les dé-
penses propres à rendre la culture plus productive. L'exemple de M. de
Tracy prouve cependant qu'ils y trouveraient un avantage certain. Mais
l'opinion publique, fourvoyée par d'étranges préjugés, méprise les tra-
vaux de la campagne. Elle ne comprend ni leur importance, ni l'attrait
qu'ils peuvent offrir, et celui qui s'y consacre verra bien rarement ses ef-
forts exciter rintérêt ou la sympathie dont les entreprises industrielles sont
l'objet. M. de Tracy parle, sans amertume, des déceptions de ce genre
qu'il a lui-même éprouvées. On le prenait en pitié, ses succès étaient ac-
cueillis par un sourire incrédule, son goût pour la vie champêtre taxé
de manie bizarre. Aussi plus d'une fois des doutes s'élevèrent dans son
esprit sur l'utilité d'une discussion à laquelle ses adversaires paraissaient
ne rien comprendre, c Quand je vois, dit-il , quel changement devrait
s'opérer dans la nature et la direction générale des idées de notre temps
avant que les miennes sur le sujet particulier dont je m'occupe pussent
être considérées comme pratiques et d'un intérêt aussi actuel qu'impor-
tant, je me sens fort découragé, et parfois je suis tenté de renoncer à une
lutte trop inégale et stérile (tans ses résultats. Je ferais volontiers comme
cette pauvre servante qui, s'étant levée de grand matin, suivant sa cou-
tume,- se mit à énumérer tout ce qu'elle aurait h faire pendant la jour-
née, et reconnaissant qu'il lui était impossible d'y suffire, prit le partrde
se recoucher et se rendormit. » *
Mais chez lui la conviction est trop forte pour reculer devant tes ob-
stacles. En dépit des incrédules, il persiste à croire que la France pos-
sède les éléments d'une pros^)érilé tout autre que celle jusqu'ici réalisée,
et que l'agriculture peut devenir pour le bien-être général beaucoup
plus féconde que ne le seront jamais les réformes politiques ou sociales.
Celte thèse nous semble, en etfet, très-sou lenable. Il est évident qu'aug-
8ClBnCB0 BT ÀBTS. 159
monter las produits du sol, c'est accroître la richesse, répandre l'aisance^
et multiplier le nombre de ceux qui sont intéressés au maintien de
l'ordre et de la sécurité dans le pays. Les progrès de l'agriculture con*
tribuent au développement moral aussi bien que matériel, avantage que
ne présente pas toujours l'industrie. Ils relèvent la classe des paysans,
l'arrachent au joug de l'ignorance et de la superstition, lui assurent un pa-
tronage éclairé, bienveillant et non moins salutaire pour ceux qui l'exer-
cent que pour ceux qui le reçoivent. Ce sont là des bienfaits que M. de
Tracy regarde comme très-importants pour la France, et nous croyons
qu'il n*a pas tort. L'Angleterre, tout en favorisant l'essor industriel s'est
bien gardée de les négliger, et l'on peut dire qu'elle leur doit en grande
partie la stabilité de ses institutions. Cet enseignement ne doit pas être
perdu. Maintenant surtout que les vieilles préventions tendent à s'effacer,
il faut que l'amour^propre national devienne un stimulant de noble ému-
lation, et que chaque peuple sache mettre à profit les expériences de &es
voisins.
Le chevalier Sarti, par P. Scudo. Paris, 1857 ; 1 v. in-12: 3 fr. 50.
M. Scudo tient aujourd'hui le sceptre delà critique musicale. En cette
matière il est passé maître, et nul ne sait mieux que lui la mettre à la
portée de tous par le charme d*un style clair, élégant, original, qui cap-
tive l'attention même des plus ignorants en fait de musique. Mais dans
l'ouvrage que nous annonçons, il nous semble s'être un peu fourvoyé.
Les dissertations techniques, l'enthousiasme exalté, le diapason de l'ar-
tiste, sont des choses qu'on ne supporte guère durant tout un gros vo-
lume de 550 pages. Au bout des trois ou quatre premiers chapitres,
cela devient fatigant et monotone. Si tout concert doit avoir un terme
sous peine de lasser les dilettanti les plus intrépides, comment espérer
que des simples lecteurs subiront, sans perdre patience, de longues des-
criptions musicales qui, pour la plupart d'entre eux, sont presque inin-
telligibles. Il est vrai qu'elles sont rattachées aux incidents d'un récit. Mais
elles occupent la place principale, et ce récit lui-même n'offre pas assez
d'intérêt. Le tort de M. Scudo est d'avoir pris seulement un épisode de
la vie du chevalier Sarti, auquel son imagination donne un cachet tout à
fait romanesque. On s'aperçoit très-bien que les détails sont plus ou
moins fictifs, et comme l'auteur a voulu cependant respecter la donnée
166 0G1B1ICB8 KT AftTS.
réelle qui lui sert de base, le roman reste incomplet. Nous aurions beau*
eoup préféra la biographie du chevalier Sarti, l'histoire vraie de ses dé-
buts dans la carrière, de son éducation, de ses travaux ei de ses succès.
La critique musicale s'y serait alors trouvée- mieux ï sa place, et l'en-
semble eût été plus intéressant. M. Scudo laisse bien entendre qu'il se
propose d'y revenir pour achever l'œuvre dont ce volume ne forme que
la première partie. Mais s'il continue de la même manière, nous croyons
que le nombre des amateurs qui le suivront jusqu'au bout sera bien
petit, et ce n'est pas précisément là le moyen de faire apprécier le talent
du grand musicien pour lequel il professe une si vive admiration.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX
lilTTKRATVRi:.
Seul ! par M. B. Saintine. Paris, 1857 ; 1 vol. iD-12 : 3 fr. 50.
M. Saintioe essaie de refaire Robioson Crusoé. L*entreprise est péril-
leuse. Jusqu'ici les nombreux imitateurs de ce chef-d'œuvre sont restés
bien au-dessous de l'original; mais du moins ils n'avaient pas la préten-
tion de Téclipser. M. Saintine, plus ambitieux, aspire à le détrôner, en
rétablissant l'histoire exacte du matelot Selkirk, dont les aventures ser-
virent de modèle au romancier anglais. Dans ce but il a rassemblé, non
sans peine, les rares données que pouvaient lui fournir les documents de
l'époque , puis il s'en est assez habilement servi pour construire une re-
lation suivie qui ne manque ni de vraisemblance, ni d'intérêt. Selkirk,
victime de la jalousie d'un capitaine dont il a dérangé les projets ma-
trimoniaux, est abandonné dans une île déserte, où la solitude exerce sur
lui la plus déplorable influence. Au bout de quelques années ses facultés
intellectuelles se perdent , il oublie sa langue maternelle, il est presque
réduit à létat de brute lorsqu'un bâtiment anglais vient le délivrer. Si le
fond de Thisloire peut être vrai, tous les détails sont iirventés par l'au-
teur, qui donne libre essor à son imagination et ne dédaigne pas les res-
sources de l'effet dramatique. En général, les scènes qu'il décrit portent
plus ou moins le cachet romanesque. 11 fait passer son héros par une
suite de péripéties qui ne figureraient pas mal dans un roman maritime
d'Eugène Sue ou du capitaine Marryat. Cependant, M. Saintine se croit
beaucoup plus près de la réalité que l'écrivain anglais. A ses yeux, Ro-
binson Crusoé n'est qu'une belle thèse philosophique ; il n'admet pas le
développement moral et religieux que la solitude produit en lui ; dans la
lotte entre la nature et Thomme civilisé, c'est celui-ci qui doit nécessaire-
ment succomber. D'ailleurs, De Foe n'a pas placé son héros dans un isole-
ment complet ; il lui suppose des ennemis à combattre, des dangers et des
travaux qui le tiennent sans cesse en haleine, tandis que Selkirk est tout à
11
162 LITTÉRATURE.
fait seul au milieu d'une contrée féconde où la solitude constitue son uni-
que souffrance. La remarque est juste, sans doute, mais comme il s'agit
ici de deux romans, nous dirons que la donnée de De Foe semble très-
supérieure à celle de M. Saintine. Elle met en relief la force intelligente,
l'énergie morale, elle montre comment la religion soutient, console,
élève l'âme et fournit un aliment aux plus nobles facultés de Thomme.
Le matelot de M. Saintine, au contraire, nous présente un exemple de la
décadence humaine : • Dans la solitude, Robioson gcandit et se perfec-
tionne,» comme dit l'auteur; « Selkirk, d'abord tout aussi plein de res-
sources que lui, finit par s'y abattre et s'y abrutir. »
c Lequel des deux est le plus près de la vérité?» ajoute-t-il, et sans hé-
siter il s'adjuge la victoire. Nous ne sommes pas du même avis. L'un
et l'autre nous paraissent également possibles selon les dispositions du
cœur et les tendances imprimées par l'éducation. Mais nous préférons
beaucoup Robinson Crusoé, quoique M. Saintine lui reproche d'exalter
l'amour de Tindépendance absolue, tandis qu'il voit dans l'abrutissement
de Selkirk la glorification de la société tout entière. Notre manière de
voir diffère encore de la sienne à cet égard, et nous estimons que la so-
ciété doit se glorifier bien plus de la conduite de Robinson sachant tirer
le lùeilleur parti des principes et des notions qu'elle lui a inculqués» que
de celle du matelot Selkirk, incapable de supporter quelques années d*é^
preuves.
Lettres de Silvio Pelligo, recueillies et mises en ordre par G. Ste-
fani, traduites et précédées d'une introduction par Â. de Latour. Paris,
1857; i vol. in-8, orné d'un portrait : 8 fr.
Silvio Pellico doit une bonne part de sa renommée au livre dans lequel
il a raconté ses années de prison. Lorsque cet écrit parut, la sensation
fut grande. Les souffrances d'un cœur d'élite, sa résignation pieuse, ses
sentiments nobles et généreux produisirent d'autant plus d'effet que les
esprits étaient, en général, fortement prévenus déjà contre la dureté des
peities infligées aux révolutionnaires italiens* Le récit du martyr méritait
bien un tel accueil. Il ne ressemble point aux déclamations qui rem*-
plissent la plupart des mémoires de ce genre. La simplicité de la forme
et la modération du langage en font une œuvre à part, digne d'être ran-
gée au nombre des meilleures productions de notre siècle. Silvio PelUoo
LITTERATURE. 163
S y peint avec une franchise naïve, et c'est faire son plus bel éloge que de
rappeler la sympathie qu'il éveilla chez presque tous ses lecteurs. Les
Lettres dont M. de Latour publie la traduction peuvent être regardées
comooe formant la suite de Mes Prisons; elles complètent Tautobiogra-
phie de cet homme excellent « qui a porté jusqu'à l'héroïsme la patience,
la bonté, la douceur, la bienveillance, la charité, l'amour du prochain,
le pardon des injures, eu un mot toutes les vertus évangéliques. » La
santé de Pellico, ébranlée par sa longue captivité, ne put jamais se
rétablir. 11 passa ses vingt-quatre dernières années dans un état de
langueur dont les progrès étaient lents mais continus. Le travail lui
devenait de plus en plus difficile , il se sentait atteint dans les sources
mêmes de la vie, et sans aucun espoir de guérison. Mais pour le chré-
tien soumis à la volonté de Dieu, l'épreuve est un bienfait ; son âme,
qui se tourne vers le ciel, voit sans regret rompre l'un après l'autre les
liens qui l'attachent à la terre. Chez Pellico, la religion brille d'un éclat
pur et doux. Ses principaux caractères sont la foi humble, le zèle chari-
table et le pardon des offenses. Elle contraste singulièrement avec les pas-
sions de l'esprit de parti. Aussi l'auteur de Mes Prisons s'attira-t-il de
la pari de ses anciens amis politiques des reproches de faiblesse et
même de trahison. Peut-être, en efifet, se fourvoya-t-il en prenant la dé-
fense des jésuites contre les attaques de Gioberti. Son penchant à Tindul-
gence et son amour de la paix l'entraînaient trop loin, mais rien n'est
plus injuste que de soupçonner ses intentions, toujours honnêtes et
droites. Le fait est qu'il n'était pas naturellement doué d'énergie, une
piété sincère fut l'unique source de la force qu'il déploya dans le mal-
heur, et l'on comprend qu'au sortir de la crise qu'il venait de traverser
il cherchait avant tout le repos. Son talent présente , du reste, la même
absence de vigueur. Après avoir publié dans sa jeunesse une tragédie re-
marquable, il ne s'éleva point à la hauteur que semblait promettre ce
début. «Silvio, dit M. de Latour, avait surtout les qualités du style ;
mais ce rare mérite ne servait guère chez lui qu'à dissimuler la mollesse
de la composition et l'effacement des caractères, d Sa correspondance a
beaucoup de charme ; elle est empreinte d'une parfaite bienveillance et
renferme des détails fort intéressants. Les idées religieuses de Pellico ne
plairont sans doute pas à tous les lecteurs, mais quelle que soit Topinion
qu'on ait à cet égard, il est impossible de ne pas être captivé par les
confidences intimes d'une âme si belle et si dévouée.
164 LITTÉRATURB
Les enfants de J.-J. Rousseau, par Claude Genoux. Paris, Serrière,
1857; i vol. in-12: 1 fr.
L'auteur de ce roman est allé chercher ses héros à l'hospice des en-
fants trouvés. H suppose que Thérèse, moins inhumaine que Jean-Jac-
ques, s'était réservé les moyens de reconnaître ses enfants, suppo-
sition qui ne s'accorde guère avec ce que l'on sait de la vie de cette
femme. M. Claude Genoux paraît du reste s'inquiéter peu de la vrai-
semblance. 11 a voulu montrer les suites de la faute commise par Rous-
seau, et, pour atteindre ce but, met en scène une société triviale,
grossière même, qui n'est pas fort attrayante. Les enfants du phi-
losophe appartiennent aux rangs les plus infîmes de la classe ou-
vrière, ils en ont la rudesse de mœurs et de langage. Le nom de leur
père n'éveille pas en eux le moindre désir de se distinguer. Un seul
fait paraître quelques qualités estimables, mais au lieu de chercher à re-
lever l'honneur de la famille, il renie son origine et se donne pour le fils
de Diderot. Sauf cette bizarre fantaisie, le roman n'offre que des détails
vulgaires et dénués dMnlérêt. L'idée de l'auteur était ingénieuse, mal-
heureusement il n*a pas réussi dans rexéculion. En faisant des enfants
de Rousseau de simples ouvriers, sans aucune étincelle du génie de leur
père, il s'est privé des ressources que lui aurait fourni le contraste entre
leur condition sociale et leurs sentiments ou leurs facultés intellectuelles.
Tels qu'il les peint, ils ne sont pas bien malheureux , et d ailleurs la
biographie de M. Claude Genoux, qui se trouve en tête du volume, prouve
que dans toutes les positions sociales le talent peut se faire sa place. La
faute de Jean-Jacques fut grande, parce qu'il portait atteinte au lien le
plus sacré que reconnaissent les lois divines et humaines, et se dispensait
des premiers devoirs qu'elles imposent ; mais il est fort possible que ses
enfants n'aient pas eu beaucoup à regretter de n'être pas élevés par lui.
Dante âlighieri, ou le problème de l'humanité au moyen âge, lettres à
M. de Lamartine, par Castiglia. Paris, Dentu, 1857^ in-8®.
Dans un article publié par le Si>xleen décembre 1856, M. de Lamar-
tine traite le Dante avec le plus profond dédain. Il l'accuse d'être un
gazetier qui s'adresse aux passions intimes de la multitude, d'avoir chanté
pour la place publique, et fait une satire vengeresse contre les hommes et
LITTÉRATLRE. 165
les partis auxquels il avait voué sa haine. La Divine Comédie n'est, sui-
vant lui, qu'un recueil d*énigmes inintelligibles où se rencontrent à peine
quelques fragments de style dignes d'être admirés. « Quant à nous, dit-
il, nous n'avons trouvé, comme Voltaire, dans le Dante, qu'un grand in-
venteur de style , un grand créateur de langue égaré dans une concept
tion de ténèbres, un immense fragment de poëte dans un petit nombre de
fragments de vers gravés, plutôt qu'écrits, .avec le ciseau de ce Michel-
Ange de la poésie ; une trivialité grossière qui descend jusqu'au cynisme
du mot et jusqu'à la crapule de l'image ; une quintessence de théolo-
gie scolastique qui s'élève jusqu'à la vaporisation de l'idée ; enfin, pour
tout dire d^uir mot, un grand homme et un mauvais livre. » Cette bou-
tade est fort étrange de la part d'un poëte qui ne brille pas toujours par
la clarté de la pensée, dont Téclat du style constitue souvent le principal
mérite, et qui, dans sa Chute d'un ange, par exemple, n'a point reculé
devant ce qu'il appelle le cynisme du mot et la crapule de l'image. Pour-
quoi donc M. de Lamartine se montre- t-il si sévère à Tégard du Dante,
auquel cependant on doit en toute justice tenir compte de l'époque où il a
vécu, et des difficultés que présentait alors l'imperfection de ta langue ita-
lienne? Serait-ce jalousie de métier, impatience causée par cette gloire
importune, ou bien désir de fronder l'opinion reçue, de faire de l'effet en
avançant une grosse hérésie littéraire. Nous ne ferons pas à H. de La-
martine l'injure de le ranger parmi les gens auxquels la renommée des
anciens porte ombrage, et qui vous demandent du ton le plus sérieux si
l'on ne se lassera pas bientôt de parler du divin Homère , ainsi que de
toutes ces vieilleries renouvelées des Grecs. Il est trop au-dessus d'une
pareille supposition, mais peut-être bien le jugera-t-on capable de se
laisser séduire par le faux éclat du paradoxe et d'imiter M. Chateau-
briand qui, pour paraître original, et voulant à tout prix dire quelque
chose de neuf, prétendait ne voir sur les Alpes que des pâtres qui s'en*
nuient, et des vaches qui s'ennuient encore plus que leurs pâtres. Quoi
qu'il en soit, M. de Lamartine a réussi certainement à causer dans la ré-
publique des lettres un véritable scandale, soit par le ton acerbe et
presque méprisant de sa critique, soit par ses sarcasmes à l'adresse
«d'une école littéraire récente qui, dit-il, s'acharne sur le poëme
du Dante sans le comprendre, comme les mangeurs d'opium s'acharnent
à regarder le vide du firmament pour y découvrir Dieu. >
Les lettres que nous annonçons ici peuvent être regardées comme la
réponse de cette école. M. Castiglia nous paraît en être l'un des plus fer-
166 LITTiBATUBI.
vents adeptes. La Divine Comédie est, à ses yeux, le chef-d'œuvre ac-
compli du génie humain. Il y trouve la quintessence de la philosophie, de la
religion, de la science, de Tart, de la poésie et beaucoup d'autres choses
encore. Son argumentation consiste à démontrer que le Dante résumait
en lui non-seulement les idées et le savoir de son siècle, mais encore
l'ensemble des progrès futurs de l'humanité tout entière. Aux attaques de
M. de Lamartine il oppose Tanalyse des hautes conceptions du poëte, en-
tremêlée d'éloges pompeux et d'apostrophes plus ou moins vives, dans le
genre de celle-ci : c Monsieur, il faut s'acharner à regarder le vide, parce
que la vérité n'est que dans le vide, dans Finapparent, par qui tout pa-
raît. >
Un pareil langage n'est pas précisément le moyen de donner tort
à M. de Lamartine. En entendant les défenseurs de la Dimne Corné-
die parler de cette manière, on est plutôt tenté de s'écrier avec lui :
• Que le dieu du chaos leur soit propice ! ■ Mais heureusement il y a
d'autres arguments meilleurs à faire valoir. Le premier de tous est l'admi-
ration universelle qui, depuis cinq siècles, entoure le nom du Dante. Après
un si long terme le jugement de la postérité nous paraît être sans appel.
Si, comme le dit M. de Lamartine, le Dante eut le tort de croire c que les
siècles infatués par ses vers prendraient parti contre on ne sait quels rivaux
ou quels ennemis inconnus qui battaient alors le pavé de Florence,» l'évé-
nement a donné pleine raison au Dante ; son poëme possède plus que nul
autre le privilège de passionner les hommes de toutes les époques quelque
peu littéraires. M. de Lamartine en offre lui-même une preuve assez frap-
pante ; sa critique porte le cachet de l'irritation et de la violence. Il pouvait
dire les mêmes choses en termes différents, et, sans être injuste envers le
poëte, blâmer le zèle maladroit de ses adorateurs. Alors on aurait sympa-
thisé davantage avec lui, car la plupart des commentaires, auxquels a
donné lieu la Divine Comédie, sont pleins d'extravagances et d'interpré-
tations vraiment fabuleuses. Mais prétendre que les amitiés ou les ini-
mitiés qui ont inspiré le Dante sont parfaitement indifférentes à la
postérité, c'est fermer les yeux à la lumière et^se boucher les oreilles
pour ne pas entendre. Du reste, ce bizarre caprice du chantre des
Méditations ne portera nulle atteinte à la renommée du Dante ; il confirme
seulement ce qu'on savait déjà, c'est que les hommes de génie ne sont
pas exempts des faiblesses humaines.
r
Mémoires de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de
Lyon : Classe des lettres. Tome V. Lyon 1857 ; 1 vol. in-8 : 6 fr.
Les mémoires que renferme ce volume nous paraissent propres à donner
une idée très-^avantageuse du mouvement littéraire dont rAcadémie de
Lyon est le centre. Ils traitent des sujets non moins variés qu'intéressants,
car la classe des lettres n'interdit pas à ses membres de faire parfois
quelques excursions dans le domaine de la philosophie, de l'art et même
de la science. Ainsi l'on y trouve deux essais remarquables de M. le D'
Pétrequin, Tun sur VHittoire de la chirurgie à Lyon, l'autre sur la Lit-
térature médicale du moyen âge ; une Elude de M, Blanc- Saint- Bonnet
sur la notion de Vinfini ; un Fragment sur la philosophie de l'histoire
par M. Gilardin; d'ingénieuses recherches sur les Progris que lindus^
trie lyonnaise doit à l'influence des beaux-arts , par M, Saint- Jean, et
une notice de M. Marlin-Daussigny sur le Perfectionnement de la pein--
ture à r huile. La littérature proprement dite est représeniée par MM.Vic-
tor Laprade et Eichhoff. Le premier expose dans une dissertation élé-
gante ses vues sur la Poésie et le style au dix^huitième sihle. Il carac-
térise avec beaucoup de sagacité cette époque où la littérature s'était
changée en c une grande machine de guerre, dressée contre l'ancien
monde. » L'unanimité des efforts de tous vers un même but offre sans
doute une certaine grandeur, mais la poésie fait défaut, et le style devient
uniforme» sauf quelques rares exceptions, le cachet individuel s'efface, les
écrivains ne sont plus que des soldats soumis aux règles de la stratégie.
Ce jugement paraîtra sévère peut-être, mais il eût été facile à M. Laprade
de le justifier par de plus amples développements. Nous regrettons que
son mémoire soit si court. Les définitions préliminaires lui laissent à
peine le temps d'esquisser son sujet principal, qui pourrait à lui seul
fournir la matière d'un livre. M. Eichhoff nous offre l'analyse d'une légende
indienne sur la vie future, monument fort curieux des notions du spiri-
tualisme qui, dès les temps les plus reculés, avaient pénétré dans les re^
ligions de l'Asie.
Les travaux archéologiques tiennent une grande place dans ce volume.
C'est le cas ordinaire de toutes les académies de province. Chaque loca*-
lité a ses souvenirs qui lui sont chers, et le goût des éludes de ce genre
est très-répandu. Mais dans une ville comme Lyon l'importance des ré-
sultats ajoute beaucoup à l'attrait de semblables recherches. Ce sont
168 V0IAGB8 BT H1ST01E£.
souvent des découvertes précieuses pour l'histoire, et l'on conçoit d'ail-
leurs que les moindres détails relatifs à ce centre d'activité soit littéraire,
soit industrielle, peuvent avoir un vif intérêt. La description de la voie
romaine qui exiete à Lyon^ dans le quartier du jardin des plantes,
fournit, par exemple, des données fort curieuses sur les grands travaux
exécutés par les Romains. L'auteur de ce mémoire, M. Martin Daussi-
gny, ne se borne pas à dresser l'inventaire exact des objets trouvés dans
les fouilles, il en profite habilement pour essayer de résoudre quelques
problèmes d'archéologie. La Dissertation de M. l'abbé Jolibois sur V Uti-
lité de l'étude des antiquités ecclésiastiques, quoique traitant un sujet bien
spécial, présente aussi maints aperçus ingénieux qui ne sont pas sans
mérite. Nous citerons enfin les Considérations sur la Dombes, par
M. Valentin Smith, travail remarquable par l'érudition qu'y déploie l'au-
teur, ainsi que par l'esprit vraiment philosophique dont il se montre
animé.
VOYAGES ET HIHTOIKE.
Œuvres historiques et littéraires de Léonard Baulagre, recueil-
lies et mises en ordre par Ëd. Mallet. Publication de la Société d'his-
toire et d'archéologie de Genève. Genève, Jullien frères, 1857, 2 vol.
in-8.
Léonard Baulacre fut bibliothécaire de la ville de Genève de 1728 à
1756. C'était un théologien, homme instruit, littérateur aimable, quelque
peu géomètre et mécanicien, possédant du moins l'histoire de toutes les
sciences. 11 représente d'une manière assez exacte l'état du mouvement
intellectuel genevois vers la fin du dix-septième siècle et dans la première
moitié du dix-huitième. Son érudition, plus étendue que profonde, aborde
maints sujets divers sans en épuiser aucun ; ce sont de courtes disserta-
tions ou plutôt de simples articles qui parurent dans les recueils pério-
diques du temps , car il n'a jamais composé d'ouvrage proprement dit.
Il lisait beaucoup et se tenait au courant des nouvelles qui pouvaient in-
téresser la république des lettres. Aussi trouve t-on dans ses écrits une foule
de notions précieuses pour l'histoire littéraire. Ces fragments, quelque
décousus qu'ils paraissent au premier abord, offrent d'ailleurs dans leur
ensemble un tableau intéressant. « On y verra, dit M. Mallet» Genève
renfermant dans son sein un nombre proportionnellement considérable
d'hommes éclairés, d'esprits ouverts et cultivés, tenus au courant du
VOTAGBS BT HISTOIEB. 169
mouvement intellectuel européen» sympathisant d'une manière spéciale
avec les pays et les hommes qui partageaient ses croyances religieuses, mais
n'en accueillant pas moins tout ce qui, de quelque côté que ce fût, étendait
le champ des connaissances humaines ; oh y verra la tolérance devenue
un principe hautement proclamé, bien avant que, sur le continent, elle pas*
sât dans l'ordre des faits pratiques; on y devinera enfin le 'développement
social et le bonheur tranquille auquel Genève était arrivée à l'époque qui
précéda immédiatement les troubles politiques qui agitèrent presque toute
la seconde moitié du dix-huitième siècle. • En effet, alors comme aujour-
d'hui, les troubles civils vinrent arrêter la marche du véritable progrès,
et la petite république fut lancée dans la carrière des révolutions par l'es*
prit turbulent de son peuple, qui n'a pas cessé de mériter le reproche que
lui faisait un de ses anciens évoques d'être toujours avide de nouveautés.
Les opuscules de Baulacre sont divisés en sept parties. La première,
intitulée Histoire physique, renferme des détails curieux sur le Rhône,
sur le lac Léman et sur la vallée de Chamounix. On lira surtout avec
plaisir le récit du voyage de 1 anglais Pocock aux glaciers de Savoie, ex-
pédition qui paraissait à celte époque tellement aventureuse que, pour
l'entreprendre, on jugea nécessaire d'être armé jusqu'aux dents, de se
pourvoir d'une tente et d'emmener plusieurs chevaux chargés de provi-
sions. La description des environs de Genève n'est pas non plus sans
intérêt au point de vue archéologique.
Dans la seconde partie, c'est la Bibliothèque de Genève qui forme le
sujet de plusieurs lettres adressées à des savants étrangers. Baulacre dé-
crit différents manuscrits ou hvres précieux, une statue antique, un bou-
clier votif, un tableau de Rubens, et les recherches auxquelles il se livre
pour découvrir l'origine de ces trésors sont entremêlées d'anecdotes sou-
vent assez piquantes. La troisième partie est consacrée aux Antiquités et
monuments. Le camp de Galba en Valais; des inscriptions romaines
trouvées soit à Genève, soit en Savoie ; l'origine des armoiries de Genève ;
l'histoire de la cathédrale de Saint-Pierre, forment les principaux objets
sur lesquels se porte l'attention de l'auteur, qui ne néglige pas non
plus les souvenirs historiques de moindre importance, mais propres à
éclairer certains points obscurs. U Histoire de Genève esi d'ailleurs plus
spécialement traitée dans les quatorze articles dont se compose la qua-
trième partie. Baulacre y fait preuve d'une grande impartialité , et
donne plusieurs biographies d'hommes qui se sont distingués soit dans
les lettres, soit dans les sciences et dans les arts.
170 Y0TAGB8 BT HISTOIRE.
La cinquième partie concerDe \* Histoire des contrées voisines de Ge^
nève. On y trouve des recherches intéressantes sur l'abbaye de Bonmont^
diverses particularités relatives à la vie du voyageur Tavernier, l'examen
d'un singulier ouvrage, intitulé Le Valais chrétien, par un chanoine va-
laisan, divers articles qui traitent de la Savoie, et dont les plus remar-
quables sont consacrés au duc Amédée VUI et à François de Sales.
Dans la sixième partie, V Histoire ecclésiastique, ce sont des articles de
controverse assez piquants. La septième, enfin, renferme treize disserta-
tions sur divers sujets d'histoire littéraire.
Ce recueil, comme on le voit, a l'attrait delà variété. Si l'érudition de
Baulacre est, en général, un peu superficielle, elle se montre souvent
ingénieuse, et l'on n'y rencontre pas la moindre trace de pédanterie. Co
sont des causeries agréables, empreintes d'un cachet de bienveillance et
de sincérité qui nous semble tout à fait propre à captiver le lecteur.
Mémoires et journal inédit du marquis d'ârgenson, ministre des^
affaires étrangères sous Louis XV^ publiés et annotés par le marquis^
d'Argenson. Paris, Jannet, 1857 : in-8, tome !•'.
La Bibliothèque eliévirienne, que publie M. Jannet, doit comprendre
une vaste réunion de mémoires sur l'histoire de France ; un des premiers
volumes qu'elle met au jour en ce genre, se rapporte à une époque fort
curieuse, et il est dû à la plume d'un diplomate qui joua un assez grand
rôle et qui fut un homme des plus singuliers. Ces mémoires sont extraits
d'un immense journal, qui existe à la bibliothèque du Louvre, et qui,
plusieurs fois interrompu, s'étend de 17!28 à i750, époque de la mort de
l'auteur. Il s'applique aux événements intérieurs de la cour, à des rela*
tiens privées, et surtout à la politique étrangère. Tracées à la hâte, sans
avoir été relues, écrites au commencement ou à la fin de la journée, ces
pages ont un mérite réel, celui de l'actualité. L'auteur se montre chagrin
et frondeur; il est prolixe, caustique, mais c'est un homme d'honneur et
de probité. Il se livre parfois à des rêveries incohérentes, et parfois aussi
il montre un rare bon sens. Une notice de M. de Sainte-Beuve a d'ailleurs
jeté un jour remarquable sur ce personnage, qui réunit en lui d'étranges
contrastes, et qui oflVe une physionomie à part. Dans le volume que nouç
avons sous les yeux, les événements de la régence, les affaires de la is^^
mille d'Orléans, les cardinaux Alberoni et de Fieury, M'°® de Brie, la reine,
VOYAGES ET BISTOIRB. 171
épouse de Louis XV, MM. de Vendôme, quelques gens de lettres de l'é-
poque, tels que l'abbé de Choisy et Moncrif, telles sont les choses et les
personoes qui occupent surtout d'Argenson au début de ses Mémoires, ils
avaient paru en 1825, dans la Collection des Mémoires relatifs à la Révo-
lution française, mais nécessairement fort abrégés ; la publication de M. Jan-
net, beaucoup plus étendue, ne donnera cependant pas tout ce que renferme
un manuscrit qui ne présente guère que des fragments souvent dépa-
reillés et des matériaux jetés au hasard, mais elle reproduira tout ce qui
mérite d'être livré au public. On en aura assez pour retrouver un autre
Saint-Simon, fort différent, il est vrai, du premier, mais non moins coloré
et tout aussi inégal ; souvent aussi rude et aussi pénétrant, mais inférieur
comme rôle joué. La curiosité publique, qui fait un accueil si empressé
aux If^motresdeSainL-Simon, au Journal de l'avocat Barbier, et à tous
les écrits qui peignent la cour et la ville sous Louis XIV et sous Louis XV,
ne manquera pas de s'emparer des Mémoires de d'Argenson. ^
Relation db trois ambassades du comte de Carlisle, vers le czar
et le grand-duc de Moscovie, le roi de Suède et le roi de Danemark ;
nouvelle édition, revue et annotée par le prince Augustin Galitzin.
Paris, Jannet, 1857; in-18.
Une foule de publications, éphémères pour la plupart, ont, depuis
quelques années, paru au sujet de la Russie, mais pour apprécier l'état
présent d'un pays, pour pénétrer son avenir, il importe de jeter un coup
d'oeil sur son passé ^ les relations d'un ambassadeur de Charles II auprès
du czar Alexis peignent naïvement la civilisation de cet immense empire
au milieu du dix-septième siècle. On connaît plusieurs éditions anglaises,
françaises et allemandes de ce livre, qui, mis au jour en 1663, piqua
vivement la curiosité de l'Europe. Observateur judicieux, historien fidèle,
le comte de Carlisle transmet de précieux témoignages ; il partit de
Londres, et fut obligé de faire un long et pénible voyage pour aller débar-
quer à Arcbangel ; il se rendit de là à Vologda, puis à Moscou, et après
y avoir séjourné quelque temps, il prit la route de Riga, se transporta à
Stockholm, puis à Copenhague, d'où il effectua son retour en Angleterre.
11 est facile de comprendre qu'un pareil voyage, à semblable époque, fut
des plus fatigants. A la suite de sa relation, le diplomate a placé une
description étendue de la Russie, et il l'a accompagnée d'un travail assez
172 VOTAGBS BT HISTOIRE.
long sur l'origine, la langue et Thabillement des Moscovites, sur leur façon
de vivre» sur leurs exercices et divertissements, sur la religion et sur le
gouvernement du pays. Tout ceci abonde en détails curieux ; l'éditeur
russe, portant un nom illustre, s'attache à recueillir et à remettre en lu-
mière les productions qui intéressent l'histoire de son pays; il a joint à
celle-ci des notes, où se montre une érudition judicieuse appliquée à des
sujets spéciaux et peu connus. Nous pensons que cette Relation, qui était
tombée dans l'oubli, mérite bien d'en sortir, et ce n'est pas en Russie seu-
lement que la comparaison des usages et des choses, à deux siècles d'inter-
valle, offrira un vif intérêt. -
Les courrijsrs de la Fronde, en vers burlesques, par Saint-Julien, le-
vus et annotés par G. Moreau. Paris, Jannet, 1857 ; in-18.
On trouve dans ce volume des détails curieux et peu connus sur une
des époques les plus intéressantes du dix-septième siècle. L'origine de
l'ouvrage vient de ce qu'au moment où Paris se souleva contre Mazario»
soutenu par l'autorité royale, le créateur de la Gazette de France, Re-
naudoty prit le parti de suivre la cour et de faire paraître son journal dans
les divers endroits où elle séjournait, après avoir laissé ses tils à Paris,
afin qu'ils eussent le soin de publier, de leur côté, un autre journal, écrit
dans le sens du Parlement. C'était nager habilement entre deux eaux, et
le prudent gazetier le réservait bien le droit d'accourir au secours du
vainqueur, lorsque la fortune se serait déclarée. Le Courrier français,
publié pendant le blocus, cessa lorsque la paix fut faite, mais durant son
existence, il avait eu un immense succès. 11 fut contrefait et imité-, un
poêle, fort peu connu d'ailleurs, Saint-lulien, eut l'idée de le mettre en
vers burlesques, c'était alors du burlesque que les acheteurs demandaient
aux libraires, et les libraires harcelaient les auteurs pour qu'ils leur four-
nissent du burlesque. Nous ignorons si la Gazette, reniée de Saint-Julien,
eut autant de vogue que les Courriers en prose, mais elle est tout aussi
exacte, beaucoup plus gaie et beaucoup plus amusante. Ge Courrier ra-
contait tes événements de 1649; l'aoteur eut, après coup» en 1650, Tidée
de narrer de la même façon la lutte de la cour et du parlement en 1648 ;
c'était, en effet, une introduction nécessaire. Dans cette œuvre, le rimeur
sut faire preuve d'impartialité et de verve. Il a souvent de l'esprit; son
style est constamment facile et souple. Ges deux Courriers étaient deve-
VOYAGES ET HI8T0IEB. J73
nus rares, et d'ailleurs, les vieilles éditioos ne répondaient nullement aux
besoins du public. Elles étaient de l'aspect le plus disgracieux, et im-
primées avec une incorrection révoltante. Des vers trop longs ou trop
courts» outrageaient effrontément les lois de la prosodie; des mots
altérés d*une façon déplorable, ne présentaient aucun sens. H. Moreau,
l'habile auteur de la Bibliographie des Mazarinades, et l'éditeur d'un très-
bon Choix de Mazarinades, publiées par la Société de l'hisiotre de
France, était mieux que personne au monde en mesure de rectifier ces
erreurs; il ne s'en est pas tenu là; il a éclairci le texte par un grand
nombre de notes, et il a emprunté tous les renseignements historiques
qu'il fournit aux pamphlets peu connus de l'époque de la Fronde, laissant
tout à fait à l'écart les Mémoires que tout le monde connaît. Il a fort bien
réussi à expliquer les mots surannés, les locutions proverbiales ; il a fait
connaître par leurs noms et surnoms, quelquefois par les principaux évé-
nements de leur vie^ les personnages différents dont parle Saint-Julien ; il
s'est attaché aussi à commenter, développer, rectifier des récits qu'il dé-
gage, quand il le faut, de la forme burlesque qui les enveloppe, pour les
présenter sous leur véritable aspect. C'est ainsi qu'une production oubliée
est devenue pour l'histoire d'une importance réelle. L'édition de M. Mo-
reau est indispensable à quiconque veut étudier sérieusement l'histoire
de la Fronde ; il a mis en tête une introduction qui offre, d'après des
écrits contemporains tombés dans Koubli, une appréciation judicieuse de
cette époque, et il y joint quelques pièces piquantes, entre autres l'Agréable
récit des barricades, composé par un seigneur de la cour d'Anne d'Au-
triche.
Variétés hiotoriques et littéraires, recueil de pièces volantes, rares
et curieuses, en prose et en vers, revues et annotées par Edouard
Fournier. Paris, Jannet, 1857; tome VII.
Nous avons déjà eu l'occasion de signaler quelques volumes de cette
collection, qui se continue avec succès, et qui est fort bien accueillie du
public. C'est qu'en effet l'exhumation d'opuscules perdus dans des re-
cueils très-rarement feuilletés ou n'existant que dans des éditions que leur
exiguïté rend introuvables» est une' idée heureuse, lorsqu'un pareil re-
cueil est formé d'une façon judicieuse, et lorsque, comme dans la cir-
constance actuelle, l'éditeur y joint des notes instructives où se révèle une
connaissance profonde des détails de l'histoire anecdotique, des usages et
174 VOYAGES ET HISTOIRE.
de la littérature aux siècles qui nous ont précédé. Le volume que nous
avons sous les yeux renferme trente et une pièces diverses. La plupart ont
un intérêt historique réel : la requête présentée au Parlement pour la di-
minution (Tune demi-année du loyer des maisom, chambres et boutiqu^es,
montre qu'en 1652 la hausse des loyers à Paris était, comme aujour-
d'hui, l'objet des plaintes les plus vives. Les locataires demandaient une
mesure qui rappelle un peu les propositions d'un socialiste, qui tirent
quelque bruft en 1848 ; ils réclamaient tout simplement qu'il leur fut fait
remise d'un semestre. Une longue et curieuse note de M. Fournier
montre que, sous Louis Xlli et au commencement du règne de Louis XIV,
il n'était pas rare de voir s'élever de pareilles requêtes, et le parlement y
faisait presque toujours droit .dans une certaine mesure. Longtemps après,
en 1772, un arrêt relatif aux loyers de la ville de Versailles stipulait que
Sa Majesté se réservait de pourvoir à leur fixation, en cas d'excès de la
part des propriétaires. — Le Discours sur les causes de l'extrême cherté
qui est aujourd'hui en France (1586), a de même son intérêt de cir-
constance ; il renferme sur le prix des denrées, sur les habitudes de la
vie, de précieux détails, et il proclame en termes très-nets le principe du
libre échange avec les autres peuples. La faiseuse de mouches fournit sur
une mode des plus répandues à l'époque de la jeunesse de Louis XIV de
curieux détails; la mouche, placée sur le nez, s'appelait Veffrontee; sur le
front, c'était la majestueuse ; la galante se posait au milieu de la joue ;
la coquette prenait place sur les lèvres ; les hommes eux-mêmes se sou-
mirent à cet usage, et un écrit de 1649 dit qu'on voit tous -les jours aux
Tuileries et aux cours des abbés frisés, poudrés, le visage couvert de
mouches. Quelques-uns des opuscules qu'a recueillis M. Fournier ont rap-
port au cardinal de Richelieu ; d'autres, tels que VArchi-sot et l'Histoire
du poète Sibus, ont du prix pour l'histoire des beaux-esprits de la pre-
mière moitié du dix-septième siècle. En somme, cette collection offrira
une lecture instructive à toutes les personnes qui aiment à connaître le
passé.
Voyage AUX Alpes, par J. M. Dargaud. Paris, 1857; 1 vol. in-12:
3 fr. 50.
M. Dargaud est un touriste enthousiaste. Il observe peu, ne juge guère,
mais admire beaucoup. Â chaque pas, il s^exalte, tantôt devant les beautés
V0TAGS8 ET HlSTOiaE. 175
de la nature, tantôt devant les souvenirs historiques, tantôt devant quelque
scène de mœurs empreinte du cachet national. Son voyage est une cantate
perpétuelle en l'honneur de la Suisse et de ses habitants. Nous aurions
mauvaise grâce à nous en plaindre. Nos montagnes, nos lacs, nos tradi-
tions lui causent des élans dithyrambiques ; la poésie alpestre l'émeut for-
tement, et pour lui, les décorations de l'Opéra ne sont poiAt le type du
beau. 11 respire avec bonheur l'air pur des hautes cimes, apprécie la sim-
plicité naïve des montagnards, prête une oreille attentive aux chants du
pâtre, et s'intéresse à ses troupeaux. Malheureusement cette espèce d'ex--
tase continue a le défaut d'être fort monotone, d'autant plus qu'elle se
maintient d'un bout à l'autre sur le même Ion, quels que soient les objets
<)ui l'inspirent*. Un glacier, une cascade, un paysage grandiose, ou bien le
chévrier qui sonne de la trompe, la jeune servante qui va puiser de l'ea^
à la fontaine, excitent également la fibre admirative de M. Dargaud. Son
enthousiasme ne connaît pas de degrés, en sorte que trop souvent il passe
du sublime au ridicule, et même parfois tombe plus bas encore. On re*
grette de voir tant de pathos prodigué sans mesure, à propos d'une foule
de petits détails qui devraient tout au plus figurer comme des accessoires
dans un tableau de genre, tandis que Fauteur en fait le thème d'une pom-
peuse tirade. Nous aurions préféré que M. Dargaud se donnât la peine
d'étudier l'état social de ta Suisse, que tout en payant son tribut aux mer-
veilles des Alpes, il nous offrît un aperçu de la condition morale et maté-
rielle de leurs habitants. C'était un sujet digne de la plume d'un histo-
rien, et beaucoup plus intéressant surtout que les conversations à bâtons
rompus qui remplissent maintes pages de ce volume. Mais M. Dargaud
se contente de donner en passant un coup d'encensoir à la démocratie,
sans chercher à connaître ses institutions, ni leur influence. Dès son en-
trée en Suisse, une exaltation fiévreuse l'a saisi, et, pour Tassouvir^ il faut
qu'il monte et monte toujours à travers les abîmes, manière de voyager
aussi nouvelle que peu commode, et dont il est à coup sûr l'inventeur.
Elle nous rappelle un peu ce touriste dont parle M. Topffer, qui voulut
absolument être tombé dans une avalanche. Mais chez M. Dargaud, ce
n'est qu'une exubérance de style; en général, ses descriptions sont plutôt
exactes; seulement la simplicité leur manque, et Ton n'y trouve pas
trace du charme original qu'ont encore aujourd'hui celles du savant de
Saussure.
176 Y0TA6B8 BT HISTOIRE.
Histoire du règne de Louis-Philippe l*', roi des Français, 1 830-1 8i8,
par V. de Nouvion, tome !•'. Paris, Didier et C«; i vol. in-8 : 7 fr.
Ed voyant le titre de cet ouvrage, on se demandera sans doute s'il est
possible aujourd'hui d'écrire l'histoire du règne de Louis-Philippe avec
toute l'impartialité désirable. Neuf années seulement nous séparent de sa
chute; la plupart des hommes qui le soutinrent ou l'attaquèrent vivent en-
core; les sympathies et les haines qu'il inspira, quoique assoupies, sont
loin d'être éteintes. Il paraît bien difficile que la vérité se fasse jour au
milieu des assertions contradictoires de l'esprit de parti, et que l'écrivaiD»
même le plus indépendant, reste tout à fait étranger aux influences de ce
genre. Mais une telle entreprise, quoique prématurée, a l'avantage de
provoquer la discussion, pendant que les témoignages contemporains peu-
vent éclaircir beaucoup de faits qui, plus tard, deviendraient inintelli-
gibles. C'est un travail préparatoire fort utile et tout à fait propre, d'ail-
leurs, à captiver l'intérêt du public. M. de Nouvion débute par esquisser
rapidement la révolution de 1830. La manière dont il en apprécie les causes
et les résultats dénote aussitôt un libéralisme sage, non moins ennemi
des excès de l'anarchie que de ceux du despotisme. Il parle de Charles X
en termes à la fois sévères et respectueux ; l'aveuglement politique du
vieux roi ne l'empêche pas de rendre justice à ses qualités personnelles.
Les différentes péripéties qui précédèrent la publication des ordonnances
sont exposées avec beaucoup de clarté. On suit pas à pas la marche de la
réaction absolutiste, ainsi que le développement de l'esprit révolutionnaire,
et le conflit de ces deux tendances opposées explique suffisamment la ca-
tastrophe de juillet 1830, sans qu'il soit besoin d'imaginer une conspira-
tion. Placée entre les opinions extrêmes qui lui répugnaient également, la
partie saine du peuple ne demandait que l'application sincère de la charte;
les acteurs de la lutte formaient une minorité peu nombreuse, mais rendue
redoutable par son audace et son active propagande, La révolution de
juillet fut un accident imprévu, car les vrais amis de la liberté croyaient
au triomphe certain de la résistance légale. L'auteur dit avec raison qu'elle
peut être attribuée surtout aux mesures imprudentes du ministère. Sans
doute, il existait des sociétés secrètes, mais n'étant point prêtes pour
l'action, elles échouèrent dans leurs efforts pour s'emparer du mouve-
ment. Le parti républicain manquait k la fois d'une organisation solide et
de chefs reconnus. Ses adeptes suivirent aux barricades le premier aven-
VOYAGES ET HISTOIRE. 177
turier venu qui s'offrit pour les commander et s'ils contribuèrent par leur
ardeur à la victoire, ils n'en recueillirent pas les fruits. Du reste, comme
le remarque M. de Nouvion, il n'est pas besoin d un courage bien hé-
roïque pour s'embusquer derrière des murailles et tirer sur une troupe
démoralisée par le sentiment de sa fausse position. Il montre peu d'en-
thousiasme pour les glorieuses journées qu'on a, suivant lui, beaucoup
trop vantées. A ses yeux, la chose importante était de sauver le pays des
horreurs de l'anarchie. Aussi donne-t-il de grands éloges au dévouement
de Louis-Philip[)e, qui consentit à prendre le gouvernail au milieu de la
tempête. Sur ce point, les opinions sont très-diverses, et l'on ne saurait,
en effet, nier l'espèce de faveur dont, avant 1830, le duc d'Orléans jouis-
sait déjà dans les rangs de roppositi{)n. Si les projets ambitieux qu'on lui
a souvent attribués ne sont qu'une invention de la malveillance, du moins
faut-il reconnaître qu'il ne dédaignait pas la popularité. Sans former pré-
cisément un parti, le nombre de ses adhérents était assez considérable,
surtout depuis que la faction absolutiste avait jeté le masque. Une crainte
instinctive ralliait autour de ce prince les esprits inquiets de voir la cour
se montrer de plus en plus hostile aux tendances de l'époque. On sentait
la nécessité, pour le salut même de la monarchie, d'être en mesure de
pourvoir à toutes les éventualités possibles. Nous ne comprenons pas
pourquoi M. de Nouvion repousse cette idée comme une injure au carac-
tère de Louis-Philippe, car, en définitive, elle n'a rien que d'honorable,
puisque c'était se tenir prêt à monter sur la brèche pour sauver ta cause
monarchique compromise par les fautes de la cour. Nous nous rappelons
d'ailleurs un fait qui tranche la question d'une manière assez positive :
c'est que, dans l'après-midi du 29 juillet, des gardes nationaux sortaient de
leurs maisons aux cris de : Vive le duc d'Orléans! Cela n'indique point
qu'il y eût une conspiration, mais le nom du duc d'Orléans était assez po-
pulaire pour se présenter, en ce moment critique, à la pensée de tous ceux
qui ne voulaient ni de la république, ni de l'anarchie, dont elle leur sem-
blait le prélude, et voilà comment s'explique la facilité avec laquelle Louis-
Philippe fut proclamé lieutenant-général du royaume, malgré les hésita-
tions parlementaires et les résistances de Thôtel de ville.
M. de Nouvion donne des détails fort curieux sur les transactions qui
eurent lieu à ce sujet, ainsi que sur ce qui se passait en même temps soit
dans les alentours du roi, retiré à Saint-Cloud avec les débris de son ar-
mée, soit dans les rangs du peuple, dont quelques meneurs s'efforçaient
12
d'aptr^enic ll^iialutipa. U raconta ^^m i'^^ mapi^e trêi^rint^çe^^^nte
tq d^ri de Qhi^rie^ X. En gén^r^» son livre dous paçaU propre à cajpttj;^
vfff vMVQm^Qt le»^ lecteurs. Le premier volume renferma l'^abli^seiMent ei
UifS débute du goMV6rnen»?t^deflHOiiift«Phi)ippi9tiU9qM'^U mov^ du pri|i(>^
di^^oodé^
"rrrrrm — r
Henri IV et Richelieu, par i. Michetet. Paris, 1857 ; 1 vol. in*8 :
5 fr. 50.
Ç.e,YolMm^ renfecrQQ d^ui^. portrajtç e^ui^^^ d'une façon très-ori^i-!-
Q9^1e,syiyant la méthode qrd^owe de l'auteur^ piu|s entourés d'accessoires
propres, à fa,irebien ressortir le cachet, caractéristique do l'époque. M. Mi-
çbelot s'attache d^ préférence aux détails négligés par les autres histo-
rions., Pe,u,tr^tre ex^gère-t-il quelquefois leur portée, mais il on tire sou-^
vei^t d^s9{(erQ.uis,oeqf§, ing^nieuix^et fort piqu^ints. Sous sa plume, les indi-
vidualités fQarquaptes d^ Thistoire semblent renaître à la vie. Ce q'est plus
SiO.glement le personpaige ofiB/^iel jouarii son rôle en grand costume sur la
çpèQp^ poljjtiqpe, c'est Ihjomme avec ses peAçhants, ses faiblesses, et toutes
les misères qui troublent l'intérieur des palais comme celui dos maisons
bourgeoises-. Traitée de «ette mianière^ la figure de Henri IV apparaît plus
conforme a.i^ données do la tradit,i,on, sans rie;i perdrO' cependant de sa
grs^odeur et de son énergie. On comprend beaucoup mieun:. ainsi la popu-
larité durable qu'elle a obtenue. D'ailleurs, tout en nous montrant le sou-
verain en robe de chambre, M. Mi.cbelet rend pleine justice à ses hjautes
qualités. Il croit que, si les vues politiques de Honri IV avaient pu s'accom-
p(lii\ elles auraient sauvé la France à la fois du despotisme et des révolu-
tions. Malgré sa conversion, 1^ roi sentait que la force mpi'&le se trouvait
chez les protestants» et son but était de les grouper autour du trônCi^
d'en faire l'appui de la royauté. Mais pour réussir dans une pareille en-
treprise, il aurait, fallu, s'y consacrer entièrement, et c'est ce que Henri IV
ne fit pas. Son caractère lui sus,citait sans cosse des obstacles dont se9
enpea\is surent habilemont profiter. Il n*était pas de force à lu,tjter cpoti^e
les jésuites qui, par leurs manœuvres, exerçaient sur la foule un empii;^
plus puissant encore que le sien. Ses passions leur fournissaient des açmes
pour semer la division parmi les protostaots. ^près sa mort, la réforme
n'eut plus aucune consistance comme parti, et l'énergique volonté de Ri-
chelieu mit bientôt fin aux velléités de résistance qui se manifestèrent, çà
et là. Le cardinal-ministre se vit en peu de temps maître de la situation.
et put travailler au triomphe de la monai^dik abaoliaiev sans avoip à com«
battre dadversairebien redoutable. H. Micbelet, tout en reconnaissant la
supériorité de eet homme d'Etat, ne partage poiot radfloiration que la plu*
pari des historiens professent pour lui. U regapdis rcauvre de Richelieu
comme également mauvaise dans ses moyens et dans ses résultats* C'est
une exécution cruelle, opérée^ sur uet corp» épuisé pa>r de violeHles>8e^
cûusses. La France avait perdu toute énergie ; victime soumise* elle teri^-
dait le cou au bourreau qui la frappait. Le mérite de Richdieu fut decom^
prendre que les* fautes eommises.par Henri IV fi^yaient la route au des«*
potisme, et que le moment était favoi^able pour consommer la ruiB« de la
noblesse. 11 ne recula pas devant là; responftabilité d'une telle besogne;
mais le but de ses efforts était^il de nature à justifier ce courage barbare?
Les partisans fanatiques de Tunité française le prétendent, et glonifimt
Richelieu» comme Fui^ des plus' grands bienfaiteurs de U monarchie;
M' Miohelet, au coQtvaire, le nie formellement. Ar ses yeux» le cardinal
est li'instrume»! de la réactioa contre les projats de Henri IV, réaction à 1»*
quelle il imprima seulement un caehei plus naëonal; parce qu'il avait du
moins un sentiment élevé de l'honneur dft la Pranea L'esprit de son;
temps, une espèce de fatalité monarchique le poussa, l'entraîna plus loi»
qu'il n'aurait voulu. Son œuvre doit être condamiiiée par les conséquences
qu'elle a produites. • La France» dit H. Alicbelet, sous Ricbelieu, Ma^»*
zarin et Louvois, avance dans la v^ie mécanique. La machine est iiitror*-
nisée, et la personne exterminée. L'homme de fortune et d'âme arrivera
au dernier aplatissement. Et le dix^huitième siècle, qui doit tout recomr
meucer, ne trouve en 1700 que des laquais ^irituals. ■
MiTTHBiiuNGEN SUS Justus Poilhes goographtscber Ânstait ueber wieh-
tige neue Erforsohungen auf dem Gesammtgebiete der Géographie,
von D'A. Petermann, liv. IL Gotha, 185^7; in-4, cartes: 1 fr. 50.
La plus grande partie de cette livraison du recueil de M. Petermann
est consacrée à l'exposé des progrès de la cartographie. M. de Sydow y
termine sa revue des travaux topographiques exécutés jusqu'à la fin de
1856 dans les différents pays de TEuroper et signale les progrès admi-
rables qu'a faits de nos jours cette branche de la géographie. L'Autriche
paraît être l'un des Etats qui s'en sont occupé le plus tôt avec succès. La
composition de cet empire, formé de contrées si diverses par la nature.
180 VOYAGES ET HISTOIRE.
ainsi que par la configuration du so), fit de bonne heure sentir la néces-
sité d'avoir une représentation aussi exacte que possible de ces caractères
variés. Dès le dix-septième siècle, on exécutait des cartes déjà fort remar-
quables, et durant le dix-huitième, l'activité des travaux topographiques
prit un développement extraordinaire, en sorte qu'aujourd'hui l'Autriche
possède un nombre considérable d'excellents matériaux de cp genre. La
Prusse et l'Allemagne se distinguent également par leurs produits car-
tographiques, à la supériorité desquels la Société française de géographie
a rendu récemment hommage dans ses rapports annuels. M. deSydow fait
aussi les plus grands éloges de la grande carte de la Confédération suisse,
publiée sous la direction du général Dufour. Il n'hésite pas à la placer au
premier rang, soit pour la manière dont est rendu l'aspect du pays avec
les moindres accidents de terrain, soit pour l'ingénieux système à Taide
duquel sont indiquées les hauteurs relatives des montagnes, soit pour la
parfaite exactitude des détails. Ce résultat mérite d'autant mieux d'être
cité, que les dépenses faites par la Suisse, pour l'obtenir, sont très-mini-
mes en comparaison de celles des autres Etats. La revue de M. deSydow
se termine par la Grande-Bretagne, dont il vante surtout les beaux tra-
vaux hydrographiques.
Cet intéressant résumé se trouve complété par un article dans lequel
M. Petermann, examinant l'état actuel de la carte de l'Europe centrale,
indique les parties terminées et celles qui restent à faire.
Ce sont là des recherches de la plus grande utilité pour la géographie,
mais les lecteurs qui ne font pas de cette science l'objet spécial de leurs
études, seront davantage attirés par l'analyse de l'expédition du docteur
Livingston dans TÂfrique méridionale. Ce missionnaire intrépide a passé
seize années à explorer le continent africain. Bravant avec bonheur les
périls d'une pareille entreprise, l'ardeur du climat, la barbarie des habi-
tants, les fatigues et les privations, il est revenu sain et sauf, et vient de
publier un récit bien propre à piquer la curiosité des lecteurs. Comme
la plupart des voyageurs anglais, le docteur Livingston, quoique poursui
vaut un but spécial, a soigneusement recueilli toutes les données qui
peuvent offrir quelque utilité. Â côté de sa mission religieuse, il s est
préoccupé avec non moins de zèle des intérêts de la science et du com-
merce. Son livre enrichira sans doute la géographie de précieuses dé-
couvertes. 11 fait connaître le sud de l'Afrique au moment même où le
voyage du docteur Barth en décrit la partie centrale. Ainsi la route est
frayée sur plusieurs points à la fois aux relations commerciales et l'on
TOTAGBS ET HISTOIRE^ 181
peut dire, sans trop de présomption, que dans un avenir prochain les res-
sources que renferme cette partie du monde ne resteront plus en dehors
du mouvement de Tactivité européenne. M. Livingston fournit des données
très-satisfaisantes sur la fertilité du sol, ainsi que sur les principales pro-
ductions qui pourraient devenir l'objet d'un trafic avantageux. Les faits,
quelquefois assez extraordinaires, qu'il cite, ont besoin sans doute d'être
confirmés, mais ses observations paraissent en général dignes de confiance,
et d'après le compte rendu de M. Petermann nous croyons que ce voyage
mérite d'exciter au plus haut degré l'attention publique.
La Turquie et ses différents peuples, par Henri Mathieu. Paris,
i857;2vol.in-12: 7 fr.
c Tous les hommes d'intelligence conviennent aujourd'hui que l'empe-
reur Nicolas avait bien tâté le pouls à son malade, et il suffit de jeter un
coup d*œil sur ce qui se passe en Orient, pour reconnaître que la paix ne
présente aucune condition de durée, t
Cette phrase, extraite de l'introduction de M. H. Mathieu, indique
nettement l'esprit et le but de son livre. Nous croyons aussi qu'elle ex-
prime un fait incontestable. Si les procédés de l'empereur Nicolas vis-à-
vis de la Turquie ont été l'objet de vifs reproches, c'était plutôt la forme
que le fond qui pouvait prêter au blâme. Il semblait à la fois injuste et crue
de prononcer ainsi sur le sort d'un Etat indépendant. On était d'ailleurs
effrayé des projets de l'ambition russe, et l'argument du czar rappelait
celui d'Agnelet égorgillant les moutons de M. Guillaume pour qu'y ne
mouriont pas de la clavelée. Mais il n'en reste pas moins vrai que le mé-
decin avait bien tâté le pouls du malade; sa position est désespérée, tous
les remèdes ne peuvent plus avoir d'autre effet que de prolonger une
agonie pénible, et qui n'est pas sans danger pour la paix du monde. Mal-
heureusement, on se trouve dans une grande perplexité; la dissolution de
l'empire turc, de quelque manière qu'elle arrive, offre à peu près les
mêmes inconvénients. 11 faudra toujours s'entendre pour le partage ou la
reconstitution du pays, et c'est alors que les prétentions rivales éclateront
avec plus ou moins de violence. Aussi, ne pouvant résoudre le problème,
on Tajourne sans cesse. La guerre d'Orient, qui semblait devoir amener
une solution, n'a rien terminé. Après comme avant, la Turquie subsiste
ou plutôt continue de se dissoudre petit à petit, n'ayant plus la force vi-
tale nécessaire pour lutter contre les agents de destruction qu'elle renferme
MS VOTAOIB «V BISVOIHK.
dans son propre «etn. En vain ie sultan Mahmoud et son serccesseur Abdal-
Mftdjid ontniis leiièé d'introduire des réformes. Leurs efforts se sont brrsés
devant la leorce d'inerlie qui réside dans lepeuple turc. Ils ont pu suppri-
mer les janis8air^8, modifier le costume, disciplinera pen près leur armée,
établir ^quelques Rubriques ; mais la civilisation n*a pas fait un pas, 1^
mœurs turques sont restées lesraémes, et la volonté du souverain soulève
de vives résistances tontes ies fois qa*il touche à l'édifice des vieux tisâgt^
musulmans. Ainsi, malgré ses Tues éclaiçées, Tadministration continue
d'être corrompue et arbitraire, la concussion est à l'ordre du jour rhez les
grands, la rapine organisée chez les petits, il n'y a pour les honnêtes
gens ni justice, ni sécurité, surtout dans les provinces éloignées de la ca-
pitale. Les rouages du gouvernement sont usés; c'est une machine détra-
qu(^e, et le prestige qui, jadis, rendait son action redoutable, n'existe plus.
Comment espérer que six à sept 'millions de Turcs maintiennent aujonr-
d'(hui.seius leur joug abrutissant une population deux fois plus nombreuse,
CMupesée en grande «partie de races plos inteHigentes et plus civilisées? ii
est clair qu'une décomposition prochaine menace cet empire. Déjà de
nombreux sympiômes l'annoncent, et k^s diplomates européens, maflgré
toute leur habileté, ne retarderont iguère la catastrophe. M. Mathien, qui
paraît connaître 4rès-bien la Turquie, r^arde sa 'portion comme désespé-
rée. Les détails que renferme son livre indiquent «n eflPet une décadence
rapide et désormais sans remède. Il montre d'ailleurs, par un résumé bis-»
torique fort intéressant, que le mal date de loin. Le peuple turc, conqué-
rant et nomade, n'eut jamais les qualités qni sont nécessaires pour fonder
unempiredurable. Si l'on^ permissi longtemps .qu'il occupât les plus belles
contrées du monde, cela vient soit de la terreur inspirée par ses wictoires à
l'époque où la tactique militaire moderne était encore dans l'enfance, soit des
prétentions jalouses qui divisaient les puissances européennes. iUais au lieu
d'en profiter pour asseoir sa domination, il n'a su que dévaster, opprimer
et détruire. Maintenant l'armée turque est appréciée à sa juste valeur, eit
quoique le second motif subsiste encore , il ne saurait pkrs arrêter la
marche des événements. Nous croyons, avec M. Mathieu, que le moment
est venu d'agir, si Ton ne veut pas voir l'empire turc «n proie aux hor-*
reurs de la plus eomplète anarchie. L'Europe est trop intéressée dans
cette question pour la laisser se résoudre toute seule ; il importe domcqud
l'opinion publique soit éclairée, et l'ouvrage que nous annonçons ici
nous paraît éminemment propre à remplir une tâche pareille.
\o^M5 tT Aiifumt^. lis
Cinquante JOURS AU bbsgbt» par Ch. Didier. Paris, 1857 ; i vol. iD-16:
% fr.
M. Didier a traversé le désert de Soûakin JQS(J|u*à kàrthoum. Muni de
bonnes recommandations, il s'est vu bien accueilli partout, et g^àce8 aux
provisions de toutes sortes dont fl s'était pourvu, il a fait delà manière la
plus commode cette excursion, (}ue Ton ^é figuré d*ordinaii*è commfe hé-
rissée de j[)éHrs et de souffrances inévitables. Aussi son journal n'off^e-
t-il, d'un bout ^ l'autre, pas trace de fatigue, ni d'inquiétude, toujours
calme et maître de ses impressions, il décrit avec beaucoup d'aisance les
scènes qui le frappent. C'est un observateur ingénieux, habile à discernei*
les moindres traits caractéristiques. Ses tableaux sont sobrement peints,
sans exagération de couleur, ni recherche d'effets ; mais on y trouve h
teinte originale du paysage et les détails les plus propres à satisfaire la
curiosité dos lecteurs. Quoique doué d'un sens esthétique très-développé,
il ne prodigue pas à tout propos les formules de Tenthousiasme. La teri-^
dance un peu misanthrope de son humeur le porterait plutôt à voir soil là
nature, soit les hommes sous l'aspect le moins favorable. Cependant, H
reste en général dans d'assez justes limites, et se borne à rectifier leà
idées fausses auxquelles ont donné cours tant de descriptions ampoulées.
Le Voyage est son élément ; c'est là que ses facultés prennent tout \etit
essor. On regrette que les circonstances ne lui aient pas permis de s'y
consacrer entièrement. La littérature et la politique l'ont trop détoui^Aé
d'une carrière qui devait être la sienne. Il y revient avec joie. Malheureux
sèment l'état de sa vue lui interdit de nouvelles pérégrinations. Mais il
goûte un grand charme à se retremper dans les souvenirs des contréeà
lointaines qu'il a parcourues, et nous sommes persuadés que ses lecteiii^^
ne s'en plaindront paé.
Histoire de la chute du roi Louis-Philippe, de la révolution de 1 84^
et du rétablissement de l'empire, par A. Granier de Cassagnac. Pa-
ris, 1857; 2 vol.in^o : 12 fr.
L'idée principale qui domine l'auteur de ce livi'e est de démontrer ^tiè
la chute da régime de juillet n'a pas eu d'atitre cdusfé que la nature mênrve
des éléments dont il se composait. M. Granier de Cassagnac r^fmd pMnë
justice aux éminentes qualités de Louis-Philippe ainsi qu'à celles de pfth
184 VOYAGES ET HISTOIRE.
sieurs de ses ministres. Il ne met en cloute ni la loyauté de leur caractère^
ni rexcellence de leurs intentions, et reconnaît hautement les services qu'Hs
ont rendus à la cause de l'ordre. La conduite du roi lui paraît en général
digne d'éloges ; MM. Casimir Perler et Guizot méritent à ses yeux d être
rangés au nombre des véritables hommes d*Ëtat qui comprennent et rem-
plissent leur mission, sans se laisser séduire par le trompeur attrait de la
popularité. Mais le gouvernement de juillet devait échouer sur deux
écueils : son origine révolutionnaire, et la nature de ses principes. Quoi-
que Louis-Philippe n'eût pris sans doute aucune part aux intrigues de
l'opposition, ses antécédents et ses tendances libérales contribuèrent
puissamment à le faire accepter. Aussi jugea-t-il d'abord convenable
de se montrer populaire afin de réunir le plus grand nombre possible
de partisans. Cela ne dura pas longtemps, il est vrai , Casimir Périer
vint bientôt relever la dignité royale en meltant fin aux manifestations
de la rue. Mais le nouveau pouvoir se trouvait entouré déjà d ambitieux
prêts à devenir ses plus grands ennemis s'il refusait de les satisfaire.
Il dut se plier souvent à leurs exigences quoiqu'elles fussent contraires à
ses propres intérêts, et c'est ainsi qu'il s'aliéna successivement les di-
verses parties de la nation dans lesquelles il aurait rencontré le plus sûr
appui. M. Granier de Cassagnac cherche à démontrer, en effet, que ja-
Biais le gouvernement de juillet ne réussit à gagner l'entière confiance du
clergé, des paysans et de l'armée. Â ses yeux, du reste, cet échec ne pro-
vint pas de la faute du roi, mais de celle du régime, la constitution parle-
mentaire lui paraît n'être point faite pour la France^ elle ne s'accorde
pas plus avec les mœurs qu'avec les traditions du pays ; à toutes les
époques c'est le pouvoir royal qui a eu l'initiative des progrès, et pour
les accomplir il a dû le plus souvent user d'arbitraire, imposer sa volonté
aux classes politiques disposées à faire résistance. Or, les institutions par-
lementaires ne permettent pas au souverain d'agir ainsi librt*ment ; il a
des ministres responsables qui veulent être consultés, et qui n'oseraient
prendre les mesures les meilleures s'ils croyent qu'elles puissent être
désapprouvées par l'opinion publique. D'ailleurs la Chambre des Députés
était une arène ouverte aux passions; les débats y semblaient avoir souvent
pour but de remuer les esprits au dehors, plutôt que d'éclairer les ques-
tions ou de servir les intérêts du pays; les partis se livraient sans cesse à
de violentes récriminatons, et la foule mobile applaudissait à toutes les at-
taques dirigées contre le pouvoir dont elle avait naguère salué l'avènement
avec joie. Louis-Philippe avait contre lui les légitimistes, les républicains,
V0TÂGE9 ET HISTOIRE. 185
les indépendants , et ne comptait pas chez les conservateurs des appuis
bien solides. On eût dit que la plupart regardait l'opposition systémati-
que comme l'essence du régime parlementaire. C'est ainsi que sa chute
fut préparée d'autant plus sûrement qu'il n'entrait pas dans les intentions
du rbi de recourir à la force pour se maintenir contre le vœu du peuple.
Son pouvoirn'ayant d'autre base qu'une fiction constitutionnelle qui l'avait
supposé l'élu de la nation, il crut devoir le déposer en présence d'un
mouvement qui prétendait être aussi l'expression de la majorité. Le dé-
faut capital de la charte était de laisser le champ libre à l'opposition, tandis
qu'elle interdisait au gouvernement l'emploi de ces remèdes héroïques
qui, dans des crises pareilles peuvent seuls sauver l'Etat. M. Granier de
Cassagnacen conclut que la révolution de 1848 fut un résultat fatal de celle
de 1830, et qu'on ne peut adressera Louis-Philippe d'autre reproche
que d'avoir été trop fidèle à son programme.
Il y a sans doute quelques traits exagérés dans cette esquisse du ré-
gime parlementaire; mais, en général, elle est assez vraie. On ne peut
nier que plusieurs des amis de Louis-Philippe contribuèrent à sa chute
plus encore que ses ennemis. Le parti républicain, réduit à ses propres
forces, ne l'aurait jamais renversé. Les suites de la révolution de 1848 en
offrent une preuve éclatante. Pour la France, république et anarchie sont
presque sjfnonymes. Trois années d'épreuves, de désordres, de tiraille-
ments pénibles ont abouti au rétablissement de l'empire, salué par l'im-
mense majorité du peupl^ comme une délivrance. M. Granier de Cassa-
gnac y voit de plus le véritable régime qui convient au peuple français,
qui peut lui procurer paix, gloire et bonheur. Il donne essor à ses senti-
ments napoléoniens avec beaucoup de franchise, et ne cache pas son an-
tipathie pour le régime parlementaire, mais il sait rendre justice aux
hommes qui, pendant sa durée, défendirent la cause de l'ordre. Peut-éire
le trouvera-t-on moins impartial à l'égard des assemblées que le suffrage
universel chargea de reconstituer la France après la catastrophe de fé^
vrier ; cette époque est trop près de nous pour qu'il soit possible d'en
juger les faits d'une manière complètement désintéressée. Son livre sera
lu cependant avec intérêt, parce qu'il renferme maints détails sur les in-
trigues des différents partis, et présente dans son ensemble un tableau
qui ne manque pas de ressemblance.
IJM SCIBNCBft JMHàtAS «T 90UR1QUB8.
Administration financière drs communes , ou recueil méthodique et
pratique des lois, décrets, ordonnances, arrêts, etc., qui régissent
celte matière, par M. Braflf. Paris, Aug. Durand, 18$7; 2 vol. in-8«:
15 fr.
Les finances sont la partie à la fois la plus difficile et la plus impnt*^
tante de l'administration communale. C'est par une bonne comptabilité
que les communes prospèrent et réussissent à diminuer les charges quit
pèsent sur leurs ressortissants. Toutes les mesures du pouvoir municipal
se traduisent en chiffres dans le budget, dont la balance annuelle perthet
d'apprécier s'il fait un emploi judicieux et convenable de ses revena^. Eh
France, malheureusement, la plupart des communes paraissent avoir die((
ressources tout à fait insuffisantes; sur 36,8S6, il y en a plus de 32,000
qui sont obligées de s'imposer extraordinairement pour couvrir leurs dé*
penses ordinaires les plus indispensables. On comprend donc combieh i]
est urgent qu'à cet état de choses déjà pénible ne viennent pas s'Iajouter
des fautes d'administration qui tendraient à l'aggraver encore. San^ doute,,
aujourd'hui, les règles de la comptabilité sont clairement e^iposëes "àztt^
maints ouvrages que peuvent consulter avec fruit ceux qiii ont besofn
d'en faire une étude spéciale. Mais la théorie n'a pas prévu toutes leë
applications, et le plus habile calculateur se trouve souvent etdbarfàssé
dans la pratique.
c On en a la preuve tous les jours. Les budgets et le^ comptes sôhl
souvent mal préparés ou mal dressés ; les projets soumis à l'examen éé
Tatitorité supérieure sont, la plupart du temps, mal instruits en'béqvi
Concerne les moyens d'exécution : de ISi des retards 'factieux ëi préjertr^
cilbles. Souvent encore, faute de bien connaître les Changea qn^ Ye(rr 'sôot
hnposées, les adfninisti^tions municipale^ refusent de pou^vo^ à ôfeà dé-^
penses strictf ment oUigatoim, et le gouveinement ^ trouve 'dans la>
nécessité de recourir à des moyens coerciftifs pour vaincre leur résistances
Enfin, les principes les plus essentiels sont quelquefois lmé(^Mifus. Or^
oublie, par exemple, que les recettes et les dépenses ne peuvent s'^ffec-*
tuer que conformément aux budgets régulièrement approuvés ; que cer-^
tains fonds ont une destination spéciale dont il n'est pas permis de le&
détourner sans autorisation ; que les fonctions de l'ordonnateur sont in*
compatibles avec celles du receveur. De là des comptabilités irrégulières
ou 6çcfiites<qoi jettent le désordre dsiis les finanees, et engagient gra«*
vene»4 la resporiBabilité pécuniaire et tmoraile éea auteurs >de ces infrac-
tions. »
Frappés de tels inconvénients, dont sa position de sous-chef du bureau
de l'administration et de la comptabilité des communes au ministère de
rintërieur le met à même de constater la fréquence et de ju^r les réso^
tats, M. Braff a voulu y porter remède en présentant, coordonnées et
olassées dans un ordre méthodique et pratique, les nombreuses disposi*
tions qui régissent cette matière, afin de rappeler aux administrations
monicipales les principes qui doivent présider à la préparation, au vote
et à Texécution -du budget et des comptes, ainsi qu'à la bonne gestion des
revenus communaux. Son livre, fruit de recherclies patientes faites avec
soin dans les nombreux documents qu*il avait à sa disposition, nous pt«
Pdît propre à rendre de grands services. C'est un travail très^complet, dh
visé en Irais parties qui traitent, la première du budget, la seconde du
compte de gestion, et la troisième de l'exécution du budget. Dans l'ap-*
pendioe qui termine le volume, on trouvera différents modèles de comp-*-
taUlIté, une nomenclature des pièces soumises au timbre, le tarif de
l'octroi de la ville de Paris, un état présentant la situation financière des
eommunes dont le revenu s'élève à cent mille francs et au-dessus, enfin
divers textes dé loi relatifs à l'administration municipale.
