Skip to main content

Full text of "Revue critique des livres nouveaux"

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



Google 



A propos de ce livre 

Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec 

précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en 

ligne. 

Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression 

"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à 

expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont 

autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont 

trop souvent difficilement accessibles au public. 

Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir 

du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. 

Consignes d'utilisation 

Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public et de les rendre 
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. 
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les 
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des 
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. 
Nous vous demandons également de: 

+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers. 
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un 
quelconque but commercial. 

+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez 
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer 
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des 
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. 

+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet 
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en 
aucun cas. 

+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de 
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans 
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier 
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google 
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous 
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère. 

A propos du service Google Recherche de Livres 

En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite 
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet 
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer 
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //book s .google . coïrïl 



REVUE CRITIQUE 



DBS 



LIVRES NOUVEAUX 





f 



:>iPRUi£iUB AAIIBOl ST SCHOCHAKDTy aUiù OË L'BÔT^L»l»&-VlLLi., 78« 









W 




REVUE CRITIODE 

LIVRES NOUVEAUX 



QUI ONT PARU 



PENDANT L'ANNÉE 1857 



PUBLlis 



1>A« JOËL CHERBUHEZ 



•«-' jLiiriirjBJB 



PARIS 
CHEZ JOKL CHERBULIEZ, LIBRAIRE 

kOI DR U MONNAIE, iO 

GENÈVE 

MÊME MAISON , RUB DE LA CITÉ 

1857 



( 



REVUE CRITIQUE 

DES 



LIVRES NOUVEAUX. 



^AJinmoK t«»«. 



COUP D'ŒIL 

SUR 

LA SITUATION LITTÉRAIRE ACTUELLE. 



Le iQpuvement littéraire de notre époque semble subir une 
espèce d'arrêt, depuis que les circonstances sont venues mettre 
fip k ses iéc.arts désordonnés. Spit épuisement, soit dépit, b^aii* 
çpnp d'écrivains se taisept, accusant le public d'ingratitude, 
parce qu'il s'est détourné d'eux, et n'applaudit plus avec |« 
m^ine enthousiasme les moindres productions de )eur plume. 
Us prétendent que le progrès industriel étouffe les lettres, et le 
rjagjardent pomme la cause de cette décadence aussi rapide 
qu'i^iprévue. ^ les entendre, le culte de la poésie est tout k 
fai) abandonné, les œuvres de l'imagination ne trouvent plus 
d'appréciateurs, l'homme de lettres ne peut obtenir ni les symr 
pythies, ni les encouragements qui lui sont indispensables dans 
$0 ]c^de et laborieuse carrière» 

Cependant, à nulle autre époque les droits de l'écrivain ne 
firent ^lieux garantis, lia vive sollicitude qui s'est manifestée 
pour la propriété littéraire offre çertainem^t une protection 
trèj^efficace ; et, quant aux récompenses propres a stimuler 
le zèle des auteurs, pous ne croyons pas que jamais elles aient 
4\è plu3 ^o^lbreuse$ que maintenant. Si donc il y a déea- 
<lence, ce n'est pas Ik qu'il faut ,'en chercher les causes. Mais 
'd'^bprd examinoi^s si)a 4éc^nce est bi/en réelle, ei si, comme 
nn le prétend, d9# |ie dat^ que des cinq o« six demièr^ 
années. 



» 



\I COUP D OKIL 



Sans 'doute aujourd'hui les productions médiocres abon- 
dent, tandis que les chefs-d'œuvre sont très-rares. C'est un " 
fait incontestable ; seulement il ne nous semble pas nouveau : 
le dix-huitième siècle présentait déjà le même spectacle, et, 
lors même que dans le dix-neuvième la proportion des livres 
sans valeur serait plus grande, cela s'expliquerait par la foule 
toujours croissante des hommes qui se mêlent d'écrire. Dans 
tous les temps, les dons du génie furent le privilège d'un fort 
petit nombre. Les périodes mêmes sur lesquelles ils ont ré- 
pandu tant de lustre virent aussi parfois le débordement de 
la médiocrité et le triomphe du mauvais goût. Mais aux yeux 
de la postérité, leur gloire dégagée de cet alliage apparaît bril- 
lante et pure. Il ne faut donc pas les prendre pour points de 
comparaison lorsqu'on veut juger l'époque présente. Laissons- 
en le soin \ nos neveux, et contentons-nous d'apprécier la va- 
leur intrinsèque des productions du jour avec toute l'impartia- 
lité possible. 

Le mouvement littéraire du siècle a commencé sous la Res- 
tauration. Ses débuts furent très-remarquables. Après vingt- 
cinq années de révolution et de guerre, l'activité intellectuelle 
prit tout à coup un essor vigoureux. Cela s'explique aisément. 
Le régime impérial avait contenu, mais non pas étouffé l'esprit 
français. La génération nouvelle, qui s'était formée au milieu 
des grandes entreprises conçues par le génie de Bonaparte, ne 
devait manquer ni d'ambition, ni d'énergie, et quoique le champ 
de bataille absorbât sans doute une bonne part de ces précieuses 
ressources, il en restait assez encore pour féconder le domaine 
de la pensée. Aussi, dès que la paix vint rendre à la culture 
des lettres ses loisirs et son public, on la vit prospérer rapi- 
dement. Des écrivains surgirent de toutes parts, et l'on put 
bientôt constater un progrès sensible dans les diverses bran- 
ches de la littérature. 

Ce n'est pourtant pas au gouvernement de la Restauration 
que doit être attribué ce réveil subit. Il avait bien autre chose 



SUR LA SITUATION LITTBRAIRE ACTUBLLI. VU 

à faire, placé comme il l'était entre les exigences de ses amis 
et les intrigues de ses ennemis. Ce n'est pas non plus k la li« 
berté du régime où s'exerçait encore une ombrageuse censure, 
non-seulement sur les journaux, mais sur les livres aussi. 

La véritable cause du mouvement fécond qui se manifesta 
fut le retour de la paix. Aussitôt que les bulletins de la grande 
armée cessèrent de préoccuper les esprits, la littérature reprit 
son empire, et comme il y avait abondance de sève chez la 
jeunesse, une fois lancée dans cette direction, elle ne tarda pas 
à produire des fruits nombreux. L'élan se maintint pendant 
quinze années, puis, après la révolution de 1830, il reçut une 
impulsion nouvelle, qui le fit aller crescendo jusqu'en 1848. 
Dès lors il s'est ralenti, cela n'est pas douteux. Les excès 
amènent toujours une réaction en sens contraire, et l'abus 
qu'on avait fait de^ la liberté de penser et d'écrire devait en 
dégoûter, momentanément du moins, le public las de se voir 
en butte aux roueries d'un charlatanisme sans pudeur. 

Quand on prétend établir une comparaison entre la littéra- 
ture actuelle et celle de la restauration, il faudrait d'abord 
tenir compte de la période intermédiaire qui s'est écoulée de 
1830 k 1848, et ne pas oublier que les circonstances ont 
complètement changé. En 1814, le ressort intellectuel débar-- 
rassé des liens qui l'avaient longtemps retenu captif, possédait 
toute sa force, tandis que maintenant usé, détendu par les 
nombreuses et violentes épreuves auxquelles on Ta soumis, il 
n'a presque plus d'élasticité ; son action lente et calme con- 
traste surtout avec les mouvements convulsifs dont il offrait 
naguère le spectacle. D'ailleurs, le goût ne peut pas être déjà 
complètement guéri. A la fièvre succède l'abattement, et dans 
cet état de faiblesse que laissent après elles les longues mala- 
dies, les rechutes sont fréquentes. 

C'est une convalescence pénible sans doute, et dont le 
moindre écart de régime pourrait compromettre le succès; mais 
je n'y trouve pas les symptômes de la décadence. Si le génie 



Vni ^^^ »'(MUL 



lût défaut, resprît abonde, ti raetivité de la feaaéi n$ ùmm 
poiBt de se maaifester. Le malbeor est que la UttéiaUne, lani* 
guissaote encore, et qmt, pour se remettre, aurait feesoiii qv'ea 
laissât tranquillement agir ki nature, se voit entourée d'anûi 
importuns qui prétendei^ la guérir par des moyens empiriques* 
€hacun aj^rte son remède. Ce sont des excitants qu'il lut 
faut suivant les uns, des calmants suivant les autres ; on la 
soumet tour à tour k des e&p^iences contraires, et je m'étonne 
seulemmt qu'elle les supporte si bien ; cela dénote une ton^ 
titution robuste qui finira sans doute par prendre tout k fait le 
dessus. Ayons àont bon espoir. L'esprit français n'est pan 
mort. Il possède peut-être même assez de vie pour vaincre les 
tendances pernicieuses de notre époque. 

C'est dans ces tendances que se trouve la véritable cause du 
mal. Elles sont de deux sortes: tendances démocratiques et 
tendances matérialistes. Mais, se rapprochant par plus d'un 
point, elles ont produit ensemble, dans la littérature emnoM 
dans les beaux-arts, cette espèce de lèpre énervante qui s'ap- 
pelle réalisme. La démocratie, malgré tout le bien qu'on en 
peut dire avec raison, a de graves inconvénients, «urtout en 
matière d'art et de littérature. L'un des principaux est une 
susceptibilité jalouse, qui ne souffre guère qu'on s'élève au^ 
dessus du niveau ^commun . Tout essor supérieur lui devient 
facilement suspect. Le peuple souverain, qui se compose en 
majorité d'hommes plus ou moins incultes, ne voit dans les 
esprits d'élite que d'incorrigibles aristocrates, aspirant ï lut 
imposer le joug de la morale et le respect des lumières deaiÉ 
l'éclat l'offusque. Il use donc de son pouvoir pour y mettne 
bon ordre. Les supériorités intellectuelles sont soigneusement 
écartées, et, si l'on n'ose pas les bannir, du moins prend-*on 
bien ses mesures pour empêcher qu'elles se multiplient. Dans 
ce but, les hautes études sont amoindries et doivent céder la 
place k l'enseignement primaire et gratuit, dont les éci^s s»<- 
iisfont davantage la soif d'égalité qui tourmente sans cesse les 



SUR LA SITUATION MTT^gAUB ACTUBLLB. Tf. 

^émecraiies. C'est leur supplice 4b TnQtdle, çsr «ll^s oot bgam 
faire, rigoonmee aura toujours ses de^éSt tout coanui^ Tiufl^ 
trueiioB. Mais en attendant, grâces k leurs efforts, le jour dé*- 
eroit, les lumières s'en vont, et l'abaissement du niveau iuUiV^ 
lectuel porte ses fruits. 

Je ne prétends point pour cela qu'il {aille perdre courage. 
Au contraire, c'est un motif de plus de lutter avec ardeur M 
persévérance. Les résultats de la démocratie peuvent être boDS 
ou mauvais selon les principes qui la dirigent. Le despotisme 
monarchique avait aussi des tendances fâcheuses qui, plus d'uoe 
fois, ont arrêté l'essor de l'esprit humain. À cet égard, les pro- 
grès accomplis ne son^t pas douteux. Malgré les déclamations 
de quelques énergumènes, nous ne sommes plus au temps des 
martyrs et des bourreaux. Si la liberté de penser rencontre w^ 
çore des obstacles, c'est une réaction momentanée produite ps^ 
la peur de ses excès ; mais dans la plupart des pays civilisés, 
elle jouit paisiblement de son triomphe sur les vieux préjugés 
qui l'accusaient d'être incompatible avec l'ordre social. Le bon 
effet de la démocratie est de donner aux esprits plus d'indér 
pendance, aux opinions individuelles plus d'essor. On respecte 
moins l'autorité sans doute, mais elle ne peut plus appesantir 
son joug sur les consciences avec le même empire qu'autrefois. 
Chacun se sent maître de juger d'après ses propres impressions 
et d'exercer autour de lui l'influence dont il est capable. Jadis 
on attendait en toutes choses le mot d'ordre venu d'en haut ; la 
oour était un oracle en fait de littérature et d'art comme pour 
le reste ; ce qu'elle admirait était admiré, ce qu'elle condaoiM- 
nait n'avait guère chance d'être approuvé. Maintenant, le m^ 
eès dépend des suffrages du public. 

Cette situation nouvelle semble devoir être particulièrement 
favoraUe aux productions littéraires, puisqu'elle leur ouvre m 
•cbamp plus vaste et plus fécond. Mais ses conséquences ne 
sauraient être bien appréciées qu'après un certain temps d'é- 
preuve. On ne passe pas tout a coup du servilisme k l'indé^ 



COUP d'obil 



pendance. La liberté demande un apprentissage, durant lequel 
il y a nécessairement conflit entre les vieilles habitudes qui ré- 
sistent, et l'ardeur inexpérimentée dont les écarts sont inévi^- 
tables. De là résulte une espèce d'anarchie dans les idées et 
dans les tendances. Chaque écrivain aspire à se frayer un sen- 
tier nouveau, les imaginations fermentent, on voit le génie 
même tenter des œuvres impossibles. Puis, k ce premier élan 
succède un affaissement général, parce que le public refuse de 
suivre jusqu'au bout les novateurs enthousiastes. Alors l'hon- 
nête médiocrité reste maîtresse du champ de bataille, enterre 
les morts, soigne les blessés, et tient des discours fort sages et 
sensés, mais peu persuasifs. 

C'est là que nous en sommes. Les novateurs ne sont pas 
tous morts, mais leur voix ne trouve plus d'échos. Après les 
avoir exaltés outre mesure, le public s'est ravisé tout à coup, 
et semble honteux de son enthousiasme. Pour l'expier, il af- 
fecte l'indifférence ou même le dédain. Jamais peut-être réac- 
tion ne fut si prompte et si complète. A la plupart des écrivains 
naguère proclamés de grands génies et dont les œuvres les plus 
frivoles avaient le privilège de remuer les masses, on peut appli- 
quer ce que Villon dit des dames du temps jadis : 

Mais où sont les neiges d'an tan ! 

Le souffle révolutionnaire auquel ils s'abandonnaient, toutes 
voiles déployées, les a balayés eux-mêmes, et la foule incons- 
tante ne s'en est pas émue. C'est une leçon instructive pour 
ceux qui seraient tentés encore de faire de la littérature un 
instrument politique. 

En devenant tribun le poète abdique, le romancier escompte 
son avenir sur une popularité chanceuse; l'un et l'autre se pré- 
parent ainsi de cruelles déceptions. Ce travers trop commun en 
France peut être regardé comme l'une des causes les plus ac- 
tives de la stérilité littéraire dont on se plaint aujourd'hui. 
Combien de talents supérieurs se sont laissés fourvoyer par 



SUR LA SITUATION LITTliUAIRB ACTUBLLB. XI 

rambition politique. Les exemples abondent, et je crois su- 
perflu de citer des noms. Chacun connaît ces décadences indi- 
viduelles, dont le pénible spectacle afflige notre époque. Rien 
n*est plus triste que de voir le génie dévier de sa route natu- 
relle pour s'acharner à la poursuite d'un but indigne de lui, 
ou bien s'enivrer de son propre mérite au point d'en perdre le 
jugement; Si le ridicule n'est pas loin du sublime, c'est bien 
dans ce cas, et l'homme qui se pose en demi-dieu, souvent 
même en dieu tout entier, présente une caricature non' moins 
déplorable que grotesque. Cette prétention superbe contraste 
misérablement avec les habitudes et les besoins du luxe eflréné 
qui, chez l'on, s'allieront peut-être aux idées les plus déma- 
gogiques, tandis que chez l'autre elles produisent de fâcheux 
écarts, et qu'elles en réduisent un troisième h tendre la main 
aux passants. 

Mais ne nous arrêtons pas davantage sur de telles infirmités, 
n suflSt de les avoir indiquées pour faire comprendre comment 
ceux qui s'en trouvent atteints n'exercent plus la haute influence 
k laquelle ils avaient certainement des droits légitimes. Leur 
règne est fini. La littérature suit d'autres chefs qui la con- 
duisent dans des voies différentes. 

L'œuvre d'émancipation entreprise il y a trente ans environ 
par l'école romantique a porté ses fruits. Les entraves qui gê- 
naient l'essor de la fantaisie n'existent plus, on s'est définiti- 
vement affi^anchi des vieux moules imposés par la routine. 
Mais les efforts qu'il a fallu faire pour cela ont produit une 
lassitude générale, chez les écrivains comme chez leur public. 
Après avoir donné libre carrière à toute sa fougue, si longtemps 
contenue, l'imagination éprouve le besoin du repos. £n effet, 
sa puissance a des bornes qu'elle ne franchit pas impunément. 
Quand elle veut aller au delà, quand elle prétend défier en 
quelque sorte la nature et se passer de son secours, bientôt 
arrive l'épuisement avec sa compagne, la stérilité. C'est alors 
que, par une tendance inhérente à l'esprit humain, on se jette 



volontiers dans Tauire extFéoia. Aux éhauchçi^ wpQStjPUMMW ^ 
force de hardiesse, succèd^ot les copies servileoieot daguerp^Q^ 
typées. L'idéal fait place au terre à terra. L'exagéraùon du lai4, 
la recherche du beau absolu sont abandonnées pour l'imitatii^ 
exacte de la nature ; la vérité semble n'existeir désonnais qu^ 
dans les limites étroites du monde réel. 

Ce revirement s'opère d'une manière d'autant plus fiom^ 
plète qu'il trouve faveur auprès du grand nombre. En effet^^ U 
offre aux intelligences vulgaires un attrait séduisant. Copier t^% 
toujours beaucoup plus facile qu'inventer. L'observation qui s^ 
borne à bien saisir les détails, sans vue d'ensemble, sans choi^^ 
ni critique, est une faculté très-commune. Sans doute, pour 
réussir il convient d'y joindre de l'esprit, mais l'esprit n'est pas 
non plus rare en France. D'ailleurs, l'école réaliste ne paraît 
point le regarder comme indispensable, et l'on doit bien reconr 
naître avec elle que cet élément fait souvent défaut dans les 
scènes les plus ordinaires de la vie. Sur ce point, elle se montre 
parfaitement logique en n*exigeant ni l'esprit, ni le bon goAt, 
ni le sens moral, car ce sont Ik tout autant de choses éUran* 
gères au domaine matériel, qui est essentiellement le sien. 

Yoyez le Casseur de pierres de M. Courbet. C'est le typ^ 4^ 
genre en littérature comme en peinture. U n'est pas beau, pas 
spirituel, il ne songe à rien et fait encore moins songer les 
autres ; mais il casse des pierres, on ne peut pas le nier. 

Les dernières scènes populaires de M. Henri Monnier, lei^ 
Nouvelles de M. Champfleury, les romans de M. Murger et 
beaucoup d'autres ouvrages récents qu'il serait trop long d'é- 
numérer, présentent ce même caractère de vérité triviale et 
sans portée aucune. La poésie elle-même aspire k descendre 
du Parnasse pour aller s'enfermer dans ^'atmosphère enfum# 
des usines. M. Maxime Ducamp la condamne aux travaux fpr- 
cés de l'industrie, lui assigne pour unique sujet d'inspiration 1#§ 
forces brutales de la mécanique, et remplace l'Hypocrène par 
le ruisseau fangeux de quelque manufacture. 



SUR LA SlTUATlOIt LITTI^IIAlRE ACTUKLLI. Xltf 

Assurément les découvertes de la science et leurs merveil- 
hfUses applications méritent d'être signalées au poé(e comme' 
ulie mine féconde ; mais c'est en les considérant an point de- 
tue de rinteliigence humaine qui les a conçues, ou bien à celui 
des conséquences morales dont elles sont la source. Le cdté 
matériel de la question n'a pas besoin qu'on l'exalte; notre 
ëj[>oque n'est déjà que trop portée a s'en préoccuper exclusi'^ 
Tcment. Ilîraporte plutôt de combattre cette préoccupation quf 
devient de plus en plus menaçante pour les principes sur les-: 
qnels^ en définitive, repose l'ordre social. L'école réaliste nous 
dftèneratt droit à la négation de tout ^ce qui constitue la nature^ 
supérienre de l'homme^ fait k l'image de Dieu. Son système esl 
aride pour le cœur et malsain pour l'àme. Il décolore la ne; 
éteint la flaonme généreuse de l'enthousiasme^ et détruit un» 
foule d'illusions qui, pour la plupart, sont nécessaires k notre» 
bonheur, ainsi qu'à notre perfeclionnement. 

Quoique plus dangereuse peut-être dans ses écarts, l'école 
romantique avait du moins l'avantage de remuer des idées ; ell^ 
ne mutilait point l'homme en le dépouillant de ses plus nobles 
attributs. Son tort fut, an contraire, un orgueil outré, mais 
qui ne manquait pas de grandeur. Elle croyait pouvoir pro*- 
dtfmer la puissance illimitée de l'imagination sans craindre 
les chances de cette ^espèce de lutte avec la nature. Le 
défaut de ses théories était d'être trop vagues, trop élevées et 
tnp subtiles pour la foule des adeptes. Elles donnèrent aindi 
prise \ ie fausses ^ applications, au premier rang desquelles 
figure le réalisme. En suivant celte origine h travers les œuvres 
de MM. Arsène Houssaye, Th. Gautier, Balzac, etc. , on re-* 
laonte josqu'au maître par exceHeace, jusqu'à M. Victor Hugo^ 
tfà ne saurait renier tout à fait l'enfant rebeUe et dégénéré dé 
iOBiede. 

Henrensemaan il se manifeste dans la littérature une ten^ 
dMMe meilleure, qui semble avoir plus d'avaiir. G'eet le ré* 
fml èm sens moral. Bien fliiUe encore, il ose pourttnt ébtrer 



XIV COUP D OBIL 



en scène, et ses pas chancelants ne sont pas trop mal accueillis. 
On peut lui prédire un beau succès s'il sait bien comprendre 
son rôle. La tâche est diificile assurément, mais le but assez 
grand pour qu'on s'y dévoue. A la suite de la révolution de 
1848, un revirement complet s'est opéré dans l'opinion pu- 
blique. L'épouvante causée par les tentatives du socialisme, a 
produit des résultats salutaires. On a pu mesurer l'abime où 
conduisait l'oubli des vrais principes, et les esprits les plus lé- 
gers ont compris que l'indifférence n'était plus de saison. Con- 
vertis par la peur, il est à craindre sans doute que leur impres- 
sion soit peu durable, mais elle est du moins très-générale, et 
le rôle important que jouent aujourd'hui les intérêts matériels, 
doit contribuer à la maintenir. L'utilité des notions morales 
frappe même ceux qui n'en usent guère pour leur propre 
compte ; ils sentent vivement combien cette garantie est indis- 
pensable pour leur assurer la jouissance paisible de ce qu'ils 
possèdent. Aussi la réaction a-t-elle été beaucoup plus forte 
qu'on ne pouvait l'attendre d'une époque où dominent l'indus- 
trialisme et l'agiotage. 

De nombreux écrivains se sont tout k coup mis en devoir, 
d'exploiter le genre simple et honnête, depuis longtemps dédai- 
gné. La littérature s'est faite vertueuse au risque même d'être 
monotone. C'est l'écueil d'une pareille tendance, pour ne pas 
s'y heurter il faut beaucoup de tact et beaucoup d'esprit. Or 
les entrepreneurs de morale n'en ont pas toujours et se distin*- 
guent plus souvent par de bonnes intentions que par Thabi-» 
leté. 

Dans le cas présent l'impulsion première a bien été donnée 
par un talent supérieur. Devinant la révolution qui se préparaitv 
George Sand lança deux ou trois charmantes idylles romanes-* 
ques auxquelles sont nom fit un éclatant succès. On comprit 
dès lors que la littérature allait subir une métamofphose. I^a 
veine des passions violentes et du drame terrible était épuisée, 
l'auteur de Lélia sentait le besoin de retremper son génie aux- 
sources fraîches et vivifiantes de la nature. 



SUR LA SITUATION LlTTBKAlHE ACTUKLLK. XY 

Cette soudaine conversion trouva des imitateurs qui se noul- 
tîplièrent surtout après ia panique générale causée j)ar les évé- 
nements de 1848. Mais chez la plupart ce n'était qu'une affaire 
de calcul. I^s convictions ne s'improvisent pas et cepend ant 
dies sont indispensables à ceux qui veulent opérer une réforme 
quelconque. On ne saurait s'en passer surtout lorsqu'il s'agit 
de réveiller le sens moral et de combattre les mauvais pen- 
chants du cœur humain. 

Pour remporter la victoire, le bien doit être deux fois plus 
éloquent que le mal, encore ses triomphes seront-ils de courte 
durée si la religion ne lui vient en aide pour enchaîner les in-, 
stincts et dompter les résistances. C'est pourquoi des écrivains 
doués d'un talent fort esûmable* amis sincères du beau et du 
vrai, n'obtiennent que peu d'influence, tandis qu'on verra de 
misérables sophistes séduire et remuer les masses. Les premiers 
«'adressant h la raison ne peuvent avoir qu'un public très-res- 
treint, les autres connaissent la puissance aveugle du sentiment 
et l'exploitent avec non moins de succès que d'audace. Si l'on 
veut un exemple, je citerai le Magasin pittaresque^ recueil em- 
preint du plus sage esprit, qui compte certainement plus de 
cent mille lecteurs habituels, et je ne crois pas que personne me, 
contredise lorsque j'avancerai que l'effet produit par ses vingt- 
trois ans d'existence peut être effaicé dans l'espace de quinze 
jours par la vogue d'un mauvais roman tel que le Juif errant ou 
bien encore les Mystères du peuple. ^ ces brandons d'incendie, 
il faut opposer d'autres engins plus énergiques. Pendant que 
vous prêchez le devoir on exalte le droit, et vos auditeurs eux- 
mêmes se laissent émouvoir par ces déclamations passionnées, 
contre le danger desquelles vous les avez trop faiblement pré- 
munis. 

C'est très-bien de peindre les joies de la famille, les douces 
émotions d'un cceur honnête et pur, mais on oublie que ces, 
tableaux paisibles ne sont guère propres k frapper l'imagination, 
ni par conséquent k lutter d'influence avec ceux qui repré-^ 



xVt cour p'ofiL 

sentent les séductions du vice, ses mouvements passionnés et 
ses scènes dramatiques. L'homme s'appelle à tort un animal 
rakonnable. En général il raisonne peu, fort mal ou pas du 
t6nt. Le sentiment le mène beaucoup plus souvent que la rai- 
sdtt, et ce n'est pas sur celle-ci qu'on doit compter pour répri-* 
fûÉt les écarts de l'antre. Le proverbe dit vrai : 

Chassez le naturel, il revient au galop ! 

iTous les raisonnements du monde n'y font rien, il n'y a que 
l'autorité qui puisse en venir k bout, et cette autorité réside" 
dâms une foi sincère, ardente , capable d'inspirer l'éloquence" 
et d'exciter Tenthousiasme. 

L'influence considérable de certains auteurs dont les ou- 
vrages n'ont pourtant qu'un succès éphémère, s'explique ainsi, 
parce qu'à défaut d'autres principes ils ont foi du moins en eux*^ 
mêmes, foi dans Tefficaciié des moyens qu'ils employent et 
dans la puissance des sentiments ou des instincts auxquels ils^ 
s'adressent. 

n arrive précisément le contraire k maintes productions, du 
reste tout à fait dignes d'être recommandées, et dont la lecture 
ne peut produire que du bien. Le Philosophe sous les totif, de^ 
M. Soûvestre, son Mémùrial de famille^ ses Souvenir $ éCuiy 
vieillard ont un mérite incontestable; c'est de la saine littéra*^ 
tnfe populaire. Mais il y manque l'étincelle du feu sacré ; on . 
n'y i^contre pas cette sève précieuse si nécessaire pour que les^ 
bonnes semences puissent germer et ne demeurent pas stériles. 
Ds poftent le cachet d'une religiosité vague et sans foi posi-* 
ûte , duffi^ante peut-être pour entretenir les penchants hon*^ 
nétes chez ceux qui les^ ont déjà, mais peu propre k les faire 
naître et moins encore k combattre victorieusement les sé^ 
dircti(A)s ou les résistances. Gé sont des livres d'une portée 
midioCt^e , surtout lés deux derniers , dans lesquels l'inspira* 
iiûù i^it défaut. Le romaficii^r s'efl*ace trop derrière le moraliste^ 
él <Sè!ui-«i û'a pas là vervè Ori^lé et vigoureuse qti'il faudrait 



SUR LA SITUATION LITTI^RAIRE ACTUELLE. XVII 

pour suppléer à l'attrait du drame. A ses yeux la question de 
forme semble être la plus importante; quant aux principes il 
n'a pas de préférence exclusive, son choix dépend du moule 
que la mode lui conseille d'adopter. M. Souvestre établit k cet 
égard l'entière liberté de l'artiste, et n'admet point qu'on 
puisse lui imposer de limites quelconques. Aussi l'a-t-on vu 
cultiver tour k tour le roman socialiste et le roman populaire ; 
puis, après maints petits volumes irréprochables, publier des 
scènes intimes de la pire sorte. Avec un pareil éclectisme on ne 
saurait être bien persuasif, et le public sera toujours enclin à 
s'écrier comme le Satyre de La Fontaine : 

Arrière ceux dont la bouche 
Souffle le chaud et le froid ! 

Sans doute M. Souvestre possédait une âme noble, des 
sentiments élevés, un sincère désir de faire le bien; mais il 
n'en est pas moins vrai que pendant bien des années il a soufflé 
le chaud sur les tisons du socialisme, et qu'ensuite il a soufflé 
le froid pour les éteindre. Ce qu'il y a de plus fâcheux là-dedans, 
c'est que la chaleur s'est dépensée au service de la mauvaise 
cause. Je reconnais d'ailleurs que la faute en est aux circon- 
stances plutôt qu'à la volonté de l'écrivain ; dans notre époque, 
plus que jamais , les nécessités de la vie sont impérieuses, et 
celui dont toute la fortune repose sur sa plume a droit à l'indul- 
gence. Il a d'ailleurs, malgré ses défaillances , une supériorité 
marquée sur les autres écrivains qui tentent de suivre la même 
route. 

Cette absence de convictions est le trait caractéristique des 
œuvres de la littérature actuelle, et je crois qu'on peut la re- 
garder comme la principale cause de l'espèce de maladie de 
langueur dont elles semblent atteintes. En effet, il n'y a pas 
décadence proprement dite, je le répète^ c'est l'abattement qui 
suit la fièvre ; laissez passer cette crise et les forces repren- 
dront bientôt. Déjà leur essor commence à se manifester par . 

II 



XVIII COtF D OEIL 

des signes nombreux, avant-eoureurs d'un nouvel épanouisse- 
menu 

On m'objectera, sans doute, Tlmportance croissante des inté- 
rêts matériels qui de plus en plus absorbent l'activité des es- 
prits et tendent à les détourner de la culture des lettres. C'est 
un obstacle, je le reconnais; cependant il ne faut pas en exa- 
gérer la valeur. L'essor du commerce et de l'industrie n'est 
point nécessairement hostile a la littérature, car en définitive 
il crée de grandes richesses et par conséquent des loisirs fa- 
vorables au développement comme à la satisfaction des besoins 
intellectuels. L'histoire nous apprend que toutes les nations 
procédèrent ainsi. L'art ne vint qu'à la suite de la prospérité 
matérielle. Les républiques d'Italie, entre autres, et celle de 
Hollande en offrent des exemples assez frappants. On peut 
dire en quelque sorte que cette marche successive est une loi 
de la nature qui régit l'exercice des facultés humaines. S'il en 
résulte parfois une direction trop exclusive, du moins tant que 
le mouvement se maintient énergique et continu la décadence 
n'est pas à craindre. 

Pourquoi notre époque ferait-elle exception a la règle? 
Est-ce parce que son génie se montre si fécond en dé- 
couvertes utiles et merveilleuses ! Mais j'y vois au contraire 
une preuve de sa force, une garantie des succès qui l'attendent 
dans les autres voies où la pousseront tour à tour les caprices 
de la mode. D'ailleurs le public, malgré les préoccupations 
qu'on lui reproche, ne reste point indifférent aux œuvres litté- 
raires. Jamais peut-être on ne vit des auteurs jouir d'une in- 
fluence aussi grande et pour eux aussi productive. La renom- 
mée du talent ne connaît plus de frontières; ni les distances, 
ni les préjugés nationaux ne peuvent l'entraver. 

On se souvient avec quel enthousiasme fut accueilli naguère 
en Europe Y Oncle Tom^ ce roman américain qui pourtant traite 
un sujet étranger k nos mœurs, et dont l'auteur était jusqu'a- 
lors tout a fait inconnu parmi nous. Un semblable fait indique 



sua LA SITUATION LITTERAIRE ACTUELLE. XIX 

assez que la fibre morale n'est pas devenue insensible, que la 
vie intellectuelle subsiste encore; à nulle autre époque, même, 
elle ne se manifesta dans les masses avec autant d'énergie. L'o- 
pinion publique, lasse de servir d'instrument à dejfunestes 
calculs, parait changer de direction. Aujourd'hui le beau et le 
vrai reprennent sur elle leur légitime empire. Nous en avons de 
sûrs indices dans les productions littéraires auxquelles [sa fa- 
veur s'attache de préférence. Le théâtre doit nous servir de 
critère à cet égard. En effet, l'auteur dramatique s'y trouve 
en contact direct, immédiat avec les spectateurs, et pour obte- 
nir leurs applaudissements il est obligé de se mettre , autant 
que possible, k Tunisson avec eux. Or, depuis quelques an- 
nées, les principaux succès de ce genre appartiennent presque 
tous à la tendance honnête et sage qui distingue en particu- 
Fier les remarquables pièces de M. Ponsard. Cet habile poète a 
su se dégager des allures du mélodrame, tout en conservant ce 
qu'il y avait de bon dans l'idée d'offrir sur la scène des leçons 
utiles et des exemples salutaires. Quoique ses comédies ne 
soient pas des chefs-d'œuvre irréprochables, elles ont le mé- 
rite assez rare de renfermer des leçons spirituelles et piquantes, 
un enseignement sérieux dont la forme enjouée captive au plus 
haut degré l'intérêt des spectateurs. Déjà Balzac avait essayé, 
par son Mercadet^ de ramener le théâtre aux bonnes tradi- 
tions de Molière. Malheureusement cette pièce, empreinte 
d'un talent vigoureux et d'une grande force comique, ne put 
être qu'ébauchée par lui, mais elle n'en restera pas moins 
comme la première attaque franche et résolue contre les tra- 
vers du siècle. 

La faveur qu'obtiennent de telles productions indique cer- 
tainement une réaction salutaire dans les idées et dans le goû^t 
du public. Il y a progrès, on ne peut le nier. Si la théorie de 
l'art pour l'art convient davantage aux caprices de la fantaisie, 
cette httérature qui se met au service des principes de l'ordre 
social doit exercer une influence meilleure, et son rôle est bieo 



XX COUP D*QEIL 



plus digne de stimuler le zèle des écrivains. Il est vrai qu'elle 
exige des efforts qui ne sont pas à la portée de tous. Le culte du 
beau et du vrai suppose une âme élevée, un cœur noble et géné- 
reux. Or ces qualités, qui devraient être Tapanage de Thomme 
de lettres, lui manquent trop souvent. C'est peut-être moins sa 
faute que celle du milieu^ dans lequel il a vécu. La société se- 
rait injuste de le rendre seul responsable des pièges qu'elle lui 
tend ou des sacrifices qu'elle lui impose. En général elle veut 
avant tout être amusée, et, pour cela, prodigue son or à des 
histrions, a des prestidigitateurs, a des saltimbanques , etc. 
Comment s'étonner alors si les écrivains cherchent à gagner 
aussi sa faveur par des tours de force ou des parades plus ou 
moins ridicules. Voyant qu'on ne tient nul compte de leurs ef- 
forts sérieux, ils y renoncent et se conforment au goût de 
ceux qui les paient. C'est triste, mais dans les lettres, comme 
dans les arts, le métier a des exigences auxquelles on ne peut 
se soustraire. L'homme qui vit de sa plume doit avant tout 
songer au dîner. S'il rêve l'indépendance, c'est pour le lende- 
main, car aujourd'hui la faim ne lui peraiet guère d'en es- 
sayer. Cette impérieuse souveraine, du fond de l'estomac do- 
mine a la fois la tête et le cœur. Et le pire de l'affaire, tî'est 
qu'elle ne se contente plus, comme jadis , d'une modeste pi- 
tance : pour la satisfaire il faut le superflu, les conforts du luxe 
et les recherches de la gastronomie. 

Nos auteurs crient famine dès qu'ils n'ont pas de quoi vivre 
en grands seigneurs, et la gloire qui ne s'escompte pas en écus 
n'a pour eux nul attrait. Aussi les voit-on faire la cour au pu- 
blic avec un zèle infatigable, se pliant à tous ses caprices, et 
rivalisant d'ardeur pour prévenir les moindres fantaisies de son 
humeur changeante. Une fois entrés dans cette voie, leur con- 
science abdique ou s'embrouille dans des calculs qui faussent 
de plus en plus le sens moral. Les principes deviennent pour 
eux une espèce d'enseigne ou mieux encore une marque de 
fabrique indiquant la qualité de la marchandise. Ce cachet leur 



SUR LA SITUATION LITTI^RAIUE ACTUELLE. XXI 

parait suffire, ils ne se croient pas obligés de faire davantage, 
et sont d'ailleurs tout k fait inaptes à transmettre une impres- 
sion qu'ils n'éprouvent point eux-mêmes. On peut appliquer 
très-justement à leurs productions cette pensée .de Daniel 
Stern : « Ce n'est pas la beauté de diction, moins encore l'a- 
bondance ou l'éclat qui manquent k quelques ouvrages adressés 
au peuple, c'est un certain accent de l'âme auquel seul il est 
sen^ble. Pareil à cette marchande dont parle Théophraste, il 
reconnaît f étranger a ce je ne sais quoi d'indéfinissable qui est 
absent, et dont rien ne remplace pour lui l'éloquence. » 

En effet, la première condition pour persuader est d'être 
convaincu ou du moins d'avoir la ferme volonté de le paraître. 
Or c'est Ik ce dont la plupart des auteurs s'inquiètent fort peu. 
La mode les pousse k se lancer dans le genre honnête et sim- 
ple, mais ils s'y trouvent tout k fait dépaysés : leur talent, quel- 
que souple qu'il soit , ne peut pas ainsi tout k coup changer 
son allure et rompre avec des habitudes invétérées. 

Dès son entrée dans la carrière, l'homme de lettres rencon- 
tre des obstacles et des séductions qui ne tendent que trop k 
détruire chez lui le sentiment de sa dignité. En général il dé- 
bute dans ce qu'on appelle la Bohême littéraire, déplorable so- 
ciété qui n'a pas plus de respect pour les autres que pour elle- 
même , et dont la corruption fanfaronne dessèche le cœur ou 
fausse le jugement. S'il ne faisait que la traverser, le mal se- 
rait moindre , mais tantôt des circonstances indépendantes de 
sa volonté, tantôt ses propres penchants l'y retiennent. C'est 
dans ce monde de viveurs et de grisettes que souvent se passe 
toute sa jeunesse, et quand l'âge mûr arrive, il est comme la 
êigâle. 

Ayant chanté 
Tout l'été. 

Les provisions lui manquent , et le voilk réduit k danser pour 
l'amusement du public. Triste ressource alors que les cheveux 



XXII COUP d'oeil 

grisonnent, le corps s'alourdit et les muscles commencent à 
perdre leur souplesse. 

L'esprit qu'on n'alimente pas d'études sérieuses, qui s'est 
pendant nombre d'années livré sans frein aux écarts les plus 
extravagants, risque beaucoup d'être ainsi frappé d'une com- 
plète impuissance de travail. Bien rares sont ceux qui résistent 
à pareille épreuve, encore s'en ressentent-ils plus ou moins. Pour 
l'âme comme pour le corps l'habitude est une seconde nature. 
Ce n'est pas a l'école du dévergondage qu'on peut apprendre la 
décence et la morale. Malgréle ressort dont jouissent certaines 
intelligences privilégiées, il leur est très-difficile de se méta- 
morphoser entièrement. L'accent du langage, le tour, ou quel- 
quefois même la confusion des idées trahissent presque toujours 
l* étranger. Mais du moins chez les écrivains de cet ordre la su-^ 
périorité du talent excite une admiration qui peut avoir de bons 
résultats. 

Si des âmes fortement trempées éprouvent tant de peine à 
se débarrasser d'un alliage impur, qu'attendre de cette foule 
d'esprits vains et superficiels pour qui la pensée n'a jamais été 
qu'un jouet d'enfant? Ils sont ingénieux, sans doute, habiles k 
manier la plume, et savent s'accommoder à toutes les idées , 
d'autanl mieux qu'ils n'en professent sérieusement aucune. Mais 
quand ils veulent prendre en main la cause del'honnéie, peindre 
la vertu, prêcher le devoir, leur gravité affectée produit l'effet 
d'une espèce de mascarade qui n'est pas gaie du tout. Sous le 
prétexte d'être simples, leurs ouvrages tombent souvent dans 
la trivialité ; loin de rendre la morale aimable, ils l'affublent du 
lourd manteau de l'ennui, tandis que les séductions du vice ap- 
paraissent revêtues des plus charmantes couleurs. Un tel con* 
traste indique assez la gêne qu'ils s'imposent, en sorte qu'au lieu 
d'applaudir k leurs efforts, on devrait leur dire : « Laissez là 
cette triste comédie, parlez le patois de la Bohême, puisque 
vous n'en savez point d'autre, ne forcez pas votre naturel et 
contenlez-vous de cultiver l'art selon vos goûts sans vous mêler 
d'enseignement. » 



SURLA SJTJUATIOIf LIIIBRAIRE- ACTMfrtL-B. XXIII 

Mais le public n'a pas cette sagesse ou plutôt cette franchise. 
Il est lui-même en proie au doute, il flotte incertain entre ses 
instincts qui Tentrainent et les principes auxquels il sent le be- 
soin de se raccrocher. Une panique soudaine Ta jeté dans la 
réaction contre l'esprit révolutionnaire, et cependant il en re- 
grette beaucoup de choses qui lui sont devenues en quelque 
sorte indispensables. Le désir de tout concilier le met dans un 
grand embarras. D'une part, la nécessité de raffermir les bases 
de l'ordre social lui parait évidente ; de l'autre, la crainte de 
compromettre les Hbertés acquises mérite assurément toute sa 
sollicitude. D'ailleurs il ne peut se soustraire a l'influence du 
siècle dans lequel il est né, du milieu dans lequel il a vécu 
jusqu'ici. Une réforme énergique serait trop au-dessus de ses 
forces, des ménagements et des transactions lui conviennent 
mieux. C'est pour cela qu'il ne dédaigne pas l'amalgame litté- 
raire que je signalais tout à l'heure. Il y trouve le reflet de sa 
propre incertitude, et se persuade volontiers que l'apparente 
moralité des intentions sufiit pour atteindre le but : fâcheuse 
erreur qui contribue puissamment k maintenir la littérature 
dans une voie stérile. On l'empêche peut-être de faire du mal, 
mais aussi de faire le bien ; on la condamne à jouer un rôle 
hypocrite non moins déplorable que les excès de la licence. 

Ce n'est donc pas sur les écrivains seuls que retombe tout le 
blâme. Ils voient qu'en général on cherche dans leurs ouvrages 
des distractions futiles, et que pour être lus ils doivent être amu- 
sants. De hardis paradoxes assaisonnés d'impertinentes saillies 
offrent les meilleures chances de succès, pourvu toutefois qu'il 
s'y mêle une dose suffisante de banalités sociales et religieuses. 
L'opinion, fort indifférente à l'endroit des principes, se déclare 
satisfaite et n'exigera rien de plus aussi longtemps que des 
plumes vigoureuses ne prendront point l'initiative, pour faire 
cesser son hésitation, et donner un nouvel élan à ses tendances 
encore vagues et timides. Du reste, il est juste de le reconnaître, 
l'œuvre ne manque pas d'ouvriers actifs, intelligents et prêts k 



X\IX COUP D OBIL 

marcher droit au but dès qu'un chef résolu leur en montrera le 
chemin. La littérature a besoin d'un homme de génie. Les talents 
y abondent, mais ils voguent k l'aventure, sans gouvernail, ni 
boussole. Dans le domaine de l'art, comme dans celui de la po- 
litique, l'invasion de la démocracite se fait sentir : elle a dé- 
truit le prestige d'autorité qu'exerçait jadis l'élite des beaux 
esprits. Aujourd'hui le souverain c'est le peuple, et jusqu'à 
présent le peuple s'est montré peu capable d'imprimer une di- 
rection quelconque aux produits de la pensée. Les jouissances 
intellectuelles lui sont encore beaucoup trop étrangères. 

Nous voici , je crois , en présence du principal obstacle que 
rencontre l'essor des lettres. Le nombre des lecteurs n'est pas 
en rapport avec celui des auteurs. Ceux-ci produisent beau- 
coup plus que les premiers ne consomment, en sorte que le 
marché s'encombre, la vente languit et, sauf de rares excep- 
tions , les travaux de l'esprit ne rapportent pas ce qu'ils coû- 
tent. Ce défaut d'équilibre entre l'offre et la demande date 
déjk de loin, mais il va toujours croissant, et l'urgence d'y re- 
médier est bien comprise, puisque de toutes parts surgissent des 
projets d'encouragements pour la littérature. Les concours se 
multiplient, de nombreux prix sont offerts chaque année a l'é- 
mulation des gens de lettres. On peut approuver ces moyens 
factices lorsqu'ils proviennent d'efforts particuliers et ne grè- 
vent point le budget de l'Etat; cependant je les crois moins 
efficaces que l'action directe et naturelle du public sur les au- 
teurs et des auteurs sur le public. Rien ne vaut Tinfluence 
réciproque des idées, l'échange des sympathies qui naissent d'un 
pareil contact. Les succès de concours demeurent sans por- 
tée quand l'épreuve de la publicité ne les confirme pas. Il faut 
donc recourir à d'autres mesures si l'on veut atteindre le but. 

La plus importante serait assurément une réforme dans l'é- 
ducation du peuple. En effet, les résultats de l'enseignement 
primaire ne répondent pask l'attente de ses zélés promoteurs. 
Il crée quelques demi-savants dont l'existence déclassée est le 



SUR LA SITUATION LlTTEttAIRE ACTUELLE. XXY 

plus souvent une source de malaise et de trouble, et se monti^ 
impuissant à populariser les notions morales, ainsi qu'a répandre 
le goût de l'étude. Ici, comme dans toutes les questions qui 
touchent au bien-être des classes ouvrières, la nécessité d'un 
patronage devient évidente. L'instruction, reçue à l'école, doit, 
pour porter de bons fruits, être continuée durant tout le cours 
de la vie ; autrement elle reste stérile ou bien s'efface. L'étu-- 
diant même le plus assidu, qui, dès sa sortie de l'université, 
renoncerait aux livres pour se faire manoeuvre, ne tarderait pas 
a voir son esprit s'engourdir, son intelligence décliner, sa mé- 
moire perdre peu k peu tous les trésors qu'elle avait acquis. A 
plus forte raison en est-il de même pour l'enfant du peuple, 
dont le développement k peine ébauché ne trouve autour de 
lui ni stimulant, ni secours intellectuel d'aucune sorte. 

En France, la centralisation attire toutes les forces vives du 
pays sur un seul point, et quoique sans doute elle cherche en- 
suite à les faire circuler et s'épandre, il en résulte un appau- 
vrissement marqué dans la plupart de ses provinces. Le com- 
merce des livres en offre une preuve frappante. Si la langue 
française n'était pas plus ou moins cultivée dans presque tous 
les pays du monde, les trois quarts des libraires de Paris de- 
vraient fermer boutique. Les éditions qu'ils publient se vendent 
surtout a l'étranger. Si Ton veut un exemple, je citerai ce que 
M. Emile Souvestre me disait de ses ouvrages. D'après des 
calculs exacts, la ville de Copenhague en consommait autant 
que les divers départements français du midi pris ensemble, et 
du plus populaire de tous. Un philosoplie sous les loils^ tiré 
jusqu'alors à 12,000 exemplaires, 2000 seulement s'étaient 
vendus dans la France entière, tandis qu'un seul des libraires 
de Genève en avait placé 1500. 

Ce fait significatif n'est malheureusement pas isolé, il se 
reproduit souvent, quoique dans des proportions moindres. 
D'ordinaire le parlage est plus égal entre la France et Télran- 
ger, mais alors les éditions ne se tirent guère qu'à mille ou 



XXVI COUP d'obil 

quinze cents. D'ailleurs, le déplorable état de la librairie dé- 
partementale indique assez l'absence du mouvement intellec- 
tuel. Dans les villes au-dessous de 40,000 âmes elle est 
presque nulle ou se borne aux livres de. collège et d'église. En 
général, le nombre des publications locales est très-restreint, 
car une espèce de défaveur s'attache à tout ce qui ne sort paà 
des ateliers de la capitale. Aussi la librairie n'occupe- t-elle 
point le rang qui devrait lui appartenir dans la hiérarchie com- 
merciale. A Paris même, sur mille à douze cents libraires, c'est 
à peine si Ton en compte cent qui soient des hommes réelle- 
ment instruits, capables d'apprécier dans leur marchandise 
autre chose que ^a valeur vénale. De telles données la con- 
clusion est facile à tirer. Que dirait-on d'un pharmacien qui, 
s'inquiétant peu des qualités vénéneuses de ses préparations, 
les vendrait sans scrupule k tout venant? Si le poison des livres 
iie tue pas le corps, il corrompt l'âme, et celle-ci vaut bien la 
peine qu'on y prenne garde. 

La librairie française, débarrassée de la contre-façon belge 
qui lui causait un tort immense, a pourtant fait un pas dans la 
voie du progrès. Elle s'est mise à publier des volumes au plus 
bas prix possible, fondant ses espérances de bénéfice sur l'aug- 
mentation considérable du débit. Plusieurs entreprises de ce 
genre sont en pleine activité ; mais leur succès dépendra d'a- 
bord du choix des livres, puis de l'empressement des ache- 
teurs. La première de ces deux conditions me parait bien 
remplie, surtout par la Bibliothèque des cliemins de fer^ qui se 
maintient, il est vrai, pour les prix comme pour la nature de 
ses livres, dans une région un peu plus élevée que ses rivales. 
Quant à la seconde, pour l'obtenir il faut du temps, de la pa- 
tience et des eiforts bien dirigés. On ne peut plus compter sur 
les cabinets de lecture: leur concours, qui suffisait au place- 
ment de ces volumes in-8^, imprimés à leur usage presque 
exclusif, serait tout à fait insignifiant pour des éditions de dix 
mille exemplaires au moins. Il s'agit maintenant de faire péné-* 



SUR LA SITUATION LITTERAIRE ACTUELLE. XXVII 

trer le goût des livres dans toutes les classes de la société. 
Cest difficile peut-être, mais ce n'est pas impossible. L'An- 
gleterre, l'Allemagne, la Suisse, la Hollande y sont bien par- 
venues. Pourquoi ne réussirait-on pas comme elles ? 

La France ne possède ni bibliothèques populaires, ni biblio- 
thèques circulantes. Ses cabinets de lecture sont encore loin 
du développement qu'ils pourraient prendre. La plupart ne 
s'alimentent guère que de romans, et parmi les mieux achalan- 
dés de la capitale, il n'en existe pas un qui puisse être com- 
paré avec ceux de Londres, où les ouvrages de littérature sé- 
rieuse, d'histojre, de philosophie, les publications scientifiques 
les plus intéressantes se trouvent en nombre d'exemplaires 
suffisant pour satisfaire les exigences de vingt, de cinquante, 
et même de cent lecteurs à la fois. Cette circulation, qui s'é- 
tend jusqu'aux colonies les plus lointaines de la Grande-Bre- 
tagne, facilite beaucoup l'essor des goûts intellectuels. Elle 
n'est pas moins favorable à la librairie, car ceux qui com- 
mencerlt par louer des livres, finissent presque toujours par en 
acheter quelques-uns. Ses résultats seraient précieux en France, 
surtout pour la classe moyenne, tandis que des bibliothèques 
populaires bien composées répandraient la lumière de l'instruc- 
tion et de la morale jusque dans les derniers rangs du peuple. 

Une semblable tâche est assurément plus belle et plus utile 
que les utopies politiques ou sociales à la poursuite desquelles 
s'acharnent tant d'esprits éminents et de cœurs généreux. Les 
chances de succès sont d'ailleurs assez grandes. Si l'on diri- 
geait vers ce but toute l'activité dépensée en agitations stériles, 
bientôt sans doute on en recueillerait des fruits excellents. Le 
peuple français parait mieux doué que nul autre pour les jouis- 
sances de l'esprit. Dans le dessein de s'en servir comme d'un 
instrument, on l'a matérialisé, mais ses nobles instincts ne sont 
pas morts, ils dorment seulement ; réveillez-les, faites vibrer la 
corde de l'honneur, de la loyauté, du devoir, et le naturel re- 
prendra son empire. 



xxvin COUP d'cbil sur la situation littbrairb actubllb. 

On trouvera peut-être que j'assigne à la littérature un rôle 
trop sérieux, trop difficile, qui ne saurait lui convenir ; cepen- 
dant, il n'est pas nouveau pour elle : dans les siècles passés, 
elle s'en acquitta plus d'une fois avec bonheur. Ses chefs- 
d'œuvre datent précisément des époques où ce rôle fut le 
mieux compris; ils portent le cachet de la pensée, ils ont l'é- 
loquence de la franchise et l'accent de la conviction. N'est-ce 
pas encore à ces mêmes qualités que doivent leur juste renom- 
mée des écrivains d'élite qui, de nos jours, cultivent avec tant 
d'éclat l'histoire et la philosophie. Le talent, tout seul, produit 
des œuvres éphémères; pour leur donner quelque durée, il 
faut de plus le concours de l'âme qui les associe à son immor- 
talité : c'est la ce qui les fait vivre. Dans le domaine de l'in- 
telligence, le faux clinquant passe vite, l'audace et le mensonge 
vas a distance perdent tout prestige, les gentillesses de l'esprit 
le plus subtil sont condamnées à l'oubli ; il n'y a que la foi qui 
sauve. 

Joël Gherbuliez. 



REVUE CRITIQUE 

DE8 



LIVRES NOUVEAIX. 



JAUTTIER t^59. 



ItlTTKRATURi:. 

La Cinéide ou la vache reconquise, poëme national héroï-comique eo 
24 chants, par l'abbé Ch. Du Vivier de Streel. Bruxelles, Goemaere; 
1 voLin-12. 

Au treizième siècle, le vol d'une vache alluma la guerre dans le pays 
de Liège. Le voleur étant bailli du Condroz, Jean de Cosne, à qui la vache 
appartenait, rassembla la noblesse du voisinage, envahit le Condroz, as- 
siégea le bourg de Ciney, et mit toute la contrée à feu et à sang. C'est le 
sujet qu'a choisi M. Tabbé Du Vivier. II y avait en effet bien là de quoi 
fournir matière à sa verve héroï-comique. Cette nouvelle Iliade, dont 
l'Hélène est une vache, présente certainement une idée très-bouffonne, 
qui se trouve rehaussée encore par le contraste des combats meurtriers» 
de Tacharnement des seigneurs et de la résistance courageuse des bour- 
geois de Ciney. Pour les gens du pays, d'ailleurs, il s'y joint l'intérêt 
d'une tradition nationale, empreinte au plus haut degré de l'esprit belge, 
et reproduisant maints détails de mœurs fort curieux. Quant au mérite 
littéraire du poëme, il est assez remarquable pour permettre à la renom- 
mée de l'auteur de franchir les limites de sa patrie. M. Du Vivier s'est 
inspiré des chants de l'Arioste ; il adopte sa manière libre et capricieuse ; 
il en imite la grâce enjouée, autant du moins que l'alexandrin français 
peut s'y prêter. Les vers sont en général faciles, et ne manquent pa& 
d'harmonie. Nous citerons comme exemple ce portrait de la Renommée» 
.esquissé d'une façon originale et piquante : 

Ce monstre curieux, indiscret et volage, 

Que tout poète doit et devra d'âge en âge 

Honorer à son tour d'une description ; 

Ce monstre, femme, oiseau, gazette, opinion, 

Qœ mondain, qui dévot, se fait bonheur et joie 

De courir gueule au vent et de chercher la proie, 

1 



2 LITTIÎRATUaE. 

Epiant, publiant, en y mêlant du sien, 

Plus le faux que le yrai, plus le mal que le bien ; 

La Renommée enfin, du fond de sa tannière. 

Entendît et les chants de la troupe guerrière 

Et ses lestes propos et ses mâles jurons 

Mêlés aux sons discords des cloches, des clairons. 

. L'auteur manie la plaisanterie avec esprit , seulement il se laisse par- 
fois entraîner à des écarts que le bon goût no saurait accepter. C'est l'é- 
cueil du genre. Quand il s'agit de faire rire son lecteur vingt-quatre chants 
durant, on a bien de la peine à garder toujours un ton convenable, on est 
fâciletùent conduit à lâcher quelque saillie plus ou moins incongrue pour 
réveiller l'attention ; dans sept mille vers, une dose de gros sel paraît ex- 
cusable. Mais M. Du Vivier aurait mieux fait de réduire son poëmc à des 
proportions, plus modestes, afin de n'avoir pas besoin de cet assaisonne- 
ment antipathique aux palais délicats. Son talent pouvait très-bien s'en 
passer, il a des ressources meilleures. Non-seulement il aborde avec 
succès le haut'Comique, mais il sait mêler à ses traits spirituels des vé^ 
flexions d'une portée sérieuse» des leçons de la morale la plus pure. 

L'homme toujours désire et regrette toujours ; 
Jamais de ses pensers il ne règle le cours : 
Le présent raffadit ; . c'es^ le futur qu'il cherche. 
Et' le plaisir pour lui n'est que dans la recherche. 
L^oAbli seul est un bien qui s'offre sans apprêts. 
Le paujnre bûcheron le trouve en ses forêts], 
Le poète en ses vers» le peintre en sa peinture. 
Le sage ami des champs dans la fraîche nature. 
Le souvenir confus d'un bienfaisant sommeil, 
Image de Toubli, fait jouir au réveil. 
Et c'est là le bonheur que poursuit dans fivresse 

Celui qui fuît lesi triaits de là sombré tristesse. 

• ' . ' . 

Chacun de ses chants débute ainsi par des sentences pbik)9opbH|WB»» 
applicables aux diverses situations de la vie, et dans lesquelles on trou- 
vera d'excellents conseils, ou d'utiles averiissements. Enfin, le poëte ne 
craint pas non plus de donner essor à ses seatimente religicHJx qui s'ex- 
priment avec un«i éloq^ente^ fonfevr. Nous «e saurifons. mieux terminer 
notre article qd^«»i rept^fi^Alintont- âcftta énergique «iinëe knipirée par la 
révolution de 1«»*f^ ' 



MTTiRAIURE. 

Fermant Toreille au bruit, fuyant Tinquiétude, 
Loin du monde cherchant Tutile solitude, 
J'occupais mes loisirs paisibles, casaniers, 
A peindre les combats, à chanter les guerriers : 
Oaand tout à coup T éclat de la foudre lointaine 
Interrompit mes chants et fit tarir ma veine. 

Quel est donc ce volcan qui s'ouvre avec effort. 
Et vomit la terreur, la ruine et la mort ? 
Quoi ! ce puissant empire aassi vieux que le monde, 
Secoué par les coups du tonnerre qui gronde ; 
€e royaume guerrier, bardé de fer, d'airain, 
Oue fonda sur le roc un soldat souverain ; 
Ce trône qui dompta le démon anarchique. 
Que, dix-huit ans entiers, l'adroite politique 
Maintint, consolida, pressuré de dangers, 
<lontre les factions, conti'e les étrangers : 
Soudain sont ébranlés, s'affaissent sur eux-mêmes, 
Tressaillent, et saisis d'une angoisse suprême, 
S'écroulent satis efforts, comme aux vieilles forétf 
Tombe, usé par les ans, un antique cyprès. 

Un bras de chair n'a point opéré ce prodige. 
Dieu seul est grand ! Son doigt qui soutient et dirige 
Tout ce vaste univers qu'il n'a fait que pour lui. 
Quand il le voit ingrat, le laisse sans appui. 

Ce Dieu grand au mortel donna l'inteltigence. 
Afin qu'il le connût et louât sa puissance ; 
£t Fhomme, enorgueilli de ce don précieux,. 
Du ciel qui Téelairait a détourné les yeux. 
Ces immortels travaux, ces oeuvres de génie, 
€es secrets qu'a trahis la nature asservie. 
Loin d'élever ses sens, son espiiU vesrs le ciel. 
Ont fait dire à son cœur : Il n'est rien d'étemel* 

Alors le Dieu puissant s'est armé de sa foudre. 
£t BKurtels et travaux, confondus dans la poudre, 
Et nations et rois, l'un par Fautre punis, 
Dans les mêmes périls fatalement unis, 
Comme Ninive, n'ont de salut à prétendre 
Qu'en implorant le ciel sous le sac et la cendre. 



i LITTÉRATCHI. 

Les Traditionnelles, nouvelles poésies, par Jean Reboul. Paris, 1857; 

i vol. in-IS: 3 fr. 60 c, 

Le titre de ce volume indique assez que l'auteur n'appartient ni par ses 
idées, ni par ses tendances à l'école du jour. En effet, la tradition est ce 
que respectent le moins nos poètes novateurs. M. Maxime Oucamp, par 
exemple, n*en veut plus entendre parler, et l'on sait avec quel aplomb il 
enterre comme choses mortes, la mythoiogici l'histoire, les souvenirs hé- 
roïques, en un mot tout ce qui tient au passé, de près ou de loin. Mais 
pour M. Reboul, c'est au contraire là précisément que se trouve la source 
féconde de l'inspiration. Ses principes et ses croyances ne suivent pas la 
marche capricieuse de la mode. Peut-être même trouvera-t-on qu'il dé- 
daigne un peu trop les enseignements de l'expérience. Fervent disciple de 
l'auteur des Harmonies poétiques et religieuses^ il demeure, s'il est per- 
mis de parler ainsi, plus Lamartinien que Lamartine lui-même. Mais 
tout en conservant une vive reconnaissance pour ce protecteur de ses dé- 
buts, il s* est franchement séparé de lui dès la publication de l'Histoire 
des Girondins : 

maître I quels lauriers ont troublé ton sommeil ? 

Toi qui perdais ton vol dans les flots du soleil. 

Pourquoi le rabaisser vers cette froide terre 

Où le louche examen rampe sur le mystère, 

Et croit, comme le ver dans la nuit du tombeau, 

Régner sur ce qui doit ressusciter plus beau ? 

N'as-tu donc pas sondé cette misère extrême 

De l'esprit qui n'a plus d'autre appui que lui-même. 

Toute la profondeur de cette infirmité 

Qui frappe la raison dans sa divinité? 

Et rimmense chaos qui se forme autour d'elle, 

Nuage ténébreux où la foudre étincelle, 

Et qui têt ou tard laisse échapper de son flanc 

L'orage expiateur de larmes et de sang ? 

Nous voilà reportés à quinze ans en arrière, pour le moins, et les évé- 
nements postérieurs n'ont point changé les allures du poëte. 11 parle tou- 
jours le même langage, il garde la même foi. C'est le fidèle écho d'une 
lyre dont les accents ont cessé de se faire entendre. Ses chants portent 
encore le cachet de la vague rêverie et de la ferveur religieuse» mais ils 
manquent d'originalité. Chez M. Reboul, l'artisan et l'écrivain forment 



LITTERATURE. 5 

deux êtres complètement distincts ; quand le second prend la plume, le 
premier s'efface, et ses besoins intellectuels ou moraux ne sont pas ceux 
de la classe ouvrière. Aussi, malgré le mérite incontestable de la po^ie, 
les Traditionnelles pourront bien sembler pâles et monotones aux lec- 
teurs qui ne sont plus habitués à ce genre. Elles renferment cependant de 
belles pages, noblement pensées, écrites avec élégance, et quelquefois 
pleines de vigueur. Nous y remarquons de plus deux ou trois petites 
pièces, (l'une touche fine et spirituelle, où le talent du poëte se montre 
sous un aspect nouveau. La citation suivante, extraite du Bric'à-brac, 
prouve que la muse de M. Rcboula plus d'une corde à son luth, et peut 
sans inconvénient descendre des hauteurs de la méditation : 

Quelle bizarrerie aujourd'hui nous travaille ? 

Le siècle novateur adore l'antiquaille ! 

Un meuble vermoulu se vend à beaux deniers ; 

Pour orner les salons, on vide les greniers. 

Une lame rouillée, un débris de vieux vase 

Captivent les esprits et provoquent Textase. 

Il faut qu'un beau tableau soit un peu dévasté : 

Rien ne vaut en fait d'art que la vétusté. 

Le plus petit grimaud se fait archéologue ; 

IJ a son cabinet avec son catalogue. 

Admirez ce tesson, car c'est là qu'autrefois 

Les marmitons romains faisaient cuire leurs pois ! 

Ce bouclier d'Annibal protégea sa personne, 

Quand, près de Roquemaure, il traversa le Rhône ; 

Il fut trouvé jadis avec ces trois flacons 

Pleins du fameux vinaigre à dissoudre les monts. 

Ce miroir de métal est celui de Poppée, 

Dame de sa parure à toute heure occupée. 

Voici de Damoclès le glaive suspendu ; 

Il tenait par un ûl, mais le fil s'est perdu, 

Cest une pièce rare, une pièce classique. 

Qui mit beaucoup de gens en frais de rhétorique. 



Contes Kosâks, par Michel Czaykowski, aujourd'hui Sadyk-Pacha, tra- 
duits par W. M. Paris, 1857; i vol. in-12 : 3 fr. 

Ces contes ne manquent certainement pas d'originalité. Ils sont écrits 
par un Polonais, attaman de Kosaks ; ils décrivent les mœurs de ces peu- 



6 LlTTl^RATtJllX. 

pîades peu . connues, et le nono seul âè leur auteur suffirait d^ pour 
éveiller la curiosité publique. Il faisait partie des réfugiés auxquels, après 
la guerre de Hongrie, Thospitalité musulnïane fut garantie à la conditioft 
qu'ils abjurassent le christianisme. Michel Czaykowski suivit l'exemple du 
général Bem; et reçut le nom de Sadyk, avec la dignité de pacha. Il 
commande aujourd'hui un régiment de Kosaks ottomans qui s'est distingué 
par sa belle conduite au siège de Silislrie. Voilà sans doute d'étranges 
titres littéraires, et l'on trouvera que ce genre de vie n'est guère propre à 
former un homme de lettres. Aussi les Contes kosaks semblent-ils écrits 
avec la pointe d'une épée plutôt qu'avec une plume. Le style en est bref, 
saccadé, la composition fort simple et l'allure toute militaire. Ce sont des 
esquisses empruntées à l'histoire d'un peuple éminemment guerrier. L'au- 
teur y mêle quelques scènes caractéristiques où la famille kosake se 
montre avec ses affections, ses coutumes et ses croyances. Il n'y a pas de 
longueurs, l'action marôhe rapideinent, l'intrigue tient peu de'place, et 
les détails se distinguent surtout par la vigueur du trait. Dans presque 
tous ces récits, on sent Todeur de la poudre, on entend le bruit des 
armes, on assiste à de sanglants combats. Les Kosaks aiment la guerre 
avec passion, ils l'aiment pour elle-même, pour la gloire, puis aussi pour 
le pillage. «Un Polonais fugitif, raconte l'auteur dans une note, rencontra, 
en 1830, une bande de Kosaks errants, et en fut élu attaman. Ces Kosaks, 
l'hiver, pillaient les Russes sous le drapeau turc. Au bout de la première 
année, ses compagnons trouvèrent qu'il avait mal géré leurs affaires : le 
butin avait été plus considérable l'année d'avant, sous son prédécesseur^ 
Il rejeta la faute sur le juif économe, qui fut pendu. Cinq années de suite, 
sous le coup de la même accusation, il échappa par le même subterfuge, 
et chaque fois se trouva facilement un juif pour remplir cette place, où il 
savait que son prédécesseur avait laissé là vie. La sixième année, le Po- 
lonais craignant que ses juges ne se contentassent pas de Téconome, s'é- 
chappa et vint en France. » Cette anecdote donne une idée du genre 
d'intérêt que présentent les contes de Michel Czaykowski Leur principal 
mérite est de peindre avec vérité la farouche indépendance de ces hordes 
à demi barbares, qui n'ont jamais été complètement soumises par la 
Russie. 



LITTBEATURE. 7. 

Petits mémoires de l'Opéra, par Ch. de Boigne. Paris, 1857 ; 1 vol. 

in-12: 1 fr. 25 c. 

Ces très-petits mémoires pourraient du moins être assez amusants si 
l'auteur avait su leur donner une forme plus piquante. La matière est 
riche. L'Opéra ne manque pas de figures originales. C'est un monde à 
part, qui a ses mœurs particulières. Poêles, musiciens, chanteurs, dan- 
seurs, comparses, claqueurs, sont autant de types curieux à étudier. 
Combien d'intrigues, de rivalités, de luttes d'amour-propre, devant les- 
quelles souvent le directeur le plus habile voit échouer tous ses efforts. Sur 
ce théâtre, la représentation d*une œuvre exigeant de nombreux artistes de 
diverses catégories et maints auxiliaires indispensables, chacun s'attribue 
volontiers la meilleure part du succès. De là des prétentions bouffonnes, 
des scènes plaisantes, d'étranges conflits, dont l'observateur peut assuré- 
ment tirer un bon parti. Mais il faut pour cela de l'esprit et du tact, afin 
de ne pas tomber dans la chronique scandaleuse, ou dans le commérage 
des coulisses, qui ne vaut guère mieux. M. de Boigne n'a pas su toujours 
éviter ce double écueil. On trouve dans son livre beaucoup d'anecdotes 
insignifiantes et quelques-unes d'assez mauvais goût.Il est vrai que ve~ 
nant après MM. Castil-Blaze, Véron et Charles Maurice, sa tâche n'était 
pas facile. Lesglanures qu'il a ramassées dans ce champ moissonné satis- 
feront peu le lecteur. Elles ne valaient en général pas la peine d'ôtre re- 
cueillies, et malheureusement le mérite de la forii.e ne rachète point la 
nullité du fond. 



Etude des lai<I6Ues, par S.-H. Possien. Paris, Â Durand, 1856; in-8. 

L'auteur de cet opuscule se présente comme Tinventeur d'une nouvelle 
méthode pour étudier les langues, méthode infaillible, dit-il, et par consé- 
quent très-supérieure à toutes celles employées jusqu'ici. Au lieu de con- 
sacrer des années à meftre les règles de la grammaire dans la tête de ses 
élèves, au lieu de surcharger leur mémoire d'un bagage aussi lourd que 
superflu, il prétend les amener en quelques mois à posséder la connais- 
sance d'une langue assez bien pour l'écrire et la parler. Le résultat serait 
beau; mais Jacotot et beaucoup d'autres le promettaient également, et 
oous oe voyons pas qu'ils l'aient obtenu. Après eux comme avant, les diffi- 
cultés sont demeurées à peu près les mêmes. M. Possien sera-t-il plus 
heureux? Nous eu doutons. Sans doute il fait très-bien ressortir les dé- 



8 



LITTERATURE. 



fauts de l'enseignement routinier. La plupart de ses critiques sont justes 
et présentées souvent d'une manière piquante On doit reconnaître avec 
lui que la grammaire abonde en subtilités inutiles, et que parmi ses règles 
il en est un certain nombre d'inexplicables et qui ne se peuvent apprendre 
que par l'usage. On ne lui contestera pas non plus que la mémoire est un 
moyen empirique dont l'emploi trop fréquent a pour effet de rendre l'in- 
telligence paresseuse. Mais la grammaire occupe dans les langues une 
place considérable, et sans la mémoire il serait impossible de se rappeler 
son mécanisme compliqué, ses exigences parfois bizarres et ses nombreuses 
exceptions. M. Possien a beau faire, ses élèves ne pourront pas s'en 
passer; peut-être môme seront-ils obligés plus que d'autres d'y recourir. 
En effet, sa méthode consiste à traduire et retraduire. On prend le texte 
d'un auteur avec la traduction française et juxta-linéaire, puis on s'exerce 
'à-dessus. Or, dès les premières lignes doivent nécessairement se présen- 
ter des questions grammaticales, et si l'explication ^n'en est pas donnée, 
c'est la mémoire qui doit y suppléer. L'élève, après avoir lu le texte plu- 
sieurs fois très-attentivement avec l'aide de la traduction, prend celle-ci 
pour thème, et s'efforce de la remettre dans sa langue originale, excellent 
exercice assurément, mais exercice de mémoire, quoi qu'en dise l'auteur, 
et qui n'a pas du tout le mérite de la nouveauté. Cela s'appelait autrefois 
traduction interlinéaire, cela s'appelle aujourd'hui traduction juxta-linéaire, 
voilà toute la différence. Du reste, en changeant de nom, le vieux procédé 
ne nous semble pas avoir acquis une vertu plus grande. Il offre toujours 
les mêmes avantages pour ceux qui savent le combiner avec l'étude de la 
grammaire, et les mêmes inconvénients pour les jeunes élèves enchantés 
de n'avoir qu'à transcrire un travail tout fait. 



Scènes de la vie hollandaise, par Hildebrand, traduites par L. Woc- 
quier. Paris, 1856; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25 c. 

Ces scènes portent le cachet de l'exactitude la* plus minutieuse. L'au- 
teur est un peintre de détails, qui ne se met pas en frais d'imagination et 
se borne à reproduire fidèlement les mœurs et les usages de son pays. 
Les données qu'il a choisies n'ont rien de dramatique, ni de romanesque ; 
elles offrent même fort peu d'incidents. Ce sont de simples esquisses de la 
vie hollandaise dans la société bourgeoise des petites villes. Tout l'intérêt 
gît dans ce qu'on est convenu, d'appeler la couleur locale. Il est vrai qu'à 
cet égard la Hollande jouit d'un privilège assez rare. Son originalité na- 



LITTl&EATURB. 9 

4ionaie s'est maintenue mieux que nulle autre. Le niveau de la civilisation 
moderne n'en a pas encore effacé les traits distinctifs. On y retrouve des 
habitudes traditionnelles, religieusement conservées au sein des familles, 
<)ui se les transmettent de génération en génération, sans permettre que 
la mode y change rien. Si la poésie tient peu de place dans cette existence 
flegmatique et monotone, les qualités solides, la piété, la droiture de 
cœur, les sentiments honnêtes et bons s y rencontrent fréquemment. La 
plupart des personnages que l'auteur met en scène sont plus estimables 
qu'amusants, mais leurs allures si différentes de celles qu'on remarque 
ailleurs excitent la curiosité comme pourrait le faire la relation d'un voyage 
lointain ou quelque chronique bien naïve des siècles passés. M. Hilde- 
brand se. montre observateur habile et consciencieux. On regrettera seu- 
lement qu'il ne sache faire en quelque sorte que les accessoires d'un récit, 
et ne comprenne pas la nécessité d'une action bien conduite pour captiver 
l'intérêt de ses lecteurs. 



Le Roman de Jean de Paris, publié d'après les premières éditions, et 
précédé d'une notice, par Emile Mabille. Paris, Jannel, 1855;in-18. 

On ignore l'auteur du roman de Jean de Paris, mais cet ouvrage, écrit 
au seizième siècle, a toujours joui d'une grande popularité, et il en est 
digne : la naïveté du style s'allie chez lui à une finesse satirique vraiment 
piquante. Le sujet est des plus connus, le théâtre s'en est emparé et a 
fait connaître partout ce jeune roi de France qui, tiancé à une princesse 
espagnole, se rend incognito au delà des Pyrénées, se présente comme fils 
d'un riche bourgeois de Paris, se montre jeune, beau, hardi, étale je plus 
grand luxe, se fait aimer de la princesse, et l'emporte sans peine sur un 
roi d'Angleterre, maussade et d'un âge mûr. Lorsque son succès est com- 
plet, il se fait connaître, et le mariage est bientôt conclu. Ce récit, qui a 
dû être composé de 1525 à 1535 par quelqu'un attaché à la cour de 
France, est rempli d'allusions à François 1". Trois ou quatre éditions an- 
térieures à 1570, et devenues presque introuvables, donnent un texte qui 
a été remanié et abrégé dans de nombreuses réimpressions. M. Jannet a 
très-judicieusement reproduit le texte primitif, bien préférable à celui 
qu'ont fabriqué des arrangeurs maladroits. Ce volume est une fort bonne 
addition à la BMiothhjue elzevirienne, déjà considérable, et qui le de- 
viendra bien davantage, à la grande satisfaction des amis des livres. * 



H) VOTAGBS £T Hl&TOlRB. 

IfOmka^» ET HISTOIRE. 

Essai de chronographie byzantine, pour servir à t'exameft des an- 
nales du Bas-Empire, et particulièrement des chronographes slavons» 
de 395 à 1057, par Edouard de Murait. Saint-Pétersbourg et Leipzig, 
1855; 1 vol. grand in-8 de XXXll et 858 pages. 

Ce n'est pas l'histoire de l'orient de l'Europe seulement que la belle 
publication de M. de Murait vient enrichir de bien des fails et éclairer 
d'une nouvelle lumière. Elle a, sans doute, pour premier objet l'histoire 
des pays slavons ; elle permet de suivre les pas que fait Taneienne juris- 
prudence et l'ancienne administration romaine, altérée par les influences 
de l'Orient ; de se rendre compte des différences qui se manifestent dans 
les pays soumis à l'Eglise grecque, et ceux soumis à l'Eglise latine; 
elle montre, dans leur contact avec l'Église et une civilisation vieillie, 
les peuples germaniques, slaves et arabes, rudes, jeunes et pleins d'éner- 
gie ; mais elle jette aussi sur l'histoire de l'Occident plus d'un jour nou- 
veau. Tantôt elle rapproche des fails qui s'éclaircissent mutuellement ;' 
tantôt elle fixe une date longtemps incertaine ; tantôt une discussion som- 
maire, mais toujours approfondie, des autorités invoquées, permet à l'o- 
pinion de se déterminer sur leur valeur et leur degré de crédibilité. Le 
corps des historiens byzantins, publié à Berne, est la source principale à 
laquelle a puisé M. de Murait; mais elle est loin d'être la seule ; les ar- 
chives slaves, celles de Rome, de Venise, de Gênes, des sources inédites 
en grand nombre ont été par lui sérieusement étudiées. Les chroniques lui 
ont donné leur contingent de faits incontestés. Celles de l'Arménie, de 
ribérie, de la Géorgie, les historiens arabes et musulmans ont été consul- 
tés aussi bien que la collection des historiens de l'Allemagne de M. Pertz. 
L'auteur n a pas négligé non plus de traiter les questions numismatiques 
et ethnog;raphiques qui se trouvaient sur son chemin. Nous sommes donc 
heureux d'avoir à faire connaître un livre qui, en même temps qu'il enri- 
chit l'Orient delà science de l'Occident, éclaire l'Occident de la lumière de 
l'Orient. Il appartenait à peu d'hommes de remplir cette tâche comme à 
M. de Murait, également versé dans l'histoire de nos pays et des pays 
slaves, esprit net et ferme, savant laborieux, entouré de considération» 
et placé, à Saint-^Pétershourg, dans une position qui lui donne l'accès à 
des sources jusqu'auxquelles seul, peut-être, il pouvait pénétrer. V. 



V0TA6EB BT HtSTOlAK. If 

ÀDVis ET DEVIS de la source de Hdolatrie et tyrannie papale, par quelle 
practfqueet finesse les papes sont en si haut degré montez, smvis des 
difformes réformateurz, del'adviset devis de menconge, et des faulx 
miracles du temps présent, par François Bonivard, ancien prieur de 
Saint- Victor. Genève^ chez J.-G. Fick, 1856; 1 vol. in-8 orné dea 
portraits des papes, relié en parchemin : 8 fr. 

Sous le titre de Advis et devii de la source de lidalatrie, François 
Bonivard, le prisonnier de Chilien et le chroniqueur de Genève, avait re- 
cueilli maints détails historiques et anecdotes curieuses touchant les onze 
papes qui vécurent de son temps, savoir depuis Alexandre VI jusqu'à 
Pie IV. C'est ce travail que M. G. Revilliod etM. le docteur Chaponnière 
mettent en lumière aujourd'hui pour la première fois, car il n'avait point 
été publié jusqu'à présent, lis y ont joint d'autres opuscules également 
inédits du même auteur. 

Dès les premiers temps de la réforme, le prieur de Saint-Victor se 
rangea parmi les adversaires de la papauté, dont il connaissait à fond les 
abus et les scandaleux excès. Mais ce fut plutôt par esprit d'indépendance 
et d'opposition que par dévouement à la cause évangélique. Jamais on ne 
le vit prendre part aux rudes travaux des réformateurs. Il ne voulait être 
ni chef, ni soldat dans la bataille. Son drapeau était celui du libre pen- 
seur qui se tient en dehors des partis, et les attaque tous avec la même 
vivacité. S'il se montre sévère pour les papes, il n'épargne guère davan- 
tage les ministres et les princes protestants. Après avoir exposé de la ma- 
nière la plus crue les vices de la cour de Rome, il déplore dans ses dif- 
formes réformateurs, que tant de gens aient suivi l'Evangile pour avoir le 
bien d*autrui ou pour donner libre cours à leurs mauvais penchants, et ne 
craint pas de les vouer au blâme public en dévoilant les motifs de leur 
conversion. Ayant été à Rome sous le pape Léon X, il y a vu des choses 
qui l'ont révolté ; le tableau qu'il fait de la vie des cardinaux en offre une 
preuve certaine. Mais, d'un autre côté, les mœurs du roi Henri VIII, du 
landgrave de Hesse, du comte Guillaume de Fufstenherg, des deux Al- 
brecht de Brandenbourg ne lui semblent pas plus conformes à la morale 
évangélique, en sorte que, sauf dans le val d'Angrogne et peut-être à 
Genève, il ne trouve nulle part la vraie réforme, c Certainement, qui bien 
considère de tous côtés, l'on trouvera qu'il est beaucoup plus aisé à dé- 
truire le mal qu'à construire le bien, et que ce monde est fait à dos d'âne» 



12 TOTAGBS BT HISTOIRE. 

si un fardeau penche d'un côté et vous le voulez redresser et le mettre au 
milieu, il n'y demeurera guère mais penchera de 1 autre. Aussi Cicéron en 
la guerre citoyenne entre Pompée et César, étant requis d'un chacun 
côté, disait : Quêm fugiam scio, ad quem neacio, démontrant qu'il n'y 
avait de bien ni en l'un, ni en l'autre. Nous avons de cette sentence e.\- 
trait un emblème de la vraie Eglise que nous avons figurée par une bre- 
bis que nous appelons la brebis désespérée^ laquelle nous coUoquons entre 
un loup qui la veut dévorer d'un côté, et de l'autre son pasteur qui tient 
un couteau pour l'écorcher. * Cette courte citation, à laquelle nous n'a- 
vons changé que l'orthographe, peut donner une idée de la verve spiri- 
tuelle et de l'élégante fermeté dont le style de Bonivard est empreint. 
On y reconnaît le littérateur, homme d'esprit plutôt que de conviction 
profonde, mais il manie la langue avec une aisance qui n'était pas com- 
mune alors. Ses deui petits traités sur le mensonge et sur les vrais ou les 
faux miracles sont surtout remarquables à cet égard. Ils se distinguent 
par la clarté non moins que par le tour na'if et piquant de l'expression. Sans 
doute on peut reprocher à l'écrivain un goût peu délicat dans le choix de 
ses anecdotes sur les papes, et trop de crudité dans la manière dont ii les 
raconte. Mais c'étaient les défauts de l'époque, et les austères réforma- 
teurs n'en furent pas toujours exempts. Or, par la nature de son caractère, 
Bonivard nous semble se rapprocher plutôt de ceux qu'on appelait les 
libertins, qui ne voulaient plus du catholicisme et reculaient devant les 
sacritices indispensables pour assurer le triomphe de la réformation. C'est 
, un esprit frondeur, indépendant, rétif, et fort mal à Taise dans son siècle 
entre l'autorité romaine et la discipline des nouveaux sectaires. Ainsi que 
le disent les éditeurs : « Bonivard rappelle la fougue et la raillerie gau- 
loises, et il partage les qualités et les défauts des auteurs de son temps, 
les Rabelais, les Marot, les Brantôme, les Henri Estienne, les Mon- 
taigne, etc.. au milieu desquels il mérite d'occuper sa place. Estimé 
comme historien, il ne pourra que gagner à être plus connu comme lit- 
térateur, critique et philosophe. > Le volume que publie M. G. Revilliod 
est exécuté d'ailleurs avec un goût typographique remarquable. Le pa- 
pier, les caractères, l'ornementation rappellent autant que possible l'im- 
primerie telle qu'elle était à l'époque de Bonivard, et les letires illus- 
trées sont celles d'un imprimeur distingué de la fin du seizième siècle. 
Les portraits des papes, gravés sur cuivre avec une manière large qui 
leur donnent tout à fait l'aspect de.> anciennes gravures sur bois, sont in- 
sérés dans le tfxte en tête de chacune des notices. Tout cet ensemble 



VOYAGES ET BISTÔimS. 13 

harmonieux et bien combiné fait le plus grand honneur aux presses do 
M. Fick. Nous espérons que les encouragements du public ne manqueront 
pas à de tels efforts, dont le bui est de relever la typographie genevoise, et 
de lui rendre quelque peu de son ancien éclat. 



Séjour chez le grand ghérif de la Mekke, par Charles Didier. Paris, 

1857; 1 vol. in-16: 2 fr. 

M. Charles Didier, après un séjour de quelques mois au Caire, a tra- 
versé le désert de Suez, visité le mont Sinaï, la ville de Djeddah, puis 
celle de Taïf, dans le voisinage de laquelle se trouve le palais du grand 
chérif de la Mekke. Favorisé par les circonstances, il obtint le privilège 
accordé très-rarement à des Européens, d'êlre accueilli par ce haut per- 
sonnage avec une bienveillance marquée. Celte faveur exceptionnelle 
donne à son voyage un intérêt assez piquant. Il nous fait du moins con- 
naître des lieux et des personnages nouveaux, et s'écarte de Téternel itir 
oéraire des touristes C'est d'ailleurs un écrivain exact, un observateur 
consciencieux dont les notes ont une véritable valeur, parce qu'il cherche 
à recueillir des données utiles plutôt qu'à se mettre lui-même en scène. Ses 
jugements sur les mœurs et les usages des habitants portent en général le 
cachet du bon sens. On ne trouve point chez lui cet enthousiasme banal au- 
quel d'ordinaire les voyageurs en Orient semblent se croire obligés de payer 
leur tribut. Sobre de descriptions poétiques, il les réserve pour les scènes 
qui en valent réellement la peine, et sait intéresser le lecteur par des dé- 
tails curieux, instructifs, choisis avec tact et peints avec la plus grande 
ddélité. Son but est de signaler surtout les traits principaux qui caracté- 
risent les Turcs et les Arabes, afin de mettre en évidence l'état de dis- 
solution dans lequel se trouve l'empire ottoman. M. Charles Didier re- 
garde comme impossible l'œuvre entreprise par les puissances européennes 
de maintenir la domination turque, et voudrait plutôt les voir tourner leurs 
efforts vers Taffranchissement des nationalités opprimées sous son détes- 
table joug. Les faits qu'il cite nous paraissent en effet indiquer une déca- 
dence irréparable. Chez les Arabes, au contraire, il montre des éléments 
de vigueur morale et d'intelligente activité, dont Tessor ne saurait être 
qu'avantageiJM dans l'intérêt de la civilisation. L'accueil fait à notre voya- 
geur par le grand chérif de la Mekke en offre une preuve frappante. Ce 
prince, héritier d'une famille qui régnait sur l'Arabie, comprend que 
Tavenir de son pays dépend de l'Europe, et c'est à cela que M. Ch. Didier 



t4 ¥0Ti«B8 ET fllSTOlRB. 

et 800 compagnon anglais, ont dû d'être reçus avec uAe distinction toute 
particulière. Ils étaient, en quelque sorte, pour le grand chérif les repré- 
sentants de deux puissances qui, tdl ou tard, décideront du sort de la 
Turquie. 



Histoire du commerce de toutes les nations, depuis les temps anciens 
jusqu'à nos jours, par H. Scherer, traduit de l'allemand, par H. Ri- 
chelot et Ch. Vogel. Paris, i 857 ; 2 gros vol. in-S : 18 fr. 

L'histoire du commerce est, en quelque sorte, celle de la civilisation, 
surtout pour les temps modernes. Dans l'antiquité, sans doute, il tient 
une place moins considérable, cependant son rôle n'en eut pas moins une 
importance assez grande. On ne peut concevoir en effet de société deye* 
nue forte et prospère sans le concours de Télément commercial. Chez les 
sauvages déjà l'échange existe sous sa forme la plus rudimentaire, et son 
4éveloppement marque chacun des pas qu'une nation fait dans la carrière 
4\x progrès. Il est donc bien difficile de dire quel peuple se livra le pre* 
oiier au commerce. Cette branche de l'activité humaine a ses racines dans 
les âges les plus reculés, et nous ne possédons aucun document qui puisse 
iious servir de guide pour une semblable recherche. Ce qu'il y a seule- 
ment de certain, c'est que dès le début de la période historique on trouve 
le commerctt pratiqué de pays à pays, de peuple à peuple, d'une manière 
plus ou moins étendue. L'Inde et la Chine possèdent à cet égard des tra- 
ditions fort anciennes, et de récentes découvertes prouvent que l'Assyrie 
«t TEgypte n'étaient pas moins avancées. Il est évident que le luxe monu» 
mental, dont les ruines de leurs cités et de leurs palais nous offrent tant 
de vestiges n'aurait pu se développer sans le secours d'un essor com- 
mercial assez grand. On en doit conclure que diverses contrées de l'Asie 
et de l'Afrique trafiquaient ensemble longtemps avant que les Phéniciens 
eussent commencé leurs expéditions aventureuses. Ce furent ceux-rci qui 
donnèrent Timpuision au commerce maritime; leur exemple trouva bientôt 
d'habiles imitateurs chez les Gr^cs, dont le génie moins exclusivement 
mercantile . sut poursuivre à côté du gain matériel des satisfactions d'un 
ordre- plus élevé. Leurs voyages exploités dans l'intérêt de la sciencecoo* 
tttt)uèrent saas doute au vif éclat que répandit la civilisation.de la Gi*èce; 
mais le commerce en Ini-mème ne jouait encore qu'un rôle secondaire: il 
était regardé comme un moyen plutôt que cmnme un but ^ ses opéirattoB^ 



VOYAGES BT HIST0IR1S. 15 

^e renfermaient dans des limites assez restreintes, et quand la puissance 
romaine domina le monde, il eut pour unique mission de satisfaire les be- 
soins et les fantaisies de la métropole. C*est donc seulement de Tère mo- 
derne que date son véritable essor. Il coïncide avec la révolution sociale 
opérée par rétablissement du christianisme. Après la chute de l'empire 
tomain, l'Europe sembla retomber dans la barbarie ; mais du sein de ce 
chaos ne tardèrent pas à sui^ir les éléments d'une vigueur^nouvelle et 
féconde en résultats bienfaisants. L'esprit humain reçut des circonstances 
Télan le plus salutaire. L'invention de l'imprimerie et la découverte de 
l'Amérique vinrent ouvrir un vaste champ à son activité. Dès lors» lêt 
entreprises mercantiles prirent toujours plus d'extensioB, et Ton comprit 
que dorénavant le commerce allait être l'une des principales sources de la 
puissance nationale. C'est à lui que les peuples modernes doivent leurs 
plus belles conquêtes ; il tend sans cesse à les rapprocher, à les détourner 
de la guerre, it se fait le civilisateur du monde, et favorise partout les 
institutions libres nécessaires à sa prospérité. M. Scherer montre que 
chez les dififérentes nations le mouvement commercial fut toujours en 
rapport proportionnel avec le degré de liberté dont elles jouissent. Ainsi 
rEspagoe et le Portugal, pays despotiques, ont promptement perdu leur 
ancienne splendeur commerciale, tandis que la constitutionnelle Angle- 
terre s'est élevée au premier rang et s'y maintient. Les autres Etats de 
TEurope présentent plus ou moins le même spectacle; Chacun d'eux est 
pour l'auteur l'objet d'une étude approfondie, et ses intâressantes re«- 
cherches le conduisent à reconnaître que partout où le commerce a pros^ 
péré, les lettres, les sciences et tes beaux-arts ont fleuri, .que les peuples 
les plus commerçants, !ès plus industrieux, les plus riches, sont aussi les 
peuples les plus éclairés. C'est dire assez l'importance d'un sembiattte 
travail, dans lequel on voit comment se dévotoppèrent les forces natioaales, 
et quels précieux services le commerce a de tous'tempsrendusà la civili* 
sation. Les nombreuses notes dont la trafduotion ^t enrichie, complètent 
l'ouvrage et rectifient quelquefois les idées 'émises par Tsuteur, ou du 
moins mettent en présence l'ofiiniofi contrait*6, de sorte que chaque lec- 
teur puisse comparer et juger. La préface de M. fticbelot est un mijffoieait 
remarquable qui signale avec beaucoup de sagacité tes phases-principales de 
l'histoire du commerce depuis son origine jusqu'à nos jours, ainsi que fea 
Inriilanftes perspectives oôveiles à son avenifr par le génie du dix-ueuvièœa 
siècle. 



16 VOTAGKS ET HI8T0IAB. 

Histoire de Bienne (Geschichte der Stadt Biel und ihres Panner-Ge-^ 
bietes), par le docteur C.-A. Blœsch. Six Ii\raisons, formant trois vo- 
lumes, avec cartes, plans et dessins. 

Bienne est une ville peu considérable du canton de Berne, et cepen- 
dant l'histoire de cette cité mérite d'être annoncée. Elle le mérite, parce 
qu'elle est un modèle de l'intérêt que l'histoire peut retirer de recherches 
approfondies sur un espace donné, si limité soit-il. C'est la médecine qui a 
conduit M. Blœsch, frère du landammann de ce nom, à l'étude de l'histoire. 
Hyppocrate lui avait appris l'importance, pour la médecine, de connaître 
la constitution physique des lieux où il exerce son art, et c'est ainsi qu'il 
se trouva amené à dépouiller les milliers d'actes que renferment les ar- 
chives de sa ville natale et des contrées environnantes. De ce travail est 
sorti un tableau, resserré sans doute, mais toujours vrai, toujours l'image 
fidèle, vivante et colorée du siècle auquel il appartient, et qui, sur plus 
d'un point, jette sur l'histoire de la patrie suisse une lumière nouvelle. 

V. 



De la république des Etats-Unis de l'Amérique du Nord, par M. de 
la Gracerie. Paris, 1857; 1 vol. in-8*> : 4 fr. 

La situation actuelle des Etats-Unis préoccupe vivement tous les amis 
4lu régime républicain. Il est évident que l'Union américaine entre dans 
une crise menaçante qui peut produire les plus funestes résultats. D'une 
part les tendances démocratiques poussées à l'extrême, de l'autre la ques- 
tion de l'esclavage semblent concourir également à rompre le lien fédératif 
dans lequel résident sa force et sa prospérité. De plus, le flot de l'émigration 
lui amène sans cesse des éléments étrangers qui sont pour elle une source 
d'embarras. L'action de ces diverses causes se fait sentir depuis quelque 
temps d'une manière inquiétante. Chaque élection est marquée par Ihos- 
tilité croissante des partis, et leur lutte devient de plus en plus vive. 
Jusqu'ici pourtant la paix du pays n'avait point paru compromise ; on se 
plaisait à croire la jeune république assez vigoureuse pour résister 
aux tentatives anarchiques. Mais plusieurs circonstances récentes ont dis- 
sipé bien des illusions à cet égard, et tous ceux qui s'intéressent aux des- 
tinées de l'Amérique sentent le besoin de mieux connaître ses mœurs, 
ses institutions et les garanties sur lesquelles repose sa liberté. Il importe 
d'ailleurs d'éclairer le public sur les véritables conséquences de l'émi- 



V0YA6BS JU A18«01E»« . 17 

gV9t^» mv les conditions qu^imp^sent , soit les lois, soit les babitude» 
aiDéricai[D^. C'est là le but principal ques*est proposé H. de la Gracerie; 
il veut pn^munir contre les dangers d'un enthousiasme irréfléchi. Son livre 
offire» ea effet, ^ un tableau peu séduisant. Quoiqu'il rende hommage au 
géçie^oational des Américains, à leur activité féconde , à leur énergie, au 
merveilleui développement de leur république, il ne paraît pas avoir 
qoaflance dans la durée d'un semblable état de choses. Suivant lui la 
constitution américaine ne mérite point les éloges dont elle a souvent été 
l'objet ; loin de favoriser lessor des Etats-Unis» c'est elle au contraire 
qui a créé les plus grands obstacles, et qui renfermait dans son sein 
tovs les germes de discorde qu*on voit se développer aujourd'hui. Son 
vice radical est de laisser libre carrière aux instiiycts démagogiques. 
H. de la Gracerie lui attribue une influence déplprabie contre laquelle la 
peuple a dû constamment lutter, mais qui finira par rendre ses efforts 
inutiles. Au lieu de mœurs vraiment républicaines, il trouve aux. Etats- 
Unis beaucoup d'égoïsme, des partis violents, de nombreux abus dans tooto» 
les administrations, une absence complète de bonne foi et de dignité dan» 
Texercice de la souveraineté populaire. On l'accusera sans doute d'exa- 
gération ; cependant les faits qu'il cite ne peuvent être contestés, et do 
tels exemples qui se multiplient chaque jour semblent annoncer, en effet, 
la ruine prochaine de l'Union. Ce sont les excès de la démocratie, aux- 
quels iln'eixiste d'autre contre*poids que l'intensité du sens moral. Or ee- 
)uioci.sera-t-il assez fort pour résister avec succès. Là est toute )a ques- 
tion) • Notre auteur en désespère. Ses eraintes sont fondées sur des im-* 
pressions personnelles dont la valeur exacte ne saurait être bien jugée 
par. ceux qui n'ont pas eu comme lui l'occasion d'étudier de près le peu-^ 
pl^ américain. Non-seulement il redoute les divisions politiques, mais' 
eocore la prospérité matérielle lui semble assise 'sur des bases peu so-^ 
lidas. Un trait le frappe surtout, c'est la précipitation apportée dans les 
travaux publics : point de surveillance, point de responsabilité, aueuhf 
r«»sp6Ct pour la vie humaine. Chemins de fer, bateaux à vapeur, ^isines 
sa construisent à la hâle, se font une concurrence acharnée, et quand !l 
eo résulte des -catastrophes, la justice n'intervient le plus souvent que 
pour la forme. Les coupables échappent , en général , par une fuite' 
momentanée , ou bien achètent leur acquittement. M. de la Gracerie ac- 
cuse de vénalité les tribunaux, ainsi que le régime tout entier, à partir du 
suffrage universel, auquel sans cela, dit-iU les deux tiers des électeurs 



18 VOtAGBS CV RISTOIAB. 

ne prendraient aucune part. Le reproche est bien grave, et nous croyons 
que les deux ou trois cas cit^ pari*auteur ne sauraient suffire à le prou- 
ver. Evidemment il se laisse un peu trop dominer par son désir de mettre 
le public en garde contre Tattrait de l'émigration. Il ne tient pas assez 
oompte de l'élément moral et religieux qui joue encore un grand rôle 
chez le peuple des Etats-Unis ; il oublie les bienfaits de la liberté, pour ne 
faire ressortir que ses travers. Les périls sont imminents, cela n'est pas 
douteux; mais l'Amérique ne manque pas de ressources et si peut-être un 
déchirement devient inévitable , du moins on a tout lieu de compter sur 
la venir de cette nation pleine de sève et de vigueur. H. de la Gracerie ex* 
pose d*une manière très-complète les divers symptômes précurseurs de 
i orage. C'est un pessimiste, mais son livre renferme une foule d'obser- 
vations intéressantes, de détails curieux et de données instructives. Il 
forme en quelque sorte la contre-partie de celui publié récemment par 
M. W. Rey. Ces deux ouvrages écrits à des points de vue très-différents, 
contribueront par leur contraste à faire mieux comprendre la situation ac- 
tuelle des Etats-Unis. 



MÉMOIRES SUR lItalie, par Joseph Montanelli, traduction de Fr. Arnaud. 

Paris, 1857; 2 vol.in-12 : 7 fr. 

M. Joseph Montanelli a joué un rôle important dans les dernières ré-^ 
volutions d'Italie ; c'est un ex-président du conseil des ministres, un 
ex-triumvir du gouvernement provisoire toscan. Il se trouve donc aujour- 
d'hui assez bien qualifié pour écrire l'histoire de cette curieuse époque. 
La Toscane occupe naturellement la place principale dans son livre, qui 
débute par un exposé des vues politiques du gouvernement de ce petit 
État, à partir de 1814. On y voit le germe révolutionnaire nattre et 
se développer sous l'influence de l'active propagande dont Mazzini était 
déjà le chef. C'est grâce aux efforts de cet infatigable agitateur que les 
sociétés secrètes finirent par enlacer dans leurs liens mystérieux presque 
toute la jeunesse italienne. Montanelli, sans être un de ses fervents 
adeptes, ne put résister à l'entraînement génénal. Il se fit, comme tant 
d'autres» conspirateur permanent, et prit plus ou moins part aux diverses 
tentatives qui ont précédé la grande insurrection de 1848. Ses mémoires 
renferment à ce sujet des détails fort intéressants, qui répandent une vive 
lu^nière sur les tendances, les illusions et les fautes du parti libéral italien. 
L'effet du tableau nous parait en somme peu favorable à rilalie. Malgré 



VOTAGBS BT HISVOiRB. 19 

les efforts de l'auteur, il en ressort une confusion d*idées et d'in- 
térêts qui s'entrechoquent sans aucun profit pour la cause de la li- 
bevié. Ce sont toujours les mêmes espérances chimériques suivies des 
mêmes déceptions. Une jeunesse ardente, exaltée, aussi remarquable par 
son développement intellectuel que par ses nobles sentiments, se lance 
^vec témérité dans des entreprises impossibles qui ont pour issue l'exil, la 
prison ou l'échafaud, et le peuple assiste aux répétitions de ce drame en 
simple spectateur. Les sympathies ne manquent pas, mais elles ne produi- 
sent guère que de vaines démonstrations. Ce sont de pompeux discours, de 
brillantes parades , des protestations sans nombre, et point d'entente, point 
d'accord; au lieu de concerts, des charivaris dans lesquels chacun crie à 
tue-tête sa chanson, sans s'inquiéter de celles des autres. M. Montanelli 
n'épargne pas plus ses collègues que ses adversaires. Il laisse voir tous les 
dissentiments qui régnaient entre les chefs du parti libéral italien, et nous 
ùit ainsi très-bien comprendre la cause de ses continuels revers. Hais il 
semble n'y pas attacher beaucoup d'importance. A ses yeux la nationalité 
italienne ne peut renaître que par le triomphe complet de la démocratie, et 
la défaite des partis modérés a l'avantage de frayer le chemin en simplifiant 
la question. Loin d'être découragé par tant d'essais malheureux il rêve en- 
core ritalie républicaine, et se persuade qu'une pareille entreprise présen- 
terait les plus belles ctiances de succès et de durée. On aura de la peine 
^ partager sa confiance, surtout après avoir lu l'histoire de la révolution 
de 1848. Evidemment la grande majorité du peuple italien n'est point 
préparée pour ce changement de régime. Les idées démocratiques fer- 
mentent chez quelques esprits cultivés dont le courage téméraire n'ob- 
tient, en général, de la foule qui les contemple, que des applaudisse- 
ments lorsqu'ils réussissent et des larmes lorsqu'ils succombent. Sans 
doute le dévouement de plusieurs d'entre eux a jeté de l'éclat sur la 
cause qu'ils défendent; mais cela ne suffit pas pour démontrer qu'un gou- 
vernement populaire soit possible ni désirable chez une nation depuis si 
longtemps privée d'indépendance et de liberté. En jugeant même d'après 
te livre de M. Montanelli, on n'entrevoit d'autre perspective que l'a- 
narchie. Les récriminations auxquelles il se livre donnent une idée de ce 
que seraient les rivalités ambitieuses qui suivraient 1q triomphe. Chacun 
voudrait faire prévaloir ses vues, réaliser ses utopies, et la philosophie spé» 
culative ou le mysticisme religieux des révolutionnaires italiens échoue- 
raient infailliblement contre les éoueils de la pratique* 



^ SClBNGSi MOdULB» BJ POlfiflQUBS. 

Journal de la femme d'un missionnaire dans les prairies de Pouest aùt 
Etats-Unis, traduit de l'anglais par H^** RiHiet-de Constant. fienèVe^ 
E. Beroud, 1857; 1 vol. in-l«. 

Ce journal, écrit très«simplement, offre le tableau des privations et des 
fatigues auxquelles sont exposés les missionnaires. C'est un récit vrai, 
dit la traductrice, dont le but est de réveiller le zèle et la charité des 
Eglises en faveur des ouvriers qu'elles envoient dans des contrées loin- 
taines et nouvellement habitées. On y trouve, en effet» le récit d'une via 
fort pénible, supportée avec beaucoup de courage et de résignation. Hais^ 
l'auteur nous semble manquer de vues élevées: ses observations portent^ 
en général, sur de petits détails de ménage qui n'ont guère d'intérêl 
La cuisine du missionnaire tient un peu trop de place dans ces notes, et 
forme un étrange contraste avec la ferveur pieuse dont elles sont 
raapretntes. Quoique l'absence de confort et les difficultés matérielles* 
doivent sans doute être grandes chez le pasteur d'une colonie naissante., 
ce ne sont pourtant que des objets bien secondaires dans l'œuvre à fa- 
quelle il se dévoue. On aimerait mieux un aperçu de l'état mori^l des ha- 
bitants, de l'influence exercée par le missionnaire, et des résultats qu'oni 
obtenus ses efforts. Ce serait là , selon nous, le véritable moyen de sti- 
muler le zèle des Eglises, en leur montrant l'utilité de l'entreprise qu'il 
s'agit dé soutenir. Du reste les sentiments exprimés par l'auteur sont tout 
ï fait dignes de sympathie et décèlent un cœur humble, plein de foi ei de, 
charité: 



Recherche de là méthode qui conduit à la vérité sur nos plus grands 
intérêts, avec quelques applications et quelques exemples, par Gh. 
Secrétan. Neuchâtel, Leidecker, 1857; 1 vol. in-13. 

Sous ce titre l'auteur a réuni plusieurs fragments publiés par la Revue de 
théologie de Strasbourg. Ce sont des essais de philosophie religieuse, em- 
preints d'un esprit large et fécond. Rejetant ies vues systématiques, M. Se- 
crétan s'attache à démontrer que la conscience et la raison soat deux 
guides indispensables pour la recherche de la vérité. H combat tour à tour 
le scepticisme, l'autorité, la philosophie même qui, malgré les éaiinents 
services qu'elle peut rendre, ne lui paraît pas suffire seule. Sa méthode 
lui sert à tracer les premiers linéaments d'une apologie du christianisaie» 



BCnmCKS KORALIS BT POLITIOUtS. 21 

«t, eomme exemple des avantages qu'elle présente dans Tapplication, il 
donne les diverses pièces de ta discussion soulevée par un travail de 
M. Ed. Scherer sur le péché. Ces débats sont très-remarquables, quoiqulîs 
n'offrent sans doute point encore la solution définitive du problème. Dans 
cette espèce de tournoi tbéologique, d'habiles champions ont rompu plus 
d'une lance, mais la victoire reste indécise, parce qu'en de semblables 
questions il est impossible d'arriver à la certitude et surtout de la rendre 
évidente pour tous. M. Secrétan le reconnaît lui-même : t Au bout de 
tous les sentiers, dit-il, nous trouvons les contradictions de notre igno- 
rance.» Mais l'homme possède en lui le besoin de chercher la vérité, le 
désir impérieux de la découvrir. Or, ce germe n'a pas été déposé sans 
but dans son âme, et quand il s'efforce de le développer il remplit assu* 
tément l'une des plus nobles tâches de sa destinée. L'indifférentisme à 
l'égard des intérêts spirituels ne saurait conduire qu'à la décadence de 
)*état social. Ce ne sont pas les perfectionnements matériels qui sauveront 
le monde, ils tendraient même bientôt à disparaître sans le secours de 
Ylnteltigence qui les a produits, et qui doit être entretenue saine et vigou- 
teUse si l'on veut qu'elle en produise de nouveaux. Ainsi que le remar- 
que M. Secrétan : c Les croyances religieuses n'ont pas seulement formé 
l'art, la tangue et la littérature, elles sont à la base de toutes les créations 
historiques, elles ont présidé visible.iient à l'organisation des sociétés.» 
Pourquoi donc notre siècle se prétendrait-il apte plus qu'un autre à se 
passer d'elles? Ne renferme-t-il pas au contraire des éléments de dissolution 
dont Tactivité menaçante exige d'énergiques remèdes ; et pour conjurer ce 
péril où l'homme puisera-t-il la force voulue si ce n'est en Dieu? L'écrivain 
qui, dégagé des préoccupations du jour, poursuit patiemment ses études 
sérieuses dans le domaine de la pensée accomplit une œuvre méritoire. 
i\ empêche la flamme de l'esprit de s'éteindre , et les semences qu'il 
jette au vent rencontreront t6t ou tard un sol favorable sur lequel on les 
verra germer, croître, fleurir et porter des fruits excellents. 



Quelques bonnes pensées, par la traductrice du vieil Humphrey. Lau- 
sanne, J. Durel-Corb^, 1857; ia-lS. 

c Mon Dieu 1 sans la pensée du oieh que d'existences inutiles dans ce 
monde, tant pour soi-même que pour les autres! Vie de souffrances de 
tcenr, d'amoiir-propre blessé, de coups d'épingles ! j» 

€èHe féflexion extraite do volume que nous annonçons ici en indique 



22 8CIVICB8 «OAALES ET P0UXIQ1IE8. 

assez bien la tendance et la portée. L'auteur a voulu montrer l'impoi:- 
tance de ta religion dans les diverses circonstances de la vie. C'est un ob- 
servateur ingénieux qui ne manque pas de finesse' dans sa manière de jugep 
les penchants du cœur et les petits mobiles de nos actions. Ses remar- 
ques sont, en général» pleines de bon sens; on y rencontre même çà et là- 
quelques trait» assez piquants par leur originaJité. Nous citerons par 
exemple celle-ci : c Les pelotes, je vous le confesse, ont ma sympathie» 
car je connais peu de familles qui n'aient pas un membre souffre-douleur^ 
sorte de pelote vivante, laquelle, parfois irritée au delà de la patience hu- 
maine, se change au grand étonnement de se^ épingles-bourreaux en uoe^ 
sorte de hérisson. ■ A de semblables maux la résignation chrétienne est le 
seul remède efficace, comme pour beaucoup d'autres misères qui font de 
la vie humaine une perpétuelle épreuve, mais doivent être ainsi tournées 
au profit de notre âme. C'est là l'enseignement que l'auteur s'est proposé 
de mettre en évidence par des applications tout à fait usuelles. L'esprit et le 
cadre du livre sont excellents ; l'exécution seule laisse à désirer. Dans ui» 
livre de ce genre la forme n'est pas indifférente, le charme du style rehausse 
beaucoup la valeur du fond; les bonnes pensées ont besoin d'être biei^ 
dites, pour produire tout leur effet. Nous regrettons que l'auteur ait parfois- 
un peu négligé cet accessoire qui aurait donné certainement plus d'attrait 
^ la lecture de son petit ouvrage. 



Les philosophes français du dix-neuvième siècle, par H. Taine. 

Paris, 1857 ; 1 vol. in-12: 3 fr. 50 c. 

Laromiguière, Royer-Collard, Maine de Biran, Cousin, JouSiroy, tel»^ 
sont les philosophes auxquels est consacré ce volume. M. Taine passe en 
revue leurs idées, et les critique avec beaucoup de vivacité. U leur ac* 
corde de l'esprit, du talent, de l'éloquence» mais les regarde comme de 
pauvres philosophes, qui manquent à la. fois d'invention et de vigueur 
originale. Laromiguière seul lui paraît digne de quelques éloges, encore 
n'est ce que comme étant l'écho de Condillac. Maine de Biran et Victor 
Cousin sont, au contraire, ceux qu'il ménage le moins, car il témoigne u^ 
certain respect pour Royer-Collard et Jouffroy; tout en démolissant leurs 
systèmes. Toute la philosophie française de notre époque semble n'avoir 
à ses yeux aucune valeur sérieuse* Ce sont des élucubralioos plus ou 
moins élégantes, qui ne prouvent rien et n'enseignent rien. EvidemmeiU 
.M. Taine appartient à l'école du dix-huitième siècle,, dont l'arme favorite 



SCIBKCBS XORALBS Ul Pj9UllQUBS# 23 

était le scepticisme railleur. Od ne peut pas dire s'il est matérialiste, ou 
panthéiste, ou déiste* Ce qui ressort plius clairemeot de son livre, c'est 
qu'il n'aine pas les philosophes du dix^neuvième siècle, et nous sommes 
tentés de croire qu'il a peu de goût pour la philosophie elle-même. En 
effet, ses attaques dirigées contre le spiritualisme et réclectisme ont un 
ton d'ironique dédain qui n'annonce pas beaucoup de vénération pour le 
travail de la pensée. 11 fait de la satire amusante plutôt que de la critiqoe 
profonde et sérieuse. Pour lui, Maine de Biran n'est qu'un rêveur presque 
visionnaire, et Cousin un 4àdroit compilateur, mais léger, sup^fîciel et 
sans mérite original. Ce dernier surtout sert de bot à ses traits les plus 
mordants. Ici M. Taine se montre censeur impitoyable, et sa férule n'é- 
pargne ni le savoir,, ni le beau style, ni les tendances élevées de l'illustre 
écrivain. C'est une exécution fort injuste, qui nous semble offrir le cachet 
de l'animosité personnelle plutêt que celui d'un jugement impartial et 
droit. Nous croyons que la plupart des lecteurs en seront désagréablement 
frappés, d'autant plus qu'après avoir ainsi pulvérisé l'éclectisme dans la 
personne de son principal représentant, M. Taine met à la place un sys- 
tème qui ne brille ni par l'élégante clarté de l'exposition, ni par la pro^ 
fondeur ou la nouveauté des idées. 



Simple commentaire sur la vie de N. -S. Jésus-Christ, puisé dans les 
quatre Évangiles, traduit de l'anglais de lady Wake, par M^^deCha- 
baud-Latour; l^^^ volume; le second n'a pas encore paru. Un volume 
grand in-8 de 410 pages; chez Lafontaine et Vulliemin: 5 fr. 

Ce commentaire a été particulièrement destiné par son auteur au culte 
domestique et à l'usage des personnes qui dirigent des écoles du dimanche. 
L'auteur et le traducteur se sont donc appliqués à le rendre le plus clair 
et le plus simple possible. Ils ont évité toute expression qui ne serait pas 
généralement comprise. Ils ont multiplié les exemples pris dans la vie 
domestique et journalière. Ce n'est pas que, pour être mis à la portée des 
moins instruits, ce livre soit écrit sans élégance; il suffit de dire qu'il est 
trinduit par la personne à qui nous devons la traduction des ouvrages de 
Jean Newton et des pensées d'Âdams, pour rassurer à cet égard; ce n'est 
pas qu'il doive intéresser moins les personnes instruites ; car il est plein 
d'expérience chrétienne, et Ton respire à toutes les pages Tamour de l'E- 
vangile. V. 



S4 SetSUOBS VOHAlESf IV POLITIOUSS. 

Dd louage d'inddstrie, du mandat et de la comimssîon en droit roroaiii» 
dans l'ancien drcnt français et dans le droit aetuel, par l.-J. Cla- 
mageran. Paris, Aug. Durand, 1856; 1 vol. in-8 : 7 (t, 

' Les dispositions légales à Tétude desquelles est eonsacré ce voiltime ont 
une importance considérable pour lindustrie et le commerce. Elles en ré- 
gissent les rapports les plus compliqués, ceux qui donnent lieu le plus 
fréquemment à des contestations et à des procès. Le louage d'industrie, 
contrat, par lequel l'une des parties s'engage è faire quelque chose pouf 
l'autre, moyennant un certain prix que ceHe*ci s'oblige à lui payer, con-^ 
cerne les domestiques, les ouvriers, les apprentis, les matelots, les rem-* 
plaçants militaires et beaucoup d'autres personnes. Il comprend aussi !es 
entreprises de transports, et celles sur devis et marchés. Le mandat et h 
commission se rattachent plus spécialement aux opérations commerciales, 
dont ils forment une des parties les plus importantes. Les obligations des 
mandataires et des mandants, celles des commissionnaires et des commet- 
tants, présentent de nombreuses difficultés, sur lesquelles m6me les jor is->> 
consultes ne sont pas toujours d'accord. On sent donc l'utilité d*un com- 
mentaire où sont discutées avec clarté les interprétations diverses de la 
loi. M. Clamageran s'est acquitté de celte tâche d'une manière très-com- 
plète et très-remarquable, qui a fait couronner son travail dans le concours 
ouvert par la faculté de droit de Paris. Exposant tour à tour les trois lé- 
gislations romaine, française ancienne et française actuelle, il fournit les 
éléments d'une étude comparative éminemment féconde, et les connais- 
sances pratiques dont il fait preuve ajoutent encore au mérite de son livre. 
D'ailleurs» les dispositions légales qui s'y trouvent passées ea revue 
touchent aux plus graves intérêts de la société. Elles peuvent, en quelque 
sorte, servir à constater les progrès de la civilisation. Ainsi que le dit 
l'auteur en terminant : « On reconnaîtra que leur but suprême et leufr rérr 
sultat final, c'est de mettre au service de chacun les aptitudes de tous^ et 
au service de tous les aptitudes de chacun, c'est de protéger en tou^ 
lieux les intérêts des absentSi c'est d'étendre de plus en plus la sphère de 
Tactivité humaine, et de présider, en quelque sorte^ à ce déveloii^pemeiift 
gigantesque du commerce et de l'industrie, dont nous admirons sans cesse 
les prodiges,, et qui est, à coup sûr,^ une des plus. belles gloires du dix- 
neuvième siècle. » 



SCliBIMfiS MORALES BT ^OlfTttnJKtf. S^ 

Delà portion de^ biens disponible et de la réduction» par C.-J. Beau- 
temps-Beaupré. Paris, Â. Durand, 1856; t vol. in-8 : 14 Tr. 

Les ^positions du code, commentées par M. Beautemps-Beaupré, 
forment l'un des chapitres les plus ardus et les plus compliqués de U 
législation qui règlb les héritages. EHes ont été souvent l'objet de discus- 
sions approfondies, et de nombreux arrêts prouvent combien sont fré- 
quentes les contestations iqu*elles soulèvent. Il était en effet impossible au 
légi^ateur de prévoir tous les cas qui se présenteraient, surtout par suite 
de maiiages entre les conjoints ayant déjà des enfants et se trouvant sous 
l'empire de contrats antérieurs qui restreignent plus ou moins la part de 
biens dont ils sont aptes à disposer. On comprend quelles difficultés peu-> 
Tent surgir de complications semblables, et combien il importe surtout de 
sauvegarder les intérêts des enfants du premier lit, qui risqueraient sou- 
vent d'être sacrifiés à ceux des nouveaux venus. S'il est vrai, comme Ta 
dit un jurisconsulte que < toujours les seconds mariages, comme les* en- 
fants avides et dissipateurs d'un père économe, dévorent la substance du 
mariage précédent, > les garanties ne sauraient être trop multipliées 
contre un résultat si désastreux. Quoi qu'il en soit, du moins convient-il 
que toutes les questions relatives à cette matière soient élucidées d'une 
manière aussi complète que possible. C'est ce que M. Beautemps-Beaupré 
s'est proposé de faire dans le remarquable travail que nous annonçons ici. 
Nous empruntons à sa préface l'aperçu suivant de la méthode qu'il a suivie 
et des points principaux qu'il traite : « J'ai divisé ce traité en deux par- 
ties, correspondant à peu près aux deux sections du chapitre tll du titre 
des Donatums entre vifs et des testaments. 

€ Dans la pi*emière, j'expose les règles relatives au calcul de la quotité 
disponible. 

« Après avoir, dans un premier chapitre, retracé sommairement l'his- 
toire du droit de disposer dans le droit romain et dans Tancien droit fran- 
çais jusqu'au code Napoléon, j'examine dans les chapitres suivants : !<> quelle 
est la nature de la réserve sous le code Napoléon, à quel titre elle est at- 
tribuée à ceux qui y ont droit, et quels sont ceux qui doivent figurer dans 
les calculs qui y sont relatifs ; î» quelle est la quotité disponible lorsqu'il 
y a des descendants légitimes ou naturels ou des ascendants; 3* quelle 
est la quotité disponible entre époux, selon qu'il y a ou non des enfants 
^'un premier mariage, et dans quels ca^ les donations dites entre épots^x 



26 8CIK1CCBS MORALBS ET POLITIQUBS» 

sont nulles ; A^ comment se distribue la quotité disponible, lorsque le dé- 
funt a fait des libéralités au profit de son conjoint et au profit d'étrangers ; 
5* quelle est la quotité de biens dont le mineur peut disposer. 

■ La seconde partie est consacrée à l'examen des règles suivant les- 
quelles doit se faire la réduction des libéralités excessives. J'aurai alors à 
rechercher: 1* quelles personnes peuvent demander la réduction des do- 
nations et des legs» ou en profiter ; f^ comment se forme la masse sur 
laquelle se calcule la quotité disponible, et à quelles conditions les héri- 
tiers peuvent s'affranchir des dispositions excessives en usufruit par l'a- 
bandon de la quotité disponible ; 3<* si la réserve peut être grevée de quel- 
ques charges; 4,^ comment s'imputent les libéralités faites par le 1^0 ««^'ut, 
soit par préciput, soit en avancement d'hoirie; ^ dans quel ordre et de 
quelle manière s'opère la réduction ; 6<^ quels sont les effets de la réduc- 
tion ; 7^ quelles fins de non-recevoir peuvent être opposées à la demande 
en réduction ; et 8®, quel est l'effet des lois nouvelles sur les libéralités 
antérieures à leur promulgation. > 



« 

La famille chrétienne, sermons par E. de Pressensé. Paris, Meyrueis„ 

etC", 1856; 1 vol. in-8. 

' La famille, cet élément indispensable de toute société humaine, a reçu 
du christianisme une consécration nouvelle. Elle lui doit de s'être élevée 
bien au-dessus de ce qu'elle était dans le monde païen, et môme chez le 
peuple juif. Sous l'influence de la doctrine évangélique, le pouvoir paternel 
a perdu son ancienne rigueur ; l'amour^ le support, la piété ont adouci 
les relations de la famille et développé dans son sein une liberté plus fa- 
vorable au perfectionnement moral. Le lien conjugal a pris un caractère 
religieux qui Ta sanctifié. Mais cette nouvelle sanction implique des de- 
voirs nouveaux aussi : l'homme, en se plaçant sous la protection divine^ 
contracte l'obligation étroite de s'en montrer digne par ses continuels 
efforts pour marcher dans le sentier de la vertu, pour donner à tous les 
siens l'exemple d'une vie conforme aux préceptes de l'Évangile. Le but 
qu'il doit poursuivre est de former une famille vraiment chrétienne, tou- 
jours prête à glorifier Dieu, dans la misère comme dans l'opulence, dans 
la douleur comme dans la joie. C'est là ce que M. de Pressensé fait res- 
sortir avec une éloquence persuasive, bien propre à produire de bons 
fruits. Pour lui, c servir Dieu dans la famille, c'est chercher à le glorifier 
par ces relations si précieuses, si douces» avant d'y chercher son propre 



SCIBMCSB ET ARTS. il 

bonheur; e'est donner à la famille un but noble, élevé, qui soit en dehors 
de noue *, c'est reconnaître que, pas plus que l'individu, elle ne doit vivra 
pour elle-même> mais que sa fin et sa destination sont en Dieu. » De cette 
simple définition découlent une foule de conséquences, dont il expose très- 
nettement l'effet salutaire ainsi que l'utilité pratique. Après avoir établi 
de cette manière quel est, au point de vue chrétien, le principe dominant 
de la vie de famille, il en montre les applicatioos dans ses relations di- 
verses, ti*aitant tour à tour du mariage, de l'éducation, des rapports des 
enfants et des parents et de ceux des maîtres et des serviteurs. C'est la 
jnatière de ses cinq premiers sermons ; les deux derniers sont consacrés à 
la famille dans les grandes circonstances de la vie humaine, dans la pros- 
périté et dans le deuil. 

La prédication de M. de Pressensé se distingue par des qualités remar- 
quables. Elle s'adresse à l'intelligence non moins qu'au sentiment, et nous 
paraît convenir surtout à la classe éclairée. Fortement empreint d'or- 
thodoxie, son christianisme ne méprise pas les lumières du siècle ; il 
cherche plutôt à se les approprier en soumettant les principales questions 
du jour au critère de la doctrine éVangélique. 



SCmiVCES ET AMTB. 

La terre et l'homme, ou aperçu historique de géologie, de géographie 
et d'ethnologie générales, pour servir d'introduction à l'histoire uni- 
verselle, par Alfred Maury. Paris, 1857 ; 1 gros vol. in-i2 : 5 fr. 

Ce volume, destiné à figurer en tête de l'histoire universelle publiée 
«ous la direction de M. Duruy, renferme l'ensemble des données que peut 
aujourd'hui fournir la science, en ce qui concerne la formation de notre 
globe, les révolutions diverses qu'il a subies, les minéraux, les végétaux 
et les animaux qui se trouvent répandus à sa surface, la distribution des 
races humaines, leurs langues, leurs religions primitives, la constitution 
de la famille et les premiers besoins de l'homme. Sur tous ces points, la 
phipart des traités de géographie ne donnent guère que des aperçus très- 
insuffisants, et se contentent de renvoyer aux ouvrages spéciaux, soit pour 
se dispenser d'en (aire l'aoalyae, soit peut-être aussi pour ne pas aborder 
certaines questions épineuses. Ce sont pourtant des notions indispensables 
à quiconque veut se mettre au courant des éludes modernes* 11 serait bien 
impossible de passer complètement sous silence les savante^ explorations 



j|8 SCIBlfCBS ET A ATS. 

dont; surtout depuis le siècle dernier, tes origines de la terre et de ses 
habitants ont été l'objet. Pourquoi donc n'en pas présenter les principaux 
i'ésultats, sinon comme des faits posttifs, du moins comme des hypothèses 
qui méritent d'être examinées? S'ils paraissent quelquefois être en déssc- 
cord avec les récils bibliques, doit-on craindre une discussion sérîeose; 
approfondie, n'ayant d'autre but que la recherche de la vérité? Nous ne 
îe pensons pas. Il nous semble, au contraire, que la foi ne peut que ga- 
gner au contact de la science, dont les découvertes ont même contribué 
p!ut(yt à confirmer les traits essentiels de la €enèse. D'ailleurs l'exposé 
scientifique de M. Maury est plein de tact et de mesure. Il fait prews 
d'une vaste érudition, qui n'admet rien à la légère et puise toujours aux 
meilleures sources. La simple liste des ouvrages qu'il a consultés, forme 
douze pages à deux colonnes, imprimées en très-petits caractères. C'est 
une bibliothèque nombreuse et parfaitement choisie, dans laquelle figurent 
les principales publications relatives aux diverses branches suivantes : 
ensemble des sciences physiques; astronomie et météorologie; chimie, 
minéralogie, géologie, métallurgie, botanique, zoologie et paléontologie; 
ethnologie générale-, ethnologie spéciale; archéologie*, géographie génér 
raie ; géographie de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique, de l'Amérique, de 
rOcéanie; voyages autour du monde et aux régions polaires ; linguistique 
et philologie comparée; langues de l'Europe et de l'Asie, de TAfrique, de 
l'Amérique, de la Malaisie, de la Polynésie et de Madagascar; histoire des 
religions: institutions, lois et mœurs; enfin, auteurs orientaux qui mé- 
ritent d'être consultés. On voit, par celte nomenclature, que M. Haury 
n'a pas reculé devant les recherches, et s'est imposé la tâche d'approfondir 
chacune des questions soulevées dans son livre. Se bornant en général à 
reproduire les opinions des auteurs les plus accrédités, il ne s'est permis 
d'y mêler ses propres vues que dans les chapitres consacrés à l'ethnologie 
etè la linguistique. Après un résumé clair et succinct des indices qui peu- 
vent répandre quelque lumière sur la marche de la création, ainsi que 
sur les cataclysmes dont eiie fut accompagnée, il décrit l'état actuel de la 
terre, sa configuration générale, et les phénomènes de différentes sortes 
dont elle est continuellement le théâtre. Ce tableau remarquable fait trèsr 
bien connaître ce qu'on peut appeler la vie de notre globe, les change- 
' ments subits ou graduels qui s'opèrent à sa surface, les causes qui déter- 
minent ses climats et les agents qui, sans cesse, modifient sa forme. Les 
productions naturelles des trois règnes sont successivement passées en 
< revue selon leur distribution géographique, siùet fort intéressant, stir le^ 



quel M. Maury a su rassembler une foule.de détails curieux, bien propres 
à captiver le lecteur. Mais on trouvera plus<l*attrait encore dans la partie 
qui traite des races humaines, de l'origine des lai^f^ues, de l'institution de 
la famille et de la société. L'auteur rentre ici dans le domaine de ses études 
favorites, et déploie une richesse de connaissances d'autant plus précieuse 
qu'elle est mise à la portée de tous, sans la moindre trace de pédanterie^ 
La lerre et l'homme est un excellent travail, dont le mérite sera certaine* 
ment apprécié par tous ceux qui aiment^ l'instruction solide. Il porte le 
cachet d'une supériorité de talent et de savoir qu'on rencontre rarement, 
dans les livres élémentaires. 



L ANNÉE SCIENTIFIQUE ET INDUSTRIELLE, 00 exposé annucI dos trâvaux 
scientifiques, des inventions et des principales applications de iar 
science à l'industrie et aux arts, par L. Figuier. Paris, 1857 ; 1 voL 
in.l2: 3 fr. 50 c. 

M. Figuier se propose de publier à la fin de chaque année la revue des 
nouvelles découvertes de la science, envfsagée surtout au point dé vue de 
ses applications industrielles. C'est une heureuse idée, que le public accueil- 
liera certainement avec faveur. Aujourd'hui plus que jamais on éprouve le 
besoin de se tenir au courant des travaux scientifiques, dont les résultats 
intéressent tout le monde par leur influence directe, non-seulement sur le 
bien-être individuel, mais encore sur la puissance et la prospérité des Etats^ 
A cet égard, la supériorité de notre époque est incontestable. Nous avançoDa 
rapidement sur la voie du progrès, la vie matérielle s'améliore sans cesse» 
et l'intelligence voit s'ouvrir devant elle une sphère d 'activité toujours plus 
grande. On ne saurait donc méconnaître les avantages que peut offrir un 
résumé bien fait des principales inventions utiles, dues au concours du 
savant et de Tindustriel, du chimiste ou du physicien et du simple ar- 
tisan. Le succès obtenu par les précédents ouvrages de M. Figuier le 
prouve d'une manière assez frappante. Son Exposition des découvertes 
modernes compte déjà quatre éditions; V Année scientifique et indusr 
trielle, qui en forme la suite, ne sera sans doute pas moins aj^préciée. Elle 
présente en effet la même clarté, le même talent de style, et l'auteur y 
montre une aptitude remarquable à faire bien saisir le côté pratique des 
données fournies par la science. 11 s'efforce de déterminer nettement la 
valeur réelle de chaque découverte, et sans entrer dans des discussions 
savantes qui ne seraient pas à la portée de tous ses lecteurs, il n'oublie 



30 SGlSlfCBS Bt ARTS. 

point la nécessité d'une critique judicieuse. Son unique but est de mettre 
le public à même d'apprécier les perfectionnements accomplis dans le do- 
maine de l'industrie et des arts, ainsi que ceux sur la voie desquels les ef- 
forts ont quelque chance de se diriger avec succès. Possédant des con- 
naissances non moins variées que solides, il f raite avec une égale supério- 
rité les nombreux sujets divers qui doivent nécessairement trouver place 
dans son livre. Il passe en revue les grands travaux du génie civil, les 
progrès de la météorologie, de la chimie, de la physique, les expériences 
et les observations qui peuvent intéresser l'hygiène publique, la méde- 
cine, la physiologie, les procédés ou les conquêtes dont l'agriculture s'est 
enrichie, enfin maintes inventions plus ou moins dignes d'être signalées à 
l'attention soit des manufacturiers et des industriels, soit des simples 
amateurs. 



Le monde avant la création de l'homme ou le' berceau de l'univers, 
par le D' Zimmermann, traduit de l'allemand par MM. Hymans et 
L. Strens. Bruxelles 1857; 1 vol. in-8®, fig. : 8 fr. 

Le but de ce travail est d'offrir une histoire populaire de la création et 
des transformations du globe, c'est-à-dire de mettre I la portée du grand 
nombre les principaux résultats dus aux recherches des savants. Une pa- 
reille tentative nous semble un peu prématurée. La géologie n'est pas 
«ncore une science assez positive, assez complète surtout, pour se prêter 
facilement 4 ce genre d'exposition. Sans doute elle présente des faits très- 
curieux, bien propres à captiver l'intérêt, mais leur ensemble n'a fourni 
jusqu'à présent que des théories incerlainesj ardues, qui pour être com- 
prises demandent déjà de fortes études. Il nous paraît impossible de 
trouver dans son état actuel les éléments d'une histoire populaire de la créa- 
tion ; tout ce qu'on peut faire à cet égard c'est de signaler la concordance 
de quelques-unes de ses découvertes avec les principaux points du récit 
biblique. Or, M. Zimmermann a d'autres prétentions. 11 veut suivre pas 
à pas l'œuvre du Créateur ou plutôt de la nature, car sa tendance incline 
vers le matérialisme. Se lançant dans les hypothèses avec l'ardeur d'une 
imagination allemande, il décrit l'origine des mondes et leurs révolu- 
tions successives comme s'il y avait assisté. C'est un rêve ingénieux, 
hardi, grandiose, mais fantastique et tout à fait inintelligible pour la 
masse des lecteurs. Suivant lui la puissance créatrice s'est manifestée par 
la gravitation universelle qui donna d'abord naissance à un immense 



SCISMCSS ET ABT8. 31 

globe galeux duquel se détachèrent des anneaux destinés à former 
les différents corps célestes par la condensation des parties de la ma- 
tière dont ils étaient composés. Prenant ensuite la terre comme exemple, 
il essaie de retracer les phases successives de ce travail, dont la pre- 
mière période comprend le passage de l'état gazeux à Tétat liquide, puis 
le refroidissement qui produit l'état solide, Taction de Peau, le soulèvement 
des couches et les formations géologiques. La seconde période est celle de 
^apparition des plantes et des animaux. La matière organique joue ici le 
principal rôle, car fauteur admet la génération spontanée dans les pre- 
miers temps du moins. C'est une supposition commode- pour son système, 
et si l'on objecte qu'elle est contraire aux lois de la nature, il répond que 
oelles-ci ont pu changer une fois que la reproduction des espèces était as- 
surée par d'autres moyens. Une telle manière de raisonner nous paraît 
peu scientifique. Elle laisse le champ libre à rimagination, et permet de 
tout arranger suivant les exigences d'une théorie quelconque. Aussi 
M. Zimmermann en use-t-il assez largement. 11 avance maintes hypo- 
thèses qui ne sont pas à leur place dans un ouvrage populaire, parce 
qu'elles peuvent contribuer à répandre des idées fausses ou du moins 
très-douteuses* Du reste son travail offre un tableau fort intéressant des 
phénomènes géologiques et fait bien connaître l'état actuel de la science. 
On y trouve de nombreux détails sur les formations secondaire et tertiaire, 
sur les modifications qu'a subies l'écorce terrestre, sur les volcans et les 
tremblements de terre. 



Des arts graphiques destinés à multiplier par l'impression, considé- 
rés sous le double point de vue historique et pratique, par F.-M.-H. 
r Hammann. Genève et Paris. J. Cherbuliez, 1857; 1 gros vol.ïn-12: 

5fr. 

Ce travail est le fruit de recherches immenses. Il offre, en effet, le ré-* 
sumé de toutes les inventions relatives aux arts graphiques depuis l'ori* 
\ gine jusqu'à nos joui^. M. Hammann a voulu dresser un inventaire corn- 
^ plet des procédés imaginés par l'homme \^\xv reproduire et fixer ses 
pensées à l'aide de l'écriture, du dessin ou de la gravure, et pour ne pas: 
«mbrasser un champ trop vaste, il se borne aux arts qui ont pour but 
la reproduction d'un objet quelconque sur une surface plane, destinée \ 
multiplier l'original au moyen de l'impression en couleur. Toutes les dé* 
couvertes passées en revue dans ce volume appartiennent donc seulement 



3S SCl,BIIiCU KV ^Afr^. 

à la gravure ou à rimprimerie. Mais leur sombre Beù e^t j^ns moid» 
très-consic|érable. La gravure fut trouvée la première. Dès les temps le» 
pliAs reculés l'homme employa ce moyen pQur transmettre ses kikées par 
des lignée figuratifs, plus ou moins grossiers, tels que ejeu:^ qu on i^ 
découverts sur les parois des cavernes de l'AustraliOt sur les rochers d«r 
TAfrique australe et dans plusieurs contrées de rAmérjque. De tels ves*- 
tiges prouvent que du moins ce mode barbare remplissait le but cf) ee 
qui concerne la durée. Aussi devint-il bientôt l'objet de nombreux per- 
fectionnements. La récente exploration des ruines de Ninive prouver 
qu'à cet égard les peuples anciens avaient fait déjt de remarquables pro- 
grès. Us gravaient soit sur les métaux, soit sur la pierre, et les ruinesi 
de leurs monuments sont en général couvertes d'une foule d'inscriptions.. 
Chez les Grecs et les Romains, en particulier, b gravure prit unr 
grand essor, mais comme art plastique et sans conduire à d/aolres appli- 
cations. C'est aux temps modernes qu'appartient rimprimerie avec toutes 
les découvertes ingénieuses dentelle fut la source. Après avoir rappelé les 
longs tâtonnements qui précédèrent l'invention de Guttenberg, M* Ham* 
mann nous fait passer en revue les progrès de cet art merveilleux auquel 
Ja civilisation doit ses plus belles conquêtes. Il donne une foule cke détails 
curieux sur la marche de la typographie depuis le quinzième siècle jusqu'à 
nos jours, sur les modifications apportées soit dans les presses à impri** 
mer» soit dans la fonte des caractères, sur le polytypage destinée rendre 
fixes les formes composées de lettres mobiles, sur l'impression polychrome 
aujourd'hui si perfectionnée, sur celle de la musique et des cartes géo- 
graphiques, sur l'ectypographie enfin qui produit des livres à l'usage des 
aveugles. Traitant ensuite de la gravure en relief et de la gravure en 
creux, il expose tes innombrables ressources que l'emploi de ces deux 
procédés a fournies aux arts graphiques. Des chapitres non moins éten- 
dus sont consacrés à la lithographie, à la zincûgrapbie, à la galvano- 
plastie et à l'héliographie. C'est un tableau très-complet où l'auteur n'a 
rien omis d'important, et qui, bien que sous la forme la plus concise, n'a 
point l'aridité d'une sèche nomenclature. Non-seulement il pourra ren^. 
dre de précieux services aux artistes, mais encore il ofl're aux gens du 
monde une instruction fort attrayante. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX. 

