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N" 27 Quatrième année 3 Juillet 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE F'UBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 1 5 fr. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
2L suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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Ce volume contient la guerre des Gaules jusques et y compris la bataille de
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Il est complété par la traduction du célèbre mémoire de Mommsen sur la
question de droit entre César et le Sénat et un remarquable travail de M. .Alexandre
sur la guerre des Gaules.
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corrigée et augmentée, i vol. in-8°. ^ fr. ro
Cet ouvrage forme le 3*" fascicule de la collection philologique publiée sous la
direaion de M. Bréal, professeur au Collège de France.
PT A \T IVf Î7 T^ ^^ ^^ langue chinoise et des moyens d'en faci-
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A r^ A ^ T' A ]\I ^^ Capitole de \'esontio et les Capitoles pro-
■**■• v^Ao 1 /\1> vinciaux du monde romain. In-S" avec 5 pi.
jfr.
I
PERIODIQUES ETRANGERS.
Liiterarisches Centralblatt fur Deutschland. N° 24. 5 juin.
Histoire. Biographie. Dimitz-, Urkunden zur Reformationsgeschichte Krains
(Laibach). — Heyne, Denkwùrdigkeiten aus der Geschichte der katholischen
Kirche Schlesiens (Breslau, Korn). — Von Heister, Die Gefangenschaft Philipps
des Grossmùthigen, 1 547-1 552 (Marburg, Elwert). — Klippel, Das Leben des
Gênerais von Scharnhorst, t. I (Leipzig, Brockhaus). — Neuber, Turenne als
Kriegstheoretiker und Feldsherr (Wien, Gerold). — Linguistique. Zingeri.e,
Monumenta Syriaca ex romanis codicibus collecta, vol. I (Innsbruck, Wagner;
publication importante). — Herwerden, Analecta critica (Utrecht, Beijers;
conjectures critiques sur un grand nombre de passages d'écrivains grecs). —
RiTSCHL, Neue plautinische Excurse. I. Auslautendes D im alten Latein (cf.
Rev. ait., 1869, n° 23). — Archéologie. Neubauer, La Géographie du Talmud
(Paris, Lévy), — Histoire de l'art. Vosmaer, Rembrandt Harmes van Rijn (cf.
Rev. crit., 1869, n° 23).
N° 25. 12 juin.
Théologie. Wûnsche, Der Prophet Hosea (Leizig, Weigel; bon travail d'un
débutant). — Schmidt, Zur Inspirationsfrage (Gotha, Perthes). — Histoire.
NoACK, Von Eden nach Golgatha, biblisch-geschichtliche Forschungen (Leipzig,
Wigand, 2 voll. ; ouvrage savant mais très-bizarre). — Bodek, Marcus Aurelius
Antoninus als Zeitgenosse und Freund des Rabbi Jehuda ha-Nasi (Leipzig,
Duncker und Humblot; beaucoup d'érudition, peu de résultats). — Kœpke,
Hrotsuit von Gandersheim (cf. Rev. crit., 1869, art. 95). — Vesque von Pùtt-
LiNGEN, Uebersicht der œsterreichischen Staatsvertraege seit Maria Theresia
(Wien, Braumùller). — Jurisprudence. Kappeler, Der Rechtsbegriff des œffent-
lichen Wasserlaufs (Zurich, Schulthess). — Grotefend, Das deutsche Staats-
recht- der Gegenwart (Berlin, Kortkampf). — Linguistique. Histoire littéraire.
Aristotelis de partibus animalium libri quattuor, rec. Langkavel (Leipzig,
Teubner; t. I d'une édition nouvelle d'Aristote; jugement peu favorable). —
Sedulii Scotti carmina quadraginta, éd. Dûmmler (Halle, Buchh. des Waisen-
hauses). — Jaffé, Die Cambridger Lieder (Berlin).
Zeitschrift fur vergleichende Sprachforschung, hgg. v. KuHN. T. XVIII,
3" livraison.
Fœrstemann, Les Périodes de l'allemand primitif (p. 161-186. Essai ingé-
nieux d'une reconstruction de l'arbre généalogique des dialectes germaniques).
— Corssen, Anciens monuments osques en écriture grecque (p. 187-210,
Commencement d'un important travail du célèbre latiniste). — Max Mùi.ler,
Gères, Hophaestos (p. 211-215; étymologies qui paraissent assez douteuses:
Ceres = scr. sarad (temps de la récolte) qui aurait une forme secondaire sarâs;
"HçaiTToç = scr. yâvishtha (le plus jeune), épithète fréquente d'Agni. — Comptes-
rendus : de Stark, Die Kosenamen der Germanen, par M. Andressen (p. 216-
2j6); de Dietz, Wœrîerbuch zu Martin Luthers deutschen Schriften, par M. Kuhn
(p. 236-237). — Réponse de M. Clemm à l'article de M. Rœdiger sur son livre
De compositis grscis qu£ a verbis incipiunt, et réplique de M. Rœdiger (p. 237-
240).
T. XVKI, 4^= et 5*^ livraisons (réunies).
Corssen, Anciens monuments osques en écriture grecque (p. 241-258; suite
et fm). — Frœhde, Le passage de Vu à Vo en latin (p. 258-263 ; travail inté-
ressant, mais un peu court. Résultat : « le passage immédiat d'un u radical à Vo
« se rencontre d'assez bonne heure dans le langage populaire ; la langue écrite
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 27 — 3 Juillet — 1869
Sommaire : 125. Curtius, Études sur la grammaire grecque et latine. — 126. De
Wailly, Recueil de Chartes originales de Joinville; Mémoire sur la langue de Join-
ville; Joinville, Histoire de saint Louis, p. p. de Wailly. — 127. Hanusch, les
faux Poèmes tchèques.
125. — Studien zur griechischen iind lateinischen Grammatik, heraus-
gegeben von Georg Curtius. Zweites Heft. Leipzig, Hirzel, 1868. In-8% 297 p. —
Prix : 5 fr. j^.
Ce second cahier est la continuation des études de grammaire grecque et
latine entreprises par des élèves de M. G. Curtius et publiées sous la direction
de leur maître (Voir la Revue Critique, 1868, II, 226).
Qu<£stiones de dialecîo antiquioris gr£Corum poesis elegiacs et iambica scripsit
J. G. Renner (p. 1-62). — C'est la suite et la fin de recherches sur le
dialecte des anciens poètes élégiaques et iambiques, dont le commencement avait
paru dans le premier cahier (p. 133). Ce travail paraît exécuté avec soin.
Voici les conclusions de M. Renner (p. 57-62) : Le dialecte des poètes élégiaques
diffère du dialecte homérique sur quelques points importants (ils n'emploient pas
les désinences verbales lôa, ^i, (iscea; les suffixes tv/, 5e. :■. sont rares; la pre-
mière personne du singulier du subjonctif ne se termine pas en {it, etc.); les
élégiaques ioniens présentent certaines formes propres à leur dialecte; mais
Tyrtée et Théognis ont suivi le dialecte épique beaucoup plus que les autres et
l'ont même préféré au dialecte dorien. Le dialecte des iambographes ioniens est
à quelques différences près celui des prosateurs ioniens.
De Aspiratione vulgari apud Grscos scripsit Vilelmus Henr. Roscher (p. 65-
127). — Dans cette intéressante dissertation M. Roscher a rassemblé tous les
textes de grammairiens et les exemples fournis par les inscriptions, qui lui
paraissent démontrer qu'en grec les fortes ont eu de bonne heure une certaine ten-
dance à l'aspiration, qui a prévalu peu à peu dans le langage populaire des anciens
Grecs. Ainsi Platon (Cratyle, 406 a) nous apprend que les étrangers prononçaient
Xrfim au lieu de Atitw. nàpo; était devenu <i>âpo? (Strab., 7, 315), njY£).>a, «Wvsjia
(Eustathe, 310, 5); on trouve dans les inscriptions yiyô^ix/o- et xaroc. M. R.
explique par là comment un nom qui était primitivement Xa>.xr.5wv est devenu
Xakyrfiûiy, puis KaXyr.owv pour éviter d'avoir deux aspirées de suite. Toutefois il
remarque lui-même que les Hellènes prononcent aujourd'hui tcIw, i-^-ot^o, -at^ïv,
TToy.dtroiJLa-., etc. On comprend que dans l'écriture, des gens qui ne savent pas la
véritable orthographe, mais qui savent en gros qu'elle n'est pas conforme à leur
prononciation, substituent une forte à une aspirée. Mais il s'agit ici de pronon-
ciation, et il me semble difficile de nier que dans les mots que nous venons de
citer l'aspirée ait été remplacée par une forte. M, R, pense que les aspirées
VIII t
2 REVUE CRITIQUE
grecques étaient plutôt des consonnes soutenues que des consonnes explosives
et que la manière dont les Grecs prononcent aujourd'hui /. est un reste de l'an-
cienne prononciation. L'orthographe qui se rencontre dans des inscriptions,
àvaTETeEtfjievot; pouT àvarz^iciy.ivoi:; lui paraît Confirmer Cette manière de voir. C'est
ainsi qu'il explique que ôytç ait pu être employé avec la première syllabe longue
(II., 12, io8).
Einige Bemerkungen iiber i und v itn griechischen (quelques -remarques sur
t et y en grec) von B. Delbrûck (p. 131-140). — M. Delbruck, dans cette
dissertation de grammaire comparée, traite du changement de Va en / et en u
qui se remarque dans le grec -/.piûiQ de x.ap8r„ x?^aà; de x^p^o et dans quelques
autres mots : changement que M. D. rapproche de celui de Va dans les verbes
sanscrits en ar qui sont terminés par un r long, îar, tîryât, par, pûryât.
De productione syllabarum suppletoria lingu£ latine scripsit Edmundus Goetze
(p. 143-190). — M. Goetze a rassemblé tous les mots latins où une voyelle
brève suivie primitivement de deux consonnes a été allongée par compensation
après l'élimination de la première de ces deux consonnes, comme dans divisi, de
divissi, dividsi, futilis de futtilis, fudtilis, dirumpere de dirrumpere, disrumpere,
pedere de perdere, ceres de ceres-s, abies de abiets, etc. Il trouve 108 mots oij la
voyelle a été allongée et 16 où elle est restée brève.
Quaestiones de graecae tragoediae dialecto, scripsit Bernardus Gerth (p. 193-269).
— M, Gerth traite des formes attiques archaïques, des formes épiques et des
mots doriens qui se rencontrent chez les tragiques grecs. Il pense et il me paraît
établir par des raisons plausibles que les tragiques conservaient la diphthongue
dans xato), x),aîw, aîsTo;, èXaia, 'Ayadi devenus dans la langue vulgaire attique
xàu, xXâw, àsTô;, £).âa, qu'ils employaient aid comme spondée, àù comme iambe,
qu'ils disaient ).a6;, vaûç, t),aoç, x),ï);, x),r)w, etC, èoLaûf,;, i^Sr. , 755r,ç, v^Set OU viosiv,
enfin il pense avec Bergk que la seconde personne du singulier du moyen et du
passif conservait chez eux la forme ancienne en rj à laquelle le dialecte commun
est revenu. Quant aux mots qui ne sont pas du dialecte attique et auxquels les
tragiques ont conservé aussi leurs formes étrangères, M. G. fait la remarque
intéressante qu'ils les ont pris non pas à Homère mais à la poésie lyrique, qui est
si intimement liée avec la tragédie. Cette dissertation semble très-instructive et
très-bien faite.
Le volume se termine par des remarques de M. G. Curtius sur la prononcia-
tion des diphthongues at et ot, le sens de la formule homérique d tiot' er.v et le
mot 6),o'T\jp6ç. M. C. signale fort ingénieusement dans les crases Kàytô, (loOSoxst
un témoignage de la prononciation des diphthongues «i et ot. Si elles avaient été
prononcées comme les Grecs les prononcent aujourd'hui, elles n'auraient pas
donné dans les crases, phénomènes du langage vulgaire et quotidien, a ni ou; il
fallait que Va et Vo se fissent bien entendre.
La direction que M. Curtius donne aux travaux de ses élèves me semble
excellente; et on ne saurait trop la recommander dans notre pays. La grammaire
comparée, au point où elle est parvenue aujourd'hui, ne peut faire de progrès
que par l'étude des grammaires spéciales des langues que l'on compare. Ensuite
d'histoire et de littérature. 3
il en est de l'étymologie en grammaire, comme de la poésie et de l'éloquence en
littérature : elle ne supporte pas la médiocrité ; et je dirais volontiers qu'en éty-
mologie // n'est pas de degrés du médiocre au pire. Un homme intelligent et labo-
rieux peut rendre les plus grands services à la science en étudiant à fond un
point particulier de grammaire sanscrite, grecque, latine, française, etc. Mais si,
comme on n'y est que trop disposé aujourd'hui en France , l'on compare le
sanscrit, le zend, le grec, le latin, le gothique, le slavon ecclésiastique sans
savoir décliner lozovùr,; ni conjuguer -r-er.ai. si l'on veut planer dans les régions
supérieures au-dessus des langues indo-européennes, on se perd dans le brouil-
lard et la chimère. Charles Thurot.
126. — Recueil de chartes originales de Joinville en langue vulgaire,
publié par M. N. de Wailly, membre de l'Institut. Paris, typ. Laine et Havard,
1868. Gr. in-8*, 56 p. (Extrait de la Bibl. de l'École des Chartes, 6* série, t. III).
Mémoire sur la langue de Joinville, par le même. Paris, Franck, 1868. Gr.
in-8*, 1 )0 p. (Extrait de la Bibl. de l'École des Chartes, 6' série, t. IV). — Pri.x : 4 fr.
Histoire de saint Ijouis par Jean sire de Joinville, suivie du Credo et de la lettre
à Louis X; texte ramené à l'orthographe des chartes du sire de Joinville et publié pour
la société de l'Histoire de France, par M. Natalis de Wailly. Paris, Renouard, 1868.
In-8*, xliij-410 p. — Prix : 9 fr. '
M. de Wailly, poursuivant avec méthode le cours de ses travaux sur Joinville,
est arrivé en dernier lieu à nous donner de l'historien de saint Louis une édition
qui, jusqu'à la découverte d'un nouveau ms., peut être considérée comme à peu
près définitive.
Récapitulons la série de ces travaux dont chacun marque un pas vers le résultat
aujourd'hui obtenu.
En 1865 M. de W. publia en un petit volume à bon marché une traduction
rigoureusement exacte de Joinville, pour laquelle il avait collationné à nouveau
les deux mss. connus jusqu'alors de cet auteur, et emprunté pour la première
fois au plus récent (ms. dit de Lucques), un certain nombre de bonnes leçons.
Par là cette traduction était en progrès sur le texte donné par Daunou dans le
t. XX des Historiens de France.
En 1867 parut l'édition luxueuse dont la Revue critique a rendu compte (1867,
art. 29). La traduction de 1865, revue et perfectionnée sur quelques points, y
était placée en regard d'un texte qui reproduisait exactement pour l'écriture ' le
ms. le plus ancien (dit de Bruxelles, ou A), empruntant, comme le faisait déjà
pressentir la traduction de 1 86 5 , d'assez nombreuses variantes au ms. de Lucques.
En outre, un troisième ms. tout à fait identique au ms. de Lucques, celui de
M. Brissart-Binet, était pour la première fois utilisé, et permettait à l'éditeur de
contrôler d'un bout à l'autre le texte du ms. A, ce que ne permettait pas le ms.
de Lucques qui, par suite de l'enlèvement de plusieurs feuillets, ofîrait deux
lacunes assez considérables.
I . J'avertis une fois pour toute que j'emploie écriture au sens de l'anglais spelling; le
terme orthographe, dont on se sert fréquemment en ce sens, a l'inconvénient de donner, par
son étymologie, l'idée d'un système de notation rigoureusement fixé comme en français
moderne.
4 REVUE CRITIQUE
Dès lors nous étions en possession d'un texte bien lu et bien compris, dans
lequel on n'était plus arrêté à chaque page, comme dans les éditions précédentes,
par des passages inintelligibles, et qui pouvait légitimement prétendre à repré-
senter exactement, pour les leçons, la rédaction, ou si l'on veut, la dictée de
Joinville. Pour les leçons, mais non pour l'écriture, car avec les habitudes des
copistes du moyen-àge, on ne pouvait s'attendre à trouver dans un texte écrit
vers le milieu du xiV' siècle, plutôt après 1350 qu'avant (c'est l'époque qu'on
peut assigner au ms. .4), les formes de la langue usitée au temps où Joinville
dictait son livre, c'est-à-dire un demi-siècle plus tôt. M. de W., dont l'attention
était dirigée de ce côté, ne l'ignorait point; il avait même signalé dans la notice
préliminaire de son édition de 1867, chez le copiste du ms. de Bruxelles, un
certain nombre de méprises qui indiquaient clairement dans le ms. primitif
l'existence de formes plus anciennes, notamment des pluriels pour des singuliers
(confusion provenant de Vs caractéristique du singulier dans l'ancienne langue,
et de la forme commune au cas sujet de l'art, masc. sing. et plur., li). J'ai rap-
porté d'après M. de W. dans l'article précité (1867, I, 89) un certain nombre
de ces erreurs et M. de W. en a noté quelques autres dans sa nouvelle édition '.
Mais, si on pouvait poser en principe que les formes usitées à la fm du
xiii*^ siècle et au commencement du xiv% devaient être introduites dans le texte
de Joinville, on n'avait cependant aucun moyen de résoudre avec certitude ces
petits problèmes qui se présentent en foule dès qu'on entreprend de restituer
non pas seulement les leçons,, mais encore l'écriture d'un texte. Sans doute il
était aisé de rétablir les formes de la déclinaison dans les cas si fréquents (peut-
être neuf fois sur dix) oh le copiste du ms. de Bruxelles les avait supprimées. Les
formes de la conjugaison souvent modernisées par le même copiste présentaient
déjà plus de difficultés, mais enfin pouvaient aussi sans trop d'incertitude être
ramenées à leur état ancien. Mais dès qu'on voulait aborder la notation des sons,
les questions se multipliaient et devenaient insolubles ^/^r/on'. Comment se décider,
par exemple, entre les finales or et our, os et ous, âge et aige? Ce sont là des
points qui pourront sembler de bien faible importance, mais à l'égard desquels
cependant il devenait indispensable de prendre une décision, dès qu'on recon-
naissait la nécessité de restituer au texte de Joinville sa forme originale.
En 1866* M. de W. était tellement frappé de ces difficultés que la restitution
du texte de son auteur lui apparaissait comme une œuvre où l'arbitraire aurait
la plus grande part. La Revue critique, sans partager cette défiance, approuva la
réserve de l'éditeur, d'abord parce qu'il importait avant tout que le ms. le plus
ancien fût fidèlement publié, ensuite parce que les éléments d'une restauration
du texte de Joinville n'étaient pas encore rassemblés. « Il est une voie détournée, »
disions-nous alors « par laquelle on arrivera probablement à éclaircir tous les
)) doutes qui restent sur la langue de Joinville: l'étude des documents diplo-
» matiques. M. de W. a réuni en assez grand nombre les chartes émanées de
» Jean de Joinville, et il prépare à l'aide de ces éléments nouveaux un mémoire
1. Voir les notes qui accompagnent les spécimens des mss. de Bruxelles et de Lucques,
p. xxix-xxxv.
2. L'édition est datée de 1867, mais elle parut à la fin de l'année 1866.
d'histoire et de littérature. 5
« sur la langue de ce personnage. C'est alors seulement qu'on pourra entre-
« prendre avec méthode la restitution du texte de Joinviile » (1867 [9 févr,],
I, 90). Et en eflfet, à peine M. de \V. avait-il publié son édition, que, désireux
de vérifier le bien fondé de ses doutes sur la possibilité de restituer le texte
primitif, il réunissait en aussi grand nombre que possible et étudiait minutieuse-
ment les chartes originales émanées de la chancellerie du compagnon de saint
Louis. De cette recherche est d'abord sorti un recueil de 5 1 chartes toutes
publiées d'après les expéditions originales. Pour !e dire en passant, ce recueil
n'offre pas seulement le genre d'intérêt qu'y recherchait particulièrement son
auteur : c'est encore une précieuse série de documents pour l'histoire du sire de
Joinviile. Le bon seigneur, très-attentif à ses intérêts comme on le voit en plus
d'un endroit de ses mémoires sur saint Louis , surveillait de près la rédaction
des actes de sa chancellerie. .Au bas d'une pièce contenant une donation au profit
du prieuré de Réraonvaux (dioc. de Toul), il ajoute de sa main une recomman-
dation expresse pour hâter l'exécution de la donation ' ; au dos d'une longue
charte relative à la ville de Vaucouleurs, il écrit ce fut fait par moy^. En dépit
même de la sécheresse imposée aux documents diplomatiques, on sent parfois
apparaître dans ces actes sa personnalité; ainsi dans cette pièce où Joinviile expose
qu'on lui a apporté une charte de son père, lui demandant de la renouveler:
le sceau n'était pas bien entier, et il pouvait y avoir matière à chicane ;
Joinviile fit apporter d'autres lettres scellées du sceau de son père, et ayant
constaté par la comparaison l'authenticité du sceau endommagé qu'on lui pré-
sentait, il accorda le vidimus demandé?. Sans doute il se souvenait que saint
Louis avait jugé de même dans une circonstance analogue 4. Jean de Joinviile
est un personnage assez considérable pour mériter une étude détaillée ; nous
espérons que M. de W., si bien préparé par ses travaux sur les historiens du
xm* siècle en général et notamment sur l'époque de saint Louis, ne laissera pas
à un autre le soin d'écrire une biographie dont il a rassemblé dans son Recueil
les meilleurs matériaux.
Le Mémoire sur la langue de Joinviile est le relevé de tous les faits grammati-
caux qu'offrent les chanes du recueil précité. Des statistiques que M. de W. a
dressées de l'emploi de telle forme en un nombre de cas déterminé, est résultée
pour lui la preuve que les lois grammaticales étaient observées avec beaucoup
plus de fixité qu'il ne l'avait supposé d'abord, et qu'en y conformant le texte de
Joinviile on ne laisserait qu'une part très-restreinte à l'arbitraire. M. de W. a
exprimé à cet égard sa conviction en des termes que je crois utile de repro-
duire. « J'exprimais, » dit-il au début de son mémoire, « le regret qu'il ne fût
» pas possible de déterminer dans quelle mesure ces altérations (celles que les
» copistes avaient fait subir au texte de Joinviile) s'étaient produites, et après
i. Ruuàl de M. de Wailly, pièce cotée U; Bibl. de fÊc. des Ch., 4* série, III, 61.
La Bibl. donne un fac-similé de cette pièce.
2. Recueil, pièce cotée W.
3. Voy. la pièce T dans le recueil de M. de Wailly.
4. Joinviile, p. 44-46. —Je cite d'après l'édition de 1867 dont la pagination est repro-
duite sur les marges de l'édition récente.
6 REVUE CRITIQUE
» avoir fait observer qu'il n'y a pas de texte du même temps où les règles de la
)> grammaire aient été constamment suivies, j'arrivais à conclure que c'eût été
» une opération arbitraire que de ramener le plus ancien manuscrit de Joinville
» à une orthographe dont l'observation ne fut jamais absolue. Je regrette d'au-
» tant moins d'avoir émis cette opinion et pratiqué cette méthode, que j'obtien-
» drai peut-être plus de crédit en me chargeant moi-même de démontrer aujour-
» d'hui que je me trompais alors, et qu'il faut changer d'opinion comme de
» méthode pour donner une bonne édition. »
Ce changement d'opinion, si franchement reconnu, ne peut étonner ceux qui,
par d'autres voies, notamment par l'examen des rimes, se sont convaincus que
l'anarchie est plus apparente que réelle dans la langue du moyen-âge, et qu'on
peut dans beaucoup de cas dégager avec certitude des textes transmis par les
copistes la leçon originale d'un auteur. Ils ne peuvent que se féliciter de rencon-
trer en M. de W. un auxiliaire, non point persuadé par les raisonnements
d'autrui, mais éclairé par sa propre expérience. Nous croyons du reste que dans
des essais du genre de celui que M. de W. a tenté sur Joinville, l'excès de har-
diesse n'est point un danger une fois que la leçon des mss. a été rendue facile-
ment accessible par une édition exacte ; et d'un autre côté, il est manifeste que
la connaissance de notre ancienne langue fera des progrès infiniment plus rapides
que par le passé, dès que les éditeurs se croiront tenus de produire des textes
non pas seulement intelligibles, mais encore conformes à des règles dont
l'existence est incontestable, et qui ont seulement besoin d'être déterminées plus
exactement qu'elles ne l'ont été jusqu'à présent et en tenant mieux compte des
temps et des lieux.
Le mémoire de M. de W. se divise en deux parties : i° De l'orthographe dans
ses rapports avec la grammaire; 2° De l'orthographe dans ses rapports avec la pro-
nonciation. Autrement dit, pour employer des expressions plus précises et main-
tenant généralement reçues dans ces études, la première partie traite de \a flexion
et la seconde la phonétique. Suit un vocabulaire ou index de tous les mots
contenus dans les chartes et rangés selon l'ordre alphabétique sous un certain
nombre de rubriques qui correspondent assez bien à la disposition suivie dans la
première partie. La première division est consacrée au sujet singulier masculin
(comprenant, en autant de sous-divisions, l'article, les subst., les noms d'hom-
mes, les adj., les pronoms, les participes); puis la même série se reproduit pour
le cas régime, pour les deux cas du plur. du sujet masc, pour le féminin sing. et
plur., et pour le neutre, où M. de W. a rassemblé nombre d'observations aussi
intéressantes que neuves. Vient ensuite l'index des noms de lieux et des
noms de nombres, des diverses formes des verbes (classées par temps), enfin
des mots invariables. Je ne puis m'empêcher de trouver que cette disposition
pourrait être avantageusement simplifiée. Sans doute il faut mettre à part l'article
et les pronoms, dont la déclinaison offre des formes toutes particulières; mais,
pour le reste, à quoi bon recommencer quatre fois la série de chacun des quatre
cas de l'ancienne déclinaison ? à savoir : 1° pour les subst., 2« pour les noms
d'hommes, 3° pour les adj., 4" pour les participes. Tous ces mots se comportant
de même au même cas, il y avait lieu de les fondre en une seule série. Ou, si
d'histoire et de littérature. 7
on voulait subdiviser, la subdivision aurait dû prendre pour base la forme et non
la qualité des mots ; ainsi on pouvait réunir sous une rubrique spéciale les mots
où l'accent change de place (emperere-empereor).
Les recherches de M. de W. ont été conduites avec un esprit si indépendant
de toute idée préconçue , ses dépouillements ont été si complets que les
résultats ne pouvaient être autre que ce qu'ils sont, c'est-à-dire absolument sûrs.
La critique ne peut ici trouver matière à objection que dans l'ordre selon lequel
les faits sont présentés et dans l'explication de certains d'entre eux, mais non
point dans les faits eux-mêmes.
Ce que j'ai à dire relativement à l'ordre suivi par M. de W. s'applique seule-
ment à la seconde partie de son Mémoire, celle qui traite de l'orthographe dans ses
rapports avec la prononciation. Il n'est pas contestable qu'il règne dans cette partie
une certaine confusion. Malgré des efforts visibles pour mettre chaque chose en
son lieu, il arrive souvent que des faits semblables sont séparés et des faits diffé-
rents (ou du moins dus à des causes différentes) réunis. On doit regretter que
M. de W. ne se soit pas tenu de plus près à la méthode adoptée maintenant
dans les grammaires scientifiques. Sans doute il s'en écarte moins que la plupart
de ceux à qui nous avons dû adresser la même critique ', et par exemple il
distingue avec soin les voyelles toniques des atones, ce qui est de première im-
portance, mais d'autres circonstances ne sont pas observées qui devraient l'être,
et par exemple l'influence de la position, et celle qu'exerce sur le son le voisi-
nage de certaines lettres. Au lieu d'entreprendre une critique détaillée, dont
l'utilité ne compenserait pas la longueur, puisqu'il s'agit ici non de contester les
faits, mais simplement d'en réformer le classement, j'essaierai de résumer selon
la méthode usitée dans les grammaires scientifiques, les résultats exposés par
M. de W. dans l'un des paragraphes de la seconde partie de son mémoire, et je
prendrai pour exemple le premier, celui qui est consacré à a, ai, au (p. 56-9) :
a tonique, répond à a tonique latin dans çà, jà, là, à la troisième pers. sing. prés,
du verbe avoir (a = habef) et par conséquent à la même personne du futur des
verbes de toute conjugaison. Cet a ne devait pas être toujours prononcé aussi
purement que dans l'île de France, car on rencontre aussi dans les chartes de
Joinville çai, jai, lai, Nicholais, formes toutes lorraines qui prouvent l'hésitation
des scribes. Une fois ai pour a Qiabet) dans la charte g, 1. 4, mais néanmoins
jamais cette notation n'apparaît à la 3"^ pers. du futur. — a dans la {illa), ma
(mea'), ne passe point à Vai, non plus qu'en lorrain.
a tonique se rencontre, suivi de /, dans hannal, leal, ou loial, ospitat, val. Aux
cas qui prennent 1'^ caractéristique du sujet, cet / se vocalise, comme partout en
langue d'oil : chevaus ou chevaux, etc., mais ce qui est rare, c'est que la vocali-
sation a parfois lieu en l'absence de l'5; ainsi vau pour val, cas peut-être unique
dont l'explication pourrait être cherchée dans la brièveté de ce mot, qui ne faisait
pour ainsi dire qu'un avec le mot commençant par une consonne devant lequel il
se trouvait placé 2. — On trouve aussi bannaul, leauL, ospitaul, vaul, où / a
1. Voy. par ex. Rtv. crit., 1866. I, p. 559-60, 1869, p. 250-1.
2. Car les exemples de cette forme nous la montrent lonjours suivie d'un mot corn-
8 REVUE CRITIQUE
engendré derrière lui un u, faisant passer a au son au (prononcé, non pas o
comme de nos jours, mais sans doute ao, comme en provençal). Cela est lorrain.
a en position persiste : grâce {gratja), usage (usât'cum) et tous les mots en âge,
Jaque (Jâc'bus). Ces mêmes mots passent aussi à Vai {graice, usaige, Jaiquè), à
la façon lorraine. On ne trouve même qu'avec cette notation aingle (angulus),
plainche, qui sans doute pouvaient s'écrire aussi angle, planche.
a en position peut passer à au lorsque la seconde des deux lettres formant
position est / ; estauble, permenaublement '_, à côté desquels on trouve aussi estable,
permenablemenî. Estauble est à estable ce que bannaul est à bannal.
a avant la tonique se rencontre dans les mêmes cas qu'en français. Cependant
ai s'introduit dans airable, airdoir, formes lorraines, qui n'excluent pas dans les
mêmes pièces la forme plus générale arable, ardoir. — a avant la tonique se
rencontre encore dans achatez, fasole, formes lorraines à côté desquelles on
trouve achetée, achetour, fesoie. — Faisoie, qui se trouve aussi, est une forme
lorraine qui a passé par l'intermédaire fasoie. Elle n'est point à confondre avec le
faisais de notre orthographe actuelle, ou le ai de la première syllabe n'a rien de
lorrain, mais a été simplement adopté, à une époque relativement récente, parce
qu'il se trouvait à l'inf. faire. La forme purement française est fesoie.
ai se rencontre comme forme lorraine dans les cas ci-dessus mentionnés;
comme forme ordinaire dans les mêmes cas qu'en français, c'est-à-dire avant la
nasale: chapelain, main, plaine, etc. (Diez, I, 137), et lorsqu'il se combine avec
c, par ex. dans /a/? (Diez, I, 240). — Anniversaire, douaire, contraire, etc., sont
des formes savantes : la finale arius, donnant, selon les lois générales de la langue
ier; — contrare, usuare, offrent cette même finale savante, mais prononcée à la .
lorraine.
On voit que le dialecte de la seigneurie de Joinville était, par ses formes
tout aussi bien que par sa position géographique, intermédiaire entre le français
de l'Ile de France et le lorrain, conclusion qu'on peut étendre d'une manière
générale, sauf à vérifier chaque détail, à toute la Champagne. J'incline même à
croire qu'à Joinville la prononciation était plus lorraine qu'on ne le supposerait à
considérer l'écriture. Toutes les chartes du recueil formé par M. de W. sont, à
part la première, de la seconde moitié du xiir siècle, ou des premières années
du XI v% et à cette époque le français de F'rance faisait déjà sentir son influence,
sinon dans la prononciation, du moins dans l'écriture.
La langue de Joinville étant une fois fixée dans tous ses détails par l'examen
des chartes, la restauration du texte devenait une œuvre de patience et de soin.
M. de W. s'en est acquitté avec la scrupuleuse attention dont il a donné depuis
longtemps la preuve en des travaux d'un tout autre genre, et n'a laissé subsister
des formes du ms. A que celles qu'autorisaient les chartes. En se livrant à cette
mençant par une consonne: « entre lou vau Raou et lou vati de Wassey jusqu'à lou
vaii Joffroi. »> Charte h, I. 72-3.
I. Il peut sembler inexact de à\n que permenaublement a l'accent sur (7/j; je pense cepen-
dant (jue dans les adverbes ainsi formés le suffixe ment n'était pas tellement joint à l'adj.
qu'il I empêchât de garder son acceniualion propre.
d'histoire et de littérature. 9
opération délicate, M. de W. a trouvé dans ce manuscrit mainte trace de la
leçon primitive qui lui avait échappé deux ans auparavant^ alors qu'il se préoccu-
pait moins de la forme des mots que de leur sens. L'un des faits les plus inté-
ressants à cet égard est celui-ci : On lit dans le ms. A : « dont ce fu aussi comme
» une prophecie de la grant foison de gens qui moururent en ce douz croise-
)) ment de ceulz qui en ce douz pèlerinage moururent vrais croisiez. » Il est
certain que le copiste a entendu « doux » (dulcis), et il ne l'est pas moins qu'il
faut entendre « deux » (duo). Aussi M. de W. n'avait-il pas hésité à corriger :
« ces deux croisemens ces deux pèlerinages» (p. 48), s'autorisant de la
leçon du ms. de Lucques. Mais, si cette fois l'auteur de la rédaction représentée
par les mss. de Lucques et Brissart-Binet a mieux compris la leçon de l'original
que le scribe du ms. A, il est indubitable qu'il ne lui a pas conservé sa forme
primitive, et que cette forme nous est clairement indiquée par Le contre-sens du
ms. A : « deux » est dous dans les chartes de Joinville {Mémoire, p. îi) et
M. de W. a pu restituer avec toute certitude dans sa nouvelle édition : « ces
» dous croisemens ces dous pelerinaiges. >' Des faits aussi décisifs achèvent
de légitimer une entreprise déjà justifiée par cette seule considération que Join-
ville a, selon toutes les probabilités, dicté ses Mémoires à l'un des clercs de sa
chancellerie, à l'un de ceux qui ont écrit les chartes que nous possédons.
Pour qu'on puisse juger du nombre de corrections qu'a dû subir le texte de
l'édition de 1 867 et en même temps prendre une idée du rapport des deux leçons
manuscrites avec l'original supposé, je donnerai ici en colonnes parallèles un
court passage (44 D) d'après les trois leçons : 1°, au milieu, le texte original
représenté par la restitution de M. de W.; 2° et 5°, à gauche et à droite, les textes
des deux mss. de Bruxelles et de Lucques :
Ms. de Bruxelles.
La paix qu'il fist au roy
d'Angleterre fist il contre la
volenté de son conseil, lequel
il disoit : « Sire, il nous sem-
ble que vous perdes la terre
que vous donnez au roy d'An-
gleterre, pour ce que il n'i a
droit, car son père la perdi
par jugement. » Et à ce res;
pondi le roy que il savoit bien
que le roy d'Angleterre n'i
avoit droit; mes il y avoit
reson par quoy il li devoit
bien donner. cCar nous avons
II. seurs à femmes, et sont nos
enfans cousins germains ; par
quoy il affiert bien que paiz
y soit. Il m'est moult grant
honneur en la paix que je ioiz
au roy d'Angleterre, pour ce
que il est mon home, ce que
il n'estoit pas devant. »
Texte original.
Lu pais qu'il fist au roy
d'Angleterre fist il contre la
volentei de son consoil, liquex
li disoit : « Sire, il nous sem-
ble que vous perdes ' la terre
que vous donnez au roy d'An-
gleterre, pour ce que il ni a
droit, car ses pères la perdi
par jugement. * Et à ce res-
pondi li roys que il savoit bien
que II roys d'Angleterre n'i
avoit droit; mais il y nvoit
raison par quoy il li devoit
bien donner. « Lar nous avons
dous serours à femmes, et sont
nostre enfant cousin germain;
par quoy il affiert bien que paiz
y soit. Il m'est moût grans
honnours en la paiz que je faiz
au roy d' Angleterre , pour ce
que il est mes hom, ce que il
n'estoit pas datant. »
Ms. de Lucques.
La paix qu'il feist au roy
d'Angleterre ce fut contre la
voulenté de son conseil , les-
quelz luy disoient : « Sire, il
nous semble que vous perdez
toute la terre que vous donnez
au roy d'Angleterre, car il nous
semble qu'il n'y a droit, car
son père la perdit par juge-
ment. )> A ce respondit le roy
3ue bien sçavoit que le roy
'Angleterre n'y avoit droit;
mais il y avoit raison par quoy
il luy devoit bien donner. «Car
nous avons deux seurs à fem-
mes, et est nostre enfant cousin
germain; par quoy il appar
tient bien que la paix y soit. Il
m'est moult grand honneur en
la paix que |'ay faicte au roy
d'Angleterre, pour ce qu'il est
mon homme, qu'i n'estoit pas
par avant. »
i. J'aurais introduit ici le toute du ms. de Lucques.
10 REVUE CRITIQUE
Pour se faire une idée nette du rapport des deux leçons manuscrites avec
l'original, il faut se bien mettre dans la tête que les deux copistes ayant sous les
yeux deux mss. différents, mais à peu près identiques ' ont eu chacun l'intention
d'en rapprocher la leçon de la langue de leur temps. Seulement le copiste d'A,
écrivant cinquante ans peut-être après la rédaction du livre, comprenait fort bien
la langue du xiii" siècle, et ne se trompait qu'accidentellement; le mot dous
entendu au sens de doux, est, nous l'avons vu plus haut, une de ses erreurs. Au
contraire le copiste dont le travail nous est conservé par les deux autres mss.,
vivant un siècle et demi après Joinville, devinait plutôt qu'il ne traduisait. Ainsi,
dans le passage qui vient d'être rapporté, il suppose que liquex (ligne 3) signifie
les^juels, et cette conjecture malheureuse l'entraîne à mettre disoient au plur.
Ligne 1 6 , nostre enfant cousin germain lui paraît être un singulier, ce qui le con-
duit à remplacer *son? par est, correction qui enlève tout sens à la proposition.
Cette édition contient, comme la précédente, le texte du Creiio, qui apporte à la
restitution de M. de W. une confirmation de plus, offrant, dans le ms. unique qui
nous l'a conservé, des formes assez semblables à celles des chartes, le caractère
lorrain y étant peut-être moins marqué, ce qui, dans un texte écrit par un copiste
lettré, n'a rien que de fort naturel. Pour la présente édition ce ms. a été coUa-
tionné, avec la permission de son possesseur actuel, le comte d'Ashburnham, et
cette collation a produit quelques résultats qui ne sont pas sans valeur, bien que
l'édition de 1 867 eût été exécutée d'après un fac-similé qu'on pouvait croire
irès-fidèle. M. de W. a corrigé en certains endroits l'écriture de ce texte, con-
formément aux chartes; je regrette que dans ces cas, qui sont peu nombreux, il
n'ait pas mis au bas des pages la leçon du ms.
Aussi bien dans l'Histoire que dans le Credo M. de W. a tenu compte de la
plupart des corrections que j'ai proposées en rendant compte de l'édition de
1867. Cependant, p. 90, A, il persiste à écrire : « // revindrent au roi li dui
» frère... » où je maintiens ma correction « Si revindrent... « M. de W. a aussi
emprunté quelques corrections à un mémoire de feu Corrard sur le texte de
Joinville, que M. Thurot a publié dans la Revue archéologie] ue en 1867. Du reste
il repousse, avec toute raison selon moi, le système général de M. Corrard, qui
voit dans le texte de Joinville la trace de quantités d'interpolations et de gloses;
malheureuse application aux textes du moyen-âge de procédés de critique qui
sont à leur place dans l'examen des textes de l'antiquité. Nos anciens auteurs ont
souffert de longues additions, de fourrures, de suppressions arbitraires, et, lors-
qu'on n'en possède qu'un ms., de bourdons sans nombre, mais il n'y avait point
occasion à l'introduction de gloses.
Dans la lettre à Louis le Hutin (i 3 1 5) je ne puis m'empêcher de signaler un
passage que je n'ai jamais pu lire sans y soupçonner une faute. J'hésite un peu
parce qu'après tout ce n'est pas à une copie, mais à la lettre originale que je
m'attaque, toutefois je livre ma conjecture pour ce qu'elle vaut. Dans cette lettre,
le sire de Joinville s'excuse de n'avoir pu, conformément à l'ordre du roi, se
1. Le ms. .4 dérive du ms. présente à Louis le Hutin en 1509 et les deux autres du
ms. original conservé à Joinville.
1
d'histoire et de littérature. Il
rendre à Orchies « à la moiennetey dou moys de Joing « et la raison qu'il en
donne est fort bonne : c'est que le mandement royal lui est parvenu seulement
le second dimanche de juin (8 juin), le jour même duquel il date sa réponse. Le
sens général est fort clair, mais le texte ne l'est pas : « savoir vous faz que ce ne
» puet estre bonnement, quar vos lestres me vinrent le secont dimmange de joing,
)) et vinrent huit jours devant la recepte de vos lestres. » Je ne puis m'empécher
de croire que le second vinrent est une répétition fautive du premier, et la tra-
duction de M. de W. : « et huit jours se passèrent avant la réception de vos
» lettres, » a quelque chose de forcé ' . Il faudrait quelque autre verbe en place
de vinrent.
M. de W. a publié pour la première fois dans cette édition (p. xxxiv-xxxvj)
la légende de quatre miniatures fort curieuses qui ornent le ms. de Lucques.
Miniatures et légendes dérivent évidemment de l'original conservé au château
de Joinville. Au texte rajeuni et corrompu de la légende, M. de W. a joint en
regard une restitution où je ne trouve à reprendre qu'en deux endroits. Courusîy
au prétérit (p. xxxiv, 1. 1 3) est une vraie faute d'orthographe; c'est courut qu'il
faut, forme admise par M. de W. dans l'Histoire 444 c, les mss. hésitent entre
courut et couru, forme usée. — P. xxxv, dern. 1. il y a évidemment une omission;
je restitue en italiques les deux mots que j'estime avoir été sautés par le copiste :
« et nous dist qu'il aymoit myeulx mettre son corps en adventure et sa femme
» et ses enfans, que VII F personnes qui estoient od lui en la nef demourassent
» en Chipre. »
L'édition de la société de l'Histoire de France renferme, outre la table alpha-
bétique de l'édition de 1867, un copieux vocabulaire (p. 307-^86) où sont enre-
gistrés tous les mots et toutes les locutions des œuvres de Joinville. Les renvois
se réfèrent à l'édition de 1867, dont les pages, divisées de cinq en cinq lignes
par des lettres, sont marquées en marge.
Je pense avoir montré comment M. de Wailly est arrivé graduellement, et
conduit par la seule force de la logique, à entreprendre et à parfaire sur la
langue de Joinville des travaux qui feront époque dans la science. Les procédés
qu'il a employés pourront n'être pas d'un fi-équent usage : on n'a pas souvent
affaire, dans notre ancienne littérature, à un auteur dont l'époque et l'origine
soient bien déterminées, dont la langue puisse être retrouvée à l'aide des chartes.
Mais à d'autres cas d'autres moyens. Ce qu'il faut qu'on se persuade bien, c'est
que l'édition et la révision de nos anciens textes offrent ample matière à ceux qui
n'aiment pas la besogne trop facile, et que le temps est arrivé où les simples
copistes sont mis à part des véritables éditeurs.
P. M.
i. Sans compter (^ue jours,, étant le sujet de vinrent, devrait être écrit /our. M. de W.,
à qui cette dliftculté n'a pas échappé, relève dans son Mémoire fp. ii6) cet emploi de
jours, y joignant cette observation a taute, ou peut-être féminin pluriel. » Dans le glos-
saire de son édition il retient seule la seconde de ces deux hypothèses. Mais, s'il est vrai
que jour est quelquefois féminin dans l'expression toute jour, il me semble qu'il est constam-
ment décliné conformément à son étymologie, c'est à-dire comme les mots masculins de la
même déclinaison. Il faudrait apporter des exemples du contraire.
12 REVUE CRITIQUE
1 27. r- Die gefœlschten bœmischen Gedichte aus den Jahren 1816-1849.
Als ein Beitrage zur bœhmischen Literaturgeschichte dargestellt vonD' J. J. Hanusch,
Universitaïts-Bibliothekar. Prag, Dominicus, 1868. In-8', 84 p. — Prix : 2 fr. 50.
La question de l'authenticité des anciens poèmes tchèques n'est pas nouvelle
pour les lecteurs de cette Revue. Nous avons exposé, il y a trois ans, les argu-
ments pour et contre, et aucun fait important ne s'est produit depuis lors (voy.
Rev. crit., 1866, art. 229). Un des motifs de suspicion les plus graves contre ces
poèmes, c'est, comme nous l'avons dit alors, qu'ils sont sortis « d'un milieu de
» fabricateurs de pièces apocryphes. » Tous les noms qui sont mêlés à la décou-
verte et à la première publication de ces poèmes sont suspects ou convaincus de
quelque falsification. Mais le plus gravement atteint est celui de Hanka. Rien
n'égale la vénération dont cet homme a été l'objet pendant sa vie ; rien n'égale
le dédain avec lequel on le traite maintenant. J'ai déjà signalé la façon dont
M. Hanusch parle de lui dans un autre ouvrage (voy. Rev. crit., 1868, t. I,
p. 294); dans celui-ci il va plus loin encore. Hanka est représenté comme une
espèce d'être bizarre, faible d'esprit et même niais, plein d'obscurités dans l'in-
telligence et d'étrangetés dans le caractère, vivant dans un rêve et n'ayant ni
le sens du réel ni la distinction précise du vrai et du faux. Cette appréciation,
dont je rassemble ici les traits épars dans la brochure de M. H., semble au
premier abord n'être pas de nature à inspirer de la confiance dans les documents
publiés par Hanka; mais M. H. ne tombe si durement sur le « vénéré patriarche »
de la littérature bohème que pour arriver à le faire déclarer incapable des falsifi-
cations qu'on lui attribue. L'argument ne pourrait en tout cas s'appliquer qu'à la
composition des poèmes, car pour ce qui regarde la langue, Hanka était assez
versé dans l'ancien tchèque, et quant à l'écriture, M. H. nous donne en passant
quelques renseignements qui ont leur prix sur les habitudes et les talents de l'édi-
teur des poèmes tchèques. Ainsi p. 1 ^, voulant prouver que Hanka n'est pas le
fabricateur d'un document faux, il dit : « La date récente de l'écriture se trahit
)> par l'inclinaison (à droite) des lettres; les anciens, on le sait, écrivaient verti-
)) calement; Hanka possédait ce talent, preuve que ce n'est pas lui qui a écrit cette
» pièce. » Ailleurs (p. 71) : « Il aimait beaucoup à imiter l'ancienne écriture
» bohème; il ne se contentait pas de rafraîchir des initiales ou des miniatures, il
» en composait de toutes pièces, comme le montre p. ex. son exemplaire des
» anciens glossaires tchèques au Muséum. C'était un homme plein de singularités
» et de manies (ein Mann voiler Idiosyncrasien und Schrullen). » Pour ce qui
concerne la langue, à propos de corrections faites par Hanka au ms. de Kœni-
ginhof, M. H. dit (p. 6?) : «Appuyé sur sa connaissance pratique extraordinaire
» de tous les dialectes slaves, sur ses lectures fort étendues dans l'ancienne litté-
« rature tchèque, il se figurait être un vrai slaviste, au sens scientifique du mot,
» jugeait d'après cette idée les formes qu'il rencontrait dans les manuscrits, » et
il les corrigeait sans hésiter, notamment dans le ms. de Kœniginhof : « ces alté-
» rations étaient certainement impardonnables, d'autant plus que la philologie a
» démontré plus tard tout ce qu'elles avaient d'inexact ou en tout cas d'inutile. »
Ailleurs (p. 71) nous relevons ce jugement : « Schafarik tenait Hanka pour un
homme chez lequel la vanité patriotique était devenue une passion ; il la poussait
d'histoire et de littérature. iî
à un tel degré, que son âme naïve se prêtait à n'importe quel moyen de la satis-
faire, sans qu'il fût d'ailleurs en état d'apprécier la valeur de ce moyen. »
Ceci bien entendu , nous passons aux falsifications prouvées dont s'occupe
M. Hanusch. Le but qu'il a voulu atteindre, c'est, tout en reconnaissant les
falsifications qui se sont produites dans le domaine de l'ancienne littérature
bohème, de circonscrire les soupçons auxquels elles donnent lieu, de soustraire
à ces soupçons quelques-uns des noms qu'ils ont atteints, et surtout de détruire
l'opinion trop accréditée d'après laquelle ce domaine a été exploité, à un certain
moment, par une véritable bande de faussaires. Cette opinion remonte haut, et
elle a été exprimée pour la première fois par un homme dont les savants tchèques
ne peuvent prononcer le nom qu'avec respect. Dobrovsky écrivait en 1827 à un
Anglais qui traduisait des poésies tchèques : « Il y en a beaucoup parmi nous,
)) qui, poussés par un amour effréné de leur langue maternelle, fabriquent des
» poésies qu'ils veulent ensuite faire accepter à ceux qui ne sont pas sur leurs
» gardes Les zélotes bohèmes, non contents de leurs poèmes authentiques
» du XIII'' siècle (le ms. de Kœniginhof, que Dobrovsky n'a jamais suspecté),
)) ont voulu avoir des poésies encore plus anciennes,, pour égaler les Allemands
j) qui peuvent se vanter de poèmes antérieurs à cette époque. » Et plus tard
Kopitar, le célèbre slaviste, écrivait : « La peste de la falsification sévit
;) chez les Bohèmes depuis 181 7 (grassari ab anno 181 7 in Bohemis pestera
» voôsîa;), depuis que les faussaires, grâce aux Chansons serbes publiées par Vuk
» en 18 14, ont appris les mètres populaires slaves. » La brochure de M. H.
est-elle faite pour détruire cette suspicion ï J'en doute. Je reconnais d'ailleurs
qu'elle est écrite avec modération, et qu'elle parait dictée par l'amour de la
vérité. Mais les idées préconçues tyrannisent souvent à leur insu les hommes
mêmes qui ont les meilleures intentions.
i. La chanson du Vychehrad. En 18 17, dans un recueil d'anciennes poésies
tchèques, Hanka publia cette pièce, dont la fausseté a depuis été mise hors de
doute et fut de bonne heure soupçonnée. Elle se trouvait d'après lui sur une
feuille de parchemin qu'un certain Linda avait découverte en 1816 et qu'il avait
donnée à Hanka ; d'autres déclarations sur l'origine de cette feuille offrent des
variantes : ainsi on dit plus tard qu'elle était écrite sur le couvercle d'un volume :
on n'avait pas parlé de ce volume dès l'abord, on n'a jamais dit quel il était, et
en examinant le parchemin, qui existe encore, « on ne voit pas le moindre indice
» tendant à faire croire qu'il ait jamais eu cette destination (p. 3). » — Le
fabricateur semble avoir été Hanka ou Linda; M. H. s'efforce d'écarter le
soupçon de l'un et de l'autre, pour le reporter sur Zimmermann, que nous retrou-
verons tout-à-l'heure. A mon sens, il n'apporte aucun argument de quelque
valeur pour cette hypothèse. En revanche, sa conjecture sur la manière dont la
chanson fut fabriquée est très-vraisemblable. On a découvert en effet une feuille
de papier sur laquelle, en 1724, on avait écrit une traduction en mauvais alle-
mand de cette chanson, et l'authenticité de cette feuille paraît certaine. Or si
on retraduit cet allemand en tchèque , on retrouve en plusieurs lieux un sens et
même des formes préférables à ce que donne la fausse chanson tchèque. Il est donc
probable que le faussaire a eu sous les yeux un texte tchèque du xv* siècle qu'il
1^. REVUE CRITIQUE
a maladroitement vieilli (cf. ce qui a été dit plus haut sur Hanka) et copié en
caractères du xiii" siècle. Le copiste n'a pu être Hanka, d'après M. Hanusch,
parce que l'imitation de l'écriture n'est pas parfaite, et qu'il aurait mieux réussi
(voy. plus haut); mais il est très-possible qu'en 1816 il n'eût pas encore tout à
fait développé ce talent d'imiter les écritures anciennes qu'il posséda plus tard à
un si haut degré. Aux yeux de tout lecteur non prévenu, il reste donc fortement
suspect.
2. La chanson du roi Venceslav. En 1819, un personnage assez équivoque,
nommé Zimmermann, envoya au Muséum de Prague un feuillet de parchemin
écrit des deux côtés : sur le verso il contenait une poésie tchèque qui n'était que
la traduction d'une chanson allemande attribuée, dans le ms. de Manesse • , au roi
Venceslav de Bohême (7 1243), et sur le recto le petit poème lyrico-épique du
Cerf, qui se trouve également dans le ms. de Kœniginhof, que Hanka avait
découvert en 181 7 et publié en 1819. Hanka publia la chanson de Venceslav en
1828. M. H. rend très-vraisemblable la fabrication (parfaitement certaine) de ce
document par Zimmermann, mais il paraît moins heureux dans une autre hypo-
thèse. Il veut en effet que ce faux ait été commis de la même manière que le
précédent, c'est-à-dire que le faussaire ait vieilli un texte réellement tchèque,
qui aurait été traduit de l'original allemand au xiv" ou xv" siècle. Rien n'est moins
probable. On a montré que la chanson tchèque contenait des contre-sens qui se
trouvent dans des traductions allemandes modernes de la chanson en moyen
haut-allemand , d'où il résulte que c'est sur ces traductions que le faussaire a
travaillé. Aucun critique n'acceptera l'explication de M. H., disant que ces contre-
sens ont bien pu être également commis par l'ancien traducteur tchèque. Or avec
cette hypothèse insoutenable tombe la seule raison qu'on puisse alléguer pour
attribuer à Zimmermann la première falsification.
}. Le songe de Mai et quelques autres poésies falsifiées . En 1823, dans le 5^ vol.
du recueil où il avait déjà publié les pièces précédentes, Hanka donna quelques
anciennes pièces tchèques, qui, soit pour des raisons de morale, soit pour des
motifs politiques, furent interdites par l'ombrageuse censure autrichienne. Par
une distraction singulière, on Igs avait laissé imprimer sans rien dire, et quelques
exemplaires étaient même déjà en circulation quand arriva l'ordre d'interrompre
la vente et de mettre des cartons aux deux poésies trouvées trop libres, tandis
que les deux poèmes politiques furent tout à fait supprimés. Pour ce qui regarde
l'un de ces derniers, Wilhelm de Waldeck, M. H. s'exprime d'une façon bien peu
claire ; il me semble toutefois comprendre que d'après lui ce poème était (en
partie du moins) une pure fabrication de Hanka 2. — Quant aux deux autres
poésies (dont l'une, le Songe de Mai, doit son existence à la réunion malencon-
treuse de deux pièces tout à fait distinctes ?), on remplaça les passages condamnés
1. On sait que ce ms., actuellement à la Bibl. imp. de Paris, est la plus riche source
pour les œuvres des Minnesinger allemands.
2. « Offenbar wollie hier Hanka unter der Form altbœhmischer Gedichte neubœhmisch
» politisches Kapital schiagen (p. 54). »
3 . Ces deux pièces sont d'ailleurs traduites (anciennement) de l'allemand ; l'une parle
d'un songe, l'autre de mai; Hanka les réunit pour pouvoir attribuer le tout à un prince
tchèque, Henri de Podiebrad, qui passe pour avoir composé un songe de mai.
d'histoire et de littérature. 15
par des passages correspondants, mais adoucis, composés en ancien tchèque. Qud
fut l'auteur de cette falsification nouvelle? M. H. veut encore que ce soit l'éternel
Zimmermann, dont il voudrait faire le bouc émissaire de tous les péchés de ses
compatriotes, mais il n'y a pas ici l'ombre d'une probabilité. Hanka a dit lui-
même, dans une lettre écrite en 1862, trente-six ans après la mort de Zimmer-
mann et sans aucune raison d'altérer la vérité : « On chargea le professeur
» Svoboda de Novarov de composer quelques autres vers en ancienne langue
» tchèque, et on remplaça ainsi les feuillets supprimés. » M. H. prétend que
Svoboda aurait fait des vers meilleurs ; c'est là un argument tout subjectif qui
n'a pas la moindre valeur. Or le fait n'est pas sans intérêt. Ce Svoboda est en
effet, avec Hanka, le premier qui ait fait connaître le ms. de Kœniginhof. Hanka
avait à peine annoncé sa trouvaille, destinée à faire tant de bruit, que Svoboda
la répandait de son côté, en même temps que le Linda qui a figuré plus haut
(Hanusch, Das Schriftwesen und Schrifthutn der bœhmisch-slovenischen Vœtkerst<£mine,
p. 57), et en 1819 l'édition princeps du ms., donnée par Hanka, était accompagnée
d'une traduction en vers allemands de ce même Svoboda.
4. La prophétie de Liboucha. Il s'agit ici d'une fabrication effrontée de Hanka,
fabrication qu'a reconnue M. Paiacky lui-même (cf. Rev.-crit., 1866, p. 515).
Il eut l'audace de lire ce morceau, composé par lui en ancien tchèque d'après
un poème latin qui parait authentique, en 1849, à la Société royale des sciences de
Prague ; il disait l'avoir trouvé sur sept bandes de parchemin cousues dans la
reliure d'un ms. portant le n° 960 au Muséum de Prague et renfermant le De
arte moTiendi et il montra ces bandes à la société. Plus tard, il déclara les avoir
recousues à leur place primitive. Or aucun ms. du Muséum ne porte le n*' 960,
et dans le n° 940, qui contient un De arte moriendi, « il n'y a pas et il n'y a
» jamais eu de bandes de ce genre (p. 72). » — Cette grossière imposture a
été dénoncée pour la première fois par M. Max Bùdinger (cf. Rev. crit.y 1866,
p. 314, n'' 4); ce qu'il y a d'inoui, c'est qu'aucun savant bohème, jusqu'alors,
n'eût protesté contre ce faux impudent. Schafarik, qui assistait à la séance où
Hanka fit sa lecture, « sourit avec incrédulité, mais ne répondit rien (p. 68). »
Il ne doutait pas cependant, dit M. H. (p. 71), du véritable état des choses;
mais « on avait alors des égards pour Hanka (man liess damais Hanka gewaehren),
» qui depuis 1 848 avait fait pour la cause slave des sacrifices réels et person-
» nels. » Et M. H. lui-même est porté à voir là «une action obscure,» sans vou-
loir affirmer absolument l'évidente culpabilité de l'éditeur responsable du ms. de
Kœniginhof.
Je le disais en commençant, et le lecteur est sans doute à présent de mon
avis, le livre de M. Hanusch n'est pas propre à dissiper les graves soupçons de
falsification coutumière qui pèsent sur tout le groupe de littérateurs tchèques au
milieu duquel s'est produit le célèbre manuscrit de Kœniginhof ' . Il faut ajouter
que pour toute l'Europe savante, en dehors de quelques écrivains slaves, il ne
saurait y avoir doute un seul instant sur la supposition du ms. de Grùnberg, ce
I. M. H. n'a rien dit d'une falsification sur laquelle je n'ai d'ailleurs pas de détails,
mais que j'ai indiquée, d'après Springer, dans mon article précité (p. 314, n. 5).
l6 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
ms. dont M. Pertz a déclaré la fausseté évidente (cf. Rev. crit., 1866, p. 3 14),
et qui contient cette misérable rhapsodie du Jugement de Liboucha, dont le début
est si clairement calqué sur celui du célèbre poème serbe, le Partage de l'héritage ' .
— Reste donc, comme seul objet de discussion, le manuscrit qui contient les
autres poèmes épiques. Les savants tchèques affectent de considérer la question
comme close : à mon sens elle ne fait que commencer à se poser. Une enquête,
dirigée avec toutes les lumières et toute l'impartialité possible, devient un besoin
urgent ; il y va de l'honneur de la nation bohème autant que des intérêts de la
science. Cette enquête devra avant tout éclaircir l'historique de la découverte du
manuscrit, qui, d'après les défenseurs les plus convaincus eux-mêmes, fourmille,
dans le récit de Hanka, de mensonges (appelés bénévolement /tî;)5/i5 memorid) et
de contradictions 2. Il faudra ensuite que les slavistes de toute l'Europe soient
appelés à donner leur avis motivé ; Schleichei' est mort malheureusement avant
de s'être expliqué sur ce point; mais M. Miklosich, qui ne se sert plus, dans sa
Grammaire, du ms. comme texte de langue, a le devoir de faire connaître ses
motifs. Pour ce qui regarde le côté historique et littéraire, la discussion paraît
terminée ; on a été dans l'impossibilité de citer un fait historique mentionné dans
le ms. qui ne fût pas- connu en 181 7; la forme littéraire est parfaitement insolite
pour tous ceux qui s'occupent d'épopées nationales. Les singularités paléogra-
phiques du ms. devront aussi être soumises à un jury compétent. — Nous atten-
dons cette enquête avec impatience : il faut absolument qu'on sache enfin à quoi
s'en tenir sur un fait d'histoire littéraire aussi important que celui-là. Nous
avouons que, tout en déclinant notre compétence, nous penchons à croire à une
supercherie; et certes on est de plus en plus disposé à l'admettre quand on voit,
comme nous l'avons dit plus haut, que tous les noms qui sont plus ou moins
mêlés à la découverte, à la publication et à l'interprétation de ce trésor national
sont ceux de faussaires soupçonnés ou convaincus.
G. P.
1 . On peut trouver la traduction allemande de ce chant serbe dans les poésies de Gœthe
et à la fin du tome I des Kkine Schriften de Jacob Grimm.
2. Entre autres histoires, Hanka raconta que des lambeaux de parchemin appartenant
primitivement au ms. avaient servi aux Hussites à empenner des flèches qui gisaient encore
sur le sol du caveau où il fit sa trouvaille. Mais alors pourquoi ne les a-t-il pas ramassés.?
et que sont devenues ces flèches.? — Notez que le ms. est censé avoir été jeté dans ce
caveau à la mort du possesseur et avec ses autres livres, il y a environ un siècle, c'est-à-
dire trois cents ans au moins après les Hussites. Etc., etc. M. Hanusch dit à ce propos:
« Quelques circonstances de la découverte^ que Hanka, dans son mélange de vérité et de
j> fiction, n'a jamais bien éclaircie, ont été révélées par Linda (toujours les mêmes noms!). »
Ce Linda accusait bien d'ailleurs le caractère qu'on attachait au trésor si merveilleuse-
ment découvert, en disant que l'inventeur « était prêt à montrer cette antiquité à tous les
» patriotes qui désireraient la voir » (Hanusch, Schriftwesen und Schriftthum, p. 68). Hanka
habitait alors avec Linda. Ce journaliste, en 1818, l'année de l'impression du ms., publiait
un roman historique sur Vaçlav et Boleslav (les héros d'un des poèmes de K.œniginhof;.
C'était, dit ailleurs M. H. {Die gef. bœhm. Cedichte, p. 5) un homme habitué à des senti-
ments et à des expressions peu nobles : c'est pour cela que M. H. ne le croit pas capable
d'avoir composé « la fadeur romantique et douceâtre » du Vychekrad; il cite des passages
plus ou moins poétiques (des chœurs de jeunes gens et de jeunes filles) dans son roman,
3ui sont, dit-il, d'une grande faiblesse; mais il ne les donne qu'en tchèque. Il y avait aussi
es passages en ancien tchèijm-, qui, d'après M. H. (p. 14), sont pleins d'incorrections.
Nogent-ie-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
)) n'en offre pas d'exemple assuré. »). — Gradl, Sur le Vocalisme du dialecte
franconien oriental (p. 263-283). — Comptes-rendus de Baudry, Grammaire
comparée des langues classiques, t. 1, par M. Schweizer-Sidler (p. 284-291, très-
favorable); de CoRSSEN, Ueber Aussprache, Vokalismus und Betonung der lateini-
schen Sprache, par M. Schweizer-Sidler (p. 291-31 1). — Mélanges. ScHŒNBERg,
)r,yw £/ Fpr.yrjîit (p. 311-313); Frœhde, Étymologics latines (p. 313-315:
frendo, infestus). — Nécrologie. Schmidt, August Schleicher (p. 31 S-321).
La 5*" livraison, brochée avec la 4'', est occupée presque en entier par un
article de M. Kuhn sur le livre de M. Scherer, Zur Geschichîe der deuîschea
Sprache, article qui tient près de cent pages (p. 321-41 1); M. Kuhn s'attaque
uniquement à la deuxième partie de l'ouvrage, celle qui traite de la flexion, et il
soumet les hypothèses de M. Scherer à une critique sévère, et, à ce qu'il semble,
aussi judicieuse qu'approfondie. — Mélanges. Fick, lira ei porca : [xsXivr,, malva;
notes diverses (p. 412-416).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
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Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
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faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à l'égard de la partie française con-
sidérablement augmentée.
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N' 28 Qaatrième année 10 Juillet 1869
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Cet ouvrage forme le 3'' fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
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jfr.
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Neue Jahrbûcher fur Philologie und Fœdagogik von Fleckeisen und
Masius, 1869. — Cahier 2.
Kekulé, Compte-rendu de Conze, Mélanges sur l'histoire de la plastique
grecque (Discussion sur quelques particularités d'Argos et d'Athènes). — Fleck-
EiSEN, sur Cicéron, pro Archia, lo, 26. — Campe, La sortie des Platéens
(Thucyd., III, 22 suiv.). — Weil, Compte-rendu de Egger, Mémoire sur
quelques nouveaux fragments inédits de l'orateur Hypéride. — Schneider,
10 conjectures sur Callimaque. — L. Dindorf, Nicolas de Damas. — Additions
au fragment de Priskos. — Sur les formes Tp^YoSûTr,? et Tsêspioç. — Tittler,
Sur Cic. de orat. 2, 20, Sô; 28, 122. — FuNKH.t:NEL et L. Mùller, Sur
Horace. — Wunder, Sur Horace, Od. I, 35, 24, III, 2, 18.
Zeitschrift fiir -wissenschaftliche Théologie, herausgegeben von A. HiL-
GENFELD. — 1869. 2'^ Cahier.
Lipsius, Études sur la dialectique de Schleiermacher (suite et fin). — Holtz-
MANN, Les rapports deTÊvangile de Jean avec les synoptiques (suite et fin). L'auteur
achève de démontrer que le quatrième évangile est dépendant, sous plusieurs
rapports, des trois premiers. — Overbeck, Lettre au D'' C. Holsten sur le passage
Romains VIII, 5. Discussion exégétique sur le sens du fameux passage
Iv à\xo\û>\i.(x.ii (Tapxoç à[j.apTtac. — Rœnsch, Nouvcaux éclaircissements sur P Assomp-
tion de Moïse. Remarques critiques et exégétiques, dont quelques-unes fort inté-
ressantes, sur cet écrit pseudépigraphe souvent mentionné depuis quelque temps.
— HiLGENFELD, Le Pastcur d'Hermas et son plus récent commentateur, c'est-à-
dire M. Zahn, qui place la composition de ce livre dès la fin du premier siècle
après J.-C, et part de là pour affirmer l'apostolicité de quelques écrits
du Nouveau Testament, fortement soupçonnés d'inauthenticité. M. Hilgenfeld
critique les résultats obtenus par M. Zahn.
3*= Cahier.
Lipsius, La polémique d'un apologéte. Réfutation des attaques dirigées contre
l'auteur par M. Zahn dans son récent travail sur le Pasteur d'Hermas. — W.
Grimm, Sur la doxologie de Romains IX, 5. Contre M. H. Schultz qui veut
encore appliquer cette doxologie à Christ. M. Grimm ponctue ainsi la phrase :
...ô côv sTtl TtàvTwv. ©eà; £ù).oYriTô; x. t. X.; c'est l'interprétation déjà proposée par
Erasme. — U. Immer, La dogmatique dépassant le point de vue de Hegel. A propos
de l'importante Dogmatique chrétienne de M. Biedermann (Zurich, 1869). — W.
Clemens, Les sources de l'histoire des Esséniens. Intéressante critique des rensei-
gnements que Josèphe, Philon et Pline nous ont transmis sur les Esséniens.
Hippolyte, Porphyre, Eusèbe, etc., n'ont guère fait que reproduire les données
qu'ils trouvaient chez ces trois écrivains.
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DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
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Ackermann (F.). Introductio in libres | accomodata. Editio IV. In-8*. Wien
sacres veteris fœderis usibus academicis | (Beck). 5^-35
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 28 — 10 Juillet — 1869
Sommaire : 128. Lévêque, Recherches sur l'origine des Gaulois. — 129. Bernays,
les Lettres d'Heraclite. — 130. Ebert, du rapport de Tertullien avec Minucius
Félix. — 131. CouRAJOD, le Monasticum Gal.icanum. — 132. Stern, sur les Douze
Articles des Paysans. — 133. Œttinger, Moniteur des dates.
128. — Recherches sur l'origine des Gaulois, par C. Lévêque. Paris, A.
Durand et Pedone-Lauriel, 1869. In-8', viij-i74 p.
La préface de ce livre débute ainsi : « Les différents écrits que nous livrons ici
» à l'impression sont l'œuvre posthume d'un jeune interne en médecine, enlevé
» à l'âge de 26 ans à l'affection de ses parents et de ses nombreux amis, après
» une maladie longue et douloureuse contractée en soignant les cholériques de
» l'épidémie de 1 864. » De semblables paroles désarment la critique qui aurait
beaucoup à dire, si l'auteur était vivant et avait lui-même publié ces Recherches
sur rorigine des Gaulois. On y voit un esprit sagace, curieux et indépendant,
l'étoffe d'un érudit. Mais M. L. n'était pas encore complètement initié aux
méthodes nécessaires dans ces études et ne semble avoir eu qu'une connaissance
très-imparfaite des travaux publiés sur ces matières. Non-seulement il ignore
les travaux étrangers, mais aussi des œuvres françaises telles que VEthnogénie
gauloise de M. de Belloguet. Toute sa philologie celtique paraît prise dans
l'ouvrage de M. de Chevallet sur la Formation de la langue française. Dans la
partie purement historique de son livre, on trouve quelques objections ingénieuses
au système de M. Amédée Thierry, mais mêlées à des assertions plus que contes-
tables. — Du reste, si cette publication est une œuvre de piété envers un mort,
elle a atteint son but ; en inspirant une vive sympathie pour ce jeune savant
enlevé si tôt à des études qu'il n'a pu qu'aborder.
H. G.
129. —Die Heraklitischen Briefe. Ein Beitrag zur philcscphischen und religions-
geschichtlichen Litteratur, von Jacob Bernays. Berlin, Hertz, 1859. In-8*, 159 p.
— Prix : 6 fr.
Dans cette publication M. J. Bernays a réédité après Westermann (Heracliti
epistolae. Lipsiae, 1857) la correspondance apocryphe qui nous est parvenue
sous le nom du philosophe Heraclite, en l'accompagnant d'une traduction en
alleniand et d'un commentaire cil il traite toutes les questions que soulève cet
ouvrage.
Cette correspondance se compose de neuf lettres. Les trois premières, invi-
tation adressée par le roi Darius à Heraclite, réponse d'Heraclite, ordre donné
par Darius aux Ephésiens de réintégrer dans ses droits de citoyen l'ami d'Héra-
Vlll ;,
l8 REVUE CRITIQUE
dite Hermodore, sont insignifiantes en elles-mêmes. L'intérêt est dans le com-
mentaire de M. B. et dans la manière dont il traite de certains points de la phi-
losophie et de la biographie d'Heraclite qui se rattachent à ces trois lettres.
Dans la quatrième lettre, adressée à Hermodore, Heraclite, à propos d*tme
accusation d'impiété qui lui a été intentée par un certain Euthyclès, attaque avec
vivacité l'usage d'enfermer la divinité dans les temples et dans l'obscurité (beau-
coup de temples n'étaient éclairés que par la porte), tandis que le monde entier,
avec les animaux, les plantes et les astres qui l'ornent, est son temple ; il se
compare pour la vertu à Hercule et se promet l'immortalité : « Si vous pouviez
» ressusciter dans cinq cents ans, dit-il en s'adressant aux Ephésiens, vous trou-
» veriez qu'Heraclite est encore vivant tandis qu'il ne resterait aucune trace de
» votre nom ; » il épousera aussi une Hébé, non pas l'Hébé d'Hercule, mais
l'une de celles dont la Vertu est la mère; Homère, Hésiode, chacun des hommes
illustres par leur sagesse a la sienne. Puis revenant brusquement au point de
départ et à l'accusation d'Euthyclès, le pseudo- Heraclite demande si des autels,
si des pierres peuvent être considérées comme des témoins des dieux, ce sont
les œuvres de la divinité qui sont ses témoins. Le soleil, la nuit et le jour, les
saisons, la terre avec ses fruits, la lune, déposent en sa faveur. M. B. pense que
conformément à l'usage qui se remarque dans la littérature apocryphe et apoca-
lyptique les cinq cents ans dont parle l'auteur de la lettre doivent se rapporter
au temps où il vivait lui-même, c'est-à-dire au premier siècle de l'ère chrétienne
(p. 26). Ce raisonnement ne me paraît pas bien convaincant et l'analogie
semble forcée. L'auteur de la lettre ne prédit pas ici un événement précis et
déterminé; c'est une manière figurée de dire que son nom vivra éternellement;
le nombre cinq cents n'a évidemment pas ici l'importance du nombre des semaines,
par exemple, dans le livre de Daniel. M. B. voit d'ailleurs dans cette lettre la
trace de deux mains différentes, celle d'un philosophe qui attache par-dessus
tout de l'importance à la sagesse et à la culture de l'esprit (TraiSeîa) et qui la
récompense par l'union avec Hébé, celle d'un juif ou d'un chrétien d'Ephèse qui
ne se souciait pas d'Hébé ni d'Hercule, mais qui a voulu introduire dans la
lettre l'expression de son zèle contre l'idolâtrie et qui à la fin s'est évidemment
rappelé le début du 19'" psaume « coeli enarrant gloriam Dei. » Si M. B. n'a pas
de peine à mettre à part la péroraison de la lettre, il est beaucoup plus
embarrassé pour distinguer dans le début où commence et où finit la pieuse
interpolation. Je crois que M. B. reconnaît avec raison un accent juif ou chrétien
dans ces attaques contre l'idolâtrie. Mais pourquoi l'auteur de ces attaques,
écrivant sous le nom d'Heraclite, ne se serait-il pas conformé à la vraisemblance
en le faisant écrire aussi en philosophe et en payen ? n'était-ce pas le moyen de
donner plus d'autorité au langage juif ou chrétien qu'il lui prête?
A propos de cette lettre M, B. signale avec raison (p. 133) une pensée
d'Heraclite qui avait échappé à l'attention des savants dans Clément d'Alexandrie
(PrOtrept. 2, p. 18 P) : tàyàp vo[AiÇô[Ji£va xar' àvOpwTTOu; (iviar^ipia àvtîpw(7Tt [Aueùvrai.
La cinquième et la sixième lettre adressées à un certain Amphidamas contien-
d'histoire et de littérature. 19
nent des réflexions sur la médecine et de vives attaques contre les médecins.
M. B. signale (p. 58) les ressemblances frappantes qui se rencontrent entre
certains passages de ces lettres et des passages du premier livre du traité attribué
à Hippocrate sur le régime; ce qui confirme l'opinion qui attribuait cet ouvrage
à un disciple de l'école d'Heraclite.
La septième lettre adressée à Herraodore est une invective véhémente contre
la société antique. Le pseudo-Heraclite y parle en particulier du viol des jeunes
filles dans les fêtes de nuit, de la prostitution des filles encore toutes jeunes et
des garçons, des excès commis dans les pique-niques. Il condamne la guerre
absolument et sans restriaion ; il s'indigne qu'on punisse comme déserteurs ceux
qui ne veulent pas se souiller du sang de leurs semblables. Il dit qu'il n'est pas
disposé à rire quand il voit qu'on s'approprie le bien d'autrui, qu'on traite
comme sienne la femme d'autrui, qu'on vend comme esclaves des hommes libres,
qu'on mange les animaux tout vivants, -rà ^wvra xoL-éibu-z, qu'on viole la justice.
M. B. fait remarquer (p. 73-74) que le trait relatif aux animaux vivants rappelle
le premier des préceptes donnés à tous les enfants de Noé, c'est-à-dire à tous
les hommes, qui sont mentionnés dans le Talmud. Il croit voir une réminiscence
de quelques-uns des autres préceptes dans ce même passage du pseudo-Heraclite.
Mais la chose n'est pas évidente; et ici, comme ailleurs, M. B. force un peu
l'interprétation pour trouver des réminiscences et des allusions. L'un des pré-
ceptes donnés aux enfants de Noé défend le meurtre; et les invectives contre la
guerre en général ne peuvent en tenir la place. Il n'y a pas de précepte spécial
qui défende de réduire en esclavage des personnes libres. M. B. pense que
l'auteur de la lettre n'a pas fait d'allusion au précepte qui défend d'adorer des
idoles, parce que c'eût été trop contraire à la vraisemblance d'attaquer le culte
des idoles sous le nom d'Heraclite. Mais l'auteur de la quatrième lettre n'y a pas
regardé de si près, et Sénèque dans son traité de la superstition dit sur ce point
des choses tellement fortes que saint Augustin a cru devoir en faire usage dans
la cité de Dieu (VI, 10). M. B. voit dans les mots v6iio;£î[i' a>j.bn une réminis-
cence de la politique d'Aristote (III, ij, 1284 a ij). Mais cet ouvrage était
bien peu lu, et le pseudo-Heraclite a pu tirer d'ailleurs cette expression. Au
reste M. B, n'a peut-être pas tort en attribuant cette lettre à un juif ou à un
chrétien du i^ siècle de l'empire.
M. B. a constaté que Sénèque (Dé ira, 2, 10, 5. De tran<^uill. 1 5, 2) est le
premier auteur où il est question d'Heraclite pleurant sans cesse par opposition
à Démocrite comme riant toujours, et Pline l'Ancien (7, 50) dit aussi qu'Hera-
clite ne riait jamais.
Dans la huitième lettre, à Hermodore, il est question du voyage d'Herraodore
en Italie, de la part qu'il devait prendre à la législation romaine et de l'empire
romain auquel seront soumis un jour les Grecs d'Asie. L'auteur cite un oracle
sibyllin qu'il applique à Hormodore : SîêvUa èv icoÀXoî; xal wjto èçpâcôr, f.Çstv <i6?ov
La neuvième lettre est adressée aussi à Hermodore. C'est une apologje de la
20 REVUE CRITIQUE
mesure par laquelle Hermodore accordait aux affranchis le droit de cité
(l(707ro),tT£ia) et à leurs enfants le droit d'arriver aux charges publiques (icoT-.fxta).
Le pseudo-Heraclite dit que de plus puissants adopteront les lois dont les Éphé-
siens n'ont pas voulu, saov-at xpeiTToyç... ol TrstffGriCTOfiEVOi toîç aoîç vojxot;. M. B. VOit
ici (p. 99) probablement avec raison une allusion à la législation ronfiaine qui
était beaucoup plus libérale que la législation grecque. Le pseudo-Heraclite
développe d'ailleurs le thème des stoïciens sur l'esclavage : tous les hommes sont
égaux comme citoyens du monde; il n'y a d'homme libre que celui qui n'est pas
assujetti à ses passions. M. B. croit reconnaître un juif ou un chrétien dans ce
qui est dit du culte de la Diane d'Ephèse, qui a pour grand-prêtre un eunuque,
comme si sa virginité courait du danger avec un homme. Mais il y a des traits
tout semblables dans les citations que saint Augustin fait du traité de Sénèque
sur la superstition. Les œuvres de Sénèque en général montrent combien il est
difficile de distinguer par des caractères intrinsèques et même par le langage un
philosophe d'avec un juif ou un chrétien dans ce qui tient à la morale et même
au culte. Aujourd'hui encore il y a des gens qui croyent que Sénèque a dû faire
des emprunts à saint Paul. Et certainement s'il ne nous était parvenu de Sénèque
que quelques lettres anonymes, elles se prêteraient très-bien aux raisonnements
que M. B. a faits sur la correspondance du pseudo-Heraclite.
Le texte de cette correspondance a été traité avec beaucoup de soin et de
sagacité. Il y a des restitutions très-heureuses. Mais on n'est pas infaillible; et
M. B. est trop disposé à s'étonner qu'on puisse commettre des erreurs. L'auteur
de l'histoire de la philosophie grecque à qui M. B. reproche vivement (p. 41)
de n'avoir pas pensé à se servir du traité d'Hippolyte contre les hérésies pourrait
s'étonner à son tour qu'un philologue aussi distingué que M. B. ait vu (p. 128)
une incorrection dans la construction èxewou sùvoîa signifiant « par bienveillance
» pour lui. » Krùger (§ 47, 7, 5) et Madvig (§ 45 rem.) citent le passage
suivant de Thucydide (7, $7) Arifjioaôevouç <ft),îa xai 'AOrivaîwv eùvoîa èirsxoupriaav, qui
justifie pleinement le pseudo-Heraclite. — Le texte de la cinquième lettre (p. 48,
I. 5-6) ne me semble pas exempt d'altération dans le passage où après avoir dit
que la prédominance d'un des éléments qui entrent dans le corps humain est la
cause des maladies, l'auteur continue ainsi : àw.à ôetôv xt ({/uxirî :^ âpjiôijouffa aùxà •
uyeia ictl tô irpÛTOv, 'laxpixwTaTov çOaiç -où yàp elxâi^et ii irpwrr, àxEyyia. xi Ttap' aOn^v,
àXXà ucrxepov âX),ot àXXa iJLijxoij(jL£vot ol âvOpwuoi imniri\L(tç xàç àyvoîa; êxâ/s^av oTSev
è\iii (joçta 080ÙÇ «fùffewi;, olôs xai vôaou TtaùXav. Evidemment l'auteur veut dire que la
manière dont la nature rétablit l'équilibre de la santé est le modèle de la méde-
cine, le prototype de la médecine que les hommes ont imité plus ou moins gros-
sièrement. Mais je ne comprends pas bien ce que donne le texte ûYsîa çOfftç,
que M. B. traduit : « Die Gesundheit ist das ursprùngliche, die Natur ist der
)) grœsste Arzt. » Et je ne vois pas de restitution bien certaine; faut-
il lire : (jytictQ èaù xô Trpûxov laxptxèv çûdt;, en faisant dépendre Ofeia; de çûdi;? En
tout cas l'enchaînement des idées exige, à ce qu'il me semble, le sens que j'ai
indiqué plus haut.
d'histoire et de littérature. 21
En somme l'ouvrage de M. Bernays est plein de recherches savantes, ingé-
nieuses, présentées avec intérêt. La matière est petite, mais le travail est exquis.
Cette publication ajoute à ce que l'on savait de la philosophie d'Heraclite et de
l'état moral et religieux de l'empire romain au i" siècle de l'ère chrétienne.
Charles Thurot.
130. — Tertullian's Verhœltniss zu Minncius Félix, nebsteinem Anhangùber
Commodian's carmen apologeticum von Adolt Ebert. Leipzig, Hirzel. — Prix: j fr.
25 c.
Ce travail intéressant de M. Ebert est extrait des Mémoires de l'Académie des
sciences de Saxe. Il se compose de deux parties, ou plutôt de deux mémoires
séparés sur deux questions qui intéressent l'histoire et la littérature des premiers
siècles du christianisme. Le premier est consacré à étudier les rapports qui
existent entre VOctavius de Minucius Félix et VApologeticum de Tertullien. Ces
deux ouvrages sont à peu près du même temps; il ont dû être composés vers les
trente dernières années du second siècle. Mais lequel a précédé l'autre ? C'est
une question qu'il est important de résoudre. Comme ils nous donnent tous les
deux sur la situation de !a société chrétienne à ce moment des renseignements
qui concordent pour l'ensemble, mais diffèrent quelquefois par les détails et les
nuances, il est utile à l'histoire de l'Église que chacun des deux tableaux soit
remis à sa date précise. L'histoire littéraire n'a pas moins d'intérêt à savoir lequel
des deux livres a précédé l'autre : ils sont parmi les livres chrétiens les plus anciens
qui aient été écrits en latin, et il est naturel qu'on souhaite de connaître avec
certitude par quel ouvrage la littérature latine chrétienne a commencé.
L'Octavius, dont nous ne possédons qu'un seul manuscrit ancien, n'a été
publié pour la première fois qu'en 1 543. A ce moment l'Apologétique de Tertul-
lien était depuis plus d'un demi-siècle en possession de l'admiration publique, et
l'on n'hésita pas à regarder comme le plus ancien l'auteur le plus connu et le plus
admiré. L'opinion contraire prévaut aujourd'hui ; c'est celle de M . Ebert qui cherche
à prouver que VOctavius est antérieur àV Apologétique. Malheureusement on n'a pas
de texte précis pour l'établir. Si Lactance , dans la revue rapide qu'il présente
des défenseurs du christianisme au 5^ livre de ses divinae institutiones, met Minutius
Félix avant Tertullien, saint Jérôme, dans son de viris illusîribus, place au
contraire Tertullien le premier. Niebuhr fait bien remarquer que Minutius réfute
à deux reprises le livre que Fronton avait écrit contre les chrétiens, et, comme
on doit supposer que la réponse n'a pas dû être très-postérieure à l'attaque elle-
même, il en conclut que VOctavius a dû paraître vers l'an 170; mais M. Ebert
ne trouve pas cet argument sans réplique. Il lui semble que plusieurs années
après la mort de Fronton on pouvait encore citer et réfuter l'ouvrage d'un orateur
célèbre qui avait dû faire beaucoup de bruit quand il parut et dont assurément la
renommée ne s'était pas si vite éteinte. On est donc réduit, en l'absence de docu-
ments étrangers, à l'étude comparée des deux livres et il faut qu'on se décide par
des raisons presque exclusivement littéraires. Toute l'argumentation de M. Ebert
22 REVUE CRITIQUE
se borne à montrer qu'il y a chez les deux écrivains des morceaux tellement sem-
blables qu'il faut que l'un ait copié l'autre ; or ces morceaux semblent bien mieux
à leur place dans VOctavius que chez Tertullien ; ils y font partie du plan même
de l'ouvrage et l'on ne peut les enlever sans en compromettre l'ordonnance géné-
rale qui est très-sage et très-simple. Au contraire dans l'Apologétique \\s sont
moins bien fondus avec le reste, ils ne s'accordent pas toujours avec le plan de
l'ouvrage et ils ont l'air parfois de n'avoir pas été faits pour l'endroit où on les
voit. M. E. n'a pas de peine à répondre à ceux qui prétendent que l'origina-
lité de Tertullien ne permet pas de supposer qu'il emprunte ses idées d'un autre.
On sait qu^il ne s'est pas fait scrupule dans d'autres passages d'imiter saint Justin.
D'ailleurs V Apologétique était une œuvre de circonstance, écrite en toute hâte au
début d'une persécution pour essayer de l'arrêter. Est-il surprenant que l'auteur,
pressé d'achever son livre, ait pris son bien où il le trouvait, sans se préoccuper
beaucoup d'ordonner avec soin ses emprunts .? Ces imitations ne font du reste
aucun tort à l'originalité de V Apologétique. M. E. fait remarquer avec beau-
coup de force que cette originalité se trouve dans le caractère juridique de
l'ouvrage. Saint Justin, Tatien, Athénagore étaient des Grecs qui connaissaient
peu les lois romaines; Tertullien qui les avait étudiées et pratiquées s'en est servi
le premier pour la défense du christianisme. Minutius est original aussi ; il ne
ressemble pas aux Grecs ses devanciers, et il a mis dans son petit livre le carac-
tère de son pays et de son temps. C'est un philosophe, mais non pas un spécu-
latif ou un platonicien. Il prend le fond des doctrines stoïciennes, et, selon
l'habitude des Romains, le modifie par le bon sens et l'applique à la vie commune:
c'est un imitateur de Cicéron et un disciple de Sénèque. Ainsi, comme le fait
remarquer en terminant M. E., c'est par deux œuvres originales et vraiment
romaines que la littérature chrétienne a commencé à Rome.
L'autre mémoire de M. Ebert, quoique beaucoup plus court, est plus intéres-
sant encore et plus nouveau. Il y traite du poème intitulé Carmen apologeticum
qu'on attribue à Commodien. Ce poème a été publié pour la première fois par
D. Pitra qui l'avait trouvé sans nom d'auteur dans la bibliothèque désir Thomas
Phillips à Middlehill. Le manuscrit de Middlehill est rempli de fautes et D.
Pitra en a donné une édition fort médiocre. M. E., qui se montre très-sévère
pour l'éditeur du Spicilége, prouve qu'il n'a pas été heureux dans la constitution
du texte et qu'il n'a pas toujours compris les idées principales de son auteur. Le
commentaire de M. E. améliore en beaucoup d'endroits ce texte corrompu et
nous fait bien mieux saisir la suite et la portée des idées. Ce qu'il a le mieux
éclairci, c'est la partie de ce curieux poème qui se rapporte à la fm du monde et
à l'Antéchrist. Il y règne une grande confusion que D. Pitra n'avait pas su
dissiper. M. E. rappelle comment la croyance à l'Antéchrist est née chez les
Juifs de l'interprétation de certains passages de la Bible, notamment de la vision
de Daniel et de la prophétie d'Ezéchiel sur Gog et Magog. Les Juifs croyaient
que l'anti-messie serait un homme de la tribu de Dan qui s'élèverait traîtreuse-
ment contre le Christ « comme un serpent s'élance du chemin, » et qui après
d'histoire et de littérature. 2^
une longue résistance finirait par être vaincu par lui. Les chrétiens, en quittant
la Judée, emportèrent ces croyances avec eux. Ils pensaient, avec saint Paul,
que la venue de V homme dépêché était proche. La première persécution^ à laquelle
ils ne s'attendaient pas, et les massacres qui en furent la suite les disposèrent à
croire que l'empereur, qui les traitait si rudement, pourrait bien être ce fils de
perdition prédit par les prophètes. Précisément la canaille de Rome, qui regret-
tait Néron, prétendait, sous les Flaviens, qu'il n'était pas mort, qu'il s'était
réfugié chez les Parthes et qu'il devait en revenir. Ces récits populaires confir-
mèrent les chrétiens dans leur opinion, et, à partir de la fm du premier siècle,
Néron fut pour eux l'Antéchrist. Mais cette façon d'interpréter la légende ne fut
acceptée qu'à Rome et dans une partie du monde romain. A la même époque
saint Irénée continue à croire que l'Antéchrist sera un homme de la tribu de Dan
et il l'appelle Bélial. L'originalité de l'auteur du Carmen apologeticum consiste à
réunir les deux légendes; il y a pour lui deux antechrists, Néron et l 'anti-messie
des Juifs. Chacun a son rôle: « l'un, nous dit le poète, est la perdition de la ville,
» l'autre de la terre tout entière. » Néron tue Hélie et chasse les chrétiens de
Rome, à son tour, il est défait et tué par l'anti-messie qui détruit Rome et mas-
sacre les Romains, récit lugubre que l'auteur de ce poème rhythmé termine par
ce beau vers :
Luget in aeternum, quae se jactabat aeterna!
à partir de ce moment cette légende combinée est généralement acceptée par les
écrivains ecclésiastiques, et nous la retrouvons chez Lactance et chez Sulpice
Sévère.
Quant à l'auteur du poème et à l'époque où il vivait, M. E. se rapproche
en général des opinions de D. Pitra, mais il les établit sur de meilleures preuves.
Il ne doute pas que l'auteur du Carmen apologeticum ne soit le même que celui
des Instructiones adversus gentium deos, c'est-à-dire Commodien. Il pense qu'il
vivait et qu'il a écrit vers le miUeu du iii*^ siècle et que par conséquent il est le
premier en date de tous les poètes latins chrétiens. Son histoire nous est du reste
parfaitement inconnue, nous n'en savons que ce qu'il nous en apprend lui-même.
Il s'appelle, dans les Instructiones, Gazaeus, mendicus Christi. Il était donc de la
ville de Gaza, et non africain comme on l'a prétendu. Mais, si l'on accorde à
M. E. qu'il était né en Orient, on ne peut s'empêcher de croire que ce n'est
pas en Orient qu'il a vécu et qu'il a composé ses ouvrages. Son originalité
consiste à être un poète populaire. Il n'a pas écrit pour la société lettrée mais
pour la foule; il faut donc admettre que les gens parmi lesquels il vivait pou-
vaient le comprendre, et que par conséquent il écrivait dans un de ces pays de
l'Occident où la langue latine était celle de tout le monde. Il m'est difficile aussi
d'admettre avec M. E, que mendicus Christi ne soit qu'une traduction de 5enu5
Dei; je crois que sans être téméraire on peut y voir autre chose. Ces mots ne
semblent-ils pas dire que Commodien s'était condamné à la pauvreté volontaire ?
C'était donc peut-être une sorte de moine avant les moines, un apôtre populaire
qui courait le monde, comme faisaient les cyniques à ce moment, prêchant la
24 REVUE CRITIQUE
pauvreté par ses leçons et son exemple. Je remarque en effet à plusieurs reprises
dans son poème des mots bien cruels contre les riches. Il dit « qu'à la façon
» des bêtes ils cherchent toujours quelque proie à prendre, quelque sang à lécher,
» et que leur unique joie est de vivre comme des porcs à l'engrais »
Dum modo laetentur saginati vivere porci !
Gaston Boissier.
131. — Le Monasticon Gallicanum, par Louis Courajod. Paris, Liepmannssohn
et Dutour, mai 1869. In-fol., 28 p. — Prix : 5 fr.
Le bénédictin D. Michel Germain composa sous le titre de Monasticon galli-
canum une histoire des abbayes de la congrégation de Saint-Maur; il mourut
avant d'avoir pu faire imprimer son ouvrage, qui demeura définitivement inédit.
Un grand nombre de planches, représentant les vues à vol d'oiseau des diverses
abbayes, furent gravées pour accompagner le texte; elles n'existent plus aujour-
d'hui, mais quelques-uns des tirages qui en avaient été faits se sont conservés.
Malheureusement les amateurs qui les recueillirent les assemblèrent sans ordre,
n'ayant pas toujours la série complète et y mêlant arbitrairement des estampes
étrangères. De tels recueils interpolés et confus nécessitaient un travail de dépouil-
lement que M. Courajod vient de faire paraître. L'auteur s'est attaché à recons-
tituer suivant un plan méthodique le catalogue des planches, qu'il a reconnues
avoir été exécutées pour l'œuvre de D. Germain et dont il a assez judicieu-
sement arrêté le nombre à 1 5 2 .
M. G. destinant sa monographie à précéder la collection des planches du Mo-
nasticon, débrouillée et reconstituée par lui, mais photogravée aux frais d'un
riche antiquaire, s'était restreint dans les limites d'une introduction. Son étude,
éditée séparément par suite de circonstances indépendantes de sa volonté,
semble dès lors trop courte; mais si résumée qu'elle soit, elle n'en est pas moins
la base nécessaire de toute publication nouvelle sur le même sujet.
F. Calmettes.
132. — Ueber die zwœlf Artikel der Bauern und einige andre Aktenstùcke aus
der Bewegung von 1525, von Alfred Stern. Leipzig, S. Hirzei, 1868. In-8*, viij-
I $ 1 p. — Prix : 3 fr. 20.
Le présent travail d'un jeune savant de Gœttingue n'est pas une histoire de
la guerre des paysans, mais il fait naître le désir de voir l'auteur aborder
bientôt ce sujet plus vaste auquel il prélude si bien par l'opuscule que nous exa-
minons ici. C'est une étude critique sur l'origine du document qui joua le rôle
principal dans le terrible soulèvement de 1525, et que nous connaissons sous le
nom des Douze articles. Cette pièce, dans laquelle sont formulés avec une brièveté
et une modération magistrale les griefs des malheureux paysans, a fait le tour de
l'Allemagne en un clin d'oeil; nous la retrouvons partout ', de l'Esthonie jusqu'en
I. L'auteur cite 31 éditions contemporaines différentes et il ne les cite pas toutes. Nous
d'histoire et de littérature. 25
Alsace et en Lorraine, et des frontières de la Suisse jusqu'aux montagnes de
Thuringe, sans qu'on ait encore pu découvrir les voies par lesquelles elle se pro-
pagea et sans qu'on ait réussi jusqu'ici à fixer d'une manière indubitable le nom
de l'homme qui formula cette déclaration des droits de l'homme au xvi^ siècle.
L'auteur ne s'est point laissé effrayer par l'insuccès de ses prédécesseurs, et il a
essayé d'arriver à des résultats positifs par une critique prudente et sagace unie
à une discussion minutieuse des sources. M. Stem commence d'abord par exa-
miner les motifs du succès universel dont jouirent les Douze articles; il nous
montre que ces droits réclamés par les paysans dans un langage net et précis,
ne sont pas des postulats théoriques , mais la revendication légitime d'anciens
droits possédés par les Germains libres du ix*' et du x* siècle, de droits fraudu-
leusement dérobés aux viaimes par l'injustice et la dureté d'une féodalité de
plus en plus oppressive et violente. Les douze articles sont comme des échos
lointains des codes judiciaires du Sachsenspiegel et du Schwabenspiegel, auquels se
mêle un élément religieux nouveau, stimulé par l'ardent désir d'échapper à
l'oppression du clergé. M. St. décompose ensuite les douze articles en leurs
différents éléments. Les éditions les plus complètes sont ordinairement précédées
d'une introduction et accompagnées de notes marginales; notre auteur établit
que notes et introduction ne font pas partie du texte primitif et sont l'œuvre
d'un commentateur postérieur (de quelques mois) à l'auteur de la rédaction
première. Maintenant d'où vient cette rédaction première ^ Cette grosse question,
M. St. l'aborde par le côté négatif en discutant d'abord les personnalités dési-
gnées par ses prédécesseurs comme auteurs probables des douze articles et en
montrant successivement l'impossibilité de ces assertions diverses. Cinq personnes ,
se sont involontairement disputées jusqu'ici l'honneur de la rédaction des articles;
je dis involontairement, car aucune d'elles n'a prétendu de son vivant à cet hon-
neur, qui aurait pu coûter cher, et ce sont des écrivains postérieurs qui leur ont
imposé ce labeur. La première de ces personnes est Christophe Schappeler ou
Sertorius, prédicateur à Memmingen, réfugié en Suisse après la révolte des
paysans. L'introduction théologique aux articles, lourde et peu digne du reste,
est peut-être de lui, mais il n'a point touché au texte même des articles, non
plus que Jean Heuglin, vicaire à Sernatingen sur le lac de Constance, brûlé
comme hérétique à Meersbourg après la défaite des paysans, bien qu'il ait été
accusé d'avoir écrit des articles; mais M. St. démontre qu'il s'agit d'autres pièces
en faveur des paysans. C'est une confusion analogue qui a fait désigner Frédéric
Weigand, fonctionnaire de l'électeur de Mayenceà Miltenberg dans l'Odenwald,
comme auteur de notre document. Le prophète Thomas Mûnzer, le célèbre chef
des paysans révoltés de la Thuringe a également été nommé, mais plutôt à cause
de l'importance de son rôle dans la révolte générale et de sa valeur personnelle
que sur des indices certains. Un dernier candidat se présentait dans la personne
en avons noté une au t. 74 de la collection Wenckeriana à la bibliothèque du Séminaire
protestant de Strasbourg, qu'il paraît ignorer.
26 REVUE CRITIQUE
du chevalier Jean de Fuchsstein, agent politique du duc Ulrich de Wurtemberg
pendant les années de son exil. Il paraissait peu probable de prime abord qu'un
gentilhomme ait trouvé les formules claires et expressives qui résument les vœux
et les désirs des paysans et sans quelques textes contemporains, qui prouvent
qu'en effet Fuchsstein fut profondément impliqué dans les troubles de la Souabe,
espérant les faire tourner au profit de son maître, on n'aurait jamais songé sans
doute à ce nom. M. St. ayant écarté ces diverses hypothèses arrive à celle qu'il
nous propose à son tour. D'après lui, l'auteur des Douze articles, c'est Balthasar
Hubmaier, d'abord professeur à l'université d'Ingolstadt, puis converti au pro-
testantisme et nommé pasteur à Waldshut, qu'il amena aux doctrines de la
Réforme et qui devint en 1524 le centre politique des paysans révohés de la
Forêt-Noire. Hubmaier fut bientôt le conseiller politique des paysans et c'est
sur leur demande et, pour ainsi dire, sous leur dictée, qu'il rédigea le document
qui nous occupe. M. St. a réuni avec une grande sagacité tous les arguments
en faveur de celte donnée importante. La preuve principale se trouve dans les
lettres de J. Faber, vicaire-général de Constance, chargé de confisquer les
papiers de Hubmaier (qui fut brûlé à Vienne en 1 528) et qui y trouva les docu-
ments établissant le fait et le texte même des Douze articles écrits de la main de
l'accusé. Quant à la date de la rédaction des articles elle est assez facile à fixer
approximativement. Les premiers exemplaires en circulèrent à Ulm et à Munich
dans les derniers jours de Mars 1525; on peut donc admettre qu'ils ont été com-
posés à Waldshut vers la mi-mars de cette année.
Tout n'est pas également certain dans le travail de M, Stern et lui-même
, reconnaît ce fait avec beaucoup de modestie. Mais il est permis de dire dès
aujourd'hui que plaçant hypothèse contre hypothèse, celle de notre auteur est
encore celle qui paraît la plus probable et que toutes les tentatives faites avant
lui pour trouver l'auteur des douze articles ont été moins heureuses que la
sienne. Peut-être sera-t-il possible de découvrir un jour dans quelques archives
d'Allemagne des documents nouveaux sur ce sujet. Pour le moment tout nous
permet d'accepter avec quelque sécurité les résultats dûs à la sagacité de notre
auteur et qui pourraient bien contenir la vérité définitive sur un des points les
plus controversés de l'histoire allemande.
Rod. Reuss.
1 j 3 . — Moniteur des Dates. Biographisch-genealogisch-historisches Welt Register,
par Eduard Maria Œttinger. Leipzig, Ludwig Denicke, 1869. In-4*, 1075 pages.
— Prix : 140 fr.
La traduction du titre de ce vaste ouvrage en donnera une idée exacte :
« Répertoire universel biographique, généalogique et historique, comprenant les
actes personnels de la race humaine, c'est à dire l'indication de la patrie, des
dates de naissance, de mariage et de mort, de plus de 100,000 personnes de
toutes les époques et de toutes les nations, ayant joué un rôle dans l'histoire,
d'histoire et de littérature. 37
depuis la création du monde jusqu'à nos jours, avec des notes sur toutes sortes
d'objets curieux. » — L'épigraphe est empruntée avec à propos à une Comedia de
Calderon : « Muera el hombre, viva el nombre. » Un avant-propos en langue
française annonce que ce livre est le résultat de vingt ans de recherches, et qu'il
contient près d'un million de dates arrangées par ordre alphabétique. « Jusqu'à
» présent nul dictionnaire n'a surpassé le nombre de 40,000 personnages; le
» nôtre sera le premier qui s'élèvera à la hauteur de plus de 100,000 noms
» d'hommes et de femmes. » L'ouvrage est rédigé en langue allemande; on en
promet plus tard une traduction française. Chaque page est divisée en trois
colonnes d'une impression assez serrée, sans être cependant d'une finesse qui
fatigue la vue; chaque colonne est de 95 lignes. On se trouve donc en face d'un
total de 3,319 colonnes et de 3 1 5,400 lignes, énonçant chacune plusieurs faits,
plusieurs dates.
Chaque individu indiqué dans cet immense répertoire obtient en général trois
lignes, quelquefois deux, parfois quatre, très-rarement davantage. D'après le
plan du livre, les indications se bornent aux dates de la biographie de chaque
personnage, sans qu'il soit fait mention de ses travaux littéraires ou scientifiques,
ni des circonstances auxquelles il doit d'être connu. Traduisons quelques articles
qui serviront d'exemple :
Goethe (Johann Wolfgang v.), fils de Jean Gaspard G., poète allemand, con-
seiller intime de Saxe-Weimar et ministre d'État, né à Francfort sur Mein le
28 août 1749, annobli en 1782, marié le 19 octobre 1806 à Christiane Vulpius,
veuf depuis 181 6, mort à Weimar le 21 mars 1832.
Palmerston (Henry John), baronet Temple, troisième vicomte, fils d'Henry II
Temple, deuxième vicomte, homme d'État anglais, ex-premier ministre, né à
Broadland (Southamptonshire) le 20 octobre 1784, marié le 16 décembre 1839
à Emily Mary Lamb, mort à Brockett (Herfordshire) le 18 octobre 1865.
Vernet (Jean Emile Horace), fils d'Antoine Charles Horace, surnomme Carie,
peintre français d'histoire, né à Paris le 30 juin 1789, marié en 1810 à Louise
Pujol, veuf en , remarié en à la veuve de Boisricheux, mort à Paris
le 17 janvier 1863. Un de ses tableaux les plus célèbres est les « Adieux de
» Napoléon à Fontainebleau ».
Voltaire (François Marie Aroiut de), fils de François Arouet et de Marie Mar-
guerite Daumart, philosophe et écrivain français, né au château de Chaienay,
près de Sceaux, le 20 février 1694', mort à Paris le 30 mai 1778.
M. Œtlinger a pensé qu'un personnage de l'importance de Voltaire méritait
bien quelques détails ; il a donc joint trois notes aux lignes fort succinctes que
nous venons de reproduire :
I * Il n'est pas exact que le jeune Arouet ait pris le nom de Voltaire en adoptant celui
d'une propriété rurale appartenant à sa famille; c'est avec plus de raison que l'auteur
I . [C'est une double erreur : Voltaire naquit à Paris le 2 1 novembre 1 694 ; voir son
acte de baptême, extrait des registres de Saint-André des Arcs, dans Jal, p. 128 5. Réd.]
28 REVUE CRITIQUE
des Critical Essays by an Octogenarian (Cork, 1851, in-8*) fait observer que Voltaire est
l'anagramme de : Arouet 1. j. (le jeune).
43761825 12345678
Voltaire Arouet 1. j.
2° La maison où naquit Voltaire était dans la rue des Vignes; elle fut démolie en
1825.
3° Voltaire, qui avait déclaré la guerre à Jeanne d'Arc, mourut précisément le même
jour où, en l'an 1431, cette héroïne fut livrée au supplice. La Nouvelle Biographie géné-
rale lui consacre un article signé Eugène Asse, où nous regrettons de ne rien découvrir de
bien nouveau; nous avons été frappés d'y trouver une appréciation de Voltaire par
Gœthe; nous ne la connaissions pas encore, mais nous l'avons rencontrée dans le t. 36,
p. 213, des Œuvres de Gœthe (Stuttgart, 1830); nous avouons que cette longue série de
mots, placés à la suite les uns des autres (génie, imagination, profondeur, étendue,
raison...), nous semble remplie de pléonasmes et de tautologies, et nous pensons que
Gœthe aurait pu porter sur Voltaire un jugement plus précis et plus concluant.
Pour montrer quelle abondance de renseignements nouveaux le travail de
M. Œttinger ajoute aux Dictionnaires biographiques les plus récents, nous
observerons qu'il débute par signaler huit Aa (Van der), tandis que la Bio-
graphie générale, éditée par MM, Didot, n'en fait connaître que quatre; et dès la
première colonne de la première page on trouve les noms d'Aabel, Aabye,
Aach, Aacken, Aayard (J. G. W. et Rasmus), Aalborg, Aselholm, Aall, Aare,
et une foule d'autres dont il n'est fait aucune mention dans la Biographie en
question. — L'auteur n'a point exclu de ses recherches les personnages vivants;
il donne la date de leur naissance; c'est ainsi qu'en ouvrant au hasard la seconde
partie, à la page 112, nos regards se portent sur Théophile Gautier, né à Tarbes
le 31 août 1808, et sur le peintre italien Leonardo Gavagnini, né à Venise le
18 mars 1812. — On comprend d'ailleurs qu'il est impossible que quelques
lacunes ne soient pas à signaler; il nous serait facile d'en indiquer un assez
grand nombre; ainsi, pour la lettre G (et nous prenons la première qui s'offre
à nous), nous aurions à mentionner le baladin Gaultier Garguille (dont le vrai
nom était Guérin), cher aux bibliophiles français, né vers 1 574, mort vers 1634
(peut-être M. 0. l'a-t-il repoussé, faute d'indications assez positives); le poète
Pierre Gringore, né de 1475 à 1480, mort vers 1544 (même observation);
l'oratorien Jean Gaichies, né à Condom en 1647, mort à Paris le 5 mai 1741;
le comte J. R. de Gain-Montaignac, littérateur, né en janvier 1778, mort au
commencement de 1819 (M. 0. ne cite que le prélat de ce nom, évêque de
Tarbes en 1782, mort en Portugal en 1806); l'abbé Jacques Galet, né à Lam-
balle et mort en 1726, etc. M. 0., qui cite parfois Quérard, aurait parfois pu
consulter avec profit la France littéraire de ce laborieux écrivain. Il nous semble
aussi qu'il aurait trouvé beaucoup de renseignements dans VObituary qui est joint
à chaque cahier mensuel du Gentleman^s Magazine; prenons le premiernuméro
de ce journal qui nous tombe sous la main, celui du mois d'août 1860; nous y
rencontrerons divers personnages qui mériteraient d'être réunis à tant d'autres
qu'enregistre le Moniteur des Dates : Finlaison (John), né à Thurso le 27 août
1783, mort près de Londres le 13 avril 1860, auquel on doit les tables de
mortalité qui servent de base aux opérations de divers établissements anglais;
d'histoire et de littérature. 29
Martin (Peter John), géologue distingué, né à Purlborough (Sussex) en 1786,
mort dans la même ville le 13 mai 1860; Roberis (George), archéologue, géo-
logue et historien, mort à Lyme Régis le 27 mai 1860; Orm^roi (William Piers),
médecin et anatomiste habile, auteur d'ouvrages estimés, né à Londres le 14
mai 1818, mort à Canterbury le 10 juin 1860; Thackwell (Joseph), général
anglais, né en 1781, mort à Aghada-Hall (près de Cork) le 8 avril 1859.
Arrêtons ici cette énumération, à laquelle nous pourrions donner une extension
formidable. — Nous observerons aussi que quelques erreurs, excusables assuré-
ment dans un labeur aussi gigantesque, se rencontrent de loin en loin; il n'est
pas exact (bien qu'on l'ait fort souvent redit) que Furetière ait dédié au bour-
reau son Roman bourgeois. A propos de Locke, qui resta célibataire toute sa vie,
M. 0. indique vingt et un hommes célèbres morts sans être mariés: Addison,
Ariosto, Bayle, Boileau, etc.; mais il met à tort dans cette catégorie Buffon,
dont le fils périt sur l'échafaud révolutionnaire, et Racine qu'il indique d'ailleurs
plus loin comme marié le 1" juin 1667 à Catherine de Romanet. Si l'auteur
avait lu la curieuse brochure de M, Louis Lacour sur le Parc aux Cerfs, il n'au-
rait pas écrit que cet établissement avait coûté 200 millions, et nous croyons
aussi qu'il a trop légèrement accepté comme fait authentique l'inculpation diri-
gée contre Charles IX d'avoir, d'une des fenêtres du Louvre, tiré des coups
d'arquebuse sur les Huguenots le jour de la Saint-Barthélémy. Afin de relever
un peu l'aridité qui est la compagne inséparable d'une immense série de noms
propres et de dates, M. 0. a pris le parti (et il a bien fait) de joindre à un
certain nombre d'articles des notes ordinairement fort courtes, destinées à
signaler diverses particularités piquantes ; nous croyons devoir traduire quel-
ques-unes de ces annotations, que nous prenons d'ailleurs à mesure que nous
les rencontrons, sans prétendre choisir. — L'historien prussien Gundling, mort
en 173 1, et qui jouait auprès du roi Frédéric-Guillaume I" le rôle de bouffon,
faisait partie d'une société badine, le Taback-Collegium, qui nous semble avoir
échappé aux recherches spéciales de M. Dinaux; son protecteur le fit ensevelir
dans une futaille de vin, et un bel esprit de la cour, qui se piquait de savoir le
latin, composa cette épitaphe : Vinosus, vino sus. — Le docteur André Halliday,
mon en 1839, et célèbre en Angleterre pour le traitement des maladies men-
tales, a écrit qu'il avait envoyé 30,000 lettres relatives à sa profession, qu'il en
avait reçu 40,000, et que ses voyages pour inspecter plus de 400 hospices
d'aliénés publics ou particuliers lui avaient fait parcourir un espace de 18,000
milles (plus de 29,000 kilomètres). — Le socinien Ludwig Hetzer, décapité à
Zurich le 4 février 1 529, était un panisan déclaré du principe de la polygamie;
ce précurseur des Mormons avait épousé douze femmes, et il avait donné à cha-
cune d'elles le nom d'un des mois de l'année. — Le mathématicien Hirsch,
mort en 1852, s'était occupé de calculer le nombre de combinaisons diverses
que pouvait offrir le whist; il en avait trouvé 635,013,559,600. Un joueur qui
consacrerait chaque jour dix heures à ce jeu et qui amènerait par heure trente
combinaisons différentes, aurait besoin de 5,795,341 ans pour épuiser toutes les
JO REVUE CRITIQUE
combinaisons possibles, en admettant qu'aucune ne se reproduisît deux fois. —
C'est au compositeur Koltzmann, né à Meerseburg, sur le lac de Constance, et
mort vers 1790, que revient l'honneur d'avoir inventé le rhythme reproduit
dans la Marseillaise; on le trouve dans le Credo de sa quatrième Missa solemnis.
— Le théologien Jacques Christophe Iselin, mort à Bâle en 1737, s'était attaché
à compter combien de versets, de mots et de lettres, se trouvent dans la Bible,
il avait consacré à ce travail ingrat trois années entières en s'y appliquant
pendant neuf heures par jour, et il finit par constater que la Bible renferme
31,173 versets, 775,692 mots et 3,566,480 lettres; le mot et revient 46,227
fois, le mot Jehova 6,7 5 5; mais le mot hébreu équivalent « à sur le champ, immé-
diatement >>, ne se montre qu'une fois. Ce qui avait porté le courageux Iselin à
entreprendre un pareil labeur, c'est qu'il avait pris pour modèle un docte
musulman qui avaft reconnu qu'il y a dans le Koran 77,639 mots et 323,015
lettres. — Le jésuite bohémien Korsinek, mort en 1680, soutint que Gutenberg,
l'inventeur de l'imprimerie, était né à Kuttenberg en Bohême; et ce sentiment
aveugle de patriotisme inspira encore plus vivement Grégoire Aloys Dankowsky,
lequel s'efforça d'établir qu'Anacréon appartenait à la race tch^èque. — On a
bien peu, ce nous semble, entendu parler en France d'un aventurier allemand,
Ernest Louis Wofgraf, enfant trouvé qui eut la prétention de se faire passer
pour un fils naturel de Napoléon I" et d'une comtesse de Kielmansegge, et qui,
né à Dresde vers 1813, se suicida, dans la même ville, le 14 avril 1866. —
A l'article du poète Jean Mathias Dreyer, né à Hambourg en 17 16, mort en
1769, nous trouvons l'indication d'un ouvrage à insérer dans la nouvelle édition
projetée (à ce qu'on nous assure) du Dictionnaire des livres condamnés de Pei-
gnot; un volume de chansons bachiques de cet auteur fut brûlé de la main du
bourreau sur la place publique de Hambourg. — M. Œttinger rencontre Esco-
bar, et il nous offre un échantillon des assertions de ce casuiste, dont le nom
est resté célèbre , mais dont les ouvrages sont assurément bien peu ouverts
aujourd'hui; il avance qu'il y a moins de mal à tuer dix laïques qu'un seul
prêtre, vingt prêtres qu'un évêque, trente évêques qu'un cardinal, cinquante
cardinaux qu'un pape; ce qui revenait à dire que l'individu qui donnerait la mort
à un souverain pontife serait plus coupable que s'il avait égorgé trois cent mille
laïques. — A propos de Fourier, n'oublions pas ce qu'il avance au sujet de
notre planète; sa durée sera de 80,000 ans; elle possédera alors trois milliards
d'habitants, parmi lesquels figureront 37 millions de poètes ayant autant de génie
qu'Homère, 37 millions de philosophes ne le cédant en rien à Newton, et 37
millions d'auteurs comiques égaux à Molière. — Gessler, le tyran des Suisses
du canton d'Uri, frappé à mort par Guillaume Tell en 1 307, n'est signalé que
pour être rangé parmi les personnages fantastiques qu'on a introduits dans l'his-
toire ; les historiens modernes ont en vain cherché quelque document qui atteste
son existence. — Le professeur flamand Goethals obtint du pape une faveur
dont il y a peu d'exemples ; quoique marié et père de douze enfants, il fut auto-
risé à entrer dans les ordres ; il devint chanoine, et sa femme, dont il s'était
d'histoire et de littérature. ?1
séparé, mourut chanoinesse. — Le philologue Samuel Grosser, mort en 1756,
s'était livré à de profondes études sur le langage des animaux, notamment sur
celui des oies ; il se vantait de le très-bien comprendre, d'être en état d'en
rédiger un dictionnaire, et il se désignait volontiers sous le nom de Lexicographus
anserinus. — Ipolito Guarinoni, écrivain allemand, malgré son nom italien, figure
parmi les auteurs qui ont dédié leurs livres à la Vierge ; il offre son écrit à la
sérénissime princesse Marie, reine couronnée de l'empire céleste, grande maî-
tresse des neuf chœurs des anges, souveraine de la Terre promise, archidu-
chesse de Juda, etc.
Le Moniteur des dates est accompagné du Moniteur des Faits, contenant les
batailles, les traités de paix, congrès, insurrections, révoltes et autres événe-
ments extraordinaires, arrangés par ordre alphabétique des lieux où ils se sont
passés depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Le premier mot est
Aachî, petite ville du pays de Bade ; un combat y fut livré le 2 5 mars 1 798
entre les Français et les Autrichiens; le dernier est Zusmarklausen en Bavière;
combat le 7 mai 1648 entre les Français et les Suédois réunis et attaquant les
Autrichiens. Quelques notes accompagnent cette énonciation des lieux où s'est
déployé l'art de détruire. Au sujet du château de Boussu, près de Mons,
M. Œttinger observe qu'on rencontre gravés en une foule d'endroits les mots :
« Il y sera bossu, il y sera bossu »; nulle interprétation raisonnable n'a encore été
donnée. — Au combat d'Heide, livré le 17 février 1 500, entre les Danois et
les habitants du Ditmarsch, la bannière de ces derniers était un crucifix que
portait une jeune fille de la paroisse d'Oldenvœrde, nommée Else, qui avait fait
vœu de virginité afin de se rendre digne de l'honneur de marcher la première
vers l'ennemi. — Une note fort longue, introduite dans l'article Paris, offre
des détails étendus sur le papier monnaie, invention dont il est juste de rappor-
ter l'honneur aux Chinois, et dont l'Europe a bien abusé depuis que cette idée
vint frapper l'esprit de l'empereur Hian-Tsung, il y a près de dix siècles, — A
l'époque du Directoire, une actrice, madame Dugazon, s'amusa à faire tapisser
son boudoir avec des assignats dont la valeur nominale dépassait 4 millions.
— L'industrie des fabricants de faux billets de banque avait pris en Angleterre un
tel développement que dans une période de seize années, 647 individus, con-
vaincus de ce crime, furent condamnés à mort, et 244 subirent le dernier sup-
plice. — A propos du congrès de Vienne, intervient une liste des princes et des
hommes d'État qui prirent part à cette réunion célèbre; l'empereur Alexandre se
plut à qualifier la beauté de six des dames de la cour d'Autriche qui se distin-
guaient le plus sous ce rapport ; cinq comtesses furent qualifiées de beauté
coquette, beauté triviale, beauté étonnante, beauté céleste, beauté du diable ; la
princesse Gabrielle d'Auesperg fut signalée comme « la beauté qui inspire seule
un vrai sentiment », et elle eut d'autant plus à s'enorgueillir de cette apprécia-
tion que l'empereur était un connaisseur fort distingué. — Quelque étendue que
soit l'énumération des champs de bataille, nous croyons cependant qu'elle serait
susceptible de quelques additions (nous pourrions signaler divers combats livrés
32 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
en Espagne pendant la guerre de l'Indépendance (1808-1 8 14) et quelques
détails pourraient être rectifiés; par exemple, à la bataille d'Albuera, 16 mai
1811, ce n'était pas Wellington, c'était lord Beresford qui commandait l'armée
anglaise et ses alliés. — A la fin du Moniteur des Faits, on trouve, entre autres
objets, une liste des diverses universités existant en Europe (au nombre de 97 ;
la plus ancienne est Bologne, fondée en 1158; la plus jeune est Bruxelles, créée
en 1855); une liste des membres de l'Académie française depuis 1634 jusqu'en
1868 ; (elle comprend 424 noms et on y trouve 10 cardinaux, 10 archevêques,
lôévêques, 4 maréchaux et 18 ministres), le calendrier des Chinois, la liste des
membres vivants de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, etc. — Ces
indications rapides fourniront, nous en avons l'espoir, une idée assez exacte de
ce que contient le gros volume de M. Œttinger, livre qu'il faut ranger parmi
ces ouvrages de référence que les travailleurs consultent sans cesse et qui sont
indispensables dans tout grand dépôt littéraire. Ce qu'il a fallu de temps, de
persévérance et de méthode pour réunir et classer cette masse immense de faits
est véritablement effrayant ; il est fort douteux qu'il se fût trouvé en Europe
deux hommes capables de se charger d'une besogne aussi considérable, très-
utile assurément, mais n'offrant rien d'agréable dans sa composition. L'auteur
de la Bibliographie biographique a d'ailleurs déjà fait ses preuves ; il faut le
remercier d'avoir renoncé au roman, à la petite presse satirique qui l'a occupé
pendant quelques années et qui ne lui a valu que des persécutions ; c'est avec
raison qu'il s'est livré à des travaux plus sérieux; nous désirons qu'il entre-
prenne un ouvrage qui manque encore, ce Manuel du travailleur que réclamait
Leber, en faisant observer qu'il serait plus utile que le Manuel de l'amatenr,
déjà bien connu. Ce projet, Quérard l'avait conçu ; il voulut l'exécuter dans son
Encyclopédie du Bibliothécaire, mais son plan était trop vaste, et ses matériaux
qui sont entre nos mains et qui sont le fruit de trente ans de recherches, ne sau-
raient être publiés dans l'état où il les a laissés.
B.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
BussoN, Die florentinische Geschichter d. Malespini (Innsbruck, Wagner). — Champ-
FLEURY, Histoire de l'imagerie populaire (Dentu). — Clekmont-Ganneau, Histoire
de Calife le* Pêcheur (Jérusalem). — Colucci, Gli Equi. I (Naples, Detken). — Guil-
LOCHE (Maître), la Prophécie du roi Charles VIII, p. p. le marquis de La Grange
(Acad. des Bibliophiles). — Hûffer, d. D. Mœchte im Revolulionskriege (Munster,
Aschendorff). — Librorum Levitici et Numerorum versio antiqua itala e codice per anti-
que in Bibliotheca Ashburnhamiense conservato nunc primum typis édita (Londres, priva-
tely printed). — Mœrikofer, Ulrich Zwingli (Leipzig, Hirzel). — Steger, Platonische
Studien (Innsbruck, Wagner). — Volquardsen, Untersuchungen ùber d. (^uellen d.
Griech. u. Sicil. Geschichten ben Diodor, b. XVI (Kiel, Schwer). — Wiskowatoff
(VON), Jacob Wimpheiinz (Berlin, Mitscher u. Rœstell).
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Anzeiger f. Kunde der deutschen Vorzeit.
Organ d. german. Muséums. Redact. A.
Essenwein, G. K. Frommann u. A. v.
Eye. Neue Folge. 16. Jahrh. 1869. 12.
Nrn. Mit Beilagen u. Illustr. in Holz-
schn. In-4'. Nùrnberg (Cerm. Muséum).
8 fr.
Audigier. Mémoires de d'Audigier, limo-
nadier à Paris, XVII' siècle, recueillis
par Louis Lacour. In- 16, xix-iS pages.
Paris (imp. Jouaust, libr. de l'Académie
des Bibliophiles). ^ fr- 75
Beanne (H.). Un procès de presse au
XVIII" siècle. Voltaire contre Travenol.
In-8*, 52 p. Paris (lib. Douniol).
Bibliotheca geographico - statistica et
œconomico-politica oder systematrsch
geordnete Uebersjcht der in X)eutschland
und dem Ausiande auf dem Gebiete der
gesammten Géographie Statistik und der
Staatswissenschaften neu erschienenen
Bûcher hrsg. \. N. Mùldener. 16. Jahrg.
2. Hft. Juli-Decbr. 1868. Gr. in-8*, p.
96-246. Gcettingen (Vandenhœck und
Ruprecht). i fr. 10
historica od. systematisch geordnete
Uebersicht der in Deutschland u. dem
Auslandeauf dem Gebiete der gesammten
Geschichte neu erschienenen Bûcher hrsg.
von W. Mùldener. 16. Jahrg. 2. Hft.
Juli-Decbr. 1868 (mit e. alphabet. Regis-
ter). Gr. in-8% p. 99-272. Gœttingen
(Vandenhœck und Ruprecht). i fr. 90
historica naturalis, physico-chemica
et mathematica od. systematisch geord-
nete Uebersicht der in Deutschland und
dem Ausiande auf dem Gebiete der ge-
sammten Natunvissenschaften und der
Mathematik neu erschienenen Bûcher
hrsg. von H. Guth. 18. Jahrg. 2. Hft.
Juli-Decbr. 1868. In-8*. Gœttingen (Van-
denhœck und Ruprecht). 1 fr- 3 S
mechanico-technologica et œconomica
oder systematisch geordnete Uebersicht
aller auf dem Gebiete der mechan. und
technischen Kûnste und Gewerbe, der
Fabriken, Manufacturen und Handwerke
der Eisenbahn u. Machinenbaukunst, der
gesammten Bauwissenschaften sowie d.
Haus, Land, Berg, Forst u. Jag>\'issen-
schaft in Deutschland und dem Ausiande
neu erschienenen Bûcher hrsg. von W.
Mùldener. 7. Jahrg. 2. Hft. Juli Decbr.
]868 (mit e. alphabet. Register). In-8*
p. 96-236. Gœttingen (Vandenhœck und
Ruprecht). i fr. 50
Biré. Victor Hugo et la Restauration,
étude historique et littéraire. In- 18 jésus,
478 p. Nantes (Paris, LecofFre fils et
C').
Back (de). L'archéologie irlandaise au
couvent de Saint-Antoine de Padoue, à
Louvain. In-8*, 52 p. Paris (Albanel).
Baddha and his doctrines. A biographi-
cal essay. In-8*, 32 p. London (Trùbner
and C'). 5 fr. 15
Bulletin de la Société archéologique, his-
torique et scientifique de Soissons. T. I.
2" série. In-8', 259 p. Paris (Didron).
Sfr.
Lambert (G.). Histoire des guerres de
religion en Provence, 1530-1598 (suite).
In-8*, p. 187-370. Toulon -(imp. Lau-
rent).
Liefèvre-Pontalis. La Hollande au
XVIII' siècle. Le conseil municipal d'une
grande ville, épisodes. In-8*, 40 pages.
Paris (Didier et G").
Liejeal (G.). Essai sur l'introduction du
christianisme dans le Hainaut. In-8*, 45
p. Valenciermes (Prignet).
Lettre de Henri IV aux Valenciennois,
publiée par le docteur A. Lejeal. In-8*,
8 p. Valenciennes (Prignet).
Mémoires de l'Institut impérial de France,
Académie des inscriptions et belles-lettres.
T. 23. In-4', v-324 p. Paris (impr. Im-
périale).
Merval iL. de). L'entrée de Henri II,
roi de France, à Rouen, au mois d'octo-
bre 1 550. Imprimé pour la première fois
d'après un manuscrit de la bibliothèque
de Rouen, orné de 10 pi. gravées à l'eau-
forte. In-4* oblong, 64 p. Rouen (impr.
Boissel).
Sanders (D.). Handwœrterbuch d. deut-
schen Sprache. In-8*, 1067 p. Leipzig
(0. Wigand). 10 fr.
Sauvage (H. >. Etudes diverses. Les trois
poètes Vauquelin. In-8*, 16 p. Angers
(lib. Barasse).
Viollet-le-Duc. Dictionnaire raisonné
du mobilier français de l'époque carlo-
vingienne à la Renaissance. 3* vol. 1"
fascicule. Vêtements, etc. In-8*, 176 p.
Paris (Morel). i fr. 50
Vivenot (A.). Thugut, Clerfayt u. Wurm-
ser. Original-Documenté aus dem k. k.
Haus, Hof und Staats Archiv und dem
k. k. Kriegs-Archiv in Wien vom Juli
1794 bis Febr. 1797. Mite, histor. Ein-
leitg. Gr. in-8', (333 p. (m. 2 lith. fcsle.).
Wien (Braumûller). 17 fr. 55
NICOLAS DE TROYES gon^des"nouvdles
nouvelles, publié d'après le manuscrit original par M. Emile Mabille. i vol.
in-i6, papier vergé, cartonné. ^ fr.
Sous presse pour paraître dans le courant de l'été.
Fi-x T r7 nr Grammaire des langues romanes. T. I. i'" partie.
• -L^ l i-jZu Cette traduction autorisée par l'auteur et l'éditeur et
faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à l'égard de la partie française con-
sidérablement augmentée.
L'ouvrage complet se composera de trois ou quatre volumes.
En vente chez Michel Lévy frères, rue Vivienne, 2 bis.
ET^ ■^~^ TV T A TV T Saint Paul (Livre IIF de l'histoire des origines
• rV IL 1 > i\ IN du christianisme), i vol. in-8°, orné d'une carte
des voyages de saint Paul, par Kiepert. , 7 fr. 50
En vente à la librairie A. Durand et Pédone-Lauriel, 9, rue Cujas.
r-^ >^ P) Y -r-v r-T-^ /^ O T T A /T ^^ musica medii aevi novam seriem a
kJ V^ Iv 1 r 1 V^ rv LJ iVl Cerbertina alteram collegit nuncque
priraum edidit E. de Coussemaker. Tomus III, fasciculus 5. 8 fr.
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metricis edidit C. Thiemann. In-8°. 3 fr. 40
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. VV U L. R M A 1 N IN biograph. Charakteristik aus
den letzten Zeiten d. untergehenden Hellenismus. In-8°. 7 fr. 40
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
U* 29 Quatrième année 17 Juillet 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
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• VV IL 1 l_i parées aux langues modernes. Nouvelle édition revue,
corrigée et augmentée, i vol. in-8°. 3 fr. 50
Cet ouvrage forme le 3^ fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
De la langue chinoise et des moyens d'en faci-
PT A 1\.T NT 17 '"P langue cnmoise ex aes moyens a en laci-
• J A. IN IN lL i liter l'usage. Broch. gr. in-S". 2 fr
A/-^ A ç rr^ 4 i^T Le Capitole de Vesontio et les Capitoles pro-
• v^r\i3 1 r\i>l vinciaux du monde romain. In- 8° avec 3 pi.
3fr.
PERIODIQUES ETRANGERS.
The Athenœum, Journal of English and Foreign Literatur, Science and the
Fine Arts. London. — 3 juillet.
[Jusqu'à présent les périodiques anglais n'ont été représentés sur la couverture
de la Revue que par \e Journal of Philology, qui ne paraît qu'à de longs intervalles,
et par le Irish Ecclesiastical Record, dont l'objet est très-spécial. VAîhen£um n'est
pas un journal de critique érudite ; toutefois , de toutes les revues anglaises qui
s'occupent de critique, c'est non-seulement le plus répandu, mais le plus impar-
tial et généralement le mieux informé. Avec un cadre plus vaste et une direction
moins exclusivement scientifique, il est pour l'Angleterre ce qu'est le Lit. Central-
Blatt pour l'Allemagne. Nous ne mentionnerons bien entendu que ceux des
articles de VAthensum qui entrent dans notre cadre.]
The Life of Thomas Lord Cochrane, tenth Earl of Dundonald. . . by his son (London,
Bentlei, 2 vol.). Complète l'autobiographie publiée il y a une dizaine d'années
par l'amiral Cochrane, l'un des plus habiles et des plus audacieux marins qu'ait
eus l'Angleterre. — The great parliamenîary bore, by Major Evans Bell (Trûbner)
curieux exposé des procédés anglais à l'égard d'un souverain indien. — Hand-
book to the Cathedrals of England. Northern Division : York, Ripon, Carlisle,
Durham, Chester, Manchester; by R. J. King (Murray). — A new Translation
of the Psalms, with a plea for révisai of our versions, by the Rev. R. C. Didham
(Williams and Norgate); ouvrage sans valeur. — Merlin, or the early History
of King Arthur, edited by H. Wheatley, with an Essay on Arthurian Localities
by J. St. Glennie (Trûbner). Nous rendrons compte de cet ouvrage qui fait
partie des publications de VEarly English Text Society. — Ce n° annonce la mort
du Rev. J. H. Todd, de qui les publications ont été plus d'une fois l'objet de
compte-rendus dans la Revue critique (1867, art. 171; 1868, I, p. 192; 1869,
art. 46).
Historîsche Zeitschrift, herausgegeben von H. von Sybel. Mùnchen, 1869.
— 2" cahier.
I. Essais. Hermann Markgraf, Du projet d'alliance entre tous les princes chré-
tiens conçu par George Podiebrad pour l'expulsion des Turcs et l'établissement
de la paix universelle en Europe. Travail étendu sur une entreprise, avortée du
reste, qui devait assurer au roi national de la Bohême l'appui de l'Occident et
surtout du roi Louis XI contre ses voisins (1462-1464). — 0. Lorenz. Études
détachées ÇAnalecten') sur l'histoire d'Angleterre au xvi" et au xvii° siècle. Écrites
à propos du dernier volume de Léopold Ranke sur cette époque, i. L'auteur,
comme en général les historiens allemands depuis quelque temps, fait d'abord le
panégyrique de l'illustre savant de Berlin aux dépens de Macaulay; il faut être
allemand cependant pour préférer à ce dernier le récit de Ranke, qui est ici
moins sur son terrain qu'ailleurs, parce que avec ses tendances absolutistes et
ses goûts diplomatiques il n'apprécie point avec justice l'histoire d'une époque
parlementaire et d'un peuple libre. Au point de vue de la narration, Ranke donne
à peine des contours, Macaulay des tableaux. M. L. avance même des faits
absolument inexacts. Il prétend p. ex. que Ranke a découvert la différence entre
les deux recensions de l'Histoire de Burnet; mais Macaulay l'avait signalée
depuis longtemps. 2. Henry VIII et Anna Boleyn; détails curieux sur les opinions
du roi relativement à la virginité, etc. 3. Charles II dans l^ exil; documents inédits
des archives de Vienne, correspondance avec l'empereur Ferdinand III. —
H. Baumgarten. La lutte pour la succession d'Espagne pendant les dernières
années de Ferdinand VII. Essai très-intéressant de l'auteur de l'Histoire moderne
de l'Espagne, écrit d'après les papiers de l'ambassadeur prussien ds Liebermann,
etc.
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 29 — 17 Juillet — 1869
Sommaire: 134. Jongencel, Nouvelles découvertes dans la critique biblique. —
135. CoRSSEN, Prononciation, vocalisme et accentuation du latin. — 136. Benndorf,
Vases grecs et siciliens, 1" livraison. — 137. Volkmann, Vie et philosophie de Plu-
tarque. — 138. Bordier, le Grùtli et Guillaume Tell; Rilliet, Lettre à M. H.
Bordier; Hungerbuhler, Etude critique sur les traditions relatives aux origines de
la confédération suisse. — 139. Stonau-Novakovitch, Bibliographie serbe de 1741
à 1867.
1 34. — Neue Entdeckungen auf dem Gebiete der biblischen Textkritik.
Proben und Hypothesen von Jakob Jo.ngencel, mit IV Tafeln. Leiden, SteenhofF,
1868. In-8-, 60 p.
L'auteur de cette brochure a certainement beaucoup d'imagination. Je dirai
même qu'il en a trop, car en matière scientifique l'imagination est souvent mau-
vaise conseillère : les étranges hypothèses auxquelles se livre M. Jongencel en
sont une nouvelle preuve. De pareilles publications mettent le critique dans un
véritable embarras. S'il pouvait n'y voir qu'un jeu d'esprit, il passerait outre en
se disant que certaines gens ont une manière singulière d'utiliser leurs loisirs.
Mais lorsqu'un auteur tient beaucoup à être pris au sérieux, qu'il affirme avoir fait
des « découvertes surprenantes » (iiberraschende Entdeckungen), « d'une évidence
» presque indéniable » (schwer zur Uugnenden Evident), et qu'il croit ouvrir à la
science des «voies nouvelles» (meine bahnbrechende Schrift) , il faut bien s'arrêter
un instant devant de telles prétentions, ne fût-ce que pour prévenir à temps ceux
qui pourraient se trouver alléchés par les promesses du titre. Voyons donc rapi-
dement quelles sont les « étonnantes découvertes « faites par M. Jongencel.
Après avoir montré ou essayé de montrer l'existence de strophes épiques dans
la prose hébraïque, l'auteur veut retrouver comment ces strophes étaient primi-
tivement disposées dans les colonnes du manuscrit original, et, ce travail une fois
terminé , découvre un grand nombre d'acrostiches et d'anagrammes qui avaient
échappé jusque-là à la sagacité des interprètes. Je ne veux pas insister sur les
deux premiers points. Il est impossible de démontrer que les scribes de l'anti-
quité hébraïque aient copié leurs volumina tout à fait comme le voudrait M. J.,
les plus anciens manuscrits hébreux que nous connaissions étant d'une époque
relativement moderne. Mais le fait reste au moins probable. De plus certains
récits de l'Ancien Testament, — l'histoire de Samson par exemple, — se prêtent
assez facilement à une division en fragments plus ou moins longs, où il est plus
naturel de chercher quelque chose d'analogue à nos alinéas que des strophes
poétiques, avec un nombre déterminé de vers ou de lignes. Découper l'histoire
de Samson en 32 strophes de 12 lignes chacune, comme le fait M. J., est une
opération des plus fantastiques, qui entraîne nécessairement une séparation
arbitraire des lignes et l'élimination non moins arbitraire de quelques passages
vm 5
34 REVUE CRITIQUE
gênants. Pourquoi l'auteur voit-il une interpolation dans l'épisode de Samson
enlevant les portes de Gaza (Juges, XVI, 1-3)? Ne serait-ce pas pour se déba-
rasser d'une strophe de 16 lignes? Une partie de XVI, 27 est indiquée comme
provenant d'une glose introduite postérieurement dans le texte : M. J. ne donne
aucun motif à l'appui, mais évite ainsi une strophe de 1 5 lignes. Autre exemple :
Genèse, II, 4, jusqu'à la fin du chap. se composerait aussi de strophes de
12 lignes; les v. 4-7 forment la première strophe; mais les v. 8-9 ne forment
que la première moitié de la seconde ; il faut aller chercher la deuxième moitié
aux v. 15-17; une strophe incomplète (v. 10-14) a été intercalée entre ces deux
moitiés ! On peut juger maintenant du degré d'arbitraire que dénotent de pareils
procédés. Mais je ne veux pas appuyer davantage, d'autant plus qu'il y a, sous
ces exagérations évidentes, une idée juste qui n'est du reste pas nouvelle et ne
peut passer pour une découverte.
Après avoir retrouvé les dimensions exactes des colonnes et la séparation des
lignes, telles qu'elles se trouvaient dans le manuscrit primitif, M. J. examine ses
tableaux pour y trouver un sens caché jusqu'alors aux simples mortels. J'en
demande bien pardon au lecteur, mais je ne puis me servir d'un autre mot que
celui de niaiseries pour qualifier les résultats auxquels aboutissent les recherches
de l'auteur. On en jugera du reste par quelques exemples, empruntés tous au
premier chapitre de la Genèse (tableau IV) ; j'en aurais pu trouver de plus sin-
guliers encore. Ce chapitre est divisé en trois colonnes, et en lisant poud-rpoçsSiiv
(c'est-à-dire la première colonne de bas en haut, la seconde de haut en bas, etc.)
les lettres qui expriment le nombre des lignes de chaque strophe, M. J. obtient
la belle phrase suivante : xbon T^n'' a'^aD, qu'il traduit par « écrit d'un solitaire
» enveloppé dans les langes » (Schrift eines Einsamen in Windeln gewickelt). Cela
n'est pas très-clair, mais doit pourtant signifier « écrit mystérieux » (ratselhafte
Schrift). Je ne veux pas chicaner l'auteur sur le changement du a en r, qu'il faut
opérer deux fois dans cette courte phrase. Mais ce premier sens ne suffit pas à
M. J. ; il en cherche un second, et trouve en transposant les lettres : id2 ^ni
T^na nh, c'est-à-dire : « Tu ne devineras pas. Qu'il vive! Il a percé! » Il faut
encore changer un a en r et un -] en p, mais ce sont là des vétilles. Passons.
Quel précieux secours pour l'exégèse du récit de la création que ces deux
énigmes! L'auteur n'est pourtant pas satisfait : il applique d'autres procédés, et,
prenant au hasard quelques lettres initiales de la première colonne, il obtient :
■^x ÛX1 ni>xi 13, c'est-à-dire : «Je t'en prie, (Dieu)! Père et mère, (où sont-ils?)»
Puis il lit à rebours et trouve l'anagramme suivant : a «^xb iix dn'^, c'est-à-dire :
« La mer (est) la cause de la terre ferme. Job. » Je crois parfaitement inutile
de multiplier les citations, et encore plus inutile d'en montrer toute l'absurdité.
On doit être édifié sur la valeur des « découvertes prodigieuses » de M. J. et
personne ne s'étonnera maintenant de le voir chercher un carmen figuratum dans
la première strophe de la troisième colonne (tableau, IV), où il retrouve la forme
d'un autel!
Il est toujours triste d'avoir à signaler de pareilles aberrations. Mais, je le dis
en finissant, j'ai peine à comprendre comment des hypothèses pareilles peuvent
d'histoire et de littérature. 55
se concilier avec l'esprit généralement si sage et si net d'un Hollandais, surtout
au moment où la Hollande tend à reprendre dans les études relatives à l'Ancien
Testament le rang distingué qu'elle y occupait jadis avec les Schultens et les
Vitringa.
A. Carrière.
i^^. — Ueber Aussprache, Vokalismus und Betonung der lateinischen Sprache, von
W. CoRSSEN. Zweite umgearbeitete Ausgabe. I. Band. Leipzig, Teubner, 1868. Gr.
in-8*, XV-819 p. — Prix : 22 fr. 75.
En 1854, l'Académie de Berlin mettait au concours pour l'année 1857 un
prix destiné au meilleur mémoire sur la prononciation de la langue latine. Les
auteurs, disait le programme, devront s'aider de l'étymologie, du témoignage des
anciens et de l'étude des inscriptions ; ils devront consulter en outre l'orthographe
des manuscrits, la transcription des noms latins en grec; ils recueilleront les
renseignements fournis par les autres dialecjes italiques et par les langues
modernes sorties du latin. Mais par-dessus tout ils devront s'aider de la lecture
des poètes comiques et tirer d'une étude approfondie de la métrique des infor-
mations nouvelles sur la prononciation.
Le prix fut décerné à M. Guillaume Corssen déjà connu alors par un travail sur
les origines de la poésie latine et par divers articles dans le journal de Kuhn.
L'ouvrage couronné, qui forma deux volumes, parut en 1858-59. Il n'est pas
nécessaire de dire le succès qu'il obtint. Par certains côtés, le livre de M. Corssen
dépassait dès lors le programme de l'Académie. Si le tome H, consacré à la
métrique, s'adressait surtout aux latinistes, le premier volume fit époque dans
les études de grammaire comparée. Pour la première fois une langue de la
famille indo-européenne était analysée avec cette finesse et cette précision.
L'importance des inscriptions, de tout temps reconnue en théorie, mais un peu
oubliée dans la pratique, ressortait avec une entière évidence. La méthode com-
parative mise en œuvre sur un terrain plus restreint acquérait un nouveau degré
de sûreté. On peut dire que le livre de M. Corssen donna l'idée d'une observa-
tion plus exacte que celle dont on se contentait jusqu'alors, et grâce au modèle
qu'il venait de donner, la science elle-même prit quelque chose de plus rigou-
reux et de plus pénétrant.
Un livre aussi important souleva naturellement des critiques. Moitié pour y
répondre, moitié pour continuer ses recherches, M. Corssen publia en 1863 ses
Kritische Beitrage zur lateinischen Formenlehre, où il appliqua à l'étymologie les
principes émis dans son premier ouvrage. Ce livre fut suivi en 1866 des Kritische
Nachtrdge zur lateinischen Formenlehre où l'auteur se défend contre les attaques
dont son précédent écrit avait été l'objet, et où il justifie les explications données
par lui dans les Beitrage.
Après avoir ainsi sans relâche poursuivi ses études pendant dix ans, M. Corssen
publie aujourd'hui une seconde édition de son grand ouvrage. Il y revient armé
de tous les secours nouveaux que le progrès de la linguistique et l'extension de
ses propres recherches lui ont fournis. Quand on compare entre elles les deux
36 REVUE CRITIQUE
éditions, on voit bien que le plan et l'ordre des chapitres sont les mêmes. Mais
si l'on fait attention au développement que l'auteur donne à son sujet, on
reconnaît qu'il a singulièrement élargi son cadre. Le premier volume de la
seconde édition, (le seul qui ait paru jusqu'à présent) a 819 pages qui répondent
à 233 pages de la première. Pour prendre des exemples, le chapitre de la lettre
/qui avait six pages, en a aujourd'hui 38. Le chapitre des diphthongues qui
comptait 80 pages, en a 300. Ajoutez que le format a été agrandi. Mais malgré
ces chiffres on n'aurait pas encore une idée exacte de la différence entre les
deux éditions, si l'on ne tenait compte de la circonstance suivante. L'auteur
s'appuie constamment sur ses deux précédents ouvrages : à chaque page, il
renvoie aux Beitr<zge, aux Nachtrsge. Les démonstrations qu'il y a données, il ne
les répète pas : il se contente d'en rappeler les conclusions. Pour lire avec profit
la nouvelle édition du Vokalismus, il est donc indispensable d'avoir sous la main
ces deux volumes.
Il est intéressant de rechercher d'où proviennent les accroissements donnés à
cette seconde édition. Grâce au Corpus inscriptionum de Mommsen, l'auteur a pu
multiplier beaucoup les exemples tirés de l'ancienne langue latine. Des dévelop-
pements ont été donnés à la physiologie des sons, d'après les livres de Brùcke et
de Max Mûller. La partie paléographique a été également augmentée. En outre,
M. Corssen craint moins de se donner carrière et discute en détail les étymo-
logies qui se présentent sur son chemin. Enfin la critique, ou pour mieux dire,
la polémique occupe une très-large place dans la nouvelle édition. C'en est, à
vrai dire, le trait dominant. M. Corssen qui, dans ses deux derniers livres, s'est
beaucoup défendu et a beaucoup attaqué, est devenu décidément agressif et
batailleur. Il ne veut point laisser debout une opinion qui contredise ses théories.
De là de continuelles digressions, d'énormes notes (p. 39, 166, 232, 648),
dirigées quelquefois contre des travaux peu dignes d'être réfutés si savamment
(p. 239, 300, 480). D'autres fois, l'auteur prend contre des philologues, qu'il
tient, avec raison, en haute estime, un ton tranchant qui, il faut l'espérer, ne
deviendra pas dans l'avenir celui de la philologie comparative (p. 143, 166, 232).
De tout ce que nous venons de dire le lecteur peut déjà pressentir le caractère
nouveau qu'a pris l'ouvrage de M. Corssen. La première édition était un livre
se suffisant à lui-même et n'en supposant aucun autre. Il débordait quelque peu
le programme de l'Académie de Berlin, mais il ne le noyait pas. La nouvelle
édition tend à devenir un recueil d'étymologies, un ouvrage de grammaire com-
parée, où Bopp, Kuhn et son journal, Curtius, Pott, Schleicher, Léo Meyer,
Schuchardt, Bùcheler sont cités à tout instant, et où le sanscrit, le gothique, le
slave figurent continuellement à côté du latin. Nous ne songeons pas à nous en
plaindre ; mais la différence avait besoin d'être signalée.
Il serait superflu de louer la pénétration et la science de M. Corssen. Le
meilleur hommage que nous puissions lui rendre, c'est de lui soumettre quelques
critiques, qui témoigneront au moins de l'attention avec laquelle nous l'avons lu.
Ces critiques porteront sur trois points : i^ le sanscrit; 2° les racines primi-
tives; 30 les renvois aux précédents ouvrages du même auteur.
d'histoire et de littérature. 37
Le sanscrit de M. C. ne nous parait pas à l'abri de tout reproche. C'est
une observation qui lui a déjà été adressée et dont il ne semble pas assez tenir
compte. Il ne suffit pas qu'une racine se trouve dans Westergaard : encore
faut-il quelques exemples. M. C. fait venir (p. 102) le latin harena, sabin
fasena, d'une racine sanscrite bhas « briller. » Il est vrai que Westergaard donne
la racine bhas avec les sens suivants : 1° reprehendere, minari; 2° splendere,
lucere; j" comedere, vorare. Mais il ne s'est trouvé d'exemple que pour la der-
nière signification. Le sens de « briller » a été probablement attribué à ce verbe
à cause de bhâs, c lucere, » qui existe en effet et qui est une forme secondaire
de bhâ.
Dans ses Beitrage (p. 184) l'auteur avait cité une racine sanscrite fcAag'
« chauffer. » MM. Schweizer-Sidler et Curtius firent observer avec raison qu'une
telle racine n'existe pas en sanscrit. Néanmoins nous la retrouvons ici (p. 143) :
M. C. cite à l'appui le participe bhakta « cuit » et le substantif bhag'ana (il
faut bhag'ana) «pot pour cuire.)) Mais bhag' signifie « partager, » bhakta désigne
les mets ou repas qu'on partage (5aÎTr,), et c'est seulement W3g' ( i o^ classe) qui,
d'après Vopadeva, a, entre autres acceptions, celle de «faire cuire. )) Le sanscrit
a le droit d'être traité avec le même respect que le latin, et il ne faut pas, pour
appuyer des étymologies qui peuvent d'ailleurs être justes, forcer le sens tradi-
tionnel des mots.
M. C. ne traite pas avec moins de liberté les lois phoniques du sanscrit.
Dans un tableau où sont rangés les divers dérivés de la racine dju « briller )>
(p. 365), juvan « jeune )> est placé au nombre des dérivés de cette racine qui
ont pris le gouna. Mais où M. C. a-t-il montré qu'un d initial tombe en
sanscrit ? La forme frappée du gouna eût d'ailleurs été jô ou jav, et non juv. —
On sait que l'ô et \'e sont en sanscrit des diphthongues, et qu'ils représentent au,
ai. Néanmoins l'auteur place les mots og'as, ôkhati, bhogas, rôhitas, dëvas
parmi les mots à voyelle longue, à côté de pûrna et de ûdhar (p. 349 et suiv.).
La chose est d'autant plus surprenante qu'il met lôtram, êvas (p. 358, 374)
parmi les mots à diphthongue. — Les mots sanscrits ne sont pas toujours correc-
tement imprimés. Nous lisons p. 312 vaça au lieu devaçâ. P. 349 les india-
nistes ne trouveront pas sans étonnement les deux mots usar « matin, )> ushâsà
« aurore. )) Cet ushasa avait déjà paru page 233. note. Quant à ushas, qui est
la vraie forme pour aurore, l'auteur lui donne le sens de « brillant. » En résumé,
le lecteur, qui trouvera en M. C. un guide généralement très-sûr pour le latin,
fera bien de vérifier les citations sanscrites.
Racines primitives. — Sur ce point, M. C. nous semble parfois tomber
dans le même défaut qu'on peut reprocher à M. Léo Meyer, son adversaire
habituel. Voulant non-seulement rapprocher, mais expliquer certains mots de
même origine, il pose quelquefois une racine pour laquelle il n'existe d'autre
indice que les mots mêmes qu'il a cités. Nous avons en sanscrit Hdhar, en grec
o-jôap, en latin ûber, en haut-allemand ûtar (allemand moderne euter) qui signifient
tous quatre « mamelle, pis. )) Rien de plus juste que de comparer ces quatre
termes. Mais pour en expliquer l'origine, M. C. suppose (p. 553) une
38 REVUE CRITIQUE
racine udh « être fécond, » qui ne fait pas avancer d'un pas la science, puisqu'elle
est tirée de ces mots mêmes. Il est vrai que l'auteur ajoute les noms de rivière
Ufens, Aufidus et le nom de WeuAufina; niais le sens de ces mots nous étant
tout à fait inconnu, ils ne peuvent servir de preuve. — Nous avons en grec le
substantif ^p, «pi^p, en latin fera, qui paraissent bien être de même famille. D'un
autre côté, le sanscrit possède un verbe dhvar « blesser. » Mais est-ce là une
raison suffisante pour poser une racine indo-européenne dhvar, d'où viendrait
^p, férus, ferox,ferire? Mieux vaudrait ne point créer des êtres de raison qui ne
peuvent qu'induire en erreur les commençants.
Nous venons de voir un verbe sanscrit élevé au rang de racine indo-européenne.
C'est un défaut auquel on ne s^attendrait pas chez M. Corssen; mais le sanscrit
prend quelquefois dans ses livres une importance exagérée. C'est ainsi que le
sanscrit ]prush « brûler » doit servir à expliquer le latin hustum et comburere.
Manipulas et discipulus, qui semblent bien de même formation, sont rapportés,
pour leur dernière partie, l'un à la racine pur « remplir » et l'autre à la racine
pu « nourrir » (p. j62 et 568). Le substantif latin daps est rattaché au causatif
dapajami, quoique ces sortes de causatifs, qui ne se retrouvent même pas en
zend, paraissent appartenir en propre à la langue indienne.
Renvois. — Les nombreux renvois aux Beitr£ge et aux Nachtrdge donnent
lieu à des comparaisons intéressantes. Nous voyons l'auteur mûrissant ses idées,
ajoutant ici une étymologie, en retirant ailleurs une autre. Ainsi dans les Beiîrsge
(p. 439), M. C. cite parmi les mots qui ont perdu un s initial le substantif
tibia. Dans son nouvel ouvrage, il retranche cet exemple (p. 278) sans rien dire.
Il en est de même pour le substantif lien qui figurait dans les Beitr£ge parmi les
mots ayant perdu un /? : ce mot manque dans le nouvel ouvrage (p. 114).
Évidemment des doutes sont survenus. Quelquefois il n'est pas aussi facile,
de s'expliquer ce qui s'est passé. P. 279 mittere est cité sans autre obser-
vation parmi les mots qui ont perdu un s, et l'auteur renvoie aux Beitrage,
p. 431, où il conclut que la perte de 1'^ n'est pas démontrée pour mittere.
Le verbe palpare aurait également perdu la sifflante initiale (p. 278);
mais les Beitr^ge, auxquels nous sommes adressés, disent que c'est là une
conjecture douteuse (p. 459). De même pour pulex, pustula, parra. — M. Pictet,
dans le journal de Kuhn, avait rapproché le sanscrit babhru « jaune, brun «
du latin fiber. M. Corssen dit dans les Beitr<£ge (\). 204) que ce rapprochement
est loin d'être sûr : vingt pages plus loin (p. 228), il l'admet dubitativement.
Dans le nouveau livre, le rapprochement ne soulève point d'objection, et l'au-
teur renvoie seulement au second passage des Beitrsge.
Nous arrêtons ici ces critiques : nous n'avons pas besoin de dire qu'elles
n'enlèvent rien à la valeur d'un livre qu'aucun latiniste, aucun philologue adonné
aux études de grammaire comparative, ne pourra se dispenser de lire et
d'étudier.
Michel Bréal.
d'histoire et de littérature. 39
,,(5. __ Griechisch vind sicilische Vasenbilder, herausgegeben von Otto
Benndorf. Berlin, Guttentag, 1869. In-tolio, 24 p. et 13 pi. — Prix: 32 fr. la
livraison.
Cette première livraison de l'ouvrage de M. Benndorf, que nous avons sous
les yeux, doit être suivie de 5 ou 6 autres, de sorte que le nombre total des
planches s'élèvera à environ 80. C'est donc une publication considérable qu'a
entreprise l'auteur, l'un des travailleurs les plus actifs de la nouvelle génération
d'archéologues qui a surgi en Allemagne, maintenant que les grands maîtres,
Gerhard, Welcher, ne sont plus. Gerhard, ne considérait guère les restes de
l'art antique au point de vue esthétique ou même historique ; ce qui prédominait
chez lui, c'était l'interprétation, l'herméneutique des monuments figurés, c'était
une tendance fortement accusée à expliquer les idées religieuses et mythologiques
qui y sont représentées. C'est donc là qu'il faut chercher le mérite immense de
cet archéologue, mérite qui n'est pas surpassé par celui qu'il s'est acquis par
ses publications de monuments aussi nombreuses que méthodiques. La nouvelle
génération^ au contraire, sans négliger aucunement l'interprétation, examine les
monuments à des points de vue multiples et féconds ; elle s'attache à préciser
leur valeur artistique, à fixer la place qu'ils doivent prendre dans l'histoire de
l'art. Cette tendance, qui déjà a fourni un assez grand nombre de résultats
certains, n'est pas le propre d'une seule école; elle est partagée également par
les archéologues sortis de l'école de Gerhard, de Welcker, de Jahn.
Nous voyons dans cette extension un véritable progrès; car si l'archéologue,
se bornant uniquement à l'explication des monuments, laisse de côté leur valeur
esthétique et historique, il court le danger très-sérieux d'exagérer l'importance
de certains objets qui n'offrent de l'intérêt qu'à son point de vue. Le défaut
opposé cependant est tout aussi périlleux; tout comme la considération de la
seule beauté d'une œuvre d'art reste stérile pour la science, de même l'appré-
ciation outrée d'ouvrages dont le mérite est plutôt historique qu'artistique doit
nécessairement mener à une dépravation du goût.
Du reste l'archéologie est en bonne voie, le chemin est tracé, il n'y a qu'à le
suivre. Winckelmann , lui qui n'a pu connaître que si peu de vrais ouvrages
grecs, les a devinés; on a pu faire mieux; souvent il a fallu redresser des juge-
ments portés par lui, modifier des résultats à l'aide des nouvelles découvertes,
mais en somme c'est à Winckelmann que revient l'honneur d'avoir inauguré la
méthode qui, malgré quelques perturbations passagères, a été adoptée par
l'archéologie, et qui seule a pu nous guider pour mettre à profit l'immense quantité
de matériaux nouveaux dont s'est enrichie notre science.
Winckelmann n'a pas hésité à affirmer l'origine grecque de ces vases que de
son temps ' on appelait vases étrusques, dénomination erronée qui cependant
subsiste encore aujourd'hui dans le public. En effet, cela est curieux, de l'innom-
I. Mazocchi seul avait vu et dit vrai avant lui : Com. in tabul. HaracL, p. 173 sv.,
SSi sv.
40 REVUE CRITIQUE
brable quantité de vases parvenus jusqu'à nous, la grande majorité a été trouvée
hors de la Grèce, dans des pays non helléniques. Ces vases avaient donc formé
un article de commerce fort considérable , dont les auteurs ne parlent presque
pas du tout; et, ce qui est plus remarquable encore, c'est que la fabrication de
ces poteries, à partir d'une certaine époque, est le monopole exclusif d'Athènes.
Les fabriques locales, et les imitations étrangères ne sont relativement que de
peu d'importance, et leurs produits se reconnaissent très-facilement.
Depuis quelques années cependant, le nombre des vases trouvés dans la Grèce
proprement dite s'est accru considérablement. Mais les fouilles se font mal ; les
objets trouvés sont mal soignés; et comme le gouvernement défend maintenant
l'exportation des œuvres d'art, les commerçants cachent fréquemment l'origine
d'objets trouvés par des recherches faites en secret et en contravention avec la
loi. Une collection de vases peints dont la provenance grecque serait indubitable
devait donc être une entreprise scientifique du plus haut intérêt, et cet intérêt
sera d'autant plus grand si la plupart des objets publiés viennent de l'Acropole
d'Athènes. Car, M. Benndorf a raison de le dire, tout ce qui vient de ce sanctuaire
de l'art antique a droit à une attention plus sérieuse et présente des particularités
toujours instructives et attrayantes.
Dans cette première livraison, nous trouvons des exemples de toutes les
époques de la céramique grecque , depuis le plus ancien art corinthien et l'art
attique archaïque jusqu'au style de la plus grande perfection.
La pi. i figure, non un vase, mais une tablette en argile représentant une upoôeo-i;,
l'exposition d'un mort sur le lit de parade, entouré de sa famille; ce sujet, qui
ne se rencontre pas fréquemment sur les vases peints, a donné à M. B. l'occasion
d'une dissertation assez étendue non-seulement sur cette coutume funéraire mais
aussi sur l'emploi des Ttîvaxeç votifs. Aux exemples donnés par M. B. p. 13, on
peut ajouter la table votive qui se voit au bas d'un autel, sur la mosaïque d'Am-
purias, Archml. Zeitg., 1869, p. 7 (t. XVI). Un exemple montrera combien les
matériaux archéologiques ont augmenté depuis quelques années : les auteurs du
Bosphore Cimmérien (1854) ne pouvaient citer qu'un exemple d'une TipôÔEai;
représentée sur un vase peint. M. B. nous offre une liste qui en porte le nombre
à 16. Un de ces vases, une hydria de style corinthien, se trouve au Louvre,
collection Campana, galerie du bord de l'eau. Quelques-unes des inscriptions
que portent ces vases se refusent encore à une explication certaine.
Une grande partie des planches suivantes ne nous offre que des fragments de
vases. M. B. les a traités comme Welcker a traité les fragments des tragédies
grecques, et souvent, à l'aide de répétitions analogues du même sujet; il a
expliqué des débris au premier coup-d'œil insignifiants et reconstruit l'ensemble
dont ils faisaient partie. Les peintres Skythes et Pauseas (pi. 4, 5) se trouvent
ici pour la première fois. Le Nearchos qui peignit le vase reproduit pi. i } est très-
probablement le père des deux peintres Ergoteles etTleson(Brunn, 11,675,738).
Nous citons comme remarquables pour leur beauté et l'incomparable pureté
de leur dessein les fragments XI, i, 2 : le dernier peut hardiment se placer à
côté de ce que le dessin antique a produit de plus beau.
d'histoire et de littérature. 41
Il nous reste quelques mots à dire sur l'exécution des planches. Grâce au
mouvement dont nous avons parlé plus haut, on recommence à attacher plus
d'importance et à apporter plus de soin à la reproduction artistique des restes
de l'art antique. Les dessins durs et secs dont étaient le plus souvent forcés de
se contenter l'Institut de Rome et la Arch<£ologische Zeitung, nous avaient presque
habitués à nous passer de la beauté dans les publications archéologiques, et à
nous borner à l'exactitude suffisante pour rendre possible une explication. De
cette négligence trop grande du goût artistique au luxe impérial des planches du
Bosphore Cimmérien, luxe impossible dans toute entreprise particulière, il y a loin.
C'est dans ce sage milieu que se sont tenus M. B. et son éditeur. Pour des
raisons que nous ignorons, ils ont dû renoncer aux couleurs habituellement em-
ployées dans la reproduction des vases peints. Assurément c'est fort regrettable,
car quoique le dessin n'en ait été que plus soigné et que souvent même il soit
parfaitement beau, certaines planches présentent un fouillis de lignes dans lequel
il est difficile de se reconnaître au premier moment et de distinguer les différents
plans. Cette observation porte surtout sur les dessins des fragments; plus d'une
fois il faut y regarder de bien près avant de deviner ce qu'on a sous les yeux.
Malgré ce léger reproche le style, le caractère des vases peints de diverses
époques est admirablement rendu, sans embellissement et sans aucune affectation.
L'impression ' et le papier de cet ouvrage sont superbes. Nous adressons
cet éloge à l'éditeur d'autant plus volontiers que nous n'ignorons pas combien
des publications de ce genre sont coûteuses et combien le nombre des acheteurs
est restreint.
Sous tous les rapports, le recueil de M. Benndorf prendra une place d'hon-
neur dans les études de la céramographie antique.
William Cart.
137. — Leben Schriften und Philosophie des Plutarch von Chaeronea,
von D' Richard Volkmann. Erster Theil. Plutarchs Leben und Schriften. Berlin,
Calvary, 1869. In-8*, xvj-2j9 p. — Prix : 8 fr.
Le volume publié par M. Richard Volkmann est une introduction à une expo-
sition détaillée de la philosophie de Plutarque. Il y raconte la vie de son auteur
et discute l'authenticité des ouvrages compris dans la collection connue sous le
titre d'Œuvres morales.
M, V. fait d'abord un tableau général de l'état de la société et des lettres au
temps de Plutarque. Il admet (p. 5) que le despotisme des Césars a été fatal à la
littérature et que de Nerva date une renaissance littéraire chez les Romains et
chez les Grecs. Mais il semble que littérairement, le premier siècle de l'ère
chrétienne est, chez les Romains, le plus brillant du temps de l'empire; sous les
Antonins on tombe de Tacite à Fronton, et assurément c'est tomber bas. Tacite
a écrit sous Trajan; mais il s'était formé auparavant. Il en est de même de
1. Aux errata signalés à la fin de la livraison, ajoutez p. 22, 21 Korbreis, i. Korbweis.
42 REVUE CRITIQUE
Plutarque. On ne voit pas que les abominations d'un Tibère, d'un Caligula, d'un
Néron aient exercé sur la littérature grecque de ce temps une influence quelconque.
M. V. essaye d'établir (p. lo) que Platon convenait mieux qu'Aristote au temps
de Plutarque. Mais c'est précisément en ce temps-là qu'on s'est remis à étudier
les écrits d'Aristote eux-mêmes et qu'ils sont entrés dans la tradition de l'ensei-
gnement philosophique. Je ne sais sur quel fondement M. V. avance (p. lo) que
les péripatéticiens avaient négligé la morale. Il reproche à Plutarque (p. 48) de
ne pas soupçonner que les grands hommes remplissent une mission historique,
qu'ils sont au service des idées qui se réalisent dans l'histoire, et que par consé-
quent ils ne sont pas libres et indépendants précisément dans ce qui fait leur
grandeur ; d'oii vient que Plutarque dérive tout de la liberté de leur volonté et
de leur caractère personnel. Pour ma part je louerais plutôt Plutarque de n'avoir
soupçonné rien de tout cela. Les grands politiques se soucient peu de
réaliser des idées j ils veulent être les maîtres" et laisser un nom et ils se moquent
des autres hommes y compris les historiens qui leur font une mission historique.
Je ne comprends pas bien en quoi le platonisme est incapable de comprendre
l'histoire (p. 49). Quiconque en général est fortement préoccupé de métaphy-
sique s'intéresse peu à l'histoire (encore faut-il faire des exceptions pour Aris-
tote et Leibnitz) ; mais un système ne me paraît pas plus défavorable à l'histoire
qu'un autre. Assurément la faiblesse de Plutarque comme historien ne dépend
pas de son platonisme, très-peu exclusif, très-éclectique, et par conséquent peu
défavorable aux recherches historiques, dont l'esprit de système est le fléau. Je
ne sais si l'optimisme de Plutarque est une conséquence de sa philosophie (p. 5 1).
Cette disposition tient en général au caractère et au tempérament plutôt qu'à
telle ou telle métaphysique, dont chacun tire les conséquences qui lui conviennent.
Je ne crois pas qu'on puisse citer un seul système qui ne permette de voir les
choses en noir ou en rose, suivant qu'on y est disposé.
La discussion de l'authenticité des ouvrages de Plutarque forme la partie la
plus considérable et la plus intéressante du volume de M. Volkmann. Il prend son
point de départ dans la remarque de Benseler qui a fait observer (De hiatu in scrip-
toribus graecis, 1841) que Plutarque évite l'hiatus. M. V. essaye d'établir que
toutes les parties des œuvres morales où l'hiatus n'est pas évité sont indignes de
Plutarque. Il s'accorde avec tous les critiques à rejeter les traités de meîris, pro-
verbia Akxandrina, de vita et poesi Homeri. Il n'admet pas, non plus que Wytten-
bach, l'authenticité des amatoriae narrationes, oh l'histoire de Scédase et de ses
filles est racontée tout autrement que dans la vie de Pélopidas (p. 127-129). La
consolatio ad Apollonium est composée suivant des procédés tellement étrangers
aux habitudes de Plutarque qu'on ne saurait la lui attribuer (p. 129 et suiv.).
Dans le traité de fato, il y a trop d'emprunts à Aristote et d'emprunts qui ne se
rencontrent que là, pour qu'il soit de Plutarque (p. 146 et suiv.). Les Placita
philosophorum sont une compilation, indigne de Plutarque, à qui elle était d'ail-
leurs déjà refusée. Elle est souvent identique aux eclogae de Stobée et dérive pro-
bablement comme l'ouvrage de Stobée d'une exposition des systèmes de philo-
sophie faite par Areus Didymus au temps d'Auguste (p. 154 et suiv.). M. V.
d'histoire et de littérature. 43
n'admet pas davantage l'authenticité du traité de musica (p. 170 et suiv.); il se
rétracte sur ce point et combat l'opinion de Westphal qui attribue l'ouvrage à la
jeunesse de Plutarque. Il se réfère à Wyttenbach pour le traité de puerorum eda-
catione qui ne peut être de Plutarque (p. 180). Il lui paraît évident que le traité
de vitando aère alieno n'est pas authentique (p. 1 80 et suiv,). On y rencontre des
traits de mauvais goût et des mots qui sont rares et ne se rencontrent pas ailleurs
dans Plutarque. Benseler avait condamné à cause des hiatus le traité de garru-
litaîe; M. V. en prend la défense et pense que les 14 hiatus choquants peuvent
être écartés par des corrections, qui me semblent contestables. Le traité de amore
prolis lui parait authentique ; seulement ce n'est qu'un fragment et un extrait
(p. 185 et suiv.). Quant au convivium septem sapientium, le discours de Solon est
tellement absurde que cela seul suffit pour empêcher d'attribuer l'ouvrage à
Plutarque (p. 202-203). M. V. est indécis sur l'authenticité du traité de commu-
nibus notiîiis adversus stoicos (p. 210). Les regum et imperatorum apophthegmata
ne sont pas de Plutarque ni tirés de Plutarque (p. 210-234); l^épitre dédica-
toire à Trajan contient autant de niaiseries que de mots. Quant aux trois traités,
apophthegmata Laconica, instituta Laconica, Lacaenarum apophthegmata, ils doivent
être rangés avec l'ouvrage précédent (p. 235 et suiv.). M. V. ne traite pas en
particulier de l'écrit de fluviis, des parallçla minora, et des vitae decem oraîorum,
dont la non authenticité a déjà été démontrée.
Je ne puis discuter ici le détail de l'argumentation de M. Volkmann. En général
elle participe de la faiblesse de toutes les argumentations du même genre, qui
est de supposer qu'un auteur est toujours égal et semblable à lui-même. Toute-
fois elle est digne d'attention, et témoigne d'une étude approfondie du sujet.
138. — I. Le Grûtli et Guillaume Tell ou défense de la tradition vulgaire sur les
origines de la Confédération suisse, par H. L. Bordier. Genève et Bâle, Georg, 1869.
In-8*. 92 p.
II. Lettre à M. Henri Bordier à propos de sa défense de la tradition vulgaire sur
les origines de la Confédération suisse, par A. Rilliet. Genève et Bâle, H. Georg,
1869. In-8*, 55 p.
III. Etude critique sur les traditions relatives aux origines de la Con-
fédération suisse, par Hugo Hungerbuhler, étudiant en droit. Genève et Bâle,
H. Georg, 1869. In-8', 124 p.
Nous nous étions trop avancé en disant, il y a près d'un an, que la question
des Origines suisses et de Guillaume Tell devait être désormais rayée de l'ordre
du jour de la critique et qu'après l'ouvrage de M. Rilliet la cause nous paraissait
.entendue. Les préjugés enracinés, l'amour propre national froissé, peut-être
aussi l'attrait du paradoxe ont amené de nouveaux champions dans la lice pour
renouveler la lutte. Nous n'aurions pas songé cependant à parler de cette polé-
mique si le nom de l'un des écrivains qui sont venus contester les résultats de
44 REVUE CRITIQUE
M. Rilliet et de ses prédécesseurs, ne méritait autre chose que le silence. Quel-
que singulière que doive paraître la campagne entreprise mal à propos par
M. Bordier, dans la brochure annoncée plus haut, la valeur scientifique de
l'auteur et la réputation justement méritée dont il jouit parmi nous, ont engagé
M. Rilliet à lui donner la réplique et c'est de ces deux travaux que nous allons
dire quelques mots, renvoyant pour l'ensemble de la question, à notre précédent
article. M. Bordier s'est jeté dans cette «entreprise hasardée, sinon désespérée»
(p. 7) pour « accorder la consolation d'un débat aux âmes généreuses qui
» avaient la foi » (p. 6). Sentiment chevaleresque à coup sûr, mais qui demande
à être justifié par les faits! Or ces faits M. B. les a-t-il mis en lumière, a-t-il
dans ce qu'il .appelle la « Défense de la tradition vulgaire » confirmé les récits
de Tschudi et de Jean de Mûller, ou du moins a-t-il détruit la chaîne serrée des
arguments présentés par son savant adversaire? Cela nous semblait difficile,
avant d'avoir lu son travail ; cela nous paraît désormais impossible, car si un
historien de la valeur de M. Bordier ne peut apporter aux débats d'arguments
plus sérieux que ceux que nous allons passer en revue, c'est que la cause qu'il
défend succombe à sa propre faiblesse plus encore qu'aux attaques de la critique.
Disons d'ailleurs avant toute chose que les âmes naïves et croyantes dont l'auteur
a voulu sauvegarder la foi, lui sauront peu de gré de cette obligeante tentative;
en effet s'il a réellement entendu « défendre la tradition vulgaire » il s'en est
tiré à bon marché, car lui aussi n'admet pas l'origine Scandinave des Waldstastten,
ni leurs libertés immémoriales; lui aussi combat l'authenticité de nombreux
documents exploités par la légende, il renonce à faire d'Albert d'Autriche le
tyran que l'on sait, et quant à Guillaume Tell nous verrons tout à l'heure ce
qu'il en fait pour « défendre la tradition vulgaire. « — Voyons maintenant par
quelques exemples la nature des arguments de M. Bordier. M. R. avait dit que
du temps des Romains et surtout avant eux, le territoire des Waldstaetten avait
été désert. A cela que répond M. Bordier ? « L'immense ancienneté assurée à la
» race humaine par les spéculations de la géologie fait douter à priori de ce
» fait » (p. 12). D'ailleurs Strabon dit que le sol était partout fertile en Gaule
et qu'il nourrissait une abondante population, « ce qui s'applique atout l'ensemble
» de la Gaule ultérieure ou transalpine » (p. 13). Donc Schv^^ytz était habité!
De plus les Séquanes qui habitaient « entre le Rhin et la Saône » étaient (d'après
M. Amédée Thierry) de grands éleveurs de porcs. Or le nom des habitants de
Schwytz, Swicences, indique encore clairement « la dénomination de la vallée
» par excellence pour l'élevage du Schwein comme Uri était la vallée des grands
» bœufs » (p. 1 5).
Mais M. Bordier n'est pas à bout de preuves pour démontrer que les Wald-
staetten étaient habitées du temps des Romains. Il est persuadé que le Rigi-Culm
porte un nom romain (Montis rigui culmen = le mont aux formes onduleuses)
comme le Pilate (Mons pileatus = le mont toujours coiffé de nuages) et semble
ignorer que le Pilate n'a reçu son nom qu'au xiv® siècle pour de tout autres
motifs. Il se doute cependant que ces étymologies fantaisistes « feront sourire
d'histoire et de littérature. 45
n plus d'un lecteur », et s'en excuse en invoquant Letronne qui disait que « l'on
» doit se compromettre hardiment par une hypothèse aventureuse plutôt que
» d'omettre une hypothèse utile » (p. 16)'. Tant pis pour cet éminent érudit
si réellement il a prononcé de pareilles paroles, car il n'a point compris qu'une
seule fantaisie pareille peut et doit ruiner chez tout lecteur sérieux l'autorité de
l'auteur qui se la permet! Nous ne pouvons suivre M. B. dans les détails de
son argumentation ultérieure; la discussion des chartes et documents qu'il engage
avec M. Rilliet nous prendrait trop de place et nous mènerait trop loin. Le
savant professeur de Genève a d'ailleurs si victorieusement réfuté ces attaques
dans sa Lettre à M. Bordier que nous pouvons simplement y renvoyer le lecteur.
Il nous faut mentionner cependant les nombreuses erreurs de raisonnement qui
se rencontrent à chaque pas dans le travail de M. B. et dont nous ne compre-
nons pas qu'elles aient échappé à l'auteur. Ainsi (p. ? 5), parce qu'un document
se rapproche par sa date d'un autre document analogue, le premier se rapportant
à Schwytz et le second à Uri, pourquoi donc l'un doit-il être apocryphe? Ne
pouvait-on pas octroyer vers la même époque aux deux localités voisines des
privilèges semblables? Ou bien, contestant à M. Rilliet le caraaère pacifique
d'Albert T"", M. B. s'écrie triomphalement « la guerre éclata cependant puw^ue
» le fils d'Albert fut vaincu » (p. 41). Comme si M. R. avait nié ce fait patent!
Mais de ce que le fils de Pierre fait la guerre à Paul, il ne s'ensuit pas néces-
sairement que Pierre lui-même ait été l'ennemi de Paul. Ou bien encore si des
pèlerins Scandinaves ont traversé la Suisse au moyen-âge pour aller à Rome,
comment en conclure qu'ils sont venus s'y établir au vu* siècle, alors qu'ils
étaient encore payens (p. 69) ? Il y a bien d'autres erreurs historiques dans son
travail. Il transforme certains rois d'Allemagne en empereurs, il met les land-
graves d'Alsace à la tête de la vallée d'Uri, il nous apprend que « le Rhin a sa
«source même au Saint-Gothard », il semble ignorer que le traité de ij 1 5 a été
signé après et non avant Morgarten. A propos de la scène fantasmagorique du
Grùtli, principal objet des retouches de Jean de Mùller, il invoque, pour en
affirmer la réalité, « les tableaux de la vérité que nous composons malgré nous
» dans notre âme. » Source historique bien étrange pour un archiviste paléo-
graphe. Pour en finir nous avons encore à voir ce que fait de Guillaume Tell,
le défenseur de « la tradition vulgaire. » Il admet une création légendaire , mais
il intervertit les origines de la légende. Ce n'est plus du Danemarck qu'elle se
rend en Suisse ; ce sont les pèlerins Scandinaves qui l'emportent dans leur pays
en revenant de Rome. Seulement, comme il est incontestable que la légende
danoise existe dès le xii* siècle, M. B. se voit obligé d'arracher Guillaume Tell
à son entourage légendaire , de le reculer d'un siècle et demi en arrière et de
déclarer, comme conclusion dernière à sa «défense de la tradition », qu'un
1. M. Bordier dit encore pour défendre ses étymologies qu'elles « sont d'accord cepen-
» dant avec les habitudes de l'antiquité. » Il me semble que ce serait une raison de plus
pour s'en défier.
46 REVUE CRITIQUE
Williamus Tallo, renommé pour son adresse et son courage, vivait à une époque
quelconque du moyen-âge, antérieure à la fin du xii'^ siècle (p. GG). C'est là
sans doute ce que M. Bordier entend par « ménager une transaction » (p. 8).
Mais je ne saurais comprendre ce qu'y peut gagner la critique, et je doute que
les partisans de la tradition vulgaire en soient plus enchantés que les savants
négatifs que M. Bordier voulait réfuter. La haute estime que nous professons
pour le mérite et la science du compatriote de Guillaume Tell, nous oblige à
lui déclarer franchement ici qu'il a complètement échoué dans sa curieuse tenta-
tive et que les arguments qu'il met au service de sa cause ne soutiennent point
l'examen. M. Rilliet le lui a bien fait sentir dans sa polémique aussi spirituelle
que courtoise; et bien que je n'ose plus affirmer désormais que tout le monde
sera de son avis, je dois répéter cependant qu'aux yeux de la science, il ne
saurait y avoir désormais de débat que sur des détails d'une importance minime
et je profite de l'occasion pour recommander encore une fois à nos lecteurs le
grand ouvrage de M. Rilliet, dont une seconde édition vient de paraître.
Le travail de M. Hungerbùhler, dont nous dirons quelques mots en termi-
nant, est un mémoire couronné par l'Institut national genevois et a été com-
posé avant la publication du volume de M. Rilliet. S'il a vu le jour, c'est que
l'Institut a pensé « que le livre de M. R., par le fait même de sa supériorité
» scientifique, ne s'adressait qu'à un public assez restreint; qu'il supposait chez
» ses lecteurs certaines connaissances préliminaires, une certaine dose d'érudi-
» tion, etc. » Sans examiner ce que cette opinion de l'Institut de Genève peut
avoir de fondé relativement à des lecteurs français, — et nous croyons qu'il
s'exagère un peu la difficulté de faire comprendre M. R. aux lecteurs de bonne
volonté, — nous dirons que l'opuscule de M. H. répond aux vœux de ceux qui
l'ont couronné; c'est, comme le dit l'auteur lui-même, « un résumé simple et
M clair des résultats les plus récents de la science pour le grand public « (p. 7).
Nous serions positivement injuste en comparant ce mémoire à l'ouvrage bien
plus étendu de M. Rilliet, et nous aurions mauvaise grâce à faire ressortir la
supériorité de l'un sur l'autre. M. Hungerbùhler lui-même, qui appelle les
Origines de la Confédération suisse, « une œuvre magistrale, qui ne laisse rien à
» désirer )),ne réclame pour lui « qu'une seule chose, c'est de n'être pas trouvé
» tout à fait indigne de figurer dans les rangs comme simple soldat » à la suite
de tant d'autres savants contemporains qui se sont occupés de son sujet. Qu'il
se rassure; un jeune homme, encore étudiant en droit, qui a su se livrer, en
dehors de ses études professionnelles, avec autant de critique que de modestie
aux travaux historiques dont il nous présente les fruits, n'est déjà plus un simple
soldat; c'est, pour rester dans l'image choisie par lui, un jeune et brillant officier
plein d'avenir, qui n'a qu'à continuer ainsi pour arriver plus haut. Le travail de
M. Hungerbùhler se divise en trois parties. Une introduction historique d'une
quarantaine de pages répond à la première moitié du volume de M. Rilliet. La
première partie passe en revue tous les chroniqueurs qui, de Jean de Winterthur
d'histoire et de littérature. 47
à ^gidius Tchudi, ont parlé du soulèvement des Waldst£tîen. La seconde partie
examine ensuite la valeur historique de ces légendes nationales, et donne une
série d'hypothèses sur leur formation. Sauf de petits points de détail (ainsi, pour
citer un exemple, l'âge relatif de la branche légendaire, appartenant à Uri,
p. 105), l'auteur se trouve en accord parfait avec ses prédécesseurs'; malgré
les récriminations et les critiques, la question est élucidée à tel point et la vérité
historique se fait jour avec tant d'évidence qu^il faut bien s'écrier : aveugle qui
ne la voit point !
Rod. Reuss.
139. — Stojan Novakovitch, Srpska bibliografia 2a, noyîjn Knjijeynost
1741-1867. Ouvrage publié par la Société des sciences de Serbie. Belgrade, impri-
merie de l'État, 1869. xxiv-644 p. — Prix (à Belgrade) : 4 fr.
Nous avons déjà parlé ici même de M. Stojan Novakovitch et des services
qu'il a rendus à la littérature de son pays 2. Le livre que nous annonçons aujour-
d'hui comble une lacune sérieuse : c'est le premier essai d'une bibliographie
méthodique des publications serbes depuis un siècle. Les publications serbes
antérieures ont été l'objet d'un grand travail de Schafarik dans son histoire de la
littérature des slaves méridionaux (Geschichte der sûdsl. Literatur. Prag, 1865).
La bibliographie moderne n'avait été que très-insuffisamment notée dans les
Annales serbes (Srpski Letopis) de Novi-Sad (Neusatz) ou dans le Glasnik de
Belgrade. M. Stojan Novakovitch suit l'ordre chronologique : il indique les publi-
cations année par année. Cette disposition nous paraît excellente en ce qu'elle
permet de suivre pas à pas l'histoire de la renaissance serbe. D'ailleurs chaque
publication porte un numéro d'ordre : une double table par noms d'auteurs et
par ordre de matières permet de retrouver facilement les livres dont on ignore
la date, les publications anonymes. C'est là une ingénieuse combinaison et qui
facilite singulièrement les recherches.
Le nombre des publications enregistrées par M. Novakovitch est de 3291.
Sous le nom de publications serbes il ne comprend que celles qui sont imprimées
en caractères serbes et laisse en dehors comme appartenant à la littérature
croate, celles qui sont imprimées en caractères latins. Cette distinction donne
lieu à plus d'une difficulté. Il y a tel écrivain dont un ouvrage a eu plusieurs
éditions : les éditions publiées en caractères latins ne comptent pas comme serbes
dans le système suivi par la société de Belgrade. Précisons par des faits.
M. Sundecic un des meilleurs poètes serbes a publié en 1864 à Zara un poème
héroïque La chemise sanglante (Krvava Kosulja). Ce poème a eu deux éditions.
L'édition en caractères latins est absolument omise dans le catalogue de M. No-
1 . Si quelqu'un désirait comparer la méthode allemande à la manière de procéder des
auteurs dont nous avons parlé, nous lui recommandons la lecture de l'excellent travail de
M. W. Vicher, Die Sage von der Befreiung der Waldstadte. Leipzig, 1867, in-8*.
2. Voy. année 1868, art. 77.
48 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
vakovitch. Il y a dans la littérature serbe une autre œuvre bien plus importante,
c'est le célèbre poème du Vladika (prince) du Monténégro Pierre Petrovitch
Negoch {Gorski Vienac, la Couronne des Montagnes). Cette œuvre popu-
laire, et dont M. N. parle dans son histoire de la littérature serbe avec
une juste admiration, a déjà eu trois éditions en caractères slaves. M. N. les
a enregistrées. Récemment la société de littérature dalmate (Matiça dalma-
tinska) a publié du même poème une édition en caractères latins. Eh! bien
cette nouvelle édition, indispensable, d'une œuvre célèbre, depuis long-
temps épuisée, ne sera pas signalée dans le supplément de M. N. si jamais il
en publie un. De même M. Danicicbien connu comme philologue serbe, ancien
secrétaire de la société des sciences de Belgrade, aujourd'hui secrétaire de
l'Académie d'Agram, verra omettre par les bibliographes serbes celles de ses
publications qu'il aura imprimées en caractères latins. Nous appelons sur ce point
l'attention de la société de Belgrade. Si l'on se bornait à enregistrer les œuvres
publiées dans la principauté nous comprendrions un esprit de rigoureuse exclu-
sion. Mais du moment oh on embrasse l'ensemble des publications xcri'w (éditées
à Belgrade, Novi-Sad, Pesth, Zara, etc.), nous croyons qu'il serait juste et utile
de donner à ce terme sa plus grande extension. Le serbe et le croate sont si
bien une seule et même langue que l'on peut imprimer le même ouvrage , sans
y changer un mot, dans les deux alphabets latin et cyrillique. A quoi bon alors
ces distinctions surannées .f' elles ont pour point de départ, nous le savons, des
différences religieuses : l'alphabet latin est celui de Rome, l'alphabet cyrillique
celui de l'église orthodoxe. Mais notre siècle n'admet plus ces différences, et les
esprits éclairés les repoussent à Agram comme à Belgrade. Nous pouvons d'ailleurs
citer l'exemple des Allemands qui aujourd'hui commencent à admettre l'alphabet
latin à côté du gothique : en Bohême et en Pologne (notamment en Silésie) on
imprime encore des livres en caractères gothiques à l'usage du peuple : les biblio-
graphes tchèques ou polonais ne croient pas devoir les oublier. Encore une fois
nous signalons le fait à l'attention de la société belgradienne. Il importe que la
question soit tranchée : M. Novakovitch qui a écrit dans un fort bon volume
l'histoire de la littérature serbo-croate, partage assurément notre avis. Je serais
heureux de lui donner l'occasion de s'expliquer sur ce point.
Je n'ai pas du reste la prétention de compléter ou de corriger son
travail. Je lui signalerai cependant une omission. M. Chodzko a publié à Paris
en 1858, une vie de saint Sava en serbe; c'est la réimpression d'un livre publié
à Vienne en 1794. M. Novakovitch, qui signale ce livre à l'année 1794, a omis
de le rappeler à l'année 1858. Un livre serbe édité à Paris est chose assez rare
pour mériter d'être noté.
Louis Léger.
Nogent-ie-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
II. Comptes-rendus. Kapp, Vergleichende Erdkunde, 2« éd. — Wislicenus,
Die Elbgermanen. — Wormstall, Tungern und Bastarnen. — Monumenta germa-
niae historica, éd. Pertz. Legum t. IV. Article détaillé de M. Bluhme, l'un des
éditeurs du volume. — O. Franklin, Dos Reichshofgericht im Mittelalter. —
Weech, Ceschichte der badischen Verfassung. — Schliephake, Geschichte von
Nassau. — Acta Tomiciana, t. IX. Collection importante relative à l'histoire de
Sigisraond I" de Pologne. — Moll, Kerkgeschiedenis van Nederland. — Archives
ou Correspondance inédite de la maison d'Orange, p. p. Groen van Prinsterer,
2^ série, t. V (1650-1688), etc., etc.
Il n'y a souvent aucune proportion entre la valeur des livres et la longueur
des articles qu'on leur consacre. Les littératures étrangères, surtout la nôtre,
sont un peu négligées depuis quelque temps.
III. Aperçu des publications historiques de juillet à décembre 1868, par W.
Mûldener. On voit trop que cette très-utile publication se fait sur des catalogues
souvent inexacts de librairie. Des volumes d'historiettes pour la jeunesse, venant
de la librairie catholique de Marne (p. 109, 152), figurent à côté des romans de
M""^ Dash, de MM. des Essarts, Blanquet, etc. (p. 137, 1 $0, etc.), parmi les
productions de l'historiographie française , tandis que certains volumes sérieux
manquent. On devrait au moins séparer la littérature courante et légère (parmi
laquelle on trouve plus de 100 brochures sur M. Rochefort!) de Ta véritable
littérature historique.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ou\Tages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
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graphisch- stilistisches Handwœrterbuch
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faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à l'égard de la partie française con-
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N* 30 Quatrième année 24 Juillet 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 1 5 fr. — Départements, 17 fr, — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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Ce volume contient la guerre des Gaules jusques et y compris la bataille de
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Cet ouvrage forme le 3^ fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
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De la langue chinoise et des moyens d'en fad-
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\ r^ A ^ nr A NI ^^ Capltole de Vesontio et les Capitoles pro-
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jfr.
PERIODIQUES ETRANGERS.
The Athenseum. — lo juillet.
Gladstone (The Right Hon.), Juventus Mundi. The Gods and Men in the Heroic
Age, Macmillan; compte-rendu sans compétence d'un livre où l'imagination a
plus de part que la critique. — Johnston (David), A translation ofDante's Inferno,
Purgatorio and Paradiso (privately printed). — Correspondance relative à de
récentes découvertes à Jérusalem. — The semiîic languages; article signé Charles
Beke.
17 juillet.
RusKiN (John), The Queen of the Air; being a Study ofthe Greek Myths ofCloud
and Storm, Smith, Elder and C°; interprétation morale, mais non scientifique,
des mythes grecs. — Calendar of the Carew Manuscripts, preserved in the Archi-
épiscopal Library at Lambeth, 1 589-1600, edited by J. G. Brewer, Longmans
et C°. — RiCHEY, Lectures on the History of îreland down to A. D. 1 5^4, Dublin,
Ponsonby. — Kampschulte, Johann Calvin, seine Kirche und seine Staat in Genf,
erster Band; art. très-favorable, — Stephens (George), The Old-Northern Runic
Monuments of Scandinavia and England now first collected and deciphered, part. II,
Copenhagen, Michaelsen et Tillge.
Archiv fur das Studium der neueren Sprachen, hgg. von Herrig. Tome
XLIV, !"■ cahier.
Ce cahier est occupé presque tout entier par une étude de M. Backe : « De
» l'influence que les divisions religieuses ont exercée sur le développement de la
» littérature allemande moderne (p. 1-90). » — Viennent ensuite quelques
comptes-rendus assez insignifiants (p. 91-101), des Mélanges (p. 102-126), et
la Bibliographie (p. 127-128). Parmi les Mélanges, remarquons une note inté-
ressante de M. Hogena sur la scène I de la 2'' partie de l'Henri IV de Shaks-
peare, et une autre de M. Kriegk : De l'élément comique et railleur dans les noms
propres usités à Francfort au moyen-âge.
2^ cahier.
P. u I : LÙDKE, Des différences dans l'emploi de l'article en ^ançais et en anglais;
travail:%ui n'est pas fait à un point de vue historique , mais qui a toutefois le
mérite de présenter un grand nombre de faits bien classés. — P. 25^. Brand-
ST^TER, Les nouveaux gallicismes dans notre littérature (suite; cf. Rev. crit. 1869,
couvert, du n° 6). — P.^^i. Lùcking, Sur l'étymologie des formes verbales fran-
çaises. Travail estimable, mais qui ne contient rien de bien nouveau. — P. 337.
ScHRŒDER, Encore un cent de proverbes bas-allemands (supplément à un travail
publié dans le t. XLIII du même recueil. — Bibliographie. The vowell éléments in
Speech by Samuel Porter, New-York, Westermann, compte-rendu par
LÙCKING. — Mélanges.
The Irish Ecclesiastical Record, a monthly Journal conducted by a society
of Clergymen, under episcopal sanction. Dubhn, Kelly (Nous n'avons pas reçu
le n" de juin). — N° LVIII. Vol. V. — July, 1869.
[Ce n° contient peu d'articles concernant l'Irlande.] — P. 453-471. Catholi-
cisme et Progrès. — P. 472-479. Qualités d'un bon catéchiste. — P. 480-490.
John Knox et les premiers fruits du presbytérianisme. — 491-492. Questions litur-
giques. — P. 493-500. MoNASTicoN HiBERNicu;^ : Comté d'Armagk (suite).
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 30 — 24 Juillet — 1869
Sommaire : 140. Nutzhorn, La composition des Poèmes homériques, — 141. Ste-
GER, Études sur Platon. — 142. Urlichs, de la Vie et des Honneurs d'Agricola. —
143. Guillaume le Clerc, le Besant de Dieu, p. p. E. Martin. — 144. Lau-
W'EREYNS de Roosend^le, Histoire d'une Guerre échevinale de 177 ans. — 145.
MuLLER (L.), Histoire de la Philologie classique dans les Pays-Bas. — Variétés :
l'Association pour l'encouragement des études grecques.
140. — F. Nutzhorn. Die Entstehungsweise der Homerischen Gedichte.
Untersuchungen ùber die Berechtigung der auflcesenden Homerkritik. Mit einem Vor-
wort von D' J. N. Madvig. Leipzig, Teubner, i869.In-8*,xiv-268p. — Prixiôfr.yj.
Ce livre est l'ouvrage d'un jeune danois, mort à l'âge de trente et un ans. Il
l'avait écrit dans la langue de son pays et publié lui-même en 1863. La traduc-
tion allemande, due à un ami de l'auteur, porte en tête un avant-propos de
M. Madvig : elle parait en quelque sorte sous les auspices de cet éminent philo-
logue. Nous comprenons les regrets que M, Madvig donne à son ancien élève,
et nous déplorons avec lui la mort prématurée d'un jeune savant que nous ne
connaissons que par ce livre; mais ce livre est plein de sens, il témoigne d'un
bon esprit, d'une excellente méthode, et surtout d'un sentiment très-vif de la
poésie homérique. Les belles pages (130-140) sur les comparaisons d'Homère
suffiraient à elles seules pour justifier notre impression.
Établir l'unité des deux grandes épopées, la défendre contre les arguments de
Wolf, de Lachmann et d'autres critiques : tel est le but que l'auteur s'est pro-
posé. Il divise son sujet en deux parties : la transmission du texte homérique, et
l'examen de l'un des deux poèmes, l'Iliade. Nous ne le suivrons pas de point en
point : on trouve dans son livre beaucoup de choses, beaucoup de considérations,
qui ne sont pas nouvelles : cela était inévitable. Signalons quelques vues moins
répandues, plus personnelles.
La fameuse rédaction de Pisistrate a été le point de départ des théories scep-
tiques. Pour mieux en finir avec ces théories, M. N. nie que cette rédaction ait
jamais eu lieu. Le remède est radical : il est bien d'un jeune homme. Une tra-
dition rapponée par Cicéron, par Josèphe, par Pausanias, par d'autres encore,
remonte certainement à l'époque de l'érudition alexandrine, et si nous ne la
trouvons chez aucun auteur plus ancien, il n'y a pas lieu de s'en étonner : aucun
des écrits savants où il pouvait en être question n'est venu jusqu'à nous. — Mais
les scholies ne citent jamais l'édition de Pisistrate. — Cela s'explique aisément, si
cette édition servait de base au texte alexandrin : on indique la provenance de
quelques variantes; l'origine de la vulgate reste sous-entendue. A une époque
où la récitation des poèmes homériques fut introduite dans le programme des
Panathénées, et dans un pays où ces mêmes épopées constituaient le point de
VIII 4
50 REVUE CRITIQUE
départ et le centre de l'éducation de la jeunesse, il est naturel qu'on ait cherché
à procurer un texte aussi bien ordonné et aussi complet que possible du poète
national. Mais d'un autre côté il ne faut pas exagérer la portée du travail entre-
pris sur l'ordre de Pisistrate. Il ne s'agissait pas alors de créer l'Iliade ou
l'Odyssée par le rapprochement de chants épars : ces poèmes existaient depuis
longtemps : le plan des épopées cycliques en fournit la preuve positive.
L'auteur fait très-bien voir le côté faible de la théorie de Lachmann, ainsi que
de l'hypothèse beaucoup moins radicale de M. Grote. Mais ici encore il nous
paraît dépasser le but. Nous admettons parfaitement qu'un poète ait laissé
échapper des contradictions, des disparates, dans une œuvre de longue haleine.
Il y a cependant contradiction et contradiction. Qu'un guerrier obscur, tué au
cinquième livre, se porte assez bien dans le treizième pour pleurer la mort de
son fils, nous n'y attachons aucune importance. Mais que Diomède blesse Vénus
et Mars dans la bataille, qu'il ne se retire même pas devant Apollon, et que peu
de temps après il repousse avec horreur l'idée de combattre des dieux, voilà une
contradiction bien autrement étrange; et, pour notre part, nous nous refusons
à croire que la bravoure de ce héros (1. V) soit de la même main que sa ren-
contre avec Glaucus (1. VI). L'Iliade a sans doute reçu de nombreuses amplifi-
cations, et elle a passé par des rédactions différentes. Comment un long poème,
conservé par les rhapsodes, redit par des chanteurs dont plusieurs étaient eux-
mêmes poètes, eût-il échappé au sort commun de toutes les épopées dans les
siècles peu critiques ? Les traces de rédactions diverses se remarquent encore
dans notre texte. L'ambassade du neuvième chant n'est pas rappelée dans les
chants suivants aux endroits où elle aurait dû l'être; Achille s'exprime même à
plusieurs reprises, comme si elle n'avait pas eu lieu. Il faut aller jusqu'au xviii'^
chant pour trouver une mention de cette ambassade. Mais là nous apprenons
que les prières des princes grecs avaient engagé Achille à leur envoyer Patrocle,
et que ce héros a combattu durant toute une journée près de la porte Scée. Il
est vrai qu'Aristarque considérait comme interpolés les vers auquels nous faisons
allusion (XVIII, 444-456); mais on ne saurait les retrancher sans inconvénient,
et, le pourrait-on, ils n'en attesteraient pas moins que quelques-uns des principaux
incidents du poème n'étaient pas amenés de la même manière dans tous les textes.
M. N. ne voit pas ces différences, ou il ne veut pas les voir. Il s'ingénie à
prouver que le Dénombrement du livre 11'^ est un beau morceau, de proportions
parfaites, excellent au point de vue poétique, abstraction faite de l'intérêt histo-
rique qu'il peut présenter. Décidément M. Nutzhorn est trop orthodoxe; mais
cela n'empêche pas que son livre ne soit digne d'être lu et médité.
Henri Weil.
141. — Platonîsche Studien, von Josef Steger, Professer an le. k. Gymnasium
in Salzburg. Innsbruck, Wagner, 1869. In-8*, 79 p. — Prix : 2 fr. 20.
Le but de cette publication, qui s'annonce comme un premier fascicule, est
de tracer un parallèle entre la dialectique de Platon et la méthode des sophistes.
d'histoire et de littérature. Çl
L'indication des traits communs qui caractérisent la sophistique et la rhétorique
des sophistes est suivie d'un exposé de la dialectique de Platon. En majeure
partie cet exposé n'est qu'une reproduction des propres paroles de Platon, l'au-
teur étant d'avis que l'emploi d'une terminologie différente a souvent eu pour
résultat de prêter au philosophe grec des idées qui lui sont étrangères. La dis-
cussion de la valeur respective des deux méthodes n'a pas trouvé de place dans
ce cadre, principalement en ce qui concerne la sophistique, comme l'auteur
d'ailleurs en fait lui-même la remarque en citant quelques paroles empruntées à
M, Ueberweg {Grundriss der Gesch. der Philosophie, t. I, p. 69, 2^ éd.). Elle est
présentée exclusivement du point de vue polémique où se trouvaient placés à son
égard Socrate et Platon. Dans ces limites restreintes on ne saurait refuser à
l'auteur le mérite d'une exposition claire et méthodique, reposant à la fois sur la
connaissance des ouvrages de Platon et sur celle des travaux modernes qui ont
traité la même question. Son travail peut servir utilement d'introduction partielle
à la lecture des ouvrages du philosophe grec; de plus, il nous montre que le
niveau de l'étude de l'antiquité tend à s'élever en Autriche.
Emile Heitz.
142. — Caroli Ludovici Urlichsii Commentatio de Vita et Honoribus Agri-
colae. Wirceburgi. 1868. In-4*, 33 pages. — Prix : 1 fr. 60.