Traité de la police du roulage dans ses rapports avec la compétence
des tribunaux de simple police, par N.-A. Guilbon. Paris, Auguste
Durand, 4857 ; 1 vol. in-8« : 6 fr.
On trouvera peut-être que ce livre arrive un peu tard. En effet, les
ehet&ins de fer tendent è diminuer beaucoup l'importance du roulage, en
)e faisant disparaître de toutes les grandes lignes de circulation. Malgré
éela, nous croyons qu*il pourra rendre encore de précieux services, car
l'industrie; dont il expose les droits et les devoirs est destinée à subsister
encore sur une foule de routes secondaires que les voies ferrées ne sop^
primeront pas. La police du roulage est hérissée de difficultés, les con<^
ti'atentions de cette nature occupent les tribunaux de simple police plus
que tons tes autres f^ts de leur compétence. La plupart sont commises
%iti1e de connaître les innombrables règlements qui régissent la matière.
Il^rt^ive sotfvenft que le juge de paix se trouve loi-même fort embarrassé
198 SClBffCBS HORALBS BT P0L1TIQUK8.
pour en faire l'application. C'est une des parties les plus compliquées de.
la jurisprudence, et Ton ne possédait pas jusqu'ici d'ouvrage complet qui
pût servir de guide soil à ceux que leur profession expose chaque jour
à commettre fort innocemment quelque délit prévu par les lois, soil aux
magistrats chargés de punir de semblables infractions. M. Guilbon a voulu
combler celte lacune, et son travail nous paraît atteindre le but autant
que possible, c Ce n'est pas seulement, dit-il, un commentaire de la loi
du 30 mai et du décret d'exécution du 10 août, c'est (qu'on veuille bien
me pardonner ce titre ambitieux) un traité complet qui, après avoir fait
connaître, en les classant par catégories, les diverses infractions aux-
quelles donne lieu le roulage, sur quelque voie publique que ce soit, res-
sortissant à la juridiction de simple police, et les condamnations dont
doivent être atteints ceux qui les ont commises, ne cesse de s'en occuper
qu'au moment où les parties condamnées n'ont plus qu'à satisfaire aux
décisions de la justice. C'est dire que ce traité embrasse aussi le mode de
constatation des contraventions, la poursuite, la preuve et la répression ;
que les principes sur lesquels repose la compétence, et qui la régissent,
ainsi que les règles de la procédure criminelle y sont exposés et exami-
nés. Du reste, j'ai eu le soin de citer à l'appui de chaque solution les
autorités qui la consacrent ; et, en examinant moi-même les questions
controversées, je fais connaître les motifs sur lesquels sont appuyées les
opinions contradictoires des auteurs et les décisions de la jurisprudence.»
Deux tables laites avec beaucoup de soin rendent cet ouvrage facile à
consulter et contribueront à lui assurer un succès qu'il mérite d'ailleurs à
tous égards.
Les cités de chemins de fer. Paris, Ledoyen, 1857; 1 v. in-18® : 75 c.
L'auteur de ce petit volume, frappé des changements que les chemins
de fer doivent introduire dans les habitudes sociales et des embarras
4]u'ils occasionnent aujourd'hui par suite de l'impossibilité où l'on se
U'ouve de satisfaire à leurs exigences, essaie d'otTrir un aperçu des nou-
veaux progrès que l'avenir nous réserve à cet égard. Il est évident que
J'état actuel des constructions urbaines et des moyens de subsistances
n'est pas en accord avec les besoins d'une locomotion qui devient de plus
en plus active. Si la rapidité du transport facilite beaucoup les voyages,
le nombre considérable des voyageurs est un obstacle qui souvent annule
tous les avantages du système. La cherté des vivres et des logements
SCIBNCES MORALES ET POLITIQUES. 189
compense l'économie obtenue sur le prix des voitures, en sorte que la
locomotion n'est point encore à la portée de tout le monde. C'est là ce-
pendant le but vers lequel les chemins de fer tendent et qu'ils atteindront,
sans aucun doute, lorsque leur influence aura vaincu les résistances de la
routine. Mais nous sommes dans une période de transition, rendue plus
difficile par l'ardeur fiévreuse avec laquelle on a multiplié les entreprises
de chemins de fer. Pour en sortir, l'auteur propose la création de cités
destinées à recevoir la population flottante dans des demeures commodes,
agréables, où l'on pourrait se procurer aux prix les plus modiques toutes
les nécessités de la vie et même des jouissances de luxe. Il voudrait sub-
stituer aux hôtels des pensions semblables à celles qui existent en Suisse^
et leur donner un développement tel que les voyageurs fussent dispensés
d'emporter avec eux un lourd bagage. Son rêve serait qu'on en vînt à
pouvoir se mettre en route, pour faire le tour de la France ou même de
TËurope, avec un simple sac de nuit. A chaque station de quelque impor-
tance, des maisons confortables, entourées de beaux jardins, seraient
prêtes à recevoir les étrangers de passage, ainsi que ceux qui désire-
raient y séjourner plus ou moins longtemps. En utilisant les ressources
puissantes de l'association, on parviendrait à faire jouir toutes les classes
d'un bien-être supérieur à celui que les riches seuls pouvaient se pro-
curer jusqu'à présent.
La description d'une cité de chemins de fer séduira certainement les
lecteurs, et les cinq cent millions que l'auteur demande pour exécuter
son projet rapporteraient de beaux dividendes si, comme il l'espère, ces
établissements sont destinés à prendre un essor rapide et prodigieux.
La fin du monde telle qu'elle est annoncée dans la sainte Bible. Paris,
1857 ; in-12 : i fr. 25.
Ce petit volume renferme tous les passages de l'Ancien et du Nouveau
Testament qui peuvent se rapporter à la fin du monde, soit à l'avéne-
mentdu Seigneur et aux événements remarquables qui doivent précéder
et suivre sa venue. Le but de l'auteur est de rassurer ceux que la pré-
tendue prédiction au sujet de la comète aurait efl'rayés. Non-seulement
elle ne repose sur aucun fait scientifique de quelque valeur, mais elle ne
trouve point sa confirmation dans les livres saints. • Si les chrétiens ont
appris de la parole de Dieu que la terre sera brûlée avec tout ce qu'elle
190 8GWI€BS.Kr êM»^
cofilieniv»'tiSiOoi apipiti». auuasi fue «le jour du Si^igMur viendra oomme
un laiTOB vient pendant la: ntiil*» Ils sav^enl enfoii qu'en parlant à sea^difr»
dples de* son avéillemen^ Jéeu&a dili.s « Pour ce qui est du jour et de
L'heucev peraoAoe ne le^saH ; non, pas infime les anges du.oiel ; mais mon
Bère aeul.» Usi.oni étudié aven soin les saintes Ecritur^e^ et ils n'igno-
reot: pas que certains événeosentSi trop remarquables par eux-mêmes
pottr qu'il leur soit possible de passer inaperçus^ doivent précéder ce
qtt)'oii est coavenuf d'appeler la âa du.monde, c'est-à-dire Tavénement de
Botre adorable Sauveur. >
L*auteur s'e$t borné» du reste, à transcrire les textes sacrés, sans y
ajoultfr aucun, commentaire. Seulement il les a divisé en six parties, dont
la première concerne les. Israélites, la deuxième l'antechrist, la troisième
ta situation du monde et de l'Eglise lors de la seconde venue de Jésus-
Gbrist et les effets que produira son avènement, la quatrième le mille*
ntiifli, la cinquième après le millénium, enfin la sisûèroe l'influence que
bi croyance au fait de Tavénement du Seigoeur doit avoir sur la vie des
chrétiens.
Nouveaux éléments de pathologie générale et de séméiologie^ par B»
Bouchut. Pari», 1857; 1 gros vol. in-8, fig. : 12 fr.
L'auteur de cet ouvrage appartient, s'il est permis de s'exprimer ainsi,
à l'école de M. Ajoidral. Il se tient également éloigné du matérialisme
systématique et du spiritualisme exagéré. Tout en faisant la part de la
matière et des forces qui l'animent, il ne croit point que la vie soit un
résultat, il la considère comme une force surajoutée à la matière et dis-
tincte des propriétés du tissu vivant. C'est dans cette alliance qu'il étu-
die l'origine, le développement et la fin des maladies, qui en sont les
effets.
Ces éléments sont divisés en trois parties bien distinctes.
c< La, première,, dit l'auteur, est relative aux notions générales de la,
maladie etd&sa nature; de ses causes envisagées dans ce qu'elles ont
de plus élevé par rapport aux influences de l'air, des eaux et des lieux y
de Tâge,. du sexe, du tempérament et de la constitution ; des professions,,
des idiosyncrasies et de l'hérédité ; des poisons, des venins, des effluves
en des virus ; des endémies, de l'infection et de la contagion ; de la spé-
e\iâiéf d(Si djatbèses^ etc. ; aux élémeoia^de la. i«k»td()k^ et. ^ux. fermer
qii'eU«i pfié^enle'; %mx. ph^omèo^Si quii acfcompagneoi s^y évoliutiûA et aa
fini; à la «oftvalegoeoce ei au pr^Nidstiq; enfin» smx. lois géo^rj^lies da la
théirap^tiqua^t 4es médicatiooa. pntMÙtpojemepi. eaipioyéa$.. CeUe p^e-*^
mièra panie sei terooine par l'exposé die$ Q;iétbade& d^ ^amçiMîlafure et de
classification à mettre en usage.
• Dans la seconde partie j'ai exposé les faits généraux qui servent de
base à la formation des principales classes morbides, telles que les /(èvrea,
les éiflammaùonSf les hytkropisieBf tes hémorra§i€9, les gamjgfhnei^ les
flux, les pneumatoses, les noêorgemiês^ les* névroses^ etc. H m'a paru
impossible de laisser ces questions en dehors d'un ouvrage destiné à faire
connaître les principes fondamentaux de la science. Je leur ai donné
les développements nécessaires et, pour mieux faire comprendre la
d(^scription , j'ai placé dans le texte de la classe des nosorganies, où
se trouve l'anatomie pathologique générale , un grand nombre de plan-
ches explicatives des altérations élémentaires du tissu, produites par
les nosorganies homœomorphes et hétéromorphes , telles que Tatro*
phie« l'hypertrophie , les épithéliomas , le cancer , les cancroïdes, le
tubercule, etc. Ces figures, empruntées au bel ouvrage d^anatomîe pa-
thologique de M. Lébert, sont relatives aux altérations somatiques, ap-
préciables seulement au moyen du microscope.
« On peut bien ne pas accepter les doctrines de la micrologie moderne,
mais il est impossible de ne pas tenir compte de ses découvertes. Je suis
heureux, pour mon compte, de servir un instant d^interprète à des sa-
vants dont je désire honorer les travaux, me réservant de faire en son
lieu la critique des conclusions qu'on a prématurément tirées de leurs dé-
couvertes anatomo-pathologiques.
c Dans la troisième partie, ou Séméiotique, j'ai exposé les signes four-
nis au diagnostic et au prognostic, par Tt^xamen d'es modifications de l'ex-
térieur du corps et des troubles survenus dans l'exercice des fonctions.
La séméiologie de Double et de Landré-Beauvais, celle qu'on trouve dans
le livre de M. Chomel, le traité du diagnostic du professeur Rostan, celui
du professeur Piorry et celui de M. Racle m'ont guidé dans ce travail où
je n*ai eu souvent qu'à reproduire, en les contrôlant, des observations
anciennes ou modernes sur la signification des phénomènes morbides. On
y trouvera un exposé des signes fournis par l'habitude extérieure du
corps, par l'examen de l'appareil digestif, respiratoire, circulatoire géni-
tal, urinaire et cutané, par l'examen des produits de sécrétion, etc. L'aus-
192 SCIBIICB8 ET ARTS.
cultation et la percussion y occupent une place importante, et les services
que ces deux moyens d'exploration rendent au diagnostic justifient les
détails dans lesquels je suis entré à leur égard. Cette troisième partie
complète les deux premières; elle en étend le cadre au delà de ce qui ft
été fait généralement jusqu'à ce jour» et de manière à répondre aux be-
soins de l'enseignement. >
Cours d'analyse de l'Ecole polytechnique, par M. Sturm. Paris 1857 ^
2 vol. in-8: i2 fr.
M. Sturm se proposait de publier cet ouvrage, et travaillait à le pré-
parer, lorsque la mort est venue le surprendre. L'un de ses élèves,
M. E. Prouhet, qui l'aidait dans la révision du texte et dans la correc-
tion des épreuves, est donc resté seul chargé de terminer ce travail. Le
cours d'analyse est la reproduction des legons faites par 1 auteur à l'Ecole
polytechnique, et qui furent d'abord rédigées par quelques élèves de cette
école. Une telle rédaction offre l'avantage de rendre assez fidèlement la
pensée du professeur, et de conserver ce qu'il peut y avoir d'heureux
dans l'improvisation ; mais il a fallu en faire disparaître maintes fautes de
calcul et de langage qui s'y étaient glissées. Pour cela, M. Prouhet s'est
servi des cahiers de M. Sturm, renfermant un programme très-détaillé
de son cours, et quelquefois des théories entièrement rédigées par lui. Il
a profité en outre de corrections que l'auteur avait indiquées en marge
d'exemplaires lithographies, et s'est conformé à ses intentions, en sup-
primant de nombreuses répétitions indispensables dans un cours oral,
mais inutiles dans un livre où elles peuvent être suppléées par des ren-
vois. On y retrouvera saus doute les éminentes qualités par lesquelles se
distinguait l'enseignement du professeur.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
JLiTTERATimi:.
Du ROMAN ET DU THEATRE CONTEMPORAINS et de leuF influence sur les
mœurs, par Eug. Poitou, ouvrage couronné par l'Institut. Paris,
Aug. Durand, 1857 ; 1 vol. in-8 : 5 fr.
Dans cet ouvrage, M. Poitou traite des questions du plus haut in-
térêt sur lesquelles il importe d'attirer l'attention publique. On est, en
général, trop enclin à regarder la littérature comme un simple amuse-
ment de l'esprit, et la plupart des écrivains, romanciers ou poètes, se W-
vrent à tous les caprices de leur fantaisie sans s'inquiéter de la respon-
sabilité morale qui leur incombe. Cependant leurs œuvres exercent une
influence incontestable. En ex[)rimant les tendances de l'époque, elles peu-
vent, sinon les changer, du moins les modifier plus ou moins, stigmatiser
avec énergie leurs excès dangereux, ou bien au contraire les revêtir de
couleurs séduisantes qui ne font qu'accroître l'intensité du mal. De nos
jours, ce dernier rôle est celui que la littérature paraît avoir choisi de
préférence, comme plus propre à satisfaire les velléités ambitieuses de ses
adeptes. En effet, c'est ainsi que maints auteurs ont obtenu fortune et
renommée en flattant avec adresse les préjugés ou les instincts de la
foule, en se faisant les auxiliaires du communisme, les organes éloquents
de toute espèce de révolte contre l'état social. M. Poitou en cite d'abon-
dantes preuves tirées de leurs écrits. Ce sont d'abord des atteintes à la
morale privée. Ni le mariage, ni la famille, ni les idées religieuses ne
trouvent grâce devant eux. Ils exaltent l'adultère, proclament la légiti-
mité de la passion, vantent le suicide, et par un perfide entassement de
sophismes jettent la confusion la plus complète sur les principes du bien
et du mai^ en sorte qu'il ne reste plus à 1 homme d'autre guide que
l'intérêt personnel, d'autre but que le succès, d'autre avenir que le
néant. Dès lors il devient l'ennemi naturel de la société dont les lois ré-
priment ses mauvais penchants. C'est un joug odieux auquel il prétend
13
194 LtrrBiiATtaE
se soustraire par tous les moyens possibles, eu rejetant sur elle la res-
ponsabilité des crimes qu'il aura commis. Pour lui toute la morale publi*
que se résume en un appel aux passitns du pauvre centre le riche qu'on
lui peint comme Tauleur de ses souffrances, et le principal obstacle à la
réalisation des merveilles ynsaisos pw k stoialisme.
Le simple exposé de pareilles doctrines suffit pour faire comprendre
quelle influence elles ont exercée. D'ailleurs les résultats en sont assez
évidents. « Vous demandez, dit M. Poitou, quel mal a fait cette littéra-
ture ? Ouvrez les yeux ; interrogez les faits. Regardez où nous ont con-
duits les idées, les doctrines morales* les théories philosophiques et so-
ciales préchées depuis vingt-cinq ans. Sondez, si vous pouvez, les plaies
secrètes, à demi cachées aujourd'hui, mais non guéries et toujours sai-
gnantes, que porte au flanc notre société. Cherchez d'où vient le trouble
profond qui s'est produit dans les emiditionft dt sa vie morale. De-
matidez^vous ce qui l'a faite ce qu'elle est, c'est-à-dire natérialiste, aeep-
t^qite et méprisante, trois caractères qui b distinguent tristement aujour-
d'hui. Qui? sinon la littérature dont elle a été nourrie, saturée; Aon point
la littérature seule, je le sais ; mais certainement ki littérature plus que tout
le reste.
€ Et maintenant jugez l'arbre à ses fruits ? Par la moisson que nous
ïivot)s récoltée , jugez et quelle a été la semence et quelles racines elle
avait jetées dat)s le sol ! »
Cne certaine réaction commence heureusement ï s'opérer, mais «Ile
ne guérira pas de sitôt les nM^iladies er^endrées par ce venin corrupteur :
le dégoût de la vie utile, l'exaltation de la passion et le seos&alisme
pratique, l'affaiblissement de l'esprit de famille et du principe d'autorité,
l'anarchie morale enfin, qui détruit le sentiment de ^ia responsabHité
personnelle et proclame le droit au bonheur.
De grands efforts sont nécessaires pour combattre ces éléments de
dissolution sociale. « Ce ne sera qu'en s'arrachant aux étreintes mortelles
du matérialisme, qu'en revenant aux traditions qui ont fait jadis sa
grandeur, que l'art retr\)uvera le chemin du sublnac et dti beau. En de-
faôirs de ces croyances élevées qui sont le commun patrimoine de Thu-
ftiafiîté, en dehors de ce spiritualisme généreux qui a inspiré ks graeds
génies de tous les svèoles, l'art est stérile; et la littérature, vain jeu d'es-
prit, n'enfantera jamais ces œuvres inMwortelles qui, après avoir consolé
les générations contemporaines, restoot pour charmer encore les {péoéra-
tions à venir. »
Nous ëympat<bisoQ8 eompIétemeAt avac U Hiani^e da vpir de M. Poi-
tdd. Ses a(){ii^ciaiioDS yUiéraires i)ou6 paraissant, en gién^ral, trèstjustes,
6t s&o travdtl, rempli d'aperçus ingénieux, méritaitbien d'être couronné
par rAoadémie dea sciences morales et politiques. Mais on regrettera peut-
éire quie routeur se soit renfermé strictement dans les limitas du pro-
gramme, et n'ait pais essayé do remonter aux causes premières du mal
dmit il décrit si i^en les symptômes et les effets. Il mdaque à son ta-
bleau un trtit «sseiz important: c'est l'absence de conviction chez les
écrivains qui ont contribué le plus à propager des doctrines funestes ,
aiau 4u'à f)Maat«ser les masses en faveur de principes auxquels ils n*ac-
«ordaienl pas euxHSêmes la moindre coAienoe. Nous engageons M, Poi-
tou à combler celle lacune par un aperçu des circonstances au milieu
deequeiles s'est formée la génération d'hommes de lettres dont les (ouvres
font le sujet de .sm mémoire.
Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme , par Fran-
çois Meunier. Paris, A. Durand, 1857; i vol. in-8 : 3 fr. 50.
Nicole Oresme vivait en France au quatorzième siècle. Il se distingua
par son savoir, par la sagesse et la fermeté de son esprit. Son origine
n'est pas connue, on sait seulement qu'il était pauvre, qu'il étudiait la théo-
logie au collège de Navarre, à Paris, et que grâce sans doute à ses qualités
remarquables il y devint boursier, puis docteur , et enfin grand maître,
c'est-à-dire supérieur général de tout le collège et maître particulier de
la division de théologie* En 1361, il fut élu doyen de l'élise de Rouen
par le chapitre de cette ville, dignité qu'il conserva pendant seize années,
jusqu'à ce que l'évêché de Lisieux venant à vaquer, le roi Charles V
le fit donner à Nicole Oresmie, pour lequel il avait une haute estime. On
croit que [>resque tous ses écrits datent de son séjour à RoueiK Ce sont
des traités sur rastrologie^ sur les .sciences physiques et naturelles, sur la
théologie et la prédication , sur la cosmographie, sur la morale» sur la
politique et sur l'économie sociale et domestique. On y trouve l'érudi-
tion encyclopédique de l'époque, mais avec des vues plus larges et plus
éclairées que chez la plupart de ses contemporains. Il ne craignait pas de
combattr«,*spuvent avec beaucoup de vigueur, les préjugés, alors très-
répandus, concernant l'astrologie et la divination qu'il traite d'idolâtrie,^
disant que « c'est folie et présomption que nature humaine veuille savoir
196 UTTI^RATURB.
ce qui appartient à Dieu tant seulement. > Dans un petit ■ Traité de la
première invention des monnaies et des causes et manières d'icelles^»
il émet des idées très-justes et fort avancées pour son temps , soit sur
la stabilité qu'il importe de maintenir dans les lois qui règlent celte ma-
tière, soit sur les déplorables résultats qu'entraîne l'altération des mon-
naies. Sa traduction des principaux ouvrages d'Aristote, quoique faite d'a-
près des versions latines, parce qu'il ne savait pas le grec, contribua beau-
coup à sa renommée. Elle conserve encore un certain intérêt au point de
vue de la langue française, dans laquelle Oresme paraît avoir introduit
le premier une assez grande quantité de mots nouveaux que l'usage a
consacrés presque tous. M. Meunier en dresse la liste, curieuse à par-
courir et bien propre à faire apprécier le mérite de lécrivain qui sut
enrichir ainsi le vocabulaire français. Il marque ainsi d'une manière très-
judicieuse la place qui appartient au nom d'Oresme dans Thistoire litté-
raire. Sa thèse est un bon travail, fait consciencieusement, et dans lequel
on puisera des données précieuses sur le mouvement intellectuel du qua-
torzième siècle.
L'hérésie de Dante démontrée par Francesca de Rimini, devenue un
moyen de propagande vaudoise, et coup d'oeil sur le roman du Saint-
Graal ; note lue à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Paris,
veuve Renouard, 1857 ; in-8.
M. Âroux ne se lasse pas d'accumuler les'preuves à l'appui de son in-
terprétation de la Divine Comédie du Dante. Aux critiques dont elle est
l'objet, il répond par des recherches nouvelles, pleines de détails curieux
sur les doctrines des Cathares ou Albigeois, et sur les formes symboli-
ques dont ils les avaient entourées pour échapper au reproche d'hérésie.
Suivant lui ces formes se sont en grande partie conservées et transmises
jusqu'à nos jours chez les francs-maçons, quoique le sens en ait été de-
puis longtemps perdu. La thèse que soutient M. Aroux est fort étrange.
Il ne voit qu'allégories jusque dans les conceptions les plus poétiques de
Dante, et la gracieuse image de Françoise de Rimini devient, à ses yeux,
une église vaudoise, victime de la persécution. C'est assurément pousser
bien loin le système à l'aide duquel il prétend démontrer Thérésie du
poëte.'Mais on peut dire que dans cette voie il n'y a que le premier pas
qui coûte. Une fois l'hypothèse admise, les démonstrations se multiplient
LlTTBRATUftB. 197
SOUS la plume de l'explorateur convaincu. L'idée qui s'est emparée de
lui le domine trop pour que son jugement puisse rester tout à fait libre.
Du reste, il se montre ingénieux dans ses interprétations qui se coordon-
nent et s'appuient d une manière assez remarquable. Aussi l'échafaudage
qu'il est parvenu à construire séduira peut-être bien quelques lecteurs.
Mais il paraît peu conciliable avec ce que l'on connaît du caractère de
Dante, et nous doutons fort qu'il résiste à Tépreuve d'une discussion sé-
rieuse. Quoi qu'il en soit, la polémique soulevée par M. Âroux ne sera
pas inutile, car, en faisant étudier la Divine Comédie sous un nouveau
point de vue, elle peut amener des découvertes intéressantes.
— A propos de Dante, nous avons reçu de M. B. Castiglia, dont nous
annoncions dans notre précédent numéro la réponse à M. de Lamartine,
une lettre trop longue pour être insérée tout entière ici. Mais l'auteur, se
plaignant de ce que nous l'avons rangé parmi les admirateurs fanatiques
du Dante, nous devons, pour être juste, donner place au fragment sui-
vant, dans lequel il expose son interprétation de la Divine Comédie.
« Le Dante qu'on croit comprendre n'est pas Dante à son point de vue
véritable. Dante est le philosophe et le poëte humanitaire du moyen âge.
Lui, le premier, prononça le mot de civilisation ; bien plus, de civilisation
du genre humain (cwiliULS humani generis).
< 11 donna la déBnition et la théorie de l'humanité. Pour lui, l'huma-
nité ne consiste que dans rintellectualité. La mise en acte (acttmtio) de
cette intellectualité tout entière, d'abord pour spéculer, ensuite pour réa-
liser, voilà la fin de l'humanité prise dans sa totalité (generis humani
totaliier cuicepti).
« La raison, la foi, la vue directe de la divinité, en sont les phases. En
les parcourant, l'humanité se réhabilite.
. c Née de la divinité, elle y retourne, et y jouit, en âme et en corps, par
la vision de la vérité, la vie de l'amour, la liberté de l'esprit.
1 La Divine Comédie est une conception puisée à cette théorie.
€ A travers les règnes de l'invisible, Dante voyage vers la vue de Dieu.
« Par son arrivée au paradis terrestre, il se complète dans la raison.
c Par son ascension à l'Empyrée, il se parfait dans la foi.
« Dès lors, en âme et en corps, au delà de tout milieu, il va à la vue
face à face de la divinité.
€ Son esprit progresse toujours. La divinité elle-même lui paraît sous
différents aspects. Dans le dernier, il la voit peinte de l'effigie humaine;
U cherche, mais il ne peut voir comment cette combinaison se fait.
198 Li«rtf»AVUiiff.
« Ll finit Dante et sa Cemëdre.
1 Le dernier mof de Dante, ce sera le premier de l'époqoe nouvelle*
H. de Lainartifie, peéte d*individuaHsme, ne eomprend rien ^ cas deuK
poésies, Evangile et Dante, où sont les formules du problème d& l'huoi*»
nité dans les deux phases antérieures.
i On s'acharne, drt^it, à regarder dans le vide.
€ Eh bien, à Thecrre qv'il^ est, c*^e8t dans \evid& ^u'on doit regzTÛw.
La vérité est dans le mystère. Les mondes, qu'on croit voir en eux, vonâ
être culbutés.
< Pour l'humanité, ils ne sont que eoneeptio», visieti, correspondance,
eifrleiiation dans la parole.
« L'animalité est une couche; rhuma«ité en est une autre. GolleH)i se
forme dans la traduction, dans l'extemation , dans le co'imténdémevUy
dans les signes de la voir.
< Par Ift se crée l'esprit et son monde, qfui sort par la bouche^ entra
par les oreilles, et communique en invisible.
« La parole est le veimbs des kingues.
• Interprétées par ce verbe, les langues signifient autres ctiose qlie ce
qir' elles ont signifiés jusqu'ici. Elles signifient le otonde invisible, où Vhu^
manité est invisible, s'enfante, baNte, correspond, communie; et de son
invisible devine, maîtrise, exploite son animalité et tout ce qui, à Taide
dé son anifflsKté, correspond avec son esprit*
« A l'occasion d'une controverse sii^r Dante, j'ai voulu poser les pré«
cédents et les formules de cette révélation nooveHe, signakr la source da
i'intellectualité, expliquer la divinité,* y saisir l'origine eilesoM vrai de^.
l'humanité.
« La réalité, qu'on met dehors, m la voit cooter de l'esprit ; elle ne*
devient que la correspondance avec l'invisible, qui s'étabbl dans les sons
de la voix, dans le vert^ de* la parole.
c Est-ce de TidoUtrie, dti fanatisme pouv Dante ? »
Dred, histoire du grand marais maudit, par M^<^ H. Beecher-Stowe.
Paris, 1857;2 vol. în-12 : 4 fr.
Dans ee nouveau roman , i'antieur de VOncèe Tom fM)ursttH eoun^eu-
sèment sa* lutt^ contre les défecrseurs de Tesclavage. Après avoir montré^
que le nègre peissèd» oomme le bland ug^ âme kttniortelle et perfectible, il'
entreprend aujourd'hui d'esquisaer le tableau des funestes eonséqueooes
qu entraîne Tesclavage peur ceux-là même qui se croieiit te plus inté-*
ressés à le maintenir. C'est la question traitée sous un point de vue dif^
férent, plus général et peut-être aussi plus propre à frapper ceux qui
restent sourds aux touchants appels de la pitié. M>^ Beeeher-Stowe ne
cnint pat de sonder la plaie et d'y reiourner le fer. Elle comprend
riniportance de ce redoutable problème pour l'avenir des Etats-Unis, et
croit urgent de (Nrovoquer sa solution par tous les ni>oyens possibles.
Aossi se lance-t-elle résolument dans la lice au risque de soulever des
passions ardentes qui semblent n'attendre qu'un signal pour lever l'éten-^
^ard de la guerre civile. La crise est imminente, s'accomplira- t-elle dans
le calme ou par h violenee? nul ne le sait; mais il faut qu'elle s'accom*
plisse. Les retards et les ajournements ne serviraient qu'à la rendre plus
terrible. Mieux vaut qu'elle ait lieu tandis que la nation possède encore
assez de vigueur pour la supporter.
Dred nous présente le type du nègre rebelle qui rêve l'affranchisse**
ment de sa race et l'extermination des blancs. Les souffrances de Tes-
chvage ont produit chez lui une exaltation fanatique. L'énergie de son
caractère et ses tendances religieuses très-prononcées en font une espèce de
prophète inspiré dont les moindres paroles sont reçues comme des oracles.
Il devient le chef d'une vaste conspiration qui n'aboutit qu'à des scènes
de carnage sans résultat. C'est le propre du régime actuel de ne pouvoir
enfiinter que des conséquences funestes. 11 exaspère les esclaves et cor-
rompt les maîtres, en sorte que les uns n'aspirent qu'à se venger, tandis
que les autres emploient sans scrupule aucun les moyens de défense les
plus barbares. Des deux côtés les idées de justice et de morale font
également défaut. C'est une lutte sauvage où les adversaires rivalisent de
perfidie et de cruauté. La civilisation ne saurait résister longtemps à
pareflfe épreuve. Aussi p^t-on déjà signaler dans l'Union américaine
bien des symptOmes menaçants. Les maux qui résultent de l'esclavage
prennent chaque jour plus d'extension, et si l'on n'y porte pas un prompt
remède» les Etats-Unis risquent fort de voir leur liberté, peut-être m^roe
leur existenœ, compromise par cette déplorable question, qui domine
maintenant tous les débats soit politiques, soii religieuK. Les partisans 4e
l'oeelavage recourent sans pudeur aux sopbismes les plus monstrueux
pour la concilier avec les principes du christianisme, ainsi qu'avec ceux d^
la démocratie. M^** Beeeber-Stowe en cite des exemples qui font frémir.
Elle nous peint, entre autres* un meeting où des onissionnaires vienoent»
200 VOYAGES BX HI8T0IRB.
la Bible à la mainp faire Tapologie des propriétaires d'esclaves et de leur
conduite inhumaine. De tels blasphèmes proférés du haut de la chaire
exercent sur les esprits une influence désastreuse. La doctrine chrétienne
est dès lors complètement faussée et ne peut plus servir de {çuide à la. con-
science, ni de frein aux passions. On ouvre ainsi la porte à toutes les sub-
tilités de la casuistique dont l'intérêt personnel s'accommode si bien. Les
mœurs de la société américaine s'en ressentent déjà. Le sens moral n'y
joue trop souvent qu un Me secondaire. Dans la vie publique surtout il n'a
presque plus d'autorité; l'esprit de parti, le formalisme, et quelquefois la
violence triomphent aux applaudissements de la foule. On sera frappé des
tristes révélations que Dred renferme à cet égard. L'auteur ne ménage
pas l'amour-propre de ses compatriotes. Sa plume vigoureuse déchire les
voiles de l'hypocrisie et met à nu la corruption des cœurs. Il estime que
c'est le meilleur moyen de sauver la partie saine de la nation qui, Dieu
merci, conserve encore assez de vie pour qu'il n'y ait pas lieu d'en dés-
espérer.
DredoSre d'ailleurs maints incidents dramatiques et sera lu certainement
avec beaucoup d'intérêt. Mais au point de vue littéraire on peut lui adresser
les mêmes reproches qu'à ï Oncle Tom: M'^^ Beecher-Stowe accumule les
épisodes autour de la thèse qu'elle cherche à prouver et se préoccupe
assez peu de la trame du roman. Cela ne l'empêche pas, ii est vrai, de
captiver ses lecteurs par des caractères habilement tracés, ainsi que par
la peinture de scènes dans lesquelles éclate un esprit d'observation très-
remarquable.
VOYAGES ET HISTOIRE.
Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le
siècle de Louis XIV et la régence, collatiqnnés sur le manuscrit ori-
ginal, par M. Chéruel, et précédés d'une notice par M. Sainte-Beuve.
Paris, 1857 ; 20 vol. in-8« : 80 fr.
Cette édition, pupliée par la librairie Hachette, est une des plus com-
plètes et des plus soignées qui aient encore été faites des Mémoires do
Saint Simon. Treize volumes sont en vente, et les suivants ne tarderont
pas à paraître. L'introduction de M. Sainte-Beuve est un morceau très-
remarquable, dans lequel Tœuvre du gentilhomme écrivain se trouve
appréciée avec non moins de finesse que de sagacité. Nous ne saurions
mieux faire que d'en donner ici l'extrait suivant :
VOYAGES ET BISTOIBB. 201
c Saint-Simon, en entrant dans le monde à l'âge de dix-neuf ans,
dénote bien ses instincts et ses goûts. Dès le lendemain de la bataille de
Nerwinde (juillet 1693), à laquelle il prend part comme capitaine dans le
Royal-Roussillon, il en fait un bulletin détaillé pour sa mère et quelques
amis. Ce récit a de la netteté» de la fermeté; le caractère en est simple ;
on y sent Tamour du vrai. Le style n'a rien de cette fougue et de ces ir-
régularités qu'il aura quelquefois, mais qu'il n'a pas toujours et nécessai-
rement chez Saint-Simon. A force de le vouloir définir dans toutes ses di
vcrsités et ses exubérances, il ne faut pas non plus se faire de ce style un
monstre. Très-souvent il n'est que l'expression la plus directe et la plus
vive, telle qu'elle échappe à un esprit plein de son objet.
L année suivante (1694). dans les loisirs d'un camp en Allemagne, il
commence décidément ses Mémoires qu'il mettra soixante ans entiers à
poursuivre et à parachever. Il y fut excité c par le plaisir qu'il prit, dit-il,
à la lecture de ceux du maréchal de Bassompierre. • Bassompierre avait
dit pourtant un mot des plus injurieux pour le père de Saint-Simon : cela
n'efmpêche pas le 61s de trouver ses Mémoires très-curieux, c quoique dé-
goûtants par leur vanité. >
c Le jeune Saint-Simon est vertueux : il a des mœurs, de la religion;
• il a surtout d'instinct le goût des honnêtes gens. Ce goût se déclare d'a-
bord d'une manière singulière et presque bizarre par l'élan qui le porte
tout droit vers le duc de Beauvilliers, le plus honnête homme de la Cour,
pour lui aller demander une de ses filles en mariage, ou l'aînée, ou la
cadette, il n'en a vu* aucune, peu lui importe laquelle; peu lui importe la
dot; ce qu'il veut épouser, c'est la famille; c'est le duc et la duchesse de
Beauvilliers dont il est épris. Cette poursuite de mariage, qu'il expose avec
une vivacité si expressive, a pour effet, même en échouant, de le lier
étroitement avec le duc de Beauvilliers et avec ce côté probe et sérieux de
la Cour. C'est par là qu'il se rattachera bientôt aux vertueuses espérances
que donnera le duc de Bourgogne.
c Une liaison fort différente et qui semble jurer avec celle-ci, mais qui
datait de l'enfance, c'est la familiarité et l'amitié de Saint-Simon avec le
duc d'Orléans, le futur Régent. Là encore toutefois la marque de l'hon-
nêteté se fait sentir; c'est par les bons' côtés du Prince, par ses parties
louables, intègres et tant calomniées que Saint-Simon lui demeurera atta-
ché inviolablement ; c'est à cette noble moitié de sa nature qu'il fera éner-
giquement appel dans les situations critiques déplorables où il le verra
tombé; et, dans ce perpétuel contact avec le plus généreux et le plus
spirituel des débauchés, il se préservera de toute souillure.
2«&
VOTA6B0 BT RlflTOM.
« A?ee le goût des hoDOétes gens, il a l'antipathie non nnrins prompte^
et non moins )nstineti¥e contre les coquins, les hypocrites, les âmes basses-
et merMOffhrs, les courtisans pNts et uniquement intéressés. H les reeo»*
natly il les devine à distance, il les dénonce et les démasque ; il sen>ble, à
la manière dont il les tire au jour et les dévisage, y prendre un plaisir
amer et s'y acharner. On se rappelle, dès les premiers chapitres des Hé-»
moires, ce portrait presque effrapnt du magistrat pharisien, du fkux Ga-
ton, de ce premier président de Harlay, dont sous des dehors austères il
notis bit le type achevé du profond hypocrite.
c Mais il avait à s*en plaindre, dira-t»on, et ici, comme en bien des cas,
en peignant les hommes il obéit à des préventions haineuses et à une hu-
meur méchante : je vais tout d'abord à l'objection. Selon moi, et après
une étude dix fois refaite de Saint-Simon, je me suis formé de lui eettv
idée : il est doué par nature d'un sens particulier et presque excessif
d'observation, de sagacité, de vue intérieure, qui perce et sonde les
hommes, et démêle les intérêts et tes intentions sur les visages: il offre^
en lui un exemple toute fait merveilleux et phénoménal de cette disposi*-
tion innée. Mais un tel don, une telle faculté est périlleuse si l'on s*y
abandonne, et elle est sujette à outrer sa poursuite et à passer le bul. Les
tentations ne sont jamais pour les hommes que dans le sens de leurs pas-
sions : on n'est pas tenté de ce qu'on n'aime pas. Dès le début, Saint--
Simon, fils d'un père antique, et, sous sa jeune mine, un peu antique lui*»^
même, n'a pas de goût vif pour les femmes, pour le jeu» le vin et les
autres plaisirs; mais il est glorieux: il tient au vieux culte; il se fait vu
idéal de vertu patriotique qu'il combine avec son orgueil personnel et ses
préjugés de rang. Et avec cela il est artiste, et il l'est doublement : il a
un coup d'œil et un flair ^ qui, dans cette foule dorée et cette cohue appa»
rente de Versailles, vont trouver à se satisfaire amplement et à se re^
paître*, et puis, écrivain en secret, écrivain avec délices et dans le mys-
tère, le soir, à huis clos, le verrou tiré, il va jeter sur le papier avec feu
etftaamie ce qu*il a observé tout le jour, ce qu'il a senti sur ces hommes
qu'il a bien vus, qu'fl a trop vus, mais qu'il a pris sur un point qui sou-
vent le touchait et l'intéressait. Il y a là des chances d'erreur ot d'excès
jusque dans le vrai. Il est pértiieux, même pour un honnête homme, s'il
' Je n'emploie le mot que parce que lui-même me le fournit. Il dit quel-
que part, à l'occasion des joies secrètes, et des mflle ambitions flatteuses
mises en mouvement par une mort de prince : < Tout cela, et tout à la fois,
se sentait comme au nex.»
est passionné, de sentir qui) écrit sans eentrôle, et qu'il peint son moada
sans esnfronlatton. Je ne parle en ce moment que de ce qu'il a obsevvéi,
Iiiï-ro6me et dire«teineiit : car, pour ce qu'il n'a su que par ounlire et oe
qn^H a recuettii par conversatio», it y aura, d'autres cbanceAd'arreiur en-*
corequi s y mêleront.
< Chioique Saint-Simon ne paraisèe pas avoir été homme à netlrede la
critique proprement dite dans l'ea^ploi et le résultat de ses reebotrehes, et
qo'il ne sembie avoir guère fait que verser sur sa preaûère observation»
toute chaude et toute vive, une expression ardente et à l'avenant, aan soio
ne portant ensuite que sur la manière de coordonner tout cela, il n'est
pas sans s'être adressé des objections graves sur la tentation à laquelle il
était exposé, et dont l'avertissait sans doute le singalier plaisir qu'il trou**
vait à y céder. Religieux par principes et chrétien sincère, il se fit des.
scrupules de consciensce, ou dFu moins il tint à les eiapêchfer de naître et
à se metti*e en règle contre les remords et les faiblesses qui pourraient un
jour lui venir à ses derniers instants. SM lut avait Êillu jeter au feu ses
Mémoires, croyant avoir fai4 un lonf péché, quel dommage, quel arracheir
ment de cœur ! Il songea a^sez naïvement à prévaiir ce danger» Le. dis-
cours préliminaire qu'il a mis en tdte nous témoigne de sa préoccupation
de chrétien, qui cherche à se démontrer qu'on a droit liistoriquemenl de ;
tout dire sur le compte du prochain, et qui voudrait bie» concilier la cbsH
rite avec la médisance. Une lettre écrite à l'abbé dis Rancé, et par laqueUe
il le consultait presque au début sur la mesure à observer dans la rédac-»
tion de ses Mémoires, atteste encore mieux cette pensée de prévoyance;
il semUe s'être fait donner par 1 austère abbé une'absolutiofi plénière, une.
fois pour toutes. Saint-Srmon, dans son apologie, admet ou suppose tou-»:
jours deux choses : c'est, d'une part, qu'il ne dit que la vérité, et, de
l'autre, qu'il n'est pas impartial, qu'il ne se pique pas de l'êire, et» qu'eo'.
laiissant la louange ou le bldme alier de 8onrc$ à l'égard de ceux pour qui
il est diversement afibcté, il obéit à ses inclinations ol à sa façon impé«
tueuse de sentir, et, avec cela, il se flatte de tenir en main la balancei.
Dans le récit de ce premier procès au nom de la Duché-Pairie contre
M. de Luxembourg*, il y-^a un moment où, l<'avocat de celui-ei ayant osé
r#roqnieren doute la loyauté royaliste des adversaires, Saint<^Simon, qui
assistait à ^audience, assfs dans une lanterne oo tributte entre les ducs de
La Rochefoucauld et d'Estrées^ s'élaiwe au dehors,, criant à l'imposture ol
demandant justice de* es coquin: < M. de La Rochefoucauld, ditnl^ me.
retinf à mi^eorps et me fil laire. Je m'enfonçai de dépit jilus enearo. oanifdi
^k' V0TA6B6 BT HI&TOlftB.
loi que contre l'avocat. Mon mouvement avait excité une rumeur. ■ Or,
quand on est sujet I ces mouvements-là, non-seulement à l'audience et
dans une occasion extraordinaire, mais encore dans l'habitude de la vie
et même en écrivant, il y a chance non pour qu'on se trompe peut-être sur
l'intention mauvaise de l'adversaire, mais au moins pour qu'on outre*
passe quelquefois le ton et qu'on sorte de la mesure. On a de ces élans où
l'on a besoin d'être retenu à mi^corpê. J'indique la précaution à prendre
en lisant Saint-Simon ; il peut bien souvent y avoir quelque réduction i
faire dans le relief et dans les couleurs.
• On a fort cherché depuis quelque temps à relever des erreurs de fait
dans les Mémoires de Saint-Simon, et l'on n'a pas eu de peine à en ras*
sembler un certain nombre. Il fait juger et condamner Fargues, un ancien
frondeur, par le premier président de Lamoignon, et Fargues fut jugé
par l'intendant Machault. Il dit de M^^* de Beauvais, mariée au comte de
Boissons, qu'elle était fille naturelle, et l'on a retrouvé et l'on produit le
contrat de mariage des parents. 11 foit de De Saumery un argus impi-
toyable et un espion farouche auprès du duc de Bourgogne, et Ton sait,
par une lettre de ce jeune prince à Féneloo, que c'était un homme dé-
voué et sûr. Quelques-unes de ces rectifications auront place dans la pré-
sente édition, et seront indiquées en leur lieu. Dans le domaine de la
littérature, j'ai moi-même à signaler une inexactitude et une méprise.
Saint-Simon impute à Racine, en présence de Louis XIV et de M">* de
Maintenon, une distraction maladroite qui lui aurait fait mai parler, de Scar-
ron. Au contraire, c'est Despréaux qui eut plus d'une fois cette distrac-
tion plaisante, dans laquelle le critique s'échappait, tandis que Racine,
meilleur courtisan, lui faisait tous les signes du monde sans qu'il les com-
prît. Tranchons sur cela. La question de la vérité des Mémoires de Saint-
Simon n'est pas et ne saurait être circonscrite dans le cercle des obser-
vations de ce genre, même quand les erreurs se trouveraient cent fois
plus nombreuses. Qu'on veuille bien se rendre compte de la manière dont
les Mémoires, tels que les siens, ont été et sont nécessairement compo-
sés. 11 y a entre les façons infinies d'écrire l'histoire deux divisions prin-
cipales qui tiennent à la nature des sources auxquelles on puise. Il y a
une sorte d'histoire qui se fonde sur les pièces mêmes et les instruments
d'Etal, les papiers diplomatiques, les correspondances des ambassadeurs,
les rapports militaires, les documents originaux de toute espèce. Nous
avons un récent et un excellent exemple de cette méthode de composi-
tion historique dans l'ouvrage de M. Thiers, qui se pourrait proprement
V01A6BS ET HI8T0JRB. 2Q5
intituler : Hùioirt administrative et militaire du Consulat et de l' Em-
pire, Et puis, il y a une histoire d'une tout autre physionomie, l'histoire
morale contemporaine écrite par des acteurs et des témoins. On vit dans
une époque, à la Cour si c'est à une époque de cour ; on y passe sa vie à
regarder, à écouter, et, quand on est Saint-Simon, à écouter et à regar-
der avec une curiosité, une avidité sans pareille, à tout boire et dé-
vorer des oreilles et des yeux. On entend dire beaucoup de choses; on
s'adresse le mieux qu'on peut pour en savoir encore davantage; si Ton
veut remonter en arrière, on consulte les vieillards, les disgraciés, les so-
litaires en retraite, les subalternes aussi, les anciens valets de chambre.
Il est bien difficile que, dans ce qu'on ne voit point soi-même, il ne se mêle
un peu de crédulité, quand elle est dans le sens de nos inclinations et
aussi de notre talent à exprimer les choses. On ne fait souvent que ré-
péter ce qu'on a entendu ; on ne peut aller vérifier chez les noiaires. Dans
ce qu'on voit par soi-même, et avec les hommes à qui l'on a affaire en face
et qu'on juge, oh ! ici Ton va plus sûrement; si Ton a le don d'observa-
tion et la facuhé dont j'ai parlé, on va loin, on pénètre-, et si à ce premier
don d*observer se joint un talent pour le moins égal d'exprimer et de
peindre, on fait des tableaux, des tableaux vivants et par conséquent vrais,
qui donnent la sensation, l'illusion de la chose même, qui remettent en
présence d'une nature humaine et d'une société en action qu'on croyait
évanouie. Est-ce à dire qu'un autre observateur et un autre peintre placé
à côté du premier, mais à un point de vue différent, ne présenterait pas
une autre peinture qui aurait d'autres couleurs, et peut-être aussi
quelques autres traits de dessin? Non, sans doute; autant de peintres,
autant de tableaux; autant d'imaginations, autant de miroirs; mais l'es-
sentiel est qu'au moins il y ait par époque un de ces grands peintres, un
de ces immenses miroirs réfléchissants; car, lui absent, il n'y aura plus
de tableaux du tout; la vie de cette époque, avec le sentiment de la réa-
lité, aura disparu, et vous pourrez ensuite faire et composer à loisir toutes
vos belles narrations avec vos pièces dites positives et même avec vos
tableaux d'histoire, arrangés après coup et symétriquement, et peignés
comme on en voit, ces histoires, si vraies qu elles soient quant aux ré-
sultats politiques, seront artificielles, et on le sentira^ et vous aurez beau
faire, vous ne ferez pas qu'on ait vécu dans ce tempç que vous racontez,
c Avec Saint-Simon on a vécu en plein siècle de Louis XIV; là est sa
grande vérité. Est-ce que par lui nous ne connaissons pas (mais je dis
connaître comme si nous les avions vus), et dans tes traits mêmes de leur
M6 ▼•VAGBi R HISVOiAB.
phygioooÉNe <êt 4mm ies moimires miaooM» toM ees persôtnageB et tes
p4us marqwmto et les seoandaires, et «eux qui ne foet qtÊe pieser et figtt-
irr? Nies en savions tes nom», qui n'avaient pour nous qu'une signifi-
cation bien vague: les persannes, aujoerd'hui, tous sont fiunilières et
présentes.
Histoire ou canton de Fribourg, par le docteur Bar chtold. Pribourg ;
3 vol. in-8.
Les viflgt'deux Ëtato qui composent la Cebtédération suisse ont cba-
enB leur histoire particulière, leurs eouvenirs de gloire et d'indépen-
dance auxquels ils atlachent uo grand prix. C'est le principal obstacle
que renoootnent les vues unitaires précoelsées par ies partisans de la cen-
tralisatie» administrative. Halgré les efforts de ceux-ci, la diversité des
nMeurs, des usages et eaéaae des inetitutioas s'est maintenue jusqu'à
ftrésent d'une manière très-frappante. Sur ce point l'esprit révolutioa-
naire soulève des résislanoes opiniâtres qu'il ue réussira pas facilement à
vaincre. C'est une heureuse entrave à l'essor trop impétueux de la dé-
oiooratie qui, sans cela» risquerait de compromettre bientiftt la liberté. Le
vieil élément républicain lutte ainsi oentre les tendances du socialisée
avec une énergie remarquable, et Ton peut espérer qu'il triomphera de
œ nouvel adversaire, comme il a déjà triomphé de tant d'autres. Les
traditions cantouales sont la sauvegarde de la Suisse. Après les crises Les
^Iu8 violentes et les plus longues, elle retrouve toujours ce palrimoioe
ktact qui lui permet de réparer ses pertes et de poursuivre sa marche
sur la route que ses premiers libérateurs ont frayée. Nous en avons une
preuve dans réian imprimé aux recheixhes historiques à la suite des der-
nières révolutions. Le passé semble être Tasile pi^éCéré de oeux que le
présent irrite ou dégoûte, et le parti contraire, tout en aflkctant de vou-
iaér rompre avec l'histoire, sent la nécessité d'y trouver un pointd'appui,
une base sur laquelle il fiuisse asseoir l'édifice dent il a conçu le plan.
Sians cette étude comnaune les esprits se rapprochent, se calment peu à
fwu, on feoennaît les défauts des points de vue exclusifs, oo aperçoit le
daiBger des théories qui prétendent ne tenir nul compte de l'expérience,
le eentiment national se réveille à mesure que les passions s'appaiseot,
enfin uneiiéaction salutaire a lieu chez les uns comme chez les autres, et
lentagoûisme qui les séparait fait place au désir de s'entendre «pour pré-
server les belles conquêtes si glorieusemeat acquises par leurs aocéti?es.
Frifaéurg «ffra aujourd'hui r«abNnpte d'iui nésuiMdeca genre, au4|iiel
«nt certainement beaucoup coAtribué les travaux da quelques hooiniesd'é*
Uie donl M. le D' Berchtold /ait pactie. L'histoire du canton de Fribaiirg
>6st k plus iAiportant de ses ouvrag«B. IlJ'a bit dans U but évmwmmni
patriotique de rappeler à ses oenoitoyeos le rôle que h Providiance senEi-
JUe avoir assigné à leur pays placé, dit*il» au pied des Alpes et sur les
isoAfins des deux races germanique et romande, pour y faire fleu-
rir ia démoci*atie sous les auspices du catholicisme. » Cette alliaiice du
catholicisme avec la démocratie présente un problème bien difficile, peut*
être a»ême insoluble. Mais il n'en est pas moins vrai qu'à Fribourgi ainsi
que dans plusieurs autres cantons, elle fut lobjet des constants efforts de
ceux qui voulaient réaliser t(Hisles avantages de la vie républicaine. Leur
Âliusion» trè«-respectable, nous paraît être encore celle de M. Bercbtold.
C'est un catholique adversaire de ruitramontanisme, c'est-à-dire protes-
tant plus eu moins contre l'autorité de Rome, «t se réservant l'examen
des cas dans lesquels il convient de l'admettre ou de la rejeter. U pro-
fesse à cet égard la doctrine des anciens Suisses qui ne craignaient pas
d'encourir l'excommunicalion plutôt que de supporter la moindre atteinte
4 leur indépendance. En politique» M. Berchtoldse montre démocrate sin*
cère, mais parfois un peu irap enclin à juger las siècles passés d'après les
idées du nôtre. U use d'une sévérité qui n'est pas toujours impartiale à
l'endroit de l'aristocratie, du patriciat et des services militaires. A côté de
ce rigorisme de principe on voudrait un exposé plus complet des causes
qui avaient amené la corruption du peuple aussi bien que de la magis-
trature suisses. Heureusement il retrace les oireoDâtaoees particulières
de chaque époque* d'une manière assez détaiitée« pour que le lecteur puisse
apprécier leur influence réelle et se mettre en garde contre ies vues sys-
tématiques auxquelles il donne de temps eu temps essor. D'ailleurs la vi-
vacité des opinions de l'auteur imprime à son livre un cachet d'animation
et d'actualité qui n'est pas sans mérite, et ion doit reconnaître qu'histo-
rmi loyal il fournit toutes les données nécessaires pour vétifier la valeur
de ses jiigemenls, soit sur les hommes, soit «ur les faits.
M. BfTohtold divise l'histoire de Fiibourg en trois grandes périodes.
La première fut celle de l'émancipation produite par l'épanouissement des
institutiofis municipales qui remportent la victoire sur les suzerains
oblige de compter avec elles. C'est la plus gWriease. On y rencontre
mfiin^ traits héroïques, de nobles dévouements, de beaux caractères, et
l'on admire la sagesse qui préside aux actes de la communauté tant que
308 VOYAGES ET HISTOIRE.
dore cette lutte pénible. La seconde nous montre la décadence des mœur»
après le triomphe, le monopole des emplois, la manie des titres, la soif
des pensions qui s'introduisent dans toutes les classes, et l'habileté per-
ikie avec laquelle les coui's étrangères s'empressent d'exploiter ces élé-
ments de corruption. Comme le dit M. Berchtold, la vie nationale semble
alors tarie jusque dans ses sources les plus intimes. Dans la troisième,
nous voyons se développer encore les conséquences de ce funeste régime
qui finit par amener ta chute de la Confédération et la ruine des libertés
cantonales.
M. Berchtold s'arrête à l'époque de la restauration, et termine par
r^blissement du pacte fédéral de 1815, auquel il reproche d'avoir donné-
beaucoup trop de prépondérance à une aristocratie qui ne possédait plus^
l'énergie ni le prestige de l'ancienne noblesse, et d'avoir étouffé le nou-
vel instinct d'émancipation qui commençait à s'éveiller chez le peuple
suisse. Appliqué à Fribourg, ce reproche peut être vrai. Mais il nous
semble que le tort capital du pacte gît ailleurs que dans la large part
d'indépendance qu'il accordait aux cantons et dont plusieurs surent tirer
un excellent parti Les événements des dix dernières années prouvent du
reste que l'instinct d'émancipation n'en souffrait pas beaucoup, puisqu'il a
triomphé dans toute la Suisse. Le pacte de 1815 péchait plutôt sous le
rapport administratif et surtout par son origine étrangère, bien propre à
blesser l'amour-propre national.
Le Christianisme aux trois premiers siècles, séances historiques
données à Genève en 1857, par MM. Merle d'Aubigné, Bungener,
A. de Gasparin et Viguet. Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-12.
Ces séances, outre leur mérite intrinsèque, présentent un intérêt tout
particulier comme symptOme du rapprochement qui s'opère dans les idées
et dans les esprits. Elles sont dues à l'initiative d'une société religieuse,
rUnion chrétienne des jeunes gens, dont les membres ont ainsi donné
l'exemple d'une tolérance large et féconde. En effet, les noms des ora-
teurs appelés à faire cet enseignement indiquent des nuances du protes-
tantisme bien distinctes, entre lesquelles jusqu'ici l'accord ne semblait
guère possible. MM. Bungener et Viguet représentent l'Eglise nationale
de Genève, M. Merle d'Aubigné l'Eglise séparatiste, M. Agenor de Gas-
parin des tendances plus prononcées encore vers l'individualisme. Cepen-
VOTAGES ET HISTOIRE. 209
daot, maigre ces divergences, ils n*ont pas reculé devant l'oeuvre com-
mune qu'on leur demandait, et s'en sont acquitté de la manière la plus
propre à justifier la confiance de ceux qui les en chargeaient. Le succès
a même dépassé l'attçnte de ces derniers. Un public nombreux, composé
d'hommes de toutes les classes et de toutes les opinions, se pressait
chaque soir dans la salle des cours. C'est un résultat bien remarquable
dans une ville qui, depuis dix ans, est en proie à des dissensions poli-
tiques auxquelles se mêlent plus qu'ailleurs les questions religieuses. On
peut en inférer, comme le disent les éditeurs de ce volume dans leur pré-
face, que le développement matériel ne fera pas oublier les intérêts mo-
raux et religieux, que t la nouvelle Genlve sera, quant à l'intelligence,
quant à la science, et surtout quant à la foi, ce que fut Vancienne, aux
temps qui suivirent sa bienheureuse réformation. Si d'un côté le matéria-
lisme progresse, de l'autre les aspirations vers les choses spirituelles de-
viennent plus profondes. Un noble instinct se ranime dans la partie saine
de la population, et lui dit que le christianisme seul peut sauvegarder
Genève. On ne voit plus avec indifférence le doute qui fait languir, l'in-
crédulité qui dessèche et le papisme qui étouffe. On étudie les questions,
on cherche la vérité. Les partisans du libre examen, qui n^examinaient
guère, commencent à examiner. »
C'est une espèce de réveil général ; on se tourne volontiers vers les
pensées sérieuses, et le moment jiaraît favorable à la cause du christia-
nisme. Aussi les auteurs des discours que nous annonçons n'ont-lls pas
eu de peine à captiver leur auditoire. L'histoire des trois premiers siècles
de Tère chrétienne, traitée avec savoir et talent, ne pouvait manquer de
produire un effet pareil. Les qualités diverses des quatre orateurs de-
vaient contribuer elles mêmes à soutenir l'attention. Chargé de la pre-
mière séance, M le pasteur Viguet présente un tableau fort intéressant de
l'état du monde à la venue de Jésus-Christ. Il montre comment la déca-
dence païenne avait, en quelque sorte, préparé le champ de travail pour
les missionnaires chrétiens, et fait ressortir d'une manière ingénieuse les
deux traits qui caractérisent la société de cette époque, ainsi que son dé-
veloppement philosophique et religieux : «D'abord, l'impuissance de
rhomme à se faire une religion sérieuse, à satisfaire les besoins de sa
conscience, et à répondre aux questions qui s'agitent dans son esprit, cette
impuissance avait été constatée par une expérience longue et multiple.
Puis, à côté et peut-être en raison même de cette impuissance, une aspi-
14
SÉ0 ¥OJA6BS ET lUSZOIftB.
ration ardente vers quelque chose de meilleur que ce qtie l'homme po»-
sédait, ven& une révélation qui lui donnât la. vérité, avait été excitée dans
les cœurs, dans les uns avec connaissance de cause, dans les-autres d'une
maniàre purement instiDetive« » La prédication de l'Evangile trouva donc
dans les âmes sérieuses un double point d'appui ; elle apportait à l'homme
impuissant le secours divin, elle répondait par des certitudes aux vafgues
aspirations du doute. Ces circonstances providentielles facilitèrent ses d^
buts. M. de Gasparin retrace avec éloquence les succès obtenus par les
apôtres, et la période des pères apostoliques, brillante encore, quoique
déjà- troublée par les disputes de théologie. Mais bientôt surgirent de
nombreux obstacles: les passions humaines se révoltèrent contre la pré-
tention de l'Evangile à s'emparer du cœur pour y régner en maître. Il}y
eut des luttes ardentes à soutenir contre le paganisme armé de la perse-
oution, et contre la philosophie se faisant Tauxiliaire de Tincrédulité; Les
péripéttest de celte époque sont habilement expeeéesipar M. Bungener,
qui sait, à l'aide de curieux rapprochements, faire ressortir combien Ifs
^tersécuteurs de toutes les époques se ressemblent', et quels rappocts
existent entre la polémique païenne et celle employéedenos jours par les
adversaires de la vérité évangélique. Enfin Thislorien de la reformations
M. Merle d'Aubigné, nous raconte le développement ultérieur du ohrit-
tianisme, suivant les deux tendances d'où sont sorties l'Eglise grecque et
l'Eglise romaine; G'e^t l'Orient ou Origène et la scierjce, l'Occidentiou
Cyprien et la pratique.
Il est rare de voir ainsi se succéder dans la même chaire des homnws
supérieurs, qui manient la parole et la plume avec une égale aisance, et l'on
cençoit que l'enseignement donné par de tels maîtres ait obtenu tous les
suffrages d'un publicchez lequel ne font défaut ni le goûti, ni rintelli-
gence: Ce légitime succès sera, nous n'en deutons poiat^ confirmé par
l'écoulement ra]>ide d'une publication que sa forme et son prix modique
rendent éminemment populaire .
Le peuple primitif, sa religion, son histoire et sa civilisation, par Fréd.
de Rougemont; tome 111 : Histoire. Genève et Paris, J. Cherbuliez,
1857; 1 vol. in-i2.
Dans ce volume. M. de: Rougemont compare les tradiliona. de. divers
peuples anciens avec la Genèse et les traditions juivesi C'est avec les don*
nées fournies par ce rapprochement qu'il essaie de répandre quelque lu-
V0VJKGB3 BT HISTOIRE , 3&1
Diière surd'htôioire du peuple primitif. Le résultat d'un preil travail lie
peut être sans doute que fort hypothétique. Dans la plupart des tï^di-
tions, Tallégorie joue un grand rôle, et les faits révêtent une forme my-
thique singulièrement favorable aux inventions fabuleuses. On ne peut
procéder que par la voie interprétative, et dès lors les chances d'erreur
se muUif)lieRt à chaque pas. 11 est presque impossible (fii6l^«fS|mK de sys-
tème n'influe pas plus ou moins sur des recherches dû ce genre. L'au-
teur ne les entreprend guère ou du moins ne les poursuit.pas longtemps,
sans avoir choisi une thèse à Tappui de laquelle il s'agit de trouver des
preuves aussi nombreuses et fortes que possible. C'est le fil conducteur
indispensable pour le guider dans ce labyrinthe. Un esprit complètement
sceptique n'arriverait qu'à des résultats négatifs; au lieo de grouper et
de reconstruire, il achèverait plutôt Toenvre de démolition. Aussi les^re-
proches encourus à cet égard* par M. de Hougemont nous semblent'^Us
n'avoir pas toute la portée qu'on a prétendu leur donner. Une idée le do-
mine, c'est évident : il s'est posé d'avance la conclusion à laquelle il veut
arriver. Sans doute, ce pdnl de vue déterminé peut quelquefois nuire à la
fermeté de son jugement et produire des interprétations un peu forcées.
Mais on doit reconnaître que ses efforts réussissent à coerdonner d'une
manière très-remarquable les matériaux épars qu'il sait découvrir au mi^
lieu des ruines de tant de civilisations diverses. Les données qu'il a re^-
cuedllies sur le peuple primitif sont du plus haut intérêt. Elles montrent
raccord de toutes les traditions en ce qui touche aux points essentiels, et
jettent çà et là des lueurs inattendues sur l'histoire des premiers temfis.
de l'humanité. Si les détails laissent beaucoup à désirer, l'ensemble offre
certainement^ une harmonie frappante , et l'on ne saurait mieux faire
ressoirtir les précieux avantages de l'érudition employée au service de
la foi.
Voici l'ordre que suit M. de RougeaK>nt dans son travail :
! La Genèse et tes traditions juives ; le Paradis; l'Humanité antédilu^
vienne; le Déluge et ses suites; les Noachides ou le peuple primitif.
II. Sémites païens vies Babytoniens; les Syriens et Assyriens.
III. Les Phéniciens et les Âllophyles de Lybie.
IV. Les Chinois; Histoire de l'humanité d'après les hiéroglyphes; His»-
toire de l'humanité d'après les traditions isolées; Histoire des patriar-
ches du monde primitif.
V. Les Egyptiens; les Livres sacrés ; Mythes d'Osiris ; Règne des dieux;
les Rois.
212 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
VI. Les Peuples ariens de la Perse; les Ariens de l'Inde; Mythes des
Yédas ; Lois de Manou ; les Incarnations de Vichnou.
VIL Asie Mineure : les Phrygiens, les Lydiens et lesTroyens.
SCIEMCES IflORAIiES ET POIiITlf|lJES.
De la vocation, ou moyen d'atteindre sa tin dans le mariage et dans la
vie parfaite, par Mc^ Luquet, évêque d*Hësébon. Paris, Julien, La-
nier, Çosnard et C»% 1857, tome I"; i vol. in-8.
La vocation de l'homme est d'aller à Dieu, de s'en rapprocher du moins
le plus possible par les élans de la foi et la pratique des vertus. C'est là sa
véritable destinée, car nulle autre voie ne pourrait le conduire au bon-
heur, pour lequel il a certainement été créé. Mais au lieu de suivre la loi
d'amour, qui répond si bien aux besoins de son cœur, il obéit à de mau-
vais penchants, se laisse dominer par les passions, et perd de vue le but
élevé vers lequel il doit tendre. L'orgueil lui fait oublier qu'en Dieu seul
se trouve la vraie science, qu'en dehors de Dieu il n'y a qu'esclavage et
abaissement. L'homme se trompe aisément sur la portée de son intelli-
gence: il la croit sans limites, et prétend pouvoir sans autre secours per-
cer tous les mystères de la nature, rivaliser même de puissance avec le
Créateur. C'est ainsi que la philosophie, se séparant de la religion, dont
elle devrait être Tauxiliaire fidèle, engendre la révolte et-Timpiété. L'am-
bition, la soif des richesses, les affections mondaines prennent alors un
empire absolu. On devient avide de jouissances, et le perfectionnement
moral n'offre plus aucun attrait. A mesure que l'âme s'engourdit ou se
corrompt, les efforts nécessaires pour la réveiller sont rendus de plus en
plus difficiles, et l'homme ainsi fourvoyé s'éloigne toujours davantage de
Dieu. Mais la miséricorde divine est infinie, elle ne se lasse point d'a-
dresser au pécheur de pressants appels, de lui présenter des leçons salu-
taires et des exemples propres à le faire réfléchir. L'amour de Dieu pour
ses créatures éclate sans cesse: jusqu'à la dernière heure, il leur offre des
moyens de salut, il se montre prêt à recevoir ceux qu'un repentir sincère
ramène enfin vers lui.
Une vie sainte et pure est le chemin du salut, ouvert à tous, dans
quelque position sociale qu'ils se trouvent. Chacun peut y aspirer, en
s'efforçant d'observer la loi de sacrifice, qui donne pour unique règle à
la vocation de l'homme l'amour de Dieu et du prochain.
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 213
Telle est la donnée féconde que Mi^ Luquet développe dans son livre.
Après avoir exposé le but de la vocation et les principaux obstacles qu'elle
rencontre, il aborde le côté pratique du sujet, soit en ce qui touche aux
rapports généraux de la société, soit en ce qui concerne plus particuliè-
rement l'état du mariage. Ses vues sont empreintes d'une charité fervente*
Il cherche surtout à relever le moral de l'homme, et se platt à citer des
traits qui mettent. en relief la grandeur et l'efficacité des vertus chré-
tiennes. On regrettera seulement qu'il n'ait pas adopté une forme plus
populaire. Son style est plein d'onction, mais un peu trop pompeux, trop
riche en éloquence oratoire. Il en résulte que la marche des idées et des
déductions n'est pas toujours facile à suivre, et cela nous semble fâcheux
dans un ouvrage de ce genre, qui devrait être, autant que possible, à la
portée de toutes les intelligences. Notre observation ne s'applique, du
reste, qu'à ceux des lecteurs qui ne sont pas habitués aux allures de l'en-
seignement catholique.
Pensées de Pascal, disposées suivant un plan nouveau, édition complète,
d'après les derniers travaux critiques, avec des notes, un index et
une préface, par F.-F. Astié. Lausanne, G Bridel. Paris, J. Cher-
buliez, 1857;2 vol. in-18.
M. Faugère a certainement rendu un grand service en rétablissant le
texte des Pensées de Pascal d'une manère plus fidèle et plus complète.
Le commentaire de M. Havet mérite aussi d'être rangé au nombre des
meilleurs travaux de ce genre. Mais ces deux écrivains ont laissé Tœuvre
de Pascal dans un état de décomposition qui ne permet guère au commun
des lecteurs d'en saisir la portée, ni d'en retirer de bons fruits. Sans
doute il est très-difficile au milieu de ces fragments, dont la plupart ne
sont encore que des ébauches, de retrouver le plan du livre dont ils de-
vaient être les matériaux. Gomme que l'on fasse, il restera toujours des
lacunes et maints passages inintelligibles. Gependant, on peut du moins
essayer un classement plus conforme au but que s'était proposé l'auteur.
Or» M"*^ Perier nous apprend que son frère avait entrepris ce travail en
vue de convaincre et de confondre les athées. G'était donc un traité de
théologie apologétique, mais en même temps, comme le remarque M. Vi-
net, un livre de piété s'adressant au cœur ainsi qu'à la raison. En effet,
la méthode qu'emploie Pascal indique bien cette intention. Quoique le
principe d autorité isoit la base .detsa^î, il en liait plutôt un but vers le-
<)uel il vaut eonduire le lecteur, par la r«ute qu'il a lui-oiême suivie fxmr
y arriver; « il devient théologien daiks Tintérét de ceux qui non! pas
eaeope eu le-^bonheur de flaire les mêmes expériences que ^lui. » :La maison
et ie sentiinent doivent lui servir de moyens pour asMoer Ibommeiè
8%umilier devant Dieu. La première répond à ce qu'il appelle Tesprit de
géométrie qui pnéteod imi définir et tout prouver avec la dernière évi-
dence ; l'autre, à l'iesprit de finesse, qui perçoit immédiatement les véirités
évidentes» et ne demande pas de preuve pour y croire. C'est 'par Tumo
de.ces deux esprits et par leur m^af^e convenable qu'on obtienl l'intelligeiice
d^s vérités religieuses, en évitant à la fois les écarts du «cepticisme et
ceux de la superstition. Malheureusement, cette union ne se rencontre
giuère, et Pascal lui-ittéme ne réussit pas toujours à la maintenir. Les con-
tradictions étranges, qui parfois éclatent dans ses pensées, trabisseut l'état
perplexe de son âme, obéissant tour à tour à ces deujL tendances opposées.
Nous assistons à leur lutte» dont il ne serait probablement pas resté la
moindre trace dans le travail définitif, s'il avait pu s'accomplir. Mais cela
répand quelque lumière sur la marche adoptée par l'auteur. iQn voit>a^in$i
quel eist son point de départ, et comment il voulait épuisicr Ifis rçsi^ources
du raisonnement avant de recourir ayx armes de rautorité. Une autre
donnée qui ressort de tout ce que- l'on connafi de Pascal, .c'^st que qhez
lui la piété domine. M. Âstié en infère que le point de vue de l'édification
peut 'être avantageusement choisi pour coordonner les pensées et pour
rendre leur lecture à lafois plus accessible et plus profitable. Son désir est
de populaiiser ee livre dont l'influence lui parait devoir être si féconde et
si salutaire. L'utilité d'une pareille entreprise est incontestable. Jusqu'ici
les Pmséeê de Pa9cal n'ont eu qu'un public assez restreint; grâces aux
excellents travaux critiques dont elles ont été l'objet, il devient plus facile
d'en reculer les limites. On en trouvera la preuve dans le travail de
M. Astié, qui leur donne réellement un nouvel aspect, et nous ne doutons
pas qu'il ne contribue à rendre les lecteurs de Pascal plus nombreux. Les
pensées sont divisées en deux parties, dont la première iraite de h misère
de l'fuHMne tans Dieu, ou que la naiure eet corrompue far la nature
même, et renferme quatre chapitres, savoir: 1* Du besoin de connais-
sance ; ^^ du besoin de justice ; 3® du besoin debonheur ; 4<* grandeur et
misère de l'homme. La seconde partie : ^FéHcité de l'éomme avec Dieu,
ou quil y a ^m répafdtifiur par l^Eeriture, se compose des huit cha-
pitres {Suivants : 4 •> Caractère de te vraie religiei); 8« moyens d -arriver à
SdlNOEB JUmiALEB fBT POLITÎQIIBB. 21 5
h foi;^" de Jésus-Christ; i» du peuple juif; 5® des miracles ; 6* des
figuratifs;. 7* de» t)roph(^ties ; €*> oixire.
M. Astié a réuni de >plcrs, dans son premier yolorov, ies divers opus-
allies reiigteux 4e Pascal, la notice de M°^« Perier sur sa vie et plusieurs
autres pièees intéressantes. Cette édition, impriovée avec élégance et d'un
Hemnat eommede, mérite d'oblenir un véritéble succès.
Congrès international m bienfaisance de Bruxelles, session de
1856. Bruxelles, ! 857 ; 2 vol. in-S : 8 fr.
Les questions relatives au pau|)érisme ont acquis, depuis quelques an-
nées, beaucoup d'imitortance. Elles préoccupent de plus en plus les es-
prits. On sent que c'est là le problème de notre époque. Il s'agit de gué-
rir une plaie qui va grandissant chaque jour, et dont les progrès mena-
cent l'ordre social. À cet égard, la civilisation moderne s'est montrée
jusqu'à présent assez impuissante. En augmentant la richesse, elle semble
avoir multiplié le nombre de ceux qui ne possèdent rien. L'essor de l'in-
dustrie a créé une classe de prolétaires dont les plus laborieux et les plus
économes échaippent à peine aux étreintes de la misère, prête à fondre sur
eux dès que survient la maladie ou quelque circonstance qui ralentit Tac-
tivité des fabriques. Dans presque tous les Etats de rEuro)>e, des associa-
tions se sont formées pour chercher les moyens de remédier à ce mal, el
l'exemple des expositions universelles a suggéré l'idée d'un congrès inter-
national, afin d imprimer aux efforts plus d'unité. La première réunion de
ce genre eut lieu à Paris en 1855; la seconde s'est tenue à BruxeUas
l'année dernière, sous le patronage de S. M. le roi des Belges. Si Ton n'a
pas encore obtenu des résultats pratiques bien positifs, Texistence de l'ins-
titution paraît du moins assurée, et l'on peut espérer que son avenir sera
plus fécond. C'est une excellente chose déjà que d'avoir ainsi fait, en
quelque sorte, le recensement des formes diverses adoptées par la bien-
faisance. Le congrès discute, examine, compare, et si ses déba ts.n 'abou-
tissent ^pas toujours, ils répandent une vive lumière sur les questions qui
s'y trouvent traitées .par des hommes éoûiiments de tous les pays, k
Bruxelles, TAnglelerre con^)tait dO représentants ; la France, 21 ; Aile-»
magne, Autriche, Prusse, 17^ Danemark, Suède, Pologne, Russie, 20;
Pays^^Bas, 16; Suisse, %\ Italie, Espagne, Portugal, Brésil, Etals^-
Uftis» 8 ; Belgiiiiie, 177. Dans cette nombreuse assemblée, les vues les
216 8C1KHCBS MORALES ET POLITIQUES.
plus larges et les vrais principes de réconoinie politique ont constamment
réuni les suffrages d'une majorité considérable. Il ne s'est guère manifesté
de divergence un peu forte que sur des points de détail concernant l'appli-
cation plutôt que la théorie. Les principaux orateurs ont insisté vivement
sur les dangers de la charité légale et des tendances socialistes qui con-
duisent aux mômes résultats. Nous signalerons, entre autres, le discours
de M. A. Cherbuliez, l'un des deux délégués du gouvernement suisse.