FÉVRIER t9ft9. 



lilTTKRATUME. 

V 

L'Auberge du Spessart, contes allemands traduits et imilés de HaufT» 
par Â. Talion. Paris, 1857 ; 1 vol. in-16, fig. : 2 fr. 

Un jeune compagnon orfèvre et un compagnon taillandier se rencontrent 
avec un étudiant et un voiturier dans l'auberge du Spessart, située au 
milieu de la Forêt noire. C'est une maison assez mal famée» sur laquelle 
courent des bruits fâcheux, mais le bagage des quatre voyageurs est trop 
léger pour exciter la convoitise, et d'ailleurs ils ne trouveraient pas 
d'autre gîte pour passer la nuit. Cependant, comme plus d'un indice leur 
fait craindre d'être tombés dans un véritable repaire de brigands, ils 
prennent la résolution de se tenir sur leurs gardes, et de vaincre le som- 
meil en se racontant des histoires. Chacun aura bien à son service quel- 
qu'une de ces légendes populaires qui abondent en Allemagne. Ils s'éta- 
blissent donc dans la salie à manger, et le taillandier débute par le récit 
de ce qui arriva jadis au seigneur de Hohenzollern, pour n'avoir pas voulu 
faire l'aumOnedun florin au cerf à la pauvre vieille sorcière qui avait sauvé 
la vie à son fils. Cette tradition, empreinte des mœurs brutales et des idées 
superstitieuses du moyen âge, excite vivement Tintérêt de ses auditeurs. 
Mais à peine est-elle finie, que l'hôtesse vient engager les voyageurs à se 
retirer dans leurs chambres. En vain ils la prient de les laisser tranquilles, 
elle insiste avec aigreur, elle donne au jeune étudiant un tout petit bout 
de chandelle, et déclare que ses compagnons peuvent bien se coucher sans 
lumière. Cette injonction leur paraît fort suspecte. Evidemment ils sont 
dans un guêpier dont il faut à tout prix sortir. Après avoir discuté les 
moyens, le voiturier se dévoue pour aller à la découverte. Comme il va 
franchir le seuil de la porte extérieure, un boule-dogue se jette sur lui et 
donne Talarmepar ses aboiements furieux. Le pauvre diable est d'autant 
pjus embarrassé que certaines figures sinistres apparaissent derrière l'hô- 
tesse, dont la mauvaise humeur éclate. Il a pourtant la présence d'esprit 

3 



34 UTTliaATlIR&» 

de trouver une excuse, et, obtenant la permission d'aller prendre un man- 
teau dans sa voiture, il en rapporte une provision de bougies qui permet 
aux voyageurs de continuer leur veillée. C'est l'étudiant qui raconte la 
seconde histoire, le Cœur-froid, légende fantastique tiès-amusante, à la 
suite de laquelle survient un nouvel «nctdent* Une voiture s'arrête devant 
l'auberge ; il en descend une jeune et belle comtesse, qui doit être sans 
doute la proie que les brigands attendaient pour cette nuit. Aussi l'étu- 
diant propose de s'entendre avec ses gens sur les mesures à prendre, et 
Tun d'eux admis dans le cercle des conteurs, les régale d'une anecdote 
assez piquante. Puis bientôt se fait entendre le bruit d'une porte qu'on 
cherche à forcer. Les voyageurs, munis de leurs armes, se précipitent 
dans le corridor. Mais le nonibre des brigcinds rend toute résistance inu- 
tile Ils ne veulent d'ailleurs qu'emmener la comtrsse en lieu sûr, pour 
traiter ensuite de sa rançon avec son mari. Le jeune orfèvre conçoit alors 
un hardi projet. Il changera de costume avec cette noble dame, et subira 
pour elle la captivité. Aussitôt dit, aussitôt fait La comtesse, après quel- 
ques objections, consent au stratagème, qui lui permet de s'évader, ac- 
compagnée du taillandier, tandis que les autres sont conduits par les bri- 
gands dans leur retraite secrète, où pour se distraire ils écoutent encore 
un récit merveilleux. Enfin le comte, instruit du tout par l'arrivée de sa 
femme, met en campagne une troupe de soldats; les brigands sont cernés, 
et le jeune orfèvre, délivré avec ses deux camarades, reconnaît dans la 
comtesse sa marraine, pour laquelle il apportait dans son sac un chef- 
d'œuvre, objet de toute sa sollicitude, car c'était le seul espoir d'avenir du 
pauvre ouvrier orphelin. 

L* Auberge du Spesxart aura certainement de nombreux lecteurs. C'est 
un des plus jolis recueils de contes qui aient paru depuis quelques années. 



Plaisantes recherches d'un homme grave, sur un farceur, ou pro- 
logue tabarinique pour servir à l'histoire littéraire de Tabarin, par 
M. C. Leber. Paris, Techener, i856; in-18. 

Tabarin fut, de 16*2^ à 1625, un bouffon qui débitait sur le Pont-Neuf 
des plais:mteiies de fort mauvais goût, mais qui ne choquaient point le 
public peu difBciie entassé autour de ses tréteaux. On vit paraître sous son 
nom un p^'tit recueil de facéties qui se vendait six sous dans le principe, 
et dont les exemplaires, devenus d'une rareté extrême, se payent aujour- 



LITTERATURE. 35 

d'hui deeentà deux cents francs. La littérature tabarinique, que nous ne 

r, 

donnons nullement comme un modèle, se compose de sept ou -huit publi- 
cations collectives et d'une vingtaine d'opuscules publiés isolément, tels 
que les Eureines universelhê de Tabarin, pour 1621 ; la Descente de 
Tabarin aux enfers; les Arrêts admirables tt aulkenUqnes du sieur Ta» 
barin; l* Adieu de Tabarin au peuple de Paris; les Fantaisies plai-- 
santês et facétieuses du chapeau de Tabarin, etc. Tous ces livrets sont 
nécessaires pour former la collection complète de ce qui se rattache à 
Tabarin, mais il est certain qu'aucune bibliothèque publique ou particu- 
lière ne les possède réunis ; il en est qui sont devenus complètement in- 
trouvables ; leur bibliographie offrait l'image du chaos. En la débrouil- 
lant, M. Leber a rendu service aux amis des livres curieux, et il a jeté 
iin jour tout nouveau sur un recoin singulier de la littérature populaire 
4IU commencement du dix^septième siècle. Le petit volume que nous an- 
nonçons est d'une exécution typographique fort soignée, et il se recom- 
mande en outre par une très-jolie vignette, offrant le portrait du célèbre 
larceur entouré des acteurs qui l'aidaient à faire les délices de la plèbe 
parisienne. Le travail de M. Leber avait déjà paru en 1835, mais il n'en 
^vait tiré que cinquante exemplaires. En le réimprimant, l'auteur y a 
introduit quelques additions, mais il aurait pu en faire un plus grand 
Qombre. Nous regrettons qu^il n'ait pas fait mention d'un opuscule ravis- 
sant qui lui a échappé, et dont il a été fait à Paris, en 1 850, chez Crape- 
let, une réimpression fort soignée (le Carême prenant de Tabarin et d'Isa" 
belle); en parlant de la biographie si peu connue de Tabarin, il aurait pu 
citer les détails que donne D. Martin, dans un volume peu connu publié à 
Strasbourg en 1637 (le Parlement français). 



Inventaire des mel'Bles, bijoux et livres étant à Chenonceaux le 
8 janvier 1603, précédé d'une histoire sommaire de la vie de Louise 
de Lorraine, reine de France, suivi d'une notice sur le château de 
Chenonceaux, par le prince Auguste Galitzin. Paris, Techelier, 
1856 ; in-8. 

Les inventaires anciens d'objets appartenant à des personnages d'un 
rang élevé, offrent de curieux matériaux pour l'histoire des mœurs et des 
visages ; celui que nous venons de mentionner sera mis au rang de ce qu'il 
j a de plus curieux en ce genre. Imprimé avec le plus grand soin, il est 



36 LITTERATURE. 

précédé d*un portrait authentique de la reine Louise, femme de Henri III ; 
au milieu d'une cour corrompue, elle donne l'exemple d'une vertu par-- 
faite, et, après la mort d'un époux peu digne de regrets, elle passa dans 
le deuil le reste d'une vie consacrée à la piété. L'inventaire dressé après 
le décès de cette reine trop oubliée, intéressera les antiquaires et les bi- 
bliophiles; ces derniers parcoureront avec empressement le catalogue 
de la librairie de la princesse ; au milieu de beaucoup d'ouvrages de 
piété, ils remarqueront les auteurs classiques couvertes de maroquin bleu 
dorez par tes tranches, et les Opuscules de Démosthène, estans en gree^ 
Les robes de la reine, ses joyaux, ses ornements de tout ge/ire sont décrits 
minutieusement ; nous transcrirons deux articles de cet inventaire: 

< Une robbe a double queue de velourz noir figuré à fond de satin gris 
avecques quatre passementz de clinquand un tour, doublée de taffetaz 
noir, les manches pendantes, deuxcorpz, ung hault et ung bas, et le haut 
démanches le tout semblable. > 

• Une robbe de satin collombin, a double queue avecques quatre ban- 
dages tout autour de salin orange avecques un passepoil, de satin verd» 
les bandes brodées de clinquant, avec ses grandes mouches pendantes^ 
corpzet hault de manches semblables, doublez de taffetas colombin. > 

Nous ferons une petite observation sur un point de la préface : Dreux 
du Radier y est signalé comme un écrivain de l'empire, à cause de ses 
Mémoires sur les reines et régentes de France, i809. De fail, cet auteur, 
né en 1714, mort en 1780, appartient à l'époque de Louis XV, et le& 
Mémoires en question, publiés en 1763 pour la première fois, eurent sous 
l'Empire, en 1809, tes honneurs d'une quatrième édition. 



La Fleur de la famille, ou simple histoire pour les jeunes filles; par 
l'auteur des six jours de naissance de Suzanne, trad. de l'anglais. 
Toulouse, 1856; 1 vol. in-18: 4 fr. 50 c. 

La fleur de la famille, on le devine d'avance, est une jeune. fill« douce, 
aimable, dévouée, qui fait la joie de ses parents pauvres et chaînés de 
nombreux enfants. Lucy Grant, âgée de 16 ans à peine, seconde activement 
sa mère dans les travaux du ménage, s'occupe de ses petits frères et sœurs 
avec une sollicitude constante. C'est un sacrifice, car elle aime la lecture, 
elle voudrait pouvoir satisfaire son goût pour Télude, mais l'idée du de- 
voir la domine, et le désir de se rendre utile à ceux qui l'entourent lui 



LITTBRATURB. 37 

fait tout supporter avec une résignation sereine. Son cœur s*est développé 
sous Hntluence du sentiment religieux. Une piété sincère la soutient, la 
guide et la console. Tirée de sa difficile position par un oncle qui lui four- 
nit les moyens de s'instruire, elle en profite avec une vive reconnaissance» 
mais ce changement de milieu n'altère en rien son caractère simple et mo- 
deste. C'est encore un bonheur pour elle de revenir plus tard prendre sa 
place dans la maison paternelle où Taltendent de nouveau les soucis et les 
fatigues. On ne saurait imaginer une créature plus charmante. Peut-être 
même la trouvera-t-on trop accomplie. Il est bien difficile d'admettre chez 
une jeune tille cet équilibre parfait, ce jugement si ferme, cette sagesse 
chrétienne, pleine à la fois de zèle et de mesure. L'auteur nous semble 
avoir peint un idéal plutôt qu'une réalité. Sans doute, ce sont là les fruits 
que devrait porter la foi, mise en pratique dans la condune de la vie. Mais 
que d'écueiis, et combien il faut de prudence et de vigueur pour ne pas 
s'y briser. Du reste, la lecture de ce petit livre ne peut qu'être salutaire, 
en montrant la religion sous l'aspect le plus propre à la faire aimer, c'est- 
à-dire dans son action bienfaisante sur nos affections et nos penchants, 
plutôt que dans un formalisme rigide. 



La Comédie de l*âmour, par Charles de la Rounat. Paris, 1857 ; 1 vol. 

in-12: 1 fr. 25 c. 

Ce titre paraîtra trop philosophique pour un volume qui renferme six 
petits contes sans autre prétention que d'amuser le lecteur. Cependant it 
exprime assez bien leur portée morale. Si Tamour offre quelquefois des 
incidents tragiques, on y peut trouver aussi des scènes de comédie, et 
peut-être ce dernier enseignement est-il plus propre que Tautre à faire 
une impression salutaire. Sur beaucoup de natures, le ridicule agit plus 
efficacement que le terrible. On le redoute ;sn général, tandis que pour 
les caractères romanesques, il a dans le m?Iheur des amants un certain' 
attrait. C'est pourquoi M. delà Rounat choisit de préférence les incidente 
propres à produire le premier de ces deux effets. Il raconte quelques-unes 
des mésaventures que rencontrent en amour les séducteurs et les roués ; 
il esquisse d'une manière fort piquante un de ces mariages vulgaires où 
le sentiment ne nattqu'à la suite de la jalousie, et nous montre aussi l'a- 
mour formant un tendre lien entre deux célibataires d'âge déjà mûr, qui 
tièmblaient destinés à passer leur vie dans l'isolement. Ces divers tableaux 



38 LITTiRATUhB. 

ODttous une teinte satirique, mais sans exagération. Ils sont empruntés à 
la vie réelle» et les personnages ne manquent pas d'originalité. On regret- 
tera seulement que l'auteur se laisse parfois entraîner à des description» 
de mauvais goût. Il a de l'esprit, mais ne fait pas toujours preuve de tact 
ni de délicatesse. Au milieu de fort jolis détails se trouvent çà et là des 
peintures un peu choquantes, qui gâtent l'ensemble et nuisent au but. L'a- 
mour ne doit pas être soumis au scalpel du chirurgien ; c'est le dépouiller 
de toute poésie, et ses dangereuses illusions valent mieux encore que le 
vide du cœur qui résulte d'une semblable analyse. Quand on veut exercer 
une influence morale, la pureté de pensée et de style est la première con- 
dition du succès. Du reste, il serait facile à M. de la Rounat de faire dis- 
paraître les taches que nous signalons, car elles se rencontrent en général 
dans des développements accessoires, dont ses contes ingénieux peuvent 
fort bien se passer. 



Le Paradis de Dante, illuminé a giorno, dénouement tout maçonnique 
de sa comédie albigeoise, par E. Aroux. Paris, veuve J. Renouard, 
1857; 1 vol. in.8:7 fr. 50 c. 

M. Aroux poursuit son œuvre en dépit des nombreuses critiques dont 
elle est l'objet. Plus il avance et plus il se déclare convaincu d'avoir trouvé 
la véritable clef du Dante. C'est un passe-partout, dit-il, qui ouvre la 
porte du paradis, aussi bien que celles de Venfer et du purgatoire, et per- 
met de livrer au grand jour tous les mystères de la Divine Comédie, Il 
adé^uvert ainsi que le vieux Gibelin était pasteur de l'Église albifeoise 
dans la ville de Florence, affiliée à l'ordre du temple, ennemi du catholi-^ 
cisme, disciple fervent de la religion des Parfaite. Tout est allégorie dans 
son poème, jusqu'aux moindres détails ; mais sous la plume du nouveau^ 
commentateur, tout s explique, se coordonne, et concourt à représenter 
*« la fusion de trois éléments d'une énergie vivace, également hostiles à 
l'Eglise romaine, à savoir : la Massénie albigeoise, les débris du temple^ 
et le parti impérialiste ou gibelin; triple opposition qui, transformée dés- 
ormais, ne constituera plus qu'un seul corps, sous le nom de franc-ma** 
çonnerie, et ne cessera de porter tantôt dans l'ombre, tanlOt en plein jour, 
les coups les plus redoutables au catholicisme. • Chaque vers, môme le 
plus étranger en apparence à de semblables idées, vient précisément coop 
firmer cette hypothèse. M. Aroux fait preuve d'une habileté sans pareiUe 



LITTiEATVRI. 39' 

à .deviner les énigmeft. Il ne perd jamais de vue son but ; l'idéal qu'il s>8t 
fait do Dajiie, pasteur albigeois, lui sert de fil condueteur au milieu dea 
inexirioabies difficultés du langage symbolique. C'est un travail de sphinx» 
dans lequel ne pourront le suivre que ceux qui possèdent comme lui l'ar- 
deur du système. Quant aux admirateurs du poêle, celte cruelle dissec- 
tion les révolte; ils voient disparaître toutes les beautés du chef-d'œuvre 
sous le scal|)el do l'analyse, et n'estiiTAent pas que le secret des francs^ 
maçonssoit une trouvaille assez précieuse pour justitier un pareil sacrilège 
Pour beaucoup d'autres entin, il semble im(M)ssible de concilier une cir-* 
conspection de langage si> minutieuse et soutenue avec ce qu'on connaUdu 
caractère de Dante. Mais M. Âroux ne se laisse décourager ui par le 
nombre, ni par la valeur de ses adversaires. Il tient tête à lenrs attaques» 
et nous affirme que dix années ne s'écouleront pas avant que pleine justice 
lui soit rendue. Les académies s empresseront à l'envie de reconnaître le 
mérite de sa découverte ; les francs-maçons lui décerneront quelque titre 
d*hoDBeur ; la bénédiction papale lui sera certainement accordée pour avoir 
ouvert les yeux des iidèles sur un livre inspiré par l'esprit d'hérésie. 
Loin donc de s'arrêter en si beau chemin, il projette déjà de faire subir à 
TArioste la même opération, et de nous prouver que le Roland furieu» 
n'est aussi qu'un pamphlet de controverse albigeoise. 



PflitOBiBLiON, excellent traité sur l'amour des livres, par Richard de 
Bury, traduit pour la première lois en français, précédé d'une intro* 
duction, et suivi du texte latin, par H. Cocheris. Paris, 1856; 1 vol. 
petit in-8, cart. en toile : 12 fr. 

Cet ouvrage, qui fait partie de la charmante collection publiée par 
M. Âubry, sous le titre de Trésor des pièces rares ou inédites , a été 
composé dans le quatorzième siècle par un évêque de Durham, grand 
chancelier d'Angleterre. Richard de Bury aimait passionnément les livres. 
Au milieu d'une époque assez peu favorable aux lettres, il cherchait ses 
jouissances dans la lecture, dans l'étude et dans le commerce des esprits 
les plus distingués. Pétrarque, qu'il avait connu probablement à Avignon, 
faisait grand cas de lui, le traitant de vir ardentis ingenii, dans une do 
SOS lettres. Le Philobiblion est une apologie de l'érudition en contrasto^ 
avec la décadence qui régnait alors. Loin de partager le dédain que beau- 
coup montraient pour les livres, Richard de Bury les appelle des mattrea 



4H) YOTAGSS BT HISTOmE. 

qui nous instruisent sans verges et sans férnles, sans cris et sans colère, - 
sans costume et sans argent. Si on les approche, on ne les trouve point 
endormis, si on les interroge, ils ne dissimulent point leurs idées ; si on se 
Ux)mpe, ils ne murmurent pas ; si on commet une bévue, ils ne connaissent 
point la moquerie, t U estime donc qu'on ne saurait les payer trop cher 
quand l'occasion se présente d'en acheter. L'ignorance et le dérèglement 
des moines lui causent une indignation vigoureuse. Il esquisse avec une 
verve tout à fait originale les mœurs dissolues, l'indolence et Toisiveté ' 
dans lesquelles s'écoule la vie de la plupart des religieux. C'est d'autant 
plus piquant, que le digne évoque devait sans doute les bien connaître, et 
qu'on ne peut soupçonner chez lui les intentions satiriques d*un Guillaume 
deLorris ou d'un Jean deMeung. Seulement, il poussa trè&-loin la pas- 
sion du bibliophile. Assez puissant pour suivre ou protéger, de Bury ne 
résistait guère à Toffred'un manuscrit précieux; dans plus d'une circon^ 
stance, il se laissa séduire par de tels présents. Mais» du moins, son goût 
pour les livres n'était pas une vaine manie. Maints chapitres du Philobiblion 
prouvent combien il utilisait sa bibliothèque. On y trouve des aperçus 
ingénieux, des détails intéressants et de nombreuses citations qui décèlent^ 
une culture aussi solide qu'étendue. 

La traduction de M. Cocherissera certainement accueillie avec recon« 
naissance par les amateurs de raretés bibliographiques. Elle a de plus le 
mérite de reproduire un document, jusqu'ici peu connu, et qui n'est pas 
sens importance pour l'histoire littéraire. Les notices dont elle est enri- 
chie ajoutent encore à sa valeur. 



irOYACtES BT HISTOIRE. 

MiTTHEiLUNGEN aus Justus Perthès geographischer Ânstalt tiber wichtige 
neue Erforschungen auf dem Gesammtgebiete der Géographie, von 
D'A. Petermann. Gôtha, J. Perthès, 1856. Lief.9 à 12, in-4, cartes. 

Parmi les remarquables notices que renferment ces livraisons du re-*- 
cueil de M Petermann, nous signalerons les suivantes : 

Voyage de Joaquim Rodriguez Graça à Muata^ya-Nov^ dans Z'A» 
frique centrale. D'après les données fournies par ce voyageur, M. Des« 
boroug-Couley cherche à répandre quelque lumière sur la route que sui-*' 
vent les naturels du continent africain dans leur trafic intérieur. Cette > 
arn^lyse l'amenant à critiquer la carte du docteur Livingston, il en est ré-» 



T0TA6VS BT UISTOIRB. 41^ 

suite une discussion assez vive, qui prouvé combien la géographie de TA**' 
frique est encore conjecturale, malgré les nombreux voyages éni repris * 
dans ces dernières années. 

Voyages êcientifiqueu en ballon, entrepris par Us Anglais en 1852, 
extrait des rapports de la Société royale de Londres, par A. Pelermano. 
Quatre ascensions, les deux premières en août, la troi.sième en octi>bre, et 
la quatrième en novembre, ont permis à M.Vl. Welsh et Nieklin de re- 
cueillir .un grand nombre d'observations météorologiques. Les hauteurs 
auxquelles ils s'élevèrent varient entré 12,000 et 21,000 p. Dans cette 
dernière ascension, qui se tlt en 1 h. 24 m;, ils éprouvèrent un abaisse- 
ment de température de 25® B. Le thermomètre qui, à 2 h. 21 m., mo- 
ment du départ, marquait -|-7, était descendu au-dt'hsous de — 18, 
lorsque, à 3 h. 45 m., ils cessèrent de monter. La rareté de 1 air leur 
causait une assez grande gène de respiration, le moindre mouvement étdit 
accompagné d'une lassitude extrême. Mais la marche rapide du ballon ne 
leur tit ressentir aucun malaise ; ils s en apercevaient è\ peu que, pour 
reconnaître s'ils montaient ou s'ils descendaient, ils devaient jet<T en l'air 
de petits morceaux de papier propres à leur servir de |»oints de compa- 
raison. C'est, du reste, un effet ordinaire de la navigation aérienne. 
H. Green, surpris dans une de ses ascensions par un ouragan dont la vi- 
tesse était de quatre-vingt-quinze milles anglais à ThiMire, ne s'aperçut de 
la violence du vent qu'en approchant de terre, lorsqu'il fallut jeter Taucre 
pour aborder. Le résultat des expériences de iVIM. Welsh et Nicktin est 
résumé dans un tableau fort ingénieux, qui permet d'en saisir à la fois 
l'ensemble et les différents détails. 

Distribution des principaux produits agricoles dans les Etats-Unis 
de l* Amériqtte du Nord, par A. Petermann et E. Dehra, données statis- 
tiques fort intéressantes, d'après lesquelles on peut se faire une assez juste 
idée des immenses ressources que possède lUnion américaine. 

Géographie de l* Australie et de la Tasmanie, par A. Petermann. 

Les naturels de r Australie, leurs mœurs et leurs iisagea, par J. Hrowne. 
On trouvera dans ces deux notices une foule de détails nouveaux et cu- 
rieux, soit sur les résultats des expéditions entreprises par les Anglais 
pour explorer Tintérieur de l'Australie, soit sur les peuplades sauvages 
qui s'y maintiennent et repoussent les bienfaits de la civilisation. 

Et€U actuel de la révolution en Ckine^ par R. Krone; aperçu 'très- 
piquant des diverses péripéties de cette grande lutte, par un E(kro|)éen 
qui habite la ville chinoise de Hoau, et qui se trouve bien placé pour ob- • 



42 VOYAGES BT HISTai&l. 

m 

tenir des renseignejMDts plus sûrs que ceux fournis par les journaux. Le 
Gële$te Empire paratt être dans la position la plus critique. Ses armées se 
désorganisent, ses généraux se suicident, l'anarchie fait des progrès me- 
naçants, tandis que les insurgés, au contraire, établissent l'ordre et ga- 
gnent le peuple par de sages mesufes administratives dans les proviuces 
déjà soumises à leur administration. La tendance religieuse du mouve- 
ment n'est pas encore bien connue, mais elle semble se rapprocher du 
christianisme, si Ion en juge d'afirès cette thèse proposée aux candidats 
dans les examens qui ont eu lieu à Nankin, c Prouver que le Père céleste 
des saintes Ecritures et Schong*tei des anciens Chinois sont une seule et 
même personne, i il est bien remarquable aussi que les soldats de Tin** 
surrection, partout où ils pénètrent, disent au peuple: Priez le Père ce» 
leste, honorez vos pères et mères, travaillez avec zèle, et abandonnez le» 
idoles et leur cuite. 



Trois drames historiques: Enguerrand de Marigny, Semblaoçay, le. 
chevalier de Rohan, suivis de pièces justificatives et de documents' 
inédits, par P. Clément. Paris, Didier et C*% 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr. 

Les trois personnages auxquels sont consacrées ces études eurent une 
même tin tragique. Leur carrière se termina sur l'échafaud, sans égard 
pour les services rendus par les deux premiers, ni pour le nom illustre 
que portait le troisième. Enguerrand de Marigny et Semblançay sont des 
exemples assez frappants de l'ingratitude avec laquelle on traitait souvent 
à h cour les serviteurs les plus dévoués. L'un et l'autre avaient habilement 
administré les finances de TEtat dans des temps très-difficiles. Chargés de 
fournir aux dépenses de guerres continuelles, ils surent multiplier les res- 
sources et faire face à des besoins sans cesse renaissants. C'était une rude 
tâche, alors que chez les grands régnaient le désordre et l'imprévoyance, 
tandis que le peuple se trouvait en proie à toutes les souffrances de la mi- 
sère. L'impôt ne se prélevait qu'à force d'exactions, qui rendaient le» 
financiers odieux, et ceux-ci devaient encore défendre, à leurs périls et 
risques, la recette si chèrement obtenue, contre la prodigalité du souver» 
rain ou les exigences de courtisans insatiables. Un tel métier ne compor«» 
tait guère à celle époque la délicatesse et le désintéressement qui, même 
aujourd'liui, sont assez rares. Les ministres des finances travaillaient à 
leur propre fortune, aussi bien qu'à celle de l'Etat. L'instabilité de leur 



V0TAGB8 IT HISTOIRB. 43 

position, la perspective à peu près certaine d*une disgrâce, le nombre et 
le pouvoir de leurs ennemis sont autant de motifs qu'on |>eut faire valoir 
pour les excuser de s'être enrichis en maniant les deniers publics. Il faut 
tenir compte de la corruption générale au milieu de laquelle ils avaient à 
lutter contre la mauvaise foi soutenue par la violente. IJnguerrand de Ma- 
rigny succomba victime d une de ces réaclions qu'amenaient les change- 
roeuls de règne. Louis le Huiin, en moniant sur le trône, trouva le trésor 
à sec, et, dans cette pénurie, la fortune colossale du trésorier de Philippe 
le Bel lui parut de bonne prise. C'était d'ailleurs up expédient auquel on 
avaii eu déjà recours. Peut-être, celte fuis, Tinjustice fut-elle plus criante» 
mais le peuple n'en applaudit pas moins à l'exécution d'Enguerrand de 
Marigny. 

Quant à la condamnation de Semhlançay, elle s*explique par la haine 
que lui portait la reine-mére, Louise de Savoie, et par l'irritation de Fran- 
çois 1^ contre les refus que le uiinistre économe opposait à ses continuelles 
demandes d argent, ici le caractère honnête et ferme du tinancier fait d'au- 
tant mieux ressortir l'ingratitude royale. Aucun des chefe d'accusation di- 
rigés contre Sembtançay ne put être bleu prouvé, il fut sacrifié par une 
intrigue de cour, et ses contemporains eux-mêmes témoign^'ut de son in- 
nocence. Le supplice de ce vieillard est un acte de barbarie que rien ne 
saurait justifier. 

Mais ni St'mblançay, ni Enguerrand de Marigny ne nous semblent être 
des personnages historiques d'une bien haute portée. Ils manquent de 
grandeur, et n'excitent qu un faible intérêt. 

Le chevalier de Ruban méritait encore moins d'être mis en scène. Son 
complot contre Louis XIV et la constitution monarchique du royaume 
n'offre aucun incident remarquable. Le procès et ta condamnation qui en 
résultent sont également dénués de tout attrait dramatique. C'est de la 
procédure écrite, dont la marche régulicre aboutit au châtiment du cou- 
pable, et l'or) ne comprend pas trop pourquoi l'auteur sVst donné la peine 
de reproduire ces détails arides. M. Clément pourrait mieux choisir le 
sujet de ses études. Il se montre investigateur consciencieux, historien 
impartial, son style a des qualités précieuses, et quand il voudra se livrer 
à des recherches plus fécondes, nous ne doutons |)9s que le succès n& 
couronne ses efforts. 



44 YOTAUES ET UISTOIftB. 

ViB ET LETTRES DU CAPITAINE Hedley ViGARS, du 97* régiment, tra- 
duit de l'anglais. Paris, 1857 ; 1 vol. in-l2 avec portrait : 3 fr. 

Hedley Vicars offre un exemple remarquable du développement reli- 
gieux dans une âme noble et dévouée. Un en sera d'autant plus frappé 
que cette tendance contraste avec tes habitudes ordinaires du soldat. Ca- 
pitaine du 97* régiment anglais, Hedley Vicars fit partie de Texpédiiion de 
Crimée, et jusqu'au moment où la mort vint le frapper, dans la tranchée, 
devant Sébaslopol, il ne cessa pas d'écrire chaque jour, soit i sa mère, 
soit à ses sœurs, des lettres pleines de sentiments affectueux, de détails 
intéressants, de confidences intimes sur l'état de son âme au milieu des 
devoirs si pénibles de sa profession. Cette correspondance porte le cachet 
reli^îieux le pins prononcé. Chez Hedley Vicars, la foi n'est pas moins vi- 
vante que la charité. Aux élans d'une vive sympathie pour les souffrances 
de ses semblables, il joint le zèle du missionnaire, qui place en première 
ligne les intérêts spirituels. Sa préoccupation constante est d'éveiller dans 
les âmes l'hoireur du péché, la repentance, la crainte de Dieu, l'espoir du 
salut. Toutes les heures de loisir que lui laisse le service militaire» sont 
consacrées à répandre autour de lui des secours et des consolations. Dans 
les ambulances, sous les tentes, sur le champ de bataille, il se montre 
animé d'une seule pensée , qui est d'accomplir son devoir en véritable 
chi'étien, de rendre témoignage par ses actes comme par ses paroles à la 
vérité de l'Evangile. Le courage et la résignation de ce héros obscur 
touchent et captivent au plus haut d^^ré. C'est d'ailleurs un cœur excel- 
lent, ouvert à toutes les inspirations généreuses, et qui, dans l'apostolat 
chrétien qu'il s'était donné pour mission de poursuivre parmi ses compa- 
gnons d'armes, n'apporte ni dureté, ni rigorisme pédantesque. 



Lettres sur l'Egypte, par J. Barthélémy Saint-Hilaire. Paris, 1856 ; 

1 vol.in-S: 7fr. 50 c. 

M. Barthélémy Sàinl-Hilaire a fait le voyage d'Egypte avec la commis- 
sion d'ingénieurs chargée d'étudier sur les lieux le projet de ft^. F. de 
Lesseps pour le percement de l'isthme de Suez. Cette entreprise, à la- 
quelle le vice-roi Mohamed-Saïd a donné son approbation, paraît offrir des 
chances certaines de succès. Les études préparatoires sont à peu près ter- 
minées et Ton s'est assuré des moyens d'exécution suffisants pour la mener 



YOTAGBS ET HISTOIPIB. 45 

i bonne fin, quelque gigantesque que soient les travaux nécessaires à son 
achèvement. Quand il s'agitd'accourcir de moitié, de réduire à 3000 lieues 
au lieu de 6000 la route entre TEuro^ie et les Indes orientales, ce n*est 
pas quelques millions de plus ou de moins qui doivent peser beaucoup dans 
la balance. Outre des milliards de francs d'économie sur les frais de trans- 
port, cette abréviation de chemin promet d'ailleurs d'autres résultats d'une 
haute importance. Elle favorisera puissamment les progrès de la civilisation 
chez de nombreuses peuplades qui, jusqu'ici, sont restées en dehors de 
son contact, étrangères à ses bienfaits. C'est ce côté de la question que 
M. Barthélémy Saint-Hilaire traite de préférence: tandis que les ingé- 
nieurs exploraient le sol, il s'est occupé surtout des habitants, et ses lettres 
renferment une foule d'observations intéressantes. L'Egypte lui paraît of- 
frir de nombreux éléments de prospérité, soit dans son sol, que le Nil 
fertilise avec une largesse inépuisable, soit dans sa population, qui ne 
manque ni de vigueur, ni d'intelligence. Sans doute, les efforts de Mebe* 
met-Ali n'ont pas été toujours heureux, ses vues civilisatrices rencontrè- 
rent d'insurmontables obstacles, et, malgré Ténergie avec laquelle il usa 
des ressources du pouvoir despotique, il ne pdt accomplir Tœuvre que son 
génie avait conçue. Cependant, l'impulsion donnée par cette volonté puis- 
sante subsiste encore; elle continue à se faire sentir dans la sphère admi- 
nistrative, et le peuple semble la subir avec moins de répugnance. C'est 
déjà beaucoup, cardans un pays semblable, le peuple n'est et ne peut être 
qu'un instrument aveugle entre les mains de ses chefs. On ne saurait lui 
demander autre chose que de se laisser conduire. M. Barthélémy Saint- 
Hilaire remarque très-justement qu'en Egypte il en fut ainsi dès les temps 
les plus anciens, sous le gouvernement des Pharaons comme sous celui 
des pachas. Jamais le peuple ne cesse d'être exploité par ses souverains, 
maîtres absolus, pouvant disposer suivant leurs caprices de la terre et 
des hommes. C'est grâce à ce pouvoir exorbitant que s'élevèrent jadis ces 
merveilles d'architecture, dont les ruines, après des milliers d'années, 
nous causent encore une si vive admiration. Son initiative seule pourra 
faire rentrer l'Egypte dans la voie du progrès soit matériel, soit moral. 
L'entreprise est difficile, sans doute ; les données recueillies par M. Saint- 
Hilaire le prouvent assez. 11 faut une réforme administrative complète, et 
surtout des mesures propres à reconstituer la famille à peu près dissoute par 
la polygamie et par Texlrême facilité du divorce. En attendant, la construc- 
tion d'une roule ouverte au commerce des nations chrétiennes aura cer- 
tainement beaucoup d'influence sur l'avenir du pays. On peut dire qiie 



46 TOTAOVS BT HtSTOIM. 

c'est, en quelque sorte» une épreuve décisive. Si le peuple égyptien ne 
fie met pas résolument I l'eeuvre, il devra tôt ou t;ird céder la place à h 
eivtlisalion européenne. Les lettres «consacrées aux monuments antiques 
tmi pleines d'intérêt. Quoique ces ruimw aient été souvent décrites, l'au^- 
leur sait leur donner un attrait nouveau par son érudition non moins élé- 
gante que solide. 



Souvenirs d'un votaob bn Sibérie, par Ch. Hansteen, traduit du 
ntnrwégien, par M*** Colban, et revu par MM. Sédilloi et De la Ko*» 
quelte. Paris 1857 ; 1 vol. io-8, carte : 6 fr. 

En t827 M. Hansteen, directeur de {observatoire de Christiana, ob- 
tint du gouveriiemeikt suédois les secours nécessaires pour une expédition 
dont le but étail dVludier le système magnétique de la Sibérie. Il voulait 
ainsi combler une lacune regrtîttdble dans la théorie du n^agnéiisme 
terrestre, et le roi Charles-Jean accueillit avec faveur ce projet, auquel 
fut également assurée la protection de l'empenur de Russie. Après avoir 
publié les im)K>rtaots résultats scientitiques do son. voyage, l'auteur in- 
séra successivement dans le Calendrier du peuple norwégien quelques 
fragments de son journal qui furent très-goûlés. Ce sont ces Souvenirs 
qu'il a complétés en y ajoutant plusieurs chapitres inédits pour la tra- 
duction frauçaise.. Leur caractère est donc essentiellement descriptif et 
anecdotique. On y trouve de nombreux détails relatifs à l'aspect du pays, 
à ses productions, à son industrie , aux mœurs et coutumes des habi- 
tants. M. Hansteen joint au talent de l'observation une bcmhomie tout à 
fait aimable. Ses remarques portent en général rem|)reinte d'une grande 
bienveillance, et lorsqu'il blâme ou critique c'est toujours avec beaucoup 
de mesure. Notre voyageur parti de Saiiit*Péter$bourg se dirigea, par 
Moscou, Nisschni-Novgorod, Kazan et Ekatherineobourg, sur Tubolsk, où 
il fit un séJDur de quelques semaines. De là, malgré ta rigueur d'un hi- 
ver sibérien, il prtit pour Irkutsk d'oi^ il put aller visiter la foire chi- 
noise de Maimatschin et assister aux cérémonies du culte lamatique des 
Burètes. Puis, ctmtinuant son voyage, il visita Jieniseisk, descendit le fleuvo 
Jienisei jusqu'à Turmhansk, parcourut les mines Kol) vanes vers la froD- 
iière ebinoise et le long de la ligne Kirghise jusqu'à Slatoml et Orea- 
bourg, se rendit enfin à Astrakan, d'où il revint à travers les colonies alle- 
mandes et françaises établies le long du Volga. Cet itinéraire est riche 



VOTA&tS BT HISTOIRE. 47 

€0 contrées intéressantes et fort peu connues. Grftce à Texcellent accueil 
<|ue lui firent fMirtdut les autorités russes, M. Hansteeo a pu tout voir et 
bien voir. D'ailleurs, eo Sibérie, la population est éininemmenl hospita- 
lière ; les plus pauvres partage4it volontiers ce qu'ils ont avec l'étranger, 
«ans vouloir d'autre récompense que l'honneur de sa visite. Les Souni- 
«itrs de M. Hansieen en offrent mainte exemples, et si la rudesse du di- 
mat rend son voyage pénible, du moins trouve-t-il de précieuses eem* 
pensations dans la cordialité des habitants. Sans attaquer directement le 
système russe, il sait, au moyen de faits choisis avec laet, mettre eo'évi* 
dence tes déplorables abus qui en résultent. Ainsi quelques traits> doet il 
fut témoin, font en quelque sorte toucher au doigt rarbitraire et la vé- 
nalité des administrateurs , les misères du servage, et le terrible despo- 
tisme du souverain qui peut condamner au travail des mines ou bien au 
service périlîeux des frontière», sans autre forme de procès qu'un ordre 
revêtu de sa signature. Ce sont des ombres au tableau de re vaste et puis- 
sant empire; mais on doit reconnaître qu'elles tendent à diminuer dephis 
en plus à mesure que la civilisation s'y développe. La prospérité va ereis- 
sant, des contrées jadis désertes se peuplent, les villes se muUipltent, les 
voies de communication s'améliorent, et te progrès matériel amènera né- 
cessairement des réformes qui jusqu'ici n'étaient pas possibles. 11 fout tenir 
compte de la situation dans laquelle se trouve la Russie, entourée de peuples 
encore à demi barbares, de hordes nomades ou sauvages. Plusieurs ex- 
cursions sur leur territoire fournissent à M. Hansleen des épisodes fort cu- 
rieux, dont l'originalité présente beaucoup d'attrait Nous citerons entre 
autres son séjour dans le palais du khan Kirghise-Dschanger, au milieu 
du steppe, et sa visite chez la princesse kalmouke Tinmén. 



La Norwége, par Louis Enault, Paris, 4857 ; f vol. in-12 : 3 fr. 50. 

Ghiistiana, le Mjosenetle Gulbrandsdal, Troodhjem, la Laponie, Ber- 
gen et le Cap Nord, telles sont les principales stations de l'itinéraire suivi 
par M. Enault. Touriste observateur, il a parcouru ces contrées, seul, cher- 
chant surtout à connattre les mceurs et coutumes locales, et dans ce but 
évitant autant que possible les grandes routes et leurs auberges pour alier 
demander un gîte aux fermes isolées, aux chaumières des paysans. C'est 
le vrai moyen de voyager avec fruit, même dans des régions plus con- 
nues que celles-là. Sans doute une pareille méthode offre de grjindes dif« 



48 V0TA6RS ET HI8T01RI. 

fleultës. Il faut so passer de confort , prendre son parti d*une foule d*ifi- 
convénients, de privations pénibles, de contretemps fâcheux ; de plus oo 
doit posst'der la langue du pays, assez du moins pour se faire comprendre. 
Mais M. Enault n'en était pas à son apprentissage. Il a déjà beaucoup voyagé. 
Unissant à la vivacité de l'esprit français une dose suffisante d'instruction 
et de curiosité investigatrice , il est très-bien qualifié pour de semblables 
entreprises. Les mœurs du foyer n'ont pas moins d'attrait pour lui que les 
grandes scènes de la nature. Histoire, littérature, beaux-arts, industrie» 
commerce rintéressent également ; ses goûts le portent à s'enquérir de 
tout ce qui constitue la vie d'un peuple et \>e\i{ répandre quelque lu- 
mière sur la tendance d*^ son génie national. Parmi les contrées de l'Eu- 
rope, h Norwt^ge est une de celles qui ont encore le mieux conservé 
leur physionomie originale. On y trouve une civilisation saine et vigou- 
reuse qui ne s*est point abâtardie dans les jouissances du bien-être ma- 
tériel. Ce n'est pas l'essor brillant et facile des peuples méridionaux» 
mais on y rencontre, plus qu'ailleurs des qualités solides, des sentiments 
vrais, des cœurs honnêtes et purs. Les détails que M. Enault donne sur 
le caractère du paysan norwégien, ainsi que sur ses habitudes et ses tra- 
vaux, sont tout à f^it propres à captiver le lecteur. Il a parcouru le pays 
de la manière la plus convenable pour le bien voir. Ses jugements por- 
tent, en général, le cachet de l'étude et de l'observation. 



F.-C.-L. DE SiSMONDi, fragments de son journal et correspondance. 
Genève et Paris, J. Cherbuliez; i vol. in-8. 

Le nom de Sismondi tiendra sa place au premier rang parmi les his- 
toriens de l'école moderne. En effet, ce fut lui qui fraya'courageusement la 
route nouvelle où tant d'illustres écrivains ont suivi ses traces. Si sa ré- 
putation semble éclipsée par l'éclat de ceux-ci, l'on ne peut méconnaître 
le solide mérite de ses travaux ni Tinfluence qu'ils exercèrent sur les 
études hisioriques. Les laborieuses recherches auxquelles il se livrait 
ne lui permirent fias toiijours d'accorder à la rédaction les soins néces- 
saires. Il attachait beaucoup plus d'importafice à Texactitude des faits 
qu'aux ressources du style. C'est regrettable, sans doute, car l'excellence 
de la forme est le pincipal élément du succès littéraire. Mais, quoique le 
style de Sismondi manque de grâce et d'élégance, il a d'autres qualités 
qui compensent en partie ce défaut. On y trouve l'accent de la franchise 



VOYAGES ET HISTOIRE. 49 

et de la sécuriK^, iine verve rhaleurense, les seniimenLs d'un cœur hon- 
nête et biin. C'est le carhel qui di>tin^iie tous ses ouvrages, parce que 
c'était celui de son car<h'i^re , et le volume que nous annonçons ici eo 
porte rernpreinle plus furiement prononcée encore. Les fragments du jour- 
nal et fes lettres, adressées soit à M"*« Mojon, soit à M"*» de Saint-Au- 
laire, exciieront un vif intérêt. Ce nVsl pas seulement l'historien qui s'y 
montre, c'est le penseur avec ses nobles as|iirations philosophiques et re» 
ligieuses, c'est I honime excellent, plein de sympathie et de charité pour 
ses semblab e.^. Rien ne pouvait mieux faire apprécier la haute valeur 
morale de Si>montli et servir en môuie temps de pièces justificatives à 
Thommage que lui rend M"* de Montgoltier dans la notice insérée en tète 
du recueil. Il y a d'ailleurs beaucoup de charme dans ces épanchements 
intimes où l'écrivain s'abandonne avec bonhomie à ses impressions, et 
donne libre essor à ses idées. On y rencontre des observations judi- 
cieuses, des traits spirituels ou profonds entremêlés d'anecdotes dans les- 
quelles tigurent maintç personnages éminenls : tels que M"*® de Staël» 
B. Constant, le roi Louis Philippe, etc. Plusieurs lettres fort remarqua- 
bles traitent de la religion, des réformes sociales, de l'exercice de la bien* 
faisance Ëritin Sismondi ne laisse échapper aucune occasion d'exposer le& 
principes d'un libéralisme large et vrai, qui ne veut pas plus des excès de 
la démagogie que de ceux du despotisme Dans une lettre à Channing il 
déplore avec one douleur é'oquente les résultats du mouvement popu- 
laire qoi renversa le gouvernement de Genève en 1841 et servit de pré- 
lude à la révolution de 1846. 



Un été dans le Sahara, par Eugène Fromentin. Paris, 1857 ; 1 voL 

in-12 : 1 fr. 25. 

M. Fromentin est un peintre dont le voyagea pour but d'étudier le^ 
admirables effets de lumière qui ne se rencontrent guère ailleurs que dan& 
le Sahara. Il aime le soleil du désert et voudrait enrichir sa palette de$^ 
éclatantes couleurs de cette contrée sans ombre. La^chaleur l'incommode 
peu, quelque excessive qu'elle soit ; son zèled*artiste brave courageusement 
les privations et les souffrances inséparables d'un séjour dans le Pays de la: 
sci/" (Bled-el-Ateuch). On comprend que la vie de caravane doit avoir uft 
certain charme. A ta longue sans doute elle peut devenir fatigante et mo- 
notone, mais au début l'originalité de ses moindres incidents lui donne 
beaucoup d*atlrait, surtout pour les caractères aventureux. Là le voya*^ 



50 VOYAGES ET HISTOIRE. 

geur européen rompt avec ses habitudes el s'abandonne complètement aux 
chances de l'imprévu. M. Fromentin apprécie fort ce cachet d'étrangeté 
qui, grâce aux progrès de la civilisation devient de ))lu8 en plus rare. Le 
désert lui paraît le seul endr(»it où l'on é<'hap))e à la teinte uniforme el dt^co- 
lorée que revêtent l'un après l'autre les pays civilisés. Il y retrouve, comme 
peintre, des tons vigoureux el tranchés, comme observateur, des mœurs 
et des usages dont la tradition s'est conservée à travers les siècle>s dejiuis 
les temps les |)lus anciens. Â ce double point de vue lArabe Tiniéresse tout 
particulièrement, et son livre renferme une foule de détails qui n'inté- 
resseront pas moins le lecteur. 11 décrit en artiste les grands spectacles 
de la nature, la poésie du soleil et du silence est son thème favori; mais 
pour ce qui concerne l'homme, il nous semble plutôt inclifier vers le réa- 
lisme. Du reste le contraste qui résulte d'une telle opposition n est proba- 
blement que l'image fidèle de ce beau climat d'Orient où, selon Byron, 
«tout est divin excepté l'âme humaine. • Il n'y a d'ailleurs rien de trop 
exagéré dans les esquisses de M. Fromentin, et Ton sympathisera volon- 
tiers avec la plupart de ses impressions. 



Dedx ans de révolution en Italie, par F. -T. Perrens. Paris 1857 ; 

i vol. in 12 : 3 fr. 50. 

Dans les années 1848 et 1849 l'Italie a fait un violent effort pour 
reconquérir son indépendance. Tour à tour M'Ian, Venise, Fl(»rence, 
Rome, Naples accomplirent leur révolution et proclamèrent la liberté 
du peuple italien. Mais le défaut d'unité ne tarda pas à porter ses fruits 
tiabituels. Chaque Etat prétendant se suffire à lui-même, il n'y eut au- 
cun ensemble dans les mesures de résistance contre l'ennemi commun 
qui réussit bientôt à rétablir partout son pouvoir. C*est l'histoire de ces 
deux années de lutte que M. Perrens a voulu retracer en jirofitant des 
nombreux écrits publiés, soit en France, soil surtout en Italie. Son désir 
est de présenter autant que possible les événements sous leur véritable 
jour, et, dans ce but, il traite tour à tour les ditfé'*entes révolutions par* 
lielles el consacre une étude à charun des principaux personnages qui en 
furent comme l'incarnation vivante. Ainsi, pour les Etats romains, c'est 
l^Iazzini ; pour le Piémont, l'abbé Gioberti ; pour Milan, Charles Catta- 
neo ; pour Venise, Daniel Mauin ^ p<uii; la Toscane, Joseph Montanelli ; 
|}Our je royaume de Naples, Charles Poerio; enfin pour la Sicile, Hug* 
giero Settimo. Ces hommes émiuents représentent en effet d*une manière 



votàgbs ex bistoieb. 51 

Irès-frappante les tendances diverses qui se sont manifestées en Italie et 
dont rantagonisQ)e a certainement été l'un drs plus grands obstacles au 
succès de leurs tentatives. Tous paraissent animés d'une égale ardeur 
pour l'indépend^ince italienne, mais il n'y a point entre eux d'accord sur les 
moyens de l'obtenir ni sur la forme de gouvernement qu'elle doit adopter. 
L'un rêve une espèce d'utopie mystique sans autre formule que cette devise: 
Dieu et le peuple; l'autre veut conserver la suprématie du pape, en faire 
le lieu de l'unité nationale, un troisième aspire à la république fédérative, 
tandis qu'un quatrième inclinerait plutôt vers la monarchie. Grâce à de 
telles divergences, ils ne s entendent point sur les mesures promptes et 
vigoureuses quVxige l'intérêt commun. Chacun poursuit avant tout le 
triomphe de ses vues f>articulières et l'énergie se d*^pense en actes isolés 
qui ne servent qu'à faire mieux ressortir le manque d'unité nationale. 
On a vu les résultats de cette lâcheuse préoccupation dans la guerre 
contre l'Autriche. Les Italiens réunis en armée n'ont pas su montrer le 
même héroïsme dont ils firent preuve dans l'insurrection milanaise, dans 
le siège de Venise et dans celui de Rome. Ce contraste marque bien la 
portée de leur sentiment national qui se renferme comme jadis dans les 
limites de chaque Eiat. Les anciennes rivalités jalouses subsistent encore, 
par tradition du moins, et semblent toujours prêtes à faire érhoiier les efforts 
de ceux qui voudraient une Italie indépendante et libre. C'est là l'obsta- 
cle léel qu'il s'agit de détruire. En d'autres termes, il faut travailler au 
dévelo|)pement du [peuple italien et renoncer à ces impuissantes révoltes qui 
ne servent qu'à rendre sa position plus mauvaise. M. Perrens le dit avec 
raison : « Que les Italiens se hâtent donc de relever les caractères, et, 
s'il est possible, d'améliorer les institutions civiles qui forment l'homme. 
Cht'z eux, jusqu'à présent, l'éducation mal dirigée ne laisse que peu de 
germe sérieux, Palpitation se ptM'd en manifestations sans portée, la lutte 
militaire n'aboutit qu'à des échecs, les tentatives d organisation qu'à des 
avortements. L'accord n'est qu'une vague aspiration. Partout règne la 
division, entre les sujets comme entre les princes, d'une province, d'une 
ville à lauire et jusqu'au s<'in d'une même cité. Rien ne s'y fait de ce qui 
demande des efforts collemifs. i 

Ces reproches ne sonLiiialheureusement que trop fondés, et l'expérience 
de 18i8 prouve combien il est urgent d'y apporter remède si l'on veut 
préparer à l'Italie un avenir meilleur. 



5â YOfAGEfi ET HISTOIRE. 

Relation des particularités de la rébellion df^ Stenko-Razin, conlre le 
grand-duc de Moseovie ; épisode de l'histoire de Russie du dix-sep- 
tième siècle, précédé d'une introduction et d'un glossaire sur le princo 
Auguste Galitzin. Paris, Techener, t856;in-!8. 

Réimpression fort jolie d'un opuscule devenu tellement rare, qu'à peine 
en connaît-on un ou deux exemplaires, et qu'il aviit échappé aux investi- 
gations des bibliographes les plus diligents. Il offre la traduction française 
faite en 1672» d'une relation écrite par un négociant angUis résidant à 
cette époque en Russie, et qui se rapporte à un épisode curieux peu connu 
de l'histoire de la Moscovie avant Pierre le Grand. Â la suite de griefs 
assez fondés, les Cosaques, commandés par leur chef Stenko Haziii. tirent 
avecsuccèslaguerreauczarAlexis.lIss'emparèrentd'Astracan, dévastèrent 
les bords du Volga, et faisaient trembler Moscou, lorsqu'aprés cin(| an- 
nées d'une lutte sanglante, la trahison aida enfui une nombreuse armée à 
conduire au Kremlin leur chef chargé de fers; il fut bientôt livré au sup- 
plice. De part et d'autre, la guerre se faisait avec une extrême barbarie; 
on égorgeait tous les prisonniers ; on imaginait d'horribles ratfîfiements do 
tortures. Le narrateur raconte tout cela sans s'émouvoir, et montre ce qu'é- 
tait alors la civilisation aux confins de l'Euroi^e et de l'As e. Le livret dont 
nous avons donné le titre n'a été imprimé qu'à un petit nombre d'exem- 
plaires, ainsi qu'un autre du même genre: Discours de roriyine de» 
Russiens et de leur miraculeuse conversion^ par le cardinal Baronius^ 
traduit en français par Marc LescarboL ils sont dus l'un et l'autre au 
zèle éclairé d'un grand seigneur russe, en faveur de l'histoire de ss^ 
patrie. 



MÉMOIRES DE Hollande, histoire particulière en forme de roman, par 
M"»« la comtesse de la Fayette, publiée avec des notes, par A. T. Bar- 
bier. Paris, Techener, 1856; in- 18. 

Ce volume, d'une exécution typographique fort soignée, reproduit ui> 
roman publié pour h première fois en 1*678, et qui contient la relation 
des amours d'une belle Juive d'Amsterdam avec un cadet de la maison 
ée Lusignan, amours qui se termineni de la façon la plus édifi.iflte par 
un baptême et un heureux mariage. Longtemps oubliée, cette production 
n'est pas sans mérite^ l'histoire elle-même peut la consulter avec profit.. 



VOTAGES ET HISTOIRE. 53 

On y froiivf en effet une curieuse relation du siège d'Amsterdam, entre- 
pris en 1G50 {>ar Guillaume d'Oraiige» et qu*il fallut lever, les Hoibn- 
•dais ayani rompu les digues de la mer et inondé le pay». On remarque 
•(également un tableau satirique des pratiques minutieuses de dévotion que 
rarciiiduc t^éopold. gouverne^jr des Pays-Bas espagnols, imposait à ses 
o»uriLsans et aux (»ificiers de sa maison. Le style élégant et simple donne 
4le 1 intérêt à ses récits, mais il ne paraît pas qu'il convienne, sur la foi du 
litre, d*y voir l'œuvre de M"* de la Fayette. L'éditeur dit avoir trouvé 
celte indication dans 4jne note de la main de l'éruëit Gr^vius, écrite sur 
i>n volume de la BMiothtoa Hsinsiana, qui, de la bibliothèq^ie de Tar- 
clievéque de Bheims, le Tellier, a |vasaé dans la bibliothèque Saint^Ge- 
iieviève à Paris. Celte autorité n est pas suffisante, et te ton générait du 
livre, les discussions théoiogiques qui s'y font remarquer, la connaissance 
qui sy montre des cérémonies du culte mosaïque, indiquent un écrivain 
<\n\ partageait, à certains égards, les principes de Porl-Royal. Il est bien 
sûr aussi que, quoi qu'en dise l'éditeur, les Mémoires de Hollande n*of- 
fr^nl |uiint l'histoire particulière de M*"* de la Fayette; à cet égard, les 
assertions de M. Barbier ont été vivement critiquées; sa préface, ses 
Dotes, et les piè4*es jusiifioatives qu'il a placées à la fin du volume, les 
lettres qu'il attribue à M°^^ de la Fayetto et qui ne paraissent nullement 
sor'iesde sa plume, tout cela a donné lieu à un débat qui n'a pas, ce nous 
^nible, lonrué à l'avantage de l'édiieiir. Laissant de côté ces pages 
étrangèrfs au texte des Mémoires de Hollande, il restera une charmante 
édition d un livre digne d'être lu ; elle se recommande d'ailleurs par deux 
portraits aduvirableuient etécutés par M. A. Riffaul, Tun de M"« de Sé- 
\ignH, l'autre de M^ de la Fayette-, Taulhenlicité de ce dernier peut 
tnalheu rendement être révoquée en doute, mais c'est une discussion qui 
fioua entraînerait trop loin ; nous n'y entrerons pas. 



Histoire: de la guerre de Navarre, en 1276 et en 1277, par Guil- 
lemme Anelier de Toulouse, publiée avec une traduction, une intro- 
duction et des notes, par Francisque Michel. Paris, imprimorieimpé- 
ricilM. 1856; 10-4. 

Ce volume fait partie de la C&lUciion de$ doGumenls inédits swt Chis- 
ioire de France^ publiés par les soins du ministre de l'instruction pu«» 
bliquc, et il n'a rien à démêler avec les œuvres légères et sans portée qui 



^ I 



54 YOtAGBS ET HISTOIRE. 

se montrent, disparaissent, et ne laissent aucune trace. C'est un travail 
digne des bénédictins les plus infatigables. Le manuscrit originï'l a été 
retrouvé par le secrétaire de la muuicipatité de Pampelune, dans les ar» 
chives de Tabbaye de Fitéro. On ne possède aucun détail sur la vie de 
Fauteur ; il paraît avoir été témoin des faits qu'il raconte. Ses réciis com- 
mencent par la bataille delasNavasde Tolosa, gagnée le 16 juillet i^it 
sur les musulmans par le roi de Navarre, Sancho le Port ; après queiques^ 
détails relatifs aux évén^ ments qui se passèrent ensuite dans la Navarre^ 
le piètre raconte l'avènement au trône de Tliibaul, comte de (Champagne» 
neveu de Sancho. Ce prince devint roi en 123i; il prit part à la croisade 
contre Tunis, ex|)édition dans laquelle Ânelier le suivit, et il mourut en 
Sicile en 1270 Son frère Henri lui succéda, et la guerre civile éclata en 
Navarre; les habitants de Pam|ielune se soulevèrent contre leur gouver- 
neur; te pays fut ravHgé, après de longs et sanglôuts démêlés; Philippe 
le Hardi intervint; une armée française passa les Pyrénées, attaqua 
Pampelune, et mit en fuite les populations soulevées. Tels sont les événe- 
ments peu connus que raconte Anelier; ils montrent avec quelle cruauté 
la guerre se f.iisait alois, et révèle maintes circonstances [uvcieuses pour 
rhistoire. M. Francisque Michel a donné à cette publication les soins qu'il 
a prodigués aux autres ouvrages du même genre qu'on lui doit déjà ; sa 
préface de trente et une pages et des notes nombreuses (pages 337-666)> 
renferment une multitude de détails sur l'histoire de la Navarre au trei- 
zième siècle. Fouillant courageusement le même lieu ptu exploré de^ ar- 
chives municipales de Pam|)eluiie, l'infatigable éditeur en a retiré des do- 
cuments d'un haut intérêt, qu'il a livrés à la publicité. Il dis«'ute avec sor^ 
jérudition habituelle certains points concernant les usages du moyen âge; 
nous citerons, entre autres objets, ce qui concerne (page 483) l'eraploi 
de l'aigle comme enseigne de guerre; (page 485) l'o))ifiiou [»ublique à 
l'égard des Lombards; (pag'S 504-527) le prix des chevaux et leurs di- 
verses races; (page 563) les arbalètes et autres engins de guerre; (|>age 
622) les cors ou oliphantSy etc. 



Histoire des protestants et des Églises réformées du Poitou, par 
Aug. Lièvre, tome l". Poitiers, 1856; in-8: 4 fr. 

L'histoire du protestantisme français, naguère à peu près inconnue, est 
depuis quelque temps Tobjel de nombreux travaux. La société qui s'est 
formée à Paris pour encourager les recherches de ce genre, n*a pas ei> 



SCIENCES MORALES XT POLITIQUES. 55 

Tâin fait entendre son appel. « Vos pères, où soni-ils? » Le jour com- 
mence à pëntHrer dans les sombres archives de la persécution, et bour- 
reaux et victimes sont enfin évoqués devant le tribunal de Topinion pu- 
blifpie. C'est une justice bien tardive, mais qui n'en sera que plus complète 
sans doute. Â mesure que les détails de cette terrible lutte sont mis en 
lumière, la cause protestante est mieux comprise. Partout, en effet, on 
retrouve parmi ses premiers ade|)tes des hommes d'élite dont la France 
peut, à bon droit, être fière Le livre de M. Lièvre montre qu'à cet égard 
le Poitou ne fut pas moins privilégié que les autres provinces où la réforme 
s'était introduite. Les huguenots y déployèrent la même énergie morale, 
la même foisimère, la même constance à braver les supplices. Sans autre 
perspective que le martyre, ils persévéraient avec un courage admirable» 
et là, comme ailleurs, leurs ennemis n'en vinrent à bout que par une 
guerre d'extermination. Ce fut un malheur pour eux de devenir un parti 
politique, mais les circonstances de l époque les y forcèrent, en quelque 
sorte, et l'appui que l'Eglise romaine avait dans le pouvoir civil leur sug- 
géra naturellement ce moyen de résistance. M. Lièvre nous raconte d'une 
manière fort intéressante les diverses péripéties qui en résultèrent. Sod 
style nerveux et jiitioresque donne du relief aux moindres incidents de ce 
récit, et quoique ce soit nécess<iirement plutôt un recueil de matériaux 
qu'une histoire bien suivie, le lecteur sera captivé d'un bout à l'autre par 
maints traits remarquables. Le premier volume s'arrête à ledit de grâce 
de juillet 4629. 



Traité des mariages mixtes, par M. le pasteur Âthanase Coquerel. 
Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-i2: 1 fr. 50c. 

Dans la plupart des pays de l'Europe, le mélange des catholiques et 
des protestants rend aujourd'hui les mariages mixtes fort nombreux. 
L'ancienne répugnance qu'ils rencontraient a beaucoup diminué, surtout 
chez les laïques. On est devenu phis tolérant à cet égard, trop même quel* 
quefoîs, car alors c'est de l'ir.difl'érence religieuse. Maintes unions de ce 
genre se contractent à la légère, sans tenir compte des difficultés que 
présentera 1 éducation d* s enfants, si les époux ne sont pas d'accord dans 
leurs vues et leura tendances. Il n'est pas rare que le conjoint protestant 
se laisse entraîner à faire sur ce point 1 abandon de ses droits en signant 



56 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 

la promesse exig(^e de lui par l'Eglise cathi)liqiie; ce n'est à ses yeux 
qu'une formalité qui ne rem|)ê«-hHra |)as d«^ faire plus tard triompher son 
influence. Or celle espèce de réserve mentale, qui ne lui prépare souvent 
que des déceptions cruelles, est de plus une grave faute, car il était libre 
de ne prendre aucun enj^agemeiit, puisque la bénédiction nuptiale n'est 
pas obligatoire. Il n'a pas même IVx/use du conjoint catholiqui', auquel $a 
foi impose l'obligation d'obéir à I Eglise. Celui-ci du moins, si ses 
croyances viennent à changer, ppnt ri^gardei* sa jw-omesse comme annulée 
par sa conversion, tandis que le proiestaut est dans une |)osition ti'^s^ 
différente: il a donné sa signature eu échange d'un service, et n»^ saurait 
la violer sans ftufa ire à l'honneur. C'est là ce que M. Ciïquerel s'est sur*- 
tout proposé de bien mt^itre en évidem-e. . 

Il ne proscrit point absolument les mariages mixtes, mais il croit né- 
cessaire de prémunir ceux qui les contractent contre certaines consé- 
quences au sujet desquelles «m est trop enclin à sefdre de fà<'heuses illu- 
sions. La question intéressant les deux cultes, il la traite d une manière 
très-ap|)rofondie, et n'omet rien de ce qui [»ent servir à l'éclairer, soit 
pour les catholiques, soit pour les protestants. L'essentiel, en effet, quand 
il s'agit de prendre une aussi grave détermination, est de peeer uittrement 
toutes ces éventualités probables. Le bonheur des époux exige, sinon la 
communauté de foi, du moins une haute tolérance qui rest^ecte les convic- 
tions individuelles et ne ''onlraiwt personne. Mais en dehors de c^-s deux 
cas, le repos de la famille risque dètie comjuomis. Vainement cherche- 
rait-on à se le dissimuler; l'incrédulité, le fanatisme, la tiédeur et même 
la faiblesse de caractère sont des agents de inujble dom^^slique dans les 
mariages mixtes. Il importe donc, avant de s'engager sur uite route pa- 
reille, de se rendre compte des dilTérents obstailes qu'on y rencontrera. 
Les conseils que donne à cet ég^ird M. Coquerel sont le fruit de l'expé- 
rience, et depuis l'année 1822, où, pour la première fois, il bénit un ma- 
riage mixte, les occasions ne lui ont pas manqué d'étudier le sujet sous 
ioutes ses faces, soit dans des discussions ap)U'ofoudiesavec des ecclésiaS'* 
(iques des divers cultes, .soit dans des entretiens intimes avec des familier 
prêtes à contracter une alliaoce de cette sorte, soit dans des confidencas 
diversifiées à l'infini sur riolérieur des ménages oijL les deux cultes sont en 
présence, soit enfin dans des tentatives pour rétablir la \)d\% domestique 
troublée par les différences religieuses. Son livre, remarquable par l'élé- 
vation des vues aussi bien que par l'intelligence de la vie pratique, nous 
semble offrir le meilleur guide qu'on puisse consulter sur ce point déhcat» 



SCIBNCBS MORALES ET POLITIQUES. 57 

It résume avec beaucoup de clarté la législation tant civile que canonique 
relative au mariage, et présente une foule de détails propres à faire en 
quelque sorte toucher au doigt les inconvénients qui peuvent résulter 
d'une alliance mixte. . 



Maine de Biran, sa vie et ses pensées, par Ernest Naville. Paris et Ge- 
nève, J. Cherbuliez, 1857 : 1 vol. in-12 : i fr. 

Cette intéressante publication étant sur le point de paraître, nous insé- 
rons ici lavant-propos de l'éditeur, qui en fera comprendre le mérite et 
bien appri^cier la portée. 

Maine de Biran est mort il y a trente-trois ans. On ne pos3ède, toute- 
fois, que d'une manière fort incomplète Texposition des doctrines de ce 
l^hilosophe, que M.. Cousin a nommé t le plus grand métaphysicien qui 
ait honoré la France depuis Mallebranche. • Une période entière du dé- 
veloppement progressif de ses théories est presque ignorée ; ses œuvres 
les plus importantes sont inédites. Aussi, bien que son nom soit souvent 
floentionné, on le lit peu et on le connaît mal en France. L'Angleterre e 
l'Allemagne ont gardé, à son égard, un silence presque absolu. 

En un mot, s'il a une place marquée dans l'histoire de la philosophie, il 
n'a pas encore obtenu dans cette histoire sa place légitime. 

Il existe cependant une édition, en quatre volumes, des œuvres de 
Maine de Biran, et cette édition a été mise au jour par Ihomme d'Europe 
le mieux placé pour accomplir convenablement une telle œuvre. La notice 
annexée à cet avant-pro))OS dira quelles circonstances ont paralysé les ef- 
forts d'un éditeur illustre qui, désirant publier les œuvres capitales du 
penseur éminent qui avait été Tun de ses maîtres, a été réduit, par la force 
des choses, à n'imprimer que quelques écrits spéciaux et de simples 
fragments. 

Cette même notice expliquera comment il est devenu possible de mettre 
an lumière aujourd'hui les grandes compositions scientifiques de M. da 
Biran. 

Le présent volume sera, je l'espère, l'avant-coureur d'une telle publi- 
cation ; il n'en est pas le commencement Ce volume forme un tout parfai- 
tement distinct, et s'adresse à un public beaucoup plus étendu que celui 
qui absorbe les abstractions de la philosophie proprement dite. Je ferai 
connaître en peu de mots sa nature et son but. 



58 SCIBRCBS MORALES ET POLITIQUES. 

M. de Biran a laissé des cahiers de souvenirs dont M. Cousin a, depuis^ 
longtemps, signalé l'existence. Ces cahiers, joints à quelques documents^ 
analogues, constituent le Journal intime de l'auteur qui se compose dans- 
sa totalité de : 

1® Un manuscrit assez volumineux portant les dates de 1794 et 1795. 

!2« Quatre cahiers, formant une série non inierrompue, et doni la ré- 
daction commence en février 1814, pour se terminer deux mois avant la 
mort de Tauteur, en mai 1824. 

3*> Quelques agendas de poche et un grand nombre de feuilles volantes^ 
appartiennent à la période qui sépare 1795 de 1814; il n'existe pas de 
période plus complète pour cet intervalle de dix neuf années. 

Tous ces papiers réunis forment un ensemble de plus de douze cents 
pages, qui offrent une grande variété dans leur contenu. Des dissertations 
politiques, le récit souvent fort détaillé des incidents de la vie journalière,, 
des aperçus philosophiques offrant toute la spontanéité d'une pensée qui 
vient de naître, s'y môle à des analyses d'une nature personnelle et in- 
time» à l'expression des mouvements les plus secrets de l'âme. La rédac* 
tion, dans son ensemble, n'offre aucune régularité: tantôt il ne se passa 
pas un jour dont quelques lignes ne conservent sa trace, tantôt il y a des 
lacunes de plusieurs semaines; ici les moindres circonstances du dehors 
sont scrupuleusement enregistrées ; là les produits de la réflexion rem— 
plissent seuls des pages qui revêtent un caractère scientitique. Ces varia- 
tions même sont un des traits essentiels de ce tableau, dans lequel Técri- 
vain a vivement empreint son image. 

En me confiant ces documents précieux, avec l'autorisation d'en faire 
tel usage qui me paraîtrait convenable, le fils de l'auteur, M. Félix MainOr 
de Biran m'a honoré d'une confiance pour laquelle je le prie de vouloir 
bien agréer mes publics remerciements. 

La pensée d'extraire de cet ensemble de matériaux la partie propre à 
être communiquée au public, s'offrait tout naturellement. Telle estrorigine 
des Pensées de M. de Biran, qui ne sont autre chose qu'un choix de frag* 
ments textuellement empruntés aux manuscrits du Journal intime. Il 
était nécessaire de choisir. L'étendue des rédactions originales et les ré- 
pétitions fréquentes qu'elles renferment ne permettaient |)as de les publier 
intégralement; les lois de la discrétion interdisaient de reproduire telle 
page relative à des personnes encore vivantes ; ses dissertations politiques» 
enfin, auraient rompu l'unité d'intérêt que ce recueil peut offrir. Ce qu'it 
fallait demander avant tout aux cahiers de souvenirs de M. de Biran» c'é- 



SCIBIfCBS MORALES ET POLITIQUES. 59 

tait Maine de Biran lui-même, dans sa personnalité vivante. Montrer le 
mouvement de la vie intérieure de l'écrivain, mettre le lecteur à même Ah 
discerner, dans les expériences personnelles du philosophe, l'origine de 
ses théories meta | physiques et de ses pensées religieuses ; retracer, en un 
mot, la marche que suit, dans son développement, cette lime remarqua- 
blement sincère, tel est le but qui m'a servi de guide dans mon choix, 
au milieu des hésitations inséparables d'un travail de cette nature. Le 
lecteur, du reste, sera mis à même de se former une idée exacte de la 
physionomie du Journal intime, dans son intégrité : les pages relatives 
au mois de mars 1818 ont été transcrites tout entières dans ce volume, à 
titre de spécimen. 

La pensée, ou, pour mieux dire, l'âme de M. de Biran, prise à son 
point de départ, et suivie dans ses phases diverses, jusqu'au moment où 
elle se Uturnc avec ardeur vers le monde invisible et les espérances éter- 
nelles offre un spectacle d*une haute moralité. Cette considération justi- 
fieia, je l'espère, ce qui aura toujours besoin d'être justifié par un but sé- 
rieusement utile, ce que, sans cela, les exemples les plus nombreux et 
même les plus illustres ne sauraient absoudre à mes yeux : le fait de livrer 
au public des pages conridenlielles. Du reste, s il en était besoin» on pour- 
rait invoquer, en faveur de la convenance de celte publication, l'autorité 
de l'homme que M. de Biran choisit lui-même pour son exécuteur testa- 
mentaire, M. Laine Après avoir parcouru les cahiers laissés par son ami, 
M. Laiiié écrivait que cdans ce persévérant ouvrage de tous les jours, on 
trouverait beaucoup de pensées capables de faire honneur ù la mémoire 
du défunt. > 

On voudra bien ne pas chercher dans ce livre une forme achevée et un 
style toujours correct, se rappelant qu'on a sous les yeux une rédaction 
rapide, que l'auteur n'a jamais revue, et que l'éditeur a dû respecter. Le 
manuscrit renferme un grand nombre de citations qui, quelquefois, ne 
srmt séparées du texte par aucun signe distinciif. J'ai indiqué toutes celles 
de ces citations que j'ai su reconnaître, mais il n'est pas impossible que 
plusieurs n'aient échappé à mes regards, et qu'un certain nombre de 
lignes étrangèn^s demeurent ainsi confondues avec l'œuvre propre de 
M. Maine de Biran 

Dans la biographie qui ouvre le volume*, les questions métaphysiques 
ne sont abordées qu'au degré nécessaire pour l'intelligence des pensées. 

* Des fragments considérables de cette biographie ont été publiés déjà 
dans la Revue des Deux Mondes (15 juillet 1851). 



^0 SCIENCBd BT ARTS. 

L'exposition étendue et spéciale que méritent les doctrines àe l'auienr» 
trouveraient sa place naturelle dans l'introduction qui piiurrail être mise 
en tête de ses écrits philosophiques. 

Ce livre ne s'adresse pas seulement aux métaphysiciens. Son cohIpqu 
est fait pour intéresser toutes les âmes sérieuses ; sa fonne le rend acces- 
sible à tous les esprits cultivés. Mais pmir en reconnaître le niériie, il 
est indispensable de le lire tout entier. S4>n caract^^' extérieur ne doit 
pas faire illusion ; en apparence, on a sous les yeux des fri«*,'nu'nts dfia- 
chés, mais en réalité ces fragments sont les moments successifs et étroi- 
tement enchaînés d'un mouvement continu. La fin seule doime au com- 
mencement son intérêt véritable, et le commencement, à son tour, peut 
seul donner à la fin toute sa valeur. 



SCIEMCES ET ARTS. 

Traité DES DÉGÉNÉRESCENCES PHYSIQUES, intellecluelles et morales de 
l'espèce humaine, et des causes qui produisent ces variétés mal««lives, 
par le docteur B.-A. Morel. Paris, 1857 ; 1 vol. in-8 avec allas in-4 : 
18 fr. 

Médecin en chef d'un hospice d'aliénés, M. Morel a |)u constater que, 
<lans la plupart des cas, les maladies mentales provenaient soit de l'abus 
des boissons alcooliques, soit de l'usage habituel de substances plus ou 
moins malfaisantes. Les lésions organiques qui en résultent dtvenani hé- 
réditaires, lui semblent rentrer dans les dégénérescences maladives, et 
€'est ce qui la conduit à vouloir embrasser Tensemble du sujei comme 
propre à répandre des lumières nouvelles sur cette branche spéciale. L'es- 
pèce humaine, appelée à vivre sous tous les climats, à subir les ré- 
|[imes d'alimentation les plus divers, se trouve nécessairement soumise 
à des influences qui modifient sa nature primitive. De là, ces variétés nom- 
breuses dont les caractères assez tranchés ont pu l'aire croire à Texistence 
de plusieurs races d'origine différente. En prenant pour point de départ 
les contrées de l'Asie qui furent le berceau du genre bumam, ou v^iit 
l'homme changer de plus en plus d'aspect à mesure qu'il s'en éioi$:ne, et 
ses facultés intellectuelles semblent décroître en même temps que son phy- 
sique s'altère. Ce n'est pourtant pas une dégénérescence proprement dite, 
car les peuples de couleur ont eu jadis leur civilisation. S'ils sont tombés 



8CIBNCBS BT ARTS. 61 

dans la barbarie, cela tient à d'autres causes qui pourraient produire chez le& 
biarirs les mêmes résuhals. La nature modifie l'homme pour le mettre en 
rapport avec les conditions du climat, mais l'homme seul est Tauteur de 
sa propre di^^énérescence, soit par les habitudes funestes auxquelles il se 
livrr', soit par refTot des passions dont il ne sait pas comprimer l'essor. 
M. Morel insiste sur cette distinction fondamentale, qui marque les limites 
dans lesquelles doivent se renfernfï^ ses recherches. Il ne traite que ce 
qu'il appelle les variétés maladives, mais certaines races tout à fait abâtar- 
dies qui s y rattachent lui fournissent les éléments d'une étude compara- 
tive non moins féeonde qti'ingénieuse. On y trouvera de curieux rappro- 
chenieiMs entre les faits que sa pratique lui a permis d'observer, et les 
doiMiées recueillies par des voyageurs touchant les peuplades placées au 
déféré le plus bas de l'échelle humaine. Il montre que les causes de la dé« 
générescenoe sont à peu pr^s les marnes partout, et qu'elles agissent sur 
les sociétés comme sur les individus. Seulement, leurs effets deviennent 
beaucoup plus intenses lorsque la civilisation n'a plus assez de sève pour 
les combattre. Il doit même arriver un moment où toute résistance cesse; 
la race est alors condamnée à dis|»araflre, comme ces fomilles atteintes 
d'affections héréditaires, que nous voyons s'éteindre au milieu de nous 
malgré les efforts de la science. Les lois qui président à la conservation de 
l'espèce humaine privent bientôt les variétés maladives de la faculté de se 
reproduire. C est un résultat contre lequel il n'y a guère d'autre préser- 
vatif que le mélange des races. M. Morel en conclut que le seul moyeo 
d'empéf her la dégénérescence consiste dans des réformes hygiéniques dont 
il expose le (>lan dans le dernier chapitre de son ouvrage. Elles sont le 
fruit d'études apj»rofond»es, et la lecture de ce remarquable travail en fera 
mieux sentir encore louto l'importance. 



Des INFLUENCES de la lumière et de t'ombre sur les essences forestières, 
par G. Heyer, trad. de Tallemand par Aloys de Loes. Lausanne, 1856 ; 
in-8 6s. 



•o- 



Les désastreux résultats du déboisement des montagnes font aujour- 
d'hui sentir Turgenre d'imprimer à la sylviculture un nouvel essor. Aussi 
les recherches de M. Heyer présentent-elles, outre leur mérite scienti- 
fique, un véritable intérêt de circonstance. Leur but est d'introduire dans 
l'économie forestière des éléments nouveaux qui paraissent jouer un rôle 
assez important. L'influence de la lumière et de rombre sur la végétation 



62 SCIBNCB8 ET ARTS. 

ne saurait, en effet» être contestée. Cependant jusqu'ici Ton avait plus ou 
moins négligé ce fait dans la culture des forêts. Ce n'est qu'a|irès des ob- 
servations nombreuses et faites avec beaucoup de soin, que M. Heyer est 
parvenu à constater son importance. Il a tour à tour étudié les dilTérenles 
essences, de manière à pouvoir les classer suivant Taction qu'exercent sur 
elles la lumière et l'ombre. Aux unes il faut tout l'éclat de la première, 
tandis que les autres ne prospèrent qu à l'abri de la seconde. De là, deux 
groupes dans lesquels se rangent les es|>èces d'après le couvert épais ou 
léger de l'arbre, la faculté des tiges et des brancht's surcimées de se main- 
tenir longtemps en vie, et la propriété de jeunes plantes de pouvoir réus- 
sir à l'ombre des vieux arbres. On peut établir comme principe général 
que • les essences qui ont des couronnes épaisses exigent moins de lu- 
mière que celles qui ont un faible couvert. » Cela s'explique par 1 action 
de la lumière sur le développement des feuilles. L'ombre est funeste aux 
espèces naturellement très-feuillées, parce qu'elle les prive d'organes né- 
cessaire> à leur existence; elle convient, au contraire, à celles qui le sont 
peu, et qui risqueraient d être bientôt épuis^^es par une végétation sura- 
bondante. On comprend sans peine combien ces données sont précieuses 
pour la sylviculture. M. Heyer en fait l'application au peuplement des 
forêts, à leur régénération artificielle, à leurs transformations diverses. 
Les résultats qu'ils présentent concernent plus particulièrement l'Alle- 
magne, théâtre de ses expériences. Mais liront cependant une valeur gé- 
nérale qui permettra d'en tirer des directions utiles pour les autres pays, 
en faisant la part des différences qui peuvent exister soit dans le climat, 
soit dans la nature du sol. D'ailleurs, loin de prétendre avoir épuisé le 
sujet, il provoque les recherches, il appelle la di.^cussion et se propose 
surtout d'attirer l'attention des forestiers sur des faits qui lui semblent 
être d'une haute importance pour la pratique. 



Rome agrigolr; de l'état actuel de Tagriculture dans les Etats romains, 
par M. de Vernouillet. Paris, 1857, 1 vol. in-12 : 3 fr. 

Le but de ce petit livre est de rectifier les idées répandues de tout temps 
par des touristes qui ne font que traverser la campagne de Rome en cliaise 
de poste. M. de Vernouillet afBrme-que, du moins en ce qui concerne l'a- 
griculture, les reproches adressés au gouvernement pontifical sont fort 
injustes. Il prétend démontrer, au contraire, que la grande culture, telle 



8CISNCB8 BT ARTS. 63 

qu'on la pratique en Italie, donne les résultats les plus avantageux, et 
<|n'elle est d ailleurs la seule qui convienne soit au climat, soit à la nature 
du sol. Si la campiigne romaine offre au voyageur supertîciel un aspect 
<léso1é, cela provient, suivant lui, d'abord de la vaste étendue des do- 
maines, puis de ce qoe le mauvais air ne permet pas à la population de s'y 
fixer. Mais pour qui veut étudier avec soin la question, ct'S inconvénients 
paraissent largement compensés par le beau produit que les propriétaires 
retirent du fe mage. Les domaines qu'il a visités se distinguent par une 
culture très-perfectionnée, enrichissent ceux qui les exploitent, et rap- 
portent le 8 p. ®/o d'intérêt Si ce ne sont pas des cas exceptionnels, 
M. Vernouillet a certainement raison de dire que l'agriculture romaine 
«st calomniée. Mais deux seuls exemples, choisis sans doute parmi les 
fermes les mieux tenues et dans la situation la plus favorable, ne nous 
paraissent pas suffire. D'ailleurs, quelque productif que soit ce mode de 
culture, il laisse beaucoup à déi^irer pour le bien-être du peuple. Celui-ci 
ne pourrait que gagner à l'adoption d'un autre système, qui combattrait 
plus activement le mauvais air, et s'efforcerait de rendre habitables les so- 
litudes où la fièvre attend chaque année les moissonneurs descendus des 
montagnes. M. de Vernouillet avoue lui-même qu'on n'apporte pas la 
persévérance nécessaire aux travaux d'assainissement. Plus d'une fois on 
entreprit de dessécher les marais pontins, foyer principal de l'infection, 
«t toujours le projet fut bientôt abandonné. C'est cependant la première 
mesure indispensable pour chasser le fléau de la campagne de Rome. 
L'administration pontificale, qui depuis des siècles n'a pas su trouver les 
moyens d'accomplir une œuvre aussi urgente, mérite donc bien quelques 
reproches. Elle pouvait assurément montrer plus de sollicitude, et les tou- 
ristes n'ont pas tout à fait tort de s'mdigner contre les résultats de cette 
incurie. Du reste, le volume dt* M. de Vernouillet renterme des données 
fort intéressantes. Il est divisé en quatre parties, qui traitent : 1" des con- 
ditions climatériques, de la nature des terrains, des produits du sol, du 
mode de culture ; 2* des principales exploitations agricoles du pays ; 3° des 
-encouragements donnés à Tagriculture par les papes, et des essais d^amé- 
iiorations qu'ils ont tentés; 4® des réformes et des perfectionnements 
4ililes que l'on pourrait encore api>ortf'r à la culture dans les Etats pontifi- 
caux, spécialement à celle de la campagne de Rome. 



64 SCIBlfCES ET ARTS. 

Harqubs bt devises typographiques, publiées par M. Silvestre. 

Paris 1856; in-S». 

Les marques et devises adoptées par les imprimeurs et dont l'usage^ 
un peu tombé aujourd'hui en désuétude, était général autrefois, offrent aux 
bibliographes, non moins qu'aux artistes, un intéressant sujet d'études. 
Quelques écrivains se sont déjà occupés de ce sujet ; il y a près de cent 
trente ans que Roth-Scholz mit au jour à Nuremberg, sous le titre de Emble^ 
mata typographorum, un volume recherché des amateurs, malgré son dé- 
faut de plan et de méthode. L'excellent Manuel du libraire de M. J.-Ch. 
Brunet renferme diverses marques gravées avec une exactitude scrupu- 
leuse ; l'éditeur de cette importante publication, M. Silvestre a voulu, ei> 
faisant un tirage à part des problèmes gravés dans le Manuel, y peindra 
un grand nombre de marques du même genre, mais pour fixer des li- 
mites à un champ d'une étendue immense, il s'est imposé la loi de s'en^ 
tenir aux typographes français, et de ne pas dépasser le dix-septième siè- 
cle. Six livraisons successives de ce recueil curieux reproduisent, avec 
l'exactitude d'un fac-similé scrupuleux, cinq cent quinze marques diverses. 
II y en a d'un travail très-soigné, d'autres sont dignes de l'enfance d'un art 
bien peu habile. La plupart ont des devises morales empruntées à l'Ecri- 
ture sainte ; fréquemment se montrent des rébus ou allusions au nom du 
typographe; c'est ainsi que l'imprimeur parisien Lutquand fait choix pour 
emblème de trois sots coifl'és de bonnets à longues oreilles d'âne ; Delà- 
marre^ à Sens, met sur le frontispice des livres qui sortent de ses- 
presses une marre où barbotent c||^s canards ; Etienne Maillet, à Lyon, 
fait graver un maillet ; J. Maréchal adopte l'image de maréchaux-fer- 
rants travaillant le fer avec activité, tandis qu'un libraire de Poitiers, 
nommé Blanchet, adopte un cygne et écrit à côté : Ut in cute albus. Bie& 
d'autres petits faits curieux se révéleront en examinant le recueil dû au 
zèle de M. Silvestre et dont la continuation est désirable; c'est la première- 
fois que ce sujet, concernant à la fois les arts du dessin et la science de& 
livres, est traité avec autant de méthode et d'exactitude. . 



REVUE CRITiaiIE 

DES 



LIVRES NOUVEAUX 



HARS t#ftV« 



lilTTERATURE. 

Nouvelles historiques extraordinaires, par Edgar Poe, traduites de 
l'anglais par M. Ch. Baudelaire. Paris. 1857; 1 vol. iD-12 : 1 fr. 
25 c. — Les émotions de Polydore Marasquin, par L. Gozlan» 
Paris ^857 ; 4 vol. io-lS : 1 fr, 25 c. 

Nous ne nous rangeons pas au nombre des admirateurs d'Edgar Poe. 
Sauf quelques jolies pages, les produits de son imagination déréglée 
ressemblent trop aux rêveries d'un homme ivre. On n'y trouve, en géné- 
ral, ni plan, ni but. Ce sont des ébauches, des fragments, des boutades, 
où l'originalité ne manque pas sans doute, mais qui n'offrent aucun intérêt. 
Le titre à' Histoires extraordinaires, adopté par le traducteur, caracté- 
rise assez bien leur seul mérite , et selon nous c'est un bien petit mérite 
que celui-là, surtout quand on l'achète aux dépens du naturel et du vrai» 
L'invention qui ne crée que des monstres donne tout simplement la 
preuve de son impuissance. M. Baudelaire essaie bien de combattre d'a- 
vance un pareil reproche, auquel il s'altend d'autant plus que les criti- 
ques américains l'ont adressé souvent à leur compatriote. Pour lui, Edgar 
Poe est un poëte de génie, ses oeuvres sont des joyaux précieux f C'est, 
dit-il, quelque chose de profond et de miroitant comme le rêve, de mys- 
térieux et de parfait comme le cristal.» Malheureusement cette définition 
pompeuse éclaircit peu la question. La profondeur du rêve qui miroite et 
le mystère du cristal ne nous réconcilieront pas avec les extravagances^ 
les absurdités et les tableaux dégoûtants dont est rempli le nouveau vo- 
lume d'Edgar Poe. Mais le public français fera bonne justice de ces élu- 
cubrations d'un cerveau détraqué.'; Quelque gâté que puisse être son goût 
littéraire, on ne lui fera pas prendre les fumées de l'ivresse pour le ca- 
chet du génie. Si Edgar Poe possédait certainement de belles qualités, 
elles furent de bonne heure atrophiées par les funestes excès dont il est 

5 



66 LITTÉRATURE. 

mort, et ses productioDS exhalent une odeur d'alcool qui repoussera tou- 
jours les lecteurs délicats. 

Quant à M. Léon Gozian, son Polydore Marasquin est une bien pauvre 
historiette, dans laquelle il entasse des aventures impossibles dont le 
moindre défaut est d'être d'une monotonie désespérante. On dirait qu'il 
prend à lâche de singer l'inexpérience d un débutant qui croit faire mer- 
veille en donnant libre essor à sa fantaisie d'écolier. Il n'y a rien de neuf 
ni d'original dans ce récit. C'est une espèce de compilation , où se ren- 
contrent à chaque pas quelque trait déjà connu, quelque donnée plus ou 
moins extravagante qui n'a pas même le mérite de l'invention. L'auteur 
place en Chine le lieu de la scène, mais sans pour cela se mettre le moins 
du monde en frais de couleur locale. Polydore Marasquin est un pour- 
voyeur de ménageries, uniquement occupé de la chasse et de l'éducation 
des animaux qui font l'objet d^ son commerce Ruiné par un incendie, il 
entreprend d'aller au sein des forêts s'approvisionner à nouveau, fait nau- 
frage en route, est jeté sur une côte habitée par des singes, se voit en 
butle à mille outrages de la part de ces malicieux quadrupèdes , et finit 
par devenir leur chef en dissimulant sa qualité d'homme sous la peau 
d un mandrille. La monotonie de cette fiction n'est point rachetée par le 
charme des détails, et l'on ne comprendra pas qu'un homme d'esprit ait 
pu signer de son nom une rapsodie pareille. 



MÉMOIRES DE M. Joseph Prudhomme, par Henri Monnier. Paris, 1857; 

2 vol. in-12 : 7 fr. 

Comment se fait-il qu'un homme d'esprit ne s'aperçoive pas qu'il fatigue 
son public en étirant en tout sens une donnée, quelque ingénieuse et pla- 
quante qu'elle fût dans son premier jet? Il devrait pourtant savoir qu'en fait 
de plaisanterie surtout, la plus courte est la meilleure. Le Prudhommedes 
Scènes populaires était une figure très-originale, dans la Famille impro^ 
visée il a déjà perdu beaucoup de son mérite, et voici que l'auteur se 
charge lui-même de l'achever par un véritable coup d'assommoir. L'élève 
de Brard et Saint-Omer ne s'en relèvera pas, ses mémoires lui serviront 
de tombeau. Ce n'est pas là sans doute le but que se proposait M. Henri 
Monnier. il a voulu plutôt com[iléler son personnage dont nous ne pos- 
\iédions encore qu'une légère et spirituelle esquisse. Mais la caricature 
pi qlongée s'afi'adit singulièrement; H. Prudhomme, dont l'importance 
bouifonne excitait le rire, devient un être fort ennuyeux. On peut s'amu- 



LITTÉRATURC. 67 

ser parfois des naïvetés d'un sot présomptueux, tandis que vivre habi- 
tuellement avec lui serait insupportable. M. Henri Monnier paraît ne pas 
comprendre cette distinction. Au lieu de se contenter de mettre en saillie 
les travers et les ridicules, il s'attache à reproduire avec une exactitude 
minutieuse des caractères qui souvent n'offrent aucun attrait. M. Prud- 
homme en est un exemple; on n'aura pas le courage de lire jusqu'au bout 
ses mémoires pleins de lieux communs et de détails insignifiants. L'au- 
teur a lui-même échoué dans cette autobiographie : on n'y retrouve ni la 
verve originale» ni le talent d'observation qui distinguent ses autres ou- 
vrages. 

Étddes sur Virgile, par Sainte-Beuve. Paris, 1857; 1 vol. in-12 : 

3 fr. 50. 

Cette étude est un fragment du cours que M. de Sainte-Beuve devait 
donner au Collège de France. Elle nous paraît bien propre à faire regret- 
ter que l'enseignement du professeur n'ait pas eu lieu. La littérature an- 
cienne a besoin aujourd'hui plus que jamais d'interprètes habiles qui sa- 
chent en inspirer le goût à la jeunesse, et M. Sainte-Beuve ne manque 
certainement pas des qualités nécessaires pour une tâche semblable. Sa 
critique ingénieuse et fine sait glaner encore de nombreux épis dans ce 
champ si souvent moissonné. Ce n'est pas un commentateur hérissé de 
grec et de latin, discutant à perdre haleine sur le temps d'un verbe ou 
sur la place d'une virgule, mais c'est un homme de goût, un esprit déli- 
cat, qui se plaît surtout à mettre en saillie les beautés dont l'œuvre du 
poëte abonde. Sobre de conjectures, il s'attache de préférence au point de 
vue liltérairo, tout en résumant avec clarté les opinions émises sur le reste 
par les érudits. Après avoir posé d'abord en principe qu'il faut que le poëte 
épique soit plus ou moins de son temps dans son poëme, il montre à quel 
point Virgile remplit cette première condition, et comment on doit en tenir 
compte pour établir le parallèle entre Homère et lui. Les deux poètes re- 
présentent deux époques bien différentes, séparées par des siècles et par des 
révolutions profondes : le premier est un chantre, le second un écrivain. 
Celui-ci ne peut plus sans doute avoir la même puissance, la même spon- 
tanéité d'improvisation ; mais il possède un art plus parfait , une sensibi- 
lité plus développée, et l'œuvre de son génie présente un ensemble mieux 
harmonisé quoique peut-être moins grandiose. « C'est une poésie qui se 
marie à l'histoire , à Tamour de la religion, de la patrie, de rhumanilé. 



68 LITTiHATURB. 

de la famille, au culte des ancêtres et au respect de la postérité, à toutes 
les grandes affections vertueuses, comme aussi aux affections déli- 
cates et tendres sans trop de mollesse et d'un pathétique tempéré par la 
dignité décente ; une poésie magnifique d*où sortent d'indirectes et sa<» 
lutaires leçons, puisées dans des impressions profondes et sensibles, e( 
rendues dans de beaux vers qui se gravent d'eux-mêmes. • Virgile est 
éminemment romain , mais son âme élevée aspire à se dégager des lien& 
du patriotisme antique pour embrasser l'humanité tout entière. Sous sa 
plume le personnage d'Enée se métamorphose et revêt une physionomie 
plus moderne, sans perdre pourtant les traits essentiels de son caractère. 
M. Sainte-Beuve signale ainsi dans le cours du poëme les diverses mo- 
difications que les éléments de la narration épique ont dû subir pour 
satisfaire aux exigences de l'époque. C'est une analyse pleine de charme 
où l'on trouve maints aperçus neufs, originaux et forts attrayants. On 
suivra volontiers l'habite explorateur dans les sentiers fleuris qu'il affec- 
tionne, et qui parfois conduiseat à d'admirables perspectives, jusqu'à pré* 
sent à peine entrevues. Le curieux travail sur Quintus de Smyrne et le 
fragment sur Horace, qui terminent ce volume, seront aussi lus avec un 
vif intérêt, et feront désirer que M. Sainte-Beuve ne s'en tienne pas à 
cette première excursion dans le riche domaine de la littérature latine. 



Vie et aventures de Nicolas Nigkleby, par Ch. Dickens, traduit de 
l'anglais par P. Lorain, Paris 1857; 2 vol. in-12 : 5 fr. 

Les romans de M. Dickens n'ont pas eu jusqu'à présent en France ia 
popularité qu'ils méritent. Cela provient de ce que, sauf une ou deux 
exceptions, ils étaient fort mal traduits. L'un des plus remarquables^ 
entre autres,-.0/m6r Twist, défiguré par une plume inhabile, n'est vrai- 
ment pas lisible. Les traducteurs français, soit dit en passant, se per- 
mettent parfois d'étranges licences. Ils semblent ne pas comprendre que 
leur premier devoir est de rendre l'original aussi fidèlement que possible. 
Lorsque le sens d'un passage leur échappe, ils passent outre sans scrupule, 
ou bien y substituent leurs propres élucubrations. En général l'étude des 
langues n'est pas leur côté brillant; ils lisent à peine couramment celle 
de l'auteur dont ils se font les interprètes, et ne savent guère écrire le fran* 
çais. Chez quelques-uns c'est moins ignorance peut-être que légèreté, mais 
le résultat n'en vaut pas mieux, et justifie trop souvent le dicton italien : 
traduttorêf tvaditore. Lorsqu'il s'agit surtout d'un écrivain qui se dis- 



LlTtÉRAÏURB. 69 

tingue par le mérite du style autant que par la féceiidité de rimagination, 
ses oeiivres se trouvent ainsi défigurées au point d*être rendues tout à 
bit méconnaissables. C'est le cas de Dickens, des traducteurs de cet es- 
pèce l'ont sabré, sautant à pieds joints par-dessus les passages difficiles, 
effaçant les nuances, ne se donnant pas k moindre peine pour conserver 
le cachet original qui le caractérise. Peintre de détails, observateur in- 
génieux, il devait plus qu'un autre souffrir d'une transformation pareille ; 
ses œuvres ont été présentées au public français, dépourvues en grande 
partie de ce charme particulier auquel est dû leur succès en Angleterre. 
Aussi l'entreprise de MM. Hachette et Lahure sera-t-elle certainement 
accueillie avec joie par tous ceux qui ne peuvent pas lire le romancier 
anglais dans sa langue. Cette traduction, surveillée par l'auteur lui-même, 
est à la fois élégante, fidèle et complète. Elle donne à Nicolas Nickieby 
un attrait tout nouveau, et contribuera, nous en sommes convaincus, à 
faire beaucoup mieux apprécier en France les éminentes qualités du ta- 
lent de Charles Dickens. 



Afrâja, par Miigge, traduit de l'allemand par MM. Suckau. Paris, 1S57; 
1 vol. in-12: 2 fr. 50. — Mémoires de Barry Lyndon du royaume 
d'Irlande, par W. Thackeray, traduit de l'anglais par L. de 
Wailly. Paris. 1857; 1 vol. in-12 : 2 fr. 50. 

Afraja est un vieux Lapon qui possède des troupeaux considérables et 
jouit d'uiie réputation de sorcier fort bien établie, en sorte qu'on attribue 
toute sa richesse à la découverte d*un trésor enfoui dans les entrailles de la 
terre. Cette croyance superstitieuse était très-répandue autrefois et n'est 
peut-être pas tout à fait détruite dans la contrée où les pâturages de la 
Laponie confinent avec les derniers établissements nonvégiens. Chez les 
habitants de ceux-ci elle se trouvait d'ailleurs renforcée par l'aversion 
profonde que leur inspiraient ces peuplades nomades à demi sauvages et 
païëiines. Â Tépoque où M. Mùgge place son récit, le préjugé régnait 
d'autant plus que la délimitation des frontières n'élapt pas fixée d'une 
manière bien positive, il en résultait souvent des conflits. Les Lapons se 
voyaient enlever ainsi par des usurpations successives un territoire sur 
lequel ils avaient de tout temps fait paître leurs rennes, et les Norwégiens 
s'étaient habitués à ne tenir aucun compte des droits de leur s voisins. Là, 
comme en Amérique, la civilisation s'étendait aux dépens des aborigènes 
en s'appuyant sur l'injustice et la violence. Afraja, précisément parce quH 



70 UTTliRATURI. 

était riche et considéré dans sa tribu, devait être en butte, plus qu'un 
autre, à de semblables exactions. Qui eût osé prendre la défense du vieux 
sorcier? En vain le digne pasteur du district s'efforçait, avec le zèle 
le plus charitable, de rap()eler à ses ouailles leurs devoirs envers 
des hommes plongés encore dans le paganisme, sans doute, mais inof- 
fensifs et susceptibles d'être convertis. Il donnait lui-même en toute oc- 
casion l'exemple du support et de la tolérance. Mais les rudes natures 
auxquelles il s'adressait ne comprenaient ni ses paroles, ni ses actes. 
On regardait, au contraire, comme très-légitime le désir de s'emparer 
des trésors qu'Âfraja devait avoir reçu pour prix de son âme vendue au 
diable. Les baillis du voisinage et maître Helgestad, rusé spéculateur bien 
connu dans le pays, concertaient ensemble les moyens d'en venir à bout. 
Déjà Helgestad avait par une indigne manœuvre enlevé la tille .d'Âfraja 
pour en faire sa servante. La jeune Gula se résigne assez vite, embrasse 
la foicbrélienne et trouve une amie dans llda, la fille de son maître; mais le 
vieux Lapon jure dès lors une haine mortelle au ravisseur. Sur ces entre- 
faites arrive chez Helgestad un jeune seigneur danois que des revers de 
fortune obligi^nt à venir dans ces contrées lointaines demander des resr 
sources au travail. Il est porteur d'une concession de terrain et d'une cer- 
taine somme d'argent suffisante pour le début. Aussi Helgestad l'accueille- 
t-il volontiers dans sa maison, car il espère bien pouvoir exploiter à son 
protit l'inexpérience du novice Marstrand. Celui-ci, loin de soupçonner le 
piège, s'estime fort heureux de rencontrer un homme caf^able de le diriger, 
et se livre sans réserve à ses conseils. Cependant la noblesse de son cœur est 
froissée par les habitudes peu scrupuleuses du traticant ; il s'intéresse au 
sort de la jeune Lapone, il sympathise avec l'âme élevée dlida, il se 
sent même entraîné par un attrait mystérieux vers Âfraja qui linit par 
le prendre sous sa protection et lui dévoile tous les infâmes projets de 
leurs ennemis communs. Après bien des péripéties diverses vient la 
catastrophe. Le vieux sorcier est livré à la justice, tandis que Marstrand 
se voit arrêté comme coupable de haute trahison. Un ordre du roi arrive 
fort heureusement assez tôt pour rendre à celui-ci ses biens et sa liberté, 
mais trop tard pour Afraja que ses bourreaux ont fait périr sur un bû- 
cher. Les baillis reçoivent leur châtiment, Helgestad bouleversé par ce 
dévouement imprévu tombe dans un état voisin de la démence, et Mars- 
trand devient l'époux d'Ilda. 

Telle est la donnée que M. Mugge développe avec un talent très- 
original. Son roman, plein de charmants détails excite Tinlérét au plus 



LITTÉRATUEB. 71 

haut degré. On y trouvera d'excellentes peintures de mœurs, des ta- 
bleaux d intérieur adnoirablennent esquissés, des caractères bien soutenus, 
des incidents dramatiques» entin une certaine teinte fantastique qui ne 
s harmonise point mal avec la sévère nature du nord et les traditions 
merveilleuses encore si répandues chez ses habitants. 

Les Mémoires de Barry Lyndoii offrent un tout autre genre d*attrait. 
C'est l'histoire d'un aventurier d Irlande qui, possédant pour tout patri- 
moine un nom de noblesse plus ou moins authentique, s'est frayé son 
chemin à travers le dévergondage du dix-huitième siècle, par Taudace 
et le jeu. Avec ces deux seules ressources il est parvenu, non-seulement 
à faire figure dans le monde, mais à contracter un brillant mariage avec 
la veuve d'un lord, puissamment riche. C'était Tépoque de ces fortunes 
étranges, obtenues par des procédés qui risqueraient aujourd'hui de ne 
conduire que sur les bancs de la cour d'assises. La société de l'ancien 
régime marchait alors d'un pas rapide à sa dissolution ; les chevaliers d'in- 
dustrie abondaient et leurs exploits ne scandalisaient personne. Aussi Barry 
Lyndon put-il mettre en œuvre ses petits talents sans courir de grands ris- 
ques. Malheureusement il ne savait point gouverner ses passions, et c'est ce 
qui le perdit. On ne hante pas en vain les tabagies et les tripots pendant 
maintes années. Après comme avant son mariage il resta joueur, ivro^ 
gne et brutal Une fois marié, son unique désir parut être de dilapider 
sa fortune et de tourmenter sa femme. Les choses allèrent même si loin 
qu'une séparation devint inévitable. Barry Lyndon tomba plus vite en- 
core qu'il n'était monté, donnant par sa fin misérable une nouvelle 
preuve de la vérité du dicton populaire : « Ce qui vient par la flûte s'en 
va par le tambour. » M. Thackeray montre dans cette espèce de bio- 
graphie un talent fort ingénieux. Les défauts du caractère irlandais y 
sont mis en relief de la manière la plus piquante. On y trouve en même 
temps une peinture fidèle de l'époque et de nombreux détails qui ne man- 
quent ni d'attrait, ni d'originalité. 



L'amour, les femmes et le mariage, historiettes, pensées et réflexions 
glanées à travers champ, par Adolphe Ricard. Paris, 1857 ; 1 vol. 
in-i2 : 3 fr. — Journal dune jeune fille, par Ârnould Fremy. 
Paris, 1857; 1 vol. in-12: 3 fr. 

Dans ces deux ouvrages l'amour joue le principal rôle. L'un est une 
compilation, l'autre un petit roman; mais ils tendent au même but, ils 



72 LITTlfiRATURE. 

ont également pour objet d'analyser le cœur de la femme, opération foH 
déRcate que beaucoup d'autres avant eux ont déjà tentée. M. Ricard paraît 
en comprendre assez bien la difficulté, car à ses propres lumières il 
ajoute celles de tous ses prédécesseurs. Son livre présente, sous forme de 
dictionnaire , ce que les moralistes, les poëtes et les romanciers ont écrit 
de plus ingénieux et de plus piquant, en bien comme en mal , sur Va- 
mour, les femmes et le mariage. Ce sont, dit-il, les leçons de Texpé- 
rience, signées presque toutes par les plus grands écrivains des deux 
sexes. Un pareil recueil a le mérite incontestable d*être fort amusant. 
L'esprit y abonde ; les compliments flatteurs, les portraits gracieux, les 
mordantes épigrammes, tes pensées fines, ingénieuses, origfnales même 
n'y font pas défaut. Mais nous n'y trouvons pas précisément le cachet de 
l'expérience. En général on parle de Tamour et des femmes sans se donner 
beaucoup la peine de les étudier. Chacun les juge d'après ses impres- 
sions personnelles et ne sort guère du cercle restreint dans lequel il se 
trouve appelé à vivre. De là maintes théoriçs souvent fondées sur des 
cas exceptionnels, sur un froissement d'amour-propre ou sur quel- 
que illusion déçue. La plupart des écrivains commencent leur carrière 
dans une société qui ne peut pas leur fournir à cet égard des données 
suffisantes. Ils s'y trouvent plus que d'autres exposés à des séductions 
dangereuses dont le résultat est de corrompre ou dessécher le cœur. 
L'homme de lettres quitte de bonne heure sa famille et rarement se marie. 
Ses études se font au milieu de ce qu'on appelle des femmes de contrebande; 
or ce n'est assurément pas là qu'il peut rencontrer un essor moral bien 
remarquable. Aussi que de sottises débitées sur l'amour et le mariage par 
des gens qui ne connaissent ni l'un ni l'autre. Le choix de M. Ricard, 
quoique fait avec soin, n'en est pas exempt. On y trouve d'ailleurs plus 
de traits spirituels que de pensées profondes; le ton général est fort lé- 
ger, quelquefois même il frise la licence. M. Ricard donne place aux opi- 
nions les plus diverses, mais la tendance dominante nous semble être dé 
railler le mariage et de considérer la femme comme un charmant jouet. 
M. Arnould Frémy nous offre une étude plus sérieuse. C'est le journal 
d'une jeune fille simple, naïve, innocente, dont le cœur se livre sans 
beaucoup de peine aux séductions de l'amour. La donnée est assez ingé- 
nieuse, les détails ne manquent ni de charme, ni de vérité. Placée par 
des revers de fortune dans une position dépendante, l'héroïne a bien des 
luttes à soutenir contre son orgueil qui se révolte, et la vie tirés- 
retirée qu'elle mène avec sa mère ne lui fournit pas l'occasion d 'apprend 



LITTrfRATûaE. 75 

drë à connaître le monde. Aussi le premier jeune ho^me qui lui 'téitaoi- 
gne quelque sympathie s'empare-tnl facilement do son cœur. Ceèt tout 
naturel, et Ton ne peut nier la justesse de Tobservation. Mais M. FVènfiy 
n'a malheureusement pas su conserver d'un bout à Vautre de son iivire 
Fallure qu'exigeait une semblable donnée. H oublie ce que doit être ntte 
jeune fille tout à fait inexpérimentée, et lui attribue parfois des sentiments 
et des réflexions qui décèlent au contraire une grande connaissance do 
monde. M. Fremy a beau prétendre n'être ici que l'éditeur d'un manus- 
cirit confié à ses soins, on s'aperçoit bien vite qu'il a tenu la \A\\tne, 
et quel que soit le mérite de son talent, il y manque cette fleur de déli- 
catesse féminine, si nécessaire surtout en un pareil sujet. 



PsTGHÉ, poëme. — Odes et poèmes, par Victor de Laprade. Paris, 

1857; 1vol. in-12: 1 fr. 25. 

H. de Laprade est un poëte à tendances philosophiques bien pronon- 
cées, trop même peut-être pour plaire beaucoup au commun des lecteur». 
Quoique revêtue de formes nobles et gracieuses, sa pensée n*est pas tou- 
jours facile à saisir ; il faut des efl'orts d'attention pour en suivre l'essor, 
et la fatigue empêche de goûter tout le charme de la poésie. Le public 
capable de la comprendre est nécessairement assez restreint, en sorte que 
h rénommée de M. Laprade ne pourra jamais devenir populaire. C'est 
dommage, car il possède un talent très-remarquable. Mais ses idées man- 
quent en général de précision et de clarté. Aussi Taccuse-t-on de pan- 
théisme, reproche dont il se défend avec succès dans sa préface. Nons 
reconnaissons comme lui que de tout temps la po^ie a fait parler lès 
animaux, les plantes, les éléments même, et que c'est une ressource pré- 
cieuse pour c exprimer les modes généraux de la sensibilité, les harnao- 
nies de la vie morale et de la vie extérieure, les rapports de toute forme 
visible à une idée dans la création.» Seulement il ne faut pas en abuser 
de manière à rendre le rôle de Thomme presque insignifiant tandis qu'on 
exalte les puissances de la nature. M. de Laprade se heurte quelquefois 
éontre cet écueil. Sans doute ce n'est pas son intention, il vise plus haut, 
il aspire à s'élancer dans les régions de l'idéal. Mais ses tendances trop 
vagues risquent d'échapper à la plupart des lecteurs qui, sans le secours 
d'un commentaire, ne seront pas en état d'apprécier une semblable poé- 
sie. Si cette critique paraft trop sévère, nous citerons à l'appui ce que 



74 LITTBRATURS. 

l'auteur dit lui-même de l'une des pièces dont se compose son volume : 
• Le but principal est de peindre l'inquiétude des âmes au moment où les 
symboles religieux s'évanouissent sous la libre interprétation et la criti- 
que, où l'ancienne foi se retire des esprits, sans que ce principe de la vie 
morale soit encore remplacé par un dogme nouveau ; de faire sentir le vide 
immense qu'une croyance disparue laisse dans le cœur, dans l'imagina- 
tion, dans la volonté. Altérés de vérités nouvelles, des hommes ont frappé 
à la porte de tous les sanctuaires, de toutes les écoles, poursuivant une 
révélation plus complète de l'idéal, implorant leur initiation à I idée in- 
connue. • 

On voit bien que chez M. de Laprade le philosophe domine le poëte, 
et si le langage harmonieux de ce dernier offre un attrait plein de charme, 
il n'a pas précisément les qualités désirables pour des spéculations de ce 
genre. Les exigences du vers contrarient celle de la logique ; la rigueur 
du raisonnement disparaît pour faire place à la méditation rêveuse qui» 
sans autre guide que la fantaisie, va se perdre dans les nuages. 



Œuvres complètes de P. de Ronsard, nouvelle édition, publiée sur 
les notices les plus anciennes avec des variantes et des notes, par 
M. Prosper Blanchemain. Paris, Jannet, 1857; tome 1<". 1 vol. 
in-18 : 5fr. 

Après avoir joui d'une célébrité immense et incontestée, Ronsard tomba 
dans l'oubli et fut délaissé perdant deux siècles ; sa réhabilitation s'est 
opérée, et sans lui prodiguer tous les éloges que décerna l'admiration des 
contemporains, on reconnaît dans ce poète un auteur d'un mérite rare, 
souvent inégal, souvent en possessiou de trésors de grâce et de fraîcheur. 
Chaque ami éclairé des lettres tient aujourd'hui à lire et à posséder 
Ronsard, mais les anciennes éditions, subissant les conséquences du dé- 
dain qui les avait frappés, sont devenus à peu près introuvables. L'intel- 
ligent éditeur de la Bibliotkèque elxevirienne a donc été bien inspiré 
iorsq«r'il a pris la résolution de mettre à la portée du public un texte 
aussi pur et aussi complet que possible de cet auteur. Il a bien fait de 
confier l'exécution de ce projet à un critique qui s'était déjà livré à de 
patientes études sur les écrits de Ronsard. L'établissement du texte n'é- 
tait pas chose des plus faciles. Neuf éditions posthumes des œuvres de 
Ronsard se silccédèrent de 1587 à 1630; sept éditions avaient paru du 
.vivant de l'auteur, et un grand nombre de pièces furent mises au jour, 



T0TAGB8 BT HISTOIEB. 



75 



soit en volume, soit dans des recueils contemporains, soit en feuilles vo- 
lantes. Les éditeurs du dix-septième siècle négligèrent de recueillir non- 
seulement un certain nombre de pièces, mais encore des modiBcations rn* 
nombrables, les retranchements souvent très-importants que le poëte avait 
fait subir à ses vers dans les éditions publiées de son vivant. De là néces- 
sité de réunir les variantes, de remonter aux éditions originales, les- 
quelles sont d'ailleurs les meilleures» car vers la fin de sa vie, Ronsard 
remania ses ouvrages, corrigea beaucoup et gâta souvent. M. Blanche- 
main a donc eu raison de prendre pour point de départ la première édition 
que ce poëte donna de ses œuvres en 1560. Pour les pièces parues depuis, 
l'éditeur a reproduit, autant qu'il l'a pu, la leçon fournie par les publi- 
cations originales, notant, vers par vers, les mutilations que chaque œu- 
vre a^ait subie, et rétablissant, en les entourant de crochets, les passages 
retranchés qu'il est ainsi fort aisé de reconnaître. Ajoutons que M. Blan- 
cbemain a soigneusement noté les emprunts que fait Ronsard aux poètes 
italiens, à Pétrarque surtout, et qu'il a placé avec une judicieuse sobriété 
des notes aux endroits où elles étaient nécessaires. Cette édition de Ron- 
sard, qui doit former six volumes, méritera donc le titre de définitive et 
ne laissera rien à désirer. Nous nous bornons à l'annoncer, l'apprécia- 
tion littéraire des vers contenus dans les 442 pages du premier tome se- 
rait aujourd'hui prématurée. ^ 



ITOYACtES ET HISTOIKE. 

« 

Voyage dans l'Amérique centrale, l'île de Cuba et le Yucatan, par 
Arthur Morelet. Paris, 1857 ; 2 vol. in-8®, ornés de vignettes et 
d'une grande carte : 18 fr. 

L'objet principal de ce voyage, exécuté dans les années 1846, 1847 et 
1848, était l'étude de l'histoire naturelle. Peu de contrées offrent autant 
de ressources aux collecteurs, et malgré le nombre considérable de ses 
devanciers, M. Morelet put, en effet, enrichir à son tour le Muséum de 
Paris de plusieurs espèces nouvelles, ainsi que de maints échantillons 
précieux par leur rareté. Mais la relation qu'il publie intéressera davan- 
tage encore, et d'une manière plus générale, en faisant connaître des 
pays sur lesquels on ne possédait jusqu'ici que des notions assez vagues. 
L'Amérique centrale est loin d'avoir été complètement explorée. La ra- 
reté des voies de communication, la fréquence des troubles politiques et 



76 YOTAGBS ET HISTOIRE. 

le manque de sécurité qui en résulte créent srux voyageurs Aeè obstacles 
pr^«que insurmontables. M. Morelet toi-même n*^ pas pu accomplir eb^- 
tièrement ses projf'ts, les difficultés ont dépassé son attenté. H est vtai 
que les forces lui ont fait défaut» et que sa santé altérée par un dccideftft 
Ta contraint d'abréger sa route. L'entreprise était aufssi peutêtfe au- 
dessus des ressources d'un simple particulier. Parti du Havre, en tiô- 
vembrel846, il se rendit d'abord à la Havane. Un séjour de plusieurs mois 
dans 1 tle de Cuba lui parut nécessaire, soit pour se familiariser avec la na- 
ture tropicale, soit pour recueillir des renseignements sur les districts tfti 
continent américain qu'il se proposait de visitet*. De ces deux buts le pre- 
mier fut parfaitement rempli par de nombreuses excursions dont le récit 
présente un vif intérêt. Quant au second, tes efforts de notre voyageur 
échouèrent devant l'ignorance des habitants de Cuba, qui ne surent que 
lui faire un tableau fabuleux des périls auxquels il allait s'exposer en 
s'aventurant ainsi dans une contrée sauvage, peuplée d'Indiens féroces 
et d'animaux malfaisants. Sans se laisser décourager par ces pronostics 
lugubres, M. Morelet, accompagné d'un jeune matelot avec lequel il avait 
ifait la traversée et qu'il s'était attaché comme domestique, se mit en route 
le i9 février 1847, et vint débarquer dans le golfe du Mexique, près de 
Mérida. De là, suivant la côte, il visita successivement Campêche, l'île 
de Carmen, les ruines de Palanque, traversa les districts de Tabasco, du 
Péten, de la Véra-Paz, parvint à Guatemala et poussa jusqu'à l'océan 
Pacifique ; puis, se dirigeant par Chimalapa et Ysabal vers le golfe Âma< 
tique, il s embarqua de nouveau pour la Havaoe. Cette longue expédition^ 
faite tantôt à cheval, tantôt en bateau, le plus souvent à pied, lui fournit 
une foule de détails fort curieux sur l'aspect du pays, sur les produc- 
tions du sol, sur les mœurs des habitants, etc., etc. M. Morelet joint à 
l'esprit d'observation une intelligence prompte qui saisit facilement les 
questions de tous genres et les expose avec clarté. Il sent vivement les 
beautés de la nature et les décrit avec beaucoup de charme. Enfin c'est 
un dessinateur habile, comme le prouvent les jolies vignettes qui sont 
placées en tête des chapitres de son livre. 



I 

Le christianisme en Chine, en Tartarie et au Tbibet, par M. Hue. 

Paris, 1857 ; 2 vol. in-8 : 12 fr. 

M. Hue, qui s'est fait connaître d*une manière si avantagetise pat* ses 
voyages en Tartarie , au Thibet et en Chine, entreprend d'écrire l'his- 



VOYAGES ET BISTOIEE. 77 

toire du c^istianisme dans ces trois pays. Son but est d'attirer l'at- 
tention sur l'œuvre des missionnaires et de signaler les importants 
résultats qu'on peut en attendre. Il croit que la politique européenne 
sera t6t ou lard app^ée à s'occuper de l'insurrection chinoise. Déjà 
la Russie et l'Angleterre ont pris les devants» et par l'envoi d'une 
escadre dans les eaux du Japon les Elats«Unis semblent également 
avoir voulu se mettre en mesure d'exercer une part d'influence sur 
les destinées du Céleste Empire. La France restera-t-elle indiffé- 
rente aux événoQients qui se préparent? H. Hue ne le pense pas. et 
c'est surtout en vue des intérêts français qu'il se propose de raconter 
les efforts de la propagande, ses succès et ses revers au sein des popula- 
tions asiatiques. H voudrait que le catholicisme reprit avec plus de vi- 
gueur que jamais son ancien rôle d'éclaireur de la civilisation euro- 
péenne. En effet, ce furent ses fervents adeptes qui les premiers péné- 
trèrent dans l'intérieur de la Chine. Des légendes et quelques documents 
d'une authenticité plus ou moins douteuse font remonter l'origine de ces 
tentatives à saint Thomas. Maïs il paraît du moins assez probable que 
dès le septième siècle la doctrine nestorienne était répandue en Chine. 
On a cru pouvoir fixer cette date d'après une inscription qui fut décou- 
verte en 1625 près de la ville de Singnou-Fou. Cependant ce n'est 
guère qu'à partir du dixième siècle qu'on retrouve des traces certaines 
de l'introduction du christianisme en Tartarie, et le voyage de Marco- 
Polo, vers la fin du treizième siècle, fournit à cet égard les premières 
données positives pour ce qui regarde la Chine. Au moyen âge les mis- 
sions catholiques prennent une importance beaucoup plus grande. Grâce 
à l'activité remuante des jésuites, les conversions se multiplièrent au point 
de devenir un sujet d'inquiétude pour le gouvernement chinois. Dès lora 
ce sont des phases successives de tolérance et de persécutions qui ont 
continué jusqu'à nos jours, quoique le zèle se soit beaucoup ralenti. 
La palme du martyre n'est plus aussi recherchée que jadis, mais les 
semences répandues ont germé çà et là, de telle sorte qu'aujourd'hui 
l^œuvre de la propagande présenterait des chances favorables, surtout si 
l'on forçait l'empereur à la respecter en observant les règles du droit 
international. L'auteur assigne cette tâche à la France qui contre-balan- 
cerait ainsi les efforts de la Russie schismatique et de l'Angleterre pro- 
testante, tout en s'assurant une part dans les profils que Tindustrie et 
le commerce pourront en recueillir. Cet emploi de la religion au service 
des intéi^ôts matériels n'est pas nouveau ; les anciens missionnaires, sur- 



78 T0TA6B8 BT B18T0IEB. 

tout les jésuites, en ont souvent donné l'exemple. Le livre de M. Hue ren* 
ferme à ce sujet une foule de détails fort curieux. 11 intéressera d'autant 
plus qu'on y trouve une connaissance approfondie du caractère chinois, et 
des moyens auxquels on doit recourir pour le développer avantageusement. 
M. Hue fait grand cas de rinielligence de ce peuple, qui lui paraît sus- 
ceptible d*une régénération sous l'empire du christianisme. Son récit 
s'arrête au dix-septième siècle. Nous espérons qu'il en publiera la suite 
jusqu'à nos jours et pourra jeter quelque lumière sur les causes de la 
terrible révolution qui depuis plusieurs années déjà bouleverse le Céleste 
Empire. 



Rapport fait le 19 décembre 1856 à la seconde assemblée générale de 
la Société de géographie sur ses travaux et sur les progrès des 
sciences géographiques en 1856, par A. Maury. Paris, 1857; in-8». 

Ce rapport offre un intéressant tableau de toutes les explorations ou 
découvertes nouvelles dont la science géographique s'est enrirhie pen- 
dant l'année 1856. On sera frappé du nombre et de l'importance de ces 
travaux auxquels la France, 1 Allemagne, et l'Angleterre prennent sur- 
tout une part active. C'est à ces différents pays qu'appartiennent les har- 
dis voyageurs aux efforts desquels on devra bientôt la connaissance com- 
plète du continent de lAfrique ainsi que des contrées soit de l'Amérique, 
soit de l'Asie qui n'avaient pas encore été suffisamment étudiées. Les 
progrès de la cartographie ne sont pas moins remarquables. A cet égard 
une sorte d'émulation paraît animer les gouvernements de la plupart des 
Etats européens. La Russie, les Pays-Bas, la Suède, rivalisent avec la 
Fmnce pour élever un monument topographique digne de notre époque. 
L'Espagne elle-même ne reste pas en arrière, et l'on sait avec quelle 
perfection de travail sont exécutées les cartes de la Confédération suisse. 
Enfin l'Allemagne se distingue entre toutes par l'excellence aussi bien que 
par la quantité prodigieuse de ses publications en ce genre. Le dépôt de 
la Société de géogra()hie, enrichi par les dons qui lui arrivent de toutes 
parts renferme un trésor de documents précieux |»our l'étude. Ses rela- 
tions étendues lui permettent d'être également fournie des principaux 
ouvrages qui se publient en Amérique. Elle a d'ailleurs dans la personne 
de son secrétaire un homme capable de lui donner l'impulsion la plus 
féconde. M. Maury possède une érudition vaste et profonde. L'histoire, 



VOYAGES ET HISTOIRE. 79 

rarchéologie, la philologie, les sciences naturelles lui sont familières. Il 
lit plus ou moins couramment toutes les langues de TEurope, est secondé 
par une Thémoire prodigieuse, et joint à ces dons naturels un zèle ar- 
dent, un esprit large et plein de bienveillance. On en trouvera la preuve 
dans l'impartialité avec laquelle il rend comfite des travaux étrangers, 
accordant l'éloge ou se permettant la critique, toujours très-modérée, 
sans distinction de nationalité. 



Journal de M. Miertsching, interprète du capitaine Mac Clure dans 
son voyage au pôle nord. Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; in-8« avec 
une carte : 1 fr. 

M. Miertsching est un missionnaire morave qui, ayant passé plusieurs 
années au Labrador, connaissait bien les Esquimaux et leur langue. Il 
fut donc désigné au capitaine Mac Clure comme pouvant lui servir d'in- 
terprète dans son voyage à la recherche de Franklin. Parti en 1850, il 
a passé quatre hivers dans les glaces du pôle, et son journal offre un 
tableau touchant des souffrances de cette longue captivité. La résignation 
pieuse du digne interprète, son. énergit? morale, son excellent cœur et 
son dévouement toujours prêt à tous les sacrifices, excitent le plus vif 
intérêt malgré la monotonie du récit dont les incidents ne peuvent être 
fort variés. On éprouve une profonde estime pour cet homme simple 
et bon qui cherche sans cesse à relever le courage de ses comfiagnons 
d'infortune, et, par la vive sympathie qu'il leur témoigne, sait trouver 
le chemin de leur âme afin d'y verser le beaume consolateur de la 
religion. C'est un vrai chrétien, dont la foi se montre toujours accom- 
pagnée de la charité la plus ardente. Les détails qu'il donne portent 
d'ailleurs le cachet de l'observation. La rigueur du froid ne le rend point 
insensible aux grands spectacles de la nature, et ses descriptions pré- 
sentent beaucoup de charme. Enfin le ton de naïve bonhomie qui règne 
d*un bout à l'autre de son journal en rehausse encore le mérite. 



Sépultures gauloises, romaines, franques et normandes, faisant 
suite à La Normandie souterraine, par M. l'abbé Coobet. Paris 1857; 
1 vol. in.8«, fig. : 7 fr. 50. 

Ce volume forme le complément de la Normandie soulerraine , ou- 
vrage du même auteur couronné par llnstitut en 1854. M. l'abbé Cochet 



80 SClBlfCBS HOHALBS BT P0LITIQUB8. 

poursuit ses explorations avec zèle, et le nombre des objets recueilli^ par 
ses soins dans le d^partenoent de la Seine inférieure augmente chaque 
jour. Les tombes qui sont l'objet de ses fouilles archéologiques appar- 
tiennent soit aux Francs ou aux Normands, soit aux Gaulois et aux Ro- 
mains. Elles offrent donc des vestiges de deux civilisations différentes et 
fournissent d intéressantes données sur les usages particuliers à chacun 
de ces peuples. La coutume d'enterrer le mort avec ses armes, ses orne- 
ments et quelques ustensiles, tels que des urnes ou des coupes, leur 
était commune. Toutes les sépultures renferment des vases, tantôt en 
terre cuite, tantôt en bronze, quelquefois en verre, mais de formes très- 
variées, suivant leur origine. Dans les tombeaux romains et gaulois se 
trouvent des objets d'un travail plus délicat, bijoux d'or ou de bronze, 
agraies, boucles de ceinture, bracelets, fermoirs, etc. Cependant Tari de 
travailler les métaux n'était pas inconnu chez les Francs et les Nor- 
mands, car leurs sépultures présentent aussi maints objets de ce genre, 
entre autres des coffrets en bois recouverts de cuivre estampé, d'os gra- 
vés, etc. Leurs armes, quoique moins perfectionnées, prouvent qu'ils 
connaissaient l'emploi du fer et savaient le forger assez habilement. 

M. Cochet décrit ses trouvailles d une manière bien propre à captiver 
le lecteur. Il met à profit les ressources d'une vaste érudition archéolo- 
gique et se livre à des études comparatives du plus haut intérêt. 



SCIEMCGS mORAIiES ET POIilTlf^lJl». 

Lectures PHiLOSOPHiQUES, ou leçons de logique extraites des auteurs 
dont l'étude est prescrite par l'université, rédigées par Emile Beaus- 
sire. Paris, Aug. Durand, 1857; 1 vol. in-12 : 3 fr. 

Ce volume se compose d'extraits tirés des ouvrages de Platon, Aris- 
tote, Cicéron, Samt-Augustin, Bacon, Descartes, Pascal, Malebranche, 
Bossuet, Fénelon, Leibniz, Enler, et de la logique de Port^Royal. Il 
offre ainsi, sous la forme d'un enseignement divisé par chapitres suivant 
Tordre des idées, les préceptes des maîtres qui font autorité dans la 
science. Le but de l'éditeur est de faciliter aux jeunes gens l'étude exi- 
gée par le programme universitaire. Il veut leur rendre service en les 
dispensant de lire en entier les œuvres des auteurs sur lesquels doit 
rouler l'examen du baccalauréat. Nous ne partageons pas tout à fait cette 
manière de voir. Il nous semble plus avantageux de laisser aux élèves le 



8C1BKGBS MORALKS ET POLITIQUES. 81 

soin d'exploiter eux-mêmes la mine qtti leur est assignée, et de choisir 
parmi les richesses qu'elle renferme ce qui convient le mieux à chacun 
selon la portée ou la tendance de ses facultés. Les jeunes gens ont sur- 
tout besoin d'apprendre à travailler, or ce n'est pas en leur fournissant 
des oi*eillers de paresse qu'on éveillera chez eux le goût de l'étude. Les 
difticultés et les obstacles sont des stimulants nécessaires pour l'intelli- 
gence qui, sans cela, ne fait aucun effort et se repose entièrement sur la 
mémoire. On apprendra par cœur ces fragments pour l'examen, puis 
bientôt après ils seront oubliés et risquent fort de ne laisser aucune 
trace dans l'esprit. Du reste le livre de M. Beaussire est fait avec goût. 
C'est une compilation très-ingénieuse de beaux passages, dans lesquels 
les préceptes de la logique sont exposés avec autant de clarté que de 
force. Assurément de pareilles lectures sont excellentes, et nous croyons 
qu'elles peuvent être fort utiles à tous ceux qui désirent avoir quelques 
notions des éléments de la philosophie. 



Philosophie DE la procédure civile. Mémoire sur la réformation de 
la justice, par Raymond Bordeaux. Paris, Aug. Durand, i857; 
1 vol. in-8 : 8 fr. 

Dans cet ouvrage, couronné par TAcadémie des sciences morales et 
politiques, l'auteur s'efforce de faire pénétrer les lumières de la philoso- 
phie jusqu'au sein de la pratique judiciaire. Son but est de combattre 
ainsi les abus d'une routine dangereuse qui, trop souvent encore, annule 
ou du moins atténue singulièrement l'influence des réformes introduites 
dans la législation. Les hommes qui s'occupent spécialement de la pro- 
cédure civile y voient en général un métier plutôt qu'une science ; la 
théorie leur est assez indifférente ou même tout à fait étrangère. Ils se 
soucient peu des principes et ne se * font pas toujours scrupule de les 
fausser dans l'application lorsqu'ils y trouvent quelque avantage, pe là 
naissent de graves inconvénients qui peuvent entraver la marche de la 
justice et qui nuisent beaucoup au respect dont elle a besoin d'être en*- 
tourée. La sécheresse de la pratique judiciaire, ses allures tortueuses^ 
son langage même, sont autant d'obstacles à la prompte solution des 
affaires litigieuses. Dans bien des cas les formes de la procédure devien- 
nent une source de chicanes interminables. On comprend donc combien 
il importe de remettre en évidence l'intention du législateur, et d'oppo- 

6 



82 0QtBllCB8 HO«AL£S ET FOLITIQUBS. 

ser les vues saiDes de la théorie à l'empirisme des praticiens. Déjà les 
abus ont diminué, grâce au perfectionnement de l'organisation judiciaire, 
mais pour opérer une réforme, dont la nécessité n'est pas douteuse, il 
dut remonter aux principes de justice et de morale qui doivent éclairer 
ia pratique elle-môme et la relever en lui donnant un caractère plus ho- 
norable. C'est à ce résultat que vise le mémoire de M. Bordeaux, tra- 
vail remarquable non moins par la clarté de l'exposition que par la vi- 
gueur de la pensée. Tous les détails de la procédure civile y sont soumis 
au critère de l'analyse philosophique, et l'on y trouvera les directions les 
plus propres à rétablir l'accord entre la pratique et la théorie. 



L'art d'être malheureux, légende, par F. -T. de Saint-Germain. 
Paris, J. Tardieu. 18^7 ; 1 vol. in-3i2 : 1 fr. 

Pour bien rendre son idée, l'auteur aurait dû dire l'art de supporter 
le malheur et de le faire servir à notre perfectionnement moral. En effet, 
il ne s'agit point ici des moyens de se rendre malheureux, au contraire, 
le but est plutôt de montrer qu'au sein de l'infortune même peut se 
trouver le vrai bonheur. Les épreuves dont l'homme se plaint avec tant 
d'amertume ont pour lui de précieux avantages. Elles élèvent son âme en 
la détachant des joies éphémères et frivoles de ce monde pour la tourner 
vers Dieu; elles développent dans son cœur la piété, la charité, le dé- 
vdoement ; à celui qui sait en profiter elles offrent l'enseignement le plus 
fécond. D'ailleurs on ne peut le nier, la souffrance est une des condi- 
tions inévitables de la vie humaine ; en vain prétendrait-on s'y soustraire, 
tôt ou tard on doit lui payer son tribut, a Sans vouloir décourager ceux 
qui entrent dans la carrière, ne faut-il pas les prémunir contre les em- 
bûches du chemin, pour qu'ils ne restent pas faibles el désarmés en pré- 
sence du danger? Les illusions et le mirage de la prospérité sont sou- 
vent plus funestes que le malheur m^me, puisqu'ils éveillent les passions 
mauvaises et er^endrent les fautes et les remords.» 

L'intention de M. de Saint-Germain est donc très-digne d'éloge. Il a 
bien raison de vouloir nous apprendre à supporter le malheur, à l'ex- 
ploiter en quelque sorte au profit de notre éducation morale. Mais son 
livre, quoique plein d'excellents conseils, ne répond pas précisément à 
celte idée. C'est l'histoire d'un bon prêtre dont toute la carrière est con- 
sacrée à faire le bien. L'abbé Paul, animé du zèle le plus charitable. 



t 



SGIBlfCSS «OUALBS XV fOlMtqvW* 83 

gagne l'amour de ses paroissiens par ses actes non moins que par ses 
discours. A l'éloquence du cœur il joint la pratique des vertus chré- 
tiennes et prêche 1 Evangile de la mamère la plus eftlcaoe. Encourager, 
consoler, raffermir, leHe est la tftche qu'il remplit avec une ardeur infa- 
tigable, aussi la béfiédiotion divine repose-t-eUe sur son œuvre. Mais 
qu'a de commun ce doux ministère avec l'art d'ôtre malheureux ? Noms 
y voyons plutôt l'art de soulager les malheureux, belle et grande mis- 
sion, noblement comprise par un modeste curé de village. L'auteur a 
Sans doute pensé que, dans sa bouche, les enseignements de la religion 
seraient mieux écoutés, et l'abbé Paul ne manque en effet ni d'onction 
louchante, ni de force persuasive. Cependant, quelque remarquable que 
soient ses discours, ils restent dans des généralités un peu vagues. Nous 
croyons que, pour faire ressortir l'utilité du malheur, il vaudrait mieux 
présenter des exemples que des préceptes, et mettre surtout en relief 
les résultats salutaires qu'on peut attendre des épreuves dans les circon* 
stances qui se présentent le plus communément. En d'autres termes, au 
lieu d'une prédication, H. de Saint»Germain devait nous donner une lé- 
gende comme l'indique son titre. Du reste, malgré un mélange assez bi- 
zarre parfois de citations sacrées et profanes, la tendance du livre est fort 
bonne, et le charme du style en rendra la lecture attrayante. 



Nouvelles lettres et opuscules inédits de Leibniz, précédés d'une in- 
troduction, par A. Foucher de Careil. Paris, Aug. Durand, 1857;* 
1 gros vol. in-8 : 7 fr. 50. 