En 1866, M. Emile Hùbner publia dans VHermès\ cet intéressant recueil
qu'il venait de fonder et que connaissent bien nos lecteurs 2, une étude sur
VAgncola de Tacite. Ce travail n'a que quelques pages, mais elles sont pleines
de vues originales. Suivant M. H. le petit hvre latin est le seul type parvenu
jusqu'à nous d'un genre littéraire propre à l'époque impériale, et qui se classe
dans les laudationes funèbres : ce qui le caractérise c'est que l'éloge n'a pas été
prononcé, mais seulement écrit et composé en vue de la lecture. On sait qu'à la
mort de tout Romain illustre, le cortège, en se rendant de la maison mortuaire au
Champ-de-Mars où était dressé le bûcher, s'arrêtait au Forum, et que là, soit le fils
du défunt, soit l'un de ses parents ou de ses amis, prononçait son éloge. Plu-
sieurs de ces éloges, gravés sur les tombeaux des personnages ainsi loués, sont
parvenus jusqu'à nous?. Quelques-uns, auxquels l'illustration du défunt ou de
l'orateur donnaient un intérêt plus général plus durable, avaient été recueillis
et faisaient partie de la littérature classique 4. Dans le premier siècle de notre
ère commencent enfin les éloges écrits, tels que ceux de Thraseas, composé par
Rusticus Arulénus, et d'Helvidius Priscus par Sénécion, à côté desquels se range
l'Agricola de Tacite 5. Leur type est réellement le livre de Cicéron sur Caton
1. I, pp. 438-448.
2. Voy. Rev. ait., 1867, p. 96.
3. Orelli 4860 et Mommsen, Acad. de Berlin, Abhandl. 1863, p. 455 et suiv.
4. Tels ceux de Julia et de Cornelia prononcés par Jules César, Suét. Jul. 6.
5. M. Hùbner compare ces éloges écrits à ceux que composent les Académiciens fran-
52 REVUE CRITIQUE
(liber M. Ciceronis qui inscribitur laus Caîonis. Gell. 13. 20. 3); les noms seuls
des auteurs et de leurs héros indiquent assez le caractère apologétique et poli-
tique de ces ouvrages. Dans le cadre de l'ancienne laudatio funebris se manifes-
tent les passions, les rancunes et les revendications patriciennes. Une lettre de
Pline le Jeune (VII, 19) nous apprend que l'éloge d'Helvidius avait été écrit
par Senecion à la prière de Fannia, la femme même d'Helvidius , et cette lettre
montre bien que les œuvres de ce genre étaient empreintes de la plus vive
opposition.
Si l'on prend la peine de relire l'Agricola, il sera, je crois, difficile de refuser
son assentiment presque complet aux vues très-ingénieuses et très-motivées de
M. Hûbner. Nous sommes habitués à chercher dans ce livre des renseignements
sur l'histoire la plus ancienne de l'Angleterre : ils y sont en effet, mais sous la
forme d'un excursus artificiellement introduit dans le plan primitif et visible de
l'ouvrage. Enlisant de suite les chapitres I-IX, XVIII-XLVI, on ne pourra mé-
connaître le caractère très-oratoire de cette production. La recherche du style,
l'amplification des récits, l'emploi des termes les plus généraux, l'absence voulue
de mots techniques, tout cela, sans même compter la célèbre péroraison, montre
ici un morceau du genre épidictique, qui se distingue profondément des biogra-
phies proprement dites dont les Caesares de Suétone et les Hisîoriae Augustae sont
le type dans la littérature latine.
Je ne dois pas m'étendre plus longuement sur ce sujet. Il fallait y toucher
néanmoins, parce que M. Urlichs ne voit pas dans l'Agricola ce caractère ora-
toire, et s'attache à montrer que c'est une œuvre d'histoire proprement dite.
M. U. ne me paraît pas avoir réfuté les idées de M. Hùbner. Par exemple licite
un grand nombre de locutions empruntées par Tacite à Salluste, pour en con-
clure que Salluste étant un historien, Tacite l'est aussi. Mais la tournure oratoire
des écrits de Salluste était reconnue des anciens eux-mêmes ' . — Comment,
dit encore M. Urlichs, Tacite aurait-il besoin d'excuse pour composer l'éloge de
son beau-père, puisqu'il ne ferait que se conformer à un usage bien antique de
Rome ? On trouve une réponse anticipée à cette objection dans VHermès *. —
Agricola est le premier homme obscur dont on ait écrit l'éloge. Les grands rôles
joués par Helvidius et Thraséas devaient attirer l'attention sur les livres composés
en leur honneur : mais Agricola ne s'était signalé dans aucune de ses charges,
ni même dans ses expéditions militaires. C'est pour relever un peu son sujet,
assez banal, que Tacite y a introduit sa digression historique sur la Bretagne,
c'est pour faire valoir son héros qu'il accuse, dans son préambule, l'indifférence
de ses contemporains, et enfin c'est pour désarmer la critique qu'il présente
comme un monument de piété filiale l'éloge qu'il publie d'un homme honnête,
mais de deuxième ou troisième ordre.
çais. Ce rapprochement n'est pas tout à fait exact, les éloges français étant d'abord pro-
noncés, et ensuite publiés.
1 . C'était, par exemple, l'avis de Granius Licinianus.
2. L. /. p. 444.
d'histoire et de littérature. 5 5
D'ailleurs le mémoire même de M. Urlichs prouve l'insuffisance des rensei-
gnements fournis par Tacite. Ce mémoire n'est pas seulement un commentaire,
mais encore un supplément de VAgricola. L'auteur possède bien son sujet : il
rassemble un grand nombre de corrections et d'améliorations de détails proposées
par Mommsen, par Hùbner, et par lui-même. Dans plusieurs articles du Rhei-
nisches Muséum, M. Hùbner, qui travaille depuis longtemps sur les inscriptions
latines de la Bretagne, avait traité plusieurs points de l'histoire des Romains
dans ce pays, — la série des légats propréteurs, — les légions et les corps
auxiliaires '.
Voici une explication qui fait honneur à la sagacité de Mommsen 2. On lit dans
Tacite (c. 6) Donitiam Decidianam, splendidis natalibus orîam, sibi junxiî[Agricola]:
idque matrimonium ad majora nitenti decus ac rohur fuit. Decus s'explique bien : la
femme d'AgricoIa était en effet la fille d'un personnage assez célèbre 3. Mais
que signifie rohur? Par ce mot, il faut entendre qu'Agricola fut père de bonne
heure, et qu'en vertu an jus Uberorum il arriva plus vite aux magistratures qu'il
ambitionnait (ad majora nitens). Il faut avouer que Tacite ne parlait guère ici en
historien.
Parmi les \aies propres à M. Uriichs, j'en ai remarqué deux, dont l'une inté-
resse l'administration de la Rome ancienne, et l'autre notre propre histoire.
Suétone et Dion nous apprennent qu'Auguste divisa Rome en quatorze régions,
soumises les unes à des préteurs, d'autres à des tribuns, d'autres à des édiles.
En combinant plusieurs inscriptions, M. U. arrive à répartir ainsi cette dis-
tribution :
P, X% XIP, X1II% XIIIP régions, surveillées par des préteurs (ce sont celles
dont les vici figurent sur la célèbre Base capitoline).
Xle, VIII*, IP. 111% 1111% surveillées par les tribuns.
V% VI% VII% VIIII% surveillées par les édiles.
Cette répartition n'est pas démontrée complètement, mais elle est très-vrai-
semblable.
A propos du gouvernement de l'Aquitaine par Agricola, gouvernement qui
précéda immédiatement son consulat, M. Urlichs se demande s'il en était tou-
jours ainsi, et il réunit sept inscriptions qui montrent que les anciens préteurs
chargés du gouvernement de cette province recevaient le consulat à leur sortie
de charge. On sait d'ailleurs que Galba arriva au consulat dans les mêmes cir-
constances. Les exemples rassemblés par M. U. prouvent qu'il y avait là une
règle administrative ou au moins une coutume quasi-légale. C'est une observation
dont devra tenir compte l'antiquaire qui voudrait faire sur l'Aquitaine une
monographie semblable à celle que M. Herzog a composée sur la Gaule
narbonnaise.
C. DE LA Berge.
1. Rhcinisch. Mus. N. F. XI et XII.
2. Hermès, III, p. 80.
3. Voy. son cursus honorum, Henzen,6456.
J4 REVUE CRITIQUE
143 • — Le Besant de Dieu, von Guillaume le Clerc de Normandie, mit einer Einlei-
tung ûber den Dichter und seine saemmtlichen Werke, herausgegeben von Ernst Martin.
Halle, Buchhandlung des Waisenhauses, 1869, In-S", xlviij-124 p. — Prix : 4 fr.
La poésie morale et didactique, qui a formé une des branches les plus impor-
tantes et les plus fécondes de l'ancienne littérature française , a jusqu'ici moins
attiré l'attention que la poésie épique et même que la poésie lyrique. Le fait est
naturel : elle offre moins d'intérêt de fond et d'originalité de forme. Elle n'en est
pas moins très-digne d'étude, non-seulement à cause des lumières qu'elle jette sur
l'état social, moral et intellectuel de l'ancienne France, mais encore à cause du
talent très-réel et très-littéraire qu'ont montré plusieurs de ceux qui l'ont cultivée.
Diverses publications récentes, entre autres celle du Roman des Eles, de Raoul
de Houdenc, par M. Scheler ', ont rappelé ce sujet au public; le volume que
nous annonçons aujourd'hui se recommande tout particulièrement à l'attention
des lecteurs.
L'éditeur, M. Ernst Martin, a rempli avec beaucoup de soin la tâche utile
qu'il s'était imposée : l'introduction surtout témoigne d'un travail consciencieux
et bien dirigé. Elle se divise en quatre paragraphes. l.Le manuscrit. Il est unique :
c'est le ms. de la Bibl. imp. 19525 (anc. S. G. Fr. 1856). M, M. donne, après
d'autres, l'énumération des pièces qu'il contient; il y joint divers renseignements
intéressants sur plusieurs de ces pièces. Il relève ensuite les particularités de
l'orthographe de ce ms.; ce relevé est fait sans méthode, ou plutôt avec une
méthode erronée : l'auteur prend pour base de ses opérations, à ce qu'il semble,
le français moderne, et signale comme des particularités de son ms. des formes
qui sont les seules bonnes formes de l'ancienne langue. Ainsi sevent n'est pas pour
savent; c'est savent qui, à une époque relativement moderne et sous l'influence de
l'analogie, a remplacé sevent, seul régulier; il faut rayer de même femier pour
fumier, etc. : tout ce tableau serait à refaire sur d'autres principes. Les consonnes
sont traitées aussi superficiellement; p. ex. : « r pour /, et à l'inverse / pour r ;
» concire mire evangire, — fortelesce; » mais fortelesce est la forme ancienne
et répond au bas lat. fortaliîia, esp. jortaleza, pr. fortalesa. Il est vrai qu'il est
difficile de déterminer le terme de comparaison qu'on doit suivre pour établir le
caractère phonétique d'un texte. Le meilleur est assurément le latin, mais le
travail à faire pourrait excéder les limites qu'un éditeur ne veut pas dépasser.
En l'absence d'une grammaire de l'ancien français (celle de Burguy est, comme
on sait, très-faible pour la partie phonétique) , on peut se contenter de prendre
pour base la Grammaire de Diez, en supposant connu tout ce qui s'y trouve;
on sera sûr au moins de procéder méthodiquement. On peut encore prendre un
texte d'une pureté exceptionnelle et lui comparer celui qu'on étudie. Mais de tous
les systèmes, le moins justifiable est assurément celui qui consiste à partir du
français moderne comme d'une sorte d'étalon classique, et à signaler, dans un
I. Voy. Rev. criu, 1869, art. 90.
d'histoire et de littérature. 5 5
manuscrit, tout ce qui s'en éloigne comme des particularités : que dirait M. M. si
on appliquait un procédé aussi naïf à l'allemand du moyen-âge ?
II. Le poème. L'éditeur donne d'abord une bonne analyse du Besanî de Dieu;
il détermine fort bien la date, qui ressort des allusions à des faits contemporains :
le poème a été écrit en décembre 1226 ou plutôt dans les premiers mois de 1 227.
M. M. signale ensuite les nombreux emprunts faits par Guillaume à l'écrit du
pape Innocent U\ de miseria humanae conditionis, qu'il cite d'ailleurs lui-même à
deux reprises. Il cite encore Morice de Sulli, évêque de Paris (7 1 196), et il
s'agit sans doute, comme l'a pensé M. M., d'un de ses sermons, et du texte
latin de ces sermons, comme le montre le v. 507 5 : rien n'indique qu'il ait entendu
Morice lui-même en chaire; M. M. aurait pu essayer de retrouver ce texte,
d'autant plus qu'il est assez probable que Guillaume ne s'est pas borné à ce seul
emprunt fait à l'évêque de Paris. Il n'y a pas de raison de croire que Guillaume
ait emprunté à Robert Grosseteste (ou réciproquement) l'allégorie des trois
ennemis de l'homme : elle remonte, si je ne me trompe, aux Pères de l'Église.
III. Les autres œuvres du poète. Ce paragraphe est le meilleur de V Introduction;
M. M. y énumère les ouvrages qu'on peut avec certitude attribuer à Guillaume.
Il place en tête le fabliau du Presîre etd'Alison (Méon, IV, 427), à propos duquel
il aurait pu rappeler, ce qui a été signalé plus d'une fois', que Boccace a traité
le même sujet, vraisemblablement d'après Guillaume, dans la nouv. 4 de la
8^ journée du Décameron. Le style de ce fabliau est d'ailleurs bien différent de
celui de notre auteur, et je ne sais si l'identité du Guillaume le Normand qui l'a
signé avec notre Guillaume le Clerc de Normandie est hors de toute contestation.
On ne peut hésiter au contraire à lui attribuer Fregus et Galienne, un des bons
romans de la Table Ronde de la seconde époque : M. M. nous promet du texte
français et de la traduction néerlandaise {Ferguut) une édition nouvelle qui ne
peut manquer d'être bien reçue. Peut-être en donnera-t-il aussi une du Bestiaire
divin; celle de M. Hippeau (1852) est devenue introuvable et est d'ailleurs bien
peu satisfaisante (M. M. donne à ce propos la liste des douze mss. qui contiennent
ce poème). Le Bestiaire, écrit en 1211, renferme de longs passages qui se
retTouwent dans le Besant, composé en 1227: M. M. explique le fait par une
interpolation d'un scribe, interpolation à laquelle n'aurait échappé aucun des mss.
du Bestiaire. Cette explication, qui a bien ses difficultés, paraît cependant beau-
coup plus plausible que l'alternative, qui consisterait à supposer que Guillaume
a repris dans le Besant une partie de ce qu'il avait mis dans le Bestiaire; c'est ce
que montre M. M., en s'appuyant surtout sur le peu de rapport des passages
en question avec le plan du Bestiaire et avec le contexte même où ils sont inter-
calés. — M. M, passe ensuite au poème des Trois mots donné par l'évêque
(1224-1258) Alexandre de Lichfield et Coventry à Guillaume (les trois choses
qui chassent l'homme de sa maison ; fumée, — degot, — maie moillier') : il met
I. Voy. entre autres E. Du Méril, Hist. de la poésie Scandinave, p. 355 ; V. Le Clerc
dans VHtst. Un., t. XIX, p. 89.
$6 REVUE CRITIQUE
hors de doute l'attribution de ce poème à notre Guillaume, déjà faite par V. Le
Clerc ; de même pour un autre petit poème sur la Naissance de Jésus-Christ (ces
deux pièces se trouvent dans le même ms. que le Besant). M. M. conteste au
contraire cette attribution pour d'autres opuscules donnés à Guillaume par divers
savants, et il paraît encore être dans le vrai. En somme tout ce paragraphe, je
le répète, mérite les éloges de la critique.
IV. Vie et caractère du poète. Ce paragraphe est également très-intéressant et
bien fait; l'auteur relève fort bien le patriotisme normand de Guillaume, son peu
de goût pour la France, son esprit indépendant qui éclate surtout dans la page
justement célèbre où il condamne énergiquement la croisade albigeoise et la
conduite du pape dans cette triste affaire, son amour pour le peuple et son bon
sens élevé, qui lui ont dicté des vers vraiment beaux sur le crime des rois qui
font la guerre ' ; il précise assez bien les mérites de son style et le genre de son
talent. Guillaume le Clerc de Normandie doit prendre place parmi les meilleurs
poètes de la période où il a vécu ; comme penseur et comme écrivain, il est cer-
tainement supérieur à Gui de Cambrai, qui composait son Barlaam eîJosaphatpe\i
d'années après celle où fut écrit le Besant^, et s'il n'a pas l'esprit et la grâce de
son autre contemporain Huon de Méri, il le dépasse en gravité et en force. Il
s'est exercé, pour ne parler que de ses ouvrages principaux, dans trois genres
différents : il a cultivé le roman dans Fregus et Galienne, le poème allégorique et
descriptif dans le Bestiaire, le poème moral dans le Besant; dans tous les trois il
a montré des qualités remarquables et essentiellement françaises. Son nom est de
ceux qui ont droit de figurer avec honneur dans l'histoire de notre littérature.
J'arrive au texte du poème, et je dirai d'abord un mot en général du système
qu'a adopté M. M. pour son édition et sur lequel il s'explique dans l'Introduction
(p. ix-x). Ce système ne saurait être approuvé complètement. La Revue a déjà
eu occasion de le dire plus d'une fois : il faut ou essayer une édition vraiment
critique, c'est-à-dire s'efforcer de retrouver le texte même du poète, ou
livrer une copie fidèle du manuscrit qu'on publie. En tout cas, ce qu'on ne
peut admettre, c'est que l'on supprime ou qu'on ajoute des e féminins pour faire
le vers, comme M. M., « sans trouver qu'il soit même nécessaire d'indiquer la
1 . Voici la traduction de quelques-uns de ces vers qui ne manquent pas d'actualité :
« Il y a des rois de grande puissance, en France, en Allemagne, en Espagne ou en Dane-
I) mark... Si l'un d'eux offense l'autre, c'est le vilain des champs qui le paie; on lui brûle
» sa pauvre petite maisonnette, on lui prend ses bœufs et ses brebis, ses fils et ses filles,
» on l'emmène lui-même en prison. Dieu! est-il chrétien, ce roi qui fait sortir de son
» royaume trente mille hommes de guerre, qui laissent à leurs maisons leurs femmes et
» leurs enfants comme des orphelins, et s'en vont aux batailles meurtrières oii des milliers
» seront tués et en tueront autant de l'autre parti? Les rois ne se soucient guère de ce
» qui tombe dans le combat; ils n'en tiennent note ni compte; peu importeà l'un ce qu'il
» a perdu pourvu qu'il ait vaincu l'autre. »
2. On peut les comparer dans la parabole de VUnicorne et du Serpent, traitée par Guil-
laume dans les Trois Mots (Martin, Préface, p. xxx-xxxvj), et par Gui dans Barlaam et
Josaphat, p. 70 ss. ; mais dans ce passage l'avantage serait plutôt au picard qu'au
normand.
d'histoire et de littérature. 57
» leçon du manuscrit, » M. M. s'excuse de ne pas établir un texte critique sur
ce qu'il donne une édition princeps d'après un ms. unique; mais par la même
raison il était tenu de toujours communiquer au lecteur la leçon de ce ms. ; et dans
les cas dont il s'agit la correction n'est pas toujours aussi évidente qu'il a pu le
croire, comme je le ferai voir plus bas pour quelques vers. — En ce qui concerne
l'impression, je ne suis pas d'avis, pour ma part, de la suppression de l'accent
aigu sur \'é de la fin des mots, ni de quelques autres usages qui tendent à s'intro-
duire surtout chez les éditeurs allemands ; mais ce n'est pas ici le lieu d'une
discussion approfondie sur ce point.
Sous ces réserves, M. M. a édité son texte avec soin, correction et intelli-
gence; il a souvent heureusement rétabli la leçon altérée dans le ras. ; M. Tobler,
professeur à Berlin et l'un des meilleurs romanistes de l'Allemagne , lui a fourni
soit au bas des pages, soit dans l'appendice, nombre de corrections généralement
excellentes. Il en reste à faire ; cela n'étonnera aucun de ceux qui se sont occupés
de textes en vieux français. En voici quelques-unes, dont les unes sont de pures
conjectures, les autres des leçons fournies par le manuscrit que j'ai comparé en
plusieurs passages avec l'impression.
V. 7, a conter, 1. aconîer (ms. sic). — V. 230, guarmente^ ms. guaimente. —
V. 260, datez, je lirais volontiers ciutez pour ciuté ou ciutet, aveuglement, de cius
ou cieus (v. 2904) = cœcus. — V, 445, en adoptant la correction de M. Tobler
pour les vers précédents, je lirais Cest au lieu de Cist. — V. 452 et 461, nus,
1. vuSf que demande le sens et donne le ms. — V. 491, le ms. donne
Deuereiî faire qui voldreit; M. M., qui substitue Devreit à Devereiî, ne nous
avertit pas, d'après le système critiqué plus haut, de la vraie leçon du ms. ; c'est
d'autant plus inadmissible que le vers demande à être corrigé; et pour moi, au
lieu de changer faire en sa vie, je préférerais, d'après le v. 487, lire sa char, et
garder Devereit. — Aux v. 491 et 1 576, le ms. donne bien, comme l'avait con-
jecturé M. Tobler, iueresce et non meresce. — Le v. 674 est trop long d'une
syllabe : le ms. a E officiaus e maiens les, avec des signes qui indiquent que e doit
être supprimé et les mis à sa place; c'est donc E officiaus les maiens; ce dernier
mot répond au medianus donné par Du Gange, t. IV, p. 334, col. 3. — V. 906,
geunres; le ms. porte distinctement genures, c'est-à-dire genvres, et c'est la bonne
forme(voy. mon Étude sur l'accent latin, p. 57; l'exemple deg^/zvrw qui y est cité se
trouve au v. 964 du Bestiaire divin de notre Guillaume, éd. Hippeau). — V. 1098
et 2658, vedue, pour vedve, est sans doute une simple faute d'impression, puisque
dans la Préface, p. ix, M. M. lit vedve. — V. 1288, première ne peut compter
pour quatre syllabes, 1. premeraine. — V. 1332, gernir vient, suivant la seconde
conjecture de M, Tobler, de grain; c'est le normand ^ram/r, dans d'autres patois
grainer : « Il paraît que les fèves ne grainissent pas beaucoup dans le paradis »
(Le Bonhomme Misère, dans E. du Mérif, Etudes d'archéologie). — V. 1382,
ms. Ainz lestuet regeter; éd. A. li le e. r.; Tobler : A. li e. tosî r.; je préfère la
conjecture de M. M., en intervertissant seulement le et //. — V. 1388, le vers
est trop court; 1. Lareume. — Lesv. 1931-193 5 sont devenus inintelligibles par
58 REVUE CRITIQUE
suite d'une erreur assez singulière de l'éditeur; au v. 193 1 le ms. donne en effet
Ire cerche et non / recerche, et le sens indiquait assez cette leçon ; il ne faut donc
pas, comme le propose M. Tobler, changer, au v. 1935, e/g en i/. — V. 1933,
le ms. donne beaucoup plutôt roîices que îoîices, mais que veut dire ce mot ?
— V. 1396, nel, 1. ne. — V. 1464, ele, 1, //. — V. 1883, choses me paraît une faute
pour chambres. — V. 2000, je lirais d'ancesorie. — V. 2 1 90, Ne. il mesmes ne siet ou
vaiî; la forme meismes est garantie par les rimes (entre autres celles des v. 2934 et
362 3 , où l'éditeur aurait dû écrire meismé) ; il faut donc lire N'il meismes ne siet ou.
vaiî. — V. 2 542, la leçon du ms. Desjiz Achor le fiz Carmin était excellente; cf. la
note de M. Tobler sur le vers 2540. — V. 2565-71, le texte est évidemment
altéré; mais M. M. n'a pas mis assez fidèlement le ms. sous les yeux du lecteur.
Voici ce qu'il porte : Se ieo fuisse de Rome sire lames tel honte ne tel ve Ne me
serrât del quer passe Toz iorz serreie en granî pensée Tant que ieo me fuisse uengee
Certes anceis ueie ieo gie II me auist que ieo i alasse. M. M. a bien raison de cor-
riger le ve du v. GG en ire, mais il a tort de ne pas le dire, car pour toute per-
sonne habituée à lire des mss. français, il est clair que c'est dette mauvaise leçon
du copiste qui a exercé une influence perturbatrice sur tout le passage : oubliant
sire, il a voulu faire rimer le v. 67 avec 66, et il a changé passée en passe (jiasse);
au v. 68 restait pensée, et pour avoir une rime à ce mot, il a changé en uengee
le uengie (yengie) qu'il devait mettre au v. 69 ; à partir du vers suivant, heureu-
sement, il a renoncé à ses corrections. Ce vengié, qu'il faut rétablir au v. 69,
empêche absolument d'admettre la conjecture de M. Tobler sur le vers 70, veie
jeo Dé : Dé {Dieu) et vengié ne peuvent en aucun cas rimer ensemble. Gié au
contraire rime richement avec vengié; gié se trouve souvent à la rime pour je
(voy. Étude sur l'accent latin, p. 120; Bartsch, Chrestomathie, 209, i3,etc.);yeo
me paraît être une simple glosse de gié intercalée dans le texte ; la restitution la
plus simple est sans doute ireie pour ueie (le copiste aurait ainsi lu u pour ir,
comme au vers 2566), avec un point après gié; au v. 2575 la correction de
M. M. m'est avis pour me auis est très-heureuse. — V. 2607, suelt, 1. soit (parf.
au lieu de prés.). — V. 2863, pourquoi faire un seul mot de voie main, séparés
dans le ms.? — V. 2920, ni, 1. n'i. — V. 3008, quel, 1, q'el. — V. 2980, je
supprimerais U plutôt que mult. — V. 3015, Car quant Deus par le déluge Sauva
Noe dedens sa huge; le premier de ces vers a une syllabe en moins; M. M. le
complète en ajoutant ot entre Deus et par, et change au v. suivant sauva en sauvé;
mais on ne peut pas dire que Dieu ait sauvé Noé par le déluge; je garderais donc
sauva, en lisant parmi au v. 301 5. — V. 305 1 , je corrigerais ce vers, à l'aide
du passage correspondant (cité Préf. p. xxviij) du Bestiaire divin (voy. ci-
dessus), en Pierre e Pol, Johan e Andreu; on ne peut admettre Pierres au cas
régime. — V. 3 167, esparne rime avec superne; M. M. en conclut dans sa Préface
(p. viij) que le poète prononçait suparne, et M. Tobler s'en autorise (p. 1 14)
pour admettre que le poète a pu faire rimer colvers avec bastars. Mais c'est l'in-
verse qui est la vérité. Il faut lire esperne : c'est une forme connue et garantie
par des rimes; ainsi espergne (l. esperne) = taverne {Roman delà Rose, v. 5072),
d'histoire et de littérature. 59
= Auverne (Benoit, Chron. de Nom., v. 5039), = cerne (ib., v, 16258). —
V. 3237, le ms. donne Ja sa joie nHert entière, avec une syllabe en moins;
M. Tobler conjecture James; il faut bien plus probablement suppléer ji entre z>rt
et entière, à cause du sens général de la phrase. — V. 3299, morron, 1. moron.
— V. 3379, ms. A une porcherie pestre pors; éd. A une porcherie as pors ; mais ce
pléonasme est choquant ; je lirais A une vile pestre pors; cf. v. 3580. — V. 5397,
plain, le ms. lit avec raison pain; 1'/ est exponctué; M. M. ne parait pas con-
naître ce signe. — V. 3403, reconnistrai, le ms. porte lisiblement la bonne
forme, reconuistrai , et même reconuisteraiK
Je tiens à insister en terminant sur le danger qu'il y aurait à imiter M. M. dans
sa manière de traiter les e féminins, et spécialement à « introduire ou suppri-
» mer Pélision de Ve, pour faire le vers, sans même indiquer la leçon du ms. »
L'élision facultative de Ve féminin (et non muet) pour l'ancien français est un
problème délicat et compliqué ; à mon sens, en dehors de certains cas qu'il n'est
pas possible de déterminer ici, la non-élision de Ve féminin dans notre ancienne
versification est très-douteuse ^ : on ne peut admettre qu'on résolve ainsi la
question tacitement?. Dans quelques exemples, la comparaison du ms. montre
qu'on devait restituer le vers autrement que ne l'a fait M. M. ou le laisser tel
quel; ainsi au v. 470, le ms. porte Soefre en la nef tel gent estre : or c'est là un
1. On pour ou (v. 2295), ovrrers pour ovriers (v. 2227) sont d'évitentes fautes d'im-
pression.
2. Je n'ignore pas que des savants qui font autorité ont cru pouvoir l'admettre sans
hésitation. M. Guessard, à propos du vers 23 de la p. 7 de son Macaire, Une chanson et
dire et chanter (le texte franco-italien était E una cançon e dir c ganter) dit : « Le vers est faux
» si Ve muet s'élidait toujours, mais rien ne me paraît moins démontré, et c'est même le
» contraire qui me semble établi par des exemples sans nombre qu'on peut relever dans
» les meilleurs textes... Je choisis dans mille exemples ceux-ci. » Suivent'six exemples;
les quatre qui sont tirés de Raoul de Cambrai ne peuvent être considérés comme appartenant
à un bon texte ; dans celui de Buei'e d'Hanstone, au lieu de Sire entendes cha, il faut Sires,
d'après l'usage du XIII* siècle; il en reste un seul, tiré de Gaidon (p. 207), et c'est une
faute certaine : le ms. d, suivi par les éditeurs, donne bien en effet : Qui se devait corn-
batre a Guion; mais j'ai comparé les mss. b (fr. 1 5102) et c (fr. 1475); or 6 a (foi. 100
f) : Qui se devait deffandre envers Guion, et c (fol. 105 r*) : Qui se devait combatre vers
Guian; cette dernière leçon est évidemment la bonne. — M. Léon Gautier est plus affir-
matif que M. Guessard; il cite cinq vers eta]Oule{Ep.franç., t. I,p. 208) :« Nous pour-
» rions placer sous les yeux de nos lecteurs quelques centaines d'exemples semblables. »
Ceux qu'il a réunis ne sont pas en tout cas concluants; le texte de h Chanson de Roland,
dont quatre sont tirés, est bien trop peu sûr pour qu'on puisse lui accorder quelque auto-
rité en pareille matière. — En revanche, M. Littré, sans avoir formulé de règle expresse,
a corrigé, dans les poèmes de Guillaume d'Orange publiés par M. Jonckbloet, un grand
nombre de vers qui offrent cet hiatus et que le savant critique déclare simplement faux
(Hist. de la langue française, t. I, p. 193 ss.,). — Pour moi, je n'oserais pas résoudre la
question : je dis seulement que tous les vers où le cas se présente doivent être soumis à
un minutieux examen critique. Il faut remarquer d'ailleurs qu'on n'a jusqu'à présent parlé,
à ce point de vue, que des poèmes en grands vers monorimes ; il faudrait examiner spé-
cialement les vers octosyllabiques et les pièces lyriques.
3. Au y. 2094, le ms. porte Diable e tuz ses overaignes; M. M. ne donne qatovraignes,
et il a d'ailleurs raison de ne pas compter Ve à'overaignes pour une syllabe: l'hiatus serait
donc certain; mais il faut lire tûtes, ovraigne, dans ce texte et ailleurs, étant toujours du
féminin.
6o REVUE CRITIQUE
des cas où l'hiatus était probablement permis, et je ne vois pas pourquoi M. M.,
qui l'admet dans des cas bien plus douteux, le supprime dans celui-ci en chan-
geant tel en îele. On comprend qu'il faudrait collationner mot par mot tout le
poème pour découvrir tous les exemples analogues qui peuvent se présenter. En
voici qui sont indépendants de la question d'élision : v. 470, le ms. donne £ a/g
vigne ou tant cresî de vin; M. M., sans prévenir, supprime Ve de «/e et crée ainsi
une forme inadmissible; c'est l'fî initial qu'il faut supprimer. — V. 2346, le ms.
a Plus quil deiî del ciel la sus; M. M. ne donne que Plus que il deit del ciel la sus;
s'il avait fourni au lecteur le texte exact du ms., on aurait probablement préféré
Plus qu'il ne deit.
Le volume se termine, après des Notes intéressantes qui sont dues pour la
plupart à M. Tobler, par un Appendice, contenant deux notices instructives de
M. Brakelmann, l'une sur les mss. de la Vie de sainte Marie Égyptienne, attribuée
sans motif suffisant à Guillaume, l'autre sur ceux de la Vie de saint Alexis, qui se
trouve dans le même ms. que notre Besant de Dieu. J'ajouterai que je suis porté
à croire que ce ms. a été écrit en Angleterre; ce serait un point à vérifier si on
entreprenait une étude sur la langue de Guillaume.
En somme, la publication de M. Martin est un excellent début : elle nous
permet de concevoir la meilleure opinion de celles qu'il annonce ou qu'il prépare.
Parmi les dernières, nous pouvons en citer une qui sera d'une haute importance:
M. Martin compte prochainement donner, d'après tous les mss., une édition
nouvelle du Roman de Renart. Ses études sur la littérature néerlandaise et alle-
mande l'ont préparé à la partie littéraire de ce travail, et le présent volume nous
fait présumer qu'il ne sera pas au-dessous de sa tâche pour la partie philo-
logique. G. P.
144. — Histoire d'une guerre éehevinale de 177 ans, ou les baillis et les
échevins de Saint-Omer de 1500 à 1677, etc., par L. de Lauwereyns de Roo-
SEND^LE. Saint-Omer, Guermonprez, 1867. In- 12, xiv-129 p. — Prix : 2 fr.
Sous un titre un peu prétentieux, M. de Roosendaele nous offre dans cet
opuscule qui paraît être la suite d'un travail sur l'histoire de Saint-Omer au
moyen-âge, l'histoire des vicissitudes subies par les franchises communales d'une
des villes les plus importantes de l'Artois, depuis Maximilien d'Autriche jusqu'à
l'annexion de l'Artois à la France en 1677. C'est une contribution assez intéres-
sante au tableau général de la décadence des cités et de leurs privilèges au xvi^
et au xvii^ siècle. La source principale de l'auteur est un manuscrit appartenant
à son compatriote M. de Le Planque, qui paraît être un recueil de pièces
diverses relatives à l'administration municipale de Saint-Omer, mais que M. de
R. appelle aussi, nous ne savons trop pourquoi, la « chronique officielle. » Les
quelques renseignements qu'il nous donne sur ce manuscrit sont absolument
insuffisants. Il fallait nous dire d'où il provient, quel était son âge et nous en
détailler exactement le contenu pour nous inspirer une confiance plus légitime à
son égard. La narration se poursuit avec entrain dans le petit volume de M. de
d'histoire et de littérature. 6i
R., avec trop d'entrain peut-être pour un récit historique. Çà et là c'est un
roman-feuilleton plutôt qu'un travail scientifique, grâce aux nombreux alinéas,
aux exclamations, aux citations poétiques, et aux dialogues évidemment inventés
par l'auteur pour donner plus de charme à son récit. M. de R. parle quelquefois
d'histoire générale et il n'est pas toujours heureux dans ces excursions. Il n'est
plus permis, par ex. de parler du « dégoût de Charles-Quint pour les grandeurs
» humaines » et de le montrer « allant sanctifier ses derniers jours dans un
» cloître )) quand les travaux des Ranke, des Mignet, etc., nous ont montré
son incessante activité politique à Yuste.
ROD. Reuss.
145. — Greschichte der klassischen Philologie in den Niederlanden von
Lucian Muller, mit einem Anhang ùber die lateinische Versification der Niederlaender.
Leipzig, Teubner, 1869. In-8*, viij-249 p. — Prix : 6 fr. 75.
Au xvii' et au xviii'' siècle la culture de la philologie grecque et latine est
presque entièrement concentrée dans la Hollande. En retraçant les destinées de
la philologie classique en Hollande, M. Lucien Millier en a donc fait l'histoire
en Europe dans cet intervalle de temps. Son ouvrage est divisé en deux livres.
Il traite, dans le premier, des écoles philologiques de la Hollande qu'il suit
jusqu'à nos jours, dans le second, de l'organisation actuelle de l'instruction
publique en Hollande considérée au point de vue de l'enseignement classique.
Dans un appendice il traite de la poésie latine des Hollandais.
La tradition de la philologie hollandaise date de la fondation de l'Université de
Leyde (i 575) qui s'est toujours maintenue au premier rang avant les universités
rivales de Franeker, Groningue, Utrecht, Harderwyck et les Athénées de
Deventer et d'Amsterdam. Les administrateurs de ces établissements n'hésitè-
rent pas à confier des chaires à des étrangers qui se recommandaient par leur
mérite, Joseph Scaliger (1593), Saumaise (1632), Gronovius (1658), Grsevius
(1661), Ruhnken (1757), Wyttenbach (1799). L'application de ces principes
libéraux de libre échange qui ne sont pas moins utiles en science qu'en commerce
et en industrie était facilitée par l'usage de la langue latine qui était en Hollande
la langue du haut enseignement.
Au xvii^ siècle les philologues de la Hollande cultivèrent presque exclusive-
ment la httérature latine et les antiquités grecques et latines qui faisaient officiel-
lement partie de l'enseignement. Ils rendirent les plus grands services en établis-
sant la critique des textes sur des bases plus scientifiques, particulièrement Juste
Lipse (i 547-1606), Jos. Scaliger (i 540-1609), J.-Fr. Gronovius (161 1- 1671),
Nicolas Heinsius (1620-1681). M. M. fait remarquer que ces philologues
illustres avaient un sentiment juste et fin de la langue latine plutôt qu'ils n'en
possédaient la science grammaticale ; et il en est de même de leurs devanciers
du xvi^ siècle. La connaissance scientifique, théorique du grec et du latin ne date
que de notre siècle. Dans ce même temps où les études latines étaient si floris-
6z REVUE CRITIQUE
santés, le grée était fort négligé en Hollande (p. 72), comme il l'était du reste
partout ailleurs, notamment en France. M. M. exagère (p. 36) quand il semble
trouver la principale cause du fait, en ce qui touche notre pays, dans l'influence des
jésuites, ennemis jurés du grec, « entre les mains de qui l'instruction de la jeu-
» nesse était définitivement passée après Henri IV. » -Ils tenaient une place très-
importante dans l'enseignement ; mais ils n'en avaient pas le monopole.
Il est évident qu'au xviii'' siècle il y a eu en Hollande et partout en Europe
une renaissance des études grecques. Le fait est certain; mais j'avoue que les
causes m'échappent complètement. Cette renaissance renouvela la philologie
hollandaise qui était tombée très-bas sous l'influence de Pierre Burmann (1668-
1741). Un Hollandais, grand admirateur de son illustre contemporain Bentley,
Tibère Hemsterhuis (1685-1766, professeur à Franeker 1717-1740, à Leyde
1740-1765), fonda une grande école d'hellénistes et posa avec ses disciples,
Ruhnken (1723-1798), et Valckenaer (1715-178$), les bases de la philologie
grecque d'aujourd'hui. Cette tradition fut continuée par Wyttenbach (1746-1820)
et est représentée encore avec éclat par Charles Gabriel Cobet (professeur extra-
ordinaire à Leyde depuis 1 847), qui est peut-être aujourd'hui le premier hellé-
niste de l'Europe. Les latinistes Oudendorp (1696- 1761), Schrader (professeur
à Franeker depuis 1744), Bake (i 787-1 864), Peerlkamp (1786-1865), n'ont
pas le relief des hellénistes leurs contemporains.
Présentement, d'après M. M. (p. 125 et suiv.), la philologie languit en
Hollande. L'unique journal spécialement philologique du pays, la Mnémosyme,
a cessé de paraître depuis cinq ans, faute de collaborateurs. Le nombre des
médecins, juristes et théologiens qui continuent à s'intéresser aux lettres anciennes
est réduit à un minimum. La jeunesse des écoles a de la répugnance ou de l'in-
différence pour les études classiques. Ensuite l'instruction est faible dans les
gymnases. La Hollande (qui a un peu plus de ? miUions d'âmes) compte 63
gymnases ou écoles latines avec 1314 élèves dont 1004 seulement apprennent
les langues anciennes. Les professeurs sont au nombre de 244. Les gymnases
qui ont le plus d'élèves en comptent 77, 55, 54, 49, 43. 2 1 gymnases n'ont que
10 élèves. Ces étabhssements sont trop nombreux. Les élèves sont admis trop
facilement à suivre les cours de l'université. Pour remédier à l'insuffisance des
études antérieures, les étudiants en droit et en théologie sont assujettis à suivre
les cours de la faculté des lettres qui sont relatifs à l'explication des auteurs grecs
et latins en usage dans les classes et aux antiquités grecques et romaines et ils
doivent passer au bout d'un an un examen sur ces matières. La préparation à
cet examen, cette prolongation des études du collège à l'université dégoûte
les étudiants et ils s'en débarrassent comme ils peuvent. Il n'y a à l'université
que deux professeurs pour tout ce qui se rapporte à l'antiquité classique, l'un
pour le grec, l'autre pour le latin. Encore ces deux professeurs sont-ils obligés
de faire des cours en vue de l'examen préparatoire des étudiants en droit et en
théologie. Ainsi pour l'année scolaire (qui est ordinairement de 7 mois) de 1861
à 1 862, Cobet a annoncé le programme suivant : « Interpretabitur Horaerura, He-
d'histoire et de littérature. 6?
» rodotum et Sophoclem (3 heures par semaine en vue de l'examen préparatoire);
» antiquitates romanas tradet (4 h. en vue de l'ex. prép.); historiam veterura
» provectiores docebit (2 h.); artem metricam docebit (2 h.); scholas paedagogi-
» cas habebit (2 h.); initia palaeographicae graecae candidatis literarum (les étu-
» diants propres de la faculté des lettres qui aspirent au doctorat) explicabit (4 h.);
» Disputandi exercitia publica moderabitur (1 h.). » Ce programme qui revient
toujours à peu près le même n'est pas assez varié ; et comme il n'y a pas d'autres
cours relatifs à l'antiquité, l'instruction des étudiants n'est pas assez étendue.
Dans l'appendice, où M. M. recommande de faire des vers latins au point de
vue philologique, pour mieux entrer dans l'intelligence de la métrique et de la
forme poétique des anciens, il s'étend particulièrement sur les qualités et les
défauts des poésies latines d'Hugo Grotius.
Nous avons dû nous contenter de cette analyse rapide du livre de M. Lucien
Mùller. Nous n'avons pas les moyens d'en contrôler les résultats. Nous ne pou-
vons que signaler quelques lacunes. Il n'y a presque pas de dates dans le corps
de l'ouvrage; l'auteur a rejeté, je ne sais pourquoi, à la fm du volume une liste
des professeurs de philologie classique de l'université de Leyde avec les dates de
leur naissance, de leur entrée dans l'enseignement de l'université et de leur
mort. Mais il n'y a aucun renseignement de ce genre sur les autres. Nulle part
la date et même le titre des publications les plus importantes des philologues
hollandais ne sont indiqués. La chronologie est essentielle dans toute histoire.
Il me semble en outre que l'auteur n'entre pas assez dans ces détails particuliers
qui peignent les choses dont on parle, mieux que toutes les expressions générales.
Quelques exemples bien choisis auraient pu donner une idée plus nette de la mé-
thode des philologues hollandais. Leurs théories grammaticales méritaient d'être
exposées. Pour représenter l'état où étaient les études grecques à la fin du
xvii« siècle, il ne suffit pas de renvoyer le lecteur à Hunsterhuis « de linguae
graecae praestantia Fran. 1720,» à Valckenaer «de causis neglectae literarum
graecarum culturae Franeq. 1741, » à Vriemoet, Athen. Fris. p. 725, et Kramer,
el. Periz. 12. Des citations textuelles des passages les plus importants de ces
documents eussent été plus commodément instructives.
Évidemment ce n'est pas la connaissance approfondie du sujet qui fait défaut
à ce livre; c'est la patience à communiquer aux lecteurs le fruit de recherches
minutieuses. Et je conçois qu'elle échappe; car quand il s'agit d'apprendre aux
autres ce qu'on sait bien, on n'est plus soutenu par la curiosité, et la peine
qu'on se donne est perdue pour l'esprit. Le livre de M. Mùller n'en est pas
moins très-attachant. Il donne plutôt l'impression personnelle qu'il a reçue des
faits que les faits eux-mêmes. Mais il intéresse parce qu'il aime les choses dont il
parle, et ses appréciations inspirent toute confiance. L'auteur est un philologue
très-versé dans la connaissance de la poésie latine ; il a fait un ouvrage de re
metrica poetarum latinorum qui est justement estimé (voir la Revue critique, 1 866,
art. 41); il a résidé longtemps à Leyde. Son impartialité égale d'ailleurs sa
compétence. On sent dans tout son livre la ferme volonté de rendre à chacun
64 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
bonne et exacte justice; et la vivacité de ses impressions ne paraît pas nuire à
l'équité de ses jugements.
Charles Thurot.
VARIÉTÉS.
^association pour rencouragement des études grecques \
Tous nos lecteurs connaissent VAssociation pour l'encouragement des études
grecques et applaudissent à ses eflForts. La Revue critique n'a pas à s'occuper de
la société elle-même, mais seulement de ses publications. Déjà l'année dernière,
l'Association avait publié un Annuaire qui offrait un intérêt réel : outre les docu-
ments officiels (statuts, liste des membres, discours du président, rapports du
secrétaire et du trésorier à l'assemblée générale), il comprenait une bibliographie
des ouvrages relatifs aux études grecques, et une réimpression de fragments
d'Aristodême publiés par M. Wescher dans son ouvrage intitulé la Poliorcétique
des Grecs. Cette année, la composition de V Annuaire est encore plus riche et plus
variée.
Il se divise en deux parties, paginées séparément. La première, en chiffres
romains, est consacrée aux documents officiels; la seconde, en chiffres arabes,
se compose : 1° d'une double biographie, une liste des thèses de doctorat traitant
de littérature, de philosophie, d'histoire et de géographie grecque, et une liste
des ouvrages relatifs aux études grecques publiés en 1868; 2° de mémoires et
notices, dont il suffira de donner la liste et de nommer les auteurs pour en
montrer l'importance et l'intérêt :
Les Estienne, hellénistes et imprimeurs de grec au xvi'^ siècle, par M. Egger,
de l'Institut;
Notice critique sur le Parisinus 4 d'Eschyle, manuscrit de la BibHothèque
impériale, par M. A. Pierron;
De la prononciation nationale du grec et de son introduction dans l'enseigne-
ment classique (fragment d'un travail sur ['Usage pratique de la langue grecque)
par M. Gust. d'Eichthal;
'AvexSoTa éXXr,vuà, par M. Sathas, 2 vol. in-8°, Athènes, 1867; compte-rendu
par M. Ch. Gidel;
Une inscription en dialecte thessalien, publiée par M. Heuzey;
Un fragment inédit d'Appien, publié par M. Miller, de l'Institut.
A. C.
I. Annuaire de l'association pour l'encouragement des études grecques, y année, 1869.
In-8', lvj-160 p. Durand et Pédone-Lauriel.
Nogent-Ie-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
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der Organismen u. die Urgeschichte der
Menschen. 5 Vortraege zur Widerlegg.
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gehaltenen Vorlesgn. « ùb. d. Urgeschichte
» der Menschen. »Paderboni(Schœningh).
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mann). 21 fr. 35
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Transcausie. Traduit de l'allemand par
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scher Plan. Eine historische kritische
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Wœrterbuch, hrsg. v. der kaiser!. Aka-
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klaerung in Œsterreich 1770- 1800. Aus
archivai, und andern bisser unbeachteten
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rum. In- 1 6, 88 p. Berlin (Berggold). 2 fr.
Gandar. Lettres et souvenirs d'enseigne-
ment, publiés par sa famille et précédés
d'une étude biographique et littéraire par
M. Sainte-Beuve, de l'Académie française.
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Kluckhohn (A.). Zur Geschichte d. an-
geblichen Bùndnisses von Bayonne, nebst
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Religions-Kriegs in Frankreich. In-8*,
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Maack (P. H. K. v.). Urgeschichte des
schleswigholsteinischen Landes. I. ThI.
Das urgeschichtliche schleswighoisteini-
sche Land. Ein Beitrag zur histor. Geo-
graphie. 2. starkverm. Aufl. Mit 3 Holz-
schn. In-8*, 168 p. Kiel (v. Maack). 4 f.
Nutzhom (F.). Die Entstehungsweise der
Homerischen Gedichte. Untersuchgn. ùb.
die Berichtigg. der auflœsenden Homer-
kritif. Mit e. Vorwort v. Prof. D' J. N.
Madwig. In-8*. Leipzig (Teubner). 6f. 75
Platonis opéra omnia. Recensuit pro-
legomenis et commentariis instruxit Stall-
baum. Vol. VIIL Scot I. Editio II. Et
s. t. Platonis Theaetetus. Recognovit
prolegomenis et commentariis instruxit
M. Wohlrab. In-8% 211 p. Leipzig
(Teubner). 4 fr.
Poetarum scenicornmgraecorum. /Eschy-
li, Sophoclis, Euripidis et Aristophanis
fabulas superstites et perditarum fragmenta
ex récent, et cum prolegom. G. Dindorfii.
Editio Vcorrectior. Fasc. 9. In-4*, 127 p.
Leipzig (Teubner).
Bitschl (F.). Neue Plautinische Excurse.
Sprachgeschtliche Untersuchgn. 1. Hft.
Ausiautendes D. im alten Latein. In-8*,
140 p. Leipzig (Teubner).
Rudorff (A. F.). Ueb. die Laudation der
Murdie (Aus d. Abhandlungend. k. Akad.
d. Wiss. zu Berlin). In-4*, 47 p. Berlin
(Dùmmler's Verl.).
Thomassen (J. H.). Enthùllungen aus
der Urgeschichte od. Existirt das Men-
schengeschlecht nur 6000 Jahre.? Die Er-
gebnisse der neuesten wissenschaftl. For-
schgn. ùber die Ur- und Entwickelungs-
geschichte der Menschheit, in allgemein-
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N' 31 Quatrième année 31 Juillet 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
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DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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Pharsale.
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question de droit entre César et le Sénat et un remarquable travail de M, Alexandre
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corrigée et augmentée, i vol. in-8°. 3 fr. jo
Cet ouvrage forme le 3*^ fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
PI A X T -K T T-1 rr^ De la languc chinoise et des mi
• J A. IN 1 >l lL 1 liter l'usage. Broch. gr. in-8°
De la langue chinoise et des moyens d'en faci-
2fr.
A O A Q nn A IVÎ ^^ Capitole de Vesontio et les Capitoles pro-
^^* ^/A0 1/A.i> vinciaux du monde romain. In-8° avec j pi.
5fr.
I
PERIODIQUES ETRANGERS.
liiterarisches Centralblatt fur Deutschland. N° 26. 19 juin.
Théologie. Kaulen, Geschicbte der Vulgata, Mainz, Kirchheim ; livre très-
intéressant et très-bien fait d'un théologien catholique. — Philosophie. Scholten,
Geschichte der Religion nnd Philosophie, ans dem holUndischen. iïb. von Redepen-
NiNG, Elberfeld, Friderichs. — Histoire. Pichler, Die keltischen Namen der
rœmischen Inschriftsteine Karntens, Klagenfurt; recueil utile, fait sans beaucoup
de critique. — Souchay, Deutschland wdhrend der Reformation, Frankfurt, Sauer-
laender. — Fehr, Staat nnd Kirche im frmkischen Reiche, Wien, BraumùUer;
appréciation sévère d'un livre dont nous rendrons prochainement compte. —
Falkmann, Grfl/Sîmon VI zur Lippe uni seine Zeit. I. 15^4-1579, Detraold,
Meyer. — Jurisprudence. Lattes, Studi storici sopra il contratto d'enfiteusi,
Turin; livre dont il est fait un grand éloge. — Linguistique. Histoire littéraire.
De Vogué, Syrie centrale : Inscriptions sémitiques publiées avec traduction et com-
mentaires, Paris, Baudry; nous parlerons prochainement de cet important ou-
vrage, très-favorablement jugé par le critique allemand. — Benicken, De
Iliadis libro primo, Berlin, Calvary; l'auteur est un disciple de Lachmann, —
Hense, Poetische Personification in griechischer Dichtung, Halle, Buchhandlung des
Waisenhauses; recherches curieuses. — De Wailly, Mémoire sur la langue de
Joinville-, cf. Rev. crit., 1869, art. 126; les observations de M. Mussafia sont à
peu près identiques aux nôtres. — Hartmann von Aue, Iwein, hgg. von Benecke
und Lachmann. 3" éd., Berhn, Reimer. — Liliencron, Die historischen Volks-
lieder der Deutschen, t. IV; voy. Rev. crit., 1866, art. 60. — Histoire de l'art.
LÙBKE, Kunsthistorische Studien, Stuttgart, Ebner und Seubert.
N° 27, 26 juin.
Théologie. Novum Testamentum Vaticanum, post Angeli Mail aliorumque imper-
fectos labores ex ipso codice edidit Tischendorf, Leipzig, Giesecke; [^Ejnsdem']
Appendix Novi testamenti Vaticani Inest Apocalypsis ex codice unciali Vat. 2066... ;
article élogieux sur ces deux importantes publications. — Histoire. Gentis, Die
Monarchia Sicula, Freiburgi. Br., Herder. — Schlesinger, Geschichte Bœhmens,
Prag. — TÉNOT, Paris in December 1851, deutsch von A. Rùge, Leipzig,
Winter. — Wise, Review of the history ofmedicine, London, Churchill; M. Weber
critique sévèrement les recherches sur la médecine indienne qui occupent une
grande partie de ce livre. — Mendelsohn-Bartholdy, Der rastatter Gesandten-
mord, Heidelberg, Bassermann; l'auteur, qui a utilisé des documents tirés des
archives de Vienne et de Carlsruhe , fait retomber la responsabilité du meurtre
sur des émigrés français, opinion qui paraît très-contestable à l'auteur du compte-
rendu. — Linguistique. Histoire littéraire. Spiegel, Commentar liber das Avesta,
t. H, Leipzig, Engelmann. — Stengel, Vocalismus d. lateinischen Elementes in
den wichtigsten romanischen Dialecten von Graubiinden und Tyrol, Bonn, Weber;
quelques critiques assez graves. — Archéologie. Camarda, La quinta tavola Taor-
minense (extrait de la Rivista Sicula).
Nuove Eflfemeridi Siciliane di Scienze, Lettere ed Arti. Palermo, tipo-
grafia del Giornale di Sicilia. Vol. I, Disp. L
[A propos de ce recueil, qui est tout nouvellement fondé, nous rappelons que
nous annoncerons sur la couverture tous les recueils scientifiques étrangers qui
nous seront adressés. Ce journal paraîtra tous les mois à Palerme : il coûte 8
livres par an, 5 liv. par semestre, i liv. par numéro. Particulièrement destiné
à concentrer et à retracer le mouvement intellectuel de la Sicile, il donnera
cependant accès aux choses du continent. Il se rattache par son titre et ses
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 31 — 31 Juillet — 1869
Sommaire : 146. Westphal, Prolégomènes aux tragédies d'Eschyle. — 147. Gcet-
TLiNG, Opuscules académiques. — 148. Tourtoulon (de), Jacme I" le Conquérant.
— 149. BussoN, l'Histoire florentine de Malespini et son emploi par Dante. —150.
Gr.esse, Trésor des livres rares et curieux, Supplément.
146. — Prolegomena zu AEschylus Tragoedien von R. Westphal. Leipzig,
Teubner, 1869. In-8*,xix-224 p. — Prix ; 6 fr. 75.
On connaît les travaux considérables de M. Westphal sur la musique et la
métrique des Grecs anciens. En étudiant les matériaux que nous offre la tradition
antique, en dégageant de cet amas confus, autant que cela est possible, le
système des auteurs classiques, et particulièrement d'Aristoxène, il a essayé de
reconstruire un corps de doctrine, qui nous semble, dans toutes ses parties essen-
tielles, établi sur une base solide et vraiment scientifique. Recueillir les fragments
de la tradition antique, les rapprocher, et les éclairer par ce rapprochement :
telle est la méthode que M. Westphal a encore suivie dans ses Prolégomènes aux
tragédies d'Eschyle. Il cherche à démontrer que Pindare dans ses Odes et Eschyle
dans ses Chœurs ont observé des principes de composition qui leur venaient des
anciens Nomes.
Sacadas exécuta à Delphes un vôno; a-:),r.7;xô,- très-célèbre dans l'antiquité :
c'était un morceau de musique instrumentale , dans lequel les sons de la flûte
imitaient, représentaient, la victoire d'Apollon sur le dragon Python. Ce vôjkk
était composé de cinq panies, dont la principale, placée au centre, retraçait le
combat du dieu contre le monstre. Les deux premières panies avaient pour
sujet les préludes du combat, les deux dernières le triomphe. Avant Sacadas,
Terpandre avait établi la règle des vôtio-. y.'.6aow2'.xo':, grands morceaux de musique
vocale avec accompagnement de cithare. Ces morceaux se divisaient en sept
parties. Mais si l'on fait abstraction de la première et de la dernière, l'exorde,
irpoo'txiov ou àp/i ' , et l'épilogue, £-{)oiro; ou Èîôotov, les cinq qui restent semblent
avoir été assez analogues aux cinq parties du vôfio; (rj).r.Tixô;. La partie appelée
6u.ça),6; se trouvait au centre; elle avait un caractère épique, quelquefois même
elle était remplacée par une rhapsodie d'Homère, La partie initiale, [i-apxi, se
rattachait à l'ojiça)6ç par une transition (xararpoirâ) ; et une autre transition
((iETaxaTa-rpo-à) rattachait rô[i?a>,6î à la partie finale, <7=paft;. Dans ce que nous
venons d'exposer d'après M. W., il y a quelques conjectures; mais ces conjec-
tures sont plausibles.
1. On lit chez Pollux, IV, 66 : MÉpr, 5a to-j xiOapwctxov \6ao:>, Tsf-ivopo-j xaTovsî-
(lavTo;, èrafx», lAî-apya x-r).. Mais il y 3 , pour £-apx«» "ne variante éîrrapxa, et il nous
semble évident qu'il faut écrire : Uéçr^ ésTcx • ifyi, \u-:<xfyi xtX.
vill j
66 REVUE CRITIQUE
M. W. retrouve les traits essentiels de cette division dans les Odes de Pindare.
Tous les lecteurs de ce poète ont remarqué que chez lui la fable, la partie
mythique, occupe très-souvent le milieu de l'ode, tandis que le commencement
et la fin sont directement consacrés au vainqueur et à sa famille. Voilà donc
Vàjxtpalôi, entouré de l'àpy.à et de la açipaviç. Cet arrangement est si naturel, qu'il
peut sembler inutile de l'expliquer par une tradition lyrique. Il y a quelque chose
de plus particulier dans la disposition de deux odes : la neuvième Pythique et la
dixième Néméenne. L'éloge du vainqueur s'y trouve au centre, et ce centre est
entouré de deux récits mythiques. Ce qui me frappe surtout c'est que, dans les
deux odes, la fm de la seconde fable coïncide exactement avec la fm du poème,
sans que le poète revienne sur la victoire et le vainqueur. Il y a là quelque chose
qui peut faire croire à un procédé traditionnel et en quelque sorte obligé. Cepen-
dant la thèse de l'auteur n'est pas pour nous d'une complète évidence. Sans
entrer ici dans les détails, sans parler de certaines odes que M. W. a décom-
posées d'une manière contestable, nous nous bornerons à deux observations
générales. Pour établir la filiation qu'il suppose, M. W. insiste beaucoup sur les
transitions. Il a raison : la division ternaire n'y suffit pas; il faut nous montrer
les cinq parties. Or qu'arrive-t-il .? La transition se fait souvent au moyen de
quelques phrases ; quelquefois aussi elle manque, et le poète passe d'un sujet à
l'autre à l'aide d'un seul mot, d'une simple conjonction. Tantôt c'est la première
transition, celle que M. W. identifie avec la xaTaxpoTià de Terpandre, tantôt c'est
la seconde transition, la (xeraxaTarpoirà , qui se trouve supprimée. Pour croire à
un plan fixe et traditionnel, nous aimerions plus de symétrie : nous voudrions
trouver dans le même poème les deux transitions, ou n'y trouver ni l'une ni
l'autre. Une autre objection nous semble plus importante. Les divisions des
anciens nomes se marquaient ostensiblement par la forme même du poème
musical; souvent un changement (y-cuxcuêolri) de mesure et d'harmonie les rendait
encore plus sensibles. Les divisions des odes de Pindare sont, au contraire,
toutes logiques : loin de coïncider avec les divisions strophiques, elles tombent
très-souvent au milieu d'une strophe et même au milieu d'un vers.
Quant aux chœurs d'Eschyle, M. W. en distingue deux espèces. Les uns sont
composés d'après la méthode de Terpandre; les autres sont des chants amébées,
thrènes proprement dits ou morceaux analogues aux thrènes. Dans les chœurs
de la première catégorie la partie centrale (ô[X9a),6i;) contient ordinairement l'idée
générale qui domine tout le morceau. Personne ne contestera qu'if en soit
ainsi pour la Parodos de VAgamemnon. Le récit des faits qui accompagnèrent le
départ des Grecs, s'y trouve interrompu par des considérations générales déve-
loppées dans trois strophes : v. i6o, Zeùç, ôaTi; tcot' iaxiv, jusqu'au v. 183, cÉXfxa
(lepàv ^(jLÉvwv. Il nous est cependant difficile d'attacher beaucoup d'importance à
cette division purement logique. La division musicale de ce chœur est tout
autre. On trouve d'abord une triade de strophes dactyliques (strophe, antistrophe
et épode) consacrée à l'oracle de Calchas. Voilà la première partie. La seconde
partie renferme cinq couples de strophes trochaïques et iambiques. Les considé-
rations générales, que M. W. regarde comme la partie centrale du chœur,
d'histoire et de littérature. '67
forment en réalité l'introduction de cette seconde partie. — M. W. décompose
à son point de vue plusieurs chœurs d'Eschyle. L'analyse du second chœur de
VAgamemnon, v. 367 sqq. (Aie; TcXayiv ixoy^tv eîiteïv), nous a semblé des plus
heureuses. Il nous reste des doutes sur d'autres. Quant au grand chœur des
Euménides, v. 321 sqq. (Mà-rsp 5 ix'Itixtîç), nous ne saurions entrer dans les vues
de l'auteur. Tous les éditeurs ont adopté une transposition faite par Heath et
grâce à laquelle la seconde partie de la deuxième antistrophe est formée par les
mots yLÔùoL -(àç, ouv à)o\ié^a.... oOcrçopov ârav. Revenant à l'ordre offert par les manu-
scrits, M. W. considère ce passage comme une antimésode insérée entre la troi-
sième strophe et la troisième antistrophe (lesquelles deviennent chez lui la cinquième
strophe et la cinquième antistrophe). Suivant nous, M. W. méconnaît la suite
simple et naturelle des idées, et il prête à Eschyle un enlacement de strophes
d'une symétrie imparfaite. Dans notre édition nous avons défendu la transposi-
tion généralement admise, par des arguments que nous persistons à croire
décisifs.
L'étude approfondie que l'auteur a consacrée aux chants araébées d'Eschyle
nous semble plus féconde en résultats probables. Et d'abord, quels sont les
morceaux qu'il faut ranger dans cette classe .'' Il ne peut y avoir de doute sur
ceux qui sont chantés par un ou deux acteurs alternant avec le chœur
ou les demi-chœurs. Mais à quel signe reconnaître si un morceau purement
chorique appartient au chœur tout entier, ou s'il faut le partager entre les demi-
chœurs ' ? Les refrains, les répétitions, et, pour hasarder une expression que tout
le monde comprendra, les échos qui se répondent soit de la strophe à l'antistrophe
soit dans le cours de la même strophe, voilà des indices, assurément très-plausibles,
d'un chant amébée. C'est pour cette raison que M. W., par une innovation
heureuse, distribue entre les demi-chœurs le morceau: NOv Sr; TtpôTîowa jièv (rrévet,
Perses, 548 sqq.; l'évocation de l'ombre de Darius, v. 633 sqq. de la même
tragédie, et les trois dernières strophes de la Parodos des Suppliantes, v. 1 1 1 sqq.
(to'.ovtœ r.ibzct xtX.). — M. W. considère comme amébée le deuxième grand
chœur des Sept Chefs, v. 287 sqq., parce que la plupart des strophes se com-
posent de plusieurs parties nettement séparées et d'un caractère métrique très-
distinct. Si cela est vrai , nous pensons que le troisième grand chœur des Sup-
pliantes, v. 630 sqq. (nov ôtî xai bi'A X-:)..) doit être également réparti entre les
demi-chœurs. Cependant, aux yeux de M. W., ce morceau est un exemple de
la méthode de Terpandre. — N'y aurait-il pas d'autres indices du débit amébée?
Nous croyons en apercevoir un, qui n'a pas été signalé par M. W. Les deux
derniers grands chœurs des Choéphores présentent un arrangement particulier.
Les strophes correspondantes s'y trouvent enlacées comme dans certains thrènes.
Nous sommes d'autant plus disposé à repartir ces strophes entre les demi-chœurs,
qu'on y remarque aussi des refrains et ce que nous avons appelé des échos. —
I . G. Hermann a divisé certains morceaux lyriques entre les douze ou quinze personnes
dont se composait le chœur. M. W. pense que cette hypothèse est arbitraire et ne repose
sur aucune preuve solide.
68 REVUE CRITIQUE
Soulevons ici une autre question à laquelle M. W. n'a pas touché. Les deux
fonctions du chœur, de danser et de chanter, n'étaient-elles pas quelquefois
réparties entre les personnes qui le composaient ? Nous avons toujours pensé que '
les quatre premières strophes du grand chœur des Euménides, v. 321 sqq,, n'ont
pu être chantées par le chœur tout entier. Elles étaient accompagnées de danses
compliquées, de gestes violents, de sauts et de bonds : il est inadmissible que les
choreutes chargés d'une action si vive aient pris part au chant.
Disons un mot du îbrène des Sept Chefs, un des morceaux dont M. W. a étudié
tous les détails. On croit généralement que la première partie de cethrène, c'est-
à-dire, les quatre premiers couples de strophes, est chantée par les demi-chœurs.
Cependant dans le vieux-manuscrit de Florence le quatrième couple est partagé
entre Israène, Antigone et le chœur. Dans notre édition nous avons étendu cette
division aux strophes qui précèdent, et à l'appui de cette innovation nous avons
invoqué la coutume observée dans les plaintes funèbres et attestée par Homère.
En effet, au 24*= livre de l'Iliade, on voit la plainte entonnée successivement par
Andromaque, par Hécube, par Hélène, et chacun de ces morceaux suivi des
lamentations du chœur des femmes, èul 8è axé\ayo\-zo Ywaïxe;. M. W. admet la
convenance du rapprochement; mais il objecte (p. 145) que, suivant le même
passage d'Homère, les plaintes individuelles étaient précédées de plaintes collec-
tives du chœur tout entier. Or que voyons-nous dans l'Hiade ? Avant les trois
princesses, d'autres chanteurs, anonymes, avaient fait absolument comme elles :
ils avaient entonné des plaintes, suivies des lamentations du chœur des femmes.
Citons les vers du poème (720 sqq.) :
Ilapà 5' eîaav àoiSoùç
©piivtov i^âpyo\)ç, o? te (TTOvoeuffav àoiSi^v
01 [J.EV âp' è0pr,vcov, inl Se <7-£và;(ovT0 ^uvaixe;.
Les mots sont d'une clarté parfaite, et nous nous demandons comment M. W. a
pu les entendre autrement que nous. Certes, nous ne le méconnaissons pas, on
peut faire des objections contre la manière dont nous avons réparti les rôles dans
le thrène des Sept Chefs; mais l'argument que nous avons tiré de l'Iliade ne sau-
rait être tourné contre nous. — Parmi les rectifications de texte que propose
M. W., il y en a une qui nous a frappé particulièrement. Il a raison de distribuer
entre deux interlocuteurs les vers 895 sq., ainsi que les vers correspondants,
907 sq. Les derniers éditeurs ont effacé le caractère amébée de ces vers, parce
qu'ils prenaient pour point de départ le texte de l'antistrophe. M. W. a vu que
l'antistrophe était mutilée. Cependant ses corrections (p. 141) ne nous satisfont
pas complètement. — Dans la seconde partie du thrène M. W. fait plusieurs
transpositions, et il arrive ainsi à recueillir quelques éléments d'une strophe
correspondante aux vers 961 sqq., vers que l'on considérait jusqu'ici comme
une proode. Ces conjectures (p. i j i et suiv.) sont séduisantes, tout en prêtant à
des objections.
A la fin du volume quelques pages sont consacrées à une question relative au
Prométhée. On croit généralement que le Prométhée enchaîné était précédé du
iTupçopoç et suivi du Auéiievoç. Mais quelle était l'action du premier drame de la
J
d'histoire et de littérature. 69
trilogie ? Comment ne faisait-elle pas double emploi avec les longs récits du drame
conservé? Voilà des questions quelque peu embarrassantes. Pour y échapper,
M. W. place le n-j??6p<5.: à la fin de la trilogie. Voici son hypothèse. Dans la
seconde pièce Prométhée est délivré par Hercule, et délivré malgré Jupiter. La
réconciliation du Titan avec le maître des dieux n'a lieu que dans la troisième
tragédie. Prométhée paraît dans l'Olympe; il empêche le mariage de Jupiter et
de Thétis, en révélant le secret dont il est dépositaire, et les dieux permettent qu'il
soit désormais adoré dans la Grèce, et paniculièrement dans l'Attique, sous le nom
de nupç6po;. L'idée est ingénieuse; elle nous sourit; cependant nous ne pouvons
admettre le plan des deux tragédies perdues tel que M. W. le donne. Un frag-
ment des papyrus d'Herculanum (Philodème, ivepl £ù«i£6£iaç, tab. XC) dit positi-
vement que, d'après Eschyle, Prométhée doit sa délivrance à la révélation de
l'oracle relatif à Thétis. Voici donc comment les choses ont dû se passer. Hercule
arrive près du Caucase ; il transperce l'aigle d'un coup de flèche ; Prométhée
fait connaître le secret fatal, et le fils de Jupiter le délivre de ses chaînes. C'est
en vain que M. W. en appelle à quelques vers de la tragédie conservée. Promé-
thée y dit (v. 770) que sa délivrance (t^taf àv Ix Seaiiôv >u6eî;) peut seule dé-
tourner de Jupiter la catastrophe qui le menace. Mais ce mot n'implique nulle-
ment que la délivrance de Prométhée doive précéder la révélation du secret; il
n'exclut pas l'ordre des faits attesté par le fragment de Philodème, et, rapproché
des vers 524 sq., il implique tout au moins que la promesse de révéler l'oracle
ait précédé la délivrance du Titan. La conséquence que M. W. veut tirer du
vers 771 est encore moins rigoureuse. Disons tout d'abord que M. W. n'est
pas le premier à tirer cette conséquence, et qu'elle a déjà été réfutée plus d'une
fois. lo demande : Tî? ouv ô Waoxv èdttv àxovro; A-.ô;; Il est téméraire d'inférer de
ce vers qu'Hercule agira malgré Jupiter. lo n'est pas dans le secret des destins;
et Prométhée, qui l'est, n'a pas besoin de mieux l'instruire sur ce point. On
lit dans la Théogonie (v. 529) que le fils de Jupiter délivra Prométhée :
Jusqu'à preuve du contraire nous ne croirons point qu'Eschyle se soit écarté de
cette tradition. Cependant, pour ne pas admettre quelques-unes des conjectures
de M. W., nous ne contestons pas que le n-jpçôso; ait pu terminer la trilogie. Ce
drame pouvait aboutir à l'établissement du culte de Prométhée dans l'Attique.
Mais quel en était d'ailleurs le sujet, l'action ? On ne le voit pas clairement, et
cette hypothèse offre des difficultés, comme en offrait l'hypothèse à laquelle nous
étions habitués.
Henri Weil.
• 47- r~.^^''?'' Guiîelmi Gœttlingii Opnscula Academica. Praefationis loco auc-
tons imagmem adumbravit Kuno Fischer. Accedunt tabulae très lithogr. Lipziae, Hirzel,
1869. In-8*, viij-340 p. — Prix: 8 fr.
C.-G. Gœttling, professeur de philologie classique à l'Université d'Iéna, avait
préparé la publication de ses opuscules académiques lorsque la mort vint le sur-
prendre le 20 janvier de cette année à l'âge de 76 ans. Son collègue et son ami,
70 REVUE CRITIQUE
M. Kuno Fischer, a retracé en tête du volume son portrait avec talent et avec
intérêt.
Ce volume renferme outre différents discours de circonstance prononcés devant
l'Université d'Iéna, des dissertations en latin sur les sujets suivants : De Horatii
od. I, 30; I, 32; 3, 4, 10; 3, 20. — De M. TuUii Ciceronis laudatione Catonis
et de C. Julii anticatonibus. — De Margita Homerico. — De Homeri Iresiona.
— Carmen Homeri fornacale. — De loco quodam hymni homerici in Cererem
(vs. 265 sq.). — Spicilegium fragmentorum Hesiodi. — De Bacide fatiloquo.
— De Ericapaeo Orphicorum numine. — De loco Antigonae Sophoclis (vs. 866-
879). — De diverbio nuncii et Creontis in Sophoclis Antigona. — Animadver-
siones criticae in Sophoclis Philoctetam. — De morte fabulosa AEschyli. —
Animadversiones in Aristophanis Equités. — De BEKKESEAHNOS vocabulo ab
Aristophane ficto. — De loco quodam in Aristophanis Triphalete. — De loco
quodam Aristophanis (Nubb. 244 sqq.). — De epigrammate Callimachi XIV. —
De duobus Callimachi epigrammatis (XXX Ern. et fr. LXXI Bentl.). — De
Callimachi epigrammate XXV. — Resuscitatur Callimachi epigramma diu sopi-
tum. — Nova quaedam fragmenta poetarum Graecorum. — De loco quodam
Aristotelis in libro primo Politicorum (I, i. 1253 a Bkk.). — De ATTA pro-
nomine graeco. — De soloecismo logico rhetorico ejusque veriloquio. — De loco
M. Terentii Varronis (de re rust. i , 2) qui de rogationibus Liciniis agit. —
Inscriptiones Acrenses III in Sicilia repertae ad legem Hieronicam pertinentis.—
Inscriptiones III in curia Atheniensi nuper repertae. — Inscriptiones Olympicae IV.
— D'un vase en terre du musée d'antiquité de lena (avec deux lithograph.), en
allemand. — De incantata Thessalonicensi. — De suggestu oralorum Athenien-
sium a Trigintaviris non mutato. — De Metonis Astronomi Heliotropio Athenis
in muro Pnycis posito.
Les qualités personnelles que M. Kuno Fischer dépeint dans Gœttling se
reconnaissent dans la manière dont il traite ces sujets de philologie et d'archéo*-
logie : il y montre un esprit élégant et aimable, et il écrit dans un latin clair,
aisé et vif qui n'est pas commun en Allemagne.
148. — Études sur la maison de Barcelone. Jacme I" le Conquérant, roi
d'Aragon, comte de Barcelone, seigneur de Montpellier, d'après les chroniques et les
documents inédits, par Ch. de Tourtoulon. Montpellier, Gras, 1863-1867. 2 vol.
in-8% xv-472 et xij-688 p.
Nous regrettons de n'avoir pu rendre compte de cet ouvrage — qui ne nous
est parvenu que récemment — lorsqu'il était dans toute sa nouveauté. Toutefois,
il suffit qu'il ait été publié en province, encore que Montpellier ne puisse être
considéré comme un centre littéraire de médiocre importance, pour qu'il soit
encore nouveau au plus grand nombre des lecteurs. D'ailleurs l'importance du
sujet comme la réelle valeur du livre commandent l'attention. Indépendamment
des nombreux points de contact que l'histoire de Jacme I" ' présente avec notre
I . En France on dit ordinairement Jacques ou Jaymc. La première de ces formes est
d'histoire et de littérature. 71
histoire nationale, elle offre par elle-même un vif intérêt. Le règne de Jacme
marque l'apogée de la maison de Barcelone. Jamais aucun des prédécesseurs ni
des successeurs de ce prince ne réunit sous son sceptre les royaumes d'Aragon et
de Valence, le comté de Barcelone, la seigneurie de Montpellier, et les Baléares;
jamais aucun d'eux ne prit une part aussi considérable à la politique générale.
Lors même que M . de Tourtoulon aurait quelque peu exagéré l'initiative de son
héros dans les aaes de sa première jeunesse ou dans son rôle de législateur, il
resterait encore au Conquistador une part d'activité assez grande pour justifier
sa renommée.
Sans analyser les deux volumes de M. de T., ce qui nous amènerait à pré-
senter en raccourci une histoire de Jacme, nous allons en indiquer la disposition
et nous terminerons par quelques obser\'ations sur les sources de cette histoire
et sur l'emploi qu'en a fait M. de Tourtoulon.
Une introduaion divisée en deux chapitres (I, les nationalités du Midi de la
France; II, la maison de Barcelone), trace à grands traits l'histoire de la pénin-
sule ibérique avant la naissance de Jacme. L'exposition, large et claire, est d'un
homme bien informé. Pour le second chapitre M. de T. s'est surtout appuyé sur
un livre excellent, Los condes de Barcelona vindicados, y cronologia y genealogia de
los reyes de EspaM, considerados coma soberanos independienîes de su Marca, de
feu D. Prosper BofaruU (1836, 2 vol. in-S»), mais là déjà on peut apercevoir
la trace de recherches personnelles. Les sept chapitres suivants, formant le
premier livre, sont consacrés aux vingt premières années de la vie de Jacme
(1208-1228): à sa naissance, entourée de circonstances si extraordinaires qu'on
les croirait fabuleuses, n'était le témoignage à peu près concordant de deux
historiens de valeur, R. Muntaner et B. d'Esclot; aux dernières années du règne
de son père, tué en 1 2 1 3 à la bataille de Muret ; aux premières luttes du jeune
prince contre le parti féodal dont il devait un jour triompher; au mariage du roi
avec Eléonore de Castille. Le second livre, qui termine le premier volume, nous
raconte la conquête des Baléares et l'assemblée solennelle des corts catalanes
qui la précéda, le divorce de Jacme d'avec sa première femme, son mariage avec
Yolande de Hongrie, et la conquête du royaume de Valence. Au milieu du récit
de la conquête de Mayorque est intercalé (p. 273 suiv.), peut-être un peu hors
de propos, un chapitre intéressant, mais qui n'épuise pas encore la matière, sur
l'organisation militaire de la Catalogne et de l'Aragon et sur le service dû tant
par les seigneurs que par les communes. Le troisième livre, qui ouvre le second
volume, nous montre Jacme à l'apogée de sa puissance. Il soumet Xativa d'où un
chrétien ravageait le pays environnant à la tête de troupes sarrazines ; puis,
donnant une preuve manifeste de l'autorité qu'il s'était acquise, il confie le gou-
vernement de Valence à un de ses lieutenants, qu'il élève à cet effet, et contrai-
rement Siuxfueros, à la dignité de rico home. Peu après, nous le voyons se mêler
^ »
très-acceptable ; c'est une traduction ; mais la seconde n'a pas de raison d'être. Pourquoi
citer le nom d'un catalan sous la forme castillane? M. de T. s'est attaché à conserver aux
noms leur lorme originale. Toutefois il ne l'a pas toujours fait, et écrit par exemple Hugues
de Mataplana.
72 REVUE CRITIQUE
aux affaires du Midi de la France, auxquelles, en qualité de seigneur de Mont-
pellier, il avait un intérêt direct, et conclure (1243) avec le comte de Toulouse,
Raimon VII, un traité dont le but général devait être l'allégement des
charges que le traité de 1229 faisait peser sur l'infortuné comte, et plus particu-
lièrement la négociation d'un mariage entre ce dernier, qui de sa première femme,
encore vivante, n'avait pas d'héritier, et Sancha, fille de Raimon Bérenger. Si ce
mariage se réalisait, la Provence pouvait un jour venir par voie d'héritage aux
mains du comte de Toulouse, et la domination française était arrêtée dans le
Midi. Mais d'abord il fallait que le premier mariage du comte fût rompu ; et
les efforts de Jacme, la pression exercée sur Sancha d'Aragon, épouse du comte,
pour l'amener à demander elle-même la cassation de son mariage, n'amenèrent
pas le résultat souhaité si ardemment, car, si Sancha d'Aragon fut répu-
diée, Sancha de Provence épousa en 1244 le fils de Jean sans Terre. M. de
T. a apporté à l'histoire de cette intéressante négociation plusieurs faits
nouveaux. Après cet échec de sa politique, le roi d'Aragon, d'ailleurs distrait
par ses luttes contre les Sarrazins ou contre ses vassaux, paraît s'être peu mêlé
des affaires du Midi. Il n'essaya même pas, à la mort de Raimon Bérenger IV
(1245) de faire valoir ses droits sur le comté de Provence, et, à part quelques
débats relatifs à sa seigneurie de Montpellier (1255, 1264), tous ses soins pen-
dant les trente dernières années de son règne ont pour but la consolidation de
son autorité en Espagne et l'administation de ses États. D'importants chapitres
(1. III, chap. vi-viii) sont consacrés à l'étude des diverses législations qui régis-
saient les pays réunis sous le sceptre de Jacme. Montpellier, Perpignan, étaient
de droit romain, la Catalogne reconnaissait l'autorité de l'ancienne loi wisigothique
(le fuero juzgoi), l'Aragon avait des coutumes qui furent codifiées en 1247; le
royaume de Valence enfin, récemment conquis sur les Sarrazins, offrait à l'acti-
vité du roi d'Aragon « la plus enviable liberté dont il ait jamais été donné à un
« législateur de jouir : celle d'élever son œuvre de toutes pièces sur un terrain
» déblayé d'avance , et où. ni droits acquis ni usages antérieurs ne pouvaient
» entraver son action. « Il est toujours difficile de déterminer la part de colla-
boration qu'ont les princes dans les codes auxquels ils attachent leur nom, et nous
laisserons à de plus compétents le soin de décider jusqu'à quel point il est légitime
de dire qu'à travers la diversité de ces législations « on aperçoit le désir de
» l'unité qui utilise tous les traits communs au profit d'une unification future. ' »
Signalons encore le quatrième chapitre du livre IV, sur l'organisation munici-
pale des pays aragonais, sur les finances, l'industrie, les lettres et les arts au
temps de Jacme l". L'esquisse tracée par M. de T. est exacte et justement pro-
portionnée à l'étendue de son ouvrage. Mais on comprend sans peine que tous
les sujets traités dans ce chapitre pourraient être repris en sous-œuvre et fournir
chacun la matière d'un livre. Cela est surtout vrai de l'industrie et du commerce,
qui ont de tout temps été plus florissants en Catalogne qu'en aucune autre partie
1. Pour la critique de cette partie du travail de M. de T. on peut voir un article
publié dans les Cœtt. gel. Anz. 1868, n* 25.
d'histoire et de littérature. 75
de l'Espagne, et pour lesquels on a tant d'excellents matériaux dans les Memo-
rias de Capmany et dans l'Histoire du commerce de Montpellier de M. Germain;
cela peut être dit aussi des pages consacrées par M. de T. à la littérature
catalane encore bien que, là comme partout ailleurs, les recherches origi-
nales aient aussi leur part. Ainsi nous trouvons dans ce chapitre de nouveaux
détails sur le libre de la Savieza, œuvre du roi Jacme lui-même '. Pour la litté-
rature catalane en général, M. de T. me parait avoir accordé trop de confiance
à l'Essai de M. Cambouliu, ouvrage qui a eu certainement le mérite de rassem-
bler pour la première fois un grand nombre de faits épars , et même de faire
connaître plusieurs écrits restés jusqu'alors ignorés, mais qui malheureusement
a mis en circulation beaucoup de vues extrêmement contestables. C'est
d'après M. Cambouliu que M. de T. qualifie le langage des troubadours de
« conventionnel» (p. 443), et qu'il ajoute :« Il est généralement admis aujour-
» d'hui que la langue des troubadours ne fut usuelle en aucun pays n (ibid.,
note 3), ce qui n'est vrai que dans la mesure où on peut dire de tout idiome
écrit qu'il est conventionnel, c'est-à-dire, en ce sens que la langue écrite ayant
besoin de ressources dont la langue parlée peut se passer, possède toujours et
partout un certain nombre de locutions qui ne sont pas en usage dans cette der-
nière. Mais cette question ne peut être traitée incidemment. Quant à l'idée,
d'ailleurs assez généralement répandue, qu'une même langue était parlée au moyen-
âge dans la France méridionale et en Catalogne (II, 443, note i), elle n'est
acceptable que sous certaines réserves : le catalan, par sa phonétique, se classe
assez bien avec cet ensemble de dialectes qu'on appelle d'un nom commun « langue
d'oc», bien qu'il offre plus de traits particuliers qu'aucun d'eux; mais, par sa
flexion il tient de plus près aux autres dialectes hispaniques. Quelques autres
assertions dans ce chapitre auraient besoin de preuves. Par exemple je n'ai vu
nulle part que saint Louis se soit jamais essayé à traduire la Bible « en roman
» du Nord » (p. 443), et il serait bon de savoir sur quoi repose la tradition
selon laquelle l'intimité aurait été si grande entre Jacme I" et Peire Cardinal que
souvent le lit de ce troubadour aurait été dressé dans la chambre royale
CP- 459)-
Quelques mots maintenant sur les matériaux que M. de T. a utilisés. Selon
un usage excellent et qui tend heureusement à se répandre, l'auteur a consacré
un chapitre, ou plutôt deux longues notes de l'appendice de chacun de ses
volumes, à l'examen des sources de l'histoire de Jacme I" (I, 426-431; II, 521-
5). Cet examen est à la vérité un peu sommaire et n'entre pas dans la critique
détaillée de chaque source. M. de T. semble avoir reconnu la nécessité d'une
étude plus approfondie, car il a consacré à l'appendice de son second volume
(p. j 3 1-542) une dissertation toute spéciale à la chronique de Jacme I" dont il
démontre sans peine l'authenticité contre les doutes élevés par Josef Villaroya.
I . Toutefois M. de T. ne doit point ignorer que cet ouvrage était déjà connu par
Torres Amat qui lui a consacré deux colonnes (p. 3 19-20) de ses Memorias para ayudar
a formar un diccionario critico de los cscritons catalanes. Il serait à désirer que ce libre de la
Savieza fût publié au moins par extraits, afin qu'on pût en rechercher les sources.
74 REVUE CRITIQUE
Cette chronique, ou plutôt ces mémoires, au sujet desquels Potthast n'a trouvé à dire
que cette double sottise : «rauhe Sprache. Spanisch geschrieben »', sont assuré-
ment un document de la plus haute valeur comme monument littéraire et comme
monument historique. Toutefois les rectifications que M. de T. a dû apporter
en maint endroit de son livre aux récits du roi d'Aragon, prouvent qu'on ne
peut, au moins pour la chronologie, leur accorder une confiance entière. Cela
étant, il semble qu'il conviendrait d'user avec prudence, dans une narration
vraiment critique, de ces mêmes récits, dans les cas où les documents ne per-
mettent pas de les contrôler. Et par exemple les discours qui donnent à la royale
autobiographie un caractère si dramatique , ne peuvent guère servir qu'à titre
d'indication générale. En mettant les choses au mieux, en supposant le royal
auteur libre de toute pensée d'apologie, sa chronique ne peut guère nous
donner autre chose que l'aspect sous lequel, après un laps de temps qui n'est pas
déterminé, mais probablement assez long, sa mémoire lui représentait les faits
dans lesquels il avait joué le rôle principal ^.
M. de T. a heureusement utilisé dans sa narration les poésies politiques des
troubadours. Il a suivi généralement le livre de M. Milâ De los trobadores en
Espaha (Barcelone, 1861), où les allusions historiques des troubadours sont
ordinairement très-sûrement élucidées. Il s'est aussi aidé, mais avec la circonspec-
tion nécessaire, de Millot et des notices insérées dans l'Histoire littéraire.
On peut regretter qu'il n'ait point connu l'ouvrage, qu'on peut dire classique,
de Diez, les Leben nnd Werke der Troubadours. On s'étonnera moins qu'il ait
négligé la collection de Mahn ; et en vérité on ne saurait lui faire un reproche dé
ne s'être pas servi d'un recueil si mal ordonné que les gens du métier ne peuvent
qu'à grand peine en tirer quelque utilité ; notons cependant qu'il y eût trouvé
(Gedichte, 514) le texte complet de la pastourelle (et non pastorale!) de Paulet
de Marseille pour laquelle, à part deux couplets publiés par Raynouard, il a dû
se contenter de la traduction de l'abbé Millot (II, 1 1 5-6). — Pour le planh de
Sordel (II, 1 1-3) M. de T. eût mieux fait de traduire lui-même que d'emprunter
à M. Villemain ses contre-sens 5.
Ainsi que la plupart des historiens, M. de T. a dû user des anciens annalistes,
et principalement de Zurita, à peu près comme d'une source originale. Toutefois
il l'a contrôlé quand il a pu le faire, et déclare n'avoir eu en ce cas qu'à
constater sa scrupuleuse exactitude (I, 429).
Les moyens de contrôle ce sont ici les chartes, qui, malgré les bouleversements
1. Bibl. historica mcdii aevi, p. 385.
2. Voir d'ailleurs sur un sujet analogue les observations d'un de nos collaborateurs,
Rev. crit., 1869, I, p. 299-300.
3. « Je veux en ce rapide chant... « kugier veut dire « facile (en v. fr. on eût dit légier)
» à entendre. » — « Et les plus nobles vertus sont éteintes en lui. » Ce serait trop naïf,
puisqu'il est mort. Sordel n'est point coupable de cette platitude : il dit qu'avec Blacatz
ont péri toutes les nobles vertus , englouties pour ainsi dire en sa mort {tut l'alp valeii
en sa mort perdut so). — « Mais s'il pense à sa mère; » trad. : « s'il en plse » (si pes'a
sa maire, il n'y a pas pensa ni pessa de s. m.), etc. — Notons qu'il ne s'agit pas ici d'une
pièce en trobar dus, mais au contraire d'un so leugier, « legier à entendre. »
d'histoire et de littérature. 75
dont l'Espagne a été mainte fois le théâtre , existent encore en nombre consi-
dérable, mais malheureusement ne peuvent être utilisées que sur place, faute
d'inventaires publiés. Les archives de la couronne d'Aragon surtout, se recom-
mandent à l'historien par leur richesse et par leur excellent classement. Ce n'est
pas en vain qu'elles ont été depuis plus de cinquante ans sous la direction de D.
Prosper Bofarull, l'auteur du livre mentionné plus haut, et qu'elles sont actuelle-
ment sous celle de son fils. « Les archives d'Aragon, » nous apprend M. de T.
« fournissent à elles seules pour le règne de Jacme I*' 2300 actes sur parchemin
» et 36 registres sur papier » (II, ix). On ne saurait demander à un histo-
rien le dépouillement d'une aussi grande masse de documents et il faut
au contraire savoir gré à M. de T. d'en avoir tiré de nombreuses indications
et un certain nombre de pièces qui, publiées à l'appendice de chacun des
deux volumes, en rehaussent singulièrement le prix. Citons à la fin du t. I :
V (p. 446), le traité de paix entre Jacme et son grand-oncle Sanche (1 2 1 8) ; à la
fin du t. II : I (p. 547, cf. p. 48), la donation du comtat Venaissin faite à Cécile
de Baux par Raimon VII (1241), acte accompli par le comte de Toulouse pré-
cisément au temps où il s'efforçait de se réconcilier avec le roi de France; II et
III, les traités d'alliance passés entre Jacme et Raimon VII ; IX, le testament
d'Yolande de Hongrie, reine d'Aragon; XV, une lettre du roi Jacme à Charles
d'Anjou, au sujet de poursuites exercées par ce dernier contre certains Marseillais
réfugiés à Montpellier. On y lit cette phrase caractéristique : « Satis etenim de-
» beatis esse pacati a nobis de comitatu Provincie quem nos habere potuimus
» eo quod fuerat de génère nostro, et propter amorem et propinquitatem quos
» cum illustri rege Francie, fratre vestro, et vobiscum habemus, ipsum recipere
» noluimus. » Entre ces pièces et d'autres encore qui apparaissent pour la pre-
mière fois à la lumière, M. de T. en a inséré quelques-unes déjà publiées,
mais peu accessibles en France, étant tirées de la Colleccion de dociimentos inedltoi
del Archiva gênerai de la Corona de Aragon. Plusieurs des pièces publiées offrent
des lacunes remplies par des points, d'où il paraît résulter que les originaux sont
en mauvais état.
M. de T. a cru bien faire en n'introduisant aucun signe de ponctuation dans
les chartes qu'il a publiées d'après les originaux, système qui sert peu à l'éclair-
cissement des textes et ne permet même pas de voir s'ils ont été compris par
l'éditeur. Il s'en est départi lui-même pour les pièces qu'il a publiées (t. II,
pièces II et III) d'après des copies de Peiresc, à la bibliothèque de Carpentras.
J'insisterai d'autant moins sur ce point, que dans une publication plus récente '
M. de T. s'est conformé à l'usage suivi par les éditeurs les plus approuvés.
Dans l'appendice du premier volume, M. de T. a dressé une série
de tableaux généalogiques d'où il résulte que toutes les familles régnantes de
l'Europe descendent plus ou moins directement de Jacme F^; travail qui occupe
j 5 pages, et dont l'intérêt ne compense pas suffisamment l'étendue. Sous le titre de
Complément le second vol. contient (p. 61 3-678) une « nomenclature et armoriai
1. La Procédure symbolique en Aragon. Montpellier, Gras, 1868.
7^ REVUE CRITIQUE
» des familles et des personnes les plus connues des États de Jacme I". «
Comme index des noms de personnes qui figurent dans les deux volumes , celte
table est fort utile, on peut même approuver M. de T. d'y avoir fait entrer les
noms de tous les personnages marquants (ou qui lui ont paru tels) qui figurent
dans les sources originales de l'histoire de Jacme (sources énumérées p. 614-5).
Mais il était fort inutile de joindre au nom de chaque individu un blason : car,
outre le danger de confusions sans nombre que M. de T. lui-même reconnaît être
inévitables en un travail de ce genre, il ne faut pas perdre de vue que les armo-
riaux d'où M. de T. a tiré ses blasons sont des œuvres plus ou moins modernes
dont les assertions, en ce qui concerne des blasons du xiii^ siècle, sont néces-
sairement très-suspectes.
Quelques mots maintenant sur les idées qui régnent dans l'ouvrage. M. de T.
est méridional et participe, bien qu'avec modération, aux sentiments qui dans le
Midi vont gagnant chaque jour du terrain, et qui se résument ordinairement en
ce mot : décentralisation. Il est donc placé au meilleur point de vue pour appré-
cier des événements qui se produisent dans un milieu entièrement différent du
nôtre, et "n'est point préoccupé, comme la plupart des historiens de notre temps
par des idées de nationalité et d'unité qui n'ont rien à faire avec le moyen-âge.
Son opinion sur la formation des nationalités me semble résumer très-heureuse-
ment ce qu'on a jamais dit de plus sensé sur un sujet qui a été et est encore
maintenant le prétexte de taqt de divagations :
Que, par suite d'événements quelconques, des populations de race identique se trouvent
placées dans des milieux différents, il en résultera avec le temps des races distinctes ; que
des races différentes, au contraire, soient soumises à l'action suffisamment prolongée d un
même milieu, elles arriveront à se fondre et à constituer ainsi une nouvelle race homogène,
parfaitement distincte de chacune de celles qui lui ont donné naissance. Dans ces divers
cas, il naîtra avec chaque race une tradition historique particulière, et, par conséquent,
une nouvelle nationalité. (I, 3.)
Et là est la vérité : les événements et le laps du temps forment la nationalité , la
race est tout au plus un adjuvant, la langue n'est que le signe extérieur.
En résumé, le livre dont nous venons de rendre compte porte la marque d'un
esprit juste et réfléchi. Le progrès y est sensible du premier au second volume,
et les défauts qui s'y trouvent sont de ceux que la pratique de la méthode histo-
rique fait aisément disparaître.
n.
149. — Die florentinische Geschichte der Malespini und deren Benutzung
durch Dante, von D' Arnold Busson, etc. Innsbruck, Wagner, 1869. In-8*, 89 p.
— Prix : 2 fr. 20.
VIstoria fiorentma des deux Malespini, qui nous raconte l'histoire de la capi-
tale actuelle de l'Italie depuis ses origines jusqu'en 1286, est la plus ancienne
chronique écrite en langue vulgaire ' . Elle est peu connue cependant, parce que
G. Villani l'a fait passer presque toute entière dans ses Historié florentine et l'ou-
I . Les Éphèmérides de Matteo di Giovenazzo (Matthaeus Spinelli) prétendent à un âge
plus reculé ; mais on sait que M. Bernhardi a démontré dernièrement qu'elles étaient
l'œuvre d'un faussaire du XVI' siècle (voy. Rev. crit., août 1868).
d'histoire et de littérature. 77
vrage plus remarquable de ce célèbre écrivain a fait oublier celui de ses prédé-
cesseurs. M. Busson, privat-docent k VUnïversilé d'Innsbruck, a essayé d'élucider
dans le présent opuscule les différentes questions d'histoire et de littérature qui
se rattachent à ce plus ancien document de l'historiographie italienne. Il nous
entretient d'abord des divers manuscrits de Vistoria, dont le plus ancien ne
remonte qu'à l'année 1 370, puis des cinq éditions faites de l'ouvrage depuis
Veditio princeps de 1568. La meilleure de toutes (parmi lesquelles celle de
Muratori ne brille point par ses mérites) est celle de FoUini, publiée à Florence
en 181 6. Le second chapitre est consacré aux auteurs mêmes de la chronique,
Ricordano Malespini et Giachetto Giovanni Malespini, continuateur et parent du
premier. M, B. ne nous donne sur ces deux personnages que des renseignements
biographiques assez vagues; les assertions plus précises de Follini lui paraissent
ou complètement fausses ou du moins sujettes à caution. Il est un peu plus affir-
matif au sujet de l'époque à laquelle leur ouvrage fut écrit. Il fait ressortir, par*
une minutieuse comparaison des textes, la dépendance fréquente de la chronique
des Malespini de celle de Martin de Troppau {Martinus Polonus). Vistoria ne
fut donc pas commencée avant 1278. Mais M. B. pense que pour différents
motifs il faut fixer une date encore plus récente à la composition de l'ouvrage.
Il croit pouvoir affirmer que la première partie, due à la plume de Ricordano,
fut rédigée entre 1293 et 1299 et que la continuation de Giachetto fut terminée
entre 1302 et 1 309. Ce qui ressort avec évidence de l'examen du livre, c'est
qu'il n'a point été composé originairement à la façon d'Annales , mais rédigé
d'un trait, longtemps après les évéments sur des documents écrits et d'après les
souvenirs personnels de l'auteur. Parmi ces documents utilisés par les Malespini,
nous trouvons surtout, « une vieille chronique latine, » inconnue, fréquemment
mentionnée dans le cours du récit, la chronique de Martin de Troppau et des
Annales de Florence, aujourd'hui perdues, que M. B. essaye de reconstituer avec
le texte des Malespini, M. Wùstenfeld, de Gœttingue, l'un des plus érudits
connaisseurs de l'histoire italienne au moyen-âge, consulté par l'auteur sur leur
mérite, les considère comme un document d'une grande valeur. Dans le chapitre
suivant M. B. met en parallèle Vistoria des Malespini et la Cron/ca universale^ de
Giovanni Villani (-J- 1348). Il défend avec raison celui qu'on a surnommé
l'Hérodote italien, contre l'accusation de plagiat, vu que la notion de la propriété
littéraire était parfaitement inconnue au moyen-âge. Villani n'a point agi autre-
ment â l'égard des Malespini, que ceux-ci ne l'ont fait vis-à-vis de Martin de
Troppau, et que ce dernier à son tour vis-à-vis de cent autres prédécesseurs. Il
faut mentionner cependant un résultat assez bizarre de cette transcription
presque complète de Vistoria par Villani. Des critiques trop sagaces ont cru
découvrir dans l'ouvrage des Malespini le travail d'un faussaire, tiré de la
Chronique de Villani lui-même, et ont essayé de révoquer en doute l'existence de
I . L'ouvrage de Villani est cité tantôt sous le nom de Cronica unmrsak, tantôt sous
celui de Historié fiorentine. Voy. Potthast, p. 562.
yS REVUE CRITIQUE
ces prédécesseurs : erreur que les démonstrations lumineuses de M, B. auront
sans doute écartée pour jamais. Le dernier chapitre est consacré par l'auteur à
la démonstration de Pidentité de nombreux passages de la chronique des
Malespini avec des passages de la Divina Commedia du grand poète, leur com-
patriote. Les nombreux Dantophiles qui en Italie ainsi qu'en Allemagne et même
en France, essayent de commenter et de tirer au clair tous les recoins de son
poème, remercieront M. B. du soin qu'il a mis à prouver par de nombreux
exemples que Dante a souvent puisé le récit des faits dont il parle et même les
erreurs historiques qu'il commet, dans la chronique qui nous occupe. Le travail
de M. Busson n'est point destiné, par la nature même du sujet qu'il traite, à de
nombreux lecteurs ; il mérite d'autant plus d'être signalé à tous ceux qui s'occu-
pent de l'histoire et de la littérature italienne au moyen-âge, comme un guide
sûr dans l'étude des commencements de cette historiographie florentine qui
devait fournir tant de beaux noms à littérature italienne.
Rod. Reuss.
150, — Trésor des livres rares et précieux, ou Nouveau dictionnaire biblio-
graphique contenant plus de cent mille articles de livres rares, curieux et recherchés,
par J. G. Théod. Graesse, conseiller aulique, bibliothécaire du feu roi Frédéric
Auguste II. Supplément, seconde et dernière partie. Dresde, R. Kuntze. in-4'.
Cette continuation de la vaste publication entreprise par un laborieux biblio-
graphe s'arrête à la page 500 ; elle termine le complément du Trésor dont la
première livraison a vu le jour en 1858; nous avons déjà rendu compte de
quelques portions de cet important répertoire ' . A certains égards l'auteur
s'est proposé de suppléer parfois au silence du Manuel du Libraire, ce qui n'était
pas difficile au point de vue de la littérature étrangère. Il a donc signalé
un grand nombre d'ouvrages allemands ou anglais que M. J. Ch. Brunet avait
d'ailleurs systématiquement écartés du cadre qu'il s'était tracé ; il a enregistré
des livres italiens ou espagnols, en consultant pour ces derniers les travaux
spéciaux de Gallardo et d'Hidalgo ; c'est ainsi qu'il a pu ajouter sept Diez aux
écrivains espagnols portant ce nom et mentionnés au Manuel. En feuilletant
divers travaux de bibliographie, divers catalogues de libraires (notamment ceux
de M. E. Tross de Paris), riches en ouvrages rares et anciens, il se trouve en
position de signaler des éditions d'ouvrages latins ou français restées inconnues
aux bibliographes généraux. Nous allons en citer quelques unes ; Guevrot :
Sommaire très-singulier de toute médecine, Troyes, Jehan Lecoq(vers 1 5 20) petit 8°;
La Vérité cachée pendant cent ans, faicte et composée à six personnages (sans lieu,
mais à Neufchâtel) 1 544, très-petit in-8° 39 fts ; le Manuel ne cite que deux
éditions, l'une sans date, l'autre de 1 539 ; un exempl. de l'édition 1544 s'est
montré (ce que M. G, aurait pu ajouter) dans une vente faite à Paris en novem-
bre 1867, où il fut payé 86j fr.; on attribue cette moralité à Farel.
1. Rev. crit. 1868, art. 64.
d'histoire et de littérature. 79
Libellus ad omnes de tempore et Sanctis : circuitus et processionnes ecclesias-
ticas, etc., Lipsise, M. Lotherus, 1522, in-8°_, volume rarissime resté inconnu à
tous les bibliographes et qui a échappé à M. Schmid dans son histoire de la nota-
tion musicale. Il renferme sur 2^0 feuillets des hymni, responsaria, etc. avec leur
musique notée, imprimée avec des caractères mobiles. — Mirabilia urbis Rom£
(sine nota, Romae, circa 1485) ; édition inconnue ayant cinq gravures sur bois
au simple trait ; au folio 34 on trouve l'histoire de la papesse Jeanne. Ogier le
Danois, Paris, veut've Jehan Trepperel et Jehan Jehannot(sans date, vers 1 520),
in-4°, édit. restée inconnue, mise à 450 fr. sur un catalogue de M. Tross-Postel,
Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde, Paris, Jehan Gueril-
lart, à l'enseigne du Phœnix, 1553, in-i6, jôfts., édition non citée, probable-
ment la première de ce livret singulier. — Les Quatre fils Aymon, quatre éditions
restées inconnues à l'auteur du Manuel sont signalées d'après des catalogues de
M. Tross ; elles ont été publiées à Lyon, par Claude Nourry, 1 506, in-4'*; à
Lyon par Claude Nourry et Pierre de Vingle, 1 526 petit in-folio ; à Paris, par
J. Bonfons, s.d. in-4°; à Lyon chez F. Didier, 1 577, in-8°. — Régime contre la
pestilence faict et composé par les médecins de la très-renommée cité de Basle, Lyon,
Claude Nourry (vers 1 5 30, in-4°, 4 fts.); inconnu aux bibliographes français. —
Roman du preux cheualier Artus de Bretaigne, Paris, à l'enseigne de l'Escu de
France (vers 1 540), petit in-4^ à 2 colonnes ; sign. a-zr et A-M.; édition indi-
quée pour la première fois sur un catalogue de M. Tross où elle est mise à
700 fr.; — La Sauce au verjus, Strasbourg, 1746, petit in-S", 80 fts., le Manuel
ne cite de ce pamphlet politique que deux éditions de 1674 et 1675 ; la date de
1746 indiquée dans le Trésor n'est probablement pas la véritable, car en 1746,
ces démêlés étaient tombés "dans l'oubli le plus complet — Vegius Maphaeus,
Philaletes, seu de amore veritatis (sine nota), petit in-4°, 14 fts. ; livret qui parait
avoir été exécuté en Italie vers 1468 ; on y trouve une gravure en bois qui res-
semble beaucoup à celles que présentent les Meditationes de Tnrrecremata, 1467.
— Indépendamment de ces vieux livres très-rares, M. G. indique des ouvrages
d'un tout autre genre publiés récemment et d'un grand prix, tels que l'Ornitho-
logie brésilienne de M. Descourtils où les oiseaux sont figurés de grandeur natu-
relle, le Sinaï de M. Forster, les Manuscrits anglo-saxons et irlandais, fac-similé
de miniatures et ornements du vii« au ixe siècle, Londres, 1867-68, gr. in-folio,
publication magnifique, laissant bien loin derrière elle tout ce qu'on a vu paraître
dans le même genre (sauf l'ouvrage entrepris par M. A. de Bastard et qui n'a
pas été achevé). — Il serait facile de signaler des livres fort rares que M. G.
n'a point inscrits dans son supplément ; il est impossible d'être complet en ce
genre ; chaque jour presque amène un fait nouveau, une circonstance encore
inconnue ; nous nous bornerons à joindre à divers ouvrages dont il parle quel-
ques indications fort rapides. Le Livre de la chasse du grand féneschal de Norman-
die eut, ce nous semble, été mieux à sa place au mot Livre, comme l'a placé le
Manuel qu'à celui de chasse; l'exempl. de M. le baron Jérôme Pichon, peut-être
unique et qui n'avait pas dépassé $ fr. à la vente La Vallière en 1783, vient
8o REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
d'être adjugé à 2005 fr. A l'article des Songes drolatiques attribués à Rabelais,
nous trouvons la mention de la réimpression donnée récemment à Genève par
l'éditeur Jules Gay avec une préface de M. Paul Lacroix ; il n'est pas fait men-
tion de celle qui a été publiée presque simultanément à Paris et qui est d'une
exécution remarquablement soignée. A propos des écrits d'Andréa de Nerciat
on peut observer qu'indépendamment de la réimpression exécutée sous la rubri-
que supposée de Bâle, il en a été fait une autre, également en 1864, toutes
deux tirées à petit nombre. Il a été également donné des réimpressions des deux
autres ouvrages de Nerciat signalés par M. G. Lolotte et le Doctorat; on avait
parié de la publication delà correspondance de ce personnage singulier, mais on
prétend qu'elle a été égarée. L'ouvrage de Mililot (voir au mot Ecole') a obtenu
quelques éditions anciennes et une réimpression moderne que M. G. paraît ne
pas avoir connues Le livre publié sous le pseudonyme de Pierre Dufour pourrait
provoquer de longs détails ; on les trouvera d'ailleurs à l'article consacré à cet
écrivain dans la seconde édition des Supercheries littéraires de Quérard, publiée
par MM. G. Brunet et P. Jannet. Ne donnons pas plus d'étendue à ces obser-
vations qui pourraient sembler trop minutieuses. Nous avons déjà eu l'occasion
de dire que M. G., bien qu'écrivant habituellement le français avec correction,
ne se préserve pas toujours de quelques germanismes qui surprennent un peu le
lecteur ; parfois il lui arrive d'employer des mots qui sans doute ne rendent
point exactement sa pensée. Pourquoi le roman de J. Hedelin : Macarise, reine
des îles fortunées (Paris, J. Du Breuil, 1664, 2 vol.) reçoit-il l'épithète d'odieux,
qualification également donnée au Labyrinthe of Libertie d'Austen Saker, London,
1 580? C'est par suite d'une méprise fâcheuse que la compilation de Sallentin :
V Improvisateur français (Paris, 1 804-1 806, 21 vol.) est qualifiée d'ouvrage ero-
tique et obscène, épithète qu'elle ne mérite nullement. Il est arrivé à M. G, ce
que nul auteur d'une bibliographie générale ne saurait éviter : parler quelquefois
de livres qu'on n'a pas vus et s'exposer ainsi à se tromper un peu sur leur compte;
mais, malgré ces tâches légères, le Trésor des livres rares et précieux demeure un
ouvrage très-utile, que toutes les personnes s'occupant de livres par goût ou
par état, consulteront très-souvent avec profit. Nous craignons d'ailleurs qu'il ne
soit jamais bien répandu en France ; son prix fort élevé effrayera les acheteurs,
surtout ceux qui auront déjà fait l'acquisition du Manuel de M. J. Ch. Brunet,
travail dont le mérite est reconnu, mais qui à mesure qu'il vieillira, perdra de son
utilité et réclamera un supplément dont la rédaction ne sera point une œuvre
exempte de graves difficultés .
B.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
tendances aux Effemeridi scientifichee Utterarie per la Sicilia qui parurent de 1830
à 1840.]
Di Giovanni, La Filosofia positiva e la induzione (p. 1-14). — Cavallari, Belle
Arti e Civiltà (p. 1 5-24), — Tommaseo, Dei Canti popolari e dello studio critico
sui canti popolari Siciliani di Giuseppe Pitre (p. 2 5-27 ; nous parlerons prochaine-
ment de l'intéressant ouvrage de M. Pitre qui a motivé cette lettre du célèbre
écrivain). — Di Maeizo, Di vari Scultori del secolo XVI in Palermo (p. 28-32). —
Poésies (p. 33-38). — Comptes-rendus. Celesia, La Teogonia dell' antica Liguria
(Pitre); Vannucci, Proverbi latini illustrati (Salomone-Marino), etc.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
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Albanese (F.;. Nuovi studi sulla filosofia
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randi, con un discorso dello stesso interne
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Buonarroti in relazione ail' ingegno di
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metricis edidit C. Thiemann. In-8°. 3 fr. 40
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N* 32 Quatrième année 7 Août 1869
REVUE CRITIQl -:
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 1 5 fr. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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ï A O D r^ D I_J T7 /^ T 17 '^^ ^^^ Charles VIII par maistre
LA 1 rvw F il lLLI Ci Guilloche Bourdelois, publiée
pour la première fois d'après le manuscrit unique de la Bibliothèque impériale,
par le marquis de La Grange. Petit in-8^. 7 fr- 50
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Cet ouvrage forme le 3* fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
Ar^ \ Q nn a PvT ^^ Capitole de Vesontio et les Capitules pro-
^^ • v_-<r\0 1r\iN vinciaux du monde romain. In-82 avec 3 pi.
PERIODIQUES ETRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N° 28. 3 juillet.
Théologie. Richter, Das christUche Claubensbekenntniss, Berlin, Lobeck; ou-
vrage de polémique (libéral) dans la guerre engagée entre le protestantisme or-
thodoxe et le protestantisme indépendant. — Von Hofmann, Der Brief Pauli an
die Rœmer, Nœrdlingen, Berk; ^^ partie d'un commentaire étendu sur le Nouveau
Testament. — Philosophie. Kœstlin, /Esthetik, Tùbingen, Laupp; conclusion
d'un ouvrage considérable. — Brunus, De Umbris ideanim, éd. Tugini; cf.
Rev. criî., 1869, art. 47. — Histoire. Mùcke, Flavius Claudius Julianus, Gotha,
Perthes; ouvrage consciencieux. — Sch^efer, Die Hansa und die norddeutsche
Marine, Bonn, Marcus. — Reimann, Geschichîe des bairischen Erbfolgekrieges,
Leipzig, Duncker. — Von Vivenot, Thugut, Clerfayt und Wurmser, 1794-
1797, Wien, Braumùller; d'après des documents tirés des archives de Vienne.
— Authentischer Bericht von dem an der franzœsischen Friedensgesandschaft veriibten
Menchelmord, Carlsruhe, Bielefeld; reproduction de documents officiels, publiés
en 1799, sur l'assassinat des plénipotentiaires français à Rastadt. — Jurispru-
dence. KuNTZE, Cursus des rœmischen Reichs, t. I, Leipzig, Hinrichs; livre im-
portant. — VoLCKMANN, Das atteste geschriebehe folnische Rechtsdenkmal, Stettin,
Saunier. — Linguistique. Histoire littéraire. Buhler, Apastambîyadharmasûtram,
Aphorisme on the sacred law ofthe Hindus, by Apastamba. Part I, Bombay ; London,
Trùbner; cette publication, dit M. Weber, est une des plus importantes qui aient
été faites dans le domaine de l'ancienne littérature sanscrite. — Jacobi, Episcopi
Edesseni, episîola ad Georgium episcopum Sarugensum de orthografia syriaca
edidit, latine vertit notisque instruxit J. P. Martin, Paris, Klincksieck ; article
très-favorable de M. Nœldeke. — Diodori, Bibliotheca historica, ex rec. Din-
DORFii, Leipzig, Teubner. — D'Ancona, La Leggenda di Vergogna; voy. Rev.
crit., 1869, art. 123.
N" 29. 10 juillet.
Théologie. Opzoomer, Die Religion, aus d. hollsendischen ùbersetz von D' Fr.
MooK, Elberfeld, Friderichs. Rœnsch, Itala und Vulgata, Marburg und Leipzig,
Elwert; travail approfondi sur les versions de la Bible qui ont précédé la Vulgate
et qu'on désigne ordinairement sous le nom commun d' itala. Nous reviendrons
sur ce sujet, qui offre presque autant d'intérêt pour la philologie que pour la
théologie, à propos de la publication récente d'un fragment considérable d'une
de ces anciennes versions. — Histoire. J^ger, Darstellungen aus d. rœmischen
Geschichte, Halle, Buchhg. d. Waisenhauses; bon ouvrage de vulgarisation.
Le Drame de Waterloo. Grande restitution historique, rectifications, justifications, etc.
sur la campagne de iSi^, par l'auteur de la Grande Epopée de l'an II, Paris, 1868;
article qui nous renseigne mal sur la valeur d'un livre dont le titre au moins est
bizarre. — Géographie. Bholanauth Chaunder, The travels of a Hindoo ta
varions parts of Bengal and Upper India, London, Trùbner. — Linguistique.
Histoire littéraire. Yajneçvaraçarman, Aryavidyâ sudhâkara (La corne
d'abondance des sciences des Aryas, etc.). Bombay. Curieux ouvrage, composé
par un indou assez peu au courant des travaux modernes sur l'Inde , mais qui
fournit cependant des renseignements nouveaux, principalement sur les diverses
sectes religieuses de l'Inde, — Loth, Das Classenbuch des Ibn Sa'd, Leipzig,
1869. — Joannis Zonarae Epitome Historiarum éd. L. Dindorf, Leipzig,
Teubner. — Caroli Ludovici Urlichsii commentatio de vita et honoribus Agricolae
(voy. Rev. crit., 1869, art. 142), — A. Persil Flacci, D. Junii Juvenalis, Sulpiciae
Saturae, rec. 0. Jahn, Berlin, Weidmann. — GmhhkVME Ce clerc de Normandie),
Le Besant de Dieu hgg. von Martin; art. de M. Mussafîa, jugement conforme
au nôtre {Rev. crit., 1869, art. 143). — Witte, Dante-Forschungen, Halle,
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 32 — 7 Août — 1869
Sommaire: 151. Bonavia, Contributions à la Christologie. — 152. Sybel (L.
DE>, Des répétitions de mots dans les tragédies d'Euripide. — 1 5 j. Hampke, Remar-
ques critiques et exégétiques sur le I" livre de la Politique d'Aristote; Susemihl,
Questions critiques sur le premier et le second livre de la Politique; Spengel, Études
Aristotéliques, III, Sur la Politique et l'Économique. — i 54. Teissier, Histoire de
Toulon au moyen-âge. — 155. Lettres de l'électeur palatin Frédéric III, p. p. Kluck-
HOHN. — 1 56. GuiLLOCHE, la Prophécic du Roy Charles VIII, p. p. le marquis de
La Grange.
151. — Contributions to christology, by Emm. Bonavia, M. D. Lucknow.
London, 1869. In-8*, viij-170 p.
L'auteur de cet écrit n'est pas de ceux qui font de la croyance au surnaturel
un élément essentiel, indispensable, de la foi chrétienne. Cette croyance, en
opposition manifeste avec la manière de penser la plus caractéristique de notre
époque, lui semble plus funeste qu'utile à la cause du christianisme; elle éloigne
de la religion les esprits éclairés. C'est dans cette pensée qu'il a cherché à
ramener à des faits conformes aux lois de la nature les miracles attribués à
Jésus-Christ dans les Évangiles.
Contrairement aux critiques qui ne voient dans ces miracles que des mythes ,
M. Bonavia les tient pour des faits réels, mais exagérés par l'ignorance, l'admi-
ration et l'enthousiasme, et présentés comme des actes produits par une puis-
sance surnaturelle. Ceux qui en furent les témoins, n'avaient pas cet esprit
d'examen qui est propre à notre temps; ils n'étaient pas en état de ramener à
leurs véritables causes des faits par eux-mêmes extraordinaires; ils les prenaient,
sans plus ample informé, pour des miracles. Encore aujourd'hui dans l'Inde,
tout événement qui frappe l'imagination et qu'on ne sait pas expliquer, est con-
sidéré comme un miracle ; on le rapporte directement à l'action immédiate de
Dieu, sans penser un seul moment qu'il pourrait bien avoir pour cause une loi
de la nature qu'on ne connaît pas encore. M. B. a eu occasion de le constater
plus d'une fois, et il en donne plusieurs exemples. On procède de même dans
tous les lieux et dans tous les temps où la culture scientifique est à peu près
nulle ; et tel était certainement l'état de la Palestine à l'époque où vécut Jésus-
Christ.
M. B. ne s'en est pas tenu à ces considérations générales, qui ont sans doute
leur importance, mais qui ne sauraient suffire. Il a pris parmi les miracles
attribués à Jésus-Christ, ceux qui, sans être les plus considérables, sont du moins
les plus nombreux, et il a cru pouvoir les expliquer par l'action d'une puissance
qui, selon lui, appartient à la nature humaine. Il est fréquemment question dans
les Évangiles de guérisons miraculeuses opérées par un mot, parfois même par
un simple attouchement. A ces miracles il faut joindre l'action réellement e.xtra-
vin 6
82 REVUE CRITIQUE
ordinaire que le fondateur de la religion chrétienne exerçait, d'après les récits
évangéliques, sur tous ceux auxquels il s'adressait. Ces actes étonnants, dont
les Évangiles ne cessent de parler, auraient été tout simplement, d'après M. B.,
l'effet de la radiation animique , ou pour me servir de termes plus connus , de la
puissance magnétique de Jésus-Christ. Il n'est pas nécessaire d'indiquer sur
quels faits et sur quelles considérations cette explication s'appuie. Quiconque est
un peu au courant de ce qu'ont dit ou de ce qu'ont écrit du magnétisme animal
ceux qui s'en sont déclarés les partisans, saura bien s'en faire une idée.
Ce n'est pas la première fois que cette explication est proposée ; on la rencontre
dans plusieurs commentaires allemands; Olshausen, entre autres, malgré son
orthodoxie, avait un faible pour elle. Mais je n'étonnerai personne, en ajoutant
qu'elle n'a jamais été accueillie avec faveur. Le magnétism.e animal a servi si
souvent à exploiter la crédulité publique, qu'il en a gardé un mauvais renom, et
on éprouve quelque répugnance à l'associer au nom du fondateur de la religion
chrétienne.
Il est possible que les considérations que M. B. présente sur cette force ani-
mique, dans les soixante-quinze premières pages de son livre, soient de nature à
renverser ou du moins à ébranler ce préjugé, si c'en est un ; mais il n'en est pas
moins incontestable. Ce me semble, que, dans le cas le plus favorable, le magné-
tisme animal, ou comme il préfère le nommer, la radiation animique, est encore
un phénomène obscur, insuffisamment étudié, mal défini, et qui, bien loin de
pouvoir servir à expliquer des traditions difficiles, a grandement besoin lui-même
d'explication.
M. B. ne laisse pas entièrement de côté les autres miracles de Jésus-Christ.
Il convient de signaler ce qu'il dit de sa résurrection. Sans en nier précisément
la réalité, il incline à croire que, du rapprochement et de la comparaison des
diverses parties du récit qui en est fait dans le premier Évangile", il semble
résulter cette impression que le corps de Jésus-Christ pourrait bien avoir été
enlevé par ses amis. Il est peu probable que M. B. réussisse à faire partager ce
sentiment, même à ceux qui n'admettent pas que le prophète de Nazareth soit
ressuscité; ils ont bien d'autres raisons à faire valoir. Il n'en est pas moins vrai
que la manière dont il discute le passage de saint Matthieu relatif à ce sujet, ne
manque ni d'originalité ni même d'intérêt.
Ce livre ne fera certainement pas faire le moindre progrès ni à l'exégèse des
Évangiles, ni à la christologie; mais dans l'ensemble, il est curieux, et il ren-
ferme des détails réellement intéressants, et ce qui vaut encore mieux, pleins de
vérité; telles sont les judicieuses observations sur ce fait, qu'il met très-bien en
lumière, que la distinction du naturel et du surnaturel est absolument étrangère
aux hommes qui ne se sont pas élevés à un certain degré de culture.
Michel Nicolas.
I. M. B. ne fait porter ses observations cjue sur l'Evangile de saint Matthieu, proba-
blement parce qu'il le tient pour le plus ancien et pour la source des autres.
d'histoire et de littérature. 8j
IJ2. — De repetitionibus verborum in fabulis Euripideis, dissertatio phi-
lologica quam ad summos in philosophia honores irapetrandos scripsit Ludovicus a
Sybel. Bonn, 1868. In-8*.
Une excellente méthode, de bonnes observations critiques, des exemples
nombreux et bien choisis recommandent ce travail instructif et distingué. M. de
Sybel commence par montrer qu'Euripide avait à sa disposition un très-riche
vocabulaire : que, par conséquent, il ne tenait qu'à lui d'éviter les répétitions de
mots, là où aucune raison de style ne les justifie. Il fait voir en même temps
qu'Euripide a considéré les répétitions de mots comme un défaut : la preuve en
est dans la remarquable accumulation de synonymes qu'offrent certains passages.
Donc Euripide a pu éviter les répétitions de mots : et secondement, il l'a voulu.
Cela posé, il faut considérer comme aUérés les passages où se trouvent des répé-
titions que rien ne justifie.
M. de S. part de là pour corriger un bon nombre de vers où il croit recon-
naître cette faute. Le principe dont il s'autorise pour faire ces corrections est
celui-ci : Les manuscrits d'Euripide sont tous détestables : et il n'y en a pas un,
dans le nombre, auquel on ait lieu d'attribuer une valeur prépondérante; d'où la
proposition que voici : « In omni critica disquisitione a variis lectionibus ubivis
» tradiîis profectos nostro nos nullius libri auctoritate constricto judicio uti
» debere. » Il faudrait avoir fait une étude spéciale des manuscrits d'Euripide
pour discuter cette thèse : tout ce que je puis dire, c'est que je ne la crois pas
conforme à l'opinion générale, au moins dans ces termes absolus, et que, si elle
est vraie, nous avons les plus grandes chances de ne posséder jamais une resti-
tution probable du texte d'Euripide. Jusqu'ici on a admis, et je crois qu'on admet
de plus en plus, qu'une exacte classification des manuscrits et une préférence
raisonnée pour un certain nombre d'entre eux sont les premières conditions de
toute bonne critique. Discutons les leçons des manuscrits, il le faut certainement ;
mais commençons par choisir entre les manuscrits et par éliminer du nombre des
autorités ceux qui ne méritent à aucun degré ce titre. Si ce travail, en ce qui
concerne Euripide, n'aboutit qu'à un résultat négatif, il est vraisemblable que
M. de S. a perdu sa peine, et que les critiques qui le suivront ne réussiront pas
mieux que lui à fixer un texte aussi flottant.
L'insertion de gloses dans le texte est certainement une cause fréquente de
répétitions fautives. M. de S. en cite quelques exemples. Mais on souhaiterait
qu'il eût insisté davantage sur ce point, tout à fait capital pour le sujet qu'il a
traité. Il a montré le fait : on voudrait qu'il l'eût expliqué ; et cela, je crois,
n'était pas très-difficile. Les gloses (et j'entends par là non-seulement les mots
explicatifs écrits d'abord entre les lignes ou à la marge, mais encore ceux que le
copiste même substitue de son chef aux mots trop difficiles du texte) les gloses,
dis-je, ne proviennent pas généralement d'hommes d'un esprit très-vif, d'une
imagination très-riche et très-active. Us cherchent un mot propre à éclaircir la
leçon qu'ils ont sous les yeux. Iront-ils le chercher bien loin ? Non : l'expression
^^ la plus banale leur suffira, et ils seront charmés de la trouver dans le texte
84 REVUE CRITIQUE
trompe, l'origine la plus commune des répétitions de mots qui nous choquent
chez les tragiques.
Elles sont choquantes surtout lorsque le mot répété n'a pas la même acception
dans les deux endroits. C'était là encore une partie importante du sujet choisi
par M. de S., et je ne vois pas qu'il l'ait abordée. Un exemple, qui peut-être
n'a pas encore été relevé, éclaircira ce que je veux dire. Aux vers 94 et 95
à'Hippolyte, le Serviteur dit que les hommes haïssent -îô az^jyôv (l'orgueil) et
Hippolyte convient qu'en effet l'homme (7c[j.v6; (orgueilleux) est importun à tout
le monde. Et cinq vers plus bas, comme conclusion de son raisonnement, le
Serviteur pose à Hippolyte la question suivante : « Comment donc ne salues-tu
)) point une déesse G^m (auguste, vénérable).? » Il n'est guère admissible que
dans ce dialogue serré, où se laissent reconnaître, ce me semble, les formes de
l'argumentation socratique, le mot aesivo;, qui est justement le mot essentiel du
raisonnement, change ainsi d'acception au grand détriment du raisonne-
ment même. Le premier et le second ctc(av6; sont certainement authentiques; au
vers 99 ce n'est plus qu'une glose maladroitement introduite dans le texte, dont
elle dérange toute l'économie.
En somme, la dissertation de M. deSybel promet à l'Allemagne un philologue
de" plus, et un philologue fort distingué.
Ed. TOURNIER.
153. — Hampke, Critische und exegetische Bemerkungen ùber das I. Buch
der Politik des Aristoteles (programme du gymnase de Lyck). 1863, In-4', 22 p.
Francisci Susemihl. De Aristotelis politicorum libris primo et secundo quaestiones
criticae. — Quasstionum criticarum appendix (programmes de l'Université de Greifs-
wald). 1867. 1869. In-4% 18-21 p.
Aristotelische Studien von Leonhard Spengel. III. Zur Politik und Œkonomik.
Vorgetragen in der Sitzung der philosophisch-philologischen Classe den 3. november
1866. Mùnchen, Franz, 1868. In-4*, 76 p. — Prix : 4 fr. 30.
Les observations critiques de M. Léonard Spengel sur la Politique et l'Éco-
nomique d'Aristote ont été lues devant la classe des lettres de l'Académie de
Munich, le 3 novembre 1866. Elles ont été publiées en latin en 1868, comme
troisième tome d'une collection d'observations critiques de M. Spengel sur
l'Éthique à Nicomaque (I, 1864 en allemand), les Eîhica Eudemia, les magna
moralia et une partie de la Politique (II, 1865, en latin), la Poétique (IV, 1866,
en latin). M. Spengel est très-versé dans la connaissance d'Aristote; et ses
remarques ont une grande importance pour tous ceux qui veulent étudier de près
le texte, particulièrement celui de la Politique, qui est un des plus maltraités.
Les efforts de plusieurs générations de philologues ne seront pas de trop pour
l'épurer. M. Susemihl, auteur d'une bonne édition avec traduction en allemand
de la Poétique d'Aristote, a présenté des observations fort utiles sur les deux pre-
miers livres de la Politique dans deux programmes de l'Université de Greifswald,
publiés en 1867 et 1869. Je ne dois pas non plus devoir oublier ici de bonnes
remarques faites par M. Hampke, sur le premier livre de la Politique dans un
programme du gymnase de Lyck quia paru en 1863. Je vais communiquer ce
d'histoire et de littérature. 85
qui m'a paru le plus incontestable dans les remarques de MM. Spengel, Susemihl
et Hampke sur le premier livre de la Politique d'Aristote. Je cite d'après l'édition
in-4° de Bekker (Berlin, iSji). Je désigne le premier programme de M. Suse-
mihl par A et le second par B.
1252a 27-28. Spengel propose avec raison de mettre àpfss après ôîjXu et de
lire Y^v/iîTsw; au lieu de yvnasui;. — 12^2 b ^j\-\2<)] a 1. Susemihl a raison
de trouver que ces deux phrases ne se lient pas clairement à ce qui précède
(A i). Mais je ne crois pas à une interpolation, qui ne serait nullement motivée.
Et en général il ne semble pas qu'il y ait beaucoup d'interpolations dans
Aristote, particulièrement dans la Politique. Les lacunes sont plus probables. —
1253 a 38. Hampke (p. 2) a eu raison de désapprouver la substitution de
6ixaiorj-/r, à oUr, que j'avais proposée dans mes Études sur Aristote. Je crois que
Spengel a remédié à l'altération en supprimant oîxr, et en rapportant :^ SI à
xotvwvîo; uoXtTixîj; -rà^;. — 1253 b 3. Il faut préférer avec Spengel la leçon
olxovojiîa; à olxîa;. — 1253^11. Il faut lire avec Susemihl (B 7, n. 1) ôri au
lieu de ô'. — 1253 /> 23-33. Susemihl (A 7-7) propose de ponctuer et de lire ainsi
cette longue phrase : èîtet ouv... xà épyov, tûv ô' ôprdvtov... liL'l-x/a. (oîov... ÈSTiv), oÛTû)
xai Tû oixovo;xtxw tô xTf.jia... ?{ni^jyov. Et c'est en effet ce qui me semble le plus
plausible. — 1 2 54 a 28-3 1 . Conring avait remarqué que 0.7a yàp... ne se rapporte
pas à ce qui précède immédiatement; et Susemihl (A 6) a raison de le rapporter
à ce qu'on lit plus haut 23-24 xat... àp-/.-'^- Mais je ne crois pas qu'il soit néces-
saire de transposer ces trois lignes après âp/ew. D'abord la liaison avec ce qui
suit (31) xat ToûTo... est intime. Ensuite il faut voir dans tout le développement
24-28 une parenthèse, comme j'en ai signalé tant d'autres chez Aristote (Obser-
vations critiques sur le traité d'Aristote de partibus animalium, p, 10, n. 3). —
1254 b 21 Susemihl (A 7-8) a raison de trouver que yio ne se rapporte pas à ce
qui précède. Il propose âpa. Mais Aristote ajoute ici quelque chose dont il n'a
pas encore parlé, sur la mesure dans laquelle l'esclave est raisonnable. Je
remarque d'autre part que \iéy (19) n'a pas de corrélatif. Il y a ici quelque alté-
ration profonde. J'ajouterai, à ce propos, qu'il faut peut-être lire (16-17)
^(ux^; <îwjia xai àv6pâ)7ro-j ôr.pt'ov, puisqu'il s'agit des esclaves qui diffèrent des
hommes libres comme le corps d'avec l'âme, et la bête d'avec l'homme. Mais
l'irrégularité est peut-être du fait d'Aristote lui-même. — 1256 t 26. Hampke
me semble montrer (p. 21) qu'il faut retrancher avec Schneider {lépo;. Je crois
en outre qu'il faut lire to-j oixovo-xtxo-j... « 5a... Je ne comprends pas bien la
substitution de f,v à 5 proposée par Hampke (p. 19). — 1259 a 35. Spengel
trouve avec raison que tià),>ov cï ainsi employé est contraire à l'usage. — 1259
i» 25, Spengel conjecture que le génitif tûv... SÇeuv dépend de Ixâdr/- qui â été
omis.
Spengel cite en entier (p. 65) la portion du traité de Philodème r.tol xoxitôv xai
àpsTôiv trouvé à Herculanum, où ce philosophe analyse le premier livre des
Œconomica qu'il attribue à Théophraste. Comme le montre Spengel, les citations
de Philodème peuvent servir à améliorer notre texte. Ainsi Philodème ne lisait
pas éoùv t' àpo-Tipa (i 343 a 2i), qui est en effet de trop, puisqu'il n'est ensuite
86 REVUE CRITIQUE
question que de deux choses. Il a lu Trspi au lieu de xa-rà (i 345 b 7), olxovoixaw-
raTov au lieu de ityz\LQ^i%éT:a.io^ (i 344 a 23), et la leçon ttiéCsiv qui répond dans
son analyse à àviévai (1 344 a 30) prouve que Schœmann a eu raison de corriger
àvtâv.
Je communique ici les variantes qu'offre la vieille traduction latine comparée
au texte de Bekker (éd. in-4° de 1831) dans les manuscrits de la Bibliothèque
impériale, tous du xiv* siècle, 7695 A, 16089 {Sorbonne 841), 16490 {Sorb.
1 545), et dans un manuscrit du xv^ copié pour Guillaume Fichet, 16107 (Sorb.
587). Le manuscrit 7695 A me semble le meilleur. On y lit per numerum, là où
les autres ont per unnm (1343 b 2 $), et le mot grec eûttvow (i 345 a 31) que le
traducteur avait conservé sous la forme eupnum est moins altéré dans la leçon de
ce manuscrit, cupuum, que dans civium qu'offre 16089, ^'^^^ "^^i est dans 16490
et frigidum àans 16107, Le traducteur n'a pas les habitudes de Guillaume de
Meerbecken, ainsi il ne rend pas constamment Se par autem; il le traduit souvent
par vero. Au lieu de rendre l'optatif avec oév par le futur avec utique, il emploie
le présent et le plus souvent ne traduit pas àv. J'ai laissé de côté les variantes
relatives à l'ordre des mots, que le traducteur paraît avoir traité librement ; car
il rend la citation d'Hésiode (1 544 a 17) TrapOevixYiv ce yasAsiv, ïva rfiza. xîôvà 6t5à|V]!;
par « opportet puellam ducere ut doceat bonos mores. » Son manuscrit était
fautif; il offre pourtant quelques bonnes leçons, qui lui sont propres à l'exception
de 1344 b 1 1, dans 1343 a 2, 3, 10; 1344 a 8, 28; 1344 fc 7; 1 1 ; 1345 û 7.
1343 a 2 (jLEv omis. Et je crois qu'en effet il vaut mieux le supprimer; car il n'a pas
de corrélatif. — 3 verum etiam quod, d'accord avec Spengel qui préfère avec raison
à),Xà xal ôTt. — 4 ouv omis. Il Semble que Se conviendrait mieux que (aèv ouv. —
8 waTE SvjXov patet etiam — xal omis. — i o /wpa? prediorum a lu xwptwv qui
semble en effet préférable. — possessionum — 1 1 auTapxe; habundans — çavspàv...
... 12 (0(71 palam est enim quod quando nequeunt — 1 5 yEvsaet omis — yàp omis
— 1 7 quid sit opus — 1 8 pars — te omis — 1 9 êxàuToy OEtopEttat singulorum
reperitur — 22 nutrimenti gratia primum — 23 xà... ô[xt),iav que de uxoris trac-
tanda sunt — 28 au' àvôpwTitov 30 i:olt[iiv.aX inhumanitus nec violenter sicut
bellice.
1 343 b 2 y.al omis — 6 (x6v(ov tantum — èçv\).6nu>\ domum — 7 tûv... yyvaïxa
hominibus enim de conjuge — 9 yap quidem enim — 1 1 t^ et — 13 -h... <njvÉ(7Tr,xev
consistit in communicatione societas — 1 5 xal omis — ttoT; i^nispoi; viris (avec une
barre au-dessus de /'i 7695 A; les autres viris. Probablement imeris) — 16 yàp etiam
— 18 magis — 20 xTÎ)(7t; natura — 2 1 ousa xvyxavEi omis — 22 âv omis — Tro^rtjdwat
fecerent — 23 àSuvaToùvxEç... y^pfx et in senio impotentes effecti — 27 5i£i),r,7:Tai.,.
28 Sûvapitv assumpta enim ad hec omnia utilem habere virtutem.
1 344 a 4 éSpaîov... à(76£V£'; esse robustum, illud vero ad exteriora negotia débile
— 6 salubrius — propriam — 8 xal omis; et il est en effet de trop, comme l'a va
Scaliger approuvé par Spengel qui conjecture avec probabilité irpîôTo;... v6[iio;. — 1 1
ixÉTiv famulam — xat omis — 1 3 &(7t:b omis — 14 lôtiiEiv uti — 15 6' etiam — xal
omis — 17 doceat — 21 Staçépouaa... — 22 ôiJ.i)îa differens est locutionis trage-
diarum in apparatu ad invicem — 28 liberaliora le comparatif èlt\)bzçiôi-:Bç>tt. semble
d'histoire et de littérature. 87
en effet préf érable. — 29 [ai-ts 30 àv-.Évzt nec iniuriari nec permittere dissolûtes
— 30 TtiiTi; (A£Ta8tôôvai honorandum — 55 tûv èXeueÉpcov bonis — 54 parvum.
1 344 b 4 /« ^econi u omis — 5 bonis bonum — i omis — 7 ts xai oviévai
om«; ce ^uz me semble préférable. — 1 1 non est farmacia — 2ov).wv om/5, comm«
<ij/2^ Philodème X, 9 ef <iâ/i^ /« manuscrits V" M*» <i« BcM^r. — 1 2 que nec a lu
Ta (ir,T£ — 14 ôè xal etiam — 17 ov. 21 Èvoîi'cÔT, omis — 24 Tw 25 7:t6oc
omw — 26 l-.i... y.pr..r:ixôv nec enim esse ornatum et utibilem — 28 twv x-rr.fta-Mv
Omw — 29 ôra>; 30 âîtafftv OmÙ — 3I (rj|i3£pEt licet — 34 r.v Omis —
£i;tTà~îiv ordinari — 35 5 omis dans 'j6ç}^ A, xai dans 16089.
1 34$ a I Tr.v i-i\i.éli:ay et CUram — 2 âv i/oi habct — 6 (b;... SiaipeÎTat UtUtnUS-
que distingui — 7 parvis quidem // alub*^ («xpaï;, ce ^ui «f peut-être préférable
— 14 ultimos — sicut et cintatem — 16 ts taraen — 17 oîv omis — 18 -rij;
otaBsTEo); omis — 20 k premier xai omis — 24 U etiam — 25 te omis — à.-Q-
6),éiTovTa omis — 28 sicca — huraida — 29 xai... ài|njxoiç omis — 3 1 Ss omis —
52 £tr,... ôv sit.
1 345 b 3 OV omis — queretur.
Le second livre, qui traite des devoirs réciproques du mari et de la femme,
est traduit d'un original grec aujourd'hui perdu et ne ressemble en rien à celui
qui est dans nos éditions d'Aristote. Il a été réédité par Valentin Rose, Aristoteles
pseudepigraphus (Lips. 1863), p. 644 et suiv.
Charles Thurot.
1 54. — Histoire de Toulon au moyen-âge, précédée d'une notice topographique,
par Octave Teissier. Paris, Dumoulin, 1869. In-8*, xxix, 252-175 p. avec un plan.
— Prix : 7 fr, 50.
Ce volume contient deux parties bien distinctes : i ° une notice topographique
(imprimée en petit texte et paginée en chiffres romains) de l'ancien Toulon
depuis le milieu du xv* siècle environ jusqu'à la fin du siècle dernier ; 2° une
série de treize chapitres où sont retracés d'après des documents tirés des archives
municipales, les principaux épisodes de l'histoire de Toulon depuis les temps les
plus anciens jusqu'à la fin du xiv^ siècle. Ce n'est point encore une histoire com-
plète de Toulon, ce serait plutôt, selon l'auteur, « une sorte d'introduction à
» l'histoire de Toulon sous l'ancien régime , dont tous les éléments sont réunis
» et qui sera publiée prochainement. »
Mais, lorsque M. Teissier publiera cette histoire, il y reproduira nécessaire-
ment les faits qui sont exposés dans les treize chapitres qui forment la plus
grande partie du présent livre, et en ce cas celui-ci peut nous donner comme un
avant goût de l'ouvrage plus considérable qui nous est promis, mais il ne saurait
lui servir d'introduction. Ce n'est pas non plus un « essai sur l'histoire municipale
» de Toulon », selon les termes de V Avant-propos, que nous offre ce volume,
car l'histoire politique y tient la plus grande place. Quoi qu'il en soit, il faut le
prendre tel qu'il est, et savoir gré à M. T. des renseignements nouveaux qu'il
nous donne sur l'état ancien d'une ville à laquelle aucun travail fait d'après les
sources n'avait été consacré jusqu'à ce jour.
88 REVUE CRITIQUE
La partie la plus nouvelle de ces études est certainement la restitution topo-
graphique qui forme la première partie, et dont les résultats apparaissent claire-
ment aux yeux dans un plan de grand format où sont marqués, non-seulement
les établissements importants , mais encore les maisons avec le nom de leurs
propriétaires en 1442 ou en 1515 selon le cadastre oii M. T. a puisé ses infor-
mations. La méthode qui a permis d'opérer d'une manière très-sûre cette resti-
tution a bien, comme le dit M. T. dans son Avant-propos^ quelque analogie avec
celle que feu Berty a appliquée à la reconstitution de l'ancien Paris , mais elle
est assurément plus simple et d'un emploi plus facile. M. T. avait à sa disposi-
tion deux cadastres, très-bien tenus et passablement détaillés, comme ils l'ont été
dès l'origine (c'est-à-dire dès le xiv" siècle) dans le Midi. L'un de ces cadastres
est de 1442 ; l'autre de 151$; celui-ci n'a été employé que pour suppléer à des
lacunes du premier. Le procédé a consisté à copier sur des fiches tous les articles
du premier de ces cadastres (et ceux du second, là où le premier faisait défaut),
et à disposer ces fiches à côté les unes des autres selon les confronts indiqués dans
chaque article. Si le regrettable Berty avait eu à 'sa disposition des documents
de cette précision, il aurait pu se dispenser de chercher péniblement dans les
archives et chez les notaires des baux et actes de ventes, rarement aussi anciens
que l'époque qu'atteint d'emblée M. T. à l'aide de ses cadastres. Le point
commun constaté de part et d'autre, c'est la permanence, jusqu'aux travaux qui,
à l'imitation de Paris, se font maintenant dans beaucoup de villes, des aligne-
ments des rues et même de la configuration des lots. La preuve des résultats
consignés sur le plan joint au volume est fournie par le texte même de l'ancien
cadastre publié, avec pagination à part, sous le titre de Preuves (p. 1-175).
Chaque article y est pourvu d'un n° qui se trouve répété sur le plan ; il est en
outre suivi du nom du propriétaire actuel, et, lorsqu'il s'agit d'immeubles impor-
tants, de la série des propriétaires antérieurs. Parfois même M. T. donne plus
encore; ainsi il esquisse l'histoire du Palais-Royal (n^ M9), s'aidant de docu-
ments inédits publiés par extraits en note. A propos de la maison de l'évêché
(n° 1 12), il donne la liste des évêques de Toulon, d'après le Gdlia Christiana,
faisant une rectification en ce qui concerne Jean Etienne (i 368-95). Mais à cet
article il a tort de présenter comme véridique la tradition du débarquement sur
les côtes de Provence de saint Lazare, et de ses compagnes et compagnons. Les
prétendues preuves de M. l'abbé Paillon n'ont jamais été acceptées par la critique.
La seconde partie du livre offre naturellement des faits d'un intérêt plus
général. Nous signalerons notamment le chap. VI, sur l'organisation municipale
de la ville. La constitution de la municipalité est réglée par un acte du roi et
comte Robert daté de Naples, de juillet 1314; toutefois, il est certain, comme le
dit M. T., que cette charte est plutôt la confirmation d'institutions déjà anciennes
que l'établissement d'un nouvel état de choses. Mais, il ne faudrait point aller
jusqu'à dire qu'aussi loin que l'on remonte dans le passé de la ville « on y retrouve
)) toujours la trace des institutions municipales qu'elle avait possédées à l'époque
;) où elle était occupée par les Romains » (p. 70). Dût-on même admettre avec
Raynouard et Aug. Thierry la perpétuité du régime municipal dans les villes du
d'histoire et de littérature. 89
Midi, ce système, en général très-contestable, offrirait ici des difficultés toutes
particulières, en raison des troubles causés par l'établissement des Sarrazins
dans le voisinage de Toulon. Comment pourrait-on prétendre que dans cette
ville le régime municipal remonte aux Romains , en présence des termes de la
charte de 993, citée par M. P. lui-même au commencement de son premier
chapitre ? Ces mots « cum gens pagana fuisset e finibus suis, videlicet de Fra-
» xeneto expulsa, et terra Tolonensis cepisseî vestiri et a cultoribus coli\ » prouvent
bien clairement qu'il y eut dans la vie de la cité une interruption plus ou moins
longue.
A Toulon, du reste, l'organisation municipale ne présente rien de bien parti-
culier, et, peut-être à cause de l'époque tardive où les documents permettent de
l'étudier, elle est loin d'offrir le même intérêt que dans d'autres villes, qu'à Digne
par exemple.
Parmi les faits saillants de l'histoire intérieure de Toulon, on notera le mas-
sacre d'une quarantaine de juifs au moment de la peste de 1 548. Une sorte de
chronique locale, de date assez récente, dont M. T. rejette avec raison le
témoignage, assure que les juifs avaient provoqué cette vengeance en insultant
les chrétiens dans leur église le jour de la Passion, mais une enquête ordonnée
par le sénéchal de Provence, Raimon d'Agout, ne fait aucune mention de ces
prétendues insultes, et il n'y a pas à douter que, là comme ailleurs, les juifs
aient été accusés d'être les auteurs de la peste. On voit par la narration de M. T.
que les meurtriers échappèrent à peu près complètement au châtiment. Cela
encore était dans la règle. Il eût été à désirer que M. T. eût donné des rensei-
gnements plus circonstanciés sur l'état des juifs à Toulon. Les archives des villes
du Midi sont ordinairement assez riches en documents de nature à nous éclairer
à cet égard. On est étonné du peu de suite et même des contradictions que
manifestent ces documents. Les lettres portant expulsion des juifs sont souvent
suivies à peu d'intervalle, de lettres de sauvegarde accordées à ces mêmes juifs.
Puis on voit la commune obtenir immédiatement des lettres de non préjudice
qui annulent, ou à peu près, la sauvegarde. Ces vicissitudes singulières (qui
s'observent en bien d'autres objets, et par exemple à propos de la participation des
clercs aux impôts) nous donnent une triste idée de l'administration des comtes de
Provence. Il n'y a rien d'admirable dans l'activité très-réelle que déployaient ces
princes 2, et qui n'avait pas d'autre but que l'accroissement de leurs richesses.
Ils accordaient les privilèges qu'on leur payait , et à quiconque les payait. C'est
ce qui apparaît clairement à l'époque où, à côté des actes émanant de l'autorité
comtale, existent les délibérations municipales dans lesquelles on voit à quel prix
ces concessions en apparence toutes gratuites, ont été accordées.
1. Cart. de Saint-Victor, II, 104 (pièce 77). M. T. cite d'après le ms., pourquoi ne pas
citer l'édition?
2. Ou plutôt que déployait leur chancellerie. M. T. parle (p. 107) d'un nombre consi-
dérable de « lettres particulières reçues par chaque communauté et portant la signature de
B ces comtes souverams qui étaient en même temps rois de Sicile » (p. 107). Pour ma
part, les seuls actes signés de la main d'un comte de Provence que j'aie vus sont du roi
René.
90 REVUE CRITIQUE
Entre les privilèges de la ville de Toulon, il en était un émanant du roi
Robert, et en vertu duquel la communauté pouvait importer tous les vivres
nécessaires à l'alimentation publique. Tels sont les termes dont se sert M. Teissier
(p. 88). A priori, on ne conçoit pas bien l'utilité d'un tel acte, car à quoi bon
concéder ce qui est évidemment du droit commun ? et de quoi pouvait servir
ledit privilège en cas de disette, alors que chaque commune, se protégeant
elle-même par une sorte d'échelle mobile, interdisait strictement l'exportation de
ses produits.'' Quoi qu'il en soit de la teneur de ce document, il est certain que
les habitants de Toulon lui donnèrent l'extension la plus extraordinaire en impor-
tant de vive force les vivres qu'on n'eût pas été disposé à leur céder de plein gré.
M. T. raconte à ce propos deux faits qui ne sont rien de moins que des actes de
piraterie. En i? 17, année de disette, un navire génois chargé de blé est arrêté,
par ordre du conseil de la ville, à l'entrée de la rade; le capitaine et le fondé de
pouvoirs du propriétaire de la cargaison sont amenés à terre et condamnés par le
bailli, en vertu du privilège du roi Robert, à vendre leur blé à la communauté
(p. 88-91). Le même fait se reproduit en 1 346, et alors nous voyons des conseil-
lers partir en croisière sur des barques armées à cet effet, saisir un navire qui
conduisait une cargaison de blé à Narbonne, et forcer le capitaine à détailler lui-
même son blé aux habitants. Cette fois le bailli n'invoque pas le privilège du roi
Robert, mais « l'antique et ancienne coutume, dont les habitants de Toulon ont
» été et sont encore en pacifique possession, de saisir les navires chargés de blé,
)) traversant la mer du district de Toulon » (p. 1 30). C'est à la fois barbare et
grotesque.
En résumé, on voit que l'histoire de Toulon n'est point dépourvue d'événe-
ments dignes d'attention. Nous les retrouverons sans doute, présentés d'une
façon moins èpisodique, dans l'histoire plus complète que prépare M. Teissier,
et dont le présent volume nous fait augurer favorablement.
n.
15^. — Briefe Friedrich des Frommen, Kurfiirsten von der Pfalz, mit ver-
wandten Schriftstùcken gesammelt und bearbeitet von A. Kluckhohn. Erster Band
1 559-1 566. Braunschweig, C. A. Schwelschke u. Sohn, 1868, In-8*, lxvii-741 p. —
Prix : 1 5 fr.
La correspondance de l'Électeur palatin Frédéric Kl formera les premiers
volumes d'une nouvelle série de publications de la Commission historique instituée
par Maximilien II au sein de l'Académie royale de Munich. Cette nouvelle entre-
prise d'une association qui a rendu déjà de si brillants services aux sciences
historiques, embrassera la correspondance politique des princes de la famille de
Wittelsbach (Electeurs-Comtes palatins, et ducs, plus tard Electeurs de Bavière)
de 1550 à 1650, c'est-à-dire jusqu'après la fin de la guerre de Trente-.^ns.
Cette collection présentera le plus vif intérêt non seulement pour l'histoire inté-
rieure d'Allemagne, mais encore pour ses rapports avec l'étranger. Nous en
avons la preuve dans ce premier volume que nous devons à M. Kluckhohn, pro-
fesseur à l'Université de Munich. Nous y trouvons la correspondance d'un prince
d'histoire et de littérature. 91
éminent, sans contredit le plus remarquable des princes allemands de cette épo-
que et le soutien fidèle des huguenots de France, ses coreligionnaires. Cette cor-
respondance a été détruite en partie, comme tant d'autres documents précieux,
lors des cruelles invasions du Palatinat sous Louis XIV et de ce hideux sac de
Heidelberg qui a fait tant maudire en Allemagne le nom français. Les archives
palatines, respectées en partie par les horreurs de la guerre de Trente-Ans, ont
été brûlées ou dispersées à la suite de l'incendie delà résidence électorale. Heureu-
sement que les autres archives de l'Allemagne contenaient des lettres en grand nom-
bre, écrites par Frédéric III ; M. Kluckhohn a consacré plusieurs années à les re-
cueillir dans les archives de Cassel, Cobourg, Dresde, Hanovre, Strasbourg, Wei-
mar, etc. etc. En définitive les matériaux se sont trouvés en nombre si consi-
dérable, que le savant éditeur, auquel on avait fixé une limite de deux volumes
pour toute la correspondance de l'Electeur Frédéric le Pieux, a dû trier ses
papiers et se borner à ne publier in extenso que les pièces plus importantes, ne
donnant des autres qu'une analyse plus ou moins détaillée, selon leur valeur his-
torique, et laissant de côté bon nombre de documents recueillis par lui '. Aux
lettres émanées de l'Electeur lui-même et aux réponses à lui personnellement
adressées, M. K. a joint quelques lettres de l'Électrice Marie, et quelques autres
pièces officielles, nécessaires pour comprendre la correspondance elle-même.
M. K. ne s'est point caché les inconvénients résultant d'une pareille manière
d'agir. Tout en admettant que son choix ait été fait avec une connaissance par-
faite du sujet, et qu'il ait conservé, du moins en substance, tout ce qu'il y avait
d'important dans les documents rassemblés par lui, il n'en est pas moins vrai que
l'écrivain qui mettra plus tard ces matériaux en oeuvre, aura toujours à repren-
dre quelque chose à ce choix, selon le point de vue où il se trouvera placé. S'il
veut écrire l'histoire politique de Frédéric III, il regrettera nécessairement quêtant
de documents ecclésiastiques et de dissertations théologiques aient fait mettre de
côté des pièces exclusivement politiques qui lui offriraient plus d'intérêt ; pour
un historien de l'Eglise le fait contraire arrivera. Tel autre trouvera sans doute
que M. Kl. aurait mieux fait de publier quelques pièces inédites de plus, quand
même elles ne seraient pas de Frédéric 111 lui-même, plutôt que certains billets
autographes dont la valeur historique est très-peu considérable. On pourrait trou-
ver d'autres objections encore, mais du moment que des considérations, pécu-
niaires ou autres, interdisaient la publication intégrale de la correspondance, il
n'était guère possible de les éviter. Il est une autre question, fort délicate aussi,
dont M. K. parle dans sa préface, qui touche à la transcription des documents.
M. K. a changé l'orthographe des lettres pour faciliter la lecture. Nous avouons
que nous ne pouvons l'approuver. Où s'arrêtera-t-on avec des considérations de
ce genre ? Si l'on change la forme des mots, pourquoi ne pas changer la forme des
phrases ? Dans un livre destiné exclusivement aux savants — et je ne pense pas
I. Il est regrettable que le caractère typographique, adopté pour les pièces extraites
soit si fin qu'il fatigue bien vite les yeux.'
92 REVUE CRITIQUE
que M. Kl. puisse croire que son recueil de documents tombe en d'autres mains,
— l'exactitude, je dirai même la minutie scientifique doit primer toute autre
considération. L'éditeur lui-même l'a senti, car il a, par une bizarre inconsé-
quence, respecté le style princier, tout en corrigeant l'orthographe du menu peuple
des ministres, savants, etc. A moins que l'on ne doive voir en cela une trace de
ce respect monarchique outré dont on se ferait difficilement une idée chez nous
au xix^ siècle, mais qui subsiste encore dans certains pays de l'Allemagne, il
faut en conclure que M. Kl. a compris que la transcription exacte était préférable ;
mais alors pourquoi ne pas l'appliquer à tout le monde ?
Enfin, pour en finir avec des critiques qui ne touchent après tout que des
détails de méthode, nous regretterons encore que certaines pièces n'aient pas été
données intégralement, quand l'analyse qu'en fait M. Kl. est si détaillée, que le
gain, pour la place, a dû être minime, sans compter qu'au lieu de les avoir en
style direct nous les avons en style indirect qui détruit toujours plus ou moins la
physionomie d'un document ■ .
Le volume de M. Kl. s'ouvre par une introduction détaillée de plus de
soixante pages sur la littérature du sujet_, la vie de Frédéric depuis 1515, sa
famille, ses correspondants, etc. Les lettres et pièces renfermées dans ce pre-
mier volume sont au nombre de 393. Elles ne se rapportent qu'à l'espace de
sept années, de i $ $9 à 1 566. Nous n'avons pas à faire ressortir ici leur valeur
générale pour l'histoire de cette époque, mais nous voulons indiquer en quelques
mots les pièces qui intéressent davantage notre histoire nationale. Depuis la
mort de Henri II nous y trouvons une série non interrompue de communications
officielles, officieuses et secrètes entre la cour de France, les mécontents reli-
gieux et politiques du pays et la cour de Heidelberg. Nous citerons en parti-
culier la longue relation des théologiens Diller et Boquin sur le colloque de
Poissy (p. 2 1 5) les promesses de conversion faites au nom de Catherine de
Médicis par ses ambassadeurs, (p. 236) les rapports détaillés sur le massacre de
Vassy (p. 268), le message de Pierre de Weyda sur la conférence de Bayonne
(p. 590), le récit des docteurs Junius et Lauck sur leur légation à Paris en
1566 (p. 731), ainsi que les nombreuses ambassades qui arrivaient aux cours
d'Allemagne depuis le commencement des troubles religieux en France, sollici-
tant en sens opposé la neutralité ou bien les secours des princes de l'Empire, et
qu'il serait trop long d'énumérer ici ^ Une bonne partie de ce volume est con-
sacrée à l'histoire ecclésiastique et à la théologie. Il n'y a pas lieu de s'en éton-
1 . Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, pourquoi un document d'un aussi haut intérêt
que doit l'être nécessairement la lettre de Philippe II d'Espagne à Frédéric III, sur la
conférence de Bayonne, n'est-il pas donné en entier ? Je suppose d'ailleurs que cette lettre
était écrite en français, ce qui n'est pas dit.
2. Les épreuves n'ont pas toujours été corrigées avec le même soin. Nous avons vu
plus d'un nom français estropié dans les subscriptions et les notes, p. ex. Monloc pour
Monluc, Beaumont des Andrets pour Baron des Adrets, Remboullet pour Rambouillet,
Vidâmes des Chartres pour Vidame de Chartres, Doiscl pour d'Oyssel, etc.
d'histoire et de littérature. 9^
ner : le xvi* siècle est le siècle de la lutte religieuse, et princes et manants y pre-
naient part avec une égale ardeur. Il peut nous paraître étrange de voir des
têtes couronnées échanger des lettres sur la question de savoir si Dieu a des yeux
(p. 401), sur la valeur du pédobaptisme(p. 531), sur la signification précise delà
Sainte-Cène (p. 586), etc. En définitive ces sujets épistolaires sont préférables
encore à d'autres, d'époque plus moderne. L'histoire des mœurs trouvera égale-
ment d'intéressants renseignements dans le volume de M. Kl.; nous signalerons
une curieuse lettre de Frédéric sur le cabinet noir d'un de ses collègues princiers
qui décachetait ses lettres, et sur l'ivrognerie brutale qui avait cours alors dans
les cercles les plus élevés de la société (p. J09) ; une autre lettre, très-bien sentie,
sur la nécessité de donner aux futurs souverains une éducation chrétienne
(p. 704), une troisième sur le scandale que causait à la cour de Heidelberg la
vie privée du prince de Condé (p. 517). Quel tableau plus frappant et plus naïf
de la simplicité qui régnait alors encore en Allemagne, que les lettres de l'Elec-
trice Marie, qui tantôt envoie un berceau à son petit-fils, ou bien expédie de
Heidelberg à Gotha, les chemises d'un valet de chenil, dont la mère l'a prié de
se charger, ou bien accuse réception à sa fille de 1 7 pièces de lin, filées par elle
et dont l'Electrice doit faire des draps ? (p. 690 ss.).
Des notes historiques en grand nombre ont été partout ajoutées où le besoin
s'en faisait sentir ; elles seront rendues plus utiles encore par un index détaillé
qui sera publié à la fin du second volume. Nous souhaitons vivement qu'il ne se
fasse pas trop longtemps attendre et que cette nouvelle série de publications de
l'Académie de Munich, si bien commencée par M. Kluckhohn, compte bientôt,
elle aussi, de nombreux volumes comme ses brillantes ainées, les Chroniques et les
Annales de l'Empire.
RoD. Reuss.
1 56. — TêSl Prophécie du Roy Charles VIII par maître Guilloche Bourdelois,
publiée pour la première fois d'après le ms. unique de la Bibliothèque impériale par le
marquis de La Grange, membre de l'Institut, et de l'Académie de Bordeaux. Paris,
Académie des Bibliophiles, 1869. In- 18, liv-82 p. — Prix : 7 fr. 50.
J'avais songé — je l'ai dit ici même ' — à imprimer le petit poème de Guil-
loche, mais je m'étais empressé d'abandonner ce projet, en apprenant que
M. le marquis de La Grange préparait le volume qu'il nous donne aujourd'hui.
Nul, disais-je au même endroit, ne peut mieux que cet érudit publier la prophécie
du roy Charles VIII, et ce n'était point là une simple formule de politesse, c'était
l'expression d'un sentiment sincère et que rendait bien naturel le souvenir d'un
de ces passés qui sont une garantie pourl'avenir. Je constate avec joie que j'avais
eu grandement raison de louer d'avance le nouveau travail de l'éditeur des
Mémoires de Jacques Nompar de Caumont et de Hugues Capet.
I. Compte-rendu de Y Histoire de Charles VIII de M. deCherrier, n* du 15 février 1869,
103, note !.
94 REVUE CRITIQUE
Au début de son Introduction (p. IV), M. de L. déclare que, malgré les plus
persévérantes recherches à la Bibliothèque impériale, à la Bibliothèque de l'Arsenal,
dans les cartons de CoUetet, dans tous les recueils et correspondances de la fm
du XV* siècle, il n'a rien recueilli qui se rapporte à Guilloche, et que l'unique
document où son nom figure est le manuscrit du poème :
De Bourdeaulx suis et Guiennoys,
Qu'on appelle maislre Guilloche (p. 3).
Mes propres investigations n'ont pas été plus heureuses, et, en définitive, il faut
se résigner à ne savoir sur le poète que le peu qu'il nous a lui même appris.
Quant à sa famille, M. de L. en a cherché soigneusement les traces dans le
Bordeaux du xv et du xvi* siècle, mais il n'a pu sortir du vague et de l'incertain.
Le supplément de Jean Damai à la Chronique bourdeloise de Gabriel de Lurbe lui
a offert la mention d'un Pierre Guilloche ou de Guilloche qui fut cinq fois jurât,
de 1 5 1 5 à 1 536. Les minutes des anciens notaires de Bordeaux, conservées aux
Archives départementales de la Gironde, ont appris à M. de L. que ce Pierre,
qui reçoit dans les actes le titre d'écuyer et de Seigneur de La Loubière ',
avait eu de Jehanne Bec trois fils, dont un, nommé Jean, devint conseiller au
parlement de Bordeaux (8 avril i $43), embrassa la Réforme et fut une des vic-
times de la Saint-Barthélémy bordelaise 2. Un autre Guilloche (Raymond) appa-
raît, d'après divers documents des mêmes archives, comme avocat à Bordeaux
en 1467, comme conseiller au parlement de cette ville en 1468; il redevint
avocat en 1469, conseiller eu 1472, et il disparait avant le commencement du
XVI* siècle. Pierre et Raymond ont été tous les deux contemporains du poète,
mais rien ne prouve qu'aucun d'eux puisse être identifié avec lui, ni même
qu'aucun d'eux ait été pour lui autre chose qu'un homonyme, et M. de L. se
montre très-prudent en ajournant toute discussion sur ce point et en se con-
1. M. de L. a oublié de citer le Rôle des nobles de Guyenne sujets au ban et à l'arriére'
ban (1 5 juin 1 594) inséré dans . le tome I des Archives historiques du département de la
Gironde (p. 406-422), et où (p. 415) il est question de Jean de Guilloche, écuyer, sei-
gneur de la maison noble de La Loubière. Une fille et héritière de ce Jean (Jeanne de
Guilloche, dame de Roquetaillade) était dame de La Loubière en 1609.
2. M. de L. aurait pu invoquer, au sujet de ce Jean de Guilloche, deux documents
très-curieux : l'un, que j'ai publié dans le tome X des Archives historiques du départ, de la
Gironde (p. 344) est une lettre du sieur de Montferrant, gouverneur de Bordeaux, au
roi Charles IX, datée du 28 octobre i869,etoùJean deGuillocheet sonneveule procureur
général (Romain de Mulet) sont violemment pris à partie ; l'autre, qui a été publié
dans les Mémoires de ï Estât de France sous Charles neufiesme (édition de 1 578, 1. 1, p. 529-
539), intitulé : Massacres de ceux de la Religion à Bourdeaux le 3 jour d'octobre 1572, et
où l'on trouve ce passage : « Le Gouverneur leur commanda de tuer tous ceux de la
Religion... et luy-mesmes leur voulant monstrer l'exemple, s'en alla à la maison de
M. Jean de Guilloche, sieur de La Loubière, conseiller en la Cour de Parlement, pour
exécuter la haine de longue main conçeue contre luy, lequel se voulut garantir par une
porte de derrière : mais il fut ramené en la basse court de sa maison devant le Gouver-
neur qui le massacra à coups de coutelas. Sa maison fut entièrement pillée et saccagée. »
Il est encore parlé (à l'année 1 558) du conseiller Jean de Guilloche dans ['Histoire ecclé-
siastique de Th. de Bèze (i 580. t. I, p. 151).
D*H1ST0IRE ET DE LITTÉRATURE. 95
tentant de nous faire espérer (p. X) que « l'étude assidue des sources authen-
tiques dissipera sans doute les ténèbres qui nous cachent encore maître
Guilloche. »
Après avoir rappelé à l'aide du poème, que Guilloche se rendit à Reims pour
assister au sacre de Charles VIII (mai 1 584), qu'ensuite il voyagea en Italie, et
que ce fut en 1 594 qu'il composa la Prophécie de Charles VIII, M. de L. analyse
minutieusement cette prophécie, retrace l'histoire du manuscrit en se servant de
précieux renseignements fournis par M. Léopold Delisle ', et énumère les cri-
tiques et les historiens qui, soit rapidement, soit plus longuement, ont eu
à s'occuper de ce manuscrit, dom. Montfaucon, Sainte-Palaye, de Foncemagne,
Zeller, de Cherrier. — M. de L., qui a emprunté à la notice inédite de Sainte-
Palaye sur le poème de Guilloche (Biblioth. impér. coUeaion Moreau) une
bonne partie de sa description du manuscrit 'p. XLV-XLVII), a reproduit en
entier (p. XLVIII-LIV) la notice sur le même poème publiée par Foncemagne *
dans le tome XVI des Mémoires de l'Académie des Inscriptions (175 1 p. 245).
L'appréciation que fait M de L. de l'opuscule de Guilloche, soit qu'il en con-
sidère le fond, soit qu'il en considère la forme, est généralement exacte : Seule-
ment le docte éditeur me permettra de trouver bien étrange ce rapprochement
de la p. XXXVIII : « Quelquefois même il (Guilloche) a des mouvements lyri-
ques qui rappellent Victor Hugo. » Ne comparons jamais le vulgaire moineau
avec l'aigle sublime ! Guilloche est un poète assez médiocre, bien inférieur même
à la plupart de ceux qui ont chanté l'expédition de Charles VIII, et M. de L.,
dans son épître dédicatoire aux membres de l'Académie de Bordeaux, confesse
du reste, qu'une place des plus modestes doit lui être réservée sur le Parnasse
bordelais?. Comme document historique, la Pro/^/zm^ vaut beaucoup plus que
comme document littéraire. L'on y trouvera certaines circonstances qui, ainsi
que l'a déjà remarqué Foncemagne, « ont échappé aux historiens. » Ce qu'il y
a de plus important dant le poème, c'est que l'on y voit partout le reflet de cette
opinion, alors générale, que la conquête de Constantinople était le véritable but
du voyage de Charles VIII au-delà des Alpes. Florence, Rome, Naples, n'étaient
que les étapes du chemin qui conduisait vers l'Orient le descendant de saint Louis.
Parmi les personnages célèbres que le poème nous fait mieux connaître, je signa-
lerai surtout le cardinal Julien de la Rovère, alors très-sympathique à la cause
1. Le savant auteur du Cabinet des manuscrits (dans l'Histoire générale de Paris) croit
(tomel, in-f*, 1868, p. 95) que le manuscrit, oui a fait partie de la Bibliothèque de
François I", avait appartenu à Charles VIII. M. de L. ajoute (p. XXIV) que ce manus-
crit avait été présenté à Anne de Bretagne en 1 594, ce qui est bien possible, mais ce
qui n'est nullement prouvé.
2. J'avais prétendu bien à tort, trompé par une apparente ressemblance d'écriture
que la note anonyme mise en tête du manuscrit 171 3 du Fonds français, est de l'abbe
Sallier. M. de L. la restitue en toute sûreté à Foncemagne (p. XCVII).
3 . Le poète lui-même ne paraît point se faire d'illusion sur son talent. Il ne sait pas
trop (p. 2) si sa a mectrificature » sera jugée « défective » ou non. » Il dit humblement
(p. so) :
Si en cecy trouvez ditz meschans,
Vueillez pardonner ma folie.
96 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
française, et qui depuis fut, au contraire, sous le nom de Jules II, un des plus
ardents adversaires de cette même cause (p. 41-45).
Le texte de la Prophécie du roy Charles VI II (p. I-jo) a été très-fidèlement re-
produit. En comparant la copie de M. de L. avec celle que j'avais déjà com-
mencé à prendre, je n'ai pu relever aucune différence. L'éditeur a bien fait d'a-
jouter aux vers de maître Guilloche les accents, les points et les virgules qui
étaient indispensables pour en rendre la lecture claire et facile. Ce texte n'est
pas annoté. Toutes les explications philologiques ou historiques ont été placées
dans le Glossaire-Index très-copieux, trop copieux même, qui remplit les ^2 der-
nières pages du volume si admirablement imprimé par M. Jouaust. J'ai dit trop
copieux, et tous les lecteurs probablement penseront, avec moi, que l'on aurait
pu se dispenser de traduire (pour m'en tenir à la lettre A) les mots Acomplir,
Advis, affin que, Alemaigne, Aliance, Aulîruy, etc. De même, était-il besoin de
définir (p. 5 3) les mots : sainte Ampoule ? Si tout cela est, comme parle Guilloche
(p. 9), « chose superfluse, « d'autres notes sont en grand nombre très-utiles et
très intéressantes, et en somme ce glossaire fait honneur à l'éditeur.
En finissant, je reviens à l'introduction pour noter, comme je l'ai avancé dans
l'article déjà cité sur le Charles VIII de M. de Cherrier, qu'il reste aujourd'hui,
non pas « un seul exemplaire » de la Vision de Jehan Michel (j>- xxvii), mais deux
au moins, celui de la Bibliothèque impériale devant êtrejointàceluidela Bibliothèque
de Nantes. M. de L. G. eût aussi dû s'abstenir d'affirmer comme chose avérée que
le célèbre poème des Quatre Fils Aimon était de Huon de Villeneuve, contempo-
rain de Philippe-Auguste. On ne sait rien de ce Huon de Villeneuve, sinon que
son nom figure dans un manuscrit jadis possédé par Fauchet et aujourd'hui perdu.
Ce petit point d'histoire littéraire a été débattu dans la préface ù'Aye d'Avignon,
poème publié par les soins d'une commission dont M. de La Grange est prési-
dent '. T. DE L.
. LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
Crétineau-Joly, Bonaparte, le Concordat de 1801 et le Cardinal Consalvi (Pion).
— Grœber, Die handschriftlichen Gestaltungen d. Chanson de Fierabras (Leipzig,
Vogel). — Haussonville (d'), l'Église romaine et le premier Empire, t. IV (M. Lévy).
— MiÎLLER (Max), The Rig-Veda-Sanhita, translated and explained. Vol. I (London,
Trùbner). — Rutebeuf, le Miracle de Théophile, p. p. Klint (Upsal, Schultz). —
Semichon, la Paix et la Trêve de Dieu, 2' édit. (Albanel).
I. Cet article était imprimé lorsqu'à paru, dans la Bïbliothlqut de l'École des Chartes
(p. 348 de l'année courante), un compte-rendu du même ouvrage, où M. Delisle nous
fait savoir que M. de La Grange a trouvé, mais trop tard pour en faire usage cette fois-
ci, dans Pasini {Cod. Taurin. II, 496), l'indication d'un autre poème, le Bien ducal,
dédié au duc de Savoie Philibert II. Nul doute qu'il ne s'y trouve de nouveaux rensei-
gnements sur Guilloche.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Barthel; réunion des mémoires publiés à diverses époques sur Dante par l'auteur
de la grande édition critique de la Divine Comédie.
The Atheneeum. 24 juillet.
The Life of Madame Louise de France, Daughter of Louis the Fifteenth, known
also as Mother Thérèse de Saint Augustin, by the author of Taies of Kirkbeck,
Rivingtons; ouvrage qui ne paraît point contenir de faits nouveaux. — Q^ Horatii
Flacci opéra; illustrated from Antique Gems by C. \V. King; the Text revised,
with an Introduction by H. A. Munro, Bell and Daldy ; l'introduction de M. Munro,
le célèbre éditeur de Lucrèce, est présentée comme un morceau remarquable; la
reproduction des pierres gravées est médiocre. — Brown (Richard), A History
of the Island of cape Breton; with some Account of the Discovery and Settlement
of Canada, Nova Scotia and Nœfoundland; Low and C. — Découvertes à Jéru-
salem, The parallel holiness ofmounts Zion and Moriah (lettre). — Pagan rites in
France (lettre sur l'usage, encore existant à Luchon, de brûler, la veille de la
Saint-Jean, des serpents). — The semitic languages (Lettre signée Hyde Clarke).
— Notons dans la chronique intitulée Our weekly Gossip de curieux rensei-
gnements sur une grammaire créole, publiée par un créole de la Trinité. —
NoRTHCOTE (Spencer) and Brownlow, Roma Sotteranea, or some account of the
Roman Catacombs, especially of the Cemetery of San CalUsto, Longmanns and C°;
M' Caul, Christian epitaphs in the first six Centuries, Toronto, Chewett; le pre-
mier de ces livres est une compilation (autorisée) du grand ouvrage de M. de
Rossi, le second n'est guère plus qu'un guide.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
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Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
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ding an Examination of his Works. In-8*,
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Translated by Rev. W. Wilson. Vol. II.
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told by its own Historians. The Muham-
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tral Caucasus and Bashan, including
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Scotland. In-12, cart. 156 p. London
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1801 et le cardinal Consalvi, suivi de deux lettres au Père Theiner sur le pape
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N* 33 Quatrième année 14 Août 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
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mées en France, depuis les temps les plus
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med ben Mahmûd, Kosmographie.
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Benutzg. und Beifùgg. derreichhalt. An-
merkgn. u. Verbessrgn. d. Prof. Fleischer
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valier de la Barre. Mémoire présenté à
S. M. Louis XVI, et pubh'é par F. Pouy.
In- 18, 57 p. Paris (Baur et Détaille).
Georges (K. E.). Ausfùhrl. latein. deut-
scher Handwœrterbuch aus den Quellen
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naturelles, action religieuse, diplomatique
et militaire de la France en Chine, son
influence civilisatrice, son avenir politique
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2 vol. In-8', 915 p. Paris (Hachette).
Grîmm (J.). Deutsche Grammatik. 2.
Ausg. Neuer verm. Abdruck. 1. Thi. i.
HIfte. In-8*, 512 p. Berlin (Dùmmier's
Verl.). 12 fr.
Hucher. Catalogue du Musée archéolo-
gique du ManSj comprenant la description
de tous les objets existant dans ce musée
à la date du ["janvier 1869. In-8*, 108 p.
Paris (A. Morel).
Hucher. Sceaux de la cour du Mans et
du Bourg-Nouvel. In 8°, 1 3 p. Caen (Le
Blanc-Hardel).
Janko (W. v.). Das Leben d. k. k.
Feldmarschalls Gideon Ernst Frhrn. v.
Laudon. Nach orig. Acten d. k. k. Haus-
I
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 33 — 14 Août — 1869
Sommaire: 157. Kirchhoff, La composition de l'Odyssée. — 158. Theiner,
Histoire des deux Concordats; Crétineau-Joly, Bonaparte, le Concordat de 1801
et le cardinal Consalvi. — 159. Berkeley, Traité des principes de la connaissance
humaine.
1 57. — Die Composition der Odyssée von A. Kirchhoff. Gesammelte Auf-
saetze. Berlin, W. Hertz, 1869. In-8*, 210 p. — Prix : 4 fr. 85.
Plusieurs critiques ont essayé de décomposer l'Odyssée. Mais ces tentatives
sont plus récentes et plus rares que celles qui ont eu pour objet Viliade : elles
sont aussi plus réservées. On a respecté jusqu'à un certain point l'unité du
poème, on ne l'a pas réduit en poudre. Voici la thèse de M. Kirchhoff. Un
poète, le premier en date et le premier en mérite, avait chanté les erreurs
d'Ulysse jusqu'au moment où le héros remet le pied sur le sol de sa patrie. C'est
là le vieux nôctto;. Un autre poète ajouta une suite : les aventures d'Ulysse dans
Ithaque. Ces deux éléments ont formé la première Odyssée, Un rédacteur,
poète lui aussi, fit entrer dans cet ouvrage des morceaux d'une Télémachiade,
ainsi que d'un xôtto; différent de celui qui formait la première partie de l'ancienne
Odyssée; et il réunit ces éléments divers au moyen d'additions très-faibles. C'est
lui probablement qui est l'auteur de la fin de l'épopée, de cet appendice que les
critiques d'Alexandrie ont déjà condamné. Enfin sa rédaction est à peu de chose
près celle que nous lisons encore aujourd'hui. Les rédacteurs de Pisistrate ont
inséré quelques vers, d'autres vers ont été interpolés par des rhapsodes; mais
tout cela est secondaire. En 1859 M, K. fit imprimer un texte de l'Odyssée
divisée d'après ses vues (^Die Homerische Odyssée und ihre Entstehung. Text und
ErUuîerungen). Depuis il a publié plusieurs mémoires à l'appui de sa thèse. Ces
mémoires, au nombre de sept, se trouvent réunis dans le volume que nous avons
sous les yeux.
Pourquoi faut-il croire que le premier poète s'est arrêté après avoir déposé
son héros, profondément endormi, sur le rivage d'Ithaque ? Ulysse est revenu
dans son pays; mais il n'est pas rentré dans sa maison. Comment triomphera-t-
il des prétendants ? Comment accoraplira-t-il le plus redoutable de ses travaux ?
Il faudrait prendre le mot Retour, No^to:, dans un sens bien étroit, pour déclarer
le Retour d'Ulysse complet sans le récit de ces événements. Le Retour d'Agamem-
non ne comprenait-il pas l'accueil que Ciytemnestre et Égisthe firent à ce roi ?
Si M. K. avait raison, si le premier poète s'était en effet arrêté au vers 184 du
chant XIII, nous serions disposé à croire que la mort l'empêcha de terminer son
ouvrage. Le motif qui a déterminé M, K. à couper le poème en deux, ou tout
au moins le principal de ses motifis, se trouve exposé dans le mémoire VI, le
plus intéressant et, peut-être, le mieux fait de tous. De retour dans Ithaque
vm -,
98 REVUE CRITIQUE
Ulysse n'est reconnu ni par ses amis, ni par ses ennemis. Cela pouvait s'expli-
quer d^une manière naturelle : les années, les fatigues ont vieilli le héros; il
se présente sous un déguisement; enfin tout le monde le croit mort depuis long-
temps. Cela pouvait aussi s'expliquer par une action surnaturelle, et c'est là ce
que nous voyons au 1 3^ et au i6Mivre. La baguette de Minerve transforme
Ulysse en un misérable vieillard méconnaissable à tous les yeux; et elle lui rend
passagèrement ses traits véritables, afin qu'il puisse se faire reconnaître de Télé-
maque. Mais cette donnée ne se soutient pas jusqu'à la fin. Au livre XIX Euryclée
est frappée de la ressemblance du mendiant avec son maître, et bientôt après
elle le reconnaît à une cicatrice. C'est au moyen de la même cicatrice que dans
le livre XXI Ulysse se fait connaître à Eumée et à Philétius. Cela ne s'accorde
pas bien avec une métamorphose magique ; mais cela se comprend aisément, si
le changement d'Ulysse est dû à des causes naturelles. Enfin, au livre XXIII,
Ulysse n'a pas besoin non plus de la baguette de Minerve pour se faire recon-
naître par Pénélope. If est vrai qu'il la quitte un instant (v. in sqq.) pour
changer de vêtements et pour prendre un bain, duquel il sort beau et brillant.
Mais les effets de ce bain n'ont rien de plus extraordinaire que ceux du bain qui,
au 6^ livre, rend Ulysse si admirable aux yeux de Nausicaa; et, de plus, M. K.
établit par des raisons plausibles que les vers 11 1- 176 sont interpolés par la
même main qui ajouta l'appendice du poème. Dès l'abord (v. 85 sqq.), quand
Pénélope arrive dans la grande salle, elle n'a pas en face d'elle le masque affreux
décrit au 13^ livre ; on n'en doutera point en lisant ce morceau sans opinion
préconçue : ses impressions, ses sentiments, les reproches que lui fait son fils,
tout le prouve. La seconde partie de l'Odyssée offre donc des disparates, que
M. K. a très-bien fait ressortir, et que nous n'essayerons point de pallier. Voici
la conclusion qu'il en tire. Dans les vieux chants populaires le changement
d'Ulysse tenait à des causes naturelles : le héros avait vieilli. Cependant chez
Calypso, chez Circé, chez les Phéaciens, le même Ulysse paraît dans tout l'éclat
de la beauté virile. C'est que notre Odyssée s'est formée par la réunion de deux
parties. Celui qui ajouta au vieux Nouxo; la suite, la seconde moitié de l'épopée,
s'aperçut de cette contradiction, et c'est lui qui imagina la baguette de Minerve.
Toutefois il se contenta de dissimuler la contradiction, sans la lever tout entière :
il n'osa porter la main sur des scènes consacrées par la tradition : les signes
auxquels Ulysse est reconnu par Euryclée, ceux qui lèvent les scrupules de la
prudente Pénélope, ne pouvaient être modifiés. Voilà le point oii nous commen-
çons à nous séparer de l'auteur. L'hypothèse de deux poètes est-elle absolument
nécessaire ? Si les deux parties de l'épopée sont d'un seul et même poète, ce
poète n'a-t-il pas pu se trouver enchaîné par la tradition aussi bien que l'auteur
d'une suite.'' Ce qui fait la force de l'épopée homérique, comme de toutes les
vieilles épopées, c'est qu'elle repose sur des traditions anciennes, abondantes,
déjà façonnées par des poètes. Mais ces mêmes éléments traditionnels, qui
constituent la supériorité de ces poèmes, ont aussi causé certaines disparates
qu'une critique incisive a pu considérer comme des défauts.
Le mémoire n° VII relève d'autres inconsistances. Les armes d'Ulysse étaient-
d'histoire et de littérature. 99
elles suspendues dans la grande salle , ou se trouvaient-elles dès l'abord dans le
eâ)a[i(x;? Les chants XVI, XIX et XXII ne s'accordent pas sur ce point, et ils
s'accordaient encore moins primitivement. M. K. a signalé avec beaucoup de
sagacité, et en rectifiant les vues des critiques alexandrins, les vers interpolés
pour dissimuler tant bien que mal une contradiction qui subsiste toujours. Cette
contradiction est expliquée par M. K. de la même manière que la précédente: l'au-
teur de la seconde moitié du poème n'a pas su mettre d'accord ses propres inven-
tions avec les chants traditionnels sur lesquels il travaillait. Disons-le cependant,
il nous est difficile de mettre les deux contradictions sur le même rang. Celle
qui concerne le changement d'Ulysse est en quelque sorte inhérente au sujet.
Celle qui concerne les armes conservées dans la maison d'Ulysse était au contraire
très-facile à éviter; d'après le système de M. K. l'ordonnateur de la seconde
moitié du poème l'y aurait introduite de gaieté de cœur. Peut-être faut-il voir
dans cette disparate un effet des modifications, des versions différentes, que
l'épopée reçut, en quelque sorte inévitablement, en passant par la bouche des
poètes rhapsodes qui la redisaient.
Quant à la première panie de l'Odyssée, M. K. explique par un autre système
les disparates qu'il y découvre. Un premier noyau, le vieux Xôcrro:, y a été am-
plifié au moyen de deux autres poèmes. Pour ne parier ici que du récit qu'Ulysse
fait aux Phéaciens, parmi les quatre chants consacrés à ce récit le premier et le
dernier (IX et XII) sont, à peu de chose près, tirés du vieux Nô^-o;. Les deux
autres (X et XI) ont été empruntés à un poème plus récent. M. K. croit avoir
reconnu que les aventures qui font le sujet de ces deux chants avaient été
racontées directement par l'auteur de ce poème, et que le rédacteur les a placées
dans la bouche d'Ulysse, afin de les accorder avec l'ingénieuse fiction du
vieux NôTTo:. Telle est la thèse du mémoire V. Voici les arguments. Ulysse
raconte les événements qu'il ne sait que par ouï-dire avec la même vivacité
dramatique que ceux dont il a été témoin oculaire : il peint les gestes, il rapporte
les paroles des interlocuteurs. C'est là une faute que l'auteur du vieux Notto; n'a
pas commise : chez lui Ulysse n'entre dans aucun détail pareil en parlant de ce
qui arriva chez les Lotophages à quelques-uns de ses compagnons. Cela est vrai.
Mais cela tient-il en effet à la supériorité de ce vieux nôcto;? Il faut dire que les
deux premières aventures, celle des Cicons et celle des Lotophages, sont très-
brièvement racontées : elles n'ont ensemble qu'une quarantaine de vers (IX, 62-
104). On n'y trouve de détail dramatique ni dans ce qu'Ulysse a vu, ni dans ce
qu'il n'a pas vu. — Un autre argument de M. K. a moins de finesse; mais, par
là même, il prend quelque chose de plus positif. Il arrive à Ulysse, dans le cours
des chants X et XI, de raconter des choses qu'il n'a pas vues et qu'il n'a guère
pu apprendre d'autrui. Nous le confessons, cet argument nous touche aussi peu
que le précédent. Pour mettre son public dans la confidence des délibérations
de l'Olympe ou pour leur faire connaître d'autres faits importants, le poète a
négligé certaines vraisemblances, de même que plus haut il n'a pas observé cer-
taines nuances délicates. Dans VÉnéide (II, 258 sqq.) les guerriers grecs descen-
dent du cheval de bois au milieu de la nuit sans être aperçus par aucun Troyen.
100 REVUE CRITIQUE
Comment Enée, qui raconte ces événements, a-t-il pu savoir les noms des héros
enfermés dans ce cheval, et même l'ordre suivant lequel ils en sortirent ? Je
l'ignore, et je ne me soucie pas de le savoir. Qui voudrait adresser à un poète
des questions si indiscrètes ?
En somme, tous les mémoires réunis dans ce volume sont intéressants. On y
retrouve la sagacité, la pénétration, qui ont si bien servi M. Kirchhoff dans
d'autres travaux critiques. La rigueur de son esprit n'est en défaut nulle part;
mais cette rigueur nous semble quelquefois excessive ou déplacée. Les conclu-
sions de l'auteur sont contestables ; ses observations sont , presque toutes, justes
et instructives.
Henri Weil.
1 58. — Histoire des deux concordats conclus en 1801 et en 1803, d'après
des documents inédits, extraits des archives secrètes du Vatican et de celles de France,
par Augustin Theiner, préfet des archives du Vatican. Première partie. Concordat
de 1801. Paris, Palmé, 1869. Gr. in-8*, xiv-576 p. — Prix : 12 fr.
Bonaparte, le Concordat de 1801 et le cardinal Consalvi, suivi de deux
lettres au Père Theiner sur le pape Clément XIVj par Crétineau-Joly. Paris, Pion,
1869. In-8°, 4^5 p. avec deux fac-similé. — Prix : 7 fr. 50.
Le compte que nous avons rendu de l'ouvrage de M. d'Haussonville (l'Église
romaine et le premier Empire) ' a fait voir qu'avec des qualités de premier ordre
cette publication présentait certaines lacunes et des défauts graves. Elle laissait
une place assez large à des spéculations nouvelles, et il n'était pas très-difficile
de pressentir qu'un essai aussi heureux en définitive que celui qui vient d'ouvrir
à son auteur les portes de l'Académie française ne tarderait pas à exciter des
tentatives du même genre, dans un ordre d'idées voisin, hostile ou favorable.
Œuvre politique non moins qu'historique, le travail de M. d'Haussonville pro-
voquait à la fois l'émulation des écrivains qui cherchent à instruire et de ceux
qui désirent plaire. Le premier en date (nous ne doutons point qu'il n'ait plus
d'un imitateur), le Père Theiner, préfet des archives du Vatican, n'a point su se
défendre contre les séductions de l'exemple. L'Histoire des deux concordats {i Soi -
1803) n'échappe pas au double caractère de l'Histoire de l'Église romaine et du
premier Empire; elle y participe d'une façon étroite, affectant les allures d'une
réfutation.
Et disons le tout de suite : M. Crétineau-Joly se trompe, quand il se regarde
comme le principal objectif du Père Theiner. Qu'il y ait eu, qu'il y ait encore
entre ces deux auteurs des inimitiés profondes, soit. Mais les ennuis qu'a pu
causer la pubHcation de M. Crétineau n'occupent qu'un rang inférieur dans les
motifs qui ont dicté la conduite de l'archiviste du Vatican. Les Mémoires de
Consalvi ne sont que des matériaux, malléables après tout. Ce que le Père
Theiner a eu à cœur, c'a été de substituer au récit de M. d'Haussonville une
version différente dans la forme, contraire par le fond, vraisemblable et définitive.
Esprit passionné et sans mesure, doué de sagacité et dépourvu de critique,
I. Voy. Rev. cnt., 1868, art. 54, 1869, art. 9.
d'histoire et de littérature. ioi
aveugle et plein de vues, cynique et honnête, M. Crétineau-Joly s'est Jeté dans
la mêlée avec l'intempérance de langage et d'idées ' qui fera un jour son originalité
dans l'histoire des lettres. Les i jo pages qu'il consacre à la défense de son
honneur outragé selon lui par le Père Theiner (les seules pages qui doivent
nous occuper, les autres se rapportant à une querelle étrangère à notre sujet),
sont remplies des injures les plus gaies, les plus bouffonnes et les plus inutiles
qu'on puisse imaginer. Il est toujours superflu de dire d'un adversaire que c'est
un menteur, un faussaire, un ambitieux : il suffit de le montrer. En vertu sans
doute d'un principe de tactique qui en effet a souvent réussi, M. Crétineau a
voulu porter le théâtre de la guerre sur le territoire ennemi. Le gros du public
qu'il fera rire lui donnera raison. En fait, ses attaques ne sont pas toujours justi-
fiées; sa défense est au contraire très-solide.
Le point du débat entre M. Crétineau-Joly et le Père Theiner est celui-ci :
quelle valeur faut-il attribuer aux Mémoires de Consalvi ? — Sont-ils l'expression
exacte des faits? La traduction publiée est-elle la reproduction fidèle et intégrale
de l'original? Subsidiairement, sont-ils authentiques? Et s'ils ont ce caractère,
pourquoi ne sont-ils pas au Vatican ? — L'archiviste de Rome ne pose pas ces
questions d'une manière rigoureuse et précise. Mais il les formule par voie d'in-
sinuation dans divers passages de son récit. A quoi M. Crétineau-Joly répond :
les Mémoires de Consalvi étaient en effet destinés aux archives du Vatican. Mais
la personne qui en avait reçu le dépôt a eu la très-heureuse inspiration de me les
confier. — C'est l'original et non une copie que j'ai entre les mains. — Afin de
faciliter la comparaison entre le texte et la traduction, je puhWe en fac-similé l'un
des plus importants morceaux (cet autographe a six feuillets, p. 80). D'ailleurs
je tiens le manuscrit à la disposition de tous ceux qui m'en demanderont commu-
nication. — Consalvi se serait, dites-vous, repenti d'un écrit composé sous
l'empire de la colère, sans notes propres à rafraîchir ses souvenirs. Eh bien!
lisez l'article de son testament daté de Rome le i" août 181 1 2, où il s'écrie en
affirmant, dans leur ensemble, la véracité de ses mémoires : Deus scit quod non
mentior (fac-similé en tête du volume). — Enfin toutes ces hypothèses sont
contradictoires les unes avec les autres, et il fallait sur elles prendre un parti.
Tantôt le Père Theiner croit les Mémoires apocryphes, tantôt il les déclare
1. S'il n'y avait quelque affectation à omettre le singulier défi porté par M. Crétineau
de Droduire certaines lettres de Bernier que le Père Theiner dit être déposées aux archives
de la guerre (p. 41), nous n'en parlerions pas. Il est évident que M. C. est sûr de son
fait, et nous pensons que cette lettre n'existe aux dites archives q^u'en copie. Mais pour
qui a quelque peu fréquenté ces archives, aucun soupçon n'est légitime sur la valeur his-
torique de la copie, SI cette copie est antérieure à quelque vingt ans. Une foule de docu-
ments d'une authenticité irrécusable ne sont conservés au dépôt de la guerre que sous la
forme de transcription. Quant à l'original, M. C. sait sans doute mieux que personne
entre les mains de qui il se trouve.
2. Cette date de 1811 (elle est bien lisible dans le fac-similé), s'accorde assez mal d'ail-
leurs avec l'interprétation de M. Crétineau qui représente le cardinal Consalvi la souscri-
vant au bas de son testament a prêt à paraître devant Dieu » (p. 44). Consalvi ne mourut
qu'en 1824, et il paraît bien que c'est en 181 2, à Reims, que le cardinal rédigea ses sou-
venirs. La date de 1821 semble bien préférable. Peut-être le fac-similé est fautif en cet
endroit, ou Consalvi, pensant aux événements de 1811, a commis lui-même un lapsus
calami.
102 REVUE CRITIQUE
empreints de passion. Est-ce ainsi que procède un historien? — Toute cette
argumentation est irréfutable.
Si, mieux inspiré, l'archiviste du Vatican avait serré de près la discussion, au
lieu de se laisser aller à des généralités peu concluantes, M. Crétineau n'en aurait
peut-être pas eu aussi bon marché. Une des objections auxquelles le Père Theiner
devait se tenir, parce qu'elle a une grande force, consiste à accepter les Mémoires
de Consalvi et à leur opposer purement et simplement les documents officiels.
Quel que soit en effet le mérite de souvenirs rédigés après les événements, ils
ne peuvent évidemment prévaloir sur les témoignages irrécusables de dépêches
écrites au cours même de ces événements. Le principe est ici tellement rigoureux
que M. Crétineau-Joly, ayant à en combattre les conséquences, faiblit immédia-
tement. Il partage les moyens de sa réplique en deux systèmes qui se détruisent :
l'un tend à avancer que la version des dépêches est identique à celle des Mémoires
(et cela n'est point exact); l'autre se rabat à faire valoir que Consalvi, écrivant
de Paris, ne se sentait pas libre, et qu'il ne croyait pas à la probité de l'admi-
nistration des postes, non plus qu'à la fidélité des courriers (et en effet cela
paraît résulter de la correspondance du cardinal). Mais, d'une part, si la première
proposition est vraie, à quoi bon la seconde .? Et d'autre part, ce n'est pas seule-
ment dans les dépêches envoyées de Paris que l'on signale des divergences impor-
tantes avec les Mémoires. Écrivant de Rome en 1801, dans toute la plénitude
de l'indépendance , Consalvi tient un autre langage et raconte autrement les
choses que dans ses souvenirs (Theiner, p. 148).
La solution des problèmes que soulève l'examen du concordat de 1801 se
trouverait dans la publication complète et intégrale de toutes les pièces qui s'y
rapportent. Si tel avait été le plan du Père Theiner, son travail serait irrépro-
chable. Malheureusement,, il ne déclare point avoir adopté ce plan, ce qui autorise
à penser qu'il s'est livré à un choix plus ou moins scientifique ; malheureusement
aussi le caractère de son ouvrage, et la connaissance (aujourd'hui à peu près
publique) des intentions qu'il a eues en l'écrivant, ne permettraient pas d'accorder
à ses assertions une foi entière. Sans entrer dans les détails rebutants dont
M. Crétineau-3oly (cet écrivain a presque toujours eu le bonheur d'être sûrement
informé) montre qu'il a au moins à demi la clef, sans exposer ici les intrigues
que des ambitions subalternes ont mises au service du Père Theiner à Paris , il
■ est nécessaire de rappeler que ce savant n'a pu pénétrer au fond des sources
secrètes de l'histoire impériale (fermées à tout le' monde) qu'au moyen d'enga-
gements tacites, de protestations verbales, et de professions faites à priori, c'est-
à-dire anti-scientifiques. Est-il permis de soupçonner avec M. Crétineau-Joly
que certains documents communiqués subrepticement au seul Père Theiner ou à
un de ses amis aient depuis disparu ? C'est aller un peu loin. Mais c'est rester
dans les limites de la saine critique, d'affirmer que l'historien du concordat de
1801 a omis ou altéré les faits contraires à la thèse qu'il s'est chargé de soutenir.
Ce serait en effet une erreur de croire que l'étude de M. d'Haussonville ait
plu à la cour de Rome. Ennemie du bruit inutile, attachée par nature à la tradi-
tion, cette cour n'aime pas également toutes les manières de la défendre; elle
n'aime pas qu'on soulève autour d'elle les problèmes à peu près résolus en sa
d'histoire et de littérature. 10?
faveur. Or depuis bien des siècles, les traités qui règlent les rapports du spirituel
et du temporel, les concordats, sont son modus vivendi. Elle sait ce qu'ils ont
produit dans le passé, elle ignore ce que leur abolition produirait dans l'avenir.
De là une répugnance prononcée à modifier son statut. Eh bien ! qu'il l'ait ou
non pressenti (à son insu, nous le croyons), la conclusion de M. d'Haussonville,
en apparence favorable au saint-siége, est au fond la démonstration des maux
inhérents au mélange des choses de la conscience et de celles qui tiennent au
gouvernement des nations. Rome a été mécontente plutôt que satisfaite de l'in-
vocation de luttes ardentes où cependant le beau rôle lui était ménagé. La raison
d'être de l'Histoire des deux concordats est tout entière dans cette situation.
Malgré notre désir d'être bref sur la querelle agitée entre M. Crétineau-Joly et
l'archiviste du Vatican, et bien que nous en ayons seulement esquissé les traits
principaux, la matière nous a entraîné au delà des bornes que comportent les
habitudes de la Revue. On sentira combien ces développements importaient à l'in-
telligence de la discussion. Et même avant d'aborder l'analyse directe de l'ouvrage
du Père Theiner, nous ne pouvons nous dispenser d'exprimer, une fois pour
toutes, le chagrin profond que causent aux esprits droits, soucieux de la vérité,
les ravages dont toute une partie du champ de l'histoire est désormais menacée.
Par une rare fortune, l'époque consulaire-impériale était entrée vivante au tom-
beau. Nous manquons de mots pour peindre la tristesse où nous jette la pensée
que de mesquines passions ou d'insignes maladresses ont attiré sur une statue
presque intacte la main des barbares. Il faut n'avoir jamais possédé au degré le
plus médiocre le goût de la science désintéressée, pour ne pas gémir à la vue
d'une grande page de nos annales qui s'en va en lambeaux, trouée par l'ineptie,
déchirée par la pusillanimité, sacrifiée à de plates ambitions et à de dégoûtantes
intrigues.
L'ouvrage du Père Theiner est divisé en treize chapitres sous les rubriques
suivantes : L L'Église de France aux prises avec la Révolution. II. Le général
Bonaparte et l'Église catholique avant le concordat. III. Circonstances et raisons
qui ont déterminé le général Bonaparte à conclure le concordat. IV. Négociation
de Spina à Paris pour le concordat. V. Négociation du cardinal Consalvi à Paris.
VI. Ratification du concordat à Rome et à Paris. VII. Un mot d'appréciation du
concordat. VIII. Le cardinal Capraraet la publication du concordat. IX. Récon-
ciliation du clergé constitutionnel. X. Création de cardinaux français. XI. Dévoue-
ment du premier consul aux intérêts de l'Église. XII. Relations personnelles
entre le premier consul et Pie VII. XIII. Remplacement de Cacault par le
cardinal Fesch.
Inégaux par le développement, ces chapitres le sont encore plus par le mérite.
Ceux qui portent les numéros III et VII sont la simple reproduction, l'un de
quelques pages de M. Thiers, l'autre d'une opinion émise par Dom Guéranger.
Il faut donc les retrancher de l'œuvre du Père Theiner. Les deux premiers cha-
pitres sont sans valeur; on n'y trouve aucune recherche neuve ou approfondie.
C'est l'amplification en style ecclésiastique d'un lieu commun qui traîne dans
toutes les compilations dépourvues d'étude. Les abîmes, les fléaux (p. 26), les
joies et les afflictions, etc., sont la monnaie courante de cette phraséologie où la
104 REVUE CRITIQUE
pensée est absente. La distinction historique entre Bonaparte et Napoléon (p. 27),
en forme un des ornements. L'hypothèse de la religion anéantie en France sans
l'intervention du premier consul en est la base. L'injure y est prodiguée à
Fauchet' et à Grégoire, sans critique et sans mesure (p. 16, 22, etc.). Voilà
donc quatre chapitres dont nous n'avons pas à nous occuper. Il faut en dire
presque autant, par des motifs analogues, de ceux qui terminent le livre. Le Xr
se compose du relevé de tous les passages de la Correspondance de Napoléon P%
où il est question de secours accordés à des prêtres ou à des églises. L'objet de
cette énumération est de prouver que le premier consul avait la foi. Il nous paraît
inutile de réfuter une argumentation aussi enfantine. Sous un titre différent, le
chapitre XI F n'est guère que la continuation du précédent. Il y est traité des
dons faits par Bonaparte à Pie VII et de l'histoire des deux bricks envoyés à
Civita-Vecchia. Il y a de la légèreté à confondre des témoignages de courtoisie
avec des marques de sincérité religieuse. Le reste est un commérage sur Pauline
Borghèse dans le genre de ceux dont les gagistes du libraire Ladvocat ont
rassasié la curiosité publique dans les dernières années de la Restauration
(Mémoires de Constant par exemple). Le chapitre XIIF enfin n'offre qu'un
intérêt secondaire, sa vraie place serait dans une biographie de Cacault plutôt
que dans l'histoire du concordat de 1801.
Le caractère des sept chapitres que nous venons d'analyser montre que le
Père Theiner pouvait en alléger son volume. Heureusement la disproportion
matérielle entre cette partie de l'ouvrage et celle dont il nous reste à parler est
fort grande. Les chapitres IV, V, VI, VIII, IX et X forment le corps du livre
(450 pages sur 580). Toutefois il y faut encore mettre un peu d'ordre; le décousu
qui règne dans les procédés de composition du Père Theiner a pour pendant la
confusion qu'il laisse dans ses idées. Des observations, celles qui devraient se
trouver réunies sont souvent fort éloignées de leur milieu naturel; les autres se
présentent à l'improviste, sans lien entre elles. Il y a dans son travail tout
ensemble de l'histoire, de la polémique , de l'enthousiasme religieux et de la
foi politique. Nous allons tâcher de le réduire à certains points principaux.
Ces points sont les suivants :
1° Réhabilitation de Bernier;
2° Réhabilitation de Caprara;
. 5° Amoindrissement de Consalvi;
40 Justification de Bonaparte;
50 Réfutation de M. d'Haussonville;
6° Satisfaction de désirs personnels (pour, mémoire voy. cependant p. 232).
Des cinq premiers chefs (les seuls que nous ayons à retenir ici), le premier et
le troisième sont ceux à propos desquels le Père Theiner a obtenu les meilleurs
résultats; il est permis d'affirmer qu'il a échoué sur les autres.