On trouvera dans les discussions du congrès une foule de données
propres à éclairer la marche de la bienfaisance. lien ressort évidemment
que, malgré l'assertion contraire du socialisme, les classes pauvres ne
furent jamais Fobjet d'une sollicitude aussi vive et aussi générale. Les as-
sociations charitables abondent et rivalisent de zèle. En établissant entre
elles des rapports suivis, en mettant en commun leurs expériences, leurs
lumières et leurs efforts, elles arriveront sans doute à surmonter bien des
obstacles, et si le problème n'est pas résolu, du moins en auront-elles sin-
gulièrement atténué les conséquences funestes.
A la suite de ce compte rendu sont insérés plusieurs mémoires fort in-
téressants. Parmi les questions qui s'y trouvent traitées, on remarque
surtout celles relatives aux sociétés de prévoyance, aux institutions en fa-
veur des classes ouvrières, aux moyens d'améliorer le sort des travailleurs
agricoles, aux' associations ingénieuses qui se sont formées dans diffé-
rentes villes pour procurer à la population pauvre des logements sains- et
des vivres à bon marché. L'exposition d'objets d'économie domestique,
ouverte à Bruxelles pendant la durée du congrès, a montré qu'à cet
égard l'industrie n'était pas restée en arrière. Par l'examen dé ses pro-
duits,on a pu se convaincre qu'elle aussi se préoccupe activement de sou-
lager les souffrances du paupérisme.
Des VOJKS DE RECOURS, par Fr. Lenormant. Paris, A. Durand, 1857 ;
4 vol. in-8«: 3 fr. 50.
La question traitée dans cette thèse est d'une haute importance. Aussi
fut-elle souvent l'objet de graves discussions parmi les jurisconsultes^ Eh
effet, les voies de recours semblent porter atteinte à l'autorité de la chose
jugée. On peut craindre que le magistrat dont la sentence est sujette à
l'appel n'inspire plus le même respect, et que les lois perdent cette force
qui est la garantie du bon ordre dans l'Etat, de la sécurité dans les fa^
milles et dans les transactions privées. Le pouvoir du juge est une des
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 217
bases indispensables de la société, or n'amoindrit-on pas singulièrement
ce pouvoir en admettant que ses décisions peuvent être revisées ? La jus-
tice a besoin d'être autant que possible regardée comme infaillible. C'est
une fiction nécessaire pour qu'elle puisse atteindre son but. Mais l homme
est sujet à Terreur ; souvent la crainte le domine, la passion l'aveugle,
ou bien son cœur trop sensible le fait hésiter devant les rigueurs de la loi,
et l'intérêt de l'Etat demande évidemment que toute sentence influencée
par de tels motifs ne soit pas définitive. Aussi voyons nous, dès les temps
anciens, les voies de recours introduites chez les nations civilisées. A
Rome, sous la république, quoiqu'il n'y eut pas encore d'appel propre-
ment dit, I tout magistrat revêtu de Vimperium ou de la potestas, pou*
vait, en vertu de la puissance populaire dont il avait reçu la délégation,
apposer son veio à la décision émanée d'un autre magistrat.» Sous lem*
pire, le recours fut organisé d'une manière plus complète, et son utilité
généralement reconnue le fit admettre ensuite dans les législations qui
succédèrent. A cet égard les opinions sont è peu près unanimes dans le
monde moderne ; on s'accorde à voir le cachet de la barbarie dans les ju-
gements immuables du cadi turc.
M. Lenormant expose avec beaucoup de clarté les deux faces de la
question, et résume d'une manière fort intéressante l'histoire du droit au
point de vue de l'appel. Sa thèse mérite d'être distinguée de la foule.
C'est un travail bien bit, qui dénote de l'érudition, un esprit judicieux et
de saines tendances.
La nouvelle Bible ou le dernier Testament. Lausanne, 1857; 1 vol.
in-8«.
CUude-Antoine-Victor Gibert, fils de Claude Gibert et de Marie-Ma-
delaine Vozelle, né à Bouleurs, canton de Crécy, arrondissement de
Meaux, département de Seine et Marne, en France, s'intitule le consola-
teur, et déclare être chargé d'une mission divine qui a pour but de par-
faire et d'accomplir définitivement l'œuvre du christianisme. Le livre
qu'il publie renferme l'histoire de sa vie entremêlée d'élucubrations phi-
losophico- religieuses qui ne brillent ni par la nouveauté, ni par la clarté.
C'est un composé de mysticisme et de socialisme que nous avouons n'a-
voir pas eu le courage de lire. Notre jugement ne porte donc pas sur la
doctrine de l'auteur, car après avoir parcouru quelques pages, nous nous
sommes reconnu incapable de comprendre en quoi consistent les préten-
218 SCIBNCBd £T ARtS.
tioDS de M. Ctaude-Ântoine-Victor Grbert. Il se borne à répéter des Item
coDimuDS de morale» des passages empruntés à la Bible et traduits'dans
\m langage plus ou moins amphigourique, des tirades contre la corrup->
tion de l'homme et les vices de la société, puis il nous raconte une exis-
tence tout è fait vulgaire dont les détails n'offrent aucun intérêt. La
seule idée qui perce au 'milieu de cette phra^otogie «soporifique «st celle
d'une réforme sociale ; encore est-elle si vague et confuse qu'on >ne peul
y découvrir les éléments d'un système quelconque. Mais M. Gibert pa-
raît, en général, animé de seritimeots généreux et très*pacifiques. 11 n'a de
colère que contre ceux qui s'aviseront de changer quelque chose ^'soa
livre. Ceux-ci seront condamnés t la mort seconde pour un temps indé-
fini. Avis aux critiques. S'ils ne veulent pas encourir œ châtiment terri-
ble, qu'ils prennent garde à ce qu'ils diront du consolateur et de ses
exhortations. Du reste, nous croyons que ce volumefera surtout concur^
rence aux tables tournantes, car c'est parmi leurs adeptes qu'il doit
trouver des lecteurs. Ses allures, à la <fois onctueuses et triviales, ne
peuvent convenir qu*-à des esprits déjà passablement embrouillés, qui (n'y
voyent plus assez clair pour distinguer la. sanctification de laiprofanetion.
«€li:]V€l!S WSV AMT».
Des chemins de fer et de leur infkience sur la santé des mécaniciens et
des chauffeurs, par E.-A. Duchesne. Paris, 1857; 1 vol. in-12.
Les mécaniciens et les chauffeurs, obligés de se tenir sur la locomotive,
sont exposés à la fois aux inconvénients de la chaleur excessive que pro-
duit la machine et aux intempéries de l'air. Il en résulte des alternatives
«ontintielles dont leur santé doit nécessairement se ressentir, et l'on com-
prend liutilité de précautions hygiéniques .propres à les garantir d'tacci^
dents (qui pournaient être funestes. M. Duchesne-s'est idonc imposé la tâ-
che d étudier avecisoÎD tous tes faits .qu!il a pu recueillir à ce sujet. Sur
la recommandation du ministre des travaux publics et du préfet de ps^
lioe, les diverses compagnies de chemins de fer lui ontlMirm de noo»-
breux renseignements. Il a parcouru maintes lignes, ^visité les ateliers,
interregé une foule de mécaniciens et de chauffeurs; puis.ooorjdlongant
toutes ces infornMtions, il en compose un 'petit traité fort intéressant,
dans lequel on puisera beaucoup de données pratiiques. Le premier ré-
sultat auquel arrive M. Duchesne, c'est que la profession des mécaniciaiis
SGIfiNCEB ET A1IT6. 249
et des chauffeurs n'est pas aussi ma^isaine qu'on se ritnagine en gén(<r»l.
Elle fatigue, elle use les bommes plutôt par l'excès de travail qu'elle leur
impose, que par des maladies proprement dites. Les mécaniciens, en par-
ticulier, sont remarquables par leur aspect robuste aiirsi qfwe par i -em-
bonpoint «ju'ils prennent tous plus ou moins dans les premières années
de leur service, tl y a moins de m^alades parmi eux que d«ins la plupart
des autres catégories d'employés. Des vêtements chauds, une bon^ne
noumture et quelques mesures de prudence, leur permettent de oom*
battre avec succès l'influence des changements rapides ou des contrastes
de température auxquels ils se trouvent soumis. Le corps paraît s'y ha-
bituer sans trop de peine, et n'en souffre pas d'uoe manière visible jus-
qu'au moment où sa vigueur commence à décliner. Mais après douze^ou
quinze ans, les ^ces diminuent, des douleurs rbumatismaies se décla-
rent, souvent la vue et l'ouïe sont altérées ; le mécanicien n'est bientôt
plus en état de continuer son service. Suivant M. ^Duchesne, cette déea-
dence doit être attribuée à la station debout prolongée du mécaniden
sur la machine et à la trépidation incessante des locomotives. Ce sont là
les deux principales causes des maux qui Taiteignent, let malheureuse-
ment ce sont aussi les plus difficiles à combattre. L'auteur inditfue bien
quelques palliatifs dont les mécaniciens peuvent faire usage, mais il re^
garde l'actio*) indirecte de l'hygiène comme plus efficace encore. Son livre
renfermée cet égard d excellents conseils, empreints d'une vive sollici-
tude pour ceux auxquels ils s'adressent. On y trouve aussi le tableau des
accidents de tous genres qui menacent la vie des mécaniciess et des
chauffeurs. M. Duchesne insiste avec raison sur ta convenance d'amélio-
rer autant goe possible le sort de ces employés, dont la profession exige
sans cesse des actes de courage et de dévouement, il en cite plusieurs
traits admirables, et n'omet rien de ce qui peut exciter la sympathie et
l'intérêt du lecteur.
Etud^ D17 CHEVAL DE SERVICE ET DE GUERRE, suivant Ics principes élé-
mentaires des sciences naturelles, par A. Richard. Paris, 1857;
i vol.
Cet ouvrage renfern>e la description complète du squelette ei des dif-
férentes parties du corps du cheval, ainsi que tous 1^ détails nécessaires
d'anatomie, de physiologie et de pathologie. L'aurevr s'occupe aussi d'une
manière très-spéciale des moyens d'améliorer les races, et les idées ^'ii
220 8GIBNCB8 ET ARTS.
émet à eet égard méritent, il nous semble, d'être étudiées avec soin.
L'extrait suivant pourra faire apprécier ce que ses vues ont de neuf et
d'original.
« En ce qui concerne spécialement le cheval, nous disons que, pour la
fabrication d'une bonne locomotive, trois points essentiels, rigoureuse-
ment indispensables au succès, doivent attirer Tattention du fabricant.
S'il n'en tient pas compte, il peut s'attendre à des déceptions inévitables.
11 faut: i^ des ingénieurs capables de bien diriger les travaux; 2^ des ou-
vriers habiles; 3** des matières premières d'un bon choix. Tout entrepre*
neur qui prend un ingénieur et des ouvriers sans connaissances spé-
ciales qu'ils ont dû acquérir dans les écoles préparatoires, sans l'esprit
d'observation et le jugement que nécessite toute opération délicate, toute
confection difficile, s'expose à des déceptions, sinon à une ruine assurée.
Si le hasard le favorise une fois, il le compromettra mille.
c Le fabricant, chargé d'une grande exploitation de mécaniques, devra
donc avoir avant tout de bons ouvriers, choisir de bons ingénieurs sortis
des écoles spéciales, pour diriger ses travaux. Ces employés devront sa-
voir distinguer, par leur expérience ou les moyens que la science leur
donne, les matières de première qualité, pour être moulées suivant les
besoins. Ce fait est patent, nul ne le contestera. Si les matières premières
étant de bon choix, les rouages, les leviers, les engrenages qu'elles ser-
vent à confectionner sont mal conditionnés, mal ajustés, jamais la machine
ne fonctionnera bien, jamais elle ne remplira convenablement le but ; son
travail sera irrégulier, saccadé, sans harmonie \ son usure sera rapide.
Si, au contraire, la fabrication est complète comme exécution , elle ne
réunira les conditions exigées qu'autant que les matières employées se-
ront de bonne qualité. Si elles sont de mauvaise nature, le but sera en-
core manqué.
« Maintenant, dans les deux cas que nous venons de citer, il y a la
question de lame qui doit animer, mettre en mouvement tous ces roua-
ges. Que ce soit un ressort tendu, la vapeur, le vent, Teau, la vie, ou
telle puissance que Ton voudra, il faudra toujours qu'elle soit en harmonie
avec les rouages, avec la résistance qui lui est opposée. Si elle est trop
forte pour un appareil faible, l'usure est rapide, les rouages se bri-
sent, etc. Si elle est trop faible pour un appareil puissant, l'action est
lente, molle, insuffisante pour une bonne fin, dispendieuse par le peu
de bénéfices qu'elle rend relativement aux dépenses exigées par son en-
tretien.
SCIBNCB8 BT ARTS. 221
I Eh bien ! ce que nous disons ici d*un fabricant, des nsachines, des
ingénieurs et des ouvriers chargés de les confectionner, est rigoureuse-
ment applicable à l'élevage du cheval en particulier, et en général des
animaux de travail qui servent de locomotives.
• Le fabricant, ou plutôt l'autorité chargée de la direction générale de
l'usine, c'est l'administration qui veille à la direction de l'enseignement
dans les écoles spéciales; les ingénieurs sont les employés de l'Etat ; les
éleveurs sont les ouvriers qui manipulent la matière.
1 Les reproducteurs sont la matière première qui doit servir à la con-
fection de la machine. La race, le sang doivent fournir Vâme, la vapeur,
le ressort, qui doit l'animer, la mettre en mouvement.
c Que deviendra maintenant l'animai de travail, le cheval locomotive,
si la matière première employée pour les faire n'a pas été moulée suivant
de bonnes lois de mécanique, si sa manipulation n'a pas été dirigée par
des mécaniciens habiles, possédant les sciences indispensables qu'ils ont
dû acquérir dans les écoles spéciales où ils ont été élevés ? Ils feront
comme la locomotive inanimée qui n'est pas dans de bonnes conditions,
ils fonctionneront mal. Le cheval, par exemple, pourra marcher très-vite
pendant quelque temps si l'âme, la vapeur, a beaucoup de puissance;
mais il s'usera d'autant plus rapidement que son organisme n aura pas la
force d'y résister, il lui faut donc bonne confection mécanique et bonne
puissance d'impulsion.
t Si, au contraire, la matière, pétrie conformément à de bonnes règles
de mécanique, n'est pas de bonne qualité; si le ressort est faible la loco-
motive-animal marchera mollement et fonctionnera sans profit. 11 en est
de même des autres animaux employés aux travaux de l'agriculture ou de
l'industrie, c Un cheval est doué d'une belle conformation, tant mieux 1
■ disent les Arabes. Ne l'achète cependant jamais sans t'assurer que son
c moral répond à son physique. Prends garde de trouver une peau de lion
c sur le dos d'une vache.»
c Toute l'histoire des animaux de sang et de ceux qui en manquent
est là, elle n'est pas ailleurs ; les principes de l'amélioration de nos races
n'ont et ne peuvent avoir d'autre point de départ. Ce serait nier les faits
accomplis, comme la raison qui les appuie, que de ne pas le reconnaître.
Nous soutenons que les causes de l'erreur dont nous avons parlé plus
haut sont dans le défaut d'appréciation des conditions de structure dans
lesquelles se trouvent les animaux de sang de toute origine, et ceux qui
sont sans âme, sans ressort. Des chevaux de pur sang, par exemple, ne
MWICGB8 BTAni».
sBiont jae»ftis des aniéliopateur9,.quel que soil d'ailleurs le méritcde leurs
tUnea d» w)Ué$»ê, de leur ma4ière première et de ieurs< ptrformenceê,
sHla sont dans de mauvaise» conditions de dispositions mécaniques, si
leurs rouages ont été confectionnés par de nuiuvais ouvriers, dipigés pu*
des ingénieurs qui ne connaissent pas* leur métier. Le cheval de Ib plus
belle conformation imaginable ne sera jamais qu'un sujet sans valeur si la
matière employée à le confectionner par les artistes les plus habiles a élé
de mauvais choix, si Tâme, la vapeur sont insuffisantes.
• Lat première comme la seconde de ces deux locomoiiveschevaux ne
pourront jamais servir avec avantage comme repooducteurs;, et ce sont les
déceptions, conséquences de leur emploi, qui ont produit l'anarchie dans
laquelle nous vivons aujourd'hui en France en fait de types améliorateurs
à adopter. C'est là la source de toutes les accusations, de toutes les récri-
minalionSi, reproduites tous les jours par la presse, et renouvelées si souh
vent dans lessociétés savantes, en matière d'améliorations des races et
d^impoirtation d'individus types.
c Pour le naluialiste qui a creusé la question à fond, pour celui qui a
étudié, observé les faits, d'accord avec la science qu'il a cultivée, il n'est
point de contestation possible. Le principe de l'amélioration des races
chevalines, comme des autres espèces, est clair comme la lumière du so-
leik 11 réside dans le sang, qui donne l'âme, la force d'impulsion, et dans
les bonnes conditions de confection de la locomotive qui la reçoit; le dé-
faut de l'un ou de Taufre de ces deux éléments indispensables. est contraire
à tout progrès, toute amélioration devient alors impossible.
c Quant au choix des ingénieurs et des ouvriers, nous croyons qu'il ne
nous appartient pas. d^'en juger les capacités. C'est une question délicate,
dont la solution appartient intégralement à Topinion pubhque, qui observe
les actes, les faits accomplis et leurs conséquences, et à ceux à qui l'Etat
a confié la direction supérieure de la vaste usine dans laquelle nous tra-
vaillons comme simple ouvrier >
Art de respirer , moyen positif pour augmenter agréablement la vie,
par Lulierbach. Paris, Lacroix-Comon, 1837: in-12 : i fr.
M Lutterbach continue avec persévérance ses études hygiéniques, il a
l'esprit observateur,, et l'usage qu'il en fait indique un désir sincère de
se rendre utile à ses semblables. \JAri d$ reipirer a bour but, comme
SClflfCftg BJ AAXS. 223
ia BévoluUon.dann la. marche et les Moyens iiatureU. d'enirei^ir la
cAoZtfz/r, de. populariser certains moyens faciles qui, suivant lui, peuvept
influer d'une manière avantageuse sur la santé du corps. En général,
ces moyens sembieiU assez puérils , et l'efficacité qu'il leur attribue fera
sourire bien, des lecteurs. Cependant on aurait tort de les rejeter sans
exaiQ«n; plusieurs d'entre eux méritent réellement d'être mis en prati-
que, car si leurs résultats ne sont pas aussi merveilleux que le prétend
l'auteur, du moins produisenl-ils des effets salutaires dont chacun peut
aisément tenter l'épreuve. C'est une espèce de gymnastique appliquée à
l'exercice des fonctions les plus nécessaires pour l'entretien de la vie.
SojD but est de faciliter le jeu des organes en profitant de toutes les res-
sources dont la nature les a pourvus. Ainsi M. Lutterbach veut faire de
l'acte, jusqu'ici tout machinal, de la respiration, un art soumis à des
principes et susceptible de perfi^ctionnement. Ce serait une découverte
précieuse,, mais nous croyons qu'il s'exagère beaucoup le pouvoir de
l'homme sur les phénomènes qui s'accomplissent dans son corps. Il est
trop enthousiaste, et Texaltalion avec laquelle il vante les vertus de sa
méthode inspirera plutôt de la défiance. Peu de gens d'ailleurs auront, la
patience de s'astreindre aux minutieuses précautions qu'elle exige. On ne
comprendra guère le plaisir que M. Lutterbach trouve dans ces innom-
brables petites manœuvres dont il remplit sa vie. Il est vrai que les illu-
sions contribuent fortement au bonheur de ceux qui s'y livrent, et
M. Lutterbach paritît être à cet égard très-richement doué. Pour en don-
ner une idée à nos lecteurs, nous citerons la confidence qui termine son
livre : c Ce que je vais dire semble tellement une illusion, que j'en de-
mande pardon à l'avance Cependant, je puis en constater le fait
Non, ce n'est pas une illusion Ce fait, le voici : un chapeau, dont
j'avais fait usage pendant quelque temps, et que j'avais mis de côté de-
puis un mois, ce chapeau, dis-je, quim'allait bien, se trouve maintenant
trop étroit ; ordinairement, après un certain temps, c'était le contraire.
Celui-ci n'ayant pas subi d'autre influence que les premiers, assurément
il n'a pu se rétrécir Serait-ce que le cuir chevelu et les cheveux se
seraient épaissis par l'effet du bain^d' haleine et des autres exercices qui
profitent à ia tète? Cela est plus que probable; mais l'illusion peut-être
est dans la pensée que, à force de pousser à la tête, et la force «vitale et
les fluides régénérateurs, d'être arrivé à ce que le cerveau prenne du
développement, et que sa botte osseuse finisse par gagner quelque peu
de ce même développement.
224 SCIENCES BT ARTS.
« S'il y a illusion... qu'on ne cherche pas à m'en détourner... Il est
trop beau de penser que Thomme pourrait arriver, par la puissance des
mouvements respiratoires, à augmenter le cerveau et il est reconnu
que sa grosseur est un indice de la puissance des idées !
« Â l'ouverture du crâne du docteur Gall, on a pu, en quelque sorte,
mesurer l'étendue de son intelligence d'après le volume de la substance
cervicale.
• Eh ! pourquoi, après être arrivé à donner plus de puissance à la
respiration ainsi qu'à la vue, n'arriverions-nous pas à en faire autant pour
les facultés intellectuelles?
c L'espérance de cette réalisation semble être autorisée par la mé-
moire, qui paraît me faire moins défaut depuis la pratique de mes exer-
cices physiologiques.
• Ce qu'il y a de certain, c'est que le corps a repris généralement un
degré de force; que ma mauvaise vue n'a plus besoin de lunettes; la
circulation du sang n'est plus gênée; les maux d'estomac, presque con-
tinuels, ont disparu, et enfin le mal de tête ne me donne plus l'occasion
d'en perfectionner le soulagement.
« Quoiqu'il en soit, dussé-je garder le chapeau en question pendant dix
ans, je veux le conserver comme souvenir d'un fait inattendu, et aussi pour
être mieux convaincu, parle temps, des effets à obtenir de la médecine
mécanique, spontanée, i
On voit que M Lutterbach ne manque point d'originalité. Son système
présente des détails très-amusants, et s'il ne guérit pas de tous maux,
du moins fournira-t-il un remède assez efficace contre les atteintes de
la mélancolie.
REYIIE CRITIQUE
DES ,
LIVRES NOUVEAUX,
lilTTfiRATURE.
Œuvres de Vauvbnargues, édition nouvelle, précédée de l'éloge de
Vauvenargues, couronné par l'Académie française, et accompagnée
de notes et de commentaires, par D.-L. Gilbert. Paris, 1857 ; 2 vol.
in-8 : 12 fr.
Vauvenargues figure au premier rang parmi les moralistes du dix-
huitième siècle. Il leur est en général supérieur, soit par la portée de ses
vues, soit par le mérite de son style. Quoique noort jeune, il a laissé des
écrits qui décèlent un esprit d'observation très*remarquable. C'est un
penseur plus sérieux que la plupart des philosophes de son temps. Chez
lui l'indépendance ne se traduit pas en audacieuse témérité. S'il n'a pas
des convictions bien positives, ses tendances paraissent plutôt spiritua-
listes, et jamais il ne parle de la religion qu'en termes pleins de respect.
La gravité de son langage imposait même à Voltaire, qui lui témoigna
souvent une estime toute particulière, malgré la différence d'âge et d'opi-
nions qui existait entre eux. Vauvenargues dut cet avantage en partie à
ce qu'il ne s'était fait écrivain qu'après avoir acquis dans la carrière des
armes une certaine expérience des hommes et des choses. La gloire mi*
litaire avait été le premier objet de son ambition ; puis, forcé d'y renon-
cer par une terrible maladie qui le laissa presque aveugle, il aspira
quelque temps à se lancer dans les affaires publiques. Ce ne fut donc
qu'en désespoir de cause qu'il recourut aux lettres pour satisfaire son désir,
de renommée et d'influence, c La fortune exige des soins, dit*il ; il faut
être souple, cabaler, n'offenser personne, cacher son secret, et même
après cela on n'est sûr de rien. Sans aucun de ces artifices, un ouvrage
fait de génie remporte de lui-même les^ suffrages, et fait embrasser un
métier où Ton peut aller à la gloire par le seul mérite* » Mais sa santé,
ruinée par les fatigues de la guerre, ne lui permit pas de recueillir le fi*uit
15
226 LITTiSlUTUIlB.
de ses travaux. Quand il mourut, son talent n*était encore apprécié que
d'un petit nombre d'esprits d'élite. Depuis lors, cette élite s'est constam-
ment accrue, quoique les essais et les fragments dont se compose le ba-
gage littéraire de Vauvenargues ne puissent pas prétendre au succès po-
pulaire. Ce sont des études ingénieuses qui portent le cachet d*un coeur
honnête, dune âme généreuse, mais qui brillent surtout par les qualités
du style, et dans lesquelles régnent toujours le calme et la modération.
Aussi Vauvenargues est-il l'un des écrivains du siècle dernier qui ont été
réimprimés le moins souvent. L'édition que nous annonçons ici n'est guère
que la quatrième, et se compose pour un bon tiers de pièces restées jus-
qu'à présent inédites. Aux notes de Voltaire, de Fortin, de Laharpe, it
Suard, de Morellet, de Brière, M. Gilbert a joint les siennes et son éloge
de Vauvenargues, couronné par l'Académie française. Nous empruntons
à ce remarquable travail l'appréciation suivante, qui nous paraît pleine de
tact et de finesse :
■ Original, mais inachevé comme critique, inachevé aussi comme écri-
vain, Vauvenargues n'est vraiment supérieur que comme moraliste. Je dis
ifloralijite, et non philosophe, car son Introduction à la connaissance de
l'esprit humain ne se recommande elle-même que par la partie morale.
Voltaire en admirait avec raison quelques pages, et le chapitre du bien
€tdu mal moral lui paraissait un des plus beaux morceaux philoso-
phiques de notre langue; mais, il faut l'avouer, la métaphysique de ce
livre est faible, et se réduit è une nomenclature, sèche et incomplète d'ail*
leurs, de Târoe humaine, où le manque de connaissances précises et sûres
est trop visible. C'est aussi le défaut de son traité sur le libre arbitre,
où l'on est étonné de voir Vauvenargues, l'apôtre de l'action, contester à
son tour la volonté humaine, déjà négligée au dix-septième siècle par
Descartes, on sacrifiée à Tenvi par Port-Royal, Mallebranche et Spinoza.
Sans doute, dans ces divers ouvrages, son heureux in^inet \m fait ren-
contrer de précieuses vérités de détail ; mais sa jeunesse, son inexpé-
rience et son dédain pour la science acquise ne lui ont pas permis d'aller
bien avant dans un ordre d'idées tout théorique, où il feut savoir beau-
coup pour découvrir un peu. Si Vauvenargues est un moraliste de pre-
mier ordre, c'est que la morale, scimice avaat tout pratique, se passe
plus aisément de savoir ou d'études profondes ; une certaine pénétration
desprit, un sens droit, un regard clair peuvent y suffire. Quand le mo*
raliste a pris une vue sommaire du monde, il sait à peu près tout ce qu'il
faut savoir ; il peut, dès lors, se replier sur lui-même, ne plus étudier
que lui-même, parce que la nature humaine, sauf quelques variétés tout
extérieures, est, au fond, simple et une, à ce point qu'elle se trouve à
peu près entière dans un esprit bien fait et dans une ime bien douée. Là
solitude même est favorable, est nécessaire au moraliste; sans doute»
pour connaître les hommes, il faut les avoir pratiqués ; mais, pour en
bien juger, il faut se mettre à distance. J.-J. Rousseau raconte qu'il ne
pouvait peindre les objets en face, et sous le coup de l'impression qu'il
en recevait ; il ne les démêlait bien, et il ne les rendait fidèlement que
de souvenir. En ef^et, un objet trop prochain gêne le regard, et à Tob*
eervateur comme au peintre il faut une certaine profondeur de perspec-
tive. Et puis, quand on le voit de trop près, le monde offusque ou irrite;
de loin, il n'excite plus que compassion et indulgence. Pourquoi Saint--
Simon et la Rochefoucauld sont-ils si durs, si impitoyables pour l'homme?
C'est qu'ils le pratiquent encore au moment où ils le jugent, c'est qu'ils
écrivent sur le champ de bataille même, alors que leurs blessures sont
toutes vives encore et toutes saignantes. Dans la retraite» le sentiment s'é-
pure en se désintéressant du mouvement de ce monde ; la raison se rassied,
et l'œil, plus calme, voit les choses à leur point. C'est dans ces favorables
conditions que se trouvait Vauvenargues \ il a vécu avec les hommes, mais
il les juge dans la solitude, cette solitude c qui est, dit-il, à l'âme ce que la
diète est au corps, i Ce n'est pas qu'il soit dégoûté de la société, ou qu'il
la dédaigne, car il aime la gloire, et c'est la société qui la décerne; il a
trop besoin de l'approbation des hommes pour rompre avec eux, ou pour
en parler avec amertume. D'ailleurs, pourquoi serait-il amer? Sans doute
il a souffert dans la vie, mais, du moins, il n'a pas souffert par sa faute.
Tel moraliste n'est si mécontent des autres que parce qu'il est mécontent
de lui-même. Vauvenargues n'a rien à regretter et ne regrette rien de
ce qu'il a fait ou de ce qu'il a voulu faire. Nous touchons ici à ce qu'il y a
de plus grand dans ce grand caractère, la sérénité dans la douleur : il est
jeune, et la jeunesse, on l'a remarqué, n'est pas l'âge de l'indulgence ; il
semble qu'un destin jaloux ait pris à tâche de détruire à mesure toutes
ses espérances, et son ardeur et son infatigable persévérance n'ont pu le
faire sortir de cette obscurité qui lui pèse ; quel beau texte contre le néant
de la vie, contre l'injustice des hommes ou du sort ! Certes, on déclame-
rait à moins ; un infortuné de notre siècle n'y eût pas manqué, et j'entends
d'ici les sombres plaintes des fils de Werther ou de René. Ajoutez à cela
qu'il souffre, non de cette souffrance indéterminée et intermittente dont
on met, comme tel moraliste de nos jours, cinquante ans à mourir, mais
829 Un^RATUES.
•
de ces douleurs trop cruellement précises, et toujours présentes, qui ne
laissent ni répit, ni trêve, et qui conduisent, en deux ou trois ans, à. la
mort. Parfois, la philosophie des valétudinaires est assortie à leur tempé-
rament : ils prêchent, comme philosophes, le repos dont ils ont besoin
comme malades, et, par exemple, je soupçonne fort un ingénieux mora^
liste de notre siècle, l'aimable H. Joubert, de ne goûter si peu la liberté
que parce qu'elle vit de mouvement, parce qu'elle fait du bruit, parcequ*elle
dérange. Dans Vauvenargues, au contraire, ou du moins dans sa morale,
on n'aperçoit pas Thommequi souffre, et, comme le jeune Spartiate, rien
ne trahit sur son visage le mal qui lui dévore les entrailles. Parce qu'il lui
faut renoncer à l'action, il ne veut pas pour cela qu on y renonce» et il n'y
a pas de moraliste qui encourage autant à vivre. ■
Les MÉTAMOi^HOSBS DE LA FEMME, par X.-B. Saintinc. Paris, 1857;
1 vol. in-12 : 1 fr. — Les degrés de l'échelle, par M"^ la com-
tesse Dash. Paris, 1857 ; i vol. in-12 : 1 fr.
La nature de la femme est plus susceptible que celle de l'homme d'é«
prouver des modilications profondes sous l'empire du milieu qui l'entoure.
C'est ce que M. Saintine appelle ses métamorphoses. En effet, le change-
ment est quelquefois assez complet pour mériter ce nom. Les caprices de
la fortune trouvent presque toujours la femme prête à les accepter quels
qu'ils soient. Résignée dans le malheur, elle ne paraît peint surprise par
la prospérité, mais se plie promptement aux exigences de sa condition
nouvelle. La petite bourgeoise passe facilement à l'état de grande dame,
tandis que son mari conservera jusqu'à la fin les allures d'un parvenu.
Cette observation, sur laquelle H. Saintine a fondé son livre, est très-
juste assurément, mais il en tire, selon nous, des conséquences un peu
forcées, qui tendraient à faire ex'^user soit les manèges de la coquetterie^
soit les roueries de l'intrigue. Dans quelques-unsdesexemples qu'il donne,
la métamorphose n'est qu'un calcul, ou bien n'a lieu que dans l'imagina-
tion de ceux aux dépens desquels elle s'opère. Une jeune fille semble re-
cevoir avec plaisir les attentions d'un jeune homme, puis en épouse un
autre, et quand le premier amoureux la revoit heureuse et calme, au mi-
lieu de ses occupations domestiques, il ne retrouve plus en elle Tidéal qu'a-
vait rêvé son cœur. Une belle comtesse, passablement aventureuse, devient
éprise d'un pauvre artiste, se travestit en grisette pour lui plaire, et ne
LITT^RATURB. 229
recule pas (levant les suites d'une mésalliance. La fille d*un Circassien,
vendue par ses parents, est introduite dans le sérail d'un pacha, le sub*
jugne adroitement, s'érige en sultane impérieuse, et quand le turc féroce
et jaloux prétend la traiter en esclave, elle le tue pour s'enfuir avec un
sous-secrétaire d'ambassade, qui l'emmène à Paris, où la misère la réduit >
à figurer dans les ballets de l'Opéra, tandis que son mari se fait garçon
limonadier. Voilà bien des métamorphoses, sans doute, mais qui ne ré-
pondent guère à ce que semblait promettre la préface de H. Saintine. On
n'y trouve pas de ces vicissitudes subites dans lesquelles la femme peut mon-
trer son nobie caractère, et l'auteur s'écarte singulièrement du but qu'il
annonce en tête de ce volume. Malgré cela, nous croyons que ses historiettes
seront bien accueillies. Elles ne manquent ni d'esprit, ni de gaîté, ni
même d'intérêt. Les détails en sont jolis, la trame ingénieuse et le style
fort agréable. C'est tout ce qu'il faut pour satisfaire la plupart des lec-
teurs.
M"** Dash remplit mieux les conditions du roman, et développe d'une
manière beaucoup plus sérieuse la ilonnée qu'elle a choisie. C'est la chute
d'une femme, vieille histoire, déjà souvent racontée, mais dont la morale
est toujours bonne à rappeler. Les degrés de l'échelle sont les fautes suc-
cessives qu'entraîne presque inévitablement un premier oubli du- devoir
conjugal. Odile de Honeabrié avoue franchement ses torts, et sa confes-
fiion nous montre par quelle pente fatale la femme incomprise descend
jusqu'à la corruption du cœur. Ce sont d'abord les déceptions d'une tête
exaltée, qui ne trouve pas chez son mari l'amour tel qu'elle l'avait rêvé.
Bientôt elle se persuade qu'elle est1rès-malheureu3e, et le premier séduc-
teur qui se présente n'a pas beaucoup de peine à triompher. Puis une fois
l'habitude prise de donner libre essor à ses passions, il est tout simple que
les scrupules vont s'effaçant de plus en plus. La jeune femme poursuit son
idéal d'amant en amant, et si parfois l'aiguillon du remords vient la ré-
veiller, elle cherche à s'étourdir en se plongeant toujours davantage dans
les intrigues galantes. C'est un enivrement qui ne cesse que pour faire
place au vide du cœur, au mépris de soi-même, à l'atonie du désespoir,
quand arrive l'âge où les charmes extérieurs perdent leur pouvoir ma-
gique. Alors commence l'expiation, d'autant plus pénible qu'il est trop
lard pour reformer ces liens qu'on a pris plaisir à rompre l'un après
l'autre, et sans lesquels, pour la femme surtout, l'existence n'est qu'une
lente agonie.
M"* Dash nous fait bien vom l'abîme au bas de l'échelle, et l'enseigne^
230 UniRATVRB.
ment qae renferme son livre est d'autant meilleur qu'elle a su le dépouil-
ler de tous ces accessoires plus ou moins dangereux, dont la plupart des
romanciers abusent d'ordinaire. L'intention morale est bien soutenue
jusque dans les moindres détails, mais nous ne pouvons en dire autant
du caractère des personnages. L'auteur a fait de H. de Moncabrié un
mari par trop débonnaire, qui ferme les yeux pour ne rien voir, et se
prête complaisamment aux désordres de sa femme; aussi n*excite^t-il
aucun intérêt. On ne comprend pas non plus l'affection profonde que
M"'* Odile éprouve tout à coup pour lui lorsqu'il s'en va mourir. C'est
un peu tard pour faire étalage d'amour conjugal, et d'ailleurs elle n'en
continue pas moins son môme train de vie.
PoÉsiKS NODTELLES, par Thalôs Bernard. Paris, Rigaud, 1857; 1 vol.
^n-12 : 3 fr. 50. — Miettes d'amour, par Feraand Belligera. Paris,
1857 ; 1 vol. in-i8 : 1 fr.
Est-il possible de faire du nouveau en poésie? Le vers français ren«-
ferme-t-il quelque filon qui n'ait pas encore été découvert jusqu'ici? Cela
paraît douteux, et les expériences tentées depuis le commencement de
notre siècle ne sont pas de nature à donner beaucoup d'espoir. Elles ont
obtenu parfois un succès assez bruyant, mais éphémère et sans portée
vraiment féconde. La curiosité publique une fois satisfaite, à peine se
souvenait-on des débats soulevés par l'audace des novateurs. f«e résultat
ne décourage point M. Thaïes Bernard, qui vient essayer à son tour d'im-
primer à la poésie française le cachet populaire. L'idée est excellente el
l'exécution mérite des éloges. Mais ce que l'auteur appelle nouveau nous
semble, au contraire, un retour vers les anciens préceptes; seulement il
leur donne un essor plus large en les débarrassant des entraves imposées
par certains préjugés qui n'existent plus. Son style se recommande en
général par la clarté ; les vers sont faciles et ne manquent pas d'harmonie.^
Cependant, quoique ce recueil renferme sans doute de jolies pièces, nous
le croyons peu propre à remplir le but que s'est |m)po8é l'auteur. On n'y
trouve pas l'originalité qui serait nécessaire pour produire l'effet voulu*
Le genre de succès auquel aspire M. Bernard exige plus de vigueur el
de mouvement dans l'imagination. 11 faut captiver fortement les lecteurs
afin de vaincre la répugnance qu'ont beaucoup d'entre eux pour la forme
poétique. On ne peut y réussir qu'en excitant un vif intMt^ et cette ddn-
LlTTiRATVRB. 231
dition essentielle noas semble trop souvent absente dans les poésies de
M. Bernard. Tantôt il traite dea sujets déjà bien usés, des sentiments et
des idées qui sont en quelque sorte la ressource banale de tous les poëtes^
UnitÀ il traduit des légendes étrangères ; il évoque des souvenirs et des
noms inconnus au public français. Ce n'est pas précisément le moyen
d'obtenir la popularité. Du reste, il reconnaît lui-même les difficultés de
son entreprise, et déclare dans sa préface que, pour élever à la poésie
populaire un monument digne d'elle, on doit joindre ta plus solide instruc-
tion à la plus exquise sensibilité. Toute son ambition se borne à pré->
tendre indiquer une voie nouvelle en exprimant convenablement des émo^
tiens sincères.
H. Belligera suit une autre route. Il s'inquiète peu des convenances.
Ses vers ne biilleot ni par la pureté ni par la délicatesse des sentiments.
La plupart même sont d'un genre assez licencieux. Il y a de l'esprit,
mais le style n'est pas plus châtié que la pensée. C'est de la vraie poésie
de Bohême, dont les allures sont du reste franches et naturelles. -Ceux
qui ne craignent pas le laisser-aller un peu trivial trouveront dans les
MieUes damour de quoi les satisfaire. Mais ce goût-là n'est pas le nôtre,
et les amourettes de H. Belligera, malgré le luxe typographique dont elles
sont revêtues, n'ont pour nous aucun attrait.
La Normandie inconnue, par François- Victor Hugo. Paris, 1857 ;
1 vol. in-8* : 3 fr. 50.
Ce livre offre un curieux exemple des ressemblances de famille, qui se
retrouvent dans le style aussi bien que dans la figure. M. François-Victor
Hugo tient beaucoup de son père. C'est la même allure majestueuse, le
même penchant à poser sans cesse, et quoiqu'il traite en prose un sujet
historique assez aride, les images se pressent en foule sous sa plume
comme sons celle du poète. Il affectionne aussi les contrastes, les nomenr
clatures, la couleur locale* dans ses tableaux, la partie matérielle de la
mise en scène est traitée avec un soin minutieux. Mais ce qui nous frappe
surtout, dès les premières pages du récit, c'est l'importance que l'auteur
deone à sa propre personnalité, autre trait de ressemblance non moins
remarquable. U débute par raconter le départ de sa fomille pour Guer^
neeey, et n'omet aucun des pins petits détails de la traversée, qu'il prêt
sente comme un noble sacrifice à l'idée du devoir. Le ton solennel de
232 LITTERATURE.
cette espèce d'avant-propos nous semble indiquer une ttte exaltée par les
illusions démocratiques. On n'en sera pas surpris. Le jeune bomme in-
expérimenté subit l'influence du milieu dans lequel il a vécu jusqu'à pré-
sent, et son ardeur généreuse ne rdve qu'héroïsme et dévouement. Aussi
doit-on s'attendre à trouver dans son livre plus de poésie que de sens
pratique ou de connaissances positives.
Sous le titre de la Normandie inconnue^ M. François-Victor Hugo
retrace Thistoire de Jersey, dans laquelle il prétend nous faire voir l'essor,
de la démocratie et les bienfaits qui en découlent. C'est une idée assez
étrange, car Jersey, comme l'Angleterre dont il dépend, offre plutôt les
avantages du système aristocratique sagement appliqué. Mais Tauteur,
nourri des principes de l'école républicaine actuelle, semble croire que la
liberté ne peut s'établir autrement que par le triomphe de la souverai-
neté populaire. Cette préoccupation domine toutes ses recherches ; s'attà-
chant de préférence aux faits qui lui permettent de développer sa théorie^
^ en exagère quelquefois beaucoup la portée et leur imprime un cachet
très-différent de celui qu'ils durent avoir. Cela ressort d'autant mieux
qu'en même temps M. Hugo n'épargne ni les pièces justificatives ni les
détails de mœurs propres à caractériser Tépoque. Il a d'ailleurs le talent
de la mise en scène, et plusieurs de ses chapitres seront lus avec un vif
intérêt. Malheureusement, le désir d'émettre des vues de haute politique
l'entraîne trop souvent à des digressions déclamatoires. Les moindres
événements lui servent de prétexte pour se lancer dans des considéra-
tions générales tout à fait étrangères à l'hisloire de Jersey. Une pareille
tendance peut sans doute produire d'ingénieux rapprochements, mais elle
est aussi sujette à se laisser fourvoyer par l'esprit de parti. M, Hugo
nous en fournit la preuve, quand il dit qu'au 10 août 1792 les Tuileries
prisea, « c'est la justice détrônant le bon plaisir royaK c'est la société
libre et fraternelle se substituant à la société des castes, c'est la famille
humaine constituée, c'est la démocratie que nos glorieuses communes
avaient rêvées, triomphant aujourd'hui à Paris, mais demain à Jemmapes,
à Bruxelles» à Aix-la-Chapelle, à Mayenee, à Fleurus, à Arcole, à Zuri^,
en Vendée, en Italie, en Allemagne, par toute l'Europe» c'est le émi
conquérant le monde ! >»
Le droit du plus fort, sans doute» car mm ne comprenons pais com-
ment, pour n'en citer qu'une, la bataille de Zurich représente le triomphe
•de la démocratie. Evidemment on n'est plus d'accord sur le sens des
mots, et l'auteur aurait dû joindre \ son livre la définition exacte de ce
LlTTliRATtlRB. 233
qu'il entend par liberté, par justice et par démocratie. Après les expé-
riences si nombreuses que nous a fournies le dernier demi-siècle, il n'est
plus permis de s*en tenir à ces vagues formules qui risquent fort de n'a-^
boutir en dé6nitive qu'aux désastreuses tentatives du socialisme.
Du reste, la constitution sous l'empire de laquelle M. Hugo nous montre
Jersey libre et prospère, n'offre rien qui justifie des écarts semblables.
Elle se distingue plutôt par de sages garanties aussi bien contre les abus
du pouvoir populaire que contre ceux du pouvoir royal.
Aux GRANDS ÉCRIVAINS DBS TEMPS MODERNES ; URO feuille in plano.
Dans ce tableau, la colonnade du Panthéon romain sert d'encadrement
à l'étude comparative des littératures de l'Italie, de TEspagne, de la
France, de l'Angleterre, de l'Allemagne et des pays slaves. L'histoire
littéraire de ces divers peuples se trouve résumée, par ordre chronolo-
gique, à partir du treizième siècle jusqu'au dix-huitième, et l'ingénieuse
disposition du texte permet d'embrasser d'un coup d'œil l'ensemble de
chaque époque avec les principaux écrivains qu'elle a produits. Les no-^
tices sont nécessairement fort courtes, mais précises et suffisantes pour
rappeler à la mémoire le mérite de leurs œuvres et l'influence qu'ils ont
exercées, but que l'auteur, M. Pescantini, s'est proposé d'atteindre. La
marche générale du développement intellectuel s'offre ainsi d'une ma-
nière facile à saisir ; on peut suivre parallèlement les six grandes littcra*
tures européennes dans leurs différentes phases, et se rendre bien compte
du rôle qu'ettes jouèrent tour à tour dans l'histoire de l'esprit humain.
L'utilité d'un Semblable travail n'est pas douteuse, soit pour l'enseigne-
ment, soit pour suppléer à des recherches que les personnes, même les
plus instruites, sont appelées parfois à faire. Le Panthéon trouvera sa
place dans les écoles, dans les pensionnats et dans le cabinet de l'homme
de lettres. C^est d'ailleurs un monument élevé aux gloires nationales les
plus pures, les plus fécondes, les plus dignes d'être admirées. Nous es-
pérons qu'un prompt succès récompensera l'auteur et lui fournira bientôt
l'occasion de perfectionner encore son œuvre en faisant disparaître quel-
ques petites erreurs de détail dont une seule mérite d'être relevée.
Trompé, sans doute, par un vers de Boileau, il indique Villon comme
s'étant distingué dans le roman^ Or VUlon n'a fait que des poésies qui,
loin d'être romanesques» expriment ordinairement la réalité la plus tri-
934 VOIAGBS BT HISTOIRE.
vûde. GeUe inadverUnce doit» du reste» être attribuée» non pas à M. Pes^
caotini, mais à celui de ses collaborateurs qu'il avait chargé de la lUtéra*
ture firaoçaise.
VOYAGES ET HISTOIRE.
Gartk de la terre sainte, par C.-W.-M. Van de Yelde, lieutenant do
la oiarine néerlandaise, chevalier de la L^ion d'honneur» dressée et
dessinée d'après les plans levés par lui-môme pendant les années 1851
et 1852, et d'après ceux exécutés en 1841, par les majors Robe et
Rochfort Scott» par le lieutenant J.-F.-Â. Symonds et par d'autres
officiers du corps royal de la Grande-Bretagne, ainsi que d'après les
découvertes de Lynch» Robinson, Wilson, Burckhardt, Seetzen, etc.
En attendant de pouvoir rendre compte de cet important travail, aous
doAûoos ici l'extrait du prospectus publié par les éditeurs.
« Ainsi qu'il le raconte dans la description de son voyage, le lieutenaot
Van de Velde entreprit de parcourir la terre sainte dans le dessein d'ea
dresser une carte aussi exacte que pouvaient le permettre les moyens
d'un particulier, ainsi que l'état présent de la contrée et de ses habitants.
« Toutefois , l'exécution d'une pareille carte exigeant beaucoup de
temps» l'auteur jugea à propos de publier d'abord les résultats et les cir*
constances de son voyage» avec les découvertes concernant les points les
plus remarquables, et de ne toucher que légèrement, ou même de passer
entièrement sous silence les détails géographiques et topographiques, et
quant aux lieux connus, de n'en faire mention qu'autant qu'un simple
rapport peut l'exiger. Hais il annonçait en môme temps le dessein de dé-
poser toutes ses recherches géographiques dans un mémoire particulier
qui devait accompagner la carte.
« Maintenaot, les travaux géographiques du lieutenant Van de Velde
sur la Palestine sont terminés, et sa carte se trouve entre les mains da
graveur. L'auteur ose espérer que, malgré l'étendue de son œuvre» pour
laquelle un capital considérable est naturellement nécessaire» l'intérêt
public ne lui fera point défaut. 11 est convaincu que tous ceux qui s'oo-
cupeot d'interpréter l'Ecnture sainte, savent par expérience combien la
connaissance de la géographie de la Palestine leur est indispensable. De
mdme il croit superflu d'attirer sur son travail Tattentiondefi amis d'b^
raël, ÛDsi que cdie du peuple juif lui-même » car l'état déplorable dans
voTacBi n flisToiAi. 235
lequel se troove aetaellement la terre sainte, doit faire espérer des jours
meilleurs pour ce pays, « alors que les villes eu ruine seront renouvelées,
que les collines et les vallées refleuriront et produiront des fruits comme
autrefois, que le Seigneur favorisera Israël et qu'il le multipliera plus
qu'auparavant. >
■ Tous ceux qui ont pris la terre sainte pour objet spécial de leurs
études, ont reconnu depuis longtemps qu'une carte exacte de ce pays
manquait jusqu'à présenta En effet, quelque intéressants que soient d'ail-
leurs les détails et les éclaircissements livrés au public dans les récits de
voyages publiés à diverses époques, quelque grands que soient les mé-
rites d'un Burckhardt> d'un Seetzei>, d'un Irby, d'un Hangles, ainsi que
ceux de Robinson, de Russegger, de Schubert, de Wilson, de Tobler et
de Lynch, qui ont parcouru ce pays tantôt sous un travestissement arabe,
tantôt sous la protection d'une pgissante escorte militaire, je dis plus,
quelque importantes que soient leurs explorations géographiques et leurs
recherches historiques, la Palestine n'en est pas moins demeurée un paya
à. peu près complètement inconnu, -dont il est impossible de se procurer
une carte satisfaisante seulement jusqu'à un certain point. En effet, le peu
de sécurité qui règne dans le pays^ le manque d'énergie et rimpuissance
du gouvernement à assurer l'exécution de la loi, les dangers continuels,
les vexations sans cesse renaissantes, auxquelles le voyageur et Tobserva-
teur se trouvent exposés de la part d'habitants grossiers qui ne se lassent
jamais de tourmenter de mille mauières le pèlerin presque toujours livré
sans défense à leur arbitraire, tout cela, réuni aux ardeurs d'un soleil
brûlant et aux tempêtes qui régnent durant l'hiver, rendait impossible la
levée d'une carte même approximativement complète, quelque focilité
qu'ait été, d'ailleurs, cette œuvre par divers travaux partiels. Pour sa
part, le lieutenant Van de Veide a eu largement à lutter contre tous ces
obstacles ; ainsi, par exemple, il y avait à peine six semaines qu'il se trou-
vait dans ce pays, qu'il fut dépouillé de tout son argent, et lorsque, son
voyage terminé, il était sur le point de revenir en Europe, il fut pris d'un
violent et dangereux accès de fièvre de Syrie. Malgré toutes ces difficul-
ttSf il a cependant heureusement mené à bout son entreprise, et il est
convaincu que, grâce à l'aide qu'il a trouvée dans les travaux trigono*.
métriques de M. Symonds et dans ceux d'autres officiers du corps des
ingénieurs, travaux qui lui ont été communiqués, à son retour de Syrie,
par le Foreign Office , et par le Board of Ordnance^ Il a pu rendre la
236 V0TA6B8 BT BlSTOIEB.
carte qu'il publie si exacte et si complète, que la Palestine apparaîtra sous
un tout autre jour qu'elle n'a &it jusqu'à présent.
« Cette carte s'étend depuis la baie de Tripoli jusqu'au désert du Sud,
là où commencent les plaines de Ber Sbeba, au point où le voyageur des-
cend, par le col de Nubk«es*Sufah, pour arriver aux plateaux inférieure
de ridumée. Le point extrême sud est Rafiab^ sur la côte; à l'est, les
monts Houran forment les limites de la carte.
c Le plan de Jérusalem ainsi que des environs de la ville sainte est
exécuté sur une grande échelle, et sera livré dans des cartons.
« L'échelle de la carte est de '/stMoot ^^ a par conséquent une latitude,
de 14 pouces du Rhin environ. La longueur de toute la carte du nord au
sud est de 4 pieds 3 pouces du Rhin, et sa largeur, de l'est à l'ouest, de
2 pieds 8 pouces.
• Pour que la carte puisse ôtre à la fois une carte portative et une carte
de muraille, on l'a divisée en huit feuilles, ayant chacune 19 pouces de
long et 15 pouces de large.
t Le mémoire qui accompagne la carte forme un volume in-8^ de plus
de 400 pages et contient :
« 1® L'itinéraire, les plans de l'auteur, les explications nécessaires à
l'interprétation de la carte ; le tout accompagné de notes critiques, etc. ;
« 2^ Lès plans levés en 1841 par les officiers du corps royal des ingé<»
nieurs militaires de la Grande-Bretagne;
< 3^ Les tables des déterminations astronomiques ;
« 4® Les tables des déterminations altimétriques ;
• 5® Les tables des distances ;
« 6^ Une nouvelle route pour les voyageurs en Palestine ;
i 70 Une indication des lieux bibliques avec des notes exactes ;
c 8® Enfin une table alphabétique.
c La carte et le mémoire seront publiés, la première avec un texte an-
glais, le second en une édition anglaise et en une édition allemande, paf
nnstitut géographique de Ju$tu$ Perihes, Les plus grands soins seront
donnés à la gravure; quant à ce qui^ concerne l'impression, le coloris et
à la qualité du papier, rien ne sera négligé de ce qui pourra relever
encore la valeur de l'ouvrage. »
▼OTJàGBS ET HlftTOlUB. %Zf
Mission de Cayenne et de la Guyane française, avec une carie géo*
graphique. Paris, Julien, Lanier, Cosnard et G*, 1857; 1 voi. in-iS :
3 fr. 50.
Parmi les missionnaires qui ont travaillé soit à Gayenne, soit dans
la Guyane française à répandre la doctrine chrétienne, les jésuites occu*
pent le premier rang. Leurs succès furent remarquables. Ils savaient mieux
que les autres gagner la confiance des Indiens, et réussirent à fonder
plusieurs établissements qui prospérèrent jusqu'en 1762, époque où la
ï*rance les expulsa de son sein. Dès lors la célèbre Goropagnie subit une
longue suite d'épreuves ; tous ses efforts durent être dirigés vers le
maintien de son existence menacée dans presque tous les pays de l'Eu-
rope. Sa grande préoccupation fut de résistera Torage, en se repliant sur
elle-même, de manière à donner le moins de prise possible aux attaques
de ses ennemis. Gette conduite était fort habile. Jusqu'à présent du moins
les faits semblent le prouver. La persistance des jésuites triomphe tou-
jours de rinstabilité des passions populaires. On s'imagine avoir détruit
leur influence, on ne les voit plus nulle part, on les oublie, et tout à
coup ils reparaissent, aussi fort qu'avant si ce n'est plus. Seulement leur
activité se tourne d'abord vers les missions lointaines qui firent jadis la
gloire de l'Ordre, et qui leur fournissent un excellent moyen de se réha-
biliter dans l'opinion publique. C'est ainsi que les jésuites ont repris
maintenant leurs anciens postes dans les colonies françaises en Amérique.
Ils se consacrent surtout av§c beaucoup de zèle aux établissements péni-
tentiaires, dont le personnel s'est considérablement accru depuis quelques
années. Une pareille tftche offre peut-être moins de périls que lorsqu'il
s'agit d'aller vivre au milieu des Indiens, mais elle est ingrate et pénible.
Le troupeau se compose en majorité du rebut des bagnes ; on y compte
de plus un certain nombre de déportés politiques fort peu disposés à se
laisser convertir. En outre le climat est très-mal sain, et plusieurs mis-
sionnaires ont déjà succombé. Mais la ferveur ne fait pas défaut dans les
rangs de la Compagnie. Le volume que nous annonçons montre qu'à cet
égard elle n'a point cessé d'être animée du même esprit. On le retrouve
dans les lettres des missionnaires actuels aussi bien que dans les relations
antérieures qui datent du dix-septième siècle, et malgré les misères de
Tœuvre, le P. Jean Alet écrivait en 1855 qu'un beau succès serait as-
suré à la seule condition d'obtenir « l'alliance franche et pratique de la
288 Vf f A«M BV H16T01M.
force matérielle et des moyens humains avec Texercice sérieux et coas<
tamment appliqué des influences chrétiennes. »
Celte déclaration naïve nous prouve que les jésuites sont invariable-
ment fidèles à leurs principes. La défaite ne les décourage point. Us
poursuivent leur but avec une opiniâtreté qui semble croître en raison
dea obstacles. On en doit conclure» selon nous, que pour les c^oibattre il
but avoir recours à d'autres armes que celles employées jusqu'ici. La
révolte qui brise momentanément leur joug ne Jès a jamais empêchés
de le rétablir, et la proscription leur rend plutôt service* car ils y trou-
vent un remède efficace contre le relâchement qui tôt ou tard amène
la ruine des ordres religieux. Mieux vaut accepter franchement la lutte
sur le terrain de la liberté, rivaliser de zèle et d'influence avec la Com-
pagnie, et ne pas prétendre légitimes vis-à*vis d'elle les procédés qu'on
lui reproche de mettre en usage contre ses adversaires.
Histoire des nations civilisées du Mexique et de l'Amérique cen-
trale , durant les siècles antérieurs à Christophe Colomb, par
l'abbé Brasseur de Bourbourg. Tome I^^ Paris, 1857^ 1 vol. in-8 :
12 fr.
Quand les Espagnols découvrirent TAmérique, ils y trouvèrent une
civilisation différente de la leur, mais à quelques égards plus avancée»
et qui paraissait être déjà fort ancienne. Les deux empires du Mexique
et du Pérou présentaient l'aspect de la prospérité ; l'agriculture, Tindus*
trie et les arts florissaient dans leur sein; la culture intellectuelle
même ne leur était point inconnue, ils avaient des historiens et des
poètes, malgré l'imperfection des procédés qui, chez eux, suppléaient à
l'écriture. L'organisation politique et la hiérarchie administrative por-
taient également le cachet d'une longue expérience. Les conquérants fu-
rent frappés de Tordre qui régnait, de la promptitude des communica-
tions et de l'intelligence des habitants. Les villes nombreuses et bien
bâties annonçaient un développement matériel remarquable. L'accueil
fait d*abord à ces étrangers, dont on ignorait les intentions, fut empreint
de bienveillance et de courtoisie. Malheureusement, chez les rudes Gom;-
pagnons de Certes et de Pizarre, la vue des richesses américaines n'éveilla
d'autre sentiment qu une insatiable cupidité. L'amour de lor était leur
principal mobile et le fanatisme religieux lui venait en aide. Les pré-
ceptes de l'Inquisition dominèrent la conquête. Exterminer des héréti-
VOTACBft IT HIfTOimi. fiS9
qoeB e'éliit frire acte de foi ; quant aa butin, TEglise en acceptait sa part
sa» le moindre scrupule» et favorisait de tout son pouvoir l'œuvre de
destruction comme un moyen d'assurer son empire. Pendant bien des
années encore après la conquête, toute tentative pour recueillir des do«
cuments ou sauver de la ruine quelques vestiges de cette curieuse civi-
UsatioB fut réputée suspecte. Mais, à mesure que la puissancee de l'Es-
pagne déelînaitY les investigateurs ont repris courage, et leurs patientes
recherches sont parvenues à rassembler un nombre assez considérable de
monuments, dont l'étude répand beaucoup de lumière sur l'histoire des
nations civilisées durant les siècles antérieurs à Christophe Colomb. C'est
à cette source qu'a puisé M. l'abbé Brasseur pendant un séjour de plu-
sieurs années dans diiSérentes villes du Mexique. Aux données que lui
fournissent d'anciens manuscrits très-précieux et quelques registres du
temps de la conquête, retrouvés dans les archives, il a pu joindre le secours
des traditions populaires qui se sont conservées chez les Indiens. Avec de
tels matérieux il est parvenu à reconstruire en partie les annales de ces
populations intéressantes sur Torigine desquelles règne une complète
obscurité. On suppose que l'Amérique dut être peuplée par des migrations
venues d'Orient, c'est l'hypothèse la plus probable. Mais M. l'abbé Bras-
seur n'adopte aucune vue systématique à cet égard. 11 se borne sagement
à faire connaître les légendes mexicaines qui, sous des formes plus ou
moins mythiques, attribuent à des étrangers le bienfait de la civilisation.
Dans ces récits , les premiers habitants de l'Amérique sont représentés
comme des hommes imparfaits, à peine ébauchés. Us avaient été pétris de
terre glaise, en sorte que la pluie détrempa bientôt leurs corps, et les dieux»
voyant ce mauvais résultat, en créèrent d'autres qu'ils firent de bois dur*
Hais ceux-ci manquaient d'intelligence et de cœur. Us furent donc dé-
truits et remplacés par une race plus susceptible de développement. L'hiS"
foire est ainsi mêlée à la théogonie. Evidemment tous les personnages
qui exercèrent une influence marquée sur les destinées du pays ont
été rangés au nombre des dieux. Ce sont d'ailleurs des divinités secon-
daires au-dessus desquelles règne l'Etre suprême, le Dieu unique et tout-
puissant dont la religion mexicaine reconnaissait l'existence. Le fait le phi^
probable qu'on puisse dégager de cette enveloppe fabuleuse, c'est que leis
législateurs venus de contrées lointaines apportèrent en Amérique les
éléments de la civilisation. Us fondèrent l'empire des Toltèques, renoinmé
pour, sa puissance et sa durée. Les légendes mentionnent encore plusieurs
autres migrations du même genre auxquelles sont attribuées également
240 VOTAGBS BT HMTOIKB.
d^importantes réformes dans les mœurs et dans les lois. On en peut donc
conclure, avec quelque vraisemblance, que tous les progrès de la sociéié
américaine eurent une origine étrangère. Peut-être de nouvelles décou-
vertes permettront plus tard d'en déterminer la provenance, mais jusqu'ici
la question Veste indécise, et M. l'abbé Brasseur ne prétend point la ré-
soudre, malgré les curieuses analogies qu'il a lui-même observées entre
les usages des indiens et ceux de certains peuples asiatiques. Il s'efforce phi^
tôt de recueillir et de coordonner les faits, de leur rendre, autant qoe
possible, le caractère historique altéré par la tradition. C'est un travail
préparatoire indispensable pour arriver à la solution du problème. Le
talent avec lequel il a su remplir une tâche pareille nous paraît digne d'é-
loge. Quoique son premier volume renferme la période la plus obscure
et par conséquent la plus ingrate, on le lira, nous en sonunessûrs, avec
un vif intérêt. On y trouve en quelque sorte le complément et le meil*
leur commentaire des aperipus si remarquables présentés par Prescoit
dans ses ouvrages sur la conquête du Mexique et du Pérou.
ALBUM DES FÊiES NATIONALES SUISSES. Réclt des principaux événements
et description historique des fêtes nationales célébrées dans la ville
fédérale de Berne en 1857. Neuchâtel 1857 ; 1 vol. in-8<' orné de
vues d'après des daguerréotypes et publié en 8 livraisons mensuelles.
La pensée qui a présidé à la publication de cet ouvrage a été de réunir
dans un même cadre les fêtes nationales nombreuses et variées dont
Berne a été ou sera encore le théâtre en 1857 , et de grouper autour de
ces fêtes les événements politiques dont cette même année a fourni le
dénouement.
Aucune autre époque ne présente un tel ensemble de fêtes et d'événe-
ments plus propres à faire ressortir le caractère et Tesprit de la nation ;
aucun autre moment n'aurait pu être mieux choisi pour tracer un tableau
d'un intérêt aussi vif et aussi général, et nous sommes persuadés qu'une
description fidèle de ces fêtes et un récit détaillé de ces événements trou*
veront dans le public un accueil bienveillant et empressé.
Voici, en résumé, la matière des diverses parties qui composeront
r^vrage :
1. — Le commencement de 1857 a vu la Suisse revêtue de sa parure
militaire. De tout temps, le jour du départ pour h combat a été pour les
VOYAGES ET HISTOIRE. 241
Helvétiens un jour de fête^. Ce moment solennel approchait ; de sombres
nuages s'amoncelaient à l'horizon. Les divergences d'opinion divisaient
encore les Confédérés en plusieurs camps ; leurs dissensions menaçaient
de se prolonger, peut-être même de dégénérer en luttes intestines ; —
la Patrie est menacée, — tout se tait ! Chacun se tourne contre l'ennemi
commun, les hommes des partis les plus opposés se rangent côte à côte>
les rangs se serrent, les Suisses ne sont plus animés que d'une seule
pensée : sauver la Patrie ou périr en combattant.
Personne ne pouvait alors prévoir quelle tournure prendraient les
événements, chacun ignorait ce que nous préparait l'avenir... n'importe,
la Suisse était prête à tout et ces jours nous ont révélé de grandes et
belles choses. Nous en graverons le souvenir dans toute sa fraîcheur,
avant que le temps ne vienne insensiblement en eifacer l'image.
II. — La fête des lutteurs *esi empreinte d'un cachet véritablement
alpestre, qui la rend bien digne de trouver place dans cette série de fêtes
nationales. Nous fournirons à chacun l'image fidèle de ces luttes, qui
donnent une idée delà force» de la persévérance et de l'agilité du peuple
de nos campagnes; nous en décrirons les diverses phases : le moment où
les deux champions pleins d'ardeur se saisissent corps à corps, la promp-
titude avec laquelle ils jugent réciproquement de leur force, la rapidité
avec laquelle des hommes d'une taille colossale sont enlevés de terre par
des bras musculeux, 1 agilité et la souplesse qui détournent inopinément
le danger, les regards pleins d'espérance ou d'anxiété qui suivent les
combattants, et enfin l'acclamation qui retentit dans les airs lorsque
le corps d'un lutteur fait gémir le sol.
III. — Nous envisagerons aussi la Suisse sous un jour plus pacifique.
L'exposition de 1857 (Exposition suisse de ^industrie, de lagricul--
ture et des beaux^arts) surpasse tout ce qu'on a vu d'analogue dans
notre patrie. Quoique la Suisse ne soit qu'un petit pays hérissé de
montagnes, entouré de douanes qui gênent l'exportation de ses pro-
duits, ouvert à toute espèce de concurrence étrangère ; quoiqu'elle ne
possède ni mer» ni flotte, qu'elle n'accorde ni primes, ni privilèges, que
les titres et les décorations y soient inconnus, elle n'en montre pas
moins, dans l'exposition de son industrie, ce que, malgré tous ces ob-
stacles, elle peut produire à l'aide de son activité infatigable, de sa persé-
vérance et de ses institutions libres. Nous avons sous les yeux une foule
d'objets qui excitent notre admiration, tant par h richesse de la matière
que par la délicatesse du travail et par l'art infini qui a présidé à la main
16
fi42 VOTAOB6 ET Ul9TOIflE.
d œuvre ; puis ces articles de luxe qui constituent les besoins de peuples
éloignés et qui nous permettent de nous former une idée des débouchés
que l'activité industrielle et l'esprit de commerce des Suisses se sont
créés, malgré la rivalité des plus grandes nations l'Europe.
L'exposition des beaux^arts nous fera passer du positif à l'idéal» de
l'utile au beau. La Suisse, par la beauté de ses sites, semble inviter l'art
è reproduire les aspects pittoresques et variés de ses lacs et de ses monta-
gnes ; aussi Ton y voit se développer de jeunes talents et l'on y ren~
contre même des grands maîtres. Nous parlerons de plusieurs ouvres di-
gnes d'admiration et d'un assez grand nombre d'artistes suisses distingués .
La Suisse aura aussi une exposition pour son agrieuHure. Les habi*
(ants des Alpes, les vignerons, les cultivateurs s'efforceront d'y rivali-
ser. Cette exposition renfermera les plus belles têtes de bétail et tout ce
qu'il y aura de plus beau et de plus extraordinaire en fait de produits
agricoles. Si les instruments aratoires prouvent que le cultivateur suisse
doit s'attaquer à un sol tenace et difficile à travailler, les magnifiques pro*-
duits de toute espèce prouveront, de leur côté, que ce sol est entre les
mains d'un peuple laborieux, ingénieux et qui tend au pt*ogirès.
IV. — Le Tir fédéral est la fête la mieux connue de tous les Suisses
répandus sur toute la surface du globe. Les dons destinés à l'embellir
arrivent de toutes les contrées où s^élèvent des colonies suisses ; des
Suisses traversent l'Océan pour y assister ; c'est le rendez-vous de tous
les tireurs du pays; c'est une semaine où l'on rivalise de succès dans
l'exercice de l'arme nationale ; c'est une grande assemblée populaire eu
permanence, une semaine où se resserrent encore les liens d'amitié et de
fraternité qui unissent tous les Suisses, une semaine de la vie la plus ricbe
en émotions, un spectacle majestueux et imposant, plein tout à la fois die
gravité et d'allégresse.
Nous chercherons à retracer le caractère de la fête, ses plus belles
scènes, ses moments les plus solennels ; nous en rappellerons les plus
beaux discours et en dépeindrons les héros.
V. -^ Ce n'est toutefois ni à l'Exposition, ni au Tir mais dans le sein
des Conseils de la nation que se sont consommés les actes les plus im*
portants de cette année. Les séances où la question neuchâteloise, ou
plutôt la question suisse, y a été traitée, ne conMstuent pas, à vrai dire,
une fête dans l'acception ordinaire de ce mot , mais c'est peut-être plus
qu'une fête.
'Nous rendrotis compte de ces séances et, à cette occasion, nous ferons
8CIEIICES MORALES ET POLITIQUES. 243
eonnattre les hommes éminents qui siègent dans les Conseils, ainsi que
ceux dont les travaux ou les services ont popularisé le nom dans le cours
de ces dernières années.
VI. — L'inauguration du palais fédéral clora la série des fêtes de
1867. Ce sera un grand jour pour le Moutz, que celui où il remettra ce
magnifique bâtiment aux autorités fédérales, et un jour de fête pour la
Confédération; car l'installation de ses Conseils dans les salles qui leur
sont destinées, sera, pour les institutions fédérales, comme le symbole du
passage d'un état provisoire à un état définitif. La description de cette
fête solennelle terminera l'Album.
Celte publication réveillera d'agréables souvenirs chez ceux qui ont as-
sisté à ces fêtes: elle offrira aux autres une espèce de compensation, et, même
pour les étrangers, ce sera une lecture pleine d'intérêt, car ils y trouveront
une peinture vivante de nos coutumes et de nos réjouissances nationales.
Les personnes qui ont bien voulu promettre leur coopération à cette
entreprise (et parmi lesquelles nous citerons M. C. Morel, MM. les con-
seillers d'Etat Schenk, Sahli et Karlen, et M. Schârer, médecin), ayant
fait partie des comités, ont été initiées à l'organisation de ces fêtes, en ont
suivi de près toutes les phases et n'en ont perdu aucun détail. C'est
là une garantie de plus de l'exactitude des récits et des descriptions
que contiendra l'Âibum. J. A.
Bacon, sa vie, son temps, sa philosophie et son influence, jusqu'à nos
jours, par Ch. de Rémusat. Paris, Didier et C'^, 1857; 1 vol. in»8<>:
7fr.
Bacon occupe une place éminente dans l'histoire de la philosophie. Il
brille au premier rang parmi ces libres penseurs du seizième siècle, qui
ont si puissamment contribué soit au progrès, soit aux déviations du savoir
humain. Son esprit vigoureux et plein d'audace ne craignit pas de lever
Fétendard de la révolte contre le joug de la scolastique, et ce fut en atta-
quant Aristote qu'il débuta, bien jetine encore, dans le monde littéraire.
L'entreprise était prématurée, mais Bacon n'en exerça pas moins une
grande influence sur ses contemporains par son génie, qui devançait les
temps pour féconder le sol de l'avenir. Comme tous les novateurs, il a
parfois dépassé le but, et Ton ne peut pas sans doute l'absoudre entière-
ment des écarts de la révolution intellectuelle à laquelle il a participé. La
244 SCIBHCBS H0RALB6 BT PÛLITIQUBS.
témérité caractérise toujours ainsi les efforts do Tesprit humain pour s'af-
franchir de la routine. Ce n'est pas avec des ménagements et des scru-
pules qu'on opère une réforme quelconque ; la plupart des hommes ne
consentent à quitter le vieil édifice que lorsqu'il est détruit de fond en
comble, et qu'on leur offre la pe^pective d'en construire un à leur fan-
taisie. D'ailleurs Bacon n'avait peut-être pas bien saisi toute la portée de
son œuvre, ni surtout les conséquences extrêmes qu'on en tirerait après
lui. L'émancipation de l'esprit humain éiait le but de ses efforts, et, pour
l'atteindre, il valait mieux se préoccuper exclusivement des avantages de
la liberté. Une pareille méthode s'accorde mal avec les prescriptions de
la morale, mais Bacon ne devait pas être très-scrupulenx à cet égard; sa
vie nous en fournit de tristes preuves. Le philosophe se montra courtisan
serviie et ambitieux ; tout en se consacrant i la recherche de la vérité, il
ne dédaignait pas dans la pratique d'employer l'astuce et l'intrigue au
service de ses intérêts. D'après le rôle qu'il a joué sur la scène politique,
on serait presque tenté de croire qu'à ses yeux la philosophie ne fut qu'une
espèce d'exercice intellectuel. Mais il ne faut pas oublier que l'homme est
sujet à de semblables contrastes. La théorie et l'application se rencontrent
rarement chez le même individu. Quand Tune prend son essor, c'est en
général aux dépens de l'autre. La faiblesse de notre nature ne comporte
guère ce double développement, et l'alliance de la vertu avec le génie est
l'idéal d'une perfection surhumaine. Bacon ne sut point conserver au mi-
lieu des séductions de la cour l'indépendance dont il faisait preuve dans
le domaine des spéculations philosophiques. Il paya largement son tribut
à la corruption de l'époque, et les rêves d'une ambition démesurée l'em-
pêchèrent trop longtemps de suivre les conseils de la sagesse.
M. de Rémusat, tout en professant la plus haute admiration pour le
génie du philosophe, ne cherche à dissimuler ni les défauts de son carac-
tère, ni les taches de sa conduite. Il expose les faits avec beaucoup d im*
partialité, tenant compte du milieu dans lequel a vécu Bacon, des opinions
qu'il avait, en quelque sorte, sucées avec le lait, et des maximes poli-
tiques dont l'autorité semblait alors incontestable. Mais son travail est con-
sacré plutôt à l'examen du baconisme et de son influence féconde. Cette
philosophie lui paraît contenir en germe toutes les tendances diverses qui,
depuis, se sont manifestées, il y trouve l'explication de bien des succès et
de bien des fautes, la source d'où sont sorties maintes erreurs, ainsi que
de précieuses vérités, l'origine, et comme une image anticipée du mouve-
ment intellectuel qui, dès lors, a dominé le monde, c Bacon, dit-il, est
SGIBHCES HORALES IT FOLITIQUBS. 245
un des grands promoteurs de l'esprit des temps modernes. Il a puis-
samment contribué à lui donner sa direction, à lui inspirer confiance dans
sa puissance et dans ses destinées. Il Ta par avance assez fidèlement re^
présenté. Dédain du passé, foi dans la raison, croyance au progrès, res-
pect pour les bits, amour de la nature^ passion de Tutilité, tout cela se
trouve dans Bacon et dans ses livres. Mais à l'orgueil de la pensée il
joint la crainte de la spéculation ; à l'enthousiasme de la science, la défiance
de tout enthousiasme; il fait, comme on l'a dit de Socrate, descendre la
philosophie sur la terre, mais il l'attache à la terre, ce que Socrate n'a
point fait. L'élévation de son génie ne se retrouve pas toujours dans ses
idées, et il est quelquefois inquiet et comme embarrassé de sa grandeur.
t Ne pourrait-on pas reconnaître là quelques caractères de l'esprit du
temps? Espérances, témérités, découragements, abaissements, terreurs,
tout cela ne se retrouve-t*il pas dans l'histoire de la pensée, comme dans
la vie réelle des peuples? La philosophie ne se ressent-elle pas de tout ce
qu'éprouve la société, et ne peut*on pas étudier dans Bacon nos idées à
leur origine? N'annonçait-il pas ce que nous sommes? •
Tel est le point de vue que M. de Rémusat développe avec l'esprit de
critique judicieuse et l'élégante clarté qui distinguent son talent.