Les mamiscrits de Leibniz que M. Foucher Careil publie étaient restés 
jusqu'à présent enfouis dans les archives de Hanover. Ils ont assez 
d'importance, parce qu'ils peuvent jeter une lumière nouvelle sur le point 
de départ de la pensée du grand philosophe et sur la marche de son dé- 
veloppement successif. Ce sont comme de,s anneaux qui manquaient à la 
chaîne par laquelle furent liées ensemble les phases diverses de sa philo- 
sophie. Au lieu d'être obligé de recourir à de vagues hypothèses pour 
expliquer l'origine des idées de Leibniz et les modifications qu'elles su- 
birent, on a dans ces fragnoents des traces certaines du travail de son es- 
prit, on y retrouve en quelque sorte le programme des études auxquelles 
il se livrait, cje le vois, dit M. Foucher de Careil, dans son introduction, 
au sein d'une majestueuse et paisible lumière faire convei^er vers un 



^ I 



84 SCIBMGBS MORALES ET FOLITIQUBS. 

centre unique tout ce qu'il y a de science et de philosophie dans les âges 
antérieurs, reiiant par d'imperceptibles traits de lumière Âristote à 
Platon, tous deux à la scolastique, et la scolastique à lui-même. Il mé- 
dite à quinze ans, dans ses promenades solitaires, sur les nécessités de 
réhabiliter la scolastique. A trente ans , il traduit les dialogues de Pla* 
ton pour se préparer à la réforme de la philosophie de Descartes. Vingt 
ans plus tard il est devenu , par la force de la dialectique platonicienne 
et de la scolastique restaurée, le premier philosophe de son temps. Sou 
esprit avide d'unité, effaçant de plus en plus les limites et surmoniant les 
obstacles, s'élève à Tharmonie de l'ensemble, et l'étend à tout, au monde, 
à nous-mêmes, et surtout à Dieu qui la produit ; dans son système, où il 
a recueilli tous ces germes, la nature, l'homme et Dieu se répondent. » 
Ainsi se découvre à nos regards la route qu'il a suivie avec les erreurs 
dans lesquelles il tomba parfois, mais qui n'ont pas empêché le progrès 
constant de ses doctrines. 

Un abrégé du Phédon et une traduction latine du Théétete prouvent 
évidemment que le platonisme exerça sur Leibniz une part d'influence 
assez grande. C'est à cela sans doute qu'il dut d'avoir porté le sentiment 
profond de l'art et de la poésie dans les problèmes les plus épineux de la 
scolastique. Ses Lettres à Hobbes nous le montrent plus tard agité de 
la pensée des réformes. Les idées se pressent sous sa plume ; il n'a pas 
encore une conception bien nette de l'œuvre qu'il veut accomplir, mais le 
but vers lequel tendent tous ses efforts est le triomphe de la vérité. La 
perspicacité de son génie lui fait entrevoir déjà les mauvaises tendances 
du dix-huitième siècle. Enfin son Attaque au cartésianisme marque 
d'une manière frappante l'essor plus élevé qu'il aspirait à donner à la phi- 
losophie. C'est une critique sévère dont les admirateurs de Descartes se- 
ront peu satisfaits; mais, comme le fait observer avec raison M. Fouchér 
de Careil, pour la juger sainement on doit se placer au point de vue de 
Leibniz. « En le voyant, dit-il, saper par la base ce système célèbre, et 
découvrir le vice caché de sa psychologie qui manque d'étendue ; en 
l'entendant reprocher à ce philosophe d'avoir fini dans le naturalisme, 
' où a commencé Spinosa, et poursuivre dans les cartésiens de son temps 
cet aveuglement de secte qui ferme leur esprit aux découvertes, ou se 
récriera contre une injuste critique et des attaques violentes et passion- 
nées. Pour nous, nous n'avons jamais pensé à déprécier Descartes au 
profit de Leibniz, et nous ne voudrions pas enlever une seule admiration 
légitimée la gloire de ce grand homme; mais il nous est impossible de ne 



SCIBHCSS MORALES ET POLITIQUES» 85 

point voir que si Descartes a sécularisé la philosophie, il n'a pas excepté 
ses disciples d'une sujétion presque aveugle à ces préceptes. L'époque 
où Leibniz a vécu est une époque de transition entre cet âpre dogma- 
tisme et des tendances plus modernes, et son système est surtout un 
essai de transactions philosophiques entre Tesprit d'absolutisme et celui 
de liberté. Si Tépoque où nous sommes est elle-même une ère de transi- 
tion pour la philosophie, le nom de Leibniz peut-être proposé comme un 
de ceux qui, tout en continuant le dix-septième siècle, s'associent le mieux 
âux tendances du nôtre. > 



Cours gradué d'instruction civique, manuel de l'école, de la famille et 
du citoyen, par L. Bornet. Fribourg, Marchand et O, 1856; 1 vol. 
in- 12. 

L'instruction civique bien comprise serait certainement l'un des moyens 
les plus efficaces d'assurer la marche du progrès moral. Dans les démo- 
craties surtout il n'y a guère d'autre frein qu'on puisse opposer à Tessor 
des mauvais instincts, et c'est la seule arme dont elles disposent pour 
combattre l'influenee du sophisme ou du mensonge. Â défaut de force 
répressive, il est urgent qu'elles empêchent le mal de se développer. 
L'éducation du citoyen doit donc être l'objet de leur constante sollicitude. 
Jusqu'ici l'enseignement primaire n'a pas atteint ce but. Ses résultats 
sont, en général, peu satisfaisants. S'il contribue à dissiper les ténèbres 
de l'ignorance, trop souvent c'est pour leur substituer un vague crépus- 
cule, dans tequel ombres et lumières se confondent. Le deipi-savoir res- 
semble à ces feux follets qui trompent le voyageur, lui font quitter la 
route tracée et l 'égarent dans de perfides fondrières. En vain a-t-on 
multiplié les connaissances et perfectionné les méthodes, l'absence de l'é- 
lément moral s'est toujours fait plus sentir. Au libre exercice des droits ci- 
viques il faut absolument pour contre-poids la règle du devoir ; sans cette 
condition la souveraineté populaire ne saurait produire que de fISicheuses 
conséquences. Mais la morale peut-elle s'apprendre à l'école comme la 
lecture, l'orthographe et le calcul? C'est difficile, et les préceptes du 
maître risquent fort d'être stériles si l'élève n'en trouve pas la confir- 
mation dans la conduite habituelle de ceux qui l'entourent. La pratique 
est ici beaucoup plus utile que la théorie. Cependant cette dernière ne 
doit pas être non plus dédaignée, car pour opérer une pareille réforme 



86 Bcnncss morales %t pouTii)UB0« 

on est bien obligé de recourir d'abord à ses leçons. 'D'ailleurs les se- 
mences ainsi déposées dans de jeunes âmes ne sont pas toutes perdues. 
L'instruction civique a l'avantage d'inspirer du respect pour les notions 
morales. C'est là du moins le principal but que lui assigne l'auteur du 
livre que nous annonçons. L'exposé des lois et des formes constitution-* 
nelles n'occupe dans son enseignement qu'une place secondaire. Il s'ef- 
force avant tout d'inculquer aux enfants des sentiments d'aSectioo et de 
gratitude, de leur faire comprendre ce qu'ils doivent à Dieu, à leurs parents, 
à leurs maîtres, combien ils ont besoin d'être aimés de tous ceux qui les 
entourent. Viennent ensuite plusieurs chapitres consacrés aux devoirs de 
la vie pratique . dans lesquels il insiste particulièrement sur les bienfaits 
de la vérité, de la modération, de la bienveillance, du travail, et présente 
quelques sages directions sur l'usage que l'homme doit faire de sa li- 
berté. En général ses explications sont claires, précises, et propres à se 
graver dans la mémoire. 11 laisse aux instituteurs le soin de les déve- 
lopper suivant la portée des intelligences et se borne à leur en tracer le 
cadre. La seconde partie , qui s'adresse évidemment à des élèves plus 
avancés, traite des droits et devoirs sociaux. La famille, la patrie, le culte 
en forment les divisions principales. De tels sujets sembleront un peu 
trop élevés pour la jeunesse qui fréquente les écoles primaires. Mais leur 
importance est incontestable; dans un pays où tous les citoyens sont ap^^ 
pelés à prendre part aux affaires publiques , on ne peut se passer d'un 
enseignement de ce genre. Il faut trouver le moyen d'éclairer le peuple 
sur ses intérêts véritables, et M. Bornet indique très-nettement la ten* 
dance qu'on doit suivre si l'on veut arriver à des résultats salutaires. Se» 
principes sont ceux d'un républicain loyal, qui cherche à concilier autaol 
que possible le bien de l'Etat avec le perfectionnement individuel. Il 
termine son livre par une analyse de la constitution fédérale et de celk 
du canton de Pribourg. 



La liberté de conscience, par Jules Simon. Paris, Hachette et C^^ 

1857; 1 vol. in-42 : 3 fr. 50. 

Sous ce titre M. Jules Simon publie la matière de leçons qu'il a pi^fw 
fessées à la Société littéraire de Gand. C'est une esquisse pleine d'aperçus 
ingénieux, de belles et bonnes pensées, où l'on retrouve bien l'esprit de 
sage modération qui distingue l'auteur. Sous sa plume la discussion n'a. 



SCimCES HORAiIiES ET POLITiOUEB. 87 

rien d^bsolu ; il admet des divergences de vues et ne suspecte pas la 
bonne foi de ceux qui raisonnent autrement que lui. Le. principe méma 
de la liberté de conscience lui fait respecter les convictions différentes des 
siennes. C'est un résultat qui semble tout naturel, mais dont quelquefois 
les philosophes se soucient fort peu. Il n'est pas très-rare d'en voir qui, 
tout en réclamant la tolérance, n'en usent guère à l'égard des systèmes 
qu'ils combattent. M. Jules Simon n'appartient pas à cette catégorie, ses 
allures sont plus modestes, il cherche la vérité, mais ne prétend pas être 
infaillible. Ainsi, quoique partisan de la liberté religieuse la plus com- 
plète, il reconnaît que la séparation de l'Eglise et de l'Etat peut offrir 
de graves inconvénients dans un pays où leur union a toujours existé. 
Pour être salutaire, une pareille réforme doit s'opérer graduellement 
et se produire en quelque sorte d'elle-même dans les faits avant qu'il 
convienne de la décréter d'une manière définitive. En d^autres termes, 
la liberté doit s'établir librement et non pas être imposée par une loi. 
Si la religion d'Etat est incompatible avec la marche des idées, le ré- 
gime contraire a besoin pour prospérer que la tolérance soit entrée dans 
les mœurs et les habitudes du peuple. Il faut donc recourir à des trans- 
actions entre «ces deux principes absolus. Elles sont difficiles sans doute 
et deviennent souvent une source de conflits dangereux ; mais avec de la 
prudence et de l'énergie on peut réussir à conjurer le péril. M. Simon 
traite habilement cette matière délicate ; il montre une connaissance 
approfondie des détails de la constitution ecclésiastique, ainsi que de ses 
rapports compliqués avec le pouvoir civil. Ce qu'on remarquera surtout 
chez lui, c'est la largeur des vues et la dignité du langage. Sa polémique 
n'est jamais passionnée, il respecte ses adversaires et s'indigne seule- 
ment contre l'intolérance, quel que soit le camp dans lequel il la ren- 
contre. C'est là l'ennemi qu'il s'agit de combattre résolument si l'on veut 
obtenir le triomphe de la liberté. Mais M. Simon se garde bien d'em- 
ployer les armes des philosophes du dix-huitième siècle. Il ne prétend 
pas ôter aux Eglises le droit d'excommunier ceux qui rejettent leurs 
doctrines ou méprisent leurs pratiques. Cette espèce d'intolérance pure-- 
ment religieuse lui paraît légitime, pourvu que d'autre part il n'y ait 
aucune contrainte exercée sur les récalcitrants. Le but vers lequel les 
efforts doivent tendre est précisément un état de choses tel que chacun 
soit libre de choisir entre les. Eglises ou d'en fonder une nouvelle s'il 
n'en trouve point à sa convenance. On ne saurait demander plus, car 
la tolérance pbilosoi^ue semble destinée à rester toujours le privilège 



88 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 

d*uD petit nombre d'esprits, même parmi les philosophes. M. Simon 
lui-même Tavoue, et cette franchise lui servira d'excuse aux yeux de 
ceux qui le trouveront peut-être trop sévère à l'égard des sectes chré-^ 
tiennes. 



De l'athéisme et du déisme, par Âmédëe Pommier. Paris, Garnier 

frères, 1857; 1 vol. in-i8 : 1 fr. 

M. Am^dée Pommier présente une nouvelle démonstration de l'existence 
de Dieu qu'il croit particulièrement propre à frapper la foule. Elle est, eo 
eff(^t, d'un genre assez nouveau, du moins dans la forme, et porte 
le cachet d'excentricité que l'auteur imprime à tous ses écrits. On y 
trouve les objections de l'athéisme très-crûment exposées, mais com- 
battues avec non moins de franchise. L'auteur ne craint pas d'être un 
peu brutal dans sa manière de raisonner. Il marche droit au but, sans 
se soucier de ce qu'on appelle convenances ou ménagements. Dès le dé- 
but il se place dans la position d'un homme qui n'accepte ni l'autorité 
des- théologiens, ni celte des philosophes, et prend pour unique guide le 
gros bon sens, afîn de se mettre, autant que possible» à la portée du plus 
grand nombre. Son argumentation a surtout pour objet de renverser l'é- 
chafaudage de l'athéisme, en montrant combien sont absurdes les hy- 
pothèses sur lesquelles il repose. Le système des causes finales ne lui 
paraît guère meilleur ; de part et d'autre on s'obstine à vouloir tout expli- 
quer, et cette orgueilleuse prétention apporte le plus grand obstacle aux 
progrès d'une foi raisonnable. Les secrets de Dieu sont au contraire, pour 
M. Pommier, l'une des principales preuves de son existence. Nous 
sommes forcés par là de reconnaître un pouvoir qui régit l'univers, 
et dont la sagesse éclate sans cesse à nos yeux dans les résultats de ses 
lois mystérieuses. Ce point de vue est ingénieux; on regrettera seu- 
lement qu'il ne soit pas mieux développé. L'auteur manque d'élévation, 
il affecte même le ton vulgaire, et se fait en quelque sorte un mérite de 
plaider la cause du spiritualisme en termes fort peu dignes du sujet. 



Le MONDE marche, par Eug.Pelletan. Paris, 1857; 1 v. in-12: i fr. 75. 

Le monde marche, c'est un fait certain, il a toujours marché, tantôt 
bien, tantôt mai, tantôt lentement, tantôt vite. Mais cette marche cons- 
titue-t-elle un progrès véritable ? La question est difficile à résoudre. Il 



SCIKNCES MORALES BT POLITIQUES. 89 

fiivdraît pour cela connaître le point de départ et celui de Farrivée, or, 
l'un et l'autre sont pour nous des mystères impénétrables. Tant que les 
origines de l'humanité ne seront pas mieux éclaircies, on manquera de 
points de comparaison entre le passé et le présent ; quant à l'avenir, nul 
ne peut apercevoir le but qu'il nous cache. La discussion est donc assez 
oiseuse; il vaudrait mieux la renfermer dans des limites plus restreintes, 
et diriger ses efforts vers le perfectionnement individuel qui est à notre 
portée, tandis que celui de Kespèce nous échappe complètement. Mais 
M. Pelletan ne partage pas cette manière de voir. Il a foi dans le progrès 
continu; pour lui le monde marche d'un pas sûr vers le bonheur, et 
c'est la démocratie qui doit en faire un jardin d'Eden où c les femmes au 
cœur haut, les fiancées au front pur n'auront de guirlandes et de sou- 
rires que pour les forts qui auront noué la ceinture et fait Tœuvre du 
Dieu vivant. » Ce paradis terrestre n'est guère propre à séduire ceux 
qui savent par expérience quelles sont les douceurs du suffrage universel 
et les charmes des assemblées populaires. Ils reconnaissent trop la réa- 
lité du régime démocratique pour se laisser prendre aux illusions de 
la poésie. Aussi comprend-on facilement que M. de Lamartine, désen- 
chanté par les femmes au cœur haut et les hommes forts de 18i8, ait 
perdu sa croyance à l'infaillibilité du progrès. Il s'est même permis d'at- 
taquer la Profeisi&n de foi du dix-neuvihne siècle, ouvrage dans lequel 
M. Pelletan a prétendu révéler au monde ses destinées futures, sa re- 
ligion définitive et sa vraie rédemption. Ce livre, auquel une certaine verve 
chaleureuse et des idées assez hardies ont fait un succès de vogue, ren- 
ferme, il est vrai, quelques doctrines plus ou moins suspectes, soit de 
panthéisme, soit de socialisme. C'est l'impression de ce qu'on peut ap- 
peler l'école humanitaire, composée de jeunes enthousiastes qui suivaient* 
les traces de Lamartine jusqu'au moment où celui-ci s'est retourné contre - 
eux. Ils ne s'attendaient point à ce brusque revirement; mais le poète 
est homme d'impression plutdt que de principes, et d'ailleurs il a tra- 
versé des épreuves bien faites pour modifier ses idées. En voyant le 
peuple de près il s'est pris à douter des merveilleux bienfaits de la dé- 
mocratie. C'est ce doute qui cause l'indignation de M. Pelletan. Malgré 
le culte qu'il professe pour M. de Lamartine, il ne craint donc pas d'entrer 
en lice contre lui, et de soutenir vivement la doctrine de la perfectibilité. 
Son argumentation ne nous semble pas très-forte, elle est plutôt déclama- 
toire. Ce sont des tirades passablement ampoulées qui s'adressent moins 
à la raison qu'au sentiment et ne prouvent, en général, pas grand'cbose, 






90 BCIVHCBS BT AR9t. 

81 00 n'fst que Fauteur mt un eotbomiMte à tendances vagues de la portée 
desquelles ii ne se reod pas bien eompte lui-même. Nous croyons que 
M. de Lamartine aura peu de ^peine à triompher d un tel adversaine. 
Quant au style, la supériorité du poëie n'est pas douteuse, et les principe» 
qu'il défend ont Tavantage d'ôtre clairs, positifs et nettement arrKés. 



Etudes et lectures sur les sciences d'observation et leurs applications^ 
pratiques, par M. Babinet. Paris, 1857; 3 vol. in-18 : 7 fir. 50. 

Ce sera la gloire de l'époque actuelle que d'avoir su tirer un nerveil^ 
leux parti des découvertes scienllfiques en les appliquant au service des 
arts et de Tindustrie. Les matériaux laborieusement amassés par le& 
siècles antérieurs ont été mis en œuvre dans le nôtre avec autant de zèle 
que d'intelligence. Pour ne parler que des résultats les plus importants^ 
la vapeur et Télectricilé semblent destinés à changer la face du monde ; 
notre civilisation portera de plus en plus le cachet de leur influence 
puissante. Mais ce ne sont pas les seuls bienfaits dus aux travaux dee 
savants. Grâce à leurs recherches, de nombreuses routes nouvelles sou* 
vrent à l'activité de respril humain, et chaque jour, en quelque sorte, y 
voit surgir d'ingénieuses applications qui viennent contribuer au déve-^ 
loppemeot matériel et moral des peuples. L'impulsion est donnée, il ne 
s'agit que de l'entretenir par une diffusion toujours plus grande des tré-^ 
sors de la science. Autrefois celle-ci, renfermée dans le domaine de la 
théorie, dédaignait de se mettre à la portée de tous, maintenant, au coo» 
traire, elle aspire à la popularité, car elle a reconnu que c'est le meilleur 
moyen d'étendre soe em(»ire et d'en féconder le sol. Aussi M. Babinet, 
membre de rinstitut, savant de premier ordre, ne croit^il point déroger 
en écrivant des mémoires ^ l'usage du public profane, et il a parfaite- 
ment raison ; les connaissances qu'il propage de cette manière rendreoi 
de précieux services. Son petit livre aura beaucoup de lecteurs, superfi-- 
ciels peut-être» ipais chez quelques-uns il éveillera le goût de l'étude et 
tous y puiseront du moins le res^iect de la science dont il fait ressortir 
avec ifclat les titres glorieux. Le talent de l'écrivain est d'ailleurs très* 
heureusement doué pour une 4Buvre semblable. U possède l'art d'expo- 
ser les questions les plus ardues dans un langage clair, élégant, familier 
ipéne, bien propre à séduire ceux que repousse l'appareil scientifique. 



SCIBNGB8 BT ARTS, 91 

Oo en trouvera surtout la preuve dans ses charmants articles sur rastro-^ 
Domie, et maintes personnes qui n'ont jamais sai distinguer une éioite 
d'une autre se laisseront volontiers entraîner à faire avec lui le voya^î^ 
du ciel. Quant à ses notices météorologiques, les aperçus ingM^i^ 
qu'elles renferment» quoique parfois un peu trop aventurés, exciteot ie 
plus vif intérêt. La Télégraphie éUclrique, la Pértpeclivt aérienne, le 
Stéréoscope., V Electricité onvrihe ne sont pas moins attrayantes par la 
quantité de faits curieux dont elles rendent compte. Enfin la franchise 
avec laquelle l'auteur attaque le prétendu phénomène des tables tour« 
nantes nous paraît digne d'être hautement approuvée. C*est un devoir 
qu'en général les savants négligent trop de remplir. Ils ne sentent pas 
la nécessité de combattre l'absurde, parce qu'il est sans aucune valeur 
pour eux. Mais leur silence a le double inconvénient de laisser le champ 
libre aux dupeurs et de faire croire que la science redoute un débat pu- 
blic. Lorsque vient à se manifester quelqu'une de ces aberrations aux- 
quelles est sujette la foule, et que les charlatans exploitent avec tant die 
succès, il importe que la cause du bon sens ne reste pas sans déf^pnseur. 
En effet, maigre les progrès dont nous sommes si fiers, le culte du mer- 
veilleux compte encore d'innombrables adeptes, et les croyances super-* 
stitieuses que l'on s'imaginait avoir détruites reparaissent tout à coup aussi 
vivaces et contagieuses que par le passé. Les tables tournantes en soni 
un exemple frappant. Qui pouvait prévoir qu'au milieu du dix-neuvième 
siècle, des esprits, plus ou moins cultivés, seraient susceptibles de re- 
venir à la religion des fétiches, de consulter un oracle de bois, et d'être 
dupes de la plus grossière supercherie qui ait été jamais inventée? 
M. Babinet critique cette étrange folie de la façon la plus spirituelle et 
termine par la citation suivante, dans laquelle M. Morin, après avoir étu- 
dié les tables avec la bonne foi d'un adepte en dénonce non moins ioya- 
lea»ent toute l'absurdité : 

« Je ne crois pas que les tables tournent, marchent on lèvent le pied 
pcHissées par un être immatériel. 

t Je ne erois pas qu'après avoir eu l'esprit de se débarrasser des en- 
traves du corps huittain, une âme soit assez bête pour se fourrer dans un 
moeeeau de bms, et manifester sa présence par des exercices d'équilibre 
aussi absurdes qu'indignes de la strpériorité que s'arroge à juste titre 
ri«talligen£$ sur la matière. 

« le ne orois pas qiie> si vous a<ve8 des parents merts ou des amis qui 
V4M^ sont ebers, — en supposant mémo qu'ils veuillent ou puissent corn- 



92 SCIBNCBS ET ARTS. 

« 

muniquer avec vous, — ils aient choisi uo aussi pauvre moyen de vous 
parler; car si vous em{iloypz le jou^à vos affaires personnelles, ils ont au 
moins la nuit pour vous souffler leurs pensées à Toreille ou même pour 
vous apparattre. 

« Les fanlômes qui ^>euplaient les campagnes de nos pères, les reve- 
nants qui hantaient les ruines des vieux châleaux, s'ils n'étaient pas plus 
vrais que ceux des tables^, savaient au moins imposer un certain respect. 

• Les esprits de notre siècle, si tristement affublés de noyer, d'acajou 
ou de palissandre, n'inspirent que du méftris^ et feraient désespérer à 
jamais d*élever une barrière contre la démagogie de l'ignorance super- 
stitieuse et l'oligarchie détestable de ceux qui voudraient alimenter la su- 
perstition pour l'exploiter à leur protit, si l'excès même du ridicule des 
esprits ne devait pas leur donner le dernier coup ! > 

« Ces paroles sont rudes, ajoute M. Babinet, durus est hicsermo! 
Seront-elles entendues ! Dans tous les cas, la stérilité des vieux prestiges 
rajeunis en dégoûtera le public à la longue et les reléguera où ils étaient 
avant la crise actuelle. Les gens à imagination se trouveront avoir perdu 
leur temps à courir après des chimères, et les esprits sérieux pourraient 
bien avoir perdu le leur à démontrer la vanité des espérances nou- 
velles, en les jugeant au point de vue des méthodes rigoureuses d'inves- 
tigation qui ont déterminé les progrès de toutes les sciences ayant pour 
base l'observation des faits.» 



Le TRÉSOR DE LA CURIOSITÉ, tiré des catalogues de vente de tableaux, 
dessins, estampes, livres, marbres, etc., par M. Charles Blanc. Pa- 
ris, veuve J. Renouard, 1857 ; i vol. in-S® : 8 fr. 

Le premier volume de cet ouvrage, très-digne d'intéresser tous les amis 
des arts, vient de paraître; il renferme l'énumération de ce que pré- 
sentent de plus remarquable les ventes de tableaux, estampes, etc.^ faites 
depuis 1727 ( époque de la dispersion du cabinet de la comtesse de Ver- 
rue) jusqu'en 1779. Il ne faut pas croire d'ailleurs que le livre se borne 
à une sèche, mais exacte nomenclature; il se recommande à d'autres 
titres ; nous mentionnerons notamment une notice intéressante sur un 
graveur dont la vie était peu connue, Hollar, si admiré chez tes An- 
glais, et une autre notice bien spirituelle sur Gravelot, dessinateur char- 
mant, qui orna de ses vignettes les éditions de luxe publiées sous le règne 



SCIRNCBS ET ABTS 93 

de Louis XV. M. Ch. Blanc a illustré son texie fc'esl le mot consacré) de 
quelques images choisies avec beaucoup de Koût ; il offre, entre autres 
objets, des fac-similé d'une rigoureuse fidéliié de quelques estampes 
de Rembrandt tellement rares qu on n*en connaît qu une seule épreuve. 
L'élévation des prix survenue depuis un siècle dans la valeur de ces ob- 
jets fournit parfois matière à' des rapprochements curieux. Parfois se ren* 
contre l'indication de ces bizarreries dues à des caprices artistiques et qui 
séduisent quelques amateurs ; nous nous bornerons à citer le crucifix au 
coup de poing, gravure de Pomius où ion voit un ange donnant un 
coup de poing à un autre ange qui le rend au diable, et un dessin du 
Guerchin, représentant saint François à genoux; un ange qui «est en l'air, 
joue du violon. 



De l'application des arts a l'industrie. Rapport fait par M. le 
comte de la Borde, membre de la commission française à Tex position 
de Londres en 1851. Paris, imprimerie impériale, in-8. 

Ce volume ne contient pas moins de 1039 pages, et il est d'une lec- 
ture fort attachante. On connaît depuis longtemps l'autorité d'intelligence 
et Tardeur au travail de M. de la Borde ; ses nombreux ouvrages attes- 
tent l'étendue de ses connaissances en tout ce qui a rapport aux beaux- 
arts et la sûreté de son goût. L'occasion d'apprécier l'avenir des arts et 
de l'industrie au moyen de leur association, s'est présentée pour lui dans 
les conditions les plus favorables ; l'habile et zélé membre de Tlnstitut Ta 
saisie avec bonheur ; il s'est proposé, comme il le dit lui-même, d'indi- 
quer sommairement le rôle qu'ont joué les arts aux époques florissantes 
de la civilisation et de signaler en quoi, de nos jour%, ils ont changé leur 
voie, quels sont les vices de constitution qui arrêtent leur essor. Après 
avoir marqué la place de la France dans l'exposition de Londres, il cons- 
tate les efforts qui sont faits de tous côtés pour lutter avec elle, et il 
recherche quelles sont, dans cette nouvelle situation, les mesures à 
prendre , les réformes à introduire , les institutions à fonder pour 
maintenir le haut rang de l'industrie française. Aujourd'hui rensei- 
gnement des arts est désorganisé tandis que l'étude des sciences est for- 
tement constituée; il est indispensable de rétablir une harmonie bien né- 
cessaire. Beaucoup d'innovations sont proposées dans le travail que nous 
signalons, M. de la Borde s'exprime en ami enthousiaste du progrès ; tout 



94 8GI1SNCBS ET ARTS. 

ce qu'il réclame ne se fera pas, mais les idées qu'il agite, les considé- 
rations qu'il développe ne seront point sans résultat. Les parties de son 
livre consacrées à l'art dans l'enseignement, à l'enseignement de lart dans 
les carrières spéciales de l'industrie, à renseignement supérieur des arts, 
sont dignes d'une attention spéciale. Qu'on examine aussi avec soin les 
110 pages consacrées ï la création d'une iuanufacture modèle. Un ap- 
pendice de plus de 1 00 pages renferme, sous une forme laconique et 
avec un style entraînant, l'ensemble d'un système de mesures propres à 
développer dans les masses Tintelligence des beautés de l'art. Une foule 
de choses sont réunies, serrées dans un court espace; on pourra ne pas 
adopter toutes les vues émises par M. de la Borde, on dira qu'il n'est 
pas possible d'organiser de longtemps tout ce qu'il réclame, et qu'il de- 
vance d'un siècle ou deux l'époque où il vit, mais on reconnaîtra que 
l'avenir se chargera de réaliser un grand nombre des projets qu'il re- 
cooimande. Telle est d'ailleurs rim[>ortance et la variété des objets irÂtés 
dans ce rapport d'un genre nouveau que nous désirons vivement qu'une 
plume exercée et compétente se charge d'en rendre compte avec toute 
rétendue et avec toute l'ampleur de discussion qu'il mérite. ^ 



Théorie des intérêts composés infinitésimaux, suivie de quelques 
remarques sur les intérêts composés ordinaires et sur les intérêts 
simples, parÂ.-L. Dutoit. Lausanne, 1857; in-8 : 50 cent. 

On sait quelle est la marche ordinaire des intérêts composés, ils ac- 
croissent rapidement le capital , et plus les règlements de compte sont 
rapprochés les uns des autres plus il y a avantage pour le créancier. Mais 
dans le commerce il est d'usage de régler chaque année, ou tout au plus 
diaque semestre. Or si ce terme était réduit toujours davantage, il est 
évident que la capitalisation deviendrait de plus en plus rapide jusqu'à 
ce qu'elle atteignît une certaine limite vers laquelle devraient nécessai- 
rement tendre les différents résultats à mesure qu*on diviserait Tannée 
en périodes de temps de plus en plus courtes. C'est là ce que M. Dutoit 
appelle les intérêts composés infinitésimaux. 11 en expose la théorie dans 
les quatre problèmes suivants : 

1 . Que deviendrait le taux annuel d'une somme placée à intérêts com- 
posés, en supposant que les règlements de compte se lissent à des épo- 
ques intinimeni rapprochées les unes des autres, c'est-à-dire que ia ca- 
pitalisation des intérêts fût incessante et continue? 



6CIBNCBS BT AETS. ,95 

â« Quelle serait au bout de n aonées ia valeur (S) d*uQ capital (C), s'il 
^feait placé à intérêts composés iDfinitésimaux et à raison de r pour m 
franc l'an? 

3. En combien de temps un capital dont on connaît le taux deviendrait- 
il p fois plus grand par l'accumulation de ses intérêts composés inlinité- 
simaux ? 

4. Une personne emprunte  francs à intérêts composés infinitésimaux 
à raison de r pour un franc l'an, et s'engage à rembourser cette somme 
en m versements égaux effectués à égale distance les uns des autres de 
manière à éteindre complètement sa dette ea n années : quel doit être le 
montant de chaque versement? 

Les solutions de ces problèmes offrent plusieurs formules ingénieuses 
qui pourront être utilisées par les négociants. M. Dutoit leur suggère en 
effet l'idée d une réforme dans le calcul de l'intérêt. Il voudrait qu'au 
taux annuel on substituât le taux journalier^ afin de simplifier les cal- 
tu\s et d'obtenir une exactitude plus grande. Ce changement, dont il fait 
ressortir les avantages^ s'appliquerait, soit à l'escompte, soit aux ques- 
tions d'intérêt qui concernent le commerce proprement dit. 



Là médecine et les médecins, philosophie, doctrines, institutions, cri- 
tiques, mœurs et biographie médicales, par L. Peisse. Paris, 1857; 
2 vol. in-42 ; 7 fr. 

Cet ouvrage se compose d'articles qui ont été écrits soit pour des Re* 
vues. Suit pour les feuilletons de différents journaux. Sans être docteur, 
M. Peisse paraît avoir des notions assez étendues sur la médecine et 
connaître fort bien ceux qui la pratiquent. C'est un observateur intelli- 
gent, dont l'esprit, formé par l'étude de la philosoplrie, saisit avec promp- 
titude les traits généraux de chaque doctrine et ne se laisse point en- 
traîner aux séductions du système. Dans les débats qu'il analyse d'une 
manière aussi judicieuse que piquante, il ne se montre jamais tranchant 
ni passionné. Son rôle est celui d'un rapporteur impartial qui passe en 
revue les opinions opposées en les soumettant au critère du simple bon 
sens, mais qui ne craint pas d égayer le sujet, quand l'occasion se pré- 
sente, par quelques saillies spirituelles. Il fait habilement ressortir les 
inconséquences, les contradictions, les témérités dangereuses ou les ha- 
bitudes routinières, auxquelles la science médicale est encore trop su- 



96 SGIBN€XS ET AETS. 

jette, et réussit à donner aux discussions qu'il résume ainsi un véritable 
attrait même pour les lecteurs les moins versés dans ces matières. Les 
chapitres intitulés : Découvertes et découvreurs, la Métkode numérique^ 
le Microscope et les microscopisles. Mission sociale de la médecine et 
du médecin j la Philosophie et les philosophes devant les médecins, etc. y 
sont pleins d'aperçus ingénieux. Il expose avec clarté, s'abstient de toute 
forme pédantesque et sait être populaire dans ia meilleure acception du 
terme. Quand il aborde les superstitions scientifiques, sa critique de- 
vient plus vive et mordante, quoiqu'elle n'ait point celte roideur magis- 
trale qui prononce à priori sans vouloir prendre la peine d'examiner. Le 
magnétisme animal, la phrénologie, l'homoeopathie, les tables tournantes, 
et maints autres procédés de ce qu'il appelle la médecine occulte, lui four- 
nissent une série de remarques fort amusantes, dans lesquelles il donne 
essor à sa verve avec d'autant plus de liberté qu'en général il ne recule 
point devant l'expérimentation, seul moyen de découvrir les illusions ou 
les supercheries dont le public est trop souvent la dupe. On trouve enfin 
de jolis détails dans ses observations sur les mœurs des médecins, et les 
notices nécrologiques qui terminent le second volume seront lues avec 
un vif intérêt. 



REVUE CRITIQUE 

DES 



LIVRES NOUVEAUX. 



Avmiii tsftv. 



JLlTOrKRATURfi. 

Les Tragiques, par Théodore-Âgrippa D'Âubigné; nouvelle édition, 
revue et annotée par Lud. Lalanne. Paris, 1857 ; 1 vol. in-18 : 5fr. 

Ce nouveau volume de la bibliothèque elzévirienne sera certainement 
bien accueilli, car il reproduit une œuvre très-remarquable qui, grâce à 
Textrême rareté de ses anciennes éditions, n'est guère connue que de 
quelques amateurs privilégiés. C'est un poëme écrit sur le champ de ba- 
taille, au plus fort de la lutte religieuse, et dans lequel règne une verve 
satirique delà plus grande énergie. 11 ne faut pas sans doute y chercher 
la perfection littéraire: le plan est défectueux, les vers sont parfois bar- 
bares ou grossiers, mais l'inspiration du poëte éclate en maints endroits 
par des traits vigoureux, par de nobles sentiments, par des pensées har- 
dies exprimées avec bonheur, qui décèlent un talent plein de sève et d'o- 
hginalité. Agrippa d'Aubigné a divisé ses Tragiques en sept livres, dont 
le but principal est de donner cours à l'indignation du soldat huguenot 
contre la détestable tyrannie sous le joug de laquelle gémissaient ses co- 
religionnaires, c Du milieu des extrémités de la France et même de plus 
loin, dit-il dans sa préface, notamment d'un vieil pasteur d'Ângrogne» 
plusieurs écrits secondaient les remontrances de vive voix par lesquelles 
les serviteurs de Dieu lui reprochaient le talent caché, et quelqu'un ea 
ces termes : « Nous sommes ennuyés de livres qui enseignent, donnez- 
Dous-en pour émouvoir, en un siècle oti tout zèle chrétien est péri, où la 
différence du vrai et du mensonge est comme abolie, où les mains des en» 
nemis de TEglise cachent le sang dont elles sont tachées sous les présents 
et leurs inhumanités sous la libéralité. » Pour répondre à cet appel, d'Au- 
bigné publia son poëme, quoique, ajoute-t-il, « je gagnerai une place au 
rôle des fous, et, de plus, le nom de turbulent, de républicain ; on con- 
fondra ce que je dis des tyrans pour être dit des rois, et l'amour loyal et 

7 



98 LITTBRATLRE. 

la fidélité que j'ai montrées par mon épée à mon grand roi jusque à la fin, 
les distinctions que j'apporte partout seront examinées par ceux que j'of- 
fense, surtout par l'inique Justice, pour me faire déclarer criminel de 
lèze-majesté. • En effet, il y avait bien de quoi. D'At^né n'épjfgne ni 
les princes, ni les rois, et manie l'arme de la satire avec une incroyable 
audace. Dans son premier livre, intitu&élfi's^M, il retrace les calamités et 
les guerres civiles qui ont désolé la France, durant la dernière moitié du 
seizième siècle, et qu'il attribue soit aux vices des rois et des grands, 
contre lesquels est dirigé son second livre, les Princes ; soit à la corrup- 
tion des gens de justice, qui forme le sujet du troisième livre, la Chambre 
dorée. Dans le quatrième^ les Feux, il peint les persécutions e^^çrcées 
contre les réformés, dont les com^bats et les victoires sont chantées dans 
le cinquième, les Fers. Le sixième. Vengeances, offre le tableau des chat i- 
«iSiMkB à/^i Dieu a frappé sur cette terre les impies et les per^écutei^rs^^ en 
attendant l'expiation suprême à laquelle le poë^e nous fait assister ^^^^ 
sfin septième livre, Jugement, qui décrit la fin du moj^de etj le lifg^Jija^jài 
dejînier. 

Cette courte analyse, que nous empruntons à la notice c|e M. Lalanne, 
ré^uo^e fort bien la donnée du poëme^ dans lequel, à défaut d'une ac^ipn 
silivie, le§ épisodes abondent et présentent une image fidèle do cette ter- 
rible époque, où, s'écrie le poëte: 

Les bélistres armez ont le gouvernement 
Le sac de nos cité$ ; comme apcienn^qf^^^t 
Une croix hqurguiponne eçpouvantoit nos pères, 
Le blanc les fait trembler ; les pitoiables mères 
Pressent à festomac leurs enfans esperdus, 
Quand les tambours françois sont de loin entendus. 
Les places de repos sont places étrangères, 
Les villes du milieu sont les villes frontières ; . 
Ije village se garde, et nos propres maisons 
Nous sont le plus souvent garnisons et prisons. 

La France, déchirée par les factions, voit ses enfants se livrer sur son 
sei/A mêgie des combats acharnés. Chez ceux qui devraient avoir le plufk 
à çqeur son bien et sa renommée, elle ne trouve que félonie. 

Les rois, qui sont du peuple et les rois et les p^ws. 
Du troupeau domesticq sopit les loupts sanguinaines ; 
Ils sont rire aUurnée et les v^ges de Dieu, 
La craiate des vivans 



LIITBaAlU&S. 09 

C'est chez les vitlageois qu*il faut aller chercher la vertu, et pour eux 
elle est une cause de persécution, en sorte (fue la terre qui les aime, 

La terre semble donc, pleurante de souci, 
Consoler les petits en leur disant ainsi : 
« Enfans de ma douleur, du haut ciel l'ire esmeuê 
« Pour me vouloir tuer, premièrement vous tuë ; 
4i Vous tanguiez, et lors le plus doux de mon bien 

< Va saoulant de plaisir ceux qui ne valent rien. 

< Or, attendant le temps que le ciel se retire, 

c Ou que le Dieu du ciel destoume ailleurs son ire 

< Pour vous faire goûter de ces douceurs après, 

< Cachez-vous sous ma robbe en mes noires forests.» 

En eSet, il n'y a plus de sécurité que dans les solitudes sauvages; par- 
tout ailleurs régnent l'injustice et la tyrannie. 

Jadis nos rois anciens, vrais pères et vrais rois. 
Nourrissons de la France, en faisant quelquefois 
Le tour de leur pays en diverses contrées. 
Faisaient par les citez de superbes entrées. 
Chacun s'esjouissoit, on savoit bien pourquoi ; 
Les enfants de quatre ans crioient : Vive le roi ! 



Nos tyrans aujourd'hui entrent d*une autre sorte, 
La ville qui les void a visage de morte : 
Quand son prince la foulle, il la void de tels yeux 
Que Néron voioit Romm' en Tesclat de ses feux. 
Quand le tyran s'esgaie en la ville où il entre, 
La ville est un corps mort, il passe sur son ventre. 

Aussi n'entend-on sur leur passage ni des bénédictions ni des actions 
de grâces ; les cœurs ulcérés respirent la vengeance et n'adressent plus à 
' Dieu qu'une seule prière : 

Que ceux qui ont fermé les yeux à nos misères. 
Que ceux qui n'ont point eu d'oreille à nos prières. 
De cœur pour secourir» mais bien pour tourmenter. 
Point de mains pour donner, mais bien pour nous oster, 
Trouvent tes yeux fermés à juger leurs misères ; 
Ton oreille soit sourde en oyant leurs prières ; 
T6n sein ferré soit clos aux pitiez, aux pardons ; 
Tft main sèche stérile aux bienfaits et aux dons* 
Soient tes yeux clair-voyans à leurs péchés extrêmes ; 



100 LITTi^RATURB. 

Soit ton oreille ouverte à leurs cris de blasphèmes, 
Ton sein déboutonné pour s'enfler de courroux 
Et ta main diligente à redoubler tes coups. 

Les voustes célestes 

N'ont-elles plus de foudre et de feux et de pestes ? 
Ne partiront jamais du trône où tu te sieds, 
Et la mort et l'enfer qui dorment à tes pieds? 

La verve du poëte se soutient avec la même énergie dans le second 
livre, où sont dévoilées toutes les turpitudes de la cour de Henri IH. Il 
flagelle impitoyablement roi, princes, courtisans, ministres, flatteurs, 
ne ménage pas davantage les femmes, et pousse la satire jusqu'au der* 
nier degré de violence. Mais le tableau d'une semblable époque ne sau- 
rait être exagéré. La corruption avait atteint son apogée. On voyait les 
plus hauts emplois distribués à de vils complaisants ; le vice et la débau- 
che étaient des titres aux faveurs du monarque. D*Âubigné représente 
un jeune homme qui, visitant la cour pour la première fois, accoste un 
vieillard et lui demande les noms des éminents personnages autour des- 
quels s'empresse la foule. Ce courtisan grison, fort étonné que q^ielqu'un 
puisse ne pas connaître les mignons du roi, 

Raconte leurs grandeurs, comment la France entière, 
Escabeau de leurs pieds, leur estoit tributaire. 
A l'enfant qui disoit : c Sont-ils grands terriens 
Que leur nom est sans nom par les historiens ?j» 
n respond.: c Rien du tout ; ils sont mignons de prince. 
— Ont-ils sur l'Espagnol conquis quelque province ? 
Ont-ils par leurs conseils relevé un mal-heur? 
Délivré leur pays par extrême valeur ? 
Ont-ils sauvé le roi, commandé quelque armée, 
Et par elle gagné quelque heureuse journée ? > 
A tout fut respondu : c Mon jeune homme, je croy 
Que vous estes bien neuf; ce sont mignons du roy.» 

Dans un tel repaire, il est dangereux de séjourner. On échappe diffi- 
cilement à la contagion, et mieux vaut s'en tenir aussi loin que possible. 
Ceux mêmes qui se font gloire d'y demeurer purs, sont obligés de tran- 
siger plus ou moins avec leurs principes, car, sans cela, comment pour- 
raient-ils soutenir la vue de si monstrueuses iniquités. L'habitude émousse 
leur sens moral et l'exemple risque de les pervertir peu à peu. Aussi le 
poëte leur crie : 



LITTÉRATURE. 101 

Fuyez, Lots, de Sodome et Gomorre bruslantes ; 
N'ensevelissez pas vos âmes innocentes 
Avec ces reprouvez : car combien que vos yeux 
Ne froncent le sourcil encontre les hauts cieux, 
Combien qu'avec les rois vous ne hochiez la teste 
Contre le ciel esmu, armé de la tcmpeste, 
Pource que des tyrans le support vous tirez, 
Pouree qu'ils sont de vous comme dieux adorez, 
Lorsqu'ils veullent au pauvre et au juste mesfaire, 
Vous estes compagnons du mesfaict pour vous taire. 
Lorsque le fils de Dieu, vengeur de son mespris, 
Viendra pour vendanger de ces rois les esprits, 
De sa verge de fer brisant, espouvantable. 
Ces petits dieux enflés en la terre habitable. 
Vous y serez compris. Comme, lorsque Tesclat 
D'un foudre exterminant vient renverser à plat 
Les chesnes resistans et les cèdres superbes. 
Vous verrez là dessous les plus petites herbes, 
La fleur qui craint le vent, le naissant arbrisseau, 
En son nid l'escurieu, en son aire l'oiseau. 
Sous ce daix qui changeait les gresles en rosée, 
La bauge du sanglier, du cerf la reposée, 
La ruche de l'abeille et la loge au berger, 
Avoir eu part à l'ombre, avoir part au danger. 

Cette première partie du poëme est la meilleure. Dans les cinq autres 
chants on trouve moins de passages à citer, quoique le talent de l'auteur 
jette encore çà et là de brillants éclairs. C'est un génie fort inégal sans 
doute, qui s'abandonne à sa fougue et ne suit aucune règle. Son langage 
est souvent incorect, grossier, brutal ; mais il a bien l'inspiration du 
poëte, et s'élève parfois à des beautés de premier ordre. Les Tragiquei 
méritent, comme le dit M. Lalanne, d'être appelés V Epopée du calvi^ 
nisme. On lui saura gré de leur avoir rendu, dans la littérature, la place 
il laquelle le cachet profondément original dont elles portent l'empreinte 
leur donne un droit incontestable. 



Théâtre et souvenirs» par E.-U. Bouzique. Paris» Ghamerot, 1857 ; 

1 vol. in-12. 

Ce volume renferme deux tragédies qui n'ont pas été représentées. 
L'auteur les écrivait à l'époque oh s'engagea la lutte entre Tancienne et 



102 LlTTàRATURI. 

la nouvelle école. Disciple de la première, il ne voulut sans doute pas 
affronter la chance d'un échec que les passions alors surexcitées rendaient 
presque inévitable. D'ailleurs ses pièces offrent une tendance soit politi* 
que, soit surtout religieuse, à laquelle on eût difficilement permis de se 
manifester sur le théâtre. Dans Tune, intitulée Servius Tullius, H. Bou> 
zique se montre fidèle observateur des traditions classiques. C'est un pas- 
sage de Tite-Live qui lui fournit le sujet. 11 se borne à mettre en scènes 
le récit de l'historien sans y rien changer. L'imagination ne joue pas un 
grand rôle dans son œuvre, le développement des caractères semble être 
le seul mérite auquel il aspire. Tarquin, poussé par l'ambition de sa 
femme Tullie, entreprend de détrôner Servius Tullius. Il profite pour 
cela du mécontentement de la noblesse qui ne supporte qu'avec peine 
la popularité du vieux roi. Servius, en effet, ne cherchait pas son appui 
dans l'aristocratie, M. Bouzique lui attribue même des vues fort démo- 
cratiques. 

Je veux m' ouvrir à toi, comme je l'ai promis, 
Tarquin, lis en mon cœur, apprends pourquoi jadis 
Les dieux ont sur mon front déposé la couronne. 
Je suis né dans les fers, le sort m'offrit un trône. 
J'y montai : les Romains, dociles à ma voix, 
Ont pendant quarante ans exécuté mes lois. 
Aujourd'hui sous le temps ma vieillesse succombe ; 
J'ai vécu, mais je puis, en entr'ouvrant la tombe, 
Me dire : < J'ai voulu le bonheur des humains ; 
Mes jours n'ont point passé stériles pour les Romains ; 
Leurs fils reconnaissants béniront ma mémoire.]» 
Mais j'aurais trop peu fait pour Rome et pour la gloire. 
Si, du peuple à mes jours mesurant l'avenir. 
Et complice des maux qui viendraient l'assaillir, 
Mon trépas le laissait sans force et sans défense 
Contre les ennemis de son indépendance. 
Rendre tous les Romains égaux devant les lois; 
Préparer leur grandeur en assurant leurs droits, 
Loin de ces murs sacrés bannir la servitude. 
Tel fut l'objet constant de ma sollicitude. 
Dans ce but généreux, j'ai longtemps médité 
Pour accorder les rois avec la liberté. 
Tous mes calculs sont vains, et plus je l'envisage, 
Plus je vois dans les cours se traîner l'esclavage. 
L'intérêt de l'Etat a commandé mon choix : 



LITTERATURE. 



m 



La crainte des tyrans doit proscrire les rois. 
De Rome pour toujours leur nom va disparaître ; 
£t ses remparts verront, sous la loi pour seul maître, 
D*âge en âge grandir de fiers républicains. 

- Ces vers sont assez remarquables» mais les idées qu'ils expriment nous 
paraissent un peu trop républicaines pour sortir de la bouche d'un roi. 
En admettant même que telles furent les intentions de TuUius, ce n'est 
pas à Tarquin qu'il les aurait confiées, à moins qu'il ne voulût se faire le 
complice des trames ourdies contre sa propre personne. Que la royauté, 
menacée par la noblesse, cherche un appui dans le peuple, cela se com- 
prend, mais elle n'abandonne pas ainsi le pouvoir au moment où ses en- 
nemis conspirent pour s'en emparer. Se montrer prêt à déposer la cou- 
ronne était le moyen d'assurer le triomphe de Tarquin, qui n'hésite plus 
et se fait proclamer roi par le sénat. Le tort de l'auteur est d'avoir vu 
dans Tullius un héros démocrate selon les idées modernes, une espèce 
de Washington se dévouant pour le bien public sans aucun égard à ses 
intérêts personnels. On ne retrouve pas non plus toujours le cachet ro- 
main dans les sentiments qu'il attribue à ses autres personnages. Ce sont 
les défauts du genre classique, la vérité des détails est sacrifiée à l'har- 
monie de l'ensemble ; l'action doit être avant tout majestueuse, digne et 
conforme aux règles. Du reste, cette tragédie ne manque pas d'un cer- 
tain mérite, le style en est noble et pur, l'action bien conduite quoique 
trop froide pour qu'elle pût subir l'épreuve de la scène. Les mêmes re- 
marques s'appliquent davantage encore aux Dragonnades, Ici l'absence 
de ce qu'on appelle couleur locale se fait sentir plus vivement, parce que 
répoque du drame est assez rapprochée de nous pour qu'on en connaisse 
bien les traits caractéristiques. Le pompeux alexandrin ne rend d'une 
manière convenable ni le langage des martyrs protestants, ni l'ardeur fa- 
natique de leurs bourreaux. Jetée dans le moule classique, cette lutte si 
féconde en péripéties émouvantes perd toute vie et tout intérêt. On se sou- 
vient de VHownête criminel; eh bien les Dragonnades lui ressemblent 
beaucoup, quoique des incidents plus nombreux donnent à l'action un 
mouvement qui manque tout à fait au larmoyant mélodrame de Falbaire 
de Quingey. 

M. Bouzique réussit mieux dans les poésies diverses qui terminent 
son volume. On peut dire qu'il est de l'école de Béranger. Son talent suit 
les traces de cet habile maître, de loin sans doute, mais souvent avec 
assez de bonheur. Nous citerons comme exemple la pièce intitulée Le 
vieux chemin : 



104 LITTÉRATURE. 

Tout le pays de routes se sillonue , 
Au nord, au sud, par le haut, par le bas. 
Vieux grand chemin, la foule t'abandonne 
Lorsqu'à la viUe elle porte ses pas. 
Sur l'autre voie, où la vitesse appelle , 
Qu'on roule donc du matin jusqu'au soir ; 
Moi, quand je puis, je te reste fidèle ; 
vieux chemin , que j'aime à te revoir ! 

Seul, autrefois, tu conduisais nos pères ; 
D'un bout à l'autre ils te savaient par cœur. 
Tes mauvais pas, tes profondes ornières 
Aiguillonnaient et ne faisaient pas peur. 
Là s'embourbait la lourde cariole ! 
Deux bons chevaux peinaient à l'émouvoir; 
On criait fort, on poussait de l'épaule : 
vieux chemin, que j'aime à te revoir! 

Et lorsqu'on nuit, au sein de la famille, 
On arrivait, bien las et bien crotté. 
Au coin de l'être, à la femme, à la fiUe, 
De point en point le cas était conté. 
On exaltait l'adresse et le courage ; 
En longs récits on se faisait valoir : 
Comme on enflait les dangers du voyage ! 
vieux chemin, que j'aime à te revoir ! 

Qui me rendra les beaux faits historiques 
Qu'on redisait aux passagers nouveaux. 
Et le parfum des légendes antiques 
Qui s'exhalait et par monts et par vaux ? 
Des humbles croix on notait Torigine ; 
On saluait les esprits du manoir ; 
On frissonnait au bas de la colline : 
vieux chemin, que j'aime à te revoir ! 

Pour une route où la poussière aride 
Et le sol nu vous fatiguent les yeux, 
Ils ont quitté tes sources d'eau limpide, 
Tes verts gazons, tes prés délicieux, 
Et tes buissons bordés de violettes, 
Et ta cascade où l'on allait s'asseoir, 
Et tes taillis où pendait la noisette : 
vieux chemin que j'aime à te revoir : 



LITTiÈRATURE. 105 



Quaod du retour, aux bannis du collège, 
Septembre enfin redonnait le signal, 
Quel charme, à pied, devançant le cortège, 
De s'élancer vers le pays natal ! 
D'un pas rapide on brûlait la distance ; 
Tout souriait, chemin, passant, espoir. 
Oui, c'est pour moi, c'est un ami d'enfance 
vieux chemin, que j'aime à te revoir ! 



Revue des principaux écrivains littéraires de la Suisse française, par 

Â. Daguet. Fribourg, 1857, in-8. 

La Suisse française a fourni, vers la fin du siècle dernier et au com- 
mencement de celui-ci, un nombre assez considérable d'écrivains plus ou 
moins distingués. Neuchfttel, Lausanne et Genève, trois petites villes, 
dont la plus importante ne comptait guère que 25,000 âmes, devinrent 
des centres littéraires, dont la renommée s'est maintenue jusqu'à nos 
jours. Les circonstances qui avaient favorisé cet essor n'existent plus. 
Des révolutions successives ont transformé les institutions et nui, sans 
aucun doute, à la culture des lettres qui, d'ailleurs, se ressent là comme 
autre part de la prédominance des intérêts matériels. Cependant, grâce 
aux semences fécondes que le sol renfermait dans son sein, le mouvement 
n*a point cessé. Depuis quelques années, même, il semble prendre une 
activité nouvelle, et si la littérature suisse ne présente pas aujourd hui, 
comme jadis, des talents de premier ordre, elle peut du moins prétendre 
encore à tenir son rang avec honneur dans l'histoire de notre époque. 
Ses œuvres se sont beaucoup multipliées, et portent un cachet plus na- 
tional. On peut dire que la Suisse française possède maintenant une 
école littéraire, autour de laquelle se groupent de nombreux disciples 
dont les tendances très-diverses n'excluent point une communauté de 
principes et de sentiments bien caractérisée. M. Daguet les passe en 
revue d'une manière fort intéressante, en les rangeant sous quatre che& 
principaux: 1® sciences philosophiques, droit, éducation, théologie; 
S® histoire; 3^ poésie, romans, critique; 4^ philologie et linguistique. 
C'est une esquisse rapide, mais faite avec soin, et d'un bout à l'autre 
empreinte de la plus grande bienveillance. On regrette seulement que 
l'auteur n'ait pas donné plus d'étendue à son travail. Mais nous espérons 
qu'il le complétera dans une nouvelle édition, et profitera des excellents 



iOè LItTIÉIlATURB. 

matériaux qu'il a rassemblés» afin de retracer un tableau historique du 
mouvement intellectuel de la Suisse française. M. Daguet nous semble 
très-bien qualifié pour remplir dignement cette tâche. Il joint à des con- 
naissances solides, un esprit libéral, du goût, de Tindépendance et beau- 
coup d'impartialité. 

Traduction nouvelle de l'Ecglésiaste, d'après l'hébreu, par A. Janin. 
Genève, J. Cherbuliez, 1857; in-i8 : 50 c. 

Cet essai de Iraduction nouvelle nous paraît assez remarquable. Le 
style en est ferme, sobre et d'une élégante concision. M. Janin a su très- 
heureusement concilier le respect du cachet original, avec les exigences 
de la langue française. Nous ne sommes pas à môme d'apprécier jbsqo'à 
^uel point il est resté fidèle au texte hébreu, mais, comme travail litté- 
raire, ss> traduction nous semble avoir une supériorité bien décidée. On 
y trouve le ton sintple et grave qui convient aux leçons de l'éternelle sa- 
gesse. Les pensées de TEcclésiaste, rendues avec énergie et nobles&e, 
produisent une impression beaucoup plus profonde, et leur éloquence est 
beaucoup mieux sentie. Nos lecteurs en pourront juger d'après la citatîoïi 
suiva^nte: c Réjouis-toi, jeune homme, en ta^jeunesse, et contentë-toi dans 
ceè jours de ta jeunesse, et marche comme ton cœur te mène, et selon 
les regards de tes yeux, mais sache que Dieu t'appellera en jugement sui^ 
toutes ces choses. — Eloigne l'irritation de ton cœur et bannis loin de 
loi les soucis rongeurs, car l'enfance et l'adolescence passent comme une 
Vapeur. — Souviens-toi de ton Créateur dès le jour de ta jeunesse, avant 
qût les jours mauvais viennent, et que s'approchent les années auxquelles 
tu dises: Je n'y prends plus de plaisir; — avant que le soleil et h lu- 
oiiêre, la lune et les étoiles s'obscurcissent, et que les nuages reviennent 
afprès la pluie; — avant qu'arrive le temps où les gardiens de la maison 
tremblent, où les hommes forts fléchissent, où celles qui étaient occupées 
à moudre se rdâchent parce que leur nombre a diminué, où celles qui re- 
gardaient par les fenêtres n'ont plus d'éclat, — où les deux battants de la 
porte sont fermés sur la rue ; où il y a abaissement du bruit de la meule, 
où l'on se lève au chant du passereau, où les filles de l'harmonie sont 
muettes, — où Ton s'effraie de ce qui est élevé, où Ton marche en 
tremblant, où l'amandier a cessé de plaire, où la sauterelle est indigeste, 
où les câpres n'excitent plus l'appétit, parce que l'homme s'en va à sa 
demeure éternelle, et que les pleureurs font déjà le tour des rues ; -— 



LlTTl^RATUtiE. f07 

avant le temps où fa corde d'argent devient lâche, où le vaisseau d'or se 
Tùrûpi, où la cruche se casse sur la fontaine, et où la roue se brise âU 
puits ; — avant enfin que la poudre retourne à la poudre d'où elle a été 
tirée, mais que l'esprit retourne à [Heu qui l'avait donné. > 



Chojx d'études sur la littérature contemporaine, par M. Villemain. Paris, 

Didier et C", 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr. 

M. Villemain a réuni dans ce volume ses rapports annuels sur les con- 
cours de l'Académie française, de 1846 à 1856, et sept articles de cri-^ 
tique littéraire sur des œuvres contemporaines, savoir : la traduction du 
Raradis perdu et l'essai sur la littérature anglaise par Chateaubriand ; 
l'Histoire de la littérature française sous la Restauration, par M. Nette- 
ment; 1 Histoire de Tbéodoric le Grand, roi d'Italie, par M. Du Roure ; 
Florence et ses vicissitudes, par M. Delecluze; les écrits de lord Broug- 
ham;j l'Angleterre au dix-huitième siècle, par M. deRémusat; l'Eglise 
et l'Empire romain au qualrième siècle, par M. Albert de Broglie. Tous 
ces fragments avaient déjà paru dans différents recueils, mais on ne se 
plaindra pas.de les voir reproduire ainsi, car ils sont du nombre de ceux 
qu'on aime à lire plus d'une fois. D'ailleurs M. Villemain leur donne un 
nouvel attrait par la pensée qui les rassemble en faisceau, et concentre 
leurs rayons épars pour en former une vive lumière dont l'éclat soit plus 
intense et l'intluence plus féconde. Son but est de chercher à ramener 
Tattention publique vers tes études littéraires, et de combattre sur ce 
point la tendance fâcheuse de notre époque. Cette tendance est en effet 
assez menaçante ; elle le devient surtout à mesure que le mouvement in- 
dustriel prend une plus grande extension. Les études classiques sont re» 
gardées comme un luxe inutile. On nie leur importance, on méconnaît 
leurs services. Tout ce qui n*offre pas des applications directes» promptes, 
et dont les avantages soient évidents, semble à peine digne d'occuper les 
loisirs de l'esprit. La poésie, l'érudition, la littérature se trouvent aujour- 
d'hui dans ce cas, et leur action sur l'essor des intelligences ne saurait 
être facilement comprise par le plus grand nombre. Les adversaires des 
études classiques refusent d'admettre la nécessité de cette gymnastique 
intellectuelle. Ils prétendent y substituer l'enseignement scientifique dont 
les résultats ont, à leurs yeux, une tout autre portée. L'instruction qu'ils 
préconisent est celle qui peut fournir le plus vite un certain nombre de 



108 LITTBRATURR 

données pratiques. Peu leur importe de réduire l'homme au rôle d'un 
simple rouage dans la machine sociale, pourvu que celle-ci fonctionne 
avec précision, et que la somme de ses produits aille toujours croissant. 
Ils dédaignent les lettres, oubliant que, sans l'éducation Httéraire, la 
science ne serait jamais sortie d'un petit cercle d'adeptes, et n'aurait 
point porté les fruits qui sont l'objet de leur enthousiasme. Cette étrange 
aberration a fait de tels progrès, que les études en souffrent d'une ma- 
nière évidente. Sous le prétexte d'allier les lettres et les sciences plus 
intimement, le programme des éludes est compliqué outre mesure, c On 
enseigne mal, à la fois, des choses disparates; on intervertit l'ordre na- 
turel des esprits et la vocation des âges, en chargeant de mathématiques 
les années de l'enfance propres à l'étude des langues, et en exerçant l'at- 
tention technique, avant l'intelligence morale. C'est là une contradiction, 
que le choix arbitraire déféré à l'enfant ne saurait corriger, et qui suffit à 
fausser tout un plan d'études. 9 

C'est contre un tel abus que M. Villemain s'élève avec raison. Sa sol- 
licitude pour les lettres nous paraît inspirée par une appréciation très- 
juste des véritables besoins de la société. < Quelle que soit, dit-il, l'ar- 
deur de notre époque pour le progrès matériel de la richesse, et quel que 
soit même le degré d'imagination qui se môle, de nos jours, à cet intérêt 
positif, tout le monde convient que l'existence d'un peuple se compose en- 
core d'autre chose ; on y comprend aussi les hautes vérités sociales, le 
perfectionnement des lois, la tendance élevée des lettres, l'admiration du 
beau dans les arts, la science enfin, et toutes les sciences, non pas dans 
quelques applications vulgairement pratiques, mais dans la grandeur des 
méthodes et des résultats. » 

On ne saurait mieux caractériser les bienfaits de la culture littéraire, 
et M. Villemain, joignant l'exemple au précepte, nous offre, surtout dans 
ses rapports académiques, une admirable richesse d'aperçus. La littéra- 
ture peut, à bon droit, être fière de cette haute intelligence ouverte à 
toutes les idées, et dont le jugement, non moins éclairé que ferme, s'exerce 
avec le même succès dans les branches les plus diverses du savoir hu- 
ipain. Là, même^ où manque peut-être la profondeur, on trouve toujours 
des réflexions ingénieuses, des traits spirituels, des pensées fécondes qui 
sont, éminemment propres à réveiller chez les lecteurs le goût de l'étude 
en la leur présentant sous la forme la plus attrayante. Le style de M, Vil- 
lemain a de brilla.nles.qualité^, dès longtemps reconnues et dignement ap- 
préciées, mais ce qui nous plaît davantage encore, c'est l'aimable bien- 



LITTÉRATURE. 109 

veillaoce qui l'anime jusque dans les sévérités de la critique, sans que 
pour cela le censeur faiblisse, ou transige avec les principes du beau et 
du vrai. Ainsi, dans son étude sur Chateaubriand, il sait conserver le 
ton respectueux auquel a droit un nom pareil, tout en signalant, avec non 
moins de délicatesse que de tact, les écarts, les fautes de goût, les lacunes 
regrettables qu'on rencontre soit dans sa traduction de Milton, soit dans 
son essai sur la littérature anglaise. L'article sur le livre de M. Nette- 
ment est un modèle de polémique parfaitement convenable, quoique les 
sentiments et les opinions du critique soient en général diamétralement 
opposés à ceux de l'écrivain qu'il analyse. Mais le morceau capital de cet 
intéressant recueil est celui consacré à lord Brougham. Dans l'apprécia- 
tion d'un talent si multiple, dont les travaux ont exploré avec un égal 
succès le domaine de la science et celui des lettres, M. Yillemain déploie 
toutes les ressources de son esprit. 11 le juge comme publiciste, comme 
historien, comme littérateur, avec une impartialité noble et courtoise, et 
rend la plus entière justice aux qualités éminentes du grand orateur 
anglais. 

Les autres articles que renferme ce volume, quoique moins remar- 
quables, répondent cependant assez bien au but de l^auteur, qui voulait 
« rassembler surtout des essais d'analyse critique, des études de goût et 
d'art, pour ceux qui s'y plaisent encore, et que l'amour des lettres rend 
indulgents à tout travail indépendant inspiré par elles. » 



Histoire de l'Académie française, depuis sa fondation jusqu'en 1830, 
par Paul Mesnard. Paris, 1857-, 1 vol. in-12: 3fr. 50 c. 

Malgré les critiques et les sarcasmes lancés contre l'Académie par 
ceux qui n'en sont pas, cette institution tient une place importante dans 
l'histoire des lettres. Tout en la dénigrant, on accepte plus ou moins son 
autorité, parce que le besoin s'en fait sentir. Les services qu'elle a rendus 
à la littérature ne peuvent être niés. Elle était un frein nécessaire pour 
arrêter le développement fâcheux des tendances anarchiques dans la 
langue et peut-être aussi dans les idées. Si quelquefois son joug paraît 
lourd, Tesprit français se venge par un bon mot^ mais il ne saurait sans 
péril être affranchi de cette espèce de tutelle qui, d'ailleurs, s'exerce 
d'une manière peu redoutable. En définitive, c'est un tribunal du goût, 
dont les arrêts n'obligenti personne et n'entraînent aucune conséquence 



Pénale. Quand rAcadémie prononce, il but encore que le public confinne, 
autreioent la sentence est comme non avenue. Aujourd'hui surtout la plus 
grande liberté règne à cet ^ard ; les jugements académiques ne sont 
que des préavis d'experts que chacun peut admettre ou rejeter selon sa 
(antaisie. Jadis ils avaient, soit à la cour, soit dans les salons, un appui qpi 
repdait plus difficile de s'y soustraire. Cependant, dès l'origine, l'Académie 
usa ^ ce pouvoir avec modération. Il est juste de reconnaître qu'en gé- 
néral elle sut se tenir en garde contre les entraînements de l'esprit de 
corps. Fidèle à la mission que Richelieu lui avait confiée de régler la 
langue et de la rendre plus éloquente, on ne peut lui reprocher de s'être 
sQuv^nt écartée de ce rôle. C'est d'autant plus remarquable qu'en France 
leç préteutions politiques sont très-promptes à se manifester chez Içs 
hommes qui se trouvent réunis pour quelque objet que ce soit. Aussi le 
parlement s'opposa-t-il d'abord à la création de cette compagnie dans 
laquelle il redoutait une magistrature rivale. Pour vaincre sa résistar)çç|, 
il fallut recourir aux lettres de cachet. Richelieu ne recula pas devant ce 
moyen. Mais une protection si marquée n'enorgueillit point l'Acadénile, 
qui parut au contraire vouloir se renfermer strictement dans le domaine 
des lettres. Elle'se mit à l'oeuvre avec beaucoup de zèle et môme avec 
plus d'indépendance qu'on ne devait en attendre de ses membres vis-à-vis 
dç la volonté puissante du fondateur. Le dessein du cardinal était-il de 
fonder une institution forte et glorieuse, ou bien simplement de se donaer 
à lui-môme plus d'éclat en s'entourant des illustrations littéraires de l'é- 
poque? M. Mesnard hésite entre ces deux explications qui, du reste, ne 
se contredisent pas absolument. Il est probable en effet que Richelieu ne 
prévit point toute la portée de sa création, mais il voulut pourtant la 
rendre vivace, en lui donnant la faculté de se recruter elle-même, et de 
choisir son secrétaire perpétuel. Le directeur et le chancelier furent dési- 
gnés par le sort. C'est grâce à cette existence assez indépendante que l'A- 
cadémie a pu se maintenir jusqu'à nos jours, tandis que l'édifice monar- 
clique dont elle semblait faire partie s'est écroulé. Sa sauvegarde fut de 
pquvoir se renfermer dans des fonctions bien déterminées et tout à fait 
étrangères à la politique. A peine venait-elle d'être constituée, que déjà 
ses premiers membres essayèrent de résister à Richelieu, qui leur dero^n- 
dfiitla cqndamnatioo.duCid de Corneille. Pour les faire céder, il fallut 
Qbtc^qir le consentement de l'auteur, et la modération de leur critique m 
m^^^ gMère leic^rdioaL Les|^nt^|ives dirigeas contre la liberté d^ leur^ 
élection eurent souvent un récital semblable. L'esprit de corps s'y ma- 



LITTBRATUEB. 1^ 

nifesia presque loujours par une opposition plus ou moins prononce. 
BI. Mesnard en cite de nombreux exemples ; il montre rAcadémie obligée 
quelquefois d'obéir aux ordres du maître, mais reprenant bjentôt son ini- 
tiative, et n'écoutant que l'intérêt des lettres, malgré 1^ intrigues ou Iqs 
menaces de ses ennemis. Sous Louis XIV même, les académiciens sau- 
vèrent la dignité de leur compagnie par une conduite à la fois prudente et 
courageuse. « L'Académie vous a choisi, dit Racine en recevant Tabbé 
€olbert, oui, Monsieur, elle vous a choisi ; car, nous voulons bien qu'on 
\e sache, ce ne sont pas les sollicitations qui ouvrent les portes de TAca- 
hernie. » Ce langage contrastait sans doute avec les flatteries adressées au 
roi et le servile empressement qu'on apportait à l'exécution de ses volon- 
tés. Mais quand la liberté de l'Académie avait ainsi reçu quelque atteinte, 
un de ses membres se chargeait d'amortir le coup, comme fit, par 
exemple, l'abbé Caumarlin, à la réception de M. de Clermont-Tonperre» 
en écrasant le récipiepdaire sous ses impitoyables sarcasmes. Pendant le 
dix-huitièroe siècle, l'esprit d'indépendance parut s'affaiblir à mesure que 
diminuaient ses dangers. En 1718, déjà, l'exclusion de l'abbé de Saint- 
Pierre, pour s'être permis d'attaquer la mémoire de Louis XIV, mit en 
évidence les progrès de la courtisanerie. L'invasion philosophique n'e^t 
pas une influence beaucoup meilleure. Elle divisa l'Académie en deux 
camps ennemis, et fit éclater de fâcheuses querelles peu propres à la re- 
lever dans l'estime publique. Aussi ne trouva-t-elle guère de défenseurs 
lorsque la révolution vint l'entraîner dans la ruine commune de l'ancien 
régime. Cependant, c'était moins la faute de l'institution elle-môi^e que 
de ses membres, car elle fut l'une des premières que l'on s'emprpssa de 
relever aussitôt après la chute de la Terreur. L'Institut national lui re- 
donna vie, quoique sous une forme difierente, qui n'était plus aussi favo- 
rable à son essor, et qui doit lui servir d'excuse pour le rôle qu'elle joua 
durant le régime impérial. Restaurée, en 1816, avec ses anciens statuts, 
elle s'est dès lors librement développée, montrant en topte occasipn un 
soin jaloux de son indépendance, ainsi que de la gloire et de la dignité 
des lettres. Jamais, à nulle autre époque, elle ne réalisa si bien l'idéal 
d'un corps d'élite composé des principales illustrations littéraires du pap. 
« C'est par l'Académie française que les lettres ont commencé à prendre 
pl^ce dans notre état social et, dès les temps même du privilège, se sont 
trouvées portées au niveau de toutes les supériorités que la France re* 
connaissait. C'eçt l'Académie qui les a mj^ en contact direct et immé4i)^t 
avec la vie publique, et qi^i les a retrancbéeç dans une position, menacée 



112 LITTERATURE 

quelquefois, mais assez forte en définitive, et assez respectée, où elle» 
peuvent défendre leurs droits, leur indépendance, leur dignité. • 

On voit que M. Mesnard loue hautement les services rendus par l'Aca- 
demie française. Nous l'approuvons d'autant plus qu'il le fait avec beau- 
coup de tact et d'esprit. Mais peut-être le trouvera-t-on trop indulgent 
pour les faiblesses, trop facile à pardonner les fautes commises. Il aurait 
pu, sans inconvénient, critiquer davantage le personnel de la compagnie, 
qui n'a pas été toujours à la hauteur de sa mission. Son travail n'en eût 
été que plus piquant, et d'ailleurs c'était un excellent moyen de mettre en 
évidence le progrès très-remarquable qui s'est accompli à cet égard dans 
la composition du corps académique. 



L'ours et l'ange, légende suisse, tirée du portefeuille de Valentin, par 
J. Porchat. Paris, 1857 ; i vol. in-12 ; 2 fr. 

L'ours et 1 ange sont deux enseignes d'auberges rivales dans un vil- 
lage du canton de Vaud. Les propriétaires de ces établissements se dis- 
putent les voyageurs; l'un y met beaucoup d'acharnement, tandis que 
l'autre voudrait lutter sans porter préjudice à son voisin. L'ours rêve la 
ruine complète de l'ange, et peu s'en faut qu'il n'y réussisse. L'auber- 
giste honnête et pacifique se voit bien près d'être réduit à fermer sa mai- 
son. Heureusement il trouve un ami dont les conseils suppléent à l'éner- 
gie qui lui manque; puis il possède une fille, et son antagoniste un fils, et 
ces deux enfants, loin de partager la jalousie de leurs pères, s'aiment 
tendrement. L'amour se charge donc de rétablir le bon accord entre l'ouns 
et l'ange. Après des péripéties diverses, il triomphe de tous les obstacles, 
et la paix se conclut par un mariage. Telle est la donnée de cette nou- 
velle, qui ne mérite assurémentguère le nom de légende, et n'offre qu'un 
très-médiocre intérêt. Pour captiver le lecteur avec un sujet si vulgaire, 
il faudrait de jolis détails, des sentiments nobles et vrais, des caractères 
bien esquissés. Mais M. Porchat paraît avoir compté sur l'unique attrait 
que peut offrir la concurrence des deux auberges. 11 ne nous fait pas grâce 
du moindre incident de cette lutte^ et sa peinture porte le cachet du réa- 
lisme le plus prosaïque, sauf pourtant l'intrigue amoureuse, qui pèche 
plutôt par invraisemblance. Nous ne reconnaissons pas là le charmant 
écrivain de Trois mois sous la neige et des Colons du rivage, ni le spi- 
rituel auteur des Glanures d'Esope. Evidemment il s'est fourvoyé, mais 



VOYAGES ET HISTOIEB. IIS 

son imagination lui fournira bientôt le moyen de prendre une revanche» 
pourvu qu'il reste simple et vrai, sans tomber dans le genre trivial, si 
contraire aux tendances de son esprit, dont les qualités dislinctives sont 
précisément la grâce et la finesse. 



irOYAQfiS KT HISTOIRE. 

Histoire de l'Eglise réformée de Nîmes, depuis son origine en i533, 
jusqu'à la loi organique du 18 Germinal, an X, par Â. Borrel, pas- 
teur, 2* édition. Toulouse, 1856; 1 vol. in-12. 

Pendant que MM. Haag poursuivent avec autant d'abnégation que de 
savoir leur œuvre encyclopédique, on aime à voir se multiplier les ou* 
vrages consacrés à la monographie des Eglises réformées. Ce sont là au- 
tant de fragmenls précieux pour Tbistoire du protestantisme français, dont 
M. de Félice nous a donné Télégant résumé ; ce sont autant de sources 
nouvelles que la science et la piété interrogent avec un égal profit. Â ce 
double titre, Y Histoire de l'Egliêe réformée de Nîmes nous paraît digne 
d'une atlenlion particulière, et ne se recommande pas moins à nos yeux 
par l'importance du sujet que par l'exactitude de son historien. Pas- 
teur de l'Eglise dont il retrace les destinées, M. Borrel a su trouver au 
milieu des labeurs d'un ministère fidèlement exercé durant plus d'un 
quart de siècle, les loisirs nécessaires pour réunir les matériaux d'un 
ouvrage concis, sans aridité, instructif en même temps que populaire. Les 
registres du consistoire de Nîmes et les collections épistoiaires de Genève 
lui ont fourni de précieuses pages, qui ont agrandi son travail. Aussi, 
n'est-on pas étonné d'apprendre que la seconde édition qu'il nous offre 
aujourd'hui n'est pas la reproduction de la première, mais une nouvelle 
étude c^faite sur des documents puisés aux meilleures sources. C'est là 
un bon ensemble, qui mérite de trouver des imitateurs en nos temps 
d'oeuvres improvisées et d'études superficielles. Le récit de M. le pasteur 
Borrel, semé de faits intéressants, et d'une lecture attachante par sa sim- 
plicité, nous paraît répondre au but que se propose la société des livres 
religieux de Toulouse, qui a bien mérité du public, en lui offrant un bon 
livre de plus. L'Eglise de Nîmes a contracté une nouvelle dette de re- 
connaissance envers celui de ses ministres qui, par un rare privilège, 
est aussi devenu son historien. . 



8 



11 i VUYAGES ET HISTOIRE. 

Le Prince de Ligne, ou un écrivain grand seigneur à la fin du dix- 
huitième siècle, par N. Peeterroans. Liège, F. Renard, 1857; 
1 vol.in-i2: 3 fr. 50 c. 

On a déjà beaucoup parlé du prince de Ligne; sa renommée littéraire 
repose, en quelque sorte, moins sur ses écrits, qui ne sont plus guère lus, 
que sur les appréciations nombreuses dont ils ont été l'objet. L'esprit, 
quand il s'allie aux avantages d'une position élevée, jette un plus vif 
éclat; ses saillies frappent davantage, elle public est enclin à les accueil- 
lir avec une faveur toute particulière. Les bons mots d'un prince ne 
manquent jamais de prôneurs enthousiastes, qui les transforment volon- 
tiers en traits de génie. Charles-Joseph de Ligne devait, à cet égard, 
être d'autant plus privilégié, que sa brillante carrière l'avait mis en scène 
dans les principales cours de l'Europe. Mais s'il se distingua comme mi- 
litaire, s'il possédait toutes les qualités d'un homme du monde instruit et 
parfaitement aimable, ce ne fut pourtant ni un écrivain supérieur, ni un 
moraliste profond. Aussi M. Peetermans nous paraît-il avoir bien mieux 
compris le genre d'intérêt que peut présenter une semblable vie. Sa no- 
tice biographique est pleine de charmants détails, qui peignent d'une 
manière fort piquante le caractère de son héros et Taspect de la société 
du dix-huitième siècle. La figure du prince de Ligne a besoin de cet en- 
tourage; elle ne saurait sans inconvénient être détachée du milieu dans 
lequel il a vécu. C'est un produit du dix-huitième siècle; pour en bien 
juger le mérite, il ne faut pas l'isoler des influences qu'il a subies et de 
celles qu'il exerçait. Son éducation fut celle de l'époque : on lui donna 
pour instituteurs des jésuites, à dix-huit ans on lui fit épouser une jeune 
princesse qu'il n'avait pas même vue, et lorsque, quatre années plus tard, 
il fut nommé colonel d'un régiment, son père, auquel il avait annoncé cette 
bonne nouvelle, lui répondit: c II était déjà assez malheureux pour moi, 
Monsieur, de vous avoir pour mon fils, sans avoir le malheur encore de vous 
avoir pour mon colonel ! » Ne trouvant pas de sympathie du côté de sa fa- 
mille, il s'abandonna d*autant plus aux séductions mondaines. La philoso- 
phie, qui devenait fort è la mode, lui donna une certaine hardiesse de pensée, 
tempérée cependant par sa légèreté naturelle et par ses habitudes aristocra- 
tiques. Ses écrits portent bien le cachet du grand seigneur qui daigne jeter 
sur le papier des aperçus ingénieux, de spirituelles boutades, mais regarde 
1 étude comme un travail dont sa noblesse le dis[*ense. Quoique bon ob- 
servateur, il reste toujours superficiel, parce que pour lui le charme d'une 



VOYAGES ET HISTOIRE. 115 

saillie a beaucoup plus de prix que la recherche de la vérité. Ce qui le 
caractérise surtout, c'est l'esprit de la conversation. La tinesse, l'élégance» 
le tact sont ses qualités principales. Â la profondeur des idées qui lui 
manque, il supplée en général par le tour gracieux et quelquefois assez 
original de l'expression. En littérature comme en politique, il incline vo- 
lontiers vers les anciennes traditions, sans pour cela se montrer trop sé- 
vère pour les tendances nouvelles. « Je n'aime pas, dit-il en t812, la mé- 
lancolie à la mode, ou le trop d'imagination pour le peu d'esprit qu'on a 
souvent. C'est faute d'en avoir qu*on se donne Tair de penser, et on est 
pensif ou lieu d'être penseur. Les Grecs, les Français, les Italiens en ont 
trop pour être mélancoliques. Cela ne va ni à leur physionomie, ni à leur 
langue. L'une et Tautre des Anglais sont propres à mieux et à pis que 
cela : c'est-à-dire, au sombre que respirent leur poésie et leurs ouvrages 
intéressants. Ovide était triste lorsqu'il écrivait ses Tristes, et était plus 
ou moins mélancolique. Horace, Virgile, Boileau et Voltaire n'auraient 
jamais pu l'être. Jean-Jacques était sombre comme vingt Anglais à la fois, 
et c'est pour ne pas savoir prendre un vol si haut qu'on voit tous ces pe- 
tits poëtes mélancoliques et champêtres. Un petit gentilhomme, qui a son 
petit château et son verger dans un fond entouré de petites montagnes de 
mauvaise végétation, dit que son site est mélancolique. Un auteur, quitté 
par sa maîtresse, qui l'a trouvé ennuyeux, fait, dit-il, des vers mélanco- 
liques. > Le prince de Ligne conserva jusqu'à la fin de sa vie cet enjoue- 
ment qui le fit briller dans les salons de Paris, comme dans ceux de Vienne 
ei de Saint-Pétersbourg. 11 était l'âme de toutes les fêtes, et put encore 
présider à celles du congrès de 1814. Cette existence un peu futile ne 
manque pourtant pas d'intérêt, parce qu elle se rattache aux événements 
de l'histoire durant une période riche en péripéties remarquables. Dans 
son récit, M. Peetermans a su profiter habilement de tous les détails qui 
pouvaient le mieux captiver l'attention du lecteur. Il rend justice aux mé* 
rites du prince de Ligne, sans chercher à dissimuler ses travers, et nous 
paraît se maintenir d'un bout à l'antre dans la sage mesure qui convient 
au biographe. 



Trois ans aux Etats-Unis, étude des mœurs et coutumes américaines, 
par Oscar Comettant. Paris, 1857 ; i vol. in-i2: 3 fr. 50 c. 

M, Oscar Comettant est un observateur éminemment français, spiri* 
tuel, ingénieux, un peu léger, mais fort amusant. S'il n'approfondit pas 



116 VOYAGES BT HISTOIRB. 

beaucoup les questions, du amm ses aperçus en donnent le plus souvent 
iwe idée assez juste. li n'y a chez lui ni vues systéniatiques, ni préten- 
tions outrecuidantes. Le seul reproche qu'on puisse lui faire, c'est de 
prendre les choses par le côlé plaisant et de s*arrêter un peu trop à leur 
superficie. Son livre a les allures du feuilleton parisien. Il esquisse avec 
beaucoup de verve la physionomie de la société américaine, et laisse k 
d'autres le soin d'en tirer des inductions sur son état moral et politique» 
ainsi que sur son avenir probable. Sans vouloir exagérer la portée de ses 
croquis, nous croyons pourtant qu'ils ont le mérite d'être vrais, quoique 
parfois chargés. En Amérique, l'essor de la démocratie imprime aux 
mœurs et coutumes un cachet particulier. D'une part, le respect de la 
liberté individuelle poussé jusqu'à l'excès, de l'autre le despotisme de l'o- 
pinion publique érigée en souveraine absolue produisent des résultats fort 
étranges, bien propres à choquer nos habitudes européennes. Aux Etats- 
Unis, chacun se livre à ses goûts, à ses penchants, à ses fantaisies les plus 
excentriques, sans craindre jamais de paraître ridicule. Dans les plaisirs 
comme dans les affaires, on ne se soucie nullement du qu'en-dira-t-on, 
sauf toutefois en ce qui touche deux ou trois {Kunts, sur lesquels la souve- 
raineté populaire a mis son veto. L'observation du dimanche, la tempé*- 
rance, l'esclavage figurent en tête de ces restrictions, qui ne sont pas les 
mêmes dans tous les Eiats de TUnion. Mais en revanche les scrupules de 
délicatesse et de probité semblent être abandonnés au libre arbitre de la 
conscience individuelle. L'Américain se montre toujours prêt à se lancer 
dans les entreprises les plus hasardeuses, sans s'inquiéter des échecs -, une 
activité fébrile et l'art de jeter la poudre aux yeux lui fournissent des res- 
sources inépuisables. Aussi le charlatanisme atteint-il, aux Etats-Unis, 
des proportions inconnues ailleurs. M. Comeltant raconte à ce sujet maintes 
anecdotes fort piquantes. 11 rappelle les hauts faits du célèbre Barnum» 
et montre que ce n'est |.\as un exem.ple unique ; la blague américaine 
fait partie, suivant lui, du carai^tèie national. On eu use dans les plaisirs, 
comme dans les aiïaires, dans la religion, dans l'éducation, dans la méde- 
cine, dans la littérature, et jusque dans l'amour. Il est vrai que le peuple 
s'y prêle avec beaucoup de complaisance. Sa curiosité ne se lasse pas |)lus 
que le zèle de ceux qui l'exploitent. Cette tendance produit de singuliers 
contrastes à côté des merveilles d'une civilisation qui marche à pas de 
géant. L'Amérique, après avoir poussé le progrès niatériel aussi loin que 
possible, dirige aujourd'hui ses efforts vers le développement de l'intelli- 
gence. L'instruction gér\^éraleroent répandue commencée porter des fruils 



SCIENCES HORALEB ET rOLITtQUES. tl7 

remarquables. C'est nn pays plein de sève et de vigueur. Mais i) renferme 
aussi des germes pernicieux, qui semblent menacer son avenir. Tous ces 
éléments fermentent encore, et tm\ ne saurait dire oe qu'il en sortira. En 
attendant, les Etats-Unis présentent un sujet d'étude digne d'exciter l'at- 
tention publique, et le livre de M. Comettant, s'il n'a pas sans doute une 
baute portée, renferme du moins des détails propres à faire bien connaître 
les habitudes de la vie américaine. 



Du PRINCIPE DE POPOLATiON. par Joscpb Garnier. Paris, !857 ; 1 vol. 

in-12 : 3 fr. 50. 

L'ouvrage de Malthus sur la population a rencontré des adversaires nom- 
breux dont la plupart l'ont mal compris ou l'ont attaqué sans se donner 
la peine de le lire. De là des jugements absui'des et des préventions fort 
injustes qui se sont répandus en France d'autant plus facriement que les 
principes de l'économie politique n'y jouissent pas encore d'une bren 
grande popularité. Le titre de Malthusien est devenu synonyme d'arist^ 
crate de la pire espèce, d*homme sans cœur et sans entrailles, qui regarde 
froidement les souffrances de la classe pauvre, et n'y voit d'autre remède 
que de la laisser décimer par la misère et la mort. C'est pour combattre 
cette étrange aberration que M. Garnier entreprend d'exposer les idées de 
l'économiste anglais d'une manière plus exacte et plus propre à faire bien 
comprendre leur portée réelle. Son but est de rectifier l'opinion publique, 
en lui présentant un résumé clair et logique de V Essai sur le principe de 
population avec quelques développements nouveaux à Tappui des doc* 
trines qu'il renferme. On trouvera peut-être que, dans l'inlérêl de la cause, 
il eût mieux fait de ne pas donner à son livre la forme d'un plaidoyer 
en faveur de Malthus. Une argumentation toute française n'aurait du 
moins pas éveillé certaines susce|)tibiiités nationales qui sont toujours 
Tobstacle le plus difficile à vaincre. Quoi qu'il en soit, M. Garnier a pris 
ouvertement la défense des Malthusiens et s'attache à démontrer que 
leurs principes, loin d'être, comme on le prétend, entachés d'égo'isme et 
d'inhumanité, portent le cachet d'une véritable philanthropie. Frappé 
des maux qu'entraîne Texcès de population, Malthus voulut d'abord cons- 
tater d'une manière positive ce fait qui se trouvait en contradiction avec 



118 SCIBNCES KORALBS BT POLITIQUES. 

les idées reçues de son temps. Les recherches auxquelles il so livra le 
conduisirent à reconnaître que l'accroissement de la population, lorsque 
rien n'entrave sa marche, suit une progression géométrique, tandis que 
l'accroissement des subsistances, beaucoup moins rapide, a pour formule 
une progression arithmétique. « La race humaine, dit-il, croîtrait comme 
les nombres 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, 128, 256 ; tandis que les subsis- 
tances croîtraient comme ceux-ci : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9. Au bout de 
deux siècles, la population serait aux moyens de subsistance comme 26& 
est à 9. > Cette assertion ne doit sans doute pas être prise à la lettre : 
elle exprime seulement une tendance dont l'essor est plus ou moins con- 
tenu par des causes sans cesse agissantes. Mais la différence des deux 
marches progressives est un fait incontestable, et les causes qui contri- 
buent à l'atténuer sont, en général, presque aussi désastreuses que les 
résultats de celte différence elle-même. La surabondance de population 
produit la misère, et la misère engendre des fléaux qui se chargent de 
rétablir en partie léquilibre. Tel est le cours naturel des choses. Après l'a* 
voir constaté, Malthus se demande si l'on ne pourrait pas le moditîer dans 
un sens plus favorable au bien-être social. Il cherche donc un remède 
efficace, et n'en trouve pas de meilleur que ce qu'il appelle la contrainte 
morale, c'est-à-dire l'obligation pour l'homme de maintenir la multipli- 
cation de son espèce dans les limites que lui assignent les moyens de 
subsistance dont il dispose. En effet, si les mariages ne se contractaient 
qu'avec la parfaite certitude d'en pouvoir supporter les charges, si le 
nombre dos enfants était toujours en rapport avec les ressources de la 
famille, le paupérisme perdrait bientôt son caractère menaçant et ne se- 
rait plus qu'accidentel. Malthus ne se livre pas à des déclamations senti- 
mentales, c'est vrai , il procède par voie d'enquête afin de faire toucher au 
doigt les plaies de la société, le vice et la misère, qui proviennent d'un fâ- 
cheux conflit entre la civilisation et les lois de la nature. Pour atténuer 
les résultats de ce conflit, il conseille la prudence, que depuis longtemps 
la sagesse des nations a regardée comme la mère de toutes les vertus, 
et le travail, que la religion place au rang des premiers devoirs de 
l'homme. Son système, en butte à tant d'accusations violentes, est em- 
preint de la plus vive sollicitude pour les souffrances de la classe pauvre, 
et n'a d'autre but que de les soulager ou même d'en tarir la source. L'ex- 
pédient qu'il propose offre d'ailleurs l'avantage d'être simplement pré- 
ventif, ce qui le rend très-supérieur aux tentatives de répression essayées 
avec si peu de succès jusqu'ici. M. Garnier insiste avec raison sur ce 



SCIENCES IIORALES KT POLITIQUES. 119 

point. Il fait voir le danger de la plupart des mesures par lesquelles on 
a voulu remédier au mal. L'action de TEtat, Tassociation, la charité même 
se sont montrées impuissantes, et quelquefois nuisibles. Leurs fréquents 
échecs ont donné naissance aux utopies du socialisme, encore plus dé* 
sastreuses parce qu'elles attaquent les bases de Torganisation sociale. 
On trouve à ce sujet dans le livre de M. Garnier plusieurs chapitres fort 
intéressants, pleins de détails curieux et d'arguments propres à faire une 
vive impression sur le lecteur. C'est dommage qu il manque un peu 
d'ordre et de méthode. Les idées ne s'enchaînent pas très-logiquement 
d'un bout à Tautre. Ce sont plutôt des fragments juxtaposés, mais aux- 
quels l'auteur a donné beaucoup d'attrait, soit par les aperçus ingénieux 
qu'ils renferment, soit par Tallure spirituelle et piquante du style. 



DiZIONARIO DËLLA BCONOMIA POLITIGA E DEL GOMMERGIO COSi teoricO 

come pratico, ôpera originale italiana del professore G. Boccardo. To- 
rino, Seb. Franco e fîgli, 1857. Livraisons 1 à IV. L'ouvrage complet 
formera 4 volumes grand in~8 de 600 à 800 pages chacun : Prix de 
la livraison, de 40 pages, 1 fr. 25. 

M. Boccardo veut doter l'Italie d'un ouvrage semblable à ceux du même 
genre que possèdent déjà l'Angleterre et la France. Il tient à faire une 
œuvre essentiellement italienne, qui mette en relief les services rendus 
par ses compatriotes à la science économique. C'est un sentiment fort 
légitime d'orgueil national, et d'ailleurs on ne peut nier qu'il y ait de l'a- 
vantage à ce que certaines questions d'histoire ou de doctrine soient trai- 
tées plus spécialement au point de vue des conditions politiques et sociales 
de l'Italie. L'utilité de l'économie politique comme science qui étudie les 
lois régulatrices de la production, de la distribution et de la consomma- 
tion des richesses est aujourd'hui généralement reconnue. Elle ne ren- 
contre plus que de rares adversaires , encore leurs attaques portent- 
elles moins sur le fond que sur la forme ou l'étendue de ses recherches. 
On lui reproche de n'avoir point encore exactement déterminé les li- 
mites de son domaine, d'empiéter sur le champ du voisin, et d'aborder 
souvent des questions qui ne sont point de sa compétence. Mais, comme le 
remarque M. Boccardo, c'est le cas de toutes les sciences; un lien com- 
mun les enchaîne et crée entre elles une foule de rapports inévitables. 



120 SGIBHCBS MOEALBS BT P0LITI(HUI8. 

La chimie et la physique, la physiologie et Tanalomie. la géologie ai U 
minéralogie en fournissent des preuves assez frappantes. U est vrai 
que l'économie politique étend davantage ses relations, et sa trouve 
plus ou moins en contact avec toutes les branches du savoir humai». 
Cela vient de ce qu'elle est le résultat final, et pour ainsi dire l'ex» 
pression synthétique d'un grand nombre de vérités dérivées des diffié-» 
rentes sciences. Elle touche à la morale, à la politique, à la législation, 
à Ihistoire, à la statistique, à la géographie. Elle ne saurait même 
sans inconvénient rester étrangère aux sciences exactes» physiques et 
naturelles. En effet, l'économiste qui veut traiter de la productioik, de h 
division du travail, de l'agriculture, des fabriques, des machines, dm 
chemins de ïer, des télégraphes, ne peut se passer de connaissances 
technologiques, mécaniques, agronomiques, etc., de même qu'il a besoin 
de savoir les mathématiques pour approfondir les questions d'amortisse- 
ment, d'annuités, d'assurances, les lois de la population, etc. A cet égard 
les opinions de M. Boccardo nous paraissent très-justes^ et ce qu'il dit et 
particulier de la morale fait bien comprendre la nécessité de ces rapports 
multiples : c La morale, dans sa partie pratique et la plus utile» se pro- 
pose d'enseigner les préceptes de la vertu, et, plaçant l'homme en regard 
de lui-môme et de ses semblables, cherche à la diriger sur la bonne 
route. Or, là où la morale finit, commence et continue l'économie politi- 
que, qui reçoit l'un après l'autre les problèmes dont sa sœur lui fournit 
la solution au point de vue du (t'en, et à son tour elle les résout au point 
de vue de VuttUf démontrant comment la richesse découle de Tordre et 
du travail; comment l'épargne, inspirée parla prévoyance et par l'amour 
de la famille, est la base du capital sur lequel reposent l'industrie et le bien- 
être commun ; comment, enfin, la bienfaisance, que la morale et la re- 
ligion recommandent, doit être entendue pour tourner au profit de celui 
qui l'exerce et de celui qui la reçoit. » 

Le rôle de l'économie politique est d'intervenir ainsi dans les applica- 
tions sociales de toutes les sciences. On ne peut donc l'isoler tout à Hiit 
de ce nombreux cortège; c'est incontestable. Mais il ne faut pas oublier 
non plus qu'elle a sa mission particulière et bien distincte, qui est d 6tu« 
dier les faits de l'ordre social, de rechercher quels sont les résultats pro- 
duits dans la pratique par les données que lui fournissent les autres scien- 
ces, et comment il est possible de parvenir à les modifier d'une manière 
avantageuse. Dans ce but un dictionnaire de l'économie politique peut Atre 
fort utile, soit pour éclairer le public sur ses véritables intérêts, soit pour 



SCnstlCiB K0RALB8 MT POLlTfQBMT. tSl 

éfeiller le gol^t de Tinvesligation, et signaler les points vers lesquels doi- 
fent surtout se diriger ses efforts. Mais celte forme a bien aussi quelques 
ioeenvénients : elle ne permet pas l'ordre logique des idées, elle mor- 
oell« l'enseignement, elle donne essor aux divagations. 

Nous remarquons déjà dans les premières livraisons de M. Bœcardo 
me certaine tendance à sortir du cercle dans lequel il devrait se ren- 
fermer. Deux au trois questions de droit civil s'y trouvent traitées. Ce- 
pendant il se montre, en général, beaucoup plus circonspect que ses 
devanciers, et, dans ses notices biographiques, par exemple, on ne trouve 
que les indications strictement nécessaires, savoir la nationalité, la date de 
la naissance et de la mort, et les titres des ouvrages avec une très-brièv6 
appréciation de leur contenu. Quant aux sujets importants, il estime que 
tout corps de doctrine spéciale doit avoir dans un article son développe* 
floeiii complet, en renvoyant à des articles secondaires les matières qui, 
tout en se rattachant à l'argument principal, peuvent fournir Tobjet d'un 
examen particulier. L'article Agriculture présente un exemple très-re* 
ttarquable de cette méthode, appliquée avec non moins de talent que de 
savoir. Si, d'après ce spécimen, il est permis de formuler un jugement, 
net» dirons que le travail de M. Boccardo nous paraît digne des plus 
grands éloges. Etant l'œuvre d*un seul écrivain il promet d'ailleurs 
d'offrir deux mérites qui ne se rencontrent pas d'ordinaire dans les com- 
pilations de cette nature : l'originalité des vues et l'unité de tendance. 



L'abbé de Saint -Pierre, membre exclu de l'Académie française, sa vie 
et ses œuvres, avec des notes et des éclaircissements, par G. de Mo- 
linari. Paris, 1857; 1 vol, in-12 : 3 fr. 50. 

L'abbé de Saint-Pierre était un excellent homme, qui rêvait la paix per- 
fsétuelle, et qui prêcha la bienfaisance aussi bien par sa conduite que par 
ses écrits. La loyauté de son caractère ne lui permit pas de se ranger au 
nombre des admirateurs enthousiastes de Louis XIV, il osa juger sévè- 
rement le grand roi, et l'Académie indignée d'une telle audace l'expulsa 
ée son sein. Grâce à cette persécution, l'abbé de Saint-Pierre obtint plus 
tard une certaine renommée parmi les libres penseurs du dix-huitième 
siècle. Cependant, malgré les efforts de J.-J. Rousseau , ses œuvres ne 
rencontrant qu'indifférence chez le public tombèrent bientôt dans l'oublil 



122 8C1BNCS8 MORALES ET POLITIQUES. 

La nouvelle réhabilitation que tente M. de Molinari sera-t-elle plus heu* 
reuse? Cela nous paraît douteux. L'abbé de Sainl^Pierre n'a pas cette 
originalité vigoureuse qui seule peut donner de Tattrait à de semblables 
htopies. Il manque de profondeur, d'élégance et de clarté. Le sentiment 
le domine plus que la raison. C*est un philanthrope, animé d'intentions 
fort bonnes sans doute, mais qui ne connaît les questions sociales que 
d'une manière superticielle. Ses idées sont ternes et son imagination peu 
féconde, en sorte que même lorsqu'il rêve, ce qui lui arrive souvent, son 
style conserve toujours la même allure froide et monotone. On aurait bien 
de la peine à lire un chapitre entier de ses élucubrations , et les frag- 
ments, cités par l'éditeur du volume dont le titre figure en tête de cet 
article, paraîtront, en général, très-médiocres. Nous ne comprenons pas 
pourquoi M. de Molinari s'est donné la tâche ingrate de faire revivre un 
écrivain si pâle. Il est vrai, qu'à ses yeux, le projet de paix perpétuelle 
mérite cet honneur, mais on partagera difficilement sa confiance en la 
possibilité d'atteindre un pareil but. Le véritable titre de l'abbé de Saint- 
Pierre à l'estime publique gît plutôt dans l'indépendance avec laquelle 
il attaqua l'idole de son temps et ne craignît point d'opposer le langage 
d'un honnête homme aux viles flatteries dont Louis XIV était l'objet. 
Quant à la valeur de ses vues sur les réformes sociales, le livre de M. de 
Molinari n'a fait que confirmer ce que nous pensions déjà. 



Etudes historiques et critiques sur le principe et les conséquences 
de la liberté du commerce international , par E. de Laveleye. 
Bruxelles, Ch. Mucquard, 1857; in-8. 

La cause du libre échange paraît être à peu près gagnée. Le nombre 
des protectionnistes a sensiblement diminué, on n'en rencontre plus guère 
parmi les hommes qui ont fait une étude approfondie de l'économie po- 
litique. Cependant si le principe triomphe en théorie, son application 
soulève encore bien des résistances. Les intérêts créés par le régime an- 
térieur, les préjugés^ la routine sont autant d'obstacles difficiles à vaincre. 
Pour y réussir, la discussion doit peut-être changer de terrain et porter 
davantage sur les questions de détail. C'est du moins l'opinion de 
M. de Laveleye qui> dans ce but, esquisse rapidement l'histoire de la 
liberté du commerce et passe en revue les principaux arguments en sa 
faveur. Il croit que les partisans du libre échange ont pu contribuer eux- 



8CIBNCES MORALES KT POLITIQUES. 123 

mêmes à retarder sod établissement par leurs propositions tçop absolues, 
et leurs formules abstraites qui ne tiennent pas toujours compte de la 
réalité des faits. Suivant lui,*la plupart des axiomes de l'économie politi- 
que sont des vérités boiteuses, vraies dans un sens, fausses dans un autre. 
Les résultats diffèrent selon la manière dont la richesse se trouve distri- 
buée, et ce qui serait rigoureusement applicable quand tous les peuples 
n'en formeraient qu'un seul, ne saurait l'être de même dans l'état actuel 
de la société. II admet bien avec les économistes que la liberté du com- 
merce est un bienfait parce que, dit-il : 

< lo Elle fait jouir toutes les nations des avantages du sol et du cli- 
mat de chaque pays ; 

c 2* Elle applique à Tunivers entier le principe fécond de la divi- 
sion du travail, qui fait qu'on lire le meilleur parti de toutes les aptitudes; 
« 3® Elle pré|)are l'union de tous les peuples, en faisant de la prospé- 
rité des uns la condition de la prospérité des autres, et en donnant à la 
charité universelle Tincitement de l'intérêt bien entendu. • 

Mais il ne veut pas qu*on brusque la réforme, sans égard pour les faits 
existants, ni que Ton en exagère la portée. La conséquence du libre 
échange sera de stimuler la production de la richesse et non d'en mo- 
difier la répartition. Les écrivains qui prétendent y voir le remède in- 
faillible à toutes les misères sociales sont les charlatans de la science 
économique ; ils détournent les esprits de la bonne route et leur prépa- 
rent de fâcheuses déceptions. 

M. de Laveleye expose d'une manière fort intéressante la marche du 
principe de la liberté commerciale depuis le dix-septième siècle jusqu'à 
nos jours. Il montre ses luttes, ses progrès, sa victoire déiinitive qu'il 
regarde comme assurée, et critique en passant les assertions hasardées 
auxquelles se sont laisse plus d'une fois entraîner ses défenseurs. Ses 
efforts tendent surtout à faire comprendre aux industriels les avantages 
qu'aura pour eux le libre échange, dont l'action ne peut qu'être bien- 
faisante si l'on procède avec les ménagements rendus nécessaires par les 
droits acquis. Il insiste sur ce dernier point, car toute mesure imprudente 
lui paraît risquer de compromettre le succès» et sa confiance dans la théo- 
rie n'est pas assez robuste pour le rendre indifférent aux résultats d'un 
échec même partiel. 

À ses yeux < les économistes ont eu plus raison en fait qu'en théorie, 
et mieux vaut suivre leurs avis, que s'en rapporter de tout point à leurs 
raisonnements. ) Mais cela ne l'empêche pas d'arriver aux mêmes con- 



124 SCIEMCB8 ET ARTS. 

chisions. • Le régime protecteur, dit-il, s'en va pièce à pièce. L'hos- 
tilité tacite de peuple à peuple, et le système des armées permanentes ne 
tiendront point davantage devant le progrès des échanges internatio- 
naux, des moyens de communication et de la raison publique. 

f L'union de tous les membres de ta famille humaine tend à s'accom- 
plir. Elle est manifestement dans les dessins de la Providence. Tous les 
faits la préparent. Le régime protecteur y est un obstacle. Comme il doit 
disparaître, il disparaîtra, i 



SCUBMCKS ET ARVS. 

Des beaux-arts en Italie au point de vue religieux , avec un appen- 
dice sur l'iconographie de l'immaculée conception, par Alh. Coque - 
rel fils. Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857; 1 v. in-12 : 3 fr. 50. 

L'influence exercée par le catholicisme sur les beaux-arts forme le 
sujet de ce petit volume, dans lequel on trouvera des vues assez nou- 
velles exposées avec beaucoup d'esprit et d'indépendance. M. Coquerel 
Xît craint pas de fronder à cet égard des idées reçues en fait de peinture. 
11 conteste les bienfaits attribués à la protection de TEglise romaine. Elle 
hii paraît au contraire avoir exploité, et corrompu le goût de la manière 
la plus désastreuse. Cette thèse hardie étonnera peut-être, mais c'est le 
sort de toute opinion qui s'écarte de la routine. On est convenu d'ad- 
mettre comme un fait incontestable l'accord du catholicisme avec le dé- 
veloppement des beaux-arts, et cela se répète depuis des siècles sans que 
personne ait pris la peine d'en vérifier l'exactitude. La question mérite 
pourtant bien d'être examinée de plus près. Sans doute les grandes écoles 
de la peinture appartiennent à des pays catholiques et leurs chefs-d'œuvre 
en portent le cachet^ on ne peut pas le nier; seulement il faut aussi re- 
connaître, d'abord qu'à l'époque où ces écoles fleurirent le catholicisme 
dominait partout en Europe, puis que l'intervention de l'Eglise s'y mani- 
feste d'ordinaire, soit par des anachronismes, soit par des exigences 
ridicules. C'est là le signal réel de la présence du catholicisme dans 
les tableaux des maîtres , tandis que leurs inspirations étaient puisées à 
la source plus élevée et plus spiritualiste du sentiment chrétien. Chez 
les artistes d'un ordre inférieur il se manifeste en donnant plein essor au 
mauvais goût, comme nous en trouvons d'abondantes preuves dans les 



SCIBRCBS ET AET8. 125 

peintures du moyen âge et dans celles de nos temps moderoes. L'Eglise 
aime surtout les couleurs éclatantes, criardes, les proportions colossales, 
les formes gigantesques et tourmentées, en un mot tout ce qui semble pro- 
pre à frapper la foule, c Lorsqu'une procession a lieu, soit à Naples, soit 
dans les villes et les villages des alentours, on élève de somptueux re« 
posoirs, qui sont presque toujours des variations sur ce thème monotone : 
une chapelle en coton ou en soie écarlale, avec un fronton et quatre co- 
lonnes couverts de la môme étoffe, largement chamarrée d'or ; puis sur 
l'autel, comme au reste dans toutes les églises, six énormes bouquets 
de fleurs en argent, bien roides, parfaitement symétriques, en forme 
d'œuf ; au milieu de ces ornements disgracieux, le tabernacle, et au fond 
un tableau qui représente un saint quelconque. > 

Les jésuites s'y distinguent entre tous par leur étalage de luxe et de 
clinquant, c Voyez leur église principale, le GieshNuovo : elle n'est pas 
très-grande; mais les pilastres qui portent les voûtes sont démesui*és; 
les peintures et les statues sont plus gigantesques et plus tourmentées 
que partout ailleurs, et une sainte Philomène en bois et en cire, vêtue 
d'étoffes éclatantes, parée de broderies et de joyaux splendides , est as- 
sise sur l'autel dans un tombeau de verre.» 

 Rome, quoique les cérémonies présentent, en général, un aspect plus 
solennel, il règne la même tendance à produire de l'effet aux dépens du 
gaQt. C'est en Toscane que se rencontrent les véritables productions sé- 
rieuses de l'école catholique. M. Coquerel apprécie dignement leur mérite, 
mais il fait remarquer avec raison qu'elles sont antérieures à Raphaël, c'est- 
à dire à la brillante période de l'art dont les illustres peintres lui semblent 
s'être plutôt inspirés de l'Evangile seul. L'architecture italienne lui fottP* 
nit encore des ai^uments à Tappui de son opinion. C'est un fait étrange, 
en effet, que le siège du catholicisme soit précisément la contrée où l'art 
gothique ait le m^ins péoétré. Ne peut-on pas en inférer que, pour 
donner naissance à ce genre d'architecture, l'idée chrétienne avait b^ 
soin d'être dégagée de l'influence trop immédiate du formalisme, et qu'il 
fut Texpression du sentiment religieux des peuples du Nord plutôt que 
celle de la ferveur catholique dont l'empreinte ne s'y retrouve guère que 
(tons des ornements de détails. 

Quoi qu'il en soit, l'auteur a recueilli une foule d'observations ingé- 
nieuses qui donnent à sou livre un vif attrait. En particulier Vlcono^ 
graphie de l'immaeî^lée eoneeption offre un curieux spécimen de ce qu'est 
devenu l'art cathdliqtte. C'est l'instruction publiée parM>'Malou,évêquede 



126 SCIBMCKS ET ARTS. 

Bruges, sur la meilleure manière de représenter ce mystère. fNous avouons, 
dit M. Coquerel, que Déprogramme nous rappelle malgré nous une pres- 
cription de pharmacie ou une recette de ménage : tous les éléments de 
l'œuvre, et, quand il y a lieu, le nombre et la quantité des ingrédients y 
sont rigoureusement déterminés. Souvent même l'auteur indique, comme 
le Codex, quelques changements permis, quelques équivalents admissibles, 
quelques succédanés, classés dans l'ordre de leur convenance relative, ren- 
chérissant sur tous les recueils de prescriptions médicales ou autres, l'évé- 
que pousse la précision jusqu'à donner deux programmes opposés, l'un 
mauvais et l'autre bon. 11 montre d'abord comment on ne doit pas figurer 
l'Immaculée; puis comment il faut la représenter.» Le minutieux évo- 
que réduit l'artiste au rôle d'un manœuvre qui doit suivre exactement 
le plan convenu, étendre à leur place les couleurs indiquées, et ne pas 
se permettre le moindre élan d'imagination. Avec de pareilles conditions 
la peinture religieuse est évidemment condamnée à n'avoir plus d'autres 
ateliers que ceux de ces maisons de gros qui, dans leurs annonces, c ga- 
rantissent une exécution parfaite et artistique aux prix les plus modérés. > 



Le petit Layater et le petit docteur Gall, ou l'art de connaîire les 
hommes par la physiognomonie et la phrénologie. Paris, L. Passard, 
1857;! vol. in-18, fig. : 2 fr. 

La physiognomonie et la phrénologie ont été tour à tour l'objet d'un 
engouement général. Dans la ferveur de l'enthousiasme, ces deux sys- 
tèmes semblaient devoir amener une réforme complète de l'éducation, soit 
physique, soit intellectuelle. Le docteur Gall surtout, avec sa classifica- 
tion des bosses du crâne, eut un succès prodigieux. Quelques-uns de ses 
adeptes allèrent même jusqu'à vouloir mouler la tête des enfants d'après 
les données de la théorie. Puis à celte tendance exagérée succéda, 
comme il arrive toujours, une réaction en sens contraire. La crânologie 
fut ridiculisée et perdit la place que son inventeur lui avait faite dans la 
science. Lavater, moins ambitieux dans ses vues, n'éprouva pas tout à 
fait le même sort. Quoique sujette à l'erreur, la physiognomonie repose sur 
une foule d'observations ingénieuses qui peuvent être facilement vérifiées, 
et l'art de lire le caractère sur les traits du visage obtint une popularité 
plus durable que celui d'interpréter des bosses douteuses, impercepti- 



SCIENCES ET AETS 127 

ble8 OU conlradioîoiies. Mais Gall et Lavater oui également perdu Tau* 
réole scientifique dont leurs noms avaient été d*abord entourés. Après 
eux leurs systèmes sont tombés dans le domaine de l'empirisme ; on a 
reconnu l'impossibilité d'une tbéorio dont les principes se trouvaient 
sans cesse démentis par les faits. 11 en résulte qu'aujourd'hui c'est plutôt 
un amusement qu'une étude, et le volume que nous annonçons a pour 
but de fournir toutes les données nécessaires à ceux qui voudront s'y 
livrer. On y trouve l'exposé clair et succint des deux systèmes avec des 
applications nombreuses. De petites gravures sur bois, insérées dans le 
texte> en facilitent beaucoup Tintelligence. Ainsi réduites à des propor- 
tions modestes, la physiognomonie et la phrénologie présenient un certain 
attrait qui pourra leur assurer encore beaucoup d'amateurs. 



La pêche â la ligne et au filet dans les eaux douces de la France, 
par N. Guillemard. Paris, 1857; 4 vol. in-16, fig. : 2fr. 

• 
M. Guillemard, qui paraît être un grand amateur de la pêche, se plaint 
de ce que cette distraction est trop dédaignée en France. On l'abandonne, 
dit-il, aux gens de peu, ou bien aux artisans spéciaux qui en font mé- 
tier. Cependant elle offre, tout comme la chasse, des jouissances nom- 
breuses et donne beaucoup moins de fatigues. Les Anglais qui s'y con- 
naissent l'estiment fort, chez eux les hommes les plus distingués se font 
honneur d'y exceller. C'est donc dan^ le but de répandre davantage ce 
goût parmi ses compatriotes, que M. Guillemard a pris la plume pour ex- 
poser d'une manière attrayante les procédés et les connaissances diverses 
nécessaires au pêcheur. 11 conduit son néophyte au bprd d'un cours d'eau, 
le fait successivement assister à la prise des différents poissons que pro- 
duisent nos rivières, en commençant par les plus communs et les plus 
faciles, l'initie aux pratiques nécessitées par l'espèce [particulière ou les 
instincts spéciaux de chacune des proies qu'il s'agit de poursuivre, et lui 
présente d'une façon en quelque sorte épisodique les préceptes de l'art, 
qui se graveront ainsi plus sûrement dans sa mémoire. Son travail se 
divise en deux parties : la pêche à la ligne et la pêche au filet. CVst la 
première qui occupe la principale place, comme étant la plus commode 
et la plus simple, en même temps que celle où le succès dépend davantage 
de l'adresse et du sang-froid déployés par le pêcheur. L'auteur sait 



128 SaSRCIS ET ARTS. 

rendre son enseignement non moins agréable qu'utile. Ses instructions 
elaires et précises sont assaisonnées de piquantes anecdotes, et les accès* 
soires pittoresques de la pêche leur servent de cadre. Des gravures fort 
bien exécutées ajoutent au mérite de ce livre qui trouvera certainement 
de nombreux acheteurs. 



De PLOMB, de son état dans la nature, de son exploitation, de sa métal* 
lurgie et de son emploi dans les arts, par M. H. Landrin. Paris, 
1857; 1 vol. in-12, fig. : 5 fr. 

Cet ouvrage n'est pas seulement un traité complet des propriétés, des 
gttes et des usages divers du plomb ; il renferme de plus l'histoire de ce 
métal connu dès les temps les plus anciens. On y remarque une érudition 
qui ne se rencontre pas d'ordinaire dans de semblables livres. M. H. Lan- 
drin cite de l'hébreu, du grec, discute les éfymologies, donne à l'appui 
de sa manière de voir des passages de la Bible, d'Hésiode et d'Homère. 
Cet accoixl de la littérature avec la science nous praîl digne d'être si- 
gnalé comme un moyen d'exciter davantage l'intérêt et d'exercer une 
action féconde sur le développement de l'intelligence. Du reste, l'auteur 
a surtout en vue l'utilité pratique, son livre est fait pour les industriels. 
On y trouve tous les détails relatifs soit à l'exploitation des mines, soit à 
l'affinage du métal, soit aux différentes formes sous lesquelles il est em- 
ployé dans les arts. M. Landrin n'omet pas non plus les précautions hy- 
giéniques nécessaires aux ouvriers et le traitement propre à les garantir 
des funestes résultats d'un travail Jiialsain. Il se dislingue également par 
l'étendue de ses connaiss;inces et par la clarté de ses explications, deux 
qualités précieuses pour une monographie de ce genre, dont le principal 
but est de suppléer à l'instruction que les industriels n'ont eu ni le temps 
ni les moyens d'acquérir. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX. 



lilTTKRATVRi:. 

Jeanne d'Arc, drame historique en cinq actes et en prose, par Daniel 
Stern. Paris, Michel Lévy, frères, 1857 5 * vol. in-12. 

On a déjà souvent essayé de reproduire sur la scène l'épisode de Jeanne 
d'Arc, auquel ne manquent assurément ni le caractère tragique, ni les 
conditions nécessaires pour captiver l'intérêt. Mais, comme le remarque 
l'auteur de la nouvelle tentative que nous annonçons ici, • une action si 
prodigieuse et une fin si tragique n'ont été célébrées qu'en de froides 
compositions, en des rimes insipides et vulgaires. > Plusieurs causes ont 
pu contribuer à ce résultat. D'abord l'histoire de Jeanne d'Arc était assez 
mal connue. On la regardait comme une tradition plus ou moins fabuleuse, 
et depuis quelques années seulement la vérité s'est fait jour sur des cir- 
constances auxquelles les passions contemporaines avaient imprimé leur 
cachet d'aveugle partialité. Le patriotisme de la Pucelle ne pouvait pas 
être compris; la plupart des écrivains s'attachaient de préférence au côté 
merveilleux du rôle de Jeanne d'Arc. Ainsi traité, le sujet produisait peu 
d'effet dramatique. Enfin, il faut ajouter encore que les formes de la tra- 
gédie classique ne conviennent pas du tout aux mœurs et aux caractères 
du moyen âge. Elles les dénaturent en leur ôtant l'originalité vigoureuse 
qui en fait le principal mérite. 

Pour échapper à cet inconvénient» Daniel Stern s'est affranchi des 
règles ordinaires du théâtre. Il a fait un drame destiné plutôt à la lecture 
qu'à la représentation. C'était bien le meilleur parti à prendre. Sa pièce, 
si elle n'obtient pas les honneurs de la scène, dont cependant elle nous 
semble très-digne, aura du moins le mérite de frayer la route, et de mon- 
trer quel usage on doit faire du résultat des investigations modernes. Da- 
niel Stern a su mettre en oeuvre ces nouveaux documents avec beaucoup 
d'intelligence. Il présente Jeanne d'Arc sous un aspect plus vrai, plus 



130 LITTtfaATQRB. 

humain, et par cela môme plus intéressant. La lutte du devoir et des sen- 
timents, le contraste de l'inspiration avec la timidité naturelle d'une jeune 
fille ignorante et simple, fournissent de précieuses données, qui com- 
plètent en quelque sorte le personnage de la Pucelle, dont on n'avait jus- 
qu ici qu'une ébauche à peite^^Mquistée. iiCS autres acteurs qui figurent 
dans le drame sont également peints de manière à reproduire autant que 
possible l'époque avec ses allures diverses. L'auteur a suivi les récits les 
plus exacts, et ne s'est permis que de légères modifications, qui lui ont 
paru nécessaires pour la marche du drame, c Pour le reste, dit-il, tout 
en m'efiEbrçant de rendra le caractère de. Jeanne, 4^1 qu'il râsaort'^de-ces 
interrogatoires et des tfoioignages comparés* des contemporains, j'ai in- 
sisté, c'est le privilège de l'artiste, sur les côtés par lesquels je me sen- 
tais personnellement le plus attii'é: sur T'amour' filial, sur' le détathement 
nalfdes gratideurs, sur la fidélité du cœur au séf natal, aux éhamps pa- 
temèîs; sur tme certaine peur féminine de la mort qui, «ans àliîérer 
l'héroïsme, lui i'ioone je ne sais quels accents plus attendris et plus sym- 
paffhiqaes. » 



Les oubliés et les dédaignés, figures littéraires de la fin du dix-huitième 
siècle, par Ch. Monselet. Paris, 1857; 2 vol. in-12: 5 fr. 

M. Mooselet a le goûtdes eodiumations Httéraipes. On lui doit déjàoeUe 
de 'Rétif de la Bretonne, et voici maiiitenant dafttsees deux volumes «toute 
trne série déorivaiiis, pour la |:rfupart incomifis, auic^els il'C0imcre>d6s 
ft^tioes assez étendues. Mais>Doiis ne soyons pas pourquoi il range' Lia* 
gnet, Mercier et Gnvuaud de la Reynière au jiombredas^^Mpbliësou tbs 
dédaignés L'auteur des ^Annales politiques et Uuéraires a t«ertain«m«Bt 
obtenu la place à laquelle H avait droit dans l'histoirede-son teivrps;Hep- 
cier et Grimaud de la Reynière ont joui naguère Tun et l'autre des hon- 
neurs ée la réimpression, avec préface, notes.'biogfaphie, etc. Ilest'ralôme 
peu flatteur pour eux d'être accolés avec des personnages tel^que Ga- 
bières, Olympe de Gouges, La Morlière, de l^oudiy, Desforges, Gorjy, 
Pkincber-Vaic0ur. Evidemment, M. Menaeteltavaèt besoind'eux poundoa- 
ner du relief à s&galeme, qui sans cela n'attirait pas offert on attrait isuffi- 
-aont. Les lecteurs se seraient défiés peut«6tre ide ces noms d)SGttr8 et de 
iâ tentative faite «pour leur refidfe«q«ielqtte'ëeiat. hs autaimit eu^tert «e- 
pendant, oar le but de>M. Hw\se\ét n'eal<p9Înt»d^lever sur on ^piédestal 
des talents frappés au coin de la médiocrité et de l'impuissance, ni de 



LITT^BUMrOAB. 13)1 

réhabiliter des oeuvres insignifiantes ou mauvaises. Il veut simplement 
compléter le tableau du dix-huitième siècle, en esquissant certaines fi- 
gures qui, malgré leur £aible valeur intrinsèque, lui semblent former h 
liaison entre cette époque et la nôtre. Ses<recherohes se sont dirigées vers 
les bas-fonds de la littérature, parce que, en général, c'est là que s'opère 
la transition. Dans cette espèce de laboratoire littéraire, les idées et les 
formes sont soumises à maints essais empiriques, dont le résultat exerde 
une grande influence sur le goût, influence corruptrice, qui détruit l'ad'- 
miration pour les chefs-d'oeuvre du passé, mais qui fraie ainsi la voie 
à des tendances nouvelles, et favorise, en définitive, la marche de l'es*- 
prit humain, par le même procédé de fermentation que la nature em- 
ploie constamment. Il est fort curieux, par exemple, de voir poindre efaez 
oespetits écrivains de la fin du dix-huitième siècle, des idées et des t«D^ 
dances qui ont pris leur 'essor dans la littérature du dix-neuvième. Les 
travers de 'l'école romantique y trouvent des précurseurs^ et M"^ Olympe 
de Gouges a devancé toutes les déclamations de nos jours, en faveurde la 
femme libre. D'ailleurs le livre de M. IHonselet amusera les lecteurs par 
une foule de détails qui font assez bien connaître les mœurs littéraires de 
Tépoque. Au nombre des dédaignés dont il esquisse la physionomie, on 
remarquera surtout Dorvigny, auteur de maintes petites pièces, d'un 
genre trivial sans doute, mais dans lesquelles circule plusde^ève comique, 
pluS'de véritable gatté que n'en eurent la plupart des hautes comédies 
représentées sous le régime du Consulat et de l'Empire. C'est l'auteur 
des Janot, des Jocrisse, du DirecPeur dans Vtmhatras, ou VOnfàHût 
qu'on ^eat «£ nou pas en qu on veut, etc., etc. Nous avouons sans honte 
notre faible pour ces bouffonneries, qui nous semblent t)eaucoup plus 
amasantes que les vaudevilles du jour. Quant à Mercier, que M. Monselet 
loue un peu trop, ses drames nous ont toujours paru froidement déclama* 
toires, ennuyeux et faux; mais c'est une figure très-originale, dont les 
excentricités ne manquent pas d'attrait. On n'en peut dire autant de Ba* 
ciilard d'Arnaud, ni de Dorat-Cubière, ni même du Cousin Jacques, qui 
ne valaient guère la peine d'être exhumés, malgré la vdgue qu'obtinrent 
tin instant leurs écrits. Mais la notice sur Grimiaiud de la 'Reynière ptaira 
beaucoup aux amateurs d'anecdotes. 



132 V0TA6B8 IT HISTOIRE. 

VÔYACES ET HISTOIKE. 

Etudes historiques et biographiques, par le baron de Barante. Paris» 

1857; 2 vol. iD-8: 1-4 fr. 

Ces études, quoique pour la plupart connues depuis longtemps, seront 
bien accueillies, car elles offrent en général un vif intérêt. Ce sont de 
courtes notices» historiques plutôt que biographiques, sur le rôle joué par 
des personnages célèbres soit de la période révolutionnaire, soit de notre 
époque; sur quelques villes dont l'auteur a compulsé les annales ; el sur 
plusieurs des publications faites par la société de l'histoire de France. Au 
nombre des biographies les plus étendues que renferme ce recueil fîgu* 
gurent celles de MM. de Saint-Priest, Mollien, de Saint-Aulaire, dont la 
carrière se rattache aux événements de l'Empire et de la Restauration» 
Gathelineau, Bonchamp, Lescure, Charetle, Larochejaquelein nous re-^ 
portent au sein de Tinsurreclion vendéenne, tandis que les généraux De« 
saix, Foy, Caulaincourt, Gouvion*Saint-Cyr rappellent à notre souvenir les 
exploits de la grande armée, et Mootlosier, Talleyrand, d'Haussonville, 
Pontécoulant, etc., représentent les débals politiques ou les intrigues de 
la diplomatie. Ces fragments détachés forment ainsi, dans leur ensemble, 
un tableau assez complet de l'histoire contemporaine. Ils renferment une 
foule de détails qui ne trouveraient peut-être pas place dans un récit suivi, 
et leur variété captive l'attention sans fatigue. Le talent de M. de Barante 
y revêt une allure plus familière que dans ses ouvrages de longue ha*- 
leioe. 11 se distingue d'ailleurs par une haute impartialité, qui reste tout 
à fait en dehors de la polémique des partis. Le but de ses efforts est d'ar- 
river, autant que possible, à l'appréciation juste des hommes et des choses. 
Il se montre animé d'une grande bienveillance, mais sait se tenir en garde 
eontre les sympathies personnelles ou les divergences d'opinions qui trop 
souvent fourvoient la critique et dénaturent l'histoire. Ainsi qu'il ledit 
lui-même dans sa préface : < La bienveillance est souvent plus juste que 
l'aversion ou l'esprit chagrin et satirique. Lorsqu'on a pénétré dans une 
intime connaissance, lorsqu'on a observé les intentions plus que les opi- 
nions, le caractère plus que la conduite déterminée par l'action des cir- 
constances, on est amené à apprécier la véritable valeur de celui dont on 
raconte la vie. Ce n'est pas indulgence, ni apologie, c'est justice; on peint 
le modèle tel qu'on Ta vu, de près et souvent. > 



Y0TAGB8 ET BISTOIRB. . 133 

4YENTURBS d'dn gentilhomiie BRETON aux îles Philippines, par P. de la. 
Gironière. Paris; 1 vol. gr. in-8 fig. et carie: 12 fr. 

L'auteur de ce livre est un courageux aventurier, dont les exploits jus- 
tifient bien son titre de geniilhomme breton. Il s'embarqua de très-bonne 
heure en qualité de chirurgien de marine, et, dès son premier voyage, le 
désir d'explorer des pays nouveaux s'empara de lui. Dans ce but, il alla 
$e Hxer aux îles Philippines, où Texercice delà médecine lui fournit bien- 
tôt d'abondantes ressources. Mais quelque brillante que fût sa position, 
elle ne le satisfaisait pas, Manille était encore un pays trop civilisé. Pour 
réaliser son rêve favori, M. de la Gironière acheta donc des terres dans 
rintérieur de Ttle, et choisit de préférence la pointe de Jala-Jala, située 
sur les bords du lac de Bay, dans un canton infesté de pirates. En vain 
ses amis cherchèrent-ils à le détourner d'une si périlleuse entreprise. 11 
n'était pas homme à reculer devant des considérations de cette espèce, et, 
loin de craindre la présence des brigands, il résolut d'utiliser leurs ser- 
vices. En effet, son audace réussit à les subjuguer. Il les organisa en corps 
de gendarmerie, dont if prit le commandement, et parvint à si bien établir 
son autorité, qu'il était en quelque rorte comme le roi de la contrée. Le 
domaine de Jala-Jula prospérait admirablement. Mais, au milieu de ses 
succès, M. de la Gironière eut le malheur de perdre une femme chérie. Le 
chagrin lui rendit la solitude insupportable. Ses instincts aventureux, se' 
réveillant, le poussèrent à de nouvelles excursions chez des peuplades 
sauvages, et sa santé, gravement compromise par les fatigues de ce dernier 
voyage, ne tarda pas à lui faire désirer de revenir en Europe. 

On comprend qu'une pareille existence doit être riche en péripéties 
dramatiques, en incidents extraordinaires. Le récit du gentilhomme bre- 
ton a certainement beaucoup d'attrait. Il renferme d'ailleurs des données 
intéressantes sur l'histoire naturelle, l'agriculture, l'industrie et le com- 
iherce des îles Philippines, ainsi que sur les mœurs de ses habitants. Mais 
on lui reprochera peut-être de ne pas présenter toutes les conditions vou- 
lues pour inspirer une entière confiance. M. de la Gironière donne parfois 
un peu trop d'essor à sa fantaisie. Son style est plutôt celui du romancier 
que celui du voyageur. Evidemment il ne pousse pas l'exactitude jus-!> 
qu'aux moindres détails, et la mise en scène le préoccupe fort. Du reste 
5on volume, orné de jolis dessins, peut figurer avec avantage-parmi le& 
meilleures productions de la littérature illustrée. 



i39 V0VMB8 nr HisvoiaB». 

Esquisses historiques sur Moscou et Saint-Pétersbourg, à rât)oque do 
couronnement de l'enopereur Alexandre II, par A. Regnault. Paris» 
1857; Ivol. in*8: 5fr. 

La relation des cérémonies du couronnement offre un médiocre intérêt. 
Ces descriptions de costumes et de fêtes, ces nomenclatures de hauts per- 
sonnages ne sont pas fort attrayantes : 11 faudrait des gravures, pour qu on 
pût se faire une idée de la magnificence du spectacle. Le programme seul 
ne suffit pas. Aussi M. Regnault a-t-il eu soin d'en rompre la monotonie 
et d'en corriger ta sécheresse par de nombreuses digressions, qui forment 
l^s trois quarts de son livre. Il profite du couronnement pour étudier la 
société russe, d'une manière superficielle, sans doute, mais qui porte ce- 
pendant le cachet de l'observation, et lui permet d*en esquisser assez bien 
les principaux traits caractéristiques. Les coutumes religieuses, les usages 
domestiques, Torganisation administrative, les monuments de Moscou et 
de Saint-Pétersbourg lui fournissent autant de sujets sur lesquels il donne 
maints détails nouveaux ou peu connus. Mais ce qui nous semble propre 
à frapper surtout le lecteur, c'est l'hospitalité avec laquelle les Russes 
ont accueilli des hôtes qui, quelques mois auparavant, étaient leurs enne- 
mis. Un semblable fait est le plus bel éloge qu'on puisse faire des progrès 
de la civilisation. * 



Rléber et Marcead, par €1. Desprez. Paris, J. Dumaine, 181^7; != voL 

in-i8, caries: 2 fr. 

Pamî les hommes remarquables (jue mirent en évidence les guerres do. 
l«>révolutido, Kléber et Marceau tiennent une place distinguée. Egaux par 
le eourage et le talent, ils furent de plus unis par une amitié très-intime. 
Cette circonstance ajoute beaucoup à l'intérêt que présente leur brillante 
carrière. On sent combien une semblable affection devait avoir de prix au 
nnlieu des fatigues de k vie des camps et des périls du champ de bataille, 
qùe\ apfHii mutuel et vraiment efficace ces deux hommes devaient trouver 
duos la confiance qu'ils avaient Tua pour l'autre. C'est en Vendée qu ils 
SB rencontrèrent. Kléber s'était déjà fait une renommée glorieuse ; Mar- 
oeau, très-jeune encore, venait à lui, poussé par le désir de voir un géné- 
ral dont il admirait les exploits. Mais son enthousiasme lui avait fait our 
blier les règles sévères de la discipline: c Vous n'auriez pas dû quitter 



vitre- po6t6>, lui dit Kléber; véiowrnei*^, nw» aurons phi» tard toutittt 
teAi(>&d6;faiFd^ci(MiinaiâsaB0êL.»Le leodemaiiiy uacomlKit eut lieie* Mar* 
ceaii< y prit- pa^rt ; Kiébar pnl apprécier le» eiicelkentes qualités de sen 
jeunaémiileveAdè» lors^'établit entre eox une miimité qui du r» )iisqu'ài 
la^iMoH. Plusvtafdi ils se relrotiwent sur le Rhin, àTaroiée de Sambre^ 
ei^Meuse, aecemplissenl^ ensemble la conquête- delà «Bdgique> la prisée*. 
Cobfentz^ le blocus deMayence* font les campagnes de i795 et 1796, 
toujours unis de vues et de sentiments, partageant la gloire en frère», et 
ne«se livrant point à ces rivalités jalouses si comiaunes chez les généraux 
de cette époque. Après la mort de Marceau, Kléber continue à se main- 
tenir au premier rang. La campagne d'Egypte imprime à son nom le ca«- 
chet de rimmorialité. Ces deux existences, racontées avec la verve qui 
convient aux réeits de ee genre, captiveront vivement les lecteurs. 
M. Desprez décrit très-bien les batailles, les mouvements des différenl» 
corps, les péripéties importantes de la lutte. Quoique animé d'enthou- 
siasme pour la bravoure française, il évite en général avec bonheur les 
écueils du chauvinisme et de la monotonie. Ses petits volumes nous sem- 
blent tout à fait dignes d'obtenir un succès vraiment populaire. 



hm MbivuMEi«rrs rm luistoike db France. Catalogue des productions 
é^ la sculpture, de la peinture et de la gravure relatives à l'histoire 
dO'la France et des Frawçais, parM. ffennin. Paris, Delion, 1857, in-S. 

Qa paru deux tomes de cet ouvrage, qui sera sans doute d'une étendue 
-considérable^ mais qui offrira aux travailleurs de précieuses ressources. 
M« Hennin a entrepris de donner, par ordre chronologique, une liste de 
toutes, les monnaies, portraits, monuments, etc., relatifs à l'histoire de 
Erance, et disséminés dans un grand nombre d'ouvrages divers. On com- 
prend sans peine conabien il a fallu de recherches et de temps pour réu- 
nii! et classer ces indications, mais aussi celui qui voudra savoir où il trou- 
vera les inforn»tion& dont il a besoin au sujet de tel ou tel personnage 
iUustreou de tel événement mâsiorable, apprendra de suite, grâce h H. Hen- 
nin, quels ouvrages il doit ouvrir et à quelle page; autrement il aurait 
perdu beaucoup de temps à faire des investigations qui seraient, sans doute, 
demeurées incomplètes. La liste publiée jusqu'à présent, dans l'ouvrage. 
dent nous avons transcrit le titre, commence à l'an 481 par des objets 
divers trouvés dans le tombeau de Childéric, et se termine avec l'année 



136 T0TA6B8 BT HISTOIRB. 

1061. Une longue introduction donne sur le but du travail entrepris et 
sur les matériaux mis en œuvre, des détails étendus; une Table des auteurs, 
ouvrages et recueils cités entre dans des détails étendus sur des publica- 
tions importantes ou rares ; le curieux recueil de gravures publié par Tor- 
torel et Perrissin, sous le titre de : Premier volume^ contenant quarante 
tableaux ou hiêtoireê diverêes, touchant les guerres, massacres et troubles 
advenus en France, est Tobjet d'une longue et minutieuse description ; 
ces monuments très-remarquables représentent pourtrais à la vérité les 
événements les plus importants qui se sont accomplis en France de 1559 
à 1570; la véritable physionomie du temps s'y retrouve avec une fidélité 
naïve. Il faut désirer que M. Hennin ait le temps et le courage d'accom- 
plir jusqu'au bout la vaste carrière dans laquelle il est entré. Son travail 
sera pour l'historien et pour l'artiste un trésor de renseignements où il 
faudra sans cesse venir puiser. 