I. En revanche le Père Theiner est indulgent pour Lamourette. Un témoin non suspect
(puisqu'il fut chargé de publier sa rétractation) des derniers jours de Lamourette et de
Fauchet, le comte Beugnot, ne sépare pas ces deux hommes dans l'hommage qu'il rend à
leur piété et à leurs vertus. Il laisse même voir d'une façon assez sensible la préférence
qu'il accorde à Fauchet dans son estime (Mémoires, t. I, p. 215-218 et 249-2 51).
d'histoire et de littérature. 105
1° Réhabilitation de Bemier. Les passages les plus concluants en ce sens se
trouvent aux pages 116, 145, 160, 164, 181, 201, 203, 222, 225, 240, 276,
321, 567, 369, 389, 59s, 398, 489 (il est encore question de Bemier ailleurs,
mais pour des faits étrangers à cette discussion). Il en résulte que sans offrir un
modèle de désintéressement, Bemier ne manqua à aucune des règles essentielles
de la loyauté et de la bonne foi. L'accusation la plus grave qui pesait sur sa
mémoire était celle d'avoir prêté la main à la supercherie d'un nouveau projet
de concordat , substitué au moment de la signature à celui dont les négociateurs
étaient convenus. La publication du Père Theiner ne laisse rien subsister de la
mise en scène introduite en cet endroit par l'esprit évidemment troublé de
Consalvi. Il ne sert de rien à M. Crétineau-Joly de se railler de la perte (p. 100-
102) des deux billets envoyés en cette occasion par Bemier au cardinal, le matin
du rendez-vous (i 3 juillet). En effet la dépêche où Consalvi mentionne l'envoi
de ces deux billets subsiste; Consalvi y déclare formellement qu'il les annexe à
son rapport (p. 222). Et s'il est muet sur leur contenu en ce sens qu'ils auraient
porté à sa connaissance la tentative qui devait se produire le soir, il fait une
déclaration équivalente en exposant que le projet en question était joint aux deux
billets (p. 222); ce qui écarte implicitement l'intention de complicité dans cette
surprise de la part de Bemier. Il y a plus, la même dépêche (en date du 16 juillet)
constate que le curé de Saint-Laud fit visite quelques instants après au cardinal,
et que leur conversation roula sur la difficulté inattendue de la situation. Consalvi
exprima en termes appropriés à la circonstance ce qu'il y avait de fort dans le
procédé du gouvernement français. Bemier en convint, en ajoutant qu'il ne
fallait pas désespérer (jp. 223). Rien de plus explicite. Ainsi le récit dramatique
où Consalvi se représente tenant déjà la plume, prêt à signer, jetant par une
sorte d'inspiration divine un coup-d'œil sur l'acte, frappé de stupeur à la vue
d'une odieuse substitution, poussant des exclamations, et ne trouvant autour de
lui que des visages atterrés, Bemier balbutiant quelques excuses impossibles,
comme un malfaiteur surpris en flagrant délit, tout cela doit être rayé de l'histoire.
Si Bemier, en cette circonstance, manqua de fidéhté (ce qui nous semble inad-
missible, la déloyauté ne pouvant jamais être un devoir), ce fut envers le gou-
vemement français, et non envers la cour de Rome, et les règles de son état.
Telle fut certainement à cette époque l'opinion de Pie VII et de Consalvi lui-même.
Les témoignages d'une estime sincère et non banale et d'une reconnaissance
sérieuse de leur part pour le négociateur français, abondent dans les documents
publiés par le Père Theiner. (f II fait tout pour concilier les choses » (Consalvi,
p. 181). «Nous proclamons hautement que vous avez sauvé l'unité de l'Église»
(Pie VII, p. 1 16). a Mes sentiments sont ceux d'un homme d'honneur, et qui
» croit parla avoir des droits à votre estime » (Consalvi, p. 145). Protestation
d'attachement et d'estime (Consalvi, p. 160). Prière au premier consul de
désigner Bernier pour faire partie de la promotion des cardinaux dite des cou-
ronnes (Pie VII, p. 489). — Maintenant, que le futur évêque d'Oriéans ait
apporté dans la négociation les principes austères d'un janséniste, par exemple,
non ! C'était un esprit qui aimait trop le mouvement (témoin son rôle actif en
Vendée) pour que la satisfaction de figurer dans la confection d'un acte impor-
I06 REVUE CRITIQUE
tant, et le désir de se faire valoir n'entrassent point pour une certaine part dans
les mobiles de sa conduite. On le voit, une fois les négociations terminées, montrer
trop d'empressement selon nous à rappeler ses services, saisir avec trop d'ardeur
les occasions d'intervenir, d'écrire au pape, au premier consul, etc. (dans
Theiner passim). Mais ces petites faiblesses ne dépassent pas après tout les limites
de l'ambition permise à un prêtre même sous le voile des intérêts de sa religion.
2° Réhabilitation de Caprara (p. 269, 278, 280, 517, 320, 466, etc.). Un
des torts de conduite reprochés le plus vivement à ce cardinal est celui d'avoir
cédé dans l'affaire de la rétractation du clergé constitutionnel, et d'avoir admis la
formule du gouvernement français contraire aux principes de l'Église catholique.
La faute n'est pas niable ; mais le Père Theiner la montre couverte par l'appro-
bation de la cour romaine. « Sa Sainteté, écrit Consalvi à la date du 23 juin
» 1 802, a vu avec la plus grande satisfaction que cette formule contient ce qui est
» indispensable et cela lui suffit « (p. 466). Voilà qui est explicite. Mais la pusil-
lanimité ordinaire et générale du cardinal Caprara est un fait qui reste acquis à
l'histoire malgré et après la publication du Père Theiner. Sa complaisance à
subir un ascendant funeste aux intérêts qu'il était chargé de défendre, à accepter
avec les marques d'une satisfaction hautaine et presque méprisante une position
fausse et subalterne, ne demeure pas moins certaine.
3° Amoindrissement de Consalvi. Tout développement serait ici superflu. Les
questions traitées précédemment suffisent à faire voir que le Père Theiner a obtenu
sur ce point, peut-être même au delà de ses désirs, un succès complet. Manifeste-
ment, le cardinal a fait œuvre de passion ' en écrivant ses souvenirs. C'est une
preuve ajoutée à toutes celles qu'on avait déjà du caractère inférieur au point de
vue historique des autobiographies , même quand elles émanent d'esprits émi-
nents. Il n'est guère permis d'y chercher que la trace des mœurs d'une époque,
des idées d'une classe de personnes, et de leurs émotions définitives. La source
des faits est ailleurs.
4" Justification de Bonaparte. C'est la partie la plus faible de l'ouvrage. Il
était impossible d'y accumuler plus de maladresses. Tout concourt à ce résultat;
l'emploi par le Père Theiner d'une langue qui n'est pas la sienne et dont le
maniement est si délicat dans les polémiques ; l'ignorance où il est resté de faits
trop connus du public français pour être discutés sérieusement devant lui, enfin
l'insuffisance générale de ses notions sur le caractère du gouvernement de l'an
VIII. Il est manifeste par exemple que l'expression a souvent trahi la pensée de
l'auteur ; que la forme se tient en deçà ou va au delà du fond. Il eût été plus
sage d'écrire en latin ou en allemand. Mais il s'agissait de retourner l'opinion du
clergé français et de réfuter M. d'Haussonville. Voilà le mal. Il y aurait mau-
vaise grâce à abuser d'une situation fausse ^ Toutefois il y a un excès d'igno-
1 . Il résulte toutefois du propre témoignage de Consalvi qu'il n'avait pas la mémoire
sûre. Dans une dépêche du 2 juillet 1801 , il déclare ne plus se rappeler exactement une
disposition importante d'une lettre écrite par lui au ministre Acton peu de jours aupara-
vant (p. 199). Dans celte hypothèse, l'oubli entrerait pour une part dans les causes des
erreurs matérielles des souvenirs du cardinal.
2. M. Crétineau-Joly triomphe trop bruyamment selon nous de l'infirmité desonadver-
d'histoire et de littérature. 107
rance qui triomphe de toute indulgence. Quand !e Père Theiner débite grave-
ment de Sieyès, « cet ex abbé vieux renard » que depuis 1789 il « avait joué le
premier rôle ' » (p. 32), de Bonaparte, que le 18 brumaire « fut une journée
où on lui remit le pouvoir » (p. 352) etc., vraiment on est tenté de croire qu'il
se moque de ses lecteurs. Passons à l'examen des propositions de la thèse.
Elles consistent à soutenir que le catholicisme était ruiné en France sans le pre-
mier consul; que sa conduite fut dictée par des sentiments religieux; que dans
toute la partie de ses négociations funestes ou défavorables à la Cour Romaine,
il eut la main forcée et fut toujours personnellement de bonne foi.
La première hypothèse se résoud par la seconde, ou plutôt elles n'en font
qu'une. Il est incontestable que le premier consul ayant à affermir son pouvoir
présent et futur, dût chercher et chercha autour de lui des points d'appui et non
des occasions d'embarras. Si donc la restauration du catholicisme, comme reli-
gion officielle ou quasi-officielle, entra dans son plan, ce fut non pas seulement
à cause de la force inhérente à cette religion, mais parce qu'elle avait dans la
nation des racines encore assez vivaces pour reprendre un prompt épanouisse-
ment et former la base d'une autorité politique. Si l'Eglise constitutionnelle
peut être regardée comme un acheminement vers un schisme, il est nécessaire
d'observer qu'elle ne se séparait point dans ses manifestations du saint -siège,
qu'elle professait au contraire le dogme d'une union au moins virtuelle.
L'orthodoxie pure était en outre restée debout, sans parler de la Vendée ou de
la Bretagne, dans nombre de provinces. Bonaparte n'avait donc à vaincre que
l'opposition superficielle d'un petit groupe de philosophes et l'indifférence voltai-
rienne de l'armée. Il savait fort bien qu'il en serait quitte pour quelques railleries
transitoires, et que les premières cérémonies auxquelles il ferait assister les
hommes qui l'avaient vu à l'œuvre en Italie et en Egypte seraient regardées
comme des capucinades ; que l'empire de l'habitude triompherait bien vite d'une
émotion fugitive et que cette émotion ne pénétrerait point dans les couches infé-
rieures et denses de la société. Telle est la vérité ^ et ce que le Père Theiner
allègue à l'encontre n'a aucune valeur. Sans doute l'assertion de l'évêque Lecoz
que le culte était établi en 1797 dans 40,000 communes est exagérée et nous
avons reproché ici même à M. d'Haussonville d'avoir accepté un pareil calcul
sans contrôle}. Mais l'archiviste du Vatican se charge de se réfuter lui-même lors
qu'il constate que « le clergé constitutionnel avait continué, dans les jours de
saire et de sa lourdeur d'écrivain. II est bien vrai que Theiner écrit session pour séance
{p. 22^2^2), rédaction pour feuille; pendant ses bains pour pendant son séjour aux bains
(p. 217). P. 37 il dit : « Bonaparte accorda généreusement cette faveur avec réserve >
(p. 37), etc. Ces inadvertances ne portent pas en somme préjudice à l'intelligence du texte,
non plus que les germanismes dans le genre de celui-ci : « Un nouveau serment devint
» prescrit » (p. 34).
1. Il n'y a que deux actes dans la vie de Sieyès : sa brochure de 1789 et la constitu-
tion de l'an VIII. Tout son art consista le reste du temps à se faire oublier.
2. L'archiviste du Vatican l'avoue lui-même en ces termes : La mobilité du génie fran-
çais, le peu de goût du peuple pour les discussions religieuses et l'esprit voltairien, contri-
buèrent pour beaucoup au succès du concordat (p. 454).
3. Rev. ait., 1868. I, 175.
I08 REVUE CRITIQUE
terreur, l'exercice du culte catholique » (p. 450); que le clergé avait « élevé sa
tête triomphante sur toute la surface de la France » (p. 45 1) ; qu'il ne comptait
pas moins de 12,000 membres; quand il raconte Caprara arrivant à
Paris à travers les hommages, les attentions, les honneurs et l'enthousiasme de
toute la population (p. 324, 32$). Pour opérer ce prodige, il avait suffi d'un
coup de baguette. Quant aux sentiments religieux de Bonaparte, nous avons déjà
indiqué à propos du ch. XI les tristes preuves que le Père Theiner en donne.
Celles qu'il déterre ailleurs sont de même force. Il se paie, comme d'argent
comptant, des lieux communs répandus par Bonaparte pendant ses campagnes
d'Italie sur le cas qu'il faisait des bons prêtres (p. 30. 31). Les sentiments d'es-
time affichés par le général de la République pour les mérites de Jésus-Christ
sont exactement du même ordre que ceux qu'il proclamait en Egypte pour les
vertus du Prophète. Et c'est bien inutilement que le Père Theiner conteste
à ce sujet l'attitude incontestable du vainqueur d'Aboukir.
S'il convenait au premier consul de se servir de la religion catholique, il ne
lui convenait pas du tout de devenir un instrument entre les mains de la Cour
Romaine. Il entendait bien rester absolument le maître ; il savait parfaitement
qu'il avait affaire à forte partie, et que les précautions les plus minutieuses
n'étaient pas toujours contre un joueur aussi habile une suffisante garantie. De
là ses ruses, de là ses violences. A l'évidence des faits, le Père Theiner oppose
le système le plus ridicule. A un point de vue général, il représente le premier
consul comme dominé, enchaîné par l'hostWïté du gouvernement (sic) ; dans l'étude
des détails, il le montre asservi à la volonté des commis de ses ministres. Les
expressions de notre auteur atteignent quelquefois dans cette argumentation la
dernière borne du comique. « Le parti anti-religieux yugu/ai/ le premier consul »
(p. 388). Devant une opposition aussi puissante (celle que l'on sait), Bonaparte,
dit-il, devait nécessairement fr^mWer » (p. 207). Et ailleurs, cefut «au risque de
sa vie, » qu'il fit le concordat (p. 451) Est-il utile de réfuter de pareilles asser-
tions ? Sauf en ce qui touche les questions techniques, deux hommes seulement
eurent de l'influence sur les volontés de Napoléon, Fouché et Taileyrand. Fou-
ché se tint dans ces circonstances tout à fait à l'écart. Taileyrand avait des
raisons particulières de préférer le schisme au concordat. Mais il avait trop de
sagacité pour ne pas comprendre que toute résistance, se produisant de sa part,
en présence d'un intérêt prédominant, serait non avenue ; il savait en outre que
la Cour de Rome s'est toujours montrée facile dans les questions de personnes,
et qu'elle se contente volontiers de la forme extérieure du repentir ' . La négo-
1. Les documents publiés par le Père Theiner complètent sur un point important la
biographie du prince de Bénévent. On a plus d'une fois remarqué que le bref de séculari-
sation accordé à Taileyrand ne contenait aucunement, ainsi qu'il affectait de le croire,
l'autorisation de se marier. De là une présomption, mais une présomption seulement de
mensonge. Aujourd'hui nous en avons des preuves. Ce n'est pas un silence plus ou moins
concluant qu'a gardé le saint-siége; c'est un refus absolu qu'il opposa à une demande en
forme, demande présentée par Bonaparte en personne au nom de Taileyrand, refus envoyé
par Pie VII en personne, en vertu ae principes immuables (24 mai, 30 juin 1802, p. 444-
448).
d'histoire et de littérature. 109
cialion avec elle ne lui causait donc qu'un très-léger embarras dont il sortit
heureusement au moyen d'une courte absence colorée par des raisons de santé.
Quels sont donc les terribles personnages dont le Père Theiner nous montre
Bonaparte redoutant les colères? (Theiner prononce le mot : menaces, p. 216)
Qui le croirait ? Ce sont Gaillard, chargé de l'intérim du Ministère, pendant
l'eloignement de Talleyrand, d'Hauterive ', qui rédigea certaines notes contre le
projet de Consalvi. (p. 215-218) ; Grégoire et Lecoz dont l'esprit animait le
concile national (p. 190). Qui encore ? Le gouvernement (p. 232). Qu'est-ce
que le gouvernement ? Evidemment le Père Theiner a cru qu'il y avait en 1801
un ensemble d'autorités étrangères et supérieures à la volonté consulaire. De ce
que, pour masquer le retour du régime absolu, les conspirateurs du 18 brumaire
avaient imaginé un mot qui pût tenir lieu de termes hors d'usage ou encore
odieux, de sorte qu'il fût commode de dire, par exemple, arrêtés, garde, palais,
etc., du gouvernement, l'archiviste du Vatican a conclu que le premier consul
pouvait être déchargé d'une partie de la responsabilité de ses actes. S'il avait
mieux étudié les documents qu'il publie lui-même, il ne serait pas tombé dans
une pareille méprise. Il aurait trouvé dans les dépèches de Gonsalvi et autres les
marques irrécusables de la toute puissance de Bonaparte, et l'attestation de ses
propres et furieux mouvements (p. 89 « sa volonté de fer, » p. 1 96, « ici ce
qu'on veut on le veut, » etc. p. 221, 226, 243, 244, 264; 317). Et les fameu-
ses menaces d'aller au protestantisme, de qui sont-elles, sinon de lui (p. 456-
458)? En fait il commande et la France obéit (p. 382, 388, 397, 398, 400,
401, 449. Voy. surtout ce passage d'une lettre de Bemier à Gonsalvi: « Le con-
cordat a été admis hier, sans discussion, au Conseil d'État ; il s'imprime en ce
moment et sera présenté après-demain au Corps législatif non pour être approuvé
ou rejeté, mais pour être promulgué; » et plus loin: « je ne m'attends à aucune
difficulté au Corps législatif. Ce sera sa première opération, il la fera bien ', „
3 avril 1802. p. 397-398). — Il est donc juste d'attribuer à Bonaparte l'œuvre
du Concordat ; sans le prestige de son autorité morale et matérielle, jamais le
Saint-Siège n'aurait été amené aux concessions qu'il en a obtenues ; mais il faut
laisser au premier consul cette œuvre avec tous ses tenants et ses appendices,
c'est-à-dire avec son cortège d'arrière-pensées dans le but, de supercheries
dans les moyens.
5° Réfutation de M. d'Haussonville. Ce numéro rentre pour le fond dans le
précédent. Mais sur des points de détail M. d'Haussonville est pris à partie et
nominativement attaqué par le Père Theiner, pages 82, 237, 300, 317, 320,
321, 384, 385, 394,395. 396,449, 562, dans le texte même de l'ouvrageou
1 . M. Crétineau-Joly attribue (p. 97) une de ces notes, d'après les souvenirs de Consalvi,
à Talleyrand. Mais l'écriture de l'ancien évêque d'Autun est trop connue pour qu'il y ait
à cet égard de sérieux débats. L'accès des archives du ministère des aôaires étrangères est
le seul point qui fasse des difficultés.
2. P. 401. Le Père Theiner constate t la majorité merveilleuse» du vote. Au Tribunal
il y eut 78 suffrages pour le Concordat, 7 contre. Au Corps législatif, il n'y eut que 21
opposants (majorité 228).
I 10 REVUE CRITIQUE
dans des notes y jointes. Sans valeur en ce qui touche le corps du débat, les
reproches de l'archiviste du Vatican, toujours acrimonieux dans la forme, sont
rarement justes, même circonscrits à des objets minutieux. Ainsi il blâme
M. d'Haussonville d'avoir suivi, dans le récit du voyage de Spina à Paris, les
souvenirs de Consalvi plutôt que l'histoire d'Artaud. Il est manifeste cependant
que jusqu'à preuve du contraire les Mémoires du cardinal pouvaient être regar-
dés comme une source aussi bonne que ceux du collaborateur de Cacault. La
version du Père Theiner est d'ailleurs très-confuse et nous avouons avoir fait
pour notre part de vains efforts pour la comprendre (p. 80-90). Le reproche
« d'avoir pris au sérieux » ce que Consalvi raconte au sujet de la fameuse scène
du 1 5 juillet 1801 tombe par les mêmes motifs. Il ne va pas de soi comme l'ad-
met le Père Theiner qu'un prince de l'Eglise invente une pareille « fable ' »
(p. 237). L'accusation d'avoir omis l'emploi de certains papiers de la légation
Caprara (p. 562) n'est pas plus heureuse. Si M. d'Haussonville ne les a pas mis
à contribution, c'est apparemment qu'on ne les lui a pas communiqués. Le Père
Theiner devrait savoir cela mieux que personne. Quand M. d'Haussonville use
contre Dernier d'une lettre d'Hoche désignant cet abbé comme « soupçonné
d'aimer avidement l'argent » (p. ?2i), il se sert d'un procédé fort légitime,
puisqu'àcoup sûr l'observation du vainqueur de la Vendée n'a pas été faite pour
le besoin de la discussion. En relevant l'attitude complaisante de Caprara,
M. d'Haussonville ne pouvait soupçonner l'adhésion jusqu'alors ignorée de Con-
salvi aux actes de ce prélat, tandis que le même Consalvi faisait de ces actes l'ob-
jet d'une critique amère dans ses souvenirs (p. 394-396). En signalant les dons
pécuniaires acceptés par Caprara du gouvernement français, M. d'Haussonville
constate un fait acquis à l'histoire, et il avait le droit d'y voir le prix de plus
d'une faiblesse. La prédilection, dans une certaine mesure, du premier consul
pour le clergé constitutionnel, prédilection fort naturelle, puisque l'autre clergé
était généralement royaliste, ne pouvait être omise par l'historien de l'Église
Romaine et du premier Empire. Le Père Theiner devait d'autant moins affecter
de s'étonner de l'observation que, peu soucieux de se mettre d'accord avec lui-
même, il représente le clergé constitutionnel (après l'avoir bien des fois bafoué),
comme animé des sentiments les plus « patriotiques » et « cher à la nation »
(p. 449). Enfin l'archiviste du Vatican fait preuve d'une ignorance surprenante,
lors qu'à propos de l'assertion de Lecoz qu'au 1 5 août 1797 le culte était rétabli
dans 40,000 communes de France, il s'écrie: « L'illustre auteur (M. d'Haus-
« sonville) aurait dû se demander comment il y avait plus de 40,000 communes
« en France en 1797, tandis qu'il n'y en a aujourd'hui que 37,548. » (p. 300).
Evidemment la France date pour le Père Theiner du second empire *, et il
pense bonnement que le territoire enlevé par Bonaparte aux mains de la Répu-
1. Ailleurs notre auteur se sert des expressions « comédie, roman » (p. 232).
2. Notre auteur se donne la peine de dresser un tableau comparatif entre l'étendue de
la France avant et après la dernière incorporation de la Savoie. Il lui en aurait moins
coûté d'ouvrir l'Almanach National de l'an VII, où il aurait vu qu'à cette époque la France
comptait 98 départements.
d'histoire et de littérature. I I I
blique fut celui que la Restauration reçut de Napoléon I". Quant à l'imputation
contenue à la page IX de Vintroduction que « les Mémoires de Consalvi forment
l'unique base de l'ouvrage de M. le comte d'Haussonville, » elle est d'autant
plus extraordinaire que la Père Theiner ne peut se dissimuler qu'il y a là un
véritable mensonge. Si V histoire de l'Eglise Romaine et du premier empire n'avait
fait que répéter les souvenirs de Consalvi, l'Histoire des deux Concordats n'aurait
point vu le jour.
En résumé, la publication du Père Theiner renferme des documents très-
précieux; elle pouvait être fort utile. Mais elle s'est rétrécie aux proportions
d'une œuvre de parti et elle ne réussira point en France. On accepte assez faci-
lement ici dans un livre historique des éléments étrangers à la science ; mais il
faut qu'un air de courage et un parfum d'honneur leur servent au moins de passe-
port ; il y a des platitudes qui révoltent le lecteur le plus froid. Avocat compro-
mettant, l'archiviste du Vatican gâte ses meilleures causes. Non content de
justifier par exemple Dernier de toute participation à la substitution inqualifiable
du 1 3 juillet, il prétend innocenter sur ce point le premier consul. Il bâtit à ce
propos toute une théorie qui consiste à avancer « que jusqu'à la signature d'un
acte, on peut le changer» (p. 257). Les deux parties, apparemment, et non une
seule ! et alors elles se donnent rendez-vous pour délibérer et non pour signer.
Bonaparte espérait enlever l'affaire par intimidation et par brusquerie. Tout le
reste n'est que fausseté. De même l'apologie de Caprara est fondée par le Père
Theiner sur ce raisonnement : Un négociateur doit s'attacher d'abord à la lettre
de ses instructions, ensuite à la substance des dites instructions, enfin à la subs-
tance de la chose. Une pareille doctrine peut être accueillie par un casuiste aux
prises avec les scrupules plus ou moins sincères d'une conscience troublée ; elle
ne peut servir de base aux jugements d'un historien. H. Lot,
1 59. — Berkeley's Abhandlung ùber die Principien der menschlichen Erlcenntniss
in's Deutsche ùbersetzt und mit eriaûternden und prûtenden Anmerkungen versehen
von D' Friedrich Ueberweg, ord. Prof, der Philosophie an der Universitast zu Koenigs-
berg. Berlin, 1869, Heimann. In-8*, xiv-149 p. — Prix : 75 c.
M. Ueberweg a traduit, en y ajoutant des remarques, le traité de Berkeley
sur les principes de la connaissance humaine. Dans cet ouvrage publié en 1710,
Berkeley développe systématiquement le paradoxe célèbre qui lui assure une
place dans l'histoire de la philosophie. On sait qu'il nie absolument l'existence
du monde corporel et qu'il ne reconnaît d'autres substances que l'intelligence
divine et les esprits finis qu'elle a créés. Locke, dont la philosophie est le point
de départ de la doctrine de Berkeley, admettait déjà que la couleur, le son,
l'odeur, le goût, les qualités secondaires en un mot existent seulement dans le
sujet sentant mais non dans l'objet senti. Berkeley étend cette assertion aux
autres qualités, figure, étendue, mouvement. Il en conclut que ce que les hommes
appellent un objet n'est qu'un ensemble de sensations qui n'existe que dans le
sujet sentant et au moment où il sent. M. U. fait remarquer ici avec justesse
(Rem. 8-1 5) que Berkeley suppose ce qu'il s'agit de démontrer, à savoir qu'il
112 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
n'y a pas d'objet en dehors du sujet sentant qui, agissant sur lui, y produise des
sensations correspondantes à leur cause quoique différentes, Berkeley admet
d'ailleurs que les sensations ne sont pas des rêves et des hallucinations. Elles ont
une cause indépendante du sujet sentant; et cette cause, c'est Dieu, qui produit
dans les esprits finis les sensations au moment où ils les éprouvent. Mais alors,
se demande Berkeley à lui-même (§ 60), à quoi bon tout cet appareil de moyens
que nous remarquons dans les œuvres de l'art et de la nature et qui sert à pro-
duire un effet que Dieu pourrait produire sans tant d'intermédiaires compliqués ?
Berkeley répond (§ 62) que ces intermédiaires sont nécessaires, parce que Dieu
dans sa sagesse et dans sa bonté, pour développer l'intelligence de l'homme, a
voulu agir conformément aux lois de la mécanique et montrer ainsi à l'homme
comment il devait agir lui-même. Il n'y a pas dans la nature un enchaînement
de cause et d'effets (§§ 64-6 5) ; il n'y a que des combinaisons de signes qui nous
enseignent comment nous devons procéder. M. U. fait observer (Rem. 77-80)
qu'on voit ici comment la doctrine de Berkeley est incompatible avec un ordre
régulier quelconque dans la nature. Si les choses n'existent que comme sensations
et au moment où la sensation est éprouvée, il s'ensuit que, la sensation de l'effet
précédant celle de la cause, la cause a dû exister avant d'exister, puisque son
existence est la condition de celle de l'effet.
Ce qui est curieux au point de vue psychologique, c'est que Berkeley annonce
dans le titre de son ouvrage et croyait fermement que sa doctrine coupait court
au scepticisme et à toutes les objections des matérialistes et des athées contre
Dieu et la religion. Elle coupe court au scepticisme, en ce que le principal argu-
ment des sceptiques est détruit. En effet nous ne pouvons démontrer que notre
pensée soit conforme à un objet extérieur, ce qui est considéré vulgairement
comme la condition de la vérité. Or il n'y a pas d'objet en dehors de nous. Donc
l'objection des sceptiques ne subsiste plus. D'autre part il n'y a pas de matière.
Donc le matérialisme manque de base, ainsi que l'athéisme qui est Ué intimement
au matériahsme. Berkeley, comme a fait remarquer M. U. (Rem. 1 14) n'explique
pas (§ 14$) comment nous pouvons nous tenir pour assurés de l'existence
d'autres esprits en dehors de nous. Nous ne connaissons les autres hommes que
par les impressions qu'ils font sur nos sens. Or s'il n'y a pas d'objet correspon-
dant à mes sensations, si mes sensations existent seules au moment où je sens,
qu'est-ce qui m'assure qu'il y a d'autres esprits que le mien .?
Les remarques de M. U. portent le caractère de justesse et de pénétration
qui distingue ses autres ouvrages. Cette publication est le 22" cahier d'une
bibliothèque philosophique dont le plan devrait être imité chez nous. M. Havet
a déjà donné un excellent exemple de cette méthode de discussion et de commen-
taire dans son édition des pensées de Pascal. On devrait le suivre pour Descartes,
Malebranche, Locke, Leibniz. Je ne connais pas le commentaire de la Raison
pure de Kant publié par M. de Kirchmann dans la bibliothèque allemande. Mais
s'il ressemble à celui de Berkeley, il nous rendrait service en France.
Charles Thurot.
Nogenl-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Hof- Staats- u. Kriegs-Archivs, Corres-
pondenzen u. Quellen geschichten. In-8*,
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de Nicolas I", empereur de Russie. 2' éd.
revue et corrigée. T. 2.1n-i8jésus, 39SP-
Paris (Amyot).
La Ménardière. Un épisode de l'histoire
du Nord au XVII' siècle 11648-1660).
In-8*, 36 p. Nancy (imp. V* Raybois).
Le Gointe. Etude sur la première Croi-
sade. Coup d'oeil sur l'ordre des Hospi-
taliers de Saint-Jean de Jérusalem. In-8*,
129 p. Caen (Le Gort-Clérion).
Léflocq. Études de mythologie celtique.
In- 18, 315 p. Orléans (Herluison).
Lenormant (F.). Manuel d'histoire an-
cienne de l'Orient jusc^u'aux guerres mé-
digues. T. 2. Assyriens, Babyloniens,
Medes, Perses. In-18 jésus, 494 p. Paris
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çaise. 22* livraison (9* du t. 2). In-4*,
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Zeitbewustreins. In-8*, 344 p. Frank-
furt am Mein (Heyder und Zimmer).
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des femmes, que composa maislre Marcial
de Paris, dit d'Auvergne, procureur au
Parlement de Paris. Publiée pour la pre-
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ï A O D /^ D T— I T7 r^ J T7 ^^ ^^^ Charles VIII par raaistre
LA 1 rvW r 11 C-L I Ci Cuilloche Bourdelois, publiée
pour la première fois d'après le manuscrit unique de la Bibliothèque impériale,
par le marquis de La Grange. Petit in-8°. 7 fr. jo
AA yr A D T tr t* T' rr ^"^ ^^^ tombes de l'ancien empire que
• iVl /\ Iv 1 lL i 1 Ej l'on trouve à Saqqarah. Gr. in-S-' avec
3 planches. 3 fr.
HARTWIG DERENBOURG
Essai sur les formes des pluriels arabes. In-8°. 3 fr.
Hx Ti r T-i T I De l'ordre des mots dans les langues anciennes cora-
• V V I_j 1 ]—< parées aux langues modernes. Nouvelle édition rcMie,
corrigée et augmentée, i vol. in-8°. 3 fr. 50
Cet ouvrage forme le 5*" fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
Af~^ \ C ^~p K TV T Le Capitole de Vesontio et les Capitoles pro-
• v--</vO 1 r\iN vinciaux du monde romain. In-8° avec 5 pi.
3fr.
PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Gentralblatt fur Deutschland. N° 30. 17 juillet.
Théologie. Wittichen, Der geschicbîliche Charakîer d. Ev. JohanniSy in Verbin-
dung mit d. Frage nach seinem Ursprunge, Elberfeld, Friderichs. L^auteur trouve
au quatrième évangile un caractère juif très-prononcé et ne voit pas de raison
pour ne pas l'attribuer à Tapôtre Jean , vues très-contestées par le critique. —
CzERWENKA, Geschiclite d. Evang. Kirche in Bœhmen, t. I, Bielefeld, Velhagen u.
Klafing. — Histoire. Art militaire. Schlesische Fiirstenbilder d. Mittelalters... hgg.
von LucHS, Breslau, Trewendt. — Specht, Geschichte d. Waffen, nachgewiesen
u. erlsutert darch die Kulturentwickelung d. Vœlker u. Beschreibung ihrer Waffen aus
aîlen Zeiten, l'^Mivr., Cassel, Luckhardt; article très-favorable. — Wùrdinger,
Kriegsgeschichte von Bayern, Franken, Pfalz und Schwaben, von 1347 bis i $06,
t. II, Mùnchen. — Droit. Engelmann, Der Rûckfall d. Eigenthums im rœmischen
Rechte, Stuttgart, Nûbling. — Linguistique. Histoire littéraire. Rig-Veda Sanhiîa.
The Sacred Hymns ofthe Brahmans îrandaîed and explained by F. Max Muller, t. I.
Hymns to the Maruts or the Stormgods, London, Trùbner; compte-rendu très-
élogieux et plein de déférence par M. Delbruck. — Raun, De Cliîarcho, Diodori,
Curtii, Justini auctore, Bonn, Marcus. — Macrobius, Fr. Eyssenhardt reco-
gnoviî, Leipzig, Teubner. — Uppstrôm, Goîiska bidrag, Upsal; Bernhardt,
Kritische Untersuchungen iiber die goîhische Bibeliibersetzung, 2*^ cahier, Elberfeld,
Volkmann. — Shakspere's Hamlet, englischer Text berichtigt und erklaert von
B. Tschischwitz, Halle, Barthel; premier vol. d'une édition complète de Shaks-
peare pour l'Allemagne, le critique lui reproche des notes trop élémentaires. —
Mythologie. Bratuscheck, Germanische Gœîtersage, Berlin, Lœwenstein.
The Athenœum. 3 1 juillet.
Littérature. Schenkel, A Sketch ofthe Character of Jésus, Longmans and C°;
article véritablement critique. — Pinder, Sélections from the less know latin Poets,
Oxford, Clarendon press. — Robertson, The gaelic Topography of Scotland, and
what it proves explained, Edinburgh, Nimmo; article un peu fantaisiste sur un
ouvrage qui paraît tout à fait dépourvu de critique (cf. sur un autre livre du
même auteur Rev. crit., 1867, art. 81). — Young (Archibald), An historical
Sketch of the French Bar, from its Origin to the présent day, Edinburgh, Edmons-
ton and Douglas; il est difficile d'apprécier la valeur du livre d'après l'article qui
lui est consacré. — Stevenson, Calendar of State papers, Foreign Séries, of the
reign of Elizabeth, 1563, Longmans and C°; contient l'analyse d'environ 1600
documents dont beaucoup intéressent l'histoire de nos guerres de religion. —
The Parallel holiness of mounts Zion and Moriah (2" lettre). — Le Weekly Gossip
de ce n° contient tout un compte-rendu, bref mais instructif, des Romans de la
Table ronde de M. P. Paris (cf. Rev. crit., 1868, art. 178). Nous croyons cette
notice de M. Fr. Furnivall, bien connu par ses travaux sur l'ancienne littérature
anglaise. — Science. Sous cette rubrique figure un compte-rendu de la session
de l'Institut archéologique à Bury St. Edmunds. — Beaux arts. Archaologia
Cantiana, being transactions of ihe Kent archaological Society, vol. VII; ce vol. est
occupé en grande partie par un mémoire du prof. WiUis sur l'histoire architec-
turale du monastère de Christ Church, à Canterbury. — A la fm, parmi les
miscellanea, une bien absurde étymologie du mot knot.
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 34 — 21 Août — 1869
Sommaire : i6o. Weil, l'Ordre des mots dans les langues anciennes. — i6i.
Krauss, Corrections aux lettres de Cicéron. — 162. Esselen, Histoire des Sigam-
bres. — 163. Grœber, les Manuscrits de la chanson de Fierabras. — 164. Reuss,
Josias Glaser et son projet d'annexer l'Alsace à la France. — Variétés : Un Diction-
naire biographique des Alsaciens célèbres ; — La Revue Celtique.
160. — De Tordre des mots dans les lances anciennes comparées aux
langues modernes. Question de grammaire générale par Henri Weil. Paris,
Vieweg, 1869. In-8', 100 p. (Troisième fascicule de la collection philologique). —
Prix : j fr. 50.
Cette publication est la réimpression d'une thèse présentée à la Faculté des
lettres de Paris, en 1844, par M. Henri Weil, le savant éditeur d'Eschyle et
d'Euripide. L'ouvrage est divisé en trois chapitres, précédés d'une introduction
qui présente l'historique de la question traitée. Dans le premier chapitre, M. W.
traite du principe de l'ordre des mots, dans le second, du rapport entre l'ordre
des mots et la forme syntaxique de la proposition, dans le troisième, du rapport
entre l'ordre des mots et l'accent oratoire.
Denys d'Halicarnasse (de compositione verborum, y), Demetrius {de Elocutione,
§ 199 et suiv.), Quintilien (9, 4, 24), Hermogène (de formis orationis, i, 3),
Priscien (XVII, § 105), parlent d'une théorie de l'ordre des mots d'après laquelle
l'ordre naturel (Demetrius dit s-jfjix^,) des mots serait l'ordre que nous appelons
aujourd'hui analytique. Au moyen-âge, dès le xii' siècle, cet ordre était appelé
ordo naîuralis et prescrit pour faire la construction (consîrueré) dans l'explication
des auteurs, comme nous procédons encore aujourd'hui quand nous faisons le
mot-à-mot. Au xviii^ siècle Du Marsais soutint que cet ordre qu'il appelle
construction simple, nécessaire, naturelle est « le moyen le plus propre et le plus
» facile que la nature nous ait donné pour faire connaître nos pensées par la
» parole '. « Il se fonde sur ce principe que « tout ce qui change, change par
» autrui; tout changement de terminaison est un effet; tout effet a une cause 2. »
Or dans cette phrase de Cicéron Diuturni silentii finem hodiernus dies atîulit « je
» vois ici Q^Q finem est la seule cause du gémvA diuturni silentii; je dis donc
)) finem diuturni silentii, non parce que je dirais en français la fin du discours,
» mais parce que la cause précède l'effet Finem est encore un cas oblique,
» à cause de attuHt, et attulit a pour raison de sa terminaison dies hodiernus.
» Ces deux derniers mots conservent la terminaison de leur première détermi-
» nation, parce qu'ils ne sont précédés d'aucun autre mot qui puisse faire
1. Article construction dans l'Encyclopédie (1754), Œuvres, V, 3.
2. Inversion, Œuvres, III, 347.
Vin 7
I 14 REVUE CRITIQUE
» changer cette première détermination. » Toute autre construction est une
inversion, une hyperbole, une construction figurée. L'abbé Batteux soutenait au
contraire ' que l'ordre naturel ne doit pas être confondu avec « un arrangement
» grammatical relatif aux règles établies pour le mécanisme de la langue dans
» laquelle il s'agit de s'exprimer; » ni avec « un arrangement des idées consi-
» dérées métaphysiquement; » « cet ordre doit être dans les récits le même que
» celui de la chose dont on fait le récit; et dans le cas où il s'agit de per-
» suader l'intérêt doit régler les rangs des objets et donner par conséquent
» les premières places aux mots qui contiennent l'objet le plus important. »
Condillac, à un autre point de vue, développa 2 que l'idée du sujet étant liée
immédiatement à celle du verbe, l'idée du verbe à celle du régime, l'idée du
substantif à celle de l'adjectif, « pour ne pas choquer l'arrangement naturel des
» idées, il suffit de se conformer à la plus grande liaison qui est entre elles. Or
» c'est ce qui se rencontre également dans les deux constructions latines,
» Alexander vicit Darium, Darium vicit Alexander. Elles sont donc aussi naturelles
» l'une que l'autre. On ne se trompe à ce sujet que parce qu'on prend pour plus
» naturel un ordre qui n'est qu'une habitude que le caractère de notre langue
» nous a fait contracter. » Il a fait ressortir dans sa grammaire (II® p., ch. 24)
et dans son Art d'écrire (II, 14), publiés en 1755, comment l'inversion permet de
donner de l'unité à l'expression d'une pensée composée, et contribue à la beauté
des images. Beauzée, dans sa grammaire générale (1767), livre III, ch. 9, a
essayé de défendre les idées de Du Marsais contre Batteux et Condillac. La
question de l'ordre des mots en latin a été reprise dans notre siècle, en Alle-
magne, mais à un tout autre point de vue, et, à notre avis, fort peu heureusement.
Stùrenburgî a cherché à expliquer l'arrangement des mots par l'accentuation; il
a distingué une accentuation grammaticale, une accentuation logique, une accen-
tuation emphatique et une quatrième accentuation qui provient d'une émotion
réprimée à dessein. Gœrenz, philologue charlatan, qui a joui il y a une trentaine
d'années en Allemagne d'une réputation fort usurpée, prétendait qu'il y avait un
sonus particulier à la langue latine qui se portait sur le premier, le quatrième, le
septième et le dernier mot de chaque proposition 4. Nsegelsbach, lui-même,
malgré son sentiment très-fin et très-délicat du génie de la langue latine, ne
nous paraît pas avoir réussi dans la portion de sa Stilisîique latine 5 où il traite de
l'ordre des mots (§§ 166-171). Il fait remarquer avec raison que dans les
1. Coars de belles-lettres (1753), IV, 306.
2. Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746), part. 2, sect. 1, ch. 12.
3. M. Tullii Ciceronis oratio pro Licinio Archia poeta, mit Anmerkungen von D' Rud.
Stùrenburg, 1839.
4. D' Franz Raspe, Die Wortstellung der lateinischen Sprache, 1844.
5. Dans cet ouvrage (i'"éd. 1846, 2' éd. i8î2), qui a pour objet de donner aux Alle-
mands des préceptes sur la manière d'écrire en latin, on trouve une foule de remarques
justes et ingénieuses sur le génie de la langue latine comparé à celui de l'allemand ; elles
sont souvent applicables au français qui, à cet égard, ressemble, plus qu'on ne pourrait
le croire, à l'allemand.
d'histoire et de littérature. 1 I 5
langues anciennes on procède généralement par opposition, et que ces opposi-
tions sont bien plus fortement marquées que dans les langues modernes ; que les
mots qui constituent les termes corrélatifs d'une opposition sont rangés tantôt
dans l'ordre inverse, comme dans « Nunc ego jactandas optarem sumere pennas,
» Il sive tuas, Perseu, Daedale, sive tuas (Ov. Trist., 5, 8, 5); » tantôt dans le
même ordre, comme dans a ausos esse transire latissimum flumen, ascendere
» altissimas rupes, subire iniquissimum locum (Caes. B. G. 2, 27). « Mais ces
observations ne se rapportent qu'à la conformation extérieure de la phrase en
quelque sorte; elles ne touchent pas le principe et le fond des choses.
M. Weil a compris qu'il fallait chercher le principe de l'ordre des mots dans
l'ordre des idées que le langage doit rendre : « Puisqu'on tâche de tracer par la
» parole l'image fidèle de la pensée, l'ordre des mots doit reproduire l'ordre des
» idées, ces deux ordres doivent être identiques (p. 1 5). » Or l'ordre des idées
est indépendant de la syntaxe ; « Par exemple , le fait que Romulus a fondé la
5) ville de Rome, peut dans les langues à construction libre, être énoncé de
» plusieurs manières différentes, tout en conservant la même syntaxe. Supposons
» qu'on ait raconté l'histoire de la naissance de Romulus et des merveilles qui
» s'y rattachent, on pourrait ajouter : idem ille Romulus Romam condidiî. En
» montrant à un voyageur la ville de Rome, on pourrait lui dire : Hanc urbem
)> condidiî Romulus. En parlant des fondations les plus célèbres, après avoir
» mentionné la fondation de Thèbes par Cadmus , celle d'Athènes par Cécrops ,
» on pourrait continuer : Condidiî Romam Romulus. La syntaxe est la même dans
» ces trois phrases : dans toutes les trois le sujet est Romulus, l'attribut est
» fonder, le complément direct est Rome. Pourtant on dit dans ces trois phrases
» des choses différentes, parce que ces éléments, tout en restant les mêmes, sont
» distribués d'une manière différente dans l'introduction et la partie principale
» de la phrase. Le poinî de déparî, le point de ralliement des interlocuteurs, c'est
» la première fois Romulus, la seconde fois Rome, la troisième fois l'idée de
» fondation. De même ce que l'on voulait apprendre à autrui, le buîdu discours,
» est différent dans ces trois manières de s'exprimer (p. 24). » Il est certaines
notions générales, familières à tout le monde, espèces de cases de l'esprit, dans
lesquelles il classe tout ce qu'il peut apprendre, et qui par conséquent s'offrent
d'elles-mêmes les premières. Ainsi on commencera un récit par les rapports de
temps et de lieu : <f Dans Ephèse il fut autrefois etc. » De même quand on décrit
un pays, la situation géographique, le climat, les végétaux, les animaux, les
habitants: <f La Suède et la Finlande composent un royaume large de Il
» s'étend du midi au nord L'hiver y règne neuf mois L'été y produit
» Les bestiaux y sont Les hommes y sont » Si la notion initiale d'une
phrase se rapporte à la notion initiale de la phrase précédente, la marche des
deux phrases est parallèle, comme dans l'exemple de César cité plus haut
« transire etc. » Si la notion initiale se rapporte au but de la phrase précédente,
la marche des deux phrases est progressive, comme dans ces vers de Racine :
« Us courent; tout son corps n'est bientôt qu'une plaie, jj De nos cris douloureux
I l6 REVUE CRITIQUE
» la plaine retentit. » Enfin, « quand l'imagination est vivement frappée ou que
» la sensibilité est profondément émue, on entre en matière par le but du
» discours et l'on fait remarquer après coup les degrés par lesquels on aurait pu
» y parvenir dans un état plus tranquille (p. 40). » C'est l'ordre pathétique,
comme dans ce passage de Bossuet : « Chacun demande à Dieu avec larmes
» qu'il abrège ses jours pour prolonger une vie si précieuse ; on entend un cri
» de la nation, ou plutôt de plusieurs nations intéressées dans cette perte. Elle
» approche néanmoins cette mort inexorable »
Cependant dans la plupart des langues la syntaxe et l'ordre des mots se déter-
minent mutuellement. Ce qui distingue le grec et le latin, c'est que l'ordre des
mots est tout à fait indépendant de la syntaxe ; ce sont des langues à construction
libre. Les langues où les rapports grammaticaux qui lient les mots ne sont pas
indiqués par les désinences sont des langues à construction fixe. Alors le mot
gouvernant précède ou suit le mot gouverné. De là deux sortes de constructions
qui peuvent prédominer exclusivement ou être associés dans une langue. M. W.
étudie le caractère psychologique de ces deux espèces de constructions, et fait
remarquer que le premier rang doit être donné aux langues qui ont imposé le
moins d'entraves à la construction et qui, par conséquent, permettent de se
conformer exactement à l'ordre naturel des idées. Il fait sentir cet avantage du
grec et du latin par des exemples très-bien choisis et commentés avec beaucoup
de goût et de justesse. Il n'a pas oublié de faire remarquer que le français du
xiii^ siècle avait une liberté de construction dont la perte a été bien cruelle pour
notre langue.
Le dernier chapitre, où M. Weil étudie l'influence que l'accentuation oratoire
exerce sur l'ordre des mots, nous semble tout à fait digne des précédents. Et
en résumé , tout ce travail se recommande par la justesse et la finesse avec
lesquelles l'auteur a traité une question non moins importante que délicate. Il
fait pénétrer fort avant dans la perfection des langues anciennes et des grands
écrivains anciens et modernes ; et il suggère aux linguistes des vues essentielles
pour l'étude comparée des procédés que les différentes langues fournissent à
l'expression de la pensée. X.
161. — M. TuUiî Ciceronis epistularum emendationes scripsit Josephus
Krauss. Lipsiae, Teubner, 1869. In-8', 44 p. — Prix: i fr. 35.
L'auteur de cet opuscule est professeur au gymnase de Cologne ; absorbé par
les devoirs de sa position, il ne s'est fait encore connaître par aucun travail de
longue haleine ; mais il nous annonce qu'il en prépare un sur les études homé-
riques des Ptolémées. La dissertation que nous annonçons aujourd'hui est du
meilleur augure ; elle fait preuve d'une méthode excellente dans les matières de
critique, d'une méthode parfaitement digne de l'école de Ritschl d'où sont sortis
tant de bons professeurs de gymnase. La chose peut sembler singulière ; mais
elle est vraie. La critique des textes, telle qu'elle est enseignée et pratiquée dans
d'histoire et de littérature. 117
les cours et le séminaire de M. RitschI, a pour résultat d'exercer merveilleuse-
ment à l'interprétation, à la vraie compréhension des auteurs; ceux qui en dou-
teraient n'ont qu'à parcourir les Emendationes de M. Krauss.
On sait que le texte des lettres de Cicéron est loin d'être correct ; il donne
beaucoup à faire à la critique. Le meilleur manuscrit est le Medicaeus, dont
l'autorité a été méconnue par beaucoup d'éditeurs et commence seulement à
reprendre faveur. Il est parfois moins correct que les autres ; mais cela tient à
ce qu'il a été moins corrigé par des copistes maladroits, en sorte qu'il est beau-
coup plus près qu'eux de la vraie leçon. M. Kr. s'appuie donc avec raison sur
ce manuscrit dans les corrections qu'il propose et qui, loin d'être téméraires,
sont très-bien motivées et justifiées. Presque toutes sont des modèles de bonne
critique conjecturale, ne s'appliquent qu'à des passages incontestablement cor-
rompus et portent un tel caractère d'évidence qu'on se demande comment on
n'y avait pas songé plus tôt.
Nous ne saurions mieux le faire comprendre qu'en en reproduisant un spécimen.
On lit dans la lettre de Cicéron à César, XIII, 16 (éd. Orelli et Baiter): F. Cras-
sum ex omni nobiliîaîe adolescenîem dilexi plurimvm, et ex eo cum ab ineunte eius
aetate hene speravissem, îum j per me exisîimare coepi [ex] Us iudiciis, quae de eo
'feceras, cognitis. Les premiers éditeurs avaient déjà reconnu que le verbe exisîi-
mare, correspondant à bene speraiissem (la réalisation opposée aux espérances),
devait avoir aussi pour complément un adverbe qui devait se cacher sous le
per me qui n'a ici absolument aucune signification. Lambin a donc corrigé tum
optime existimare coepi. M. Kr. accepte cette correction, mais il observe qu'au
cvm ab ineunte eius aetate devait correspondre après tum une indication de temps,
et reconnaît dans per le reste de nuper. Il reste encore une difficulté que l'édition
d'Orelli écarte en supprimant le ex devant Us. Il est évident que, si l'on veut
s'en tenir au texte des manuscrits, ou bien cet ex, ou bien le cognitis est superflu.
M. Kr. fait remarquer dans le Medicaeus l'orthographe inusitée Us pour m et en
conclut que probablement ces trois lettres ne proviennent pas du pronom is ;
de là l'idée toute naturelle de lire eximiis. La phrase est ainsi parfaitement lim-
pide et cicéronienne : et ex eo cum ab ineunte eius aetate bene speravissem, tum
nuper optime existimare coepi eximiis iudiciis quae de eo feceras cognitis.
M. Kr. ne change point systématiquement les textes ; il défend parfois la
leçon des manuscrits contre tous les éditeurs, ainsi XIII, 69 : Haec ad te eo
pluribus scripsi ut intelligeres me non vulgare nec ambitiose sed ut pro homine intimo
ac mihi pernecessario scribere, il soutient que vulgare ne doit point être changé en
vulgariter, comme l'ont fait tous les manuscrits excepté le Medicaeus. et, s'ap-
puyantsur un passage de la lettre suivante ayant à peu près le même sens, il
pense que nous avons ici le verbe vulgare, employé exceptionnellement sans
régime, dans le sens de « être banal, » ou « donner une recommandation au
premier venu», comme, dans la lettre 70, in vulgus tribuere (se. commendationes).
Ceci nous parait assez concluant.
Dans la lettre I, i, 3, M. Kr. montre que les mots : animadvertebatur Pompeii
Il8 REVUE CRITIQUE
familiares assentiri Volcaîio proviennent d'une annotation marginale. Lettre I, 2, i
il établit nettement le sens de discessionem facere et prouve qu'il faut lire :
(^Lupus) inîendere coepit, ante se oportere discessionem facere quam consu lares (au
lieu de consules que portent les mss.). — I, 7, 2 il défend la leçon du Medicaeus]
non îam memores. — Il soutient encore l'autorité de ce ms. dans la phrase non
ALiQUO erga me singulari beneficio (I, 9, 4) et dans l'admission des formes
comarguit ^ouT coarguit (}U , S , y^ et Philomeli ^pour Philo melii (même lettre).
— IV, 1 5 , il propose l'excellente correction brevi te (pour breviîer) commonendum
putavi. — V, 10, 2 l'intercalation devant bona direpîa du mot ob, dont l'omission
par un copiste s'explique si facilement, rend la phrase parfaitement claire et
écarte les conjectures plus téméraires par lesquelles on avait voulu corriger ce
passage. — VI, 5, j, M. Kr. lit : Cni rei adde eam spem pour Qnare adeam spem,
ce qui s'appuie sur des arguments paléographiques très-plausibles. — Nous ne
pouvons reproduire, même en abrégé, toutes les corrections ultérieures de
M. Kr. Elles concernent les passages suivants : VII, 12 ; VII, 23,2; VII,
26; V, 8 ; VIII, n; IX, 4; IX, 6; IX, 18; IX, 20; IX, 24 ; X, 14; X, 22;
XII, 7; XV, 20 ; XVI, 5 ; XVI, 8; et nous les recommandons comme les pré-
cédentes à l'attention de tous ceux qui, à un titre quelconque, s'occupent des
lettres de Cicéron, surtout à ceux qui voudraient les traduire ou les publier; car
comme nous l'avons dit, elles concernent, pour la plupart, des passages dont le
sens est resté obscur à tous les éditeurs et traducteurs.
Le reste de l'opuscule, depuis la page 36, est consacré par l'auteur à recher-
cher quel est le Cassius qui a écrit la lettre XII, 1 3. Cette question est résolue
aussi d'une façon satisfaisante. Il est maintenant certain que l'entête de la lettre
porte dans les mss. un faux prénom, qu'il faut lire L. Cassius et non C. Cassius
et qu'il s'agit du fils de L. Cassius Longinus, frère de C. Cassius le meurtrier de
César.
La lettre à M. Ritschl, qui sert de préface à cette brochure, rappelle en quoi
consistait l'enseignement si fécond du maître ; elle le montre tel qu'il était à
Bonn dans ses cours, dans son séminaire, et dans les conversations privées où il
excitait ses élèves au travail et leur donnait hbéralement tous les conseils dont
ils avaient besoin.
Il est resté malheureusement plus de fautes d'impression qu'il n'y en a d'ordi-
naire dans les ouvrages sortis des excellentes presses de Teubner; ainsi p. 39,
In his Schiitzius erat (l. errât) immo errât (l. erat) films.
Ch. m.
162. — Geschichte der Sigambem und der von den Rœmern bis zum Jahr «6 nach
Christo im nordwestlichen Deutschland gefùhrten Kriege, von M. F. Esselen. Leipzig,
Grunow, 1868. In-8*, vi-388 p. — Prix : 8 fr.
M. Esselen s'est voué depuis de longues années à l'élucidation de toutes les
questions historiques et topographiques qui se rattachent à la province de West-
phalie, son pays natal, avant et pendant la domination romaine. La série complète
d'histoire et de littérature. 119
de ses travaux, dont les plus anciens remontent à 1853 et dont les plus récents
sont cités en note ', paraît avoir été reprise dans le présent volume, et coordonnée
plus ou moins habilement pour nous offrir les résultats définitifs auxquels s'est
arrêté l'auteur. M. E. a fouillé tous les recoins du pays pour y retrouver les
traces de l'occupation romaine et du passage des armées impériales. Il a scrupu-
leusement réuni tous les témoignages des historiens de l'antiquité sur les luttes
entre les Germains et Rome, et même les auteurs plus récents qui se sont occupés
de ces luttes, mais il entasse souvent ses extraits pêle-mêle, sans en déterminer
la valeur, et sans aucune liaison critique ^. Il les commente en parcourant le
pays en tous sens, étudiant partout le terrain lui-même, et nous fournit ainsi un
manuel topographique qui sera très-utile à ceux qui voudront aller au fond des
récits romains. Ce qui manque surtout au travail de M. E. c'est la méthode. Il
règne un désordre incroyable dans son ouvrage et l'on y passe sans cesse d'un
sujet à un autre , pour revenir ensuite au premier. Ainsi , dans V Introduction
même, nous nous trouvons tout à coup en présence d'un excursus relatif aux
ponts jetés par César sur le Rhin, suivi lui-même d'un appendice (p. 16) sur
l'opinion exprimée à ce sujet par l'auteur de l'Histoire de César i. On ne s'explique
pas le moins du monde pourquoi M. Esselen n'a point placé ces deux fragments
au chapitre V où il parle des guerres de César. C'est embrouiller comme à plaisir
le lecteur 4. Le titre de l'ouvrage doit faire l'objet d'une remarque préliminaire;
la première partie en aurait dû être supprimée, car M, E. ne nous donne point
une histoire des Sigambres et, à vrai dire, il ne pouvait nous la donner.
En effet nous n'en connaissons, pour l'époque dont parle notre auteur,
précisément que leurs guerres avec les Romains. Ce que M. E. nous dit en outre
des Sigambres (qu'il identifie, à ses risques et périls^ avec les Gambrivii de Tacite)
se compose de notices générales données par les écrivains latins sur tous les
habitants des pays entre le Danube et le Rhin, et il n'existe aucun motif pour
appliquer ces passages aux Sigambres en particulier 5 . Disons à cette occasion
que ce n'est pas sans surprise que nous voyons l'auteur citer des écrivains vieillis
comme Adelung et Luden, tandis que l'ouvrage de Waitz, devenu classique à
juste titre, n'est pas une seule fois nommé ^. Plus intéressant que ce chapitre sur
1. Das Kastell Alise, der Teutoburger Wald und die Pontes longi. Hannover, 1857.
— Zur Geschichte der Kriege zwischen den Rœmern und Deutschen. Hamm, 1862. —
Zur Frage wo Caesar die beiden Rheinbrûcken schiagen liess. Hamm, 1864.
2. Ainsi il mettra sur le même rang comme sources historiques, Tacite, Velleius, Sué-
tone, Dion Cassius et Zonaras.
^. Napoléon III fait passer César près de Bonn, en 56 av. J.-C. ; M. Elsselen au con-
traire place le pont sur le Rhin à Kaiserswerth, près de Dùsseldorf.
4. Voyez encore p. 104, 334, etc.
5. M. E. parle à la p. 9 de l'habitude des Sigambres d'enfouir leurs récoltes dans des
fosses pour les hiverner; il n'aurait pas eu besoin d'aller chercher des faits analogues en
Bactrie. De nos jours encore les paysans d'Alsace hivernent leurs pomnies de terre dans
des excavations pareilles, pratiquées dans le champ même.
6. Ce n'est pas chez lui en tout cas qu'il aurait appris que les Suèves s'appelaient ainsi
parce qu'ils menaient une vie errante (schwdfen = errer) et qu'on donnait ce nom aux
peuples germaniques dont les propriétés étaient encore indivises ip. 5).
120 REVUE CRITIQUE
le peuple des Sigambres est le chapitre suivant qui traite des limites du pays des
Sigambres. M. E. leur assigne comme demeure un territoire d^environ 140 lieues
carrées, qui coïncide en gros avec le district {Regierungsbezirk) actuel d'Arnsberg.
Sans contester les données de l'auteur, qui sont basées sur des études topogra-
phiques détaillées, nous devons faire observer cependant qu'il y a quelque chose
d'arbitraire à fixer des limites précises à ces peuplades germaniques, sans cesse
en lutte avec leurs voisins, s'agrandissant tantôt et tantôt refoulées, quittant plus
tard leurs foyers pour aller chercher fortune ailleurs ou transplantées de force
par les Romains vainqueurs; les données que l'on peut recueillir à leur sujet ne
sont en tout cas exactes que pour un laps de temps assez restreint. On doit
regretter vivement que M. E. n'ait pas joint à son livre une carte ou, ce qui
vaudrait mieux encore, plusieurs cartes très-détaillées ; malgré ce qu'en dit
l'auteur à la p. 19, c'est une grave lacune, car puisque le principal mérite de
l'ouvrage réside précisément dans la discussion minutieuse d'une foule de ques-
tions topographiques, on ne peut suivre les raisonnements de l'auteur et surtout
les juger qu'avec une connaissance approfondie du pays. Après un chapitre
traitant des incursions de César sur le sol germain, M. E. nous entretient des
expéditions d'Agrippa, de Lollius, de Drusus et discute longuement, trop longue-
ment même (car il y avait moyen d'être plus bref sans rien oublier), la situation
du casîellum d'Ahse, si controversée de nos jours. Il examine et rejette succes-
sivement les opinions qui le mettent à Liesborn, Elsen, Ringbocke, Haltern,
Hamm et Lippborg et la place à quelque distance de Hamm, à l'ancien confluent
de l'Ahse et de la Lippe. Puis il arrive au soulèvement d'Arminius et à la défaite
de Varus, sujet de prédilection des sociétés savantes de la Prusse rhénane, du
Hanovre et de la Westphalie, sujet éternellement controversé et qui forme en
quelque sorte une question d'Alésia germanique. M. E., qui n'énumère pas tout,
ne discute pas moins de vingt-trois ouvrages plus ou moins modernes sur la
question, sans compter tous les renseignements de l'antiquité. Je trouve que c'est
pousser encore beaucoup trop loin le désir légitime d'être complet. Sans nous
arrêter aux innombrables hypothèses émises sur la situation de ce fameux saltus
Teutoburgicus, mentionné par Tacite, disons seulement que d'après M. E. la
bataille eut Heu près de Havixbrock, au sud de la ville de Beckum. Le dernier
point d'importance examiné dans l'ouvrage est la situation des pontes longi,
célèbres dans les luttes de Germanicus et de son lieutenant Cécina, contre les
Bructères et les Chérusques. M. E, les place près de Terhaar dans les tourbières
de Burtang (Burtanger Moof) situées sur les confins de la province de Drenthe
et de la Frise prussienne. On y a retrouvé des digues et autres constructions en
bois que certains archéologues affirment remonter aux Romains. D'autres savants,
il est vrai, les font remonter seulement au moyen-âge. Ici, comme en général
pour la plupart des questions soulevées par M. E. il est malaisé de hasarder un
verdict. Il serait absolument nécessaire d'examiner les localités de visu pour
prononcer un jugement compétent. — Un appendice est consacré à certains
champs des environs de Beckum où des fouilles ont mis au jour de nombreux
d'histoire et de littérature. 121
cadavres d'hommes et de chevaux. On a fait toutes les suppositions imaginables
sur ces corps ensevelis pêle-mêle, ainsi que le montre le plan dont M. E. accom-
pagne cette étude. On y a vu successivement des compagnons d'Arminius ou de
Germanicus, un cimetière payen, un cimetière chrétien, des Saxons ou des Francs
du temps de Charlemagne, des routiers de la guerre de Soest (1444-1449), etc.
M. E. penche pour des Germains tués dans une lutte qu'elconque au i" siècle.
L'ouvrage de M. Esselen, dont nous reconnaissons du reste les nombreux
mérites, gagnerait beaucoup à être refondu par son auteur, mieux coordonné
dans son ensemble, limité quant à son sujet aux guerres entre Romains et Ger-
mains, sans essayer l'histoire impossible des Sigambres. M. E. en écarterait
toutes les répétitions inutiles, les réminiscences personnelles, les traductions in
extenso de textes qu'il suffirait de résumer en quelques mots, il pèserait davan-
tage les opinions contradictoires au lieu de les énumérer toutes , il ajouterait de
bonnes cartes topographiques et des plans détaillés (p. ex. vonr les pontes longi)^.
Alors seulement ses travaux seront appréciés à leur juste valeur et deviendront
d'un secours précieux à tous ceux qui en étudiant les historiens romains, essayent
de se rendre compte des faits qu'ils rapportent et ne se bornent pas à des études
de style ou de grammaire.
Rod. Reuss.
163. — Die handschriftlichen Gestaltungen der Chanson de geste
« Fierabras » und ihre Vorstufen, von D' Gustav Grœber. Leipzig, Vogel, 1869.
In-8*, x-i 1 1 p. — Prix : 5 fr. 25.
Cet opuscule, par la méthode qui y est appliquée, est dans l'histoire de
l'étude de l'ancienne littérature française un événement assez important. C'est
la première fois qu'on essaie de soumettre les manuscrits d'une chanson de geste
à un véritable travail critique , et si les conclusions auxquelles est arrivé
M. Grœber ne sont pas toutes également solides, il n'en est pas moins évident
que la voie dans laquelle il a l'honneur de s'engager le premier est la seule par
laquelle on puisse arriver à des résultats scientifiques sur le sujet. Je vais donner
une analyse sommaire de ce remarquable travail, en indiquant les points où
l'auteur me semble trop s'avancer ou être dans l'erreur. Pour les élucider à
fond, il faudrait néanmoins une étude détaillée qui aurait, je le crois, un véri-
table intérêt, mais qui ne saurait être même abordée ici ; je la reprendrai sans
doute ailleurs quelque jour.
La chanson de Fierabras, en alexandrins rimes, nous a été conservée dans
six manuscrits français signalés jusqu'à ce jour. Les éditeurs de ce poème dans
les Anciens poètes de la France n'ont malheureusement connu que quatre de ces
manuscrits, a(B.L fr. 1 2603, xiv« s.), b (B. l. t. 1 500, xv« s.), c {Brit. Mus.
Reg. 15 E VI, XV* s.), J(Bibl. Vat., mss. delà reine de Suède, 16 16, daté de
1317). Depuis on a fait connaître deux nouveaux manuscrits, l'un qui se trouve
i. Lisez p. 333 Einwohncr pour Einnahmc et planche 1, Havixbrock pour Harixbrock.
122 REVUE CRITIQUE
à la bibliothèque de l'Escorial (décrit, avec les variantes importantes, par
M. Knust dans le Jahrbuchfûr rom. Litteraîur, t. IX, p. 44-72), l'autre qui ap-
partient à M. Ambroise-Firmin Didot, à Paris (voy. Gautier, Ep.fr., t. II,
p. 306); M. Gr. désigne par E le ms. de l'Escorial, par D le ms. Didot. Or
ces deux manuscrits, restés inconnus aux éditeurs, sont tous deux du xiii* siècle
et des premières années de ce siècle, tandis que les quatre autres sont du xive
et du xv% ils ont en outre, comme le montre M. Gr., une importance particu-
lière. Il fait voir en effet qu'aucun des six manuscrits ne dérive directement d'un
des autres, mais qu'ils se divisent en deux familles, dont l'une comprend ah c d
et dérive d'un prototype (perdu) désigné par w, tandis que l'autre se compose
des deux mss. D E et a pour source un texte (également perdu) désigné par z.
On voit donc que la connaissance des quatre manuscrits a b c d était absolu-
ment insuffisante pour reconstituer le texte primitif, source de w et de z, texte
désigné par y, et qui ne doit comprendre que ce qui est commun à z et à )v.
Toute cette argumentation de M. Gr. est un modèle de critique sûre et métho-
dique, et l'auteur y a d'autant plus de mérite qu'il n'a eu de renseignements suf-
fisants que pour deux de ces six mss., a et E. Les éditeurs français n'ont fait
connaître qu'un très-petit nombrs des variantes de b c d, et le ms. Didot n'est
connu que par une vingtaine de vers qu'a publiés M. Gautier '. Et à ce propos
je dois faire observer combien est peu satisfaisante la méthode suivie par les édi-
teurs de ce poème : « Le texte du ms. a, disent -ils (p. xx), n'est pas très-pur,
» il s'en faut; mais il est encore, dans son ensemble, et plus complet et plus
» correct que celui des trois autres manuscrits ; aussi l'avons-nous suivi de
» préférence. » On voit tout ce qu'il y a de vague et d'arbitraire dans cette
« préférence » dont on se départ en certains endroits. La seule méthode à
suivre pour les éditeurs était celle qu'a mise en pratique, à leur défaut,
M. Grœber; ils devaient d'abord résoudre la question de savoir sia b cd (puis-
qu'ils ne connaissaient que ces textes) étaient copiés l'un sur l'autre ; la réponse
étant négative, il en résultait clairement que le texte de w (le seul qu'ils pussent
prétendre restituer) se composait de tout ce qu'a b c d avaient en commun, ou
de ce que trois, ou même deux de ces mss. offraient d'identique, en regard de
la leçon ou des deux leçons différentes des autres textes. Au lieu d'entreprendre
ce travail, ils ont suivi une tout autre voie, beaucoup plus commode assurément,
mais bien moins scientifique : ils ont imprimé le ms. « le plus correct et le plus
complet, » en remédiant çà et là à ses fautes et à ses lacunes à l'aide des trois
autres, invoqués au hasard suivant qu'ils paraissaient donner une leçon plus ou
moins bonne. Qui ne voit qu'en agissant ainsi ils ont constitué un texte qui n'a
I . J'ai eu autrefois ce manuscrit entre les mains , et je puis affirmer que la conjecture
de M. Knust, reprise et fortifiée par M. Gr., sur sa parenté avec E, est mise hors de
doute par la comparaison de l'ensemble. Seulement le ms. Didot, copié en Angleterre
par quelque jongleur ignorant, est rempli des fautes les plus grossières; il n'y a guère de
vers qui ne soient défectueux en quelque façon ; au contraire le ms. de l'Escorial offre un
texte copié avec soin et intelligence.
d'histoire et de littérature. 12?
jamais existé tel quel ? Il est temps que les règles de la critique soient appliquées
dans leur rigueur à la publication de nos anciens poèmes, et on ne saurait trop
répéter que le premier soin d'un éditeur doit être la classification des manuscrits
d'après leur rapport de filiation ou de collatéralité : c'est seulement une fois ce
travail fait qu'il peut essayer de constituer son texte. Quant à la correction d'un
des manuscrits, elle a une tout autre valeur ; elle peut servir à fixer les formes
de langue et de versification, mais aucunement le texte lui-même. Ainsi , dans
notre espèce, le ms. Didot, qui est un véritable monstre de langue, offre très-
souvent une leçon préférable à celle du ms. a, qui paraît cependant écrit à peu
près dans le dialecte du poète. Je ne puis que renvoyer sur ce point aux obser-
vations excellentes qui ont déjà été faites dans cette revue par notre collabora-
teur M. Bartsch '.
La découverte des mss. D E agrandissait et compliquait le problème. Dès lors
la forme à restituer n'était plus w, mais y, c'est-à-dire que (la non-filiation de w
et z étant bien établie) il en résultait que tout ce qui se trouvait également dans
w et z, s'était aussi trouvé dans le texte antérieur d'où ils dérivaient l'un et
l'autre, c'est-à-dire dans y; du même coup on avait un critérium à peu près in-
faillible pour discerner, en cas de désaccord, ce qui dans les mss. a b c d était
primitif, c'est-à-dire représentait w, ce qui dans les mss. D E était primitif, c'est-
à-dire représentait z. Si en l'absence du groupez les quatre mss. abcd offraient
quatre leçons différentes, le problème était insoluble; mais si une de ces variantes
se retrouvait dans un des deux mss. du groupe z (d'ailleurs indépendant du
groupe w), il est clair que c'était la bonne. Fait avec soin et sur chaque vers des
six manuscrits, ce travail serait arrivé presque à coup sûr à restituer d'une part
z (D d'accord avec E, ou D ou E isolément d'accord avec w), d'autre part w (a
b c d d'accord, ou trois ou deux des mss. d'accord contre un isolé ou deux
différents, ou un des mss. différant des trois autres, eux-mêmes différents, et
d'accord avec z). Restait cependant une question de première importance :
puisque )v et z sont deux rédactions différentes, quand elles ne sont pas d'accord,
quel texte faut-il préférer ? en d'autres termes, y est-il plus fidèlement représenté
dans w ou dans z ? En l'absence de preuves, la présomption est pour z, qui com-
prend deux mss. plus anciens d'un siècle que le plus ancien des mss. du groupe
w; toutefois ce n'est là qu'une raison assez faible de décider. La valeur d'un ms.,
comme le rappelle fort bien M. Gr. d'après Wolf*, n'est pas toujours en raison
directe de son ancienneté ; il est clair que les mss. w, bien qu'ils soient des xiv*^
et xv^ siècles, s'appuient sur des textes antérieurs, et, s'ils sont fidèlement trans-
crits, ils sont supérieurs à des textes plus anciens mal établis. La critique en se-
1. 1866, t. II, p. 409.
2. Ces paroles ne sauraient être trop souvent citées, surtout en présence des vues
fausses si généralement répandues sur la criticjue : « Novitas codicum non majus vitium
» est quam hominum adolescentia ; etiam hic non semper aetas sapientiam affert : ut
» quisque antiquum et bonum actorem bene sequitur, ita bonus est (Prokg. ad Hom.,
« p. vij). »
124 REVUE CRITIQUE
rait donc réduite à se décider par des considérations de goût qui ne doivent l'in-
fluencer qu'à défaut d'autres indices, si elle ne recevait, pour résoudre la ques-
tion, un secours qui d'autre part la complique notablement.
Il existe, on le sait, du Fierahras, une rédaction provençale. MM. Krœber et
Servois, les éditeurs du poème français, ont démontré que ce texte était un texte
français recouvert simplement d'un vernis provençal ' : il n'y a plus à revenir
sur ce point; il est hors de toute contestation. Ce poème provençal représente
donc une rédaction française qui n'existe que sous cette forme : il est facile de
voir que cette rédaction n'est ni celle de w, ni celle de z; elle s'en distingue dès
le premier abord de deux façons : i° elle contient au début un épisode de 600
vers environ qui ne se trouve tii dans w, ni dans z; 2° dans le corps du texte au
contraire elle a environ 1 800 vers de moins que le texte français {y) qui résul-
terait de w comparé àz. Quelle est la valeur de ces deux divergences? et doivent-
elles être placées sur la même ligne? — M. Gr., par des raisonnements extrê-
mement spécieux, se détermine pour une conclusion favorable dans les deux cas
à la rédaction provençale. Suivant lui, d'une part, la suppression de l'épisode du
début est un fait postérieur, propre à la rédaction y\ d'autre part l'addition des
1 800 vers en question est également propre à y, et ils n'existaient pas dans la
rédaction primitive. Il regarde donc y comme une dérivation de x, source de P
(le poème provençal *), et allant plus loin il prétend que la rédaction x elle-même
contient des additions, des modifications et des altérations de tout genre; il n'en
impute d'ailleurs aucune (sauf deux cas sans importance) au versificateur pro-
vençal. Il propose donc de ne regarder comme ayant fait partie de x que ce qui
se trouve dans P et dans y, après quoi on soumettra x à un travail pfopre, tout
de goût et de logique, pour en tirer x', ou la forme primitive du poème. — Sur
aucun de ces points je ne partage l'opinion de M. Gr., et je compte dire ailleurs
pourquoi ; j'espère que l'ingénieux auteur se rendra aux preuves qu'il m'a lui-
même aidé à rassembler contre lui : je me bornerai ici à dire que c'est l'emploi
de l'analyse philologique, trop négligée par M. Gr., qui m'a amené à révoquer
en doute, puis à rejeter les résultats de sa critique. Suivant moi, P (ainsi que
David Aubert et le poème italien) remonte à une rédaction intermédiaire (qu'on peut
appeler x) qui avait ajouté l'épisode du début à la chanson plus ancienne ; quant
aux lacunes qui distinguent P dans le reste du poème, la plupart sont de vérita-
bles suppressions (quelques-unes, cela va sans dire, sont primitives), et pour un
assez grand nombre on peut prouver qu'elles sont le fait du versificateur pro-
1. Je l'ai appelé un calque servile, et M. Gr. adopte cette expression, qui n'est peut-
être pas absolument juste; mais ce qui est vraiment fausser la question, c'est de dire avec
M. Léon Gautier {Ep.fr., t. II, p. 314) que le texte provençal est « un insigne pla-
giat ». Il n'y a pas là plus de plagiat que dans la transcription en normand d'un texte
écrit en picard.
2. M. Gr. démontre péremptoirement que la compilation de David Aubert au xv siècle
(on n'en connaît que les rubriques) et le poème italien de Fierabraccia ont connu l'épisode
du début de P et ont par conséquent la même source.
d'histoire et de littérature. 125
vençal '. Telle est la thèse, opposée à celle de M. Gr., que je crois devoir sou-
tenir. Pour la seconde proposition, la comparaison du texte de David Aubert se-
rait un indispensable élément de discussion. Ainsi donc, d'après moi, x et y pro-
viennent parallèlement d'un texte antérieur (que je désigne par 0), qui ne com-
prenait pas l'épisode propre à x et qui, dans le reste du poème, est conservé
plus ou moins fidèlement, tantôt dans x, tantôt dans y. La comparaison de x
montre, comme le fait voir M. Gr., que dans le sein de y, c'est le groupe :: (E D)
qui se rapproche le plus de l'original : de là une quasi-certitude dans la restitution
de 0; car la plupart des vers qui ont disparu dans u' (a bc d)se retrouvent éga-
lement dans z et dans P, et appartenaient par conséquent à 0 ; quant aux vers
dey qui manquent dans P, il faudrait, par la comparaison de David Aubert (et
même du poème italien), s'assurer s'ils manquaient dans x, et au cas plus que
probable où ils seraient démontrés y avoir existé et avoir été supprimés par P,
les regarder sans hésitation comme faisant partie de 0^.
La restitution de 0 ne terminerait pas cette enquête critique;. J'ai fait voir
ailleurs {Hist. Poét. de Charlemagne, p. 2 5 1 ss.) que Fierabras se compose :
1° d'un épisode ancien, le combat de Fierabras et d'Olivier; 2"^ d'une suite d'un
tout autre genre et sans doute de pure invention. J'ai montré aussi que cet épi-
sode ancien avait été extrait d'une chanson de geste de la première époque,
perdue aujourd'hui, mais dont Philippe Mousket (7 1 242) nous a conservé le
sommaire dans sa chronique. M. Gr. accepte toute cette hypothèse; seulement
il pense que j'ai eu tort de donner à cette chanson le nom de Balan. Suivant lui,
les deux parties du poème n'ont pas seulement une origine distincte; elles sont
l'œuvre de deux auteurs; le premier, d'accord avec Mousket, ne connaît que
Fierabras, et place encore, d'après la tradition, la scène en Italie; le second au
contraire transporte tacitement en Espagne le théâtre des événements et introduit
Balan et Floripas, père et sœur de Fierabras, dont la première partie (sauf deux
ou trois vers interpolés) ne sait rien. Je ne crois aucunement que la première
partie de notre texte soit un fragment du poème primitif; elle est trop bien rimée,
et d'allures trop modernes comme style, et je ne vois pas la nécessité d'admettre
deux poètes; il n'y a rien d'étonnant à ce que l'auteur du tout, remaniant, pour
en faire sa première panie, un épisode de l'ancienne chanson, ait laissé subsister
des contradictions entre cette partie et celle qui est de son invention pure-*. Quant
1. Il en résulte qu'il n'a pas suivi son texte avec l'absolue fidélité que lui attribue
M. Gr., qui le regarde comme équivalent à un manuscrit français.
2. Il faudrait encore utiliser, pour ce travail, les deux rédactions en prose, celle qui a
été maintes fois publiée (elle se rapporte à w d'après M. Gr.) et celle du ms. de l'Arse-
nal, que le passage cité par M. Gautier (1. 1, p. 312) ne permet pas d'apprécier et de
classer.
j. Quant aux efforts de M. Gr. pour aller plus loin que O (x d'après lui) et séparer
l'j/ifAfnt(^u£ de ce qui a été ajouté plus tard, je regarde ces tentatives lachmanmennes
comme très-arbitraires et au moins beaucoup trop prématurées.
4. Voy. les observations à peu près identiques qu'a présentées M. Weil dans le
dernier numéro, p. 98.
126 REVUE CRITIQUE
au nom de Balan donné à cette chanson ancienne, les raisons de M. Gr. pour le
supprimer paraissent assez fortes; j'avais surtout été conduit à le choisir par les
rubriques de David Aubert, oij on voit Balan apparaître dès le début du récit ;
mais il est possible que ce soit une addition du prosateur du xve siècle ; cepen-
dant, avant de souscrire définitivement à la conclusion de M. Gr., je demande-
rais une enquête supplémentaire.
Je ne puis que répéter en terminant ce que j'ai dit au début. Cet ouvrage té-
moigne chez son auteur de toutes les qualités du critique ; il fait honneur à l'école
dont il est sorti (l'ouvrage est dédié à M. Ebert, le savant professeur de Leipzig).
Puisse-t-il être suivi de beaucoup d'autres conçus dans le même esprit et exécutés
avec le même talent ! puisse-t-il surtont contribuer à introduire dans le domaine
auquel il est consacré un esprit de critique et de méthode qui y est encore
presque inconnu! G. P.
164. — Josias Glaser et son projet d'annexer l'Alsace à la France en
1639, par Rodolphe Reuss. Mulhouse, 1869. Gr. in-8', 25 p. (Extrait de la Revue
d'Alsace.)
M, R. Reuss, qui prépare une histoire de l'Alsace pendant la guerre de
Trente Ans, a rencontré, en fouillant les archives de la capitale de sa province,
un mémoire inédit de Josias Glaser, pensionnaire de la couronne de France à
Strasbourg. Ce mémoire lui a paru curieux, et il l'est beaucoup en effet. Félici-
tons M. Reuss d'avoir trouvé un tel document; félicitons-le surtout de l'avoir si
bien publié (p. 16-2^). Le texte, scrupuleusement reproduit, a été entouré
d'excellentes petites notes. Il est précédé d'une notice sur le diplomate stras-
bourgeois qui, dès 1639, avait proposé à Louis XIII l'annexion de l'Alsace à la
France. M. R., à force de chercher dans les archives de Strasbourg des rensei-
gnements sur ce personnage inconnu à tout le monde, est parvenu à nous en
donner une biographie qui, si l'on tient compte de toutes les difficultés vain-
cues, est un petit chef-d'œuvre de patience et de sagacité. Très-probablement
fils du professeur Philippe Glaser, Josias naquit vers i $90 : il fut secrétaire du
Conseil des Quinze en 16 16, devint bailli de la république de Strasbourg à
Wasselonne à la fin de 1618, redevint secrétaire du Conseil des Quinze en juillet
1620, fut envoyé à Francfort en 1628, à Zurich et à Berne en 1631, à Paris
en cette même année ; l'année suivante, on le trouve résident de Suède à Stras-
bourg. En 1646, il va rejoindre les plénipotentiaires français à Munster. Il dis-
paraît à partir de l'année 1649. De nouvelles découvertes permettront sans doute
à M. R. de compléter son intéressante notice. C'est surtout aux Archives des
Affaires étrangères que ces découvertes semblent devoir se faire. Aussi unissons-
nous nos vœux à ceux que forme (p. 4) M. R. pour que tous les travailleurs
sérieux obtiennent enfin l'autorisation de profiter des trésors historiques accu-
mulés dans ces archives , et pour que la qualité de Français ne soit plus en
quelque sorte, aux yeux des conservateurs de ce dépôt, un titre formel
d'exclusion. T. de L.
d'histoire et de littérature. 127
VARIÉTÉS.
Un dictionnaire biographique des Alsaciens célèbres.
On tente en ce moment en Alsace une entreprise qui pourrait être imitée dans
d'autres provinces de notre pays, et qui mérite d'être signalée aux lecteurs de
la Revue. Il va se publier à Mulhouse, sous le patronage de la Société des monu-
ments historiques d'Alsace, un dictionnaire biographique des Alsaciens célèbres.
La liste des hommes plus ou moins éminents qui doivent figurer dans cette ency-
clopédie provinciale vient de paraître, avec quelques spécimens biographiques.
Pour diriger cette vaste entreprise, le comité du Haut-Rhin a fait choix de
M. G. StofFel, correspondant du ministère de l'instruction publique, très-avan-
tageusement connu par sa collaboration à la grande collection des Weisîhiimer de
Jacob Grimm et par la publication récente du Dictionnaire topographique du dépar-
tement du Haut-Rhin. La liste préparatoire effraye un peu le lecteur à première
vue, car elle ne contient pas moins de deux mille cinq cents noms, ce qui n'a point
empêché certaines personnes de ne pas la trouver assez complète ' . Ce chiffre
élevé montre assez qu'elle renferme des noms qui n'ont qu'une mince réputation
locale et même quelques-uns qui n'ont guère de droits à y figurer. Les
collaborateurs promettent d'être nombreux; nous nommerons seulement ici
MM. L. Spach, Aug. Stœber, Ignace Chauffeur, X. Mossmann, Straub, E. Mûntz,
etc., etc. Néanmoins ce sera bien là que le directeur de l'entreprise rencontrera
le plus de difficultés pour son travail. Il est évident que ce n'est qu'en confiant à
des hommes compétents, c'est-à-dire spéciaux, la rédaction des nombreux articles
de son Dictionnaire, qu'il lui conservera une valeur scientifique. Or, trouvera-t-il
des spécialistes de bonne volonté pour ses innombrables clients ? Et cependant
il faut absolument qu'il ne se laisse point envahir par les dilettanti^ qui se con-
tenteraient d'amplifier les notices de quelque autre recueil, avec toutes leurs
lacunes et toutes leurs erreurs. Il lui faudra non moins soigneusement propor-
tionner la longueur des articles à l'importance des personnes ; ne pas épargner la
place aux biographies vraiment importantes, tout en écartant les développements
littéraires et les «'jugements » que chaque lecteur pourra formuler à sa guise,
mais réduire impitoyablement à trois ou quatre lignes les individualités obscures
qui fourmillent sur sa liste. M. Stoffel, en agissant ainsi, blessera peut-être
l'amour-propre ou les susceptibilités exagérées de quelque collaborateur prolixe
ou trop enthousiaste, — il doit savoir que pour une besogne pareille ces petits
déboires sont inévitables, — mais il rendra ser\^ice à la science.
Nous souhaitons toute chance à cette excellente entreprise qui n'intéresse pas
seulement l'Alsace, mais aussi la France et l'Allemagne ; grâce à la générosité
I. Dictionnaire biographique d'Alsace. Liste préparatoire. Mulhouse, Bader, 1869.
m p. gr. in«4*.
128 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
d'un riche fabricant de Dornach, M. Engel-Dollfus, les débuts matériels du
Dictionnaire sont assurés; puisse-t-il être plus heureux que la Collection des
Chroniques alsaciennes, que l'on essayait de lancer naguère et qui vient d'échouer
honteusement devant l'indifférence intellectuelle et le manque de patriotisme de
ceux auxquels elle adressait en première ligne son appel !
Rod. Reuss.
La Revue. Celtique.
Nous appelons toute l'attention de nos lecteurs sur la couverture de ce numéro,
où nous publions partiellement le prospectus de la Revue Celtique que fonde notre
collaborateur M, Gaidoz. Cette revue doit paraître aussitôt qu'elle aura trouvé
deux cents souscripteurs; espérons qu'ils ne se feront pas attendre. Peu d'entre-
prises scientifiques méritent autant d'être encouragées; car il en est peu qui
promettent de rendre autant de services à un aussi grand nombre de savants.
Tous ceux qui s'occupent d'ethnographie européenne, de mythologie ou de litté-
rature comparée, tous ceux qui étudient les origines de l'histoire et de la poésie
moderne, tous ceux qui s'intéressent soit à la grammaire des langues indo-
européennes, soit particulièrement à l'histoire des langues romanes, ressentent
depuis longtemps avec amertume la lacune considérable qu'ouvre dans toutes ces
études l'absence presque complète de travaux critiques et approfondis sur l'his-
toire, la religion, la littérature et l'idiome des peuples celtiques : tous ont le
devoir d'aider autant qu'il est en eux le savant zélé et courageux qui a entrepris
de combler cette lacune. M. Gaidoz a parfaitement compris que tant qu'il n'y
aurait pas un lien habituel et persistant entre les pays celtiques où sont les
matériaux de la science et les pays plus orientaux où sont les méthodes et les
instruments, l'exploitation scientifique de ce vaste et riche domaine serait impos-
sible. De là le plan véritablement large et cosmopolite sur lequel il a conçu sa
Revue; non-seulement tous les noms illustrés dans l'Europe entière par des
études celtiques figurent sur la liste de ses collaborateurs; mais encore, en
admettant des articles écrits en français, anglais, allemand ou latin, il a donné
un exemple excellent à suivre, à notre époque où les savants sont tous obligés
de lire plusieurs langues et n'ont le temps d'apprendre à en écrire aucune autre
que la leur. Il convient à la France, l'ancien pays celtique par excellence, devenue
la première des contrées romanes et leur intermédiaire naturel avec le monde
germanique, il lui convient d'être le centre du rapprochement fécond et de
l'active concurrence que veut instituer M. Gaidoz. Ce n'est pas tous les jours que
des idées de ce genre sont produites et proposées chez nous ; elles ne peuvent
que nous faire honneur. Ne laissons pas échapper la rare occasion d'encourager
une œuvre à la fois nationale, européenne et scientifique, qui, si elle ne réussit
pas chez nous, se refondera certainement ailleurs, à la honte du pays qui l'aura
laissée avorter.
Nogent-Ie-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
LIBRAIRIE A. FRANCK (VIEWEG, propriétaire),
67, rue Richelieu.
LA REVUE CELTIQUE
PUBLIÉE AVEC LE CONCOURS DES PRINCIPAUX SAVANTS
FRANÇAIS ET ÉTRANGERS,
PAR
M. HENRI GAIDOZ.
PRINCIPAUX COLLABORATEURS :
MM. H. d'Arbois de Jubainville, à Troyes (Aube); — Adolf Bacmeister, à
Augsbourg (Bavière);— Bamwell, à Melksham, Wiltshire (Grande-Bretagne);
— Anatole de Barthélémy, à Paris; — J. Becker, à Francfort-sur-le-Mein
(Prusse); — J. G. Cuno, à Graudenz (Prusse); — Lorenz Diefenbach, à Franc-
fort-sur-le-Mein (Prusse); — H. Ebel, à Schneidemûhl (Prusse); — D. Sil-
van Evans, à Llanymawddwy, Merionethshire, North Wales (Grande-Bretagne);
Samuel Ferguson, à Dublin (Irlande^; — Giovanni Flechia, à Turin (Itahe); —
W. M. Hennessy, à Dublin (Irlande); — Eug. Hucher, au Mans (Sarthe); —
P. W. Joyce, à Dublin (Iriande); — R. F. Le Men, à Quimper (Finistère); —
F. Liebrecht à Liège (Belgique); — Adrien de Longpérier à Paris; — F. M.
Luzel, à Plouaret (Côtes-du-Nord);— Th. Mac Lauchlan, à Edimbourg (Ecosse);
— Williams Mason, à Llanfair, Merionethshire (North Wales); — Max Mùller,
à Oxford (Grande-Bretagne); — Eugène Mùntz, à Paris; — C. Nigra, à Paris;
— Gaston Paris, à Paris; — John Peters, à Bala, North Wales (Grande-Bre-
tagne); — Adolphe Pictet, à Genève (Suisse); — Ernest Renan, à Paris; —
John Rhys, à Oxford (Grande-Bretagne); — Roget, baron de Belloguet, à Paris;
Whitley Stokes, à Simla (Indes Anglaises); —J. De Wal, à Leyde (Hollande),
L'étude des langues, des littératures et des antiquités celtiques appelle l'atten-
tion du philologue, de l'historien et du lettré par l'importance du rôle que les
Celtes ont joué dans l'ancienne histoire d'Europe et aussi par les richesses des
littératures néo-celtiques. La période gauloise de notre histoire n'est pas la moins
importante pour être la moins connue ; Arthur et les romans de la Table-Ronde
défrayent une bonne partie de la littérature du moyen-âge ; le Purgatoire de
saint Patrice et le Voyage de saint Brendan ont été racontés dans presque
toutes les langues de l'Europe ; on sait quelle vogue, au commencement de ce
siècle, s'attacha pour un temps au nom d'Ossian. La vive et charmante imagi-
nation des races Celtiques a laissé dans leurs littératures des trésors inappréciés
de poésie. Des écrivains de talent ont levé en partie le voile qui dérobait à nos
regards la Bretagne Française; mais par la date récente et par le petit nombre
de ses monuments, la littérature Bretonne est de beaucoup inférieure en impor-
tance aux littératures Irlandaise et Galloise. Les langues Celtiques n'ont pas
une moindre valeur pour la Grammaire Comparée ; il suffit de citer les grands
travaux que leur consacrent les philologues de la savante Allemagne.
Il existe pourtant un grand obstacle au progrès des Études Celtiques, c'est
l'absence d'union entre les savants qui les cultivent. On travaille isolément et
comme dans l'obscurité. Pour les savants du continent, les Iles Britanniques,
ce principal refuge des races celtiques, sont presque en dehors du monde. Le
vers de Virgile est encore vrai :
Et penitus toto divisos orbe Britannos.
Sur le continent on ne peut que difficilement savoir quels textes se publient,
quels travaux se poursuivent là-bas. De leur côté, les savants des pays celtiques
qui ont à leur disposition les monuments, les manuscrits, les traditions et la
langue de leurs pays, cherchent souvent en vain des points de repère et de
comparaison ; les travaux les plus importants de l'Europe savante n'arrivent qu'à
grand'peine jusqu'à eux. Vienne une alliance entre les celtistes de tous les pays,
et le jour se fera peu à peu sur l'histoire et la littérature d'une grande race.
Cette alliance, nous espérons la réaliser.
La tâche nous tente d'autant plus que ces études ne sont pas encore repré-
sentées dans la presse savante du continent. Ce n'est pas qu'on ne trouve, de
temps à autre, de bons mémoires sur ces matières dans la Revue Archéologique,
dans la Revue Critique et surtout dans les Beitrsge zur vergleichenden Sprachforschung,
mais de pareils travaux ne constituent pas le fonds ordinaire de ces revues, et
ne touchent que quelques côtés des Études Celtiques. Nous voulons fonder une
Revue consacrée uniquement aux Études Celtiques, et qui en embrasse toutes
les faces : Philologie, Mythologie, Histoire, Histoire littéraire, et Archéologie,
en tant que l'Archéologie éclaire directement l'Histoire et la Mythologie.
Nous croyons que sur bon nombre de points et surtout dans les questions
qui touchent aux origines, la science celtique doit s'abstenir de prononcer un
jugement définitif, avant que toutes les sources d'information aient été explorées
avec soin. C'est dire que nous nous proposons dans cette Revue de publier surtout
des matériaux et que nous nous abstiendrons de conclusions trop affirmatives.
Nous publierons : Des textes inédits (Irlandais, Écossais, Mannois, Gallois,
Comiques, Bretons) avec traduction. Nous aurons soin de choisir des textes inté-
ressants au point de vue soit de la Philologie, soit de l'Histoire littéraire, soit
de la Mythologie ; — Des travaux de philologie sur les langues Celtiques prises
en elles-mêmes, et sur leurs rapports avec les langues congénères; — Des
recherches sur la Religion des Gaulois et sur les superstitions et les traditions
des populations néo-celtiques qui peuvent jeter de la lumière sur les anciennes
croyances de la race celtique ; — Des dissertations sur des phases peu connues
de l'histoire des races celtiques ; — Des mémoires sur l'histoire des littératures
néo-cehiques et sur leurs rapports avec la littérature générale du moyen-âge; —
Une bibliographie, aussi complète que possible, des publications touchant les
études celtiques qui auront été faites dans l'année.
De plus, nous avons l'intention de donner de temps à autre des réimpressions
de textes celtiques intéressants pour la Philologie, ou pour l'Histoire littéraire,
et qui seraient devenus tellement rares qu'on n'en connaîtrait plus que quelques
exemplaires, tels que le Glossaire irlandais d'O'Clerigh, la grammaire galloise
de Griffith Roberts, le Livre de prières gaélique de Carswell, la collection de
poésies gaéliques de Gillies, le Tremenvan an ytron Maria, et le Buhez mab den, etc.
La Revue Celtique paraîtra par livraisons trimestrielles d'environ i ^o pages
chacune. Le premier numéro sera mis sous presse aussitôt que le nombre des sous-
cripteurs aura atteint le chiffre de deux cents. Le prix d'abonnement est de 20 fr.
pour Paris et de 22 fr. pour les départements. Pour l'étranger, le port en sus.
Les souscriptions sont reçues par M. Vieweg, propriétaire de la librairie
A. Franck, 67, rue RicheHeu, à Paris.
Le prospectus de la Revue Celtique sera envoyé gratis à toute personne qui en
fera la demande par lettre affranchie à M. Vieweg.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 35 Quatrième année 28 Août 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE F'UBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 1 5 fr. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
PARIS
LIBRAIRIE A. FRANCK
67, RUE RICHELIEU, 67
ANNONCES
En vente à la librairie A. Franck, 67, rue Richelieu.
ï A ri O r\ F) U 17 /^ T 17 ^" '^^y Charles VIII par maistre
LA rrVWrrill.L.Illi Cuilloche Bourdelois, publiée
pour la première fois d'après le manuscrit unique de la Bibliothèque impériale,
par le marquis de La Grange. Petit in-S^". 7 fr. 50
AlV yf A D T 17 nr '"P 17 ^""^ ^^^ tombes de l'ancien empire que
• iVl /\ iv i LL 1 1 LL l'on trouve à Saqqarah. Gr. in-8° avec
3 planches. î fr-
HARTWIG DERENBOURG
Essai sur les formes des pluriels arabes. In-8°. 5 fr.
ÎT "VA^rrîT ^^ l'ordre des mots dans les langues anciennes com-
11 • VV Cj 1 L-i parées aux langues modernes. Nouvelle édition revue,
corrigée et augmentée, i vol. in-8°. 3 fr. 50
Cet ouvrage forme le 3" fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
Ar^ k Q F-p 1 p. T Le Capitole de Vesontio et les Capitoles pro-
• V_>(/\.^ 1 /\ IN vinciaux du monde romain. In-S" avec 5 pi.
3fr.
PERIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Gentralblatt fur Deutschland. ( Le n" 3 1 ne nous est pas
parvenu).
N° 32. 51 juillet.
Théologie. Jongencel, Neue Entdeckungen auf dem Gebiete der biblischen
Textkritik (voy. Rev. crit., 1 869, art. 1 34). — Bonavia, Contributions to Christo-
logy (voy. Rev. crit., 1869, art. 151; l'art, du Centralbl. est plus sévère que le
nôtre). — Histoire. Bùchsenschûtz^ Besitz und Erwerb im griechischen Alter-
thume (Halle, Buchh. des Waisenhauses; ouvrage de première importance). —
De Rozière, Liber diurnus Romanorum Pontificum (Paris, ; article
des plus favorables). — Caro , Geschichte Polens, III, 1286-1330 (Gotha,
Perthes; ouvrage très-important, déjà célèbre). — Lœher, Jakobsea von Bayern
und ihre Zeit (Nœrdlingen, Beck). — Jurisprudence. Bremer, Die Rechtslehrer
und Rechtsschulen im rœmischen Kaiserreich (Berlin, Guttentag; intéressant).
— CoNTZEN, Geschichte der volkswirthschaftHchen Literatur im Mittelalter
(Leipzig, Priber; titre faux, ouvrage incomplet). — Linguistique. Histoire litté-
raire. Max Jacob, bishop of Edessa, a Letter on Syriac Ortography edit. by
Phillips (London, Williams and Norgate). — Julien, Syntaxe nouvelle de la
langue chinoise (Paris, Maisonneuve). — Brambach, Die Neugestaltung der
lateinischen Orthographie (Leipzig, Teubner).
Jahrbuch fur romanische une englische Literatur, hgg. von Lemcke.
T. X. Premier cahier.
P. I. 0, Knauer, Recherches pour servir à la connaissance du français du
xiv*= siècle (suite) ; voyez ce qui a été dit sur les deux premières parties de ce
consciencieux travail aux n°^ 21 et 26 de l'année 1868; le présent article traite
de la déclinaison. — P. 33. Knust, Recherches pour servir à la connaissance de la
bibliothèque de l'Escorial (suite); voy. sur les quatre premières parties Rev. crit.,
1868, n"^ 26, 42, 51 ; 1869, n° 9; l'auteur commente ici la partie de son travail
qui est consacrée aux manuscrits espagnols; les plus intéressants sont ceux qui
contiennent des Enseignements d'un père à ses filles (xv^ siècle) et les Obras sati-
ricas del Conde de Villamediana (xvif siècle). — P- 73- Rochat, Le manuscrit de
chansons 231 de la bibliothèque de Berne; texte, assez peu recommandable, d'un
manuscrit qui contient vingt chansons. — Bibliographie. La Composizione del
Mondo di Ristoro d'Arezzo, pubbl. da Enr. Narducci (Roma, 1859; article juste-
ment sévère de M. Mussafia). — Réponse. A deux critiques de son travail sur la
vie et les ouvrages de Wace, l'une de M. Kœrting, l'autre, publiée dans le Jahrbuch,
de M. Ten Brink (cf. Rev. crit., 1869, couverture du n° 9), M. E. Du Mérii
oppose une fin de non-recevoir qui nous paraît peu fondée.
Deuxième cahier.
P. 129. Knust, Recherches pour servir à la connaissance de la bibliothèque de
VEscorial (6^ article); les notes les plus intéressantes de ce travail fait avec soin,
mais un peu délayé, commentent cette fois un livre célèbre, mais jusqu'ici peu
connu, les Bocados de oro. — P. 173. Bœhmer, Sur la Phonologie des langues
romanes; la première partie de cette étude, sur le son jot, est bien faite et mé-
thodique; on ne peut malheureusement en dire autant des paragraphes qui suivent
(2. la terminaison -ard-; 3. h pour/; 4. / venant de d; y b initial; 7. étymo-
logies diverses); toutes les lois de la phonétique romane y sont foulées aux pieds,
et, ce qu'il y a de plus étrange, par un disciple du maître qui les a établies : les
ouvrages de Diez sont l'arsenal où M. B. puise ses armes pour le combattre; la
majeure partie de ces étymologies appartient au domaine de la fantaisie pure :
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 35 — 28 Août — 1869
Sommaire : 165. Imruulkaisi Mu'allaka p. p. Aug. Muller. — 166. Watten-
BACH, Premiers Éléments de paléographie grecque. — 167. Zink, le Mythologue Ful-
gence. — 168. Chroniques de la ville de Brunswic p. p. l'Académie de Munich. —
169. Du Fresne de Be.4ucourt, les Chartier. — Variétés : The Academy.
165, — Imruulkaisi Mu'allaka, edidit Augustus Mueller. Halis, G. E. Barthel
vendit, 1869. xxij-31 p. — Pri.x : 1 fr. 60.
La mo'alkka d'Imrpu'ou 'Ikeis, dont M. MùUer vient de donner une nouvelle
édition, appartient à un groupe de sept (ou de neuf) poésies, qui ont reçu le
monopole de cette dénomination. Longtemps, pour l'expliquer, on avait recours
à une mise en scène fort attrayante. A 'Okàth, un des cinq endroits où les tribus
arabes se réunissaient pour y tenir leurs foires annuelles , les poètes venaient
lutter et conquérir l'honneur de voir leur œuvre reproduite en lettres d'or sur
des étoffes précieuses et suspendues (mo'allaka) aux parois du sanctuaire, de la
Ka'aba. Toutes les histoires littéraires continuent à reproduire cette fable,
malgré les avertissements successifs de Pococke, de Reiske, de Hengstenberg,
malgré la réfutation si absolue et si décisive de M. Nœldeke '.
Le choix des sept mo^allakât n'est pas en réalité l'œuvre d'un peuple appelé à
juger des œuvres d'art. Un homme de goiît, fortement nourri de l'ancienne poésie
arabe, un connaisseur d'une science étendue et approfondie, Hammâd Ràwiya,
puisant dans les trésors de sa mémoire, y distingua sept poèmes qu'il déclara les
plus merveilleux et les plus parfaits entre tous. Cette première collection contient
les vers de Nâbiga et de A'châ là où nous trouvons aujourd'hui ceux de 'Antara
et de Hârith. Ajoutés plus tard, ces deux morceaux ont fini par usurper deux
places dans le recueil. Hammâd nomma ces sept poèmes Soumoùî « colliers, »
ou Mo'allakât, « suspendus » peut-être un synonyme du premier titre, peut-être
aussi une expression employée dans un sens figuré, comme nous dirions des
morceaux pleins d'élévation. La fantaisie orientale s'est emparée de ce nom de
Mo'allakât pour bâtir toute une histoire, portant son caractère religieux et con-
sacrant la beauté poétique par la sainteté du lieu où devaient avoir été « suspendus »
ces chefs-d'œuvre.
Le mot n'est pas trop fort, surtout pour le poème d'Imrou'ou 'Ikeis, que
M. Muller a choisi pour des motifs auxquels l'esthétique n'était sans doute pas
étrangère. Mais, pourquoi est-il muet sur ce point? Pourquoi, en lisant ce
mémoire distingué à tant d'égards, ne trouvons-nous pas un mot, nous avertis-
sant que l'éditeur ressent quelque admiration pour son texte ? Il semble que tout
le travail ait été exécuté à froid, avec la patience de l'érudit, mais sans cet
I. M. Nœldeke, Beitrage :ur Kentniss der Poésie der alUn Araber, 1864, p. xvijetsuiv.
VIII 9
I 30 REVUE CRITIQUE
enthousiasme si fécond, même dans la critique. Je sais bien que M. M. s'est lui-
même imposé cette abstention, et je reconnais volontiers en lui une nouvelle
force pour nos études. Sa connaissance de l'arabe est solide, et il est de ceux
dont on peut beaucoup attendre ; il mérite vraiment qu'on ne lui marchande pas la
vérité, et qu'on réclame de lui beaucoup mieux que ce premier essai, dont la
conception est si supérieure à l'exécution. Peut-être d'ailleurs cette allure guindée
tient-elle à des motifs particuliers : M. M. quand il écrit en latin, ne semble pas à
l'aise et n'y met pas son lecteur. Certaines périodes sont presque inintelligibles.
Je ne parle pas des incorrections graves, ne voulant ici m'arrêter qu'à l'arabe,
où heureusement l'auteur possède une science plus profonde et dont il nous fera
sans doute part une autre fois en allemand.
Les poésies antéislamiques, comme la mo^allaka d'Imrou'ou 'Ikeis, ne nous
sont parvenues que par des voies assez détournées : chantées par des rhapsodes,
promenées à travers la péninsule, elles ont été entamées par ces voyages succes-
sifs, et l'imagination, venant en aide à la mémoire, a souvent modifié, transformé
plus d'un passage. Sans parler des omissions ainsi produites, l'ordre même des
vers n'est pas resté immuable : il a également dû se plier aux caprices de ces
chanteurs disposant en maîtres du dépôt qui leur avait été confié'. Bien plus,
des morceaux de même mètre et de même rime se sont combinés, se pénétrant
mutuellement ou ont été juxtaposés, comme s'ils se faisaient suite. Dans la
mo'allaka d'Imrou'ou 'Ikeis par exemple, nous avons aux v. 19 et 46 5 deux nou-
veaux commencements, que trahit le premier hémistiche rimant avec le second 2.
On est aujourd'hui réduit à chercher la plus ancienne recension qui ait été
conservée, et à la publier, en laissant la responsabilité du texte à l'éditeur indi-
gène, que l'on prend pour modèle. C'est ainsi qu'a fait M. de Slane dans son
Diwan d'AmroUkaïs^, M. Socin dans la publication de 'AlkamaJ, M. Nœldeke
pour Lakît et 'Ourwa ben elward^, M. Thorbecke pour quelques morceaux de
'Antara7,*etc. Tel est aussi le procédé, que l'auteur de ces lignes a cru devoir
suivre quand il a récemment cherché à reproduire la version d'Asma'î dans son
Dîwân de NâbigaDhobyânî^. Les mêmes principes seront appliqués dans l'édition
des « six poètes » que M. Ahlwardt prépare avec une trop sage lenteur et avec
une prudence peut-être exagérée?.
1 . Aussi les traditions , puisées à des sources diverses , sont-elles loin d'être toujours
d'accord entre elles.
2. Je cite les numéros des vers d'après l'édition d'Arnold (Leipzig, 1852).
y D'autres changements du même genre, mais d'une date plus moderne, ont été intro-
duits par les rivalités des écoles grammaticales de Basrâ et de Koûfa.
4. Paris, 1837, Imprimerie impériale.
5. Die Gedichte der 'Alkama 'Ifahl, Leipzig, 1866. In-8'.
6. Orient und Occident, I, p. 689 et suiv. et Abhandlungm der kœniglichen Cesellschaft
der Wissenschaften in Gœttingen, XI, p. 237 et suiv.
7. 'Antarah, ein vorislamischer Dichter, Mannheim, 1868.
8. Paris, Imprimerie impériale, MDCCCLXIX (chez Maisonneuve).
9. Trubner's american and oriental repository chaque numéro de 1869. Tous les jeunes
éditeurs de vieux poètes peuvent, paraît-il, se préparer à une razzia terrible, où aucun
d'eux ne sera épargné. Espérons que M. Ahlwardt réfléchira et qu'il ne gâtera point par
d'histoire et de littérature. !}I
M. M. a été plus ambitieux : il a voulu supprimer tous ces intermédiaires et
remonter au texte du poète tel que celui-ci l'avait conçu et rédigé. Cette tenta-
tive de restitution est, dans tous les cas, fort honorable; elle introduit dans les
travaux des orientalistes un genre de recherches fort à la mode dans la philo-
logie grecque et latine ; mais c'est en même temps une expérience périlleuse, et
où les succès obtenus n'ont jamais été proportionnés aux efforts accomplis. M. M.
ne s'est pas laissé effrayer, et il a bravement affronté le danger.
Certes, la tradition a été souvent faussée , et elle ne doit pas être pour le
critique un arbitre souverain, dont il doive aveuglément adopter les conclusions.
Mais, à moins de motifs graves et de preuves concluantes, la tradition ne mérite
pas le mépris que M. M. lui inflige. « Son autorité, dit-il, doit être primée par
» celle des autres arguments, à quelque genre qu'ils appartiennent'. » Oïl ne
peut pas conduire une telle théorie ? Aussi M. M. donne-t-il immédiatement un
correctif en ajoutant : « Mais il faut nous garder de trop suspecter la tradition.»
Ce n'est pas encore assez : Les Arabes, comme les autres peuples orientaux,
longtemps privés de l'écriture, employant la mémoire comme seul auxiliaire pour
la propagation de la littérature, ont fortifié, développé, doublé cette faculté déjà
très-puissante chez eux, et sont arrivés à des miracles d'érudition fidèle et sûre.
Les modifications voulues n'ont pu porter que sur des points de détail, un mot
ancien qu'on ne comprenait plus, un vers obscur, qui restait une énigme. Mais
à part quelques soudures maladroites, des transpositions mal dissimulées et un
certain nombre de suppressions, l'ensemble est resté intact, grâce à la rime et au
mètre. Les études renouvelées, au lieu d'infirmer la tradition, ne pourront que
lui gagner des adhérents, se soumettant à elle non plus par une sorte de féti-
chisme, mais à la suite de luttes, qu'ils auront entreprises pour la renverser.
Une lacune, qui m'a frappé dans l'œuvre de M. M. c'est l'absence d'une tra-
duction. Comment se justifier d'avoir déplacé des vers, qu'on n'explique pas ? La
précision nécessaire pour rendre la pensée de l'auteur et pour la transporter
d'une langue dans une autre, aurait certainement donné plus de rigueur et aussi
plus de clarté à tout ce mémoire. En attendant, il reste à dépasser la traduction
de M. Caussin de Percevah, que M. M. semble ignorer, et où il aurait déjà
trouvé supprimés les vers 3 et 4 comme paraphrase inutile. M. Caussin a plutôt
développé son texte qu'il ne l'a serré de près. La prolixité était alors admise, et
M. de Sacy fournissait à ce point de vue un exemple éclatant. Plus concis que
son devancier, également habile à pénétrer les finesses d'un texte difficile,
M. Caussin n'a pas toujours su éviter les longueurs, mais il a souvent eu dans sa
traduction la bonne fortune d'expressions heureuses et définitives.
Pour marquer mes dissentiments avec M. M. sur l'ordre des vers, il faudrait
reprendre à nouveau le travail, traduire la mo^allaka, et montrer comment les
des critiques excessives une œuvre destinée à se recommander par elle-même et par le
nom si justement estimé de son auteur.
1. Cf. p. ix.
2. Essai sur l'histoire des Arabes avant l'islamisme, II, p. J26. M. Caussin a ainsi traduit
les sept mo'allakdt.
132 REVUE CRITIQUE
différents vers s'accommodent plus ou moins de tel ou tel voisinage. J'aime mieux
réserver cette analyse pour une autre occasion et m'arrêter à quelques points de
détail. M. M. parle page xxj de Ibn Heisdm quidam. Le nom de Heisâm n'est
pas un nom arabe, et il est probable qu'il s'agit tout simplement du grammairien
Djamâl eddîn Aboû Mohammed 'Abd Allah ben Yoûsouf, surnommé Ibn Hichâm,
auteur d'un commentaire sur la poésie de Ka'b ben Zoheir, intitulée d'après les
premiers mots Bânat Sou'âd '.
M. M. regrette p. xviij que nous ne possédions plus la recension d'Aboû Sa'îd
Sokkarî. Je suis heureux de lui apprendre qu'il y en a deux exemplaires, l'un à
Leyde^, l'autre à Paris, appartenant à M. Caussin de Perceval, et que M. de
Slane a désigné par la lettre C dans son édition d'Imrou'ou 'Ikeis. Un examen
récent de ce manuscrit m'a démontré jusqu'à l'évidence que malgré l'absence de
toute indication, il renferme la recension de Sokkarî. Voici, par rapport à l'édi-
tion d'Arnold, dans quel ordre il donne les vers de la mo^allaka: 1-7, 9-19, 21,
20, 22-29, 8, 30-37, 39, 40. 38, 41-47, 52-54, 56, 5 5, 57-59, 6', 69, 63-
68, 62, 60, 70-72, 74, 76, 78, 77, 79, 81, 73 et 75. La tradition, telle qu'elle
avait été transmise à Sokkarî, se trouve d'accord avec M. M. pour placer le
vers 8 entre les vers 29 et 30 et pour faire suivre le vers 47 du vers 52. Ce
sont là d'heureuses coïncidences qui ajoutent à l'autorité des hypothèses émises
par M. M. Il sera facile d'ailleurs d'étendre la comparaison, grâce au tableau
parallèle qu'on peut désormais établir entre l'édition de Sokkarî et celle de
M. M.
Dans un passage de la préface 5, M. M. essaye d'expliquer le mot, par lequel
les Arabes désignent un poème lyrique : ils l'appellent une kasîda. On reconnaît
immédiatement la racine kasada « chercher à atteindre. » D'après M. M. une
kasîda serait le poème, par lequel on veut obtenir une faveur. D'abord consacrés
aux intérêts d'une tribu, les chants seraient devenus de plus en plus personnels.
De là ce nom exprimant plutôt une tentative déterminée et individuelle que les
mélodieux accents d'une âme inspirée. Cet échafaudage historique tombe de lui-
même, quand on songe à l'antiquité du mot kasîda dans cette signification : nous
le rencontrons dès les premiers essais de la poésie arabe. Dans le dîwân de
Nâ'biga (v. 5)4, le mot est appliqué à des satires. Aurait-il d'abord eu cette
acception particulière (de kasada, chercher à atteindre), et serait-il devenu
ensuite l'expression générale pour toute espèce de poésie ?
Un dernier reproche, que je ferai à M. M. et qui, je l'espère, passera par-dessus
sa tête pour aller atteindre plusieurs orientalistes allemands, c'est le bonheur qu'il
éprouve après tant d'autres à attaquer J. von Hammers. Ce grand homme,
aux idées si larges, à la science si vaste, a commis de nombreuses inexactitudes,
et ses assertions ne peuvent être acceptées sans contrôle. Mais, comme il a
1. Ce commentaire se trouve dans notre supplément arabe, n* 1430.
2. M. Dozy, Catalogus codicum onentaUum, II, p. 33.
3. P. X et suiv.
4. Cf. mon édition, p. 79 et J17.
5. J'ai surtout en vue les expressions violentes de la p. iv (cf. aussi p. xvij).
d'histoire et de littérature, 133
étendu le domaine des lettres orientales! Il y a longtemps, MM, Fleischer,
Weil et Ahlwardt, par de remarquables travaux et par d'habiles retouches, nous
ont non-seulement mis en défiance, mais ils ont refait des œuvres hâtives et rem-
plies d'erreurs. Mais, pourquoi continuer encore à attaquer de parti pris un
homme, qui a consacré toute sa vie -et toute sa fortune aux progrès de nos
études .?
Nous espérons retrouver bientôt M, M. Qu'il n'attribue nos critiques qu'au
plaisir que nous avons éprouvé en trouvant dans son livre la marque d'un esprit
distingué, bien digne de trouver l'application de ses forces dans quelque centre
littéraire, auprès d'une bibliothèque. Il serait dommage que des études aussi
heureusement commencées, attestées par un mémoire incomplet, mais substantiel
et vigoureux, fussent paralysées par un séjour prolongé dans un endroit n'offrant
aucune ressource pour le développement d'une intelligence aussi vive et aussi
heureusement douée.
Hartwig Derenbourg.
166. — Anleitung znr griechischen Palaeographie, von W. Wattenbach.
Leipzig, Hirzel, 1867. In-4*, 55 et 32 p. (Hierzu ein Heft in Klein foiio, enlhaltend
XII Schritttafeln). — Prix 5 Ir. 35.
Pas plus que la numismatique et l'archéologie de l'art, la paléographie ne
peut s'apprendre d'une manière purement théorique ; seul le commerce prolongé
avec des manuscrits de divers temps et de diverses mains peut donner au philo-
logue les moyens de déchiffrer facilement les écritures et de déterminer leur âge.
Cependant un ouvrage comme celui que nous annonçons a sa très-grande utilité:
il fournit à ceux qui sont appelés à faire usage des manuscrits certains premiers
éléments qui leur éviteront bien des tâtonnements,, et à ceux qui n'ont pas l'occa-
sion de visiter les grandes bibliothèques de l'Europe, il donne une idée plus
précise des conditions dans lesquelles peut s'exercer la critique diplomatique des
textes.
M. Wattenbach a divisé son manuel en trois parties: la première est imprimée
en caractères typographiques; elle contient (p, 1-38) 1° un résumé très-lucide de
l'histoire et de la bibliographie de la paléographie grecque ; 2''un exposé des carac-
tères distinctifs de chaque genre d'écriture (onciale, cursive et minuscule) avec
l'indication des manuscrits les plus remarquables de chaque genre conservés
dans les bibliothèques de l'Europe; (p. 38-557), 3° le texte, accompagné d'ex-
plications, des portions de manuscrits reproduites en fac-similé dans la troisième
partie.
La seconde partie constitue le manuel proprement dit de paléographie ; elle
estautographiée en écriture allemande, ce qui rend son usage un peu difficul-
tueux pour des Français qui ont déjà beaucoup de peine à apprendre la langue.
En outre cette écriture est loin d'être suffisamment nette. — Ici on ne trouve
que ce qui est strictement indispensable. Les différentes formes des lettres sont
étudiées dans l'ordre alphabétique, et en même temps les at)réviations des
I 34 REVUE CRITIQUE
diphtongues, terminaisons et particules, suivant la lettre par laquelle elles com-
mencent ; ainsi, sous la lettre a on trouve les abréviations de at, ai;, av, ànà,
ap, apa, aç, (et en outre la signification de à ==l ou, dans la composition des mots,
TcpwTo — ) et ainsi de suite. — Puis viennent quelques détails sur les abrévia-
tions particulières àl'onciale, sur la manière de séparer les mots, sur les esprits et
accents, la ponctuation et les chiffres. — Les types des lettres et abréviations
ont été pris dans les manuscrits ou des fac-similés de manuscrits les plus carac-
téristiques de chaque genre qui ont été à la disposition de l'auteur. Le choix est
en général bien fait.
Quant à la troisième partie, elle consiste en douze fac-similés, exécutés avec
beaucoup de soin, tirés de manuscrits de la bibliothèque de Heidelberg, reste de
cette Palatina qui a eu des destinées si accidentées. Ces fac-similés, chacun d'une
bonne page in-folio, peuvent servir avec fruit comme premiers exercices de lec-
ture. On peut s'aider d'abord pour les déchiffrer de la transcription donnée
(p. ?9-$ 0 de la I™ partie, puis on arrivera à les lire sans ce secours. Ils repré-
sentent des écritures variées du xe au xvie siècle. M. W. a jugé avec raison
que, des écritures plus anciennes, l'onciale est assez facile à lire et la cursive trop
compliquée et trop rare pour figurer dans un premier manuel, d'ailleurs la bi-
bliothèque de Heidelberg n'en possède pas de spécimens.
Il serait fort à désirer que nous possédions en français un manuel semblable.
La Bibliothèque Impériale fournirait des modèles encore plus caractéristiques et
plus variés. Nous n'avons jusqu'ici que d'énormes et dispendieux recueils
comme la Paléographie universelle de Sylvestre; et pour la théorie nous sommes
forcés d'avoir recours au vieux Montfaucon qui, malgré tous ses mérites, n'est
plus à la hauteur de la science. Il ne connaissait pas les plus anciens fragments
d'onciale sur papyrus récemment mis au jour, et quant à la minuscule du xv^ et
xvi^ siècle il l'avait un peu négligée parce qu'elle ressemblait trop aux carac-
tères typographiques de son temps, qui aujourd'hui présentent à la plupart
d'entre nous des difficultés presque aussi grandes que les manuscrits.
167. — Der Mytholog Fulgentius. Ein Beitrag zur rœmischen Litteraturgeschichte
und zurGrammatik der afrikanischen Lateins, von D' Michael Zink. Wùrtburg, 1867.
— Prix : 3 fr. 50.
Quoiqu'il ne soit plus tout nouveau , nous ne voulons pas passer sous silence
ce travail de M. Zink sur un écrivain qui a joui d'une certaine vogue au moyen-
âge.
M. Zink a divisé son livre en deux parties. Dans la première il traite : 1° de
la vie de Fulgence; 2° de ses écrits et de sa valeur littéraire. Dans la seconde
il examine : 1° la latinité de Fulgence; 2° les sources et citations de cet écrivain.
— La vie de Fulgence présente plusieurs problèmes que M. Zink tâche de
résoudre par une critique conjecturale souvent ingénieuse. Si toutefois le livre
De aetatibus mundi et bominis sur lequel M. Reifferscheid a rappelé plus tard
d'histoire et de littérature. 135
l'attention des savants', appartient réellement à Fulgence, M. Zink y trouvera
quelques données nouvelles qui pourront confirmer ou infirmer quelques-unes de
ses conclusions. En ce qui concerne les noms de Fulgence, le livre De aetaîibus
nous donne Fabius Claudius Gordianus Fulgenîius, ce qui est d'autant plus remar-
quable que les deux noms nouveaux Claudius Gordianus, établissent la parenté de
l'auteur du De aetatibus avec Févêque Fulgence, dont le père s'appelait Claudius,
le grand-père Gordianus. M. Zink soutient d'une manière tout à fait victorieuse
que Fulgence était afiricain et non pas espagnol, ainsi que le prétend Lersch.
L'opinion de Lersch a été soutenue récemment par M. Lucien Mùller^ qui ne
connaissait pas encore le travail de M. Zink. Le livre De aetatibus dont l'auteur
en plus d'un endroit se dit africain, donne gain de cause à M. Zink. La question
la plus difficile à décider est celle de l'époque à laquelle Fulgence a vécu. La
seule donnée positive c'est que Fulgence est postérieur à Martianus Capella qu'il
cite, et qui d'après les recherches nouvelles de M. Eyssenhardt, complétées par
M, Lucien MùUer?, doit avoir écrit avant 439. Pour établir l'autre limite
M. Zink prouve que le premier mythographus vaticanus a fait usage de la mytho-
logie de Fulgence et tâche ensuite de trouver l'âge de ce m)nhographe qu'il place
dans la première moitié du vi' siècle. Il établit d'autre part que le Dominus rex,
dont parle Fulgence, doit être Hunerich, et il place la rédaction de la Mythologie
entre 480-484. Il ne fait pas mention d'une glose d'un ms. de Leyde, citée
par Muncker et Lersch, qui place Fulgence au temps de l'empereur Zenon (474-
491) et il fait bien, car l'auteur de la glose peut très-bien avoir confondu, ainsi
qu'on l'a fait souvent au moyen-âge et après, notre Fulgence avec l'évêque du
même nom, né en 480. Les conjectures au moyen desquelles M. Zink cherche
à établir par un chemin nouveau l'âge de Fulgence, quoique fort ingénieuses et
habilement construites, laissent beaucoup de doutes chez le lecteur. Quant aux
passages de Fulgence relatifs aux événements de son temps, ils sont trop vagues
et incertains pour que nous puissions dire que l'opinion émise sur eux, par
M. Zink, soit plus vraie que celle de plusieurs autres critiques. M. L. Mùller en
même temps que M. Zink, interprêtait ces passages d'une manière bien différente
et il en arrivait à fixer pour la mythologie la date de 456. M. Reifîerscheid en
tenant compte de quelques données du livre De aetatibus, revient à une ancienne
opinion qui reconnaissait dans le Dominus rex Hilderich (523). Je crois qu'avec
les données dont on dispose, il n'est pas possible de fixer d'une manière bien
précise l'âge de Fulgence; mais l'ensemble de ces données laisse la conviction
que cet écrivain ne peut pas être postérieur à la première moitié du vi^ siècle.
Les pages que M. Zink a consacrées aux ouvrages de Fulgence, au savoir,
au caractère, aux idées de ce singulier écrivain, sont intéressantes et remar-
quables par une critique d'assez bon aloi en général et par la justesse des appré-
ciations. A propos des ouvrages de Fulgence, M. Zink a omis de parler d'une
1. Rhdnisches Muséum fur Philologie, vol. 23 (1868), p. ijj suiv.
2. Neue Jahrbùcher fur Philologie, 1867, p. 791 suiv.
j. Neue Jahrbùcher fur Philologie, 1866, p. 705 suiv.
I 36 REVUE CRITIQUE
question que Lersch pose à la fin de son travail, sur le livre De abstrusis sermo-
nibus. Lersch demande ce que c'est qu'un manuscrit de la bibliothèque Zabarella
de Padoue, dont Tomasini donne le titre : Fulgentius super bucolica et georgica
Virgilii cum nous scriptus a Joan. de YppoUîis Brixiensi An. 1359. Est-ce, dit-il,
la même chose que le De continentia Virgiliana? est-ce un ouvrage à part? qu'est
devenu ce manuscrit ? L'existence d'un commentaire de Fulgence sur les Buco-
liques et les Géorgiques, m'a paru un fait bien singulier, d'autant plus que Ful-
gence lui-même dans son De continentia^ dit explicitement qu'il ne l'a pas fait :
bucolicam georgicamque omisimus in quibus tam mysticae sunt interstinctae rationes,
etc., etc. Aussi j'ai eu la curiosité de voir ce manuscrit et je l'ai retrouvé tel que
Tomasini le décrit, dans la bibliothèque publique de Padoue. C'est bien un
commentaire sur les Bucoliques et les Géorgiques, mais sans le moindre doute il
n'est pas de Fulgence. Quoique on lui ait appliqué le nom de cet écrivain, la
langue, le style, les idées, la méthode ne sont pas de lui, et du reste on voit du
premier abord, par les autorités qu'il cite, que l'auteur de ce commentaire est bien
plus récent. Ainsi M. Zink n'a rien omis de bien essentiel en passant ce manus-
crit sous silence.
M. Zink a été le premier à entreprendre une étude assez approfondie de la
latinité de Fulgence qu'il examine longuement, avec beaucoup de soin. On peut
dire que c'est là la partie la plus essentielle de son travail. Malheureusement les
textes imprimés, qui sont les seuls dont il se soit servi pour son analyse, sont
bien loin de la correction nécessaire pour offrir un appui solide à une étude de
ce genre. Une édition critique et définitive de ces textes obligerait M. Zink à
bon nombre de changements dans certains points particuliers de son travail, qui
cependant resterait toujours debout dans sa partie générale et essentielle, car les
traits caractéristiques de la latinité de Fulgence sont d'une bizarrerie assez
saillante pour qu'on puisse les reconnaître sans trop s'y méprendre, même
dans des textes peu corrects.
On sait que Fulgence, ainsi que plusieurs autres écrivains charlatans de la même
trempe, pour se donner l'air d'une érudition peu ordinaire, s'amuse non-seule-
ment à citer des auteurs peu connus, mais aussi à forger des noms d'auteurs et
des titres d'ouvrages tout à fait imaginaires. Les recherches de Lersch ne laissent
pas de doute sur ce point, et les efforts de quelques savants pour laver le nom
de Fulgence de ce reproche, n'ont pas eu de succès. M. Zink traite à fond cette
question dans la partie de son travail relative aux sources et citations de son
auteur. Il divise toutes les citations qui se trouvent dans les ouvrages de Fulgence
en quatre groupes; savoir : 1° les citations authentiques ; 2° celles dont l'authen-
ticité est vraisemblable ; 3° celles dont la fausseté est certaine ou vraisemblable;
4" les citations sur lesquelles on ne peut rien affirmer, les noms des auteurs
étant ou totalement inconnus , ou évidemment altérés par les copistes. Cette
dissection de l'érudition de Fulgence est faite avec finesse, et elle est beaucoup
plus exacte et plus complète que celles qu'on avait tentées en cela jusqu'ici.
Dans une seconde édition de son travail M. Zink pourra ajouter quelques citations
du livre De aetatibus et particulièrement pour sa troisième catégorie, le singulier
d'histoire et de littérature, I J7
Librorum duodenorum volumen Xenophontis poeîae in singulis libris singuUs Utteris
imminutis .
A propos d'un auteur cité par Fulgence, M. Zink suit une opinion que je
n'hésite pas à qualifier d'erreur. Parlant des Gorgones, Fulgence dit : quarum
quia fahulam Lucanus et Livius scripserunt poeîae, grammaticorum scholaribus rudi-
mentis admodum celeberrimi, hanc fabulam referre superfluum duximus. Pour ce qui
est de Lucain, il n'y a rien à redire. Il parle des Gorgones dans son poème, et
son autorité auprès des grammairiens avait notablement grandi à l'époque de
Fulgence. Il suffit de comparer le nombre des citations de ce poète chez Donat
et chez Priscien pour voir combien il avait gagné dans l'espace de temps qui
sépare ces deux grammairiens. Chez Priscien, Lucain est le poète latin le plus
souvent cité après Virgile. Mais qui est l'autre poète Livius, qui d'après Fulgence
était un des auteurs scolaires les plus en usage de son temps? Plusieurs savants
ont pensé, je crois très-justement, que le nom Livius a été substitué par erreur
à Ovidius. M. Zink ne veut pas admettre cela; il se refuse à croire qu'Ovide ait
pu être lu dans les écoles; et cependant on sait que particulièrement pour
l'époque de Fulgence et les suivantes, il serait très-facile de prouver le contraire.
Il préfère voir dans le Livius de Fulgence l'ancien poète Livius Andronicus, dont
l'Odyssée latine servait encore de livre d'école au temps de la jeunesse d'Horace.
Cette idée, jadis avancée par d'autres savants, est non-seulement dépourvue de
tout fondement, mais elle est aussi positivement fausse. En effet il n'y a rien qui
nous dise que Livius Andronicus ait parlé des Gorgones dans ses vers, et rien
n'est plus absurde que de croire qu'un auteur aussi archaïque et sans vogue, ait
pu servir de livre d'école au v^ ou vi^ siècle, à côté de Virgile et de Lucain.
Comme livre d'école VOdyssée de Livius fut complètement effacée et condamnée
à l'oubli par Virgile et les autres poètes de la grande époque. Chez les grammai-
riens, les rhéteurs et les érudits les plus friants d'archaïsmes des deux premiers
siècles de l'empire, Livius Andronicus ne jouit que d'une assez faible autorité et
d'une très-médiocre faveur. Fronton n'en parle pas du tout. Aulu Celle le cite
trois fois et ces paroles : Offendi in bibliotheca Patrensi librum verae vetustatis Livii
Andronici qui inscriptus est 'osOffffsia, sont bien loin de nous présenter l'Odyssée
de Livius comme un livre bien connu, soit dans les écoles, soit ailleurs. Plus
tard Priscien le cite plusieurs fois, mais sans doute ainsi que tant d'autres auteurs
de la république alors oubliés, d'après des grammairiens plus anciens. Il est donc
tout à fait impossible d'appliquer à Livius Andronicus les paroles de Fulgence
et je m'étonne de voir que M. Bernhardy ait pu croire digne de mention une
opinion aussi évidemment fausse.
Le travail de M. Zink est le meilleur et le plus complet que nous ayons au-
jourd'hui sur Fulgence. Une édition critique de cet écrivain aurait son utilité ;
nous voudrions l'espérer de M. Zink qui possède toutes les quahtés nécessaires
pour ce travail.
D. Comparetti.
I. Grand, d. rœm. Litt., p. 48.
138 REVUE CRITIQUE
i68. — Die Ghroniken der deutschen Stsedte vom 14, bis zum 16. Jahrhun-
dert, herausgegeben durch die historische Commission bei der kœnigl. Académie der
Wissenschaften, etc. T. 6 et 7. Die Chroniken der niedersaschsischen Staedte : Braun-
schwcïg, Bd. I. Magdeburg, Bd. I.— Leipzig, S. Hirzel, 1868-1869. xlj-s28; l-^oSp.
in-8*. — Prix : 10 fr. 75 le vol.
Nous avons entretenu plus d'une fois le lecteur des publications historiques de
l'Académie des sciences de Bavière. Les brillants résultats obtenus par elle dans
un espace de temps relativement assez restreint, montrent combien on peut
faire avancer la science avec une modeste subvention pécuniaire, grâce à la
coopération dévouée des hommes d'élite d'un même pays. C'est d'ailleurs de
l'argent bien placé, car les quelques milliers d'écus, consacrés annuellement à
ces diverses entreprises par le dernier roi de Bavière, MaximiHen II, contribue-
ront certes plus que tous les autres actes de son règne, à transmettre son nom
d'une manière honorable à la postérité.
L'Académie de Munich poursuit, on le sait, des publications très-variées. On
a parlé déjà dans la Revue de sa collection des Annales de l'empire, de son Histoire
des sciences en Allemagne, de sa collection des Chants populaires historiques d'Alle-
magne et tout récemment encore de la Correspondance politique des princes de la
famille de Wittelsbach au xvf et au xvii'' siècle. Il est deux autres entreprises,
également entamées déjà, dont nous n'avons point encore entretenu le lecteur :
elles sont plus spécialement destinées à continuer et à compléter les Monumenta
de Pertz, qui devront s'arrêter un jour à l'année i $00. C'est la collection des
Actes des Diètes de l'Empire et la collection des Chroniques des villes allemandes du
XIV* au XYf siècle. C'est de cette dernière que nous avons l'occasion de dire
aujourd'hui quelques mots.
Pendant près de deux siècles les villes libres ont été la puissance effective de
l'empire' germanique, bien que les constitutions impériales les reléguassent au
troisième rang. Tandis que le pouvoir central était honni partout et que Electeurs,
margraves, ducs et comtes se déchiraient entre eux ou luttaient vainement contre
l'insubordination de la petite noblesse, il se formait au nord, à l'occident et au
midi de l'Allemagne de puissantes confédérations municipales, garanties par des
franchises impériales, mais surtout par l'esprit entreprenant et l'énergie de leurs
citoyens. Les ligues de la Hanse, du Rhin, de la Souabe et de la Franconie,
Lûbeck, Hambourg, Cologne, Strasbourg, Augsbourg et Nuremberg, ont été
depuis la fin du xiv'' et au xv" siècle les sièges principaux du mouvement intel-
lectuel, du développement commercial, de la force politique de l'Allemagne.
Aussi c'a été une heureuse idée de réunir dans une collection unique, dirigée
dans un même esprit, les chroniques contemporaines de ces diverses cités, offrant
un tableau fidèle et détaillé de l'histoire intérieure de l'empire germanique. Sous
la direction supérieure de M. C. Hegel, professeur à l'Université d'Erlangen,
l'entreprise des Chroniques des villes allemandes a fait de rapides progrès, et l'on
en publie en moyenne un volume par an. Les cinq premiers volumes ont été
consacrés aux chroniques de Nuremberg, la ville la plus importante du cercle
de Franconie, et à celles d'Augsbourg, capitale du cercle de Souabe. M. Hegel
d'histoire et de littérature. n9
luinnême en a soigné l'édition. Ce sont des modèles du genre, grâce à l'exacti-
tude critique avec laquelle on a donné les textes, presque tous inédits, grâce
aux savantes introductions, aux notes, aux glossaires, aux plans dont ces volumes
sont accompagnés. Les deux nouveaux volumes que nous avons sous les yeux
nous transportent dans une autre sphère. Ils renferment des chroniques du cercle
delaBasse-Saxe, qui voient le jour ici pour la première fois. Le sixième contient des
chroniques de Brunswic, publiées par M. L. Haenselmann, archiviste de cette
ville, et connu par de savantes recherches sur l'histoire locale. Ce premier volume
des Chroniques de Brunswic renferme quatre pièces différentes dont aucune n'est
à \Tai dire une chronique dans le sens ordinaire de ce mot. Ce sont des docu-
ments divers pouvant servir à l'histoire de la cité, plutôt que le récit suivi des
événements de l'époque. Riche cité marchande, absorbée par son vaste commerce,
Bruns\\-ic n'a point trouvé le loisir nécessaire pour produire des chroniqueurs
semblables à ceux de Nuremberg et d'Augsbourg (voy. notice sur Burkard Zink,
Revue, 1869, 1). Le premier des morceaux publiés par M. H. est même en latin,
contrairement à toutes les règles fixées pour la publication des Chroniques. C'est
un court fragment (p. 1-8) intitulé Machinatio fratrum minorum, qui se rapporte
à la lutte du duc Albert de Brunswic avec son frère, l'évêque Othon de Hildes-
heim en 1279. La seconde pièce (p. 9-121) intitulée Livre des guerres (Fehde-
buch) est un ramassis de notes officielles, sans aucune liaison entre elles, rela-
tives aux affaires extérieures, militaires, etc. de la ville de 1577 à 1588. Le
troisième document (p. 122-207) porte le nom de Compte-rendu secret (Heraelike
Rekenscop). Ce sont également des notes officielles rédigées par un échevin
pour l'usage du Conseil suprême de la cité, et qui ne devaient point être connues
du public. Ces notes se rapportent aux changements démocratiques qui eurent
lieu dans la constitution de la ville vers la fin du xiv^ siècle, aux luttes avec les
ducs de Brunswic, aux revenus et aux dettes de la \i\\e. Elles ont été rédigées
en 1402, et continuées pendant quelques années encore. La dernière pièce est
le Mémorial de Hans Pomer (p. 208-284). C'est l'agenda — si je puis m'expri-
mer ainsi — d'un citoyen marquant de la viile, pendant plus de trente ans
fonctionnaire élu dans différentes charges municipales, et qui pendant quelques
années (de 141 7 à 1426) notait de temps à autre sur ces feuillets les faits, les
chiffres, les événements journaliers, sans aucune intention de tenir un journal ni
surtout de composer une chronique. Il est sans doute regrettable que nous ne
trouvions point à Brunswic de sources historiques plus développées, et plus
travaillées que celles que nous venons de citer. Peut-être M. Haenselmann nous
en donnera-t-il d'autres dans le second volume qui doit suivre. En tout cas
l'éditeur a tâché d'obvier, autant que possible, à l'inconvénient que présentent
ces notes incohérentes, pour l'historien qui voudrait en tirer profit. Des intro-
ductions spéciales à chacun des documents énumérés plus haut, une introduction
générale sur l'historiographie brunswicoise et sur le développement de cette cité
donnent un peu plus de couleur à un volume. Mais il faut signaler surtout les
appendices, qui remplissent plus du tiers du volume, proportion un peu dange-
reuse en théorie et contraire aux principes établis pour la publication des Chro-
140 REVUE CRITIQUE
ni(]aes, mais que justifie dans ce cas particulier la nature fragmentaire des pièces
publiées. M. H. a tâché d'y faire lui-même le travail que n'ont pas fait les chro-
niqueurs de Brunswic et, puisant dans ses archives, il a retracé les monuments
principaux de l'histoire municipale auxiv'' siècle. Un glossaire, dû à M. Schiller,
de Schwerin, très-nécessaire pour comprendre le bas-allemand des textes, des
index de noms propres et de noms de lieux terminent l'ouvrage. Avec le septième
volume commencent les Chroniques de Magdebourg, dont l'édition a été confiée à
M. le docteur Janicke, secrétaire aux archives du gouvernement à Magdebourg.
Ici nous ne trouvons plus des documents incomplets et incohérents, mais de
véritables chroniques et le premier volume tout entier est rempli par une des
chroniques les plus importantes, non pas seulement pour l'histoire locale ou pro-
vinciale de l'époque, mais même pour l'histoire générale d'Allemagne du Nord.
C'est l'ouvrage connu sous le nom de Chronique des Echevins de Magdebourg
(Schœppenchronik), désignation peu appropriée, et que M. J. aurait dû peut-
être supprimer parce qu'on en connaît maintenant, grâce à lui, le principal
auteur, Jean de Lammenspringe, secrétaire des echevins de la ville, sur l'ordre
desquels il en entreprit la rédaction. Sans commencer à la création du monde,
comme tant d'autres chroniques du moyen-âge, J. de Lammenspringe remonte
cependant dans son récit, jusqu'à l'époque du premier triumvirat. Son premier
livre — l'ouvrage en compte trois — raconte l'histoire du monde et plus spécia-
lement de sa patrie, de Jules César à Charlemagne. Le second livre va jusqu'en
1350. Le troisième enfin, qui contient l'histoire contemporaine, retrace l'histoire
de Magdebourg de i ? $0 à 1466. Mais ce troisième livre n'est pas en entier de
la même main. Lammenspringe, a commencé sa rédaction vers 1 360. Il s'est
arrêté, d'après M. J. à l'année 1372. D'autres chroniqueurs connus et inconnus
qui ont occupé pour la plupart des fonctions officielles, secrétaires, syndics, etc.
ont tour à tour pris la plume pour retracer les événements contemporains pendant
près d'un siècle encore, laissant des lacunes plus ou moins considérables dans
leur récit. Lammenspringe lui-même a basé son récit sur une série de chroni-
queurs et d'annalistes que M. J. a recherchés avec soin et dont il indique les
emprunts en marge de la chronique. L'annaliste saxon, Ekkehard, les Annales
de Magdebourg et de Quedlinbourg , Thietmar de Mersebourg et beaucoup
d'autres ont été mis à contribution par le secrétaire des echevins magdebourgeois.
Il a consulté aussi pour les époques plus rapprochées de lui les traditions locales
et les documents confiés à sa garde. M. J. entre sur tous ces points dans de
grands détails, qu'on étudiera avec profit pour se rendre un compte exact de la
méthode de travail usitée par les historiens du xiv^ siècle. La langue des chro-
niqueurs de Magdebourg est le moyen bas-allemand. Ce dialecte n'ayant jamais
pu parvenir à la dignité de langue littéraire, il est impossible de rétablir une
orthographe rationnelle d'après des principes généraux. Bien que cette méthode
ait, elle aussi, de graves inconvénients, il vaut mieux cependant dans un cas
pareil s'en tenir scrupuleusement au Codex le plus ancien, sauf à corriger en note
les fautes de copiste et autres erreurs évidentes. M. J. n'a pas agi tout à fait de
cette manière ; il donne bien en note les variantes des deux plus vieux manuscrits
d'histoire et de littérature. 141
A (Berlin) et B (Magdebourg), mais dans le texte même de son édition il corrige
bien souvent la forme des mots.
A la fin de ce volume se trouvent également un glossaire, des index de noms
de lieux et de personnes, ainsi qu'un plan de Magdebourg au moyen-âge. Les
prochains volumes de la collection des Chroniques doivent être consacrés, nous
dit-on, aux villes rhénanes; nous souhaitons à l'entreprise de l'Académie de
Munich ainsi qu'à Hegel, son savant directeur, tout le succès qu'elle mérite; c'est
dans une dixaine d'années surtout, alors que toutes les provinces de l'empire
auront successivement fourni les chroniques de leurs plus célèbres cités, qu'on
pourra d'un coup-d'œil apprécier la haute valeur des documents rassemblés
ainsi, pour l'étude plus générale des communes au moyen-âge.
Rod. Reuss.
169. — Les Chartier. Recherches sur Guillaume, Alain et Jean Chartier,
par G. Du Fresne de Beaucourt , membre de la Société des Antiquaires de Nor-
mandie. Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1869. In-4*, 59 p. (Extrait du XXVIII* volume des
Mémoires de la Société des Antitjuaires de Normandie).
M. de Beaucourt rappelle, au début de son mémoire, que « vers le milieu du
» XV* siècle, sous le règne de Charles VII, trois personnages du même nom
» acquirent, à des titres divers, une notoriété considérable : l'un Guillaume
» Chartier, évêque de Paris, dont ses contemporains vantent la science, la
» sagesse et les vertus ; l'autre, Alain Chartier, poète illustre,
Clerc excellent, orateur magnifique'
« et que Etienne Pasquier compare à l'ancien Sénèqiie romain^; le dernier, Jean
» Chanier, moine et chantre de l'abbaye de Saint-Denis, chargé officiellement
» par Charles VII d'écrire l'histoire du temps. » La plupart des biographes,
depuis Moréri jusqu'à M. Th. Lebreton (Biographie normande, 1857-61), ont
regardé ces trois personnages comme frères, comme originaires de Bayeux, et
ont attribué à Alain la priorité de naissance. M. de B., après avoir interrogé
tous les dictionnaires biographiques connus , apprécie les travaux spéciaux de
M. Pezet, de M. G. Mancel, de M. Mangeart, le bibliothécaire de Valenciennes,
et enfin les trois articles donnés par M. Vallet de Viriville, en 1854, à la Nou-
velle biographie générale. Examinant ensuite la question avec un soin extrême, il
1. M. de B. n'avait aue l'embarras du choix en fait de citations flatteuses pour Alain
Chartier. Ainsi, à côté du vers d'Octavien de Saint-Gelais, il aurait pu mentionner ce vers
de Clément Marot :
J'ay leu Alain, le très noble orateur,
et cet autre vers du même poète :
En maistre Alain Normandie prend gloire,
et cet autre encore :
Le bien disant en rime et prose Alain.
2. M. deB. aurait pu mettre en regard de cette comparaison une comparaison encore
plus enthousiaste : l'historien poète Jean Lemaire n'a-t-il pas mis Alain Chartier sur la
même ligne que Dante? — Thomas Sebilet, dans son Art poétique (i 548), énumérant nos
bons et classiques poètes français, salue, entre les vieux, Alain Chartier et Jean de Meun.
Là, du moins, le rapprochement est légitime.
142 REVUE CRITIQUE
réalise de la manière la plus satisfaisante le programme qu'il s'était ainsi tracé
(p. 5, 6) : « Nous reprendrons dans tous ses détails la biographie de Guillaume
» d'Alain et de Jean Chartier; en face des notions vulgaires, nous placerons les
» données que nous fournissent les documents authentiques, et nous indiquerons
» scrupuleusement les sources. Après avoir ainsi établi ces trois biographies sur
» des bases solides, nous examinerons les points obscurs ou douteux; nous
» discuterons le système de nos devanciers : du rapprochement des faits avérés
» et des conjectures plus ou moins plausibles, des vérités démontrées et des
» assertions reconnues pour fausses, sortira une lumière nouvelle et nous vou-
» drions pouvoir dire complète. »
Je vais résumer les savantes recherches de M. de B. sur Guillaume, Alain et
Jean Chartier.
Guillaume Chartier naquit à Bayeux vers i ^92. Il était fils aîné de Jean Char-
tier, bourgeois de cette ville. Il fit ses études à l'Université de Paris. Charles VII
l'appela, en 1432, à l'Université de Poitiers pour y professer le droit canon, et
il fut pourvu vers la même époque de la cure de Saint-Lambert près Saumur et
du titre d'archidiacre de Gand, au diocèse de Tournay. Le 29 avril 1433, il fut
reçu comme conseiller-clerc au Parlement de Poitiers. En 1435, il prit part
aux négociations qui aboutirent au traité d'Arras. En janvier 1437, il fut nommé
chanoine de Paris; enfin, le 4 décembre 1442, il devint évêque de Paris. En
145 5, il fut un des commissaires délégués par le pape Calliste III pour la réha-
bilitation de Jeanne d'Arc'. En 1459, il figura dans l'ambassade solennelle
envoyée par Charles VII à l'assemblée de Mantoue. En 1460, il assista au concile
de Sens. Le 20 juillet 1462, il adressa de courageuses paroles à Louis XI qui
devait, dix ans plus tard, s'en venger bassement, en faisant mettre sur la tombe
du prélat une injurieuse épitaphe. Le i^' mai 1472, après avoir présidé à une
procession dans sa cathédrale, il tomba subitement malade et mourut le même
jour.
Alain Chartier vint au monde à Bayeux, au plus tard en 1395. Il étudia,
comme son frère, en l'Université de Paris. C'est peu après la bataille d'Azincourt
(2^ octobre 141 5) qu'il composa le premier de ses ouvrages, le Livre des quatre
darnes^. Il ne fut point envoyé en Allemagne en 141 9, comme l'a cru M. Vallet
de Viriville, et c'est entre 1423 et 1426 que doit être placée sa mission diplo-
matique auprès de l'empereur Sigismond. Il avait été auparavant attaché à la
personne du Dauphin (14 18-1422). En juin ou juillet 1428, il se rendit en
i. M. de B. n'oublie pas de dire, à ce propos, que Guillaume Chartier, en mourant,
lègue à son église un des exemplaires originaux du procès de réhabilitation, et c^ue ce ms.,
conservé à la Bibliothèque impériale, a servi à M. Quicherat pour sa publication du
Procès de Jeanne d'Arc.
2. C'est là le seul des ouvrages d'Alain Chartier que M. D. Nisard (Histoire delalitté-
rature française, y édition, 1863, t. I, p. 149) ait un peu loué : « poète fade, prosateur
» pédantesque, malgré quelques vers expressifs sur le désastre d'Azincourt. » A ces lignes
si sèches et si dures j'opposerai de favorables pages de M. Geruzez {Histoire de la littéra-
ture française depuis les origines jusauà la révolution, y éd. Paris, 1865., 1. 1, p. 230-242).
Voir encore M. Demogeot, Hist. de la littérature française, 2' éd. 1855, p. no, 211.
d'histoire et de littérature. 145
Ecosse pour y négocier un renouvellement d'alliance avec ce pays et l'envoi de
nouveaux secours armés, en même temps que le mariage du futur Louis XI,
alors âgé de cinq ans, avec Marguerite, fille du roi Jacques I", l'héroïne de l'his-
toriette racontée pour la première fois par Jean Bouchet et, depuis, tant de
milliers de fois répétée'. En 1429, Alain Chartier accompagnait Charles VII à
Reiras. S'il est certain que le poète ait eu une dignité ecclésiastique, qu'il ait
rempli les fonctions de chancelier de Bayeux et aussi qu'il ait été, dans l'ordre
civil, pourvu de la charge de notaire et secrétaire du roi, il est douteux qu'il ait
été archidiacre de Paris et conseiller au Parlement. Il mourut après le mois de
mai 1449 et certainement avant l'année 1457.
On ne sait ni où ni quand naquit Jean Chartier. Loin d'être le frère d'Alain et
de Guillaume, comme l'affirmait encore il y a quelques années M. Vallet de
Viriville, que M. de B. appelle « le dernier et le plus érudit des biographes » de
ces trois personnages, il est infiniment probable qu'il ne fut pas même leur
parent. C'est à l'année 1430, dans les actes capitulaires de Saint-Denis, que
M. de B. a trouvé la première mention de Jean Chartier; il était alors un des
dignitaires de l'abbaye et avait le titre de prévôt de la Garenne. En 1433, il
échangea la prévôté de la Garenne Saint-Denis contre la prévôté de Mareuil-en-
Brie. Dès le commencement de 1435, il était en possession de l'importante
charge de commandeur de l'abbaye. Le 18 novembre 1437, Jean Chartier fut
nommé par Charles VII historiographe de France et il reçut sans doute en même
temps le titre de chapelain du roi. En 1445, il apparaît, pour la première fois,
comme grand chantre de l'abbaye de Saint-Denis, et il conserve ces éminentes
fonctions jusqu'en 1464 au plus tard. Il était encore en vie en 1470, mais il est
vraisemblable qu'il ne lui fut pas donné de présider à l'impression des Grandes
chroniques de Saint-Denis achtyée le 16 janvier 1477'.
Tels sont les résultats obtenus par M. de B. à la suite des investigations les
plus persévérantes et les plus étendues, faites dans les livres et surtout dans les
manuscrits. Je n'ai pas besoin d'insister sur l'importance de ces résultats.
D'abord, une foule d'erreurs disparaissent définitivement de la biographie des
Chartier; ensuite, les renseignements nouveaux recueillis par M. de B. ne sont
pas moins nombreux qu'intéressants?. Sans doute il reste encore quelques
1. M. de B. a bien voulu mentionner (p. 3^, 36) ma petite polémique avec M. Vallet
de Viriville dans V Intermédiaire de 1865, au sujet du fameux baiser que Marguerite d'Ecosse
aurait donné à maître Alain. Je constate avec plaisir que le judicieux critique partage mon
opinion sur la gracieuse légende des Annales d Aquitaine.
2. M. de B. observe (p. 29) que M. Cheruel, dans son Dictionnaire historique des insti-
tutions de la France (t. II, p. 8 17) attribue, après beaucoup d'autres, au poète Alain la
Chronique de Charles VII, composée par le moine Jean. La même erreur a été commise
par M. César Cantù qui (p. 184 du t. XII de la traduction française de son Histoire
universelle, 1854) dit à propos du baiser de Marguerite : « Nous avouons n'être pas de
> l'avis de la reme ; sa chronique est très-ennuyeuse, et dans les vers qui nous restent de
» lui il étale une morale de carrefour. »
3. Une des plus précieuses découvertes de M. de B., est celle d'un frère authentique de
Guillaume et d'Alain Chartier, qui prend la place du /aux frère Jean. Ce troisième frère,
dont l'existence a été révélée à M. de B. par des lettres patentes de Louis XI, du 7 juillet
1463 , conservées en original aux archives du château de Morainville, s'appelait Thomas
et|fut|notaire et secrétaire de Charles VII, comme Alain Chartier.
144 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
lacunes à combler dans l'histoire de l'évêque de Paris, du poète et du chroni-
queur, mais M. de B. est un de ces habiles et infatigables chercheurs en qui l'on
peut mettre toute espérance, et c'est de lui-même que j'aime à attendre l'heureux
complément de son remarquable travail d'aujourd'hui.
J'allais oublier de signaler, à l'Appendice, divers documents inédits, tels qu'une
lettre de Guillaume Chartier tirée de la collection Gaignières, un extrait du
journal du prieur Maupoint relatif aux troubles du bien public, extrait de la
collection de Dom Grenier, les lettres patentes de Louis XI déjà indiquées, et
enfin une bibliographie très-ample, très-exacte, et à laquelle il sera bien difficile
de rien ajouter. T. de L.
VARIÉTÉS.
The Academy.
Le n° du Cenîralblatt de Leipzig que nous analysons sur notre couverture
contient la variété suivante, que nous sommes heureux de reproduire, d'abord
parce que nous sommes naturellement très-sympathiques à l'entreprise qui y est
annoncée, et aussi, nous l'avouerons, parce qu'elle contient à notre adresse des
paroles bienveillantes auxquelles nous sommes très-sensibles. Le numéro spé-
cimen de V Academy ne nous a pas été encore envoyé ; dès que le recueil paraîtra,
nous nous empresserons de le faire connaître à nos lecteurs. La fondation de ce
journal, quatre ans après le nôtre, et bien des années après le Cenîralblatt, monlre
que des recueils de ce genre sont devenus un véritable besoin pour la science
actuelle. Nous souhaitons de grand cœur un heureux succès à notre cadet d'outre-
Manche, auquel nous associe si amicalement notre aîné d'outre-Rhin.
« En Angleterre aussi on songe présentement à fonder une feuille dans le
genre du Centralblatt, dans laquelle on n'admettra que des comptes-rendus faits
par des hommes spéciaux (reviews written by men of spécial Knowledge in each de-
partment). Ce journal s'appellera The Academy et paraîtra tous les mois, à dater
d'octobre prochain. Par le format (in-4°) et la disposition, aussi bien que par
l'espace accordé aux articles, en outre par le compte-rendu régulier et abondant
des journaux, et par l'addition de nouvelles scientifiques, VAcademy se rattache
au Centralblatt plus étroitement encore que la Revue critique française. Des
savants connus y collaborent, et dans le nombre nous en remarquons d'alle-
mands, comme notre célèbre compatriote Max MûUer à Oxford, G. Sachau, et
d'autres. Comme dans la Revue critique, on accordera à la science allemande
une attention particulière : des trente-deux ouvrages qui sont appréciés dans le
numéro-spécimen que nous avons sous les yeux, quinze sont en langue alle-
mande et ont paru en Allemagne ; parmi les journaux, nous n'en relevons pas
moins de dix. Nous espérons donc que VAcademy attirera autant que la Revue
critique la considération de la science allemande et de la librairie allemande, et
nous ne manquerons pas de tenir nos lecteurs au courant de sa publication et de
son succès. »
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
citons seulement heur defavor, haïr defastidire, bâtard de hostarius, trancher de
intermicare et hasard de favorarium ! ! — P. 203. Grion, Un Dit de Lapo Fari-
nata degli Uberti; cette pièce curieuse, dont l'attribution paraît probable et amena
M. G. à donner d'intéressants détails sur l'auteur, est une faîrasie, qui dans se
forme est évidemment imitée du français (cf. p. ex. la pièce donnée dans Bartsch,
Chrest.fr., p. 526). — Bibliographie. Cervantes, Don Quijote, edicion corre-
gida por D. J. E. Hartzenbusch (M. Delius fait justice avec une grande
modération de la singulière tentative de M. H., qui a voulu refaire un Don Quijote
tel que Cervantes aurait du l'écrire; c'est beaucoup trop ingenioso'). — Mussaha,
Ueber eine spanische Handschrift der wiener Hojbibliothek (art. de M. Lemcke). —
Réplique de M. Kœrling à la lettre de M. E. Du Méril (voy. ci-dessus); au
n° du Jahrbuch est annexée une brochure de M. Ten Brink, également en réponse
à cette lettre. Cette brochure est modérée; la réplique de M. Kœrting est écrite
avec une violence que le ton dédaigneux pris par M. Du M. ne suffit pas à
justifier.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-proraptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
Beanchet-Fiîleau (L.). Pouillé du dio-
cèse de Poitiers. In-4*, xliv-514 p. Poi-
tiers (lib. Oudin,».
Bhagttvad-Gita. Die ûbersetzt. u. er-
Isutert V. F. Lorinser. In-8*, 290 p.
Breslau (Aderholz). 1 2 fr.
Breton (E.). Pompéia décrite et dessinée ;
suivie d'une notice sur Herculanum. y
éd. revue et augm. de plus de 1 50 p. de
texte et de 50 grav. Gr. in-8*, 540 p.
Paris (lib. Guérin et C').
Cardevacque A.deletTervdnck A.).
L'abdaye de Saint- Vaast, monographie
historique, archéologique et littéraire de
ce monastère. T. 3. In-4*, 214 p. Arras
(imp. Brissey).
CaBsar(J.). Emendationes Hephaestionex.
In-4*, 24 p. Marburg (Elwert). i fr. lo
Dufresne de Beancoort (G.). Les
Chartier. Recherches sur Guillaume, Al-
lain et Jean Chartier. In-4*, 6} p. Caen
(lib. Le Blanc-Hardel).
Durlenx (A.). La disette à Cambrai
d'après des documents inédits. In-8*, 75 p.
Cambrai (imp. Simon).
Forschungen zur deutschen Oschichte.
Hrsg. v. der histor. Commission bei der
Kœnigl. bayer. Akademie der Wissen-
schaften. 9. Bd. j. Hfte. (i Hft. 201 p.)
In-S*. Gœttingen (Dielerich). i2fr.
François (R.). Louis XIV et la révoca-
tion de l'Edit de Nantes, essai d'histoire
philosophique. In-8*, 46 p. Paris (lib. G.
Baillière).
Foxhoffer. Damiani, Benedictini Panne-
nii, Monasteriologiae regni Hungariae
libri II. Recognovit ad fidem fontium
revocavit et auxit D. Maurus Czinar. 2
vol. in-4*, 347 et 241 p. Wien (Sartori).
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aus der Zeit der franzœs. Révolution.
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deutschen Maschte im Revolutions-Kri^e
bis zum ATjschluss d. Friedens v. Campo
Formio. Zugleich aïs Er\siederg. auf H.
v. Sybels Ergsnzungheft. z. Geschichte
der Revolutionszeit. In-8*, 244 pages.
Munster (Aschendendorf). 4 fr. 70
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Gesellschaft. Im Auftage d. Vorstxnder
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riale. T. VII. Un fort vol. in-8°. , fj.
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N* 36 Quatrième année 4 Septembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
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corrigée et augmentée, i vol. in-8°. 3 fr. 50
Cet ouvrage forme le j*" fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
PERIODIQUES ETRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N" 53. 7 août.
Histoire. Volkmann, Synesius von Cyrene (Berlin, Ebeling; article des plus
favorables sur un livre dont nous rendrons compte incessamment). — Urkunden-
buch des Landes ob der Enns, t. V (Wien, Gerold). — Droysen, Gustav Adolf,
t. I (Leipzig, Veit; le nom de l'auteur dit assez l'importance de cet ouvrage).
— Von S....N, Die Belagerung und Einnahme Wiens, Oktober 1848 (Leipzig,
Schulze; ouvrage intéressant, mais extrêmement partial contre la démocratie).
— Linguistique. Histoire littéraire. Guttmann, Dehymnorumhomericorumhistoria
critica particulae quatuor (Bamberg; compte-rendu très-favorable). — Bippart,
Beitraege zur Erklserung und Kritik des Virgilius (Prag). — Zingerle, Ovidius
und sein Verhaeltniss zu den Vorgaengern und gleichzeitigen rœmischen Dichtern,
I (Innsbruck, Wagner). — Plinii, Naturalis Historia, rec. Detlefsen, vol. III
(Berlin, Weidmann). — Mussafia, Zur rumaenischen Vocalisation; Darstellung
der altmailaendischen Mundart (Wien, Gerold ; travaux de première importance
pour l'étude des langues romanes). — Abel, Ueber Sprache als Ausdruck natio-
naler Denkweise (Berlin, Dûmmier). — Koch, Historische Grammatik der
englischen Sprache, t. III (Gœttingen, Wigand; ouvrage bien connu, et dont
l'auteur progresse à mesure qu'il avance dans son travail). — Archéologie.
Benndorf, Griechische und sicilische Vasenbilder (voy. Rev. crit., 1869, art.
1 56). — Helbig, Wandgemselde der vom Vesuv verschùtterten Staedte Campa-
niens (Leipzig, Breitkopf und Hasrtel; ouvrage de premier ordre). — Mélanges.
KiSTNER, Buddha and his doctrines; a bibliographical essay (London, Trùbner;
bibliographie utile et assez bien faite, d'après M. Weber).
Hermès, tom. IV, i""" livraison.
MoMMSEN, Les récits relatifs à Coriolan (p. 1-26). Étude critique des sources,
tendant à prouver que cette tradition ne remonte pas au delà de la seconde
moitié du v*^ siècle et qu'elle était destinée à célébrer la noblesse plébéienne. —
Haupt, Varia (p. 27-56), notes critiques sur divers passages d'auteurs anciens.
— ScHŒNE, Fragments de comptes relatifs à la construction de l'Erechtheion (p. 37-
55, avec un appendice, p. 140). — Meincke, Trois hymnes orphiques (p. 56-68).
Texte nouveau, corrigé habilement en plusieurs passages, de trois poèmes publiés
pour la première fois par M. Miller dans ses Mélanges de littérature grecque. —
Sachau, Traductions syriaques d'ouvrages de la littérature greccjue classique (à l'ex-
ception d'Aristote) qui se trouvent au British Muséum parmi les manuscrits Nitri
(p. 69-80). — GiLDEMEiSTER, Sentences de Pythagorc d'après la tradition syriaque
(p. 8 1-98). — MoMMSEN, Edit de Claude sur le droit de cité des Anaunes (99-1 3 1)
suivi d'une étude importante sur les comités Augusti. — Mélanges. Parthey,
Le géographe de Ravenne utilisé par Riccobald de Ferrare. — Schœne, Inscriptions
murales de l'amphithéâtre de Pompéi (p. 1 38-140); ces inscriptions indiquent pro-
bablement les places concédées à certains marchands sur le pourtour extérieur
de l'édifice, concessions qui n'étaient valables que pour une seule représentation.
— V. Rose , Un fragment de Caelius Aurelianus. Selon l'auteur de cet article, ce
fragment d'un médecin latin aurait été assez inexactement publié par M. Erme-
rins dans son édition de Soranus.
Zeitschrift fur deutsche Philologie, herausgegeben von Hœpfner und
Zacher. t. I, 4* livr.
Mœbius, Les dernières études Scandinaves (p. 389-437; excellent travail,
aussi intéressant qu'utile, qui roule spécialement sur les dernières publications de
Sophus Bugge et de Svendt Grundtvig). — Erdmann, Remarques sur Otfrid
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 36 — 4 Septembre — 1869
Sommaire: 170. Julien, Syntaxe nouvelle de la langue chinoise, — 171. Decharme,
les Artistes thébains. — 172. De Richthofen, la Loi des Saxons. — 173. Mowat,
Noms propres anciens et modernes. — 174. D'Heilly, Dictionnaire des pseudo-
nymes.
j 70. — Syntaxe nouvelle de la langue chinoise fondée sur la position des mots
par M. Stanislas Julien. Premier volume. Paris, librairie de Maisonneuve, 1869. x-
422 p. — Prix: 25 fr.
Le D' Marshman a publié en 1814, à Sérampore, ses « Eléments of Chinese
» grammar, » un ouvrage qui n'a pas moins de 5 $6 p. in- 4°. Cet auteur est le
premier qui ait affirmé que « toute la grammaire chinoise repose sur la position
» des mots. » Le malheureux Endlicher, dont la fin fut si tragique, avait mieux
su comprendre ce principe que l'appliquer dans, sa « Crammatik der chinesischen
n SpracheK )> M. Julien a senti que les sinologues ne pouvaient pas se passer
plus longtemps d'une « boussole » et il a écrit son nouvel ouvrage, intitulé
Han-wen-îchi-nan « Boussole de la langue chinoise. »
Prévenus depuis plusieurs années par une note insérée dans les Lectures on the
science of language de M. Max Mùller^, les linguistes attendaient avec impatience
les résultats que les travaux de M. J. pouvaient leur fournir pour les études de
grammaire générale. La première partie du nouveau livre, la syntaxe (p. 1-67)
est surtout intéressante à ce point de vue, et sera bien accueillie même par ceux
qui, comme nous, ne sont pas sinologues. On y voit les moyens artificiels par
lesquels une langue monosyllabique, où les mêmes mots sont tour à tour nom,
verbe et particule, peut exprimer les rapports casuels, les catégories verbales et
leurs rapports de modes, de temps et de personnes, enfin les idées qui, dans nos
langues aussi, sont rendues par des monosyllabes indéclinables. Le rôle qu'un
mot joue dans la phrase dépend complètement de la place qu'il y occupe; ainsi
tchi'i koue signifie « gouverner le royaume » et koûe tch'i « le royaume est gou-
» vemé. » Le mot ngan « repos, » après un terme employé verbalement, est
substantif pour devenir tour à tour verbe actif (donner le repos) s'il précède un
autre mot dès lors employé substantivement, ou verbe neutre, s'il le suit; enfin
adverbe dans le sens de « avec une volonté ferme. » Ce mécanisme, qui parle à
l'esprit plutôt qu'à l'oreille, est présenté et démontré par M. J. avec une clarté
qui n'est pas une des moindres qualités de son travail.
Le chinois , tout en restant strictement monosyllabique , incline déjà vers les
procédés des langues agglutinantes. Certains caractères tiennent lieu, jusqu'à un
1. Vienne, 1845, '"'8*-
2. First stries, p. 116 et 117.
VllI 10
146 REVUE CRITIQUE
certain point, des désinences casuelles, et modifient, par leur voisinage, le sens
des mots auxquels ils sont accouplés. M. J. a consacré une série de monogra-
phies (p. 71-149) aux locutions où entrent tchi, i, so, wêï, tche, eul, ya, tchou.
M. J. a ajouté p. 149 à 23 1 , comme supplément à ces monographies, la publica-
tion et la traduction d'un traité chinois sur les particules et les principaux termes
de grammaire. C'est une œuvre moderne, puisqu'elle a été composée en 1798 :
l'auteur est un ministre de l'empereur Kia-khing, et se nomme Wang-in-tchi.
On peut aussi regarder comme un appendice aux monographies la table des
particules qui servent à former des idiotismes ou expressions particulières au
kou-wen (style ancien). Cette quatrième partie occupe lés p. 234-293, et est
disposée, comme un véritable dictionnaire, d'après l'ordre des 214 clefs ou
radicaux.
Enfin, les sinologues trouveront un grand secours dans les « fables, légendes
» et apologues indiens, traduits du sanscrit en chinois et expliqués mot à mot ' »
Un chiffre correspondant au signe idéographique, et reproduit devant la trans-
cription, permet à tout le monde de suivre pas à pas cette traduction littérale
et d'apprécier la construction chinoise. Il y a là, pour ceux qui ont étudié la
première partie en amateurs, une occasion de satisfaire leur dilettantisme et de se
donner comme un avant goût de ce que doit approfondir le sinologue. Le livre
de M. J. aurait mérité un examen plus approfondi et plus compétent; nous ne
pouvons que recommander ce « chef-d'œuvre de clarté ^ » à tous les orienta-
listes et en général aux amis des études orientales. N'oublions pas de féliciter
l'imprimerie impériale de Vienne de la merveilleuse exécution typographique.
H.
171. — De thebanis artificibus. Thesim proponebat facultati litterarum parisiens!
P. Decharme, 1869. In-8', vij-70 p.
Excellente dissertation d'un ancien membre de l'École française d'Athènes
qui a visité plusieurs fois la Béotie, y a séjourné, et a su tirer de ses explorations,
avant même de donner cette thèse, la matière d'un intéressant recueil d'inscriptions
locales inédites et celle d'un mémoire sur l'hiéron des Muses, par lui retrouvé sur
l'Hélicon {Archives des missions scientifiques et littéraires, 2^ série, tome IV, 1868).
Le titre seul de la thèse indique dans quel cercle étroit l'auteur a voulu restreindre
son étude; il s'agit non pas de l'art béotien en général, mais seulement de l'art
thébain ; M. D. s'enferme strictement dans sa tour thébaine; son principal objet
paraît avoir été de dresser un catalogue complet et raisonné des artistes thébains.
M. D. a de très-louables habitudes de précision sévère; peut-être cependant
aura-t-il laissé échapper quelques erreurs et omis certains textes appartenant
à son sujet qui eussent étendu autour de lui les horizons.
M. D. a d'abord une préface de trois pages, où il commence par rappeler la
1. Ce sont des contes déjà traduits par M. J. dans ses Avadânâs, 3 vol. in-18, 1859.
2. M. Laboulaye dans le Journal des Débats du 7 juillet 1869.
d'histoire et de littérature. 147
mauvaise réputation du génie béotien ; mais il ne s'explique pas lui-même très-
nettement à ce sujet. Y a-t-il, dans la série des témoignages sur la renommée
béotienne, plusieurs textes aussi anciens que celui de Pindare (BotwTta •!»;) ? quelle
valeur a le fragment, si souvent cité, qu'on attribue, à tort sans doute, à Dicé-
arque (v. le second volume des Fragmenta historicorum graecorum de la collection
Didot, p. 258 et suiv.)? L'antiquité ne nous a-t-elle pas laissé des textes à
l'éloge des Thébains ? Le prétendu fragment de Dicéarque, en même temps qu'il
les dit grossiers, querelleurs, violents, note qu'il y a parmi eux des hommes de
coeur, très-dignes d'estime, que leurs femmes sont grandes , élégantes et fort
belles, Lessing, dans son Laocoon, estime que le meilleur argument pour démon-
trer combien était général à toutes les populations grecques le sentiment esthé-
tique est de rappeler que les Thébains eux-mêmes avaient une loi « commandant
» d'imiter en beau, et prononçant une peine contre ceux qui enlaidissaient en
» imitant. » M. Chassang, dans son intéressant volume sur le spiritualisme dans
la littérature et dans l'art grec, n'a pas manqué non plus de raisonner ainsi et de
citer le texte d'Elien qui rapporte cette loi {Hisî. Vax. IV, 4). Si M. D. était
d'avis que ces deux passages, d'Elien et du prétendu Dicéarque, peuvent bien
être des inventions tardives, ne serait-on pas en droit de lui répondre qu'ils n'en
sont pas moins concluants et curieux, à titres d'échos d'une renommée lointaine?
Après sa courte préface, M. D. se contente d'instituer une division en quatre
chapitres: L Des primitives statues des dieux en Béotie. — H. Des sculpteurs
thébains. — IIL Des peintres thébains. — IV. Des musiciens thébains. Cette
division donne lieu à plusieurs critiques. D'abord le nom de la Béotie introduit
dans le premier chapitre n'est pas d'accord avec le titre de la dissertation même
et avec le plan sévère que l'auteur a suivi dans tout le reste de son travail, où il
s'interdit la mention même d'œuvres d'art non thébaines. On se demande ensuite
si vraiment l'art thébain n'a connu que la sculpture, la peinture et la musique.
Notez que par son titre, Dt thebanis artificibus, M. D. paraissait autorisé à com-
prendre dans son cadre non-seulement le grand art, mais encore certains métiers,
et ce que nous appellerions l'art appliqué, l'art industriel. Dans le domaine du
grand art, Thèbes n'a-t-elle donc pas connu l'architecture? Il ne semble pas
que, tout autour d'elle, la Béotie ait manqué de grands artistes primitifs, archi-
tectes, ingénieurs-hydrographes, pour des travaux tels que nous en retrouvons
aujourd'hui sur le sol de toutes les anciennes provinces de Grèce et d'Italie,
tunnels artificiels, conduites d'eaux souterraines, caîavothra du Copaïs. Sont-ce
des ingénieurs étrangers qui sont venus édifier les célèbres portes de Thèbes, et
le savant mémoire de M. Brandis sur Thèbes colonie sémitique, inséré au second
volume de VHermes, ne cherche-t-il pas à démontrer que ces constructeurs
anonymes devaient avoir une science d'orientation toute spéciale et traditionnelle ?
Nous savons trop quelles dévastations nous ont privés de la connaissance des
monuments d'architecture thébaine; Dion Chrysostome a vu l'ancienne place
publique de Thèbes entièrement ravagée, sauf un hermès où il a recueilli une
intéressante inscription. Mais tout cela ne permet pas de conclure que l'archi-
tecture thébaine ait été nulle; le silence des textes sur les noms des artistes n'est
148 REVUE CRITIQUE
pas une raison suffisante d'omettre toute une branche si importante de l'art.
M. D. a bien quelques lignes, dans une note (p. 1 5), où il s'explique sur cette
lacune ; mais c'était dans le texte qu'il fallait donner à cette question de l'archi-
tecture thébaine la place que sans nul doute elle mérite. Si l'on rencontrait à ce
propos le difficile problème de la colonisation orientale, il n'y avait point de mai
à s'en expliquer, la question des origines de l'art grec ou de ses liens avec
l'Orient étant d'un grand intérêt.
Le premier chapitre, sur les plus anciennes représentations figurées des dieux
en Béotie, forme réellement dans la dissertation de M. D. une digression, où
nous ne le suivrons pas. L'école thébaine ayant d'abord figuré ses divinités sous
la forme de statues en bois, tout comme les autres écoles grecques, il semble
qu'une partie de ce premier chapitre fait double emploi avec le second, qui traite
des sculpteurs thébains.
A propos des Çôava, l'auteur aurait dû citer certains textes de nature à
montrer combien cette sculpture primitive, à Thèbes comme ailleurs, a produit
d'innombrables monuments. Pausanias (IX, 3, i sq.) a raconté la curieuse fable
de Junon Nympheuoméné et les fêtes destinées à célébrer ce souvenir. Toutes
les villes de Béotie, dit-il, y contribuaient, en apportant chacune un ?6avov repré-
sentant une fiancée ; on faisait ensuite de toutes ces statues de bois un vaste
bûcher sur le haut du Cithéron. C'est encore Pausanias qui nous dit (IX, 16, 3)
que les Thébains ont de très-vieux |6ava représentant Vénus, et qu'on disait
consacrés jadis par Amphion ou fabriqués avec les proues des navires de Cadmus.
M. D. ne croit pas, sans doute, que ce grand nombre de monuments primitifs,
multiplié à l'infini par les nécessités du culte, n'ait été dû dans Thèbes qu'à des
artistes étrangers; s'il n'y a pas de raison de penser ainsi, il est permis de con-
clure que l'art thébain primitif n'a pas été moins actif ni moins fécond que le
primitif art attique à façonner ces statues où très-probablement le caprice,
l'imagination, l'art, glissaient peu à peu leur marque en dépit des traditions
hiératiques.
Pourquoi M. D. n'a-t-il pas admis dans ses catégories d'artistes thébains les
artistes dionysiaques, quand il y en a qui sont nommés sur les listes athéniennes,
et les artistes en médailles ou monnaies , quand nous connaissons un certain
nombre de ces curieuses pièces thébaines? Mionnet (II, 1 0 3 , n" 6 s) décrit celle qui
figure le petit Hercule et les serpents; dans le même volume de sa Description
des médailles antiques, du n° 94 au n" 109, il en décrit beaucoup d'autres;
Creuzer-Guigniaut donne au tome IV, i" partie, planche 177, celle qui repré-
sente Cadmus debout , près de lui la vache montrant la place où il doit fonder
Thèbes, et le coquillage dans le champ pour indiquer peut-être la Phénicie,
patrie du héros.
On connaît dans Pindare(Py?^., VIII, 64), dans Eschyle (Les Sept, acte 3), dans
Euripide {Phéniciennes, acte 3), les très-curieuses descriptions des boucliers que
portaient soit les Sept chefs devant Thèbes soit les Epigones. Les descriptions
d'Euripide surtout sont d'une précision singulière. Il nous dit de quelle matière
sont faits et de quelles enveloppes revêtus les boucliers des chefs; celui que
d'histoire et de littérature. 149
porte Hippomédon montre, parmi les étoiles, la figure d'Argus, avec des yeux
qui s'ouvrent ou se ferment suivant le lever et le coucher des astres; celui de
Polynice offre les célèbres cavales, nourries de chair humaine, qu'on voit se
cabrer « par un mécanisme ingénieux. » Serait-il hors de propos de soupçonner
que certaines représentations plastiques avaient pu donner lieu à de tels témoi-
gnages, et ne pouvait-on se demander si, parmi ces artistes thébains, il ne fallait
pas réserver une place aux mécaniciens et aux ciseleurs ?
M. D. termine sa dissertation par un catalogue de noms d'artistes thébains; il
en a 5 1 . M. D. a le mérite d'avoir ajouté, d'après les inscriptions par lui décou-
vertes, trois noms à ceux que fournissaient les textes déjà connus. Pourquoi n'a-
t-il pas admis le nom d'Eumède, qui se trouve au bas d'une sculpture repré-
sentant Hercule vainqueur d'Achelous et qu'il a mentionnée lui-même (Archives,
des missions, t. IV, p. 503) ? — Eustathe nous dit que Pindare eut dans Thèbes
même pour premier maître de flûte Skopelinos. Skopelinos n'aurait-il aucun
droit à entrer dans le catalogue dressé par M. D. ? — En revanche le sculpteur
Boïscos y figure seulement pour avoir fait une statue de Myrtis, la femme poète
thébaine, statue qu'on voyait à Anthédonie ; faible raison. Onasiraède n'y prend
place qu'en vertu d'une certaine leçon du texte de Pausanias proposée par
Kayser, et que M. D. lui-même proclame emendatio audacissima..
Après ces remarques générales, chacun des chapitres de M. D. donnerait lieu à
un bon nombre d'observations. On serait engagé à discuter avec lui jusqu'aux der-
niers détails pour le suivre dans ses constants efforts de précision et de bonne criti-
que. Quand il décrit *(p- 16) le Jupiter du sculpteur Ascaros «couronné comme de
fleurs », cum corona velut efloribus, pourquoi ne mentionne-t-il pas la notable leçon
proposée par M. Schubart, qui a le mérite d'offrir un texte plus précis? M. Schu-
bart, corrigeant ce passage de Pausanias (V, 24, i), au lieu de è7-H3avw[i£vov 5è
o;a 8ri âvôeai, lit : i. ce îoi; ôt) âv6£<ji « couronné de violettes. » — Il est dit p. 50
que Lysis, élève de Pythagore même, est venu mourir à Thèbes; on n'admet
pas sans quelque difficulté (mais les anciens l'affirment, il est vrai) que ce Lysis,
cité par Plutarque comme maître de philosophie d'Epaminondas (7 363) ait
connu Pythagore, qui florissait vers 5 30, deux siècles auparavant ? — On ne voit
pas au contraire ce qui empêche, comme le dit M. D. (note 5 de la page 50)
Antigenidas, contemporain d'Epaminondas, d'avoir connu Périclès : il n'y a que
66 ans entre la mort de l'un et celle de l'autre. Mais comment Ascaros, le sculp-
teur, pourrait-il être l'élève de Canachos, si Pline a raison (XXXIV, 19, 2) de
placer ce dernier artiste dans la 95* olympiade, c'est-à-dire vers 396, tandis
qu'Ascaros aurait fleuri dans la 72^ olympiade, c'est-à-dire vers 488, 92 ans
auparavant ?
Statues ou tableaux , nous connaissons bien imparfaitement les œuvres origi-
nales de l'art grec. C'est une raison de plus pour recueillir et commenter avec
grand soin les textes et les faits archéologiques qui concernent chacune de ces
œuvres. M. D. enregistre les éloges de l'antiquité pour la statue de Minerve par
Hypatodore; pourquoi ne mentionne-t-il pas, en la critiquant, la conjecture
d'Otfr. UuWer {Archxologie, p. 539) suivant laquelle une onyx gravée, trouvée
I 50 REVUE CRITIQUE
précisément dans cette ville d'Aliphera où se voyait la statue, reproduirait la
figure d'Athéné d'après l'œuvre du sculpteur thébain ? — La peinture grecque
surtout reste pour nous une sorte de mystère ; les catalogues peu nombreux que
nous a laissés l'antiquité n'en sont que plus précieux à commenter et à fixer.
En dressant d'après Pline l'Ancien la liste des peintures d'Aristide de Thèbes,
M. D. a négligé plusieurs variantes proposées au texte latin, et plusieurs essais
d'identification. M. Urlichs, dans sa Chrestomathia pliniana, p. 362, ne sépare
pas les mots SuppUcantem paene cum voce de ces mois Anapauomenen propter fratris
amorem, et il entend qu'un seul tableau d'Aristide se trouve désigné par ces deux
membres de phrase; il va plus loin et conjecture que le peintre thébain avait
représenté la femme d'Intapherne suppliant pour son frère (Hérodote, III, 1 19).
On pourrait encore songer à l'étrange histoire de Byblis racontée par Ovide
(Met., IX, 446-665). — M. D. prend les mots Liberum et Ariadrïen (ainsi lit-il
Pline XXXV, 98) comme la désignation du fameux tableau d'Aristide qui se
trouvait à Corinthe en 146 et qui avait donné lieu au proverbe : où5£v irpà; lôv
Atôwffov. Cependant il s'en faut que tous les manuscrits donnent cette lecture de
Pline. Au lieu d'Ariadnen, on lit Mariannem, Artamenen; M. Bursian lit Artemo-
nem, et M. Urlichs (Chrest. plin., p. 362), distinguant ici deux tableaux, croit
retrouver sous la seconde dénomination le fils aîné de Darius, Artobazane, qui
dut laisser le trône à Xerxès son cadet (Hérod., VII, 2). — Nicomaque aussi,
maître d'Aristide, a été, ce semble, un grand peintre. A propos de son tableau
représentant Ulysse coiffé du pileas (p. 33), on pouvait citer l'intéressante lettre
120 de saint Jérôme, qui paraît avoir eu sous les yeux cette peinture.
Enfin pourquoi avoir placé au dernier rang le chapitre concernant les musi-
ciens? M. D. a fort bien dit quelle fut l'importance de l'aulétique thébaine, ma-
jestueux accompagnement du culte de Dionysos, dont Thèbes a été une très-
antique étape. N'est-il pas probable qu'un remarquable développement de
cette musique toute religieuse aura précédé dans le monde thébain tout autre
essor artistique. — Faire comprendre aux modernes ce qu'était la musique des
Grecs, ce qu'était particulièrement l'aulétique religieuse, pourquoi Aristote
redoute la flûte comme un instrument immoral, qui excite trop les passions et,
suivant son expression, bouleverse l'âme, faire saisir les rapports entre cet art
sacré et le culte rival de celui d'Apollon, c'est un double problème qu'il faut
ranger, il est vrai, parmi les plus ardus et sur lequel des livres comme celui de
M. Jules Girard sur le sentiment religieux chez les Grecs, livre plein d'idées et
de faits, et comme celui de M. Westphal sur la métrique, n'apportent pas,
malgré beaucoup de science, la lumière désirée. Toutefois, sans demander à
M. D. d'agiter à propos des artistes thébains ces difficiles questions, certains
textes intéressant très-directement son sujet l'invitaient à entrer ici dans quelques
explications techniques. Athénée rappelle que, suivant Juba, les Thébains avaient
inventé les flûtes faites avec des pattes de biche (cf. M. D., p. 52). Ils semblent
avoir inventé aussi les armatures de métal qui s'ajoutèrent à la flûte primitive
(Pollux, IV, 10, p. 391, édition d'Amsterdam in-folio, r'' volume). Ces textes
ne donnaient-ils pas à l'auteur l'occasion de quelques détails de nature à faire
d'histoire et de littérature. I 5 l
deviner comment la flûte, employée surtout et plusieurs fois perfectionnée par
les Thébains, pouvait devenir la furiosa tibia d'Ovide ?
En dernier résultat, quel est l'avis de M. D. sur l'art et sur le génie thébain?
Il semble s'être laissé entraîner à ne considérer et à ne compter l'art thébain que
dans les périodes et par les œuvres pour lesquelles les textes lui fournissent des
noms propres, et avoir trop perdu de vue les œuvres innommées, îl accepte
en grande partie pour le génie béotien les reproches que l'antiquité lui adressait.
Il veut cependant (p. 26) que les Béotiens aient péché par excès de courage
militaire (suo ingenio et ad bellum et ad certamina instructi, his maxime imaginibus
delectabantur quibus patria gloria enitebaty, cela ne concorde guère avec une
explication qu'il donne ailleurs de leur mauvaise renommée (p. vj : Commuais
patriae ac libertatis proditores). Son dernier mot parait être (p. 67) que le mal-
heur du génie thébain aurait été de pencher trop, du moins pour ce qui concerne
les arts, vers le faible et mou génie asiatique. Cette conclusion ne semble pas
donner pleine satisfaction à l'historien sur le curieux problème que M. D. a si
soigneusement étudié. Sans sortir de la Grèce propre, dans l'ensemble harmonieux
et divers des génies particuliers du faisceau hellénique , il y en a un dont la
parenté intellectuelle et morale avec le génie thébain nous paraît plus évidente
que celle qui rapprocherait ce dernier du génie asiatique. Les liens avec le
monde dorien sont ici pour nous évidents. Quand Pindare reprend dans ses
hymnes les plus anciens souvenirs de sa propre famille, qui se confondent avec
ceux de sa ville, ses nobles ancêtres les ^Egides lui apparaissent comme mêlés
aux Doriens envahissant le Péloponèse. Lui-même, prêtre d'Apollon, honoré
d'un siège dans le temple de Delphes, il a vécu dans les cours doriennes de
Sicile et nous rend, — maintenant que, plus instruits, nous la savons mieux
comprendre, — toute la majesté dorienne. Thèbes semble avoir eu, comme
Sparte, le penchant mystique et l'humeur violente : on se rappelle la mastigôsis
des jeunes Spartiates à l'autel de Diane Limnatis et tout le caractère forcé dont
est empreinte l'œuvre de Lycurgue (v, la curieuse dissertation de M. Wallon
sur la Cryptié); on se rappelle la faveur accordée, ici et là ou du moins dans la
grande Grèce dorienne comme à Thèbes, aux doctrines pythagoriciennes. Les
deux villes à certains jours ont également mal compris les intérêts communs de
la Grèce; toutes deux se sont montrées capables d'affaissements et de réactions
généreuses. L'une et l'autre représentent des nationalités très-anciennes, attardées
en face du jeune génie attique. La nationalité béotienne n'aurait-elle pas, comme
la dorienne , précédé l'entrée en scène des autres peuples helléniques, et ne
serait-ce pas l'explication de la défiance mêlée tantôt d'étonnement respectueux,
tantôt de dédain juvénile que témoigne envers Thèbes et Sparte la littérature
attique.'' Pour ce qui est de l'art en particulier, nous ne devons chercher, il est
vrai , ni dans Thèbes ni dans Sparte des rivales d'Athènes ; les trois villes sont
sœurs cependant, et, en qualité de cités grecques, soyons assurés que le grand
art, pas plus que la grande poésie, ne pouvait leur être inconnu. Quoi de plus
majestueux que l'architecture dorienne de la grande Grèce, dont Sparte était
comme la métropole, et que ne pouvons-nous pas soupçonner des magnificences
I 52 REVUE CRITIQUE
passionnées de la musique thébaine accompagnant le culte orgiastique du divin
Bacchus ?
Nous n'avons multiplié ces remarques, dont la série pourrait encore s'étendre,
que pour rendre hommage au choix du sujet, qui est des plus intéressants, et à
la manière dont M. D. l'a traité. En somme il y a fort peu de textes spéciaux
que M, D. ignore ou qu'il ait insuffisamment critiqués. Ses patients travaux le
conduiront à un bon livre d'ensemble sur le génie béotien, qu'il a mieux que
personne étudié. A. Geffroy.
172. — Zur Lex Saxonum. Von D' Karl Freiherr von Richthofen. Berlin,
Wilhelm Hertz, 1868. In-8', iv-432 p. — Prix : 1 1 fr. 25 c.
On a déjà parlé de la Lex Saxonum dans la Revue; c'était à propos du livre de
M. Usinger, dont nous rendions compte l'année dernière', et nous faisions remar-
quer en terminant combien cette question de la législation carolingienne offrait
encore matière à controverse aux historiens et aux jurisconsultes. Le présent
volume vient nous offrir une nouvelle preuve à l'appui. M. de Richthofen, le
savant éditeur de la Lex Frisonum dans le troisième volume des Leges de Pertz,
préparait depuis longtemps une édition nouvelle de la loi des Saxons pour un des
volumes suivants de la grande collection des Monuments historiques d'Allemagne.
II a été naturellement amené à scruter de plus près toutes les questions historiques
et chronologiques qui se rattachaient à son sujet, et, travaillant en même temps
que M. Usinger, il arrivait à des résultats en partie très-différents, s'écartant en
même temps des données généralement acceptées jusque-là. Une grave maladie,
des suites de laquelle l'auteur souffre encore, a seule retardé la publication de
son ouvrage. Indiquons maintenant en quelques mots les divisions et le contenu
du livre; nous verrons ensuite en quoi consistent les divergences principales
entre les savants qui se sont occupés de la matière. Dans son premier chapitre
M. de Richthofen parle des différents textes de la Lex Saxonum. Il nous donne
surtout d'intéressants renseignements sur les deux manuscrits de la loi, l'un
nommé le Codex Spangenbergensis , du nom de son premier possesseur, qui se
trouve actuellement au British Muséum ^, écrit à la fm du ix'' ou au commence-
ment du x"" siècle ^ ; l'autre le Codex Corbeiensis, qui se trouvait autrefois à Pader-
born et que M. Usinger croyait perdu, M. de R. nous apprend au contraire
qu'il se trouve actuellement à Munster, aux Archives de la province de West-
phalie; il date également du x" siècle. M. de R. nous parle ensuite des éditions
de Herold, du Tillet, Lindenburg, Gaertner, Merkel, etc., dont quelques-unes
représentent pour nous des m.anuscriis perdus. De tous les textes existants
M. de R. préfère celui de Herold comme le plus ancien; mais il déclare en même
temps qu'une tentative de reconstituer le texte original de la loi lui paraît im-
possible (p. 89). Dans un second chapitre, l'auteur examine l'unité de compo-
1. Rev. cnî., 1868, art. 23^.
2. Ce manuscrit du British Muséum est incomplet; une seconde partie du Codex a été
vendue à lord Ashburnham par M. Barrois; un troisième fragment, enfin se trouve aux
manuscrits de la Bibliothèque impériale, sous le n* 4633.
d'histoire et de littérature. 15}
sition de la loi, et il conclut qu'elle a été promulguée ou rédigée dans toutes ses
parties à une seule et même époque, et non pas à trois dates différentes comme
le croyait Merkel. Sur tous ces points, remarquons-le tout de suite, l'accord est
à peu près complet entre M. de R. et M. Usinger ' ; les divergences ne se pro-
duisent qu'à propos de l'origine et de l'âge de la loi. Pour fixer cet âge il faut
d'abord établir l'époque de la rédaction d'un autre document, la Capitulatio par-
îibus Saxoniae, qui de l'aveu de tous les critiques, de M. Usinger comme de
M. Waitz ou de M. de R., est antérieur à la Lex Suxonum. La date généralement
acceptée pour la composition de ce capitulaire est celle de 785 (Pertz, Waitz,
Eichhorn, Wilda, Gaupp, etc.)- Mais M. de R. n'admet point ce fait. Dans une
longue exposition historique des guerres du roi Charles contre les Saxons, et de
l'introduction du christianisme dans leur pays (772 à 785), il essaye de réfuter
ces données premières et assigne comme date et lieu de naissance à la Capitu-
latio la diète de Paderborn, tenue par Charles en 777. Il étudie spécialement à
cette occasion la législation des peines capitales dans le droit saxon, pour prouver
que le document en question n'a pas dû nécessairement être promulgué après la
victoire définitive, en 785. M. G. Waitz, l'homme le plus compétent dans les
questions de cette nature, vient de l'examiner à neuf, à propos du livre même
dont nous rendons compte , et s'est prononcé d'une manière très-catégorique
contre les conclusions de M. de R.^ Notre auteur place la rédaction de la Lex
elle-même entre 777 et 797 et repousse l'opinion plus généralement répandue
qui la rapporte aux années 802-804. En fixant la rédaction de la loi vers 785 à
peu près, il s'appuie sur les traces, évidentes selon lui , d'utilisation de la Lex
pour la rédaction du Capiiulare Saxonicum, promulgué à Aix-la-Chapelle le
28 octobre 797. Mais cette utilisation paraît très-douteuse, et M. Waitz, par
exemple, se refuse absolument à l'admettre. Les citations « secundum legem
» Saxonum » que nous rencontrons dans le capitulaire ne se rapportent pas au
texte de la Lex actuelle, mais à un droit coulumier non encore rédigé. Par contre
M. de R. n'a pas suffisamment tenu compte, pour fixer l'âge de la loi, des singu-
lières analogies, déjà remarquées par M. Usinger, entre la Lex et les Capitula
quae in lege Ribuaria mittenda sunî, rédigés en 80 5 5 . Ces analogies permettent de
fixer, sans crainte de se tromper grandement, la rédaction de la loi des Saxons
vers la même époque '^. Malgré les efforts de M. de R. et ses longues et savantes
recherches, nous pensons donc qu'on fera bien de s'en tenir sur ce point aux
données acquises avant son travail, et qu'il est plus sûr de rattacher la Lex Saxo-
num au grand ensemble de travaux analogues entrepris par Charlemagne dans
les premières années du ix^ siècle, après son couronnement 5. Une série d'appen-
1 . M. Usinger reconnaissait deux mains dans la rédaction de la loi (voy. Rev. crit.,
1868, II, p. 294).
2. Gœttinger geUhrte Anzeigen, 1869, p. 361 ss. — M. Waitz est tout au plus disposé
à admettre, avec M. Usinger, que la rédaction de la Capitulatio peut être reculée jusqu'en
782.
3. Ce (lue M. de Richthofen dit à ce sujet, p. 419 n'est pas bien évident.
4. Quelques écrivains l'ont placée beaucoup plus tard, mais sans aucune raison. Ainsi
on a été jusqu'à l'attribuer au roi Harald de Danemark (984).
5. Einhardi, Vita Caroli, cap. XXIX. « Omnium tamen nationum quae sub eius do-
» minatu erant, iura quae scripta non erant, describere ac literis raandari fecit. *
I S4 REVUE CRITIQUE
dices importants sont joints au travail de M. de R.; nous citerons ceux sur les
valeurs monétaires et sur la codification de la loi des Saxons, ainsi que celui sur
la loi des Thoringes ou Thuringes. M. de R. combat l'opinion de MM. Hermann
Mùller, Waitz, etc. qui ont vu dans ces Toringi un peuple habitant sur la Meuse,
et revendique la loi pour les Thuringiens de la Thuringe proprement dite. Il
appuie surtout sur le caractère carolingien de la loi. Mais précisément il ne nous
paraît pas encore démontré d'une manière suffisante que la Lex Thoringorum ne
date pas de plus loin. Dans un dernier appendice M. de R. s'occupe du livre
de M. Usinger dont il n'a eu connaissance qu'après avoir terminé le sien. On a
déjà vu plus haut sur quels points il est d'accord avec lui et sur quels autres il
s'en sépare. Là où il a complètement raison, c'est quand il s'élève contre la
théorie exposée par le professeur de Greifswald, relativement à la rédaction de
la loi. M. Usinger l'attribuait à deux particuliers, légistes-amateurs, qui sans
vouloir faire oeuvre de législation pratique, avaient recueilli des données histo-
riques. Nous avions exprimé, dans la Revue même (1868, II, p. 294) nos doutes
au sujet d'une entreprise pareille, tellement en dehors des habitudes intellectuelles
du ix" siècle; après ce qu'en dit M. de R. nous ne pensons pas que cette opinion
soit davantage soutenable.
Nous souhaitons bien vivement, en terminant, que la pénible maladie dont
est affligé l'auteur lui permette de continuer ses savantes études et de nous
donner, dans le prochain volume des Monuments de Pertz, l'édition critique de la
loi des Saxons qu'il prépare avec tant de conscience et de soin. Si tous les
résultats, obtenus par lui dans le présent ouvrage, qui forme en quelque sorte
l'introduction de cet autre travail, ne sont point également acceptables, les savants
seront unanimes à reconnaître le grand nombre d'aperçus nouveaux et de
recherches de détail que renferme son volume, et la profonde érudition dont il
témoigne à chaque page. Rod. Reuss.
173. — Noms propres anciens et modernes, études d'onomatologie comparée,
par Robert Mowat. Paris, librairie A. Franck, 1869, Gr. in 8*, 60 p. — Prix: 4fr.
Sous ce titre, M, Mowat a réuni divers opuscules qui, en tout ou en partie,
avaient déjà paru dans des recueils scientifiques. C'est une très-bonne idée, qui
ne peut manquer d'être bien accueillie des savants; car les études de M. M. sont
pleines d'érudition et de vues, et elles touchent un sujet dont le haut intérêt a été
plus d'une fois signalé ici et commence à être reconnu de toutes parts. Nous
allons donner le titre et dire quelques mots de chacune de ces petites disserta-
tions.
I, (P. 3-8). Les noms propres latins en atius et en onius '. D'après M. M. ces
noms sont d'ordinaire formés sur des noms de peuples; ainsi Maecenatius, Alfe-
natiuSf Trebatius, viennent des ethniques Maecenas, Alfenas, Trebas; c'est pour
cela qu'on s'est généralement abstenu de former des dérivés en atius avec les
noms ordinaires en atus, comme Praetextatus, Privatus, Renatus (on ne trouve pas
Praetextatius, Privatius, Renatius). Sans contester ce qui regarde le rapport de
I. Extrait en partie des Mémoires de la Société de linguistique de Paris.
d'histoire et de littérature. 155
as et aûus, ne peut-on pas remarquer que presque tous les noms en -atus appar-
tiennent aux plus bas temps de l'empire romain, et qu'à l'époque où on créait
les noms pompeux de Fortunaîus, Praetextatus, Honoratus, Donatus, etc,, on pré-
férait également, pour la formation de leurs dérivés, le sonore -aîianus (auquel
on ne donnait plus sa valeur propre) au modeste -atius ' ? Quant aux noms en
-onius, la conjecture de M, M. paraît assez douteuse; il rattache par exemple
Caeso (d'où Caesonius) à l'ethnique Caesenas ; mais l'explication de « né par
» l'opération césarienne, » admise jusqu'ici, n'est-elle pas plus vraisemblable*?
J'ai peine à rattacher Sueîonius ÇSuetius) à Suessa, Antonius à Anîias, et surtout
Sempronius à Semnrium, « par insertion euphonique de p entre m et r, ou par
» consonification de la voyelle labiale u, » deux faits également étrangers à la
langue latine ancienne.
II. (P. 9-16). Examen de la signification, attribuée aux noms d'hommes Sar-
MENTius, Projectus, Stercorius5. Ccs trois noms ont été rangés par M. E. Le
Blant dans cette catégorie de noms humiliants que les chrétiens de l'empire
adoptaient par dévotion ou recevaient par mépris des païens (tels sont Injuriosus,
Molestus, Importunas, Foedulus. etc.) : ce fait, pour le dire en passant, est une
anomalie sans autre exemple et une sorte de monstruosité dans l'histoire de
l'onomastique, qui nous montre partout les noms comme cherchant à renfermer
d'heureux présages ou à annoncer de grandes qualités : comparez Themistodès à
Foedulus! M. M. veut rayer de cette liste les trois noms ci-dessus mentionnés; il
a incontestablement raison pour Projectus et Sarmentius; il est probable qu'il est
aussi dans le vrai pour Stercorius, puisque ce nom apparaît sur des épitaphes
qui, selon toute vraisemblance, sont païennes. Sur l'origine de ce nom, qui se
rencontre surtout sur les tombeaux d'enfants morts en bas-âge 4, M. M. présente
une conjecture fort ingénieuse, en le rapprochant du fameux surnom de Kor.pwwj^Lo;,
donné, on sait pourquoi, à l'un des Constantin de Byzance. A côté de cette
hypothèse, il en présente une autre : frappé de la fréquence des noms de ce
genre en Afrique, il y voit l'équivalent de Pirasius (analogue à l'hébreu Peresch
et signifiant /um/er, ordure), et pense que ces dénominations se rapportaient à l'usage
répandu en Afrique d'employer la fiente des chameaux en guise de combustible.
Ces noms seraient alors originairement ceux de gens occupés soit de l'organisation
de ce chauffage, soit de la fumure des terres. Cette hypothèse paraît un peu
cherchée, et elle paraît d'autant moins assurée pour Stercorius que M. M. ne cite
pas d'exemples de cette forme en Afrique, mais seulement de Sterculus et Sterceius,
mots dont le sens est moins clair : aussi préférerais-je m'en tenir à sa première
explication s .
III. (P. 17-40). De l'élément africain dans Vonomastiijue latine^. Ce morceau
1. Je ne vois pas d'anciens noms en atus; Barbatus est un surnom tout personnel; il
est à remarquer d'ailleurs qu'on trouve dans Cicéron un M. Barbatius Phiiippus.