Affaire de la Salettb, M^^^ de Laraerlière contre MM. Déléon et Car-
tellier, demande en 20,000 fr. de dommages-intérêts, recueiUie et
publiée par J. Sabbatier. Paris, Borrani, 1857 ; 1 v. in-12 : 2 fr. 50.
Au mois de septembre 1846, deux jeunes bergers racontèrent qu'une
belle dame leur était apparue, vers trois heures de l'après-midi, sur la
montagne de la Salette, qu'elle était entourée d'une auréole éblouissante,
assise la tête dans ses mains, dans l'attitude d'une tristesse profonde ; que
s'étant levée, avancée vers eux et les ayant invités à approcher, elle leur
avait conté une grande nouvelle et confié un grand secret; puis, qu'ayant
fait quelques pas en avant sans que le poids de son corps fit fléchir les
brins d'herbe effleurés par ses pieds, elle s'était élevée dans l'air et avait
disparu, ne laissant après elle qu'une traînée lumineuse, qui bientôt aussi
s'était évanouie. C'est sur ce récit qu'est fondé le miracle de la Salette. On
admit que la belle dame ne pouvait être que la vierge Marie, l'apparition
fut déclarée authentique et le culte de Notre Dame de la Salette autorisé
par l'évèque du diocèse. Bientôt, n^éme, l'eau d'une source voisine du
thédtre de l'événement acquit le renom d'opérer des cures merveilleuses.
246 SCIBUCBS H0RALB8 ET FOLITIQQX0.
Cependant quelques ecclésiastiques, entre autres MM. les abbés Déléon el
Cartellier, prétendirent ne voir dans toute cette affaire qu'une intrigue
coupable, une indigne spéculation tentée sur la faiblesse d'esprit et la cré-
dulité. Dans les écrits qu'ils publièrent à ce sujet, M^* de Lamerlière« an-
cienne religieuse, était désignée comme le principal auteur de la super-
chérie. Ils l'accusaient de s'être affublée d'un vêtement étrange pour jouer
le rôle de la vierge. Ces publications furent condamnées par l'évêque do
Grenoble : M. l'abbé Cartellier se soumit, tout en réservant s#n opinion
sur la Salette, M. Tabbé Déléon persista el fut frappé d'interdit. M"° de
Lamerlière jugea convenable alors d'intenter aux deux abbés ainsi qu*à
leur imprimeur un procès en calomnie \ mais elle se vit déboutée par un
jugement du tribunal civil de Grenoble. Ayant interjeté appel de ce juge-
ment, l'affaire fut portée devant la cour impériale, dans l'audience du 27
avril 1857. M^JulesFavre plaidait pour M"*" de Lamerlière et M® Bethmont
pour Tabbé Déléon. C'est ce curieux débat que M. Sabbatier, ancien sté-
nographe des Chambres pour \e Moniteur universel, publie aujourd'hui.
On Taccueillera d'autant mieux que les journaux n'ont pu rendre compte
du procès. Malgré les efforts de son avocat, M^^^' de Lamerlière n'a pas été
plus heureuse qu'en première instance. La cour a confirmé le jugement
du tribunal civil, et condamné l'appelante à l'amende et aux dépens.
L'HOMife, LA FAMILLE ET LA SOCIÉTÉ, cousidérés d»ns leurs rapports
. avec le progrès mord de l'humanité, par Eug. Buisson. Paris et
Genève, J. Cherbuliez, 1857; 3 vol. in-12: 5 fr.
De ces trois volumes, un seul est nouveau : c'est celui qui traite de
l'homme ; il complète les deux autres séries de discours que l'auteur avait
déjà publiées sous les titres de la FamiUe et de /a Société. M. Buisson
aborde résolument les questions à l'ordre du jour, et s'efforce de mon-
trer que le christianisme seul peut les résoudre d'une manière satisfai-^
saute^ En effet, la religion touche aux plus graves intérêt» de Tordre
soeial, malgré la peine qu'on s'est donnée pour l'en séparer; elle a droîl
d'exercer sur eux son influence, et c'est folie que de prétendre les y
soustraire. L'homme a des besoins intelleetuels et moraux qui ue sont
pas moins inhérents à sa nature, ni moins impérieux que les besoins phy«
siques. Pour les satisfaire^ il cherche à pénétrer par la pensée siu delfe
des bornes du monde visible» et ses efforts tendent sans cesse ver^ la so-
iution, du mystérieux problème de sa destHiée. Quelles que soient les upi^
SCISHCES HORALES ET P0LIT1<^»1S. ^7"
iM«ft8 de ceux qui se livrent sérieuMment à ce toavAÎl, ils s*accocdeiit tnus
à* ¥oip le vérâtaUe^pirogrès daft^Ja domiBatitMFi creisfiADte de Tesprii sur la.
ebair, de la pensée sur le domdine natérieL Les uns procèdeat par la.
pbifesephie, ei seott enclios à s^*exagérer la puissance de la raison bu-
maine. Les autres» au contraire, la rejettefii coaame ne pouvant conduire
qu'à Terreur, nient le libre arbitre et procbitteat le principe de rautprité
ab^lue en matière de foi. Entre ces deux extrêmes, le christianisme offre-
une voie meilleure et plus sûre, c 11 est moins exclusif, parce qu'il est
plus complet et plus vrai. Il tient compte des deux faces de la nature hu-
maine, sans méconnaître jamais ce qui en fait la dignité et la grandeur.
Avant tout, il fait du progrès humain une œuvre intérieure, une déli-
vrance du mal, une rédemption du péché, la restauration de Timagedfvine
et du royaume de Dieu en nous. Mais ce n'est pas par contrainte qu'il
procède, car il ne veut pas faire des esclaves ; il veut, suivant la belle
expression de Pascal, pénétrer dans l'esprit par des raisons, et dans le
cceur parla grâce; il veut nous conduire par la puissance de la vérité < à
la liberté glorieuse des enfanits de Dieu. > En d'autres termes, il veut, en
toutes choses, surmonter le mal par le bien» et vamcre les infirmités de la
chair pap la régénération du principe spirituel, qui est la source même de
la vie. >
Telle est la thèse que M. Buisson développe avec un talent remar-
quable. Il commence par établir que la destination de l^hamme est le de-
voir ou le service de Dieu. C'est le sujet de son premier discours, dans
lequel sont exposé$ d'une manière précise et frappante ^les motifs qui
doivent nous erigager à suivre constamment la ligne du devoir. De là dé-
coulent plusieurs conséquences, que l'auteur passe en revue, suivant leur
ordre lexique, dans les neuf autres discours. C'est d'abord la lutte inté-
rieure, par laquelle il faut nécessairement passer pour apprendre à se
connaître, à mesurer ses forces, à se rendre bien compte des obstacles
que l'on rencontrera. Ici la supériorité du christianisme éclate d'une oaa-
nière évidente, c En nous révélant ce que nous devons être, il dissipe»
du aiême coup, et les erreurs grossières qui nous rabaissent, et les illu-
sions présomptueuses qui nous enivrent. » Grâce à ses enseignements, les.
efforts de l'homme ont un but certain et peuvent produire de bons fruits.
Il éclaire la conscience, féconde et dirige la pen$ée, épure le cœur^ for-
tifie la volonté, rend l'hahitude salutaire et Vimitation fertile en résul^
tats heureux, fait de la parole un instrument de vérité, donne enfin h h
prière une influence efficace qui soutient, console et raffermit sans cesse.
248 8CIINCES HaRALES BI POUTIQUIS.
H. Buisson a su résumer ainsi l'ensemble de la morale ehrétienne sous
un point de vue essentiellement pratique. Son éloquence est simple et ses
arguments nous paraissent de nature à faire impression sur tous les lec-
teurs intelligents. Animé d'ailleurs du zèle le plus charitable, il respecte
les convictions d'autrui, et s'abstient de toute controverse en matière de
dogme, estimant, avec saint Paul, « que les fruits de la justice doivent
être semés dans la paix, i
Histoire de Joseph, considérée au point de vue typique et pratique, par
F. Estéoule. Paris et Genève, J. Cherbuliez. 1857 ; 1 vol. in-12 :
2fr.
Parmi les épisodes que renferme la Bible, l'histoire de Joseph est à la
fois un des plus touchants, des plus dramatiques et des plus instructifs. Il
offre de plus un sens allégorique en nous montrant dans Joseph le type de
Jésus-Christ. C'est sous ce double point de vue que M. Estéoule s'est
proposé d'en faire une étude approfondie pour instruire ses lecteurs et les
édifier en même temps. Il expose d'une manière fort intéressante les dé-
tails de cette histoire, où les scènes patriarcales sont décrites avec autant
de charme que de simplicité, s'attachant surtout à mettre en relief les le-
çons fécondes qu'on peut en tirer, et citant les nombreux passages qui
s'appliquent soit au caractère de Joseph, soit aux différentes péripéties de
sa destinée. Son commentaire se distingue en général par la tendance
pratique et par la clarté. On y trouve une foule de réflexions salutaires,
des aperçus ingénieux sur les voies de la Providence, des conseils pleins
de sagesse pour la conduite de la vie. M. Estéoule nous paraît avoir suivi
la méthode la plus propre à rendre son travail vraiment utile. C'est une
lecture à la fois attrayante et sérieuse, qui produira de bons fruits, parce
que l'enseignement qu'elle renferme est à la portée de toutes les intelli-
gences et que chacun peut y puiser d'excellentes directions. Sans doute,
il n'est pas exempt des défauts ordinaires de ce genre de recherches ; l'au-
teur se laisse parfois entraîner à des interprétations un peu forcées. Mais
ses hypothèses s'enchaînent si bien et leur ensemble offre tant d'harmo-
nie, qu'on l'excusera volontiers, ou plutôt, captivé par l'intérêt du récit,
on ne songera point à critiquer quelques détails d'une importance tout à
fait secondaire. Il se recommande d'ailleurs par l'élévation de la pensée et
par la sincérité de la foi qui l'anime.
SCIBHCBS ET AETS. 249
SCIEUTCfiS ET ARTS.
Les Alpes, description pittoresque de la nature et de la faune alpes-
tres, par Frédéric de Tschudi, traduit par le D'Vouga. Berne 1857;
1 vol. in 8^ ûg. paraissant en 8 livraisons à 2 francs chacune.
La nature alpestre offre une mine féconde à Tobservateur. Si l'aspect
grandiose de ses paysages excite l'enthousiasme de l'artiste, le savant n'y
trouve pas moins de sujets d'étude et d'admiration. La variété des
climats et leurs brusques transitions permettent d'y contempler, dans un
espace restreint, des produits ainsi que des phénomènes analogues à
ceux des contrées les plus diverses. Souvent une journée suflBt pour
franchir la distance qui sépare des vallée» fertiles et chaudes du séjour
des neiges étemelles, et l'on passe ainsi rapidement en revue les diffé-
rentes phases de la végétation, les richesses naturelles de presque tous
les pays du globe, les vestiges les plus remarquables des bouleverse-
ments qu'a subis la croûte terrestre. < Depuis les forêts qui s'étalent à
ses pieds et les collines qui l'encadrent, jusqu'aux sommets brillants qui
la couronnent, la chaîne des Alpes nourrit une multitude d'êtres vivants
dont la distributiea est déterminée par des conditions climatériques inva-
riables. Elle offre souvent, sur un espace incliné de quelques milles
carrés, une succession de formes organiques qu'on ne peut poursuivre
dans le bas pays qu'en parcourant des centaines de milles. Quelques
heures de marche séparent à peine la dernière forêt de châtaigniers ,
près de laquelle le scorpion d'Italie rampe entre les pierres, des plantes
chétives et des régions polaires.
c La position intermédiaire des Alpes entre le nord et le sud de
l'Europe, leur configuration si variée selon les localités, leurs phéno-
mènes météorologiques et climatériques si différents sur chaque point,
sont la condition et la cause de cette grande richesse de développement
organique qui les caractérise et persiste même jusqu'au milieu de leurs
glaces qui, au premier coup d'œil, semblent si fatale à tout être doué de
vie. Quelle chaîne non interrompue d'espèces ne doit pas exister entre
le Lœmmergeier qui , flottant dans la nue, épie sa proie au fond de quel-
que abîme , et la podurelle qui s'agite dans les fissures capillaires d'un
glacier désert ; entre l'agile et prudent chamois et l'organisme micros-
copique qui colore la neige rouge ? •
Ce merveilleux ensemble de vie animale a trouvé dans M. Tschudi un
peintre fort habile, qui joint au talent descriptif des connaissances solides
et la vive affection que les Alpes inspirent aux habitants de la Suisse. Le
tableau qu'il trace est empreint (Tune poésie vraie et bien sentie. La na-
ture alpestre s*y déploie à nos regards dans toute sa magnificence , on
assiste aux scènes grandioses dont elle est le théâtre , et les aspects di-
vers qu'elle présente suivant les saisons se trouvent reproduits avec beau-
coup de charme. De fort jolies gravures représentent les sites , les qiia-
(kupèdes et les oiseaux les plus remarquables des Alpes. C'est use publi-
cation bien faite pour captiver tous 1^ lecteurs , et le succès populaire
dont elle jouit en Allemagne sera sans doute confirmé par Tempresseoieat:
du public français. Nous ne saurions du reste en faire mieux apprécier la
mérite ï la fois littéraire et scientifique qu'en terminant cet article par
uDe citation de quelque i^tendue.
€ Quelques semaines avaot l'époque où l'hiver comme&ee dans la plaine,
il aonoace son approche dans la région inontagneuse par des teotaitives in^
fructiMiKses. Déjà ea octobre et en novembre des flocons de neige com*
mencent à tomber, le froid glaae le ruisseau, le givre s'attache aux buis-
sons ; mais la glace et la neige ne peuvent résister à l'action d'un soleil
encore puissant. Cependant les jours diminuent, et voici qu'un matin
tout a disparu sous une couche de neige sur le revers méridional des
Alpes ; sur certaines pentes bien exposées la lutte dure enoore^ le soleîi
et le fohn résistant au souffle glacé de Thiver. La neige prend définitif
veiaent pied sur les prairies sèches et les pentes tournées au nord, puis^
sur celles qui regardent le midi, et finalement elle couvre tout le pays
d'une couche uniforme, sous laquelle les routes et les sentiers sont ef-
facés, et pénètre même, à travers les branches des sapins, jusqu'au sol
de la forêt.
c Les détails du paysage , les inégalités de surface disparaissent sous
la couche de neige et font place à des lignes molles et uniformes qui
donnent à la vallée tout entière l'aspect d'un fond de cuvette. Les ruis-
seaux sont glacés, et les cascades transformées en gigantesques colonnes
de cristal appliquées aux parois de rocher ; çà et là seulement une sur-
foce rocheuse, toujours balayée par le vent, n'est pas ensevelie sous la
neige. C'est avec peine que le pâtre se fraie une route vers Tétable bien
close où ruminentses vaches. Les poules sauvages qui, immobiles sur le^^
sol pendant la chute de la neige, s'étaient laissées ensevelir, se sont dé-
gagées et picotent près des fenils solitaires quelques grains oubliés;
les écureuils, les hermines, les martres, les hèvres et les renards osent à
pdae quitter leurs gîtes et leurs trous. Ils n'aiment pas cette couche do
SCIBNCBS ET ARTS. 351
n^ige épisse, molle, dans laquelle ils s'enfoncent et laissent des traces qui
pourraient les trahir; mais à la première nuit claire elle aura pris un autre
caractère, elle devient dure et solide; souvent, après une journée
chaude, elle se couvre d'un vernis de glace, ou prend Taspect cristallin
à la suite de vents froids ; ce n'est plus pour le pays un inol vêtement
d'un blanc mat, mais une cuirasse éclatante, dure comme Tacier, à la
surface de laquelle des millions de cristaux réfléchissent la lumière et
brillent d'un éclat éblouissant. Les quadrupèdes ont retrouvé un sol as-
suré sur ces champs qui crépitent sous leurs pas et ils font pendant la
nuit de longues excursions à travers monts et vaux. Leurs traces, à peine
indiquées, se croisent en tous sens au milieu des forêts et des champs ;
chaque coup de vent emporte des millions de cristaux de glace, couvre
de cette blanche poussière d'immenses surfaces, efface les empreintes
des pas, ou, si la coui^he glacée est très-solide^ les remplit de feuilles
desséchées ou des semences des pins. Sur les cimes élevées et les arêtes
rocheuses, le souffle âpre du vent enlève la neige poudreuse, et les
monts semblent enveloppés de fumée; une partie de la neige entraînée
tourbillonne dans Tair sous forme de petits nuages de cristaux brillants,
tandis que les masses plus pesantes, fouettées par la bise, tombent du
haut des cimes, rebondissent de roc en roc en nuageuses cascades et se
perdent enfin dans les profondeurs.
• Les jours, les semaines s'écoulent, et toujours un froid vif, clair
et monotone règne dans la montagne. La première neige est tombée des
arbres, le givre aux longues aiguilles l'a romplacée ; puis la neige re-
tombe et le givre lui succède encore. Il revêt de ses cristaux effilés et
de sa blancheur mate la nature tout entière, se suspend aux rameaux des
arbres et des buissons, décore capricieusement la fontaine et le pieu soli-
taire indicateur de la route, jusqu'à ce qu'un brouillard humide ou un
rayon doré du soleil d'hiver vienne faire écrouler ses édifices aériens et
les remplacer la nuit suivante par la couche mince d'un émail glacé.
C'est alors que les habitants des vallées, munis de haches et de traîneaux,
se rendent dans leurs forêts. Les sapins et les hêtres tombent menaçants,
les troncs ébrpnchés descendent comme des flèches les couloirs rapides.
D'un pied sûr, des chevaux vigoureux, aux formes osseuses, les entraî-*
nent au galop vers les villages, en suivant les pentes et les ravins nivelés
par la glaoe. Pendant la nuU, le renard fait entendre ses glapissements au
milieu des buissons, tandis que de jour la voix des chiens de chasse et
. la détonation du fusil retentissent au milieu de cette nature sans meuve-
352 SCIBHCBS BT AETS.
ment. Peut-être y entendrait-on les battements précipités du cœur d*un
lièvre depuis longtemps poursuivi, ou le bruit du vol ailourdi d'un té-
tras effrayé. Le merle d*eau siffle au bord du ruisseau, le pinson de
neige et le roitelet gazouillent dans les buissons leur gaie chansonnette.
« Tous les bruits de la vie sont d'autant plus vifs et joyeux que la na-
ture ell^même est plus solitaire et silencieuse. Mais au milieu de cette
uature enveloppée d'une couche neigeuse, ce que nous regrettons avant
tout, ce sont ces lacs de la montagne à la surface d'azur, aux eaux lim-
pides et aux mystérieuses profondeurs. Ils viennent de se congeler ; un
miroir vert les a recouverts, et n'a pas tardé lui-môme à s'enfoncer sous
le vaste linceul.
• Des zéphyrs tièdes et chauds annoncent lep rintemps. Us viennent en
aide au soleil dans l'œuvre lente et pénible qui consiste à détruire le lin-
ceul qui voile la terre. Déjà l'œuvre avance, mais un jour de tourmente
va recouvrir Tancienne couche d'une nouvelle neige; ce ne sera qu'un
faible obstacle, car une fois la vieille couche de neige durcie amollie et
détruite, la nouvelle venue n'oppose pas de résistance à l'action du soleil.
Les forêts et les buissons se débarrassent de leur incommode fardeau, la
verdure apparaît et s'émaille bientôt de fleurs blanches, bleues et jaunes.
Le vent et les eaux commencent à bruire dans la montagne. D'abord
pendant une heure ou deux seulement au milieu de la journée, puis
pendant l'après-midi, puis le soir et pendant la nuit, et enfin jour et
nuit. Les eaux s'écoulent, ruissellent, murmurent, grondent et mu-
gissent au loin. Les rochers suintent l'eau par toutes leurs fissures,
les ruisseaux se fraient une voie à travers la neige et la glace qui
obstruent leur lit. Chaque terrasse, chaque champ de neige fournit un
affluent; imbibés des eaux qui les inondent, les pilastres de glace des
cascades se détachent des murs du roc, et tombent avec un bruit de ton-
nerre au fond des grottes que se sont creusées les chutes d'eau ; de
gros blocs de glace, lentement minés par les filets d'eau, s'affaissent avec
mille craquements et tombent avec fracas du haut des rochers. Puis on
entend au loin le sourd mugissement des avalanches , les détonations des
glaciers qui se crevassent ; les blocs de pierre quç la geUe a isolés des
massifs s'en détachent au dégel; les champs de neige sans soutien glis-
sent ou se rompent. Le printemps annonce déjà sa présence par les
mille bruits de la nature morte. Ce ne sont partout que murmures,
craquements, détonations, mugissements, sifflements et rumeurs sourdes
dans le lointain.
SCiBNCBS BT ABT8. 253
€ Le monde des êtres vivants ne reste pas en dehors de ce vacarme,
à l'exception des plantes, ces organismes voués au silence éternel. Les
pies et les merles , les geais et les mésanges , les bécasses, les grives et
les roitelets, les aigles et les hiboux, les moineaux, les coucous, les bas-
tavelles et les tétras sifflent, crient, coassent, chantent, s'appellent et sa-
luent le printemps sur tous les tons. La chauve souris, la martre,
Técureuil, le blaireau , puis les grillons et les crapauds, les cigales et
les scarabées, les bourdons, les abeilles, les guêpes, les mouches» tous font
entendre des voix et des bruits auxquels ne tardent pas à faire diversion
ceux qui proviennent des animaux domestiques, le bêlement des chèvres,
le hennissement des chevaux, le mugissement des taureaux, Tahoiement
des chiens, le chant matinal des coqs, et puis les mille sons des clo-
ches et clochettes, tes chants des enfants et des bergers. Le printemps
est l'époque où la nature est la plus bruyante, la plus retentissante, la
plus variée dans ses voix. >
Kapport adressé au haut Conseil fédéral suisse sur l'exposition agricole
de Chetmsford et Tagriculture anglaise, par Ch. de Gingins d'Ëclé-
pens, délégué suisse. Berne, 1857; 1 vol. in-8.
Ce rapport est divisé en trois parties : Vexposition, l'agriculture an-
glaise, applications. Dans la première, l'auteur nous fait d'abord con-
naître Torganisation de la société royale et de ses concours, qui ont lieu
chaque année dans une province différente, désignée quatre ans à l'a-
vance, afin de donner à l'agriculture de la circonscription le temps d'en-
trer en lutte avec toutes ses ressources. A cet égard, l'Angleterre se
distingue par un cachet d'utilité pratique très-remarquable. Dans ses ex-
positions agricoles, elle ne sacrifie pas à l'élégance. De simples hangars,
construits en bois brut et recouverts de toile goudronnée, reçoivent les
animaux et les machines ou instruments, disposés de la manière la plus
commode pour 1 examen du public, mais sans aucune recherche d'élégance.
Leur aspect général est celui d'une foire rustique, et l'on s'y préoccupe
avant tout de faciliter autant que possible la tâche des experts appelés à
juger les produits. C'est là le but important. Il s'agit de constater les pro-
grès obtenus, d'apprécier le mérite des procédés nouveaux, de soumettre
les machines à des épreuves répétées. Parmi les expériences de ce genre
que décrit M. de Gingins, nous citerons la suivante, comme l'une des
plus curieuses : < Je remarquais un jour, dans l'enceinte des machines,
254 SClBNCtS ET ARTS. »
plusieurs personnes attroupées devaut un engin à vapeur d'un volume
considérable, d'une forme bizarre, et placé au fond d'une espèce de creux.
Un des jurés des machines me fit signe de m'arrêter pour examiner avec
lui. C'était le remorqueur de Boydell, machine toute nouvelle, destinée à
marcher sur tous les terrains possibles, au moyen d'un système de râils
articulés, que chaque roue posait devant elle à mesure qu'elle avançait,
et qui constituait un véritable chemin de fer mobile. Cette machine était
venue de Londres dans la nuit, cheminant sur la grande route comme
une voilure ordinaire. Par coquetterie d'inventeur, son propriétaire l'a-
vait fait descendre dans cet enfoncement, d'où il s'agissait maintenant de
la faire sortir pour aller au champ d'essai subir les épreuves que M. Boy-
dell avait demandées. Cela paraissait impossible, et les connaisseurs at-
tendaient en souriant que la machine eût fini de chauffer. Enfin, au si-
gnal donné, la lourde masse s'ébranle en posant ses rails portatifs devant
elle, avec le bruit d'un géant en sabots, gravit d'une marche lente, mais
continue, la pente qui s'oppose à elle, puis se met gravement en route,
dirigée et montée-par un timonier, aidé d'un enfant comme chauffeur.
c .La foule s'écarte, les portes s'ouvrent» lorsque, arrivée au champ
d'épreuve, le dédale de largeur ordinaire pour une charrette, sçmble lui
refuser le passage. La machine essaie plusieurs fois de pénétrer, et chaque
fois s'arrête brusquement au moment d'accrocher les piliers, recule,
avance encore en obliquant, avec la même docilité qu'un cabriolet. Enfin
elle réussit à passer en effleurant chaque pilier, puis se met à arpenter
le champ d'épreuve labouré par les charrues, détrempé par la pluie, et
le parcourt en tous sens, en haut, en bas, à travers les sillons, sans
même ralentir sa marche. »
M. de Gingins rend aussi compte de plusieurs essais de charrue à va-
peur qui, s'ils laissent encore à désirer, semblent du moins promettre
pour l'avenir un succès à peu près certain. La seconde partie de son rap-
port renferme d'intéressants détails sur l'étal actuel de l'agriculture an-
glaise. Il a visité des fermes dirigées d'après différentes méthodes, et les
juge en observateur très-éclairé. Ce qui le frappe surtout, c'est la pros-
périté dont jouit l'Angleterre depuis l'abolition du régime protecteur. Le
libre échauge a produit de tels résultats, qu'aujourd'hui ceux qui le re-
doutaient le plus proclament hautement ses précieux avantages. Grâce au
zèle stimulé par la concurrence étrangère, l'agriculture a pris un essor
admirable. 11 est vrai qu'en Angleterre on ne recule pas devant les avances
d'argent, et l'on estime que c la terre est à la fois le plus exigeant des
SCIBMCES Bf ARÏS. 25S
créanciers et le ptus exact des débiteurs; qu'elle ne rend que ce qu'on
lui prête, mais qu'elle rend tout ce qu'on lui prête. Aussi le fermier an<^
glais ne craint pas de lui Caire des avances qu'il sait devoir lui être rem*
boursëes un jour. » Par la même raison, les capitalistes s'y montrent
beaueoup mieux disposés que sur le continent à soutenir de pareilles en-
Ireprises. Une autre maxime généralement admise par les agriculteurs
anglais, c c'est qu'il n'est aueun terrain, quelque ingrat qu'il paraisse,
auquel on ne puisse demander quelque produit, en l'attaquant suivant sa
nature spéciale. » Avec ces deux principes, on améliore sans cesse le sol
et Ton invente de nouveaux procédés de culture propres à fertiliser des
terrains jusque-^là tout à fait stériles. L'industrie prête à Tagriculturis le
seaours de ses forces puissantes, la mécanique lui vient en aide, les ma-
chines les plus ingénieuses sont appliquées aux travaux de la campagne.
La charrue à draîner, de M. Fowler, en offre un exemple remarquable.
M. de Gingins Ta vue manœuvrer dans la forêt d'Epping, qu'on était en
train de défricher. C'est une locomotive armée d'un coutre, qui fend le sol
jusqu'à quatre pieds de profondeur, et porte à son extrémité un sabot ar-
rondi, de la dimension d'un tube de drainage. A ce sabot est attaché un
câble en ûl de fer tordu, sur lequel s'enfilent les tubes de terre cuite, qui
viennent ainsi se placer dans le canal creusé pour les recevoir. Cette ma-
chine pose vingt pieds de drain par minute, et le travail est fait avec tant
de précision, que même en faisant aigre avec une bêche, on ne peut par-
venir à les ébranler. Assistée de semblables auxiliaires, Tagriculture an-
glaise se lance audacieusement dans la voie des expériences. M. de Gin-
gins donne de curieux détails sur la méthode nouvelle, qu'on appelle le
high farming (en quelque sorte fermage à haute pression). C'est l'exploi-
tation du sol poussée jusqu'à ses extrêmes limites, par l'emploi de tous les
moyens propres à obtenir la plus grande somme de produit brut. Quelques
fermiers pratiquent ce système avec succès, mais il offre des chances bien
périlleuses, et son principal avantage est de provoquer des essais utiles
qui, sans cela, ne se feraient pas. M. de Gingins, tout en admirant l'état
prospère des domaines qu'il visite , se tient en garde contre l'engoue-
ment, et ne présente comme certains que les calculs dont il a pu lui-même
vérifier l exactitude. Aussi les directions pratiques renfermées dans sa troi-
sième partie seront-elles accueillies avec confiance. On y trouve le cachet
.d'un esprit non moins judicieux qu'éclairé. L'auteur ne perd pas de vue
les conditions de climat, de mœurs et d'habitudes qui sont particulières à
la Suisse, et s'attache à faire bien comprendre sur quels points et dans
quelle mesure on doit imiter TAngleterre.
256 scniicBS bt auts.
Le rapport de M. de Gingins nous paraît digoe d'exciter Tattention de
toutes les personnes qu'intéressent les progrès de Tagriculture. Il se dis-
tingue d'ailleurs par une richesse d'aperçus, par des considérations géné-
rales et par un talent de style qui se rencontrent rarement dans les écrits
de ce genre. C'est une publication du plus haut intérêt, qui fait honneur
au délégué suisse. Malheureusement elle a dû revêtir la forme typogra-
phique officielle, c'est-à-dire être imprimée à Berne, sur du mauvais pa-
pier gris, avec des fautes nombreuses et grossières qui souvent en déna-
'turent le sens.
Les mosaïques chrétiennes des basiliques et des églises de Rome,
décrites et expliquées, par H. Barbet de Jouy. Paris, Didron, 1857;
1 vol. in-8'>.
L'étude des mosaïques est d'un grand intérêt pour l'histoire de la
peinture et peut en même temps répandre quelque lumière sur une période
fort peu connue de l'art chrétien. La mosaïque semble avoir été comme le
trait d'union entre la décadence païenne et l'essor nouveau que les arts
prirent au sein du christianisme. Employée par le luxe romain avec une
étrange profusion, elle se trouva prête à venir en aide aux inspirations
naïves de la religion naissante qui réagirent bientôt sur elle d'une manière
très-heureuse. En effet, de grands progrès peuvent être constatés, surtout
du cinquième au huitième siècle. C'est à cette dernière époque qu'appar-
tient la plus remarquable des mosaïques chrétiennes qui existent à Rome.
Elle représente Jésus-Christ présidant une réunion de saints, et se dis-
tingue par l'habileté de la composition, ainsi que par un dessin ferme
et expressif. Les plus anciennes que Ton connaisse datent du quatrième
siècle, mais il est probable que les cimetières souterrains en possèdent
d'antérieures.
M. Barbet de Jouy donne la description de trente-trois mosaïques, dont
une seule appartient au quatrième siècle, quatre sont du cinquième, deux
du sixième, quatre du septième, quatre du huitième, cinq du neuvième,
une du douzième, huit du treizième, deux du quatorzième et deux du
seizième. Son livre, fait avec beaucoup de soin et d'intelligence, sera
très-utile aux voyageurs qui visitent Rome. On regrettera seulement qu'il
n'y ait pas joint des planches, si nécessaires pour compléter un travail de
ce genre ; mais quelques mots de sa préface semblent indiquer qu'il en
possède les dessins, et nous espérons qu'il les publiera plus tard.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX
lilTTKRATVRi:.
Le Bon AU GOMiQUE, par Scarron, nouvelle édition, revue, aonotée et
précédée d'uM introduction, par V. Foumel. Parie, Jannet, 1857;
2 voi. 10-18 cirt. : 10 fr.
Ces deux oouveaux volumes de la Bibliothèque eizévirienne trouveront
certainement beaucoup d'amateurs. Le Roman comique méritait d'être
aiosi revêtu d'une forme typographique attrayante qui lui permît de
prendre la place à laquelle )1 a droit dans les bibliothèques. Quoiqu'il
pécbe sKn^ doute par les défauts ordinaires de Scarron, le goût peu dé-*
licat et la bouffonnerie outrée, ce n'en est pas moins une œuvre remar-^
quable dans la littérature du dix-septième siècle, soit comme peinture de
xoœurS) soit comme satire des travers de l'époque. L'introduction de
M. Y. Foumel fait bien ressortir cette double supériorité du roman co-
mique sur les autres ouvragies du même genre enfantés par la réaction
contre l'héroïsme guindé, la recherche pédaotesque, les sentiments faux
ou prétentieux que les précieuses avaient mis à la mode. L'engouement
pour les productions de D'Urfé, de Scudéry, de la Calprenède, ne dura
guère sans soulever des résistances. Bientôt l'esprit gaulois protesta contre
ce joug antipathique à sa nature. Dès le commencement du dix-septième
siècle, on peut signaler quelques écrits dans lesquels les tendances à la
mode sont tournées en ridicule. Tels sont le Baron de Fomeste^ par
d'Âubigné ; VEuphormion^ de Barclay ; la Vraie histoire comique de
Frofncion^ par Ch. Sorel, les Histoires comiques de Cyrano, etc., qui tous
avaient plus ou moins pour but de critiquer les pastorales et les romans
héroïques alors en grande vogue. Au monde imaginaire de VAstrée^ du
Cyrus^ de la Clélie, on opposait des scènes de la vie réelle, et pour mieux
faire contraste» les auteurs donnaient volontiers à leurs personnages le
caractère le plus burlesque. En général, ces écrits ne brillent ni par le
Wlent, ni par l'intérêt : c'est une lecture très-ind>ge$te. Mais ils valent la
17
258 r4lTT^RATURE.
peine d'être étudiés comme symptômes du mouvement qui s'opérait dans
les esprits et préparait le retour à des idées littéraires plus saines et plus
fécondes. Oo y trouve d'ailleurs çà et là des traits piquants, des données
ingénieuses, dont plus tard d'autres écrivains ont du tirer un excellent
parti. Molière, par exemple, s'en est approprié plus d'un, qu'il sauva de
l'oubli, en leur imprimant le cachet de son génie.
Les deux meilleurs produits de cette réaction du bon sens français
furent le Roman bourgeois, de Furetière, et le Roman comique, de
Scarron. L'un et l'autre présentent sans doute encore bien des traces de
mauvais goût, et l'intention satirique s y montre parfois poussée jusqu'à
la caricature. Cependant on ne peut leur contester un mérite réel : ils
peignent bien la bourgeoisie de leur temps. Quelques-uns des personnages
qu'ils mettent en scène sont des types dont on peut encore aujourd'hui
constater la ressemblance, parce qu'ils n'ont pas tout à fait disparu de la
société, malgré la différence des époques. Furetière nous présente le ta-
bleau delà vie très-prosaïque d'une famille bourgeoise, tout occupée de
petits intérêts et de petites intrigues, qui contrastent de la façon la plus
frappante avec les beaux sentiments que jusque-là les romanciers éta-
laient dans leurs ouvrages. 11 n'idéalise pas, il copie fidèlement, et son
livre porte le cachet du réalisme. Chez Scarron, le burlesque domine da-
vantage. Mais, comme il s'agit des aventures d'une troupe de comédiens
ambulants, l'exagération des caractères ne s'accorde pas mal avec le
sujet. Quelle que soit d'ailleurs la trivialité des détails, on se laisse cap-
tiver par une foule d'incidents et d'épisodes qui soutiennent l'intérêt du
récit. Dans le Roman comique, la verve bouffonne s'allie à l'esprit d'ob-
servation, et l'auteur fait preuve en maints endroits d'un talent remar-
quable.
L'édition publiée par M. Fournel se recommande par d'excellentes
notes, qui serviront à rendre sa lecture plus facile et plus attrayante.
Nouveau dictionnaire des synonymes français, par Â.-L. Sardou. Pa-
ris, Desobry, E. Magdeleine et G*«, 1857 ; 1 vol. in-12 : 3 fr. 50.
Ce nouveau dictionnaire des synonymes sera sans doute bien ac-
cueilli, car les anciens ouvrages de ce genre sont presque tous épuisés,
rares, ou d'une étendue qui les rend à la fois trop coûteux et peu com-
modes pour l'usage habituel. M. Sardou, d'ailleurs, a profité de ce qu'ils
renfermaient de bon ; \\ emprunte à Beauzée, à Girard» à Laveaux, etc.,
M ayant toojoora soin de citer son auteur. Mais il élague une foule de
flubtiiités inutiles, ainsi que certaines synonymies qui choquent le goût
ainsi que les convenances, et donne un grand nombre d'articles nouveaux
rédigés avec talent. Son livre, destiné surtout à la jeunesse des écoles, se
distingue par la clarté des définitions, par la correction du style et par
lé choix judicieux des exemples. Aussi nous paraît-il fait pour intéresser
les lecteurs de tout dge. L'étude des synonymes est l'une des parties les
plus attrayantes de la grammaire. C'est là qu'on apprend à connaître les
finesses du langage, è bien saisir les nuances de chaque expression, à
parler avec justesse, à rendre exactement ses idées. De plus, comme le
dit M"* de Maintenon : • Rien n'ouvre tant Tesprit que la dissertation des
mots. » Cette remarque s'applique tout particulièrement à la langue fran-
çaise, dont le génie repousse les hardiesses du néologisme, et qui doit, en
conséquence, tirer le meilleur parti possible des ressources qu'elle pos-
sède. Quiconque se mêle d'écrire éprouve à chaque instant la nécessité
d'une semblable étude, sans laquelle il n'atteindra jamais cette élégance
et cette propriété de termes que nous admirons dans les chefs-d'œuvre
littéraires. Quoique très-concis, le dictionnaire de M. Sardou répond d'une
manière satisfaisante aux besoins de l'enseignement, et les explications
qu'il renferme suffisent pour faire bien connaître la valeur exacte de
chaque mot et les nuances qui le distinguent de ses synonymes.
Histoire de la conversation, par E. Deschanel. Paris, 1837; 1 vol.
in 32 : i fr.
La conversation appartient aux temps modernes» et c'est en France
qu'elle est née. Sur ces deux points, M. Deschanel ne trouvera guère de
contradicteurs. En effet, chez les anciens, autant du moins que nous en
pouvons juger d'après leurs écrits» l'art de causer n'était pas connu. Ils
savaient très-bien discourir, poser et résoudre des problèmes, traiter fa-
milièrement de hautes questions philosophiques. Mais leurs entretiens
n'ont aucun rapport avec ce qui s'appelle aujourd'hui la conversation.
Presque toujours on y remarque un certain cachet d'apparat. Ce sont des
espèces de joutes où chacun vient à son tour faire preuve de savoir, d'é--
loquence ou de perspicacité. Un sujet était choisi pour servir de thème,
et les interlocuteurs ne devaient pas s'en écarter. Les Grecs, avec leur
Wtê UftiftAMM.
tflMgioaliim hrliiiote ei Céooode, rëpaudmoi beMMM>up ddobtroM «nr e^
genre de dialogue», dont Platoaseufi a laissé d'admirables modelas. Ainsi
h mise en soèiie de Phèdr9 est pleine de poésie : < Par Jubm ! s'écrie
Secrate^ le cbarinant lieu de repos ! comme ce platane eatlarge et élevé 1 El
cet agnus castu», aveeses rameaux élancés et son bat ombrage, nedifait<->
on pas qu'il esl li en fleurs pour embaumer l'air? EtceUe source àéA^
eieuse qui coule sous le platane, et dont nos pitds sentent la fi*aîoheur ?
Ce lieu pourrait bien être consacré à quelques nymphes et a^i fle«ve àché^
loos, à an ji^er par ces figures et ces statues. Goûte on peu Tair^u-OB
y respire, comme il es4 doux et agréable; le chant de% cigales lui demnc»
même quelque cbese de mélodieux et qui sent l'été. Ce qw j aunasurr^
tout, c'est <3ette herbe touffue qui nous permet de nous é^teodve et >df^ re^.
poser mollement notjre tête sur ce terrain légèrement io^clinél Mon cher
Phèdre, tu ne pouvais mieux me conduire, d
C'est le ton del'églogue et non celui de la causerie. Dans les dialogues
romaine, nous trouvons encore plus d'apprêt. Les aci^essoires champêtres
ont disparu pour bire place aux compliments cérémonieux, et rentretien
pe«êt la forme d'une discussion en règle, plus ou moins empreinte de^pé^
danterie.
Quel contraste avec l'esprit français, qu'on peut appeler, comme iedii
M. Descbanei, « la raison en étinc^ies.» Cette définition nous paraît trèsr
juste, pourvu toutefois que l'on ne confonde pas le faux clinquant avec
l'or pur. L'esprit français a ses défauts comme ses qualités. S'il est vif,
clair, piquant, plein de saillies et de gaîté, sa légèreté lui joue quelque-
fois de mauvais, tours, et, faute de mesure, il manque, le. but. C'est que Id
bon sens forme son complément indispensable. Les gens spirituels sans
tact ou sans portée sont bientôt fatigants et même ennuyeux.
La conversation prit naissance dans les salons du dix*-septième sièdie.
Blle'fut le produit des rapports qui s'établirent alors entre fes courtisans
et les hommes de lettres. Dans cette société brillante, la galanterie permit
aux femmes d'exercer une influence qui contribua fortement à polir le (on
eties manières. «Tout le monde gagna à ee commerce. Si les femmes don-
nèrent aux hommes la politesse, l'élégance, le tact, les hommes leur don*
nèretit, en retour, des lumières, des connaissances, 'un savoir lx)ut fait.
Les lettrés devinrent gens du inonde, les gens du monde devinrent let-
trés. Ainsi la fusion se fit entre le savoir et le savoir-vivre, entre les idées
et fes formes, entre la science et la vie; ainsi se développèrent, Tune par
l'autre, la politesse littéraire et la poKtesse sociale, i
hmÉ9kàW9m. IBM
On poot$9 biei) ifuelquefeis to recherche un peu trop loin, il y eut des
préeiemee ridieules, «mm fiiKileoient le bon goût trouva <ie nombreux
«outîeM, qui le fireni triompher. L« conversation suivit l'essor du mou*^
vemeni littéraire, et devint, pendant le dix-buitiéme siècle, l'un des
prioeipaux titres de l'esprit français à Testine des autres peuples. Abl*
beureittement elle fit naufrage avec le reste au milieu de Torage révo«
lutionnatre ; ce n'est plus aujourd'hui qu'une tradition de l'sncien régime,
qui compte de bien rares adeptes dans notre société» toute préoccupée de
«bemiiia de fer et d-agiotage. Disparaltra-t-elle complètement pour faire
plaee à l'éloqueftce des assemblées d'actionnaires et des banquets démo-
cratiques? C'est possible. Cepeadant nous croyons l'esprit français ca*
pable encore de ta retever, pour peu que la marche des choses lui fasse
quelques loiûrs. En attendant, les lecteurs accueilleront avec joie le petit
volome de M. Deschanel, qui résume d'une laaiiière fort piquante les
benax lemps de la conversation, et cite une foule de jolis mots dignes
d'être conservés.
HîSTOiRB DE LA PRCSSE 60 Angleterre et aux Etats-Unis, par Cucheva1«>
Clarigny. Paris, 1857 ; i gros vol. in-12 : i fr.
Ce livre traite seulement de la presse périodique; c'est l'histoire des
jmirjuux dont l'origine, eu Angleterre» remonte à l'année 1622. A cette
époque, un ancien papetier, Nathaniel Butter, entreprit do puWier à Lon-
dres une feuille intitutée : WêMy Newi. Les premiers numéros portaient :
cTraduit du hollandais,» ce qui semble indiquer que l'usage existait déjà
en Hollande, d'où probablement il passa bientôt dans la Grande-Bretagne.
Butter donnait chaque semaine une petite ieuille in-quarto, consacrée ex-
cl^sivemeRt aux nouvelles étrangères. Il n'eut pas grand succès; la dif-
ficulté de se procurer des nouvelles était uo ohstucle, et d'ailleiufs le
public s'intéressait alors assez peu aux affaires diA continent. C'est peor
dant la lutte-entre le parlement et la royauté que les journaux commen-
cèrent à prendre une réelle importance. Les dix-neuf années qui s'écou-
lèrent de 1641 à la restauration des Stuarts, en virent naître et mourir
près de doux cents. Chaque parti voulait avoir son organe, et la guerre 4
xoups de plume ne fut pas moins vive que celle à coups de fusil; Au mi-
lieu de cette polémique ardente on trouve déjà des journalistes qui se
mettaient sans scrupule au service des opinions les plus opposées. Ainsi
Marol^amoftt Nedbam» apoès avoir 4U l'advemire de la cour et Toracle du
SAS LUTTÉlUfflllll.
parti parlementaire, créa le Mereure pragmatique, dans lequel il fit pen-
dant dii-buit oiois la guerre aux presbytériens, puis devint le soutien de
GroiDwell en fondant un troisième journal» dont le succès fut considé-
rable. On comprit dès lors que le journalisme pouvait être un métier lu-
cratif, d'autant plus que l'usage des annonces vint bientdt augmenter ses
ressources. La révolution de 1688 acheva de consolider son existence.
Les lois qui gênaient la presse étant abolies, le nombre des feuilles pé-
riodiques s'accrut rapidement. Hais c'est seulement de i702 que date le
premier journal quotidien, intitulé le Daily Courant^ et trois ans après
parut la première revue, publiée par Daniel De Fœ. Durant le dix-hui-
tièooe siècle, malgré les entraves par lesquelles le pouvoir cbercbail à
combattre l'influence des journaux, ceux*ci prospérèrei^ de phisen plus.
Les principaux organes que possède aujourd'hui la politique anglaise
furent fondés vers la fin de ce siècle : le Times en 1788, le Sun en 1792,
le Moming Po$t en 1772, le Moming Herald en 1780, etc. Plusieurs
de ces entreprises ont pris de nos jours un développement immense. Le
Times surtout, qui est le plus répandu, ne recule devant aucun sacri-
fice pour maintenir sa supériorité. Ainsi, par exemple, il y a quelques
années, outre un traitement annuel de 2500 fr., il donnait plus de
2000 fr. par voyage à un courrier qui devait faire en 76 heures le tra-
jet de Marseille à Calais, et lui apporter ainsi, avec quelques heures d'a-
vance sur la poste, un sommaire en dix lignes de la malle de Tlnde-. Un
fait semblable suffit pour faire apprécier l'importance de cette feuille et la
manière dont les journalistes anglais entendent le service de la presse.
A cet égard, ils n'ont de rivaux que dans les Etats-Unis de l'Amérique
du Nord. Là, sous l'empire d'une liberté presque illimitée, le journalisme
a pu s'épanouir et porter tous ses fruits, bons ou mauvais. Comme ré-
sultat financier, nous citerons le Sun, qui, après avoir enrichi son fon-
dateur et consacré 500,000 francs à la construction de ses vastes ateliers,
s'est vendu 1,2507000 francs, laissant encore à son nouvel acquéreur un
bénéfice d'environ 500,000 francs par an. Cet exemple *de prospérité
n'est pas le seul que présente la presse américaine. La plupart des jour-
naux y sont des entreprises assez lucratives, malgré rextrème concur-
rence à laquelle ils se trouvent exposés. Mais il faut dire aussi que te
succès pécuniaire semble être en général Tunique but de leurs efforts. Ils
se soucient peu de l'influence morale; les articles de fond ne tiennent
guère de place dans leurs colonnes ; l'annonce et la réclame rapportent
davantage, et ce sont elles qui dominent. La presse américaine se préoc-
LlTtiftAtl}RB. 263
eupe avant tout des intérêts matériels. Le principal objet de ses feuilles
périodiques est de recueillir les faits qui peuvent influer sur la hausse ou
ia baisse des marchandises ; ensuite viennent les renseignements propres
à guider les citoyens dans les perpétuelles élections auxquelles ils sont
appelés par le régime démocratique; la littérature, les arts, tout ce qui
concerne le mouvement intellectuel ne sert qu'à boucher les trous quand
le reste ne suffit pas pour remplir le journal. L'essentiel est de présenter
à la fois le plus grand nombre d'annonces et le plus grand nombre de nou-
velles, les dépenses qu occasionnent celies-ci se trouvant compensées par
le produit de celles-là, qui augmente en raison du nombre des lecteurs.
« Un journal américain est comme un panorama du monde entier; il
enregistre ce qui se passe au Brésil, au Pérou, au Chili, avec autant de
soin et autant de détails que les nouvelles de Paris et de Londres, et une
lettre de Chine y fait quelquefois suite à une lettre de Constantinople. Le
Delta et les autres grands journaux de la Nouvelle-Orléans publient tous
les jours des nouvelles de la Californie et de tous les points de l'Amérique
du Sud, qu'ils se procurent régulièrement au prix de dépenses énormes,
envoyant au besoin des exprès, avec ordre de noliser des navires, quand
les moyens de transport ordinaires manquent ou sont trop lents. Quant
aux nouvelles transatlantiques, ces mêmes journaux les publient toujours
avant l'arrivée des malles ; elles leur sont transmises par le télégraphe
d'Haiifex, de Boston, de New-York, de Philadelphie, de tous les points
ot peut aborder un navire venant d'Europe.
« Cette multitude de correspondances et de dépêches ne contribue pas
médiocrement à l'aspect étrange que les feuilles des Etats-Unis présentent
à l'œil du lecteur européen. Rien ne diffère plus d'un journal français
qu'un journal anglais ; cependant, avec un peu d'habitude, on se reconnaît
aisément au milieu des immenses colonnes du Times ou du Chrcnicle;
chaque matière a sa place spéciale, où l'on est assuré de retrouver tous les
jours les faits du même ordre. Rien de pareil dans les journaux américains ;
quand on les ouvre, l'œil se noie dans une mer de caractères microsco»
piques, où rien ne le guide, où rien ne lui sert de point de repère. Point
de classement méthodique des matières ; aucune différence dans les carac-
tères employés ne vient détacher Tun de Tautre des articles, sans aucun
rapport entre eux, et appeler l'attention sur les parties importantes du
journal. Des annonces au commencement, des annonces au milieu, dés
annonces à la fin, voHà ce qu'on aperçoit d'abord. De distance en dis-
tMica, le haut d'une colonne est bariolé de sept ou huit titres, à la suite
>fi64 UTTlIlAVUM.
desquels se trouve une note d'autant de lignes; quelquefois il s'af^t sim-
plement d'une dépêche dont on a dépeoé et relouroé le texte avant de la
donner purement et simplement. Trois colonnes plus loin, vous pouvez
retrouver de nouveaux détails sur le même tut, ou une variante de la
même dépêche, et rien autre chose que le caprice du journaliste ou de
rimprimeur ne peut vous expliquer pourquoi un article est à telle place
plutôt qu'à telle autre. Quant à l'article éditorial, c'est^i^-dire à l'article
qu'on pourrait appeler le premier New-York ou \e premier Philadelphie,
il est toujours extrêmement court; il est très-rare qu'il excède une demi-
colonne ou trois quarts de colonne. 11 est suivi d'une multitude de petits
paragraphes encore plus courts, qui traitent des matières les pkis diverses.
En revanche, une même question fait quelquefois l'objet de trois ou q4iatre
notes successives, qu'on n'a pas pris la peine de fondre en un seul article.
Les nouvelles locales sont données à profusion, avec une abondance et une
minutie de détails qui impatienteraient un lecteur français. A la suke àds
nouvelles locales, il est rare de ne pas renoontrer deux ou trois listes de
candidats, car les élections sont perpétuelles: élections fédérales» élee-
tions pour l'Etat, pour le comté, pour la ville; élections de députés» d'a/~
dermen, de juges, de collecteurs de taxes, d'inspecteurs de la voirie, etc.
Un citoyen exact et zélé a toujours quelqu'un à élire à quelque chose
entre son déjeuner et son dîner, et il faut que son journal lui fasse coo*^
naître les candidats au poste vacant. Viennent ensuite des statistiques où
l'on compare les résultats des élections avec ceux des élections précé-
dentes, pour savoir qui des whigs ou des démocrates a gagné ou perdu
des voix. Enfin, une grande place est réservée aux nouvelles comroer^
ciales, et l'esprit pratique de la nation américaine se retrouve là tout en-
tier. Rien n'est plus lucide, plus sensé, plus nourri de faits et d'argu^
ments, que les articles où l'on rend compte du mouvement des valeurs,
où l'on apprécie la situation des affaires. Les nouvelles «ont classées avec
ordre et méthode, résumées avec une concision qui n'ôte rien à la clarté.
Quant aux variations des fonds et des denrées sur toutes tes places des
deux mondes, elles sont scrupuleusement enregistrées, parce que le
moindre oubli , le nooindre retard mécontenterait gravement les gens
d'affaires. Presque chaque ligne de cette partie du. journal représente une
dépêche télégraphique, et lorsqu'on voit ces cotes, qui offrent pourb
plupart l'aspeet de véritables hiéroglyphes, remplir deuK ou trois co-
Jonnes et quelquefois davantage» m est effrayé des dépenses que cette ao-
.^umulation de renseignements in^peseaux journaux américains. Lorsque
Ie9 diverses matières que nous avons éoomërées ne suffisent pas, avec
les amioiiees, ï remplir le journal, Tédîteur bofteke le tfoUf car c'est là la
vérîtiable expression I employer, avec tout ce qui lui tombe sous la main,
avec des pièces de vers, avec des citations empruntées aux bons auteurs,
quelquefois avec un roman, qu'il découpe en morceaux, suivant les be-
soins de l'imprimerie. En somme, si l'on retranchait d un journal améri-
cain tout ce qui est oiseux et dépourvu d'intérêt, tout ce qui sent le ca-
quetage de pétrie ville, il resterait souvent assez peu de chose à lire, et
an écri^in anglais avait le droit de dire que toutes les nouvelles du plus
grai>d journal des Etats-Unis tiendraient 4ans une seule page du Timèi
ou du IMly Newê.9
On trouvera peut-être que M. CuchevaUCiarigny se moutre bien sé-
vère à l'égard de la presse américaine. Cependant noua croyons qu'il
aurait pu l'être davantage encore, s'il avait traité d'une manière plus
étendQe la question de Tinfluence exercée par la foule des petits journaux
qui ne vivent guère que de scandales et de personnalités injurieuses. Les
Etats-Unis subissent tous les inconvénients de la liberté absolue, et, jus-
qu'à présent du sioins, ils ne semblent pas en avoir retiré grand profit
pour le développement inteilectuel et moral. Là comme ailleurs^ ce diffi-
eile problème reste encore à résoudre ; seulement on en cherche la eolu-
tion dans une voie tout opposée ï celle que suivent la plupart des Etats de
l'Europe*
Mignon, légende, par J.-T. de Saint-Germain. Paris, J. Tardieu, 1857;
1 vol. in*32: 1 fr. — Les quatre âges, scènes du foyer, par
X. Marmier. Paris, i. Tardieu, 1857 ; i vol. in-32 : 1 fr.
Mignon est une histoire touchante, emprunte des sentiments les plus
purs, les plus élevés. 11 n'y a que des incidents fort simples. Tout l'intérêt
gît dans le développement de caractères aimables et bons qui exercent
une heureuse influence sur leur entourage. L'auteur ne vise point aux
effets dramatiques ; il cherche plutôt à captiver par le charme des détails,
et les scènes qu'il peint sont en général d'un geore deux et gracieux.
Nous approuvons fort cette tendance, au point de vue littéraire^ comme
au point de vue moral. Mais elle est peut-êure moins féconde, et demande
un talent fertile en ressources pour soutenir l'intérêt. A début de péripé-
ties émouvantes, il faut une grande habileté de atyle, une teuebe fine et
S66 YOTA«BS KV HliVOllUS.
délicate, qui donne de l'attrait aux plus petites choses. Le mérite de la
forme devient surtout plus indispensable que jamais lorsqu'il s'agit d'une
courte nouvelle où l'action est à peu près nulle. M. de Saint-Germain
l'a bien compris: aussi ne néglige-*t-il pas cet accessoire précieux. On
voit que la perfection du style est le but principal de ses efforts. Malheu*
reusement il s'en préoccupe trop, et cela l'entraîne quelquefois à faire des
phrases prétentieuses ou déclamatoires qui ne sont pas en harmonie avec
la nature de son sujet. A cet égard, Mignon nous semble inférieur à la
légende de VEpingle. Le style est plus travaillé, mais on y rencontre
beaucoup d'ornements superflus, qui sentent la recherche et gênent la
marche du récit. Nous croyons utile de mettre Tauteur en garde contre
un semblable écueil. On lira du reste son petit volume avec fdaisir et
môme avec fruit, car l'excellent esprit qui l'anime d'un bout à l'autre ne
peut laisser que des impressions salutaires.
Les Quatre âges nous paraissent également dignes d'être recomman-
dés comme une bonne lecture, quoique parfois la sentimentalité nuageuse
-y domine un peu trop. Ce sont des contes d'auteurs allemands, russes,
anglais, etc., traduits librement, c'est4-dire accommodés autant que pos-
sible au goût du public français. JM. Marmier entend fort bien ce genre de
travail. Les différentes littératures du Nord lui sont assez familières pour
lui permettre de choisir, et ses traductions obtiennent en général un
succès remarquable. Les sept nouvelles qu'il a réunies ici sous ce titre
commun sont trop courtes pour offrir beaucoup d'intérêt, mais elles ont
du moins l'attrait de la variété. On y trouve d'ailleurs quelques scènes de
mœurs habilement décrites et le style ne manque ni d'élégance, ni de
charme.
VOVACi^im ET HISTOIHE.
Les anglais et l'Inde, avec notes, pièces justificatives et tableaux sta*
tistiques, par E. de Valbezen. Paris, Michel Lévy frères, 1857;
1 vol. in-S : 7 fr. 50.
Ceci n'est pas, comme on pourrait le croire d'après le titre, un livre de
cireonstanee, improvisé à la hâte dans le bot d'exploiter la curiosité pu-
blique. L'auteur a séjourné dans l'Inde, il en connaît bien les institutions,
les mœurs, l'histoire, et son travail, terminé depuis deux ans, se trouve
en grande partie déjà publié par fai Revue des DêuX'Mondes, On comprend
V0TA6B8 BT HIBTOllI. 9S7
dose quel vif intérêt doit offrir celte esquisse de l'eiapire angto-iodieii,
tracé par uo écrivain impartial, qui n'avait d'autre but que d'exposer fi-
dèlement le résultat de ses études et de ses observations. M. de Valbezen
ne s'attribue point le mérite d'avoir prévu les événements actuels ; au
eootraire, il s'empresse de déclarer que la révolte des cipayes Ta sur-
pris autant que personne ; quoique frappé'des vices du système militaire
de la Compagnie des Indes» il ne soupçonnait pas qu'une semblable insur-
rection fût possible. Cette franchise nous paraît propre à lui gagner la
éonfiaiiGe des lecteurs, et le bon sens qui caractérise ses jugements n'en
ressortira que mieux.
Pour apprécier convenablement les actes de l'administration anglaise ,
il importe avant tout de bien connaître l'état du pays, la condition morale
et matérielle des habitants, l'influence qu'exercent sur eux d'antiques
préjugés d'autant plus tenaces qu'ils se rattachent à leuYs coutumes re-
ligieuses. Dans le (H'incipe» la Compagnie des Indes n'était qu'une es-
pèce d'association commerciale, dont les efforts avaient pour unique but
d'établir des comptoirs sous la protection des chefs indigènes. Mais les
dissensions fréquentes qui éclataient entre ceux-ci la forcèrent bientôt de
pourvoir elle-môme à la sûreté de ses établissements^ Elle dut avoir une
force armée, une police, des tribunaux et se faire déléguer par le gou-
vernement de la mère-patrie des pouvoirs assez étendus pour la mettre
en état de se maintenir indépendante et respectée. On ne recula pas de-
vant les exigences d'un régime exceptionnel, qui donnait h la Compagnie
l'exercice de l'autorité souveraine, tout en soumettant ses actes au con-
trôle supérieur de la couronne et du parlement. Une fois entré dans cette
voie, la Compagnie fut en quelque sorte fatalement conduite à devenir
usurpatrice et conquérante. Son rôle était changé. Au but spécial qu'elle
avait poursuivi jusqu'alors, succédait la difficile tâche d'administrer un
empire au milieu de populations hostiles qui ne pouvaient être soumises
que par la force. Il lui fallut recourir aux armes, entretenir l'esprit mili-
taire chez ses agents, et sans cesse agraadir son territoire par de nou-
velles conquêtes, sous peine de perdre le prestige indispensable désor-
mais à la durée de sa puissance. En môme temps elle devait so'préoc-
cuper de l'organisation intérieure, pacifier ces pays depuis longtemps en
proie à l'anarchie, où le fanatisme religieux lui suscitait de continuels
obstacles. Une œuvre aussi gigantesque ne pouvait être tout à fait exempte
de fautes. Le déploiement d'énergie nécessaire à son accomplissement se
conciliait mal avec tes scrupules de la modération. D'ailleurs, pour bien
3S8 ?d1>A«M M' rnSMIffl .
juger les agest»' 4e la Compagnie, rimpartiaKté demande qu'oui tieofie
compte du milieu dens lequel a'exerça leur pouvoir. Peu d'hommes «oAt
capables de subir impunément le contact d'une sootété ^gr^e^ et tes
exemples qu'en offre l'histoire de l'Inde noua paraissehit plutôt f»ipe faon-
neur au caractère de la nation anglaise. Le livre de M. de Valbessii est
fort instructif à cet égtré. Il reinl pleine justice aux gouvemetors liaWles
et fermes qui, par leurs ^es OKSores, assurèrent la prospérilé de l'empilée
anglo-indien, et sait faire la part des immenses difiiottités «dotre des-
quelles ils eurent à lutter. Les détails qu'il donne s«ir la pepulatvsD indi-
gène montrant à quel point nos idées et nos croyanoes sofit antipalhi-
qoes mx adorateurs 4e Brahma. En présente de ce làèleau qui» fôtt si
bre» coflBattre le peuple inde«, corrompu jusqu'à la moelle par te poison
de doctrines monstrueuses unies aux institutions sociales les plus d^es-
tables, loin de blâmer la Compagnie, on admire la peraé'tëranee de ses
efforts et la grandeur de ses succès. L'éehec terrible qu'elle éprouve tn-
jourd'hui n'efface pas la gloire du passé. L'imurrectton des cipajies
prouve seulement qu'on avait tort de leur accorder autant de confiance,
et de croire à l'effieacité de la diseipHae militaire sur ces natures bar-
bares. Du reste cette tllusien était bien général, perse^sne datos Klnde
ne soupçonnait l'existence d'un complot, la sécurité la plus complète^ do-
minait partout. M.deYalbezen en offre loi^nfiême miexemple assez frap-
pant, car il ne lamse percer nulle part la moindre inquiétude, et vante au
contraire à plusieurs t^prtees c l'ordre- matériel absolu qui, sous i'empii^e
des lois anglaises, règne dans le plus grand empire qu'ait jamais v^ te
monde. > Cependant, après avoir lu son livre, on sera moins étc^é de la
révolte des Indous que de l'imprévoyance de la Compagnie. H en res-
sort clairement qu'aucun lien d'affection n'existe entre les vainqueurs et
les vaincus. Ces derniers subissent le joug par habitude, ils n'ont fait que
changer de maîtres. Mais la civilisation européenne leur est odieuse pafee
qu'elle condamne une fonfe de coutumes auxquelles ils tiennent plus
qu'à la vie, et prétend réprimer des désordres qu'Hs regardent comoie
de saintes pratiques. Aussi, malgré tes efforts tentés pour vakM^e cette
résistance, leurs instincts sont restés les mêmes ; la sanglante tragédie
qui se joue en ce moment ne le prouve que trop. C'est la férocité du 11-
p*e avide de carnage et prenant plaisir à torturer ses victimes.
MiTTHEiLUNGEN ùber wichtige neue Erforschungen auf dem Gesammtge-
biete der Géographie, von D' A. Petermann. Gotha, Justus Perthes,
1857. Lief. IV, V, VI, in-4* cartes.
Les priocipaux article* que reofârment ces livraisous nouvelles soei :
L*e0p4iition français dant lafkttrtiê emUnde de l Amérique <lm Sud^
MUM fa. condmt^M FrtuMte^ de Castebuku ; analyse de la relation publiée
i Paris en 1850 et lë51.
Les voyage» de Ladislaue Magyar dans V Afrique métiéianAle,'^ Ex-
féMfm dans le nord de VAueiralie, par te D' Huiler.
L/^ éeseriptûm du pa^s ei du peuple Imosekark ou Tuareg, par le 0*
Barth; extrait du premier votiiaie de son voyage en Afrique.
le voyage deJéruealem et de la mer Morte, à travers l* Arabie, jus^
qu'à la mer Rouge^ par le professeur Koth.
L'exploration de l'Afrique se continue avec un zèle infatigable, et toutes
les découvertes relatiiies à cette partie du monde excitent l'intérêt au plus
haut degré.
Api'ôs les docteurs Bartb, Livingston et Vogel, dont nous avons déjà
plus d'une» fois entretenu nos iedieurs, voici un Hongrois qui ne mérite pas
BMMas d'ôtre isignaié à leur ailention. Ladislaus Magyar, lieutenant de
«ame, se rendit en 1847 dans le sud de l'Afrique, et pendant dix années
il-a parcouru ce pays dans tous les sens, depuis les côtes de l'Océan at«
laptique Jusque tout près de celles que baigne la mer des Indes. Afin de
poumr< accomplir cette difiBciie entreprise , il a pris pour femme la fille
d'un chef de Maazisikuitu dans le royaume de Bihé. «Tu t'étonnes, éori-
vait*il à son père en décembre 1853, que je me soie non-seulement éta-
bli, mais encore marié parmi les sauvages peuplades de l'Afrique ; mais
san&.cette devnière condition je n'aurais jamais atteint mon but, et main*
tétant que j'ai réussi, je puis dire qu'aucun pouvoir en Europe, aucune
subvention, quelque riche qu'elle fût, ne mettrait le plus hardi voyageur
i mèoie de traverser ces contrées sauvages et désolées* Les esclaves arô-
mes de ma femme ont été pendant cinq ans mes compagnons, tou«
jours exécuteurs fidèles de mes ordres, toujours pr6ts à marcher par-
tout où le plan de mon voytge nous eondoisait ; la plupart sont morts,
soit les armes à la main, soit par suite des maladies, des fatigues, des souf-
frances de toutes sortes que nous ont fait éprouver la faim, la soif, les
hètes féroces, le climat, etc. Moi-même j'ai tant souffert que mon exté-
rieur est celui d'un vieillard de soixante ans. »
Pour nous faire apprécier riroportance des travaux de cet intrépide
explorateur, M. Petermann donne le récit de deux de ces excursions dans
des contrées jusqu'ici tout à fait inconnues. La première est un voyage
sur le fleuve Congo depuis son embouchure jusqu'aux cataractes de Faro-
Sottgo; la seconde a pour but le royaume de Kaniba. Dans ce dernier
pays, où Ton n'avait pas encore vu d'homme blanc, M. Ladislaus Magyar
fut l'objet d'une vive curiosité, mais en général on raecueillit plutôt avee
bienveillance, et les détails qu'il donne sur les moeurs des naturels sont
fort intéressants.
c Leur religion, dit-il, est une espèce de monothéisme, dont le prin-
cipal dogme établit l'existence d^un bon et d'un mauvais génie. Mais ils
croient que le mauvais est le plus puissant ici-bas, aussi n estnse qu'à lui
qu'ils ofirent des sacrifices, ils ne possèdent ni prêtres, ni temples, mais
ont d'innombrables devins.
c On ne connaît guère les maladies ici, les exemples de longévité sont
U^ès^nombreux. D'après la croyance des peuplades africaines, personne ne
meurt naturellement, à moins qu'un sort ne lui ait été jeté par quelque en-
nemi. Aussitôt qu'un individu meurt, ses parents et ses connaissances se
rassemblent dans sa demeure, où ils donnent cours à leur douleur avec
grand bruit, puis ils appellent à haute voix le défunt pour lui demander
la cause de sa mort et lui promettre d'en tirer vengeance. A cette occasion
plusieurs bœufs sont tués, et l'on prépare une grande quantité de la bois-
son appelée héla, pour le repas mortuaire, qui dure plusieurs jours et
plusieurs nuits avec des danses et des divertissements. Lia cérémonie
terminée, on enveloppe le corps dans une peau de boeuf fraîche et on
l'enlerre dans une fosse creusée près du chemin ; des os et des cornes
de txBuf sont répandus sur la tombe. Ensuite, les plus proches parents
du défunt vont consulter un devin pour savoir de lui l'auteur de la mort.
Le devin, après maintes simagrées, désigne d'ordinaire quelque ennemi de
la famille ou de lui-même. Ce coupable est alors soumis par-devant le
chef du lieu à l'épreuve de la boisson, ou du Bulongo, qui s'exécute de
la manière suivante. Le plaignant et l'accusé s'asseyent vis*à*vis l'un de
Tautre, au milieu des spectateurs ; chacun tient une corne à boire, dans
laquelle le devin verse l'héla en prononçant ces paroles : c Que celui qui
e$t coupable l'avoue pendant qu'il en est temps encore, car si je verse
seulement une pincée de ma poudre dans sa boisson il mourra subite-
ment. • Après avoir répété cette menace trois fois, il secoue une petite
poche de cuir pleine de poudre blanche dans ta corne de chacun, puis
VOTAGB0 BT HISTOIRE r 231
les deux patients boivent, et vingt minutes sont à peine éeoulées que
déjà l'un est en proie. aux symptônes de l'empoisonnement, tandis que
Tautre, calme et Joyeux, reçoit les félicitations de ses amis sur Theoreuse
issue de Tëpreuve.
« J'eus l'occasion de vérifier que la poche de cuir dont se sert le devin
est divisée intérieurement en deux parties, dans l'une desquelles se
trouve du Massambala-Mebl, tandis que l'autre renferme un poison très-
actif. Si l'accusé paie, un contre-poison lui sauve la vie, mais il ne m'ar-
riva pas de pouvoir le constater. >
Les Tuareg, au milieu desquels le D' Barth s'est trouvé souvent, sont
une tout autre race, d'origine arabe, et, quoique nomade, beaucoup plus
élevée sur l'échelle sociale. Ils appartiennent à la religion de Mahomet;
leurs mœurs ont beaucoup de rapports avec celles des Berbères. Dans
le pays qu'ils habitent, des sculptures plus ou moins grossières se rencon-
trent ^ et là, qui semblent être les vestiges d'une ancienne civilisation.
On voit que si la géographie de l'Afrique commence à se débrouiller,
chaque pas qu'on fait dans ces régions si longtemps fermées aux voya-
geurs européens, soulève de nouveaux problèmes à résoudre.
L'Australie présente un autre genre d'attrait à la curiosité des explo->
rateurs. L'homme n'y tient qu'Un rang tout à fait secondaire, mais la
nature semble avoir choisi cette grande île pour le laboratoire de ses ex-
périences. La faune australienne diffère de celles de toutes les autres
contrées du monde, et la flore paraît n être pas moins riche en plantes
qui ne se trouvent pas ailleurs. M. Muller a recueilli dans son expédition
cinq cents espèces nouvelles. C'est un beau résultat, et comme l'Australie
est loin d'être entièrement connue on peut en inférer qu'elle réserve en-
core de nombreuses conquêtes à la science botanique.
Nous ne terminerons pas cet article sans mentionner la jolie carte des
pays de Tuareg, d'Air et d'Asben, dressée d'après les observations du
D' Barth par M. Petermann. C'est un spécimen remarquable des progrès
que la cartographie fait journellement en Allemagne.
Mémoires sur Béranger, souvenirs, confidences, opinions, anecdotes,
lettres, recueillis et mis en ordre par Savinien Lapointe. Paris, 1857 ;
1vol. in-8:5fr.
En publiant ces mémoires, M. Savinien Lapointe acquitte une dette
de reconnaissance. Béranger témoignait beaucoup d'intérêt au poëte
SR& VOliAM V II1SI9IAJI.
Mttsaa. U élait devenu 80o protecteur et se« »ni. Itiea doae 4e ^m
ittiurel que qet homnage rendu à sa inéfliaire par celui dont il avait en<-
ceuragé les ^rt» avec taet de benté. H. Savinien Lapeinte ne.se moolre
pas ingrat, et le sentiment qui guide sa pluroe décèle un noble cceur.
Mais chez lui i'enthou^iasjne déborde un peu trop. Dans sea admiration
pour l'illustre chansonoier» il oublie la juste mesure que doit avoir l'éloge
et deone souvent prise à la critique. A quoi boA, par exemple, étaler au
grand jour une foule de légers bieniaits que Béranger répandait sans os-^
tentation? Ne valait-il pas mieux en choisir deux ou trois parmi les plue
remarquables^ et laiseer le resie dans Tombre qui sied si bien -à la vraie
charité? Cette longue nomenclature de tous les moindres services rendue
e^t use espèce de réclame dont le caractère de Béranger n'avait assurer*
ment nui besoin. H. Savinien Lapointe abuse de l'éloge, el danssafer*-
veur lance l'anathème contre quiconque se pernaetde n'être pas du mêipe
avis. La manière dont il traite, entre autres, MM. Sainte-Beuve et Pont-
martin , nous semblent fort inconvenantes. Quels que soient les mérites
de Béranger, ses chansons ne sont pas toutes des che£s-d -œuvre irrépro^
chables. On peut, tout en rendant justioe à son beau taleni, blâmer par-o
foie les sujets qu'il a choisis ou les tendances qu'il manifeste. 11 n'y a
point ineptie ai fanatisme k soutenir» soit en morale, soit en politique»
soit en religion, d'autres principes que [ceux du chansonnier. Puisqu'on
prétend donner aux refrains de Béranger une portée philosophique sé-
rieuse, cbacun doit être libre de les juger à ce point de vue suivant ses
propres convictions, et si les jugements semblent trop sévères la faute en
est à ceux qui les ont .ainsi provoqués.
Du reste, les mémoires de M. Savinien Lapointe renferment maints
détails fort intéressants. 11 a vécu dans l'intimité du poëte, et la piété .
filiale avec laquelle il recueille tous les souvenirs propres à faire appré-
cier son ftme élevée et sa nature bienveillante trouveront^ nous en somme&
sûr, un écho sympathique chez la plupart des lecteurs.
Gesghichte des GoTTfiSFRiEDENS ( Histoire de la Paix de Dieu), von
I> Âug. Kiuckholm. Leipzig, Hahn, 1857 ; 1 vol. in-8.
La Paix de Dieu est certainement Tune des institutions les plus intéres-
santes et les plus, caractéristiques du moyen âge. Elle indique bien dans
quel état de dissolution la société se trouvait à cette époque. L'autorité
YOTAGIS n HISTOIRB. 273
civile, grdce aux abus de ses dépositaires, n'inspirait plus aucun respect.
Après le démembrement de Tempire de Gharlemagne, la décadence
avait marché d'un pas rapide. Ses successeurs, incapables de réprimer
les tendances anarchiques de la noblesse, leur laissèrent prendre un essor
de pbs en plus inquiétant. Bientôt disparut toute espèce de sécurité. Les
sonneurs ne reconnaissaient d'autres lois que leurs caprices et se livraient
au bripndage sans le moindre scrupule. L'organisation sociale offrait l'i-
mage d'un véritable chaos. L'Eglise elle-même participait à cet état
de choses : ses chefs donnaient l'exemple de la tyrannie et de la oor-
mption. Cependant c'est de son sein que sortit le seul remède effi-
cace qui ptn arrêter les progrès du mal. Quelques évêques, animés de
l'esprit ebrétien, imaginèrent d'opposer au droit de la force brutale l'ac-
tion du pouvoir spirituel. Voyant que l'excommunication et l'interdit,
quoique souvent employés avec succès contre les oppresseurs, n'appor*
taitnt guère de soulagement aux souffrances des opprimés, ils conçurent
l'idée de recourir à des moyens plus doux, mais dont l'influence bienfai-
sante atteindrait mieux le but. C'est au nom de la religion qu'ils engagé^
reot les hommes i suspendre, pour un temps du moins, leurs querelles,
leurs haines et leurs vengeances. Le premier exemple d'une trêve de ce
gesire se trouve dans un écrit adressé, en 1041, au clergé d'Italie, par
Ttrchevôque Raginbald d'Arles, les évêques Bénédict d'Avignon et Ni-
tard de Nice et Tabbé Odito de Cluny, pour établir que du jeudi son* au
m»rdi matin la paix serait strictement observée. L'absolution était pro-
mise aux observateurs de la trêve, et l'anathème prononcé contre ceux
qui refusaient de s'y soumettre. Cette tentative n'ayant pas trop mal
réussi fut bientôt répétée sur divers points de la France et l'usage s'en
répandit également dans d'autres contrées, d'abord en Allemagne, puis
en Italie, en Espagne et en Angleterre. Mais par suite de l'étrange in-
différence de plusieurs papes à cet égard, la Paix de Dieu n'obtint l'as-
senâment général et la sanction de l'Eglise que dans le douzième
siècle.