La Corse et son avenir, par Jean de la Rocca. Paris, H. Pion, 

1857; in-8. 

Le but de ce livre est de faire connaître ce qu*a été la Corse, ce qu'elle 
est, ce qu'elle peut être. L'auteur établit qu'il y a dans cette île, trop peu 
appréciée, une vaste perspective d'avenir ouverte au commerçant, à l'agri- 
culteur, à rindustriel. Dans son travail, divisé en vingt et un chapitres, 
on peut dire qu'il épuise son sujet. Une analyse succincte fera , bien 
mieux que tout compte rendu, connaître le cercle dans lequel il a porté 
ses recherches. Après un coup d'œil sur l'histoire de la Corse, il donne 
une description générale du pays, il en fait connaître la situation, l'é- 
tendue, le sol, les divisions politiques et administratives, les villes prin- 
cipales, le climat; il passe ensuite à la botanique et à l'état actuel de l'a- 
griculture en Corse. Il consacre le chapitre cinquième aux améliorations 
à introduire dans la culture des céréales, aux assolements, aux instru- 
ments aratoires, aux engrais, au drainage. Le chapitre suivant roule sur 
la culture de la vigne; si les vins de la Corse étaient bien soignés, ils occu- 
peraient un rang fort distingué dans le commerce. Il est ensuite question' 
de la culture de Tolivier, de celle du mûrier, de l'élève des bestiaux et de 
l'amélioration des races, des cultures à perfectionner et à introduire en 
Corse. Les chapitres onze à quatorze ont rapport à l'horticulture, aux fo- 
rêts, à la minéralogie et aux eaux minérales. M. de la Rocca discute en- 
suite Tétat actuel de l'industrie en Corse, et il montre sans peine qu'il y, 



TOTAGES XT HISTOIEB. tST 

aprait un immense progrès à réaliser; il dit ce qu'est le commerce et ce 
qu'il pourrait être ; il parle des institutions de crédit et d'un système de 
colonisation, et il arrive ainsi au chapitre dix-neuf» dont les ports de la 
Corse forment le sujet. Les routes, chemins de fer et service» de ba- 
teaux à vapeur, les comices agricoles, les institutions de bienfaisance oc- 
cupent les chapitres vingt à vingt-deux. Enfin, après avoir envisagé ce 
qui a rapport à la statistique et à la bibliographie de l'île, l'auteur formule 
des conclusions, il montre qu'en fécondant les marais, en améliorant les 
races, en introduisant des cultures nouvelles, en fondant des établissements 
de crédit, en frayant des routes, en déblayant les ports, en activant l'essur 
de l'industrie, en donnant à un peuple actif et heureusement organisé de 
Tinstruction et de l'émulation, on portera à un haut degré de prospérité, 
un pays qui, trop longtemps délaissé, reste pauvre, tout en regorgeant 
de biens qui ne sont pas mis en œuvre. Aujourd'hui la Corse se trouve à 
quarante heures de Paris, et une ère nouvelle va sans doute s'ouvrir pour 
elle; sous ce rapport, l'ouvrage que nous signalons sera certainement con- 
sulté avec grand profit. ^ 



Sophie ârnould, d'après sa correspondance et ses mémoires inédits, par 
M.-E. et J. de Concourt. Paris, 1857-, 1 vol. in-12: 2 fr. 

Sophie Arnould méritait-elle les honneurs d'une biographie? Cela nous 
paraît douteux. Par son rôle, elle appartient de plein droit à la chronique 
scandaleuse, et si les qualités de sou esprit la distinguent de la foule des 
femmes galantes, cela ne suffit pas pour qu'on doive ainsi la mettre sur 
un piédestal. Les bons mots qu'on lui prête sont nombreux et fort jolis 
sans doute, mais sa vie, quoique pleine d'incidents, offre, en définitive, 
peu d'intérêt. Elle débute par un enlèvement, suivi de beaucoup 
d autres aventures du même genre, gagne la faveur du public par le 
charme de sa belle voix, obtient fortune et renommée, puis dissipe bientôt 
Tune comme l'autre, et s'en va déclinant jusqu'à se voir obligée de vivre 
aux dépens de ses amis. C'est l'histoire assez ordinaire des princesses de 
théâtre. Les lettres et fragments de journal que publient MM. de Con- 
court montrent seulement que Sophie Arnould sollicitait sans relâche, 
écrivait mal et ne savait pas l'orthographe. Son style ne reflète point l'é- 
clat de sa conversation ; il est incorrect, débraillé, flasque, et ne brille 
m par l'élévation des idées, ni par la noblesse des sentiments. La vieille 



1981 yowjMakm masoiMM. 

actrice, mahde et beaogneuse, réelamaDi sans cesse de nouveaux secours» 
produit une îmjfMression pénible, d'autant plus que son malheur ne lui 
iMpife-jamais aueme réflexion sérieuse ni sur le passé, ni sur ïwmït. 
Le repentir et Kespoir lui paraissent également étrangers. De l^u», m de' 
r««tre, il n'est question milla part, sauf dans le dernier paragraphe du 
livre, où MM. de Goncourttnons apprennent que c le curé de Saint-Ger- 
maiiiH-riAuxerrois promettait le pardon à la Madelema. • Quant à Sophie 
Araottk), le souvenir de sa oonduite ne lui suggère le plus souvent que* 
des> plaisantems tHvialeset de fort mauvais goût. 



Historié dbs rduoions db la Grèce antiiiob, depuis leur origine, jus^ 
qu'à leur complète constitution, par Alfred Maury, tome 1^. Paris» 
1857; 4 voLin-8: 7lr. Î50'C. 

Dans cet ouvrage, qui se distingue par une vaste érudition, M. A. Mauiy 
veut faire connaître le développement progressif du polythéisme grec et 
les diverses transformations que ses dogmes ont subies. C'est une tâche 
très-difficile, qui demande d'immenses recherches, mais dont les résul* 
tats peuvent offrir le plus haut intérêt. Jusqu'ici l'on s'est trop exclusi- 
vement attaché à l'étude des monuments, aux formes du culte, tandis 
qu'on perdait de vue le sentiment religieux, qui est l'essence des reli- 
giaos. C'est sur ce dernier point que se dirigent les recherches <le 
M* Maury. Son but est de montrer comment la nation divine se dégage gni* 
docilement du naturalisme au sein duquel elle s'était éveillée, et de faire 
scKtir les rapports qui liaôent keculteà la morale, et l'instinct de k vertu - 
àicelui du monde iftvisiblev 11 remonte donc à l'origine de chaque dieu, 
puisiSKamine cequ'il est devenu au milieu des révolutions religieuses qui 
s'aiccompërent dans le monde antique. Les Grecs paraissent avoir puisé 
Isur première notion de la divinité aux mêmes sources que les autres races, 
ifldo^^européennes; « L'étude des Védas, les mc^numents de la plus, an-^ 
denne sodété indienne, nous fournit des éléments curieux de comparaison 
aires ce que nous retracent les premiers écrivains de la Grèce. » Ce qu'oa 
saâtidés Pélasges offre beaucoup d'analogie avec les mœurs et les usages 
de.rjnde antique. Le Zeus grec se retrouve en tête du Panthéon indien^ 
qui fui probablement son berceau. Mais la riche imagination de la rac»* 
beiléniqse ne tarda pas à le modifier suivant les tendances de son propi^ 
géftie. L'origme asiatique fut remplacée par des traditions fabuleuses^ el^ 



VOTA6B0 BT HISTOIRB. tdfè 

KtMi vil nallne toute uoe mythologie nouvelle eaiptreinte du<caraotère.OAt-^ 
fmalidea populattoo» de la Grèoo. Auk «ulroft^ dieu» issu» do la mêtno 
QsigiBej.se môlèrenltte nombreux héros, doott les.exploits ou le» serviicoo: 
partirent Bkériter une place dans^O/ciel, etranlbropomorphiMnesIépMimi 
doplus; en pkiSi jusqu'au moment oii la philosophie vint miner le vioilt 
édifiée neiigieiix. 

Le travail de M . Maury doit embrasoer toute celle pépiode. Soa premieri 
volume va jusqu'au siède d'Alexandre. C'est une œuvre très-'savante»., 
pleine d'aperçus ingénieux, qui répand la lumière sur unefouledepoiutai 
obscurs^ et dans laquelle règne un esprit de saine critique très^remar-*» 
qoable. Nous nous proposons de lui consacrer une analyse plus étendue 
leisque paraîtra la: seconde partie, qui doit traiter des institutions. relir 
f^enseset de leur influeocesur la vie morale oheziiles^ipeupks greoSi 



CbANNiNG, sk VIE ET SES ŒUVRES, avec Une préface, de M. Ch. de Ré- 
musat. Paris, Didier et C*«, 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr. 

Depuis quelque temps^ le nom de Ghanning attire, en France, l'atten^ 
tioa d'un certain nocsbre d'hommes éclairés, qui sont fibitaots encore 
entre la philosophie et la religion, ne voulant point adop^ter entièrement; 
Tune, ni tout à fait rejeter l'autre. C'est bien peureux, en effet, que 
Ghanning semble avoir écrit. Soa christianisme large leur convient, sa 
parfaite tolérance les attire» Il insiste fort pea sur les dogmes et beaucoup 
sur la morale; il est trèsi-rationaliste, mais en même temps plein, dune 
ferViOur sincère^ et son âme se montre profondément pénétrée de l'impor- 
tance des choses célestes. On ne peul d'ailleurs le rattacher à aucune 
secte, son individualité se développe avec la plus complète indépeadance ; 
jamais aucune arrière- pensée politique ou autre ne vient influer sur son 
jugement, ni se jeter au travers de ses convictions. Chez lui le sentiment 
i^igieux domintiit d'une manière très^iolense, et l'on en retrouve l'em- 
preinte dans tous ses discours. Les œuvres de charité, la questioa.de 
l'esclavage, Tédueation populaire étaient les sujets favoris deses préoccu- 
pations. Il y apportait le lèle le plus ardent et le plus éclairé ; aussi sa voix 
éiail* elle écoutée, quoiqu'elle heurtât souvent les préjugés et les passions 
de la foule. Aux Etats-Unis, comme aUheurs, les progrès delà démocratie 
tendent à faire passer le pouvoir entre les mains, non pas des plus dignes 
etdes plus capables, mais de ceux qui savent le plus habilement exploiter 
letjsuffiirage universel. Channingi frappé de ce résultat déplorable*, cher-^ 



i40l VOYAGES BT UI8T0IRB. 

cfaait le moyen d'y remédier, soit en répandant les notions morales, soit 
en insistant avec force et sans relâche sur Timportance des devoirs qu'en- 
traîne l'exercice d'un pareil droit. Ses écrits renferment à cet égard le& 
meilleures directions ; la sagesse de ses vues n'est pas contestable. Il veut 
élever le peuple pour le rendre vraiment apte à jouir des heureux fruits 
d'un gouvernement libre, et la première condition qu'il demande, c'est 
que la majorité soit assez éclairée pour ne pas se laisser séduire par les 
artifices de quelques meneurs ambitieux. Du reste, Channing ne fut point 
un homme d'action ; il n'exerça jamais aucun rôle politique. La parole 
était sa seule arme, et comme Ta dit M. Laboulaye, « sa vie est tout en- 
tière dans les idées qu'il a propagées et défendues. » Aussi la notice insé- 
rée dans le volume que nous annonçons n'est-elle qu'une analyse de ses 
opinions sur les événements de son époque et les divers objets d'utilité 
publique dont il faisait le but de ses constants efforts. L'auteur y a joint 
une série de lettres et des extraits de trois sermons de Channing : du renon- 
cement à soûmême, les Preuves du christianisme et la Liberté' spirituelle. 
Cette publication ne pourra qu'augmenter le nombre des admirateurs 
de Channing. Au point de vue dogmatique, sans doute, elle soulèvera 
beaucoup d'objections, mais, comme le dit M. de Rémusat, pour appré- 
cier convenablement le pasteur américain, il ne faut pas l'isoler du milieu 
dans lequel il a vécu, ni oublier que son influence peut servir à réconci- 
lier avec le christianisme un grand nombre de ceux qu'on est parvenu à 
en éloigner, c La piété du cœur ! là nous paraît en effet le mérite carac- 
téristique de Channing. Pour le bien comprendre, il faut nous dégager 
des habitudes d'esprit que les traditions d'une vieille société laissent à 
ceux mêmes qui se piquent le plus d'indépendance. Toujours il nous est 
assez difficile de concevoir comme un directeur des âmes, comme un mi- 
nistre delà religion, un homme qui n'agit que par des prédications et des 
écrits. Nous ne voulons voir en lui qu'un orateur, qu'un auteur fort res- 
pectable; mais nous ne pouvons, dans notre pensée, séparer le genre de 
mission dont il se sent investi de certaines {ormes extérieures et d'un pou- 
voir en quelque sorte officiel, dont il devrait porter les signes et exercer 
lés fonctions. Cependant, comme la religion est purement de l'ordre moral, 
un peu plus, un peu moins de choses extérieures n'importe pas, si l'es- 
prit est convaincu, si le cœur est changé. Or, dans la société américaine, 
dans celle surtout des Etats du Nord, le culte est en général réduit à ses 
ifioindres termes, et la parole n'en a pas moins pour cela de force et d'in- 
fhience. C'est un pays de religion sans culte. De treize républiques, celle de 



SCISIfCES MORALES BT POLITIQUES; 141 

Rhode-Island est la plus petite ; ;mais sur cette terre favorisée du cieK 
la religion et la liberté se sont embrassées dès leur berceau. Sous i'in* 
fluence du généreux Henri Vane, des hommes pieux, qui fuyaient Tint- 
tolérance des puritains du Massacbussets, fondèrent une colonie indépen*- 
danle, dont le parlement et la restauration consacrèrent également 
l'existence et les droits. Une charte, qu^elle tient du roi Charles II, bien 
inspiré cette fois par sa sceptique indifférence, proclame en termes vrai^ 
ment admirables des principes qui n ont peut-être encore pleinement 
triomphé sur aucun point du lerritoire de cette orgueilleuse Europe. 11 y 
^ura, dans six ans, deux siècles que cette petite démocratie jouit en paix 
des plus grands biens qui puissent être départis aux sociétés humaines. 
C'est là, c'est dans la ville de Newport, que naquit Channing, et qu'il 
suça avec le lait ces doctrines à la fois chrétiennes et libérales, qui font 
tout ensemble la consolation et la dignité de l'homme sur la terre. C'est 
de là qu'il partit, fort du pur amour de Dieu et de l'humanité, pour 
exercer jusque dans les Etats voisins un empire d'amélioration et d'en-^ 
«eignement qui ne se comprend pas aisément dans nos mœurs euro^ 
péennes, et dont ses ouvrages ne donnent encore qu'une imparfaite idée^ 
11 faut se placer» par l'imagination, dans le milieu social où sa missioa 
s'est accomplie, pour en mesurer l'importance et l'utilité; il faut créeri 
par hypothèse, autour de soi un ordre purement moral, où les institutions 
et les conventions disparaissent, où ne régnent que l'intelligence» le sen-- 
timent et la volonté, et se représenter, dans la simplicité des mœurs ré* 
publicaines, des assemblées toutes spontanées, réunies par l'appât de la 
vérité et de l'émotion, autour d'un homme de leur choix, qu'elles ac- 
ceptent librement pour conseiller et pour guide. C'est là presque tout ce 
que la religion a d'extérieur dans la plupart des sectes de l'Amérique du 
Nord, et l'on sait qu'elle n^en est pas moins puissante sur le plus énerr 
gique des peuples, t 

SCIGMCfiS MORAIiEd £T POIilVl^llJllS. 

Eléments de droit romain, par Charles Maynz, professeur de droit 
à l'Université de Bruxelles. Deuxième édition ; tome l^. 1 vol. grand 
in-S*» de 600 pages. 

La première édition de ces éléments ayant été fort peu répandue en 
dehors de la Belgique, nous pouvons les signaler comme un ouvrage nou- 
veau et d'un grand mérite. Le mouvement imprimé en France depuis plus 



ttïSl SCmSGIS ■ORÀLBS BT FOLITlQUSa. 

4'un qusrt de siècle à toutes les branches de la science du droit, s'«st 
principalement manifesté, pour l'étude du droit romain, par des travaux 
-tn général historiques ou exégétiques et portant sur des matières spé- 
ciales. Quanta l'ensemble des institutions et des règles du droit civil 
TOfBain on n'a guère chei*ché à l'exposer que dans des commentaires dee 
•Institutes de Justinien : or, malgré l'érudition et le talent dont ont fait 
•preuve plusiemrs des auteurs de ces manuels, le cadre étroit qu'ils ont 
4idopté, peut-être avec répugnance, ne se prête point à des développe*- 
ments assez complets, et l'importance donnée au seul textedes Institutes ne 
permet pas de mettre suffisamment en relief les points de vue sous les^ 
quels il est le plus nécessaire d'étudier le droit romain dans les pays qui 
ne lui reconnaissent plus force de loi. M. Maynz a des coudées plus fran- 
dies et une méthode plus rationnelle. Il puise à toutes les sources, li pré« 
«ente le tableau rapide des évolutions successives du droit aussi bien que 
l'exposé systématique de sa dernière condition, il initie par de nombreux 
exemples, par descitations bien choisies aux procédés de la jurisprudence 
romaine. Le volume que nous avons sous les yeux renferme, outre Hintr»- 
ductioD» Ivsdeux premiers livres^ (Notions générales. — Droits réels). Le 
second volume sera consacré aux obligations et aux 'droits de famille. Le 
dernier aux successions. 11 est deux portions du premier volume qo*H 
importe de signaler particulièrement : l'ntroduction, qui contient, en 200 
pi^s, une remarquable histoire du droit romain «et le titre cinquième du 
premier livre, i^elatif aux actions formant un traité sommaire de prooé*- 
dure civile. 

Nous regrettons de ne pouvoir entrer dans plus de détails ; mais nous 
tenions à indiquer au moins le caractère général et l'importance d'un 
ouvrage qui fraie à renseignement une voie nouvelle, et Mi connaître à la 
France les principaux résultats de la science allemande; nous tenions aussi 
à remercier sincèrement M. Maynz, car, pour apprécier les services que 
son livre est appelé à rendre, il faut tenir compte et de l'instruction directe 
qu'on peut^^puiseret de l'impulsion ultérieure^u'ilimprimer^ux études. 

CL. 



Nouveau système de comptabilité commerciale ou de tenue de livres 
dite probante, à l'usage des personnes destinées au'commerce» par 
Jacob Melly. Genève, J. Cherbuliez, 1856; 1 vol. in-8 : 3 fr. 

Simplifier la tenue des lûvres, la readre plus daire, et fournir le 



8GimCB8 M0AALI8 BT rOlKilWEB. H^ 

moyen d'éviter ces longues ^riicatiofis qQ'antratoe souvent b moinëife 

«rrear, tel est le but que s'est proposé M. J. JMeNy. Le princifUil «Tin« 

U^e de son systène consiste dans la possibilité d'avoir chaque jmr'h 

habnice exacte, et de pouvoir en quelque «ofle eonnaUve >à toMe faeune 

la véritable situmldoii du commerce auquel il est^^pphqué. Rsur ob*» 

4iiiur ce précieuoL résultat, il suffit d'un nouveau registre dan» le*- 

nquel la page de gauche est consacrée tu jouniol, et ceU« de droite 

sa igrand livre, en sorte «(u'eii peut, du premier <îOup d'ceil , s'as>- 

«urer si Taccord existe entre ces deux bases essentieWes de lacompla^ 

HbvHté. Les comptes généraux occupent sur le grand livre, cfaacuoiâeux 

colonnes, diMit Tune dans les débiteurs et l'autre dans les oréditetirs, et 

-kssommes se trouvant ainri placées :sur la ligne: eorr«spOBdante4(CBilB 

é» journal où leur rubrique est; inscrite, )U n'y a pas. lieu delà répéter, 

oe qm fait une grande économie d'écritwes. D'ailleurs, avecoeipegislre 

jouroal'^nd livre, on tient celui des oomptes^courants-eni parties simiplee, 

«aiBsique celui de la caisse, sans que eelA' nuise en rien à l'harmonie gé^ 

nérale.iqui s'établit même beaucoup plus. aisément que (bus la 'méthode 

actuellement en uaage. La tenue délivres probante mous «omble, autant 

du moins que nousen pouvons Juger, une innovation très*heureuse, -qui 

mérite d'être adoptée surtout par le commerce, car l'expérience de 

M. Mellyen-eette matièrcest une garantie «ertaine des avantages qu'elle 

procure. 11 en fait habilement ressortir la supériorité sur les autrsnsné* 

tbades, donne t tous les détailsetles medôles néoessaires :paurison applica*- 

!|ion, et la recommande aussi comme susceptible d^tre appropriée soit 

iiux usines et manufactures» soit aux administrationsffinanoièvfa de^p^ilB 

^uvernements. 



Il I t I M 



Droit COMMERCIAL. Commentaire du code de commerce; livrel, 'titre BL 
Des sociétés, suivi d'un commentaire des lois du 17-23 juillet 18^6, 
sur l'arbitrage forcé et les sociétés en commandite par actions, par 
3. Bédarride. Paris, Aug. Durand, Î857 ; 2 vol. in-8* : f 5 fr. 

Aujaund'hui, que l'association tend ^ prendre «m développementidoiplus 
«n piustcottsidérable^ le titre «du oode de icommence.qui règke«l'<H*ganiA»«- 
tion dbs sociétés acquiert une haute ii»partiaAce. ,ll<eat à désirer (|ue, tsttr 
ce point, lalun&ière se fasse aussi. complète que'possible, afin deprév^enir 
les désAstrainx résultats que pourraient entraîner Tignoffance ou. la fraude 
dans des entreprises dont la ruine aenait. une ivéritable calamité publique, 



144 SC1BHGI8 aORALBB IT POLITIQUBB. 

Li puissance de Tassociation n'est pas une découverte nouvelle, sans 
cloute, mais elle est restée longtemps à peu près inexploitée. Il fallait le 
progrès des institutions civiles pour lui fournir les garanties de sécurité 
nécessaires à son essor. Depuis le commencement de notre siècle seule- 
ment on s'en est préoccupé dune manière plus active, et Ton a bien 
compris que, selon Texpression d*un économiste moderne : • Les capitauSL 
sont comme les hommes : unis, ils sont puissants ; divisés, ils sont sans 
force. » L'action efficace de ce levier une fois reconnue, le commerce n*a 
pas tardé à se l'approprier pour en faire l'àme de ses opérations. Si l'i^ 
nitiative du mouvement n'appartient pas à la France, du moins c'est elle 
qui, la première, s'est empressée de mettre sa législation commerciale en 
harmonie avec les exigences probables de cet essor, dont, avec sa pers- 
picacité ordinaire, elle avait deviné la portée. Mais les vues de la théorie 
ont toujours besoin d'être modifiées dans la pratique, et, faute de ce cor- 
rectif, elles paraissent quelquefois insuffisantes ou même dangereuses. 
C'est ce qui est arrivé pour le code de commerce. 11 est devenu l'objet de 
reproches exagérés et d'attaques passionnées, a On lui a reproché de 
méconnaître le véritable esprit d'association, de favoriser les fraudes. De 
toutes parts, des réformes étaient sollicitées au nom de l'intérêt général, 
qu'on indiquait comme sérieusement menacé, t En réponse à ces plaintes, 
M. Bédarride fait observer avec raison que tous les projets enfantés par 
la fièvre de la spéculation et de l'agiotage, n'ont pu soutenir un examen 
«érieux, et qu'après des discussions approfondies on a jugé qu'en défini- 
tive le mieux était de s'en tenir au code de commerce. Mais il admet en 
même temps qu'au point de vue pratique, il convient de donner à ce code 
une interprétation parfaitement claire et très-détaillée, qui ne laisse pas 
de doute sur son aptitude à régler les rapports nouveaux que peuvent 
faire naître les grandes opérations commerciales de notre époque. Dans ce 
but, son commentaire s'attache à résoudre successivement les nombreuses 
questions que soulève chaque article du titre III. Tous les cas qui peuvent 
se présenter sont passés en revue et discutés avec soin. Ce livre nous pa- 
raît propre à rendre de précieux services. Il est écrit simplement, n'offre 
point un appareil trop scientifique, et les difficultés de droit s'y trouvent 
exposées de telle sorte que toutes les personnes versées dans les matières 
commerciales en saisiront facilement le sens et l'application. M. Bédar- 
ride joint au mérite du savoir, comme jurisconsulte, la connaissance réelle 
des usages du commerce, et montre une intelligence remarquable des 
bienfaits que l'association peut produire. 



SCIinCBS MORALES ET POLITIQUES. 14& 

De l état actuel du protestantisme en Frange, par J.-J. Clama- 
geran. Paris et Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-12 : 1 fr. 50. 

Le protestantisme est depuis quelque temps en France l'objet d'études 
et de publications qui se multiplient de plus en plus. Son histoire a pour 
la plupart des lecteurs tout Tintérôt de la nouveauté, car jusqu'à présent 
elle n'était guère connue. Grâce aux travaux de Michefet, de Martin, etc., 
elle reprend sa place dans les annales françaises, et d'autres écrivains 
non moins distingués s'attachentà répandre également la lumière, soit sur 
ses doctrines, soit sur les résultats de son influence. Mais pour compléter 
cette œuvre de réhabilitation, il convenait d'y joindre un aperçu aussi 
exact que possible de l'état actuel des églises protestantes, de leur organi- 
sation, et des progrès qu'elles ont pu faire depuis que la liberté leur a été 
rendue. C'est la tâche que s'est donnée M. Clamageran. Il débute donc par 
nous apprendre que le nombre des pasteurs, qui n'était que de 200 en 
1807, est maintenant de 814; que celui des lieux consacrés au culte est 
de 1341, tandis qu'au synode d'Alençon, en 1637, on ne comptait que 
à06 églises; puis il nous offre une analyse très-claire, quoique très-suc- 
cincte du régime législatif sous lequel ce développement remarquable s'est 
accompli et se continue. L'extension du culte protestant rencontre encore 
des difficultés assez grandes, qui proviennent en partie de la manière dont 
la loi est interprétée ou appliquée, en partie aussi du manque d'unité dans 
les efforts des églises. Quant au premier point, M. Clamageran se borne 
à le constater en citant plusieurs cas récents dans lesquels les tribunauxse 
sont prononcés contre le droit d'ouvrir de nouveaux temples ou des écoles 
protestantes. Sur le second, il s'étend davantage et passe en revue les 
différentes nuances d'opinions qui se partagent le protestantisme français. 
Ainsi qu'il le remarque très-bien, aucune d'elles ne peut prétendre à re- 
présenter d'une manière exclusive le principe protestant, dont l'essence 
est d'admettre la seule autorité de la Bible, en laissant chacun libre et 
responsable dans ses efforts pour en comprendre l'enseignement et pour 
le mettre en pratique. Entre les tendances variées qui, de celte manière, 
prennent leur essor, il n'y a pas d'autre unité qu'une tolérance large et 
féconde, à laquelle toutes ont les mêmes droits, quelque divergentes 
qu'elles puissent être. Or, le besoin de cette unité se fait tellement sentir, 
que Ton voit orthodoxes et libéraux, après avoir été longtemps divisés en 
deux camps ennemis, chercher à se rapprocher et comprendre la nécessité 

10 



146 SC1BNCB8 MORALES BT P0L1TIQUB8. 

de mettre Kn à leurs stériles débats. En effet, pour atteindre son but, la 
réforme doit grouper autour de l'Evangile toutes les sectes et même toutes 
les opinions individuelles unies par le lien de la cbarité chrétienne. Cette 
noble mission est assignée par M. Clamageran au protestantisme, qui 
n*est et ne peut pas être un parti politique, mais dont les principes lui pa- 
raissent propres à exercer une haute influence sur la marche des choses 
humaines, sur les transformations sociales et sur la forme des gouverne- 
ments. Il veut, comme Channing, réaliser le progrès humain par l'éléva- 
tion graduelle de Tensemble de l'humanité, et croit la religion protestante 
destinée à remplir une pareille tâche. < Tâche difficile, dit-il, mais glo- 
rieuse au point de vue social : c'est de préparer la transformation future, 
c'est d'inculquer dans les esprits la notion de la solidarité humaine, et de 
graver dans les coeurs le sentiment de la charité universelle. La science 
économique fera le reste; elle indiquera comment le luxe, qui ruine les 
uns et déprave les autres, peut être détruit, comment la misère peut être 
vaincue, comment l'inégalité peut faire place à la diversité, comment le 
bien-être de chacun peut sortir du concours de tous. Auparavant, il faut 
régénérer les âmes, non pour les jeter dans les égarements du mysticisme, 
mais pour les rendre plus ardentes à la pratique de la vertu. La forme 
extérieure, l'organisation officielle, le nom même du protestantisme, tout 
cela est sujet à périr. Ce qui restera, c'est l'idéal chrétien dégagé de toute 
superstition, c'est la doctrine évangélique réduite à la loi d'amour, ce sont 
ces trois choses enfin introduites pour la première fois dans la vie reli- 
gieuse : la liberté, la raison et le progrès. Sur ces bases désormais iné- 
branlables s'élèvera un jour la religion de l'avenir, religion individuelle 
par la personnalité de la croyance, universelle par la simplicité de la foi, 
la religion de l'humanité afl'ranchie, et de tous les êtres qui aspirent vers 
Dieu. » 



Œuvres de Ph. de Marnix de Sa'inte-Aldegonde, précédées d'une 
introduction et accompagnées de notes, par Edgar Quinet. Bruxelles, 
4857. 

Cette curieuse publication, qui témoigne de l'intérêt avec lequel on se 
tourne aujourd'hui vers les écrivains de la réformation, formera 6 vo- 
lumes in-8». Nous pensons faire une chose agréable à nos lecteurs 
en leur donnant l'extrait du prospectus qui vient de paraître. 

Philippe de Marnix de Sainte-Mdegonde, né à Bruxelles en 1538, est 



1 

SCIETÏGES MORALES ET POLITIQUES. 147 

non-seulement Tun des plus grands hommes de la Belgique, mais l'un des 
plus grands écrivains de la littérature française et de la littérature fla- 
mande. 

Homme de plume, homme d'épée et homme d'Etat, Marnix consacra 
sa vie à rafifranchissemenl de son pays et au triomphe des principes de 
tolérance et de liberté. Ami et soutien de Guillaume le Taciturne, il con- 
tribua puissamment à la fondation des Provinces-Unies et à l'établisse* 
ment de la foi nouvelle chez le peuple batave. 

Ses œuvres littéraires, où se reflète toute la révolution politique et re- 
ligieuse du seizième siècle, sont devenues extrêmement rares : à peine 
quelques exemplaires existent-ils encore. C'est là un véritable monu- 
ment qu'il importe de reconstruire et de compléter, à la gloire de la 
Belgique, de la Hollande et de l'Europe entière. 

« Si l'on pouvait se représenter, dit M. Edgar Quinet, la moquerie 
d'un Voltaire plein de foi, on ne serait pas loin de Marnix. Il faudrait y 
joindre le pittoresque de Rabelais sur le fond sérieux d'une ébauche de 
Pascal ; la manière abondante, le génie plantureux des Flandres, accom- 
pagnés des éclats de malédiction qui partent d'une âme éprouvée par 
quarante ans de combats en pleine mêlée. 

«.... Marnix entreprend de rassembler dans une seule œuvre, pas- 
sionnée, savante, railleuse, toutes les armes que cette grande époque a 
fourbies contre l'esprit du moyen âge. 11 veut composer un immense 
pamphlet sacré qui ne laissera en oubli aucune des plaies de l'humanité 
morale au seizième siècle : œuvre de bon sens et de justice, qui sera lue 
par les bourgeois et par le peuple dans les courts intervalles de repos, au 
milieu des guerres religieuses. H rivalisera d'ironie avec Érasme, de fiel 
avec Ulric de Hulten, de sainte colère avec Luther, de jovialité et d'i- 
vresse avec Rabelais. > 

La publication des œuvres de Marnix commencera : 1® par le Ta- 
bleau des différends de la religion , cette œuvre toute française , prodi- 
gieuse d'ironie, de verve et de profondeur, suivie de V Exposition de la 
Ruche romaine, écrite aussi en français par Marnix, et 2^ le Byenkorf 
der roomsche kercke ( la Ruche de l'Eglise romaine ), œuvre toute fla^ 
mande, écrite dans un style populaire, vif et original. 

Ces deux ouvrages formeront : 1° le Tableau, quatre volumes petit 
in-8<^ (de grosseurs différentes, afin de suivre l'ordre adopté par l'auteur, 
mais ayant en moyenne au moins 400 pages chacun), du prix de 
dfr. 50 cent, par volume pour les souscripteurs, payable à la réception 



148 8CIV1ICB8 VORALBS ET POLITIQUES. 

du volume ; après la publication du 2"*« volume, le prix sera porté à 4 fr.; 
— 2» le Byenkorf, deux volumes petit io-8° (en moyenne d'environ 30O 
pages chacun ), du prix de 3 fr. par volume pour les souscripteurs ; 
après la publication du 1'' volume, le prix sera porté à 3 fr. 50 cent. 

Le prix total des 6 volumes pour les souscripteurs sera de 20 fr. et 
pour les non-souscripteurs de 23 fr. On pourra souscrire pour les deu^ 
.ouvrages à la fois ou pour chacun séparément, aux conditions ci-dessus. 

Les souscripteurs aux deux ouvrages recevront un exemplaire du 
portrait de Marnix. 

La publication commencera incessamment. Rien ne sera négligé pour 
rendre celte édition digne de figurer dans toutes les bibliothèques. 



PÉPÊGHES DES AMBASSADEURS MILANAIS sur les campagnos de Charles le 
Téméraire, de \Ali à 1477, publiées en original, avec sommaires et 
notes historiques par le baron Fréd. de Qingins-La-Sarra. Genève^ 
J. Cherbuliez. 

Cet ouvrage, qui est sous presse pour paraître dans le courant de cette 
année, formera 2 beaux volumes in-8<*, imprimés sur papier collé, avec 
beaucoup de soin. Ils seront publiés en 3 livraisons. Prix de chaque li- 
vraison pour les souscripteurs, avant la mise en vente, 6 fr. 

Les correspondances des ambassadeurs et des envoyés des souverains 
près des puissances étrangères sont considérées comme une source fé- 
conde de renseignements nouveaux et importants au point de vue d'une 
connaissance approfondie et plus exacte de l'histoire. Les monuments di- 
plomatiques, qui ne remontent guère au delà du milieu du quinzième 
siècle, ont échappé pendant longtemps aux recherches des historiens. 
Ils forment le complément indispensable et le meilleur correctif des ré- 
cita et des documents nationaux. Pour tous les événements qui se sont 
accomplis depuis quatre siècles, nulle histoire n'est définitive tant qu'elle 
c'a pas puisé à cette source. 

Ce jugement porté par les publicistes et les historiens les plus émi- 
nents de notre temps, s'applique tout particulièrement à Thistoire des 
dernières guerres que le duc 4e Bourgogne, Charles le Téméraire, sou- 
tint contre les Suisses, alliés du roi de France, Louis XL Les récils des 
écrivains contemporains portent, pour la plupart, l'enjprfiinte des préjugés 
et des passions fomentées par la lutte. Ces récits nationaux demandent, ^ 



SClfiNCKS Bf ARTS. 



i4d 



être éclairés et contrôlés par des témoignages moins suspects, tek que 
ceux que l'on trouvera abondamment dans les dépêches et les correspon- 
dances des divers agents diplomatiques que le duc de Milan entretenait, à 
cette époque, auprès des partis belligérants et de leurs adhérents. 

Les correspondances milanaises, dont nous annonçons la publicatioiï 
prochaine, se composent d'environ trois cents pièces originales, dont là 
majeure partie sont des dépêches des ambassadeurs du duc Galeaz-Marie 
Sforze, résidant, soit auprès de la personne du duc Charles de Bourgo- 
gne, soit à la cour de la duchesse régente de Savoie, propre sœur dii 
roi Louis XL On y trouvera, de plus, de nombreuses communication^ 
d'autres agents milanais envoyés à Venise, à Florence et à Rome, ainsi 
qu'à la cour de France , en Angleterre et dans les villes suisses ; sanâ 
compter plusieurs lettres autographes des divers souverains contempo- 
rains. Ces correspondances, qui toutes se rapportent d'une manière plus 
ûu moins directe aux événements de la guerre de Bourgogne, commen- 
cenl avec l'année 1474, et finissent à la mort de Charles le Téméraire, 
tué devant Nancy en janvier 4477. Rédigées, presque joOr par jour, dané 
les camps et sur le théâtre même des événements, par des observateur^ 
intelligents et haut placés, chargés de tout voir et de rendre de tout un 
compte tidèle, elles répandent une nouvelle et vive lumière sur Tun des 
plus grands drames historiques de l'époque et sur les intrigues croisées 
des cours qui alimentaient le feu de la guerre, sans en courir les dangers^ 



SClElVCKS KT ARTS* 

Traité de la science de Dieu, ou découverte des causes premières, 
par P. Roux. Paris, V. Masson, 1857 ; 1 vol. iD-12. 

L'auteur de ce livre s'annonce comme ayant fait la découverte la plus 
merveilleuse qu'on puisse citer depuis Torigine du monde jusqu'à nos 
jours. Quatorze années de recherches l'ont conduit à se persuader que la 
solution de tous les grands problèmes théologiques se trouve dans l'élec- 
tricité, qui vient de Dieu, tandis que le magnétisme, au contraire, vient 
du diable, et n'est qu'un instrument de tromperie dont Satan se sert pour 
séduire les âmes. Mais ce n'est pas tout encore. M. Roux prétend possé- 
der le secret de la nature et pouvoir se rendre tnaître du fkiide électrique 
de manière à produire facilement des effets tels qu'on tf en a jamais ob- 



150 SCIBIICBS BT ARTS. 

tenu jusqu'ici. « J*ai découvert un agent» dit-il, avec lequel je peux faire; 
(de différentes manières) des piles électriques oinnipuissantes, c'est à-dire 
d'une puissance qui est soumise à l'art, et qui est sans bornes, et qui dé- 
passe, haut la main, tous les besoins à venir que l'homme pourra avoir 
sur cette terre. Ces piles s'alimentent d'elles-mêmes et elles peuvent 
s'appliquer soit à la mécanique, soit à toutes les nécessités des autres arts 
et sciences. 

t Cette découverte est si gigantesque, qu'il n'en a pas été fait de pa- 
reille depuis le déluge, et elle dépasse celle de Newton d'autant que les 
cieux sont élevés au-dessus de la terre. Et je ne peux assez méditer, 
comment le grand Dieu des cieux peut s'abaisser à un tel point que de 
venir mettre une chose semblable entre les mains d'un misérable et chétif 
humain comme moi ! > 

Du reste, M. Roux trouve, soit dans la Bible, soit dans une foule d'é- 
crivains beaucoup antérieurs à l'ère chrétienne, surtout en Chine, aux 
Indes, au Thibet, en Perse, maintes descriptions de tous les caractères de 
son agent, ce qui lui confirme la haute importance de sa découverte eo 
montrant que c'est bien cet agent sublime dont l'humanité déplore la perle 
depuis tant de siècles, et qui doit lui être enfin rendu pour achever plei- 
nement l'œuvre de la rédemption. L'électricité pure constitue la grâce 
efficace ; l'hydrogène céleste est le créateur universel ; la physique, l'hy- 
giène et la morale se confondent ensemble pour former un tout qui s'ap- 
pelle la vertu ou la sainteté. Voilà du moins ce que nous avons cru com- 
prendre dans le Traité de la science de Dieu, qui, traitant de toutes 
choses, exige, pour le bien juger, des connaissances non moins variées 
qu'approfondies, et dont nous nous bornerons, dans le sentiment de notre 
impuissance, à citer ici quelques-unes des têtes de chapitres ou plutôt 
d'articles, d'après lesquelles nos lecteurs pourront se faire une idée du 
plan et de la méthode de M. Roux. 

t Le règne de Dieu est descendu sur la terre. La découverte de l'agent 
sublime perdu depuis quatre mille ans. 

« Don du S. E. et purgation. 

« Recette pour faire un homme. 

c Chemins de fer, prophétie d'isaïe. 

« Vertu, vice, passion. Observations sur les six agents du ciel et de 
l'enfer. 

« Acide carbonique ou esprit des excrétions, ou agents du diable. 

c Grand mystère des songes pénibles, hideux et terribles. 



SCIENCES ET ARTS. 15 il 

« Sources des manx. Orphée et Orgie. Véhicule et Python, ou alcool 
pur et impur. Rhée ou la toison d'or. Janus. Culte de la femme. 

« Langue primitive. 

« Pile, foudre, électricité, magnétisme. 

«Affinité, attraction. 

« Injections et excrétions. 

« Les excrétions ont fait fuir le paradis. Chiffonniers. Puits perdus. 

« Division des éjections terrestres et des êtres en injections et excré- 
tions. 

c La divisibilité infinie de la matière est la source de l'amour pur, ou 
du plaisir, ou de l'élévation et de la perfectibilité. 

c Eponge de Tunivers. 

« Un commerce bien géré. Tyr moderne ou Albion. L'industrie et la 
théologie. 

c Ma philosophie. 

« La clef de la science enlevée aux théologiens, et donnée aux chimistes- 
mécaniciens. 

c Paris ou la Jérusalem moderne. 

« La politique de Dieu et du diable. 

« Le magnétisme est le gouffre qui absorbe la société. 

c Le cuisinier des cuisiniers est la vraie science du diable. 

< Grand mystère de la nutrition et de Talambic universel et de la santé 
parfaite. 

c La médecine des médecins ; la médecine purgative. 

« Médecine, vertu, esprit et hygiène pure ne sont qu'un. 

c Courant de magnétisme et courant d'agent sublime, ou courant de 
l'esprit du diable et courant de l'esprit de Dieu. 

c Histoire d'un ange déchu et histoire abrégée de la création univer- 
selle. Les comètes. Adam et Eve. Vulcain. Les patriarches. Azaïs et 
Fourcault. 

€ Dualisme. Sec et humide. 

« Principes de la pile et de l* électricité pure et nouvelle, 

t II n'y a point de vide. L'électricité ne se propage que par l'intermé- 
diaire de la matière. 

< Contagion universelle. Effets physiologiques de l'électricité dyna- 
mique. 

c Mort des impies ou impurs et des coquins. Mort des purs ou justes. 
Fatalités. Suicides. Dissolution du corps. 



159 SaSHCBS ET ARfi. 

• La pile électrique omnipuiêeante et intari$$ahU. 
« Solution du problème des libertés célestes. 

• Piles terrestres et piles célestes. La raison ou vérité vient d'en haut 
ou du nord. Innpureté du midi. 

c Piles des tours de silices, 
c Mystère des fers à cheval ou électro-aimants dévoilé. 
« Isolement et pureté appliqués à la pile. 
« Dieu vient épouser la terre. 
« Locomotives aériennes. 
« Mouvement perpétuel. 
« La foi et les œuvres, 
u Cause de l'attraction de la chair, 
f Grand Lama. 
« Trois univers, 
c Le diable ou satan. 
c L'Angleterre. L*esclavag&. La lib^té. 
« Dix-sept cent nouante. 
« Kempis. 

« Grand centre d'infection, 
c Le règne de Dieu, c'est le règne des bagnes. 
« 11 n'y a qu'une âme ou véhicule, ou être spirituel, chez l'homme ou 
chez les bétes. 

c Emanation, ou sueur ou véhicule Python. 

« Grand Lama, faux Melchisédech, grande hôte, etc., etc., etc.» 



Essais scientifiques, par Victor Meunier. Paris, rue des Noyers, 74. 

Tome 1«, 1857; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25. 

Nous sommes dans le siècle des utopies sociales. Jamais on ne vit nattre 
tant de projets pour assurer à tous la jouissance du bien-être que promet 
l'essor du mouvement industriel, si remarquable aujourd'hui. Il est cer- 
tain que jusqu'à présent ses résultats ont profité surtout au petit nombre, 
tandis que la condition des masses est restée à peu près la même. Les 
travailleurs, semblables aux abeilles, n'obtiennent en général du miel de 
la ruche que tout juste ce qu'il leur faut pour vivre, et l'inégalité du 
partage devient plus flagrante à mesure que s'accroît la richesse des pro- 
duits. On ne peut le nier ; c'est un fait que l'emploi des machines a 



SCIBNCBjl BS AaVS. 153 

en évidence. Aussi ne sommes-noas pas étonna que des cœurs généreux 
cherchent les moyens de remédier à ce qui leur paraît une injustice. Au 
point de vue du sentiment leurs efforts peuvent ôtre louables, mais ie 
sentiment ne s'accorde pas toujours avec la raison et quelquefois enfante 
des erreurs fort dangereuses. C'est à lui qu'on doit les rêves du socia- 
lisme avec leur mirage trompeur par lequel se laisse si facilement séduire 
la foule. Trop souvent la philanthrope humanitaire débute en apportaoi 
le trouble et la ruine dans les existences individuelles. C'est tout simple» 
quand on embrasse le monde entier, les détails n*ont plus aucune valeur* 
L'enthousiasfle qu'inspire la perspective du bonheur universel produit 
une certaine indifférence pour les moyens d'exécution. De là viennent 
ces étranges projets qui, sans le moindre scrupule, bouleversent la société 
de fond en comble. M. Victor Meunier, hâtons-nous de le dire, ne pro- 
cède pas d'une manière aussi brutale. Il est socialiste, mais non révolu*? 
tionnaire. Suivaat lui, la réforme est en train de s'accomplir, il ne s'agit 
plus que de favoriser sa marche par des mesures toutes pacifiques. Ga 
sont les progrès de la science qui réalisent à ses yeux la véritable éman- 
cipation sociale , qui font Thomme prêtre et roi de ce monde. L'esprit 
hunaain, grâce à cette initiation nouvelle, participe en quelque sorte au 
pouvoir créateur, et nul obstacle ne peut plus entraver sa marche* 
« Pendant que les revenants des plus sombres époques nous taillent (en 
pensée) des vêlements dans leurs suaires, qu'ils nous préparent des loge- 
ments dans leurs sépulcres, et que de la poussière du passé ils essaient 
de former une digue contre la vie et le progrès ; pendant qu'ils rêvent de 
transformer la France en un musée d'un genre nouveau , où les choses 
passées, au lieu de figurer elles-mêmes, seraient représentées par les 
vivants dressés au rôle de morts ; nouvelle venue et déjà sans rivale, ni 
royaliste, ni bigote, au contraire ; ennemie des oiseaux de proie et des 
oiseaux de nuit, voulant donner à tous les hommes la paix et le bien-être, 
et les établir dans la dignité de leur nature, la science va devant elle 
«omme s'il n'y avait dans le monde ni adversaires du droit commun, ni 
obscurantistes, ni apologistes gagés de la misère ; sans plus s'inquiéter 
des apostats et des traîtres, que le voyageur ne se soucie des êtres in- 
fimes qui barbottent inaperjus dans la fange' sous la semelle de ses 
pieds. • 

On voit par cette tirade que l'auteur a le souffle long et la verve exu- 
bérante. Mais du moins son socialisme ne prétend pas détruire les supé^ 
riorités intellectuelles. Au contraire, il aspire à les multiplier en nombre 



154 SCIBNCB8 ET ARTS. 

infini. Si l'œuvre ne paraît pas plus facile, on doit reconnaître que les 
efforts dirigés vers un tel but ne sauraient avoir des résultats bien fâcheux. 
M. Meunier fait appel au zèle des particuliers et ne veut qu'une libre pro- 
pagande pour étendre de plus en plus l'empire de la science jusqu'à ce 
que tout le monde y soit soumis. Alors elle deviendra naturellement I au- 
torité suprême, elle remplacera la religion, le gouvernement, les lois, et 
ses prodiges continuels lui assureront une puissance plus respectée que 
ne le fut jamais celle d'aucun souverain. L'auteur n'entre pas encore dans 
les détails ; il se contente de donner un aperçu de l'idée fondamentale sur 
laquelle doit reposer l'avenir social. Son système reste une énigme à de-- 
viner ; mais en attendant il nous promet merveille : la liberté univer- 
selle, l'abondance universelle, l'instruction universelle. C'est magnifique, 
et vraiment pas cher, car les élucubrations de M. Victor Meunier for- 
meront 12 volumes, dont le prix pour les souscripteurs est 12 francs. 
Pour cette modique somme on aura l'Apostolat scientifique ; la Recon- 
struction matérielle de la société ; le Tableau synthétique des sciences ; 
l'Anarchie scientifique ; une Vue synoptique sur le ciel, la terre, les 
animaux et l'homme; l'Exposition des découvertes modernes; des Bio- 
graphies, des articles de critique, etc. Nous croyons, du reste, que ce 
socialisme d'un nouveau genre ne compromettra pas la paix de l'Europe. 



Scènes de la nature dans les États-Unis et le nord de l'Amérique, ou- 
vrage traduit d'Audubon , par Eugène Bazin, avec préface et notes 
du traducteur. Tome !•'. Paris, P. Bertrand, 1857 ; 1 vol. in-S® : 
7 fr. 50. 

Le naturaliste américain Audubon s'est rendu célèbre par son grand 
ouvrage sur les oiseaux, que Cuvier appelait le plus beau monument que 
la science eût encore élevé à la nature. Cette publication forme cinq gros 
volumes, « ornés de quatre cents planches où les figures, de dimensions 
naturelles et d'un coloris achevé, sont représentées chacune dans l'atti- 
tude propre à ses mœurs, et même avec Tencadrement harmonique du 
ciel, de la terre et des eaux, t Observateur passionné, qui ne reculait, 
pour satisfaire son désir de connaître, ni devant les fatigues, ni devant les 
périls, Audubon décrit avec amour les scènes dont il fut le témoin durant 
ses excursions au milieu des vastes solitudes alors plus communes qu'au- 
jourd'hui dans sa patrie. Le goût de l'histoire naturelle s'était développé 



SGIBNCB8 ET ARTS. 



155 



chez lui de très-bonne heure et 1 âge n*âvait fait que l'accroître. Muni de 
son fusil et de ses crayons, accompagné de son chien, il partait à Tau- 
rore pour aller en quelque sorte prendre la nature sur le fait. Souvent 
sa journée se passait à suivre un oiseau dans le but d'étudier ses habi«* 
tudes, la chasse n'étant qu'un accessoire auquel il recourait seulement 
afin de se procurer des modèles qu'il pût copier à son aise. Vivant sans 
cesse au sein des forêts, tous leurs habitants lui devenaient familiers. 
Aussi son livre joint-il à ses autres mérites celui d'une exactitude par- 
faite. Ce sont des tableaux variés, pleins de fraîcheur et de poésie, em- 
preints du sentiment religieux le plus élevé, qui satisfont le cœur autant 
que l'esprit et donnent à la science un charme irrésistible. Comme ils ne 
se trouvent point rangés par ordre systématique, M. Bazin, ne pouvant 
les traduire tous, en a détaché ceux qui lui ont paru le plus propre à 
faire apprécier dignement le génie de l'auteur. Âudubon connaissait trop 
bien la nature pour attacher beaucoup d'importance aux classifications. 
Peintre tidèle, il préférait rendre 1 harmonieuse diversité de ses œuvres 
telle qu*elle s'olTrait à ses regards ravis. L'enthousiasme qui l'anime est 
d'ailleurs contagieux ; on partage ses joies et ses admirations d'autant 
plus volontiers qu'elles ont toujours quelque chose de naïf, de vrai, qui 
inspire une entière confiance. Le choix fait par M. Bazin nous semble 
très-judicieux. On y trouve, à côté de descriptions scientifiques fort in- 
téressantes, des scènes de mœurs qui ne le sont pas moins et qui nous 
transportent dans les parties encore à demi sauvages du territoire de 
l'Union. Les habitants de l'air y tiennent la place principale. Âudubon 
avait pour eux une préférence marquée. 11 pouvait consacrer des heures 
à contempler leurs ébats, leurs travaux, leurs querelles et leurs caresses. 
Le chant des oiseaux était une musique dont il ne se lassait point. Les 
accents propres à chaque espèce lui étaient familiers. On en trouvera 
d'abondantes preuves dans ses notices, où rien n'est omis de ce qui peut 
servir à faire bien connaître les animaux auxquels elles sont consacrées. 
Audubon se montre fort habile à voir et non moins habile à décrire. 11 
s'identifie avec les objets de ses études. Ce n'est pas l'éloquence pom- 
peuse de ButTon, mais c'est un style toujours coloré, plein de chaleur et 
de vie. Parmi les morceaux les plus remarquables, nous signalerons le 
Dindon sauvage, l'Aigle à tête blanche, l'Oiseau mouche à gorge de rubis, 
le Moqueur, etc., qui renferment une foule de détails curieux qu'on 
ignorait avant lui. On trouvera beaucoup d'attrait également dans les 
épisodes empruntés à l'existence des bûcherons, des pionniers et des 



I5é SCnSKClSS BT ARt0. 

chasseurs. L*incendie des forêts, la pêcbe de la torlue, la chasse à l'élan 
îui fournissent aussi d'agréables digressions qui font de son livre une lec- 
ture aussi variée qu'instructive. Nous espérons que le succès de ce vo- 
lume engagera M. Bazin à nous donner promptement ta suite. 



DÉVELOPPEMENT DE LA SÉRIE NATURELLE avec schéfflatisoies daus le 
texte, par le D' Henri Favre. Bruxelles, 1856 ; 2 vol. in-12 : 8 fr. 

Au milieu des phénomènes multiples et si divers qui l'entourent, 
l'homme aspire sans cesse à Tunitë. Les lois de la nature doivent évidem- 
ment avoir un point de départ commun ; spiritualisteset matérialistes sont 
d'accord pour l'admettre. Mais quel est-il, où se trouve- t-il? Là commen- 
cent les hypothèses qui, jusqu'à présent, n'ont guère avancé la solution du 
problème. Au contraire, à mesure que la science fait de nouveaux progrès, 
le but semble s'éloigner davantage, et plus s'aggrandit le champ de l'oh* 
servation plus il devient difficile d'en coordonner les résultatsd'une manière 
satisfaisante. L'énigme n'a pas encore trouvé son spbynx et ne le trouvera 
probablement jamais, parce que nos facultés sont trop limitées pour sonder 
les profondeurs de l'infini. La théorie exposée par M. H. Favre n'est pas 
nouvelle. Geoffroy Saint-Hilaire s'en était fait le champion et l'avait op- 
posée aux vues plus positives de Cuvier. Mais elle a de l'attrait pour les 
esprits systématiques. Cette série de développements successifs qui for- 
ment une chaîne non interrompue entre tous les êtres, à quelque règne 
qu'ils appartiennent, qui les rattachent même aux corps inorganiques et 
comblent ainsi toutes les lacunes, présente assurément un magnifique spec- 
tacle. On ne peut le nier, l'idée est belle et porte le cachet de grandeur 
et de simplicité qui convient aux oeuvres du Créateur. Seulement elle 
s'appuie sur des hyfiothèses plutôt encore que sur des observations, en 
sorte qu'elle n'offre point les éléments nécessaires à la rigueur d'une dé- 
monstration scientifique. C'est pourtant sous cette forme que M. H. Favre 
h conçoit et l'expose. 11 prétend même la rendre accessible à tous par 
des figures de géométrie, des circonférences, des cônes, des paraboles, 
des triangles, auxquels il donne le nom de schématismes. La tentative ne 
nous paraît pas très-heureuse. Ce langage hérissé de ternies plus ou 
moins barbares nuit à la clarté des explications sans autre avantage que 
de nécessiter une élude pénible pour suivre la marche du raisonnement. 
Un exemple pris au hasard suffira pour justifier noire critique « La ConfH' 



jîon de la tensation et de l'indvetfon, dans un même organisme ner- 
veux, amène immédiatement une réaction à une sensation perçue, ce qui 
est, à proprement parler, VinêtincL 

fl II ne fallait donc pas en faire tant de bruit, de ce mot imtinet^ 
dont je conserve l'usage pour montrer clairement combien on était loin 
de compte, en s'en tenant à lui pour tout expliquer. Il grandira avec le 
reste, cet instinct, mais son fonctionnement, bien que toujours d'un em- 
ploi très -fréquent, sera le degré le plus inférieur de la fonctionnalité ner- 
veuse partout où il se montrera. > 

Ne serait-on pas tenté de dire, comme Sganarelle, • et voilà pourquoi 
votre fille est muette. » Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que l'auteur qui 
parle de cette façon s'imagine être populaire. Il déclare que le symbolisme 
a fait son temps, qu'il ne faut plus aujourd'hui sortir du réel, et iessché- 
noatismesdont il orne son texte sont des hiéroglyphes beaucoup plus com- 
pliqués que ceux des obélisques égyptiens. Evidemment la manie du sys- 
tème le possède un peu trop. Son plan sériaire est si bien conçu a priori 
dans sa tête que, si quelque chaînon lui manque, vite il y supplée par une 
phrase entortillée comme celle que nous venons de citer. C'est donomage, 
car son livre renferme des choses intéressantes» et s'il était écrit d*un 
autre style, nous croyons qu'il aurait de nombreux lecteurs. 



Lettres sur l'agriculture, par Victor de Tracy. Paris 1857 ; 1 vol. 

in-12 : 2 fr. 50. 

La cause de l'agriculture a trouvé dans M. de Tracy un avocat spirituel, 
habile et profondément convaincu. Il possède de plus l'avantage de pou-r 
voir citer à l'appui de ses arguments une expérience très-concluante. Le 
domaine de Coligny , qu'il exploite depuis dix années , rapportait à 
son ancien propriétaire, en 1847, la modique somme de 950 francs; 
aujourd'hui, grâce à des soins intelligents, à des améliorations sagement 
calculées, le produit net s'élève à 16,000 fr. On ne peut nier l'éloquence 
d'un pareil résultat pour combattre les préjugés qui s'opposent encore au 
progrès de l'agriculture française. Maintenant, en effet, ce senties gros 
bénéfices des entreprises industrielles quj détournent les capitaux de l'ex- 
ploitation agricole et font prendre en pitié, par beaucoup de gens, les pro- 
priétaires assez fous à leurs yeux pour aller enfouir leur argent dans la terre. 
L'agriculture est dédaignée comme n'offrant aucune chance de fortune ; 
il arrive bien rarement que des hommes instruits se livrent à son étude, et 



158 SCIBHCB8 ET ARTS. 

parmi les paysans eux-mêmes quiconque le peut aspire à donner à ses 
fils d'autres professions. C'est contre cette tendance que les lettres de 
M. de Tracy sont dirigées. Il s'attache à montrer combien elle est fausse 
dans son principe et désastreuse dans ses résultats. La France, contrée 
essentiellement agricole, reste en arrière de pays beaucoup moins favo- 
risés qu'elle à cet égard. On y profite fort peu des améliorations intro- 
duites ailleurs depuis longtemps, et malgré les précieuses découvertes de 
la science, la routine domine encore chez le plus grand nombre des 
agriculteurs. Cela provient surtout de ce que les propriétaires n'exploi- 
tent pas eux-mêmes leurs domaines ; ils préfèrent les abandonner à des 
métayers ou des fermiers qui ne sont point en position de faire les dé- 
penses propres à rendre la culture plus productive. L'exemple de M. de 
Tracy prouve cependant qu'ils y trouveraient un avantage certain. Mais 
l'opinion publique, fourvoyée par d'étranges préjugés, méprise les tra- 
vaux de la campagne. Elle ne comprend ni leur importance, ni l'attrait 
qu'ils peuvent offrir, et celui qui s'y consacre verra bien rarement ses ef- 
forts exciter rintérêt ou la sympathie dont les entreprises industrielles sont 
l'objet. M. de Tracy parle, sans amertume, des déceptions de ce genre 
qu'il a lui-même éprouvées. On le prenait en pitié, ses succès étaient ac- 
cueillis par un sourire incrédule, son goût pour la vie champêtre taxé 
de manie bizarre. Aussi plus d'une fois des doutes s'élevèrent dans son 
esprit sur l'utilité d'une discussion à laquelle ses adversaires paraissaient 
ne rien comprendre, c Quand je vois, dit-il , quel changement devrait 
s'opérer dans la nature et la direction générale des idées de notre temps 
avant que les miennes sur le sujet particulier dont je m'occupe pussent 
être considérées comme pratiques et d'un intérêt aussi actuel qu'impor- 
tant, je me sens fort découragé, et parfois je suis tenté de renoncer à une 
lutte trop inégale et stérile (tans ses résultats. Je ferais volontiers comme 
cette pauvre servante qui, s'étant levée de grand matin, suivant sa cou- 
tume,- se mit à énumérer tout ce qu'elle aurait h faire pendant la jour- 
née, et reconnaissant qu'il lui était impossible d'y suffire, prit le partrde 
se recoucher et se rendormit. » * 

Mais chez lui la conviction est trop forte pour reculer devant tes ob- 
stacles. En dépit des incrédules, il persiste à croire que la France pos- 
sède les éléments d'une pros^)érilé tout autre que celle jusqu'ici réalisée, 
et que l'agriculture peut devenir pour le bien-être général beaucoup 
plus féconde que ne le seront jamais les réformes politiques ou sociales. 
Celte thèse nous semble, en etfet, très-sou lenable. Il est évident qu'aug- 



8ClBnCB0 BT ÀBTS. 159 

monter las produits du sol, c'est accroître la richesse, répandre l'aisance^ 
et multiplier le nombre de ceux qui sont intéressés au maintien de 
l'ordre et de la sécurité dans le pays. Les progrès de l'agriculture con* 
tribuent au développement moral aussi bien que matériel, avantage que 
ne présente pas toujours l'industrie. Ils relèvent la classe des paysans, 
l'arrachent au joug de l'ignorance et de la superstition, lui assurent un pa- 
tronage éclairé, bienveillant et non moins salutaire pour ceux qui l'exer- 
cent que pour ceux qui le reçoivent. Ce sont là des bienfaits que M. de 
Tracy regarde comme très-importants pour la France, et nous croyons 
qu'il n*a pas tort. L'Angleterre, tout en favorisant l'essor industriel s'est 
bien gardée de les négliger, et l'on peut dire qu'elle leur doit en grande 
partie la stabilité de ses institutions. Cet enseignement ne doit pas être 
perdu. Maintenant surtout que les vieilles préventions tendent à s'effacer, 
il faut que l'amour^propre national devienne un stimulant de noble ému- 
lation, et que chaque peuple sache mettre à profit les expériences de &es 
voisins. 



Le chevalier Sarti, par P. Scudo. Paris, 1857 ; 1 v. in-12: 3 fr. 50. 

M. Scudo tient aujourd'hui le sceptre delà critique musicale. En cette 
matière il est passé maître, et nul ne sait mieux que lui la mettre à la 
portée de tous par le charme d*un style clair, élégant, original, qui cap- 
tive l'attention même des plus ignorants en fait de musique. Mais dans 
l'ouvrage que nous annonçons, il nous semble s'être un peu fourvoyé. 
Les dissertations techniques, l'enthousiasme exalté, le diapason de l'ar- 
tiste, sont des choses qu'on ne supporte guère durant tout un gros vo- 
lume de 550 pages. Au bout des trois ou quatre premiers chapitres, 
cela devient fatigant et monotone. Si tout concert doit avoir un terme 
sous peine de lasser les dilettanti les plus intrépides, comment espérer 
que des simples lecteurs subiront, sans perdre patience, de longues des- 
criptions musicales qui, pour la plupart d'entre eux, sont presque inin- 
telligibles. Il est vrai qu'elles sont rattachées aux incidents d'un récit. Mais 
elles occupent la place principale, et ce récit lui-même n'offre pas assez 
d'intérêt. Le tort de M. Scudo est d'avoir pris seulement un épisode de 
la vie du chevalier Sarti, auquel son imagination donne un cachet tout à 
fait romanesque. On s'aperçoit très-bien que les détails sont plus ou 
moins fictifs, et comme l'auteur a voulu cependant respecter la donnée 



166 0G1B1ICB8 KT AftTS. 

réelle qui lui sert de base, le roman reste incomplet. Nous aurions beau* 
eoup préféra la biographie du chevalier Sarti, l'histoire vraie de ses dé- 
buts dans la carrière, de son éducation, de ses travaux ei de ses succès. 
La critique musicale s'y serait alors trouvée- mieux ï sa place, et l'en- 
semble eût été plus intéressant. M. Scudo laisse bien entendre qu'il se 
propose d'y revenir pour achever l'œuvre dont ce volume ne forme que 
la première partie. Mais s'il continue de la même manière, nous croyons 
que le nombre des amateurs qui le suivront jusqu'au bout sera bien 
petit, et ce n'est pas précisément là le moyen de faire apprécier le talent 
du grand musicien pour lequel il professe une si vive admiration. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX 



lilTTKRATVRi:. 

Seul ! par M. B. Saintine. Paris, 1857 ; 1 vol. iD-12 : 3 fr. 50. 

M. Saintioe essaie de refaire Robioson Crusoé. L*entreprise est péril- 
leuse. Jusqu'ici les nombreux imitateurs de ce chef-d'œuvre sont restés 
bien au-dessous de l'original; mais du moins ils n'avaient pas la préten- 
tion de Téclipser. M. Saintine, plus ambitieux, aspire à le détrôner, en 
rétablissant l'histoire exacte du matelot Selkirk, dont les aventures ser- 
virent de modèle au romancier anglais. Dans ce but il a rassemblé, non 
sans peine, les rares données que pouvaient lui fournir les documents de 
l'époque , puis il s'en est assez habilement servi pour construire une re- 
lation suivie qui ne manque ni de vraisemblance, ni d'intérêt. Selkirk, 
victime de la jalousie d'un capitaine dont il a dérangé les projets ma- 
trimoniaux, est abandonné dans une île déserte, où la solitude exerce sur 
lui la plus déplorable influence. Au bout de quelques années ses facultés 
intellectuelles se perdent , il oublie sa langue maternelle, il est presque 
réduit à létat de brute lorsqu'un bâtiment anglais vient le délivrer. Si le 
fond de Thisloire peut être vrai, tous les détails sont iirventés par l'au- 
teur, qui donne libre essor à son imagination et ne dédaigne pas les res- 
sources de l'effet dramatique. En général, les scènes qu'il décrit portent 
plus ou moins le cachet romanesque. 11 fait passer son héros par une 
suite de péripéties qui ne figureraient pas mal dans un roman maritime 
d'Eugène Sue ou du capitaine Marryat. Cependant, M. Saintine se croit 
beaucoup plus près de la réalité que l'écrivain anglais. A ses yeux, Ro- 
binson Crusoé n'est qu'une belle thèse philosophique ; il n'admet pas le 
développement moral et religieux que la solitude produit en lui ; dans la 
lotte entre la nature et Thomme civilisé, c'est celui-ci qui doit nécessaire- 
ment succomber. D'ailleurs, De Foe n'a pas placé son héros dans un isole- 
ment complet ; il lui suppose des ennemis à combattre, des dangers et des 
travaux qui le tiennent sans cesse en haleine, tandis que Selkirk est tout à 

11 



162 LITTÉRATURE. 

fait seul au milieu d'une contrée féconde où la solitude constitue son uni- 
que souffrance. La remarque est juste, sans doute, mais comme il s'agit 
ici de deux romans, nous dirons que la donnée de De Foe semble très- 
supérieure à celle de M. Saintine. Elle met en relief la force intelligente, 
l'énergie morale, elle montre comment la religion soutient, console, 
élève l'âme et fournit un aliment aux plus nobles facultés de Thomme. 
Le matelot de M. Saintine, au contraire, nous présente un exemple de la 
décadence humaine : • Dans la solitude, Robioson gcandit et se perfec- 
tionne,» comme dit l'auteur; « Selkirk, d'abord tout aussi plein de res- 
sources que lui, finit par s'y abattre et s'y abrutir. » 

c Lequel des deux est le plus près de la vérité?» ajoute-t-il, et sans hé- 
siter il s'adjuge la victoire. Nous ne sommes pas du même avis. L'un 
et l'autre nous paraissent également possibles selon les dispositions du 
cœur et les tendances imprimées par l'éducation. Mais nous préférons 
beaucoup Robinson Crusoé, quoique M. Saintine lui reproche d'exalter 
l'amour de Tindépendance absolue, tandis qu'il voit dans l'abrutissement 
de Selkirk la glorification de la société tout entière. Notre manière de 
voir diffère encore de la sienne à cet égard, et nous estimons que la so- 
ciété doit se glorifier bien plus de la conduite de Robinson sachant tirer 
le lùeilleur parti des principes et des notions qu'elle lui a inculqués» que 
de celle du matelot Selkirk, incapable de supporter quelques années d*é^ 
preuves. 



Lettres de Silvio Pelligo, recueillies et mises en ordre par G. Ste- 
fani, traduites et précédées d'une introduction par Â. de Latour. Paris, 
1857; i vol. in-8, orné d'un portrait : 8 fr. 

Silvio Pellico doit une bonne part de sa renommée au livre dans lequel 
il a raconté ses années de prison. Lorsque cet écrit parut, la sensation 
fut grande. Les souffrances d'un cœur d'élite, sa résignation pieuse, ses 
sentiments nobles et généreux produisirent d'autant plus d'effet que les 
esprits étaient, en général, fortement prévenus déjà contre la dureté des 
peities infligées aux révolutionnaires italiens* Le récit du martyr méritait 
bien un tel accueil. Il ne ressemble point aux déclamations qui rem*- 
plissent la plupart des mémoires de ce genre. La simplicité de la forme 
et la modération du langage en font une œuvre à part, digne d'être ran- 
gée au nombre des meilleures productions de notre siècle. Silvio PelUoo 



LITTERATURE. 163 

S y peint avec une franchise naïve, et c'est faire son plus bel éloge que de 
rappeler la sympathie qu'il éveilla chez presque tous ses lecteurs. Les 
Lettres dont M. de Latour publie la traduction peuvent être regardées 
comooe formant la suite de Mes Prisons; elles complètent Tautobiogra- 
phie de cet homme excellent « qui a porté jusqu'à l'héroïsme la patience, 
la bonté, la douceur, la bienveillance, la charité, l'amour du prochain, 
le pardon des injures, eu un mot toutes les vertus évangéliques. » La 
santé de Pellico, ébranlée par sa longue captivité, ne put jamais se 
rétablir. 11 passa ses vingt-quatre dernières années dans un état de 
langueur dont les progrès étaient lents mais continus. Le travail lui 
devenait de plus en plus difficile , il se sentait atteint dans les sources 
mêmes de la vie, et sans aucun espoir de guérison. Mais pour le chré- 
tien soumis à la volonté de Dieu, l'épreuve est un bienfait ; son âme, 
qui se tourne vers le ciel, voit sans regret rompre l'un après l'autre les 
liens qui l'attachent à la terre. Chez Pellico, la religion brille d'un éclat 
pur et doux. Ses principaux caractères sont la foi humble, le zèle chari- 
table et le pardon des offenses. Elle contraste singulièrement avec les pas- 
sions de l'esprit de parti. Aussi l'auteur de Mes Prisons s'attira-t-il de 
la pari de ses anciens amis politiques des reproches de faiblesse et 
même de trahison. Peut-être, en efifet, se fourvoya-t-il en prenant la dé- 
fense des jésuites contre les attaques de Gioberti. Son penchant à Tindul- 
gence et son amour de la paix l'entraînaient trop loin, mais rien n'est 
plus injuste que de soupçonner ses intentions, toujours honnêtes et 
droites. Le fait est qu'il n'était pas naturellement doué d'énergie, une 
piété sincère fut l'unique source de la force qu'il déploya dans le mal- 
heur, et l'on comprend qu'au sortir de la crise qu'il venait de traverser 
il cherchait avant tout le repos. Son talent présente , du reste, la même 
absence de vigueur. Après avoir publié dans sa jeunesse une tragédie re- 
marquable, il ne s'éleva point à la hauteur que semblait promettre ce 
début. «Silvio, dit M. de Latour, avait surtout les qualités du style ; 
mais ce rare mérite ne servait guère chez lui qu'à dissimuler la mollesse 
de la composition et l'effacement des caractères, d Sa correspondance a 
beaucoup de charme ; elle est empreinte d'une parfaite bienveillance et 
renferme des détails fort intéressants. Les idées religieuses de Pellico ne 
plairont sans doute pas à tous les lecteurs, mais quelle que soit Topinion 
qu'on ait à cet égard, il est impossible de ne pas être captivé par les 
confidences intimes d'une âme si belle et si dévouée. 



164 LITTÉRATURB 

Les enfants de J.-J. Rousseau, par Claude Genoux. Paris, Serrière, 

1857; i vol. in-12: 1 fr. 

L'auteur de ce roman est allé chercher ses héros à l'hospice des en- 
fants trouvés. H suppose que Thérèse, moins inhumaine que Jean-Jac- 
ques, s'était réservé les moyens de reconnaître ses enfants, suppo- 
sition qui ne s'accorde guère avec ce que l'on sait de la vie de cette 
femme. M. Claude Genoux paraît du reste s'inquiéter peu de la vrai- 
semblance. 11 a voulu montrer les suites de la faute commise par Rous- 
seau, et, pour atteindre ce but, met en scène une société triviale, 
grossière même, qui n'est pas fort attrayante. Les enfants du phi- 
losophe appartiennent aux rangs les plus infîmes de la classe ou- 
vrière, ils en ont la rudesse de mœurs et de langage. Le nom de leur 
père n'éveille pas en eux le moindre désir de se distinguer. Un seul 
fait paraître quelques qualités estimables, mais au lieu de chercher à re- 
lever l'honneur de la famille, il renie son origine et se donne pour le fils 
de Diderot. Sauf cette bizarre fantaisie, le roman n'offre que des détails 
vulgaires et dénués dMnlérêt. L'idée de l'auteur était ingénieuse, mal- 
heureusement il n*a pas réussi dans rexéculion. En faisant des enfants 
de Rousseau de simples ouvriers, sans aucune étincelle du génie de leur 
père, il s'est privé des ressources que lui aurait fourni le contraste entre 
leur condition sociale et leurs sentiments ou leurs facultés intellectuelles. 
Tels qu'il les peint, ils ne sont pas bien malheureux , et d ailleurs la 
biographie de M. Claude Genoux, qui se trouve en tête du volume, prouve 
que dans toutes les positions sociales le talent peut se faire sa place. La 
faute de Jean-Jacques fut grande, parce qu'il portait atteinte au lien le 
plus sacré que reconnaissent les lois divines et humaines, et se dispensait 
des premiers devoirs qu'elles imposent ; mais il est fort possible que ses 
enfants n'aient pas eu beaucoup à regretter de n'être pas élevés par lui. 



Dante âlighieri, ou le problème de l'humanité au moyen âge, lettres à 
M. de Lamartine, par Castiglia. Paris, Dentu, 1857^ in-8®. 

Dans un article publié par le Si>xleen décembre 1856, M. de Lamar- 
tine traite le Dante avec le plus profond dédain. Il l'accuse d'être un 
gazetier qui s'adresse aux passions intimes de la multitude, d'avoir chanté 
pour la place publique, et fait une satire vengeresse contre les hommes et 



LITTÉRATLRE. 165 

les partis auxquels il avait voué sa haine. La Divine Comédie n'est, sui- 
vant lui, qu'un recueil d*énigmes inintelligibles où se rencontrent à peine 
quelques fragments de style dignes d'être admirés. « Quant à nous, dit- 
il, nous n'avons trouvé, comme Voltaire, dans le Dante, qu'un grand in- 
venteur de style , un grand créateur de langue égaré dans une concept 
tion de ténèbres, un immense fragment de poëte dans un petit nombre de 
fragments de vers gravés, plutôt qu'écrits, .avec le ciseau de ce Michel- 
Ange de la poésie ; une trivialité grossière qui descend jusqu'au cynisme 
du mot et jusqu'à la crapule de l'image ; une quintessence de théolo- 
gie scolastique qui s'élève jusqu'à la vaporisation de l'idée ; enfin, pour 
tout dire d^uir mot, un grand homme et un mauvais livre. » Cette bou- 
tade est fort étrange de la part d'un poëte qui ne brille pas toujours par 
la clarté de la pensée, dont Téclat du style constitue souvent le principal 
mérite, et qui, dans sa Chute d'un ange, par exemple, n'a point reculé 
devant ce qu'il appelle le cynisme du mot et la crapule de l'image. Pour- 
quoi donc M. de Lamartine se montre- t-il si sévère à Tégard du Dante, 
auquel cependant on doit en toute justice tenir compte de l'époque où il a 
vécu, et des difficultés que présentait alors l'imperfection de ta langue ita- 
lienne? Serait-ce jalousie de métier, impatience causée par cette gloire 
importune, ou bien désir de fronder l'opinion reçue, de faire de l'effet en 
avançant une grosse hérésie littéraire. Nous ne ferons pas à H. de La- 
martine l'injure de le ranger parmi les gens auxquels la renommée des 
anciens porte ombrage, et qui vous demandent du ton le plus sérieux si 
l'on ne se lassera pas bientôt de parler du divin Homère , ainsi que de 
toutes ces vieilleries renouvelées des Grecs. Il est trop au-dessus d'une 
pareille supposition, mais peut-être bien le jugera-t-on capable de se 
laisser séduire par le faux éclat du paradoxe et d'imiter M. Chateau- 
briand qui, pour paraître original, et voulant à tout prix dire quelque 
chose de neuf, prétendait ne voir sur les Alpes que des pâtres qui s'en* 
nuient, et des vaches qui s'ennuient encore plus que leurs pâtres. Quoi 
qu'il en soit, M. de Lamartine a réussi certainement à causer dans la ré- 
publique des lettres un véritable scandale, soit par le ton acerbe et 
presque méprisant de sa critique, soit par ses sarcasmes à l'adresse 
«d'une école littéraire récente qui, dit-il, s'acharne sur le poëme 
du Dante sans le comprendre, comme les mangeurs d'opium s'acharnent 
à regarder le vide du firmament pour y découvrir Dieu. > 

Les lettres que nous annonçons ici peuvent être regardées comme la 
réponse de cette école. M. Castiglia nous paraît en être l'un des plus fer- 



166 LITTiBATUBI. 

vents adeptes. La Divine Comédie est, à ses yeux, le chef-d'œuvre ac- 
compli du génie humain. Il y trouve la quintessence de la philosophie, de la 
religion, de la science, de Tart, de la poésie et beaucoup d'autres choses 
encore. Son argumentation consiste à démontrer que le Dante résumait 
en lui non-seulement les idées et le savoir de son siècle, mais encore 
l'ensemble des progrès futurs de l'humanité tout entière. Aux attaques de 
M. de Lamartine il oppose Tanalyse des hautes conceptions du poëte, en- 
tremêlée d'éloges pompeux et d'apostrophes plus ou moins vives, dans le 
genre de celle-ci : c Monsieur, il faut s'acharner à regarder le vide, parce 
que la vérité n'est que dans le vide, dans Finapparent, par qui tout pa- 
raît. > 

Un pareil langage n'est pas précisément le moyen de donner tort 
à M. de Lamartine. En entendant les défenseurs de la Dimne Corné- 
die parler de cette manière, on est plutôt tenté de s'écrier avec lui : 

• Que le dieu du chaos leur soit propice ! ■ Mais heureusement il y a 
d'autres arguments meilleurs à faire valoir. Le premier de tous est l'admi- 
ration universelle qui, depuis cinq siècles, entoure le nom du Dante. Après 
un si long terme le jugement de la postérité nous paraît être sans appel. 
Si, comme le dit M. de Lamartine, le Dante eut le tort de croire c que les 
siècles infatués par ses vers prendraient parti contre on ne sait quels rivaux 
ou quels ennemis inconnus qui battaient alors le pavé de Florence,» l'évé- 
nement a donné pleine raison au Dante ; son poëme possède plus que nul 
autre le privilège de passionner les hommes de toutes les époques quelque 
peu littéraires. M. de Lamartine en offre lui-même une preuve assez frap- 
pante ; sa critique porte le cachet de l'irritation et de la violence. Il pouvait 
dire les mêmes choses en termes différents, et, sans être injuste envers le 
poëte, blâmer le zèle maladroit de ses adorateurs. Alors on aurait sympa- 
thisé davantage avec lui, car la plupart des commentaires, auxquels a 
donné lieu la Divine Comédie, sont pleins d'extravagances et d'interpré- 
tations vraiment fabuleuses. Mais prétendre que les amitiés ou les ini- 
mitiés qui ont inspiré le Dante sont parfaitement indifférentes à la 
postérité, c'est fermer les yeux à la lumière et^se boucher les oreilles 
pour ne pas entendre. Du reste, ce bizarre caprice du chantre des 
Méditations ne portera nulle atteinte à la renommée du Dante ; il confirme 
seulement ce qu'on savait déjà, c'est que les hommes de génie ne sont 
pas exempts des faiblesses humaines. 



r 



Mémoires de l'Académie impériale des sciences, belles-lettres et arts de 
Lyon : Classe des lettres. Tome V. Lyon 1857 ; 1 vol. in-8 : 6 fr. 

Les mémoires que renferme ce volume nous paraissent propres à donner 
une idée très-^avantageuse du mouvement littéraire dont rAcadémie de 
Lyon est le centre. Ils traitent des sujets non moins variés qu'intéressants, 
car la classe des lettres n'interdit pas à ses membres de faire parfois 
quelques excursions dans le domaine de la philosophie, de l'art et même 
de la science. Ainsi l'on y trouve deux essais remarquables de M. le D' 
Pétrequin, Tun sur VHittoire de la chirurgie à Lyon, l'autre sur la Lit- 
térature médicale du moyen âge ; une Elude de M, Blanc- Saint- Bonnet 
sur la notion de Vinfini ; un Fragment sur la philosophie de l'histoire 
par M. Gilardin; d'ingénieuses recherches sur les Progris que lindus^ 
trie lyonnaise doit à l'influence des beaux-arts , par M, Saint- Jean, et 
une notice de M. Marlin-Daussigny sur le Perfectionnement de la pein-- 
ture à r huile. La littérature proprement dite est représeniée par MM.Vic- 
tor Laprade et Eichhoff. Le premier expose dans une dissertation élé- 
gante ses vues sur la Poésie et le style au dix^huitième sihle. Il carac- 
térise avec beaucoup de sagacité cette époque où la littérature s'était 
changée en c une grande machine de guerre, dressée contre l'ancien 
monde. » L'unanimité des efforts de tous vers un même but offre sans 
doute une certaine grandeur, mais la poésie fait défaut, et le style devient 
uniforme» sauf quelques rares exceptions, le cachet individuel s'efface, les 
écrivains ne sont plus que des soldats soumis aux règles de la stratégie. 
Ce jugement paraîtra sévère peut-être, mais il eût été facile à M. Laprade 
de le justifier par de plus amples développements. Nous regrettons que 
son mémoire soit si court. Les définitions préliminaires lui laissent à 
peine le temps d'esquisser son sujet principal, qui pourrait à lui seul 
fournir la matière d'un livre. M. Eichhoff nous offre l'analyse d'une légende 
indienne sur la vie future, monument fort curieux des notions du spiri- 
tualisme qui, dès les temps les plus reculés, avaient pénétré dans les re^ 
ligions de l'Asie. 

Les travaux archéologiques tiennent une grande place dans ce volume. 
C'est le cas ordinaire de toutes les académies de province. Chaque loca*- 
lité a ses souvenirs qui lui sont chers, et le goût des éludes de ce genre 
est très-répandu. Mais dans une ville comme Lyon l'importance des ré- 
sultats ajoute beaucoup à l'attrait de semblables recherches. Ce sont 



168 V0IAGB8 BT H1ST01E£. 

souvent des découvertes précieuses pour l'histoire, et l'on conçoit d'ail- 
leurs que les moindres détails relatifs à ce centre d'activité soit littéraire, 
soit industrielle, peuvent avoir un vif intérêt. La description de la voie 
romaine qui exiete à Lyon^ dans le quartier du jardin des plantes, 
fournit, par exemple, des données fort curieuses sur les grands travaux 
exécutés par les Romains. L'auteur de ce mémoire, M. Martin Daussi- 
gny, ne se borne pas à dresser l'inventaire exact des objets trouvés dans 
les fouilles, il en profite habilement pour essayer de résoudre quelques 
problèmes d'archéologie. La Dissertation de M. l'abbé Jolibois sur V Uti- 
lité de l'étude des antiquités ecclésiastiques, quoique traitant un sujet bien 
spécial, présente aussi maints aperçus ingénieux qui ne sont pas sans 
mérite. Nous citerons enfin les Considérations sur la Dombes, par 
M. Valentin Smith, travail remarquable par l'érudition qu'y déploie l'au- 
teur, ainsi que par l'esprit vraiment philosophique dont il se montre 
animé. 



VOYAGES ET HIHTOIKE. 

Œuvres historiques et littéraires de Léonard Baulagre, recueil- 
lies et mises en ordre par Ëd. Mallet. Publication de la Société d'his- 
toire et d'archéologie de Genève. Genève, Jullien frères, 1857, 2 vol. 
in-8. 

Léonard Baulacre fut bibliothécaire de la ville de Genève de 1728 à 
1756. C'était un théologien, homme instruit, littérateur aimable, quelque 
peu géomètre et mécanicien, possédant du moins l'histoire de toutes les 
sciences. 11 représente d'une manière assez exacte l'état du mouvement 
intellectuel genevois vers la fin du dix-septième siècle et dans la première 
moitié du dix-huitième. Son érudition, plus étendue que profonde, aborde 
maints sujets divers sans en épuiser aucun ; ce sont de courtes disserta- 
tions ou plutôt de simples articles qui parurent dans les recueils pério- 
diques du temps , car il n'a jamais composé d'ouvrage proprement dit. 
Il lisait beaucoup et se tenait au courant des nouvelles qui pouvaient in- 
téresser la république des lettres. Aussi trouve t-on dans ses écrits une foule 
de notions précieuses pour l'histoire littéraire. Ces fragments, quelque 
décousus qu'ils paraissent au premier abord, offrent d'ailleurs dans leur 
ensemble un tableau intéressant. « On y verra, dit M. Mallet» Genève 
renfermant dans son sein un nombre proportionnellement considérable 
d'hommes éclairés, d'esprits ouverts et cultivés, tenus au courant du 



VOTAGBS BT HISTOIEB. 169 

mouvement intellectuel européen» sympathisant d'une manière spéciale 
avec les pays et les hommes qui partageaient ses croyances religieuses, mais 
n'en accueillant pas moins tout ce qui, de quelque côté que ce fût, étendait 
le champ des connaissances humaines ; oh y verra la tolérance devenue 
un principe hautement proclamé, bien avant que, sur le continent, elle pas* 
sât dans l'ordre des faits pratiques; on y devinera enfin le 'développement 
social et le bonheur tranquille auquel Genève était arrivée à l'époque qui 
précéda immédiatement les troubles politiques qui agitèrent presque toute 
la seconde moitié du dix-huitième siècle. • En effet, alors comme aujour- 
d'hui, les troubles civils vinrent arrêter la marche du véritable progrès, 
et la petite république fut lancée dans la carrière des révolutions par l'es* 
prit turbulent de son peuple, qui n'a pas cessé de mériter le reproche que 
lui faisait un de ses anciens évoques d'être toujours avide de nouveautés. 

Les opuscules de Baulacre sont divisés en sept parties. La première, 
intitulée Histoire physique, renferme des détails curieux sur le Rhône, 
sur le lac Léman et sur la vallée de Chamounix. On lira surtout avec 
plaisir le récit du voyage de 1 anglais Pocock aux glaciers de Savoie, ex- 
pédition qui paraissait à celte époque tellement aventureuse que, pour 
l'entreprendre, on jugea nécessaire d'être armé jusqu'aux dents, de se 
pourvoir d'une tente et d'emmener plusieurs chevaux chargés de provi- 
sions. La description des environs de Genève n'est pas non plus sans 
intérêt au point de vue archéologique. 

Dans la seconde partie, c'est la Bibliothèque de Genève qui forme le 
sujet de plusieurs lettres adressées à des savants étrangers. Baulacre dé- 
crit différents manuscrits ou hvres précieux, une statue antique, un bou- 
clier votif, un tableau de Rubens, et les recherches auxquelles il se livre 
pour découvrir l'origine de ces trésors sont entremêlées d'anecdotes sou- 
vent assez piquantes. La troisième partie est consacrée aux Antiquités et 
monuments. Le camp de Galba en Valais; des inscriptions romaines 
trouvées soit à Genève, soit en Savoie ; l'origine des armoiries de Genève ; 
l'histoire de la cathédrale de Saint-Pierre, forment les principaux objets 
sur lesquels se porte l'attention de l'auteur, qui ne néglige pas non 
plus les souvenirs historiques de moindre importance, mais propres à 
éclairer certains points obscurs. U Histoire de Genève esi d'ailleurs plus 
spécialement traitée dans les quatorze articles dont se compose la qua- 
trième partie. Baulacre y fait preuve d'une grande impartialité , et 
donne plusieurs biographies d'hommes qui se sont distingués soit dans 
les lettres, soit dans les sciences et dans les arts. 



170 Y0TAGB8 BT HISTOIRE. 

La cinquième partie concerDe \* Histoire des contrées voisines de Ge^ 
nève. On y trouve des recherches intéressantes sur l'abbaye de Bonmont^ 
diverses particularités relatives à la vie du voyageur Tavernier, l'examen 
d'un singulier ouvrage, intitulé Le Valais chrétien, par un chanoine va- 
laisan, divers articles qui traitent de la Savoie, et dont les plus remar- 
quables sont consacrés au duc Amédée VUI et à François de Sales. 

Dans la sixième partie, V Histoire ecclésiastique, ce sont des articles de 
controverse assez piquants. La septième, enfin, renferme treize disserta- 
tions sur divers sujets d'histoire littéraire. 

Ce recueil, comme on le voit, a l'attrait delà variété. Si l'érudition de 
Baulacre est, en général, un peu superficielle, elle se montre souvent 
ingénieuse, et l'on n'y rencontre pas la moindre trace de pédanterie. Co 
sont des causeries agréables, empreintes d'un cachet de bienveillance et 
de sincérité qui nous semble tout à fait propre à captiver le lecteur. 



Mémoires et journal inédit du marquis d'ârgenson, ministre des^ 
affaires étrangères sous Louis XV^ publiés et annotés par le marquis^ 
d'Argenson. Paris, Jannet, 1857 : in-8, tome !•'. 

La Bibliothèque eliévirienne, que publie M. Jannet, doit comprendre 
une vaste réunion de mémoires sur l'histoire de France ; un des premiers 
volumes qu'elle met au jour en ce genre, se rapporte à une époque fort 
curieuse, et il est dû à la plume d'un diplomate qui joua un assez grand 
rôle et qui fut un homme des plus singuliers. Ces mémoires sont extraits 
d'un immense journal, qui existe à la bibliothèque du Louvre, et qui, 
plusieurs fois interrompu, s'étend de 17!28 à i750, époque de la mort de 
l'auteur. Il s'applique aux événements intérieurs de la cour, à des rela* 
tiens privées, et surtout à la politique étrangère. Tracées à la hâte, sans 
avoir été relues, écrites au commencement ou à la fin de la journée, ces 
pages ont un mérite réel, celui de l'actualité. L'auteur se montre chagrin 
et frondeur; il est prolixe, caustique, mais c'est un homme d'honneur et 
de probité. Il se livre parfois à des rêveries incohérentes, et parfois aussi 
il montre un rare bon sens. Une notice de M. de Sainte-Beuve a d'ailleurs 
jeté un jour remarquable sur ce personnage, qui réunit en lui d'étranges 
contrastes, et qui oflVe une physionomie à part. Dans le volume que nouç 
avons sous les yeux, les événements de la régence, les affaires de la is^^ 
mille d'Orléans, les cardinaux Alberoni et de Fieury, M'°® de Brie, la reine, 



VOYAGES ET BISTOIRB. 171 

épouse de Louis XV, MM. de Vendôme, quelques gens de lettres de l'é- 
poque, tels que l'abbé de Choisy et Moncrif, telles sont les choses et les 
personoes qui occupent surtout d'Argenson au début de ses Mémoires, ils 
avaient paru en 1825, dans la Collection des Mémoires relatifs à la Révo- 
lution française, mais nécessairement fort abrégés ; la publication de M. Jan- 
net, beaucoup plus étendue, ne donnera cependant pas tout ce que renferme 
un manuscrit qui ne présente guère que des fragments souvent dépa- 
reillés et des matériaux jetés au hasard, mais elle reproduira tout ce qui 
mérite d'être livré au public. On en aura assez pour retrouver un autre 
Saint-Simon, fort différent, il est vrai, du premier, mais non moins coloré 
et tout aussi inégal ; souvent aussi rude et aussi pénétrant, mais inférieur 
comme rôle joué. La curiosité publique, qui fait un accueil si empressé 
aux If^motresdeSainL-Simon, au Journal de l'avocat Barbier, et à tous 
les écrits qui peignent la cour et la ville sous Louis XIV et sous Louis XV, 
ne manquera pas de s'emparer des Mémoires de d'Argenson. ^ 



Relation db trois ambassades du comte de Carlisle, vers le czar 
et le grand-duc de Moscovie, le roi de Suède et le roi de Danemark ; 
nouvelle édition, revue et annotée par le prince Augustin Galitzin. 
Paris, Jannet, 1857; in-18. 

Une foule de publications, éphémères pour la plupart, ont, depuis 
quelques années, paru au sujet de la Russie, mais pour apprécier l'état 
présent d'un pays, pour pénétrer son avenir, il importe de jeter un coup 
d'oeil sur son passé ^ les relations d'un ambassadeur de Charles II auprès 
du czar Alexis peignent naïvement la civilisation de cet immense empire 
au milieu du dix-septième siècle. On connaît plusieurs éditions anglaises, 
françaises et allemandes de ce livre, qui, mis au jour en 1663, piqua 
vivement la curiosité de l'Europe. Observateur judicieux, historien fidèle, 
le comte de Carlisle transmet de précieux témoignages ; il partit de 
Londres, et fut obligé de faire un long et pénible voyage pour aller débar- 
quer à Arcbangel ; il se rendit de là à Vologda, puis à Moscou, et après 
y avoir séjourné quelque temps, il prit la route de Riga, se transporta à 
Stockholm, puis à Copenhague, d'où il effectua son retour en Angleterre. 
11 est facile de comprendre qu'un pareil voyage, à semblable époque, fut 
des plus fatigants. A la suite de sa relation, le diplomate a placé une 
description étendue de la Russie, et il l'a accompagnée d'un travail assez 



172 VOTAGBS BT HISTOIRE. 

long sur l'origine, la langue et Thabillement des Moscovites, sur leur façon 
de vivre» sur leurs exercices et divertissements, sur la religion et sur le 
gouvernement du pays. Tout ceci abonde en détails curieux ; l'éditeur 
russe, portant un nom illustre, s'attache à recueillir et à remettre en lu- 
mière les productions qui intéressent l'histoire de son pays; il a joint à 
celle-ci des notes, où se montre une érudition judicieuse appliquée à des 
sujets spéciaux et peu connus. Nous pensons que cette Relation, qui était 
tombée dans l'oubli, mérite bien d'en sortir, et ce n'est pas en Russie seu- 
lement que la comparaison des usages et des choses, à deux siècles d'inter- 
valle, offrira un vif intérêt. - 



Les courrijsrs de la Fronde, en vers burlesques, par Saint-Julien, le- 
vus et annotés par G. Moreau. Paris, Jannet, 1857 ; in-18. 

On trouve dans ce volume des détails curieux et peu connus sur une 
des époques les plus intéressantes du dix-septième siècle. L'origine de 
l'ouvrage vient de ce qu'au moment où Paris se souleva contre Mazario» 
soutenu par l'autorité royale, le créateur de la Gazette de France, Re- 
naudoty prit le parti de suivre la cour et de faire paraître son journal dans 
les divers endroits où elle séjournait, après avoir laissé ses tils à Paris, 
afin qu'ils eussent le soin de publier, de leur côté, un autre journal, écrit 
dans le sens du Parlement. C'était nager habilement entre deux eaux, et 
le prudent gazetier le réservait bien le droit d'accourir au secours du 
vainqueur, lorsque la fortune se serait déclarée. Le Courrier français, 
publié pendant le blocus, cessa lorsque la paix fut faite, mais durant son 
existence, il avait eu un immense succès. 11 fut contrefait et imité-, un 
poêle, fort peu connu d'ailleurs, Saint-lulien, eut l'idée de le mettre en 
vers burlesques, c'était alors du burlesque que les acheteurs demandaient 
aux libraires, et les libraires harcelaient les auteurs pour qu'ils leur four- 
nissent du burlesque. Nous ignorons si la Gazette, reniée de Saint-Julien, 
eut autant de vogue que les Courriers en prose, mais elle est tout aussi 
exacte, beaucoup plus gaie et beaucoup plus amusante. Ge Courrier ra- 
contait tes événements de 1649; l'aoteur eut, après coup» en 1650, Tidée 
de narrer de la même façon la lutte de la cour et du parlement en 1648 ; 
c'était, en effet, une introduction nécessaire. Dans cette œuvre, le rimeur 
sut faire preuve d'impartialité et de verve. Il a souvent de l'esprit; son 
style est constamment facile et souple. Ges deux Courriers étaient deve- 



VOYAGES ET HI8T0IEB. J73 

nus rares, et d'ailleurs, les vieilles éditioos ne répondaient nullement aux 
besoins du public. Elles étaient de l'aspect le plus disgracieux, et im- 
primées avec une incorrection révoltante. Des vers trop longs ou trop 
courts» outrageaient effrontément les lois de la prosodie; des mots 
altérés d*une façon déplorable, ne présentaient aucun sens. H. Moreau, 
l'habile auteur de la Bibliographie des Mazarinades, et l'éditeur d'un très- 
bon Choix de Mazarinades, publiées par la Société de l'hisiotre de 
France, était mieux que personne au monde en mesure de rectifier ces 
erreurs; il ne s'en est pas tenu là; il a éclairci le texte par un grand 
nombre de notes, et il a emprunté tous les renseignements historiques 
qu'il fournit aux pamphlets peu connus de l'époque de la Fronde, laissant 
tout à fait à l'écart les Mémoires que tout le monde connaît. Il a fort bien 
réussi à expliquer les mots surannés, les locutions proverbiales ; il a fait 
connaître par leurs noms et surnoms, quelquefois par les principaux évé- 
nements de leur vie^ les personnages différents dont parle Saint-Julien ; il 
s'est attaché aussi à commenter, développer, rectifier des récits qu'il dé- 
gage, quand il le faut, de la forme burlesque qui les enveloppe, pour les 
présenter sous leur véritable aspect. C'est ainsi qu'une production oubliée 
est devenue pour l'histoire d'une importance réelle. L'édition de M. Mo- 
reau est indispensable à quiconque veut étudier sérieusement l'histoire 
de la Fronde ; il a mis en tête une introduction qui offre, d'après des 
écrits contemporains tombés dans Koubli, une appréciation judicieuse de 
cette époque, et il y joint quelques pièces piquantes, entre autres l'Agréable 
récit des barricades, composé par un seigneur de la cour d'Anne d'Au- 
triche. 



Variétés hiotoriques et littéraires, recueil de pièces volantes, rares 
et curieuses, en prose et en vers, revues et annotées par Edouard 
Fournier. Paris, Jannet, 1857; tome VII. 

Nous avons déjà eu l'occasion de signaler quelques volumes de cette 
collection, qui se continue avec succès, et qui est fort bien accueillie du 
public. C'est qu'en effet l'exhumation d'opuscules perdus dans des re- 
cueils très-rarement feuilletés ou n'existant que dans des éditions que leur 
exiguïté rend introuvables» est une' idée heureuse, lorsqu'un pareil re- 
cueil est formé d'une façon judicieuse, et lorsque, comme dans la cir- 
constance actuelle, l'éditeur y joint des notes instructives où se révèle une 
connaissance profonde des détails de l'histoire anecdotique, des usages et 



174 VOYAGES ET HISTOIRE. 

de la littérature aux siècles qui nous ont précédé. Le volume que nous 
avons sous les yeux renferme trente et une pièces diverses. La plupart ont 
un intérêt historique réel : la requête présentée au Parlement pour la di- 
minution (Tune demi-année du loyer des maisom, chambres et boutiqu^es, 
montre qu'en 1652 la hausse des loyers à Paris était, comme aujour- 
d'hui, l'objet des plaintes les plus vives. Les locataires demandaient une 
mesure qui rappelle un peu les propositions d'un socialiste, qui tirent 
quelque bruft en 1848 ; ils réclamaient tout simplement qu'il leur fut fait 
remise d'un semestre. Une longue et curieuse note de M. Fournier 
montre que, sous Louis Xlli et au commencement du règne de Louis XIV, 
il n'était pas rare de voir s'élever de pareilles requêtes, et le parlement y 
faisait presque toujours droit .dans une certaine mesure. Longtemps après, 
en 1772, un arrêt relatif aux loyers de la ville de Versailles stipulait que 
Sa Majesté se réservait de pourvoir à leur fixation, en cas d'excès de la 
part des propriétaires. — Le Discours sur les causes de l'extrême cherté 
qui est aujourd'hui en France (1586), a de même son intérêt de cir- 
constance ; il renferme sur le prix des denrées, sur les habitudes de la 
vie, de précieux détails, et il proclame en termes très-nets le principe du 
libre échange avec les autres peuples. La faiseuse de mouches fournit sur 
une mode des plus répandues à l'époque de la jeunesse de Louis XIV de 
curieux détails; la mouche, placée sur le nez, s'appelait Veffrontee; sur le 
front, c'était la majestueuse ; la galante se posait au milieu de la joue ; 
la coquette prenait place sur les lèvres ; les hommes eux-mêmes se sou- 
mirent à cet usage, et un écrit de 1649 dit qu'on voit tous -les jours aux 
Tuileries et aux cours des abbés frisés, poudrés, le visage couvert de 
mouches. Quelques-uns des opuscules qu'a recueillis M. Fournier ont rap- 
port au cardinal de Richelieu ; d'autres, tels que VArchi-sot et l'Histoire 
du poète Sibus, ont du prix pour l'histoire des beaux-esprits de la pre- 
mière moitié du dix-septième siècle. En somme, cette collection offrira 
une lecture instructive à toutes les personnes qui aiment à connaître le 
passé. 



Voyage AUX Alpes, par J. M. Dargaud. Paris, 1857; 1 vol. in-12: 

3 fr. 50. 

M. Dargaud est un touriste enthousiaste. Il observe peu, ne juge guère, 
mais admire beaucoup. Â chaque pas, il s^exalte, tantôt devant les beautés 



V0TAGS8 ET HlSTOiaE. 175 

de la nature, tantôt devant les souvenirs historiques, tantôt devant quelque 
scène de mœurs empreinte du cachet national. Son voyage est une cantate 
perpétuelle en l'honneur de la Suisse et de ses habitants. Nous aurions 
mauvaise grâce à nous en plaindre. Nos montagnes, nos lacs, nos tradi- 
tions lui causent des élans dithyrambiques ; la poésie alpestre l'émeut for- 
tement, et pour lui, les décorations de l'Opéra ne sont poiAt le type du 
beau. 11 respire avec bonheur l'air pur des hautes cimes, apprécie la sim- 
plicité naïve des montagnards, prête une oreille attentive aux chants du 
pâtre, et s'intéresse à ses troupeaux. Malheureusement cette espèce d'ex-- 
tase continue a le défaut d'être fort monotone, d'autant plus qu'elle se 
maintient d'un bout à l'autre sur le même Ion, quels que soient les objets 
<)ui l'inspirent*. Un glacier, une cascade, un paysage grandiose, ou bien le 
chévrier qui sonne de la trompe, la jeune servante qui va puiser de l'ea^ 
à la fontaine, excitent également la fibre admirative de M. Dargaud. Son 
enthousiasme ne connaît pas de degrés, en sorte que trop souvent il passe 
du sublime au ridicule, et même parfois tombe plus bas encore. On re* 
grette de voir tant de pathos prodigué sans mesure, à propos d'une foule 
de petits détails qui devraient tout au plus figurer comme des accessoires 
dans un tableau de genre, tandis que Fauteur en fait le thème d'une pom- 
peuse tirade. Nous aurions préféré que M. Dargaud se donnât la peine 
d'étudier l'état social de ta Suisse, que tout en payant son tribut aux mer- 
veilles des Alpes, il nous offrît un aperçu de la condition morale et maté- 
rielle de leurs habitants. C'était un sujet digne de la plume d'un histo- 
rien, et beaucoup plus intéressant surtout que les conversations à bâtons 
rompus qui remplissent maintes pages de ce volume. Mais M. Dargaud 
se contente de donner en passant un coup d'encensoir à la démocratie, 
sans chercher à connaître ses institutions, ni leur influence. Dès son en- 
trée en Suisse, une exaltation fiévreuse l'a saisi, et, pour Tassouvir^ il faut 
qu'il monte et monte toujours à travers les abîmes, manière de voyager 
aussi nouvelle que peu commode, et dont il est à coup sûr l'inventeur. 
Elle nous rappelle un peu ce touriste dont parle M. Topffer, qui voulut 
absolument être tombé dans une avalanche. Mais chez M. Dargaud, ce 
n'est qu'une exubérance de style; en général, ses descriptions sont plutôt 
exactes; seulement la simplicité leur manque, et Ton n'y trouve pas 
trace du charme original qu'ont encore aujourd'hui celles du savant de 
Saussure. 



176 Y0TA6B8 BT HISTOIRE. 

Histoire du règne de Louis-Philippe l*', roi des Français, 1 830-1 8i8, 
par V. de Nouvion, tome !•'. Paris, Didier et C«; i vol. in-8 : 7 fr. 

Ed voyant le titre de cet ouvrage, on se demandera sans doute s'il est 
possible aujourd'hui d'écrire l'histoire du règne de Louis-Philippe avec 
toute l'impartialité désirable. Neuf années seulement nous séparent de sa 
chute; la plupart des hommes qui le soutinrent ou l'attaquèrent vivent en- 
core; les sympathies et les haines qu'il inspira, quoique assoupies, sont 
loin d'être éteintes. Il paraît bien difficile que la vérité se fasse jour au 
milieu des assertions contradictoires de l'esprit de parti, et que l'écrivaiD» 
même le plus indépendant, reste tout à fait étranger aux influences de ce 
genre. Mais une telle entreprise, quoique prématurée, a l'avantage de 
provoquer la discussion, pendant que les témoignages contemporains peu- 
vent éclaircir beaucoup de faits qui, plus tard, deviendraient inintelli- 
gibles. C'est un travail préparatoire fort utile et tout à fait propre, d'ail- 
leurs, à captiver l'intérêt du public. M. de Nouvion débute par esquisser 
rapidement la révolution de 1830. La manière dont il en apprécie les causes 
et les résultats dénote aussitôt un libéralisme sage, non moins ennemi 
des excès de l'anarchie que de ceux du despotisme. Il parle de Charles X 
en termes à la fois sévères et respectueux ; l'aveuglement politique du 
vieux roi ne l'empêche pas de rendre justice à ses qualités personnelles. 
Les différentes péripéties qui précédèrent la publication des ordonnances 
sont exposées avec beaucoup de clarté. On suit pas à pas la marche de la 
réaction absolutiste, ainsi que le développement de l'esprit révolutionnaire, 
et le conflit de ces deux tendances opposées explique suffisamment la ca- 
tastrophe de juillet 1830, sans qu'il soit besoin d'imaginer une conspira- 
tion. Placée entre les opinions extrêmes qui lui répugnaient également, la 
partie saine du peuple ne demandait que l'application sincère de la charte; 
les acteurs de la lutte formaient une minorité peu nombreuse, mais rendue 
redoutable par son audace et son active propagande, La révolution de 
juillet fut un accident imprévu, car les vrais amis de la liberté croyaient 
au triomphe certain de la résistance légale. L'auteur dit avec raison qu'elle 
peut être attribuée surtout aux mesures imprudentes du ministère. Sans 
doute, il existait des sociétés secrètes, mais n'étant point prêtes pour 
l'action, elles échouèrent dans leurs efforts pour s'emparer du mouve- 
ment. Le parti républicain manquait k la fois d'une organisation solide et 
de chefs reconnus. Ses adeptes suivirent aux barricades le premier aven- 



VOYAGES ET HISTOIRE. 177 

turier venu qui s'offrit pour les commander et s'ils contribuèrent par leur 
ardeur à la victoire, ils n'en recueillirent pas les fruits. Du reste, comme 
le remarque M. de Nouvion, il n'est pas besoin d un courage bien hé- 
roïque pour s'embusquer derrière des murailles et tirer sur une troupe 
démoralisée par le sentiment de sa fausse position. Il montre peu d'en- 
thousiasme pour les glorieuses journées qu'on a, suivant lui, beaucoup 
trop vantées. A ses yeux, la chose importante était de sauver le pays des 
horreurs de l'anarchie. Aussi donne-t-il de grands éloges au dévouement 
de Louis-Philip[)e, qui consentit à prendre le gouvernail au milieu de la 
tempête. Sur ce point, les opinions sont très-diverses, et l'on ne saurait, 
en effet, nier l'espèce de faveur dont, avant 1830, le duc d'Orléans jouis- 
sait déjà dans les rangs de roppositi{)n. Si les projets ambitieux qu'on lui 
a souvent attribués ne sont qu'une invention de la malveillance, du moins 
faut-il reconnaître qu'il ne dédaignait pas la popularité. Sans former pré- 
cisément un parti, le nombre de ses adhérents était assez considérable, 
surtout depuis que la faction absolutiste avait jeté le masque. Une crainte 
instinctive ralliait autour de ce prince les esprits inquiets de voir la cour 
se montrer de plus en plus hostile aux tendances de l'époque. On sentait 
la nécessité, pour le salut même de la monarchie, d'être en mesure de 
pourvoir à toutes les éventualités possibles. Nous ne comprenons pas 
pourquoi M. de Nouvion repousse cette idée comme une injure au carac- 
tère de Louis-Philippe, car, en définitive, elle n'a rien que d'honorable, 
puisque c'était se tenir prêt à monter sur la brèche pour sauver ta cause 
monarchique compromise par les fautes de la cour. Nous nous rappelons 
d'ailleurs un fait qui tranche la question d'une manière assez positive : 
c'est que, dans l'après-midi du 29 juillet, des gardes nationaux sortaient de 
leurs maisons aux cris de : Vive le duc d'Orléans! Cela n'indique point 
qu'il y eût une conspiration, mais le nom du duc d'Orléans était assez po- 
pulaire pour se présenter, en ce moment critique, à la pensée de tous ceux 
qui ne voulaient ni de la république, ni de l'anarchie, dont elle leur sem- 
blait le prélude, et voilà comment s'explique la facilité avec laquelle Louis- 
Philippe fut proclamé lieutenant-général du royaume, malgré les hésita- 
tions parlementaires et les résistances de Thôtel de ville. 

M. de Nouvion donne des détails fort curieux sur les transactions qui 
eurent lieu à ce sujet, ainsi que sur ce qui se passait en même temps soit 
dans les alentours du roi, retiré à Saint-Cloud avec les débris de son ar- 
mée, soit dans les rangs du peuple, dont quelques meneurs s'efforçaient 

12 



d'aptr^enic ll^iialutipa. U raconta ^^m i'^^ mapi^e trêi^rint^çe^^^nte 
tq d^ri de Qhi^rie^ X. En gén^r^» son livre dous paçaU propre à cajpttj;^ 
vfff vMVQm^Qt le»^ lecteurs. Le premier volume renferma l'^abli^seiMent ei 
UifS débute du goMV6rnen»?t^deflHOiiift«Phi)ippi9tiU9qM'^U mov^ du pri|i(>^ 
di^^oodé^ 



"rrrrrm — r 



Henri IV et Richelieu, par i. Michetet. Paris, 1857 ; 1 vol. in*8 : 

5 fr. 50. 

Ç.e,YolMm^ renfecrQQ d^ui^. portrajtç e^ui^^^ d'une façon très-ori^i-!- 
Q9^1e,syiyant la méthode qrd^owe de l'auteur^ piu|s entourés d'accessoires 
propres, à fa,irebien ressortir le cachet, caractéristique do l'époque. M. Mi- 
çbelot s'attache d^ préférence aux détails négligés par les autres histo- 
rions., Pe,u,tr^tre ex^gère-t-il quelquefois leur portée, mais il on tire sou-^ 
vei^t d^s9{(erQ.uis,oeqf§, ing^nieuix^et fort piqu^ints. Sous sa plume, les indi- 
vidualités fQarquaptes d^ Thistoire semblent renaître à la vie. Ce q'est plus 
SiO.glement le personpaige ofiB/^iel jouarii son rôle en grand costume sur la 
çpèQp^ poljjtiqpe, c'est Ihjomme avec ses peAçhants, ses faiblesses, et toutes 
les misères qui troublent l'intérieur des palais comme celui dos maisons 
bourgeoises-. Traitée de «ette mianière^ la figure de Henri IV apparaît plus 
conforme a.i^ données do la tradit,i,on, sans rie;i perdrO' cependant de sa 
grs^odeur et de son énergie. On comprend beaucoup mieun:. ainsi la popu- 
larité durable qu'elle a obtenue. D'ailleurs, tout en nous montrant le sou- 
verain en robe de chambre, M. Mi.cbelet rend pleine justice à ses hjautes 
qualités. Il croit que, si les vues politiques de Honri IV avaient pu s'accom- 
p(lii\ elles auraient sauvé la France à la fois du despotisme et des révolu- 
tions. Malgré sa conversion, 1^ roi sentait que la force mpi'&le se trouvait 
chez les protestants» et son but était de les grouper autour du trônCi^ 
d'en faire l'appui de la royauté. Mais pour réussir dans une pareille en- 
treprise, il aurait, fallu, s'y consacrer entièrement, et c'est ce que Henri IV 
ne fit pas. Son caractère lui sus,citait sans cosse des obstacles dont se9 
enpea\is surent habilemont profiter. Il n*était pas de force à lu,tjter cpoti^e 
les jésuites qui, par leurs manœuvres, exerçaient sur la foule un empii;^ 
plus puissant encore que le sien. Ses passions leur fournissaient des açmes 
pour semer la division parmi les protostaots. ^près sa mort, la réforme 
n'eut plus aucune consistance comme parti, et l'énergique volonté de Ri- 
chelieu mit bientôt fin aux velléités de résistance qui se manifestèrent, çà 
et là. Le cardinal-ministre se vit en peu de temps maître de la situation. 



et put travailler au triomphe de la monai^dik abaoliaiev sans avoip à com« 
battre dadversairebien redoutable. H. Micbelet, tout en reconnaissant la 
supériorité de eet homme d'Etat, ne partage poiot radfloiration que la plu* 
pari des historiens professent pour lui. U regapdis rcauvre de Richelieu 
comme également mauvaise dans ses moyens et dans ses résultats* C'est 
une exécution cruelle, opérée^ sur uet corp» épuisé pa>r de violeHles>8e^ 
cûusses. La France avait perdu toute énergie ; victime soumise* elle teri^- 
dait le cou au bourreau qui la frappait. Le mérite de Richdieu fut decom^ 
prendre que les* fautes eommises.par Henri IV fi^yaient la route au des«* 
potisme, et que le moment était favoi^able pour consommer la ruiB« de la 
noblesse. 11 ne recula pas devant là; responftabilité d'une telle besogne; 
mais le but de ses efforts était^il de nature à justifier ce courage barbare? 
Les partisans fanatiques de Tunité française le prétendent, et glonifimt 
Richelieu» comme Fui^ des plus' grands bienfaiteurs de U monarchie; 
M' Miohelet, au coQtvaire, le nie formellement. Ar ses yeux» le cardinal 
est li'instrume»! de la réactioa contre les projats de Henri IV, réaction à 1»* 
quelle il imprima seulement un caehei plus naëonal; parce qu'il avait du 
moins un sentiment élevé de l'honneur dft la Pranea L'esprit de son; 
temps, une espèce de fatalité monarchique le poussa, l'entraîna plus loi» 
qu'il n'aurait voulu. Son œuvre doit être condamiiiée par les conséquences 
qu'elle a produites. • La France» dit H. Alicbelet, sous Ricbelieu, Ma^»* 
zarin et Louvois, avance dans la v^ie mécanique. La machine est iiitror*- 
nisée, et la personne exterminée. L'homme de fortune et d'âme arrivera 
au dernier aplatissement. Et le dix^huitième siècle, qui doit tout recomr 
meucer, ne trouve en 1700 que des laquais ^irituals. ■ 



MiTTHBiiuNGEN SUS Justus Poilhes goographtscber Ânstait ueber wieh- 
tige neue Erforsohungen auf dem Gesammtgebiete der Géographie, 
von D'A. Petermann, liv. IL Gotha, 185^7; in-4, cartes: 1 fr. 50. 

La plus grande partie de cette livraison du recueil de M. Petermann 
est consacrée à l'exposé des progrès de la cartographie. M. de Sydow y 
termine sa revue des travaux topographiques exécutés jusqu'à la fin de 
1856 dans les différents pays de TEuroper et signale les progrès admi- 
rables qu'a faits de nos jours cette branche de la géographie. L'Autriche 
paraît être l'un des Etats qui s'en sont occupé le plus tôt avec succès. La 
composition de cet empire, formé de contrées si diverses par la nature. 



180 VOYAGES ET HISTOIRE. 

ainsi que par la configuration du so), fit de bonne heure sentir la néces- 
sité d'avoir une représentation aussi exacte que possible de ces caractères 
variés. Dès le dix-septième siècle, on exécutait des cartes déjà fort remar- 
quables, et durant le dix-huitième, l'activité des travaux topographiques 
prit un développement extraordinaire, en sorte qu'aujourd'hui l'Autriche 
possède un nombre considérable d'excellents matériaux de cp genre. La 
Prusse et l'Allemagne se distinguent également par leurs produits car- 
tographiques, à la supériorité desquels la Société française de géographie 
a rendu récemment hommage dans ses rapports annuels. M. deSydow fait 
aussi les plus grands éloges de la grande carte de la Confédération suisse, 
publiée sous la direction du général Dufour. Il n'hésite pas à la placer au 
premier rang, soit pour la manière dont est rendu l'aspect du pays avec 
les moindres accidents de terrain, soit pour l'ingénieux système à Taide 
duquel sont indiquées les hauteurs relatives des montagnes, soit pour la 
parfaite exactitude des détails. Ce résultat mérite d'autant mieux d'être 
cité, que les dépenses faites par la Suisse, pour l'obtenir, sont très-mini- 
mes en comparaison de celles des autres Etats. La revue de M. deSydow 
se termine par la Grande-Bretagne, dont il vante surtout les beaux tra- 
vaux hydrographiques. 

Cet intéressant résumé se trouve complété par un article dans lequel 
M. Petermann, examinant l'état actuel de la carte de l'Europe centrale, 
indique les parties terminées et celles qui restent à faire. 

Ce sont là des recherches de la plus grande utilité pour la géographie, 
mais les lecteurs qui ne font pas de cette science l'objet spécial de leurs 
études, seront davantage attirés par l'analyse de l'expédition du docteur 
Livingston dans TÂfrique méridionale. Ce missionnaire intrépide a passé 
seize années à explorer le continent africain. Bravant avec bonheur les 
périls d'une pareille entreprise, l'ardeur du climat, la barbarie des habi- 
tants, les fatigues et les privations, il est revenu sain et sauf, et vient de 
publier un récit bien propre à piquer la curiosité des lecteurs. Comme 
la plupart des voyageurs anglais, le docteur Livingston, quoique poursui 
vaut un but spécial, a soigneusement recueilli toutes les données qui 
peuvent offrir quelque utilité. Â côté de sa mission religieuse, il s est 
préoccupé avec non moins de zèle des intérêts de la science et du com- 
merce. Son livre enrichira sans doute la géographie de précieuses dé- 
couvertes. 11 fait connaître le sud de l'Afrique au moment même où le 
voyage du docteur Barth en décrit la partie centrale. Ainsi la route est 
frayée sur plusieurs points à la fois aux relations commerciales et l'on 



TOTAGBS ET HISTOIRE^ 181 

peut dire, sans trop de présomption, que dans un avenir prochain les res- 
sources que renferme cette partie du monde ne resteront plus en dehors 
du mouvement de Tactivité européenne. M. Livingston fournit des données 
très-satisfaisantes sur la fertilité du sol, ainsi que sur les principales pro- 
ductions qui pourraient devenir l'objet d'un trafic avantageux. Les faits, 
quelquefois assez extraordinaires, qu'il cite, ont besoin sans doute d'être 
confirmés, mais ses observations paraissent en général dignes de confiance, 
et d'après le compte rendu de M. Petermann nous croyons que ce voyage 
mérite d'exciter au plus haut degré l'attention publique. 



La Turquie et ses différents peuples, par Henri Mathieu. Paris, 

i857;2vol.in-12: 7 fr. 

c Tous les hommes d'intelligence conviennent aujourd'hui que l'empe- 
reur Nicolas avait bien tâté le pouls à son malade, et il suffit de jeter un 
coup d*œil sur ce qui se passe en Orient, pour reconnaître que la paix ne 
présente aucune condition de durée, t 

Cette phrase, extraite de l'introduction de M. H. Mathieu, indique 
nettement l'esprit et le but de son livre. Nous croyons aussi qu'elle ex- 
prime un fait incontestable. Si les procédés de l'empereur Nicolas vis-à- 
vis de la Turquie ont été l'objet de vifs reproches, c'était plutôt la forme 
que le fond qui pouvait prêter au blâme. Il semblait à la fois injuste et crue 
de prononcer ainsi sur le sort d'un Etat indépendant. On était d'ailleurs 
effrayé des projets de l'ambition russe, et l'argument du czar rappelait 
celui d'Agnelet égorgillant les moutons de M. Guillaume pour qu'y ne 
mouriont pas de la clavelée. Mais il n'en reste pas moins vrai que le mé- 
decin avait bien tâté le pouls du malade; sa position est désespérée, tous 
les remèdes ne peuvent plus avoir d'autre effet que de prolonger une 
agonie pénible, et qui n'est pas sans danger pour la paix du monde. Mal- 
heureusement, on se trouve dans une grande perplexité; la dissolution de 
l'empire turc, de quelque manière qu'elle arrive, offre à peu près les 
mêmes inconvénients. 11 faudra toujours s'entendre pour le partage ou la 
reconstitution du pays, et c'est alors que les prétentions rivales éclateront 
avec plus ou moins de violence. Aussi, ne pouvant résoudre le problème, 
on Tajourne sans cesse. La guerre d'Orient, qui semblait devoir amener 
une solution, n'a rien terminé. Après comme avant, la Turquie subsiste 
ou plutôt continue de se dissoudre petit à petit, n'ayant plus la force vi- 
tale nécessaire pour lutter contre les agents de destruction qu'elle renferme 



MS VOTAOIB «V BISVOIHK. 

dans son propre «etn. En vain ie sultan Mahmoud et son serccesseur Abdal- 
Mftdjid ontniis leiièé d'introduire des réformes. Leurs efforts se sont brrsés 
devant la leorce d'inerlie qui réside dans lepeuple turc. Ils ont pu suppri- 
mer les janis8air^8, modifier le costume, disciplinera pen près leur armée, 
établir ^quelques Rubriques ; mais la civilisation n*a pas fait un pas, 1^ 
mœurs turques sont restées lesraémes, et la volonté du souverain soulève 
de vives résistances tontes ies fois qa*il touche à l'édifice des vieux tisâgt^ 
musulmans. Ainsi, malgré ses Tues éclaiçées, Tadministration continue 
d'être corrompue et arbitraire, la concussion est à l'ordre du jour rhez les 
grands, la rapine organisée chez les petits, il n'y a pour les honnêtes 
gens ni justice, ni sécurité, surtout dans les provinces éloignées de la ca- 
pitale. Les rouages du gouvernement sont usés; c'est une machine détra- 
qu(^e, et le prestige qui, jadis, rendait son action redoutable, n'existe plus. 
Comment espérer que six à sept 'millions de Turcs maintiennent aujonr- 
d'(hui.seius leur joug abrutissant une population deux fois plus nombreuse, 
CMupesée en grande «partie de races plos inteHigentes et plus civilisées? ii 
est clair qu'une décomposition prochaine menace cet empire. Déjà de 
nombreux sympiômes l'annoncent, et k^s diplomates européens, maflgré 
toute leur habileté, ne retarderont iguère la catastrophe. M. Mathien, qui 
paraît connaître 4rès-bien la Turquie, r^arde sa 'portion comme désespé- 
rée. Les détails que renferme son livre indiquent «n eflPet une décadence 
rapide et désormais sans remède. Il montre d'ailleurs, par un résumé bis-» 
torique fort intéressant, que le mal date de loin. Le peuple turc, conqué- 
rant et nomade, n'eut jamais les qualités qni sont nécessaires pour fonder 
unempiredurable. Si l'on^ permissi longtemps .qu'il occupât les plus belles 
contrées du monde, cela vient soit de la terreur inspirée par ses wictoires à 
l'époque où la tactique militaire moderne était encore dans l'enfance, soit des 
prétentions jalouses qui divisaient les puissances européennes. iUais au lieu 
d'en profiter pour asseoir sa domination, il n'a su que dévaster, opprimer 
et détruire. Maintenant l'armée turque est appréciée à sa juste valeur, eit 
quoique le second motif subsiste encore , il ne saurait pkrs arrêter la 
marche des événements. Nous croyons, avec M. Mathieu, que le moment 
est venu d'agir, si Ton ne veut pas voir l'empire turc «n proie aux hor-* 
reurs de la plus eomplète anarchie. L'Europe est trop intéressée dans 
cette question pour la laisser se résoudre toute seule ; il importe domcqud 
l'opinion publique soit éclairée, et l'ouvrage que nous annonçons ici 
nous paraît éminemment propre à remplir une tâche pareille. 



\o^M5 tT Aiifumt^. lis 

Cinquante JOURS AU bbsgbt» par Ch. Didier. Paris, 1857 ; i vol. iD-16: 

% fr. 

M. Didier a traversé le désert de Soûakin JQS(J|u*à kàrthoum. Muni de 
bonnes recommandations, il s'est vu bien accueilli partout, et g^àce8 aux 
provisions de toutes sortes dont fl s'était pourvu, il a fait delà manière la 
plus commode cette excursion, (}ue Ton ^é figuré d*ordinaii*è commfe hé- 
rissée de j[)éHrs et de souffrances inévitables. Aussi son journal n'off^e- 
t-il, d'un bout ^ l'autre, pas trace de fatigue, ni d'inquiétude, toujours 
calme et maître de ses impressions, il décrit avec beaucoup d'aisance les 
scènes qui le frappent. C'est un observateur ingénieux, habile à discernei* 
les moindres traits caractéristiques. Ses tableaux sont sobrement peints, 
sans exagération de couleur, ni recherche d'effets ; mais on y trouve h 
teinte originale du paysage et les détails les plus propres à satisfaire la 
curiosité dos lecteurs. Quoique doué d'un sens esthétique très-développé, 
il ne prodigue pas à tout propos les formules de Tenthousiasme. La teri-^ 
dance un peu misanthrope de son humeur le porterait plutôt à voir soil là 
nature, soit les hommes sous l'aspect le moins favorable. Cependant, H 
reste en général dans d'assez justes limites, et se borne à rectifier leà 
idées fausses auxquelles ont donné cours tant de descriptions ampoulées. 
Le Voyage est son élément ; c'est là que ses facultés prennent tout \etit 
essor. On regrette que les circonstances ne lui aient pas permis de s'y 
consacrer entièrement. La littérature et la politique l'ont trop détoui^Aé 
d'une carrière qui devait être la sienne. Il y revient avec joie. Malheureux 
sèment l'état de sa vue lui interdit de nouvelles pérégrinations. Mais il 
goûte un grand charme à se retremper dans les souvenirs des contréeà 
lointaines qu'il a parcourues, et nous sommes persuadés que ses lecteiii^^ 
ne s'en plaindront paé. 



Histoire de la chute du roi Louis-Philippe, de la révolution de 1 84^ 
et du rétablissement de l'empire, par A. Granier de Cassagnac. Pa- 
ris, 1857; 2 vol.in^o : 12 fr. 

L'idée principale qui domine l'auteur de ce livi'e est de démontrer ^tiè 
la chute da régime de juillet n'a pas eu d'atitre cdusfé que la nature mênrve 
des éléments dont il se composait. M. Granier de Cassagnac r^fmd pMnë 
justice aux éminentes qualités de Louis-Philippe ainsi qu'à celles de pfth 



184 VOYAGES ET HISTOIRE. 

sieurs de ses ministres. Il ne met en cloute ni la loyauté de leur caractère^ 
ni rexcellence de leurs intentions, et reconnaît hautement les services qu'Hs 
ont rendus à la cause de l'ordre. La conduite du roi lui paraît en général 
digne d'éloges ; MM. Casimir Perler et Guizot méritent à ses yeux d être 
rangés au nombre des véritables hommes d*Ëtat qui comprennent et rem- 
plissent leur mission, sans se laisser séduire par le trompeur attrait de la 
popularité. Mais le gouvernement de juillet devait échouer sur deux 
écueils : son origine révolutionnaire, et la nature de ses principes. Quoi- 
que Louis-Philippe n'eût pris sans doute aucune part aux intrigues de 
l'opposition, ses antécédents et ses tendances libérales contribuèrent 
puissamment à le faire accepter. Aussi jugea-t-il d'abord convenable 
de se montrer populaire afin de réunir le plus grand nombre possible 
de partisans. Cela ne dura pas longtemps, il est vrai , Casimir Périer 
vint bientôt relever la dignité royale en meltant fin aux manifestations 
de la rue. Mais le nouveau pouvoir se trouvait entouré déjà d ambitieux 
prêts à devenir ses plus grands ennemis s'il refusait de les satisfaire. 
Il dut se plier souvent à leurs exigences quoiqu'elles fussent contraires à 
ses propres intérêts, et c'est ainsi qu'il s'aliéna successivement les di- 
verses parties de la nation dans lesquelles il aurait rencontré le plus sûr 
appui. M. Granier de Cassagnac cherche à démontrer, en effet, que ja- 
Biais le gouvernement de juillet ne réussit à gagner l'entière confiance du 
clergé, des paysans et de l'armée. Â ses yeux, du reste, cet échec ne pro- 
vint pas de la faute du roi, mais de celle du régime, la constitution parle- 
mentaire lui paraît n'être point faite pour la France^ elle ne s'accorde 
pas plus avec les mœurs qu'avec les traditions du pays ; à toutes les 
époques c'est le pouvoir royal qui a eu l'initiative des progrès, et pour 
les accomplir il a dû le plus souvent user d'arbitraire, imposer sa volonté 
aux classes politiques disposées à faire résistance. Or, les institutions par- 
lementaires ne permettent pas au souverain d'agir ainsi librt*ment ; il a 
des ministres responsables qui veulent être consultés, et qui n'oseraient 
prendre les mesures les meilleures s'ils croyent qu'elles puissent être 
désapprouvées par l'opinion publique. D'ailleurs la Chambre des Députés 
était une arène ouverte aux passions; les débats y semblaient avoir souvent 
pour but de remuer les esprits au dehors, plutôt que d'éclairer les ques- 
tions ou de servir les intérêts du pays; les partis se livraient sans cesse à 
de violentes récriminatons, et la foule mobile applaudissait à toutes les at- 
taques dirigées contre le pouvoir dont elle avait naguère salué l'avènement 
avec joie. Louis-Philippe avait contre lui les légitimistes, les républicains, 



V0TÂGE9 ET HISTOIRE. 185 

les indépendants , et ne comptait pas chez les conservateurs des appuis 
bien solides. On eût dit que la plupart regardait l'opposition systémati- 
que comme l'essence du régime parlementaire. C'est ainsi que sa chute 
fut préparée d'autant plus sûrement qu'il n'entrait pas dans les intentions 
du rbi de recourir à la force pour se maintenir contre le vœu du peuple. 
Son pouvoirn'ayant d'autre base qu'une fiction constitutionnelle qui l'avait 
supposé l'élu de la nation, il crut devoir le déposer en présence d'un 
mouvement qui prétendait être aussi l'expression de la majorité. Le dé- 
faut capital de la charte était de laisser le champ libre à l'opposition, tandis 
qu'elle interdisait au gouvernement l'emploi de ces remèdes héroïques 
qui, dans des crises pareilles peuvent seuls sauver l'Etat. M. Granier de 
Cassagnacen conclut que la révolution de 1848 fut un résultat fatal de celle 
de 1830, et qu'on ne peut adressera Louis-Philippe d'autre reproche 
que d'avoir été trop fidèle à son programme. 

Il y a sans doute quelques traits exagérés dans cette esquisse du ré- 
gime parlementaire; mais, en général, elle est assez vraie. On ne peut 
nier que plusieurs des amis de Louis-Philippe contribuèrent à sa chute 
plus encore que ses ennemis. Le parti républicain, réduit à ses propres 
forces, ne l'aurait jamais renversé. Les suites de la révolution de 1848 en 
offrent une preuve éclatante. Pour la France, république et anarchie sont 
presque sjfnonymes. Trois années d'épreuves, de désordres, de tiraille- 
ments pénibles ont abouti au rétablissement de l'empire, salué par l'im- 
mense majorité du peupl^ comme une délivrance. M. Granier de Cassa- 
gnac y voit de plus le véritable régime qui convient au peuple français, 
qui peut lui procurer paix, gloire et bonheur. Il donne essor à ses senti- 
ments napoléoniens avec beaucoup de franchise, et ne cache pas son an- 
tipathie pour le régime parlementaire, mais il sait rendre justice aux 
hommes qui, pendant sa durée, défendirent la cause de l'ordre. Peut-éire 
le trouvera-t-on moins impartial à l'égard des assemblées que le suffrage 
universel chargea de reconstituer la France après la catastrophe de fé^ 
vrier ; cette époque est trop près de nous pour qu'il soit possible d'en 
juger les faits d'une manière complètement désintéressée. Son livre sera 
lu cependant avec intérêt, parce qu'il renferme maints détails sur les in- 
trigues des différents partis, et présente dans son ensemble un tableau 
qui ne manque pas de ressemblance. 



IJM SCIBNCBft JMHàtAS «T 90UR1QUB8. 

Administration financière drs communes , ou recueil méthodique et 
pratique des lois, décrets, ordonnances, arrêts, etc., qui régissent 
celte matière, par M. Braflf. Paris, Aug. Durand, 18$7; 2 vol. in-8«: 
15 fr. 

Les finances sont la partie à la fois la plus difficile et la plus impnt*^ 
tante de l'administration communale. C'est par une bonne comptabilité 
que les communes prospèrent et réussissent à diminuer les charges quit 
pèsent sur leurs ressortissants. Toutes les mesures du pouvoir municipal 
se traduisent en chiffres dans le budget, dont la balance annuelle perthet 
d'apprécier s'il fait un emploi judicieux et convenable de ses revena^. Eh 
France, malheureusement, la plupart des communes paraissent avoir die(( 
ressources tout à fait insuffisantes; sur 36,8S6, il y en a plus de 32,000 
qui sont obligées de s'imposer extraordinairement pour couvrir leurs dé* 
penses ordinaires les plus indispensables. On comprend donc combieh i] 
est urgent qu'à cet état de choses déjà pénible ne viennent pas s'Iajouter 
des fautes d'administration qui tendraient à l'aggraver encore. San^ doute,, 
aujourd'hui, les règles de la comptabilité sont clairement e^iposëes "àztt^ 
maints ouvrages que peuvent consulter avec fruit ceux qiii ont besofn 
d'en faire une étude spéciale. Mais la théorie n'a pas prévu toutes leë 
applications, et le plus habile calculateur se trouve souvent etdbarfàssé 
dans la pratique. 

c On en a la preuve tous les jours. Les budgets et le^ comptes sôhl 
souvent mal préparés ou mal dressés ; les projets soumis à l'examen éé 
Tatitorité supérieure sont, la plupart du temps, mal instruits en'béqvi 
Concerne les moyens d'exécution : de ISi des retards 'factieux ëi préjertr^ 
cilbles. Souvent encore, faute de bien connaître les Changea qn^ Ye(rr 'sôot 
hnposées, les adfninisti^tions municipale^ refusent de pou^vo^ à ôfeà dé-^ 
penses strictf ment oUigatoim, et le gouveinement ^ trouve 'dans la> 
nécessité de recourir à des moyens coerciftifs pour vaincre leur résistances 
Enfin, les principes les plus essentiels sont quelquefois lmé(^Mifus. Or^ 
oublie, par exemple, que les recettes et les dépenses ne peuvent s'^ffec-* 
tuer que conformément aux budgets régulièrement approuvés ; que cer-^ 
tains fonds ont une destination spéciale dont il n'est pas permis de le& 
détourner sans autorisation ; que les fonctions de l'ordonnateur sont in* 
compatibles avec celles du receveur. De là des comptabilités irrégulières 



ou 6çcfiites<qoi jettent le désordre dsiis les finanees, et engagient gra«* 
vene»4 la resporiBabilité pécuniaire et tmoraile éea auteurs >de ces infrac- 
tions. » 

Frappés de tels inconvénients, dont sa position de sous-chef du bureau 
de l'administration et de la comptabilité des communes au ministère de 
rintërieur le met à même de constater la fréquence et de ju^r les réso^ 
tats, M. Braff a voulu y porter remède en présentant, coordonnées et 
olassées dans un ordre méthodique et pratique, les nombreuses disposi* 
tions qui régissent cette matière, afin de rappeler aux administrations 
monicipales les principes qui doivent présider à la préparation, au vote 
et à Texécution -du budget et des comptes, ainsi qu'à la bonne gestion des 
revenus communaux. Son livre, fruit de recherclies patientes faites avec 
soin dans les nombreux documents qu*il avait à sa disposition, nous pt« 
Pdît propre à rendre de grands services. C'est un travail très^complet, dh 
visé en Irais parties qui traitent, la première du budget, la seconde du 
compte de gestion, et la troisième de l'exécution du budget. Dans l'ap-* 
pendioe qui termine le volume, on trouvera différents modèles de comp-*- 
taUlIté, une nomenclature des pièces soumises au timbre, le tarif de 
l'octroi de la ville de Paris, un état présentant la situation financière des 
eommunes dont le revenu s'élève à cent mille francs et au-dessus, enfin 
divers textes dé loi relatifs à l'administration municipale. 



Traité de la police du roulage dans ses rapports avec la compétence 
des tribunaux de simple police, par N.-A. Guilbon. Paris, Auguste 
Durand, 4857 ; 1 vol. in-8« : 6 fr. 