2. M. M. lui-même l'admet plus loin, p. 12.
j. Extrait de la Revue archéologique.
4. Ce serait alors un surnom iamilier, qui devait disparaître plus tard pour faire place
au vrai nom de l'enfant, et que les parents ont tenu à conserver sur la tombe.
5. P. 10, M. M. dit que pcndard signifie « qui mérite la corde; » c'est une petite
erreur; pendard veut proprement dire bourreau, pendeur; voy. Littré, t. V.
6. Extrait de la Revue archéologique.
1^6 REVUE CRITIQUE
est le plus intéressant et le plus remarquable du recueil. L'auteur y recherche
et y signale la part considérable que l'élément africain a prise, à une certaine
époque, dans l'onomastique des Romains établis en Afrique, puis de ceux du
reste de l'empire. Ce travail a pour point de départ l'explication du nom d'homme
Boniface, et relève ensuite un grand nombre de noms africains traduits, comme
celui-là, en latin, et dont plusieurs ont passé dans notre onomastique usuelle. Il
serait à souhaiter que M. M. reprit cette étude si curieuse, la complétât et la
refondît sur un plan plus clair et plus large : j'entends qu'au lieu de mettre à la
suite l'une de l'autre des explications de mots isolés, il commençât par exposer
sommairement le caractère de l'onomastique africaine (en distinguant l'élément
punique de l'élément berbère), indiquât les dates où apparaissent les plus anciens
noms latins formés à l'imitation de ces noms indigènes, celles où les noms de ce
genre passèrent dans d'autres provinces de l'empire, et s'attachât à l'ensemble
de ce « vaste cycle » présenté méthodiquement. Il aurait écrit alors un chapitre
des plus importants et des plus neufs de l'histoire des noms propres. Son travail,
qui n'a pas cette suite et cet enchaînement, n'en est pas moins une étude fort
intéressante. Je signalerai surtout l'explication du nom Boniface, qui paraît défi-
nitive, et qui a d'ailleurs été, depuis la publication de ce travail, acceptée par
plusieurs savants allemands. L'ancienne étymologie, bonum faciens, ne pouvait
tenir en présence de la longueur de Va, et celle de honifa{c)t'ms, proposée par
M. Corssen, donnait également prise aux plus graves objections. M. M. démontre
que l'ancienne forme du nom est sans exception Bonifatius par un î, et il y voit
un composé de bonum et de fatum ' ; il observe ensuite que ce nom est surtout
fréquent en Afrique, où il apparaît pour la première fois, et il y reconnaît la
traduction latine d'un nom punique, tel que Namgidde ou Giddeneme (m. s.) :
toute cette discussion, strictement guidée par la méthode historique et phonolo-
gique, est excellente. M. M. passe ensuite à tous les noms africains, d'une signi-
fication plus ou moins analogue, qu'il retrouve dans des transcriptions latines,
dont quelques-unes, comme Deusdedit, Deusdet, Quodvultdeus, vont jusqu'à repro-
duire ces noms formés de phrases entières où entre le nom de Dieu, qui sont
propres aux langues sémitiques. Il termine son curieux dépouillé par la citation
de quelques noms africains introduits chez nous comme noms de famille (tels que
Gibbal, Ellul, et en dernier lieu Gozlan). — Dans une page piquante, M. M.
rapproche des noms latins-africains soit leurs dérivés, soit leurs équivalents en
français ancien ou moderne, ainsi non-seulement Flourens, Viau, de Florentius,
Viîalis, mais Dieusaide de AuxHius, Dieuleveut de Quoduultdeus , Dieuslecroisse de
Crescentius, etc. A ce propos, je remarquerai qu'il faut rayer de cette liste (outre
Roget=Rogaîus, Rogei est un diminutif de Rogo ou un doublet de Rouget) Dudon,
cité parmi les dérivés de Donadeus: Dudo, -onis, qui se retrouve sous la variante
Dodo, -onis (en français Does, Doon, d'où Doet, Doetté), est un nom parfaitement
germanique, sur lequel on peut voir une discussion de M. Stark (Kosenamen,
p. 5 3). — « Castrum quod dicitur Deus Louvart (1028), » lisez Deus lo wart.
1. Une des meilleures preuves de M. M. est le rapprochement du nom Malifatia sur
une épitaphe où il ne peut avoir que le sens d'infortunée.
d'histoire et de littérature. 157
IV. (p. 41-59). De la déformation dans les noms propres. Après un examen rapide
des différents procédés employés par les diverses langues pour former des dimi-
nutifs ou des dérivatifs familiers de noms propres (procédés où il reconnaît l'in-
fluence de l'accentuation propre à chaque langue), M. M. arrive au sujet plus
spécial de son étude, qui est la déformation des noms propres en français. Il
examine d'abord les suffixes qui se trouvent d'ordinaire joints aux noms propres,
comme et, ot, ard, and, in, eau, etc. ; puis, après avoir parlé sommairement des
mutilations intérieures que subissent souvent les noms formés avec ces suffixes
{Pernon par exemple de Perrenon, dim. de Perrin=^ Pierre -\- in '), l'auteur dresse
une liste de noms déformés, c'est-à-dire de formes diminutives qui ont subi une
aphérèse, placées en regard des formes normales correspondantes. L'auteur,
avec une réelle modestie, ne donne cette liste que « sous bénéfice d'inventaire, »
connaissant et expliquant fort bien lui-même les nombreuses causes d'erreur
auxquelles il était exposé. Étant donnée en effet une forme qu'on suppose mutilée
par aphérèse, « il arrive souvent de deux choses l'une : ou bien, la partie déca-
» pitée ne laissant aucune trace de son existence, la restitution est impossible,
» faute de preuves historiques, ou bien différentes solutions plus ou moins plau-
» sibles se présentent à l'esprit; » ainsi Naudeau est-il pour Renaudeau ou Ar-
naudeau, Binet pour Robinet ou Lambinet? M. M. s'est donc résigné « à omettre
» encore plus de formes qu'il n'en a indiquées, » pour ne pas tomber dans le
domaine des conjectures trop multipliées, et parmi celles qu'il a admises il s'attend
bien à ce que l'une ou l'autre soit contestée. Mais la liste est faite avec beaucoup
de circonspection et un jugement généralement sûr, et il n'y a que bien peu de
mots sur lesquels nous élèverons des doutes, la grande majorité offrant des rap-
prochements aussi incontestables qu'ils sont souvent ingénieux 2. — Dreueet tous
ses dérivés ne se rattachent certainement pas aux formes diminutives d'André,
mais bien à l'ancien nom allemand Drogo-onis (dérivatif famil, de Drogowaldr).
— Glorian se trouve, avec son féminin Gloriande, dans des poèmes des xiii*^ et
xiv* siècles (Chevalier au Cygne'), où il est peu probable qu'il vienne de Magloire.
— Ronel, Ronneau peuvent être disputés à Peronnel par le vieux mot Roonel,
Rooneau, le nom du mâtin dans le Roman de Renart, dont les personnages ont
laissé plus d'un représentant dans les noms de famille actuels : j'y rapporterais
volontiers Belin (que M. M. rattache à Lambelin), nom du mouton; Hersent, nom
de la louve; Thibert, nom du chat; Tiercelin, nom du corbeau, etc. — Une
observation générale qu'on peut faire sur cette liste , c'est qu'elle embrasse un
peu pêle-mêle des noms appartenant aux divers dialectes de la France, et même
à d'autres langues romanes. Notre onomastique ne sera susceptible de recevoir
des lois régulières que quand une analyse minutieuse et méthodique en aura
écarté tous les éléments étrangers et aura ramené à sa provenance locale chacun
de ceux qui la composent légitimement. Mais des matériaux complets et bien
1. Je ferai remarquer que Proudon ne saurait être séparé de Proudhon Prudhon Prud-
homme, et qu'il ne se rattache pas à Perodon {Peire Odo), forme d'un autre dialecte.
2. Une remarque dont l'auteur fait précéder cette liste et qui a une grande importance,
c'est que les Livres de la Taille de Paris en 1 292 et 1315 contiennent très-peu de noms
diminutife et peut-être pas une forme aphérésée sûre; d'où il suit que ces formes, si fré-
quentes aujourd'hui, ne sont pas plus anciennes que le XIV* siècle.
I jS REVUE CRITIQUE
classés sont indispensables pour cet immense travail; M. M., qui en apprécie
parfaitement la nécessité, reconnaît qu'ils ne peuvent être réunis par les forces
d'un simple particulier : « Seule, l'administration centrale pourrait mettre à
» exécution le projet d'un Onomasticum français, dont les principaux éléments
» existent dans les tableaux du tirage pour le recrutement, dressés annuellement
» dans tous les cantons de l'empire. « Ce serait en effet, pour le gouvernement,
une œuvre des plus aisées à accomplir, et certes, sans parler de l'intérêt scienti-
fique pur, il y aurait un véritable intérêt national à réunir ainsi, ou peu s'en faut,
le nom de toutes les familles dont la réunion constitue le peuple français. C'est
une excellente idée : il y a très-peu de chances pour qu'elle se réalise.
Nous ne pouvons, en terminant, que remercier M. Mov^at de ses intéressantes
études et souhaiter qu'il continue dans une voie où il a déjà fait plus d'une pré-
cieuse découverte. Si nous avions un conseil à lui donner, nous l'engagerions à
concentrer ses recherches et ses méditations sur quelque ouvrage suivi, comme
serait une Histoire de l'onomastique latine, qu'il a particulièrement étudiée. Dans
cette science toute nouvelle encore, les travaux d'ensemble font presque complè-
tement défaut; les études de détail de M. Mowat font voir qu'il pourrait mieux
que personne en mener quelqu'un à bonne fin : espérons qu'il s'y décidera.
174. — Dictionnaire des pseudonymes, recueillis par Georges d'HEiLLY.
Deuxième édition, entièrement refondue et augmentée. Paris, Dentu. ln-12, xxxvj et
421 p.
A aucune époque , l'usage ou plutôt l'abus des pseudonymes n'a été poussé
aussi loin qu'aujourd'hui. Un grand nombre d'écrivains signent leurs ouvrages
de noms supposés; quelques-uns de ces noms sont devenus célèbres; la plupart
restent fort peu connus. Dans la petite presse surtout, où domine la fantaisie, les
noms pris à plaisir foisonnent; plusieurs journalistes en ont tout au moins une demi-
douzaine; parfois le même nom sert à divers écrivains. Il est difficile, même pour
les individus les mieux initiés aux mystères de l'histoire de la littérature contem-
poraine, de se reconnaître dans ce labyrinthe. La postérité s'occupera fort peu
sans doute de savoir quels étaient les personnages réels cachés sous ces masques
si nombreux, lorsqu'il s'agit de feuilles légères que l'oubli emporte rapidement;
toutefois il est bon que ce travail soit exécuté, afin d'épargner aux Saumaises
futurs des tortures extrêmes et afin de leur livrer, lorsqu'il en est temps encore,
des secrets qu'il serait plus tard absolument impossible de deviner. M. Georges
d'Heilly (et c'est un pseudonyme qui déguise le nom réel de M. Poinsot) avait
publié en 1 867 une première édition de son Dictionnaire, beaucoup moins ample
que celle qu'il vient de mettre au jour; M. Ch. Jolyet a de son côté traité le
même sujet dans le volume qu'il a intitulé : Les Pseudonymes du jour, mais avec
moins de développement.
Les deux auteurs, s'attachant à la littérature contemporaine et d'actualité, se
sont proposé un tout autre but que celui qu'avait en vue Quérard, lorsqu'il publiait
les Supercheries littéraires dévoilées^; l'infatigable bibliographe, mort, la plume
1 , Une nouvelle édition très-augmentée de cet ouvrage est entreprise ; il en a déjà paru
d'histoire et de littérature. r59
à la main, à la fin de 1865, s'en prenait surtout aux nombreux ouvrages mis au
jour sous le voile du pseudonyme dans le cours du xviii' et du xix^ siècle; il
avait donné fort peu d'attention à la presse, parce qu'il savait que sur ce terrain
les choses changent à chaque instant d'aspect. M. Georges d'Heilly ne s'est pas
d'ailleurs borné aux écrivains; il a compris dans ses révélations des acteurs, des
actrices (dès la seconde page il nous apprend que mesdemoiselles Adèle et Agar
sont nées Cuinet et Charvin, que M. Laferrière s'est d'abord fait connaître sous le
nom d'Adolphe) ; il n'a point oublié un grand nombre d'artistes qui , comme les
journalistes et les vaudevillistes, n'ont rien eu de plus pressé que de métamor-
phoser les noms de leurs pères. On sait que Gavarni s'appelait Chevallier, et que
le vrai nom de Grandville était Gérard; le vicomte de Noé a rendu célèbre le nom
de Cham, mais bien des personnes ignorent que deux habiles musiciens, connus
sous le nom d'Alkan, se nomment en réalité Morhange, et que c'est sous le pseu-
donyme de mademoiselle Marie Allan que s'est cachée madame Lagneau, qui a
exposé un joli tableau au salon de 1868. On pourrait observer d'ailleurs que le
Dictionnaire contient diverses révélations assez superflues; était-il nécessaire de
constater que le nom du père de Sophie, la cuisinière de M. Véron, docteur-
médecin, député et « bourgeois de Paris », était Delalande, et qu'elle avait pour
prénoms Victoire-Catherine .''
En lisant avec attention le Dictionnaire des pseudonymes, nous y avons relevé
quelques légères inexactitudes; nous en signalerons plusieurs, afin que l'auteur les
fasse disparaître dans une édition nouvelle qui paraîtra sans doute plus tard , et
nous ne lui en faisons nullement un reproche, car il est à peu près impossible, au
milieu de tant de petits faits, d'être toujours d'une exactitude irréprochable. A
l'article consacré à M. Théophile Thoré (mort il y a quelques mois), et avanta-
geusement connu dans la critique artistique sous le nom de W. Bùrger, on lit
qu'en 1 848 on ne l'appelait que le citoyen Thoré : « le peuple l'envoya à la
» Chambre à une majorité de 1 30,000 voix, comme républicain authentique; »
de fait, et malgré ce grand nombre de suffrages, Thoré n'a jamais fait partie, ni
de l'Assemblée constituante, ni de la Législative". A l'articleSoufccr^/W/e (le doc-
teur), on lit après ce nom : « médecin et bibliophile, né en 1800, Payen (Jean-
» François); » ceci ne paraît pas bien clair; en réalité, M. Payen, médecin à
Paris et qui s'est acquis une juste réputation pour ses recherches aussi judicieuses
que persévérantes sur la vie et sur les écrits de Montaigne, n'a rien publié sous
le nom de Souberbielle, mais il passe pour avoir aidé ce lithotomiste habile dont
il fut l'élève dans la rédaction de ses écrits; le chirurgien, plus habitué à manier
le bistouri que la plume, avait besoin d'un collaborateur avant de livrer à l'im-
chez M. Daffis, rue Bonaparte, 9, un volume comprenant les lettrés A-E; le Dictionnaire
des anonymes de Barbier, revu par M. Olivier Barbier de la Bibliothèque impériale et en-
richi d'une foule d'additions, fera partie de cette publication.
I . Quérard est entré dans des détails fort étencius au sujet de Théophile Thoré dans la
table c|ui forme le cinquième volume des supercheries; cet index renferme parfois des bio-
graphies très - complètes de certains écrivains; ce que bien des gens n'ont pas remarqué,
c'est que jusqu'à une certaine portion de la lettre M, cette table et le onzième volume de
la France littéraire offrent un texte identique.
l6o REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
pression le résumé de sa longue pratique. — Est-il bien exact que M. Jules
Garinet ait publié boji nombre de mémoires historiques sous le pseudonyme de
Julien de Saint-Acheul et qu'il ait donné quelques livres à la collection CoUin de
Plancy ? Nous connaissons son Histoire de la magie en France (Paris, 1818, in-8°),
livre curieux mais bien incomplet ; et quant à Collin de Plancy, on sait que ce
très-fécond écrivain a successivement entassé volumes sur volumes dans deux
sens fort opposés ; d'abord voltairien décidé, il est devenu ensuite mystique. —
Parfois quelques circonstances, qu'il serait bon de noter en passant, se sont pré-
sentées à nous. Le libraire F. Tandou a publié, en 1857, un petit recueil de
poésies sous le nom de Belligera; ce nom s'explique lorsqu'on sait que c'est
l'anagramme de celui d'une femme, Gabrielle, qui avait inspiré à cet écrivain un
attachement très-vif. Il n'est pas exact de dire que M. Alexis Doinet (qui a pris
le nom un peu bizarre de Toby Flock') est « aujourd'hui » rédacteur du Moniteur
du Calvados; il dirige depuis deux ans environ le Journal de Bordeaux. Divers
autres noms supposés auraient pu être inscrits au compte de madame la comtesse
Dash (c'est-à-dire de madame la vicomtesse de Saint-Mars), à laquelle Quérard
a consacré un très-long article dans la table de ses Supercheries. Nous pourrions
multiplier ces observations, mais il faut savoir s'arrêter. Mieux vaut signaler des
détails piquants et curieux placés dans certains articles, tels que Gazul (Clara),
masque de M. Prosper Mérimée; le testament de M. Viennet (dont l'anagramme
est Ventine') est digne d'être lu; au mot Ghist se trouve la reproduction du récit
très-dramatique, inséré dans une feuille hebdomadaire, de la fin tragique d'un
écrivain fort peu connu qui signait ainsi dans la petite presse des articles qui
passaient sans être remarqués ; ils ne méritaient d'ailleurs pas de l'être.
En définitive le travail de M. Georges d'Heilly sera indispensable aux biblio-
graphes futurs qui entreprendront quelque jour de composer la France
littéraire du dix-neuvième siècle; il complétera à certains égards, en le rectifiant,
le « catalogue général de la librairie française de 1 840 à 1865 » publié par
M. Otto Lorenz, livre utile sans doute, mais qui témoigne quelquefois d'une
connaissance trop imparfaite de la pseudonymie. La préface offre une énuméra-
tion intéressante des principaux pseudonymes du temps passé, mais elle pour-
rait être bien plus étendue. Puisque le farceur Guillot Gorju, célèbre à
l'époque de Louis XIII, a été jugé digne d'une mention, pourquoi n'avoir pas
accordé le même honneur à Gaultier Garguille, encore plus illustre en son genre,
et surtout à Tabarin, dont la biographie, assez obscure, a été mise dans un jour
nouveau, grâce aux patientes recherches de M. Jal? On aurait pu ajouter aussi
que Mercator était le nom latinisé du géographe Kauffmann, et que l'évêque
italien Fortiguerra est surtout connu, en fait de pseudonyme, sous celui de Car-
teromaco, qu'il adopta pour signer son poème badin de Riciiardet, imité en fran-
çais par Dumouriez (le père du général) et par le duc de Nivernais, qui charmait
ainsi les ennuis d'une détention menaçante en 1794.
B.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
(p. 437-442). — HiLDEBRAND, Une singularité des dialectes rhénans (p. 442-
448). — ID., La Signification de la Crypte (p. 448-452; opinion qui n'est pas
nouvelle). — Kœhler, Cornélius (p. 452-459; article extrêmement curieux sur
une locution proverbiale très-usitée en allemand au xvii^ siècle; « avoir le
» Cornélius, » c'est être soucieux, de mauvaise humeur, vexé. Le sens primitif
ne serait-il pas jaloux, et n'y aurait-il pas là quelqu'une de ces plaisanteries
populaires sur le proverbial appendice des maris trompés, dont la perspective
trotterait dans l'imagination de celui qui a le Cornélius? Cf. Molière, le Cocu
imaginaire, se. IV : « Sganarelle est un nom qu'on ne me dira plus, Et l'on va
» m'appeler seigneur Cornélius»). — Bochholz, Être une mauvaise pièce
(p. 459-465 ; ein schlechtes Tiichlein sein, autre locution populaire). — Leverkus,
Deux Chansons néerlandaises de 1 593 (p. 465-469). — Lubben, Ancelmus Seal
(p. 469-473). — Zacher, Zur Textkritik des Ludwigsliedes (p. 473-489;
article très-piquant sur le premier mot du v. 55, qu'on a lu jah, sag, sah et gab).
— Mélanges et comptes-rendus. Parmi ces derniers, nous citerons celui de
M. Kuhn sur un opuscule de M. Hugo Meyer, Roland, dont nous espérons pro-
chainement rendre compte. — Le volume se termine par une table et un index
très-détaillés.
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Clément XIV. In-S". 7 fr. 50
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N* 37 Quatrième année 11 Septembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER, CH. MOREL, G. PARIS.
Piix d'abonnement :
Un an, Paris, 156-. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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LiA 1 rVvJ r 11 ELUi L Cuilloche Bourdelois, publiée
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Cet ouvrage forme le 5* fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschlaud. N" 34. 14 août.
Théologie. Bleck, der Hebraeerbrief(Elberfeld, Friderichs; ouvrage posthume,
abrégé un peu modifié du célèbre ouvrage de l'auteur sur le même sujet). —
Histoire. Krause, die Bysantiner des Mittelalters (Halle, Schwetschke ; article
(de M. Hœfer) d'une sévérité qui paraît motivée). — Pasch, zur Kritik def
Geschichts der Kaiser Tiberius (Altenburg, Pierer; dirigé contre le livre de
Stahr ; la partie négative est la meilleure). — Monumenta Bambergensia, éd.
Jaffé (Berlin, Weidmann, t. V de la Biblioîheca rerum Germanicariimy dont on
connaît l'importance et le mérite). — Rossbach, Geschichte der Gesellschaft.
II. Die Mittelklassen. (Wûrzburg, Stuber). — Rudorff, ùber die Laudation
der Murdia (Berlin, Dûmmler ; nouvelle édition de ce texte, commenté surtout
au point de vue juridique). — Histoire de l'art. Eastlake, Materials for a his-
tory of oil painting (London, 1869; ouvrage posthume, très-technique). —
DoHME, die Kirchen des Cistercienserordens in Deutschland (Leipzig),
Seemann).
N° 35. 21 août.
Théologie. Redslob. die kanonischen Evangelien als geheime kanonische
Gesetzgebung in Form von Denkwùrdigkeiten aus dem Leben Jesu dargestellt
(Leipzig, Brockhaus ; le titre indique ce qu'est ce livre, pour lequel le critique
nous paraît bien indulgent). — Histoire. Laboulaye, Geschichte der Vereinigten
Staaten von Amerika (Heidelberg, Winter). — Blankenburg, dieinnern Ksempfe
der Nordamerikanischen Union (Leipzig, Brockhaus; bon livre). — Linguistii^ue.
Histoire littéraire. Weihrich, de gradibus comparationis linguarum sanscritae
graecae latinae gothicae (Giessen, Ricker ; travail digne d'éloge). — Hesiodi
quae feruntur carminum reliquiae cum commentatione critica éd. Schœmann
(Berlin, Weidmam). — Schmidt, de Nonii Marcelli auctoribus grammaticis
(Leipzig Teubner) ; — M^hly, Richard Bentley, eine Biographie (Leipzig,
Teubner ; on trouve à la fin des notes inédites de Bentley sur les deux premiers
livres de VlUade, en vue d'une édition qu'il voulait faire). — Bergé^ Dichtungen
transkaukasischer Ssenger des 18 und 19. Jahrhunderts (Leipzig, List und
Francke ; poésies remarquables, en dialecte turc très mêlé de persan^. —
Histoire de l'art. Atlas Kirchlicher Denkmaeler des Mittelalters im œsterreichis-
chen Kaiserstaats (Wien, Gerold; livr. 10-1 1; publié par le gouvernernent, sous
la direction de M. Lind).— MENDEL,GiacomoMeyerbeer,eineBiographie(Berlin,
Heimann). — Une note de M. W. 0...., l'éditeur de l'Histoire (posthume)
de la Révolution de Hausser revient sur une bien petite question, le mot « immo-
ralité, » dans une célèbre phrase de Mirabeau, lu « immortalité » et traduit
« Unsterblichkeit. » Il veut établir que cette leçon n'avait rien d'absurde, et
qu'on pouvait comprendre cette exclamation dans la bouche du grand orateur :
« Quel tort fait à la chose publique V immortalité de ma jeunesse ! » Nous ne le
croyons pas.
The Journal of Philology. Vol. II, n<> 3 (T* livraison de 1869).
MuNRO. Le 29^ poème de Catulle (p. 1-34), cet article revient sur plusieurs
corrections proposées par M. Ellis (voy. Rev. Crit. 1869, I, art. 43); il confirme
en deux points les réserves que nous avions exprimées, et propose des resti-
tutions fort plausibles. Du reste c'est une étude complète à tous les pomts de
vue, du poëme en question. — Vansittart, Quelques variantes de Véfitre aux
Thessaloniciens (p. 35-41). — Wratislaw, La prononciation de l'ancien grec
éclairée par celle du bohémien moderne (p. 42-47), tend surtout à expliquer la dif-
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 37 — 11 Septembre — 1869
Sommaire : 175. Julg, Contes mongols; le même, la Légende héroïque des Grecs
chez les Mongols; Gerland, anciens Contes grecs dans l'Odyssée. — 176. Curtius,
Études sur la grammaire grecque et latine, tome II, i" partie. — 177. Hymne à
Cérès, p. p. BiicHELER. — 178. Q^ Cicéron, Rdiquiac éd. Bûcheler. — 179.
Udall, Royster Doister, p. p. Arber. — 180. Wiskowatoff, Jacob Wimpheling.
— Variétés : la Géographie de la Chanson de Roland.
175. — Mongolische Maerchen. Die neun Nachtrags-Erzaehiungen des Siddhi-Kûr,
etc., von Prof. B. Julg. Innsbruck, Wagner, 1868. — Prix: 4 tr.
Die ^iechische Heldensage im Wiederschein bei den Mongolen, von
Prof. B. JÛLG (Mém. lu au congrès philol. de Wùrzbourg en 1868).
Altgriechische Maerchen in der Odyssée. Ein Beitrag zur vergl. Mythologie,
von D' Georg Gerland. Magdeburg, Creutz, 1869. — Prix : i fr. 55.
Ces trois publications, dont la première a été l'objet d'un article récent dans
la Revues se rattachent l'une à l'autre de manière à nous permettre de les
grouper ensemble pour en parler au point de vue des études de littérature com-
parée auxquelles elles appartiennent ou peuvent serv'ir.
Indépendamment de l'utilité des publications de M. Jûlg pour les études mon-
goles, toutes les personnes qui s'occupent de littérature populaire sauront gré à
ce savant de les avoir mises à même de lire ces textes intéressants. On sait
quelle est la valeur des versions mongoles pour l'histoire de certains recueils
indiens, dont la forme primitive est inconnue ou incomplètement connue. Il est
positif, ainsi que le fait remarquer M. Benfey*, que le Siddhi-Kùr est la version
la plus importante du Vetâlapantchavinçati, et M. Benfey lui-même et M. Schief-
ner J ont déjà constaté la valeur de VArdji Bordji pour le Sinhâsana-dvâîrinçati.
Peut-être la littérature mongole pourrait-elle aider à combler plusieurs lacunes
dans l'histoire de certains livres populaires qui ont joui d'un grand succès en
Orient et en Occident. A-t-il existé une rédaction mongole du Pantschatantra?
M. Benfey, qui fait cette demande 4, nous offre? quelques données qui rendent
une réponse affirmative assez vraisemblable. Dans VArdji Bordji nous trouvons
un conte (p. 110 suiv.) qui est justement celui qui sert de cadre au Çukasaptati.
On sait que les manuscrits indiens de ce livre aujourd'hui connus sont assez
récents et en mauvais état, et qu'ils offrent un texte fort abrégé. Une rédaction
mongole pourrait donc être d'une grande utilité. On ne connaît aucun texte
1. 1869, t. I, art. 105.
2. Mélanges asialiquts tirés du bulletin de l'Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, III
170 suiv.; Pantschat., I, p. 21. '
3. Mélanges asiatiques, etc., III, p. 204 suiv.
4. Pantschat., I, p. 509 suiv.
5. Mélanges asiatiques, etc., III, p. 200 suiv.
viU , ,
102 REVUE CRITIQUE
indien du livre de Sindibâd, dont cependant l'origine indienne n'est pas contes-
table. Toutes les rédactions connues en Orient et en Occident {Sept sages) pro-
viennent d'une ancienne rédaction arabe, comme nous l'avons démontré dans un
récent travail. Un texte mongol de ce livre serait encore plus important que
pour le Panîschaîantra et le Çukasapîaîi. Nous recommandons ces recherches aux
personnes qui s'occupent d'études mongoles et particulièrement à M. Jùlg qui a
si bien commencé.
Rien n'est plus curieux que d'étudier les contes populaires dans ces régions loin-
taines où on les voit converger des points les plus éloignés et des races les plus
différentes. Certains changements, qu'on a l'habitude de rencontrer dans les ver-
sions de textes indiens faites par des musulmans , ne se rencontrent naturelle-
ment pas ici où le bouddhisme est encore chez lui ; mais si l'idée religieuse reste
la même, la liberté dans le remaniement du matériel narratif n'en est pas moindre,
et beaucoup de contes qu'on trouve dans ces textes sont bien différents des
textes indiens dont ils dérivent. Toutefois, en dehors du style et des noms, pour
ce qui concerne la narration, l'élément exclusivement mongol se réduit à très-peu
de chose, et la plus grande partie de ce qui est raconté dans le Siddhi-Kûr et dans
VArdji Bordji peut être considéré comme importée chez les Mongols, soit d'Orient
soit d'Occident. Il serait trop long d'examiner ici un à un les contes de ces deux
textes et surtout trop difficile d^iouter quelque chose d'important à ce qui en a
été dit par M. Benfey dans plusieurs endroits de son introduction au Panîcha-
tanîra et par M. Liebrecht, dans ses savantes recensions'. Nous avons déjà
parlé dans un autre article * du conte de VArdji Bordji que M. Jùlg publia il y a
deux ans comme spécimen, et de sa diffusion dans les littératures d'Europe et
d'Orient. Ici nous en trouvons parmi ceux du Siddi-Kûr un bien connu aussi qui
fait le sujet d'un fabliau français 5 amplement illustré par M. Liebrecht4 et qui
dans sa forme mongole attire notre attention à cause du nom Suria-Bagatiir du
héros principal. Bagaîur est un mot mongol qui veut dire héros, et s'il est vrai,
comme le soutient M. Schiefner, que ce mot peut être d'origine indienne, dans
la double signification du composé indien bhagadhara, M. Benfey 5 aurait trouvé
une explication très-ingénieuse du sens primitif de ce conte. Toutefois quoique
la composition bhagadhara soit tout à fait régulière en sanscrit, ce composé
n'existe pas du tout dans cette langue, et il est assez singulier que les Mongols
se soient servi d'une langue étrangère pour composer un mot aussi essentiel dans
les traditions nationales. Il ne faut pas oublier du reste que ce mot se retrouve
dans des langues turaniennes, tout à fait exemptes d'influence indienne 6. Quoi
qu'il en soit, ce qui au point de vue de la littérature comparée est très-remar-
quable, c'est que le même mot existe en russe avec la même signification, et
1. Heidclberger Jahrbùcher, i866, p. 865 suiv., 954 suiv. ; 1868, p. 817 suiv.
2. Rev. crit., 1867, t. I, art. 60.
3. Barbazan et Méon, IV, 287-29^.
4. Orient and Occident, I, 1 16-121.
5. Orient und Occident, I, 136-138.
6. Mon collègue M. Teza m'indique pogûtur, bogatnr, poater, bâter de la langue vogoule;
madur, mater de roctiaque-somoïde, et le hongrois bator, hardi.
d'histoire et de littérature. i6^
dans les contes, légendes et traditions russes, on le trouve usité, comme en
mongol, soit isolé soit appliqué en guise de titre à des noms propres Ilia-bogatyr,
Buria-bogatyr, etc. Quoique entre les pays slaves et les autres pays de l'Europe
il y ait eu échange de contes populaires, ce mot bogatyr n'a jamais franchi la
frontière russe et est resté étranger à toutes les langues germaniques et latines.
Ce fait n'est pas isolé, mais il se trouve d'accord avec un autre fait digne d'atten-
tion, savoir que bon nombre de contes et légendes héroïques (byliny) russes
trouvent leurs semblables beaucoup plus en Asie, chez des peuples de race tartare
ou arienne qu'en Europe. On peut en voir des preuves évidentes dans une suite
d'articles intéressants publiés par M. Stasow, dans le Wlestnik EwropyK
On est frappé de rencontrer dans le Siddhi-Kùr et dans VArdji Bordji plus d'un
conte bien connu en Europe, soit par les littératures du moyen-âge, soit par
la tradition populaire vivante, mais ce qui frappe davantage, c'est d'y trouver
des contes de l'antiquité classique, tels que celui des oreilles de Midas (Siddhi-
Kùr, n" 22) et celui des grues à'ihykos {Siddhi-Kùr, n° 15). On sait que ces
deux contes se retrouvent chez plusieurs peuples en Europe. Comment sont-ils
passés chez les Mongols ? Faut-il songer aux contacts des Mongols avec l'Europe
lors de l'invasion ? Faut-il songer plutôt, ainsi que le fait remarquer M. Schiefher*,
aux rapports que permettaient les centres commerciaux de Bjarmien et de Now-
gorod ? Peut-être a-t-il existé ou existe-t-i! des versions russes de ces deux contes;
en ce moment je ne me souviens pas de les avoir rencontrées dans les recueils
dont je dispose?.
Mais dans ce genre on trouve quelque chose de bien plus singulier encore
dans le petit mémoire lu par M. Jùlg, au congrès philologique de Wûrzburg,
dans lequel il compare les récits héroïques des Mongols, relatifs à leur héros
national. Cesser Khan, et les légendes héroïques grecques, notamment celles de
l'Odyssée. En effet le Siddki-Kùr et VArdji-Bordji, étant eux-mêmes des livres
d'origine étrangère chez les Mongols, il est moins étonnant d'y trouver des élé-
ments de narration de provenance étrangère. Mais la légende de Cesser Khan
est tout à fait nationale, et à ce point de vue les rapprochements que M. Julg y
1. Proishojdcnie russkih bylin; Wustn. Evtr. 1868 (Janv.-Juiil.).
2. Dans sa préface au premier volume du recueil de M. Radloff : Proben dtr Voklsliu
teratur der tùrkischen Stamme Sûd-Siberiens, p. xv suiv.
3. Je venais d'écrire ces lignes lorsque je reçus le premier volume des contes populaires
de la Russie méridionale, récemment publié par M. Rudchenko (Narodnyia iujnorusskiia
skazki, Kiew, 1869). En feuilletant je tombe justement sur le n* 79 (p. 207 suiv.) qui
répond au conte des grues d'Ibykos. En voici le résumé : Deux paysans revenaient de
leur travail ; arrivés dans un endroit désert, l'un d'eux voulut tuer son compagnon pour
s'emparer de l'argent qu'il avait gagné. Celui-ci demanda la permission de faire ses adieux
ayant de mourir, et s'adressant à une plante qui s'appela en russe pérékatipole (les bota-
nistes l'appellent ^\/7io^Aj70 , lui dit : adieu, pèrckatipok; regarde bien, tu seras mon
témoin. Après avoir tué et volé son compagnon, l'assassin rentra dans sop village, et se
maria. Un jour en passant avec sa femme à travers les champs, à la vue de la plante qui
lui rappelait les dernières paroles de sa victime, il ne put s'empêcher de sourire. Sa femme
s'étant aperçue de cela, voulut en savoir la raison, et elle fit tant, qu'il finit par lui confier
son secret. Tant que la paix régna dans la maison la secret fut gardé; mais un jour le
mari s'étant avisé de maltraiter sa femme et de la battre, celle-ci révéla tout à son père
et l'assassin fut envoyé en Sibérie. [Add. Rev. Crit. 1869, t. I, p. 408-9 ]
164 REVUE CRITIQUE
trouve à faire sont d'autant plus surprenants. Ces rapprochements ne sont pas,
à vrai dire, tout à fait nouveaux. Les coïncidences les plus saillantes avaient déjà
été notées par M. Schott' ; mais M. Jûlg a cru en reconnaître bien davantage.
Je ne sais pas si en ces choses-là mon exigence est exagérée, mais il me semble
que M. Jûlg s'est trop souvent contenté d'une ressemblance assez vague et
éloignée. Ainsi, p. ex., la descente aux enfers de Cesser et la fameuse scène de
la v£xuta ne sont pas, à mon avis, très-proches parentes. Du reste on a depuis
longtemps reconnu que l'Odyssée présente des narrations d'un caractère populaire
et qui ne sont pas exclusivement propres à la race grecque. Le travail de Grimmsur
la fable de Polyphème (dont il examine, entre autres, une forme tartare) en est
une preuve des plus convaincantes. Aussi plusieurs faits de l'Odyssée que
M. Julg retrouve dans le Cesser Khan se retrouvent également ailleurs. Par
exemple, un des rapprochements les plus frappants, et qui arrache à M. Jùlg des
expressions d'étonnement, est celui qu'il fait entre les deux aventures du fleuve
enchanté et des rochers mouvants dans le Cesser Khan et celles des Sirènes et
des nxayxxaî OU SutxuXYiyàôsç dans l'Odyssée. Mais l'aventure du fleuve enchanté
rappelle plutôt les Nixen des Allemands et la Wodna jena des Slaves , que les
Sirènes toujours placées par les anciens au milieu de la mer dans des îles. Quant
aux rochers mouvants le même fait se rencontre dans les légendes et chants
populaires russes, et la forme mongole est bien plus proche de la forme russe
que de la grecque, car dans le Cesser Khan les deux rochers mouvants ne sont
pas en mer, mais sur terre, ainsi que dans les contes russes, et comme dans
ceux-ci, le héros passe à travers et échappe à leur étreinte au moyen d'un cheval
enchanté 2. — Si dans la recherche des points de contact entre les légendes
héroïques grecque et mongole, M. Jùlg a un peu trop cédé au désir de les mul-
tiplier, il n'en est pas moins vrai qu'il y a entre les deux légendes plusieurs
ressemblances assez évidentes. Quoiqu'il ne se soit pas occupé de les expliquer,
M. Jûlg a très-bien fait de les signaler à l'attention des savants réunis à
Wûrzbourg.
M. Gerland, qui connaît et cite avec éloge les travaux de M. Jûlg, n'a pas
voulu se borner à de simples rapprochements dans son opuscule de $2 pages
dans lequel il nous donne un spécimen de ses recherches de mythologie comparée
sur les narrations populaires contenues dans l'Odyssée. M. Gerland commence
par rapprocher l'aventure d'Ulysse chez les Phéaciens de celle de Saktideva,
chez les Vidyâdharas, qui se trouve dans le recueil de Somadeva. Il exclut la
supposition d'un emprunt de ce conte d'un peuple à l'autre, et pour cela il fait
observer que le même conte se retrouve en dehors des Grecs et des Indiens,
chez d'autres peuples bien différents. Ici commence une série de divagations qui
étonnent, agacent et torturent le lecteur traîné dans des pérégrinations étranges.
M. Gerland croit pouvoir rapprocher de l'aventure des Phéaciens tous les contes
1. Die Sage von Gestr-Chan. Abhdlgn. d. Berl. Akad. d. Wiss., 1851, p. 279 suiv.
2. Rybnikow, Piesni, p. 296; Warenzow, Sbornik duhownih stihow, p. ç)'j ; Lietopis
russkoi literatury i drewnosti, II, 133, 137; Afanasiew, Narodnyia russkiia skazki, VIII,
p. 381 suiv.
d'histoire et de littérature. 165
relatifs à des pays où régnent des femmes qui attirent des hommes. Il commence
par parler des contes polynésiens, puis des Amazones, puis des Walkyries;
l'enlèvement de Hilda le mène à parler des contes du Fidèle serviteur, des deux
amis fidèles, Oreste et Pylade, Thésée et Pirithoùs, etc., etc. Ce n'est qu'à la
page 5 3 qu'il revient à l'Odyssée pour se livrer à d'autres divagations du même
genre à propos de Circé, de Calypso, de la vcxvîa. En général, dans les rappro-
chements qu'il fait entre les contes de plusieurs peuples. M. Gerland exclut l'idée
d'un emprunt d'un peuple à l'autre; il admet plutôt une communauté d'origine
qui d'après lui peut être antérieure même aux plus grandes divisions des groupes
ethniques, et expliquer ainsi p. ex. les rapports entre les traditions ar}'ennes et
celles des peuples polynésiens. Les contes de l'Odyssée qu'il a examinés pro-
viennent, d'après lui, de mythes primitifs, et dans les trois dernières pages de
son opuscule il nous apprend tout à coup que les aventures d'Ulysse chez les
Phéaciens, chez Circé, chez Calypso aussi bien que la vsx-jta ne sont pas indé-
pendantes l'une de l'autre , mais constituent un cycle de mythes solaires , car
Ulysse n'est originairement autre chose qu'une personnification du soleil. Le
rapport entre cette explication et les comparaisons qui la précèdent est nul. Le
procédé logique ou plutôt fantastique qui mène M. Gerland à ces conclusions
n'a pas plus de consistance que celui qui conduisait Croesius à trouver la prise de
Jéricho dans l'Iliade. Dans son travail sur Polyphème Grimm est arrivé aussi à
découvrir une signification solaire dans les cyclopes, mais par un procédé de
comparaison et d'induction scientifique plein de finesse et de circonspection.
M. Gerland, pour nous faire admettre de ses conclusions, aurait dû suivre cet
exemple de la bonne méthode, de la seule qui puisse donner à la mythologie
comparée le caractère sérieux et solide de la science. Mais on aime à s'éman-
ciper ; on se laisse aller à sa fantaisie, et pour plusieurs personnes la mythologie
comparée ressemble trop à un jeu facile dans lequel on peut se permettre les
combinaisons les plus hasardées. Il est vraiment à craindre, si on continue, que
la mythologie ne devienne elle-même un mythe.
D. Comparetti.
176. — Studien zur griechischen UBd lateinischen Grammatik, heraus-
gegeben von Georg CuRTius. Zweiter Band. Erstes Heft. Leipzig, Hirzel, 1869, In-8',
200 p. — Prix : 4 fr.
Ces études de grammaire grecque et latine forment le premier cahier du
second volume de la collection publiée sous la direction de M. G. Curtius, dont
il a déjà été rendu compte (voir la Revue critique, 1 868, art. 2 1 1 ; 1 869, art. 1 2 5).
De dialecte Arcadica scripsit Gelbke. — M. Gelbke traite de la phonétique et
des formes du dialecte Arcadien, principalement d'après l'inscription de Tegée
publiée par Bergk avec commentaire, en tête d'un programme de l'Université de
Halle (1860-1 861). Il croit pouvoir conclure de ces restes, bien peu nombreux,
du dialecte Arcadien, que ce dialecte formait avec le Lesbien l'une des branches
des dialectes éoliens, dont l'autre était formée par le Thessalien, le Béotien et
peut-être l'Eléen.
l66 REVUE CRITIQUE
Quelques étymologies de M. Clemm (en allemand). — M. Clemm traite de
l'étymologie du mot ix^p qu'il rapporte à la racine sanscrite sik' avec G. Curtius,
de celle du mot «wto; qu'il rapporte à la racine sanscrite va, et enfin de celle de
sarculum qu'il rapporte à la racine latine sarp pour scarp.
Les formes du futur et de l'aoriste composés en is dans les poèmes d'Homère par
M. A. Leskien (en allemand). — M. Leskien se propose d'expliquer la présence
du double or dans un grand nombre d'aoristes et de futurs composés (c'est-à-dire
premiers, dans notre langage grammatical usuel) qui se rencontrent dans les
poésies d'Homère. M. L. ne refuse pas, et, ce semble, avec raison, d'admettre
que la versification a exercé une grande influence sur la langue des poésies
homériques. Ainsi on ne peut expliquer étymologiquement le datif vcttéaci de
v£[J.sai;, la diphthongue ti dans \i.dlmi, eD.âxwoç, S-£iX£ÎXia, eîavo;, slaptvo;, elpeffiy).
Homère emploie constamment imiçécioz quand la dernière syllabe est longue,
àmpeiaiot;, quand elle est brève ou apocopée. 'Aop a l'a bref quand il est de deux
syllabes; il a l'a long, quand il est de trois; Pu est bref dans xuavoç, xyavôTrpwpo;,
xuavwTrtç, long dans xuàvco;, xuavouEÇa, xuavôireirXoç, xuavo^^atTr,;. L'a CSt long dans
ôuo-aéoç, bref dans Suaayjwv (Od., V, 99); on trouve û-^iepeçT^ç, mais au génitif
o^-op2?éoç. C'est ainsi que l't est long dans £7ii6ûou(n, avëoaia, èm-zéiloi et l'a dans
la première syllabe de àôàvaToç, àxàiJiavToç, àTtovéeaOai. On ne peut rapporter aux
exigences du mètre la présence du double <t dans les futurs et les aoristes homé-
riques. L'autre forme est employée concurremment et le mètre la permet souvent
aussi bien. M. L. pense que le premier g vient de la consonne qui termine la
racine ou le radical. Il rassemble tous les verbes qui présentent cette particularité,
Un grand nombre sont en W- D'autres ont une racine en ; comme 'évw[i.i, d'autres
sont formés avec un suffixe en e;, comme -izUoi, d'autres avec un suffixe en aç,
comme les verbes en avvu[j.i, d'autres avec un radical terminé par une dentale
comme xoçCacw. M. L. traite en particulier de tous ces verbes et essaie d'éta-
blir que ces formes en doubles as sont un reste de l'ancienne langue conservé
avec tant d'autres dans le dialecte épique. Cette thèse a une certaine vraisem-
blance. M. L. n'aurait pas dû citer la forme £ûpr,(7i; comme aussi bien autorisée
que £ûpYi[xa. La forme classique est £ypEfftç; la forme Eupriatç appartient à la langue
de la décadence; voir Lobeck dans son commentaire sur Phrynichi eclogae nomi-
num et verborum Atticorum (Lipsiae, 1820), p. 446. Inversement e\içe\La était de
la langue de la décadence, ainsi que tous les mots en (xa où ce suffixe est précédé
de la voyelle brève, comme U\La, àvàOspLa et autres. Je ne puis accorder à M. L.
que de ce qu'on rencontre dans l'Iliade, 58 formes d'aoriste avec le double a et
42 avec le a simple, tandis que dans l'Odyssée on en trouve $4 avec le double
contre 5 3 avec le simple, on puisse conclure que la langue de l'Iliade est plus
ancienne que celle de l'Odyssée. En général la statistique ne prouve rien en
matière de langage. Une forme, une locution, un mot, peuvent être très-rares
dans un monument littéraire donné et n'en avoir pas moins été très-usités.
Quand on se rappelle que le mot tsttiÇ ne se trouve qu'une fois dans tout Homère,
on renonce à ce genre de raisonnements.
De la formation du subjonctif dans Homère par H. Stier. — Bekker a posé en
d'histoire et de littérature. 167
principe, que dans Homère, au subjonctif, l'=> quand le mètre demande une
longue, se change en zi devant 0 et w, en r, devant r,. M. Stier pense que l'a du
radical ne peut dans aucun cas s'allonger en et et qu'une forme comme TtcçicTiCwai
est inadmissible. Mais il admet que l's peut devenir aussi bien v. que r,. Encore
M. G. Curtius pense-t-il que r, est plus autorisé que st comme allongement de
l'c.
Observations diverses par W. Roscher. — Les plus importantes, rédigées en latin,
sont relatives à l'aspiration des consonnes dans la langue latine. M. Roscher
rassemble tous les exemples de cette aspiration avec les autorités à l'appui;
d'abord ceux que cite Cicéron dans le passage célèbre de VOrator (48, 160), à
savoir pulcher (les grammairiens n'étaient pas d'accord), Cethegus, Carthago,
triumphus, archivius, Matho, Oîho, sepulchrum (désaccord sur ce mot), chorona
(l'aspiration en général désapprouvée). Il cite ensuite l'épigramme de Catulle 84,
le texte de Quintilien i, 5, 19, celui d'AuIu-Gelle 2, 3, 3, enfin un certain
nombre de formes de noms propres, principalement, que fournissent les inscrip-
tions et les manuscrits; remzTc^uons en ^avùculier ahenum, vehemens, incohare,
anchora, cachinnare, cohors, îhema, lympha, sidphur. Cette aspiration s'était pro-
duite dans le langage populaire et introduite dans le langage des gens cultivés
au temps de Cicéron qui l'atteste dans le passage cité plus haut. M. R. croit que
Vf dans chef de capuî , seifdesepes, fresaie de praesaga atteste une aspiration
populaire du p dans les mots latins. Mais Vf au commencement d'un nv)t ne peut
être traitée comme Vf finale. Vf se trouve à la fin d'un certain nombre de mots,
comme soif de sitis, sans qu'on sache encore pourquoi. Un exemple remarquable
c'est le terme grammatical de mœuf de modus qui s'était introduit dans l'usage
dès la fin du xiv^ siècle.
Observations diverses par G. Curtius. — M. G. Curtius traite : 1° de la forma-
tion du nominatif singulier en grec; il cherche en particulier à expliquer com-
ment ,u.r,Tr,p, ôatjjitùv, Ys'pwv ont pu venir de ti^ixss;, Sai|iov;, yzço'/z;, comment une
consonne séparée d'une voyelle par une ou plusieurs consonnes a pu, en dispa-
raissant, allonger cette voyelle; 2° de l'étymologie de âpicr-rov (déjeûner) dont la
première syllabe est toujours longue chez les .Mtiques et doit l'être aussi dans
Homère; il rattache ce mot à la même racine que aypiov, 3"* M. Curtius défend
contre les objections du D' G. Schulze la théorie qui dérive le ô et le r en grec
d'un ; primitif.
Sur £w; et Tî'w; par M. Delbriick. — M. Delbrùck pense que ces deux mots
dérivent de êFo; et téFo? aussi bien que rjo; et tï-o;, qui doivent être lus dans
Homère à la place de Ew; téw;, quand ces mots forment des trochées.
Charles Thurot.
177. — Hymnus Cereris Homericus edidit Franciscus Bûcheler. Adjectum est
manuscripti simulacrum. Lipsias, B. G. Teubner, 1869. In-8*, 48 pages et 6 planches
lithographiées. — Prix: 3 fr. 25.
La découverte faite vers la fin du dernier siècle par Matthaei de l'hymne à
Cérès est certainement l'une des plus importantes depuis le seizième siècle. Le
l68 REVUE CRITIQUE
manuscrit, arrivé probablement du mont Athos à Moscou, est aujourd'hui mutilé.
Il romprend une partie de l'Iliade depuis 5, 435, et plusieurs des hymnes de
notre collection actuelle. Ce fut Ruhnken qui publia le premier l'hymne à Cérès
dont M. Bùcheler nous donne aujourd'hui une nouvelle édition, accompagnée
d'un facsimile de la partie du manuscrit qui le contient et qui se trouve aujour-
d'hui à Leyde. Le travail de M. B. se compose d'une courte préface destinée à
démontrer que le manuscrit de Leyde est la suite du Cod. Mosq. I dont s'est
servi Heyne, et de l'édition du texte accompagné d'un double commentaire, l'un
critique, l'autre indiquant brièvement tous les passages des poèmes homériques
ou hésiodiques qui présentent quelque analogie avec le texte de notre hymne.
Ce second commentaire est précieux surtout pour déterminer l'âge de certaines
parties dont se compose le poème. Il est évident en effet qu'à différentes épo-
ques (M. Bùcheler croit que cela eut lieu jusqu'au dixième siècle après notre
ère) on a fait des interpolations dans cet hymne qui est un des plus curieux
monuments de la poésie religieuse des Grecs. Nous ne saurions que recomman-
der le travail de M. B., qui se distingue autant par la netteté que par la sûreté
de la méthode, et qui marquera un pas de plus dans l'étude des hymnes homé-
riques poursuivie vivement dans ces dernières années.
Emile Heitz.
178. — QuiNTi CicERONis rellquisB recognovit Franciscus Bùcheler. Lipsis,
Teubner, 1869. In 8*, 70 p. — Prix : 2 fr. 15.
L'idée de recueillir ce qui nous reste des œuvres du frère de Cicéron a été
déjà exécutée en 1791 par Schwarz et Hummel '. La plus grande partie de ces
reliquiae nous a été conservée parmi les œuvres de Cicéron : le traité sur la
brigue des fonctions publiques, qui est un opuscule à part, et quatre lettres de
la correspondance de son frère, voilà le plus net de ce qui nous en reste. Les
autres reliquiae contenus dans le petit volume que nous annonçons aujourd'hui
sont vingt vers d'un poème astronomique qui se trouvent dans les manuscrits
d'Ausone, quatre titres de pièces de théâtre et le titre d'un poème épique. C'est
peu de chose, mais il valait la peine de faire de ces morceaux une étude et une
édition à part.
La préface que M. Bùcheler a mise en tête de son édition (p. 1-24) le mon-
tre bien. Elle résume tout ce qu'on sait sur la vie de l'auteur et sur son activité
littéraire. Elle donne des renseignements sur les manuscrits, sur l'époque où
chacun de ces morceaux a été rédigé et en apprécie la valeur. Il s'en faut de
beaucoup, comme le fait observer M. B., que Quintus puisse soutenir, sous le
rapport du talent et même du style, la comparaison avec son frère. Mais ce qui
nous reste de lui nous donne une image assez nette du degré de culture que
devait posséder de son temps la moyenne des Romains quelque peu lettrés, de
ceux qui composaient la société la plus intelligente.
I . Q^ Ciceronis Commentariolum de petitione consulatus ad M. Tullium fratrem, accédant
aliae qaaedam Quinti scriptorum reliquiae, cum animadvcrsionibus Ch. Gli Schwarzii siiisque
nonnullis éd. Bh. F. Hummel. Nuremberg, 1791, in-8*.
d'histoire et de littérature. 169
M. B. veut que le traité qu'on a appelé jusqu'ici de petiîione consulatus prenne
désormais le titre plus général de commentariolum petitionis, parce que les der-
niers mots de l'auteur semblent indiquer un but moins spécial que celui de ren-
seigner son frère sur la manière de briguer le consulat. Quant à l'époque de sa
rédaction, il la place, contrairement à l'opinion la plus répandue, en l'an 690, et
il admet que l'auteur devait être à Rome au moment où il l'écrivit.
Le meilleur manuscrit que nous possédions de ce traité se trouve actuellement
à la bibliothèque de Berlin. Il n'avait guère été utilisé jusqu'ici par les éditeurs.
M. B. l'a fait collationner à son usage par M. Meincke, ainsi que quelques
autres mss. de diverses bibliothèques, et il a pu donner un apparatus criticus plus
complet et plus exact que dans l'édition Orelli-Baiter. Cet apparatus est donné
au bas du texte, en deux séries ; la première ne contient que les variantes du ms.
de Berlin, avec l'indication des conjectures des savants pour la restitution du
texte; la seconde série donne non pas toutes les variantes des autres mss., mais
simplement un choix judicieux de celles d'entre elles qui ont une importance
réelle. Enfin, au dessous de ces notes vient un commentaire en deux colonnes,
expliquant les passages les plus obscurs et discutant les opinions des éditeurs
antérieurs • .
Le texte du traité est fort corrompu. M. B. l'a corrigé en quelques endroits,
mais surtout par voie de suppression et de transposition. Dans la plupart des
cas nous lui donnerions raison, mais dans d'autres nous avons quelque peine à
saisir ses motifs. Ainsi, I, 4, il supprime ac et numéro, alors qu'il eût mieux
valu, comme les Lagomarsinii, transposer numéro après ac et avant dignum; les
arguments que M. B. donne en note ne sont point suffisants. En général il nous
semble qu'il est trop porté à supprimer uniquement pour éviter une répétition
ou un pléonasme. La fréquence des cas de ce genre dans Quintus ne provien-
drait-elle pas plutôt d'une particularité de son style que d'erreurs de copistes ?
Deux très-jolies corrections se trouvent V, 19 : profecto m omnes pour profecto
HOMiNES, et XI, 41 : in petitione necessariasT, ea enim, là où le ms. de Berlin
avait necessaria; te enim, et où les autres mss. avaient tenté une correction peu
heureuse : Tibi enim, en supprimant le tum qui vient après assentando jecit.. —
Pour les autres textes contenus dans la brochure, nous n'avons pas remarqué de
corrections importantes ; mais nous recommandons le tout à l'attention du public
lettré. Ch. M.
179. — English Reprints.— Nicholas Udall,M. A.,master, in succession, of Eton
Collège and Westminster School. Royster Doister, written probably, aiso represented,
before 1553, carefully edited from the unique copy, now at Eton Collège, by Edward
Arber. London, s Queen sq. Bloomsbury, W. C. 24 Juiy 1869. In- 12, 88 p. —
Prix : 65 cent.
Cette pièce tire son principal intérêt de ce qu'elle est la plus ancienne comédie
du théâtre anglais, ayant été composée un peu avant i J53. C'est du reste une
1. Depuis quelque temps les éditeurs allemands, et M. Bùcheler est du nombre, ont
pris l'habitude d'imprimer en italiques tout ce qui n'est pas de l'auteur qu'ils publient ou
lyo REVUE CRITIQUE
œuvre assez ordinaire. La bêtise du héros, Ralph Roister Doister, et les facéties
de Mathew Merygreeke, qui se joue de lui sous prétexte de l'aider à obtenir la
main de dame Custance, sont médiocrement divertissantes. Toutefois, on ne
perdra pas son temps en la lisant. Les proverbes n'y manquent pas, et il s'y
trouve (acte II, se. 3) une jolie chanson d'un rhythme fortement marqué :
A thing very fitte
For them that hâve witte
On remarquera aussi (p. 50 et $7 de la présente réimpression) un morceau assez
long, une lettre d'amour, qui offre deux sens absolument opposés selon la manière
dont il est ponctué.
Nicholas Udall (ou encore Vuedale, Woddal, Woodall), n'est point un inconnu.
On sait qu'il naquit dans le Hampshire en 1 504 et qu'il mourut à Westminster en
1556. Il fut fellow de Corpus Christi à Oxford, maître à Eton, curé de Braintree
et enfin maître de l'école de Westminster. Les témoignages qu'on a sur lui,
fournis principalement par les Athenae Oxonienses de Wood, sont rapportés dans
une courte notice sur ce personnage que M. Arber a placée en tête de sa réim-
pression de Roister Doister.
Mais Roister Doister et Udall ont été longtemps connus séparément sans qu'on
se fût avisé que celui-ci était l'auteur de celle-là. En effet, par une circonstance
singulière, le seul exemplaire connu de cette comédie, appartenant au collège
d'Eton, est privé de son titre. Aussi la pièce en question avait-elle été réimpri-
mée deux fois déjà (181 8 et 1821), toujours d'après l'exemplaire d'Eton, sans
qu'on en soupçonnât l'auteur. C'est M. P. Collier, très-connu par ses travaux
sur Shakspeare , qui trouva dans un livre fort rare, VArte of Logique de Thomas
Wilson, une citation empruntée à Roister Doister, accompagnée du nom d'Udall '.
Depuis, cette pièce a été deux fois encore réimprimée (1830 et 1847), et, toutes
ces éditions étant devenus rares, elle l'est maintenant pour la cinquième fois dans
la collection des English Reprints.
Cette collection se recommande à tous les amateurs de la littérature anglaise.
Tandis que l'Early English Text Society s'occupe surtout des œuvres du moyen-
âge, les English Reprints consistent principalement en réimpressions d'écrits rares
du xvi* au xviii'' siècle. Les volumes déjà pubhés contiennent : Milton, Areopa-
gitica, 1644; Latimer, The Ploughers, 1549; Gosson, The Schoole of Abuse,
1579; Sidney, An Apologie for Poetrie, 159$; Webbe, Travels, 1590; Selden,
citations d'autres auteurs. Cette innovation est assez malheureuse à notre avis; elle
trouble toutes les habitudes et ne se justifie par aucun avantage pratique. Dans la publi-
cation dont nous rendons compte, la préface (24 pages) et le commentaire sont ainsi
imprimés en italiques, ce qui fatigue singulièrement la vue.
I. Il reste à faire, pour obtenir la date exacte de la Roister Doister, une petite vérifi-
cation. L'ouvrage de Wilson eut trois éditions en 1 550-1, 1552 et 1553. A la page 5,
l'éditeur, M. Arber, dit que la citation en question manque dans l'édition de 1 552, et ne
la trouvant que dans l'édition de 1553, il en conclut naturellement aue la comédie fut
composée « before 1553. » Mais, dans le passage cité p. 8, M. P. Collier déclare positi-
vement avoir fait sa découverte dans la première édition. La limite inférieure devrait donc
être reculée de deux années. Il est donc à regretter que M. Arber n'ait pas vu cette pre-
mière édition, qu'il déclare (p. 5) être un ouvrage rare.
d'histoire et de littérature. 171
Table-Talk, 1689; Ascham, Toxophilus, 1545; Addison, Criticism on Paradise
Lost, 17 12 (extrait du Specîator, on ne voit pas bien l'utilité de cet extrait d'un
ouvrage qui se trouve partout); Lyly, Euphues, 1579; Villiers, The Rehearsal,
i6-j2, Gascoigne, The Steele glas; the Complaynt of Phylomene, 1576; Earle,
Micro-Cosmographie, 1628; Latimer, Sermons before Ed. VI, 1549; Th. More,
Utopia, 1 ^^6; Punerûiam, Ane of EngUsh Poésie, i589;Howell, Instructions for
forreigne Travel, 1640; enfin Udall, RoisterDoister. D'autres volumes sont annoncés
et doivent se suivre à peu de semaines d'intervalle. Ce qui donne à cette collection
un caractère tout nouveau, en Angleterre surtout, ce n'est pas son élégance, ni
même l'exactitude des réimpressions, car les mêmes qualités se trouvent dans bien
des publications antérieures : c'est son extrême bon marché. Tous ces volumes
imprimés sur papier ordinaire, mais cependant fort convenable, se vendent,
selon leur grosseur, six pence ou un shilling. Ce dernier prix ne sera que très-
exceptionnellement dépassé. Pour les bibliophiles, des exemplaires tirés sur
grand papier, sont réservés à un prix triple. Enfin, avantage que n'offrent point
toutes les entreprises de ce genre, chaque volume peut être acquis séparément.
Nous souhaitons bonne chance aux English Reprints, et nous espérons qu'un jour
aussi le goût de notre ancienne littérature sera assez répandu en France pour
qu'une pareille entreprise y puisse être tentée.
n.
180. — Jacob "Wimpheling, sein Leben und seine Schriften. Ein Beitrag zur Ge-
schichte der Humanisten, von D' Paul von Wiskowatoff. Berlin, Mitscher und
Rœstell, 1867. In-8-, 238 p. — Prix : 4 fr. js-
Cet ouvrage, ayant paru il y a plus de deux ans, nous parvient un peu tard
pour en rendre compte d'une manière détaillée, mais comme c'est un travail
consciencieux sur un sujet plein d'intérêt, on nous permettra d'en dire quelques
mots dans la Revue. L'auteur a voulu nous donner la biographie complète et
détaillée du célèbre grammairien Jacques Wimpheling, de l'humaniste qui brille
au premier rang de cette pléiade d'hommes distingués, les Sapidus, les Beatus
Rhenanus, les Bucer, les Wolf, les Spiegel, etc., connus sous le nom générique
de l'École de Sélestadt, et qui contribuèrent tant, quelques-uns sans le vouloir
peut-être, à frayer la route aux réformes du xvi^ siècle. Peu de vies ont été plus
noblement dévouées que la sienne au progrès de l'intelligence et de la morale, à
la lutte contre l'ignorance et la corruption générale de l'époque. Si vers la fin
d'une longue carrière (i 450-1 528) Wimpheling, effrayé du mouvement violent
qui tout autour de lui soulevait les esprits, a paru renier les conséquences légi-
times de l'œuvre de toute sa vie, il ne faut pas trop en vouloir à un vieillard
presque octogénaire, et l'histoire lui doit une place d'honneur à côté des Reuchlin
et des Erasme. Quoique peu connu en France, Wimpheling n'a point manqué
cependant de biographes en Alsace et en Allemagne. Sans compter des ouvrages
plus généraux sur le groupe des humanistes tout entier, comme celui d'Erhard,
on peut mentionner les notices plus ou moins étendues de Rœhrich , Walther et
172 REVUE CRITIQUE r
Schwalb ' ; mais il faut citer en première ligne le volumineux et savant travail de
J. A. Riegger, professeur à l'Université de Fribourg^, Bien qu'il ait près d'un
siècle de date, il reste toujours le plus complet sur la matière. Mais les premiers
d'entre ces travaux sont des thèses universitaires, qui ne sont point dans le
commerce; le dernier est extrêmement rare et de plus il est écrit en latin. On
ne peut donc qu'approuver M. de Wiskowatofï d'en avoir donné dans un volume
de dimensions moyennes, les résultats importants, avec les corrections et addi-
tions exigées par les progrès de la critique moderne. M. de W. est un savant
russe, habitant Berlin et maniant la langue allemande avec une grande facilité ;
c'est à Berlin qu'il a écrit son livre, sans visiter les contrées qui furent plus par-
ticulièrement le théâtre de l'activité de Wimpheling. On s'en aperçoit quelquefois
à certaines erreurs de détail. Ainsi M. de W. écrit çà et là les noms de lieux
d'après des chartes du moyen-âge au lieu d'employer l'orthographe actuelle
(p. ex. Mollisheim pour Molsheim, Salce pour Soultz). Il n'a pas non plus visité
les archives et les bibliothèques d'Alsace où il aurait trouvé sans doute quelques
renseignements nouveaux sur Wimpheling et ses amis. Un des grands mérites
de son ouvrage , c'est l'analyse consciencieuse et détaillée des nombreux écrits
de Wimpheling; on étudie chez lui le célèbre grammairien de Sélestadt d'après
nature et non d'après les jugements d'autrui. Seulement l'auteur n'a pas toujours
eu entre les mains les ouvrages eux-mêmes, devenus excessivement rares sur les
lieux mêmes et probablement introuvables à Bedin ; il a dû se contenter dans
ces cas-là des citations de Riegger, ce qui explique quelques erreurs dans l'in-
dication de certains titres?. Signalons-lui encore quelques autres petits péchés
véniels. Louis XI n'assiégea pas Strasbourg en 1444 (p. 98). Son armée s'arrêta
un instant dans le voisinage de la ville, mais sans l'attaquer. A cette époque il
n'y avait pas non plus de parti français dans la cité; l'auteur avance de cent
cinquante ans. — La lettre de remerciements de Wimpheling au Sénat (p. 104)
ne doit pas se rapporter à la publication de la Germania, parue en i joi, car elle
est du 29 janvier 1523. M. de W. ne doit point avoir eu sous les yeux le pro-
gramme de J.-J. Oberlin qu'il cite à cette occasion, car la date s'y trouve. —
L'humaniste Agricola s'appelait Rodolphe de son prénom et non pas Adolphe
(p. 114). — Pour l'écrit de Wimpheling adressé à l'hermite de Vallombrosa, M. de
W. aurait pu consulter une note de l'ouvrage important de M. Baum sur Bucer
et Capiton, les réformateurs de Strasbourg 4. On désirerait aussi trouver la
bibliographie complète des écrits de Wimpheling, à la fin de l'ouvrage. Mais ce
ne sont là, en définitive, que des fautes de peu d'importance, et qui ne doivent
point rendre injuste pour le mérite sérieux d'un travail, écrit loin des lieux où
1. T. W. Rœhrich, Die schlettstadter Schule, dans la Rtvue de théologie historique
d'IIlgen, Leipzig, 1834. — F. Walther, Histoire de la Reformation et de l'Ecole littéraire
de Sélestadt. Strasb. 1843. — A. Schwalb, Notices sur Wimpheling. Strasb. 185 1.
2. Amoenitates Hterariae Friburgenses (sans nom d'auteur) Ulmae 1776.
3. P. ex. le titre du De conceptu et triplici candore virginis, etc. — Je me souviens avoir
eu entre les mains la plaquette sur les fourberies des Dominicains de Berne en 1 509, à la
bibliothèque du séminaire protestant, mais est-elle bien de Wimpheling.?
4. J. W. Baum, Capilo und Butzer, Strassburg's Reformatoren. Elberfeld, 1860.
d'histoire et de littérature. 173
les conseils et les ressources scientifiques auraient singulièrement facilité la tâche
de l'auteur, et nous aimons mieux terminer par des encouragements sincères à
l'écrivain dont ce travail est sans doute le début littéraire,
Rod. Reuss.
VARIÉTÉS.
La Géographie de la Chanson de Roland*.
M. Tamisey de Larroque, notre collaborateur, a adressé dernièrement à la
Revue de Gascogne une question qui a provoqué une réponse intéressante. Il
demandait qu'on examinât de près, de très-près, la question de savoir si c'est
la Cerdagne ou la Catalogne qui a été le théâtre de la défaite de Roland.
M. Paul Raymond, archiviste du département des Basses-Pyrénées, a
répondu que « le texte même de la Chanson de Roland porte que c'est en
« Navarre qu'a eu lieu le combat. » En effet, Charlemagne pour s'en retourner
en France traverse « les porz de Sizer (éd. MûUer, XLV, 585), LVII, 719 et
CCXIII, 2939 », ou mieux de Cizre. Or, les ports de Cizre (Cisre dans le ms. de
Venise), appelés, comme je l'ai noté ailleurs, portus Ciserei dans le faux Turpin,
Porîae Caesaris dans la Kaiserchronik allemande (voy. Hisî. poét. de Charlemagne,
p. 278), sont identifiés par M. Raymond, de la façon la plus incontestable,
« avec le mot Cize, nom actuel de la partie de la Navarre française qui touche
» à Roncevaux »; il cite des actes, du ix^ au xii^ siècle, où ce pays est appelé
Cycereo, Cirsia, Cisera, Sizara, Cisara, et il rapproche les unes de Port de Cizer,
que lui donne au xii' siècle l'arabe Edrisi (on trouve aussi chez les Arabes Bort-
Schazar). Donc il n'y a aucun doute sur le point des Pyrénées par où l'armée
de Charlemagne avait passé, quand Roland, qui commandait l'arrière-garde et
se trouvait par conséquent à Roncevaux, un peu en arrière des ports de Cizer,
fut attaqué par l'ennemi.
A cette démonstration on peut ajouter bien d'autres preuves. La Chanson de
Roland s'appuie évidemment sur des souvenirs historiques d'une grande préci-
sion et qui ne peuvent être que contemporains des faits. Plusieurs textes men-
tionnent les ports d'Aspe, qui sont situés non loin des ports de Cizer. Dans un
passage précieux (XIV, 196, ss.), qui appellerait une critique et un commen-
taire, Roland rappelle les villes qu'il a conquises pendant les sept ans que les
Français ont combattu en Espagne ; or, malgré la prétention du premier couplet,
d'après lequel Charlemagne aurait conquis toute l'Espagne, son neveu cite
surtout des villes situées entre Roncevaux et Saragosse , ou aux environs de
cette dernière, comme Valterne (Valtierra), Tuele (Tudela), et la terre de Fine,
qui, si je ne me trompe, doit se laisser retrouver dans les environs de ces deux
villes. Balagued (Balaguer) paraît être le point le plus lointain qu'aient atteint
ses armes ; Commibles n'est pas expliqué ^ ; Sezilie doit sans doute être lu Sebilie
1. Voy. Revue de Gascogne, t. X, 1869, p. 332, 365, 379.
2. Le renouvellement de Versailles, ainsi que la traduction islandaise, remplacent Com-
mibles par Merinde Morinde.
174 REVUE CRITIQUE
OU Sevilie, comme l'a conjecturé M. Th. Muller (la traduction islandaise
donne Sibilia, et voy. plus bas) ; mais je ne puis croire qu'il s'agisse ici de
Séville. C'est sans doute quelque ville d'un nom analogue; ce qui est sûr, c'est
que Naples n'est ni Constantinople, comme traduit Génin, ni Grenoble, comme
l'a compris l'un des continuateurs du faux Turpin (voy. Hist. poét. de Charle-
magne, p. 287); cette ville, qui joue un rôle si considérable dans la tradition,
est encore à identifier: — Un grand nombre de ces cités, conquises par Roland,
sont énumérées une seconde fois dans le poème, aux strophes lxii ss., avec
d'autres non encore mentionnées. Les « douze pairs » sarrazins, opposés aux
douze pairs français, sont, avec Aelroth, le neveu de Marsile, Falsaron, son frère,
et Corsablis le roi barbarin , Malprimes de Brigal (Ven. Borgol et Borgal;
Vers. Brigart et Mont Pingal; Par. Murgal; dans l'allemand de Conrad,
Ampregalt), une amirafie de Balaguez (Balaguer, déjà cité), un almacur de Moriane
(ce nom revient comme celui d'un pays montagneux, « es vais de Moriane »
str. CLXxiv, V. 2 3 1 8), Turgis de Turteluse Cil s'agit de Tortosa^ comme le montrent
avec évidence les poèmes du cycle de Guillaume au court nez, où Tortelose revient
souvent), Escremiz de Valterne (Valtierra, déjà cité), Esturgans et Estramariz,
sans désignation de terre, Margariz de Sibilie (« cil tient la terre entrequ'a^c^z
marine, ms. d'Oxford, v, 9 56), — entresque a la marine, ms.de Venise, — de ci en
Samarie, ms. de Versailles, — daz aine (rich) haizet 5/^//m, daz ander Taceria,
trad. de Conrad, — ham rsedhr fyrir thvi landi er Katamaria heitir, trad. islan-
daise), Chernubles de MunigreQ. Muntneigre, Ven. et trad. isl. Valnigre, Vers.
Monînigre; serait-ce la Sierra Morena?'). — Outre ces pays, deux villes sont
mentionnées par les poètes : Cordres, que Charlemagne assiège (V, 71) et prend
(VIII, 97)^ et Gaine (LIV, 662). On explique généralement Cordres par
Cordoue, mais je ne puis admettre cette interprétation : il est clair que la ville
désignée par ce mot est, comme les autres, près des Pyrénées. En effet, Charle-
magne est au siège de Cordres quand Marsile délibère avec ses conseillers
(str. V); Marsile envoie son ambassade qui arrive le même jour, quand la ville
est prise (str. VIII), et il semble que ce soit encore le même jour que Canelon,
après être allé à Sarragosse avec les envoyés de Marsille (str. XXIX), rejoint
Charlemagne dans son camp (LIV, 668). Mais Charlemagne n'est plus devant
Cordres; il « aproismet sun repaire « (LIV, 661), c'est-à-dire, je pense, qu'il
s'est rapproché de France ; il est arrivé à la cité de Gaine, que Roland a prise
et détruite (mais dans un siège antérieur, si je ne me trompe). Sur les nouvelles
que lui apporte Ganelon, il lève le camp et s'achemine vers « douce France «
(LV, 701-2); après un jour de marche, il passe la nuit dans la campagne
(LVII, 717); un matin l'armée se remet en marche (LIX, 737), et arrive devant
les porz e les destreiz passages (LIX, 741), où on désigne Roland pour faire l'ar-
rière-garde; le jour même les Français passent le /JOrt et Virent Guascuigne la terre
lur seignur (LXVII, 819); à peu près au même moment l'arrière-garde, restée
à Roncevaux, entend les grailles des Sarrazins qui viennent l'attaquer par der-
rière (LXXX, 100$). — Après la bataille Charlemagne refait le même chemin
en sens inverse. Appelé par le cor de Roland mourant, il revient à Roncevaux
d'histoire et de littérature. 175
le soir de cette même journée si remplie (CLXXIX, 2398); à deux lieues en
avant, du côté de l'Espagne, on voit encore la poussière des Sarrazins qui se
retirent (CLXXX, 2425-6); les Français se mettent à leur poursuite, mais ils
n'auraient pas le temps de les atteindre, car la nuit tombe, si Dieu ne renou-
velait pour Charles le miracle de Josué : la journée dure encore assez long-
temps pour que les chrétiens, qui ont barré aux païens le chemin de Saragosse
(CLXXXII, 2464), les bloquent contre l'Ebre et les forcent à s'y jeter et à s'y
noyer tous (CLXXXII), 2465 ss.). Il faut convenir que c'est un peu loin; mais
en fait de miracles il n'y faut pas regarder de si près. Les païens morts, Charle-
magne trouve qu'il est bien tard pour retourner à Roncevaux (CLXXXIII,
2483), et les Français, harassés de fatigue, campent sur la terre déserte
(CLXXXIV, 2489). C'est pendant cette même nuit que la flotte immense amenée
à Marsile par Baligant, l'amiral de Babilone, remonte l'Ebre, à la lueur de mille
fanaux (CXCIII, 2643':, et aborde non loin de Saragosse. — Au matin, dès
l'aube, Charles se lève, et les Français retournent par uz veies lunges e cez che-
mins mult larges, voir à Roncevaux « le merveilleux dommage (st.CCVI). » C'est
là que les messagers de Baligant viennent défier Charles, et le soir de la même
journée l'empereur, victorieux, arrive à Saragosse et s'en empare; quand il y
entre. Clerc est la lune, les esteiles flambient (CCLXXII, 3659). — Il retourne
en France le lendemain, sans doute par le même chemin, puisqu'il traverse de
nouveau la Gascogne, et arrive à Bordeaux (CCLXXIII, 3684) et à Blaye
(ib. 3689), d'où il va directement à « sa chapelle d'Aix. » — En somme, dans
tout cela les distances sont évidemment beaucoup trop rapprochées, mais les
données générales doivent être exactes, et toutes, comme on le voit, concor-
dent pour mettre entre Saragosse et la Gascogne le théâtre des événements
chantés par le poème qui, en cela, est parfaitement d'accord avec l'histoire.
Cordres, Gaine, Roncevaux et les ports de Cizse me paraissent situés sur une
ligne oblique qu'on tracerait de Saragosse à la Gascogne ; c'est aussi sur cette
ligne, que se trouve l'endroit appelé Val Charlon, Vallis Caroli dans Turpin, le
Val de Charles dans la Kaizerchronick {Hist. poéî. de Charlemagne, p. 278);
M. Raymond m'apprend que la partie de la Navarre espagnole qui longe le
pays de Cize s'appelle aussi le Val Carlos) et cette dénomination remonte très-
haut ; outre les auteurs mentionnés ci-dessus, on la trouve dans la Chronique
d'Alphonse X au xiii'' siècle (Hist. poét. de Charlemagne, p. 283) et je la remar-
que dans la carte de l'Espagne arabe qui fait partie de VAtlas historique de
Sprunner, et qui est dressé surtout d'après des documents arabes. — Reste-
rait à savoir ce que c'est que Gaine; l'assonance demande un e au lieu de Va;
faut-il lire Valterne (Valtierra), comme le ms. de Venise et la traduction islandaise?
Ce serait possible, mais il est très-possible aussi que les copistes aient substitué
ce nom, déjà mentionné plusieurs fois, à un nom qui ne se trouvait que dans
ce vers.
A cet ensemble de passages qui me paraissent concluants s'en opposent deux :
quand les païens s'avai}cent, en partant de Saragosse, pour surprendre l'arrière-
garde française dans les gorges des Pyrénées, ils chevauchent, dit le poète,
lyô REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
Tere Certeine e les vais e les munz (lxix, 856), et aussitôt après ce vers vient
celui où ils découvrent de loin les « gonfanons » de ceux de France. Or Tere
Certeine paraît bien être la Cerdagne. Y a-t-il eu mélange de traditions diverses ?
est-ce une faute ? le nom de la Cerdagne a-t-il eu peut-être une extension plus
large qu'aujourd'hui? C'est ce qu'il faudrait étudier de près. — Quand Charle-
magne revient en France, il va, comme nous l'avons dit, de Saragosse à Bor-
deaux ; on n'est pas peu étonné de rencontrer sur ce chemin le vers suivant
(ccLxxiii, 3683) : Passent Nerbone par force e par vigur. Le poète_, il est vrai, ne
dit pas expressément que Charles ait repassé par les ports de Cizre, mais il
semble étrange, même en revenant par la Cerdagne, qu'il ait passé par Narbonne.
Et pourquoi passe-t-il cette ville par force e par vigur i' Plusieurs textes, il est vrai,
racontent qu'il la prit en revenant d'Espagne; mais le ms. d'Oxford n'en dit
rien. Je soupçonne ici une interpolation, faite par un scribe qui connaissait ^his-
toire du siège de Narbonne, et qui a peut-être remplacé par Narbone un autre
nom, et, à ce que je croirais, un nom de fleuve (à cause du verbe passer, cf.
V. 3688 : Passet Girunde; de la sorte par force e par vigur s'expliquerait, le pas-
sage d'un fleuve, dans nos vieux poèmes, étant toujours une très-grande affaire),
peut-être le nom de l'Adour.
Toutes ces questions sont d'un haut intérêt. M. Tamizey de Larroque,
dont la curiosité est si générale, mérite des remerciements pour les avoir soule-
vées; M. Raymond en mérite plus encore pour la précieuse réponse qu'il a déjà
fournie. Nous voudrions que les savants de ces contrées suivissent cet exemple
et jetassent sur la géographie de la Chanson de Roland toute la lumière qu'ils sont
seuls en état d'y répandre. Si on savait tout ce qu'il y a d'études à faire dans un
seul texte comme la Chanson de Roland ! Nous commençons à peine à soulever
les voiles qui couvrent notre ancienne poésie, ensevelie depuis tant d'années ; il
ne suffit pas d'admirer sa beauté : il faut connaître son histoire, définir son
caractère et expliquer les nombreux hiéroglyphes qu'elle présente à notre
curiosité. G. P.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
Blumstengel, Leibnitz's ^gyptischer Plan (Leipzig, Lorenz). — Cicéron de
finibus, éd. Madwig (Copenhague, Gyldendal). — Comparetti, Ricerche interne al
libre di Sindibad (Milan, Bernardoni). — Ducange, les Familles d'outremer, p. p. Rey
(Impr. Imp.). — Fortlage, Sechs philosophische Vortraege (léna, Mauke). — Garât,
Origine des Basques (Hachettej. — Germer-Durand, Dictionnaire topographique du
Gard (Impr. Imp.). — D'Haussonville, l'Église romaine et l'Empire (M. Lévy). —
HosACK, Mary, queen of Scoîs (Londres, Blackwood). — La grant Dance macabre des
femmes, p. p. Miot Frochot (Bachelin). — Lebaigue, Dictionnaire latin (Beiin). —
LuMBROSo, Documenti greci (Turin, Stamp. reale). — Montée, la Philosophie de
Secrate (Durand). — Quérard, Brunet et Janet, Supercheries littéraires (Daffin).
— RuTFBEUF, le Miracle de Théophile, p. p. Klint (Upsal, Schultz). — De Sybel,
Histoire de la Révolution française (G. Baillière).
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
ficulté d'accorder l'accent avec la quantité dans la prononciation. — Jebb, sur un
passage d'Andocide (p. 48-54) réponse à M. Rawlinson sur la valeur historique
d'Andocide, surtout dans le passage de Myst. § 106. — Bywater, Sur un dia-
logue perdu d'Aristote (p. 5 5-69). Cherchée démontrer que nous possédons encore
des fragments du Protrepticus dans l'Hortensius de Cicéron et dans Jamblique ;
sa démonstration paraît assez concluante. — Jebb, Notes critiijues sur le Philoctète
(p. 70-81). — BuRN, Les fouilles du Palatin (p. 82-95 ^vec un plan), résumé
des résultats obtenus par ces fouilles en ce qui concerne la restitution du plan
du palais des Césars; ce travail, fait par un témoin oculaire, est d'un
grand intérêt et montre que ces découvertes jetteront une grande lumière sur
maint passage de Tacite, Suétone, Stace, Martial, et d'autres auteurs encore. —
SiDGWiCK, Explication d'un passage du Vh livre de la République de Platon (p. 96-
103). — CoNiNGTON, Explication de quelques passages de Martial (p. 104-1 19), à
propos delà publication de MM. Paley et Stone : Martialis epigrammata selecta
with english notes, Londres, 1868. — Moule, Sur les signes chinois de cas et de
nombre (p. 120-129). — Taylor, Sur une racine hébraïque (p. 130-134). —
Johnson, Sur une prétendue opération financière de César (p. 135-138), concerne
Suétone Jul. 42, César Bell. civ. III, i, et réfute une assertion de Mommsen
(Hist. Rom. V, ch. 1 1). Notes et observations diverses (p. 1 39-160).
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
Barbier de Montault(X.-B.). Épigra-
phie du département de Maine-et-Loire.
In-S", 463 p. Angers (imp. Lachèse,
Belleuvre et Dolbeau).
Bartsch(K.). HerzogErnst. In-8', clxxx-
308 p. Wien (Braumiilier). 16 fr.
Banmann (J. J.). Die Lehren v. Raum.
Zeit iind Mathematik in d. neueren Phi-
losophie nach ihrem ganzen Einfluss dar-
gestellt und beurtheilt. 2. Bd. Leibniz,
Leibniz und Clarke, Berkeley, Hume.
Kurzer Lehrbegriff v. Géométrie. Raum,
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ganze. In-8*, viij-686 p. Berlin (G. Rei-
mer). ,2 fr.
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evesque d'Avranches, publiée et annotée
pour la première fois d'après un ma-
nuscrit conservé par M. A. Seguin, par
V. A. Brunet. In-8", 16 p. Abbeville
(imp. Briez, Paillart et Rataux).
Besson (C). Remarques sur les noms
propres. In-8*, 16 p. Besançon (lib.
jo c.
Marion).
Champion (P.). Industries anciennes et
modernes de l'empire chinois, d'après des
notices traduites du chinois, par M. St.-
Julien, et accompagnées de notices indus-
trielles et scientifiques. In-8*, xv-254 p.
et 13 pi. Paris (lib. E.Lacroix). 6f. 50
Dezeimeris (R.). Note sur l'emplacement
de la villule d'Ausone. In-8', 14 p. et pi.
Bordeaux (imp. Gounouilhou).
Durand (G.). Notes épigraphiques. (^Trois
inscriptions inédites trouvés au Moulin-
Rey à Nîmes. Inscription du château de
Laroque (Gard). Sur deux inscriptions
d'Aramon (Gard). Trois inscriptions
recueillies dans la Vaunage. Trois inscrip-
tions carlovingiennes d Uzès. Mosaïque
trouvée à Nîmes). In-8*, 30 p. Nîmes
(imp. Clavel, Ballivet et C*).
Henriot. Inventaire sommaire des archives
communales antérieures à 1790. Ville de
Rambervillers. In-4*, 140 p. Êpinal (imp.
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Fj~\ 1 T? ri Grammaire des langues romanes. T. I. i'''' partie.
• ^ 1 Ci Z^ Cette traduction autorisée par l'auteur et l'éditeur et
faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à Pégard de la partie française con-
sidérablement augmentée.
L'ouvrage complet se composera de trois ou quatre volumes.
En vente à la librairie A. Durand et Pédone-Laùriel, 9, rue Cujas.
ç, •->« P) j T~v r-p /^ D T T A /T ^^ musica medii aevi novam seriem a
O \-j Iv 1 r 1 yJ Iv LJ iVl Gerbertina alteram collegit nuncque
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Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N" 38 Quatrième année 18 Septembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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i^/\ r rVW r ri ILV>. I IL Cuilloche Bourdelois, publiée
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PERIODIQUES ETRANGERS.
The Athenseum. 7 août.
P. Clément, Madame de Montespan et Louis XIV; Didier. — Calendar of state
Papers, Domestic Séries, of the Reign of Charles the First, 1637-8. Edited by
J. Bruce; Longmans. — Chronica Monasterii S. Albani edited by H. T.
RiLEY, t. III; Longmans. — Coleman, The apostolical and primitive Church
popular in its Government, informai in its Worship; Edinburgh, Black; œuvre de
parti. —The Odyssey of Homer, translated into Blank Verse by G. W. Edington ;
Longmans, 2 vol., très-médiocre. — Th. Richmond, The local Records of Stokton
and its Neighbourhood; Malborough. — G. Bennet, The History of Bandon and
the principal Towns in the West Riding of Coiinty Cork; Cork, Guy. — R. Rey,
Genève et les rives du Léman; cf. Rev. crit. 1868, art. 209. — The Hon. H. E. J,
Stanley, The three Voyages of Vasco da Gama and his Vice-Royalty, from the
Lendas da India of Gaspar Correa. Accompanied by original Documents; printed for
the Hakluyt Society; compte-rendu insignifiant. — A. Hall, Godfrey of Bouillon;
l'auteur de cette communication signale dans le Domesday-book un passage qui
semble se rapporter au chef de la première croisade. — The parallel holiness of
Mounts Zion and Moriah ( 3 •" lettre). — Ch. Beke, Les rois pasteurs. — H. C.
Barlow, Sur trois nouveaux mss. de la Divine comédie, récemment entrés au
musée Britannique. — Ch. L, Hemans, A History of Mediaval Christianity and
sacred art en Italy (900-1 3 50) ; WiUiams and Norgate. — Miscellanea, Recherches
sur l'étymologie de Thames et de Cambridge.
14 août.
Près de la moitié de ce n" est occupée par une revue de l'histoire d'Exeter,
ville o\x se tient cette année le congrès de l'Association Britannique. —
Douglas W. Freshfield, Travels in the Central Caucasus and Bashan; Long-
mans. — The Poems and Prose remains of Arthur Hugh Clough, with a Sélection
from his Letters and a Memoir; edited by his Wife; 2 vol. Macmillan. — Aristo-
phanis Comoediae, tertiis curis recognovit Hubertus Holden ; Cambridge, Deighton,
Bell and C°; article favorable et véritablement critique. — About Rymer and his
Fœdera: compte-rendu de l'introduction de sir Th. Duffus Hardy au premier
volume de son Syllabus of the Documents relating to England and other Kingdoms
contained in the collection known as Rymer's Fœdera. — Lûbke, Geschichte der
Renaissance Frankreichs; cf. Rev. crit., 1869, art. 20. — Nous devons signaler
p. 215, sous la rubrique Philology et p. 218, parmi les Miscellanea, comm^
entièrement dépourvues de méthode, des recherches : 1° sur la signification du
suffixe ander dans Maeander, Scamander, etc.; 2" sur l'origine du nom de
Cambridge.
21 août.
A. J. BooTH, Robert Owen, the founder of Socialism in England; Trûbner.^ —
Baring-Gould, The origin and Development of religions Belief; part I, Heathenism
and Mosaism; Rivingtons. Livre indépendant, mais qui pêche par une informa-
tion insuffisante. — Ch. Rogers, Scotland, Social and Domestic. Memorials of Life
and Manners in Norîh Britain; printed for the Grampian Club. Compilation pleine
de faits intéressants, mais mal ordonnée. — Joyce, The origin and History of
Irish names of places; Dublin, M' Gleshan and Gill. On désirerait être renseigné
sur la valeur de ce livre, mais l'art, est insignifiant. — Les rois pasteurs, par Th.
Campbell, contre le D"" Beke. — Les Évangiles de Lindisfarne et de Rusworth,
critique par le Rev. W. Skeat de l'édition de ces textes publiée il y a plusieurs
années par le Surtees-Society. — Session de l'Association Britannique à Exeter.
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 38 — 18 Septembre — 1869
Sommaire : i8i. Glossaire de Cormac, trad. p. 0' Donovan, p. p. Stokes. —
182. BiicHSENSCHUTZ, les Songes et leur interprétation dans 1 antiquité. — i8j.
VoLKMANN, Synesius de Cyrène. — 184. Sainte Agnès, mystère provençal, p. p.
Bartsch. — 185. Gaullieur, l'Imprimerie à Bordeaux en i486.
181. — Sanas Chormaic. Cormac's Glossary, transiated and annotated by the late
John O' Donovan, LL. D.; edited, with notes and indices, by Whitley Stokes,
LL. D. — Calcutta, printed by 0. T. Cutter for the Irish Archaological and Celtic
Society. 1868, viij-204 p. in-4*. — (Quelques semaines plus tard a paru une feuille de
Further Corrigenda et Further Addenda, paginée ix-xij.)
Nos lecteurs savent déjà que l'illustre celtiste M. Whitley Stokes, retenu
dans l'Inde par des occupations officielles considérables,, y poursuit avec ardeur
ses études de prédilection. Après cette excellente collection d'anciens textes
irlandais qu'il a publiée sous le nom de Goidilica ', voici qu'il publie, également
à Calcutta, la traduction d'un ancien texte irlandais. Si étrange que puisse
paraître la publication d'œuvres irlandaises aux Indes, la surprise est moins
grands quand on se rappelle que les lettres celtiques ont déjà maintes fois fleuri sur une
terre étrangère. Et cela n'est pas d'hier. N'est-ce pas à Milan qu'a été imprimée
en 1 567 la première grammaire galloise, et à Rome en 1677 la première gram-
maire irlandaise .''
Le texte, dont ce nouveau volume nous apporte la traduction, avait été
publié pour la première fois en 1862 par M. Stokes dans son volume intitulé
Three Irish Glossaries. Dans une introduction, considérable par son étendue et
par sa valeur, l'éditeur avait traité toutes les questions qui touchent la composi-
tion de ce glossaire, et avait fait entrer, en les coordonnant, les expliquant et
les commentant, tous les passages du glossaire qui présentent quelque intérêt
pour la philologie, pour l'histoire et pour la mythologie 2, Cette introduction fai-
sait connaître ce qu'il y a de plus important dans le glossaire de Cormac, et le
texte était publié pour la première fois. Une traduction restait pourtant chose
très-désirable. Ce glossaire, bien que modernisé par endroits et accru par des
interpolations, est antérieur au x'' siècle, et il contient des citations de textes
déjà anciens à l'époque de sa composition. Il n'en est que plus précieux, mais
son obscurité s'en accroît davantage, et, comme il ne s'agit pas ici de gloses
ajoutées à un texte latin, on n'a pas pour se guider la ressource de connaître
d'avance le sens.
1. Voir la Revue Critique du 4 mai 1867.
2. Cette introduction prend une autre importance par les digressions philologiques de
'auteur; c'est ainsi qu'il y a inséré un glossaire des mots que l'irlandais a empruntés au
latin, etc.
VIH
12
178 REVUE CRITIQUE
J. O'Donovan promettait depuis longtemps une traduction du glossaire de
Cormac sur lequel il avait le premier appelé l'attention '; il mourut sans avoir
publié cette traduction qu'on trouva dans ses papiers. Bien qu'il ait été peut-être
l'homme de ce siècle qui ait le mieux connu la littérature et l'histoire de l'an-
cienne Irlande, il se défiait sans doute de son œuvre. C'est que la Grammatica
Celtica avait paru; et quoique, bien différent en cela d'O'Curry, O'Donovan
proclamât la grandeur de l'œuvre du savant bavarois ^ et se mît sérieusement à
l'étudier, il sentait qu'il ne s'était pas complètement assimilé le fruit de ces
recherches toutes nouvelles pour lui. C'est un fait que nous constatons, sans
reprocher à O'Donovan de n'être pas sur la fm de sa vie passé maître dans une
science nouvelle pour lui ; O'Donovan a fait assez pour les lettres irlandaises
dans le courant de sa laborieuse existence pour qu'on ne lui marchande pas
l'éloge. Nous le disons d'autant plus volontiers qu'aujourd'hui certaines per-
sonnes affectent en Irlande de nier son mérite et de le mettre au-dessous
d'O'Curry. La répugnance qu'il montrait à publier sa traduction de Cormac
augmente encore notre sympathie pour son caractère 5.
La mort d'O'Donovan trompa la Société archéologique irlandaise qui attendait
toujours de lui une traduction de Cormac. Elle prit alors un excellent parti; elle
envoya le manuscrit d'O'Donovan à M. Stokes. De cette collaboration pour
ainsi dire posthume est sorti le volume que nous annonçons : Voici comment
M. St. s'exprime sur cette collaboration : « La traduction imprimée dans ce
» volume a été faite par O'Donovan bien des années avant sa mort, et semble
» n'avoir jamais été revue par lui après qu'il eut acquis cette connaissance
)) étendue et exacte de l'ancien irlandais qu'il possédait lorsque j'eus l'avantage
» de le connaître et de m'instruire auprès de lui. Dans ce cas, j'ai cru de mon
» devoir d'essayer d'imprimer sa traduction dans la forme qu'elle aurait prise
» s'il avait vécu pour la publier. Mais partout où je me suis permis de faire un
» changement qui affecte matériellement le sens, j'ai donné les paroles d'O'Do-
)) novan soit dans le texte, soit en note. » On devine à ces expressions modestes
que M. St. a refondu la traduction d'O'Donovan.
Dans bien des cas, la connaissance si étendue que M. St. possède de tous les
dialectes celtiques et des autres langues indo-européennes^, lui a permis de
retrouver le sens de mots irlandais depuis longtemps disparus de la langue et
conservés par Cormac dans des citations aujourd'hui obscures. Bien souvent
aussi il donne en note la traduction d'O'Donovan, quand il la trouve faite un
peu trop par divination, et il s'abstient de traduire pour son compte. L'ex-
1. Dans différents articles du Dublin Penny Journal, en 1835.
2. Voir la notice qu'O'Donovan a consacrée à Zeuss dans VUlster Journal of
Archaology, vol. VII.
3. Dans l'ouvrage de M. William Stokes intitulé: The life and labours in Art and Archa-
ologie of George Pétrie (Londres, 1868) est citée une intéressante lettre d'O'Donovan, où
se montrent à plein son honnêteté et son esprit critique. O'Curry est la personne dont le
nom a été dans cette lettre remplacé par un trait.
d'histoire et de littérature. 179
clamation qui lui échappe en un endroit : « Quis Œdipus hsec interpretetur ? »
est un souhait sincère. Le glossaire de Cormac contient malheureusement encore
trop de mots qui feront longtemps le désespoir des celtistes.
Dans cette traduction, M. St. a fait suivre chaque lettre d'articles addition-
nels au glossaire de Cormac qui se trouvent dans le ms. appelé le «Livre Jaune
de Lecan » (Leabhar Buidhe Lecain). Ces articles n'ont certainement pas fait
partie originairement du glossaire de Cormac, puisque les mss. plus anciens ne
les donnent pas; mais ils n'en sont pas moins intéressants, et, comme ils étaient
encore inédits, M. St. a bien fait de les publier en les accompagnant d'une tra-
duction. Les notes de ce volume sont de deux sortes, les unes historiques et
topographiques par O'Donovan, les autres philologiques par M. St.; on trouvera
dans ces dernières maint rapprochement nouveau, mainte étymologie ingénieuse.
Ce qui dans le glossaire de Cormac présente un intérêt général pour la philo-
logie, l'histoire, la mythologie, avait été donné par M. St. dans l'introduction de
1862 que j'ai citée plus haut; cette nouvelle publication s'adresse plus spéciale-
ment aux irlandistes . Ce volume est imprimé avec un luxe qui fait le plus grand
honneur aux presses de Calcutta. M. Stokes l'a accompagné de cette richesse
à^indices qui rendent les recherches si faciles dans ses ouvrages ; et il le termine
par cette touchante épigraphe (je dirais presque épitaphe) en ancien irlandais :
In tris artéinefor lige m'anamcharat A. Rudolf Tomâs Siegfried, inso suas. Littéra-
lement : « La troisième pierre sur la tombe de mon maître, id est, Rodolphe
» Thomas Siegfried, ici même. » Dans la préface de ses Goidilica, M. St. pro-
mettait d'élever un cairn à la mémoire de son maître et ami Siegfried, si préma-
turément enlevé aux études celtiques. La première pierre a été le volume appelé
Goidilica, la seconde les Miscellanea Celtica de Siegfried '. L'ardeur que M. St.
porte au travail nous présage que les pierres s'accumuleront bientôt en monceau.
Il nous a promis une édition de la Festologie d'Aengus; on va probablement,
comme on lui a envoyé le manuscrit d'O'Donovan, lui envoyer le manuscrit de
la seconde partie du Liber Hymnorum, laissé par M. Todd, que les études irian-
daises ont perdu il y a quelques mois. A voir l'activité si féconde dont M. Stokes
fait preuve au fond des Indes, on est tenté de se dire que ce n'est pas lui qui
vit loin de nous, mais bien nous qui sommes exilés loin de lui.
H. Gaidoz.
182. — Traum und Traumdeutung îm Alterthume, vonB. Buchsenschutz.
Berlin, Calvary, 1868. In-8*, 94 p. — Prix : 2 fr. 75.
Cet ouvrage publié par M. B. Buchsenschutz est un résumé sommaire de ce
que l'on trouve chez les anciens relativement à l'explication physiologique de
1. Les Miscellanea Celtica de Siegfried, recueillis et publiés par M. Stokes, ont été par-
tiellement publiés dans les Beitrage zur vergleichenden Sprachforschung (VI, 1). Ils avaient
déjà été donnés au complet dans les Transactions of the Philological Society de Londres
pour 1867. Il a été fait de l'édition anglaise un tirage à part qui forme une brochure de
SJ p. m-8'.
l8o REVUE CRITIQUE
l'état de rêve, et à l'art d'interpréter les songes. Le sujet est des plus intéres-
sants, comme tout ce qui tient à l'histoire des erreurs et des superstitions hu-
maines. Il est curieux de voir de grands esprits, comme Aristote, ne pouvoir se
soustraire à l'empire de préjugés généralement répandus et chercher un fonde-
ment de vérité à la di\rtnation au moyen de songes. Le travail de M. B. n'est
pas dépourvu d'intérêt. Mais il est trop court, il entre trop peu dans le détail,
et pour être pleinement instructif il devait suivre cette superstition jusqu'à nos
jours. Z.
183. — Synesius von Cyrene. Eine biographische Charakteristik aus den letzten
Zeiten des untergehenden Hellenismus von D' Richard Volkmann. Berlin, Ebeling et
Plahn, 1869. In-8*, vij et 258 p. — Prix : 7 fr. 25.
M. Richard Volkmann, en retraçant la vie de Synesius, a voulu en même
temps peindre l'état politique, moral et religieux de la Société payenne grecque
à la fin du iv" siècle. Un travail biographique très-étendu sur Synesius a été déjà
publié par M. Druon '. M. V. fait cas de la partie de cet ouvrage où Synesius est
apprécié au point de vue littéraire, et loue en particulier ce que l'auteur dit des
lettres de Synesius. Mais la partie historique lui semble laisser à désirer, parce
que M. Druon n'a pas connu une dissertation de Clausen *, oii il y a un essai
dans l'ensemble heureux pour déterminer la chronologie des lettres,
M. V. a peu insisté sur la philosophie et l'éloquence de Synesius. Il ne parle
pas de ses connaissances scientifiques. Il y avait pourtant là bien des points qui
méritaient d'être approfondis. Le style et la langue de Synesius pouvaient faire
l'objet d'une étude intéressante, nécessaire même, parce que le texte de Synesius
est en fort mauvais état, et souvent ne peut être entendu comme il nous est par-
venu dans l'édition complète de Pétau 3, et dans l'édition des Discours et Ho-
mélies publiée par Krabinger^. Aussi la partie philologique est-elle le côté faible
du travail de M. V. Il a eu parfois le tort de vouloir traduire des passages gâtés,
peut-être irrémédiablement. Ces altérations remontent sans doute à un temps
voisin de celui de Synesius. Synesius, qui était grand amateur de livres, nous dit
(D/o/j,p. 59 D) qu'il n'avait pas d'exemplaires corrects de Dion Chrysostome,
qui ne lui était antérieur que de près de 250 ans, non plus que des autres ora-
teurs. Il ajoute pour se justifier (car on lui en faisait un reproche), que c'est à
dessein qu'il ne les corrige pas, pour exercer l'intelligence de son fils par la res-
titution des textes fautifs. Il prétend que c'était un exercice recommandé par
Pythagore (jbid., p. 60 A, 61 B), et qu'il n'est pas si difficile de rétablir une
lettre, une syllabe, un mot et même une phrase tout entière (p. 6î B). Cela ne
me paraît pas facile dans Synesius lui-même. Je prendrai pour exemples des
textes cités et traduits par M. Volkmann.
1. Etudes sur la vie et les œuvres de Synesius, Paris, Durand, 1859, in-8".
2. De Sjnesio philosopho Libyae Pentapokos metropolita, Hafniae, 183 1.
3. Publiée en 1633, in-f% réimprimée dans la collection Migne Patrologia Graca,
t LXVI.
4. Synesii Cyrenaei orationes et homiliarum fragmenta. Landishuti. 1850.
d'histoire et de littérature. i8i
Dion, p. 48 A. Synésius accorde que certains moines d'Egypte peuvent arri-
ver, comme les philosophes, à l'unification complète de l'âme avec la divinité, à
l'extase; mais ils y arrivent sans méthode. Ils y sautent plutôt qu'ils n'y courent;
ils n'y atteignent pas en exerçant l'activité de leur raison, mais par des
impressions purement passives. Synésius développe cette pensée dans une
longue période que la ponctuation vicieuse des éditions rend inintelligible :
à)A' êoixî yàp tô xar' aÙTO-J; rpàYjia ^oxyiict xai a/[xa-i (xavtKw 5r^ Tivt xas 6îoçopr,Tw, xai
rè (11^ ôpajjLovra; sU 'ô éeT^oiTov r,x£tv xaî ^r, xa-ïà XÔYOv evepyVidavTa^ si; to sTcéxsiva io^ou
yevEcôat. ôuSè yàp Icriv olov ÈTrKJxacîa ttj; yvm(7cw;, rj Gte?o5o;vov, ■zà Xp^l^''* "^ô Ispov, oySè
olov â),),o £v âXXw' àXX'<î)ç [iixpûi (isïl^ov Sixàdat, xaôàirîp Api(JTOT£>,r,î à|io: toù; Tî),oyjx£vouî
oO [xa9îîv Ti Sîïv , à/Xà Traôîïv xat SiaTcô^vai , yevo{1£Vouç StiXovoti î'-'.Tr,o = 'Ov;.
Pour rétablir le sens il suffit de mettre entre parenthèses la proposition
ûOoè yàp... â).),w ; à).).' ... ysvofXî'vo'j; STTiTr.oEÎo-j; est OppOSé à fxrj... âvcpyr,7avTa; et Se
rapporte au sujet de y^vs-reat. On a ainsi : « Il y a dans leur fait une sorte d'en-
» thousiasme et de transport, ainsi que dans cette manière d'arriver au but sans
» courir, et quand pour aller au-delà de la raison (car la chose sacrée, l'unifî-
» cation de l'âme avec la divinité, l'extase n'est pas comme un état de l'àme
» qui s'arrête sur ce qu'elle étudie ou qui parcourt la chaîne d'un raisonnement,'
n ni comme une chose différente de celle où elle se trouve), quand, dis-je, pour
» aller au-delà de la raison, au lieu d'exercer leur raison, ils deviennent aptes
» à cette chose sacrée (pour comparer une grande chose à une petite), de la
» manière dont Aristote dit ^ que doivent se préparer ceux qui se font initier;
» c'est-à-dire sans étudier, mais en recevant des impressions et en se compor-
» tant passivement ?. T) — P. 52 B oO yap èttîv f, à)r,9îta ^rpày^ia IxxEtfjLcvov o-Jcè
xaTagcgXr,|xévov ojcè Gr.pa ).r,TCTôv. C'est sans doute par inadvertance que M. V.
(p. I jo) a adopté et traduit la leçon 6r,pa qui ne peut donner de sens satisfai-
sant : « La vérité n'est pas chose commune, vulgaire, qui puisse se prendre à la
» chasse. » Wyttenbach a très-bien corrigé earfpa v qui puisse se prendre de
» Vautre main», c'est-à-dire de la main gauche, proprement, sans se donner de
peine. — Lettre 74. Cette courte lettre à Pylaemène est une lettre d'envoi
qui était placée en tête de VEncomium calvitiei; elle est ainsi conçue :
'EîTcfi'ià (701 Tov Àoyov 'ÂTTtxo'jpy^ tt;; àxptfSoù; êpyairia;, 8v âv fxèv èizon^écrçi IlyXatiiÉvr.î r,
xptTixwTaTT, Twv àxocùv, a-jTo Toy-o Tîj cta5o/9j Toy yçiôvov crJvéaTr.cîv cl Se |ir,cèv çavïÎTat
1. Piotin (cf. Zeiler, Phil. dcr Gr., III, 2, 549) disait que la pensée est une sorte de
mouvement, et que dans l'extase l'âme est immobile.
2. Je ne me rappelle pas avoir rien lu de semblable dans les écrits d'Aristote qui nous
sont parvenus ; et je ne trouve pas cette pensée dans la collection des fragments d'Aris-
tote rassemblés par M. V. Rose {AnstoteUs pseudepigraphus).
5. Il faut aussi modifier la ponctuation dans une phrase du de insomniis , p. 145 A,
citée par M. V. (p. 144). Je lirais : irpo; ow tw (txétXiov elvai (ruyxyTtxstv £i; fà Toiâoe,
w; S' (comme dans le manuscrit Coislin., 249) êywyc 7r£i9o{iai, xai àTtT;x9r,{iivov Ocw (-rà
yàp ... à-t[iwpr,Tov), rpà; ouv x.-r.é. H me parait indispensable d'ajouter 8 "avec le Coislin.
249, car cette proposition incidente se rapporte évidemment à ce qui suit et non à ce
qui précède : on pouvait contester que la magie fût odieuse à la divinité ; mais il était
certain qu'elle exposait ceux qui l'exerçaient à beaucoup de misères.
l82 REVUE CRITIQUE
cTTouSaïov, l|£(TTi Si^TTou TTaiÇsiv ta îraiYvia. Je ne puis admettre avec M. V. (p. i6j)
que les mots Tri?... èp^ada; puissent être une glose de 'Attixovipyy); car pourquoi
seraient-ils au génitif ? Je crois qu'ils sont hors de leur place et doivent être
transposés après iiKxwia^, avec lequel ils se construisent très-bien. — Lettre 135.
Synésius peint la décadence d'Athènes qui laisse à l'Egypte la gloire de la philo-
sophie. C'est l'Egypte qui nourrit les semences déposées par Hypatie :
al 6è 'AO^vai TràXai \ùv ^v i\ noXiç i<77i(x (joyâiv • xà 8è vûv ïy^ov ffspivuvouCTtv aùxà; ol
{leXtTTOupYoï. Taux' âpa xal ii Çuvwpiç xwv ctoçûv nXouxapxefwv , oïtiveç oO t^
çTQjAiO Twv Xoywv àysipo'jcnv èv toï; Geà-rpo'.; toùç véouç, à).).à TOt; è| rEAriTtoù (7Ta(jLvioii;.
Il me paraît impossible de tirer un sens satisfaisant de cette dernière phrase, qui
d'ailleurs ne peut pas se construire. Petau traduit : Quibus par illud sapientum
» Plutarcheorum adjice, qui non orationum suarum fama juvenes in theatris
» congregant, sed mellis ex Hymetto amphoris. » M. V. (p. 99), qui entend par
ce couple de sages Plutarque et Syrianus, traduit : « c'est pourquoi même le sage
» Plutarque et son compagnon rassemblent, etc. » Il ne rend pas oï-nveç-, et en
faisant remarquer que la fin est obscure, il pense que Synésius veut dire que
Plutarque resterait sans auditeurs, s'il ne venait pas par hasard à Athènes quel-
ques jeunes gens pour acheter du miel. Je crois que le texte est mutilé, et qu'il
manque quelque chose avant oïxwe; et après alla. Voici ce que je suppléerais
quant au sens: «C'est pourquoi le sage Plutarque et son compagnon eux-mêmes
» attirent moins de monde que tel et tel éleveur d'abeilles qui rassemblent non des
)) jeunes gens dans les théâtres par la renommée de leur éloquence, mais des
» marchands sur la place publique par les cruches de miel de l'Hymette. » —
Lettre 155, p. 292 A. Il dit que dans son Dion Yéyove Trîaxt; uçepTtouffa xà Cnrxià<7av
ôti^YTiixa. Petau traduit exactement par « supina narratio probatione suffulta est. »
Le mot OTTTiàCeiv est un terme technique de rhétorique qui s'applique à une ma-
nière d'écrire et de composer qui n'est pas serrée, où il y a du laisser-aller, de
l'abandon. Je doute qu'il soit bien rendu par «dieetwaserlahmende Erzaehlung»
(p. 148). Dans la même phrase xo Si' àllo yev6(jlevov est tout-à-fait gâté et intra-
duisible ; « das eine das andere vorbereitet und bedingt (l'un prépare l'autre) «,
ne peut passer pour une traduction de ces mots.
La partie historique du travail de M. V., qui en est d'ailleurs la principale,
est traitée d'une manière attachante. Il peint le despotisme oriental de la cour
de Byzance; l'état misérable des provinces abandonnées à la rapacité des gou-
verneurs-pachas qui les rançonnaient sans les défendre contre les ravages et les
invasions des barbares voisins ; la place considérable occupée dans cette société
déchue par les évêques, seul refuge des opprimés contre les abus de pouvoir ;
l'importance que les populations qui nommaient elles-mêmes leurs pasteurs atta-
chaient à choisir des hommes qui pussent les protéger par leur caractère et par
leur crédit : ce qui explique comment Synésius fut nommé et confirmé évêque de
Ptolemaïs, quoique dans une lettre pleine d'une noble franchise (Lettre 105)1!
eût déclaré d'avance qu'il continuerait à avoir commerce avec sa femme, qu'il
ne pourrait jamais admettre ni que l'âme fut née après le corps, ni que le monde
d'histoire et de littérature. 185
dût périr entièrement, ni qu'il dût y avoir de résurrection comme le vulgaire
l'entend, enfin qu'il ferait de la philosophie chez lui et de la mythologie devant
le peuple, -rà jùv oTxoi ç0.o(To?â)v, Ta 5'é^w çt),oii.u6c5v. M. Volkmann entre dans de
grands détails, d'après les Lettres et les Discours de Synésius lui-même , sur la
cour d'Arcadius, la révolte de Gainas, la situation de la Pentapole et l'adminis-
tration épiscopale de Synésius. Les faits sont bien choisis, disposés avec clarté,
et présentés avec intérêt.
Charles Thurot.
184. — Sancta Agnes. Provenzalisches geistliches Schauspiel, herausgegeben von Karl
Bartsch. Berlin, Weber, 1869. Pet. in-8*, xxxii-76 p.
Cette publication est le premier fruit d'un voyage en Italie que M. Bartsch a
fait l'hiver dernier. Considéré à un point de vue purement artistique, le mystère
de sainte Agnès a peu de valeur. La légende latine (Bo//., Jan. II, 7 1 5) est suivie
avec une fidélité qui ne laisse aucun essor à l'imagination; le dialogue, par lequel
certains de nos mystères, celui de la Passion notamment, rachètent bien des
faiblesses, est ici constamment froid et sans nuances; l'action enfin, qui consiste
en une série de conversions instantanées faites à coups de miracles, est encore
plus insupportable, mise en scène, que dans le récit original.
Mais, envisagé comme document de l'histoire littéraire, ce même mystère offre
un intérêt considérable. Il est dans la littérature provençale le représentant
presque unique du genre auquel il appartient, car, ainsi que M. Bartsch le fait
justement remarquer, le mystère des Vierges sages et des Vierges folles, bien
qu'il nous ait été conservé dans un ms. exécuté en pays de langue d'oc (à Saint-
Martial de Limoges), appartient cependant plutôt à la langue d'oïl; et d'autre
part, le Ludus Sancti Jacobi, jusqu'à ce jour le seul mystère provençal connu, est
écrit dans une langue qui est déjà à peu près le provençal moderne. Sainte Agnès,
au contraire, est datée, par les formes du langage comme par le ms. qui l'a con-
servée, du XIV* siècle.
Il est donc certain que le Midi de la France a connu la poésie dramatique
religieuse. Ce genre de composition s'y est-il développé spontanément, ou a-t-il
été importé de France, c'est ce qu'on ne peut guère déterminer à l'aide de deux
spécimens seulement. Notons toutefois que Sainte Agnès et Saint Jacques, fort
différents à divers égards, ont cependant un caractère commun, celui d'être fort
courts. Par là ils se rapprochent des anciens mystères français du xiii^ ou du
xiv' siècle ' , et se distinguent nettement de ces immenses compositions du
xv^ siècle dont Cromwell n'a pas dépassé l'étendue.
Faut-il croire que les représentations dramatiques aient été aussi fréquentes
au Midi qu'au Nord de la France, et doit-on attribuer la perte presque complète
des drames en langue d'oc aux circonstances générales qui ont été si funestes à
I. Notamment de ceux qui sont contenus dans les mss. 819 et 820 du Fonds français
de la Bibl. imp. et dont un grand nombre ont été publiés par MM, Monmerqué et Fr.
Michel dans leur Théâtre français au moyen-âge.
184 REVUE CRITIQUE
la conservation des monuments de la littérature provençale ? Je ne le pense pas.
Les représentations dramatiques ne pouvaient guère avoir lieu sans que les communes
s'y intéressassent soit par une subvention donnée aux auteurs et acteurs, soit en
prenant à leur charge les frais qu'entraînaient la construction des échafauds, la
décoration, etc. Voilà comment les Archives communales nous ont conservé la
mention d'un grand nombre de jeux, de mystères, qui présentement ne se
retrouvent plus dans nos bibliothèques, ni imprimés, ni manuscrits'. Or il est
remarquable que les archives des villes méridionales, si nombreuses pourtant et
en général si riches pour le xiv^ siècle et le xv% n'aient fourni jusqu'à présent, à
ma connaissance du moins, aucune mention de ce genre*. Il en doit exister
pourtant, puisque deux mystères sont là pour prouver l'existence du genre, mais
elles doivent être fort rares. Il serait à désirer que l'attention des archivistes du
Midi fût attirée sur ce point?.
Par un autre côté encore le jeu de sainte Agnès offre un intérêt que M. B. a
bien su mettre en lumière. Il contient plusieurs morceaux de chant dont chacun
est précédé d'une rubrique indiquant l'air sur lequel il doit être chanté. Et cet
air est désigné, non pas toujours malheureusement, mais du moins dans la plu-
part des cas, comme dans nos vaudevilles, par le renvoi à une pièce connue.
Deux de ces pièces-types sont latines, les autres, au nombre de dix, sont pro-
vençales. Les deux pièces latines sont le Veni Creator (\\§,nQ 1040), et le chant
Si quis cordis etoculi(\.G<^<Ç). Cettedernièrepoésie,queM.B.n'apuidentifier,nela
rencontrant pas dans les recueils qu'il avait à sa disposition, est un débat entre
le cœur et l'œil qui paraît avoir été très-goûté en Angleterre, car M. Th. Wright
qui l'a publié (Latin poems commonly attributed to W. Mapes, p. 93), n'en cite pas
moins de sept copies. Depuis je l'ai retrouvé dans un ms. d'origine française4.
Il est intéressant d'avoir la preuve qu'elle a été répandue aussi dans le Midi.
Des dix pièces provençales, trois sont très-connues. Ce sont l'admirable aubade
de G, de Borneil : Reis glorios, verais lums e clardatz (1. 492); le chant de Guil-
laume de Poitiers partant pour la croisade : Pois de cantar ni' es près talensQ. 1 1 1 2)
et enfm (1. 1419) le trope de saint Etienne qui fut si répandu dans tout le Midi
depuis le xiii^ ou le xiv^ siècle jusqu'au xvIII^ Les sept autres pièces dont le jeu
de sainte Agnès nous a conservé le premier ou les deux premiers vers, nous sont
d'ailleurs entièrement inconnues. Leur perte est d'autant plus regrettable que
plusieurs paraissent, selon la juste remarque de M. B., avoir eu le caractère
1 . Et par exemple la mention d'un mystère français de sainte Agnès qui fut repré-
senté à Compiègne en 145 1. Bibl. de l'Éc. des Ch., s, IV, 499.
2. Je crois pouvoir affirmer que les Archives de Tarascon, qui permettent de suivre
jour par jour l'histoire de la ville à partir de 1370, n'en contiennent pas une seule, encore
bien que la mention de dépenses faites pour des réjouissances publiques y soit fréquente,
3 . Ceci était écrit lorsque j'ai trouvé dans l'inventaire des Archives de Grasse la mention
d'un « don de dix écus aux joueurs de l'histoire de sainte Marie Magdeleine. » Cette
mention est comprise dans un registre (BB 8) qui contient les délibérations du conseil
de la commune de 1595 à 1606. La date précise se trouve nécessairement dans le registre,
mais les règlements administratifs conformément auxquels cet inventaire a été rédigé s'oppo-
saient à ce qu'on la donnât!
4. Brit. Mus., Egerton 274 fol. 24 V {Arch. des Missions, 2' série, III, 283).
d'histoire et de littérature. 185
populaire. La curiosité est vivement piquée par une chanson qui commence
ainsi : Vein aura douza, que yens d'outra la mar (I. 1061), et plus encore par
celle dont les premiers vers sont : El bosc clar ai vist al palais Amfos, 'î\ A la
fenestra de lapins auîa îor (1. 520). A ce propos, je dois dire que le premier de
ces deux vers doit la forme sous laquelle je viens de le transcrire à une très-
forte correction de l'éditeur. Cette correction est ingénieuse sans doute, mais
d'abord elle donne un sens médiocre : clar est une épithète bizarre, appliquée à
bosc; puis a/ />a/<2« est difficilement admissible ; il faudrait e/ fij/aw. Enfin, elle
supprime ou traite de la façon la plus arbitraire plusieurs lettres de la leçon du
ms. Le ras, porte en effet el bosc clar deua uisî aï palasih amfos; ce qui, bien vu,
se rétablit ainsi tout seul : el bosc d'Ardena ' justal palaish Amfos. Il est vraiment
provoquant de ne rien savoir de plus sur cet Alphonse qui avait un palais dans la
forêt d'Ardenne, forêt qui tient une grande place dans la poésie du Midi comme
dans celle du Nord, dans Girart de Rossilho comme dans Renautde Montauban.
Revenons pour un instant aux trois pièces provençales connues d'ailleurs
d'après lesquelles l'auteur du jeu a composé trois de ses morceaux de chant. Il
est remarquable, comme le dit M. B., qu'un chant du comte de Poitiers, composé
au temps de la première croisade, soit resté assez longtemps populaire pour être
cité au commencement du xiv* siècle comme un air connu. Cela est d'autant
plus surprenant que les pièces de Guillaume IX nous ont été conser\-ées par un,
deux, trois mss., jamais plus 2. On pourrait presque faire la même obser\'ation
au sujet de l'aubade de G. de Bomeil, pièce admirable sans doute, mais qui néan-
moins ne semble pas avoir été très-répandue, puisqu'on ne la trouve que dans
quatre chansonniers î. M. B. s'est beaucoup étendu dans sa préface (p. xx-xxiij) sur
i'épitre farcie (proprement letrope^ de saint Etienne, et les développements dans
lesquels il est entré ont manifestement pour but de défendre contre la Revue critique
(1868, II, 20) l'antiquité de ce chant. Les faits sont ceux-ci : la pièce en question
a été jusqu'ici reconnue dans sept livres manuscrits ou imprimés, dont le plus
ancien remonterait, dit-on, au xiii^ siècle*; la langue et la versification ne pré-
sentent rien qui exclue le xiii* siècle; dans ces circonstances est-il légitime de
placer, comme l'a fait M. B. dans sa Chrestomathie, le trope de saint Etienne au
XI'' siècle? Aussi M. B. n'est-il plus si affirmatif. Il remarque que le jeu de sainte
Agnès constate la popularité de cette pièce dès le commencement du xiv^ siècle,
et que par conséquent il doit dater au moins du xiii=; ce que personne ne
conteste s , seulement le témoignage du jeu ne nous apprend rien que nous ne
1 . Tous les paléographes savent que d et le groupe cl se prennent facilement l'un pour
l'autre.
2. Naturellement je ne compte que pour un les deux mss. 8 54 et 12475, qui sont deux
copies d'un même original. La pièce imitée dans SainU Agnes se trouve dans trois mss.
3. 856 f. 30, L.-V. 14 f. 8 d, !749 f. 56, Laur. 42 f. 19.
4. Selon Jaime de Villanueva cité par D. M. Milâ y Fontanals, Trovadores en Espana,
p. 466, note. L'opinion du premier de ces savants ne fait point autorité en matière de paléo-
graphie, et le court passage cité par M. Milâ paraît plutôt être du catalan du XIV* siècle.
Cette nouvelle source pour notre trope est à ajouter à celles que j'ai indiquées Rev. des
Soc. sav., 4* série, V, 298-9.
j. J'ai dit dans la Revue des Sociétés savantes, 4* série, V, 299 (1867) : t La langue,
l86 REVUE CRITIQUE
sachions déjà, car l'un des textes du trope, étant daté de 1318, est probable-
ment aussi ancien, sinon plus, que sainte Agnès, sans parler du ms. qui daterait,
au rapport de Villanueva, du xiii^ siècle '. — M. B. va plus loin et s'appuie sur
l'existence d'un trope français remontant au commencement du xii^ siècle. Qu'est-
ce que cela prouve pour le texte provençal qui nous occupe ? Nous avons en
français deux tropes de saint Etienne, l'un du xii^ siècle (celui qu'invoque M. B.)
et l'autre du XIII^ Il se peut fort bien que parallèlement le Midi en ait eu deux
aussi ; mais en ce cas le premier s'est perdu, comme aurait bien pu se perdre l'ancien
trope français dont il n'existe qu'un ms. » M. B. se fonde encore sur la forme
des couplets , qui est ancienne , et il s'attache à montrer que les infinitifs en ier
(au lieu de af) se rencontrent déjà à une époque ancienne en provençal. J'admets
le premier point, et même, quoique non sans réserves, le second qui s'appuie sur
Girart de Rossilho et sur la première partie du poème de la Croisade, mais assu-
rément les inf. en ier sont moins rares au xiii^ siècle qu'avant, et la disposition
strophique du trope s'accommode très-bien de la fin du xii" siècle ou même du
xIll^ Et enfin j'ai déjà signalé dans l'article précité le parfait composé van menar
qui n'est certainement pas du xf siècle.
Venons-en à la constitution du texte. Le ms. est du commencement du
xiv* siècle, et sans doute aussi le poème. Il a été exécuté en Provence, ce que
montrent tant les caractères du dialecte que la description du ms. donnée par
M. B. 3, et il est à présumer que le jeu lui-même a été comme le Ludus S. Jacobi,
composé dans la même province. Car à cette époque tardive de la littérature
provençale, les œuvres littéraires n'avaient pas une large circulation, et il est
» autant qu'on peut la rétablir par les rimes, accuse le XIII" siècle, sinon le XII*. »
1. C'est de même que le témoignage de J. deNostre Dame, cité p. xx, note, par M. B.
ne nous apprend rien de nouveau sur l'usage du trope en question, puisque nous savons
d'ailleurs qu'on le chantait en 1318, c'est-à-dire plus de deux siècles avant Nostre Dame,
et à la fin du XVII' siècle, plus de cent ans après sa mort.
2. A Tours, M. G. Paris l'a publié dans le t. IV du Jahrbuchf. enghscheu. romanische
Literatur.
3 . Je reproduis en partie, avec quelques observations, la description purement diploma-
tique donnée par M. Bartsch :
r — F. 1 . Concilium per dominum Rostagnum, divina providencia Aralatensem archi-
episcopum secundum, apud Insulam celebratum.
2* — F. 3. Concilium domini Johannis, celebratum anno Domini M.CCXXXIIII, vj
idus Julii,
3* — F. 5. Concilium secundum dicti domini Johannis.
4' _ F. 6. Concilium primum per dominum B. Maleferrati condam archiepiscopum
Arelatensem celebratum.
5* — F. 7. Concilium domini Florentini.
6* — F. 14. Concilium celebratum per dominum Bertrandum archiepiscopum Arela-
tensem, postea episcopum Sabinensem.
■j' _ F. ic). Concilium domini Bertrandi Amalrici archiepiscopum (sic) Arelatensem,
Le plus récent de ces conciles est celui de l'Isle en Venaissin dont les actes sont trans-
crits en premier lieu. Il eut lieu en 1288. La manière dont est conçue la rubrique semble
indiquer qu'au moment où elle fut écrite l'archevêque Rostan vivait encore. Il mourut
en 1303. — Le concile tenu par Bertran Amalric (n* 7) est de 1282. — Il est à noter
qu'ici l'archevêque « B. Maleferrati » (n* 4) est clairement distingué de Bertrand qui fut
évèque de Sabine à partir de 1273 fn' 6). Le Gallia ckristiana (I, 571 D), à tort ou à
raison, confond ces deux personnages en un seul.
d'histoire et de littérature. 187
toujours légitime, jusqu'à preuve contraire, de considérer l'œuvre comme origi-
naire du pays où a été faite la copie. Dans ces conditions le travail de l'éditeur
devait consister à reproduire avec une entière fidélité l'écriture (= spelling) du
ms., sauf à corriger les fautes contre le sens ou la mesure. C'est un soin dont
M. B. s'est acquitté avec un scrupule dont les notes nombreuses qui remplissent
les dernières pages du volume, rendent le témoignage le plus satisfaisant. Sur un
point ou deux seulement, je crois que M. B. aurait pu demeurer plus fidèle encore
à la leçon du ms. Il est très-vrai, comme il le dit dans la note sur la ligne 86,
que dans ce ms. l'abréviation qui signifie ordinairement n (un trait horizontal)
se rencontre fréquemment en des mots où rien n'est à suppléer (ainsi 1. 86
îostêms)', et j'ai eu récemment moi-même l'occasion de constater un fait analogue
dans un ms. également exécuté en Provence; mais il ne faudrait pas négliger
cette abréviation dans les cas où les habitudes de la langue permettent de la
compter pour valable. Ainsi j'aurais laissé subsister, 1. 1002 ben (le ms. ayant
bë) encore que la rime correspondante, fe, ne puisse recevoir l'/z. Il est certain
qu'en Provence Vn final non protégé par une dentale subsistait (dans bon, ben,
non, joven de juvenis, etc.), puisqu'il est encore conservé maintenant, et il est
d'ailleurs prouvé que cet n n'empêchait pas la rime avec des mots qui en étaient
dépourvus ' . Dès l'instant qu'on le laisse subsister dans l'intérieur des vers, il
n'est pas légitime de le supprimer à la fin. C'est pourquoi je conserverais encore
bon (ainsi écrit dans le ms.) à la 1. i8i . — L. ^74. M. B. a été bien tenté (voir
sa note) de supprimer Vn de gens, parce que la forme la plus ordinaire est en
effet ges, mais d'abord Vn est ici étymologique puisque ce mot vient de genus *,
et de plus gens se dit encore maintenant dans certaines parties de la Provence.
— L'antipathie de M. B. pour Vn l'a conduit à supprimer, contre toute raison,
cette lettre dans îernz (601), tern (6?o, 1027) et à écrire partout terz. Mais îernz,
tern (ternus), existe indépendemment de terz (tertius'), voir Raynouard, Lex. rom.
V, 41 1. — M. B. a du reste étudié avec beaucoup de sagacité les formes dia-
lectales que présente le texte de sainte Agnès, et il y aurait bien peu à ajouter à
ses remarques. Peut-être aurais-je considéré comme une particularité dialectale,
propre au copiste plutôt qu'à l'auteur, mais non comme une faute, la substitu-
tion de s à / dans l'article :
singulier.
Masc. Fém.
Sujet ce, zt (pour /«) 456, 1205 ; à, si (pour la) 570% 93 1, 1459.
Rég. so (pour lo) 458; sa (pour la) 425, 567, 1204*, 1235.
1 . Voy. Blhl. de l'Éc. des Ch., 6, V, 266-7.
2. Voy. G. Paris, Mém. de la Soc. de linguistique de Paris, I, 191.
3. Le ms. présente cet hémistiche : Qe non a ci nostra ydola. M. B. supprime ci pour
la mesure; avec raison je crois, ce que je remarque c'est seulement que ci est pour //.
Dans ce texte ,^ comme dans quelques autres de la même contrée, li est la forme du cas
sujet de l'art, fém. sing. ; voy. Flamenca, p. xxxij-xxxiij. Cela est constant dans la vie de
sainte Douceline.
4. M. B. pense qu'en cet endroit sa pourrait être à la rigueur le possessif, ce qui ne
me paraît pas admissible.
l88 REVUE CRITIQUE
PLURIEL.
Sujet ci (pour /O 917; —
Rég. SOS (pour los) 373, 455, 565 ; —
Il me semble impossible qu'une substitution de consonne qui se produit aussi
souvent et toujours dans un même mot, l'article, soit véritablement une faute. Il
y faut plutôt voir une particularité de prononciation ; d'autant plus que cette
bizarre substitution n'est pas restreinte au seul texte de Sainte Agnès : elle se montre
aussi, quoique à de rares intervalles, dans le ms. de Flamenca (voy. la note du
vers 1 550); elle peut aussi être reconnue dans le nom du troubadour Pons de
sa Cardia (856 fol. 338, 339; La Vall. f. 30 a et c) qu'on identifie avec le Pons
de la Cardia ou de la Carda d'autres mss. (1749 p. 165-7, Oxf. no» 148-50).
Les observations, toujours très-fines, et ordinairement appuyées d'un riche
cortège d'exemples, que M. B. a faites dans sa préface et dans quelques-unes de
ses notes, sur la langue de sainte Agnès, pourraient encore suggérer bien des
remarques et même quelques objections, mais de peur que le compte-rendu
n'égale le livre en étendue, je me hâte de donner leur tour à quelques notes
isolées sur divers endroits du texte : 59-60 ...si deu gardar \\ Premieramenz
de mal afar; I. a far. — 262 Si vos ajuî \\ Le nostre Dieus; mieux vaudrais si nos.
— 412 Malgrat tien ; 985 Malgrat d'est angel; dans l'un et l'autre cas j'aimerais
mieux mal grat, comme à la ligne 772. — 439 et suiv. Agnès dit que la divinité,
placée dans le ciel, est louée par les anges qui sont avec elle e per los sanz qe an
munt son (1443)- M. B. propose de traduire ces derniers mots par a qui ont un
» ton pur (mundam tonum), qui louent la divinité en un chant pur, » ou bien de
corriger qe el munt son, « qui sunt in mundo; » le second sens est évidemment
le seul acceptable, car il y a une opposition évidente entre les anges qui sont
dans le ciel et les saints qui sont dans le monde. — 461 Pren la liar, 1. Va. —
49 1 (voir la note) postribulum pour prostibulum est la forme constamment usitée
en Provence pendant le xiV siècle et le xV. Il serait facile d'en alléguer ici cent
exemples tirés d'archives communales. — 494 romancium, au sens de « vers en
langue romane », se retrouve à l'explicit du recueil des pièces de P. Cardinal
qui fait partie du ms. 1 521 1 (anc. Suppl. fr. 683) : « Explicit romansium istum.»
5 54 Daquesî'y 566 Ni corn nos an gitadas dinz de nostre bordel; 1077 M'as dinz
d'enfern gitat; 1. d'aquest, d'inz. — 5 59 et suiv. ...et angeli aptant ipsum (postri-
bulum) ut supra dictum et ipsicumasper germe... M. B. paraît considérer aspergesme
comme un mot prov. et le traduit par « aspersion » (Besprengung); c'est plutôt
« aspersoir »; ce mot qui existe aussi en français sous la forme asperges (voy.
Littré) n'est autre chose que le début de la formule qui sert pour la bénédiction
de l'eau et qui se chante avant la grand-messe : Asperges me Domine hyssopo
et mundabor (Ps. 50, 9). — 707, i -^6 2 , espautat, 1. espantat, le mot existe encore :
E de soute lou porje alucon espanta.
(Mireio, ch. xii).
Il est bien vrai que le Lexique roman, \U, 167 donne espautar avec trois exemples,
mais c'est une faute évidente que la comparaison de l'espagnol, du catalan et du
portugais espantar, suffirait, à défaut du prov. mod,, à corriger. — 843 Ms.
d'histoire et de littérature. 189
am fre colobras la meîrem; M. B. corrige emfra; je préférerais ambe. — 962-3
Sapchas qix'ieu non ai tonfill mor || Ans acel qu'el cresia tant fort; il faut au second
vers a cel : « je n'ai pas tué ton fils, mais l'a tué celui » — 1080 Qn'iea mel
daierenant Jhesu Christ asorar. C'est un monstre que daierenant, et il ne sert de
rien de le comparer à deserenant; corrigez d'aici enanî. — 1196-7 E en Jhesu
trastut vos confites, || Que si crezes el vos dara s'amor; le sens exige «[/]. — 1246
et 1289 M. B. écrit Aspain le nom d'un personnage qui aux vers 1335 et 1429
est appelé Aspani; le nom latin est Aspasius. Selon M. B. (note sur 1289) la
mesure exige ces deux différentes formes, la première de deux, la seconde de
trois syllabes. Ce serait bien singulier. Les deux premiers vers sont ainsi conçus :
1 246. E quar Naspains es savis homs e pros.
1289. Naspain seiner, que ben astruc vos sia.
Ces deux vers sont décasyllabiques et par conséquent peuvent admettre en
sus de la mesure une syllabe non accentuée à l'hémistiche. Rien n'empêche donc
de lire dans les deux cas Naspanis, car au v. 1246 la syllabe finale du mot en
question est atone, comme au v. 1 289 celle de seiner. Ces deux vers ne sont donc
point en contradiction avec les vers 1335 et 1429. — 1378 Donar qui allonge
le vers d'une syllabe, pourrait être remplacé par dar. — 1412 Da pe de la mon-
îona. C'est le début d'un des chants dont la musique a été empruntée par l'auteur
de Sainte Agnès. Au lieu de Da il faudrait Dal. — 145 3 Qu'il s'a fah trop longua
durada. Au lieu de s'a 1. sa (pour saï) « ici. »
En terminant ce compte-rendu d'une publication par laquelle M. Bartsch a
une fois de plus bien mérité des études provençales, qu'il me soit permis
d'appeler l'attention des personnes qui s'intéressent au progrès de ces mêmes
études vers les découvertes qui restent encore à faire dans le domaine de l'an-
cienne littérature des pays de langue d'oc. Je ne pense pas que toutes les biblio-
thèques du Midi aient été explorées avec le soin désirable. Nous savons ce que
possèdent les bibliothèques d'Aix, d'Albi, de Carpentras, de Montpellier, de
Carcassonne, de Perpignan, de Clermont-Ferrand ; mais ailleurs, n'y a-t-il rien?
Autre observation : il est une des littératures les plus fécondes du moyen-âge
dont la partie la plus ancienne n'existe presque plus qu'à l'état de fragments
recueillis dans de vieilles reliures, dans des parchemins mis au rebut, la littérature
du moyen bas-allemand. Sans doute les œuvres provençales n'ont pas eu à subir
les mêmes désastres ni la même persécution, mais il est cependant certain
qu'elles sont à peu près tombées dans l'oubli dès les premières années du
xv'= siècle. Sans doute alors beaucoup de mss. en langue d'oc ont été non pas
absolument détruits, — le parchemin était toujours bon à quelque chose, —
mais dépecés. Comment se fait-il qu'on n'ait jamais mis en lumière le moindre
fragment de littérature provençale tiré d'une couverture de registre ou d'un
feuillet de garde ' , tandis que bon nombre de morceaux d'ancien français ont été
I . Je ne pourrais citer du moins qu'un fragment de lapidaire dont j'ai donné un extrait
dans \t Jahrbuch f. engl. u. rom. Literatur, t. IV, et quelques feuillets du CiVarf</eRoisi/Ao
L
190 REVUE CRITIQUE
recueillis dans cette condition misérable ? C'est apparemment que dans le Midi
l'attention ne s'est point tournée de ce côté.
Qu'il me soit donc permis d'insister pour que les bibliothécaires et les archi-
vistes des villes du Midi, examinent avec un soin scrupuleux les couvertures des
livres, registres ou dossiers confiés à leur garde, et je ne doute pas qu'ils soient
récompensés de leur sollicitude par d'heureuses découvertes.
P. M.
185. — L'Imprimerie à Bordeaux en 1486, par Ernest Gaullieur, archiviste
de la ville. Bordeaux, typ. Foratié, 1869. In-8°, 44 p.
A quelle époque l'imprimerie a-t-elle débuté dans la capitale de la Guyenne?
Les bibliographes sont restés longtemps mal renseignés à cet égard. Sur la foi
de ses devanciers, le savant auteur du Manuel du Libraire avait d'abord signalé
comme le plus ancien produit des presses bordelaises un livret de 10 feuillets,
devenu introuvable : « Les Gestes des Solliciteurs . Imprimé à Bourdeaulx, le vingt
» et troisième iour de aoust lan mille cinq cens XXIX, par Jehan Guyart (petit
» in-4°, gothique);» c'est un petit poème d'Eustorg de Beaulieu dont on
connaît d'autres ouvrages publiés pour la plupart à Lyon '.
Plus tard, M. J.-Ch. Brunet apprit l'existence d'un autre volume antérieur de
neuf ans à celui qu'il avait désigné ; il ne s'agit plus ici d'un livret, mais d'un
très-gros volume : Summa diuersarum questionum medicinalium per ordinem alpha-
beti collectarum Per magistrum Gabrielem de Taregua doctorem regentem Burdegale.
Il y a là un in-folio achevé d'imprimer le 18 décembre 1 520, chez Gaspard
Philippe, et qui se compose de 250 feuillets. Des exemplaires se trouvent à la
bibliothèque de Bordeaux et à la Bibliothèque impériale ; cette dernière possède
aussi une autre édition du même livre Burdigalae noviter impressa per Johannetn
Guyart, 1524, in-folio. L'auteur du Manuel entre à cet égard dans quelques
détails (j^ édition, tom. V, col. 658 et 659), et il observe que la typographie a
dû, à Bordeaux, commencer par un ouvrage moins considérable que l'in-folio du
docteur Taregua 2.
provençal qui sont en ma possession et que j'utiliserai dans une prochaine publication. On
a trouvé aussi à la Bibl. imp. un feuillet isolé provenant d'un chansonnier perdu. Il s'y
trouve, si j'ai bonne mémoire, une ou deux pièces d'Albertet, connues d'ailleurs. C'est
tout.
1. Le Manuel n'indique pas, parmi les ouvrages d'Eustorg de Beaulieu, YEspinglier des
filles, Basle, 1550, petit-in-8% 8 fts. et la Chrestienne Rcsiouyssance (sans lieu, mais à
Bâle), 1^0, 8 fts. 227 et 10 p. Un exempi. de ce volume fort rare a été payé 640 fr.
pour le compte de Mgr le duc d'Aumale, dans une vente faite à Paris en novembre 1867,
par M. Tross. Voir le Bulletin du bibliophile, 1857, p. 456,
2. Voir sur cet auteur la Biblioth. script, medic. de Manget, t. IV, p. 556. J. Tournon
en parle aussi, dans sa Liste des ouvrages des médecins de Bordeaux, 1799, in-8°, et il indique
deux autres ouvrages de ce docteur, imprimés à Bordeaux en 1 534 et 1 536. Mentionnons
enfin deux notices, l'une du docteur Cailleau, dans l'Almanach de la Société de médecine de
Bordeaux pour 1820; l'autre de M, Jules Delpit, dans les Actes de l'Académie de Bordeaux,
d'histoire et de littérature. 191
On connaît une édition de la Complainte de trop tard marié, opuscule de Grin-
gore, petit in-8° de 8 fts. imprimée par J. Guyard, sans date, mais très-positi-
vement à Bordeaux, puisque les armes de cette ville sont au bas d'un des
feuillets de cet opuscule, dont la Bibliothèque impériale possède un exemplaire.
C'est là sans doute une de ces productions que Guyart mit au jour après avoir
succédé à Gaspard Philippe, qui avait, au commencement du xvi^ siècle, exercé
à Paris et qui était ensuite venu à Bordeaux; sauf un changement de nom, la
marque des deux typographes est la même.
Un an avant 1529, Guyart avait publié les Coustumes generalles de la ville
de Bourdeaulx, livret de 22 feuillets in-4°; un exemplaire sur vélin fait partie de
la bibliothèque municipale.
L'archiviste de la ville, M. Ernest Gaullieur, en explorant dans le dépôt confié
à sa garde, des liasses de parchemin délaissées depuis des siècles, a découvert
un document intéressant qui fournit la preuve que trente-quatre ans avant la
date du premier livre imprimé à Bordeaux, les administrateurs municipaux de
cette ville avaient pris des mesures efficaces pour y introduire l'exercice de la
typographie. Le 16 décembre i486, ils passaient, par-devant notaire, un traité
avec un Allemand, Michel Svierler, de la billa d'Orme (c'est-à-dire d'Ulm), qui
est qualifié de librayre et vendeur de libres; il s'engage à amener en la billa et ciutat
mest. et compaignons perfar libres d'impression et mole; de plus il \)rendra par pretz
rasonables des enfants et compagnons de la ville, s'il y en a qui veulent apprendre
ledit art. M. Svierler s'engage à rester dix ans à Bordeaux, sous peine de saisie
de ce qui se trouvera lui appartenir, et de leur côté le prévôt et les jurats lui
accordent deux cents francs bordelais payables par quart; comptant, à 6 mois,
à un an et à deux ans. L'acte porte quittance du premier quart, M. Gaullieur
observe que le franc bordelais valait 22 fr. 50 de la monnaie actuelle, ce qui
porte à 4500 fr. de notre monnaie la subvention que la ville accordait; cette
somme, considérable pour l'époque, atteste que les magistrats municipaux étaient
des amis du progrès; ils appréciaient l'importance de l'invention nouvelle qui,
depuis peu de temps, avait été introduite en France, et ils voulaient en faire jouir
la cité confiée à leur zèle. Le jour même Svierler passait un autre contrat avec un
jurisconsulte, un licencié a en décrets » N. Nolot de Guiton, lequel garantissait
à la ville le remboursement des 200 francs bordelais, dans le cas où le typographe
étranger ne tiendrait pas ses engagements ; la moitié du bénéfice que Svierler
pouvait retirer de ses travaux devait revenir à Guiton. Svierler avait avec lui un
maître imprimeur, Jehan Walteor, de Mindellen, qui avait « forny grant quantité
» de lestres d'estaing » et qui devait rester deux ans auprès de Svierler.
Quels furent les travaux de Svierler à Bordeaux ? c'est ce qu'il est aujourd'hui
impossible de préciser. Un acte daté du 7 juin 1487 montre qu'il avait payé
cent francs tournois à Etienne Sauveteau et Guillaume (nom laissé en blanc dans
le manuscrit), par suite d'un marché qu'il avait fait avec eux pour « sept
» centz bréviaires de l'ordre d'Aux » (c'est-à-dire d'Auch, siège d'un
archevêché). Il s'agit sans doute d'une commande de 700 bréviaires,
192 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
et Svierler, associé à Nolot de Guiton, au lieu de les imprimer lui-même, les fit
imprimer à Poitiers. Faut-il en conclure qu'il n'y avait pas encore d'atelier
typographique organisé à Bordeaux , ou bien que Svierler, occupé à un autre
travail, et ne voulant pas refuser une commande importante, la confia à des tiers ?
Dès 1479 la typographie avait débuté à Poitiers par l'impression d'un livre de
même genre : le Breviarium historiale de Landulphe de Columna. Il serait fort
intéressant de découvrir quelques impressions exécutées à Bordeaux par Michel
Svierler, de savoir s'il tint les engagements qu'il avait contractés ; malheureuse-
ment on ne possède encore à cet égard aucun témoignage. L'écrit de M. Gaullieur
fournit du moins des données précieuses sur le mouvement intellectuel dans la
capitale de la Guyenne au xv* siècle ; il s'appuie sur des pièces justificatives
transcrites avec soin et il met en lumière des faits complètement ignorés. Les
idées à cet égard sont parfois si peu exactes qu'un ouvrage publié avec luxe en
1852 : Le Livre d'or des métiers, offre cette assertion singulière : « Bordeaux ne
» se donna une imprimerie, celle de Millanges, qu'en i $72. » Il fallait d'abord
ne pas estropier le nom de Millanges ', et il eut été bon de savoir qu'indépen-
damment des trois ouvrages que nous avons cités dans le cours de cet article, il
en fut imprimé d'autres à Bordeaux de 1 529 à 1 572 ; ils sont devenus d'ailleurs
d'une rareté extrême; nous mentionnerons seulement les LinguaeVasconum primi-
îiae per Bernardum Dechepare, Bmd'iQahe, F. Mortrain, 1545, petit in-8°, et les
Coustumes generalles de Bourdeaulx, 1553, petit in-40, également chez Morpain.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
Chevalier, Notice sur le Cartulaire d'Aimon de Chissé (Romans, l'auteur). — Free-
MAN, History of the Norman Conquest (London, Macmillan). — Homère, l'Iliade, p.
p. P1ERR0N (Hachette). — Herzog Ernst, p. p. Bartsch (Wien, Braumuller). —
HuMBERT, Molière, Shakspeare u. die deutsche Kritik (Leipzig, Teubner). — Kamp-
scHULTE, J. Calvin, seine Kirche u. sein Staat (Leipzig, Duncker). — Lauer, Gram-
matik d. classischen Armenische Sprache (Wien, Braumuller). — Rœnsch, Itala und
Vulgata (Marburg u. Leipzig, Elwert). — Sauppe, Lexilogus Xenophonteus (Teubner).
— Steitz, die Werke u. Tage d. Hesiodos (Teubner). — Verhandlungen d. 22 Ver-
sammlung deutscher philologen (Teubner). — Zonarae Epitome historiarum, éd. L.
DiNDORFius (Teubner). — Zschokke, Institut, fundamentales linguae Arabicae (Brau-
muller).
1. Simon Millanges mérite une mention des plus honorables parmi les typographes
provinciaux de la seconde moitié du XVI' siècle; il a imprimé avec élégance et correction
plusieurs livres grecs : les Hymnes de Synesius, les Météores de Cleomedes, etc. ; il a donné
les deux premières éditions (1 $80 et 1 582) des Essais de Montaigne, aujourd'hui si recher-
chées (à la vente du prince de Radziwil, celle de 1 580 a été payée 2050 fr.); kPymander
traduit et commenté par Fr. de Foix de Candalle, 1 574, les éditions des ouvrages de P.
Charron, 1593 et 1601, méritent aussi d'être signalées. Millanges, se conformant à un
usage assez répandu à cette époque, avait adopté pour sa marque un rébus : des anges
nombreux, millia angelorum. Cette marque est d'ailleurs reproduite dans la dernière édition
du Manuel du Libraire, tom. I, col. 537.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
28 août.
Edw. J. WooD, The Wedding Day in ail Ages and Countries; Bentley; 2 vol.
Cinco carias Polhko-Liter arias de D. Diego Sarmiento de Acuna, primer Conde
de Gondomar, Embajador a la corte de Inglaîerra, 1613-22. Ces lettres d'un homme
d'État qui fut en même temps un ardent bibliophile, sont publiées par D. Pascual
de Gavangos pour îa Société des Bibliophiles de Madrid. — A nearly Literal
Translation of Homefs Odyssey into accentuated dramatic Verse by the Rev. Lovelace
Bigge-Wither; Parker; an. peu favorable. — Session de l'Association Bri-
tannique.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
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annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
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nen. 2. neu bearb. Aufl. 1. Lief. enth.
Die Lehre d. tekton. Kunstformen. Gr.
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Euripidis Electra. In usum Scholar.
academ. edid. C. A. Walberg. In-8*, iv-
54 p. Upsaliae, Leipzig (Fritsch). 2fr. 50
Fortlage(C.). Sechs philosophische Vor-
tra?ge. In-S", vij-238 p. lena (Mauke's
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Freeman (E. A.). History ofthenorman
conauest of England , ils Causes and ils
results.- Vol. 3. In-8*, cart. 798 p. Lon-
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Gossrau (C. W.). Lateinische Sprach-
lehre. In-8*,v-é62 p. Quedlinburg (Basse).
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y. J. Zacher. 1. Bd. In-8*. Halle (Buchh.
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Commentarûb. d. alte Testament. 3.Thi.
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Biblischer Commentar ûb. den Propheten
Jesaja v. F. Delitzsch. Mit Vortraege v.
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Ausg. In-8*, xxij-725 p. Leipzig (Dœrf-
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Laroche ^J.). Homerische Untersuchun-
gen. In-8*, xv-310 p. Leipzig (Teubner).
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Laspeyres ^P.). S. Maria délia Conso-
lazionezu Todi. Nebst Mittheilungen ûb.
d. mittelalteri. Baudenkmale dieser Stadt.
Mit 4 Kpfrtaf. u. 20 in den Text eingedr.
Holzchn. In-fol. 12 p. Berlin (Ernst u.
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Lauer (M.). Grammatik der classischen
armenischen Sprache. In-8*, viij-98 p.
Wien (Braumùller). 3^-2$
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to Christ; being the Boyie Lectures for
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bility of the Acts, in reply to the récent
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Pertz (G. H.). Das Leben des Feldmar-
schalis Grafen Neithardt v. Gneisenau.
3 . Bd. 8 Juni bis 3 1 Decbr. 1813. In-3*,
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corrigée et augmentée, i vol. in-S". ? fi-_ ^q
Cet ouvrage forme le ^ fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
TA/T r^ l\/[ l\/î ^ 1-? 1\T ^^^^^^""^ romaine traduite par M. C.-A.
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faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à l'égard de la partie française con-
sidérablement augmentée.
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librairie A. Franck, 67, rue Richelieu.
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G. GRŒBER
N* 39 Quatrième année 25 Septembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 15 fr. — Départements, 17 fr. — Étranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
PARIS
LIBRAIRIE A. FRANCK
67, RUE RICHELIEU, 67
ANNONCES
En vente à la librairie A. Franck, 67, rue Richelieu.
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11« VV1_j11_j parées aux langues modernes. Nouvelle édition revue,
PERIODIQUES ETRANGERS.
The Athenœum. 4 septembre.
iAVFFRET, Le théâtre révolutionnaire (iy2>S-c,); Paris, Furne; art. favorable.
— The Rev. G. Bartle, The scriptural doctrine of Hades; comprising an Inquiry
into the State of the Righîeous and Wicked Dead between Death and the General Judg-
ment, and demonstrating from the Bible that the Atonement was neiiher made on the
Cross nor yet in this World; Longmans; art. spirituel sur un livre qu'on peut
juger sur son titre seul. —P. Kennedy, Evening in the Duffrey; Dublin, M'
Glashan; consiste en une série de conversations, de ballades, de contes de fées,
et de traditions locales, unies entre elles par la trame d'un roman. — Droysen,
Gustav Adolph, t. I; nous rendrons compte de cet ouvrage. — Session de l'Asso-
ciation britannique à Exeter. Entre autres communications notons celle de
l'archidiacre Freeman, intitulée : VHomme contre les Animaux (Man v. the
Animais). Selon le vénérable auteur, de même que l'homme a été créé à l'image
de Dieu, il y a lieu de croire que les animaux supérieurs, le lion, le taureau,
l'aigle, ont été créés à l'image des chérubins (Ezéch. I, 5, 8, 10), Le professeur
Huxley accueille cette théorie inattendue avec le genre de déférence qui lui est
dû.
1 1 septembre.
W. Carew Hazlitt, English Proverbs and Proverbial Phrases; J. R. Smith. —
W. Dickson, Japan; being a Sketch of the History, Government and Officers of the
Empire; Blackwood. — J. E. Thorold Rogers, Historicals Gleanings, Mo^tagu,
Walpole, Adam Smith, Cobbett; Macmillan. — Notons, parmi les articles origi-
naux, E. Jones, La réforme orthographique. — Session de l'Association britan-
nique.
Historische Zeitschrift. Hgg. von H. von Sybel. 1869. T. III.
Essais. I. Gustave Cohn, Colbert dans ses rapport avec Mazarin. Intéressante
étude basée sur les « Lettres, instructions et mémoires de Colbert « publiés par
M. P. Clément. — 2. Stahl, Études sur ^histoire des révolutions de Naples et de
Piémont en 1820 et 1821. L'auteur était adjudant du général Guillaume Pepe;
ses souvenirs ont été fixés immédiatement après les événements, et sont publiés
ici, longtemps après sa mort, par M. Hagnauer son ami, qui les a rédigés jadis.
— 5 . Arnold ScH/EFEr, Les négociations des villes hanséatiques avec le sultan du
Maroc, de 1825 à 1850. — 4. Max Lehmann, La guerre de 1866 en Allemagne et
les négociations qui l'ont précédée. Critique des relations officielles publiées à ce
sujet; raconte surtout les luttes contre les armées hanovrienne et bavaroise. —
5. Alfred Boretius, De la loi des Saxons; études faite à propos du livre de M. de
Richthofen (voy. Rev. crit., 1869, II, art. 172). L'auteur, très-compétent en ces
matières, exprime à son tour des opinions très-divergentes de celles de MM.
Waitz, Richthofen, Usinger, etc., sur cette question des plus embrouillées. —
Critiques principales : Lœbell, Gregor von Tours und seine Zeit; annonce de la 2*=
édit. de cet excellent ouvrage. — Moet de Forte-Maison , Les Francs, e^c.
Jugement sévère, mais mérité sur ce travail (cf. Rev. crit., J869, art. 78). —
Valroger, Les barbares et leurs lois (cf. Rev. crit., 1867, art. 220). — Jaffé,
Bibliotheca rerum Germanicarum. T. V. Monumenta Bambergensia. — Guibal, Ar-
naud de Brescia et les Hohenstaufen. On félicite l'auteur de sa connaissance de la
littérature scientifique allemande relative au sujet (cf. Rev. crit. 1869, art. 2). —
Dunger, Die Sage vom trojanischen Kriege im Mittelalter. — Jul. Weizs.ecker,
Deutsche Reichstagsakten, Bd. I. — Rœsler, Die Kaiserwahl Karls V. — L. de
Ranke, Geschichte Wallensteins. — Rathgeber, Spener et le réveil religieux de son
époque. — Reimann, Geschichte des bayrischen Erbfolgekriegs. — J. Falke,
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 39 — 25 Septembre — 1869
Sommaire : i86. Jacolliot, la Bible dans l'Inde. — 187. Eisenlohr, Explica-
tion du texte démotique de l'inscription de Rosette. — 188. Loth, le Livre des
classes d'ibn Sa'd. — 189. Chevalier, Cartulaire de Saint-André-le-Bas, — 190.
Les Actes des Diètes germaniques, p. p. Weizs-ecker. — 191. M"' d'Épinay,
Œuvres, p. p. Challemel-Lacour. — 192. Quérard, Supercheries littéraires,
p. p. Brunet et Jannet.
186. — La Bible dans rinde. Vie de lezens Christna, par Louis Jacolliot.
Paris, Librairie internationale, 1869. In-8*, 391 p. — Prix : 6 fr.
L'auteur de ce livre, président du tribunal de Chandernagor, s'est proposé de
prouver qu'à peu près toutes les civilisations, orientales et occidentales, pro-
viennent directement de la civilisation indienne ; que tous les livres religieux,
tous les codes civils et criminels, depuis le pentateuque et sa source égyptienne
jusqu'au Corpus juris et au Code Napoléon, ne sont que des reproductions obs-
curcies des Védas et des lois de Manou ; que toutes les langues de l'Europe et de
l'Asie sont dérivées de la langue indienne, et que spécialement tous les noms
propres d'hommes, de dieux et de nations, depuis Jéhovah jusqu'à Bellone, depuis
Iphigénie jusqu'à Manès, depuis les Sequanes jusqu'aux Valaques, ne sont que
du plus pur sanscrit. Comme dans tout le livre il ne se montre presque pas de
trace de connaissance de l'ancienne littérature sanscrite, et que les nombreuses
formations, prétendues sanscrites, que l'auteur construit pour en tirer des éty-
mologies incroyables, accusent l'ignorance la plus complète de la langue même,
il serait inutile d'entrer dans un examen détaillé de ce livre qu'on serait bien
tenté de ne pas prendre au sérieux. Mais je dois à l'auteur de le dire, quand j'ai
su que c'était lui qui, ailleurs (voy. La Devadassi, comédie traduite du Tamoul
par L. Jacolliot, Paris, 1868, p. 10), avait traité le tamoul de « variété simpli-
» fiée du sanscrit », je n'ai plus douté qu'il ne fût, cette fois aussi, de la bonne
foi la plus entière. A coup sûr c'est très-sérieusement qu'il prend (p. 2 5 et suiv.)
des formations comme: « Tha-Saha, Andha-ra-medha, 0-raksa-îa, Pula-da, Apfia-
» gana, Itala, Su-kam-bri, Ala-manu, Tha-na, » etc. pour des mots sanscrits;
qu'il leur assigne les significations : « l'associé, sacrifice à la passion du dieu des
» eaux, voué au malheur, qui console par son amitié, qui finit sans postérité,
» hommes de basses castes, les bons chefs de la terre, les hommes libres, chef
» des guerriers, » et qu'il en dérive les noms de Thésée, d'Andromède, d'Oreste,
« de Pylade,d'Iphigénie, des Italiens, des Sicambres, des Allemands, des Thanes,
» nom des anciens chefs de clan écossais. » Non moins sérieusement il nous
apprend (p. 251 et suiv.), que, d'APRÈs le Véda, le paradis était situé dans l'ile
de Ceylan, que, encore d'après le Véda, Adima et Héva étaient les premiers
VIll ,j
194 REVUE CRITIQUE
hommes, et que c'est à cette circonstance que le Pic d'Adam doit son nom
« DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS. » (La tradition qui a donné naissance
au nom de cette montagne se trouve pour la première fois chez Soulaimân, au
ix^ siècle, voy. Lassen, Ind. Alterthumsk. IV, 925) ; et enfin que les Castras ont
plus de quatre, le Mahâbhârata plus de sept millions d'années d'antiquité (p. 54),
et que le nom du Christ doit être nécessairement d'origine sanscrite, parce qu'un
surnom grec ne convient pas à celui qui, « Juif de naissance, passa sa vie militante
» en Judée et mourut au milieu de ses compatriotes » (p. ?6i).
Pour terminer, voici les dernières phrases de la préface , qui font connaître
l'opinion propre de l'auteur sur son ouvrage : « Ce livre vient vulgariser toutes
» ces vérités qui ne s'agitent aujourd'hui que dans les sommets de la science,
» ces vérités que beaucoup ont entrevues sans doute, sans oser les produire.
» Je sais quelles haines je vais soulever, mais je les attends sans
» crainte. On ne brûle plus comme au temps de Michel Servin {sic), de Savo-
» narole et de Philippe II d'Espagne, et la libre pensée peut se produire dans un
» pays libre. » Siegfr. Goldschmidt.
187. — Analytische Erklœrung des demotisclien Theiles der Rosettana,
von D' August Eisenlohr, docent der segyptischen Sprache an der Universitaet Hei-
delberg. Theil I. Leipzig, librairie Hinrichs. — Prix : 5 fr. 3 5.
L'examen des textes démotiques, si intéressants à tant d'égards, n'a pas tenté
jusqu'à présent la masse des égyptologues. Absorbés dans l'étude plus agréable
des monuments hiéroglyphiques et hiératiques de tous les temps, ils ont négligé
les textes plus humbles, et, il faut bien le dire, fort ennuyeux pour la plupart
que nous ont légués les basses époques grecques ou romaines. Aussi le livre de
M. Eisenlohr est-il une nouveauté. Le premier, je crois, depuis M. Brugsch,
M. E. a triomphé de la répugnance qu'inspire généralement toute cette partie de
la littérature égyptienne. Il a choisi pour morceau de début la partie démotique
de l'inscription de Rosette; j'aurais préféré la partie démotique du décret de
Canope que l'auteur a, paraît-il, entre les mains, et dont la publication immé-
diate serait si utile aux progrès de la science.
La première partie de l'œuvre de M. Eisenlohr n'est guère qu'un spécimen,
une sorte de préface destinée à donner une idée de la méthode suivie par l'auteur
et des résultats auxquels il est parvenu. Après deux pages consacrées à rappeler
la bibliographie de son texte, l'auteur passe à l'examen de ce texte même. Il l'a
divisé en plusieurs parties qu'il se propose d'analyser successivement. La pre-
mière (1. 1-4) renferme selon l'usage la double date égyptienne et grecque et le
protocole royal inévitable; M. Eisenlohr restitue les lacunes d'après les hypo-
thèses de M. Brugsch justifiées depuis par la découverte de l'inscription de
Canope. L'explication de la date amène le développement de rigueur sur l'année
égyptienne et sur sa concordance avec l'année macédonienne. M. Eisenlohr lui
consacre six grandes pages on ne se trouve en résumé ni une donnée nouvelle.
d'histoire et de littérature. 195
ni une solution satisfaisante. La deuxième partie traite des prêtres qui rendirent
le décret en l'honneur de Ptoléraée-Epiphane, et renferme une discussion trop
longue sur certains passages grecs relatifs aux fonctions du sacerdoce égyptien.
La troisième partie doit expliquer le corps même du décret (1. 5-21); elle est à
peine commencée et se continuera dans les livraisons suivantes de l'ouvrage.
Cette disposition est excellente : rien n'aide mieux que les divisions fré-
quentes et les longs commentaires à l'intelligence d'un texte, surtout quand il
est rédigé dans une écriture généralement peu connue. Je trouve toutefois
que M. Eisenlohr a parfois abusé du droit d'expliquer, et suppose les égyp-
tologues plus ignorants qu'ils ne sont réellement du mystère démotique. A tout
prendre le seul obstacle à l'étude consiste dans la lecture : une fois le signe
déchiffré et transcrit soit en caractères romains, soit, ce qui vaudrait mieux, en
caractères hiératiques, la langue elle-même ne présente que peu de difficultés
sérieuses. Personne ne sera embarrassé de reconnaître dans le Xop démotique le
Xeper des bonnes époques, et cela d'autant mieux que des inscriptions de tous
les temps nous donnent la forme Xep identique de tout point à la forme démo-
tique. Dans la plupart des cas une simple transcription suffit; un auteur scrupu-
leux mettra des renvois à la Grammaire de M. Brugsch et passera outre sans plus
d'explication. M. Eisenlohr se croit obligé d'interpréter tout en détail, comme il
ferait à un enfant; chaque mot lui fournit la matière de plusieurs lignes. Encore
si ces lignes renfermaient des exemples nouveaux, tirés de textes non publiés
jusqu'à présent. Mais dans la plupart des cas, il se borne à reproduire l'opinion
de M. Brugsch et les exemples cités par lui. Je n'ai pas noté un fragment tiré de
contrats inconnus ou de ces papyrus magiques si abondants et si précieux. Le seul
document nouveau auquel il se permette de faire allusion est le décret de Canope ;
encore ne le cite-t-il qu'à regret et avec une discrétion sans bornes.
Prenons un exemple. M. Eisenlohr rencontre à la ligne 6, la phrase suivante:
« en harf er het asi pir àsi n na arpiu Kern, il donna aussi beaucoup d'argent,
» beaucoup de grains pour les temples d'Egypte. « La phrase n'exige aucune
explication et ne renferme rien qui puisse arrêter même un commençant. Voici
cependant de quelle manière M. Eisenlohr la commente. « Enharf. en exprime
» le temps passé ; en liaison avec er il répond à l'hiéroglyphique, herf-râ. Le
» passage traduit en caractères hiéroglyphiques donne herf râ het alu, pir-u er
» ni nuîer-hat-u Kem-t. — Le mot er répond à râ, faire, donner, il continua de
» donner, il donna aussi, en outre. HeteslVargent, proprement, l'argent métal. Cf.
» Roset, 1. 8. — Ros. 1. 19 donne nûb, het, ha-t, où le texte grec correspon-
» dant donne xpu<^io'J ts xal àpifyptou xal )ii6(i)v TzdhïzzKGyt. — Nûb cst or, monnaie
» d'or (yo-jcfîo-j). Het, répondant à h'adj or blanc, est argent, monnaie d'argent. Le
» troisième signe, etc. » L'analyse continue de la sorte durant neuf lignes encore,
sans rien expliquer qu'on ne connût déjà. Si des quarante-six pages in-4'' fort
serrées qui composent la première livraison, l'auteur avait retranché toutes les
inutilités, le mémoire se trouverait réduit à douze ou quinze pages et gagnerait
infiniment à cette réduction.
IC)6 REVUE CRITIQUE
Ce défaut une fois signalé, je dois dire que l'ouvrage de M. Eisenlohr est loin
d'être sans mérite. Le texte est bien compris, et bien traduit; les notes malheu-
reusement trop abondantes ne renferment d'ordinaire que des faits exacts. On
pourrait cependant signaler çà et là quelques erreurs de détail. Ainsi M. Eisen-
lohr à propos du monosyllabe au^, affirme qu'il se trouve souvent avec le sens
conjonctif, et, ce qui est vrai; mais, à l'appui de son dire, il cite le Papyrus
d'Orbiney (6, 7) ce qui est loin d'être exact. Au papyrus d'Orbiney, au, même au
commencement des phrases est une forme verbale et sert à former un temps. En
somme, si M. Eisenlohr, au lieu de viser au développement inutile, veut bien se
borner dans ses commentaires et se résigner à ne dire que ce qui est strictement
nécessaire, il pourra rendre de grands services aux études démotiques et marquer
sa place à côté de M. Brugsch.
G. Maspero.
188. — Das Classenbuch des Ibn Sa'd. Einleitende Untersuchungen ûber
Authentie und Inhalt nach den handschriftlichen Ueberresten, von Otto Loth. Leip-
zig, libr. Hinrichs, 80 p. — Prix : 2 fr. 75.
La dissertation de M. Loth est comme le cadeau de joyeux avènement qu'il
offre à l'Université de Leipzig, en s'y installant en qualité de privat-docent à côté
de ses maîtres, MM. Fleischer et Krehl. M. L., qui avait déjà donné dans le
« Journal de la société orientale allemande, » un mémoire remarqué sur les
pays volcaniques énumérés par YâÂ;oût, se fait parmi les Orientalistes une place
à part et tout-à-fait distinguée par son étude critique et son analyse du Livre des
Classes d'Ibn Sa'd.
MM. Sprenger, Wûstenfeld et Nœldeke ont tour à tour appelé l'attention de
la science européenne sur cet ouvrage si important, et ont montré quel parti
on pouvait en tirer pour mieux connaître l'origine et les commencements de
V islam. En même temps une série de circonstances heureuses réunissait dans les
principales bibliothèques de l'Allemagne des fragments se complétant ou se con-
trôlant l'un l'autre ; chaque nouveau volume que l'on découvrait faisait mieux
apprécier l'ensemble, et une étude générale comme celle de M. L. devenait
possible, grâce à ces trouvailles successives et à l'accumulation des documents
manuscrits. Nous ne devons considérer le travail actuellement publié par M. L.
que comme une préface à une édition du « Livre des Classes. » Toutes les ques-
tions relatives à l'antiquité de ce livre, à la transmission des exemplaires, à
l'authenticité du texte, à l'ordonnance des parties, sont abordées par M. L., dis-
cutées avec une érudition saine et tendant plutôt à se dissimuler qu'à s'étaler,
enfin le plus souvent résolues de la manière la plus judicieuse. Cette clarté du
raisonnement est comme reflétée par un style hmpide, net, élégant, qui décrit et
met en relief tous les contours de la pensée.
La composition ne le cède en rien à l'exécution : i o Réunion de tous les ren-
I. L. 19.
d'histoire et de littérature. 197
seignements qui ont pu être recueillis sur Ibn Sa'd (p. i-io); 2° Recherches
sur l'authenticité du Livre des Classes (p. 10-34); 3° Aperçu du Livre des
Classes (p. M-^j)- L'auteur, l'origine et le contenu, voilà les trois points que
M. L. examine successivement. Un appendice (p. 63-80) contient des pièces
justificatives, les séries des personnes qui ont servi d'intermédiaires pour
conserver le Livre des Classes {isnâd's et samà^s), enfin un court spécimen du
texte.
Aboû 'Abd Allah Mo/iaramad ben Sa'd ben Manî*, de la race de Zouhra, na-
quit à Bairâen 168, et mourut à Bagdad en 230 de l'hégire. Longtemps secré-
taire de Wâkidî, il est souvent désigné par ce titre. On l'appelle aussi l'affranchi
(maula) du Hâchimite Hosein ben *Abd Allah ben 'Obeid Allah ben 'Abbâs.
Comme l'a démontré M. L. ce surnom pris à la lettre constituerait un anachro-
nisme; en réalité, c'est le grand-père d'Ibn Sa'd, Manî' qui avait été mis en
liberté par Hosein. La reconnaissance faisait transmettre un tel souvenir, comme
un héritage, dans une famille. Cependant il faut attribuer à des scrupules d'exac-
titude la modification qu'un auteur • a faite à ce surnom, en appelant Ibn Sa'd
« l'affranchi des Hâchimites. » On est d'accord généralement , pour considérer
Ibn Sa'd comme un auteur dont la tradition mérite confiance ; sous ce rapport,
il n'avait contre lui que Ya/iyâ ben Ma'în ».
M. L. ne mentionne aucune autre œuvre d'Ibn Sa'd que « les classes de ceux
qui suivent le prophète « (xahakât ettâbi'în). Cependant nous lisons dans le Fihrist î
qu'Ibn Sa'd avait composé une biographie du prophète. De plus, Yâfi'î dans le
Af/yâ/c/i/wJ/z 4 l'appelle «l'auteur des Classes et du Livre historique». Enfin Borhân
eddîn //alabî 5 lui attribue « le Livre des Classes, en deux éditions, développée et
abrégée, sans préjudice du Livre historique ». Ce Livre historique doit être la
biographie du poète, dont parle le Fihrist, et qui est placée en tête du Livre des
Classes. Cette séparation en deux ouvrages est justifiée d'ailleurs par les diffé-
rences de rédaction et il n'est pas étonnant que , même après l'unification du
livre, les deux parties publiées d'abord l'une après l'autre aient pu circuler iso-
lément et être considérées comme des œuvres distinctes.
Ce qu'il est plus important de constater, c'est qu'Ibn Sa'd est toujours dési-
gné comme l'auteur. Et pourtant, à moins de considérer les mots ajoutés à la
marge de notre manuscrit du Fihrist comme faisant partie intégrante du texte
primitif, nous ne trouvons aucune mention du Livre des Classes avant le sep-
tième siècle de l'hégire. M. L. nous dit que d'après Dhahabî, Ibn elathîr en
avait fait la base de son Ousd elgâba ; en consultant la chronique d'Ibn elathîr
1 . Borhân eddîn //alabî dans ses glosses sur la biographie du prophète , par Ibn
Seyyid ennâs. Sup. Ar. 603 ter, I, fol. 7 r*.
2. Abu 'Lmahasin, Annales, edidit JuynboII, à l'année 230.
3. Cf. le passage cité par M. L., p. 64.
4. Ms. A. F. 637, fol. 182 r* : Sàhib etiabakdt wattarikh.
5. Ms. cité, ibid. Mou$annif etiabakdt elkabîr wassaguîr wamousannif etta'rîkh. Cf.
M. Loth, op. laud., p. 10, note 32.
198 REVUE CRITIQUE
à l'année 230, M. L. aurait pu voir que les labakât y sont cités. Ce qui
est étrange, c'est le silence absolu de Mas*oûdî, de Tabarî, d'Ibn /Coteiba, de
Balâdhorî.
Heureusement, grâce à Ibn Seyyid ennâs ' et à quelques copistes conscien-
cieux, nous pouvons remonter pour le Livre des Classes depuis le viir siècle de
l'hégire jusqu'au Iv^ Toutes ces listes, quel que soit leur point de départ, abou-
tissent toujours à Ibn Hayyawaihi * qui assista en 3 1 8 de l'hégire à une lecture
faite chez Ibn Ma'roûf. La part de collaboration d'Ibn Hayyawaihi semble être
la division du livre en un certain nombre de sections (adjzâ) maintenues depuis
lors dans toutes les versions et collations postérieures. Mais le texte était établi
définitivement, et nous voilà de nouveau amenés à chercher plus loin pour
arriver à la première rédaction.
De qui Ibn Ma'roûf tenait-il l'exemplaire complet, qui resta longtemps comme
« le Livre d'Ibn Ma'roûf, » à côté du texte d'Ibn Hayyawaihi? Les variantes
des deux éditions sont assez insignifiantes pour qu'on puisse ne les considérer
que comme des accidents de copie; ce qui est certain, c'est qu'Ibn Hayyawaihi
avait sous les yeux l'original d'Ibn Ma'roûf. Nous ne sommes donc plus séparés
d'Ibn Sa'd que par un intermédiaire. Or, Ibn Ma'roûf cite comme ses autorités :
d'une part Ibn Abî Osâma, né en 1 86 de l'hégire, un des plus anciens anditeurs
d'Ibn Sa'd, de l'autre Hosein ben Fahm, qui était à peine âgé de dix-neuf ans,
lorsque mourut l'auteur présumé du Livre des Classes. La récension d'Ibn Abî
Osâma est limitée à la vie du prophète; et nous avons montré que contrairement
à l'opinion de M. L.5 le Fihrisî n'est pas seul à désigner cette biographie comme
formant un ouvrage à part. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce qu'elle ait été rédi-
gée par Ibn Sa'd lui-même et publiée de son vivant.
L'authenticité directe et complète est plus difficile à démontrer pour le Livre
des Classes proprement dit. D'abord pouvons-nous croire qu'Ibn Sa'd aurait
choisi pour se faire présenter au public un aussi jeune disciple qu'Ibn Fahm, en
supposant même que celui-ci ait jamais suivi ses cours ? De plus, un article est
consacré à Ibn Sa'd lui-même, et non-seulement nous y trouvons l'éloge de son
talent et de sa science, maià aussi la mention de sa mort 4, Enfin, les dates vont
jusqu'en 238, tandis qu'Ibn Sa'd est mort en 230. Nous avons là, comme par
hasard, un indice certain que la dernière rédaction ne peut pas être beaucoup
plus moderne que cette même année 238, puisqu'un grand nombre de person-
1. P. 64 et Ms. A. F. 771, fol. 454 r*.
2. M. Loth avait écrit dans son mémoire Hayyuwaih, et il a depuis, par un nouvel errata,
corrigé cette leçon en Hayyawaih. C'est en effet une telle vocalisation que la grammaire
arabe recommande pour ces surnoms persans, comme Sîbaivaihi, Nijiawaihi, Wammawaihi,
etc. Cependant, à propos de ce dernier nom, Borhân eddîn (op. cit., II, fol. 523 r*) met
en face de cette opmion des grammairiens la prononciation vulgaire Hammouweihi. Pour
le mot qui nous occupe spécialement, il va plus loin (ibid. fol. J26 V), et ne donne
d'autre prononciation que Hayyouwaihi.
3. P. 27.
4. P. 64.
d'histoire et de littérature. 199
nages morts après 238. sont cités, étudiés, « classés, » et que chaque fois la
notice qui leur est consacrée est muette sur l'année de leur mort. La vérité est
qu'Ibn Fahm semble avoir reçu le dépôt de cette collection importante, et s'être
appliqué à publier ie livre des classes comme une œuvre posthume d'Ibn Sa'd.
Aucun article n'aura sans doute été ajouté : l'éditeur se sera contenté de com-
pléter ce qui n'avait pas été achevé,, sans jamais s'écarter du plan de l'auteur.
Autant que nous pouvons en juger, Ibn Fahm a fait preuve de tact et de discré-
tion et s'est montré aussi impersonnel que possible dans l'accomplissement de
cette tâche pénible et délicate : on peut donc imiter Ibn Ma'roûf dans la
confiance dont il fit preuve, en acceptant la rédaction d'Ibn Fahm comme l'œuvre
authentique d'Ibn Sa'd,
Tels sont les résultats que M. L. a mis en pleine lumière. Vient ensuite une
table des matières contenues dans le Livre des Classes : i . La biographie du
prophète; 2. Les compagnons de Mohamet; 3. Leurs successeurs (tâbi^oûri) et
les autres Classes. Les grandes lignes sont bien dessinées, et le lecteur me saura
gré de le renvoyer pour toute cette énumération au résumé si précis et si habile-
ment abrégé de M. L.
Quelques observations de détail. P. 64, M.L. lit, dans le passage des Tafcakâf
relatif à Ibn Sa'd lui-même, kaîhîra 'Ikoutoubi koutoubi 'IhadUh. Puis examinant
à la page 9 (note 30) cette épithète, il se demande si on ne devrait pas lire
kathira Ukaibi kouîouba 'Ihadith et traduire par « habile à écrire des ouvrages sur
» la tradition. » M, L. ne se fait pas illusion sur les difficultés que présente la
supposition d'un infinitif katb. Malheureusement, dans une reproduction presque
textuelle de ce paragraphe que donne Borhân eddin ', on lit kathîra 'Ikoutoubi
kaîhîra 'Ihadîth, et le contexte me fait donner la préférence à cette leçon. Dès lors,
l'explication de M. L. n'a plus aucune raison d'être.
Enfin le manuscrit de la Bibliothèque impériale, A. F. n" 77 1 , fournit quelques
bonnes variantes pour le morceau du 'Oyoùn elathar, publié p. 64 et suiv. A la
dernière ligne de la page 64, il faut lire 'Abd elmouhsin hen e&sâhîb, et cette leçon
est confirmée par la glose de Borhân eddîn ^. P. 65,1. 3, le texte portait sans
aucun doute hîna kara'atî, comme dans notre manuscrit, les deux mots étant à
l'état construit, et ainsi s'explique la note i. L. 9, il est nécessaire d'intercaler
ben Mohammad entre Uâriîh et ben Abi Osâma. A la ligne 1 3, notre manuscrit a
les mots suivants ^anhou ^an eJkààt. Le sens du passage ne m'est pas très-clair,
mais cette variante semble justifier la leçon du manuscrit G (note 3) , leçon que
M. L. apprécie peut-être trop sévèrement.
Nous souhaitons à M. L. des imitateurs, mais surtout nous espérons qu'il per-
sévérera dans la voie oh il est entré si résolument. Avant tout, une édition critique
d'Ibn Sa'd serait bien accueillie de tous les orientalistes. Si nous osions donner
un conseil à M. L., nous le prierions d'y joindre une traduction. Les ouvrages
1. Ms. cité, I, fol. 7 r*.
2. Ms. cité, II, fol. 526 r*.
200 REVUE CRITIQUE
historiques doivent en général autant que possible être rendus accessibles à ceux-
là mêmes qui sont étrangers à nos études^ et M. L. trouvera ainsi la meilleure
occasion de déployer son remarquable talent d'écrivain.
Hartwig Derenbourg.
189. — Cartulaire de l'abbaye de Saint -André -le -Bas de Vienne (Ordre
de Saint-Benoît) , suivi d'un Appendice de Chartes inédites sur le diocèse de Vienne
(IX'-XII" siècles) publié par l'abbé C.-U.-J. Chevalier, correspondant du ministère
de l'instruction publique pour les travaux historiques et archéologiques. Vienne, Savi-
gné; Lyon, Brun. In-8* de xliij-3 68-43 P-
Le Cartulaire de l'abbaye de Sainî-André-le-Bas de Vienne, forme le tome pre-
mier de la Collection de cartulaires dauphinois entreprise par M. l'abbé Chevalier,
dont l'activité égale l'érudition. Ce volume ouvre dignement une collection qui,
nous aimons à l'espérer, sera bien accueillie du monde savant. Soit que l'on
examine le cartulaire même, soit que l'on étudie les chartes inédites, au nombre
de quatre-vingt-dix-huit qui le suivent et le complètent, on ne peut trop féliciter
le vaillant éditeur du soin et du zèle qu'il a mis à réunir et à publier d'aussi
précieux matériaux. Le cartulaire original de Saint- André-le-Bas est à jamais
perdu. Il ne pouvait donc, comme le dit M. l'abbé ChevaHer (Notice préliminaire,
p. iij), qu'être utile à la science historique d'entreprendre la publication de la
seule copie authentique qui en subsiste. Cette copie a été communiquée à l'édi-
teur par M. P.-Em. Giraud, ancien député de la Drôme, auteur de VHisioire de
l'abbaye de Sainî-Barnard et de la ville de Romans, consciencieux érudit qui doit
être fier d'avoir formé un élève tel que M. l'abbé Chevalier '. On lira avec intérêt
les détails que fournit la Notice préliminaire sur le cartulaire du xii* siècle qui
périt dans l'incendie qui consuma, le 5 janvier 1854, la bibliothèque de Vienne
et sur la copie qui heureusement en avait été prise par M. Eug. Janin, archiviste-
paléographe. Ces documents de V Appendice, qui vont du 17 août 842 à la fin du
XII' siècle, ont été empruntés à diverses collections publiques ou particulières, et
notamment aux collections de la Bibliothèque impériale. On trouvera une rapide
et exellente analyse de tous ces documents, ainsi que du cartulaire, dans la
Notice préliminaire (p. xx-xl). Nous n'avons que des éloges à donner soit à la
correction du texte, soit à l'exactitude des notes 2, Nous recommanderons aussi
à l'attention des érudits Vindex chronologicus qui précède le Cartulaire et Vindex
alphabeticus personarum, locorum, rerum (p. j 19-366 et 37-43). Dans la rédaction
de ces tables, comme dans tout le reste de son travail, M. l'abbé ChevaHer s'est
montré fidèle à cette « grande tradition bénédictine, » dont il parle à la fin de
1. C'est en termes touchants que M, l'abbé Ch,, en dédiant son livre à M. Giraud,
lui exprime sa reconnaissance.
2. Quelques-unes de ces notes ne seront pas inutiles au continuateur du Ga//w cArwtw«<i
pour rectifier ou compléter certaines parties de son travail.
d'histoire et de littérature. 201
sa préface, et les suffrages des bons juges ne peuvent manquer de l'encourager
à marcher dans une aussi bonne voie.
Je me reprocherais de ne pas ajouter que M. Pabbé Chevalier a été très-bien
secondé par son imprimeur, et que le substantiel recueil est aussi un élégant
volume.
T. DE L.
190. — Deutsche Reichstagsakten. Band I. Deutsche Reichstagsakten unter Kœnig
Wenzel. Erste Abtheilung : 1376- 1387. Herausgegeben von Julius Weizs^cker.
Mùnchen, J. G. Cotta, 1868. In-4', cix-648 p. — Prix : 16 fr.
La collection des Actes des Diètes de l'Empire a été entreprise sous les auspices
de la commission historique de l'Académie de Bavière, dont nous avons eu si
souvent déjà l'occasion d'entretenir nos lecteurs ' . Elle doit embrasser tous les
documents émanés des diètes du Saint-Empire romain-germanique, ou relatifs à
ces dernières, ainsi que tous ceux relatifs aux réunions particulières des différents
États de l'Empire (électeurs, princes séculiers ou ecclésiastiques et villes libres),
qui dans une mesure quelconque, ont modifié la constitution sociale et politique
de l'Empire et de ses différents membres. De même que la collection des Chro-
niques des villes allemandes doit faire suite à la première série des Monuments
historiques de Pertz, de même aussi cette nouvelle entreprise de la commission
de Munich doit se raccorder avec la seconde série du recueil monumental, dirigé
par l'éminent bibliothécaire de Beriin, et continuer la série des Lois, qui devra
s'arrêter un jour à la Bulle d'Or de Charies IV (i 3 56).
Une entreprise semblable, qui pourra s'étendre à l'infini et dont l'exécution
durera certes plus d'un demi siècle , ne pouvait être l'ouvrage d'un travailleur
isolé, quelque savant et laborieux qu'il fût. Elle n'avait une chance de réussite
qu'au cas où une association savante, bien connue en Europe, protégée d'en haut
et aidée de fonds spéciaux prendrait en main l'initiative et parviendrait, grâce à
l'appui de la diplomatie, à pénétrer dans les nombreuses archives qu'il fallait
fouiller et qui ne s'ouvrent point partout en Allemagne avec plus d'empressement
que chez nous.
Dès 1 846, Léopold de Ranke avait émis l'idée d'un recueil analogue, dans la
section historique du congrès des philologues allemands, à Francfort. Une com-
mission spéciale reçut même le mandat de s'adresser à ce sujet à la haute diète
germanique ; mais cette dernière témoigna peu d'intérêt pour la résurrection de
l'histoire de ses augustes prédécesseurs. Ce ne fut que onze ans plus tard, en
1857 que la tentative fut renouvelée par M. de Sybel auprès de Maximilien II
de Bavière, et grâce à une subvention annuelle de six mille francs accordée pour
l'espace de douze ans % le travail put être commencé sous la direction supérieure
de M. de Sybel lui-même. Depuis lors un grand nombre de savants ont travaillé
1. Rcv. ait., 1867, I, p. 63; 1868, art. 253; 1869, art. 168.
2. Le roi actuel a prolongé cette subvention pour quelques années.
202 REVUE CRITIQUE
déjà à rassembler de toutes parts et à coordonner les actes de l'Empire; la préface
n'en mentionne pas moins de dix-neuf, professeurs, bibliothécaires, archivistes,
etc.; mais parmi eux nous devons une mention toute spéciale à M. Jules Weizsse-
cker, professeur d'histoire à l'Université de Tubingue et directeur immédiat de
l'entreprise depuis que M. de Sybel est allé s'établir à Bonn, ainsi qu'à trois de
ses collaborateurs, MM. Menzel, archiviste à Weimar, Kerler, bibliothécaire à
Erlangen, et Scheffler, archiviste-adjoint à Munich. Avant de publier une seule
ligne de leur travail, M. Weizssecker et ses aides ont dû se transporter dans
soixante-quatorze archives et bibliothèques publiques et copier avec une patience
de bénédictins des milliers de pièces inédites ou collationner celles qui étaient
déjà publiées, pendant près de dix ans ' . Ce n'est qu'après un aussi long et
pénible labeur préliminaire que M. Weizssecker a pu livrer à l'impression le
magnifique volume in-40 qui inaugure si dignement une des plus utiles entreprises
de l'historiographie allemande. Une introduction longue de cent dix pages ouvre
le volume. Le savant éditeur commence par y donner l'histoire et la bibliographie
détaillée des divers essais faits depuis la fin du xv^ siècle, pour grouper sous un
titre devenu plus tard stéréotype (celui de Corpus recessuum Imperii) les lois et
constitutions de l'empire germanique. C'était plutôt des répertoires de jurispru-
dence pratique, formés sans aucun esprit critique, des entreprises de librairie
dénuées de tout cachet d'authenticité et dans lesquelles on rassemblait, en modi-
fiant souvent les textes, les imprimés qu'on trouvait sous la main. Depuis celle
de Munich qui parut en 1 501 jusqu'à celle de Francfort, publiée en 1747, il y
eut trente-neuf de ces collections successives. La présente qui paraît à Munich,
comme la première de toutes, après plus de cent ans d'intervalle, est probable-
ment la dernière que l'on entreprenne jamais, comme elle est aussi de beaucoup
la plus riche, les deux tiers des documents qu'elle renferme ou renfermera, étant
complètement inédits. M. Weizsaecker en effet n'a pas seulement introduit dans
son recueil les pièces officielles, protocoles, recès, etc., émanant des diètes de
l'Empire; il a fait entrer dans le cadre de son travail tous les documents se ratta-
chant par un côté quelconque aux diètes générales, même aux réunions particu-
lières des États, quand ces dernières se rapportent aux préparatifs des diètes
générales, à la mise à exécution de leurs décisions, etc. Nous pouvons donc
étudier dans les Actes des diètes impériales non-seulement le côté officiel de ces
assemblées, mais y trouver encore une foule de renseignements intéressants dans
les correspondances des princes et États de l'Empire relatives aux sujets qui s'y
négociaient, dans les listes de présence, dans les comptes municipaux des dépenses
de la diète, les descriptions des fêtes qui s'y rattachaient, les instructions et les
dépêches des différents ambassadeurs, etc. On voit combien est grande la variété
des renseignements historiques que l'on pourra trouver dans notre collection; il
n'y a qu'un danger à redouter, c'est qu'à mesure que l'éditeur s'approchera des
i . En fait d'archives françaises nous remarquons dans cette liste celles de Besançon ,
Colmar, Haguenau, Mulhouse, Obernai, Paris, Strasbourg et Wissembourg.
d'histoire et de littérature. 203
temps modernes, dès l'époque de Maximilien I" et de Charles V, l'abondance
des matériaux deviendra telle qu'il lui faudra consacrer plusieurs volumes à chaque
règne, si mieux il n'aime reserrer ses cadres et ne plus donner que les pièces
plifs importantes. On peut juger de ce qu'offriront les archives allemandes pour
ces époques moins reculées quand on voit que les dix années du règne de Wen-
ceslas, renfermées dans ce premier volume et que l'on croyait si pauvres en fait
de documents, où l'on ignorait tout, pour ainsi dire, ont fourni matière à un
volume de plus de six cents pages in-4''. Et cependant plus d'une série des docu-
ments promis par l'éditeur, n'existe pas encore ou n'existe plus pour cette époque
dans les archives consultées par lui ! Il faudra donc se contenter de donner plus
tard une foule de pièces sous forme de régestes et supprimer le menu fretin.
Le présent volume embrasse les années 1 376 à 1387, la première partie du
règne du roi Wenceslas de Bohême, de cette famille de Luxembourg qui fit peu
d'honneur à la couronne allemande, et parmi les princes de laquelle Wenceslas
jouit avec raison de la plus mauvaise réputation. Les documents relatifs à celte
époque, antérieurement connus, étaient peu nombreux. M. W. a découvert et
publié une série de pièces relatives à des diètes dont on ignorait jusqu'à l'existence
avant lui. Par contre il a démontré que d'autres assemblées mentionnées par
certains chroniqueurs (p. ex. celle de Nuremberg en 1 579) n'ont jamais eu lieu.
On tirera de son volume des renseignements tout nouveaux sur les débats
de Wenceslas avec le Saint-Siège à propos de son élection, sur ses rapports avec
Grégoire XI et Urbain VI, sur l'établissement de la paix publique (Landjrieden),
sur le développement des villes, sur les affaires monétaires dans l'empire^etc,
etc.
M. W. a publié in extenso 331 documents, mais la substance de plusieurs
centaines d'autres a été donnée sous forme de régestes ou dans les notes. Le
soin apporté à l'édition de ces pièces ne saurait assez être loué et nous recom-
mandons la lecture des pages Ixij-lxxxiv de l'introduction à tous ceux qui vou-
draient éditer des documents analogues ; ils y trouveront un véritable traité sur la
matière. Chaque copie a été soumise à une double collation; chacune porte en
tête un titre et un résumé succinct de son contenu; les dates sont reproduites en
marges; à côté de chaque document se trouve l'indication détaillée de sa prove-
nance (archives, bibliothèques, etc.) et, s'il n'est point inédit, l'indication des
ouvrages où il se trouve imprimé. Les variantes des expéditions diverses d'un
même document, sont scrupuleusement reportées en notes, où l'on rencontre
aussi tous les éclaircissements historiques nécessaires.
Nous avons une seule observation critique à présenter à M. W. à ce sujet. Il
a fait imprimer en caractères plus saillants certaines phrases ou certains alinéas
qu'il croyait — avec raison, sans doute — être les plus importants de la pièce
où ils se trouvaient. C'est un procédé que nous trouvons dangereux à plusieurs
égards. Si M. W. voulait faciliter ainsi la tâche de l'historien qui mettra en
œuvre les documents publiés ici, on peut objecter qu'il se bornera trop facilement
à ne lire dans un document que les passages ainsi soulignés, négligeant le reste.
204 REVUE CRITIQUE
Mais on peut dire surtout que, selon le point de vue de l'historien, l'importance des
divers documents et des diverses parties d'un document peut changer considé-
rablement; ce qui a paru capital à M. W. peut n'être qu'un point accessoire
aux yeux d'un autre, qui découvrira de son côté des données importantes dans
un paragraphe qui semblait insignifiant à l'éditeur. En un mot, le procédé typo-
graphique de M. W. nous paraît trop individuel pour être adopté sans inconvé-
nient dans une collection qui doit porter un cachet plus général, et si nous avions
un conseil à donner à M. W., ce serait de ne plus mettre ce procédé en usage
à l'avenir. Un registre chronologique de toutes les pièces citées en entier ou par
extraits se trouve à la fin du volume, ainsi qu'une table alphabétique des noms
de lieux et de personnes. L'exécution typographique est très-soignée ' et fait
honneur à la maison Cotta ; le prix du volume est minime, quand on considère
les habitudes générales de la librairie allemande. M. Weizsaecker nous annonce
que le second volume est à peu près terminé ; nous souhaitons qu'il ne se fasse
pas trop longtemps attendre et qu'il contribue encore à augmenter la réputation
méritée du savant éditeur et des collaborateurs dévoués.
. Rod. Reuss.
'9'- — OEuvres de madame d'Epinay. Tome I". Lettres à mon fils, réimprimées
sur rédition de Genève, 1759, avec une introduction par M. Challemel-Lacour.
Paris, A. Sauton, 1869. In-8', xxxviij-199 p.
Il serait fort superflu de vouloir raconter de nouveau l'histoire de madame d'Epi-
nay, d'insister sur le rôle qu'elle a joué dans la société polie du xviii^ siècle.
M. Sainte-Beuve (Causeries du lundi, tom. II), n'a rien laissé à dire à cet égard ;
bornons-nous à quelques indications bibliographiques. Les Lettres à mon fils
parurent à Genève, en 1759, sans nom d'auteur (petit in-8°, 1 36 pages); elles
ne furent, dit-on, imprimées qu'à 25 exemplaires; il est possible que ce nombre
ait été dépassé, mais il n'est pas moins certain que ce petit volume, distribué à
quelques amis, est d'une excessive rareté. Ces lettres au nombre de douze,
adressées à un enfant de dix ans qui resta un personnage fort ordinaire, n'offrent
d'ailleurs rien de bien remarquable. « Le plus souvent M"* d'É. se contente d'y
» rafraîchir, en y répandant son vernis d'élégance, de jolis lieux communs sur
)) la bassesse de la flatterie et de la fausseté, la nécessité de l'attention, le poison
» envahissant de la paresse. Elle invente des paraboles un peu prolongées pour
» faire ressortir les dangers de l'entêtement et de la faiblesse. Elle prêche gra-
» cieusement sur la bienfaisance et l'humanité; elle recommande les plaisirs
» champêtres, le goût de la nature. >> Tout ceci méritait d'être remis en lumière,
parce qu'on y trouve bien des observations délicates et finement exprimées, et
parce qu'il s'en dégage un rayon de plus sur un côté toujours curieux du siècle
dernier : la manie de la dissertation prêcheuse. L'éditeur vient aussi de faire
réimprimer un autre écrit de M""" d'É. également imprimé en 1759, à fort peu
I. A la page xlviij, il faut lire MCCCCXL pour MDDDDXL.
I
d'histoire et de littérature. 205
d'exemplaires : Mes moments heureux; c'est un recueil de lettres et de portraits.
On y trouve de la finesse mêlée à de l'aflFectation. Ce qui doit surtout attirer
l'attention des curieux et des délicats, c'est la publication des véritables mémoires
de madame d'Épinay. On sait qu'elle eut l'idée d'écrire un long roman autobiogra-
phique où elle racontait son histoire sous des noms supposés. « C'était, » observe
M. Sainte-Beuve, « une manière d'apprendre à ses amis bien des choses qu'elle
» n'était pas fâchée qu'ils connussent sans qu'elle eût à les dire en face. En ne
» voulant écrire qu'un roman, M'"M'É. s'est trouvé être le chroniqueur authen-
» tique des mœurs de son siècle. » Le manuscrit de ces Confessions, un peu
arrangées, fut remis par madame d'É. à son ami Grimm, qui ne voulut point le
publier, et laissé à Paris, il finit par avoir la bonne fortune de parvenir dans les
mains d'un jeune libraire, devenu depuis célèbre comme bibliographe, M. Jacques-
Charies Brunet. L'intelligent propriétaire comprit la valeur de cet écrit ; il sut
deviner la vérité sous la fiction ; il restitua les principaux noms ' ; des hors-
d'œuvre furent retranchés, des longueurs furent supprimées, et il en sortit les
Mémoires publiés en 181 8. Ils furent si bien accueillis qu'en moins de six mois il
y eut lieu d'en donner trois éditions réelles, chacune en trois volumes in-S». La
seconde édition est préférable à la première ; elle renferme quelques lettres de
plus. M. Brunet reconnaît que son ami, M. Parison^ l'aida dans le travail de
révision qu'il avait entrepris, travail qui ne saurait obtenir l'assentiment aveugle
des amateurs, puisqu'on ignore ce qui a été retranché et quels motifs ont dicté
ces coupures. L'éditeur dit avoir élagué « ce qui lui a paru purement romanesque»,
et c'est là peut-être ce qu'on voudrait lire. Le manuscrit qu'avait possédé
Grimm est une copie des brouillons de M™^ d'É. faite sous les yeux de
l'auteur et offrant un certain nombre de corrections autographes; il y a là neuf
volumes petit in-4° de 400 à 500 pages chaque; ils ont figuré à la vente des
livres de M. Brunet (décembre 1868) et ils ont été acquis par l'éditeur qui vient
de placer sous les yeux du public les deux premiers volumes des Œuvres de M""* d'E.
Il parait que M. B. n'a reproduit, avec les modifications sus-indiquées, que quatre
volumes, et qu'il a laissé les cinq autres dans le domaine de l'inédit. Il se peut que
tout ne mérite point les honneurs de l'impression, mais il doit y avoir matière à un
ou deux volumes intéressants, et nous ne doutons pas que les gens de goût ne les
1. Grimm, Rousseau et Diderot sont déguisés sous le nom de Voix, de René et de
Garnier; M"' d'E. se cache sous le nom de madame de Montbrillant.
2. M. Parison, né à Nantes en 1771 , mort à Paris en i8jo, fut un savant modeste
qui n'a attaché son nom à aucun livre de sa composition, qui n'a presque rien écrit direc-
tement pour le public, mais par ses intelligentes communications, par une fructueuse coo-
pération, il contribua puissamment au succès de divers ouvrages importants. Voir la notice
placée en tête du catalogue de la belle bibliothèque qu'il avait formée (H. Labitte, 1856).
C'est là qu'a figuré (n* 1908) cet exemplaire des commentaires de César (Anvers, 1 570),
sur lequel Montaigne avait inscrit son nom , des notes marginales , et une remarquable
appréciation de César et Pompée (publiée par M. J. F. Payen, dans ses Documents sur
Montaigne). Ce volume a été acquis par Mgr. le duc d'Aumale au prix de 1450 fr., plus
5 0/0 de frais. M. Parison l'avait en i8n découvert à l'étalage d'un bouquiniste, et
l'avait obtenu pour moins de un franc.
206 REVUE CRITIQUE
reçoivent avec satisfaction. Ajoutons qu'en 1818, dès que les Mémoires parurent,
un écrivain laborieux, M . V.-D. Musset-Pathay ' , en fit l'objet d'un examen qu'ilplaca
en tête d'une brochure intitulée : Anecdotes inédites pour faire suite aux Mémoires de
M">° d'Épinay (Paris, Baudouin, 1818, in-8% 1 1 5 pages), mais il eut le tort de
contester l'authenticité de ces Mémoires. N'oublions pas de dire aussi qu'une
édition nouvelle, revue par M. Paul Boiteau, a paru en 1863 à la librairie Char-
pentier, mais l'éditeur s'est contenté, à quelques additions près, de reproduire le
texte mis au jour en 181 8. Il serait à propos dans cette publication des Œuvres
de M'"'" d'É. de recueillir sa correspondance, restée éparse et en partie inédite;
quelques lettres ont été imprimées parmi celles de l'abbé Gahani, d'autres se
trouvent dans les portefeuilles de divers amateurs d'autographes qui consenti-
raient peut-être à les communiquer.
B.
192. — Les Supercheries littéraires dévoilées, galerie des écrivains français de
toute l'Europe qui se sont déguisés sous des anagrammes, des astéronymes, des cryp-
tonymes, des initialismes, des noms littéraires, des pseudonymes facétieux ou bizarres,
par J. M. QyÉRARD. Seconde édition, considérablement augmentée, publiée par
MM. Gustave Brunet et Pierre Jannet, suivie : 1° du Dictionnaire des ouvrages ano-
nymes, par Ant.-Alex. Barbier, troisième édition, revue et augmentée par M. Olivier
Barbier, conservateur sous-directeur adjoint à la Bibliothèque impériale; 2° d'une
Table générale des noms réels des écrivains anonymes et pseudonymes cités dans les
deux ouvrages. Tome I, i" partie : Supercheries littéraires dévoilées, A-Callisthène;
2" partie : Calmels-Eyonal. Paris, Daffis, 1869, viij-1278 p. — Prix : 20 fr. (le
tout formera six volumes à 20 fr. ou douze livraisons à 10 fr.).