M. Khiekholm donne de curieux détails sur la manière dont cette in-
stitution était organisée. Son travail, fruit de savantes recherches, inté-
ressera virement tons 'céux qui s'occupent d'études historiques. Il porto
le oadiet de l'érudition allemande, et se distingue en même temps parfles
vues élevées, ainsi que par des considérations ingénieuses isur la marche
du déiveloppement social.
H I
18
274 V0TA6S8 IT HISVOIRS.
Memorib autografie d'un ribelle. Parigi, Stassin et Xavier, 1857 ;
1 vol. in-12 : 3 fr.
Ces méilioires sont ceux de M. Ricciardi, Napolitain, exilé pour ses
opinions libérales, et déjà connu comme auteur de plusieurs publications
soit, politiques, soit historiques ou littéraires. Le titre de rebelle qu'il se-
donne indique assez Tesprit dont il est animé; les leçons de l'expérience
ne l'ont pas guéri de la maladie révolutionnaire, et ce que le vulgaire
appelle autorité lui semble toujours synonyme d'oppression. A ses yeux,
6tre rebelle c^est être défenseur zélé du juste et du vrai. Prise d'une
manière absolue, cette définition tendrait évidemment à justifier toute
espèce de révolte, comme à proscrire toute espèce d'autorité. Hais il faut
faire la part de l'irritation causée par les abus du despotisme. H. Ric-
ciardi n'est sans doute point partisan de l'anarchie ; son idéal est la ré-
publique sage et bien réglée. Seulement il appartient à la classe des ré-
fugiés politiques et parle leur langage. Ces hommes, de quelque pays
qu'ils soient, pnt en général le travers de rendre la société responsable
des circonstances auxquelles ils doivent leur infortune. La révolution de-
vient leur idée fixe : ils bouleverseraient le monde entier pour obtenir le
triomphe de la cause dont ils étaient les représentants dans leur patrie.
On comprend du reste assez bien une pareille tendance chez des hommes
aigris par l'exil, et dont souvent l'unique délit est d'avoir été suspects
d'opinions libérales. M. Ricciardi se trouve dans ce cas. Fils d'un ex**-
conseiller d'Etat du roi Joachim Murât, il eut de bonne heure sa place
marquée dans les rangs de l'opposition, d'autant mieux que son caractère
indépendant lui rendait le régime napolitain inlolérable. Séduit par les
idées républicaines, il regardait leur triomphe comme la seule voie de
salut pour l'Italie. C'est le résultat ordinaire du despotisme ; les mécon^
tents se jettent dans l'extrême opposé. Quand le pouvoir absolu n'admet
aucun ménagement, ses adversaires font de même, et dès lors il est entraîné
forcément à prendre contre eux les mesures les plus rigoureuses. La dis-
cussion calme et raisonnable devient impossible. Les imaginations s'exal-
tent jusqu'à l'utopie et le progrès semble ne pouvoir plus sortir que de
la ruine complète de l'état social existant. • Si l'humanité progresse, dit
M. Ricciardi, si la liberté fait son chemin parmi les peuples, cela est dû
aux efforts magnanimes des rebelles, it Avec une telle maxime on va loin.
En effet, toutes les lois et tous les principes eux-mêmes ont rencontré -
des 'résistances qui pouvaient se croire aussi légitimes, et cet éloge de
VOTAGSS ET HiaxOIR^. 275
la révolte ne bous paraît propre qu'à faire toujours plus sentir aux gou-
vernements la nécessité d'une répression sévère.
L'auteur se laisse aller à des exagérations non moins fâcheuses dans
ses vues politiques ou législatives. Â côté d'excellentes réformes, dont les
bienfaits sont incontestables et qui certainement exerceraient la plus salu -
taire influence, il préconise quelques institutions plus, ou moins enta-
chées de socialisme, établit le droit à l'assistance, propose d'accorder aux
femmes celui de voter, etc. Ses mémoires présentent un singulier mélange
de vues saines et de rêveries chimériques. On y trouve aussi maints es-
sais littéraires, entre autres des discours sur le théâtre qui ne sont cer-
tainement pas sans mérite. Mais la curiosité sera surtout excitée par les
détails que M. Ricciardi donne soit sur Hazzini, soit sur plusieurs au-
tres personnages qui ont marqué dans les tentatives révolutionnaires de
l'Italie. Ce sont des matériaux intéressants pour l'histoire de notre époque.
Les jésuites jugés par les rois, les évêques et le pape, nouvelle
histoire de l'extinction de l'ordre, écrite sur les documents origi-
naux. — Histoire de Dmitri, étude sur la situation des serfs en
Russie. Paris, Pagnerre, 1857 ; 1 vol. in-12 : 3 fr.
Ce volume renferme deux morceaux de M. Louis Viardot, qui traitent,
comme on le voit par leur titre, des sujets très-différents. Le premier est
une analyse assez étendue de V Histoire du rlgne de Charles III en Es-
fHigne, publiée par don Antonio Ferrer del Rio. Le second présente une
esquisse de Fétat actuel du servage russe et de ses tristes conséquences.
V Histoire de Charles ///renferme, à ce qu'il paraît, des documents nou-
veaux et fort curieux sur l'ordre des jésuites. Quoique très-zélé catholique,
l'auteur n'est point partisan de l'Inquisition ni de la Compagnie de Jésus.
Il les regarde môme comme des fléaux qui ont contribué fortement à dé-
truire la prospérité de sa patrie. C'est là que, suivant lui, se trouve la
principale cause des malheurs de TEspagne, et les preuves qu'il cite à
Tappui de sa manière de voir sont tirées des sources les plus authenti-
ques. Le roi Charles HI ayant pris une part fort active aux mesures di-
rigées contre les jésuites, les pièces officielles abondent ; aussi M. Ferrer
en use-t-il largement pour faire bien connaître les motife légitimes qui
amenèrent leur expulsion du royaume d'Espagne, et plus tard la con-
damnation de l'ordre par le pape» On n'avait pas encore traité ce sujet d'une
manière aussi complète. Or, quoique ce soit déjà de l'histoire ancienne^
396 • V0t«(«l9 m HISTOltMI.
on peut dire qu^elie présente un certain intérêt d'actualité. Le jésuitisme
a la vie dure ; malgré les sentences des rois, des évêques et du pape,
confirmées plus d'une fois par celles du peuple, il ne se porte pas trop
mal, il est même en train de relever sa tête avec autant d'audace que ja-
dis; le dogme de l'immaculée conception en fait foi. La publication dur
livre de M. Ferrer est donc tout à fait opportune, et le compte rendis
que nous annonçons intéressera vivement les lecteurs. M. Viardot nous
donne la traduction des passages les plus importants auxquels il n'ajoute
que de courtes réflexions destinées à les relier ensemble, car son but
est de faire connaître au public français les précieuses recherches de Té*
crivain espagnol.
V Histoire de Dmitri m sera pas moins goûtée. On y trouve une
foule de détails sur les mœurs des serfs russes, sur les rapports qui
existent entre eux et leurs seigneurs, et sur les résultats déplorables dé
l'esclavage. Dmitri est un serf honnête, intelligent, développé d'une
manière assez remarquable, mais qui voit toutes ses espérances dé-
çues l'une après l'autre, se trouve en butte à des exactions intoléra-
bles et finit par être poussé à la révolte ; il incendie la maison de son
maître après avoir enfermé celui-ci dans une chambre pour l'empêcher de
fuir. Ces scènes, empruntées à la vie réelle, car l'auteur a vécu assez long-
temps en Russie, sont décrites avec simplicité. M. Viardot se borne à
raconter les faits qui parlent assez haut par eux-mêmes, sans qu'il soit
be^n d'y ajouter des déclamati(ms philanthropiques. Il signale dti reste
les premiers actes de Tempereur Alexandre H qui tendent à ftitre cesser
un 'pareil étal de choses, en enftrant dans k voie de l'émancipation gé-^
nérale.
mr*^
Etudes historiques sur la révolution française de 178d, par un étran-
ger. Paris, F. Didot frères, 1857 ; 3 vol. in-8 : 22 fr. 50.
Les écrivains firançais ne peuvent guère parler de h révolution d'une
manière tout ^ fait impartiale. La plupart embrassent avec ardeur quel*
qo'tfne des opinions engagées dans la lutte, et chez ceux mente qui repoos-
seitt ^hautement les excès ci) remarque presque toujours la crainte de pa*
rafM hostiles aux priitcipes de 1 789. tfe sont d'ailleurs très^néturellement
enxfiùè ^ chercher des excuses plutêt qu'à faire ressortir la gravité
d'aetes qoi blessent leur amour-propre natitmal. A cet égard un étranger
se trouve plus indépendant, et peut sans scrupule se placer au point
devuedftla iMJire logique. Lqs Etudu que nous annonçons ejn oSi^ot
un exemple» L'auteur» frappé des idées étranges éoiises par divers histo-
riens de la révolution, a pris la plume pour combattre une tendance
.qui iui semble porter atteinte aux notions les plus élémenbaires de^ ki
morale. En effet, quoi de plus propre à fausser le jugement du puUic
que de prétendre réhabiliter le régime de la Terreur. Or c'est ce qut'ont
{ùi MM. Bûchez et Roux dans leur Histoire parlementaire de la révolfp-
tûm françaiee, et l'ouvrage de H. Thiers, malgré sa supériorité incontes-
table, n'est pas exempt non plus du noéoie dé&ut. C'est une faiblesse ï la-
quelle ont en général cédé tous, ceux qui, depuis 18i5, voulurent se rendre
pof^ulaires par leurs écrits. La réaction royaliste les jeia dans l'extrême op-
posé; libéral et révolutionnaire devinrent synonymes.. Une fois entré dans
«etle voie, il éiait bien difficile de s'arrêter. On se borna d'abord à pré^
çooiser les théories de 89, en les isolant avec soin des faits désastreux qui
suivirent. Mais comme ceux-ci n'en étaient que les coaséquences plus ou
mwM directes^ il fallut bien arriver à les admettre aussi, tout en s'efiorçant
4e faire disparaître leur caractère odieux ou du moins ë'en amoindrir
antant que possible la portée. C'est ainsi que des hommes, du reste très»-
apposés aux. violences révolutionnaires , sont entraînés à les jutifier et
contribuent par là, plgs encore quio les autres, à fausser Topinion publique.
L'auteur des Etmle$ trouve donc dans leurs ouvrages ample maiière à cri-
tiquer, il cherche surtout à mettre en relief tes câiés avantageux de l'aor
cien végime, que trop souvent, en effet, on laisse dans l'ombre afin de mieux
preuves que la révobitjjon était nécessaire et que ses excès ne furoAl q^e
des représailles inévitables. PuiS; il marque avec s(Hn la liaison qui existe
entre les diSërentes phases du mouvement révolutionnaire , dont k soli-
darité remonts, suivant lui, jusqu'aux premiers promoteurs des principes
4e 1789. On débuta par attaquer la monarchie elle-même sous prétexte
d'en réformer les abus, on détruisit son prestige, et les idées répuMh
«aines^ accueillies «vee enthousiasme, firent bientOA tomber le pouvoir entre
les mains d'hommes qm, pour satisfaire leur ambition eu pour assurer le
Iffiomphe de leurs (itéories, ne se laissaient arrêter par aucune espèce de
scrupules. La royauté constitutionnelle et la république ne forent que éd
courtes haltes- sur la pente qui conduisait droit au socialisme, véritaUe
bttt vers lequel tendaient en définitive les efforts de Robespierre et de Saii^-
iost, tout comme ceux de Babeuf. Cette hypothèse est soutenue avec talent
par l'écrivain étranger. Peut-être la présente-t-il d'une manière trop ab»-
solue. Mais elle lui fournit des aperçus nouveaux qui ne manquent pas de
278 TOtAGBS ET HI0T0IEB.
justesse» et répand une clarté précieuse sur maints détails dont les his-
toriens ont plus ou moins altéré le caractère, faute de les bien compren-
dre. Sans accepter complètement le point de vue auquel s'est placé l'au-
teur, on lira ses études avec intérêt, car elles ont le mérite d'une opinioD
très-firanche quoique modérée, et sont empreintes d'un cachet assez ori-
ginal.
Ne pouvant d'ailleurs analyser un travail de ce genre, nous termi-
nerons par l'extrait suivant, qui nous semble tout à fait propre à foire
connaître Tesprit dont il est animé :
c On a dit, on a écrit mille fois qu'il ne fallait pas confondre la révo-
lution avec ses excès ; mais ses excès n'ont-ils pas été les conséquences^
forcées, inévitables, en quelque sorte, des prétendues doctrines de l'école,
inhérentes à une philosophie toute personnelle, égoïste au fond, qui, tout
en exaltant les esprits à froid, avait desséché les cœurs, rapetissé les âmes»
tari dans leurs sources les plus tendres sentiments de l'humanité, excité
la convoitise, même les plus grossières passions contre toute supériorité.
■ Nous venons de témoigner notre sincère sympathie pour la nation
française; cependant, à titre d'étranger et très-éloigné du théâtre où
s'accomplit cette crise sociale, ne pouvant pas être partie intéressée» ni
personne des nôtres, dans aucune de ces grandes infortunes qui ont dé-
solé la France aux jours les plus mauvais de la révolution, ne serions-
nous pas fondé à dire avec Tacite : Quorum eau9a9 proeul habeo , et par
cela même à portée de voir cet immense drame de la révolution du
même œil, à peu de chose près, que le considérera la postérité la plus
reculée, et de la reproduire sous son jour le plus vrai.
« Avons-nous atteint ce but, et jusqu à quel point ? Ce n'est pas è
nous d'en porter le jugement définitif. Au demeurant, chaque époque a
des opinions qui lui sont propres, souvent émanées de l'expérience des
temps qui viennent de s'écouler et qui ne sauraient ne pas influer sur
le travail de l'historien, en dépit de tous les efforts qu'il ferait pcHir
s'en affranchir. Quelles que soient au reste les opinions de l'historien^
il sera impartial, ou plutôt écrivain consciencieux, du moment où, voyant
parmi les notnbreux matériaux qu'il aura rassemblés des faits de quelque
importance, relatifs à la période qu'il a entrepris de reproduire, il les si-
gnalera tous, ceux mêmes qui seraient de nature à contredire des opinions
depuis longtemps arrêtées dans sa pensée: c'est par là qu'il fera con-
naître son impartialité, ou plutôt sa bonne foi. •
9C1B9CB& KORALIS KT POLlTiaUlS. *27d
scii:]V€i:s ihorjjli:» ht poiiiTifiUES.
Le chrétien ou l'homme accompli, conférences, par A. Bouvier, pas-
teur. Genève et Paris, J. Cherbuliez, 1857 ; l vol. in-i2.
Le perfectionnenaent de l'homaie est le but du christianisme. En dehors
de son influence il n'y a que de vains efforts, que des tentatives infruc-
tueuses» et l*on ne peut trouver ni la paix de Tâme, ni la complète satis-
faction du cœur. Le chrétien, c'est l'homme accompli. Transformé par
la religion de l'Evangile, qui le fait rompre avec le péché, qui réveille en
lui le sentiment de sa dignité véritable, il marche d'un pas ferme dans le
sentier de la vie, parce qu'il sait où il va, et n'a plus à redouter les an-
goisses du doute ou les amertumes du désespoir. Les succès ne l'enivrent
point, les épreuves le trouvent calme, énergique, résigné ; il lutte avec
courage et confiance, ayant foi dans les promesses de ta vie éternelle,
toujours présentes à sa pensée. Tel est le thème que M. Bouvier déve-
loppe dans ses conférences avec talent et conviction. Il débute par établir
la supériorité du christianisme sur les autres systèmes philosophiques ou
religieux qui ne répondent jamais à toutes les exigences de la nature hu-
maine, tandis que la loi de Jésus embrasse Thomme tout entier, satisfait
aux besoins divers de son âme et favorise l'essor de ses facultés. < Non
loin d'une grande route, sur la colline, je connais une maison vers la-
quelle on voit se diriger parfois les voyageurs. Les faibles, les indigents,
les étrangers ont entendu dire qu'ils y trouveront des forces pour conti-
nuer leur chemin. Ils entrent : on leur parle la langue de leur pays; on
apaise leur faim et leur soif ; on les encourage par des paroles qui vont
ftu cœur ; on les renseigne sur la voie qui les conduira à leur destination.
Reconnaissants et rafraîchis, ils se remettent en route, et tandis que les
autres, qui ont dédaigné cette hospitalité gratuite de l'amour, s'arrêtent à
mi-chemin, tombant de lassitude, et s'égarent, eux sç bâtent et arrivent
avant que la nuit vienne.
i Cette route, c'est la carrière de la vie ; cette maison, c est celle doA
Jésus-Christ est le fondement ; le dispensateur de ces secours aux voya*
geurs, c'est l'Evangile.» Pourquoi donc tant de gens refusent-ils d'aller
Irapper à la porte de cette maison hospitalière ? Ils craignent de contrac-
ter ainsi quelque engagement, ou du moins une dette de reconnaissance
qui les effraie. Leur orgueil se révolte à l'idée de cette espèce de patro-
nage ; ils préfèrent trébucher à chaque pas plutôt que d'accepter un guide,
280 aciiacu «oealis ks Bouxia«it%
et ne reconnaissent d'autre autorité que celle de leur propre raison.
D'ailleurs, en général, ils ignorent la valeur du christiantsme, ils coin-
prennent peu les bienfaits de l'éducation morale, et la préoccupation des
intérêts matériels les domine trop pour leur laisser le temps d'y songer.
€'est à vaincre cette indifférence ou ce dédain que s'attache surtout
M. Bouvier. 11 expose un tableau trô^nremarquable des résultats du
christianisme, combat les objectiona avec beaucoup de force, et fait babi<^
lament ressortir les précieux avantages dont t'hainne peut s'assurer la
jouissance par un simple effort de volonté. Etudiant tour à tour le chré-
tien dans la vie morale, dans (a vie intellectuelle, dans la vie soeiate, il
montre les divers éléments de la vie que le chnstianisme produit dans la
conscience, la lumière qu'il fournit à Tintef^ifeDce, et les préservatif
^'i^ oppose aux dangers de la civilisation actodle. Son dernier discoucs
a pour objet d'indiquer qitôlles dispositions conduisent seules à ce chri»^
tianisme salutaire. Cet enseignement plein de sève et d'onction se distin-
gue non moins pair le mérite de la forme que par eefaii de la pensée. Le
style vigoureux, incisif, original, noos semble tout à IM pqp^e à caplî*^
vser l'alteBtiea des lecteurs.
Trois discours prononcés à Genève dans la salle du quartier Saint-
Gervais. Genève, E. Beroud, 1857; 1 vol. in-8".
La /os Isa doubla réBistanee, [sl grâce, tels sont les sujets de ces* trois
discours dana lesquels H. de Gaaparin a voulu résumer les principes es«>
aentiela de la doctrine évangélique. C'est en étudiant la loi que l'homme
apprend à se connaître ; elle est pour lui comme un miroir qui itéflédiit
l'état de son àme eiiivahie par le péché. U y trouve presqAie à. chaque
tigne sa condamnation, car des commandemeits qu'elle renferoie, qu«l
est celui qu'il n'a pas violé plus ou moins ? A ce^te idée, son orgueil ae
FévoUe, il cherche peuâ-être à se persuader que ses infractions n'ont élé
ni graves, ni fréquentes; il en rejette la responsabilité' sur la faiblesse
bhérente à la nature humaine. Mais la voix de la conscience déJAue^ses
efiiorts et trouble sa quiétude. Alors, si son coeur n'est paa endurci daitt
le mal, commence une kitte qui peut être longue et pémble, mais dont
l'issue ne saurait être douteuse. Après avoîi* résisté à l'évidenee de la lot;
il résiste encore aux appela de rameur divin. Hais cette émbit réaisftanse
va diminuant à masure qu'il voit échocief sea e&rta peur sa suft*e à
luir^même. U reconnaît son: impuissance, le décourag^aMni s'empare de
lui, et c'est alors que sefail sentir la néeessité de la grilee sems laquelle
touf espoir liii serait interdit. Son tnie se tourne avnsf vers Dieu dont
l'infinie miséricorde faeoueille avec foomé, kii ppodigiie des< secours et
lui donne le vrai bonheur, qui censiste dans h réaHsation parfaine de la
loi» devenue désormais le guide hafoiluel du chrétien.
Cette thèse est habilement développée par M. deGasparîn. R parie avec
eliateur, avec conviction. Sa parole a bien Taccent propre à remuer les
cœurs. On comprend quel effet elle doit produire snr une assemblée nom-
breuse et sympathique. Cependant ces discours, em[H*eints du cachet éà
l'improvisation, risquent de perdre un peu de leur mérite à la lecture.
Ils laissent à désirer pour la force et la logique du raisonnement, et prë^
sentent parfois une certaine exubérance déclamatoire. Mais, en géné-
ral, l'auteur sait captiver l'attention par le tour ingénieux de la pensée,
ainsi que par loriginalité de l'expression.
Œuvres DE W.E. Channing : Traités religieux, précédés d'une intro«-
duction par Ed. Laboulaye. Paris, 1857; 1 v. in-12 : 3fr. 50.
Les opinions religieuses de Channing ont été souvent présentées sous
un faux jour. Le libre penseur américain passe aux yeux d'un grand
Aombre pour n'avoir accepté du christianisme que la morale. Parce qu'il
rejetait quelques-unes des doctrines orthodoxes, on le range parmi les
rationalistes de TEglise unitaire. C'est bien un peu la faute de ses admi-
rateurs, dont la plupart s'attachent à faire ressortir en lui les mérites du
philosephe^ tamdis qu'ils laissent le chrétien dans l'ombre. Ils exagèrent
la portée de ses vues indépendantes, et semblent oublier qu'eUear s'alliè»-
rent toujours à des croyances éminemment ch;*étienji6s. Chaaning n'ap-
pa>rtieot pas plus à la secte unitaire qu'à toute autre. U n'avait point de
syii4Kitbie pour la doctrioe de Priestley. Jésus était pour lui le fils ée
Dieu, le modèle accompli d'une perfection morale à laquelle las bommes
ne peuvent aitfflBdre; aucun doute ne s'élevait dans sou esprit sur la di*-
vinîlé du christianisme ni sur l'authenticité des miracles. Seulement
l'Ëvaikgile ne lui paraissait pas établir le dogme de la Trinité d'une ma-
nière assez positive pour qu'il crût devoir l'admettre. Mais sa foi n'en
•était pas moind réelle et profonde. On en trouvera d'abondantes preuves
dans les traités que puUie M. Laboulaye. Ce sont des discours sur la Li-
btfté spiiPiUieUie, TEgliae^ les Preuve» do chiristianisme„ Le Caractère du
2ft2 acuncfs moi^lu bx tounouBa.
Christ, la Grande fin du christianisme, i'immortahté de TAme, la Vie fu-
ture, le Respect dû à tous les hommes, la Religion envisagée comme un
principe social, et le Christianisme religion raisonnable.
Dans tous ces discours éclate une ferveur chrétienne très*remarquable.
11 y règne la plus vive admiration pour la doctrine évangélique, avec le
désir ardent de la propager, d'en faire bien comprendre les vérités su-
blimes et de lui soumettre tous les cœurs. Hais Channing n*a pas les al-
lures ordinaires du prédicateur; son éloquence s'adresse en général moins
au sentiment qu'à la raison. C'est un ton presque familier, quoique tou-
jours grave et calme, où la clarté de la pensée forme le principal mérit»
du style. L'accent de la conviction donne d'ailleurs beaucoup de force aux
arguments de Channing, et l'on trouve un certain charme original dans
la sincérité parfaite avec laquelle il les expose. « En l'écoutant, dit M. La-
boulaye, vous êtes sûr qu'il n'y a pas un mot qu'il n'ait senti, pas une
vérité qu'il n'ait éprouvée, pas un conseil qu'il n'ait essayé sur lui-même;
aussi se rend-on sans défiance à cette voix si douce et si pénétrée. Ce
n'est pas un prédicateur qui nous parle, c'est bien mieux, c'est un frère
et un ami. »
Tout par le travail, manuel de morale et d'économie politique, par
M. A. Leymarie : ouvrage auquel l'Académie des sciences morale»
et politiques a décerné une mention honorable. Paris, Guillaumin
etC». 1857; 1 vol. in-12 : 3 fr.
L'auteur de ce manuel a choisi la forme dramatique , dont M"** Hen-
riette Martineau s'était déjà servi avec succès dans ses contes popu-
laires. C'est un moyen de rendre l'enseignement plus familier et de
mettre davantage la science à la portée de tous les lecteurs. L'intrigue
d'un petit roman.marche de front avec la discussion des principes, de ma-
nière à intéresser ceux pour lesquels la morale et l'économie politique
auraient par elles-mêmes peu d'attrait. L'auteur espère à l'aide de ce stra-
tagème vaincre la répugnance que l'appareil scientifique inspire à beau-
coup de gens. En effet, la curiosité une fois excitée, on ira jusqu'au bout
afin de connaître le mot de l'énigme qui ne se trouve qu'au dénouenoent.
Les péripéties de l'action, soutenant l'intérêt, servent en quelque sorte
d'appftt pour faire avaler la partie sérieuse du livre. Si le lecteur n'en re-
tire pas tout le fruit désirable, du moins son attention est ainsi dirigée sm*
8GISHGE8 KORALIS BT FOLITIQUBB. 283
des sujets qu'il n'aurait peut-être jamais abordés sans cela, et qui désor-
mais ne lui seront plus tout à fait étrangers. Nous ne contesterons pas
l'utilité d'un tel résultat, mais il nous semble assez chanceux et dans
tous les cas bien incomplet. Le mélange du roman et de la discussion
produit un tout qui manque d'unité. Malgré tout son talent, l'auteur ne
réussit pas à fondre ensemble des éléments de nature si différente.^ Les
thèses de morale et les dissertations d'économie politique nuisent plus
ou moins à la marche de l'action , et sont à leur tour sacrinées parfois
au développement des caractères. Il est d'ailleurs très-difficile de faire
parler chaque personnage suivant sa condition, car cela risquerait d'a-
mener des longueurs interminables et d'exclure du débat la logique ainsi
que la clarté.
M. Leymarie n'a pu complètement éviter ces défauts. • Au lieu de
thème obligé en quelque sorte, dit M. de Broglie dans son rapport à l'A-
cadémie, au lieu d'une institution unique instruisant des ignorants, ici
nous en ^vons trois, et trois qui, d accord sur les conséquences, ne le sont
pas autant sur les principes : l'un est un fermier, disciple rigide des éco-
nomistes anglais, de Ricardo, de Mac Culloch (il est, s'il existe, peut-être
le seul en France ) ; l'autre est un filaleur, d'une école plus pratique
et plus tempérée ; le troisième enfin est un ouvrier qui, livré d'abord
à tout le feu des passions, et artisan de tous les désordres, devient, guéri
par l'amour et le bonheur, le modèle et le précepteur de tous les autres.
De leurs discussions entre eux sur les problèmes les plus ardus de la
science, et du rôle actif qui leur est assigné dans le drame, il résulte ce
double inconvénient que l'esprit demeure parfois incertain sur la vérita-
ble pensée de l'auteur, et ne sait trop à qui il entend donner tort ou rai-
son ; et que, faute d'espace, il se rencontre des lacunes importantes dans
l'ensemble du travail. Plusieurs questions essentielles y sont omises,
d'autres n'y sont qu'ef&eurées. Néanmoins, c est un ouvrage remarqua-
ble: les questions *que l'auteur traite à fond, il les traite avec vigueur et
précision; les scènes qu'il décrit, il les rend vivantes, et les qualités
qu'il possède compensent au delà celles qui lui manquent. •
Reconnaissant la justesse de ces observations, M. 'Leymarie a retou*-
ché son manuel avec beaucoup de soin, et rempli les principales lacunes
iju'on pouvait lui reprocher au point de vue de l'enseignement.
^384
SCIBBISS BI ASr9«.
Leçons élémentaires d'électricité , ou exposition concise des prin-
cipes généraux de l'électricité et de ses applications,, par W. Sopw
Barris, traduites et annotées par E. Garoault. Paris, Leiber et Com-
melin, 1857 ; 1 vol. in-i2, fig. : 3 fr.
L'électricité a pris un tel développement qu'elle constitue en quelque
sorte à elle seule toute une science. La place qui lui était consacrée jadis
dans les cours de physique ne peut plus suffire. L'importance de ses dé-
couvertes et de ses applications exige qu'on en fasse une étude spéciale.
Aussi plusieurs traités considérables ont-ils déjà paru sur cette matière.
Mais on n'avait pas encore publié d'ouvrage élémentaire propre à servir
de guide aux personnes qui désirent seulement être mises en état de com-
prendre les principales propriétés du fluide électrique. La traduction du
livre de M. Snov^ Harris sera donc accueillie avec faveur, car elle comble
une véritable lacune dans ce genre de littérature aujourd'hui si recher-
ché. C'est fœuvre d'un savant de premier ordre qui « s'est attaché sur-
tout à donner des idées saines, pratiques et théoriques sur les principes
généraux et les faits les plus simples qu'il démontre à l'aide d'expériences
faciles à répéter.» On y trouve des notions claires, précises, exposées
avec méthode, et des détails historiques d'un vif intérêt. Les notes ajou-
tées par le traducteur font connaître les progrès les plus récents de l'élec-
tricité. Il donne de plus quelques aperçus sur les précieux services qu'en
retire l'industrie. Ce petit volume, qui compte en Angleterre déjà quatre
éditions, nous semble tout à fait digne d'obtenir en France un égal succès.
Histoire de la télégraphie, description des principaux appareils aé-
riens et électriques, par A. Bonal. Paris, Ballay et Conchon, 1857 ;
1 vol. in-12, fig.
L'art de communiquer à distance av moyen d» sigimuc date d'tme
époquO' assez reculée. Les anciens avaient essayé déjà de transmettre ainsi
des ordres ou des nouvel^ importantes. Ils employèrent à cet effet, tan-
tôt des voiles de diverses couleurs, tantôt des tuyaux acoustiques, maâs
le plus souvent des feux allumés sur de hautes tours ou sur le sommet
des cdlines. Dans les temps modernes on chercha vainement à perfec-
tionner ce système ; il ne put jamais répondre aux besoins de la corres-
pcHidanoe, oiéine la»pli» laconique. La difficulté principale était de varier
assez les sigDauQcpouf établir une sorte de lan^ge eonveotionnel et d'as-
surer en ménie temps le isecret des dépêches. C'est ce double problème
que l'invention de Chappe résolut en 179^ avec un plein sucete. Le té*
légraphe aérien prit naissance dans cm séminaire où Claude Chappe faisait
ses études; désirant correspondre avec ses frères placés dans un pension-
nat distant ée ^nsienrs ki4om^es, il imagina l'appareil qui, plus tard
complété > par 66S soins, obtint T^pprobation de l'assemblée nationale, et
fut bientôt en usage dans toute la France. Malgré d'ingénieuses modifica-
tions, ce télégraphe offrait encore de graves inconvénients, dont le prin-
cipal 'était d'être interrompu par la nuit ou par le moindre brouillard.
L'usage en fut cependant adopté par ta plupart des pays de l'Europe, et
continua jusqu'au moment où l'application de Télectricité vint fournir un
moyen de correspondre beaucoup plus rapide et plus sûr.
C'est de 1837 ô 1840 que date le télégraphe électrique. Un physicien
du dix-huitièTne siècle, Lesage, professeur à Genève, en avait déjà con-
struit une ébauche assez eurieuse en 1769, mais sa découverte demeura
stérile «lors, et ee n'est qu'en 1837 que l'Américain Morse réussit à
mettre le système en pratique d'une manière satisfaisante. La première
ligne m Europe M établie par la Bavière, qui bientôt trouva de nom-
breux imitateurs. Vingt ans ont suffi pour couvrir l'Amérique et l'Eu-
rope d'un réseau de télégraphes, et maintenant il s'agit de mettre en
communication ces deux parties du monde au moyen d'un câble de fil
de fer plongédans les profondeurs de l'Océan. Nous ne croyons pas qu'au-
co*n autre progrès de la science moderne soit plus digne d'admiration
pour la simplicité des moyens unie à la grandeur des résultats. Aussi le
petit livre de M. Bonel excitera-t-îl un vif intérêt. Les appareils de la
télégraf|Aiie y sont décrits avec clarté, de manière à ce que le lecteur
paisse bien s'en rendre compte, et de nombreuses figures semées dans le
telte lui permettront de se faire une idée assez juste des avantages que
présentent les différeiïts systèmes électriques.
Lb salon de 1857, par Maxime Du Camp. Paris; 1 vol. in-12 : 1 fr.
41 n'est guère possible d'»pprécier le mérite d'un ouvrage de ce genre,
quand on n*a pas vu les tableaux dont il rend compte. Aussi nous absilien-
dnmsMious d'entrer dans les détails» nous dirons seulement (ju'en g^
286 8GIIIIGB8 BT A»»i.
néral l'auteur paraît enclin à la sévérité ; il ménage peu l'ameur-propre
des artistes et leur parie un langage très-franc. Il paraît être, du reste»
assez impartial, distribuant i tous le blâme et râoge, en sorte que chacun
en ait sa part. La méthode n'est pas mauvaise, car» de nos jours sur-
tout» il n'y a point de chef-d'œuvre irréprochable, et souvent des qualités
précieuses se rencontrent unies à de graves défauts. M. Du Camp ne se
passionne ni pour ni contre, et ses jugements» quoique très-courts, indi*
quent une étude sérieuse des œuvres qu'il passe en revue. Il fait preuve
à la fois de connaissances réelles, d'esprit et de goût. C'est un mérite
assez rare dans les comptes rendus de ce genre. D'ailleurs M. Du Camp
professe des principes beaucoup plus sages en fait d'art qu'en fait de
poésie. On ne le voit point ici se poser en novateur comme dans la pré-
face de ses Chants modernes , et les conseils qu'il donne aux artistes
n'offrent pas la moindre trace de réalisme. Au contraire, il critique forte-
ment les excentricités de M. Courbet, dont la peinture habile et savante
ne produit d'autre impression que celle qu'on éprouverait devant une ta-
pisserie bien faite ou des persiennes bien peintes. C'est une contradiction
flagrante, qui prête le flanc à la critique, mais elle nous semble prouver
du moins que les hérésies littéraires de l'auteur étaient des boutades sans
importance, et nous citons avec plaisir le passage suivant dans lequel il
expose ses vues sur la théorie de l'art :
« Avant de conlmencer l'examen des œuvres qui doivent nous occuper,
il est bon de dire un mot encore sur un symptôme général qui saute aux
yeux des moins clairvoyants. La recherche du beau et de l'idéal, respira-
tion vers une nature supérieure, la compréhension de cette part vivante
que Dieu a mise de lui en toutes choses, semblent s'évanouir pour faire
place à une habileté matérielle extraordinaire : le métier domine l'art ;
le cerveau s'obscurcit pendant que la main agile et sûre d'elle-même ac-
quiert, approfondit et met en usage les procédés les plus difficiles. Cela
doit-il être, et cela peut-il suffire ? Nous en douions : se contenter du
rôle de copiste ou de servile imitateur, c'est faire abnégation de soi-même»
c'est se diminuer, c'est infirmer l'art qui doit être une seconde création,
c'est reculer devant sa mission et répudier les gloires d^une des plus belles
facultés humaines. Représenter un être ou un objet créé tel qu'il est, avec
quelque talent que ce soit, c'est le fait d'un ouvrier ; mais dégager de cet
être ou de cet objet l'étincelle divine qui l'éclairé, et qui est l'âme et le
sentiment, et la rendre palpable aux foules qu'elle étonne et ravit, c'est
le fait d'un artiste. Tout individu qui ne porte pas en soi un idéal de
SCIBNCBS BT ARTS. 5S87
forme et de pensée plus élevé et plus lointain que celui qu'il peut attein*
dre, ne laissera pas trace ; pour compter sérieusement, il ne faut pas
seulement être un peintre, il fiiut être un artiste. Afin de faire bien com*
prendre ma pensée, et la résumer par un exemple, je citerai les noms
de deux hommes qui ont exposé cette année : M. Millet est un artiste,
H. Courbet est un peintre. •
Eléments de botanique, par J.-B. Payer. Première partie : Orga no-
graphie, avec 664 figures intercalées dans le texte. Paris, 1857;
1 vol. io-12 : 5 fr.
Ce travail est remarquable par la clarté parfaite de Texposition ainsi
que par l'abondance des détails. L'auteur s'attache à décrire avec une
grande exactitude les organes des plantes, en commençant par ceux que
tout le monde connaît plus ou moins, tels que les racines» les tiges, les
branches, les feuilles, les fleurs. Il les caractérise d'unemanière précise,
et de nombreuses figures, exécutées avec soin, viennent en aide à ses
explications. ÂU'lieu de commencer par l'anatomie végétale, dont Tétude
offre de si grandes difficultés, il préfère suivre une marche plus natu-
relle, conduire ses élèves du connu à l'inconnu, leur parler d'abord de
choses avec lesquelles ils sont déjà familiers, qu'il peut leur montrer, et
sur lesquelles les botanistes sont tous d'accord. La première partie de ses
EUments de boianiqtAe est donc consacrée aux notions d'organographie
dont l'étude n*exige ni remploi du microscope ni l'analyse chimique. La
seconde comprendra l'anatomie, la physiologie et l'organogénie végétales,
c'est-à-dire l'étude de la structure intime des organes des plantes, de
leurs foBctions et de leur mode de formation et de développement. Vien-
dront ensuite la classification des plantes, leurs propriétés diverses, leur
distribution géographique, leurs maladies et leurs monstruosités, puis
enfin la botanique fossile. Cette méthode nous paraît excellente. Elle rend
les abords de la science beaucoup plus accessibles, et doit en inspirer le
goût par le charme qu'elle donne à des préliminaires qui, dans la plupart
des traités de botanique, se présentent sous une forme aride et rebutante.
M. Payer veut que son enseignement puisse être utile à ceux qui cher-
chent dans la botanique une récréation agréable, aussi bien qu'aux per-
sonnes dont le but est d'en approfondir l'étude. C'est pourquoi, laissant
de côté les discussions savantes et les subtilités théoriques, ses efforts
tendent surtout à résumer clairement les faits tels qu'ils résultent de l'état
actuel de la scieoee. « Comme cet ouvrage doit être élémenldire, dit«4l^
j'ai, tout en doonaot reneemble àe la botanique, négligé tous les détails
de pure ouriofiitié aeiestifique, et mis de côté tous les cas exceptionnels^
pour jn appesantir davantage sur les faits les plus importants ot sur les
principes généraux* J*ai -écarté avec soin, dans l'exposition des faits,
toute idée théorique, car je me suis convaincu depuis longtemps que si,
dans quelques circonstances, les hypothèses sont devenues de puissants
moyens de perfectionner nos connaissances, le plus ordinairement, au
contraire, elles ont arrêté les progrès de la botanique en faisant accepter
à la longue comme vraies des choses fausses. Linné, notre maître à tous,
s'en est abstenu dans tous ses livres. Il définit les organes des plantes
d'après les caractères qu'il aperçoit et que tout le monde peut aperoevoir
avec lui. Tout est clair, net et précis. 11 n'y a rien d'abstrait, rien d'hy-
pothétique. Ses successeurs n'ont malheureusenent pas suivi son exemple,
et, u(m contents de substituer à des faits des théories plus ou moins ingé^
nieuses, ils ont changé les noms linnéens et les ont remplacés par d'autres
ph» en rapport iaif«c leurs théories, sans se préoccuper des obstacles
qu ils mettaient à l'Aude de la botanique par l'introduction de ces nou-
veaux mots. Je n'ai tenu aucun compte de cette multitude de noms nou-
veaux qiri, outre rinoonvénient de surcharger inutilement la mémoire,
ont encore oelui de donner le change sur le but de la botanique, et de
faire croire qoe oette science ne consiste que dans sa nomenclature et
n'est, par suite, qu'une science de mots. Et si, pour l'intelligeoce des
laits, j'ai cru devoh* rappeler parfois quelques théories, elles sont impri-
mées en caractères plus petits, afin que l'on comprenne bien que je ne
les considère que connne des moyens de nous guider dans l'étude de la
science, moyens qui doivent nécessairement cfaaoger au fur et i mesure
que la scieme se perfectionne. •
REVUS CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
OCTOBRE t9&9.
lilTTKRATlJRi:.
Etudes sur les Tragiques grecs, par M. Patin, 2« édition, revue et
augmentée. Paris, Hachette et 0% 1857; Â vol. in-12 : 14 fr.
Annoncer cette seconde édition, c'est constater un succès bien propre à
réjouir les amis des lettres. En effet, malgré le haut mérite du travail
de M. Patin, on pouvait justement craindre que, dans notre siècle d'indus-
trie et d*agiotage, il ne trouvât pas grande faveur auprès du public. En
dehors du cerde restreint des érudits, la littérature grecque ne compte
guère aujourd'hui que des admirateurs sur parole, car la plupart des tra*
ductions, vieillies ou mal faites, sont d'une lecture fort peu attrayante.
Mais M. PatiD a su vaincre cet obstacle, en se chargeant de faire, en
quelque sorte, l'éducation du public auquel il s'adressait. Son livre ren-
ferme à la fois l'histoire, l'analyse et le commentaire des tragiques grecs,
présentés de la manière la plus intéressante. Il est à la portée de tous les
lecteurs intelligents, et porte le cachet du goût littéraire aussi bien que
celui d'une érudition solide.
L'auteur débute par retracer, d'après les documents qui nous restent,
l'origine de la tragédie grecque, ses progrès et ses transformations di-
verses. Il montre comment elle naquit au sein des rites dionysiaques dont
les chants, lyriques d'abord, prirent l'allure du drame afin de varier l'in-
térêt par des intermèdes, innovation que les suffrages de la foule consa-
crèrent malgré la résistance des vieillards et des magistrats, qui la regar-
daient comme une impiété. C'est à cela que la tragédie dut de conserver
assez longtemps une espèce de caractère religieux. Le rôle important qu'y
jouaient les divinités de l'Olympe donnait au spectacle quelque rapport
avec les pompes solennelles du culte. Les Grecs comprirent fort bien
quelle influence pouvaient exercer sur le peuple des représentations sem-
blables, dont le but était à la fois religieux, moral et politique. Pour les
rendre plus imposantes encore, ils ajoutèrent au charme de la poésie les
. 19
290 lITTitATURE.
ressources de l'architecture, de la statuaire, de la peinture* de la musique,
c tout coDspira pour produire le plaisir dramatique qui pénétra jusqu'au
cœur par tous les sens è la fois. » Les premiers essais de ce genre ne
sont point parvenus jusqu'à nous; on connaît seulement les noms de
quelques prédécesseurs d'Eschyle, mais il est bien évident qu'à Tépoque
où parut ce grand poète Tart avait atteint déjà un certain degré de per-
fection. On ne peut que faire des conjectures plus ou moins probables sur
la part d'Eschyle dans ce travail d enfantement. M. Patin lui attribue l'in-
vention de la trilogie» c'est-à-dire « l'idée de rassembler trois drames,
dont chacun avait son unité, par le lien d'une unité plus vaste ;> à la beauté
des détails que lui accordent la plupart des critiques, il ajoute t une con-
ception forte et profonde, l'unité du dessin, la proportion et l'arrangement
des parties, en un mot je génie de la composition. »
Ce n'est pas exalter trop le mérite d Eschyle, puisqu'il éclipsa complè-
tement la gloire de ses devanciei*s, et que de nos jours encore il conserve
sa place au premier rang. Ses pièces, où Faction manque, où la fable,
éminemment simple, n'est guère qu'un coup subit et imprévu du sort,
que le tableau rapide d'une catastrophe fatale, ont, malgré ce défaut, un
attrait puissant. Elles imposent par la grandeur des personnages, ainsi
que par l'énergie du style et l'originalité de la conception. C'est quelque
chose d'étrange et de terrible, qui ne ressemble à rien de ce qu'a produit
l'art moderne. On y retrouve partout l'empreinte profonde de la fatalité.
L'homme paraît toujours aux prises avec l'implacable destin, et le génie
de l'auteur sait tirer de cette lutte des effets sublimes. Le drame de So-
phocle est plus complet, plus humain surtout, et celui d'Euripide répond
mieux à nos exigences en fait de sentiments et de passions. Mais Eschyle
nous semble les dominer l'un et l'autre par la vigueur de ses esquisses et
la hardiesse de ses figures. Tous les trois, du reste, renferment des beau-
tés de premier ordre, que les analyses de M. Patin font très-bien res-
sortir. Son travail contribuera certainement à populariser la connaissance
de la tragédie grecque sur laquelle régnent en général des notions si
fausses, et nous sommes convaincu que rien ne saurait être plus propre
à réveiller le goût des études sérieuses, ainsi qu'à développer l'amour du
beau. C'est rendre un éminent service à la littérature que de la retremper
de cette manière aux sources vives d'où sortirent les chefs-d'œuvre qui
ont fait l'admiration de tous les siècles.
1
LITTÉRATURE. 291
Le réalisme, par Champfleury. Paris, 1857; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25.
— Madame Bovary, mœurs de province, par Gustave Flaubert.
Paris, 1857 ; 2 vol. in-12 ; 2 fr. 50.
En réunissant dans un même article ces deux livres de genres diffé-
rents, nous avons voulu donner l'exemple à côté du précepte, la pratique
à côté de la théorie. M. Champfleury professe le réalisme, et M. G. Flau-
bert le met en œuvre. Or, malgré tout le bruit qu'on a fait de Madame
Bovary, que M. i, Janin, entre autres, appelle, dans son Almanaeh de
la littérature^ le plus beau succès de l'année, nous n'hésitons pas à lui
préférer les leçons du professeur qui, du moins, captive l'intérêt par la
manière spirituelle dont il défend sa thèse, tandis que l'œuvre du ro-
mancier fatigue et dégoûte. L'argumentation de M. Champfleury est
amusante ; il ne manie pas trop mal le sophisme ; il a du trait, du mou-
vement et beaucoup de verve, surtout quand il donne cours à sa mau>
vaise humeur contre les critiques, auxquels il prodigue une foule d*épi-
t];)ètes ingénieuses, telles que, eunuques de la littérature, vilaines bêtes,
acarus qui se logent dans le corps de l'homme de génie et se nourrissent
de ses tourments. C'est naturel: le réaliste, dans son amour pour la vé-
rité vraie, s'inquiète peu d'être courtois ou de ménager les termes; si la
critique le gêne, il lui flanque un coup de poing et tout est dit. Mais il ne
s'abstient pas pour cela d'en faire à son tour, de morigéner les écrivains^
qui lui déplaisent, de dire très-carrément son opinion sur l'art et la poé-
sie. Le volume qu'il publie est môme en grande partie composé d'articles
critiques où se trouvent parfois des jugements assez sévères. Du reste,
nous sommes loin de nous en plaindre, quoique notre nom figure au
nombre des patients sur lesquels s'exerce la plume de l'auteur. Seule-
ment, on ne comprend guère pourquoi la critique, dont il use comme d'un
droit légitime, serait interdite aux autres sous peine de malédiction.
M. Champfleury, pour en revenir au réalisme, ne dogmatise pas, ne
se pose nullement en législateur d'une poétique nouvelle. « Ceux, dit-il,
qui croiraient trouver dans le présent volume une Bible, une charte, un
codex pour se livrer à la composition d'œuvres réalistes se tromperaient. »
il se borne à présenter des vues personnelles, sans prétention systéma-
tique, et reconnaît même c qu'il serait peut-être dangereux de se nourrir
trop exclusivement de ces idées. » On doit lui savoir gré d'une pareille
franchise. Elle met à l'aise et rend plus facile de s'entendre, car le dé-
292 LITTÉRATURE.
faut capital du réalisme est précisément de vouloir s'ériger en système
absolu. Dès qu'il abandonne ce rôle pour la tâche plus modeste de main-
tenir un équilibre convenable entre l'idéal et le réel, la question change
tout à fait d'aspect. Nous ne contesterons point ce que l'auteur dit sur
l'infériorité de la forme et la puissance de l'idée.
c De ridée, il en restera toujours quelque chose.
« La forme, c'est l'habillement pompeux de Cbarlemagne, que le temp»
a détruit; mais la figure de l'homme reste et a traversé les siècles. » On
en peut conclure, sans doute, que la forme importe assez peu, pourvu
qu'elle laisse paraître le fond dans toute sa vérité. Il faut donc s'abstenir
de répandre sur les choses simples ou vulgaires un vernis trop brillant
qui, sous prétexte de les embellir, risque de les dénaturer. La poésie
française a très-souvent ce tort. Sa langue n'étant pas celle du peuple, elle
est obligée de traduire, et réussit rarement à conserver le cachet original.
11 en résulte une espèce de faux conventionnel qu'on admire comme le
beau idéal, et qui devient ainsi pour la prose elle-même un écueil difficile
à éviter. Cette observation ne manque pas de justesse. L'étude appro-
fondie du monde réel est absolument nécessaire à l'écrivain pour ol^tenir
un succès fécond et durable. La nature ! étudiez la nature ! > crie Dide-
rot, comme Shakespeare s'est écrié : Thou, nature, art my goddess !
(Nature, tu es ma divinité!) Mais il y a, dans la nature, un choix à
faire. Tout n'est pas également bon. Peut-être même la véritable excel-
lence de la nature réside-t-elle plutôt dans l'harmonie de ses œuvres. A
ce reflet divin elle doit son charme puissant et sa richesse infinie dlospi-
ration. Mais il importe de se tenir en garde contre les séductions du ma-
térialisme, qui font perdre de vue le but élevé de Fart et rendent ses
efforts stériles. Cette tendance est malheureusement l'écueil ordinaire des
réalistes. Au lieu d'une conception intelligente du vrai, dans son sens
spiritii^el aussi bien que matériel, iU n'atteignent le plus souvent que
l'exactitude photographique. En vain les détails sont-ils rendus avec une
fidélité minutieuse, si la pensée est absente, l'œuvre ne saurait avoir au-
cune portée, et consacrer son talent à reproduire ainsi les choses laides
ou triviales de la réalité, nous semblera toujours une étrange aberralioiu
M. Champfleury ne le niera pas non plus, puisqu'il estime que le mérite
de toute œuvre d'art ou de littérature gît essentiellement dans l'idée. Mais
son éclectisme, en fait de principes, va jusqu'à la plus complète indiffé-
rence, en sorte que le seul enseignement qui ressorte de ses directio;[)s
est qu'on doit cultiver l'art pour l'art, sans nul souci du résultat moral.
1
LITTÉRATURE. 29B
c Dans ces derniers temps, dit-il, il m'a semblé que j'étais passé dans
l'écorce d'un pommier. Des nuées de polissons, revenant de l'école, frap-
paient le tronc à coups redoublés pour faire tomber de l'arbre quelques
fruits. J'avais besoin d'être secoué, ai-je pensé, et je me suis remis cou-
rageusement à l'œuvre.
« Â l'beure qu'il est, je ne m'inquiète plus des discours qu'on tiendra
sur mes fruits et sur la récolte future. Tout romancier devrait être aussi
innocent que le pommier : produire toujours, sans souci des lois de la na-
lure qui veulent que l'arbre donne certaines années de brillantes ré-
coltes et rien Tan suivant, qui font que certains fruits sont mangés aux
vers, d'autres non arrivés à la maturité, quelques-uns volés par les ma-
raudeurs, d'autre^ écrasés par les roues des charrettes ; mais jusqu'à ce
<]ue l'arbre meure et disparaisse, il n'en a pas moins donné une somme
de récoltes qui font qu'on oublie et les années manquées, et les fruits
verts, et ceux grignotés par les oiseaux. »
La comparaison est originale, mais elle pèche par la base. L'homme
n'est pas un arbre dont la nature se charge de renouveler la sève chaque
printemps. Il possède une âme, libre de choisir entre le bien et le mal, et
responsable de son choix ainsi que des conséquences qui peuvent en ré-
sulter. Réclamer pour lui l'innocence d'un pommier, c'est absoudre d'a-
vance les écarts de l'imagination, les abus de Tesprit, et même les mau-
vais penchants du coeur.
Madame Bovary nous offre le spécimen de ce que peut enfanter une
semblable théorie. D'après son titre, l'auteur paraît s'être proposé de
peindre les mœurs de lia province, mais la province oh sera très-peu flat-
tée, car il va prendre ses modèles dans une société où le bon sens et
la morale font également défaut. M'^^^ Bovai7 n'est pas même une
femme incomprise, c'est la femme aux instincts dévergondés, sans pu-
deur, ni scrupule d'arucune sorte. Le sentiment de l'honnôle, les nobleè
sympathies, le éévouenient^ét)ëreux, les illusions séduisantes de l'amour
idéal lui sont tout à fait étrangers. Elle est aimée de son mari« très-digne
homme, qui n'a pials d'aiitre défaut qu'une trop grande confiance dans la
vërtu' dé sa ferhmè. Rien donc lie vient atténuer Ténormité de la première
faute, et les suivantes décèlent une corruption non moins incurable que
profondé. H*°* Bovalry succombe ^ans lutte; sa conduite annonce une pei*-
Vërsité de cœur, rare mêrhe chez les courtisa'nes les plus éhohtéeâ. Pté-
lèndre nouô donner cela pour du réel, c'est calomnier \i nature. L'igrio-
raiicé d'une jeune (iaysarihé peut bien la fourvoyer lorsqu'elle se trouve
294 LITTSRATURB
tout à coup transportée au milieu des séductions du monde ; mais ce n'est
pas ici le cas. Fille d'un honnête fermier qui Ta fait'^élever de son mieux,
Mme Bovary est la femme d'un médecin de village dont k position sociale
ne contraste assurément pas beaucoup avec celle du beau-père. Elle l'é-
pouse volontairement, parce qu'elle l'aime, et s'il a l'esprit lourd, le goût
peu délicat, Tintelligence médiocre, elle le connaissait assez pour ne pas
se faire d'illusions sur ces différents points. Peut-être croyez-vous du
moins qu'elle devient la conquête d'un habile séducteur? Non, c'est elle-
même qui se pervertit toute seule. Â peine mariée depuis quelques se-
maines, un porte-cigare brodé de soie, trouvé par son mari sur la grande
route, fait naître en elle l'ardent désir d'avoir un amant. Pourquoi? je
n en sais rien, car l'habitude de fumer lui paraît détestable chez son mari.
Le fait est qu'elle ne rêve plus qu'intrigues romanesques. Clerc de procu-
reur, apprenti pharmacien, tout lui est bon pour nourrir cette fantaisie,
si bien qu'un gentitlâtre du voisinage, homme assez brutal et vulgaire,
n'a qu'à paraître sur ces entrefaites pour triompher. A celui-là bientôt en
succède un autre. M"® Bovary ne s'arrête pas en si beau chemin et son
placide mari ne s'aperçoit de rien, jusqu'à ce que désertant la maison con-
jugale elle le ruine par ses folles dépenses et n'ait plus d'autre ressource
que le suicide pour mettre fin à ses dérèglements scandaleux. Nous ne sa-
vons si c'est là ce qu'on entend par le réalisme, mais à coup sûr c'est de
l'animalisme bien caractérisé. Une femme sans vergogne, un mari stupide
et de jeunes roués qui se moquent de Madame en trompant Monsieur. Ne
voilà-t-il pas des giersonnages bien intéressants? Ajoutez-y les sots ca-
quets de la petite ville oisive, et vous aurez une idée très-complète de ce
roman que M. Janin appelle le plus beau succès de l'année.
Les| facétieuses nuits de Straparole, traduites par J. Louveau et
P. de Larivey. Paris, Jannet, 1857 ; 2 vol. in-16.
Straparole est un des conteurs les plus célèbres de l'Italie. De nom-
breuses citations montrent quelle fut la vogue de ses narrations qui» par-
fois, sont dans le genre de Boccace, et qui, parfois, puisées de seconde
ou de troisième main à des sources orientales, sont empreintes d'un mer-
veilleux analogue à celui des contes de fées. Il fut d'assez bonne heure
traduit en français. La première partie de ses Nuits eut pour traducteur
un écrivain médiocre et fort peu connu, nommé J. Louveau; la seconde
LITTBEATU&B. 295
fut pios heureuse ; elle paséa en notre langue, grâce à P. de Larivey,
auteur de comédies remarquables, et qui, en traduisant, s'il ne se piquait
pas d'une fidélité rigoureuse, savait du moins conserver une allure déga->
gée et facile qui donnait à ses versions l'air d'une production originale.
Larivey retoucha le travail de Louveau, et l'ouvrage entier, ainsi revu,
parut en 1565, i^ais, circonstance remarquable, et qui atteste l'incurie des
marchands de lierres» dans les citations assez nombreuses qui se sont suc-
cédé, on a toj^ours/ si ce n'est dans celle d'Amsterdam, 1725, repro-
duit le texte primitif et imparfait du premier traducteur. Notons en pas-
sant que la vie de Straparole est restée enveloppée de ténèbres épaisses;
il est même à peu près certain que son nom véritable est inconnu ; Stra--
parole (un homme qui parle trop), était sans doute un de ces sobriquets
fort en vogue alors dans les sociétés littéraires de l'Italie. Quoi qu'il en
soit, les Nuiu de cet auteur n'ayant pas été imprimées depuis 1734,
étaient tombées dans l'oubli ; on les lira avec plaisir dans le langage du
seizième siècle, qui plaisait si fort à Paul-Louis Courier et à Charles No-
dier, et auquel on pardonne parfois une allure hardie qui ne serait pas
admise chez un écrivain du siècle actuel. L'éditeur a joint un travail lit-
téraire qui oifre un intérêt réel pour l'histoire de la fiction, et qui a dû
coûter de longues recherches ; il a signalé les sources et les imitations de
l'auteur italien.
Straparole, comme bien d'autres, ne paraît pas avoir beaucoup compté
sur son imagination ; il a puisé dans les Cent nouvelles anciennes, pu-
bliées pour la première fois en italien, en 1525, dans les Facéties de
Pogge, dans le recueil si goûté au moyen âge, sous le titre de gesia Ro~
manorum, dans les nouvelles de Boccace et de Sachetti, etc. D'un autre
côté, il a été mis à contribution par le poëte allemand Hans Sachs, par
ritalien Gozzi et par divers conteurs français; Molière lui-même paraît
avoir lu les Nuits facétieuses ; il leur a emprunté divers traits. Le travail
de l'éditeur à cet égard est le fruit de longues études, et il sera parcouru
avec intérêt par les amis de l'histoire littéraire. ^
Eléments de la grammaire latine, par i. Pasquet. Paris, Aug. Du-
rand, 1857; 1 vol. in-12.
M. Pasquety tout en reconnaissant les mérites de la grammaire latine
de Lhomond, adoptée depuis environ quatre-vingts ans dans l'enseigne-
296 LITTERATURE.
meiit public et privé, trouve son plan défectueux, et c'est ce qui l'engage
k proposer quelques modifications que sa propre expérience lui a suggé-
rées. 11 croit surtout utile de donner un développement plus complet au
principe d'analogie si important en grammaire. Lhomond, trop préoccupé
des neuf espèces de mots qu'il avait pris pour base de sa syntaxe et de sa
méthode, présente souvent dans une seule leçon plusieurs règles dépour-
vues de liens et de rapports entre elles. Cela nuit à la clarté ; il en résulte
que l'élève fait usage de sa mémoire plutôt que de son intelligence, et
risque fort de confondre des explications dont il n'a pas bien saisi le sens.
Pour obvier à cet inconvénient, M. Pasquet prend pour base de son tra-
vail c la propoêition elle-même, dont le développement amène et fixe
l'enchaînement et ta succession des règles dans la syntaxe, comme il dé-
termine tous les mouvements et toutes les modifications du langage parlé.
La proposition et ses différentes parties : le tujet, Vattribut et tes complet
menti, sont traités en quelques divisions principales, renfermant chacuùe
les règles particulières qui s'y rapportent, et qui sont d'un usage général
dans la langue latine. » Les avantages de cette méthode nous paraissent
évidents : elle fait mieux comprendre le mécanisme de la langue latine,
et supprime un grand nombre de redites inutiles. L'auteur est seulement
quelquefois trop concis; il se contente de poser des jalons propres à gui-
der les maîtres dans leur enseignement, et le succès de sa grammaire
d^ndra beaucoup du zèle, ainsi que de Tintelligence de ceux qui se
chargeront de la mettre en pratique.
Œuvres de Coquillart, nouvelle édition, revue et annotée par Charles
d'Héricault. Paris, Jannet, 1857 ; S vol. inl6 : 10 fr.
Le rôle littéraire de Coquillart, ce poëte témoin contemporain de
Louis XI, a déjà été l'objet d'appréciations qui nous dispensent de reve-^
nir sur ce sujet. Au milieu de défauts nombreux, inséparables .de l*é-
poque, on trouve chez ce vieux rimeur l'esprit gaulois le plus franc et le
tableau fidèle des opinions et de l'existence des classes bourgeoises. Un
éditeur parisien dont nous avons souvent l'oecasio» de mentionner les pu-
blications, M. Jannet, a eu l'heureuse idée de comprendre ce curieux au-
teur dans cette Bibliothlque elzévirimne à laquelle le public a fait un
accueil bien mérité. Un littérateur très-verisé dans l'étude des productions
du quin2ième siècle, M. d'Héricault, a donné î cette publication des soins
LITTÉRATUEB. 297
tout particuliers : il a revu le texte sur les éditions primitives, et son tr^
vail est d'autant plus précieux sous ce rapport que le style original de
Coquillart ne se trouvait plus nulle part. En effet, à peine connaît-on
deux ou trois exemplaires des rares volumes où se conserve fidèlement la
diction du vieux poëte ; les éditions suivantes, d'une rareté extrême d'ail-
leurs, n'offrent aucun changement; l'édiflon de Cousielier, 1724, recher-
chée des bibliophiles à cause de sa jolie exécution, présente un texte des
plus fautifs ; l'inintelligence du sens de Coquillart et de la langue générale
du moyen 2ge s'y montre è chaque instant. L'éditeur n'a compris aucun
des passages difficiles, et il n'a soupçonné ni la valeur, ni la position his-
torique du poète. L'édition de M. Tarbé, 1847, est bien meilleure; elle
présente des notes nombreuses et érudites, mais le texte est établi d'après
Coustelier. Ce n'est donc que dans l'édition de 1857 que les littérateurs
pourront connaître ce qu'a véritablement écrit Coquillart, victime jus-
qu'ici d'un sort funeste, qui le condaoMiait à n'être lu qu'à travers des
remaniements déplorables et des corrections artMtraires faites sans intelli-
fence.
M. d'Héricault ne s'est pas contenté d'étâblif avec la plus scrupuleuse
attention le texte de son auteur : il y a joint des notes nombreuses et inté-
ressantes; une notice bibliographique sur les diverses éditions, et une
étude sur Coquillart et la vie bourgeoise au quinzième siècle ; ce travail
curieux et rempli d'idées neuves mériterait de nous occuper, mais son
étendue (152 pages), ne nous permet pas de l'analyser ; il faut nous bor-
ner à le signaler. N'oublions pas deux index qui peuvent être fort utiles :
l'un des passages historiques, l'autre des proverbes, maximes, locutions
vulgaires, etc. qui se rencontrent dans les écrits de Coquillart.
Poésies complètes de Théodore de Banville. Paris, Poulet-Malassis
et de Broise, 1857 ; 1 vol. in-12 : 5 fr.
Au moment de jeter dans le flot noir des villes
Ces choses de mon cœur, gracieuses ou viles,
Que boira le gouffre sans fond,
Ce gouf&e aux mille voix où s'en vont toutes choses
Et qui couvre d'oubliées tombes et les roses,
Je me sens un trouble profond.
Cet aveu de l'auteur ne nous étonne pas ; on se troublerait à moins.
298 UTSSRATURB.
Mais aussi pourquoi jeter pêle-mêle tous les produits de sa plume sans
prendre la p<^ine de choisir et d'émonder ? Qu*ont de commun avec la
poésie les choses viles ? Si des choses viles se trouvent au fond du cœur*
qu'elles y restent cachées ; nul ne demande qu'on les étale au grand jour»
et soit en vers, soit en prose, les confessions de ce genre nous paraissent
de fort mauvais goût. Qu'un poëte inspiré par Tamour s'abandonne quel-
quefois un peu trop à son ivresse, on lui pardonnera, pourvu qu'il nous
offre toujours des images belles et gracieuses, et ne se fasse pas le chantre
de la sensualité. Mais autrement, ce n'est pas grand dommage que le flot
noir des villes emporte ses souvenirs de grisettes et son style de Bohême
dans le gouffre de Toubli.
M. Banville nous dit, dès les premières pages de son livre :
Ma muse, à moi, n'est pas une de ces beautés
Qui se drapent dans Tombre avec leurs majestés
Comme avec un manteau romain. Cest une fille
A Fallure hardie, au regard qui pétiUe,
Elle sait se coucher, sans voile, en un hamac,
Dire des chants d'amour et fumer du tabac
De caporal;
Nous ferons grâce à nos lecteurs de la fin du portrait, car en voilà
suffisamment pour donner une idée des tableaux et des rêveries qu'ins-
pire cette muse d'estaminet. C'est de la poésie fort émancipée, pour la
forme aussi bien que pour le fond. 11 y règne beaucoup de liberté, ce
qui n'est pas toujours favorable à l'harmonie du vers. L'auteur donne
essor aux caprices de sa fantaisie sans s'inquiéter d'autres règles que
celles de la mesure et de la rime. 11 prodigue les épithètes, risque les
alliances de mots les plus étranges, et paraît enchanté du résultat :
Au rhythme ailé d'or
11 fallait encor
Un maître
Fou de volupté.
Alors j'ai dompté
Le mètre !
Reste à savoir si les lecteurs seront du même avis. Il nous semble que
le Pégase de M. de Banville a souvent encore le trot bien rude et l'allure
rétive.
LITTÉRATURE. 29Q
Œuvres complètes db Ragan, nouvelle édition annotée par M. Tenant
dtt Latour avec une notice biographique et littéraire par M. Antoine
de Latour. Paris, Jannet, 1857 ; S vol. in-18 : iO fr.
Cette nouvelle édition des œuvres de Racan est éditée avec un soin
remarquable, enrichie de précieuses notes et précédée d'une notice fort in-
téressante. On y trouvera non-seulement les bergeries, les odes, les stances
et les poésies diverses, mais encore la traduction des psaumes et les écrits
en prose. C'est pousser bien loin le scrupule , surtout pour un auteur
comme Racan, dont on pourrait, sans faire injure à sa mémoire, réduire
de beaucoup le bagage littéraire. Mais la mode le veut ainsi. Les édi-
tions châtiées, les œuvres choisies ne satisfont point le goût du jour,
qui s'attache de préférence aux curiosités de la littérature pour en faire
collection. Personne assurément ne lira les Bergeries d'un bout à
l'autre, encore moins la traduction des psaumes, pour y découvrir quel-
ques beaux vers épars çà et là, qui se peuvent trouver sans la moindre
peine dans les chrestomathies. En général, quand le collectionneur s'est
assuré que son exemplaire est au grand complet, qu'on n'en a pas re-
tranché la pièce la plus insignifiante ni même une simple virgule, il le
place dans les rayons de sa bibliothèque et ne l'ouvre plus guère. La pos-
session lui suffit , il laisse à d'autres la tâche d'exploiter les matériaux
qu'il recueille. Cette manie n'en est pas moins utile pour l'histoire litté-
raire dont elle facilite ainsi les recherches, et l'on doit reconnaître
que, sans le secours des curieux, les érudits seraient souvent fort
embarrassés. Nous sommes donc loin de la blâmer lorsqu'il s'agit d'écri-
vains qui firent école, ou qui par leur talent exercèrent une influence
quelconque sur l'essor des lettres. Peut-être trouvera-t-on que Racan
ne remplit pas tout à fait ces conditions. Cependant, sans être un poëte
du premier ordre, il occupe un rang fort honorable dans la litté-
rature française; disciple de Malherl)e, on peut le regarder comme une
première ébauche de La Fontaine. 11 est telle de ses pièces de vei*s, no*
tamment les Stances : « Tirsis, il faut penser à faire la retraite, » qui de-
puis deux siècles jouit d'une admiration universelle. Quiconque les a un
peu lu les sait par cœur ou ne se lasse de les relire. La judicieuse
notice de M. A. de Latour fait très-bien ressortir tout le mérite de ce vieil
auteur ; c'est d'après elle que nous rappellerons quelques-uns de ses
titres de gloire ; ils ^ront nouveaux pour bien des lecteurs, car on
âOO LITTÉEAtURB.
ne lit guère Racan aujourd'hui. On cite partout deux vers de Théocrite
que Virgile a traduits d'une manière charmante ; Iroava^-Hm que la peA'-
sée ait rien perdu de sa naïveté dans les deux vers suivants :
Il me passait d'un an, et de ses petits br^s
Cueillait déjà des fruits dans les branches d*en bas.
Ceux-ci rappellent une scène touchante d'HamIet ^
Je crois que la voilà toute triste et pensive,
Qui va cueiUant des fleurs au long de cette rive.
D'autres, avec plus de simplicité, encore n'ont pas moins de mélancolie:
La grâce, la beauté, la jeunesse et la gloire
Ne passent point le fleuve où Ton perd la mémoire.
Plusieurs se distinguent par une élégance déjà racinlenne :
Celui sur qui le jour ne luit plus qu'à regret.....
Je laisse mes troupeaux sur la foi de mes chiens.
Les oiseaux assoupis, la tète dans la plume
Tel vers se fait remarquer par une élévation de pensée qui se côm-
tnunique à Texpression :
Où le combat est grand, la gloire Test aussi.
On reconnaît là l'inspiration première d'uo beau vers de Corneille.
Voici maintenant qui est sublime. Un père raconte qu'il a vu le berceliu
de soù fils enlevé par la tempête et qu'il n'a pu le lui arracher :
Tant que je le pus voir, je le suivis des yeux,
Et puis je le remis à la garde des dieux.
Parfois Racan a de beaux élans d'inspiration lyrique. 11 déploie une
largeur d'expression des plus remarquables, il est à la fois neuf et naturel.
Une ode pleine d'élévation, adressée au duc de Bellegarde, présente une
belle comparaison que La Fontaine a pris soin d'achever.
Tel qu'un chêne puissant, dont l'orgueilleuse tête.
Malgré tous les efforts que lui fait la tempête,
Fait admirer nature en son accroissement ;
Et son tronc vénérable, aux campagnes voisines.
Attache dans l'enfer ses féc<«des racines^
Et de ses laides bras touche le firmament.
LITSBRATUEip. 301
Voici une stance qui a encore plus de grandeur. Détachons-la d'une
ode sur la mort de M. de Thermes.
Il voit ce que l'Olympe a de plus merveilleux,
11 y voit à ses pieds ses flambeaux orgueilleux
Qui tournent à leur gré la Fortune et sa roue.
Et voit, comme fourmis, marcher nos légions,
Dans ce petit amas de poussière et de boue
Dont notre vanité fait tant de régions.
On voit que Racan est digne de ne pas rester dans Toubli, et qu'il y
avait justice à le faire connaître du public en mettant une édition soignée
à la portée de tous les amis des lettres.
L'édition donnée à Paris en 1724 est recherchée des bibliophiles, car
elle est rare et d'une jolie exécution ; mais, au point de vue de la criti-
tique, elle est loin d'être exempte de reproches; Tordre de classement est
vicieux ; des omissions importantes s'y font remarquer ; des leçons défec-
tueuses et de grossières fautes d'impression la déparent. Le nouvel édi-
teur a exécuté sa tâche avec un zèle consciencieux ; il a minutieusement
rapproché du texte de 1724, pour le choix des leçons, toutes les éditions
originales, tous les recueils contemporains; après avoir recueilli sept
lettres déjà connues, il en a fait connaître six autres, jusqu'ici demeurées
inédites dans les grands dépôts de Paris, lettres d'un intérêt littéraire
assez vif et qui caractérisent d'une façon curieuse l'individualité de Ra-
can. Une heureuse découverte lui a fait retrouver, parmi les manuscrits
de la bibliothèque impériale, les textes primitifs*(tout l'indique du moins)
des Mémoires sur la vie de Malherbe, Mémoires curieux, qui parurent en
1651 dans une édition absolument perdue aujourd'hui, et qui reparurent
en 1672 avec des suppressions et des altérations commandées par les
convenances, mais susceptibles de leur ôter la plus grande partie de leur
intérêt. Quelques pièces égarées dans d'anciens recueils fort oubliés ou
demeurées inédites, ont été retirées du néant.
M. Tenant de Latour n*a rien négligé pour offrir au public un Racan
bien complet. De courtes remarques, qui ont manqué jusqu'ici à toutes
les éditions de ce poëte , touchent à des points qui méritaient qu'on s'y
arrêtât en passant, et nous croyons que les deux volumes dont il s'agit
sont, à tous égards» dignes du meilleur accueil.
302 LITTIÎRATURB.
Nouv£AU MANUEL de bibliographie universelle, par MM. F. Denis,
P. Pinçon et de Martonne. Paris, Roret, 1857 ; 3 vol. in-18®.
Nous avons ouvert cet ouvrage avee d'autant plus d'eoapressement que
nous appelions depuis longtenops de nos voeux une publication de ce genre.
Un bibliographe, un archéologue bien connu, M. Leber, écrivait il y a une
vingtaine d'années que les Manuels d* Amateur ne manquaient pas, mais
qu'un Manuel des Travailleurs restait à faire. Ce qu'il fallait, ce n'é-
tait pas, comme dans le célèbre Manuel du Libraire de M. J.-Ch. Bru-
net (livre d'ailleurs classique en son genre) des renseignements sur la
beauté d'une édition , sur la rareté d'un volume, sur le prix arbitraire
que l'opinion accorde à certaines raretés ; on demandait des renseigne-
ments vrais, des réponses précises sur la série d'ouvrages à consulter en
telle ou telle occasion par l'homme de lettres, l'artiste ou le savant. Le
Nouveau Manuel se compose ainsi d'une suite d'articles relatifs aux
villes, aux pays, aux choses de tout genre, aux hommes célèbres ; on a
suivi avec raison l'ordre alphabétique le plus prompt, le plus facile, celui
qui, sous Tâspect d'une confusion apparente, permet d'obtenir une ré-
ponse immédiate au problème qu'on se pose. Les premiers articles qui
s'offrent aux lecteurs sont Abbeville, Abeilles, Abyssinie, Açores, Ad-
disouj Afghanistan^ Afrique; à la suite de chaque nom est l'indication
des principaux ouvrages relatifs à l'objet en question. Si c'est un écrivain,
on signale les meilleures éditions de ses œuvres, et les travaux de ses
biographes. S'il s'agit d'une contrée, on indique les voyages les plus im-
portants qui la font connaître. On s'est arrêté, en général, pour clore les
indications, à l'année 18^)5; quelques articles dépassent toutefois cette date
afin de ne pas laisser dans l'oubli certains ouvrages de publication très-
récente, et qui ont paru trop importants ou trop spéciaux pour devoir être
oubliés. Un appendice, dont l'importance n'est pas douteuse, accompagne
le Manuel dont nous parlons ; il est divisé en plusieurs parties, il présente
successivement l'indication des collections typographiques qui jouissent
d'une juste renommée par l'élégance de leurs types et par leur correc-
tion, la liste des catalogues de bibliothèques particulières en possession
d'une certaine renommée.
Imprimé en caractères très-menus et comprenant environ 3480 co-
lonnes, l'ouvrage dont nous cherchons à donner une idée renferme donc
une masse très-considérable de renseignements exacts , et il sera pour
tout homme studieux d'une utilité bien précieuse. Il était impossible de
VOYAGES ET HISTOIRE.