On trouvera peut-être que ce livre arrive un peu tard. En effet, les 
ehet&ins de fer tendent è diminuer beaucoup l'importance du roulage, en 
)e faisant disparaître de toutes les grandes lignes de circulation. Malgré 
éela, nous croyons qu*il pourra rendre encore de précieux services, car 
l'industrie; dont il expose les droits et les devoirs est destinée à subsister 
encore sur une foule de routes secondaires que les voies ferrées ne sop^ 
primeront pas. La police du roulage est hérissée de difficultés, les con<^ 
ti'atentions de cette nature occupent les tribunaux de simple police plus 
que tons tes autres f^ts de leur compétence. La plupart sont commises 
%iti1e de connaître les innombrables règlements qui régissent la matière. 
Il^rt^ive sotfvenft que le juge de paix se trouve loi-même fort embarrassé 



198 SClBffCBS HORALBS BT P0L1TIQUK8. 

pour en faire l'application. C'est une des parties les plus compliquées de. 
la jurisprudence, et Ton ne possédait pas jusqu'ici d'ouvrage complet qui 
pût servir de guide soil à ceux que leur profession expose chaque jour 
à commettre fort innocemment quelque délit prévu par les lois, soil aux 
magistrats chargés de punir de semblables infractions. M. Guilbon a voulu 
combler celte lacune, et son travail nous paraît atteindre le but autant 
que possible, c Ce n'est pas seulement, dit-il, un commentaire de la loi 
du 30 mai et du décret d'exécution du 10 août, c'est (qu'on veuille bien 
me pardonner ce titre ambitieux) un traité complet qui, après avoir fait 
connaître, en les classant par catégories, les diverses infractions aux- 
quelles donne lieu le roulage, sur quelque voie publique que ce soit, res- 
sortissant à la juridiction de simple police, et les condamnations dont 
doivent être atteints ceux qui les ont commises, ne cesse de s'en occuper 
qu'au moment où les parties condamnées n'ont plus qu'à satisfaire aux 
décisions de la justice. C'est dire que ce traité embrasse aussi le mode de 
constatation des contraventions, la poursuite, la preuve et la répression ; 
que les principes sur lesquels repose la compétence, et qui la régissent, 
ainsi que les règles de la procédure criminelle y sont exposés et exami- 
nés. Du reste, j'ai eu le soin de citer à l'appui de chaque solution les 
autorités qui la consacrent ; et, en examinant moi-même les questions 
controversées, je fais connaître les motifs sur lesquels sont appuyées les 
opinions contradictoires des auteurs et les décisions de la jurisprudence.» 
Deux tables laites avec beaucoup de soin rendent cet ouvrage facile à 
consulter et contribueront à lui assurer un succès qu'il mérite d'ailleurs à 
tous égards. 



Les cités de chemins de fer. Paris, Ledoyen, 1857; 1 v. in-18® : 75 c. 

L'auteur de ce petit volume, frappé des changements que les chemins 
de fer doivent introduire dans les habitudes sociales et des embarras 
4]u'ils occasionnent aujourd'hui par suite de l'impossibilité où l'on se 
U'ouve de satisfaire à leurs exigences, essaie d'otTrir un aperçu des nou- 
veaux progrès que l'avenir nous réserve à cet égard. Il est évident que 
J'état actuel des constructions urbaines et des moyens de subsistances 
n'est pas en accord avec les besoins d'une locomotion qui devient de plus 
en plus active. Si la rapidité du transport facilite beaucoup les voyages, 
le nombre considérable des voyageurs est un obstacle qui souvent annule 
tous les avantages du système. La cherté des vivres et des logements 



SCIBNCES MORALES ET POLITIQUES. 189 

compense l'économie obtenue sur le prix des voitures, en sorte que la 
locomotion n'est point encore à la portée de tout le monde. C'est là ce- 
pendant le but vers lequel les chemins de fer tendent et qu'ils atteindront, 
sans aucun doute, lorsque leur influence aura vaincu les résistances de la 
routine. Mais nous sommes dans une période de transition, rendue plus 
difficile par l'ardeur fiévreuse avec laquelle on a multiplié les entreprises 
de chemins de fer. Pour en sortir, l'auteur propose la création de cités 
destinées à recevoir la population flottante dans des demeures commodes, 
agréables, où l'on pourrait se procurer aux prix les plus modiques toutes 
les nécessités de la vie et même des jouissances de luxe. Il voudrait sub- 
stituer aux hôtels des pensions semblables à celles qui existent en Suisse^ 
et leur donner un développement tel que les voyageurs fussent dispensés 
d'emporter avec eux un lourd bagage. Son rêve serait qu'on en vînt à 
pouvoir se mettre en route, pour faire le tour de la France ou même de 
TËurope, avec un simple sac de nuit. A chaque station de quelque impor- 
tance, des maisons confortables, entourées de beaux jardins, seraient 
prêtes à recevoir les étrangers de passage, ainsi que ceux qui désire- 
raient y séjourner plus ou moins longtemps. En utilisant les ressources 
puissantes de l'association, on parviendrait à faire jouir toutes les classes 
d'un bien-être supérieur à celui que les riches seuls pouvaient se pro- 
curer jusqu'à présent. 

La description d'une cité de chemins de fer séduira certainement les 
lecteurs, et les cinq cent millions que l'auteur demande pour exécuter 
son projet rapporteraient de beaux dividendes si, comme il l'espère, ces 
établissements sont destinés à prendre un essor rapide et prodigieux. 



La fin du monde telle qu'elle est annoncée dans la sainte Bible. Paris, 

1857 ; in-12 : i fr. 25. 

Ce petit volume renferme tous les passages de l'Ancien et du Nouveau 
Testament qui peuvent se rapporter à la fin du monde, soit à l'avéne- 
mentdu Seigneur et aux événements remarquables qui doivent précéder 
et suivre sa venue. Le but de l'auteur est de rassurer ceux que la pré- 
tendue prédiction au sujet de la comète aurait efl'rayés. Non-seulement 
elle ne repose sur aucun fait scientifique de quelque valeur, mais elle ne 
trouve point sa confirmation dans les livres saints. • Si les chrétiens ont 
appris de la parole de Dieu que la terre sera brûlée avec tout ce qu'elle 



190 8GWI€BS.Kr êM»^ 

cofilieniv»'tiSiOoi apipiti». auuasi fue «le jour du Si^igMur viendra oomme 
un laiTOB vient pendant la: ntiil*» Ils sav^enl enfoii qu'en parlant à sea^difr» 
dples de* son avéillemen^ Jéeu&a dili.s « Pour ce qui est du jour et de 
L'heucev peraoAoe ne le^saH ; non, pas infime les anges du.oiel ; mais mon 
Bère aeul.» Usi.oni étudié aven soin les saintes Ecritur^e^ et ils n'igno- 
reot: pas que certains événeosentSi trop remarquables par eux-mêmes 
pottr qu'il leur soit possible de passer inaperçus^ doivent précéder ce 
qtt)'oii est coavenuf d'appeler la âa du.monde, c'est-à-dire Tavénement de 
Botre adorable Sauveur. > 

L*auteur s'e$t borné» du reste, à transcrire les textes sacrés, sans y 
ajoultfr aucun, commentaire. Seulement il les a divisé en six parties, dont 
la première concerne les. Israélites, la deuxième l'antechrist, la troisième 
ta situation du monde et de l'Eglise lors de la seconde venue de Jésus- 
Gbrist et les effets que produira son avènement, la quatrième le mille* 
ntiifli, la cinquième après le millénium, enfin la sisûèroe l'influence que 
bi croyance au fait de Tavénement du Seigoeur doit avoir sur la vie des 
chrétiens. 



Nouveaux éléments de pathologie générale et de séméiologie^ par B» 
Bouchut. Pari», 1857; 1 gros vol. in-8, fig. : 12 fr. 

L'auteur de cet ouvrage appartient, s'il est permis de s'exprimer ainsi, 
à l'école de M. Ajoidral. Il se tient également éloigné du matérialisme 
systématique et du spiritualisme exagéré. Tout en faisant la part de la 
matière et des forces qui l'animent, il ne croit point que la vie soit un 
résultat, il la considère comme une force surajoutée à la matière et dis- 
tincte des propriétés du tissu vivant. C'est dans cette alliance qu'il étu- 
die l'origine, le développement et la fin des maladies, qui en sont les 
effets. 

Ces éléments sont divisés en trois parties bien distinctes. 

c< La, première,, dit l'auteur, est relative aux notions générales de la, 
maladie etd&sa nature; de ses causes envisagées dans ce qu'elles ont 
de plus élevé par rapport aux influences de l'air, des eaux et des lieux y 
de Tâge,. du sexe, du tempérament et de la constitution ; des professions,, 
des idiosyncrasies et de l'hérédité ; des poisons, des venins, des effluves 
en des virus ; des endémies, de l'infection et de la contagion ; de la spé- 



e\iâiéf d(Si djatbèses^ etc. ; aux élémeoia^de la. i«k»td()k^ et. ^ux. fermer 
qii'eU«i pfié^enle'; %mx. ph^omèo^Si quii acfcompagneoi s^y évoliutiûA et aa 
fini; à la «oftvalegoeoce ei au pr^Nidstiq; enfin» smx. lois géo^rj^lies da la 
théirap^tiqua^t 4es médicatiooa. pntMÙtpojemepi. eaipioyéa$.. CeUe p^e-*^ 
mièra panie sei terooine par l'exposé die$ Q;iétbade& d^ ^amçiMîlafure et de 
classification à mettre en usage. 

• Dans la seconde partie j'ai exposé les faits généraux qui servent de 
base à la formation des principales classes morbides, telles que les /(èvrea, 
les éiflammaùonSf les hytkropisieBf tes hémorra§i€9, les gamjgfhnei^ les 
flux, les pneumatoses, les noêorgemiês^ les* névroses^ etc. H m'a paru 
impossible de laisser ces questions en dehors d'un ouvrage destiné à faire 
connaître les principes fondamentaux de la science. Je leur ai donné 
les développements nécessaires et, pour mieux faire comprendre la 
d(^scription , j'ai placé dans le texte de la classe des nosorganies, où 
se trouve l'anatomie pathologique générale , un grand nombre de plan- 
ches explicatives des altérations élémentaires du tissu, produites par 
les nosorganies homœomorphes et hétéromorphes , telles que Tatro* 
phie« l'hypertrophie , les épithéliomas , le cancer , les cancroïdes, le 
tubercule, etc. Ces figures, empruntées au bel ouvrage d^anatomîe pa- 
thologique de M. Lébert, sont relatives aux altérations somatiques, ap- 
préciables seulement au moyen du microscope. 

« On peut bien ne pas accepter les doctrines de la micrologie moderne, 
mais il est impossible de ne pas tenir compte de ses découvertes. Je suis 
heureux, pour mon compte, de servir un instant d^interprète à des sa- 
vants dont je désire honorer les travaux, me réservant de faire en son 
lieu la critique des conclusions qu'on a prématurément tirées de leurs dé- 
couvertes anatomo-pathologiques. 

c Dans la troisième partie, ou Séméiotique, j'ai exposé les signes four- 
nis au diagnostic et au prognostic, par Tt^xamen d'es modifications de l'ex- 
térieur du corps et des troubles survenus dans l'exercice des fonctions. 
La séméiologie de Double et de Landré-Beauvais, celle qu'on trouve dans 
le livre de M. Chomel, le traité du diagnostic du professeur Rostan, celui 
du professeur Piorry et celui de M. Racle m'ont guidé dans ce travail où 
je n*ai eu souvent qu'à reproduire, en les contrôlant, des observations 
anciennes ou modernes sur la signification des phénomènes morbides. On 
y trouvera un exposé des signes fournis par l'habitude extérieure du 
corps, par l'examen de l'appareil digestif, respiratoire, circulatoire géni- 
tal, urinaire et cutané, par l'examen des produits de sécrétion, etc. L'aus- 



192 SCIBIICB8 ET ARTS. 

cultation et la percussion y occupent une place importante, et les services 
que ces deux moyens d'exploration rendent au diagnostic justifient les 
détails dans lesquels je suis entré à leur égard. Cette troisième partie 
complète les deux premières; elle en étend le cadre au delà de ce qui ft 
été fait généralement jusqu'à ce jour» et de manière à répondre aux be- 
soins de l'enseignement. > 



Cours d'analyse de l'Ecole polytechnique, par M. Sturm. Paris 1857 ^ 

2 vol. in-8: i2 fr. 

M. Sturm se proposait de publier cet ouvrage, et travaillait à le pré- 
parer, lorsque la mort est venue le surprendre. L'un de ses élèves, 
M. E. Prouhet, qui l'aidait dans la révision du texte et dans la correc- 
tion des épreuves, est donc resté seul chargé de terminer ce travail. Le 
cours d'analyse est la reproduction des legons faites par 1 auteur à l'Ecole 
polytechnique, et qui furent d'abord rédigées par quelques élèves de cette 
école. Une telle rédaction offre l'avantage de rendre assez fidèlement la 
pensée du professeur, et de conserver ce qu'il peut y avoir d'heureux 
dans l'improvisation ; mais il a fallu en faire disparaître maintes fautes de 
calcul et de langage qui s'y étaient glissées. Pour cela, M. Prouhet s'est 
servi des cahiers de M. Sturm, renfermant un programme très-détaillé 
de son cours, et quelquefois des théories entièrement rédigées par lui. Il 
a profité en outre de corrections que l'auteur avait indiquées en marge 
d'exemplaires lithographies, et s'est conformé à ses intentions, en sup- 
primant de nombreuses répétitions indispensables dans un cours oral, 
mais inutiles dans un livre où elles peuvent être suppléées par des ren- 
vois. On y retrouvera saus doute les éminentes qualités par lesquelles se 
distinguait l'enseignement du professeur. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX. 



JLiTTERATimi:. 

Du ROMAN ET DU THEATRE CONTEMPORAINS et de leuF influence sur les 
mœurs, par Eug. Poitou, ouvrage couronné par l'Institut. Paris, 
Aug. Durand, 1857 ; 1 vol. in-8 : 5 fr. 

Dans cet ouvrage, M. Poitou traite des questions du plus haut in- 
térêt sur lesquelles il importe d'attirer l'attention publique. On est, en 
général, trop enclin à regarder la littérature comme un simple amuse- 
ment de l'esprit, et la plupart des écrivains, romanciers ou poètes, se W- 
vrent à tous les caprices de leur fantaisie sans s'inquiéter de la respon- 
sabilité morale qui leur incombe. Cependant leurs œuvres exercent une 
influence incontestable. En ex[)rimant les tendances de l'époque, elles peu- 
vent, sinon les changer, du moins les modifier plus ou moins, stigmatiser 
avec énergie leurs excès dangereux, ou bien au contraire les revêtir de 
couleurs séduisantes qui ne font qu'accroître l'intensité du mal. De nos 
jours, ce dernier rôle est celui que la littérature paraît avoir choisi de 
préférence, comme plus propre à satisfaire les velléités ambitieuses de ses 
adeptes. En effet, c'est ainsi que maints auteurs ont obtenu fortune et 
renommée en flattant avec adresse les préjugés ou les instincts de la 
foule, en se faisant les auxiliaires du communisme, les organes éloquents 
de toute espèce de révolte contre l'état social. M. Poitou en cite d'abon- 
dantes preuves tirées de leurs écrits. Ce sont d'abord des atteintes à la 
morale privée. Ni le mariage, ni la famille, ni les idées religieuses ne 
trouvent grâce devant eux. Ils exaltent l'adultère, proclament la légiti- 
mité de la passion, vantent le suicide, et par un perfide entassement de 
sophismes jettent la confusion la plus complète sur les principes du bien 
et du mai^ en sorte qu'il ne reste plus à 1 homme d'autre guide que 
l'intérêt personnel, d'autre but que le succès, d'autre avenir que le 
néant. Dès lors il devient l'ennemi naturel de la société dont les lois ré- 
priment ses mauvais penchants. C'est un joug odieux auquel il prétend 

13 



194 LtrrBiiATtaE 

se soustraire par tous les moyens possibles, eu rejetant sur elle la res- 
ponsabilité des crimes qu'il aura commis. Pour lui toute la morale publi* 
que se résume en un appel aux passitns du pauvre centre le riche qu'on 
lui peint comme Tauleur de ses souffrances, et le principal obstacle à la 
réalisation des merveilles ynsaisos pw k stoialisme. 

Le simple exposé de pareilles doctrines suffit pour faire comprendre 
quelle influence elles ont exercée. D'ailleurs les résultats en sont assez 
évidents. « Vous demandez, dit M. Poitou, quel mal a fait cette littéra- 
ture ? Ouvrez les yeux ; interrogez les faits. Regardez où nous ont con- 
duits les idées, les doctrines morales* les théories philosophiques et so- 
ciales préchées depuis vingt-cinq ans. Sondez, si vous pouvez, les plaies 
secrètes, à demi cachées aujourd'hui, mais non guéries et toujours sai- 
gnantes, que porte au flanc notre société. Cherchez d'où vient le trouble 
profond qui s'est produit dans les emiditionft dt sa vie morale. De- 
matidez^vous ce qui l'a faite ce qu'elle est, c'est-à-dire natérialiste, aeep- 
t^qite et méprisante, trois caractères qui b distinguent tristement aujour- 
d'hui. Qui? sinon la littérature dont elle a été nourrie, saturée; Aon point 
la littérature seule, je le sais ; mais certainement ki littérature plus que tout 
le reste. 

€ Et maintenant jugez l'arbre à ses fruits ? Par la moisson que nous 
ïivot)s récoltée , jugez et quelle a été la semence et quelles racines elle 
avait jetées dat)s le sol ! » 

Cne certaine réaction commence heureusement ï s'opérer, mais «Ile 
ne guérira pas de sitôt les nM^iladies er^endrées par ce venin corrupteur : 
le dégoût de la vie utile, l'exaltation de la passion et le seos&alisme 
pratique, l'affaiblissement de l'esprit de famille et du principe d'autorité, 
l'anarchie morale enfin, qui détruit le sentiment de ^ia responsabHité 
personnelle et proclame le droit au bonheur. 

De grands efforts sont nécessaires pour combattre ces éléments de 
dissolution sociale. « Ce ne sera qu'en s'arrachant aux étreintes mortelles 
du matérialisme, qu'en revenant aux traditions qui ont fait jadis sa 
grandeur, que l'art retr\)uvera le chemin du sublnac et dti beau. En de- 
faôirs de ces croyances élevées qui sont le commun patrimoine de Thu- 
ftiafiîté, en dehors de ce spiritualisme généreux qui a inspiré ks graeds 
génies de tous les svèoles, l'art est stérile; et la littérature, vain jeu d'es- 
prit, n'enfantera jamais ces œuvres inMwortelles qui, après avoir consolé 
les générations contemporaines, restoot pour charmer encore les {péoéra- 
tions à venir. » 



Nous ëympat<bisoQ8 eompIétemeAt avac U Hiani^e da vpir de M. Poi- 
tdd. Ses a(){ii^ciaiioDS yUiéraires i)ou6 paraissant, en gién^ral, trèstjustes, 
6t s&o travdtl, rempli d'aperçus ingénieux, méritaitbien d'être couronné 
par rAoadémie dea sciences morales et politiques. Mais on regrettera peut- 
éire quie routeur se soit renfermé strictement dans les limitas du pro- 
gramme, et n'ait pais essayé do remonter aux causes premières du mal 
dmit il décrit si i^en les symptômes et les effets. Il mdaque à son ta- 
bleau un trtit «sseiz important: c'est l'absence de conviction chez les 
écrivains qui ont contribué le plus à propager des doctrines funestes , 
aiau 4u'à f)Maat«ser les masses en faveur de principes auxquels ils n*ac- 
«ordaienl pas euxHSêmes la moindre coAienoe. Nous engageons M, Poi- 
tou à combler celle lacune par un aperçu des circonstances au milieu 
deequeiles s'est formée la génération d'hommes de lettres dont les (ouvres 
font le sujet de .sm mémoire. 



Essai sur la vie et les ouvrages de Nicole Oresme , par Fran- 
çois Meunier. Paris, A. Durand, 1857; i vol. in-8 : 3 fr. 50. 

Nicole Oresme vivait en France au quatorzième siècle. Il se distingua 
par son savoir, par la sagesse et la fermeté de son esprit. Son origine 
n'est pas connue, on sait seulement qu'il était pauvre, qu'il étudiait la théo- 
logie au collège de Navarre, à Paris, et que grâce sans doute à ses qualités 
remarquables il y devint boursier, puis docteur , et enfin grand maître, 
c'est-à-dire supérieur général de tout le collège et maître particulier de 
la division de théologie* En 1361, il fut élu doyen de l'élise de Rouen 
par le chapitre de cette ville, dignité qu'il conserva pendant seize années, 
jusqu'à ce que l'évêché de Lisieux venant à vaquer, le roi Charles V 
le fit donner à Nicole Oresmie, pour lequel il avait une haute estime. On 
croit que [>resque tous ses écrits datent de son séjour à RoueiK Ce sont 
des traités sur rastrologie^ sur les .sciences physiques et naturelles, sur la 
théologie et la prédication , sur la cosmographie, sur la morale» sur la 
politique et sur l'économie sociale et domestique. On y trouve l'érudi- 
tion encyclopédique de l'époque, mais avec des vues plus larges et plus 
éclairées que chez la plupart de ses contemporains. Il ne craignait pas de 
combattr«,*spuvent avec beaucoup de vigueur, les préjugés, alors très- 
répandus, concernant l'astrologie et la divination qu'il traite d'idolâtrie,^ 
disant que « c'est folie et présomption que nature humaine veuille savoir 



196 UTTI^RATURB. 

ce qui appartient à Dieu tant seulement. > Dans un petit ■ Traité de la 
première invention des monnaies et des causes et manières d'icelles^» 
il émet des idées très-justes et fort avancées pour son temps , soit sur 
la stabilité qu'il importe de maintenir dans les lois qui règlent celte ma- 
tière, soit sur les déplorables résultats qu'entraîne l'altération des mon- 
naies. Sa traduction des principaux ouvrages d'Aristote, quoique faite d'a- 
près des versions latines, parce qu'il ne savait pas le grec, contribua beau- 
coup à sa renommée. Elle conserve encore un certain intérêt au point de 
vue de la langue française, dans laquelle Oresme paraît avoir introduit 
le premier une assez grande quantité de mots nouveaux que l'usage a 
consacrés presque tous. M. Meunier en dresse la liste, curieuse à par- 
courir et bien propre à faire apprécier le mérite de lécrivain qui sut 
enrichir ainsi le vocabulaire français. Il marque ainsi d'une manière très- 
judicieuse la place qui appartient au nom d'Oresme dans Thistoire litté- 
raire. Sa thèse est un bon travail, fait consciencieusement, et dans lequel 
on puisera des données précieuses sur le mouvement intellectuel du qua- 
torzième siècle. 



L'hérésie de Dante démontrée par Francesca de Rimini, devenue un 
moyen de propagande vaudoise, et coup d'oeil sur le roman du Saint- 
Graal ; note lue à l'Académie des inscriptions et belles-lettres. Paris, 
veuve Renouard, 1857 ; in-8. 

M. Âroux ne se lasse pas d'accumuler les'preuves à l'appui de son in- 
terprétation de la Divine Comédie du Dante. Aux critiques dont elle est 
l'objet, il répond par des recherches nouvelles, pleines de détails curieux 
sur les doctrines des Cathares ou Albigeois, et sur les formes symboli- 
ques dont ils les avaient entourées pour échapper au reproche d'hérésie. 
Suivant lui ces formes se sont en grande partie conservées et transmises 
jusqu'à nos jours chez les francs-maçons, quoique le sens en ait été de- 
puis longtemps perdu. La thèse que soutient M. Aroux est fort étrange. 
Il ne voit qu'allégories jusque dans les conceptions les plus poétiques de 
Dante, et la gracieuse image de Françoise de Rimini devient, à ses yeux, 
une église vaudoise, victime de la persécution. C'est assurément pousser 
bien loin le système à l'aide duquel il prétend démontrer Thérésie du 
poëte.'Mais on peut dire que dans cette voie il n'y a que le premier pas 
qui coûte. Une fois l'hypothèse admise, les démonstrations se multiplient 



LlTTBRATUftB. 197 

SOUS la plume de l'explorateur convaincu. L'idée qui s'est emparée de 
lui le domine trop pour que son jugement puisse rester tout à fait libre. 
Du reste, il se montre ingénieux dans ses interprétations qui se coordon- 
nent et s'appuient d une manière assez remarquable. Aussi l'échafaudage 
qu'il est parvenu à construire séduira peut-être bien quelques lecteurs. 
Mais il paraît peu conciliable avec ce que l'on connaît du caractère de 
Dante, et nous doutons fort qu'il résiste à Tépreuve d'une discussion sé- 
rieuse. Quoi qu'il en soit, la polémique soulevée par M. Âroux ne sera 
pas inutile, car, en faisant étudier la Divine Comédie sous un nouveau 
point de vue, elle peut amener des découvertes intéressantes. 

— A propos de Dante, nous avons reçu de M. B. Castiglia, dont nous 
annoncions dans notre précédent numéro la réponse à M. de Lamartine, 
une lettre trop longue pour être insérée tout entière ici. Mais l'auteur, se 
plaignant de ce que nous l'avons rangé parmi les admirateurs fanatiques 
du Dante, nous devons, pour être juste, donner place au fragment sui- 
vant, dans lequel il expose son interprétation de la Divine Comédie. 

« Le Dante qu'on croit comprendre n'est pas Dante à son point de vue 
véritable. Dante est le philosophe et le poëte humanitaire du moyen âge. 
Lui, le premier, prononça le mot de civilisation ; bien plus, de civilisation 
du genre humain (cwiliULS humani generis). 

< 11 donna la déBnition et la théorie de l'humanité. Pour lui, l'huma- 
nité ne consiste que dans rintellectualité. La mise en acte (acttmtio) de 
cette intellectualité tout entière, d'abord pour spéculer, ensuite pour réa- 
liser, voilà la fin de l'humanité prise dans sa totalité (generis humani 
totaliier cuicepti). 

« La raison, la foi, la vue directe de la divinité, en sont les phases. En 
les parcourant, l'humanité se réhabilite. 

. c Née de la divinité, elle y retourne, et y jouit, en âme et en corps, par 
la vision de la vérité, la vie de l'amour, la liberté de l'esprit. 

1 La Divine Comédie est une conception puisée à cette théorie. 

€ A travers les règnes de l'invisible, Dante voyage vers la vue de Dieu. 

« Par son arrivée au paradis terrestre, il se complète dans la raison. 

c Par son ascension à l'Empyrée, il se parfait dans la foi. 

« Dès lors, en âme et en corps, au delà de tout milieu, il va à la vue 
face à face de la divinité. 

€ Son esprit progresse toujours. La divinité elle-même lui paraît sous 
différents aspects. Dans le dernier, il la voit peinte de l'effigie humaine; 
U cherche, mais il ne peut voir comment cette combinaison se fait. 



198 Li«rtf»AVUiiff. 

« Ll finit Dante et sa Cemëdre. 

1 Le dernier mof de Dante, ce sera le premier de l'époqoe nouvelle* 
H. de Lainartifie, peéte d*individuaHsme, ne eomprend rien ^ cas deuK 
poésies, Evangile et Dante, où sont les formules du problème d& l'huoi*» 
nité dans les deux phases antérieures. 

i On s'acharne, drt^it, à regarder dans le vide. 

€ Eh bien, à Thecrre qv'il^ est, c*^e8t dans \evid& ^u'on doit regzTÛw. 
La vérité est dans le mystère. Les mondes, qu'on croit voir en eux, vonâ 
être culbutés. 

< Pour l'humanité, ils ne sont que eoneeptio», visieti, correspondance, 
eifrleiiation dans la parole. 

« L'animalité est une couche; rhuma«ité en est une autre. GolleH)i se 
forme dans la traduction, dans l'extemation , dans le co'imténdémevUy 
dans les signes de la voir. 

< Par Ift se crée l'esprit et son monde, qfui sort par la bouche^ entra 
par les oreilles, et communique en invisible. 

« La parole est le veimbs des kingues. 

• Interprétées par ce verbe, les langues signifient autres ctiose qlie ce 
qir' elles ont signifiés jusqu'ici. Elles signifient le otonde invisible, où Vhu^ 
manité est invisible, s'enfante, baNte, correspond, communie; et de son 
invisible devine, maîtrise, exploite son animalité et tout ce qui, à Taide 
dé son anifflsKté, correspond avec son esprit* 

« A l'occasion d'une controverse sii^r Dante, j'ai voulu poser les pré« 
cédents et les formules de cette révélation nooveHe, signakr la source da 
i'intellectualité, expliquer la divinité,* y saisir l'origine eilesoM vrai de^. 
l'humanité. 

« La réalité, qu'on met dehors, m la voit cooter de l'esprit ; elle ne* 
devient que la correspondance avec l'invisible, qui s'étabbl dans les sons 
de la voix, dans le vert^ de* la parole. 

c Est-ce de TidoUtrie, dti fanatisme pouv Dante ? » 



Dred, histoire du grand marais maudit, par M^<^ H. Beecher-Stowe. 

Paris, 1857;2 vol. în-12 : 4 fr. 

Dans ee nouveau roman , i'antieur de VOncèe Tom fM)ursttH eoun^eu- 
sèment sa* lutt^ contre les défecrseurs de Tesclavage. Après avoir montré^ 
que le nègre peissèd» oomme le bland ug^ âme kttniortelle et perfectible, il' 



entreprend aujourd'hui d'esquisaer le tableau des funestes eonséqueooes 
qu entraîne Tesclavage peur ceux-là même qui se croieiit te plus inté-* 
ressés à le maintenir. C'est la question traitée sous un point de vue dif^ 
férent, plus général et peut-être aussi plus propre à frapper ceux qui 
restent sourds aux touchants appels de la pitié. M>^ Beeeher-Stowe ne 
cnint pat de sonder la plaie et d'y reiourner le fer. Elle comprend 
riniportance de ce redoutable problème pour l'avenir des Etats-Unis, et 
croit urgent de (Nrovoquer sa solution par tous les ni>oyens possibles. 
Aossi se lance-t-elle résolument dans la lice au risque de soulever des 
passions ardentes qui semblent n'attendre qu'un signal pour lever l'éten-^ 
^ard de la guerre civile. La crise est imminente, s'accomplira- t-elle dans 
le calme ou par h violenee? nul ne le sait; mais il faut qu'elle s'accom* 
plisse. Les retards et les ajournements ne serviraient qu'à la rendre plus 
terrible. Mieux vaut qu'elle ait lieu tandis que la nation possède encore 
assez de vigueur pour la supporter. 

Dred nous présente le type du nègre rebelle qui rêve l'affranchisse** 
ment de sa race et l'extermination des blancs. Les souffrances de Tes- 
chvage ont produit chez lui une exaltation fanatique. L'énergie de son 
caractère et ses tendances religieuses très-prononcées en font une espèce de 
prophète inspiré dont les moindres paroles sont reçues comme des oracles. 
Il devient le chef d'une vaste conspiration qui n'aboutit qu'à des scènes 
de carnage sans résultat. C'est le propre du régime actuel de ne pouvoir 
enfiinter que des conséquences funestes. 11 exaspère les esclaves et cor- 
rompt les maîtres, en sorte que les uns n'aspirent qu'à se venger, tandis 
que les autres emploient sans scrupule aucun les moyens de défense les 
plus barbares. Des deux côtés les idées de justice et de morale font 
également défaut. C'est une lutte sauvage où les adversaires rivalisent de 
perfidie et de cruauté. La civilisation ne saurait résister longtemps à 
pareflfe épreuve. Aussi p^t-on déjà signaler dans l'Union américaine 
bien des symptOmes menaçants. Les maux qui résultent de l'esclavage 
prennent chaque jour plus d'extension, et si l'on n'y porte pas un prompt 
remède» les Etats-Unis risquent fort de voir leur liberté, peut-être m^roe 
leur existenœ, compromise par cette déplorable question, qui domine 
maintenant tous les débats soit politiques, soii religieuK. Les partisans 4e 
l'oeelavage recourent sans pudeur aux sopbismes les plus monstrueux 
pour la concilier avec les principes du christianisme, ainsi qu'avec ceux d^ 
la démocratie. M^** Beeeber-Stowe en cite des exemples qui font frémir. 
Elle nous peint, entre autres* un meeting où des onissionnaires vienoent» 



200 VOYAGES BX HI8T0IRB. 

la Bible à la mainp faire Tapologie des propriétaires d'esclaves et de leur 
conduite inhumaine. De tels blasphèmes proférés du haut de la chaire 
exercent sur les esprits une influence désastreuse. La doctrine chrétienne 
est dès lors complètement faussée et ne peut plus servir de {çuide à la. con- 
science, ni de frein aux passions. On ouvre ainsi la porte à toutes les sub- 
tilités de la casuistique dont l'intérêt personnel s'accommode si bien. Les 
mœurs de la société américaine s'en ressentent déjà. Le sens moral n'y 
joue trop souvent qu un Me secondaire. Dans la vie publique surtout il n'a 
presque plus d'autorité; l'esprit de parti, le formalisme, et quelquefois la 
violence triomphent aux applaudissements de la foule. On sera frappé des 
tristes révélations que Dred renferme à cet égard. L'auteur ne ménage 
pas l'amour-propre de ses compatriotes. Sa plume vigoureuse déchire les 
voiles de l'hypocrisie et met à nu la corruption des cœurs. Il estime que 
c'est le meilleur moyen de sauver la partie saine de la nation qui, Dieu 
merci, conserve encore assez de vie pour qu'il n'y ait pas lieu d'en dés- 
espérer. 

DredoSre d'ailleurs maints incidents dramatiques et sera lu certainement 
avec beaucoup d'intérêt. Mais au point de vue littéraire on peut lui adresser 
les mêmes reproches qu'à ï Oncle Tom: M'^^ Beecher-Stowe accumule les 
épisodes autour de la thèse qu'elle cherche à prouver et se préoccupe 
assez peu de la trame du roman. Cela ne l'empêche pas, ii est vrai, de 
captiver ses lecteurs par des caractères habilement tracés, ainsi que par 
la peinture de scènes dans lesquelles éclate un esprit d'observation très- 
remarquable. 



VOYAGES ET HISTOIRE. 

Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le 
siècle de Louis XIV et la régence, collatiqnnés sur le manuscrit ori- 
ginal, par M. Chéruel, et précédés d'une notice par M. Sainte-Beuve. 
Paris, 1857 ; 20 vol. in-8« : 80 fr. 

Cette édition, pupliée par la librairie Hachette, est une des plus com- 
plètes et des plus soignées qui aient encore été faites des Mémoires do 
Saint Simon. Treize volumes sont en vente, et les suivants ne tarderont 
pas à paraître. L'introduction de M. Sainte-Beuve est un morceau très- 
remarquable, dans lequel Tœuvre du gentilhomme écrivain se trouve 
appréciée avec non moins de finesse que de sagacité. Nous ne saurions 
mieux faire que d'en donner ici l'extrait suivant : 



VOYAGES ET BISTOIBB. 201 

c Saint-Simon, en entrant dans le monde à l'âge de dix-neuf ans, 
dénote bien ses instincts et ses goûts. Dès le lendemain de la bataille de 
Nerwinde (juillet 1693), à laquelle il prend part comme capitaine dans le 
Royal-Roussillon, il en fait un bulletin détaillé pour sa mère et quelques 
amis. Ce récit a de la netteté» de la fermeté; le caractère en est simple ; 
on y sent Tamour du vrai. Le style n'a rien de cette fougue et de ces ir- 
régularités qu'il aura quelquefois, mais qu'il n'a pas toujours et nécessai- 
rement chez Saint-Simon. A force de le vouloir définir dans toutes ses di 
vcrsités et ses exubérances, il ne faut pas non plus se faire de ce style un 
monstre. Très-souvent il n'est que l'expression la plus directe et la plus 
vive, telle qu'elle échappe à un esprit plein de son objet. 

L année suivante (1694). dans les loisirs d'un camp en Allemagne, il 
commence décidément ses Mémoires qu'il mettra soixante ans entiers à 
poursuivre et à parachever. Il y fut excité c par le plaisir qu'il prit, dit-il, 
à la lecture de ceux du maréchal de Bassompierre. • Bassompierre avait 
dit pourtant un mot des plus injurieux pour le père de Saint-Simon : cela 
n'efmpêche pas le 61s de trouver ses Mémoires très-curieux, c quoique dé- 
goûtants par leur vanité. > 

c Le jeune Saint-Simon est vertueux : il a des mœurs, de la religion; 
• il a surtout d'instinct le goût des honnêtes gens. Ce goût se déclare d'a- 
bord d'une manière singulière et presque bizarre par l'élan qui le porte 
tout droit vers le duc de Beauvilliers, le plus honnête homme de la Cour, 
pour lui aller demander une de ses filles en mariage, ou l'aînée, ou la 
cadette, il n'en a vu* aucune, peu lui importe laquelle; peu lui importe la 
dot; ce qu'il veut épouser, c'est la famille; c'est le duc et la duchesse de 
Beauvilliers dont il est épris. Cette poursuite de mariage, qu'il expose avec 
une vivacité si expressive, a pour effet, même en échouant, de le lier 
étroitement avec le duc de Beauvilliers et avec ce côté probe et sérieux de 
la Cour. C'est par là qu'il se rattachera bientôt aux vertueuses espérances 
que donnera le duc de Bourgogne. 

c Une liaison fort différente et qui semble jurer avec celle-ci, mais qui 
datait de l'enfance, c'est la familiarité et l'amitié de Saint-Simon avec le 
duc d'Orléans, le futur Régent. Là encore toutefois la marque de l'hon- 
nêteté se fait sentir; c'est par les bons' côtés du Prince, par ses parties 
louables, intègres et tant calomniées que Saint-Simon lui demeurera atta- 
ché inviolablement ; c'est à cette noble moitié de sa nature qu'il fera éner- 
giquement appel dans les situations critiques déplorables où il le verra 
tombé; et, dans ce perpétuel contact avec le plus généreux et le plus 
spirituel des débauchés, il se préservera de toute souillure. 



2«& 



VOTA6B0 BT RlflTOM. 



« A?ee le goût des hoDOétes gens, il a l'antipathie non nnrins prompte^ 
et non moins )nstineti¥e contre les coquins, les hypocrites, les âmes basses- 
et merMOffhrs, les courtisans pNts et uniquement intéressés. H les reeo»* 
natly il les devine à distance, il les dénonce et les démasque ; il sen>ble, à 
la manière dont il les tire au jour et les dévisage, y prendre un plaisir 
amer et s'y acharner. On se rappelle, dès les premiers chapitres des Hé-» 
moires, ce portrait presque effrapnt du magistrat pharisien, du fkux Ga- 
ton, de ce premier président de Harlay, dont sous des dehors austères il 
notis bit le type achevé du profond hypocrite. 

c Mais il avait à s*en plaindre, dira-t»on, et ici, comme en bien des cas, 
en peignant les hommes il obéit à des préventions haineuses et à une hu- 
meur méchante : je vais tout d'abord à l'objection. Selon moi, et après 
une étude dix fois refaite de Saint-Simon, je me suis formé de lui eettv 
idée : il est doué par nature d'un sens particulier et presque excessif 
d'observation, de sagacité, de vue intérieure, qui perce et sonde les 
hommes, et démêle les intérêts et tes intentions sur les visages: il offre^ 
en lui un exemple toute fait merveilleux et phénoménal de cette disposi*- 
tion innée. Mais un tel don, une telle faculté est périlleuse si l'on s*y 
abandonne, et elle est sujette à outrer sa poursuite et à passer le bul. Les 
tentations ne sont jamais pour les hommes que dans le sens de leurs pas- 
sions : on n'est pas tenté de ce qu'on n'aime pas. Dès le début, Saint-- 
Simon, fils d'un père antique, et, sous sa jeune mine, un peu antique lui*»^ 
même, n'a pas de goût vif pour les femmes, pour le jeu» le vin et les 
autres plaisirs; mais il est glorieux: il tient au vieux culte; il se fait vu 
idéal de vertu patriotique qu'il combine avec son orgueil personnel et ses 
préjugés de rang. Et avec cela il est artiste, et il l'est doublement : il a 
un coup d'œil et un flair ^ qui, dans cette foule dorée et cette cohue appa» 
rente de Versailles, vont trouver à se satisfaire amplement et à se re^ 
paître*, et puis, écrivain en secret, écrivain avec délices et dans le mys- 
tère, le soir, à huis clos, le verrou tiré, il va jeter sur le papier avec feu 
etftaamie ce qu*il a observé tout le jour, ce qu'il a senti sur ces hommes 
qu'il a bien vus, qu'fl a trop vus, mais qu'il a pris sur un point qui sou- 
vent le touchait et l'intéressait. Il y a là des chances d'erreur ot d'excès 
jusque dans le vrai. Il est pértiieux, même pour un honnête homme, s'il 

' Je n'emploie le mot que parce que lui-même me le fournit. Il dit quel- 
que part, à l'occasion des joies secrètes, et des mflle ambitions flatteuses 
mises en mouvement par une mort de prince : < Tout cela, et tout à la fois, 
se sentait comme au nex.» 



est passionné, de sentir qui) écrit sans eentrôle, et qu'il peint son moada 
sans esnfronlatton. Je ne parle en ce moment que de ce qu'il a obsevvéi, 
Iiiï-ro6me et dire«teineiit : car, pour ce qu'il n'a su que par ounlire et oe 
qn^H a recuettii par conversatio», it y aura, d'autres cbanceAd'arreiur en-* 
corequi s y mêleront. 

< Chioique Saint-Simon ne paraisèe pas avoir été homme à netlrede la 
critique proprement dite dans l'ea^ploi et le résultat de ses reebotrehes, et 
qo'il ne sembie avoir guère fait que verser sur sa preaûère observation» 
toute chaude et toute vive, une expression ardente et à l'avenant, aan soio 
ne portant ensuite que sur la manière de coordonner tout cela, il n'est 
pas sans s'être adressé des objections graves sur la tentation à laquelle il 
était exposé, et dont l'avertissait sans doute le singalier plaisir qu'il trou** 
vait à y céder. Religieux par principes et chrétien sincère, il se fit des. 
scrupules de consciensce, ou dFu moins il tint à les eiapêchfer de naître et 
à se metti*e en règle contre les remords et les faiblesses qui pourraient un 
jour lui venir à ses derniers instants. SM lut avait Êillu jeter au feu ses 
Mémoires, croyant avoir fai4 un lonf péché, quel dommage, quel arracheir 
ment de cœur ! Il songea a^sez naïvement à prévaiir ce danger» Le. dis- 
cours préliminaire qu'il a mis en tdte nous témoigne de sa préoccupation 
de chrétien, qui cherche à se démontrer qu'on a droit liistoriquemenl de ; 
tout dire sur le compte du prochain, et qui voudrait bie» concilier la cbsH 
rite avec la médisance. Une lettre écrite à l'abbé dis Rancé, et par laqueUe 
il le consultait presque au début sur la mesure à observer dans la rédac-» 
tion de ses Mémoires, atteste encore mieux cette pensée de prévoyance; 
il semUe s'être fait donner par 1 austère abbé une'absolutiofi plénière, une. 
fois pour toutes. Saint-Srmon, dans son apologie, admet ou suppose tou-»: 
jours deux choses : c'est, d'une part, qu'il ne dit que la vérité, et, de 
l'autre, qu'il n'est pas impartial, qu'il ne se pique pas de l'êire, et» qu'eo'. 
laiissant la louange ou le bldme alier de 8onrc$ à l'égard de ceux pour qui 
il est diversement afibcté, il obéit à ses inclinations ol à sa façon impé« 
tueuse de sentir, et, avec cela, il se flatte de tenir en main la balancei. 
Dans le récit de ce premier procès au nom de la Duché-Pairie contre 
M. de Luxembourg*, il y-^a un moment où, l<'avocat de celui-ei ayant osé 
r#roqnieren doute la loyauté royaliste des adversaires, Saint<^Simon, qui 
assistait à ^audience, assfs dans une lanterne oo tributte entre les ducs de 
La Rochefoucauld et d'Estrées^ s'élaiwe au dehors,, criant à l'imposture ol 
demandant justice de* es coquin: < M. de La Rochefoucauld, ditnl^ me. 
retinf à mi^eorps et me fil laire. Je m'enfonçai de dépit jilus enearo. oanifdi 



^k' V0TA6B6 BT HI&TOlftB. 

loi que contre l'avocat. Mon mouvement avait excité une rumeur. ■ Or, 
quand on est sujet I ces mouvements-là, non-seulement à l'audience et 
dans une occasion extraordinaire, mais encore dans l'habitude de la vie 
et même en écrivant, il y a chance non pour qu'on se trompe peut-être sur 
l'intention mauvaise de l'adversaire, mais au moins pour qu'on outre* 
passe quelquefois le ton et qu'on sorte de la mesure. On a de ces élans où 
l'on a besoin d'être retenu à mi^corpê. J'indique la précaution à prendre 
en lisant Saint-Simon ; il peut bien souvent y avoir quelque réduction i 
faire dans le relief et dans les couleurs. 

• On a fort cherché depuis quelque temps à relever des erreurs de fait 
dans les Mémoires de Saint-Simon, et l'on n'a pas eu de peine à en ras* 
sembler un certain nombre. Il fait juger et condamner Fargues, un ancien 
frondeur, par le premier président de Lamoignon, et Fargues fut jugé 
par l'intendant Machault. Il dit de M^^* de Beauvais, mariée au comte de 
Boissons, qu'elle était fille naturelle, et l'on a retrouvé et l'on produit le 
contrat de mariage des parents. 11 foit de De Saumery un argus impi- 
toyable et un espion farouche auprès du duc de Bourgogne, et Ton sait, 
par une lettre de ce jeune prince à Féneloo, que c'était un homme dé- 
voué et sûr. Quelques-unes de ces rectifications auront place dans la pré- 
sente édition, et seront indiquées en leur lieu. Dans le domaine de la 
littérature, j'ai moi-même à signaler une inexactitude et une méprise. 
Saint-Simon impute à Racine, en présence de Louis XIV et de M">* de 
Maintenon, une distraction maladroite qui lui aurait fait mai parler, de Scar- 
ron. Au contraire, c'est Despréaux qui eut plus d'une fois cette distrac- 
tion plaisante, dans laquelle le critique s'échappait, tandis que Racine, 
meilleur courtisan, lui faisait tous les signes du monde sans qu'il les com- 
prît. Tranchons sur cela. La question de la vérité des Mémoires de Saint- 
Simon n'est pas et ne saurait être circonscrite dans le cercle des obser- 
vations de ce genre, même quand les erreurs se trouveraient cent fois 
plus nombreuses. Qu'on veuille bien se rendre compte de la manière dont 
les Mémoires, tels que les siens, ont été et sont nécessairement compo- 
sés. 11 y a entre les façons infinies d'écrire l'histoire deux divisions prin- 
cipales qui tiennent à la nature des sources auxquelles on puise. Il y a 
une sorte d'histoire qui se fonde sur les pièces mêmes et les instruments 
d'Etal, les papiers diplomatiques, les correspondances des ambassadeurs, 
les rapports militaires, les documents originaux de toute espèce. Nous 
avons un récent et un excellent exemple de cette méthode de composi- 
tion historique dans l'ouvrage de M. Thiers, qui se pourrait proprement 



V01A6BS ET HI8T0JRB. 2Q5 

intituler : Hùioirt administrative et militaire du Consulat et de l' Em- 
pire, Et puis, il y a une histoire d'une tout autre physionomie, l'histoire 
morale contemporaine écrite par des acteurs et des témoins. On vit dans 
une époque, à la Cour si c'est à une époque de cour ; on y passe sa vie à 
regarder, à écouter, et, quand on est Saint-Simon, à écouter et à regar- 
der avec une curiosité, une avidité sans pareille, à tout boire et dé- 
vorer des oreilles et des yeux. On entend dire beaucoup de choses; on 
s'adresse le mieux qu'on peut pour en savoir encore davantage; si Ton 
veut remonter en arrière, on consulte les vieillards, les disgraciés, les so- 
litaires en retraite, les subalternes aussi, les anciens valets de chambre. 
Il est bien difficile que, dans ce qu'on ne voit point soi-même, il ne se mêle 
un peu de crédulité, quand elle est dans le sens de nos inclinations et 
aussi de notre talent à exprimer les choses. On ne fait souvent que ré- 
péter ce qu'on a entendu ; on ne peut aller vérifier chez les noiaires. Dans 
ce qu'on voit par soi-même, et avec les hommes à qui l'on a affaire en face 
et qu'on juge, oh ! ici Ton va plus sûrement; si Ton a le don d'observa- 
tion et la facuhé dont j'ai parlé, on va loin, on pénètre-, et si à ce premier 
don d*observer se joint un talent pour le moins égal d'exprimer et de 
peindre, on fait des tableaux, des tableaux vivants et par conséquent vrais, 
qui donnent la sensation, l'illusion de la chose même, qui remettent en 
présence d'une nature humaine et d'une société en action qu'on croyait 
évanouie. Est-ce à dire qu'un autre observateur et un autre peintre placé 
à côté du premier, mais à un point de vue différent, ne présenterait pas 
une autre peinture qui aurait d'autres couleurs, et peut-être aussi 
quelques autres traits de dessin? Non, sans doute; autant de peintres, 
autant de tableaux; autant d'imaginations, autant de miroirs; mais l'es- 
sentiel est qu'au moins il y ait par époque un de ces grands peintres, un 
de ces immenses miroirs réfléchissants; car, lui absent, il n'y aura plus 
de tableaux du tout; la vie de cette époque, avec le sentiment de la réa- 
lité, aura disparu, et vous pourrez ensuite faire et composer à loisir toutes 
vos belles narrations avec vos pièces dites positives et même avec vos 
tableaux d'histoire, arrangés après coup et symétriquement, et peignés 
comme on en voit, ces histoires, si vraies qu elles soient quant aux ré- 
sultats politiques, seront artificielles, et on le sentira^ et vous aurez beau 
faire, vous ne ferez pas qu'on ait vécu dans ce tempç que vous racontez, 
c Avec Saint-Simon on a vécu en plein siècle de Louis XIV; là est sa 
grande vérité. Est-ce que par lui nous ne connaissons pas (mais je dis 
connaître comme si nous les avions vus), et dans tes traits mêmes de leur 



M6 ▼•VAGBi R HISVOiAB. 

phygioooÉNe <êt 4mm ies moimires miaooM» toM ees persôtnageB et tes 
p4us marqwmto et les seoandaires, et «eux qui ne foet qtÊe pieser et figtt- 
irr? Nies en savions tes nom», qui n'avaient pour nous qu'une signifi- 
cation bien vague: les persannes, aujoerd'hui, tous sont fiunilières et 
présentes. 



Histoire ou canton de Fribourg, par le docteur Bar chtold. Pribourg ; 

3 vol. in-8. 

Les viflgt'deux Ëtato qui composent la Cebtédération suisse ont cba- 
enB leur histoire particulière, leurs eouvenirs de gloire et d'indépen- 
dance auxquels ils atlachent uo grand prix. C'est le principal obstacle 
que renoootnent les vues unitaires précoelsées par ies partisans de la cen- 
tralisatie» administrative. Halgré les efforts de ceux-ci, la diversité des 
nMeurs, des usages et eaéaae des inetitutioas s'est maintenue jusqu'à 
ftrésent d'une manière très-frappante. Sur ce point l'esprit révolutioa- 
naire soulève des résislanoes opiniâtres qu'il ue réussira pas facilement à 
vaincre. C'est une heureuse entrave à l'essor trop impétueux de la dé- 
oiooratie qui, sans cela» risquerait de compromettre bientiftt la liberté. Le 
vieil élément républicain lutte ainsi oentre les tendances du socialisée 
avec une énergie remarquable, et Ton peut espérer qu'il triomphera de 
œ nouvel adversaire, comme il a déjà triomphé de tant d'autres. Les 
traditions cantouales sont la sauvegarde de la Suisse. Après les crises Les 
^Iu8 violentes et les plus longues, elle retrouve toujours ce palrimoioe 
ktact qui lui permet de réparer ses pertes et de poursuivre sa marche 
sur la route que ses premiers libérateurs ont frayée. Nous en avons une 
preuve dans réian imprimé aux recheixhes historiques à la suite des der- 
nières révolutions. Le passé semble être Tasile pi^éCéré de oeux que le 
présent irrite ou dégoûte, et le parti contraire, tout en aflkctant de vou- 
iaér rompre avec l'histoire, sent la nécessité d'y trouver un pointd'appui, 
une base sur laquelle il fiuisse asseoir l'édifice dent il a conçu le plan. 
Sians cette étude comnaune les esprits se rapprochent, se calment peu à 
fwu, on feoennaît les défauts des points de vue exclusifs, oo aperçoit le 
daiBger des théories qui prétendent ne tenir nul compte de l'expérience, 
le eentiment national se réveille à mesure que les passions s'appaiseot, 
enfin uneiiéaction salutaire a lieu chez les uns comme chez les autres, et 
lentagoûisme qui les séparait fait place au désir de s'entendre «pour pré- 
server les belles conquêtes si glorieusemeat acquises par leurs aocéti?es. 



Frifaéurg «ffra aujourd'hui r«abNnpte d'iui nésuiMdeca genre, au4|iiel 
«nt certainement beaucoup coAtribué les travaux da quelques hooiniesd'é* 
Uie donl M. le D' Berchtold /ait pactie. L'histoire du canton de Fribaiirg 
>6st k plus iAiportant de ses ouvrag«B. IlJ'a bit dans U but évmwmmni 
patriotique de rappeler à ses oenoitoyeos le rôle que h Providiance senEi- 
JUe avoir assigné à leur pays placé, dit*il» au pied des Alpes et sur les 
isoAfins des deux races germanique et romande, pour y faire fleu- 
rir ia démoci*atie sous les auspices du catholicisme. » Cette alliaiice du 
catholicisme avec la démocratie présente un problème bien difficile, peut* 
être a»ême insoluble. Mais il n'en est pas moins vrai qu'à Fribourgi ainsi 
que dans plusieurs autres cantons, elle fut lobjet des constants efforts de 
ceux qui voulaient réaliser t(Hisles avantages de la vie républicaine. Leur 
Âliusion» trè«-respectable, nous paraît être encore celle de M. Bercbtold. 
C'est un catholique adversaire de ruitramontanisme, c'est-à-dire protes- 
tant plus eu moins contre l'autorité de Rome, «t se réservant l'examen 
des cas dans lesquels il convient de l'admettre ou de la rejeter. U pro- 
fesse à cet égard la doctrine des anciens Suisses qui ne craignaient pas 
d'encourir l'excommunicalion plutôt que de supporter la moindre atteinte 
4 leur indépendance. En politique» M. Berchtoldse montre démocrate sin* 
cère, mais parfois un peu irap enclin à juger las siècles passés d'après les 
idées du nôtre. U use d'une sévérité qui n'est pas toujours impartiale à 
l'endroit de l'aristocratie, du patriciat et des services militaires. A côté de 
ce rigorisme de principe on voudrait un exposé plus complet des causes 
qui avaient amené la corruption du peuple aussi bien que de la magis- 
trature suisses. Heureusement il retrace les oireoDâtaoees particulières 
de chaque époque* d'une manière assez détaiitée« pour que le lecteur puisse 
apprécier leur influence réelle et se mettre en garde contre ies vues sys- 
tématiques auxquelles il donne de temps eu temps essor. D'ailleurs la vi- 
vacité des opinions de l'auteur imprime à son livre un cachet d'animation 
et d'actualité qui n'est pas sans mérite, et ion doit reconnaître qu'histo- 
rmi loyal il fournit toutes les données nécessaires pour vétifier la valeur 
de ses jiigemenls, soit sur les hommes, soit «ur les faits. 

M. BfTohtold divise l'histoire de Fiibourg en trois grandes périodes. 
La première fut celle de l'émancipation produite par l'épanouissement des 
institutiofis municipales qui remportent la victoire sur les suzerains 
oblige de compter avec elles. C'est la plus gWriease. On y rencontre 
mfiin^ traits héroïques, de nobles dévouements, de beaux caractères, et 
l'on admire la sagesse qui préside aux actes de la communauté tant que 



308 VOYAGES ET HISTOIRE. 

dore cette lutte pénible. La seconde nous montre la décadence des mœur» 
après le triomphe, le monopole des emplois, la manie des titres, la soif 
des pensions qui s'introduisent dans toutes les classes, et l'habileté per- 
ikie avec laquelle les coui's étrangères s'empressent d'exploiter ces élé- 
ments de corruption. Comme le dit M. Berchtold, la vie nationale semble 
alors tarie jusque dans ses sources les plus intimes. Dans la troisième, 
nous voyons se développer encore les conséquences de ce funeste régime 
qui finit par amener ta chute de la Confédération et la ruine des libertés 
cantonales. 

M. Berchtold s'arrête à l'époque de la restauration, et termine par 
r^blissement du pacte fédéral de 1815, auquel il reproche d'avoir donné- 
beaucoup trop de prépondérance à une aristocratie qui ne possédait plus^ 
l'énergie ni le prestige de l'ancienne noblesse, et d'avoir étouffé le nou- 
vel instinct d'émancipation qui commençait à s'éveiller chez le peuple 
suisse. Appliqué à Fribourg, ce reproche peut être vrai. Mais il nous 
semble que le tort capital du pacte gît ailleurs que dans la large part 
d'indépendance qu'il accordait aux cantons et dont plusieurs surent tirer 
un excellent parti Les événements des dix dernières années prouvent du 
reste que l'instinct d'émancipation n'en souffrait pas beaucoup, puisqu'il a 
triomphé dans toute la Suisse. Le pacte de 1815 péchait plutôt sous le 
rapport administratif et surtout par son origine étrangère, bien propre à 
blesser l'amour-propre national. 



Le Christianisme aux trois premiers siècles, séances historiques 
données à Genève en 1857, par MM. Merle d'Aubigné, Bungener, 
A. de Gasparin et Viguet. Genève, J. Cherbuliez, 1857 ; 1 vol. in-12. 

Ces séances, outre leur mérite intrinsèque, présentent un intérêt tout 
particulier comme symptOme du rapprochement qui s'opère dans les idées 
et dans les esprits. Elles sont dues à l'initiative d'une société religieuse, 
rUnion chrétienne des jeunes gens, dont les membres ont ainsi donné 
l'exemple d'une tolérance large et féconde. En effet, les noms des ora- 
teurs appelés à faire cet enseignement indiquent des nuances du protes- 
tantisme bien distinctes, entre lesquelles jusqu'ici l'accord ne semblait 
guère possible. MM. Bungener et Viguet représentent l'Eglise nationale 
de Genève, M. Merle d'Aubigné l'Eglise séparatiste, M. Agenor de Gas- 
parin des tendances plus prononcées encore vers l'individualisme. Cepen- 



VOTAGES ET HISTOIRE. 209 

daot, maigre ces divergences, ils n*ont pas reculé devant l'oeuvre com- 
mune qu'on leur demandait, et s'en sont acquitté de la manière la plus 
propre à justifier la confiance de ceux qui les en chargeaient. Le succès 
a même dépassé l'attçnte de ces derniers. Un public nombreux, composé 
d'hommes de toutes les classes et de toutes les opinions, se pressait 
chaque soir dans la salle des cours. C'est un résultat bien remarquable 
dans une ville qui, depuis dix ans, est en proie à des dissensions poli- 
tiques auxquelles se mêlent plus qu'ailleurs les questions religieuses. On 
peut en inférer, comme le disent les éditeurs de ce volume dans leur pré- 
face, que le développement matériel ne fera pas oublier les intérêts mo- 
raux et religieux, que t la nouvelle Genlve sera, quant à l'intelligence, 
quant à la science, et surtout quant à la foi, ce que fut Vancienne, aux 
temps qui suivirent sa bienheureuse réformation. Si d'un côté le matéria- 
lisme progresse, de l'autre les aspirations vers les choses spirituelles de- 
viennent plus profondes. Un noble instinct se ranime dans la partie saine 
de la population, et lui dit que le christianisme seul peut sauvegarder 
Genève. On ne voit plus avec indifférence le doute qui fait languir, l'in- 
crédulité qui dessèche et le papisme qui étouffe. On étudie les questions, 
on cherche la vérité. Les partisans du libre examen, qui n^examinaient 
guère, commencent à examiner. » 

C'est une espèce de réveil général ; on se tourne volontiers vers les 
pensées sérieuses, et le moment jiaraît favorable à la cause du christia- 
nisme. Aussi les auteurs des discours que nous annonçons n'ont-lls pas 
eu de peine à captiver leur auditoire. L'histoire des trois premiers siècles 
de Tère chrétienne, traitée avec savoir et talent, ne pouvait manquer de 
produire un effet pareil. Les qualités diverses des quatre orateurs de- 
vaient contribuer elles mêmes à soutenir l'attention. Chargé de la pre- 
mière séance, M le pasteur Viguet présente un tableau fort intéressant de 
l'état du monde à la venue de Jésus-Christ. Il montre comment la déca- 
dence païenne avait, en quelque sorte, préparé le champ de travail pour 
les missionnaires chrétiens, et fait ressortir d'une manière ingénieuse les 
deux traits qui caractérisent la société de cette époque, ainsi que son dé- 
veloppement philosophique et religieux : «D'abord, l'impuissance de 
rhomme à se faire une religion sérieuse, à satisfaire les besoins de sa 
conscience, et à répondre aux questions qui s'agitent dans son esprit, cette 
impuissance avait été constatée par une expérience longue et multiple. 
Puis, à côté et peut-être en raison même de cette impuissance, une aspi- 

14 



SÉ0 ¥OJA6BS ET lUSZOIftB. 

ration ardente vers quelque chose de meilleur que ce qtie l'homme po»- 
sédait, ven& une révélation qui lui donnât la. vérité, avait été excitée dans 
les cœurs, dans les uns avec connaissance de cause, dans les-autres d'une 
maniàre purement instiDetive« » La prédication de l'Evangile trouva donc 
dans les âmes sérieuses un double point d'appui ; elle apportait à l'homme 
impuissant le secours divin, elle répondait par des certitudes aux vafgues 
aspirations du doute. Ces circonstances providentielles facilitèrent ses d^ 
buts. M. de Gasparin retrace avec éloquence les succès obtenus par les 
apôtres, et la période des pères apostoliques, brillante encore, quoique 
déjà- troublée par les disputes de théologie. Mais bientôt surgirent de 
nombreux obstacles: les passions humaines se révoltèrent contre la pré- 
tention de l'Evangile à s'emparer du cœur pour y régner en maître. Il}y 
eut des luttes ardentes à soutenir contre le paganisme armé de la perse- 
oution, et contre la philosophie se faisant Tauxiliaire de Tincrédulité; Les 
péripéttest de celte époque sont habilement expeeéesipar M. Bungener, 
qui sait, à l'aide de curieux rapprochements, faire ressortir combien Ifs 
^tersécuteurs de toutes les époques se ressemblent', et quels rappocts 
existent entre la polémique païenne et celle employéedenos jours par les 
adversaires de la vérité évangélique. Enfin Thislorien de la reformations 
M. Merle d'Aubigné, nous raconte le développement ultérieur du ohrit- 
tianisme, suivant les deux tendances d'où sont sorties l'Eglise grecque et 
l'Eglise romaine; G'e^t l'Orient ou Origène et la scierjce, l'Occidentiou 
Cyprien et la pratique. 

Il est rare de voir ainsi se succéder dans la même chaire des homnws 
supérieurs, qui manient la parole et la plume avec une égale aisance, et l'on 
cençoit que l'enseignement donné par de tels maîtres ait obtenu tous les 
suffrages d'un publicchez lequel ne font défaut ni le goûti, ni rintelli- 
gence: Ce légitime succès sera, nous n'en deutons poiat^ confirmé par 
l'écoulement ra]>ide d'une publication que sa forme et son prix modique 
rendent éminemment populaire . 



Le peuple primitif, sa religion, son histoire et sa civilisation, par Fréd. 
de Rougemont; tome 111 : Histoire. Genève et Paris, J. Cherbuliez, 
1857; 1 vol. in-i2. 

Dans ce volume. M. de: Rougemont compare les tradiliona. de. divers 
peuples anciens avec la Genèse et les traditions juivesi C'est avec les don* 
nées fournies par ce rapprochement qu'il essaie de répandre quelque lu- 



V0VJKGB3 BT HISTOIRE , 3&1 

Diière surd'htôioire du peuple primitif. Le résultat d'un preil travail lie 
peut être sans doute que fort hypothétique. Dans la plupart des tï^di- 
tions, Tallégorie joue un grand rôle, et les faits révêtent une forme my- 
thique singulièrement favorable aux inventions fabuleuses. On ne peut 
procéder que par la voie interprétative, et dès lors les chances d'erreur 
se muUif)lieRt à chaque pas. 11 est presque impossible (fii6l^«fS|mK de sys- 
tème n'influe pas plus ou moins sur des recherches dû ce genre. L'au- 
teur ne les entreprend guère ou du moins ne les poursuit.pas longtemps, 
sans avoir choisi une thèse à Tappui de laquelle il s'agit de trouver des 
preuves aussi nombreuses et fortes que possible. C'est le fil conducteur 
indispensable pour le guider dans ce labyrinthe. Un esprit complètement 
sceptique n'arriverait qu'à des résultats négatifs; au lieo de grouper et 
de reconstruire, il achèverait plutôt Toenvre de démolition. Aussi les^re- 
proches encourus à cet égard* par M. de Hougemont nous semblent'^Us 
n'avoir pas toute la portée qu'on a prétendu leur donner. Une idée le do- 
mine, c'est évident : il s'est posé d'avance la conclusion à laquelle il veut 
arriver. Sans doute, ce pdnl de vue déterminé peut quelquefois nuire à la 
fermeté de son jugement et produire des interprétations un peu forcées. 
Mais on doit reconnaître que ses efforts réussissent à coerdonner d'une 
manière très-remarquable les matériaux épars qu'il sait découvrir au mi^ 
lieu des ruines de tant de civilisations diverses. Les données qu'il a re^- 
cuedllies sur le peuple primitif sont du plus haut intérêt. Elles montrent 
raccord de toutes les traditions en ce qui touche aux points essentiels, et 
jettent çà et là des lueurs inattendues sur l'histoire des premiers temfis. 
de l'humanité. Si les détails laissent beaucoup à désirer, l'ensemble offre 
certainement^ une harmonie frappante , et l'on ne saurait mieux faire 
ressoirtir les précieux avantages de l'érudition employée au service de 
la foi. 

Voici l'ordre que suit M. de RougeaK>nt dans son travail : 
! La Genèse et tes traditions juives ; le Paradis; l'Humanité antédilu^ 

vienne; le Déluge et ses suites; les Noachides ou le peuple primitif. 

II. Sémites païens vies Babytoniens; les Syriens et Assyriens. 

III. Les Phéniciens et les Âllophyles de Lybie. 

IV. Les Chinois; Histoire de l'humanité d'après les hiéroglyphes; His»- 
toire de l'humanité d'après les traditions isolées; Histoire des patriar- 
ches du monde primitif. 

V. Les Egyptiens; les Livres sacrés ; Mythes d'Osiris ; Règne des dieux; 
les Rois. 



212 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 

VI. Les Peuples ariens de la Perse; les Ariens de l'Inde; Mythes des 

Yédas ; Lois de Manou ; les Incarnations de Vichnou. 
VIL Asie Mineure : les Phrygiens, les Lydiens et lesTroyens. 



SCIEMCES IflORAIiES ET POIiITlf|lJES. 

De la vocation, ou moyen d'atteindre sa tin dans le mariage et dans la 
vie parfaite, par Mc^ Luquet, évêque d*Hësébon. Paris, Julien, La- 
nier, Çosnard et C»% 1857, tome I"; i vol. in-8. 

La vocation de l'homme est d'aller à Dieu, de s'en rapprocher du moins 
le plus possible par les élans de la foi et la pratique des vertus. C'est là sa 
véritable destinée, car nulle autre voie ne pourrait le conduire au bon- 
heur, pour lequel il a certainement été créé. Mais au lieu de suivre la loi 
d'amour, qui répond si bien aux besoins de son cœur, il obéit à de mau- 
vais penchants, se laisse dominer par les passions, et perd de vue le but 
élevé vers lequel il doit tendre. L'orgueil lui fait oublier qu'en Dieu seul 
se trouve la vraie science, qu'en dehors de Dieu il n'y a qu'esclavage et 
abaissement. L'homme se trompe aisément sur la portée de son intelli- 
gence: il la croit sans limites, et prétend pouvoir sans autre secours per- 
cer tous les mystères de la nature, rivaliser même de puissance avec le 
Créateur. C'est ainsi que la philosophie, se séparant de la religion, dont 
elle devrait être Tauxiliaire fidèle, engendre la révolte et-Timpiété. L'am- 
bition, la soif des richesses, les affections mondaines prennent alors un 
empire absolu. On devient avide de jouissances, et le perfectionnement 
moral n'offre plus aucun attrait. A mesure que l'âme s'engourdit ou se 
corrompt, les efforts nécessaires pour la réveiller sont rendus de plus en 
plus difficiles, et l'homme ainsi fourvoyé s'éloigne toujours davantage de 
Dieu. Mais la miséricorde divine est infinie, elle ne se lasse point d'a- 
dresser au pécheur de pressants appels, de lui présenter des leçons salu- 
taires et des exemples propres à le faire réfléchir. L'amour de Dieu pour 
ses créatures éclate sans cesse: jusqu'à la dernière heure, il leur offre des 
moyens de salut, il se montre prêt à recevoir ceux qu'un repentir sincère 
ramène enfin vers lui. 

Une vie sainte et pure est le chemin du salut, ouvert à tous, dans 
quelque position sociale qu'ils se trouvent. Chacun peut y aspirer, en 
s'efforçant d'observer la loi de sacrifice, qui donne pour unique règle à 
la vocation de l'homme l'amour de Dieu et du prochain. 



SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 213 

Telle est la donnée féconde que Mi^ Luquet développe dans son livre. 
Après avoir exposé le but de la vocation et les principaux obstacles qu'elle 
rencontre, il aborde le côté pratique du sujet, soit en ce qui touche aux 
rapports généraux de la société, soit en ce qui concerne plus particuliè- 
rement l'état du mariage. Ses vues sont empreintes d'une charité fervente* 
Il cherche surtout à relever le moral de l'homme, et se platt à citer des 
traits qui mettent. en relief la grandeur et l'efficacité des vertus chré- 
tiennes. On regrettera seulement qu'il n'ait pas adopté une forme plus 
populaire. Son style est plein d'onction, mais un peu trop pompeux, trop 
riche en éloquence oratoire. Il en résulte que la marche des idées et des 
déductions n'est pas toujours facile à suivre, et cela nous semble fâcheux 
dans un ouvrage de ce genre, qui devrait être, autant que possible, à la 
portée de toutes les intelligences. Notre observation ne s'applique, du 
reste, qu'à ceux des lecteurs qui ne sont pas habitués aux allures de l'en- 
seignement catholique. 



Pensées de Pascal, disposées suivant un plan nouveau, édition complète, 
d'après les derniers travaux critiques, avec des notes, un index et 
une préface, par F.-F. Astié. Lausanne, G Bridel. Paris, J. Cher- 
buliez, 1857;2 vol. in-18. 

M. Faugère a certainement rendu un grand service en rétablissant le 
texte des Pensées de Pascal d'une manère plus fidèle et plus complète. 
Le commentaire de M. Havet mérite aussi d'être rangé au nombre des 
meilleurs travaux de ce genre. Mais ces deux écrivains ont laissé Tœuvre 
de Pascal dans un état de décomposition qui ne permet guère au commun 
des lecteurs d'en saisir la portée, ni d'en retirer de bons fruits. Sans 
doute il est très-difficile au milieu de ces fragments, dont la plupart ne 
sont encore que des ébauches, de retrouver le plan du livre dont ils de- 
vaient être les matériaux. Gomme que l'on fasse, il restera toujours des 
lacunes et maints passages inintelligibles. Gependant, on peut du moins 
essayer un classement plus conforme au but que s'était proposé l'auteur. 
Or» M"*^ Perier nous apprend que son frère avait entrepris ce travail en 
vue de convaincre et de confondre les athées. G'était donc un traité de 
théologie apologétique, mais en même temps, comme le remarque M. Vi- 
net, un livre de piété s'adressant au cœur ainsi qu'à la raison. En effet, 
la méthode qu'emploie Pascal indique bien cette intention. Quoique le 



principe d autorité isoit la base .detsa^î, il en liait plutôt un but vers le- 
<)uel il vaut eonduire le lecteur, par la r«ute qu'il a lui-oiême suivie fxmr 
y arriver; « il devient théologien daiks Tintérét de ceux qui non! pas 
eaeope eu le-^bonheur de flaire les mêmes expériences que ^lui. » :La maison 
et ie sentiinent doivent lui servir de moyens pour asMoer Ibommeiè 
8%umilier devant Dieu. La première répond à ce qu'il appelle Tesprit de 
géométrie qui pnéteod imi définir et tout prouver avec la dernière évi- 
dence ; l'autre, à l'iesprit de finesse, qui perçoit immédiatement les véirités 
évidentes» et ne demande pas de preuve pour y croire. C'est 'par Tumo 
de.ces deux esprits et par leur m^af^e convenable qu'on obtienl l'intelligeiice 
d^s vérités religieuses, en évitant à la fois les écarts du «cepticisme et 
ceux de la superstition. Malheureusement, cette union ne se rencontre 
giuère, et Pascal lui-ittéme ne réussit pas toujours à la maintenir. Les con- 
tradictions étranges, qui parfois éclatent dans ses pensées, trabisseut l'état 
perplexe de son âme, obéissant tour à tour à ces deujL tendances opposées. 
Nous assistons à leur lutte» dont il ne serait probablement pas resté la 
moindre trace dans le travail définitif, s'il avait pu s'accomplir. Mais cela 
répand quelque lumière sur la marche adoptée par l'auteur. iQn voit>a^in$i 
quel eist son point de départ, et comment il voulait épuisicr Ifis rçsi^ources 
du raisonnement avant de recourir ayx armes de rautorité. Une autre 
donnée qui ressort de tout ce que- l'on connafi de Pascal, .c'^st que qhez 
lui la piété domine. M. Âstié en infère que le point de vue de l'édification 
peut 'être avantageusement choisi pour coordonner les pensées et pour 
rendre leur lecture à lafois plus accessible et plus profitable. Son désir est 
de populaiiser ee livre dont l'influence lui parait devoir être si féconde et 
si salutaire. L'utilité d'une pareille entreprise est incontestable. Jusqu'ici 
les Pmséeê de Pa9cal n'ont eu qu'un public assez restreint; grâces aux 
excellents travaux critiques dont elles ont été l'objet, il devient plus facile 
d'en reculer les limites. On en trouvera la preuve dans le travail de 
M. Astié, qui leur donne réellement un nouvel aspect, et nous ne doutons 
pas qu'il ne contribue à rendre les lecteurs de Pascal plus nombreux. Les 
pensées sont divisées en deux parties, dont la première iraite de h misère 
de l'fuHMne tans Dieu, ou que la naiure eet corrompue far la nature 
même, et renferme quatre chapitres, savoir: 1* Du besoin de connais- 
sance ; ^^ du besoin de justice ; 3® du besoin debonheur ; 4<* grandeur et 
misère de l'homme. La seconde partie : ^FéHcité de l'éomme avec Dieu, 
ou quil y a ^m répafdtifiur par l^Eeriture, se compose des huit cha- 
pitres {Suivants : 4 •> Caractère de te vraie religiei); 8« moyens d -arriver à 



SdlNOEB JUmiALEB fBT POLITÎQIIBB. 21 5 

h foi;^" de Jésus-Christ; i» du peuple juif; 5® des miracles ; 6* des 
figuratifs;. 7* de» t)roph(^ties ; €*> oixire. 

M. Astié a réuni de >plcrs, dans son premier yolorov, ies divers opus- 
allies reiigteux 4e Pascal, la notice de M°^« Perier sur sa vie et plusieurs 
autres pièees intéressantes. Cette édition, impriovée avec élégance et d'un 
Hemnat eommede, mérite d'oblenir un véritéble succès. 



Congrès international m bienfaisance de Bruxelles, session de 

1856. Bruxelles, ! 857 ; 2 vol. in-S : 8 fr. 

Les questions relatives au pau|)érisme ont acquis, depuis quelques an- 
nées, beaucoup d'imitortance. Elles préoccupent de plus en plus les es- 
prits. On sent que c'est là le problème de notre époque. Il s'agit de gué- 
rir une plaie qui va grandissant chaque jour, et dont les progrès mena- 
cent l'ordre social. À cet égard, la civilisation moderne s'est montrée 
jusqu'à présent assez impuissante. En augmentant la richesse, elle semble 
avoir multiplié le nombre de ceux qui ne possèdent rien. L'essor de l'in- 
dustrie a créé une classe de prolétaires dont les plus laborieux et les plus 
économes échaippent à peine aux étreintes de la misère, prête à fondre sur 
eux dès que survient la maladie ou quelque circonstance qui ralentit Tac- 
tivité des fabriques. Dans presque tous les Etats de rEuro)>e, des associa- 
tions se sont formées pour chercher les moyens de remédier à ce mal, el 
l'exemple des expositions universelles a suggéré l'idée d'un congrès inter- 
national, afin d imprimer aux efforts plus d'unité. La première réunion de 
ce genre eut lieu à Paris en 1855; la seconde s'est tenue à BruxeUas 
l'année dernière, sous le patronage de S. M. le roi des Belges. Si Ton n'a 
pas encore obtenu des résultats pratiques bien positifs, Texistence de l'ins- 
titution paraît du moins assurée, et l'on peut espérer que son avenir sera 
plus fécond. C'est une excellente chose déjà que d'avoir ainsi fait, en 
quelque sorte, le recensement des formes diverses adoptées par la bien- 
faisance. Le congrès discute, examine, compare, et si ses déba ts.n 'abou- 
tissent ^pas toujours, ils répandent une vive lumière sur les questions qui 
s'y trouvent traitées .par des hommes éoûiiments de tous les pays, k 
Bruxelles, TAnglelerre con^)tait dO représentants ; la France, 21 ; Aile-» 
magne, Autriche, Prusse, 17^ Danemark, Suède, Pologne, Russie, 20; 
Pays^^Bas, 16; Suisse, %\ Italie, Espagne, Portugal, Brésil, Etals^- 
Uftis» 8 ; Belgiiiiie, 177. Dans cette nombreuse assemblée, les vues les 



216 8C1KHCBS MORALES ET POLITIQUES. 

plus larges et les vrais principes de réconoinie politique ont constamment 
réuni les suffrages d'une majorité considérable. Il ne s'est guère manifesté 
de divergence un peu forte que sur des points de détail concernant l'appli- 
cation plutôt que la théorie. Les principaux orateurs ont insisté vivement 
sur les dangers de la charité légale et des tendances socialistes qui con- 
duisent aux mômes résultats. Nous signalerons, entre autres, le discours 
de M. A. Cherbuliez, l'un des deux délégués du gouvernement suisse. 

On trouvera dans les discussions du congrès une foule de données 
propres à éclairer la marche de la bienfaisance. lien ressort évidemment 
que, malgré l'assertion contraire du socialisme, les classes pauvres ne 
furent jamais Fobjet d'une sollicitude aussi vive et aussi générale. Les as- 
sociations charitables abondent et rivalisent de zèle. En établissant entre 
elles des rapports suivis, en mettant en commun leurs expériences, leurs 
lumières et leurs efforts, elles arriveront sans doute à surmonter bien des 
obstacles, et si le problème n'est pas résolu, du moins en auront-elles sin- 
gulièrement atténué les conséquences funestes. 

A la suite de ce compte rendu sont insérés plusieurs mémoires fort in- 
téressants. Parmi les questions qui s'y trouvent traitées, on remarque 
surtout celles relatives aux sociétés de prévoyance, aux institutions en fa- 
veur des classes ouvrières, aux moyens d'améliorer le sort des travailleurs 
agricoles, aux' associations ingénieuses qui se sont formées dans diffé- 
rentes villes pour procurer à la population pauvre des logements sains- et 
des vivres à bon marché. L'exposition d'objets d'économie domestique, 
ouverte à Bruxelles pendant la durée du congrès, a montré qu'à cet 
égard l'industrie n'était pas restée en arrière. Par l'examen dé ses pro- 
duits,on a pu se convaincre qu'elle aussi se préoccupe activement de sou- 
lager les souffrances du paupérisme. 



Des VOJKS DE RECOURS, par Fr. Lenormant. Paris, A. Durand, 1857 ; 

4 vol. in-8«: 3 fr. 50. 

La question traitée dans cette thèse est d'une haute importance. Aussi 
fut-elle souvent l'objet de graves discussions parmi les jurisconsultes^ Eh 
effet, les voies de recours semblent porter atteinte à l'autorité de la chose 
jugée. On peut craindre que le magistrat dont la sentence est sujette à 
l'appel n'inspire plus le même respect, et que les lois perdent cette force 
qui est la garantie du bon ordre dans l'Etat, de la sécurité dans les fa^ 
milles et dans les transactions privées. Le pouvoir du juge est une des 



SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 217 

bases indispensables de la société, or n'amoindrit-on pas singulièrement 
ce pouvoir en admettant que ses décisions peuvent être revisées ? La jus- 
tice a besoin d'être autant que possible regardée comme infaillible. C'est 
une fiction nécessaire pour qu'elle puisse atteindre son but. Mais l homme 
est sujet à Terreur ; souvent la crainte le domine, la passion l'aveugle, 
ou bien son cœur trop sensible le fait hésiter devant les rigueurs de la loi, 
et l'intérêt de l'Etat demande évidemment que toute sentence influencée 
par de tels motifs ne soit pas définitive. Aussi voyons nous, dès les temps 
anciens, les voies de recours introduites chez les nations civilisées. A 
Rome, sous la république, quoiqu'il n'y eut pas encore d'appel propre- 
ment dit, I tout magistrat revêtu de Vimperium ou de la potestas, pou* 
vait, en vertu de la puissance populaire dont il avait reçu la délégation, 
apposer son veio à la décision émanée d'un autre magistrat.» Sous lem* 
pire, le recours fut organisé d'une manière plus complète, et son utilité 
généralement reconnue le fit admettre ensuite dans les législations qui 
succédèrent. A cet égard les opinions sont è peu près unanimes dans le 
monde moderne ; on s'accorde à voir le cachet de la barbarie dans les ju- 
gements immuables du cadi turc. 

M. Lenormant expose avec beaucoup de clarté les deux faces de la 
question, et résume d'une manière fort intéressante l'histoire du droit au 
point de vue de l'appel. Sa thèse mérite d'être distinguée de la foule. 
C'est un travail bien bit, qui dénote de l'érudition, un esprit judicieux et 
de saines tendances. 



La nouvelle Bible ou le dernier Testament. Lausanne, 1857; 1 vol. 

in-8«. 

CUude-Antoine-Victor Gibert, fils de Claude Gibert et de Marie-Ma- 
delaine Vozelle, né à Bouleurs, canton de Crécy, arrondissement de 
Meaux, département de Seine et Marne, en France, s'intitule le consola- 
teur, et déclare être chargé d'une mission divine qui a pour but de par- 
faire et d'accomplir définitivement l'œuvre du christianisme. Le livre 
qu'il publie renferme l'histoire de sa vie entremêlée d'élucubrations phi- 
losophico- religieuses qui ne brillent ni par la nouveauté, ni par la clarté. 
C'est un composé de mysticisme et de socialisme que nous avouons n'a- 
voir pas eu le courage de lire. Notre jugement ne porte donc pas sur la 
doctrine de l'auteur, car après avoir parcouru quelques pages, nous nous 
sommes reconnu incapable de comprendre en quoi consistent les préten- 



218 SCIBNCBd £T ARtS. 

tioDS de M. Ctaude-Ântoine-Victor Grbert. Il se borne à répéter des Item 
coDimuDS de morale» des passages empruntés à la Bible et traduits'dans 
\m langage plus ou moins amphigourique, des tirades contre la corrup-> 
tion de l'homme et les vices de la société, puis il nous raconte une exis- 
tence tout è fait vulgaire dont les détails n'offrent aucun intérêt. La 
seule idée qui perce au 'milieu de cette phra^otogie «soporifique «st celle 
d'une réforme sociale ; encore est-elle si vague et confuse qu'on >ne peul 
y découvrir les éléments d'un système quelconque. Mais M. Gibert pa- 
raît, en général, animé de seritimeots généreux et très*pacifiques. 11 n'a de 
colère que contre ceux qui s'aviseront de changer quelque chose ^'soa 
livre. Ceux-ci seront condamnés t la mort seconde pour un temps indé- 
fini. Avis aux critiques. S'ils ne veulent pas encourir œ châtiment terri- 
ble, qu'ils prennent garde à ce qu'ils diront du consolateur et de ses 
exhortations. Du reste, nous croyons que ce volumefera surtout concur^ 
rence aux tables tournantes, car c'est parmi leurs adeptes qu'il doit 
trouver des lecteurs. Ses allures, à la <fois onctueuses et triviales, ne 
peuvent convenir qu*-à des esprits déjà passablement embrouillés, qui (n'y 
voyent plus assez clair pour distinguer la. sanctification de laiprofanetion. 



«€li:]V€l!S WSV AMT». 

Des chemins de fer et de leur infkience sur la santé des mécaniciens et 
des chauffeurs, par E.-A. Duchesne. Paris, 1857; 1 vol. in-12. 

Les mécaniciens et les chauffeurs, obligés de se tenir sur la locomotive, 
sont exposés à la fois aux inconvénients de la chaleur excessive que pro- 
duit la machine et aux intempéries de l'air. Il en résulte des alternatives 
«ontintielles dont leur santé doit nécessairement se ressentir, et l'on com- 
prend liutilité de précautions hygiéniques .propres à les garantir d'tacci^ 
dents (qui pournaient être funestes. M. Duchesne-s'est idonc imposé la tâ- 
che d étudier avecisoÎD tous tes faits .qu!il a pu recueillir à ce sujet. Sur 
la recommandation du ministre des travaux publics et du préfet de ps^ 
lioe, les diverses compagnies de chemins de fer lui ontlMirm de noo»- 
breux renseignements. Il a parcouru maintes lignes, ^visité les ateliers, 
interregé une foule de mécaniciens et de chauffeurs; puis.ooorjdlongant 
toutes ces infornMtions, il en compose un 'petit traité fort intéressant, 
dans lequel on puisera beaucoup de données pratiiques. Le premier ré- 
sultat auquel arrive M. Duchesne, c'est que la profession des mécaniciaiis 



SGIfiNCEB ET A1IT6. 249 

et des chauffeurs n'est pas aussi ma^isaine qu'on se ritnagine en gén(<r»l. 
Elle fatigue, elle use les bommes plutôt par l'excès de travail qu'elle leur 
impose, que par des maladies proprement dites. Les mécaniciens, en par- 
ticulier, sont remarquables par leur aspect robuste aiirsi qfwe par i -em- 
bonpoint «ju'ils prennent tous plus ou moins dans les premières années 
de leur service, tl y a moins de m^alades parmi eux que d«ins la plupart 
des autres catégories d'employés. Des vêtements chauds, une bon^ne 
noumture et quelques mesures de prudence, leur permettent de oom* 
battre avec succès l'influence des changements rapides ou des contrastes 
de température auxquels ils se trouvent soumis. Le corps paraît s'y ha- 
bituer sans trop de peine, et n'en souffre pas d'uoe manière visible jus- 
qu'au moment où sa vigueur commence à décliner. Mais après douze^ou 
quinze ans, les ^ces diminuent, des douleurs rbumatismaies se décla- 
rent, souvent la vue et l'ouïe sont altérées ; le mécanicien n'est bientôt 
plus en état de continuer son service. Suivant M. ^Duchesne, cette déea- 
dence doit être attribuée à la station debout prolongée du mécaniden 
sur la machine et à la trépidation incessante des locomotives. Ce sont là 
les deux principales causes des maux qui Taiteignent, let malheureuse- 
ment ce sont aussi les plus difficiles à combattre. L'auteur inditfue bien 
quelques palliatifs dont les mécaniciens peuvent faire usage, mais il re^ 
garde l'actio*) indirecte de l'hygiène comme plus efficace encore. Son livre 
renfermée cet égard d excellents conseils, empreints d'une vive sollici- 
tude pour ceux auxquels ils s'adressent. On y trouve aussi le tableau des 
accidents de tous genres qui menacent la vie des mécaniciess et des 
chauffeurs. M. Duchesne insiste avec raison sur ta convenance d'amélio- 
rer autant goe possible le sort de ces employés, dont la profession exige 
sans cesse des actes de courage et de dévouement, il en cite plusieurs 
traits admirables, et n'omet rien de ce qui peut exciter la sympathie et 
l'intérêt du lecteur. 



Etud^ D17 CHEVAL DE SERVICE ET DE GUERRE, suivant Ics principes élé- 
mentaires des sciences naturelles, par A. Richard. Paris, 1857; 
i vol. 

Cet ouvrage renfern>e la description complète du squelette ei des dif- 
férentes parties du corps du cheval, ainsi que tous 1^ détails nécessaires 
d'anatomie, de physiologie et de pathologie. L'aurevr s'occupe aussi d'une 
manière très-spéciale des moyens d'améliorer les races, et les idées ^'ii 



220 8GIBNCB8 ET ARTS. 

émet à eet égard méritent, il nous semble, d'être étudiées avec soin. 
L'extrait suivant pourra faire apprécier ce que ses vues ont de neuf et 
d'original. 

« En ce qui concerne spécialement le cheval, nous disons que, pour la 
fabrication d'une bonne locomotive, trois points essentiels, rigoureuse- 
ment indispensables au succès, doivent attirer Tattention du fabricant. 
S'il n'en tient pas compte, il peut s'attendre à des déceptions inévitables. 
11 faut: i^ des ingénieurs capables de bien diriger les travaux; 2^ des ou- 
vriers habiles; 3** des matières premières d'un bon choix. Tout entrepre* 
neur qui prend un ingénieur et des ouvriers sans connaissances spé- 
ciales qu'ils ont dû acquérir dans les écoles préparatoires, sans l'esprit 
d'observation et le jugement que nécessite toute opération délicate, toute 
confection difficile, s'expose à des déceptions, sinon à une ruine assurée. 
Si le hasard le favorise une fois, il le compromettra mille. 

c Le fabricant, chargé d'une grande exploitation de mécaniques, devra 
donc avoir avant tout de bons ouvriers, choisir de bons ingénieurs sortis 
des écoles spéciales, pour diriger ses travaux. Ces employés devront sa- 
voir distinguer, par leur expérience ou les moyens que la science leur 
donne, les matières de première qualité, pour être moulées suivant les 
besoins. Ce fait est patent, nul ne le contestera. Si les matières premières 
étant de bon choix, les rouages, les leviers, les engrenages qu'elles ser- 
vent à confectionner sont mal conditionnés, mal ajustés, jamais la machine 
ne fonctionnera bien, jamais elle ne remplira convenablement le but ; son 
travail sera irrégulier, saccadé, sans harmonie \ son usure sera rapide. 
Si, au contraire, la fabrication est complète comme exécution , elle ne 
réunira les conditions exigées qu'autant que les matières employées se- 
ront de bonne qualité. Si elles sont de mauvaise nature, le but sera en- 
core manqué. 

« Maintenant, dans les deux cas que nous venons de citer, il y a la 
question de lame qui doit animer, mettre en mouvement tous ces roua- 
ges. Que ce soit un ressort tendu, la vapeur, le vent, Teau, la vie, ou 
telle puissance que Ton voudra, il faudra toujours qu'elle soit en harmonie 
avec les rouages, avec la résistance qui lui est opposée. Si elle est trop 
forte pour un appareil faible, l'usure est rapide, les rouages se bri- 
sent, etc. Si elle est trop faible pour un appareil puissant, l'action est 
lente, molle, insuffisante pour une bonne fin, dispendieuse par le peu 
de bénéfices qu'elle rend relativement aux dépenses exigées par son en- 
tretien. 



SCIBNCB8 BT ARTS. 221 

I Eh bien ! ce que nous disons ici d*un fabricant, des nsachines, des 
ingénieurs et des ouvriers chargés de les confectionner, est rigoureuse- 
ment applicable à l'élevage du cheval en particulier, et en général des 
animaux de travail qui servent de locomotives. 

• Le fabricant, ou plutôt l'autorité chargée de la direction générale de 
l'usine, c'est l'administration qui veille à la direction de l'enseignement 
dans les écoles spéciales; les ingénieurs sont les employés de l'Etat ; les 
éleveurs sont les ouvriers qui manipulent la matière. 

1 Les reproducteurs sont la matière première qui doit servir à la con- 
fection de la machine. La race, le sang doivent fournir Vâme, la vapeur, 
le ressort, qui doit l'animer, la mettre en mouvement. 

c Que deviendra maintenant l'animai de travail, le cheval locomotive, 
si la matière première employée pour les faire n'a pas été moulée suivant 
de bonnes lois de mécanique, si sa manipulation n'a pas été dirigée par 
des mécaniciens habiles, possédant les sciences indispensables qu'ils ont 
dû acquérir dans les écoles spéciales où ils ont été élevés ? Ils feront 
comme la locomotive inanimée qui n'est pas dans de bonnes conditions, 
ils fonctionneront mal. Le cheval, par exemple, pourra marcher très-vite 
pendant quelque temps si l'âme, la vapeur, a beaucoup de puissance; 
mais il s'usera d'autant plus rapidement que son organisme n aura pas la 
force d'y résister, il lui faut donc bonne confection mécanique et bonne 
puissance d'impulsion. 

t Si, au contraire, la matière, pétrie conformément à de bonnes règles 
de mécanique, n'est pas de bonne qualité; si le ressort est faible la loco- 
motive-animal marchera mollement et fonctionnera sans profit. 11 en est 
de même des autres animaux employés aux travaux de l'agriculture ou de 
l'industrie, c Un cheval est doué d'une belle conformation, tant mieux 1 
■ disent les Arabes. Ne l'achète cependant jamais sans t'assurer que son 
c moral répond à son physique. Prends garde de trouver une peau de lion 
c sur le dos d'une vache.» 

c Toute l'histoire des animaux de sang et de ceux qui en manquent 
est là, elle n'est pas ailleurs ; les principes de l'amélioration de nos races 
n'ont et ne peuvent avoir d'autre point de départ. Ce serait nier les faits 
accomplis, comme la raison qui les appuie, que de ne pas le reconnaître. 
Nous soutenons que les causes de l'erreur dont nous avons parlé plus 
haut sont dans le défaut d'appréciation des conditions de structure dans 
lesquelles se trouvent les animaux de sang de toute origine, et ceux qui 
sont sans âme, sans ressort. Des chevaux de pur sang, par exemple, ne 



MWICGB8 BTAni». 

sBiont jae»ftis des aniéliopateur9,.quel que soil d'ailleurs le méritcde leurs 
tUnea d» w)Ué$»ê, de leur ma4ière première et de ieurs< ptrformenceê, 
sHla sont dans de mauvaise» conditions de dispositions mécaniques, si 
leurs rouages ont été confectionnés par de nuiuvais ouvriers, dipigés pu* 
des ingénieurs qui ne connaissent pas* leur métier. Le cheval de Ib plus 
belle conformation imaginable ne sera jamais qu'un sujet sans valeur si la 
matière employée à le confectionner par les artistes les plus habiles a élé 
de mauvais choix, si Tâme, la vapeur sont insuffisantes. 

• Lat première comme la seconde de ces deux locomoiiveschevaux ne 
pourront jamais servir avec avantage comme repooducteurs;, et ce sont les 
déceptions, conséquences de leur emploi, qui ont produit l'anarchie dans 
laquelle nous vivons aujourd'hui en France en fait de types améliorateurs 
à adopter. C'est là la source de toutes les accusations, de toutes les récri- 
minalionSi, reproduites tous les jours par la presse, et renouvelées si souh 
vent dans lessociétés savantes, en matière d'améliorations des races et 
d^impoirtation d'individus types. 

c Pour le naluialiste qui a creusé la question à fond, pour celui qui a 
étudié, observé les faits, d'accord avec la science qu'il a cultivée, il n'est 
point de contestation possible. Le principe de l'amélioration des races 
chevalines, comme des autres espèces, est clair comme la lumière du so- 
leik 11 réside dans le sang, qui donne l'âme, la force d'impulsion, et dans 
les bonnes conditions de confection de la locomotive qui la reçoit; le dé- 
faut de l'un ou de Taufre de ces deux éléments indispensables. est contraire 
à tout progrès, toute amélioration devient alors impossible. 

c Quant au choix des ingénieurs et des ouvriers, nous croyons qu'il ne 
nous appartient pas. d^'en juger les capacités. C'est une question délicate, 
dont la solution appartient intégralement à Topinion pubhque, qui observe 
les actes, les faits accomplis et leurs conséquences, et à ceux à qui l'Etat 
a confié la direction supérieure de la vaste usine dans laquelle nous tra- 
vaillons comme simple ouvrier > 



Art de respirer , moyen positif pour augmenter agréablement la vie, 
par Lulierbach. Paris, Lacroix-Comon, 1837: in-12 : i fr. 

M Lutterbach continue avec persévérance ses études hygiéniques, il a 
l'esprit observateur,, et l'usage qu'il en fait indique un désir sincère de 
se rendre utile à ses semblables. \JAri d$ reipirer a bour but, comme 



SClflfCftg BJ AAXS. 223 

ia BévoluUon.dann la. marche et les Moyens iiatureU. d'enirei^ir la 
cAoZtfz/r, de. populariser certains moyens faciles qui, suivant lui, peuvept 
influer d'une manière avantageuse sur la santé du corps. En général, 
ces moyens sembieiU assez puérils , et l'efficacité qu'il leur attribue fera 
sourire bien, des lecteurs. Cependant on aurait tort de les rejeter sans 
exaiQ«n; plusieurs d'entre eux méritent réellement d'être mis en prati- 
que, car si leurs résultats ne sont pas aussi merveilleux que le prétend 
l'auteur, du moins produisenl-ils des effets salutaires dont chacun peut 
aisément tenter l'épreuve. C'est une espèce de gymnastique appliquée à 
l'exercice des fonctions les plus nécessaires pour l'entretien de la vie. 
SojD but est de faciliter le jeu des organes en profitant de toutes les res- 
sources dont la nature les a pourvus. Ainsi M. Lutterbach veut faire de 
l'acte, jusqu'ici tout machinal, de la respiration, un art soumis à des 
principes et susceptible de perfi^ctionnement. Ce serait une découverte 
précieuse,, mais nous croyons qu'il s'exagère beaucoup le pouvoir de 
l'homme sur les phénomènes qui s'accomplissent dans son corps. Il est 
trop enthousiaste, et Texaltalion avec laquelle il vante les vertus de sa 
méthode inspirera plutôt de la défiance. Peu de gens d'ailleurs auront, la 
patience de s'astreindre aux minutieuses précautions qu'elle exige. On ne 
comprendra guère le plaisir que M. Lutterbach trouve dans ces innom- 
brables petites manœuvres dont il remplit sa vie. Il est vrai que les illu- 
sions contribuent fortement au bonheur de ceux qui s'y livrent, et 
M. Lutterbach paritît être à cet égard très-richement doué. Pour en don- 
ner une idée à nos lecteurs, nous citerons la confidence qui termine son 
livre : c Ce que je vais dire semble tellement une illusion, que j'en de- 
mande pardon à l'avance Cependant, je puis en constater le fait 

Non, ce n'est pas une illusion Ce fait, le voici : un chapeau, dont 

j'avais fait usage pendant quelque temps, et que j'avais mis de côté de- 
puis un mois, ce chapeau, dis-je, quim'allait bien, se trouve maintenant 
trop étroit ; ordinairement, après un certain temps, c'était le contraire. 
Celui-ci n'ayant pas subi d'autre influence que les premiers, assurément 

il n'a pu se rétrécir Serait-ce que le cuir chevelu et les cheveux se 

seraient épaissis par l'effet du bain^d' haleine et des autres exercices qui 
profitent à ia tète? Cela est plus que probable; mais l'illusion peut-être 
est dans la pensée que, à force de pousser à la tête, et la force «vitale et 
les fluides régénérateurs, d'être arrivé à ce que le cerveau prenne du 
développement, et que sa botte osseuse finisse par gagner quelque peu 
de ce même développement. 



224 SCIENCES BT ARTS. 

« S'il y a illusion... qu'on ne cherche pas à m'en détourner... Il est 
trop beau de penser que Thomme pourrait arriver, par la puissance des 

mouvements respiratoires, à augmenter le cerveau et il est reconnu 

que sa grosseur est un indice de la puissance des idées ! 

« Â l'ouverture du crâne du docteur Gall, on a pu, en quelque sorte, 
mesurer l'étendue de son intelligence d'après le volume de la substance 
cervicale. 

• Eh ! pourquoi, après être arrivé à donner plus de puissance à la 
respiration ainsi qu'à la vue, n'arriverions-nous pas à en faire autant pour 
les facultés intellectuelles? 

c L'espérance de cette réalisation semble être autorisée par la mé- 
moire, qui paraît me faire moins défaut depuis la pratique de mes exer- 
cices physiologiques. 

• Ce qu'il y a de certain, c'est que le corps a repris généralement un 
degré de force; que ma mauvaise vue n'a plus besoin de lunettes; la 
circulation du sang n'est plus gênée; les maux d'estomac, presque con- 
tinuels, ont disparu, et enfin le mal de tête ne me donne plus l'occasion 
d'en perfectionner le soulagement. 

« Quoiqu'il en soit, dussé-je garder le chapeau en question pendant dix 
ans, je veux le conserver comme souvenir d'un fait inattendu, et aussi pour 
être mieux convaincu, parle temps, des effets à obtenir de la médecine 
mécanique, spontanée, i 

On voit que M Lutterbach ne manque point d'originalité. Son système 
présente des détails très-amusants, et s'il ne guérit pas de tous maux, 
du moins fournira-t-il un remède assez efficace contre les atteintes de 
la mélancolie. 



REYIIE CRITIQUE 

DES , 

LIVRES NOUVEAUX, 



lilTTfiRATURE. 

Œuvres de Vauvbnargues, édition nouvelle, précédée de l'éloge de 
Vauvenargues, couronné par l'Académie française, et accompagnée 
de notes et de commentaires, par D.-L. Gilbert. Paris, 1857 ; 2 vol. 
in-8 : 12 fr. 

Vauvenargues figure au premier rang parmi les moralistes du dix- 
huitième siècle. Il leur est en général supérieur, soit par la portée de ses 
vues, soit par le mérite de son style. Quoique noort jeune, il a laissé des 
écrits qui décèlent un esprit d'observation très*remarquable. C'est un 
penseur plus sérieux que la plupart des philosophes de son temps. Chez 
lui l'indépendance ne se traduit pas en audacieuse témérité. S'il n'a pas 
des convictions bien positives, ses tendances paraissent plutôt spiritua- 
listes, et jamais il ne parle de la religion qu'en termes pleins de respect. 
La gravité de son langage imposait même à Voltaire, qui lui témoigna 
souvent une estime toute particulière, malgré la différence d'âge et d'opi- 
nions qui existait entre eux. Vauvenargues dut cet avantage en partie à 
ce qu'il ne s'était fait écrivain qu'après avoir acquis dans la carrière des 
armes une certaine expérience des hommes et des choses. La gloire mi* 
litaire avait été le premier objet de son ambition ; puis, forcé d'y renon- 
cer par une terrible maladie qui le laissa presque aveugle, il aspira 
quelque temps à se lancer dans les affaires publiques. Ce ne fut donc 
qu'en désespoir de cause qu'il recourut aux lettres pour satisfaire son désir, 
de renommée et d'influence, c La fortune exige des soins, dit*il ; il faut 
être souple, cabaler, n'offenser personne, cacher son secret, et même 
après cela on n'est sûr de rien. Sans aucun de ces artifices, un ouvrage 
fait de génie remporte de lui-même les^ suffrages, et fait embrasser un 
métier où Ton peut aller à la gloire par le seul mérite* » Mais sa santé, 
ruinée par les fatigues de la guerre, ne lui permit pas de recueillir le fi*uit 

15 



226 LITTiSlUTUIlB. 

de ses travaux. Quand il mourut, son talent n*était encore apprécié que 
d'un petit nombre d'esprits d'élite. Depuis lors, cette élite s'est constam- 
ment accrue, quoique les essais et les fragments dont se compose le ba- 
gage littéraire de Vauvenargues ne puissent pas prétendre au succès po- 
pulaire. Ce sont des études ingénieuses qui portent le cachet d*un coeur 
honnête, dune âme généreuse, mais qui brillent surtout par les qualités 
du style, et dans lesquelles régnent toujours le calme et la modération. 
Aussi Vauvenargues est-il l'un des écrivains du siècle dernier qui ont été 
réimprimés le moins souvent. L'édition que nous annonçons ici n'est guère 
que la quatrième, et se compose pour un bon tiers de pièces restées jus- 
qu'à présent inédites. Aux notes de Voltaire, de Fortin, de Laharpe, it 
Suard, de Morellet, de Brière, M. Gilbert a joint les siennes et son éloge 
de Vauvenargues, couronné par l'Académie française. Nous empruntons 
à ce remarquable travail l'appréciation suivante, qui nous paraît pleine de 
tact et de finesse : 

■ Original, mais inachevé comme critique, inachevé aussi comme écri- 
vain, Vauvenargues n'est vraiment supérieur que comme moraliste. Je dis 
ifloralijite, et non philosophe, car son Introduction à la connaissance de 
l'esprit humain ne se recommande elle-même que par la partie morale. 
Voltaire en admirait avec raison quelques pages, et le chapitre du bien 
€tdu mal moral lui paraissait un des plus beaux morceaux philoso- 
phiques de notre langue; mais, il faut l'avouer, la métaphysique de ce 
livre est faible, et se réduit è une nomenclature, sèche et incomplète d'ail* 
leurs, de Târoe humaine, où le manque de connaissances précises et sûres 
est trop visible. C'est aussi le défaut de son traité sur le libre arbitre, 
où l'on est étonné de voir Vauvenargues, l'apôtre de l'action, contester à 
son tour la volonté humaine, déjà négligée au dix-septième siècle par 
Descartes, on sacrifiée à Tenvi par Port-Royal, Mallebranche et Spinoza. 
Sans doute, dans ces divers ouvrages, son heureux in^inet \m fait ren- 
contrer de précieuses vérités de détail ; mais sa jeunesse, son inexpé- 
rience et son dédain pour la science acquise ne lui ont pas permis d'aller 
bien avant dans un ordre d'idées tout théorique, où il feut savoir beau- 
coup pour découvrir un peu. Si Vauvenargues est un moraliste de pre- 
mier ordre, c'est que la morale, scimice avaat tout pratique, se passe 
plus aisément de savoir ou d'études profondes ; une certaine pénétration 
desprit, un sens droit, un regard clair peuvent y suffire. Quand le mo* 
raliste a pris une vue sommaire du monde, il sait à peu près tout ce qu'il 
faut savoir ; il peut, dès lors, se replier sur lui-même, ne plus étudier 



que lui-même, parce que la nature humaine, sauf quelques variétés tout 
extérieures, est, au fond, simple et une, à ce point qu'elle se trouve à 
peu près entière dans un esprit bien fait et dans une ime bien douée. Là 
solitude même est favorable, est nécessaire au moraliste; sans doute» 
pour connaître les hommes, il faut les avoir pratiqués ; mais, pour en 
bien juger, il faut se mettre à distance. J.-J. Rousseau raconte qu'il ne 
pouvait peindre les objets en face, et sous le coup de l'impression qu'il 
en recevait ; il ne les démêlait bien, et il ne les rendait fidèlement que 
de souvenir. En ef^et, un objet trop prochain gêne le regard, et à Tob* 
eervateur comme au peintre il faut une certaine profondeur de perspec- 
tive. Et puis, quand on le voit de trop près, le monde offusque ou irrite; 
de loin, il n'excite plus que compassion et indulgence. Pourquoi Saint-- 
Simon et la Rochefoucauld sont-ils si durs, si impitoyables pour l'homme? 
C'est qu'ils le pratiquent encore au moment où ils le jugent, c'est qu'ils 
écrivent sur le champ de bataille même, alors que leurs blessures sont 
toutes vives encore et toutes saignantes. Dans la retraite» le sentiment s'é- 
pure en se désintéressant du mouvement de ce monde ; la raison se rassied, 
et l'œil, plus calme, voit les choses à leur point. C'est dans ces favorables 
conditions que se trouvait Vauvenargues \ il a vécu avec les hommes, mais 
il les juge dans la solitude, cette solitude c qui est, dit-il, à l'âme ce que la 
diète est au corps, i Ce n'est pas qu'il soit dégoûté de la société, ou qu'il 
la dédaigne, car il aime la gloire, et c'est la société qui la décerne; il a 
trop besoin de l'approbation des hommes pour rompre avec eux, ou pour 
en parler avec amertume. D'ailleurs, pourquoi serait-il amer? Sans doute 
il a souffert dans la vie, mais, du moins, il n'a pas souffert par sa faute. 
Tel moraliste n'est si mécontent des autres que parce qu'il est mécontent 
de lui-même. Vauvenargues n'a rien à regretter et ne regrette rien de 
ce qu'il a fait ou de ce qu'il a voulu faire. Nous touchons ici à ce qu'il y a 
de plus grand dans ce grand caractère, la sérénité dans la douleur : il est 
jeune, et la jeunesse, on l'a remarqué, n'est pas l'âge de l'indulgence ; il 
semble qu'un destin jaloux ait pris à tâche de détruire à mesure toutes 
ses espérances, et son ardeur et son infatigable persévérance n'ont pu le 
faire sortir de cette obscurité qui lui pèse ; quel beau texte contre le néant 
de la vie, contre l'injustice des hommes ou du sort ! Certes, on déclame- 
rait à moins ; un infortuné de notre siècle n'y eût pas manqué, et j'entends 
d'ici les sombres plaintes des fils de Werther ou de René. Ajoutez à cela 
qu'il souffre, non de cette souffrance indéterminée et intermittente dont 
on met, comme tel moraliste de nos jours, cinquante ans à mourir, mais 



829 Un^RATUES. 

• 

de ces douleurs trop cruellement précises, et toujours présentes, qui ne 
laissent ni répit, ni trêve, et qui conduisent, en deux ou trois ans, à. la 
mort. Parfois, la philosophie des valétudinaires est assortie à leur tempé- 
rament : ils prêchent, comme philosophes, le repos dont ils ont besoin 
comme malades, et, par exemple, je soupçonne fort un ingénieux mora^ 
liste de notre siècle, l'aimable H. Joubert, de ne goûter si peu la liberté 
que parce qu'elle vit de mouvement, parce qu'elle fait du bruit, parcequ*elle 
dérange. Dans Vauvenargues, au contraire, ou du moins dans sa morale, 
on n'aperçoit pas Thommequi souffre, et, comme le jeune Spartiate, rien 
ne trahit sur son visage le mal qui lui dévore les entrailles. Parce qu'il lui 
faut renoncer à l'action, il ne veut pas pour cela qu on y renonce» et il n'y 
a pas de moraliste qui encourage autant à vivre. ■ 



Les MÉTAMOi^HOSBS DE LA FEMME, par X.-B. Saintinc. Paris, 1857; 
1 vol. in-12 : 1 fr. — Les degrés de l'échelle, par M"^ la com- 
tesse Dash. Paris, 1857 ; i vol. in-12 : 1 fr. 

La nature de la femme est plus susceptible que celle de l'homme d'é« 
prouver des modilications profondes sous l'empire du milieu qui l'entoure. 
C'est ce que M. Saintine appelle ses métamorphoses. En effet, le change- 
ment est quelquefois assez complet pour mériter ce nom. Les caprices de 
la fortune trouvent presque toujours la femme prête à les accepter quels 
qu'ils soient. Résignée dans le malheur, elle ne paraît peint surprise par 
la prospérité, mais se plie promptement aux exigences de sa condition 
nouvelle. La petite bourgeoise passe facilement à l'état de grande dame, 
tandis que son mari conservera jusqu'à la fin les allures d'un parvenu. 
Cette observation, sur laquelle H. Saintine a fondé son livre, est très- 
juste assurément, mais il en tire, selon nous, des conséquences un peu 
forcées, qui tendraient à faire ex'^user soit les manèges de la coquetterie^ 
soit les roueries de l'intrigue. Dans quelques-unsdesexemples qu'il donne, 
la métamorphose n'est qu'un calcul, ou bien n'a lieu que dans l'imagina- 
tion de ceux aux dépens desquels elle s'opère. Une jeune fille semble re- 
cevoir avec plaisir les attentions d'un jeune homme, puis en épouse un 
autre, et quand le premier amoureux la revoit heureuse et calme, au mi- 
lieu de ses occupations domestiques, il ne retrouve plus en elle Tidéal qu'a- 
vait rêvé son cœur. Une belle comtesse, passablement aventureuse, devient 
éprise d'un pauvre artiste, se travestit en grisette pour lui plaire, et ne 



LITT^RATURB. 229 

recule pas (levant les suites d'une mésalliance. La fille d*un Circassien, 
vendue par ses parents, est introduite dans le sérail d'un pacha, le sub* 
jugne adroitement, s'érige en sultane impérieuse, et quand le turc féroce 
et jaloux prétend la traiter en esclave, elle le tue pour s'enfuir avec un 
sous-secrétaire d'ambassade, qui l'emmène à Paris, où la misère la réduit > 
à figurer dans les ballets de l'Opéra, tandis que son mari se fait garçon 
limonadier. Voilà bien des métamorphoses, sans doute, mais qui ne ré- 
pondent guère à ce que semblait promettre la préface de H. Saintine. On 
n'y trouve pas de ces vicissitudes subites dans lesquelles la femme peut mon- 
trer son nobie caractère, et l'auteur s'écarte singulièrement du but qu'il 
annonce en tête de ce volume. Malgré cela, nous croyons que ses historiettes 
seront bien accueillies. Elles ne manquent ni d'esprit, ni de gaîté, ni 
même d'intérêt. Les détails en sont jolis, la trame ingénieuse et le style 
fort agréable. C'est tout ce qu'il faut pour satisfaire la plupart des lec- 
teurs. 

M"** Dash remplit mieux les conditions du roman, et développe d'une 
manière beaucoup plus sérieuse la ilonnée qu'elle a choisie. C'est la chute 
d'une femme, vieille histoire, déjà souvent racontée, mais dont la morale 
est toujours bonne à rappeler. Les degrés de l'échelle sont les fautes suc- 
cessives qu'entraîne presque inévitablement un premier oubli du- devoir 
conjugal. Odile de Honeabrié avoue franchement ses torts, et sa confes- 
fiion nous montre par quelle pente fatale la femme incomprise descend 
jusqu'à la corruption du cœur. Ce sont d'abord les déceptions d'une tête 
exaltée, qui ne trouve pas chez son mari l'amour tel qu'elle l'avait rêvé. 
Bientôt elle se persuade qu'elle est1rès-malheureu3e, et le premier séduc- 
teur qui se présente n'a pas beaucoup de peine à triompher. Puis une fois 
l'habitude prise de donner libre essor à ses passions, il est tout simple que 
les scrupules vont s'effaçant de plus en plus. La jeune femme poursuit son 
idéal d'amant en amant, et si parfois l'aiguillon du remords vient la ré- 
veiller, elle cherche à s'étourdir en se plongeant toujours davantage dans 
les intrigues galantes. C'est un enivrement qui ne cesse que pour faire 
place au vide du cœur, au mépris de soi-même, à l'atonie du désespoir, 
quand arrive l'âge où les charmes extérieurs perdent leur pouvoir ma- 
gique. Alors commence l'expiation, d'autant plus pénible qu'il est trop 
lard pour reformer ces liens qu'on a pris plaisir à rompre l'un après 
l'autre, et sans lesquels, pour la femme surtout, l'existence n'est qu'une 
lente agonie. 

M"* Dash nous fait bien vom l'abîme au bas de l'échelle, et l'enseigne^ 



230 UniRATVRB. 

ment qae renferme son livre est d'autant meilleur qu'elle a su le dépouil- 
ler de tous ces accessoires plus ou moins dangereux, dont la plupart des 
romanciers abusent d'ordinaire. L'intention morale est bien soutenue 
jusque dans les moindres détails, mais nous ne pouvons en dire autant 
du caractère des personnages. L'auteur a fait de H. de Moncabrié un 
mari par trop débonnaire, qui ferme les yeux pour ne rien voir, et se 
prête complaisamment aux désordres de sa femme; aussi n*excite^t-il 
aucun intérêt. On ne comprend pas non plus l'affection profonde que 
M"'* Odile éprouve tout à coup pour lui lorsqu'il s'en va mourir. C'est 
un peu tard pour faire étalage d'amour conjugal, et d'ailleurs elle n'en 
continue pas moins son môme train de vie. 



PoÉsiKS NODTELLES, par Thalôs Bernard. Paris, Rigaud, 1857; 1 vol. 
^n-12 : 3 fr. 50. — Miettes d'amour, par Feraand Belligera. Paris, 
1857 ; 1 vol. in-i8 : 1 fr. 

Est-il possible de faire du nouveau en poésie? Le vers français ren«- 
ferme-t-il quelque filon qui n'ait pas encore été découvert jusqu'ici? Cela 
paraît douteux, et les expériences tentées depuis le commencement de 
notre siècle ne sont pas de nature à donner beaucoup d'espoir. Elles ont 
obtenu parfois un succès assez bruyant, mais éphémère et sans portée 
vraiment féconde. La curiosité publique une fois satisfaite, à peine se 
souvenait-on des débats soulevés par l'audace des novateurs. f«e résultat 
ne décourage point M. Thaïes Bernard, qui vient essayer à son tour d'im- 
primer à la poésie française le cachet populaire. L'idée est excellente el 
l'exécution mérite des éloges. Mais ce que l'auteur appelle nouveau nous 
semble, au contraire, un retour vers les anciens préceptes; seulement il 
leur donne un essor plus large en les débarrassant des entraves imposées 
par certains préjugés qui n'existent plus. Son style se recommande en 
général par la clarté ; les vers sont faciles et ne manquent pas d'harmonie.^ 
Cependant, quoique ce recueil renferme sans doute de jolies pièces, nous 
le croyons peu propre à remplir le but que s'est |m)po8é l'auteur. On n'y 
trouve pas l'originalité qui serait nécessaire pour produire l'effet voulu* 
Le genre de succès auquel aspire M. Bernard exige plus de vigueur el 
de mouvement dans l'imagination. 11 faut captiver fortement les lecteurs 
afin de vaincre la répugnance qu'ont beaucoup d'entre eux pour la forme 
poétique. On ne peut y réussir qu'en excitant un vif intMt^ et cette ddn- 



LlTTiRATVRB. 231 

dition essentielle noas semble trop souvent absente dans les poésies de 
M. Bernard. Tantôt il traite dea sujets déjà bien usés, des sentiments et 
des idées qui sont en quelque sorte la ressource banale de tous les poëtes^ 
UnitÀ il traduit des légendes étrangères ; il évoque des souvenirs et des 
noms inconnus au public français. Ce n'est pas précisément le moyen 
d'obtenir la popularité. Du reste, il reconnaît lui-même les difficultés de 
son entreprise, et déclare dans sa préface que, pour élever à la poésie 
populaire un monument digne d'elle, on doit joindre ta plus solide instruc- 
tion à la plus exquise sensibilité. Toute son ambition se borne à pré-> 
tendre indiquer une voie nouvelle en exprimant convenablement des émo^ 
tiens sincères. 

H. Belligera suit une autre route. Il s'inquiète peu des convenances. 
Ses vers ne biilleot ni par la pureté ni par la délicatesse des sentiments. 
La plupart même sont d'un genre assez licencieux. Il y a de l'esprit, 
mais le style n'est pas plus châtié que la pensée. C'est de la vraie poésie 
de Bohême, dont les allures sont du reste franches et naturelles. -Ceux 
qui ne craignent pas le laisser-aller un peu trivial trouveront dans les 
MieUes damour de quoi les satisfaire. Mais ce goût-là n'est pas le nôtre, 
et les amourettes de H. Belligera, malgré le luxe typographique dont elles 
sont revêtues, n'ont pour nous aucun attrait. 



La Normandie inconnue, par François- Victor Hugo. Paris, 1857 ; 

1 vol. in-8* : 3 fr. 50. 

Ce livre offre un curieux exemple des ressemblances de famille, qui se 
retrouvent dans le style aussi bien que dans la figure. M. François-Victor 
Hugo tient beaucoup de son père. C'est la même allure majestueuse, le 
même penchant à poser sans cesse, et quoiqu'il traite en prose un sujet 
historique assez aride, les images se pressent en foule sous sa plume 
comme sons celle du poète. Il affectionne aussi les contrastes, les nomenr 
clatures, la couleur locale* dans ses tableaux, la partie matérielle de la 
mise en scène est traitée avec un soin minutieux. Mais ce qui nous frappe 
surtout, dès les premières pages du récit, c'est l'importance que l'auteur 
deone à sa propre personnalité, autre trait de ressemblance non moins 
remarquable. U débute par raconter le départ de sa fomille pour Guer^ 
neeey, et n'omet aucun des pins petits détails de la traversée, qu'il prêt 
sente comme un noble sacrifice à l'idée du devoir. Le ton solennel de 



232 LITTERATURE. 

cette espèce d'avant-propos nous semble indiquer une ttte exaltée par les 
illusions démocratiques. On n'en sera pas surpris. Le jeune bomme in- 
expérimenté subit l'influence du milieu dans lequel il a vécu jusqu'à pré- 
sent, et son ardeur généreuse ne rdve qu'héroïsme et dévouement. Aussi 
doit-on s'attendre à trouver dans son livre plus de poésie que de sens 
pratique ou de connaissances positives. 

Sous le titre de la Normandie inconnue^ M. François-Victor Hugo 
retrace Thistoire de Jersey, dans laquelle il prétend nous faire voir l'essor, 
de la démocratie et les bienfaits qui en découlent. C'est une idée assez 
étrange, car Jersey, comme l'Angleterre dont il dépend, offre plutôt les 
avantages du système aristocratique sagement appliqué. Mais Tauteur, 
nourri des principes de l'école républicaine actuelle, semble croire que la 
liberté ne peut s'établir autrement que par le triomphe de la souverai- 
neté populaire. Cette préoccupation domine toutes ses recherches ; s'attà- 
chant de préférence aux faits qui lui permettent de développer sa théorie^ 
^ en exagère quelquefois beaucoup la portée et leur imprime un cachet 
très-différent de celui qu'ils durent avoir. Cela ressort d'autant mieux 
qu'en même temps M. Hugo n'épargne ni les pièces justificatives ni les 
détails de mœurs propres à caractériser Tépoque. Il a d'ailleurs le talent 
de la mise en scène, et plusieurs de ses chapitres seront lus avec un vif 
intérêt. Malheureusement, le désir d'émettre des vues de haute politique 
l'entraîne trop souvent à des digressions déclamatoires. Les moindres 
événements lui servent de prétexte pour se lancer dans des considéra- 
tions générales tout à fait étrangères à l'hisloire de Jersey. Une pareille 
tendance peut sans doute produire d'ingénieux rapprochements, mais elle 
est aussi sujette à se laisser fourvoyer par l'esprit de parti. M, Hugo 
nous en fournit la preuve, quand il dit qu'au 10 août 1792 les Tuileries 
prisea, « c'est la justice détrônant le bon plaisir royaK c'est la société 
libre et fraternelle se substituant à la société des castes, c'est la famille 
humaine constituée, c'est la démocratie que nos glorieuses communes 
avaient rêvées, triomphant aujourd'hui à Paris, mais demain à Jemmapes, 
à Bruxelles» à Aix-la-Chapelle, à Mayenee, à Fleurus, à Arcole, à Zuri^, 
en Vendée, en Italie, en Allemagne, par toute l'Europe» c'est le émi 
conquérant le monde ! >» 

Le droit du plus fort, sans doute» car mm ne comprenons pais com- 
ment, pour n'en citer qu'une, la bataille de Zurich représente le triomphe 
•de la démocratie. Evidemment on n'est plus d'accord sur le sens des 
mots, et l'auteur aurait dû joindre \ son livre la définition exacte de ce 



LlTTliRATtlRB. 233 

qu'il entend par liberté, par justice et par démocratie. Après les expé- 
riences si nombreuses que nous a fournies le dernier demi-siècle, il n'est 
plus permis de s*en tenir à ces vagues formules qui risquent fort de n'a-^ 
boutir en dé6nitive qu'aux désastreuses tentatives du socialisme. 

Du reste, la constitution sous l'empire de laquelle M. Hugo nous montre 
Jersey libre et prospère, n'offre rien qui justifie des écarts semblables. 
Elle se distingue plutôt par de sages garanties aussi bien contre les abus 
du pouvoir populaire que contre ceux du pouvoir royal. 



Aux GRANDS ÉCRIVAINS DBS TEMPS MODERNES ; URO feuille in plano. 

Dans ce tableau, la colonnade du Panthéon romain sert d'encadrement 
à l'étude comparative des littératures de l'Italie, de TEspagne, de la 
France, de l'Angleterre, de l'Allemagne et des pays slaves. L'histoire 
littéraire de ces divers peuples se trouve résumée, par ordre chronolo- 
gique, à partir du treizième siècle jusqu'au dix-huitième, et l'ingénieuse 
disposition du texte permet d'embrasser d'un coup d'œil l'ensemble de 
chaque époque avec les principaux écrivains qu'elle a produits. Les no-^ 
tices sont nécessairement fort courtes, mais précises et suffisantes pour 
rappeler à la mémoire le mérite de leurs œuvres et l'influence qu'ils ont 
exercées, but que l'auteur, M. Pescantini, s'est proposé d'atteindre. La 
marche générale du développement intellectuel s'offre ainsi d'une ma- 
nière facile à saisir ; on peut suivre parallèlement les six grandes littcra* 
tures européennes dans leurs différentes phases, et se rendre bien compte 
du rôle qu'ettes jouèrent tour à tour dans l'histoire de l'esprit humain. 
L'utilité d'un Semblable travail n'est pas douteuse, soit pour l'enseigne- 
ment, soit pour suppléer à des recherches que les personnes, même les 
plus instruites, sont appelées parfois à faire. Le Panthéon trouvera sa 
place dans les écoles, dans les pensionnats et dans le cabinet de l'homme 
de lettres. C^est d'ailleurs un monument élevé aux gloires nationales les 
plus pures, les plus fécondes, les plus dignes d'être admirées. Nous es- 
pérons qu'un prompt succès récompensera l'auteur et lui fournira bientôt 
l'occasion de perfectionner encore son œuvre en faisant disparaître quel- 
ques petites erreurs de détail dont une seule mérite d'être relevée. 
Trompé, sans doute, par un vers de Boileau, il indique Villon comme 
s'étant distingué dans le roman^ Or VUlon n'a fait que des poésies qui, 
loin d'être romanesques» expriment ordinairement la réalité la plus tri- 



934 VOIAGBS BT HISTOIRE. 

vûde. GeUe inadverUnce doit» du reste» être attribuée» non pas à M. Pes^ 
caotini, mais à celui de ses collaborateurs qu'il avait chargé de la lUtéra* 
ture firaoçaise. 



VOYAGES ET HISTOIRE. 

Gartk de la terre sainte, par C.-W.-M. Van de Yelde, lieutenant do 
la oiarine néerlandaise, chevalier de la L^ion d'honneur» dressée et 
dessinée d'après les plans levés par lui-môme pendant les années 1851 
et 1852, et d'après ceux exécutés en 1841, par les majors Robe et 
Rochfort Scott» par le lieutenant J.-F.-Â. Symonds et par d'autres 
officiers du corps royal de la Grande-Bretagne, ainsi que d'après les 
découvertes de Lynch» Robinson, Wilson, Burckhardt, Seetzen, etc. 

En attendant de pouvoir rendre compte de cet important travail, aous 
doAûoos ici l'extrait du prospectus publié par les éditeurs. 

« Ainsi qu'il le raconte dans la description de son voyage, le lieutenaot 
Van de Velde entreprit de parcourir la terre sainte dans le dessein d'ea 
dresser une carte aussi exacte que pouvaient le permettre les moyens 
d'un particulier, ainsi que l'état présent de la contrée et de ses habitants. 

« Toutefois , l'exécution d'une pareille carte exigeant beaucoup de 
temps» l'auteur jugea à propos de publier d'abord les résultats et les cir* 
constances de son voyage» avec les découvertes concernant les points les 
plus remarquables, et de ne toucher que légèrement, ou même de passer 
entièrement sous silence les détails géographiques et topographiques, et 
quant aux lieux connus, de n'en faire mention qu'autant qu'un simple 
rapport peut l'exiger. Hais il annonçait en môme temps le dessein de dé- 
poser toutes ses recherches géographiques dans un mémoire particulier 
qui devait accompagner la carte. 

« Maintenaot, les travaux géographiques du lieutenant Van de Velde 
sur la Palestine sont terminés, et sa carte se trouve entre les mains da 
graveur. L'auteur ose espérer que, malgré l'étendue de son œuvre» pour 
laquelle un capital considérable est naturellement nécessaire» l'intérêt 
public ne lui fera point défaut. 11 est convaincu que tous ceux qui s'oo- 
cupeot d'interpréter l'Ecnture sainte, savent par expérience combien la 
connaissance de la géographie de la Palestine leur est indispensable. De 
mdme il croit superflu d'attirer sur son travail Tattentiondefi amis d'b^ 
raël, ÛDsi que cdie du peuple juif lui-même » car l'état déplorable dans 



voTacBi n flisToiAi. 235 

lequel se troove aetaellement la terre sainte, doit faire espérer des jours 
meilleurs pour ce pays, « alors que les villes eu ruine seront renouvelées, 
que les collines et les vallées refleuriront et produiront des fruits comme 
autrefois, que le Seigneur favorisera Israël et qu'il le multipliera plus 
qu'auparavant. > 

■ Tous ceux qui ont pris la terre sainte pour objet spécial de leurs 
études, ont reconnu depuis longtemps qu'une carte exacte de ce pays 
manquait jusqu'à présenta En effet, quelque intéressants que soient d'ail- 
leurs les détails et les éclaircissements livrés au public dans les récits de 
voyages publiés à diverses époques, quelque grands que soient les mé- 
rites d'un Burckhardt> d'un Seetzei>, d'un Irby, d'un Hangles, ainsi que 
ceux de Robinson, de Russegger, de Schubert, de Wilson, de Tobler et 
de Lynch, qui ont parcouru ce pays tantôt sous un travestissement arabe, 
tantôt sous la protection d'une pgissante escorte militaire, je dis plus, 
quelque importantes que soient leurs explorations géographiques et leurs 
recherches historiques, la Palestine n'en est pas moins demeurée un paya 
à. peu près complètement inconnu, -dont il est impossible de se procurer 
une carte satisfaisante seulement jusqu'à un certain point. En effet, le peu 
de sécurité qui règne dans le pays^ le manque d'énergie et rimpuissance 
du gouvernement à assurer l'exécution de la loi, les dangers continuels, 
les vexations sans cesse renaissantes, auxquelles le voyageur et Tobserva- 
teur se trouvent exposés de la part d'habitants grossiers qui ne se lassent 
jamais de tourmenter de mille mauières le pèlerin presque toujours livré 
sans défense à leur arbitraire, tout cela, réuni aux ardeurs d'un soleil 
brûlant et aux tempêtes qui régnent durant l'hiver, rendait impossible la 
levée d'une carte même approximativement complète, quelque focilité 
qu'ait été, d'ailleurs, cette œuvre par divers travaux partiels. Pour sa 
part, le lieutenant Van de Veide a eu largement à lutter contre tous ces 
obstacles ; ainsi, par exemple, il y avait à peine six semaines qu'il se trou- 
vait dans ce pays, qu'il fut dépouillé de tout son argent, et lorsque, son 
voyage terminé, il était sur le point de revenir en Europe, il fut pris d'un 
violent et dangereux accès de fièvre de Syrie. Malgré toutes ces difficul- 
ttSf il a cependant heureusement mené à bout son entreprise, et il est 
convaincu que, grâce à l'aide qu'il a trouvée dans les travaux trigono*. 
métriques de M. Symonds et dans ceux d'autres officiers du corps des 
ingénieurs, travaux qui lui ont été communiqués, à son retour de Syrie, 
par le Foreign Office , et par le Board of Ordnance^ Il a pu rendre la 



236 V0TA6B8 BT BlSTOIEB. 

carte qu'il publie si exacte et si complète, que la Palestine apparaîtra sous 
un tout autre jour qu'elle n'a &it jusqu'à présent. 

« Cette carte s'étend depuis la baie de Tripoli jusqu'au désert du Sud, 
là où commencent les plaines de Ber Sbeba, au point où le voyageur des- 
cend, par le col de Nubk«es*Sufah, pour arriver aux plateaux inférieure 
de ridumée. Le point extrême sud est Rafiab^ sur la côte; à l'est, les 
monts Houran forment les limites de la carte. 

c Le plan de Jérusalem ainsi que des environs de la ville sainte est 
exécuté sur une grande échelle, et sera livré dans des cartons. 

« L'échelle de la carte est de '/stMoot ^^ a par conséquent une latitude, 
de 14 pouces du Rhin environ. La longueur de toute la carte du nord au 
sud est de 4 pieds 3 pouces du Rhin, et sa largeur, de l'est à l'ouest, de 
2 pieds 8 pouces. 

• Pour que la carte puisse ôtre à la fois une carte portative et une carte 
de muraille, on l'a divisée en huit feuilles, ayant chacune 19 pouces de 
long et 15 pouces de large. 

t Le mémoire qui accompagne la carte forme un volume in-8^ de plus 
de 400 pages et contient : 

« 1® L'itinéraire, les plans de l'auteur, les explications nécessaires à 
l'interprétation de la carte ; le tout accompagné de notes critiques, etc. ; 

« 2^ Lès plans levés en 1841 par les officiers du corps royal des ingé<» 
nieurs militaires de la Grande-Bretagne; 

< 3^ Les tables des déterminations astronomiques ; 

« 4® Les tables des déterminations altimétriques ; 

• 5® Les tables des distances ; 

« 6^ Une nouvelle route pour les voyageurs en Palestine ; 

i 70 Une indication des lieux bibliques avec des notes exactes ; 

c 8® Enfin une table alphabétique. 

c La carte et le mémoire seront publiés, la première avec un texte an- 
glais, le second en une édition anglaise et en une édition allemande, paf 
nnstitut géographique de Ju$tu$ Perihes, Les plus grands soins seront 
donnés à la gravure; quant à ce qui^ concerne l'impression, le coloris et 
à la qualité du papier, rien ne sera négligé de ce qui pourra relever 
encore la valeur de l'ouvrage. » 



▼OTJàGBS ET HlftTOlUB. %Zf 

Mission de Cayenne et de la Guyane française, avec une carie géo* 
graphique. Paris, Julien, Lanier, Cosnard et G*, 1857; 1 voi. in-iS : 
3 fr. 50. 

Parmi les missionnaires qui ont travaillé soit à Gayenne, soit dans 
la Guyane française à répandre la doctrine chrétienne, les jésuites occu* 
pent le premier rang. Leurs succès furent remarquables. Ils savaient mieux 
que les autres gagner la confiance des Indiens, et réussirent à fonder 
plusieurs établissements qui prospérèrent jusqu'en 1762, époque où la 
ï*rance les expulsa de son sein. Dès lors la célèbre Goropagnie subit une 
longue suite d'épreuves ; tous ses efforts durent être dirigés vers le 
maintien de son existence menacée dans presque tous les pays de l'Eu- 
rope. Sa grande préoccupation fut de résistera Torage, en se repliant sur 
elle-même, de manière à donner le moins de prise possible aux attaques 
de ses ennemis. Gette conduite était fort habile. Jusqu'à présent du moins 
les faits semblent le prouver. La persistance des jésuites triomphe tou- 
jours de rinstabilité des passions populaires. On s'imagine avoir détruit 
leur influence, on ne les voit plus nulle part, on les oublie, et tout à 
coup ils reparaissent, aussi fort qu'avant si ce n'est plus. Seulement leur 
activité se tourne d'abord vers les missions lointaines qui firent jadis la 
gloire de l'Ordre, et qui leur fournissent un excellent moyen de se réha- 
biliter dans l'opinion publique. C'est ainsi que les jésuites ont repris 
maintenant leurs anciens postes dans les colonies françaises en Amérique. 
Ils se consacrent surtout av§c beaucoup de zèle aux établissements péni- 
tentiaires, dont le personnel s'est considérablement accru depuis quelques 
années. Une pareille tftche offre peut-être moins de périls que lorsqu'il 
s'agit d'aller vivre au milieu des Indiens, mais elle est ingrate et pénible. 
Le troupeau se compose en majorité du rebut des bagnes ; on y compte 
de plus un certain nombre de déportés politiques fort peu disposés à se 
laisser convertir. En outre le climat est très-mal sain, et plusieurs mis- 
sionnaires ont déjà succombé. Mais la ferveur ne fait pas défaut dans les 
rangs de la Compagnie. Le volume que nous annonçons montre qu'à cet 
égard elle n'a point cessé d'être animée du même esprit. On le retrouve 
dans les lettres des missionnaires actuels aussi bien que dans les relations 
antérieures qui datent du dix-septième siècle, et malgré les misères de 
Tœuvre, le P. Jean Alet écrivait en 1855 qu'un beau succès serait as- 
suré à la seule condition d'obtenir « l'alliance franche et pratique de la 



288 Vf f A«M BV H16T01M. 

force matérielle et des moyens humains avec Texercice sérieux et coas< 
tamment appliqué des influences chrétiennes. » 

Celte déclaration naïve nous prouve que les jésuites sont invariable- 
ment fidèles à leurs principes. La défaite ne les décourage point. Us 
poursuivent leur but avec une opiniâtreté qui semble croître en raison 
dea obstacles. On en doit conclure» selon nous, que pour les c^oibattre il 
but avoir recours à d'autres armes que celles employées jusqu'ici. La 
révolte qui brise momentanément leur joug ne Jès a jamais empêchés 
de le rétablir, et la proscription leur rend plutôt service* car ils y trou- 
vent un remède efficace contre le relâchement qui tôt ou tard amène 
la ruine des ordres religieux. Mieux vaut accepter franchement la lutte 
sur le terrain de la liberté, rivaliser de zèle et d'influence avec la Com- 
pagnie, et ne pas prétendre légitimes vis-à*vis d'elle les procédés qu'on 
lui reproche de mettre en usage contre ses adversaires. 



Histoire des nations civilisées du Mexique et de l'Amérique cen- 
trale , durant les siècles antérieurs à Christophe Colomb, par 
l'abbé Brasseur de Bourbourg. Tome I^^ Paris, 1857^ 1 vol. in-8 : 
12 fr. 