La longueur de ce titre donne une idée de l'importance de la publication que
nous annonçons. Les deux ouvrages bibliographiques les plus considérables
que la France ait produits avec le Manuel du Libraire vont se trouver réunis, et,
ce qui décuplera l'utilité de chacun d'eux, ,une table générale embrassera tous
les noms réels des écrivains pseudonymes de Quérard ou anonymes de Barbier.
Toutefois ce n'est encore là qu'une faible partie des avantages qu'offre cette
double réédition: elle comprendra encore des augmentations importantes. Celles
qui concernent le Dictionnaire des anonymes seront l'œuvre de M. Olivier Bar-
bier, le fils de l'auteur, et qui depuis de longues années se prépare à cette
tâche ; quant à celles qui portent sur les Supercheries littéraires , et qui sont dues
à MM. Gustave Brunet et Pierre Jannet, nous pouvons dès à présent en appré-
cier toute la valeur : elle est telle que c'est par une modestie extrême que les
auteurs ont laissé en tête le nom de Quérard. En effet, ils le disent eux-mêmes,
et le fait est strictement vrai, les articles anciens forment à peine un huitième de
l'édition nouvelle; c'est assez dire que nous avons sous les yeux un ouvrage com-
I. M. Musset-Pathay, mort en 1832, a laissé divers livres intéressants, notamment une
Bibliographie agronomique. Paris, 1810, 2 vol. m-S' , mais on peut dire que celui de ses
ouvrages qui fait le plus de bruit, c'est son fils, Alfred de Musset.
d'histoire et de littérature. 207
plètement nouveau, dans lequel a été absorbé le travail primitif. Toutefois, les
éditeurs ont tenu à respecter religieusement le texte de Quérard, et nous ne
savons s'ils ont eu parfaitement raison. Leur publication est déjà bien volumi-
neuse et par conséquent coûteuse, et il nous semble qu'elle n'aurait pas beau-
coup perdu à la suppression d'un grand nombre de hors-d'œuvre dont quelques-
uns ont pu être piquants dans leur nouveauté, mais qui ne nous intéressent plus
guère et ont un caractère le plus souvent tout personnel : telles sont les attaques
incessantes de Quérard contre les continuateurs de la France littéraire, etc. L'ar-
ticle consacré à Alexandre Dumas, et qui comprend plus de cent cinquante
colonnes, ne rachète pas par son intérêt le tort d'occuper une place aussi
énorme : il porte la marque d'un acharnement qui actuellement n'a plus sa rai-
son d'être; on pourrait en dire autant de bien des réflexions de Quérard, ou
surannées ou oiseuses. Cependant le sentiment qui a empêché les éditeurs de
supprimer ces superfluités est respectable, et il faut reconnaître que çà et là les
notes du fantasque bibliographe ne sont pas dénuées d'intérêt.
Les additions des nouveaux éditeurs portent surtout sur les pseudonymes an-
térieurs au xviii"^ siècle et sur ceux qui appartiennent à la littérature contempo-
raine. Ils ont écarté avec raison, pour ne pas grossir indéfiniment leur liste, les
pseudonymes dont ils n'ont pu découvrir le secret. Nous regrettons qu'ils aient
cru devoir comprendre dans cet inventaire essentiellement français quelques
pseudonymes latins, anglais, allemands, italiens, espagnols, etc., qui sont là par
hasard et ne devraient pas y figurer '. Une autre addition nous parait également
déplacée : c'est celle des apocryphes sacrés ou profanes, qui d'une part sortent
de leur cadre, et qui d'autre part se trouvent presque tous dans le cas indiqué
plus haut, c'est-à-dire qu'on ne connaît pas l'auteur réel 2. H valait mieux laisser
ces indications à des publications spéciales : tout ce qui grossit inutilement un
ouvrage aussi étendu doit être sacrifié. — Les nouveaux éditeurs l'ont en général
compris et se sont abstenus pour leur part des digressions oh Quérard se com-
plaisait; leurs notes sont d'habitude instructives, courtes et sobres (il y a cepen-
dant des exceptions qui ne sont guère justifiées; voy. p. ex. Abriot, Adrien Ro-
bert). Quant à leur travail en lui-même, c'est évidemment le fruit de longues an-
nées de recherches patientes, le résultat de milliers de notes qu'une étude inces-
sante peut seule et lentement amasser. C'est un véritable trésor bibliographique,
auquel ne peut se comparer aucune œuvre du même genre, et qui de longtemps
ne sera ni à refaire ni même à augmenter notablement. C'est une publication
monumentale, dont la première parâe peut déjà être appréciée, et qui dès à
1 . C'est un résultat de l'obligation qu'ils se sont imposée de conserver tout ce que
Quérard avait admis ; ils ont reconnu d'ailleurs que ces notices étaient de trop et assu-
rent n'en avoir point intercalé de nouvelles ; nous relèverons cependant les mots Abraham
aSancla Clara, Akthophilus (Metternich), Antonio da Siena, Atanasio da Verocchio, etc.,
qui sont marqués du signe propre aux additions.
2. D'ailleurs, malgré leur intention d'écarter les pseudonymes non dévoilés, les auteurs
en ont laissé passer quelques-uns : voy. les articles Casanova; Cbiavacchi, etc.
208 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
présent mérite à ses auteurs la plus vive reconnaissance de la part de tous ceux
qui s'occupent de bibliographie ou d'histoire littéraire. Nous n'avons guère qu'à
l'accepter avec des remerciements, car pour critiquer un pareil ouvrage il fau-
drait avoir fait presque autant de recherches que ceux qui l'ont composé. Nous
nous permettrons cependant une ou deux remarques, dont une porte sur le plan
général : les éditeurs ont continué, comme Quérard, à mettre après le nom de
chaque pseudonyme le genre de supercherie auquel il appartient, et ils ont
conservé les noms souvent un peu bizarres inventés par leur prédécesseur (alpha-
bétisme, pseudandrie, etc.); ces indications sont au fond assez inutiles, car le
lecteur voit bien lui-même que A. p. ex. est l'initiale de Auger, sans qu'il soit
besoin de le prévenir que c'est un initialisme ; mais en outre elles sont données
tout-à-fait au hasard et manquent dans la plupart des cas; mieux vaudrait les
supprimer tout-à-fait. — Pour certains articles (p. ex. Cabanis, C^ylus) nous
trouvons accueillies un peu légèrement des allégations qui appelleraient le
contrôle. — L'auteur de la Prophétie publiée sous le nom de Bickerstafî est
bien certainement Swift et non Steele ' . — Entre les divers personnages qui
ont pris le pseudonyme de un ancien officier, nous ne voyons pas le comte de
Pontécoulant, qui a été démasqué par la Revue critique (1867, t. I, art. 21 3).
— Aux plagiats d'Alexandre Dumas, il faut ajouter VHistoire d'un Casse-Noisette,
qui n'est que la traduction libre d'un conte d'Hofmann. — M. Barbey d'Aure-
villy ne devrait pas figurer ici, puisqu'il y est mentionné pour des ouvrages ano-
nymes et non pseudonymes, et qu'en outre il est indiqué à son nom réel, ce qui
est tout-à-fait contraire au plan de l'ouvrage. — Nous avons déjà eu occasion
de dire (^Rev. crit., 1868, 1. 1, p. 78) que le révélateur du plagiat de Courchamp
n'était pas P. J. Stahl (J. Heizel), mais sans doute Génin. — Mnt Lettre deCaïn
après son crime à Méhala son épouse ne devrait pas, ce nous semble, être rangée
au nom de Gain ; c'est bien plutôt un ouvrage anonyme que pseudonyme.
Erratum. — P. 192, 1. 6. Le Breviarium historiale n'est point, comme notre
article le donnerait à entendre, un bréviaire, mais une compilation historique;
voy. Potthast au mot Landulfus de Golumna. — L. 15. Millanges, 1. Millanger.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
BucHHOLZ, die Weltanschauung d. Pindaros u. ^schylos (Leipzig, Teubner). —
DoNALiTius, Littauische Dichtungen, hgg. von Nesselmann (Kœnigsberg, Hùbner).
— Epistolae obscurorum virorum (Teubner). — Horatii Flacci opéra rec. Keller et
A. HoLDER (id.). — Id. rec. Luc. Mueller. — Hyperidis orationes rec. Blass
(id.). — La Roche, Homerische Untersuchungen (id.). — Pindari carmina, éd.
Ghrist. — (^iNTiLiANi Inst. fcc. Halm (id.). — Semper, Die Philippinen (id.). —
Sprenger, Das Leben Mo/zammad (Berlin, Nicolaï). — Thonnelier, Dict. géograph.
de l'Asie centrale, Prolégomènes (Maisonneuve). — Wecklein, Gurae epigraphicae
(Teubner). — Wœlfflin, Pub!. Syri Sententiae.
I. Swift prit plusieurs fois ce pseudonyme; il paraît que Steele a signé de ce nom
quelques critiques; mais l'opuscule dont il s'agit est de Swift.
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Geschichte des Hanses Lichtenstein, I. — Levasseur, Histoire des classes ouvrières
en France; compilation soigneuse de données connues; toute la littérature extra-
française est inconnue à l'auteur. — Clamageran, Histoire de l'impôt en France.
Livré utile et fertile en bons renseignements. — Freeman, History ofthe Norman
Conquest of England. Vol. II. Contient l'histoire d'Edouard le Confesseur. —
Edwards, Life of sir Walter Ralegh., etc., etc.
The Irish Ecclesiastical Record. Dublin, Kelly. N» LIX, vol. V. — August,
1869.
P. 501-J22, De la domination (ascendency) protestante et de Ndiication catholique
en Irlande, par le Cardinal Ccllen, archevêque de Dublin. [Contient d'intéres-
sants détails sur les persécutions dont les catholiques d'Irlande ont été l'objet
pendant les derniers siècles.] — P. 522-543. Le cérémonial catholique. — P.$44-
548. Correspondances, actes de V autorité ecclésiastique.
N° LX. Vol. V. — September, 1869.
P. 550-572. Sogarth aroon (conférence sur le caractère et le rôle du prêtre
en Irlande), par le P. M. O'Connor. — P. 573-581. John Knox et les premiers
fruits du presbytérianisme. — P. 582-584. Déclaration de l'Épiscopat Irlandais sur
la question de l'enseignement. — P. 585-592. Documents et décrets du Saint-Siège.
— P. 593-600. MoNASTicoN HiBERNicuM : Comté d'Armagk.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
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Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
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Lacour. In-8% 535 p. Libr. de l'Acadé-
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Untersuchgn. Mitastronom. Hùlfstaf. v.
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vie du comte J .-B. Broussier ( 1 766- 1814),
par H. Labourasse et de la fuite de
Louis XVI et de la famille royale, son
arrestation à Varennes. In 8°, 102 p.
Bar-!e-Duc (imp. Contanl-Laguerre).
corrigée et augmentée, i vol. in-8", , fj._ ,q
Cet ouvrage forme le ^" fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M, Bréal, professeur au Collège de France.
T^ l\/[0 1\/T l\/[ ^ FT NI '^^^^°'^^ romaine traduite par M. C.-A.
1 • iVl \J iVl iVl O lL IN Alexandre , conseiller à la cour impé-
riale. T. VII. Un fort vol. in-8°. ^ fj-_
Ce volume contient la guerre des Gaules jusques et y compris la bataille de
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sur la guerre des Gaules.
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nouvelles, publié d'après le manuscrit original par M. Emile Mabille. i vol.
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• LJ 1 IL Z-i Cette traduction autorisée par l'auteur et l'éditeur et
faite par MM. G. Paris et A. Brachet, sera à l'égard de la partie française con-
sidérablement augmentée.
L'ouvrage complet se composera de trois ou quatre volumes.
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librairie A. Franck, 67, rue Richelieu.
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Dichter und seine saemtliche Werke. In-8'\ 4 fr.
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Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 40 Quatrième année 2 Octobre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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li» \ y lli i L^ parées aux langues modernes. Nouvelle édition revue.
PERIODIQUES ÉTRANGERS.
The Athenseum. i8 septembre.
J. HosACK, Mary Queen of Scots and her Accusers; Blackwood; plaidoyer cha-
leureux en faveur de Marie Stuart, dont l'auteur essaye de prouver la non par-
ticipation au meurtre de Darnley. Le critique^ tout en reconnaissant le mérite de
cet ouvrage (dont nous rendrons prochainement compte) ne paraît pas convaincu.
— J. M. Flad, The Falashas (Jews) of the Abyssinia, translated frora the german
by Goodhart; Macintosh. — G. Fr. Masterman, Seven eventful Years in Para-
guay (Low), témoignages personnels sur les cruautés inouïes du maréchal Lopez.
— GoBLET d'Alviella, L'établissement des Cobourgs en Portugal; Libr. intern.
— L. Ferri, Essai sur l'histoire de la philosophie en Italie au xïx" siècle; Durand.
— Popular russian Legends in a Form adapted for Children, by a Moscovian;
Moscou, Salaieff. — Une correspondance (p. 371) contient deux vers inédits
de V. Hugo. Ils sont gravés sur le collier de son chien. — J. W. K. Lettre sur
la réforme orthographique.
Germania, Vierteljahrsschrift fur deutsche Alterthumskunde , begrûndet von
Franz Pfeiffer, fortgesetz von Karl Bartsch. — 2* série, 2« année (t. XIV
de la collection), 1869. r"" cahier. — Prix : 12 fr. par an.
[Ce recueil^ fondé en 1855 par M. Fr. Pfeiffer, et depuis la mort de celui-ci
continué par notre collaborateur M. Bartsch, n'a pas cessé de tenir le premier
rang entre les périodiques consacrés à l'étude des langues et littérature germa-
niques. Il s'est, peut-être plus spécialement quehZeitschriftf. deuîsches Alterthum
de Haupt et la Zeitschriftf. deutsche Philologie de Hœpfner et Zacher, consacré
au mojen-âge allemand. Aussi, en raison de l'influence que l'ancienne littérature
française a exercée sur presque toutes les littératures européennes, les treize
volumes parus de la Germania contiennent-ils un nombre considérable de mémoires
qui n'intéressent pas moins la France que l'Allemagne. Nous signalerons notam-
ment les études de M. Bartsch sur la strophe lyrique dans la poésie
allemande et dans la provençale (II, 257), sur l'imitation de poésies des trouba-
dours par quelques Minnesinger (III, 304), sur Albéric de Besançon (II, 449),
sur une imitation flamande du poème de Floovent (IX, 407), sur l'imitation d'Erec
et Enide par Hartmann von Aue (VII, 141); celles de M. Rochatsur le Parzival
de Wolfram comparé au Parceval de Chrestien (III, 81, IV, 414) sur Albéric de
Besançon et le curé Lamprecht(I, 273); la comparaison d'Herbort de Fritzlar
avec son original, Benoît de Sainte-More, par M. K. Frommann (II, 39, 177,
507), etc., etc.].
P. I. E. Fœrstemann. Noms de rues tirés de professions; premier essai qui
donne déjà des résultats pleins d'intérêt. Il est à peinebesoin de faire remarquer que
rien de pareil n'a été tenté jusqu'à ce jour pour la France. — P. 2G. J, Lambel,
Un dicton satirique du xv^ siècle; en français et en bas-allemand, relatif à la guerre
du Bien public. — P. 27. K. Maurer, Sur la saisie des biens nobles des Norvé-
giens par K. Harald Hàrfagari. — P. 40. 0. Schade, Sur les vers allemands cités
dans la rhétorique de Nokker; cet article, dirigé en partie contre MùUenhoff, sert
I . En voici le texte français : « Benedicite. De la jeunesse de notre frère de Barry, B
1) De la saigesse de duc de Calabre 11 De i'oultrecudance de Bourbon, Il De l'orgeul de
» cellui de Brytaigne, 1| De puissance de conte de Charioys 11 Et de l'orribilité du conte
» d'Armyniak |1 Libéra nos Domine. »
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 40 — ^ Octobre — 1869
Sommaire : 195. Homère, Iliade, p. p. Pierron. — 194. Le duc Ernest, p. p.
Bartsch. — 195. Clavel, Arnauld de Brescia. — 196. Mœrikofer, Ulrich
Zwingli, t. II. — 197. Léon, Étude historigue sur la chambre de commerce de
Bayonne. — Variétés : Une représentation religieuse à Auriol en 1 534.
193. — L'Iliade d'Homère, texte grec revu et corrigé d'après les documents authen-
tiques de la récension d'Aristarque, accompagné d'un commentaire critique et explicatif,
précédé d'une introduction et suivi des prolégomènes de Villoison, des prolégomènes et
des préfaces de Wolf, de dissertations sur diverses questions homériques, etc., par
Alexis Pierron. Tome premier. Paris, L. Hachette et C*, 1869, clj et 468 p. —
Prix : 12 Ir. 50.
Homère, à quoi bon le dissimuler? n'a jamais joui en France que d'une faveur
restreinte. Si je ne craignais pas de faire une comparaison inconvenante, je dirais
volontiers qu'on a pris l'habitude de traiter le poète comme beaucoup de gens
traitent le bon Dieu. Et je n'entends pas ici parler des railleurs, bien qu'ils
n'aient épargné ni l'un ni l'autre. Il s'agit au contraire de ceux qui professent
pour Homère la plus grande admiration et lui assignent, sans hésitation aucune
le premier rang entre les poètes. Cependant, malgré ces démonstrations, ils ont
plutôt l'air de le subir; l'espèce de culte dont ils entourent le père de la poésie
ressemble un peu trop à une adoration de commande, où l'on remarque je ne
sais quoi d'officiel et de forcé qui exclut tout amour et tout enthousiasme.
Nous obser\'ons la même réserve et la même discrétion vis-à-vis du difficile
problème connu sous le nom de question homérique. L'effet produit en France, à
la fin du dernier siècle par la publication des Prolégomènes de Wolf fut, on le
sait, un mouvement d'humeur et presque de dépit. Sans doute on a fait du che-
min depuis lors. Mais si l'on n'ose plus traiter, avec Sainte-Croix, de paradoxe
littéraire la féconde révélation du savant professeur de Halle, il n'en est pas moins
vrai que dans le long débat qu'elle a fait naître, débat qui passionne encore nos
voisins d'Outre-Rhin, le rôle de la France a été presque entièrement passif. Il
est permis de le regretter et, par conséquent, de saluer avec joie toute tentative
sérieuse, destinée soit à nous faciliter la lecture d'Homère, soit à nous initier
aux difficiles et intéressants problèmes que soulève l'histoire des poèmes homé-
riques. C'est à ce double titre que se recommande la publication de M. Pierron.
Malheureusement, et je tiens à le déclarer dès le début, l'examen des deux
parties qui la composent ne semble justifier que trop le jugement peu favorable
que je portais tout à l'heure sur l'état des études homériques en France.
En général le plan de l'introduction de M. P. parait assez bien conçu. L'auteur,
se réser\'ant sans doute de revenir dans son second volume sur la question de
l'origine même de l'Iliade et de l'Odyssée, se borne à nous faire connaître les
viii 14
2 10 REVUE CRITIQUE
destinées du texte de l'Iliade. Il faut lui savoir gré d'avoir laissé résolument de
côté la personne légendaire du poète pour se placer immédiatement sur le terrain
historique. Si ce qu'il dit des mesures prises à Athènes pour régler la récitation
publique de l'Iliade et de l'Odyssée, est loin de résoudre la question, la faute en
est avant tout à l'insuffisance de nos renseignements qui ne permettront peut-être
jamais d'éclaircir certains points. Mais précisément pour ce motif, nous eussions
désiré trouver dans le travail de M. P., ici comme ailleurs, soit une transcrip-
tion entière, soit au moins une indication plus précise de tous les passages sur
lesquels il s'appuie. Une pareille omission est déjà gênante pour des lecteurs
familiers avec le sujet, car elle les force de recourir constamment à d'autres
ouvrages; mais elle devient beaucoup plus grave pour ceux qui, n'étant pas au
courant de la question, cherchent à s'instruire et se voient privés de tout moyen
sérieux de contrôle. Un exemple entre plusieurs que nous pourrions citer : que
l'on lise ce qui est dit p. iij au sujet « de la fameuse scholie de Ritschl et de
» Cramer. » Je doute qu'il se rencontre beaucoup de lecteurs français qui sachent
à quoi s'en tenir au sujet d'un texte aussi peu répandu et que, pour le dire en
passant, M. P. nous paraît estimer bien au-dessous de sa véritable valeur.
Peut-être faut-il expliquer un procédé aussi contraire à toute méthode vrai-
ment scientifique par le désir de ne pas exagérer les dimensions du volume. Mais
ce résultat pouvait être atteint d'une autre manière soit par le sacrifice de certaines
longueurs, soit par une plus grande circonspection. M. P. aurait ainsi évité de
tomber dans de graves erreurs et je ne serais peut-être pas obligé de lui repro-
cher les deux pages et demie (xj ss.) qu'il consacre « à la fameuse Iliade de
» l'Hélicon. » Sans doute ce n'est pas trop quand il s'agit d'opérer une véritable
résurrection. M. P. qui traite avec un dédain trop marqué Lachmann et son
école (p. cl), accorde ici une confiance des plus imprudentes à un critique aussi
justement décrié que l'est Osann. Il paraît ignorer que le fameux exemplaire de
l'Hélicon, dont la découverte a égayé un moment l'Allemagne savante, a vécu
tout juste ce que vivent les roses; et pour comble de mésaventure M. P. croit
pouvoir renchérir sur les découvertes d'Osann. Il sait que l'exemplaire faisait
partie de la bibliothèque du temple des Muses situé sur l'Hélicon et que de là
vient son nom : il affirme qu'Aristarque a dû le connaître et arrive ainsi à
enrichir son introduction de deux pages qui contiennent presque autant d'erreurs
que de lignes. M. P. devrait savoir que cette prétendue Iliade de l'Hélicon s'est
changée depuis longtemps en exemplaire d'ApelUcon ' . Le renseignement pourra
lui être précieux et lui permettre de remplacer utilement l'appendice détaillé
qu'il promet pour le second volume sur l'Iliade de l'Hélicon (p. cxlvj). Grâce à
l'heureuse imagination dont il fait preuve en maint endroit, il lui sera facile de
se figurer qu'il tient enfin un exemplaire de la non moins « fameuse édition de la
» cassette. » Le sort de cette dernière le préoccupe en effet vivement. Or, je
I. Voir le spirituel article de M. Nauck; Philologus, t. VI, p. 560 suiv. et M. Ritschl,
Opuscules, t. I, p. 49, note.
d'histoire et de littérature. 211
n'ai pas besoin de rappeler à un historien de la littérature grecque aussi bien
renseigné « sur la négligence avec laquelle les livres furent traités par les héritiers
» des biens d'Aristote » (p. xv), qu'Apellicon de Téios était précisément un de
ceux entre les mains desquels tombèrent les manuscrits du philosophe.
Pour le dire en passant, je n'ai jamais rien compris à l'importance que cer-
taines personnes accordent à des notices aussi stériles au fond que celles qui nous
parlent d'une récension d'Homère entreprise par le philosophe de Stagire.
Admettons même que de pareils témoignages soient d'une valeur indiscutable (ce
qui n'est nullement le cas), qu'en résultera-t-il d'utile pour l'histoire du texte
homérique? Absolument rien. A ce propos du reste M. P. croit avoir fait une
découverte à laquelle il semble attacher un certain prix. Il tient pour évident
qu'Aristote citant l'Iliade, suivait le texte qu'il avait lui-même établi. Je ferai
d'abord observer que l'exemple tiré de la Métaphysique 1. iv, ch. 5, aurait gagné
singulièrement en portée, si M, P. avait su que le même vers, absent de nos
textes actuels, se retrouve dans le Traité de l'àme 1. 1, ch. 2, p. 404^ 29.
J'ajouterai que de pareils cas ne sont pas rares : que souvent ils s'expliquent par
l'habitude des anciens de citer de mémoire. Enfin le fait n'étant pas particulier à
Aristote, mais se reproduisant chez Platon', il ne saurait être expliqué par l'hy-
pothèse de M. P., mais sert uniquement à constater, ce qui d'ailleurs est établi
depuis longtemps, qu'avant l'époque des Alexandrins, le texte des poèmes homé-
riques était sensiblement différent de la Vulgate adoptée postérieurement.
Il y aurait de même plus d'une réserve à faire en ce qui touche les Problèmes
homériques d'Aristote que M. P. ne paraît connaître que par ce qu'en a dit
M, Egger dans son Histoire de la critique chez les Grecs. Il n'est guère exact
d'affirmer, comme le fait M, P. à deux reprises p. xxij et xxiij que l'ouvrage
d'Aristote « a été fréquemment mis à profit par les commentateurs alexandrins. »
C'est à de nombreux extraits d'un ouvrage de Porphyre contenus dans le Schol.
B. qu'est due la presque totalité des solutions attribuées à Aristote. Pourquoi
ensuite ne pas avoir dit un mot du chapitre de la Poétique consacré à des problèmes
homériques tout à fait analogues? Nous en dirons autant de la question d'authen-
ticité de ces problèmes qui a été niée formellement par M. Lehrs et par l'un de
ses disciples, M. Kammer, dans sa dissertation intitulée : PorphyriiScholiahomerica,
Regimonti, 1865 (cp. encore Wachsmuth, de Aristotelis studiis homericis, Berolinl,
1863). Ajoutons encore que l'exemple cité p. xxiv n'est évidemment pas em-
prunté au recueil même du philosophe, mais extrait d'un dialogue fictif comme
l'est celui qui termine la seconde harangue de Dion Chrysostome.
l! est clair que nous ne pouvons suivre M. P. pas à pas jusqu'au bout de son
introduction. Ce que nous avons dit suffirait à la rigueur pour caractériser le
1 . Un exemple frappant de la liberté dont usaient les écrivains de l'antiquité pour citer
des passages de leurs poètes nous est fourni par Platon. Les deux mêmes vers d'Hésiode,
Travaux et Jours, 122 et 123 se trouvent chez lui Républ. p. 469, et Cratyle, p. 397 f.
avec des leçons tout à fait différentes.
212 REVUE CRITIQUE
manque de sûreté, pour ne pas dire l'inexpérience, de sa méthode qui contraste
trop souvent avec la sévérité de certains de ses jugements 2. Il va sans
dire du reste que là où il a pu suivre un guide aussi sûr que l'est M. Lehrs (de
Aristarchi studiis homericis), ses erreurs sont à la fois moins graves et moins
nombreuses. Nous ne saurions cependant accepter l'idée qu'il paraît se faire
d'Aristarque et nous serions bien tenté de prendre contre lui la défense de Wolf.
Qu'Aristarque ait été le premier critique de l'antiquité, que le parti le plus sage
soit de tenter une restitution de son texte d'Homère, cela nous l'accordons volon-
tiers. Mais la supériorité d'Aristarque n'est que relative. D'art qu'elle était autre-
fois, la critique est devenue une science et nous affirmons hardiment que, si nous
devions aujourd'hui établir un texte d'Homère, avec l'aide de tous les documents
dont disposaient les Alexandrins, ce texte serait sur plus d'un point différent de
celui qu'ils ont fixé et à coup sûr plus authentique. C'est là ce que Wolf a voulu
dire et il a mille fois raison. Je ne sais du reste si je me trompe, mais je crois
trouver dans l'introduction de M. P. une sorte de mauvaise humeur mal dissi-
mulée à l'adresse du grand critique allemand, je dirai presque, une tentative
déguisée de lui substituer Villoison. Le nombre des hellénistes distingués que
produisit la France au xviii^ siècle est bien restreint, et nous pouvons être fiers
d'avoir à citer Villoison; néanmoins son mérite et celui de son édition de l'Iliade
est-il aussi considérable que le proclame M. Pierron? En particulier il sera
permis de douter de l'utilité que peut offrir la réimpression promise de ses Prolé-
gomènes. Le plus bel hommage à rendre à la mémoire de Villoison en France,
ce serait d'y publier cette édition si vivement désirée et annoncée jadis par
M. Cobet des scholies de Venise. En général, et c'est par là que pèche l'intro-
2. Qu'on nous permette cependant d'ajouter quelques preuves à l'appui de notre opi-
nion. A propos de Zoïle, p. xxv, nous lisons « on cite habituellement la diatribe de Zoïie
» sous le nom de <\i6-^oi '0(xr)pou, Blâme d'Homère; mais le titre réel parait avoir été "OfAYipo-
» ixào-Tt?, Fouet d'Homère. » Cette identification (qui repose sur une hypothèse de M. Lehrs)
est assez plausible, mais pourquoi continuer « outre le Fouet d'Homère et le Blâme d'Ho-
» mère, Zoïie avait écrit un éloge de Polyphème? » (cp. p. xxvij « le style du Fouet
» d'Homère ou du Blâme d'Homère ou de l'éloge de Polyphème. » — En fait de jugements
sévères, les pages consacrées à Zénodote (p. xxix ss.) nous paraissent d'une injustice évi-
dente. M. P. aime l'exagération dans le blâme comme dans l'éloge et, ce qui est un tort
plus grave, il adore la phrase. On peut être Afistarchien à outrance, ce n'est pas une
raison pour lancer des réquisitoires en règle contre des critiques, dont la méthode était
imparfaite, mais dont le mérite saurait d'autant moins être contesté qu'ils ont frayé la voie
à leurs successeurs. Il est bon de relire après la violente diatribe de M. P. les paroles
sensées que M. Lehrs consacre à Zénodote (p. 337 et 358 ss. de sa seconde édition). — Que
signifient ensuite des paroles comme les suivantes, p. xxx : « les modernes semblent avoir
» pris à tâche d'embrouiller et d'obscurcir tout ce qui concerne et la personne de Zéno-
» dote et le caractère de ses travaux d'éditeur.? » On dirait que M. P. ne se doute pas
des difficultés dont est entourée toute cette question relative Zénodote. — Nous pourrions
relever encore le paragraphe qui traite d'Apion et d'Hérodore (p. lij) comme renfermant
des erreurs manifestes, mais nous terminerons par une observation touchant les mots
» documents authentiques de la récension d'Aristarque » d'après lesquels M. P. annonce
avoir revu et corrigé son texte grec. Ici comme en beaucoup d'autres endroits M. P. se
comporte en homme qui a fait des découvertes (cp. surtout p. cxliv). Mais quelle que soit
du reste la valeur du Schol. Venet. A de l'Iliade, peut-on lui décerner ce titre?
d'histoire et de littérature. 21 j
duction de M. P., il attache une importance exagérée à des travaux oubliés
depuis longtemps, comme p. ex. aux éditions mort-nées de Spitzner et de Bothe.
Il y aurait encore là bien des choses à retrancher, et qui seraient remplacées
avantageusement par des notices sur des travaux beaucoup plus importants.
Si maintenant nous passons au commentaire, nous poserions volontiers deux
questions à M. P. D'abord s'il a jamais lu et étudié un de ces beaux commen-
taires qui font la gloire de l'école française de philologie du xvi^ siècle? En second
lieu comment il croit pouvoir mettre d'accord le contenu d'un nombre considé-
rable de ses notes avec le titre d^édiîion savante sous les auspices duquel paraît
son ouvrage? Les notes dont nous voulons parler ont depuis longtemps leur nom
particulier. Elles s'appellent ad modum Minellii. Nous ne dirons rien de toutes
celles qui sont destinées soit à signaler les vers se terminant par trois spondées ,
soit tous les infinitifs ayant le sens d'impératifs, soit tous les subjonctifs ayant
gardé la voyelle brève, soit les duels, mais comment ne pas s'étonner en présence
des remarques suivantes : « m^i, des feux. C'est le pluriel de nvo (&, 509);
y.aiévTfov, à l'impératif comme au vers 517 àn^WôvTuv (â, 521, cp. i, 47, 67);
£Ï!i' pour ;T|xi, je vais marcher (e, 2 5 6) ; xàirTretrov pour xatéireTOV (a, 5 9 j), xotxxeîovTe?
pour xaraxîiovTEç (a, 6o6); Treçaviat apparuit. C'est le parfait passif de çaîvw (p,
122); âpET(o), de atpw toilo, soulever (i, l88); SoOpa pour ôcjpaTa, ôôpaxa, de Sopu,
bois; £(TTa6(T(a) pour éTTô-ra, se tenant debout (^, 170); ^izry pour iS-hvry, de
lêr.v aoriste de Paivw (a, 327); êçT.aeiç, futur d'irîr.ai, lanCer (a, 518), à$ov ou â?ov,
de âf/-j[xt, briser (;, 306); xoXwfféfxev pour yoléaei^ (a, 78). Il n'y a guère de page
qui ne pourrait servir à enrichir cette liste beaucoup trop longue déjà. Et cepen-
dant M. P. déclare (p. cxlv) qu'il « suppose acquis tout ce qu'on a vu dans les
» grammaires, tout ce qu'on voit en ouvrant un dictionnaire. » De pareilles an-
notations devraient être proscrites dans des éditions à l'usage des élèves, que
dire lorsqu'elles s'étalent au bas des pages dans des livres destinés aux professeurs?
Homère, on l'a souvent dit avec raison, est à la fois le plus facile et le plus
difficile de tous les auteurs grecs. Il est facile si en le lisant on se tient dans le
chemin battu, si on ne quitte pas la 55o; /îwsopo;; en d'autres termes si l'on se
borne à comprendre le poète, à goûter le charme de sa poésie. Mais du moment
qu'on l'aborde en se plaçant au point de vue de la philologie moderne, la ques-
tion change complètement et l'on se trouve en face des problèmes les plus diffi-
ciles. Nous ne ferons aucun reproche à M. P. de ne pas être entré dans cette
seconde voie. Toutefois il est un certain nombre de ces points au sujet desquels
il n'est plus permis à un éditeur d'Homère de ne pas avoir une opinion arrêtée.
Si tel était le cas pour M. P. nous ne rencontrerions pas chez lui des hésitations
singulières, des interprétations diverses appliquées à des faits évidemment iden-
tiques. Que l'on compare à ce sujet ce qu'il dit soit sur l'allongement de la syllabe
brève devant le pronom de la troisième personnes, 7, i88(=>:, 159), S-, 190,
soit sur l'hiatus e, 103, 5, 301. Une seule et même explication est applicable à
tous ces cas, c'est celle qui repose sur l'usage du digamma, au sujet duquel
M, P. évite de se prononcer franchement.
214 REVUE CRITIQUE
En ce qui concerne l'exégèse, M. P. semble s'écarter quelquefois à tort de la
règle donnée déjà par les anciens, d'après laquelle toute épithète homérique doit
toujours être expliquée de la façon la plus concrète. La note suivante X, 256 en
fournit un exemple : « àvsjxoTpsçéç (se rapportant à Iyxoç) , nourrie par le vent,
fille du vent, rapide comme le vent. Didyme tô xoyçov xaî ôùxivtitov. Il y a d'autres
interprétations anciennes : celle-ci notamment, qui semble un peu bizarre : faite
d'un bois nourri par le vent, fortifié par le vent, c'est-à-dire faite d'un bois dur
et solide. » Eh bien c'est précisément la dernière interprétation qui est la bonne :
tout le monde sait en effet que le bois d'un arbre exposé au vent acquiert une
bien plus grande force de résistance et devient par là plus propre à la fabrication
des lances. Dans le choix de ses notes, c'est le hasard qui paraît avoir souvent
guidé M. P. Il cite fréquemment des extraits de l'ouvrage de M. Daremberg sur la
médecine chez Homère. Nous sommes loin de lui en faire un reproche, mais
pourquoi se borner à cette seule monographie quand il en existe tant d'autres_,
soit sur la psychologie, soit sur les idées religieuses, soit sur une foule d'autres
points dont il est question chez le poète ? Enfin nous eussions désiré voir Homère
plus souvent expliqué par Homère lui-même. A lire le commentaire de M. P.
on dirait que l'Odyssée n'existe pas. Pourquoi, pour ne citer qu'un exemple, à
propos du vers II. y, 363 : -rpt^Gà -zz xaî TExpa^ôà ôtarpuçèv exTteaev X^'P°?) dont On
nous fait remarquer l'harmonie, ne pas avoir rappelé le vers presque identique
de la description de la tempête dans l'Odyssée (t, 71)?
Nous arrêterons ici nos observations. Elles pourront paraître sévères, mais
nous ne les croyons que justes. Ce que nous accordons volontiers à l'auteur,
c'est qu'il a fait preuve de beaucoup de bonne volonté, d'un désir véritable de
se mettre au courant de la science actuelle. M. P. nous apprend qu'il a consacré
trois années à son travail. C'est trop et trop peu. C'est trop pour ce qu'il nous a
donné ; cela serait évidemment trop peu pour quelqu'un qui voudrait, au lieu
d'une simple compilation, fournir un commentaire de l'Iliade, basé sur l'étude
approfondie de tous les travaux soit des anciens soit des modernes qui se rap-
portent à Homère. Du reste la question de temps n'est que secondaire. C'est
avant toute de méthode qu'il s'agit. Or celle de M. P. nous paraît défectueuse à
plus d'un égard. Aussi conseillerons-nous à ceux qui se serviront de son livre
de le contrôler sans cesse à l'aide des travaux qui l'ont précédé.
Emile Heitz.
P. S. Au moment où nous terminons ces lignes, nous recevons le 2^ volume
de l'édition de M. Pierron. Un article spécial que nous lui consacrerons nous
permettra de revenir sur plusieurs points déjà traités et d'en aborder plusieurs
autres que, faute d'espace, nous n'avons pas pu traiter encore.
d'histoire et de littérature. 215
194. — Herzog Ernst. Herausgegeben von Karl Bartsch. Wien, Braumùller, 1869.
In-8*, cIxxij-308 p. — Prix : 16 fr.
Le poème du Dur Ernest a été composé, en dialecte bas-allemand, entre les
années 1 1 7 j et 1 1 80 ; on ne possède plus de cette rédaction primitive (A) que
quelques fragments trouvés dans des reliures; ce poème a été renouvelé une
première fois (B) sans doute encore au xii* siècle, et une deuxième fois (D) vers
la fin du xiii''; en outre au xiv* siècle il a été rais en strophes destinées au chant
(G), au xiii^ siècle il avait été traduit très-librement en latin (C), et c'est cette
prose latine qui servit de base au xv« siècle (ou peut-être au xiV) à une rédaction
en prose allemande (F), imprimée plusieurs fois sans lieu ni date; entre 1206 et
1232, il fut imité en hexamètres latins par un clerc nommé Odon (E)'. — De
ces sept versions, M. Bartsch a imprimé quatre : les fragments de A, et le texte
de B, F et G; il y joindra peut-être quelque jour les trois autres, CDE. Chacun
des textes qu'il donne est établi avec toutes les ressources de la critique, accora-.
pagné de variantes et suivi de notes détaillées. Dans une longue Inîroducîiony
après avoir examiné le rapport de chacune des rédactions avec les autres, la date
de leur composition, leurs caractères linguistiques et métriques, etc. M. B.
recherche : i° la base historique de ce qui, dans le poème, s'appuie sur une tra-
dition; 2° les sources de la partie purement fabuleuse. Cette seconde partie de
son Introduction est d'un intérêt général, surtout le chapitre qui est consacré aux
aventures merveilleuses d'Ernest en Orient. Le poème comprend en effet deux
parties bien distinctes et d'un caractère tout différent, dont l'une, purement épi-
sodique d'abord, a de plus en plus reculé l'autre au second plan. Le duc Ernest
est le beau-fils de l'empereur Otton, qui a épousé sa mère Adelheid; un traître,
le comte palatin Henri, le brouille avec l'empereur; Ernest tue Henri sous les
yeux d'Otton. Il en résulte une grande et terrible guerre, à la suite de laquelle
Ernest, à bout de ressources, se décide à quitter l'empire et à visiter le Saint-
Sépulcre. Il part en effet, et quand il revient après quelques années sa mère et
ses amis le réconcilient avec l'empereur. Tel est le cadre primitif, dans lequel on
ne peut méconnaître un fondement historique. M. B. a retrouvé par une analyse
pénétrante les éléments qui ont contribué à le former, et les confusions de per-
sonnages et de dates qui se sont peu à peu introduites dans la tradition ; nous ne
pouvons, faute d'espace, que renvoyer nos lecteurs à cet excellent chapitre, dont
on ne saurait exposer ici les résultats sans entrer dans trop de détails.
La seconde partie du poème comprend les aventures d'Ernest pendant son
séjour en Orient. Elle soulève un grand nombre de questions délicates que M. B.
nous semble avoir résolues pour la plupart avec un grand bonheur. En effet
plusieurs de ces aventures se retrouvent dans d'autres poèmes, qui les attribuent
I . Le poème d'Odon a été publié par D. Martene, Thésaurus novus Anudotorum, t. III,
p. 307 ss., d'après un manuscrit de Tours qui a disparu. Peut-être n'est-il que méconnu
dans la bibliothèque de Tours; le fait s'est présenté plus d'une fois.
2l6 REVUE CRITIQUE
soit à Henri le Lion, duc de Braunschweig, soit à un Reinfrit, également duc de
ce pays. M. B. démontre que, dans l'un et l'autre de ces poèmes, elles sont
simplement tirées de l'une des rédactions du Duc Ernest, et qu'elles ont été
appropriées par des poètes postérieurs à des héros pour lesquels elles n'avaient
point été imaginées.
Reste donc à savoir quelle est leur origine. Ces aventures sont brièvement les
suivantes : Ernest, parti de Constantinople avec une flotte nombreuse, la perd
toute entière dans une tempête à l'exception d'un seul vaisseau , qui erre pen-
dant deux mois sur la mer; les provisions vont manquer quand on aperçoit la
terre. Ernest et ses compagnons débarquent : ils trouvent une ville et un palais
splendides, mais déserts : c'est la ville de Grippia. Les habitants reviennent
bientôt dans la ville avec leur roi^ à la rencontre duquel ils s'étaient tous portés.
Ces habitants ont des têtes de grues sur des corps humains ; le roi ramène avec
lui une belle princesse, la fille du roi des Indes, qu'il vient d'enlever après avoir
tué ses parents. Ernest veut la délivrer : il s'en suit un combat, où le roi avec
un grand nombre de ses hommes trouve la mort, ainsi que la jeune fille. —
Ernest se rembarque ; il arrive dans la mer caillée, où est la montagne d'aimant
qui attire à elle tous les vaissaux à cause de leurs ferrements ; celui du duc subit
cette attraction et ne peut plus bouger. La famine fait périr beaucoup des com-
pagnons d'Ernest; leurs cadavres sont enlevés par des griffons, qui les portent
à leurs petits. Ernest et trois des siens se font coudre dans des peaux de bœufs
et emporter par un des oiseaux gigantesques; arrivés à l'aire, ils se dégagent et
errent dans une forêt. — Dans cette forêt est un fleuve, ils le suivent jusqu'à
une montagne dans laquelle il s'engoufl"re. Ils construisent un radeau avec lequel
ils s'engagent dans le canal souterrain, éclairé çà et là par une masse de pierres
précieuses, dont Ernest détache la plus belle'. — Le fleuve débouche dans le
pays des Arimaspes, dont les habitants n'ont qu'un œil au milieu du front; le roi
reçoit avec honneur Ernest et ses compagnons. — Les Arimaspes sont en guerre
avec les Pieds-plats, peuples dont les pieds énormes leur font de l'ombre quand
ils se reposent; grâce aux Allemands le roi des Arimaspes est vainqueur et il les
récompense en leur donnant des fiefs. — Ernest défait un autre peuple, composé
d'hommes pourvus de si longues oreilles qu'ellesleurtiennent lieu de vêtements.
— Non loin de là demeurent les Pygmées, qui vivent dans la terreur perpétuelle
des grues qui dominent leur pays ; Ernest vient à leur aide et remporte la vic-
toire sur les grues. — D'autres voisins des .\rimaspes, les Géants cananéens,
veulent leur imposer tribut; le duc Ernest sait encore faire triompher le roi qui
lui a donné asile. — Au bout de six ans, Ernest quitte le pays des Arimaspes pour
servir le roi d'Ubian (ou de Mauritanie) contre le roi de Babylone, qui veut le
forcer à abjurer le christianisme; puis il parvient à Jérusalem, d'où il retourne en
Europe.
I . Cette pierre, d'après le poème, fut donnée plus tard par le duc à l'empereur : c'est
l'Orphelin, qui fut longtemps célèbre, et qui était enchâssé dans la couronne impériale; il
fut perdu sans doute au XYIII* siècle.
d'histoire et de littérature. 217
Ces aventures se divisent à leur tour en trois groupes distincts. Le premier
comprend l'aventure avec les hommes à tête de grue, dont M. B. n'a pu décou-
vrir la source ; le troisième embrasse tous les récits qui suivent l'arrivée chez les
Arimaspes et ne se compose que de réminiscences de fables antiques transmises
par Isidore de Séville. Le second est le plus curieux et le plus intéressant : il
renferme: 1° la fable de la mer caillée; 2*^ celle de la montagne d'aimant;
30 l'histoire des griffons dont Ernest se sert pour se faire transporter ailleurs;
4** la navigation souterraine, M. B. n'a pas manqué de faire remarquer la simili-
tude à peu près complète de ces trois derniers contes avec trois épisodes des
voyages de Sindbad le marin dans les Mille et une nuits. Quant à la mer caillée
(en allemand Lebermeef), elle n'est pas moins célèbre en français qu'en allemand ;
elle est désignée dans un très-grand nombre de poèmes sous le nom de mer betée
(voy. Cachet, Gloss. du Chevalier au Cygne, s. v. beîer; F. Michel, Charkmagne,
p. Ixxiv; Diez, Etym. Wb. II, c, s. v. beîer^. Il est clair, comme l'a remarqué
M. B., en citant à l'appui un très-curieux passage de Benjamin de Tudèle, que
cette mer beîée, où les vaisseaux ne pouvaient pas remuer, jouait primitivement
le rôle de la montagne d'aimant en arrêtant les vaisseaux et en forçant de
recourir aux griffons. Elle retient ainsi, dans la légende de S. Brandan, le
vaisseau du saint, qui s'en tire d'ailleurs autrement; mais M. B. se trompe en
voyant dans cet épisode du poème allemand sur S. Brandan, une imitation du
Duc Ernest, attendu qu'il se trouve déjà dans la légende latine, antérieure en tout
cas au XII® siècle (voy. Jubinal, la Légende de saint Braudaine, p. 26 et 1^2). —
La montagne d'aimant est mentionnée dans Philippe de Thaon (Wright, Popular
Treatises on Science, p. 125) avant le milieu du xii^ siècle, et d'après le Physio-
logus, qui remonte beaucoup plus haut ; mais on ne voit pas encore qu'elle attire
les vaisseaux. — Comment ces contes orientaux (les Arabes les tiennent eux-
mêmes de l'Inde) étaient-ils connus de l'auteur du Duc Ernest? C'est ce qu'il est
impossible de dire. Ce qui paraît probable, c'est que la rédaction de toutes les
aventures d'Ernest en Orient, appartient au même auteur; en effet il a substitué
à l'oiseau Roc des Arabes, au Garouda du sanscrit (Somadeva, trad. Brockhaus,
chap. 12 '), des griffons; or les griffons, comme les Arimaspes et les Pygmées,
appartiennent à la tradition classique où a puisé l'auteur pour son second groupe
de récits. — Les renouvellements du poème allemand, suivant sans doute en
cela le poème primitif, invoquent un livre latin conservé à Bamberg; il serait bien
possible, comme le suppose M. Bartsch, que cette allégation fût véritable. En ce
cas, le livre latin n'aurait sans doute contenu que le voyage en Orient; peut-être
même ne le rapportait-il pas au duc Ernest, et est-ce l'auteur du poème allemand
qui a eu l'idée de fondre deux récits qui n'ont en réalité aucun lien.
Non content de donner, autant que possible, pour les contes entassés dans ce
I .^ Il faut remarquer que dans le conte indien c'est sans le vouloir que le hérosr, qui est
entré par hasard dans la peau d'un éléphant mort, est transporté par un a oiseau de la
» race de Garouda » dans le pays des Rakshas.
2l8 REVUE CRITIQUE
voyage, les sources où ils ont été puisés, M. B. a rassemblé en grand nombre les
passages d'auteurs du moyen-âge, surtout allemands, qui les ont reproduits ou y
ont fait allusion. Dès 1809, Jacob Grimm avait signalé une frappante analogie
entre certains épisodes du Duc Ernest et d'autres de la seconde partie de Huon
de Bordeaux, telle que la conserve la rédaction en prose (faite d'après le poème
manuscrit à Turin) qui se réimprime encore pour le colportage. Comme Ernest,
comme Sindbad, Huon fait naufrage à la montagne d'aimant, est sauvé par un
griffon, et s'embarque sur un fleuve qui traverse un souterrain illuminé de pierres
précieuses. Il est très-probable, comme l'a conjecturé Grimm et après lui M. B,,
que le poème français a subi l'influence directe du récit allemand : ce qui semble
le mettre hors de doute, c'est moins encore l'analogie des récits et surtout l'ordre
dans lequel ils se suivent (tout autre que dans Sindbad), que la ressemblance
frappante du cadre et de certains détails. Huon a tué le neveu de l'empereur
Thierri comme Ernest le favori de l'empereur Otton ; le voyage du duc français
et du duc allemand a lieu après une longue guerre contre l'empereur, et l'un et
l'autre, ce qui est le plus décisif, obtiennent leur grâce d'une façon à peu près
identique : en demandant, incognito, à l'empereur de leur pardonner dans un
moment où il ne peut rien refuser, à l'Église, après la messe de Noël dans le Duc
Ernest, le jour du vendredi-saint dans HuonK Le fait de l'imitation d'un poème
allemand en français est tout à fait insolite ; mais il est plus que probable que le
trouveur français, si inférieur à son prédécesseur, qui a composé la suite de Huon
de Bordeaux , connaissait les aventures d'Ernest par une des deux rédactions
latines ^.
En voyant M. Bartsch publier à si peu de distance tant d'ouvrages importants
sur des sujets aussi divers, on pourrait craindre qu'ils ne portassent les traces
d'une composition trop hâtive. Le Duc Ernest au contraire est un travail mûri et
fait avec autant de soin que d'érudition. L'auteur nous apprend en effet qu'il n'y
a pas moins de douze ans qu'il le prépare. Dès 1862, il était à peu près terminé,
et Uhland en avait accepté la dédicace : M. Bartsch n'a pu le consacrer qu'à sa
mémoire. On voit que la fécondité vraiment extraordinaire du savant professeur
de Rostock, s'explique par une longue et patiente incubation.
G. P.
1. Je me sers d'une fort mauvaise édition du siècle dernier.
2. Il est très-curieux que le cadre général de cette histoire est aussi celui du véritable
Huon de Bordeaux, dont M. B. a fait remarquer la ressemblance avec h duc Ernest. Là
aussi, Huon tue le fils de l'empereur, est exilé en Orient, où il a des aventures merveil-
leuses, et rentre finalement en grâce. Mais les différences sont immenses, et la coïncidence
est, je le crois, tout à fait fortuite. Le continuateur a été singulièrement maladroit de re-
produire ainsi, avec des variantes, l'histoire du héros qu'il empruntait au poème du
XII' siècle.
d'histoire et de littérature. 2^19
195. — Arnauld de Brescia et les Romains du XII* siècle, avec une carte
de Rome, par Victor Clavel, ancien élève de l'École normale, docteur ès-IettresS
etc. Paris, L. Hachette, 1868. In-8', ix-428 p.
Il n'y a pas très-longtemps que nous avons parlé, dans la Revue, d'Arnaud de
Brescia, à propos du livre de M. Guibah. Par un singulier hasard, le célèbre
tribun-prophète a été l'objet d'un second ouvrage français dans le courant de la
même année. Comme le travail de M. Clavel, loin d'apporter aucun fait nouveau
au sujet qu'il traite, est de beaucoup inférieur à celui de M. Guibal, nous l'aurions
peut-être passé sous silence, si les éloges qu'il a reçus dans la presse périodique
ne prouvaient une fois de plus, et de la façon la plus affligeante, combien sont
encore modestes chez nous les exigences des littérateurs académiques, quand il
s'agit d'ouvrages de science. Nous ne voulons point fatiguer le lecteur en mettant
sous ses yeux la moisson complète que nous venons de récolter dans le volume
de M. Clavel, où l'on rencontre à côté de l'usage constant de sources apocryphes,
l'intolérable abus d'une prétendue « méthode d'induction » qui permet à l'historien
d'inventer les faits qu'il ignore, le manque absolu d'esprit critique et le culte
exagéré de la phrase académique. Nous nous bornerons donc à quelques exemples,
mais si l'on nous croyait injuste à l'égard de l'auteur, nous sommes prêt à fournir
un supplément de preuves à l'appui de ce que nous avançons ici.
Nous avons signalé en première ligne l'usage de sources apocryphes. En effet
l'un des auteurs favoris de M. Cl. est le trop fameux Gunther, le prétendu poète
du Ligurinas, œuvre destinée à glorifier les hauts faits de Frédéric Barberousse.
Or le plus mince savant de nos jours sait que le poème du Ligurinus est une
mise en vers partielle de l'Histoire d'Othon de Freisingen, faite au xvi' siècle
par Conrad Celtes ou l'un de ses amis et attribuée par lui à un moine, nommé
Gunther, qui aurait vécu au xii^ siècle. C'est une de ces vérités littéraires qu'il
n'est pas permis d'ignorer, surtout quand on a la prétention d'écrire l'histoire
du xii^ siècle, et l'historien qui cite Gunther doit être mis sur la même ligne que
le littérateur qui nous parlerait encore des vers de Clotilde de Surville, pour
caractériser la poésie du moyen-âge, ou que le docteur en droit canon qui
s'appuierait sur les fausses Décrétales^. Le poème du soi-disant Gunther n'en
est pas moins aux yeux de M. Cl. un des plus précieux documents pour l'histoire
d'Arnaud et le seul regret qu'il professe à son égard, c'est de ne pas le voir plus
explicite dans ses renseignements. Les sagaces observations qu'il fait de temps
à autre (p. 131, 256, etc.) sur la concordance du faux Gunther et d'Othon de
Freisingen, sont naturellement des plus amusantes 4. M. Cl. n'est pas plus
1. Cet ouvrage est la thèse qui a valu à M. Clavel le grade de docteur. — [Réd.]
2. Rev. ait., 1869, art. 2.
3. On trouvera les renseignements les plus récents sur le poème du Ligurinus dans l'un
des appendices du beau livre de M. Kœpke sur Hrotsuit de Gandersheim, récemment
annoncé dans la Ra'uc, 1869, art. 95.
4. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que M. Cl. ne sait pas même au juste quand son
auteur favori a composé son ouvrage et qu'il varie là-dessus considérablement. \'oy. p. 81
et 131.
220 REVUE CRITIQUE
heureux pour les auteurs modernes qui se sont occupés d'Arnaud. Celle de toutes
les biographies du tribun romain qu'il paraît préférer de beaucoup, et qu'il s'est
même, à ce qu'il paraît, fait traduire en partie par de bienveillants amis, c'est
celle de Francke qui a paru en 1825. Malheureusement M. Cl. ne pouvait placer
plus mal ses affections; le livre de Francke, comme le disait il y a vingt ans
déjà un biographe français d'Arnaud ', -ne mérite pas le nom d'histoire, c'est
plutôt un roman. M. Cl., qui prétend avoir épuisé la littérature du sujet, ne
connaissait pas, il est vrai, le travail de M. Quirin; il ne connaissait pas non plus
les travaux postérieurs allemands, dont les auteurs ont qualifié fort sévèrement
Francke ; mais nous ne comprenons pas davantage qu'il ait pu répéter ingénue-
ment certains dires de cet écrivain, quand il n'en trouvait trace dans ses sources *.
Ce n'est pas seulement l'emploi de sources apocryphes que nous reprochons
à l'auteur. Il est des sources importantes qu'il ne connaît point, telles que les
œuvres de Gerhoh de Reichersperg. Il le nomme bien quelque part (p. 308),
mais il est allé puiser ses renseignements dans les notes d'une tragédie italienne
du siècle passé. Il le cite même en un autre endroit (p. 181), mais comme il
l'appelle Gérard de Reicherspeg, il est évident de prime-abord qu'il ne l'a point lu; au
reste, il n'en a pas la prétention, et renvoie à Smidt (sic), Histoire des Allemands.
Or ce J. M. Schmidt est un historien de la fm du xviii* siècle, occupant à peu près
dans la littérature historique allemande la place que tient chez nous Anquetil.
Schmidt n'avait certainement pas lu Gerhoh dans l'original et avait puisé sa cita-
tion ailleurs. Mais ce n'est pas là ce qu'il y a de plus curieux. Vérification faite,
M. Cl. n'a pas même eu entre les mains l'ouvrage allemand, mais il a puisé son
savoir — avec les fautes d'impression — dans Gibbon qui donne au vol. XII,
p. 2'^6, de son Histoire de la décadence de l'empire, la citation de Schmidt avec
le passage de Gerhoh. Cela peut suffire à caractériser la manière de travailler de
notre auteur.
Nous avons dit de plus que M. Cl. avait découvert « une patiente méthode
» d'induction » grâce à laquelle il suppléait très-souvent au silence des sources,
en inventant les faits dont il avait besoin. C'est ainsi qu'il nous raconte qu'Arnaud
étudia le droit à Bologne sous Irnerius, et en général l'histoire détaillée de sa
jeunesse, dont nous ne savons absolument rien. Sans doute « aucun document ne
» mentionne ces faits, » mais « cela du moins est vraisemblable » et d'ailleurs où
« pourrait-il mieux avoir appris ce qu'il savait des origines de Rome, etc. ? »
Des arguments de ce genre suffisent à M. Cl. soit qu'il nous raconte l'histoire
en partie fort mythique du séjour d'Arnaud en France et qu'il nous montre « le
» clergé français prononçant déjà avec une sainte horreur » le nom du jeune
homme, alors parfaitement inconnu dans notre pays, soit qu'il nous le montre
« présentant à ses concitoyens abâtardis de Brescia, des institutions républicaines
» puisées dans Tite-Live, » ce qui est un tableau de pure fantaisie.
1. A. Quirin, Arnaud de Brescia. Strasbourg, 1847. In-8*.
2. P. ex. le séjour à Bologne, le nom de Leeman qu'il prit à Zurich, etc., etc.
d'histoire et de littérature. 221
Le sens critique aussi fait complètement défaut à notre auteur, sans quoi il ne
s'imaginerait pas que certains passages de Platina, Tritheim, Tschudi, Léger et
autres auteurs du xv= et du xvi^ siècle, qu'il imprime dans les pièces à l'appui,
aient la moindre valeur, comme sources, pour l'histoire du xii'' siècle. On ne peut
rien voir de plus curieux que l'argumentation à laquelle il soumet le passage de
Tritheim sur un certain Arnolphe (p. 300) pour nous fournir au moins un frag-
ment authentique des discours d'Arnaud; des observations semblables seraient à
faire en grand nombre sur ce qu'il dit des hérésies en général et des Vaudois en
particulier ' .
Enfin nous avons remarqué dans le présent ouvrage cette recherche conti-
nuelle de la phrase, qui est malheureusement une des plaies les plus vives de
notre littérature scientifique. Le volume de M. Cl. est rempli d'exemples de ce
genre; nous nous bornerons à relever la prosopopée dans laquelle le monde crie
au pape Adrien : « Pourquoi, moine obscur, etc.? » et la belle période ou
M. CL, entraîné par son enthousiasme, affirme, entre autres choses, que le sou-
venir d'Arnaud de Brescia, provoqua les actes d'indépendance de Guillaume
Tell, de Tell, l'humble archer de la légende, qui, s'il avait jamais vécu, n'aurait
certes pas entendu parler du tribun romain 2. Il y aurait encore bien des obser-
vations de détail à faire ?, pour montrer combien peu M. Cl. comprend l'époque
qu'il décrit. Nos lecteur souriraient sans doute en voyant le terrible justicier
Frédéric Barberousse « retoucher ses discours dans le silence du cabinet 4 »
(p. j 1 8), et comprendraient sans peine que M. Cl. n'a jamais ouvert les codes de
Théodose et de Justinien, en l'entendant affirmer que « les légistes du moyen-
» âge, payés par l'empire, interprétaient les lois dans le sens despotique, on
» peut dire, les dénaturaient (p. 254). »
Rien n'est plus caractéristique aussi que l'indécision perpétuelle de l'auteur au
sujet des opinions de son héros. Tantôt Arnaud est presque un Luther, tantôt
c'est un bon catholique, tantôt c'est un philosophe, tantôt la question est si
1 . Nous voulons seulement relever une assertion qui se rattache à un article de la Revue
fi866, art. 18) mal compris par l'auteur (p. 54). M. Paul Meyer n'y a point parlé de
l'âge des Vaudois en général, mais de celui de la Nobla Leyczon en particulier. Or s'il est
à peu près certain que cette dernière date du XV* siècle, il est au moins aussi certain
que Pierre Vaido a vécu vers la fin du XII* siècle, ce qui est dit par M. Meyer à la p.
38 de l'article précité.
2. Pourquoi orner les vérités les plus simples de noms d'auteurs? Exemples : « L'his-
» toire des hommes se rattache à l'histoire des choses, comme l'a dit éloquemment Am-
» père. » — « Les institutions qui tombent sont comme des tours qui s'écroulent. Maxime
» Du Camp. » — « Qui peut sonder le cœur humain.? comme dit très -bien Henri
» Martin. » Etc.
3. Pourquoi rééditer (p. 184) la vieille anecdote de Mummius à Corinthe, en l'enrichis-
sant de ce commentaire naïf: « Ce trait est caractéristique? » Et pourquoi nous commu-
niquer ce fait important qu'en l'an de grâce 1824, il n'y avait qu'une seule baignoire à
Rome? (p. 210).
4. Je n'ai pas pu comprendre pourquoi M. Cl. appelait si sévèrement un des meilleurs
historiens du moyen-âge, Othon de Freisingen, * plat, diffus et monotone » (p. 318), lui
qui admire tant le Ligurinus de Gunther, qui n'est qu'un pastiche versifié d'Othon.
222 REVUE CRITIQUE
compliquée que « les docteurs du moyen-âge eux-mêmes seraient embarrassés »
de la trancher, et même une fois M. Cl. (qui pourtant écrit la biographie
d'Arnaud !) déclare que « l'examen de la question n'est pas de sa compétence »
(p. 3 5). Parlerons-nous encore de la table des sources, où figurent des tragédies
et l'Histoire du moyen-âge de M. Duruy, mais où manquent des ouvrages comme
celui de Neander sur saint Bernard, ceux de Reumont, Raumer, Quirin, etc., et
où les titres sont cités de la façon la plus bizarre ? Il est temps de s'arrêter et
d'en finir avec un ouvrage qui n'aurait pas dû nous arrêter aussi longtemps , si
la dure nécessité de protester au nom de la science n'obligeait quelquefois la
critique à parler. — La carte de Rome, jointe à l'ouvrage, est bien faite '.
Rod. Reuss.
196. — Ulrich Z-wîngli nach den urkundlichen Quellen, von J. C. Mœri-
KOFER. Leipzig, S. Hirzel, 1869. T. II. xvj-527 pages. — Prix : 10 fr.
Nous avons déjà rendu compte {Revue critique, 1869, t. I, p. 204 et 205) du
premier volume de cet intéressant ouvrage. Le second volume, qui vient de
paraître, se distingue par les mêmes qualités que le précédent. C'est toujours la
même sûreté d'informations puisées aux sources originales, et la même richesse
de faits. En général on n'a guère écrit sur les réformateurs du seizième siècle
que pour les exalter ou les dénigrer. M. Mœrikofer a visé à l'impartialité; il a
voulu peindre Zwingli tel qu'il fut, persuadé, comme il le dit lui-même, que la
véritable grandeur n'a pas besoin qu'on cache ses faiblesses.
L'histoire de Zwingli est inséparable de celle de la Suisse allemande à cette
époque. La réformation du seizième siècle n'agit pas seulement sur les croyances
religieuses; elle fit sentir son influence sur toutes les sphères de la vie humaine
là où elle réussit à s'établir. La Suisse protestante de langue allemande doit
certainement en grande partie à son réformateur d'être ce qu'elle est, c'est-à-
dire un des pays les plus éclairés du monde, et on peut ajouter un des plus
heureux. En particulier, si Zurich est devenu l'Athènes de la Suisse, c'est à
l'impulsion libérale qu'il donna à l'instruction publique qu'elle en est redevable,
ainsi que le fait remarquer M. M. Il ne faut par conséquent pas s'étonner que
l'auteur ne se soit pas renfermé dans les limites restreintes d'une simple biogra-
phie, et que, en racontant la vie du réformateur, il ait tracé en même temps le
tableau d'une des périodes les plus remarquables de l'histoire de son pays.
Le côté théologique est suffisamment mis en lumière pour donner une idée
des principes essentiels de Zwingli au grand public auquel M. M. adresse son
ouvrage. Je suis toutefois tenté de croire qu'un chapitre dans lequel ses concep-
tions religieuses auraient été exposées dans leur liaison logique n'aurait pas été
1 . Le tableau de Rome, au XII' siècle, est relativement une des parties les mieux traitées
de l'ouvrage ; il n'est que juste d'observer que l'auteur lui-même reconnaît tout le parti
qu'il a pu tirer pour ce chapitre, de l'excellente Histoire de Rome, de Grégorovius.
d'histoire et de littérature. 22^
inutile. Rien, ce me semble, ne pouvait faire mieux comprendre le caractère
particulier de son génie et de sa nature morale. Il est bien vrai que tous ses
ouvrages sont indiqués et plus ou moins rapidement analysés à la date respec-
tive de leur composition, disposition qui a l'avantage d'en faire bien connaître
l'origine et le but. Mais il est douteux que le lecteur conserve un souvenir assez
net de ces indications et de ces appréciations éparses en tant d'endroits diffé-
rents, pour pouvoir s'en faire lui-même une vue d'ensemble. Peut-être aussi
M. M. aurait pu consacrer quelques pages de plus aux principaux écrits du
réformateur, en particulier à la Christianae fidei brevis et clara expositio ad regem
christianissimum, la dernière des productions de Zwingli et celle dans laquelle se
trouve l'expression la plus caractéristique de ses sentiments religieux. Il faut
reconnaître cependant que M. M. en fait bien connaître l'esprit et les tendances,
et qu'il en rapporte ce qu'il y a de plus propre à faire impression, entre autres
ce qui y est dit du salut des sages de l'antiquité. Enfin il n'aurait peut-être pas
été superflu de donner dans un appendice ou dans les notes un catalogue de ses
écrits et des éditions qui en ont été faites jusqu'à présent. Ce qui en est dit à la
p. 466 ne manque pas d'intérêt, mais ne me paraît pas suffisant.
Quoi qu'il en soit de ces observations, qui ne portent d'ailleurs que sur des
détails ou des points accessoires, l'ouvrage de M. Mœrikofer est un travail très-
important pour l'histoire de la réformation. On n'a rien de plus exact et de plus
complet sur Zwingli. Il est appelé, ce me semble, à un grand succès, principa-
lement parmi les protestants de la Suisse allemande, qui seront sans doute heu-
reux d'y trouver l'expression de leurs sentiments religieux et de leurs sentiments
patriotiques. Michel Nicolas.
197. — Étude historique sur la Chambre de commerce de Bayonne, par
Henri Léon. Paris, Michel Lévy frères (imp. Crugy à Bordeaux), 1869. In-8*, 174 p.
Originaire de Bayonne, appartenant à une famille qui occupe un rang distingué
parmi les négociants de cette ville, l'auteur du livre dont nous venons de
transcrire le titre, l'a composé avec amour; il a compulsé d'anciennes archives
qui restaient oubliées; il en a extrait des faits curieux qu'il a encadrés dans un
récit intéressant. Après avoir signalé la création du conseil de commerce en
■1700, et la formation des chambres particulières en 1701, il montre une de ces
chambres établie à Bayonne en 1726. Elle eut dès ses débuts à lutter vivement
contre les fermiers-généraux ; elle se prévalait des privilèges accordés à la ville
par divers rois et elle réclamait avec force l'exemption de certaines taxes. Le
débat dura plus d'un demi-siècle. Les événements politiques favorisaient parfois
le mouvement commercial de Bayonne, qui éprouvait, en d'autres circonstances,
une décadence marquée. Afin de les ramener Louis XVI décréta en 1784 la
franchise du port, mais la révolution vint donner aux affaires une direction nou-
velle. De longues guerres avec l'Espagne et la Grande-Bretagne arrêtèrent les
expéditions maritimes. En 1807 et en 1808, l'empereur s'arrêta à Bayonne, et
2 24 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
la chambre fit de son mieux pour appeler sa sollicitude sur les intérêts commer-
ciaux. Dès le début de la Restauration, elle fit des démarches persévérantes pour
obtenir le rétablissement de la franchise ; et elle reçut une promesse du duc
d'Angoulême; en définitive ces efforts restèrent infructueux. Sous le règne de
Louis-Philippe, l'amélioration du passage de la barre très-dangereuse de l'Adour,
l'établissement d'un remorqueur, les traités commerciaux avec l'Espagne, furent
les objets principaux dont on eut à s'occuper. Tous ces faits sont exposés en
détail et appuyés sur des documents officiels. Il serait fort désirable que l'histoire
des chambres de commerce de chacun des grands centres maritimes ou commer-
çants fût écrite avec autant de soin ; la réunion de ces monographies fournirait
de précieux matériaux pour une histoire générale du commerce français au xviii*
et au XIX'' siècle, Hvre encore à faire. M. H. Léon a joint à son étude un tableau
offrant la liste des membres de la chambre de Bayonne, depuis 1726 jusqu'en
1869; il y a annexé également une planche qui offre les images successivement
empreintes sur les jetons de présence, distribués depuis plus d'un siècle et demi;
dans cette période ces jetons , qui portent habituellement d'un côté les traits du
souverain, de l'autre un navire qui a été dessiné sous divers aspects, ont varié
huit fois.
VARIÉTÉS.
Une représentation religieuse à Auriol en 1534.
Dans un récent article (ci-dessus p. 184) on insistait sur la rareté des témoi-
gnages qui constatent l'existence de mystères représentés dans le Midi de la
France. Jusqu'à ce jour l'usage des représentations dramatiques et religieuses
dans les pays de langue d'oc n'est attesté que par les deux mystères de Sainte
Agnès et de Saint Jacques, le premier du xiV, le second du xv^ siècle, et par la
mention (rapportée p. 184, note ^) de l'histoire de sainte Marie Madeleine jouée
à Grasse entre 1595 et 1606. Voici qu'un lecteur bienveillant nous adresse un
numéro du Mémorial d'Aix (5 sept. 1869), contenant un article, signé T. Saba-
tier, où sont insérés la traduction et quelques extraits en original d'un acte
notarié de i $34 par lequel un certain nombre d'habitants d'Auriol s'engagent à
jouer à la Pentecôte prochaine le jeu de la Conversion de sainte Marie Made-
leine. La place nous manque pour en dire plus long sur cette pièce intéressante
à divers égards, et qui notamment donne la distribution des rôles. Constatons
que jusqu'à présent les représentations de ce genre paraissent confinées à la
Provence. P. M.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
d'introduction au suivant. — P. 47. E. Plew, Sur la rhétorique de Notker; texte
presque complet de cet ouvrage, d'après un ms. de Bruxelles. — P. 66. J. Haupt,
Deux fragments en ancien haut-allemand; ils appartiennent à la trad. du traité
d'Isidore de Séville, dont de longs morceaux ont été publiés. Blanschandin, frag-
ment d'un poème en moy. haut-ail. Ce fragment, heureusement retrouvé par
M. Haupt, constate pour la première fois l'existence d'une imitation fort développée
du poème publié il y a deux ans par M. Michelant(voy. Rév. cr/f. 1867, art. 1 18).
— P. 74. 0. Karnuth, Sur VAnnolied; l'auteur démontre que dans ce poème
non-seulement les faits (ce qui était déjà connu), mais même un grand nombre
d'idées et d'expressions sont empruntées à des auteurs anciens, notamment à
Lucain, à Justin et à Boëce. — P. 82. C. Schrœder, Sur Gesta Romanorum.
cap. Lxviii; restitution d'après des mss., de quelques phrases anglaises omises
dans les éditions. — P. 83. Le même, Beide, employé pour désigner trois, et
même auatre. — P. 84. F. Liebrecht, Contes et poésies populaires en flamand.
— Bibliographie. Alt-isUndische Volkshalladen u. Heldenlieder d. Fsringer, lum
ersten Maie ûbersetz von P. T. Willatzen; Brème, 1865; compte-rendu très-
développé par K. Maurer. On y trouve des renseignements précis sur l'état
actuel de l'Islande. — Jon Thorkelsson /Efisaga Gijurar Thorvaldssonar, Reykiavik,
1868; par le même. — Bayerisches Wœrterbuch von J. Andréas Schmeller,
2te Ausgahe.... bearbeitet von K. Fromann; Mùnchen, 1869. Simple annonce de
la première livraison de cet important ouvrage. — Buch d. Biïndth-Ertznei , von
Heinrich v. Pfolsprundt hgg. von H. Hœser u. A. Middeldorpf. Berlin,
1868. Livre de médecine médiocrement publié. — Das Broî im Spiegel schwei-
terdeutscher Volsprache u. Sitte. Leipzig, Hirzel. — Mélanges. Compte-rendu des
séances de la section germanique du 26* congrès des philologues, àWurzbourg,
1-3 oct. 1868.
2^ cahier'.
E. Kœlbing, La Saga de Parceval et ses sources. L'auteur constate par une
comparaison détaillée que cette Saga est imitée d'assez près du récit de Chrestien
de Troyes, tel qu'il est contenu dans les plus anciens mss., c'est-à-dire sans le
prologue (cenainement ajouté, voy. Rev. crit., 1866, II, 131) du ms. de Mons,
et sans les suites. — P. 181. C. Schrœder, Sur le jeu [dramatique] de Redentin.
— P. 197. A. Hœfer, Études phonétiques, lexigraphiques et onomastiques; 15 notes
ou notices se rapportant principalement au bas-allemand et au gothique. —
P. 226. F. Liebrecht, Sur l'histoire littéraire de Wolfdietrich. Dans les Plants,
pourtraicts et descriptions de plusieurs villes, etc. de Du Pinet (Lyon, 1 564, fol.).
M. L. trouve la légende de Wolfdietrich rattachée, dans un intérêt généalogique,
à l'histoire des comtes de Sault (en Provence). — P. 239. K. Bartsch, Sur le
Grégoire d'Hartmann. Collation du ms. du Vatican publié par Greith dans son
Specilegium Vaticanum. — P. 243. R. Kœhler, Sur le k Spruch von aim Kœnig
» mit Namen Ezel; » rapprochement entre divers te.xtes qui caractérisent par le
même trait l'état d'une profonde préoccupation. — P. 246. Le même, Sur
Tristan. — Bibliographie. Bayerisches Wœrterbuch von J. Andréas Schmeller.
Le critique, K. J. Schrœer,' désapprouve le plan adopté par la commission
historique de Munich. — Volkstanze im deutschen Mittelalter, von W. Angerstein
(Berlin, Lùderitz); ouvrage très-insuffisant.
1. Le titre constate une modification dans la rédaction ; « ... begrùndet von Fr Pfeiffer
D unter mithilfe von Joseph Strobl, hgg. von K. Bartsch. » ' '
corrigée et augmentée, i vol. in-8". j fr, ^q
Cet ouvrage forme le 3* fascicule de la collection philologique publiée sous la
direction de M. Bréal, professeur au Collège de France.
Tl\/îO l\/î 1\/[ Q PT IM ^'^^°'^^ romaine traduite par M. C.-A.
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Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 41 Quatrième année 9 Octobre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. p. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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^ n »-p r^ -Q Tj T-p TV y Q The old northem runic monuments
-I • O 1 IL r n IL IN O of Scandinavia and England now first
PERIODIQUES ETRANGERS.
Archiv fur Litteraturgeschichte, herausgegeben von Richard Gosche. T. I,
I''*' livraison (Leipzig, Teubner, in-8°. — Prix : 16 fr. par an).
[Cette publication périodique est la continuation, sous une forme un peu diffé-
rente, de l'Annuaire pour l'histoire littéraire, dont le premier volume, paru en 1866,
n^a pas eu malheureusement de successeurs. A passer de la librairie Dùmmler
dans celle de Teubner, l'ouvrage a gagné certainement pour l'exécution matérielle
et nous espérons qu'il y trouvera désormais des conditions d'existence assurée ;
nous ne voyons pas au contraire quel avantage M. Gosche peut trouver à substi-
tuer la forme du journal trimestriel à celle de V Annuaire. Dès la première livraison,
nous rencontrons un travail interrompu à la moitié, et le cas se renouvellera
sans doute souvent; cet inconvénient est celui de toutes les Revues; mais ici il
n'est compensé par rien, puisque V Archiv n'a d'autre prétention à l'actualité que
de donner des comptes-rendus annuels. — M. Gosche a ajouté à son plan pri-
mitif des revues annuelles des principales littératures européennes; c'était une
addition que nous lui conseillions dans notre article sur son volume de 1 866 (voy.
Rev. crit., i86'6, t. Il, art. 16 j). Il paraît au contraire, pour son Tableau annuel
des travaux d'histoire littéraire, vouloir s'en tenir au système suivi dans le
Jahrbuch fiir Litteraturgeschichte; nous avons dit déjà pourquoi nous le trouvions
peu pratique. Cette fois encore, l'entreprise de M. Gosche débute avec un arriéré ;
il a l'intention, dans cette première année, de passer en revue les années 1865,
66 et 67, ce qui lui laissera encore deux ans, 1868 et 69, à traiter en 1870, et
ne lui permettra d'être au courant qu'en 1871 . Peut-être aurait-ce été le cas de
laisser toute la place, dans ces premières livraisons, aux Comptes-rendus des
littératures et au Tableau des travaux d'histoire littéraire. — Nous nous félicitons
vivement de voir reparaître une publication si utile, dirigée avec tant d'intelli-
gence, et qui, nous le répétons volontiers, sous la nouvelle forme comme sous
l'ancienne, est indispensable à tous ceux qui s'occupent d'histoire littéraire.]
I. P. I. K. Steinhart, les Caractères et les situations dans Euripide; étude
littéraire et morale intéressante. — P. 48. F. Liebrecht, Sur l'histoire littéraire
de Hugdietrich et V/ oljdietrich ; cet article a également paru dans la Germania;
voyez la couverture de la Revue critique, 1869, t, II, n" 40. — P. 63. Chole-
vius, la Signification des symboles dans le Conte du Serpent de Gœthe; interpréta-
tion nouvelle et, à ce qu'il nous semble, aussi peu assurée que les autres, d'une
allégorie de Goethe qui n'a en réalité qu'un mince intérêt. — II. Mélanges. P. 90.
H. LoTZE, la Littérature judéo-allemande ; annonce intéressante, avec citations, de
publications prochaines relatives à cette littérature curieuse et à peu près
•inconnue. — P. ici. Gosche, le premier Roman littéraire allemand; ce roman,
appelé Lesbia, a paru en 1690, et a pour auteur Joachim Meier de Perleberg; le
livre français dont il a traduit les deux premiers livres et imité les autres est
l'ennuyeux roman, assez célèbre dans son temps, de La Chapelle, les Amours de
Catulle ( I '"' édition , Paris, 168$). —P. 105. R. Hildebrand, l'Auteur de la
Philosophie des Quenouilles; M. H. a découvert ingénieusement que l'auteur de
ce livre curieux (i'" édition, Chemnitz, 1705) s'appelait Johann Georg Schmidt
et était de Reinssfeld enThuringe; M. R. Kœhler, dans une note additionnelle
(p. 108) établit que ce Schmidt mourut en 1722. — P. 1 10. M. Bernays, une
petite Addition aux œuvres de Biirger; fragment d'une traduction du Midsummer
Night Dream, qui ne fait pas regretter le reste. — P. 1 16, Gosche, une Parabole
mise sous le nom de Biirger, et dont l'auteur réel est inconnu. — P. 117. S. Hirzel,
la Requête de Gœthe pour la nomination de Schiller à Jena; reproduction de l'original.
— III. P. 1 10. Chaulieu et Gosche, le Mouvement de la littérature française dans
les années 1865-67 (première partie). Cette esquisse rapide paraît bien conçue et
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 41 — 9 Octobre — 1869
Sommaire : 198. Hoffmann, Des traductions d'Aristote chez les Syriens. — 199.
PoLAK, Observations sur les scholies de l'Odyssée. — 200. Swinderen, Dissertation
sur les Tables de Malaga et de Salpensa; Giraud, la Lex Malacitana. — 201. Tite-
LivE, livres IlI-VI publiés d'après le palimpseste de Vérone, par Mommsen. — 202.
Palacky, Des rapports de la secte Vaudoise avec les anciennes sectes en Bohême. —
203. Rochambeau (de), La famille de Ronsart. — 204. Le Roy, Les anciennes
fêtes genevoises. — Variétés. Le R. P. Theiner et le ministère des affaires étrangères.
198. — De Hermeneuticis apud Syros Aristoteleis. Jo. GeorgiusEnr. Hoff-
mann scripsit, adjectis textibus et Glossario. Leipzig, Hinrichs. ln-8*, 218 p. — Prix:
17 fr. 3 s.
Voici un ouvrage qui sera certainement accueilli avec faveur par tous ceux
qu'intéressent encore les hautes spéculations de la philosophie et l'histoire des
doctrines parmi les hommes. On connaissait, depuis longtemps, le rôle considé-
rable qu'Aristote a joué chez les Arabes, parce que les philosophes Maures-Es-
pagnols ont servi quelquefois d'intermédiaire entre les scholastiques du m-oyen-
âge et le fondateur de l'école péripatéticienne. Ce que l'on savait moins bien,
c'était la voie qu'avaient suivie les doctrines d'Aristote, pour passer de l'Attique aux
rives du Tigre et de l'Euphrate. On aurait pu croire, tout d'abord, que les écoles
alexandrines, dites néo-platoniciennes, mais qu'on nommerait peut-être avec
autant de raison anti-platoniciennes, avaient servi de canal pour transmettre à
l'Arabie les sciences philosophiques de la Grèce. Cependant, des études récentes
ont démontré la vérité d'une hypothèse qu'on pouvait former déjà, tant elle
paraissait naturelle. Il était permis de croire, en effet, que les peuplades asia-
tiques, mises de si bonne heure en contact avec les Grecs, avaient communiqué
aux Arabes le trésor de connaissances philosophiques , qu'elles avaient puisées
dans leurs fréquentes relations avec les races studieuses de la Grèce. Les Syriens
semblaient réclamer, avant tous les autres, l'honneur d'avoir joué ce rôle d'inter-
médiaire en transmettant à leurs voisins et à leurs vainqueurs les sciences dont
ils étaient dépositaires. Hâtons-nous d'ajouter aussi que ce fait, entrevu depuis
un siècle, est désormais irrévocablement acquis à l'histoire.
Les Assemani et en particulier le plus illustre d'entre eux, l'auteur de la
Bibliotheca orientalis, ont eu plus d'une fois occasion de soulever la question des
études philosophiques chez les Syriens ; toutefois on ne trouve chez eux, malgré
leur vaste érudition, que des renseignements incomplets, et encore ces rensei-
gnements demandent-ils à être sévèrement contrôlés. Les doaes Maronites n'ont
jamais eu, en effet, entre leurs mains qu'une faible partie des élucubrations
syriennes sur la philosophie. Il était réservé au Musée Britannique de nous pré-
senter, dans .la célèbre collection recueillie au couvent de Sainte-Marie Deipara
de Nitrie, l'ensemble des documents les plus anciens et les plus précieux qui
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226 REVUE CRITIQUE
existent sur cette matière. Explorés en 18^2, et décrits dans le Journal asiatique
par M. Ernest Renan, ces monuments avaient clairement démontré que l'Orga-
non d'Aristote était parvenu aux Arabes par les chrétiens de la Syrie, Ce fait,
considéré comme certain, avait permis à M. Renan d'affirmer, sans trop de
témérité, que jamais arabe ne fut capable de lire Aristote dans les textes
originaux'.
Depuis lors, aucun ouvrage sérieux n'est venu accroître le trésor des connais-
sances acquises sur une matière si intéressante pour l'histoire de la philosophie,
et M. Renan lui-même n'a point tenu la promesse qu'il avait faite de publier in-
tégralement quelques-uns des manuscrits du Musée Britannique décrits par lui
dans le Journal asiatique. Mais M. Hoffmann nous donne un volume très-impor-
tant, que nous souhaitons voir suivi de plusieurs autres.
Petermann a rapporté, de son voyage en Orient, un manuscrit incomplet où
se trouvent contenus de précieux fragments des ouvrages d'Aristote. Ce sont ces
fragments que le docte orientaliste déjà nommé vient de publier sous le titre
mentionné en tête de cet article, et il les accompagne de notes savantes , de
documents nombreux, qui n'ajoutent pas une médiocre valeur à son intéressant
volume. Énumérer le contenu de cet ouvrage nous semble le meilleur moyen
d'en faire connaître l'importance et l'utilité.
Il s'ouvre par une dissertation sur les différentes versions du Ilepl ipiAr^vetaç, sur
leurs rapports avec le texte grec et sur leur valeur au point de vue de la critique.
On savait qu'Aristote avait été traduit, en partie du moins, à diverses reprises
par les Syriens, et M. Hoffmann n'a pas encore dit probablement le dernier mot
là-dessus. Ce qui est acquis désormais à la science, c'est que traduit d'abord au
v^ siècle, le livre du Uzçl éptir.veia; le fut encore au VI1^ On croyait sur des
indications inexactes fournies par Assemani, qu'il existait trois versions, l'une
faite par Probus, la seconde par Jacques d'Edesse et la dernière enfin par
Georges, évêque d'Arabie. Mais le savant éditeur démontre, d'une façon assez
concluante, par d'ingénieux rapprochements et par une minutieuse comparaison
des textes dont il a eu connaissance, qu'il n'existe en réalité que deux versions
du Ilîpt ép[jLr,vEta;. Celle qu'Assemani et M. Renan après lui attribuent à Jacques
d'Edesse, n'est pas différente de celle qu'on Ht dans le manuscrit de Berlin et
dans le commentaire de Probus, si l'on en excepte quelques variantes, fournies
par les mss. de Paris, de Rome et de Florence. Plus ancienne que celle de
Georges, la version de Probus lui est cependant bien inférieure sous le rapport
de l'exactitude et de l'élégance. Georges paraît avoir eu entre les mains un
meilleur manuscrit et en avoir rendu le texte plus fidèlement. La vérité de toutes
ces affirmations ressort clairement du paragraphe second, où M. H. compare
entre eux les six premiers chapitres du llepl iç>\i.ryEiaz, d'après les manuscrits de
Berlin et de Paris qui contiennent la version de Probus, et d'après celui de
Londres qui présente la traduction de Georges.
I. Journal asiatique, IV' série, t. XIX, année 1852, avril, p. 293, 333; cf. De philo-
sophia peripateîica apud Syros. i8j2.
d'histoire et de littérature. 227
Dans le paragraphe 111% M, H. édite le reste du texte syriaque de la
version de Probus, à l'exception d'un assez coun fragment, que la perte d'un
feuillet dans le ms. de Berlin ne lui a point permis de publier. Cette lacune est
regrettable et nous sommes étonné que l'éditeur ne se soit pas fait envoyer cette
page de Paris ou de Rome. Comme ce texte n'est qu'une version du grec, M. H.
a cru pouvoir se borner à comparer dans les notes les deux textes, l'original et
la traduction, en indiquant par les lettres de l'alphabet les divers manuscrits grecs
d'Aristote employés par Becker et Waitz.
Le paragraphe IV* présente les sept premiers chapitres d'une version arabe
du Ilcpi âpiiTT/ei'oî, qui auraient trouvé plus logiquement leur place au paragraphe
second. Le paragraphe V* contient le texte du commentaire de Probus, sa tra-
duction et de nombreuses annotations. Le paragraphe VP est consacré à des
notices sur Probus, sur Georges, évêque d'Arabie, et sur Bazvad. Ce dernier
personnage, peu connu jusqu'à ce jour, est auteur d'une espèce de Dictionnaire
philosophique, renfermé dans le manuscrit de Petermann, auquel M. H. a fait de
fréquents emprunts. L'ouvrage est clos par un lexique.
Cet énoncé rapide et ce résumé , tout sec qu'il peut paraître , suffisent certai-
nement pour montrer l'importance de ce volume. Mais il faut le parcourir en
entier pour connaître exactement tout ce qu'il contient de véritable érudition et,
par suite, tout ce qu'il a dû coûter à son auteur de laborieuses et patientes
recherches. Ce n'est pas à dire toutefois que nous n'ayons quelques réserves à
faire et de sérieuses observations à consigner ici. Il y a dans cet ouvrage, en
apparence assez méthodique, un désordre de détail qui n'est certainement pas
un effet de l'art. Pour se servir avec fruit de ce livre, il faut commencer par
faire une étude minutieuse des abréviations, dont la clef, au lieu d'être présentée
en un seul endroit et avec uniformité, se trouve par fragments aux pages i, 2,
1 12, 216, dans le texte et dans les notes; elle n'est même pas complète. Il en
résulte que ce volume, écrit pour des hommes trop spéciaux, n'aura point, même
pour le public savant, toute l'utilité dont il était susceptible.
Pourquoi M. Hoffmann n'aurait-il pas ouvert son intéressant ouvrage par une
étude, en un latin plus élégant et plus lisible , sur le mpî ioarydn:, sur son his-
toire, ses éditions, ses commentaires, son importance, son influence dans la
philosophie et dans la grammaire.? Il en avait tous les éléments entre les mains;
ils se trouvent même en grande partie dans son livre. Il n'avait, pour ainsi dire,
qu'à classer et à grouper, sous une série de titres et dans un certain ordre, ses
observations nombreuses et érudites, jetées actuellement çà et là à travers le
volume, observations que le lecteur lit quand il s'y attend à peine, quand il n'y
est préparé par aucune initiation, et qu'il ne retrouve plus lorsqu'il les cherche.
On aurait vu dans ce travail l'influence exercée en Orient comme en Occident,
par Aristote, non-seulement sur les doctrines philosophiques, mais encore sur
toutes les sciences qui touchent de près au langage. C'eût été le cas de réunir
en un seul endroit les diverses remarques grammaticales disséminées aux pages
41-42, 1 1 3-1 14-1 1 5, 129-1 jo. En les complétant, M. H. aurait ajouté quelque
228 REVUE CRITIQUE
valeur à son livre. Le sujet étant totalement nouveau, il aurait pu émettre
des aperçus pleins d'érudition et d'intérêt sur l'influence du Ttepi £p[i.r,v£îa; dans
la grammaire syriaque. Nous savons, en effet, par lui, que la Bibliothèque de
Berlin renferme les grammaires du catholicon Elias et de Jean Bar-Zougbi.
Nous croyons enfin que le lecteur aurait mieux aimé trouver moins d'annotations,
mais des annotations rapprochées des textes qu'elles éclaircissent, avec ordre,
méthode et clarté.
Nous n'avons que des félicitations à adresser à M. H. en ce qui concerne le
texte syriaque. On ne saurait être plus exact. Le docte éditeur va jusqu'à indi-
quer les pages et les Hgnes du ms. qu'il publie. Celui de Paris, que nous avons
collationné en partie, présente un assez grand nombre de variantes et quelques-
unes ne sont pas sans importance.
Nous regrettons sincèrement de ne pouvoir pas louer autant le latin de
M. Hoffmann. L'expression n'est point choisie avec assez de soin; elle manque
souvent de justesse ; la période se développe péniblement et d'une manière em-
barrassée. Le principal mérite d'une traduction est d'éclaircir le texte qu'elle
accompagne, et nous pourrions citer ici plusieurs endroits du commentaire de
Probus qui seraient inintelligibles sans le texte syriaque.
Les notices biographiques nous semblent irréprochables : il y a de l'érudition
et de la méthode. Nous n'avons rien remarqué qui confirme l'opinion d'après
laquelle Georges, évêque d'Arabie, et Georges de Sarug, un des correspondants
de Jacques d'Edesse, ne seraient qu'un seul et même personnage '.
Si la lexicographie syriaque était plus avancée, nous reprocherions vivement à
M. H. d'avoir surchargé son glossaire d'une foule de mots qui n'ajoutent rien à
ce que nous connaissons déjà. Un lexique spécial et purement philosophique dans
le cas actuel, présentant à côté du mot un exemple pour chaque signification
nouvelle, aurait allégé le volume, et rendu plus de services à la science.
Une quantité innombrable de renvois n'ajoute rien à la clarté, et le lecteur fait
grâce de tout cet apparat. Un exemple bien traduit serait plus apprécié que cette
superfétation d'érudition. Recueillir les expressions techniques, les mots nouveaux
ou les significations exclusivement nouvelles, en donner le sens exact, confirmer
le tout par un ou deux exemples cités in extenso, nous aurait paru la perfection
du genre. Le lecteur est peu satisfait d'être obligé, en voyant tel mot, de
recourir à tel livre qu'il n'a pas, à telle page, à telle ligne qu'il ne trouve pas.
Il veut, qu'on me pardonne l'expression, le morceau un peu mieux mâché.
En résumé, ce livre, on le voit, est plein d'intérêt et de promesses pour
l'avenir. Ce qu'il y a d'exubérant, M. H. saura l'élaguer et le régler. S'il n'a
pas atteint la perfection du premier coup, tout lui permet d'y prétendre, et nous
sommes heureux de saluer fraternellement un orientaHste de mérite, qui nous
donnera non-seulement des ouvrages érudits et solides, mais des ouvrages bien
faits et bien utiles. P. Martin.
I . Ad. sanct., oct. t. XII, p. 972. Études religieuses des RR. PP. Jésuites, Juillet 1869.
d'histoire et de littérature. 229
,55. _ Observationes ad scholia inHomeri Odysseam scripsitH. J. Polak.
Lugduni Batavorum, Hazenberg, 1869. In-8*, 110 p.
Des scholies sur l'Odyssée, qui ont la même origine que les scholies de Venise
sur l'Iliade, ont été éditées par Buttmann (Berlin, 1821) et rééditées par Din-
dorf (1855). Un élève de Cobet, M. Polak publie sur ces scholies des observa-
tions où il traite de leur caractère et corrige leur texte en beaucoup d'endroits.
Dans la première partie de sa dissertation M. P. montre qu'il y a dans ces
scholies beaucoup plus de remarques du grammairien Aristonicus, que Dindorf
ne le reconnaît. Il donne une idée de ces scholies qui contiennent beaucoup
moins d'observations grammaticales et critiques que celles de l'Iliade, mais en
revanche une multitude de remarques étymologiques, d'explications allégoriques
et surtout de ces observations où l'on essayait de résoudre les difficultés qu'on
élevait sur le fond même des choses racontées par Homère.
Quant aux remarques sur le texte, je ne différerais d'avis avec M. P. que sur
un petit nombre de points. — P. 40. Schol. ad. e, 18. xai to-jtou T:t(mç, toû \Lfi
5ià irâôo; al<r/pôv <r/ziliiC,zi^, xo éToi\iMz lyjiv à~oné'^itti\... M. P. Supprime leS mOtS
Toû... c-/£T>tirc'.v, moins parce qu'ils ajoutent une explication superflue (car il
reconnaît que les scholiastes sont volontiers verbeux), que parce que « perquam
» incommode interposita sunt, ita ut, quae arctissime cohaereant, cum senten-
» tiae damno separentur. » Rien pourtant n'est plus commun en grec que de
séparer le génitif des mots dont il est le complément, et cela de la façon qui
nous semble le plus insolite et même le plus équivoque. On trouve par exemple
dans Aristote 360 b 20 eU tûv -oppw Tivà t6-ov, 361 a 34 :^ çopà twv iroppu-Ép*»
x-jpia Tf,; "pi; (où Twv r. est Complément de x-jpîa et -ni; y- de r.o^^.), 744 a 4 Tîi; 5è
GepjiOTTiTo; xai x^ç '^vjffiôTri-zoz Triv tûv xaTa|i.r,vîwv al-îov pûfftv, et je n'en finirais pas de
citer tous les exemples de ce genre, bien autrement choquants que la construction
du SCholiaSte. — P. 42. Schol. ad. l, 230. Tâo-Tova 7:x/;j7îpov à-ô -roO izayjj;, ^ay-wv,
iràdffwv, ûç àrco 6â<rffov, àffffov. M. P. supprime le second à-ô comme une répétition
du premier. Je crois plutôt qu'il manque après à-b , les mots tûv xa/y , âvyi ,
nécessaires pour que l'ôva/oY-a soit complète. — P. 43. Schol. ad. $, 327.
îroniTjv vé(Ui>v TCpôêara év toï; t?,; Amowvt;; v.eai toû "kCaoi; (an Toy ttéXo^?) ùysO-STO icoi-
(Avr,v xfx>ii<rrry. Je réponds à la question mise entre parenthèses par M. P. : non.
L'adverbe se construit ainsi avec l'article, non avec le pronom. Cependant le
sens exige un changement, peut être -rtvo; twv Ké).ar. — P. 87. Schol. ad. y, 258.
Nestor dit à Télémaque que si Ménélas était revenu à temps pour trouver Egisthe
encore vivant, Egisthe n'aurait pas même reçu la sépulture, twxé oi o-jôà Sovôvri
xunîv £7ti Yaïov lyzMm. On lit dans les scholies à propos de ce dernier mot: Twè;,
éxeyev, ïva Xeitttj xô ti;. èiv ôè êy-.-jm, ol 7:po(r>;xovT£; ■zù> A'.YÎ(76a) âixa 5r,/.ovÔTi èxwJiuffev
aûTo; ô MïvElao;. M. P. qui trouve, avec raison, ce texte inintelligible, lit : èiv ôè
ex-, oî Ttpo;. T. A. lr).o\6-i, à)A' Èxw).y(T£v ov avToù; ô MEvslao;; ce qui me paraît donner
un sens peu satisfaisant. Car si je ne me trompe (M. P. ne traduit pas), on a :
a si les parents d'Egisthe l'avaient enterré, du moins Ménélas les aurait empêchés
2^0 REVUE CRITIQUE
» de l'enterrer. » Je crois qu'il faut mettre un point après AlywO» et supposer
une lacune devant a[Aa ou àXXà, en conservant d'ailleurs les corrections de M, P.
Voici comment j'entendrais le texte : « Quelques-uns écrivent h^\izy, avec ellipse
» de TIC Si l'on écrit êx^uav, il y a ellipse (il faut suppléer itimC) de oi upooiixovTeç
» Tû AîYiaôo). (si Ménélas était venu à temps, ils n'auraient pas enseveli Egisthe);
» mais sans doute Ménélas les en aurait empêchés. » — P. loi. Schol. ad. ç,
126. A propos de Pénélope qui accueille bien et questionne les moindres vaga-
bonds qui se présentent pour lui donner des nouvelles d'Ulysse, le scholiaste fait
la réflexion suivante : çOffew; àvÔpwTrivYiç î5tw(xa t6 Trspl twv àvayxatwv àmarow-zctç
^(jiâî ô(iw; àva7:uv8dcv£a6ai. M. P. dit ne rien Comprendre au texte et le corrige
ainsi çuaew? àvôpwTcCvri; t5îca[Aa, toO; uTiÈp tûv àvayxaiwv àTraxwvca; fi[Ji.àc, ô[i.toç àvairuv-
eàveaôat : ce qu'il entend de la manière suivante : « Insitum est in humana natura,
» eos quos scimus nos decipere ob victum quotidianum, tamen interrogare. »
J'avoue que j'éprouve une impression absolument inverse de M. P. Je crois
comprendre le texte, et je ne comprends pas du tout sa restitution. Est-il vrai
qu'il soit dans la nature humaine d'interroger ceux que nous savons nous trom-
per pour manger ? et même quel sens cela présente-t-il ? Au contraire il me semble
naturel que quand il s'agit de nos parents {ol àvaYxaïoi), nous questionnions,
même quand nous nous défions de ceux que nous questionnons; nous savons
qu'ils nous trompent et nous ne pouvons nous empêcher de leur demander des
nouvelles des êtres qui nous sont chers.
L'espace me manque pour citer tout ce que l'on trouve de bon dans la disser-
tation de M. P. Je dois me borner à quelques exemples qui donneront une idée
du reste. — P. 53. Schol. ad. y, 2 j6. Le scholiaste explique ces vers du discours
de Mentor à Télémaque de la manière suivante : ô ... Xéyei toioùtôv èaTiv, àXXà rèv
o[JLOuov SàvaTOv, î^youv tôv Ttàaiv ô(ioîwi; Si86[JL£vov, où8 'ot ôeot àv àTtoffoê^^aetav à?' ou poû-
XowTO, àXXà t6t£ ÔTtoxav -g TieTrpwjjLevov to xs\EVTrjGa.i aÙTÔv. Dindorf a SCntl qu'il y avait
une altération dans ce dernier membre de phrase. Il pense qu'il manque quelque
chose comme xeXeuTricret. M. P. corrige plus simplement en supprimant to répéti-
tion du T£ suivant et en admettant le passage subit au style indirect, qui n'est
pas rare même dans ces scolies : « Mentor dit qu'il meurt au moment fixé par
» le destin, » — P. 61. Schol. ad. a, 21^. A propos de la fameuse réponse de
Télémaque, (xi^Tyip (xév t' è[X£ çrio-t toû £[X(i£vai, aÙTàp Êycoye || oùx oTS'. où yàpTtw Tt; éôv
yovov aùToç àvÉyvw, on trouve dans les scholies la réflexion suivante : ... 7r69£v ii
yvtôat; toï; natat xoù uarpôç ; xà yàp « iiT^xiQp (AÉv té jié «pvjdt xoû ëjxjXEvat, aùxàp éytoye oùx
» oT5a ÔTttûç |i£V ï^ii » èirt xoO TriX£[xàxoy • ôte yàp à7re8TÎ(xri(7£ Traïç rjv (laÇw ... eI Se
xaOôXou « où yàp ttw xtç éàv yovov àvÉyvw, » ttôOev t^ yvwfftç; M. P. fait d'abord remar-
quer que les mots ôirwç (xàv êyv) sont inutiles et qu'il n'est pas dans les habitudes
de ces schoHastes de mêler ainsi leurs expressions aux vers d'Homère; ensuite
il manque un verbe à ènlx. T. En conséquence il corrige avec évidence ...oTS'» op
Owç (j.£v £X£i £7ti X. X. é. : « recte quidem habet de Telemacho. » Il restitue aussi
après à7ï£6^jxr,(7£ les mots 0 Tcaxrip qui manquent évidemment. — P. 92. Schol. ad.
K, 170. Ulysse dit à Nausicaa pour l'apitoyer ; x^'^o? èetxoaxû çùyov rnLOixi oïvoua
d'histoire et de littérature. 231
TTôvTov. On trouve sur ce vers la scholie suivante : âz' à)>o sTSoî \urix6%\\u eî; SXsov
xivwv Tr;v irdpôrvov. xaî -b êixô; tw Tsyvtxû. Tô {lèv yàp -ri; cûo i^tiépa; tovJ vaya^jou eliîêïv
^rrov uEpiua6é;, (ruW.aêwv 8à twv :^(i£pwv xàv àpi8[i.ôv èv aï; izù.ztjz t^v (rj|i?opàv fôetvo-
7toîr;c£v. Dindorf dit « verba non intégra. » Mais M. P. pense qu'il n'y a pas de
lacune, et corrige avec autant de simplicité que d'évidence : xal to tlxrxrcâ
Tcxvixw;. — p. 97. Schol. ad. r,, ?i8. Le scholiaste dit que les Phéaciens, crai-
gnant d'être attaqués par des ennemis, oOcéva Oslo-jdiv àxptgw; (iaôsiv ttoioi; olxo-j^t
tÔTtoi; (il y a ici un solécisme qui probablement ne doit pas être mis sur le
compte du scholiaste; èv est sans doute omis après |xa9£îv)... ôtà xal xo'.!iw[i£v(r/
àizo TÎÔîvTat TÔv 'OSua^éa, oià -zb jir, î&sTv £?? ^oTov /-.{ir^a àvaTrXÉovffw. Comme le fait
remarquer M. P., on n'aurait pas pu distinguer à Ithaque le port où reviennent
les Phéaciens. D'ailleurs c'est /j route de leurs pays qu'ils voulaient tenir cachée.
Mais le mot )i[i£va n'est qu'une conjecture malheureuse de Struve substitué à xai
â|ia, qu'on lit dans les manuscrits, et dont M. P. tire de la manière la plus heu-
reuse, x),T[ia, KADIA, dont le copisie lisant la première syllabe kai a complété en
dépit du sens la syllabe >L\. Le mot -/.xr.aa qui se rapporte proprement à la latitude
est souvent employé dans le scholiaste et et ailleurs avec le sens du latin
îracîus.
Ces exemples suffisent pour montrer que ce travail, début philologique de
M. Polak, se distingue par une sagacité qui donne l'idée la plus favorable de
ses dispositions naturelles et par une sévérité de méthode qui fait honneur à la
manière dont elles ont été cultivées.
Charles Thurot.
200. — Disquisitio de aere Malacitano et Salpensano, auctore P. J. van
SwiNDEREN. Groningae, Huber, s. d. In-8', xij-233 et xx p. avec la reproduction des
deux documents en lettres capitales.
La lex Malacitana, pour faire suite aux « Tables de Salpensa et de Malaga, » par
M. Ch. GiRAUD. Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1868. In-8*, 81 p.*.
On se rappelle l'émotion que produisit il y a dix-huit ans dans le monde savant
la découverte en Espagne de deux lois municipales, remontant au premier siècle
de l'empire romain. Ces lois étaient assez nouvelles dans leur genre, elles appor-
taient à la science épigraphique et à l'histoire du droit un contingent de faits
assez importants et assez peu connus pour qu'au premier moment on ait pu
douter de leur authenticité : la trouvaille semblait trop belle à quelques-uns.
M. Laboulaye' se fit le champion des incrédules. Il essaya de réunir des argu-
ments de droit et d'épigraphie ; mais ce fut en vain. L'opinion des épigraphistes
et des juristes lui fut également contraire. M. Ch. Giraud lui répondit en France
d'une façon victorieuse 5 et il n'eut même pas la peine de compléter sa démons-
1. Extrait de la Revue historiaue de droit français et étranger, 1868.
2. Les Tables de bronze de Salpensa et de Malaga, Paris, i8j6.
3. Us Tables de Salpensa et de Malaga, 2' éd. Paris, 1856.
232 REVUE CRITIQUE
tration, tant fut unanime le sentiment des connaisseurs les plus autorisés. Le
remarquable travail de M. Mommsen, publié dans les Mémoires de la société
royale de Saxe 1 , tira immédiatement les résultats les plus essentiels des bronzes
de Salpensa et de Malaga. Quelques détails de droit fournirent seuls matière à
une discussion prolongée entre les hommes spéciaux, discussion instructive au
plus haut degré et dont on pouvait déjà tirer quelques conclusions définitives.
Les choses en étaient à ce point lorsque, en 1863, la faculté de droit de
l'Université de Leyde mit au concours la question suivante : « Instituatur disqui-
» sitio de aère Malacitano et Salpensano iîa ut slmul appareat quid conférant ad
)) illustranda quaedam juris Romani instituta. « C'était appeler les jeunes talents
de l'Université à condenser les résultats des études antérieures et à exprimer
leur opinion personnelle sur chacun des points en litige. M. Van Swinderen pré-
senta alors un mémoire d'un grand intérêt, dont il nous donne aujourd'hui une
nouvelle rédaction. Dans l'intervalle s'était produit un fait assez inattendu. Un
privat-docent de Heidelberg, M. Asher avait publié en 1866, dans la Revue histo-
rique du droit français et étranger, un mémoire dans lequel il combattait avec des
arguments en partie nouveaux, l'authenticité des tables en question. En Alle-
magne cette tentative fit simplement sourire le monde savant , et elle méritait
d'être traitée de la sorte. En effet, l'on conçoit jusqu'à un certain point qu'on
ait discuté la thèse de M. Laboulaye, que les bronzes de- Salpensa et de Malaga
ont été fabriqués en 185 1 , ou du moins au xix* siècle. Mais rien ne saurait pré-
valoir contre la sentence unanime des épigraphistes les plus compétents : qu'aucun
d'entre eux, qu'aucun connaisseur, si versé fût-il dans les questions du droit
municipal, n'eût été capable de rédiger de pareils documents. Il faudrait être
d'une force tout exceptionnelle pour fabriquer une simple inscription honori-
fique de vingt lignes qui pût tromper un seul instant la critique moderne. Le sens
critique, la sûreté des procédés actuellement admis dans la science rendent de
pareils faux impossibles. On sait le sort qu'a eue la malheureuse tentative de
Nennig et, dans un domaine voisin, le débat Pascal, Newton, etc., est là pour
montrer qu'au besoin l'histoire, les sciences et l'étude des écritures sont assez
avancées pour prononcer en pareil cas une sentence définitive.
Mais que dire de l'hypothèse de M. Asher? Il suppose que le faux a été
commis au xvi^ siècle, que les tables de Salpensa et de Malaga ont été fabriquées
entre 1 530 et i $70! On ne peut s'étonner que d'une chose, c'est qu'on ait pu
s'arrêter à une pareille supposition. Tout le monde sait ce qu'au xvi'' siècle on
I. Die Stadtrechte der latdnischen Gemeinden Salpensa und Malaga. Leipzig, 1855-56. —
M. Giraud rappelle qu'un fac-similé complet des tables a été exécuté par les soins de
MM. Loring et Berlanga; d'autres fac-similés reproduisant jusqu'à la couleur des bronzes
figurent dans l'ouvrage de M. Berlanga : Monumentos historicos del municipio Flavio mala-
citano. Malaga, 1864. Un gros vol. in-8°. L'auteur a réuni en appendice la correspondance à
laquelle a donné lieu l'envoi de copies et fac-similés à diverses sociétés savantes et aux
érudits les plus éminents de l'Europe. Cet appendice ressemble un peu trop, il faut le re-
connaître aux témoignages accompagnant les annonces de la Révalescière. M. de B. a tenu
à faire connaître à tous les compliments qu'on lui adressait.
d'histoire et de littérature. 25?
connaissait en épigraphie et en droit romain, et en particulier ce dont on se préoc-
cupait alors en Espagne. Et puis, quel but aurait eu le faussaire ? Quelle idée d'en-
terrer ensuite les tables ? Quels étaient les savants à qui on aurait pu se promettre
de jouer un bon tour r
L'article de M. Asher valait-il la peine d'une réponse ? nous ne le pensons pas
et nous voulons croire que la seule raison qui a engagé M. Giraud à répondre
est sa situation vis-à-vis du recueil même qui a donné l'hospitalité au factum du
privat-docent d'Heidelberg. Parmi les arguments il n'avait qu'à choisir : ils se
pressent en telle masse qu'on n'a pas même l'embarras de la recherche. M. Van
Swinderen a aussi pris la peine de réfuter M. Asher, sur des points de détail
juridiques en particulier. Si les deux mémoires que nous annonçons aujourd'hui
ne s'occupaient que de combattre des moulins à vent, nous pourrions les passer
sous silence. Mais dans le premier, la réfutation n'est qu'incidente et dans le
second nous trouvons également des discussions de points importants qui ont leur
valeur en dehors du but principal que l'auteur s'est proposé.
Il est certain que les documents espagnols dont il est ici question, offrent
quelques difficultés; c'est même là un argument de plus en leur faveur. Un faus-
saire n'eût donné que des règles de droit connues et indiscutables, il n'eût pas
parlé de choses trop obscures ou dont on ne savait rien à l'époque de la trou-
vaille. Or, sur quelques points le texte des bronzes s'est trouvé confirmé par des
documents découverts depuis 185 1. Sur d'autres il y a discussion.
Le travail de M. V. Swinderen se compose de 4 parties. Dans la première il
traite des municipes en général ; nous ne trouvons pas qu'il y ait apporté beau-
coup de lumières nouvelles. — Dans la seconde il étudie plus spécialement la
situation des municipes de Malaga et de Salpensa; il confirme dans leurs parties
essentielles les conclusions déjà obtenues par Mommsen. Il est évident qu'à la fin
de la République et surtout au commencement de l'empire, il y a eu des rema-
niements considérables dans les droits des sujets de Rome et dans la condition
des différentes villes en particulier. Une étude d'ensemble sur cette question
pourra seule nous faire comprendre exactement la condition dans laquelle se
trouvaient Salpensa et Malaga, avec leurs cives Romani et cives Laîini; (on sait
qu'on n'a pas encore retrouvé ailleurs ce dernier terme qui contredit l'idée qu'on
se fait généralement de la civitas). — Il n'y avait pas non plus beaucoup de
recherches nouvelles à faire sur le droit public des villes espagnoles, qui font
l'objet de la troisième partie du mémoire ' ; seul le chapitre IV de cautione prae-
dibus praediisque offre un plus grand intérêt. La question qu'il étudie a fait l'objet
d'un mémoire spécial de M. Rivier, professeur à l'Université de Bruxelles,
mémoire que M. V. Sw. cherche à réfuter sur quelques points. Ainsi il pense
^^ I. Je ne sais pourquoi M. V. Sw. ne veut pas admettre que les édiles puissent être
désignés comme collègues des // vjW. S'il est un fait certain, c'est bien celui que les quatre
premiers magistrats de la cité formaient un collège composé de II viri et d'édiles. Ce oui
est plus curieux, c'est qu'à Salpensa et à Malaga les plus hauts magistrats soient appelés
// viri comme dans les colonies et non IV viri comme dans les municipes.
2?4 REVUE CRITIQUE
que le praes, s'engageant verbalement , obligeait la totalité de ses biens ; il
admet avec Zimmermann que la subsignatio praediomm avait pour but d'empêcher
toute négligence et toute fraude de la part de la caution (praes) qui aurait pu
dissiper ou vendre ses propriétés, enfin que certains immeubles étaient spécialement
frappés d'une sorte d'hypothèque. — La quatrième partie, qui s'occupe du droit
privé des Latini k Salpensa et à Malaga, recherche aussi la solution de problèmes
importants. Ici sont réfutées plusieurs propositions fort erronées de M. Asher.
Quant à la luîoris opîio, le passage singulier des tables qui semblerait l'attribuer
aux enfants impubères , est l'objet d'une longue discussion aussi bien de la part
de M. Giraud que de celle de M. V. Sw. ' Le premier pense que le is, ea employé
dans toutes les formules de la loi est ici (Salpensa ch. xxii) reproduite par
simple style formulaire, le is étant dans le cas particulier sans application, et la
îutoris opîio n'incombant qu'à la femme. M, Van Swinderen est du même avis.
En tout cas la lecture de ces deux opuscules sera utile à tous ceux qui vou-
dront se mettre au courant de la question. Nous regrettons cependant que
M. Giraud n'ait pas donné à la Revue historique du droit, le troisième article qui
y est annoncé et qu'il ait publié ces deux articles en un tirage à part; il renvoie
sur certaines questions à une autre partie de son travail que l'on cherche en
vain. y. [I,.
201. — T. Livii ab urbe condita lib. III-VI quae supersunt in codice rescripto
Veronensi descripsit et edidit Th. Mommsen [ex commentationibus Regiae Academiae
Scientiarum Berolinensis a. MDCCCLXVIII]. Berolini, Dùmler, 1868. In-4*, 185 p.
On sait qu'il existe à la bibliothèque de Vérone plusieurs palimpsestes impor-
tants. Dans le nombre il en est un qui a servi au ix'= siècle à copier une partie
des Moralia in Job de saint Grégoire ; les feuilles dont on l'a composé ont appartenu
auparavant à des manuscrits de divers auteurs. L'ancienne écriture recèle une
partie du texte de Virgile, qui n'a pu être complètement utilisée jusqu'ici, avec
des scholies qui ont été recueillies par le cardinal Mai, par Keil et par M. Arnold
Hermann, mais qui ne sont pas encore publiées; des fragments d'une traduction
latine d'Euclide que M. Studemund doit éditer prochainement; des fragments
encore inconnus d'un philosophe chrétien; enfin une partie des livres III-VI de
Tite-Live.
C'est une copie complète de ce dernier texte que publie aujourd'hui
M. Mommsen; il s'est servi pour cela de caractères qui reproduisent à peu près
les formes de l'onciale et il a donné en quelque sorte un fac-similé du manuscrit,
en conservant la scripîio continua et en rendant ligne par ligne, colonne par
colonne le contenu de l'original pour autant qu'il a pu être déchiffré. Ceci nous
permet de nous rendre compte de l'étendue des lacunes. Ce texte qui comprend
les pages 33-152 est accompagné des principales variantes des meilleurs
i. Untcrsuchungen iiber die cautio praedibus praedisque. Berlin, 1868.
d'histoire et de littérature. 235
manuscrits connus jusqu'à ce jour, en partie d'après des collations nouvelles :
M. Schœll a revu pour M. M. le Mediceus, M. Pluygers le ms. de Leyde. —
Puis viennent des observations critiques et philosophiques (p. 153-20(3); enfin
(p. 206 à 21 5) le fac-siraile d'une feuille du Codex Vaticanus Palatinus qui con-
tient un fragment du livre XCI' de Tite-Live,
Le principal intérêt de cette publication se trouve à notre avis dans les notes
critiques et philologiques. Tout ce qui était digne d'être remarqué aux points de
vue de l'orthographe, de la paléographie, de la grammaire et de la critique du
texte, se trouve réuni en quelques paragraphes. On pourra peut-être glaner encore
quelques observations de détail, ou bien quelque philologue spécialement versé
dans l'étude de Tite-Live =, pourra faire une étude d'ensemble à la fois plus serrée
et plus pratique. Mais l'essentiel nous est suffisamment indiqué par M. M. Il a
démontré que le texte du palimpseste de Vérone remontait à une époque au moins
aussi ancienne que la récension des Nicomachi, et qu'il était indépendant d'elle.
Il a donc une autorité incontestable. C'est un témoin qu'on devra consulter dans
tous les cas. On y trouve des fautes et même des interpolations qui ne se ren-
contrent pas dans les Nicomachiani, mais l'inverse est également vrai. La série
des passages où le Veronensis nous donne directement ou indirectement la vraie
leçon, telle qu'elle est dressée par l'auteur du mémoire, est déjà très-considérable.
Dans un grand nombre de cas d'ailleurs, le palimpseste ne fait que confirmer les
corrections des éditeurs. Ainsi III, 65, 5 : conîentiones où les autres mss. don-
naient conîiones; 6-j, 5 : si in vobis au lieu de sin vobis. Dans quelques passages
on n'avait pas encore trouvé d'erreurs et le palimpseste nous amène à en corriger,
spécialement pour des noms propres : IV, 17, 2 : Sp. Nautius pour Sp. Aniius;
IV, 54 : C. Appius pour P. Pupius; IV, 54 : le présent abdicaî doit être remplacé
par abdicavitj etc. — Ces quelques indications ne donnent qu'une faible idée de
la riche moisson qu'on peut faire en consultant soit les notes de M. Moramsen,
soit le te.xte même qu'il a publié. Nous recommandons vivement à l'attention de
tous les philologues ce remarquable travail.
Ch. M.
202. — Fr. Palacky. Des rapports de la secte vaudoise avec les anciennes
sectes en Bohême. Prague (Extrait de la Revue du Muséum de Bohême). In -8*,
32p.* — Prix : I fr. 25.
M. Palacky continue ses recherches sur l'histoire des sectes en Bohême. Il
s'occupe à réunir les matériaux d'une nouvelle édition de son histoire. Nous
avons l'année dernière signalé ici même sa brochure contre M. Hœfler; celle que
1. M. Mommsen semble espérer que Madwig se chargera d'utiliser la nouvelle publica-
tion pour une édition proprement dite : k Pertraclare autem eius modi quaestionem cum
unus homo possit ex iis qui hodie sunt Madvigius, hoc optamus ut telam a nobis inchoa-
tam et retexat, ubi opus est, et detexat. »
2. Il a paru de ce travail une traduction allemande sous ce titre : Ueber die Bcz'uhungen
und die Verhaltnisse dcr WaUenscr zu den ehemaligen Suten in Boehmen. Librairie Tempsky.
In-8* de 58 pages.
256 REVUE CRITIQUE
nous avons sous les yeux a pour nous d'autant plus d'intérêt qu'elle touche à
certains points de notre histoire religieuse.
On sait que les frères bohèmes, ces épigones des Hussites, furent connus pen-
dant plusieurs siècles, sous le nom de Frères Vaudois. Ils rejetaient ce nom comme
une injure; pendant longtemps les érudits ont admis l'existence de Vaudois
Bohèmes parallèlement aux Vaudois romans. Quelle est l'origine de cette déno-
mination ?
Comme on sait, les Vaudois doivent leur nom à un marchand de Lyon, Pierre
Valdo, lequel vivait au xii" siècle. Dès 1 184, leur secte était anathémisée par le
concile de Vérone. Leur hérésie gagna l'Allemagne et en 1265 on les trouve en
Bavière, un peu plus tard en Autriche, ainsi qu'il ressort des documents cités
par M. Palacky. L'auteur retrouve dans des bulles pontificales' et dans divers
documents historiques, la preuve qu'à partir du xiii'^ siècle des sectes analogues
à celle des Vaudois auraient existé en Bohême. Elles n'admettaient ni le sacer-
doce, ni le serment, ni la peine de mort, et leurs doctrines paraissent à M. P.
empruntées aux doctrines vaudoises. On accusait ces sectes de tenir des assem-
blées nocturnes pour se livrer à la débauche. M. P. rappelle à ce propos que
dans son pays en Moravie, les descendants des Hussites tenaient encore de
pareilles réunions à la fm du siècle dernier. Pour rattacher les hérétiques bohèmes
à la secte vaudoise, M. P. s'appuie non-seulement sur l'analogie des doctrines,
mais sur le témoignage de Matthias Flaccus Illyricus, historien du xvi^ siècle, qui
dans son Catalogus testium veritatis, déclare avoir eu entre les mains des docu-
ments relatifs aux Vaudois de Bohême, documents remontant au xiV siècle et
même au xiii^ siècle.
M. P. discute ensuite les témoignages d'^Eneas Sylvius et de Hajek. Il
démontre d'après les documents relatifs à Jean Huss que le célèbre hérésiarque
avait des Vaudois parmi ses disciples. Enfin il montre d'après Mansi (Colkctio
Concilior., XXIX, 402) les habitants du Dauphiné (la terre classique des Vau-
dois, comme on sait) en rapport avec les hérétiques de Bohême : « In Delphinatu
)) est quaedam portio inîer montes inclusa qnae errorihus adhaerens praedictis Bohoe-
» morum, jam tributum imposuit, levavit et misit eisdem Bohoemis. »
De ces divers témoignages M. P. conclut que les Vaudois eurent des adhérents
secrets en Bohême depuis le xiii^ siècle, jusqu'au milieu du xv", et qu'alors ces
adhérents furent absorbés par les Hussites. Quant à la secte des frères bohèmes,
elle se sépara vite des Vaudois et répudia la plupart de leurs idées. Il faut donc
regarder comme erronée l'opinion reçue jusqu'ici par beaucoup de savants qui
ne faisait remonter qu'à la fin du xv'' siècle les rapports entre les Vaudois et les
frères bohèmes.
Louis Léger.
I. L'une de ces bulles lui a été signalée en 1867, lors de son voyage en Russie par
M. Lamansky, le savant slaviste de Pétersbourg. Elle ne figure pas aux archives du
Vatican. Elle a été trouvée au monastère de Burton en Angleterre et publiée dans les
Annales Monastici, edited by H. R. Luard. Vol. I. London, 1864.
d'histoire et de littérature. 237
203. — La famille de Ronsart, recherches généalogiques, historiques
et littéraires sur P. de Ronsard et sa famille, par Achille de Rocham-
BEAu. Paris, librairie Franck, 1868. In-i6 de 558 p. — Prix : 5 fr. et avec i album
1 $ fr. •
« Rien de ce qui touche les grands hommes d'un pays ne saurait être indiffé-
» rent à leurs compatriotes. » Ainsi débute la petite préface dans laquelle M. de
Rochambeau analyse l'ouvrage qu'il a composé avec amour, désirant faire con-
naître le poète Ronsard « sous des points de vue trop peu étudiés. » Cet ouvrage,
utile complément de l'édition de M. Prosper Blanchemain^, est divisé en six
chapitres intitulés : Généalogie de la famille de Ronsart 3 ; propriétés seigneu-
riales possédées à diverses époques par la famille de Ronsart; iconographie et
souvenirs du poète Ronsard; mélanges sur P. de Ronsard; P. de Ronsard, ses
juges et ses imitateurs; pièces justificatives. Nous allons rapidement examiner
chacune de ces six parties que suivent : i°des errata et appendices; 2° une table
analytique des noms de personnes ; 3° une table analytique des noms de lieux.
La famille de Ronsart est originaire des frontières de la Hongrie et de la
Bulgarie. M. de R. la trouve établie, riche et puissante. « sur les rives du
» Danube» en plein xiv* siècle. Ce fut vers 1390 que Baudouin de Ronsart
vint offrir ses services au roi de France Philippe VI de Valois. M. de R. con-
duit la généalogie de la famille de Ronsart depuis cette époque jusqu'à nos jours,
le dernier représentant du nom n'ayant disparu que le 31 août 1866. Il nous
apprend, chemin faisant (p. 54), qu'une demoiselle de Ronsart (Jeanne), petite-
nièce de Pierre, épousa, en 1619, Pierre Tascher de la Pagerie, et que, par
conséquent, l'empereur Napoléon III a le droit de compter le plus illustre poète
du XVI* siècle au nombre de ses grands-oncles.
Parmi les nombreux domaines seigneuriaux de la famille de Ronsart, M. de R.
décrit surtout (p. 73-88) le château de la Poissonnière ou plutôt de la Possonière
(commune de Couture, canton de Montoire, Loir-et-Cher), où naquit l'auteur de
la Franciade, le 1 1 septembre 1 524. Après avoir étudié le château en archéologue,
M. de R. l'étudié comme demeure successive des descendants de Baudouin, qui
se fit bâtir il y a plus de cinq cents ans, et peut-être donne-t-il au sujet des der-
niers possesseurs, bien des renseignements qui ont trop peu d'importance!
Ce qui est plus intéressant, c'est la description de tous les ponraits connus de
Ronsard (il n'en existe pas moins de trente-cinq). Aux plus exacts détails icono-
graphiques M. de R. a mêlé çà et là quelques souvenirs et notamment (p. 113-
1. Cet album contient un portrait de Ronsard d'après une peinture du temps, les
statues tombales de son père et de sa mère, des vues (intérieures et extérieures) du château
où il naquit, etc., le tout admirablement exécuté.
2. Voir ce qu'en a dit M. Prosper Blanchemain dans le Bulletin du Bouquiniste^ du 15
mai 1869.
3. M. de R. dit (p. 11): < Nous possédons plusieurs litres relatifs à cette maison et
» remontant presque tous au XVI* siècle, tous portent le nom écrit par un /, Ronsart :
» nous adopterons donc cette orthographe comme la plus véridique. En parlant du poète,
» nous ferons une concession à l'usage généralement adopté, en écrivant son nom par
> un ^. »
238 REVUE CRITIQUE
1 1 7) des vers intitulés : Ronsard à Vendôme, composés par un jeune poète vendô-
mois, feu M. Louis Bouchet, vers, dit-il en compatriote indulgent, « peu connus,
» bien qu'ils méritent de l'être. »
La plus curieuse partie du volume est celle qui, sous le titre de Mélanges,
renferme une note sur l'époque de la naissance de Ronsard, une autre sur cette
question qu'il faut résoudre négativement ' : Ronsard a-t-il été prêtre ? diverses
pièces de vers du xvi^ siècle inédites, telles que les Satires, la Conversion de Pierre
de Ronsard (p. 142-147) et la Remonsîrance à Pierre de Ronsard (p. 148-172),
tirées du volume 485 de la collection Gaignières à la Bibliothèque impériale, une
Epistre à la populasse de Paris (p. 179) tirée du même volume, la lettre de Pas-
serai à Ronsard (du 20 août i $66), extraite du volume 8585 du Fonds latin, la
lettre de la duchesse de Savoie Marguerite de France , à la reine-mère pour lui
recommander Ronsard, extraite du volume 8691 de l'ancienne collection Béthune,
et plusieurs morceaux en prose et en vers de Ronsard, les uns peu connus, les
autres inédits (p. 1 84-1 89) ^
Le chapitre sur les juges et les imitateurs de Ronsard est formé presque en
entier 5 d'extraits, généralement très-courts, de l'Histoire des poètes français de
Guillaume Colletet (ms. du Louvre). Les personnages qui figurent, en croquis,
dans cette galerie sont Hierosme d'Avost, Lazare de Baïf, Jean-Antoine de Baïf,
Nicolas Bargedé, Guillaume de Saluste seigneur du Bartas, Christofle de Beau-
jeu, Remy Belleau4, Guillaume des Autels, Joachim du Bellay, Jacques Bereau,
François de Beroalde, sieur de Verville, Jules Caesar Le Besgue, Pierre de Brach,
de Chotières, Florent Chrestien, Charles d'Espinay, Jacques Grevin, Jacques
Guillot, Jacques Hurault, Amadis Jamin, Guy de Tours, Estienne Jodelle, Pierre
de Loudun, David Aubin de Morelles, Claude de Morenne, Marc-Ant. de Muret,
Pierre Le Loyer, Jean Martin, Jean Edouard du Monin, Jean de la Péruse,
Mathurin Régnier, Jacques Pelletier, Jean de Schelandre, Saincte-Marthe, Jacques
Tahureau, Marguerite de Valois, Charles Utenhove, Pontus de Tyard, Claude
de Trelon, Ch. Tourniol, Fr. Tillier, Jacques de la Taille, Arnaud Sorbin,
1. Ce qui n'empêcha pas Ronsard de succéder, le 28 mars i $57, à son frère Charles
dans la possession de la cure d'Evaillé, comme on le voit par un document irrécusable
cité à V Errata (p. 321), ce qui confirme le double récit, si souvent combattu, de Th. de
Bèze et du président de Thou, lesquels nous montrent le curé-poète luttant à main armée
(pro aris) en i $62, contre ceux qui pillaient les églises du Vendômois.
2. M. de R. ne s'est pas contenté de nous donner la lettre inédite de Ronsard à Mons.
Chrestian, à Vendosme, qui lui a été communiquée par M. Pr. Blanchemain, etie petit
billet sans adresse qui lui a été communiqué par M. Feuillet de Conches, il a réimprimé
aussi en tête de son volume, d'après une photographie de l'original, la lettre à Antoine
de Baïf sur la Pœdotrophie de samte Marthe, citée par Binet dans la Vie de Ronsard, par
Colletet dans la Vie de sainte Marthe, par M. B. Hauréau dans l'articfe de la Nouvelle
Biographie générale consacré à ce dernier poète, etc.
}. Except(ins-en un passage relatif à Ronsard et à Rabelais tiré du livre sur Rabelais
du médecin Jean Bernier (p. 209), une anecdote sur Ronsard tirée du Recueil de bons mots
des anciens et des modernes, 1705 (p. 219), un extrait du Perroniana (p. 1-226), etc.
4. M. de R. n'a pas rappelé que la vie de Belleau par Colletet avait été publiée par
M. Gouverneur en tête des Œuvres du charmant poète (Bibliothèque eizévirienne, 1867).
Il aurait pu rappeler aussi la publication des vies de Du Bartas, de Brach, Jean de la
Peruse, M. Régnier, etc.
d'histoire et de littérature. 2J9
Maurice Sceve, Estienne Tabourot, Scalion de Virblumeau , Clément de Saurs.
Aucune des pièces justificatives (p. 265-520) ne concerne Ronsard. Les seize
documents réunis par M. de R. se rapportent à d'autres membres de la famille
du poète. ' T. de L.
204. — Les anciennes Fêtes genevoises, par F.-N. Le Roy, membre de l'Institut
national genevois. Genève, Cherbuliez, 1868. In-12, viij-270 p. — Prix : 6 fr.
Ce petit livre est amusant et instructif L'auteur, sans prétentions érudites, et
dans un style facile qui gagnerait à être un peu plus serré et çà et là moins décla-
matoire, présente au grand public des renseignements curieux sur des fêtes
données à Genève aux xv^ et xvi* siècles. On y retrouve les traits qui distinguent
toutes les pompes de cette époque, qui fut par excellence celle des cortèges, des
fêtes et des exhibitions publiques. Le chapitre le plus intéressant est celui qui
concerne les réjouissances faites en 1523 et 1 524 à l'honneur du duc Charles III
de Savoie et de la duchesse Béatrix sa femme. M. Le Roy donne in extenso le
texte de deux sotties qui furent jouées à cette occasion, et dont la seconde sur-
tout porte les traces visibles du protestantisme qui allait triompher à Genève.
M. L. a imprimé ces deux sotties à part, et la Revue critique a déjà rendu compte
de cette publication (1868, t. II, art. 208). Elles sont curieuses à plus d'un titre,
mais le texte aurait besoin d'être revu avec soin. — Une autre pièce singulière,
également publiée dans ce volume, est VAllégorie des A liés (Alliés), représentée
en 1 5 î 1 , en présence des ambassadeurs suisses qui venaient renouveler l'alliance
des cantons helvétiques avec Genève. Au milieu des pitoyables jeux de mots
dont elle est semée, on sent l'esprit d'indépendance et de patriotisme qui animait
alors tous les cœurs. — Beaucoup d'autres curiosités littéraires ou historiques
I. [La partie la plus intéressante de ce volume rempli de choses très superflues est sans
contredit celle qui porte le titre de Mélanges (p. 131-191)- Les pièces inédites contre Ron-
sard qui y sont imprimées sont particulièrement curieuses; il est malheureux qu'elles
soient si mal copiées. Elles fourmillent de fautes grossières, qui détruisent le sens, la
mesure et la rime; p. ex. p. 143, v. 6 prince, !. prime; le v. 10 n'a pas de rime; le v.
ij n'a pas de sens; le v. 18 est trop court d'une ou deux syllabes, et le v. 24 trop long
d une; le point à la fin du v. 26 rend les vers 25-26 inintelligibles, etc., etc. Il y a des
mots nouveaux, créés par l'éditeur, qui sont tout à fait divertissants; ainsi vioto (p.
146, 1. virbis), dresse (p. 147, 1. déesse), folen (p. 148, 1. fol en), ame au masc. (p. 1 50,
I. cerne), tuon (p. 153, 1. taon), roncipete (p. 156, 1. romipite), chosdc (p. 164, 1. chorde),
faulement (p. 166, 1. faulsement), gandissans (p. 170, I. gaudissans); un mari saige est
transformé en un mari singe (p. 1 59). Parmi ces mots, plusieurs sont tellement défigurés
que pour les restituer il faudrait voir le manuscrit; tels sont avollcment (p. 148), tinne(p.
148), suyestez (p. \ ^6), haineux (p. 163), voiffre (p. i6é), etc., dont je ne devine pas la
vraie forme. Il y a aussi des formes de conjugaison tout à fait neuves, taisa (p. 148, I.
taisait), fint (p. 153, 1. fist), supportra ip. i68, I. supportée), tic. Quelques noms propres
sont aussi bien traités; on lit par exemple (p. 152) Atulie pour Atalie, ou (p. 163) Elen-
sion pour Eleusion. Un limaçon (p. 155) devient Lymaron, personnage à nous inconnu.
Que peut bien vouloir dire ce vers de la m.ême page : Lucien apparoir et galonie Azote?—
C est toujours pour nous un sujet d'étonnement qu'on puisse publ-er des choses qui n'ont
aucun sens sans avoir l'air de s'en apercevoir ; c'est pourtant un fait qui n'est pas rare,
et nous en avons déjà signalé plus d'un exemple pour des écrits du XVI* siècle. Les ama-
teurs qui veulent à toute force imprimer pourraient cependant prier quelqu'un de revoir
leurs épreuves; c'est une chose vraiment impatientante que des éditions qui ne sont qu'un
perpétuel coq-à-l'âne. — S.]
240 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
sont éparses dans ce livret, comme des fragments de l'Ombre de Garnier Stoffacher,
par Joseph Duchesne, sieur de La Violette, représentée en 1584, toujours en
l'honneur des députés des cantons suisses; on y trouve des sentiments élevés,
un grand amour de la liberté, et au milieu d'un style généralement faible, quel-
ques vers bien frappés, surtout dans les strophes du chœur. — Ce joli volume est
orné de quatre photographies : l'une représente le port de Genève au commence-
ment de ce siècle, l'autre une fête dans ce port, la troisième reproduit, malheureu-
sement dans des dimensions trop petites, la célèbre tapisserie qui offre la « Vraye
» représentation de l'escalade entreprise sur Genève par les Savoyards et sa
» belle délivrance l'an 1602, xii. de décembre; » la quatrième est le frontispice
où figurent les armes de Genève. — M. Le Roy, déjà connu par diverses publi-
cations sur Genève, en annonce une qui ne peut manquer d'exciter l'intérêt
général : c'est l'Histoire du théâtre, des jeux et des divertissements publics en Suisse.
G. P.
VARIÉTÉS.
Le P. Theiner et les Archives du ministère des affaires étrangères.
L'un de nos collaborateurs disait récemment (p. 102) que le P. Theiner
n'avait probablement obtenu l'accès d'archives fermées à d'autres historiens
qu'au prix d'engagements qui avaient dû nuire à son impartiahté. Ce qui n'était
qu'une hypothèse vraisemblable est maintenant un fait avéré. La certitude nous
vient d'où nous ne pouvions guère l'attendre, du ministère même des affaires
étrangères. A un magistrat qui demandait à consulter les documents relatifs à
l'assemblée de 1682, M. le directeur des archives du ministère a fait une réponse
dont on trouvera le texte complet dans l'Univers du 2 octobre, mais dont nous
voulons détacher au moins un morceau pour le plaisir de nos lecteurs :
a Le dépôt des archives, » dit M. Faugère, « n'est pas à l'usage du public; il n'est
» destiné qu'au service intérieur du ministère. Nos règlements n'ont pas été changés,
p comme vous le supposez : ce sont encore ceux de Louis XIV, qui ont été appliqués avec
» la même rigueur sous tous les ministères. Si nous ouvrons quelquefois nos archives, c'est
» dans un intérêt public, dans un intérêt d'État. Vous avez cité l'exemple du P. Theiner.
» Voici comment cela s'est passé. Le P. Theiner se proposait d'écrire impartialement
» l'histoire du Concordat, et de réfuter M. d'Haussonville qui, il faut bien le dire, n'a
» pas été fidèle à la vérité historique, qui a versé du côté de la passion, et qui a trop
» cédé à l'esprit d'opposition politique. Il y avait donc lieu de faire fléchir la règle dans
» un intérêt d'État, dans un intérêt public, comme je le disais, et je fis dans ce sens un
» rapport à M. de Moustier, qui partagea mon opinion. »
Tout est admirable dans cette réponse ! et ce dépôt qui est destiné « au service
« intérieur du ministère » (service bien discret)! — et Louis XIV qui intervient si
à propos pour couvrir la responsabilité des archivistes actuels; on n'est pas plus
conservateur I — et ce Révérend Père qui sait d'avance quelles conclusions sorti-
ront de documents qu'il ne connaît pas encore ! Tout cela est dit le plus naturel-
lement du monde; et si l'on n'éprouvait quelque honte à voir entre quelles mains
sont déposés les matériaux de notre histoire, on se sentirait désarmé par tant de
simplicité.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
faite avec soin; il va sans dire que les omissions, les manques de proportions, les
petites inexactitudes de divers genres n'y font pas défaut ; qui peut les éviter dans
un travail de ce genre? Les noms français sont généralement (chose rare!)
exempts de fautes d'impression; nous demandons seulement qu'on n'attribue point
par deux fois à M. Gidel (sur qui voy. Rev. crit., 1866, art. 251) « l'excellent
» ouvrage (p. 142) » de notre collaborateur M. Paul Gide.
The Athenaeum. 2 5 septembre.
Rev. S. Leathes, The Witness of St. Paul io Christ, being the Boyle Lecture
for 1869; Rivingtons; livre de controverse affectant des prétentions scientifiques
peu justifiées. — Edw. Arnold, The poets of Greece; Cassell; médiocre livre de
vulgarisation. — Reidt, Das geisîUche Schauspiele d. Mittelalters in Deutschland ;
paraît être un ouvrage de vulgarisation. — Barbour, The Bruce, published by
J.-Jamieson, a new édition ; Glasgow, Ogle; critique approfondie dans laquelle
il est montré que cette nouvelle édition est une simple réimpression, où sont re-
produites même les fautes typographiques du texte de Jamieson. — Langue et
littérature celtique, par G. Lottner; compte-rendu de la publication de M. Nigra
sur laquelle cr. Rev. crit., 1869, art. 122.
En vente à la librairie A. Franck, F. Vieweg propriétaire,
67, rue Richelieu.
Ar^ \ Q T* A NT ^^ ^^^o^ ^^ ^^ blocus de Besançon par Rodolphe
• V_>/\0 1 rViN de Habsbourg et Jean de Chalon-Arlay en 1289
et 1290, étudiés dans les textes et sur le terrain. In-8°. i fr. 50
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N* 42 Quatrième année 16 Octobre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
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PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Gentralblatt fur Deutschland. N° 37, 4 septembre (le n° j6
ne nous est pas parvenu).
Théologie. Mœrikofer, Ulrich Zwingli nach den urkundiichen Quellen (voy.
Rev. crit., 1869, t. I, art. 58). — Palacky, Ueber die Beziehungen und das
Verhaeltniss der Waldenser zu den ehemaligen Secten in Bœhmen (voy. Rev.
crit., t. II, art. 202). — Philosophie. Aristoteles Thierkunde... von Aubert und
Wimmer (Leipzig, Engelmann; publication importante pour la philologie et pour
l'histoire des sciences). — Histoire. Hase, Sébastian Franck von Wœrd der
Schwarmgeist (Leipzig, Breitkopf und Haertel). — Wattenwyl von Diesbach,
Geschichte der Stadt und Landschaft Bern, t. I (Schaffhausen, Hurter). —
BùDiNGER, Wellington (Leipzig, Teubner; panégyrique trop complet). —
Œsterreichs Kaempfe im Jahre 1866 (Wien, Gerold; publication de l'état-major
autrichien). — Géographie. Ethnographie. Schneider, Encyclopedya do Krajoz-
newstwa Galicgi (Lwov^, Jasiénski; ouvrage important). — Van R^mdonck,
Gérard Mercator, sa vie et ses œuvres (Saint-Nicolas; bon travail). — Linguis-
tique. Histoire littéraire. Zakarija Ben-Muhammed ben Mahmûd El-Kazwîni's
Kosmographie, ùbersetzt von Ethé, I (Leipzig, Eues). — Euripidis Fabulae,
recogn. Kirchhoff, I-III (Berlin, Weidmann; très-recommandé). — Laubert,
Die griechischen Fremdwœrter (Berlin, Guttentag; nous parlerons prochainement
de ce livre). — Q^. Horatius Flaccus, ex. rec. Bentleii, I (Berlin, Weidmann). —
LoBSCHEiD, English and Chinese Dictionary (Hongkong; malgré des défauts,
c'est l'ouvrage de ce genre le plus complet qui existe). — Mùller, Geschichte
der klassischen Philologie in den Niederlanden (voy, Rev. crit., 1869, t. Il, art.
.4S.
N° 38. 1 1 septembre.
Histoire. Von Ranke, Geschichte Wallensteins (Leipzig, 1869; ouvrage d'une
remarquable jeunesse du célèbre historien). — Wolf, Fùrst Wenzel Lobkowitz,
1609- 1677 (Wien, BraumûUer). — Kowalewski, der Krieg Russlands mit der
Tùrkei, 1853-54 (Leipzig, Schlicke; bon livre). — Kodolitsch, die englische
Armée in Abyssinien (Wien, Gerold). — Jurisprudence. Rudorff, Ueber den
Ursprung und die Bestimmung der Lex Dei (Berlin, Dûmmler; attribution sans
preuves à saint Ambroise de cette Collatio legum mosaicarum et romanarum). —
Mejer, Lehrbuch des deutschen Kirchenrechtes (Gœttingen, Vandenhœck). —
Linguistique. Histoire littéraire. Brugsch , Hieroglyphisch-demotisches Wœrter-
buch (Leipzig, Hinrichs; ouvrage de premier ordre à tous les points de vue). —
Flavii Vegeti Renati epitome rei miiitaris, rec. Lang (Leipzig, Teubner; édition
critique).
The Athenaeum. 2 octobre.
Deun HooK, Lives of the Archbishops of Canterhury, vol. III, new séries;
Bentley; contient l'histoire du cardinal Pôle. — A Key to the Knowledge of Church
History, edited by J. H.Blunt; Rivingtons; compilation faite avec peu de cri-
tique. — Freeman, The History of the Norman conquest of England, vol. III; the
Reign of Harold and the Interregnum; Mac Millan. — Shakspere's, S<&mmtliche
Werke, englischer Text berichtigt u. erklaert von B. Tschischwitz.
Forschungen zur deutschen Geschichte, herausgegeben von der histor.
Commission bei der k. bayer. Académie der Wissenschaften. Gœttingen ,
Dieterich, 1869. In-S". Vol. IX, cah. 2.
L. Geiger, Maximilien I", ses tendances et son action dans la lutte entre l'huma-
niste Reuchlin et les dominicains de Cologne, Jean Pfefferkorn, etc. 1 509-1 514. —
REVUE CRITIQ_UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 42 — 16 Octobre — 1869
Sommaire : 205. Steitz, les Travaux et les Jours d'Hésiode. — 206. Montée, la
Philosophie de Socrate. — 207. Eussner, Notes critiques sur divers auteurs latins.
— 208. De Sybel, Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, tome I".
205. — Die Werke Tind die Tage des Hesiodos, nach ihrer Composition geprûft
und erkiaert von D' August Steitz. Leipzig, Druck und Verlag von B. G. Teubner,
1869, 188 p. — Prix : 5 fr. 3i c.
De tous les poèmes conservés sous le nom d'Hésiode, celui des Travaux et des
Jours, d'après une tradition appuyée sur le témoignage de Pausanias (9, 31),
parait posséder le plus de titres à être regardé comme une production du
poète d'Ascra. L'antiquité qui n'a du reste jamais apprécié que la valeur gnomique
de cette œuvre, se borna à révoquer en doute l'authenticité des neuf vers destinés
à servir d'introduction et à signaler comme interpolés un certain nombre d'autres.
Cette critique toute de détail et dépourvue de toute base solide ht continuée par
les modernes. De cette façon Ruhnken dans sa première Episiola critica et Brunck
dans son édition des poètes gnomiques, de 826 vers que compte d'ordinaire le
poème ', le réduisirent à 775. Les travaux de Wolf sur Homère, précédés d'ail-
leurs d'une édition de la Théogonie dans laquelle se faisaient pressentir certaines
des conclusions des Prolégomènes, en ouvrant de tout nouveaux horizons, agran-
dirent singulièrement le débat. A dater de ce moment la question se trouve
transportée sur son véritable terrain. Il ne s'agit plus en effet de l'authenticité de
tel ou tel vers isolé, mais bien de savoir si dans l'origine toutes les parties dont
se compose aujourd'hui le poème étaient destinées à former un tout. Les avis,
comme on peut bien le penser, se sont complètement divisés. Renouvelant, à
l'aide d'autres moyens il est vrai, une tentative faite autrefois déjà par Daniel
Heinsius, MM. Ranke et Vollbehr» se posèrent en défenseurs décidés de l'unité
de composition du poème, unité qu'affirme également, sans essayer du reste de
la prouver, G. Hermann?. M. C. Lehrs dans la troisième dissertation de ses
Quaestiones epicae (Regiomonti, 1837), ouvrage dont la seconde édition est annon-
cée, formula des conclusions complètement opposées. Selon lui les Travaux et
les Jours sont la réunion de débris d'anciens poèmes didactiques. Partant
de là il croit pouvoir aller jusqu'à signaler la disposition par ordre alphabé-
1. Il y en a 828 chez Gœttling parce que cet éditeur a admis dans le texte un vers
(120) cité par Diodore et un autre (169) qui se trouve dans plusieurs manuscrits.
2. CF. Ranke, de Htsiodi Optr. et DUbas, Gott. 1858, et Hesiodische Studiai, ibid.
1840. E. Vollbehr, Haiodi 0. et D. Kil. 1844.
3. Dans un article très-étendu consacré à l'édition d'Hésiode de Gœttling et réimprimé
dans les Opuscula, t. 6.
VIII ,6
242 REVUE CRITIQUE
tique d'un certain nombre de sentences que renferme ce poème. Entre ces deux
opinions extrêmes il s'en produisit une série d'autres intermédiaires '. Celle que
M. Steitz a déjà défendue dans une dissertation : de Operum et Diemm Hesiodi
compositione, Pars prior, Goîîingae, 1865, et qu'il reproduit aujourd'hui avec de
plus amples développements, appartient à cette dernière classe. L'auteur, comme
il le déclare lui-même (p. 12)^ incline du côté conservateur. Il espère pouvoir
sauver l'unité de composition du poème en faisant le sacrifice d'un certain
nombre des parties qui le forment aujourd'hui. A cet effet il retranche deux épi-
sodes plus étendus, celui de Pandore (v, 42-10$) et celui des cinq âges du
monde (v. 202-285) ^^ quelques autres de moindre dimension. De même il
supprime des vers isolés et en outre, à plusieurs reprises, fait usage de la trans-
position. Quant aux deux dernières parties du poème (695-828), celle qui ren-
ferme une série de préceptes moraux ou religieux, et celle qui méritant seule le
titre de Jours, établit la distinction des jours en heureux ou malheureux, M. St.,
tout en accordant qu'elles ne forment pas un ensemble nécessaire avec ce qui les
précède, ne croit pas qu'il y ait des motifs suffisants pour les retrancher.
Je dirai d'abord un mot de la marche adoptée par l'auteur. Elle ne me semble
pas tout à fait heureuse. Bien que le livre soit consacré principalement à rendre
plausible l'hypothèse que nous venons d'exposer, l'auteur a fait une large part à
un autre élément, c'est-à-dire à l'explication de certains passages du poème, quel-
quefois même à la critique philologique du texte. Cette méthode offre de sérieux
inconvénients. J'eusse préféré pour ma part une enarratio suivie du poème tel
que M. St. croit pouvoir le reconstruire, sauf à trouver réunies dans un appen-
dice les additions ou les rectifications qu'il propose de faire aux commentaires
déjà publiés sur le poème. Des remarques comme celle p. ex. qui se rapporte
aux deux mots àp6[x[icvai rfil 9'jT£'jciv du vers 22 (p. 27), remarque que je ne trouve
même ni suffisamment juste ni nécessaire, tout aussi bien que des considéra-
tions sur l'état politique et social de l'époque où vivait le poète, ne font qu'arrêter
désagréablement le lecteur et l'empêchent de se rendre un compte exact de la
façon dont l'auteur essaye d'établir l'enchaînement des idées du poème.
Quant à cet enchaînement lui-même, M. St. ne m'a pas gagné à sa manière
de voir. Tout ce que je puis lui accorder, c'est que des huit parties dans lesquelles
il divise tout le poème, un certain nombre peuvent se rapprocher, principale-
ment par leur origine ; mais pour ce qui est de découvrir le lien qui en forme un tout
complet et achevé dans ses parties, cela m'est absolument impossible. Je me con-
tenterai de citer un seul exemple. Que la charmante fable du faucon et du rossi-
gnol (v. 202-2 1 2) ait pu être racontée à propos du différend entre le poète et
son frère Perses, cela ne fait pas le moindre doute. Mais si M. St., après
avoir retranché la transition maladroite et inintelligible contenue dans le vers
I. Elles ont été soutenues principalement par A. Twesten, Comm. critica de Hesiodi
carminé quod inscribitur opéra et Dits, Kiel. 181 5; F. Thiersch, de gnomicis carminibus
Cracorum, dans les Acta philol. Monac. t. III, p. 391 ss. et par Gœttling, dans son édition
d'Hésiode, Gotha, 1843.
d'histoire et de littérature. 243
202 : vvv ô'aTvov ^«(Ti/.syd'.v épî'o) çpovÉo-jst xai a-JToïî, placc Cette fable immédiate-
ment après le vers 4 1 , et ne trouve ensuite d'autre moyen d'établir la suite des idées
que ces mots (p. 90) « en quelque sorte la réponse des juges » {gleichsam die
Antnvrt der Richtef), cela paraitra-t-il bien convaincant? Pour dire toute ma
pensée, dût-elle ressembler à un paradoxe, je ne suis nullement persuadé que,
même dans l'esprit du poète auquel appartiennent les parties qui trahissent avec
le plus d'évidence une origine commune , cette unité que l'on met tant de peine
à rechercher ait jamais existé véritablement. Les sujets eux-mêmes que traite
toute cette poésie ne la comportent pas. Si rien n'égale, soit h naïveté avec
laquelle sont formulées les règles qui doivent guider dans ses pénibles travaux le
laboureur de la Béotie, soit l'accent profondément touchant et sincère des
plaintes qu'arrache au poète l'injustice dont il a été victime, rien aussi ne parait
plus contraire aux idées de l'époque lointaine dont ces vers font revivre un écho,
que la pensée d'un poème didactique avec son unité factice. Dans tous les cas
je me défie de reconstructions à propos desquelles l'imagination ne borne pas
uniquement son rôle au domaine poétique, mais empiète constamment sur celui
des faits.
Parmi les conjectures que M. St. a placées dans son texte, celle qui remplace
au V. 375 r-ivaixi par v-'vaiït, me parait au moins inutile. Le changement du sin-
gulier po'jv T'àfOTYipa au V. 405 en pluriel n'est guère mieux justifié. On peut
trouver ingénieux au premier abord d'écrire au v. 504 au lieu de u.T;va 5è Ar.vatwva
xox' fjfiata, |i7;va cà BoyxaTtov xaxdc t' f.aata, mais, pour ne pas parler de la violence
du procédé, M. St. ne craint-il pas qu'on retourne contre lui son argumentation?
Si l'auteur du vers dont il s'agit vivait en Béotie, rien de plus naturel que l'em-
ploi de la désignation empruntée au calendrier béotien. Mais comme la question
d'origine peut et doit être posée constamment, un nom étranger à la patrie
d'Hésiode ne devra-t-il pas précisément être considéré comme un indice des
plus importants? J'ajouterai encore que les preuves par lesquelles l'auteur essa)'e
dans son introduction d'établir la connaissance qu'ont eue des Travaux et des
Jours d'Hésiode les poètes lyriques du vii^ siècle me paraissent pour la plupart
fort peu concluantes. Du reste M. St. n'a pas été sans le sentir lui-même. Ce
qu'il affirme d'une façon générale et en bloc avec assez d'assurance, il le reprend
ensuite en détail, dès qu'il s'agit d'appuyer son assertion sur des faits.
En admettant même que toutes les réserves que je viens de faire soient fondées,
le travail de M. Steitz n'en reste pas moins une œuvre consciencieuse et dont
l'étude mérite d'être recommandée. Il est tout naturel de voir les opinions en
désaccord lorsqu'il s'agit des monuments littéraires d'une époque à laquelle
s'applique avec tant de raison la parole du poète (Od. •/., 190) :
w çi').oi, où Y*P '^' ÏSjJLev OTTQ ïôço; o-jô' 5m} r^wç.
Emile Heitz.
244 REVUE CRITIQUE
206. — La philosophie de Socrate, par P. Montée, docteur ès-lettres. Ouvrage
ayant obtenu une mention honorable de l'Institut (Académie des sciences morales et
politiques). Paris, Durand et Pedone-Lauriel, 1869. In-8*, 382 p.
M. P. Montée publie sur la philosophie de Socrate un mémoire qui a obtenu
à l'Académie des sciences morales et politiques, une mention honorable dans
le jugement du concours ouvert sur cette question. L'ouvrage est divisé en
quatorze chapitres précédés d'une introduction et suivis d'une conclusion. L'au-
teur traite successivement de la philosophie grecque avant Socrate, des premières
études de Socrate, de l'influence d'Anaxagore sur la direction de ses études, du
caractère essentiel de la révolution qu'il a introduite dans la philosophie, de la
maïeutique et de l'ironie socratiques, des théories de la définition , des causes
finales, de la providence, du bien et de l'amour, du démon de Socrate, des rap-
ports de Socrate avec la religion de son temps et avec les sophistes, enfin des
causes de son procès.
M. Montée n'est pas assez familier avec les procédés de l'érudition et de la
critique historiques. Ainsi il n'est pas au courant de ce qui s'est publié de plus
important sur le sujet qu'il traite : il ne paraît pas connaître l'histoire de la phi-
losophie grecque de Zeller, qu'on ne peut pourtant pas laisser de côté quand on
traite de pareils sujets; car c'est un ouvrage fondamental. Que penserait-on d'un
mathématicien qui traiterait les mêmes questions qu'Euler, Lagrange ou Abel,
sans connaître les travaux de ces savants illustres? L'érudition est soumise aux
mêmes conditions, et l'histoire de la philosophie est autant, si ce n'est plus, du
domaine de l'érudition que de celui de la philosophie.
Ensuite les textes n'ont pas toujours été lus assez attentivement. Dans le Criton
(52 B)il n'est pasditseulenient(p.^i)queSocraten'aitjamaisvoyagéloind'Athènes
excepté pour le service militaire : il est ajouté qu'il a été une fois aux jeux isth-
miques, ce que M. M. rend inexactement par visiter l'isthme de Corinthe et ce
qu'il rapporte d'après le témoignage beaucoup moins important de Favorinus
dans Aulu-Gelle. Il fallait dire que le voyage de Socrate à Delphes n'est pas
attesté par Aristote dans un ouvrage de lui qui nous soit parvenu, mais dans
Diogène Laërce II, 22 : ce qui laisse possible une erreur ou une confusion; car
Diogène Laërce peut n'avoir pas puisé ce détail directement dans Aristote. —
On lit dans ThéophraSte (Hist. Plaut. III, 1,4): Ava^ayépa; [xàv tôv Mpa. Tîàvxwv
çàffxwv ex^iv CT7Tc'p(JiaTa v.cd Taùxa auYxaxaçcpoixeva tw viSaxi Yevvàv rà çO-ra. M. M. tra-
duit (p. 63) : « Anaxagore affirmait que l'air contient les semences de toutes choses
» et que l'action de l'eau suffit à leur éclosion. » — Aristote, distinguant entre
la ffoçta et la spfôvriatç, dit que la première est spéculative et la seconde pratique,
et que c'est pour cela qu'on dit (çaci) d'Anaxagore et de Thaïes qu'ils sont aoçoi
et non çpovtixoi, quand on voit qu'ils s'occupent de recherches curieuses plutôt
que des biens de la vie (E/Zz. Nicom. VII, 7, 1141 b 3). On lit dans M. M.
(p. 74) : « Ce n'est pas sans raison qu'Aristote lui a reproché (à Anaxagore)
» d'avoir négligé l'utile et la recherche des biens humains pour s'occuper de
» choses difficiles et tout à fait inutiles. »
d'histoire et de littérature. 245
M. M. n'est pas assez délicat sur le choix des témoignages pour exposer et
caractériser les doctrines de Socrate. Ainsi non-seulement il croit que des textes
comme ceux du Phédon (6 5 c) et de la République (VII, 5 26 c), expriment la pensée
de Socrate (p. 81, 99). Mais il trouve (p. 8?) que « S. Augustin a dit admira-
» blement (De Civ. D. 8, 3) que Socrate ne voulait pas que des âmes obscurcies
» par les passions impures de la terre, tentassent de s'élever tout .d'abord à la
» connaissance des choses divines, de ces causes premières, qui, à ses yeux,
» n'étaient intelligibles que pour les hommes dont le cœur est pur; » que
Clément d'Alexandrie reproduit exactement la pensée de Socrate « lorsqu'il
» nous défend, quand notre âme est malade, de nous approcher de la science,
» avant qu'elle soit revenue à une parfaite santé (p. 82). »
Des habitudes aussi peu sévères de critique ne pouvaient conduire M. M. à
retracer un tableau exact des faits. Il transporte dans ces temps anciens les
termes et les idées de la philosophie moderne. On ne peut pas dire que les phi-
losophes antérieurs à Socrate, étaient des matérialistes et des panthéistes. Ces
termes expriment la manière de résoudre certaines questions qu'alors on ne
pensait même pas à se poser. Si on était venu dire à Thaïes qu'il était panthéiste
(p. 23), il n'y aurait absolument rien compris. Et il aurait été bien étonné
d'apprendre « qu'à ses yeux la morale ne faisait pas partie de la philosophie
» (p. 25). » Et Socrate, qu'aurait-il dit si on était venu le féliciter « d'avoir jeté
» les bases de toute véritable métaphysique, en créant la méthode psycholo-
» gique (p. 79). » Je sais qu'ici M. M. a pu être induit en erreur par Cousin
qui caractérise de la même manière la méthode de Socrate et qui traduit le
■rv(S9î çcXJTôv par « fais de la psychologie. » Mais j'ai entendu dire à Cousin lui-
même : « il faut employer la méthode psychologique à l'établissement des grandes
» vérités métaphysiques; il faut mettre le nouveau au service de l'étemel. »
Socrate, exprimant une vue profonde avec cette merveilleuse simplicité qui est
un des caractères essentiels et l'un des plus grands charmes de l'art et de l'esprit
grecs dans l'âge classique, Socrate disait que la plus honteuse des ignorances,
c'est de croire savoir ce qu'on ne sait pas, de s'imaginer qu'on possède la science
quand on ne Pa'pas (Xenoph. Mém. 5, 9, 6. Plat. Apol. 29 B). Socrate est le
premier homme au monde qui se soit douté de ce que c'est que savoir, de ce
que c'est que la science. C'est là qu'est sa grande originalité; c'est par là qu'il
fait époque dans l'histoire de la philosophie. On détruit cette originalité si on
voit là dedans la méthode psychologique telle que la comprenait Cousin.
M. M. exagère étrangement quand il dit (p. 40) qu'au temps de Socrate « si
» le scepticisme eût triomphé, non-seulement la philosophie était perdue, pour
» ainsi dire, avant de naître, mais la conscience même de l'humanité était
y> pervertie. » Quelle est la philosophie qui triomphe plus longtemps qu'une géné-
ration ? il a fallu un concours exceptionnel de circonstances pour assurer à
Aristote l'empire pendant dix-sept siècles. Mais en général les générations des
philosophies sont comme celles des hommes. Cousin a survécu à la domination
de sa propre philosophie. Bien plus, il avait fini par l'oublier lui-même et par y
246 REVUE CRITIQUE
devenir étranger. La fidélité au passé est un sentiment trop respectable pour
qu'on reproche à M. Montée de terminer son livre par un éloge de M. Cousin,
qui « disciple convaincu de Socrate et de Descartes a sauvé la philosophie fran-
» çaise des périls qui la menaçaient et de ses propres erreurs en restituant son
» rôle à la raison et en relevant haut et ferme le drapeau du spiritualisme. Le
» souvenir -de M. Cousin animera les derniers défenseurs du bien et du vrai, et
» contre de nouveaux dangers ils puiseront dans son exemple et dans ses leçons
» de nouvelles inspirations et de nouvelles lumières (p. 380). »
Charles Thurot.
207. — Spécimen criticum ad scriptores quosdam latines pertinens, scripsit Adam
EussNER. Wirceburgi apud A. Stuber, 1868. In-8% 42 p. — Prix : 1 fr. 35.
Cette brochure contient une série d^observations critiques sur le texte de
divers auteurs latins. Il n'est pas facile de rendre compte d'un travail de ce
genre, il faudrait presque le reproduire en entier en y ajoutant des observations.
Essayons cependant de donner un aperçu des procédés critiques de l'auteur
avec quelques exemples à l'appui.
La première partie est consacrée exclusivement au texte de Quinte-Curce
(Observationes criticae in Q^ Curîium Rufum). Elle est fort intéressante et nous
donne la meilleure opinion de la méthode de M. Eussner. Nous en recomman-
dons la lecture à tous ceux qui voudraient se faire une idée exacte de la manière
dont on rétablit les textes. Vingt-quatre pages, ce n'est pas trop long; mais elles
sont écrites simplement, clairement, et les exemples sont en grand nombre.
Le meilleur manuscrit de Quinte-Curce se trouve à Paris, ainsi que l'a montré
M. Hedicke ' ; M. E. insiste encore davantage que lui sur les mérites de cette
copie (p. 7). — Il est curieux que ce soient presque toujours des Allemands qui
nous apprennent quels trésors récèlent les bibliothèques de France.
Étant donné un manuscrit meilleur que tous les autres, et cependant plein de
fautes d'orthographe, il s'agit d'abord de distinguer ce qui doit être mis sur le
compte d'un copiste ignorant de ce qui, tout en contredisant les autres textes, a
une valeur réelle. En ce qui concerne le texte de Q^ Curce, toutes les fois qu'on
n'a pas affaire à une simple faute d'orthographe, on doit tenir le plus grand compte
du Parisinus 5716. Et lorsqu'on y rencontre une leçon évidemment fautive, il
faut se demander si les autres mss. n'ont point corrigé maladroitement un pas-
sage qu'ils ne comprenaient pas.
M. E. a fort bien groupé les restitutions qu'il propose sous trois chefs :
1° leçons du Parisinus qu'il estime devoir être admises telles quelles; 2° leçons
qui, tout en étant fautives, nous mettent cependant sur la voie de la vraie cor-
rection. — Ces deux séries constituent la critique diplomatique, documentée. —
Après elles vient, 3°, la critique purement conjecturale.
I. Dans la préface de son édition de (^inte Curce. Berlin, Weidmann, 1867.
d'histoire et de littérature. 247
Parmi les restitutions du premier genre, il en est qui n'ont pas été admises
par M. Hedicke, M. E. fait avec raison les suivantes : VIII, 1,4: et forte campo
erant, pour i]uae erant forte campo; il s'appuie sur l'usage fréquent de ces phrases
parenthétiques chez Q^ Curce. — VIII, 2, 5 : Ille humi prosîraius corpus gemitu
ejulatucjue miserabili tota personat regia; pour totam regiam. — Vdl, 2, 30 :
Futurum se in régis potesiaie^x respondit (cf. A. Celle, I, 7, 16). — Ceci, répétons-
le, repose sur l'autorité du manuscrit de Paris.
Les restitutions du second genre sont déjà un peu plus discutables parfois.
Nous admettons comme très-bonnes les suivantes : VIII, 5,17: Arsaces in Médium
missus, ut Oxydâtes inde dEcederet; la Vulgate a discederet, le Parisinus desederet.
— VIII, 86 : c'est ici une des meilleures corrections de M. E.; elle s'appuie sur
une discussion sérieuse du passage: Lyncestem vero Alexandrum bis insidiatum capiti
meo a duobus indicibus liberavi, rursus convictum per biennium tamen distuli. Telle
est la leçon courante , conservée par M, Hedicke. Mais d'abord le ms. P a
patriennium au lieu de per biennium, ce qui nous indique la correction per trien-
nium exigée d'ailleurs par le contexte de C^Curce et par le témoignage des autres
historiens. Mais en outre, pour obtenir un sens correct, il faut opérer une légère
transposition et un changement de ponctuation; car on ne peut raisonnablement
comprendre les mots a duobus indicibus liberavi, « je l'ai mis en liberté de deux
» délateurs, » il faut écrire : Lyncestem insidiatum capiti meoUberavij a duobus
indicibus rursus convictum per triennium tamen distuli.
Nous ne sommes pas tout à fait persuadé en revanche de la nécessité des
restitutions proposées, VIII, 2, 22 (où nous lirions, sans corriger le Parisinus :
ruinas munimentorum supEregressus, pour supergressus) ; VIII, 8, 8 : et summa imis
coNFUNDi viDEMUs. VIII, 10, 14 (où nous ne conserverions pas le mot multa, en
adoptant le reste de la correction de M. E. : Laitri baccarisque et inulae).
Dans les conjectures proprement dites nous nous séparons encore souvent de
M. E. — Ainsi VIII, 2, 13, nous convenons que ad confirmandum pudorem doit
être fautif; mais ad consolandum pudorem ne nous parait pas beaucoup plus pro-
bable. On ne console pas sa honte. Nous lirions plutôt ad comprimendum
pudorem.
Il est encore un autre moyen de corriger le texte de Q^ Curce; mais il demande
à être employé avec la plus extrême prudence, comme le fait observer M. E. ;
c'est la comparaison avec Trogue Pompée, qui a puisé aux mêmes sources que
Q^ Curce. Il y a quelques siècles on a beaucoup usé de ce moyen , et d'une
manière peu intelligente ; en sorte que les textes de ce dernier auteur se sont
trouvés interpolés par les éditeurs depuis la Renaissance. Mais ce n'est pas à dire
qu'on ne doive pas s'en servir lorsqu'il y a une lacune évidente. M. E. n'a pas
négligé cette ressource; il a corrigé ainsi d'une façon heureuse un certain nombre
de passages, p. ex. VIII, 10, 55 : Er credidere amplius formae quam miserationi
datum : quippe regium scortum appellata regina est. Puero quoque certe posîea ex
ea utcumque genito Alexandro fuit nomen. La correction amplius pour quidam plus
est fournie par le Parisinus, la transposition des mots quippe — regina après datum
248 REVUE CRITIQUE
ainsi que l'insertion de regium scorium sont indiqués par le texte de Justin (XII,
7, 9) et absolument nécessaires dès qu'on veut trouver un sens, une logique
quelconque à la phrase. — Nous approuvons également la restitution VIII, 14,
36 : dejiciehaîqne Exsanguis pour sanguis.
D'autres changements, plus légers, qui consistent à transposer simplement la
ponctuation sont aussi dignes de fixer l'attention des éditeurs futurs de Q^, Curce.
VIII, 7, i^ : De cetera parce; quorum orbas senectutem, suppliais ne oneraveris; nos
jubé duci, ut quod ex tua morte petieramus consequamur ex nostra, où on lisait autre-
fois : De ceîero parce quorum orbas senectutem ; suppUciis ne, etc.
La seconde partie de cet opuscule, intitulée Miscellanea critica, rentre essen-
tiellement dans la catégorie de la critique conjecturale ou divinatoire. Nous
avons peu de chose à en dire. En général M. E. n'est pas parvenu à nous
convaincre de l'absolue nécessité de ses corrections, qui cependant, pour la
plupart ont trait à des auteurs dont le texte ne peut guère être rendu lisible
sans l'application d'un remède énergique. Les meilleures sont celles du texte
d'Ampelius {Liber memorialis); citons-en une seule qui est véritablement un trait
de génie: Ch. II, 7 : Libraquam Graeci Cuyàv appellant, virile nomen est j- adeptus :
qui omni clementiae iustitia •[ mochos dictus. Ce passage a été successivement
amélioré par M. Urlichs, puis par M. E. — M. Wœlfflin (dans son édition d'Am-
pelius) s'était borné à signaler par une croix les endroits où il supposait
l'existence d'une lacune. M. Urlichs a fait disparaître la première croix en lisant :
Libra quam Graeci ^\>yôv appellant virile nomen est. AdeptusQVE homo clementik et
justitia; M. E. fait disparaître la seconde en continuant: (jia.b\i.o\)yo; dictus. Le
mot (7Ta6[j,oûxo; = Ubripens étant écrit en caractères moitié grecs, moitié latins et
défiguré par le copiste, la première syllabe STA9 a pu disparaître à cause de sa
ressemblance avec stitia, et il ne sera resté que la fin MOCHOS. Ne faudrait-il
pas cependant intercaler le mot Libripens avant Virile nomen est et mettre un
point après appellant.
Ce que nous approuvons surtout dans la méthode de M. E., c'est la conscience
rigoureuse avec laquelle il distingue les différentes restitutions qu'il propose. Il
est parfaitement sûr de ce qu'il fait. Dans une édition il ne fera passer dans le
texte que les corrections du premier degré, et une bonne partie de celles du
second. Celles du 3" degré ne figureront qu'en note, à moins que le consente-
ment unanime des savants ne leur donne une autorité plus sérieuse; qu'elles ne
s'imposent d'elles-mêmes. Du reste tout l'ensemble de cet opuscule est du
meilleur augure, il montre chez l'auteur une bonne méthode et des connaissances
générales assez étendues.
Ch. M.
d'histoire et de littérature. 249
208. — Histoire de l'Europe pendant la Révolution française, par H. de
s'ybel, membre du Parlement de l'Allemagne du Nord, professeur à l'Université de
Bonn. Traduit de l'allemand par M'" Marie Dosquet, édition revue par l'auteur. Pans,
Germer-Baillière, 1869. T. I", viij-604 p. — Prix : 7 tr.
Attesté par trois éditions, dont la première remonte à 185 5 et dont la dernière
porte la date de 1865, le succès de l'ouvrage de M. de Sybel ne parait pas près
de se ralentir en Allemagne. La traduction qu'on nous en offre en notre langue
ne peut donc être accueillie qu'avec reconnaissance, puisqu'elle met à notre
portée une publication d'ordre supérieur, et qu'elle nous permet de connaître les
appréciations d'un étranger de talent sur notre propre histoire. Rarement les
Français ont été à même de savoir ce qu'on pense de leurs gestes hors de leurs
frontières, et c'est sunout en ce qui concerne l'histoire de notre Révolution que
ce défaut d'information est manifeste. Il semble que la France concentrée dans
la contemplation de ses destinées ne veuille porter son attention que sur les
événements qui la touchent personnellement. Il y a là une sorte de fascination qui
s'est prolongée jusqu'à nous. Depuis 80 ans nos historiens ont enclavé l'Europe
dans la France, comme si notre nation avait absorbé les autres. M. de Sybel
était tout naturellement préservé de cet éblouissement. Aussi, sans se dissimuler
que la ruine de la monarchie des Bourbons est le plus grand événement de la
période dont il esquisse les traits, 1789-1795, il place dans le même groupe et
non à un rang secondaire, comme on l'a toujours fait chez nous : i ° l'anéantisse-
ment de la Pologne; 2'' la dissolution de l'empire germanique. Le tout est résumé
par lui sous la formule d'un phénomène général : destruction du régime féodal en
Europe. (Préface.)
Le livre de M. de S. ne se recommande pas seulement par l'intérêt d'un point
de vue nouveau pour nous. Il vaut encore par la solidité des études et la nou-
, veauté des informations. Et ce n'est pas là un éloge banal. Le croirait-on?
tandis que les publications relatives à la Révolution se multipliaient en France,
tandis que leur succès d'avance assuré, donnait l'essor à tout une littérature, pas
un de tant d'historiens' n'a songé à s'instruire avant de prendre la plume; pas
un ne s'est donné la peine de vérifier les assertions qu'il jetait en pâture à la
curiosité de la foule et aux passions des partis. Qu'on excuse Lamartine, Thiers,
Louis Blanc, par exemple, en mettant une part de leur négligence au compte de
l'exil, de la jeunesse et de la poésie; soit, mais quand on pense que Michelet a
vécu pendant vingt ans au centre du plus précieux dépôt, sans se soucier d'en
mettre à profit les richesses *, on demeure firappé d'étonnement. Le premier (en
1853), M. de Sybel a eu l'idée de pénétrer jusqu'aux sources de l'histoire révo-
lutionnaire. Il a successivement visité les archives d'État, à Berlin, à La Haye,
à Munich, à Londres, à Naples, à Vienne, à Paris. Dans cette dernière ville les
portes du ministère des archives étrangères lui ont été ouvertes aussi gracieuse-
1 . Sauf bien entendu les auteurs de collections tels que Bûchez et Barrière. Mais ce ne
sont pas à proprement parler des historiens.
2. On sait que M. Michelet a été chef de section aux Archives de 1830 à déc. 185 1.
250 REVUE CRITIQUE
ment que celles des Archives de Tempire et de la Bibliothèque impériale. Sans
doute il y a eu pour lui un concours de circonstances heureuses que n'aurait pas
rencontré tout le monde; la générosité de la cour de Vienne qui a livré à un
historien notoirement hostile ses papiers confidentiels est due certainement à des
considérations personnelles; à Paris, aucun Français peut-être n'aurait obtenu
les facilités qui ont été offertes sur le champ à un Prussien. Mais le succès des
démarches faites par M. de S. n'enlève rien à leur mérite.
Scientifiquement conçue, l'œuvre de M. de S, est fortement construite; elle
est bien composée; c'est le travail d'un penseur, d'un écrivain et d'un savant.
On ne peut pas dire qu'une partie soit sacrifiée à l'autre, chaque chose est à sa
place et dans la proportion qui convient. Ce n'est pas à dire pourtant que ce livre
ne donne lieu à quelques reproches qui portent sur son ensemble.
Et d'abord malgré le soin qu'a eu l'auteur de rassembler dans une formule
nette et exacte chaque trait de son récit, d'en offrir à la table le résumé concis,
le lecteur n'a pas à sa portée les points de repère dont il a besoin : les dates lui
manquent. Les faits politiques sont par leur nature de signification variable, ils
sont susceptibles d'interprétations indéfinies. Le livre III par exemple est intitulé :
Chute de la royauté en France. Qui pourrait sur cette seule indication décider sans
chance d'erreur quand commence ce livre et où il finit.? Et si on sait que M. de
S. prend pour limites extrêmes de cette division la réunion de l'Assemblée légis-
lative et la journée du 10 août, cette notion ne met pas encore assez sous nos
regards les événements compris dans cette période. Des dates placées en marge
ou en titre courant remédieraient à cet inconvénient. Une imperfection plus
grave, et qui est bien faite pour étonner de la part d'un Allemand, c'est que
M. de S. ne note pas ou note d'une façon toute sommaire les sources des rensei-
gnements dont il fait emploi. Que M. Mortimer-Ternaux, M. Hamel et d'autres
encore se soient en cela montrés fidèles à la tradition française, ils ont une sorte
d'excuse dans les mœurs de leur public. M. de S. qui n'avait, pour bien faire,
qu'à s'en tenir aux usages de son pays, a suivi le procédé de M. Thiers qui a
toujours émis la prétention d'être cru sur parole. « J'ai vu les pièces; je supplie
» mes lecteurs de s'en rapporter à moi. » Certes M. de S. a comme son illustre
devancier, l'esprit sagace et l'intelligence droite. Mais le sort de VHistolre du
Consulat qui semblait il y a quelque vingt ans un monument ttre perennius et qui
s'en va déjà par morceaux, doit lui servir de leçon. Tout historien est tenu de
mettre les travailleurs à même de vérifier ses assertions. Dans le cas présent,
cette précaution était en quelque sorte imposée par l'immensité de la tâche entre-
prise par M. de Sybel.
Lorsqu'on réfléchit qu'il a fallu près de vingt ans à M. Mortimer-Ternaux
assisté de plusieurs secrétaires, pour rassembler à Paris seulement, les éléments
d'une histoire, dont le champ est infiniment plus restreint, on est tenté de se
demander comment M. de S. a pu seul, et en bien moins d'années, étudier
toutes les archives de l'Europe; d'où le soupçon, que les visites de l'auteur dans
ces divers dépôts n'ont peut-être pas été aussi longues et aussi fructueuses qu'il
était permis de le désirer.
d'histoire tT DE LITTÉRATURE. 25 l
M. de s. ne s'est d'ailleurs pas dissimulé les difficultés qu'il y a « pour un
» étranger » à s'assimiler « les idées et les passions » qui ont mis en mouvement
la nation française pendant la période dont il raconte les événements (Préface,
p. vij). Aussi à certains égards son travail consiste moins en une suite de récits
qu'en une série d'études. Il semble même en plus d'un endroit présumer le gros
des faits connu de ses lecteurs. En outre on ne doit pas oublier que le public
auquel il s'est adressé d'abord, est un public allemand, qui ne peut s'intéresser
autant que nous-mêmes aux menus détails d'un drame dont les conséquences
pèsent plus que jamais sur notre régime politique et social. Ce procédé n'est pas
sans inconvénients; résumés sous une forme trop succincte, les faits courent le
risque de perdre leur vraie physionomie. C'est ainsi qu'un événement, sur lequel
on a écrit des volumes, l'arrestation du roi à Varennes, est raconté par M. de S.
en trois lignes, dans lesquelles il ne serait pas difficile de signaler trois erreurs ' .
La concision excessive qui a pour résultat de laisser l'esprit dans le vague, pousse
également à une tendance peu scientifique, celle de personnifier des groupes
d'hommes et même des classes entières, fort distincts les uns des autres, dans
quelques figures historiques qui deviennent des types et servent de points de
repère. C'est ainsi que M. de S. se plait à confondre Marat et Robespierre, et
attribue à ce dernier une participation aux massacres de septembre (p. 508, 511)
qui est absolument inadmissible. Peut-être enfin faut-il attribuera l'obligation de
se concentrer l'emploi simultané et dépourvu d'explication d'ouvrages aussi diffé-
rents par le caractère et par la valeur que ceux de MM. Granier de Cassagnac et
Mortimer-Ternaux. Quelques-uns des renseignements recueillis par le détracteur
des Girondins sont bons. Mais il y a loin d'un pamphlet de circonstance à un
travail sérieux et estimable comme l'Histoire de la Teneur.
Quoi qu'il en soit, nous n'insisterons pas sur des points de détail dont l'examen
nous conduirait à des développements trop longs. Il vaut mieux signaler dans
l'œuvre de M. de S. trois parties qui nous paraissent véritablement neuves et
remarquables. L'étude des questions économiques, des relations internationales
et des opérations militaires y est abordée avec un soin et une préparation hors
ligne.
Questions économiques. Une passion domine l'esprit de M. de S., la haine de
la féodalité, non pas seulement de la féodalité en France, mais de la féodalité en
Pologne, en Prusse et en Autriche; ce sentiment le suit partout. Et par féodalité,
il n'entend pas seulement, comme on le fait le plus souvent chez nous, un régime
politique, de sorte que le mot appliqué à l'époque qui a précédé la Révolution,
nous parait presque un anachronisme; mais encore il veut parler de l'état social.
Ce que nous appellerions le régime seigneurial, quelque mitigé et amoindri qu'il
subsiste, est l'objet de ses aversions déclarées*, et comme d'autre part, il mani-
1 . Qu'on en juge : « Cette arrestation avait eu lieu sous les yeux d'une patrouille des
» dragons de Bouille, dont pas un n'avait voulu bouger. Du haut de la colline qui domine
» la ville, le fils du général avait vu la voiture du roi rebrousser chemin et traverser la
» vallée. » Des circonstances du départ, du voyage, surtout des scènes, si significatives,
du retour, pas un mot! (p. 262).
2. M. de S. va jusqu'à dire : L'ancien système avait reposé sur {'exploitation des basses
2 $2 REVUE CRITIQUE
feste la plus forte répugnance pour les courants démocratiques, on voit que ses
sympathies historiques sont acquises aux tendances de la classe moyenne et à
l'unité du pouvoir central. De là, son mépris, son peu de pitié pour la noblesse
française, pour l'oligarchie polonaise et autrichienne, et en général pour tous les
hobereaux allemands. De là son indulgence à peine dissimulée pour les co-parta-
geants de la Pologne, de là sa complaisance à énumérer les maux dont souffraient
les populations de nos campagnes au xviii* siècle. Le tableau que M. de S. trace
de la situation de la France avant 1789 (ch. I) est d'ailleurs clair, exact, substan-
tiel. Une foule d'observations prises aux meilleures sources (Young, Turgot,
Quesnay, Lullin de Chàteauvieux , de Lavergne , Boiteau, de Tocqueville,
Moreau de Jonnès, etc. ') ou personnelles, y sont rassemblées. Celles qui sont
relatives à la culture des champs et à la division de la propriété territoriale ont
beaucoup de valeur. Ainsi M. de S. remarque que le prix du pain n'a presque
pas varié depuis un siècle, tandis que la production du blé (40 et 70 millions
d'hectolitres) a simplement suivi l'accroissement de la population, ce qui prouve
qu'il était beaucoup plus cher autrefois qu'aujourd'hui (p. ?2, 53); en effet le
métayer avait intérêt à négliger la culture des céréales dont il ne percevait que
la moitié, moitié sur laquelle il fallait encore prélever le prix des droits fiscaux et
seigneuriaux (dîmes, corvées, entretien des routes, etc. p. 24); il préférait les
terrains en friche et en vaine pâture qui lui procuraient des bénéfices faciles en
lait, œufs et croîts des troupeaux (p. 22). Quant à la propriété territoriale, son
morcellement ne provient pas, ainsi qu'on le répète tous les jours, des principes
de la Révolution. M. de S. combat avec force cette erreur historique. Il s'appuie
sur l'autorité d'Young dont les calculs portent à un tiers au moins le nombre des
petits propriétaires; il soutient que la législation relative au droit de succession
ne favorisait nullement la concentration des terres dans les mêmes mains (et cela
est vrai); il rappelle les plaintes que la noblesse, peu à peu dépossédée, élevait '
à ce sujet (p. 19, 20). Enfin il fait voir que ruinés ou trouvant à peine les
moyens de subsister, les métayers et les paysans proprement dits , ne purent
acquérir les domaines mis en vente. A la vérité, à partir surtout des derniers
mois de l'année 1791 , il y eut une tendance marquée de la part des municipa-
lités à démembrer, à disloquer les terres ; mais ou les paysans qui achetèrent ne
purent tenir leurs engagements, ou les enchères ne furent pas couvertes (p. 2 3 2).
En fait la vente ne profita qu'à des fermiers déjà riches ou à quelques spécula-
teurs qui achetèrent et conservèrent. Il n'y eut pas de lotissement.
Comme la matière est fort importante, que le point de vue de M. de S. peut
paraître paradoxal et contraire aux faits, nous prenons la liberté de développer
son argumentation incomplète à certains égards.
Le régime de la propriété territoriale ne subit pas un morcellement brusque et
improvisé. La terre ne fut pas divisée, elle fut émancipée. Dans la plupart des
régions de la France, le domaine propre des seigneurs, surtout quand ils étaient
classes par les classes privilégiées (p. 216). '
I, En revanche M. de S. ne paraît pas avoir connu les travaux utiles de M. Levasseur.
d'histoire et de littérature. 25 j
ecclésiastiques, n'avait qu'une médiocre étendue; mais le reste du territoire dé-
pendait de ce domaine à cause de la censive. Le domaine propre était cultivé
en ferme ou en régie, généralement assez mal et avec peu de profit, quand il
appartenait à une communauté religieuse; les biens sujets à la censive étaient
cultivés avec plus de soin par les paysans pour leur propre compte. Comme lors
du lotissement féodal des xr et xii' siècles, le seigneur avait calculé le partage
des terres qu'il leur abandonnait à charge de censive, sur ce qu'il fallait à peu
près à l'entretien d'une famille, il en était résulté une très-grande division. La
censive était d'ailleurs insignifiante, à cause de l'avilissement graduel des monnaies,
et malgré certains accroissements qui se pratiquaient au moment des renouvelle-
ments d'aveux et des vérifications de titres. Il arrivait même que les seigneurs
d'un territoire distribuaient plus de terres qu'il n'en renfermait, d'où la nécessité
de cantonnements et de subdivisions nouvelles. Quand, en 1789, les censives
furent abolies, le domaine et les petites propriétés demeurèrent juxtaposés sans
autre modification que la rupture du liep qui subordonnait les unes à l'autre'.
Depuis, en changeant de mains, le domaine principal n'a pas diminué d'étendue;
sa valeur a suivi le mouvement économique général. Au contraire, pressées entre
les terres de forte et moyenne grandeur, et soumises à la culture intensive, les
anciennes petites propriétés censitaires ont été seules l'objet de transactions
nombreuses et de morcellements qui ont triplé la valeur vénale du fonds. L'écart
est devenu surtout considérable à partir de l'établissement des chemins de fer;
de là, on le comprend, une tentation de doubler, de tripler parfois son capital,
en lotissant sa terre à laquelle ne résistera point indéfiniment le grand, le moyen
propriétaire. Mais cette transformation dans le régime territorial, due à des
causes toutes récentes, n'a rien à démêler avec les faits de la Révolution.
La solution donnée par M. de S. dans cette question historique, semble pré-
juger celle que lui fournit l'examen d'autres problèmes, ceux qui se rattachent à
la constitution même de la propriété individuelle. Il est manifeste que la Révo-
lution n'ayant point touché en définitive aux dimensions de la propriété territo-
riale, en a respecté a foniori le principe. Telles ne sont pas les conclusions de
l'auteur; le « socialisme » date, selon lui, de 1789. Comme cette contradiction
a pour base une opinion essentiellement neuve, il est nécessaire de rapporter ici
ses propres paroles : « Le silence profond gardé jusqu'ici (1855), dit-il, en ces
» matières, constitue une lacune regrettable ; car il a donné lieu à la croyance
» longtemps accréditée que notre siècle a le premier tendu à la révolution sociale,
» et que le signal en a été donné pour la première fois en France par Babeuf.....
» Toutes les tendances du communisme moderne ont eu leurs apôtres dans le
I . Difficile peut-être en ce qui touche les seigneuries nobles, parce que les archives des
châteaux ont été rarement bien conservées, la vérification de ce fait est aisée pour les
seigneuries ecclésiastiques, dont les terriers nous sont parvenus à peu près dans l'état oJi
ils se trouvaient en 1789. Qu'on étudie par exemple la série S des Archives de l'empire,
en !a rapprochant de notre cadastre, on sera surpris de la parfaite identité (sauf bien en-
tendu les portions qui louchent les murs jie Paris) de la répartition des propriétés rurales
à des époques antérieures et postérieures à la Révolution. Il y a aujourd'hui des territoires
exactement distribués comme en l'an 1 200.
2 54 REVUE CRITIQUE
» siècle dernier On peut affirmer qu'aucun des plans de l'école actuelle n'a
» été inconnu aux hommes de 1790; toutes les innovations de ces derniers
» temps se bornent à des démonstrations théoriques et à des développements
» philosophiques de systèmes déjà connus » (p. 210). L'affirmation est, on
le voit, précise, catégorique, et pour la rendre plus saisissante, M. de S. en
rattache le développement « aux émeutes des ouvriers et aux soulèvements des
)) paysans. » Aussi est-ce avec la plus vive curiosité, tenant l'assertion pour
radicalement erronée, que nous avons lu le chap iv du livre II qui en contient
^exposition. Mais, il faut bien le dire, nous n'y avons trouvé aucune preuve
sérieuse du système de l'auteur. Il cite bien certaines déclamations de Marat et
quelques rêveries de Fauchet (p. 2^4), des motions d'orateurs de carrefours
proposant de pendre les usuriers (p. 235), beaucoup de mesures prises par les
municipalités, surtout dans les grandes villes, tendant à l'entretien des classes
pauvres aux dépens des riches (ateliers nationaux, vente du pain au-dessous du
prix réel, caisse de boulangerie, etc.). ^ais ces choses se sont faites de tout
temps et il n'y a point là l'ensemble d'un système. A ce compte Fénelon était
socialiste, les jacqueries du moyen-âge furent des mouvements socialistes, en un
mot le socialisme est aussi vieux que le monde. Conclure ainsi, c'est s'arrêter à
la surface des phénomènes. En brûlant les châteaux, les paysans assouvissaient
des haines locales ; en se soulevant, les ouvriers des villes obéissaient à des sen-
timents transitoires et non à des idées arrêtées en formules. Comment M. de S.
peut-il admettre que la domination des doctrines révolutionnaires ait eu un
épanouissement aussi complet, aussi absolu que le fut le règne de la Convention,
sans que le principe de l'abolition de la propriété individuelle y ait prévalu, si
le socialisme avait été, comme il l'avance, le dogme de la Révolution? Supposer
les socialistes maîtres pendant trois ans du pouvoir et ne faisant rien pour intro-
duire le socialisme dans la loi, c'est supposer l'absurde. Aussi est-ce l'extension
et non l'abolition de la propriété individuelle qui forme l'esprit de la Révolution,
qui en a fait la force, et qui, selon nous a posé la base, désormais indestructible,
du salut commun. Telle fut la doctrine constante de Robespierre (M. de S.
l'avoue de mauvaise grâce, mais il l'avoue (p. 250), et de la masse des Monta-
gnards, autant que des Girondins et des Feuillants. Ici, M. de S. transporte nos
mœurs et nos passions dans le passé. Ce qui a donné naissance au socialisme,
ce n'est pas le contact de l'extrême opulence et de l'extrême misère qui se ren-
contre à toutes les époques chez toutes les nations; c'est la multiplication des
grandes industries, fait essentiellement moderne, propre au xix« siècle qui a pour
résultat de mettre des centaines et quelquefois des milliers d'hommes, vivant d'un
salaire fixe, en présence d'un seul homme se ruinant ou accumulant de gros
bénéfices, au moyen d'une direction intellectuelle dont le labeur échappe à des
yeux absorbés par la vue du travail manuel. Il semble que la machine marche
toute seule, de là l'idée d'exclusion du ressort, en apparence parasite, qui la fait
marcher; de là, la haine du capital, de la propriété individuelle, se traduisant
par le système impraticable, parce qu'il foule aux pieds la nature de l'homme, de
la propriété collective. Or les manufactures qui existaient en France vers 1789,
d'histoire et de littérature. 255
n'étaient ni organisées ni outillées comme elles le sont aujourd'hui ; comparé à
ce qu'il est maintenant, leur nombre était insignifiant; l'industrie n'était point
appliquée à la culture des champs. A mesure que le crédit s'épuisa, les ateliers
fermèrent. Bref les sentiments redoutables qui ont fermenté depuis ne pouvaient
naître, parce que les froissements qui résultent du contact des prolétaires avec
le capitaliste étaient encore inaperçus, et que les esprits incultes ne réduisent en
doctrines que les souffrances prochaines et immédiates dont ils subissent direc-
tement l'atteinte.
Relations internationales. C'est la partie la meilleure, la plus neuve, et même Is
plus étendue de l'œuvre de M. de S. Pour la première fois, nous assistons, grâce
à ce travail, au spectacle des négociations diplomatiques de l'Allemagne, de
l'Angleterre, delà Russie, pendant la période révolutionnaire. Le tort de l'auteur,
que nous avons déjà signalé, est d'indiquer en bloc et d'une manière trop vague,
les sources où il puise; des citations, même fréquentes, ne suffisent point à une
critique consciencieuse, et il parait douteux que toutes les assertions de M. de S.
soient acceptées définitivement par ses compatriotes. Par exemple, obéissant
peut-être à un patriotisme trop étroit, il s'attache à montrer la loyauté, le désin-
téressement, il faut presque dire l'innocence du gouvernement prussien dans
toutes les discussions internationales. Ce caractère de naïveté enfantine n'est
pas facile à admettre de la part d'hommes d'État, dont le maître avait naguère
prémédité, préparé et provoqué au milieu des circonstances les plus aggravantes,
le partage de la Pologne. Sans doute cette théorie trouvera quelques incrédules
et plus d'un contradicteur. Celle qui fait de l'empereur Léopold un esprit fort
distingué paraît plus solide. M. de S. met en pleine lumière les qualités politiques
de ce prince. Il nous le montre parvenant au trône au niilieu des cruels embarras
légués par Joseph II, et laissant à sa mort l'Autriche intacte, avec la Belgique
reconquise, avec le royaume hongrois agrandi, l'Angleterre tenue en suspens, la
Russie déçue et arrêtée net, la Prusse isolée! Le point culminant de la politique
européenne, d'après M. de S., ce n'est pas la question française, c'est la ques-
tion polonaise. En effet la Révolution fait le jeu de la Russie. Arrêtée sur le
chemin de Constantinople par l'Angleterre et par la Prusse, elle accède brusque-
ment aux vœux de l'Autriche et attend. L'Angleterre se retire; la Prusse qui a
des'velléités d'action, n'obtient que des paroles de l'Autriche qui a les yeux sur
Varsovie. Les deux puissances allemandes sont paralysées, ne sachant si elles
se porteront au nord ou à l'ouest. Si elles vont à l'ouest, elles perdront leurs
parts de Pologne, ou il faut qu'elles les obtiennent avant de se mettre en marche.
Elles préfèrent rester immobiles, elles ne feront point la guerre à la Révolution.
Mais la Révolution, elle, ne veut pas la paix. Les Girondins soufflent avec
fureur dans l'opposition, et dès qu'ils tiennent le pouvoir, décrètent la guerre à
l'Europe. L'Allemagne, forcée dans ses retranchements, est obligée de combattie
la France et de partager la Pologne.
Telle est la doctrine historique exposée par M. de S. (Livre II, ch. vi). On
ne peut nier qu'elle soit ingénieuse, spécieuse même. Développée avec art, elle
est présentée par son auteur sous des formes qui en dissimulent les déductions
256 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
trop brutales. Il est difficile en effet de faire accepter de prime abord même aux
lecteurs les plus prévenus que la France ait été, non pas la complice, mais l'au-
teur de la destruction de la Pologne. Aussi cette théorie ne peut-elle être admise
par l'histoire. Sans doute l'Autriche avait une grande répugnance à la guerre;
sans doute elle avait pris quelques mesures pour la dispersion des corps d'émi-
grés, armés sur la frontière; sans doute les Girondins ont désiré la guerre et y
ont poussé le ministère français. Mais il y a des situations qui parlent plus haut
que les gouvernements. La France n'a fait que prévenir ses ennemis. Au fond
la Prusse désirait s'agrandir, et donner une compensation à l'Autriche en prenant
pied en Alsace et en Lorraine.
Opérations militaires. Cette intention secrète est mise en évidence par la ma-
nière dont furent conduites les opérations de Brunswick. M. de S, n'a pas cher-
ché à le contester. Us'estsurtoutattachéàfairevoircombienleconcoursdestroupes
autrichiennes fut peu efficace, peu actif, et en somme plus nuisible qu'utile à
l'armée prussienne. Les incidents, les démêlés de cette alliance militaire mal
assortie, les négociations préliminaires de cette coalition politique dont les nœuds
étaient si mal serrés, les vues respectives des parties sont pour lui la matière
d'études neuves et intéressantes. Il y trouve l'occasion de relever plusieurs
erreurs de ses devanciers. Il expose aussi, au moyen de documents jusqu'ici
inexplorés, les plans, les idées, la tactique de Brunswick'. Toutefois M. de S.
n'est pas aussi original dans le récit de la marche et de la retraite des Prussiens
qu'il paraît le supposer; au fond la relation de Dumouriez dont il critique avec
beaucoup d'insistance les fautes militaires et les méprises techniques, ne diffère
pas essentiellement de la sienne; et il s'en faut que l'écrivain allemand soit le
premier à relever l'illusion qu'il y eut à représenter les défilés de l'Argonne
comme les « Thermopyles de la France » (Il n'est pas bien sûr que le général
ait jamais pris lui-même au sérieux ce mot à effet). En revanche M. de S. qui
expose avec beaucoup de clarté les vues et les intrigues de Dumouriez dans les
négociations entamées spontanément par lui après Valmy, est tout à fait instructif
lorsqu'il nous révèle que l'adhésion de Brunswick aux propositions françaises ne
fut qu'une feinte militaire, ayant pour objet la concentration de ses troupes Le
duc ignorait en effet qu'il entrât dans les desseins du général français de se porter
sur la Belgique, en masquant seulement la poursuite, et la position des corps
prussiens disséminés était critique (Livre IV, ch. i, iv et v).
Disons enfin que pour la présente édition de son ouvrage, M. de S, a pu faire
et a fait de nombreux emprunts à l'Histoire de la Terreur. C'est là un hommage
fort judicieux aux consciencieuses recherches de M. Mortimer-Ternaux.
H. LoT.
I. M. de S. dit, sans indic^uer où il a pris ce renseignement, mais probablement d'après
la biographie Michaud, copiée elle-même récemment par la biographie Didot, que le rédac-
teur du célèbre manifeste de ce prince fut le marquis de Limon. Mais ce 'actum est attri-
bué à son frère i'abbé de Limon avec plus de vraisemblance par le comte Beugnot, qui
avait beaucoup cqnnu, à Arcis-sur-Aube en 1789, cet ancien familier du Palais-Royal.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
H. Markgraf, Les relations politiques du roi de Bohême, George Podiehrad, et du
pape Pie II (Aeneas Sylvius Piccolomini). 1462-1464. — J. Heidemann, Études
sur l'histoire et la politique de Pierre d'Aspelt, archevêque de Mayence. Adversaire
d'Albert I", P. d'A. amena les Luxembourg et les Wittelsbach au trône d'Alle-
magne, et en écarta pour longtemps la famille des Habsbourg. M. H. raconte
sunout la vie de l'archevêque avant 1308. — G. Waitz, Des rapports de Hrot-
suiî avec Widukind de Korvei. M. W. proteste contre l'opinion de M. Kœpke qui
prétend que Hrotsuit a été exploitée par Widukind et essaye de prouver le con-
traire. — Ph. Jaffé, Notes critiques sur la plus ancienne des deux biographies de la
reine Matbilde d'Allemagne (f 968). — R. Usinger, Contributions pour la critiaue
des Annales de Quedlinbourg ; l'auteur démontre, contre M. Giesebrecht, qu'elles
sont de deux auteurs différents. — W. Schmidt, Le plus ancien manuscrit de la
Vita Heinrici II imperatoris, d'Adelbert. Ce ms. se trouve aux archives du chapitre
de Gurk; il date du milieu du xii^ siècle et parait préférable à celui de Bamberg,
d'après lequel M. Waitz a édité de la V^ita dans les Monuments. — E. Dùmmler,
Études sur Benzo d'Albe, qui écrivit vers 1087 un éloge de Henri IV, et remarques
critiques sur l'édition donnée par M. Pertzfils dans les A/onu/n^/î/^. — P.Scheffer-
BoiCHHORST, Les soi-disantes Ar\T\a.\es de SeWgensiadt et sources parentes, M. Beth-
mann a publié au tom. XVII des Monuments de courtes annales appelées Annales
de Seligenstadt, parce que c'est là qu'on en avait trouvé le ms. En réalité ce
sont des annales italiennes, dérivées de celles de La Gava et du Mont-Cassin. —
E. Steindorff, Études sur les Annales de Spire. L'auteur cherche à démontrer
que ces annales ne sont qu'un maigre extrait d'Othon de Freysingen.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
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M. de Rosny sur la découverte de docu-
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prétation de l'écriture phonétique et figu-
rative de la langue Maya. In-8*, 20 p.
Paris (lib. Amyot).
Du Méril (E.). Maccaronis Sforza, co-
médie macarônique de Bernardino Ste-
fonio. In-8*, 74 p. Paris (Didier et C').
Kleutgen (P.). La philosophie scolastique
exposée et défendue. Traduit avec l'au-
torisation de l'auteur, par le R. P. Sierp.
T. j. In-8*, 583 p. Paris (Gaume frères
et Duprey).
Lacroix (P.). Histoire de la vie et du
règne de Nicolas I", empereur de Russie.
2* édition, revue et corrigée. T. 3. In-
12, 366 p. Paris (Amyot).
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1800-1815. Précédée d'une notice par
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Lefebvre de Béhaine. 2* édition. T. 5.
In-8*, 408 p. Paris (Amyot).
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In-8*, xxiv-456 p. Caen (Le Gost-CIé-
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Rossignol (C). Louis XIII avant Riche-
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N* 43 Quatrième année 23 Octobre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
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PERIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N" 40. 25 septembre.
Théologie. Fricke, Twesten, Henke, Divers opuscules sur Schleiertnacher. —
Histoire. Friedl^nder, Darstellungen aus der Sittengeschichte Roms, 3^ éd., I
(Leipzig, Hirzel). — Die Chroniken der niedersaschsischen Staedte. Magdeburg,
I (Leipzig, Hirzel; tome VII de la Collection des chroniques des villes allemandes
publiée par la Commission historique de Munich). — Kuhn, Thurgovia sacra.
Geschichte der kathol. Kirchl. Stiftungen des Kantons Thurgau (Frauenfeld).
— C. M., Die Schaffhauser Schriftsteller von der Reformation bis zur Gegen-
wart (Schaffhausen, Brodtmann; échantillon d'un dictionnaire général des écri-
vains de la Suisse qui promet d'être très-bien fait). — Linguistique. Histoire
littéraire. Schmeller, Bayerisches Wœrterbuch, 2. Ausgabe bearbeitet von
Frommann (Mûnchen; publication de la Commission historique de Munich dont
nous rendrons compte incessamment).
N° 41. 2 octobre.
Théologie. Ceriani, Le Edizioni e i manoscritti délie versione siriache del
vecchio Testamento (Milano; publication très-importante). — Histoire. Busson,
Die florentinische Geschichte der Malespini (cf. Rev. crit., 1869, t. II, art. 149).