303
rendre complètes les indications qu'il présente ; on aurait dépassé cent
volumes in-^folio ; toutefois il nous semble que les diverses productions
d'une importance réelle et d'une date récente ne sont pas signalées dans
des articles où elles devaient figurer. Â l'article Elzévir, par exemple,
16 ouvrages divers sont énumérés comme se rapportant à ces typogra-
phes célèbres, mais Ton chercherait en vain les Annales de l'imprime-
rie elzévirienne ou Histoire de la famille des Elzévirs et de ses édi-
tions, par Charles Pieters. Gand, 1851 ; in-8°.
A l'article Email, qui vient après celui des Elzévirs, il n'est point parlé
du travail aussi étendu que savant de M. Léon de Laborde : Notice sur
les émaux du Louvre.
En parlant de 1 inquisition, on a omis un ouvrage capital, le Sacro ar-
senale o vero prattica del offieio délia S, inquisitione, di E. Hasini.
Rome 1639, in^o (réimprimé en 1653 et en 1679).
 l'article linguistique, le remarquable ouvrage de l'Ecossais G. Dal>
garno, est signalé, n^ 5 (Ars signorum, Londres, 1651) ; on aurait pu
ajouter qu'il a paru à Edimbourg, en 1834, une édition des écrits de ce
savant, à l'égard duquel on peut consulter VEdinburgh Review^ n® 124,
Juillet 1835. ;>
Le trop fameux ouvrage du jésuite Sanchez : de Matrimonii sacra-
mento n'est pas signalé à l'article mariage, et à propos des oracles sy-
biltins, on mentionne l'édition d'Opsopaeus, 1607, qui n'a aucune va-
leur, et on garde le silence sur celle de M. Alexandre, dont le premier
volume a paru chez MH. Didot, à Paris, en 1841, et le second en 1853.
Nous pourrions multiplier ces observations, mais ce serait inutile. Le
sort d'un ouvrage tel que le Manuel que nous avons sous les yeux est
d'être forcément incomplet, et tels qu'ils sont, ces trois volumes seront ex-
trôment utiles à tous les travailleurs. Une seconde édition qui deviendra
bientôt nécessaire, nous aimons à le croire, les perfectionnera. ^
VO¥A«C;S ET HlSTOIKi:.
Annales de Cakouge , notice sur l'origine , l'accroissement de cette
ville et ses rapports avec Genève sous le gouvernement de la maison
de Savoie, par E.-H. Gaullieur. Genève, J. Cherbuliez, 1 vol. in-8.
Carouge est une ville tout à fait moderne. Au quinzième siècle il n'exis-
tait guère sur son emplacement qu'une léproserie ou maladrerie, autour de
301* VOTAGJSa' 91 BldTOIlUB.
laquelle se forma petit à petit un village qui, par sa proximité 4e la iroo"-
tière, obtint quelque importance durant les guerres entre la Savoie et
Genève. Peiodant le cours du dix-huitième siècle, les troubles de cette
petitp république coiitribuèrent à Tagrandissement de Carouge, qui fut
enfin érigé en ville par lettres patentes du 31 janvier 4786. avec de
larges franchises. Dès lors ce fut, aux yeux des catholiques ardents, une
rivale naissante de Genève, et leurs efforts tendirent à favoriser autant
que possible son développement. La correspondance du comte do Vey-
fïev, à laquelle M. Gauliieur emprunte de nombreux ex;^aits, fournit
sur ce point des détails assez curieux. On y voit avec quelle persévérance
était suivi le projet d'agrandir Carouge et d'y attirer l'industrie à la-
qut)Jle Geoève devait sa prospérité. Mais le gouvernement sarde, malgré
les sollicitations cootiouoUes dont il était assiégé , n'y prêta pas un cont-
cours bien actif, et les événements politiques vinrent faire trêve à l'an*^
tagonisme des deiux villes en les réunissant sous la domination française.
Après k chute i^ l'empire, Carouge, détaché de la Savoie, devint partie
intégrante du canton de Genève, de même que Yersoix qui lui fut cédé
par la France. Ainsi ces deux établissements fondés aux portes de la repu*
blique protestante, avec la même idée d'opposition, finirent par être ab-
sorbés dans son territoire. Le travail de M. Gauliieur, rédigé d'après
des documents ioédits, intéressera d'autant plus qu'il traite inci*
demme^t une période assez peu connue eiu^ore de l'histoire de Ge-
nève, savoir la fio du siècle dernier. C'est là que se trouve en effet
l'origine de nos luttes aotiujeUe» et Texplication de bien des faits dont nous
sommes acteurs ou témoins sans trop pouvoir nous en, rendre compte.
Les lettres du comte de Veyrier sont sans doute empreintes de partialité,
mais elles renferment une foule de petits incidents qui caractérisent bien
l'époque. M. Gauliieur en tire un bon parti pour dévoiler les sourdes me-
nées auxquelles Genève était en butte, et qui n'ont pas peu contribué à
maintenir l'antagonisme confessionnel. Nous ne pouvons que nous unir
aux vœux qu'il forme pour qu'une tendance contraire se manifeste de
plus en plus, et que Carouge s'identifie toujours davantage et sans ar-
rière-pensée avec Genève et la Suisse.
Insurrection de l'Inde, par MM. Fonvielle et L. Legault, accompagnée
d'une carte de l'Inde. Paris. 1858; 1 vol. in-12 : 3 fr.
Les auteurs de ce livre paraissent considérer la révolte des cipayes
VOYAGES BT HISTOIRE. 305
comme une insurrection nationale, causée par les abus de la domination
anglaise. Ils estiment que les Indous ont aussi bien que tout autre peuple
le droit d'aspirer à l'indépendance et de secouer le joug de leurs oppres-
seurs. L'observateur impartial ne saurait donc embrasser la cause de
l'Angleterre sans tenir compte des justes griefs que les insurgés peuvent
faire valoir. Cette manière d'envisager la question est très-bonne en
théorie, on doit le reconnaître. Mais dans le cas spécial dont il s'agit nous
ne la croyons pas précisément applicable. Avant la conquête anglaise,
rinde était déjà soumise aux musulmans ; elle n'a fait que changer de
joug, et ce sont ses anciens maîtres qui, pour ressaisir leur pouvoir, ont
préparé la révolte actuelle. Jusqu'à présent, du moins, le peuple y prend
peu de part. Plusieurs traits indiquent au contraire qu'il est disposé plu-
tôt en faveur des Européens ; il a soustrait maintes victimes à la fureur
des cipayes, et protégé leur fuite avec un noble dévouement. L'insurrec-
tion est loin d'être générale ; elle a son unique foyer dans l'armée in-
digène. Quelques symptômes peuvent faire craindre qu'elle ne se pro-
page ailleurs, mais elle ne présente point encore le caractère national
qu'on prétend lui attribuer.
MM. Fonvielle et Legault se trompent, par exemple, lorsqu'ils accu-
sent les Anglais d'intolérance religieuse, et de zèle aveugle pour la con-
version des Indous. Ils ignorent sans doute que la Compagnie des Indes
poussait le scrupule jusqu'à interdire la lecture de la Bible dans les écoles
officielles, et n'intervenait même qu'avec la plus grande circonspection
pour détruire certaines coutumes superstitieuses attentatoires à l'ordre
public. Ils se fourvoient aussi quand ils représentent le peuple indou comme
pénétré du sentiment philosophique et religieux dont les Védas et autres
livres sacrés de ses ancêtres portent le cachet. C'est un anachronisme.
Aujourd'hui la religion indienne, cocfompue de toutes façons, engendre
le crime et la débauche, donne carrière aux penchants les plus igno-
bles. C'est en son nom que les %h.uq% pratiquent l'assassinat > que se for-
ment des sociétés d'empoisonneurs, que se perpétuent les sacrifices hu-
mains malgré les efforts de la police anglaise pour aboliV cette affreuse cou-
tume. MM. Foovielle et Legault nous paraissent un peu naïfs dans les
conseils qu'ils adressent aux insurgés et dans l'espérance qu'ils expriment
de voir leurs chefs user de modération afin d'asseoir leur triomphe sur une
base solide. La soif du meurtre et du pillage anime seule les cipayes, et s'ils
réussissent, le peuple indou passera par toutes les horreurs de l'anar-
20
806 VOTA&fiS BT HISTOIRE.
chie pour retomber bientôt sous )e joug de ses anciens tyrans. QcieUes que
soient les fautes commises par la Compagnie des Indes, elle représente
évidemment ici la cause de la civilisation. Les rivalités nationales doivent
éisparaître devant cet intérêt commun à toute la raee européenne. Du reste,
nos auteurs le reconnaissent bien eux-mêmes, car après avoir exposé les
griefs des Indous et les abus de l'administration anglaise, ils terminent
en faisant des vœux pour que l'Angleterre sorte de cette crise avec hon-
neur et conserve la haute influence dont elle jouit dans le monde.
Le pays basque, sa population, sa langue, ses mœurs, sa littérature et sa
musique, par Francisque Michel. Paris, Firmin Didot, 1857, in-8.
Nous n*avons pas besoin de rappeler ici les travaux importants et mul-
tipliés de M. Francisque Michel sur la littérature du moyen fige et sur
divers sujets d'histoire et de philologie. Son HiHoiredeB races mauditesi
et ses Etudes philologiques sur tes langues factices ont été l'objet de dis-
tinctions flatteuses et méritées de la part de Tlnsititut. Oii doit se fé^cilf r
de ce que cet infatigable érudit ait choisi pour but de ses recherdies un
petit peuple des plus intéressants à tous égards, et que les différences les
plus tranchées séparent de ses voisins. L'énumération des chapitres qui
composent le livre de M. Francisque Michel sera le meilleur moyen de
donner une idée exacte du contenu de ce volume.
Le pays basque.
L'escuara ou langue basque.
Les proverbes basques.
Représentations dramatiques.
Les amusements des Basques (jeu de paume, courses de taureau).
Les contrebandiers basques.
Les Bohémiens du pays basque.
Superstitions des Basques (état présent et passé de la sorcellerie en ce
pays).
Pêches et découvertes des Basques dans Us mers du Nord ; émigration
dans TAmérique du Sud.
Mœurs, usages, costume des Basques.
Poésies populaires des Basques.
Musique des basques.
Auteurs basques.
Bibliographie basque.
SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 307
De longues et patientes études ûiites sur les lieux et le concours d'un
grand nombre de Basques instruits ont été nécessaires pour compléter
«cette encyclopédie basquaise, qui ne laisse plus rien à apprendre à cet
igard. L'érudition bien connue de M. Francisque Michel se montre dans
ses notes nombreuses et toujours instructives qui attestent d'immenses
lectures. Le chapitre sur les proverbes basques révèle une foule de
dictons aussi sages que piquants; la poésie populaire des montagnards
pyrénéens est digne de toute l'attention qu'ont obtenue les vers du
Vkkae genre éclos chez d'autres peuples; quant aux auteurs basques, ils
sont, en général, si peu connus, que nulle Bibliographie universelle n'en
a parlé. C'est grâce à M. Michel qu on connaîtra désormais les vers
religieux ou profanes de Bernard Dechepare, et le beau traité de phi-,
losophie chrétienne de Pierre Axular. La langue basque, si riche, si
compliquée à certains égards, et dont l'origine est encore un mys-
tère, est ici l'objet d'un chapitre qui résume, d'une façon substan-
tielle et claire, tout ce qu'on peut avouer sur cette question controver-
sée. Les philol(^ues les plus illustres se sont occupés des problèmes
qu'offre cet idiome étrange; M. Guillaume de Humboldten a fait l'objet
de deux ouvrages remarquables, et, en ce moment même, un amateur
éniinent des études de linguistique^ le prince Louis-Lucien Bonaparte,
fait imprimer une série de publications relatives à la langue basque : mal-
heureusement, la plupart de ces volumes, dont M. Francisque Michel
donne ia liste, sont tirés à un très-petit nombre d'exemplaires, et reste-
ront absolument inconnus aux personnes qui, dans un but d'étude, au-
raient intérêt è les consulter.
HeilIMCi:» ]?IORAIii:S £T POl4lTlQlJEft.
Les Ennéadks de Plotin, chef de l'école néoplatonicienne, traduites
pour la première fois en français, accompagnées de sonrnuaires, de
notes et d'éclaircissements, et précédées de la vie de Plotin et des
principes de la théorie des intelligibles de Porphyre, par M.-N. Bouil-
let, tome !«'. Paris, Hachette et C^*, 1857; 1 vol. in-8: 7 fr. 50.
L'importance de ce travail sera certainement appréciée par toutes les
personnes qui s'intéressent aux études philosophiques. Les Ennéades de
Plotin sont l'un des trois grands monuments de la philosophie grecque.
Elles offrent « l'expression la plus pure, la plus haute et la plus complète
308 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.
de cet éclectisme nëoplatonicien qui tenta à la fois de concilier Aristote et
Platon, et d'allier aux doctrines rationalistes de la Grèce les idées mys-
tiques de l'Orient. > Leur place est donc bien marquée dans Thistoire de
la philosophie. On ne saurait, sans leur secours, se faire une juste idée
des progrès ou des transformations de la science, ni connaître toutes, les
solutions (\ue reçurent dans l'antiquité les grands problèmes de l'esprit
humain. Cependant Plotin n'avait pas encore trouvé d'interprète. Ce
continuateur de Platon n'était accessible qu'au très- petit nombre de sa-
vants capables « d'étudier dans les textes originaux des philosophes chez
lesquels l'obscurité de l'expression vient trop souvent augmenter la diffi-
culté inhérente au sujet. »
' Encouragé par l'exemple de MM. Cousin et Barthélémy Saint-Hilaire,
M. Bouillet a voulu marcher sur leurs traces et compléter leur œuvre.
Il n'a pas reculé devant les recherches pénibles qu'exigeait une pareille
tâche. Plotin traite en général des matières d'un difficile accès, les
questions les plus élevées ou les plus abstruses et les plus subtiles de
l'ontologie, de la cosmogonie, de la psychologie, les dogmes incomplète-
ment conpus d'une philosophie puisée chez les Chaldéens, les Perses et
les Juifs. Son éclectisme embrassant toutes les doctrines antérieures, il
faut, pour le comprendre, avoir présents à l'esprit les enseignements de
toutes ces écoles, et s'être familiarisé avec la langue propre à chacune
d'elles. Ce n'est d'ailleurs pas un écrivain élégant et lucide; son style est
incorrect, sa phrase très-concise, à peine achevée, et loin de suivre un
ordre méthodique dont l'enchaînement puisse guider l'intelligence du
lecteur, il procède par fragments détachés» qui manquent de liaison et
supposent en quelque sorte toujours la connaissance de toute la doctrine.
Aussi le regardait-on comme presque inintelligible et surtout comme im-
possible à traduire en français.
Si M. Bouillet n'a pu vaincre entièrement les obstacles d'une entre-
prise aussi périlleuse, du moins le résultat de ses effoils prouve qu'on
ne s'était guère donné la peine jusqu'ici d'étudier Plotin. Sa traduction,
fort remarquable, fera rendre meilleure justice aux Ennéades, qui, malgré
les reproches qu'on peut adresser à la forme et les bizarres doctrines qu'on
y rencontre çà et là, sont assurément l'œuvre d'un grand penseur. Les
nombreux matériaux recueillis par M. Bouillet dissipent d'ailleurs en par-
tie les obscurités de la doctrine. < Indépendamment des notes placées au
bas des pages, dit-il, dans lesqjjelles nous nous efforçons de lever toutes
les difficultés de détail en discutant les diverses leçons, en expliquant les
SCIENCES . MORALES ET POLITIQUES . 309
termes otecurs ou en indiquant d'utiles rapprochements, nous avons
donné à la fin du volume, sous le titre de Notes et éclaircissements, un
commentaire étendu sur les divers livres des Ennéades, commentaire à
la fois historique et philosophique, qui remplit pour chaque livre l'office
d'une introduction spéciale. Dans ces commentaires, nous nous sommes
efforcé de réunir tout ce qui était propre à éclairer la matière traitée
dans chaque livre, soit en exposant la partie de la doctrine générale dont
ce livre exigeait la connaissance, soit en expliquant notre auteur par lui-
même, soit en recherchant les sources où il avait pu puiser^ sait enfin
6n indiquant les écrivains postérieurs qui se sont inspirés de lui et les
divers travaux dont il avait été l'objet....
< La suite des idées et même le but précis de l'auteur n'étant pas tou-
jours facile à saisir dans les Ennéades, nous avons encore essayé d'en
faciliter Tintelligence en mettant en tête de l'ouvrage des sommaires, qui
présentent en raccourci le contenu de chaque livre ; en même temps
•qu'ils serviront de tils conducteurs, ces sommaires permettront aux per-
-sonnes qui ne pourraient lire l'ouvrage dans son entier d'avoir du moins
iin aperçu des idées de notre auteur. »
Mélanges de droit et d'histoire, par M. Benech. Paris, Cotillon,
1857; 1 vol. in-8«: 7 fr.
Ce volume renferme les travaux d'un jurisconsulte habile qui s'est dis-
tingué dans la carrière de l'enseignement non moins que dans celle du
barreau. M. Benech, après des études brillantes et d'honorables débuts
comme avocat, avait été dès l'âge de vingt*quatre ans nommé profes-
seur de droit romain à l'académie de Toulouse. Dans cette position il
déploya des facultés éminentes, et ses efforts pour introduire d'impor-
tantes réformes furent couronnés de succès. « Voué désormais tout
entier à la culture du droit, le jeune professeur ne demeurait étranger à
aucune partie de cette science et à rien de ce qui pouvait intéresser ses
progrès. Ses travaux ne se concentrèrent pas uniquement sur les monu-
ments de la législation romaine ; placé au sein de la vie actuelle, notre droit
civil français fut Tobjet constant de ses études; il Tenvisagea même dans
toutes ses sources , et on le vit dans ces derniers temps introduire au
sein de l'école de Toulouse un cours de droit coutumier qui fut suivi avec
intérêt par les élèves. « La mort est venue le frapper dans la force de
l'âge, lorsque son talent mûri par Texpérience était plein de sève et de vi-
310 SCIBirCBd MORALES BT POLITIQUES.
gueur. Aux écrits importants qu'il avait déjà publiés sur les Justices de
paix, sur la Quotité disponible entre époux, sur la Dot, sur le nantisse-
ment appliqué aux droite créances et reprises de la femme, Tacadémie de
législation a voulu, pour honorer sa mémoire, ajouter le recueil de ses
articles épars dans les journaux et revues. Ce sont des notices histori-
ques ou biographiques fort intéressantes, dans lesquelles, à côté d'une
érudition solide se rencontre aussi le mérite littéraire. Nous citerons entre
autres : La femme romaine et le mouvement intellectuel de son pays,
morceau remarquable, qui captivera certainement les lecteurs même les
plus étrangers aux questions de droit.
Système national d'économie politique, par Frédéric List; traduit de
i allemand en anglais par G.-A. Matile, docteur en droit civil, ancien
professeur de droit à Neucbâtel, membre de la Société américaine de
philosophie^ etc.; avec un essai préliminaire et des notes par Etienne
Golwell. Philadelphie, 1856; i vol. in-8. — Le même ouvrage, tra-
duction française, revue, corrigée et mise au courant des faits écono-
miques. Paris, Capelle, 1858 ; 1 fort vol. in-8<> : 9 fr.
L'ouvrage de Frédéric List mentionné en tête de cet article étant déjà
connu en France par la traduction de M. Richelot, c'est sur le travail de
son traducteur et de son éditeur américains que nous désirons attirer un
instant l'attention des lecteurs de ce recueil.
Jusqu'ici le système d'Adam Smith et de J.-B. Say avait régné à peu
près sans partage dans les chaires d'économie politique fondées aux
Etats-Unis. Affligé des tendances d'une école qui, exclusivement occupée
de Fa production de la richesse, s'inquiète peu de sa distribution, tient
peu de compte des besoins et des intérêts de la classe laborieuse, et pré*-
tend fonder toute la science sur quelques axiomes géoéraux sans ^ard
aux exigences deâ circonstances et des institutions, un philanthrope chré-
tien aussi respectabie par son caractère que distingué par sa science,
M. E. Colwetl de Philadelphie a entrepris d'opposer à l'influence de cette
école celle d'un économiste allemand déjà connu aux Etats-Unis, dont le
système repose sur des bases toutes contraires. Il a fait en conséquence
traduire pour ses compatriotes fouvrage de Frédéric List, l'a enrichi de
notes instructives, et y a joint un discours préliminaire dans lequel il cooh
bat foi-même les théories de J.-B. Say, en fait ressortir la sécheresse et
l'insuffisance, et passant en revue les principaux économistes modernes,
SeiSHCBS MORALBB ET POLITiginB»^ ^It
montre que ceux-ià mêiae qui s^aiMeal se rapproehar le plus des priAcipes
de cet' auteur, o&t été conduits par l'expérience et p»r de nouvellearé^
JHexîoâs àf lei abandonoer en partie.
Qua^ftt à ia traductieft publiée par M. Celwell, tradtiction foite et revue
aveC'lie pk!» graûd soin^ eUe esl, ainsi que l'iûtéressaiHe notice biograptûr*
que qui la précède^ Tosuvre de noire compatriote^ M. G.-Â. Malile^t ci'-*
dèva»i professeur i l'acaidéinie de NeuebMei, aujourd'hui d^icteur ea
droit > Philadelphie, où il poursuit ses savants travaux d'histoire ei de
jtti;is|Mru4eiice^ Il vieat de mettre la dernière aiaiD h son histoire de U
principa<uté de Valaogin» el prépare des matériaux peur des ouvrages de
droit qui, nous m'eoi doutons point, ajouteront à la réputation juste-
ment méritée qu'il s'est acquise.
Explication des passages de droit privé contenus dans les œuvres de
Cicërorf, par G. de Caquerar, professeur de droit rom<9mv à la facolté
de Rennes. Parfe, t)ôrand, 1857 -, t vol. gr. in-8 : 8 fr.
L'auteur de ce livte nous offre Talliafnce assez rare aujourd'hui de
ki cûUufe littéraire avec la science du droit. En général les juriscon-^
suUes, absorbés par le but spécial de leurs travaux, accordent peo d'aK^
teMion à l'étude des lettres, et les littérateurs dédaignent le droit, dans
lequel ils ne voyent qu'un composé de chicane et de procédure sans ao-*
ctm attrait pour eux. 11 en résulte que le droit n'est guère connu que d*un
petit nombre d*adeptes', tandis que tous les hommes instruits devraient
en posséder au moins quelques notions indispensables pour bien corn-*
prendre Th^toire. La littérature et la science ne sauraient que gagner i
se prêter un appui mutuel qui leur profite égalemeot à toutes deux. Elles
se complètent l'une Tautre et rendent ainsi leur influence beaucoup plus
féconde. C'est à ce double cachet que les grands écrivains doivent l'autorité
qer'ils exercent dans le monde. Cicéron, entre autres, nous en fournil uft
etemple nemarquàbfe. Dans ses ouvrages Térudition s'allie aux qualités du
grand éerivaini et de l'orateur éloquent. Aux titres que lui décernent les
littéraleurs les plus experts, on peut ajouter encore celui de savant juris-
confite. En effet, M. de Caqueray montre qu'on avait jusqu'ici trop né*
gligé ce point de vue. Admirateur enthousiaste du génie de Cicéron, ils'esit
donné la tâche d'extraire et de commenter tous leis passages de ses écrits
propfesf à répandre quelque lumière sur des questions de droit. L'utiKté
d'un pareil trai^ail sera vivement ap{>réciée par ceux qui s'occupent du
312 SCIENCES HORALBS ET POLITIQUES.
droit romain. Us y trouveront des documents importants, et des données
d'autant plus précieuses que Cicéron vivait dans une époque de transition
où son esprit philosophique joua sans doute un grand rôle. M. de Caque-
rey le range en tête des écrivains qui contribuèrent à faire sortir le
vieux droit des langes dans lesquels il était renfermé. Ce nouvel hom-
mage rendu à la mémoire de l'illustre orateur repose sur des preuves
très-nombreuses, et la manière intéressante dont elles sont présentées
nous paraît leur promettre un excellent accueil auprès du public lettré. Les
explications de M. de Caqueray sont claires, précises et suffisamment dé-
taillées pour satisfaire le jurisconsulte aussi bien que le littérateur. Il
D*om6t rien de ce qui peut servir à l'intelligence des textes, et présente
une foule d'aperçus ingénieux sur Thistoire de la législation romaine.
Les manieurs d'argent, études historiques et morales, par Oscar de
Vallée. Paris, 4857; 1 vol. in-i2 : 3fr.
De nos jours l'agiotage a pris un tel essor qu'on peut sans exagéra-
tion le signaler comme l'une des plaies les plus dangereuses de l'état social.
C'est un triste corollaire des progrès de Tindustrie et de l'importance
croissante du crédit. Les bénéfices considérables réalisés par la spéculation
causent une espèce de vertige général : pour arriver promptement à la
fortune on se jette dans les chances aléatoires du jeu. De folles entre-
prises absorbent ainsi les capitaux qui devraient alimenter le commerce
et l'agriculture. La prospérité publique est en décadence, tandis que le
luxe étale ses splendeurs et sa corruption. Chacun veut acquérir la ri-
chesse à tout prix afin de pouvoir se procurer toutes les jouissances de
la vie matérielle qui semble être l'unique but de cette course au clocher.
Morale , probité , loyauté ne sont plus que des accessoires assez indiffé-
rents. On se prosterne devant l'éclat de lor, sans trop s'inquiéter du
reste, et les scrupules ne gênent guère ceux qui préfèrent l'agiotage au
travail. Ce déplorable état de choses tend à s'aggraver d'autant plus que
la loi n'y peut rien. C'est dans les mœurs que se trouve la vraie cause du
mal, et comme elles se corrompent toujours davantage sous son influence,
la probabilité d'une réforme diminue sans cesse. Aussi le grand apôtre du
socialisme, M. Proùdhon, s'écrie-t-il avec joie que : « le vice est au
comble, > que • les faits et gestes de la Bourse ont fait table rase de
l'honnêteté commerciale, » que le moment approche c où la faillite de la
SCIBMCES MORALES ET POLITIQUES. 313
bourgeoisie sera définitive, » et il se frotte les mains en préparant une re-
cette sociale qui dispensera les hommes d'honneur, de probité et de vertu.
La perspective est peu séduisante. Heureusement nous ne sommes pas
tout à fait réduits à prendre les remèdes de M. Proudhon. Il reste encore
des éléments de vie morale qui peuvent réagir avec succès contre la ten-
dance matérialiste. La crise actuelle n'est pas sans exemples dans les
siècles passés, et l'histoire nous montre que les maladies morales se
guérissent comme les autres, « qu'on revient , sous de salutaires in-
fluences, des mauvais penchants aux bons, des goûts qui dépravent
aux goûts qui élèvent, des faux cultes au vrai , de l'abaissement à l'hon-
neur. »
C'est dans cette conviction que M. de Vallée a puisé l'idée de son li-
vre. Il a voulu faire voir que l'agiotage n'est point une maladie nou-
velle, spéciale à notre époque, ni par conséquent inhérente au dévelop-
pement de l'industrie moderne. Déjà sous le règne de Louis XIV des
embarras financiers amenèrent une crise pareille, la régence en pro-
duisit une plus forte encore, et si l'on voulait remonter plus haut il ne
serait pas difficile d'en signaler d'autres. Dans les dix-septième et dix-
huitième siècles l'agiotage eut les mêmes résultats qu'aujourd'hui, c'est-à-
dire des fortunes rapides excitant l'envie, engendrant le luxe et la cor-
ruption, l'avitissement des caractères et la ruine de la prospérité nationale.
Cependant, grâce au réveil de la conscience publique, le fléau s'arrêta,
les plaies furent cicatrisées et la société n'eut pas besoin de recourir à des
remèdes inconnus et nouveaux. Ce mal provient donc plutôt des faiblesses
de la nature humaine, et les moyens de le combattre sont ceux qu'ont tou-
jours employés les philosophes, les moralistes et les prêtres. Or, si leur
efficacité triompha jadis il n'y a pas lieu d'en désespérer aujourd'hui, car
la société, dans son ensemble, est moins corrompue, surtout qu'au temps
de la Régence. En rappelant les excès de cette époque et les désastres fi-
nanciers qui en furent la suite, M. de Vallée nous offre une image bien
propre à réveiller l'énergie chez les âmes honnêtes. Il signale l'immi-
nence du péril et fait sentir avec force la nécessité de mettre promptement
un terme aux désordres de l'agiotage, c  toutes les époques de notre his-
toire et de l'histoire des autres, il est sorti des passions humaines une cer-
taine quantité de mai. C'est la loi d'ici-bas, et nous ne sommes pas nés, pa-
raît-il, pour y vivre dans une paix profonde ; mais que du moins ces pas-
sions gardent quelque générosité, et qu'elles ne se donnent pas toutes, pour
s'y déshonorer, rendez-vous vers l'argent et vers les jouissances ; je je dis
314 SCiEli€B9 II0RALE8 ET POLIT fOVBS*
avec une profonde douleur, mais avec une égale coaTÎctioB, c*est par là,
c'est par notre iftdifférenee fi>&rale et \>u la corruption pécuniaire que
passera, si elle passe» l'armée du Socialisme. »
Principes d économie politique, par G. Roscher, traduits et annotés
par M. Wolowski. Paris, 1857; 2 vol. in-8: 45 fr.
L'ouvrage de M. Roscher se distingue par l'application de )a niéthodé^
historique dont, jusqu'à présent, les économistes n'ont point fait usage.
Cette tentative ne manque certainement pas d'originalité ; elle imp'Hme à
la science un nouveau caractère, et fournit des données intéressantes sur
la marche des institutions sociales. Son principal avantage est de faire
mieux comprendre certaines questions qui, par leur nature complexe et
déficate, se prêtent mal aux déveioppenientsngoiireux de la pure logifpiie.
En effet, lorsvfo'il s'agit d'honmes et oon de chiffres, on ne peut guère
prétendre empi'oyer une formule absolue et ne tenir noi compte des cir-^
coostances antérieures qui ont i»flué sur leur éducation, sur leurs ha*
bitudes ou leurs préjugés. La théorie et la pratique sont alors |ilus que
jamais deux choses trè&*distinctes, et pour les concilier il faut recourir à
l'histoire, qui répand une vive lumière sur l'origine des obstacles que la
pratique oppose à la théorie. Cette remarque est juste, en tant qoe Foa
ne saurait changer tout d'un coup Thomme, ni faire abstraction de son
passé, pour le soumettre aux exigences de la vérité scientifique. Les re-
cherches qui tendent à bien préciser la nature des obstacles et leurs rap-»
ports avec l'histoire des sociétés nous semblent donc fort utiles. Mais
doivent*elles être con»dérées comme partie intégrante de l'économie po«
litique et se mêler à l'enseignement de ses prim^ipes? Voilà ce qui nous
paraît douteux. C'est compliquer singulièrement une étude dont il importe
au contraire de rendre l'accès facile à tous. On risque de surchai^er la
mémoire dé Daits qui contrastent avec les données de la théorie, et de
jeter ainsi quelque confusion dans les idées. Il est difficile d'éviter des
digressions nombreuses qui, bien que fort intéressantes, interrompent la
marche du raisonnement et nuisent à sa clarté. D'ailleurs l'économie
politique ne date-t^elle pas d'une époque trop récente pour qu*il y ait de-
graves inconrénients à vouloir appliquer ses principes aux temps anté-
rieurs, dont l'organisation sociale différait de la nôtre à tant d'égards? Le
livre de M. Roscher, quelque remarquable qu'il soit, nous confirme dans
SCIENCES lIOAALfiS ET FOLITIQUES. 315
noire manière de voir. Il abonde en aperçus ingénieux, en détails du
plus grand intérêt; il porte le cachet d'une érudition aussi vaste que so-
lide. Mais au milieu de cette richesse superflue on a beaucoup de peine à
trouver le nécessaire, l'esseniiel, c'est-à-dire les déductions de la science
et leur enchaînement logique JNéanmoins c'est un beau travail, dans le-
quel on puisera bien des notions précieuses. Nous croyons seulement que
la méthode employée par l'auteur convient peu à l'exposé des principes
de l'économie politique.
Manuel DE l'enseignement PRMAifiB, par Lorain et Lamotte, 5°^* édition,
complétée par B. Rendu. Paris, Hachette etC^ 1858; 1 voLin-12.
Ce petit livre, autorisé par le Conseil de l'instruction publique, est un
excellent manuel à l'usage des instituteurs et de toutes les personnes qui
s'occupent de l'enseignement primaire. On y trouve de fort bonnes direc-
tions, soit sur les moyens d'organiser une école, soit sur les méthodes
les plus propres à leur faire produire d'utiles résultats. L'instruction po-
pulaire, aujourd'hui plus que jamais devenue indispensable, a besoin
d'être guidée par un zèle éclairé; autrement elle risquerait de manquer
le but que l'on doit se proposer d'atteindre. Livrée à elle-même, elle peut
devenir même dangereuse, parce qu'elle développe l'intelligence sans
aucune garantie de moralité, tandis que, fécondée par la pensée chré-
tienne^ elle est Un puissant instrument d'amélioration et de conquête. Il
importe donc, en dissipant l'ignorance, de travailler à l'éducation du
cœur, afin de le mettre en garde contre les égarements d'une science
corrompue. C'est l'écueil le plus difficile à éviter. MM. Lorain et La-
motte en sont si convaincus, que tous leurs efforts se dirigent sur ce point.
Ils veulent que l'enseignemeiUt soit autant que possible éducatif, et re-
gardent rinfluence morale comme Tobjet essentiel des préoccupations du
maître d'école. En fait de méthodes, leur tendance est un sage éclectisme,
qui prend fe bon là où il croit le trouver, et condamne les systèmes ab-
sofos. Jusque dans les noroiodres détails, ils ne perdent pas de vue la né*
c^ssité d'établir entre le maître et les élèves un lien d'affection qui renée
cher ceux-cii le souvenir de- l'école, et par conséquent des principes qu^'ils
j ont pui^. Le manuel' est divisé en six parties, qui traiteni: i® de l'Or^
g»nisation générale; 3® de la Discipline; 3^ de ^Enseignement; V ée&
Dispositions législatiTe^; 9» des Devoirs^ de iri»stiture»ir; 6^' du Matérid
3l6 8C1BHCKS BT ARTS.
de l'école. Rien D'est omis de ce qui peut contribuer au progrès de l'édu-
cation populaire, et l'on y trouve de précieux conseils sur la manière de
la rendre vraiment profitable.
Nouveaux choix de traités-Roussel. Paris, Grassart, 1857; 1 voL
in-12.
M. Napoléon Roussel est l'un des auteurs les plus féconds de ces pe-
tits traités religieux par lesquels on cherche à raviver la foi ainsi qu'à ré-
pandre de plus en plus les principes du protestantisme. Il possède les
qualités de l'écrivain populaire, jointes à beaucoup de ferveur, et se dis-
tingue aussi par la vivacité de sa polémique. Les vérités de la religion
sont en général traitées par lui de la manière la plus propre à frapper des
esprits simples ou peu cultivés. Il se place toujours au point de vue pra-
tique et profite de toutes les ressources que peuvent lui fournir soit les
questions du jour, soit les circonstances actuelles qui préoccupent déjà
l'attention. Son style est incisif, quelquefois pittoresque et d'une origi-
nalité piquante. Peut-être n'a-t-il pas toute la mesure convenable en pa-
reille matière. On trouve çà et là dans ses ouvrages l'empreinte d'un zèle
trop ardent, qui aime la lutte et cherche volontiers des adversaires à com-
battre. Mais c'est un habile champion pour la controverse, et malheureu-
sement le protestantisme, attaqué comme il Test, ne saurait encore renon-
cer tout à fait à ce moyen de défense. D'ailleurs, le volume de M. Roussel
renferme aussi des traités d'enseignement religieux et de pure édification
qui nous paraissent de nature à produire d'excellents fruits.
SClEUrCES ET ARTS.
La science du coupeur, par M. Grillot. Paris, chez l'auteur, quai de
l'École, 8; 1 vol. in-4«, fig. : 14 fr.
M. Grillot paratt avoir fait de la coupe des habits une étude très-ap-
profondie. L'art du tailleur est à ses yeux digne de figurer au nombre
des professions les plus élevées. Il en parle avec respect, avec enthou-
siasme, et se livre à de hautes considérations philosophiques sur l'in-*
fluence de l'habit dans la société. « Voyez, dit-il, ce jeune homme in-
connu dans le monde, étranger aux salons : il y a fait son entrée. La
nature lui a prodigué physiquement et moralement ses plus riches dons ;
SCIENCES ET ARTS. 317
cependant il débuterait inaperçu. Rassurez- vous ! sa mise est parfaite;
il a pour tailleur un de nos artistes. Voyez, déjà on l'observe, on s'oc-
cupe de lui, beaucoup même ; c'est, il est vrai, son habit qui fait sensa*
tion ; lui aura son tour; et, tenez, c'est à qui lui parlera, le recherchera.
L'homme a été digne de l'habit, le client du tailleur! la partie est ga-
gnée.» Mais M. Grillot ne se borne pas à faire du style; bientôt il entre
en matière et s'efforce de donner à son enseignement toute la rigueur
d'une méthode scientifique. De nombreuses planches, accompagnées d'ex-
plications claires et précises, offrent non-seulement tous les détails du
tracé des habits pour les différentes catégories de tailles et de corpu-
lences, mais encore la manière dont la coupe doit se faire pour ménager
le mieux possible l'emploi du drap. C'est un traité complet qui sera très-
utile aux maîtres tailleurs, et dont l'élégante exécution typographique
mérite des éloges.
Cours d'arithmétique commerciale, par Th. Bertrand. Paris,
J.Delalain, i857; 1 vol. in-12.
Ce cours élémentaire est fait tout spécialement pour les élèves qui se
destinent aux affaires commerciales, industrielles ou administratives. Le
point de vue pratique y domine, et l'auteur, laissant de côté les abstrac-
tions de la théorie, s'attache surtout à faire bien comprendre, par de
nombreux exemples, le mécanisme des opérations arithmétiques les plus
utiles. Ses définitions claires et précises nous paraissent être bien à la
portée de jeunes intelligences qui n'ont encore aucune notion des choses
commerciales, quoiqu'il se montre en général très-sobre de développe-
roenls. L'essentiel, à ses yeux, est de faire comprendre les services que
rend le calcul dans ses applications diverses, et d'exciter l'intérêt par des
problèmes non moins ingénieux que variés. Nous croyons que l'arithmé-
tique ainsi présentée doit offrir de Tattrait aux élèves, parce que dès les
premières leçons ils peuvent trouver par eux-mêmes des résultats qui
piquent leur curiosité et stimulent leur zèle. C'est un enseignement gradué
avec beaucoup de tact pour les conduire depuis les premiers principes de
la numération jusqu'aux règles les plus compliquées dont le négociant, le
banquier ou l'agent de change aient à faire usage. Chaque leçon com-
prend une définition suivie d'un ou plusieurs problèmes dont la solution
est obtenue par le raisonnement ^ la règle à appliquer pour obtenir cette
solution vient ensuite. Â la fin de la leçon se trouve un questionnaire, ac-
318 SCIEKCSS ET ARTS.
coiQpagné de problèmes sur des questions commerciales, industrielles, etc.,
pour servir d'exercices aux élèves^ M. Bertrand possède une longue ex-
périence de la coimpitabilité ; il est familiarisé avec tout ce qui concerne le
commâTce, et son livre nous semble répondre, mieux que la plupart des
traités du même geare, aux besoins de ceUe profession.
Trésors d'art «xposés ï Manche&b&r en 1857, et provenant des collec-
tions royales, des collections publiques et des collections particulières
de la Grande-Bretagne, par M. Burger. Paris, veuve Renouard, 1857,
i vol. io-12: Sfr. 50.
L'exposition de Manchester est bien propre à donner une haute idée
des richesses artistiques accumulées en Angleterre. Elle offre un ensemble
qui, pour le nombre et la valeur des chefs-d'œuvre, peut être comparé à
la collection du Louvre. Celle-ci la dépasse pour les grands maîtres ita-
liens, mais lui cède le pas pour ceux des pays du Nord et de l'Espagne.
Manchester renferme de fort curieux produits de Tart byzantin, et les
écoles allemandes et flamandes y sont admirablement représentées. Tous les
possesseurs de tableaux, riches propriétaires, corporations, collèges, mu-
sées, académies, chapitres, églises, etc., se sont empressés de faire jouir le
public de leurs trésors. Une centaine de statues et statuettes en marbre,
oeuvres d'artistes anglais, se présentent d'abord, formant la haie entre
deux allées de colonnettes qui conduisent à la plus belle collection de por-
traits qui ait jamais été réunie. Ils sont au nombre de 400 environ, dont
12 de Holbein, 28 Van Dyck, 10 Reynold, 7 Laurence; puis 500 à 600
autres, miniatures précieuses sur ivoire, sur métal ou sur parchemin.
Vient ensuite la collection d'estampes, près de deux mille, depuis le quin-
zième siècle jusqu'à nos jours Un millier d'aquarelles, plus de 1200 ta-
bleaux de maîtres anciens, environ 600 autres de peintres anglais, un
musée oriental, qui renferme des merveilles de l'Inde, de la Chine, du
Japon, etc. ; enfin, une foule de raretés fournies par les cabinets des
savants collectionneurs. Voilà certes de quoi justifier le sentiment d'or-
gueil avec lequel un journal de Manchester disait: c Quelle gloire réelle
et solide pour nous de pouvoir montrer de tels trésors empruntés à nos
maisons ! • Dans ce vaste ensemble, les écoles du Nord occupent la [)lace
principale et présentent d'autant plus d'intérêt que, pour la première fois,
on voit leurs chefs-d'œuvre réunis en aussi grand nombre. On peut les
SCIBIICES BT AHTS. 319
suivre depuis l'origine jusqu'aux temps modernes. Les maîtres primitids»
soit allemands, soit flamands, s'y trouvent tous. Meister Stephan, Martio
Schon, Wohlgemiith, le maître de la Passion Lyversberg, ^riioewald
d'Âsohaffenbourg, Albert Diirer, Granach, Holbein, les Van Eyck, Chris-
tophsen, Quentin Massys, Jan Gwsaert et d'autres encore, forment une
admirable série, qui nous amène à Rubens, Van Dyck, Jordaens, Teniers,
Rembrandt, Metsu, Paul Pôtter, eftc, etc. Un simple aperçu du cataU>gue
fait déjà comprendre la haute importance de cette exposition pour l'his*
toire de Tart. Les notices qu'y joint M. Bui^er seront lues avec beau-
coup d'intérêt. Elles ne portent guère que sur les œuvres capitales^ et sont
nécessairement fort courtes. 11 décrit très-bien les tableaux dont il juge le
mérite d'une manière en général impartiale, quoique sans doute il ait ses
{prédilections et ses antipathies, comme tout homme qui cultive l'art con
a/uMre. Ses connaissances paraissent d'ailleurs non moins solides qu'éten^^
dues, et la tâche de rendre compte des trésors de Manchester ne pouvait
tomber entre des mains plus capables de la remplir dignement.
Les sqenges nat(jr6:lles, études sur leur histoire et sur leurs plus ré«
cents progrès, par Paul de.Rémusat. Paris, Lévy frères, 1857;
\ vol. in-i2 : 3 fr.
Les progrès récents de la science, ses découvertes et surtout ses nom-
breuses applications à l'industrie, excitent aujourd'hui le plus vif intérêt.
Tout homme éclairé désire pouvoir suivre ce mouvement, sinon dans ses
délails techniques, du moins dans ses principaux résultats. À côté du pu*
blic savant proprement dit, s'en trouve un autre plus considérable, dans le-
quel la science compte beaucoup d'amis, pourvu qu*elle consente à parler
un langage clair, intelligible, agréable et ne dédaigne pas de se mettre à
leur portée. Pour de tels amateurs, il ne faut pas des livres hérissés de
termes scientifiques, de calculs et de formules ; ils demandent qu on leur
traduise autant que possible en langue vulgaire le résumé des doctrines
^t des expériences les plus im|M)rtantes. C'est une tâche assez diSBcile , elle
exige les qualités de l'écrivain unies à des connaissances aussi solides
que variées, car on n'expose avec clarté que ce que l'on sait très-bien, et
les lecteurs qu'il s'agit de captiver ne se contentent pas d'aperçus incom-
plets ou trop superficiels. Mais aussi le succès de semblables ouvrages
paie bien la peine qu'ils donnent. D'ailleurs, ils contribuent, d'une ma-
320 SCIENCES ET ARTS.
nière indirecte, mais certainement efficace, aux progrès de la science,
dont ils répandent le goût dans toutes les classes de la société. Pour en
citer un exemple, les publications de M. L. Figuier prouvent combien
notre époque est favorable à des tentatives de ce genre. M. Paul de
Rémusat entre donc avec confiance dans la môme voie, et nous croyons
qu'il n'aura pas lieu de s'en repentir. Ses articles, insérés dans la Revue
des Deux Mondes, ont été bien accueillis ; réunis en volume, ils présentent
plus d'attrait encore, soit par la variété des sujets, soit par l'harmonie de
l'ensemble. Ce qui le distingue surtout, c'est le talent de populariser les
théories scientifiques. On sera particulièrement frappé de son aptitude à
cet égard dans les articles intitulés: Des races humaines*^ D'une révolu-
iion en chimie ; Physiologie expérimentale. Il procède avec une lucidité
parfaite, et sous sa plume élégante les questions les plus ardues semblent
devenir accessibles à tous. Ses notices sur Hippocrate et sur Newton sont
fort intéressantes. Enfin, dans un article consacré à VAluminium, il se
montre également habile à rendre compté des applications industrielles de
la science.
Précis élémentaire d'histoire naturelle, par G. Delafosse, 3"*édit.
Paris, Hachette eiO^ 1858 ; 1 gros vol. in-l2, tîg: : 5 fr.
Ce précis jouit depuis longtemps déjà d'un succès bien mérité. C'est le
meilleur livre élémentaire pour l'enseignement de l'histoire naturelle dans
les collèges, et pour les personnes qui, sans vouloir en faire une étude
approfondie, désirent cependant ne point rester étrangères aux progrès
de cette science. Quoique très-concis, il renferme des explications suffi*
santés et d'une grande clarté. Non-seulement rien d'essentiel n'est omis,
mais l'auteur a multiplié les détails propres à captiver l'intérêt. Cette
nouvelle édition se recommande en particulier par des améliorations no*
tables. Pour la mettre en harmonie avec les programmes de l'instruction
publique, M. Delafosse a diminué la place consacrée au règne minéral,
développé davantage la partie géologique, et ajouté ou modifié plusieurs
^ paragraphes, soit dans la zoologie, soit dans la botanique, en sorte que
son livre offre le résumé complet des connaissances actuelles.
\
REVU£ CRITiaOE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
NTOTElEBRi: 1959*
lilTTIIRATlIRE.
Li CHEF DE FAMILLE, traduit de l'aDglais. Paris, Grassart, 1857;
2 vol. 10-12 : 5 fp.
L'auteur de ce petit roman peint avec beaucoup de charme l'intérieur
d'une famille anglaise qui, privée de ses chefs naturels, s'élève sous la
direction du fils aîné. Quoique Taction soit compliquée d'incidents un peu
trop extraordinaires, "sa marche est en général simple, et captive au plui^
haut degré l'intérêt. On y trouve des caractères bien tracés, de fort jolis
détails, une tendance morale élevée. Le principal personnage est un mo-
dèle de dévouement et d'abnégation. Il se consacre tout entier àl'accom*
plissement de sa tâche, si difficile pour un jeune homme qui lui-même
est encore au début de la vie. Mais chez lui le sentiment du devoir l'em-
porte suri toute considération personnelle, et les sacrifices ne semblent
coûter aucun effort à sa nature généreuse, toujours prête à s'oublier pour
les autres. Ne croyez pas cependant qu'il pose en héros de vertu. C'est
tout simplement un cœur honnête qui va droit son chemin sans préten««.
lion ni gloriole. Ses frères et sœurs l'aiment et le respectent comme un-
père ; aussi rien ne troublerait sa quiétude s'il ne s'était pas chargé d'une
aimable pupille, pour laquelle il éprouve l'affection la plus tendre. Cette
circonstance est la base sur laquelle repose l'intrigue du roman. L'auteur
en profite avec habileté pour introduire des péripéties nombreuses, des
scènes dramatiques, et pour mettre son chef de famille aux prises avec
lies passions qui gouvernent le monde. 11 sait quelles ressources offre un
pareil contraste et les exploite d'une manière assez remarquable. Mais on
pourra lui reprocher d'avoir amoindri par là l'effet moral de sa donnée
primitive. Cette trame est un accessoire qui absorbe l'attention, en sorte
qu'on perd de vue le but annoncé par le titre du livre. Ce n'est pas
dans son rôle de chef de famille que le jeune homme rencontre des dif^
21
322 UTTÉAATURB.
Acuités. Le sort de sa protégée lui cause de bien plus graves soucis, et les
intrigues dont elle est la victime forment en définitive la partie la plus
intéressante de ce récit.
Paris vivant par des hommes nouveaux : La Plume. Paris, G. de Go-
net, 1858; 1 vol. in-32 : 1 fr. —Voyages littéraires sur les quais
de Paris, lettres à un bibliophile de province, par A. de Fontaine de
Resbecq. Paris, A. Durand, 1857; 1 vol. in-18 : 2 fr.
On pourrait justement appliquer à la plume ce qu'Esope disait de la
langue, car elle enfante le bien et le mal avec une égale fécondité. Com-
bien de misères sont le produit de ses œuvres, mais aussi que de jouis-
sances qui, sans elle, n'existeraient pas 1 Les deux ouvrages dont les li-
tres figurent en tête de notre article esquissent d'une manière assez pi-
quante ce double tableau. Dans Pnris vivant, toutes les roueries et les
tristes mystères du métier d'homme de lettres sont exposés au grand jour.
On y voit le jeune auteur obligé, dès le début d^ sa carrière, de se sou-
mettre aux exigences les plus dures, quelquefois môme les plus humi-
liantes. Tantôt c'est un éditeur rapace qui exploite son inexpérience, tantôt
c'est la contagion de l'exemple qui le fait se dépouiller petit à petit des senti-
ments honnêtes et des illusions naïves avec lesquels il s'était mis à l'œu-
vre. Le monde littéraire a ses faiseurs, ses charlatans, ses bohèmes, toat
comme le monde politique ou financier. On y cultive également l'art de
jeter de la poudre aux yeux, et celui de parvenir à l'aide du mensonge et
de rinlrigue. Pour assurer le succès d un livre, le talent seul ne suffit pas ;
le savoir-faire est plus efficace, lorsque surtout il s'y joint une certaine
dose d'impudence. On en pourrait citer maints exemples. Aussi la plupart
de ceux qui veulent vivre- de leur plume se laissent-ils plus ou moins en-
traîner hors du droit chemin. Il y a d'honorables exceptions, sans doute,
mais elles ne sont pas nombreuses, tandis que la foule des écrivains mé-
diocres et peu scrupuleux forme la grande majorité. De là résulte que la
littérature est souvent un assez vilain métier où l'on spécule effronté-
ment sur les plus mauvais instincts de la nature humaine. La trom-^
pense réclame, la camaraderie, les insinuations perfides, la provocation,
le chantage, la calomnie même, tout lui semble licite pourvu que c^
rapporte, et la curiosité publique encoiiragé malbeareusement ces hon-
teuses manœuvres. C'est contre cette espèce de complicité que l'auteur de
LinéRATumi. 32â'
Parié vivant proteste avec beaucoup d'énergie. Son iâdignation vigou^-
reuse ne sembte que trop justifiée par les turpitudes qu'il dévoile, et
l'on serait tenté de s'éerier avec lui :
■ Croyez-moi, jeunes gens, fuyez les sentiers de la vie littéraire.'
Soyez tout ce que vous voudrez, mais ne soyez pas hommes de lettres. ^
Cependant de tels abus ne doivent point faire oublier les éminents ser-
vices que rend la littérature et les nobles jouissances dont nous lui sommes^
redevables. Si parmi ses disciples se trouvent beaucoup de faux frères
dont les excès la compromettent, on y rencontre aussi bon nombre d'ad-
mirateurs sincères qui respectent ses vrais trésors, et lui rendent un
culte digne d'elle. M. de Fontaine de Resbecq appartient à cette der-
nière catégorie. Il aime les livres, recherche les éditions originales et ne
dédaigne pas le mérite de la rareté, mais c'est un bibliophile qui lit plus
encore qu'il n'achète. Son bonheur est de se promener chaque matin le
long des quais examinant les étalages des bouquinistes, feuilletant les
volumes dont le titre Tattire, notant les passages qui le frappent, cau-
sant avec les libraires, glanant maintes observations intéressantes. Et
quelle joie lorsqu'il lui arrive de faire quelque trouvaille propre à enri-
chir sa collection. Il n'est pas assez riche pour satisfaire toutes ses fan-
taisies, mais les achats qu*ii se permet en ont d'autant plus de valeur
à ses yeux. H emporte son volume, le compulse avec amour, le commente,
rétudieet ne passe à un autre qu'après s'être en quelque sorte approprié
toute la substance qu'il renferme. Les Voyages littéraires sur les quais de
Paris nous offrent la description de ces flâneries instructives, écrite fort
simplement et entremêlée d'extraits, de citations, de détails curieux bien
propres à captiver l'intérêt des lecteurs. Seulement la bienveillance de
M. de Fontaine l'entraîne parfois à prodiguer Téloge, et deux ou trois de
ses dernières lettres ressemblent un peu trop à des réclames de librairie.
Les pirates du Mississipi, par F. Gerslâcker, roman traduit de l'alle-
mand par B.-H. Révoil. Paris, Hachette et C*, 1858; 1 vol. in-i2:
2 fr. 50. — Doit et Avoir, par Freylag, traduit de l'allemand, par
• W. de Suckau. Paris, Hachette et C«, 1858 ; 2 vol. in-12 : 5 fr.
Ces deux romans, de genres très«divers, seront lus certainement Iud-
et l'autre avec beaucoup d intérêt. Ils appartiennent à la nouvelle école
allemande qui, sans perdre son cachet national, se rapproche des roman-
cîQrs anglais, soit par l'esprit d'ohservatioa, soit par la peinture dea.
s^nes de la vie réelle. Le premier est un récit plein d'aventures, de
combats, d'incidents dramatiques. L'auteur nous transporte sur les rives
du Mississipi, au sein d'une société naissante où le règne des liHS n'est
pas encore assis sur des bases solides. 11 retrace avec énergie les lutte»
qui d'ordinaire accompagnent la marche de la civilisation à travers ces
solitudes sauvages du nouveau monde, que de hardis pionniers défr^bent
et métamorphosent si rapidement. C'est un tableau vigoureusement es-
quissé. Les couleurs en paraîtront peut-être chargées» mais ce qui se
passe en Californie nous semble prouver qu'elles doivent être assea
vraies. Les pirates du Mississipi sont des aventuriers qui, profitant de
l'absence de tout moyen de répression, exploitent audacieusement la co^
lonie naissante. Ils y réussissent d'autant mieux qu'ils ont à leur tête
un homme fort habile qui est parvenu à cumuler les fonctions de ma-*
gistrat avec celles de chef de l»*igands. Un îlot garni de rescifs leur sert
d!a^ile, et c'est près de là qu'ils attendent au passage les bâtiments
chargés de marchandises» dont ils s'emparent soit par la ruse soit par
la violence. Cependant les colons, poussés à bout, finissent par découvrir
le repaire de ces pirates, qui sont traqués et détruits aprè» plusieurs
combats sanglants. L'amour ne tient guère de place dans cet épisodev
tout, l'intéréft roule sur le conflit entre la barbarie et la civilisation. Mais
on y trouvera des caractères assez remarquables et des iocideots audsi
v^iés que nombreux.
Doit et Avoir est un roman plus complet, dont l'action se passe dans
UAe ville d'Allemagne et ne sort point du cercle de la vie habituelle.
L'auteur voulant peindre quelques-uns des traits qui caractérisent la so^
ciété de notre époque, a pris pour thème le contraste que présenteiM: ce
qu'on appelle aujourd'hui les faiseurs à côté de vrais et respectables né*
gociants. Il ne pouvait mieux choisir : c'est une donnée féconde, et nous
estimons qui! en a su tirer un bon parti. Une maison de commerce,
montée sur l'ancien pied, c'est-à-dire laborieuse, probe et biea réglée,
lui fournit des personnages plus ou moins originaux, mais tous dignes
d'éveiller la sympathie du lecteur.. En opposition avec cet établissement
dont le crédit repose sur les bases les plus fermes, nous avons un gentil*
homme qui. pour suffire aux exigences de son rang, se laisse entraîner à
spéculer et devient la proie des agents d'affaires. Ainsv les deux systèmes
sont eh présence. D'une part^ le travail honnête, la vie de fomÀlie, dea.
sentiments généreux ; de l'atitre, la spéculation afiranchie^ de tout scru-*^
LlTT^liATUtlII. 325
pu!e. Celle-ci mène à la ruine morale aussi bien que matérielle, tandis
que l'ordre et Téconomie répandent autour d'eux Taisance et favorisent
l'essor des vertus domestiques. M. Preytag développe habilement cette
thèse. L'intrigue de son roman est combinée d'une manière fort ingé-
nieuse, pour exciter dès le début l'intérêt le plus vrf et le soutenir jusqu'à
la fin. On lui reprochera peut-être d'avoir exagéré les résultats produits
par l'amour exclusif du gain. Les usuriers juifs qu'il met en scène sont d'a-
bomfnables scélérats, et nous croyons en effet que le but de l'auteur serait
knieux atteint si c'étaient simplement des spéculateurs peu délicats. Mais
cette réhabilitation du vrai négoce n*en est pas moins digne de grands
éloges. On y remarque des caractères esquissés avec talent et de char-
mants détails tout à fait propres à captiver le lecteur.
Les poètes chrétiens, depuis le quatrième siècle jusqu'au quinzième;
morceaux choisis, traduits et annotés par Félix Clément. Paris,
Gaume frères, 1857; 1 vol. in-8.
Ce volume renferme la traduction de l'ouvrage intitulé : CarmîM a
Pœtii christianii exeerpta. C'est un recueil de morceaux extraits des dif-
férents poëtes latins de l'ère chrétienne, qui ont puisé leurs inspirations
ft la source religieuse, depuis Juveiicus et Laetanee jusqu'à Pétrarque.
Le nombre en est assez considérable, et parmi eux figurent maints noms
célèbres dans I histoire de l'Eglise. Quoique la littérature ne fût pas l'ob-
jet spécial de leurs études, quelques-uns se distinguent par un talent re-
marquable ; mais, chez la plupart, le mérite consiste dans la pensée plu-
tôt que dans le style. Théologiens avant tout, ils exploitent au profit de 4a
foi le charme que les formes poétiques exercent sur certains esprits.
Faire triompher les grandes vérités religieuses fut l'unique but de leurs
essais littéraires comme de tous les actes de leur vie. L'enseignement y
tient donc plus de place que la rêverie, et le rôle de l'imagination est fort
restreint. Ce qui caractérise surtout ces poëtes^ c'est un spiritualisme pur
dont l'austérité contraste avec la licence épicurienne de leurs prédéees-
seiirs païens. On se sent transporté dans un monde nouveau où l'influence
régénératrice du christianisme se manifeste de la manière la plus éda-
tante. Au lieu de ces vains ornements sous lesquels sa cachait la corrup-
tion, au lieu de cette morale facile dont les préceptes s'alliaient sans trop
de peine arec toutes les jouissances de la vie sensuelle, nous avons 4ci
f3^ LIXTléBAIURB.
une poésie grave et sévère, qui s'est retrempée dans les eaux vives de la
Grâce; nous sommes frappés, comme le dit M. Clément, « de l'harmo-
nieux accord de toutes ces voix s'éievant par intervalles pour chanter le
même Dieu, les mêmes mystères, la même morale ; de l'unanimité de ces
hommes appartenant à des paysel à des temps divers, vivant au milieu de
circonstances tout à fait différentes, participant à des civilisations qui se
sont succédé les unes aux autres sans se ressembler. Quel ensemble
merveilleux de croyances, quelle identité de sentiments et d'impres-
^$ions 1» Et quel puissant intérêt d'ailleurs dans ces témoignages rendus au
sein de luttes terribles par des hommes qui, pour prix de leur constance»
n'attendaient ici-bas que la persécution et le martyre !
La traduction, écrite d'un style simple et ferme, vise principalement à
rendre avec exactitude la pensée des auteurs. N'ayant pas le^ texte latin
sous les yeux, nous ne pouvons apprécier jusqu'à quel point M. Clément
a réussi, mais il provoque lui-même Texamen sérieux do la critique et se
soumet d'avance au jugement qu'elle portera sur son travail .
Lm SALONS DE Paris, foyers éteints, par M"* Ancelot. Paris, J. Tardieu,
1858; i vol. in-32 : 1 fr.
Ce titre de foyers éUmi$ accolé à celui de Salons de Paris, a quelque
chose de mélancolique. C'est le contraste de la mort à côté {du. bruit et
-de l'éclat des fêtes, et Ton y trouve de plus l'expression d'un, regret
malheureusement tropjuste. Les salons de Paris n'offrent plus giUère.ie
cachet de supériorité intellectuelle .qui jadis faisait leur charme et leur
renommée. Aujourd'hui lârgent règne, et l'esprit a dû plier bagage
.devant les préoccupations de la Bourse. Est-ce à dire que la société
. française soit désormais condamnée à n'avoir plus d'autres jouissances
que ^d\es du report et de l'agiotage- Nous ne le pensons pas ; tôt ou tard
elle saura s'affranchir de ce joug, sa nature vive et spirituelle nous en
donne la certitude. Mais, en attendant, les foyers sont éteints» et l'on
- saura gré à H*"^ Âncelot d'en foire revivre quelques-uns» du moins par
le souvenir. Elle nous reporte aux belles années de la Restauraiton ,
alors que les lettres et les arts préoccupaient le public de leurs débâts,
.et qu'on se passionnait pour ou contre les hardiesses delà jeune école,
puis à l'époque du règne de Louis-Philippe, signalée encore par un mou-
.Vement intellectuel très^remarqutible. EUeanous.faii passer tour i^ tour
tlTlBRATUKl.. 327
en revue le& salons de M"<» Lebrun, du baron Gérard, de la diichesse d'A-
brantès, de Charles Nodier, de M. de Lancy, de M«»« Ramier, du vicomte
d'Âriihcourt et du marquis de Custine. Voilà des célébrités bien diverses,
autour desquelles se groupait une société d'élite. Dans ces réunions pleines
de charme, poètes, artistes, hommes d'Etat, hommes de plume, de
robe ou d*épée , venaient apporter chacun son tribut de conversation
intéressante et de traits spirituels. M"*^ Ancelot en retrace un tableau
fort attrayant. Elle esquisse les caractères avec finesse, conte agréable*
ment, et ne cherche point à se mettre en scène. Quoique ses jugementls
soient, en général, empreints de bienveillance, ta critique y trouve aussi
place, les ridicules lui fournissent matière à des observations piquantes.
Le bon sens la tient en garde contre les engouements de la mode. Elle
rend compte de ses impressions avec franchise, et ne craint pas de si-
gnaler les faiblesses et les travers qui la choquent. On la trouvera peut'^
être sévère, mais nous ne la croyons que Juste à l'égard de certaines re-
nommées dont l'exagération nous a toujours frappé. Du reste elle rend
pleine justice à la supériorité de l'esprit, ainsi qu'aux nobles élans ëa
cœur. C'est au charlatanisme qu'elle s'attaque, encore le fait-elle avec
beaucoup de ménagements.
Le MARCHAND PROSPÈRE, vie de M. Samuel Budgeit, par le rév. W. Ar-
thur, extrait de Tanglais par M"« Rilliet-de Constant. Paris, Gras-
sart, 1858; i vol. in-42 : 2 fr. 50.
Samuel Budgett est un de ces négociants qui, des rangs de la classe
pauvre,, s'élèvent, par l'amour du Iravail, rintdlligence, la probité, jus-
qu'aux plus hauts sommets de la fortune. Ayant le génie du commerce, U
comprit de boone heure les avantages de l'épargne et le prix d'une aotir
vite bien dirigée. Aussi, quoique ses appointements fussent très-modi-
ques, il trouva moyen, dès le début, de balancer ses recettes et ses dé-
penses par. un petit bénéfice. Cette sage conduite et le zèle avec lequel il
remplissait ses devoirs contribuèrent à lui procurer un avancement ra-
pide. Sans doute il était doué de facultés remarquables, mais elles au-
raient aussi bien pu lui tourner à piège s'il s'était laissé, comme tant
d'autres, séduire par Tunique appât du gain. De nos jours, la spécula^
tion, avec ses chances aléatoires et ses allures peu scrupuleuses, est un
Jerrible éçueil pour les jeui^es gens. Elle les détourne de la voie plus pé-
ifûble et plus lente du vrai con^merce, et les habitue à mettre leur espoir
388 VOTAUS BT HISTOIRE.
4an8 U ehaDce beaucoup plus que dans rexerctce eonslaut el Fégnlw
de leurs propres efforts. Samuel Budgett, au contraire, n*estimait l'argeut
qu'en raison de la peine qu'il s'était donnée pour le gagner. Honnête
Jiomme avant tout , il voulait dtre en paix avec sa conscience, et les af-
iïiires ne Tabsorbaieut pas au point de lui faire oublier le salut de son
•Ime. L*amitié, les intérêts d'autrui, la culture intellectuelle» l'exercice de
la bienfaisance occupent une large place dans sa vie. Quoique pas^oné-
meut attaché à son négioce, il fut toujours prêt à écouter ses amis, à sou-
Jager les pauvres, et non moins zélé pour les intérêts sfHrituels de sas
semblables, il ne négligeait aucune occasion d'exercer autour de lui une
influence morale et religieuse éminemment salutaire. Cetie biographie,
-sâmple et vraie , dans laquelle ne sont dissimulés ni les faiblesses de
4'homme, ni les défauts du négociant, nous paraît propre i produire une
hieureuse impression sur l'esprit des lecteurs. C'est un livre excellent
^rartout à mettre entre les mains de jeunes gens qui se destinent au com-
imerce. Us y trouveront de bons conseils, des directions précieuses et
nainls détails présentés d'une manière fort attrayante.
¥0YA€;ES JBT histoire.
IaMS saints lieux, pèlerinage à Jérusalem, par M^ Hislin. Paris, Le»-
coffre^t O*^ 1853; 3 vol. gr. in«8, ornés de cartes et plans.
Dans son pèlerinage, Mi^' iMislin a visité l'Autriche, la Hongrie, la
Shivonie, les Provinces danubiennes, Constantinople, l'Archipel, le Liban,
la Syrie, Alexandrie, Malte, la Sicile et Marseille. C'est un voyageur
idslruit, dont le journal renferme de nombreuses observations propres à
faire assez bien connaître les pays qu'il parcourt. Le sentiment de la
nature se trouve chez lui joint à des connaissances non moins étendues
que variées, et les dignités ecclésiastiques dont il est revêtu lui assureiift
))artOMt un accueil favorable. Quoique les intérêts religieux soient l'objet
principal de ses préoccupations, il ne néglige point l'étode des mœurs,
ni les données statistiques, industrieiles ou commerciales qui lui paraissérit
avoir quelque importance. La description des lieux saints tient une
grande place dans son livre ; elle est très-détaillée, enrichie de passages
«oit de la Bible, soit des Pères de l'Eglise, et rappelle leè divers Souve-
nirs historiques qui s'y rattachent. C'est une lecture d'autant plus at-
trayante, que les cartes et plans qui accom^pagnent l'ouvrage permettent
TiDTAeES BT HISTOm.
3âd
èe suivre pas I pas l'auteur dans toutes sies excursionsr On regrettera
seulement que M<' Mtsim ait un peu trop le goût de la controverse. Il ne
perd pas une occasion d'attaquer l'Eglise grecque, et lance, en passant,
maintes critiques acerbes âi Tadresse du protestantisme. Cela nous semble
fort étranger au but que devait avoir son pèlerinage. Les débats de cette
nature ne peuvent qu'être nuisibles ik la cause du christianisme, en pré-
sence des adversaires qui lui disputent la possession des lieux saints.
Une noble et généreuse émulation serait assurément beaucoup plus prcH
fitable. Mais le point de vue politique domine chez M*'^ Mislin, et dès lors
on comprend les tendances exclusives auxquelles il se laisse entraîner.
C'était un écueil presque inévitable. Du reste, le vif intérêt qu'il a su ré-
pandre dans ses narrations loi servira, sinon d'extuse, du moins de pas-
seport auprès de- ceux dont il froisse les sympathies.
Histoire de l*empereuk Nicolas, par Alphonse Balloydier. Paris,
H. Pion, 1857; 2 vol. in-8: 15 fr.
L'empereur Nicolas est un des personnages les plus remarquables de
motre époque. On ne peut le nier, quelque opinion qu*on ait, du reste, sur
la portée de ses vues et la valeur de ses actes. Pendant un règne de trente
années, il a déployé, dans son rôle de souverain, une fermeté de caractère
qui ne manque ni de noblesse ni de grandeur. Sans doute le moment
n'est pas encore venu où Thistoire prononcera son jugement impartial ;
nous sommes trop près des événements pour les envisager avec tout le
calme nécessaire, et l'écrivain le plus indépendant ne peut faire abstrac-
tion complète des circonstances actuelles. Il est très-difficile d*échapper
aux préventions de Tesprit de parti, surtout lorsqu'il s'agit d*un mo-
narque absolu qui fut le représentant du principe d'autorité en face des
idées révolutionnaires. Il faut d'ailleurs bien connaître le peuple russe, ses
mœurs et ses institutions, pour être en état d'apprécier convenablement
le règne de Nicolas. Rien ne serait plus absurde, par exemple, que de
prétendre appliquer ici les principes constitutionnels et les idées libérales
qiri ont cours dans le reste de l'Europe. La Russie a d'autres besoins. Un
despotisme éclairé doit être pour longtemps encore sa meilleure garantie
de progrès et de civilisation. A cet égard, l'empereur Nicolas était cer-
tainement doué d'une manière très-remarquable, et chez lui les vertus
privées s'alliaient à la dignité du pouvoir souverain. C'eist ce que M. Bai-
1^30 TOYA69S BT HISTOIRB.
leydier s'attact^ à faire surtout ressortir. Laissant de côté les théories ot
les questioDS de politique générale, il raconte la vie de Nicolas» cite les
iraits les plus propres à le caractériser, et s'efforce de reproduire avec
exactitude le prestige que le czar exerçait sur son entourage. C'est un
tableau tort intéressant, dans lequel, malgré quelques ombres que l'au-
teur n'a point dissimulées, la figure de l'empereur apparaît pleine d'é-
uergie et de majesté. M. Balleydjer nous semble avoir tait assez juste-
ment la part de l'éloge et de la critique. Nos lecteurs pourrooi en juger
d'après ce passage extrait du dernier chapitre: «Nicolas, par cela même
qu'il régnait dan» les sphères de l'humanité, a commis des fautes, sans
doui»; mais ces fautes, relevées par d'immenses qualités, tiennent plutôt
-à la nature du milieu daps lequel il s'est trouvé, qu'au développement de
son système. Elles sont excusées, sinon justifiées, par l'eQcbaînement des
événements qui ont signalé la marche de sa politique et les grandes
lignes de son règne. Pour blâmer avec justice cette sévérité implacable,
cette main de fer, qui pesaient sur l'empire moscovite, il faut connaître
avant tout les mœurs, le tempérament, les besoins, la nature des peuples
que la Providence avait confiés à son autorité. Ces peuples, nés d'hier à
ta civilisation, debout encore sur, le seuil de la barbarie, s'accommode-
raient fort mal, nous le croyons, d'un régime constitutionnel. L'empereur
Nicolas connaissait son peuple par le cœur, et il Ta gouverné par la
raison, politique qui partout et toujours sera préférable à celle du senti-
çient. L'avenir prouvera s'il s'est trompé.
c Quoi qu'il en sdit« la plus grande faute <jle Nicolas, la seule, peut-
être, puisque toutes les autres en découlent, est do s'être cru, durantjes
.dernières années de sd vie surtout, 1^ représentant infaillible de l'auto-
rité mooarchiqMe en Europe^ l'émanation directe et incarnée du pouvoir
-divin.
« Il était si intimement convaincu que sa puissance autocratique parti-
cipait de l'infaillibilité de son origine, que sa voix vibrante, magnétique
pour ainsi dire, lui semblait l'écho vivant de la voix de Dieu. Aussi,
comme autrefois Moïse sur le mont Sinaï, promulgant le Décalogue au
bruit des tonnerres, s'écoMtait-il parler lui-même, lorsque, des fauteurs
de son trône, il manifestait au peuple ses volontés suprêmes. En dehors
de la vie de famille, oi^ le dieu, se transfigurant, daignait s'abaisser au
niveau des princes nés de son. sang, il était sans cesse en représentation:
de la rue, de la place publique, il se disait un tabernacle pour son
Piepple^ un piédestal pour l|bi3ioire.
YOTAGKS BT H10fOlRX. 331
c Comme conséqueoce logique de ces principes, le peuple russe ne
pouvait être et ne devait être à ses yeux que l'agent passif, Tinstrument
aveugle de la pensée, dont la force motrice résidait en lui, et pour le
développem^pt de laquelle il exigeait une confiance sans bornes, un dé-
vouement absolu.
c En dehors de l'esprit d'examen, qu'il aurait considéré comme un
acte d'usurpation sur sa volonté, il était arrivé à conclure que l'obéis-
sance aveugle i ses desseins était le ^eul élément qui devait concourir à
la prospérité et à la gloire de sa couronne. De cet ordre d'idées naquit,
au milieu de son règne, Taversion instinctive qu'il éprouvait pour le dé-
veloppement des individualités, pour la liberté même de la conscience De
)à les intelligences médiocres, les esprits bornés, les incapacités lilipu-
tiennes dont, astre sans satellites, il prit soin de s'entourer dans l'im-
mensité de son pouvoir et les horizons sans fin de son empire. De là les
nullités les plus complètes poussant leurs rameaux parasites sur les
marches du trône ; les cadres administratifs et militaires encombrés de
créatures nuisibles, et ouvrant un vaste champ au népotisme, à l'intrigue,
aux appétits ruineux, dont l'esprit rapace et prévaricateur n'était que
trop justifié par l'exigmiédes rétributions, peu en rapport avec les babi-
'ludes de luxe et les besoins de débauche des fonctionnaires publics ; de là
ces dilapidations scandaleuses et ces vols audacieux, qui faisaient dire un
jour à Nicolas ; « Ils me voleraient mon palais d'hiver s'ils savaient où le
cacher. »
c La science civilisatrice, en dehors des idées reli^euses, repré^^entait
à ses yeux la révolution, dont le fantôme menaçant se dressait toujours
devant lui. Depuis son avènement au trône, le progrès de la philosophie
était à ses yeux révolutionnaire, impie; la pensée était insurrectionnelle.
Aussi» constamment appliqué à les combattre au lijeu de les réglementer, tes
trente années de son règne n'ont-elles été qu'un déplorable temps d.'arrêt
imposé aux labeurs de Tintelligence, au développement moral de ses
peuples.
c Son action unique, .constante, se concentrait d'une manière absolue
sur le nombre et la discipline de son armée, qu'il considérait comme la
sauvegarde du présent et l'assurance de l'avenir. De la même main qui
servait de balance aux destinées de l'Europe, il touchait aux détails les
plus infimes de la chose militaire. Le même jour qu'il ajoutait une pro-
vince au patrimoine de Pierre le Grand, il donnait les proportions d'une
affaire d'Etat au changement d'un bouton d'uniforme. Si son règne ^ût
^32 TOtÀCn ftT HlSYOlâlt.
ëté moins fertile en grandes et belles choses, fn\ pourrait rappeler le règne
du caporalisme,
c Au détriment des autres rouages de la machine gouvernementale, ^
appliqua à celui du département de la gtierfe les plus importantes res^
sources de TEtat. Les ministères des finances et des travaux publics, ces
deux courants destinés à porter la vie aux artères des sociétés modernes»
étaient comme paralysés dans leur sphère d'action, <;omme étouffés soos
le pied des régiments en marche de guerre bu en défilé de parade.
c De son empire, t'emperetir Nicolas a f^it une vasre caserne; des
steppes incultes, un camp ; de son palais, un corps de garde ; de son ca-
binet, une guérite, d'où, sentinelle vigilante, il restait immobile, t'arme
au bras, devant la civilisation européenne qui passaH devant lui. Prenait
au sérieux son rôle de soldat, il Ta joué toute sa vie, jusqu'au jour où la
mort, paraissant en scène. Ta relevé de faction.