Quand les Espagnols découvrirent TAmérique, ils y trouvèrent une 
civilisation différente de la leur, mais à quelques égards plus avancée» 
et qui paraissait être déjà fort ancienne. Les deux empires du Mexique 
et du Pérou présentaient l'aspect de la prospérité ; l'agriculture, Tindus* 
trie et les arts florissaient dans leur sein; la culture intellectuelle 
même ne leur était point inconnue, ils avaient des historiens et des 
poètes, malgré l'imperfection des procédés qui, chez eux, suppléaient à 
l'écriture. L'organisation politique et la hiérarchie administrative por- 
taient également le cachet d'une longue expérience. Les conquérants fu- 
rent frappés de Tordre qui régnait, de la promptitude des communica- 
tions et de l'intelligence des habitants. Les villes nombreuses et bien 
bâties annonçaient un développement matériel remarquable. L'accueil 
fait d*abord à ces étrangers, dont on ignorait les intentions, fut empreint 
de bienveillance et de courtoisie. Malheureusement, chez les rudes Gom;- 
pagnons de Certes et de Pizarre, la vue des richesses américaines n'éveilla 
d'autre sentiment qu une insatiable cupidité. L'amour de lor était leur 
principal mobile et le fanatisme religieux lui venait en aide. Les pré- 
ceptes de l'Inquisition dominèrent la conquête. Exterminer des héréti- 



VOTACBft IT HIfTOimi. fiS9 

qoeB e'éliit frire acte de foi ; quant aa butin, TEglise en acceptait sa part 
sa» le moindre scrupule» et favorisait de tout son pouvoir l'œuvre de 
destruction comme un moyen d'assurer son empire. Pendant bien des 
années encore après la conquête, toute tentative pour recueillir des do« 
cuments ou sauver de la ruine quelques vestiges de cette curieuse civi- 
UsatioB fut réputée suspecte. Mais, à mesure que la puissancee de l'Es- 
pagne déelînaitY les investigateurs ont repris courage, et leurs patientes 
recherches sont parvenues à rassembler un nombre assez considérable de 
monuments, dont l'étude répand beaucoup de lumière sur l'histoire des 
nations civilisées durant les siècles antérieurs à Christophe Colomb. C'est 
à cette source qu'a puisé M. l'abbé Brasseur pendant un séjour de plu- 
sieurs années dans diiSérentes villes du Mexique. Aux données que lui 
fournissent d'anciens manuscrits très-précieux et quelques registres du 
temps de la conquête, retrouvés dans les archives, il a pu joindre le secours 
des traditions populaires qui se sont conservées chez les Indiens. Avec de 
tels matérieux il est parvenu à reconstruire en partie les annales de ces 
populations intéressantes sur Torigine desquelles règne une complète 
obscurité. On suppose que l'Amérique dut être peuplée par des migrations 
venues d'Orient, c'est l'hypothèse la plus probable. Mais M. l'abbé Bras- 
seur n'adopte aucune vue systématique à cet égard. 11 se borne sagement 
à faire connaître les légendes mexicaines qui, sous des formes plus ou 
moins mythiques, attribuent à des étrangers le bienfait de la civilisation. 
Dans ces récits , les premiers habitants de l'Amérique sont représentés 
comme des hommes imparfaits, à peine ébauchés. Us avaient été pétris de 
terre glaise, en sorte que la pluie détrempa bientôt leurs corps, et les dieux» 
voyant ce mauvais résultat, en créèrent d'autres qu'ils firent de bois dur* 
Hais ceux-ci manquaient d'intelligence et de cœur. Us furent donc dé- 
truits et remplacés par une race plus susceptible de développement. L'hiS" 
foire est ainsi mêlée à la théogonie. Evidemment tous les personnages 
qui exercèrent une influence marquée sur les destinées du pays ont 
été rangés au nombre des dieux. Ce sont d'ailleurs des divinités secon- 
daires au-dessus desquelles règne l'Etre suprême, le Dieu unique et tout- 
puissant dont la religion mexicaine reconnaissait l'existence. Le fait le phi^ 
probable qu'on puisse dégager de cette enveloppe fabuleuse, c'est que leis 
législateurs venus de contrées lointaines apportèrent en Amérique les 
éléments de la civilisation. Us fondèrent l'empire des Toltèques, renoinmé 
pour, sa puissance et sa durée. Les légendes mentionnent encore plusieurs 
autres migrations du même genre auxquelles sont attribuées également 



240 VOTAGBS BT HMTOIKB. 

d^importantes réformes dans les mœurs et dans les lois. On en peut donc 
conclure, avec quelque vraisemblance, que tous les progrès de la sociéié 
américaine eurent une origine étrangère. Peut-être de nouvelles décou- 
vertes permettront plus tard d'en déterminer la provenance, mais jusqu'ici 
la question Veste indécise, et M. l'abbé Brasseur ne prétend point la ré- 
soudre, malgré les curieuses analogies qu'il a lui-même observées entre 
les usages des indiens et ceux de certains peuples asiatiques. Il s'efforce phi^ 
tôt de recueillir et de coordonner les faits, de leur rendre, autant qoe 
possible, le caractère historique altéré par la tradition. C'est un travail 
préparatoire indispensable pour arriver à la solution du problème. Le 
talent avec lequel il a su remplir une tâche pareille nous paraît digne d'é- 
loge. Quoique son premier volume renferme la période la plus obscure 
et par conséquent la plus ingrate, on le lira, nous en sonunessûrs, avec 
un vif intérêt. On y trouve en quelque sorte le complément et le meil* 
leur commentaire des aperipus si remarquables présentés par Prescoit 
dans ses ouvrages sur la conquête du Mexique et du Pérou. 



ALBUM DES FÊiES NATIONALES SUISSES. Réclt des principaux événements 
et description historique des fêtes nationales célébrées dans la ville 
fédérale de Berne en 1857. Neuchâtel 1857 ; 1 vol. in-8<' orné de 
vues d'après des daguerréotypes et publié en 8 livraisons mensuelles. 

La pensée qui a présidé à la publication de cet ouvrage a été de réunir 
dans un même cadre les fêtes nationales nombreuses et variées dont 
Berne a été ou sera encore le théâtre en 1857 , et de grouper autour de 
ces fêtes les événements politiques dont cette même année a fourni le 
dénouement. 

Aucune autre époque ne présente un tel ensemble de fêtes et d'événe- 
ments plus propres à faire ressortir le caractère et Tesprit de la nation ; 
aucun autre moment n'aurait pu être mieux choisi pour tracer un tableau 
d'un intérêt aussi vif et aussi général, et nous sommes persuadés qu'une 
description fidèle de ces fêtes et un récit détaillé de ces événements trou* 
veront dans le public un accueil bienveillant et empressé. 

Voici, en résumé, la matière des diverses parties qui composeront 
r^vrage : 

1. — Le commencement de 1857 a vu la Suisse revêtue de sa parure 
militaire. De tout temps, le jour du départ pour h combat a été pour les 



VOYAGES ET HISTOIRE. 241 

Helvétiens un jour de fête^. Ce moment solennel approchait ; de sombres 
nuages s'amoncelaient à l'horizon. Les divergences d'opinion divisaient 
encore les Confédérés en plusieurs camps ; leurs dissensions menaçaient 
de se prolonger, peut-être même de dégénérer en luttes intestines ; — 
la Patrie est menacée, — tout se tait ! Chacun se tourne contre l'ennemi 
commun, les hommes des partis les plus opposés se rangent côte à côte> 
les rangs se serrent, les Suisses ne sont plus animés que d'une seule 
pensée : sauver la Patrie ou périr en combattant. 

Personne ne pouvait alors prévoir quelle tournure prendraient les 
événements, chacun ignorait ce que nous préparait l'avenir... n'importe, 
la Suisse était prête à tout et ces jours nous ont révélé de grandes et 
belles choses. Nous en graverons le souvenir dans toute sa fraîcheur, 
avant que le temps ne vienne insensiblement en eifacer l'image. 

II. — La fête des lutteurs *esi empreinte d'un cachet véritablement 
alpestre, qui la rend bien digne de trouver place dans cette série de fêtes 
nationales. Nous fournirons à chacun l'image fidèle de ces luttes, qui 
donnent une idée delà force» de la persévérance et de l'agilité du peuple 
de nos campagnes; nous en décrirons les diverses phases : le moment où 
les deux champions pleins d'ardeur se saisissent corps à corps, la promp- 
titude avec laquelle ils jugent réciproquement de leur force, la rapidité 
avec laquelle des hommes d'une taille colossale sont enlevés de terre par 
des bras musculeux, 1 agilité et la souplesse qui détournent inopinément 
le danger, les regards pleins d'espérance ou d'anxiété qui suivent les 
combattants, et enfin l'acclamation qui retentit dans les airs lorsque 
le corps d'un lutteur fait gémir le sol. 

III. — Nous envisagerons aussi la Suisse sous un jour plus pacifique. 
L'exposition de 1857 (Exposition suisse de ^industrie, de lagricul-- 
ture et des beaux^arts) surpasse tout ce qu'on a vu d'analogue dans 
notre patrie. Quoique la Suisse ne soit qu'un petit pays hérissé de 
montagnes, entouré de douanes qui gênent l'exportation de ses pro- 
duits, ouvert à toute espèce de concurrence étrangère ; quoiqu'elle ne 
possède ni mer» ni flotte, qu'elle n'accorde ni primes, ni privilèges, que 
les titres et les décorations y soient inconnus, elle n'en montre pas 
moins, dans l'exposition de son industrie, ce que, malgré tous ces ob- 
stacles, elle peut produire à l'aide de son activité infatigable, de sa persé- 
vérance et de ses institutions libres. Nous avons sous les yeux une foule 
d'objets qui excitent notre admiration, tant par h richesse de la matière 
que par la délicatesse du travail et par l'art infini qui a présidé à la main 

16 



fi42 VOTAOB6 ET Ul9TOIflE. 

d œuvre ; puis ces articles de luxe qui constituent les besoins de peuples 
éloignés et qui nous permettent de nous former une idée des débouchés 
que l'activité industrielle et l'esprit de commerce des Suisses se sont 
créés, malgré la rivalité des plus grandes nations l'Europe. 

L'exposition des beaux^arts nous fera passer du positif à l'idéal» de 
l'utile au beau. La Suisse, par la beauté de ses sites, semble inviter l'art 
è reproduire les aspects pittoresques et variés de ses lacs et de ses monta- 
gnes ; aussi Ton y voit se développer de jeunes talents et l'on y ren~ 
contre même des grands maîtres. Nous parlerons de plusieurs ouvres di- 
gnes d'admiration et d'un assez grand nombre d'artistes suisses distingués . 

La Suisse aura aussi une exposition pour son agrieuHure. Les habi* 
(ants des Alpes, les vignerons, les cultivateurs s'efforceront d'y rivali- 
ser. Cette exposition renfermera les plus belles têtes de bétail et tout ce 
qu'il y aura de plus beau et de plus extraordinaire en fait de produits 
agricoles. Si les instruments aratoires prouvent que le cultivateur suisse 
doit s'attaquer à un sol tenace et difficile à travailler, les magnifiques pro*- 
duits de toute espèce prouveront, de leur côté, que ce sol est entre les 
mains d'un peuple laborieux, ingénieux et qui tend au pt*ogirès. 

IV. — Le Tir fédéral est la fête la mieux connue de tous les Suisses 
répandus sur toute la surface du globe. Les dons destinés à l'embellir 
arrivent de toutes les contrées où s^élèvent des colonies suisses ; des 
Suisses traversent l'Océan pour y assister ; c'est le rendez-vous de tous 
les tireurs du pays; c'est une semaine où l'on rivalise de succès dans 
l'exercice de l'arme nationale ; c'est une grande assemblée populaire eu 
permanence, une semaine où se resserrent encore les liens d'amitié et de 
fraternité qui unissent tous les Suisses, une semaine de la vie la plus ricbe 
en émotions, un spectacle majestueux et imposant, plein tout à la fois die 
gravité et d'allégresse. 

Nous chercherons à retracer le caractère de la fête, ses plus belles 
scènes, ses moments les plus solennels ; nous en rappellerons les plus 
beaux discours et en dépeindrons les héros. 

V. -^ Ce n'est toutefois ni à l'Exposition, ni au Tir mais dans le sein 
des Conseils de la nation que se sont consommés les actes les plus im* 
portants de cette année. Les séances où la question neuchâteloise, ou 
plutôt la question suisse, y a été traitée, ne conMstuent pas, à vrai dire, 
une fête dans l'acception ordinaire de ce mot , mais c'est peut-être plus 
qu'une fête. 

'Nous rendrotis compte de ces séances et, à cette occasion, nous ferons 



8CIEIICES MORALES ET POLITIQUES. 243 

eonnattre les hommes éminents qui siègent dans les Conseils, ainsi que 
ceux dont les travaux ou les services ont popularisé le nom dans le cours 
de ces dernières années. 

VI. — L'inauguration du palais fédéral clora la série des fêtes de 
1867. Ce sera un grand jour pour le Moutz, que celui où il remettra ce 
magnifique bâtiment aux autorités fédérales, et un jour de fête pour la 
Confédération; car l'installation de ses Conseils dans les salles qui leur 
sont destinées, sera, pour les institutions fédérales, comme le symbole du 
passage d'un état provisoire à un état définitif. La description de cette 
fête solennelle terminera l'Album. 

Celte publication réveillera d'agréables souvenirs chez ceux qui ont as- 
sisté à ces fêtes: elle offrira aux autres une espèce de compensation, et, même 
pour les étrangers, ce sera une lecture pleine d'intérêt, car ils y trouveront 
une peinture vivante de nos coutumes et de nos réjouissances nationales. 

Les personnes qui ont bien voulu promettre leur coopération à cette 
entreprise (et parmi lesquelles nous citerons M. C. Morel, MM. les con- 
seillers d'Etat Schenk, Sahli et Karlen, et M. Schârer, médecin), ayant 
fait partie des comités, ont été initiées à l'organisation de ces fêtes, en ont 
suivi de près toutes les phases et n'en ont perdu aucun détail. C'est 
là une garantie de plus de l'exactitude des récits et des descriptions 
que contiendra l'Âibum. J. A. 



Bacon, sa vie, son temps, sa philosophie et son influence, jusqu'à nos 
jours, par Ch. de Rémusat. Paris, Didier et C'^, 1857; 1 vol. in»8<>: 
7fr. 

Bacon occupe une place éminente dans l'histoire de la philosophie. Il 
brille au premier rang parmi ces libres penseurs du seizième siècle, qui 
ont si puissamment contribué soit au progrès, soit aux déviations du savoir 
humain. Son esprit vigoureux et plein d'audace ne craignit pas de lever 
Fétendard de la révolte contre le joug de la scolastique, et ce fut en atta- 
quant Aristote qu'il débuta, bien jetine encore, dans le monde littéraire. 
L'entreprise était prématurée, mais Bacon n'en exerça pas moins une 
grande influence sur ses contemporains par son génie, qui devançait les 
temps pour féconder le sol de l'avenir. Comme tous les novateurs, il a 
parfois dépassé le but, et Ton ne peut pas sans doute l'absoudre entière- 
ment des écarts de la révolution intellectuelle à laquelle il a participé. La 



244 SCIBHCBS H0RALB6 BT PÛLITIQUBS. 

témérité caractérise toujours ainsi les efforts do Tesprit humain pour s'af- 
franchir de la routine. Ce n'est pas avec des ménagements et des scru- 
pules qu'on opère une réforme quelconque ; la plupart des hommes ne 
consentent à quitter le vieil édifice que lorsqu'il est détruit de fond en 
comble, et qu'on leur offre la pe^pective d'en construire un à leur fan- 
taisie. D'ailleurs Bacon n'avait peut-être pas bien saisi toute la portée de 
son œuvre, ni surtout les conséquences extrêmes qu'on en tirerait après 
lui. L'émancipation de l'esprit humain éiait le but de ses efforts, et, pour 
l'atteindre, il valait mieux se préoccuper exclusivement des avantages de 
la liberté. Une pareille méthode s'accorde mal avec les prescriptions de 
la morale, mais Bacon ne devait pas être très-scrupulenx à cet égard; sa 
vie nous en fournit de tristes preuves. Le philosophe se montra courtisan 
serviie et ambitieux ; tout en se consacrant i la recherche de la vérité, il 
ne dédaignait pas dans la pratique d'employer l'astuce et l'intrigue au 
service de ses intérêts. D'après le rôle qu'il a joué sur la scène politique, 
on serait presque tenté de croire qu'à ses yeux la philosophie ne fut qu'une 
espèce d'exercice intellectuel. Mais il ne faut pas oublier que l'homme est 
sujet à de semblables contrastes. La théorie et l'application se rencontrent 
rarement chez le même individu. Quand Tune prend son essor, c'est en 
général aux dépens de l'autre. La faiblesse de notre nature ne comporte 
guère ce double développement, et l'alliance de la vertu avec le génie est 
l'idéal d'une perfection surhumaine. Bacon ne sut point conserver au mi- 
lieu des séductions de la cour l'indépendance dont il faisait preuve dans 
le domaine des spéculations philosophiques. Il paya largement son tribut 
à la corruption de l'époque, et les rêves d'une ambition démesurée l'em- 
pêchèrent trop longtemps de suivre les conseils de la sagesse. 

M. de Rémusat, tout en professant la plus haute admiration pour le 
génie du philosophe, ne cherche à dissimuler ni les défauts de son carac- 
tère, ni les taches de sa conduite. Il expose les faits avec beaucoup d im* 
partialité, tenant compte du milieu dans lequel a vécu Bacon, des opinions 
qu'il avait, en quelque sorte, sucées avec le lait, et des maximes poli- 
tiques dont l'autorité semblait alors incontestable. Mais son travail est con- 
sacré plutôt à l'examen du baconisme et de son influence féconde. Cette 
philosophie lui paraît contenir en germe toutes les tendances diverses qui, 
depuis, se sont manifestées, il y trouve l'explication de bien des succès et 
de bien des fautes, la source d'où sont sorties maintes erreurs, ainsi que 
de précieuses vérités, l'origine, et comme une image anticipée du mouve- 
ment intellectuel qui, dès lors, a dominé le monde, c Bacon, dit-il, est 



SGIBHCES HORALES IT FOLITIQUBS. 245 

un des grands promoteurs de l'esprit des temps modernes. Il a puis- 
samment contribué à lui donner sa direction, à lui inspirer confiance dans 
sa puissance et dans ses destinées. Il Ta par avance assez fidèlement re^ 
présenté. Dédain du passé, foi dans la raison, croyance au progrès, res- 
pect pour les bits, amour de la nature^ passion de Tutilité, tout cela se 
trouve dans Bacon et dans ses livres. Mais à l'orgueil de la pensée il 
joint la crainte de la spéculation ; à l'enthousiasme de la science, la défiance 
de tout enthousiasme; il fait, comme on l'a dit de Socrate, descendre la 
philosophie sur la terre, mais il l'attache à la terre, ce que Socrate n'a 
point fait. L'élévation de son génie ne se retrouve pas toujours dans ses 
idées, et il est quelquefois inquiet et comme embarrassé de sa grandeur. 

t Ne pourrait-on pas reconnaître là quelques caractères de l'esprit du 
temps? Espérances, témérités, découragements, abaissements, terreurs, 
tout cela ne se retrouve-t*il pas dans l'histoire de la pensée, comme dans 
la vie réelle des peuples? La philosophie ne se ressent-elle pas de tout ce 
qu'éprouve la société, et ne peut*on pas étudier dans Bacon nos idées à 
leur origine? N'annonçait-il pas ce que nous sommes? • 

Tel est le point de vue que M. de Rémusat développe avec l'esprit de 
critique judicieuse et l'élégante clarté qui distinguent son talent. 



Affaire de la Salettb, M^^^ de Laraerlière contre MM. Déléon et Car- 
tellier, demande en 20,000 fr. de dommages-intérêts, recueiUie et 
publiée par J. Sabbatier. Paris, Borrani, 1857 ; 1 v. in-12 : 2 fr. 50. 

Au mois de septembre 1846, deux jeunes bergers racontèrent qu'une 
belle dame leur était apparue, vers trois heures de l'après-midi, sur la 
montagne de la Salette, qu'elle était entourée d'une auréole éblouissante, 
assise la tête dans ses mains, dans l'attitude d'une tristesse profonde ; que 
s'étant levée, avancée vers eux et les ayant invités à approcher, elle leur 
avait conté une grande nouvelle et confié un grand secret; puis, qu'ayant 
fait quelques pas en avant sans que le poids de son corps fit fléchir les 
brins d'herbe effleurés par ses pieds, elle s'était élevée dans l'air et avait 
disparu, ne laissant après elle qu'une traînée lumineuse, qui bientôt aussi 
s'était évanouie. C'est sur ce récit qu'est fondé le miracle de la Salette. On 
admit que la belle dame ne pouvait être que la vierge Marie, l'apparition 
fut déclarée authentique et le culte de Notre Dame de la Salette autorisé 
par l'évèque du diocèse. Bientôt, n^éme, l'eau d'une source voisine du 
thédtre de l'événement acquit le renom d'opérer des cures merveilleuses. 



246 SCIBUCBS H0RALB8 ET FOLITIQQX0. 

Cependant quelques ecclésiastiques, entre autres MM. les abbés Déléon el 
Cartellier, prétendirent ne voir dans toute cette affaire qu'une intrigue 
coupable, une indigne spéculation tentée sur la faiblesse d'esprit et la cré- 
dulité. Dans les écrits qu'ils publièrent à ce sujet, M^* de Lamerlière« an- 
cienne religieuse, était désignée comme le principal auteur de la super- 
chérie. Ils l'accusaient de s'être affublée d'un vêtement étrange pour jouer 
le rôle de la vierge. Ces publications furent condamnées par l'évêque do 
Grenoble : M. l'abbé Cartellier se soumit, tout en réservant s#n opinion 
sur la Salette, M. Tabbé Déléon persista el fut frappé d'interdit. M"° de 
Lamerlière jugea convenable alors d'intenter aux deux abbés ainsi qu*à 
leur imprimeur un procès en calomnie \ mais elle se vit déboutée par un 
jugement du tribunal civil de Grenoble. Ayant interjeté appel de ce juge- 
ment, l'affaire fut portée devant la cour impériale, dans l'audience du 27 
avril 1857. M^JulesFavre plaidait pour M"*" de Lamerlière et M® Bethmont 
pour Tabbé Déléon. C'est ce curieux débat que M. Sabbatier, ancien sté- 
nographe des Chambres pour \e Moniteur universel, publie aujourd'hui. 
On Taccueillera d'autant mieux que les journaux n'ont pu rendre compte 
du procès. Malgré les efforts de son avocat, M^^^' de Lamerlière n'a pas été 
plus heureuse qu'en première instance. La cour a confirmé le jugement 
du tribunal civil, et condamné l'appelante à l'amende et aux dépens. 



L'HOMife, LA FAMILLE ET LA SOCIÉTÉ, cousidérés d»ns leurs rapports 
. avec le progrès mord de l'humanité, par Eug. Buisson. Paris et 
Genève, J. Cherbuliez, 1857; 3 vol. in-12: 5 fr. 

De ces trois volumes, un seul est nouveau : c'est celui qui traite de 
l'homme ; il complète les deux autres séries de discours que l'auteur avait 
déjà publiées sous les titres de la FamiUe et de /a Société. M. Buisson 
aborde résolument les questions à l'ordre du jour, et s'efforce de mon- 
trer que le christianisme seul peut les résoudre d'une manière satisfai-^ 
saute^ En effet, la religion touche aux plus graves intérêt» de Tordre 
soeial, malgré la peine qu'on s'est donnée pour l'en séparer; elle a droîl 
d'exercer sur eux son influence, et c'est folie que de prétendre les y 
soustraire. L'homme a des besoins intelleetuels et moraux qui ue sont 
pas moins inhérents à sa nature, ni moins impérieux que les besoins phy« 
siques. Pour les satisfaire^ il cherche à pénétrer par la pensée siu delfe 
des bornes du monde visible» et ses efforts tendent sans cesse ver^ la so- 
iution, du mystérieux problème de sa destHiée. Quelles que soient les upi^ 



SCISHCES HORALES ET P0LIT1<^»1S. ^7" 

iM«ft8 de ceux qui se livrent sérieuMment à ce toavAÎl, ils s*accocdeiit tnus 
à* ¥oip le vérâtaUe^pirogrès daft^Ja domiBatitMFi creisfiADte de Tesprii sur la. 
ebair, de la pensée sur le domdine natérieL Les uns procèdeat par la. 
pbifesephie, ei seott enclios à s^*exagérer la puissance de la raison bu- 
maine. Les autres» au contraire, la rejettefii coaame ne pouvant conduire 
qu'à Terreur, nient le libre arbitre et procbitteat le principe de rautprité 
ab^lue en matière de foi. Entre ces deux extrêmes, le christianisme offre- 
une voie meilleure et plus sûre, c 11 est moins exclusif, parce qu'il est 
plus complet et plus vrai. Il tient compte des deux faces de la nature hu- 
maine, sans méconnaître jamais ce qui en fait la dignité et la grandeur. 
Avant tout, il fait du progrès humain une œuvre intérieure, une déli- 
vrance du mal, une rédemption du péché, la restauration de Timagedfvine 
et du royaume de Dieu en nous. Mais ce n'est pas par contrainte qu'il 
procède, car il ne veut pas faire des esclaves ; il veut, suivant la belle 
expression de Pascal, pénétrer dans l'esprit par des raisons, et dans le 
cceur parla grâce; il veut nous conduire par la puissance de la vérité < à 
la liberté glorieuse des enfanits de Dieu. > En d'autres termes, il veut, en 
toutes choses, surmonter le mal par le bien» et vamcre les infirmités de la 
chair pap la régénération du principe spirituel, qui est la source même de 
la vie. > 

Telle est la thèse que M. Buisson développe avec un talent remar- 
quable. Il commence par établir que la destination de l^hamme est le de- 
voir ou le service de Dieu. C'est le sujet de son premier discours, dans 
lequel sont exposé$ d'une manière précise et frappante ^les motifs qui 
doivent nous erigager à suivre constamment la ligne du devoir. De là dé- 
coulent plusieurs conséquences, que l'auteur passe en revue, suivant leur 
ordre lexique, dans les neuf autres discours. C'est d'abord la lutte inté- 
rieure, par laquelle il faut nécessairement passer pour apprendre à se 
connaître, à mesurer ses forces, à se rendre bien compte des obstacles 
que l'on rencontrera. Ici la supériorité du christianisme éclate d'une oaa- 
nière évidente, c En nous révélant ce que nous devons être, il dissipe» 
du aiême coup, et les erreurs grossières qui nous rabaissent, et les illu- 
sions présomptueuses qui nous enivrent. » Grâce à ses enseignements, les. 
efforts de l'homme ont un but certain et peuvent produire de bons fruits. 
Il éclaire la conscience, féconde et dirige la pen$ée, épure le cœur^ for- 
tifie la volonté, rend l'hahitude salutaire et Vimitation fertile en résul^ 
tats heureux, fait de la parole un instrument de vérité, donne enfin h h 
prière une influence efficace qui soutient, console et raffermit sans cesse. 



248 8CIINCES HaRALES BI POUTIQUIS. 

H. Buisson a su résumer ainsi l'ensemble de la morale ehrétienne sous 
un point de vue essentiellement pratique. Son éloquence est simple et ses 
arguments nous paraissent de nature à faire impression sur tous les lec- 
teurs intelligents. Animé d'ailleurs du zèle le plus charitable, il respecte 
les convictions d'autrui, et s'abstient de toute controverse en matière de 
dogme, estimant, avec saint Paul, « que les fruits de la justice doivent 
être semés dans la paix, i 



Histoire de Joseph, considérée au point de vue typique et pratique, par 
F. Estéoule. Paris et Genève, J. Cherbuliez. 1857 ; 1 vol. in-12 : 
2fr. 

Parmi les épisodes que renferme la Bible, l'histoire de Joseph est à la 
fois un des plus touchants, des plus dramatiques et des plus instructifs. Il 
offre de plus un sens allégorique en nous montrant dans Joseph le type de 
Jésus-Christ. C'est sous ce double point de vue que M. Estéoule s'est 
proposé d'en faire une étude approfondie pour instruire ses lecteurs et les 
édifier en même temps. Il expose d'une manière fort intéressante les dé- 
tails de cette histoire, où les scènes patriarcales sont décrites avec autant 
de charme que de simplicité, s'attachant surtout à mettre en relief les le- 
çons fécondes qu'on peut en tirer, et citant les nombreux passages qui 
s'appliquent soit au caractère de Joseph, soit aux différentes péripéties de 
sa destinée. Son commentaire se distingue en général par la tendance 
pratique et par la clarté. On y trouve une foule de réflexions salutaires, 
des aperçus ingénieux sur les voies de la Providence, des conseils pleins 
de sagesse pour la conduite de la vie. M. Estéoule nous paraît avoir suivi 
la méthode la plus propre à rendre son travail vraiment utile. C'est une 
lecture à la fois attrayante et sérieuse, qui produira de bons fruits, parce 
que l'enseignement qu'elle renferme est à la portée de toutes les intelli- 
gences et que chacun peut y puiser d'excellentes directions. Sans doute, 
il n'est pas exempt des défauts ordinaires de ce genre de recherches ; l'au- 
teur se laisse parfois entraîner à des interprétations un peu forcées. Mais 
ses hypothèses s'enchaînent si bien et leur ensemble offre tant d'harmo- 
nie, qu'on l'excusera volontiers, ou plutôt, captivé par l'intérêt du récit, 
on ne songera point à critiquer quelques détails d'une importance tout à 
fait secondaire. Il se recommande d'ailleurs par l'élévation de la pensée et 
par la sincérité de la foi qui l'anime. 



SCIBHCBS ET AETS. 249 

SCIEUTCfiS ET ARTS. 

Les Alpes, description pittoresque de la nature et de la faune alpes- 
tres, par Frédéric de Tschudi, traduit par le D'Vouga. Berne 1857; 
1 vol. in 8^ ûg. paraissant en 8 livraisons à 2 francs chacune. 

La nature alpestre offre une mine féconde à Tobservateur. Si l'aspect 
grandiose de ses paysages excite l'enthousiasme de l'artiste, le savant n'y 
trouve pas moins de sujets d'étude et d'admiration. La variété des 
climats et leurs brusques transitions permettent d'y contempler, dans un 
espace restreint, des produits ainsi que des phénomènes analogues à 
ceux des contrées les plus diverses. Souvent une journée suflBt pour 
franchir la distance qui sépare des vallée» fertiles et chaudes du séjour 
des neiges étemelles, et l'on passe ainsi rapidement en revue les diffé- 
rentes phases de la végétation, les richesses naturelles de presque tous 
les pays du globe, les vestiges les plus remarquables des bouleverse- 
ments qu'a subis la croûte terrestre. < Depuis les forêts qui s'étalent à 
ses pieds et les collines qui l'encadrent, jusqu'aux sommets brillants qui 
la couronnent, la chaîne des Alpes nourrit une multitude d'êtres vivants 
dont la distributiea est déterminée par des conditions climatériques inva- 
riables. Elle offre souvent, sur un espace incliné de quelques milles 
carrés, une succession de formes organiques qu'on ne peut poursuivre 
dans le bas pays qu'en parcourant des centaines de milles. Quelques 
heures de marche séparent à peine la dernière forêt de châtaigniers , 
près de laquelle le scorpion d'Italie rampe entre les pierres, des plantes 
chétives et des régions polaires. 

c La position intermédiaire des Alpes entre le nord et le sud de 
l'Europe, leur configuration si variée selon les localités, leurs phéno- 
mènes météorologiques et climatériques si différents sur chaque point, 
sont la condition et la cause de cette grande richesse de développement 
organique qui les caractérise et persiste même jusqu'au milieu de leurs 
glaces qui, au premier coup d'œil, semblent si fatale à tout être doué de 
vie. Quelle chaîne non interrompue d'espèces ne doit pas exister entre 
le Lœmmergeier qui , flottant dans la nue, épie sa proie au fond de quel- 
que abîme , et la podurelle qui s'agite dans les fissures capillaires d'un 
glacier désert ; entre l'agile et prudent chamois et l'organisme micros- 
copique qui colore la neige rouge ? • 

Ce merveilleux ensemble de vie animale a trouvé dans M. Tschudi un 
peintre fort habile, qui joint au talent descriptif des connaissances solides 



et la vive affection que les Alpes inspirent aux habitants de la Suisse. Le 
tableau qu'il trace est empreint (Tune poésie vraie et bien sentie. La na- 
ture alpestre s*y déploie à nos regards dans toute sa magnificence , on 
assiste aux scènes grandioses dont elle est le théâtre , et les aspects di- 
vers qu'elle présente suivant les saisons se trouvent reproduits avec beau- 
coup de charme. De fort jolies gravures représentent les sites , les qiia- 
(kupèdes et les oiseaux les plus remarquables des Alpes. C'est use publi- 
cation bien faite pour captiver tous 1^ lecteurs , et le succès populaire 
dont elle jouit en Allemagne sera sans doute confirmé par Tempresseoieat: 
du public français. Nous ne saurions du reste en faire mieux apprécier la 
mérite ï la fois littéraire et scientifique qu'en terminant cet article par 
uDe citation de quelque i^tendue. 

€ Quelques semaines avaot l'époque où l'hiver comme&ee dans la plaine, 
il aonoace son approche dans la région inontagneuse par des teotaitives in^ 
fructiMiKses. Déjà ea octobre et en novembre des flocons de neige com* 
mencent à tomber, le froid glaae le ruisseau, le givre s'attache aux buis- 
sons ; mais la glace et la neige ne peuvent résister à l'action d'un soleil 
encore puissant. Cependant les jours diminuent, et voici qu'un matin 
tout a disparu sous une couche de neige sur le revers méridional des 
Alpes ; sur certaines pentes bien exposées la lutte dure enoore^ le soleîi 
et le fohn résistant au souffle glacé de Thiver. La neige prend définitif 
veiaent pied sur les prairies sèches et les pentes tournées au nord, puis^ 
sur celles qui regardent le midi, et finalement elle couvre tout le pays 
d'une couche uniforme, sous laquelle les routes et les sentiers sont ef- 
facés, et pénètre même, à travers les branches des sapins, jusqu'au sol 
de la forêt. 

c Les détails du paysage , les inégalités de surface disparaissent sous 
la couche de neige et font place à des lignes molles et uniformes qui 
donnent à la vallée tout entière l'aspect d'un fond de cuvette. Les ruis- 
seaux sont glacés, et les cascades transformées en gigantesques colonnes 
de cristal appliquées aux parois de rocher ; çà et là seulement une sur- 
foce rocheuse, toujours balayée par le vent, n'est pas ensevelie sous la 
neige. C'est avec peine que le pâtre se fraie une route vers Tétable bien 
close où ruminentses vaches. Les poules sauvages qui, immobiles sur le^^ 
sol pendant la chute de la neige, s'étaient laissées ensevelir, se sont dé- 
gagées et picotent près des fenils solitaires quelques grains oubliés; 
les écureuils, les hermines, les martres, les hèvres et les renards osent à 
pdae quitter leurs gîtes et leurs trous. Ils n'aiment pas cette couche do 



SCIBNCBS ET ARTS. 351 

n^ige épisse, molle, dans laquelle ils s'enfoncent et laissent des traces qui 
pourraient les trahir; mais à la première nuit claire elle aura pris un autre 
caractère, elle devient dure et solide; souvent, après une journée 
chaude, elle se couvre d'un vernis de glace, ou prend Taspect cristallin 
à la suite de vents froids ; ce n'est plus pour le pays un inol vêtement 
d'un blanc mat, mais une cuirasse éclatante, dure comme Tacier, à la 
surface de laquelle des millions de cristaux réfléchissent la lumière et 
brillent d'un éclat éblouissant. Les quadrupèdes ont retrouvé un sol as- 
suré sur ces champs qui crépitent sous leurs pas et ils font pendant la 
nuit de longues excursions à travers monts et vaux. Leurs traces, à peine 
indiquées, se croisent en tous sens au milieu des forêts et des champs ; 
chaque coup de vent emporte des millions de cristaux de glace, couvre 
de cette blanche poussière d'immenses surfaces, efface les empreintes 
des pas, ou, si la coui^he glacée est très-solide^ les remplit de feuilles 
desséchées ou des semences des pins. Sur les cimes élevées et les arêtes 
rocheuses, le souffle âpre du vent enlève la neige poudreuse, et les 
monts semblent enveloppés de fumée; une partie de la neige entraînée 
tourbillonne dans Tair sous forme de petits nuages de cristaux brillants, 
tandis que les masses plus pesantes, fouettées par la bise, tombent du 
haut des cimes, rebondissent de roc en roc en nuageuses cascades et se 
perdent enfin dans les profondeurs. 

• Les jours, les semaines s'écoulent, et toujours un froid vif, clair 
et monotone règne dans la montagne. La première neige est tombée des 
arbres, le givre aux longues aiguilles l'a romplacée ; puis la neige re- 
tombe et le givre lui succède encore. Il revêt de ses cristaux effilés et 
de sa blancheur mate la nature tout entière, se suspend aux rameaux des 
arbres et des buissons, décore capricieusement la fontaine et le pieu soli- 
taire indicateur de la route, jusqu'à ce qu'un brouillard humide ou un 
rayon doré du soleil d'hiver vienne faire écrouler ses édifices aériens et 
les remplacer la nuit suivante par la couche mince d'un émail glacé. 
C'est alors que les habitants des vallées, munis de haches et de traîneaux, 
se rendent dans leurs forêts. Les sapins et les hêtres tombent menaçants, 
les troncs ébrpnchés descendent comme des flèches les couloirs rapides. 
D'un pied sûr, des chevaux vigoureux, aux formes osseuses, les entraî-* 
nent au galop vers les villages, en suivant les pentes et les ravins nivelés 
par la glaoe. Pendant la nuU, le renard fait entendre ses glapissements au 
milieu des buissons, tandis que de jour la voix des chiens de chasse et 
. la détonation du fusil retentissent au milieu de cette nature sans meuve- 



352 SCIBHCBS BT AETS. 

ment. Peut-être y entendrait-on les battements précipités du cœur d*un 
lièvre depuis longtemps poursuivi, ou le bruit du vol ailourdi d'un té- 
tras effrayé. Le merle d*eau siffle au bord du ruisseau, le pinson de 
neige et le roitelet gazouillent dans les buissons leur gaie chansonnette. 

« Tous les bruits de la vie sont d'autant plus vifs et joyeux que la na- 
ture ell^même est plus solitaire et silencieuse. Mais au milieu de cette 
uature enveloppée d'une couche neigeuse, ce que nous regrettons avant 
tout, ce sont ces lacs de la montagne à la surface d'azur, aux eaux lim- 
pides et aux mystérieuses profondeurs. Ils viennent de se congeler ; un 
miroir vert les a recouverts, et n'a pas tardé lui-môme à s'enfoncer sous 
le vaste linceul. 

• Des zéphyrs tièdes et chauds annoncent lep rintemps. Us viennent en 
aide au soleil dans l'œuvre lente et pénible qui consiste à détruire le lin- 
ceul qui voile la terre. Déjà l'œuvre avance, mais un jour de tourmente 
va recouvrir Tancienne couche d'une nouvelle neige; ce ne sera qu'un 
faible obstacle, car une fois la vieille couche de neige durcie amollie et 
détruite, la nouvelle venue n'oppose pas de résistance à l'action du soleil. 
Les forêts et les buissons se débarrassent de leur incommode fardeau, la 
verdure apparaît et s'émaille bientôt de fleurs blanches, bleues et jaunes. 
Le vent et les eaux commencent à bruire dans la montagne. D'abord 
pendant une heure ou deux seulement au milieu de la journée, puis 
pendant l'après-midi, puis le soir et pendant la nuit, et enfin jour et 
nuit. Les eaux s'écoulent, ruissellent, murmurent, grondent et mu- 
gissent au loin. Les rochers suintent l'eau par toutes leurs fissures, 
les ruisseaux se fraient une voie à travers la neige et la glace qui 
obstruent leur lit. Chaque terrasse, chaque champ de neige fournit un 
affluent; imbibés des eaux qui les inondent, les pilastres de glace des 
cascades se détachent des murs du roc, et tombent avec un bruit de ton- 
nerre au fond des grottes que se sont creusées les chutes d'eau ; de 
gros blocs de glace, lentement minés par les filets d'eau, s'affaissent avec 
mille craquements et tombent avec fracas du haut des rochers. Puis on 
entend au loin le sourd mugissement des avalanches , les détonations des 
glaciers qui se crevassent ; les blocs de pierre quç la geUe a isolés des 
massifs s'en détachent au dégel; les champs de neige sans soutien glis- 
sent ou se rompent. Le printemps annonce déjà sa présence par les 
mille bruits de la nature morte. Ce ne sont partout que murmures, 
craquements, détonations, mugissements, sifflements et rumeurs sourdes 
dans le lointain. 






SCiBNCBS BT ABT8. 253 

€ Le monde des êtres vivants ne reste pas en dehors de ce vacarme, 
à l'exception des plantes, ces organismes voués au silence éternel. Les 
pies et les merles , les geais et les mésanges , les bécasses, les grives et 
les roitelets, les aigles et les hiboux, les moineaux, les coucous, les bas- 
tavelles et les tétras sifflent, crient, coassent, chantent, s'appellent et sa- 
luent le printemps sur tous les tons. La chauve souris, la martre, 
Técureuil, le blaireau , puis les grillons et les crapauds, les cigales et 
les scarabées, les bourdons, les abeilles, les guêpes, les mouches» tous font 
entendre des voix et des bruits auxquels ne tardent pas à faire diversion 
ceux qui proviennent des animaux domestiques, le bêlement des chèvres, 
le hennissement des chevaux, le mugissement des taureaux, Tahoiement 
des chiens, le chant matinal des coqs, et puis les mille sons des clo- 
ches et clochettes, tes chants des enfants et des bergers. Le printemps 
est l'époque où la nature est la plus bruyante, la plus retentissante, la 
plus variée dans ses voix. > 



Kapport adressé au haut Conseil fédéral suisse sur l'exposition agricole 
de Chetmsford et Tagriculture anglaise, par Ch. de Gingins d'Ëclé- 
pens, délégué suisse. Berne, 1857; 1 vol. in-8. 

Ce rapport est divisé en trois parties : Vexposition, l'agriculture an- 
glaise, applications. Dans la première, l'auteur nous fait d'abord con- 
naître Torganisation de la société royale et de ses concours, qui ont lieu 
chaque année dans une province différente, désignée quatre ans à l'a- 
vance, afin de donner à l'agriculture de la circonscription le temps d'en- 
trer en lutte avec toutes ses ressources. A cet égard, l'Angleterre se 
distingue par un cachet d'utilité pratique très-remarquable. Dans ses ex- 
positions agricoles, elle ne sacrifie pas à l'élégance. De simples hangars, 
construits en bois brut et recouverts de toile goudronnée, reçoivent les 
animaux et les machines ou instruments, disposés de la manière la plus 
commode pour 1 examen du public, mais sans aucune recherche d'élégance. 
Leur aspect général est celui d'une foire rustique, et l'on s'y préoccupe 
avant tout de faciliter autant que possible la tâche des experts appelés à 
juger les produits. C'est là le but important. Il s'agit de constater les pro- 
grès obtenus, d'apprécier le mérite des procédés nouveaux, de soumettre 
les machines à des épreuves répétées. Parmi les expériences de ce genre 
que décrit M. de Gingins, nous citerons la suivante, comme l'une des 
plus curieuses : < Je remarquais un jour, dans l'enceinte des machines, 



254 SClBNCtS ET ARTS. » 

plusieurs personnes attroupées devaut un engin à vapeur d'un volume 
considérable, d'une forme bizarre, et placé au fond d'une espèce de creux. 
Un des jurés des machines me fit signe de m'arrêter pour examiner avec 
lui. C'était le remorqueur de Boydell, machine toute nouvelle, destinée à 
marcher sur tous les terrains possibles, au moyen d'un système de râils 
articulés, que chaque roue posait devant elle à mesure qu'elle avançait, 
et qui constituait un véritable chemin de fer mobile. Cette machine était 
venue de Londres dans la nuit, cheminant sur la grande route comme 
une voilure ordinaire. Par coquetterie d'inventeur, son propriétaire l'a- 
vait fait descendre dans cet enfoncement, d'où il s'agissait maintenant de 
la faire sortir pour aller au champ d'essai subir les épreuves que M. Boy- 
dell avait demandées. Cela paraissait impossible, et les connaisseurs at- 
tendaient en souriant que la machine eût fini de chauffer. Enfin, au si- 
gnal donné, la lourde masse s'ébranle en posant ses rails portatifs devant 
elle, avec le bruit d'un géant en sabots, gravit d'une marche lente, mais 
continue, la pente qui s'oppose à elle, puis se met gravement en route, 
dirigée et montée-par un timonier, aidé d'un enfant comme chauffeur. 

c .La foule s'écarte, les portes s'ouvrent» lorsque, arrivée au champ 
d'épreuve, le dédale de largeur ordinaire pour une charrette, sçmble lui 
refuser le passage. La machine essaie plusieurs fois de pénétrer, et chaque 
fois s'arrête brusquement au moment d'accrocher les piliers, recule, 
avance encore en obliquant, avec la même docilité qu'un cabriolet. Enfin 
elle réussit à passer en effleurant chaque pilier, puis se met à arpenter 
le champ d'épreuve labouré par les charrues, détrempé par la pluie, et 
le parcourt en tous sens, en haut, en bas, à travers les sillons, sans 
même ralentir sa marche. » 

M. de Gingins rend aussi compte de plusieurs essais de charrue à va- 
peur qui, s'ils laissent encore à désirer, semblent du moins promettre 
pour l'avenir un succès à peu près certain. La seconde partie de son rap- 
port renferme d'intéressants détails sur l'étal actuel de l'agriculture an- 
glaise. Il a visité des fermes dirigées d'après différentes méthodes, et les 
juge en observateur très-éclairé. Ce qui le frappe surtout, c'est la pros- 
périté dont jouit l'Angleterre depuis l'abolition du régime protecteur. Le 
libre échauge a produit de tels résultats, qu'aujourd'hui ceux qui le re- 
doutaient le plus proclament hautement ses précieux avantages. Grâce au 
zèle stimulé par la concurrence étrangère, l'agriculture a pris un essor 
admirable. 11 est vrai qu'en Angleterre on ne recule pas devant les avances 
d'argent, et l'on estime que c la terre est à la fois le plus exigeant des 



SCIBMCES Bf ARÏS. 25S 

créanciers et le ptus exact des débiteurs; qu'elle ne rend que ce qu'on 
lui prête, mais qu'elle rend tout ce qu'on lui prête. Aussi le fermier an<^ 
glais ne craint pas de lui Caire des avances qu'il sait devoir lui être rem* 
boursëes un jour. » Par la même raison, les capitalistes s'y montrent 
beaueoup mieux disposés que sur le continent à soutenir de pareilles en- 
Ireprises. Une autre maxime généralement admise par les agriculteurs 
anglais, c c'est qu'il n'est aueun terrain, quelque ingrat qu'il paraisse, 
auquel on ne puisse demander quelque produit, en l'attaquant suivant sa 
nature spéciale. » Avec ces deux principes, on améliore sans cesse le sol 
et Ton invente de nouveaux procédés de culture propres à fertiliser des 
terrains jusque-^là tout à fait stériles. L'industrie prête à Tagriculturis le 
seaours de ses forces puissantes, la mécanique lui vient en aide, les ma- 
chines les plus ingénieuses sont appliquées aux travaux de la campagne. 
La charrue à draîner, de M. Fowler, en offre un exemple remarquable. 
M. de Gingins Ta vue manœuvrer dans la forêt d'Epping, qu'on était en 
train de défricher. C'est une locomotive armée d'un coutre, qui fend le sol 
jusqu'à quatre pieds de profondeur, et porte à son extrémité un sabot ar- 
rondi, de la dimension d'un tube de drainage. A ce sabot est attaché un 
câble en ûl de fer tordu, sur lequel s'enfilent les tubes de terre cuite, qui 
viennent ainsi se placer dans le canal creusé pour les recevoir. Cette ma- 
chine pose vingt pieds de drain par minute, et le travail est fait avec tant 
de précision, que même en faisant aigre avec une bêche, on ne peut par- 
venir à les ébranler. Assistée de semblables auxiliaires, Tagriculture an- 
glaise se lance audacieusement dans la voie des expériences. M. de Gin- 
gins donne de curieux détails sur la méthode nouvelle, qu'on appelle le 
high farming (en quelque sorte fermage à haute pression). C'est l'exploi- 
tation du sol poussée jusqu'à ses extrêmes limites, par l'emploi de tous les 
moyens propres à obtenir la plus grande somme de produit brut. Quelques 
fermiers pratiquent ce système avec succès, mais il offre des chances bien 
périlleuses, et son principal avantage est de provoquer des essais utiles 
qui, sans cela, ne se feraient pas. M. de Gingins, tout en admirant l'état 
prospère des domaines qu'il visite , se tient en garde contre l'engoue- 
ment, et ne présente comme certains que les calculs dont il a pu lui-même 
vérifier l exactitude. Aussi les directions pratiques renfermées dans sa troi- 
sième partie seront-elles accueillies avec confiance. On y trouve le cachet 
.d'un esprit non moins judicieux qu'éclairé. L'auteur ne perd pas de vue 
les conditions de climat, de mœurs et d'habitudes qui sont particulières à 
la Suisse, et s'attache à faire bien comprendre sur quels points et dans 
quelle mesure on doit imiter TAngleterre. 



256 scniicBS bt auts. 

Le rapport de M. de Gingins nous paraît digoe d'exciter Tattention de 
toutes les personnes qu'intéressent les progrès de Tagriculture. Il se dis- 
tingue d'ailleurs par une richesse d'aperçus, par des considérations géné- 
rales et par un talent de style qui se rencontrent rarement dans les écrits 
de ce genre. C'est une publication du plus haut intérêt, qui fait honneur 
au délégué suisse. Malheureusement elle a dû revêtir la forme typogra- 
phique officielle, c'est-à-dire être imprimée à Berne, sur du mauvais pa- 
pier gris, avec des fautes nombreuses et grossières qui souvent en déna- 
'turent le sens. 



Les mosaïques chrétiennes des basiliques et des églises de Rome, 
décrites et expliquées, par H. Barbet de Jouy. Paris, Didron, 1857; 
1 vol. in-8'>. 

L'étude des mosaïques est d'un grand intérêt pour l'histoire de la 
peinture et peut en même temps répandre quelque lumière sur une période 
fort peu connue de l'art chrétien. La mosaïque semble avoir été comme le 
trait d'union entre la décadence païenne et l'essor nouveau que les arts 
prirent au sein du christianisme. Employée par le luxe romain avec une 
étrange profusion, elle se trouva prête à venir en aide aux inspirations 
naïves de la religion naissante qui réagirent bientôt sur elle d'une manière 
très-heureuse. En effet, de grands progrès peuvent être constatés, surtout 
du cinquième au huitième siècle. C'est à cette dernière époque qu'appar- 
tient la plus remarquable des mosaïques chrétiennes qui existent à Rome. 
Elle représente Jésus-Christ présidant une réunion de saints, et se dis- 
tingue par l'habileté de la composition, ainsi que par un dessin ferme 
et expressif. Les plus anciennes que Ton connaisse datent du quatrième 
siècle, mais il est probable que les cimetières souterrains en possèdent 
d'antérieures. 

M. Barbet de Jouy donne la description de trente-trois mosaïques, dont 
une seule appartient au quatrième siècle, quatre sont du cinquième, deux 
du sixième, quatre du septième, quatre du huitième, cinq du neuvième, 
une du douzième, huit du treizième, deux du quatorzième et deux du 
seizième. Son livre, fait avec beaucoup de soin et d'intelligence, sera 
très-utile aux voyageurs qui visitent Rome. On regrettera seulement qu'il 
n'y ait pas joint des planches, si nécessaires pour compléter un travail de 
ce genre ; mais quelques mots de sa préface semblent indiquer qu'il en 
possède les dessins, et nous espérons qu'il les publiera plus tard. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX 



lilTTKRATVRi:. 

Le Bon AU GOMiQUE, par Scarron, nouvelle édition, revue, aonotée et 
précédée d'uM introduction, par V. Foumel. Parie, Jannet, 1857; 
2 voi. 10-18 cirt. : 10 fr. 

Ces deux oouveaux volumes de la Bibliothèque eizévirienne trouveront 
certainement beaucoup d'amateurs. Le Roman comique méritait d'être 
aiosi revêtu d'une forme typographique attrayante qui lui permît de 
prendre la place à laquelle )1 a droit dans les bibliothèques. Quoiqu'il 
pécbe sKn^ doute par les défauts ordinaires de Scarron, le goût peu dé-* 
licat et la bouffonnerie outrée, ce n'en est pas moins une œuvre remar-^ 
quable dans la littérature du dix-septième siècle, soit comme peinture de 
xoœurS) soit comme satire des travers de l'époque. L'introduction de 
M. Y. Foumel fait bien ressortir cette double supériorité du roman co- 
mique sur les autres ouvragies du même genre enfantés par la réaction 
contre l'héroïsme guindé, la recherche pédaotesque, les sentiments faux 
ou prétentieux que les précieuses avaient mis à la mode. L'engouement 
pour les productions de D'Urfé, de Scudéry, de la Calprenède, ne dura 
guère sans soulever des résistances. Bientôt l'esprit gaulois protesta contre 
ce joug antipathique à sa nature. Dès le commencement du dix-septième 
siècle, on peut signaler quelques écrits dans lesquels les tendances à la 
mode sont tournées en ridicule. Tels sont le Baron de Fomeste^ par 
d'Âubigné ; VEuphormion^ de Barclay ; la Vraie histoire comique de 
Frofncion^ par Ch. Sorel, les Histoires comiques de Cyrano, etc., qui tous 
avaient plus ou moins pour but de critiquer les pastorales et les romans 
héroïques alors en grande vogue. Au monde imaginaire de VAstrée^ du 
Cyrus^ de la Clélie, on opposait des scènes de la vie réelle, et pour mieux 
faire contraste» les auteurs donnaient volontiers à leurs personnages le 
caractère le plus burlesque. En général, ces écrits ne brillent ni par le 
Wlent, ni par l'intérêt : c'est une lecture très-ind>ge$te. Mais ils valent la 

17 



258 r4lTT^RATURE. 

peine d'être étudiés comme symptômes du mouvement qui s'opérait dans 
les esprits et préparait le retour à des idées littéraires plus saines et plus 
fécondes. Oo y trouve d'ailleurs çà et là des traits piquants, des données 
ingénieuses, dont plus tard d'autres écrivains ont du tirer un excellent 
parti. Molière, par exemple, s'en est approprié plus d'un, qu'il sauva de 
l'oubli, en leur imprimant le cachet de son génie. 

Les deux meilleurs produits de cette réaction du bon sens français 
furent le Roman bourgeois, de Furetière, et le Roman comique, de 
Scarron. L'un et l'autre présentent sans doute encore bien des traces de 
mauvais goût, et l'intention satirique s y montre parfois poussée jusqu'à 
la caricature. Cependant on ne peut leur contester un mérite réel : ils 
peignent bien la bourgeoisie de leur temps. Quelques-uns des personnages 
qu'ils mettent en scène sont des types dont on peut encore aujourd'hui 
constater la ressemblance, parce qu'ils n'ont pas tout à fait disparu de la 
société, malgré la différence des époques. Furetière nous présente le ta- 
bleau delà vie très-prosaïque d'une famille bourgeoise, tout occupée de 
petits intérêts et de petites intrigues, qui contrastent de la façon la plus 
frappante avec les beaux sentiments que jusque-là les romanciers éta- 
laient dans leurs ouvrages. 11 n'idéalise pas, il copie fidèlement, et son 
livre porte le cachet du réalisme. Chez Scarron, le burlesque domine da- 
vantage. Mais, comme il s'agit des aventures d'une troupe de comédiens 
ambulants, l'exagération des caractères ne s'accorde pas mal avec le 
sujet. Quelle que soit d'ailleurs la trivialité des détails, on se laisse cap- 
tiver par une foule d'incidents et d'épisodes qui soutiennent l'intérêt du 
récit. Dans le Roman comique, la verve bouffonne s'allie à l'esprit d'ob- 
servation, et l'auteur fait preuve en maints endroits d'un talent remar- 
quable. 

L'édition publiée par M. Fournel se recommande par d'excellentes 
notes, qui serviront à rendre sa lecture plus facile et plus attrayante. 



Nouveau dictionnaire des synonymes français, par Â.-L. Sardou. Pa- 
ris, Desobry, E. Magdeleine et G*«, 1857 ; 1 vol. in-12 : 3 fr. 50. 

Ce nouveau dictionnaire des synonymes sera sans doute bien ac- 
cueilli, car les anciens ouvrages de ce genre sont presque tous épuisés, 
rares, ou d'une étendue qui les rend à la fois trop coûteux et peu com- 
modes pour l'usage habituel. M. Sardou, d'ailleurs, a profité de ce qu'ils 



renfermaient de bon ; \\ emprunte à Beauzée, à Girard» à Laveaux, etc., 
M ayant toojoora soin de citer son auteur. Mais il élague une foule de 
flubtiiités inutiles, ainsi que certaines synonymies qui choquent le goût 
ainsi que les convenances, et donne un grand nombre d'articles nouveaux 
rédigés avec talent. Son livre, destiné surtout à la jeunesse des écoles, se 
distingue par la clarté des définitions, par la correction du style et par 
lé choix judicieux des exemples. Aussi nous paraît-il fait pour intéresser 
les lecteurs de tout dge. L'étude des synonymes est l'une des parties les 
plus attrayantes de la grammaire. C'est là qu'on apprend à connaître les 
finesses du langage, è bien saisir les nuances de chaque expression, à 
parler avec justesse, à rendre exactement ses idées. De plus, comme le 
dit M"* de Maintenon : • Rien n'ouvre tant Tesprit que la dissertation des 
mots. » Cette remarque s'applique tout particulièrement à la langue fran- 
çaise, dont le génie repousse les hardiesses du néologisme, et qui doit, en 
conséquence, tirer le meilleur parti possible des ressources qu'elle pos- 
sède. Quiconque se mêle d'écrire éprouve à chaque instant la nécessité 
d'une semblable étude, sans laquelle il n'atteindra jamais cette élégance 
et cette propriété de termes que nous admirons dans les chefs-d'œuvre 
littéraires. Quoique très-concis, le dictionnaire de M. Sardou répond d'une 
manière satisfaisante aux besoins de l'enseignement, et les explications 
qu'il renferme suffisent pour faire bien connaître la valeur exacte de 
chaque mot et les nuances qui le distinguent de ses synonymes. 



Histoire de la conversation, par E. Deschanel. Paris, 1837; 1 vol. 

in 32 : i fr. 

La conversation appartient aux temps modernes» et c'est en France 
qu'elle est née. Sur ces deux points, M. Deschanel ne trouvera guère de 
contradicteurs. En effet, chez les anciens, autant du moins que nous en 
pouvons juger d'après leurs écrits» l'art de causer n'était pas connu. Ils 
savaient très-bien discourir, poser et résoudre des problèmes, traiter fa- 
milièrement de hautes questions philosophiques. Mais leurs entretiens 
n'ont aucun rapport avec ce qui s'appelle aujourd'hui la conversation. 
Presque toujours on y remarque un certain cachet d'apparat. Ce sont des 
espèces de joutes où chacun vient à son tour faire preuve de savoir, d'é-- 
loquence ou de perspicacité. Un sujet était choisi pour servir de thème, 
et les interlocuteurs ne devaient pas s'en écarter. Les Grecs, avec leur 



Wtê UftiftAMM. 

tflMgioaliim hrliiiote ei Céooode, rëpaudmoi beMMM>up ddobtroM «nr e^ 
genre de dialogue», dont Platoaseufi a laissé d'admirables modelas. Ainsi 
h mise en soèiie de Phèdr9 est pleine de poésie : < Par Jubm ! s'écrie 
Secrate^ le cbarinant lieu de repos ! comme ce platane eatlarge et élevé 1 El 
cet agnus castu», aveeses rameaux élancés et son bat ombrage, nedifait<-> 
on pas qu'il esl li en fleurs pour embaumer l'air? EtceUe source àéA^ 
eieuse qui coule sous le platane, et dont nos pitds sentent la fi*aîoheur ? 
Ce lieu pourrait bien être consacré à quelques nymphes et a^i fle«ve àché^ 
loos, à an ji^er par ces figures et ces statues. Goûte on peu Tair^u-OB 
y respire, comme il es4 doux et agréable; le chant de% cigales lui demnc» 
même quelque cbese de mélodieux et qui sent l'été. Ce qw j aunasurr^ 
tout, c'est <3ette herbe touffue qui nous permet de nous é^teodve et >df^ re^. 
poser mollement notjre tête sur ce terrain légèrement io^clinél Mon cher 
Phèdre, tu ne pouvais mieux me conduire, d 

C'est le ton del'églogue et non celui de la causerie. Dans les dialogues 
romaine, nous trouvons encore plus d'apprêt. Les aci^essoires champêtres 
ont disparu pour bire place aux compliments cérémonieux, et rentretien 
pe«êt la forme d'une discussion en règle, plus ou moins empreinte de^pé^ 
danterie. 

Quel contraste avec l'esprit français, qu'on peut appeler, comme iedii 
M. Descbanei, « la raison en étinc^ies.» Cette définition nous paraît trèsr 
juste, pourvu toutefois que l'on ne confonde pas le faux clinquant avec 
l'or pur. L'esprit français a ses défauts comme ses qualités. S'il est vif, 
clair, piquant, plein de saillies et de gaîté, sa légèreté lui joue quelque- 
fois de mauvais, tours, et, faute de mesure, il manque, le. but. C'est que Id 
bon sens forme son complément indispensable. Les gens spirituels sans 
tact ou sans portée sont bientôt fatigants et même ennuyeux. 

La conversation prit naissance dans les salons du dix*-septième sièdie. 
Blle'fut le produit des rapports qui s'établirent alors entre fes courtisans 
et les hommes de lettres. Dans cette société brillante, la galanterie permit 
aux femmes d'exercer une influence qui contribua fortement à polir le (on 
eties manières. «Tout le monde gagna à ee commerce. Si les femmes don- 
nèrent aux hommes la politesse, l'élégance, le tact, les hommes leur don* 
nèretit, en retour, des lumières, des connaissances, 'un savoir lx)ut fait. 
Les lettrés devinrent gens du inonde, les gens du monde devinrent let- 
trés. Ainsi la fusion se fit entre le savoir et le savoir-vivre, entre les idées 
et fes formes, entre la science et la vie; ainsi se développèrent, Tune par 
l'autre, la politesse littéraire et la poKtesse sociale, i 



hmÉ9kàW9m. IBM 

On poot$9 biei) ifuelquefeis to recherche un peu trop loin, il y eut des 
préeiemee ridieules, «mm fiiKileoient le bon goût trouva <ie nombreux 
«outîeM, qui le fireni triompher. L« conversation suivit l'essor du mou*^ 
vemeni littéraire, et devint, pendant le dix-buitiéme siècle, l'un des 
prioeipaux titres de l'esprit français à Testine des autres peuples. Abl* 
beureittement elle fit naufrage avec le reste au milieu de Torage révo« 
lutionnatre ; ce n'est plus aujourd'hui qu'une tradition de l'sncien régime, 
qui compte de bien rares adeptes dans notre société» toute préoccupée de 
«bemiiia de fer et d-agiotage. Disparaltra-t-elle complètement pour faire 
plaee à l'éloqueftce des assemblées d'actionnaires et des banquets démo- 
cratiques? C'est possible. Cepeadant nous croyons l'esprit français ca* 
pable encore de ta retever, pour peu que la marche des choses lui fasse 
quelques loiûrs. En attendant, les lecteurs accueilleront avec joie le petit 
volome de M. Deschanel, qui résume d'une laaiiière fort piquante les 
benax lemps de la conversation, et cite une foule de jolis mots dignes 
d'être conservés. 



HîSTOiRB DE LA PRCSSE 60 Angleterre et aux Etats-Unis, par Cucheva1«> 
Clarigny. Paris, 1857 ; i gros vol. in-12 : i fr. 

Ce livre traite seulement de la presse périodique; c'est l'histoire des 
jmirjuux dont l'origine, eu Angleterre» remonte à l'année 1622. A cette 
époque, un ancien papetier, Nathaniel Butter, entreprit do puWier à Lon- 
dres une feuille intitutée : WêMy Newi. Les premiers numéros portaient : 
cTraduit du hollandais,» ce qui semble indiquer que l'usage existait déjà 
en Hollande, d'où probablement il passa bientôt dans la Grande-Bretagne. 
Butter donnait chaque semaine une petite ieuille in-quarto, consacrée ex- 
cl^sivemeRt aux nouvelles étrangères. Il n'eut pas grand succès; la dif- 
ficulté de se procurer des nouvelles était uo ohstucle, et d'ailleiufs le 
public s'intéressait alors assez peu aux affaires diA continent. C'est peor 
dant la lutte-entre le parlement et la royauté que les journaux commen- 
cèrent à prendre une réelle importance. Les dix-neuf années qui s'écou- 
lèrent de 1641 à la restauration des Stuarts, en virent naître et mourir 
près de doux cents. Chaque parti voulait avoir son organe, et la guerre 4 
xoups de plume ne fut pas moins vive que celle à coups de fusil; Au mi- 
lieu de cette polémique ardente on trouve déjà des journalistes qui se 
mettaient sans scrupule au service des opinions les plus opposées. Ainsi 
Marol^amoftt Nedbam» apoès avoir 4U l'advemire de la cour et Toracle du 



SAS LUTTÉlUfflllll. 

parti parlementaire, créa le Mereure pragmatique, dans lequel il fit pen- 
dant dii-buit oiois la guerre aux presbytériens, puis devint le soutien de 
GroiDwell en fondant un troisième journal» dont le succès fut considé- 
rable. On comprit dès lors que le journalisme pouvait être un métier lu- 
cratif, d'autant plus que l'usage des annonces vint bientdt augmenter ses 
ressources. La révolution de 1688 acheva de consolider son existence. 
Les lois qui gênaient la presse étant abolies, le nombre des feuilles pé- 
riodiques s'accrut rapidement. Hais c'est seulement de i702 que date le 
premier journal quotidien, intitulé le Daily Courant^ et trois ans après 
parut la première revue, publiée par Daniel De Fœ. Durant le dix-hui- 
tièooe siècle, malgré les entraves par lesquelles le pouvoir cbercbail à 
combattre l'influence des journaux, ceux*ci prospérèrei^ de phisen plus. 
Les principaux organes que possède aujourd'hui la politique anglaise 
furent fondés vers la fin de ce siècle : le Times en 1788, le Sun en 1792, 
le Moming Po$t en 1772, le Moming Herald en 1780, etc. Plusieurs 
de ces entreprises ont pris de nos jours un développement immense. Le 
Times surtout, qui est le plus répandu, ne recule devant aucun sacri- 
fice pour maintenir sa supériorité. Ainsi, par exemple, il y a quelques 
années, outre un traitement annuel de 2500 fr., il donnait plus de 
2000 fr. par voyage à un courrier qui devait faire en 76 heures le tra- 
jet de Marseille à Calais, et lui apporter ainsi, avec quelques heures d'a- 
vance sur la poste, un sommaire en dix lignes de la malle de Tlnde-. Un 
fait semblable suffit pour faire apprécier l'importance de cette feuille et la 
manière dont les journalistes anglais entendent le service de la presse. 

A cet égard, ils n'ont de rivaux que dans les Etats-Unis de l'Amérique 
du Nord. Là, sous l'empire d'une liberté presque illimitée, le journalisme 
a pu s'épanouir et porter tous ses fruits, bons ou mauvais. Comme ré- 
sultat financier, nous citerons le Sun, qui, après avoir enrichi son fon- 
dateur et consacré 500,000 francs à la construction de ses vastes ateliers, 
s'est vendu 1,2507000 francs, laissant encore à son nouvel acquéreur un 
bénéfice d'environ 500,000 francs par an. Cet exemple *de prospérité 
n'est pas le seul que présente la presse américaine. La plupart des jour- 
naux y sont des entreprises assez lucratives, malgré rextrème concur- 
rence à laquelle ils se trouvent exposés. Mais il faut dire aussi que te 
succès pécuniaire semble être en général Tunique but de leurs efforts. Ils 
se soucient peu de l'influence morale; les articles de fond ne tiennent 
guère de place dans leurs colonnes ; l'annonce et la réclame rapportent 
davantage, et ce sont elles qui dominent. La presse américaine se préoc- 



LlTtiftAtl}RB. 263 

eupe avant tout des intérêts matériels. Le principal objet de ses feuilles 
périodiques est de recueillir les faits qui peuvent influer sur la hausse ou 
ia baisse des marchandises ; ensuite viennent les renseignements propres 
à guider les citoyens dans les perpétuelles élections auxquelles ils sont 
appelés par le régime démocratique; la littérature, les arts, tout ce qui 
concerne le mouvement intellectuel ne sert qu'à boucher les trous quand 
le reste ne suffit pas pour remplir le journal. L'essentiel est de présenter 
à la fois le plus grand nombre d'annonces et le plus grand nombre de nou- 
velles, les dépenses qu occasionnent celies-ci se trouvant compensées par 
le produit de celles-là, qui augmente en raison du nombre des lecteurs. 

« Un journal américain est comme un panorama du monde entier; il 
enregistre ce qui se passe au Brésil, au Pérou, au Chili, avec autant de 
soin et autant de détails que les nouvelles de Paris et de Londres, et une 
lettre de Chine y fait quelquefois suite à une lettre de Constantinople. Le 
Delta et les autres grands journaux de la Nouvelle-Orléans publient tous 
les jours des nouvelles de la Californie et de tous les points de l'Amérique 
du Sud, qu'ils se procurent régulièrement au prix de dépenses énormes, 
envoyant au besoin des exprès, avec ordre de noliser des navires, quand 
les moyens de transport ordinaires manquent ou sont trop lents. Quant 
aux nouvelles transatlantiques, ces mêmes journaux les publient toujours 
avant l'arrivée des malles ; elles leur sont transmises par le télégraphe 
d'Haiifex, de Boston, de New-York, de Philadelphie, de tous les points 
ot peut aborder un navire venant d'Europe. 

« Cette multitude de correspondances et de dépêches ne contribue pas 
médiocrement à l'aspect étrange que les feuilles des Etats-Unis présentent 
à l'œil du lecteur européen. Rien ne diffère plus d'un journal français 
qu'un journal anglais ; cependant, avec un peu d'habitude, on se reconnaît 
aisément au milieu des immenses colonnes du Times ou du Chrcnicle; 
chaque matière a sa place spéciale, où l'on est assuré de retrouver tous les 
jours les faits du même ordre. Rien de pareil dans les journaux américains ; 
quand on les ouvre, l'œil se noie dans une mer de caractères microsco» 
piques, où rien ne le guide, où rien ne lui sert de point de repère. Point 
de classement méthodique des matières ; aucune différence dans les carac- 
tères employés ne vient détacher Tun de Tautre des articles, sans aucun 
rapport entre eux, et appeler l'attention sur les parties importantes du 
journal. Des annonces au commencement, des annonces au milieu, dés 
annonces à la fin, voHà ce qu'on aperçoit d'abord. De distance en dis- 
tMica, le haut d'une colonne est bariolé de sept ou huit titres, à la suite 



>fi64 UTTlIlAVUM. 

desquels se trouve une note d'autant de lignes; quelquefois il s'af^t sim- 
plement d'une dépêche dont on a dépeoé et relouroé le texte avant de la 
donner purement et simplement. Trois colonnes plus loin, vous pouvez 
retrouver de nouveaux détails sur le même tut, ou une variante de la 
même dépêche, et rien autre chose que le caprice du journaliste ou de 
rimprimeur ne peut vous expliquer pourquoi un article est à telle place 
plutôt qu'à telle autre. Quant à l'article éditorial, c'est^i^-dire à l'article 
qu'on pourrait appeler le premier New-York ou \e premier Philadelphie, 
il est toujours extrêmement court; il est très-rare qu'il excède une demi- 
colonne ou trois quarts de colonne. 11 est suivi d'une multitude de petits 
paragraphes encore plus courts, qui traitent des matières les pkis diverses. 
En revanche, une même question fait quelquefois l'objet de trois ou q4iatre 
notes successives, qu'on n'a pas pris la peine de fondre en un seul article. 
Les nouvelles locales sont données à profusion, avec une abondance et une 
minutie de détails qui impatienteraient un lecteur français. A la suke àds 
nouvelles locales, il est rare de ne pas renoontrer deux ou trois listes de 
candidats, car les élections sont perpétuelles: élections fédérales» élee- 
tions pour l'Etat, pour le comté, pour la ville; élections de députés» d'a/~ 
dermen, de juges, de collecteurs de taxes, d'inspecteurs de la voirie, etc. 
Un citoyen exact et zélé a toujours quelqu'un à élire à quelque chose 
entre son déjeuner et son dîner, et il faut que son journal lui fasse coo*^ 
naître les candidats au poste vacant. Viennent ensuite des statistiques où 
l'on compare les résultats des élections avec ceux des élections précé- 
dentes, pour savoir qui des whigs ou des démocrates a gagné ou perdu 
des voix. Enfin, une grande place est réservée aux nouvelles comroer^ 
ciales, et l'esprit pratique de la nation américaine se retrouve là tout en- 
tier. Rien n'est plus lucide, plus sensé, plus nourri de faits et d'argu^ 
ments, que les articles où l'on rend compte du mouvement des valeurs, 
où l'on apprécie la situation des affaires. Les nouvelles «ont classées avec 
ordre et méthode, résumées avec une concision qui n'ôte rien à la clarté. 
Quant aux variations des fonds et des denrées sur toutes tes places des 
deux mondes, elles sont scrupuleusement enregistrées, parce que le 
moindre oubli , le nooindre retard mécontenterait gravement les gens 
d'affaires. Presque chaque ligne de cette partie du. journal représente une 
dépêche télégraphique, et lorsqu'on voit ces cotes, qui offrent pourb 
plupart l'aspeet de véritables hiéroglyphes, remplir deuK ou trois co- 
Jonnes et quelquefois davantage» m est effrayé des dépenses que cette ao- 
.^umulation de renseignements in^peseaux journaux américains. Lorsque 



Ie9 diverses matières que nous avons éoomërées ne suffisent pas, avec 
les amioiiees, ï remplir le journal, Tédîteur bofteke le tfoUf car c'est là la 
vérîtiable expression I employer, avec tout ce qui lui tombe sous la main, 
avec des pièces de vers, avec des citations empruntées aux bons auteurs, 
quelquefois avec un roman, qu'il découpe en morceaux, suivant les be- 
soins de l'imprimerie. En somme, si l'on retranchait d un journal améri- 
cain tout ce qui est oiseux et dépourvu d'intérêt, tout ce qui sent le ca- 
quetage de pétrie ville, il resterait souvent assez peu de chose à lire, et 
an écri^in anglais avait le droit de dire que toutes les nouvelles du plus 
grai>d journal des Etats-Unis tiendraient 4ans une seule page du Timèi 
ou du IMly Newê.9 

On trouvera peut-être que M. CuchevaUCiarigny se moutre bien sé- 
vère à l'égard de la presse américaine. Cependant noua croyons qu'il 
aurait pu l'être davantage encore, s'il avait traité d'une manière plus 
étendQe la question de Tinfluence exercée par la foule des petits journaux 
qui ne vivent guère que de scandales et de personnalités injurieuses. Les 
Etats-Unis subissent tous les inconvénients de la liberté absolue, et, jus- 
qu'à présent du sioins, ils ne semblent pas en avoir retiré grand profit 
pour le développement inteilectuel et moral. Là comme ailleurs^ ce diffi- 
eile problème reste encore à résoudre ; seulement on en cherche la eolu- 
tion dans une voie tout opposée ï celle que suivent la plupart des Etats de 
l'Europe* 



Mignon, légende, par J.-T. de Saint-Germain. Paris, J. Tardieu, 1857; 
1 vol. in*32: 1 fr. — Les quatre âges, scènes du foyer, par 
X. Marmier. Paris, i. Tardieu, 1857 ; i vol. in-32 : 1 fr. 

Mignon est une histoire touchante, emprunte des sentiments les plus 
purs, les plus élevés. 11 n'y a que des incidents fort simples. Tout l'intérêt 
gît dans le développement de caractères aimables et bons qui exercent 
une heureuse influence sur leur entourage. L'auteur ne vise point aux 
effets dramatiques ; il cherche plutôt à captiver par le charme des détails, 
et les scènes qu'il peint sont en général d'un geore deux et gracieux. 
Nous approuvons fort cette tendance, au point de vue littéraire^ comme 
au point de vue moral. Mais elle est peut-êure moins féconde, et demande 
un talent fertile en ressources pour soutenir l'intérêt. A début de péripé- 
ties émouvantes, il faut une grande habileté de atyle, une teuebe fine et 



S66 YOTA«BS KV HliVOllUS. 

délicate, qui donne de l'attrait aux plus petites choses. Le mérite de la 
forme devient surtout plus indispensable que jamais lorsqu'il s'agit d'une 
courte nouvelle où l'action est à peu près nulle. M. de Saint-Germain 
l'a bien compris: aussi ne néglige-*t-il pas cet accessoire précieux. On 
voit que la perfection du style est le but principal de ses efforts. Malheu* 
reusement il s'en préoccupe trop, et cela l'entraîne quelquefois à faire des 
phrases prétentieuses ou déclamatoires qui ne sont pas en harmonie avec 
la nature de son sujet. A cet égard, Mignon nous semble inférieur à la 
légende de VEpingle. Le style est plus travaillé, mais on y rencontre 
beaucoup d'ornements superflus, qui sentent la recherche et gênent la 
marche du récit. Nous croyons utile de mettre Tauteur en garde contre 
un semblable écueil. On lira du reste son petit volume avec fdaisir et 
môme avec fruit, car l'excellent esprit qui l'anime d'un bout à l'autre ne 
peut laisser que des impressions salutaires. 

Les Quatre âges nous paraissent également dignes d'être recomman- 
dés comme une bonne lecture, quoique parfois la sentimentalité nuageuse 
-y domine un peu trop. Ce sont des contes d'auteurs allemands, russes, 
anglais, etc., traduits librement, c'est4-dire accommodés autant que pos- 
sible au goût du public français. JM. Marmier entend fort bien ce genre de 
travail. Les différentes littératures du Nord lui sont assez familières pour 
lui permettre de choisir, et ses traductions obtiennent en général un 
succès remarquable. Les sept nouvelles qu'il a réunies ici sous ce titre 
commun sont trop courtes pour offrir beaucoup d'intérêt, mais elles ont 
du moins l'attrait de la variété. On y trouve d'ailleurs quelques scènes de 
mœurs habilement décrites et le style ne manque ni d'élégance, ni de 
charme. 



VOVACi^im ET HISTOIHE. 

Les anglais et l'Inde, avec notes, pièces justificatives et tableaux sta* 
tistiques, par E. de Valbezen. Paris, Michel Lévy frères, 1857; 
1 vol. in-S : 7 fr. 50. 

Ceci n'est pas, comme on pourrait le croire d'après le titre, un livre de 
cireonstanee, improvisé à la hâte dans le bot d'exploiter la curiosité pu- 
blique. L'auteur a séjourné dans l'Inde, il en connaît bien les institutions, 
les mœurs, l'histoire, et son travail, terminé depuis deux ans, se trouve 
en grande partie déjà publié par fai Revue des DêuX'Mondes, On comprend 



V0TA6B8 BT HIBTOllI. 9S7 

dose quel vif intérêt doit offrir celte esquisse de l'eiapire angto-iodieii, 
tracé par uo écrivain impartial, qui n'avait d'autre but que d'exposer fi- 
dèlement le résultat de ses études et de ses observations. M. de Valbezen 
ne s'attribue point le mérite d'avoir prévu les événements actuels ; au 
eootraire, il s'empresse de déclarer que la révolte des cipayes Ta sur- 
pris autant que personne ; quoique frappé'des vices du système militaire 
de la Compagnie des Indes» il ne soupçonnait pas qu'une semblable insur- 
rection fût possible. Cette franchise nous paraît propre à lui gagner la 
éonfiaiiGe des lecteurs, et le bon sens qui caractérise ses jugements n'en 
ressortira que mieux. 

Pour apprécier convenablement les actes de l'administration anglaise , 
il importe avant tout de bien connaître l'état du pays, la condition morale 
et matérielle des habitants, l'influence qu'exercent sur eux d'antiques 
préjugés d'autant plus tenaces qu'ils se rattachent à leuYs coutumes re- 
ligieuses. Dans le (H'incipe» la Compagnie des Indes n'était qu'une es- 
pèce d'association commerciale, dont les efforts avaient pour unique but 
d'établir des comptoirs sous la protection des chefs indigènes. Mais les 
dissensions fréquentes qui éclataient entre ceux-ci la forcèrent bientôt de 
pourvoir elle-môme à la sûreté de ses établissements^ Elle dut avoir une 
force armée, une police, des tribunaux et se faire déléguer par le gou- 
vernement de la mère-patrie des pouvoirs assez étendus pour la mettre 
en état de se maintenir indépendante et respectée. On ne recula pas de- 
vant les exigences d'un régime exceptionnel, qui donnait h la Compagnie 
l'exercice de l'autorité souveraine, tout en soumettant ses actes au con- 
trôle supérieur de la couronne et du parlement. Une fois entré dans cette 
voie, la Compagnie fut en quelque sorte fatalement conduite à devenir 
usurpatrice et conquérante. Son rôle était changé. Au but spécial qu'elle 
avait poursuivi jusqu'alors, succédait la difficile tâche d'administrer un 
empire au milieu de populations hostiles qui ne pouvaient être soumises 
que par la force. Il lui fallut recourir aux armes, entretenir l'esprit mili- 
taire chez ses agents, et sans cesse agraadir son territoire par de nou- 
velles conquêtes, sous peine de perdre le prestige indispensable désor- 
mais à la durée de sa puissance. En môme temps elle devait so'préoc- 
cuper de l'organisation intérieure, pacifier ces pays depuis longtemps en 
proie à l'anarchie, où le fanatisme religieux lui suscitait de continuels 
obstacles. Une œuvre aussi gigantesque ne pouvait être tout à fait exempte 
de fautes. Le déploiement d'énergie nécessaire à son accomplissement se 
conciliait mal avec tes scrupules de la modération. D'ailleurs, pour bien 



3S8 ?d1>A«M M' rnSMIffl . 

juger les agest»' 4e la Compagnie, rimpartiaKté demande qu'oui tieofie 
compte du milieu dens lequel a'exerça leur pouvoir. Peu d'hommes «oAt 
capables de subir impunément le contact d'une sootété ^gr^e^ et tes 
exemples qu'en offre l'histoire de l'Inde noua paraissehit plutôt f»ipe faon- 
neur au caractère de la nation anglaise. Le livre de M. de Valbessii est 
fort instructif à cet égtré. Il reinl pleine justice aux gouvemetors liaWles 
et fermes qui, par leurs ^es OKSores, assurèrent la prospérilé de l'empilée 
anglo-indien, et sait faire la part des immenses difiiottités «dotre des- 
quelles ils eurent à lutter. Les détails qu'il donne s«ir la pepulatvsD indi- 
gène montrant à quel point nos idées et nos croyanoes sofit antipalhi- 
qoes mx adorateurs 4e Brahma. En présente de ce làèleau qui» fôtt si 
bre» coflBattre le peuple inde«, corrompu jusqu'à la moelle par te poison 
de doctrines monstrueuses unies aux institutions sociales les plus d^es- 
tables, loin de blâmer la Compagnie, on admire la peraé'tëranee de ses 
efforts et la grandeur de ses succès. L'éehec terrible qu'elle éprouve tn- 
jourd'hui n'efface pas la gloire du passé. L'imurrectton des cipajies 
prouve seulement qu'on avait tort de leur accorder autant de confiance, 
et de croire à l'effieacité de la diseipHae militaire sur ces natures bar- 
bares. Du reste cette tllusien était bien général, perse^sne datos Klnde 
ne soupçonnait l'existence d'un complot, la sécurité la plus complète^ do- 
minait partout. M.deYalbezen en offre loi^nfiême miexemple assez frap- 
pant, car il ne lamse percer nulle part la moindre inquiétude, et vante au 
contraire à plusieurs t^prtees c l'ordre- matériel absolu qui, sous i'empii^e 
des lois anglaises, règne dans le plus grand empire qu'ait jamais v^ te 
monde. > Cependant, après avoir lu son livre, on sera moins étc^é de la 
révolte des Indous que de l'imprévoyance de la Compagnie. H en res- 
sort clairement qu'aucun lien d'affection n'existe entre les vainqueurs et 
les vaincus. Ces derniers subissent le joug par habitude, ils n'ont fait que 
changer de maîtres. Mais la civilisation européenne leur est odieuse pafee 
qu'elle condamne une fonfe de coutumes auxquelles ils tiennent plus 
qu'à la vie, et prétend réprimer des désordres qu'Hs regardent comoie 
de saintes pratiques. Aussi, malgré tes efforts tentés pour vakM^e cette 
résistance, leurs instincts sont restés les mêmes ; la sanglante tragédie 
qui se joue en ce moment ne le prouve que trop. C'est la férocité du 11- 
p*e avide de carnage et prenant plaisir à torturer ses victimes. 



MiTTHEiLUNGEN ùber wichtige neue Erforschungen auf dem Gesammtge- 
biete der Géographie, von D' A. Petermann. Gotha, Justus Perthes, 
1857. Lief. IV, V, VI, in-4* cartes. 

Les priocipaux article* que reofârment ces livraisous nouvelles soei : 

L*e0p4iition français dant lafkttrtiê emUnde de l Amérique <lm Sud^ 
MUM fa. condmt^M FrtuMte^ de Castebuku ; analyse de la relation publiée 
i Paris en 1850 et lë51. 

Les voyage» de Ladislaue Magyar dans V Afrique métiéianAle,'^ Ex- 
féMfm dans le nord de VAueiralie, par te D' Huiler. 

L/^ éeseriptûm du pa^s ei du peuple Imosekark ou Tuareg, par le 0* 
Barth; extrait du premier votiiaie de son voyage en Afrique. 

le voyage deJéruealem et de la mer Morte, à travers l* Arabie, jus^ 
qu'à la mer Rouge^ par le professeur Koth. 

L'exploration de l'Afrique se continue avec un zèle infatigable, et toutes 
les découvertes relatiiies à cette partie du monde excitent l'intérêt au plus 
haut degré. 

Api'ôs les docteurs Bartb, Livingston et Vogel, dont nous avons déjà 
plus d'une» fois entretenu nos iedieurs, voici un Hongrois qui ne mérite pas 
BMMas d'ôtre isignaié à leur ailention. Ladislaus Magyar, lieutenant de 
«ame, se rendit en 1847 dans le sud de l'Afrique, et pendant dix années 
il-a parcouru ce pays dans tous les sens, depuis les côtes de l'Océan at« 
laptique Jusque tout près de celles que baigne la mer des Indes. Afin de 
poumr< accomplir cette difiBciie entreprise , il a pris pour femme la fille 
d'un chef de Maazisikuitu dans le royaume de Bihé. «Tu t'étonnes, éori- 
vait*il à son père en décembre 1853, que je me soie non-seulement éta- 
bli, mais encore marié parmi les sauvages peuplades de l'Afrique ; mais 
san&.cette devnière condition je n'aurais jamais atteint mon but, et main* 
tétant que j'ai réussi, je puis dire qu'aucun pouvoir en Europe, aucune 
subvention, quelque riche qu'elle fût, ne mettrait le plus hardi voyageur 
i mèoie de traverser ces contrées sauvages et désolées* Les esclaves arô- 
mes de ma femme ont été pendant cinq ans mes compagnons, tou« 
jours exécuteurs fidèles de mes ordres, toujours pr6ts à marcher par- 
tout où le plan de mon voytge nous eondoisait ; la plupart sont morts, 
soit les armes à la main, soit par suite des maladies, des fatigues, des souf- 
frances de toutes sortes que nous ont fait éprouver la faim, la soif, les 
hètes féroces, le climat, etc. Moi-même j'ai tant souffert que mon exté- 
rieur est celui d'un vieillard de soixante ans. » 



Pour nous faire apprécier riroportance des travaux de cet intrépide 
explorateur, M. Petermann donne le récit de deux de ces excursions dans 
des contrées jusqu'ici tout à fait inconnues. La première est un voyage 
sur le fleuve Congo depuis son embouchure jusqu'aux cataractes de Faro- 
Sottgo; la seconde a pour but le royaume de Kaniba. Dans ce dernier 
pays, où Ton n'avait pas encore vu d'homme blanc, M. Ladislaus Magyar 
fut l'objet d'une vive curiosité, mais en général on raecueillit plutôt avee 
bienveillance, et les détails qu'il donne sur les moeurs des naturels sont 
fort intéressants. 

c Leur religion, dit-il, est une espèce de monothéisme, dont le prin- 
cipal dogme établit l'existence d^un bon et d'un mauvais génie. Mais ils 
croient que le mauvais est le plus puissant ici-bas, aussi n estnse qu'à lui 
qu'ils ofirent des sacrifices, ils ne possèdent ni prêtres, ni temples, mais 
ont d'innombrables devins. 

c On ne connaît guère les maladies ici, les exemples de longévité sont 
U^ès^nombreux. D'après la croyance des peuplades africaines, personne ne 
meurt naturellement, à moins qu'un sort ne lui ait été jeté par quelque en- 
nemi. Aussitôt qu'un individu meurt, ses parents et ses connaissances se 
rassemblent dans sa demeure, où ils donnent cours à leur douleur avec 
grand bruit, puis ils appellent à haute voix le défunt pour lui demander 
la cause de sa mort et lui promettre d'en tirer vengeance. A cette occasion 
plusieurs bœufs sont tués, et l'on prépare une grande quantité de la bois- 
son appelée héla, pour le repas mortuaire, qui dure plusieurs jours et 
plusieurs nuits avec des danses et des divertissements. Lia cérémonie 
terminée, on enveloppe le corps dans une peau de boeuf fraîche et on 
l'enlerre dans une fosse creusée près du chemin ; des os et des cornes 
de txBuf sont répandus sur la tombe. Ensuite, les plus proches parents 
du défunt vont consulter un devin pour savoir de lui l'auteur de la mort. 
Le devin, après maintes simagrées, désigne d'ordinaire quelque ennemi de 
la famille ou de lui-même. Ce coupable est alors soumis par-devant le 
chef du lieu à l'épreuve de la boisson, ou du Bulongo, qui s'exécute de 
la manière suivante. Le plaignant et l'accusé s'asseyent vis*à*vis l'un de 
Tautre, au milieu des spectateurs ; chacun tient une corne à boire, dans 
laquelle le devin verse l'héla en prononçant ces paroles : c Que celui qui 
e$t coupable l'avoue pendant qu'il en est temps encore, car si je verse 
seulement une pincée de ma poudre dans sa boisson il mourra subite- 
ment. • Après avoir répété cette menace trois fois, il secoue une petite 
poche de cuir pleine de poudre blanche dans ta corne de chacun, puis 



VOTAGB0 BT HISTOIRE r 231 

les deux patients boivent, et vingt minutes sont à peine éeoulées que 
déjà l'un est en proie. aux symptônes de l'empoisonnement, tandis que 
Tautre, calme et Joyeux, reçoit les félicitations de ses amis sur Theoreuse 
issue de Tëpreuve. 

« J'eus l'occasion de vérifier que la poche de cuir dont se sert le devin 
est divisée intérieurement en deux parties, dans l'une desquelles se 
trouve du Massambala-Mebl, tandis que l'autre renferme un poison très- 
actif. Si l'accusé paie, un contre-poison lui sauve la vie, mais il ne m'ar- 
riva pas de pouvoir le constater. > 

Les Tuareg, au milieu desquels le D' Barth s'est trouvé souvent, sont 
une tout autre race, d'origine arabe, et, quoique nomade, beaucoup plus 
élevée sur l'échelle sociale. Ils appartiennent à la religion de Mahomet; 
leurs mœurs ont beaucoup de rapports avec celles des Berbères. Dans 
le pays qu'ils habitent, des sculptures plus ou moins grossières se rencon- 
trent ^ et là, qui semblent être les vestiges d'une ancienne civilisation. 

On voit que si la géographie de l'Afrique commence à se débrouiller, 
chaque pas qu'on fait dans ces régions si longtemps fermées aux voya- 
geurs européens, soulève de nouveaux problèmes à résoudre. 

L'Australie présente un autre genre d'attrait à la curiosité des explo-> 
rateurs. L'homme n'y tient qu'Un rang tout à fait secondaire, mais la 
nature semble avoir choisi cette grande île pour le laboratoire de ses ex- 
périences. La faune australienne diffère de celles de toutes les autres 
contrées du monde, et la flore paraît n être pas moins riche en plantes 
qui ne se trouvent pas ailleurs. M. Muller a recueilli dans son expédition 
cinq cents espèces nouvelles. C'est un beau résultat, et comme l'Australie 
est loin d'être entièrement connue on peut en inférer qu'elle réserve en- 
core de nombreuses conquêtes à la science botanique. 

Nous ne terminerons pas cet article sans mentionner la jolie carte des 
pays de Tuareg, d'Air et d'Asben, dressée d'après les observations du 
D' Barth par M. Petermann. C'est un spécimen remarquable des progrès 
que la cartographie fait journellement en Allemagne. 



Mémoires sur Béranger, souvenirs, confidences, opinions, anecdotes, 
lettres, recueillis et mis en ordre par Savinien Lapointe. Paris, 1857 ; 
1vol. in-8:5fr. 

En publiant ces mémoires, M. Savinien Lapointe acquitte une dette 
de reconnaissance. Béranger témoignait beaucoup d'intérêt au poëte 



SR& VOliAM V II1SI9IAJI. 

Mttsaa. U élait devenu 80o protecteur et se« »ni. Itiea doae 4e ^m 
ittiurel que qet homnage rendu à sa inéfliaire par celui dont il avait en<- 
ceuragé les ^rt» avec taet de benté. H. Savinien Lapeinte ne.se moolre 
pas ingrat, et le sentiment qui guide sa pluroe décèle un noble cceur. 
Mais chez lui i'enthou^iasjne déborde un peu trop. Dans sea admiration 
pour l'illustre chansonoier» il oublie la juste mesure que doit avoir l'éloge 
et deone souvent prise à la critique. A quoi boA, par exemple, étaler au 
grand jour une foule de légers bieniaits que Béranger répandait sans os-^ 
tentation? Ne valait-il pas mieux en choisir deux ou trois parmi les plue 
remarquables^ et laiseer le resie dans Tombre qui sied si bien -à la vraie 
charité? Cette longue nomenclature de tous les moindres services rendue 
e^t use espèce de réclame dont le caractère de Béranger n'avait assurer* 
ment nui besoin. H. Savinien Lapointe abuse de l'éloge, el danssafer*- 
veur lance l'anathème contre quiconque se pernaetde n'être pas du mêipe 
avis. La manière dont il traite, entre autres, MM. Sainte-Beuve et Pont- 
martin , nous semblent fort inconvenantes. Quels que soient les mérites 
de Béranger, ses chansons ne sont pas toutes des che£s-d -œuvre irrépro^ 
chables. On peut, tout en rendant justioe à son beau taleni, blâmer par-o 
foie les sujets qu'il a choisis ou les tendances qu'il manifeste. 11 n'y a 
point ineptie ai fanatisme k soutenir» soit en morale, soit en politique» 
soit en religion, d'autres principes que [ceux du chansonnier. Puisqu'on 
prétend donner aux refrains de Béranger une portée philosophique sé- 
rieuse, cbacun doit être libre de les juger à ce point de vue suivant ses 
propres convictions, et si les jugements semblent trop sévères la faute en 
est à ceux qui les ont .ainsi provoqués. 

Du reste, les mémoires de M. Savinien Lapointe renferment maints 
détails fort intéressants. 11 a vécu dans l'intimité du poëte, et la piété . 
filiale avec laquelle il recueille tous les souvenirs propres à faire appré- 
cier son ftme élevée et sa nature bienveillante trouveront^ nous en somme& 
sûr, un écho sympathique chez la plupart des lecteurs. 



Gesghichte des GoTTfiSFRiEDENS ( Histoire de la Paix de Dieu), von 
I> Âug. Kiuckholm. Leipzig, Hahn, 1857 ; 1 vol. in-8. 

La Paix de Dieu est certainement Tune des institutions les plus intéres- 
santes et les plus, caractéristiques du moyen âge. Elle indique bien dans 
quel état de dissolution la société se trouvait à cette époque. L'autorité 



YOTAGIS n HISTOIRB. 273 

civile, grdce aux abus de ses dépositaires, n'inspirait plus aucun respect. 
Après le démembrement de Tempire de Gharlemagne, la décadence 
avait marché d'un pas rapide. Ses successeurs, incapables de réprimer 
les tendances anarchiques de la noblesse, leur laissèrent prendre un essor 
de pbs en plus inquiétant. Bientôt disparut toute espèce de sécurité. Les 
sonneurs ne reconnaissaient d'autres lois que leurs caprices et se livraient 
au bripndage sans le moindre scrupule. L'organisation sociale offrait l'i- 
mage d'un véritable chaos. L'Eglise elle-même participait à cet état 
de choses : ses chefs donnaient l'exemple de la tyrannie et de la oor- 
mption. Cependant c'est de son sein que sortit le seul remède effi- 
cace qui ptn arrêter les progrès du mal. Quelques évêques, animés de 
l'esprit ebrétien, imaginèrent d'opposer au droit de la force brutale l'ac- 
tion du pouvoir spirituel. Voyant que l'excommunication et l'interdit, 
quoique souvent employés avec succès contre les oppresseurs, n'appor* 
taitnt guère de soulagement aux souffrances des opprimés, ils conçurent 
l'idée de recourir à des moyens plus doux, mais dont l'influence bienfai- 
sante atteindrait mieux le but. C'est au nom de la religion qu'ils engagé^ 
reot les hommes i suspendre, pour un temps du moins, leurs querelles, 
leurs haines et leurs vengeances. Le premier exemple d'une trêve de ce 
gesire se trouve dans un écrit adressé, en 1041, au clergé d'Italie, par 
Ttrchevôque Raginbald d'Arles, les évêques Bénédict d'Avignon et Ni- 
tard de Nice et Tabbé Odito de Cluny, pour établir que du jeudi son* au 
m»rdi matin la paix serait strictement observée. L'absolution était pro- 
mise aux observateurs de la trêve, et l'anathème prononcé contre ceux 
qui refusaient de s'y soumettre. Cette tentative n'ayant pas trop mal 
réussi fut bientôt répétée sur divers points de la France et l'usage s'en 
répandit également dans d'autres contrées, d'abord en Allemagne, puis 
en Italie, en Espagne et en Angleterre. Mais par suite de l'étrange in- 
différence de plusieurs papes à cet égard, la Paix de Dieu n'obtint l'as- 
senâment général et la sanction de l'Eglise que dans le douzième 
siècle. 

M. Khiekholm donne de curieux détails sur la manière dont cette in- 
stitution était organisée. Son travail, fruit de savantes recherches, inté- 
ressera virement tons 'céux qui s'occupent d'études historiques. Il porto 
le oadiet de l'érudition allemande, et se distingue en même temps parfles 
vues élevées, ainsi que par des considérations ingénieuses isur la marche 
du déiveloppement social. 



H I 



18 



274 V0TA6S8 IT HISVOIRS. 

Memorib autografie d'un ribelle. Parigi, Stassin et Xavier, 1857 ; 

1 vol. in-12 : 3 fr. 

Ces méilioires sont ceux de M. Ricciardi, Napolitain, exilé pour ses 
opinions libérales, et déjà connu comme auteur de plusieurs publications 
soit, politiques, soit historiques ou littéraires. Le titre de rebelle qu'il se- 
donne indique assez Tesprit dont il est animé; les leçons de l'expérience 
ne l'ont pas guéri de la maladie révolutionnaire, et ce que le vulgaire 
appelle autorité lui semble toujours synonyme d'oppression. A ses yeux, 
6tre rebelle c^est être défenseur zélé du juste et du vrai. Prise d'une 
manière absolue, cette définition tendrait évidemment à justifier toute 
espèce de révolte, comme à proscrire toute espèce d'autorité. Hais il faut 
faire la part de l'irritation causée par les abus du despotisme. H. Ric- 
ciardi n'est sans doute point partisan de l'anarchie ; son idéal est la ré- 
publique sage et bien réglée. Seulement il appartient à la classe des ré- 
fugiés politiques et parle leur langage. Ces hommes, de quelque pays 
qu'ils soient, pnt en général le travers de rendre la société responsable 
des circonstances auxquelles ils doivent leur infortune. La révolution de- 
vient leur idée fixe : ils bouleverseraient le monde entier pour obtenir le 
triomphe de la cause dont ils étaient les représentants dans leur patrie. 
On comprend du reste assez bien une pareille tendance chez des hommes 
aigris par l'exil, et dont souvent l'unique délit est d'avoir été suspects 
d'opinions libérales. M. Ricciardi se trouve dans ce cas. Fils d'un ex**- 
conseiller d'Etat du roi Joachim Murât, il eut de bonne heure sa place 
marquée dans les rangs de l'opposition, d'autant mieux que son caractère 
indépendant lui rendait le régime napolitain inlolérable. Séduit par les 
idées républicaines, il regardait leur triomphe comme la seule voie de 
salut pour l'Italie. C'est le résultat ordinaire du despotisme ; les mécon^ 
tents se jettent dans l'extrême opposé. Quand le pouvoir absolu n'admet 
aucun ménagement, ses adversaires font de même, et dès lors il est entraîné 
forcément à prendre contre eux les mesures les plus rigoureuses. La dis- 
cussion calme et raisonnable devient impossible. Les imaginations s'exal- 
tent jusqu'à l'utopie et le progrès semble ne pouvoir plus sortir que de 
la ruine complète de l'état social existant. • Si l'humanité progresse, dit 
M. Ricciardi, si la liberté fait son chemin parmi les peuples, cela est dû 
aux efforts magnanimes des rebelles, it Avec une telle maxime on va loin. 
En effet, toutes les lois et tous les principes eux-mêmes ont rencontré - 
des 'résistances qui pouvaient se croire aussi légitimes, et cet éloge de 



VOTAGSS ET HiaxOIR^. 275 

la révolte ne bous paraît propre qu'à faire toujours plus sentir aux gou- 
vernements la nécessité d'une répression sévère. 

L'auteur se laisse aller à des exagérations non moins fâcheuses dans 
ses vues politiques ou législatives. Â côté d'excellentes réformes, dont les 
bienfaits sont incontestables et qui certainement exerceraient la plus salu - 
taire influence, il préconise quelques institutions plus, ou moins enta- 
chées de socialisme, établit le droit à l'assistance, propose d'accorder aux 
femmes celui de voter, etc. Ses mémoires présentent un singulier mélange 
de vues saines et de rêveries chimériques. On y trouve aussi maints es- 
sais littéraires, entre autres des discours sur le théâtre qui ne sont cer- 
tainement pas sans mérite. Mais la curiosité sera surtout excitée par les 
détails que M. Ricciardi donne soit sur Hazzini, soit sur plusieurs au- 
tres personnages qui ont marqué dans les tentatives révolutionnaires de 
l'Italie. Ce sont des matériaux intéressants pour l'histoire de notre époque. 



Les jésuites jugés par les rois, les évêques et le pape, nouvelle 
histoire de l'extinction de l'ordre, écrite sur les documents origi- 
naux. — Histoire de Dmitri, étude sur la situation des serfs en 
Russie. Paris, Pagnerre, 1857 ; 1 vol. in-12 : 3 fr. 

Ce volume renferme deux morceaux de M. Louis Viardot, qui traitent, 
comme on le voit par leur titre, des sujets très-différents. Le premier est 
une analyse assez étendue de V Histoire du rlgne de Charles III en Es- 
fHigne, publiée par don Antonio Ferrer del Rio. Le second présente une 
esquisse de Fétat actuel du servage russe et de ses tristes conséquences. 
V Histoire de Charles ///renferme, à ce qu'il paraît, des documents nou- 
veaux et fort curieux sur l'ordre des jésuites. Quoique très-zélé catholique, 
l'auteur n'est point partisan de l'Inquisition ni de la Compagnie de Jésus. 
Il les regarde môme comme des fléaux qui ont contribué fortement à dé- 
truire la prospérité de sa patrie. C'est là que, suivant lui, se trouve la 
principale cause des malheurs de TEspagne, et les preuves qu'il cite à 
Tappui de sa manière de voir sont tirées des sources les plus authenti- 
ques. Le roi Charles HI ayant pris une part fort active aux mesures di- 
rigées contre les jésuites, les pièces officielles abondent ; aussi M. Ferrer 
en use-t-il largement pour faire bien connaître les motife légitimes qui 
amenèrent leur expulsion du royaume d'Espagne, et plus tard la con- 
damnation de l'ordre par le pape» On n'avait pas encore traité ce sujet d'une 
manière aussi complète. Or, quoique ce soit déjà de l'histoire ancienne^ 



396 • V0t«(«l9 m HISTOltMI. 

on peut dire qu^elie présente un certain intérêt d'actualité. Le jésuitisme 
a la vie dure ; malgré les sentences des rois, des évêques et du pape, 
confirmées plus d'une fois par celles du peuple, il ne se porte pas trop 
mal, il est même en train de relever sa tête avec autant d'audace que ja- 
dis; le dogme de l'immaculée conception en fait foi. La publication dur 
livre de M. Ferrer est donc tout à fait opportune, et le compte rendis 
que nous annonçons intéressera vivement les lecteurs. M. Viardot nous 
donne la traduction des passages les plus importants auxquels il n'ajoute 
que de courtes réflexions destinées à les relier ensemble, car son but 
est de faire connaître au public français les précieuses recherches de Té* 
crivain espagnol. 

V Histoire de Dmitri m sera pas moins goûtée. On y trouve une 
foule de détails sur les mœurs des serfs russes, sur les rapports qui 
existent entre eux et leurs seigneurs, et sur les résultats déplorables dé 
l'esclavage. Dmitri est un serf honnête, intelligent, développé d'une 
manière assez remarquable, mais qui voit toutes ses espérances dé- 
çues l'une après l'autre, se trouve en butte à des exactions intoléra- 
bles et finit par être poussé à la révolte ; il incendie la maison de son 
maître après avoir enfermé celui-ci dans une chambre pour l'empêcher de 
fuir. Ces scènes, empruntées à la vie réelle, car l'auteur a vécu assez long- 
temps en Russie, sont décrites avec simplicité. M. Viardot se borne à 
raconter les faits qui parlent assez haut par eux-mêmes, sans qu'il soit 
be^n d'y ajouter des déclamati(ms philanthropiques. Il signale dti reste 
les premiers actes de Tempereur Alexandre H qui tendent à ftitre cesser 
un 'pareil étal de choses, en enftrant dans k voie de l'émancipation gé-^ 
nérale. 



mr*^ 



Etudes historiques sur la révolution française de 178d, par un étran- 
ger. Paris, F. Didot frères, 1857 ; 3 vol. in-8 : 22 fr. 50. 

Les écrivains firançais ne peuvent guère parler de h révolution d'une 
manière tout ^ fait impartiale. La plupart embrassent avec ardeur quel* 
qo'tfne des opinions engagées dans la lutte, et chez ceux mente qui repoos- 
seitt ^hautement les excès ci) remarque presque toujours la crainte de pa* 
rafM hostiles aux priitcipes de 1 789. tfe sont d'ailleurs très^néturellement 
enxfiùè ^ chercher des excuses plutêt qu'à faire ressortir la gravité 
d'aetes qoi blessent leur amour-propre natitmal. A cet égard un étranger 
se trouve plus indépendant, et peut sans scrupule se placer au point 



devuedftla iMJire logique. Lqs Etudu que nous annonçons ejn oSi^ot 
un exemple» L'auteur» frappé des idées étranges éoiises par divers histo- 
riens de la révolution, a pris la plume pour combattre une tendance 
.qui iui semble porter atteinte aux notions les plus élémenbaires de^ ki 
morale. En effet, quoi de plus propre à fausser le jugement du puUic 
que de prétendre réhabiliter le régime de la Terreur. Or c'est ce qut'ont 
{ùi MM. Bûchez et Roux dans leur Histoire parlementaire de la révolfp- 
tûm françaiee, et l'ouvrage de H. Thiers, malgré sa supériorité incontes- 
table, n'est pas exempt non plus du noéoie dé&ut. C'est une faiblesse ï la- 
quelle ont en général cédé tous, ceux qui, depuis 18i5, voulurent se rendre 
pof^ulaires par leurs écrits. La réaction royaliste les jeia dans l'extrême op- 
posé; libéral et révolutionnaire devinrent synonymes.. Une fois entré dans 
«etle voie, il éiait bien difficile de s'arrêter. On se borna d'abord à pré^ 
çooiser les théories de 89, en les isolant avec soin des faits désastreux qui 
suivirent. Mais comme ceux-ci n'en étaient que les coaséquences plus ou 
mwM directes^ il fallut bien arriver à les admettre aussi, tout en s'efiorçant 
4e faire disparaître leur caractère odieux ou du moins ë'en amoindrir 
antant que possible la portée. C'est ainsi que des hommes, du reste très»- 
apposés aux. violences révolutionnaires , sont entraînés à les jutifier et 
contribuent par là, plgs encore quio les autres, à fausser Topinion publique. 
L'auteur des Etmle$ trouve donc dans leurs ouvrages ample maiière à cri- 
tiquer, il cherche surtout à mettre en relief tes câiés avantageux de l'aor 
cien végime, que trop souvent, en effet, on laisse dans l'ombre afin de mieux 
preuves que la révobitjjon était nécessaire et que ses excès ne furoAl q^e 
des représailles inévitables. PuiS; il marque avec s(Hn la liaison qui existe 
entre les diSërentes phases du mouvement révolutionnaire , dont k soli- 
darité remonts, suivant lui, jusqu'aux premiers promoteurs des principes 
4e 1789. On débuta par attaquer la monarchie elle-même sous prétexte 
d'en réformer les abus, on détruisit son prestige, et les idées répuMh 
«aines^ accueillies «vee enthousiasme, firent bientOA tomber le pouvoir entre 
les mains d'hommes qm, pour satisfaire leur ambition eu pour assurer le 
Iffiomphe de leurs (itéories, ne se laissaient arrêter par aucune espèce de 
scrupules. La royauté constitutionnelle et la république ne forent que éd 
courtes haltes- sur la pente qui conduisait droit au socialisme, véritaUe 
bttt vers lequel tendaient en définitive les efforts de Robespierre et de Saii^- 
iost, tout comme ceux de Babeuf. Cette hypothèse est soutenue avec talent 
par l'écrivain étranger. Peut-être la présente-t-il d'une manière trop ab»- 
solue. Mais elle lui fournit des aperçus nouveaux qui ne manquent pas de 



278 TOtAGBS ET HI0T0IEB. 

justesse» et répand une clarté précieuse sur maints détails dont les his- 
toriens ont plus ou moins altéré le caractère, faute de les bien compren- 
dre. Sans accepter complètement le point de vue auquel s'est placé l'au- 
teur, on lira ses études avec intérêt, car elles ont le mérite d'une opinioD 
très-firanche quoique modérée, et sont empreintes d'un cachet assez ori- 
ginal. 

Ne pouvant d'ailleurs analyser un travail de ce genre, nous termi- 
nerons par l'extrait suivant, qui nous semble tout à fait propre à foire 
connaître Tesprit dont il est animé : 

c On a dit, on a écrit mille fois qu'il ne fallait pas confondre la révo- 
lution avec ses excès ; mais ses excès n'ont-ils pas été les conséquences^ 
forcées, inévitables, en quelque sorte, des prétendues doctrines de l'école, 
inhérentes à une philosophie toute personnelle, égoïste au fond, qui, tout 
en exaltant les esprits à froid, avait desséché les cœurs, rapetissé les âmes» 
tari dans leurs sources les plus tendres sentiments de l'humanité, excité 
la convoitise, même les plus grossières passions contre toute supériorité. 

■ Nous venons de témoigner notre sincère sympathie pour la nation 
française; cependant, à titre d'étranger et très-éloigné du théâtre où 
s'accomplit cette crise sociale, ne pouvant pas être partie intéressée» ni 
personne des nôtres, dans aucune de ces grandes infortunes qui ont dé- 
solé la France aux jours les plus mauvais de la révolution, ne serions- 
nous pas fondé à dire avec Tacite : Quorum eau9a9 proeul habeo , et par 
cela même à portée de voir cet immense drame de la révolution du 
même œil, à peu de chose près, que le considérera la postérité la plus 
reculée, et de la reproduire sous son jour le plus vrai. 

« Avons-nous atteint ce but, et jusqu à quel point ? Ce n'est pas è 
nous d'en porter le jugement définitif. Au demeurant, chaque époque a 
des opinions qui lui sont propres, souvent émanées de l'expérience des 
temps qui viennent de s'écouler et qui ne sauraient ne pas influer sur 
le travail de l'historien, en dépit de tous les efforts qu'il ferait pcHir 
s'en affranchir. Quelles que soient au reste les opinions de l'historien^ 
il sera impartial, ou plutôt écrivain consciencieux, du moment où, voyant 
parmi les notnbreux matériaux qu'il aura rassemblés des faits de quelque 
importance, relatifs à la période qu'il a entrepris de reproduire, il les si- 
gnalera tous, ceux mêmes qui seraient de nature à contredire des opinions 
depuis longtemps arrêtées dans sa pensée: c'est par là qu'il fera con- 
naître son impartialité, ou plutôt sa bonne foi. • 



9C1B9CB& KORALIS KT POLlTiaUlS. *27d 

scii:]V€i:s ihorjjli:» ht poiiiTifiUES. 

Le chrétien ou l'homme accompli, conférences, par A. Bouvier, pas- 
teur. Genève et Paris, J. Cherbuliez, 1857 ; l vol. in-i2. 

Le perfectionnenaent de l'homaie est le but du christianisme. En dehors 
de son influence il n'y a que de vains efforts, que des tentatives infruc- 
tueuses» et l*on ne peut trouver ni la paix de Tâme, ni la complète satis- 
faction du cœur. Le chrétien, c'est l'homme accompli. Transformé par 
la religion de l'Evangile, qui le fait rompre avec le péché, qui réveille en 
lui le sentiment de sa dignité véritable, il marche d'un pas ferme dans le 
sentier de la vie, parce qu'il sait où il va, et n'a plus à redouter les an- 
goisses du doute ou les amertumes du désespoir. Les succès ne l'enivrent 
point, les épreuves le trouvent calme, énergique, résigné ; il lutte avec 
courage et confiance, ayant foi dans les promesses de ta vie éternelle, 
toujours présentes à sa pensée. Tel est le thème que M. Bouvier déve- 
loppe dans ses conférences avec talent et conviction. Il débute par établir 
la supériorité du christianisme sur les autres systèmes philosophiques ou 
religieux qui ne répondent jamais à toutes les exigences de la nature hu- 
maine, tandis que la loi de Jésus embrasse Thomme tout entier, satisfait 
aux besoins divers de son âme et favorise l'essor de ses facultés. < Non 
loin d'une grande route, sur la colline, je connais une maison vers la- 
quelle on voit se diriger parfois les voyageurs. Les faibles, les indigents, 
les étrangers ont entendu dire qu'ils y trouveront des forces pour conti- 
nuer leur chemin. Ils entrent : on leur parle la langue de leur pays; on 
apaise leur faim et leur soif ; on les encourage par des paroles qui vont 
ftu cœur ; on les renseigne sur la voie qui les conduira à leur destination. 
Reconnaissants et rafraîchis, ils se remettent en route, et tandis que les 
autres, qui ont dédaigné cette hospitalité gratuite de l'amour, s'arrêtent à 
mi-chemin, tombant de lassitude, et s'égarent, eux sç bâtent et arrivent 
avant que la nuit vienne. 

i Cette route, c'est la carrière de la vie ; cette maison, c est celle doA 
Jésus-Christ est le fondement ; le dispensateur de ces secours aux voya* 
geurs, c'est l'Evangile.» Pourquoi donc tant de gens refusent-ils d'aller 
Irapper à la porte de cette maison hospitalière ? Ils craignent de contrac- 
ter ainsi quelque engagement, ou du moins une dette de reconnaissance 
qui les effraie. Leur orgueil se révolte à l'idée de cette espèce de patro- 
nage ; ils préfèrent trébucher à chaque pas plutôt que d'accepter un guide, 



280 aciiacu «oealis ks Bouxia«it% 

et ne reconnaissent d'autre autorité que celle de leur propre raison. 
D'ailleurs, en général, ils ignorent la valeur du christiantsme, ils coin- 
prennent peu les bienfaits de l'éducation morale, et la préoccupation des 
intérêts matériels les domine trop pour leur laisser le temps d'y songer. 
€'est à vaincre cette indifférence ou ce dédain que s'attache surtout 
M. Bouvier. 11 expose un tableau trô^nremarquable des résultats du 
christianisme, combat les objectiona avec beaucoup de force, et fait babi<^ 
lament ressortir les précieux avantages dont t'hainne peut s'assurer la 
jouissance par un simple effort de volonté. Etudiant tour à tour le chré- 
tien dans la vie morale, dans (a vie intellectuelle, dans la vie soeiate, il 
montre les divers éléments de la vie que le chnstianisme produit dans la 
conscience, la lumière qu'il fournit à Tintef^ifeDce, et les préservatif 
^'i^ oppose aux dangers de la civilisation actodle. Son dernier discoucs 
a pour objet d'indiquer qitôlles dispositions conduisent seules à ce chri»^ 
tianisme salutaire. Cet enseignement plein de sève et d'onction se distin- 
gue non moins pair le mérite de la forme que par eefaii de la pensée. Le 
style vigoureux, incisif, original, noos semble tout à IM pqp^e à caplî*^ 
vser l'alteBtiea des lecteurs. 



Trois discours prononcés à Genève dans la salle du quartier Saint- 
Gervais. Genève, E. Beroud, 1857; 1 vol. in-8". 

La /os Isa doubla réBistanee, [sl grâce, tels sont les sujets de ces* trois 
discours dana lesquels H. de Gaaparin a voulu résumer les principes es«> 
aentiela de la doctrine évangélique. C'est en étudiant la loi que l'homme 
apprend à se connaître ; elle est pour lui comme un miroir qui itéflédiit 
l'état de son àme eiiivahie par le péché. U y trouve presqAie à. chaque 
tigne sa condamnation, car des commandemeits qu'elle renferoie, qu«l 
est celui qu'il n'a pas violé plus ou moins ? A ce^te idée, son orgueil ae 
FévoUe, il cherche peuâ-être à se persuader que ses infractions n'ont élé 
ni graves, ni fréquentes; il en rejette la responsabilité' sur la faiblesse 
bhérente à la nature humaine. Mais la voix de la conscience déJAue^ses 
efiiorts et trouble sa quiétude. Alors, si son coeur n'est paa endurci daitt 
le mal, commence une kitte qui peut être longue et pémble, mais dont 
l'issue ne saurait être douteuse. Après avoîi* résisté à l'évidenee de la lot; 
il résiste encore aux appela de rameur divin. Hais cette émbit réaisftanse 
va diminuant à masure qu'il voit échocief sea e&rta peur sa suft*e à 
luir^même. U reconnaît son: impuissance, le décourag^aMni s'empare de 



lui, et c'est alors que sefail sentir la néeessité de la grilee sems laquelle 
touf espoir liii serait interdit. Son tnie se tourne avnsf vers Dieu dont 
l'infinie miséricorde faeoueille avec foomé, kii ppodigiie des< secours et 
lui donne le vrai bonheur, qui censiste dans h réaHsation parfaine de la 
loi» devenue désormais le guide hafoiluel du chrétien. 

Cette thèse est habilement développée par M. deGasparîn. R parie avec 
eliateur, avec conviction. Sa parole a bien Taccent propre à remuer les 
cœurs. On comprend quel effet elle doit produire snr une assemblée nom- 
breuse et sympathique. Cependant ces discours, em[H*eints du cachet éà 
l'improvisation, risquent de perdre un peu de leur mérite à la lecture. 
Ils laissent à désirer pour la force et la logique du raisonnement, et prë^ 
sentent parfois une certaine exubérance déclamatoire. Mais, en géné- 
ral, l'auteur sait captiver l'attention par le tour ingénieux de la pensée, 
ainsi que par loriginalité de l'expression. 



Œuvres DE W.E. Channing : Traités religieux, précédés d'une intro«- 
duction par Ed. Laboulaye. Paris, 1857; 1 v. in-12 : 3fr. 50. 

Les opinions religieuses de Channing ont été souvent présentées sous 
un faux jour. Le libre penseur américain passe aux yeux d'un grand 
Aombre pour n'avoir accepté du christianisme que la morale. Parce qu'il 
rejetait quelques-unes des doctrines orthodoxes, on le range parmi les 
rationalistes de TEglise unitaire. C'est bien un peu la faute de ses admi- 
rateurs, dont la plupart s'attachent à faire ressortir en lui les mérites du 
philosephe^ tamdis qu'ils laissent le chrétien dans l'ombre. Ils exagèrent 
la portée de ses vues indépendantes, et semblent oublier qu'eUear s'alliè»- 
rent toujours à des croyances éminemment ch;*étienji6s. Chaaning n'ap- 
pa>rtieot pas plus à la secte unitaire qu'à toute autre. U n'avait point de 
syii4Kitbie pour la doctrioe de Priestley. Jésus était pour lui le fils ée 
Dieu, le modèle accompli d'une perfection morale à laquelle las bommes 
ne peuvent aitfflBdre; aucun doute ne s'élevait dans sou esprit sur la di*- 
vinîlé du christianisme ni sur l'authenticité des miracles. Seulement 
l'Ëvaikgile ne lui paraissait pas établir le dogme de la Trinité d'une ma- 
nière assez positive pour qu'il crût devoir l'admettre. Mais sa foi n'en 
•était pas moind réelle et profonde. On en trouvera d'abondantes preuves 
dans les traités que puUie M. Laboulaye. Ce sont des discours sur la Li- 
btfté spiiPiUieUie, TEgliae^ les Preuve» do chiristianisme„ Le Caractère du 



2ft2 acuncfs moi^lu bx tounouBa. 

Christ, la Grande fin du christianisme, i'immortahté de TAme, la Vie fu- 
ture, le Respect dû à tous les hommes, la Religion envisagée comme un 
principe social, et le Christianisme religion raisonnable. 

Dans tous ces discours éclate une ferveur chrétienne très*remarquable. 
11 y règne la plus vive admiration pour la doctrine évangélique, avec le 
désir ardent de la propager, d'en faire bien comprendre les vérités su- 
blimes et de lui soumettre tous les cœurs. Hais Channing n*a pas les al- 
lures ordinaires du prédicateur; son éloquence s'adresse en général moins 
au sentiment qu'à la raison. C'est un ton presque familier, quoique tou- 
jours grave et calme, où la clarté de la pensée forme le principal mérit» 
du style. L'accent de la conviction donne d'ailleurs beaucoup de force aux 
arguments de Channing, et l'on trouve un certain charme original dans 
la sincérité parfaite avec laquelle il les expose. « En l'écoutant, dit M. La- 
boulaye, vous êtes sûr qu'il n'y a pas un mot qu'il n'ait senti, pas une 
vérité qu'il n'ait éprouvée, pas un conseil qu'il n'ait essayé sur lui-même; 
aussi se rend-on sans défiance à cette voix si douce et si pénétrée. Ce 
n'est pas un prédicateur qui nous parle, c'est bien mieux, c'est un frère 
et un ami. » 



Tout par le travail, manuel de morale et d'économie politique, par 
M. A. Leymarie : ouvrage auquel l'Académie des sciences morale» 
et politiques a décerné une mention honorable. Paris, Guillaumin 
etC». 1857; 1 vol. in-12 : 3 fr. 

L'auteur de ce manuel a choisi la forme dramatique , dont M"** Hen- 
riette Martineau s'était déjà servi avec succès dans ses contes popu- 
laires. C'est un moyen de rendre l'enseignement plus familier et de 
mettre davantage la science à la portée de tous les lecteurs. L'intrigue 
d'un petit roman.marche de front avec la discussion des principes, de ma- 
nière à intéresser ceux pour lesquels la morale et l'économie politique 
auraient par elles-mêmes peu d'attrait. L'auteur espère à l'aide de ce stra- 
tagème vaincre la répugnance que l'appareil scientifique inspire à beau- 
coup de gens. En effet, la curiosité une fois excitée, on ira jusqu'au bout 
afin de connaître le mot de l'énigme qui ne se trouve qu'au dénouenoent. 
Les péripéties de l'action, soutenant l'intérêt, servent en quelque sorte 
d'appftt pour faire avaler la partie sérieuse du livre. Si le lecteur n'en re- 
tire pas tout le fruit désirable, du moins son attention est ainsi dirigée sm* 



8GISHGE8 KORALIS BT FOLITIQUBB. 283 

des sujets qu'il n'aurait peut-être jamais abordés sans cela, et qui désor- 
mais ne lui seront plus tout à fait étrangers. Nous ne contesterons pas 
l'utilité d'un tel résultat, mais il nous semble assez chanceux et dans 
tous les cas bien incomplet. Le mélange du roman et de la discussion 
produit un tout qui manque d'unité. Malgré tout son talent, l'auteur ne 
réussit pas à fondre ensemble des éléments de nature si différente.^ Les 
thèses de morale et les dissertations d'économie politique nuisent plus 
ou moins à la marche de l'action , et sont à leur tour sacrinées parfois 
au développement des caractères. Il est d'ailleurs très-difficile de faire 
parler chaque personnage suivant sa condition, car cela risquerait d'a- 
mener des longueurs interminables et d'exclure du débat la logique ainsi 
que la clarté. 

M. Leymarie n'a pu complètement éviter ces défauts. • Au lieu de 
thème obligé en quelque sorte, dit M. de Broglie dans son rapport à l'A- 
cadémie, au lieu d'une institution unique instruisant des ignorants, ici 
nous en ^vons trois, et trois qui, d accord sur les conséquences, ne le sont 
pas autant sur les principes : l'un est un fermier, disciple rigide des éco- 
nomistes anglais, de Ricardo, de Mac Culloch (il est, s'il existe, peut-être 
le seul en France ) ; l'autre est un filaleur, d'une école plus pratique 
et plus tempérée ; le troisième enfin est un ouvrier qui, livré d'abord 
à tout le feu des passions, et artisan de tous les désordres, devient, guéri 
par l'amour et le bonheur, le modèle et le précepteur de tous les autres. 
De leurs discussions entre eux sur les problèmes les plus ardus de la 
science, et du rôle actif qui leur est assigné dans le drame, il résulte ce 
double inconvénient que l'esprit demeure parfois incertain sur la vérita- 
ble pensée de l'auteur, et ne sait trop à qui il entend donner tort ou rai- 
son ; et que, faute d'espace, il se rencontre des lacunes importantes dans 
l'ensemble du travail. Plusieurs questions essentielles y sont omises, 
d'autres n'y sont qu'ef&eurées. Néanmoins, c est un ouvrage remarqua- 
ble: les questions *que l'auteur traite à fond, il les traite avec vigueur et 
précision; les scènes qu'il décrit, il les rend vivantes, et les qualités 
qu'il possède compensent au delà celles qui lui manquent. • 

Reconnaissant la justesse de ces observations, M. 'Leymarie a retou*- 
ché son manuel avec beaucoup de soin, et rempli les principales lacunes 
iju'on pouvait lui reprocher au point de vue de l'enseignement. 



^384 



SCIBBISS BI ASr9«. 



Leçons élémentaires d'électricité , ou exposition concise des prin- 
cipes généraux de l'électricité et de ses applications,, par W. Sopw 
Barris, traduites et annotées par E. Garoault. Paris, Leiber et Com- 
melin, 1857 ; 1 vol. in-i2, fig. : 3 fr. 

L'électricité a pris un tel développement qu'elle constitue en quelque 
sorte à elle seule toute une science. La place qui lui était consacrée jadis 
dans les cours de physique ne peut plus suffire. L'importance de ses dé- 
couvertes et de ses applications exige qu'on en fasse une étude spéciale. 
Aussi plusieurs traités considérables ont-ils déjà paru sur cette matière. 
Mais on n'avait pas encore publié d'ouvrage élémentaire propre à servir 
de guide aux personnes qui désirent seulement être mises en état de com- 
prendre les principales propriétés du fluide électrique. La traduction du 
livre de M. Snov^ Harris sera donc accueillie avec faveur, car elle comble 
une véritable lacune dans ce genre de littérature aujourd'hui si recher- 
ché. C'est fœuvre d'un savant de premier ordre qui « s'est attaché sur- 
tout à donner des idées saines, pratiques et théoriques sur les principes 
généraux et les faits les plus simples qu'il démontre à l'aide d'expériences 
faciles à répéter.» On y trouve des notions claires, précises, exposées 
avec méthode, et des détails historiques d'un vif intérêt. Les notes ajou- 
tées par le traducteur font connaître les progrès les plus récents de l'élec- 
tricité. Il donne de plus quelques aperçus sur les précieux services qu'en 
retire l'industrie. Ce petit volume, qui compte en Angleterre déjà quatre 
éditions, nous semble tout à fait digne d'obtenir en France un égal succès. 



Histoire de la télégraphie, description des principaux appareils aé- 
riens et électriques, par A. Bonal. Paris, Ballay et Conchon, 1857 ; 
1 vol. in-12, fig. 

L'art de communiquer à distance av moyen d» sigimuc date d'tme 
époquO' assez reculée. Les anciens avaient essayé déjà de transmettre ainsi 
des ordres ou des nouvel^ importantes. Ils employèrent à cet effet, tan- 
tôt des voiles de diverses couleurs, tantôt des tuyaux acoustiques, maâs 
le plus souvent des feux allumés sur de hautes tours ou sur le sommet 
des cdlines. Dans les temps modernes on chercha vainement à perfec- 
tionner ce système ; il ne put jamais répondre aux besoins de la corres- 



pcHidanoe, oiéine la»pli» laconique. La difficulté principale était de varier 
assez les sigDauQcpouf établir une sorte de lan^ge eonveotionnel et d'as- 
surer en ménie temps le isecret des dépêches. C'est ce double problème 
que l'invention de Chappe résolut en 179^ avec un plein sucete. Le té* 
légraphe aérien prit naissance dans cm séminaire où Claude Chappe faisait 
ses études; désirant correspondre avec ses frères placés dans un pension- 
nat distant ée ^nsienrs ki4om^es, il imagina l'appareil qui, plus tard 
complété > par 66S soins, obtint T^pprobation de l'assemblée nationale, et 
fut bientôt en usage dans toute la France. Malgré d'ingénieuses modifica- 
tions, ce télégraphe offrait encore de graves inconvénients, dont le prin- 
cipal 'était d'être interrompu par la nuit ou par le moindre brouillard. 
L'usage en fut cependant adopté par ta plupart des pays de l'Europe, et 
continua jusqu'au moment où l'application de Télectricité vint fournir un 
moyen de correspondre beaucoup plus rapide et plus sûr. 

C'est de 1837 ô 1840 que date le télégraphe électrique. Un physicien 
du dix-huitièTne siècle, Lesage, professeur à Genève, en avait déjà con- 
struit une ébauche assez eurieuse en 1769, mais sa découverte demeura 
stérile «lors, et ee n'est qu'en 1837 que l'Américain Morse réussit à 
mettre le système en pratique d'une manière satisfaisante. La première 
ligne m Europe M établie par la Bavière, qui bientôt trouva de nom- 
breux imitateurs. Vingt ans ont suffi pour couvrir l'Amérique et l'Eu- 
rope d'un réseau de télégraphes, et maintenant il s'agit de mettre en 
communication ces deux parties du monde au moyen d'un câble de fil 
de fer plongédans les profondeurs de l'Océan. Nous ne croyons pas qu'au- 
co*n autre progrès de la science moderne soit plus digne d'admiration 
pour la simplicité des moyens unie à la grandeur des résultats. Aussi le 
petit livre de M. Bonel excitera-t-îl un vif intérêt. Les appareils de la 
télégraf|Aiie y sont décrits avec clarté, de manière à ce que le lecteur 
paisse bien s'en rendre compte, et de nombreuses figures semées dans le 
telte lui permettront de se faire une idée assez juste des avantages que 
présentent les différeiïts systèmes électriques. 



Lb salon de 1857, par Maxime Du Camp. Paris; 1 vol. in-12 : 1 fr. 

41 n'est guère possible d'»pprécier le mérite d'un ouvrage de ce genre, 
quand on n*a pas vu les tableaux dont il rend compte. Aussi nous absilien- 
dnmsMious d'entrer dans les détails» nous dirons seulement (ju'en g^ 



286 8GIIIIGB8 BT A»»i. 

néral l'auteur paraît enclin à la sévérité ; il ménage peu l'ameur-propre 
des artistes et leur parie un langage très-franc. Il paraît être, du reste» 
assez impartial, distribuant i tous le blâme et râoge, en sorte que chacun 
en ait sa part. La méthode n'est pas mauvaise, car» de nos jours sur- 
tout» il n'y a point de chef-d'œuvre irréprochable, et souvent des qualités 
précieuses se rencontrent unies à de graves défauts. M. Du Camp ne se 
passionne ni pour ni contre, et ses jugements» quoique très-courts, indi* 
quent une étude sérieuse des œuvres qu'il passe en revue. Il fait preuve 
à la fois de connaissances réelles, d'esprit et de goût. C'est un mérite 
assez rare dans les comptes rendus de ce genre. D'ailleurs M. Du Camp 
professe des principes beaucoup plus sages en fait d'art qu'en fait de 
poésie. On ne le voit point ici se poser en novateur comme dans la pré- 
face de ses Chants modernes , et les conseils qu'il donne aux artistes 
n'offrent pas la moindre trace de réalisme. Au contraire, il critique forte- 
ment les excentricités de M. Courbet, dont la peinture habile et savante 
ne produit d'autre impression que celle qu'on éprouverait devant une ta- 
pisserie bien faite ou des persiennes bien peintes. C'est une contradiction 
flagrante, qui prête le flanc à la critique, mais elle nous semble prouver 
du moins que les hérésies littéraires de l'auteur étaient des boutades sans 
importance, et nous citons avec plaisir le passage suivant dans lequel il 
expose ses vues sur la théorie de l'art : 

« Avant de conlmencer l'examen des œuvres qui doivent nous occuper, 
il est bon de dire un mot encore sur un symptôme général qui saute aux 
yeux des moins clairvoyants. La recherche du beau et de l'idéal, respira- 
tion vers une nature supérieure, la compréhension de cette part vivante 
que Dieu a mise de lui en toutes choses, semblent s'évanouir pour faire 
place à une habileté matérielle extraordinaire : le métier domine l'art ; 
le cerveau s'obscurcit pendant que la main agile et sûre d'elle-même ac- 
quiert, approfondit et met en usage les procédés les plus difficiles. Cela 
doit-il être, et cela peut-il suffire ? Nous en douions : se contenter du 
rôle de copiste ou de servile imitateur, c'est faire abnégation de soi-même» 
c'est se diminuer, c'est infirmer l'art qui doit être une seconde création, 
c'est reculer devant sa mission et répudier les gloires d^une des plus belles 
facultés humaines. Représenter un être ou un objet créé tel qu'il est, avec 
quelque talent que ce soit, c'est le fait d'un ouvrier ; mais dégager de cet 
être ou de cet objet l'étincelle divine qui l'éclairé, et qui est l'âme et le 
sentiment, et la rendre palpable aux foules qu'elle étonne et ravit, c'est 
le fait d'un artiste. Tout individu qui ne porte pas en soi un idéal de 



SCIBNCBS BT ARTS. 5S87 

forme et de pensée plus élevé et plus lointain que celui qu'il peut attein* 
dre, ne laissera pas trace ; pour compter sérieusement, il ne faut pas 
seulement être un peintre, il fiiut être un artiste. Afin de faire bien com* 
prendre ma pensée, et la résumer par un exemple, je citerai les noms 
de deux hommes qui ont exposé cette année : M. Millet est un artiste, 
H. Courbet est un peintre. • 



Eléments de botanique, par J.-B. Payer. Première partie : Orga no- 
graphie, avec 664 figures intercalées dans le texte. Paris, 1857; 
1 vol. io-12 : 5 fr. 

Ce travail est remarquable par la clarté parfaite de Texposition ainsi 
que par l'abondance des détails. L'auteur s'attache à décrire avec une 
grande exactitude les organes des plantes, en commençant par ceux que 
tout le monde connaît plus ou moins, tels que les racines» les tiges, les 
branches, les feuilles, les fleurs. Il les caractérise d'unemanière précise, 
et de nombreuses figures, exécutées avec soin, viennent en aide à ses 
explications. ÂU'lieu de commencer par l'anatomie végétale, dont Tétude 
offre de si grandes difficultés, il préfère suivre une marche plus natu- 
relle, conduire ses élèves du connu à l'inconnu, leur parler d'abord de 
choses avec lesquelles ils sont déjà familiers, qu'il peut leur montrer, et 
sur lesquelles les botanistes sont tous d'accord. La première partie de ses 
EUments de boianiqtAe est donc consacrée aux notions d'organographie 
dont l'étude n*exige ni remploi du microscope ni l'analyse chimique. La 
seconde comprendra l'anatomie, la physiologie et l'organogénie végétales, 
c'est-à-dire l'étude de la structure intime des organes des plantes, de 
leurs foBctions et de leur mode de formation et de développement. Vien- 
dront ensuite la classification des plantes, leurs propriétés diverses, leur 
distribution géographique, leurs maladies et leurs monstruosités, puis 
enfin la botanique fossile. Cette méthode nous paraît excellente. Elle rend 
les abords de la science beaucoup plus accessibles, et doit en inspirer le 
goût par le charme qu'elle donne à des préliminaires qui, dans la plupart 
des traités de botanique, se présentent sous une forme aride et rebutante. 
M. Payer veut que son enseignement puisse être utile à ceux qui cher- 
chent dans la botanique une récréation agréable, aussi bien qu'aux per- 
sonnes dont le but est d'en approfondir l'étude. C'est pourquoi, laissant 
de côté les discussions savantes et les subtilités théoriques, ses efforts 
tendent surtout à résumer clairement les faits tels qu'ils résultent de l'état 



actuel de la scieoee. « Comme cet ouvrage doit être élémenldire, dit«4l^ 
j'ai, tout en doonaot reneemble àe la botanique, négligé tous les détails 
de pure ouriofiitié aeiestifique, et mis de côté tous les cas exceptionnels^ 
pour jn appesantir davantage sur les faits les plus importants ot sur les 
principes généraux* J*ai -écarté avec soin, dans l'exposition des faits, 
toute idée théorique, car je me suis convaincu depuis longtemps que si, 
dans quelques circonstances, les hypothèses sont devenues de puissants 
moyens de perfectionner nos connaissances, le plus ordinairement, au 
contraire, elles ont arrêté les progrès de la botanique en faisant accepter 
à la longue comme vraies des choses fausses. Linné, notre maître à tous, 
s'en est abstenu dans tous ses livres. Il définit les organes des plantes 
d'après les caractères qu'il aperçoit et que tout le monde peut aperoevoir 
avec lui. Tout est clair, net et précis. 11 n'y a rien d'abstrait, rien d'hy- 
pothétique. Ses successeurs n'ont malheureusenent pas suivi son exemple, 
et, u(m contents de substituer à des faits des théories plus ou moins ingé^ 
nieuses, ils ont changé les noms linnéens et les ont remplacés par d'autres 
ph» en rapport iaif«c leurs théories, sans se préoccuper des obstacles 
qu ils mettaient à l'Aude de la botanique par l'introduction de ces nou- 
veaux mots. Je n'ai tenu aucun compte de cette multitude de noms nou- 
veaux qiri, outre rinoonvénient de surcharger inutilement la mémoire, 
ont encore oelui de donner le change sur le but de la botanique, et de 
faire croire qoe oette science ne consiste que dans sa nomenclature et 
n'est, par suite, qu'une science de mots. Et si, pour l'intelligeoce des 
laits, j'ai cru devoh* rappeler parfois quelques théories, elles sont impri- 
mées en caractères plus petits, afin que l'on comprenne bien que je ne 
les considère que connne des moyens de nous guider dans l'étude de la 
science, moyens qui doivent nécessairement cfaaoger au fur et i mesure 
que la scieme se perfectionne. • 



REVUS CRITIQUE 

DES 



LIVRES NOUVEAUX. 