— Baxmann, Die Politik der Paspste von Gregor I bis auf Gregor VII, II
(Elberfeld, FriderichsJ). — Al. Przezdzieçki, Jagiellonki polskie w XVI Wieku
(Cracovie; livre des plus importants et qui fait grand honneur à son auteur). —
Linguistique. Histoire littéraire. Homeri Odyssea, éd. La Roche, II (Leipzig,
Teubner). — Nicolaides, Topographie et plan stratégique de Viliade (Paris,
Hachette). — Gœttlingii opuscula academica, éd. Kuno Fischer (cf. Rev. crit.,
1869, t. II, art. 147). — Hattala, August Schleicher und die slawischen Con-
sonantengruppen (Prag, Satow; polémique contre Schleicher et son école). —
Archéologie. Wieseler, Der Hildesheimer Silberfund (Gœttingen, Vandenhoek;
Pauteur soutient la thèse peu probable qu'on a trouvé à Hildesheim la vaisselle
deVarus). — Lûtzow, Mûnchener Antiken, VI et VII (Mûnchen, Merhoff; suite
d'une publication intéressante, bien connue des archéologues). — Musique. Bitter,
Cari Philipp Emanuel und Wilhelm Friedemann Bach und deren Brùder (Berlin,
Mûller; étude pleine d'intérêt sur les quatre fils, diversement remarquables, du
grand Bach).
Philologus, tom. XXVIII, j" livr.
C0MPARETTI, Interprétation d'un passage de Pindare (p. 385-398; concerne
P-jth. II, 72 et suiv.). — Unger, Chronologie de Phidon (p. 399-424; sera suivi
d'un second article, dont nous communiquerons les conclusions). — Rumpel,
le tétramètre trochaïque chez les poètes lyriques et dramatiques de la Grèce (p. 425-
437; rectifications et observations de détail à propos des théories de l'ouvrage
de Rossbach et Westphal. — Bergk, Lettres philologiques (p. 438-468; cette
première lettre est dirigée contre les novateurs en matière orthographique; elle
est écrite avec le ton agacé que l'auteur a pris depuis longtemps. Il raisonne sur
des questions de philologie comparée et d'étymologie avec une superbe assu-
rance; mais décidément on ne peut ici le prendre au sérieux; dans le s dusabin
scesna (= coena) il croit reconnaître la préposition con = ^6v!). — Klùgmann,
Les nouveaux monuments des Arvaks (p. 469-493; résume les résultats les plus
importants des fouilles faites par M. Henzen et de la publication de ce dernier
Scavi nel Bosco dei fratelU Arvali, Rome, 1868, fol.). — Wittich, Metrologische
Beitr£ge, V : sur le premier essai fait dans l'antiquité pour mesurer la terre et sur
l'argumentation d'Eratosthène (p. 494-500). — Rapports : Hentze, Les travaux
récents sur la syntaxe d'Homère, 2" article (p. 501-536) analyse les principales
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 43 — 23 Octobre — 1869
Sommaire : 209. La Bhagavad Gita, trad. p. Lorinser. — 210. Binding, Le pre-
mier royaume de Bourgogne. — 211. Champfleury, Histoire de l'imagerie popu-
laire. — 212. Behm, Annuaire géographique.
209. — Die Bhagavad Gita. Uebersetzt und erlaeutert von D' F. Lorinser. Bres-
lau, Aderholz, 1869. Gr. in-8', xxxvj-290 p. — Prix : 12 tr.
Ce livre contient une traduction de la BhG., imitant les mètres de l'original,
un commentaire fort verbeux, qui tend spécialement à relever les emprunts que
ce poème aurait faits à la Bible et surtout au N. T., et un appendice, dans
lequel ces rapprochements sont réunis à part. L'introduction expose la trame du
Mahâbhârata.
L'auteur, qui est théologien, a largement besoin de l'indulgence que nous
sommes toujours disposés à accorder aux efforts consciencieux d'un dilettante. Je
n'appuierai donc pas sur les fautes innombrables dans la reproduction des mots
sanscrits, dont quelques-unes , comme le manque de l'anusvâra, du visarga, du
signe de longueur sur les voyelles, du signe d'aspiration, la séparation de mots
composés, et, en échange, l'union par l'écriture de mots distincts, sont tellement
fréquentes qu'elles paraissent provenir d'une négligence, pour ainsi dire, sou-
tenue et intentionnelle '; mais en voici d'autres, qui n'admettent pas cette inter-
prétation, et qui prouvent que l'auteur ignore jusqu'à l'alphabet du sanscrit. —
P. 7, note 32, il est dit que kurù est le patronymique de kuru. D'abord je
pensais que la forme kurûn, qui se trouve dans le texte, était la cause de cette
erreur; car l'auteur écrit aussi les Vasûs, p. 168, v. 23; p. 178, v. 6, etc. (il y
a Vasûnàm, Vasàn dans le texte), et suppose généralement qu'une voyelle longue
dans une dérivation quelconque prouve la longueur de la même voyelle dans le
thème : ainsi il dérive, p. 24, n. 3 5, de la forme traigimyavishayà\\ le mot vishayà
(2 fois), du patronymique ;a/i/2aj'/, p. 171, n. 79, le nom du père jâhnu. Mais
bientôt j'eus le regret de m'apercevoir que l'auteur écrit constamment rà au
lieu de ru, c'est-à-dire qu'il ne sait pas distinguer ces deux signes; par exemple :
Varuna, gurû, nirûdhya, garùta {sic, 2 fois), Merû, rûdra, purùjit, purùsha, pau-
rùsha, etc. — il est inutile de donner des citations, parce que ces fautes se
rencontrent des douzaines de fois et presque à chaque page. De même il ignore
I . Pour ne pas rendre les mots sanscrits tout à fiait méconnaissables , ni être arrêté à
chaque pas par des sic, j'ai fait disparaître, sans les signaler, une partie de ces fautes des
passages aue j'aurai à citer du livre de M. L.; de même j'ai substitué la transcription
ordinaire de l'alphabet sanscrit à celle adoptée par l'auteur, laquelle est basée exclusive-
ment sur la prononciation allemande des lettres latines (p. e. tsch = c, dsch=j), et manque
de plusieurs distinctions nécessaires (p. e. entre les dentales et les cérébrales, entre m et
m, f et s).
vm
»7
258 REVUE CRITIQUE
la différence entre les cérébrales t et d et écrit par conséquent : guta, gutâkeça,
gânxîva, garûla, kirîàa; deux fois dans la même page (2) nous trouvons gau au
lieu de gai. Je passe des cas comme uttamaucas (2 fois), ujyaîe, parce que d'au-
tres indices m'ont fait soupçonner que la différence entre c et y était réellement
connue de l'auteur.
La traduction, qui en suit trois autres de près (celles de Schlegel-Lassen, de
Thomson et d'Emile Burnouf), et quelquefois de si près, que l'auteur ne s'aper-
çoit pas même des différences de l'original et de son modèle (voy. p. e, adhy.
II, 16, où Schlegel rend anta par discrimen, l'auteur par Unterschied), lui a
fourni, naturellement, peu d'occasions de commettre des fautes graves; néanmoins
il s'en trouve quelques-unes dans la petite partie que j'ai conférée à l'original.
Ainsi, II, 52, les mots : sukhinah kshatriyâh labhante yuddham îdrçam =
heureux sont les guerriers à qui s'offre un tel combat, sont traduits : « de gais
» guerriers saisissent un tel combat » ; X, 6, yeshâm loka (= loke) imâh prajâh
est rendu par : « par lesquels ce monde (!!) est procréé » ; dans le même adhy.,
V. 17, le vocatif }'ogw est traité d'accusatif (den vertieften) '.
Mais tout cela n'est pas fort grave, et ce n'est que dans les annotations, où
l'auteur lutte quelquefois proprio Marte, que ses qualités philologiques éclatent.
Je ne conteste pas qu'il ne s'y trouve des observations très-justes, même parmi
celles qui sont du crû de l'auteur ; ainsi quand Krsh/2a dit — toujours dans le
même 10" adhy., — qu'il est tout ce qu'il y a de plus noble dans toutes les
créations, qu'il est Indra parmi les dieux, la mer parmi les eaux, l'Himalaya
parmi les montagnes, le lion parmi les bêtes, le roi parmi les hommes, — c'est
avec une justesse indéniable que l'auteur explique le mot roi comme il suit :
« c'est-à-dire le premier parmi les hommes, le souverain » (p. 169, n. 6j).
Mais quand Krshna poursuit : Vamno yadasâm aham = Varunas (le dieu des
eaux) inter aquaîilia ego, il aurait mieux valu, ce me semble, supprimer "la
remarque que voici : « Varu^za est un des principaux dieux védiques ; ici il est
» traité d'animal aquatique (!), ce qui prouve à quel point les idées religieuses
» des Indous avaient changé depuis. » Pour le mot mrgendra l'auteur propose
la signification le tigre (p. 171, n. 74); ici du moins il est original, puisque les
lexicographes sanscrits depuis Amarasi/zha jusqu'à M. Benfey ont toujours pensé,
que ce mot voulait dire lion.
Ce qu'il y a de plus étonnant c'est que vis-à-vis des opinions grammaticales
et autres, émises par l'auteur dans les annotations, la justesse de la traduction
reste souvent inexplicable : ainsi, III, 26, huddhihhtdam ajnânâm est correc-
tement rendu par : « conflit d'opinions des ignorants », mais l'annotation 36 porte
la forme ajhânâ au lieu d'ajna! — XV, 8 : vâyur gandhân ivâçayât; traduction :
« comme le vent (enlève) les odeurs de leur lit » ; annot. : « il faut entendre
» par ce lit (littéralement : demeure, j'âf^yâf [!!!]) les fleurs, etc. ». Ce dernier
exemple est instar omnium; mais en voici encore d'autres : p. 4, « uttamaujas
t . Dans ce cas la cause de l'erreur est palpable : le texte porte yogimstvam, et l'auteur,
qui écrit toujours yogi (ou 0 comme muni, a été évidemment égaré par le m.
d'histoire et de littérature. 259
» (mascul.) = la force extrême » ; la même faute se retrouve p. 143 : « (bhaktyâ)
» ananyayâ signifie littéralement : par aucune autre «; — p. 170 : aryaman vient
d'ârya; — p. 15: non-existant =na5a/;— p. 99, i lo, 259. etc.: \e jîvanmukti (au
lieu de -ta); — p. 4.5 et 169 nous rencontrons la forme uccai(K)çravâsa (ou -vasa\
garantie parle mètre; mais ici l'auteur n'est pas très-coupable, seulement il a eu la
mauvaise chance de suivre cette fois, au lieu de la trad. de Schlegel, celle de Thom-
son, laquelle a une faute d'impression à cetendroit(p.72); — p. ^^: viditâtman=
qui s'est trouvé lui-même; — p. 174: kusumâkara =^ (\m fait des fleurs.— Adhy.
IX, 2[, est exposée la doctrine bien connue, que les gens pieux, après avoir joui
des plaisirs du ciel, sont obligés de retourner sur la terre, le fonds de leur
MÉRITE ÉTANT ÉPUISÉ = kshîm puTije. M. L. traduit: quand le monde pur (=
le monde d'Indra) a passé, c'est-à-dire après la fin du monde— je suis sûr que
les gens pieux ne demanderaient pas mieux. — P. 2 : la BhG. est comptée
parmi les 52 upanishads de l'Atharvan (!), et y fait partie de la troisième classe,
nommée brahmavidyâ (!!); de même la Çvetâçvatara-up. appartient à l'Atharvan.
(p. 287). — Le mot çloka est traité de féminin par tout le livre; de même la
kâma et krodha (p. 61), la Vedântasâra (p. 182), la sâhkhya (p. 19), la yoga
(p. 27, 87, etc.), LA âranyaka (p. 9)), et en compensation le çruîi (p. jo). —
P. 42, l'auteur nous offre le t)'pe que voici de la trishmbh :
uo I uu I uo I u<j j uu I u 1] uu 1 uu j 00 j 00 I uu i o
d'après lequel il se peut, — pour ne rien dire de la singulière division des pieds,
— que nous rencontrions une trish/ubh composée de 22 syllabes brèves.
Maintenant qu'il me soit permis de citer encore deux passages remarquables
par une accumulation vraiment étourdissante d'erreurs. P. 145, n. 37 : « shan-
» mâsâ utîarâyanam signifie littéralement : les six mois où le soleil se tient
» (sîehf) le plus haut (au nord), et shanmâsâ dakshinâyanam les six mois où il se
» tient le plus bas (au raidi) ». Premièrement il n'y a pas de trace dans les mots
sanscrits ni de haut, ni de bas, ni de se tenir; et je ne cache pas que l'au-
teur me semble avoir été induit à cette traduction singulière par le mot uttara,
qui, malheureusement pour lui, à part sa signification de septentrional, a aussi
celle de plus haut. Mais , ce qui me paraît plus grave , quoique cette fois il ne
s'agisse pas du sanscrit, quelle étrange idée faut-il que M. L. se fasse de notre
système solaire, pour s'imaginer que, dans l'Inde, le soleil reste six mois au
nord et six mois au sud !
Adhy. X, 1 5, se trouve la composition devadeva = dieu des dieux; à ce sujet
l'auteur fait l'observation suivante. « Cette expression parait être une imitation,
» par l'intermédiaire du christianisme, de la locution identique de l'A. T. Du
» reste elle se trouve aussi dans la Chândogya-up. (III, 17, 7), où elle désigne
» le soleil : \Ve attain to that god of gods and noblest ofall lights the sun (Traduc-
» tion de Râjendr. Mitra). » D'abord, on sait jusqu'à quel point la locution
dont il s'agit est fi-équente en sanscrit : le dictionnaire de MM. Bœhtlingk et Roth
en cite plus de vingt exemples ; et il est vraiment incroyable , qu'un homme
sensé dérive un mot si commun d'une source aussi éloignée. Ensuite, si M. L.
avait daigné jeter un coup-d'œil sur le passage en question de la Chând.-up.,
26o REVUE CRITIQUE
il se serait aperçu que cette locution, quelque fréquente qu'elle soit, ne s'y
TROUVE PAS, NI RIEN DE SEMBLABLE, et qu'il s'est laissé tromper naïvement par
la traduction anglaise. Enfin, pour comble de malheur, ce passage n'appartient
même pas en propre à l'upanishad ; c'est un vers des plus connus, emprunté
au /?gveda (/, 50, lo); donc, si cette locution s'y trouvait, il serait prouvé par
là même qu'elle est d'un millier d'années plus ancienne que le christianisme!
Ce dernier exemple nous fournit en même temps la mesure d'une grande
partie des rapprochements entre la BhG. et le N. T. Comme l'auteur n'a pas la
moindre idée des idiotismes de la langue sanscrite, il ne se lasse pas de s'étonner
de locutions fort ordinaires et voudrait faire accroire à ses lecteurs que telle et
telle phrase est « absolument inexplicable », à moins qu'elle ne soit une traduc-
tion d'un dicton biblique quelconque. C'est ce qu'il dit p. ex, au sujet de l'ex-
pression : mâm anuttamâm gatim (VII, 18), imitation évidente selon lui des
mots du Christ : lyw z\^.% -n 656;. C'est à dessein que j'ai choisi cet exemple, un
des meilleurs sans doute de tous ceux que l'auteur relève, et dans lequel au premier
coup-d'œil la ressemblance paraît réelle; seulement, pour en être frappé, il faut
ignorer, que l'emploi du mot gati, appliqué à des personnes, est éminemment
fréquent en sanscrit (voy. des exemples abondants au Wœrterbuch de B. et R.
s. V. gati 7). De même tous les rapprochements de mots détachés et fort com-
muns, comme d'/m^âh prajà\i ' avec y\ y^-^tk aû-r; (52, n. ^4),àe prasavishyadhvam
avec crescite et multiplicamini (4$, n. 1 3) (ici l'auteur ne craint pas même de voir
une trace de la « révélation primitive »), de la phrase : je suis le commence-
ment des dieux et des patriarches, avec la locution : le Dieu d'Abraham, d'Isaac
et de Jacob, les comparaisons entre la BhG. et l'Imitation de Jésus-Christ,
l'identification d'Adam et d'Abraham avec différents personnages du panthéon
indien et tant d'autres sont sans portée aucune. Du reste on sait à quel point il
est facile de relever des ressemblances d'expression et de pensée, bien autre-
ment réelles, entre des livres qui n'ont entre eux pas le moindre rapport histo-
rique, mais une grande affinité de contenu ; et l'on sait aussi que ce n'est pas par
des mots heureux et quelques expressions réussies que se font les emprunts d'une
civilisation à l'autre. Il va sans dire que ces observations ne touchent aucune-
ment à la question même de l'influence chrétienne sur le culte de Krsh/za: cette
influence est désormais incontestable; là-dessus je suis, aussi bien que M. L.,
de l'avis de M. Weber 2, partagé sans doute parla plupart des indianistes, sur-
tout depuis les dernières recherches — parfaites comme toujours — de ce savant
QJeber die Krsh/zajanmâsh/amî, Berlin, xZGZ^yo'j. dimûMonalsher. der Berliner
Akad. 1869, p. J7 et suiv.). Relativement à cette question l'auteur appelle
l'attention sur le passage de Jean Chrysostôme, Evang. Joan. hômil. i, cap. i,
1 . Voici encore un exemple de la négligence vraiment inouïe de l'auteur : dans la repro-
duction et la traduction de ces deux mots il n'y a pas moins de quatre fautes : il écrit
ima prajâ et traduit dièses Geschlecht, au singul.; cet exemple peut taire apprécier la cor-
rection du livre entier, et l'errata contient.... quinze lignes.
2. En corrigeant l'épreuve, je reçois le second volume des Indische Streifen de M. We«
ber, où le livre de M. L. est qualifié d'essai remarquable (p. 288, n. i). Ce serait man-
quer d'impartialité que de ne pas signaler ici le jugement favorable d'une telle autorité.
d'histoire et de littérature. 261
où mention est faite d'une traduction indienne du N. T.; passage dont je ne
suis pas à même d'apprécier la valeur critique, mais que l'auteur paraît avoir
le mérite de signaler le premier (p. 268).
Je m'arrête en mettant de côté le reste de mes notes. Peut-être devrais-je
m'excuser de la longueur de cette critique; mais comme elle est plus incomplète
encore qu'elle n'est longue, j'aime à croire qu'on ne me reprochera ni l'un ni
l'autre de ces défauts.
Siegfir. Goldschmidt.
210. — Das burgnndisch-romanische Kœnigppeich. Eine reichs und rechts-
geschichtliche Untersuchung, von Cari Binding, Professor des œfienllichen Rechts zu
Base!. Erster Band : Ccschichte des burgundisch-romanischen Kanigrcichs. Mit einer Bei-
lage : Sprache und Sprachdenkmaeier der Burgunden, von W. Wackernagel. Leip-
zig, Engelmann, 1868. In-8*, xiv-404 pages. — Prix : 9 fr.
L'édition de la Lex Burgundionum donnée en 1865 par M. Bluhme(A/o/z. Germ.
t. III, 497-650) offre une collation consciencieuse de tous les textes fournis par
les divers mss. de la loi burgunde, mais ne détermine pas leur valeur exarte ni
leurs dates respeaives. Tandis que M. Hubé, de Varsovie, démontrait dans la
Revue historiijue du droit français et étranger (1867, p. 209) la nécessité d'une
nouvelle édition, M. Binding, professeur de droit public à Bàle, annonçait la
publication prochaine de la Lex Burgundionum accompagnée d'une étude com-
plète sur les institutions et la législation burgundes. Le premier volume de cet
ouvrage, seul paru jusqu'ici, en forme pour ainsi dire l'introduction historique.
Le second volume contiendra l'histoire et l'analyse des lois. Le premier volume,
que nous devons donc examiner séparément aujourd'hui, a pour but d'éclaircir
et de déterminer, suivant l'ordre chronologique, tous les points de l'histoire des
Burgundes. C'est une véritable histoire critique. Huit courtes dissertations cri-
tiques y sont jointes en appendice ' . Après avoir ainsi fixé l'enchaînement et la
date des événements de cette époque obscure, M. B. pourra plus facilement
expliquer le développement naturel des lois et des institutions. La concordance
de la législation avec l'histoire, et de l'histoire avec la législation, fournira une
mutuelle vérification de l'une et de l'autre. Il résulte malheureusement de l'ap-
parition isolée du premier volume que la preuve de plusieurs des faits qui y sont
avancés est renvoyée au second, et que nous restons en attendant dans l'obscu-
rité et l'incenitude (voy. p. 25 n. 78, p. 26 n. 91, p. 5 ? n. 121, p. 47 n.
189, etc., etc.).
Placé ainsi au point de vue du droit, M. B. commence son histoire à l'éta-
blissement des Burgundes en Sabaudie, c'est-à-dire au moment où le partage
I. Ces dissertations ont pour objet : i* les sources de Marius; 2* l'autorité de la Vita
Sigismundi régis; y la chronologie des lettres d'Avitus; 4* l'essai de Gingins-la-Sarraz
sur rétablissemeRl des Burgundes; 5* les deux Hilperik et la généalogie de la famille
royale burgunde; 6* les limites du royaume burgunde vers l'an 500; 7* le mode de dési-
f nation des années en Burgundie ; 8* la diffusion de l'élément germain dans le royaume
urgunde.
202 REVUE CRITIQUE
des terres a dû nécessairement amener les premières dispositions législatives. Il
laisse entièrement de côté toutes les questions de race, d'origines, de traditions.
Il ne mentionne pas Burgundarholm, ni le royaume des Nibelungen, ni même les
renseignements plus précis donnés par Ammien Marcellin (XVIII, 2; XXVIII,
12), Orose (VII, 32), Prosper et Cassiodore (ad ann. 413) sur le séjour des
Burgundes aux bords du Rhin. Il débute par les défaites de 43 5 et 437 et l'éta-
blissement en Sabaudie en 443. La théorie de M. B. sur le partage des terres
entre les Romains et les Barbares, bien qu'elle manque parfois de netteté et que
les éclaircissements et preuves soient souvent renvoyés au second volume, est
ingénieuse et vraisemblable et rend compte pour la première fois des différents
textes qui se rapportent à cette question épineuse (p. 1 3-38). Gaupp, dont
l'opinion a été jusqu'ici universellement adoptée {Germanische Ansiedlungen, p.
274-371) n'admettait qu'un seul partage légal accompli au commencement du
règne de Gundobad entre 470-475. Mais alors les Burgundes auraient pendant
trente ans vécu au milieu des Romains sans partage régulier, et à la manière des
soldats en logement. Cela est peu vraisemblable : un établissement arbitraire
aurait écrasé les indigènes, et une règle invariable dut fixer le sort des Burgundes
venus non en vainqueurs, mais en alliés. Prosper (ad ann. 443) et Marius (ad
ann. 456) semblent parler dès le début d'un partage régulier, et les textes de la
Lex Burgundionum qui supposent toujours aux Burgundes la moitié ou les deux
tiers des terres (v. T. 13, 31, 54, 67), jamais le tiers comme au soldat romain,
ne permettent pas d'assimiler complètement leur établissement à celui d'une
légion militaire. M. B., guidé, il faut le dire, par les hypothèses très-perspicaces
de Gaupp, montre qu'il y eut deux partages réguliers, sanctionnés par des lois.
Le partage ne porta que sur un certain nombre de propriétés foncières dites
alors sortes (parce qu'on tirait au sort soit les noms des propriétaires sur qui
devait retomber cette charge, soit plutôt les lots fixés d'après le cadastre) et
appartenant aux possessores romains, hommes libres payant l'impôt foncier. Les
Burgundes ainsi établis sur les terres romaines prenaient le nom de Faramanni
(goth. fera = partie; voy. Wackernagel dans l'Append. p. 354). M. B. veut
que ce nom ne se soit appliqué qu'à ceux qui eurent part au partage, c'est-à-
dire aux pères de famille propriétaires et non à tous les Burgundes, bien que la
Ux Burgundionum (T. 54) semble employer indifféremment les mots « populus
» noster » et « Faramanni » (voy. à ce sujet Boretius dans Sybel, Hist. Zeitsch.
1869, I. H, p. 26, 27). M. B. reconnaît d'ailleurs avec Gaupp que le mode
d'établissement des soldats romains avait fourni la première idée de ce genre de
partage. Mais, tandis que le soldat, possesseur du tiers d'une terre, restait infé-
rieur au premier propriétaire et s'appelait seul hospes, le Burgunde et le Romain
copropriétaires portent chacun l'un vis à vis de l'autre le titre à'hospes et se
trouvent dans des rapports d'égalité mutuelle. Le Burgunde finit même par
acquérir une certaine supériorité. En effet, le premier partage (auquel se rap-
portent les T. 13, 3 1 , 67 de la Lex Burgundionum), conclu lors du premier éta-
blissement en Sabaudie et en Gaule, divisait par moitié entre le Burgunde et le
Romain la terre cultivée et laissait indivis les bois et prairies. Plus tard, sous
d'histoire et de littérature. 26 î
Gundobad, les familles burgundes s'étant accrues, leurs premiers lots furent
insuffisants et on porta leur part de terre cultivée de la moitié aux deux tiers;
de plus les bois et prairies, indivis jusqu'alors, furent panagés par moitié (T.
54). En outre, les Burgundes, qui s'étaient contentés jusque là des esclaves
qu'ils avaient amenés avec eux, prirent alors le tiers des esclaves de leurs co-
propriétaires romains. Plus tard enfin, sous Godomar (T. 107, 11), une nou-
velle loi décida que les Burgundes récemment venus dans le pays ne pourraient
obtenir que la moitié de la terre cultivée et aucun esclave.
Au premier abord, il parait invraisemblable que les parts des Burgundes aient
été augmentées sous Gundobad et portées aux deux tiers de la terre cultivée
après avoir été seulement de la moitié. M. Kaufmann (Gœtt. gel. Anz., 3 févr.
1869) croit que leur part fut toujours des deux tiers et rejette absolument le
système de M. B. Suivant lui cet acte de spoliation aurait été impolitique à un
moment où la Burgundie avait besoin de s'appuyer sur les indigènes pour résis-
ter aux Franks, et comment d'ailleurs le concilier avec ce que Grégoire de Tours
dit de Gundobad (II, 55) : « Burgundionibus leges mitiores dédit, Romanos ne
» opprimèrent »? Mais le long règne de Gundobad (473-516) vit diverses épo-
ques et diverses fortunes. Les Burgundes en 443 venaient de subir deux défaites;
on les avait accueillis dans l'empire avec bienveillance, ils durent accepter ce
qui leur était offert. Au début du règne de Gundobad au contraire, ils avaient
crû en nombre, la famille de leurs chefs s'était alliée à celle des chefs >\nsigoths;
elle avait partagé l'influence de Ricimer, le faiseur d'empereurs, et l'empire
mourant avait cherché en elle un dernier appui. Au moment de la chute de l'em-
pire, les Burgundes pouvaient facilement imposer aux indigènes des conditions
plus dures, et ils n'avaient point encore de Franks à redouter. Mais plus tard
Chlodovech commence ses conquêtes, il inflige à Gundobad une première défaite
avec l'appui d'une partie de la population romaine (v. Grég. de T. II, 33). C'est
à cette époque sans doute que Gundobad, instruit par les revers, rendit ces
« leges mitiores » qui protégeaient les Romains contre les injustes exigences des
Burgundes (L. B. T. 54); qui donnaient la préférence au copropriétaire romain
au cas où le Burgunde voudrait vendre sa terre (T. 84); qui interdisaient au
Burgunde copropriétaire de se mêler des querelles de deux possesseurs romains
(T. 5 5), à moins qu'il ne voulût poursuivre sa cause selon la loi romaine, et
qui tendaient ainsi à faire de la loi romaine la loi générale. La théorie de M. B.
nous parait donc aussi conforme aux vraisemblances historiques qu'aux textes
juridiques.
C'est avec la même sagacité et la même précision que M. B. a déterminé
plusieurs points de l'histoire burgunde , peu connus ou mal interprétés ; entre
autres : les limites de la Sabaudie (p. 4-7); les progrès successifs des Burgundes
d'abord jusqu'à Ambérieux, 457 (p. 58), puis jusqu'à Lyon, Vienne et même
jusqu'à la Loire (p. 68-75); les résidences de Hilperik à Lyon, Gundobad à
Vienne et Godegisel à Genève (p. 73); la nette distinction entre les deux Hil-
perik, l'un frère, l'autre fils de Gundiok (v. app. V, p. 300-305); l'influence de
Gundobad en Italie sous les derniers empereurs et l'époque précise de son avé-
204 REVUE CRITIQUE
nement, entre mars 473 et juin 474 (p. 80-81); le rôle de la Burgundie quand
elle soutint Theodorich I contre les Suèves, 456-457 (p. 53-56), puis quand
elle attaqua Eurich et chercha à ranimer les derniers restes de la puissance
romaine, 470-471 (p. 78-80); la guerre de Ligurie' (p. 100-102); l'alliance
des Burgundes avec Chlodovech après la guerre de 500 et la part qu'ils prennent
à la guerre wisigothique (p. 194 et 202-212); enfin le règne si obscur de Go-
domar, son énergie politique et militaire, ses réformes de 5 24, et le rachat des
Brandobrigi en 527 (p. 263-267). M. B. a consulté tout ce qui a été écrit sur
le sujet de son étude, il rapporte toutes les opinions de ses prédécesseurs et les
discute avec une conscience peut-être exagérée. Ce qui vaut encore mieux, il
n'a négligé aucune source, il a réuni, étudié, contrôlé beaucoup de textes qui
avaient échappé à ses devanciers , et il nous fournit tous les documents de ce
qu'il affirme. Il a tiré un grand parti et des vues toutes nouvelles de quelques-
uns des textes consultés par lui, surtout des inscriptions et des vies des saints,
des vies de saint Lupicin (p. 65), de saint Hillidius (p. 74), de l'abbé Marins
(p. 1 38), de la vie de saint Épiphane, par Ennodius, qui éclaire les rapports de
la Burgundie avec l'Italie, à la fin du v^ siècle (p. 109-1 10). La Collatio episco-
porum (Mansi. C. C. VIII, p. 243 sq.) au concile de Lyon, lui a donné les
éléments d'une peinture animée de cette grande réunion où Gundobad tenta
vainement de réunir les deux églises, arienne et catholique (p. 148-1 52). Enfin
ce sont les canons du concile d'Epaône (Yenne, près Chambéry), qui lui ont permis
de démontrer le caractère tout catholique du règne de Sigismond.
Je ne saurais pourtant accepter toutes les conclusions auxquelles arrive M. B.
par les mille détours d'une critique toujours minutieuse et souvent subtile. A
force de presser les textes, il leur fait dire parfois plus qu'ils ne signifient en
réalité ; sur un seul indice, il affirme hardiment ce qu'il pourrait tout au plus
supposer ; un fait passe ainsi dans son esprit de la possibilité à la vraisemblance
et de la vraisemblance à la certitude, pour servir ensuite de point de départ à
de nouvelles hypothèses. Malgré toute l'habileté que déploie M. B. dans la cri-
tique des sources (v. p. ex. ses excellentes dissertations II et III sur l'autorité
de la Vita Sigismundi et sur la chronologie des lettres d'Avitus), il tombe dans un
excès de subtilité lorsqu'il prétend prouver que Frédégaire a connu la chronique
de Marins (p. 225, n. 779), parce qu'il dit de l'avènement de Sigismond « su-
» blimatur in regnum » et Marins « levatus est rex », et parce que les mots
c jussu patris » se retrouvent dans les deux documents, d'ailleurs à propos
d'événements tout différents. Laissant de côté plusieurs points secondaires où se
retrouve la même hardiesse d'affirmation (p. 113, prétendue critique appliquée
I . M. B. semble croire que le royaume burgunde ne dépassa jamais au sud la Durance.
Grégoire de Tours dit pourtant (II, 32) : « Gundobadus et Godegiselus.... regnum
cum Massiliensi provincia retinebant. » Rien de plus naturel qu'un retour offensif des
Burgundes sur la Provence après la mort d'Eurich (485) qui avait conquis quelques
années auparavant Avignon et Arles. Si les Burgundes n'occupaient pas une partie au
moins de la Provence, on ne conçoit plus les motifs ni même la possibilité de leur passage
en Ligurie. Les évêques d'Arles et de Marseille étaient d'ailleurs présents au concile de
Lyon en 499.
d'histoire et de littérature. 265
par Grég. de T. à l'histoire de Hrôtehild; p. i $9, suppression arbitraire de toute
l'histoire d'Aredius; p. 189, la possession d'Auxerre attribuée aux Burgundes et
non aux Franks; p. 246, tous les sentiments de Segerik imaginés d'après l'accu-
sation calomnieuse de sa belle-mère), nous nous arrêterons seulement à l'inté-
ressante discussion soulevée par M. B. au sujet de l'épitaphe de la reine Caretene
(p. 1 16-1 18) qui, d'après lui, ne peut s'appliquer qu'à la femme de Hilperik II.
M. de Boissieu (Inscr. de Lyon, p. 572) avait déjà émis et soutenu cette
opinion (M. B., qui cite si soigneusement les opinions de tous ses devanciers,
aurait dû le dire plus clairement). Il faut alors rayer de l'histoire tout le récit
de la mort violente de Hilperik tué avec sa femme par Gundobad, puisque cette
Caretene, d'après l'inscription de la basilique de Saint-Michel fondée par elle,
mourut tranquillement à Lyon en 506. La lettre V d'Avitus à Gundobad ' devient
alors moins contraire aux sentiments de délicatesse morale qu'on aime à supposer
chez un évèque chrétien*. Mais cette lettre n'est pas inconciliable avec l'idée
d'un meurtre à une époque où l'Église considérait comme un triomphe de la
religion la mort, même violente, de tout hérétique ou ennemi puissant (v. Grég.
de T. Il, 40), et oîi la fréquence des meurtres avait émoussé la conscience
publique à ce sujet. Gundobad avait pleuré « flebatis pietate inefïabili, » Avitus
ne considère plus dès lors que le résultat providentiel du malheur qui est arrivé
a hoc soium servabatur mundo, quod sufficiebat imperio quicquid prospe-
» mm fuit catholicae veritati. » Voilà bien l'évêque qui ne donnait le nom de
frère qu'à l'homme « sub uno Deo pâtre et una ecclesia raatre, in una fide posito »
(Av. ep. I). Quant à l'épitaphe même, elle peut aussi bien et même mieux se
rapporter à la femme de Gundobad qu'à celle de Hilperik.
Occuluit laeto jejunia sobria vultu,
Secreteque dédit regia membra cruci.
Non sprevit sacrum post diadema jugum
peut vouloir dire sans doute que la femme du roi Hilperik s'est retirée dans le
cloître après la mort de son mari, mais peut aussi signifier que la femme de
l'arien Gundobad a caché un cœur catholique sous ses ornements royaux.
Praeclaram sobolem dulcesque gavisa nepotis
Ad veram doctos sollicitare fidem,
s'applique admirablement d'après M. B. à Hrôtehild et à ses enfants. Mais elle
ne put pas solliciter leur foi {sollicitare), ni les instruire (doctos), puisqu'ils furent
chrétiens de naissance et que ses petits-fils vécurent toujours éloignés d'elle,
tandis que Sigismond et ses deux premiers enfants, nés ariens, eurent besoin
d'être convertis à la foi catholique (v. Homilia Aviti. dicta in conversione domini
Segisrici, etc Bibl. max. PP. IX, p. 592); ils purent l'être, dans notre
I. Cette lettre a pour but de consoler Gundobad de la mort de ses frères, en lui mon-
trant les avantages que la Burgundie retirera de cette mort.
^ 2. M. B. qui se fait ici le défenseur d'Avitus parle plus loin (p. 241-242) en termes
d'une violence bien inutile (Ekel... Kriuherà) des lettres écrites par Ayitus à Anastase au
nom de Sigismond.
266 REVUE CRITIQUE
hypothèse, par l'influence de la femme catholique de Gundobad. Le récit tradi-
tionnel nous est d'ailleurs parvenu par quatre sources différentes, Grégoire de
Tours, VHisîoria epiîomaia, la Vita Sigismundi et les Gesta regum Francorum.
Leurs récits, sensiblement différents, ont été puisés directement dans les souve-
nirs populaires. Le meurtre de Hilperik était donc universellement accrédité au
vi^ et au vii^ s. aussi bien en Burgundie qu'en Neustrie. De nombreux traits du
récit ont pu être ajoutés après coup, mais le fond même n'a pu être créé par
l'imagination populaire, surtout si la femme de Hilperik a continué pendant plus
de vingt ans la pratique de la piété et des vertus chrétiennes, et si ses filles ont
vécu libres et entourées d'honneurs. L'hypothèse de M. de Boissieu a pour elle
certaines vraisemblances, mais il y a loin de là à une certitude, et M, B. ne
devrait pas l'invoquer ensuite comme un fait prouvé (p. 123, 1 34).
Tandis qu'au moyen d'une critique ingénieuse, mais subtile et téméraire,
M. B. affirme parfois des faits douteux, il croit pouvoir, grâce aux légers indices
que fournissent de rares documents, apprécier le caractère et la politique de ses
personnages avec autant de certitude que s'il avait vécu auprès d'eux, ou du
moins que s'il avait possédé des documents complets sur leur vie et sur leurs
actes. Pour Avitus, ses lettres le font assez bien connaître, et le portrait qu'en
trace M. B. est un chef-d'œuvre de sagacité érudite aussi bien que de fine psy-
chologie (p. 168-178). Mais comment démêler les motifs vrais de la polhique
des Burgundes (p. 61), de leur alliance avec Theodorich et de leur inimitié
contre Eurich? Prétendre juger, d'après le peu de renseignements que nous
possédons, les secrets mobiles de Gundobad, les aspirations pacifiques d'un
homme qui fait toujours la guerre (p. 166), la finesse du coup-d'œil politique
{mit Sîaaîsmannischem Scharjblicke, p. 179) d'un roi dont toutes les entreprises
échouent, et arriver à qualifier sa politique de « pohtique de suicide » {Politik
des forîgeseîzten Selbstmordes, p. 167) ; aller enfin jusqu'à dire ce qu'il aurait dû
faire dans tel ou tel cas, cela me paraît l'illusion d'un homme qui ressuscite en
lui, par l'imagination, l'époque qu'il a longtemps étudiée et qui mêle ses propres
sentiments à ceux des personnages qu'il dépeint. Cela est si vrai que M. B.,
malgré toute son impartialité scientifique, laisse percer maintes fois ses sentiments
personnels, ses sympathies ou ses antipathies actuelles. C'est le contemporain de
M. de Bismarck qui parle de la nécessité pour les Burgundes d'affirmer la
« Nœtige Homogenim n de leur royaume (p. 167). C'est un Germain ennemi des
races latines qui exalte la supériorité morale des ariens sur les catholiques
(p. 127), et qui semble regretter que les rois Burgundes n'aient pas persécuté le
catholicisme (p. 1 29), uniquement parce que les Burgundes sont ariens et les Franks
catholiques. Les Burgundes à cette époque n'étaient-ils pas pourtant bien plus
imbus d'influence latine que les Franks? D'ailleurs tout ce chapitre sur l'Église
et l'État en Burgundie (p. 122-124), si intéressant et si plein de choses pour ce
qui touche le catholicisme, ne donne qu'une idée bien vague du rôle de l'aria-
nisme. Il était difficile d'en dire davantage ; mais on peut reprocher à la table
des matières de nous faire des promesses que le livre ne tient pas. M. B. doit
se défier de son imagination; elle l'induit à enfler l'importance des faits qu'il
d'histoire et de littérature. 267
découvre ou devine, et l'entraîne parfois jusqu'à la déclamation, défaut qui étonne
et détonne dans un livre d'exacte critique et de sévère érudition (voy. p. 122,
« Nichîs ist geeigneter, etc p. 251, 273).
Mais c'est assez insister sur les lacunes et les imperfections d'un livre qui est
actuellement le guide le plus sûr pour l'étude du royaume burgunde, et un remar-
quable exemple des riches résultats que peut fournir l'étude attentive et sagace
de textes peu nombreux et tout fragmentaires.
L'exécution typographique, quoique compacte, est nette et d'une remarquable
correction. Je signalerai pourtant quelques inadvertances qui ne sont pas toutes
imputables à l'imprimeur : p. 59, « deux sources tout à fait dignes de foi, » —
elles ne sont pas nommées; p. 48, n. 199: 445 pour 454; p. 96 : « la Ligurie
)) était encore entre les mains de Gundobad, » — l'auteur n'a pas encore dit
qu'elle fût entre ses mains; p. 106 : « aus Franken » pour « aus Alemanien; »
p. 140 : « Ausch pour Auch; p. 170, 1. 4 : Dieser pour jener, il s'agit du fils et
non du père; p. 196 et 199: le même personnage est nommé Theoderich et
Theuderich, plus haut c'était Theodorich. Il faudrait adopter une orthographe
constante.
G. MONOD.
212. — Histoire de Timagerie populaire par Champfleury. Paris, Dentu,
1869. In-!2, I-312 p. Avec nombreuses gravures sur bois. — Prix : $ fr.
Les efforts de M. Champfleury pour explorer et vulgariser l'histoire de la
poésie et de l'art populaire ont droit à toute notre sympathie. Son recueil de
chansons, bien qu'il ne soit pas à l'abri de graves objections, a eu le mérite
d'ouvrir la voie à des recherches jusqu'alors à peu près inconnues chez nous;
son Histoire des faïences patriotiques a aussi appelé l'attention sur un coin bien
curieux de l'époque révolutionnaire ; son Histoire de la caricature antique a mis en
lumière certains traits par lesquels l'antiquité se rattache aux plus humbles côtés
de notre art. L'esprit que M. Ch. apporte à ces investigations est excellent, et
le ton même un peu emphatique avec lequel il lui arrive de célébrer leur impor-
tance est de nature à produire un bon effet sur le grand public auquel ces œuvres
sont destinées. Le nouveau volum.e de l'ingénieux écrivain offre, comme ses
aînés, bien des genres de mérite ; il n'est pas exempt non plus de certains défauts
propres à l'auteur, et qui, nous l'avouons, ont le don de nous impatienter quel-
que peu. D'abord le titre est absolument inexact; ce que nous donne M. Ch. ne
ressemble ni de près ni de loin à une histoire de l'imagerie populaire : le volume
se compose de deux monographies détachées et de quelques notices de moindre
imponance, rattachées entre elles uniquement par une Introduction des plus
décousues. Mais le plus curieux, c'est que la seconde de ces monographies, qui
occupe le tiers du volume, n'a aucun rapport avec l'imagerie. M. Ch. dit bien
dans sa Préface (p. xlv) : « Le Juif-Errant et le Bonhomme Misère offraient l'avan-
» tage de se rattacher à l'imagerie et à la littérature populaire , deux branches
» du même tronc; » mais un peu plus loin (p. xlvij) il fait lui-même ce singu-
lier aveu : « Le Bonhomme Misère appartient à la littérature populaire , non à
268 REVUE CRITIQUE
» l'imagerie; les nombreuses éditions des divers pays ne comportent pas d'illus-
» trations ; mais au premier jour, je l'espère, Misère fera partie d'une imagerie nou-
» velle. )) Ajoutons que tous les articles insérés dans ce volume ont déjà, plus
ou moins complets, été publiés ailleurs, et nous conclurons que M. Ch. aurait
dû intituler son volume : « Etudes sur quelques points de littérature et d'imagerie
)) populaire; « c^était plus modeste, mais c'était sincère, et l'auteur n'aurait pas
risqué de mécontenter le lecteur qui, afFriandé par les promesses du titre, est fort
désappointé de trouver tout autre chose que ce qu'il cherche.
C'est encore une prétention peu acceptable, et trop familière à M. Champ-
fleury, que celle d'avoir fait des recherches immenses, de s'être plongé dans une
mer d'érudition pour composer ses petits livres : c'est ainsi que dans sa dédicace
(à notre collaborateur M. Reinhold Kœhler) il parle de son « labeur excessif, »
ailleurs (p. 5) de « l'amas et de la pesanteur des matériaux » qu'il a réunis, etc. ;
c'est ainsi que dans sa Caricature antiqueilst^l^ànx (p.viij) de son «énorme tâche,»
de « l'énorme quantité de livres qu'il a consuhés (p. xvj), » et s'écrie en termi-
nant: « Les bibliothèques m'ont vu pendant des années entrer gaiement et sortir
» soucieux, accablé de lectures. » Il est inutile d'insister ainsi sur la peine
qu'ont pu vous donner vos études; ce qui intéresse le public, c'est votre méthode
ou vos résultats ; le temps que vous avez perdu lui est complètement indifférent.
Et d'ailleurs, il faut bien le dire, les études de M. Ch. ne portent pas la trace
de travaux si considérables ; il n'a étudié de première main que ce qui concerne
l'imagerie ; ce qui touche les légendes en elles-mêmes est le plus souvent de la
compilation adroite et intelligente, mais assez facile. C'est ce qui ressortira de
l'examen de ce livre, où j'indiquerai scrupuleusement tout ce qui est vraiment
nouveau.
La Préface (p. i-1) contient des notes et des réflexions sur l'intérêt et le carac-
tère de l'imagerie populaire, beaucoup de choses justes et bien dites. En guise
d'illustrations, l'auteur donne quelques bois pris au hasard; l'un des plus curieux
est celui de la p. xxiv, planche normande, à ce que dit l'auteur (pourquoi, il ne
le dit pas), qui paraît du temps de Louis XI H. Deux personnages en regardent
ironiquement un troisième, armé d'un grand sabre et à cheval sur un ours que
tient par la bride un homme qui fait le geste d'un démonstrateur. C'est sans
doute, dit M. Ch., l'affiche de spectacle d'un montreur d'ours; l'idée est bonne;
mais je crois en outre que cette planche se rapporte à la vieille locution de
monter sur l'ours. On disait proverbialement de quelqu'un qui n'avait pas peur :
« Il a monté sur l'ours (voy. Oudin, Curiositez françaises , p. 272), » et il existe
sur ce sujet une très-curieuse pièce en patois bourguignon , intitulée le Menou
d'or, attribuée à l'année 1 6 1 1 , et réimprimée en dernier lieu dans Mignard, Hist. de
l'idiome bourguignon, p. 41 5 ; le Meneur d'ours invite successivement à monter
sur sa bête tous ceux qui ont peur de n'importe quoi, et entre autres les faux
braves, ce qui pourrait bien se rapporter à notre estampe : Ce gentilhomme de la
Biausse Qui, quand on mené le tambor. Pisse de pô dedan là chausse, Qu'ai s'en
venain montai sur l'or.
I. Le Juif-Errant (p. 1-104). Tout ce qui concerne la légende est à peu près
d'histoire et de littérature. 269
textuellement semblable à ce qu'en dit le bibliophile Jacob dans ses Curiosités de
l'histoire des croyances populaires (p. 105 ss.), et lui-même l'a sans doute em-
prunté à quelque autre, par exemple à M. Gustave Brunet, dont la Notice sur la
légende du Juif errant (i 84^) est en grande partie traduite de Graesse ; l'auteur n'a
pas profité des importantes additions que Graesse a faites à ces notices dans une
seconàe éàmon (^DerTannhaiiserunden'igeJude, 1 861), et cette omission est d'autant
plus singulière qu'à d'autres endroits il cite Graesse, en l'appelant, il est vrai, tou-
jours Grœsse, d'où je suppose que ces indications lui ont été fournies par quelque
obligeant correspondant. Comme il arrive toujours quand on travaille de seconde
ou troisième main, M. Ch. a mêlé quelques méprises à ses emprunts; ainsi d'après
lui (p. 18) « M. de Reifîenberg cite une tradition allemande, tirée des Souvenirs
M d'un pèlerinage en l'honneur de Schiller; » mais ces Souvenirs sont l'ouvrage
même de M. de Reiffenberg où il rapporte celte histoire; — p. 32, M. Ch.
écrit : « Dans les représentations sacerdotales de l'Église au moyen-âge, où le
» sacré et le profane étaient mêlés, le Juif-Errant quelquefois fit partie du drame
» en compagnie de Barabbas, de Marie-Madeleine, de l'ânesse de Balaam, etc. »
Je ne sais où l'auteur a pris cela, mais c'est certainement une erreur; sauf le récit
de Mathieu Paris, traduit par Mousket, le Juif-Errant n'est cité dans aucune
œuvre du moyen-âge ; tout ce qu'on dit de lui repose sur la fameuse lettre de
Chr)'sostomus Dudulaeus (M. Ch. s'est-il bien rendu-compte que cette lettre,
mentionnée p. 5 J, était la même que la lettre citée p. 1 3 ?). — Beaucoup plus
intéressante est la partie de cette étude qui concerne l'imagerie; là les recherches
de M. Ch. sont personnelles et elles ont en général de la précision et de la valeur;
les dessins qu'il a reproduits sont curieux ; on pourrait cependant désirer une
classification plus nette dans les estampes'. Je suis étonné de ne pas trouver
parmi les portraits du Juif celui que donne M. Ch. Nisard {Livres populaires y
2«éd., t. I, p. 494) comme tiré de l'Histoire admirable du Juif errant, édition
d'Êpinal; c'est, dit M. Nisard, « le seul consacré; » c'est en outre assurément
le plus joli. — Dans un dessin suédois extrêmement grossier, donné p. 60, et
représentant le Juif, M. Ch. voit une intention ironique : « Il y a une pointe de
» raillerie dans le personnage portant ses bottes au bout d'un bâton ; » n'est-ce
pas plutôt une allusion à son métier de cordonnier.? — Dans les notes, M. Ch.
donne la traduction, faite par M. Luzel, du guerz breton du Juif-Errant; mais il
ne fait pas à ce sujet les remarques auxquelles prête cette pièce. D'abord le nom
de Boudedeo, donné au Juif, est singulier; il répond évidemment au nom de
I . Il y a aussi quelques légèretés , même dans cette partie. Ainsi , à propos d'un bois
flamand (p. 62) où le Juif-errant devant sa porte tient un enfant dans ses bras, l'auteur fait
des réflexions sur le sens de ce détail ; il en tire des conclusions sur le caractère des Fla-
mands, etc. Mais c'est tout simplement la mise en scène d'un passage de la fameuse lettre
de 1 564, source de toutes ces représentations : « II le dit (que Jésus allait passer) à toute
» sa famille, afin qu'ils le vissent aussi, et, prenant sur son bras un de ses petits enfants
» qu'il avait, se mit à sa porte pour le lui montrer (Nisard, p. 481)- » De même dans le
livret populaire, et dans le guerz breton (Champfleury, p. 8j).
270 REVUE CRITIQUE
Buttadeus, qu'attribue au marcheur éternel un auteur du xvn'' siècle (v.Graesse,
1. 1., p. 97), et qui semble un composé de Thaddée et peut-être de Bar, défiguré
en But; mais où le poète breton a-t-il trouvé ce nom , généralement remplacé
par Ahasvérus? Le fait est d'autant plus bizarre que s'il fait dire au juif à un
endroit Moi Boudedeo le malheureux, il semble bien l'appeler ailleurs (str. 2)
Absarius, c'est-à-dire Ahasvérus. Ce guerz est d'ailleurs fondé sur le livret popu-
laire français, et en particulier la géographie fantastique qui y est exposée vient
de ce livret, dont les origines ne sont pas encore bien étudiées (voy. Nisard,
I. 1., p. 491).
2. Le bonhomme Misère (p. 105-201). Ce travail contient le charmant récit du
Bonhomme Misère tout entier. L'étude qui l'accompagne est incomplète, mais in-
téressante et semée de vues heureuses. Que le livret populaire français soit tra-
duit de l'italien, ce n'est pas douteux; je pencherais même à croire à une rédac-
tion en octaves. L'histoire a d'ailleurs le cachet très-marqué du xvii^ siècle, et
non du xvi", comme le dit M. Champfleury. Il faut distinguer deux choses dans
ce récit : les aventures en elles-mêmes, qui sont un de ces lieux communs de la
littérature populaire qu'on ne peut étudier que dans un travail spécial', — et le
nom donné au principal personnage, nom qui amène la conclusion doucement
épigrammatique : « C'est ce qui fait que Misère, si âgé qu'il soit, a vécu depuis
» ce temps-là toujours dans la même pauvreté, près de son cher poirier. Et suivant
» les promesses de la mort, il restera sur la terre tant que le monde sera monde. »
Cette allusion au dicton populaire Misère ne mourra jamais est d'ailleurs étran-
gère à l'esprit du conte lui-même, qui a un fondement mythologique tout autre.
J'ai lu quelque part, mais je ne puis actuellement dire où,uneversiondecettehistoire
où on appelle Invidia le personnage rendu immortel par sa ruse, afin de conclure
à un proverbe analogue, celui que Molière a rappelé dans Tartufe: a Les envieux
» mourront, mais non jamais l'Envie. » Le conte du Bonhomme Misère que
M. Du Méril a recueilli en Normandie et que réimprime M. Ch. n'a d'ailleurs
rien de commun avec le sujet de ce livret populaire, non plus que le Pécheur et
sa femme des contes de Grimm (cité p. 151). — Signalons le beau guerz breton,
donné p. 1 6 5 , sur /a Rencontre de Misère et du Juif-Errant (traduit par M . Luzel) ;
c'est de la poésie populaire toute moderne, amère et irritée; mais ce n'en est
pas moins de la vraie poésie populaire.
T,. Appendices. Sous ce titre, M. Champfleury a rassemblé quelques notices
publiées ailleurs, toutes curieuses et bien faites. Elles contiennent ce qu'il y a de
plus nouveau et de meilleur dans le volume. Sur ces sujets restreints dans le
temps et dans l'espace, la curiosité de l'auteur s'exerce sans être gênée par le
manque de connaissances étendues, et il déploie avantageusement ses qualités
I. Ce travail a été, sinon exécuté d'une manière définitive, du moins esquissé par Wil-
helm Grimm dans ses notes sur les Kindermarchen (t. III, 3' éd. p. 131-143). Il est singu-
lier que M. Ch., qui cite un conte de Grimm tout à fait étranger à son sujet, n'ait pas
connu cette note ou au moins le conte auquel elle se rapporte (De Spidhansd).
d'histoire et de littérature. 271
d'observateur et d'écrivain. Les images étudiées dans cette partie du volume
sont : 1° Crédit est mort la plus ancienne planche, reproduite ici, est de 16^7);
2° Images relatives à l'argent 'sont reproduites : l'Horloge d'argent, k grand Diable
d'argent) ; }» les Quatre vérités fie prêtre dit : Je prie pour vous tous, le paysan : Je
vous nourris tous, le soldat : Je vous défends tous, le procureur : Je vous mange
tous); 4^ Lustucru fbois très-curieux, représentant Lustucru, ou L'eusses tu cru,
« médecin céphalique, » reforgeant la tète des femmes ; ^° le Récollet de Châ-
teaudun histoire bizarre, reproduite dans une estampe; d'une quasi-résurrection
arrivée au xviii^ siècle, ; 6° la Danse des Morts de l'année 1849 (quelques planches,
trop petites, extraites des célèbres compositions de Rethel; . — Outre ces notices,
il s'en trouve deux qui sont consacrées à la littérature populaire : i ° la Farce des
Bossus, notice intéressante^ mais qui est loin d'être complète, sur un conte qu'on
retrouve dans un très-grand nombre de littératures orientales et européennes;
2° l'Entrée de l'abbé Chanu en paradis, extraite d'une singulière facétie normande,
qui rappelle un peu, mais sans le valoir, le fabliau du Vilain qui conquit Paradis
par plaid. — Le volume se termine par des réflexions sur l'Imagerie de l'Avenir,
et l'utilité qu'on pourrait tirer de l'imagerie populaire pour instruire et moraliser
les masses : ces pages valent la peine d'être lues.
Je ne voudrais pas avoir donné une idée défavorable du livre de M. Champ-
fleury ; l'auteur, je le répète, a droit à toute la sympathie de la critique ; mais on
la lui ménagerait moins s'il avait un peu moins de confiance en lui-même, et s'il
se donnait simplement pour ce qu'il est, un amateur zélé et un habile vulgarisa-
teur. Son nouveau volume est intéressant et souvent instructif; ce qu'on a de
plus grave à lui reprocher, c'est le titre malencontreux qu'il a pris.
Ce titre pourrait cependant avoir un avantage; il pourrait engager quelque
savant à essayer de remplir le vaste programme qu'il contient. Ce serait un
travail bien difficile, mais bien utile et bien attrayant, que l'histoire de l'imagerie
populaire depuis la Bihlia pauperum et le Compost des bergers jusqu'à la décadence
honteuse où en sont arrivées les manufactures de nos jours. Pour le mener à
bonne fin, il faudrait un archéologue consommé, qui fût en même temps au
courant des plus récentes études de littérature comparée et qui possédât dans
tous ses détails l'histoire des trois derniers siècles. Rara avis. Mais on pourrait
se partager la besogne, et quand on n'écrirait qu'une des trois parties du livre,
on aurait rendu à la connaissance de notre histoire nationale, dans le plus vrai
sens du mot, un service signalé.
G. P.
212. — Geographisches Jahrbuch, II Band, 1868, unterMitwirkungv. A. Auwers
J. J. Baeyer, etc. Herausgegeben von E. Behm. Gotha, Perthes, 1868. In-S* carré,
viij, 488 et cxiv p. — Prix : 10 fr. 75.
Cet annuaire géographique est assez bien dirigé. On y trouve les renseigne-
ments essentiels aux géographes qui, d'année en année, veulent se tenir au
272 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
courant des changements survenus dans le monde, des travaux de savants spé-
cialistes et des découvertes faites par des voyageurs.
Il se compose de quatre parties distinctes. La première a trait à la chronologie
et au calendrier : on y trouve des éphémérides géographiques dont l'utilité nous
paraît du reste assez contestable, et des détails sur la manière de diviser le temps
chez différents peuples anciens et modernes.
La seconde partie est surtout statistique; elle indique les changements survenus
dans la division politique, dans l'étendue du territoire des différents pays : l'Alle-
magne du Nord y occupe naturellement une grande place. Les résultats de
recensements nouveaux parvenus à la connaissance des rédacteurs et qui, suivant
les pays, datent de 1863 à 1867, sont donnés avec beaucoup de détails. Puis
vient pour un grand nombre de pays la liste des localités les plus importantes
(pour les pays les plus peuplés on s'est borné à celles de plus de 2000 âmes),
avec l'indication de leur population ; à la fin sont réunies , en ordre descendant,
les villes du monde qui ont plus de 100,000 âmes et celles de l'Europe qui ont
plus de 50,000 habitants. — Un tableau indiquant la longitude et la latitude de
88 observatoires, par M. Auwers et une esquisse orographique de M. de Sydow
sur les Sudètes sont joints à cette partie.
La troisième partie est aussi la plus intéressante en ce qu'elle contient une série
de rapports sur les progrès de la science géographique. M. de Baeyer résume les
progrès accomplis dans le mesurage du méridien, question pleine d'actualité;
M. de Grisebach ceux de la géographie botanique; M, Schmarda ceux des tra-
vaux relatifs à la distribution géographique des animaux; on trouve dans cet
article une analyse très-bien faite du livre de Murray {Geographical distribution of
mammals) et une bibliographie très-complète. — M. Seligmann résume l'état
actuel des études sur la théorie des races, M. Mùller (Fr.) esquisse un système
d'ethnographie linguistique. M. Fabricius expose les progrès faits et à faire dans
la statistique de la population; il recommande l'adoption d'un système uniforme
dans tous les pays, et si possible d'une même date. M. de Scherzer donne quel-
ques renseignements sur le commerce et les principaux moyens de communication.
Enfin M. Behm passe en revue les voyages géographiques les plus importants
accomplis pendant les années 1866 et 1867. C'est là le travail capital de ce
recueil ; on regrette seulement qu'à l'annuaire ne soit pas jointe une petite carte
indiquant les contrées nouvellement explorées du globe.
La quatrième partie contient simplement des tables de réductions des mesures
de longueur et de surface dans différents pays. Espérons que cette partie deviendra
inutile un jour.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
opinions de dix ouvrages sur la théorie des cas. — Mélanges : Wecklein, Anno-
tationes ad Choephoras et Eumenides .€schyli. — Grasberger, Notes critiques sur
Denysd'Halicarnasse. — Schanz, iWates critiques sur Platon. — Kessler, Horace,
Epist. I, 1 1 (propose une nouvelle explication de ce passage). — Lorenz, Sur
la critique de Plaute (continue à analyser les articles de Bugge dans la Tijdskrift
for Philologi, voy. Rev. crit. i868, n''4i, couverture). — Extraits et analyses
des journaux et recueils savants.
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vince de Bourgogne ou étude de l'histoire
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son langage. In-8*, 334 p. Paris (Aubry).
Morris (J. P.). A Glossary of the Words
and Phrases of Furness (North Lancas-
hire) with illustrative Quotations, prin-
cipally from the Old Northern Writers.
In-8'. London (Smith). 4 f. 40
Morey fj.). Le diocèse de Besançon au
XV'II' siècle. Visite pastorale d'Antoine-
Pierre de Grammont (1665-1668). In-8*,
41 p. Besançon (imprimerie Jacquin).
Notice sur le Cartulaire de l'abbaye de
Saint- André-le-Bas et sur l'appendice des
chartes relatives au diocèse ae Vienne,
formant le tome I" de la collection de
Cartulaires dauphinois, publié par l'abbé
C.-U.-J. Chevalier. In-8*, 42 p. Vienne
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Jr^ D D 17 D T' Mémoire sur les rapports de l'Egypte et de l'As-
• v^ 1 1 IL Iv 1 syrie dans l'antiquité, éclaircis par l'étude des
textes cunéiformes, i vol. in-4°. 12 fr.
ETAT T TV yf T^ r^ T T Histoire de la comédie ancienne. T. II.
. DU MERIL ,vol.in-8». 8fr.
AO A/T A r^CTT'lVÎ ■''^"^^'^^^ïés préhistoriques du Danemark.
• r . iVl A JJO lL IN — L'âge de pierre. — 1 vol. in-fol.
orné de 45 pi. 48 fr.
/^ ç r-p r-\ i-v jj y-p i^j Qi The old northern runic monuments
vJ • O 1 Cj F n LL i N| O of Scandinavia and England now first
PERIODIQUES ETRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N° 42. 9 octobre.
Théologie. Muller, Erklaerung des Barnabasbriefes (Leipzig, Hirzel; article
détaillé de_M, Hilgenfeld). — Histoire. Trinchera, Codice Aragonese 0 sia lettere
régie, ordinamenti ed altri atti governativi de' sovrani aragonesi in Napoli, etc.,
I-II (Naples, Detken et Bacholl; article peu favorable). — Klapp. Revolutions-
bilder aus Spanien (Hannover, Rùmpler). — Géographie. Lœffler, Bilder aus
Griechenland, mit beschreibenden Text begleitet von Busch, I-VII (Triest, 1869;
ouvrage intéressant). — Llngulsticjue. Histoire littéraire. Philogelos. Hieroclis et
Philagrh facetiae, ed. Eberhard (Berlin, Ebeling; édition faite avec soin, mais
le texte laisse encore à désirer). — yEschylus. Perser, erklaert von Schiller
(Berlin, Weidemann; bonne édition; bon commentaire). — Retzlaff, Vorschule
zu Homer (Berlin, Enslin; le plus intéressant est la partie appelée Antiquités
homériques, où se trouve la liste méthodique de tous les substantifs employés dans
Homère avec leurs épithètes et leur description). — Lûtjohann, Commentationes
Propertianae (Kiel, Schv^ers; début remarquable). — Richter, Œsterreichische
Volksschriften im siebenjaehrigen Kriege (Wien, Gerold).
The Athenseum. 9 octobre.
W. H. DixoN, Her Majesty's Tower; Hurst and Blackett. — St. Clément of
Rome, The two Eplstles to the Corlnthlans, a revised text with Introduction and
Notes by J. B, Lightfoot; Macmillan; « ce volume fait honneur à la science,
» au jugement et à Vorthodoxle de l'éditeur; » M. Lightfoot en effet soutient
l'authenticité de la première épître. — Terentii Comoedlae, with notes by
W. Wagner; Cambridge, Deighton, Bell and C°; art. favorable. — Calendar
of State Papers, Domestlc Séries of the Relgn of Ellzabeth, edited by Mary A. E.
Green; Longmans and C°; 2 vol., 1 595-7 et 1 598-1601. — Ch. Beke, Sur la
dérivation du mot « barge. » La discussion de l'étymologie de ce mot dure dans
VAthenaeum depuis plusieurs n"* et montre chez ceux qui y prenne part, une bien
grande ignorance de la matière. Ici M. Beke rattache à barge le mot baard qui
est le français barde, barder; renvoyé à Diez, Etym. Wœrt. I, 52 et $3, aux mots
barca et barda.
16 octobre.
The Odes and Epodes of Horace, a metrical translation by Lord Lytton;
Blackwood. — Nicholls, The remarkable Life of Sébastian Cabot of Bristol;
Low and C°; paraît fondé sur des recherches originales; le compte-rendu est du
reste dépourvu de compétence. — Lecoy de La Marche, La Chaire française au
moyen-âge; Didier. — William Llbrl; audacieux panégyrique dans lequel la valeur
de Libri comme savant est exaltée, tandis que les preuves qui ont été fournies
de ses vols dans nos bibliothèques sont considérées comme non avenues. L'auteur
semble ignorer que l'opinion publique en Angleterre, qui était dans l'origine
favorable à Libri, a subi depuis plusieurs années un revirement notable. Du
reste, s'il était nécessaire, de nouvelles preuves pourraient être ajoutées à celles
qui ont été produites. — W. S. Ellis, The Antlqultles of Heraldry ; J. R. Smith ;
l'auteur s'efforce de faire remonter jusqu'à l'antiquité la plus reculée l'usage des
armoiries, tentative qui n'est pas nouvelle.
Jahrbuch fur romanische und englische Literatur. T, X, 3" cahier.
P. 241. A. Scheler, Glanures lexlcographlques . Observations sur un certain
nombre de noms difficiles tirés de la Vie de sainte Elol, pubhée en 1859 par
M. Peigné-Delacourt. Un des prochains n"' du Jahrbuch contiendra de nouvelles
REVUE CRITIQ_UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 44 — 30 Octobre — 1869
Sommaire: 213. Wecklein, Recherches épigraphiques sur la grammaire grecque. —
214. BiELCHOWSKY, Lcs Syssities lacédémoniennes. — 215. Zingerle, Ovide. —
216. Sechetan, Le premier royaume de Bourgogne. — 2I7._Rudolphi, La famille
Froschauer. — 218. De Beauchesne, Vie de Madame Elisabeth. — 219. De
Manne et Ménétrier, Les Comédiens de la troupe de Nicolet. — Variités : Les
étudiants és-lettres en France.
213. — Curae epigraphicae ad grammaticam graecam et poetas scenicos
pertinentes, scripsit N. Wecklein. Lipsiae, Teubner, 1869. In-8*, 67 p. —
Prix : 1 tr. 7 5 .
M. Wecklein a tiré de l'étude des inscriptions attiques tout ce qui peut servir
à la détermination des formes attiques, principalement chez les poètes dra-
matiques.
1° Les désinences du datif pluriel en ^ai, -nai, amt, aai, oi<n se trouvent dans
les inscriptions antérieures à l'Olympiade 90 (420-417). L'adverbe 'Aôr.vr.ai qui
doit s'écrire sans •. souscrit est un reste de ces anciennes formes.
2° La forme la plus ordinaire du nom de Minerve est r, 'A&r.vai'a. On rencontre
assez souvent aussi '.\6r.vaa et 'Aôr.vâ.
3° L'article et les démonstratifs sont employés au duel seulement sous la forme
masculine , même quand ils se rapportent à des substantifs du genre féminin ,
Toïv, TO'j-oiv, Tw, twSe, to-jto), aùTû, etc. On rencontre le féminin duel du parti-
cipe. Le duel est d'un usage très-fréquent dans l'ancienne langue attique.
4° Les noms en sO; ont le nominatif pluriel en ^; avant la 113* Olymp. (328-
3 2 5). A partir de cette époque on rencontre plus souvent ei; et même esç. L'accu-
satif pluriel est ordinairement eo;, rarement àç, plus tard eï?.
j° La forme non contracte des noms propres en x),£t.; n'est pas rare. Le
génitif y./io-j, et l'accusatif x/î-v ne sont peut-être pas antérieurs à la 123* Olymp.
(288-28 j). Les génétifs xpàTo-j, ?àvo-j, côévou, y^vo-j, (jlevou sont du même temps.
6° 7;-j7.v6; est la forme ancienne du génitif de t^vO?.
7° La forme sûvoy; pour tlw. est d'un temps postérieur.
S° 5\jo, Syoïv sont les formes attiques et non Sûu, Syeïv ou Svaî.
9° On trouve to a-j-rôv et -à a-jTÔ, o-J6ît;, \Lrfiiic.
1 0° On rencontre ffww pour cwdto, i-e-:â.'/a.-:o, YsypàçaTat.
1 1° On a employé r,ûpéft»i, Tjûpr.Tat jusqu'à la 106^ Olympiade environ (j J6-3 5 3).
On employait aussi œfr).(ùam, à'/r,>,w9r,.
1 2° On rencontre souvent ëvexîv, et même quelquefois eïvsxa, non oOvsxa du
moins comme préposition.
1 3" On trouve souvent ttcuSm, dtvSpôiv Ivt'xa dans les inscriptions chorégiques;
viii 18
b
274 REVUE CRITIQUE
on rencontre wçeXeîv avec le datif; ôtcwç construit avec le subjonctif est presque
toujours accompagné de âv.
14° ôurix^û et non 8ur,xoù.
I 5° çàpÇai pour 9pâ|ai, çatSuvriQ; poUr çaiSpuvTïjç.
16° Les attiques ascrivaient l't dans beaucoup de formes o\x il a été supprimé,
owiCetv, èvwiSiw, 7:aTptotr,ç.
17° L'assimilation était faite dans la prononciation vulgaire, puisqu'on trouve
è[i Ileipatsï, éy '^u'-'^w, ê; 2(x[j.w, èy AÉffêou, èàji. Tiep, tw|jl {jitaOwffecov, TÔy Ypa[JLtiaTéa, tô).
XoYov. D'autre part on trouve èvyuç, èvyovoyç, nàv^O.o;.
18° On ne supprimait pas toujours dans l'écriture les voyelles élidées. Ainsi on
trouve [xi^Te àTToSÔCTÔai, Èàv Se ol, àpeT^ç te evexa.
1 9° On rencontre TàÔrivà» pour t») 'Aer,vàa, â5s),çot pour ol à5£).9ot.
20" Dans des inscriptions écrites en un temps où l'usage du signe de l'esprit
rude, H, commençait à disparaître, c'est-à-dire dans la 93" Olympiade (408-
405), on rencontre ëSpav et HotxoÙCTt, Hsxovxa, mv pour èv, HeTrî.
21° Le V euphonique est tantôt mis devant des consonnes, tantôt supprimé
devant des voyelles, sans qu'on puisse observer aucune régularité dans son
emploi.
22° âxpt et (xe'xpt sont seuls employés, même devant des voyelles.
2 3°-28o On trouve noteiôaia, <7Toà, IIsipaÉa;, Iletpaewv, Iletpasa à CÔté de
Iletpateij;, Ileipatea, ttoeïv (très-fréquemment) , (xtxpôç (plus souvent que (7[xtxp6ç),
YtYvo|xai, yiyvwaxu (constamment avant l'époque d'Alexandre).
290 La forme lOv est tombée en désuétude vers les Olympiades 90-92 (420-
409). El; se rencontre quelquefois avant Euclide (403) à côté de èç et devient
ensuite de plus en plus fréquent.
300 On trouve sans a, Sie^wjxévai, StéÇwTat, uTréÇwTat.
510 On trouve aUî, aiextaïoi, aîsToyç, aï eXàat (pour l'arbre), èxàa? (pour le
fruit).
On voit par cette analyse sommaire des résultats que M. Wecklein a tirés
des inscriptions, combien son travail est utile et mérite d'être recommandé à
ceux qui s'occupent de grammaire grecque.
214. — A. BiELCHOwsKY. De Spartanorum syssitiis. Gr. in-8', $6 p. Berlin,
Calvary, 1869. — Prix : i fr. 75.
Tout le monde connaît les repas communs des Spartiates , et leur frugalité
primitive est restée en proverbe; mais personne, à ma connaissance, n'avait
encore songé à consacrer à cette institution une étude spéciale. Un jeune docteur
de l'Université de Breslau, M. Bielchowsky, vient d'essayer de combler cette
lacune.
Après avoir rapidement indiqué les documents peu nombreux à l'aide desquels
on peut écrire l'histoire des Syssities lacédémoniennes, M. B. démontre par des
d'histoire et de littérature. 275
arguments péremptoires que le vrai nom qui leur convient est celui d'àvSpsîa
çiSiTia, ou simplement de çtoîTta; il repousse par conséquent les opinions de
Hœckh, de Gœttling, de Wachsmuth, et d'autres philologues, qui admettent soit
çiXtTta, soit çetSiTia.
M. B. prouve aussi victorieusement que les Irènes, bien que rigoureusement
ils ne fussent pas àvops;, prenaient part aux Syssities. L'erreur de Kopstadt,
d'après lequel Convivii viri tantum, i. e. ti qui triginîa annis majores erant, parti-
» cipes erant^ me paraît, en effet, certaine. — Je me sépare toutefois de M. B.
lorsqu'il déclare, p. 37, que les Syssities étaient en général composées de per-
sonnes du même âge ; in plerisque Syssitiis nonnisi viri militiae obnoxii et pares
eranî. Je crois au contraire que « les jeunes gens étaient mêlés aux vieillards
» afin de profiter de leur expérience et de s'instruire par leurs leçons. » Ce texte
de Xénophon ÇRep. Lac. V, 6) s'applique bien à la composition des phidities et
n'a pas trait seulement à la présence des enfants, admis à assister aux repas,
mais sans y prendre part (Plutarque, Lycurgae, 12. Cf. Hermann, Staatsalter-
thumer, 4^ éd. § 28, 14).
A la différence de ce qui avait lieu pour les àvopna des Cretois , les frais des
repas communs des Lacédémoniens n'étaient pas supportés par l'État; chaque
citoyen devait y contribuer par des prestations mensuelles, en nature et en
argent : environ 77 litres de farines, 36 litres de vin, une certaine quantité de
fromage et de figues et dix oboles Eginétiques (Dicaearque, apud Athenaeum,
IV, sect. 19). Quiconque ne se conformait pas à cette obligation était par cela
même déchu du droit de cité (Aristote, Polit. II, 6, § 21). Grave disposition
qu'Aristote a vivement blâmée, prouvant par là qu'il n'était pas dupe de l'illusion
de certains auteurs contemporains , qui ont cherché à l'atténuer, ou même qui
l'ont déclarée inapplicable I
M. B. trouve dans cette loi l'explication d'un fait qui surprend tous les histo-
riens. Dans un espace de 1 10 ans, de 480 à 371 av. J.-C, le nombre des
citoyens de Sparte tomba de 8000 à 1200I — Pendant la période antérieure, le
mal avait été moins grand ; les guerres que Sparte soutint contre les Messéniens
et les Argiens avaient permis de reconstituer, au moins en partie , la fortune de
ceux qui tombaient dans la misère. En outre, beaucoup de Spartiates
mettaient en pratique les doctrines qui depuis furent professées par Malthus;
afin d'échapper aux pénalités légales, ils restreignaient volontairement leur
filiation et il n'était même pas rare de voir plusieurs frères se contentant
d'une seule femme. — Mais, de 480-371, époque de crises et de guerres inces-
santes, un grand changement se produisit. La plupart des familles furent com-
plètement ruinées; d'autres, attachant moins de prix au droit de cité, abandon-
nèrent leur ancienne réserve. Les citoyens furent presque tous hors d'état d'ac-
quitter la cotisation mensuelle et on appliqua rigoureusement la loi. De là cette
réduction à 1200. — Au lendemain de la bataille de Leuctres, où périrent encore
1. Dcrerum Laconicarum constitutionis Lycurgeae origine, Greifswald, 1849, p. 134.
276 REVUE CRITIQUE
400 Spartiates, les hommes d'État durent enfin reconnaître les inconvénients
que la loi avait pour la République, et ils suspendirent son application. Dans une
autre circonstance, Agésilas avait dit : tou; vôfAouç M ari\Ltçio\ èàv xaOeOSsw (Plutarque,
Agésilas, 30). On laissa donc dormir notre loi; on se borna à reléguer dans le
peuple (5yj(ioç) et à frapper de certaines incapacités celui qui était trop pauvre
pour figurer dans les Syssities; mais on lui laissa sa qualité de citoyen. Aussi, en
244, il y avait encore 700 Spartiates, et la diminution, cette fois, peut s'expli-
quer normalement par les pertes faites sur le champ de bataille. — Ces aperçus,
que j'ai brièvement résumés, sont ingénieux et méritent de fixer l'attention des
historiens.
J'en dirai autant des développements que M. B. donne à une question sur
laquelle les savants sont loin d'être d'accord : les Syssities formées en vue des
repas communs et composées de quinze personnes étaient-elles les mêmes que
les syssities militaires dont il est parlé dans plusieurs textes (Hérodote, I, 65;
Polyen, Sîrategicoriy II, 5, 11)? — La négative est énergiquement soutenue par
Mùller, par Kopstadt Qoc. cit., p. 153), par Ruestow et Kœchly (Geschichîe des
griechischen Kriegswesens , 1852, p. 38), par Stein (Das Kriegswesen der Spartaner,
1863, p. 6). M. B. n'hésite pas cependant à adopter l'affirmative et je crois qu'il
a raison. Pour lui, Syssitia ordines virorum et civiles et militares erant (p. 33).
La syssitie militaire était au temps d'Hérodote une subdivision de la triacade,
plus tard une subdivision de l'énomotie. M. B. ne se borne pas à formuler très-
nettement son système; il réfute habilement les principales objections qui peuvent
lui être adressées, notamment celle qui est tirée du silence de Xénophon {Rep.
Lac. XI, 4) et de Thucydide (V, 68) dans leur énumération des diverses parties
de l'armée lacédémonienne; il s'attache enfin à démontrer les inexactitudes et les
incohérences qui se rencontrent dans les systèmes présentés par ses adversaires.
— Cette partie de la dissertation est très-complète, et ceux qui dans l'avenir
auront à traiter de l'organisation militaire de Sparte devront nécessairement la
consulter.
Je ne saurais approuver cependant une correction trop hardie que M. B. pro-
pose d'apporter à un texte de Plutarque et qui, si elle pouvait être admise, ferait
disparaître le principal argument des partisans des deux s'yssities. — Le roi Agis
a résolu de rétablir la discipline des anciens Spartiates et notamment les syssities;
d'après le texte vulgaire, il veut (rûv-ra^iv toutwv elç irevrexatSexa yevé<s^a.i çiSkta xatà
TETpaxoaioyç xal Staxoaiouç (Pluiav que, Agis, S). M. B. fait remarquer très-justement
qu'il est impossible de reconnaître dans ce passage la vieille organisation des
repas publics; il propose donc de le modifier et de lire : aûvra^v toutwv elç
Tptaxôaia YcvÉTÔat çt5tTia xatà usvTsxaiSexa. — Fort heureusement, la thèse de
M. B., qui est aussi la mienne, peut être défendue par de meilleurs arguments;
car, si elle ne devait prévaloir que lorsque cette correction sera unanimement
admise, son triomphe serait longtemps ajourné.
E. Caillemer.
d'histoire et de littérature. 277
21 5. — Ovidius und sein Verhaeltniss zu den Vorgaengern und gleichzeitigen rœmischen
Dichtern, von Anton R. Zingerle. i. Heft. Ovid, Catull, Tibull, Properz. Innsbruck,
Wagner, 1869. 136 p. — Prix : 3 fr. 25.
M. Zingerle s'est proposé pour une partie des poèmes d'Ovide un travail
analogue à celui qui a été fait souvent pour les poètes latins. Il a recueilli avec
une rare patience et en mettant une certaine méthode dans la manière dont il
expose le résultat de ses recherches, toutes les pensées, toutes les images, tous
les tours de phrase ou de versification qui constituent à ses yeux chez ce poète
soit des réminiscences, soit des imitations. De plus il a ajouté, ce que ne men-
tionne pas le titre, l'indication de tous les passages dans lesquels Ovide s'est en
quelque sorte copié lui-même. Sans vouloir absolument nier l'utilité d'une pareille
entreprise, bien faite assurément pour nous initier aux procédés techniques de la
versification latine et pouvant de plus rendre quelquefois service à la critique
verbale, je ne saurais cependant lui accorder l'importance que l'auteur semble y
attacher. Les conclusions qu'il voudrait en tirer me semblent en tout cas infirmées
par deux considérations. Tout d'abord la poésie latine en général et en particu-
lier la poésie élégiaque n'a fait que se mouvoir dans un cercle passablement
restreint. Quoi de plus naturel par conséquent que la reproduction fréquente des
mêmes idées, des mêmes comparaisons, des mêmes expressions? A cela vient
s'ajouter encore l'imitation des mêmes modèles. Le second point qu'à mon avis
M. Z. a peut-être trop perdu de vue, touche aux conditions particulières même
où se trouve placée la versification latine. Plus que toute autre et pour des
raisons qui ont été développées dans un livre trop peu connu de M. Kœne',
elle obéit à des lois qui lui sont imposées par des nécessités prosodiques. C'est
là ce qui explique suffisamment pourquoi tel mot donné revient nécessairement
à telle place déterminée du vers. Pour ne citer qu'un exemple, M. Z. réunit de
cette façon tous les vers d'Ovide où les mots miserabilis et miserabile forment
l'avant-dernier mot de l'hexamètre. Il suffit d'ouvrir l'index d'Erythraeus sur
Virgile pour rencontrer exactement le même nombre de vers offrant la même
particularité. Il en est de même d'une foule d'autres cas. Je ne serai probablement
pas de l'avis de tout le monde en osant prétendre que ce qui, au point de vue
philologique constitue un désavantage évident, j'allais dire une infirmité évidente,
a contribué dans une certaine mesure à assurer le succès prolongé dont jouit la
versification latine. Dans tous les cas, et c'est ce que prouve surabondamment
le travail de M. Z., il n'est pas précisément nécessaire de descendre jusqu'aux
poètes latins modernes, pour arriver à constater une ressemblance frappante
entre certains procédés de la versification latine et ceux employés pour le travail
de la mosaïque.
Emile Heitz.
Kœne, Uebcr die Sprache der rœmischen Epiker, Mùnchen, 1840. In-8*
278 REVUE CRITIQUE
216. — Le premier royaume de Bourgogne, par Éd. Secretan, professeur de
droit. Lausanne, 1868. In-8*, 17$ p.
L'apparition simultanée du livre de M. Binding (voy. notre précédent n») et
de celui de M. Secretan sur l'histoire des Burgundes est une fâcheuse coïncidence
pour ce dernier. La comparaison nous rend peut-être à son égard d'une sévérité
exagérée, et le superbe mépris dont M, S. couvre tous ceux qui ne partagent pas
ses opinions, n'est pas fait pour nous désarmer. L'opuscule de M. S. se divise
comme l'œuvre de M. Binding en deux parties : une étude sur l'histoire des
Burgundes et une étude sur leur législation. La première partie est la moins
bonne. Au lieu d'user d'une sage réserve, comme M. Binding, M. S. a donné
une extension disproportionnée à la période primitive et tout à fait incertaine de
l'histoire burgunde. Il consacre 50 pages aux événements qui précèdent l'arrivée
des Burgundes en Sabaudie et à un interminable récit de la bataille de Châlons,
et 48 à la période qui suit, la plus importante pour l'histoire comme pour le
droit. Il aurait dû se contenter de renvoyer pour la première période à son livre
sur la tradition des Nibelungen, qui a été déjà apprécié dans la Revue K L'histoire
même des rois burgundes est traitée d'une manière superficielle et avec une
connaissance incomplète des textes. Je ne citerai que quelques-unes des erreurs
où est tombé M. S. pour montrer combien il serait dangereux de se fier à ses
assertions, car M. S. affirme plus qu'il ne prouve. P. 24 : Paul Diacre (740-
790) n'est point un contemporain de Jornandès (vers 552). P. 29: le rang où un
peuple est cité dans une énumération n'a souvent rien à faire avec son impor-
tance, d'ailleurs M. S. doit avoir cité Jornandès (c. 36) sans avoir eu le texte
sous les yeux, car les Burgundes s'y trouvent au 5" et non au 3* rang. P. 56 :
Marius ne mourut pas en 601, mais en 593. P. 57 : M. S. cite comme tiré de la
chronique d'Eusèbe qui se termine en 329, un passage dont le début se rapporte
à l'année 377 et la fin aux années 443-456. Ce passage est tiré de la chronique
dite de Frédégaire (II, 46); les deux premières lignes sont extraites de la chro-
nique de saint Jérôme (ad ann. 377), continuateur d'Eusèbe, et le reste est
ajouté par le chroniqueur, d'après une source qui nous est inconnue. Le témoi-
gnage est donc du vii^etnon du v^ siècle. M. S. d'ailleurs méconnaît entièrement
l'établissement des Burgundes en Sabaudie en 443 et le confond avec leur entrée
en Viennoise en 456, ce qui ne l'empêche pas de traiter de fort haut ceux qui refu-
seraient de se rendre au soi-disant témoignage d'Eusèbe! (p. 60). P. 69:«leshis-
» toriens disent que » quels historiens? P. 72 : «ChilpériketGodomars'al-
» lièrent aux Alamans contre leur frère Gundebaud. » Cela est de pure inven-
tion. M. S. l'a lu sans doute dans les historiens? P. 73 : M. S. dit que la femme
de Hilperik s'appelait Agrippine. Pourquoi pas Tanaquil aussi ? Voici le passage
de Sidoine Apollinaire sur lequel il s'appuie (V. 7): « tempérât Lucumonem
» nostrum Tanaquil sua nostrumque Germanicum praesens Agrippina mode-
I. Rev. crit., 1866, art. 115.
d'histoire et de littérature. 279
» retur » P. 7$ : M. S. semble croire que les récits de Grég. de T. et de
Frédégaire sur le mariage de Hrôtehild sont identiques. Ils diffèrent profondé-
ment. Ibid. : Ce n'est pas à Tolbiac que Chlodovech a battu les Mamans (v.
Junghans : Gesch. Childerichs und Chlodov. p. 39-41)' •^^'^- • La présence à
Epaône en J17 de l'évêque de Windisch ne prouve pas que Gundobad eut
conquis cette ville en 496, et la part que M. S. lui fait prendre à la guerre contre
les Alamans, est une hypothèse sans fondement. P. 82 : Gundobad ne put pas
confier à Avitus, en 501 , l'éducation de Sigismond, qui à cette époque avait plus
de trente ans, était marié et avait même deux enfants. P. 82 : Gundobad ne fut
pas du tout passif dans la guerre wisigothique. Il y prit part comme allié de
Chlodovech (v. Isid. Hisî. wisig. era 521).
La seconde partie de l'opuscule de M. S. est meilleure que la première. Elle
consiste en une analyse assez bien faite des diverses institutions burgundes. Mais,
des deux questions les plus intéressantes que soulève l'histoire de la législa-
tion, l'une est à peine effleurée, sur l'autre M. S. s'est complètement trompé.
M. S. en effet n'a pas étudié l'influence de l'histoire des Burgundes sur leur
législation; il n'a pas cherché à déterminer si le texte que nous possédons est
une réunion de lois faites à diverses époques ou bien la dernière codification offi-
cielle. C'est pourtant là une question capitale pour l'histoire du droit. Quant au
partage des terres sur lequel repose pour ainsi dire toute la législation burgunde,
M. S. a suivi le plus dangereux des guides, M. de Gingins-la-Sarraz', dont les
hypothèses pleines d'imagination n'ont qu'un défaut, c'est de n'avoir aucun
rapport avec les textes très-précis que nous possédons. Nous nous contentons de
renvoyer M. S. à l'appendice IV de M. Binding, où il a fait Justice de ces
étranges idées. Ce qui dans le volume de M. S. mérite le plus l'attention, ce sont
les appendices D et E sur les institutions rurales de la Suisse au moyen-âge.
Mais elles n'ont qu'un rapport éloigné avec les institutions burgundes. Ce serait
une tâche superflue que de vouloir indiquer les nombreux errata dont fourmille
l'opuscule de M. S. Mais on s'étonne d'y trouver des fautes de français, telles
que : « Gondebaud en fut imputable » (p. 73).
M. S. qui est connu comme un juriste de mérite, aurait mieux fait d'attendre
pour publier son travail d'avoir pu l'approfondir davantage. Une publication
aussi hâtive et aussi incomplète, ne peut que nuire à sa réputation sans bénéfice
pour la science. G. Monod.
217. — Die Buchdrucker-Familîe Froschauer in Zurich, 1 521-1595, von
E. Camillo Rudolphi. Zurich, Orell, Fuessli et C*, 1869. In-8*, vij-91 p. — Prix :
S fr-
Les Froschauer tiennent un rang distingué dans cette cohorte brillante de typo-
graphes du xvi*^ siècle, aussi recommandables par leur activité que par leurs con-
naissances et par leur dévouement à la noble industrie à laquelle ils consacrèrent
I. Gingins-la-Sarraz: Essai sur l'établissement des Burg. en Gaule. Mém. de l'Ac. de
Turin. T. XL, i" série (18} i).
28o REVUE CRITIQUE
tous leurs moments. Christophe Froschauer, né à Neuburg en Bavière, fut le chef
d'une race vaillante ; on croit qu'il était fils de Jean Froschauer, imprimeur à Augs-
bourg et que l'époque de sa naissance est entre 1480 et 1490. En 1 5 19 il obtint
à Zurich où il s'était établi, le droit de bourgeoisie, et il établit dans cette ville un
atelier typographique qui acquit bientôt de l'importance. Le premier ouvrage
qu'il mit au jour est daté de 1 5 2 1 ; c'est une traduction allemande d'un traité
d'Erasme. Partisan zélé de la Réforme, Froschauer multiplia les éditions de la
Bible en diverses langues, et il fut l'éditeur de la plupart des écrits de Zwingle
et de Bullinger; des ouvrages de divers savants distingués, tels que Bibliander
et Pierre Martyr, sortirent également de ses presses. L'étendue croissante de ses
travaux l'amena à prendre pour collaborateur son frère Eustache et ses deux
neveux, Eustache et Christophe; après sa mort, survenue le i^"" avril 1 564, ce
fut ce dernier qui lui succéda; il mourut à son tour le 2 février IS85, sans
laisser d'enfants; ses héritiers continuèrent d'imprimer en mettant au frontispice
de leurs livres : ex officina Froschoveri; en 1 590, ils cédèrent leurs ateliers à Jean
Wolf de Zurich qui continua encore, pendant quelques années, d'employer les
mots : typis Froschovianis. M. S. Vœgelin a consacré au typographe qui nous
occupe une sérieuse étude biographique : Chr. Froschauer d'après sa vie et ses
œuvres, Zurich, 1840, in-8°; mais il restait à faire le relevé exact et complet des
productions mises au jour par cette famille, et c'est ce que M. Rudolphi s'est pro-
posé de faire; c'est ce qu'il a exécuté avec beaucoup de soin. Il a fouillé la
bibliothèque municipale de Zurich, dont le catalogue, publié en 1864, occupe
4 volumes; il a fait des recherches chez des libraires et dans les cabinets de
quelques amateurs; il a interrogé les divers ouvrages de bibliographie (notam-
ment les Annales, habituellement fort exactes de Panzer) et il a eu la bonne
fortune de pouvoir consulter deux catalogues des productions de la typographie
de Froschauer, publiés par elle-même et dont il n'existe peut-être plus qu'un
seul exemplaire. Le catalogue contient en tout 86$ numéros; les 47 premiers se
rapportent à des éditions sans dates; les autres s'étendent de 1521 à 1595.
Parmi les nombreux ouvrages qui s'offrent ainsi à nos yeux, nous signalerons la
comédie de Gnaphseus Acolastus, dont le succès fut très-vif au xvi^ siècle, deux
éditions d'Esope en latin, comprenant aussi les fables d'Abstemius et les facéties
de Pogge; la comédie de Bétuleus, Susanna, les Eglogues de Calphurnius, trois
éditions des distiques attribués à Caton; trois éditions grecques d'une partie des
œuvres d'Hésiode; les Emblemata de Georgette Montenoy; l'Historia Anglorum
de Mathieu Paris, trois éditions de Térence, deux de Virgile. On observe aussi
dix ouvrages différents d'Érasme en latin ou en allemand (quelques-uns d'entre
eux réimprimés plusieurs fois); sept ouvrages de Luther, quinze de Pierre Martyr,
vingt-quatre du médecin-naturaliste Conrad Gesner, soixante-six de Zwingle, et
jusqu'à quatre-vingt-quinze ouvrages de Bullinger (plusieurs d'entre eux réim-
primés à diverses reprises). La. Bible anglaise de i j^j (la première traduction
anglaise protestante de l'Ancien et du Nouveau Testament tout entiers), n'est
pas signalée, par le motif sans doute qu'il n'est pas certain qu'elle soit sortie des
d'histoire et de littérature. 281
presses de Froschauer, auxquelles divers bibliographes l'ont attribuée'; mais
nous trouvons mentionnée la Bible de 1 5 50, in-4°; elle ne porte pas le nom de
Froschauer, mais Pexempl. conservé à la bibliothèque de Zurich pone une note
autographe du t}-pographe qui ne laisse aucun doute à cet égard *.
L'immense majorité des productions mises au jour par Froschauer et ses suc-
cesseurs se rapportent à l'explication de la Bible et à la controverse religieuse;
on y voit ainsi un témoignage certain de la disposition des esprits en Suisse au
xvi^ siècle. Il serait d'ailleurs superflu de signaler l'utilité que présentent de sem-
blables bibliographies spéciales au point de Mie de la connaissance des livres.
L'inventaire raisonné des travaux de chaque imprimeur célèbre, fournirait d'ex-
cellents matériaux pour l'histoire littéraire; M. Rudolphi a fait pour Froschauer
ce que Renouard a accompli pour les Aide et les Estienne, Pieters pour les
Elzevier, F. Federici pour la tipografia vulpi-cominiana, Lama pour Bodoni. Il
est fort à désirer que cet exemple trouve de nombreux imitateurs.
218. —la, vie de Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI, par M. A. de Beau-
CHESNE, ouvrage enrichi de deux portraits gravés en taille- douce sous la direction de
M. Henriquet Dupont, par Morse et Emile Rousseau, de fac-siraile d'autographes et de
plans, et précédé d'une lettre de Mgr. Dupanloup, évêque d'Orléans. Paris, H. Pion,
1869. 2 vol. in-8*, XX- 568 et 608 p. — Prix : 16 fr.
Il serait temps d'en finir avec ces certificats apostoliques décernés par l'évêque
d'Oriéans à tous les livres où la Révolution est attaquée sans raison, ni mesure,
où l'ancien régime est exalté et défendu avec plus de vivacité que de prudence,
avec plus de conNÏction que d'habileté. Sans doute le prélat ne lit pas les livres
qu'il recommande; l'orthodoxie de l'auteur lui est une garantie suffisante du
mérite de ses œuvres. La lettre sur la vie de Madame Elisabeth le prouve assez.
Mais peut-être le patron des publications catholiques va-t-il un peu trop loin quand
en tête d'un ouvrage qui prétend occuper une place parmi les livres d'histoire, il
accueille des récits comme celui-ci : « On dit, les contemporains l'affirment,
» qu'au moment où cette angélique créature mourut, il se répandit comme il
» arrive quelquefois à la mort des saints, un parfum sur toute la place
)) Louis XV. ' » Il n'en faut pas davantage pour mettre un leaeur sérieux en
défiance contre une histoire qui débute de cette manière.
1. On l'a aussi mise sur le compte d'Egenolph de Francfort; d'autres auteurs ont parlé
de Cologne ou de Lubeck. Cet in-folio, gothique, à 2 colonnes, avec des gravures en bois
de H ans Sebald Beham, est décrit en détail dans le Bibliographer's Manual de Lowndes
(2* éd. Londres, 1857), 1. 1, p. 174. On n'en connaît pas un seul exemplaire parfaitement
complet; les bibliophiles anglais recherchent avec ardeur ce volume qui s'est payé de 60
à 120 liv. ster. en vente publique et même, en 1857, un exempî. s'est élevé à 190 liv.
quoiqu'une vingtaine de feuillets manquants eussent été refaits à la plume.
2. Voir au sujet de cette édition Lowndes, p. 179. Il parait q^u'on n'a pas encore vu
passer aux enchères d'exemplaires parfaitement complets, ce qui n'a point empêché de
payer de 50 à 38 liv. ster. ceux qui se sont montrés dans les auctions de Londres. Lowndes,
p. 2625, parle en détail de l'édition précieuse du Nouveau Testament imprimé en 1 550;
on n'en connaît qu'un très-petit nombre d'exemplaires.
3. Nous voyons, p. 230, t. II, que l'auteur de la biographie renchérit sur l'évêque
282 REVUE CRITIQUE
La vie de Madame Elisabeth ne fera pas revenir le lecteur impartial des pré-
ventions que lui auront inspirées les termes de la lettre de l'év.êque d'Orléans.
Avant tout est-ce bien la vie de Madame Elisabeth que nous avons sous les yeux?
Il est de ces personnages historiques dont le rôle secondaire et effacé ne saurait
fournir les éléments d'un livre étendu. D'abord, en les tirant de leur obscu-
rité, on leur nuit, bien plus qu'on leur rend service ; la première place dans un
livre ne leur convient pas et un auteur a beau vouloir la leur conserver, il ne
peut y parvenir, sous peine de bouleverser toutes les proportions des événements.
Ainsi il est réduit ou bien à isoler son héros du milieu dans lequel il a vécu, en
ne racontant que ce qui le concerne strictement, ou bien à admettre pour la
clarté de son livre un grand nombre de détails qui n'ont que très-indirecte-
ment rapport au sujet principal.
Si le premier système eût été adopté, la biographie complète de Madame
Elisabeth eût parfaitement tenu dans un volume de cent à deux cents pages. Nous
allons examiner comment l'auteur est parvenu à l'étendre jusqu'à douze cents.
En passant en revue les chapitres de ce livre, nous remarquons tout
de suite qu'un certain nombre d'entre eux n'ont qu'un rapport très-indirect avec
la biographie de Madame Elisabeth. D'abord l'Introduction consacrée aux der-
nières années du règne de Louis XV (48 pages) lui est entièrement étrangère.
Le livre premier (p. 49-114) intitulé: Éducation de Madame Elisabeth ; —
Mariage de Madame Clotilde, — serait diminué de plus de moitié si on retranchait
tous les développements sur la mort de Louis XV et le commencement du règne
de Louis XVI, Le livre deuxième (p. 1 1 5-222) est aussi singulièrement grossi
de détails intempestifs sur la mort de Marie-Thérèse d'Autriche, sur les modes
et les fêtes du temps, sur la guerre d'Amérique, et aussi de lettres de Madame de
Bombelles à son mari. Enfin nous arrivons à l'installation de Madame Elisabeth à
Montreuil et à la vie qu'elle menait dans cette retraite. De tout l'ouvrage la fin
du livre deuxième est peut-être la partie qui renferme sur la sœur de Louis XVI
les renseignements biographiques les plus intéressants. En vain l'auteur consacre-
t-il encore deux chapitres (livre troisième — 1783 à 1786, et livre quatrième —
janvier 1787 à septembre 1789) à conduire la vie de son héroïne jusqu'à la
Révolution; il est obligé, malgré les correspondances auxquelles il a souvent
recours pour dissimuler l'absence des faits, d'introduire dans son récit des digres-
sions continuelles sur l'état politique de la France et des autres puissances, et de
ménager par des transitions habiles, des excursions sur un domaine entièrement
étranger à la vie de Madame Elisabeth. Nous arrivons à la Révolution; ici l'au-
teur est sauvé; par un procédé commode et dont il ne possède pas d'ailleurs
l'usage exclusif, il raconte tout simplement la Révolution ; seulement le nom de
Madame Elisabeth revient de temps en temps, le plus souvent possible, dans le
récit, comme un refrain, afin de prouver au lecteur que l'écrivain ne perd pas
de vue son titre.
d'Orléans. D'après lui, tous les mémoires seraient d'accord sur ce miracle, et il spécifie
le parfum, c'est une odeur de rose.
d'histoire et de littérature. 28j
A partir du second volume la tâche devient encore plus facile ; les deux pre-
miers chapitres reproduisent la relation de la captivité de la famille royale au
Temple, telle qu'elle se trouve déjà dans Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort.
Le livre suivant (p. 149-191) est consacré au séjour de la princesse au Temple
depuis le départ de Marie-Antoinette, et à son interrogatoire; on en trouverait
aussi une grande partie dans l'ouvrage cité plus haut. Enfin le dernier livre est
intitulé : Meurtre de Madame Elisabeth. A partir de la page 263, ce volume est
grossi de lettres, de documents, dont nous aurons tout à l'heure à examiner
l'importance et l'utilité.
Pour résumer ce qui précède, les détails intéressants pour la vie de Madame
Elisabeth ne tiennent pas plus de trois cents pages dans ces deux volumes, et
certes ils gagneraient à être réduits de moitié.
S'il est un personnage de l'époque de la Révolution qui ait réussi à trouver
grâce devant tous les historiens, c'est assurément Madame Elisabeth. Les détrac-
teurs les plus violents de la famille royale l'ont épargnée, ont reconnu ses mérites
et l'inutilité de sa condamnation. La tâche était donc facile pour un apologiste;
encore ne fallait-il pas compromettre cette victime sympathique par une exagé-
ration de zèle. Que la princesse, imbue dès son enfance des principes du droit
divin et du pouvoir absolu, ait déploré, condamné même les tendances de
l'Assemblée nationale et les atteintes portées à la puissance royale, nous ne voyons
là qu'un sentiment très-naturel et même fort excusable; mais son biographe la
compromet plus que pourrait le faire l'ennemi le plus acharné quand il la repré-
sente animée de sentiments réactionnaires et s'efForçant d'inspirer à son frère des
mesures rigoureuses. La scène a lieu lors des journées des 2 et 3 octobre. « De la
» terrasse de son jardin, dit l'auteur, dès qu'elle aperçoit les premières troupes
» s'avançant dans l'avenue de Paris, elle pense qu'une répression vigoureuse et
» immédiate peut épargner bien des malheurs. Il lui semble évident que quelques
j> coups de canon, en repoussant l'avant-garde de l'anarchie, iraient jeter la con-
» fusion dans les bataillons qui suivent, et, en imposant à la partie hostile de
» l'Assemblée d'utiles réflexions, relèveraient le moral de tous les amis de l'ordre
» effrayés de la pusillanimité du gouvernement. Madame Elisabeth accourt au
» palais ; elle développe son idée avec cette fermeté de raison et cette éloquence
» du cœur que Dieu lui avait départie, etc. » Ainsi, elle aurait conseillé d'em-
ployer le canon contre une troupe de femmes manquant de pain. Voilà une sin-
gulière manière de défendre une princesse reconnue jusqu'ici innocente de toute
complicité dans les mesures impopulaires prises à ce moment même par la cour.
J'aime mieux la croire étrangère au repas des gardes du corps dans la salle de
spectacle du château, comme à toutes les menaces par lesquelles la cour espérait
intimider alors l'Assemblée. Au reste le biographe, suivant une habitude à peu
près invariable, ne donne pas les preuves de son assertion, alors qu'il aurait
besoin, pour la faire accepter, des preuves les plus fortes.
Nous n'insisterons pas davantage sur l'esprit général de l'ouvrage. Nous vou-
lions seulement indiquer comment la meilleure cause peut se trouver corapro-
284 REVUE CRITIQUE
mise par des arguments malhabiles. Il nous reste à entrer dans le détail des faits
et à relever un certain nombre d'inexactitudes.
P. xj de la préface au lecteur : « Des pères comme Loizerolles donnaient leur
» vie pour leur fils. » Cette phrase prouve que l'auteur ne tient aucun compte
des travaux récemment publiés sur la Révolution, ou ne les connaît pas, ce qui
est aussi grave. Le Tribunal révolutionnaire de M. Campardon a fait justice de cette
fable pathétique de Loizerolles père se substituant à son fils endormi. Les preuves
données par M. Campardon sont irréfutables. Il serait trop long d'entrer ici dans
le détail de cette affaire; au reste M. Louis Blanc a reproduit les arguments
fournis par l'historien du Tribunal révolutionnaire. C^est donc un fait acquis, qui
ne devrait plus être mis en question. Et cependant nous lisons dans une note
cette incroyable affirmation : « La substitution de Loizerolles père à son fils
» n'est restée un doute pour personne ; Fouquier, dans son procès, fut obligé
)) d'en convenir, et il rejeta la faute sur son substitut Lieudon (lisez Liendon). »
— P. 175. Une note renvoie à une lettre du 5 novembre 1781 dans le deuxième
volume. Nous avons vainement cherché dans ce volume une lettre portant cette
date. — P. 247. Une page presque entière nous représente Madame Elisabeth
présidant à la destruction des hannetons dans son domaine de Montreuil et aux
environs. C'est grâce à des détails de cette importance que le biographe a pu
délayer en deux volumes un sujet qui n'en comportait pas même un. Il est
malheureux qu'il ne nous dise pas à quelle source il a puisé ce renseignement.
— P. 272. « Louis XVI qui savait résister héroïquement à la force. » Il faut
beaucoup de bonne volonté pour trouver de l'héroïsme dans le pauvre monarque.
On ne sait que trop comment il compromit toujours par des hésitations et des
restrictions peu honorables l'effet des mesuresles plus populaires. Est-ce là ce que
l'auteur appelle une héroïque résistance à la force. — P. 3 1 5. L'historien parle d'une
« narration exacte et inédite » du retour du roi à Paris, après les journées
d'octobre; mais il omet de nous en indiquer l'auteur, ce qui serait pourtant utile
afin que le lecteur fût édifié sur la valeur de cette narration inédite. — P. 374.
Est insérée la relation du retour du roi après son arrestation à Varennes, écrite
par Pétion. Ce hors-d'œuvre, publié déjà in extenso par M. Mortimer-Ternaux,
puis par M. Dauban, occupe fort inutilement vingt pages; les passages relatifs à
Madame Elisabeth, sont connus; on pouvait dans tous les cas réduire la citation
à la partie qui la concerne et indiquer aussi que ce « récit, copié sur le manuscrit
» original, dont les fautes de langage et les fautes d'orthographe sont conservées »
n'est pas publié pour la première fois. Tirer des fautes d'orthographe ou de
français d'un personnage de cette époque une source d'épigrammes contre lui,
nous paraît une tactique assez maladroite; car si l'auteur reproduit l'orthographe
de Pétion dans toutes ses excentricités, nous avons le droit d'exiger qu'il applique
le même système aux lettres de Madame Elisabeth , et il s'en garde bien. Il
est à noter que les passages les plus caractéristiques de cette relation, ceux qui
auraient le plus de raison de figurer ici, je veux dire certaines confidences gro-
tesques de Pétion sur la sensibilité de sa compagne de route, sont singulièrement
' d'histoire et de littérature. 285
écourtées. Cette étrange pudeur Vexplique par la nécessité de mériter la recom-
mandation apostolique qui aurait pu s'effaroucher des étranges fatuités de Pétion.
— P. 410. L'auteur accompagnant le nom de Marat, de ceux de Chabot, de
Legendre et de Couthon, paraît croire qu'il siégea avec eux à l'Assemblée légis-
lative. C'est une erreur qui frappera tout lecteur attentif. — P. 464. Le récit de
la journée du 10 août, se termine par cette appréciation : « Les Tuileries,
» malgré la légende révolutionnaire qui a défrayé presque tous les historiens
» n'ont pas été prises d'assaut ; elles ont été envahies, après avoir été évacuées
» sur un ordre signé de la main du Roi. » Ce passage nous donne une idée des
procédés habituels des historiens dits royalistes. Louis XVI avait-il pris le parti
de la résistance armée ? Ses partisans vinrent-ils en armes pour combattre et
mourir autour de lui ? Les Suisses luttèrent-ils jusqu'au dernier moment contre les
bandes qui occupaient la place du Carrousel ? Enfin y eut-il oui ou non un combat
sérieux devant les Tuileries ? Dire après cela que les Tuileries n'ont pas été
prises d'assaut, c'est jouer sur les mots. Peu importe que Louis XVI, qui avait
d'abord pourvu à sa sûreté personnelle, ait ensuite donné aux survivants l'ordre
de cesser une résistance inutile.
Sur les vingt-cinq notes, documents et pièces justificatives qui terminent ce
premier volume, il n'en est pas cinq qui aient spécialement rapport à la vie de
Madame Elisabeth. L'auteur a entassé ici des documents de toute provenance,
se rattachant de près ou de loin à son sujet, comme ceux-ci : Plan d'études pour
l'éducation du duc de Berry (Dauphin, puis Louis XVI). — Mémoire de la
noblesse remis à Louis XVI par l'évêque de Noyen. — Réponse du Roi au
mémoire de la noblesse. — Notes sur les prières adressées de toutes parts pour
le repos de l'âme de Louis XV. — Discours de Gresset, directeur de l'Académie
française adressé au roi Louis XVI, lors de son avènement à la couronne, etc.
Mais c'est surtout à la fin du deuxième volume que se trahit la préoccupation de
suppléer à l'insuffisance de la matière et à l'aridité du sujet par un renfort de
pièces et de documents, publiés ou inédits, puisés à toutes les sources, sans
aucun choix. Ainsi dans l'Appendice résen'é aux recherches faites pour découvrir
et reconnaître le corps de Madame Elisabeth, soixante-dix pages sont occupées
par l'énumération de toutes les personnes condamnées par le tribunal révolu-
tionnaire, qui ont été ensevelies dans le même cimetière que la princesse. A la
p. ^ 58 l'auteur cite un certain Potier (Delille), natif de Lille; il est évident que
le lieu de naissance a été pris par erreur pour un nom propre.
Après cet Appendice, vient un certain nombre de lettres de Madame Elisabeth;
nous comprendrions à la rigueur cette addition, si M. Feuillet de Conches n'avait
fait de la correspondance de la sœur de Louis XVI l'objet d'une publication parti-
culière; le biographe pouvait se contenter de renvoyer au livre de M. Feuillet
de Conches; au contraire il n'indique même pas, suivant son habitude, la prove-
nance des lettres qu'il publie. Viennent ensuite un certain nombre d'actes concer-
nant la princesse; nous n'avons point d'objection contre leur présence ici;
puis d'autres qui ont rapport soit aux domestiques, soit à la maison de cam-
286 REVUE CRITIQUE
pagne de Madame Elisabeth ; les documents relatifs à la maison de Montreuil
seuls occupent près de i $o pages. C'est beaucoup trop pour l'intérêt qu'ils
présentent.
Nous n'insisterons pas davantage sur un ouvrage dont l'influence après tout
ne saurait être bien fâcheuse. Fait pour attendrir les âmes sensibles, comme on
disait en 1793, il arrivera à son but et l'auteur sera satisfait, sans avoir rien
changé ni rien appris à l'histoire. Il a même ignoré certains faits qui avaient
bien leur importance. Le décret qui renvoyait, le i" août, Marie-Antoinette
devant le tribunal révolutionnaire , contenait sur Madame Elisabeth un article
spécial qui devrait bien figurer dans sa biographie. Le voici, tel qu'il se trouve
aux procès-verbaux imprimés de la Convention : « VIL Tous les individus de la
» famille Capet seront déportés hors du territoire de la République, à l'exception
» des deux enfants de Louis Capet et des individus de la famille qui sont sous
» leglaivedela loi. — VIII. Madame Elisabeth ne pourra être déportée qu'après
» le jugement de Marie-Antoinette. »
Le style de cette biographie est agréable, élégant, même parfois jusqu'à la
recherche et l'emphase, sans parler des violences de langage qui sont les défauts
ordinaires de ces réquisitoires. On trouve fréquemment des phrases comme celle-
ci ; « Les révolutionnaires de la veille sont dévorés par ceux du lendemain.
» Malheur à qui s'arrête! le char de la révolution ne s'arrête point, et ce char
» homicide qui porte les idoles de la journée continue à avancer en broyant les
» retardataires sous ses roues. « Emporté par le lyrisme de son transport, l'au-
teur ne s'est pas aperçu qu'un char ne saurait broyer des retardataires, c'est-à-
dire des gens qui viennent derrière lui, en retard.
Les deux portraits de Madame Elisabeth nous la montrent avant la Révolution
et après la chute de la royauté. Les artistes qui les ont gravés, ne méritent que
des éloges; nous aimerions assez que l'éditeur fit disparaître l'innocente réclame
dont M. Henriquel Dupont consent à prendre la responsabilité en autorisant à
dire que les gravures ont été dirigées par lui. Outre ces portraits, l'ouvrage
renferme un plan de la propriété de Madame Elisabeth à Montreuil, plusieurs
plans de la tour du Temple qui avaient déjà figuré dans le Louis XVK du même
auteur, le fac-similé de l'acte d'accusation, celui du procès-verbal d'exécution,
le plan du cimetière de Monceaux, le plan de l'ancien cimetière de la Madeleine.
A la page 166 (t. II) est annoncé \e fac-similé de plusieurs signatures qui ne se
trouvent pas dans le volume et ne figurent pas non plus à la table.
J.-J. GUIFFREY.
219, — Galerie historique des Comédiens de la troupe de Nicolet. Notices
sur certains acteurs et mimes qui se sont fait un nom dans les Annales de nos scènes
secondaires, depuis 1760 jusqu'à nos jours, par E.-D. de Manne et C. Ménétrier,
avec portraits gravés à l'eau-forte par Frédéric Hillemacher. Lyon, N. Scheuring,
éditeur, 1869. In-8% viij-414 p. — Prix : 40 fr.
Le contenu de cet ouvrage est bien loin de répondre à son titre qui semblait
promettre au lecteur presque une histoire du théâtre de la Foire pendant la
d'histoire et de littérature. 287
seconde partie du xviii* siècle. En effet, comment parler de la troupe de Nicolet
sans s'occuper de celles de ses rivaux, car les artistes forains passaient volontiers
d'un théâtre à l'autre; et, venant des artistes aux directeurs, comment retracer
les vicissitudes de la vie de Jean-Baptiste Nicolet sans raconter un peu les aven-
tures de Restier, de Bienfait, de Ricci et de ce Gaudon qui eut l'honneur dans
son procès avec le cabaretier Ramponeaux d'avoir Voltaire pour adversaire ?
MM. de Manne et Ménétrier ont reculé devant cette tâche qui exige plus d'éru-
dition qu'on ne le croirait. Leur volume se compose de 59 biographies d'acteurs
célèbres à divers titres des théâtres de l'Ambigu, du Vaudeville, de la Cité, des
Variétés-.A mu santés, etc. (Audinot, Montansier, Beaulieu, Corse, Volange, Marty,
Lepeintre, Déburau, etc., etc.). Sur les 59 notices sept seulement sont consacrées
à des comédiens de la troupe de Nicolet, ce sont celles de Nicolet, Taconnet,
Dorvigni, Constantin, Madame Nicolet, Ribié et Mayeur de Saint-Pol. Ajoutez
une note de neuf pages intitulée auteurs et danseurs de corde de chez Nicolet et
renfermant des mentions fort courtes et très-insuffisantes sur Dutacq, Dubut,
Dupuis, Lyonnois, Restier, Spinacuta, Placide, Fol, Navarin, Manuel, Magrini
et les époux Storkeinfeld et vous aurez tout ce que les recherches de MM. de
M. et M. ont pu rassembler sur la troupe de Nicolet. Ce travail, on le voit, est
loin d'être complet et on n'aurait que l'embarras du choix, si on voulait citer
des noms pour prouver que les auteurs ont omis beaucoup de personnages de la
troupe dont ils ont tenté d'écrire l'histoire ; citons pourtant quelques-uns de ces
noms afin de mieux établir notre assertion : Charlotte Bequet, danseuse; Jean-
Marie Bequet, danseur; Jean-François Ray, danseur; Charles-Marie Timon,
acteur; Jacques Richard, danse«r; Bon-Jean-Baptiste Demagni, danseur; Denis-
Claude Garsaland, danseur; André Boulanger, danseur; Jean-Baptiste Despaut,
danseur; Montigni, premier danseur; Jean-Baptiste Delor dit Merseille, acteur;
Marie Dutacq, actrice; Pierre-Joseph-Félix Hisson, musicien; Fanchon Duhamel,
actrice; Pierre-Gilbert Gourliez dit Gaudon le Cadet, sauteur; John Hillyard,
anglais, chef d'une troupe de sauteurs; François-Paul Nicolet le jeune, acteur;
Louis Salle, acteur; enfin, car il faut s'arrêter, Pierre-Toussaint Gagneur, sau-
teur, puis directeur d'une troupe ambulante et qui en 1773 montrait sur le bou-
levard du Temple en société avec la femme du dentiste Trévisani , des animaux
monstrueux parmi lesquels on admirait surtout un éléphant.
Disons en terminant que les notices de MM. de M. et M. sont quoique un peu
sèches, exactes et puisées aux bonnes sources. Les auteurs ont consulté les
registres de l'état civil, les cartons des Archives de l'empire et les mss. de la
Bibliothèque impériale. Leur volume est d'ailleurs splendidement imprimé par
Perrin de Lyon.
Em. Campardon.
288 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
VARIÉTÉS.
Les étudiants ès-lettres en France.
Nous lisions dernièrement dans le Temps un article où un statisticien en renom
prétendait qu'il y avait en France 4000 étudiants ès-lettres et que sous ce rapport
nous n'avions rien à envier à l'Allemagne. Nous étions tout à fait heureux de
cette découverte. Cependant quelques doutes nous étant venus, nous avons voulu
remonter à la source de cette indication et nous avons consulté le compte-rendu
des recettes et dépenses de l'instruction publique pour 1863. Là, au tableau des
recettes des facultés des lettres, nous avons trouvé en effet un total de 5927 élèves
en moyenne. Mais comment ce chiffre a-t-il été obtenu? Tout simplement en
comptant le nombre des inscriptions, lequel est de i $,708, et en le divisant par
le nombre des inscriptions que chaque élève doit prendre par année et qui est
de quatre. Or, les 3927 élèves sont presque tous des étudiants en droit, obligés,
on le sait, à prendre un certain nombre d'inscriptions à la faculté des lettres,
mais qui ne suivent régulièrement aucun cours. — Le tableau ne porte que
400 inscriptions prises en vue d'obtenir la licence ès-lettres, ce qui fait qu'en
réalité il n'y à dans toute la France que cent étudiants ès-lettres inscrits, lesquels
eux-mêmes ne semblent pas suivre beaucoup les cours des facultés.
Le nom même d'étudiant ès-lettres est tout-à-fait inconnu chez nous. Il n'y
a guère, en dehors de l'École normale supérieure, de jeunes gens qui suivent
comme les étudiants en médecine et en droit un cycle complet de cours sur les
différentes branches de leur spécialité. L'étudiaftt ès-lettres est donc encore à
créer; c'est d'ailleurs à ce résultat que doit tendre, si nous ne nous trompons,
l'École des Hautes Études.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
Bastian, die Vœlker des œstlichen Asien, t. IV et V (lena, Costenoble). — Berg-
MANN, Résumé d'études ontologiques (Cherbuliez). — Bernus, Richard Simon (Lau-
sanne, Bridei). — Daumas, la Vie arabe et la Société musulmane (Michel Lévy). —
Haag, Vergleichung des Prakrit mit den romanischen Sprachen (Berlin, Calvary). —
Hartmann, Schellings positive Philosophie (Berlin, Lœwenstein). — Junge, de Cilicia
provincia (Berlin, Calvary). — De Laincel, Voyage humouristique (Lemerre). —
Meyer, Kants Psychologie (Berlin, Hertz). — Nagel, Franzœsisch-englisches etymo-
logisches Wœrterbuch (Berlin, Calvary). — Neubauer, Commentationes epigraphicae
(ib.). — Ranke, Geschichte Wallensteins (Leipzig, Duncker). — Schmidt, die antike
Compositionslehre (Leipzig, Vogel). — Schœnberg, Griechische Composita (Berlin,
Calvary). — Teissier, État de la noblesse de Marseille (Marseille, Boy). — Volkmann
Leben und Schriften Plutarchs, t. II (Berlin, Calvary). — Wolf (F. A.), Kleine
Schriften, t. I et II (Halle, Waisenhaus).
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
recherches sur ces mêmes mots. — P. 272. H. Knust, Sur la Bibliothèque de
VEscorial (fin) ; recherches sur le Secret des secrets et sur divers autres ouvrages
moins connus (Poridad de las poridades, Proverbios buenos, etc.). — P. 331, F.
LiEBRECHT, Sur la Fiancée de Messine de Schiller; l'auteur montre dans ce drame
d'assez nombreuses réminiscences de La Morîd'Abel de Legouvé. — Bibliographie.
Raoul de Houdenc, Meraugis de Portlesguez, p. p. Michelant. La Rev. crit.
(1869, art. 90) a montré que l'éditeur de ce poème n'a point utilisé d'une
manière suffisante les matériaux qu'il avait à sa disposition. M. Mussafia établit
maintenant que même comme simple reproduction du ms. principal (celui de
Vienne) cette édition laisse considérablement à désirer.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
Adyielle (V.). Une lettre inédite du ma-
réchal d'Ancre (Concini-Concino) datée
de Pont-Audemer. In-8*, 7 p. Pont-Au-
demer (imp. Dugas Lecomte).
Belgrand (E.). La Seine I. Le bassin
parisien aux âges anté-historiques. Texte
et planches. In-4', cvj-293 p. et 79 pi.
Paris (Imprimerie impériale),
Beloselsky. Epitre adressée, en 1789,
par le prince russe A. Beloselsky aux
républicains de Saint-Marin, précédée
d'une notice sur la famille Beloselsky et
rééditée aux frais et par les soins de M. V.
Advielle,d'Arras.In-8*, ix-i 1 5 p. Évreux
(imp. Richet).
Cellier (L.). Essai sur l'atelier monétaire
de Valenciennes et sur le monogramme
de la monnaie des comtes de Hainaut.
In-8', 32 p. et pi. Valenciennes (Henry),
Drapeyron (L.). De Burgundiae historia
et ratione politica Merovingorum aetate.
Thesim proponebat Facultati litterarum
Pansiensi. In-8*, 149 p. Paris (Thorin).
Foulon-Menard (J.). Les Moulins pri-
mitifs. Première étude archéologique sur
le territoire de Guérande. In-8*, 18 p.
Nantes (imp. Forest et Grimaud)..
Guillemaud (J.). Ventia et Solonion.
Etude sur la campagne du préteur Pamp-
tinus dans le pays des Allobroges, la
dernière des Romains dans la Gaule avant
le proconsulat de César (an 62 av. J.-C).
In-8', 1 18 p. Paris (Didier et C*).
Leblois (L.). Des additions légendaires.
dogmatiques et liturgiques faites au texte
primitif du Nouveau Testament. Étude
sur la question : au nom de qui baptisait-
on dans la primitive église. Avec un fac-
similé du passage I, Jean 5. 6-9, où a été
intercalée la doctrine de la Trinité. In-8*,
41 p. et planche. Paris (Cherbuliez).
Le Jolis (A.). Des prétendues origines
Scandinaves du patois normand. In-8*.
1 1 p. Rouen (imp. Cagniard).
Luzel ^M.). Contes et récits populaires
des bretons armoricains. In-8*, 22 p.
Nantes (imp. Forest et Grimaud).
Pirona (J.). Vocabolario friulano. Fasc.
VIII. In-8'. Venezia (tip. Antonelli).
Promis (C). Storia dell' antica Torino
Julia Augusta Taurinorum , scritta sulla
fede de' vetusti autori e délie sue iscri-
zioni e mura. In-8*, xix-530 p. con 5 tav.
Torino (frat. Bocca). 11 fr. 50
Promis (V.). Tavole sinottiche, délie
monete battute in Italia e da italiani ail'
estero dal secolo VII a tutto l'anno 1868
iilustrate con note. In-4*, lxxx-252 p.
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Protzen (E.). De excerptis Tibullianis.
Dissertatio inauguralis philologica. In-8',
iij-56 p. Greifswald (Bamberg). i fr. 65
Schleicher (A.). Die deutsche Sprache.
2. verb. u. verm. Aufl. In-8*, xj-
Stuttgart (Cotta).
Terracini (D.). Elementi grammaticali
délia lingua ebraica. In-8*, 180 p. Torino
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Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 45 Quatrième année 6 Novembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, ij fr. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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PERIODIQUES ÉTRANGERS.
The Academy, A Monthly Record of Literature , Learning, Science and Art.
— N° I, 9 oct. — Prix : 6 d. (= 0,65 cent.) la livraison.
[Ce recueil répond pleinement aux espérances que nous exprimions dans un
de nos précédents n"' (p. 144). Le cadre est beaucoup plus vaste que le nôtre :
il embrasse toutes les sciences, et de plus la littérature actuelle. La publication
étant mensuelle et chaque n° ne contenant pas tout à fait la valeur de trois n°' de
la Revue critique, l'espace est nécessairement insuffisant et les articles doivent se
renfermer dans d'étroites limites. Mais leur concision ne nuit pas à leur solidité,
et s'ils ne peuvent donner place à des critiques de détail, le jugement général
repose évidemment sur un examen approfondi. Il nous a semblé que tous les
comptes-rendus que nous avons sous les yeux (sauf un), étaient, conformément
aux promesses du n° spécimen, l'œuvre d'hommes véritablement compétents. Le
succès étonnant obtenu par ce premier rf (une seconde édition est devenue
nécessaire au bout de peu de jours et on parle de 20,000 exemplaires vendus)
nous fait espérer que le recueil pourra prochainement devenir bi-mensuel. Les
directeurs reconnaîtront bientôt l'impossibilité de remplir leur programme avec
28 pages par mois '. La partie qui nous intéresse le moins est naturellement celle
qui est consacrée à la littérature générale, car à cet égard VAthenaum et les
autres recueils nous paraissent suffire, mais, si on veut la conserver, il faut lui
accorder l'étendue convenable, et cinq ou six comptes-rendus par mois pour
tout le mouvement littéraire européen sont absolument insuffisants. — La seule
critique générale que nous pensions adresser à ce n" concerne le classement qui
est très-défectueux : la meilleure division est certainement celle que nous avons
adoptée : Orient, Antiquité, Moyen-âge, Temps modernes; la division par genre
amène incessamment le rapprochement de matières tout à fait disparates. Ici par
ex. M. Léon Gautier est placé entre Baudelaire et kho\xl\for shame! Puis, on ne
voit pas pourquoi le livre d'Ebers ne serait pas aussi bien placé sous la rubrique
Bihlical criticism. Le mieux eût été de réunir cette dernière rubrique à la section
Orient; car dès qu'on se place au point de vue critique, quelle raison y a-t-il de
classer la Bible à part des littératures orientales ^]
Le cahier s'ouvre par une lettre « à sensation » de lord Byron (9 avril 181 7)
qui ne nous paraît pas prouver beaucoup contre la True Story de Mrs. B. Stowe.
— Littérature et art en général. Obermann, par de Senancour, Paris 186^, Char-
pentier; art. de Matthew Arnold ; il n'y avait guère de raison pour rendre compte
de ce livre qui ne se recommande point à coup sûr par sa nouveauté. The poems
and Prose Remains of Arthur Hugh Clough; Macmillan, 2 vol. — Beaudelaire,
Œuvres complètes. — L. Gautier, Les Épopées françaises; Palmé. M. G. Masson,
l'auteur de l'article, est manifestement étranger au sujet; ses observations sont
sans valeur aucune. Il s'est imaginé que le livre de M. Gautier était le résultat
d'un cours professé à l'École des Chartes. — About, Ahmed le Fellah. — Lûbke,
Kunsthistorische Studien, Stuttgart, Ebner u. Seubert. — Critique biblique.
Renan, Saint Paul; médiocre article, par le Rév. J. B. Lightfoot, qui se montre
encore plus conservateur que M. Renan. — Ewald, Die Propheten d. alten Bundes,
art. de T. K. Cheyne. — Sciences et philosophie. Il ne nous semble point heu-
reux de réunir dans une même section des livres aussi différents que ceux-cî :
H;eckel, Natiirliche Schœpfungs-Geschichte, Berlin; art. du Prof. Huxley. — Fritz
Mûller, Facts and Arguments for Darwin, translated by Dallas; Murray; art. de
Sir John Lubbock. — Freudenthal, Die Flavius Josephus beigelegte Schrift liber
I. Les pages sont à deux col. ; deux pages équivalent à peu près à trois pages de la
Revue critique.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 45 — 6 Novembre — 1869
Sommaire: 220. Volquardsen, Les sources de Diodore aux livres XI à XVI. —
221. Hecht, Les Kakndaria des Romains. — 222. Delisle, Le Cabinet des Mss.
de la Bibliothèque Impériale. — 223 . Rutebeuf, Le Miracle de Théophile, p.p. Klint.
220. — Untersuchungen ûber die Quellen der griechischen und sicilischen
Geschichte bei Diodor. Buch XI bis XVI, von Chr. A. Volq.uardsen. Kiel,
Schwers'sche Buchhandlung, 1869. In-8*, i}2 p.
De tout temps il a existé une classe beaucoup trop nombreuse d'écrivains
sottement présomptueux, incapables de se rendre compte de la disproportion
entre les difficultés du sujet qu'ils osaient aborder et leur propre médiocrité.
Diodore de Sicile appartient incontestablement à cette catégorie d'auteurs, et cela
malgré le programme assez judicieux placé en tête de sa bibliothèque historique.
L'exécution de l'ouvrage reste tellement au-dessous des vues exposées dans la
préface , qu'on pourrait être facilement tenté de croire que Diodore n'a aucun
droit à celle-ci , ou du moins qu'en l'écrivant il s'est complètement inspiré des
idées d'autrui. Quoi qu'il en soit toutes les principales qualités indispensables à
l'historien font complètement défaut à Diodore. A un esprit singulièrement borné,
il joint une ignorance des mieux caractérisées et qui devient particulièrement
choquante lorsqu'il s'agit de faits très-importants de l'histoire de Sicile. En outre
il est complètement dépour\'u de l'exactitude consciencieuse qui seule peut
inspirer la confiance et donner du crédit à un narrateui , fût-il même privé de
jugement. Aux preuves nombreuses fournies à cet égard par Niebuhr et par
Mommsen, M. Volquardsen en joint de nouvelles non moins concluantes. Aussi
est-il permis désormais de considérer comme définitif l'arrêt concernant la per-
sonne même de Diodore et constatant son peu de mérite. L'auteur ainsi jugé,
reste à examiner le parti à tirer de son ouvrage, dont le hasard nous a conservé
des débris fort considérables, le traitant ainsi avec une faveur trop souvent
refusée aux œuvres du génie. Ici la question change totalement de face. La rareté
de documents originaux, ou du moins de travaux sérieux en fait d'histoire
ancienne assure une valeur trop réelle à la compilation de Diodore. Cette valeur
toutefois, il y a longtemps qu'on l'a compris, dépend tout entière de l'examen
soit des sources consultées par l'auteur, soit de la manière dont il les a utilisées.
Hepe a traité cette double question dans une série de dissertations insérées
d'abord dans le 5' et le 7" volume des Commentationes Societatis Gattingensls et
réimprimées ensuite dans le i*' volume de l'édition de Deux-Ponts. Malheureu-
sement en très-grande panie Heyne a fait fausse route, en s'imaginant que
Diodore n'a fait que suivre les auteurs qu'il nomme accidentellement dans le
cours de son récit. C'est là, comme M. V. n'a pas de peine à le démontrer, une
VllI ,9
290 REVUE CRITIQUE
erreur manifeste. Au nombre des ouvrages que Diodore avait sous la main se
trouvaient probablement les Chroniques d'Apollodore et il leur a emprunté de
temps en temps des notices relatives à l'histoire littéraire pour les insérer dans sa
bibliothèque. Celles de ces mentions qui concernent particulièrement certains
historiens ne nous autorisent en aucune façon à conclure que Diodore les a suivis
dans son récit ou même qu'il a consulté leurs écrits. Bien loin de là, il n'a nulle
part indiqué ses sources. Le travail de Heyne était donc à refaire. M. V. s'est
chargé de la besogne pour la partie de la Bibliothèque Historique qui embrasse
spécialement l'histoire grecque et sicilienne ' . Il n'est que juste d'insister sur
l'avantage qu'offrait à M. V. la collection complète des fragments des historiens
grecs publiée par M. Mûller, collection qui a déjà rendu tant de services.
Cette observation du reste n'enlève absolument rien au mérite de l'auteur, dont
le travail comparé à celui de Heyne atteste, à bien d'autres égards encore, les
progrès heureux de la méthode appliquée à l'étude de l'antiquité. Une rapide
analyse de l'ouvrage de M. V. en fournira la preuve. En ce qui concerne l'his-
toire grecque, M. V. expose d'abord les raisons qui l'amènent à considérer
Ephore comme ayant été l'auteur dont Diodore a suivi le récit (p. 52-66). Les
arguments les plus décisifs lui sont fournis par le rapprochement des fragments
de l'ouvrage d'Ephore avec le texte de Diodore. Rien n'est plus ingénieux ensuite
que le parti qu'il sait tirer de ce que nous savons au sujet de certaines railleries
qu'avait values à Ephore son patriotisme tout local (cp, Strabon, 13, p. 924).
La réunion de tous les passages dans lesquels il est fait mention de la ville de
Cymes, la patrie d'Ephore, passages dont les uns la nomment à tort, dont les
autres trahissent une intention évidente, fournit une preuve en quelque sorte
palpable à l'appui de la thèse que défend M. V. Je n'oserais en dire tout à fait
autant au sujet de certaines tournures recueillies dans deux discours d'Isocrate
(p. 50 s.). M. V. croit retrouver ces tournures chez Diodore et il attribue leur
présence précisément à l'influence d'Ephore, le disciple du rhéteur athénien. En
tout cas la démonstration de M. V. peut se passer parfaitement de ce secours.
Ce qui lui assure une bien plus grande valeur que cette filiation un peu trop
compliquée peut-être, c'est l'examen des raisons qui ont fait jusqu'ici ranger
Théopompe au nombre des auteurs auxquels s'est particulièrement attaché Diodore.
Les conclusions de l'auteur à cet égard sont entièrement négatives, et nous ajou-
terons sont aussi convaincantes que celles de la première partie de son argumen-
tation. Pour l'histoire de la Sicile, pour laquelle du reste la tâche était plus
facile, M. V. ne nous paraît pas avoir été moins heureux.
Après avoir écarté pour diverses raisons parfaitement acceptables plusieurs
noms mis en avant sans motif bien sérieux, comme ceux d'Antioche, de Philiste,
d'Athanas, il se prononce en faveur de Timée, dont l'exactitude chronologique
I. La dissertation de M. Ch. Raux, de Clitarcho Diodori, Curtii, Justini auctore, Bonn,
1868 (58 p. in-8*), dans laquelle est développée l'opinion déjà émise par MM. Droysen
et Grote, que le récit deClitarque a servi de base à Diodore pour l'histoire d'Alexandre,
peut être considérée comme faisant suite aux recherches de M. Volquardsen.
i
d'histoire et de littérature. 291
vantée par Polybe a exercé une heureuse influence sur le récit de Diodore. A
ce propos M. V. examine également jusqu'à quel point les reproches faits à
Timée par Polybe peuvent s'appliquer à la partie de l'ouvrage de Diodore con-
sacrée aux événements arrivés en Sicile, partie qui en général laisse une impres-
sion bien plus favorable que celle que fait éprouver la lecture du reste de la
bibliothèque historique.
Tel est le but principal des recherches de M. V., qui témoignent d'un esprit
des plus judicieux. Nous sommes loin cependant d'avoir épuisé le contenu complet
de l'ouvrage. Outre une série de considérations d'un caractère plus général sur
les procédés employés par Diodore dans la composition de son ouvrage, sur la
manière dont il a tiré parti de ses sources, de l'examen de la position qu'il
occupe vis-à-vis d'Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, on y trouvera d'im-
portantes discussions destinées, soit à fixer certaines dates de l'histoire grecque
ou sicilienne, soit à éclaircir des points obscurs de cette histoire elle-même.
Quelques-unes de ces remarques ont été fournies à l'auteur par son maître,
M. A. de Gutschmid, auquel est dédié le livre. Il n'est pas nécessaire de dire que
ces additions dues au savant professeur de Kiel, dont les travaux sur des parties
peu connues de l'histoire ancienne tém.oignent d'une rare sagacité, ne font
qu'augmenter la valeur du livre de M. V. En certains endroits la correction
typographique laisse un peu à désirer.
Emile Heitz.
221. — Rechtsgeschichtliche Abhandlungen, herausgegeben von D'. G. M.
AsHER. Heft I : die rœmischen Kakndarienbûcher, eine Abhandlung aus dem Gebiet des
rœmischen Verkehrsiebens von D'. F. Hecht, Heidelberg Mohr, 1868, 8* XII, 86 et
XIV p.
La dissertation dont nous venons de transcrire le titre forme le premier fasci-
cule d'une collection de mémoires sur des points de droit historique, collection
qui se publie sous la direction de M. Asher. Le nom de ce dernier n'est pas
inconnu des lecteurs de la Revue; nous l'avons cité tout récemment à propos
de sa thèse paradoxale sur les Tables de Salpensa et de Malaga et auparavant
déjà (1867, tom. I, p. 361) nous avons pu renvoyer avec éloge à un mé-
moire de lui sur les bina jugera des citoyens Romains.
M. Hecht nous donne dans ce premier fascicule une édition revue et remaniée
de la thèse de doctorat qu'il avait présentée en 1867 à l'Université de Goettingue.
Bien qu'elle soit un peu longue et amplifiée par de fi"équentes répétitions, nous
lui devons ce témoignage qu'elle apporte des éclaircissements précieux sur un
point jusqu'ici peu étudié des antiquités romaines. Elle n'est d'ailleurs que le
commencement d'une série d'études sur le commerce de l'argent, l'organisation
des banques et du crédit et sur le droit commercial des Romains. Nous n'avons
pas la prétention de juger ce travail au point de vue des questions de droit
qu'il soulève ; mais il intéresse aussi les archéologues : il emprunte ses preuves
en partie aux recueils épigraphiques, et par ce côté nous croyons pouvoir l'ap-
précier en connaissance de cause.
292 REVUE CRITIQUE
Par kakndar'mm les Romains n'entendaient pas seulement un calendrier ; pour
eux ce mot avait encore un sens technique plus spécial, il désignait le registre
dans lequel on inscrivait les sommes prêtées sur hypothèque. Chaque capitaliste
avait le sien, les communes et les corporations pouvaient aussi avoir le leur. Le
nom de kakndarium venait de ce que les calendes de chaque mois étaient le jour
fixé par l'usage soit pour la conclusion des affaires d'argent, soit pour le paie-
ment des intérêts, soit, au cas échéant, pour le remboursement. — Par extension
le nom de kalendarium s'applique aussi à la caisse (arcd) où étaient renfermés
le registre dont nous venons de parler, les titres d'emprunt (cautiones debitoram)
et l'argent destiné à être placé sur hypothèque.
Le prêt hypothécaire offrant des garanties exceptionnelles, les capitalistes
tenaient en général à placer une partie de leur fortune de cette façon ; d'autre
part les communes possédaient certains capitaux, affectés à un emploi déterminé,
provenant en général de legs ou de fondations, et qu'il fallait assurer contre les
chances de perte ou de négligence. Pour le particulier comme pour la commune
il s'agissait donc de mettre par ce genre de placement une partie de leur fortune
à l'abri des chances plus aléatoires de la spéculation, des frais et des pertes que
pouvait aussi occasionner l'exploitation directe de biens-fonds.
Par une. suite naturelle de ce système les personnes chargées de la direction
d'un kalendarium communal étaient tenues au remploi des sommes qui leur
étaient versées à titre de remboursement. — Ce qui prouve bien que le but
principal était de pourvoir à la conservation du capital, c'est le fait mis en pleine
évidence par M. H., que les intérêts des sommes prêtées n'étaient pas versées
aux mains de l'administrateur du kalendarium.
C'est cette institution que M. H. a étudiée dans tous les détails que comportent
les sources incomplètes que nous avons à notre disposition. Les kalendaria des
communes nous sont surtout connus par des inscriptions, tandis que les ou-
vrages de droit ont principalement traité des kalendaria des particuliers. Il a
donc fallu élucider par des combinaisons ingénieuses mais prudentes ce qui a
trait aux premiers.
M. H. montre que leur administration était confiée à des personnages im-
portants du municipe (c'était un munus personale et non une magistrature),
choisis par le gouverneur de la province ' après une enquête (inquisitio) faite
par les magistrats et les décurions de la cité, qui sont responsables en cas de
malversation. Les administrateurs portent en général le titre de curaîores ka-
lendarii. Vingt et une inscriptions d'Italie mentionnent ce titre ; mais les auteurs
du droit en parlent aussi à propos de l'Afrique et de l'Espagne. Du reste en ceci
comme en tant d'autres choses, une certaine variété paraît avoir existé entre les
différentes localités. Ainsi en général on ne trouve dans la même commune qu'un
seul kalendarium et un seul curaîor; mais il y en a où il y a plus d'un kalenda-
I . Exceptionnellement aussi par l'empereur lui-même, auquel cas le curator kalendarii
prend le pas sur tous les fonctionnaires de la cité.
d'histoire et de littérature. 293
rium (Bibracte en Gaule et Industria dans la Haute Italie) ; si dans un cas on
trouve un seul curateur préposé à plusieurs kalendaria, dans d'autres il paraît y
avoir eu plusieurs curateurs pour un seul kakndarium. Enfin il est probable que
dans mainte cité il n'y avait pas de fonctionnaire spécial pour cette administra-
tion, qui devait alors se trouver réunie à celle de la questure.
Comment étaient disposés les registres des kalendaria ? Quelle était la nature
des titres (cautiones debiîorum) qui étaient déposés comme pièces à l'appui dans
Varca? Quelle était la responsabilité des administrateurs? Quelles garanties la tenue
de ces registres offrait-elle aux créanciers ? Ces questions et beaucoup d'autres
sont étudiées par M. H. dans les trois premiers chapitres de son travail.
Dans un quatrième chapitre, l'auteur fait l'historique de la question avec des
indications bibliographiques très-complètes. Il discute les opinions de ses devan-
ciers et paraît surtout leur reprocher d'avoir confondu les prescriptions relatives
au kalendarium rei publicae avec celles qui ne s'appliquent qu'aux registres des
particuliers. Il pense qu'on peut faire remonter aux premiers temps de l'empire
l'institution des kalendaria et lui assigner une durée de cinq cents ans. Dans
un appendice il discute plusieurs textes obscurs, entre autres la fameuse inscrip-
tion d'Espagne (Gruter 478, 9) 011 il est question de collegia kalendariorum et
iduaria duo; il approuve naturellement l'explication donnée par Hùbner et
Mommsen ÇMonatsbericht der Berliner Académie, 1861, p. 972) suivant laquelle
il ne s'agit point de collèges chargés d'administrer les kalendaria, mais bien de
trois corporations dont l'une se réunissait aux calendes de chaque mois, l'autre
aux ides. Les pages I-XIV, placées à la fin de la dissertation, contiennent le texte
in extenso des inscriptions et des recueils du droit romain qui font une mention
expresse du kalendaria.
Ch. M.
222. — Histoire générale de Paris. Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque
impériale. Étude sur la formation de ce dépôt, comprenant les éléments d'une histoire
de la calligraphie, de la miniature, de la reliure, et du commerce des livres à Paris
avant l'invention de l'imprimerie, par Léopold Delisle. T. I. Paris, Impr. imp. 1868.
Gr. in-4*, xxiv-jyj p. — Prix : 40 fr.
Lorsque nous avons rendu compte de deux des volumes appelés à constituer
1' « Histoire générale de Paris, » nous avons signalé ' la phrase naive oh le préfet
de la Seine admet comme chose allant de soi que chacune des publications faites
sous ses auspices étant en particulier une œuvre remarquable, leur ensemble
constituerait plus tard un véritable monument. Cette assertion , à laquelle deux
volumes d'une inconcevable faiblesse apportaient un si prompt démenti, n'a point
le droit de chercher un point d'appui dans le livre dont nous allons rendre
compte. Non pas que Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale ait rien
à redouter ni guère à apprendre de la critique : l'impression que le présent
compte-rendu, où l'on ne s'arrêtera pas à louer chacun des points qui méritent
I. Roi. crit., 1868, I, p. 54.
294 REVUE CRITIQUE
l'éloge, devra laisser au lecteur, est qu'il n'était guère possible de produire sur la
matière un ouvrage mieux conçu ni plus complet; mais cet ouvrage a échappé
entièrement à l'action administrative, ayant été composé avant qu'il fût question
des publications historiques de la Ville de Paris ; de sorte que tout le mérite de
la commission préfectorale se réduit à l'avoir adopté tel que son auteur l'avait
exécuté. Ce mérite, nous ne voulons pas le diminuer, et nous sommes heureux
de constater que si la commission dont il s'agit n'arrive point à faire faire de
bons travaux, elle sait à l'occasion les accepter quand on les lui présente tout
faits.
L'indépendance du livre de M. Delisle se manifeste par sa composition même :
chacune des parties du sujet choisi est considérée en soi et non dans ses
rapports plus ou moins indirects avec l'histoire de Paris. On n'y rencontre non
plus, et nous en félicitons l'auteur, aucune de ces illustrations aussi inutiles que
dispendieuses, qui encombrent les deux volumes dont nous avons précé-
demment rendu compte. Toutefois le goût prononcé que la commission préfec-
torale manifeste pour les images sera utilisé : M. D. annonce dans sa préface la
publication d'un volume complémentaire qui renfermera des fac-similé d'écritures
empruntés autant que possible à desmss. datés, des reproductions de miniatures
et des dessins de reliure.
En réalité, le livre de M. D. n'a qu'un rapport assez éloigné avec l'histoire de
Paris; mais c'est de quoi le lecteur se soucie peu : l'important est que le sujet
offre de l'intérêt et soit bien traité.
L'histoire du Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale, telle que
l'a comprise M. D., n'est pas seulement le récit circonstancié des acquisitions
successives par lesquelles s'est formé le Cabinet : c'est aussi l'histoire d'une série
de bibliothèques, presque toutes célèbres, qui se retrouvent maintenant en totalité
ou en partie dans le magnifique dépôt ouvert si libéralement, depuis environ un
siècle et demi, aux érudits de tout pays, et qui fut à l'origine la librairie privée de nos
rois. Ainsi envisagé, le Cabinet des manuscrits est un sujet d'études plus fécond
qu'aucune autre bibliothèque de l'Europe, excepté peut-être celle du Vatican,
sur la constitution de laquelle on est imparfaitement renseigné. Il se peut qu'un
jour (mais nous en sommes loin) le Musée Britannique l'emporte par le nombre
et la valeur de ses fonds sur la Bibliothèque impériale : il est plus richement doté;
il est aussi plus à portée de recevoir des legs importants, car les grandes collec-
tions privées sont moins rares en Angleterre qu'ailleurs, et sont aussi moins
exposées à être dispersées aux enchères; mais jamais l'histoire du Musée Britan-
nique, ni de la Bodléienne, ni d'aucun autre grand dépôt de livres, ne touchera
par autant de côtés que l'histoire de notre Cabinet des manuscrits à la vie litté-
raire des siècles passés. Que l'on cherche comment se sont constituées les collec-
tions de Bodley (Oxford), de Cotton, de Harley (Musée Britannique) ou, dans
des temps plus récents, celles de Hunter (Glasgow), de lord Egerton (Musée
Brit.), de Douce (Oxford), ou de sir Thomas Phillipps, le spectacle auquel on
assistera sera toujours celui d'un homme qui par tous les moyens, à force d'ar-
d'histoire et de littérature. 295
gent surtout, recueille avec plus ou moins de discernement tous les livres ou
pièces de valeur qui peuvent être achetés. Quand on a constaté la date et le prix
de chaque acquisition, on a tout dit. La formation de ces bibliothèques touche
plus à l'histoire du commerce qu'à l'histoire de la littérature.
Il en est autrement de notre ancienne Bibliothèque du roi. Dans son principe
comme dans son développement, elle offre de perpétuels points de contact avec
l'histoire littéraire. Charles V ne fut pas un simple collectionneur. Assurément,
il achetait des livres, et les plus beaux qui se pussent trouver, mais il en faisait faire
aussi ; et entre les 900 volumes et plus dont se composait sa collection, si malheu-
reusement dispersée après lui, bon nombre avaient été non pas seulement copiés,
mais composés par ses ordres. Sans lui les ouvrages originaux ou les traductions
de Nicole Oresrae, de Raoul de Presles, de Jehan Corbichon, etc., n'auraient
point vu le jour. L'histoire de sa bibliothèque est donc en même temps celle d'un
mouvement littéraire très-important, le plus important qu'ait vu le xiv* siècle. La
même chose peut être dite, quoique dans une mesure moindre, de plusieurs
autres collections, notamment de celle que forma Jean duc de Berry. Les pages
que M. D. leur consacre dans son premier volume sont véritablement des cha-
pitres d'histoire littéraire.
L'intérêt que je constate ici n'est pas confiné au premier volume de cet ouvrage,
où Charles V, Jean duc de Berr}', les ducs de Bourgogne, Louis de Bruges, etc.,
sont étudiés comme protecteurs des lettres. A l'époque révolutionnaire la confis-
cation des biens ecclésiastiques amena à la Bibliothèque du Roi les collections
des établissements religieux compris dans les limites du département de la Seine.
Saint-Germain-des-Prés, Saint-Victor, la Sorbonne avaient été des centres d'en-
seignement et d'étude, et l'examen de leurs bibliothèques nous révèle bien des
faits dont se nourrit l'histoire littéraire. Cette partie de l'histoire du Cabinet des
manuscrits est réservée au second tome de l'ouvrage , mais déjà le volume
que nous avons sous les yeux contient quelques chapitres riches en faits précis
sur la vie studieuse des religieux du moyen-âge ; ceux notamment où il est ques-
tion des mss. provenant de Saint-Amand (p. 307-18) et de Saint-Martial
(p. 388-95).
Un tel ouvrage se prête difficilement à l'analyse. Il est impossible de passer
en revue ce nombre presqu'infini de petits faits, exposés avec concision, classés
avec ordre, qui constituent l'histoire des éléments dont s'est formée notre Biblio-
thèque. Au moins voulons-nous indiquer les principales matières traitées, afin
qu'on en puisse concevoir la variété.
L'ordre suivi par M. D. est celui des accroissements du Cabinet. Chaque
bibliothèque particuHère, chaque collection qui vient s'adjoindre aux fonds déjà
réunis, est étudiée, non à l'époque de sa formation, mais à la date de son acqui-
sition. C'est ainsi par exemple que la formation de la Bibliothèque de Colbert est
exposée dans un des chapitres consacrés au règne de Louis XV, parce que c'est
en 1732 qu'elle fut achetée par le roi. Le présent volume s'arrête à la fin du
règne de Louis XVI. Si M. D. avait voulu se maintenir strictement dans les
limites que comporte le titre de son livre, il aurait commencé l'histoire du
296 REVUE CRITIQUE
Cabinet des manuscrits à l'époque où a été formée la première collection royale
qui nous soit parvenue en son entier, celle qui a été le premier fonds du Cabinet
actuel, c'est-à-dire au règne de Charles VIII. La collection de livres que laissa
ce prince, bien que peu considérable, eu égard surtout à celles qui vinrent s'y
joindre peu après sa mort, est cependant, comme le dit M. D. (p. 98), « le
» véritable noyau de notre Bibliothèque impériale, » puisque la librairie bien
autrement importante de Charles V et de Charles VI avait été dispersée dès le
temps de l'occupation anglaise. Mais le grand intérêt des recherches de M. D.
consiste bien plus dans les lumières qu'elles jettent sur des bibliothèques dont
nous n'avons plus aujourd'hui que des débris que dans l'exposé des vicissitudes
par lesquelles a passé le Cabinet des manuscrits. Entre ces bibliothèques, la plus
considérable à tous égards fut assurément celle de Charles V, à laquelle est con-
sacrée une grande partie du premier chapitre de l'ouvrage. Mais avant d'aborder
l'histoire de cette précieuse collection, M. D. a réuni, en guise d'introduction,
toutes les notions qui peuvent être recueillies sur les livres que les prédécesseurs
de Charles V, à partir de Charlemagne, ont possédés ou fait composer. Il s'en
faut que l'on puisse joindre l'indication d'un ms. à chaque nom : les Carolingiens
jusqu'à Charles le Simple tiennent dignement leur place dans la série des princes
qui ont eu le goût des livres, mais les premiers Capétiens n'y brillent pas.
Saint Louis est le premier d'entre eux dont on puisse dire qu'il a possédé une
véritable bibliothèque. — Parmi les livres composés pour le pieux roi ,
M. D. aurait pu citer le traité intitulé : Eruditio regum et principum, écrit, ou du
moins achevé, en 1259 par Guibert de Tournai, religieux dont on a d'autres
ouvrages ' .
Saint Louis n'eut point, comme plus tard Charles V, l'idée de fonder une
bibliothèque permanente. Il disposa de ses livres en faveur de divers établisse-
ments religieux, et c'est après bien des vicissitudes qu'un très-petit nombre
d'entre eux sont arrivés à la Bibl. imp. ou au Musée des Souverains.
Alphonse, frère de saint Louis, eut aussi le goût des livres, du moins est-ce
pour lui que fut composé ce premier embryon des chroniques de Saint-Denys
qu'on connaît sous le nom de Chronique du Ménestrel du comte de Poitiers.
M. D. suppose qu'un ms., certainement contemporain, de cette chronique, le
n° 5700 du Fonds français, est l'exemplaire même qui fut présenté à Alphonse.
Je note en passant qu'on a élevé la même prétention en faveur d'un ms. du
marquis Costa de Beauregard (n» 505 du catalogue de vente); prétention assu-
rément dénuée de fondement, si, comme le dit la notice du catalogue, l'écriture
est de la fin du xiv* siècle. Ce qui paraît certain, c'est que cems., qui contient
1. J'en ai trouvé un ms. à la bibliothèque des avocats, à Edimbourg {Archives des
Missions, 2' série, IV, 137-8). Depuis, un autre exemplaire du même ouvrage a passé en
vente publique à Paris (Catal. des livres du marquis Costa de Beauregard, Potier, n* 579),
et a été adjugé pour la somme de 40 fr. Il est très regrettable que la Bibliothèque impé-
riale n'ait pas saisi cette occasion de se procurer un ouvrage qu'elle ne possède pas, et
qui, par cela seul qu'il est dédié à saint Louis, devrait figurer dans ses collections.
L'exemplaire de la vente Costa de Beauregard est du reste en bonnes mains : il appartient
maintenant à M. H. Bordier.
d'histoire et de littérature. 297
une miniature de présentation, a dû être exécuté d'après l'exemplaire offert
au comte.
Les paragraphes III et IV offrent des renseignements pleins d'intérêts sur les
livres de Philippe le Hardi, de Philippe le Bel et de sa femme Jeanne de Navarre,
de Louis X et de Clémence de Hongrie, de Philippe le Long, de Jeanne d'Évreux,
de Philippe VI, du roi Jean enfin. On remarquera les curieux détails que M. D.
fournit sur une bible richement enluminée (p. 1 2-3) par trois artistes qui, n'osant
inscrire bien franchement leurs noms à côté, de celui du copiste, les ont dissimulés
sous l'apparence de ces traits aux courbes élégantes qui sont l'un des éléments les plus
heureux de l'ornementation des grandes lettres dans les mss. du xiii* et du xiV s.
— A propos de Jeanne de Bourgogne, femme de Philippe de Valois, M. D.
rectifie une petite erreur qui est en train de faire son chemin dans notre histoire
littéraire. Il montre (p. 1 5, note i) que ce fut à cette princesse que l'auteur du
roman (français) de Girart de Roussillon dédia son plat ouvrage, et non à la
femme de Philippe le Long comme l'avait pensé M . Mignard, l'éditeur de ce roman.
La collection formée par Charles V, la célèbre librairie du Louvre, a été l'objet
de bien des recherches. Toutefois, il suffit de lire les pages que M. D. lui con-
sacre pour reconnaître combien les travaux antérieurs, notamment ceux de
Barrois ' et de Van Praët étaient insuffisants. Le premier M. D. s'est rendu un
compte exaa du rapport des six ou sept^ inventaires de cette collection ; le premier
il a réuni un nombre considérable de notions, nouvelles en partie, sur l'origine
des mss. rassemblés par le roi, sur les caractères de ceux qui furent exécutés
par ses ordres , sur les copistes , enlumineurs et relieurs employés par lui ; le
premier enfin il a dressé la liste de ceux des mss. du Louvre qui existent encore.
Leur nombre s'élève à quarante environ?, dont quelques-uns même ne peuvent
être identifiés avec une entière certitude.
Charles VIetlsabeau de Bavière eurent aussi le goût des livres*, mais ils en
prenaient moins de soin que Charles V. Des soustractions dont on ne sait point
le détail, la négligence des personnes de la famille royale à rendre les volumes
empruntés , avaient peu à peu réduit la collection de 1 200 volumes environ à
843 (selon un inventaire dressé à la mort de Charies VI), lorsqu'elle fut acquise
en 1424 ou 1425 par le dut de Bedford. Depuis lors on en voit divers débris
1. Ce dernier était si complètement dépourvu de critique qu'il lui suffisait d'avoir
constaté l'existence dans la bibliothèque du Louvre d'un ouvrage dont il possédait lui-
même un ms. pour se figurer que son exemplaire était celui-là même qui avait appartenu
à Charles V. Et aussitôt il le faisait revêtir d'une reliure plus riche qu'élégante aux
armes du roi de France. Il a arrangé de la sorte bon nombre des mss. de sa collection,
qui aujourd'hui appartient, comme on sait, à M. le comte d'Ashburnham.
2. Six ou sept, selon qu'on compte pour un ou pour deux les deux exemplaires du
travail de Gilles Mallet (A et B).
3. On conçoit que ce nombre pourra s'accroître par suite de nouvelles recherches. Il y
faut déjà ajouter la bible de Girone sur laquelle voy. Rn. crit., 1868, p. 389, note 2.
4. M. Delisle cite notamment la traduction de la Passion qui fut faite pour cette reine.
Aux trois mss. indiqués p. 50, on peut ajouter ceux-ci : Fonds fr. 966 et 970, fonds
latin 14974, Troyes 1257 et 131 1, Musée Britannique Addit. 9288; sur le dernier de
ces mss. voy. Arch. des Missions, 2' série, III, 277.
298 REVUE CRITIQUE
apparaître de temps à autres à la lumière, sans qu'on puisse savoir exactement
quand elle fut di^spersée.
Il nous faut aller vite, sans nous arrêter à maint détail intéressant dont l'indi-
cation la plus brève nous ferait bientôt dépasser les limites dans lesquelles doit
se renfermer ce compte-rendu. Signalons comme un morceau complet le para-
graphe XIV (p. 56-68), consacré à Jean duc de Berry. Ce que M. D., venant
après plusieurs savants, y a fait entrer, en un espace restreint, de faits nouveaux,
est considérable. Le § XV, qui a pour objet la bibliothèque des ducs de Bourgogne,
bien que riche en renseignements inédits, n'embrasse point le sujet dans son
entier. Les mss, des ducs de Bourgogne ne se rencontrent qu'en assez petit
nombre dans nos collections. M. D, les a notés, laissant aux bibliothécaires de
Bruxelles le soin d'écrire l'histoire détaillée de la collection dont nous n'avons à
Paris qu'un très-mince fragment ' .
Après la vente de la collection formée par Charles V, la librairie royale était
à refaire. Ce soin ne paraît pas avoir beaucoup occupé ni Charles VII ni Louis XI,
Le premier eut d'autres soucis. Mais le second est sans excuse. Il manqua de si
belles occasions ! Il n'avait qu'un mot à dire pour devenir possesseur de quatre
belles collections que les événements avaient mises à sa merci, celles du cardinal
Balue, de Charles duc de Guyenne, de Charles le Téméraire et de Jacques
d'Armagnac. « Malheureusement, » dit M. D., « ks avantages d'une telle mesure
» ne se présentèrent pas à son esprit » (p. 79). A la vérité il confisqua les livres
de Balue, mais ils furent plus tard rendus à leur propriétaire (p. 8^).
Passons par-dessus les paragraphes III à VI du second chapitre, qui sont
consacrés aux collections de Balue, de Charles de France duc de Guyenne, de
Jacques de Nemours, de Marguerite d'Ecosse et de Charlotte de Savoie, femmes
de Louis XI ; notons cependant à l'occasion de Charlotte que bien peu de ses
livres ont été retrouvés. Dans l'inventaire de son mobilier qui fut rédigé en
1484, je vois mentionné un Boccace « du Cas des nobles hommes» (p. 9?) qui
selon toute apparence doit être identifié avec un exemplaire du même ouvrage,
orné des armes de la maison de Savoie, qui se trouve au Musée Huntérien de
Glasgow». Arrivons à Charles VIII. C'est à partir de ce prince qu'il existe véri-
tablement une bibliothèque royale, constituée d'une manière permanente, et
destinée à recevoir d'incessantes accessions. Les efforts de Charles VIII et de
ses successeurs, mieux servis par les événements, auront plus de succès que
ceux de Charies V, et leur collection, sans cesse accrue, nous parviendra dans
son intégrité. Ce n'est pas toutefois que le vainqueur de Fornoue se soit préoc-
cupé au même degré que bien des princes de son siècle du soin de fonder une
bibliothèque. Aux livres de son père il joignit quelques-uns des volumes qu'avait
possédés sa mère, divers ouvrages qui lui furent dédiés, et une petite partie de
1. Beaucoup de ces mss., protégés par la beauté de leur ornementation, ont pris place
dans un grand nombre de collections. Il y en a un magnifique à Oxford (Douce 365), qui
a été écrit, et en partie composé, en 1475, par David Aubert pour Marguerite d'York,
femme de Charles le Téméraire.
2. Arch. des Missions, 2° série, IV, 147.
d'histoire et de littérature. 299
la bibliothèque des rois aragonais de Naples ' . Mais bientôt après lui la librairie
royale recevait un accroissement notable par l'accession des collections des ducs
d'Orléans, des ducs de Milan et de Louis de Bruges. L'histoire de ces trois fonds,
non moins remarquables par la valeur des ouvrages que par la magnificence des
exemplaires, occupe le chapitre IIL Là encore, même lorsqu'il vient après Van
Praët (pour Louis de Bruges), Le Roux de Lincy, L, de Laborde (pour les ducs
d'Orléans), M. D. a su trouver un grand nombre de faits nouveaux et intéressants.
Je signale en passant ce qui concerne les mss. qui ont appartenu à Pétrarque
(p. 1 38-40). Fort habile est la lecture de la note inscrite sur le ms. français 40}
(p. 146) qui avait donné lieu aux conjectures les plus erronées. Il résulte de
cette note, où M. ChampoUion avait cru lire le nom de deux enlumineurs, qu'au
xiv^ siècle on ne faisait point scrupule de gratter l'écriture d'un beau ms. français
pour écrire autre chose à la place. M. D. a publié, p. 1 34-6, un extrait d'inventaire
qui pique vivement la curiosité. C'est la partie consacrée aux livres français dans
un catalogue de la bibliothèque des ducs de Milan rédigé en 1459. ^^ ^'7 trouve
bien des mentions difficiles à expliquer. Peires Cardinales, Arvelde mcrw' indiquent
d'une façon suffisamment claire un chansonnier des troubadours où figuraient
Peire Cardinal et Amaut de Mareuil. Liber Guarini, continens isîoriam .xii.
patrum (!) Francie est probablement un ms. de la geste de Garin de Monglane;
Carolus Martellus un Girart de Roussillon ou un Garin le Lorrain? L'ouvrage intitulé
Isîoria Herculis est sans doute un poème composé par un italien dont on a
plusieurs mss. * Mais qu'est-ce que le De proprietatibus animaliutn in ritimo gallico?
Et que faire de Benini Ariscald? (B... Mariscald?) Comment faut-il entendre :
hore de bello inter duos?
Dans son quatrième chapitre M. D. fait connaître les accroissements de la
bibliothèque du roi depuis l'avènement de François I" jusqu'à la mort de
Henri III. Le règne du premier de ces princes fut pour le Cabinet une époque
véritablement fortunée. Louis XII avait apporté la bibliothèque des ducs d'Orléans,
François I" apporta celle des comtes d'Angoulême, mais son zèle pour les lettres
se manifesta d'une façon bien autrement active lorsqu'il fonda la bibliothèque de
Fontainebleau, destinée d'abord à recevoir les mss. grecs que le roi faisait
acquérir à grands frais ou que d'habiles calligraphes exécutaient par ses ordres,
mais qui devint bientôt 5 et resta jusqu'à la fin du règne de Charles IX 4 le dépôt
général de la librairie du roi. M, D. laisse ici (p. i j i et 1 $7) la parole à Boivin
1. A la p. 97 M. D. conteste cette dernière acquisition admise par les auteurs du
Mémoire historique imprimé en tête du Cûtal. des livres imprimez de la Bibliothèque du Roy
(1739), mais de nouvelles recherches l'ont conduit à en reconnaître la réalité; voy.p.233.
2. J'en ai signalé deux dans les Archives des Missions, 2' série, V, 163, mais il y en a
un troisième à Venise (Keller, Romvart, p. 94-6) et un quatrième au Musée Britannique,
BibL reg., 17. E. Il; voy. Casiey, p. 286. Il paraît aussi que Martin roi d'Aragon
(f 14 10) en possédait un exemplaire; voy. dans Milâ y Fontanals, Trovad. en Esp.
p. 491, le n* 284 de l'inventaire de ses livres.
3. En ^44, lorsque la bibl. de Blois qui provenait des ducs d'Orléans, et, depuis
l'avènement de Louis XII , appartenait à la couronne , fut transportée à F'ontainebleau
(Delisle, p. 178).
4. Voy. Delisle, p. 194.
3 00 REVUE CRITIQUE
dont les recherches, demeurées imparfaites et inédites, n'étaient guères
connues que par l'analyse qui s'en trouve dans le Mémoire historique précédem-
ment cité et dans VEssai de Leprince. Il les complète par la publication de lettres
de Guillaume Pellicier, ambassadeur du roi auprès de la république de Venise,
L'une d'elles (p. 1 56), demeurée jusqu'à présent inédite, est particulièrement
curieuse en ce qu'elle nous révèle la manière libérale dont le roi entendait user
des livres qu'il faisait recueillir avec tant d'ardeur. Une acquisition de la plus
grande valeur fut celle de la collection des ducs de Bourbon , où se trouvait
entre autres merveilles le célèbre Josephe illustré par Foucquet (Fonds fr, 247);
mais ces accroissements sont peu de choses par comparaison à ceux qu'aurait
valus à la Bibliothèque royale la réunion sous la main du roi de tous les mss.
importants existant dans les abbayes du royaume, mesure radicale que la négli-
gence des propriétaires ne suffisait pas à autoriser, et dont il paraît bien que
François I" eut l'idée, si même elle ne reçut pas un commencement d'exécution '.
Désormais la Bibliothèque royale était constituée. Elle n'était plus comme
précédemment une simple collection privée à l'usage du roi et des personnes de son
entourage, elle n'était point encore bibliothèque publique comme elle le fut deux
siècles plus tard, mais elle s'ouvrait libéralement à tous les érudits. Elle se trou-
vait dans les meilleures conditions qui se puissent souhaiter pour la conservation
des livres comme pour leur usage; car si les mss. tenus cachés à tous sont un
bien improductif, les communiquer indistinctement à tout venant, c'est perdre à
bref terme le capital et la rente. Par le fait de François P'' la Bibliothèque royale
est devenue une institution d'État; dès lors utile, elle sera bientôt nécessaire et
passera intacte à travers les bouleversements politiques.
Nous en sommes à peine au tiers de l'ouvrage, et cependant notre analyse
sommaire nous a entraînés dans des développements qui conviennent plus au
Journal des Savants qu'à la Revue critique. Empêchés d'accorder à chacune des
monographies dont se compose ce volume tout l'espace que nous ne manquerions
pas de leur consacrer si elles avaient paru isolément, nous espérons pourtant en
avoir dit assez pour montrer combien les recherches de M. D. débordent le titre
sous lequel elles sont assemblées, combien leur intérêt est varié. Parmi les chapitres
— Userait plus exact de dire les monographies — dont il nous resterait à parler si
l'espace ne nous faisait défaut, les uns sont indispensables à l'économie de
l'ouvrage ; d'autres, et ce ne sont pas les moins intéressants, se sont introduits
I. Il y a sur ce point un témoignage de Du Boulay, Hist. un'iv. Par. IV ^ 951, que
rapporte M. Delisle, p. 162. Il se peut bien qu'il y ait là quelque exagération et que
l'assertion de l'historien de l'Université n'ait pas d'autre fondement que les lettres patentes
auxquelles fait allusion Jean de Gagny dans une épitre dédicatoire. adressée au roi son
protecteur. L'auteur de cette épitre déclare simplement avoir été chargé de transcrire les
livres qui lui paraîtraient « estre au profict de la républicque littéraire et accession de
» l'empire de philologie, et s'estre mis, en exécution des ordres royaux à fouiller toutes les
» librairies des monastères et chapitres qui se sont rencontrées sur sa route tandis qu'il
B était en la compagnie du roi » (Delisle, p. 163). J'ai fait de vaines recherches pour
retrouver ces lettres patentes dont le texte nous éclairerait sans doute sur les intentions
précises du roi.
d'histoire et de littérature. 301
par le procédé de l'association des idées. Entre ces derniers on remarquera les
§§ (p. 183-189) consacrés aux collections de Louise de Savoie, de Marguerite
d'Angoulême et de Diane de Poitiers, desquelles la Bibl. imp, ne possède que de
faibles débris, recueillis à diverses époques. Comment parler de François I" sans
s'intéresser à sa mère et à sa sœur ? et puisqu'il est incertain si le chiffre bien
connu d'Henri II contient l'initiale de Diane de Poitiers ou celle de Catherine
de Médicis, n'était-il pas tout naturel d'unir dans le même paragraphe la belle
duchesse de Valentinois à son royal amant? L'acquisition (i 595) de la Bible de
Charles le Chauve fournit à M. D. l'occasion d'introduire (p. 200-7) <îes
recherches sur la bibliothèque de l'abbaye de Saint-Denis , qui n'eussent guère
pu trouver place dans le second volume, car, ruinée pendant les guerres de
religion, l'illustre abbaye de laquelle proviennent nos plus antiques diplômes, ne
put à la Révolution fournir à la Bibliothèque nationale que deu.x mss. Entre les
collections entrées dans leur entier à la Bibliothèque, les plus importantes sont,
dans l'ordre d'acquisition, celles des frères Dupuy, de Gaignères, de Baluze, de
Saint Martial de Limoges, de la famille de Mesmes, de Colbert enfin, la plus
riche de toutes. Envisagée sous des aspects jusqu'ici peu éclairés, la physionomie
des grands collecteurs du xvii^ et du xviii^ siècle s'enrichit de traits nouveaux.
Les uns, Colbert, Gaignères, y gagnent; d'autres, comme Baluze, y perdent.
Mais pourtant, s'il est vrai (voy. le curieux petit fait révélé par M. D. p. 366-7)
que ce dernier se montrait peu communicatif des matériaux qu'il avait réunis,
qui pourrait lui en faire un reproche, considérant le soin, la critique avec laquelle
il savait les mettre en œuvre! Ce qui reste à sa charge, c'est une tendance bien
constatée à faire dériver vers sa propre collection des pièces de choix destinées
à Colbert (voy. p. 365, 459 et 472).
Ceux qui ne gagnent pas à ces incursions dans le domaine de la vie réelle, ce
sont les moines, propriétaires ignorants et négligents de bibliothèques où la plu-
part des collectionneurs du xvii'' siècle allaient se pourvoir comme au marché.
Au temps de François P"", Jean de Gagny comparait les moines et leurs librairies
à des nations barbares, se morfondant « en froid et nuit d'ignorance » auprès
de forêts dont elles défendaient l'usage aux étrangers aussi bien qu'à eux-mêmes
(p. 162-3). Dans le siècle suivant, des témoignages irrécusables attestent l'aban-
don où étaient laissées les bibliothèques de l'abbaye de Fécamp (p. 3 2 2) et de la
plupart des établissements monastiques compris dans le ressort de la généralité de
Caen (p. 448). Au xviii* siècle on jetait par tombereaux dans la Loire des livres
de Saint-Martin de Tours qu'on avait laissés pourrir à l'humidité (p. 462, n. 3).
De toutes les collections acquises en bloc par la Bibliothèque il existe des
catalogues particuliers. Elles ont pendant un temps plus ou moins long formé des
fonds distincts. Il n'y avait donc point à en reconstituer la composition comme
M. D. l'a fait pour les collections qui ont été dispersées et dont nous ne possé-
dons que des éléments épars. Mais il y avait à en faire connaître la formation,
qui sans contredit a été un des faits considérables de la vie scientifique de notre
pays. M. D. s'est acquitté de ce soin avec une abondance d'information qui
n'exclut pas la sobriété dans l'exposition. Les particularités qu'il a recueillies et
ÎOl REVUE CRITIQUE
habilement groupées renferment plus d'un enseignement. Rien de caractéristique
comme certains des procédés mis en œuvre pour constituer la bibliothèque col-
bertinc.Sans doute le grand ministre resta bien au-dessus des manœuvres par
lesquelles on tenta, avec plus ou moins de succès, de circonvenir les chapitres de
diverses églises afin de leur soutirer leurs plus précieux mss. ', mais la servilité
dont firent preuve dans ces circonstances les intendants ou autres fonctionnaires,
dans l'espoir d'attirer l'attention bienveillante de leur chef, est bonne à noter,
pour l'histoire des traditions administratives.
Comme toutes les recherches qui ont pour objet des faits analogues étudiés
en des temps et en des milieux différents, le travail de M. D. fait surgir à tout
instant des oppositions ou des similitudes dont la considération est instructive.
Ainsi, il est curieux de chercher dans chaque collection le reflet des tendances de
l'époque et des goûts particuliers du collectionneur. Les mss. exécutés pour
Chades V, d'une écriture soignée, d'une ornementation simple, en même temps
qu'élégante, offrent généralement un caractère sérieux. Les traductions d'auteurs
anciens, profanes aussi bien qu'ecclésiastiques, les traités scientifiques y abondent.
Le fonds l'emporte sur la forme. — Dans les mss. de son frère, le duc de Berry,
homme dépensier et vain, l'ornementation est somptueuse. La bibliothèque elle-
même, très-variée, n'accuse point de direction bien déterminée. — Les livres
faits pour le seigneur de La Gruthuyse, aussi beaux, dans un autre genre, que
ceux du duc de Berry, marquent une phase dans l'histoire de l'art flamand. Peu
après l'invention de l'imprimerie le luxe des mss. passe de mode : le cardinal
d'Amboise (f 1 5 lo), l'un des fidèles à une tradition expirante, fait encore exé-
cuter à grands frais des copies manuscrites admirablement enluminées. —
François I" recherche surtout les mss. grecs. — Claude Dupuy (-j-i $94) a surtout
de beaux anciens mss. des classiques latins. — Ce n'est pas avant le règne de
Louis XIII qu'on s'occupe de recueillir en Orient des mss. sémitiques (collection
de M. de Brèves, p. 214-5). ^^ tour des mss. indiens ne vint que bien plus
tard, et les premiers qu'on acquit n'avaient guère de valeur. — La première
grande collection historique formée de copies manuscrites est probablement celle
de Brienne (sous Louis XIII). Elle avait du reste un but pratique (Delisle,
p. 21$); ce n'est que plus tard que l'on commença à former des collections
destinées à un usage purement scientifique de pièces d'archives soit en original,
soit en copies ; mais ce goût se répandit avec une extrême rapidité, et on sait que
nous lui devons la conservation d'une masse énorme de documents qui ont
disparu, tant par suite du brûlement des titres féodaux que par la négligence de
leurs anciens propriétaires, ou de l'administration moderne à qui incombait le
soin de les conserver.
Mais il faut nous arrêter, bien que nous n'ayons rien dit de plusieurs chapitres
l. Voy. ce qui concerne le chapitre de Metz (p. •448-50), les chapitres de Saint-Martin
et de Saint-Gatien de Tours (p. 459-62), l'abbaye de Savigny (p. 463-4), etc. — Pour-
tant, au moins en ce qui concerne l'enlèvement des archives de Gand (p. 467-8), la con-
duite de Colbert est loin d'être irréprochable. Il est difficile aussi de ne pas considérer
certains dons dp mss. comme de véritables pots de vin (voy. p. 475).
d'histoire et de littérature. J05
d'un grand intérêt. Un livre aussi riche en faits suggère plus d'idées qu'il n'en
exprime, et se prête difficilement à un compte-rendu bien proportionné. La table
qui terminera l'ouvrage montrera combien de sujets, auxquels je n'ai même pu
faire une rapide allusion, reçoivent une lumière nouvelle par suite des recherches
de M. Delisle. J'espère qu'on y trouvera réunis sous un seul chef les noms des
enlumineurs ou miniaturistes que M. D. a eu si souvent occasion de citer, plu-
sieurs pour la première fois; sous un autre les noms des copistes; sous un
troisième les devises inscrites sur un si grand nombre de mss. exécutés pour des
familles seigneuriales ou princières. Il est une autre liste qui rendrait de bien
grands services à l'histoire littéraire comme à la paléographie , et qui mériterait
de former une table à part : c'est la liste par fonds de tous les mss, (on pourrait
se borner à ceux de la Bibl. imp.) dont l'origine a été déterminée dans l'ouvrage.
L'intérêt qu'il y a à être exactement renseigné sur l'origine des mss. ne sera
pas contestée par les savants qui savent que leur valeur dépend pour une grande
part de leur provenance. Il en est d'ailleurs des mss. comme des médailles et
des monnaies anciennes, qui bien souvent ne valent guère plus que le prix du
métal, mais qui peuvent servir, lorsque le point où elles ont été trouvées est
connu, à résoudre d'importants problèmes historiques. Quel intérêt présente en
soi un ms. français du xiv® siècle qui contient les Sermons de Maurice de Sully,
le Lucidaire, l'histoire (en prose) de Barlaam et Josaphat....? Aucun, puisqu'on
a de ces mêmes ouvrages bon nombre de mss. plus anciens. Mais s'il est reconnu
que ce ms., qui est le n» 187 du Fonds français, a fait partie de la bibliothèque
des ducs de Milan (Delisle, p. 128) et qu'il a été exécuté en Italie, il acquiert
aussitôt une certaine valeur en ce qu'il constate pour sa part l'extension des
lettres françaises au delà des Alpes.
On sera heureux de pouvoir retrouver aisément dans le livre de M. Delisle
ces indications de provenance, puisque le Catalogue du Fonds français, dont le
premier volume a été récemment publié par l'administration de la Bibliothèque
impériale, ne les donne pas. Et malheureusement c'est par bien d'autres côtés
encore que ce catalogue laisse à désirer. Mais n'anticipons pas sur un compte-
rendu qui aura son tour '. P, M.
I. Je rejette en note trois ou quatre remarques trop peu importantes pour figurer dans
le texte. P. 187, n. 61, il n'est malheureusement pas exact que lems. jo6oducatal. Offor
ait été vendu, car un incendie détruisit toute la collection dans la nuit du 29 juin 1865,
après la première vacation qui comprenait les n" i à 31$. Le ms. 2442 du même cata-
logue (cité p. 306, n. 7) est naturellement compris dans ce désastre. — P. 206, note,
col. !, canonicis, 1. cronicis. — P. 256, le n* 7 de l'inventaire des mss. du card. d'Am-
boise : « Vita Christi, en parchemin, contenant deux volumes, couvert de velours violet, •
est probablement le n* 9 du catalogue des mss. de la duchesse de Berry ( 1864). Il est
bien vrai que cet exemplaire se compose de trois volumes, mais si mes souvenirs me servent
bien, le troisième est d'une ornementation différente, et aurait fait partie originairement
d'un autre exemplaire. En tout cas les trois volumes en question ont appartenu au cardinal,
puisqu'ils sont ornés de ses armes. — P. 167-70. Les renseignements sur les livres du
cardinal de Bourbon paraissent rares; un très -beau ms. du Musée Hunter à Glasgow a
été exécuté pour lui (Arch. des Miss., IV, 150). —P. 379, n. 8. Ajoutez qu'un des plus
beaux mss. du même Musée porte la signature de Foucault (/. /. 146).
304 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
223. — Le Miracle de Théophile de Rutebeuf, revu sur les manuscrits, traduit
et accompagné de notes, par Axel Henri Klint, professeur suppléant au collège de
Gefle (thèse pour le doctorat présentée à la très-célèbre université d'Upsal). Upsal,
Schultz, 1869. In-4% iv-28 p.
M. Klint a revu sur les manuscrits l'édition du Théophile de Rutebeuf donnée
par M, Jubinal; il y a joint une traduction, il l'a accompagnée de notes et d'une
courte introduction. — Les corrections faites au texte sont peu de chose, ce
qui s'explique puisque, sauf une centaine de vers (la repentance et la prière de
Théophile, qui sont dans le ms.fr. 1635), cet ouvrage est conservé dans un
ms. unique (B. I. fr. 837). L'impression est correcte et la ponctuation intelli-
gente '. On ne peut approuver l'auteur d'avoir coupé en deux les vers alexan-
drins qui se rencontrent à plusieurs reprises dans ce Miracle; il allègue des rai-
sons insuffisantes : la véritable n'est-elle pas que l'impression a été plus com-
mode de cette façon ? — Dans la traduction, je relève une ou deux petites
inexactitudes; ainsi v. 91 « qu'en avez-vous entalenté ?« est rendu par : «Qu'en
avez-vous attendu ? » le sens est : « A quoi vous êtes-vous résolu, qu'avez-vous
en talent, en désir ? » — Paier (v, j 1 5) est traduit par payer, mais ici ce verbe
a encore la signification du latin pacare, il veut dire, comme dans d'autres
textes, réconcilier. — V. 394, Théophile dit : Si ai laissié le basme pris me sui
au seu »; M. Kl. traduit 5eu par suif; c'est une erreur : sébum ne pourrait
en aucun cas donner seu en deux syllabes. Seu veut dire sureau (lat.
sabUcus) : on attribuait sans doute à cet arbre des propriétés nuisibles. En
résumé, la traduction de M. Kl. est fidèle, claire et correcte. Il n'a connu ni
l'édition ni la traduction que M. Fr. Michel a données de ce Miracle dans le
Théâtre Français au Moyen-Age (p. 1 39 ss.); il a en général, au moins pour l'exac-
titude, l'avantage sur son prédécesseur. — Les Notes contiennent d'abord des
remarques judicieuses et intéressantes, mais trop incomplètes, sur la versification,
puis différentes observations sur la langue. Ces dernières montrent que l'auteur
a une certaine lecture dans la littérature du moyen-âge et connaît les livres de
Diez, Burguy, Littré, Scheler, etc. La remarque sur le v. 362 : (.4 mon vuet)
Fussiez vous evesques eus, n'est pas juste. « Presque comme si l'on eût àil fussiez
élu, » dit l'auteur. Fussiez eu est ici pour eussiez été; c'est un exemple à joindre
à ceux qu'a rassemblés, de cette curieuse façon de parler, M. Adolf Mussafia
(voy. Jahrbuch fur romanische Literatur, t. V, p. 247-48). — Ce petit travail
est un bon début; souhaitons qu'il soit bientôt suivi d'ouvrages plus im-
portants.
G. P.
1. M. Kl. n'emploie ni les accents, ni les trémas, ce qui est un système plus commode
pour l'éditeur que pour le lecteur ; il ne met pas d'apostrophes, mais laisse un blanc entre
les deux mots dont le premier a un e fém. élidé; ainsi t aiderai, m en, qu ai. Je n'approuve
pas cette façon d'écrire, qui n'est ni celle du moyen-âge, ni celle de nos jours, et qui pré-
sente à l'œil des formes tout-à-fait insolites.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
die Herrschap der Vernunft; art. d'Ad. Neubauer. — Histoire, géograpiiie, etc.
Janus (= Dœllinger), Der Pabst und das Concil, Leipzig, Steinacker; ouvrage
d'actualité qui cependant a une grande valeur scientifique. — Freeman, The
History of the Norman Conquest of England, t. III; Oxford, Clarendon Press.
— Brewer, Calendar of the Carew mss.; Longmans; H. Schliemann, L. Pélo-
ponnèse, Troie; Paris, médiocre livre justement critiqué par H. F. Tozer. —
Philologie orientale. De Vogué, La Syrie centrale ; art. favorable par Th. Nœldeke,
sur un livre dont nous rendrons compte prochainement. — G. Ebers, .Egypien
u. die Biicher Mose's; I; Leipzig; art. favorable par T. K. Cheyne. — Littérature
classique, etc. L. Mùller, Geschichte d. Idassischen Philologie in den Niederlande ;
cf. Rev. ait., 1869, art. 145. — Nutzhorn, Die Entstehungsweise d. Homerischen
Gedichte; art. de Munro; cf. Rev. crit., 1869, art. 140. — Weidner, Commentar
zu VergiPs Aneis; Leipzig, Teubner; art. du Prof. Conington qui vient de mourir.
— The Mostellaria of Plautus, \\'ith notes by W. Ramsay, Macmillan ;
médiocre travail dont le critique, M. R. Ellis, ne dissimule pas les imperfections.
— Les renseignements réunis à la fin de chaque section sous le titre d'Intelligence
sont particulièrement développés et intéressants en ce qui se rapporte aux sciences
naturelles.
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N* 46 Quatrième année 13 Novembre 1869
REVUE CRITIQUE
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qui paraît bien fait. — Thefirsî Book of Common prayer of Edward VI... reprinted
by the Rev. H. Baskerville Walton; Rivingtons. — Articles originaux : Sainte-
Beuve; — les autographes de M. Chasles; — de la composition du prétendu
sang de saint Janvier.
30 octobre.
J. J. Bond, Handy-book of Rules and Tables for verifying Dates with the Christian
Era; Bell and Daldy. — Janus (= Dœllinger), The Pope and the Council;
Rivingtons; simple analyse. — Articles originaux: Lord Derby; — M. Leverrier
et M. Chasles (M. Chasles y est traité avec une sévérité qui n'est pas imméritée).
Jahrbûcher fur Kunstwissenschaft. Hrsg. von A. voN Zahn. Leipzig,
Seemann.
2^ année. 2° livraison.
Hassler, Documents relatifs à l'histoire de l'architecture au moyen-âge
(extraits des archives d'Ulm, d'Esslingen, Nœrdlingue et Bopfmgen). — Henszl-
MANN, L'album d'un artiste italien du xv!** siècle (cet album appartient au comte
Zichy, en Hongrie). — Albert Jahn, Collection des dessins des architectes
italiens,_ dans la galerie des Offices à Florence. — A. de Zahn, Masolino et
Masaccio (l'auteur complète et rectifie le travail que MM. Crowe et Cavalcaselle
ont consacré à ces deux maîtres dans leur histoire de la peinture italienne). —
Parthey, Miniatures du vin* ou ix" siècle (Topographia christiana de Cosmas
Indi copleutes, au Vatican). — M. Thausing, La « Laurea » du char triomphal
de l'empereur Maximilien, et deux tableaux de Jean de Culmbach (article très-
important, contenant différentes découvertes relatives à l'œuvre de Durer et à
celui de son élève Jean de Culmbach). — Bibliographie et Extraits. Notizie
intorno aile due statue erette in Bologna a Giulio II, etc. par B. Podesta.
Bologna regia tipografia 1868 (compte-rendu par Tourtual). — Cesare Bernas-
coni, Studi sopra historia délia Pittura Italiana dei secoli xiv* e xv° délia seccola
pittorica Veronese. Verona 1865 (par F, W. Unger, de Gœttingue).
Cette livraison, comme on a pu le voir, par cette analyse sommaire, contient
une foule de travaux intéressants, et nous sommes étonnés que le recueil excel-
lent dont elle fait partie ne se répande pas davantage. Nous regretterions vive-
ment, pour notre part, de le voir disparaître. Un seul moyen, que nous avons
déjà indiqué dans la Chronique des Arts, nous semble propre à lui procurer la
pubHcité et les abonnés qui lui manquent : qu'on en fasse un recueil international,
comme les Jahrbiicher fur romanische und englische Literatur, et comme la future
Reme celtique. Trop longtemps déjà les historiens d'art sont isolés, et trop long-
temps les feuilles locales ont dérobé à la connaissance du grand nombre une foule
de découvertes artistiques du plus haut intérêt. Le moment est venu de centra-
liser les travaux, et de réunir dans une seule pubHcation tous ces documents trop
étendus ou trop arides pour trouver place dans la Gazette des beaux-arts, ou dans
la Zeitschrift fur bildende Kunst. Ouvrez les Jahrbûcher fiir Kunstwissenschaft aux
savants et aux langues des différentes nations, rien ne s'y oppose, et du coup
vous créez entre les travailleurs sérieux les relations les plus utiles, et vous hâtez
les progrès de la science.
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 46 — 13 Novembre — 1869
Sommaire : 224. Garât, Origines des Basques. — 225. De Goeje et de Josg,
Fragments d'historiens arabes. — 226. Pott, Recherches étymologiques. — 227.
Charvet, Mémoires historiques sur Vienne, p. p. Allut et Savigné. — 228.
DoNALiTius, Poésies lithuaniennes, p. p. Nesselmann. — 229. Ferri, la Philoso-
phie en Italie au XIX* siècle. — 250. Stapfer, Causeries guernesiaises.
224. — Origines des Basques de France et d'Espagne, par D.-J. Carat.
Paris [Montpellier], Hachette, 1869. Petit in-8* de couronne, vj-294 p. Prix : 3 f. 50
A s'en rapporter au titre de ce petit volume, il aurait la prétention d'avoir
traité ex-professo l'une des questions les plus grosses d'incertitudes et d'obscu-
rités sur lesquelles se puisse exercer la controverse des savants et des érudits; bien
plus , l'auteur se persuade avoir si complètement , si lumineusement résolu le
problème, que dans un élan d'admirable confiance en son œuvre, faisant sienne
la parole évangélique, il nous dit, comme Jésus à Thomas : « Voyez et ne
» soyez plus incrédules ! » — En face d'un écrivain pénétré d'une telle foi, quel
euphémisme employer pour lui faire comprendre le néant du triomphe qu'il croit
tenir? — Sans nous arrêter à quelques écarts de grammaire (p. 1 38, i jo; j?,
156; 149), simples provincialismes peut-être; sans rien dire non plus de
quelques lapsus onomastiques (p. 66, 1 50, 221, etc.) dont il lui est permis de
rejeter la responsabilité sur le dos du typographe montpessulain ; fermant discrè-
tement les yeux sur telle ou telle inadvertance de géographie (p. 144) ou
d'histoire (p. 170), nous nous empresserons volontiers de proclamer que son
petit volume est agréablement, chaleureusement écrit, coloré même d'une légère
teinte de chauvinisme local qui ne lui messied point; mais il nous faudra bien
ajouter aussitôt que c'est un parfait Éloge des Basques, à l'adresse des gens du
monde, et nullement un traité des Origines de ce peuple à destination des savants
et des érudits sérieux : il n'en est plus que l'on puisse amuser aujourd'hui'avec
des solutions fantaisistes formulées à l'aventure sur des questions à peine
entrevues par la surface. — Il est vrai qu'en jetant les yeux sur la table des
matières où l'auteur a résumé la disposition générale de son travail, on pourrait
croire à un programme assez plausiblement conçu : trois chapitres auraient d'abord
pour objet l'exposition de la thèse, en remontant d'une description des Basques
modernes (un peu bien exclusivement peut-être ceux d'Ustaritz et de Cambo),
à une revue des diverses théories proposées sur leurs origines, pour s'arrêter
spécialement sur les Phéniciens et leurs associés Sémites, en qui l'écrivain,
homonyme de l'ancien sénateur Carat (son filleul apparemment, son petit-neveu
peut-être?), est déterminé à voir comme lui les fondateurs de la nationalité
basque ; quatre chapitres seraient ensuite consacrés aux justifications de la solution
proposée : justifications historiques, justifications géographiques, justifications
VIII 20
306 REVUE CRITIQUE
linguistiques, et justifications indéterminées (il s'agit des Maures, desGoths,
et de la danse); après quoi la conclusion. Mais le texte est bien loin de remplir
ce cadre; il effleure à peine quelques points, et nulle part il n'entre au cœur de
la question, autour de laquelle il promène, au lieu d'une investigation rigoureuse
et sagace, une admiration exclusive, si bien que les justifications annoncées, où
l'on se serait imaginé devoir trouver au moins quelque semblant de preuves, se
résolvent en une simple apologie ou défense (p. 14$)) ^ l'encontre des accusations
(c'est l'expression coup sur coup répétée p. 125 à 135, passim) susceptibles
d'amoindrir l'éclat des mérites basques. — Évidemment l'auteurn'étai't pas suffi-
samment préparé pour une tâche dont il semble n'avoir pas même mesuré la
portée. Son érudition, mieux approvisionnée de noms que de choses, balance
entre eux, dans une impartiale inexpérience, les compilateurs les plus obscurs et
les maîtres du savoir, distribuant à l'aveuglette le titre de membre de l'Institut
(p. 213, 246), prenant pour anonymes (p. 147, 213) ceux dont il a oublié de
lire les noms à une autre place qu'au frontispice de leurs œuvres, ne s'étant pas
toujours donné le temps de rechercher et encore moins d'étudier certaines données
essentielles du problème qu'il prétendait résoudre, ne connaissant trop souvent
ses autorités que de seconde ou de troisième main, et les désignant à l'avenant,
sous des intitulés fantastiques. Les discussions qui ont si fort occupé les spécia-
listes les plus autorisés dans le sein de la société d'anthropologie de Paris, pour
la détermination des types naturels observés chez les populations de race basque ;
les éléments linguistiques à considérer dans le rapprochement comparatif des
peuples chez lesquels on se hasarde à supposer une affinité possible ou même
une paternité directe à l'égard des Basques ; et tant d'autres études préalables
indispensablement nécessaires pour oser se risquer en ces difficiles questions :
ce sont choses dont notre auteur ne paraît pas s'être suffisamment préoccupé.
En revanche il croit aux chants cantabres contemporains de César Auguste ; il
croit à l'antiquité historique de ce Lelo il Lelo (p. 132) qui semble un écho de
quelque litanie musulmane ; il croit à la chanson basque de la défaite du paladin
Roland sur la montagne d'Altabiscar (p. 154 a 154), ce pastiche ingénieusement
ajusté sur une cantilène enfantine des noms de nombre. Mais quand et comment
cette langue basque, si profondément séparée par ses caractères propres de
toute parenté soit aryenne soit sémite, et à laquelle on n'a pu encore découvrir
d'analogies qu'avec les idiomes agglutinatifs touraniens ou les idiomes polysyn-
thétiques américains ; quand et comment cette langue euskara aurait-elle été radi-
calement effacée de la mémoire de ses usagers primitifs (inévitablement Ibériens
au moins par l'habitat), pour venir remplacer, dans la bouche des advènes Phé-
niciens (enfants incontestables de Ham), le parler sémitique par eux antérieure-
ment appris sur les rivages palestins i* Le docte ethnologue n'a cure de nous
l'expliquer ; c'est cependant un détail qui mériterait peut-être un éclaircissement !
Terminons là et concluons. L'auteur du petit livre que nous avons sous les
yeux a probablement cru que les Origines des Basques étaient une question d'autel
et de foyer pour la solution de laquelle les défaillances de savoir pourraient être.
d'histoire et de littérature. 307
au besoin, suppléées par les chaleureuses inspiratious du patriotisme : c'est une
illusion, que l'inexorable critique a le rigoureux devoir de lui enlever. Mais le succès
qu'il ne saurait légitimement obtenir aujourd'hui dans la carrière ardue où il s'est
imprudemment fourvoyé, il l'atteindra aisément sans doute sur la voie plus large
de la littérature élégante, qui est naturellement toute ouverte à son Éloge des
Basques. *
22$. — Fragmenta historiconim arabicorum. Tomns primus, continens partem
tertiam operis Kitabo'l-oyun wa'1-hadaik fi akhbari '1-hakaIk, quem ediderunt M. J. de
GoEjE et P. DE JoNG, I vol. in-4* de viij et 410 p. Lugduni Batavoruni, apud E.J.
Brill, 1869. — Prix : 18 fr. 50.
L'histoire des califes s'est enrichie depuis une douzaine d'années de quelques
ouvrages importants, parmi lesquels il convient de citer au premier rang l'édition
du Fakhry, que l'on doit à M. \V. Ahlwardt. Il ne faut pas non plus passer sous
silence l'abrégé de l'histoire des califes, de Soyouthy, publié à Calcutta par le
capitaine W. Nassau Lees. Mais ces écrits, malgré leur intérêt, ne peuvent nous
dispenser de recourir à des histoires plus détaillées et composées à une époque
moins récente. Il faut donc applaudir à l'idée que deux savants professeurs
hollandais, déjà signalés par des travaux fort recommandables, ont eue de réunir
dans une même publication deux précieux fragments d'histoire orientale, dont le
second est en partie la répétition, en partie la continuation du premier. Le volume
que nous avons sous les yeux comprend le premier de ces fragments, qui était
déjà connu des orientalistes grâce à trois extraits étendus, édités à Leyde par
M. de Goeje et par deux de ses compatriotes. Il est emprunté à un manuscrit de
la bibliothèque de l'Université de Leyde, intitulé KitaboHoyouni welhadayki fy
akhbari Hhakayki, c'est-à-dire le Livre des sources et des vergers, traitant des récits
véridicjues. Ce manuscrit, le seul connu en Europe, consiste en un volume, qui
ne forme que le troisième tome de l'ouvrage complet, et contient l'histoire des
califes depuis Walid P"", le sixième des Omaiyades, jusqu'à Mo'tassim, le huitième
souverain de la dynastie des Abbassides. Il embrasse, par conséquent, une
période d'environ cent quarante années lunaires, de l'an 86 à l'an 227 de l'hégire
(705-842 J.-C). Le nom de l'auteur nous est inconnu, et nous ne savons absolu-
ment rien à son sujet, si ce n'est qu'il vivait après le xi^ siècle. Mais son livre
est de la plus grande importance pour les annales du califat. On y trouve un
récit, en général circonstancié, des expéditions dirigées par les califes en per-
sonne ou entreprises par leur ordre, et des notices nécrologiques, le plus souvent
fort succinctes, sur les personnages marquants en tout genre. A la fin de chaque
règne l'auteur indique le nombre des enfants du souverain, et fait connaître ceux
qui ont laissé quelque souvenir ; il passe en revue les ministres, les secrétaires
des princes, les cadis ou juges, et termine cette nomenclature par le relevé des
principaux rebelles ou sectaires qui se sont soulevés durant la même période.
Plusieurs de ces notices offrent un très-grand intérêt. Il en est de même, à plus
forte raison, des récits plus détaillés consacrés à certains chefs qui essayèrent de
308 REVUE CRITIQUE
se soustraire à l'autorité califale, soit par pure ambition, soit par fanatisme reli-
gieux, ou pour revendiquer les droits qu'ils croyaient tenir de leur naissance.
Telles sont, par exemple, les pages où sont retracées la révolte de Yézid, fils
du célèbre général Mohalleb ibn-Aby Sofrah, et celle de Zeyd, fils d'Aly Zeyn-
Al'abidyn et arrière-petit-fils du calife Aly. Ce personnage fut le fondateur de la
secte des Zeydites, laquelle existe encore dansle Yémen. Il prit le titre de calife
dans la ville de Coufa, à la sollicitation des partisans qu'y comptait sa famille,
et malgré la juste défiance qu'aurait dû lui inspirer le sort de son aïeul, Houçayn.
Mais il ne tarda pas à succomber dans une bataille que lui livra l'émir de l'Irak
au nom du calife Hichâm. Trahi par ses troupes, le malheureux alide résista
courageusement, à la tête d'une poignée d'hommes, fut atteint d'une flèche au
milieu du front, et ne survécut pas à l'extraction de ce projectile. Les aventures
de ce prince et celles de Yézid, fils de Mohalleb, son devancier, sont racontées
par le chroniqueur anonyme avec les détails les plus circonstanciés et les plus
dramatiques. Il est difficile de ne pas s'intéresser au sort de chefs si braves, si
généreux et si supérieurs à la plupart de leurs contemporains et de leurs adver-
saires, soit par leur courage, soit par leur libéralité et leur grandeur d'âme.
Le présent volume est dû pour les trois quarts environ aux soins de M. de
Goeje et pour le reste à ceux de M. de Jong qui, appelé de Leyde à Utrecht,
pour y occuper la chaire de langues orientales illustrée jadis par Adrien Reland,
n'a pu poursuivre jusqu'à la fin son travail d'éditeur. Dans l'exécution d'une
tâche qui présentait de nombreuses difficultés, les deux orientalistes hollandais
ont montré un grand zèle et beaucoup de savoir. Ils ont souvent corrigé fort
heureusement le texte de leur auteur, soit par conjecture, soit en recourant à
d'autres historiens qui ont traité des mêmes matières, tels que Ibn-Khaldoun et
Noweïry. Plusieurs des restitutions empruntées par eux à ces deux écrivains, en
ce qui concerne la révolte de Zeyd, sont confirmées par un passage de Makrîzy,
dans sa Description de l'Egypte ^ , passage qu'ils ne paraissent pas avoir connu.
Nous ajouterons ici quelques observations que nous a suggérées une lecture
attentive du texte édité par MM. de Goeje et de Jong.
Page 30, 1. 8, au lieu de galabatho, que M. D. G. a lu en place de la leçon
du ms. {'allatho), je préférerais 'alatho, qui se rapproche plus de celle-ci. Le sens
reste, d'ailleurs, à peu près le même (le surmonta). A la page 117, 1. 6, en
place de yoçakinanny, il vaut mieux lire, je crois, yocakinannaho (que personne
n'habite dans le même lieu que lui). A la page suivante, 1. 5, le mot ben (fils),
qui suit le nom d'Omm-'Abd-al-Méhc, doit évidemment être changé en tint
(fille). Page 132,1. 1 1 , le verbe kala (dit) est une faute de copiste ou d'impres-
sion pour kama (monta sur le trône). Page 218, 1. 12, il est question d'un
général qui détourna ' les eaux situées dans le voisinage du camp de son adver-
1. T. II, p. 437 à 440.
2. Sur ce sens du verbe ghawwara, cf. Dozy, glossaire sur Ibn Bédroun, p. 100 et
glossaire sur le Bé-jan almogrib, p. 37.
d'histoire et de littérature. 309
saire et y fit jeter des charognes. Au lieu du verbe ghawwara, que porte le ras.,
les éditeurs ont préféré lire ^awwarûy verbe qui signifie « combler (un puits) » et
aussi « gâter, corrompre. » Nous pensons que la leçon du manuscrit aurait dû
être conservée, et ce n'est pas le seul cas oij l'on pourrait faire la même obser-
vation. Par exemple, à la page 298, 1. 4, on trouve mentionnées des étoffes
dont se revêtait l'imâm Malic, fils d'Anas, fondateur d'une des quatre sectes
orthodoxes de l'islamisme. Le nom de ces étoffes, qui se lit ma'diniya dans le
ras., a été à tort changé en 'adéniya par les éditeurs '. A la ligne 3^ de la page
244 il est fait mention d'un chef de la famille d'Aly, Mohammed , fils d'Abd-
Allah, qui dans un combat où il finit par être tué, se laissa tomber sur les genoux
et se mit à se défendre, dans cette posture. Au lieu des mots yadzobbo ^an nafcihi,
que j'ai traduits par «se défendre », et qui sont éviderament la vraie leçon, ainsi
que le prouve la comparaison du passage correspondant d'Ibn-Alathyr », les
éditeurs ont imprimé yadobbo biseyfihi, ce qui ne pourrait signifier autre chose
que « ramper avec son épée. » De plus, je suis fort tenté de regarder comme
transposés cette troisième ligne et les six premiers mots de la suivante, et à les
reporter à la jMigne de la page 245, avant oué thaanaho. Cette conjecture
s'appuie également sur l'autorité d'Ibn-Alathyr, A la page 285, 1. 18, au lieu de
féyayiçou, il faut ]lTe fétéayyaça. Page 287, vers le milieu, on rencontre un verbe
qui dans le manuscrit est tracé d'une manière assez confuse, et que les éditeurs
n'ont pas essayé de restituer. Je serais fort disposé à rétablir ainsi ce passage :
lam achocca annaho « je ne doutai pas qu'il, etc. » Page 301, 1. 16, au lieu du
premier ila il vaut mieux lire min. Le nom de la localité mentionnée page 354,
1. 7, est Arradzâneïn et non Arradzaaeïn. C'est le duel d'Arradzân, nom qui dési-
gnait deux districts du territoire de Bagdad, que l'on distinguait par les surnoms
de supérieur et inférieur». Page 406, 1. 9, au lieu de omfakaho, je préférerais
lire avec un simple déplacement des points diacritiques de la troisième et de la
quatrièrae lettre, ouakafaho. Enfin, je ferai observer (ce que les éditeurs ont
négligé d'indiquer) que les cinq derniers mots de la page 181 sont une citation
empruntée au Coran (ch. viii, versets 43 et 46).