< Quoi qu'il en soit, l'empereur Nicolas occupera dans l'histoire une
place qui ne fera point ombre à celles de Pierre le Grand, de Catherine la
Grande et d'Alexandre 1^. 11 a complété la merveilleuse ébauche que
Pierre a tirée du chaos, que Catherine a dessinée plus largement, «t
qu'Alexandre a poétisée. ^
Etienne Dolet, sa vie, ses œuvreis, son martyre, par Joseph Boulmiéf.
Paris, Aug. Aubry, 1857; 1 vol. petit in-8 : 6 fr.
'' Etienne Dolet occupé une place honorable parmi les libres penseurs du
seizième siècle. Il fut l'un des ouvriers les plus actifs dé l'œuvre d'éman-
cipation intelléctiifelle qui s'accomplissait alors, et succomtjîa; ftiartyr de
son zèle, dans cette lutte glorieuse. Aussi la notice que lui consacre
M Boulmier sera certainement lue avec beaucoup d'intérêt, malgré l'en-
thousiasme, un peu trop exagéré parfois, dont elle porte l'empreinte. On
y trouve une foule de citations et de curieux détails, propres à faire bien
connaître la grande époque o^ tant d'hommes illustres se dévouèrent
avfec héroïsme pour assurer le trioipphe du libre exatneti. Aujourd'hui
que l'histoire de la Réformation, étudiée avec plus d'itidépendance, ren-
contre dans le public des sympathies nombreuses, il est juste de remeitte
également en lumière les services rendus par ces esprits d^élitift qui, sans
adopter les idées luthéHennes, prirent néanmoifis une part considérable à
la lutte. A cOtédu mouvement religieux se continuait i'itopalsion donnée
pas la Refi«^ii»8a0oe, et ses savants disciples eureat au8$i leurè martyrs.
Etienne DoUt fut da nombre* Caractère aident, passionné pour Tétude,
iLoloiitâ powt la prudeole politique d'Erasme, auquel il ressemblait par
réruditiOQ, ainsi que par la causticité de çon esprit. Dès sa jeunesse, on
le vit se lancer avec une téméraire audace dans des discussions alors Irès-
périlleuses. Pendant qu'il était à l'université de Toulouse, le parlement de
cette ville ayant résolu d'interdire les associations d'étudiants, Dolet prit
chaudement leur défense. Ses camarades l'avaient choisi pour orateur,
rôle .dans lequel il déploya des qualités éminentes, comme le prouvent
mainte fragments de discours cités par M. Boulmier. Mais le parlement,.
moiiiS touché de son éloquence que des propositions hérétiques dont il
assaisonnjait -ses harangues, lui fit bientôt faire connaissance avec la pri>
son, estimant sans doute que ce serait un bon moyen de le calmer. Dolet
fut arrêté comme suspect de luthéranisme, accusation redoutable en ce
boa vieux temps de l'inquisition et du bûcher. Sa position était d'autant
plus mauvaise, qu'il avait irrité les habitants de Toulouse par de fré*
quentes apostrophes au sujet de leur ignorance et de leurs absurdes su-,
perstitions. Pour cette première fois, il s'en tira sans trop de mal; mais,
loin d'être corrigé, ses déclamations contre le fanatisme n'en devinrent
que. plus vigoureuses. On l'arrêta de nouveau, et, sans la protection de
Jean Dupin, évéque de Rieux, il ne serait probablement sorti de son ca-
chot que pour monter sur Téchafaud. Dolet jugea cependant convenable
d^ ne pas risquer une troisième épreuve, et. quittant Toulouse, il se ren-
dit à Lyon. C'est là qu'il fît imprimer, ou imprima lui-même, les tra-
vaux qui ont illustré son nom. Les recherches érudites auxquelles il se
livrait semblent assez étrangères à la polémique religieuse. Mais à cette
épc»que, c'était chose à peu près impossible de traduire ou commenter les
anciens, d'aborder même de simples questions de grammaire, sans heur-
ter les idées reçues, et faire plus ou moins acte de révolte contre l'auto-
rité qui dominait dans les écoles comme dans l'Eglise. D'ailleurs Dolet ne
se g^ail guère. 11 fut d'abord accusé d'athéisme pour une phrase de
Platon interprétée en ce sens; puis il fournit un prétexte beaucoup plus
grave encore par la publication des saintes Ecritures traduites en langue
vulgaire. Ses ennemis s'acharnèrent dès lors à le poursuivre. On l'em-
prisonna plusieurs fois, on lit brûler ses livres par la main du bourreau ;
en vain protesta-t-il de son attachement à la foi catholique, rien ne put
le soustraire au bûcher ; la se.ule grâce qu'on lui accorda fut d'être pendu
avant d'être brûlé.
334 VOYAGBS BT rilffTOTBft.
lÀ notice de M. Boulmier renferme une foule de détails carieux. C'est
un chapitre fort intéressant de l'histoire du seizième siècle, dans le-
quel domine un peu trop parfois Tesprit du dix-*huitîème, mais où Ion
trouve l'expression de généreuses sympathies et de sentiments élevés.
Ce volume, imprimé avec une élégance typographique assez rare au-*
jourd'hui, fait partie de la remarquable collection dont M. Aubry est l'é-
diteur.
Voyages et aventures au Chili, par te docteur T. Maynard. Paris,
Librairie nouvelle, i858; 1 vol. in-12: 1 fr. 25. — Veillées sur
TERRE ET SUR MER, par de Bussy. Paris, Vermot ; i vol. in-12 : 2 fr.
Le public a déjà fait connaissance avec le docteur Maynard, et nous
croyons qu'il ne sera pas fâché de le retrouver sur son chemin. En effet,
c'est un voyageur aimable, qui a vu beaucoup de choses et les décrit bien.
Peut-être use-t-il quelquefois du privilège que le dicton populaire accorde
à ceux qui viennent de loin, mais il le fait avec esprit, et ses récits portent
en général le cachet de l'observation. Le Chili, d'ailleurs, lui fournil'd'a-
bondanles ressources pour nous intéresser, même sans broderies. Les
mœurs faciles des habitants, leur caractère original, leurs bizarres pré-
jugés sont esquissés d'une manière assez piquante. M. Maynard en trace
un tableau peu flatteur, quoiqu'il ne se montre point trop sévère pour
cette population insouciante, superstitieuse et ffort adonnée aux plaisirs.
Ses remarques sont plutôt môme bienveillantes, et son séjour dans la ré-
publique chilienne paraît lui avoir laissé de bons souvenirs.
Les veillées sur terre et sur mer ne manquent pas non plus d'un cer-
tain charme. Elles renferment le journal d'une longue traversée, avec
tous les petits incidents qui se passent à bord. L'auteur a l'exacti-
tude d'un débutant. Il n'omet aucun détail, et note jusqu'aux moindres
sensations éprouvées par lui ou par d'autres passagers. Maison rencontre
çà et là des descriptions bien faites et des scènes amusantes -, le style est
naturel, simple, sans recherche ni prétention. M. de Bussy séjourne
quelque temps à New- York, dont il esquisse la physionomie en homme
prévenu plutôt qu'en observateur impartial. Le peuple des Etats-Unis a
deux torts impardonnables à ses yeux : c'est d'être anglais'^d'origine et
{Protestant de religion. Dès lors, ta civilisation américaine lui paraît infé-
rieure à celle des pays où règne la vérité catholique, seule apte à donner
VOTAGES ET HISTOIRE.
3à5
ce qui constitue la vie morale d'une nation. Du reste, ii se contente (fé-
nbncëlr ce jugement, sans fournir de preuves à l'appui. Deux nouvelles
historiques terminent ce volume qui, dans son ensemble, oiïre une lec-
ture assez'attrayante, quoique la critique puisse y signaler bien des im-
perfections, dues probablement à Tinexpérience de l'auteur.
Abrégé de géographie physique et politique, destiné aux écoles pri**
maires et aux familles, par Â. Vulliet. Paris, Meyrueis et G**, 1857 ;
1 vol. io-42.
Cet abrégé de géographie nous paraît très-bien remplir les conditions
nécessaires pour un livre destiné à renseignement des écoles. Il est très-
clair, et, malgré sa concision, renferme tous les détails importants. L'au-
teur Ta divisé en deux parties distinctes : la première consacrée à la géo-
graphie physique, la seconde à la géographie politique. Elles sont indé-
pendantes Tune de l'autre, mais se succèdent de manière à compléter
l'instruction des élèves qui, possédant des notions suffisantes sur les pro-
duit? et les merveilles de chacune des régions du* globe, éprouveront le
désir de connaître les peuples qui les habitent, leurs langues, leurs reli-
gions, leurs gouvernements, leur état agricole, industriel, commercial, etc.
En passant ainsi du simple au composé, des phénomènes de la nature à
ceux de la civilisation, le maître est beaucoup plus sûr de se faire com-
prendre, et de donner à la science un attrait qui stimule davantage la cu-
riosité des jeunes enfants. Le petit volume de M. Vulliet obtiendra sans
doute autant de succès que son Esquisse d\me géographie physique^ dont
le mérite est vivement apprécié par toutes les personnes appelées à s'en
servir. Peu d'écrivains ont rendu d'aussi éminents services à l'enseigne-
ment primaire, et nul n'a contribué davantage à lui imprimer une ten-
dance éducative non moins salutaire que féconde.
Histoire du règne de Guillaume lit, pour faire suite à l'histoire de la
révolution de 1688, par J.-B. Macaulay, trad. de l'anglais, par
A. Pichol. Paris, Perrottin, 1857; 3 vol. in-8: 12 fr.
Guillaume III mérite assurément d'être rangé parmi les personnages
historiques tes plus remarquables du dix-septième siècle. Ce n'est pas uiî
de ces héros brillants dont le nom se transmet d'âge en âge, entouré
Zj^ Y0I4QB9 BT HISTOIEK*
• ^ •
d.*uiie auréole de gloire, ma» son caractère et le rôle qu'il remplit en fout
upe individualité puissante, où se trouve d'ailleurs bien marqué le cachet
des idées et des tendances de l'ère moderne. Appelé par une révolution à
gouverner un payjs auquel il était étranger, il s'acquitta de cette tâche
difiQciie avec beaucoup d habileté. C'est à lui que TAngleterre doit le réta-
blissement de l'ordre constitutionnel, la consécration de la liberté religieuse
et politique, de l'indépendance des parlements et des tribunaux. La témé-
rité de son entreprise se trouva pleinement justifiée par les résultats. 11 en
avait mesuré d'avance tous les obstacles, en sorte que les circonstances
ne le prirent jamais au dépourvu. Au milieu des querelles de parti et des
récriminations passionnées qui succédèrent bientôt à son tiiomphe, il de-
meura fidèle à sa politique ferme et modérée, poursuivant avec une con-
fiance inébranlable le but qu'il s'était assigné. Ni l'attrait de la popularité»
ni les séductions du pouvoir, n'exercèrent sur lui leur dangereux empire.
Sa froideur impartiale s'adressait à la raison plus qu'à l'enthousiasme. Il
avait compris le génie national du peuple anglais, et ne se laissait point
rebuter par des symptômes anarchiques, conséquences inévitables d'une
longue agitation révolutionnaire. Chez lui, l'ambition s'alliait au désinté»
ressèment personnel, et les calculs de la politique dirigeaient seuls sa
conduite, à l'égard même de ses ennemis les plus acharnés. Il en donna
maintes preuves, en s'abstenant de punir des hommes qui avaient conspiré
contre sa vie. Au lieu de les livrer à la rigueur des lois, il feignit d'i-
gnorer leur crime, et ne voulut pas priver l'Etat de leurs services. Son
règne présente le spectacle intéressant d'une lutte continuelle, où la force
de volonté triomphe de toutes les résistances et se montre en général di-
rigée par des vues pleines de grandeur et de sagesse. Guillaume III mit
fin à la révolution sans restaurer le despotisme. L'Angleterre, délivrée
de ses discordes intestines, put dès lors travailler au développement de
ses institutions et de sa liberté. Cette gloire jette moins d'éclat que celle
du conquérant, mais elle est certainement plus utile et plus féconde. On
sympathisera donc volontiers avec l'hommage que lui rend M. Macaulay,
qui, pour la faire ressortir dignement, nous offre le tableau très-exact et
très-détaillé de ce règne si laborieux, des intrigues de toutes sortes contre
lesquelles Guillaume eut à se défendre, des réformes importantes qu'il
accomplit dans les diverses branches de l'administration. Son livre sera
d'autant mieux apprécié, que l'éloge n'y domine point d'une manière exa-
gérée; il signale aussi bien les défauts que les qualités du roi, et recon-
naît que les- préventions soulevées contre lui' n'étaient pas sans fondements.
TOTA«»l KT BlSTOIftB. 337
Mais^ i ses yeux, le bien l'emporte de beaucoup sur le mal ; les services
reodvs par ee f rince à la clause eonstitutionnelle lui paraissent mériter
60eore la même reconnaissanoe que témoigna le peuple de Londres quand,
au mois de novembre i697« il le vit rentrer dans ses murs, après avoir
conclu avee la France une paix honoraUa.
c La nation, dit*-il, avait sujet, en effist, de se réjouir et de remercier
Dieu L'Angleterre avait traversé de rudes épreuves, mais elle en était
sortie retrempée, pleine de santé et de vigueur. Dix ans auparavant, sa
liberté et son indépendance semblaient perdues. Sa liberté, elle l'avait
reconquise par une révolution aussi juste que nécessaire. Son indépen-
dance, elle l'avait ressaisie par une guerre non moins juste et non moins
nécessaire. Elle avait défendu avec succès l'ordre de choses établi par le
bill des droits contre la puissante monarchie française, contre la popula-
tion indigène de Tlrlande, contre Thostilité avouée des non-jureurs, contre
l'hostilité non moins dangereuse de traîtres disposés à prêter toute es-
pèce de serments et à les violer tous. Ses ennemis déclarés avaient été
victorieux sur nombre de champs de batailles. Ses ennemis secrets avaient
commandé ses flottes et se? armées, avaient eu la direction de ses arse-
naux, avaient officié à ses autels, avaient enseigné dans ses université,
avaient encombré les emplois publics, avaient siégé au parlement, avaient
prodigué les saluts et les flatteries dans les appartements du roi. Plus
d'une fois il avait semblé impossible d'éviter une restauration qui aurait
été infailliblement suivie, d'abord de proscriptions et de conUscations, de
la violation des lois fondamentales, de la persécution de la religion établie,
puis d'un troisième soulèvement de la nation contre la maison qu'une
double chute et qu'un double bannissement n'avaient fait qu'obstiner dans
le mal. Aux dangers de la guerre et à ceux de la trahison étaient venus
récemment s'ajouter les dangers d'une crise financière et commerciale
terrible. Mais tous ces dangers étaient passés. La paix était &ite au dehors
comme au dedans. Le royaume, après de longues années d'un vasselage
ignominieux, avait repris son ancienne place au premier rang des puis-
sances européennes. Des signes nombreux justifiaient l'espérance que la
révolution de 1688 serait notre dernière révolution. Notre constitution
s'adaptait d'elle-même, par un développement naturel, graduel et paci-
fique, aux besoins d'une société moderne. Déjà la liberté de conscience
et la liberté de discussion existaient à un degré inconnu dans les siècles
précédents. La circulation monétaire était rétablie, le crédit public raf-
fermi. Le commerce s'était ranimé. L'échiquier débordait. Partout on se
22
338 . V0TA6BS «T HISTOIRE.
sentait comme soulagé, depuis la Bourse royale jusqu'aux hameaux les
plus isolés, parmi les montagnes du pays de Galles et les marais du Lin-
CQinshire. Les laboureurs, les bergers, les mineurs des houillères de
Nortbumberland, les artisans qui arrosaient de leurs sueurs les métiers
de Norwich et les enclumes de Birmingham, ressentaient ce changement
sans s'en rendre compte, et le mouvement joyeux qui animait tous nos
ports et tous nos marchés indiquait d'une manière visible le commence-
ment d'un siècle plus heureux. •
Les noble$( et les vilains du temps passé, ou recherches critiques sur
la noblesse et les usurpations nobiliaires, par Alph. Cbassaot. Paris»
Aug. Aubry, 1857 ; 1 vol. petit iq-8 (tiré à 600 exempl. sur papier
vergé) : 6 fr.
Quoi qu'on en dise, la noblesse a toujours son prix ; malgré toutes les
révolutions, elle conserve an prestige auquel souvent rendent hommage
ceux-là même qui proclament le plus haut les bienfaits de Tégatiié. Notre
siècle démocratique en offre maintes preuves. L'amour des titres et des
distinctions nobiliaires s'y manifeste jusque dans les Etats républicains»
et loin d'effacer les armes et les généalogies, on paraît disposé plutôt à
s'en créer d'imaginaires. Ce genre d'usurpation a pris même un tel déve-
loppement que, dans un rapport présenté à l'empereur des Français
en avril dernier, le ministre de la justice insiste sur la nécessité d'y por-
ter remède. Les recherches de M. Chassant nous semblent donc assez
opportunes. Puisqu'il ne peut être question d'abolir la noblesse, il convient
d'éclairer l'opinion sur sa valeur réelle, sur le sens qu'y attachaient nos
ancêtres, sur son origine, sur les services qu'elle rendit et sur les abus
qui amenèrent sa décadence. A cet égard, beaucoup d'idées fausses ont
cours dans le monde. L'éclat d'un nom impose à la plupart des hommes,
qui s'inquiètent peu s'il est bien ou mal porté, mais le regardent comme
une espèce de privilège, que les uns respectent aveuglément, tandis que
les autres le subissent avec colère. Des deux cêtés on est dans l'erreur,
faute de comprendre en quoi consiste le véritable caractère de l'institu-
tion. Pour rectifier ce double point de vue, M. Chassant fait appel à l'opi-
nion des anciens et ()es modernes, depuis Salomon jusqu'à saint Jérôme,
depuis Jehan de Meung jusqu'à M. Granier de Cassagnac, depuis le roi
Clovis jusqu'au roi Louis XIV, il passe en revue tous les sages, les écri-
vains et les monarques dont l'avis peut avoir quelque autorité en pareille
à
VOTA«BS KT HlSTOIill.
339:
matière, et dous montre qu'ils s'accordent ï oonsidérer le mérite persoiH
nel non comme une conséquence, mais- comme un corollaire indispensable
du titre. La fausse monnaie cause du préjudice à la bonne, cependant,
personne encoce ne s'est avisé d'en conclure qu*il fallait pour cela renon-
cer à battre monnaie. H en est à peu près de même de la noblesse. L'in-
dignité de quelques-uns de ses représentants note rien à la valeur de ceuJl
qui savent remplir les devoirs qu'elle commande. La devise de ces derniers
fut toujours : noblesse oblige, tandis que les autres estiment au contraire
que noblesse exempte. Mais cette déviation du principe fondamental, sur
lequel reposait le système, a produit les plus fâcheuses conséquences. La
noblesse donnant des droits sans exiger des devoirs, n'est plus qu'un dan-
gereux privilège accaparé par l'intrigue ou décerné par la faveur. C'est
ainsi que, sous l'ancienne monarchie, elle s'était faite l'instrument de sa
propre ruine. Le scandale et Tusurpation Pavaient déjà perdue dans Tes-
time publique, avant que la révolution vînt lui ravir son existence légale,
ot, chose singulière, cette dernière épreuve lui fut plutôt favorable. La
noblesse s'y retrempa, les vertus renfermées dans son sein éclatèrent aux
yeux de tous, et l'on peut dire que, malgré le triomphe des idées égali-
taires, elle gagna beaucoup en considération. Nous en avons la preuve
certaine dans le maintien de son prestige qui, de nos jours, éveille en-
core une foule d'ambitions, et produit les mêmes fraudes qu'à Tépoque
où le privilège de la naissance régnait dans toute sa force. Mais il est évi-
dent que, la noblesse étant rentrée dans le droit commun, de vains titres
ne lui suffisent plus. Ils n'ont de valeur qu'autant qu'elle les justifie par sa
supériorité morale, par son zèle et son dévouement pour le bien de l'Etat.
C'est, au reste, le vrai sens que les fondateurs de Tinstitution voulurent
lui donner. Par nobles et vilains ils entendaient, en quelque sorte, dé-
signer la vertu et le vice. Les premiers étaient regardés comme seuls
susceptibles d'un essor' bienfaisant et fécond, et leurs rangs auraient dû
s'ouvrir à tout vilain qui s'en montrait digne. Mais l'organisation de la
société ne permit point à ce recrutement normal de s'établir. Il se forma
deux castes fermées, hostiles l'une à Tautre, et dont l'antagonisme s'ac-
crut sans cesse, à mesure que les progrès de la civilisation tendaient à les
rapprocher sur le terrain commun du développement intellectuel et moral.
Cependant., les nombreux témoignages cités par M. Chassant prouvent
que la signitlcation primitive des termes de nobles et vilains demeura tou«
jours celle qu'y attachaient les vrais amis et les défenseurs sérieux «le la no-
blesse. Son livre, fort impartial, nous indique le parti qu'on peut tirer de
340 SCIBNCBS SORâLXS KT fOLlTlOUKS.
cet béritage du passé, en l'exploitefit avec sagesse, dtM l'esprit et dans
l'intérêt des tendances actuelles. On y trouvera beaucoup de curieux dé-
tails, d'aperçus piquants, de critiques fines et spirituelles. C'est de plu»
up petit chef-d'œuvre typographique, digne è tous égards de prendre
place dans les bibliothèques d'amateurs.
SCIEMCES inORAIiES ET POIilTlVUES.
Comment il ne faut pas PRÈCHEft ? par N. Roussel. Paris, Grassart^
1867 ; 1 vol. in-12. — Prières d'un enfant, par le même. Paris,
Grassart, 1857; 1 vol. in-18.
La prédication est un art difiicile à pratiquer et plus difQcile encore à
enseigner. En fait d'éloquence les préceptes servent peu si le don natu-
rel manque. La théorie la plus excellente ne produira que des résultais
médiocres, à moins que Télôve ne possède ce feu sacré qui, même chez les
natures incultes, anime et féconde la parole. C'est pourquoi M. Roussel,
au lieu de suivre la marche ordinaire, a préféré donner à son enseigne-
ment la forme critique. L'idée ne manque pas d'originalité, mais de plus
elle nous semble atteindre mieux le but. En signalant aux jeunes prédi-*
cdteurs les défauts qu'ils doivent éviter, on leur rend un service réel,
tandis qm trop souvent les leçons d'éloquence n'aboutissent qu'à pro-
duire de pauvres orateurs, froids, compassée, emphatiques ou pi^étei»-
tieux. D'ailleurs il est beaucoup plus aisé de dire comment il ne faut pas
prêcher, que d'exposer d'une maaière satisfaisante les règles de la cooh-
position et du débit. Le seul inconvénient de cette ooétbode serait de
fournir matière à des personnalités fâcheuses. La tentation est grande de
citer des exemples et de les prendre chez ses contemporains. Mais
M. Roussel use à cet égard d'une sage réserve ; il s'abstient absolument
de toute allusion semblabie. Ses critiques s'adressent à des personnages
fictifs auxquels il attribue les 4ifféreiAtes manières de prêcher qui lui pa-
raissent défectueuses, soit au point de vue de l'éloquence, soit à celui de
l'édification, car c'est ce dernier surtout qu'il regarde comme le plus im-
portant. Ainsi débarrassé de toute crainte, il donne libre essor à sa verve,
il attaque sans ménagement les faiblesses, les prétentions, les recherches
et tout ce qu'il y^a de fuux ou d'affecté dans le discours du prédicaleuf .
La plupart de ses remarques sont aussi justes que spirituelles, et présen-
tées sous une forme très-piquante. Après avoir passé en revue les déCau<ts
8GIB9CaBB KOIALIS IT MLIIIQUIIB. 341
les plus eommons qu*on rencontre chez les orateurs sacrés de toutes les
époques, ii montre que le vrai modèle de la prédication se trouve dans
FEvangile. C'est là qu'il faut l'étudier, et Ton y verra que la parole de
Jésus, toujours claire, simple et profondément sentie, était plus puissante
que les expédients de l'art oratoire.
Dans les IMhresd'unenfant^ H. Roussel s'est proposé, non de donner
un formulaire qui puisse être appris par cœur, mais plutôt d'offrir quel-
ques exemples propres à diriger le premier essor des émotions religieuses.
Il prend des pensées habituelles aux enfants et cherche à les développer
comme ils le feraient eux-mêmes. Ce sont de courtes prières dont l'objet
principal est de demander à Dieu le secours de sa grâce et l'appui de sa
bonté. Elles nous semblent répondre assez bien au but de l'auteur qui,
du reste, conseille très-sagement aux parents de s'en servir le moins
possible, c et d'amener, dès qu'ils le pourront, leurs enfants à prier Dieu
eux-mêmes, dans leur propre langue, avec la liberté et la simplicité
dont usent ces enfants pour demander à leurs parents les objets maté-
riels dont ils ont besoin. •
MÉLANGES ÉCONOMIQUES, par M. Frédéric Passy. Paris, Guillaumin et
G«, 1857; 1 vol. in-lS : 3fr. ftO.
Les divers articles que renferme ce volume ont paru déjà, soit dans
le Journal de$ écùnomiêtes, soit dans d'autres reeueils du même genre*
Mais ils n'en seront pas moins bien accueillis sous cette forme nouvelle qui
leur donne accès auprès d'un public plus nombreux. M. Passy n'est pas
un de ces hommes purement spéciaux qui n'écrivent que pour les éru-
dits. Quelles que soient les questions qu'il traite, il sait se mettre à la por-
tée de tous les lecteurs intelligents, et captiver leur attention par l'attrait
des idées générales, ainsi que par le charme du style. Peut-être lui re-
. prochera-t-on de manquer quelquefois de profondeur, mais nous esti-
mons qu'en popularisant ainsi la science il lui rend des services non moins
réels, et contribue d'une manière fort utile à ses progrès. L'économie
politique est suffisamment avancée en théorie, l'essentiel à préseoi est de
travailler à détruire les préjugés qui l'empêchent de triompher dans la
pratique, M. Bastiat avait entrepris cette t)che avec un talent plein de
' courage et de verve. Comme le di| nQ(r# «ut(^ur dans l'intéressante notice
, iqu'il Wi consacre :
^2 SCA1IGB8 HOEALBS BV POLniQUBB.
• il ne s*est occupé, pendant le peu d'années qui lui ont été données,
que de répandre çè et là, sans repos ni trêve, par toutes les voies et sous
toutes les formes, les pensées utiles, consolantes ou graves, que suggé-
raient chaque jour à sa prompte intelligence et à sa réflexion exercée,
les faits pressés et divers d*un temps d'agitation et de fièvre. La semence
si lit>éraleroent jetée aux vents de la publicité n'a pas été perdue. La voix
du moraliste ( car de quel autre titre appeler cet économiste philosophe
qui rapporte tout au droit?), tour à tour et tout à la fois indulgente et
sévère, toujours sérieuse et sympathique, a frappé bien des oreilles. Ses
arguments, variés avec une fécunditë inépuisable ou répétés avec une
infatigable persévérance, ont fait impression sur bien des esprits. Ses
écrits répandus avec une profusion généreuse, ont pénétré dans tous les
camps. >
C'est très-vrai. Bastiat, malgré les critiques dont ses doctrines peuvent
être l'objet, avait compris, mieux que personne, la nécessité de rendre
l'économie politique populaire. L'exemple qu'il a donné mérite d'avoir
des imitateurs, et Ton doit applaudir aux efforts de ceux qui, sans prétendre
marcher sur ses traces, cherchent du moins à continuer son œuvre, en
vulgarisant des notions trop peu répandues encore, même dans la classe
éclairée. Le volume que publie M. Passy nous semble remplir assez bien
les conditions voulues , pour atteindre ce but. L'esprit, le bon sens et la
clarté n'y font point défaut. On y trouvera d'ailleurs des sujets très-di-
vers, traités sous une forme agréable, toujours ingénieux et parfois assez
. piquants. Ce sont : La famille et la société. — Sir Robert Peel. — De
l'influence morale et matérielle de la cootraiote et de la liberté. — Soli-
darité morale des nations. — L'ancien régime et le nouveau. — De
l'avenir politique de l'Angleterre. —-Causes-morales et remèdes moraux
des crises alimentaires. — Hydraulique chinoise. — Les maux naturels et
les maux artificiels. •— Frédéric Bastiat.
Etude biblique sur le baptême, ou le pédobaptisme de l'Eglise, par
R. Clément. Lausanne, G. Bridel, 1857 ; 1 vol. in-12 : 4 fr. 50.
Tous les chrétiens n'attachent pas au baptême la même importance.
Quelques-uns le regardent comme inutile, et parmi ceux qui Tadmetteot
il existe diverses opinions touchant l'âge auquel on doit accomplir cette
cérémonie. Plusieurs sectes attendent l'dge adulte, afin que le néophyte
ait conscience des engagements qu'il contracte. Dans l'Eglise romainse.
9GUUICB8 XORALES BT POUTIQIIBS; 343
âu contraire, le baptême éUot une (toâditioo essentielle du salut, on lad»
ministre dès la naissance de l'enfant, et chez la plupart des protestants
calvinistes ou kiihériens, sans partager la môme croyance, on estime que
les enfants doivent être baptisés en bas âge. C'est à cette dernière ma-
nière de voir que se rattache M. Clément. Le pédobaptisme lui paraît
plus conforme au Caractère de Tinstitution chrétienne, ainsi qu'à la doc-
trine de l'ancienne Eglise telle qu'on la trouve exposée dans les écrits
des Pères. Son livre renferme sur ce point un enseignement très-com-
plet. 11 retrace d'abord l'histoire du baptême, chez les juifs et chez les
chrétiens, et montre par des citations nombreuses quel était le sens qu*on
attachait à cette cérémonie dans la primitive Eglise. Puis, après avoir ex*
posé les faits relatifs au baptême des petits enfants , il en discute la con-
venance et combat les objections diverses qu'on prétend tirer surtout du
silence des saintes Ecritures à cet égard. Son argumentation basée préci-
jsément sur TEvangile tend à mettre en évidence l'accord qui règne entre
le pédobaptisme et la doctrine chrétienne. On lira, nous croyons, avec beau-
coup d'intérêt cet ouvrage empreint d'une foi vive, éclairée et féconde.
L'Europe et la Russie, par H. de Lamarche. Paris, Pagnerre, 1857;
1 vol. in-12 : 3 fr. 50.
Dans ce volume, M. de Lamarche passe en revue les causes de la
guerre d'Orient, présente quelques remarques critiques sur le siège
de Sébastopol, expose les résultats que doit, suivant lui, produire
l'alliance anglo-française, et termine par un projet de confédération otto-
mane. Il regarde l'union de la France avec l'Angleterre comme l'évé*-
nement le plus heureux pour la paix du monde, et le plus propre à
favoriser le véritable progrès de la civilisation. De même qu'elles ont
arrêté l'ambition russe, et maintenu la Turquie malgré les éléments de
dissolution qui semblaient la menacer d'une ruine prochaine , elles
pourront contenir les tendances révolutionnaires et les tendances ab-
solutistes, et provoquer d'utiles et sages réformes dans les différents
pays de l'Europe. Leur intérêt commun est d'encourager partout l'essor
pacifique et régulier du développement national, àfm de prévenir le re^
tour de ces luttes désastreuses qui ne sont propres qu'à faire le malheur
des peuples. Rétablir le principe d'autorité sur une base plus solide en le
€onciliant avec les idées libérales, telle est la noble tâche que M. de Lamar**
344 8€»aCI6 1I0EALK8 BT roun(|VB0.
€he assigne aux congrès futurs. Deux obstades principaux restent en-
eore à vaincre : ce sont, d'une part, les prétentions ultramontaines, de
l'autre, l'état de décadence dans lequel se trouve l'empire turc. Quant
aux premières, M. de Lamarche estime que la politique anglo-française
en triomphera sans peine, ce n'est qu'une question d'opportunité. Le
partage de la Turquie soulèverait des difficultés beaucoup plus graves, el
notre auteur n'admet pas que la nation turque soit, comme on l'affirme,
incapable de se régénérer. Elle lui parati au contraire renfermer encore bien
^es éléments de force, bien des ressources dont on peut tirer parti. C'est
pourquoi, loin de vouloir lui ravir son indépendance, il propose de la re-
constituer sous la forme fédérative, avec le sultan à sa tête comme empe-
reur héréditaire. Le projet qu'il présente est assez séduisant, car il ré-
soudrait le problème sans porter nulle atteinte 1 l'équilibre des puissances
européennes. Reste à savoir si son exécution serait possible. Mais, quoi
qu'il en soit , le livre de M. de Lamarche se distingue par des aperças
fort ingénieux qui le feront certainement lire avec intérêt.
L'agriculture et la population , par L. de Lavergne. Paris, Guil-
laufflin eiC% 1857 \ 1 vol. in-i8 : 3 fr. 50.
M. de Lavergne a réuni dans ce volume les divers articles que lui a sug-
gérés la longue crise des subsistances» et qui ont paru déjà dans la Rmmê
des Deux Mondes ^ de 1855 à 1857. U commence par deox études re-
marquables sur l'exposition universelle de 1855, dans ses rapports avec
les progrès de l'agriculture, puis soumet à l'examen d'une critique lrôs«-
judicieuse le bel ouvrage de M. Le Play sur les ouvriers européens, pré-
sente d'intéressantes considérations au sujet de la liberté commerciale et
des bienfaits de la paix , et termine par le dénombrement officiel de la
population en |1856. Les vues de M. de Lavergne sont celles d'un agro-
nome très-éclairé qui comprend toute l'importance des questions écono*
miques. Ses études l'ont conduit à regarder la liberté commerciale comme
le moyen le plus sûr d'activer la production, et par conséquent de pré-
venir ou du moins d'atténuer les crises semblables à celles que nous ve<^
nops de traverser. Il insiste donc sur ce point avec d'autant plus de force
que l'état d'infériorité dans lequel se trouve ragricuiture française lui pa*
raît exiger des remèdes énergiques. En effet le mal est grand : l'insuffi-
sance des récoltes, jointe à la diminution des naissances» l'indique assez ;
sQHHicM tv âftn. 345
«es deux ét^maB^s de la prospérité tiaUoDale sorrt en sotiffirance, et ce
n'est pas, oorame beaucoop le pfétfAdent, rhuervention du gouverne-
mM qoi peut FétaUir l'équilibre. M. deLavergne croît au contraire
qu'eUe serait impuissante et plutôt dangereose. La seule chose qu'il lui
dmaode» c«st de cliereher àfëdaire les dépenses publiques, afin de di-
ffiMuer, autant que possible* les diarges qui pèsent sur la population :
c'est de bire disparaître les entraves qui gênent le libre essor du corn-
«aeree et de Tindustrie. Il estime que pour te reste les efforts particuliers
doivent suffire. En France l'intelligence et l'activité ne font pas défaïut ;
ce qui manque, c'est une direction ferme et soutenue vers un but vraiment
utiie. On se laisse éblouir par l'éclat du luxe, tandis que ragricolturê,
souroe première de la richesse, est négligée, dédaignée même d'une ma-
nière presque générale. C'est ce travers qu'il importe surtout de cem-
hattre, et les arguments pciseotés par M. de LAvergn^, avec non moins
^l-esprii que de bon sens et de clfurlé, eent de nature à produire la plus
vive impreesion.
•
SCIfilHeES KT AWLTU.
Exposition et histoire des principales découvertes scientifiques mo-
dernes, par Louis Figuier, tome IV. Paris, 1857; 1 vol. gr. iû-i8.
€e nouveau volume d'his^re scientif que sera sans doute accueilli avec
la même faveur que les trois précédents, auxquels m\ succès mérité a
4^1 vaiu les honneurs d'une quatrième édition. Les sujets qu'il traUe
iom exposés avec une clarté parfaite, qui permet de suivre pas à pas, et
avec la plus grande facilité, l'histoire des découvertes fiiites dans le do-
maine de l'électricité.
Les deux premiers chapitres, qui auraient pu être réunis en un setrt,
sont consacrés à la Maekin4 éUetrique el à la BotU$iUe de L^yde. Le
troisiène, qui traite du Paraionn*rre, ^t, en quelque sorte, une his-
toire de i'éiecincité atmosphérique. Le quatrième, et feut-être le plus
important, est réservé à la Pile de Volta et auxadSons chimiques: méca-
niques et physiolegiques qu'eHe produit. Ce vohiaie éarme ainsi, en y
jrâgnant les chapitres du tome deuxième relatife à la galvanoplastie, I la
dorure et à laMégraphie éleetrique, une hisfeaire complète de l'^leetricilé
et de ses applioalions iodustrieiles.
Nous regrettons que le manque d'espace ne nous permette pas de re*
produire kt tes #ages où sont raoontées les grandes et curieuses expé-
^6 SCiKMCBB ET AEXS.
V
.riencfcs faites à la fin du siècle passé, dans le but de soutirer réiecirieité
contenue dans l'atmosphère Ces expériences avaient non-seulement Tat^
trait de la nouveauté, mais elles se présentaient avec une grandeur impo-
sante bien digne d'enthousiasmer les esprits les plus froids. Partant du
pouvoir des pointes, Franklin en Amérique, et de Romas à Nérac, imagi-
nèrent leurs ceris-volants électriques, au moyen desquels ils allaient cher-
cher jusque dans les nuages des quantités énormes d'électricité, qui pré-
sentaient l'apparence et tous les effets de l'éclair et du tonnerre. On
comprend facilement combien les imaginations furent frappées en voyant
un homme aller au-devant de la foudre» et diriger à son gré cette force,
jusque-là mystérieuse, que tous les peuples ont regardée comme une arme
de la divinité. Après la réussite de ces expériences, l'esprit éminemment
pratique de Franklin franchit bientôt un pas de plus et trouva le para-
tonnerre. Cette invention, comme tant d'autres, eut dès son début ses
adeptes 'Ct ses détracteurs. Le paratonnerre rencontra des ennemis non-
seulement en Angleterre, où, à Tinstigation de Georges 111, on fît la
guerre à l'appareil imaginé par Vinsurgé américain, mais même dans
certaines villes du continent. Voici deux anecdotes que raconte à ce sujet
M. Figuier:
( En 1783, un gentilhomme de la ville de Saint-Omer, M. Vissery de
Boisvallé, avait fait élever sur sa maison un paratonnerre, qu'il avait sur-
monté d'une sorte de globe terminé par une épée qui semblait menacer
le ciel. A la vue de cet appareil, toute la ville fut en rumeur; la foule se
rassembla menaçante et toute prête à faire un mauvais parti au téméraire
novateur. Partageant les préjugés populaires, la municipalité de Saint-
Omer, au lieu de soutenir M. de Vissery, rendit un arrêt qui lui intimait
Tordre d'abattre l'appareil suspect. Ce dernier résista à une prétention
qui excédait les pouvoirs de Tautorité municipale, et saisit de la question
le tribunal d'Arras. Un avocat, alors très-obscur, fut chargé de la défense
de H. Vissery de Boisvallé: sa plaidoierie et la cause à laquelle elle
se rapportait eurent un grand retentissement. Toute la France s'occupa
de l'affaire de Saint-Omer et en suivit les phases avec sollicitude. Le ju-
gement du tribunal d'Arras, du 31 mai 1783, qui cassait l'arrêt de la mu-
nicipalité de Saint-Omer» fut accueilli dans le royaume avec des applau-
dissements unanimes, et on lut avec empressement la plaidoierie du jeune
avocat qui, au dire du Journal des savants, avait traité son sujet avec
beaucoup d'esprit et d'érudition.
. < Le jeune avocat du tribunal d'Arras s'appelait H. de Robespierre, et
cette affaire commença la réputation du célèbre conventionnel.
8CIBMCIB er ARTS. 347
«Ed 1771, Th. de Saussure, à Genève, avait 6it dresser un paraton-
nerre pour garantir sa maison et son quartier. Toute la ville s'émut, et
pour tranquilliser les esprits, M. de Saussure dut faire imprimer un petit
ouvrage sur Yutiltté des conducteurs électriques, dont on distribuait des
exemplaires gratis à toute personne qui se présentait à un bureau d'avis. >
c Ces faibles oppositions furent bientôt vaincues, et les pointes s'éle-
vèrent triomphantes sur tous les édifices. C'est alors que Turgot com-
posa, à la louange de Franklin, le vers suivant :
Eripuit cœlo fulmen, mox sceptra tyrannis,
qui, après que le triomphe des armées américaines eut assuré l'indépen-
dance de la nouvelle république, fut changé en celui que toutes les bouches
ont répété:
Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis. • Â. H.
L'insecte, par J. Michelet. Paris, Hachette et C»«, 1858 ; 1 vol. in-12 :
3 fr. 50.
Pour se délasser des rudes travaux de l'histoire, M. Michelet se livre à
l'observation de la nature. Cette tendance nouvelle de son esprit présente
un phénomène assez étrange, car elle dénote une fraîcheur d'impressions»
une surabondance de sève qui d'ordinaire sont plutôt Tapanage de la jeu-
nesse. L^bistorien quitte son cabinet pour se retremper avec bonheur au
milieu des bois et des champs. Il admire avec une joie naïve le moindre
brin d'herbe, Toiseau qui gazouille, l'insecte qui bourdonne, et semblç
découvrir à chaque pas des merveilles dont jusqu'alors il n'avait pas
même soupçonné l'existence. Ce qui le séduit, ce n'est pas l'attrait des
recherches scienlitiques, ni l'espoir de les enrichir de quelque fait nou-
veau ; c'est la poésie répandue dans les œuvres du Créateur. Il entonne
un chant d'enthousiasme, comme si le spectacle de l'univers s'offrait à ses
regards pour la première fois, et son imagination se charge de suppléer
à la science qui lui manque. Après nous avoir donné le roman de l'Oi-
seau, charmant livre, plein d'aperçus ingénieux, de jolies descriptions,
d'hypothèses hasardées, mais originales et fort attrayantes, M. Michelet
nous donne aujourd'hui le roman de l'Insecte qui n'est pas moins riche.
• Le premier a pour épigraphe : Des ailes L.,. le second: L infini vivant.
• L'auteur indique ainsi très-bien l'idée qui le domine et qui nous paraît
•Assez étrangère à Thistoiro naturelle. C'est une conception philosophique
S48 BCURCtt K AMS.
ayant pour objet de montrer que rélément inteiieclaeljoue chez tes animaux
un rôle pour ie moio» aussi gran4 que cbes l'homme. M. Miebelel accorde
à l'oiseau les plus nobles qualités de Ttrliste, à Tinseete les vertus du
travailleur et le génie industriel. Dans cette œnception tout n'est pas
faux, sans doute, mais les détails se ressentent Décessairement du point
de départ. Quand il s'agit de prouver une thèse, on est enclin à voir les
* choses avec des jeux prévenus, on exagère, on embellit, on brode, parce
que le but étant déterminé d'avance, tout doit y concourir. C'est on ce
sens que nous nous permettons d'appeler romans les deux ouvrages de
M. Michelet. Nous avons déjà signalé, dans un autre article, la part beau-
coup trop considérable d'intelligence qu'il fait à l'oiseau; l'insecte n'est
pas traité moins libéralement ; avec de semblables concessions, l'homme
abdique son titre de roi pour être relégué au rang des êtres les plus in-
fimes de là nature. Mais si l'idée nous semble fausse, l'auteur a su lui
donner un singulier attrait par la verve de son style et par l'originalité
de son esprit, li étudie en poète, et tire un merveilleux parti des données
de l'observation. Sa plume habile rajeunit des sujets qu'on pouvait croire
usés. Les patientes recherches de Swammerdam, les mœurs de l'arai-*
. gnée, la république des fourmis et le gouvernement des abeilles lui feur>
nissent de nombreuses pages pleines de charme qui captiveront au plus
haut degré l'intérêt des lecteurs. Chez lui la pensée est toujours vigou-
reuse et féconde. C'est un mérite qu'on ne saurait estimer trop haut et
qyi compense largement les critiques qu'on peut lui faire au point de vue
• de la science
Relation médigo-chirurgigale de la campagne d'Orient, par te O G.
Scrive. Paris, V. Masson» 1857; 1 vol. in-S* : 7 fr. 50.
La campagne d'Orient, si remarquable au fioint de vue militaire, offire
également des résultats d'une haute importance en ce qui concerne le
service médical. Si l'armée française a fait des prodiges de valeur, Il est
juste d'accorder une part de la gloire, acquise dans cette lutte, aux hommes
dévoués dont la sollicitude et le zèle n'ont pas un seul instant faibli au
milieu des plus terribles épreuves. Le courage du médecin n'est pas moins
digne d'admiration que celui du soldat. Aujourd'hui surtout les périls sont
à peu près les mêmes pour l'un et l'autre, car les ambulances accompa-
gnent la troupe jusque sur le champ de bataille, et le médecin, après
avoir secouru Ses blessés sous le feu de l'ennemi, doit les suivre à Thé-*
8€UI1CB8 BT AR10. 349
pilai, où l'atteodenl des opérations qui souvent exigent encore plus de
sang-^froid et de fermeté d'âme. Il est d'ailleurs exposé sans oesse au&
dangers de l'infection qui résulte du trop grand nombre de malades en*
tassés dans des locaux insuffisants, mal aérés et dépourvus des ressources
nécessaires. L»e8 épidémies sont.raooompagBement inévitable de la guerre,
et leur action fait plus de victimes que cdle des armes. Quelle effrayante
responsabilité que celle du médecin en chef d'une armée de 300»000
hommes. Mais U. le D'Scrive était à la hauteur de sa tâche. Dès le dé-
but de la campagne» il déploya Tactivilé la plus intelligente. Son premier
sein fut d'organiser le service de manière à prévenir toute espèce de con-
flit, de mécontentement, ou de rivalité fâcheuse qui pourrait entraver sa
marche. 11 s'occupa d'abord d'assurer au personnel médical placé sous
ses ordres une position convenable, de manière à lui permettre de vivre
contortablement et surtout de conserver son indépendance. C'était le meiU
iQur moyen de gagner l'estime et l'affection de ses subordonnés dont les
eSiMrts s'unirent aux siens et facilitèrent beaucoup l'établissement des hô-
pitaux provisoires qui, d'après l'effectif des troupes alors sous les dra-
peaux, devaient être en état de contenir 50()0 malades au moins. 11 fallait
de plus des ambulances actives, prêtes à suivre l'armée dans toutes ses
opérations. M. le D^Scrive, appuyé par le concours du général en chef,
était parvenu à vaincre les obstacles, et le service médical présentait un
aspect très-satisfaisant, lorsque vint l'ordre de s'embarquer pour Varna,
Le iransport s'accomplit heureusement. Mais à Varna l'armée rencontra
un fléau plus redoutable que les canons de l'ennemi, c Lorsqu'à peine
réunie, ^it*M. le D^ Scrive, elle se disposait à faire payer chèrement aux
Russes leur occupation violente des Principautés danubiennes, elle est su-
bitement envahie par le choléra, qui trace, à Athènes, à Gallipoli, à
Varna et dans la Dobruska un long sillon de morts dans les rangs de nos
officiers et de nos soldats. Plus tard, à la suite de la magnifique victoire
de TÂIma, pendant notre marche sur Sébdstopo1,i;e terrible fléau immole
encore de nouvelles victimes, au nombre desquelles nous avons la douleur
de compter l'illustre maréchal Saint-Arnaud. Ensuite commence cette
série si longue de travaux immenses, de dures misères, de privations de
toute espèce, de combats continuels, de luttes gigantesques contre l'ennemi
qm résiste énergiquemeol à nos attaques, et contre les rigueurs de l'hi-
ver, rendues plus pénibles par l'absence absolue de moyens efficaces à
leur opposer. C'est alors que, pour un grand nombre de nos braves dé-
fenseurs, les forces font défaut à l'énergie morale qui les soutenait Jus-
3S0
SCnMCBS ET ARTS
qoe-là, et que nous comptons avec peine, dans la période de janvier
4855, jusqu'à neuf mille entrées aux ambulances.» Avec le printemps,
l'état sanitaire s'améliore, mais cela dure peu. Bientôt une nouvelle épi-
démie du choléra enlève i500 hommes, et le scorbut se déclare avec vio-
lence. Enfin, après la prise de Sébastopol, durant le second hiver que
l'armée passe en Crimée, le nombre des malades s'élève jusqu'à 12,000
par mois : du !•' décembre 1855 au 1« avril 1856 on compte i8,000
entrées aux ambulances, sur un effectif de 145,120 hommes. En résumé,
des 309,268 hommes envoyés en Orient, 200,000 sont entrés aux hôpi-
taux ou ambulances, 50,000 pour des blessures de guerre et 150,000
pour des maladies de tout genre. Le chiffre des morts s'élève à 69,229.
On peut d'après cela juger combien le service médical fut pénible, et
quel dévouement, quelle abnégation il exigea de ceux qui le dirigeaient.
M. le D^ Scrive expose avec beaucoup d'ordre et de clarté les différentes
péripéties de ce long drame. Son livre est divisé en deux parties, dont la
première lenferme le récit détaillé des cinq périodes médicales de la cam-
pagne, avec les pièces justificatives qui les concernent. La secbnde offre
un résumé d'ensemble des faits médicaux dans lequel l'auteur constate les
résultats importants que la science peut en tirer, et signale maintes amé-
liorations qui lui paraissent urgentes. Tout en regardant le service mé-
dical français comme supérieur ï certains égards, il insiste pour qu'on ne
néglige pas les enseignements fournis par la campagne, de Crimée. Il es-
time qu'au point de vue hygiénique l'organisation anglaise présente des
avantages incontestables, et il voudrait les introduire dans le système
français. L'esprit de justice et le zèle éclairé qui animent M. le D' Scrive,
donnent à sa relation un intérêt très-vif, même pour les lecteurs les plus
étrangers aux études médicales.
Meunerie, construction des moulins de Saint-Maur. Paris, Lacroix-
Comon, 1857 ; in-8 et atlas.
Parmi les nombreux ouvrages qui traitent des applications de la science
à l'industrie, il est rare d'en trouver où la partie technologique du sujet
soit nettement et simplement expliquée.
Les industries les plus répandues et, partant [les plus nécessaires
sont souvent négligées, ou restant l'apanage de praticiens peu pressés de
faire part au public de leurs inventions et de leurs procédés.
La meunerie semble avoir été^plus particulièrement délaissée, et il n'y
SCI«!fCE8 S^r AUTS. 351
a qve fort peu d'années que ta seîence a apporté dans cette importante'
indostrie une^ phase nouvelle. Le vaste établissement de Saint-Maur, sur
le canal de la Marne, a depuis trente années subi de nombreuses modifi-
cations: toutes les données de la théorie et de l'expérience ont contribué
tour à tour à faire de ce moulin un des plus parfaits de l'Europe; ses
iO paires de meules sont mues par l turbines, produisant ensemble une
force de 150 chevaux ; 720 hectolitres de blé peuvent être cbaque jour
réduits en farine.
C'est donc un véritable service rendu aux industriels que de publier à
part, et sous une forme économique, une description des moulins de
Saint-Maur.
L'ouvrage se compose de cinq planches relatives à la meunerie, quatre
aux turbines, et une représentant une machine è nettoyer les grains.
Toutes ces figures se distinguent par leur exactitude et leur netteté ;
cbaque appareil y est représenté avec des détails cotés, et à une échelle
suffisante pour servir à une sérieuse étude.
Le text^se compose de 46 pagfes in-octavo, et ne comprend qu'une
légende explicative des planches et quelques détails historiques sur les
turbines.
L'ouvrage est uniquement destiné aux hommes pratiques pour lesquels
l'usage des appareils est parfaitement connu ; c'est ce qui explique la
brièveté du texte.
il est évidemment regrettable que l'auteur n'ait pas daigné s'adresser
à une catégorie plus étendue de lecteurs, et n'ait pas ajouté à la repro-
duction de l'article inséré dans le Répertoire de l'industrie française,
quelques développements instructifs sur la marche et l'utilité des divers
appareils, et rendu par cette addition son travail intéressant pour tout le
monde. Â. R. M.
Considérations sur la tactique de l'infanterie en Europe, par le général
Renard, aide de camp de S. M. le roi des Belges. Paris, J. Dumaine.
1857 ; 1 vol. in-8^
L'auteur de cet ouvrage insiste avec force sur l'importance de la tac-
tique. 11 la regarde comme l'élément principal de la victoire sur le champ
de bataille, et ne croit pas que les grandes manœuvres de la stratégie
puissent impunément négliger son secours. Cette opinion est, du reste,
appuyée sur l'autorité des plus illustres écrivains militaires. M. Renard
352 SOlHÇttl R ABI0.
cite» eulre autres, plusieurs passages remarquables tirés des mémoiresde
Napoléon. Dans i'ari de la guerre» plus que dans nul autre, la théoriodoit
être constamment subordonnée aux exigences de la pratique. On ne sau**
rait prévoir d'avance toutes les difficultés qui surgiront. L'instrument esl
trop multiple et trop variable pour qu'on puisse déterminer d'une ma-
nière absolue l'emploi qu'on en fera dans les innombrables circonstance»
diverses qui se présentent. C'est pourquoi l'application des principes de
la stratégie risquerait souvent d'échouer, sans les précieuses ressources
que lui fournit la tactique. En effet, celle-ci répond plus directement au
but de la guerre, qui est la bataille, tandis que l'autre a pour objet de
préparer cet acte décisif, c La bataille, dit M. Renard, constitue TactioD
principale d'une opération, et n'en est pas un acte séparé. Une seule
pensée domine ; il n'y a pas une idée pour la manœuvre et une idée pour
le combat : ce qui a été conçu stratégiquement est exécuté et poursuivi
tactiquement. » Ce sont deux sciences tellement nécessaires l'une à l'autre,
qu'elles semblent en réalité n'en former qu'une seule, comme le pensait
sans doute Napoléon qui n'employa jamais le mot de stratégie. Il convient
donc de faire une large place à la tactique et d'en favoriser l'étude autant
que possible. Or les règlements de l'armée française' sont sur ce point
fort en arrière des progrès de la science. M. le général Renard les re-
garde même comme les plus incomplets qui existent. Pour le prouver, il
passe en revue les guerres de la république et de Teropire, et signale
l'influence qu'elles ont exercée sur les règlements de manoeuvre de l'in-
bnterie, soit en France, soit dans les autres Etats de l'Europe. La guerre
de Grimée lui fournit également des exemples dont il se sert pour mon-
trer que les armées alliées ont dû la victoire aux inspirations d'une tac-
tique improvisée sur le champ de bataille, devant laquelle la savante
théorie des Russes voyait échouer toutes ses combinaisons. Cette esquisse
rapide est très-intéresante, et les vues de l'auteur en reçoivent une con-
firmation bien propre à les faire accueillir avec confiance.
REVUE CRITIQUE
DES
LIVRES NOUVEAUX.
lilTTERA'TtJRE.
MiLiANAH, épisode des guerres d'Afrique, par J. Aulran. Paris, Michel
Lévy frères, 1857 ; 1 vol. in- 12: 1 fr. 25. — Fleurs et sourires,
• ëtrenne poét'iqae dédiée aux dames piémonlaises, par M"" A. -S. Sas-
serno. Turin, 1 vol. in-12. — Alperoses, chants suisses, parX. Koh-
1er. Porrentruy, V. Michel, 1857; 1 vol. in-12.
En 1840, dans une expédition entreprise pour ravitailler quelques
points fortifiés occupés par les Français, le noiaréchal Valée s'empara de
Miiianah, Tune des villes où dominait encore Âbd-el-Kader. Quoique ce
ne fût plus qu'un monceau de ruines, les habitants l'ayant abandonnée après
y avoir mis le feu, on jugea convenable d*y laisser une garnison sous les
ordres de M. le colonel dlllens. Les hommes chargés de la défense de
ce poste perdu au milieu d'une contrée ennemie, se virent bientôt exposés
aux plus cruelles privations. Leurs provisions s'épuisèrent, des lièvres
pernicieuses vinrent les décimer, l'incendie détruisit les récoltes sur les*
quelles ils avaient compté, c Pressés par la faim, les soldats mangeaient
ce qu'ils pouvaient ramasser, jusqu'à des herbes et des mauves. Cette
nourriture malsaipe, agissant sur le cerveau, les portait à la nostalgie,
au suicide. Sur douze cents hommes, sept cent cinquante avaient déjà
succombé, quatre cents étaient à l'hôpital, les autres n'en valaient guère
mieux. » Cependant, ils n'en opposèrent pas moins une héroïque résis-
tance aux attaques des Arabes, et pendant plusieurs semaines, en proie
aux horreurs de la faim et de la maladie, ils maintinrent glorieusement le
drapeau français sur les murs de Miiianah, jusqu'au moment où le géné-
ral Changarnier réussit à ravitailler la place. Un semblable épisode était
bien digne d'inspirer le poëte, auquel déjà nous devons les chants har-
monieux intitulés : Laboureurs et soldaU. Mieux que nul autre, M. Au-
tran sait unir la noblesse du style avec la simplicité des détails, talent
précieux pour la peinture des scènes militaires. Sa poésie, classique par
23
354 LiTTiitATuaB
la forme, aborde franchement les choses de la vie réelle, sans tomber dans
les écarts du réalisme. Il tient compte d'ailleurs des accessoires, ainsi que
des idées de son siècle, et comprend que les héros de Tépoque actuelle
doivent offrir un tout autre caractère que ceux des anciens temps.
C'est dans le journal teau par b cikmel iKlllens que M. Autran a
puisé l'inspiration. Son poëme n'est, en quelque sorte, que le reflet de
ces notes, tracées au jour le jour, au milieu des plus terribles épreuves.
Ils sont là, réunis dans la ville déserte :
De fiévreux, de mourants, la poussière est couverte.
Ceux qui, debout encor, veillent à leurs cdtés.
Ressentent de la faim toutes les cruautés.
La foudre, par instant, rase leur forteresse ;
Sur la haute esplanade, un signe de détresse,
Un reste d* étendard que le vent fouette et mord,
Gomme un lambeau vivant, se déchire et se tord.
Ds écoutent, par groupe, inclinés en silence.
Ces clameui*s, ces sanglots, que la tempête lance,
Cette foudre et ces vents qui, roulant en éclats.
De leur dernière nuit semblent sonner le glas.
Sinistre obscurité, profondeurs solennelles !....
Au rempart désolé, de rares sentinelles
A peine errent encor, — malades aux pieds lents,
A leur poste de nuit, £sintémes vigilants-
De ces derniers gardiens pour augmenter le nombre,
A Tangle des crénaux des chiens guettent dans Tombre ;
Chiens que Ton prit vaguant par la ville en débris,
Et qui pour cet emploi sont maigrement nourris.
Faméliques, hideux, les pattes contractées.
On croirait voir de loin ces chimères sculptées.
Ces gargouilles de pierre, au monstrueux maintien,
Qui couronnent les tours d'un vieux temple chrétien.
Ce soir, leurs aboiements aux cris de la tempête
Se mêlent, dur concert qu'un triple écho répète.
— Veillez, faibles soldats ! Veillez, chiens attentifs !
Epiez au désert les Kabyles furtifs.
Les appels de la foudre excitant leur courage,
Ils marchent, cette nuit, complices de Forage ;
Ils marchent, et demain leurs innombrables rangs
Viendront livrer l'assaut à de pâles mourants.
LlTT^RATtiVB. S!^
Ce tableau présente un spécimen du ton qui règne dans l'œuvre du
poète. Pour produire de Teffet, il n'appelle point à son aide les exagéra-
tions déclamatoires ; l'exactitude historique lui suffit, et la teinte sévère
dont elle est empreinte ne nuit point à l'impression profonde que laisse
dans l'âme ce récit, vrai jusqu'aux moindres incidents. L'auteur s'attache
surtout à faire ressortir le contraste de Ténergie morale à côté des mi-
sères et des souffrances physiques :
Aux armes ! Tennemi s'apprête à Tescalade ;
D n'est plus aujourd'hui de fiévreux, de malade !
Debout, agonisants ! Debout, aux arsenaux.
Aux canons ! Gourons tous pour sauver les créneaux !
A ce cri, des souffrants la troupe convoquée
Se dresse avec effort du sol de la mosquée.
Péniblement groupés en maigres pelotons,
Ils marchent d'un pied faible, aidés par des bâtons.
Oh ! ne dirait-on pas des fantômes livides
Sortis, le fer en main, de leurs sépulcres vides?
Les fusils pour leurs bras sont de pesants fardeaux;
Et, comme des vieillards, ils vont courbant le dos
Leurs chefe, — la feinte ici, Muse ! n*est plus admise. —
S'avancent au combat sans habit, sans chemise ;
Et le gouverneur même aux périls revenus
Marche déguenillé, la tête et les pieds nus.
N'importe,
A vingt chocs successifs, les soldats de la France
Répondirent d'abord, superbes d'assuraace.
C'est bien là, suivant nous, le rôle qui convient à la poésie, et chez
M. Âutran la pureté de l'expression rehausse d'une manière fort remar-
quable le mérite de la pensée.
M^* Sasserno, dans une sphère moins haute, se distingue aussi par un
talent sobre et pur. Elle chante^olontiers les douces affections, les senti-
ments généreux, et décrit avec beaucoup de charme les beautés de la na-
ture, ainsi que les plaisirs simples de la vie des champs. Ses vers har-
monieux coulent sans effort. C'est une onde limpide qui, soit qu'elle
traverse des champs semés de fleurs, soit qu'elle roule ses flots sur un
lit rocailleux, demeure transparente et reflète toujours de nobles ou gra-
cieuses images. Chez elle, la poésie est vraiment le langage du cœur, et
non point, comme il aiTive à tant d'autres, une vaine musique destinée
seulement à flatter Toreille,
356 LITT^RATURB.
Quant aux ii^eroses de M. Kohier, leur principal mérite consiste dans
une saveur alpestre qui leur imprime bien le cachet national suisse. L au-
teur est un habitant du Jura bernois. Il figure au nombre des écrivains
qui travaillent avec zèle à soutenir le renom littéraire de la Suisse fran-
çaise. Ses poésies sont, en général, l'expression d'un ardent patriotisme,
auquel se joint un profond respect pour la culture intellectuelle, ainsi
que pour le développement moral et religieux. Elles offrent, à cet égard,
un intérêt particulier, comme expression des tendances qui caractérisent
l'esprit suisse.
Histoire comique des états et empire de la lune et du soleil, par Cy-
rano de Bergerac, nouvelle édition, revue et publiée avec des notes
et une notice, par P. L. Jacob, bibliophile. Paris, A. Delabays, 1858;
1 vol. in.l2: 3 fr 50.
Il est peu d'écrivains français doués d autant d'originalité et de verve
que Cyrano de Bergerac. Poète dramatique, auteur cachant sous des
conceptions bizarres une philosophie profonde et hardie, il a su, malgré
bien des incorrections de style et de nombreuses fautes de goût, se placer
à un rang élevé. Ses ouvrages, quoique réimprimés assez souvent, sont
devenus difficiles à trouver ; la première édition des OEuvres diverses,
mise au jour en 1654, ne se rencontre plus, hors de quelques grandes
collections publiques. Ses productions ne sont d^ailleurs venues jusqu'à
nous qu*asse2 maltraitées. VHistoire comique des étals de la lune pré-
sente de déplorables lacunes, qu'on est en droit d'attribuer à la prudente
réserve d'éditeurs qu'effrayaient des pensées trop hardies. Un manuscrit
complet existe entre les mains de M. de Monmerqué, et ce savant éditeur
de M<"® de Sévigné a l'intention de le publier, mais il faut attendre.
Nous ne reviendrons pas ici sur la biographie de Cyrano ; on sait qu'il
fut un duelliste des plus redoutables, et que sa carrière roula à travers
des aventures de tous genres. Né en 1620, il mourut en 1655 ; il eut de
vifs démêlés avec divers personnages du temps, notamment avec l'excen-
trique d'Assoucy, qui lui ressemblait bien un peu. 11 fut regardé par ses
contemporains comme ayant le cerveau fôié, et on répandit sur son compte
plus d'une anecdote parfaitement controuvée. Le voyage imaginaire dans
les astres, dont il écrivit la relation, nous fait souvenir qu'un autre nar-
rateur de pérégrinations fantastiques, Swift, l'auteur de Gulliver, mourut
aliéné.
LlTTiRATURB. 357
La notice de M. Paul Lacroix (tout le inonde connaît le vrai nom du
bibliophile Jacob) donne sur Cyrano, sur sa vie, sur ses œuvres, des
détails curieux et neufs qu'on lira avec plaisir.
Le volume que nous avons sous les yeux ne contient que les œuvres
en prose de Cyrano ; nous ne pensons pas que l'intention de l'éditeur soit
de réimprimer le théâtre de cet écrivain. Le Pédant jouée»i rempli de
gaieté, de sel, d'intentions comiques; les locutions de la phraséologie fami-
lière y abondent; malheureusement» cette production est souillée, comme
la plupart des pièces de l'époque de Louis XllI, par des licences bien
choquantes, surtout dans les impressions primitives ; celles qui sont ve-
nues plus tard ont été épurées. Agripinne est une tragédie où de grands
défauts se rencontrent, mais où l'on trouve aussi des choses admjrables»
des vers étinceiants des tirades cornéliennes, des scènes entières d'une
vigueur peu commune. Le rôle de Séjan est une conception dont il serait
difficile de trouver d'autres exemples au dix-septième siècle ; c'est un
philosophe du dix-huitième.
ŒuvHES DE Corneille, nouvelle édition, revue et annotée, par J. Ta-
schereau. Paris, Jannet, 1857. Tomes 1 et II ; 2 v. in-18 : 10 fr.
Il revenait de droit à l'auteur d'une très-bonne biographie du créateur
de la tragédie en France de donner une édition définitive des productions
du mâle et austère génie auquel on doit le Cid, les Horaces^ et tant
d'autres chefs-d'œuvre. M. Taschereau s'est acquitté de celte tâche avec
amour et avec zèle.
Presque toujours, plus les œuvres d'un auteur classique ont été pu-
bliées, plus il est difficile d'en donner une bonne édition. A chaque réim-
pression, de nouvelles fautes s'ajoutent à celles des éditions antérieures,
et il se forme enfin un assemblage inextricable d'erreurs d*autant plus
difficiles à constater, que bon nombre ont pour elles la prescription sé-
culaire. Corneille avait voulu se prémunir contre ce danger ; il avait donné
en 1660, 1663, 1664 et 1668 quatre éditions de son théâtre complet
jusqu'à chacune de ces époques; en 168^, deux ans avant sa mort, il
avait revu une édition définitive de toutes ses œuvres dramatiques; dans
ces dernières éditions, il avait exposé et suivi un système orthographique
que l'usage a souvent sanctionné depuis, mais les éditeurs, même ceux
qui ont promis le plus de fidélité, ne se sont pas bornés à changer la ma-
nière d'écrire les mots qu'avait adoptée l'auteur du Ctd, ils lui ont prêté
leur manière de s'exprimer.
$58 LlIIBilATURB.
L'orthographe étymologique à laquelle Corneille avait ramené une foule
de mots dans l'édition de 1682, est reproduite avec soin par M. Tasche-
reau. Il s'est montré fort sobre de notes grarottaticales, et en fait de var
riantes il s'est contenté d*en signaler de fort curieuses* en ce quelles
montrent Corneille faisant disparaître de son texte primitif des expres-
sions, des images devenues choquantes sur une scène qu'il avait soumise
aux convenances. L'édition originale de Mélite, la première des pièces de
Corneille, et le texte définitif qu'il adopta, offrent à cet égard des diffé-
rences remarquables; dans l'impression de 1633, on trouve des licences
qii'on ne tolérerait pas aujourd'hui sur les planches du dernier des
IhéItreSy et qui alor$ ne choquaient personne. L'auteur fit disparaître
toutes ces énormités à mesure que le goût du public s'épurait.
Il paraît dififidle de trouver encore à glaner quelque chose au sujet de
Corneille; les infatigables recherches de H. Taschereau lui ont cepen*
dant offert une moisson de quelque intérêt. Il donne, pour la première
fois, la réunion complète des arguments, épîtres dédicatoires, préfacer, etc«,
placées à la tête des diverses pièces, et qui se trouvaient éparpillées dans
les éditions originales ou dans quelques éditions des OEuvres, Il réiro-^
prime la préface qui, placée en tête de la seconde partie des Œuvres pu^
bliée en 1648, était ignorée et non reproduite depuis plus de deux siècles.
Les archives du parlement de Normandie, les manuscrits de la biblio-
thèque de l'Arsenal lui ont fourni des faits intéressants et restés inconnus
au sujet de la biographie du poëte tragique.
Signalons en passant une circonstance qui montre le peu de soin que
les divers éditeurs de Corneille ont apporté à leur œuvre. 11 se trouve
dans Mélite (acte II, scène 4) un sonnet que Corneille inséra parmi
quelques Mélange» poétiques placés à la suite de Clitandre^ sa seconde
pièce, et la première qu'il fit imprimer. Palissot, qui publia les Œuvres
complètes, ne s'aperçut pas qu'il avait déjà donné ce sonnet dans Mélite;
il le donna une seconde fois dans le volume des Poésies diverses^ en l'ac-
compagnant d'une note où, donnant carrière à son imagination» il affir7
mait que c ce sonnet était adressé à une femme charmante que CorDeiile*
dans sa première jeunesse, avait aimée avec passioa. Ce sont les seuls
vers qui soient restés de tous ceux qu'il avait composés pour elle. » La'
note a.été trouvée charmante ; elle a eu beaucoup d'éditions» et, depuis Pa-
lissot jusqu'à M. Lefèvre inclusivement, tous ceux qui ont réimprimé Cor;
oeille, n'ont pas oublié de donner deux fois le sonnet en question* sanss^
idouter du double emploi.
LtrriHATVM. SS^
On a droit d'admirer l'aplomb avec lequel Palissot inventait une expli-
catk)n pour on sonnet d'ailleurs fort médiocre, mais il n'est pas le seui
qui soit ainsi entré dans le domaine de Taffimiation dénuée de toute
preuve. Les notes de M. Aimé Martin, dans l'édition Lefèvre, sont des plus
curieuses au même point de vue. M. Aimé Martin apprend à ses lecteurs,
sans hésitation, et bien entendu aussi sans indication de sources, quels
sont les acteurs qui ont joué d'original les rôles des pièces de Corneille.
Quelques témoignages do temps démontrent qu'il s'est fourv0yé dani
cette distribution arbitraire.
11 n'a paru encore que les deux premiers volumes de la nouvelle édi-
tion de Corneille, et, sous tous les rapports, on peut dire qu'eHe réunit
tous les titres possibles pour figurer en chaque bonne bibliothèque.
Couronne, histoire juive, par Alex. Weill. Paris, Poulet-Malassis et de
Broise, i857;1 vol. in-12 : 2 fr.
M. Weill nous offre ua tabfeau de mœurs juives: la scène se passe
dans un village d'Alsace et ne manque pas d'un certain cachet d'origina*
lité» 11 s'agit naturellement d'amour et de mariage, c'est la recette ordi**
nairedu roman. Couronne, jeune fille charmante, mais dont le cœur s'est
^ris pour certain pauvre diable de professeur, qui s'appelle Elias, refuse,
au grand déplaisir de ses parents, tous les partis qui se présentent. Elle^
sait bien que l'on n'accordera pas sa main à celui qu'elle aime, mais elle
préfère aiourir de langueur plutôt que de lui être infidèle. D'ailleurs^
Elias, outre sa pauvreté, a le malheur d'être fils d'une espèce de brocan-(>
teor en fort mauvais renom dans le pays. Couronne semble devoir donc
renoncer à jamais être sa femme, et cette triste certitude la jette dans un
marasme fort inquiétaat. Alors la tendresse maternelies'émeut. M'^* Ricbei
pitttôt que de laisser mourir sa fille, préfère encore la voir épwmr ie
pauvre professeur qui, du reste, est un honnête homme, gagnant sa vie
de la manière la plus honorable. Quand la mère faiblit, le père ne résiste
pas lnwgtemps, et l'histoire finit par un mariage. La donnée n'est pas
neuve, mais le aiilieu dans lequel se trouvent placés les personnages offrait
une mine assez intéressante è exploiter. Les coutumes juives sont peu
conaues, elles pouvaient fournir à M. Weill maints détails propres i pi-*
qver la curiosité des lecteurs. 11 en profite bien, en effet, pour esquisser
un intérieur de famiile empreint de ce caractère particulier. Les croyances
360 LlfTiftATURB.
et. les pratiques religieuses se mAleot aux ineidents de son récit, et la
narche de l'action est soumise à leur influence. Malheureusement, la
printure manque de vigueur, les couleurs sont {)âles et les traits mal as-
surés. Ce n'est qu'une ébauche, tandis qu'avec plus de soin et de travail,
l'auteur en aurait certainement fait une œuvre remarquable.
Fleurs db l'Inde, comprenant la mort de Yaznadate, épisode tiré de la
Ramaïde de Valmiki, traduit en vers latins et en vers français, avec
texte sanscrit en regard, et plusieurs autres poésies indoues. Paris,
B. Duprat ; 1 vol. io-8 : 5 fr.
L'étude du sanscrit doit-elle prendre place dans renseignement clas-
sique? Telle est la question qui, depuis quelques années, préoccupe plu-
sieurs académies de province. L'auteur du volume que nous annonçons a
publié sur ce sujet un mémoire qu'il reproduit à la fin de son volume, et
dans lequel il se prononce fortement pour l'affirmative. Comme pièce à
l'appui, il nous donoe un fragment de la Ramaïde de Valmiki, traduit en
latin et en français. Ce spécimen de littérature sanscrite est bien propre,
en effet, à produire une impression favorable. On y trouve des sentiments
vrais, exprimés simplement. C'est une scène louchante, dont les person-
nages éveillent d'autant mieux nos sympathies, qne leur manière de sentir
et d'aimer décèle un développement moral qui ressemble beaucoup au
nôtre. Leurs affections de famille, leur idée du devoir, leur spiritualisme
religieux, ont certains rapports assez frappants avec la civilisation chré-
tienne.
A cet égard, ils sont» eu quelque sorte, plus rapprochés de nous que
les Grecs et les Romains. L'exemple est bien choisi pour exciter l'inté-
rêt du lecteur et prouver que la poésie indoue mérite d'être étudiée.
Malheureusement, peu de personnes seront en état de juger si la traduc-
tion est fidèle. Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle fttt en prose, car les
exigences du vers, soit latin, soit français, doivent avoir plus d'une fois
obligé le traducteur à s'écarter du texte original. Une de ses premières
notes semble même indiquer qu'il n'est pas très-scrupuleux, car au tigre
il substitue le lion , sous le prétexte de rendre la métaphore plus ac-
ceptable. C'est faire bon marché de l'exactitude, et l'on peut craindre
d'autres licences du même genre dans les détails moins essentiels que
cehii-lày qui caractérise si bien le Heu de la scène. Nous aurions préféré
<^
LITTiHAfOftB. 361
la traduction Jittërale, suivant pas à pas le texte, et lui conservant son ca-
ractère étrange. Quoi qu'il en soit» l'auteur fait preuve de talent pour la
poésie et de connaissances philologiques assez remarquables Les Fletun
del*Tndê, auxquelles sont joints deux chants et un apologue arabes, pour-
ront certainement être utiles à la cause de l'orientalisme.
Dernières chansons de P.-J. de Béranger, avec une lettre et une pré-
face de l'auteur. Paris, 1858 ; 1 vol. in-8 : 6 fr. -- Ma biographie,
par P.-J. de Béranger. Paris, Pei'rolin,^1848; 1 vol. in-8: 5 fr.
Ce bagage posthume ajoutera-t-il quelque chose à la gloire du chan-
sonnier? Sans doute les éditeurs le croient, car, autrement, ils se seraient
altttenus de publier deux gros volumes qui n'auraient alors d'autre objet
qu'une simple spéculation de librairie. Mais il nous semble que leur zèle
pour la mémoire d'un aoû les a fourvoyés. La verve du poëte ne jette que
de rares éclairs dans les Dernières chansons, et quant aux mémoires, ils
offrent un intérêt médiocre. Cela noirs étonne peu. La chanson est un genre
assez restreint, auquel il faut le concours de circonstances favorables. Bé*
ranger dut en grande partie sa renommée à l'opposition politique dont il
s'était fait l'organe. Ses opinions, plus encore que son talent, le rendirent
populaire, parce qu'elles éveillaient les sympathies de la foule. 11 sut ex-
primer habilement ce bizarre mélange d'idées libérales et de souvenirs
bonapartistes qui, grâce aux fautes de la Restauration» prit bientôt l'as-
pect d'un parti compact et redoutable. C'est là le secret de sa puissante
influence. D'adroites flatteries à l'adresse des préjugés nationaux, et des
traits piquants lancés contre les abus de l'ancien régime qu'on tentait de
remettre en vigueur, assurèrent le succès de ses chansons mieux que
n'auraient pu le faire des convictions profondes. Béranger était ce qu'on
appelle un homme du peuple, obéissant à des instincts plutôt qu'à des
principes. Il avait débuté par le Roi d* Yvetoi, spirituelle moquerie de la
gloire impériale ; puis, au retour de Louis X VIII, il chanta les lys, au-
près desquels, disait-il :
Les lauriers reverdiront.