OCTOBRE t9&9. 



lilTTKRATlJRi:. 

Etudes sur les Tragiques grecs, par M. Patin, 2« édition, revue et 
augmentée. Paris, Hachette et 0% 1857; Â vol. in-12 : 14 fr. 

Annoncer cette seconde édition, c'est constater un succès bien propre à 
réjouir les amis des lettres. En effet, malgré le haut mérite du travail 
de M. Patin, on pouvait justement craindre que, dans notre siècle d'indus- 
trie et d*agiotage, il ne trouvât pas grande faveur auprès du public. En 
dehors du cerde restreint des érudits, la littérature grecque ne compte 
guère aujourd'hui que des admirateurs sur parole, car la plupart des tra* 
ductions, vieillies ou mal faites, sont d'une lecture fort peu attrayante. 
Mais M. PatiD a su vaincre cet obstacle, en se chargeant de faire, en 
quelque sorte, l'éducation du public auquel il s'adressait. Son livre ren- 
ferme à la fois l'histoire, l'analyse et le commentaire des tragiques grecs, 
présentés de la manière la plus intéressante. Il est à la portée de tous les 
lecteurs intelligents, et porte le cachet du goût littéraire aussi bien que 
celui d'une érudition solide. 

L'auteur débute par retracer, d'après les documents qui nous restent, 
l'origine de la tragédie grecque, ses progrès et ses transformations di- 
verses. Il montre comment elle naquit au sein des rites dionysiaques dont 
les chants, lyriques d'abord, prirent l'allure du drame afin de varier l'in- 
térêt par des intermèdes, innovation que les suffrages de la foule consa- 
crèrent malgré la résistance des vieillards et des magistrats, qui la regar- 
daient comme une impiété. C'est à cela que la tragédie dut de conserver 
assez longtemps une espèce de caractère religieux. Le rôle important qu'y 
jouaient les divinités de l'Olympe donnait au spectacle quelque rapport 
avec les pompes solennelles du culte. Les Grecs comprirent fort bien 
quelle influence pouvaient exercer sur le peuple des représentations sem- 
blables, dont le but était à la fois religieux, moral et politique. Pour les 
rendre plus imposantes encore, ils ajoutèrent au charme de la poésie les 

. 19 



290 lITTitATURE. 

ressources de l'architecture, de la statuaire, de la peinture* de la musique, 
c tout coDspira pour produire le plaisir dramatique qui pénétra jusqu'au 
cœur par tous les sens è la fois. » Les premiers essais de ce genre ne 
sont point parvenus jusqu'à nous; on connaît seulement les noms de 
quelques prédécesseurs d'Eschyle, mais il est bien évident qu'à Tépoque 
où parut ce grand poète Tart avait atteint déjà un certain degré de per- 
fection. On ne peut que faire des conjectures plus ou moins probables sur 
la part d'Eschyle dans ce travail d enfantement. M. Patin lui attribue l'in- 
vention de la trilogie» c'est-à-dire « l'idée de rassembler trois drames, 
dont chacun avait son unité, par le lien d'une unité plus vaste ;> à la beauté 
des détails que lui accordent la plupart des critiques, il ajoute t une con- 
ception forte et profonde, l'unité du dessin, la proportion et l'arrangement 
des parties, en un mot je génie de la composition. » 

Ce n'est pas exalter trop le mérite d Eschyle, puisqu'il éclipsa complè- 
tement la gloire de ses devanciei*s, et que de nos jours encore il conserve 
sa place au premier rang. Ses pièces, où Faction manque, où la fable, 
éminemment simple, n'est guère qu'un coup subit et imprévu du sort, 
que le tableau rapide d'une catastrophe fatale, ont, malgré ce défaut, un 
attrait puissant. Elles imposent par la grandeur des personnages, ainsi 
que par l'énergie du style et l'originalité de la conception. C'est quelque 
chose d'étrange et de terrible, qui ne ressemble à rien de ce qu'a produit 
l'art moderne. On y retrouve partout l'empreinte profonde de la fatalité. 
L'homme paraît toujours aux prises avec l'implacable destin, et le génie 
de l'auteur sait tirer de cette lutte des effets sublimes. Le drame de So- 
phocle est plus complet, plus humain surtout, et celui d'Euripide répond 
mieux à nos exigences en fait de sentiments et de passions. Mais Eschyle 
nous semble les dominer l'un et l'autre par la vigueur de ses esquisses et 
la hardiesse de ses figures. Tous les trois, du reste, renferment des beau- 
tés de premier ordre, que les analyses de M. Patin font très-bien res- 
sortir. Son travail contribuera certainement à populariser la connaissance 
de la tragédie grecque sur laquelle régnent en général des notions si 
fausses, et nous sommes convaincu que rien ne saurait être plus propre 
à réveiller le goût des études sérieuses, ainsi qu'à développer l'amour du 
beau. C'est rendre un éminent service à la littérature que de la retremper 
de cette manière aux sources vives d'où sortirent les chefs-d'œuvre qui 
ont fait l'admiration de tous les siècles. 



1 



LITTÉRATURE. 291 

Le réalisme, par Champfleury. Paris, 1857; 1 vol. in-12 : 1 fr. 25. 
— Madame Bovary, mœurs de province, par Gustave Flaubert. 
Paris, 1857 ; 2 vol. in-12 ; 2 fr. 50. 

En réunissant dans un même article ces deux livres de genres diffé- 
rents, nous avons voulu donner l'exemple à côté du précepte, la pratique 
à côté de la théorie. M. Champfleury professe le réalisme, et M. G. Flau- 
bert le met en œuvre. Or, malgré tout le bruit qu'on a fait de Madame 
Bovary, que M. i, Janin, entre autres, appelle, dans son Almanaeh de 
la littérature^ le plus beau succès de l'année, nous n'hésitons pas à lui 
préférer les leçons du professeur qui, du moins, captive l'intérêt par la 
manière spirituelle dont il défend sa thèse, tandis que l'œuvre du ro- 
mancier fatigue et dégoûte. L'argumentation de M. Champfleury est 
amusante ; il ne manie pas trop mal le sophisme ; il a du trait, du mou- 
vement et beaucoup de verve, surtout quand il donne cours à sa mau> 
vaise humeur contre les critiques, auxquels il prodigue une foule d*épi- 
t];)ètes ingénieuses, telles que, eunuques de la littérature, vilaines bêtes, 
acarus qui se logent dans le corps de l'homme de génie et se nourrissent 
de ses tourments. C'est naturel: le réaliste, dans son amour pour la vé- 
rité vraie, s'inquiète peu d'être courtois ou de ménager les termes; si la 
critique le gêne, il lui flanque un coup de poing et tout est dit. Mais il ne 
s'abstient pas pour cela d'en faire à son tour, de morigéner les écrivains^ 
qui lui déplaisent, de dire très-carrément son opinion sur l'art et la poé- 
sie. Le volume qu'il publie est môme en grande partie composé d'articles 
critiques où se trouvent parfois des jugements assez sévères. Du reste, 
nous sommes loin de nous en plaindre, quoique notre nom figure au 
nombre des patients sur lesquels s'exerce la plume de l'auteur. Seule- 
ment, on ne comprend guère pourquoi la critique, dont il use comme d'un 
droit légitime, serait interdite aux autres sous peine de malédiction. 

M. Champfleury, pour en revenir au réalisme, ne dogmatise pas, ne 
se pose nullement en législateur d'une poétique nouvelle. « Ceux, dit-il, 
qui croiraient trouver dans le présent volume une Bible, une charte, un 
codex pour se livrer à la composition d'œuvres réalistes se tromperaient. » 
il se borne à présenter des vues personnelles, sans prétention systéma- 
tique, et reconnaît même c qu'il serait peut-être dangereux de se nourrir 
trop exclusivement de ces idées. » On doit lui savoir gré d'une pareille 
franchise. Elle met à l'aise et rend plus facile de s'entendre, car le dé- 



292 LITTÉRATURE. 

faut capital du réalisme est précisément de vouloir s'ériger en système 
absolu. Dès qu'il abandonne ce rôle pour la tâche plus modeste de main- 
tenir un équilibre convenable entre l'idéal et le réel, la question change 
tout à fait d'aspect. Nous ne contesterons point ce que l'auteur dit sur 
l'infériorité de la forme et la puissance de l'idée. 

c De ridée, il en restera toujours quelque chose. 

« La forme, c'est l'habillement pompeux de Cbarlemagne, que le temp» 
a détruit; mais la figure de l'homme reste et a traversé les siècles. » On 
en peut conclure, sans doute, que la forme importe assez peu, pourvu 
qu'elle laisse paraître le fond dans toute sa vérité. Il faut donc s'abstenir 
de répandre sur les choses simples ou vulgaires un vernis trop brillant 
qui, sous prétexte de les embellir, risque de les dénaturer. La poésie 
française a très-souvent ce tort. Sa langue n'étant pas celle du peuple, elle 
est obligée de traduire, et réussit rarement à conserver le cachet original. 
11 en résulte une espèce de faux conventionnel qu'on admire comme le 
beau idéal, et qui devient ainsi pour la prose elle-même un écueil difficile 
à éviter. Cette observation ne manque pas de justesse. L'étude appro- 
fondie du monde réel est absolument nécessaire à l'écrivain pour ol^tenir 
un succès fécond et durable. La nature ! étudiez la nature ! > crie Dide- 
rot, comme Shakespeare s'est écrié : Thou, nature, art my goddess ! 
(Nature, tu es ma divinité!) Mais il y a, dans la nature, un choix à 
faire. Tout n'est pas également bon. Peut-être même la véritable excel- 
lence de la nature réside-t-elle plutôt dans l'harmonie de ses œuvres. A 
ce reflet divin elle doit son charme puissant et sa richesse infinie dlospi- 
ration. Mais il importe de se tenir en garde contre les séductions du ma- 
térialisme, qui font perdre de vue le but élevé de Fart et rendent ses 
efforts stériles. Cette tendance est malheureusement l'écueil ordinaire des 
réalistes. Au lieu d'une conception intelligente du vrai, dans son sens 
spiritii^el aussi bien que matériel, iU n'atteignent le plus souvent que 
l'exactitude photographique. En vain les détails sont-ils rendus avec une 
fidélité minutieuse, si la pensée est absente, l'œuvre ne saurait avoir au- 
cune portée, et consacrer son talent à reproduire ainsi les choses laides 
ou triviales de la réalité, nous semblera toujours une étrange aberralioiu 
M. Champfleury ne le niera pas non plus, puisqu'il estime que le mérite 
de toute œuvre d'art ou de littérature gît essentiellement dans l'idée. Mais 
son éclectisme, en fait de principes, va jusqu'à la plus complète indiffé- 
rence, en sorte que le seul enseignement qui ressorte de ses directio;[)s 
est qu'on doit cultiver l'art pour l'art, sans nul souci du résultat moral. 



1 



LITTÉRATURE. 29B 

c Dans ces derniers temps, dit-il, il m'a semblé que j'étais passé dans 
l'écorce d'un pommier. Des nuées de polissons, revenant de l'école, frap- 
paient le tronc à coups redoublés pour faire tomber de l'arbre quelques 
fruits. J'avais besoin d'être secoué, ai-je pensé, et je me suis remis cou- 
rageusement à l'œuvre. 

« Â l'beure qu'il est, je ne m'inquiète plus des discours qu'on tiendra 
sur mes fruits et sur la récolte future. Tout romancier devrait être aussi 
innocent que le pommier : produire toujours, sans souci des lois de la na- 
lure qui veulent que l'arbre donne certaines années de brillantes ré- 
coltes et rien Tan suivant, qui font que certains fruits sont mangés aux 
vers, d'autres non arrivés à la maturité, quelques-uns volés par les ma- 
raudeurs, d'autre^ écrasés par les roues des charrettes ; mais jusqu'à ce 
<]ue l'arbre meure et disparaisse, il n'en a pas moins donné une somme 
de récoltes qui font qu'on oublie et les années manquées, et les fruits 
verts, et ceux grignotés par les oiseaux. » 

La comparaison est originale, mais elle pèche par la base. L'homme 
n'est pas un arbre dont la nature se charge de renouveler la sève chaque 
printemps. Il possède une âme, libre de choisir entre le bien et le mal, et 
responsable de son choix ainsi que des conséquences qui peuvent en ré- 
sulter. Réclamer pour lui l'innocence d'un pommier, c'est absoudre d'a- 
vance les écarts de l'imagination, les abus de Tesprit, et même les mau- 
vais penchants du coeur. 

Madame Bovary nous offre le spécimen de ce que peut enfanter une 
semblable théorie. D'après son titre, l'auteur paraît s'être proposé de 
peindre les mœurs de lia province, mais la province oh sera très-peu flat- 
tée, car il va prendre ses modèles dans une société où le bon sens et 
la morale font également défaut. M'^^^ Bovai7 n'est pas même une 
femme incomprise, c'est la femme aux instincts dévergondés, sans pu- 
deur, ni scrupule d'arucune sorte. Le sentiment de l'honnôle, les nobleè 
sympathies, le éévouenient^ét)ëreux, les illusions séduisantes de l'amour 
idéal lui sont tout à fait étrangers. Elle est aimée de son mari« très-digne 
homme, qui n'a pials d'aiitre défaut qu'une trop grande confiance dans la 
vërtu' dé sa ferhmè. Rien donc lie vient atténuer Ténormité de la première 
faute, et les suivantes décèlent une corruption non moins incurable que 
profondé. H*°* Bovalry succombe ^ans lutte; sa conduite annonce une pei*- 
Vërsité de cœur, rare mêrhe chez les courtisa'nes les plus éhohtéeâ. Pté- 
lèndre nouô donner cela pour du réel, c'est calomnier \i nature. L'igrio- 
raiicé d'une jeune (iaysarihé peut bien la fourvoyer lorsqu'elle se trouve 



294 LITTSRATURB 

tout à coup transportée au milieu des séductions du monde ; mais ce n'est 
pas ici le cas. Fille d'un honnête fermier qui Ta fait'^élever de son mieux, 
Mme Bovary est la femme d'un médecin de village dont k position sociale 
ne contraste assurément pas beaucoup avec celle du beau-père. Elle l'é- 
pouse volontairement, parce qu'elle l'aime, et s'il a l'esprit lourd, le goût 
peu délicat, Tintelligence médiocre, elle le connaissait assez pour ne pas 
se faire d'illusions sur ces différents points. Peut-être croyez-vous du 
moins qu'elle devient la conquête d'un habile séducteur? Non, c'est elle- 
même qui se pervertit toute seule. Â peine mariée depuis quelques se- 
maines, un porte-cigare brodé de soie, trouvé par son mari sur la grande 
route, fait naître en elle l'ardent désir d'avoir un amant. Pourquoi? je 
n en sais rien, car l'habitude de fumer lui paraît détestable chez son mari. 
Le fait est qu'elle ne rêve plus qu'intrigues romanesques. Clerc de procu- 
reur, apprenti pharmacien, tout lui est bon pour nourrir cette fantaisie, 
si bien qu'un gentitlâtre du voisinage, homme assez brutal et vulgaire, 
n'a qu'à paraître sur ces entrefaites pour triompher. A celui-là bientôt en 
succède un autre. M"® Bovary ne s'arrête pas en si beau chemin et son 
placide mari ne s'aperçoit de rien, jusqu'à ce que désertant la maison con- 
jugale elle le ruine par ses folles dépenses et n'ait plus d'autre ressource 
que le suicide pour mettre fin à ses dérèglements scandaleux. Nous ne sa- 
vons si c'est là ce qu'on entend par le réalisme, mais à coup sûr c'est de 
l'animalisme bien caractérisé. Une femme sans vergogne, un mari stupide 
et de jeunes roués qui se moquent de Madame en trompant Monsieur. Ne 
voilà-t-il pas des giersonnages bien intéressants? Ajoutez-y les sots ca- 
quets de la petite ville oisive, et vous aurez une idée très-complète de ce 
roman que M. Janin appelle le plus beau succès de l'année. 



Les| facétieuses nuits de Straparole, traduites par J. Louveau et 
P. de Larivey. Paris, Jannet, 1857 ; 2 vol. in-16. 

Straparole est un des conteurs les plus célèbres de l'Italie. De nom- 
breuses citations montrent quelle fut la vogue de ses narrations qui» par- 
fois, sont dans le genre de Boccace, et qui, parfois, puisées de seconde 
ou de troisième main à des sources orientales, sont empreintes d'un mer- 
veilleux analogue à celui des contes de fées. Il fut d'assez bonne heure 
traduit en français. La première partie de ses Nuits eut pour traducteur 
un écrivain médiocre et fort peu connu, nommé J. Louveau; la seconde 



LITTBEATU&B. 295 

fut pios heureuse ; elle paséa en notre langue, grâce à P. de Larivey, 
auteur de comédies remarquables, et qui, en traduisant, s'il ne se piquait 
pas d'une fidélité rigoureuse, savait du moins conserver une allure déga-> 
gée et facile qui donnait à ses versions l'air d'une production originale. 
Larivey retoucha le travail de Louveau, et l'ouvrage entier, ainsi revu, 
parut en 1565, i^ais, circonstance remarquable, et qui atteste l'incurie des 
marchands de lierres» dans les citations assez nombreuses qui se sont suc- 
cédé, on a toj^ours/ si ce n'est dans celle d'Amsterdam, 1725, repro- 
duit le texte primitif et imparfait du premier traducteur. Notons en pas- 
sant que la vie de Straparole est restée enveloppée de ténèbres épaisses; 
il est même à peu près certain que son nom véritable est inconnu ; Stra-- 
parole (un homme qui parle trop), était sans doute un de ces sobriquets 
fort en vogue alors dans les sociétés littéraires de l'Italie. Quoi qu'il en 
soit, les Nuiu de cet auteur n'ayant pas été imprimées depuis 1734, 
étaient tombées dans l'oubli ; on les lira avec plaisir dans le langage du 
seizième siècle, qui plaisait si fort à Paul-Louis Courier et à Charles No- 
dier, et auquel on pardonne parfois une allure hardie qui ne serait pas 
admise chez un écrivain du siècle actuel. L'éditeur a joint un travail lit- 
téraire qui oifre un intérêt réel pour l'histoire de la fiction, et qui a dû 
coûter de longues recherches ; il a signalé les sources et les imitations de 
l'auteur italien. 

Straparole, comme bien d'autres, ne paraît pas avoir beaucoup compté 
sur son imagination ; il a puisé dans les Cent nouvelles anciennes, pu- 
bliées pour la première fois en italien, en 1525, dans les Facéties de 
Pogge, dans le recueil si goûté au moyen âge, sous le titre de gesia Ro~ 
manorum, dans les nouvelles de Boccace et de Sachetti, etc. D'un autre 
côté, il a été mis à contribution par le poëte allemand Hans Sachs, par 
ritalien Gozzi et par divers conteurs français; Molière lui-même paraît 
avoir lu les Nuits facétieuses ; il leur a emprunté divers traits. Le travail 
de l'éditeur à cet égard est le fruit de longues études, et il sera parcouru 
avec intérêt par les amis de l'histoire littéraire. ^ 



Eléments de la grammaire latine, par i. Pasquet. Paris, Aug. Du- 
rand, 1857; 1 vol. in-12. 

M. Pasquety tout en reconnaissant les mérites de la grammaire latine 
de Lhomond, adoptée depuis environ quatre-vingts ans dans l'enseigne- 



296 LITTERATURE. 

meiit public et privé, trouve son plan défectueux, et c'est ce qui l'engage 
k proposer quelques modifications que sa propre expérience lui a suggé- 
rées. 11 croit surtout utile de donner un développement plus complet au 
principe d'analogie si important en grammaire. Lhomond, trop préoccupé 
des neuf espèces de mots qu'il avait pris pour base de sa syntaxe et de sa 
méthode, présente souvent dans une seule leçon plusieurs règles dépour- 
vues de liens et de rapports entre elles. Cela nuit à la clarté ; il en résulte 
que l'élève fait usage de sa mémoire plutôt que de son intelligence, et 
risque fort de confondre des explications dont il n'a pas bien saisi le sens. 
Pour obvier à cet inconvénient, M. Pasquet prend pour base de son tra- 
vail c la propoêition elle-même, dont le développement amène et fixe 
l'enchaînement et ta succession des règles dans la syntaxe, comme il dé- 
termine tous les mouvements et toutes les modifications du langage parlé. 
La proposition et ses différentes parties : le tujet, Vattribut et tes complet 
menti, sont traités en quelques divisions principales, renfermant chacuùe 
les règles particulières qui s'y rapportent, et qui sont d'un usage général 
dans la langue latine. » Les avantages de cette méthode nous paraissent 
évidents : elle fait mieux comprendre le mécanisme de la langue latine, 
et supprime un grand nombre de redites inutiles. L'auteur est seulement 
quelquefois trop concis; il se contente de poser des jalons propres à gui- 
der les maîtres dans leur enseignement, et le succès de sa grammaire 
d^ndra beaucoup du zèle, ainsi que de Tintelligence de ceux qui se 
chargeront de la mettre en pratique. 



Œuvres de Coquillart, nouvelle édition, revue et annotée par Charles 
d'Héricault. Paris, Jannet, 1857 ; S vol. inl6 : 10 fr. 

Le rôle littéraire de Coquillart, ce poëte témoin contemporain de 
Louis XI, a déjà été l'objet d'appréciations qui nous dispensent de reve-^ 
nir sur ce sujet. Au milieu de défauts nombreux, inséparables .de l*é- 
poque, on trouve chez ce vieux rimeur l'esprit gaulois le plus franc et le 
tableau fidèle des opinions et de l'existence des classes bourgeoises. Un 
éditeur parisien dont nous avons souvent l'oecasio» de mentionner les pu- 
blications, M. Jannet, a eu l'heureuse idée de comprendre ce curieux au- 
teur dans cette Bibliothlque elzévirimne à laquelle le public a fait un 
accueil bien mérité. Un littérateur très-verisé dans l'étude des productions 
du quin2ième siècle, M. d'Héricault, a donné î cette publication des soins 



LITTÉRATUEB. 297 

tout particuliers : il a revu le texte sur les éditions primitives, et son tr^ 
vail est d'autant plus précieux sous ce rapport que le style original de 
Coquillart ne se trouvait plus nulle part. En effet, à peine connaît-on 
deux ou trois exemplaires des rares volumes où se conserve fidèlement la 
diction du vieux poëte ; les éditions suivantes, d'une rareté extrême d'ail- 
leurs, n'offrent aucun changement; l'édiflon de Cousielier, 1724, recher- 
chée des bibliophiles à cause de sa jolie exécution, présente un texte des 
plus fautifs ; l'inintelligence du sens de Coquillart et de la langue générale 
du moyen 2ge s'y montre è chaque instant. L'éditeur n'a compris aucun 
des passages difficiles, et il n'a soupçonné ni la valeur, ni la position his- 
torique du poète. L'édition de M. Tarbé, 1847, est bien meilleure; elle 
présente des notes nombreuses et érudites, mais le texte est établi d'après 
Coustelier. Ce n'est donc que dans l'édition de 1857 que les littérateurs 
pourront connaître ce qu'a véritablement écrit Coquillart, victime jus- 
qu'ici d'un sort funeste, qui le condaoMiait à n'être lu qu'à travers des 
remaniements déplorables et des corrections artMtraires faites sans intelli- 
fence. 

M. d'Héricault ne s'est pas contenté d'étâblif avec la plus scrupuleuse 
attention le texte de son auteur : il y a joint des notes nombreuses et inté- 
ressantes; une notice bibliographique sur les diverses éditions, et une 
étude sur Coquillart et la vie bourgeoise au quinzième siècle ; ce travail 
curieux et rempli d'idées neuves mériterait de nous occuper, mais son 
étendue (152 pages), ne nous permet pas de l'analyser ; il faut nous bor- 
ner à le signaler. N'oublions pas deux index qui peuvent être fort utiles : 
l'un des passages historiques, l'autre des proverbes, maximes, locutions 
vulgaires, etc. qui se rencontrent dans les écrits de Coquillart. 



Poésies complètes de Théodore de Banville. Paris, Poulet-Malassis 

et de Broise, 1857 ; 1 vol. in-12 : 5 fr. 

Au moment de jeter dans le flot noir des villes 
Ces choses de mon cœur, gracieuses ou viles, 

Que boira le gouffre sans fond, 
Ce gouf&e aux mille voix où s'en vont toutes choses 
Et qui couvre d'oubliées tombes et les roses, 

Je me sens un trouble profond. 

Cet aveu de l'auteur ne nous étonne pas ; on se troublerait à moins. 



298 UTSSRATURB. 

Mais aussi pourquoi jeter pêle-mêle tous les produits de sa plume sans 
prendre la p<^ine de choisir et d'émonder ? Qu*ont de commun avec la 
poésie les choses viles ? Si des choses viles se trouvent au fond du cœur* 
qu'elles y restent cachées ; nul ne demande qu'on les étale au grand jour» 
et soit en vers, soit en prose, les confessions de ce genre nous paraissent 
de fort mauvais goût. Qu'un poëte inspiré par Tamour s'abandonne quel- 
quefois un peu trop à son ivresse, on lui pardonnera, pourvu qu'il nous 
offre toujours des images belles et gracieuses, et ne se fasse pas le chantre 
de la sensualité. Mais autrement, ce n'est pas grand dommage que le flot 
noir des villes emporte ses souvenirs de grisettes et son style de Bohême 
dans le gouffre de Toubli. 
M. Banville nous dit, dès les premières pages de son livre : 

Ma muse, à moi, n'est pas une de ces beautés 
Qui se drapent dans Tombre avec leurs majestés 
Comme avec un manteau romain. Cest une fille 
A Fallure hardie, au regard qui pétiUe, 
Elle sait se coucher, sans voile, en un hamac, 
Dire des chants d'amour et fumer du tabac 
De caporal; 

Nous ferons grâce à nos lecteurs de la fin du portrait, car en voilà 
suffisamment pour donner une idée des tableaux et des rêveries qu'ins- 
pire cette muse d'estaminet. C'est de la poésie fort émancipée, pour la 
forme aussi bien que pour le fond. 11 y règne beaucoup de liberté, ce 
qui n'est pas toujours favorable à l'harmonie du vers. L'auteur donne 
essor aux caprices de sa fantaisie sans s'inquiéter d'autres règles que 
celles de la mesure et de la rime. 11 prodigue les épithètes, risque les 
alliances de mots les plus étranges, et paraît enchanté du résultat : 

Au rhythme ailé d'or 
11 fallait encor 

Un maître 
Fou de volupté. 
Alors j'ai dompté 

Le mètre ! 

Reste à savoir si les lecteurs seront du même avis. Il nous semble que 
le Pégase de M. de Banville a souvent encore le trot bien rude et l'allure 
rétive. 



LITTÉRATURE. 29Q 

Œuvres complètes db Ragan, nouvelle édition annotée par M. Tenant 
dtt Latour avec une notice biographique et littéraire par M. Antoine 
de Latour. Paris, Jannet, 1857 ; S vol. in-18 : iO fr. 

Cette nouvelle édition des œuvres de Racan est éditée avec un soin 
remarquable, enrichie de précieuses notes et précédée d'une notice fort in- 
téressante. On y trouvera non-seulement les bergeries, les odes, les stances 
et les poésies diverses, mais encore la traduction des psaumes et les écrits 
en prose. C'est pousser bien loin le scrupule , surtout pour un auteur 
comme Racan, dont on pourrait, sans faire injure à sa mémoire, réduire 
de beaucoup le bagage littéraire. Mais la mode le veut ainsi. Les édi- 
tions châtiées, les œuvres choisies ne satisfont point le goût du jour, 
qui s'attache de préférence aux curiosités de la littérature pour en faire 
collection. Personne assurément ne lira les Bergeries d'un bout à 
l'autre, encore moins la traduction des psaumes, pour y découvrir quel- 
ques beaux vers épars çà et là, qui se peuvent trouver sans la moindre 
peine dans les chrestomathies. En général, quand le collectionneur s'est 
assuré que son exemplaire est au grand complet, qu'on n'en a pas re- 
tranché la pièce la plus insignifiante ni même une simple virgule, il le 
place dans les rayons de sa bibliothèque et ne l'ouvre plus guère. La pos- 
session lui suffit , il laisse à d'autres la tâche d'exploiter les matériaux 
qu'il recueille. Cette manie n'en est pas moins utile pour l'histoire litté- 
raire dont elle facilite ainsi les recherches, et l'on doit reconnaître 
que, sans le secours des curieux, les érudits seraient souvent fort 
embarrassés. Nous sommes donc loin de la blâmer lorsqu'il s'agit d'écri- 
vains qui firent école, ou qui par leur talent exercèrent une influence 
quelconque sur l'essor des lettres. Peut-être trouvera-t-on que Racan 
ne remplit pas tout à fait ces conditions. Cependant, sans être un poëte 
du premier ordre, il occupe un rang fort honorable dans la litté- 
rature française; disciple de Malherl)e, on peut le regarder comme une 
première ébauche de La Fontaine. 11 est telle de ses pièces de vei*s, no* 
tamment les Stances : « Tirsis, il faut penser à faire la retraite, » qui de- 
puis deux siècles jouit d'une admiration universelle. Quiconque les a un 
peu lu les sait par cœur ou ne se lasse de les relire. La judicieuse 
notice de M. A. de Latour fait très-bien ressortir tout le mérite de ce vieil 
auteur ; c'est d'après elle que nous rappellerons quelques-uns de ses 
titres de gloire ; ils ^ront nouveaux pour bien des lecteurs, car on 



âOO LITTÉEAtURB. 

ne lit guère Racan aujourd'hui. On cite partout deux vers de Théocrite 
que Virgile a traduits d'une manière charmante ; Iroava^-Hm que la peA'- 
sée ait rien perdu de sa naïveté dans les deux vers suivants : 

Il me passait d'un an, et de ses petits br^s 
Cueillait déjà des fruits dans les branches d*en bas. 

Ceux-ci rappellent une scène touchante d'HamIet ^ 

Je crois que la voilà toute triste et pensive, 
Qui va cueiUant des fleurs au long de cette rive. 

D'autres, avec plus de simplicité, encore n'ont pas moins de mélancolie: 

La grâce, la beauté, la jeunesse et la gloire 

Ne passent point le fleuve où Ton perd la mémoire. 

Plusieurs se distinguent par une élégance déjà racinlenne : 

Celui sur qui le jour ne luit plus qu'à regret..... 
Je laisse mes troupeaux sur la foi de mes chiens. 
Les oiseaux assoupis, la tète dans la plume 

Tel vers se fait remarquer par une élévation de pensée qui se côm- 
tnunique à Texpression : 

Où le combat est grand, la gloire Test aussi. 

On reconnaît là l'inspiration première d'uo beau vers de Corneille. 
Voici maintenant qui est sublime. Un père raconte qu'il a vu le berceliu 
de soù fils enlevé par la tempête et qu'il n'a pu le lui arracher : 

Tant que je le pus voir, je le suivis des yeux, 
Et puis je le remis à la garde des dieux. 

Parfois Racan a de beaux élans d'inspiration lyrique. 11 déploie une 
largeur d'expression des plus remarquables, il est à la fois neuf et naturel. 
Une ode pleine d'élévation, adressée au duc de Bellegarde, présente une 
belle comparaison que La Fontaine a pris soin d'achever. 

Tel qu'un chêne puissant, dont l'orgueilleuse tête. 
Malgré tous les efforts que lui fait la tempête, 
Fait admirer nature en son accroissement ; 
Et son tronc vénérable, aux campagnes voisines. 
Attache dans l'enfer ses féc<«des racines^ 
Et de ses laides bras touche le firmament. 



LITSBRATUEip. 301 

Voici une stance qui a encore plus de grandeur. Détachons-la d'une 
ode sur la mort de M. de Thermes. 

Il voit ce que l'Olympe a de plus merveilleux, 
11 y voit à ses pieds ses flambeaux orgueilleux 
Qui tournent à leur gré la Fortune et sa roue. 
Et voit, comme fourmis, marcher nos légions, 
Dans ce petit amas de poussière et de boue 
Dont notre vanité fait tant de régions. 

On voit que Racan est digne de ne pas rester dans Toubli, et qu'il y 
avait justice à le faire connaître du public en mettant une édition soignée 
à la portée de tous les amis des lettres. 

L'édition donnée à Paris en 1724 est recherchée des bibliophiles, car 
elle est rare et d'une jolie exécution ; mais, au point de vue de la criti- 
tique, elle est loin d'être exempte de reproches; Tordre de classement est 
vicieux ; des omissions importantes s'y font remarquer ; des leçons défec- 
tueuses et de grossières fautes d'impression la déparent. Le nouvel édi- 
teur a exécuté sa tâche avec un zèle consciencieux ; il a minutieusement 
rapproché du texte de 1724, pour le choix des leçons, toutes les éditions 
originales, tous les recueils contemporains; après avoir recueilli sept 
lettres déjà connues, il en a fait connaître six autres, jusqu'ici demeurées 
inédites dans les grands dépôts de Paris, lettres d'un intérêt littéraire 
assez vif et qui caractérisent d'une façon curieuse l'individualité de Ra- 
can. Une heureuse découverte lui a fait retrouver, parmi les manuscrits 
de la bibliothèque impériale, les textes primitifs*(tout l'indique du moins) 
des Mémoires sur la vie de Malherbe, Mémoires curieux, qui parurent en 
1651 dans une édition absolument perdue aujourd'hui, et qui reparurent 
en 1672 avec des suppressions et des altérations commandées par les 
convenances, mais susceptibles de leur ôter la plus grande partie de leur 
intérêt. Quelques pièces égarées dans d'anciens recueils fort oubliés ou 
demeurées inédites, ont été retirées du néant. 

M. Tenant de Latour n*a rien négligé pour offrir au public un Racan 
bien complet. De courtes remarques, qui ont manqué jusqu'ici à toutes 
les éditions de ce poëte , touchent à des points qui méritaient qu'on s'y 
arrêtât en passant, et nous croyons que les deux volumes dont il s'agit 
sont, à tous égards» dignes du meilleur accueil. 



302 LITTIÎRATURB. 

Nouv£AU MANUEL de bibliographie universelle, par MM. F. Denis, 
P. Pinçon et de Martonne. Paris, Roret, 1857 ; 3 vol. in-18®. 

Nous avons ouvert cet ouvrage avee d'autant plus d'eoapressement que 
nous appelions depuis longtenops de nos voeux une publication de ce genre. 
Un bibliographe, un archéologue bien connu, M. Leber, écrivait il y a une 
vingtaine d'années que les Manuels d* Amateur ne manquaient pas, mais 
qu'un Manuel des Travailleurs restait à faire. Ce qu'il fallait, ce n'é- 
tait pas, comme dans le célèbre Manuel du Libraire de M. J.-Ch. Bru- 
net (livre d'ailleurs classique en son genre) des renseignements sur la 
beauté d'une édition , sur la rareté d'un volume, sur le prix arbitraire 
que l'opinion accorde à certaines raretés ; on demandait des renseigne- 
ments vrais, des réponses précises sur la série d'ouvrages à consulter en 
telle ou telle occasion par l'homme de lettres, l'artiste ou le savant. Le 
Nouveau Manuel se compose ainsi d'une suite d'articles relatifs aux 
villes, aux pays, aux choses de tout genre, aux hommes célèbres ; on a 
suivi avec raison l'ordre alphabétique le plus prompt, le plus facile, celui 
qui, sous Tâspect d'une confusion apparente, permet d'obtenir une ré- 
ponse immédiate au problème qu'on se pose. Les premiers articles qui 
s'offrent aux lecteurs sont Abbeville, Abeilles, Abyssinie, Açores, Ad- 
disouj Afghanistan^ Afrique; à la suite de chaque nom est l'indication 
des principaux ouvrages relatifs à l'objet en question. Si c'est un écrivain, 
on signale les meilleures éditions de ses œuvres, et les travaux de ses 
biographes. S'il s'agit d'une contrée, on indique les voyages les plus im- 
portants qui la font connaître. On s'est arrêté, en général, pour clore les 
indications, à l'année 18^)5; quelques articles dépassent toutefois cette date 
afin de ne pas laisser dans l'oubli certains ouvrages de publication très- 
récente, et qui ont paru trop importants ou trop spéciaux pour devoir être 
oubliés. Un appendice, dont l'importance n'est pas douteuse, accompagne 
le Manuel dont nous parlons ; il est divisé en plusieurs parties, il présente 
successivement l'indication des collections typographiques qui jouissent 
d'une juste renommée par l'élégance de leurs types et par leur correc- 
tion, la liste des catalogues de bibliothèques particulières en possession 
d'une certaine renommée. 

Imprimé en caractères très-menus et comprenant environ 3480 co- 
lonnes, l'ouvrage dont nous cherchons à donner une idée renferme donc 
une masse très-considérable de renseignements exacts , et il sera pour 
tout homme studieux d'une utilité bien précieuse. Il était impossible de 



VOYAGES ET HISTOIRE. 



303 



rendre complètes les indications qu'il présente ; on aurait dépassé cent 
volumes in-^folio ; toutefois il nous semble que les diverses productions 
d'une importance réelle et d'une date récente ne sont pas signalées dans 
des articles où elles devaient figurer. Â l'article Elzévir, par exemple, 
16 ouvrages divers sont énumérés comme se rapportant à ces typogra- 
phes célèbres, mais Ton chercherait en vain les Annales de l'imprime- 
rie elzévirienne ou Histoire de la famille des Elzévirs et de ses édi- 
tions, par Charles Pieters. Gand, 1851 ; in-8°. 

A l'article Email, qui vient après celui des Elzévirs, il n'est point parlé 
du travail aussi étendu que savant de M. Léon de Laborde : Notice sur 
les émaux du Louvre. 

En parlant de 1 inquisition, on a omis un ouvrage capital, le Sacro ar- 
senale o vero prattica del offieio délia S, inquisitione, di E. Hasini. 
Rome 1639, in^o (réimprimé en 1653 et en 1679). 

 l'article linguistique, le remarquable ouvrage de l'Ecossais G. Dal> 

garno, est signalé, n^ 5 (Ars signorum, Londres, 1651) ; on aurait pu 

ajouter qu'il a paru à Edimbourg, en 1834, une édition des écrits de ce 

savant, à l'égard duquel on peut consulter VEdinburgh Review^ n® 124, 

Juillet 1835. ;> 

Le trop fameux ouvrage du jésuite Sanchez : de Matrimonii sacra- 
mento n'est pas signalé à l'article mariage, et à propos des oracles sy- 
biltins, on mentionne l'édition d'Opsopaeus, 1607, qui n'a aucune va- 
leur, et on garde le silence sur celle de M. Alexandre, dont le premier 
volume a paru chez MH. Didot, à Paris, en 1841, et le second en 1853. 

Nous pourrions multiplier ces observations, mais ce serait inutile. Le 
sort d'un ouvrage tel que le Manuel que nous avons sous les yeux est 
d'être forcément incomplet, et tels qu'ils sont, ces trois volumes seront ex- 
trôment utiles à tous les travailleurs. Une seconde édition qui deviendra 
bientôt nécessaire, nous aimons à le croire, les perfectionnera. ^ 



VO¥A«C;S ET HlSTOIKi:. 

Annales de Cakouge , notice sur l'origine , l'accroissement de cette 
ville et ses rapports avec Genève sous le gouvernement de la maison 
de Savoie, par E.-H. Gaullieur. Genève, J. Cherbuliez, 1 vol. in-8. 

Carouge est une ville tout à fait moderne. Au quinzième siècle il n'exis- 
tait guère sur son emplacement qu'une léproserie ou maladrerie, autour de 



301* VOTAGJSa' 91 BldTOIlUB. 

laquelle se forma petit à petit un village qui, par sa proximité 4e la iroo"- 
tière, obtint quelque importance durant les guerres entre la Savoie et 
Genève. Peiodant le cours du dix-huitième siècle, les troubles de cette 
petitp république coiitribuèrent à Tagrandissement de Carouge, qui fut 
enfin érigé en ville par lettres patentes du 31 janvier 4786. avec de 
larges franchises. Dès lors ce fut, aux yeux des catholiques ardents, une 
rivale naissante de Genève, et leurs efforts tendirent à favoriser autant 
que possible son développement. La correspondance du comte do Vey- 
fïev, à laquelle M. Gauliieur emprunte de nombreux ex;^aits, fournit 
sur ce point des détails assez curieux. On y voit avec quelle persévérance 
était suivi le projet d'agrandir Carouge et d'y attirer l'industrie à la- 
qut)Jle Geoève devait sa prospérité. Mais le gouvernement sarde, malgré 
les sollicitations cootiouoUes dont il était assiégé , n'y prêta pas un cont- 
cours bien actif, et les événements politiques vinrent faire trêve à l'an*^ 
tagonisme des deiux villes en les réunissant sous la domination française. 
Après k chute i^ l'empire, Carouge, détaché de la Savoie, devint partie 
intégrante du canton de Genève, de même que Yersoix qui lui fut cédé 
par la France. Ainsi ces deux établissements fondés aux portes de la repu* 
blique protestante, avec la même idée d'opposition, finirent par être ab- 
sorbés dans son territoire. Le travail de M. Gauliieur, rédigé d'après 
des documents ioédits, intéressera d'autant plus qu'il traite inci* 
demme^t une période assez peu connue eiu^ore de l'histoire de Ge- 
nève, savoir la fio du siècle dernier. C'est là que se trouve en effet 
l'origine de nos luttes aotiujeUe» et Texplication de bien des faits dont nous 
sommes acteurs ou témoins sans trop pouvoir nous en, rendre compte. 
Les lettres du comte de Veyrier sont sans doute empreintes de partialité, 
mais elles renferment une foule de petits incidents qui caractérisent bien 
l'époque. M. Gauliieur en tire un bon parti pour dévoiler les sourdes me- 
nées auxquelles Genève était en butte, et qui n'ont pas peu contribué à 
maintenir l'antagonisme confessionnel. Nous ne pouvons que nous unir 
aux vœux qu'il forme pour qu'une tendance contraire se manifeste de 
plus en plus, et que Carouge s'identifie toujours davantage et sans ar- 
rière-pensée avec Genève et la Suisse. 



Insurrection de l'Inde, par MM. Fonvielle et L. Legault, accompagnée 
d'une carte de l'Inde. Paris. 1858; 1 vol. in-12 : 3 fr. 

Les auteurs de ce livre paraissent considérer la révolte des cipayes 



VOYAGES BT HISTOIRE. 305 

comme une insurrection nationale, causée par les abus de la domination 
anglaise. Ils estiment que les Indous ont aussi bien que tout autre peuple 
le droit d'aspirer à l'indépendance et de secouer le joug de leurs oppres- 
seurs. L'observateur impartial ne saurait donc embrasser la cause de 
l'Angleterre sans tenir compte des justes griefs que les insurgés peuvent 
faire valoir. Cette manière d'envisager la question est très-bonne en 
théorie, on doit le reconnaître. Mais dans le cas spécial dont il s'agit nous 
ne la croyons pas précisément applicable. Avant la conquête anglaise, 
rinde était déjà soumise aux musulmans ; elle n'a fait que changer de 
joug, et ce sont ses anciens maîtres qui, pour ressaisir leur pouvoir, ont 
préparé la révolte actuelle. Jusqu'à présent, du moins, le peuple y prend 
peu de part. Plusieurs traits indiquent au contraire qu'il est disposé plu- 
tôt en faveur des Européens ; il a soustrait maintes victimes à la fureur 
des cipayes, et protégé leur fuite avec un noble dévouement. L'insurrec- 
tion est loin d'être générale ; elle a son unique foyer dans l'armée in- 
digène. Quelques symptômes peuvent faire craindre qu'elle ne se pro- 
page ailleurs, mais elle ne présente point encore le caractère national 
qu'on prétend lui attribuer. 

MM. Fonvielle et Legault se trompent, par exemple, lorsqu'ils accu- 
sent les Anglais d'intolérance religieuse, et de zèle aveugle pour la con- 
version des Indous. Ils ignorent sans doute que la Compagnie des Indes 
poussait le scrupule jusqu'à interdire la lecture de la Bible dans les écoles 
officielles, et n'intervenait même qu'avec la plus grande circonspection 
pour détruire certaines coutumes superstitieuses attentatoires à l'ordre 
public. Ils se fourvoient aussi quand ils représentent le peuple indou comme 
pénétré du sentiment philosophique et religieux dont les Védas et autres 
livres sacrés de ses ancêtres portent le cachet. C'est un anachronisme. 
Aujourd'hui la religion indienne, cocfompue de toutes façons, engendre 
le crime et la débauche, donne carrière aux penchants les plus igno- 
bles. C'est en son nom que les %h.uq% pratiquent l'assassinat > que se for- 
ment des sociétés d'empoisonneurs, que se perpétuent les sacrifices hu- 
mains malgré les efforts de la police anglaise pour aboliV cette affreuse cou- 
tume. MM. Foovielle et Legault nous paraissent un peu naïfs dans les 
conseils qu'ils adressent aux insurgés et dans l'espérance qu'ils expriment 
de voir leurs chefs user de modération afin d'asseoir leur triomphe sur une 
base solide. La soif du meurtre et du pillage anime seule les cipayes, et s'ils 
réussissent, le peuple indou passera par toutes les horreurs de l'anar- 

20 



806 VOTA&fiS BT HISTOIRE. 

chie pour retomber bientôt sous )e joug de ses anciens tyrans. QcieUes que 
soient les fautes commises par la Compagnie des Indes, elle représente 
évidemment ici la cause de la civilisation. Les rivalités nationales doivent 
éisparaître devant cet intérêt commun à toute la raee européenne. Du reste, 
nos auteurs le reconnaissent bien eux-mêmes, car après avoir exposé les 
griefs des Indous et les abus de l'administration anglaise, ils terminent 
en faisant des vœux pour que l'Angleterre sorte de cette crise avec hon- 
neur et conserve la haute influence dont elle jouit dans le monde. 



Le pays basque, sa population, sa langue, ses mœurs, sa littérature et sa 
musique, par Francisque Michel. Paris, Firmin Didot, 1857, in-8. 

Nous n*avons pas besoin de rappeler ici les travaux importants et mul- 
tipliés de M. Francisque Michel sur la littérature du moyen fige et sur 
divers sujets d'histoire et de philologie. Son HiHoiredeB races mauditesi 
et ses Etudes philologiques sur tes langues factices ont été l'objet de dis- 
tinctions flatteuses et méritées de la part de Tlnsititut. Oii doit se fé^cilf r 
de ce que cet infatigable érudit ait choisi pour but de ses recherdies un 
petit peuple des plus intéressants à tous égards, et que les différences les 
plus tranchées séparent de ses voisins. L'énumération des chapitres qui 
composent le livre de M. Francisque Michel sera le meilleur moyen de 
donner une idée exacte du contenu de ce volume. 

Le pays basque. 

L'escuara ou langue basque. 

Les proverbes basques. 

Représentations dramatiques. 

Les amusements des Basques (jeu de paume, courses de taureau). 

Les contrebandiers basques. 

Les Bohémiens du pays basque. 

Superstitions des Basques (état présent et passé de la sorcellerie en ce 
pays). 

Pêches et découvertes des Basques dans Us mers du Nord ; émigration 
dans TAmérique du Sud. 

Mœurs, usages, costume des Basques. 

Poésies populaires des Basques. 

Musique des basques. 

Auteurs basques. 

Bibliographie basque. 



SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 307 

De longues et patientes études ûiites sur les lieux et le concours d'un 
grand nombre de Basques instruits ont été nécessaires pour compléter 
«cette encyclopédie basquaise, qui ne laisse plus rien à apprendre à cet 
igard. L'érudition bien connue de M. Francisque Michel se montre dans 
ses notes nombreuses et toujours instructives qui attestent d'immenses 
lectures. Le chapitre sur les proverbes basques révèle une foule de 
dictons aussi sages que piquants; la poésie populaire des montagnards 
pyrénéens est digne de toute l'attention qu'ont obtenue les vers du 
Vkkae genre éclos chez d'autres peuples; quant aux auteurs basques, ils 
sont, en général, si peu connus, que nulle Bibliographie universelle n'en 
a parlé. C'est grâce à M. Michel qu on connaîtra désormais les vers 
religieux ou profanes de Bernard Dechepare, et le beau traité de phi-, 
losophie chrétienne de Pierre Axular. La langue basque, si riche, si 
compliquée à certains égards, et dont l'origine est encore un mys- 
tère, est ici l'objet d'un chapitre qui résume, d'une façon substan- 
tielle et claire, tout ce qu'on peut avouer sur cette question controver- 
sée. Les philol(^ues les plus illustres se sont occupés des problèmes 
qu'offre cet idiome étrange; M. Guillaume de Humboldten a fait l'objet 
de deux ouvrages remarquables, et, en ce moment même, un amateur 
éniinent des études de linguistique^ le prince Louis-Lucien Bonaparte, 
fait imprimer une série de publications relatives à la langue basque : mal- 
heureusement, la plupart de ces volumes, dont M. Francisque Michel 
donne ia liste, sont tirés à un très-petit nombre d'exemplaires, et reste- 
ront absolument inconnus aux personnes qui, dans un but d'étude, au- 
raient intérêt è les consulter. 

HeilIMCi:» ]?IORAIii:S £T POl4lTlQlJEft. 

Les Ennéadks de Plotin, chef de l'école néoplatonicienne, traduites 
pour la première fois en français, accompagnées de sonrnuaires, de 
notes et d'éclaircissements, et précédées de la vie de Plotin et des 
principes de la théorie des intelligibles de Porphyre, par M.-N. Bouil- 
let, tome !«'. Paris, Hachette et C^*, 1857; 1 vol. in-8: 7 fr. 50. 

L'importance de ce travail sera certainement appréciée par toutes les 
personnes qui s'intéressent aux études philosophiques. Les Ennéades de 
Plotin sont l'un des trois grands monuments de la philosophie grecque. 
Elles offrent « l'expression la plus pure, la plus haute et la plus complète 



308 SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. 

de cet éclectisme nëoplatonicien qui tenta à la fois de concilier Aristote et 
Platon, et d'allier aux doctrines rationalistes de la Grèce les idées mys- 
tiques de l'Orient. > Leur place est donc bien marquée dans Thistoire de 
la philosophie. On ne saurait, sans leur secours, se faire une juste idée 
des progrès ou des transformations de la science, ni connaître toutes, les 
solutions (\ue reçurent dans l'antiquité les grands problèmes de l'esprit 
humain. Cependant Plotin n'avait pas encore trouvé d'interprète. Ce 
continuateur de Platon n'était accessible qu'au très- petit nombre de sa- 
vants capables « d'étudier dans les textes originaux des philosophes chez 
lesquels l'obscurité de l'expression vient trop souvent augmenter la diffi- 
culté inhérente au sujet. » 

' Encouragé par l'exemple de MM. Cousin et Barthélémy Saint-Hilaire, 
M. Bouillet a voulu marcher sur leurs traces et compléter leur œuvre. 
Il n'a pas reculé devant les recherches pénibles qu'exigeait une pareille 
tâche. Plotin traite en général des matières d'un difficile accès, les 
questions les plus élevées ou les plus abstruses et les plus subtiles de 
l'ontologie, de la cosmogonie, de la psychologie, les dogmes incomplète- 
ment conpus d'une philosophie puisée chez les Chaldéens, les Perses et 
les Juifs. Son éclectisme embrassant toutes les doctrines antérieures, il 
faut, pour le comprendre, avoir présents à l'esprit les enseignements de 
toutes ces écoles, et s'être familiarisé avec la langue propre à chacune 
d'elles. Ce n'est d'ailleurs pas un écrivain élégant et lucide; son style est 
incorrect, sa phrase très-concise, à peine achevée, et loin de suivre un 
ordre méthodique dont l'enchaînement puisse guider l'intelligence du 
lecteur, il procède par fragments détachés» qui manquent de liaison et 
supposent en quelque sorte toujours la connaissance de toute la doctrine. 
Aussi le regardait-on comme presque inintelligible et surtout comme im- 
possible à traduire en français. 

Si M. Bouillet n'a pu vaincre entièrement les obstacles d'une entre- 
prise aussi périlleuse, du moins le résultat de ses effoils prouve qu'on 
ne s'était guère donné la peine jusqu'ici d'étudier Plotin. Sa traduction, 
fort remarquable, fera rendre meilleure justice aux Ennéades, qui, malgré 
les reproches qu'on peut adresser à la forme et les bizarres doctrines qu'on 
y rencontre çà et là, sont assurément l'œuvre d'un grand penseur. Les 
nombreux matériaux recueillis par M. Bouillet dissipent d'ailleurs en par- 
tie les obscurités de la doctrine. < Indépendamment des notes placées au 
bas des pages, dit-il, dans lesqjjelles nous nous efforçons de lever toutes 
les difficultés de détail en discutant les diverses leçons, en expliquant les 



SCIENCES . MORALES ET POLITIQUES . 309 

termes otecurs ou en indiquant d'utiles rapprochements, nous avons 
donné à la fin du volume, sous le titre de Notes et éclaircissements, un 
commentaire étendu sur les divers livres des Ennéades, commentaire à 
la fois historique et philosophique, qui remplit pour chaque livre l'office 
d'une introduction spéciale. Dans ces commentaires, nous nous sommes 
efforcé de réunir tout ce qui était propre à éclairer la matière traitée 
dans chaque livre, soit en exposant la partie de la doctrine générale dont 
ce livre exigeait la connaissance, soit en expliquant notre auteur par lui- 
même, soit en recherchant les sources où il avait pu puiser^ sait enfin 
6n indiquant les écrivains postérieurs qui se sont inspirés de lui et les 
divers travaux dont il avait été l'objet.... 

< La suite des idées et même le but précis de l'auteur n'étant pas tou- 
jours facile à saisir dans les Ennéades, nous avons encore essayé d'en 
faciliter Tintelligence en mettant en tête de l'ouvrage des sommaires, qui 
présentent en raccourci le contenu de chaque livre ; en même temps 
•qu'ils serviront de tils conducteurs, ces sommaires permettront aux per- 
-sonnes qui ne pourraient lire l'ouvrage dans son entier d'avoir du moins 
iin aperçu des idées de notre auteur. » 



Mélanges de droit et d'histoire, par M. Benech. Paris, Cotillon, 

1857; 1 vol. in-8«: 7 fr. 

Ce volume renferme les travaux d'un jurisconsulte habile qui s'est dis- 
tingué dans la carrière de l'enseignement non moins que dans celle du 
barreau. M. Benech, après des études brillantes et d'honorables débuts 
comme avocat, avait été dès l'âge de vingt*quatre ans nommé profes- 
seur de droit romain à l'académie de Toulouse. Dans cette position il 
déploya des facultés éminentes, et ses efforts pour introduire d'impor- 
tantes réformes furent couronnés de succès. « Voué désormais tout 
entier à la culture du droit, le jeune professeur ne demeurait étranger à 
aucune partie de cette science et à rien de ce qui pouvait intéresser ses 
progrès. Ses travaux ne se concentrèrent pas uniquement sur les monu- 
ments de la législation romaine ; placé au sein de la vie actuelle, notre droit 
civil français fut Tobjet constant de ses études; il Tenvisagea même dans 
toutes ses sources , et on le vit dans ces derniers temps introduire au 
sein de l'école de Toulouse un cours de droit coutumier qui fut suivi avec 
intérêt par les élèves. « La mort est venue le frapper dans la force de 
l'âge, lorsque son talent mûri par Texpérience était plein de sève et de vi- 



310 SCIBirCBd MORALES BT POLITIQUES. 

gueur. Aux écrits importants qu'il avait déjà publiés sur les Justices de 
paix, sur la Quotité disponible entre époux, sur la Dot, sur le nantisse- 
ment appliqué aux droite créances et reprises de la femme, Tacadémie de 
législation a voulu, pour honorer sa mémoire, ajouter le recueil de ses 
articles épars dans les journaux et revues. Ce sont des notices histori- 
ques ou biographiques fort intéressantes, dans lesquelles, à côté d'une 
érudition solide se rencontre aussi le mérite littéraire. Nous citerons entre 
autres : La femme romaine et le mouvement intellectuel de son pays, 
morceau remarquable, qui captivera certainement les lecteurs même les 
plus étrangers aux questions de droit. 



Système national d'économie politique, par Frédéric List; traduit de 
i allemand en anglais par G.-A. Matile, docteur en droit civil, ancien 
professeur de droit à Neucbâtel, membre de la Société américaine de 
philosophie^ etc.; avec un essai préliminaire et des notes par Etienne 
Golwell. Philadelphie, 1856; i vol. in-8. — Le même ouvrage, tra- 
duction française, revue, corrigée et mise au courant des faits écono- 
miques. Paris, Capelle, 1858 ; 1 fort vol. in-8<> : 9 fr. 

L'ouvrage de Frédéric List mentionné en tête de cet article étant déjà 
connu en France par la traduction de M. Richelot, c'est sur le travail de 
son traducteur et de son éditeur américains que nous désirons attirer un 
instant l'attention des lecteurs de ce recueil. 

Jusqu'ici le système d'Adam Smith et de J.-B. Say avait régné à peu 
près sans partage dans les chaires d'économie politique fondées aux 
Etats-Unis. Affligé des tendances d'une école qui, exclusivement occupée 
de Fa production de la richesse, s'inquiète peu de sa distribution, tient 
peu de compte des besoins et des intérêts de la classe laborieuse, et pré*- 
tend fonder toute la science sur quelques axiomes géoéraux sans ^ard 
aux exigences deâ circonstances et des institutions, un philanthrope chré- 
tien aussi respectabie par son caractère que distingué par sa science, 
M. E. Colwetl de Philadelphie a entrepris d'opposer à l'influence de cette 
école celle d'un économiste allemand déjà connu aux Etats-Unis, dont le 
système repose sur des bases toutes contraires. Il a fait en conséquence 
traduire pour ses compatriotes fouvrage de Frédéric List, l'a enrichi de 
notes instructives, et y a joint un discours préliminaire dans lequel il cooh 
bat foi-même les théories de J.-B. Say, en fait ressortir la sécheresse et 
l'insuffisance, et passant en revue les principaux économistes modernes, 



SeiSHCBS MORALBB ET POLITiginB»^ ^It 

montre que ceux-ià mêiae qui s^aiMeal se rapproehar le plus des priAcipes 
de cet' auteur, o&t été conduits par l'expérience et p»r de nouvellearé^ 
JHexîoâs àf lei abandonoer en partie. 

Qua^ftt à ia traductieft publiée par M. Celwell, tradtiction foite et revue 
aveC'lie pk!» graûd soin^ eUe esl, ainsi que l'iûtéressaiHe notice biograptûr* 
que qui la précède^ Tosuvre de noire compatriote^ M. G.-Â. Malile^t ci'-* 
dèva»i professeur i l'acaidéinie de NeuebMei, aujourd'hui d^icteur ea 
droit > Philadelphie, où il poursuit ses savants travaux d'histoire ei de 
jtti;is|Mru4eiice^ Il vieat de mettre la dernière aiaiD h son histoire de U 
principa<uté de Valaogin» el prépare des matériaux peur des ouvrages de 
droit qui, nous m'eoi doutons point, ajouteront à la réputation juste- 
ment méritée qu'il s'est acquise. 



Explication des passages de droit privé contenus dans les œuvres de 
Cicërorf, par G. de Caquerar, professeur de droit rom<9mv à la facolté 
de Rennes. Parfe, t)ôrand, 1857 -, t vol. gr. in-8 : 8 fr. 

L'auteur de ce livte nous offre Talliafnce assez rare aujourd'hui de 
ki cûUufe littéraire avec la science du droit. En général les juriscon-^ 
suUes, absorbés par le but spécial de leurs travaux, accordent peo d'aK^ 
teMion à l'étude des lettres, et les littérateurs dédaignent le droit, dans 
lequel ils ne voyent qu'un composé de chicane et de procédure sans ao-* 
ctm attrait pour eux. 11 en résulte que le droit n'est guère connu que d*un 
petit nombre d*adeptes', tandis que tous les hommes instruits devraient 
en posséder au moins quelques notions indispensables pour bien corn-* 
prendre Th^toire. La littérature et la science ne sauraient que gagner i 
se prêter un appui mutuel qui leur profite égalemeot à toutes deux. Elles 
se complètent l'une Tautre et rendent ainsi leur influence beaucoup plus 
féconde. C'est à ce double cachet que les grands écrivains doivent l'autorité 
qer'ils exercent dans le monde. Cicéron, entre autres, nous en fournil uft 
etemple nemarquàbfe. Dans ses ouvrages Térudition s'allie aux qualités du 
grand éerivaini et de l'orateur éloquent. Aux titres que lui décernent les 
littéraleurs les plus experts, on peut ajouter encore celui de savant juris- 
confite. En effet, M. de Caqueray montre qu'on avait jusqu'ici trop né* 
gligé ce point de vue. Admirateur enthousiaste du génie de Cicéron, ils'esit 
donné la tâche d'extraire et de commenter tous leis passages de ses écrits 
propfesf à répandre quelque lumière sur des questions de droit. L'utiKté 
d'un pareil trai^ail sera vivement ap{>réciée par ceux qui s'occupent du 



312 SCIENCES HORALBS ET POLITIQUES. 

droit romain. Us y trouveront des documents importants, et des données 
d'autant plus précieuses que Cicéron vivait dans une époque de transition 
où son esprit philosophique joua sans doute un grand rôle. M. de Caque- 
rey le range en tête des écrivains qui contribuèrent à faire sortir le 
vieux droit des langes dans lesquels il était renfermé. Ce nouvel hom- 
mage rendu à la mémoire de l'illustre orateur repose sur des preuves 
très-nombreuses, et la manière intéressante dont elles sont présentées 
nous paraît leur promettre un excellent accueil auprès du public lettré. Les 
explications de M. de Caqueray sont claires, précises et suffisamment dé- 
taillées pour satisfaire le jurisconsulte aussi bien que le littérateur. Il 
D*om6t rien de ce qui peut servir à l'intelligence des textes, et présente 
une foule d'aperçus ingénieux sur Thistoire de la législation romaine. 



Les manieurs d'argent, études historiques et morales, par Oscar de 

Vallée. Paris, 4857; 1 vol. in-i2 : 3fr. 

De nos jours l'agiotage a pris un tel essor qu'on peut sans exagéra- 
tion le signaler comme l'une des plaies les plus dangereuses de l'état social. 
C'est un triste corollaire des progrès de Tindustrie et de l'importance 
croissante du crédit. Les bénéfices considérables réalisés par la spéculation 
causent une espèce de vertige général : pour arriver promptement à la 
fortune on se jette dans les chances aléatoires du jeu. De folles entre- 
prises absorbent ainsi les capitaux qui devraient alimenter le commerce 
et l'agriculture. La prospérité publique est en décadence, tandis que le 
luxe étale ses splendeurs et sa corruption. Chacun veut acquérir la ri- 
chesse à tout prix afin de pouvoir se procurer toutes les jouissances de 
la vie matérielle qui semble être l'unique but de cette course au clocher. 
Morale , probité , loyauté ne sont plus que des accessoires assez indiffé- 
rents. On se prosterne devant l'éclat de lor, sans trop s'inquiéter du 
reste, et les scrupules ne gênent guère ceux qui préfèrent l'agiotage au 
travail. Ce déplorable état de choses tend à s'aggraver d'autant plus que 
la loi n'y peut rien. C'est dans les mœurs que se trouve la vraie cause du 
mal, et comme elles se corrompent toujours davantage sous son influence, 
la probabilité d'une réforme diminue sans cesse. Aussi le grand apôtre du 
socialisme, M. Proùdhon, s'écrie-t-il avec joie que : « le vice est au 
comble, > que • les faits et gestes de la Bourse ont fait table rase de 
l'honnêteté commerciale, » que le moment approche c où la faillite de la 



SCIBMCES MORALES ET POLITIQUES. 313 

bourgeoisie sera définitive, » et il se frotte les mains en préparant une re- 
cette sociale qui dispensera les hommes d'honneur, de probité et de vertu. 

La perspective est peu séduisante. Heureusement nous ne sommes pas 
tout à fait réduits à prendre les remèdes de M. Proudhon. Il reste encore 
des éléments de vie morale qui peuvent réagir avec succès contre la ten- 
dance matérialiste. La crise actuelle n'est pas sans exemples dans les 
siècles passés, et l'histoire nous montre que les maladies morales se 
guérissent comme les autres, « qu'on revient , sous de salutaires in- 
fluences, des mauvais penchants aux bons, des goûts qui dépravent 
aux goûts qui élèvent, des faux cultes au vrai , de l'abaissement à l'hon- 
neur. » 

C'est dans cette conviction que M. de Vallée a puisé l'idée de son li- 
vre. Il a voulu faire voir que l'agiotage n'est point une maladie nou- 
velle, spéciale à notre époque, ni par conséquent inhérente au dévelop- 
pement de l'industrie moderne. Déjà sous le règne de Louis XIV des 
embarras financiers amenèrent une crise pareille, la régence en pro- 
duisit une plus forte encore, et si l'on voulait remonter plus haut il ne 
serait pas difficile d'en signaler d'autres. Dans les dix-septième et dix- 
huitième siècles l'agiotage eut les mêmes résultats qu'aujourd'hui, c'est-à- 
dire des fortunes rapides excitant l'envie, engendrant le luxe et la cor- 
ruption, l'avitissement des caractères et la ruine de la prospérité nationale. 
Cependant, grâce au réveil de la conscience publique, le fléau s'arrêta, 
les plaies furent cicatrisées et la société n'eut pas besoin de recourir à des 
remèdes inconnus et nouveaux. Ce mal provient donc plutôt des faiblesses 
de la nature humaine, et les moyens de le combattre sont ceux qu'ont tou- 
jours employés les philosophes, les moralistes et les prêtres. Or, si leur 
efficacité triompha jadis il n'y a pas lieu d'en désespérer aujourd'hui, car 
la société, dans son ensemble, est moins corrompue, surtout qu'au temps 
de la Régence. En rappelant les excès de cette époque et les désastres fi- 
nanciers qui en furent la suite, M. de Vallée nous offre une image bien 
propre à réveiller l'énergie chez les âmes honnêtes. Il signale l'immi- 
nence du péril et fait sentir avec force la nécessité de mettre promptement 
un terme aux désordres de l'agiotage, c  toutes les époques de notre his- 
toire et de l'histoire des autres, il est sorti des passions humaines une cer- 
taine quantité de mai. C'est la loi d'ici-bas, et nous ne sommes pas nés, pa- 
raît-il, pour y vivre dans une paix profonde ; mais que du moins ces pas- 
sions gardent quelque générosité, et qu'elles ne se donnent pas toutes, pour 
s'y déshonorer, rendez-vous vers l'argent et vers les jouissances ; je je dis 



314 SCiEli€B9 II0RALE8 ET POLIT fOVBS* 

avec une profonde douleur, mais avec une égale coaTÎctioB, c*est par là, 
c'est par notre iftdifférenee fi>&rale et \>u la corruption pécuniaire que 
passera, si elle passe» l'armée du Socialisme. » 



Principes d économie politique, par G. Roscher, traduits et annotés 
par M. Wolowski. Paris, 1857; 2 vol. in-8: 45 fr. 

L'ouvrage de M. Roscher se distingue par l'application de )a niéthodé^ 
historique dont, jusqu'à présent, les économistes n'ont point fait usage. 
Cette tentative ne manque certainement pas d'originalité ; elle imp'Hme à 
la science un nouveau caractère, et fournit des données intéressantes sur 
la marche des institutions sociales. Son principal avantage est de faire 
mieux comprendre certaines questions qui, par leur nature complexe et 
déficate, se prêtent mal aux déveioppenientsngoiireux de la pure logifpiie. 
En effet, lorsvfo'il s'agit d'honmes et oon de chiffres, on ne peut guère 
prétendre empi'oyer une formule absolue et ne tenir noi compte des cir-^ 
coostances antérieures qui ont i»flué sur leur éducation, sur leurs ha* 
bitudes ou leurs préjugés. La théorie et la pratique sont alors |ilus que 
jamais deux choses trè&*distinctes, et pour les concilier il faut recourir à 
l'histoire, qui répand une vive lumière sur l'origine des obstacles que la 
pratique oppose à la théorie. Cette remarque est juste, en tant qoe Foa 
ne saurait changer tout d'un coup Thomme, ni faire abstraction de son 
passé, pour le soumettre aux exigences de la vérité scientifique. Les re- 
cherches qui tendent à bien préciser la nature des obstacles et leurs rap-» 
ports avec l'histoire des sociétés nous semblent donc fort utiles. Mais 
doivent*elles être con»dérées comme partie intégrante de l'économie po« 
litique et se mêler à l'enseignement de ses prim^ipes? Voilà ce qui nous 
paraît douteux. C'est compliquer singulièrement une étude dont il importe 
au contraire de rendre l'accès facile à tous. On risque de surchai^er la 
mémoire dé Daits qui contrastent avec les données de la théorie, et de 
jeter ainsi quelque confusion dans les idées. Il est difficile d'éviter des 
digressions nombreuses qui, bien que fort intéressantes, interrompent la 
marche du raisonnement et nuisent à sa clarté. D'ailleurs l'économie 
politique ne date-t^elle pas d'une époque trop récente pour qu*il y ait de- 
graves inconrénients à vouloir appliquer ses principes aux temps anté- 
rieurs, dont l'organisation sociale différait de la nôtre à tant d'égards? Le 
livre de M. Roscher, quelque remarquable qu'il soit, nous confirme dans 



SCIENCES lIOAALfiS ET FOLITIQUES. 315 

noire manière de voir. Il abonde en aperçus ingénieux, en détails du 
plus grand intérêt; il porte le cachet d'une érudition aussi vaste que so- 
lide. Mais au milieu de cette richesse superflue on a beaucoup de peine à 
trouver le nécessaire, l'esseniiel, c'est-à-dire les déductions de la science 
et leur enchaînement logique JNéanmoins c'est un beau travail, dans le- 
quel on puisera bien des notions précieuses. Nous croyons seulement que 
la méthode employée par l'auteur convient peu à l'exposé des principes 
de l'économie politique. 



Manuel DE l'enseignement PRMAifiB, par Lorain et Lamotte, 5°^* édition, 
complétée par B. Rendu. Paris, Hachette etC^ 1858; 1 voLin-12. 

Ce petit livre, autorisé par le Conseil de l'instruction publique, est un 
excellent manuel à l'usage des instituteurs et de toutes les personnes qui 
s'occupent de l'enseignement primaire. On y trouve de fort bonnes direc- 
tions, soit sur les moyens d'organiser une école, soit sur les méthodes 
les plus propres à leur faire produire d'utiles résultats. L'instruction po- 
pulaire, aujourd'hui plus que jamais devenue indispensable, a besoin 
d'être guidée par un zèle éclairé; autrement elle risquerait de manquer 
le but que l'on doit se proposer d'atteindre. Livrée à elle-même, elle peut 
devenir même dangereuse, parce qu'elle développe l'intelligence sans 
aucune garantie de moralité, tandis que, fécondée par la pensée chré- 
tienne^ elle est Un puissant instrument d'amélioration et de conquête. Il 
importe donc, en dissipant l'ignorance, de travailler à l'éducation du 
cœur, afin de le mettre en garde contre les égarements d'une science 
corrompue. C'est l'écueil le plus difficile à éviter. MM. Lorain et La- 
motte en sont si convaincus, que tous leurs efforts se dirigent sur ce point. 
Ils veulent que l'enseignemeiUt soit autant que possible éducatif, et re- 
gardent rinfluence morale comme Tobjet essentiel des préoccupations du 
maître d'école. En fait de méthodes, leur tendance est un sage éclectisme, 
qui prend fe bon là où il croit le trouver, et condamne les systèmes ab- 
sofos. Jusque dans les noroiodres détails, ils ne perdent pas de vue la né* 
c^ssité d'établir entre le maître et les élèves un lien d'affection qui renée 
cher ceux-cii le souvenir de- l'école, et par conséquent des principes qu^'ils 
j ont pui^. Le manuel' est divisé en six parties, qui traiteni: i® de l'Or^ 
g»nisation générale; 3® de la Discipline; 3^ de ^Enseignement; V ée& 
Dispositions législatiTe^; 9» des Devoirs^ de iri»stiture»ir; 6^' du Matérid 



3l6 8C1BHCKS BT ARTS. 

de l'école. Rien D'est omis de ce qui peut contribuer au progrès de l'édu- 
cation populaire, et l'on y trouve de précieux conseils sur la manière de 
la rendre vraiment profitable. 



Nouveaux choix de traités-Roussel. Paris, Grassart, 1857; 1 voL 

in-12. 

M. Napoléon Roussel est l'un des auteurs les plus féconds de ces pe- 
tits traités religieux par lesquels on cherche à raviver la foi ainsi qu'à ré- 
pandre de plus en plus les principes du protestantisme. Il possède les 
qualités de l'écrivain populaire, jointes à beaucoup de ferveur, et se dis- 
tingue aussi par la vivacité de sa polémique. Les vérités de la religion 
sont en général traitées par lui de la manière la plus propre à frapper des 
esprits simples ou peu cultivés. Il se place toujours au point de vue pra- 
tique et profite de toutes les ressources que peuvent lui fournir soit les 
questions du jour, soit les circonstances actuelles qui préoccupent déjà 
l'attention. Son style est incisif, quelquefois pittoresque et d'une origi- 
nalité piquante. Peut-être n'a-t-il pas toute la mesure convenable en pa- 
reille matière. On trouve çà et là dans ses ouvrages l'empreinte d'un zèle 
trop ardent, qui aime la lutte et cherche volontiers des adversaires à com- 
battre. Mais c'est un habile champion pour la controverse, et malheureu- 
sement le protestantisme, attaqué comme il Test, ne saurait encore renon- 
cer tout à fait à ce moyen de défense. D'ailleurs, le volume de M. Roussel 
renferme aussi des traités d'enseignement religieux et de pure édification 
qui nous paraissent de nature à produire d'excellents fruits. 



SClEUrCES ET ARTS. 

La science du coupeur, par M. Grillot. Paris, chez l'auteur, quai de 

l'École, 8; 1 vol. in-4«, fig. : 14 fr. 

M. Grillot paratt avoir fait de la coupe des habits une étude très-ap- 
profondie. L'art du tailleur est à ses yeux digne de figurer au nombre 
des professions les plus élevées. Il en parle avec respect, avec enthou- 
siasme, et se livre à de hautes considérations philosophiques sur l'in-* 
fluence de l'habit dans la société. « Voyez, dit-il, ce jeune homme in- 
connu dans le monde, étranger aux salons : il y a fait son entrée. La 
nature lui a prodigué physiquement et moralement ses plus riches dons ; 



SCIENCES ET ARTS. 317 

cependant il débuterait inaperçu. Rassurez- vous ! sa mise est parfaite; 
il a pour tailleur un de nos artistes. Voyez, déjà on l'observe, on s'oc- 
cupe de lui, beaucoup même ; c'est, il est vrai, son habit qui fait sensa* 
tion ; lui aura son tour; et, tenez, c'est à qui lui parlera, le recherchera. 
L'homme a été digne de l'habit, le client du tailleur! la partie est ga- 
gnée.» Mais M. Grillot ne se borne pas à faire du style; bientôt il entre 
en matière et s'efforce de donner à son enseignement toute la rigueur 
d'une méthode scientifique. De nombreuses planches, accompagnées d'ex- 
plications claires et précises, offrent non-seulement tous les détails du 
tracé des habits pour les différentes catégories de tailles et de corpu- 
lences, mais encore la manière dont la coupe doit se faire pour ménager 
le mieux possible l'emploi du drap. C'est un traité complet qui sera très- 
utile aux maîtres tailleurs, et dont l'élégante exécution typographique 
mérite des éloges. 



Cours d'arithmétique commerciale, par Th. Bertrand. Paris, 

J.Delalain, i857; 1 vol. in-12. 

Ce cours élémentaire est fait tout spécialement pour les élèves qui se 
destinent aux affaires commerciales, industrielles ou administratives. Le 
point de vue pratique y domine, et l'auteur, laissant de côté les abstrac- 
tions de la théorie, s'attache surtout à faire bien comprendre, par de 
nombreux exemples, le mécanisme des opérations arithmétiques les plus 
utiles. Ses définitions claires et précises nous paraissent être bien à la 
portée de jeunes intelligences qui n'ont encore aucune notion des choses 
commerciales, quoiqu'il se montre en général très-sobre de développe- 
roenls. L'essentiel, à ses yeux, est de faire comprendre les services que 
rend le calcul dans ses applications diverses, et d'exciter l'intérêt par des 
problèmes non moins ingénieux que variés. Nous croyons que l'arithmé- 
tique ainsi présentée doit offrir de Tattrait aux élèves, parce que dès les 
premières leçons ils peuvent trouver par eux-mêmes des résultats qui 
piquent leur curiosité et stimulent leur zèle. C'est un enseignement gradué 
avec beaucoup de tact pour les conduire depuis les premiers principes de 
la numération jusqu'aux règles les plus compliquées dont le négociant, le 
banquier ou l'agent de change aient à faire usage. Chaque leçon com- 
prend une définition suivie d'un ou plusieurs problèmes dont la solution 
est obtenue par le raisonnement ^ la règle à appliquer pour obtenir cette 
solution vient ensuite. Â la fin de la leçon se trouve un questionnaire, ac- 



318 SCIEKCSS ET ARTS. 

coiQpagné de problèmes sur des questions commerciales, industrielles, etc., 
pour servir d'exercices aux élèves^ M. Bertrand possède une longue ex- 
périence de la coimpitabilité ; il est familiarisé avec tout ce qui concerne le 
commâTce, et son livre nous semble répondre, mieux que la plupart des 
traités du même geare, aux besoins de ceUe profession. 



Trésors d'art «xposés ï Manche&b&r en 1857, et provenant des collec- 
tions royales, des collections publiques et des collections particulières 
de la Grande-Bretagne, par M. Burger. Paris, veuve Renouard, 1857, 
i vol. io-12: Sfr. 50. 

L'exposition de Manchester est bien propre à donner une haute idée 
des richesses artistiques accumulées en Angleterre. Elle offre un ensemble 
qui, pour le nombre et la valeur des chefs-d'œuvre, peut être comparé à 
la collection du Louvre. Celle-ci la dépasse pour les grands maîtres ita- 
liens, mais lui cède le pas pour ceux des pays du Nord et de l'Espagne. 
Manchester renferme de fort curieux produits de Tart byzantin, et les 
écoles allemandes et flamandes y sont admirablement représentées. Tous les 
possesseurs de tableaux, riches propriétaires, corporations, collèges, mu- 
sées, académies, chapitres, églises, etc., se sont empressés de faire jouir le 
public de leurs trésors. Une centaine de statues et statuettes en marbre, 
oeuvres d'artistes anglais, se présentent d'abord, formant la haie entre 
deux allées de colonnettes qui conduisent à la plus belle collection de por- 
traits qui ait jamais été réunie. Ils sont au nombre de 400 environ, dont 
12 de Holbein, 28 Van Dyck, 10 Reynold, 7 Laurence; puis 500 à 600 
autres, miniatures précieuses sur ivoire, sur métal ou sur parchemin. 
Vient ensuite la collection d'estampes, près de deux mille, depuis le quin- 
zième siècle jusqu'à nos jours Un millier d'aquarelles, plus de 1200 ta- 
bleaux de maîtres anciens, environ 600 autres de peintres anglais, un 
musée oriental, qui renferme des merveilles de l'Inde, de la Chine, du 
Japon, etc. ; enfin, une foule de raretés fournies par les cabinets des 
savants collectionneurs. Voilà certes de quoi justifier le sentiment d'or- 
gueil avec lequel un journal de Manchester disait: c Quelle gloire réelle 
et solide pour nous de pouvoir montrer de tels trésors empruntés à nos 
maisons ! • Dans ce vaste ensemble, les écoles du Nord occupent la [)lace 
principale et présentent d'autant plus d'intérêt que, pour la première fois, 
on voit leurs chefs-d'œuvre réunis en aussi grand nombre. On peut les 



SCIBIICES BT AHTS. 319 

suivre depuis l'origine jusqu'aux temps modernes. Les maîtres primitids» 
soit allemands, soit flamands, s'y trouvent tous. Meister Stephan, Martio 
Schon, Wohlgemiith, le maître de la Passion Lyversberg, ^riioewald 
d'Âsohaffenbourg, Albert Diirer, Granach, Holbein, les Van Eyck, Chris- 
tophsen, Quentin Massys, Jan Gwsaert et d'autres encore, forment une 
admirable série, qui nous amène à Rubens, Van Dyck, Jordaens, Teniers, 
Rembrandt, Metsu, Paul Pôtter, eftc, etc. Un simple aperçu du cataU>gue 
fait déjà comprendre la haute importance de cette exposition pour l'his* 
toire de Tart. Les notices qu'y joint M. Bui^er seront lues avec beau- 
coup d'intérêt. Elles ne portent guère que sur les œuvres capitales^ et sont 
nécessairement fort courtes. 11 décrit très-bien les tableaux dont il juge le 
mérite d'une manière en général impartiale, quoique sans doute il ait ses 
{prédilections et ses antipathies, comme tout homme qui cultive l'art con 
a/uMre. Ses connaissances paraissent d'ailleurs non moins solides qu'éten^^ 
dues, et la tâche de rendre compte des trésors de Manchester ne pouvait 
tomber entre des mains plus capables de la remplir dignement. 



Les sqenges nat(jr6:lles, études sur leur histoire et sur leurs plus ré« 
cents progrès, par Paul de.Rémusat. Paris, Lévy frères, 1857; 
\ vol. in-i2 : 3 fr. 

Les progrès récents de la science, ses découvertes et surtout ses nom- 
breuses applications à l'industrie, excitent aujourd'hui le plus vif intérêt. 
Tout homme éclairé désire pouvoir suivre ce mouvement, sinon dans ses 
délails techniques, du moins dans ses principaux résultats. À côté du pu* 
blic savant proprement dit, s'en trouve un autre plus considérable, dans le- 
quel la science compte beaucoup d'amis, pourvu qu*elle consente à parler 
un langage clair, intelligible, agréable et ne dédaigne pas de se mettre à 
leur portée. Pour de tels amateurs, il ne faut pas des livres hérissés de 
termes scientifiques, de calculs et de formules ; ils demandent qu on leur 
traduise autant que possible en langue vulgaire le résumé des doctrines 
^t des expériences les plus im|M)rtantes. C'est une tâche assez diSBcile , elle 
exige les qualités de l'écrivain unies à des connaissances aussi solides 
que variées, car on n'expose avec clarté que ce que l'on sait très-bien, et 
les lecteurs qu'il s'agit de captiver ne se contentent pas d'aperçus incom- 
plets ou trop superficiels. Mais aussi le succès de semblables ouvrages 
paie bien la peine qu'ils donnent. D'ailleurs, ils contribuent, d'une ma- 



320 SCIENCES ET ARTS. 

nière indirecte, mais certainement efficace, aux progrès de la science, 
dont ils répandent le goût dans toutes les classes de la société. Pour en 
citer un exemple, les publications de M. L. Figuier prouvent combien 
notre époque est favorable à des tentatives de ce genre. M. Paul de 
Rémusat entre donc avec confiance dans la môme voie, et nous croyons 
qu'il n'aura pas lieu de s'en repentir. Ses articles, insérés dans la Revue 
des Deux Mondes, ont été bien accueillis ; réunis en volume, ils présentent 
plus d'attrait encore, soit par la variété des sujets, soit par l'harmonie de 
l'ensemble. Ce qui le distingue surtout, c'est le talent de populariser les 
théories scientifiques. On sera particulièrement frappé de son aptitude à 
cet égard dans les articles intitulés: Des races humaines*^ D'une révolu- 
iion en chimie ; Physiologie expérimentale. Il procède avec une lucidité 
parfaite, et sous sa plume élégante les questions les plus ardues semblent 
devenir accessibles à tous. Ses notices sur Hippocrate et sur Newton sont 
fort intéressantes. Enfin, dans un article consacré à VAluminium, il se 
montre également habile à rendre compté des applications industrielles de 
la science. 



Précis élémentaire d'histoire naturelle, par G. Delafosse, 3"*édit. 
Paris, Hachette eiO^ 1858 ; 1 gros vol. in-l2, tîg: : 5 fr. 

Ce précis jouit depuis longtemps déjà d'un succès bien mérité. C'est le 
meilleur livre élémentaire pour l'enseignement de l'histoire naturelle dans 
les collèges, et pour les personnes qui, sans vouloir en faire une étude 
approfondie, désirent cependant ne point rester étrangères aux progrès 
de cette science. Quoique très-concis, il renferme des explications suffi* 
santés et d'une grande clarté. Non-seulement rien d'essentiel n'est omis, 
mais l'auteur a multiplié les détails propres à captiver l'intérêt. Cette 
nouvelle édition se recommande en particulier par des améliorations no* 
tables. Pour la mettre en harmonie avec les programmes de l'instruction 
publique, M. Delafosse a diminué la place consacrée au règne minéral, 
développé davantage la partie géologique, et ajouté ou modifié plusieurs 
^ paragraphes, soit dans la zoologie, soit dans la botanique, en sorte que 
son livre offre le résumé complet des connaissances actuelles. 



\ 



REVU£ CRITiaOE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX. 

NTOTElEBRi: 1959* 



lilTTIIRATlIRE. 

Li CHEF DE FAMILLE, traduit de l'aDglais. Paris, Grassart, 1857; 

2 vol. 10-12 : 5 fp. 

L'auteur de ce petit roman peint avec beaucoup de charme l'intérieur 
d'une famille anglaise qui, privée de ses chefs naturels, s'élève sous la 
direction du fils aîné. Quoique Taction soit compliquée d'incidents un peu 
trop extraordinaires, "sa marche est en général simple, et captive au plui^ 
haut degré l'intérêt. On y trouve des caractères bien tracés, de fort jolis 
détails, une tendance morale élevée. Le principal personnage est un mo- 
dèle de dévouement et d'abnégation. Il se consacre tout entier àl'accom* 
plissement de sa tâche, si difficile pour un jeune homme qui lui-même 
est encore au début de la vie. Mais chez lui le sentiment du devoir l'em- 
porte suri toute considération personnelle, et les sacrifices ne semblent 
coûter aucun effort à sa nature généreuse, toujours prête à s'oublier pour 
les autres. Ne croyez pas cependant qu'il pose en héros de vertu. C'est 
tout simplement un cœur honnête qui va droit son chemin sans préten««. 
lion ni gloriole. Ses frères et sœurs l'aiment et le respectent comme un- 
père ; aussi rien ne troublerait sa quiétude s'il ne s'était pas chargé d'une 
aimable pupille, pour laquelle il éprouve l'affection la plus tendre. Cette 
circonstance est la base sur laquelle repose l'intrigue du roman. L'auteur 
en profite avec habileté pour introduire des péripéties nombreuses, des 
scènes dramatiques, et pour mettre son chef de famille aux prises avec 
lies passions qui gouvernent le monde. 11 sait quelles ressources offre un 
pareil contraste et les exploite d'une manière assez remarquable. Mais on 
pourra lui reprocher d'avoir amoindri par là l'effet moral de sa donnée 
primitive. Cette trame est un accessoire qui absorbe l'attention, en sorte 
qu'on perd de vue le but annoncé par le titre du livre. Ce n'est pas 
dans son rôle de chef de famille que le jeune homme rencontre des dif^ 

21 



322 UTTÉAATURB. 

Acuités. Le sort de sa protégée lui cause de bien plus graves soucis, et les 
intrigues dont elle est la victime forment en définitive la partie la plus 
intéressante de ce récit. 



Paris vivant par des hommes nouveaux : La Plume. Paris, G. de Go- 
net, 1858; 1 vol. in-32 : 1 fr. —Voyages littéraires sur les quais 
de Paris, lettres à un bibliophile de province, par A. de Fontaine de 
Resbecq. Paris, A. Durand, 1857; 1 vol. in-18 : 2 fr. 

On pourrait justement appliquer à la plume ce qu'Esope disait de la 
langue, car elle enfante le bien et le mal avec une égale fécondité. Com- 
bien de misères sont le produit de ses œuvres, mais aussi que de jouis- 
sances qui, sans elle, n'existeraient pas 1 Les deux ouvrages dont les li- 
tres figurent en tête de notre article esquissent d'une manière assez pi- 
quante ce double tableau. Dans Pnris vivant, toutes les roueries et les 
tristes mystères du métier d'homme de lettres sont exposés au grand jour. 
On y voit le jeune auteur obligé, dès le début d^ sa carrière, de se sou- 
mettre aux exigences les plus dures, quelquefois môme les plus humi- 
liantes. Tantôt c'est un éditeur rapace qui exploite son inexpérience, tantôt 
c'est la contagion de l'exemple qui le fait se dépouiller petit à petit des senti- 
ments honnêtes et des illusions naïves avec lesquels il s'était mis à l'œu- 
vre. Le monde littéraire a ses faiseurs, ses charlatans, ses bohèmes, toat 
comme le monde politique ou financier. On y cultive également l'art de 
jeter de la poudre aux yeux, et celui de parvenir à l'aide du mensonge et 
de rinlrigue. Pour assurer le succès d un livre, le talent seul ne suffit pas ; 
le savoir-faire est plus efficace, lorsque surtout il s'y joint une certaine 
dose d'impudence. On en pourrait citer maints exemples. Aussi la plupart 
de ceux qui veulent vivre- de leur plume se laissent-ils plus ou moins en- 
traîner hors du droit chemin. Il y a d'honorables exceptions, sans doute, 
mais elles ne sont pas nombreuses, tandis que la foule des écrivains mé- 
diocres et peu scrupuleux forme la grande majorité. De là résulte que la 
littérature est souvent un assez vilain métier où l'on spécule effronté- 
ment sur les plus mauvais instincts de la nature humaine. La trom-^ 
pense réclame, la camaraderie, les insinuations perfides, la provocation, 
le chantage, la calomnie même, tout lui semble licite pourvu que c^ 
rapporte, et la curiosité publique encoiiragé malbeareusement ces hon- 
teuses manœuvres. C'est contre cette espèce de complicité que l'auteur de 



LinéRATumi. 32â' 

Parié vivant proteste avec beaucoup d'énergie. Son iâdignation vigou^- 
reuse ne sembte que trop justifiée par les turpitudes qu'il dévoile, et 
l'on serait tenté de s'éerier avec lui : 

■ Croyez-moi, jeunes gens, fuyez les sentiers de la vie littéraire.' 
Soyez tout ce que vous voudrez, mais ne soyez pas hommes de lettres. ^ 

Cependant de tels abus ne doivent point faire oublier les éminents ser- 
vices que rend la littérature et les nobles jouissances dont nous lui sommes^ 
redevables. Si parmi ses disciples se trouvent beaucoup de faux frères 
dont les excès la compromettent, on y rencontre aussi bon nombre d'ad- 
mirateurs sincères qui respectent ses vrais trésors, et lui rendent un 
culte digne d'elle. M. de Fontaine de Resbecq appartient à cette der- 
nière catégorie. Il aime les livres, recherche les éditions originales et ne 
dédaigne pas le mérite de la rareté, mais c'est un bibliophile qui lit plus 
encore qu'il n'achète. Son bonheur est de se promener chaque matin le 
long des quais examinant les étalages des bouquinistes, feuilletant les 
volumes dont le titre Tattire, notant les passages qui le frappent, cau- 
sant avec les libraires, glanant maintes observations intéressantes. Et 
quelle joie lorsqu'il lui arrive de faire quelque trouvaille propre à enri- 
chir sa collection. Il n'est pas assez riche pour satisfaire toutes ses fan- 
taisies, mais les achats qu*ii se permet en ont d'autant plus de valeur 
à ses yeux. H emporte son volume, le compulse avec amour, le commente, 
rétudieet ne passe à un autre qu'après s'être en quelque sorte approprié 
toute la substance qu'il renferme. Les Voyages littéraires sur les quais de 
Paris nous offrent la description de ces flâneries instructives, écrite fort 
simplement et entremêlée d'extraits, de citations, de détails curieux bien 
propres à captiver l'intérêt des lecteurs. Seulement la bienveillance de 
M. de Fontaine l'entraîne parfois à prodiguer Téloge, et deux ou trois de 
ses dernières lettres ressemblent un peu trop à des réclames de librairie. 



Les pirates du Mississipi, par F. Gerslâcker, roman traduit de l'alle- 
mand par B.-H. Révoil. Paris, Hachette et C*, 1858; 1 vol. in-i2: 
2 fr. 50. — Doit et Avoir, par Freylag, traduit de l'allemand, par 

• W. de Suckau. Paris, Hachette et C«, 1858 ; 2 vol. in-12 : 5 fr. 

Ces deux romans, de genres très«divers, seront lus certainement Iud- 
et l'autre avec beaucoup d intérêt. Ils appartiennent à la nouvelle école 
allemande qui, sans perdre son cachet national, se rapproche des roman- 



cîQrs anglais, soit par l'esprit d'ohservatioa, soit par la peinture dea. 
s^nes de la vie réelle. Le premier est un récit plein d'aventures, de 
combats, d'incidents dramatiques. L'auteur nous transporte sur les rives 
du Mississipi, au sein d'une société naissante où le règne des liHS n'est 
pas encore assis sur des bases solides. 11 retrace avec énergie les lutte» 
qui d'ordinaire accompagnent la marche de la civilisation à travers ces 
solitudes sauvages du nouveau monde, que de hardis pionniers défr^bent 
et métamorphosent si rapidement. C'est un tableau vigoureusement es- 
quissé. Les couleurs en paraîtront peut-être chargées» mais ce qui se 
passe en Californie nous semble prouver qu'elles doivent être assea 
vraies. Les pirates du Mississipi sont des aventuriers qui, profitant de 
l'absence de tout moyen de répression, exploitent audacieusement la co^ 
lonie naissante. Ils y réussissent d'autant mieux qu'ils ont à leur tête 
un homme fort habile qui est parvenu à cumuler les fonctions de ma-* 
gistrat avec celles de chef de l»*igands. Un îlot garni de rescifs leur sert 
d!a^ile, et c'est près de là qu'ils attendent au passage les bâtiments 
chargés de marchandises» dont ils s'emparent soit par la ruse soit par 
la violence. Cependant les colons, poussés à bout, finissent par découvrir 
le repaire de ces pirates, qui sont traqués et détruits aprè» plusieurs 
combats sanglants. L'amour ne tient guère de place dans cet épisodev 
tout, l'intéréft roule sur le conflit entre la barbarie et la civilisation. Mais 
on y trouvera des caractères assez remarquables et des iocideots audsi 
v^iés que nombreux. 

Doit et Avoir est un roman plus complet, dont l'action se passe dans 
UAe ville d'Allemagne et ne sort point du cercle de la vie habituelle. 
L'auteur voulant peindre quelques-uns des traits qui caractérisent la so^ 
ciété de notre époque, a pris pour thème le contraste que présenteiM: ce 
qu'on appelle aujourd'hui les faiseurs à côté de vrais et respectables né* 
gociants. Il ne pouvait mieux choisir : c'est une donnée féconde, et nous 
estimons qui! en a su tirer un bon parti. Une maison de commerce, 
montée sur l'ancien pied, c'est-à-dire laborieuse, probe et biea réglée, 
lui fournit des personnages plus ou moins originaux, mais tous dignes 
d'éveiller la sympathie du lecteur.. En opposition avec cet établissement 
dont le crédit repose sur les bases les plus fermes, nous avons un gentil* 
homme qui. pour suffire aux exigences de son rang, se laisse entraîner à 
spéculer et devient la proie des agents d'affaires. Ainsv les deux systèmes 
sont eh présence. D'une part^ le travail honnête, la vie de fomÀlie, dea. 
sentiments généreux ; de l'atitre, la spéculation afiranchie^ de tout scru-*^ 



LlTT^liATUtlII. 325 

pu!e. Celle-ci mène à la ruine morale aussi bien que matérielle, tandis 
que l'ordre et Téconomie répandent autour d'eux Taisance et favorisent 
l'essor des vertus domestiques. M. Preytag développe habilement cette 
thèse. L'intrigue de son roman est combinée d'une manière fort ingé- 
nieuse, pour exciter dès le début l'intérêt le plus vrf et le soutenir jusqu'à 
la fin. On lui reprochera peut-être d'avoir exagéré les résultats produits 
par l'amour exclusif du gain. Les usuriers juifs qu'il met en scène sont d'a- 
bomfnables scélérats, et nous croyons en effet que le but de l'auteur serait 
knieux atteint si c'étaient simplement des spéculateurs peu délicats. Mais 
cette réhabilitation du vrai négoce n*en est pas moins digne de grands 
éloges. On y remarque des caractères esquissés avec talent et de char- 
mants détails tout à fait propres à captiver le lecteur. 



Les poètes chrétiens, depuis le quatrième siècle jusqu'au quinzième; 
morceaux choisis, traduits et annotés par Félix Clément. Paris, 
Gaume frères, 1857; 1 vol. in-8. 

Ce volume renferme la traduction de l'ouvrage intitulé : CarmîM a 
Pœtii christianii exeerpta. C'est un recueil de morceaux extraits des dif- 
férents poëtes latins de l'ère chrétienne, qui ont puisé leurs inspirations 
ft la source religieuse, depuis Juveiicus et Laetanee jusqu'à Pétrarque. 
Le nombre en est assez considérable, et parmi eux figurent maints noms 
célèbres dans I histoire de l'Eglise. Quoique la littérature ne fût pas l'ob- 
jet spécial de leurs études, quelques-uns se distinguent par un talent re- 
marquable ; mais, chez la plupart, le mérite consiste dans la pensée plu- 
tôt que dans le style. Théologiens avant tout, ils exploitent au profit de 4a 
foi le charme que les formes poétiques exercent sur certains esprits. 
Faire triompher les grandes vérités religieuses fut l'unique but de leurs 
essais littéraires comme de tous les actes de leur vie. L'enseignement y 
tient donc plus de place que la rêverie, et le rôle de l'imagination est fort 
restreint. Ce qui caractérise surtout ces poëtes^ c'est un spiritualisme pur 
dont l'austérité contraste avec la licence épicurienne de leurs prédéees- 
seiirs païens. On se sent transporté dans un monde nouveau où l'influence 
régénératrice du christianisme se manifeste de la manière la plus éda- 
tante. Au lieu de ces vains ornements sous lesquels sa cachait la corrup- 
tion, au lieu de cette morale facile dont les préceptes s'alliaient sans trop 
de peine arec toutes les jouissances de la vie sensuelle, nous avons 4ci 



f3^ LIXTléBAIURB. 

une poésie grave et sévère, qui s'est retrempée dans les eaux vives de la 
Grâce; nous sommes frappés, comme le dit M. Clément, « de l'harmo- 
nieux accord de toutes ces voix s'éievant par intervalles pour chanter le 
même Dieu, les mêmes mystères, la même morale ; de l'unanimité de ces 
hommes appartenant à des paysel à des temps divers, vivant au milieu de 
circonstances tout à fait différentes, participant à des civilisations qui se 
sont succédé les unes aux autres sans se ressembler. Quel ensemble 
merveilleux de croyances, quelle identité de sentiments et d'impres- 
^$ions 1» Et quel puissant intérêt d'ailleurs dans ces témoignages rendus au 
sein de luttes terribles par des hommes qui, pour prix de leur constance» 
n'attendaient ici-bas que la persécution et le martyre ! 

La traduction, écrite d'un style simple et ferme, vise principalement à 
rendre avec exactitude la pensée des auteurs. N'ayant pas le^ texte latin 
sous les yeux, nous ne pouvons apprécier jusqu'à quel point M. Clément 
a réussi, mais il provoque lui-même Texamen sérieux do la critique et se 
soumet d'avance au jugement qu'elle portera sur son travail . 



Lm SALONS DE Paris, foyers éteints, par M"* Ancelot. Paris, J. Tardieu, 

1858; i vol. in-32 : 1 fr. 

Ce titre de foyers éUmi$ accolé à celui de Salons de Paris, a quelque 
chose de mélancolique. C'est le contraste de la mort à côté {du. bruit et 

-de l'éclat des fêtes, et Ton y trouve de plus l'expression d'un, regret 
malheureusement tropjuste. Les salons de Paris n'offrent plus giUère.ie 
cachet de supériorité intellectuelle .qui jadis faisait leur charme et leur 
renommée. Aujourd'hui lârgent règne, et l'esprit a dû plier bagage 

.devant les préoccupations de la Bourse. Est-ce à dire que la société 

. française soit désormais condamnée à n'avoir plus d'autres jouissances 
que ^d\es du report et de l'agiotage- Nous ne le pensons pas ; tôt ou tard 
elle saura s'affranchir de ce joug, sa nature vive et spirituelle nous en 
donne la certitude. Mais, en attendant, les foyers sont éteints» et l'on 

- saura gré à H*"^ Âncelot d'en foire revivre quelques-uns» du moins par 
le souvenir. Elle nous reporte aux belles années de la Restauraiton , 
alors que les lettres et les arts préoccupaient le public de leurs débâts, 

.et qu'on se passionnait pour ou contre les hardiesses delà jeune école, 
puis à l'époque du règne de Louis-Philippe, signalée encore par un mou- 

.Vement intellectuel très^remarqutible. EUeanous.faii passer tour i^ tour 



tlTlBRATUKl.. 327 

en revue le& salons de M"<» Lebrun, du baron Gérard, de la diichesse d'A- 
brantès, de Charles Nodier, de M. de Lancy, de M«»« Ramier, du vicomte 
d'Âriihcourt et du marquis de Custine. Voilà des célébrités bien diverses, 
autour desquelles se groupait une société d'élite. Dans ces réunions pleines 
de charme, poètes, artistes, hommes d'Etat, hommes de plume, de 
robe ou d*épée , venaient apporter chacun son tribut de conversation 
intéressante et de traits spirituels. M"*^ Ancelot en retrace un tableau 
fort attrayant. Elle esquisse les caractères avec finesse, conte agréable* 
ment, et ne cherche point à se mettre en scène. Quoique ses jugementls 
soient, en général, empreints de bienveillance, ta critique y trouve aussi 
place, les ridicules lui fournissent matière à des observations piquantes. 
Le bon sens la tient en garde contre les engouements de la mode. Elle 
rend compte de ses impressions avec franchise, et ne craint pas de si- 
gnaler les faiblesses et les travers qui la choquent. On la trouvera peut'^ 
être sévère, mais nous ne la croyons que Juste à l'égard de certaines re- 
nommées dont l'exagération nous a toujours frappé. Du reste elle rend 
pleine justice à la supériorité de l'esprit, ainsi qu'aux nobles élans ëa 
cœur. C'est au charlatanisme qu'elle s'attaque, encore le fait-elle avec 
beaucoup de ménagements. 



Le MARCHAND PROSPÈRE, vie de M. Samuel Budgeit, par le rév. W. Ar- 
thur, extrait de Tanglais par M"« Rilliet-de Constant. Paris, Gras- 
sart, 1858; i vol. in-42 : 2 fr. 50. 

Samuel Budgett est un de ces négociants qui, des rangs de la classe 
pauvre,, s'élèvent, par l'amour du Iravail, rintdlligence, la probité, jus- 
qu'aux plus hauts sommets de la fortune. Ayant le génie du commerce, U 
comprit de boone heure les avantages de l'épargne et le prix d'une aotir 
vite bien dirigée. Aussi, quoique ses appointements fussent très-modi- 
ques, il trouva moyen, dès le début, de balancer ses recettes et ses dé- 
penses par. un petit bénéfice. Cette sage conduite et le zèle avec lequel il 
remplissait ses devoirs contribuèrent à lui procurer un avancement ra- 
pide. Sans doute il était doué de facultés remarquables, mais elles au- 
raient aussi bien pu lui tourner à piège s'il s'était laissé, comme tant 
d'autres, séduire par Tunique appât du gain. De nos jours, la spécula^ 
tion, avec ses chances aléatoires et ses allures peu scrupuleuses, est un 
Jerrible éçueil pour les jeui^es gens. Elle les détourne de la voie plus pé- 
ifûble et plus lente du vrai con^merce, et les habitue à mettre leur espoir 



388 VOTAUS BT HISTOIRE. 

4an8 U ehaDce beaucoup plus que dans rexerctce eonslaut el Fégnlw 
de leurs propres efforts. Samuel Budgett, au contraire, n*estimait l'argeut 
qu'en raison de la peine qu'il s'était donnée pour le gagner. Honnête 
Jiomme avant tout , il voulait dtre en paix avec sa conscience, et les af- 
iïiires ne Tabsorbaieut pas au point de lui faire oublier le salut de son 
•Ime. L*amitié, les intérêts d'autrui, la culture intellectuelle» l'exercice de 
la bienfaisance occupent une large place dans sa vie. Quoique pas^oné- 
meut attaché à son négioce, il fut toujours prêt à écouter ses amis, à sou- 
Jager les pauvres, et non moins zélé pour les intérêts sfHrituels de sas 
semblables, il ne négligeait aucune occasion d'exercer autour de lui une 
influence morale et religieuse éminemment salutaire. Cetie biographie, 
-sâmple et vraie , dans laquelle ne sont dissimulés ni les faiblesses de 
4'homme, ni les défauts du négociant, nous paraît propre i produire une 
hieureuse impression sur l'esprit des lecteurs. C'est un livre excellent 
^rartout à mettre entre les mains de jeunes gens qui se destinent au com- 
imerce. Us y trouveront de bons conseils, des directions précieuses et 
nainls détails présentés d'une manière fort attrayante. 



¥0YA€;ES JBT histoire. 

IaMS saints lieux, pèlerinage à Jérusalem, par M^ Hislin. Paris, Le»- 
coffre^t O*^ 1853; 3 vol. gr. in«8, ornés de cartes et plans. 

Dans son pèlerinage, Mi^' iMislin a visité l'Autriche, la Hongrie, la 
Shivonie, les Provinces danubiennes, Constantinople, l'Archipel, le Liban, 
la Syrie, Alexandrie, Malte, la Sicile et Marseille. C'est un voyageur 
idslruit, dont le journal renferme de nombreuses observations propres à 
faire assez bien connaître les pays qu'il parcourt. Le sentiment de la 
nature se trouve chez lui joint à des connaissances non moins étendues 
que variées, et les dignités ecclésiastiques dont il est revêtu lui assureiift 
))artOMt un accueil favorable. Quoique les intérêts religieux soient l'objet 
principal de ses préoccupations, il ne néglige point l'étode des mœurs, 
ni les données statistiques, industrieiles ou commerciales qui lui paraissérit 
avoir quelque importance. La description des lieux saints tient une 
grande place dans son livre ; elle est très-détaillée, enrichie de passages 
«oit de la Bible, soit des Pères de l'Eglise, et rappelle leè divers Souve- 
nirs historiques qui s'y rattachent. C'est une lecture d'autant plus at- 
trayante, que les cartes et plans qui accom^pagnent l'ouvrage permettent 



TiDTAeES BT HISTOm. 



3âd 



èe suivre pas I pas l'auteur dans toutes sies excursionsr On regrettera 
seulement que M<' Mtsim ait un peu trop le goût de la controverse. Il ne 
perd pas une occasion d'attaquer l'Eglise grecque, et lance, en passant, 
maintes critiques acerbes âi Tadresse du protestantisme. Cela nous semble 
fort étranger au but que devait avoir son pèlerinage. Les débats de cette 
nature ne peuvent qu'être nuisibles ik la cause du christianisme, en pré- 
sence des adversaires qui lui disputent la possession des lieux saints. 
Une noble et généreuse émulation serait assurément beaucoup plus prcH 
fitable. Mais le point de vue politique domine chez M*'^ Mislin, et dès lors 
on comprend les tendances exclusives auxquelles il se laisse entraîner. 
C'était un écueil presque inévitable. Du reste, le vif intérêt qu'il a su ré- 
pandre dans ses narrations loi servira, sinon d'extuse, du moins de pas- 
seport auprès de- ceux dont il froisse les sympathies. 



Histoire de l*empereuk Nicolas, par Alphonse Balloydier. Paris, 

H. Pion, 1857; 2 vol. in-8: 15 fr. 

L'empereur Nicolas est un des personnages les plus remarquables de 
motre époque. On ne peut le nier, quelque opinion qu*on ait, du reste, sur 
la portée de ses vues et la valeur de ses actes. Pendant un règne de trente 
années, il a déployé, dans son rôle de souverain, une fermeté de caractère 
qui ne manque ni de noblesse ni de grandeur. Sans doute le moment 
n'est pas encore venu où Thistoire prononcera son jugement impartial ; 
nous sommes trop près des événements pour les envisager avec tout le 
calme nécessaire, et l'écrivain le plus indépendant ne peut faire abstrac- 
tion complète des circonstances actuelles. Il est très-difficile d*échapper 
aux préventions de Tesprit de parti, surtout lorsqu'il s'agit d*un mo- 
narque absolu qui fut le représentant du principe d'autorité en face des 
idées révolutionnaires. Il faut d'ailleurs bien connaître le peuple russe, ses 
mœurs et ses institutions, pour être en état d'apprécier convenablement 
le règne de Nicolas. Rien ne serait plus absurde, par exemple, que de 
prétendre appliquer ici les principes constitutionnels et les idées libérales 
qiri ont cours dans le reste de l'Europe. La Russie a d'autres besoins. Un 
despotisme éclairé doit être pour longtemps encore sa meilleure garantie 
de progrès et de civilisation. A cet égard, l'empereur Nicolas était cer- 
tainement doué d'une manière très-remarquable, et chez lui les vertus 
privées s'alliaient à la dignité du pouvoir souverain. C'eist ce que M. Bai- 



1^30 TOYA69S BT HISTOIRB. 

leydier s'attact^ à faire surtout ressortir. Laissant de côté les théories ot 
les questioDS de politique générale, il raconte la vie de Nicolas» cite les 
iraits les plus propres à le caractériser, et s'efforce de reproduire avec 
exactitude le prestige que le czar exerçait sur son entourage. C'est un 
tableau tort intéressant, dans lequel, malgré quelques ombres que l'au- 
teur n'a point dissimulées, la figure de l'empereur apparaît pleine d'é- 
uergie et de majesté. M. Balleydjer nous semble avoir tait assez juste- 
ment la part de l'éloge et de la critique. Nos lecteurs pourrooi en juger 
d'après ce passage extrait du dernier chapitre: «Nicolas, par cela même 
qu'il régnait dan» les sphères de l'humanité, a commis des fautes, sans 
doui»; mais ces fautes, relevées par d'immenses qualités, tiennent plutôt 
-à la nature du milieu daps lequel il s'est trouvé, qu'au développement de 
son système. Elles sont excusées, sinon justifiées, par l'eQcbaînement des 
événements qui ont signalé la marche de sa politique et les grandes 
lignes de son règne. Pour blâmer avec justice cette sévérité implacable, 
cette main de fer, qui pesaient sur l'empire moscovite, il faut connaître 
avant tout les mœurs, le tempérament, les besoins, la nature des peuples 
que la Providence avait confiés à son autorité. Ces peuples, nés d'hier à 
ta civilisation, debout encore sur, le seuil de la barbarie, s'accommode- 
raient fort mal, nous le croyons, d'un régime constitutionnel. L'empereur 
Nicolas connaissait son peuple par le cœur, et il Ta gouverné par la 
raison, politique qui partout et toujours sera préférable à celle du senti- 
çient. L'avenir prouvera s'il s'est trompé. 

c Quoi qu'il en sdit« la plus grande faute <jle Nicolas, la seule, peut- 
être, puisque toutes les autres en découlent, est do s'être cru, durantjes 
.dernières années de sd vie surtout, 1^ représentant infaillible de l'auto- 
rité mooarchiqMe en Europe^ l'émanation directe et incarnée du pouvoir 
-divin. 

« Il était si intimement convaincu que sa puissance autocratique parti- 
cipait de l'infaillibilité de son origine, que sa voix vibrante, magnétique 
pour ainsi dire, lui semblait l'écho vivant de la voix de Dieu. Aussi, 
comme autrefois Moïse sur le mont Sinaï, promulgant le Décalogue au 
bruit des tonnerres, s'écoMtait-il parler lui-même, lorsque, des fauteurs 
de son trône, il manifestait au peuple ses volontés suprêmes. En dehors 
de la vie de famille, oi^ le dieu, se transfigurant, daignait s'abaisser au 
niveau des princes nés de son. sang, il était sans cesse en représentation: 
de la rue, de la place publique, il se disait un tabernacle pour son 
Piepple^ un piédestal pour l|bi3ioire. 



YOTAGKS BT H10fOlRX. 331 

c Comme conséqueoce logique de ces principes, le peuple russe ne 
pouvait être et ne devait être à ses yeux que l'agent passif, Tinstrument 
aveugle de la pensée, dont la force motrice résidait en lui, et pour le 
développem^pt de laquelle il exigeait une confiance sans bornes, un dé- 
vouement absolu. 

c En dehors de l'esprit d'examen, qu'il aurait considéré comme un 
acte d'usurpation sur sa volonté, il était arrivé à conclure que l'obéis- 
sance aveugle i ses desseins était le ^eul élément qui devait concourir à 
la prospérité et à la gloire de sa couronne. De cet ordre d'idées naquit, 
au milieu de son règne, Taversion instinctive qu'il éprouvait pour le dé- 
veloppement des individualités, pour la liberté même de la conscience De 
)à les intelligences médiocres, les esprits bornés, les incapacités lilipu- 
tiennes dont, astre sans satellites, il prit soin de s'entourer dans l'im- 
mensité de son pouvoir et les horizons sans fin de son empire. De là les 
nullités les plus complètes poussant leurs rameaux parasites sur les 
marches du trône ; les cadres administratifs et militaires encombrés de 
créatures nuisibles, et ouvrant un vaste champ au népotisme, à l'intrigue, 
aux appétits ruineux, dont l'esprit rapace et prévaricateur n'était que 
trop justifié par l'exigmiédes rétributions, peu en rapport avec les babi- 
'ludes de luxe et les besoins de débauche des fonctionnaires publics ; de là 
ces dilapidations scandaleuses et ces vols audacieux, qui faisaient dire un 
jour à Nicolas ; « Ils me voleraient mon palais d'hiver s'ils savaient où le 
cacher. » 

c La science civilisatrice, en dehors des idées reli^euses, repré^^entait 
à ses yeux la révolution, dont le fantôme menaçant se dressait toujours 
devant lui. Depuis son avènement au trône, le progrès de la philosophie 
était à ses yeux révolutionnaire, impie; la pensée était insurrectionnelle. 
Aussi» constamment appliqué à les combattre au lijeu de les réglementer, tes 
trente années de son règne n'ont-elles été qu'un déplorable temps d.'arrêt 
imposé aux labeurs de Tintelligence, au développement moral de ses 
peuples. 

c Son action unique, .constante, se concentrait d'une manière absolue 
sur le nombre et la discipline de son armée, qu'il considérait comme la 
sauvegarde du présent et l'assurance de l'avenir. De la même main qui 
servait de balance aux destinées de l'Europe, il touchait aux détails les 
plus infimes de la chose militaire. Le même jour qu'il ajoutait une pro- 
vince au patrimoine de Pierre le Grand, il donnait les proportions d'une 
affaire d'Etat au changement d'un bouton d'uniforme. Si son règne ^ût 



^32 TOtÀCn ftT HlSYOlâlt. 

ëté moins fertile en grandes et belles choses, fn\ pourrait rappeler le règne 
du caporalisme, 

c Au détriment des autres rouages de la machine gouvernementale, ^ 
appliqua à celui du département de la gtierfe les plus importantes res^ 
sources de TEtat. Les ministères des finances et des travaux publics, ces 
deux courants destinés à porter la vie aux artères des sociétés modernes» 
étaient comme paralysés dans leur sphère d'action, <;omme étouffés soos 
le pied des régiments en marche de guerre bu en défilé de parade. 

c De son empire, t'emperetir Nicolas a f^it une vasre caserne; des 
steppes incultes, un camp ; de son palais, un corps de garde ; de son ca- 
binet, une guérite, d'où, sentinelle vigilante, il restait immobile, t'arme 
au bras, devant la civilisation européenne qui passaH devant lui. Prenait 
au sérieux son rôle de soldat, il Ta joué toute sa vie, jusqu'au jour où la 
mort, paraissant en scène. Ta relevé de faction. 

< Quoi qu'il en soit, l'empereur Nicolas occupera dans l'histoire une 
place qui ne fera point ombre à celles de Pierre le Grand, de Catherine la 
Grande et d'Alexandre 1^. 11 a complété la merveilleuse ébauche que 
Pierre a tirée du chaos, que Catherine a dessinée plus largement, «t 
qu'Alexandre a poétisée. ^ 



Etienne Dolet, sa vie, ses œuvreis, son martyre, par Joseph Boulmiéf. 
Paris, Aug. Aubry, 1857; 1 vol. petit in-8 : 6 fr. 

'' Etienne Dolet occupé une place honorable parmi les libres penseurs du 
seizième siècle. Il fut l'un des ouvriers les plus actifs dé l'œuvre d'éman- 
cipation intelléctiifelle qui s'accomplissait alors, et succomtjîa; ftiartyr de 
son zèle, dans cette lutte glorieuse. Aussi la notice que lui consacre 
M Boulmier sera certainement lue avec beaucoup d'intérêt, malgré l'en- 
thousiasme, un peu trop exagéré parfois, dont elle porte l'empreinte. On 
y trouve une foule de citations et de curieux détails, propres à faire bien 
connaître la grande époque o^ tant d'hommes illustres se dévouèrent 
avfec héroïsme pour assurer le trioipphe du libre exatneti. Aujourd'hui 
que l'histoire de la Réformation, étudiée avec plus d'itidépendance, ren- 
contre dans le public des sympathies nombreuses, il est juste de remeitte 
également en lumière les services rendus par ces esprits d^élitift qui, sans 
adopter les idées luthéHennes, prirent néanmoifis une part considérable à 
la lutte. A cOtédu mouvement religieux se continuait i'itopalsion donnée 



pas la Refi«^ii»8a0oe, et ses savants disciples eureat au8$i leurè martyrs. 
Etienne DoUt fut da nombre* Caractère aident, passionné pour Tétude, 
iLoloiitâ powt la prudeole politique d'Erasme, auquel il ressemblait par 
réruditiOQ, ainsi que par la causticité de çon esprit. Dès sa jeunesse, on 
le vit se lancer avec une téméraire audace dans des discussions alors Irès- 
périlleuses. Pendant qu'il était à l'université de Toulouse, le parlement de 
cette ville ayant résolu d'interdire les associations d'étudiants, Dolet prit 
chaudement leur défense. Ses camarades l'avaient choisi pour orateur, 
rôle .dans lequel il déploya des qualités éminentes, comme le prouvent 
mainte fragments de discours cités par M. Boulmier. Mais le parlement,. 
moiiiS touché de son éloquence que des propositions hérétiques dont il 
assaisonnjait -ses harangues, lui fit bientôt faire connaissance avec la pri> 
son, estimant sans doute que ce serait un bon moyen de le calmer. Dolet 
fut arrêté comme suspect de luthéranisme, accusation redoutable en ce 
boa vieux temps de l'inquisition et du bûcher. Sa position était d'autant 
plus mauvaise, qu'il avait irrité les habitants de Toulouse par de fré* 
quentes apostrophes au sujet de leur ignorance et de leurs absurdes su-, 
perstitions. Pour cette première fois, il s'en tira sans trop de mal; mais, 
loin d'être corrigé, ses déclamations contre le fanatisme n'en devinrent 
que. plus vigoureuses. On l'arrêta de nouveau, et, sans la protection de 
Jean Dupin, évéque de Rieux, il ne serait probablement sorti de son ca- 
chot que pour monter sur Téchafaud. Dolet jugea cependant convenable 
d^ ne pas risquer une troisième épreuve, et. quittant Toulouse, il se ren- 
dit à Lyon. C'est là qu'il fît imprimer, ou imprima lui-même, les tra- 
vaux qui ont illustré son nom. Les recherches érudites auxquelles il se 
livrait semblent assez étrangères à la polémique religieuse. Mais à cette 
épc»que, c'était chose à peu près impossible de traduire ou commenter les 
anciens, d'aborder même de simples questions de grammaire, sans heur- 
ter les idées reçues, et faire plus ou moins acte de révolte contre l'auto- 
rité qui dominait dans les écoles comme dans l'Eglise. D'ailleurs Dolet ne 
se g^ail guère. 11 fut d'abord accusé d'athéisme pour une phrase de 
Platon interprétée en ce sens; puis il fournit un prétexte beaucoup plus 
grave encore par la publication des saintes Ecritures traduites en langue 
vulgaire. Ses ennemis s'acharnèrent dès lors à le poursuivre. On l'em- 
prisonna plusieurs fois, on lit brûler ses livres par la main du bourreau ; 
en vain protesta-t-il de son attachement à la foi catholique, rien ne put 
le soustraire au bûcher ; la se.ule grâce qu'on lui accorda fut d'être pendu 
avant d'être brûlé. 



334 VOYAGBS BT rilffTOTBft. 

lÀ notice de M. Boulmier renferme une foule de détails carieux. C'est 
un chapitre fort intéressant de l'histoire du seizième siècle, dans le- 
quel domine un peu trop parfois Tesprit du dix-*huitîème, mais où Ion 
trouve l'expression de généreuses sympathies et de sentiments élevés. 

Ce volume, imprimé avec une élégance typographique assez rare au-* 
jourd'hui, fait partie de la remarquable collection dont M. Aubry est l'é- 
diteur. 



Voyages et aventures au Chili, par te docteur T. Maynard. Paris, 
Librairie nouvelle, i858; 1 vol. in-12: 1 fr. 25. — Veillées sur 
TERRE ET SUR MER, par de Bussy. Paris, Vermot ; i vol. in-12 : 2 fr. 

Le public a déjà fait connaissance avec le docteur Maynard, et nous 
croyons qu'il ne sera pas fâché de le retrouver sur son chemin. En effet, 
c'est un voyageur aimable, qui a vu beaucoup de choses et les décrit bien. 
Peut-être use-t-il quelquefois du privilège que le dicton populaire accorde 
à ceux qui viennent de loin, mais il le fait avec esprit, et ses récits portent 
en général le cachet de l'observation. Le Chili, d'ailleurs, lui fournil'd'a- 
bondanles ressources pour nous intéresser, même sans broderies. Les 
mœurs faciles des habitants, leur caractère original, leurs bizarres pré- 
jugés sont esquissés d'une manière assez piquante. M. Maynard en trace 
un tableau peu flatteur, quoiqu'il ne se montre point trop sévère pour 
cette population insouciante, superstitieuse et ffort adonnée aux plaisirs. 
Ses remarques sont plutôt môme bienveillantes, et son séjour dans la ré- 
publique chilienne paraît lui avoir laissé de bons souvenirs. 

Les veillées sur terre et sur mer ne manquent pas non plus d'un cer- 
tain charme. Elles renferment le journal d'une longue traversée, avec 
tous les petits incidents qui se passent à bord. L'auteur a l'exacti- 
tude d'un débutant. Il n'omet aucun détail, et note jusqu'aux moindres 
sensations éprouvées par lui ou par d'autres passagers. Maison rencontre 
çà et là des descriptions bien faites et des scènes amusantes -, le style est 
naturel, simple, sans recherche ni prétention. M. de Bussy séjourne 
quelque temps à New- York, dont il esquisse la physionomie en homme 
prévenu plutôt qu'en observateur impartial. Le peuple des Etats-Unis a 
deux torts impardonnables à ses yeux : c'est d'être anglais'^d'origine et 
{Protestant de religion. Dès lors, ta civilisation américaine lui paraît infé- 
rieure à celle des pays où règne la vérité catholique, seule apte à donner 



VOTAGES ET HISTOIRE. 



3à5 



ce qui constitue la vie morale d'une nation. Du reste, ii se contente (fé- 
nbncëlr ce jugement, sans fournir de preuves à l'appui. Deux nouvelles 
historiques terminent ce volume qui, dans son ensemble, oiïre une lec- 
ture assez'attrayante, quoique la critique puisse y signaler bien des im- 
perfections, dues probablement à Tinexpérience de l'auteur. 

Abrégé de géographie physique et politique, destiné aux écoles pri** 
maires et aux familles, par Â. Vulliet. Paris, Meyrueis et G**, 1857 ; 
1 vol. io-42. 

Cet abrégé de géographie nous paraît très-bien remplir les conditions 
nécessaires pour un livre destiné à renseignement des écoles. Il est très- 
clair, et, malgré sa concision, renferme tous les détails importants. L'au- 
teur Ta divisé en deux parties distinctes : la première consacrée à la géo- 
graphie physique, la seconde à la géographie politique. Elles sont indé- 
pendantes Tune de l'autre, mais se succèdent de manière à compléter 
l'instruction des élèves qui, possédant des notions suffisantes sur les pro- 
duit? et les merveilles de chacune des régions du* globe, éprouveront le 
désir de connaître les peuples qui les habitent, leurs langues, leurs reli- 
gions, leurs gouvernements, leur état agricole, industriel, commercial, etc. 
En passant ainsi du simple au composé, des phénomènes de la nature à 
ceux de la civilisation, le maître est beaucoup plus sûr de se faire com- 
prendre, et de donner à la science un attrait qui stimule davantage la cu- 
riosité des jeunes enfants. Le petit volume de M. Vulliet obtiendra sans 
doute autant de succès que son Esquisse d\me géographie physique^ dont 
le mérite est vivement apprécié par toutes les personnes appelées à s'en 
servir. Peu d'écrivains ont rendu d'aussi éminents services à l'enseigne- 
ment primaire, et nul n'a contribué davantage à lui imprimer une ten- 
dance éducative non moins salutaire que féconde. 



Histoire du règne de Guillaume lit, pour faire suite à l'histoire de la 
révolution de 1688, par J.-B. Macaulay, trad. de l'anglais, par 
A. Pichol. Paris, Perrottin, 1857; 3 vol. in-8: 12 fr. 

Guillaume III mérite assurément d'être rangé parmi les personnages 
historiques tes plus remarquables du dix-septième siècle. Ce n'est pas uiî 
de ces héros brillants dont le nom se transmet d'âge en âge, entouré 



Zj^ Y0I4QB9 BT HISTOIEK* 

• ^ • 

d.*uiie auréole de gloire, ma» son caractère et le rôle qu'il remplit en fout 
upe individualité puissante, où se trouve d'ailleurs bien marqué le cachet 
des idées et des tendances de l'ère moderne. Appelé par une révolution à 
gouverner un payjs auquel il était étranger, il s'acquitta de cette tâche 
difiQciie avec beaucoup d habileté. C'est à lui que TAngleterre doit le réta- 
blissement de l'ordre constitutionnel, la consécration de la liberté religieuse 
et politique, de l'indépendance des parlements et des tribunaux. La témé- 
rité de son entreprise se trouva pleinement justifiée par les résultats. 11 en 
avait mesuré d'avance tous les obstacles, en sorte que les circonstances 
ne le prirent jamais au dépourvu. Au milieu des querelles de parti et des 
récriminations passionnées qui succédèrent bientôt à son tiiomphe, il de- 
meura fidèle à sa politique ferme et modérée, poursuivant avec une con- 
fiance inébranlable le but qu'il s'était assigné. Ni l'attrait de la popularité» 
ni les séductions du pouvoir, n'exercèrent sur lui leur dangereux empire. 
Sa froideur impartiale s'adressait à la raison plus qu'à l'enthousiasme. Il 
avait compris le génie national du peuple anglais, et ne se laissait point 
rebuter par des symptômes anarchiques, conséquences inévitables d'une 
longue agitation révolutionnaire. Chez lui, l'ambition s'alliait au désinté» 
ressèment personnel, et les calculs de la politique dirigeaient seuls sa 
conduite, à l'égard même de ses ennemis les plus acharnés. Il en donna 
maintes preuves, en s'abstenant de punir des hommes qui avaient conspiré 
contre sa vie. Au lieu de les livrer à la rigueur des lois, il feignit d'i- 
gnorer leur crime, et ne voulut pas priver l'Etat de leurs services. Son 
règne présente le spectacle intéressant d'une lutte continuelle, où la force 
de volonté triomphe de toutes les résistances et se montre en général di- 
rigée par des vues pleines de grandeur et de sagesse. Guillaume III mit 
fin à la révolution sans restaurer le despotisme. L'Angleterre, délivrée 
de ses discordes intestines, put dès lors travailler au développement de 
ses institutions et de sa liberté. Cette gloire jette moins d'éclat que celle 
du conquérant, mais elle est certainement plus utile et plus féconde. On 
sympathisera donc volontiers avec l'hommage que lui rend M. Macaulay, 
qui, pour la faire ressortir dignement, nous offre le tableau très-exact et 
très-détaillé de ce règne si laborieux, des intrigues de toutes sortes contre 
lesquelles Guillaume eut à se défendre, des réformes importantes qu'il 
accomplit dans les diverses branches de l'administration. Son livre sera 
d'autant mieux apprécié, que l'éloge n'y domine point d'une manière exa- 
gérée; il signale aussi bien les défauts que les qualités du roi, et recon- 
naît que les- préventions soulevées contre lui' n'étaient pas sans fondements. 



TOTA«»l KT BlSTOIftB. 337 

Mais^ i ses yeux, le bien l'emporte de beaucoup sur le mal ; les services 
reodvs par ee f rince à la clause eonstitutionnelle lui paraissent mériter 
60eore la même reconnaissanoe que témoigna le peuple de Londres quand, 
au mois de novembre i697« il le vit rentrer dans ses murs, après avoir 
conclu avee la France une paix honoraUa. 

c La nation, dit*-il, avait sujet, en effist, de se réjouir et de remercier 
Dieu L'Angleterre avait traversé de rudes épreuves, mais elle en était 
sortie retrempée, pleine de santé et de vigueur. Dix ans auparavant, sa 
liberté et son indépendance semblaient perdues. Sa liberté, elle l'avait 
reconquise par une révolution aussi juste que nécessaire. Son indépen- 
dance, elle l'avait ressaisie par une guerre non moins juste et non moins 
nécessaire. Elle avait défendu avec succès l'ordre de choses établi par le 
bill des droits contre la puissante monarchie française, contre la popula- 
tion indigène de Tlrlande, contre Thostilité avouée des non-jureurs, contre 
l'hostilité non moins dangereuse de traîtres disposés à prêter toute es- 
pèce de serments et à les violer tous. Ses ennemis déclarés avaient été 
victorieux sur nombre de champs de batailles. Ses ennemis secrets avaient 
commandé ses flottes et se? armées, avaient eu la direction de ses arse- 
naux, avaient officié à ses autels, avaient enseigné dans ses université, 
avaient encombré les emplois publics, avaient siégé au parlement, avaient 
prodigué les saluts et les flatteries dans les appartements du roi. Plus 
d'une fois il avait semblé impossible d'éviter une restauration qui aurait 
été infailliblement suivie, d'abord de proscriptions et de conUscations, de 
la violation des lois fondamentales, de la persécution de la religion établie, 
puis d'un troisième soulèvement de la nation contre la maison qu'une 
double chute et qu'un double bannissement n'avaient fait qu'obstiner dans 
le mal. Aux dangers de la guerre et à ceux de la trahison étaient venus 
récemment s'ajouter les dangers d'une crise financière et commerciale 
terrible. Mais tous ces dangers étaient passés. La paix était &ite au dehors 
comme au dedans. Le royaume, après de longues années d'un vasselage 
ignominieux, avait repris son ancienne place au premier rang des puis- 
sances européennes. Des signes nombreux justifiaient l'espérance que la 
révolution de 1688 serait notre dernière révolution. Notre constitution 
s'adaptait d'elle-même, par un développement naturel, graduel et paci- 
fique, aux besoins d'une société moderne. Déjà la liberté de conscience 
et la liberté de discussion existaient à un degré inconnu dans les siècles 
précédents. La circulation monétaire était rétablie, le crédit public raf- 
fermi. Le commerce s'était ranimé. L'échiquier débordait. Partout on se 

22 



338 . V0TA6BS «T HISTOIRE. 

sentait comme soulagé, depuis la Bourse royale jusqu'aux hameaux les 
plus isolés, parmi les montagnes du pays de Galles et les marais du Lin- 
CQinshire. Les laboureurs, les bergers, les mineurs des houillères de 
Nortbumberland, les artisans qui arrosaient de leurs sueurs les métiers 
de Norwich et les enclumes de Birmingham, ressentaient ce changement 
sans s'en rendre compte, et le mouvement joyeux qui animait tous nos 
ports et tous nos marchés indiquait d'une manière visible le commence- 
ment d'un siècle plus heureux. • 



Les noble$( et les vilains du temps passé, ou recherches critiques sur 
la noblesse et les usurpations nobiliaires, par Alph. Cbassaot. Paris» 
Aug. Aubry, 1857 ; 1 vol. petit iq-8 (tiré à 600 exempl. sur papier 
vergé) : 6 fr. 

Quoi qu'on en dise, la noblesse a toujours son prix ; malgré toutes les 
révolutions, elle conserve an prestige auquel souvent rendent hommage 
ceux-là même qui proclament le plus haut les bienfaits de Tégatiié. Notre 
siècle démocratique en offre maintes preuves. L'amour des titres et des 
distinctions nobiliaires s'y manifeste jusque dans les Etats républicains» 
et loin d'effacer les armes et les généalogies, on paraît disposé plutôt à 
s'en créer d'imaginaires. Ce genre d'usurpation a pris même un tel déve- 
loppement que, dans un rapport présenté à l'empereur des Français 
en avril dernier, le ministre de la justice insiste sur la nécessité d'y por- 
ter remède. Les recherches de M. Chassant nous semblent donc assez 
opportunes. Puisqu'il ne peut être question d'abolir la noblesse, il convient 
d'éclairer l'opinion sur sa valeur réelle, sur le sens qu'y attachaient nos 
ancêtres, sur son origine, sur les services qu'elle rendit et sur les abus 
qui amenèrent sa décadence. A cet égard, beaucoup d'idées fausses ont 
cours dans le monde. L'éclat d'un nom impose à la plupart des hommes, 
qui s'inquiètent peu s'il est bien ou mal porté, mais le regardent comme 
une espèce de privilège, que les uns respectent aveuglément, tandis que 
les autres le subissent avec colère. Des deux cêtés on est dans l'erreur, 
faute de comprendre en quoi consiste le véritable caractère de l'institu- 
tion. Pour rectifier ce double point de vue, M. Chassant fait appel à l'opi- 
nion des anciens et ()es modernes, depuis Salomon jusqu'à saint Jérôme, 
depuis Jehan de Meung jusqu'à M. Granier de Cassagnac, depuis le roi 
Clovis jusqu'au roi Louis XIV, il passe en revue tous les sages, les écri- 
vains et les monarques dont l'avis peut avoir quelque autorité en pareille 



à 



VOTA«BS KT HlSTOIill. 



339: 



matière, et dous montre qu'ils s'accordent ï oonsidérer le mérite persoiH 
nel non comme une conséquence, mais- comme un corollaire indispensable 
du titre. La fausse monnaie cause du préjudice à la bonne, cependant, 
personne encoce ne s'est avisé d'en conclure qu*il fallait pour cela renon- 
cer à battre monnaie. H en est à peu près de même de la noblesse. L'in- 
dignité de quelques-uns de ses représentants note rien à la valeur de ceuJl 
qui savent remplir les devoirs qu'elle commande. La devise de ces derniers 
fut toujours : noblesse oblige, tandis que les autres estiment au contraire 
que noblesse exempte. Mais cette déviation du principe fondamental, sur 
lequel reposait le système, a produit les plus fâcheuses conséquences. La 
noblesse donnant des droits sans exiger des devoirs, n'est plus qu'un dan- 
gereux privilège accaparé par l'intrigue ou décerné par la faveur. C'est 
ainsi que, sous l'ancienne monarchie, elle s'était faite l'instrument de sa 
propre ruine. Le scandale et Tusurpation Pavaient déjà perdue dans Tes- 
time publique, avant que la révolution vînt lui ravir son existence légale, 
ot, chose singulière, cette dernière épreuve lui fut plutôt favorable. La 
noblesse s'y retrempa, les vertus renfermées dans son sein éclatèrent aux 
yeux de tous, et l'on peut dire que, malgré le triomphe des idées égali- 
taires, elle gagna beaucoup en considération. Nous en avons la preuve 
certaine dans le maintien de son prestige qui, de nos jours, éveille en- 
core une foule d'ambitions, et produit les mêmes fraudes qu'à Tépoque 
où le privilège de la naissance régnait dans toute sa force. Mais il est évi- 
dent que, la noblesse étant rentrée dans le droit commun, de vains titres 
ne lui suffisent plus. Ils n'ont de valeur qu'autant qu'elle les justifie par sa 
supériorité morale, par son zèle et son dévouement pour le bien de l'Etat. 
C'est, au reste, le vrai sens que les fondateurs de Tinstitution voulurent 
lui donner. Par nobles et vilains ils entendaient, en quelque sorte, dé- 
signer la vertu et le vice. Les premiers étaient regardés comme seuls 
susceptibles d'un essor' bienfaisant et fécond, et leurs rangs auraient dû 
s'ouvrir à tout vilain qui s'en montrait digne. Mais l'organisation de la 
société ne permit point à ce recrutement normal de s'établir. Il se forma 
deux castes fermées, hostiles l'une à Tautre, et dont l'antagonisme s'ac- 
crut sans cesse, à mesure que les progrès de la civilisation tendaient à les 
rapprocher sur le terrain commun du développement intellectuel et moral. 
Cependant., les nombreux témoignages cités par M. Chassant prouvent 
que la signitlcation primitive des termes de nobles et vilains demeura tou« 
jours celle qu'y attachaient les vrais amis et les défenseurs sérieux «le la no- 
blesse. Son livre, fort impartial, nous indique le parti qu'on peut tirer de 



340 SCIBNCBS SORâLXS KT fOLlTlOUKS. 

cet béritage du passé, en l'exploitefit avec sagesse, dtM l'esprit et dans 
l'intérêt des tendances actuelles. On y trouvera beaucoup de curieux dé- 
tails, d'aperçus piquants, de critiques fines et spirituelles. C'est de plu» 
up petit chef-d'œuvre typographique, digne è tous égards de prendre 
place dans les bibliothèques d'amateurs. 