Le second volume de la publication que nous venons d'annoncer renfermera,
outre la préface (car le premier ne donne, sous le titre de praefaiiuncula, qu'un
avertissement de douze lignes), un glossaire, des index, et de plus un important
fragment de l'ouvrage historique d'Ibn-Mascowalh, écrivain mort en l'année 42 1
de l'hégire (1030 de J.-C). Ce morceau qui forme, à quelques lacunes près, la
si.xième partie de l'ouvrage complet, lequel en comptait huit ou neuf 4, conduira
1. Cf. (^alremère, Hist. des sultans mamlouks, t. II, 1" partie, p. 33 ; Journal asiatique,
septembre-octobre 1862, p. 383, 584.
2. Ms. arabe de la Bibliothèque impériale, n* 740 bis du suppl., t. IV, folio 133 V.
3. Cf. nos Recherches sur le règne de Barkiarok, sultan seldjoukide, Paris, 1855, in-8*,
p. 78, note I", ou dans le Journal asiatique, t. II, 1853, p. 261, n.
4. Ci. Catalogus codicum orientalium bibliothecae academiae regiae scientiarum , quem, a
clar. Weijersio inchoatum, post hujus mortem absolvit et edidit D' P. de Jong, Lugd. Bala-
vorum, E. J. Brill, 1862, in-8*, p. 137 à 139.
310 REVUE CRITIQUE
les annales du califat jusqu'à 252 (866). Espérons qu'il ne se fera pas trop
attendre, et qu'il viendra clore dignement une publication par laquelle les savants
éditeurs se sont acquis de nouveaux droits à la reconnaissance des amis de la
littérature arabe et de l'histoire orientale.
C. Defrémery.
226. — Etymologische Forschungen auf dem Gebiete der indo • germanischen
Sprachen, von Professer D' Aug. Friedr. Pott. Zweite Auflage in vœllig neuer
Umarbeitung. Zweiten Theiles, dritte Abtheilung.' Wurzeln mit consonantischem Aus-
gange. Wurzel - Wœrterbuch der indo -germanischen Sprachen. Zweiter Band. Erste
Abtheilung. Wurzeln auf r Laute und /. Detmold, Meyer, 1869. In-8*, xviij-740 p.
— Prix : 22 fr. 75.
Ce quatrième volume des Recherches étymologiques de M. Pott comprend les
racines terminées par r et/. Nous avons déjà rendu compte {Revue critique, 1868,
art. 59) des deux volumes précédents, qui comprennent le commencement du
dictionnaire des racines indo-européennes et dont celui-ci est la continuation.
Nous n'avons donc pas à revenir ici sur ce que nous avons dit de la méthode de
l'auteur. On sait qu'il étend la grammaire comparée bien au delà des limites où
elle se renferme d'ordinaire. H ne rapproche pas seulement les primitifs et les
racines des langues indo-européennes. Il met aussi en parallèle les dérivés et
même les mots composés. Nous ne lui en faisons pas un reproche. Cette compa-
raison est curieuse et instructive. Il est certainement intéressant, comme M. P.
en fait lui-même la remarque (458-459), de voir les idées les plus éloignées
rapprochées de la manière la plus inattendue sous la même racine ; c'est ainsi
que sous la racine de êàw.w viennent se ranger les emblèmes, les problèmes, toute
espèce de paraboles (y compris notre mot parole), d'hyperboles, à'amphibolies, de
symboles, d'armes de jet, et même le diable.
Nous nous contenterons de faire ici quelques remarques détachées sur ce qui
a attiré notre attention. P. 38, note et p. 263. M. P. ne pense pas que le suffixe
du comparatif tara vienne de la racine tr (transgredi), parce qu'il serait trop
violent de dériver le suffixe du superlatif tama d'un prétendu tarama par une
syncope. — P. 112. Il regarde les formes hypothétiques de la langue indo-
européenne primitive de Schleicher comme des créations fantastiques , de pures
fictions. — P. 164. M. P. a oublié concretus, concret, participe de concernere. —
P. 308. La confusion du c et du r dans l'écriture n'est ordinaire que depuis la
fin du xiii* siècle. Antérieurement, par exemple au xii% les deux lettres se dis-
tinguent très-bien. — P. 31 5. M. P. a oublié de citer à propos de l'allemand
drillen, le français drille qui en vient évidemment. — P. 378. Le terme expleîivae
appliqué aux conjonctions était la traduction du grec irapairXriptotJLaTtxot que M. P.
a oublié de rappeler p. 379. Voir Apollonius (Bekker, Anecdota graeca, 515,
1-12). — P. 397. M. P. trouve dans le glossaire de Bopp beaucoup de rappro-
chements naïfs. — P. 41 1. Tercier. Lisez : Tercer. — P. 421. Esparer, s'éparer
« hinten ausschlagen. » M. Littré explique esparer par frotter les peaux avec du
d'histoire et de littérature. 31 1
jonc, et s'éparer par ruer de l'italien sparare. Je vois dans les mots que rapproche
ici M. P. le suédois spark, signifiant coup de pied. Je doute de l'étymologie
donnée par M. Littré à l'italien sparare (ruer) : s préfixe signifiant dérangement
et parare. — P. 458. Dans Martianus Capella (4, p. 105) a omne quicquid
» dicimus aut subjectura est aut de subjecto aut in subjecto est, » le mot subjec-
tum ne répond pas exactement à notre mot sujet dans le sens de « matière d'un
)) discours, d'un traité. )> Il est la traduction du grec y-oy.Etixsvov et signifie sujet
de la proposition. Il est employé comme il l'est dans Aristote, Categor. 2 a 34,
passage d'où celui de Martianus Capella est comme traduit.
La préface de ce volume est une défense de la grammaire comparée contre
les philologues à l'occasion de la déclaration de deux professeurs de l'Université
de Berlin, germanistes, qui ont jugé qu'il était inutile et même dangereux (unnœ-
thig, ja schaedlich) de donner un successeur à Bopp. Il est certain que le philo-
logue et le linguiste considèrent le langage à deux points de vue très-différents.
Le philologue étudie une langue en vue de l'interprétation et de la critique des
textes, le linguiste en vue de reconnaître les lois et les causes des faits. Le but
du philologue est pratique, celui du linguiste est théorique et scientifique; car
l'objet de la science ce sont les lois et les causes. Or les faits qu'offre le langage
ayant toujours leur raison dans un état antérieur à celui où on les observe, le
linguiste ne peut étudier une langue en particulier sans la suivre dans le cours
de ses transformations, sans remonter à son origine, et si cette langue fait partie
d'une famille, sans la comparer aux autres langues de la même famille où les
traces de l'état primitif d'où dérive le reste peuvent être mieux conservées. Le
linguiste doit donc procéder historiquement et par comparaison. Le philologue
n'a pas besoin de connaître les raisons des faits de langage. Il suffit qu'il soit
familier avec l'emploi que les auteurs qu'il étudie ont fait de la langue où ils ont
écrit. Comme les effets nous sont plus accessibles que les causes, le philologue
marche sur un terrain plus solide que le linguiste. Il peut être porté à trouver
que le linguiste est bien aventureux , et d'autre part le linguiste est tenté de
trouver que le philologue a l'esprit étroit. Au fond les deux manières de consi-
dérer et d'étudier le langage sont également légitimes. En fait de connaissance
et d'étude rien n'est à dédaigner. La grammaire comparée est séduisante par
l'étendue et la grandeur des perspectives; mais elle demande beaucoup de cir-
conspection ; celui qui la cultive doit se résoudre à beaucoup ignorer; et à cet
égard rien n'est plus salutaire que l'exemple donné par M. Pott dans ses
recherches étymologiques : nul n'avoue plus fréquemment et plus franchement
qu'il ne sait pas.
Charles Thurot.
227. — Mémoires pour servir à l'histoire de l'abbaye royale de Saint-
André-le-Haut de Vienne, par Claude Charvet, archidiacre de La Tour, publiés
pour la première fois sur le manuscrit de l'auteur, avec notice, notes, pièces justificatives,
figures, blasons, etc., par M. P. Allut. Lyon, N. Scheuring, 1868. Petit in-8*,
xlix-221 p. — Prix : 1 5 fr.
312 REVUE CRITIQUE
Fastes de la ville de Vienne, manuscrit inédit de Claude Charvet, publié avec
des notes et une notice sur l'auteur, par E.-J, Savigné. Vienne, Savigné, 1869. In-8',
xxiv-2j7 p. — Prix : 5 fr.
Supplément à THistoire de l'église de "Vienne, par C. Charvet, corrections
et additions (2* édition). Vienne, Savigné, 1868. In-4% 31p. — Prix : 3 fr.
Le meilleur historien de l'église de Vienne vient d'être, à peu de mois d'inter-
valle, l'objet de trois publications, assez intéressantes quoique posthumes et très-
soignées dans l'exécution, bien faites de tout point pour le venger de l'indiffé-
rence tant de ses contemporains que de notre époque. Cette justice tardive lui
était due et nous nous y associons d'autant plus volontiers qu'on chercherait
vainement son nom dans la Nouvelle biographie générale de Didot ; l'auteur même
de la Biographie du Dauphiné a répété à son endroit plus d'une inexactitude
(1,224-5).
Nous allons résumer les renseignements dus aux investigations de MM. Allut
et Savigné. Claude Charvet naquit à Saint-Savin (Isère) et fut baptisé le 14 mars
171 5 ; incorporé à l'église primatiale de Vienne, il fut ordonné sous-diacre en
1734 ^ï figure en 1739 comme prêtre, en 1745 comme syndic, en 1749 comme
chanoine archidiacre ; nommé curé de Saint-André-le-Bas de Vienne , il prit
possession le 30 mars 1756 et fut remplacé par son frère Pierre le 1 5 avril 1760,
qu'il devint archidiacre du titre de La Tour et officiai métropolitain du diocèse.
Il se retira près du monastère de Saint-André-le-Haut , fit son testament le
30 novembre 1771 et mourut le 1 5 janvier 1772 : son acte de décès (du 17) le
qualifie archidiacre dé Saint- Maurice, curé de ladite église, officiai métropolitain
et prévôt du collège de Saint-Maurice.
La position de Charvet dans la hiérarchie ecclésiastique à Vienne lui donna
toute facilité pour compulser à loisir les archives de cette église alors intactes.
Les travaux historiques qui sont le fruit de ses longues recherches, témoignent
d'un goût prononcé pour les antiquités de sa ville natale et d'assez de critique
dans l'examen des sources. Ce sont :
A. Histoire de la sainte église de Vienne (Lyon, Cizeron, 1761, in-4° de xvj et
816 p., I plan, et 6 grav.), à laquelle il faut joindre le Supplément (1769, 3 1 p.)
qui vient d'être, cent ans après, supérieurement réimprimé en fac-similé par
M. Savigné. Dans cette histoire Charvet a laissé bien loin derrière lui ceux qui
s'étaient antérieurement exercés sur le même sujet ' et il n'est pas sûr qu'il ait
été dépassé en mérite par ceux qui l'ont suivi'. Bien qu'il n'ait pas publié beau-
coup de documents inédits (voir cependant ses Preuve, p. 630-798), il en a mis
un très-grand nombre à profit : à bien peu d'exceptions près >, ses extraits repro-
i. Joan. a Bosco, Anûquac, sanctae ac senatoriae Viennac Allobrogum GalUcorum sacrai
et prophanae antiquitates , etc. (Lyon, 160^); Jean Le Lièvre, Histoire de la saincteté et an-
tiquité de la cité de Vienne en la Gaule celtique (Vienne, 1623); Drouet de Maupertuy,
Histoire de la sainte église de Vienne (Lyon, 1708).
2. F.-Z. Collombet, Histoire de la sainte église de Vienne, etc. (Lyon, 1847); B. Hauréau,
Gallia Christiana, t. XVI (Paris, 1865).
3. P. ex. p. 771, où dans une inscription de 1225 au lieu de terre Willelmi il a lu
d'histoire et de littérature. J15
duisent fidèlement les originaux, comme nous l'avons toujours constaté. Men-
tionnons pour mémoire la discussion bibliographique, aujourd'hui close, élevée
au sujet des prétendus droits de Cl. Et. Bourdot de Richebourg à la paternité de
cet ouvrage : tout au plus peut-on attribuer à ce littérateur le mérite d'avoir
retouché le style lourd et parfois vicieux de Charvet (v. Allut, p. vij ss. ; Savigné,
p. xiij s,).
B. Mémoires pour servir à l'histoire de l'abbaye royale de Saint-André-le-Haut de
Vienne. Le ms. autographe de cet ouvrage, dont M. Allut a donné une édition
princeps sur laquelle nous reviendrons plus loin, forme un volume grand in-fol.
de 76 p., papier très-fort, reliure en basane verte, et appartient à M. le marquis
Auberjon de Murinais, héritier indirect du marquis Rigaud de Serezin, à qui
Pierre Charvet légua les mss. de son frère.
C. Constitution ancienne et moderne, discipline, rites, coutumes de l'église de Vienne,
avec des remarques. Ms. autographe, inédit, énorme in-fol. de 757 p., mêmes
papier, reliure et possesseur que le précédent; à la fm signature de Charvet et
date de 1765. Ce recueil de formules liturgiques et de documents relatifs à
l'église de Vienne, à ses cérémonies, ses usages et sa discipline, peut être consi-
déré comme le travail préparatoire à l'histoire ci-dessus; le compilateur y a joint
de nombreuses figures dessinées à la main. M. Allut a publié la table de cet
ouvrage (p. 5-9).
D. Fastes de la ville de Vienne. Ms. autographe, grand in-4'' de 234 p., avec
dessins et figures, qui tomba dans la biblioth. Guiffet (n» 214 du Catai] et fut
vendu à Lyon, en 1859, 283 fr. à M. Girard, libraire de Vienne; remis par
celui-ci à la bibliothèque publique de sa ville, il eut à souffrir de l'incendie qui
consuma le Cartulaire de Saint-André-le-Bas, le 5 janvier 1854, mais il a été habi-
lement remonté et la publication qu'en a faite M. Savigné est à peu près com-
plète. D'après la Revue du Dauphiné (VI, 571} il existerait un autre exempl. des
Fastes dans la biblioth. de M. le marquis de Rigaud : Colomb de Batines aura
pris pour une copie complète diverses feuilles volantes qui se rattachent à cet
ouvrage. Ajoutons que M, Mermet attribue {Hist. de Vien., III, 429} à Charvet
des Annales de la ville de Vienne, qui ne doivent pas différer des Fastes.
E. Libellum rapsodicum latino-gallicum, petit cahier ms. renfermant un recueil
des pensées les plus saillantes que Charvet a extraites des auteurs anciens et
modernes, et aussi des siennes propres (Allut, p. xxxj).
F. Lettres. Le zèle historique et la réputation de savoir de Charvet
l'avaient mis en rapports avec divers érudits, tels que Séguier (de Nîmes), le
comte de Caylus, de Portes d'Amblérieu, l'abbé d'Artigny, l'abbé Deville, etc.
M. Allut publie trois lettres de lui très-intéressantes (p. 14, 17, 21) : il serait à
désirer que le nombre s'en accrût.
Les derniers biographes de Charvet lui ont en outre attribué un ms. donné
trewilh, en notant que ce mot signifie pressoir (vulgairement truet); recueillie par Car-
pentier dans son Glossarium novum ( 1 766) , cette note a été reproduite sans plus ample
vérification dans le Du Cange de Didot (VI, 660), où elle n'a plus que faire
314 REVUE CRITIQUE
par M. P.-É. Giraud à la biblioth. de Grenoble et intitulé : Plusieurs preuves
sacrées et titrées, historiques et chronologiques y pour montrer l'imposition du nom de
Saint-Donat à l'ancien bourg-église-château de Jovincieux, etc. (in-4° de 238 ff.) :
ce travail est l'œuvre de Claude Chalvet, chanoine et capiscol du prieuré de
Saint-Donat vers la fin du xvii* siècle.
L'élégant volume de M. Allut se compose d'une Notice biographique sur
Cl. Charvet (p. v-xlix), suivie de pièces justificatives fp. 1-25), des Mémoires
historiques sur l'abbaye de Saint-André-le-Haut (p. 27-171), accompagnés d'un
Cérémonial des dames de Saint-André pour la vèture et la profession (p. 173-195)
et de nouvelles pièces justificatives (p. 197-218).
Dans son avant-propos, comme dans les notes dont il a enrichi le texte de son
auteur, M. A. a réuni d'intéressants détails. Sa notice est loin cependant d'offrir
autant de renseignements positifs et inédits que celle mise par M. Savigné en
tête de son édition des Fastes; on y désirerait aussi un peu plus d'ordre. Lems.
de Charvet a été fidèlement reproduit par l'éditeur, « sauf un très-petit nombre
» de corrections qui n'infirment et n'altèrent jamais en rien ni les faits ni la
» pensée de l'auteur. » Les notes qu'il a ajoutées à celles de Charvet sont en
grande partie généalogiques et ne font guère connaître de faits nouveaux. Bien
que le travail du continuateur du Gallia Christiana sur Saint-André-le-Haut soit
bien pauvre ', il est à regretter que M. A. n'ait pas eu occasion de compulser le
I" fasc. du tome XVI, paru depuis 186$, ne fût-ce que pour être mis sur la
trace des chartes de cette abbaye recueillies par Baluze 2. Les archives de l'évêché
de Grenoble conservent les originaux de plusieurs actes que Charvet n'a pas tous
cités et dont il n'a publié aucun 3. Le plus intéressant de ceux qui restent inédits
est un bref du pape Innocent (IV) adressé aux fidèles des diocèses de Lyon,
Vienne et Valence pour les engager à contribuer à la reconstruction du monastère
(Brescia, 22 sept, de sa 9^ an.). Les documents recueillis par Charvet et repro-
duits par M. A. sont au nombre de neuf :
i" Épitaphe de saint Léonien, abbé de Saint-Pierre 4 ; 2° charte de fondation
par le duc Ansemond ($42) s; j"' diplôme du roi Rodolphe III (25 août loji)^;
40 élection de l'abbesse Aldegarde (1084) 7; 5° donation du comte Ponce (2 déc.
1084); 6" élection d'Allindrade (1091); 7° concession de l'évêque de Viviers
(1 1 54)8; 8° bulle d'Alexandre III (4 mars 1 173)9; 9° règlement pour le vestiaire
1. Il ne fait qu'imparfaitement connaître onze abbesses, tandis que Charvet donnait,
cent ans auparavant, des notices sur vingt-huit, sans compter les deux ajoutées par l'édi-
teur pour compléter la liste jusqu'à la Révolution.
2. Biblioth. impér., mss. dits des Armoires, t. LXXV.
3. Les plus anciens viennent de paraître dans le Cartul. de St.-André-le-Bas, p. 276 et
308.
4. V. Notice histor. et critique sur le tombeau et l'épitaphe de S. L. par Alfred de Terre-
basse (Vienne, 18^8).
5. Plusieurs fois publiée (cf. Bréquigny, Diplomata, I, 107); un excellent texte s'en
trouve dans la Diplomati(jue ms. de Bourgogne de P. de Rivaz (t. I, n* 1).
6. D. Bouquet, Recueil, t. XI, p. 553.
7. Gallia Christ, nova, t. XVI, instr. c. 25.
8. Columbi, Opuscula,^. 211.
9. Gallia Christ, nova, t. XVI, instr. c. 37.
d'histoire et de littérature. 315
(1266). Trois seulement étaient inédits : le n° 6 est précieux, car il mentionne
plusieurs dignitaires ecclésiastiques et seul il révèle l'existence de Ponce abbé de
Saint-André-le-Bas.
La publication de M. A. est un véritable service pour l'histoire du Dauphiné
et le travail de Charvet en était incontestablement digne. Mentionnons parmi
les dessins qui l'accompagnent, outre l'écu blasonné de chaque abbesse, un
groupe de jongleurs p. xvj , le sceau de Julienne de Savoie (p. xlv) et des reines
Mathilde et Ermengarde (p. xlviij) '.
Nous avons déjà dit un mot de la Notice sur Charvet dont M. Savigné a fait
précéder son édition des Fastes de la ville de Vienne, ouvrage dont il est néces-
saire d'indiquer les parties principales : Avant-propos sur les Allobroges et les
Bourguignons; cinq articles étudiant Vienne, a. sous les Allobroges, b. sous les
Romains, c. sous les rois des Bourguignons, des Francs, de Bourgogne, d'Arles
ou de Provence, d. sous les archevêques, comtes de la ville, et sous les dau-
phins des maisons d'Albon, de Bourgogne et de La Tour-du-Pin, e. sous les rois
et les dauphins de la maison de France ; conciles de Vienne, Vienna subterranea
(éloge en vers par Chorier), inscriptions antiques découvertes depuis Chorier ou
corrigées, épitaphes du prieuré de l'Isle; remarques sur une tête coiffée en che-
veux, les rtiines d'un bain antique, une urne de verre, les aqueducs et les égouis
romains dans Vienne, les anciens monuments de Vienne, les figlines ou poteries,
les tuileries; extrait d'un registre des délibérations communes de l'église de
Vienne (1561-73); observations météréologiques '1765-70) ; noms anciens de
rues et lieux aux environs de Vienne; notices des hommes célèbres dans les
lettres nés à Vienne (Sapaudus, Bourrel, Serclier, Le Lièvre, Mestral, Boissat,
Chorier, de Nantes, d'Artigny; ; extrait des Mémoires de Mathieu Thomassin.
Le décousu qu'on obser\-e dans ces divisions montre bien que ce travail n'était
pas prêt pour l'impression. Charvet s'y révèle avec une vraie passion pour l'an-
tique, consacrant ses soins et sa bourse à la consen'ation des monuments que de
I. Relevons quelques erreurs de détail : p. vj, Saint -Donat n'est pas un bourg de
Y Isère, mais de la Drômt; p. xi, 1. 3, Lavalloir = la Valloire; p. 51, la date du 31 mai
1076 adaptée à une charte donnée à Vienne au mois de mai, férié 7, lune 23, Léger
archevêque, est impossible, ce prélat étant mort en 1070 (Giraud, Essai, I, 2* p., 74) :
ces notes chronologiques concordent avec le 31 mai 1057, date qu'il faut restituer par-
tout à l'abbesse Raimode; p. 54, n. 2, rapprocher ce comte Ponce dn Poncius vice cornes
de la ch. 120 du Cartul. de Saint-Barmrd ; p. 59, n. 1, Charvet ne dit pas que cet acte
soit de 1088 (p. 309), bien qu'il le mentionne sous cette date : le texte conser\-é par
Baluze (1. c, f" 351 v') et reproduit dans le Cartul. deSt.-André-lc-Bas (p. 276) est sans
notes chronolo^ques ; p. 61, après Elisabeth lire 1 1 S4 et non 1174; p. 64, n. i, Mahaut
(ou Mathilde) d'Albon était fille de Guignes III et non de Guigues V, Agnès était la nièce
et non la sœur de Julienne de Savoie {Rég. gcn.); p. 71, n. i, Humbert, baron de La
Tour-du-Pin, épousa Anne, fille de Guigues VII et de Béatrix de Savoie; p. 83, n. i, il
est établi depuis 1865 que l'archevêque de Vienne Jean était «/cBernin (Isère) et doit perdre
la qualification de Bournin (Bull, de l'Acad. dclph., 5' s., I, 339; Nècrol. de St. -Robert de
Cornillon, au 18 avril»; p. 84, n. i, I. 7, Théodure = Thodure; p. 86, n. 3, l'arche-
vêque de Vienne Guillaume II était de Uvron. {Cartul. de Ltoncel, p. 258); p. 99, n. i,
Bertrand de La Chapelle fut élu archevêque de Vienne en 1327, le lendemain de la mort
de son prédécesseur; p. 149, la note de Charvet est inexacte, le Cartulaire de St.-Andri-
le-Bjs et son appendice mentionnent deux prieures 'p. 276 et 145).
Jl6 REVUE CRITIQUE
nouvelles fouilles mettaient au jour. Ceux qu'il avait momentanément sauvés de la
destruction n'existant plus tous, la description qu'il en a consignée dans ses Fastes
pourra être utile. Sans être d'une grande importance, la publication de M. S. est
intéressante et nous l'en remercions.
U. C.
228. —Christian Donalitius. Littauische Dichtungen nach kœnigsberger Hand-
schriften mit metrischer Uebersetzung, kritischen Anmerkungen, und genauem Glossar,
herausgegeben von F. Nesselmann, i vol. in-8* de xiv-;68 p. Kœnigsberg, Hubner
et Matz. — Prix : 8 fr. & &>
On sait l'importance de la langue lithuanienne au point de vue philologique et
les services que Schleicher a rendus par sa grammaire et sa Chrestomathie de
cette langue. Outre cette Chrestomathie Schleicher avait en 1 86 $ publié un volume
spécial: Christian Donaleiîis litauische Dichtungen, ersîe volstsndige Ausgabe mit
Glossar. Saint-Pétersbourg, 186$. D'après M. N. ce volume esta divers égards
très-défectueux. Schleicher évidemment en le publiant songeait plus aux philo-
logues qu'aux littérateurs : « seule la forme grammaticale des mots avait de
» l'intérêt pour lui, mais non pas l'idée représentée par les mots. Un texte n'était
» pour lui qu'une série de vocables qui attendaient de lui leur forme et leur
» accentuation : la question de savoir s'il avait devant les yeux un texte ori-
» ginal et authentique était pour lui une question secondaire. » Il a surtout pris
pour base, à côté des deux manuscrits de Kœnigsberg, le texte de l'édition de
Rhésa ', édition très-fautive à laquelle il a eu le tort d'accorder plus de confiance
qu'aux manuscrits eux-mêmes. En outre, dans bien des endroits, il a modifié
le texte de sa propre autorité. Quelques erreurs de Rhésa ont passé encore
dans son livre ; ainsi il regarde comme formant un poème de Vannée (métas) »
quatre idylles sur les quatre saisons qui dans l'esprit du poète n'avaient aucune
connexion. Le glossaire qui accompagne son volume est incomplet. M, N. a
constaté qu'il y manque 175 mots, mais qu'en revanche on y trouve 270 mots
qui ne sont pas dans le texte. M. N. fait un reproche analogue au lexique du
Litauisches Lesebuch qui fait suite à la Grammaire lithuanienne de Schleicher.
Ainsi fautes de texte, omissions dans le vocabulaire, voilà les deux reproches
principaux que M. N. adresse à Schleicher. Il lui reproche en outre d'avoir par
une accentuation vicieuse détruit la métrique des vers. Schleicher malheureuse-
ment n'est plus là pour se défendre. Nous n'avons pas sous les yeux en ce
moment son volume pubHé par l'Académie de Pétersbourg et d'un prix fort
élevé. Un extrait en a été reproàml dânsVIndo-germanische Chrestomathie (jp. 300-
303).
M. N. rend également à l'auteur son nom de Donalitius que Rhésa et Schleicher
avaient altéré en Donaleitis. Ces différentes rectifications ont leur intérêt. M. N.
1. Das Jahr in vier Gesaengen, ein iaendiiches Epos aus dem Littauischen des Christian
Donaleitis genannt Donalitius in gleichem Vesmaass ins Deutsche ùbertragen von D' L. J.
Rhesa, Kœnigsberg, 18 18.
2. Métas, racine met, cf. latin meta, metiri : l'année est la mesure du temps.
d'histoire et de littérature. 317
a un culte pour son poète dont nous ne pouvons que le féliciter. Il y a dans ces
petits poèmes de la grâce et de la naïveté et d'intéressants détails sur la vie du
paysan lithuanien. Mais parfois l'auteur est diffus et lourd, et même souvent
grossier : il y a des passages qu'on ne pourrait guère traduire qu'en latin. Néan-
moins nous accueillons avec plaisir une édition plus portative et moins coû-
teuse que celle de Schleicher. Nous remercions également M. Nesselmann de la
traduction qu'il a ajoutée au texte, seulement nous regrettons qu'au lieu de
l'écrire en vers il ne se soit pas résigné à un humble mot à mot. Le lexique qui
termine le volume est fort intéressant, mais il pourrait l'être plus encore. Il y a,
ce me semble, une étude très-curieuse à faire sur le vocabulaire lithuanien : c'est
d'y distinguer les mots slaves d'origine (urslawische wœrîer pour employer la
technologie allemande) de ceux que les relations historiques ont pu faire passer
dans le lithuanien : par ex. le lithuanien ponas, seigneur, est le polonais pan
(tchèque id.); le mot n'existe pas dans les autres langues slaves : a-t-il passé
du polonais au lithuanien ou vice versai Une connaissance approfondie du
polonais et des langues slaves en général serait nécessaire pour tenter ce
travail : nous le recommandons vivement soit à M. Nesselmann, soit au futur
lexicographe de la langue lithuanienne.
Louis Léger.
229.— Essai sur Thistoire de la philosophie en Italie au XIX* siècle, par
Louis Ferri, ancien élève de l'école normale supérieure de Paris, professeur d'histoire
de la philosophie à l'institut supérieur de Florence. Paris, Durand et Didier, 1869.
2 vol. in-8*, 496 et 379 p.
Cet essai sur l'histoire de la philosophie en Italie au xix* siècle, publié par
M. Ferri, est le développement d'un rapport qui avait été d'abord rédigé en vue
d'une collection semblable à celle de nos rapports sur l'exposition universelle de
1867. Cette idée (suivant nous peu heureuse) avait été aussi adoptée en Italie
mais ne fut pas mise à exécution.
Le mouvement philosophique de l'Italie au xix^ siècle est parallèle à celui qui
s'est accompli en France, dont il est d'ailleurs indépendant. La philosophie de
Condillac prédominait généralement en Italie à la fin du siècle dernier et au
commencement de celui-ci. Les représentants les plus considérables de cette
école furent Gioia (1767-1829) et Romagnosi (1761-183$). Puis une réaction
idéaliste accomphe sous l'influence de la philosophie de Kant prévalut, représentée
par Galluppi (1770-1846), l'abbé Rosmini (1797-1855), l'abbé Gioberti (1801-
1852), le comte Mamiani (né en 1800?). Enfin M. F. constate (II, 288)
que l'Italie « semble aujourd'hui rassasiée de systèmes et de déductions a priori »
et qu'elle attend le progrès de la philosophie de l'action « des sciences qui se
» rattachent par leurs objets aux origines et aux lois de l'humanité (les sciences
» historiques?). »
M. F. entre dans les plus grands détails sur la vie et les opinions de Rosmini,
Gioberti, Mamiani, qu'il considère comme les représentants les plus importants
de la philosophie dans l'Italie contemporaine. Les faits sont bien choisis et propres
JlS REVUE CRITIQUE
à caractériser le mouvement que l'auteur a voulu décrire et qui est intéressant à
connaître. Il est curieux, par exemple, de voir Gioberti chercher et trouver dans
la philosophie un moyen de contribuer (et puissamment) à l'affranchissement de
l'Italie. M. F. cite une lettre de i8ji où Gioberti dit (I, ^56) : « Les Italiens
» n'entreprendront jamais rien de sérieux, s'ils ne s'habituent d'abord à penser;
» et je ne crois pas être dupe de l'amour que je porte à une science que j'ai
» cultivée d'une manière spéciale, si je dis que les interminables malheurs de
» l'Italie dépendent principalement du peu d'usage qu'elle fait de la pensée,
» c'est-à-dire de son peu de philosophie. En Angleterre, en France, dans les
» parties civilisées de l'Allemagne, l'exercice indépendant et universel de la
» raison a précédé la civilisation et l'a produite; là où l'une a fait défaut,
» l'autre n'a pas paru non plus Quoique l'Italie n'ait jamais manqué d'esprits
» qui ont profondément philosophé, la passion de la philosophie n'y a jamais
» été assez intense, continue et générale pour déterminer une révolution et un
» perfectionnement dans son état politique et social. Ceux qui sont jeunes et
» vigoureux d'esprit et de corps doivent prendre courage, ne pas désespérer de
» pouvoir faire ce qui ne s'est pas fait et remédier enfin aux défauts de nos
» ancêtres. » C'est là un exemple remarquable de l'influence de spéculations
philosophiques sur les affaires publiques à rapprocher du stoïcisme dans l'anti-
quité, de la philosophie du xyiii® siècle en France, et de celle de Fichte dans
l'Allemagne de 1 8 1 3 . Ce qui est caractéristique c'est que deux des plus éminents
et des plus influents représentants de la philosopl»ie italienne de notre temps ont
été deux ecclésiastiques qui ont profondément agi sur le clergé et qui ont voulu
réformer l'Église dans le sens libéral en augmentant son pouvoir. Tous deux se
sont trouvés en hostilité avec les jésuites et sont morts dans la disgrâce de la cour
de Rome. Les imaginations sont tellement vives en ce pays qu'on a cru et que
M. F. semble lui-même croire (I, 109) que les jésuites ont essayé d'empoisonner
Rosmini le jour des Cendres de l'année 1852.
Les appréciations de M. F. sont généralement équitables. Il ne rend pas
cependant toujours justice à la philosophie de Condillac. Il oublie que cette phi-
losophie ou plutôt que la philosophie de Locke est moins éloignée de la vérité
que beaucoup de spéculations ambitieuses et chimériques. Il est surtout injuste
envers le sensualisme quand il l'accuse de corrompre la morale. On ne peut tirer
d'un système de métaphysique ou de psychologie que la morale qu'on y a mise. Les
principes de la morale sont propres à la morale et ne peuvent être déduits d'autres
idées. Les stoïciens, dont la métaphysique était toute matérialiste, qui soutenaient
(ce qu'un matérialiste oserait à peine dire aujourd'hui) que les vertus sont des
gaz, les stoïciens enseignaient une morale des plus sévères. Les théologiens qui
ont le plus exagéré le dogme de la prédestination et de la grâce si peu favorable
à la morale sont d'ordinaire les plus rigoristes. Il faudrait renoncer à cette argu-
mentation usée qui consiste à réfuter une philosophie par de prétendues consé-
quences morales qu'on ne peut jamais y rattacher légitimement. Le patriotisme
n'est pas non plus sans quelque influence sur les jugements de l'auteur. Ainsi il
éprouve quelque honte à avouer les préjugés nobiliaires et cléricaux de Rosmini,
d'histoire et de littérature. J19
et il glisse rapidement sur ce point. Mais, au contraire, plus des opinions sont
paradoxales et même révoltantes, plus il est intéressant de connaître les argu-
ments par lesquels elles sont soutenues; et nous aurions été très-curieux de
connaître le détail des raisons par lesquelles Rosmini défend l'emploi de la force
pour maintenir l'autorité de l'Église et l'institution du servage (I, 275 et suiv.).
Au reste la modération et la sincérité de M. Ferri éclatent partout dans son
livre, où il nous semble avoir réussi à donner une idée précise de ce qu'il a voulu
faire connaître et même à y intéresser.
Y.
230. — Causeries gtiemesiaises, par Paul Stapfer. Édition accompagnée de dix
lettres en anglais sur des sujets littéraires. Guernesey, Le Lièvre; Paris, Saint-Jorre,
1869. In-8*, xxij-414 p. — Prix : 6 fr. 50.
Ce livre est de plusieurs façons en dehors de notre cadre habituel. Il comprend
plusieurs leçons faites par l'auteur à Guernesey à de jeunes filles anglaises, et il
a gardé de cette primitive destination non-seulement le caractère général d'un
cours de cette nature, mais une empreinte toute locale et même en maint endroit
personnelle et presque intime qui en fait, à vrai dire, un \\wre privaîely printed
plutôt qu'un ouvrage destiné au grand public. Nous en dirons cependant quel-
ques mots, parce qu'il offre bien des choses intéressantes pour tout le monde, et
qu'il sort complètement du moule ordinaire de cette sorte d'ouvrages. Nous
n'avons pas affaire ici à ces recueils de banalités, puisées dans des ouvrages de
seconde main et passées au crible des plus insipides convenances , qu'on est
habitué à rencontrer sous ce titre : Cours de littérature à l'usage des jeunes filles;
chose étrange et rare, l'auteur de ces leçons travaille de première main, et quand
il parle de Gœthe, de Chateaubriand ou de Byron, c'est après les avoir lus. Ce
qui vaut mieux encore, il les aime, il les étudie avec cette intelligence qui, appli-
quée aux œuvres de l'art, n'est jamais complète que si elle est sympathique.
M. Stapfer, dont nous avons déjà eu occasion de dire ici quelques mots {Rev.
crit., 1866, t. I, art. 53), a pour la littérature une passion qui en bien des points,
s'il nous est permis de le lui dire, sent encore un peu le jeune homme et parfois
(semblerait-il) l'homme habitué à réagir contre un milieu peu favorable à ses
idées. De là dans ses ouvrages, çà et là, une légère nuance provinciale, une
certaine insistance quelquefois inutile, une ardeur dont on peut sourire à défendre
des vérités trop incontestables. Mais ces quelques défauts, — destinés à dispa-
raître bien promptement si l'auteur y fait attention, — sont largement compensés
par les qualités de chaleur , de conviction , de finesse et de compréhension qui
éclatent dans toutes ces pages. On ne rencontre pas souvent à notre époque cet
amour vif et délicat des choses de l'esprit, cette sensibilité à la beauté purement
littéraire, cette étude attentive et heureuse des plus petites particularités d'un
genre ou d'une œuvre. Le grand esprit que la France vient de perdre se
plaignait souvent de cette diminution du goût, dans ce qu'il a de charmant et
d'élevé, et regrettait parfois jusqu'aux minuties de cette ancienne critique litté-
raire qui avait en effet du bon, et que M. St., par exemple, rappelle plus d'une
320 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
fois, tout en la combattant. Ainsi comprise, ainsi pratiquée, la critique littéraire
pure n'a rien que de bon et d'utile; elle a sa place marquée dans l'activité intel-
lectuelle d'un pays ; elle sert puissamment et répand dans des couches diverses
la haute culture de l'esprit. Elle a droit d'exister à côté de la science; elle ne lui
est ni hostile ni odieuse. Ce que nous avons toujours combattu , ce que nous
combattrons toujours dans cette Revue, c'est la critique littéraire qui dédaigne la
science là où elle ne saurait se passer de son concours, qui se figure avoir fait
une belle chose quand elle a répété sous une forme un peu variée des lieux
communs déjà cent fois servis, qui a une orthodoxie, des saints et des réprouvés,
et qui, incapable de rien découvrir et d'utiliser les découvertes des autres,
méprise les faits sans avoir d'idées. M. Stapfer au rebours : il ne méprise pas
l'érudition, et s'il s'excuse avec esprit (p. 14) de n'en point faire, il reconnaît
en même temps que tout ce travail minutieux, qu'il avoue n'être point de son
goût, est indispensable à qui veut écrire sérieusement sur n'importe quel sujet ;
et je suis sûr que lui-même, dans l'ouvrage important qu'il nous annonce, ne s'y
est aucunement soustrait. Mais à côté de l'érudition, il faudrait être bien borné
pour ne pas admettre ces commentaires explicatifs, ingénieux et utiles, où un
homme de goût et d'esprit se place entre le lecteur et l'auteur et les rapproche
habilement l'un de l'autre, en indiquant au premier les points de vue justes et les
traits originaux, importants et caractéristiques.— Le sujet que M. St. avait choisi
pour ses leçons de Guernesey n'a déjà rien de banal : il s'est proposé d'étudier
chez quelques grands poètes de nos jours leurs opinions littéraires. Il y aurait en
effet un joli chapitre d'histoire littéraire à écrire sur ce thème; M. St. n'en a
donné que quelques fragments : s'adressant à un public tout à fait neuf, il était
obligé de s'arrêter à plus d'un détail qui ne rentrait pas dans son plan, et d'ail-
leurs il ne se refusait aucunement les digressions les plus variées; enfin le cours
a été assez rapidement interrompu. Il n'y a que Chateaubriand et Byron
dont M. St. ait parlé un peu longuement, et encore sur l'un et l'autre il n'y a
guère que des indications. M. St. a mis en lumière cette étrange contradiction
de Byron, qui, différent en cela de la plupart des grands poètes, au lieu de
regarder comme les premiers les génies auxquels il ressemblait le plus, n'avait
d'admiration que pour les classiques les plus purs, et mettait Pope fort au-dessus
de tous les poètes anglais.
Le livre de M. St. est une des meilleures lectures qu'on puisse recommander
à une jeune fille intelligente et développée. Il est plein de vues heureuses et aussi
de faits intéressants. Mais l'auteur peut faire des choses plus importantes, et
nous attendons avec la certitude d'y trouver de l'agrément et de l'instruction le
livre qu'il annonce comme devant prochainement paraître sous ce titre attrayant :
Laurence Sterne, sa personne et ses ouvrages.
G. P.
Nogent-Ie-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la librairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
frais tous les ouvrages qui lui seront demandés et qu'elle ne posséderait pas en
magasin.
Agaval (L') de Kapila. Poème tamoul
sur les castes du sud de l'Inde, traduit
pour la première fois en français par Ju-
lien Vinson. (Études orientales. Ethno-
graphie dravidienne.) In-8*, i6p. Nancy
(imp. Sordoillet et fils).
André (M.). Antiquités rares de la Nor-
mandie. Notice sur une cassette d'ivoire
de la cathédrale de Bayeux. In-8'. 1 1 p.
Rennes (imp. Catel et C").
Bami Cj.). Napoléon I" et son historien
M. Thiers. In-i8 jésus, xvj-jyi p. Paris
(lib. Germer-Baillière). j fr. 50
BriiTaut (abbé). Histoire de la seigneurie
et de la ville de Champlitte (Haute-Saône).
In-8*, vij-205 P-> plan et i grav. Langres
(lib. Dallet).
Callandreau (M.-L.). Essai sur Zeus, ou
le Jupiter olympien de Phidias. In-8°,
vij-228 p. et 10 pi. Angoulême (lib.
Goumard).
Carttdaire de l'abbaye de Saint- André-le-
Bas de Vienne, ordre de Saint-Benoît;
suivi d'un appendice, de chartes inédites
sur le diocèse de Vienne (IX'-XII* siècles»;
publié par l'abbé C.-U.-J. Chevalier. In-
8*, lj-416 p. Vienne (imp. Savigné).
Délivré (J. -M.). Monuments mégalithiques.
Tumulus, dolmens, menhirs et cromlechs.
In-S", 43 p. Rennes (imp. Oberthur et
fils).
Egger (E.). L'Hellénisme en France,
leçons sur l'influence des études grecques
dans le développement de la langue et de
la littérature française. 2 vol. In-8*,
994 p. Paris (Didier et C').
Frugère (F. -P.). Apostolicité de l'église
du Velay, dissertation sur la date de
l'évangélisation du Velay, précédée d'une
introduction sur les origines du. christia-
nisme dans les Gaules en général, et suivie
d'un appendice, de notes et documents.
In-8*, iv-244 p. Le Puy (imp. Marches-
sou).
Histoire littéraire de la France, par les
religieux bénédictins de la congrégation
de Saint-Maur. Nouvelle édition publiée
sous la direction de P. Paris. T. 12. In-
4*, xvii(-73 5 p. Paris (lib. Palmé).
Houday (J.). Histoire de la céramique
lilloise, précédée de documents inédits
constatant la fabrication de carreaux
peints et émaillés en Flandre et en Artois
au XIV* siècle. Edit. nouv. avec pi. Gr.
in-8*, xi-171 p. Lille (imp. Danel).
Huot (P.). Les massacres à Versailles en
1792. Éclaircissements historiques et
documents nouveaux. In-8*, 63 p. Paris
(Challamel aîné). 2 fr.
Lehr (E.). La Seigneurie de Hohengerold-
seck et ses possesseurs successifs. Étude
historique et généalogique. In-8*, 39 p.,
avec I carte, i double tableau généalo-
gique et un fac-similé de sceau. Stras-
bourg (Noiriel).
Lioupot. Hincmar, archevêque de Reims.
Sa vie, ses œuvres, son influence. In-8*,
334 p. Reims (imp. Dubois et C*).
Marlet. Le Chapitre du château de Gray
et le chef de samte Elisabeth de Hongrie.
In-8*, vij-65 p. Vesoul (imp. Suchaux).
Ollier de Marichard (J.). Recherches
sur l'ancienneté de l'homme dans les
grottes et monuments mégalithiques du
Vivarais , avec carte et nombreuses
planches. In-8*, 76 p. Montpellier (libr.
Goulet).
Pfaffenhoffen (F. de). Lettre à M. A.
de Longpérier sur quelques monnaies
celtiques. In-8*, 19 p. et 2 pi. Paris
(imp. Cusset).
Proust (S.). Inventaire-sommaire des
archives des hospices de Nogent-Ie-Ro-
trou depuis leur fondation jusqu'à 1790.
In-4* à 2 col., 226 p. Nogent-le-Rotrou
(imp. Gouverneur).
Tabulae ordinis theutonici ex tabularii
regii berolinensis codice potissimum edidit
E. Strehlke. In-4*, vij-491 p. Berlin
(Weidmann). 20 fr.
Visconti (F. M.). Alcune letterea Giosia
I Acquaviva duca d'.Atri VI. édite con
note dal prof. G. Cherubini. In-8*, 22 p.
Venezia (tip. Antonelli).
Cr^ \ 1 ] f^ I_J T? nn ^^ plaisir des champs avec la vénerie,
• vJ /\ U V^ FI LL 1 volerie et pescherie , poème en quatre
parties. Édition revue et annotée par P. Blanchemain. i vol. in- 12, cartonné
percaline rouge. 5 fr,
JO T3 D tr R T* '^^"^'^^'"^ ^^^ ^^^ rapports de l'Egypte et de l'As-
• Vy l l L-j Iv 1 Syrie dans l'antiquité, éclaircis par l'étude des
textes cunéiformes, i vol. in-4°. 12 fr.
ETM T TV /T 17 D T T Histoire de la comédie ancienne. T. II.
. U U M EL. r\ 1 L, , vol. in-8«. 8 fr.
G. STEPHENS
The old northern runic monuments
of Scandinavia and England now first
coUected and deciphered. 2 vol. in-fol. ornés d'un grand nombre d'inscriptions
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N' 47 Quatrième année 20 Novembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
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BIBLIOTHÈQUE
DE L'ECOLE DES HAUTES ÉTUDES
publiée sous les auspices du Ministère de l'Instruction publique.
Sciences philologiques et historiques.
i" fascicule. La Stratification du langage, par Max Mùller, traduit par
M, Havet, élève de l'École des Hautes Études, — La Chronologie dans la for-
mation des langues indo-germaniques, par G. Curtius, traduit par M. Bergaigne,
répétiteur à l'École des Hautes Études. In-S» raisin. 4 fr.
Forme aussi le i" fascicule de la Nouvelle Série de la Collection philologique.
2" fascicule. Études sur les Pagi de la Gaule, par A. Longnon, élève de
l'École des Hautes Études. In-80 raisin avec 2 cartes. 3 fr.
Forme aussi le i*' fascicule de la Collection historique.
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le manuscrit unique des Archives de l'Empire, i fort vol. in-S». 7 fr. 50
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moyen-âge. i vol. in-4'*. 20 fr.
PERIODIQUES ETRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N" 43. 16 octobre.
Théologie. Achelis, Richard Rothe (Gotha, Perthes). — Histoire. Mémoires
de l'Académie d'Agram (Agram, Suppan). — Janko, Laudon's Leben (Wien,
Gerold). — Linguistique. Histoire littéraire. Eisenlohr, Anal. Erklaerung des
demotischen Theiles der Rosettana (Leipzig, Hinrichs ; première partie d'un bon
travail). — Blau, Bosnisch-tùrkische Sprachdenkmaeler (Leipzig, Brockhaus;
nous en rendrons prochainement compte). — Ameis, Anhang zu Homer's Uiad
(Leipzig, Teubner; commentaire sur les chants I-III). — Nutzhorn, Die
Entstehungsweise der homerischen Gedichte (voy. Rev. crit., 1869, t. II, art.
140). — Laur, Malherbe (Heidelberg, Winter; sans importance). — Pouy,
Les Bibliographes picards (insignifiants). — Mythologie. Gerland, Altgriechische
Maerchen in der Odyssée (voy. Rev. crit., 1869, t. II, art. 175). — Kreutzwald,
Ehstnische Maerche, ùbers. von Lœwe (Halle; nous rendrons incessamment
compte de cet ouvrage). — Archéologie. Dùmichen, Der aegyptische Felsentempel
von Abu-Simbel (Berlin, Hempel). — Kekulé, Die antiken Bildwerke imThe-
seion (Leipzig, Engelmann). — Wagner und Kachel, Die Grundformen der
antiken classischen Baukunsten (Heidelberg, Bassermann).
The Irish Ecclesiastical Record. A monthly journal, conducted by a society
of Clergymen, under Episcopal sanction. Dublin, Kelly.
N° LXI. Vol. VI. October 1869.
P. 1-7. Trinity Collège. [Nom de l'Université protestante de Dublin. Réponse
à un article du Macmillan's Mogazine où était fait un éloge pompeux de cette
institution qui n'est qu'à demi ouverte aux non-anglicans]. — P. 8-18. La civi-
lisation et les arts dans l'ancienne Irlande (suite). — Les articles théologiques et
les documents de l'autorité ecclésiastique prennent une grande place du n° ; men-
tionnons seulement: p. 38-39 un article sur une vie de saint Patrice, œuvre
tout à fait populaire que publie en ce moment l'auteur de Vlllustrated History of
Heland (sur laquelle voyez Rev. crit., 1868, art. 29) et p. 41-48 la suite du
Monasticon Hibernicum d'Archdall, comtés d'Armagh et de Carlow. Nous regret-
tons que cette réimpression , augmentée d'excellentes notes par les nouveaux
éditeurs, ne soit pas publiée avec une pagination distincte.
N° LXII. Vol. VI. November 1869.
F. 49-58. Dg /<! religion dans l'éducation. Discours prononcé à la réouverture
des cours par le recteur de l'Université catholique de Dublin. — P. 92-96.
Monasticon Hibernicum, comté de Carlow.
Journal Ministerstva Narodnago prosvetschenia. Journal du ministère de
l'instruction publique de Russie. Nous rendrons compte désormais de cette
publication qui paraît tous les mois en un fort volume in-8°.
Août-Septembre. Travail de M. Tolstoï sur la réunion des uniates à l'église or-
thodoxe en 1839. Intéressant, mais demande à être contrôlé à l'aide des docu-
ments d'origine polonaise: in medio veritas. — Lomonosow et ses travaux en philo-
logie : bon travail sur le Malherbe de la littérature russe. — Des destinées de
l'archéologie en Russie par M. Pogodine. L'éminent historien y passe en revue les
travaux historiques accompHs en Russie jusqu'à la mort d'Alexandre. — Lalittéra-
ture bulgare au x^ siècle par M. Lamausky. C'est l'un des meilleurs slavisants de
Pétersbourg. — Parmi les comptes-rendus de livre signalons l'article de M. Focht
sur une brochure de M. Kariev : Système phonétique et graphique de la langue
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 47 — 20 Novembre — 1869
Sommaire : 231. Homère, Iliade, p. p. Pierron. — 252. Comparetti, le Livre
de Sindibad. — 253. Bœhmer, le De vulgari eloquentia de Dante. — 234. Nagel,
Dictionnaire étymologique anglais-français. — 235. Les Songes drolatiques de Panta-
gruel, p. p. Richard. — 236. De Laincel, Voyage humoristique dans le Midi.
23 1. — L'Iliade d'Homère, texte grec revu et corrigé d'après les documents authen-
tiques de la récension d'Aristarque, accompagné d'un commentaire critique et explicatif,
précédé d'une introduction et suivi des prolégomènes de V'illoison, des prolégomènes et
des préfaces de Wolf, de dissertations sur diverses questions homériques, etc., par
Alexis Pierron. 2* vol. Paris, libr. de Hachette et C', 1869. 629 p. — Prix : 8 fr.
16 fr. l'ouvrage complet).
La publication du second volume de l'édition de l'Iliade par M. Pierron a
suivi de très-près celle du premier'. On ne peut guère s'attendre par conséquent
à rencontrer entre les deux volumes une différence bien appréciable. Cependant
cette ressemblance n'exclut pas certains changements qui paraissent s'être opérés
dans les idées de l'auteur. Toute conjecture sur les motifs probables de ces
variations serait déplacée : il suffira de constater le fait en choisissant pour exemple
précisément l'un des points dont nous avons déjà parlé. M. P.-, on s'en sou\ient
peut-être, promet dans son introduction (p. xj) un appendice consacré spécia-
lement à VlUade de l'Hélicon. L'intérêt principal de cet appendice ne réside pas
dans les extraits du livre d'Osann, absolum.ent dénués de valeur, mais dans les
remarques dont M. P. les accompagne. Le lecteur qui se rappelle en quels
termes il a été précédemment question de l'exemplaire de l'Hélicon, que « con-
» naissait certainement Aristarque, » doit nécessairement être surpris en lisant
la note que voici (p. 5? 5) • "s'il y a eu une Iliade de l'Hélicon, ce ne peut être
» qu'un volume de la bibliothèque du temple des Muses. » Sa surprise augmen-
tera encore lorsqu'il arrivera au NB. qui termine l'appendice. « Nous n'avons
» point à discuter, dit M. P., d'une façon qui caractérise sa méthode en général,
» nous n'avons point à discuter une opinion qui s'est produite en Allemagne au
» temps où Osann publia son livre , opinion d'après laquelle àf ïx-.xwvo; (cod.
» àz' ïXtxwvo;), ne serait qu'une faute de copiste pour 'a-e)1ixwvo; ou 'ATTsÀî.ixû'yTo;. »
Si le lecteur auquel nous songeons est un homme sans défiance et, de plus,
étranger à la question, ces paroles signifient évidemment pour lui que la décou-
verte d'Osann, au temps où elle fut publiée(i8$i), rencontra quelques incrédules.
J'ignore pour ma part si Osann est mort convaincu de la réalité de l'existence
de cet exemplaire de l'Hélicon qu'il avait mis 32 ans à révéler au public, mais
jusqu'ici je ne vois absolument que M. P. pour y ajouter foi. Je dirai plus encore.
Malgré l'exhumation opérée par lui, il y a de fortes raisons qui me font craindre
I . Voir RtMuc critique, ci-dessus, p. 209 ss.
viii 21
322 REVUE CRITIQUE
que bientôt le souvenir même d'une Iliade de l'Hélicon n'ait disparu. Ou bien
M. P. n'aurait-il pas remarqué par hasard le silence profond gardé au sujet de
la bévue d'Osann soit par M. Lehrs dans la seconde édition de son ouvrage sur
Aristarque, soit par M. La Roche, dans son livre sinon définitif du moins fort
complet, Die homerische Textkrlîik im Alterthum, Leipzig, 1866? Mais nous
aurions vraiment mauvaise grâce à insister en présence des paroles qui terminent
le N. B. si bien commencé de l'auteur. Après une tentative assez discrète, mais
des plus malheureuses, pour sauver l'Iliade dont il s'agit, et cela, entre autres,
par cette remarque ingénieuse « que l'expression Soxoùaa àp^aîa suppose une
» édition antérieure à l'archonte Euclide » (comme si la race des Simonidès
n'était pas aussi ancienne que la Grèce elle-même), M. P. conclut en ces termes :
« d'ailleurs la question relative à l'existence où à la non-existence de l'Iliade de
« l'Hélicon, n'a aucune importance philologique, et n'est qu'une affaire de pure
» curiosité. » Peut-être il aurait mieux valu avouer franchement une erreur,
pardonnable après tout.
Mais il est temps pour nous-même de laisser là ce fantôme ou pour mieux
dire ce revenant de l'Hélicon, L'appendice consacré à Zoïle n'est guère que la
reproduction de ce qui avait déjà été dit dans l'introduction. Quant à l'analyse
des Prolégomènes de Villoison, nous maintenons entièrement ce que nous avons
déjà fait observer. Qu'un biographe de Villoison se fût chargé de la besogne
faite par M. P., nous le comprendrions à la rigueur, mais, par des raisons faciles
à saisir, le travail du savant académicien n'est plus actuellement à la hauteur de
la science '. M. P. semble trouver étrange qu'on ne lise guère les Prolégomènes
de Villoison et que personne ne les cite jamais. Cet oubli fût-il réel (si M. P. le
désire je lui démontrerai le contraire), il y aurait pour l'expliquer d'excellentes
raisons. On pourrait au besoin se contenter de celles que fournit M. P. lui-même
dans une énumération conforme, pour le dire en passant, à toutes les règles de
la rhétorique la plus raffinée. Les Prolégomènes de Villoison sont qualifiés par
lui {Intr. p. Ixxx et t. II, p. 499) « de chaos de noms propres, de titres d'ou-
» vrages, de chiffres de toute espèce, de citations en diverses langues, de signes
)) particuliers, d'abréviations, d'italiques, de grec en onciales, de parenthèses, de
» notes, d'excursus. » Il n'y a pas jusqu'à la longueur des lignes, de quatre-vingts
lettres chacune, qui n'arrache une plainte à M . Pierron. Évidemment tout le monde
n'est pas aussi intrépide que lui. Je tremble presque en me figurant qu'il pourrait
bien découvrir l'un de ces jours, soit les Exercitaîiones Plinianae de Saumaise, à
l'école duquel Villoison appartient un peu trop, soit quelque autre ouvrage de ce
I. Dans beaucoup d'endroits M. P. aurait pu rectifier ou compléter les indications de
Villoison. Ainsi il n'eût pas été superflu de faire connaître (p. 513) qui était ce Senna-
chérib, ou plutôt ce Sénachérim dont M. Lehrs songeait un instant à prendre le nom
pour un pseudonyme de Casaubon. M. Bernhardy et après lui M. Cobet, Vaiiac kdioncs,
p. 186 ss. ont fourni à cet égard les renseignements nécessaires, en montrant que ce per-
sonnage enseignait la rhétorique et la poésie à Nicée, sous le règne de Théodore Ducas
Lascaris (1255-1259), qui lui adressait des lettres. A la même page M. P. cite l'éditeur
d'une partie des scholies du Cod. B en l'appelant Bonganni. G est Bongiovanni qu'il se
nomme.
d'histoire et de littérature. 325
genre et en recommander la lecture. En tout cas je me demande, si après un
pareil jugement porté sur l'oeuvre du savant français, il est bien sage d'imprimer
ailleurs (p. 558, n. 2) : « les Grecs avaient naturellement cet art de la disposition
» des parties qui manque aux Allemands et à Wolf lui-même. » N'est-il pas à
craindre que quelqu'un de nos voisins d'outre-Rhin ne s'avise d'opposer précisé-
ment les Prolégomènes de Wolf, qui, au dire même de ceux qui n'en partagent
pas les conclusions, sont un chef-d'œuvre d'exposition lucide et méthodique, à
l'indigeste élucubration du savant français ? En général, malgré certaines appa-
rences, au fond M. P. n'est pas juste pour Wolf : il oublie que le vrai mérite de
cet homme d'un esprit supérieur consiste avant tout à avoir posé le problème,
à avoir élargi un horizon singulièrement restreint avant lui. Je ne saurais, pour
l'ajouter ici, approuver davantage la façon dont est traité le plus illustre des
disciples de Wolf, M. Bekker, le vénérable doyen des hellénistes actuels. Non
content d'avoir déjà dans son premier volume malmené assez rudement l'édition
des scholies d'Homère publiée par l'infatigable savant de Berlin', M. P- réédite,
en les empruntant à Osann, certaines critiques assez vieilles déjà et en tout cas
fort injustes de M. Pluygers, disciple de M. Cobet. Il eût peut-être été équitable
de citer à ce propos la réponse un peu vive qui a été faite au critique par M. L.
Friedlasnder.
On est bien en droit de demander à un éditeur d'Homère, surtout à l'auteur
d'une histoire de la littérature grecque, s'il a un système à lui pour expliquer
l'origine des poèmes homériques, ou bien quel est celui qu'il préfère entre tous
ceux qui ont déjà été proposés. Pour ce qui concerne M. P. il est difficile de
répondre à cette question, son système consistant précisément à n'en pas avoir,
ou du moins à ne point le communiquer à ses lecteurs. M, P. a préféré laisser
à cet égard la parole à d'autres. Il a eu l'idée d'imprimer à la suite de l'analyse
des Prolégomènes et des Préfaces de Wolf, une série d'extraits destinés à faire
connaître les vues de MM. Egger, Guigniaut, Grote et E. Bumouf. Quant à lui
il se réserve en quelque sorte le rôle de juge du camp, redressant en cette qua-
lité, par des notes placées au bas des pages, tout ce qui parait contraire à la saine
doarine. C'est principalement dans ses notes qu'on apprendra de quel côté
penche le nouvel éditeur de l'Iliade. Wolf nous l'avons déjà dit, ne lui est nulle-
ment sympathique. Quant à Lachmann, dont l'opinion sur la matière est pour le
moins aussi importante que celle de chacun de ceux qui servent à M. P. soit de
bouclier, soit de cible, il ne veut pas même en entendre parler. Il ne mentionne
I. Aristomci Trôpl Sr;|i£Mi)v "Diaco; «/i^uwe emendatioreSj.Gotting. 1855, préface, p. V].
« Is autem qui Bdkeri et Villoisonis cditionibus inter se comparatis non intelligit quanta etiam
» in hac rc Bekkeri sint merita,aut in hoc gcnerc omnino nil intelligit aut malignusest. » Il est du reste
facile de se convaincre que partout c'est l'édition de Bekker qui a servi à M. P. On peut
comparer à cet égard N 246, 555, 426, H 216, P J99, etc. Dans !e premier de ces
passages M. P. propose de changer deux fois en toû la leçon -rry que donnent Villoison et
Bekker. La correction est parfaitement superflue : il faut reprendre avec Tfjv le mot
vsv.7.r;v qui précède. Voici ce que veut dire le scholiasie « à côté du génitif ).c6-/to; il y a
«^ le nom propre Aso'/reyç, et non pas Asuveû;. b Ajoutons encore que le texte des scholies
n'est pas toujours exactement cité. î 272 M. P. omet l'article devant cûc-a^rw. Dans la
note du v. 576 il met y.^-^xi au lieu de /.ç-niitù!; que donnent Villoison et Bekker.
324 REVUE CRITIQUE
Lachmann et son école (t. I, p. cj) que pour déclarer qu'il n'en sera pas ques-
tion et cela pour l'excellente raison que voici: «que d'ailleurs leurs -exagérations
» n'ont eu qu'un médiocre succès. » Mettre les gens à la porte est une manière
d'avoir raison commode et malheureusement assez répandue; seulement autre
chose est de les réfuter. Il ne faut pas du reste s'en étonner. Les arguments
invoqués par M. P, soit dans ses notes, soit dans son introduction, pour écarter
tout ce qui ne cadre pas avec ses propres idées, sont très-fréquemment de cette
force. Croit-il prouver quelque chose, par exemple, lorsqu'il parle (p. 609, n. 3)
de « vieilleries wolfiennes ? » On serait presque tenté de supposer, en face d'une
pareille expression que, dans le camp des conservateurs quand même, le mot
d'ordre a été récemment changé. Il n'y a pas déjà si longtemps que ces « vieil-
« leries » d'aujourd'hui y étaient repoussées avec énergie comme des « nouveautés
» dangereuses. » J'ai beau y réfléchir du reste, je ne parviens pas à trouver
plus de force probante à l'une plutôt qu'à l'autre de ces expressions. En défini-
tive il n'y a d'autre « vieillerie » en tout ceci que l'erreur si commune qui
, consiste à prendre pour une preuve une assertion avancée d'un ton un peu
cavaHer. Pour ma part je refuserai toujours de regarder comme des arguments
des assertions dans le genre de celle-ci (p. 572, n. i) : « nous savons de science
.5) certaine qu'Aristarque avait restitué, autant que faire se pouvait, l'Homère
)> qu'avaient en main les contemporains d'Eschyle et de Pindare, » ou bien
encore (p. 610) : « les légendes de Pisistrate ne comptent pas ou du moins ne
» doivent pas compter. » A propos de cette fin de non recevoir, opposée à ce
qui formera toujours, n'en déplaise à M. P., le nœud de la question homérique,
qu'on me permette de rappeler ce qu'écrivait naguère dans cette Revue même
(ci-dessus, p. 49) un homme dont la réputation n'est plus à faire et qui s'est tout
récemment encore acquis de nouveaux droits à la reconnaissance des hellénistes
français par son édition d'Euripide publiée dans la collection même dont fait partie
l'Iliade de M. Pierron. Voici ce que disait M. H. Weil à propos d'une attaque
dirigée contre Wolf et contre Lachmann par un jeune savant qui, lui aussi,
croyait pouvoir faire usage de l'épée dont Alexandre s'est servi à Gordium : « La
» fameuse rédaction de Pisistrate a été le point de départ des théories sceptiques.
» Pour mieux en finir M. Nutzhorn nie que cette rédaction ait jamais eu lieu.
» Le remède est radical : il est bien d'un jeune homme. » Nous osons recom-
mander à M. P. le reste de l'article : à peu de chose près on le dirait écrit à
son intention. Sur le terrain de la science toutes les opinions sérieuses sont
libres : à condition de se produire appuyées de preuves. Qu'on ne partage ni les
idées de Wolf, ni celles de Lachmann, qu'on préfère retourner en arrière, certes
on en a le droit. Mais qu'on se garde de croire que l'on peut causer le moindre
tort aux opinions de ses adversaires en ayant recours à de simples dénégations
ou à des affirmations réitérées, dût-on les couronner parce cri de victoire, assez
prétentieux d'ailleurs, par lequel M. P. termine son ouvrage : « nous avons
» Homère ! » Dieu merci nous l'avons, mais quant au problème débattu depuis
la fin du dernier siècle, sa solution ne saurait être avancée d'un seul pas par
des tentatives comme celle dont il s'agit.
D^HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE. 325
Nous n'ajouterons que peu de mots sur le commentaire. Le but spécial de
M. P. une fois admis, je reconnais volontiers que son travail contraste avanta-
geusement avec cette masse de publications sans valeur consacrées chez nous à
faire connaître les œuvres de la littérature grecque. Cependant il ne suffit pas
toujours de sortir de l'ornière pour se trouver immédiatement sur le bon
chemin. M. P. parle lui-même (Jntrod. p. cxlv) des « proportions en apparence
» énormes de son commentaire. « Si c'est là un inconvénient, il n'eût pas été
trop difficile d'y porter remède, et cela sans rien sacrifier d'utile. Il y aurait eu
d'abord tout avantage à résumer les points principaux relatifs à la langue et à la
versification homériques, sauf à y renvoyer quand l'occasion s'en présentait; on
évitait ainsi bien des redites. Que M. P. ait ensuite mêlé la critique verbale du
texte à l'explication , cela n'est que la conséquence naturelle du plan qu'il a
adopté. J'aurais même compris à ce sujet qu'il eût été plus complet dans l'indi-
cation de toutes les variantes antérieures à Aristarque ' . Mais pourquoi perdre son
temps et sa peine à réfuter dans une foule de cas les changements arbitraires
proposés par Bothe ? Il y a des critiques dont les erreurs même sont instructives,
Bentley p. ex., mais on peut hardiment abandonner à ceux qu'une pareille étude
intéresse et qui en ont le loisir, le soin de rechercher dans les éditions de Bothe
lui-même jusqu'à quels abus peut conduire la manie de la critique conjecturale.
Un autre moyen d'épargner la place eût été d'adopter un système uniforme pour
désigner des textes fréquemment cités. Pourquoi parler des scholiastes A, B, L,
tandis que le scholiaste connu de tous ceux qui s'occupent d'études homériques
comme le scholiaste V, est désigné constamment en toutes lettres « le scholiaste
» de Pierre Victorius?» C'est là, dira-t-on, une vétille. Je le veux bien. Mais ce
qui me semble moins facile à justifier, c'est la manière souvent prolixe dont M. P.
a rédigé ses notes. Nous citerons au hasard comme exemple du genre la note sur
N 237 : M. P. commence par une simple paraphrase de la note de Heyne pour
constater ce fait, que les philologues modernes (il aurait pu ajouter les anciens)
se sont beaucoup disputés sur le sens de ce passage, et cela sans qu'aucun d'eux
semble avoir connu la paraphrase d'Aristarque conservée dans le lexique d'Apol-
lonius. Je comprends d'autant moins l'utilité de cette observation que le passage
d'Apollonius se trouve cité chez Heyne, tout aussi bien que dans la seconde
édition de M. Lehrs p. 154. — Ailleurs certains détails méritaient bien d'être
ajoutés. Ainsi il n'aurait pas été superflu de dire que les vers i 1 54 ss., tels que
les avait constitués Zénodote, complètement défigurés par le scholiaste ou son
copiste, ont été corrigés par Heyne.
Une dernière question enfin. Le texte donné par M. P. est-il, comme le semble
annoncer le titre, conforme à l'une ou à l'autre des recensions d'Aristarque?
Quelques exemples démontreront le contraire. M. P., z 4i6,donne£-:vat2Tau(7av.
I. Nous ne citerons qu'une seule omission de ce genre, X 491 où la leçon des éditions
des villes ne se trouve pas indiquée. Pourquoi ensuite M. P. n'mdique-t-il pas les variantes
qu'offrent les citations antérieures aux Alexandrins? Est-ce pour ne pas faire tort à sa
thèse sur la conformité du texte d'Aristarque avec celui des contemporains d'Eschyle?
336 REVUE CRITIQUE
Aristarque ici, et probablement ailleurs, se conformant avec raison à l'analogie,
avait écrit £Ù vaterowaav, COmme l'atteste Didyme : 'ApwTapxo;, StàToùovaiexowaav.—
E 630, le texte de M. P. porte tôvts?. Nos éditions n'ont pas de scholie relative à
ce vers, mais évidemment il faut y rapporter celle du schol. L que Bekker et
Bachmann placent au vers 631, où elle n'a rien à faire : èv xr, éiépa (c'est-à-dire
l'une des recensions d'Aristarque) iovte xEiiai. Il suffit de comparer ce que dit
Didyme Z 1 2 I : lôvreç • ZtjVÔSoto; xal 'ApiCTToçàv/jç Suïxtoc lôv-re , èv oï xoî; è'[A7:poaO£v
elp^xafAEV 'Aptfftàpxov elvai t/iv ypaçiiv. — Les SChoUeS H 89, 409, II 1 6, P 161, S
5 37, et probablement z 7 j , attestent qu'Aristarque orthographiait xeôvYjiwç. M. P.
donne partout T£6vr,w;, sans indiquer de motif. — o 3 20, Aristarque écrivait non pas
xaTEvtoTca commel'écrit M. P., ce qui est l'orthographe d'Hérodien, mais ou bien
xaT'évwTta OU xaTEvwTia. Cela résulte clairement du témoignage d'Hérodien lui-
même, des schoHes BL et de celle publiée par M. Cramer, Anecdota Parisiensia,
t. III, 20, 28. — N 382, M. P. écrit èeSvwTaC et cite en note l'explication d'Aris-
tarque en y laissant d'ailleurs par erreur èedwzai. Il n'a pas vu que le schol. A
dit expressément : toûto Sa 'ApioTrapxoç Safruvsi, de sorte qu'il devait donner éeSvwraî.
Il ne faudrait rien de moins que refaire tout le travail de M. P. pour savoir quel est
le nombre de passages de ce genre dans lesquels, sans aucun avertissement de
sa part, il s'éloigne du texte d'Aristarque tel que nous l'attestent des documents
irrécusables ■ . Ailleurs du reste il s'en sépare sciemment, comme p. ex. N 29, où
il lit Y-o6oauvvi en faisant observer que c'est la leçon d'Aristophane de Byzance
rétablie par Hérodien, tandis qu'Aristarque avait écrit yrfioawr^. Sans doute,
comme M. P. le dit, le sens reste le même; mais que devient la récension
d'Aristarque? En général je suis assez porté à croire que M. P. ne s'est rendu
suffisamment compte ni des difficultés de son entreprise, ni des obligations
qu'elle lui imposait. A cet égard nous citerons un seul exemple qui nous paraît con-
cluant. Q 701 , M. P. lit é(7T£wx' d'après l'autorité de Didyme : écjTaôx' • 'AptorTapxoç
êa-T£WT'. Soit : mais ne serait-il pas étonnant que sur les dix-huit fois que cette
forme se rencontre dans l'Jliade au commencement du vers, Aristarque eût
écrit dix-sept fois éaxaoxa et une seule fois ÉcrxEwxa ? Évidemment il faut choisir :
ou bien en déniant toute autorité au témoignage du schol . V, cité tout à l'heure, ou bien
en faisant comme Bekker qui a rétabli partout icne&z' ou éctxew;, auquel Aristarque
paraît avoir donné la préférence par la raison qu'il tâchait d'introduire partout
le spondée comme premier pied du vers. A supposer que le but que s'est proposé
M. P. puisse être atteint, et pour ma part j'ai quelque doute à ce sujet, il ne
faudrait jamais se séparer de celui qu'on a choisi pour guide, surtout aussi
en ce qui concerne les athétèses opérées par lui. Il suffit d'une seule exception
à cette règle, et il y en a beaucoup chez M. P., pour ouvrir la porte à toutes
les hardiesses de la critique moderne. Ici comme partout il faut savoir se décider
I. Nous nous contenterons de citer encore S 412, où M. P. écrit PfêXiixstv. Evidem-
ment c'est p£6),r//.£i qu'avait écrit Aristarque. Cela résuhe clairement de ce que dit le
schol. A : oÛTW? £^(1) xoù v pEéXi^Xct, xat âv£u xoû £. Zr;v6ôoxo4 xaî 'Apiuxoçâvr,; «ryv xtô v
^EêXrjxetv. Je n'hésite pas à prétendre que chez le même scholiaste X 36: 'Aptaxapxo;
é'ffXYJxet aveu xoù t, au lieu de i il faut lire v.
d'histoire et de littérature. 527
entre l'autorité et le libre examen. M. P. se déclare hautement en faveur de
l'autorité, pourquoi alors n'abdique-t-il pas complètement sa liberté ?
Emile Heitz.
232. — Ricerche intorno al libro di Sindibad per Domenico Comparetti,
professore nella regia Università di Pisa. Milano, coi tipi di G. Bemardoni, 1869.
Gr. in-4-, 54 p.
On a déjà fait bien des recherches sur le livre qui est le sujet de ce travail
depuis les premières études de Loiseleur-Deslongchamps ' , mais tout ce qui a
été écrit sur les rédactions orientales du Livre des Sept Sages est tellement
dépassé par la dissertation de M. Comparetti, qu'on peut dire que l'étude
scientifique du sujet commence réellement avec ce livre. Nos lecteurs nous sau-
ront gré de leur faire connaître les principaux résultats de cet excellent travail,
d'autant plus que le tirage à part que nous avons sous les yeux ne. sera proba-
blement pas mis dans le commerce.
Commençons par rappeler le sujet de ce livre, duquel on a pu dire que pour
la popularité pendant des siècles « il atteint les livres saints des chrétiens et
dépasse tous les livres classiques. » Un roi a un fils, confié à un sage maître,
qui le renvoie à son père quand il a ^^ngt ans : les astres ont appris au maître
que son élève est perdu s'il parle avant sept jours à dater de son arrivée à la
cour. On s'étonne de ce mutisme; la favorite (ou femme) du roi promet défaire
parler le jeune homme : mais en réalité elle lui fait des propositions qui lui inspi-
rent une telle horreur, qu'il rompt le silence imposé pour la menacer de la faire
punir au bout des sept jours. Effrayée, elle l'accuse auprès du roi d'avoir voulu
la violer. Sept sages (vizirs) conseillers du roi décident de sauver la \ne du
prince, qui est redevenu muet. Chaque jour la favorite raconte -au roi une his-
toire qui le décide à condamner son fils au feu, — mais chacun des sages en
raconte successivement deux, qui le déterminent à suspendre l'exécution. Enfin
le septième jour le prince parle, son maître arrive à la cour , et c'est la favorite
qui est punie. — Le grand attrait de ce récit est moins dans le cadre que dans
les contes qui y sont intercalés, et dont plusieurs cependant sont ou grossiers
ou insignifiants, et n'ont d'ailleurs que peu de rapport avec le but qu'ils se pro-
posent. En Occident cette histoire subit de très-grandes modifications , et les
contes intercalés surtout furent presque tous remplacés par d'autres.
M . Comparetti commence par séparer bien nettement le groupe occidental du
groupe oriental, et émet en passant l'opinion, que nous partageons pleinement,
que les rédactions occidentales proviennent de la tradition orale et non d'inter-
médiaires écrits. Il laisse d'ailleurs tout-à-fait de côté ces rédactions et ne s'oc-
i . M. C. ne paraît pas avoir connu le travail le pins récent qui, à ma connaissance,
ait paru sur le sujet : Lindau, Die QucUtn des Decamerone, p. 10-28. Je ne le regrette
pas : bien que le travail de M. Lindau ait été fait avec soin, il est plein d'erreurs, comme
on le voit par celui de M. Comparetti, et celui-ci se serait peut-être cru obligé de les
réfuter, ce qui aurait été de la peine perdue.
328 REVUE CRITIQUE
cupe que des versions orientales. Celles-ci comprennent : 10 une rédaction per-
sane perdue, représentée par la traduction grecque d'une traduction syriaque
perdue ' ; l'auteur persan s'appelait Musa, le traducteur grec Michel Andreo-
poulos ; on désigne cette rédaction sous le nom de Syntipas, nom du maître du
jeune prince ; 2° une rédaction arabe perdue , représentée par une version
hébraïque, connue sous le nom de Sendabar (forme qui provient d'une faute de
lecture d'un scribe pour Sendabad); 3° un poème persan inédit, mais dont il
existe une analyse, le Sindibad-Nameh, écrit en 1 375; 4° une rédaction persane
du commencement du xiv'' siècle, formant la huitième nuit du Tûti-Nameh ou
Livre du perroquet de Nachschebî , et traduite en allemand puis en italien par
MM. Brockhaus et Teza; 50 les Sept Vizirs, texte arabe peu ancien qui se trouve
dans quelques éditions des Mille et une Nuits; 6° un texte arabe perdu, repré-
senté par une traduction espagnole faite en 1253 et publiée pour la première fois
par M. C. à la suite de son mémoire ^. On a jusqu'à présent spéculé plus ou
moins ^u hasard sur le rapport de ces textes les uns avec les autres. La base
des recherches est fournie par les deux faits suivants ; Masudi et un autre écri-
vain arabe, Mohammed Ibn-el-Meddim el-Werrak, parlent du Hvre comme exis-
tant au x^ siècle de notre ère; l'original était sanscrit. — Partant de là, M. C.
prend les six versions citées plus haut, qui sont toutes postérieures au x' siècle,
et dont aucune n'est sanscrite, et cherche en les comparant à reconstituer leur
original commun. C'est un travail aussi solide qu'ingénieux, et dont le résultat
est désormais acquis à le science. Ce résultat est en gros celui-ci : le plus fidèle
représentant du texte primitif est le grec Syntipas, qui contient toutes les histoires
de ce texte primitif; ensuite vient le texte espagnol, qui est à peu près absolu-
ment semblable, si ce n'est que le copiste de notre unique ms. a sauté par dis-
traction une histoire (la huitième), et qu'il s'en trouve une de plus, qui est sans
doute une addition du traducteur espagnol. Le Sendabar hébreu, très-fidèle en
général, change l'ordre de plusieurs récits, en supprime sept et en donne quatre
nouveaux ; le Sindibad-Nameh change tout-à-fait l'ordre , supprime sept récits et
en ajoute six; le conte des Mille et une Nuits suit d'assez près l'ordre du Syntipas
et du livre espagnol, mais il supprime six contes et en ajoute neuf; quant à
Nachschebî, il ne donne que six des contes du Syntipas. Ainsi est reconstitué
d'une façon définitive l'original de toutes les rédactions orientales. M. C. explique
ensuite de plus près pour chacune d'elle en quoi et pourquoi elle diffère des
autres. Cette investigation faite de main de maître remplit le premier
chapitre.
Une question des plus intéressantes est l'objet du second. Nachschêbi, comme
on vient de le voir, ne donne que six contes, c'est-à-dire que les vizirs, au lieu
1. M. Rœdiger a publié dans sa Chrestomathia Syriaca un conte, dont M. Lasinio a
fourni la traduction à M. Comparetti; mais il est douteux que ce soit Toriginai même du
grec (voy. p. jj).
2. Cette traduction est publiée d'après une copie fournie à M. Comparetti par M.
Amador de los Rios; le ms. est mauvais, et la copie semble aussi assez fautive (p. ex.
p. I pesas pour pesar, vorlad pour vcrtad, etc.); ce n'en est pas moins de toutes façons
un texte précieux^ qui ajoute encore de la valeur à l'ouvrage de M. C.
d'histoire et de littérature. 329
de raconter deux histoires, n'en disent qu'une, et que la favorite n'en raconte
pas du tout. On avait vu dans cettre brièveté la preuve d'une antiquité plus
grande, et on pensait généralement que Nachschebi avait traduit directement
l'original sanscrit, qui s'était amplifié dans les autres versions. M. C. démontre
péremptoirement qu'il n'en est rien, et que Nachschebi a simplement choisi,
dans l'ensemble des contes, les six qu'il a traduits et qui sont toujours les
secondes histoires des vizirs, parce que ces six contes se retrouvaient dans le
Çukasaptati, le livre sanscrit qui est la source de son Tûti-Nameh; mais dans le
Çukasaptati il n'est pas question du récit qui forme le cadre de notre histoire des
Sept Sages. Ces points établis, M. C. va plus loin, et met à peu près hors de
doute les faits suivants : le livre primitif de Sindibad ne contenait pas ces secondes
histoires des vizirs, et en effet il est bien plus naturel de supposer qu'à chaque
histoire dite par la favorite répond seulement une histoire dite par un des vizirs.
Un copiste quelconque, ayant lu ces six histoires dans le Çukasaptati, les ajouta
aux premières (qui ne se retrouvent pas dans le Çukasaptati) , et pour faire la
septième il prit l'histoire qui sert de cadre dans le Çukasaptati {le Mari, la Femme
et le Perroquet). Cette interpolation dut se faire, suivant M. C, non pas en
Inde, mais dans une traduction persane qui puisait sans doute dans la traduction
de Çukasaptati, qui servit plus tard à Nachschebi : la rédaction interpolée fit
disparaître l'autre, et c'est elle qui est la source commune de toutes les versions
orientales, restituées dans le premier chapitre. Nachschebi, travaillant à sa façon
l'ancien Tuîi-Nameh (traduction du Çukasaptati) et trouvant ces six histoires à la
suite l'une de l'autre, en fit une nuit à part, en les rangeant dans le cadre du
livre de Sindibad, où il se souvenait de les avoir également lues; seulement il
ne pouvait faire comme l'interpolateur de Sindibad, qui avait mis dans la bouche
d'un des vizirs l'histoire qui est le cadre du Çukasaptati, puisque cette histoire
était également le cadre de son Tuti-Nameh; de là ce fait singulier que chez lui,
bien qu'il y ait sept vizirs, il n'y en a que six qui racontent des histoires. — N'est-
il pas bien intéressant de pouvoir retrouver ainsi par l'induction seule , — et on
peut le dire à coup sûr, — les procédés de composition, les inventions et jus-
qu'aux hésitations de ces conteurs si éloignés de nous ?
Le chapitre III, sur l'âge du Syntipas et de la version hébraïque, nous apporte
des découvertes d'un tout autre genre. Le traducteur grec se nomme, avons-
nous dit plus haut, Michel Andreopoulos. A quelle époque vivait-il ? Il dit dans
son prologue qu'il était grammairien (vpaîiaaT'.xwv la/aTo;) et qu'il a été chargé de
son ouvrage
ôo'jxô; (JïêacToy 7r6),£ti>ç [ic).(i>vJ{xou.
On s'est jusqu'à présent peu soucié de ce passage pour fixer la date de l'ou-
vrage; ceux qui s'en sont occupés ont suivi Matthaei, éditeur du Syntipas, qui,
ne comprenant pas ujXwwfioy, l'a tout simplement corrigé en MeJevCx^j-j, sans se
demander si Melenicum avait un duc. M. C. prouve que le Gabriel en question
ne peut être que Gabriel, duc de Mélitène en Cappadoce (toXïwç lisXwvyiiov), qui
avait reçu de l'empereur de Byzance le titre de Sebastos (ôoyxô; ctêa^m), et qui,
3 30 REVUE CRITIQUE
en 1 100, malgré les secours que lui donna Boémond, perdit sa ville qui fut prise
parles Turcs : donc Andreopoulos a fait sa traduction avant la fin du xi' siècle à
Mélitène, ville très-voisine des pays de langue syriaque et en relation fréquente
avec eux. — Quant au Sendabar hébraïque, M. C. soutient avec beaucoup de
vraisemblance contre M. Benfey que l'auteur, appelé Joël par un manuscrit, peut
fort bien être le même que le rabbin Joël qui traduisit, en 1250, le livre de
Calila et pimna (version arabe provenant du Pantschatantra), si souvent associé
au Livre des Sept Sages.
Ce n'est pas tous les jours qu'on a le plaisir de lire des travaux d'histoire litté-
raire comme celui que nous venons d'analyser brièvement. La méthode la plus
sûre y est appliquée par un esprit à la fois pénétrant et sage, les résultats sont
exposés avec une clarté parfaite. Quels progrès rapides ferait l'histoire comparée
des littératures si elle avait, pour exploiter son riche domaine, beaucoup de tra-
vailleurs comme le savant professeur de Pise !
G. P.
233. — Ueber Dante's Schrift de vulgari eloquentia. Nebst einer Untersuchung des
Baues der Danteschen Canzonen, von Eduard Bœhmer. Halle, Buchhandlung des
Waisenhauses, 1868. In-8*, 50 p.
L'opuscule de Dante sur l'éloquence vulgaire n'a pas jusqu'à présent attiré
l'attention autant qu'il le mérite : c'est pourtant à coup sûr un sujet d'étude des
plus intéressants. On n'y rencontre pas seulement des idées grammaticales extrê-
mement originales et caractéristiques, et des renseignements intéressants sur les
dialectes de l'Italie au xiii'' siècle; on y trouve aussi, si on sait en tirer parti, les
éclaircissements les plus précieux sur les œuvres du poète lui-même. M. Bœhmer
a exprimé de ces pages curieuses tout ce qu'elles contiennent d'essentiel dans un
travail succinct et complet qu'on peut donner pour un modèle des études de ce
genre. Il fixe d'abord la date où l'ouvrage a été composé (à Bologne, de 1 304
à 1306), donne ensuite une analyse substantielle des deux livres qui seuls ont
été écrits (il devait y en avoir au moins cinq, p. 40), indique en passant les
sources où Dante a puisé et explique les obscurités fréquentes du texte, et ter-
mine en appliquant aux Canzoni du poète les règles de critique contenues dans le
traité qu'il vient d'analyser.
Donnons une idée de l'intérêt et de la nouveauté de ce travail. Après avoir
exposé ses théories bizarres sur les langues en général et en particulier sur le
rapport du vulgaire latin (italien) avec la grammaire (latin classique), Dante
caractérise et classe les différents dialectes populaires de l'Italie et déclare
qu'aucun d'eux ne représente ce qu'il appelle le vulgaire illustre, c'est-à-dire la
langue littéraire élevée, langue qui ne se parle nulle part, mais qui résulte de la
convention des excellents esprits du pays entier. Au-dessous du vulgaire illustre,
qui est pour ainsi dire l'idéal de la langue du pays entier, se placent les grands
dialectes, comme le lombard ou le toscan, embrassant de vastes provinces, et
enfin au dernier degré les idiomes municipaux, propres à une ville ou à un petit
district. — Le second livre traite de l'application à la poésie de celte langue
d'histoire et de littérature. jji
vulgaire ainsi définie. L'homme a trois vies, la vie végétative, la wie animale, la vie
rationnelle : la vie végétative a pour but la conservation, la vie animale la jouis-
sance, la vie rationnelle la vertu. La poésie vulgaire', suivant qu'elle répond à
une de ces trois vies, chante les armes, ou Vamour, ou Vhonneur (rectitudo, direc-
tio voluntatis). Cette dernière poésie est la plus noble de toutes ; elle a pour forme
propre la Canione; son style est le style tragique. Le style tragique n'admet que
le vulgaire illustre; tandis que le style élégiaque, le plus bas de tous, se contente
du vulgaire municipal, et le style comique admet le vulgaire provincial et municipal.
— En traitant de la Canzone, Dante signale tout ce qu'elle doit éviter; il en
écarte sévèrement les idiotismes locaux, les mots trop rudes ou trop mous, etc.;
la plupart des traits qu'il condamne se retrouvent dans son grand poème ; cela
tient, comme le remarque fort bien M. B., à ce que ce poème n'est pas écrit en
vulgaire illustre, et c'est pour bien indiquer le style dans lequel il est fait que
Dante l'a appelé Commedia. Ce point est si intéressant et si neuf que je rapporte
ici la page entière de M . Bœhmer : « Puisqu'il appelle son grand poème comédie,
» on doit s'attendre à ce qu'il n'y emploie pas la langue illustre des Canzoni,
» mais à ce qu'il y mêle la langue provinciale et municipale. Le style comique,
» pour être bon, doit être un mélange de la langue vulgaire moyenne (provin-
j) ciale) et ordinaire (municipale). Pour traduire convenablement la pensée de
» Dante, il faudrait dire : la divina commedia est écrite non pas en italien, mais
» partie en toscan, partie en florentin. C'est pour cela que p. ex. il emploie les
» mots introcque Qnf. XX, 130), etmanicare (~^ mangiare, XXXIII, 60), tandis
» que, dans le vulg. eloq. I, 1 3, il cite manichiamo introcque comme des floren-
» tinismes, dans le passage où il rassemble plusieurs locutions également propres
» aux dialectes municipaux de la Toscane, afin, dit-il, d'enlever à ses compa-
» triotes un peu de cette vanité qu'ils ont de croire parler l'italien type. Il
M repousse (II, 7) du style des canzoni les mots de la langue des enfants, comme
» mamma, babbo, et on les trouve dans la Commedia, ainsi que pappo et dindi;
» — ceux de la langue des femmes, et la comédie donne nanna; — ceux des
» paysans, p. ex. greggia, et on le lit dans son poème ; — les mots de la langue
» usuelle trop lisses, comme femina, trop rudes comme corpo, et tous deux, le
» second surtout, sont fréquents dans la Comédie:.... Jamais dans une Canzone
» Dante n'aurait employé des diminutifs familiers comme Bice, Bindo, Lapo, etc.,
» qu'on trouve dans la Comédie. » Les conséquences extrêmement importantes
qui découlent pour l'appréciation de la Divina commedia de ce point de vue si
juste et si saisissant ne sauraient être même indiquées ici; elles n'échapperont
pas à ceux qui sont adonnés à l'étude du grand poète florentin
Dans ce même second livre Dante donne la règle de la versification des Can-
zoni : ces règles procèdent soit directement de la métrique provençale, soit de
l'influence allemande, si grande à l'origine de la poésie italienne 2, soit du déve-
1 . L'histoire appartient à la grammaire, qui d'après Dante, ne changeant pas comme le
vulgaire, a été inventée pour transmettre à la postérité ie souvenir des actions .passées.
2. M. B. semble disposé à restreindre cette influence (p. 28, n. 1); je ne sais si les
objections qu'il fait à M. Wackernagei sont très-bien fondées.
Î32 REVUE CRITIQUE
loppement propre de cette poésie et souvent sans doute de l'invention même de
Dante. Jamais génie, remarquons-le en passant, n'a été plus conscient et moins
spontané que Dante : de même qu'il n'a pas écrit un mot sans en avoir pesé
tous les sens, de même il n'a pas composé une strophe sans en avoir longuement
médité le rhythme (à ce dernier point de vue d'ailleurs, comme à plusieurs
autres, il est le fidèle disciple des troubadours du xiii'= siècle). — Après avoir
exposé avec une clarté aussi grande que possible ces règles de composition sy-
métrique qui sont souvent bien obscures, M. B. en rapproche les Canzoni du
poète lui-même, et montre qu'elles s'y appliquent avec une précision merveil-
leuse : d'oià il suit que certaines pièces, attribuées à Dante sans preuve suffisante,
sont démontrées apocryphes par ce seul fait, resté jusqu'ici complètement ina-
perçu, qu'elles sont en contradiction avec les lois délicates et minutieuses
que Dante a formulées dans son traité et qu'il a suivies dans ses œuvres.
En résumé, je ne puis que recommander vivement cette plaquette à tous
ceux qui s'occupent, soit de Dante, soit même en général de la poésie lyrique
du moyen-âge. J'ai rarement vu en un espace aussi petit autant de choses inté-
ressantes, nouvelles et bien exposées.
4..
234. — Franzœsich-englisches etymologisches 'Wœrterbuch innerhalb des
Lateinischen, fur Studierende und Lehrer des Franzœsischen und Englichen an hœheren
Unterrichts-Anstalten, von D' S. Nagel. Berlin, Calvary. Gr. in-8*, vj-378 p. —
Prix : 1 2 fr.
Ce livre est destiné à l'enseignement : il n'a pas de prétentions scientifiques.
L'auteur a extrait des ouvrages de Diez, Maetzner et MùUer toutes les étymologies
latines assurées de mots français ou anglais et les a disposées dans un ordre
nouveau, qui est l'originalité et le mérite de ce volume. Chaque page est divisée
en deux colonnes; à gauche sont les mots latins, rangés par ordre alphabétique,
accompagnés de leurs dérivés ou composés, et des formes intéressantes du bas-
latin; à droite les mots correspondants français ou anglais avec leurs dérivés. Les
mots français sont en caractères romains, les anglais en italiques ; quand un mot
appartient aux deux langues, il est imprimé moitié en romains, moitié en italiques.
Latin, anglais et français, sont traduits très-brièvement, mais de façon à faire tou-
jours comprendre les modifications du sens. On ne peut rien voir de plus simple,
de plus ingénieux et de plus pratique, et on peut prédire à cet utile et modeste
travail un grand succès dans les écoles allemandes. — Il est à regretter que l'auteur
ne se soit pas servi du dictionnaire de Littré, qui doit sans doute beaucoup à Diez,
mais qui est cependant original en bien des points, et qui corrige et complète
sans cesse le Dictionnaire étymologique. M. Nagel ne paraît même pas avoir lu les
ouvrages secondaires du professeur de Bonn ; il emprunte au Dict. étymol. des
étymologies que le maître a plus tard rétractées (p. ex. chanceler). — Les fautes
d'impression ne sont pas rares, quelques-unes fâcheuses, comme edcre pour
edere.
d'histoire et de littérature. 555
235. — Les Songes drolatiques de Pantagruel où sont contenues cent vingt
figures de l'invention de maître François Rabelais, copiées en fac-similé par Jules More!
sur l'édition de 1 565 avec un texte explicatif et des notes par le Grand Jacques (Gabriel
Richard). Paris, chez les bons libraires, et rue des Martyrs, 19. Petit in-S*, xij-i2op.
— Prix : 3 fr.
Les Songes drolatiques, assez longtemps délaissés, sont aujourd'hui en posses-
sion d'attirer vivement l'attention des éditeurs. Dans l'espace d'un an, nous en
avons vu surgir trois reproductions; l'une mise au jour à Genève, par M. J. Gay
avec une préface écrite par M. Paul Lacroix; l'autre publiée par M. Edwin Tross,
et celle dont nous venons de transcrire le titre. Les deux premières sont des
livres de luxe, tirés à petit nombre, la dernière est à l'usage d'un public plus
nombreux. On sait combien l'édition originale, mise au jour en 1 565, est devenue
rare et combien elle est chère ; en 1 867, un exemplaire s'étant montré à la vente
de M. J. Ch. Brunet, fut porté au prix de 1 500 francs. ', Pendant plus de deux
siècles, personne ne songea à reproduire ces figures grotesques. Le Duchat n'eut
pas l'idée de les placer dans sa belle édition des œuvres de Rabelais (Amsterdam,
1741. 5 vol. in-4°), et ce fut vers 1797 seulement que le libraire Sulior entreprit
une reproduction qui se composa de 60 planches gravées par Malapran et deve-
nues très-rares. On ne sait pas positivement si la suite fut terminée*. Les Songes
drolatiques ne reparurent en totalité que dans l'édition dite Variorum mise au jour
de 1825 à 1826, par MM. Esmangart et Eloi Johanneau avec des commentaires
beaucoup trop développés et des explications qui n'ont pas eu l'assentiment des
meilleurs juges; ils en forment le neu\nème et dernier volume. Les éditions de
MM. Gay et Tross n'ont point de commentaire spécial consacré à chaque figure,
mais celle de 1869 a suivi à cet égard l'exemple donné en 1823; elle prétend
indiquer quel est le personnage que le dessinateur a eu en vue dans chacun de
ses croquis. Du reste sur presque tous les points les explications sont les mêmes;
l'édition Variorum reconnaît le pape Jules II dans vingt et une planches différentes
(n°* I, 3, 7, 15 118, 119); l'éditeur de 1 869 partage cette opinion; il en est
de même pour la plupart des types dessinés ; il s'écarte sur bien peu de points
de l'avis de ses devanciers; cependant la figure CXI paraît aux yeux de MM. Es-
mangart et Johanneau un «singulier damoiseau », lacé comme une femme et très-
probablement un des oiseaux gourraandeurs du livre V. chap. V, tandis que le
Grand Jacques, rejetant complètement cette interprétation, voit là une femme qui
peut très-bien être une de ces abeyesses qui peuplent Vlsle sonnante ou mieux encore
une de ces cailles coiphées dont il est parlé dans le prologue du livre IV. Dans la
figure XXXVI où l'édition Variorum reconnaît Niphleseth, reine des Andouilles,
il préfère voir la Pragmatique Sanction. La figure LXVI ne lui paraît pas une
1. Il avait été adjugé à 1 50 et à 41 1 fr, aux ventes Mac-Carthy et Nodier en 1816 et
en 1844; c'est un des nombreux exemples de l'augmentation très-sensible qui s'est mani-
festée sur la valeur des livres rares.
2. L'éditeur avance que ces figures furent dessinées en Italie par Rabelais lui-même
dans le but de ridiculiser les premiers personnages de l'époque et surtout ceux de la cour
de Rome. Les planches sont gravées d'une pointe légère, assez bien accentuée; l'esprit
des originaux n'est pas mal rendu.
534 REVUE CRITIQUE
allusion à Corneille Agrippa ^ mais à un charlatan inconnu, peut-être le médecin
de François ï". Il serait superflu de développer ces détails minutieux. Ici se
présente une question qu'il est difficile de résoudre. Rabelais a-t-il eu quelque
part aux Songes auxquels quelques années après sa mort, l'imprimeur Richard
Breton attacha son nom. L'auteur du Manuel pense qu'il y fut complètement
étranger; M. Tross ne paraît point éloigné d'être du même avis; M. Lacroix
suppose que Rabelais qui avait des connaissances en architecture (sa description
de l'abbaye de Thélème le démontre) pouvait aussi être bon dessinateur, pour-
quoi les dessins des Songes ne se seraient-ils pas trouvés après sa mort dans son
cabinet? L'éditeur de 1869 est bien plus affirmatif : « Si jamais l'âme, l'esprit et
» les facultés d'un homme se sont incarnés dans son ouvrage, c'est certainement
» quand maître Alcofribas écrivit les six livres du Pantagruel '. Je prétends donc
» avoir ses secrets pour l'avoir beaucoup aimé, et j'affirme, par une intuition
» étrangère aux recherches savantes, que ces gravures appartiennent à la plume
» et à l'imagination de Rabelais lui-même. Il me reste peu de doutes à cet égard,
» et je m'appuie pour cela sur ma conviction personnelle plus que sur l'affirma-
» lion de l'édition de 1 565. On retrouve sa verve, son originalité, sa bizarrerie,
» son accent et son style. »
Nous voudrions avoir d'autres preuves que celles qui résultent d'une simple
appréciation personnelle ; nous observerons d'ailleurs que plusieurs ouvrages de
la même époque offrent dans les figures sur bois qui les accompagnent des
images grotesques du même genre que celles des Songes drolatiques; le dessina-
teur des caricatures publiées en 1 565 avait eu des devanciers à cet égard, mais
personne ne l'avait égalé en fécondité et en bizarrerie. La pensée qui guida sa
main restera toujours couverte d'un mystère impénétrable aujourd'hui; il est
assez vraisemblable qu'il obéit surtout aux caprices de sa fantaisie et qu'il ne
songeait nullement à retracer sous un aspect énigmatiquement burlesque les
figures de ses contemporains. Lorsqu'on veut retrouver les originaux auxquels on
se croit autorisé à rapporter les Songes, il faut admettre une double hypothèse;
par exemple que, dans l'épopée rabelaisienne Bringuenarilles désigne Charles V,
et que la figure CIII est l'image de Bringuenarilles, au lieu que Frère Jean des
Entomeures reflète le cardinal de Bellay et que cinq des Songes (n"' V, VI,
IX, etc.) sont la charge de Frère Jean. Tout cela est bien hasardé. Si maître
François pouvait faire entendre sa voix, il est bien vraisemblable que lui qui a
raillé tant de choses, se moquerait vivement de ses trop ingénieux commenta-
teurs; il leur recommanderait de ne pas tant « s'emberclucoquer le cerveau pour
» calefreter des allégories qui oncques ne furent songées. » — La préface du
volume de 1869 donne des détails curieux sur les bois gravés par M. Gustave
Doré pour une édition illustrée de Rabelais, publiée par M. Bry aîné et qui,
après la mort de cet éditeur, ont été adjugés en vente publique à MM. Garnier
frères au prix de 6000 francs.
I . Nous ne comprenons pas bien pourquoi ces six livres? D'ailleurs le cinquième est-il
de Rabelais? Oui, d'après M. Charles Lenormant; non, d'après M. Paulin Paris. Ques-
tion fort controversée et très-discutable qu'il ne s'agit pas d'aborder ici.
d'histoire et de littérature, 335
signalons une petite inexactitude; il est question, p. 9 et lo delà bibliothèque
de M. C. Brunet, d'une opinion de M. C. Brunet; lisez M. J.-Ch. Brunet, l'au-
teur du Manuel du Libraire. C'est à tort également que le nom de l'un des éditeurs
de 1823 est écrit à diverses reprises Ermangart, il faut lire Esmangart. En somme,
le volume qui vient d'être publié aura pour résultat de populariser un recueil fort
curieux qui était jusqu'à présent d'un prix élevé ; il y a donc lieu de lui faire bon
accueil.
236. — Louis DE Laincel. Voyage humoristique dans le Midi. Études histo-
riques et littéraires. Paris, A. Lemerre, 1869. In- 12, 502 p. — Prix : 3 fr. 50.
La portion du Dauphiné et de la Provence à travers laquelle M. de Laincel
guide le lecteur est assurément l'une des régions les plus intéressantes que puisse
souhaiter un archéologue. Nulle part en France les souvenirs de l'antiquité et
du moyen-âge ne sont plus nombreux; nulle part, au milieu du calme qui a
succédé à une puissante activité, le touriste ne se sent plus dégagé des préoc-
cupations modernes et plus entier à la contemplation du passé. M. de L., dont
les sympathies paraissent appartenir plutôt au passé qu'au présent, a réuni sur
un certain nombre de villes ou bourgs de la Drôme et du Vaucluse tout ce qu'il
a rencontré dans ses lectures et dans ses voyages (surtout dans ses lectures) de
récits et d'anecdotes. Tout cela forme un ensemble qui se lit facilement, encore
bien que Vhumour annoncé par le titre y soit plus rare que dans les Lettres du
Président de Brosse, par exemple. M. de L. serait du reste bien fâché d'avoir
avec le savant Président aucun point de ressemblance, puisqu'il lui reproche de
manquer de goût et d'écrire « avec un style la plupart du temps entaché par un
» cynisme effronté » (p. 456).
Mais nous n'avons point ici à donner notre sentiment sur la composition ou
compilation de M. de Laincel. Les ouvrages d'un caractère littéraire (je veux
dire non scientifique) restent en dehors du cadre de notre revue. Aussi n'aurions-
nous point parlé de ce livre s'il ne s'y trouvait sur certains points d'histoire
littéraire des hérésies que nous tenons à signaler.
M. de Laincel est l'auteur d'un livre intitulé : Des Troubadours aux Felibres,
histoire critique de la poésie provençale (Aix, 1862). C'est un livre où la critique
est sur le titre, comme Vhumour dans le Voyage dont nous rendons compte en
ce moment. M. de L. y apprécie les felibres et les troubadours avec un égal
jugement. Ce qu'il pense des premiers ne nous préoccupe point; mais en ce qui
touche les seconds nous ne pouvons nous dispenser de faire remarquer à M. de
L. que les données sur lesquelles il opère sont des plus suspectes, la source à
laquelle il puise à peu près toute sa connaissance de la littérature des trouba-
dours étant l'opuscule de Jean de Nostre Dame, les Vies des plus célèbres et anciens
poètes provençaux. Cela seul suffit à montrer combien M. de L. est étranger au
sujet qu'il a voulu traiter dans l'Histoire critique ci-dessus mentionnée, et qui
revient de temps à autre sous sa plume dans le Voyage humoristique (p. 140, 170,
270, etc.). Car, s'il avait étudié quelques-uns des ouvrages vraiment critiques
336 REVUE CRITIQUE d'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
qui, depuis Raynouard, ont été consacrés à la poésie provençale, il aurait vu
que l'ouvrage de Nostre Dame n'y est jamais allégué comme autorité ; et, s'il
avait eu recours aux textes mêmes des troubadours et aux Vies contemporaines .
qui ont été publiées par Raynouard, par Rochegude, par Mahn, il aurait bien
été forcé de reconnaître que ces Vies et ces textes excluent Nostre Dame , à
moins de les arguer de faux toutes les fois qu'ils contredisent l'historien pro-
vençal. Il n'y a pas lieu de s'étendre davantage sur ce point. La question est
résolue depuis longtemps et n'est plus douteuse pour les hommes compétents '.
Il n'en est que plus regrettable de voir les mêmes erreurs se reproduire avec
persistance dans les livres destinés au grand public. Ce qui montre du reste
combien les matières philologiques sont peu familières à M. de Laincel, c'est le
jugement singulier qu'il porte sur les brochures d'un certain M. Alfred Artaud,
d'Apt, « qui a publié de remarquables études sur la langue provençale à propos
)) de la nouvelle orthographe récemment adoptée par une école de poètes «
(p. 160). Ces remarquables études consistent en une ou deux brochures très-
sottes à tous égards, publiées il y a quelques années et dirigées contre M. Rou-
manille. M.-P. Hiacynthe.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
AmSTOTE, Fragmenta, p. p. Heitz (Didot). — Beal, Travels of Buddhist Pilgrims
(Trùbner). — Breysio, Die Zeit Karl Martells (Leipzig, Duncker). — Brown, Sanskrit
Prosody (Trùbner). — Brunner, Das Anglo-Normanische Erbfolgsystem (Duncker). —
BuDENZ, Ugrische Sprachstudien (Pest, Aigner). — Caspari, Das Buch Daniel (Leipzig,
Dœrffling). — Castelli, Leggende talmudiche (Pisa, Nistri). — Dreydorff, Pascal
(Duncker). — Droysen, Geschichte d. Preussischen Politik (Leipzig, Veit). — Ethé,
Kazwîni's Cosmographie; Id., Morgenlaendische Studien (Leipzig, Vues). — Fcerster,
De Platonis Phaedro (Berlin, Ebeling). — Georges, Handwœrterbuch d. Lateinischen
Sprache (Leipzig, Hahn). — Giesebrecht, Geschichte d. Deutschen Kaiserzeit, I-III
(Braunschweig, Schwetschke). — Gindely, Geschichte d. 30 J. Krieges (Prag, Temp-
sky). — Klinkert, Maleisch-Nederdeutsch V/œrdenboeck (Amsterdam, Mùller). —
Krenkel, Paulus (Duncker). — Lebrun-Vigée (M"'), Souvenirs (Charpentier). —
Michel, la Chanson de Roland (Didot). — Palacky, Documenta J. Hus (Prag,Temp-
sky), — Rajna, La Materia del Morgante. — Rozenkranz, Hegel (Duncker). —
ScHCENE, Quaestiones Pompeianae (Leipzig, Breitkopf). — Wattenbagh, Lateinische
Paléographie (Leipzig, Hirzel). — Weber, Indische Streifen, II (Berlin, Nicolaï).
— Zeller, Die Philosophie d. Griechen, I (Leipzig, Vues). — Zirngiebel, Das
Institut d. Gesellschaft Jesu (Vues). — Zoeppritz, Aus Jacobi's Nachlass (Leipzig,
Engelmann).
1 . La Revue critique a du reste eu occasion de discuter quelques-unes des assertions de
Nostre Dame et d'en faire voir la fausseté. Voy. 1867, I, p. 171-3 ; voir aussi BM. de
l'École des chartes, 6' série, t. V, p. 257-61 et 476-8.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
I
grecque, début d'un jeune auteur qui ne paraît pas très au courant des travaux
de M. Curtius.
Chaque livraison renferme une bibliographie des livres parus en Russie et la
liste des principaux travaux publiés par les journaux littéraires.
Beitrœge znr vergleîchenden Spradiforschung auf dem Gebiete der
arischen, celtischen und slawischen Sprachen unter Mitwirkung von A_. Leskien
und J. ScHMiDT, herausgegeben von A. Kuhn. Sechster Band. Zweites Heft.
Berlin, 1869, librairie Dùmmler.
[Bien que les langues celtiques soient mentionnées dans le titre des Beitrage,
elles n'occupent depuis quelque temps qu'une part bien restreinte de cette excel-
lente publication. Dans le précédent cahier, elles prenaient dix-huit pages ; dans
celui-ci, elles n'en prennent que quatorze. Si les études celtiques doivent y être
réduites à une place aussi minime, mieux vaudrait consacrer cette revue aux
études slaves, d'autant plus que les études celtiques auront prochainement un
organe spécial, la Revue celtiijue.']
P. 1 29-1 $ I . J. ScHMiDT, Développement d'un j parasite en slave et en lithuanien.
— P. 1 51-187. A. Leskien, Sut le Dialecte des chants populaires russes du gouver-
nement d'Olonec. — P. 188-194. Wenzel Burda. Quelques observations sur le
Compendiura de Schleicher (2* éd.). [Ces observations ont trait à la partie slave
du Compendium]. — P. 194-197. Du même. Additions à la connaissance de quel-
ques suffixes en slave. — P. 197-204. Baudouin de Courtenay, Passage des
consonnes sourdes en leurs sonores correspondantes dans le développement historique de
la langue polonaise. — Du même. 204-22 1 . Différents articles sur quelques points
de philologie polonaise. — P. 222-226. H. Ebel, Les neutres en -as en ancien
irlandais. — P. 227-231, \Vh. Stokes, Glossaire Gaulois d'Endlicher. [Traduc-
tion allemande d'un travail de M. Wh. Stokes qui avait déjà paru en français
dans la Revue archéologique de trnd 1868. Les éditeurs des Beitrage devraient
mentionner à ce sujet un article de M. d'Arbois de Jubainville sur le même
Glossaire , article qui contient des faits nouveaux et d'intéressants Xachtrdege à
l'article de M. Stokes (dans la Revue archéologique de novembre 1868). Si remar-
quable que soit le mémoire de M. Wh. Stokes, nous nous étonnons que les
Beitr<£ge reproduisent (et sans dire où il a paru déjà) un travail publié quinze
mois auparavant dans une revue aussi répandue que la Revue archéologiçjue. Le
procédé, du reste, est familier aux Beitrage; les Miscellanea Celtica de Siegfried
que contient leur précédent cahier avaient déjà paru il y a deux ans dans les
mémoires de la Philological Society de Londres.] Dans la bibliographie, notons les
articles favorables de M. Ebel sur la traduction de Cormac par O'Donovan et
Wh. Stokes (cf. Revue crit., 1869, t. II j art. 181) et sur les Glossae Hibernicaede
M.Nigra (cf. Rev. crit., 1869, t. I, art. 122); et de M. L. Diefenbach, sur le
troisième volume de VEthnogénie gauloise par M. de Belloguet (cf. Rev. crit.,
1869, 1. 1, art. 67). Dans les mélanges nous remarquons une lettre où M. Lottner
appelle l'attention du monde savant sur une lecture faite par M. Hennessy ' à
l'Académie royale d'Irlande et qu'il regarde comme « une des découvertes les
» plus importantes que la dernière génération ait vu s'accomplir dans le domaine
» de la mjthologie comparée. » Ce mémoire de M. Hennessy sur La déesse de
la Guerre chez les anciens Irlandais est destiné à la Revue celtique et paraîtra, si
nous sommes bien informé, dans le premier n^ de cette publication. — Ce cahier
des Beitr£ge se termine par une notice de quelques pages où M. J. Schmidt
rappelle les services rendus à la science par le regrettable Schleicher.
I . Et non Hcnnessey, comme l'impriment les Bcitrage.
En vente chez Vogel , à Leipzig, et se trouve à Paris, à la
librairie A. Franck (F. Vieweg), 67, rue Richelieu.
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En vente à l'imprimerie impériale à Vienne, et se trouve à Paris, à la
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AT T A Ç Ç A ÎSJ '^"''^S^f^sste Grammatik der vulgaer-arabischen
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schen Dialekt. i vol. in-8°. 8 fr.
En vente à la librairie M. C. F. Winter, à Leipzig, et se trouve à Paris, à la
librairie A. Franck (F. Vieweg), 67, rue Richelieu.
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. 1 n . VON n IL U U L. 1 IN weissenNilundseiner
w^estlichen Zuflùsse in den J. 1 862-1 864. Mit e. Vorworte v. D' A. Petermann.
Nebst e. (lith.) Karte (in-folio) sov^ie 9 in den Text gedr. Holzschn. u. 8 Taf.
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chluss der Rechtsalterthûmer. 2. Aufl. unter Benutzg. d, vom Verf. hinterlas-
senen Handexemplars bearb. v. K. B. Stark. i vol. in-8". 6 fr.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 48 Quatrième année 27 Novembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE F'UBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. P. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
Prix d'abonnement :
Un an, Paris, 15 fr. — Départements, 17 fr. — Etranger, le port en sus
suivant le pays. — Un numéro détaché, 50 cent.
PARIS
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En vente à la librairie A. Franck, F. Vieweg propriétaire,
67, rue Richelieu.
BIBLIOTHÈQUE
DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
publiée sous les auspices du Ministère de l'Instruction publique.
Sciences philologiques et historiques.
i" fascicule. La Stratification du langage, par Max Mùller, traduit par
M. Havet, élève de l'École des Hautes Études. — La Chronologie dans la for-
mation des langues indo-germaniques, par G. Curtius, traduit par M. Bergaigne,
répétiteur à l'École des Hautes Études. In-80 raisin. 4 fr.
Forme aussi le i" fascicule de la Nouvelle Série de la Collection philologique.
2' fascicule. Études sur les Pagi de la Gaule, par A. Longnon, élève de
l'École des Hautes Études. In-S» raisin avec 2 cartes. j fr.
Forme aussi le i" fascicule de la Colleaion historique.
A T r\ x T /^ TV T r\ Tvj Le Livre des Vassaux du Comté de
^* i— 'Wi>l VJ l^l Wl>l Champagne, 1 172-1222, publié d'après
le manuscrit unique des Archives de l'Empire, i fort vol. in-80. 7 fr. 50
A T O î V ^^"°^^ ^^ Sainte-More et le roman de Troie, ou les
-^ • J w l_j I métamorphoses d'Homère et de l'épopée gréco-latine au
moyen-âge. i vol, in-4°. 20 fr.
PERIODIQUES ÉTRANGERS.
liiterarisches Centralblatt fur Deutschland. N" 4$. 30 octobre. (Le n" 44
ne nous est pas parvenu).
Théologie. Freudenthal, Die Flavius Josephus beigelegte Schrift ùber die
Herrschaft der Vernunft (IV Makkabaeerbuch), eine Predigt aus dem I. christ-
lichen Jahrhunderte, untersucht (Breslau, Schletter; important). — Histoire.
Mecklenburgisches Urkundenbuch, V, 1301-13 12 (Schwerin, Stiller). — Wat-
TENBACH, Peter Luder (Karlsruhe, Braun ; très-intéressant pour les commence-
ments de l'humanisme en Allemagne). — Fraas^ Die nœrdlinger Schlacht (Nœrd-
lingen, Beck; n'apporte pas grand chose de nouveau après le travail de Fuchs).
— Linguistique. Histoire littéraire. Schœnfelder , Onkelos und Peschittho
(Mûnchen, Lentner; conclusions fort douteuses). — Rabinnowicz , Grammaire
de la langue latine (Paris, Delagrave; livre dont nous rendrons prochainement
compte). — KiRCHHOFF, Die Composition der Odyssée (Berlin, Hertz; recueil
des articles bien connus de M. K. sur ce sujet). — Nicolai, Geschichte der
gesammten griechischen Literatur (Magdeburg, Heinrichshofen ; livre qui paraît
avoir quelques défauts, mais en tout cas utile). — Gosche, Archiv fur Litteratur-
geschichte (cf. la couverture d'une des dernières Revues). — Schade, Liber de
infantia Marsae; Visio Torngdali (Halle , Buchhdlg. des Waisenhauses ; textes
latins importants comme sources de plusieurs poèmes du moyen-âge). — Gœdeke,
Grundriss zur Geschichte der deutschen Dichtung, HI, 2 (Dresden^ Ehlermann;
suite, qui s'est bien fait attendre, d'un ouvrage excellent et très-important).
Mittheiliingen des k. k. œsterr. Muséums fur Kunst und Industrie.
Paraît le 1 5 de chaque mois. Vienne^ en commission chez Gerold's Sohn.
4*^ année (octobre i868-septembre 1869).
[Ce recueil est l'organe du Musée autrichien pour l'art et l'industrie. Il annonce
toutes les nouvelles relatives à cet établissement important : acquisitions, expo-
sitions, conférences, etc. Mais il ne se borne pas à ces communications d'un
intérêt plus restreint, il embrasse tout le domaine de l'art industriel, et suit pas
à pas le mouvement qui s'est produit en sa faveur dans toutes les contrées de
l'Europe. Les dissertations sur l'histoire ou la technique des industries d'art, les
descriptions d'objets anciens rentrent également dans son programme ; dues à des
savants de la valeur de M. d'Eitelberger, directeur du Musée, et professeur à
l'Université de Vienne, de M. J. Falke, etc., elles donnent aux Mitîheilungen toute
l'importance d'un recueil scientifique. Enfin sous la rubrique petites communications
le lecteur trouvera un vrai répertoire des musées et des institutions créés pour
l'avancement des arts industriels.]
D'Eitelberger, La vie artistique de Vienne en 1867, — Compte-rendu de
l'Exposition de Reichenberg. — Exposition des arts industriels à Prague. — Lipp-
MANN, Les Envois de la Bohême à la section moderne de l'Exposition du Musée
autrichien à Prague. — Progrès de l'Industrie dans la Basse-Autriche. — Les
Écoles de Reichenberg et des environs. — Exner, Le Bois, matière première
pour les arts industiels. — Coup-d'œil sur le mouvement contemporain en faveur
des arts industriels. — De Schwarz, Le nouveau Musée des beaux-arts d'Amiens.
— Le Musée des beaux-arts et des industries d'art de Moscou (extrait en partie
de la Gazette des beaux-arts). — Le Gewerbe Muséum à Berlin. — Acquisitions du
cabinet des médailles et des antiques de Vienne. — Lippmann , Les Antiquités
religieuses du trésor des Guelfes. — La Question des femmes dans l'industrie.
— L'Enseignement technologique en Angleterre , en France , en Belgique , en
Suisse et en Allemagne. — J. Falke, Progrès de l'orientalisme dans l'art. — Le
Marbre du Tyrol. — Tissus français exposés au Musée autrichien. — Principes
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N- 48 — 27 Novembre — 1869
Sommaire: 237. De Vogué, Mélanges d'archéologie orientale; Inscriptions sémitiques
de la Syrie centrale. — 238. Hyperide, Discours, p. p. Blass. — 239. Mignard,
Vocabulaire du dialecte et du patois de la Bourgogne. — 240. Rajna, la Matière du
Morgank. — 241. Grimm, la Théologie dogmatique évangélique. — 242. Rossbach,
Histoire de la Société.
237. —- Mélanges d'archéologie orientale, par le comte de Vogué, membre de
l'Institut Paris, Imprimerie impériale, 1868. In 8*, 196 p. Appendice, 39 p. et
1 2 planches. — Prix : i j fr,
Syrie centrale. Inscriptions sémitiques, publiées avec traduction et commentaire, par
le comte Melchior de Vogué Paris, Baudry, 1869. In-4*, ij-i32p.et 16 planches.
— Prix : 30 fr.
L'un et l'autre de ces deux ouvrages ont pour principal sujet l'épigraphie
sémitique. Le premier, recueil de mémoires plus ou moins étendus et publiés
déjà ailleurs, s'occupe spécialement des inscriptions, des intailles et des monnaies
phéniciennes, hébraïques et araméennes et de quelques inscriptions cypriotes ; le
second est consacré aux textes épigraphiques recueillis en 1861 et 1862, par
l'auteur et par M. Waddington, lors d'une expédition scientifique dans la Syrie
centrale.
Le volume des mélanges d'archéologie orientale contient : 1° un mémoire sur
les inscriptions phéniciennes de l'Ile de Chypre, c'est-à-dire sur six inscriptions
inédites de Chypre (p. i à 92). 2° Mémoire sur quelques inscriptions cypriotes
inédites (p. 93 à 104). Il s'agit de ces inscriptions écrites dans l'alphabet propre
à l'île de Chypre et qui attendent encore leur déchiffrement. 3° Dissertation sur
les intailles à légendes sémitiques : phéniciennes, araméennes et hébraïques
(p. 105 à 140). 4° Une étude paléographique sur l'alphabet araméen et l'alpha-
bet hébraïque (p. 140 à 178). 5° Mémoire sur le lion d'Abydos, c'est-à-dire sur
un talent de bronze à inscription araméenne. L'appendice renferme trois disser-
tations : i" sur les monnaies des rois phéniciens de Citium ; 2° sur les monnaies
des rois de Nabatène et 3° une note sur une inscription punique de Carthage.
Toutes ces études sont faites très-consciencieusement. L'auteur y montre
beaucoup de science, un sain jugement et une aversion très-louable pour l'hypo-
thèse. Aussi pourra-t-il revendiquer le mérite d'avoir, par son livre, enrichi la
science d'un cenain nombre de résultats sûrs, notamment en ce qui concerne
l'histoire, la mythologie et la paléographie. Le travail sur l'alphabet araméen et
sur l'alphabet hébraïque est le meilleur du volume, le meilleur aussi qui ait été
publié sur cette matière.
Les inscriptions phéniciennes trouvées jusqu'à présent en Chypre, sur l'empla-
cement de l'ancien Citium (aujourd'hui Lamaca), étaient au nombre de trente-
six. M. de Vogué en a trouvé au même endroit cinq nouvelles, qu'il désigne par
^^^yU'dtienne,XXXVUl'dtienne,XXXlX'ciîienne,XLUitienneetXU'ciùenne.
V'" 22
338 REVUE CRITIQUE
La sixième inscription inédite publiée dans ce volume provient de Larnax-Lapi-
thou. La plus intéressante est la première (XXXVI P cit.) gravée sous le règne de
Melekyathon, roi de Citium et d'Idalie. Malheureusement, elle n'est plus com-
plète. M. de V. a lu tout ce qu'on peut lire. C'est trop de modestie de sa
part, quand il dit (p. 3) qu'il laisse le reste à déchiffrera des yeux plus exercés.
Mais ce n'est là qu'une générosité apparente; car la planche exécutée par le
procédé photolitographique à l'Imprimerie impériale est en grande partie illisible.
Si les nouvelles découvertes des imprimeurs ne doivent servir qu'à nous donner
de tels spécimens, il vaudrait mieux s'en tenir aux anciens procédés de repro-
duction. Cependant, tel qu'il est, ce texte nous révèle plusieurs choses impor-
tantes, comme par exemple les deux premières lettres d'un nom de mois;
l'existence, en phénicien, de l'article n ; une divinité nommée Rescheph, etc.
Le sens de l'inscription est clair; il n'y a doute que sur l'expression de
D'^O'nsn y))T2, que M. de V. traduit par Interprète des deux tribunaux. Le mot "^^ab
de la première ligne est expliqué par l'auteur comme l'infinitif du verbe -]bxj.
M. de V. lit T^'bpî? et traduit : « l'an trois du règne de Melekyathon »
Cette lecture me semble inexacte. Il faut lire 'r^^rb « du roi, » car l'emploi de
l'infinitif dans cette combinaison est contraire à la syntaxe hébraïque et phéni-
cienne. Il se rencontre, il est vrai, dans l'inscription d'Eschmounazar et dans
une autre inscription sidonienne publiée par M. de V. en 1860 (dans les Mémoires
présentés par divers savants à l'Acad. des inscr. et belles-lettres'). Mais dans ces deux
cas, le mot est pourvu de la particule 1 {^yp-ab), qui est le suffixe de la troisième
personne du singulier (non de la première personne comme dit M. de V. p. 5).
Il faut donc traduire : a Le 16™^ jour du mois •••ys de l'an III du roi Melekya-
» thon... » Cette observation s'applique aussi à la XXXVI IP citienne (p. 20).
Dans une note de la p. 6, M. de V. dit que la forme phénicienne du nom de
Sanchoniathon était irr^apo. C'est une erreur. La divinité qui entre dans la for-
mation de ce nom propre était i^o. D'autres monuments le prouvent.— La seconde
des inscriptions publiées dans ce volume est bien conservée et d'une lecture
facile. Il n'y manque que le nom du roi (Poumyathon), que M. de V. a restitué
à l'aide de la r"" citienne copiée par Pococke. Nous trouvons dans cette inscrip-
tion l'emploi de l'article n. Je n'ai que deux réserves à faire dans le commen-
taire de l'auteur. Il n'est pas exact de dire (p. 18) que le phénicien est une langue
calquée sur l'hébreu (du reste M. de V. s'exprime plus correctement p. m);
ensuite l'explication du nom propre Ykounschalom (lisez Ykounschillêm) par « que
la paix arrive » ne peut pas être vraie ; car ce n'est pas là un sens convenable
pour un nom propre. Je considère -p"! comme équivalent de n-n-^ (Yahveh), de la
racine iis « être. » Il est vrai que jusqu'à présent nous n'avons pas encore ren-
contré sur les monuments une divinité appelée Ykoun; mais ce nom propre
de Ykounschillêm (voilà un nom propre plein de révélations), qui se lit
encore ailleurs, suffit pour prouver son existence. Enfin la lecture du nom du
roi, Poumyathon (Poum = dsd), ne paraît pas complètement certaine; l'ortho-
graphe ■)n-''^72s est étrange, et il est probable que Pococke a commis une erreur.
La 3""= inscription (XXXIX'O est bilingue; elle ne se compose que de quelques
d'histoire et de littérature. 339
mots en grecs, au-dessous desquels se trouve une traduction (non littérale) phé-
nicienne. M. Waddington lit le grec ainsi : Eav6to; èx A-jxîr,? Mûpvo; MaSt xEîfAai
àvTip ÈxTruixa-rôTroio:, ce qu'il traduit : « Mymos de Xanthe en Lycie; je repose
» ici. Fabricant de vases. » L'autorité de M. Waddington en épigraphie grecque
est trop grande pour qu'on puisse douter de l'exactitude de son interprétation.
Il semble cependant extraordinaire que le mot Sivôio; (non rendu dans le texte
phénicien) soit mis en tête. Ex A-jxîr.; est rendu par iz^îsn, « le Lycien. » M. de
Vogué fait remarquer que le son de l'u, reproduit par le ou phénicien, a dû être
à l'époque où cette inscription fut gravée (iv^ siècle av. J.-C), = ou. Cela est
possible , mais cela ne résulte pas de l'orthographe phénicienne , oii les
voyelles sont toujours un peu vagues. D'ailleurs, l'alphabet phénicien de
cette époque n'avait pas d'équivalent pour l'u grec. — Les deux textes suivants
ne se composent chacun que de deux ou trois noms propres. — L'inscription de
Lapithos est également bilingue. Elle parle d'un autel élevé par un certain Praxi-
demos (Baalschillêm) à Athéné, à l'occasion de la victoire du roi Ptolémée. Il
s'agit, d'après la juste remarque de M. de V., de la victoire remportée en 312
av. J.-C. sur Amigone et les princes cypriotes par Ptolémée Soter. Le texte
grec commence ainsi : 'A&r.và Iw-îîpa Nîxrj xai Pa^rOsto; nTo)î[ia{o-j npa^lorfio;... Ce
que M. de V. traduit : A Athéné, sauveur, et à la victoire du roi Ptolémée
On voit qu'il y a là quelque erreur et dans l'original (où un datif est relié à un
génitif par la conjonction xal) et dans la traduction française. Quant au texte
phénicien, M. de V. le traduit : « A Anaït, force des vivants, et au seigneur des
» rois (z=5:s-!xS') Ptolémée. . . » Cette traduction n'est pas impossible à la rigueur,
mais ce n'est pas la bonne. Dans un ouvrage récent, qui sera bientôt entre les mains
de tous les épigraphistes, M. P. Schrœder {Die phœnizische Sprache,Entwurf einer
Grammaîik Halle, 1869, p. 1 56) a, selon moi, beaucoup mieux saisi le sens
de cette inscription. Après avoir démontré que le = final est le suffixe possessif de
la troisième personne du singulier, et en séparant le groupe -aàt de zrba, il
traduit : « A Anaït et à la victoire de son roi Ptolémée, etc. »
Je n'insisterai pas sur les idées générales que l'auteur a développées dans la
seconde partie de son mémoire, qui traite de la mythologie des Phéniciens. Je
me bornerai à dire que les rôles des certaines divinités phéniciennes, telles que
Sched, Rescheph, Rescheph'hêts; me semblent bien déterminés. Seulement je ne
crois pas qu'il soit nécessaire d'admettre l'existence d'un dieu Rescheph et d'un
autre appelé Reîseph. Je pense que ce sont là deux formes légèrement différentes
d'un même nom. Quant au dieu Set ou Sed qui, dit M. de V., est identique à
Suîekh, importé en Egypte par les Pasteurs, il est à remarquer que la lecture
Sutekh est inexacte, parce que le signe final n'est autre chose que le déterminatif
même de Sed (voyez Chabas, Voyage d'un Egyptien, p. 376, et Mél. Ëgypt., II,
188-9).
Si le livre de M. de V. a une seconde édition, l'auteur fera bien de ne plus
désigner, comme il le fait à la page ^7, Origène comme l'auteur des Philoso-
phumena. On dirait vraiment que tous les travaux publiés à ce sujet depuis 1852
sont non- avenus pour la France.
340 REVUE CRITIQUE
Je n'ai rien à dire du mémoire consacré aux inscriptions cypriotes, si ce n'est
que M. de V. a très-bien fait de publier ses nouveaux textes, même sans
explication.
Les intailles à légendes sémitiques, représentées par trois planches fort bien
exécutées, ont été divisées par M. de V. en intailles phéniciennes, araméennes
et hébraïques. Ce classement n'est cependant pas très-rigoureux ; car il y a des
légendes purement phéniciennes dans la série araméenne, et parmi les intailles
hébraïques, qui toutes présentent les caractères de l'alphabet phénicien, commun
aux Juifs et aux autres peuples cananéens, on trouve des symboles païens. Je
pense qu'il vaudrait mieux classer tous ces monuments simplement suivant leur
provenance. Les légendes en question ne se composent guères que de noms
propres; chaque pierre en contient un, tout au plus deux; celui du possesseur
suivi de celui de son père. Les n°^ 24 et 25 qui avaient déjà été publiés (voy.
Levy, Phoenizische Studien, II, p, 24 et 29), mais mal lus et interprétés, ont
trouvé en M. de V, un très-habile commentateur. Quant au n° 26, je ne crois
pas que le mot ■»rs-i {sanatio mea ?) soit un nom propre, à cause de l'absence de
la particule h, qui précède la plupart des autres noms gravés sur les pierres.
Celle-ci est évidemment une amulette. Il est à remarquer (M. de V, ne l'a-t-il
pas remarqué ?) que le symbole qui y est représenté (lion et scarabée) est le
même que celui d'une intaille phénicienne (planche V, n° 8) dont la légende ne
paraît pas non plus constituer un nom propre.
Nous avons déjà parlé de la dissertation paléographique sur l'alphabet hébraïque
et araméen. C'est une très-belle étude, qui cependant est déparée par une grave
erreur. A la page 167, Pauteur cite la fable donnée par Josèphe relativement à
la traduction des Septante comme un récit authentique, et en tire des conclusions
qui manquent complètement de base.
En nous bornant à renvoyer le lecteur au mémoire numismatique, rempli de
faits bien observés, finissons la revue de ce volume par une dernière critique. A
propos de certains noms propres composés avec le groupe de lettres n^, l'auteur
parle des deux passages de Sanchoniathon, où il est dit que 'AYpeuî et 'AXteO?
étaient « les inventeurs de la chasse et de la pêche » ou a les Cabires chasseurs
)) et pêcheurs. » « Les commentateurs, dit M. de V., ont déjà remarqué que le
» mot 'Â>,t£u; était la traduction de p:î, dieu éponyme de la ville de Sidon, dont
)) le nom signifie pêcheur, pêche. 'ArpsOç, traduction de i-^s chasseur, paraissait un
» pléonasme : nos inscriptions nous prouvent que le texte original portait bien la
» mention de deux personnages divins distincts, l'un du nom de i:i Tsid, l'autre
)) du nom de -p^ Tsidon. » Nous répondons ceci : Quand même le mot -is se
rattacherait à la racine tis (ce qui n'est pas certain), "Aypîû; n'en serait nulle-
ment la traduction. Si, réellement, Philon parle de deux divinités distinctes, ce
qui n'est pas prouvé, ces représentants de la pêche et de la chasse sont évidem-
ment sortis d'une seule conception primitive ; car la racine -i-i:: a les deux sens de
pêcher et de chasser, ou plutôt la pêche n'était, à l'origine, autre chose qu'une
chasse. Enfin, si les commentateurs disent (ce que je ne peux pas vérifier en ce
moment) que 'A^psû; paraît un pléonasme, ils ont tort. Il faut dire que 'a),i£uî et
d'histoire et de littérature. 541
'AYpsû; expriment, chacun de ces deux mots pour une moitié, le mot phénicien
lis.
Le second des deux ouvrages dont nous avons transcrit les titres ci-dessus
n'est pas moins important que le premier. Il nous offre cent quarante-six inscrip-
tions de Palrayre, dont cent trente-quatre entièrement inédites; huit inscriptions,
également inédites, du Haourân, dix-sept textes nabatéens et quelques textes
araméens tirés de papyrus. Tous ces textes sont transcrits, traduits et commentés.
Quiconque connaît la difficulté de ces sortes de déchiffrements n'hésitera pas à
payer à l'auteur un juste tribut d'admiration pour le travail qu'il vient d'exécuter.
Est-ce à dire cependant que M. de V. ait fait une œuvre définitive? Assurément
non, et il est loin de le prétendre lui-même.
M. de V. nous informe que toutes les inscriptions palmyréniennes qu'il publie
ont été copiées par M. Waddington. Malgré toute l'attention que ce savant a
apportée à l'exécution de ce travail , il n'est pas moins certain que ses copies
renferment de nombreuses lacunes et erreurs. On s'en aperçoit aisément, en
comparant quelques-unes des inscriptions copiées par M. W. à un certain
nombre d'autres pour lesquelles M. de V. a eu à sa disposition des estampages
pris par M. Vignes, compagnon de voyage de feu M. de Luynes. M. de V^ogùé
lui-même a dû remarquer que les premières résistaient souvent à ses tentatives
d'interprétation, tandis qu'il a réussi à merveille à expliquer les secondes. On
peut trouver en outre que l'auteur lui-même n'a pas assez fait pour les textes
qu'il publie. Je vais le prouver.
Beaucoup d'inscriptions palmyréniennes sont accompagnées d'une traduction
grecque. C'est là un précieux secours pour l'intelligence des textes orientaux, et
M. de V. en a naturellement profité. Mais les inscriptions renferment un grand
nombre de noms propres qui sont de véritables noms appellatifs, très-importants
par conséquent pour faire connaître la langue (les autres mots et les formules des faits
énoncés se répètent sans cesse). Or, comme dans l'idiome araméen de Palmyre,
pas plus que dans les autres dialectes sémitiques, les voyelles ne sont exprimées
dans l'écriture , la transcription en grec d'une foule de mots est une heureuse
circonstance dont nous pouvons tirer les résultats les plus importants. C'est ce
qu'a négligé de faire l'auteur. Il a bien dressé, au commencement de son
ouvrage, un tableau des lettres palmyréniennes et de leur équivalent en grec,
mais ce tableau est entièrement inexaa. Quel était le premier soin à prendre
pour établir cette concordance ? C'était évidemment de se rendre compte de la
valeur des lettres grecques, à l'époque et dans la contrée dont il s'agit. Prenons
quelques exemples. Dans le tableau dont nous venons déparier, M. de V. écrit:
«, =r ... Or dans la première inscription bilingue (p. 5) de même que dans la
70""* et dans la 72™*, nous trouvons le nom propre "s'^pr, qui, dans le texte
grec, est transcrit Moxs-.ixo;. M. de V. prononce ce nom Moqeimou. Ce même nom
se rencontre aussi dans la 2"'* inscription, et dans la 6""* également bilingue; et
là il est transcrit en grec Mo/.'.{i.o: (M. de V. écrit Môxijio;, mais à tort), et l'auteur
maintient dans sa traduction française la lecture MoqeimoUj qui est une forme
M2 REVUE CRITIQUE
barbare. La vérité est que le nom doit se lire Moqîmou, le "^ palmyrénien étant
rendu par t ou si, se prononçant î. Ce nom existe d'ailleurs parmi les Syriens
encore au v^ siècle. Un prêtre de Mésopotamie nommé Mochimos ou Mokimos
est mentionné par Gennadius, comme auteur d'un écrit contre Eutyches (Gennad.
C. 71). Un autre nom, auquel s'applique la même observation que pour Moqîmou,
est celui de iriia = Bap^tx^'ç, dans l'inscription n" 2. Ici il n'est point douteux
que nous n'ayons un participe passif,, dont la forme et la prononciation sont bien
établies par les règles grammaticales. M. de V. objectera-t-il que les voyelles
sont trop arbitrairement rendues dans la transcription grecque, pour qu'il y ait
lieu de tenir compte de cette dernière .? Sans doute les voyelles brèves (comme
par ex. l'a dans Bapsix^t;) paraissent avoir été mal saisies par les graveurs des
textes grecs ; mais les voyelles longues et accentuées devaient nécessairement
être reproduites conformément à la prononciation palmyrénienne. Enfin je fais la
même remarque pour le nom Zebîdou dans l'inscr. n° 4. Ici cependant on
pourrait hésiter et se croire en présence d'un nom de forme arabe ou nabatéenne
(Zohaid). Mais nous trouvons dans le même texte la diphthongue aï transcrit en
grec par at (xn-^n = BatSa), et ainsi encore ailleurs. Voilà un exemple relatif aux
voyelles. En ce qui concerne les consonnes, on peut observer le même fait. Le
tableau dressé par M. de V. montre a = c ou cq. Les inscriptions bilingues
n°M I et 1 2 renferment le nom de î!<^ss, rendu dans le texte grec très-exacte-
ment par Ssççspa. En général, l'écriture grecque exprime avec beaucoup plus de
soin les sons araméens que l'écriture palmyrénienne ceux de la langue grecque.
Nous aurions mauvaise grâce à poursuivre cette critique de détail, en rendant
compte d'un ouvrage qui offre une foule de faits nouveaux également importants
pour la linguistique et l'histoire. Il est difficile de faire un choix pour en citer
quelques-uns. Je signalerai cependant les inscriptions n*"* 15, 16, 20 à 29 (ces
dernières toutes relatives à la famille d'Odainath et de Zenobie) qui n'ont pas
seulement de l'intérêt pour l'histoire locale, mais touchent aussi à l'histoire
générale de l'antiquité.
X-
238. — Hyperidis orationes quattuor cum ceterarum fragmentis. Edidit
Fridericus Blass. Leipzig, chez Teubner, \%6<). In-16, xxxvj-112 p.
La résurrection d'Hypéride (on peut bien s'exprimer ainsi, puisqu'il est sorti
d'un tombeau) a donné lieu à plusieurs travaux excellents; mais on n'avait pas
encore réuni en un seul volume tout ce que le sol de l'Egypte nous a rendu des
discours de ce grand orateur athénien. Cette lacune est comblée par l'édition de
M. Blass, jeune savant qui s'est déjà fait remarquer par des études approfondies
sur l'histoire des orateurs grecs. Une introduction substantielle résume ce qu'il
importe de savoir sur la découverte et l'état des papyrus, les particularités
paléographiques qui les distinguent, et les publications qui les ont fait connaître.
Le texte des quatre discours est imprimé de manière à reproduire les lignes des
manuscrits et à faire distinguer du premier coup-d'œil les suppléments et les
conjectures des éléments authentiques fournis par les papyrus. Les notes critiques
d'histoire et de littérature. J4?
donnent des détails plus précis : on y trouve la leçon des manuscrits, indiquée
avec la plus grande exactitude, ainsi que les plus importantes corrections pro-
posées soit par les éditeurs, soit par d'autres hellénistes. Enfin, pour que rien
n'y manquât, les fragments d'Hypéride, épars dans les écrivains anciens et
recueillis par M. Sauppe dans ses Oratores Attici, ont aussi été compris dans ce
volume.
Le papyrus qui renfermait les trois premiers discours offre un texte correct.
L'oraison funèbre provient d'un autre volume : elle est écrite avec une négligence
extrême et remplie de fautes, qui ont exercé et qui exerceront encore la critique
des éditeurs. Le discours contre Démosthène présente un autre genre de difficulté:
le papyrus est déchiré, et il faut en recueillir et rapprocher les lambeaux, comme
les feuilles de la Sibylle. C'est surtout à cause de ce discours qu'on recherchera
cette nouvelle édition : le texte en est ici à la fois plus complet et plus suivi,
grâce à de nouvelles découvertes et à la sagacité de M. Blass. Il avait à sa dispo-
sition les fragments publiés en 1868 par M. Egger; d'autres fragments, moins
importants, il est vrai, qui étaient restés enfouis dans les cartons de M. Arden,
le premier éditeur d'une partie de ces papyrus, en ont été tirés par M. Babington.
Ce savant a aussi communiqué à M. Blass une nouvelle collation, plus exacte,
des anciens fragments. Aujourd'hui le discours contre Démosthène se compose,
abstraction faite de quelques lambeaux insignifiants, de quinze fragments plus ou
moins étendus. Voici les améliorations les plus importantes. Trois très-petits
morceaux de papyrus, dont deux avaient déjà été publiés par M. Egger, ont
servi à ressouder deux anciens fragments et à en former le n° V de la nouvelle
édition. — Le n° IX se compose du rapprochement de trois anciens fragments
et d'un petit fragment nouveau. C'est un des morceaux les plus vifs du discours.
Malheureusement plusieurs lignes, incomplètement conservées, sont d'une resti-
tution douteuse. M. B. y lit : [Ta-jTr,v yàp tt.v ç>.>îav oiép.uo-ii; a[Ù7Ô;, 5t£ ypj-jstov
xaxà Tjj; îraTpKoç IXape;... xai xaTa[Yé)iow]TOV (nouS aimerions mieUX xaTdtir-rj<rrov)
[xlv Tav-ôv èzoÎTiao;, •Aa.zflT/yv]oi^ 5è toù; èx tûv la-po(76îv -/y^hun [yO.oy;]. Ainsi Hypé-
ride déclarerait que c'est Démosthène qui, par sa conduite, a déchiré leur
ancienne amitié et a couvert de confusion ceux qui le considéraient autrefois
comme un des leurs. A en juger par la suite du morceau, il nous semble que le
sens général de ce passage a dû être plutôt celui-ci : « Démosthène a souillé sa
» gloire : il a couvert de boue ses honneurs, ses couronnes, d'autrefois. » —
Le n° IX est encore plus ingénieusement recomposé. M. Egger avait déjà vu
que la première partie de son troisième fragment se rattachait à un ancien frag-
ment (XXI Harris). M. B. a comblé, ou peu s'en faut, la lacune qui se trouvait
entre la première et la seconde partie de ce troisième fragment, en y insérant le
fragment I de M. Egger, complété à son tour au moyen de deux autres petits
lambeaux de papyrus. — Enfin ce petit volume , un des plus intéressants et des
mieux faits de la Bibliotheca Teubneriana, rend les discours d'Hypéride acces-
sibles à tous les amis des lettres grecques, et il servira à populariser de plus en
plus ce nouvel auteur classique retrouvé d'hier.
Henri Weil.
344 REVUE CRITIQUE
239. — Vocabulaire raisonné et comparé du dialecte et du patois de la
province de Bourgogne, ou Étude sur l'histoire et les mœurs de cette province
d'après son langage, par Mignard. Paris, Aubry, 1870 [sic). In-8°, 330 pages.
Dans ce vocabulaire, M. Mignard nous donne une nouvelle édition de la par-
tie principale de l'ouvrage qu'il a publié en 1856 sous le titre d'Histoire de
l'idiome bourguignon et de sa littérature propre, ou Philologie comparée de cet idiome.
Outre le vocabulaire, qui reparaît actuellement avec des modifications dont il
sera parlé tout à l'heure, l'Histoire de l'idiome bourguignon contenait une sorte de
grammaire, et, sous le titre de Bibliographie raisonnée de l'idiome bourguignon,
une série de textes accompagnés d'utiles notices. Il est fâcheux que M. M. n'ait
pas réimprimé, sinon son essai grammatical, du moins les textes, qui étaient le
meilleur de l'ouvrage.
Les changements que M. M. a introduits dans son Vocabulaire sont considé-
rables; et si on compare l'édition de 1856 à celle de 1870 (sic) on sera frappé
du mouvement considérable qui entre ces deux dates s'est opéré dans l'esprit de
l'auteur. C'est une véritable révolution. Il est évident que M. M. a lu dans ces
dernières années des livres où il est traité de matières philologiques, et même
des livres très-savants. Il cite Burguy, Littré ', et, ce qui est un excès, Bruce-
Whyte. Mais il n'y prend pas ce qu'il y faut prendre, et dans ses lectures il
paraît avoir moissonné plus de mots que de faits et d'idées.
Cela se voit de prime abord. M. M. a écrit une longue Introduction ou induc-
tions à tirer du vocabulaire en ce qui concerne principalement la phonétique et l'his-
toire. M. M. a vu dans quelque livre récent ce mot phonétique et il aura pensé
qu'il était bien de le placer quelque part en évidence. L'ayant mis dans le titre
de son introduction, il a été conduit à le faire figurer dans l'introduction
même, et il l'a fait comme il suit : « Une étude d'un haut intérêt, c'est la phoné-
)) tique qui les concerne (les dialectes) ou leurs innombrables flexions » (p. 9).
M. M. ne sait pas que le terme phonétique désigne tout autre chose que les
flexions : à savoir le système des sons d'un idiome. M. M. a également entendu
parler de l'accent tonique et de sa persistance à peu près constante dans les
idiomes d'une même famille. Mais est-il bien sûr de se comprendre lui-même
lorsque, parlant des erreurs de Ménage, il écrit : « Le vrai principe, lequel
» repose sur l'accentuation, n'était pas même soupçonné de son temps. Or il suffit
» aujourd'hui de s'attacher à ce principe fécond et universel et de ne marcher
» qu'avec lui et à l'aide du bon sens pour découvrir les dérivations des mots »?
Les théories exposées par M. M. dans son Introduction et dans les Remarques
qui terminent le volume sont en général moins vagues et plus saisissables, mais
l'erreur en devient d'autant plus palpable. Les idées de M. M. sur nos anciens
dialectes et sur la formation de la langue française (car il paraît que ces questions
étaient de son sujet) sont en gros : qu'un dialecte est le langage écrit d'une
ancienne province, et le patois le langage vulgaire et non écrit de cette même
I. L'Hist. de la langue française ; M. M. ne paraît pas avoir consulté le D(c!ionna(>e qui
pourtant lui eût épargné bien des faux pas.
d'histoire et de littérature. 545
province (p. 63); conséquemraent, que dialectes et patois ont coexisté de tout
temps '; que du concours des dialectes « se pénétrant entre eux » étaient nées
la langue d'oc et la langue d'oil; qu'enfin « après trois siècles et demi» la langue
française était sortie de la langue d'oil (p. 2). Rien de tout cela n'est à discuter.
Chacun sait que dialecte et patois sont deux termes qui désignent une même chose
à deux états de son existence. On s'accorde à nommer dialectes les diverses
variétés d'une langue à une époque où aucune d'elles n'a décidément pris le
dessus, et patois ces mêmes variétés dès qu'un dialecte s'est élevé à la dignité
d'idiome littéraire et en quelque sorte officiel. Quant à la langue française, on a
renoncé à l'hypothèse tout-à-fait gratuite selon laquelle les divers dialectes de
la France du nord auraient concouru à sa formation : notre langue est l'ancien
dialecte de l'Ile-de-France modifié par le temps, façonné par les grammairiens,
mais à peu près pur de toute immixtion normande, picarde, lorraine ou bour-
guignonne.
J'ai dit que M. M. avait apporté d'importantes modifications au vocabulaire
proprement dit. Il faut l'en louer : rien de ce qu'il a supprimé ou modifié n'est à
regretter. Mais on ne peut dire malheureusement que tout ce qui abondait ait
été élagué, que toutes les modifications soient véritablement des corrections.
Beaucoup de mots purement français, à peine altérés par la prononciation bour-
guignonne, ont été retranchés, mais il en reste encore qui auraient dû dispa-
raître : agrippai (= agripper) est de la langue commune ; de même ainicrôche,
ambrenai ou embrenai, antan, arche, arsouille, etc. Assurément, il est toujours
difficile de fixer la juste limite où doit s'arrêter celui qui coUige les mots d'un
patois; mais pourtant, en règle générale on peut dire qu'il faut exclure 1° les
mots empruntés au français, 2° les mots appartenant d'origine au patois, mais
qui ne diffèrent point pour le sens des mots français correspondants. Dans ce
dernier cas, une légère différence de forme n'est pas un titre à leur admission
dans le vocabulaire, à moins qu'il se rattache à ces mêmes mots des locutions
proverbiales, des dictons, des façons particulières de parler qu'il est toujours
bon de recueillir. Malheureusement ces particularités qui caractérisent l'idiome
et où se reflète dans une certaine mesure la nature de ceux qui le parlent, n'ont
pas obtenu de l'auteur une attention assez soutenue, et on doit d'autant plus s'en
étonner que par là seulement M. M. pouvait justifier le sous-titre de son œuvre:
« Étude sur l'histoire et les mœurs... » Possédé de l'idée déraisonnable de la co-
existence du dialecte et du patois, il s'est principalement attaché à réunir aux
mots patois des mots tirés d'anciens textes, notamment de la traduction des
sermons de saint Bernard qu'a publiée en partie M. Le Roux de Lincy. Il eût
été légitime de rapprocher les formes anciennes des formes actuelles : il ne l'est
pas de réunir dans un même glossaire des mots et des formes de dates fort dif-
férentes. D'ailleurs on conçoit que le relevé des mots anciens a été fait à peu
près au hasard, sans principes arrêtés. Inutile à celui qui cherche à se renseigner
I. De là le titre de l'ouvrage: Vocabulaire... du dialecte et du patois de la province de
Bourgogne.
54^ REVUE CRITIQUE
sur le patois de la Bourgogne, il ne peut guère servir non plus à ceux qui dési-
rent étudier le dialecte de la même province pendant le moyen-âge.
La grande modification apportée par M. M. à son vocabulaire consiste dans
la volte-face qu'il a fait opérer à son système étymologique. En 1856 il cher-
chait dans le celtique, c^est-à-dire dans le bas-breton, l'origine de bon nombre
de mots qu'il rapporte aujourd'hui au latin. Sans doute M. M. est aujourd'hui
plus près de la vérité que par le passé; mais, faute d'études bien dirigées, il ne
tire guère plus de profit du latin que du bas-breton. Aesmer (mot ancien) ne
vient pas d'aestimare, mais à^adaesiimare. — Agrippai ne peut se retrouver dans
arripere : c'est un composé de gripper, mot dont l'origine est germanique ; voy.
Littré sous gripper et griffer ' .
Il y a aussi des étymologies tirées du grec qui n'ont pas la moindre valeur :
ainsi bâfrai (bâfrer) de Pf£?oî; bringuai (trinquer, boire avec excès) de ppéxeiv^,
etc.
Il n'y aurait aucune utilité à poursuivre cette- critique. Ce que nous avons dit
suffit pour aider le lecteur à se former une opinion sur la valeur du travail de
M. Mignard; quant à relever une à une les erreurs d'un chercheur d'étymolo-
gies qui n'a pas l'idée de consulter le dictionnaire de M. Littré, nous n'y son-
geons pas. Il est cependant une erreur que nous tenons à relever parce qu'elle
est volontaire. Selon M. M., le Comité des Travaux historiques, proposant pour
sujet du concours de 1869 un glossaire d'un patois, aurait émis le vœu que,
« sans négliger les étymologies, on rapprochât l'idiome du moyen-âge de celui
» d'aujourd'hui » (p. 6). M. M. a lu dans le programme du concours, non ce
qui s'y trouve, mais ce qu'il y désirait trouver. Les personnes qui l'ont rédigé
savaient bien que la constatation des faits linguistiques et la recherche de leurs
causes sont des études d'ordres différents, ayant chacune sa méthode propre et
exigeant des aptitudes et des connaissances distinctes. Aussi le programme en
question dit-il aussi expressément qu'il le pouvait sans aller jusqu'à formuler une
exclusion absolue : « On s^abstiendra sans inconvénient d'indications étymologiques,
» mais, si les documents anciens et surtout les chartes du pays, le permettent,
)) on pourra avec avantage rapprocher l'idiome du moyen-âge de celui d'aujour-
» d'hui 3 »; et je puis assurer à M. Mignard que dans l'appréciation des travaux
envoyés au concours, la commission a considéré comme nulles et non avenues
toutes les recherches étymologiques auxquelles s'étaient livrés avec plus ou
moins de succès les concurrents. P. M.
1. Au mot agripper, M. Littré dit : « autre forme du mot agripper, Vf se permutant
sans peine en p »; ce qui donnerait à croire que la permutation de/en ;? a eu lieu en
français, tandis qu'elle a eu lieu en allemand, les mots griffer et gripper correspondant à
deux types germaniques dont l'un a / et l'autre p.
2. Voy. Diez, Etym. Wœrt. II, 14, brindisi, et Littré, brinde. — M. M. réunit à la
p. 17 un certain nombre d'étymologies grecques de sa façon qui sont toutes plus ou moins
absurdes. S'il désire se renseigner sur ce que la langue française contient d'éléments grecs,
qu'il lise l'introduction à la Grammaire de Diez (2* éd. allemande I, 56-60; Irad. G. Pa-
ris, p. 68-75).
3. Revut des Sociétés savantes, 6' série, IV, 233.
d'histoire et de littérature. 547
240. — La materia del Morgsuite in un ignoto poema cavalleresco del secolo XV,
per Pio Rajna. Bologna, tipi Fava e Garaguani, 1869. In-8*, 95 p.
Les savants italiens ont rexcellente habitude de faire tirer à part les travaux
d'une certaine étendue qu'ils ont publiés d'abord dans des Revues. On ne peut
que difficilement se procurer à l'étranger tous les recueils périodiques, et il faut
pourtant nous résigner souvent à chercher les travaux importants, non-seulement
dans les livres de longue haleine , mais dans les Revues. Or je ne pense pas,
pour ne citer qu'un exemple, que le Propugnatore soit lu par beaucoup d'italiani-
sants de France, et si M. Pio Rajna ne s'était décidé à publier à part la brochure
que j'annonce, nous aurions pu ignorer longtemps encore un fait des plus ira-
portants que ce savant révèle et qui jette un jour tout nouveau et très-vif sur
une partie fort intéressante de l'histoire littéraire du Quattrocento. M. Rajna se
plaint avec raison, — et je me suis permis également d'exprimer cette plainte
plus d'une fois — que cette époque de la littérature italienne soit trop souvent
sacrifiée à l'étude exclusive des xv^ et xvi^ siècles. Des travaux comme celui de
M. Rajna contribueront puissamment à combler cette regrettable lacune.
M. R. a trouvé à la Laurentienne le manuscrit presque complet d'un poème
chevaleresque sans titre et qu'il propose d'appeler VOrlando. Ce poème, M. R.
le prouve surabondamment, a servi de base au Morgante de Pulci. Le charmant
poème de l'ami de Laurent le Magnifique n'est donc qu'un simple rifacimento, au
même titre que VOrlando innamorato de Bemi. Est-ce à dire que cette intéressante
trouvaille diminue en rien le mérite de Pulci? Nullement. Ce poème original, qui
n'est sans doute que la version rimée d'un roman en prose, manque de tout ce
qui distingue Messer Luigi : élégance de style, correction du vers et de la rime,
sobriété, goût exquis, connaissance du cœur humain, ironie délicieuse, art de
peindre en relief, esprit et philosophie pratique. Pulci ne pourra plus prétendre
au mérite de l'invention, sans doute; mais outre que l'invention seule est un fort
mince mérite dont depuis Sophocle jusqu'à Shakspeare bien des poètes ont su
se passer, il faut dire que ce n'est pas même une surprise pour nous. Comme
toutes les personnes qui se sont occupées de la poésie chevaleresque des Italiens,
nous savions parfaitement que Pulci n'avait point inventé son sujet. D'un côté
d'ailleurs le poète regagne, même sous le rapport de l'invention, ce qu'il semble
perdre de l'autre. Les deux épisodes les plus charmants du poème — celui de
Margulte et celui d'Astarotte — sont bien dus et e.xclusivement dus à l'imagi-
nation de Pulci. M. Rajna me semble avoir mis ce point hors de conteste. Il y a
un autre mérite que le poète florentin semble perdre grâce à la nouvelle décou-
verte : c'est celui de la composition. Je ne suis pas plus chagriné de cette perte
que de l'autre, je dois l'avouer ; car je n'ai jamais admiré cette savante compo-
sition, laquelle m'a toujours paru briller par sa complète absence. Pulci a bien
assez de qualités pour qu'on ne lui prête pas celles qu'il n'a pas et dont il serait
le plus étonné lui-même de se voir affublé , s'il revenait au monde. Il racontait
aux Médicis, comme Arioste devait raconter aux d'Esté, au jour le jour et sans
le moins du monde se soucier de l'ensemble, de la tela, de l'économie. Cette
348 REVUE CRITIQUE
absence de plan et cette absence d'invention originale sont dans la nature de la
poésie épique populaire. Puisse-t-on le comprendre enfin et nous épargner les
éternelles discussions sur l'unité de V Iliade et des Nibelungen !
Une rapide analyse de la monographie de M. Pio Rajna permettra d'apprécier
l'intérêt de la découverte et le mérite du savant qui a su en tirer un si grand et
si utile parti.
Après une courte description du manuscrit, lequel semble être de la seconde
moitié du XV* siècle , M. R. commence la confrontation des deux poèmes et
montre que Pulci suit presque toujours strophe par strophe et vers par vers le
poète inconnu qu'il a pris pour guide. Cette fidélité à l'original est surtout
remarquable dans les trois premiers chants, Pulci s'émancipant de plus en plus à
mesure qu'il avance dans son récit , et se permettant , non plus seulement de
changer le style et le sens, mais encore tantôt d'amplifier, tantôt d'abréger l'ori-
ginal. J'ai déjà dit que l'épisode si charmant de Margutte (fin du chant XVIII,
tout le chant XIX et une grande partie du chant XX du Morgante), ne se trouve
pas dans VOrlando ; et il faut dire en général que le personnage comique du géant
Morgante ne joue qu'un rôle secondaire dans le poème ancien. Quoique la fin du
manuscrit retrouvé manque, M. R. croit pouvoir affirmer que la perte se borne
à une vingtaine de feuillets au plus; et le sujet tout différent des cinq derniers
chants de Pulci, qui traitent du désastre de Roncevaux et qui nous reportent à
vingt-cinq ans plus tard, est une preuve de plus que le poète a pris, à partir du
chant XXIV, pour base de son récit un autre poème, probablement la Spagna
in rima. Ce qui semble certain, c'est que ces cinq derniers chants du Morgante
ont été composés à une époque postérieure aux vingt-trois premiers, comme
nous l'avons toujours soupçonné. M. R. s'applique ensuite à établir l'antériorité
de VOrlando sur le Morgante avec un luxe d'argumentation presque superflu.
Dans la seconde partie de son travail (p. 32 a 64), l'auteur de notre étude
montre les changements apportés par Pulci à son original, qu'il ne cesse cepen-
dant de suivre fidèlement. C'est là qu'éclate toute la supériorité du poète floren-
tin. On peut dire même avec M. R. que ce n'est que maintenant qu'on peut
apprécier tout le talent et tout le goût de Pulci. Construction, vers, mots, tout
a été changé ; et d'une œuvre grossière que je croirais volontiers d'un cantatore
di piazza, — M. R. est d'un autre avis, — l'ami de Laurent a fait le poème
exquis et charmant que les esprits délicats ne cesseront jamais d'admirer. Rien
de plus curieux en particulier que la transformation des stances d'invocation.
Ces appels à la sainte Vierge et à la Trinité, qui ne sont qu'une affaire d'usage
et de tradition chez le jongleur, prennent chez le poète de cour cette légère
teinte ironique dont on s'est si fort étonné autrefois et que beaucoup de critiques
ont prise, les uns pour une grossière insulte d'athée, les autres pour l'expression
d'une foi naïve, fort étrangère certainement à l'hôte de Carezzi. Inutile de dire
que sous le rapport du langage on a de la peine à reconnaître les octaves heur-
tées de VOrlando dans les stances mélodieuses et faciles du Morgante. M. R.
montre, par de nombreux exemples, comment Pulci a procédé; et cette étude
comparée est du plus grand intérêt. En dehors de l'élégance, de la correction.
d'histoire et de littérature. 349
de la vivacité et du goût, il appelle l'attention sur les raisonnements auxquels
Pulci était enclin et qu'il a introduits dans son poème. Il aurait dû ajouter, ce
me semble, la tendance évidemment cléricale qui se manifeste dans le Morgante
(voy. la discussion théologique, le sermon de l'abbé et le dialogue entre Mor-
gante et l'abbé au V^ chant; la descente projetée de Morgante à l'enfer, les
invocations dont j'ai déjà parlé, etc.). M. R. au contraire essaye (p. 49) de
défendre Pulci contre ce reproche qui à la vérité n'en est nullement un à nos
yeux. M. R. signale avec un égal bonheur toutes les allusions théologiques du
poète classique, si différentes des réminiscences de l'antiquité qui se trouvent
chez le poète populaire et qui se bornent aux noms et aux faits contenus déjà
dans les romans du moyen-âge. Certains souvenirs dantesques appartiennent
également à Pulci. M, R. a discuté un peu longuement la question de savoir s'il
faut considérer le Morgante comme un poème burlesque : nous ne le suivrons
point dans cette discussion qui nous semble oiseuse : le Morgante est une admi-
rable chose sui generis; et il nous semble qu'on devrait enfin se convertir à la
doctrine de Molière : « la grande règle de toutes les règles est de plaire et
» je ne demande point si les règles d'Aristote me défendent de rire. »
Les recherches de M. R. ne lui ont pas permis de fi.xer le nom de l'auteur de
VOrlando : il prouve, par trop de preuves peut-être, que ce poème n'est pas une
première ébauche de Pulci lui-même. H nous semble en effet parfaitement inu-
tile d'ajouter à un argument excellent et irréfutable vingt autres qui le sont
beaucoup moins et qui ne peuvent qu'affaiblir l'argument principal. Pourtant
l'argumentation de M. R. ne laissera guère de doute au lecteur : VOrlando est
l'œuvre d'un poète antérieur à Pulci. M. R. a également réussi à prouver dans
un dernier chapitre (p. 64 à 95) que ce poète antérieur a dû être florentin. Il a
moins bien réussi à nous persuader que la date de 1^84 se trouve dans le poème
par suite d'une interpolation. Cette interpolation, il l'admet pour toutes les inno-
vations, les descriptions de temps et de lieux, et les adieux du poète, sans
raison selon nous; car nous trouvons ces formules, si l'on peut les appeler ainsi,
dans la plupart des poèmes populaires de l'Italie. Il est vrai que M. R. ne veut
pas voir dans le poète de VOrlando un cantatore di piazza, ce qui nous semble-
rait pourtant fort probable. Quant à la source de VOrlando, elle doit être
cherchée dans un des nombreux romans en prose, dans le genre des Reali di
Francia, qui avaient cours en Italie au xiv*^ siècle; l'auteur du poème le dit
expressément lui-même. De p. 76 à p. 91, M. R. donne de précieux extraits
du poème découvert par lui, environ soixante-treize octaves, qui permettent de
contrôler ses assertions, d'ailleurs toujours étayées par des citations dans le
corps de son étude.
J'aurais bien quelques petites objections de détail à faire à M. R,; mais en
somme il me semble que cette heureuse trouvaille n'aurait pu tomber dans des
mains plus intelligentes, plus consciencieuses et plus préparées à les recevoir.
L'auteur a mille fois raison de dire en finissant que des études de ce genre, si
méprisées par les profanes, sont du plus haut intérêt : ce mépris, dit-il en ter-
minant, è la cagione per cui noi non possediamo ancora una vera istoria délia nostra
3 50 REVUE CRITIQUE
letîeratura. A volera finalmente lavare cotai macchia non è mestiere disputare se più
valga il Furioso o la Gerusalemme, sebbene lavorare pazlentemente e coraggiosamente
per esîirpare poco a poco tutti i bronchi che c'impediscono per ora non solo di com-
piere, ma perfino di pensare alla impresa. M. R. peut se flatter d'avoir rendu un
service de ce genre, et un service éminent, à ceux qui étudient plus spéciale-
ment la littérature du Quattrocento. K. H.
241. — Institutio theologiae dogmaticae evangelicae historico-critica.
Scripsit C. L. W. Grimm. Editio secunda. lena, 1869. In-8°, x-484 pages. — Prix:
Sfr.
Les ouvrages consacrés à l'exposition de la théologie dogmatique ou, comme
on dit communément, de la dogmatique, constituent la partie la plus intéressante
de la littérature théologique; et cela se conçoit, puisque la dogmatique est en
définitive le point central vers lequel convergent toutes les autres branches des
sciences théologiques. En Allemagne, il n'est presque pas un seul des professeurs
de dogmatique qui ont acquis quelque réputation, qui n'ait composé un manuel
analogue à celui que nous annonçons. Les ouvrages de ce genre sont avant tout
destinés à l'enseignement. Chacun d'eux est comme le thème que le professeur
explique et développe dans ses leçons. Mais quoique écrits pour l'usage des
étudiants en théologie, ces manuels sont assez explicites pour pouvoir donner à
tout lecteur sérieux une idée suffisante de cettebranche capitale de la théologie.
Cela me paraît vrai surtout de celui de M. Grimm.
L'ouvrage se divise en trois parties précédées de prolégomènes fort étendus
(173 pages) et très-bien faits. La première, sous le titre général de théologie
proprement dite, traite 1° de la notion et de l'existence de Dieu, 2° de sa
nature (vertus et attributs de Dieu, et doctrine de la Trinité), 3» de son action
(création, providence et théodicée) et 4°, dans un appendice, de la doctrine des
anges et des démons. La seconde est une anthropologie théologique. Comme
l'indique ce titre, l'homme y est considéré au point de vue de la religion. Il y
est question de l'origine du genre humain, de la notion biblique de l'image de
Dieu, à laquelle l'homme fut créé, enfin de la notion et de la nature du péché.
La troisième est la sotériologie, ou la doctrine du salut par Christ, et il y est
traité 1° de la christologie, c'est-à-dire de la nature du Christ et de son œuvre,
20 des conditions du salut (la prédestination, la grâce, la justification, les sacre-
ments, l'Église) et 3° de l'eschatologie, c'est-à-dire des idées que les Hébreux,
les Juifs, le Nouveau-Testament et enfin l'Église, se sont faites de l'état ou des
états de l'homme après la mort.
Ce cadre est à peu de choses près celui de tous les manuels de dogmatique.
Mais ce qui distingue l'ouvrage de M. Grimm de tous les autres ouvrages du
même genre, c'est d'abord sa méthode d'exposition et de discussion, c'est
ensuite l'esprit critique qui y règne du commencement à la fin.
Ce théologien, réellement philosophe, a cru avec juste raison que, pour
exposer et discuter convenablement une doctrine, il fallait premièrement en
d'histoire et de littérature. 351
rechercher les origines dans l'enseignement de Jésus-Christ et dans celui des
Apôtres, et en second lieu en suivre la formation et le développement dans les
écrits des Pères, des scolastiques et des réformateurs. En conséquence, sur
chaque dogme il commence par examiner ce qu'en disent les livres saints; il
recherche ensuite quelle opinion s'en firent les plus anciens docteurs de l'Église,
puis comment on l'entendit au moyen-âge, et enfin quelles explications en ont
données les réformateurs soit luthériens soit calvinistes. Après avoir ainsi tracé
1° une exposition biblique et 2° une histoire de ce dogme, il fait connaître l'état
actuel de la question, c'est-à-dire les opinions respectives des supranaturalistes
et des rationalistes sur ce point, et les raisons que chacun de ces deux grands
partis théologiques invoque en faveur de son explication. Enfin vient une discus-
sion critique du dogme lui-même, de ses sources scripturaires, des diverses
interprétations qu'on en a données, etc.
Une discussion des dogmes faite dans ces conditions ne risque pas de s'éga-
rer dans le vide, surtout quand elle reste indépendante, comme c'est ici le cas,
des idées de convention. M. G. est sincèrement attaché au christianisme, et
c'est sans le moindre doute parce qu'il y est attaché qu'il tient à le dégager
autant des fausses interprétations qu'en a données soit la théosophie bizarre des
premiers siècles, soit en divers moments une piété plus fervente qu'éclairée, que
des restes des croyances juives dont n'avaient pu se dépouiller ses premiers
propagateurs. S'il fallait formuler le principe d'après lequel il a procédé, il me
semble qu'on pourrait le faire en ces termes : il ne faut tenir pour chrétien que
ce qui est conforme aux vérités morales et à l'esprit général qui sont essentiels
au christianisme et qui le caractérisent en propre ; tout le reste est une super-
fétation, dont les diverses origines, étrangères aux principes chrétiens, n'ont pas
échappé à l'histoire et à la critique.
Ce n'est pas cependant que M. G. ne se mette parfois en contradiction avec
ses propres principes. Ainsi quand il admet l'anamartésie de Jésus, il ne prend
pas garde que cette croyance tombe sous le coup d'arguments entièrement ana-
logues à ceux qu'il fait valoir contre la doctrine luthérienne de la communication
des idiomes (p. 346 et 347). Dans tous les cas, il aurait dû en donner des
preuves plus décisives; celle qu'il présente (p. 350), la seule d'ailleurs qu'il fasse
valoir, paraîtra certainement insuffisante.
On fera probablement la même remarque sur sa preuve de la réalité historique
de la résurrection de Jésus, preuve qu'il tire du changement qui s'opéra dans
les Apôtres, découragés et abattus avant cet événement, et après, au contraire,
pleins d'espérance et d'ardeur. C'est aller bien loin, ce me semble, que de
prétendre que, sans la résurrection du fondateur du christianisme, sa cause
aurait péri sans le moindre doute, et qu'il en serait à peine resté quelques traces
(p. 360). Ce qui surprend encore davantage, c'est qu'il présente la résurrection
comme un fait réel, tout en rangeant l'ascension dans la classe des mythes. Ces
deux faits sont évidemment inséparables. Si l'ascension est un mythe, la résur-
rection ne peut être un événement historique, et si la résurrection est un fait
réel, l'ascension ne peut être un mythe. Et que serait devenu Jésus, si, étant
3 5^ REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
ressuscité, il n'était pas monté au ciel? Selon M. Grimm, il aurait peu à peu
déshabitué ses disciples de sa présence et de sa société, et, après s'être retiré
dans des lieux inconnus, il serait revenu de temps à autre les voir pour les con-
soler et les encourager (p. 362). Optime id conjiciîur, dit-il. Cet optime me parait
bien hasardé. Si Jésus ressuscité était resté sur la terre, il n'aurait pu se mettre
à l'écart sans porter le découragement dans le cœur de ses partisans. C'est alors
que sa cause aurait périclité. Et dans le cas qu'il n'eût pas voulu confondre lui-
même les Juifs en se présentant au milieu d'eux, ses disciples, dans l'élan de
leur enthousiasme, n'auraient pu s'empêcher de l'entraîner de vive force à
Jérusalem, sur la place publique ou dans le Temple, pour le produire aux yeux
de la foule comme la preuve irrécusable de la divinité de son enseignement et
de sa personne.
Il ne faudrait pas cependant donner trop d'importance à ces observations.
Quand un ouvrage embrasse tant de questions délicates et difficiles, ce n'est
pas aux quelques inconséquences ou aux quelques défaillances que peut y décou-
vrir une critique minutieuse, qu'il faut regarder pour le juger; c'est'bien plutôt à
la solidité et à l'étendue de l'érudition, à la valeur des principes, à l'ensemble de
la discussion. Sous ce rapport, le manuel de M. G. est un des ouvrages les plus
remarquables que je connaisse. Nulle autre part on ne saurait trouver une expo-
sition exégétique et historique plus claire et une appréciation aussi réellement
scientifique des conceptions théologiques. Les personnes qui s'occupent chez
nous des idées religieuses pourraient y puiser un ensemble de connaissances
qu'elles ne semblent pas toujours posséder à un degré suffisant. Et pour me
borner aux questions que dans ce moment elles débattent le plus vivement, je
leur recommande les chapitres relatifs à l'origine de la religion, à la notion de
la religion naturelle, à la question de la révélation et à celle des miracles, à la
perfectibilité de la religion chrétienne et à l'inspiration des écrits bibliques.
Il n'est pas inutile d'ajouter que le latin de M. Grimm est toujours pur, cou-
lant, facile, et en somme aussi élégant que peut le permettre la nature d'un
sujet pour lequel le vocabulaire des anciens écrivains de Rome est tout-à-fait
insuffisant. Michel Nicolas.
242. — Geschichte der Gesellschaf t , von D' Johann Joseph Rossbach. I Theii.
Die Aristokratie. Wùrzburg, Stuber, 1868. In- 18, xij-283 pages. — Prix : 4 fr.
L'auteur de cette Histoire de [^aristocratie, première partie d'une Histoire de la
Société, a conçu une vaste entreprise, mais il ne paraît pas de taille à l'exécuter
d'une façon tout-à-fait satisfaisante. Les vues historiques qu'il expose dans son
introduction sont sans portée : l'histoire de l'humanité repose selon lui sur l'équi-
libre des fautes humaines et de la providence divine. L'idée de loi, au sens
scientifique de ce mot, et comme l'a conçue Buckle, est étrangère à son esprit.
— Ce petit volume se laisse lire ; les faits sont généralement bien présentés,
mais on n'y apprend rien de bien nouveau. L.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
de la future Exposition universelle à Londres. — Un Laboratoire chimique pour
l'art industriel. — Société pour l'avancement de l'art industriel à Dresde. —
Sur un Crucifix en argent avec émail translucide du milieu du xV siècle. — L'Art
et les industries d'art dans le budget de l'Angleterre. — Le nouveau Musée de
Weimar. — J. Falke, Une Famille de bijoutiers romains : les Castellani. — Le
Trésor d'Hildesheim et l'Art industriel contemporain. — D'Eitelberger, L'Ex-
position de V Union centrale des beaux-arts appliquée à l'Industrie, en 1869. —
Organisation des Écoles moyennes pour les classes ouvrières dans les Pays-
Bas, etc., etc.
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du Puy, publiées au nom de la Société
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T. I. In-4', 568 p. Le Puy (imp. Mar-
chessou).
Juvénal. Les Satires, traduites en vers
français par J. H. Curé, président hono-
raire du tribunal civil de Provins. In-8*,
iv-249 p. Paris (lib. Lachaud).
Lévrier (G.). Précis historique de la ville
de Melle. In-8*, xij-iyi p. Melle (libr.
Moreau et Lacuve).
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N* I. Janvier 1869. In-8', 16 p. et pi.
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i868. In-8*, lxx-160 p. Lyon (impr.
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in-8*, 939 p. Paris (lib. Renouard).
Proust. Archives de l'Ouest. Recueil de
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Révolution, 1789-1800. Série B. Admi-
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Sèvres, Vendée, Vienne). Gr. in-8*, xvj-
224 p. Saint-Maixent (imp. Reversé).
Proust (A.). La Justice révolutionnaire à
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Royer (C). Origine de l'homme et des
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PÉRIODiqUES ÉTRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N" 46, 6 novembre.
Théologie. Kautzsch, De veteris Testamenti locis a Paulo allegatis (Leipzig,
Lorentz; très-bon travail). — Guizot, Méditations sur la religion chrétienne
(Paris, Lévy). — Histoire. Dahlmann's Quellenkunde der deutschen Geschichte,
?. Auflage von Waitz (Gœttingen, Dieterich; M. Waitz a complètement
refondu l'ouvrage utile de Dahlmann). — Hammerstein-Loxten , Der Barden-
gau (Hannover, Hahn). — Erdmannsdœrffer, Graf Georg Friedrich von
Waldeck (Berlin, Reimer; intéressante étude sur un ministre prussien du
XVII'' siècle). — Linguistique. Histoire littéraire. Aristophanis Equités, rec. von
Velsen (Leipzig, Teubner; édition des plus importantes pour l'établissement
critique du texte). — Hirzel, De bonis in fine Philebi enumeratis (voy. Rev.
crit., 1869, t. I, art. 73). — Christ, Die metrische Ueberlieferung der pinda-
rischen Oden (nous rendrons compte de ce livre incessamment). — Hœpfner
und Zacher, Zeitschrift fur deutsche Philologie. — Dœring, Ueber die Quellen
der Niflungasaga in der Thidreksaga (Halle; il résulterait de ce travail, contrai-
rement à l'opinion reçue, que le compilateur de la Thidreksaga a puisé dans les
poèmes connus sur les Nibelungen et non dans des traditions orales propres à la
Basse-Saxe). — Hûgel, Ueber Otfrid's Versbetonung (Leipzig, Vogel). —
LIPPOLD, Ueber die Quelle des Gregorius Hartmann's von Aue (Leipzig, Lorentz ;
excellent travail, sur lequel nous reviendrons). — Archéologie. Kekulé, Die
Balustrade des Tempels der Athena-Nike (Leipzig, Engelmann). — Schrader.
Die Sirenen (Berlin, Reimer; travail fait avec soin, mais dont les conclusions
sont difficilement acceptables).
The Athenseum. 6 novembre.
W. H. RussEL, A Diary in the Easî during the Tour of the Prince and Princess
ofWales; Routledge. — Rev. Brisbane,. The Early Years of Alexander Smith,
Poetand Essayist; Hodder and Stoughton. — Mr. and Mrs Petherick, Travels
in Central Africa and Explorations of the Western Nile Tributaries ; 2 vol.; Tinsley.
— Sur des poèmes de William Basse nouvellement retrouvés (communication de
M. P. Collier). — L'astronomie en France (à propos de l'établissement, proposé
par M. Faye, d'observatoires en divers lieux de la France). — Sur l'exposition
des beaux-arts appliqués à l'industrie à Paris.
Historische Zeitschrift. Hgg. von H. voN Sybel. Mûnchen, Cotta, 1869.
N°4.
L Essais. K. Menzel, De l'arrangement et du classement des archives. Travail
très-intéressant. L'auteur loue beaucoup la publication des inventaires en France.
Il semble ignorer que , grâce aux prescriptions ministérielles , l'utilité de ces
inventaires est assez douteuse. — R. Pauli, Notes sur l'histoire d'Irlande, sous
les Tudor . Écrit à propos du Calendar of the Carew manuscripts at Lambeth,
publié par MM. Brewer et Bullen. — E. Feuerlein, La place que doit occuper
saint Augustin dans l'histoire ecclésiastique et sociale. — A. Brûckner, Les
rapports de la Suède et de la Russie en 1788. Travail tiré en grande partie de
sources russes, peu connues jusqu'ici.
II. Critiques principales [d'ouvrages de la plupart desquels nous avons rendu
compte]. De Mas Latrie, Traités de paix et de commerce avec les Arabes d'Afrique.
— L. Léger, Cyrille et Méthode. — L. Hausser, Histoire de l'époque de la Réforme
(1517-1648), p. p. W. Oncken. Cours sténographié du célèbre professeur de
Heidelberg. — Souchay, Deutschland w£hrend der Reformation. — A. Stern,
Die zwœlf Artikel der Bauern. — A. Gindely, Geschichte des dreissigjahrigen Krieges,
I (la Revue rendra prochainement compte de cet important ouvrage). — Rod.
Reuss, La destruction du protestantisme en Bohême. — Id. Josias Glaser. — A. Wolf,
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 49 — 4 Décembre — 1869
Sommaire : 243 . Bucheler, la Liste péripatéticienne d'Herculanum. — 244. Cornélius
Nepos, texte latin, p. p. Monginot. — 245. De Witte, Recherches sur les empe-
reurs qui ont régné dans les Gaules. — 24e. Leclerc, l'Église wallonne de Hanau.
245. — Index Scholarum in Univ. litt. Gryphiswaldensi per sem. hibern. a.
MDCCCLIX-MDCCCLXX habendarum. — Inest : Academicorum Philosophorum
Index Herculanensis editus a Francisco Buchelero. Gryphisw. typis Kunike, 1869.
24 p.
L'exploration des papyrus d'Herculanum, au gré de beaucoup de personnes,
n'a pas justifié jusqu'ici les espérances peut-être un peu exagérées qu'avait fait
concevoir leur découverte. En tout cas on ne saurait nier que si nous avions eu le
choix, nous aurions désiré voir sortir de dessous les cendres du Vésuve d'autres
écrits que ceux qu'on a réussi à en tirer jusqu'à ce jour. On aurait tort néan-
moins de ne pas reconnaître le double avantage qui est résulté de cette décou-
verte inattendue. La connaissance plus exacte des conditions matérielles du livre
chez les anciens a fourni à la critique verbale plus d'une indication précieuse
pour la guider dans la restitution des textes. D'autre part, pour être d'un intérêt
moins général soit quant à leur contenu, soit quant à leur valeur intrinsèque, les
textes déjà publiés ont servi à combler plus d'une lacune, principalement en ce
qui concerne l'histoire littéraire des siècles entre Alexandre et Auguste, pour
lesquels nous comptons un si petit nombre d'ouvrages conservés. A cet égard la
liste des philosophes académiciens mérite une attention toute spéciale. Publiée
dans le dernier tome des Vohmina Herculanensia, cette liste a été réimprimée
par M. Spengel dans le second volume supplémentaire du Philologus. Aux efforts
faits par ce savant, M. Bucheler joint aujourd'hui les siens. Il a réussi à combler
un nombre considérable des lacunes que présente ce catalogue. Avec une modestie
qui honore le nouvel éditeur, il est le premier à déclarer que son travail ne
saurait être le dernier mot de la science. En effet, comme il le fait observer avec
beaucoup de justesse, une restitution complète, bien entendu dans les limites du
possible, ne peut être espérée que de l'étude réitérée de ce document, aidée par
le temps et par le hasard. Malheureusement ce qui resterait à faire est considé-
rable et le plus souvent impossible. Quoi qu'il en soit, grâce aux procédés ingé-
nieux de M. B. et aux rapprochements qu'il fait de tous les passages soit de
Diogène Laërce, soit des autres auteurs de l'antiquité qui nous ont conservé des
détails sur les philosophes dont il s'agit, la liste telle qu'il l'a publiée peut prendre
dès à présent une place importante parmi les documents peu nombreux relatifs
à l'histoire de la philosophie grecque. Quoiqu'elle ne soit pas l'œuvre d'un
philosophe de profession, mais bien, comme le montre M. B. en rectifiante cet
VIII 23
3 54 REVUE CRITIQUE
égard une hypothèse de M. Nietzsch {Rhein. Muséum, t. 24, p. 187), d'un litté-
rateur athénien, elle servira à contrôler ou à rectifier utilement un grand nombre
de notices fournies par Diogène Laërce, qui semble avoir puisé fréquemment aux
mêmes sources que l'auteur de cette énumération. Au nombre de ces sources il
faut placer Hermippe. Le catalogue dont il s'agit fournit le titre d'un ouvrage ou
plutôt celui des parties dont paraissent s'être composées les Vies des philosophes
de cet écrivain, titre qu'on ne connaissait pas encore. Le voici tel que l'a restitué
en partie M. B. col. XI, 4 ss. :
"EpjxiTTTTo; ïv t[oî? pî
ot; Twv] OLTzb (pt)>oaoçta[ç el;
Tupavvîû[a; xat ôuva(TT£[t
aç [jLEÔeffJTriXOTWv.
Ce détail servira à compléter ce que nous savions au sujet d'Hermippe, le
disciple de Callimaque, qui est évidemment le même qu'Hermippe de Smyrne,
et dont l'importance, surtout comme source principale de Diogène Laërce, est
reconnue de plus en plus. Aussi mériterait-il bien l'honneur d'une nouvelle
monographie, celle de Loczynski ayant singulièrement vieilli. De toute façon
celui qui se chargera d'un pareil travail devra revendiquer pour cet auteur le
livre sur les Mages que M. Mùller hésite à lui attribuer (Fragm. Histor. gr.
t. m). Pour un péripatéticien, et Hermippe l'était, un ouvrage historique sur la
philosophie devait nécessairement commencer par les Mages ' .
Emile Heitz.
244. — Cornélius Nepos, texte latin publié d'après les travaux les plus récents de
la philologie, avec un commentaire critique et explicatif et une introduction par Alfred
MoNGiNOT, ancien élève de l'École normale, agrégé de grammaire et des lettres, pro-
fesseur au lycée Bonaparte. Paris, Hachette, 1868. In-8*, xliv-363 p. — Prix : 6 fr.
Ce volume fait partie de la Collection d'éditions savantes dont nous avons déjà
plusieurs fois entretenu nos lecteurs. En rendant compte du Virgile de M. Benoist
nous croyions avoir pris l'expression édition savante dans un sens suffisamment
large. Nous pensions qu'en France on pouvait encore donner ce nom à une
édition qui tenait compte de tous les travaux importants publiés jusqu'ici sur un
auteur, qui, sans rien apporter d'absolument nouveau à la science, était au moins
à la hauteur des études actuelles. Nous comprenions que, pour ne pas trop blesser
les usages reçus, on crût devoir transiger avec la routine sur des points secon-
daires tels que l'orthographe par exemple.
Après avoir examiné attentivement l'édition de Cornélius Nepos que nous
annonçons aujourd'hui, nous avons acquis la conviction que, même dans cette
acception restreinte, elle ne mérite nullement l'épithète de savante; qu'elle n'est
1. Dans nos manuscrits d'Aristote, Polit., V, 9, p. 1311/» 20, l'un des meurtriers de
Cotys est appelé ITâppwv. Le papyrus en question montre que Victorius avait raison de
prélérer la leçon fournie par Démosthène, Plutarque et Diogène Laërce. 11 porte col. VI,
1 5 en toutes lettres IIuôwv.
d'histoire et de littérature. 5 55
pas faite, comme le titre V'md\(\\ie, d'après les travaux les plus récents de la philologie.
Nous demandons à une édition savante : i° une introduction indiquant tout ce
qui est relatif à la vie de l'auteur, aux éditions et au texte de ses œuvres, aux
discussions sur l'authenticité et la valeur de ses écrits, à la grammaire et à l'or-
thographe; nous n'entendons pas que l'éditeur donne tout le détail de ces
matières, mais simplement qu'il en esquisse l'historique, qu'il fournisse des ren-
seignements bibliographiques suffisants. 2° Un texte établi avec une méthode
rigoureuse. 5° Un choix des variantes principales. 4° Un commentaire critique et
explicatif signalant, au cas échéant, les obscurités qui persistent malgré les efforts
de la science, éclaircissant les passages vraiment difficiles. 5" Un index complet;
la préparation d'un index nécessite une dernière révision qui donne au travail
un caractère d'ensemble et de conséquence impossible à atteindre par un autre
procédé. M. Monginot n'a pas cru devoir nous en donner un.
L'Introduction ne manque pas, il est vrai; mais de quelle façon est rempli le
programme que nous en avons tracé plus haut ?
De la vie de Cornélius Nepos on ne sait pas grand chose, d'accord. Mais ce
n'était pas une raison pour rééditer la vieille fable inventée par des érudits
Véronais à l'époque de la Renaissance, fable suivant laquelle Nepos aurait été
originaire d'un vicus Hostilia dépendant du municipe de Vérone. M. Mommsen '
a montré que notre auteur était probablement de Pavie. M. M. fait
naître Cornélius vers l'an 665 de Rome, parce que suivant lui « on peut croire
» sans invraisemblance qu'il vit le jour à peu près à la même époque que Catulle
» son compatriote. » Toutefois ceci ne s'accorde guère avec ce qu'il dit lui-même
(^Atticus, 19, i): quoniam fortuna nos superstites ei esse voluit; car il aurait eu
22ansdemoinsqu'Atticus(né en 643, suivant la manière de compter de M. M.)*.
Quant à la mort de Cornélius, on nous dit que ce dernier survécut à Atticus et
qu'il prolongea par conséquent son existence au delà de l'an 32 av. J.-C, mais
Nipperdey a montré qu'il vivait encore en l'an 25 ou 24.
Ensuite vient la liste des écrits de Cornélius Nepos; dans cette liste nous remar-
quons l'absence de la Biographie de Cicéron, citée par Aulu-Gelle J et qui devait
comprendre plusieurs livres (in librorum primo quos de vita illius scripsit). Nous
sommes étonnés aussi que M. M. n'ait pas cru devoir tirer parti de l'habile com-
binaison par laquelle Nipperdey a reconstitué un plan très-vraisemblable des
livres composant l'ouvrage de viris illustribus. Dans cette combinaison le seul
livre complet que nous ayons conservé figure comme troisième livre avec le titre
de excelleniibus ducibus exterarum gentium et, comme tous les autres livres impairs
de la collection, il avait son pendant dans le livre pair qui le suivait : de excellen-
1. Hermès, III, i, p. 62, n. i. Le 2 mai 1868 les habitants d'Ostiglia n'en ont pas
moins érigé une statue à Cornélius Nepos.
2. M. Teuffel, Geschichtt der Ram. Litteraîur, p. 313, admet aussi que Cornélius était
né vers 660, mais ses raisons ne nous paraissent pas très-concluantes.
3. XV, 28. M. M. lui-même reproduit ce passage dans le recueil de fragments qui ter-
mine son volume.
356 REVUE CRITIQUE
tibus ducibus Romanomm. Cette hypothèse de Nipperdey méritait au moins une
mention.
Nous arrivons maintenant à ce qui fait le fond de l'introduction, aux questions
relatives à la valeur et à l'authenticité de l'ouvrage. Un jugement original sur
cette matière exigeait au préalable une étude approfondie et directe de la langue
et de la grammaire, des manuscrits et des éditions. Mais M. M. n'avait pas de si
hautes prétentions ; il n'a voulu que résumer la discussion. Acceptons ce pro-
gramme, M. M. a-t-il au moins réellement posé la question, en a-t-il fait l'his-
torique .'' Pas le moins du monde.
« Dès l'abord, dit-il, deux questions se présentent : i^les Vies des grands
» capitaines sont-elles vraiment l'œuvre de Cornélius Nepos? N'est-ce que
» le produit d'un faussaire ' ou le résultat du travail d'un abréviateur » ?
» 2° quelle est la valeur intrinsèque de l'ouvrage .? »
1 . « C'est la thèse qu'a développée M. Rinck dans ses ProUgomena ad Aemilium
» Probum. »
2. « Cette opinion a été soutenue principalement par M. Nissen, De vitis qua
» valgo Cornelii Nepotis nomine feruntur, etc. »
Tout lecteur qui n'est pas au courant des nombreux ouvrages publiés sur
Cornélius Nepost rouvera fort extraordinaires ces questions posées ainsi ex abrupto
et accompagnées de leurs deux notes ; il s'étonnera qu'on ait pu soutenir deux thèses
aussi hardies. Comment devinerait-il que tous les manuscrits donnent les Vies des
grands capitaines étrangers non point sous le nom de Cornélius, mais bien sous
celui d'Aemilius Probus ? — qu'un grand nombre d'éditions ont été publiées,
quelques-unes en France même, sous ce dernier nom ? — qu'enfin la discussion
qui n'a été que reprise sur l'initiative de Rinck (dont Roth admettait les conclu-
sions en 1841) a abouti à ce résultat que, parmi les contemporains, les connais-
seurs les plus autorisés de la langue et de la littérature latine (citons Lachmann,
Madvig, Halm, Fleckeisen et Nipperdey) ont admis comme un fait certain que
l'ouvrage était bien de Cornélius Nepos?
Mais le système adopté par M. M. a deux avantages : d'abord celui de faire
croire à une de ces témérités de l'érudition allemande contre lesquelles doit pro-
tester la « sage et prudente » école française ; puis, avantage encore plus grand, il
permet de remplir l'espace accordé à la préface de discussions générales sur une
question qui n'en est plus une, dont la critique a fini par débarrasser les chercheurs
(en allemand ein iiberwundener Standpunki). Des savants très-estimables admettent
il est vrai que les Vitae (sauf le Cato et VAtticus) ne sont que des extraits d'un
ouvrage plus considérable. C'est la thèse de Nissen, qui est encore soutenue en
Allemagne par Bernhardy dans son Histoire de la littérature romaine et en France
par M. Pierron dans son livre sur la même matière. Or, comme une édition
savante a surtout pour but de faire connaître l'état actuel des discussions scienti-
fiques, celle sur le nom d'Aemilius Probus devait être simplement rappelée dans
un court résumé historique, et tout le poids de l'argumentation devait porter sur
la thèse encore défendue aujourd'hui.
d'histoire et de littérature. 5 57
Le procédé de M. M. est assez simple. Il a commencé par examiner la valeur
intrinsèque de l'ouvrage, en supposant que Cornélius Nepos en est réellement
l'auteur. Ce point de départ, quoi qu'il en dise, ne nous paraît pas absolument
contraire aux règles de la logique. Seulement il fallait l'approfondir, donner des
détails relatifs aux sources consultées par Cornélius, à la grammaire et au style.
D'innombrables dissertations ont paru sur la matière ' ; on pouvait y puiser les
éléments d'un exposé substantiel; au lieu de cela M. M. a préféré rester dans les
généralités. Au lieu de citer ici les opinions des grands latinistes, croirait-on qu'il
s'amuse à reproduire et à discuter des passages de Mably, de Laharpe, de
M. Amédée Pommier?— Cependant, dès les paragraphes II et III de son
introduction, il commence à guerroyer contre Rinck* (déjà cité); il cite déjà
Lieberkûhn (Vindiciae librorum iniuria suspecîorum , Leipzig, 1844) et Wiggers
{De Cornelii Nepotis Alcibiade, 1833): ces trois auteurs, auxquels viennent se joindre
Nipperdey (Spicilegium criticum) et Nissen (déjà cité) sont les seuls auxquels il
renvoie; ceux qui ont traité de la grammaire, du style et des sources sans se
préoccuper de la question de l'authenticité méritaient, nous semble-t-il, une
mention ; leur autorité devait être d'autant plus grande qu'ils n'avaient pas de
parti pris. Mais le fait est que M. M., uniquement préoccupé de démontrer sa
thèse, a oublié de nous donner aucun détail précis sur la grammaire et le style de
Cornélius; il renvoie pour ces questions à son commentaire. Nous verrons ce que
vaut ce dernier.
Donc la discussion sur l'authenticité, qui est passablement résumée du reste
dans le IV* paragraphe, manque d'originalité. Les deux ou trois points princi-
paux sont rappelés et délayés ; on a pris les cinq auteurs que nous venons de
citer, on les a opposés les uns aux autres et l'introduction a été faite.
Le même paragraphe contient incidemment vingt lignes sur les manuscrits,
vingt lignes de généralités, nous apprenant, d'après Nipperdey, qu'il a existé un
Codex Danielinus; qu'il existe encore un Guelferbytanus, et que tous les autres mss.
dérivent d'un frère de ce dernier. C'est tout ce que nous donne l'introdurtion
sur les mss. de Cornélius Nepos : deux noms et la nouvelle que tous ceux que
nous avons dérivent de la même source : on n'a point jugé convenable d'énu-
mérer les principaux en indiquant leur valeur relative, — Le V paragraphe
devait contenir des détails sur les principales éditions. M. M. a fait un choix; il
cite celles qui « marquent dans l'histoire de la critique: » ce sont celles d'Utrecht
(1J42), de Lambin (1569), de Bosius (1667), de Van Staveren (1734), de
Bardili (1820), de Bremi (1796-1827), de Roth (1841). Ce choix lui-même est
maigre; on s'étonne de n'y trouver ni les éditions princeps, ni certaines éditions
I. Il n'est peut-être pas un auteur qui, relativement à son importance et à son étendue,
ait donné naissance à une aussi riche littérature que Cornélius Nepos ; on peut consulter,
outre la Bibliothcca scriptorum classicorum d'Engeimann, les Jafirbûcher f. Philologie de Jahn,
1840, p. 28, p. 445 et suiv. M. Monginot paraît n'avoir fait que rarement usage de deux
ou trois de ces travaux.
3 $8 REVUE CRITIQUE
des plus importantes, telles que celle de Savaron. — Mais plus maigres encore
sont les notices que l'on nous donne sur chacune d'elles.
Puis M. M. ajoute : « Il me reste à citer l'édition de Nipperdey et surtout la
» brochure qu'il a publiée sur le texte de Cornélius et à laquelle nous nous
)) sommes précédemment référé. M. Nipperdey a suivi M. Roth dans la voie qu'il
» s'était tracée; il a songé à aller lui-même plus loin, et, sur plus d'un point, il a
« cherché à rétablir par des inductions, la plupart du temps fort plausibles, mais
» souvent hasardées, le texte véritable de l'auteur. » Ici tout est admirable.
Signalons d'abord le cliché très-commode par lequel on se débarrasse de ce qu'on
est convenu d'appeler en France « les témérités de la critique allemande. » Et
puis, comme le mot plausible est habilement mitigé par le mot hasardé, cela dis-
pense encore M. M. d'avoir égard aux corrections de texte les plus certaines.
Il nous dit plus loin qu'il a plus d'une fois tenu compte des remarques judicieuses
de Nipperdey; ce «plus d'une fois» ne s'applique en tout cas pas à Védition de Nip-
perdey. Cette édition, nous avons de fortes raisons pour croire que M. M., s'il
l'a eue réellement entre les mains, n'en a fait que fort peu d'usage. En effet,
lorsqu'il nous dit que Nipperdey a suivi M. Roth dans la voie qu'il s'était tracée,
il commet une grosse erreur : le premier s'est appliqué, comme le dit d'ailleurs
M. M., à reproduire l'archétype supposé de nos mss. avec une scrupuleuse exac-
titude, avec toutes ses fautes les plus grossières; le second a constitué un texte
plus correct que les éditions précédentes et que la Vulgate, un texte lisible. La
voie est donc toute différente : il n'a fait que profiter du riche matériel des
variantes fourni par son prédécesseur. Déjà le surtout que nous avons souligné
dans la phrase citée plus haut est assez significatif; enfin par exception M. M.
ne cite même pas en note la date de Védition de Nipperdey. Or il y en a plusieurs,
une petite ' et une grande *, et depuis l'apparition de la première édition la petite
elle-même n'a cessé de s'améliorer 3. Enfin sur plusieurs points nous avons
constaté que des observations de la plus haute importance, faites par Nipperdey
dans son édition, n'avaient point attiré l'attention de M. Monginot. Nous en avons
signalé déjà une ou deux à propos de la vie de Cornélius; nous en verrons d'autres
plus loin.
Cela nous fournit une transition naturelle à la question de la constitution du
texte et du commentaire critique de l'édition qui nous occupe. La préface de
M. M. ne prouve pas qu'il ait consulté des ouvrages plus récents que l'édition de
Roth (1841) et le Spicilegium criticum de Nipperdey (1850)4. Il y avait cependant
deux autres publications, datant à peu près de la même époque et dont l'étude
eût pu donner à M. M. une idée des droits de la critique sur le texte de Cornélius;
1 . Leipzig, 1 849 et suiv.
2. Berlin, 1867.
3. M. M. eût pu au moins consulter la 4* édition (Berlin, Weidmann, 1864), la j*
ayant paru en 1868.
4. Depuis lors M. Nipperdey a fait paraître deux programmes qui sont le complément ou
la continuation de ce travail (lena, 1868 et 1869, in-4*) et que nous n'avons pu consulter.
d'histoire et de littérature. 5 59
ce sont les articles de Fleckeisen dans le Philologus (tom. IV, 1 849, p. 308-5 5 1 «)
et de Halm, dans les Gelehrîe Anzeigen de Munich, 1850, n°''2i et suiv. — Depuis
lors la science s'est enrichie de nouveaux matériaux grâce à la découverte faite
dès 1836 à la bibliothèque de Louvain du fameux Codex Parcensis, découverte
fort importante, mais dont la valeur n'a été reconnue que plus tard , lorsqu'une
collation en fut publiée par M. Roth lui-même dans le Rheinisches Muséum fur
Philologie, tom. VIII (1853), p. 626 et suiv. Plus tard M. Bœrsch^ en a publié
{Revue de ^instruction publique en Belgique, IV, 1861, n° 7, p. 233) une nouvelle
collation qui rectifie sur quelques points celle de Roth. Cette découverte est im-
portante à un double point de vue : d'abord le Parcensis est le seul représentant
que nous possédions encore de la première classe des manuscrits, c'est-à-dire de
la meilleure tradition; il se place à côté du Danielinus aujourd'hui perdu et repré-
senté imparfaitement par l'édition d'Utrecht; il a donc donné une base un peu
plus certaine à la critique du texte. En second lieu il a confirmé sur plus d'un
point les rectifications faites par M. Fleckeisen au texte admis par M. Roth
comme reproduisant l'archétype.
Si M. M. eût été un peu plus au courant des travaux concernant son auteur,
il n'eût pas tardé à s'apercevoir de l'absolue nécessité qu'il y avait à noter et à
apprécier personnellement les variantes, il eût compris la méthode rigoureuse
avec laquelle on procède en critique diplomatique et les droits que possède un
latiniste exercé pour rectifier le texte d'un auteur. Il aurait vu que telles correc-
tions qui semblent hardies au premier abord ou qui s'appuient uniquement sur
des raisons grammaticales et de bon sens se trouvent confirmées tous les jours
par la découverte de manuscrits meilleurs que ceux qu'on possédait.
Mais il n'a pas connu ces travaux J, et cela seul suffirait à ôter à son édition
toute valeur scientifique. A-t-il au moins suivi une méthode conséquente, et, se
servant exclusivement de Roth et du Spicilegium de Nipperdey, a-t-il examiné de
près l'état du texte ? Encore ici nous devons répondre négativement. Il est im-
possible de se rendre compte des principes qui l'ont guidé.