Mais déjà le mois suivant paraissait {la Requête présentée par les chiens
de qualité
Puisque le tyran est à bas.
Laissez-nous prendre nos ébats.
S62 uniAATvmB.
Et dès lors k chftBsonDier qui, cette Ibis, lient la &bee populaire» se
distingue par une opposition de plusen pkis vive, jusqu'en 1830. A
cette époque, ses amis étant arrivés au pouvoir, il se sent mal à Taise»
etr son rMe doit changer, et cependant sa nature, renforcée par l'ha-*
bitude, ne lui permet guère de se métamorphoser tout à coup en pané-
gyriste d'un gouvernement quelconque, après avoir si longtemps fait de
la chanson un instrument révolutionnaire, c'était bien difficile assurément.
D'ailleurs, pour rester le poëte du pevple, il faut être mobile comme luïi
prêt à suivre tous ses caprices, et docile à sa voix qui crie sans cesse :
En avant, dûtH)n se rompre le coq.
Ce dernier parti ne convenait pas davantage au caractère doux et pai*
Sible de Béranger. Il résolut donc de se taire, après avoir pris toutefois
la précaution de consacrer quelques couplets à l'apothéose des grands
hommes du socialisme. Dès lors il devient étranger à la politique, et quand,
en 1848, 204,471 suffrages le portent à l'Assemblée constituante, il
s'empresse de refuser ce mandat, qui lui semble une trop lourde tâche
pour un chansonnier. Ses vers sont toujours élégants et gracieux,- mais
avec l'âge ta gaieté s'est enfuie, la pensée a pris un tour sérieux ou né-^
lancofique, et les Demilres ckanêons s'en resseolent nécessairement.
Dans la Biographie, Béranger raconte avec beaucoup de simplicité
l'histoire de sa modeste existence. Il nous donne peu de détails nouveaux,
mais se perot sincèrement tel qu'il était, homme bon et serviable, modéré
dans ses désirs, aimant la retraite et l'indépendance. Son caractère forme
un contraste frappant avec l'ambition inquiète et remuante à laquelle sont
sujets la plupart des littérateurs de notre époque. Ne recherchant ni les
honneurs ni la fortune, sachant se contenter de peu, il pratiquait une phi-^
losophie beaucoup moins épicurienne que celle dont ses œuvres offrent le
cachet. Mais sauf les deux procès, qui ne furent pas une épreuve bien
redoutable, puisque Béranger avoue qu'il comptait là-dessus pour assu-*>
rer le succès populaire de ses chansons, cette vie renferme peu d'inci**
dents propres à captiver l'intérêt.
Balzac, sa vie et ses œuvres, par M»« L. Surville (née de Balzac),
Paris^ librairie nouvelle, 1858; 1 vol. in-18: 1 fr. 25.
Balzac occupe Tune des premières places parmi les célébrités litté-
raires de notre époque. La plupart de ses jduvrages excitèrent un en-
UTTBRITURB. 369
goueroent qui n'est pas encore tout à fait dissipé, et toutes les formules
de i*éloge ont été prodiguées à ce talent, très-remarquable, sans doute,
mais fort inégal. La postérité conservera-t-elle le même enthousiasme
pour un bagage littéraire si considérable et si mélangé? C'est douteux;
le temps fera son œuvre, et peut*étre deux ou trois volumes survivront-
ils seuls à cette épreuve. En attendant, lés détails que M*"" Surville
donne sur la vie de son frère, sur ses goûts» ses habitudes de travail,
ses ambitions, ses succès et ses revers, seront accueillis certainement
aveo un vif intérêt. Balzac offre l'exemple de ce que peut la persévérance
appliquée au développement des facultés intellectuelles. Ses débuts ne
furent pas brillants, loin de là. Pendant nombre d'années, il ne produisit
que des romans de pacotille, d'une médiocrité désespérante. Dès sa jeu-
nesse, il avait manifesté la volonté bien arrêtée de se faire homme de
lettres, seule carrière pour laquelle il se sentit quelque vocation. C'est
dans ce but qu'il entra comme associé dans une entreprise d'imprimerie
et de fonderie. Mais les fonds lui manquaient, et probablement aussi l'en-
tente des affaires, en sorte que bientôt la faillite fut inévitable. Balzac se
vit dès lors obligé de recourir à sa plume pour faire face aux engage-
ments qu'il avait contractés. Il se mit à l'œuvre avec ardeur, et ses pro«
ductions se succédèrent rapidement. Si leur mérite était nul, Balzac ne
paraît pas avoir eu la moindre illusion à cet égard, puisque jamais son
nom ne figura sur aucune d'elles. M™® Surville n'en mentionne pas même
les titres, et passe rapidement sur ce pénible apprentissage, pour arriver
au premier succès qui commença la renommée de son frère. Lei Chouam
obtinrent un accueil assez favorable, quoique ce ne fût encore qu'une bien
pdle imitation du genre de Watter Scott. Balzac, après avoir publié Ca*
ihmne de Médidg^ autre roman historique, abandonna cette voie pour
donner cours à sa propre originalité qui, mûrie par le travail et l'obserr
vatioA, allait enfin prendre essor. Ce fut à l'ige de trente ans qu'il se ré-
véla par la Physiologie du mariage, suivie bientôt de la Peau de ckagrin^
d* Eugénie Grandet, et de ces nombreuses esquisses rassemblées plus
tard sous le titre de la Comédie humaine. Eu voyant combien Balzac eut
à lutter, on n'est pas surpris de la haute importance qu'il attachait à ses
œuvres. La critique l'irritait, les éloges adressés à tel ou tel de ses ou^
vrages lui sembli^ient une injustice foite aux autres; mais il était pour lui^
même un juge difficile, et ses efforts ne se ralentirent jamais. On peut
constater dans ses écrits un progrès continuel, malgré la persistance do
certains débuts inhérent^ à sa nature, il vivait, en quelque sorte, avef
864
VOTAGBS BT HISTOIRE.
ses personnages, parlait d'eux comme d'êtres réels, et les péripéties dé
leur histoire le préoccupaient sans cesse. Les fragments de correspon-
dance et les anecdotes que cite H"*« Surville prouvent que chez loi la
composition était un travail sérieux, auquel il consacrait toutes les facul-
tés de son esprit et de son cœur. Ce trait de caractère nous semble le
distinguer tout particulièrement, car aujourd'hui, dans les diverses
branches de la littérature, les écrivains consciencieux sont rares, et plus
rares encore ceux qui ne se laissent pas aveugler par un premier succès,
au point de croire les moindres caprices de leur fantaisie également bons
pour le public.
VOYAGES £T HISTOIRE.
L'Angleterke, la Chine et l'Inde, par don Sinibaldo de Mas, envoyé
extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la reine d'Espagne en
Chine. Paris, J. Tardieu, 1858; 1 vol. in-8 : 3 fr. 50.
Quoique I Angleterre et Tlnde figurent sur le litre de ce livre, c'est la
Chine qui forme l'objet principal des recherches de l'auteur. M. Sinibaldo
de Mas regarde la question chinoise comme beaucoup plus importante que
la crise suscitée par la révolte des cipayes. Les démêlés de l'Angleterre
avec le Céleste-Empire lui paraissent devoir amener un conflit auquel
seront nécessairement appelées à prendre part les autres puissances mari-
times. En eSet, la civilisation européenne est intéressée à maintenir sa
suprématie, en faisant respecter partout les droits du commerce interna-
tional. Or, ce qui se passe en Chine annonce l'intention évidente de ne
point accorder les concessions promises à la suite de la dernière guerre,
et même d'interdire les anciens rapports établis depuis des siècles. La
vive sollicitude que le gouvernement chinois montra tout à coup pour ses
sujets, à propos de l'opium, n'avait déjà pas d'autre but. il saisit avec
empressement cette occasion d'exciter les passions populaires contre les
barbares étrangers. M. de Mas, qui connaît bien le pays, ses habitants et
ses mœurs» montre que l'usage de l'opium a toujours existé chez les Chi-
nois sans produire d'accidents graves, et que ce ne fut donc qu'un pré-
texte dont la politique impériale s'empara, pour donner suite à des pro-
jets qui» de tout temps, l'ont préoccupée plus ou moins. A l'appui de
cette opinion, il retrace rapidement l'histoire des rapports de la Chine avec
les Européens. On y voit que, dès l'origine, les obstacles vinrent du gou-
V0TA6B8 BT HISTOIEB. 365
vernement beaucoup plus que de la population. Ceile-ci n'eût point été
hostile aux étrangers, sans la crainte que lui inspiraient les mandarins,
toujours prêts à punir comme un crime le moindre acte de tolérance à
cet égard. Il en est de même encore aujourd'hui. Ce sont les autorités qui
entretiennent la défiance et forcent le peuple à se montrer insociable. Le
système administratif particulier à la Chine devrait être favorable au dé-
veloppement intellectuel et moral^ mais il fait de la classe des lettrés l'a-
ristocratie la plus tyrannique» et les mandarins traitent, en général, leurs
subordonnés comme un troupeau d'esclaves. Les détails que M. de Mas
donne à cet égard sont du plus haut intérêt. 11 a profité de sa position offi-
cielle pour étudier avec soin la vie de cette singulière nation^ C'est un ob-
servateur habile, fort impartial, et dont les jugements sont empreints
d'une grande indépendance. Loin de mépriser les Chinois au point de
vue militaire, il les croit susceptibles de courage et de dévouement,
comme, du reste, ils en ont donné des preuves dans plusieurs circons-
tances récentes. Aussi le démembrement de l'empire lui paraît nécessaire
pour assurer le triomphe des principes du droit international. Jamais,
sans cela, les puissances européennes n'obtiendront de la cour de Pékin
qu'elle les reconnaisse autrement que comme des tributaires, et permette
à leurs ambassadeurs de résider dans la capitale. L'insurrection, qui me-
nace de renverser la dynastie régnante, peut avoir un résultat favorable à
ce fractionnement, sur les avantages duquel l'auteur s'efforce d'attirer
l'attention delà diplomatie. Le moment lui paraît opportun, car l'Angle-
terre ne tardera pas, sans doute, è reprendre le cours de ses opérations
contre la Chine, et probablement la France, les Etals-Unis, peut-être
même la Russie, lui viendront en aide. Ces forces réunies pourront être
victorieuses, cela n'est pas douteux. Mais il ne s'agit pas ici d'une con-
quête : ce que l'on désire est simplement d'assurer la liberté du com-
merce. Ne serait-il donc pas bien plus désirable^ comme le dit M. de Mas,
< qu'on pût obtenir ce résultat par des moyens pacifiques; cela vaudrait
mieux que de s'exposer à réveiller ce colosse qui dort maintenant, mais
qui, quelque jour, pourrait fort bien venir nous visiter à Manille, à Batavia
et à Calcutta. »
Etrennes historiques de Genève, pour 1858, mélanges inédits d'his-
toire nationale, par E.-H. Gaullieur. Genève, 1858 -, 1 vol. in-8.
M. Gaullieur a réuni dans ce volume plusieurs documents précieux
366 V0TAGB9 BT UlSTOIRB.
pour l'histoire de Genève. L*un des plus remarquables est la relation de
la guerre faite autour de Genève en 1589, tirée en partie d'un journal du
sieur Du Perr il, ministre de l'église de Vandœuvres, et en partie des
remarques de M. Esa'ïe Ghabrey. On y trouve le récit naïf des véne-
ments de cette époque agitée, où, presque chaque jour, quelque ren-
contre avait lieu entre les soldats de Genève et ceux du due de Savoie.
Berne était venue au secours de la cité calviniste, en mettant en cam-
pagne cinq mille hommes. Mais Bernois et Genevois ne s'entendaient pas
toujours très-bien. L'ambition des premiers inspirait aux seconds une
défiance continuelle. Ce désaccord éclate souvent dans les détails que
le pasteur Du Perril rapporte, sans chercher d'autre mérite que l'exac-
titude.
Une prise d'armes à Genève, en 1737, n'est pas moins intéressante.
Elle nous offre le tableau, esquissé par l'un des acteurs, de ces conflits
qui éclataient alors entre les citoyens de la petite république, et qui, piHiS
d'une fois, aboutirent à l'intervention étrangère. Le ton du récit n'est
pas impartial, sans doute, il porte au contraire le cachet de la passion ;'
mais, précisément à cause de cela, nous y retrouvons mieux la véritable
couleur de l'époque. Il nous fait assister aux scènes de violence, et donne
assez bien l'idée des mobiles divers auxquels on obéissait de part et
d'autre. M. Gaullieur remarque avec raison que le dix-huitième siècle,
un peu trop négligé aujourd'hui pour les temps anciens, offre l'une des
périodes les plus intéressantes à étudier. Il serait à désirer qu'on s'en
occupât davantage, afin de mettre en œuvre, pendant qu'ils existent en-
core, les documents que beaucoup de familles possèdent.
Les autres fragments dont se composent les Etrennes historiques sont :
un court extrait des mémoires d'Ezéchiel Spanheim, qui fut envoyé ex-
traordinaire de rélecteur de Brandebourg auprès de Louis XIV ; une no-
tice sur les arts en Suisse avant la réforme, à propos d'un ancien ta-
bleau votif, proveiiant de quelqu'une des églises de Genève, d'où la
réforme l'avait expulsé ; un aperçu des intrigues diplomatiques contre
Genève au seizième et au dix-septième siècles; enfin l'analyse des Advis
et devis de Booivard, et de plusieurs ouvrages, récemment publiés, sur
l'héraldique suisse.
Jansénisme et JÉsuirisME, ou examen des accusations de janséoisme
soulevées contre M. l'abbé Guettée. Paris, Huet, 1857 ; tn-8 : ^ fr.
M. Tabbé Guettée est l'auleur d'une Hinoire de l'Eglise qui a soulevé
contre lui les colères de YUniveu religietiXf de VAmi de la religion et
de leurs acolytes. C'est dire assez qu'il ne partage pas les~ tendances ul-
tjramontaines. Du reste, quoique indépendant à cet égard de l'opinion
qui domine aujourd'hui dans l'Eglise, ses doctrines portent bien le ca-
chet de la pure orthodoxie catholique. Mais il a peu de sympathie pour les
jésuites, et regarde leur école comme très-dangereuse. Aussi ne s'est-
il pas fait scrupule de les traiter en historien impartial qui cherche avant
tout la vérité. De là l'espèce de croisade que les adeptes de la puissante
compagnie ont entreprise contre lui. Attaquer le jésuitisme, quelle audace
impardonnable, témoigner de la sympathie pour les jansénistes, prendre
la défense de Port-Royal, c'est être hérétique et comme te lencourir sinon
Fexcommunication proprement dite, du moins à peu près toutes les con-
séquences qu'elle entraîne. M. Tabbé Guettée, tenu pour suspect, se voit
en but à maintes tracasseries ; on veut le forcer à demander grâce, à faire
amende honorable. Mais il n'y paraît guère diposé, car son nouvel écrit
débute en termes peu flatteurs pour ses adversaires, f Depuis trois siècles
environ, dit-il, deux écoles sont en guerre ouverte au sein de l'Eglise ca-
tholique. L'une, doucereuse en apparence, mais au fond pleine de morgue,
de fiel, d intolérance et d'astuce, a su se faire de nombreux partisans.
Pour arriver à son but qui n'est autre que la domination de l'Eglise eiVr
tière, elle a flatté les puissances spirituelles et temporelles ; s'est humi-
liée devant les papes et les princes qui l'ont protégée ; a entravé, au moyen
de mille intrigues souterraines, ceux qu'elle n'a pu gagner à sa cause ; elle
s'est jouée des papes et des évèques en afl'ectant d'exalter leur puissance
et leur dignité ; elle a sacrifié les règles de la morale et les principes fon-
damentaux du christianisme aux exigences de ceux qu'elle voulait gagner
à sa cause, aux circonstances, aux préjugés. Organisée en société se-
crète, cette école a disséminé ses affiliés dans toutes les classes de la so-
ciété ; elle a su s'attacher des hommes vertueux et instruits , sans les
initier à ses secrets, et elle a spéculé, pour arriver à son but, sur leurs
talents et leurs vertus.
« Celle école, c'est le jésuitisme. »
368 8CIB1ICBS MORALES Bf fOLITIQUBS.
Voilà qui s'appelle poser nettemeDt la question. M. l'abbé ne recule
point devant les menaces et soutient avec courage la cause de la vérité
historique. C'est le meilleur moyen de répondre aux reproches qu'on lui
adresse. En effet, son unique tort est d'avoir rectifié certaines erreurs
répandues par les jésuites, reproduit certains faits qui les gênent. Quant
aux doctrines, sa profession de foi ne laisse rien à désirer, puisqu'il se
déclare soumis en tous points \ l'autorité de l'Eglise. Aussi ses adver-
saires sont-ils réduits à supposer des intentions qui puissent fournir les
éléments d'un procès de tendance. On connaît cette tactique, elle
n'est pas neuve, et malheureusement ceux qui remploient ne man-
quent ni de force, ni d'habileté. M. l'abbé Guettée aura beaucoup de
peine à la combattre. 11 soutient' sa manière de voir avec autant de con-
venance que de vigueur, mais il n'en sera peut-être pas moins condamné
pour quelques simples remarques au sujet des opinions de Bossuet , re-
marques appuyées sur des pièces justificatives, et d'ailleurs empreintes
du plusgrand respect pour l'illustre orateur. Quoiqu'il en soit, sa brochure
nous paraît mettre en évidence la modération de ses vues et le mérite de ses
travaux, en même temps que Tinjustice des attaques dirigées contre lui.
Db la grandeur morale et du bonheur , par H. de la Codre. Paris,
Hachette et C", 1857, 1 vol. in-12 : 2 fr.
Le bonheur et t'estime sont deux buts auxquels aspirent la plupart des
hommes. On peut dire même que tous désirent être heureux, et pour
ceux dont l'éducation a développé le sens moral, l'estime est une con-
dition indispensable du bonheur. Mais si les efforts ont en vue le même
résultat, ils cherchent à l'atteindre par des routes bien différentes. On
fait trop souvent consister le bonheur dans la satisfaction d'un goût»
d'un penchant, d'une passion, et chacun suit à cet égard la pente de son
caractère individuel. Il est donc très-difficile de présenter un système
qui puisse contenter à la fois ces exigences diverses. Les uns convoitent
surtout le bien-être physique, tandis que les autres rêvent une existence
tout intellectuelle. Ces deux extrêmes opposés perdent également de vue
la nature mixte de notre être. Aussi M. de la Codre a-t-il soin de joindre
la grandeur moral au bonheur, afin de montrer dès l'abord que son in-
tention est de concilier, autant que possible, les deux tendances, et qu'à
ses yeux le bien et l'utile sont liés par de tels rapports qu'on peut les
SCIBNGRS MORALES BT POLITIQUES. 369
p^arder comme à peu près identiques. 11 établit que les deux premières
conditions nécessaires pour être heureux sont la santé physique et la
santé morale, c'est-à-dire la marche régulière des fonctions de Torga-
nisme et de l'action convenablement réglée des facultés et des propen-
sions de l'âme. Pour acquérir et conserver la santé morale, il faut ac-
complir ses devoirs, obtenir des affections, [)enser sagement, agir avec
sincérité, courage et prudence. Quant à la santé physique, c'est par la
tempérance et l'hygiène qu'on k maintient. Mais de nombreux obstacles
viennent s'opposer au succès de nos efforts. La défectuosité des organes ,
la pauvreté, l'embarras des affaires , la véhémence des passions, etc.,
rendent la lutte difficile^ souvent fort pénible, et produisent, soit l'irrita-
tion, soit le découragement. M. de la Codre passe en revue ces divers
obstacles en indiquant le moyen de les combattre. Les conseils qu'il
donne sont empreints d'une philosophie religieuse très-élevée, et la
théorie, de laquelle il les fait dériver, nous semble devoir être féconde
en applications salutaires. Si son petit livre ne renferme sans doute pas
la reeette du bonheur parfait, il offre du moins de sages directions tout à
fait propres à relever le courage, ainsi qu'à prévenir bien des désappoin-
tements funestes.
Etudes sur la condition légale des femmes dans la famille, par
J. Boniface-Delcro, avocat. Paris. A. Johanneau, 1858 ; 1 vol. in-8.
Les idées d'émancipation féminine, auxquelles d'habiles écrivains ont
prêté le secours de leur plume, se fondent, en général, surla prétendue
injustice des lois qui, dit-on, établissent entre les deux sexes une inéga-
lité choquante. Mais cette inégalité se retrouve dès les temps les plus
reculés chez tous les peuples ; elle était 'même autrefois bien plus forte
que de nos jours, et ce sont les progrès de la civilisation qui ont brisé le
joug barbare auquel la femme est condamnée chez les peuples sauvages.
Loin de lui être hostile, l'ordre social au contraire la protège, la relève
et lui permet de remplir beaucoup mieux son rôle, qui n'est évidemment
pas le même que celui de l'homme. C'est donc bien plutôt contre ce qu'on
appelle l'état de nature que les avocats de la femme libre devraient dé-
clamer. Là tous tes travaux pénibles incombent au sexe le plus faible, le
plus délicat, et lorsque Porganisation sociale vient faire disparaître cet
24
370 SmBMCBS SOUALES BT FOLItlOGBS.
^esclavage, pendant longtemps encore la femme est considérée comme une
chose plutôt que comme une personne. M. Boniface-Delcro nous la mon-
tre condamnée chez les Hébreux au rôle de servante dans la famille de
son mari qui pouvait la répudier à tout instant, et qui jouissait du droit de
polygamie ; chez les Perses, soumise à tous les caprices de son mari que
Zoroastre l'obligeait à révérer comme un dieu ; en Egypte, traitée comme
un objet de luxe et de plaisir. Chez les Grecs, ainsi qu'à Rome, la mo-
nogamie amène un progrès dans la condition des femmes. Le mariage
est entouré de certaines garanties, le divorce devient plus difficile. À
mesure que la législation se perfectionne, la femme acquiert quelque peu
d'indépendance. Les Romains, surtout, lui accordent des privilèges et lui
reconnaissent des droits. Mais le sentiment de la dignité humaine et la
notion précise du devoir manquaient à cette société aussi corrompue que
brillante. C'est au christianisme qu*il était réservé de répandre dans le
monde ces principes salutaires. « En même temps que le christianisme
proclama l'indissolubilité du mariage, il en spiritualisa la notion en le
présentant sous un aspect à peine entrevu jusque-là. 11 releva la femme
de rabaissement et de la dégradation où le paganisme l'avait reléguée ;
désormais elle fut conviée à prendre sa place au foyer domestique, et à
exercer sur la sociélé l'influence salutaire et civilisatrice que lui assurent
les charmes de son esprit et la délicatesse de sa sensibilité. »
Dans cette voie nouvelle les progrès furent lents, sans doute, mais
continus. L'auteur nous les fait suivre en exposant la condition de la
femme, dans la Gaule, dans la Germanie et pendant la période féodale. Il
termine par des considérations sur l'état actuel du droit français qui, sur
ce point, est en avant de la plupart des autres législations. Ses études
seront lues avec intérêt. Elles mettent en évidence l'absurdité des re-
proches adressés au législateur, tout en signalant quelques réformes dési-
rables dans le but d'assurer mieux encore Tinviolabilité du mariage.
DERiHiÈRES PAROLES avant tombo d'un gros sou démonétisé, publiées par
ïm-même. Paris, Guillaumin et G^ 1858 ; 1 vol. in-12 : 2 fr.
Si Texpérience a quelque valeur, les dernières paroles du gros sou mé-
ritent d'être écoutées avec respect, car c'est un vétéran qui date du
voyage de Jason à la conquête de la toison d'or. Il était dans la poche
de Diomède, au sac de Troie, il a fait la campagne de Pyrrhus, est resté
8GIBKGES aORALBS ET POLITIQUES. 371
en Italie, a pris la livrée rûoiaine et vu le combat naval dActium; enfin, de
refonte en refonte il a fini par se trouver en 1792 orné de nouveau des insi-
gnes consulaires couronnés du bonnet phrygien. Que de choses ont passé
'devant lui ! Ses mémoires pourraient aisément former une bibliothèque
entière. Mais il ne veut pas faire concurrence aux historiens, et se borne
à retracer quelques-uns de ses souvenirs qui se rattachent à Téconomie
politique. Naturellement cette science fut toujours Tobjet favori de ses
préoccupations. Il était bien placé pour en suivre la marche et, frappé
de la persistance des préjugés populaires, il croit ne pouvoir rendre de
meilleur service à Thumanité que de fournir des armes pour les com-
battre. C'est un auxiliaire dont le secours n'est pas à dédaigner. Si la cause
de la liberté du commerce semble gagnée dans le domaine de la théorie,
il reste encore beaucoup à faire pour obtenir que les principes reconnus
vrais soient mis en pratique. Sur les intérêts qui sont en jeu le raison-
nement n'a guère de prise, et leur opposition ne cessera que devant la
révolte de Topinion publique. Il faut donc éclairer le peuple, le passionner
môme en faveur des saines doctrines. L'Angleterre nous à donné
l'exemple de ce qu'on peut faire ainsi. La ligue de Cobden obtint ce que
le gouvernement n'aurait jamais obtenu sans elle. En France les excel-
lentes vues de l'administration actuelle ont besoin, pour triompher de
même , d'être secondées par une active propagande, et l'on ne saurait trop
mettre à la portée de tous les vérités économiques. Le langage du
gros sou, ses anecdotes amusantes, ses comparaisons ingénieuses nous
paraissent tout à fait propres à atleindre ce but. Il se fera lire par une
foule de gens auprès desquels échouerait la discussion sérieuse , et la
forme badine qu'il donne à ses arguments est peut-être le meilleur
moyen d'en assurer le succès.
Le sermon sur la montagne, expliqué dans une série de discours par
Jean Wesley. Paris, librairie évangélique, 1857; 1 vol. in-12.
Le sermon sur la montagne, cet admirable résumé de la doctrine
chrétienne, forme certainement l'un des plus beaux chapitres de l'E-
vangile. C'est un modèle d'éloquence et de simplicité ; jamais parole aussi
persuasive ne s'était fait entendre, et nulle autre part on ne retrouve
mieux le cachet original des enseignements que Jésus adressait aux hommes
de tous les pays et de toutes les époques. Leur portée pratique est la
372 SCIENCES XORALES ET POLITIQUES.
même aujourd'hui que du temps des Juifs ; chaque phrase du discours
offre UD texte fécond en développements qui s'appliquent avec la plus
grande justesse aux circonstances actuelles de la vie. M. Wesley le prouve
d'une manière évidente en exposant les principes et les règles de con-
duite que nous devons puiser à cette source. Son commentaire est très-
bien fait; il captive au plus haut degré l'attention , et nous semble propre
à laisser dans l'esprit des lecteurs une impression éminemment salutaire.
Vrais et faux catholiques, par L.-A. M. Paris, Bestel et C*, 1858 ^
1 vol. in-8 : 5 fr.
L'auteur de ce livre paraît être un fervent adepte des doctrines ultramonr
taines. 11 n'admet ni le progrès, ni la tolérance, ni même aucune modifi-
cation quelconque à l'esprit qui dominait dans i Eglise au moyen âge. La
Saint-Barthélémy lui semble une rigueur assez salutaire, et la révocation
de l'édit de Nantes, avec toutes ses conséquences atroces, un pieux décret.
Seulement il regrette que, sous Louis XV, on ait mal exécuté l'édit qui or-
donnait que les convertis qui, pendant leur maladie, refusaient le saci^ement
catholique, seraient condamnés aux galères perpétuelles avec confisca-
tion de leurs biens, s'ils revenaient à la santé, etc., etc. La liberté des
cultes est, à ses yeux, un non-sens, il faut l'unité de religion tout comme
l'unité de pouvoir, et les lois doivent punir le sacrilège ou l'hérésie
plus sévèrement qu'aucun autre crime. Aussi M. L.-A. M. fait peu de
cas de ces catholiques amateurs, tels , par exemple, que M. de Mon-
talembert , qui exaltent la libre pensée et les convictions indépendantes.
C'est à eux que son livre s'adresse, pour leur démontrer qu'ils entravent
l'action de l'Eglise et sont les auxiliaires de ses ennemis. En vain cherche-
t-on à concilier la foi avec l'essor de l'esprit humain : la philosophie est
impie, la science inutile ou dangereuse, les arts eux-mêmes sont rem-
plis de pièges. Le catholicisme ne peut transiger avec ces ruses du
démon. Hors de l'Eglise point de vérité ni de salut, voilà son principe
fondamental, et si vous l'ébranlez tout l'édifice croulera. Cette manière
d'envisager la religion contraste étrangement avec les idées du siècle.
Nous doutons qu'elle soit bien propre à ramener les philosophes, mais
la franchise avec laquelle l'auteur expose les exigences de ce joug impi-
toyable a du moins l'avantage de dissiper toute incertitude. C'est une
guerre ouverte contre la culture intellectuelle, contre la liberté de pen-
SCIBHCBS MORALES UT POLITIQUES. 373
ser et d'écrire, contre l'ensemble de la civilisation moderne et contre
Tesprit de la charité évaogélique. Le programme est aussi simple que
clair : quiconque se permet de raisonner sera mis hors la loi, et livré sans
miséricorde aux rigueurs efficaces de la persécution. En lisant ce mani-
feste , on croit entendre déjà le pétillement du bûcher. Si donc les hé-
rétiques persistent dans leurs erreurs ce ne sera pas faute d'être avertis
du sort qui les attend. Quelle que soit du reste la résolution qu'ils pren-
nent, ils sauront apprécier, nous n'en doutons pas, l'éminent service que
leur a rendu M. L.-Â. M.
Introduction à la théologie orthodoxe de Macaire, docteur en théologie,
évêque de Vinnitza^ recteur de Tacadémie ecclésiastique de Saint-
Pétersbourg, traduit par un Russe. Paris, J. Cherbuiiez, 1857 ; i
gros vol. in-8 : 8 fr.
La théologie orthodoxe est l'ensemble des croyances et des doctrines
del'Eglise grecque, ou, comme le dit Tauteur, l'exposition systématique de
la religion chrétienne, suivant la Parole divine, la sainte Ecriture et la
sainte tradition, et sous la direction de l'Eglise orthodoxe. Présentée sous
ia forme d'un enseignement méthodique, cette science offre un sujet d'étude
d'autant plus digne de fixer l'attention des théologiens français, que jus-
qu'ici l'on ne possédait aucun livre qui pût leur fournir à cet égard des
données certaines et complètes. En général l'Eglise grecque est connue
surtout par les attaquas dont elle a maintes fois été l'objet. On accuse son
clergé d'ignorance et son culte d'être encombré de pratiques superstitieu-
ses. L'ouvrage de M** Macaire réfute victorieusement ces deux reproches.
Il porte le cachet d'un vaste savoir, d'une connaissance approfondie des
saintes Ecritures, et d'un spiritualisme tout à fait évangéiique. On y
trouve de plus une élégante clarté d'exposition, très-précieuse dans des
matières aussi difficiles C'est la substance du cours que l'auteur professe
avec talent et conviction à l'académie de Saint-Pétersbourg.
Fils d'un simple curé de village, Michel Boulgakow qui, en entrant
dans les ordres, prit le nom de Maccarius, se distingua de bonne heure
par les facultés éminentes de son esprit. Nommé d'abord professeur
d'histoire à l'académie de Kiew, il fut bientôt appelé à Saint-Pétersbourg
ei chargé de l'enseignement de la théologie dogmatique. Le succès re-
marquable avec lequel il s'acquitta de cette tâche lui valut un avance-
374 SC1BNCB8 aOflALES B1 POLIZIQUBS.
ment rapide. Quoique jeune encore, il est aujourd'hui évêque de Vinnitza»
coadjuteur de Podolie et recteur de l'académie ecclésiastique. Aussi le
traducteur ne pouvait-il choisir uo écrivain plus propre à faire bien
comprendre le dogme, le culte, l'esprit et l'organisation de l'Eglise
d'Orient, à dissiper les préventions et les erreurs, et, comme il le dit,
c â faire regretter à ceux qui les ont propagées d'avoir attaqué, sans la
connattre, une doctrine professée par un si grand nombre de fidèles.»
Du PKix DES GRAINS, du libre échange et des réserves, par M. Briaune,
Paris, F. Didot frères, 1857 ; 1 vol. in-8 : 5 fr.
M. Briaune est un cultivateur qui traite la question des grains au point
de vue pratique, d'après les données que lui ont fournies soit les documents
officiels, soit sa propre expérience. Sans récuser tout à fait l'autorité de
la théorie, il estime que ses principes doivent être plus ou moins modi-
fiés dans l'application. A ses yeux les économistes commettent une grave
erreur en assimilant le blé aux marchandises ordinaires. Le rôle im-
portant que joue ce produit dans l'alimentation du peuple lui semble jus-
tifier l'emploi de mesures exceptionnelles pour prévenir les désordres
qu'entraîne sa rareté ou la trop grande élévation de son prix. Les résultats
de la statistique permettent de constater que presque toujours une disette
fut le prélude des agitations révolutionnaires dont la France a été le théâ*
tre. A l'époque de la ligue, en 1789» en 1830, en 1848 on retrouve
cette même coïncidence, et M. Briaune en conclut que le gouvernement
ne peut rester étranger à ce qui concerne le commerce des grains. Puis-
que c'est une source de périls pour l'Etat, l'intérêt commun exige que
Tadministration s'en préoccupe avec sollicitude. Cette manière de rai-
sonner ne manque pas de logique et l'on doit reconnaître qu'en effet nulle
autre marchandise n'exerce autant d'influence sur l'ordre public. Mais les
économistes objecteront que le danger provient précisément de ce que le
commerce des grains n'a point joui jusqu'à ce jour des bieafaits d'une en-
tière liberté. Quand M. Briaune affirme que la spéculation abandonnée à
etle-méme ne saurait suffire aux besoins des consommateurs, et cite des faits
à l'appui de ceCte opinion, il oublie que des entraves existent encore pres-
que partout. Pour que l'équilibre s'établisse il faut que tous les marchés,
soient ouverts en tout temps. Alors le commerce des grains prendra des aU;
SCIBJfCBS ET ARTS. 375.
lures régulières, et les spéculateurs pourront donner à leurs opérations
retendue désirable, parce qu'ils n'auront plus à craindre comme au-
jourd'hui le brusque retour des mesures prohibitives.
Du reste, dans l'état actuel des choses, surtout en France, les idées de
M. Briaune peuvent être fort utiles. Sou système n'a rien d'exclusif, et
tend même plutôt à préparer l'essor de la liberté commerciale. Il propose
rétablissement, sur tous les points du royaume, de réserves permanentes,
faites par des particuliers auxquels le gouvernement accorderait les
avances nécessaires pour cela. Une loi axerait soit le taux de l'intérêt à
payer, soit la limite du prix au-dessus de laquelle il serait permis de
vendre les blés de réserve sans les remplacer immédiatement. Les diffi-
cultés de cette organisation ne lui semblent pas insurmontables, et Ton
trouvera dans son livre un exposé très-clair et très-complet des moyens de
la mettre en pratique. C'est un travail remarquable, bien digne d'attirer
l'attention de toutes les personnes qui s'intéressent aux grandes questionci
d'économie sociale.
SCIfiHTCES IST ARTS.
Leçons D£ céramique professées à l'école centrale des arts et manufac-
tures, ou technologie céramique, par Â. Salvetat. Paris, Mallet-Ba«
chelier, 1857 ; 2 vol. in-12, fig. : 12 fr.
La céramique ou l'art de fabriquer les poteries est une branche de
rindustrie pour les progrès de laquelle certaines connaissances scientifi-
ques sont indispensables. La chimie joue un grand rôle dans ces procédés
qui, d'ailleurs, ont eux-mêmes besoin d'être décrits d'une manière très-
détaillée. Ce n'est pas un métier qui s'apprenne par routine ; les opé-
rations qu'il exige sont trop nombreuses et trop délicates pour qu'un
simple apprentissage suffise à les faire bien connaître. 11 faut de plus des
livres à l'aide desquels l'ouvrier puisse compléter son instruction. Les
Chinois, nos maîtres en cette matière, l'ont si bien senti, que chez eux la
céramique occupe une haute place dans renseignement. De tels livres
sont sans doute difficiles à faire et ne procurent pas à leur auteur la
même renommée que les savantes recherches de la théorie. Mais Timpor-
tance des services qu'ils rendent a bien aussi son mérite, surtout lors-
qu'un professeur distingué ne dédaigne pas ce moyen de vulgariser les
376 SCIBHCBS BT ARTS.
résultats de ses éludes dans un but d'utilité générale. M. Salvetat nous
offre un exemple de l'union si précieuse et si rare du savoir avec les
connaissances pratiques. Il se distingue par la clarté de ses explications*
ain^ que par le soin avec lequel il les rattache toujours aux principes
scientifiques de manière à féconder autant que possible l'enseignement de
la technologie. Ses leçons sont divisées en deux parties. La première
contient les notions dé chimie que les potiers de nos jours devraient pos-
séder pour diriger avec profit leur fabrication. L'auteur expose l'étude
de tous les corps simples, binaires ou plus composés que le potier peut
avoir à traiter, soit dans la fabrication des pâtes et des glaçures, soit
dans la décoration des poteries. La seconde partie est consacrée aux pro-
cédés de l'art, et l'auteur, après en avoir donné une description très-dé-
taillée, présente, sous le titre de Pyrotechnie céramique, les notions qui
doivent diriger dans le choix des divers combustibles, dans l'établisse-
ment des fours, dans la conduite et la théorie de ces appareils. Il donne
ensuite des exemples de diverses compositions relatives aux pâtes et
glaçures des différentes sortes de poteries que ït commerce présente en
grand nombre aux consommateurs, puis termine par ce qui concerne la
décoration.
De nombreuses figures intercalées dans le texte, dessinées à l'échelle
par élévation, coupes et plans, complètent les descriptions en représen-
tant d'une manière exacte les appareils qu'on pourra dès lors reproduire
avec facilité.
Traité élémentaire des machines à vapeur marines, par Â. Ortolan.
Paris, Lacroix-Comon, 1857 ; 1 vol. in-8® et atlas petit in-i^" : 9 fr.
Cet ouvrage est rédigé d'après le programme du concours pour le bre-
vet de capitaine au long cours et de maître au cabotage, il renferme des
notions pratiques sur les machines à vapeur, sur leur mécanisme, leur
installation, leur entretien et les réparations principales qu'on peut être
appelé à y faire. L'auteur, premier maître mécanicien de la marine im-
périale, entre dans tous les détails nécessaires à l'instruction, et les ex-
pose avec une clarté très-grande, quoiqu'il n'aborde point les principes
mathématiques ni les lois physiques sur lesquels repose la théorie. Son
but est de populariser autant que possible les connaissances qui lui pa-
raissent indispensables au progrès de la marine marchande. La prospérité
SGIBNCBS ET ARTS. 377
de celle-ci se trouve eiv effet intimement liée au développement de la na-
vigation à vapeur. Il importe donc beaucoup, dans l'intérêt du commerce,
qu'elle se tienne au courant de toutes les applications de la science mo-
derne qui peuvent la concerner. C'est ce que le gouvernement a bien
compris, en exigeant des candidats au brevet de capitaine au long cours
ou de maître au cabotage, les notions premières sur les machines à vapeur
marines. Le traité de M. Ortolan sera fort utile pour la préparation de
semblables examens, et nous le recommandons aussi comme un excellent
guide aux personnes qui, sans vouloir approfondir l'étude du sujet, dé-
sirent cependant ne pas rester tout à fait ignorantes à cet égard. On y
trouve des renseignements exacts, précis> accompagnés de planches bien
faites et nombreuses qui en facilitent Tintelligence aux lecteurs même les
moins versés dans la physique et la mécanique. Entre autres chapitres qui
renferment de précieuses données pour la pratique, nous signalerons celui
consacré aux moyens de réparer les avaries.
Traité des maladies nerveuses et de leur rapport avec Télectricité, par
J. Bernard, D'. Paris, Jules Viat, 1857 ; 1 vol. in-12.
L'application de l'électricité au traitement des maladies nerveuses est
employée aujourd'hui par un grand nombre de médecins. Sans doute elle
ne réussit pas toujours, mais elle obtient des résultats assez remarquables
pour mériter d'être étudiée d'une manière plus approfondie qu'on ne Ta
fait jusqu'ici. M. le D' Bernard pense donc qu'il est utile d'appeler Tat-
tention des praticiens sur les rapports qui existent entre Téleclricité et
l'organisme du corps humain. Suivant lui, c'est une mine féconde, encore
à peu près inexploitée, et qui promet à l'observateur persévérant des dé-
couvertes du plus haut intérêt. Les faits qu'il a constatés lui-même prou-
vent déjà combien sont importantes les propriétés physiologiques de cet
agent, appelé peut-être à jouer dans la médecine un rôle non moins
considérable que dans la science et l'industrie. En attendant, il le re-
commande comme un précieux moyen thérapeutique, et l'emploie sou-
vent avec succès dans les affections nerveuses de toute espèce. Son petit
volume expose, sous une forme très-concise, l'état actuel de cette bran-
che de la pathologie, et renferme les directions nécessaires pour en faci-
liter les applications pratiques. M. le D'' Bernard y joint, dans beaucoup
3ns SCIBHCBS ET ARTS.
de cas, remploi de Tiode à l'état oaissaDt, procédé dont il est l'inventeur,
et sur lequel il publie aussi une courte brochure destinée à faire connaître
les effets avantageux qu'il dit en avoir obtenus.
Nouvel armement général des Etats» exposé général des considéra**
tiens, principes et inventions qui sont relatifs à des systèmes complé-*
tenaent nouveaux pour les grandes parties constituantes de l'arme-
ment général de terre et de mer ; suivi d'études sur l'histoire générale
de TartiHerie, par J. Brunet. Paris, Dunaaine, 1857; 1 vol. ia-8:
ifr. *
Sous ce titre, H. Brunet nous offre le programme d'un système nou-
veau d'armement» dans lequel on mettrait en œuvre toutes les découvertes
de la science moderne. Si vous voulez la paix, préparez la guerre, cette
maxime, qui sert d'épigraphe à son livre, exprime parfaitement le but
qu'il se propose. Simplifier les moyens de défense, et les rendre aussi for-
midables que possible lui semble le meilleur moyen de diminuer les
chances de guerre. Aujourd'hui, lexistence des armées exige des dé-
penses énormes, et se concilie difficilement avec les bienfaits de la paix.
L'ambition du soldat est un élément nécessaire au maintien de la disci-
pline, mais dont l'influence agit plus ou moins sur la politique des Etats»
On ne saurait arracher un si grand nombre d'hommes aux occupations
de l'agriculture, du commerce ou de Tindustrie, uniquement pour les
astreindre à la vie monotone des garnisons, sans autre perspective que le
maigre salaire qui suffit tout juste à leurs premiers besoins. Il importe
d'entretenir chez eux l'esprit militaire par l'appât de la gloire, et Ton est
enclin à profiter pour cela de toutes les occasions qui se présentent. Alors
la mise sur pied de guerre entraîne bien d'autres sacrifices, un matériel
immense est indispensable, et dans le calcul des pertes que subira l'ar-
mée, on doit faire la part de la maladie, qui souvent est beaucoup plus
forte que celle du champ de bataille. La campagne de Crimée a prouvé
combien l'organisation actuelle est défectueuse. D'après M. Brunet, les
vices principaux sont : c mauvais principes mathématiques et physiques;
lacunes regrettables pour des services extrêmement importants ; faiblesse
étonnante, et souvent impuissance d'effet ; confusion, malgré des super- ^
fétations de classements et de catégories ; manque d'unité, surtout pour
les rapports entre les différentes spécialités du service ; complication et
SCIBHCBS ET ARTS. 37$
lourdeur de composition : difficulté de construction et de mise en jeu ;
absorption excessive d'hommes et de moyens de transport; nécessité d'é-^
tablissements immenses et difficiles ; fortifications sans portée, qui em-
prisonnent et étouffent les populations et les garnisons ; installations et
équipages maritimes, qui se présentent monstrueux de masse et de com-
plication, mais qui se trouvent sans action dans trop de circonstances ;
enfin, dépenses ruineuses pour les ressources en personnel et en maté-
riel de la plupart des Etats. »
Or, la plupart de ces inconvénients disparaîtraient bientôt si l'on vou-
lait tenir compte des progrès de la chimie, de la mécanique, profiter des
ressources industrielles, fonder Torganisation générale sur des principes
plus simples et mieux en rapport avec le but qu'il s'agit d'atteindre.
M. Brunet propose, par exemple, de substituer à la poudre une substance
plus énergique et moins embarrassante; de remplacer le fusil par des
armes légères, d'une fabrication peu compliquée, d'une précision par-
faite, et se chargeant par la culasse ; de munir le soldat d'un nouvel ap-
pareil, auquel il donne le nom à'omnivase, qui pourra lui servir de havre-
sac, de siège dans les terrains boueux, de coffre pour les denrées, de
vase pour les liquides, de cellules pour les constructions, etc., etc. ; enfin
d'appliquer à l'artillerie tous les perfectionnements propres à la rendre
plus puissante et plus mobile, tout en diminuant beaucoup le nombre des
hommes et des chevaux nécessaires pour son service. La marine et le
système des fortifications subiraient des réformes analogues, de manière
à réduire les diverses parties de l'armement au strict nécessaire, et de
leur donner en même temps une énergie d'action qui leur a manqué
jusqu'ici.
Après avoir indiqué sommairement les principales innovations qui lui
paraissent urgentes, l'auteur passe en revue l'ensemble des découvertes
modernes relatives aux différents détails de son sujets et prend ainsi date
pour se réserver la propriété des brevets concernant leur application. Il
termine par un chapitre qui traite du classement et des moyens d'exécu-
tion. Ses vues sont certainement fort ingénieuses, mais, pour en appré-
cier la valeur, on doit attendre les ouvrages dans lesquels M. Brunet
annonce qu^il exposera d'une manière plus développée et plus pratique
chacune des branches de son système d'armement.
380
SCIBNCES ET ARTS.
Recherches sur le cœur et le foie, considérées aux points de vue lit-
téraire, médico-historique, synobolique, etc., par le docteur F. Ândry.
Paris, Germer Baillière, ,1858 ; i vol. in-8 : 4 fr.
Cet ouvrage, ainsi que, du reste, l'indique son titre, n'est pas un traité
médical» quoique l'auteur soit un médecin qui a publié déjà deux volumes
et divers articles sur les maladies du cœur. Ici, laissant de côté la science
pure, M. Andry donne essor à ses goûls littéraires. Après avoir étudié
l'organe au point de vue pathologique, il veut en écrire la légende, et,
pour rendre son travail bien complet, il y joint un chapitre sur le foie,
qui, chez plusieurs peuples, a joué le même rôle à peu près que le cœur.
Ce sont de curieuses recherches, dans lesquelles on trouvera beaucoup
d'érudition, un esprit de saine critique, et des aperçus très-ingénieux.
Dès les temps les plus reculés, le cœur fut revêtu de certaines attribu-
tions, qui prouvent que les différents peuples y attachèrent des idées phi-
losophiques semblables. Les anciens Egyptiens, les Grecs, les Hindous en
faisaient déjà le symbole du courage, de la force, de Ténergie, et cette
métaphore se retrouve plus ou moins partout, jusque chez les peuplades
sauvages de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie. Seulement, dans
quelques pays, comme, par exemple, chez les Hébreux, les Arméniens,
les Persans, c*est le foie qui remplace le cœur. > Le trouble s'est emparé
de mes entrailles, s'écrie Jérémie, et mon foie s'est répandu sur la terre. »
Un poète arménien, parlant d'un amant délaissé par sa maîtresse, dit
qu'il se retire, le foie bri»é, et la poésie persane, pour exprimer la peur,
emploie cette image: c leurs foies se liquéfièrent.» Du reste, l'analogie
supposée entre les deux organes était assez répandue, puisqu'on lit dans
Ânacréon : « Tamour me frappe au milieu du foie, i et dans Rabelais: c je
t'ayme du bon du foye. • La même unanimité se remarque en ce qui
concerne l'importance physiologique accordée au cœur. Les opinions er-
ronées qui régnèrent à cet égard chez tous les peuples sont innombrables,
mais elles tendent toutes au même but, qui est de représenter le cœur
comme le siège principal de la vie, de Tamour, du courage, et l'on en
trouve encore une preuve dans les lésions pathologiques et les anomalies
diverses que lui attribuaient les anciens. Le volume du cœur, les poils, les
ossifications ou calculs qui s'y rencontrent parfois, étaient regardés comme
autant de signes indicateurs soit de la longévité, soit du courage.
SCIBHCBS BT ARTS. 381
'Il est facile de comprendre par quelle liaison d'idées ce mystérieax
symbolisme conduisit d'abord à la sorcellerie, puis devint l'objet de l'exal-
tation mystique la plus étrange. M. Ândry retrace rapidement l'histoire
des superstitions diverses auxquelles ont donné lieu ces tendances, qui,
tour à tour, firent du cœur un instrument de maléfice et l'emblème de
l'amour divin. 11 n'omet pas non plus les honneurs funèbres rendus spé-
cialement au cœur, et le rôle considérable qu'il joua dans la science hé-
raldique. On peut ainsi très-bien suivre la marche des croyances popu-
laires, depuis renvoûtement jusqu'aux visions de Marie Âlacoque. L'auteur
se livre ensuite à des recherches philologiques sur les mots qui servent à
désigner le cœur dans les principales langues des différentes parties du
monde, et sur l'étymologie du nom français de cet organe. 11 termine par
des considérations du même genre sur le rôle intellectuel ou moral^iu foie
chez les peuples anciens.
Traité élémentaire d'hygiène militaire, par le D' S. Rossignol. Paris,
Al. Johanneau, 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr.
L'hygiène est une science utile à tout le monde, mais indispensable
surtout aux militaires. Les fatigues et les privations de la vie du
soldat exigent une santé robuste, il a, plus que nul autre, besoin
de maintenir la souplesse et la vigueur de ses organes^ pour être en
état d'affronter les périls de la guerre. Ceux*ci, d'ailleurs, ne sont pas
les seuls qui le menacent. Dans la plupart des campagnes qu'il est ap-
pelé à faire, le champ de bataille compte moins de victimes que l'hô-
pital. Le rassemblement d'une armée nombreuse est presque toujours
accompagné d'épidémies plus meurtrières que les canons de l'ennemi.
Des marches forcées, des campements insalubres, de fréquents bivouacs
augmentent encore ces chances funestes, et l'on peut en général calculer
que le chiffre des hlessés ne forme que le tiers du nombre total des ma-
lades. 11 est donc très-nécessaire de chercher autant que possible à pré-
munir le soldat contre les influences morbides auxquelles il se trouve ex-
posé. L'hygiène militaire a pour but la conservation de l'armée ; c'est dire
assez quelle est son importance. Â cet égard, dès progrès remarquables
ont eu lieu, mais il reste encore beaucoup à faire, soit pour donner aux
mesures générales une portée vraiment féconde, soit pour répandre parmi
les soldats des habitudes hygiéniques. Quant aux premières, la campagne
882 SGIBHfiBS BT ARTS.
de Crimée a prouvé que Tisolement, l'aération et les soins de propreté
soDt les meilleurs moyens de combattre les épidémies, et que si le per-
sonnel du service médical ne laisse rien à désirer, les ressources mises à
sa disposition sont trop souvent insuffisantes. Sur ce point, le succès dé-
pend de la sollicitude avec laquelle s'en préoccupent les chefs de l'armée.
Une administration vigilante, active et dévouée, obtiendra certainement
de précieux résultats. Hais il faut de plus que ses efforts soient secondés
par le concours intelligent de la troupe. C'est en cela que les conseils hy*
giéniques peuvent avoir une portée très->8alutaire. Ils éveillent l'attention
du soldat sur le danger des excès, ainsi que sur maintes petites mesures
de prudence dont l'effet préventif est pour lui d'une haute importance.
Dans ce but, M. le docteur Rossignol passe en revue toutes les règles
de l'hygiène proprement dite, puis il en fait l'application à l'armée de
manière à ce que chaque question puisse être facilement saisie dans ses
rapports avec les nécessités de la vie militaire. Son livre renferme une
foule de détails utiles, et pourra rendre aux officiers de santé d'éminents
services, en leur offrant un exposé complet, quoique succinct, de l'état
actuel de la science, d'après les observations et les découvertes les plus
récentes.
Goya, par Laurent Matheron. Paris. Schulz et Thuillier, 1858;
i V. in-12.
Ce n'est que depuis un assez petit nombre d'années que Francisco Goya,
un des peintres les plus remarquables qu'ait produits l'Espagne, a été
connu et apprécié. Sa vie étrange, son talent, d'un genre tout particu-
Fier, assignent à cet artiste une physionomie à part. Le travail de M. Ma-
theron, écrit avec amour, et résultat de longues recherches, sera d'un
bien précieux secours pour savoir ce qu'a été cet émule de Rembrandt
etdeHogarth.
Nous n'avons pas l'intention d'esquisser ici la biographie de Goya ; né
en 1746 en Aragon, il mourut à Bordeaux, plus qu'octogénaire, en 1828.
Après avoir étudié à Rome, il se fixa à Madrid, où il devint le peintre à
la mode ; le roi Charles IV le combla de faveurs ; les plus grands sei-
gneurs, et, à ce qu'on ajoute, les dames les plus illustres l'admirent dans
leur intimité. Ami du luxe et des plaisirs, il donnait des fêtes brillantes,
se mêlait dans bien des intrigues, quoiqu'il fût marié ; sa femme lui donna
S0ISNCB9 ET ARTS. 383
d'ailleurs vingt enfants. Une existence dissipée ne ralentissait pas son in-
croyable activité. Il abordait tous les genres avec un égal bonheur: por-
traits, sujets de sainteté, caricatures, scènes de mœurs, il touchait à tout.
Il maniait la pointe et le pinceau avec une égale vigueur ; il avait des
procédés qui lui réussissaient à merveille^ et dont l'audace était inouïe ;
il puisait la couleur dans des baquets, il l'appliquait avec des éponges,
avec des torchons, avec le premier objet qui tomt)ait sous sa main, il
exécuta avec une coill^ en guise de brosse une représentation d'un
combat entre des Français et des Espagnols; c'est une œuvre d'une
fougue incroyable. Les tableaux de Goya sont, pour la plupart, restés à
Madrid ; quelques-uns ont passé en Angleterre; on en a vu à Paris dans
l'ancien musée espagnol; M. Matheron a réuni sur ces œuvres éparses
et si dignes d'intérêt^ un faisceau d'informations précises,
Goya n'est guère connu en France, et encore de bien peu de personnes
seulement, que par un recueil de 80 gravures, qu'il a intitulé Caprices,
et qui, à tous égards, est des plus curieux. L'exécution matérielle, ex-
trêmement remarquable, est ici le moindre mérite; les allusions aux
usages nationaux, à la politique du temps abondent, et respirent la plus
mordante ironie. L'artiste tournait en dérision les personnages les plus
puissants du royaume : il raillait impitoyafblement les moines: on comprend
qu'il sut dissimuler sa pensée sous les voiles les moins diaphanes. Une Re-
vue^ qui est morte comme tant d'autres, disait il y a trente ans, dans sa
verve âpre et mordante : Goya a profondément compris les vices qui ron-
geaient l'Espagne; il les a peints comme il les haïssait. C'est un Rabe-
lais, le crayon et le pinceau à la main, mais un Rabelais espagnol, sé-
rieux, et dont la plaisanterie fait frémir. Un de ses desseins en dit plus
sur l'Espagne que tous les voyageurs. Rien de plus effroyable que sa pé-
nitente conduite à un auto^da-fé.
M. Matheron donne des renseignements sur un recueil encore plus dif-
ficile à trouver que les Capriches, et intitulé Tauromaguia-^ trente-trois
planches à l'eau-forte représentent des épisodes de combats de taureaux,
genre d'exercices pour lequel Goya eut toujours le goût le plus pro-
noncé. M. Théophile Gautier, qui a parlé de notre artiste sur le ton de
l'admiration la plus vive, signale « la fureur de mouvement qui éclate dans
ces esquisses. • Un trait égratigné. une tache blanche, une raie noire, voilà
un personnage qui vit, qui se meut, et dont la physionomie se grave pour
toujours dans la mémoire.
384 SCISNGBS ET ARTS.
Les fléaux qui désolèrent l'Espagne pendant sa lutte contre les armées
françaises, firent naître chez Goya l'idée d'une suite de vingt planches,
représentant des êchnes <rinva$%on. Ces compositions saisissantes ont été
appréciées par la critique que nous venons de citer, en des termes que
nousTeproduirons volontiers ; > Ce ne sont que pendus, morts qu'on dé-
pouille, prisonniers qu'on fusille, couvents qu'on dévalise, populations^
qui s'enfuient. Parmi ces dessins, il en est un dont le sens, vaguement
entrevu, est plein de frissons et d'épouvantements. C'est un mort à moitié
enfoui dans la terre, qui se soulève sur le coude, et, de sa main osseuse»
écrit sans regarder sur un papier posé à côté de lui, un mot qui vaut
bien les plus noirs de Dante : no^ia (rien). Âutyur de sa tête, qui a gardé
juste assez de chair pour être plus horrible qu'un crâne dépouillé, tour-
billonnent, à peine visibles dans l'épaisseur de la nuit, de monstrueux
cauchemars, illuminés çà et là de livides éclairs. Une main fatidique sou-
tient une balance dont les plateaux se renversent. >
Le travail de M. Matheron fait connaître, à tous les points de vue, l'ar-
tiste auquel on doit tant d'œuvres remarquables, et qui, toutefois, se trouve
oublié dans la plupart des dietiownairea et des biographies; ce petit vo-
lume sera donc lu avec un intérêt véritable; ajoutons, et c'est le moindre
de ses mérites, qu'il est imprimé avec un soin tout particulier, sur papier
fort, et que son exécution typographique fait honneur à l'imprimeur bor-
delais des presses duquel il est sorti. ,
TABLE
DES
OUVRAGES ANNONCÉS DAKS LA REVUE CRITIQUE.
t5»« Année, ÛHSH.
SCIENCES MORALES et POLITIQUES
Religûm, Philosophie, Morale,
Education.
Traduction de l'Ecclésiaste. A 06
Histoire de Joseph, 248
Simple commentaire sur la vie
de Jésus-Christ. 23
Introduction à la théologie or-
thodoxe. '337
Etude sur le baptême. 342
Le chrétien, 279
Le christianisme aux trois pre-
miers siècles. 208
Trois discours. 230
L'homme, la famille et la so-
ciété. 246
La famille chrétienne. 26
Le sermon sur la montagne. 371
De la vocation. 212
De l'athéisme et du déisme. 88
Traité de la science de Dieu . 1 49
Œuvres de Marrilxjde Sainle-
Aldegonde. 146
Œuvres de Channing. 281
Nouveaux choix oe traités-
Roussel. 316
Quelques bonnes pensées. 21
Prières d'un enfant. 340
La fin du monde. 1 89
Comment il ne faut pas prê-
cher. 340
Traité des mariages mixtes. 55
Ad vis et devis de la source d'i-
dolâtrie. 1 1
Vrais et faux catholiques. 372
Les jésuites jugés.
Jansénisme et jésuitisme.
Affaire de la Salette.
Le peuple primitif.
De l'élat actuel du prottBstan-
tisme en France.
Histoire de l'église réformée
de Nîmes.
Histoire des protestants du
Poitou.
Mission de Cayenno.
Le christianisme en Chine.
Histoire des religions de la
Grèce.
La nouvelle Bible.
Les Ennéades de Piotin.
Pensées de Pascal.
Nouvelles lettres de Leibnitz.
Bacon, sa vie, etc.
Les philosophes français du
dix-neuvième siècle.
Recherche de la méthode.
La liberté de conscience.
De la grandeur morale.
Lettres philosophiques.
Manuel de renseignement pri-
maire.
Œuvres de Vauvenargues.
275
367
245
210
145
113
54
237
76
138
217
307
213
83
243
22
20
86
368
60
315
225
Législation f Jurisprudence.
Elément de droit romam. I4t
Explication des passages de
droit romain. 3ii
Philosophie de la procédure ci-
vile. 81
Etudes sur la condition légale
des femmes. 369
386
Des voies de recours.
Du louage d'industrie.
De la portion de biens dispo-
nible.
Droit commercial.
Traité de la police du roulage.
Mélanges de droit.
lABLB.
PagM
216
U
25
li3
187
309
Sciences sociales. Economie polUique,
Commerce.
Principes d'économie politique. 314
Système national d'économie
politique. 310
Dizionario della economia po-
litica. 119
Du principe de population. 1 1 7
Etudes sur la liberté du com-
merce. 123
Du prix des grains. 374
Mélanges économiques/ 341
Tout par le travail. 282
Le monde marche. 88
Dernières paroles d'un gros
sou. 370
Les manieurs d'or. 312
Les cités de chemins de fer. 188
Congrès de bienfaisance. 215
Histoire du commerce. 1 4
Nouveau système de comptabi-
lité commerciale. 142
Cours d'arithmétique commer-
ciale. 317
Administration financière des
communes. 186
Cours d'instruction civique. 85
SCIENCES ET ARTS.
Les sciences naturelles. 319
Etudes et lectures sur les
sciences, 90
Exposition des découvertes mo-
dernes. 345
Essais scientifiques. . 152
La terre et l'homme. 27
Mémoires de l'Académie des
sciences. 167
Pagci
L'année scientifique et indus-
trielle. 29
Leçons d'électricité. 284
Développement de la série na-
turelle. 156
Le monde avant la création de
l'homme. 30
Scènes de la nature aux Etats-
Unis. 154
Précis d'histoire naturelle. 320
Les Alpes. 249
L'insecte. 347
Eléments de botanique. 287
La médecine et les médecins. 95
Traité des dégénérescences
physiques. 60
Traité d^hygiène miliUire. 381
Recherches sur le cœur-et le
foie. 380
Traité des maladies nerveuses. 377
Relation médico - chirurgicale
de la campagne d'Orient. 348
Nouv. éléments de pathologie. 190
Etude du cheval. 219
L'agriculture et la population. 344
Lettres sur l'agriculture, 1 57
Rome agricole. 62
Des infiuences de la lumière
sur les essences forestières. 61
Rapport sur Texposition agri-
cole de Chelmsford. 253
Théorie des intérêts composés. 94
Cours d'analyse. 192
Considérations sur la tactique
de l'infanterie. 351
Nouvel armement général des
Etats. 378
Goya. 382
Des beaux-arts en Italie. 124
Les mosaïques chrétiennes de
Rome. 256
Le trésor de la curiosité. 92
Trésors d'art à Manchester. 3 1 8
Le salon de 1857. 285
De l'application des arts à l'in-
dustrie. 93
Du plomb. 128
Leçons de céramique. 375
TABIB.
387
Traité des machines à vapeur
marines. 376
Meunerie, moulin de Sainl*
Maur. 350
Histoire de la télégraphie. 284
Des arts graphiques. 31
Marques et devises typographi-
ques. 64
La science du coupeur. 316
Art de respirer. 222
Des chemins de fer et de leur
influence sur la santé des
mécaniciens. 218
La pêche à la ligne. 127
Le petit Lavater. 126
BELLES-IJETTRES.
Ettide des langues^ Littérature.
Etude des langues. 7
Eléments de la grammaire la-
tine. 295
Dictionnaire des synonymes. 258
Choix d'études sur la littéra-
ture. 107
Le réalisme. 291
Poésie^ Art dranu^tique.
Fleurs de l'Inde. 360
Les poëtes chrétiens. 325
Les tragiques. 97
Œuvres de Ronsard. 74
Œuvres de Racan. 299
Œuvres de Coquiliart. 296
Psyché, poëme. 73
La Cinéide, poëme. 1
Milianah. 353
Poésies de Banville. 297
Dernières chansons. 361
Les Traditionnelles» poésie. 4
Alperoses. 353
Fleurs et sourires. 353
Miettes d'amour. 230
Poésies nouvelles. 230
Œuvres de Corneille. 357
Théâtre et souvenirs. 101
Jeanne d'Arc, drame. 1 29
Romans, Contes et Nouvelles ^
Mélanges.
Le roman de Jean de Paris.
Le roman comique.
Vio de N. Nickelby.
Afraja.
Les pirates du Mississipi.
Drcd.
La fleur de la famille.
Journal d'une jeune fille.
Pages
9
257
68
69
323
198
36
71
Mémoires de J'. Prudhomme. 66
Les émotions de Polydore Ma-
rasquin. 65
Les enfants de Rousseau. 1 64
Seul! 161
Le chef de famille. 321
Le marchand prospère. 327
Doit et avoir. 323
Les degrés de l'échelle. 228
Madame Bovary. 291
Mémoires de Barry Lyndon. 69
L'art d'être malheureux. 82
L'auberge du Spessart. 33
Les quatre âges. 265
Contes kosaks. 5
Couronne. 359
Les métamorphoses de la femme 228
Mignon. 265
Nouvelles extraordinaires. 65
L'ours et l'ange. 112
Scènes de la vie hollandaise. 8
La comédie de l'amour. 37
Etudes sur les tragiques grecs. 289
Etudes sur Virgile. 67
L'hérésie de Dante. 1 96
Dante Alighieri ou le problème
de l'humanité. 164
Le paradis du Dante illuminé. 38
Essai sur Nicole Oresme. 195
Histoire de l'Académie franc. 1 09
Du roman et du théâtre. 193
Les oubliés et les dédaignés. 130
Revue des écrivains de la Suisse
française. 105
Lettres de S. Pellico. 162
Aux grands écrivains. 233
Histoire de la conversation. 259
Les facétieuses nuits. 294
388 TABLB.
Voyages lîttëraires sur les quais 322
Paris vivant. 322
Les salons de Paris. 326
Histoire des états de la lune et
du soleil. 356
L*amour, les femmes et le ma-
riage. 71
Petits mémoires de TOpéra. 7
Plaisantes recherches d'un
homme grave. 34
Inventaire des meubles, bijoux
et livres étant à Chenonceaux. 35
Histoire de la presse en Angle-
terre. 261
Nouveau manuel de bibliogra-
phie. 302
Philobiblion. 39
HISTOIRE.
Géographie, Voyages.
Rapport de la Société de géo-
graphie. 78
Mittheilungen iiber Géographie 40
179 et 269
Abrégé de géographie. 335
Carte de la terre sainte. 234
Journal de la femme d'un mis-
sionnaire. 20
Séjour chez le grand chérif de
la Mfkke. 13
Un été dans le Sahara. 49
Cinquante jours au désert. 183
Lettres sur l'Egypte. 44
Trois ans aux Etats-Unis. 115
Voyage dans l'Amérique cen-
trale. 75
Voyages et aventures au Chili. 334
Aventures d'un gentilhomme
breton. 133
Veillées sur terre et sur mer. 334
Journal de Miertsching. 79
Les saints lieux. 328
La Turquie. 181
Les Anglais et Tinde. 266
L'Angleterre, laChine et l'Inde 364
Souvenirs d'un voyage en Si-
bérie. 46
La Norwpge. 47
Esquisse sur Moscou et Saint-
Pétersbourg.
Voyage aux Alpes.
La Normandie inconnue.
La Corse et son avenir.
Le pays basque.
Page»
134
174
231
136
306
Histoire ancienne et modertie.
Relation de la rébellion de
Stenko-Razin. 52
Histoire de Nicolas I". 329
Gescbichte des Gottesfriedens. 272
335
178
53
Histoire de Guillaume III.
Henri IV et Richelieu.
Hist. de la guerre de Navarre.
Hist. du règne de Louis-Phi-
lippe. 176
Hist. de ta chute du roi Louis-
Philippe. 183
Hist. du canton de Fribonrg. 206
Annales de Carouge. 303
Histoire de Bienne. 16
Deux ans de révolution en Italie 50
Mémoires sur lUalie. 18
De la république des Etats-Unis 1 6
Hist. des nations du Mexique. 238
Insurrection de l'Inde. 304
Biographie, Mélanges,
Etienne Dolet. 332
Mémoires de Saint-Simon. 200
L'abbé de Saint-Pierre. 121
Mém. du marquis d'Argenson. 170
Sophie Arnould. 137
Le [rince de Ligne. 114
Kléberel Marceau. 134
Maine de Biran, sa vie et ses
écrits. 57
F.-C.-L. de Sismondi, frag-
ments et correspondance. 48
Le chevalier. Sarii. 159
Channing, sa vie et ses œuvres 139
Balzac, sa vie et ses œuvres. 362
Mémoires sur Béranger. 271
Ma biographie. 361
Vie du capitaine H. Vicars. 44
Memorie d'un ribelle. 274
Histoire de Dmitri. 275
TABLB.
Sépultures gauloises, romai-
nes, etc.
Essai de chronographie byzan-
tine.
Les monuments de l'histoire de
France.
Etudes historiques.
Les nobles et les vilains.
Les courriers de la Fronde.
Trois drames historiques.
Mémoires de Hollande.
Pages
79
10
135
132
338
172
42
52
389
168
Œuvres de Baulacre.
Relation de trois ambassades
du comte de Carliste. 171
Etudes sur la révolution fran-
çaise. 276
Dépêches des ambassadeurs
milanais. 148
Etrennes historiques de Genève 365
Variétés historiq. et littéraires. 1 73
L'Europe et la Russie. 343
Album des fêtes suisses. 240
TABIiE DES NOmn D'AUTEURS.
Pages
Page»
Ancelot (M»»).
326
Bornet, L.
85
Andry, F.
380
Borrel. A.
113
Anelier, G.
53
Bouchut, E.
190
Aroux, E. 38
et 196
Boulmier, J.
332
Arthur. W.
327
Bouvier, A.
279
Audubon.
154
Bouzique.
101
Autran, J.
353
BraflF.
186
Babinet.
90
Brasseur.
238
Balleydier.
329
Briaune.
374
Barbet de Jouy.
256
Brunet, J.
378
Barthélémy Saint-Hilaire.
44
Buisson, E.
246
Baulacre, L.
168
Bungener.
208
Beautemps-Baupré.
25
Burger.
318
Beaussire, E.
80
Castigiia.
164
Bedarride.
143
Champtleury.
291
Beecher-Stowc (M"«).
198
Channing.
281
Belligera.
230
Chassant, A.
338
Benech.
309
Clamageran, J.-J.
24 et 145
Béranger.
361
Clément, P.
42
Berchtold.
206
Clément, R.
342
Bernard, Th.
230
Cochet.
79
Bernard, J.
377
Comettanf, V.
115
Berirand. Th.
317
Coquerel, Ath.
55
Blanc, Cb.
92
Coquerel fils.
124
Blœsch, G. -A.
16
Coquillart.
296
Boccardo, G.
119
Corneille.
357
Bonal, A.
284
Cucheval-Clarigny.
261
Boniface-Delcro.
369
Cyrano de Bergerac.
356
Bonivard, Fr.
11
Daguet, A.
105
Bordeaux, R.
81
Daniel Stem,
129
390 TABLg»
Paget
Dargaud, J -M. 174
D'Ârgenson, 1 70
Dash (M»» la comtesse) . 228
D'Aubigné. 97
De Banville, Th. 297
DeBaranle. i32
De Boigne, Ch. 7
De Bussy. 334
De Caqueray. 311
De Fontaine de Resbecq. 322
De Gasparin, A. 208 et 230
De Gingins-d'Eclépens. 253
De Gingins-Lasarra. 1 48
De la Borde. 93
De la Codre. 368
De la Fayette (M»« la comtesse) 52
Delafosse. 320
De la Gironnière. 133
De la Gracerie. 16
De Lamarche. 343
DelaRocca, J. 136
De la Rounat, Ch. 37
De Lavergne. 344
De Martonne. 302
De Murait, Ed. 10
Denis, F. 302
DeNouvion. V. 176
De Rougemont, Fréd. 21
De Saint-Germain. 82 et 265
Descbanel, E. 259
Desprez. 1 34
DeTracy, V. 157
De Yalbezen. 266
De Vallée. 312
Dickens, Ch. 68
Didier, Ch. 13 et 183
Du Camp. 285
Duchesne, E.-A. 218
Dutoif, L. 94
Du Vivier de Streel. 1
Enault, L. 47
Estéoule. 248
Favre, H. 156
Figuier, L. 29 et 345
Flaubert, 6. 291
Ponvielle. 304
Francisque, Michel. 306
Frémy, A. 71
PagM
Freytag.
323
Fromentin, Euff.
GauUieur, E.-H.
49
303 et 365
Galitzio, Aug.
35, 52 et 171
Garnier, J«
117
Genou, Cl.
164
Gerstaecker.
323
Concourt.
137
Gozlan, L.
65
Granier de Cassagnac. 183
Grillot.
316
Guettée.
367
Guilbon, N.-A.
187
Guillemard, N.
127
Hammann.
31
Hansteen, Ch.
46
Hauff.
33
Hennin.
135
Heyer, G.
61
Hildebrand.
8
Hue.
76
Hugo, F.-V.
231
Janin, A.
106
Kluckholm.
272
Kohier, X.
353
Lamotte.
315
Landrin, H.
128
Lapointe, S.
271
Laprade, V.
73
Laveleye.
122
Leber, C.
34
Le^ault.
LeiDniz. '
304
83
Lenormant, Fr.
216
Leymarie, A.
282
Lièvre, Aug.
54
List, Fréd.
310
Lorrain.
315
Luquet.
212
Lutterbach.
222
Macaire.
373
Macaulay.
335
Marnix de Sainte-Aldegonde. 146
Matheron, L.
382
Marmier, X.
265
Mathieu, H.
181
Maury, A.
27, 78 et 138
Maynard, T.
334
TABLB.
Maynz, Ch.
Melly. J.
Merle d'Âubignë.
Mesnard» P.
Meunier, Fr.
Meunier, V.
Michelet, J.
Mierlsching.
Mislin.
Molinari.
Monnier, H.
Monselet, Ch.
Montanelli, F.
Morel, B.-A.
Morelet, A.
Mugge.
Naville, E.
Ortolan, A.
Pascal.
Pasquet, J.
Passy, Fréd.
Patin.
Payer, J.-B.
Peetermans, N.
Peisse, L.
Pelletan, Eug.
Pellico, S.
Perrens, F.-T.
Peterinann, A.
Pinçon, P.
Plotin.
Poe, Edg.
Poitou, Eug.
Pommier, A.
Porchat, J.
Possieu, S.-H.
Pressenssé.
Racan.
Reboul, F.
Regnault, A.
Rémusat, Ch.
Rémusat, P.
Renard.
Pages
Ul
Ricard, A.
U2
Richard, A.
208
Richard de Bury.
109
Ronsard, P.
195
Roscher.
152
Rossignol, S.
178 et 347
Roussel, N.
79
Roux, P.
328
Sabbatier, J.
121
Sadyk-Pacha
66
Sainte-Beuve.
130
Saintine, B.
18
Saint- Julien.
60
Saint-Simon.
• 75
Salvetat, A.
69
Sardou.
57
Sasserno (M"«) .
376
Scarron.
213
Scherer, H.
295
Scrive.
341
Scudo, P.
289
Secrétan, Ch.
287
Silveslre.
114
Simon, J.
95
Sinibaldo de Mas.
88
Sismondi.
162
Snow-Harris.
50
Sturm.
40, 179 et 269
Surville (M»- L.)
302
Taine, H.
307
Thackeray, W.
65
, Tschudi.
193
; Van de Velde.
88
1 Vauvenargues.
112
Viardot.
7
Viguet.
26
Villemain.
299
Vuillet. A.
4
Vernouillet.
134
Wake(Lady).
139 et 243
i Weill, Al.
319
Wesley, J.
351
Zimmermann.
391
P.ge.
71
219
39
74
314
381
316 et 340
149
245
5
67
161 et 228
172
200
375
258
353
257
14
348
159
20
64
86
364
48
284
192
362
22
69
249
234
225
275
208
107
335
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