SCIEMCES inORAIiES ET POIilTlVUES. 

Comment il ne faut pas PRÈCHEft ? par N. Roussel. Paris, Grassart^ 
1867 ; 1 vol. in-12. — Prières d'un enfant, par le même. Paris, 
Grassart, 1857; 1 vol. in-18. 

La prédication est un art difiicile à pratiquer et plus difQcile encore à 
enseigner. En fait d'éloquence les préceptes servent peu si le don natu- 
rel manque. La théorie la plus excellente ne produira que des résultais 
médiocres, à moins que Télôve ne possède ce feu sacré qui, même chez les 
natures incultes, anime et féconde la parole. C'est pourquoi M. Roussel, 
au lieu de suivre la marche ordinaire, a préféré donner à son enseigne- 
ment la forme critique. L'idée ne manque pas d'originalité, mais de plus 
elle nous semble atteindre mieux le but. En signalant aux jeunes prédi-* 
cdteurs les défauts qu'ils doivent éviter, on leur rend un service réel, 
tandis qm trop souvent les leçons d'éloquence n'aboutissent qu'à pro- 
duire de pauvres orateurs, froids, compassée, emphatiques ou pi^étei»- 
tieux. D'ailleurs il est beaucoup plus aisé de dire comment il ne faut pas 
prêcher, que d'exposer d'une maaière satisfaisante les règles de la cooh- 
position et du débit. Le seul inconvénient de cette ooétbode serait de 
fournir matière à des personnalités fâcheuses. La tentation est grande de 
citer des exemples et de les prendre chez ses contemporains. Mais 
M. Roussel use à cet égard d'une sage réserve ; il s'abstient absolument 
de toute allusion semblabie. Ses critiques s'adressent à des personnages 
fictifs auxquels il attribue les 4ifféreiAtes manières de prêcher qui lui pa- 
raissent défectueuses, soit au point de vue de l'éloquence, soit à celui de 
l'édification, car c'est ce dernier surtout qu'il regarde comme le plus im- 
portant. Ainsi débarrassé de toute crainte, il donne libre essor à sa verve, 
il attaque sans ménagement les faiblesses, les prétentions, les recherches 
et tout ce qu'il y^a de fuux ou d'affecté dans le discours du prédicaleuf . 
La plupart de ses remarques sont aussi justes que spirituelles, et présen- 
tées sous une forme très-piquante. Après avoir passé en revue les déCau<ts 



8GIB9CaBB KOIALIS IT MLIIIQUIIB. 341 

les plus eommons qu*on rencontre chez les orateurs sacrés de toutes les 
époques, ii montre que le vrai modèle de la prédication se trouve dans 
FEvangile. C'est là qu'il faut l'étudier, et Ton y verra que la parole de 
Jésus, toujours claire, simple et profondément sentie, était plus puissante 
que les expédients de l'art oratoire. 

Dans les IMhresd'unenfant^ H. Roussel s'est proposé, non de donner 
un formulaire qui puisse être appris par cœur, mais plutôt d'offrir quel- 
ques exemples propres à diriger le premier essor des émotions religieuses. 
Il prend des pensées habituelles aux enfants et cherche à les développer 
comme ils le feraient eux-mêmes. Ce sont de courtes prières dont l'objet 
principal est de demander à Dieu le secours de sa grâce et l'appui de sa 
bonté. Elles nous semblent répondre assez bien au but de l'auteur qui, 
du reste, conseille très-sagement aux parents de s'en servir le moins 
possible, c et d'amener, dès qu'ils le pourront, leurs enfants à prier Dieu 
eux-mêmes, dans leur propre langue, avec la liberté et la simplicité 
dont usent ces enfants pour demander à leurs parents les objets maté- 
riels dont ils ont besoin. • 



MÉLANGES ÉCONOMIQUES, par M. Frédéric Passy. Paris, Guillaumin et 

G«, 1857; 1 vol. in-lS : 3fr. ftO. 

Les divers articles que renferme ce volume ont paru déjà, soit dans 
le Journal de$ écùnomiêtes, soit dans d'autres reeueils du même genre* 
Mais ils n'en seront pas moins bien accueillis sous cette forme nouvelle qui 
leur donne accès auprès d'un public plus nombreux. M. Passy n'est pas 
un de ces hommes purement spéciaux qui n'écrivent que pour les éru- 
dits. Quelles que soient les questions qu'il traite, il sait se mettre à la por- 
tée de tous les lecteurs intelligents, et captiver leur attention par l'attrait 
des idées générales, ainsi que par le charme du style. Peut-être lui re- 

. prochera-t-on de manquer quelquefois de profondeur, mais nous esti- 
mons qu'en popularisant ainsi la science il lui rend des services non moins 
réels, et contribue d'une manière fort utile à ses progrès. L'économie 
politique est suffisamment avancée en théorie, l'essentiel à préseoi est de 
travailler à détruire les préjugés qui l'empêchent de triompher dans la 
pratique, M. Bastiat avait entrepris cette t)che avec un talent plein de 

' courage et de verve. Comme le di| nQ(r# «ut(^ur dans l'intéressante notice 

, iqu'il Wi consacre : 



^2 SCA1IGB8 HOEALBS BV POLniQUBB. 

• il ne s*est occupé, pendant le peu d'années qui lui ont été données, 
que de répandre çè et là, sans repos ni trêve, par toutes les voies et sous 
toutes les formes, les pensées utiles, consolantes ou graves, que suggé- 
raient chaque jour à sa prompte intelligence et à sa réflexion exercée, 
les faits pressés et divers d*un temps d'agitation et de fièvre. La semence 
si lit>éraleroent jetée aux vents de la publicité n'a pas été perdue. La voix 
du moraliste ( car de quel autre titre appeler cet économiste philosophe 
qui rapporte tout au droit?), tour à tour et tout à la fois indulgente et 
sévère, toujours sérieuse et sympathique, a frappé bien des oreilles. Ses 
arguments, variés avec une fécunditë inépuisable ou répétés avec une 
infatigable persévérance, ont fait impression sur bien des esprits. Ses 
écrits répandus avec une profusion généreuse, ont pénétré dans tous les 
camps. > 

C'est très-vrai. Bastiat, malgré les critiques dont ses doctrines peuvent 
être l'objet, avait compris, mieux que personne, la nécessité de rendre 
l'économie politique populaire. L'exemple qu'il a donné mérite d'avoir 
des imitateurs, et Ton doit applaudir aux efforts de ceux qui, sans prétendre 
marcher sur ses traces, cherchent du moins à continuer son œuvre, en 
vulgarisant des notions trop peu répandues encore, même dans la classe 
éclairée. Le volume que publie M. Passy nous semble remplir assez bien 
les conditions voulues , pour atteindre ce but. L'esprit, le bon sens et la 
clarté n'y font point défaut. On y trouvera d'ailleurs des sujets très-di- 
vers, traités sous une forme agréable, toujours ingénieux et parfois assez 
. piquants. Ce sont : La famille et la société. — Sir Robert Peel. — De 
l'influence morale et matérielle de la cootraiote et de la liberté. — Soli- 
darité morale des nations. — L'ancien régime et le nouveau. — De 
l'avenir politique de l'Angleterre. —-Causes-morales et remèdes moraux 
des crises alimentaires. — Hydraulique chinoise. — Les maux naturels et 
les maux artificiels. •— Frédéric Bastiat. 



Etude biblique sur le baptême, ou le pédobaptisme de l'Eglise, par 
R. Clément. Lausanne, G. Bridel, 1857 ; 1 vol. in-12 : 4 fr. 50. 

Tous les chrétiens n'attachent pas au baptême la même importance. 
Quelques-uns le regardent comme inutile, et parmi ceux qui Tadmetteot 
il existe diverses opinions touchant l'âge auquel on doit accomplir cette 
cérémonie. Plusieurs sectes attendent l'dge adulte, afin que le néophyte 
ait conscience des engagements qu'il contracte. Dans l'Eglise romainse. 



9GUUICB8 XORALES BT POUTIQIIBS; 343 

âu contraire, le baptême éUot une (toâditioo essentielle du salut, on lad» 
ministre dès la naissance de l'enfant, et chez la plupart des protestants 
calvinistes ou kiihériens, sans partager la môme croyance, on estime que 
les enfants doivent être baptisés en bas âge. C'est à cette dernière ma- 
nière de voir que se rattache M. Clément. Le pédobaptisme lui paraît 
plus conforme au Caractère de Tinstitution chrétienne, ainsi qu'à la doc- 
trine de l'ancienne Eglise telle qu'on la trouve exposée dans les écrits 
des Pères. Son livre renferme sur ce point un enseignement très-com- 
plet. 11 retrace d'abord l'histoire du baptême, chez les juifs et chez les 
chrétiens, et montre par des citations nombreuses quel était le sens qu*on 
attachait à cette cérémonie dans la primitive Eglise. Puis, après avoir ex* 
posé les faits relatifs au baptême des petits enfants , il en discute la con- 
venance et combat les objections diverses qu'on prétend tirer surtout du 
silence des saintes Ecritures à cet égard. Son argumentation basée préci- 
jsément sur TEvangile tend à mettre en évidence l'accord qui règne entre 
le pédobaptisme et la doctrine chrétienne. On lira, nous croyons, avec beau- 
coup d'intérêt cet ouvrage empreint d'une foi vive, éclairée et féconde. 



L'Europe et la Russie, par H. de Lamarche. Paris, Pagnerre, 1857; 

1 vol. in-12 : 3 fr. 50. 

Dans ce volume, M. de Lamarche passe en revue les causes de la 
guerre d'Orient, présente quelques remarques critiques sur le siège 
de Sébastopol, expose les résultats que doit, suivant lui, produire 
l'alliance anglo-française, et termine par un projet de confédération otto- 
mane. Il regarde l'union de la France avec l'Angleterre comme l'évé*- 
nement le plus heureux pour la paix du monde, et le plus propre à 
favoriser le véritable progrès de la civilisation. De même qu'elles ont 
arrêté l'ambition russe, et maintenu la Turquie malgré les éléments de 
dissolution qui semblaient la menacer d'une ruine prochaine , elles 
pourront contenir les tendances révolutionnaires et les tendances ab- 
solutistes, et provoquer d'utiles et sages réformes dans les différents 
pays de l'Europe. Leur intérêt commun est d'encourager partout l'essor 
pacifique et régulier du développement national, àfm de prévenir le re^ 
tour de ces luttes désastreuses qui ne sont propres qu'à faire le malheur 
des peuples. Rétablir le principe d'autorité sur une base plus solide en le 
€onciliant avec les idées libérales, telle est la noble tâche que M. de Lamar** 



344 8€»aCI6 1I0EALK8 BT roun(|VB0. 

€he assigne aux congrès futurs. Deux obstades principaux restent en- 
eore à vaincre : ce sont, d'une part, les prétentions ultramontaines, de 
l'autre, l'état de décadence dans lequel se trouve l'empire turc. Quant 
aux premières, M. de Lamarche estime que la politique anglo-française 
en triomphera sans peine, ce n'est qu'une question d'opportunité. Le 
partage de la Turquie soulèverait des difficultés beaucoup plus graves, el 
notre auteur n'admet pas que la nation turque soit, comme on l'affirme, 
incapable de se régénérer. Elle lui parati au contraire renfermer encore bien 
^es éléments de force, bien des ressources dont on peut tirer parti. C'est 
pourquoi, loin de vouloir lui ravir son indépendance, il propose de la re- 
constituer sous la forme fédérative, avec le sultan à sa tête comme empe- 
reur héréditaire. Le projet qu'il présente est assez séduisant, car il ré- 
soudrait le problème sans porter nulle atteinte 1 l'équilibre des puissances 
européennes. Reste à savoir si son exécution serait possible. Mais, quoi 
qu'il en soit , le livre de M. de Lamarche se distingue par des aperças 
fort ingénieux qui le feront certainement lire avec intérêt. 



L'agriculture et la population , par L. de Lavergne. Paris, Guil- 
laufflin eiC% 1857 \ 1 vol. in-i8 : 3 fr. 50. 

M. de Lavergne a réuni dans ce volume les divers articles que lui a sug- 
gérés la longue crise des subsistances» et qui ont paru déjà dans la Rmmê 
des Deux Mondes ^ de 1855 à 1857. U commence par deox études re- 
marquables sur l'exposition universelle de 1855, dans ses rapports avec 
les progrès de l'agriculture, puis soumet à l'examen d'une critique lrôs«- 
judicieuse le bel ouvrage de M. Le Play sur les ouvriers européens, pré- 
sente d'intéressantes considérations au sujet de la liberté commerciale et 
des bienfaits de la paix , et termine par le dénombrement officiel de la 
population en |1856. Les vues de M. de Lavergne sont celles d'un agro- 
nome très-éclairé qui comprend toute l'importance des questions écono* 
miques. Ses études l'ont conduit à regarder la liberté commerciale comme 
le moyen le plus sûr d'activer la production, et par conséquent de pré- 
venir ou du moins d'atténuer les crises semblables à celles que nous ve<^ 
nops de traverser. Il insiste donc sur ce point avec d'autant plus de force 
que l'état d'infériorité dans lequel se trouve ragricuiture française lui pa* 
raît exiger des remèdes énergiques. En effet le mal est grand : l'insuffi- 
sance des récoltes, jointe à la diminution des naissances» l'indique assez ; 



sQHHicM tv âftn. 345 

«es deux ét^maB^s de la prospérité tiaUoDale sorrt en sotiffirance, et ce 
n'est pas, oorame beaucoop le pfétfAdent, rhuervention du gouverne- 
mM qoi peut FétaUir l'équilibre. M. deLavergne croît au contraire 
qu'eUe serait impuissante et plutôt dangereose. La seule chose qu'il lui 
dmaode» c«st de cliereher àfëdaire les dépenses publiques, afin de di- 
ffiMuer, autant que possible* les diarges qui pèsent sur la population : 
c'est de bire disparaître les entraves qui gênent le libre essor du corn- 
«aeree et de Tindustrie. Il estime que pour te reste les efforts particuliers 
doivent suffire. En France l'intelligence et l'activité ne font pas défaïut ; 
ce qui manque, c'est une direction ferme et soutenue vers un but vraiment 
utiie. On se laisse éblouir par l'éclat du luxe, tandis que ragricolturê, 
souroe première de la richesse, est négligée, dédaignée même d'une ma- 
nière presque générale. C'est ce travers qu'il importe surtout de cem- 
hattre, et les arguments pciseotés par M. de LAvergn^, avec non moins 
^l-esprii que de bon sens et de clfurlé, eent de nature à produire la plus 
vive impreesion. 

• 

SCIfilHeES KT AWLTU. 

Exposition et histoire des principales découvertes scientifiques mo- 
dernes, par Louis Figuier, tome IV. Paris, 1857; 1 vol. gr. iû-i8. 

€e nouveau volume d'his^re scientif que sera sans doute accueilli avec 
la même faveur que les trois précédents, auxquels m\ succès mérité a 
4^1 vaiu les honneurs d'une quatrième édition. Les sujets qu'il traUe 
iom exposés avec une clarté parfaite, qui permet de suivre pas à pas, et 
avec la plus grande facilité, l'histoire des découvertes fiiites dans le do- 
maine de l'électricité. 

Les deux premiers chapitres, qui auraient pu être réunis en un setrt, 
sont consacrés à la Maekin4 éUetrique el à la BotU$iUe de L^yde. Le 
troisiène, qui traite du Paraionn*rre, ^t, en quelque sorte, une his- 
toire de i'éiecincité atmosphérique. Le quatrième, et feut-être le plus 
important, est réservé à la Pile de Volta et auxadSons chimiques: méca- 
niques et physiolegiques qu'eHe produit. Ce vohiaie éarme ainsi, en y 
jrâgnant les chapitres du tome deuxième relatife à la galvanoplastie, I la 
dorure et à laMégraphie éleetrique, une hisfeaire complète de l'^leetricilé 
et de ses applioalions iodustrieiles. 

Nous regrettons que le manque d'espace ne nous permette pas de re* 
produire kt tes #ages où sont raoontées les grandes et curieuses expé- 



^6 SCiKMCBB ET AEXS. 

V 

.riencfcs faites à la fin du siècle passé, dans le but de soutirer réiecirieité 
contenue dans l'atmosphère Ces expériences avaient non-seulement Tat^ 
trait de la nouveauté, mais elles se présentaient avec une grandeur impo- 
sante bien digne d'enthousiasmer les esprits les plus froids. Partant du 
pouvoir des pointes, Franklin en Amérique, et de Romas à Nérac, imagi- 
nèrent leurs ceris-volants électriques, au moyen desquels ils allaient cher- 
cher jusque dans les nuages des quantités énormes d'électricité, qui pré- 
sentaient l'apparence et tous les effets de l'éclair et du tonnerre. On 
comprend facilement combien les imaginations furent frappées en voyant 
un homme aller au-devant de la foudre» et diriger à son gré cette force, 
jusque-là mystérieuse, que tous les peuples ont regardée comme une arme 
de la divinité. Après la réussite de ces expériences, l'esprit éminemment 
pratique de Franklin franchit bientôt un pas de plus et trouva le para- 
tonnerre. Cette invention, comme tant d'autres, eut dès son début ses 
adeptes 'Ct ses détracteurs. Le paratonnerre rencontra des ennemis non- 
seulement en Angleterre, où, à Tinstigation de Georges 111, on fît la 
guerre à l'appareil imaginé par Vinsurgé américain, mais même dans 
certaines villes du continent. Voici deux anecdotes que raconte à ce sujet 
M. Figuier: 

( En 1783, un gentilhomme de la ville de Saint-Omer, M. Vissery de 
Boisvallé, avait fait élever sur sa maison un paratonnerre, qu'il avait sur- 
monté d'une sorte de globe terminé par une épée qui semblait menacer 
le ciel. A la vue de cet appareil, toute la ville fut en rumeur; la foule se 
rassembla menaçante et toute prête à faire un mauvais parti au téméraire 
novateur. Partageant les préjugés populaires, la municipalité de Saint- 
Omer, au lieu de soutenir M. de Vissery, rendit un arrêt qui lui intimait 
Tordre d'abattre l'appareil suspect. Ce dernier résista à une prétention 
qui excédait les pouvoirs de Tautorité municipale, et saisit de la question 
le tribunal d'Arras. Un avocat, alors très-obscur, fut chargé de la défense 
de H. Vissery de Boisvallé: sa plaidoierie et la cause à laquelle elle 
se rapportait eurent un grand retentissement. Toute la France s'occupa 
de l'affaire de Saint-Omer et en suivit les phases avec sollicitude. Le ju- 
gement du tribunal d'Arras, du 31 mai 1783, qui cassait l'arrêt de la mu- 
nicipalité de Saint-Omer» fut accueilli dans le royaume avec des applau- 
dissements unanimes, et on lut avec empressement la plaidoierie du jeune 
avocat qui, au dire du Journal des savants, avait traité son sujet avec 
beaucoup d'esprit et d'érudition. 
. < Le jeune avocat du tribunal d'Arras s'appelait H. de Robespierre, et 
cette affaire commença la réputation du célèbre conventionnel. 



8CIBMCIB er ARTS. 347 

«Ed 1771, Th. de Saussure, à Genève, avait 6it dresser un paraton- 
nerre pour garantir sa maison et son quartier. Toute la ville s'émut, et 
pour tranquilliser les esprits, M. de Saussure dut faire imprimer un petit 
ouvrage sur Yutiltté des conducteurs électriques, dont on distribuait des 
exemplaires gratis à toute personne qui se présentait à un bureau d'avis. > 

c Ces faibles oppositions furent bientôt vaincues, et les pointes s'éle- 
vèrent triomphantes sur tous les édifices. C'est alors que Turgot com- 
posa, à la louange de Franklin, le vers suivant : 

Eripuit cœlo fulmen, mox sceptra tyrannis, 

qui, après que le triomphe des armées américaines eut assuré l'indépen- 
dance de la nouvelle république, fut changé en celui que toutes les bouches 
ont répété: 

Eripuit cœlo fulmen sceptrumque tyrannis. • Â. H. 



L'insecte, par J. Michelet. Paris, Hachette et C»«, 1858 ; 1 vol. in-12 : 

3 fr. 50. 

Pour se délasser des rudes travaux de l'histoire, M. Michelet se livre à 
l'observation de la nature. Cette tendance nouvelle de son esprit présente 
un phénomène assez étrange, car elle dénote une fraîcheur d'impressions» 
une surabondance de sève qui d'ordinaire sont plutôt Tapanage de la jeu- 
nesse. L^bistorien quitte son cabinet pour se retremper avec bonheur au 
milieu des bois et des champs. Il admire avec une joie naïve le moindre 
brin d'herbe, Toiseau qui gazouille, l'insecte qui bourdonne, et semblç 
découvrir à chaque pas des merveilles dont jusqu'alors il n'avait pas 
même soupçonné l'existence. Ce qui le séduit, ce n'est pas l'attrait des 
recherches scienlitiques, ni l'espoir de les enrichir de quelque fait nou- 
veau ; c'est la poésie répandue dans les œuvres du Créateur. Il entonne 
un chant d'enthousiasme, comme si le spectacle de l'univers s'offrait à ses 
regards pour la première fois, et son imagination se charge de suppléer 
à la science qui lui manque. Après nous avoir donné le roman de l'Oi- 
seau, charmant livre, plein d'aperçus ingénieux, de jolies descriptions, 
d'hypothèses hasardées, mais originales et fort attrayantes, M. Michelet 
nous donne aujourd'hui le roman de l'Insecte qui n'est pas moins riche. 

• Le premier a pour épigraphe : Des ailes L.,. le second: L infini vivant. 

• L'auteur indique ainsi très-bien l'idée qui le domine et qui nous paraît 
•Assez étrangère à Thistoiro naturelle. C'est une conception philosophique 



S48 BCURCtt K AMS. 

ayant pour objet de montrer que rélément inteiieclaeljoue chez tes animaux 
un rôle pour ie moio» aussi gran4 que cbes l'homme. M. Miebelel accorde 
à l'oiseau les plus nobles qualités de Ttrliste, à Tinseete les vertus du 
travailleur et le génie industriel. Dans cette œnception tout n'est pas 
faux, sans doute, mais les détails se ressentent Décessairement du point 
de départ. Quand il s'agit de prouver une thèse, on est enclin à voir les 

* choses avec des jeux prévenus, on exagère, on embellit, on brode, parce 
que le but étant déterminé d'avance, tout doit y concourir. C'est on ce 
sens que nous nous permettons d'appeler romans les deux ouvrages de 
M. Michelet. Nous avons déjà signalé, dans un autre article, la part beau- 
coup trop considérable d'intelligence qu'il fait à l'oiseau; l'insecte n'est 
pas traité moins libéralement ; avec de semblables concessions, l'homme 
abdique son titre de roi pour être relégué au rang des êtres les plus in- 
fimes de là nature. Mais si l'idée nous semble fausse, l'auteur a su lui 
donner un singulier attrait par la verve de son style et par l'originalité 
de son esprit, li étudie en poète, et tire un merveilleux parti des données 
de l'observation. Sa plume habile rajeunit des sujets qu'on pouvait croire 
usés. Les patientes recherches de Swammerdam, les mœurs de l'arai-* 

. gnée, la république des fourmis et le gouvernement des abeilles lui feur> 
nissent de nombreuses pages pleines de charme qui captiveront au plus 
haut degré l'intérêt des lecteurs. Chez lui la pensée est toujours vigou- 
reuse et féconde. C'est un mérite qu'on ne saurait estimer trop haut et 
qyi compense largement les critiques qu'on peut lui faire au point de vue 

• de la science 



Relation médigo-chirurgigale de la campagne d'Orient, par te O G. 
Scrive. Paris, V. Masson» 1857; 1 vol. in-S* : 7 fr. 50. 

La campagne d'Orient, si remarquable au fioint de vue militaire, offire 
également des résultats d'une haute importance en ce qui concerne le 
service médical. Si l'armée française a fait des prodiges de valeur, Il est 
juste d'accorder une part de la gloire, acquise dans cette lutte, aux hommes 
dévoués dont la sollicitude et le zèle n'ont pas un seul instant faibli au 
milieu des plus terribles épreuves. Le courage du médecin n'est pas moins 
digne d'admiration que celui du soldat. Aujourd'hui surtout les périls sont 
à peu près les mêmes pour l'un et l'autre, car les ambulances accompa- 
gnent la troupe jusque sur le champ de bataille, et le médecin, après 
avoir secouru Ses blessés sous le feu de l'ennemi, doit les suivre à Thé-* 



8€UI1CB8 BT AR10. 349 

pilai, où l'atteodenl des opérations qui souvent exigent encore plus de 
sang-^froid et de fermeté d'âme. Il est d'ailleurs exposé sans oesse au& 
dangers de l'infection qui résulte du trop grand nombre de malades en* 
tassés dans des locaux insuffisants, mal aérés et dépourvus des ressources 
nécessaires. L»e8 épidémies sont.raooompagBement inévitable de la guerre, 
et leur action fait plus de victimes que cdle des armes. Quelle effrayante 
responsabilité que celle du médecin en chef d'une armée de 300»000 
hommes. Mais U. le D'Scrive était à la hauteur de sa tâche. Dès le dé- 
but de la campagne» il déploya Tactivilé la plus intelligente. Son premier 
sein fut d'organiser le service de manière à prévenir toute espèce de con- 
flit, de mécontentement, ou de rivalité fâcheuse qui pourrait entraver sa 
marche. 11 s'occupa d'abord d'assurer au personnel médical placé sous 
ses ordres une position convenable, de manière à lui permettre de vivre 
contortablement et surtout de conserver son indépendance. C'était le meiU 
iQur moyen de gagner l'estime et l'affection de ses subordonnés dont les 
eSiMrts s'unirent aux siens et facilitèrent beaucoup l'établissement des hô- 
pitaux provisoires qui, d'après l'effectif des troupes alors sous les dra- 
peaux, devaient être en état de contenir 50()0 malades au moins. 11 fallait 
de plus des ambulances actives, prêtes à suivre l'armée dans toutes ses 
opérations. M. le D^Scrive, appuyé par le concours du général en chef, 
était parvenu à vaincre les obstacles, et le service médical présentait un 
aspect très-satisfaisant, lorsque vint l'ordre de s'embarquer pour Varna, 
Le iransport s'accomplit heureusement. Mais à Varna l'armée rencontra 
un fléau plus redoutable que les canons de l'ennemi, c Lorsqu'à peine 
réunie, ^it*M. le D^ Scrive, elle se disposait à faire payer chèrement aux 
Russes leur occupation violente des Principautés danubiennes, elle est su- 
bitement envahie par le choléra, qui trace, à Athènes, à Gallipoli, à 
Varna et dans la Dobruska un long sillon de morts dans les rangs de nos 
officiers et de nos soldats. Plus tard, à la suite de la magnifique victoire 
de TÂIma, pendant notre marche sur Sébdstopo1,i;e terrible fléau immole 
encore de nouvelles victimes, au nombre desquelles nous avons la douleur 
de compter l'illustre maréchal Saint-Arnaud. Ensuite commence cette 
série si longue de travaux immenses, de dures misères, de privations de 
toute espèce, de combats continuels, de luttes gigantesques contre l'ennemi 
qm résiste énergiquemeol à nos attaques, et contre les rigueurs de l'hi- 
ver, rendues plus pénibles par l'absence absolue de moyens efficaces à 
leur opposer. C'est alors que, pour un grand nombre de nos braves dé- 
fenseurs, les forces font défaut à l'énergie morale qui les soutenait Jus- 



3S0 



SCnMCBS ET ARTS 



qoe-là, et que nous comptons avec peine, dans la période de janvier 
4855, jusqu'à neuf mille entrées aux ambulances.» Avec le printemps, 
l'état sanitaire s'améliore, mais cela dure peu. Bientôt une nouvelle épi- 
démie du choléra enlève i500 hommes, et le scorbut se déclare avec vio- 
lence. Enfin, après la prise de Sébastopol, durant le second hiver que 
l'armée passe en Crimée, le nombre des malades s'élève jusqu'à 12,000 
par mois : du !•' décembre 1855 au 1« avril 1856 on compte i8,000 
entrées aux ambulances, sur un effectif de 145,120 hommes. En résumé, 
des 309,268 hommes envoyés en Orient, 200,000 sont entrés aux hôpi- 
taux ou ambulances, 50,000 pour des blessures de guerre et 150,000 
pour des maladies de tout genre. Le chiffre des morts s'élève à 69,229. 
On peut d'après cela juger combien le service médical fut pénible, et 
quel dévouement, quelle abnégation il exigea de ceux qui le dirigeaient. 
M. le D^ Scrive expose avec beaucoup d'ordre et de clarté les différentes 
péripéties de ce long drame. Son livre est divisé en deux parties, dont la 
première lenferme le récit détaillé des cinq périodes médicales de la cam- 
pagne, avec les pièces justificatives qui les concernent. La secbnde offre 
un résumé d'ensemble des faits médicaux dans lequel l'auteur constate les 
résultats importants que la science peut en tirer, et signale maintes amé- 
liorations qui lui paraissent urgentes. Tout en regardant le service mé- 
dical français comme supérieur ï certains égards, il insiste pour qu'on ne 
néglige pas les enseignements fournis par la campagne, de Crimée. Il es- 
time qu'au point de vue hygiénique l'organisation anglaise présente des 
avantages incontestables, et il voudrait les introduire dans le système 
français. L'esprit de justice et le zèle éclairé qui animent M. le D' Scrive, 
donnent à sa relation un intérêt très-vif, même pour les lecteurs les plus 
étrangers aux études médicales. 

Meunerie, construction des moulins de Saint-Maur. Paris, Lacroix- 

Comon, 1857 ; in-8 et atlas. 

Parmi les nombreux ouvrages qui traitent des applications de la science 
à l'industrie, il est rare d'en trouver où la partie technologique du sujet 
soit nettement et simplement expliquée. 

Les industries les plus répandues et, partant [les plus nécessaires 
sont souvent négligées, ou restant l'apanage de praticiens peu pressés de 
faire part au public de leurs inventions et de leurs procédés. 

La meunerie semble avoir été^plus particulièrement délaissée, et il n'y 



SCI«!fCE8 S^r AUTS. 351 

a qve fort peu d'années que ta seîence a apporté dans cette importante' 
indostrie une^ phase nouvelle. Le vaste établissement de Saint-Maur, sur 
le canal de la Marne, a depuis trente années subi de nombreuses modifi- 
cations: toutes les données de la théorie et de l'expérience ont contribué 
tour à tour à faire de ce moulin un des plus parfaits de l'Europe; ses 
iO paires de meules sont mues par l turbines, produisant ensemble une 
force de 150 chevaux ; 720 hectolitres de blé peuvent être cbaque jour 
réduits en farine. 

C'est donc un véritable service rendu aux industriels que de publier à 
part, et sous une forme économique, une description des moulins de 
Saint-Maur. 

L'ouvrage se compose de cinq planches relatives à la meunerie, quatre 
aux turbines, et une représentant une machine è nettoyer les grains. 

Toutes ces figures se distinguent par leur exactitude et leur netteté ; 
cbaque appareil y est représenté avec des détails cotés, et à une échelle 
suffisante pour servir à une sérieuse étude. 

Le text^se compose de 46 pagfes in-octavo, et ne comprend qu'une 
légende explicative des planches et quelques détails historiques sur les 
turbines. 

L'ouvrage est uniquement destiné aux hommes pratiques pour lesquels 
l'usage des appareils est parfaitement connu ; c'est ce qui explique la 
brièveté du texte. 

il est évidemment regrettable que l'auteur n'ait pas daigné s'adresser 
à une catégorie plus étendue de lecteurs, et n'ait pas ajouté à la repro- 
duction de l'article inséré dans le Répertoire de l'industrie française, 
quelques développements instructifs sur la marche et l'utilité des divers 
appareils, et rendu par cette addition son travail intéressant pour tout le 
monde. Â. R. M. 



Considérations sur la tactique de l'infanterie en Europe, par le général 
Renard, aide de camp de S. M. le roi des Belges. Paris, J. Dumaine. 
1857 ; 1 vol. in-8^ 

L'auteur de cet ouvrage insiste avec force sur l'importance de la tac- 
tique. 11 la regarde comme l'élément principal de la victoire sur le champ 
de bataille, et ne croit pas que les grandes manœuvres de la stratégie 
puissent impunément négliger son secours. Cette opinion est, du reste, 
appuyée sur l'autorité des plus illustres écrivains militaires. M. Renard 



352 SOlHÇttl R ABI0. 

cite» eulre autres, plusieurs passages remarquables tirés des mémoiresde 
Napoléon. Dans i'ari de la guerre» plus que dans nul autre, la théoriodoit 
être constamment subordonnée aux exigences de la pratique. On ne sau** 
rait prévoir d'avance toutes les difficultés qui surgiront. L'instrument esl 
trop multiple et trop variable pour qu'on puisse déterminer d'une ma- 
nière absolue l'emploi qu'on en fera dans les innombrables circonstance» 
diverses qui se présentent. C'est pourquoi l'application des principes de 
la stratégie risquerait souvent d'échouer, sans les précieuses ressources 
que lui fournit la tactique. En effet, celle-ci répond plus directement au 
but de la guerre, qui est la bataille, tandis que l'autre a pour objet de 
préparer cet acte décisif, c La bataille, dit M. Renard, constitue TactioD 
principale d'une opération, et n'en est pas un acte séparé. Une seule 
pensée domine ; il n'y a pas une idée pour la manœuvre et une idée pour 
le combat : ce qui a été conçu stratégiquement est exécuté et poursuivi 
tactiquement. » Ce sont deux sciences tellement nécessaires l'une à l'autre, 
qu'elles semblent en réalité n'en former qu'une seule, comme le pensait 
sans doute Napoléon qui n'employa jamais le mot de stratégie. Il convient 
donc de faire une large place à la tactique et d'en favoriser l'étude autant 
que possible. Or les règlements de l'armée française' sont sur ce point 
fort en arrière des progrès de la science. M. le général Renard les re- 
garde même comme les plus incomplets qui existent. Pour le prouver, il 
passe en revue les guerres de la république et de Teropire, et signale 
l'influence qu'elles ont exercée sur les règlements de manoeuvre de l'in- 
bnterie, soit en France, soit dans les autres Etats de l'Europe. La guerre 
de Grimée lui fournit également des exemples dont il se sert pour mon- 
trer que les armées alliées ont dû la victoire aux inspirations d'une tac- 
tique improvisée sur le champ de bataille, devant laquelle la savante 
théorie des Russes voyait échouer toutes ses combinaisons. Cette esquisse 
rapide est très-intéresante, et les vues de l'auteur en reçoivent une con- 
firmation bien propre à les faire accueillir avec confiance. 



REVUE CRITIQUE 

DES 

LIVRES NOUVEAUX. 



lilTTERA'TtJRE. 

MiLiANAH, épisode des guerres d'Afrique, par J. Aulran. Paris, Michel 

Lévy frères, 1857 ; 1 vol. in- 12: 1 fr. 25. — Fleurs et sourires, 

• ëtrenne poét'iqae dédiée aux dames piémonlaises, par M"" A. -S. Sas- 

serno. Turin, 1 vol. in-12. — Alperoses, chants suisses, parX. Koh- 

1er. Porrentruy, V. Michel, 1857; 1 vol. in-12. 

En 1840, dans une expédition entreprise pour ravitailler quelques 
points fortifiés occupés par les Français, le noiaréchal Valée s'empara de 
Miiianah, Tune des villes où dominait encore Âbd-el-Kader. Quoique ce 
ne fût plus qu'un monceau de ruines, les habitants l'ayant abandonnée après 
y avoir mis le feu, on jugea convenable d*y laisser une garnison sous les 
ordres de M. le colonel dlllens. Les hommes chargés de la défense de 
ce poste perdu au milieu d'une contrée ennemie, se virent bientôt exposés 
aux plus cruelles privations. Leurs provisions s'épuisèrent, des lièvres 
pernicieuses vinrent les décimer, l'incendie détruisit les récoltes sur les* 
quelles ils avaient compté, c Pressés par la faim, les soldats mangeaient 
ce qu'ils pouvaient ramasser, jusqu'à des herbes et des mauves. Cette 
nourriture malsaipe, agissant sur le cerveau, les portait à la nostalgie, 
au suicide. Sur douze cents hommes, sept cent cinquante avaient déjà 
succombé, quatre cents étaient à l'hôpital, les autres n'en valaient guère 
mieux. » Cependant, ils n'en opposèrent pas moins une héroïque résis- 
tance aux attaques des Arabes, et pendant plusieurs semaines, en proie 
aux horreurs de la faim et de la maladie, ils maintinrent glorieusement le 
drapeau français sur les murs de Miiianah, jusqu'au moment où le géné- 
ral Changarnier réussit à ravitailler la place. Un semblable épisode était 
bien digne d'inspirer le poëte, auquel déjà nous devons les chants har- 
monieux intitulés : Laboureurs et soldaU. Mieux que nul autre, M. Au- 
tran sait unir la noblesse du style avec la simplicité des détails, talent 
précieux pour la peinture des scènes militaires. Sa poésie, classique par 

23 



354 LiTTiitATuaB 

la forme, aborde franchement les choses de la vie réelle, sans tomber dans 
les écarts du réalisme. Il tient compte d'ailleurs des accessoires, ainsi que 
des idées de son siècle, et comprend que les héros de Tépoque actuelle 
doivent offrir un tout autre caractère que ceux des anciens temps. 

C'est dans le journal teau par b cikmel iKlllens que M. Autran a 
puisé l'inspiration. Son poëme n'est, en quelque sorte, que le reflet de 
ces notes, tracées au jour le jour, au milieu des plus terribles épreuves. 

Ils sont là, réunis dans la ville déserte : 

De fiévreux, de mourants, la poussière est couverte. 

Ceux qui, debout encor, veillent à leurs cdtés. 

Ressentent de la faim toutes les cruautés. 

La foudre, par instant, rase leur forteresse ; 

Sur la haute esplanade, un signe de détresse, 

Un reste d* étendard que le vent fouette et mord, 

Gomme un lambeau vivant, se déchire et se tord. 

Ds écoutent, par groupe, inclinés en silence. 

Ces clameui*s, ces sanglots, que la tempête lance, 

Cette foudre et ces vents qui, roulant en éclats. 

De leur dernière nuit semblent sonner le glas. 

Sinistre obscurité, profondeurs solennelles !.... 

Au rempart désolé, de rares sentinelles 

A peine errent encor, — malades aux pieds lents, 

A leur poste de nuit, £sintémes vigilants- 

De ces derniers gardiens pour augmenter le nombre, 

A Tangle des crénaux des chiens guettent dans Tombre ; 

Chiens que Ton prit vaguant par la ville en débris, 

Et qui pour cet emploi sont maigrement nourris. 

Faméliques, hideux, les pattes contractées. 

On croirait voir de loin ces chimères sculptées. 

Ces gargouilles de pierre, au monstrueux maintien, 

Qui couronnent les tours d'un vieux temple chrétien. 

Ce soir, leurs aboiements aux cris de la tempête 

Se mêlent, dur concert qu'un triple écho répète. 

— Veillez, faibles soldats ! Veillez, chiens attentifs ! 

Epiez au désert les Kabyles furtifs. 

Les appels de la foudre excitant leur courage, 

Ils marchent, cette nuit, complices de Forage ; 

Ils marchent, et demain leurs innombrables rangs 

Viendront livrer l'assaut à de pâles mourants. 



LlTT^RATtiVB. S!^ 

Ce tableau présente un spécimen du ton qui règne dans l'œuvre du 
poète. Pour produire de Teffet, il n'appelle point à son aide les exagéra- 
tions déclamatoires ; l'exactitude historique lui suffit, et la teinte sévère 
dont elle est empreinte ne nuit point à l'impression profonde que laisse 
dans l'âme ce récit, vrai jusqu'aux moindres incidents. L'auteur s'attache 
surtout à faire ressortir le contraste de Ténergie morale à côté des mi- 
sères et des souffrances physiques : 

Aux armes ! Tennemi s'apprête à Tescalade ; 

D n'est plus aujourd'hui de fiévreux, de malade ! 

Debout, agonisants ! Debout, aux arsenaux. 

Aux canons ! Gourons tous pour sauver les créneaux ! 

A ce cri, des souffrants la troupe convoquée 

Se dresse avec effort du sol de la mosquée. 

Péniblement groupés en maigres pelotons, 

Ils marchent d'un pied faible, aidés par des bâtons. 

Oh ! ne dirait-on pas des fantômes livides 

Sortis, le fer en main, de leurs sépulcres vides? 

Les fusils pour leurs bras sont de pesants fardeaux; 

Et, comme des vieillards, ils vont courbant le dos 

Leurs chefe, — la feinte ici, Muse ! n*est plus admise. — 
S'avancent au combat sans habit, sans chemise ; 
Et le gouverneur même aux périls revenus 
Marche déguenillé, la tête et les pieds nus. 
N'importe, 

A vingt chocs successifs, les soldats de la France 
Répondirent d'abord, superbes d'assuraace. 

C'est bien là, suivant nous, le rôle qui convient à la poésie, et chez 
M. Âutran la pureté de l'expression rehausse d'une manière fort remar- 
quable le mérite de la pensée. 

M^* Sasserno, dans une sphère moins haute, se distingue aussi par un 
talent sobre et pur. Elle chante^olontiers les douces affections, les senti- 
ments généreux, et décrit avec beaucoup de charme les beautés de la na- 
ture, ainsi que les plaisirs simples de la vie des champs. Ses vers har- 
monieux coulent sans effort. C'est une onde limpide qui, soit qu'elle 
traverse des champs semés de fleurs, soit qu'elle roule ses flots sur un 
lit rocailleux, demeure transparente et reflète toujours de nobles ou gra- 
cieuses images. Chez elle, la poésie est vraiment le langage du cœur, et 
non point, comme il aiTive à tant d'autres, une vaine musique destinée 
seulement à flatter Toreille, 



356 LITT^RATURB. 

Quant aux ii^eroses de M. Kohier, leur principal mérite consiste dans 
une saveur alpestre qui leur imprime bien le cachet national suisse. L au- 
teur est un habitant du Jura bernois. Il figure au nombre des écrivains 
qui travaillent avec zèle à soutenir le renom littéraire de la Suisse fran- 
çaise. Ses poésies sont, en général, l'expression d'un ardent patriotisme, 
auquel se joint un profond respect pour la culture intellectuelle, ainsi 
que pour le développement moral et religieux. Elles offrent, à cet égard, 
un intérêt particulier, comme expression des tendances qui caractérisent 
l'esprit suisse. 



Histoire comique des états et empire de la lune et du soleil, par Cy- 
rano de Bergerac, nouvelle édition, revue et publiée avec des notes 
et une notice, par P. L. Jacob, bibliophile. Paris, A. Delabays, 1858; 
1 vol. in.l2: 3 fr 50. 

Il est peu d'écrivains français doués d autant d'originalité et de verve 
que Cyrano de Bergerac. Poète dramatique, auteur cachant sous des 
conceptions bizarres une philosophie profonde et hardie, il a su, malgré 
bien des incorrections de style et de nombreuses fautes de goût, se placer 
à un rang élevé. Ses ouvrages, quoique réimprimés assez souvent, sont 
devenus difficiles à trouver ; la première édition des OEuvres diverses, 
mise au jour en 1654, ne se rencontre plus, hors de quelques grandes 
collections publiques. Ses productions ne sont d^ailleurs venues jusqu'à 
nous qu*asse2 maltraitées. VHistoire comique des étals de la lune pré- 
sente de déplorables lacunes, qu'on est en droit d'attribuer à la prudente 
réserve d'éditeurs qu'effrayaient des pensées trop hardies. Un manuscrit 
complet existe entre les mains de M. de Monmerqué, et ce savant éditeur 
de M<"® de Sévigné a l'intention de le publier, mais il faut attendre. 

Nous ne reviendrons pas ici sur la biographie de Cyrano ; on sait qu'il 
fut un duelliste des plus redoutables, et que sa carrière roula à travers 
des aventures de tous genres. Né en 1620, il mourut en 1655 ; il eut de 
vifs démêlés avec divers personnages du temps, notamment avec l'excen- 
trique d'Assoucy, qui lui ressemblait bien un peu. 11 fut regardé par ses 
contemporains comme ayant le cerveau fôié, et on répandit sur son compte 
plus d'une anecdote parfaitement controuvée. Le voyage imaginaire dans 
les astres, dont il écrivit la relation, nous fait souvenir qu'un autre nar- 
rateur de pérégrinations fantastiques, Swift, l'auteur de Gulliver, mourut 
aliéné. 



LlTTiRATURB. 357 

La notice de M. Paul Lacroix (tout le inonde connaît le vrai nom du 
bibliophile Jacob) donne sur Cyrano, sur sa vie, sur ses œuvres, des 
détails curieux et neufs qu'on lira avec plaisir. 

Le volume que nous avons sous les yeux ne contient que les œuvres 
en prose de Cyrano ; nous ne pensons pas que l'intention de l'éditeur soit 
de réimprimer le théâtre de cet écrivain. Le Pédant jouée»i rempli de 
gaieté, de sel, d'intentions comiques; les locutions de la phraséologie fami- 
lière y abondent; malheureusement» cette production est souillée, comme 
la plupart des pièces de l'époque de Louis XllI, par des licences bien 
choquantes, surtout dans les impressions primitives ; celles qui sont ve- 
nues plus tard ont été épurées. Agripinne est une tragédie où de grands 
défauts se rencontrent, mais où l'on trouve aussi des choses admjrables» 
des vers étinceiants des tirades cornéliennes, des scènes entières d'une 
vigueur peu commune. Le rôle de Séjan est une conception dont il serait 
difficile de trouver d'autres exemples au dix-septième siècle ; c'est un 
philosophe du dix-huitième. 



ŒuvHES DE Corneille, nouvelle édition, revue et annotée, par J. Ta- 
schereau. Paris, Jannet, 1857. Tomes 1 et II ; 2 v. in-18 : 10 fr. 

Il revenait de droit à l'auteur d'une très-bonne biographie du créateur 
de la tragédie en France de donner une édition définitive des productions 
du mâle et austère génie auquel on doit le Cid, les Horaces^ et tant 
d'autres chefs-d'œuvre. M. Taschereau s'est acquitté de celte tâche avec 
amour et avec zèle. 

Presque toujours, plus les œuvres d'un auteur classique ont été pu- 
bliées, plus il est difficile d'en donner une bonne édition. A chaque réim- 
pression, de nouvelles fautes s'ajoutent à celles des éditions antérieures, 
et il se forme enfin un assemblage inextricable d'erreurs d*autant plus 
difficiles à constater, que bon nombre ont pour elles la prescription sé- 
culaire. Corneille avait voulu se prémunir contre ce danger ; il avait donné 
en 1660, 1663, 1664 et 1668 quatre éditions de son théâtre complet 
jusqu'à chacune de ces époques; en 168^, deux ans avant sa mort, il 
avait revu une édition définitive de toutes ses œuvres dramatiques; dans 
ces dernières éditions, il avait exposé et suivi un système orthographique 
que l'usage a souvent sanctionné depuis, mais les éditeurs, même ceux 
qui ont promis le plus de fidélité, ne se sont pas bornés à changer la ma- 
nière d'écrire les mots qu'avait adoptée l'auteur du Ctd, ils lui ont prêté 
leur manière de s'exprimer. 



$58 LlIIBilATURB. 

L'orthographe étymologique à laquelle Corneille avait ramené une foule 
de mots dans l'édition de 1682, est reproduite avec soin par M. Tasche- 
reau. Il s'est montré fort sobre de notes grarottaticales, et en fait de var 
riantes il s'est contenté d*en signaler de fort curieuses* en ce quelles 
montrent Corneille faisant disparaître de son texte primitif des expres- 
sions, des images devenues choquantes sur une scène qu'il avait soumise 
aux convenances. L'édition originale de Mélite, la première des pièces de 
Corneille, et le texte définitif qu'il adopta, offrent à cet égard des diffé- 
rences remarquables; dans l'impression de 1633, on trouve des licences 
qii'on ne tolérerait pas aujourd'hui sur les planches du dernier des 
IhéItreSy et qui alor$ ne choquaient personne. L'auteur fit disparaître 
toutes ces énormités à mesure que le goût du public s'épurait. 

Il paraît dififidle de trouver encore à glaner quelque chose au sujet de 
Corneille; les infatigables recherches de H. Taschereau lui ont cepen* 
dant offert une moisson de quelque intérêt. Il donne, pour la première 
fois, la réunion complète des arguments, épîtres dédicatoires, préfacer, etc«, 
placées à la tête des diverses pièces, et qui se trouvaient éparpillées dans 
les éditions originales ou dans quelques éditions des OEuvres, Il réiro-^ 
prime la préface qui, placée en tête de la seconde partie des Œuvres pu^ 
bliée en 1648, était ignorée et non reproduite depuis plus de deux siècles. 
Les archives du parlement de Normandie, les manuscrits de la biblio- 
thèque de l'Arsenal lui ont fourni des faits intéressants et restés inconnus 
au sujet de la biographie du poëte tragique. 

Signalons en passant une circonstance qui montre le peu de soin que 
les divers éditeurs de Corneille ont apporté à leur œuvre. 11 se trouve 
dans Mélite (acte II, scène 4) un sonnet que Corneille inséra parmi 
quelques Mélange» poétiques placés à la suite de Clitandre^ sa seconde 
pièce, et la première qu'il fit imprimer. Palissot, qui publia les Œuvres 
complètes, ne s'aperçut pas qu'il avait déjà donné ce sonnet dans Mélite; 
il le donna une seconde fois dans le volume des Poésies diverses^ en l'ac- 
compagnant d'une note où, donnant carrière à son imagination» il affir7 
mait que c ce sonnet était adressé à une femme charmante que CorDeiile* 
dans sa première jeunesse, avait aimée avec passioa. Ce sont les seuls 
vers qui soient restés de tous ceux qu'il avait composés pour elle. » La' 
note a.été trouvée charmante ; elle a eu beaucoup d'éditions» et, depuis Pa- 
lissot jusqu'à M. Lefèvre inclusivement, tous ceux qui ont réimprimé Cor; 
oeille, n'ont pas oublié de donner deux fois le sonnet en question* sanss^ 
idouter du double emploi. 



LtrriHATVM. SS^ 

On a droit d'admirer l'aplomb avec lequel Palissot inventait une expli- 
catk)n pour on sonnet d'ailleurs fort médiocre, mais il n'est pas le seui 
qui soit ainsi entré dans le domaine de Taffimiation dénuée de toute 
preuve. Les notes de M. Aimé Martin, dans l'édition Lefèvre, sont des plus 
curieuses au même point de vue. M. Aimé Martin apprend à ses lecteurs, 
sans hésitation, et bien entendu aussi sans indication de sources, quels 
sont les acteurs qui ont joué d'original les rôles des pièces de Corneille. 
Quelques témoignages do temps démontrent qu'il s'est fourv0yé dani 
cette distribution arbitraire. 

11 n'a paru encore que les deux premiers volumes de la nouvelle édi- 
tion de Corneille, et, sous tous les rapports, on peut dire qu'eHe réunit 
tous les titres possibles pour figurer en chaque bonne bibliothèque. 



Couronne, histoire juive, par Alex. Weill. Paris, Poulet-Malassis et de 

Broise, i857;1 vol. in-12 : 2 fr. 

M. Weill nous offre ua tabfeau de mœurs juives: la scène se passe 
dans un village d'Alsace et ne manque pas d'un certain cachet d'origina* 
lité» 11 s'agit naturellement d'amour et de mariage, c'est la recette ordi** 
nairedu roman. Couronne, jeune fille charmante, mais dont le cœur s'est 
^ris pour certain pauvre diable de professeur, qui s'appelle Elias, refuse, 
au grand déplaisir de ses parents, tous les partis qui se présentent. Elle^ 
sait bien que l'on n'accordera pas sa main à celui qu'elle aime, mais elle 
préfère aiourir de langueur plutôt que de lui être infidèle. D'ailleurs^ 
Elias, outre sa pauvreté, a le malheur d'être fils d'une espèce de brocan-(> 
teor en fort mauvais renom dans le pays. Couronne semble devoir donc 
renoncer à jamais être sa femme, et cette triste certitude la jette dans un 
marasme fort inquiétaat. Alors la tendresse maternelies'émeut. M'^* Ricbei 
pitttôt que de laisser mourir sa fille, préfère encore la voir épwmr ie 
pauvre professeur qui, du reste, est un honnête homme, gagnant sa vie 
de la manière la plus honorable. Quand la mère faiblit, le père ne résiste 
pas lnwgtemps, et l'histoire finit par un mariage. La donnée n'est pas 
neuve, mais le aiilieu dans lequel se trouvent placés les personnages offrait 
une mine assez intéressante è exploiter. Les coutumes juives sont peu 
conaues, elles pouvaient fournir à M. Weill maints détails propres i pi-* 
qver la curiosité des lecteurs. 11 en profite bien, en effet, pour esquisser 
un intérieur de famiile empreint de ce caractère particulier. Les croyances 



360 LlfTiftATURB. 

et. les pratiques religieuses se mAleot aux ineidents de son récit, et la 
narche de l'action est soumise à leur influence. Malheureusement, la 
printure manque de vigueur, les couleurs sont {)âles et les traits mal as- 
surés. Ce n'est qu'une ébauche, tandis qu'avec plus de soin et de travail, 
l'auteur en aurait certainement fait une œuvre remarquable. 



Fleurs db l'Inde, comprenant la mort de Yaznadate, épisode tiré de la 
Ramaïde de Valmiki, traduit en vers latins et en vers français, avec 
texte sanscrit en regard, et plusieurs autres poésies indoues. Paris, 
B. Duprat ; 1 vol. io-8 : 5 fr. 

L'étude du sanscrit doit-elle prendre place dans renseignement clas- 
sique? Telle est la question qui, depuis quelques années, préoccupe plu- 
sieurs académies de province. L'auteur du volume que nous annonçons a 
publié sur ce sujet un mémoire qu'il reproduit à la fin de son volume, et 
dans lequel il se prononce fortement pour l'affirmative. Comme pièce à 
l'appui, il nous donoe un fragment de la Ramaïde de Valmiki, traduit en 
latin et en français. Ce spécimen de littérature sanscrite est bien propre, 
en effet, à produire une impression favorable. On y trouve des sentiments 
vrais, exprimés simplement. C'est une scène louchante, dont les person- 
nages éveillent d'autant mieux nos sympathies, qne leur manière de sentir 
et d'aimer décèle un développement moral qui ressemble beaucoup au 
nôtre. Leurs affections de famille, leur idée du devoir, leur spiritualisme 
religieux, ont certains rapports assez frappants avec la civilisation chré- 
tienne. 

A cet égard, ils sont» eu quelque sorte, plus rapprochés de nous que 
les Grecs et les Romains. L'exemple est bien choisi pour exciter l'inté- 
rêt du lecteur et prouver que la poésie indoue mérite d'être étudiée. 
Malheureusement, peu de personnes seront en état de juger si la traduc- 
tion est fidèle. Peut-être vaudrait-il mieux qu'elle fttt en prose, car les 
exigences du vers, soit latin, soit français, doivent avoir plus d'une fois 
obligé le traducteur à s'écarter du texte original. Une de ses premières 
notes semble même indiquer qu'il n'est pas très-scrupuleux, car au tigre 
il substitue le lion , sous le prétexte de rendre la métaphore plus ac- 
ceptable. C'est faire bon marché de l'exactitude, et l'on peut craindre 
d'autres licences du même genre dans les détails moins essentiels que 
cehii-lày qui caractérise si bien le Heu de la scène. Nous aurions préféré 



<^ 



LITTiHAfOftB. 361 

la traduction Jittërale, suivant pas à pas le texte, et lui conservant son ca- 
ractère étrange. Quoi qu'il en soit» l'auteur fait preuve de talent pour la 
poésie et de connaissances philologiques assez remarquables Les Fletun 
del*Tndê, auxquelles sont joints deux chants et un apologue arabes, pour- 
ront certainement être utiles à la cause de l'orientalisme. 



Dernières chansons de P.-J. de Béranger, avec une lettre et une pré- 
face de l'auteur. Paris, 1858 ; 1 vol. in-8 : 6 fr. -- Ma biographie, 
par P.-J. de Béranger. Paris, Pei'rolin,^1848; 1 vol. in-8: 5 fr. 

Ce bagage posthume ajoutera-t-il quelque chose à la gloire du chan- 
sonnier? Sans doute les éditeurs le croient, car, autrement, ils se seraient 
altttenus de publier deux gros volumes qui n'auraient alors d'autre objet 
qu'une simple spéculation de librairie. Mais il nous semble que leur zèle 
pour la mémoire d'un aoû les a fourvoyés. La verve du poëte ne jette que 
de rares éclairs dans les Dernières chansons, et quant aux mémoires, ils 
offrent un intérêt médiocre. Cela noirs étonne peu. La chanson est un genre 
assez restreint, auquel il faut le concours de circonstances favorables. Bé* 
ranger dut en grande partie sa renommée à l'opposition politique dont il 
s'était fait l'organe. Ses opinions, plus encore que son talent, le rendirent 
populaire, parce qu'elles éveillaient les sympathies de la foule. 11 sut ex- 
primer habilement ce bizarre mélange d'idées libérales et de souvenirs 
bonapartistes qui, grâce aux fautes de la Restauration» prit bientôt l'as- 
pect d'un parti compact et redoutable. C'est là le secret de sa puissante 
influence. D'adroites flatteries à l'adresse des préjugés nationaux, et des 
traits piquants lancés contre les abus de l'ancien régime qu'on tentait de 
remettre en vigueur, assurèrent le succès de ses chansons mieux que 
n'auraient pu le faire des convictions profondes. Béranger était ce qu'on 
appelle un homme du peuple, obéissant à des instincts plutôt qu'à des 
principes. Il avait débuté par le Roi d* Yvetoi, spirituelle moquerie de la 
gloire impériale ; puis, au retour de Louis X VIII, il chanta les lys, au- 
près desquels, disait-il : 

Les lauriers reverdiront. 

Mais déjà le mois suivant paraissait {la Requête présentée par les chiens 
de qualité 

Puisque le tyran est à bas. 
Laissez-nous prendre nos ébats. 



S62 uniAATvmB. 

Et dès lors k chftBsonDier qui, cette Ibis, lient la &bee populaire» se 
distingue par une opposition de plusen pkis vive, jusqu'en 1830. A 
cette époque, ses amis étant arrivés au pouvoir, il se sent mal à Taise» 
etr son rMe doit changer, et cependant sa nature, renforcée par l'ha-* 
bitude, ne lui permet guère de se métamorphoser tout à coup en pané- 
gyriste d'un gouvernement quelconque, après avoir si longtemps fait de 
la chanson un instrument révolutionnaire, c'était bien difficile assurément. 
D'ailleurs, pour rester le poëte du pevple, il faut être mobile comme luïi 
prêt à suivre tous ses caprices, et docile à sa voix qui crie sans cesse : 
En avant, dûtH)n se rompre le coq. 

Ce dernier parti ne convenait pas davantage au caractère doux et pai* 
Sible de Béranger. Il résolut donc de se taire, après avoir pris toutefois 
la précaution de consacrer quelques couplets à l'apothéose des grands 
hommes du socialisme. Dès lors il devient étranger à la politique, et quand, 
en 1848, 204,471 suffrages le portent à l'Assemblée constituante, il 
s'empresse de refuser ce mandat, qui lui semble une trop lourde tâche 
pour un chansonnier. Ses vers sont toujours élégants et gracieux,- mais 
avec l'âge ta gaieté s'est enfuie, la pensée a pris un tour sérieux ou né-^ 
lancofique, et les Demilres ckanêons s'en resseolent nécessairement. 

Dans la Biographie, Béranger raconte avec beaucoup de simplicité 
l'histoire de sa modeste existence. Il nous donne peu de détails nouveaux, 
mais se perot sincèrement tel qu'il était, homme bon et serviable, modéré 
dans ses désirs, aimant la retraite et l'indépendance. Son caractère forme 
un contraste frappant avec l'ambition inquiète et remuante à laquelle sont 
sujets la plupart des littérateurs de notre époque. Ne recherchant ni les 
honneurs ni la fortune, sachant se contenter de peu, il pratiquait une phi-^ 
losophie beaucoup moins épicurienne que celle dont ses œuvres offrent le 
cachet. Mais sauf les deux procès, qui ne furent pas une épreuve bien 
redoutable, puisque Béranger avoue qu'il comptait là-dessus pour assu-*> 
rer le succès populaire de ses chansons, cette vie renferme peu d'inci** 
dents propres à captiver l'intérêt. 



Balzac, sa vie et ses œuvres, par M»« L. Surville (née de Balzac), 
Paris^ librairie nouvelle, 1858; 1 vol. in-18: 1 fr. 25. 

Balzac occupe Tune des premières places parmi les célébrités litté- 
raires de notre époque. La plupart de ses jduvrages excitèrent un en- 



UTTBRITURB. 369 

goueroent qui n'est pas encore tout à fait dissipé, et toutes les formules 
de i*éloge ont été prodiguées à ce talent, très-remarquable, sans doute, 
mais fort inégal. La postérité conservera-t-elle le même enthousiasme 
pour un bagage littéraire si considérable et si mélangé? C'est douteux; 
le temps fera son œuvre, et peut*étre deux ou trois volumes survivront- 
ils seuls à cette épreuve. En attendant, lés détails que M*"" Surville 
donne sur la vie de son frère, sur ses goûts» ses habitudes de travail, 
ses ambitions, ses succès et ses revers, seront accueillis certainement 
aveo un vif intérêt. Balzac offre l'exemple de ce que peut la persévérance 
appliquée au développement des facultés intellectuelles. Ses débuts ne 
furent pas brillants, loin de là. Pendant nombre d'années, il ne produisit 
que des romans de pacotille, d'une médiocrité désespérante. Dès sa jeu- 
nesse, il avait manifesté la volonté bien arrêtée de se faire homme de 
lettres, seule carrière pour laquelle il se sentit quelque vocation. C'est 
dans ce but qu'il entra comme associé dans une entreprise d'imprimerie 
et de fonderie. Mais les fonds lui manquaient, et probablement aussi l'en- 
tente des affaires, en sorte que bientôt la faillite fut inévitable. Balzac se 
vit dès lors obligé de recourir à sa plume pour faire face aux engage- 
ments qu'il avait contractés. Il se mit à l'œuvre avec ardeur, et ses pro« 
ductions se succédèrent rapidement. Si leur mérite était nul, Balzac ne 
paraît pas avoir eu la moindre illusion à cet égard, puisque jamais son 
nom ne figura sur aucune d'elles. M™® Surville n'en mentionne pas même 
les titres, et passe rapidement sur ce pénible apprentissage, pour arriver 
au premier succès qui commença la renommée de son frère. Lei Chouam 
obtinrent un accueil assez favorable, quoique ce ne fût encore qu'une bien 
pdle imitation du genre de Watter Scott. Balzac, après avoir publié Ca* 
ihmne de Médidg^ autre roman historique, abandonna cette voie pour 
donner cours à sa propre originalité qui, mûrie par le travail et l'obserr 
vatioA, allait enfin prendre essor. Ce fut à l'ige de trente ans qu'il se ré- 
véla par la Physiologie du mariage, suivie bientôt de la Peau de ckagrin^ 
d* Eugénie Grandet, et de ces nombreuses esquisses rassemblées plus 
tard sous le titre de la Comédie humaine. Eu voyant combien Balzac eut 
à lutter, on n'est pas surpris de la haute importance qu'il attachait à ses 
œuvres. La critique l'irritait, les éloges adressés à tel ou tel de ses ou^ 
vrages lui sembli^ient une injustice foite aux autres; mais il était pour lui^ 
même un juge difficile, et ses efforts ne se ralentirent jamais. On peut 
constater dans ses écrits un progrès continuel, malgré la persistance do 
certains débuts inhérent^ à sa nature, il vivait, en quelque sorte, avef 



864 



VOTAGBS BT HISTOIRE. 



ses personnages, parlait d'eux comme d'êtres réels, et les péripéties dé 
leur histoire le préoccupaient sans cesse. Les fragments de correspon- 
dance et les anecdotes que cite H"*« Surville prouvent que chez loi la 
composition était un travail sérieux, auquel il consacrait toutes les facul- 
tés de son esprit et de son cœur. Ce trait de caractère nous semble le 
distinguer tout particulièrement, car aujourd'hui, dans les diverses 
branches de la littérature, les écrivains consciencieux sont rares, et plus 
rares encore ceux qui ne se laissent pas aveugler par un premier succès, 
au point de croire les moindres caprices de leur fantaisie également bons 
pour le public. 



VOYAGES £T HISTOIRE. 

L'Angleterke, la Chine et l'Inde, par don Sinibaldo de Mas, envoyé 
extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la reine d'Espagne en 
Chine. Paris, J. Tardieu, 1858; 1 vol. in-8 : 3 fr. 50. 

Quoique I Angleterre et Tlnde figurent sur le litre de ce livre, c'est la 
Chine qui forme l'objet principal des recherches de l'auteur. M. Sinibaldo 
de Mas regarde la question chinoise comme beaucoup plus importante que 
la crise suscitée par la révolte des cipayes. Les démêlés de l'Angleterre 
avec le Céleste-Empire lui paraissent devoir amener un conflit auquel 
seront nécessairement appelées à prendre part les autres puissances mari- 
times. En eSet, la civilisation européenne est intéressée à maintenir sa 
suprématie, en faisant respecter partout les droits du commerce interna- 
tional. Or, ce qui se passe en Chine annonce l'intention évidente de ne 
point accorder les concessions promises à la suite de la dernière guerre, 
et même d'interdire les anciens rapports établis depuis des siècles. La 
vive sollicitude que le gouvernement chinois montra tout à coup pour ses 
sujets, à propos de l'opium, n'avait déjà pas d'autre but. il saisit avec 
empressement cette occasion d'exciter les passions populaires contre les 
barbares étrangers. M. de Mas, qui connaît bien le pays, ses habitants et 
ses mœurs» montre que l'usage de l'opium a toujours existé chez les Chi- 
nois sans produire d'accidents graves, et que ce ne fut donc qu'un pré- 
texte dont la politique impériale s'empara, pour donner suite à des pro- 
jets qui» de tout temps, l'ont préoccupée plus ou moins. A l'appui de 
cette opinion, il retrace rapidement l'histoire des rapports de la Chine avec 
les Européens. On y voit que, dès l'origine, les obstacles vinrent du gou- 



V0TA6B8 BT HISTOIEB. 365 

vernement beaucoup plus que de la population. Ceile-ci n'eût point été 
hostile aux étrangers, sans la crainte que lui inspiraient les mandarins, 
toujours prêts à punir comme un crime le moindre acte de tolérance à 
cet égard. Il en est de même encore aujourd'hui. Ce sont les autorités qui 
entretiennent la défiance et forcent le peuple à se montrer insociable. Le 
système administratif particulier à la Chine devrait être favorable au dé- 
veloppement intellectuel et moral^ mais il fait de la classe des lettrés l'a- 
ristocratie la plus tyrannique» et les mandarins traitent, en général, leurs 
subordonnés comme un troupeau d'esclaves. Les détails que M. de Mas 
donne à cet égard sont du plus haut intérêt. 11 a profité de sa position offi- 
cielle pour étudier avec soin la vie de cette singulière nation^ C'est un ob- 
servateur habile, fort impartial, et dont les jugements sont empreints 
d'une grande indépendance. Loin de mépriser les Chinois au point de 
vue militaire, il les croit susceptibles de courage et de dévouement, 
comme, du reste, ils en ont donné des preuves dans plusieurs circons- 
tances récentes. Aussi le démembrement de l'empire lui paraît nécessaire 
pour assurer le triomphe des principes du droit international. Jamais, 
sans cela, les puissances européennes n'obtiendront de la cour de Pékin 
qu'elle les reconnaisse autrement que comme des tributaires, et permette 
à leurs ambassadeurs de résider dans la capitale. L'insurrection, qui me- 
nace de renverser la dynastie régnante, peut avoir un résultat favorable à 
ce fractionnement, sur les avantages duquel l'auteur s'efforce d'attirer 
l'attention delà diplomatie. Le moment lui paraît opportun, car l'Angle- 
terre ne tardera pas, sans doute, è reprendre le cours de ses opérations 
contre la Chine, et probablement la France, les Etals-Unis, peut-être 
même la Russie, lui viendront en aide. Ces forces réunies pourront être 
victorieuses, cela n'est pas douteux. Mais il ne s'agit pas ici d'une con- 
quête : ce que l'on désire est simplement d'assurer la liberté du com- 
merce. Ne serait-il donc pas bien plus désirable^ comme le dit M. de Mas, 
< qu'on pût obtenir ce résultat par des moyens pacifiques; cela vaudrait 
mieux que de s'exposer à réveiller ce colosse qui dort maintenant, mais 
qui, quelque jour, pourrait fort bien venir nous visiter à Manille, à Batavia 
et à Calcutta. » 



Etrennes historiques de Genève, pour 1858, mélanges inédits d'his- 
toire nationale, par E.-H. Gaullieur. Genève, 1858 -, 1 vol. in-8. 

M. Gaullieur a réuni dans ce volume plusieurs documents précieux 



366 V0TAGB9 BT UlSTOIRB. 

pour l'histoire de Genève. L*un des plus remarquables est la relation de 
la guerre faite autour de Genève en 1589, tirée en partie d'un journal du 
sieur Du Perr il, ministre de l'église de Vandœuvres, et en partie des 
remarques de M. Esa'ïe Ghabrey. On y trouve le récit naïf des véne- 
ments de cette époque agitée, où, presque chaque jour, quelque ren- 
contre avait lieu entre les soldats de Genève et ceux du due de Savoie. 
Berne était venue au secours de la cité calviniste, en mettant en cam- 
pagne cinq mille hommes. Mais Bernois et Genevois ne s'entendaient pas 
toujours très-bien. L'ambition des premiers inspirait aux seconds une 
défiance continuelle. Ce désaccord éclate souvent dans les détails que 
le pasteur Du Perril rapporte, sans chercher d'autre mérite que l'exac- 
titude. 

Une prise d'armes à Genève, en 1737, n'est pas moins intéressante. 
Elle nous offre le tableau, esquissé par l'un des acteurs, de ces conflits 
qui éclataient alors entre les citoyens de la petite république, et qui, piHiS 
d'une fois, aboutirent à l'intervention étrangère. Le ton du récit n'est 
pas impartial, sans doute, il porte au contraire le cachet de la passion ;' 
mais, précisément à cause de cela, nous y retrouvons mieux la véritable 
couleur de l'époque. Il nous fait assister aux scènes de violence, et donne 
assez bien l'idée des mobiles divers auxquels on obéissait de part et 
d'autre. M. Gaullieur remarque avec raison que le dix-huitième siècle, 
un peu trop négligé aujourd'hui pour les temps anciens, offre l'une des 
périodes les plus intéressantes à étudier. Il serait à désirer qu'on s'en 
occupât davantage, afin de mettre en œuvre, pendant qu'ils existent en- 
core, les documents que beaucoup de familles possèdent. 

Les autres fragments dont se composent les Etrennes historiques sont : 
un court extrait des mémoires d'Ezéchiel Spanheim, qui fut envoyé ex- 
traordinaire de rélecteur de Brandebourg auprès de Louis XIV ; une no- 
tice sur les arts en Suisse avant la réforme, à propos d'un ancien ta- 
bleau votif, proveiiant de quelqu'une des églises de Genève, d'où la 
réforme l'avait expulsé ; un aperçu des intrigues diplomatiques contre 
Genève au seizième et au dix-septième siècles; enfin l'analyse des Advis 
et devis de Booivard, et de plusieurs ouvrages, récemment publiés, sur 
l'héraldique suisse. 



Jansénisme et JÉsuirisME, ou examen des accusations de janséoisme 
soulevées contre M. l'abbé Guettée. Paris, Huet, 1857 ; tn-8 : ^ fr. 

M. Tabbé Guettée est l'auleur d'une Hinoire de l'Eglise qui a soulevé 
contre lui les colères de YUniveu religietiXf de VAmi de la religion et 
de leurs acolytes. C'est dire assez qu'il ne partage pas les~ tendances ul- 
tjramontaines. Du reste, quoique indépendant à cet égard de l'opinion 
qui domine aujourd'hui dans l'Eglise, ses doctrines portent bien le ca- 
chet de la pure orthodoxie catholique. Mais il a peu de sympathie pour les 
jésuites, et regarde leur école comme très-dangereuse. Aussi ne s'est- 
il pas fait scrupule de les traiter en historien impartial qui cherche avant 
tout la vérité. De là l'espèce de croisade que les adeptes de la puissante 
compagnie ont entreprise contre lui. Attaquer le jésuitisme, quelle audace 
impardonnable, témoigner de la sympathie pour les jansénistes, prendre 
la défense de Port-Royal, c'est être hérétique et comme te lencourir sinon 
Fexcommunication proprement dite, du moins à peu près toutes les con- 
séquences qu'elle entraîne. M. Tabbé Guettée, tenu pour suspect, se voit 
en but à maintes tracasseries ; on veut le forcer à demander grâce, à faire 
amende honorable. Mais il n'y paraît guère diposé, car son nouvel écrit 
débute en termes peu flatteurs pour ses adversaires, f Depuis trois siècles 
environ, dit-il, deux écoles sont en guerre ouverte au sein de l'Eglise ca- 
tholique. L'une, doucereuse en apparence, mais au fond pleine de morgue, 
de fiel, d intolérance et d'astuce, a su se faire de nombreux partisans. 
Pour arriver à son but qui n'est autre que la domination de l'Eglise eiVr 
tière, elle a flatté les puissances spirituelles et temporelles ; s'est humi- 
liée devant les papes et les princes qui l'ont protégée ; a entravé, au moyen 
de mille intrigues souterraines, ceux qu'elle n'a pu gagner à sa cause ; elle 
s'est jouée des papes et des évèques en afl'ectant d'exalter leur puissance 
et leur dignité ; elle a sacrifié les règles de la morale et les principes fon- 
damentaux du christianisme aux exigences de ceux qu'elle voulait gagner 
à sa cause, aux circonstances, aux préjugés. Organisée en société se- 
crète, cette école a disséminé ses affiliés dans toutes les classes de la so- 
ciété ; elle a su s'attacher des hommes vertueux et instruits , sans les 
initier à ses secrets, et elle a spéculé, pour arriver à son but, sur leurs 
talents et leurs vertus. 

« Celle école, c'est le jésuitisme. » 



368 8CIB1ICBS MORALES Bf fOLITIQUBS. 

Voilà qui s'appelle poser nettemeDt la question. M. l'abbé ne recule 
point devant les menaces et soutient avec courage la cause de la vérité 
historique. C'est le meilleur moyen de répondre aux reproches qu'on lui 
adresse. En effet, son unique tort est d'avoir rectifié certaines erreurs 
répandues par les jésuites, reproduit certains faits qui les gênent. Quant 
aux doctrines, sa profession de foi ne laisse rien à désirer, puisqu'il se 
déclare soumis en tous points \ l'autorité de l'Eglise. Aussi ses adver- 
saires sont-ils réduits à supposer des intentions qui puissent fournir les 
éléments d'un procès de tendance. On connaît cette tactique, elle 
n'est pas neuve, et malheureusement ceux qui remploient ne man- 
quent ni de force, ni d'habileté. M. l'abbé Guettée aura beaucoup de 
peine à la combattre. 11 soutient' sa manière de voir avec autant de con- 
venance que de vigueur, mais il n'en sera peut-être pas moins condamné 
pour quelques simples remarques au sujet des opinions de Bossuet , re- 
marques appuyées sur des pièces justificatives, et d'ailleurs empreintes 
du plusgrand respect pour l'illustre orateur. Quoiqu'il en soit, sa brochure 
nous paraît mettre en évidence la modération de ses vues et le mérite de ses 
travaux, en même temps que Tinjustice des attaques dirigées contre lui. 



Db la grandeur morale et du bonheur , par H. de la Codre. Paris, 
Hachette et C", 1857, 1 vol. in-12 : 2 fr. 

Le bonheur et t'estime sont deux buts auxquels aspirent la plupart des 
hommes. On peut dire même que tous désirent être heureux, et pour 
ceux dont l'éducation a développé le sens moral, l'estime est une con- 
dition indispensable du bonheur. Mais si les efforts ont en vue le même 
résultat, ils cherchent à l'atteindre par des routes bien différentes. On 
fait trop souvent consister le bonheur dans la satisfaction d'un goût» 
d'un penchant, d'une passion, et chacun suit à cet égard la pente de son 
caractère individuel. Il est donc très-difficile de présenter un système 
qui puisse contenter à la fois ces exigences diverses. Les uns convoitent 
surtout le bien-être physique, tandis que les autres rêvent une existence 
tout intellectuelle. Ces deux extrêmes opposés perdent également de vue 
la nature mixte de notre être. Aussi M. de la Codre a-t-il soin de joindre 
la grandeur moral au bonheur, afin de montrer dès l'abord que son in- 
tention est de concilier, autant que possible, les deux tendances, et qu'à 
ses yeux le bien et l'utile sont liés par de tels rapports qu'on peut les 



SCIBNGRS MORALES BT POLITIQUES. 369 

p^arder comme à peu près identiques. 11 établit que les deux premières 
conditions nécessaires pour être heureux sont la santé physique et la 
santé morale, c'est-à-dire la marche régulière des fonctions de Torga- 
nisme et de l'action convenablement réglée des facultés et des propen- 
sions de l'âme. Pour acquérir et conserver la santé morale, il faut ac- 
complir ses devoirs, obtenir des affections, [)enser sagement, agir avec 
sincérité, courage et prudence. Quant à la santé physique, c'est par la 
tempérance et l'hygiène qu'on k maintient. Mais de nombreux obstacles 
viennent s'opposer au succès de nos efforts. La défectuosité des organes , 
la pauvreté, l'embarras des affaires , la véhémence des passions, etc., 
rendent la lutte difficile^ souvent fort pénible, et produisent, soit l'irrita- 
tion, soit le découragement. M. de la Codre passe en revue ces divers 
obstacles en indiquant le moyen de les combattre. Les conseils qu'il 
donne sont empreints d'une philosophie religieuse très-élevée, et la 
théorie, de laquelle il les fait dériver, nous semble devoir être féconde 
en applications salutaires. Si son petit livre ne renferme sans doute pas 
la reeette du bonheur parfait, il offre du moins de sages directions tout à 
fait propres à relever le courage, ainsi qu'à prévenir bien des désappoin- 
tements funestes. 



Etudes sur la condition légale des femmes dans la famille, par 
J. Boniface-Delcro, avocat. Paris. A. Johanneau, 1858 ; 1 vol. in-8. 

Les idées d'émancipation féminine, auxquelles d'habiles écrivains ont 
prêté le secours de leur plume, se fondent, en général, surla prétendue 
injustice des lois qui, dit-on, établissent entre les deux sexes une inéga- 
lité choquante. Mais cette inégalité se retrouve dès les temps les plus 
reculés chez tous les peuples ; elle était 'même autrefois bien plus forte 
que de nos jours, et ce sont les progrès de la civilisation qui ont brisé le 
joug barbare auquel la femme est condamnée chez les peuples sauvages. 
Loin de lui être hostile, l'ordre social au contraire la protège, la relève 
et lui permet de remplir beaucoup mieux son rôle, qui n'est évidemment 
pas le même que celui de l'homme. C'est donc bien plutôt contre ce qu'on 
appelle l'état de nature que les avocats de la femme libre devraient dé- 
clamer. Là tous tes travaux pénibles incombent au sexe le plus faible, le 
plus délicat, et lorsque Porganisation sociale vient faire disparaître cet 

24 



370 SmBMCBS SOUALES BT FOLItlOGBS. 

^esclavage, pendant longtemps encore la femme est considérée comme une 
chose plutôt que comme une personne. M. Boniface-Delcro nous la mon- 
tre condamnée chez les Hébreux au rôle de servante dans la famille de 
son mari qui pouvait la répudier à tout instant, et qui jouissait du droit de 
polygamie ; chez les Perses, soumise à tous les caprices de son mari que 
Zoroastre l'obligeait à révérer comme un dieu ; en Egypte, traitée comme 
un objet de luxe et de plaisir. Chez les Grecs, ainsi qu'à Rome, la mo- 
nogamie amène un progrès dans la condition des femmes. Le mariage 
est entouré de certaines garanties, le divorce devient plus difficile. À 
mesure que la législation se perfectionne, la femme acquiert quelque peu 
d'indépendance. Les Romains, surtout, lui accordent des privilèges et lui 
reconnaissent des droits. Mais le sentiment de la dignité humaine et la 
notion précise du devoir manquaient à cette société aussi corrompue que 
brillante. C'est au christianisme qu*il était réservé de répandre dans le 
monde ces principes salutaires. « En même temps que le christianisme 
proclama l'indissolubilité du mariage, il en spiritualisa la notion en le 
présentant sous un aspect à peine entrevu jusque-là. 11 releva la femme 
de rabaissement et de la dégradation où le paganisme l'avait reléguée ; 
désormais elle fut conviée à prendre sa place au foyer domestique, et à 
exercer sur la sociélé l'influence salutaire et civilisatrice que lui assurent 
les charmes de son esprit et la délicatesse de sa sensibilité. » 

Dans cette voie nouvelle les progrès furent lents, sans doute, mais 
continus. L'auteur nous les fait suivre en exposant la condition de la 
femme, dans la Gaule, dans la Germanie et pendant la période féodale. Il 
termine par des considérations sur l'état actuel du droit français qui, sur 
ce point, est en avant de la plupart des autres législations. Ses études 
seront lues avec intérêt. Elles mettent en évidence l'absurdité des re- 
proches adressés au législateur, tout en signalant quelques réformes dési- 
rables dans le but d'assurer mieux encore Tinviolabilité du mariage. 



DERiHiÈRES PAROLES avant tombo d'un gros sou démonétisé, publiées par 
ïm-même. Paris, Guillaumin et G^ 1858 ; 1 vol. in-12 : 2 fr. 

Si Texpérience a quelque valeur, les dernières paroles du gros sou mé- 
ritent d'être écoutées avec respect, car c'est un vétéran qui date du 
voyage de Jason à la conquête de la toison d'or. Il était dans la poche 
de Diomède, au sac de Troie, il a fait la campagne de Pyrrhus, est resté 



8GIBKGES aORALBS ET POLITIQUES. 371 

en Italie, a pris la livrée rûoiaine et vu le combat naval dActium; enfin, de 
refonte en refonte il a fini par se trouver en 1792 orné de nouveau des insi- 
gnes consulaires couronnés du bonnet phrygien. Que de choses ont passé 
'devant lui ! Ses mémoires pourraient aisément former une bibliothèque 
entière. Mais il ne veut pas faire concurrence aux historiens, et se borne 
à retracer quelques-uns de ses souvenirs qui se rattachent à Téconomie 
politique. Naturellement cette science fut toujours Tobjet favori de ses 
préoccupations. Il était bien placé pour en suivre la marche et, frappé 
de la persistance des préjugés populaires, il croit ne pouvoir rendre de 
meilleur service à Thumanité que de fournir des armes pour les com- 
battre. C'est un auxiliaire dont le secours n'est pas à dédaigner. Si la cause 
de la liberté du commerce semble gagnée dans le domaine de la théorie, 
il reste encore beaucoup à faire pour obtenir que les principes reconnus 
vrais soient mis en pratique. Sur les intérêts qui sont en jeu le raison- 
nement n'a guère de prise, et leur opposition ne cessera que devant la 
révolte de Topinion publique. Il faut donc éclairer le peuple, le passionner 
môme en faveur des saines doctrines. L'Angleterre nous à donné 
l'exemple de ce qu'on peut faire ainsi. La ligue de Cobden obtint ce que 
le gouvernement n'aurait jamais obtenu sans elle. En France les excel- 
lentes vues de l'administration actuelle ont besoin, pour triompher de 
même , d'être secondées par une active propagande, et l'on ne saurait trop 
mettre à la portée de tous les vérités économiques. Le langage du 
gros sou, ses anecdotes amusantes, ses comparaisons ingénieuses nous 
paraissent tout à fait propres à atleindre ce but. Il se fera lire par une 
foule de gens auprès desquels échouerait la discussion sérieuse , et la 
forme badine qu'il donne à ses arguments est peut-être le meilleur 
moyen d'en assurer le succès. 



Le sermon sur la montagne, expliqué dans une série de discours par 
Jean Wesley. Paris, librairie évangélique, 1857; 1 vol. in-12. 

Le sermon sur la montagne, cet admirable résumé de la doctrine 
chrétienne, forme certainement l'un des plus beaux chapitres de l'E- 
vangile. C'est un modèle d'éloquence et de simplicité ; jamais parole aussi 
persuasive ne s'était fait entendre, et nulle autre part on ne retrouve 
mieux le cachet original des enseignements que Jésus adressait aux hommes 
de tous les pays et de toutes les époques. Leur portée pratique est la 



372 SCIENCES XORALES ET POLITIQUES. 

même aujourd'hui que du temps des Juifs ; chaque phrase du discours 
offre UD texte fécond en développements qui s'appliquent avec la plus 
grande justesse aux circonstances actuelles de la vie. M. Wesley le prouve 
d'une manière évidente en exposant les principes et les règles de con- 
duite que nous devons puiser à cette source. Son commentaire est très- 
bien fait; il captive au plus haut degré l'attention , et nous semble propre 
à laisser dans l'esprit des lecteurs une impression éminemment salutaire. 



Vrais et faux catholiques, par L.-A. M. Paris, Bestel et C*, 1858 ^ 

1 vol. in-8 : 5 fr. 

L'auteur de ce livre paraît être un fervent adepte des doctrines ultramonr 
taines. 11 n'admet ni le progrès, ni la tolérance, ni même aucune modifi- 
cation quelconque à l'esprit qui dominait dans i Eglise au moyen âge. La 
Saint-Barthélémy lui semble une rigueur assez salutaire, et la révocation 
de l'édit de Nantes, avec toutes ses conséquences atroces, un pieux décret. 
Seulement il regrette que, sous Louis XV, on ait mal exécuté l'édit qui or- 
donnait que les convertis qui, pendant leur maladie, refusaient le saci^ement 
catholique, seraient condamnés aux galères perpétuelles avec confisca- 
tion de leurs biens, s'ils revenaient à la santé, etc., etc. La liberté des 
cultes est, à ses yeux, un non-sens, il faut l'unité de religion tout comme 
l'unité de pouvoir, et les lois doivent punir le sacrilège ou l'hérésie 
plus sévèrement qu'aucun autre crime. Aussi M. L.-A. M. fait peu de 
cas de ces catholiques amateurs, tels , par exemple, que M. de Mon- 
talembert , qui exaltent la libre pensée et les convictions indépendantes. 
C'est à eux que son livre s'adresse, pour leur démontrer qu'ils entravent 
l'action de l'Eglise et sont les auxiliaires de ses ennemis. En vain cherche- 
t-on à concilier la foi avec l'essor de l'esprit humain : la philosophie est 
impie, la science inutile ou dangereuse, les arts eux-mêmes sont rem- 
plis de pièges. Le catholicisme ne peut transiger avec ces ruses du 
démon. Hors de l'Eglise point de vérité ni de salut, voilà son principe 
fondamental, et si vous l'ébranlez tout l'édifice croulera. Cette manière 
d'envisager la religion contraste étrangement avec les idées du siècle. 
Nous doutons qu'elle soit bien propre à ramener les philosophes, mais 
la franchise avec laquelle l'auteur expose les exigences de ce joug impi- 
toyable a du moins l'avantage de dissiper toute incertitude. C'est une 
guerre ouverte contre la culture intellectuelle, contre la liberté de pen- 



SCIBHCBS MORALES UT POLITIQUES. 373 

ser et d'écrire, contre l'ensemble de la civilisation moderne et contre 
Tesprit de la charité évaogélique. Le programme est aussi simple que 
clair : quiconque se permet de raisonner sera mis hors la loi, et livré sans 
miséricorde aux rigueurs efficaces de la persécution. En lisant ce mani- 
feste , on croit entendre déjà le pétillement du bûcher. Si donc les hé- 
rétiques persistent dans leurs erreurs ce ne sera pas faute d'être avertis 
du sort qui les attend. Quelle que soit du reste la résolution qu'ils pren- 
nent, ils sauront apprécier, nous n'en doutons pas, l'éminent service que 
leur a rendu M. L.-Â. M. 



Introduction à la théologie orthodoxe de Macaire, docteur en théologie, 
évêque de Vinnitza^ recteur de Tacadémie ecclésiastique de Saint- 
Pétersbourg, traduit par un Russe. Paris, J. Cherbuiiez, 1857 ; i 
gros vol. in-8 : 8 fr. 

La théologie orthodoxe est l'ensemble des croyances et des doctrines 
del'Eglise grecque, ou, comme le dit Tauteur, l'exposition systématique de 
la religion chrétienne, suivant la Parole divine, la sainte Ecriture et la 
sainte tradition, et sous la direction de l'Eglise orthodoxe. Présentée sous 
ia forme d'un enseignement méthodique, cette science offre un sujet d'étude 
d'autant plus digne de fixer l'attention des théologiens français, que jus- 
qu'ici l'on ne possédait aucun livre qui pût leur fournir à cet égard des 
données certaines et complètes. En général l'Eglise grecque est connue 
surtout par les attaquas dont elle a maintes fois été l'objet. On accuse son 
clergé d'ignorance et son culte d'être encombré de pratiques superstitieu- 
ses. L'ouvrage de M** Macaire réfute victorieusement ces deux reproches. 
Il porte le cachet d'un vaste savoir, d'une connaissance approfondie des 
saintes Ecritures, et d'un spiritualisme tout à fait évangéiique. On y 
trouve de plus une élégante clarté d'exposition, très-précieuse dans des 
matières aussi difficiles C'est la substance du cours que l'auteur professe 
avec talent et conviction à l'académie de Saint-Pétersbourg. 

Fils d'un simple curé de village, Michel Boulgakow qui, en entrant 
dans les ordres, prit le nom de Maccarius, se distingua de bonne heure 
par les facultés éminentes de son esprit. Nommé d'abord professeur 
d'histoire à l'académie de Kiew, il fut bientôt appelé à Saint-Pétersbourg 
ei chargé de l'enseignement de la théologie dogmatique. Le succès re- 
marquable avec lequel il s'acquitta de cette tâche lui valut un avance- 



374 SC1BNCB8 aOflALES B1 POLIZIQUBS. 

ment rapide. Quoique jeune encore, il est aujourd'hui évêque de Vinnitza» 
coadjuteur de Podolie et recteur de l'académie ecclésiastique. Aussi le 
traducteur ne pouvait-il choisir uo écrivain plus propre à faire bien 
comprendre le dogme, le culte, l'esprit et l'organisation de l'Eglise 
d'Orient, à dissiper les préventions et les erreurs, et, comme il le dit, 
c â faire regretter à ceux qui les ont propagées d'avoir attaqué, sans la 
connattre, une doctrine professée par un si grand nombre de fidèles.» 



Du PKix DES GRAINS, du libre échange et des réserves, par M. Briaune, 
Paris, F. Didot frères, 1857 ; 1 vol. in-8 : 5 fr. 

M. Briaune est un cultivateur qui traite la question des grains au point 
de vue pratique, d'après les données que lui ont fournies soit les documents 
officiels, soit sa propre expérience. Sans récuser tout à fait l'autorité de 
la théorie, il estime que ses principes doivent être plus ou moins modi- 
fiés dans l'application. A ses yeux les économistes commettent une grave 
erreur en assimilant le blé aux marchandises ordinaires. Le rôle im- 
portant que joue ce produit dans l'alimentation du peuple lui semble jus- 
tifier l'emploi de mesures exceptionnelles pour prévenir les désordres 
qu'entraîne sa rareté ou la trop grande élévation de son prix. Les résultats 
de la statistique permettent de constater que presque toujours une disette 
fut le prélude des agitations révolutionnaires dont la France a été le théâ* 
tre. A l'époque de la ligue, en 1789» en 1830, en 1848 on retrouve 
cette même coïncidence, et M. Briaune en conclut que le gouvernement 
ne peut rester étranger à ce qui concerne le commerce des grains. Puis- 
que c'est une source de périls pour l'Etat, l'intérêt commun exige que 
Tadministration s'en préoccupe avec sollicitude. Cette manière de rai- 
sonner ne manque pas de logique et l'on doit reconnaître qu'en effet nulle 
autre marchandise n'exerce autant d'influence sur l'ordre public. Mais les 
économistes objecteront que le danger provient précisément de ce que le 
commerce des grains n'a point joui jusqu'à ce jour des bieafaits d'une en- 
tière liberté. Quand M. Briaune affirme que la spéculation abandonnée à 
etle-méme ne saurait suffire aux besoins des consommateurs, et cite des faits 
à l'appui de ceCte opinion, il oublie que des entraves existent encore pres- 
que partout. Pour que l'équilibre s'établisse il faut que tous les marchés, 
soient ouverts en tout temps. Alors le commerce des grains prendra des aU; 



SCIBJfCBS ET ARTS. 375. 

lures régulières, et les spéculateurs pourront donner à leurs opérations 
retendue désirable, parce qu'ils n'auront plus à craindre comme au- 
jourd'hui le brusque retour des mesures prohibitives. 

Du reste, dans l'état actuel des choses, surtout en France, les idées de 
M. Briaune peuvent être fort utiles. Sou système n'a rien d'exclusif, et 
tend même plutôt à préparer l'essor de la liberté commerciale. Il propose 
rétablissement, sur tous les points du royaume, de réserves permanentes, 
faites par des particuliers auxquels le gouvernement accorderait les 
avances nécessaires pour cela. Une loi axerait soit le taux de l'intérêt à 
payer, soit la limite du prix au-dessus de laquelle il serait permis de 
vendre les blés de réserve sans les remplacer immédiatement. Les diffi- 
cultés de cette organisation ne lui semblent pas insurmontables, et Ton 
trouvera dans son livre un exposé très-clair et très-complet des moyens de 
la mettre en pratique. C'est un travail remarquable, bien digne d'attirer 
l'attention de toutes les personnes qui s'intéressent aux grandes questionci 
d'économie sociale. 



SCIfiHTCES IST ARTS. 

Leçons D£ céramique professées à l'école centrale des arts et manufac- 
tures, ou technologie céramique, par Â. Salvetat. Paris, Mallet-Ba« 
chelier, 1857 ; 2 vol. in-12, fig. : 12 fr. 

La céramique ou l'art de fabriquer les poteries est une branche de 
rindustrie pour les progrès de laquelle certaines connaissances scientifi- 
ques sont indispensables. La chimie joue un grand rôle dans ces procédés 
qui, d'ailleurs, ont eux-mêmes besoin d'être décrits d'une manière très- 
détaillée. Ce n'est pas un métier qui s'apprenne par routine ; les opé- 
rations qu'il exige sont trop nombreuses et trop délicates pour qu'un 
simple apprentissage suffise à les faire bien connaître. 11 faut de plus des 
livres à l'aide desquels l'ouvrier puisse compléter son instruction. Les 
Chinois, nos maîtres en cette matière, l'ont si bien senti, que chez eux la 
céramique occupe une haute place dans renseignement. De tels livres 
sont sans doute difficiles à faire et ne procurent pas à leur auteur la 
même renommée que les savantes recherches de la théorie. Mais Timpor- 
tance des services qu'ils rendent a bien aussi son mérite, surtout lors- 
qu'un professeur distingué ne dédaigne pas ce moyen de vulgariser les 



376 SCIBHCBS BT ARTS. 

résultats de ses éludes dans un but d'utilité générale. M. Salvetat nous 
offre un exemple de l'union si précieuse et si rare du savoir avec les 
connaissances pratiques. Il se distingue par la clarté de ses explications* 
ain^ que par le soin avec lequel il les rattache toujours aux principes 
scientifiques de manière à féconder autant que possible l'enseignement de 
la technologie. Ses leçons sont divisées en deux parties. La première 
contient les notions dé chimie que les potiers de nos jours devraient pos- 
séder pour diriger avec profit leur fabrication. L'auteur expose l'étude 
de tous les corps simples, binaires ou plus composés que le potier peut 
avoir à traiter, soit dans la fabrication des pâtes et des glaçures, soit 
dans la décoration des poteries. La seconde partie est consacrée aux pro- 
cédés de l'art, et l'auteur, après en avoir donné une description très-dé- 
taillée, présente, sous le titre de Pyrotechnie céramique, les notions qui 
doivent diriger dans le choix des divers combustibles, dans l'établisse- 
ment des fours, dans la conduite et la théorie de ces appareils. Il donne 
ensuite des exemples de diverses compositions relatives aux pâtes et 
glaçures des différentes sortes de poteries que ït commerce présente en 
grand nombre aux consommateurs, puis termine par ce qui concerne la 
décoration. 

De nombreuses figures intercalées dans le texte, dessinées à l'échelle 
par élévation, coupes et plans, complètent les descriptions en représen- 
tant d'une manière exacte les appareils qu'on pourra dès lors reproduire 
avec facilité. 



Traité élémentaire des machines à vapeur marines, par Â. Ortolan. 
Paris, Lacroix-Comon, 1857 ; 1 vol. in-8® et atlas petit in-i^" : 9 fr. 

Cet ouvrage est rédigé d'après le programme du concours pour le bre- 
vet de capitaine au long cours et de maître au cabotage, il renferme des 
notions pratiques sur les machines à vapeur, sur leur mécanisme, leur 
installation, leur entretien et les réparations principales qu'on peut être 
appelé à y faire. L'auteur, premier maître mécanicien de la marine im- 
périale, entre dans tous les détails nécessaires à l'instruction, et les ex- 
pose avec une clarté très-grande, quoiqu'il n'aborde point les principes 
mathématiques ni les lois physiques sur lesquels repose la théorie. Son 
but est de populariser autant que possible les connaissances qui lui pa- 
raissent indispensables au progrès de la marine marchande. La prospérité 



SGIBNCBS ET ARTS. 377 

de celle-ci se trouve eiv effet intimement liée au développement de la na- 
vigation à vapeur. Il importe donc beaucoup, dans l'intérêt du commerce, 
qu'elle se tienne au courant de toutes les applications de la science mo- 
derne qui peuvent la concerner. C'est ce que le gouvernement a bien 
compris, en exigeant des candidats au brevet de capitaine au long cours 
ou de maître au cabotage, les notions premières sur les machines à vapeur 
marines. Le traité de M. Ortolan sera fort utile pour la préparation de 
semblables examens, et nous le recommandons aussi comme un excellent 
guide aux personnes qui, sans vouloir approfondir l'étude du sujet, dé- 
sirent cependant ne pas rester tout à fait ignorantes à cet égard. On y 
trouve des renseignements exacts, précis> accompagnés de planches bien 
faites et nombreuses qui en facilitent Tintelligence aux lecteurs même les 
moins versés dans la physique et la mécanique. Entre autres chapitres qui 
renferment de précieuses données pour la pratique, nous signalerons celui 
consacré aux moyens de réparer les avaries. 



Traité des maladies nerveuses et de leur rapport avec Télectricité, par 
J. Bernard, D'. Paris, Jules Viat, 1857 ; 1 vol. in-12. 

L'application de l'électricité au traitement des maladies nerveuses est 
employée aujourd'hui par un grand nombre de médecins. Sans doute elle 
ne réussit pas toujours, mais elle obtient des résultats assez remarquables 
pour mériter d'être étudiée d'une manière plus approfondie qu'on ne Ta 
fait jusqu'ici. M. le D' Bernard pense donc qu'il est utile d'appeler Tat- 
tention des praticiens sur les rapports qui existent entre Téleclricité et 
l'organisme du corps humain. Suivant lui, c'est une mine féconde, encore 
à peu près inexploitée, et qui promet à l'observateur persévérant des dé- 
couvertes du plus haut intérêt. Les faits qu'il a constatés lui-même prou- 
vent déjà combien sont importantes les propriétés physiologiques de cet 
agent, appelé peut-être à jouer dans la médecine un rôle non moins 
considérable que dans la science et l'industrie. En attendant, il le re- 
commande comme un précieux moyen thérapeutique, et l'emploie sou- 
vent avec succès dans les affections nerveuses de toute espèce. Son petit 
volume expose, sous une forme très-concise, l'état actuel de cette bran- 
che de la pathologie, et renferme les directions nécessaires pour en faci- 
liter les applications pratiques. M. le D'' Bernard y joint, dans beaucoup 



3ns SCIBHCBS ET ARTS. 

de cas, remploi de Tiode à l'état oaissaDt, procédé dont il est l'inventeur, 
et sur lequel il publie aussi une courte brochure destinée à faire connaître 
les effets avantageux qu'il dit en avoir obtenus. 



Nouvel armement général des Etats» exposé général des considéra** 
tiens, principes et inventions qui sont relatifs à des systèmes complé-* 
tenaent nouveaux pour les grandes parties constituantes de l'arme- 
ment général de terre et de mer ; suivi d'études sur l'histoire générale 
de TartiHerie, par J. Brunet. Paris, Dunaaine, 1857; 1 vol. ia-8: 
ifr. * 

Sous ce titre, H. Brunet nous offre le programme d'un système nou- 
veau d'armement» dans lequel on mettrait en œuvre toutes les découvertes 
de la science moderne. Si vous voulez la paix, préparez la guerre, cette 
maxime, qui sert d'épigraphe à son livre, exprime parfaitement le but 
qu'il se propose. Simplifier les moyens de défense, et les rendre aussi for- 
midables que possible lui semble le meilleur moyen de diminuer les 
chances de guerre. Aujourd'hui, lexistence des armées exige des dé- 
penses énormes, et se concilie difficilement avec les bienfaits de la paix. 
L'ambition du soldat est un élément nécessaire au maintien de la disci- 
pline, mais dont l'influence agit plus ou moins sur la politique des Etats» 
On ne saurait arracher un si grand nombre d'hommes aux occupations 
de l'agriculture, du commerce ou de Tindustrie, uniquement pour les 
astreindre à la vie monotone des garnisons, sans autre perspective que le 
maigre salaire qui suffit tout juste à leurs premiers besoins. Il importe 
d'entretenir chez eux l'esprit militaire par l'appât de la gloire, et Ton est 
enclin à profiter pour cela de toutes les occasions qui se présentent. Alors 
la mise sur pied de guerre entraîne bien d'autres sacrifices, un matériel 
immense est indispensable, et dans le calcul des pertes que subira l'ar- 
mée, on doit faire la part de la maladie, qui souvent est beaucoup plus 
forte que celle du champ de bataille. La campagne de Crimée a prouvé 
combien l'organisation actuelle est défectueuse. D'après M. Brunet, les 
vices principaux sont : c mauvais principes mathématiques et physiques; 
lacunes regrettables pour des services extrêmement importants ; faiblesse 
étonnante, et souvent impuissance d'effet ; confusion, malgré des super- ^ 
fétations de classements et de catégories ; manque d'unité, surtout pour 
les rapports entre les différentes spécialités du service ; complication et 



SCIBHCBS ET ARTS. 37$ 

lourdeur de composition : difficulté de construction et de mise en jeu ; 
absorption excessive d'hommes et de moyens de transport; nécessité d'é-^ 
tablissements immenses et difficiles ; fortifications sans portée, qui em- 
prisonnent et étouffent les populations et les garnisons ; installations et 
équipages maritimes, qui se présentent monstrueux de masse et de com- 
plication, mais qui se trouvent sans action dans trop de circonstances ; 
enfin, dépenses ruineuses pour les ressources en personnel et en maté- 
riel de la plupart des Etats. » 

Or, la plupart de ces inconvénients disparaîtraient bientôt si l'on vou- 
lait tenir compte des progrès de la chimie, de la mécanique, profiter des 
ressources industrielles, fonder Torganisation générale sur des principes 
plus simples et mieux en rapport avec le but qu'il s'agit d'atteindre. 
M. Brunet propose, par exemple, de substituer à la poudre une substance 
plus énergique et moins embarrassante; de remplacer le fusil par des 
armes légères, d'une fabrication peu compliquée, d'une précision par- 
faite, et se chargeant par la culasse ; de munir le soldat d'un nouvel ap- 
pareil, auquel il donne le nom à'omnivase, qui pourra lui servir de havre- 
sac, de siège dans les terrains boueux, de coffre pour les denrées, de 
vase pour les liquides, de cellules pour les constructions, etc., etc. ; enfin 
d'appliquer à l'artillerie tous les perfectionnements propres à la rendre 
plus puissante et plus mobile, tout en diminuant beaucoup le nombre des 
hommes et des chevaux nécessaires pour son service. La marine et le 
système des fortifications subiraient des réformes analogues, de manière 
à réduire les diverses parties de l'armement au strict nécessaire, et de 
leur donner en même temps une énergie d'action qui leur a manqué 
jusqu'ici. 

Après avoir indiqué sommairement les principales innovations qui lui 
paraissent urgentes, l'auteur passe en revue l'ensemble des découvertes 
modernes relatives aux différents détails de son sujets et prend ainsi date 
pour se réserver la propriété des brevets concernant leur application. Il 
termine par un chapitre qui traite du classement et des moyens d'exécu- 
tion. Ses vues sont certainement fort ingénieuses, mais, pour en appré- 
cier la valeur, on doit attendre les ouvrages dans lesquels M. Brunet 
annonce qu^il exposera d'une manière plus développée et plus pratique 
chacune des branches de son système d'armement. 



380 



SCIBNCES ET ARTS. 



Recherches sur le cœur et le foie, considérées aux points de vue lit- 
téraire, médico-historique, synobolique, etc., par le docteur F. Ândry. 
Paris, Germer Baillière, ,1858 ; i vol. in-8 : 4 fr. 

Cet ouvrage, ainsi que, du reste, l'indique son titre, n'est pas un traité 
médical» quoique l'auteur soit un médecin qui a publié déjà deux volumes 
et divers articles sur les maladies du cœur. Ici, laissant de côté la science 
pure, M. Andry donne essor à ses goûls littéraires. Après avoir étudié 
l'organe au point de vue pathologique, il veut en écrire la légende, et, 
pour rendre son travail bien complet, il y joint un chapitre sur le foie, 
qui, chez plusieurs peuples, a joué le même rôle à peu près que le cœur. 
Ce sont de curieuses recherches, dans lesquelles on trouvera beaucoup 
d'érudition, un esprit de saine critique, et des aperçus très-ingénieux. 
Dès les temps les plus reculés, le cœur fut revêtu de certaines attribu- 
tions, qui prouvent que les différents peuples y attachèrent des idées phi- 
losophiques semblables. Les anciens Egyptiens, les Grecs, les Hindous en 
faisaient déjà le symbole du courage, de la force, de Ténergie, et cette 
métaphore se retrouve plus ou moins partout, jusque chez les peuplades 
sauvages de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie. Seulement, dans 
quelques pays, comme, par exemple, chez les Hébreux, les Arméniens, 
les Persans, c*est le foie qui remplace le cœur. > Le trouble s'est emparé 
de mes entrailles, s'écrie Jérémie, et mon foie s'est répandu sur la terre. » 
Un poète arménien, parlant d'un amant délaissé par sa maîtresse, dit 
qu'il se retire, le foie bri»é, et la poésie persane, pour exprimer la peur, 
emploie cette image: c leurs foies se liquéfièrent.» Du reste, l'analogie 
supposée entre les deux organes était assez répandue, puisqu'on lit dans 
Ânacréon : « Tamour me frappe au milieu du foie, i et dans Rabelais: c je 
t'ayme du bon du foye. • La même unanimité se remarque en ce qui 
concerne l'importance physiologique accordée au cœur. Les opinions er- 
ronées qui régnèrent à cet égard chez tous les peuples sont innombrables, 
mais elles tendent toutes au même but, qui est de représenter le cœur 
comme le siège principal de la vie, de Tamour, du courage, et l'on en 
trouve encore une preuve dans les lésions pathologiques et les anomalies 
diverses que lui attribuaient les anciens. Le volume du cœur, les poils, les 
ossifications ou calculs qui s'y rencontrent parfois, étaient regardés comme 
autant de signes indicateurs soit de la longévité, soit du courage. 



SCIBHCBS BT ARTS. 381 

'Il est facile de comprendre par quelle liaison d'idées ce mystérieax 
symbolisme conduisit d'abord à la sorcellerie, puis devint l'objet de l'exal- 
tation mystique la plus étrange. M. Ândry retrace rapidement l'histoire 
des superstitions diverses auxquelles ont donné lieu ces tendances, qui, 
tour à tour, firent du cœur un instrument de maléfice et l'emblème de 
l'amour divin. 11 n'omet pas non plus les honneurs funèbres rendus spé- 
cialement au cœur, et le rôle considérable qu'il joua dans la science hé- 
raldique. On peut ainsi très-bien suivre la marche des croyances popu- 
laires, depuis renvoûtement jusqu'aux visions de Marie Âlacoque. L'auteur 
se livre ensuite à des recherches philologiques sur les mots qui servent à 
désigner le cœur dans les principales langues des différentes parties du 
monde, et sur l'étymologie du nom français de cet organe. 11 termine par 
des considérations du même genre sur le rôle intellectuel ou moral^iu foie 
chez les peuples anciens. 



Traité élémentaire d'hygiène militaire, par le D' S. Rossignol. Paris, 

Al. Johanneau, 1857 ; 1 vol. in-8 : 7 fr. 

L'hygiène est une science utile à tout le monde, mais indispensable 
surtout aux militaires. Les fatigues et les privations de la vie du 
soldat exigent une santé robuste, il a, plus que nul autre, besoin 
de maintenir la souplesse et la vigueur de ses organes^ pour être en 
état d'affronter les périls de la guerre. Ceux*ci, d'ailleurs, ne sont pas 
les seuls qui le menacent. Dans la plupart des campagnes qu'il est ap- 
pelé à faire, le champ de bataille compte moins de victimes que l'hô- 
pital. Le rassemblement d'une armée nombreuse est presque toujours 
accompagné d'épidémies plus meurtrières que les canons de l'ennemi. 
Des marches forcées, des campements insalubres, de fréquents bivouacs 
augmentent encore ces chances funestes, et l'on peut en général calculer 
que le chiffre des hlessés ne forme que le tiers du nombre total des ma- 
lades. 11 est donc très-nécessaire de chercher autant que possible à pré- 
munir le soldat contre les influences morbides auxquelles il se trouve ex- 
posé. L'hygiène militaire a pour but la conservation de l'armée ; c'est dire 
assez quelle est son importance. Â cet égard, dès progrès remarquables 
ont eu lieu, mais il reste encore beaucoup à faire, soit pour donner aux 
mesures générales une portée vraiment féconde, soit pour répandre parmi 
les soldats des habitudes hygiéniques. Quant aux premières, la campagne 



882 SGIBHfiBS BT ARTS. 

de Crimée a prouvé que Tisolement, l'aération et les soins de propreté 
soDt les meilleurs moyens de combattre les épidémies, et que si le per- 
sonnel du service médical ne laisse rien à désirer, les ressources mises à 
sa disposition sont trop souvent insuffisantes. Sur ce point, le succès dé- 
pend de la sollicitude avec laquelle s'en préoccupent les chefs de l'armée. 
Une administration vigilante, active et dévouée, obtiendra certainement 
de précieux résultats. Hais il faut de plus que ses efforts soient secondés 
par le concours intelligent de la troupe. C'est en cela que les conseils hy* 
giéniques peuvent avoir une portée très->8alutaire. Ils éveillent l'attention 
du soldat sur le danger des excès, ainsi que sur maintes petites mesures 
de prudence dont l'effet préventif est pour lui d'une haute importance. 
Dans ce but, M. le docteur Rossignol passe en revue toutes les règles 
de l'hygiène proprement dite, puis il en fait l'application à l'armée de 
manière à ce que chaque question puisse être facilement saisie dans ses 
rapports avec les nécessités de la vie militaire. Son livre renferme une 
foule de détails utiles, et pourra rendre aux officiers de santé d'éminents 
services, en leur offrant un exposé complet, quoique succinct, de l'état 
actuel de la science, d'après les observations et les découvertes les plus 
récentes. 



Goya, par Laurent Matheron. Paris. Schulz et Thuillier, 1858; 

i V. in-12. 

Ce n'est que depuis un assez petit nombre d'années que Francisco Goya, 
un des peintres les plus remarquables qu'ait produits l'Espagne, a été 
connu et apprécié. Sa vie étrange, son talent, d'un genre tout particu- 
Fier, assignent à cet artiste une physionomie à part. Le travail de M. Ma- 
theron, écrit avec amour, et résultat de longues recherches, sera d'un 
bien précieux secours pour savoir ce qu'a été cet émule de Rembrandt 
etdeHogarth. 

Nous n'avons pas l'intention d'esquisser ici la biographie de Goya ; né 
en 1746 en Aragon, il mourut à Bordeaux, plus qu'octogénaire, en 1828. 
Après avoir étudié à Rome, il se fixa à Madrid, où il devint le peintre à 
la mode ; le roi Charles IV le combla de faveurs ; les plus grands sei- 
gneurs, et, à ce qu'on ajoute, les dames les plus illustres l'admirent dans 
leur intimité. Ami du luxe et des plaisirs, il donnait des fêtes brillantes, 
se mêlait dans bien des intrigues, quoiqu'il fût marié ; sa femme lui donna 



S0ISNCB9 ET ARTS. 383 

d'ailleurs vingt enfants. Une existence dissipée ne ralentissait pas son in- 
croyable activité. Il abordait tous les genres avec un égal bonheur: por- 
traits, sujets de sainteté, caricatures, scènes de mœurs, il touchait à tout. 
Il maniait la pointe et le pinceau avec une égale vigueur ; il avait des 
procédés qui lui réussissaient à merveille^ et dont l'audace était inouïe ; 
il puisait la couleur dans des baquets, il l'appliquait avec des éponges, 
avec des torchons, avec le premier objet qui tomt)ait sous sa main, il 
exécuta avec une coill^ en guise de brosse une représentation d'un 
combat entre des Français et des Espagnols; c'est une œuvre d'une 
fougue incroyable. Les tableaux de Goya sont, pour la plupart, restés à 
Madrid ; quelques-uns ont passé en Angleterre; on en a vu à Paris dans 
l'ancien musée espagnol; M. Matheron a réuni sur ces œuvres éparses 
et si dignes d'intérêt^ un faisceau d'informations précises, 

Goya n'est guère connu en France, et encore de bien peu de personnes 
seulement, que par un recueil de 80 gravures, qu'il a intitulé Caprices, 
et qui, à tous égards, est des plus curieux. L'exécution matérielle, ex- 
trêmement remarquable, est ici le moindre mérite; les allusions aux 
usages nationaux, à la politique du temps abondent, et respirent la plus 
mordante ironie. L'artiste tournait en dérision les personnages les plus 
puissants du royaume : il raillait impitoyafblement les moines: on comprend 
qu'il sut dissimuler sa pensée sous les voiles les moins diaphanes. Une Re- 
vue^ qui est morte comme tant d'autres, disait il y a trente ans, dans sa 
verve âpre et mordante : Goya a profondément compris les vices qui ron- 
geaient l'Espagne; il les a peints comme il les haïssait. C'est un Rabe- 
lais, le crayon et le pinceau à la main, mais un Rabelais espagnol, sé- 
rieux, et dont la plaisanterie fait frémir. Un de ses desseins en dit plus 
sur l'Espagne que tous les voyageurs. Rien de plus effroyable que sa pé- 
nitente conduite à un auto^da-fé. 

M. Matheron donne des renseignements sur un recueil encore plus dif- 
ficile à trouver que les Capriches, et intitulé Tauromaguia-^ trente-trois 
planches à l'eau-forte représentent des épisodes de combats de taureaux, 
genre d'exercices pour lequel Goya eut toujours le goût le plus pro- 
noncé. M. Théophile Gautier, qui a parlé de notre artiste sur le ton de 
l'admiration la plus vive, signale « la fureur de mouvement qui éclate dans 
ces esquisses. • Un trait égratigné. une tache blanche, une raie noire, voilà 
un personnage qui vit, qui se meut, et dont la physionomie se grave pour 
toujours dans la mémoire. 



384 SCISNGBS ET ARTS. 

Les fléaux qui désolèrent l'Espagne pendant sa lutte contre les armées 
françaises, firent naître chez Goya l'idée d'une suite de vingt planches, 
représentant des êchnes <rinva$%on. Ces compositions saisissantes ont été 
appréciées par la critique que nous venons de citer, en des termes que 
nousTeproduirons volontiers ; > Ce ne sont que pendus, morts qu'on dé- 
pouille, prisonniers qu'on fusille, couvents qu'on dévalise, populations^ 
qui s'enfuient. Parmi ces dessins, il en est un dont le sens, vaguement 
entrevu, est plein de frissons et d'épouvantements. C'est un mort à moitié 
enfoui dans la terre, qui se soulève sur le coude, et, de sa main osseuse» 
écrit sans regarder sur un papier posé à côté de lui, un mot qui vaut 
bien les plus noirs de Dante : no^ia (rien). Âutyur de sa tête, qui a gardé 
juste assez de chair pour être plus horrible qu'un crâne dépouillé, tour- 
billonnent, à peine visibles dans l'épaisseur de la nuit, de monstrueux 
cauchemars, illuminés çà et là de livides éclairs. Une main fatidique sou- 
tient une balance dont les plateaux se renversent. > 

Le travail de M. Matheron fait connaître, à tous les points de vue, l'ar- 
tiste auquel on doit tant d'œuvres remarquables, et qui, toutefois, se trouve 
oublié dans la plupart des dietiownairea et des biographies; ce petit vo- 
lume sera donc lu avec un intérêt véritable; ajoutons, et c'est le moindre 
de ses mérites, qu'il est imprimé avec un soin tout particulier, sur papier 
fort, et que son exécution typographique fait honneur à l'imprimeur bor- 
delais des presses duquel il est sorti. , 



TABLE 



DES 



OUVRAGES ANNONCÉS DAKS LA REVUE CRITIQUE. 

t5»« Année, ÛHSH. 



SCIENCES MORALES et POLITIQUES 

Religûm, Philosophie, Morale, 
Education. 

Traduction de l'Ecclésiaste. A 06 
Histoire de Joseph, 248 

Simple commentaire sur la vie 

de Jésus-Christ. 23 

Introduction à la théologie or- 
thodoxe. '337 
Etude sur le baptême. 342 
Le chrétien, 279 
Le christianisme aux trois pre- 
miers siècles. 208 
Trois discours. 230 
L'homme, la famille et la so- 
ciété. 246 
La famille chrétienne. 26 
Le sermon sur la montagne. 371 
De la vocation. 212 
De l'athéisme et du déisme. 88 
Traité de la science de Dieu . 1 49 
Œuvres de Marrilxjde Sainle- 

Aldegonde. 146 

Œuvres de Channing. 281 

Nouveaux choix oe traités- 
Roussel. 316 
Quelques bonnes pensées. 21 
Prières d'un enfant. 340 
La fin du monde. 1 89 
Comment il ne faut pas prê- 
cher. 340 
Traité des mariages mixtes. 55 
Ad vis et devis de la source d'i- 
dolâtrie. 1 1 
Vrais et faux catholiques. 372 



Les jésuites jugés. 

Jansénisme et jésuitisme. 

Affaire de la Salette. 

Le peuple primitif. 

De l'élat actuel du prottBstan- 
tisme en France. 

Histoire de l'église réformée 
de Nîmes. 

Histoire des protestants du 
Poitou. 

Mission de Cayenno. 

Le christianisme en Chine. 

Histoire des religions de la 
Grèce. 

La nouvelle Bible. 

Les Ennéades de Piotin. 

Pensées de Pascal. 

Nouvelles lettres de Leibnitz. 

Bacon, sa vie, etc. 

Les philosophes français du 
dix-neuvième siècle. 

Recherche de la méthode. 

La liberté de conscience. 

De la grandeur morale. 

Lettres philosophiques. 

Manuel de renseignement pri- 
maire. 

Œuvres de Vauvenargues. 



275 
367 
245 
210 



145 

113 

54 

237 

76 

138 
217 
307 
213 
83 
243 

22 
20 
86 
368 
60 

315 
225 



Législation f Jurisprudence. 

Elément de droit romam. I4t 

Explication des passages de 
droit romain. 3ii 

Philosophie de la procédure ci- 
vile. 81 

Etudes sur la condition légale 
des femmes. 369 



386 

Des voies de recours. 
Du louage d'industrie. 
De la portion de biens dispo- 
nible. 
Droit commercial. 
Traité de la police du roulage. 
Mélanges de droit. 



lABLB. 



PagM 

216 
U 

25 
li3 

187 
309 



Sciences sociales. Economie polUique, 
Commerce. 

Principes d'économie politique. 314 
Système national d'économie 

politique. 310 
Dizionario della economia po- 

litica. 119 
Du principe de population. 1 1 7 
Etudes sur la liberté du com- 
merce. 123 
Du prix des grains. 374 
Mélanges économiques/ 341 
Tout par le travail. 282 
Le monde marche. 88 
Dernières paroles d'un gros 

sou. 370 
Les manieurs d'or. 312 
Les cités de chemins de fer. 188 
Congrès de bienfaisance. 215 
Histoire du commerce. 1 4 
Nouveau système de comptabi- 
lité commerciale. 142 
Cours d'arithmétique commer- 
ciale. 317 
Administration financière des 

communes. 186 

Cours d'instruction civique. 85 

SCIENCES ET ARTS. 

Les sciences naturelles. 319 

Etudes et lectures sur les 

sciences, 90 
Exposition des découvertes mo- 
dernes. 345 
Essais scientifiques. . 152 
La terre et l'homme. 27 
Mémoires de l'Académie des 
sciences. 167 



Pagci 

L'année scientifique et indus- 
trielle. 29 
Leçons d'électricité. 284 
Développement de la série na- 
turelle. 156 
Le monde avant la création de 

l'homme. 30 
Scènes de la nature aux Etats- 
Unis. 154 
Précis d'histoire naturelle. 320 
Les Alpes. 249 
L'insecte. 347 
Eléments de botanique. 287 
La médecine et les médecins. 95 
Traité des dégénérescences 

physiques. 60 

Traité d^hygiène miliUire. 381 
Recherches sur le cœur-et le 

foie. 380 

Traité des maladies nerveuses. 377 
Relation médico - chirurgicale 

de la campagne d'Orient. 348 

Nouv. éléments de pathologie. 190 

Etude du cheval. 219 

L'agriculture et la population. 344 

Lettres sur l'agriculture, 1 57 

Rome agricole. 62 
Des infiuences de la lumière 

sur les essences forestières. 61 
Rapport sur Texposition agri- 
cole de Chelmsford. 253 
Théorie des intérêts composés. 94 
Cours d'analyse. 192 
Considérations sur la tactique 

de l'infanterie. 351 
Nouvel armement général des 

Etats. 378 

Goya. 382 

Des beaux-arts en Italie. 124 
Les mosaïques chrétiennes de 

Rome. 256 
Le trésor de la curiosité. 92 
Trésors d'art à Manchester. 3 1 8 
Le salon de 1857. 285 
De l'application des arts à l'in- 
dustrie. 93 
Du plomb. 128 
Leçons de céramique. 375 



TABIB. 



387 



Traité des machines à vapeur 

marines. 376 
Meunerie, moulin de Sainl* 

Maur. 350 
Histoire de la télégraphie. 284 
Des arts graphiques. 31 
Marques et devises typographi- 
ques. 64 
La science du coupeur. 316 
Art de respirer. 222 
Des chemins de fer et de leur 
influence sur la santé des 
mécaniciens. 218 
La pêche à la ligne. 127 
Le petit Lavater. 126 

BELLES-IJETTRES. 
Ettide des langues^ Littérature. 

Etude des langues. 7 
Eléments de la grammaire la- 
tine. 295 
Dictionnaire des synonymes. 258 
Choix d'études sur la littéra- 
ture. 107 
Le réalisme. 291 

Poésie^ Art dranu^tique. 

Fleurs de l'Inde. 360 

Les poëtes chrétiens. 325 

Les tragiques. 97 

Œuvres de Ronsard. 74 

Œuvres de Racan. 299 

Œuvres de Coquiliart. 296 

Psyché, poëme. 73 

La Cinéide, poëme. 1 

Milianah. 353 

Poésies de Banville. 297 

Dernières chansons. 361 

Les Traditionnelles» poésie. 4 

Alperoses. 353 

Fleurs et sourires. 353 

Miettes d'amour. 230 

Poésies nouvelles. 230 

Œuvres de Corneille. 357 

Théâtre et souvenirs. 101 

Jeanne d'Arc, drame. 1 29 



Romans, Contes et Nouvelles ^ 
Mélanges. 



Le roman de Jean de Paris. 

Le roman comique. 

Vio de N. Nickelby. 

Afraja. 

Les pirates du Mississipi. 

Drcd. 

La fleur de la famille. 

Journal d'une jeune fille. 



Pages 

9 
257 
68 
69 
323 
198 
36 
71 
Mémoires de J'. Prudhomme. 66 
Les émotions de Polydore Ma- 
rasquin. 65 
Les enfants de Rousseau. 1 64 
Seul! 161 
Le chef de famille. 321 
Le marchand prospère. 327 
Doit et avoir. 323 
Les degrés de l'échelle. 228 
Madame Bovary. 291 
Mémoires de Barry Lyndon. 69 
L'art d'être malheureux. 82 
L'auberge du Spessart. 33 
Les quatre âges. 265 
Contes kosaks. 5 
Couronne. 359 
Les métamorphoses de la femme 228 
Mignon. 265 
Nouvelles extraordinaires. 65 
L'ours et l'ange. 112 
Scènes de la vie hollandaise. 8 
La comédie de l'amour. 37 
Etudes sur les tragiques grecs. 289 
Etudes sur Virgile. 67 
L'hérésie de Dante. 1 96 
Dante Alighieri ou le problème 

de l'humanité. 164 

Le paradis du Dante illuminé. 38 
Essai sur Nicole Oresme. 195 

Histoire de l'Académie franc. 1 09 
Du roman et du théâtre. 193 

Les oubliés et les dédaignés. 130 
Revue des écrivains de la Suisse 

française. 105 

Lettres de S. Pellico. 162 

Aux grands écrivains. 233 

Histoire de la conversation. 259 
Les facétieuses nuits. 294 



388 TABLB. 

Voyages lîttëraires sur les quais 322 

Paris vivant. 322 

Les salons de Paris. 326 

Histoire des états de la lune et 

du soleil. 356 

L*amour, les femmes et le ma- 
riage. 71 

Petits mémoires de TOpéra. 7 

Plaisantes recherches d'un 

homme grave. 34 

Inventaire des meubles, bijoux 

et livres étant à Chenonceaux. 35 

Histoire de la presse en Angle- 
terre. 261 

Nouveau manuel de bibliogra- 
phie. 302 

Philobiblion. 39 



HISTOIRE. 
Géographie, Voyages. 

Rapport de la Société de géo- 
graphie. 78 
Mittheilungen iiber Géographie 40 

179 et 269 
Abrégé de géographie. 335 
Carte de la terre sainte. 234 
Journal de la femme d'un mis- 
sionnaire. 20 
Séjour chez le grand chérif de 

la Mfkke. 13 
Un été dans le Sahara. 49 
Cinquante jours au désert. 183 
Lettres sur l'Egypte. 44 
Trois ans aux Etats-Unis. 115 
Voyage dans l'Amérique cen- 
trale. 75 
Voyages et aventures au Chili. 334 
Aventures d'un gentilhomme 

breton. 133 
Veillées sur terre et sur mer. 334 
Journal de Miertsching. 79 
Les saints lieux. 328 
La Turquie. 181 
Les Anglais et Tinde. 266 
L'Angleterre, laChine et l'Inde 364 
Souvenirs d'un voyage en Si- 
bérie. 46 
La Norwpge. 47 



Esquisse sur Moscou et Saint- 
Pétersbourg. 
Voyage aux Alpes. 
La Normandie inconnue. 
La Corse et son avenir. 
Le pays basque. 



Page» 

134 
174 
231 
136 

306 



Histoire ancienne et modertie. 

Relation de la rébellion de 

Stenko-Razin. 52 

Histoire de Nicolas I". 329 

Gescbichte des Gottesfriedens. 272 

335 

178 

53 



Histoire de Guillaume III. 
Henri IV et Richelieu. 
Hist. de la guerre de Navarre. 
Hist. du règne de Louis-Phi- 
lippe. 176 
Hist. de ta chute du roi Louis- 
Philippe. 183 
Hist. du canton de Fribonrg. 206 
Annales de Carouge. 303 
Histoire de Bienne. 16 
Deux ans de révolution en Italie 50 
Mémoires sur lUalie. 18 
De la république des Etats-Unis 1 6 
Hist. des nations du Mexique. 238 
Insurrection de l'Inde. 304 

Biographie, Mélanges, 

Etienne Dolet. 332 

Mémoires de Saint-Simon. 200 

L'abbé de Saint-Pierre. 121 

Mém. du marquis d'Argenson. 170 

Sophie Arnould. 137 

Le [rince de Ligne. 114 

Kléberel Marceau. 134 
Maine de Biran, sa vie et ses 

écrits. 57 
F.-C.-L. de Sismondi, frag- 
ments et correspondance. 48 
Le chevalier. Sarii. 159 
Channing, sa vie et ses œuvres 139 
Balzac, sa vie et ses œuvres. 362 
Mémoires sur Béranger. 271 
Ma biographie. 361 
Vie du capitaine H. Vicars. 44 
Memorie d'un ribelle. 274 
Histoire de Dmitri. 275 



TABLB. 



Sépultures gauloises, romai- 
nes, etc. 

Essai de chronographie byzan- 
tine. 

Les monuments de l'histoire de 
France. 

Etudes historiques. 

Les nobles et les vilains. 

Les courriers de la Fronde. 

Trois drames historiques. 

Mémoires de Hollande. 



Pages 

79 

10 

135 
132 
338 
172 
42 
52 



389 

168 



Œuvres de Baulacre. 
Relation de trois ambassades 

du comte de Carliste. 171 

Etudes sur la révolution fran- 
çaise. 276 
Dépêches des ambassadeurs 

milanais. 148 

Etrennes historiques de Genève 365 
Variétés historiq. et littéraires. 1 73 
L'Europe et la Russie. 343 

Album des fêtes suisses. 240 



TABIiE DES NOmn D'AUTEURS. 





Pages 




Page» 


Ancelot (M»»). 


326 


Bornet, L. 


85 


Andry, F. 


380 


Borrel. A. 


113 


Anelier, G. 


53 


Bouchut, E. 


190 


Aroux, E. 38 


et 196 


Boulmier, J. 


332 


Arthur. W. 


327 


Bouvier, A. 


279 


Audubon. 


154 


Bouzique. 


101 


Autran, J. 


353 


BraflF. 


186 


Babinet. 


90 


Brasseur. 


238 


Balleydier. 


329 


Briaune. 


374 


Barbet de Jouy. 


256 


Brunet, J. 


378 


Barthélémy Saint-Hilaire. 


44 


Buisson, E. 


246 


Baulacre, L. 


168 


Bungener. 


208 


Beautemps-Baupré. 


25 


Burger. 


318 


Beaussire, E. 


80 


Castigiia. 


164 


Bedarride. 


143 


Champtleury. 


291 


Beecher-Stowc (M"«). 


198 


Channing. 


281 


Belligera. 


230 


Chassant, A. 


338 


Benech. 


309 


Clamageran, J.-J. 


24 et 145 


Béranger. 


361 


Clément, P. 


42 


Berchtold. 


206 


Clément, R. 


342 


Bernard, Th. 


230 


Cochet. 


79 


Bernard, J. 


377 


Comettanf, V. 


115 


Berirand. Th. 


317 


Coquerel, Ath. 


55 


Blanc, Cb. 


92 


Coquerel fils. 


124 


Blœsch, G. -A. 


16 


Coquillart. 


296 


Boccardo, G. 


119 


Corneille. 


357 


Bonal, A. 


284 


Cucheval-Clarigny. 


261 


Boniface-Delcro. 


369 


Cyrano de Bergerac. 


356 


Bonivard, Fr. 


11 


Daguet, A. 


105 


Bordeaux, R. 


81 


Daniel Stem, 


129 



390 TABLg» 

Paget 

Dargaud, J -M. 174 

D'Ârgenson, 1 70 

Dash (M»» la comtesse) . 228 

D'Aubigné. 97 

De Banville, Th. 297 

DeBaranle. i32 

De Boigne, Ch. 7 

De Bussy. 334 

De Caqueray. 311 

De Fontaine de Resbecq. 322 
De Gasparin, A. 208 et 230 

De Gingins-d'Eclépens. 253 

De Gingins-Lasarra. 1 48 

De la Borde. 93 

De la Codre. 368 
De la Fayette (M»« la comtesse) 52 

Delafosse. 320 

De la Gironnière. 133 

De la Gracerie. 16 

De Lamarche. 343 

DelaRocca, J. 136 

De la Rounat, Ch. 37 

De Lavergne. 344 

De Martonne. 302 

De Murait, Ed. 10 

Denis, F. 302 

DeNouvion. V. 176 

De Rougemont, Fréd. 21 
De Saint-Germain. 82 et 265 

Descbanel, E. 259 

Desprez. 1 34 

DeTracy, V. 157 

De Yalbezen. 266 

De Vallée. 312 

Dickens, Ch. 68 
Didier, Ch. 13 et 183 

Du Camp. 285 

Duchesne, E.-A. 218 

Dutoif, L. 94 

Du Vivier de Streel. 1 

Enault, L. 47 

Estéoule. 248 

Favre, H. 156 
Figuier, L. 29 et 345 

Flaubert, 6. 291 

Ponvielle. 304 

Francisque, Michel. 306 

Frémy, A. 71 





PagM 


Freytag. 


323 


Fromentin, Euff. 
GauUieur, E.-H. 


49 


303 et 365 


Galitzio, Aug. 


35, 52 et 171 


Garnier, J« 


117 


Genou, Cl. 


164 


Gerstaecker. 


323 


Concourt. 


137 


Gozlan, L. 


65 


Granier de Cassagnac. 183 


Grillot. 


316 


Guettée. 


367 


Guilbon, N.-A. 


187 


Guillemard, N. 


127 


Hammann. 


31 


Hansteen, Ch. 


46 


Hauff. 


33 


Hennin. 


135 


Heyer, G. 


61 


Hildebrand. 


8 


Hue. 


76 


Hugo, F.-V. 


231 


Janin, A. 


106 


Kluckholm. 


272 


Kohier, X. 


353 


Lamotte. 


315 


Landrin, H. 


128 


Lapointe, S. 


271 


Laprade, V. 


73 


Laveleye. 


122 


Leber, C. 


34 


Le^ault. 
LeiDniz. ' 


304 


83 


Lenormant, Fr. 


216 


Leymarie, A. 


282 


Lièvre, Aug. 


54 


List, Fréd. 


310 


Lorrain. 


315 


Luquet. 


212 


Lutterbach. 


222 


Macaire. 


373 


Macaulay. 


335 


Marnix de Sainte-Aldegonde. 146 


Matheron, L. 


382 


Marmier, X. 


265 


Mathieu, H. 


181 


Maury, A. 


27, 78 et 138 


Maynard, T. 


334 



TABLB. 



Maynz, Ch. 
Melly. J. 
Merle d'Âubignë. 
Mesnard» P. 
Meunier, Fr. 
Meunier, V. 
Michelet, J. 
Mierlsching. 
Mislin. 
Molinari. 
Monnier, H. 
Monselet, Ch. 
Montanelli, F. 
Morel, B.-A. 
Morelet, A. 
Mugge. 
Naville, E. 
Ortolan, A. 
Pascal. 
Pasquet, J. 
Passy, Fréd. 
Patin. 

Payer, J.-B. 
Peetermans, N. 
Peisse, L. 
Pelletan, Eug. 
Pellico, S. 
Perrens, F.-T. 
Peterinann, A. 
Pinçon, P. 
Plotin. 
Poe, Edg. 
Poitou, Eug. 
Pommier, A. 
Porchat, J. 
Possieu, S.-H. 
Pressenssé. 
Racan. 
Reboul, F. 
Regnault, A. 
Rémusat, Ch. 
Rémusat, P. 
Renard. 



Pages 




Ul 


Ricard, A. 


U2 


Richard, A. 


208 


Richard de Bury. 


109 


Ronsard, P. 


195 


Roscher. 


152 


Rossignol, S. 


178 et 347 


Roussel, N. 


79 


Roux, P. 


328 


Sabbatier, J. 


121 


Sadyk-Pacha 


66 


Sainte-Beuve. 


130 


Saintine, B. 


18 


Saint- Julien. 


60 


Saint-Simon. 


• 75 


Salvetat, A. 


69 


Sardou. 


57 


Sasserno (M"«) . 


376 


Scarron. 


213 


Scherer, H. 


295 


Scrive. 


341 


Scudo, P. 


289 


Secrétan, Ch. 


287 


Silveslre. 


114 


Simon, J. 


95 


Sinibaldo de Mas. 


88 


Sismondi. 


162 


Snow-Harris. 


50 


Sturm. 


40, 179 et 269 


Surville (M»- L.) 


302 


Taine, H. 


307 


Thackeray, W. 


65 


, Tschudi. 


193 


; Van de Velde. 


88 


1 Vauvenargues. 


112 


Viardot. 


7 


Viguet. 


26 


Villemain. 


299 


Vuillet. A. 


4 


Vernouillet. 


134 


Wake(Lady). 


139 et 243 


i Weill, Al. 


319 


Wesley, J. 


351 


Zimmermann. 



391 

P.ge. 

71 

219 

39 

74 

314 

381 

316 et 340 

149 

245 

5 

67 

161 et 228 

172 

200 

375 

258 

353 

257 

14 

348 

159 

20 

64 

86 

364 

48 

284 

192 

362 

22 

69 

249 

234 

225 

275 

208 

107 

335 

62 

23 

359 

371 

30 



/ 



"S 



1 







r,,.. -• 



fcA" •■ J..