En matière de critique des textes nous sommes assez disposé à admettre lar-
gement les droits de la critique conjecturale, appuyée, cela va sans dire, d'une
préparation suffisante. Mais nous concevons fort bien qu'il y ait une opinion
conservatrice. Or cette dernière n'est conséquente qu'en suivant absolument le
système de M. Roth, ce qui aboutit à une édition presque illisible puisqu'on
admet dans le texte les fautes les plus grossières, quitte à apprendre au lecteur
dans un commentaire, suivant les cas, ou bien que la phrase est inintelligible, ou
1. M. M. cite bien une fois cet article, mais sous le nom de Heckheisen, et uniquement
d'après Nipperdey Spic. crit.
2. Qui a aussi publié une petite édition classique, malheureusement fx;>urg«, de Corné-
lius Nepos (Louvain, 1861, in-i8), dans laquelle il a tenu le plus grand compte des cor-
rections de Nipperdey.
3 . Il aurait aussi trouvé d'excellents renseignements dans deux articles de M. Grasberger,
Eos, I, p. 225 et suiv. II, p. 114 et suiv.
?6o REVUE CRITIQUE
bien qu'on peut la corriger d'une façon certaine, ou bien enfin qu'on a tenté
telles corrections plus ou moins plausibles. Mais une édition de ce genre ne peut
servir qu'à titre de renseignement pour les critiques futurs, et le même but est
atteint d'une façon plus agréable pour le lecteur, au moyen d'un apparatus criticus
bien disposé.
Il y a aussi un système conservateur inconséquent : c'est celui qui consiste à
s'attacher à la Vulgate, c'est-à-dire à l'édition qui est généralement acceptée
parmi les savants. Mais ce système exclut toute prétention au titre d'édition
savante; il a pour résultat de transformer la discussion critique en une simple
compilation.
M. M. a voulu être conservateur sans suivre toutefois l'un de ces deux
systèmes. Inutile de dire qu'il n'a tenté aucune correction. Il ne s'est pas rendu
bien compte de l'état de corruption dans lequel nous est parvenu le texte de
Nepos. Puisqu'il ne pouvait ou ne voulait pas approfondir par lui-même les
questions relatives aux manuscrits, il devait au moins s'en rapporter au jugement
des savants qui font autorité en philologie et reproduire tout simplement pour le
texte l'édition la plus récente de Nipperdey, ainsi que les raisons diplomatiques,
grammaticales ou autres qui ont engagé ce dernier à dévier du texte des éditions
ayant encore cours dans nos classes. Le choix de variantes dont nous avons
parlé plus haut se serait alors borné aux leçons des meilleure mss. pour tous les
cas où on s'écartait de l'archétype et à la mention des corrections les plus plau-
sibles proposées pour les passages douteux. En désignant par des lettres spéciales
certains groupes de mss. ou simplifie beaucoup ce genre d'indications. Un modèle
de choix de variantes a été donné p. ex. récemment par O. Jahn dans sa petite
édition des satiriques latins ' .
Mais M. M. ne s'étant pas astreint à ce travail, il en est résulté chez lui une
hésitation et une inconséquence regrettables. Lorsqu'il a voulu discuter le texte
dans ses notes, il s'est borné trop souvent à des désignations vagues dans l'indi-
cation des auteurs qui ont proposé des corrections : « certains éditeurs , »
« quelques critiques, » « on a voulu corriger, » etc. En outre tantôt il s'appuie
sur les meilleurs manuscrits, tantôt il transforme en autorité un manuscrit très-
inférieur ; parfois enfin il n'en cite aucun et se borne à défendre la Vulgate
aveuglément, sans même avoir l'air de se douter qu'il y a de fortes différences
dans les différents manuscrits.
Ainsi par exemple on lit dans son édition {Miltiade, V, 5) le passage suivant
où il est question des Athéniens à Marathon :
Acie e regione instructa, nova arte, vi summa prœHum commiserunt.
Namque arbores multis locis erant stratae, etc. et en note :
« Quelques critiques ont voulu corriger ce passage en faisant remarquer
» que la succession des idées n'y était pas suffisamment rigoureuse et que
» les mots vi summa venaient maladroitement s'intercaler entre nova arîe et
I. Berlin, Weidmann, 1868.
d'histoire et de littérature. j6i
» la phrase qui explique ce stratagème. Ce raisonnement nous semble subtil;
» et en relisant avec attention la phrase de Cornélius on n'y voit rien qui
» justifie une telle sévérité. »
Qui devinerait d'après cela que, si l'on a voulu corriger ce passage, c'est
qu'ici les manuscrits ne sont pas d'accord ? Les meilleurs donnent : nona partis
summa (Gifanianus, édit. d'Utrecht et prob. aussi le Parcensis) nona partis summa
{Danielinus) nana p. s. (Guelferbytanus) non apertis (Sangallensis); tous les autres
mss. donnent des variantes qui ne peuvent être considérées que comme des
conjectures ou des tentatives plus ou moins plausibles de corrections : « et non
apertissiraa, in parte montis summa, parte summa»; les plus mauvais ont la leçon
que M. M. a admise et qui est celle de l'ancienne Vulgate. Roth, en s'attachant
aux meilleurs textes, a proposé de lire : acie regione instructa non apertissima; la
répétition de e après acie, la fausse division des mots, la transformation de pertis
en partis, résultant de l'ancienne orthographe en suma des superiatifs, enfin le
redoublement de la lettre m de façon à donner summa, tout cela s'explique très-
facilement en paléographie ; on voit sans cesse une erreur de copiste en entraîner
plusieurs autres à sa suite.
Il est des cas où M. M. a su faire un choix intelligent entre la leçon de la
Vulgate, celle des manuscrits et les corrections de Nipperdey ; le bon sens
qu'il déploie dans ces cas, malheureusement exceptionnels, nous prouve que,
s'il eût pris la peine d'étudier un peu plus à fond la grammaire et la paléographie,
le style et les manuscrits de Cornélius, il eût été assez bon philologue. Citons-
les d'abord afin de montrer que nous n'agissons point de parti pris contre lui.
Milt. III, I : ipsarum, défendu aussi par Nipperdey. — IV, 3 : Phidippum. —
Them. VII, 4 : Deos publicos (quoique M. M. ne dise rien ici des rass,). — Paus.
III, 4 : clava (d'après Nipperdey). — IV, 5 : tam repentino consilio. — Lys. I,
5 : in numerum ib. confimaret (mss. rat). — Alcib. XI, i : consenserunt (Vulgate
contrairement à Nipperdey). — Thras. III, j : fuerant d'après Nipp. — Conon
V, 4 : periisse. — Dion V, 3 : attigerat. — Iphicr. II, 5 : impetus (Vulgate et
Nipp.). — III, 4 : Thressa (rien des mss.). — Chabr. I, 3 : his statibus in statuis
ponendis uterentur, in quibus. — Epam. V, 5 : Meneclides. — Pelop. III, i : usqiu
eo (rien des mss.). — Ib. 2 : Archino. — Eum. IX, 3 : praecipit (rien des mss.).
— Ib. 5 : idemque (rien des mss.). — Phocion IV, 3 : Eupbiletus. — Attic. III,
3 : etpatriam haberet et domum (comme les mss. contrairement à Nipp.). — Ib.
XVI, 3 : desideret (Nipp.). — XIX, 3 : Caesarem, en supprimant eum (Nipp.).
— XX, 2 : intercessiî (contre les meilleurs mss. dont M. M. ne parie pas).
Dans ces cas, disons-nous, nous sommes prêts à lui donner raison ou du moins
à reconnaître qu'il a des raisons plausibles, quoique, comme nous le signalons
entre parenthèses, il ait parfois négligé d'avertir dans ses notes que les mss.
n'étaient pas d'accord avec son texte, ce qui est en tout cas un tort dans une
édition savante. Mais, dans maint autre passage, il ne paraît s'être inquiété nulle-
ment des manuscrits, ni de la grammaire, ni de l'onhographe. — Nous passons
sous silence ce dernier point, quoiqu'il ait son importance. Il est évident que
Cornélius a écrit en général non-seulement Hamilcar, Hannibal, mais encore
?62 REVUE CRITIQUE
Thraex (et non Thrax, à cause de la forme grecque 0pâÇ=0PAiS, THRAEX),etc.
Passons à la grammaire.
L'étude attentive des mss. prouve que les copistes ont souvent confondu les
mois his et iis ou eis, parce qu'ils écrivaient presque partout hiis. M. M. n'a tenu
aucun compte de cette observation. Les règles du style classique relatives aux
temps et aux modes sont violées souvent, soit par simple négligence des copistes,
soit par suite de la confusion fréquente des lettres e et / (en majuscule), soit
enfin à cause des abréviations. Ici M. M. a été passablement inconséquent.
Tandis qu'il admet quelques corrections de cette catégorie", il repousse
Milt. IV, ^,auden (et dimican Fleckeisen, 1. c). — Paus. II, 5, polliceKEtur
(correction déjà admise par l'édition d'Utrecht). — Epaminondas IV, 6 : possE-
mus, Fleckeisen corrige avec raison possvmus, ce qui est confirmé au moins quant
au temps par le Codex Parcensis, lequel donne possmus. — Ce genre de correc-
tions suppose une connaissance sérieuse des règles de la consecutio temporum; il
y avait, rien que sur ce point, une belle moisson de restitutions à faire ou à
reproduire d'après des savants qui font autorité.
Relevons maintenant quelques cas variés où M. M. a péché soit en ne signalant
pas les variantes importantes des manuscrits, soit "en ne comprenant pas l'absolue
nécessité d'une correction de texte :
Préface, 4 : (juam plurimos habuisse amatores, qui devait figurer dans l'arché-
type, est une leçon très-probable. — Immédiatement après, cenam est égale-
ment la leçon de l'archétype et non scenam, ce qui dispensait M. M. de l'énorme
note qu'il consacre à ce mot. — Mitiade, V, 5 : quapugna nihil est adhucnobilius;
les mss. les meilleurs (dont le commentaire ne dit rien) ont hiis entre est et adhuc,
d'où M. Halm a tiré avec raison : qua pugna nihil extitit adhuc nobilius. — Ib.
VIII, j : les mss. ayant Chersoneso, il fallait admettre non la Vulgate Chersonesi
mais bien avec Nipperdey in Chersoneso, à cause de la construction générale de
la phrase : perpetuam obtinuerat dominationem. — Them. II, 5, rien des mss. dont
les variantes conduisent, comme l'a démontré Nipperdey, à la conclusion qu'il
faut lire non pas septingentorum millium peditum, equitum quadrigentorum millium
fuerunt, mais bien DCC peditum, equitum CCCC miiik fuerunt. — Lysand. I, i : rien
des mss. ; on trouve ici le texte de la Vulgate : in Peloponesios, la préposition in
manque dans tous les mss. M. Nipperdey a soutenu avec raison que Cornélius
n'employait la locution bellum gerere qu'avec la préposition adversus, qu'il
rétablit ici*. — Alcib. II, i : M. M. écrit divitissimum alors que tous les mss. ont
ditissimum, ce qui est évidemment exact (voir M. M. lui-même, p. 509, note 8).
— Thras. IV, 2 : les mss. portent cum Mitileni et multa milia iagerum et agri
munera darent, M. M. écrit, se conformant à la vieille Vulgate : quum ei Mitylenaei
multa millia jugerum munera darent, sans indiquer d'autre variante que celle pro-
posée par Lambin muneri; s'il eût bien étudié la phrase au point de vue gram-
1 . Confirmaret, periisse, attigerat, praecipit, desidcret, intercessit pour confirmarat, paisse,
attigerit, praeccpit, desid^rat, intercesserit.
2. Nous lirions de préférence in Peloponeso; romission de in après enim s'expliquant
plus facilement que celle d'adversus.
d'histoire et de littérature. 363
matical et paléographique, il eût reconnu que munera ne pouvait être conservé
qu'en admettant la transposition et la correction de Nipperdey : Cum Miîylenaei
agri munera ei, multa milia iugerum darent; en tout cas il devait citer le texte des
mss. en note. — Dion VI, 3 : qui quod Dioni, le dernier mot est une correc-
tion, il manque dans les mss. dont M. M. ne dit rien; encore la plupart portent-
ils qui quidem, ce qui rend plus probable la correction qui, quod ei. — Ib. IX,
3 : uî haberet qua fugereî ad saluîem; les mss. (dont les notes ne disent rien) ont
quo, leçon qui peut se défendre ou donner lieu à la correction de Halm quo au-
fugeret. — Iphicr. II, y. impetus (rien des mss. qui portent tous inceptus.) — Chabr.
I, 2 : fidenîEvi summuM ducEW Agesilavm; les mss. (rien en note) portent tous ces
mots à l'ablatif et M. Nipperdey a raison d'admettre ici une lacune. — Ib. IV,
2 : dum primus portum intrare studet et gubernatorem, les mss. (rien en note) ont
oublié la conjonction (et), sauf l'édition d'Utrecht et le Codex Parcensis qui ont
gubernatoremQVE.
Mais passons à des passages où M. M. montre décidément trop peu de souci
des règles de la langue et de la syntaxe latine et où il prétend maintenir des
phrases absolument inintelligibles :
Pelop. II, 2 : Hi omnes fere Athenas se contulerant, non quo sequerentur otium,
sed uî queruQUE ex proximo locum fors obîulisset, eo patriam recuperare niîerentur.
La longue note que M. M. consacre à ce passage a pour but de défendre la leçon
des mss. quemque. Il discute d'abord le sens de quo dans le premier membre de
la phrase ; il prétend que ce mot équivaut à ^wo^, et que no/z^uo^ signifie «non pas
» que ». Mais comment peut-il ignorer qu'ici plus que jamais quo est écrit pour
uî eo (et quo est en effet décomposé ainsi dans le second membre de la phrase),
que par conséquent non quo signifie « non pour y. » Dans le second membre de
la phrase quemque est insoutenable. Les exemples de Tite-Live cités à l'appui de
son emploi pour quemcumque ne prouveraient rien , alors même qu'ils seraient
incontestés ', car on pourrait soutenir que dans ces passages il y a au moins
une idée de distribution ou d'alternative, et ici ce n'est pas le cas : les exilés de
Thèbes s'en vont en un seul et même endroit, Athènes, et non pas chacun dans
la localité le plus à sa portée. La suppression de que n'a, paléographiqueraent,
rien que de très-facile et la construction de la phrase est très-simple : Sed uî niîe-
renîur paîriam recuperare eo loco quem ex proximo fors obîulisseî. Locum, accusatif
dépendant de obîulisset, est naturel, puisqu'il est placé après quem.
Eum. III, 5 : les mss. ont lîaque hoc eius fuit prudenîissimum, ut, etc. Les
copistes des mss. de troisième ordre ont senti que la phrase n'était pas latine et
ont ajouté consilium après prudentissimum ; ce mot a passé dans la Vulgate et a été
reproduit aussi par M. Monginot. Nipperdey a rappelé que ui suivi de l'imparfait du
subjonctif indiquait non ce qui avait été fait, mais ce qu'on avait l'intention de faire
^ 1. Dans ses deux éditions du De finibus de Cicéron (Excursus VI) Madwig a démontré
d'une manière irréfutable cjue puisque n'était jamais employé pour <]uiscumque et qu'il fal-
lait en conséquence rétablir les deux passages de Tite-Live qu'on cite ordinairement comme
exemples en effaçant la particule tjue.
964 REVUE CRITIQUE
à l'avenir. Dans le récit ita^ue annonce d'ailleurs le résultat des considérations
d'Eumène exposées auparavant par Cornélius. Enfin il faudrait au moins hoc ei
fuit. Donc il faut corriger de préférence, comme l'a fait Nipperdey : hoc ei uisum
est pradentissimum, ut (en abréviation et en scriptura continua : eiuifuft). En
outre Fleckeisen a eu raison de corriger au commencement de la phrase suivante
Itaque en Atque (ces deux mots sont parfois confondus par les copistes), car ce
second itaque est lourd et ne se relie pas logiquement à ce qui précède.
Hannib. VIII. 3 : in agenda bello, M. M. défend maladroitement cette expres-
sion contre la correction in gerendo bello, car elle n'est guère usitée chez les
auteurs classiques. Si M. M. avait pris la peine de lire jusqu'au bout le passage
du Spicilegium qui s'y rapporte , il aurait vu que le seul passage sur lequel il
s'appuie (Caes. Bell. Gall. III, 28, i) donne bellum gerere dans les bons mss.
Qu'y a-t-il d'ailleurs de plus facile que d'expliquer l'origine de cette faute,
puisque la syllabe re se remplace constamment par un petit signe placé au-dessus
du mot (gendo), signe qui pouvait passer inaperçu.
Hannib. XI, 6 : puppes averterunt, M. M. conserve cette leçon parce qu'elle ^
est dans tous les mss. et il la trouve très-claire. Les vaisseaux de Pergame ne 1
pouvaient cependant pas détourner (averîere) de l'ennemi leurs poupes, puisque
c'étaient les proues qu'ils lui présentaient. Il n'y a donc qu'à corriger, avec
Nipperdey verterunt qui seul signifie ce que M. M. veut faire dire à averterunt,
c'est-à-dire « virèrent de bord. »
Caton, II, 3 : iratus senatui, consulatu peracto. Nous accordons que jusqu'ici
cette phrase est peu éclaircie; mais ce qu'il y a de singulier, c'est que, dans sa
note, M. M. semble supposer qu'il a omis dans son texte le mot senatui, ou du
moins qu'il a laissé la forme donnée par les mss. {senatu, qui est, on le sait, une
ancienne forme du datif). C'est une simple inadvertance.
Attic. I, 2 : Pâtre usus est diligente, indulgente, et, ut tum erant tempora, diti;
il ne fallait pas beaucoup de clairvoyance pour comprendre (avec Fleckeisen)
que diligente devait être retranché ; que c'était une variante inscrite dans un ms.
au-dessus de indulgente (en outre il faut faire terminer en / chez Cornélius, ce
genre d'ablatifs; mais ceci est une question de grammaire qui dépassait les forces
de M. M.).
Attic. II, 4: ut neque usuram umquam ab his acceperit. M. M. repousse à tort la
correction iniquam qui en réalité ne constitue pas un changement, et qui donne
à toute la phrase un sens logique qu'il est impossible de retrouver dans les
explications diffuses de M. M.
Attic. VIII, 5 : libre à M. M. de rejeter, quoiqu'elle soit plausible, la correc-
tion dicis causa pour necis causa ; mais le reste de la phrase lui-même est absolu-
ment inintelligible tel que le donnent les mss. et tel qu'il est dans les éditions.
Les mots desperatis rébus provinciarum sont obscurs ; ce n'étaient pas les affaires
des provinces qui allaient mal, mais celles de Brutus et de Cassius. Il faut
admettre qu'il y a une lacune. Nous ne savons comment, avec l'édition de M. M.
un professeur expliquerait ce passage; quoiqu'il y ait des notes fort longues,
elles ne touchent rien à la vraie difficulté. Il est vrai qu'on voit tous les jours des
d'histoire et de littérature. 365
traducteurs estimés enjamber des montagnes sans sourciller, de peur d'avoir l'air
de ne pas comprendre.
Attic. IX, 4 : ut nullum illa stiteriî vadimonium sine Attico, qui sponsor omnium
rerum fuerit. — Ici rien des mss. qui omettent le mot cjui. C'est Lambin qui l'a
inséré, ce qui ne rend pas la phrase plus claire ni plus latine. M. Fleckeisen seul
a trouvé la vraie correction, bien moins « téméraire » que celle de Lambin :
QUiN Atîicus omnium rerum sp. f.
Attic. X, 4 : les mss., dont M. M. ne dit rien, ont se eum et illius Canum de
proscriptorum numéro exemisse; il s'agit d'Antoine écrivant à Atticus qu'il l'avait
effacé des listes de proscription avec son ami Gellius Canus dont le nom figure
quelques lignes plus haut. Il est évident qu'il y a ici une erreur ou une lacune.
Déjà quelques mss. de troisième ordre ont corrigé : et illius causa Canum (Mona-
censis) ou eum et Gellium Canum (Codex Coll. R.). M. M., sans en rien dire
en note, a voulu abonder en corrections, il a réuni les deux en une seule et lit :
se eum et illius causa Gellium Canum. Nous n'aurions rien à dire contre cette
restitution, qui pourrait s'expliquer à la rigueur par le fait que l'œil du copiste
aurait sauté des lettres llius aux lettres lUu, ce qui lui aurait fait omettre les mots
causa Gellium; mais ce qui nous fait douter de son exactitude, c'est' la singularité
qu'il y aurait à changer de pronom (eum illius), alors que les deux se rapportent à
la même personne. Nous préférons lire par conséquent la leçon eum et GELLIVM
CANVM (devenu d'abord Gilliû Canïï puis illius Canli).
Attic. XV, 2 : Idem in nitendo quod semel annuisset, M. M. dit ici : « niîendo
» équivaut à nitendo praesîare; il ne nous semble pas, comme on l'a prétendu,
» qu'il y ait là une ellipse un peu forte » (!). A cette remarque nous préférons
la correction si simple de Nipperdey quum semel a.
Attic. XVII, I : quum esset septem et sexaginta (se. annis). M. M. a encore
oublié de dire que le mot esset manquait dans l'archétype et que, s'il se trouvait
dans le Sangallensis ce n'était qu'une correction, remplacée dans d'autres mss.
par haberet. Nipperdey a raison de remplacer ces conjectures par annis (l'abré-
viation commune ann. en cursive peut facilement se confondre avec eum).
Terminons ici cette liste déjà fatigante pour le lecteur; nous pourrions l'étendre
encore assez facilement. Passons à la partie expHcative du commentaire à laquelle
nous reprocherons une trop grande prolixité et un choix d'observations qui n'est
pas tout à fait bien digéré. M. M. nous dit dans sa préface que la partie histo-
rique du commentaire avait été faite par Lambin, mais qu'il a scrupuleusement
vérifié les passages cités et qu'il s'est aidé surtout de Bremi. Nous ne nous
sommes pas astreints comme pour la partie critique à une étude détaillée des
sources de seconde main auxquelles M. M. a puisé. Pour l'explication gramma-
ticale nous avons déjà montré par quelques passages combien elle laissait à
désirer. Citons au hasard quelques remarques qui nous ont frappé par leur
inexactitude.
Préf. 4 : à propos du mot scenam nous trouvons, comme nous l'avons dit, une
note énorme qui est rendue en partie inutile par la découverte du Codex Parcensis
lequel donne la leçon cenam puis, quelque lignes plus loin à propos de in scenam
566 REVUE CRITIQUE
prodire, nouvelle note qui nous apprend que cette dernière locution signifie
« paraître sur la scène en qualité d'acteur » tandis que la première, ad scenam ire
signifie aller au spectacle. Nous voudrions bien savoir oii M. M. a puisé ce pré-
cieux renseignement, et s'il peut citer un seul exemple analogue dans la littérature
latine.
Them. IV fin : « consilio, ruse cf Plutarque, XV : Ssivotyiti GeinaTox^Éoyç. »
Ce n'est pas une raison pour traduire consilio par « ruse , » alors qu'il signifie
» habileté. » — Milt. V, i (note 2) : « Hérodote (VI, 108) dit que les Platéens
)) envoyèrent deux mille hommes. » Hérodote n'en dit pas un mot. — Alcib. II,
I (p. 86, note 4) : « eminisci, vieux mot, « M. M. aurait pourtant pu voir par le
Spicilegium de Nipperdey que ce mot ne se trouvait pas dans les mss. de Varron
au passage cité. — Thras. III, 3 : dans son texte M. M. joint par la ponctuation
publiée à prohibait et en note (p. 1 10, n. 7) il dit : « au nom de l'État et de la
loi qu'il avait fait voter. Mais il faut ponctuer cum quibus in gratiam reditum erat
publiée, comme le bon sens l'indique. — Epam. X, i (p. 190, note i) :
« Qui filium habebat infamem .-Plutarque dit bien que Pélopidas avait des enfants,
» mais il n'en indique pas le nombre et ne dit pas qu'aucun d'eux se soit fait
» remarquer par sa mauvaise eonduite. » Voilà une traduction bien peu rigoureuse
dHnfamis = S.-:i[Loci, terme technique en latin comme en grec, qui désigne un per-
sonnage exclu de la cité, mis hors la loi par sentence juridique. — Eum.
VII, 2 (p. 236, n. 6) : quod et fecit, leçon des mss. qu'on a corrigée avec raison
quod effeeit, est justifiée ainsi : « le verbe facere a un usage assez étendu pour
» qu'on ne s'étonne pas de le voir employé ici. Catulle a dit de même : Quod
» volait feeit; » ce « de même » est charmant. — Timol. III, 4 : les mots tantum
haberet amorem Sieulorum ut regnum obtineret que M. M. donne dans son texte,
sont expliqués ainsi (p. 263, n. 8) : « Obtineret équivaut ici à obtinere posset.
C'est la tournure grecque wctts avec l'infinitif; comment deviner que cette seconde
explication se rapporte à une autre leçon : obtinere, admise non sans raison par
plusieurs éditeurs, mais dont M. M. ne dit rien. — Cato I, i : nous lisons à la
note I : « Il porta » d'abord le surnom de Priscus; « comment M. M. peut-il
ignorer que c'est là une erreur de Plutarque et que le surnom de Priscus ne fut
donné à Caton que pour le distinguer de Caton d'Utique.? — Caton, III, i (p.
306, n. i) : « probabilis (orator). Cette expression indique que Caton se distingua
» par son talent oratoire. » Ce que M. M. oublie, c'est précisément d'expliquer
la portée du mot probabilis.
Quoique M. M. attache beaucoup d'importance aux passages parallèles des
auteurs grecs ou latins qu'il a cités textuellement dans ses notes, nous ne pouvons
nous empêcher de regretter qu'il ne se soit pas restreint un peu plus pour faire
place à d'utiles indications chronologiques ou bien pour rectifier les nombreux
points d'histoire dans lesquels Cornélius a fait erreur. Cet auteur est le premier
classique latin qu'on mette entre les mains de la jeunesse. Il importe que pour le
texte comme pour l'histoire il soit rectifié le plus possible, afin qu'il ne laisse pas
dans les jeunes cerveaux des idées confuses sur la syntaxe latine ou des notions
inexactes sur les événements de l'histoire ancienne. C'est surtout sous ce dernier
d'histoire et de littérature. 567
rapport que M. M. eût pu largement profiter du commentaire de Nipperdey et des
principes généraux exposés par ce dernier dans la préface de son édition de 1 849.
Nous ne terminerons pas ce compte-rendu sans exprimer le regret d'avoir dû
être si sévère pour l'édition de Cornélius publiée par M. Monginot. Mais com-
ment ne pas éprouver un certain chagrin en voyant se perdre une occasion si
belle de faire une bonne édition. On trouve trop rarement en France une librairie
disposée à donner aux auteurs d'éditions classiques une entière liberté pour la
dimension et le genre du commentaire et pour le remaniement du texte. MM.
Hachette ont pris une initiative généreuse, et ils méritent de trouver des savants
qui répondent à leurs vœux « de faire honneur à l'érudition de notre pays, de
fonder une école de philologie française, enfin, de bien mériter du monde savant
et universitaire. » — Nous voudrions pour notre faible part contribuer à la
réussite de cette œuvre, et nous ne pouvons le faire qu'en rappelant aux principes
élémentaires de la philologie ceux des éditeurs qui s'en écartent ou qui ne croient
devoir donner à leur travail qu'un vernis superficiel d'érudition.
Ch. M.
245. — Recherches sur les empereurs qui ont régné dans les Gaules au III* s.
de l'ère chrétienne, par J. de Witte. In-4* de 202 p. et 49 pi. Lyon, L. Perrin,
1868. — Prix : 50 fr.
Depuis plusieurs années M. le baron de Witte recueille patiemment tous les
monuments qui peuvent servir à faire l'histoire complète de l'un des épisodes les
plus intéressants de l'histoire de la Gaule romaine : je veux parler des quinze
années qui s'écoulèrent entre 258 et 27?, c'est-à-dire depuis l'usurpation du
titre d'empereur par Posthume jusqu'au jour oîi Tetricus, dans les plaines de
Châlons-sur-Marne, trahit sa propre armée et se soumit à Aurélien. Quelques
textes, une grande quantité de monnaies, et des inscriptions contemporaines ,
tels senties éléments qui permettent à M. de W. d'atteindre le but qu'il s'est
proposé. — Le volume qui vient de paraître sera le second , et il fait désirer
la prompte publication du tome l"', qui contiendra l'histoire proprement dite,
et la reproduction des monuments épigraphiques. — Ce volume ne contient
que les planches et la description exacte des nombreuses monnaies que l'auteur
a recueillies dans toutes les collections publiques et particulières. En agissant
ainsi M. de Witte a eu pour but de faire connaître tout ce qu'il avait pu réunir
jusqu'ici au point de vue numismatique; c'était le meilleur moyen d'arriver à
connaître les pièces qui lui avaient échappé. Son appel a été entendu, et nous
savons que des exemplaires très-curieux lui ont été signalés depuis , en assez
grand nombre pour nécessiter des planches supplémentaires
La science et l'exactitude de M. de W. sont trop notoires pour que la descrip-
tion donnée en tête du volume ne soit pas à l'abri de la critique; les planches
sont magnifiques : on peut dire que ce livre est un véritable monument dont la
place est marquée dans toutes les bibliothèques publiques. C'est une preuve
éloquente de ce que l'épigraphie et la numismatique peuvent donner à l'historien
pour réédifier sur des bases certaines le récit des événements.
?68 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
Nous verrons avec curiosité de quelle manière l'auteur appréciera cette révo-
lution appelée par quelques personnes Vempire gaulois : il nous apprendra s'il y
eut véritablement là un réveil du sentiment national, ou si, plutôt, les augustes
gallo-romains ne régnèrent pas avec le consentement tacite des augustes de Rome,
pour défendre les frontières rhénanes des invasions germaines. M. de Witte nous
mettra également au courant de ce que l'on sait de ce gouvernement si court, et
qui cependant laissa des traces nombreuses de son passage, particulièrement au
point de vue de la création et de l'entretien des voies de communication. Faisons
des vœux pour que le savant académicien ne nous fasse pas attendre trop long-
temps le complément de son œuvre, non moins intéressant pour nos voisins
d'outre-Rhin que pour nous autres Gaulois.
Anatole de Barthélémy.
246. — Une église réformée au XVIP siècle, ou histoire de l'église wallonne de
Hanau depuis la fondation jusqu'à l'arrivée dans son sein des réfugiés français, par J.-B.
Leclerc. Hanau, 1868. 293 p. — Prix : 6 fr.
L'église wallonne de Hanau date de 1 597, A cette époque, le comte Philippe-
Louis II, de Hanau-Munzenberg, traita avec un certain nombre de familles
wallonnes et hollandaises, qui, après avoir quitté les Pays-Bas sous Charles V,
s'étaient vu expulser successivement de l'Angleterre et de la ville libre de Franc-
fort. Les émigrés s'engageaient à construire une ville près de la résidence de
Hanau; on leur garantissait, par contre, leur constitution presbytérienne, leur
confession de foi, leur langue, en un mot leur indépendance complète vis-à-vis
des églises du comté. En 1642, la branche luthérienne de Hanau-Lichtenberg
succéda à la branche réformée de Hanau-Munzenbcrg. Le culte luthérien, pros-
crit jusque-là, ne tarda pas à s'introduire dans le pays; en 1670 l'égalité entre
les deux confessions fut définitivent proclamée, après que la résistance des
réformés se fut prolongée pendant trente années, M. L. raconte les divers inci-
dents de la lutte ; il décrit les relations de l'église wallonne avec le gouverne-
ment du pays et le sénat de la ville de Hanau, avec les églises du comté et celles
du dehors; enfin il trace le tableau de la situation intérieure et de l'organisation
de la colonie réfugiée. On trouve dans son livre certains détails curieux, p, ex.
sur l'habitude que les descendants des Wallons ont toujours gardée de célébrer
le culte en français, bien que la langue allemande leur soit devenue plus familière.
Mais le lecteur se fatigue bien vite à chercher les rares renseignements utiles ou
curieux que peut contenir cet ouvrage , diffus , mal écrit et beaucoup trop long
pour le sujet qui y est traité. Les sources auxquelles M, L, a eu recours sont:
les archives de l'église wallonne de Hanau , les archives de la nouvelle ville de
Hanau, et les mémoires de Sturio, docteur et 2" Schultheiss de cette ville. Ces
mémoires embrassent la chronique de la ville neuve de Hanau de 1 597 à 1620,
et forment ? vol. petit in-fol. A. Schillinger.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Fûrst Lobkowitz geheim. Rath Leopold's I. — F. Haagen, Geschichte Aachen's.
Critique peu favorable par M. C. Hegel. — Th. Juste, Léopold I" roi des Belges.
— H. DE Laferrière, Deux années de mission à Saint-Pétersbourg. — C.-U.
Chevalier, Letbert, abbé de Saint-Ruf. — Lecoy de la Marche, Œuvres de Suger.
— ID, La Chaire française au moyen-âge. — Marie , Essai sur le chancelier de
fHospital. — Klipffel, Le Colloque de Poissy. — A, Kluckhohn, Zur Geschichte
des angeblichen Biindnisses von Bayonne. Travail curieux sur l'entrevue de Catherine
de Médicis avec le duc d'Albe en 1565. — De Noailles, Henri de Valois et la
Pologne en 1 572. — T. de Larroque, Notes sur Jean de Monluc. — Loiseleur,
Problèmes historiques. — A. Baschet, Le Roi chez la Reine ou hist. secrète du
mariage de Louis XIII (non pas Louis XIV comme l'imprime la Zeiischrift). —
Ravaisson, Archives de la Bastille, II. — Frosterus, Les insurgés protestants sous
Louis XIV. — Dareste, Histoire de France, t. VI. — Rousset, Le comte de
Gisors. — Despois, Le Vandalisme révolutionnaire. — Dauban , La Démagogie en
1793 à Paris. — Claretie, Les derniers Montagnards. — Lanfrey, Histoire de
Napoléon P'. — D'Haussonville, L'Eglise romaine et le premier empire. —
Steenackers, L'invasion de 1814 dans la Haute-Marne. — T. Delord, Histoire
du second empire, I. — D'Arbois de Jubainville, Histoire des ducs et comtes de
Champagne. — Clouet, Histoire de Verdun. — Coriolis, Dissertation sur les États
de Provence. — 0. Hartwig, Aus Sicilien. Cultur- und Geschichtsbilder. — Lettre
inédite du consul Bonaparte au général autrichien Mêlas, du 20 juin 1800, com-
muniquée par G. Wolf, et tirée des archives du ministère de la guerre, à Vienne.
_ III. W. MÙLDENER, Bibliotheca historica, aperçu de toutes les publications
historiques parues en Allemagne et à l'étranger de janvier à juin 1869. On est
heureux de rencontrer dans cette bibliographie , d'ailleurs très-consciencieuse-
ment compilée , quelques-unes de ces bévues que les Allemands aiment tant à
nous reprocher. Ainsi l'on voit figurer p. 54 le Cinq-Mars de Vigny sous la
rubrique Histoire de France, et le roman de Mario Uchard, Jean de Chazol, à la
p. 121, sous la rubrique Biographies et Mémoires.
Zeitschrift fur bildende Kanst, par R. de LuTZOW. Leipzig, Seemann.
4«vol. liv. 8 à 12.
Chefs-d'œuvre de la galerie de Brunswick : portrait d'homme par Antonio
Moro; — le Fauconnier, par F. Floris (avec eaux-fortes de \V. Unger). —
EiTELBERGER. Edouard van der Nûll et Auguste de Siccardsburg. — Le concours
pour le dôme de Berlin. — J. Falke, Développement historique de la broderie.
— Mer orageuse de Ruisdael (eau-forte de Flameng). — Schulcz Ferencz,
Constructions profanes de Rome et des environs. — Bruno Meyer, Edouard
Hildebrandt. — lo. Le Monument de Schinkel par Oncke. — La Renaissance
en France, par Schnaase. Compte-rendu du livre de M. Lûbke, Cf. Rev. crit.,
1869, art. 20. — Chefs-d'œuvre de la galerie de Brunswick. Portrait d'homme,
par F. Hais (eau-forte d'Unger). — Jul. Meyer, Leone Battista Alberti ; cet
article est un spécimen de la nouvelle édition du Dictionnaire de Nagler. —
Rob. ZiMMERMANN, Revue Esthétique. — M. Carrière, Michel Ange et la Réfor-
mation. — Chefs-d'œuvre de la galerie de Brunswick. Les dunes, paysages
par J. van der Meer de Hadem (eau-forte d'Unger). — Langershausen, Les
artistes parisiens et la Révolution française, de 1789 à 1795. — W. Schmidt
Exposition rétrospective à Munich. — Bibliographie. Choix de vases grecs
inédits, etc., publiés par Frœhner (compte-rendu par Engelmann). — Sieben
Karten zur Topographie von Athen, von Emst Curtius (par Bursian), — Beitrxge
zur Geschichte der griechischen Plastik, von Al. Conze (par Lutzow). — D/é Kunst
m Zusammenhang der Cultur entwickeluug und die Idéale der Menschheit, von M.
Carrière, 3«vo1. 2" partie; Kunst und Kunstgewerbe, von F. Trautmann (par
Meszmer. Cf. Rev. crit., 1869, art. 84). — H. Weisz, Kostiimkunde, livr. 1-4
(par Falke). — Winckler, Die Wohnhauser der Hellenen (par R. Engelmann).
BIBLIOTHÈQUE
DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
publiée sous les auspices du Ministère de l'Instruction publique.
Sciences philologiques et kistoriques.
i""" fascicule. La Stratification du langage, par Max Mùller, traduit par
M. Havet, élève de l'École des Hautes Études. — La Chronologie dans la for-
mation des langues indo-germaniques, par G. Curtius, traduit par M. Bergaigne,
répétiteur à l'École des Hautes Études. In-8o raisin. 4 fr.
Forme aussi le i" fascicule de la Nouvelle Série de la Collection philologique.
2" fascicule. Études sur les Pagi de la Gaule, par A. Longnon, élève de
l'École des Hautes Études. In-80 raisin avec 2 cartes. 3 fr.
Forme aussi le i" fascicule de la Collection historique.
AT /^ TV T /^ TV T r-\ TV T Le Livre des Vassaux du Comté de
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le manuscrit unique des Archives de l'Empire, i fort vol. in-80. 7 fr. 50
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• yy D Ci IX LJ i v^ iS. im Orient waehrend der letztin Haelfte
d. dritt. Jahrh. nach Christus (254-274). Ein Beitrag zur Geschichte d. rœm.
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r\» 11 /\^o/\ IN Sprache m. besond. Rûcksicht auf den aegypti-
schen Dialekt. i vol. in-8°. 8 fr.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
N* 50 Quatrième année 11 Décembre 1869
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
RECUEIL HEBDOMADAIRE PUBLIÉ SOUS LA DIRECTION
DE MM. p. MEYER. CH. MOREL, G. PARIS.
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de la France, contenant: 1° les patois normand» picard, rouchi, wallon, man-
ceau, poitevin, champenois, lorrain, bourguignon, ainsi que ceux du Centre de
la France; 20 les termes populaires et néologiques du langage parisien, qui
manquent dans tous les dictionnaires; 3° les termes populaires qui se rencontrent
dans les auteurs tant anciens que modernes ; 40 la prononciation des idiomes
populaires; 5° des notices historiques sur la prononciation de la langue litté-
raire.
Cet ouvrage sera publié par livraisons de 1 0 à 15 feuilles d'impression et sera
complet en 1 o livraisons au plus.
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A D i_i 1 v_y 1 II I_iV>/\ des ouvrages, recueils et mémoires
relatifs aux langues orientales et à la philologie comparée parus en Allemagne
depuis 1850 jusques et y compris 1868, publié par C. H. Hermann. i vol. in-
8". 3 fr. 50
PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
Literarisches Centralblatt fur Deutschland. N° 47. 13 novembre.
Théologie. Renan, Saint Paul (Paris, Lévy; critique très-sévère ; la traduction
allemande, dont il est rendu compte en même temps, paraît fort médiocre). —
Histoire. Colucci, Gli Equi, I (Florence et Turin). — Plath, Nahrung, Kleidung
und Wohnung der alten Chinesen; ûber Schule, Unterricht und Erziehung bel
den alten Chinesen (Mûnchen, Franz; opuscules très-instructifs). — Brunner,
Die Mysterien der Aufklserung in Œsterreich, 1770- 1800 (Mainz, Kirchheim;
ouvrage clérical). — Jurisprudence. Melanthonis de legibus oratio ex rec.
MuTHER (Weimar, Bœhlau). — Linguistique. Histoire littéraire. Benfey,
Geschichte der Sprachwissenschaft (dont nous allons rendre compte ; M. Delbrùck
qualifie ce livre de gsnzlich verfehlt). — Grasberger, Noctes indicae (voy. Rev.
crit., 1869, art. 65). — Blass, Die attische Beredsamkeit von Gorgias bis
zu Lysias (Leipzig, Teubner). — Thomas, Ein lateinisches Glossar des 9. Jahr-
hunderts (Mùnchen, Franz; publié diplomatiquement d'après le Codex mona-
censis lat. 6210). — Wûlcker, Beobachtungen auf dem Gebiete der Vocal-
schv^aechung im mittelbinnendeutschen (Frankfurt a. M.). — Kœlbing, Die
nordische Parzivalsaga und ihre Quelle (Wien, Gerold; intéressant). — Dunger,
Die Saga vom trojanischen Kriege in den Bearbeitungen des Mittelalters (Leipzig,
Vogel; excellent travail). — Archéologie. Schlie, Die Darstellungen des troischen
Sagenkreises auf etruskischen Aschenkisten (Stuttgart, Ebner; introduction à la
publication de ces monuments, que doit prochainement faire M. Brunn pour
l'Institut de correspondance archéologique de Rome). — iiocrToXâxa;, KaTâ).oYo;
Twv àp;(aiwv vo|jLt(T(jiaTwv twv vviawv Kepxupaç, A£Ûxa5oç, ]6àxYiç, Keça^XYivia;, Zaxuvôou xal
KuOripôv (Athènes, Wilberg). — Mélanges. Huber, Die lateranische Kreuzpinne,
oder das Papstthum als Hemmschuh der Vœlkerwohlfartht. L Die Paepste als
Menschenschlaechter (Bern, Haller; le titre de ce livre le caractérise suffisam-
ment).
The Academy. I J novembre.
M, Arnold, Sainte-Beuve. — Brisbane, The Early Years of Al. Smith (W. M.
Rossetti). — Grettis Saga. The Story of Grettir the strong, translated by W.
Morris and Eiriker Magnusson (Simcox, article faible).^ — Ch. Hemans,
A History of Médiéval Christianity and sacred art (Sidney Colvin, article générale-
ment favorable). — Renan, Saint Paul (J.-B. Lightfoot; second art., ayant pour
objet la critique des idées et des faits). — R. Sinker, Testamenta XU Patriar-
charum (Br. F. Westcott; art. très-favorable). — R. Williams, The Nicoma-
chean Ethics of Aristotle, newly translated into English (Thursfield). — Tozer,
Researches in tbe Highlands of Turkey (Boase ; récit d'un voyage archéologique
fait en 1853, 1860 et 1861 dans le nord de la Grèce). — J. Eckardt, Baltische
und russische Cultursîudien aus zwei Jahrhunderten (Waring; recueil de plusieurs
essais, dont l'un, sur l'état de l'église russe, paraît particulièrement intéressant).
— Recueil des historiens des Gaules et de la France, nouvelle édition, sous la
direction de M. L. Delisle (Kitchin; simple annonce qui n'est pas dépourvue
d'erreurs). — Jacobi, Episcopi Edesseni, epistola de Orthographia Syriaca,
éd. J.-P. Martin; A letter by Mar Jacob, bischop of Edessa by G. Phillips
(Payne Smith). — Dumichen, Resultate d. aufSefehld. K. Wilhelm I von Preussen
nach Oberegypten entsendeîen arch.-photogr. Expédition (R. St. Poole). — The
Homilies of Aphrates, edited by W. Wright (Sachau). — Terentii Comoediae,
by W. Wagner (Nettleship ; bon résumé des faits acquis). — Rœnsch, Itala
und Vulgata (J. Wordsworth; nous rendrons compte prochainement de ce livre.
— Bernays, Die heraclitischen Briefe (Bywater, cf. Rev. crit., 1869, art. 129).
— Wecklein, Curae epigraphicae (Hicks).— Gladstone, Juj^e/z/w Mundi (Munro;
courte et judicieuse appréciation.
REVUE CRITIQ^UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 50 — 11 Décembre — 1869
Sommaire : 247. Oppert, Mémoire sur les rapports de l'Egypte et de l'Assyrie. —
248. PiNDARE, éd. Christ. — 249. Semper, les Philippines et leurs habitants.
247. — Mémoire sur les rapports de l'Egypte et de l'Assyrie dans l'an-
tiquité, éclaircis par l'étude des textes cunéiformes, par M. Oppert.
(Extrait de la 1" partie du tome VIII des Mémoires présentés par divers savants à
l'Académie des inscriptions et belles-lettres.) — Paris, librairie A. Franck, 1869. —
— Prix : 12 fr.
Il y a dans l'histoire d'Egypte peu d'époques aussi inconnues que celle qui
sépare laXXIP et la XXVP dynastie de Manéthon. Quelques indications éparses
sur les murailles de Thèbes ou sur les stèles du Sérapéum et de Gebel-Barkal,
quelques allusions semées, comme au hasard, dans les livres saints des Juifs,
nous laissent deviner des temps d'affaiblissement et de souffrance durant lesquels
la vallée du Nil, divisée en petits États, ruinée par des dissensions continuelles,
passa de main en main, de dynastie en dynastie, sans règle ni raison, jusqu'au
moment où l'invasion éthiopienne vint ajouter au.x malheurs de la guerre civile
la honte d'une conquête étrangère; mais ces documents eux-mêmes sont trop
rares et les renseignements qu'ils nous fournissent trop incohérents pour nous
permettre de descendre dans le détail des faits. En attendant le jour oili les ruines
de Tanis, de Bubaste, de Mendès, de Sais et de ces grandes villes du Delta dans
lesquelles s'était concentrée la vie politique du pays, seront complètement explo-
rées, c'est au dehors qu'il faut chercher les moyens de dissiper en partie
l'obscurité fâcheuse qui nous cache cette partie de l'histoire ancienne. Or, dès
l'instant qu'on sort de l'Egypte, où trouver un guide meilleur que les inscriptions
cunéiformes ? Nous connaissions déjà par les révélations partielles de MM. Hincks
et G. Rawlinson l'existence de rapports étroits entre les deux civilisations rivales
de l'ancien monde, mais la suite complète des événements demeurait ignorée.
M. Oppert s'est chargé de nous l'apprendre dans le mémoire qu'il vient de
publier.
Je dois avouer qu'à la première lecture de ce mémoire j'avais été saisi d'un
effroi bien légitime. Pour refaire l'histoire de Tàhràqà, M. Oppert n'avait à sa
disposition que des documents misérablement mutilés : dans certains cas le bas
des colonnes a péri, ailleurs, la fm des lignes est seule restée à peu près intacte '.
Compléter et traduire des textes aussi frustes me paraissait une entreprise pour
le moins hasardeuse. Toutefois un examen attentif des restitutions proposées
m'a convaincu de leur parfaite justesse. Les assyriologues de profession pourront
contester l'exactitude d'un mot ou l'opportunité d'un membre de phrase secon-
I. Oppert, p. 47.50.
VIII 24
370 REVUE CRITIQUE
daire : mais en somme, quelque critique que l'on fasse des menus détails, l'en-
semble lui-même subsiste, la vérité historique sort de ces débris si merveilleuse-
ment restaurés, et s'impose invinciblement à l'esprit.
Les rapports entre l'Egypte et l'Assyrie remontent à une époque beaucoup
plus ancienne que celle à laquelle atteignent les inscriptions ninivites connues
jusqu'à présent. Ils datent du xix" ou du xviii* siècle avant notre ère, et se con-
tinuèrent jusqu'au temps des Ramessides, sans que jamais les armées des deux
empires se soient mesurées sérieusement sur les champs de bataille. Ils cessèrent
au moment où les rois-prêtres de la XX® dynastie abandonnèrent la Syrie, pour
ne reprendre que vers le commencement du ix® siècle. Nous rencontrons alors
un texte où Salmanasar III se vante d'avoir perçu en Egypte un tribut composé
de chameaux à double bosse, de singes, d'un rhinocéros, d'un hippopotame et
d'un éléphant dont il orna sa ménagerie '. La mention des chameaux est d'autant
plus curieuse que ces animaux ne sont figurés, que je sache, sur aucun des monu-
ments connus. Une mention au papyrus Anastasi n° I ^, une figurine, publiée par
Cailliaud dans les planches de son Voyage à l'Oasis de Thèhes, étaient les seules
preuves que nous eussions de l'existence du chameau en Egypte. Il faudra joindre
désormais à ce mince bagage, le fragment de l'obélisque de Sardanapale. Un
autre document du même temps cite des crocodiles du Nil envoyés par le roi
d'Egypte. Ce qui fait l'intérêt du passage, c'est que le scribe assyrien, faute de
mots purement sémitiques, a pris le nom égyptien /zà-em^u/z' «les crocodiles», et
l'a transcrit tel quel en caractères cunéiformes 3. A ces envois de bêtes curieuses
se bornèrent les relations des Pharaons avec l'Assyrie, tant que la puissance
des Juifs demeura intacte et que les États Israélites servirent de boulevard à
l'Egypte.
Mais Samarie détruite et Israël abattu, l'Egypte et l'Assyrie se trouvèrent en
présence l'une de l'autre, sans aucun intermédiaire qui les séparât. Toutes les
contrées qui bordent le Nil étaient alors soumises à Sabacon, le premier roi de la
dynastie éthiopienne. Ce prince semble avoir prévu les malheurs que le voisinage
des Ninivites devait un jour attirer sur son royaume et voulut les conjurer.
Entretenir l'agitation parmi les tribus syriennes, pousser à la révolte ouverte les
chefs mécontents, reconstituer, s'il était* possible, un État assez puissant pour
servir de rempart à l'Egypte, tel fut dès le premier instant, le but vers lequel
tendit toute sa politique. Il décida à la rébellion Hanon, roi de Gaza, et, lorsque
Sargon eut franchi l'Euphrate pour soumettre les Philistins, Sabacon et ses Éthio-
piens marchèrent résolument à la rencontre du monarque ninivite. Malheureu-
sement, les soldats africains avaient perdu les qualités militaires qui leur avaient
jadis assuré la victoire sur les peuples asiatiques. Ils furent battus à Rapih (Raphia);
leur allié tomba entre les mains du vainqueur, et Sabacon lui-même eût été pris,
si un pâtre ne l'avait guidé dans sa fuites.
1. 0pp., p. 9-10.
2. An. I, xxiij, 1. $. Chabas. Voyage, p. 220.
3. 0pp., p. 10.
4. Id., p. 11-12.
d'histoire et de littérature. 371
Cette défaite arrêta un moment la lutte : l'Egypte se résigna pour quelque
temps à payer tribut'. Toutefois les guerres continuelles qui troublèrent les
dernières années de Sargon et les premières de Sennachérib rendirent courage
aux vaincus. Ils soutinrent Ezéchias dans sa tentative de restauration du royaume
de Juda, et, quand Sennachérib, après avoir pacifié la Mésopotamie, parut en
Palestine, ils avaient assez oublié la leçon de Raphia pour oser attendre de pied
ferme le choc des armées assyriennes. Cette fois encore la fortune leur fut con-
traire. Atteints sur le territoire de l'ancienne tribu de Dan, près d'Altaku, les
Ég}'ptiens et leurs alliés furent mis en déroute 2. A la suite de cette défaite, Lachis
se rendit 5, et le roi d'Assyrie allait achever la défaite d'Ezéchias, par la réduction
de Jérusalem, quand l'approche d'une nouvelle armée égyptienne vint suspendre
le cours de ses succès. Les Assyriens, campés près de Libnah (Péluse) furent
attaqués par les fièvres du Delta et périrent presque tous 4. A la vue du désastre
inattendu qui frappait leurs adversaires, Égyptiens et Juifs crurent à une inter-
vention miraculeuse de la divinité et firent honneur de leur délivrance, les uns
à Phîhah 5, les autres à Jéhovah^. Sennachérib, échappé à grand peine, retourna
en Assyrie où des révoltes perpétuelles le retinrent jusqu'à sa mort en 680 7.
Son fils et son petit-fils réparèrent glorieusement cet échec. Abydenus rappor-
tait à'Asarhaddon qu'il avait fait de l'Egypte une province de son empire*.
Asarhaddon rencontra sur les bords du Nil un des hommes les plus énergiques
du temps, Tàhràqà, le roi conquérant à qui la tradition grecque attribuait la
conquête de l'Afrique entière?. Il prit néanmoins Memphis, contraignit Tàhràqà
de se retirer en Ethiopie '° et organisa l'Egypte sur le modèle des autres provinces
de son empire. Il laissa une indépendance apparente aux vingt princes qui se
partageaient alors le pays, et dont le plus connu, Néchao, père de Psammétik,
régnait sur les villes de Memphis et de Sais, mais établit pour les surveiller des
gouverneurs assyriens, appuyés sur de fortes garnisons ' ' . Aussi, le premier de sa
race, put-il s'intituler « roi des rois d'Egypte, de Pà-to-rés (la Thébaïde), et de
Ces conquêtes avaient rempli les dernières années de sa vie. A sa mort,
Tàhràqà, profitant de l'incertitude occasionnée par un changement de règne,
reconquit toute la vallée du Nil, sauf quelques cantons du Delta, où les débris
des garnisons assyriennes se maintinrent péniblement. Le nouveau souverain,
Sardanapale VI, accourut aussitôt. Vainqueur à Kar-Baniti, au lieu de s'attarder
à la soumission des roitelets du Nord, il s'attacha sans relâche aux Ethiopiens,
1. 0pp., p. ij.
2. Id., p. 25-29.
3. Id., p. 30-35.
4. Id., p. 34-36.
5. Hérodote, II, cxij.
6. Rois, II, xviij.
7- OPP-, P- 37-38.
8. Abyd., dans Eus. Chr., I, 54.
9. Strabon, XV, 687.
10. 0pp., p. 40.
11. Id., p. 80.
12. Id., p. 40-42.
372 REVUE CRITIQUE
prit successivement Memphis, Thèbes, qu'il atteignit après une marche de qua-
rante jours ', et n'abandonna la poursuite qu'après avoir refoulé son adversaire
au delà des cataractes. Cela fait, il se reporta vers le Delta, défit les vingt rois
confédérés, et, au lieu de les déposer, les maintint sur le trône, en ayant soin
toutefois de placer auprès d'eux des gouverneurs assyriens et de mettre garnison
dans les forteresses que son père avait élevées jadis*. Mais, à peine rentré dans
sa capitale, un nouveau soulèvement vint tout remettre en question. Thàràqà,
pour vaincu qu'il fût, pouvait paraître plus à craindre que le monarque assyrien
lui-même. « Les rois d'Egypte se dirent entre eux : « Tarqfine renoncera jamais
» à ses plans sur l'Egypte, il y est redouté » Us envoyèrent à Tarqu, roi
» d'Ethiopie, des ambassadeurs pour conclure un traité de paix et d'amitié et ils
» parlèrent ainsi : « Que la paix se fasse dans notre alliance ; nous sommes favo-
» râbles les uns aux autres;.... jamais dans notre alliance nous ne trahirons
» pour nous tourner ailleurs, 6 seigneur ! » Ils tentèrent d'embaucher par leurs
)) traités l'armée assyrienne, le soutien de ma royauté et préparèrent leurs
» conspirations insidieuses. ? » Les lieutenants de Sardanapale découvrirent le
complot, surprirent les princes conjurés, les jetèrent dans les fers et les
envoyèrent en Assyrie. Ils y obtinrent leur grâce, et Néchao, le plus coupable
d'entre eux, rentra dans Sais, tandis que son fils « Nabosezibannin peut-être
Psammétik, recevait en apanage une ville du Delta 4. Toutefois, ni la clémence
du roi, ni la rigueur des lieutenants ne purent empêcher un soulèvement; il
fallut réduire par les armes Sais, Mendès, Tanis, repousser Tàhràqà, qui avait
réussi à pénétrer jusqu'à Memphis, où il intronisa le nouvel Apis s et fit mettre
à mort Néchao, devenu l'ami des Assyriens'^. Sa défaite, suivie bientôt de sa
mort 7, ne put arrêter les tentatives des Ethiopiens. Le fils de sa femme, Urda-
manéy élu roi a'près lui, reprit l'offensive et fit courir à la domination assyrienne
un danger assez grand pour que Sardanapale jugeât nécessaire de se mettre en
personne à la tête de ses armées. La soumission des rois provinciaux et la ruine
d'Urdamané ne se firent pas attendre. « Mes bras, dit Sardanapale, atteignirent,
» dans l'adoration dJAssur et àUsîar, Thèbes entière. J'enlevai l'argent, l'or, les
» métaux, les pierres précieuses, le trésor de son palais, tout ce qu'il contenait
» en étoffes de bérom et de lin, de grands chevaux, des esclaves mâles et
» femelles, des ouvrages de basalte (?) de marbre, . ... et je l'enlevai en Assyrie 8.»
Thèbes ne se releva jamais de ce désastre. Urdamané, achevé par sa défaite,
s'enfuit à Kipkip, en Ethiopie, et disparaît désormais de l'histoire?.
Là s'arrêtent les textes cunéiformes expliqués par M. Oppert, mais non point
les rapports entre l'Egypte et les empires de la Haute-Asie. Sardanapale vain-
!. 0pp., p. 68.
2. Id., p. 51-59; 62-68, 80-199.
3. Id., p. S9-6I.
4. Id., p. 72.
5. Id., p. 114.
6. Id., p. 106; Hérodote, II, clj.
7. Id., p. 77.
é. Id., p. §3-84.
9. Id., p. 73-8o.
d'histoire et de littérature. 375
queur avait rétabli l'organisation assyrienne, mais, selon la tradition grecque,
avait réduit de vingt à douze le nombre des rois tributaires ' . L'un des membres
de cette dédocarchie, Psamraétik, prince de Sais et fils de Néchao, prit l'ascen-
dant sur ses collègues, grâce à un corps de Lyciens et de Cariens que lui envoya,
parait-il, Gygés, roi de Lydie ». Les Assyriens furent chassés en même temps que
les princes leurs créatures, et l'Egypte, réunie en un seul État, devint l'héritage
d'une dynastie nouvelle, la XXVP de Manéthon. Tandis qu'elle se relevait ainsi
de son abaissement, l'empire rival, attaqué de tous les côtés à la fois, s'écroulait
rapidement; Ninive avait déjà disparu, et Babylone dominait, quand Néchao II,
fils de Psammétik, jugea le moment favorable pour entrer en Asie. Il suivit la
route traditionnelle des conquérants égyptiens , battit les Juifs à Mageddo , prit
pour la dernière fois la fameuse Kades' î, et soumit rapidement toute la Syrie.
Quatre ans plus tard, il fut défait près de Qàrqàmis^ 4 et dut momentanément
payer tribut à Nabuchodorossor. Les princes de l'Egypte et de la Mésopotamie
ne devaient plus jamais se rencontrer face à face : tandis qu'ils se livraient leur
dernière bataille, la Perse grandissait derrière eux et se préparait à les courber
sous un joug commun.
J'ai tenu à résumer cette longue histoire afin de montrer quelles lumières
inattendues jette sur les rapports de l'Afrique et de l'Asie le nouveau Mémoire de
M. Oppert. Je voudrais maintenant extraire de son récit les principaux faits qui
peuvent nous donner quelques renseignements sur la constitution intérieure de
l'Egypte au temps des guerres assyriennes.
Les incriptions cunéiformes ne nomment pas les rois qui envoyèrent à Salraa-
nasar III ces présents que l'orgueil ninivite se plut à représenter comme des
tributs. Mais, à partir de la fin du viii* siècle, elles se montrent moins discrètes
et suppléent en partie au silence déplorable des monuments égyptiens. C'est alors
en effet qu'apparaissent les trois rois classiques de la XXV^ dynastie, S'àbàkà,
S'àbàtokà et Tàhràqà. Ce dernier se reconnaît facilement sous la forme Tarqù^,
malgré la suppression de l'aspirée médiale h. La transcription des deux autres
noms est loin de se présenter avec ce degré d'évidence, et il a fallu beaucoup
de sagacité pour découvrir S'àbàkà et S'àbàtokà dans des mots comme S'abe' et
S^abti\ M. Oppert a pourtant réussi à donner la cause de ces divergences extra-
ordinaires entre l'égyptien et l'assyrien^. Le ghéez possède une classe de guttu-
rales particulières qu'on ne retrouve dans aucune autre des langues dites sémi-
tiques, et dont une, le p7, entrait dans le nom des deux monarques éthiopiens.
Dans Sève, Sua, Sô, l'hébreu supprime entièrement cette lettre embarrassante ;
dans S'àbàkà, rég}'ptien lui donne pour équivalent le son plus dur k (p) ;
l'assyrien enfin, prenant un moyen terme entre ces deux extrêmes, la rend parle
1 . Hérodote, II.
2. Lenormant, Manuel d'hist., t. II, p. 1 16.
5. Hérodote l'appelle Kâdytis (II, cl).
4. Hierapolis et «non pas Circesium comme on le croit généralement.
5. 0pp., p. loi.
6. 0pp., p. 12-14.
7. Pour éviter l'emploi de lettres éthiopiennes, j'adopte la transcription proposée par
M. Oppert, le p hébraïque surmonté d'un rond ».
Î74 REVUE CRITIQUE
signe de l'hiatus, suivi de la lettre qui répond généralement au aï/z hébraïque. On
a donc la gamme de variantes :
Éthiopien. Égyptien. Assyrien. Hébreu. Grec.
S'àbàk'à* S'àbàkà S'abe' Sfvè,Su^,SÔ2:agàxwv(Hér.II,cxxxvij) làéàxwv (Man.)
S'àbàîok'à S'àbàîokà S'abti' Seêixwi;, I.s6riym
Tàhràqà Tàhràqà Tarqà Tirhakah T£apxù)(str.) eapaixvi; Tàpxoç,Tàpaxo;,
[(Jos). [Tapàxrii;.
Le nom de S^àbàtokà n'apparaît qu'une seule fois dans les inscriptions cunéi-
formes, comme élément d'un nom de villes S'àbàkà y est qualifié, sultan de
Misri; Tàhràqà y est dit prince de Kus', mais partout ailleurs son royaume est
appelé M//uhhi. C'est avec raison, je crois, que M. Oppert a reconnu dans Milu/zAi
et dans ses variantes un équivalent assyrien de Méroé 4; dans tous les passages
qu'il cite, l'identification est complète et ne saurait laisser subsister aucun doute.
Pour terminer cette énumération de titres, ajoutons qu'un prince, malheureuse-
ment indéterminé, reçoit la dénomination purement égyptienne de Piru' 5.
A côté de ces souverains étrangers, les documents cunéiformes, d'accord avec
les rares monuments égyptiens ainsi qu'avec les traditions grecques et bibliques,
nous font connaître les dynastes nationaux de l'Egypte, soumis à l'autorité
suprême du monarque éthiopien, mais indépendants l'un de l'autre. Quoi qu'en
dise M. Oppert 6, les égyptologues n'ont pas attendu les découvertes de la science
assyrienne pour admettre la simultanéité des rois d'Egypte et d'Ethiopie, durant
toute cette période. La légende d'Anysis, conservée par Hérodote 7, la présence
dans les Hstes de Manéthon de trois rois de la XXVP dynastie antérieurs à
Psammétik I'"', leur avait fait soupçonner ce fait important. La découverte des
stèles du Sérapéum et des inscriptions éthiopiennes, les travaux de MM. Mariette
et de Rougé sur Piânxi-M en-amen ont changé ce soupçon en certitude. Toutefois
les textes assyriens nous apportent une quantité de renseignements nouveaux et
positifs,, qui nous permettent de comprendre l'histoire de ce siècle beaucoup mieux
que nous ne l'avions fait jusqu'à présent. Durant les dernières années de Tahraqa,
la vallée du Nil était partagée en vingt principautés, dont M. Oppert a générale-
ment reconnu les noms égyptiens, Sais, Memphis, Tanis (ass. Si'nu ou Sa'nu),
Nâîhû, sans doute la Naew d'Hérodote s, Pisaptu ou Saptu, capitale du nome
arabique, probablement la fï>aYpapi67roXi!; de Strabon9, Athribis, Hininsi, Hnès de
la Bible, dont le nom égyptien, lu généralement Sûîen-SE-nen, paraît désormais
devoir se Hre XE-nen-sû[ten], Zâl, Sebennytos, Mendès, dont le nom assyrien
Bindidi est la transcription exacte de l'égyptien Bl-n-dad, Bubaste, et une ville
de Bunu (?) dont l'équivalent Panau n'a été jusqu'à présent retrouvé que dans
1. K' = p.
2. Opp., p. 14.
3. Id., p. 12.
4. Id., p. 20-21.
5. Id., p. 15.
6. Id., p. 17.
7. Hérodote, II, cxxxvij.
8. Id., II, clxv.
9. Strabon, I. xv.
d'histoire et de littérature. J75
les textes coptes, Syout, dans la Moyenne-Egypte, Himnnu, ou Chemmis, Thinis,
la ville de Menés et enfin ;V/', ville d'Ammon, Thèbes, que les Hébreux appelaient
aussi n: ou -(-cx-x: ' . Deux noms sont à peu près détruits et n'ont pu être
reconstitués ; une troisième localité s'appelait Pi-s^abti', ce qui indique une ville
récemment bâtie ou réparée par le monarque éthiopien. L'Heptanomide enfin
renfermait un royaume dont le nom Pahnutl présente une tournure égyptienne,
mais n'est pas aisé à déterminer *. La transcription assyrienne semble se
résoudre en PJ-Xenti et pourrait désigner alors un des deux nômes qui portent
le nom de X'ent, le nôme postérieur (X'ent-pah' , Lycopoliîes posteriof), puisque
le nôme X'ent supérieur et sa capitale Saut formaient un État indépendant.
En dehors de ces capitales, plusieurs autres villes sont citées: deux par Sarda-
napale VI, Mahariha [?], dans le Delta, et Kipkip en Ethiopie, qui jusqu'à présent
ne peuvent être identifiées; une, par les livres saints, qui a été pour M. Oppert
l'objet d'une étude spéciale, la Libnah, où Sennachérib essuya son grand échec.
Par une suite de déductions à la fois ingénieuses et solides, M. Oppert en arrive
à prouver : i° que cette Libnah ne doit pas être confondue, comme on l'avait fait
auparavant, avec la Libnah de Juda; 2° qu'elle est identique à Péluse d'Egypte ?.
Enfin plusieurs localités égyptiennes avaient reçu selon l'usage assyrien, des
noms sémitiques imposés par le vainqueur : Sais est appelé Kar-bel-mate, ce qui
répond évidemment à l'égyptien Pâ-neb-tlti « la ville du Seigneur des deux
» mondes 4. » Mahariba devient Limir-patisi-Asur, « que le lieutenant d'Assur
» gouverne! s » Ici du moins, le texte nous donne l'équivalent égyptien. Dans un
autre endroit, le scribe n'a cité que le nom assyrien, comme c'est le cas pour
Kar-baniti, « la ville de la déesse mère. » Faut-il en conclure que cette forte-
resse était une fondation récente d'Asarhaddon et n'avait pas de nom égyptien ?
Les noms des vingt monarques ont presque tous une physionomie égyptienne.
On devine aisément sous leur transcription cunéiforme Néchao, Plqerer, P-ti-se-
^(ï5? (lIcToupâo-rr.;), Har-si-esi , Tawnext, Sesonq, Bocchoris , Ze[/]-/îo' (Tîw; ou
Taxw;), Psenmût (Ass. Ispimaiu), Mentà-m-ânx^. M. de Rougé traduit Lamenîav
pa.T Râ-mentu'. J'aimerais mieux reconnaître sous ce déguisement assyrien un
Râ-men-to, analogue au Râ-men-xeper déjà connu, et peut-être écrit avec les
mêmes caractères; dès la XX*^ dynastie en effet, le scarabée possédait, outre la
ya\eMT Xeper, la valeur to, si fréquente aux basses époques. Pisanhuru, dans lequel
M. Oppert voit une forme égyptienne, est Pse-n-hor; cet exemple achève de
prouver que le nom d'Horus se prononçait différemment selon la place qu'il
occupait en composition. Au commencement, on le vocalisait Ar, Har, Arsiesi,
Harpocrale; à la fin, Hor, or, Psenhor. Nahtirusensini qui, au dire de M. Oppert,
« renfermerait le même élément que le nom de Psusennés, » pourrait être Nexî-
er-sensen-u. Iptïhardesi est évidemment P-ti-h^rùd-esi, ou P-ti-xrûd-esi, ânàiogiiQ
1. 0pp., p. 89-98.
2. 0pp., p. 94.
3. Id., p. 34-56.
4. Id., p. 72 et note.
j. Id., p. 72.
6. Id., p. 104-111.
7. Id., p. m.
376 REVUE CRITIQUE
à P-îi-se-basî ; le terme indiquant la filiation est ici h'rùd ou Xrùd, au lieu de se,
et le sens est « celui qui appartient à l'enfant d'Isis » à Horus. Unamuna répond
peut-être à Un-Amen ou bien Un-n-Amen, « l'être d'Ammon». Puaiku est malaisé
à définir; M. Smith donne pour variante Puaima. Si cette lecture est exacte nous
avons dans le texte cunéiforme, une transcription du nom Pimà « le chat », si
fréquent dans la Basse-Egypte, à l'époque qui nous occupe. Je ne saurais dire
comment s'appelait en égyptien Nahke; mais j'approuve pleinement M. Oppert
lorsqu'il voit dans Urdamané, beau-fils de Tàhràqà, Rut-Amen et non pas l'éthio-
pien Amen-meri Nùî.
On sait quelles difficultés soulève,, même pour ces époques relativement
modernes, le règlement de la chronologie égyptienne. Les stèles du Sérapéum
ont permis à M. de Rougé de remonter avec certitude jusqu'à l'avènement de
Tàhràqà en 693. Les documents assyriens ont permis à M. Oppert de relever, au
delà de ce point, les dates positives de quelques événements communs aux deux
monarchies égyptienne et ninivite :
i'718. — S'àbàkà, vaincu à Raphia.
714. — Tribu de Piru', roi d'Egypte.
710. — Fuite d'Iatnan, roi d'Asdod en Ethiopie.
!700. — Batailles d'Altaku et de Libnah. — Tàhràqà,
roi de Kus'.
693. — Il devient roi d'Egypte.
[[669-667]? — r^ conquête assyrienne. .— Tàhràqà
AsARHADDON (680-667) . •' relégué en Ethiopie. — Néchao I^"^ à Sais et
f Memphis.
'667. — i®"" retour offensif de Tàhràqà; i" campagne
! de Sardanapale VI en Egypte. — Complot des
1 monarques égyptiens; 2^ retour offensif de T^/z-
Sardanapale VI .... < ràqà. — Mort de Néchao. — Date officielle de
j l'avènement de Psammétik à Sais.
1666. — Mort de Tàhràqà. Guerre contre Urdamané;
\ pillage de Thèbes.
Grâce à ce canevas de dates fixes, M. Oppert essaie de reconstituer la série des
règnes éthiopiens. Il assigne l'année 728 comme limite inférieure de l'avènement
de S^àbàkà et l'année 7 1 6 comme époque probable de sa mort ' . Sàbàtokà, qu'il
confond avec le Séîhos d'Hérodote, tomberait alors en 716 et 701 *. Enfin,
Tàhràqà, roi d'Ethiopie, au moment du combat d'Altaku, serait devenu roi
d'Égypteen693, après la prise deMemphis5. L'intervalle entre son règne égyptien
et le règne de S'àbàtokà serait comblé par les règnes simultanés des rois d'Egypte
mentionnés sur les monuments de Sennachérib.
Je ne sais quelle impression produira sur les égyptologues la connaissance
précise de ces faits nouveaux pour eux. En ce qui me concerne, les données des
1. Opp., p. 14-16.
2. Id., p. 21.
3. Id., p. IIS.
d'histoire et de littérature. Î77
raonuraents assyriens confirment une idée que m'avait inspirée dès longtemps
Tétude des documents hiéroglyphiques proprement dits. J'ai toujours été frappé
du rôle prépondérant que jouent à cette époque la ville de Sais et les princes
qui la gouvernent. Actifs, remuants, mêlés à tous les événements qui s'accom-
plissent autour d'eux, dès l'instant que nous les voyons apparaître sur la scène,
ils ont un but unique vers lequel tendent tous leurs efforts : ils veulent dépossé-
der les petits princes rivaux et fonder, sur les débris des dynasties locales qui
ruinaient le pays, une dpastie nouvelle dont l'autorité s'étende sur l'Egypte
entière. L'histoire de leur temps est au fond l'histoire des tentatives qu'ils font
pour arriver à leur fin et des échecs qui retardent à chaque moment les progrès
de leur ambition. Les petits princes, coalisés contre eux, mais incapables de
résister, appellent l'étranger à leur secours, et trahissent l'intérêt de la patrie
commune au profit de leurs intérêts particuliers. De là ces invasions éthiopiennes
dont les stèles du mont Barkal et la tradition classique nous ont conservé le
souvenir. La djTiastie cushite arrête pour un temps les empiétements de la
famille saïte , sans pouvoir ni l'abattre ni même la décourager. L'insuccès de
Tawnext ne sert pas de leçon à Bocchoris ; le désastre de Bocchoris ne fait pas
hésiter ses successeurs. L'intervention assyrienne n'est pour eux qu'un moyen
d'user la puissance éthiopienne. Tàhràqà vaincu, les Assyriens occupés en Asie,
Psamméîik reprend l'avantage et finit par réaliser le rêve constant de sa race.
En quelques années , il réunit sous sa main le pays tout entier et établit solide-
ment cette XXVP dynastie -sous laquelle l'Egypte devait vivre encore quelques
jours de gloire et de prospérité.
Tawnext est le premier prince saïte qui nous soit connu par des monuments
certains. Je renvoie au beau mémoire de M. de Rougé les personnes curieuses
de connaître le récit de ses campagnes contre le roi d'Ethiopie, Piânxi Meri-amenK
Après des succès partiels, il finit par être battu et dut jurer fidélité au vainqueur,
qui lui conserva ses titres. Je tiens uniquement à constater et la première preuve
de l'ambition saïte et le premier exemple de la politique suivie par les petits
princes égyptiens. Tawnext avait déjà soumis le Delta et une partie de l'Hepta-
nomide, quand ce qui restait de dynastes indépendants appela le puissant roi
d'Ethiopie.
L'antiquité classique ne connaissait Tawnext que par une anecdote insigni-
fiante , meilleure à mettre dans un traité de morale en action que dans un livre
d'histoire 2. C'est pourtant ce document puéril qui nous apprend que le célèbre
Bocchoris était fils du rival de Piânxi. A la mort de son père , Bocchoris profita
sans doute d'un affaiblissement de la dynastie éthiopienne pour usurper les titres
royaux. Son autorité fut assez grande, et sa domination parut quelque temps assez
solidement établie, pour que les chronologistes égyptiens aient jugé convenable
de lui faire les honneurs d'une dynastie nouvelle, la XXIV% dont il est le seul
représentant officiel. Son nom égyptien, Râ-uoh'-kl Bok-en-ran-ew, nous était
inconnu avant la découverte du Sérapéura. Il a été découvert par M. Mariette,
1 . Revue archéologique, 1 863 .
2. Diod. I, 45; Plut. Is. 8; Athen. X, ij, 418.
378 REVUE CRITIQUE
accompagné de la date de l'an VI '. Les historiens grecs vantaient sa sagesse et
le mettaient au rang des grands législateurs ^ : il avait, disaient-ils, réparé les
temples. Sa piété ne put le sauver. Sabacon, après avoir relevé la puissance
éthiopienne, descendit en Egypte; Bocchoris battu fut pris et brûlé vif?. Cette
fois encore, la dynastie saïte s'était attiré un échec qui semblait devoir mettre à
néant ses prétentions.
Sabacon , lui aussi , parut avoir établi son pouvoir sur une base solide , et
releva un moment au dehors l'influence égyptienne. Mais son intervention en
Syrie, contre les Assyriens^ d'abord heureuse puisqu'elle décida le soulèvement
de Gaza 4 et lui valut des tributs soigneusement enregistrés sur les monuments
de Thèbes, ne lui attira bientôt plus que des désastres. La défaite des armes
éthiopiennes à Raphia, rendit courage aux Égyptiens. En 714, quatre ans seule-
ment après Raphia, les inscriptions assyriennes ne citent plus que Piru roi
d'Egypte; vers 710, elles distinguent soigneusement le roi de Méroé. En 700,
enfin, les princes vaincus près d'Ahaku sont qualifiés rois d'Egypte. Tout cela
indique bien que les anciennes divisions, un moment effacées par le succès de
Sabacon, avaient reparu presque aussitôt après sa défaite.
Où retrouver les rois qui profitent si vite du désastre des Éthiopiens? Ici
encore, la dynastie de Sais est au premier rang des rebelles. Trois Saïtes,Sff/?/2/-
natès, Néchepso et Néchao P"" figurent dans les listes de Manéthon avec Sabaka et
ses successeurs. On sait quelles incertitudes présentent sur ces malheureuses
listes les chiffres qui marquent la durée de chaque règne : néanmoins, dans le cas
présent, j'ai été frappé de la concordance des chiffres de l'une d'entre elles avec
les données de M. Oppert. Stèphinatés aurait régné 27 ans, Néchepso ij, et
Nèchao 8. En ajoutant, à la somme de ces années, 667, date officielle de l'avéne-
ment de Psammétichus, on arrive à l'année 71 j. Or, M. Oppert a fixé approxi-
mativement à l'année 716 la fin du règne de Sabacon, Si on interprète l'un par
l'autre ces documents d'origines diverses, on arrivera sans effort à cette conclu-
sion probable : Sabacon, après la défaite de Raphia, retint le Delta trois années
encore, mais en 7 1 5 les petits princes se soulevèrent, et le plus puissant d'entre
eux, Stèphinatés, se rendit indépendant à Sais. L'expulsion des Éthiopiens était
probablement terminée en 714, époque à laquelle les Assyriens ne nous signalent
que Pharaon, roi d'Egypte. La date de 71 5 n'est pas du reste, comme l'a bien
vu M. Oppert, la date forcée de la mort de Sabacon. Ce prince, relégué dans la
Thébaïde put y régner longtemps encore et transmettre la couronne à son fils
S^àbàtokà. Si ce dernier parvint à étendre son autorité jusque sur la Basse-
Egypte, comme le prouve le nom de Pà-S'àbàtokà appliqué à une ville du Delta,
ce ne dut être que pour un instant, car les monuments assyriens ne font aucune
mention directe de son règne.
Ce Stèphinatés, qui reparaît si inopinément à la tête des Saïtes, était-il uni par
les liens du sang à la race de Tawnext? En l'absence de documents originaux.
1. Bulletin archéologique de l'Athenaeum français, i8$6, p. 58.
2. Diod. I, 79, 94; Plut. Vitios. pud., j.
j. Manéthon, XXV Dyn.
4. 0pp., p. 12.
d'histoire et de littérature. 379
il est difficile de rien décider à cet égard. Sabacon, en faisant mettre à mort
Bocchoris, qu'il devait considérer comme un sujet rebelle, à cause des serments
d'obéissance prêtés jadis à Piânxi Mari-amen , n'avait pas sans doute laissé le
pouvoir entre les mains de la famille qu'il venait de frapper si cruellement. Si
donc Stéphinatès était, comme je le pense, un parent de Bocchoris, il dut vivre
quelque temps en exil, peut-être dans ces marais où, selon Hérodote, se cacha
l'aveugle Anysis, et ne reparut qu'en 715, pour chasser Sabacon de Sais. Ce
serait donc lui que les Assyriens nommaient en 714 P/ru^ roi d'Ég}'pte. Ce serait
peut-être lui aussi qu'Hérodote nomme Sethos, et à qui il attribue la victoire de
Péluse. En ce cas, le nom de Stéphinatès se décomposerait tout naturellement en
Set-pâ-naxt, on, comme le prononçaient les Mem^hïtes, Set-phi-naxt, Set le Victo-
rieux, et la différence entre Séthos (5^0 et Stéphinatès (Set-phi-naxt) s'explique-
rait aisément par les usages égyptiens. Nous connaissons en effet plus d'un roi
qui, après une victoire, ajouta à son cartouche le titre de A'^îx/, victorieux. Ainsi
Kamès, de la XVI P, Ah' mes, de la XV) H^ dynastie, se font appeler quelquefois
Kamès-naxt, Ah' mès-naxt, tt,a\ec l'introduction usuelle deVanlde, Kamès-pl-naxt,
Ah'mès-pa-naxt. Séthos serait en ce cas le nom d'avant la victoire de Péluse,
Stéphinatès le nom d'après la viaoire. Si cette conjecture est admise, la qualité
de prêtre de Vulcain {sam-en-Ptah') que prend le Séthos d'Hérodote nous prou-
verait que le premier roi de la XXVP dynastie régnait, non-seulement à Sais,
mais encore à Memphis, comme avant lui Bocchoris et Tawnext, comme après
lui Néchao I". Il ne put du reste demeurer indépendant jusqu'à la fin de son règne
(688) : en 693, Tàhràqà entra dans Memphis et se fit proclamer roi de l'Egypte
entière.
A moins que le Néchepso de Manéthon soit identique au Néchepso des astro-
logues gréco-égyptiens, nous ne connaissons du second prince de la XXVP dynastie
absolument que le nom. Par bonheur, les documents assyriens sont prodigues de
détails sur son fils Néchao I". Roi de Sais et de Memphis, sous l'autorité de
Tàhràqà, puis, après la conquête d'Asarhaddon, confirmé dans ses possessions
par le vainqueur, lors de l'avènement de Sardanapale VI, il prend parti pour les
Éthiopiens. Vaincu et maintenu dans son poste, il conspire encore, est trahi, -
saisi par les gouverneurs assyriens et envoyé à Ninive. Sardanapale lui par-
donne, le renvoie en Egypte, au moment où Tàhràqà reparaissait pour la seconde
fois dans le Deha. A partir de ce moment, nous le perdons de vue, etnous igno-
rerions absolument ce qu'il devint si la tradition classique ne venait inopinément
compléter nos informations. Hérodote nous dit qu'il fut mis à mort par Sabacon,
lisez par Tàhràqà. Cet événement dut tomber en 667, époque à laquelle Tàhràqà,
de séjour à Memphis, faisait célébrer les fêtes d'inauguration d'un nouvel Apis.
Psammètik,fils de Néchao, se réfugia en Syrie, auprès des Assyriens, pour éviter
le sort de son père, et ne rentra qu'après la chute de Tàhràqà et celle d'Urdamané.
Il n'en compta pas moins les années de son règne depuis la mort de son père,
comme le prouve l'épitaphe de l'Apis intronisé en l'an 26 de Tahraqa, et mort
l'an 20 de son règne à lui, Psammétik.
La mort de Néchao fut le dernier échec sérieux qu'éprouva la maison saïte.
Psammétik I", délivré à la fois des Éthiopiens et des Assyriens, atteignit bientôt
380 REVUE CRITIQUE
le but auquel ses ancêtres avaient aspiré si longtemps en vain. L'exposé rapide
de ces efforts infructueux prouve, je l'espère, la justesse de l'idée que j'ai émise
un peu plus haut. L'histoire des princes sa'ites antérieurs à Psammétichus est la
trame sur laquelle viennent se nouer tous les fils de la politique contemporaine.
On voit quelle richesse de documents renferme le livre de M. Oppert et quelles
conclusions importantes on peut déjà tirer des données qu'il nous fournit. Je ne
puis mieux terminer cet article, insuffisant malgré sa longueur, qu'en remerciant,
au nom des égyptologues, le savant déchiffreur des textes cunéiformes, et en sou-
haitant qu'il nous apporte bientôt de nouveaux travaux, aussi féconds pour notre
science que celui qu'il vient de publier. G. Maspero.
248. — Pindari carmina cum deperditorum fragmentis selectis. Reco-
gnovit W. Christ (Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum Teubneriana).
Lipsiae, Teubner, 1869. In-12, xx-236 p, — Prix : i fr. 25.
M. W. Christ a donné à la bibliothèque classique de Teubner une nouvelle
édition du texte de Pindare. Il attache lui-même moins d'importance à la partie
de son travail qui se rapporte à la constitution critique du texte (il a tâché (Praej.
I) de tenir un juste milieu entre Tycho Mommsen qui accorde trop aux manus-
crits et Bergk qui est trop hardi dans ses conjectures) qu'à celle qui se rapporte
à la métrique. Il a indiqué soit dans les tableaux métriques qui précèdent chaque
ode soit dans le texte même la structure rhythmique des strophes. Je vais essayer
de donner une idée de ce travail fondé sur des principes qui sont , pour ainsi
dire, complètement inconnus en France.
On sait que dans une ode de Pindare toutes les strophes et les antistrophes,
comparées entre elle, toutes les épodes, comparées entre elles, se répondent en
général, longues pour longues, brèves pour brèves. Cette succession de brèves
et de longues ne peut pas se ramener aux types que nous connaissons par les
odes d'Horace. Bœckh a eu le premier (Ueher die Versmasse des Pindaros dans
Wolf et Buttmann, Muséum der Alterthumswissenschaft, 1808. De metris Pindari,
181 1) l'idée, suivie depuis par tous les éditeurs de Pindare, de couper, de ter-
miner le vers ou la phrase rhythmique toujours après un mot, là où il y avait
hiatus ou syllabe indifféremment brève ou longue. Ainsi dans la IV Pythique, il
termine le premier vers de la strophe avec çîXw parce qu'il y a hiatus en cet
endroit dans les antistrophes 8, ç, et la strophe la, et syllabe brève à l'antistr.
^ et à la strophe t. De même il ne termine le vers suivant qu'avec 'ApxeaO.a parce
qu'il y a hiatus, antistr. ê, y, str. r,, ant. r,, str. i, ant. tê, ly, syllabe brève str.
g, ant. 8, str. ta, 16. Comme cette ode a 26 strophes et antistrophes, 1 3 épodes,
l'application de ces principes ne souffre pas de difficultés. Mais la IV* olympique,
par exemple, n'a qu'une épode. Faut-il avec Bœckh, séparer les derniers mots,
êotxôxa xpovov, ou avcc M. Christ les réunir au vers précédent? La solution de la
question dépend de la manière de scander les vers, de décomposer ces phrases
rhythmiques en membres. Et la chose est loin d'être facile.
Il est fort probable qu'une suite de brèves et de longues comme aràixsv, eùt'uTtoy
Swilrn Kupâvaç, 6<ppa xw|Aà^ovxi (tw ApxeaîXtx {Pyth. IV, 2) ne formait pas une unité
indivisible; celle-ci n'a pas moins de 36 temps, la brève étant comme on sait
d'histoire et de littérature. }8i
l'unité de temps, et la longue valant deux brèves. Boeckh a compris que les prin-
cipes de cette subdivision devaient être cherchés dans la musique, et de notre
temps MM. Rossbach et Westphal {Metrik der Griechen, r« éd. 1854- 1865.
2^ éd. 1867-1868) ont tiré des restes que nous avons conservés de la tradition
musicale des Grecs les principes de la métrique lyrique. En voici le fondement :
un pied est une mesure musicale qui a un frappé (eéTi?) portant toujours
sur une longue ou l'équivalent d'une longue, et un levé (â?<Ti;). Ou la durée
du frappé est double de celle du levé, et le pied est du genre double,
comme le trochée -j et l'iambe j- (car le frappé peut chez les anciens terminer
la mesure) ; ou la durée du frappé est égale à celle du levé ; et le pied est du
genre égal, comme le dactyle -jy et l'anapeste, jj-; ou enfin la durée du levé
est une fois et demie celle du frappé, et le pied est du genre sesquialtère, comme
le péon, -u-, ou -uju. Ces rapports sont les seuls que reconnaisse la rhyth-
mique ancienne. Les pieds de chaque genre associés au nombre de deux, trois,
quatre, cinq, peuvent former une dipodie, une tripodie, une tetrapodie, une
pentapodie, que les musiciens traitaient comme un seul pied composé, partagé,
comme les pieds simples, entre un frappé et un levé qui devaient avoir pour la
durée l'un des trois rapports, double, égal, sesquialtère. Tout pied composé ne
pouvant se partager suivant l'un de ces trois rapports était exclu. Les seuls pieds
composés admis étaient donc ceux qui comptaient 6, 8, 9, 10, 12, 15, 18, 20
ou 25 temps. Ainsi 5 trochées ou iambes forment une pentapodie ou pied com-
posé de 1 5 temps qui peut se partager entre un frappé de 6 temps et un levé de
9 temps, lesquels ont entre eux le rapport sesquialtère de i à i 1/2. Il arrive
souvent que ces pieds composés sont catalecûques, qu'il manque un ou deux
temps pour que le pied ait l'étendue exigée par la rhythmique ancienne. Alors
ou on allongeait la dernière syllabe d'un temps ou de deux (jmr), ou on suppose
une pause de un ()Eïau.a) ou deux temps (irpocress'.:). L'application de ces prin-
cipes est, comme on peut se l'imaginer, pleine de difficultés. D'abord quand faut-
il supposer un allongement ou une pause ? nous ne le savons pas trop. Il est
toutefois peu probable, comme l'a fait remarquer M; Christ (Jahrbiïcher fur Phi-
lologie und Psdagogik, 1869, 385), qu'il faille admettre avec Westphal {Metrik,
II, 827) une pause au milieu d'un mot, comme dans àçvx-tw, y.a~t>.é-{-/zi (^Der-
nière Isthm. 65). Ensuite, entre plusieurs manières possibles de subdiviser une
phrase rhythmique en pieds composés et même un pied composé en pieds sim-
ples, laquelle choisir ?
Un exemple de ces difficultés, c'est celle sur laquelle M. H. Weil a déjà
appelé l'attention (Jahrbûcher fur Philologie und Psdagogik, 1862, 546 et suiv.)
et qui touche à l'un des principes fondamentaux de la nouvelle métrique.
Un mètre .qui est d'un emploi très-fréquent dans Pindare et surtout dans
Sophocle et Euripide, est le mètre que les anciens appelaient glyconique, et qui
se présente sous la forme suivante j - - j j - j -, le premier pied pouvant
être aussi un trochée, un spondée ou même un pyrrhique. Or Aristide {De
musica, I, p. 36-37. 39-40), d'après la tradition de la musique antique,
s'accorde avec le métricien Héphestion à considérer ce mètre comme formé de
deux parties de durée égale, dont la première est composée d'un Ïambe suivi
382 REVUE CRITIQUE
d'un trochée et la seconde de deux iambes. G. Hermann, voyant que l'iambe
initial de ce mètre peut répondre dans des parties lyriques, soit à un tro-
chée, soit à un spondée, soit à un pyrrhique, le séparait du reste du mètre et
le considérait comme une sorte de prélude qu'il a appelé basis. Bœckh adopta
ce terme et son emploi, qu'il étendit encore à d'autres mètres (il marque la
base par un x); seulement ce pied initial n'était pas pour lui un prélude, mais
une monopodie distincte du reste du vers. Car il n'admettait pas non plus que
Hermann, qu'un iambe pût être uni dans le même rhythme à un trochée. Par
suite de cette séparation de la base, on a un trochée suivi d'un dactyle, lequel
est suivi lui-même d'une dipodie trochaique catalectique. Bœckh pensait que
cette transition brusque du trochée, mesure à trois temps, au dactyle, mesure à
quatre temps, était musicalement impossible. En conséquence il ramenait le
dactyle à la durée d'une mesure à trois temps, en évaluant la longue à 9/7 et
chacune des deux brèves à 6/7 (De metr. Plnd. 105, 268), Westphal rejette
l'idée de la base (II, 749-750). Le frappé de l'iambe initial porte, suivant lui,
sur la brève et non sur la longue (II, 738), et il place les frappés dans le mètre
glyconique de manière à lui donner le rhythme trochaique. Il n'admet pas non
plus que Bœckh qu'un dactyle mêlé à des trochées, soit dans le glyconique soit
dans les autres mètres, comme l'hendécasyllabe saphique, puisse être une
mesure à quatre temps. Il le ramène à la durée du trochée. Mais il croit être
plus d'accord avec les textes anciens en évaluant la longue du dactyle à 4/3, la
première brève à 2/3 et la dernière brève à i. il a ainsi un dactyle dont le
frappé est de 6/3 ou de 2 temps et le levé de i temps (I, 640). M. Weil fait
remarquer (article cité plus haut) que la manière dont Bœckh et Westphal
mesurent le mètre glyconique, est inconciliable avec la tradition musicale de
l'antiquité telle qu'Aristide nous l'a transmise, et qu'il est bien dangereux de
l'abandonner. M. Christ pense (Jahrh. 1869, 281) que les Grecs pouvaient
bien se permettre de passer sans transition d'une mesure terminée par un
frappé à une mesure commençant par un frappé. En conséquence il maintient
le frappé sur la longue de l'iambe qui commence le glyconique ; mais il paraît
scander le reste du vers comme Westphal.
Je ne prétends pas décider cette question. Mais il est toutefois une objection
que me paraît soulever la manière dont Westphal ramène le dactyle à la mesure
du trochée, en combinant Aristoxène (p. 292-294) et Denys d'Halicarnasse
(Comp. verb. 17), Un pied est rationnel (pr,Tô(;), c'est-à-dire le frappé a avec le
levé un rapport double, égal ou sesquialtère, ou bien il est irrationnel (àXoYoç),
c'est-à-dire que le frappé n'a avec le levé aucun de ces trois rapports. Aristoxène
ne donne pas au mot àXoyoî le sens que les mathématiciens y attachaient, qui est
que le rapport irrationnel n'est exprimable ni par l'unité ni par une fraction de
l'unité. Aristoxène, prenant pour exemple le trochée irrationnel (xopsîo; âXoyoç),
où le frappé est de deux temps, et le levé d'un temps et demi, dit que le rapport
du frappé au levé dans un pied irrationnel peut être exprimé en nombre, mais
n'est pas double, égal, ou sesquialtère, comme l'exige la rhythmique. Denys
d'Halicarnasse, ou plutôt ceux qu'il a suivis paraissent entendre le mot âXoyo; au
sens des mathématiciens, à qui il était du reste emprunté. Car Denys d'Halicar-
d'histoire et de littérature. ^83
nasse dit que les rhythmiciens reconnaissent un dactyle et un anapeste dont la
longue a moins de deux temps, et que ne pouvant dire quelle est au juste cette
différence, ils appellent cette longue irrationnelle, o-ix lyoTcti S'etreeTv n6(ju> xaXotjaw
aOrriv «oyov. Plus loin (p. 2o) revenant sur ces dactyles, il dit qu'ils ne diffèrent
pas beaucoup, [i^ itokit Sioçépetv, de trochées. Je ne vois pas cprament la mesure
que Westphal donne au dactyle irrationnel peut s'autoriser soit du texte d'Aris-
toxène, puisque le rapport d'un frappé de 6 ? de temps à un levé de i est un
rapport double, soit du témoignage des rhythmiciens de Denys, puisqu'ils
disaient qu'on ne peut pas évaluer de combien la longue irrationnelle est moindre
que deux temps.
En résumé il est évident que la métrique d'une poésie faite pour être chantée
est inséparable de la musique, et particulièrement de la partie de la musique qui
se rapporte à la théorie du rhythme, de la mesure. Or nos renseignements sur
la théorie antique de la mesure , sur la rhythmique ancienne sont tout à fait
insuffisants. Nous sommes réduits à quelques fragments d'Aristoxène, disciple
d'Aristote ; et encore ces fragments n'ont-ils rapport qu'à des généralités. Ce qui
nous reste des autres musiciens grecs est également très-sommaire et très-général
et nous ne l'avons que dans des compilations très-postérieures à Aristoxène.
D'autre part les grammairiens grecs ne paraissent pas avoir tenu compte de la
rhythmique dans leur théorie des mètres lyriques, et encore ne connaissons-
nous leurs recherches que très-incomplétement. Nous sommes donc réduits à
interpréter quelques textes en suppléant à ce qui manque à l'aide de notre senti-
ment musical, qui doit être fort trompeur, quand il s'agit de savoir comment
des vers étaient mis en musique il y a 2300 ans.
M. Christ indique dans les tableaux métriques qui précèdent chaque ode,
comment il entend que les phrases rhythmiques entre lesquelles se partagent les
strophes doivent être subdivisées, scandées. Il a cru devoir étendre ces indications
au texte lui-même : ce qui est peut-être peu nécessaire. Il faut désespérer de
faire sentir par la prononciation l'harmonie d'une versification fondée sur des
principes que nous ne connaissons qu'imparfaitement et que nous avons beau-
coup de peine à sentir. Les éditions d'Horace sont généralement précédées
d'un résumé de sa métrique. Ce complément me paraît encore plus nécessaire
pour une édition de Pindare. Il faudrait même indiquer à chaque ode quel est le
genre de mesure et expliquer pourquoi on scande de telle façon plutôt que de
telle autre. Je sais par expérience qu'il est fort difficile de s'orienter soit dans le
travail de Bœckh, de meîris Pindari, qui a d'ailleurs vieilli, soit dans la métrique
récente de Westphal. Ce qui nous manque en ce moment, c'est une métrique
composée avec une critique sévère et judicieuse, qui distingue le certain du pro-
bable et de l'incertain, qui ait le courage de dire et de dire souvent : je doute,
j'ignore. MM. H. Weil et Christ me paraissent particulièrement préparés par leurs
études et leurs qualités d'esprit à satisfaire ce vœu.
Charles Thurot.
384 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
249. — Die Philippinen und ihre Bewohner. Sechs Skizzen von D' C. Semper.
Wiirzburg, A. Stuber. In-8', 143 p. et 2 cartes. — Prix : 6 fr. 7^.
Ces « six Esquisses » sont le résultat d'une série de leçons faites à Francfort
en 1868. L'auteur étudie successivement les volcans de ces îles, — les bancs
de corail qui en bordent les côtes, — le climat avec la faune et la flore de ces
mêmes îles, — leurs habitants primitifs, nègres et malais, — la période de la
domination musulmane bientôt contrariée par l'arrivée des conquérants chré-
tiens, — enfin la période chrétienne. Ce travail est complété par de nombreuses
notes, dont quelques-unes sont assez étendues, notamment : par des discussions
sur certains volcans imaginaires, — sur la théorie de Darwin relativement à la
formation des bancs de corail (réimpression d'un travail déjà publié par l'au-
teur), — sur les opinions de certains auteurs relativement aux plus anciens
habitants de l'île, — enfin par des tableaux empruntés au professeur G. Kars-
ten de Kiel, et donnant pour les dix dernières années les résultats des observa-
tions météorologiques de tout genre (barométriques, thermométriques, hygro-
métriques, etc.). L'intelligence du texte est, de plus, facilitée par deux cartes,
qui sans être fort remarquables, sont ingénieusement disposées et font ressortir
diverses particularités: l'une est celle de l'ensemble des îles Philippines; les
volcans y sont marqués et leurs noms écrits en rouge, etc.; l'autre est celle des
bancs de corail qui entourent l'ile Bohol ; des teintes diverses permettent de
distinguer les parties que la basse mer laisse à découvert, celles où se trouve le
corail, enfin les régions où la profondeur de la mer dépasse quinze brasses.
Il a déjà été publié plusieurs travaux sur les îles Philippines; l'auteur les
connaît et y recourt, en les contrôlant au moyen des observations que dix mois
de résidence dans ces îles lui ont permis de faire. Du reste ses « Esquisses »
ne sont que le prélude d'un ouvrage plus étendu, la relation du voyage de l'au-
teur; c'est dans cette publication ultérieure qu'il promet de nous donner ce qu'il
lui a été donné de recueillir sur la langue des indigènes. Les indigènes des îles
Philippines, les premiers habitants, appartiendraient selon l'auteur à une race
nègre, très-voisine des Papous de la Nouvelle-Guinée ou des habitants des îles
Fidji, mais un peu inférieure, soit qu'il en ait été ainsi dès l'origine, soit qu'un
mélange avec d'autres races les ait fait dégénérer. Du reste cette race primitive
est bien diminuée ; elle a reculé et péri en partie par suite des invasions malaises
antérieures à l'introduction de l'islamisme, invasions dont l'histoire est bien peu
connue, mais dont l'importance est attestée par le nombre des Malais païens
encore établis dans ces îles. Les habitants primitifs ont même perdu l'usage de
leur langue nationale; mais M. S. paraît se flatter d'en avoir recueilli quelques
débris dans le vocabulaire qu'il a réussi à former sur la côte orientale de Luçon,
la plus grande des Philippines, l'une des régions où subsistent encore quelques
uns des restes des plus anciens habitants. Léon Feer.
ERRATA. — L'article 240, sur le livre de M. Rajna, ayant été imprimé sans que
l'auteur en ait revu les épreuves, il s'y est glissé plusieurs fautes. P. 347, 1. 1 5 : XV' et
XVI' siècles, /. XIV' et XVI' siècles; — P. 348 1. 5 a. /.: Carèzzi, /. Careggi; — P.
349, 1. 3: cléricale, /. anticléricale; — 1. 8: theologiques, /. mythologiques; — 1. 27:
mnovations, /. invocations.
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Les nouvelles sont , comme dans le précédent numéro , nombreuses et inté-
ressantes. L'article nécrologique sur Libri (p. 45) est de la plus injuste partialité.
The Athenaeum. 1 3 novembre.
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Hamilton; Blackwood. — J. R. Andrews, Life of Oliver Cromwell to the death of
Charles the First; Longmans. — R. H. Story, Life and Remains of Robert Lee;
2 vol., Hurst and Blackett. — A. Hall, Avebury et Stonehenge.
20 novembre.
L'EsTRANGE, The Life of Mary Russel Mitford; 3 vol. Bentley. — Scott,
Albert Durer, his Life and Works; Longmans; Mrs. Charles Heaton, The History
ofthe Life of Albrecht Durer; Macmillan. — Mrs. Manning, Ancient and Medisval
India; Allen; bon livre de vulgarisation.
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N* 51 Quatrième année 18 Décembre 1869
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de la France, contenant: i° les patois normand, picard, rouchi, wallon, man-
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la France; 2° les termes populaires et néologiques du langage parisien, qui
manquent dans tous les dictionnaires; j" les termes populaires qui se rencontrent
dans les auteurs tant anciens que modernes ; 4° la prononciation des idiomes
populaires; 5° des notices historiques sur la prononciation de la langue litté-
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PÉRIODIQUES ÉTRANGERS.
The Academy. 1 1 décembre.
ScHAFARiK, Geschichte d. slavischen Sprache u. Literatur (réimpression avec
des notes laissées par l'auteur d'un ouvrage publié pour la première fois en 1825
et qui maintenant est arriéré; l'art, est de notre collaborateur M. L. Léger). —
LiEBRECHT, Zu Schilkfs Braut von Messina (extrait du Jahrb. f. rom. Lit.; art.
de M. Max Mûller qui pense que les coïncidences constatées entre la pièce de
Schiller et la Mort d Abel de Legouvé n'autorisaient pas les conclusions qu'en a
tirées M. Liebrecht). — Horace, Satires and epistles, translated by Coni'ngton
(Simeon). — Springer, Mittelalterliche Kunst in Palermo (Sydney Colvin). —
J. KuHN, Einleitung in Katholisclie Dogma (Oxenham; important ouvrage d'un
théologien catholique). — Nœldeke, Die alttestamentUche Literatur ; Untersuchungen
zur Kritik d. Alten Testaments (Neubauer; cf. Rev. ait., 1869, art. 2j), —
Zœckler, Der Prophet Daniel [LMiGE's Bibelwerk, 17 livraison] (Duncan H. Weir;
ouvrage protestant orthodoxe). — Fr. W. Krummacher, An autobiography,
edited by his Daughter,, translated by Easton (Cheyne). — Spinoza,
Tractatuli deperditi de Deo et Homine ejusqae felicitate versio Belgica, éd. Schaars-
MiDT (Bywater; la préface de l'éditeur est importante). — Encore Libri. Lettre
de M. P. Meyer à l'éditeur de V Academy en réponse à l'article relatif à Libri
contenu dans le précédent n"'. — Sir H. M. Elliot, The Histony of India,astold
by its own Historians (Sachau). — Hook, Lives of the Archbishops of Canterbury,
t. VIII (Boase; ce vol. contient l'hist. du card. Pôle). — Volkmann, Synesius
of Cyrene (Bywater). — Gardiner, Prince Charles and the Spanish Marriage,
1617-1623 (Waring). — Schrœder, Die phsnizische Sprache (Deutsch; art.
très-favorable). — Theodori Mopsuesteni Fragmenta Syriaca, éd. Sachau
(W. Wright). — Aufrecht, A Catalogue a sanskrit mss. in the Library of Trinity
Coll., Cambridge (Cowell). — M^hly, Richard Bentley (Jebb). — Sophocle,
éd. TouRNiER (Campbell; art, généralement favorable; cf. Rev. crit., 1868, art.
96). — 0. RiBBECK, Beitrsge zur Lehre von d. lateinischen Partikeln (Nettleship).
— BooT, Commentatio de Sulpiciae, quae fertur, satira (Ellis).
I. II s'est glissé dans cette lettre, dont je n'ai pas revu l'épreuve, une petite erreur ;
ce n'est pas par un article de M. Terrien dans le National que Libri a été averti de la
découverte du rapport de M. Boucly, mais par M. Terrien lui-même à la séance du
28 février 1848. — P. M.
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ditarum fragmenta. Ex rec. G. Dindor-
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REVUE CRITIQ_UE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 51 — 18 Décembre — 1869
Sommaire : 250. Benfey, Histoire de la science du langage et de la philologie orien-
tale en Allemagne. — 251. [Kistner,] Buddha et ses doctrines. — 252. De Kam-
PEN, Des Parasites attachés aux temples grecs. — 253. Lumbroso, Documents grecs
du Musée égyptien de Turin. — 254. Robert, Épigraphie de la Moselle. — 255.
Publications de la Société d'histoire nationale de Saint-Gall. — 25e. Wallon, Jeanne
d'Arc. — 257. [Vian,] Montesquieu, sa réception à l'Académie française.
250. — Geschichte der Sprach"wissenschaft tmd orientalischen Philolo-
gie in Deutschland , seit dem Anfang des 19. Jahrhunderts, mit einem Rùckblick
auf die frùheren Zeiten, von Theodor Benfey. Mûnchen, Cotta, 1869. In-8*, x-836 p.
— Prix : 14 fr. i j.
On se rappelle qu'à l'occasion de l'Exposition nniverselle et sur l'invitation de
M. Duruy, alors ministre de l'instruction publique, des rapports ont été composés
par divers savants sur les progrès accomplis par la France, en ces vingt-cinq
dernières années, dans les différentes branches des connaissances humaines. Une
entreprise analogue se poursuit actuellement pour l'Allemagne, grâce à l'initiative
du dernier roi de Bavière, et sous les auspices de la Commission historique de
l'Académie de Munich. Il s'agit de retracer l'histoire des sciences en Allemagne
depuis le commencement de ce siècle. Une grande latitude est laissée aux auteurs
qui peuvent, s'ils le veulent, élargir leurs rapports jusqu'à en faire une sorte
d'encyclopédie de la science dont ils sont les historiens. Plusieurs volumes,
quelques-uns signés de noms très-connus, ont déjà été publiés. Celui que nous
annonçons est le huitième de la collection'.
En pouvant confier à M. Benfey le soin de décrire les progrès de la linguis-
tique, rAcadémfe de Munich a été particulièrement favorisée. Non-seulement
M. Benfey devait parler en maître d'une science qu'il a étendue par ses décou-
vertes, mais il était peut-être de tous les savants contemporains le mieux placé
pour en retracer l'histoire. Il a vu et partagé les travaux de deux générations de
linguistes. Quand il publiait son Lexique des racines grecques, en 1839, Auguste-
Guillaume Schlegel enseignait à Bonn, Grimm et Bopp étaient dans la force de
l'âge ; et les plus récents travaux de M. Benfey nous placent au milieu des
recherches de Curtius, de Corssen, de Schleicher, de Justi. Ajoutez que M. B.,
quoique surtout voué à l'étude des langues indo-européennes, a touché aux
idiomes sémitiques, au copte, à l'égyptien; qu'il a une immense lecture et un
I. Voici les volumes qui ont paru: Droit politique (Bluntschli». Minéralogie fKobell).
Agriculture et science forestière fFraas). Géographie (Peschel). Théologie protestante
(Dorner). Théologie catholique (Werner). Esthétique (Lotze). Il a été rendu compte de
ce dernier ouvrage dans la Rev. crit., 1869, t. I, art. 54. Ajoutons que le prix de ces
ouvrages est relativement peu élevé.
vm 25
386 REVUE CRITIQUE
esprit ouvert à toutes les idées. On conviendra qu'il était difficile de mieux choisir
le rapporteur.
Ce n'est donc pas sans un vif sentiment de curiosité que nous avons ouvert ce
volume. A dire vrai, nous n'y avons pas trouvé toute l'abondance de vues ori-
ginales et de renseignements nouveaux que nous attendions. Ou plutôt, nous
avons été surpris par des qualités autres que celles que nous croyions rencontrer.
On connaissait à M. Benfey un certain penchant pour les inductions hardies :
c'est par la réserve et par la sagesse que ce nouvel ouvrage se distingue. Est-ce
l'âge qui a tempéré l'ardeur du savant professeur de Gœttingen ? Nous pensons
plutôt que prenant la parole au nom d'une Académie et presque au nom de la
science même, il s'est proposé cette fois d'être inattaquable. Il a distribué les
éloges d'une main équitable et bienveillante, il a su se mettre au-dessus de ses
propres opinions et de ses théories les plus chères '. Aussi son ouvrage, qui sera
bientôt entre les mains de tous les philologues, restera-t-il comme le livre le plus
sûr et le plus substantiel qui ait encore été écrit sur la science du langage.
Ce volume qui a plus de 800 pages, se divise en deux parties presque égales.
La première comprend l'histoire de la linguistique jusqu'au commencement de ce
siècle. La seconde partie la continue jusqu'à i868. Dans la première moitié
de son récit, l'auteur ne s'impose aucune limite géographique : la science gram-
maticale des Indous, celle des Grecs et des Romains, celle du moyen-âge et de
la Renaissance sont successivement passées en revue. La seconde partie (depuis
Frédéric Schlegel) se borne uniquement à l'Allemagne. Malgré l'immense étendue
du sujet, M. Benfey paraît avoir composé son livre à peu près sans secours et de
première main, sauf en ce qui concerne les Romains et les Grecs, pour lesquels
il s'est servi d'Egger ÇEssai sur Apollonius Dyscole) et de Steinthal (Sprachwissen-
schaft der Griechen und Rœtnef). Il est à regretter que pour le moyen-âge il n'ait
pas encore eu à sa disposition le savant livre de notre collaborateur M. Thurot.
Quand M. Benfey arrive aux philologues contemporains, son exposition se
resserre et finit par se réduire presque à une simple énumération de noms et de
livres. L'auteur garde un silence absolu sur les questions qui divisent aujour-
d'hui quelques-uns des principaux représentants de la Hnguistique. On cherche-
rait vainement, par exemple, en quoi Schleicher diffère de Steinthal, Curtius de
Pott, Corssen de Léo Meyer, Scherer de Westphal. Si l'on y réfléchit un instant
on ne pourra qu'approuver cette réserve. Une fois que les théories ont produit
toutes leurs conséquences et que les auteurs ont dit leur dernier mot, le juge-
ment devient possible et souvent même facile : car la plupart du temps les
systèmes se jugent eux-mêmes. Mais comment résumer des discussions qui se
transforment d'année en année, comment critiquer des systèmes qui ne sont pas
encore arrivésà leur entier développement .'' Le moindre inconvénient, c'est qu'il
! . C'est à peine si en un ou deux endroits on voit percer les deux théories favorites de
notre auteur, sur la transmutabilité des suffixes et sur la nature verbale des soi-disant
racines (p. 9 i. 55 5)-
d'histoire et de littérature. 387
faudrait entrer dans des détails qui seraient déplacés en un pareil ouvrage. Mais
même à ce prix, la chose nous paraît impossible. Aucun philologue contemporain
n'est assez au dessus ou assez en dehors de ces débats pour pouvoir s'en cons-
tituer l'arbitre. M. Benfey le pouvait moins que personne, car il y est si intime-
ment mêlé qu'il aurait été obligé de se faire comparaître et de se juger lui-même.
Du reste, nous ne perdi-ons rien à la discrétion que s'est momentanément impo-
sée l'auteur. Il annonce une Histoire des problèmes linguistiques, où, parlant en
son nom et sans mandat officiel, il nous donnera ses opinions sans ménagements
ni réticences.
Un ouvrage de cette nature ne permet guère à la critique que des observations
de détail. Citons d'abord les morceaux qui nous ont paru les plus réussis. La
grammaire indienne,, ainsi qu'on pouvait s'y attendre, est parfaitement caracté-
risée. Plus d'un lecteur aurait sans doute désiré que l'auteur s'y arrêtât encore
davantage et qu'il nous montrât, par exemple, en quoi consistent les différences
qui séparèrent les écoles grammaticales de l'Inde. Le chapitre de Grimm, traité
avec prédilection, est un des meilleurs de l'ouvrage. Celui qui est consacré à
Bopp se distingue presque partout par une grande exactitude. Guillaume de
Humboldt est caractérisé par une suite d'extraits de son principal livre; l'au-
teur a trouvé d'heureuses expressions" pour dépeindre ce grand esprit, qui a
l'habitude de « se mouvoir de périphérie en périphérie avant d'arriver au sujet
» qu'il veut traiter, et qui , en parcourant ces cercles concentriques , s'expose
» quelquefois à épuiser ses forces avant d'arriver à sa tâche véritable. » Citons
encore cet autre passage : « Les écrits de Humboldt, dit M, Benfey, malgré
» tous leurs défauts resteront pour le linguiste comme une source inépuisable de
» sagesse et, pour ainsi parler, d'édification ; s'ils ne désaltèrent pas toujours la
» soif de science , du moins ils ne manquent jamais de la soulager et de la
» rafraîchir. » Nous avons remarqué aussi une belle page sur les Universités
allemandes (p. 215), une hypothèse féconde sur les langues sémitiques (483),
un joli portrait de Ruckert (414) et deux magnifiques éloges de Scaliger et de
Henri Estienne.
S'il faut maintenant passer à la critique, nous signalerons d'abord un passage
de Varron (V, 93) que M. Benfey nous paraît avoir inexactement traduit. Le
texte en question est : « artificibus maxuma causa ars; id est ab arte medicina
ï) ut sit medicus dictus, a sutrina sutor, non a medendo ac suendo, quae omnino
» ultimae earum rerum radiées » D'après ce texte, M. Benfey conclut que
pour Varron les radiées sont les racines, non des mots, mais des choses (jerurn)
désignées par les mots. C'est trop presser le latin et prêter à un écrivain que
d'ailleurs M, Benfey porte si haut, une opinion bien étrange. — Plus loin
(p. 247) rappelant les travaux de Leibniz en linguistique, M. B. dit que sur ce
champ spécial deux hommes seuls pouvaient rivaliser de science avec lui : Ludolf
et Reland. Il eût été juste de mentionner aussi Fréret, l'auteur des Vues générales
sur l'origine et le mélange des anciennes nations. — M. Benfey donne quelque part
à Paulin de St-Barthélemy la qualification de jésuite. C'est carme déchaussé qu'il
388 REVUE CRITIQUE
aurait fallu dire. — Page 378 traitant du premier ouvrage de Bopp, le Conjuga-
îionssystem , et énumérant les découvertes qu'il renferme, M. B. dit que Bopp y
explique déjà la formation du passif latin par la combinaison de l'actif avec le
pronom réfléchi. Mais quand on se reporte à la page 103 du Conjugationssystem
citée par Benfey, on trouve bien une explication du passif latin, mais une expli-
cation tout autre et que Bopp a abandonnée plus tard. — Page 399 il est dit
que grâce à Schlegel et à Lassen, Bonn devint le principal centre d'où la philo-
logie sanscrite se répandit en Europe. Sur la même ligne que Bonn il n'eût été
que juste de mettre Paris, qui, de 1832 à 1852, fut un centre non moins actif et
non moins fécond. — Page 409 M. B. dit que Max Mûller a laissée inachevée
la publication du Rik-prâîiçâkhya. Quoique l'auteur, dans sa seconde partie, se
borne à l'Allemagne, personne n'eût trouvé mauvais qu^'il mentionnât la cause
pour laquelle cette publication ne fut point continuée. C'est que M. Adolphe
Régnier, dans le même temps, a donné en entier le texte et la traduction du
mèmQ prâtiçâkhya. — Page 430, celtique est proBablement une faute d'impres-
sion pour sémitique. — Page 437, note, l'auteur expose en son nom la loi de
substitution des consonnes germaniques. Nous avons été surpris d'y voir citer
les aspirées ph, kh, th, quand aujourd'hui on reconnaît généralement que les
aspirées primitives ont dû être bh, gh, dh, et quand l'auteur lui-même cite un
peu plus loin (p. 481) comme type primitif du grec ttuO, la racine hhudh. Le
jugement sur la Bhagavad-Gîtâ attribué (34$) à Guillaume Schlegel (c'est le plus
beau, peut-être le seul poème philosophique qui existe) est de Guillaume de
Humboldt.
Ainsi que nous l'avons dit, le ton de M. Benfey est celui d'une grande bien-
veillance. Quelquefois on sent le parti pris de ne voir que le bon côté des choses;
voyez par exemple p. 366, où il juge avec une grande indulgence la théorie de
Frédéric Schlegel sur les flexions, ou p. 512, où il déclare qu'il faut se féliciter
que Bopp ait composé son travail sur les langues malayo-polynésiennes, qui,
comme on sait, repose sur une erreur, parce qu'il a montré par là les limites où
doit s'arrêter la méthode comparative. — Nous n'avons remarqué que deux
personnes auxquelles M. Benfey n'ait pas rendu complète justice. En parlant des
Grundziige der griechischen Etymologie de Georges Curtius, M. B. dit que ce livre
se distingue surtout «par une critique, en somme judicieuse, de ce qui a été fait
» jusqu'à présent. » Pour qui a lu et pratiqué cet excellent ouvrage, où sont
accumulées tant de recherches personnelles, l'éloge paraîtra mince. L'autre
personne à l'égard de laquelle M. Benfey s'est montré d'une réserve extrême,
c'est, comme on pouvait s'y attendre, M. Benfey lui-même. Assurément on se
ferait une idée inexacte de la place que l'auteur occupe dans la science, si l'on
s'en tenait aux simples mentions qu'il donne de ses ouvrages.
Il n'y a pas lieu de s'étonner que le patriotisme allemand se fasse jour dans un
livre consacré à l'histoire d'une science plus d'aux trois quarts allemande.
Quelquefois l'expression de ce sentiment peut sembler excessive. En lisant la
page 1 68, on croirait qu'entre la civilisation antique et l'activité scientifique dont
d'histoire et de littérature. 389
l'Allemagne est aujourd'hui le principal foyer, il n'y ait eu place pour aucune
haute culture de l'esprit, et que ces deux époques soient séparées par un désert
intellectuel. Plus loin, rappelant les travaux sur l'Inde dus à quelques mission-
naires allemands du xviii^ siècle, travaux assez modestes et comme tous les autres
pays peuvent en citer de pareils, M. Benfey s'écrie : « On dirait que comme des
» navigateurs, débarquant les premiers dans une ile inhabitée, ils aient voulu y
» planter le drapeau allemand, pour assurer à leur patrie un droit particulier sur
» ce domaine » (p. 430). Nous citons seulement ces passages pour montrer que
le patriotisme germanique n'est pas toujours exempt de ces accès de jactance
qu'il relève avec raison quand il les trouve chez d'autres peuples. M. Benfey
aurait pu s'en défendre d'autant plus aisément que les faits parlent assez haut
d'eux-mêmes, et que le simple récit des travaux philologiques accomplis depuis
Schlegel en Allemagne, est le plus éloquent témoignage qu'un pays puisse se
donner de son activité et de son aptitude scientifique.
Michel Bréal.
2ji. — Buddha and hîs doctrines, A bibliographica! Essay. London, Trûbner
and Co. In-4% iv-32 pages. — Prix : 3 fr. 1 5.
La première partie du titre de cette brochure ne doit pas faire illusion : c'est
purement un travail bibliographique. L'auteur, M. Otto Kistner, qui n'a pas
mis son nom sur la couverture, mais qui le fait connaître en signant une préface
datée de Leipzig et écrite en anglais comme le reste de l'ouvrage (il va sans
dire que le titre de chaque livre cité est donné intégralement dans la langue
même de ce livre), nous explique dans cette préface comment des recherches
sur la bibliographie en général l'amenèrent à s'occuper plus spécialement de
bibliographie bouddhique. Il divise son travail en deux parties, on pourrait dire
en trois, car il a eu l'heureuse pensée de mettre en tête, sous forme d'intro-
duction, ce qu'il appelle « a sketch of Buddhism, which, though small and of
no prétention, may perhaps to some extent serve the purpose of an introduc-
tion, » c'ést-à-dire un aperçu de l'ensemble de toutes les littératures bouddhi-
ques, ou au moins de la plupart et des principales d'entre elles, à savoir des
collections népalaise (en sanskrit), pâlie, chinoise, tibétaine, mongole, birmane;
thème pouvant donner lieu à un travail immense, résumé par l'auteur en six
pages substantielles. La liste des ouvrages, classés suivant l'ordre alphabétique
des noms d'auteurs, avec intercalation des ouvrages anonymes à la place assi-
gnée par la première lettre du titre, se divise en deux parties : i" les ouvrages
généraux (General Works, pp. 7-12) qui, ne traitant pas directement du boud-
dhisme, peuvent cependant être utiles à consuher comme relatifs à des pays
bouddhiques; 2° les ouvrages sur le bouddhisme et les écrits insérés dans les
revues (Works on Buddhism and extracts from periodicals, pp. 12-33), partie
de beaucoup la plus étendue. Cette division est fondée ; mais il n'est pas toujours
facile de l'observer rigoureusement, et peut-être est-il quelquefois arrivé à l'au-
590 REVUE CRITIQUE
teur de mettre dans une partie tel ouvrage qui aurait été mieux placé dans
l'autre ; mais cela n'a pas d'importance : le lecteur est prévenu qu'il doit cher-
cher dans les deux parties. Le titre de la deuxième partie semble indiquer que
tous les articles de revue qui y figurent ont été sans exception publiés à part
ultérieurement ; mais plusieurs de ceux qu'on y trouve cités ne paraissent pas
avoir été dans ce cas. Peut-être eût-il été bon de faire la distinction. Quoi qu'il
en soit, nous devons remercier M. Kistner de la pensée qu'il a eue de faire ce
travail et de la manière dont il l'a exécuté. Il peut avoir fait des omissions: lui-
même le prévoit et ne demande qu'une chose, c'est d'être mis en mesure de les
réparer. Nous communiquons ce souhait à tous ceux qu'il peut intéresser et qui
seraient en état d'y donner satisfaction. Du reste les oublis (involontaires) de
l'auteur ne doivent pas être nombreux ; peu de travaux paraissent avoir échappé
à ses actives recherches.
Nous aurions seulement à lui proposer une légère amélioration. Ce serait
d'ajouter à son travail une troisième partie, comprenant la liste des titres des
ouvrages bouddhiques dont il existe une ou plusieurs traductions, avec les noms
des traducteurs. Cette simple mention suffirait, le lecteur étant ainsi renvoyé
au nom du traducteur dont l'œuvre est citée dans la deuxième partie avec le
développement que le sujet comporte. M. K. a déjà fait quelque chose d'ana-
logue : dans la deuxième partie, nous trouvons les noms Dharmapadam , Lalita-
vistara, Saddharmapundarika, avec renvoi aux noms des traducteurs ; mais tout
n'y est pas. Ainsi Gogerly a traduit le Chariya-piîaka, le Dhammacakkappavaîta-
nam : M. K. cite ces traductions au nom de Gogerly et même il ajoute une note
pour la seconde. Ne serait-il pas utile de faire pour ces ouvrages et pour d'autres
ce qui a été fait pour les précédents ? Nous ne faisons donc guère autre chose
que demander à l'auteur de se compléter sur ce point. Reste à savoir si, au lieu
de laisser ces titres des ouvrages bouddhiques traduits perdus dans la foule des
livres ou écrits qui forment la deuxième partie, il ne conviendrait pas d'en faire
une liste à part qui servirait d'appendice : elle ne serait pas fort longue pour le
présent. L'exécution de ce plan pourra rencontrer quelques difficultés provenant
de la variété des systèmes de transcription, de la diversité des titres d'un même
ouvrage se présentant sous plusieurs formes, sanskrite, pâlie, tibétaine, chinoise,
etc., et de plusieurs autres circonstances; mais il sera possible de les surmonter.
Et il y aurait un grand intérêt pour ceux que le bouddhisme intéresse à trouver
facilement et à voir en un tableau les ouvrages bouddhiques dont il existe des
traductions.
M. K. fera ce qu'il voudra du conseil que nous lui donnons : nous le prions
d'y voir seulement une marque de l'intérêt que son travail nous inspire et de
notre désir de lui en faciliter le perfectionnement.
Léon Feer.
d'histoire et de littérature. 591
252, — De parasitis apud Graecos sacrorum ministris scripsit Albertus de
Kampen. Gœttingue, 1867. In 8*, 56 p.
Les parasites dont il est ici question ne sont pas ces misérables « écornifleurs, »
âSoSov ôvo|j.a, qui faisaient métier de manger à la table des riches et de les amuser
par leurs flatteries ou leurs bons mots ; ce sont des hommes honorables que les
Grecs chargeaient d'un service religieux et qui venaient en aide aux ministres du
culte dans l'exercice de leurs fonctions. — A quels temples étaient-ils attachés ?
Quel était leur nombre ? Comment étaient-ils choisis ? Quelles étaient leurs attri-
butions.? Voilà autant de questions que M. de Kampen avait naturellement à
résoudre et sur lesquelles nous sommes en droit de lui demander, sinon des
réponses satisfaisantes, au moins quelques éclaircissements. — Malheureusement,
la dissertation qu'il a consacrée à ce sujet encore peu connu laisse beaucoup à
désirer pour l'ordre et pour la clarté ; elle ne nous renseigne qu'assez imparfai-
tement^ et ce n'est pas sans peine que nous sommes parvenu à en dégager nette-
ment quelques conclusions.
I. Tous les temples n'avaient pas de parasites. Les textes qui nous sont par-
venus ne mentionnent ces personnages qu'à l'occasion des divers temples d'Her-
cule, de ceux d'Apollon d'Acharnés et de Minerve de Pallène. — On admet même
généralement qu'il n'existait pas de parasites dans les temples d'Athènes et que ceux
que l'on rencontre étaient toujours attachés aux sanctuaires des dèmes (Schœ-
mann, Griechische Alterthiimer, 2* éd., t. II, p. 399). Mais cette opinion nous paraît
difficile à maintenir en présence d'un texte cité par M. de K. En effet, d'après
Athénée, VI, 27, C. p. 2^5, les parasites figuraient dans une inscription placée
dans l'Anacéum et qui, suivant toute probabilité, se rapportait à ce temple ; or,
il est certain que l'Anacéum ou temple des Dioscures était situé dans l'intérieur
de la ville.
II. Dans les temples d'Hercule, le nombre des parasites était fixé à douze
(Athénée, VI, 36, C. p. 239). Il est à présumer qu'à l'origine il en était de même
pour le temple consacré à ce dieu dans le Cynosarge ; mais le seul texte que
nous possédons à son égard parle de soixante personnes : oi £?r,xo'^:a (Athénée,
XIV, 3, C. p. 614); il doit se rapporter à une époque où l'institution primitive
des parasites était en pleine décadence, et où une corporation religieuse s'était
transformée en compagnie de joyeux viveurs. — Pour les autres temples, nous
sommes sans renseignements précis; nous trouvons seulement dans Athénée la
mention de plusieurs parasites attachés au temple de Minerve de Pallène (VI,
26, C. p. 234) : deux appartiennent au dème rapxr.TTÔî, le troisième au dème
n(8o;; ce qui prouve, pour le dire en passant, que plusieurs dèmes s'étaient asso-
ciés en vue du culte à rendre à la déesse.
ni. D'après M. de K., les parasites, au moins ceux d'Hercule, étaient dési-
gnés, non par le sort, non pas même par les archontes, mais par le choix de
leurs concitoyens: nafâîSToi r-psOr^^av (Athénée, VI, 26, C. p. 235; cf. VI, 36,
C. p. 239). — Nous ferons remarquer toutefois qu'un texte de Démosthène
392 REVUE CRITIQUE
semble indiquer que l'élection et le tirage au sort étaient combinés pour arriver
à la nomination des ministres d'Hercule : vnb 6r,(ji6Twv irpoexpiôriv èv toT? &\iyzvt<7-:6.ioi(;
xXripoùaOa'. Tviç UptoCTOvriç tw 'HpaxXsï (C. EubuUdem, § 46, Reiske, 1313).
S'il fallait prendre à la lettre un texte de Diodore de Sinope (Athénée, VI,
36, C. p, 239), chaque dème de l'Attique aurait nommé douze parasites d'Her-
cule : £v ànaai toiç Svîjxok;. Mais il est certain, et nous venons de faire la même
remarque pour le temple de Minerve de Pallène, que plusieurs dèmes pouvaient
se réunir pour le culte d'Hercule, Cela résulte pour la Mésogée d'une inscription
que Curtius a publiée en 1843. L'association formée par les divers dèmes nom-
mait seulement douze parasites. On peut donc dire, si l'on veut, qu'Hercule était
honoré dans tous les dèmes de l'Attique; mais chaque dème ne lui rendait pas
un cuhe spécial.
IV. Pour pouvoir aspirer aux fonctions de parasite, il fallait être né de père et
de mère citoyens, avoir de la fortune et jouir d'une bonne réputation (Démosth.,
C. Eubulidem, § 46, R. 1313; Athénée, VI, § 36, C. p. 239). — Par excep-
tion, les parasites du Cynosarge ne pouvaient être pris que parmi les vôôot • oi Se
■KOLçiaiTOi £(TTwv èx Twv voôwv xai Tûv TOUTwv iraiSwv xaxà xà Trà-rpia (Athénée, VI, 26,
C. p. 234). D'après M. de K., ces v66oi étaient les citoyens nés de l'union hors
mariage de deux citoyens. Malgré les explications ingénieuses qu'il donne à
l'appui de son opinion, nous persistons à croire que la loi avait en vue les demi-
citoyens. Dans un texte de Démosthène (C. Aristocratem, § 21 3, R. 691) il est
question des véeoi du Cynosarge et l'orateur déclare qu'il parle de ceux qui ont
seulement to ïîiJLiau toù y^vou;. De même, Plutarque (Themistocle, i) voit dans ces
v66ot, non pas ceux qui sont nés hors mariage, mais ceux dont un des auteurs seule-
ment est citoyen (cf. Schœmann, Griechlsche Alîerthiïmer, 2" éd., T. II, p. 399).
Les fonctions de parasite du Cynosarge ne paraissent pas avoir été recherchées,
et beaucoup de personnes essayaient de s'y soustraire. On ne s'expliquerait pas
sans cela une disposition du décret d'Alcibiade : ôç 6'àv [x?) oéXti Trapaortxeïv, elTayéTw
et; To StxaTTVipiov (Athénée, VI, 26, c. p. 234); disposition renouvelée de Solon
et dont Plutarque a méconnu le sens en l'appliquant à la ffiTriai; èv upuTavciw (V.
Solonis, 24). Comme si le législateur pouvait raisonnablement édicter des peines,
en prévision du cas où un citoyen , honoré d'une distinction exceptionnelle,
refuserait de l'accepter ! (cf. Schœmann, loc. cit., note 3).
V. Dans les temples d'Hercule , les parasites assistaient le prêtre pendant les
sacrifices mensuels offerts au dieu (Athénée, VI, 26, C. p. 235). Ces sacrifices
étaient accompagnés d'un festin en l'honneur d'Hercule; les parasites prenaient
part à ce festin, et, dans le Cynosarge au moins, ils en supportaient les frais.
Leur assistance aux sacrifices dans les temples d'Apollon d'Acharnés et de
Minerve de Pallène est également attestée par des textes. — N'avaient-il pas
d'autres attributions ? Si la vôjao? pa<ji),£w; nous avait été conservée dans son
intégrité, il nous serait facile de répondre. Mais Athénée n'en a transcrit que des
fragments qui ne paraissent pas se rattacher intimement les uns aux autres et
sur le sens desquels on est loin d'être fixé (VI, 27, C. p. 235). Nous nous bcr-
d'histoire et de littérature. 39J
nerons à indiquer ici la traduction donnée par M. de K. : « Parasiti e grege sacro
» boves nonnuUos eligant,.... sacri hordei ex sua quisque parte sextarium
» eligat; sextarium delectum parasiti Acharnensium in Apollonis àpxeïa déférant ;
» Atheniensium cuivis liceat epularum publicarum esse panicipi ^ — La
même loi parle d'un local spécialement affecté aux parasites, TrapaaÎTsiov. D'après
Pollux cet édifice se trouvait à Athènes (VI, 35)- M. de K. indique plusieurs
raisons qui lui semblent de nature à faire rejeter l'affirmation du grammairien.
VI. L'institution des parasites tomba de bonne heure en désuétude. Leur nom
lui-même perdit sa signification primitive et servit à désigner une classe d'hommes
ridiculisés par la comédie et ne se rattachant que par un lien très-éloigné aux
anciens auxiliaires du culte.
Nous signalerons en terminant une erreur capitale commise par M. de K. Il
ne fait pas de distinction entre la 6r,{j.offi'a cîrr.ci; èv îrp-jTavsCw et la criTr.a-.; des
Prytanes. Il est au moins disposé à appliquer aux Prytanes la définition des
à£Î«7tTot donnée par Hésychius. — On sait pourtant que les personnes qui
avaient obtenu l'honneur de la or.îiocrCa aixr^Gi; prenaient leurs repas dans la Pry-
tanée, tandis que les Prytanes se réunissaient et dînaient dans le Tholus (Cf. C.
Curtius, Das Meîroon in Aîhen als Staaîsarchiv, Berlin, 1868, p. i j).
E. Caillemer.
2 5 j . — Documenti greci del Regio Museo Egizio di Torino , raccolti dal Dott. G.
LuMBROSo. Torino, Stamperia Reale, 1869. 45 p. — Prix 2 fr. 40.
La publication de M. Lumbroso est destinée à faire connaître un certain
nombre de monuments épigraphiques de tout genre relatifs à l'Egypte et conservés
dans le Musée royal de Turin. De plus elle contient une nouvelle collation de
papyrus déjà publiés soit par l'abbé Peyron, soit dans la collection qui fait partie
des Notices et Extraits. Elle est donc de nature à intéresser tout spécialement les
égyptologues qui y trouveront entre autres une série de ces inscriptions connues
sous le nom d'Ostraca, en tout point semblables à celles que M. Frœhner a
insérées dans le 11"* tome de la Revue archéologique. La pièce qui nous semble
offrir le plus d'importance au point de vue de l'histoire est une inscription inédite
selon l'auteur. Nous regrettons de ne pas trouver de renseignements au sujet de
sa provenance. Si la restitution tentée par M. L. est exacte (to xo[ivov -wv tw
padiXEt uTCo] Ta(TffO[i£v,ov Kpr,Twv), Cette inscription semblerait prouver que l'empire
des Lagides s'étendait sur une partie de la Crète, fait au sujet duquel les historiens
se taisent. Du reste, comme le fait observer l'éditeur, l'inscription dont il s'agit
offre une frappante analogie avec celle publiée dans le Corpus inscriptionum gr£c.,
sous le n° 2622 et qui se rapporte à l'île de Chypre.
Emile Heitz.
394 REVUE CRITIQUE
254. — Ch. Robert. Ëpigraphie de la Moselle. Paris, Lévy, 1869. In-4*. Pre-
mier fascicule, 40 p. j pi.
L'ouvrage doit se composer de huit ou dix fascicules : nous en ferons l'examen
critique quand il sera terminé. Aujourd'hui nous nous bornons à le signaler aux
archéologues et à en indiquer brièvement l'importance.
La reproduction très-exacte de plusieurs bas-reliefs au moyen de la photo-
gravure permet d'apprécier le style de ces monuments : ils décèlent un art tout
semblable à celui des médailles frappées dans les Gaules pendant la durée du
m® siècle. Il y a même identité dans la façon conventionnelle dont sont traités
plusieurs détails. Ainsi l'hydre qu'assomme Hercule sur un bas-relief du Musée
de Metz est figurée par un serpent armé de dents et chargé d'une crête, comme
sur une monnaie de Maximien Hercule frappée à Trêves (Cohen, Méd. imp.
V, pi. xni, n" 42). Ce sont des éléments intéressants pour une histoire de l'art
gallo-romain.
M. R. a donné ses soins à la transcription fidèle des noms gaulois qui se ren-
contrent sur les monuments épigraphiques; il fournit aux celtisants des matériaux
de bon aloi.
Enfin l'auteur, lorsqu'il publie des inscriptions aujourd'hui perdues, indique
les sources et discute l'avis de ses devanciers. Il élaguera ainsi bon nombre de
monuments faux que renfermaient les collections de Metz au xvii*^ et xvui® siècle
et qui ont pris place dans les grands recueils épigraphiques.
Signalons l'inscription pi. III n° i du Musée de Metz, qui prouve l'existence
à Divodurum d'un quartier appelé Vicus Honoris. Là existait sans doute un
temple ou un autel consacré au dieu Honos, d'où le quartier avait reçu cette
dénomination. Et en effet, parmi des débris romains on a trouvé une grande
pierre sur laquelle se lit le mot HONORIS.
Remarquons encore, au même Musée, un autel octogone dédié à Jupiter et
offrant dans des niches les statues mutilées, mais reconnaissables, des dieux qui
ont donné leurs noms aux sept jours de la semaine. Nous faisons des vœux pour
le prompt achèvement de cette publication.
C. B.
255. — Mittheilungen zur vaterlœndischen Geschichte, herausgegeben vom
historischen Verein in St. Gallen. St. Gallen, Verlag vonHuberu. Comp., 1869. (iv)'
227 p. Neue Folge. i Heft.
Nous sommes heureux de l'occasion qui s'offre d'entretenir les lecteurs de la
Revue critique de l'avancement des études historiques dans la Suisse allemande.
En Suisse le développement communal n'a jamais rencontré des barrières qui
l'aient refoulé ; jamais on n'a prétendu faire table rase des institutions antérieures
et rompre avec le passé. Aussi l'érudition a-t-elle encore aujourd'hui une portée
d'histoire et de littérature. 395
pratique que les hommes d'affaires ne méconnaissent point : partout vous trouvez
des chanceliers faisant fonctions d'archivistes, ou des archivistes faisant fonctions
de chanceliers, et presque partout ils sont les promoteurs de recherches inces-
santes et de publications recommandables.
A côté fonctionnent des sociétés savantes en grand nombre : on n'en compte
pas moins de vingt et quelques , exclusivement vouées à l'histoire et à l'archéo-
logie, dont la plupart publient leurs mémoires ou des recueils de documents.
J'ose dire que nulle part en Europe le dépouillement des archives n'est aussi
avancé qu'en Suisse ; nos voisins reconstituent brin par brin toute la trame de
leur histoire, et l'on peut prévoir qu'avant peu il se trouvera un second Jean de
Mùller pour en refaire la synthèse.
La société historique de Saint-Gall, qui vient de commencer après moins de
dix ans d'existence une nouvelle suite de ses mémoires, figure au premier rang
des compagnies qui se sont vouées à l'histoire de la patrie suisse : la bibliothèque,
les archives de l'antique abbaye de Saint-Gall lui ont fourni jusqu'ici, et conti-
nuent à lui fournir d'excellents matériaux.
Dans le nouveau volume MM. Ernest Dûmmler et Hermann Wartmann ont
reproduit d'après un ms. de la bibliothèque le texte des traités de confraternité
conclus avec le monastère de Saint-Gall par diverses abbayes , au nombre des-
quelles se trouve Murbach, pour assurer les prières de leurs communautés aux
religieux défunts. La plus ancienne de ces conventions remonte à 800, la plus
récente à 950. Rien ne prouve mieux le prix qu'on attachait alors à ces prières,
que le voyage de l'évêque anglais Keonwald qui , après avoir parcouru toute
l'Allemagne pour s'en procurer, arriva en 926 à Saint-Gall 011, au moyen d'abon-
dantes aumônes tant à l'église qu'aux religieux, il obtint qu'ils feraient la commé-
moration de son maître le roi Adelstean,
A ce premier document les éditeurs ont ajouté deux nécrologes ou registres
des anniversaires célébrés à Saint-Gall. Les décès sont compris entre les années
799 et 1078; les noms connus sont en petit nombre : ainsi que le remarquent
MM. D. et W., l'horizon historique de Saint-Gall ne dépassait pas la Souabe, et
comme de juste son action religieuse se concentrait dans le même rayon. Mais
il ne faut pas oublier que ce sont là nos plus anciens registres de l'état civil,
une source inappréciable d'informations pour l'étude des chartes et des chro-
niques, pour l'histoire des mœurs et de la civilisation, pour l'étude des noms de
personnes, et le soin qui a présidé à la publication est un bon garant pour
l'exactitude des formes. Les éditeurs ont été jusqu'à distinguer les diverses écri-
tures, de manière à permettre de déterminer approximativement la date des
décès. Des tables où les noms se trouvent classés selon la qualité et autant que
possible selon l'origine des personnages, permettent de s'orienter dans ces longueâ
listes, dont le texte seul ne comprend pas moins de 40 pages.
M. Gerold Meyer de Knonau a reproduit d'après six mss. de la bibliothèque
de Saint-Gall les plus anciens catalogues des abbés, déjà publiés, mais moins
correctement, dans le tome II des Scriptores de Pertz. Ces noms ont été colligés
396 REVUE CRITIQUE
pour la première fois dans la première moitié du xi« siècle, et les listes ont été
continuées jusqu'à la fm du xv^.
Puis viennent de nouveaux extraits du Stadtbuch ou protocole du conseil de
Saint-Gall, publiés par l'archiviste de l'abbaye, M. W.-Z. de Gonzenbach, et
suivis du texte d'une convention de 1375 entre l'abbaye et la ville sur leurs
droits et leurs devoirs réciproques. A notre avis on ne saurait trop multiplier les
textes de ce genre. Pour les études d'histoire communales on est trop disposé à
se contenter de brillantes généralités : il serait grand temps de les traiter d'une
manière plus concrète. On devrait y procéder comme pour l'anatomie comparée.
Prises dans leur ensemble, les communes ont des ressemblances et des dissem-
blances analogues à celles des organes ; la société civile a pourvu à des besoins
communs par des institutions qui se sont développées inégalement, mais dont les
caractères se retrouvent d'âge en âge, sous les Romains comme sous les Barbares
et au moyen-âge. Ce sont ces caractères qu'il importe de déterminer et de com-
parer, si l'on veut connaître l'organisation communale autrement que par à peu
près. A St-Gall comme ailleurs l'origine de la cité est évidemment indépendante
de celle de l'abbaye : au xiv^ siècle on retrouve encore la distinction primitive
des bourgeois et des vassaux, des hommes libres et des serfs. Ce sont les enva-
hissements des tout-puissants abbés qui, selon toute apparence, ont amené les
ingénus à se conjurer contre leur assimilation avec les simples tenanciers. En
1 375 et en 1381 encore, les corps de métiers ne devaient leur existence qu'à un
pacte quinquennal : libre à la majorité de le rompre à son gré. Pourvus de l'office
de comte, les abbés n'exerçaient sur les bourgeois que des droits de justice, et
dans l'administration même de la justice, il leur fallait le concours de la ville.
Les extraits du Stadtbuch présentent de nombreux exemples de sentences au
grand criminel rendues par le conseil. On remarquera les considérants de quelques
jugements pour meurtre : ce n'est pas tant pour l'homicide qu'on punit le cou-
pable, que pour l'avoir commis sans sujet et sans défi préalable. La plupart des
condamnations ne comportent que le bannissement à temps; il est vrai que
l'échéance en est reportée à cent ans et un jour, à cent un ans, à cent cinq
ans, ce qui est un peu long ; serait-ce un biais pour éviter quelque restriction
juridique ?
En 1 391, le grand et le petit conseil attribuent à l'abbé la succession mobi-
lière d'un individu, par la raison qu'il était mort célibataire. Indépendamment de
ces actes judiciaires, il faut noter quelques mesures administratives, telles qu'un
marché pour la construction d'une horloge, un traité avec un maître d'école,
chargé, en 1 382, d'apprendre à écrire aux enfants des deux sexes que les parents
voudraient lui confier. Ces extraits sont comme les nécrologes, accompagnés de
tables, et c'est un exemple que nos sociétés savantes devraient bien imiter;
malheureusement en France on vise à mettre ses matériaux en œuvre, à leur
donner une tournure académique, et l'on perd trop souvent de vue les travail-
leurs.
Après un intéressant mémoire de M. J. Anderes sur les établissements lacustres
d'histoire et de littérature. ^97
dont la société historique de Saint-Gall a fait reconnaître l'existence dans le lac de
Constance , le volume se termine par le rapport sur ses travaux depuis le
1" janvier 1866 jusqu'au 21 juillet 1868. Il jette un grand jour sur l'activité
intellectuelle d'une petite ville suisse, et en la comparant à la torpeur de la plu-
part de nos villes de province, le mieux que l'on puisse faire, c'est de s'humilier.
Indépendamment de son bulletin, la société historique publie chaque année, sous
le titre de Feuilles du jour de l'an {NeujahrsbUtter) , des travaux d'une portée
moins scientifique pour rallier à sa cause le grand public et la jeunesse des écoles ;
elle fonde un musée archéologique et ethnographique qui déjà se trouve à l'étroit,
et, d'accord avec des délégués de l'administration municipale, avec le direaoire
du commerce, avec la société des beaux-arts, avec la société d'histoire naturelle,
on a mis à l'étude la construction d'un établissement spécial, où l'on centralise-
rait les différentes collections en voie de formation. Des faits de ce genre ne sont
pas rares en Suisse. Il est vrai que la vie communale y a conservé toute son
intensité, et que rien n'entrave la libre initiative des hommes de bonne volonté.
X. MOSSMANN.
256. — Jeanne d'Arc, par H. Wallon, membre de l'Institut, etc. Ouvrage qui a
obtenu en 1860 de l'Académie française le grand prix Gobert. Deuxième édition. Paris,
L. Hachette, 1867. 2 vol. in-8*, Ixxij, 376 et 456 pages.
Le mérite de cette histoire avait été constaté, dès sa publication première,
par l'une des plus hautes récompenses que puisse décerner l'Académie française.
Le savant et consciencieux auteur n'a vu dans cette distinction qu'un motif de
plus de perfectionner l'ouvrage qui l'avait obtenu. La deuxième édition qu'il
nous en offre n'est pas une réimpression pure et simple, bien loin de là : elle
présente de notables additions et changements, tant dans le texte lui-même que
dans les notes et les appendices rejetés à la fin de chaque volume. Plusieurs de
ces morceaux sont de véritables petits mémoires, oij l'auteur a fait preuve d'une
critique ingénieuse et d'une excellente méthode de discussion. Telles sont la
note relative à la véritable onhographe du nom de Jeanne d'Arc (t. P', appen-
dices, n° III, p. 241-246) et celle qui a pour objet le pays de la Pucelle (ibid.,
n° V, p. 247-256). Dans le premier de ces morceaux, M. W. prouve, contre
le sentiment de feu M. Vallet de Viriville, adopté par plusieurs historiens de
Jeanne d'Arc, que le nom de famille de l'héroïne doit s'écrire avec l'apostrophe.
Dans le second il se prononce pour l'opinion qui attribue le lieu de naissance de
Jeanne d'Arc à la Champagne plutôt qu'à la Lorraine. Il conclut ainsi cette
discussion : « Jeanne d'Arc n'a jamais été Lorraine, car la Lorraine s'arrêtait à
la rive droite de la Meuse, et Domremy n'a appartenu à la Lorraine que depuis
1 571. Jeanne d'Arc n'était pas davantage du Barrois, ni même du Barrois mou-
vant, c'est-à-dire relevant de la couronne ; car la portion de Domremy qui se
rattachait au Barrois mouvant était au sud du petit ruisseau qui faisait la limite
des deux pays, et la maison de Jeanne d'Arc est au nord. Jeanne d'Arc est donc
398 REVUE CRITIQUE
née en terre de France. Elle est Française par la naissance, comme elle l'était
par son père, comme elle l'a été par toutes ses aspirations. »
Notre intention n'est pas de nous étendre sur un livre qui a pris un rang
distingué parmi les ouvrages relatifs à notre histoire. Il nous a semblé conve-
nable d'en annoncer une seconde édition, qui pourrait bien ne pas être la
dernière, le mérite de l'exécution venant en aide à l'intérêt du sujet traité. C'est
cette pensée qui nous encourage à soumettre au savant historien de Jeanne d'Arc
deux ou trois observations de détail, dont une seule a quelque importance.
Dans la note de la page xxxiij du premier volume, le titre de duc de Riche-
mont est donné à Arthur ou Artus de Bretagne. C'est une légère inadvertance :
le vrai titre est celui de comte de Richemont, ainsi qu'on lit quatre pages plus
bas (p. xxxvij; voyez aussi le tome II, p. 391). Dans la note i de la p. Ixvij,
la date 1421, indiquée comme celle de l'année où le chancelier Regnault de
Chartres se rendit, en qualité d'orateur d'obédience, auprès du pape Martin V,
ne peut être que le résultat d'une faute d'impression pour 1424'. Dans une
réponse de Jeanne d'Arc, au sujet de l'épée qu'elle portait quand elle fut prise
à Compiègne, M. W. (t. II, p. 71) rend les mots donner de bonnes buffes et de
bons torchons par « frapper d'estoc et de taille ». C'est là une traduction un peu
libre : dans l'ancien français buffe ou buffet signifiait un soufflet, un coup sur la
figure, et torchon ou, comme on trouve quelquefois, torche % avait à peu près le
même sens. De plus, l'idée de coups d'estoc et de taille nous paraît en contra-
diction avec le soin que prenait la Pucelle de ne pas répandre le sang de ses
adversaires. — Enfin, nous signalerons à M. W. une opinion émise par feu
M. Grésy, dans un curieux travail inséré au tome XXV des Mémoires de la Société
des Antiquaires de France K L'auteur de ce mémoire croit reconnaître dans une
des pièces dont il s'occupe la médaille dont il est fait mention dans l'article 5 2
de l'acte d'accusation de Jeanne d'Arc.
C. Defrémery.
257. — Montesquieu. Sa réception à l'Académie française et la seconde édition des
lettres persanes. Paris, Didier et C% 1869. Petit in-8% 24 p.
Cet opuscule ne porte point de nom d'auteur; il est à la fin, signé des initiales
L. V.; nous ne pensons point commettre une indiscrétion en disant qu'il est sorti
de la plume de M. L. Vian, référendaire au sceau de France, lequel nous apprend
que, depuis dix années, Montesquieu, sa vie et ses ouvrages occupent tous ses
loisirs.
Nommé en 1725 membre de l'Académie française, Montesquieu vit sa nomi-
1. Cf. Vallet de Virivilie, Histoire de Charles VII, tome I, p. 393.
2. Cf. nos Mémoires d'histoire orientale, suivis de Mélanges de crititjue, de philologie, etc.
Seconde partie. Paris, 1862, in-8', p. 236.
3. Notice sur quelques enseignes et médailles en plomb trouvées à Paris dans la Seine, p.
20, 2 1 du tirage à part.
d'histoire et de littérature. 399
nation invalidée, des envieux ayant invoqué le statut qui défendait de recevoir
des membres non-résidants à Paris ; piqué au vif, il vendit la charge qu'il occu-
pait au Parlement de Bordeaux et il vint en 1726 s'établir dans la capitale; il
fréquenta les salons qui étaient alors (et la chose a persisté depuis) en possession
d'élaborer les candidatures académiques. Un immortel complètement ignoré
d'ailleurs, un avocat, nommé de Sacy, vint à mourir le iG octobre 1727 ; l'élec-
tion de Montesquieu paraissait assurée, mais il survint un incident grave; on
apprit que le premier et tout-puissant ministre, le cardinal de Fleury, prévenu
contre les Lettres persanes qu'il n'avait probablement pas eu le temps de lire,
manifestait formellement sa désapprobation. Il est juste de reconnaître qu'il se
trouvait en effet dans les Lettres en question des passages de nature à choquer
en 1727 un cardinal et une grande partie du public moins aguerri que de nos
jours. Montesquieu alla voir le cardinal; Fleury écrivit au directeur de l'Aca-
démie ' que, d'après les éclaircissements qui lui étaient donnés, il ne s'opposait
pas à l'élection; elle eut lieu le surlendemain 20 décembre; l'illustre candidat
fut nommé , mais non sans avoir rencontré une opposition assez vive ; on lui
opposait Marais.
Ce qui précéda, ce qui suivit cette élection, est raconté fidèlement et par le
menu dans l'écrit de M. Vian, mais un point reste obscur; que se passa-t-il dans
l'entretien avec le cardinal ? Quelques contemporains se taisent; d'autres diffèrent
entre eux; Voltaire avance que Montesquieu fit faire à la hâte une nouvelle
édition des Lettres persanes dans lesquelles on retrancha ou on adoucit tout ce qui
pouvait être condamné par un cardinal ou par un ministre. MM. Auger, Meyer,
Sainte-Beuve, et quelques biographes ont nié la version de Voltaire et l'existence
de l'édition dont il parle. Toutefois M. Vian a fait une découverte qui peut aider
à la solution de ce petit problème; il a rencontré par un de ces hasards qui n'ar-
rivent que lorsqu'on les cherche, et il a acquis deux volumes petit in- 12 : Lettres
persanes, seconde édition revue, corrigée, diminuée et augmentée par V auteur, Cologne,
Pierre Marteau 2, 1721. Observions en passant que le Manuel du Libraire dit qu'il
existe au moins quatre éditions sous la date de 1721 dont une de Cologne à
l'égard de laquelle il ne donne aucun détail. Quérard, dans la France littéraire,
mentionne deux édition sous la rubrique d'Amsterdam, 1721, et il en signale
six avec le nom de Cologne, mais la plus ancienne est datée de 1 721. On ne
trouve dans la réimpression qui nous occupe que 140 lettres au lieu de 150
contenues dans le premier texte ; M. Vian signale en détail les lettres qui ont été
1. Le directeur était alors le maréchal d'Estrées qui n'avait jamais écrit une ligne,
mais qui avait du moins le mérite d'être ami des livres; il avait formé une très-belle
bibliothèque dont le catalogue imprimé en 1740, remplit deux volumes in-8*, et fait con-
naître près de 20,000 articles. Saint-Simon parie des ballots de livres que le maréchal
avait entassés dans son hôtel.
2. Il est inutile de dire que le nom de Pierre Marteau, imprimeur à Cologne, fort em-
ployé dans la seconde moitié du XVII* siècle et dans la première du XVIII', est un masque
emprunté par des libraires, presque toujours hollandais, afin de dissimuler l'origine d'ou-
vrages susceptibles de donner lieu à quelques tracasseries de la part de l'autorité.
400 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
retranchées ; la première est celle d'Usbek à Rustan datée de Tauris le 1 5 de la
lune de Saphar 1 7 1 1 ; en relisant ces lettres on reconnaît sans peine les passages
qui ont dû faire procéder à une suppression. En tout douze lettres ont disparu,
mais il en a été ajouté trois autres.
M. V. ne manque point d'indiquer, dans diverses lettres qui ont été con-
servées, les modifications introduites pour adoucir des pensées trop hardies, des
expressions trop vives ' . Ce sont des variantes dont il y aura lieu de prendre
note lorsqu'on donnera un jour une édition critique et complète des œuvres de
Montesquieu.
M. V. pense avoir mis la main sur l'édition citée par Voltaire; la date dé 172 1
le rendait indécis, mais le Journal littéraire de 1729 consacré aux livres parus de
172 1 à 1728, contient deux comptes-rendus de cette seconde édition; leur bien-
veillance, l'étendue des citations, l'idée édifiante, religieuse même qu'elles inspi-
rent du livre, donnent lieu de supposer un calcul pour faire croire que la publi-
cation était bien de 172 1 , et que les modifications, imposées par les circonstances
de 1728, y avaient été apportées depuis longtemps.
Celte conjecture peut être plausible ; il est toutefois étrange que Montesquieu
ait eu l'idée d'inscrire en tête de cette édition, les mots corrigée et diminuée; il
déclarait ainsi que ce n'était pas son œuvre primitive ; cet aveu était-il de nature
à le servir ou à lui nuire auprès du cardinal? Question insoluble aujourd'hui.
LIVRES DÉPOSÉS AU BUREAU DE LA REVUE.
Baumgarten, Glossaire des idiomes populaires du Nord et du Centre de la France
(Franck). — Bladé, Études sur l'origine des Basques (Franck). — Cornélius Nepos,
éd. Browning (Oxford, Clarendon Press). — Curtius, Grundzûgp d. griech. Etymo-
logie (Leipzig, Teubner). — Edwards, Free Town Libraries (London, Trùbner). —
Gauchet, le Plaisir des Champs, p. p. Blanchemain (Franck). — Longnon, le
Livre des Vassaux du comté de Champagne (Franck). — Marchant, Notices sur Rome,
les noms romains, etc. (Rollin et Feuardent). — Morosi, Studi sui dialetti greci délia
terra d'Otranto (Lecce, tip. Salentina). — Proust, la Justice révolutionnaire à Niort
(Niort). — Poetarum scenicorum graecorum fabulae, ex rec. Dindorf (Leipzig, Teub-
ner). — ScHMiDT, Tableaux de la Révolution française (Leipzig, Veit). — Viollet,
les Œuvres chrétiennes des familles royales de France (Poussielgue).
I. On trouverait de fréquents exemples de modifications de ce genre dans Rabelais;
l'édition de Pantagruel, M. D. XXX. III (Poitiers?) connue depuis peu de temps, offre des
leçons hardies et tort peu orthodoxes que tous les éditeurs ont ignorées jusqu'à ces der-
nières années; ni Le Duchat, ni de l'Aulnaye, ni EloiJohanneau ne les avait soupçonnées;
voir la Notice de M. Gustave Brunet sur une édition inconnue de Pantagruel et sur le texte
primitif de Rabelais, Paris, 1844, in-8*, et les Recherches sur les éditions originales de Ra-
belais, par M. J.-Ch. Brunet. Paris, 1852, in-8*.
Nogent-le-RotroUj imprimerie de A. Gouverneur.
Biedermann (G.). Kant's Kritik der rei-
nen Vernunft u. die Hegel'sche Logik in
ihrer Bedeutung fur die Begriffswissens-
chaft. Gr. in-8*, iij-ioô p. Prag (Temp-
sky). 2 fr- 7S
Bœhtlingk (0.) u. Roth (R.). Sans-
krit Wœrterbuch. Hrsg. v. der kaiser!.
Académie der Wissenschaften. 41. Lfg.
In-4*. 6. Thl., p. 321-480. St Petersburg.
Leipzig (Voss). 4 fr.
Bouteiller (E. de). Notice sur les mo-
nastères de l'ordre de Saint- François à
Metz. In-8*, 2^7-551 p. et plan. Metz
(impr. Blanc '.
Brasseur de Bourbourg. Manuscrit
Troano. Études sur le système graphique
et la langue des Mayas. T. i. In-4',
viij-2j2 p. et 36 pi. Paris (Impr. impé-
riale).
Chychae (N.), Atheniensis, de primatu
papae. Ex codice graeco biblioth. Lug-
duno Batavae nunc primum edid. K.
Demetracopulus. Gr. m-8*, xvj-3 5 pages.
Leipzig (List u. Franke). 2 fr. 75
Curtius (G.). Grundzûge der griechischen
Etymologie. 3. Aufl. Gr. in-8*, .xvi-768
p. Leipzig (Teubner). 24 fr.
Erdmann (J, E.). Grundriss d. Geschichte
der Philosophie. I. Bd. Philosophie d.
Alterthums u. d. Mittelalters. 2. verb.
Aufl. Gr. in-8*, viij-6oj p. Berlin (Hertz).
10 fr. 75
Euripidis fabulae superstites et perdita-
rum fragmenta. Ex rec. G. Dindorfii.
Editio ex poetarum scenicorum graeco-
rum fabulis expressa. In-4*, 376 p. Leip-
zig (Teubner). 1 2 fr.
Euripidis tragoediae. Ex rec. A. Nauc-
kii. Vol. III. E.s.t.: Euripidis perditarum
tragoediarum fragmenta. In-8*, xxviij-
332 p. Leipzig (Teubner). 3 fr. 65
Fabia.n (E. A.). De Seleucia Babylonia.
Gr. in-8*, iij-72 p. mit i Steintaf. Leip-
zig (Engelmann). i fr. 65
Germain (A.). Notice sur le manuscrit
original de l'histoire de la ville de Mont-
pellier du chanoine G. de Grefeuille. In-
4*, 14 p. et fac-simile.-Montpellier (imp.
Bœhm et fils).
Haussonville (d'). L'Église romaine et
le premier empire, 1 800- 1814, avec notes,
correspondances diplomatiques et pièces
justificatives entièrement inédites. T. 4
In-S», 50 s p. Paris (lib. Michel Lévy
frères). )
Rochambeau (Achille de). La famille de
Ronsard. Recherches généalogiques, his-
toriques et littéraires sur P. de Ronsard
et sa famille. Petit in-32, 358 p. Paris
(lib. Franck). 5 fr.
Album accompagnant le volume ci-
dessus. 10 fr.
Scriptores rerum Germanicarum in usum
scholarum ex monumentis Germaniae his-
toricis recudi fecit G. H. Pertz-Amoldi
chronica Slavorum ex rec. J. M. Lappen-
bergii. In-8*, 295 p. Hannover (Hahn).
2 fr, so
rerum Germanicorum in usum scho-
larum ex monumentis Germ.aniae histo-
ricis recudi fecit G. H. Pertz. — Gisle-
berti chronicon Hanoniense ex rec. W.
Arnolt. In-8*, 312 p. Hannover (Hahn).
2 ir. 50
rerum Germ., etc. — Helmaldi pres-
byteri chronica Slavorum ex rec. J. M.
Lappenbergii. In-8*, 220 p. Hannover
(Halm). 2 fr.
rerum Germ., etc. — Monumenta
Welforum antiqua editore D' Weilanei.
In-8*, 63 p. Hannover (Hahn). 70 c.
Spach (L.). L'île et l'abbaye de Reiche-
nau. In-8*, 3 $ p. Avec une vue de Rei-
chenau. Strasbourg (imp. V* Berger-
Levrault).
Terence. Andria, Heautontimorumenos,
Adelphi, Hecyra, and Phormio, from the
text of Reinhardt; with prefatory matter
containing the Life of Terence, and a
Treatise on the Mètres. New edit. In- 12
cart., 164 p. London (Whittaker).
3 fr. 15
Theodori Mopsuesteni fragmenta syriaca
e codicibus musei britanici nitriacis edid.
atque in latinum sermonem vertit. D' E.
Sachau. In-8*, vij-i77p. Leipzig (Engel-
mann). 9 fr. 35
Turrecremata (J. de). Tractatus com-
pilatus de Veritate Conceptionis beatis-
simae Virginis. Edited, with préface, by
Dr. Pusey. In-4* cart. Oxford (Parker).
.Sfr.
XVhipple (E. P.). The Literature of the
Age of Elizabeth. In-12, 364 p. Boston.
8 fr. 7$
"Wiclif. Johannes Wiclif Trialogus cum
Supplemento Trialogi illum recensuit,
hoc primum edidit utrumque Commenta-
rio critico instruxit G. Lechler. In-8*
cart., 484 p. London (Macmillan).
17 fr. 50
BIBLIOTHÈQUE
DE L'ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES
publiée sous les auspices du Ministère de l'Instruction publique.
Sciences philologiques et historiques.
I'"' fascicule. La Stratification du langage, par Max Mùller, traduit par
M. Havet, élève de l'École des Hautes Études. — La Chronologie dans la for-
mation des langues indo-germaniques, par G. Curtius, traduit par M. Bergaigne,
répétiteur à l'École des Hautes Études. In-8o raisin. 4 fr.
Forme aussi le i'^'' fascicule de la Nouvelle Série de la Collection philologique.
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N* 52 Quatrième année 25 Décembre 1869
REVUE CRITIQUE
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de la France, contenant: 1° les patois normand, picard, rouchi, wallon, raan-
ceau, poitevin, champenois, lorrain, bourguignon, ainsi que ceux du Centre de
la France; 20 les termes populaires et néologiques du langage parisien, qui
manquent dans tous les dictionnaires; 3° les termes populaires qui se rencontrent
dans les auteurs tant anciens que modernes ; 4° la prononciation des idiomes
populaires; 5° des notices historiques sur la prononciation de la langue litté-
raire.
Cet ouvrage sera publié par livraisons de 10 à 15 feuilles d'impression et sera
complet en 10 livraisons au plus.
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depuis 1850 jusques et y compris i868, publié par C. H. Hermann. i vol. in-
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PERIODIQUES ETRANGERS.
The Athenaeum. 27 novembre.
Rev. R. Demaus, Hugh Latimer, a biography (publié pour la Religious Tract
Society). — Woolrych, Lives of Emlnent Serjeants-at-Law of the English Bar;
Allen, — De Castro, // Mondo Segreto ; Milano, Daelli (ouvrage pour le grand
public). — Max Mûller, Rig-Veda^Sanhita ; Trùbner (nous rendrons compte
prochainement de cet ouvrage considérable). — Barnes, Scènes and Incidents
in the Life of the Apostle Paul; Hamilton (livre sans valeur). — Baron von der
Decken, Reisen in Ost Africa in d. Jahren 1859-61, bearbeitet von O. Kersten;
Leipzig, Winter. — Schleicher, Darwinisme tested by the science of language,
translated by D'' Bickler ; Hotten (art. très-défavorable; cf. Rev. crit., 1868,
art. 213). — Fr. Madden, La Bible de Charlemagne; l'auteur de cette lettre
constate la communauté d'origine de la Bible n° i du fonds latin à la Bibl. imp.,
et de la Bible qui après avoir appartenu autrefois à M. Speyr-Passavant , est
maintenant au Musée Britannique (add. 10546). Il pense qu'elles ont été faites
non pour Charlemagne mais pour Charles le Chauve, ce qui était déjà constaté
pour la première, cf. Delisle, Le Cab. des Mss., p. 6, n. 2. — Cleasby, An Ice-
landic-English Dictionary, completed by G. Vigfusson; Oxford, Clarendon Press.
4 décembre.
P. Hubert-Valleroux, Des associations ouvrières et de leur situation légale en
France; Paris, Pichon-Lamy. — Parkman, The Discovery of the Great West;
Murray (principalement sur l'expédition de La Salle). — Gesenius and Rœdiger,
Hebrew Grammar translated by Davies; Asher.
1 1 décembre.
Froude, History of England from the Fall of Wolsey to the Defeat of the Spanish
Armada; Longmans. — Narrative of the Spanish Marriage Treaty , edited and
translated by S. Rawson Gardiner; Camden Society (d'après le récit jusqu'à
présent inédit de Fray Francisco de Jésus). — Earl of Shaftesbury, Characte-
ristics, or Men, Manners, Opinions, Times, edited by the Rev. W. Hatch; Long-
mans. — Green, Shakespeare and the Emblems-Writers ; Trùbner; l'idée de ce
livre est que Shakespeare doit beaucoup d'idées et d'expressions aux recueils
d'emblèmes qui de son temps circulaient en grand nombre; mais la plupart des
rapprochements présentés sont forcés. — Th. Wright, Womankind in Western
Europe, from the Earliest times to the seventeenth Century; Groombridge; article
très-favorable. Nous rendrons prochainement compte de ce livre. — Le livre de
Salin le Sauvage, de Sir Thomas Malory. Notice sur un ms. récemment acquis
à Paris , et qui contient le seul texte connu du roman dont s'est servi Malory
dans sa Morte d'Arture.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE
DES PRINCIPALES PUBLICATIONS FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
AVIS. — On peut se procurer à la hbrairie A. Franck tous les ouvrages
annoncés dans ce bulletin , ainsi que ceux qui font l'objet d'articles dans la
Revue critique. Elle se charge en outre de fournir très-promptement et sans
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zione dell' apostolo S. Paolo. 3 vol. in- | chini). 20 fr. 70
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N* 52 — 25 Décembre — 1869
Sommaire : 258. Sauppe, Lexique de Xénophon. — 259. Liber Diurnus, p. p. de
RoziÈRE. — 260. 260. Dahlmann, Sources de l'histoire allemande, éd. Waitz.
— 261 . Blumstengel, le Plan de Leibniz pour la conquête de rÉg)'pte. — Variétés:
Une Lettre de Hase à Raoul Rochette.
258. — Lexilogus Xenophonteus sive index Xenophontis gramraaticus. Confecit
Gustavus Sauppe, Lipsiae, Teubner, 1869. In-8*, iv-146 p. — Prix : 4 fr.
M. Gustave Sauppe a rassemblé toutes les particularités qu'offre la langue de
Xénophon pour le vocabulaire, les formes des mots et la syntaxe. Il les indique
par ordre alphabétique en renvoyant aux ouvrages des hellénistes qui en ont
traité. Je ne sais si l'ordre alphabétique était ici le meilleur qu'on pût suivre. Un
ordre systématique aurait présenté l'avantage de rapprocher les faits semblables
et de' donner une idée des caractères qui distinguent la langue de Xénophon. Un
index alphabétique à la suite aurait facilité les recherches. Si l'ordre alphabétique
convient pour le vocabulaire (et encore isole-t-il des faits que l'on voudrait voir
ensemble, comme les à^^a? /.Eyô-iîva/les mots ioniens ou poétiques), il ne convient
pas pour les particularités grammaticales, parce qu'il est ici complètement arbi-
traire. Un autre reproche que je ferai au travail de M. S. au point de vue de la
commodité, c'est que les textes ne sont pas en général cités, mais indiqués par
des chiffres : ce qui n'épargne pas assez de peine au lecteur. M. S. suppose
d'ailleurs qu'on a un texte avec toutes les variantes, et ses indications, très-souvent,
ne se rapportent pas au texte de Dindorf, par exemple.
Voici des observations que nous avons à présenter sur quelques détails.
P. 29. Aè me semble tout à fait insolite à l'apodose dans Anab. 5, 5, 22 :
& S'TîTC£tXr,(7a; w;, f,v yyiîv Soxfj, KopOXav xai IIaç).a-)f6va; ^j\L\iâyo'j:; Tro'.r,a£(ï6c £9' r,u.âî, r,-
JI.EÏÇ 8è, îiv {ièv ôvorpcTi ^ , • itoiEpîffoiJisv xai àjiçôTÉpoiç Cette conjonction est très-
souvent substituée à ôf, dans les manuscrits, et ici or, conviendrait très-bien avec
f,ji£T; pour fortifier l'affirmation. Si l'on dit que cï est employé comme s'il y avait
d'abord cù tièv ^etXTjffo;, il n'est rien qu'on ne puisse défendre axec ces comme si.
Il n'y a pas (tj (ilv r^., et par conséquent ôï ne me paraît guère possible.
P. 40. « El repetitur, ubi conditionalis sententia in aliquot partes dispertitur. »
M. S. exprime sous cette forme assez vague et assez inexacte le fait de S3rntaxe
que l'on trouve souvent en grec et en latin, par exemple dans Hell. 7.4, 8 :
à|toû|i£v, £1 [iJy Ttva èfi'i ffwrr.piav ûiiïv, im StaxapT£pw[j.£v zoXîtioyvTîî, SioâÇai xat ^{lâç *
et Sa àirôpw; YiyvtûiTXEtE l^ov-a -rà rj[x.£T£pa, zl [lèv xai y[xîv (rutiçepti, îroir^cafrôat (icÔ' i,-
|xâiv TTiV £lpTTvr,v £1 {lÉvrot X. T. ê. La proposition èm 5iax. modifie ffuTTipiOf; f,[xîv
S. ent. oZam, et la proposition eî 5è x. t. é. modifie tout ce qui suit considéré
comme formant un seul tout, dont certaines parties sont exprimées condition-
VIII 26
402 REVUE CRITIQUE
nellement. Mais on ne peut pas dire (si toutefois j'entends bien M, S.) que ces
différentes propositions conditionnelles d Se, si [aèv, eï [lév-rot forment un tout.
P. 41 . La périphrase eottiv wv me semble inadmissible. Il y a une faute évidente
dans le texte Cyr. 2, 3» 13 I où ^àp êan StSào-xaXo? oùSel; TOÛTwv xpeiTTwv wv Triç
àvàyxriç. Dindorf supprime wv qui est la répétition de la dernière syllabe du mot
précédent. Il y a inadvertance à citer comme un autre exemple de cette péri-
phrase Cyr. 5, 3, 22 olamp àyaôov ^v çtXiov 5v, OÙ ôv est pour ei çtX. ■^v, et Metnor.
2, 3, 9 fèv àSeXçàv <p-^ç (xÉya àv àyaSèv elvai ôvxa Trpô; aè otov Seï, où ôvxa eSt
pour Et l(7Tl.
p. 58. « Retinendum àçy.éc!u> àpxsT C}^. i, 6, i6praesens j'/Wefur esse. » Il
faut plutôt dire àpxsT est certainement un présent. La règle générale, telle que la
formule Cobet cité par M. S. lui-même (^novae lectiones, 65), c'est qu'il n'y a pas
de futur en éaw, et qu'il y a contraction, excepté dans les futurs disyllabes et
dans ceux où l's est précédé d'une syllabe longue par nature ou par position
comme àpxéo-w, alvE'aoï^at.
P. 67. L'article de l'imparfait est très-incomplet. Il y a bien d'autres exemples
que èxe'Xeuov de l'emploi de ce temps comme synonyme de l'aoriste. Voir Mémoires
de la société de linguistique de Paris, t. P"", 2" fascicule,, p. 11 5.
P. 69. M. S. ne me paraît pas s'exprimer nettement au sujet de l'emploi de
l'infinitif aoriste, quand il dit: « concedimus locos esse, quibus perinde
» videatur esse utrum praesentis an aoristi infmitivo utare, si quidem nulla tem-
» poris ratione habitaïpsa actio per se significanda sit; ubi vero aut eiusdem cum
» verbo régente aut praesentis aut non certi cuiusdam temporls actio describenda
» sit, infmitivo praesentis, ubi absolutae cuiusdam actionis significatio insit,
» aoristo utendum. » En fait il est impossible, bien souvent, d'apercevoir la
moindre différence entre le présent et l'aoriste de l'infinitif. Voir Mémoires de la
société, etc., p. 120. Il n'est pas facile de se faire une idée précise des distinc-
tions établies par M. S. dans ce que nous avons mis en italiques.
P. 88. M. S. cite quelques passages « in quibus negatio non ad unum verbum
» finitum, sed simul ad id pertinet, quod cum illo coniunctum est, unam quasi
» notionem efficiat; » comme par exemple Memor. i, 2, 39 oùx àpÉaxovxo? «OtoT;
SwxpdcTouç wfjitXYiffàTYiv. M. s. aurait dû ajouter à sa citation la suite qui est essentielle
pour caractériser l'emploi de la négation, à savoir, àXX'Eùôùi; è^ àpxvii; <«)p|xvix6Te
TrpoEaxàvai tïïç TroXEwç. On voit que la négation est employée en antithèse et ne
porte pas sur w(jliX. mais sur àpEax. aOr. Swxp. Dans l'un des deux autres exemples
que cite M. S. la négation porte, suivant l'usage, sur le mot qu'elle précède
immédiatement : Memor. 2, 9, i è\i.i twe; eI? Stxa? âyoucrtv, oOx ô-rt àStxoùvTat ùtc'
è[io\), àXX' ôxt vo|jLtî:oy(nv x. t. ê. L'exemple, Memor. i , 2, 5 5 me paraît être le seul,
parmi ceux qu'il cite, où la négation opposée à àXXà porte sur l'ensemble de la
proposition en tête de laquelle elle est placée.
P. 114. « Participium praesentis de re praeterita ad praesens usque tempus
» pertinente. » M. S. cite en exemple la construction du participe dit présent
avec TtpôcôEv dans des propositions comme la suivante Cyr. i , 4, 2 5 0 'Aa-cvâyni
d'histoire et de littérature. 40J
xat irpoffôîv Ttaûv aùTôv tôte «uspsÇsîtéirXTpcTo èîc' aùrtô. Le participe très-mal à propos
appelé présent a aussi souvent la valeur d'un imparfait que celle d'un présent de
l'indicatif. C'est cette dénomination vicieuse de participe présent qui semble avoir
induit en erreur M. S. Car il est clair qu'ici, non plus que dans les autres textes
indiqués par M. S. {Hell. 4, 4, 15; 5, 4, 29; 7, 4, 30. Memor. j, 5, 4) le fait
passé exprimé par le participe n'a de rapport au présent. Les temps du participe
expriment seulement la simultanéité , l'antériorité ou la postériorité. La portion
de la durée relativement à laquelle il y a simultanéité, antériorité ou postériorité
est déterminée soit par le verbe principal soit par un adverbe.
Il me paraît difficile d'admettre que le participe présent « videtur pro fiituro
» dictum )) dans Hell. 5 , 5 , 4 o-jx f.pïx^co î:o).Ijjlo-j , à).),' àyL-jvôîiîvoi f,),6ov er: to-jç
Aoxpo'j;. Ici aussi le participe présent a la valeur d'un imparfait, et on le rendrait
exactement en français (mais en intervertissant le tour) : « ils ne faisaient que
» se défendre en attaquant les Locriens. » Dans Hell. 7, i, 13 (èirl toî; ïtoi; xal
éjioCo'.; r,x^'-; '"ry TJiiaa/îa-; tto'.o-joîvo;) , 4) 5 0^-5-'' 2'^' êor,6wv rapétr,) , le
participe présent, toujours construit avec des verbes qui signifient venir, se pré-
senter, me paraît toujours exprimer la simultanéité. Seulement comme il s'agit
d'une action qui doit avoir une certaine durée, le sens indique qu'elle commence
aussitôt que celui qui l'accomplit est présent. C'est ainsi que souvent à l'indicatif
le présent et l'imparfait, non pas par eux-mêmes, mais suivant la nature et les
circonstances de l'action exprimée, signifient le commencement de l'action dans
le temps relativement auquel ils marquent sa simultanéité. Je ne retrouve pas
l'indication Hell. 3, 2, 13 donnée ici par M. S.
P. 114. Je doute que l'infinitif parfait soit employé « aoristi vel fiituri signifi-
» Catione » dans Hell. 6, 2, 15 ixr,pu?£v 6 Mvâ<Ti7rî:o; •::£-pâ<76a'. ôort; a-JTO[io).otr,. —
Œc. 14, 5 YsypaTTra: Çr,u.toû(i6ai lui toï? xX£|ijia(7i, xat ÔEos^Oat, ^v ti; à),&) îiotwv.
Il me paraît probable que dans ces deux passages , d'un tour tout semblable,
l'infinitif reproduit au style indirect les impératifs parfaits T.t-ç.â'ybw, ôcoîtôw.
P. 116. Il me semble inadmissible que le plus-que- parfait « de re statim vel
» celeriter facta dicitur. » Je ne vois pas ce sens dans Anab. 6,4, 13 (je ne
retrouve pas les textes Anab. 7, 2, 9. 4, 23. Memor. 2, 9, 5). Dans Cyr. i, 4,
1, ce sens est marqué par-ra/v, mais non par le plus-que-parfait, qui a ici sa
valeur ordinaire comme dans Cyr. 2, i, 21; 8, 3, 8; 4, 30. M. S, aurait dû
mentionner le cas très-fréquent où le plus-que-parfait n'a pas d'autre valeur que
le plus-que-parfait latin et français , et signifie purement et simplement antério-
rité d'une action passée à une autre action passée, comme dans Cyr. 6, 2, 9;
Hell. IV, I, 3; V, 8; 7, i. V, 2, 7, 10; 4, 9; VI, 5, 8.
P. 127. Ta(icTov. Cobet (Novae lecûones y 331) condamne cette forme comme
barbare, et ne reconnaît pour attique que -xu.:t'.m.
Le travail de M. S. est en somme très-utile et me paraît être le complément
nécessaire des éditions de Xénophon.
Charles Thurot.
404 REVUE CRITIQUE
259, — Liber diurnus, ou recueil des formules usitées par la chancellerie pontificale
du V* au XI" siècle, publié par Eugène de Rozière, inspecteur général des archives.
Paris, Durand, Thorin, 1869. In-8*, ccxxxj-43 1 P- — Prix 20 fr.
La nouvelle publication de M. de Rozière se compose de deux parties. La
première est une introduction, divisée en quatre chapitres. Dans le chapitre I"
(p. vij à xxx) l'auteur étudie l'origine et le caractère, l'unité, l'authenticité du
Liber diurnus; l'époque présumée de sa rédaction et la durée de son influence. Il
raconte dans le deuxième (xxxj-lxxij) l'histoire du Liber depuis le xi« siècle
jusqu'à nos jours. Il examine dans le troisième (Ixxiij-cxlviij) les causes de la
suppresssion du Liber. Il consacre le dernier (cxlix et suiv.) à la bibliographie, à
la description des manuscrits et des éditions, enfin à l'exposition du plan qu'il a
lui-même adopté.
La seconde partie de l'ouvrage est la reproduction littérale du manuscrit de
l'abbaye de Sainte-Croix de Jérusalem (Rome) collationné par MM. Daremberg
et Renan aux archives du Vatican, archives où il est probablement entré, vers
les dix premières années de ce siècle, pendant la domination française. Ce texte
est enrichi des notes du Père Garnier, éditeur en 1680, du manuscrit de la
bibliothèque du collège de Clermont, et d'un commentaire, jusqu'ici inconnu, de
Baluze, signalé à M. de R. il y a peu de temps, et qui est donné aujourd'hui au
public pour la première fois. Viennent ensuite quatre appendices, contenant i°les
formules qui se trouvent ou se trouvaient ' dans le ms. de Clermont et qui man-
quent dans le ms. de Sainte-Croix (on en compte huit); 2" trois documents tirés
par Holstein (du moins c'est l'opinion de M. de R.) de la collection du cardinal
Deusdedit (f 1099); 3° six lettres empruntées par Baluze à la correspondance
de saint Grégoire; 4° treize pièces choisies par M. de R. dans Garnier, Mabillon,
Mansi et Barberini. Enfin les trois dissertations de Garnier, une de Zaccaria, les
variantes (importantes) du commentaire de Baluze (il y en a trois rédactions,
développement les unes des autres), et cinq tables indiquant les concordances
de n"' des formules entre le ms. de Sainte-Croix, la copie de Sirmond, celle de
Baluze, l'édition d'Holstein (1662), celle de Garnier et celle de M. de R., ter-
minent le volume. Le nouvel éditeur s'est abstenu de dresser un tableau de
comparaison avec les études partielles de Mabillon (Muséum italicnm) de Schœp-
flin (Commentationes historicae, 1741), avec les publications d'Hoffmann (173 1-
1733) et de Riegger (1762) parce que ces travaux ne consistent qu'en essais de
restitutions, ou en reproductions plus ou moins estimables de l'œuvre du Père
Garnier. Quant à Zaccaria, on sait qu'il n'eut pas le temps ou qu'il perdit la
volonté (ce qui était arrivé précédemment à Baluze) de donner suite à ses pro-
jets de publication. Mais M. de R. a eu constamment sous les yeux les disserta-
tions qui en formaient la base, il s'en est particulièrement servi. Il a au contraire
I. Compris dans l'achat Meermann (voy. Delisle : Cabinet des mss.), il ne figure cepen-
dant pas dans la bibl. de sir Thomas Phillipps, principal acquéreur de la collection hol-
landaise, et on ignore ce qu'il est devenu.
d'histoire et de littérature. 405
négligé les copies qui se trouvent à la Bibl. impériale ou ailleurs et qui vérifica-
tion faite, ne sont que des extraits modernes, incomplets et incorrects. Les mss.
de Montchal et de Bignon qui ont eu au xyii*" et au xviii* siècle une certaine
réputation, participaient (M. de R. en donne la preuve) à ce caractère,, et leur
perte est médiocrement regrettable.
Si nous avons réussi à donner une idée claire du plan adopté par M. dé R.,
nous en avons fait voir les mérites, Anti-datée (1658), quand le pape en laissa
circuler quelques exemplaires (1724), l'édition d'Holstein était pour ainsi dire
introuvable ; celle de Garnier, peu commune en France même, est très-rare en
Allemagne; enfin le texte accepté par Baluze était inconnu. D'un seul coup,
M. de R. nous offre donc avec la rédaction type (qui aujourd'hui est celle du
ms. de Sainte-Croix), lestrois variantes principales. Ces variantes qui consistent
généralement en corrections grammaticales ont pour résultat de faciliter l'intel-
ligence du texte. Publié dans l'ordre où il se présente dans l'original, ce texte
est lui-même à l'abri des reproches qu'encourent parfois les subdivisions métho-
diques. Bref, l'ouvrage de M. de R,, par la commodité des dispositions, par la
condensation des matières, par le caractère vraiment scientifique de la concep-
tion, est destiné à prendre place entre les éditions qui demeurent longtemps
classiques.
Deux remarques nous paraissent toutefois nécessaires. M, de R. a quelque
peu exagéré, selon nous, la valeur du commentaire inédit de Baluze. Quelle est
la partie importante d'un travail relatif à des formules ? Évidemment celle qui a
pour objet de rapprocher les actes où elles peuvent figurer, de les comparer
entre eux, de les soumettre à une sorte de contre épreuve, A cet égard, le Père
Garnier conserve une grande supériorité sur Baluze ; et cela se comprend puisque
son successeur était réduit à glaner dans une moisson faite et bien faite. Par la
même raison, nous ne blâmerons pas M, de R. de n'avoir pas tenté à son tour de
faire des découvertes nouvelles. Il a jugé la matière épuisée et s'est borné au rôle
d'éditeur scrupuleux et utile. Peut-être est-il permis de regretter qu'il n'ait pas
poussé l'ambition jusqu'au désir de se faire l'interprète du recueil. Le Liber
diurnus n'est pas intéressant à étudier au point de vue seulement de l'adminis-
tration pontificale. Pourquoi M, de R, n'a-t-il pas essayé de grouper dans certains
cadres quelques sujets distincts, d'en exprimer la substance .'' Il donne un instru-
ment de travail ; il aurait pu s'en servir. Certes il a fait acte de sagesse en
respectant l'ordre suivi par le ms. de Sainte-Croix. Mais qui l'empêchait de
rassembler dans un index les formules similaires, d'en présenter l'analyse.?
L'absence d'une table de ce genre est bien sensible. Il est parfois assez long et
même pénible de lire toute la liste des formules avant de trouver celle qu'on
cherche. Toutefois notre principal regret porte sur les observations qu'aurait
pu faire naître l'examen de plusieurs textes. Ainsi les formules XXXVI, XXXVII,
XXXVIII, XXXIX, LXXI, LXXII, LXXXl(^de commutando mancipio,dedonando,
puero, libertatis, de concedendo puero, etc), fournissent la matière d'études
sur l'état des personnes, et indiquent les idées de la papauté à l'endroit du ser-
406 REVUE CRITIQUE
vage. Il est manifeste par exemple qu'elle acceptait d'un côté les mœurs contem-
poraines en ce qui touche les contrats dont les esclaves étaient l'objet (le nombre
relativement élevé des textes — sept — et leur double emploi en font foi) ;
qu'elle encourageait de l'autre leur affranchissement {ut post diem obitus tai, si
bene servierit, a jugo servitutis absolvatur, Ubertate a te munitus, p. 67). Les formules
xxvij et xxviij (BasUica que post incendium reparatur; que post ruinam, justa ipsam,
alla, constructa est), ne sont pas moins précieuses pour l'archéologue. La fréquence
des incendies, et l'usage de reconstruire à côté des basiliques ruinées des monu-
ments plus solides y sont attestés avec une précision remarquable'. C'est sur
des points de ce genre que nous aurions voulu voir s'exercer l'érudition de M. de
R. Mais il a réservé tous ses efforts pour l'élucidation de l'histoire externe du
Liber diurnus; cette exposition remplit toute la préface à laquelle il est temps de
revenir.
Des quatre chapitres qui composent l'introduction , le dernier est le plus utile
et le meilleur. C'est là que M. de R. passe en revue depuis les origines jusqu'à
nos jours les vicissitudes des mss. (Sainte-Croix, Clermont, Montchal, Bignon,
Castel-Gandolfo, etc.) et la bibliographie des éditions (Holstein, 1650, Garnier,
etc.). Il suffit de se reporter aux renseignements publiés par M.Delisle dans son
livre le Cabinet des manuscrits pour constater l'exactitude et la précision des
informations de M. de Rozière. D'ailleurs toute la partie relative au ms. de
Sainte-Croix est le résultat de recherches souvent neuves, et M. de R. y ajoute
un fait incontestable. Contrairement à une opinion, encore récemment soutenue
(cf. le rapport de MM. Darenberg et Renan, Arch. des Missions, I), M. de R.
prouve que ce ms. fut transporté aux Archives du Vatican non pas vers le milieu du
xvii^ siècle (soit en 1662 après l'arrêt de suspension de l'édition Holstein), mais
bien sous le premier empire, entre 1804 et 18 10 (p. clj et suiv.), ainsi que nous
l'avons dit plus haut. En effet on trouve d'assez nombreux témoignages de la
présence de ce ms. dans la bibhothèque de Sainte-Croix, pendant tout le cours
du XVIII® siècle.
Nous n'aurions rien à dire sur l'exposition du plan de l'ouvrage, plan qui
termine le ch. IV et que nous avons déjà loué, si nous n'y trouvions (sous le
n° 129) cette confession singulière... « pour introduire un peu de variété, j'ai
« désigné tour à tour le ms. du Vatican sous les titres de ms. de Sainte-Croix,
« ms. des Cisterciens, ms. d'Holstein, ms. de Rome, et celui du collège de
« Clermont sous les titres de ms. de Sirmond, ms. des Jésuites, ms. de Paris.
« Je confesserai de même que j'ai désigné le texte préparé par Baluze, tantôt
« sous le titre d'édition, tantôt sous celui de ms. » Certes, voilà un procédé peu
I . « Quoniam beat! IHius basilicam iateribus aliquando constructam funditus corruisse
» perhibes, et ita vel ruina vel aliis squaloribus esse repletam, ut mundari difficilius fuerit
» quam aedificari, te autem in vicino omnino loco, aliam, non de Iateribus, sed de calce
» atque arena instruxisse commémoras, et in meliorem longe statum, quam illa fuerat,
» surrexisse. etc. (p. 5 j).
d'histoire et de littérature. 407
propre à éviter la confusion ! Il était si simple de désigner chacun des ms. par
les lettres de l'alphabet !
Les préoccupations qu'indique le passage que nous venons de citer se
retrouvent en pleine lumière dans le ch. III. Poussé par « la crainte de paraître
fastidieu.x, ;> M. de R y a manifestement cédé au désir de plaire aux gens du
monde. Tel est, en effet, dans une mesure qu'il importe d'ailleurs de ne pas
exagérer, le côté faible de l'ouvrage de M. de R. Ecrite dans une langue claire,
élégante, distinguée et qui rappelle le ton des meilleurs mémoires académiques,
son introduction oscille trop souvent entre les spéculations de la science pure et
les formes de la littérature superficielle. Malgré le soin qu'il prend de prémunir
les lecteurs contre les interprétations tirées des circonstances au milieu des-
quelles il a eu la pensée d'éditer à son tour le Liber diumus (p. 5), ils s'aper-
çoivent aisément que l'endroit de son travail qui porte sur « les causes de la
suppression » est celui qui a été l'objet de son attention la plus soutenue. Les con-
clusions de M. de R. sont incontestables, mais elles sont depuis longtemps admises.
L'exposition du point de fait pouvait tenir en une page et elle y tient (p 113).
Ce n'est pas pour soustraire à la connaissance du public l'assujettissement de la
cour de Rome à celle de Bysance que l'édition d'Holstein a été pendant 70 ans
gardée sous séquestre ; c'est parce que le cardinal Bona, chargé de l'examen
du livre, et frappé du passage relatif à la condamnation d'Honorius, déclara la
nécessité de vérifier dans l'original ce passage qui lui parut suspect, et que les
Cisterciens de Sainte-Croix n'avaient communiqué le ms. que sous le sceau du
secret, ce qui ne permit point de le connaître et d'y recourir. Pourquoi donc
M. de R. qui qualifie de « puérile, » (n" 70) tout autre direction des recher-
ches en cette matière se livre-t-il pendant quarante pages (73-1 1 3) précisément
à l'examen des relations des empereurs avec les papes depuis Constantin jusqu'au
viii* siècle ? Ce tableau est peint de couleurs vraies, mais dans l'espèce il est
inutile, et en général il n'apprend rien à personne. Il y a là une superfluité d'au-
tant plus étonnante de la part de M. de R. que les 40 pages dont il s'agit sont
pleines de renvois à des ouvrages tels que ceux du Prince de Broglie, du comte
Beugnot, d'Am. Thierry. A coup sûr il est fort honorable pour un écrivain de se
trouver d'accord avec des esprits aussi distingués ; mais un livre d'érudition a
besoin d'autorités d'une autre nature.
En revanche la seconde partie du chapitre III qui est bien dans le sujet : la
condamnation d'Honorius, est traitée avec justesse et sobriété. Ce serait un mor-
ceau définitif et capital, si certain désir de ménager des conventions étrangères à
la science ne perçait ça et là. M. de R. tient à se montrer gallican; il faut
excuser ces faiblesses. Toutefois la vraie et bonne condition pour l'étude, on ne
saurait trop le rappeler, est de faire abstraction de soi-même, et de mettre à
priori de côté toute opinion religieuse ou politique.
Le chapitre II se rattache au IV*. Il en panage toutes les qualités. C'est un
récit substantiel et limpide des destinées de notre formulaire. Il est complet et
ne laisse rien à désirer.
408 REVUE CRITIQUE
C'est sur le chapitre premier que s'exercerait principalement notre critique, si
elle était plus compétente. Malgré le sentiment de notre insuffisance, nous
allons essayer de marquer le point où nous serions en désaccord avec M. de
Rozière.
Le nouvel éditeur du Liber d'mrnus confond deux choses, selon nous, fort
distinctes, le recueil et le manuscrit. Que le manuscrit ait été écrit par le même
scribe, c'est ce que nous concédons volontiers, du moins c'est ce qu'aucune
des personnes qui l'ont vu ne met en doute. En est-il de mêmç des matières qui
en composent la substance, voilà ce que nous avons de la peine à admettre.
M. de R. aborde l'examen du formulaire, comme s'il avait affaire à un ouvrage
conçu dans un dessein déterminé, il lui attribue un auteur et lui assigne une
date. A l'exemple de ses devanciers et en suivant d'assez près le Père Garnier,
tout en combattant quelques unes de ses inductions, il place la rédaction du
livre diurne entre les années 685 et 754. Les raisons de ses décisions sonttirées
de la mention du 6" concile clos en 68 1 , de celle d& Constantin Pogonat qualifié
pie memorie (son décès est de septembre 685), enfin des suscriptions qui se
rapportent à l'époque de l'exarchat et qui n'ont pu subsister après l'élévation de
Pépin au patriciat de Rome (28 juillet 754). Nous accordons volontiers la date
extrême ; il est clair que l'assemblage du recueil ne doit pas la dépasser ; le
scribe n'aurait pas manqué d'y faire entrer la suscription relative au patrice, s'il
avait écrit dans la seconde moitié du viiie siècle. Mais ce raisonnement n'est pas
applicable aux dates initiales.
Quel est en effet le caractère d'un recueil, d'un recueil de formules surtout ?
M. de R. le reconnaît lui-même ailleurs, c'est de se former lentement par
juxtaposition, agrégation successive. Un pape distingué écrit une lettre , il en
reçoit d'un évêque instruit, d'un abbé versé dans la connaissance des belles-
lettres. Les officiers de la chancellerie pontificale sont frappés du mérite de la
rédaction ; ils prennent copie du document pour s'en servir à l'occasion (cette
origine est incontestable pour nombre de formules, voir notamment Ixxiij, Ixxiijj,
Ixxxv, sine rubrica). Réciproquement ils ont un acte à envoyer, ils éprouvent
quelque embarras, ils recourent à des documents anciens, ils choisissent ce qui se
rapporte à l'objet dont il s'agit, et le mettent en note pour le retrouver plus
aisément. De même ils gardent les meilleures correspondances adressées au
Saint-Père, afin d'en aider au besoin les personnes qui auront des demandes à
lui expédier (par exemple f. xviii Petitio episcopï). Peu à peu une tradition se
constitue, des règles s'établissent. Plus tard, quand les clercs, les notaires delà
chancellerie, leur chef peut-être, accueille l'idée de la rassembler en corps de
formules, il en reçoit de différentes mains, il les transcrit sans beaucoup d'ordre,
à mesure qu'on les produit. Et voilà qui explique , avec le nombre considérable
des formules ayant trait au même sujet, véritables variantes {Item, responsum),
la dispersion, l'éloignement les unes des autres des formules relatives à des
objets analogues (voir celles que nous avons citées plus haut à propos du
servage).
d'histoire et de littérature. 409
Maintenant le recueil est dressé ; viennent les années, les siècles, et après eux
les révolutions qu'entraîne le temps, qu'importe! l'usage du recueil subsiste.
On néglige la formule périmée, voilà tout. Il y a donc dans le Liber diurnus des
formules beaucoup plus anciennes les unes que les autres, il y en a du vu* et du
VIII* siècle, il y en a du vi* et du ve peut-être. Ce n'est pas l'œuvre d'un pra-
ticien, il n'y faut pas chercher un caractère d'unité, comme le veut M. de R.
Autrement, comment expliquer que l'empereur Constantin Pogonat figure comme
vivant dans les f. Ixxiij et Ixxxv et comme mort dans les f. Ixxxiii et Ixxviv ?
M. de R. se donne quelque peine à concilier la date du rétablissement de la
liberté des élections pontificales (684) par Pogonat avec celle qu'il assigne au
Liber diurnus, qui débute par les témoignages de la servitude des papes (p. xix,
xx}. Dans notre système, la difficulté ne se pose même point.
En résumé, l'édition du Liber diurnus^ que M. de R. offre au public, est au
fond excellente. Le seul regret qu'il nous soit permis d'exprimer, c'est qu'il n'en
ait pas tiré lui-même un enseignement doctrinal. Il nous semble qu'un degré de
plus dans l'effort le conduisait à une œuvre définitive, qui épuisait la matière et
ne laissait de place qu'à des contradictions partielles, contradictions inévitables,
car la science n'est jamais stationnaire , et la diversité des vues est le premier
élément de son progrès.
H. Lot.
Post-Scriptum. — Nous recevons, au moment oii nous quittons la plume, un
opuscule de M. de R. qui forme le complément de son livre. Ce travail donne
satisfaction, en partie du moins, aux désirs exprimés par nous. Suite naturelle
de l'ouvrage, le supplément en continue la pagination (4^4-51 Ç) et se termine
par une table des matières principales. Ce n'est pas encore tout ce que nous
aurions voulu, mais il y a là une véritable amélioration.
C'est la découverte tardive d'un exemplaire de l'édition de Gamier, enrichi
de notes autographes, qui a obligé M. de R. à publier VAddenda dont nous
parlons. Conservé à la bibliothèque Sainte-Geneviève (provenance : collège de
Clermont), ce volume est tombé par hasard entre les mains de l'auteur qui n'a
pas eu de peine à reconnaître qu'il avait affaire à l'exemplaire de Gamier lui-
même, et que les corrections ou additions manuscrites étaient l'œuvre person-
nelle du Père Jésuite. Pour tous les détails de cette trouvaille nous renvoyons
le lecteur aux explications de M. de R. Il faut nous contenter d'en indiquer les
résultats.
Le volume dont il s'agit a fourni à M. de R. i» un certain nombre de notes
de Gamier qui n'existent pas dans le commentaire joint par le savant Père à son
édition, 2° toute une dissertation, complète, inédite, de Gamier en réponse à
Marchesi. Cette réfutation, que notre Jésuite se proposait sans doute de publier
au moment de son brusque départ pour Rome (où une mort presque subite
l'empêcha d'arriver}, est louée par M. de R. avec beaucoup de raison. Elle est
pressante, pleine d'énergie, spirituelle et définitivement écrasante. Toutefois,
410 REVUE CRITIQUE
sans parler de certaines longueurs où l'emploi de la langue latine induit assez
habituellement les écrivains modernes (bien que le style de l'auteur soit parti-
culièrement correct et élégant), il y a dans l'argumentation de Garnier deux
points au moins où il prête le flanc à la critique.
Le dessein du Père Marchesi fut de détruire l'autorité morale et la valeur
historique du Liber diurnus, uniquement à cause de la formule où se trouve rap-
pelée la condamnation du pape Honorius. Ses vues sont donc absolument anti-
scientifiques. La même préoccupation l'a conduit à arguer de faux ou à contester
dans leur authenticité certaines décisions du VF concile. Mais de ce qu'une
solution est préconçue, partant viciée dans ses éléments de formation, il ne s'en
suit pas que les procédés mis au service de cette cause soient toujours défec-
tueux et impropres à produire d'utiles renseignements relatifs au débat. Quand
le Père Marchesi signalait des différences entre les formules du Liber diurnus et
les extraits qu'en ont donnés Ives de Chartres et Gratien, il marchait certaine-
ment dans une bonne voie. Et si au lieu de conclure à l'inexactitude ou à la
falsification du ms. du collège de Clermont, il avait simplement tiré de son
observation la conséquence légitime qu'il y a eu autrefois d'autres mss. contem-
porains du Liber que ceux qui nous sont parvenus, il aurait émis un avis fort
raisonnable et d'apparence assez plausible. Malheureusement la plupart de ses
arguments sont poussés dans un sens aussi éloigné que celui-là de leur valeur
naturelle, ou consistent dans des rêveries qui ne résistent pas à la critique.
Le Père Garnier, bien supérieur à son contradicteur, n'a pas toujours su, lui non
plus, éviter les paralogismes où attire Pexcès de la conviction. Voici par exemple
un de ses raisonnements: «Summus pontifex Gregorius II, qui primus hanc pro-
)) fessionem solenniter emisit (il s'agit de la formule LXXXIV Ste-Croix) approbat
» sextum concilium perinde ac priora quinque, et ea parte approbat qua damnatur
» Honorius, et damnationis causam adducit. Ergo dignus fuit Honorius qui dam-
)) naretur ' , quare prima Marchesii disputatio ruit funditus » (p. 45 3). Or, ce qu'il
faudrait prouver d'abord, c'est que la profession dont s'agit émane de Gré-
goire II. Garnier, qui le pense, est tellement convaincu du mérite de son argu-
mentation à cet égard, qu'il ne distingue plus une hypothèse de la réalité. Il
oublie que pour faire cadrer les textes avec son système il a supposé lui-même
que ce document est d'une teneur exceptionnelle, ce qui n'est pas conforme aux
résuhats que fournit l'étude de la diplomatique pontificale. Si Marchesi, s'em-
parant de l'imprudence de son adversaire, avait pu montrer que Garnier avait
arbitrairement transformé la nature de la pièce et lui dire pour conclure: « Ergo
Garnerii disputatio ruit funditus », qu'aurait répondu le savant jésuite ?
Quand, pour montrer l'unité du Liber diurnus, le Père Garnier en énumère
sept parties se suivant dans un ordre logique, il oublie encore que c'est à ses
I. C'est à dessein que nous ne sommes pas entré dans la discussion de cette question,
depuis longtemps épuisée pour l'histoire, que la controverse théologique peut seule conti-
nuer à agiter, et que M. de R. a résolue au besoin d'une façon définitive.
d'histoire et de littérature. 411
propres mains qae cet ordre est dû, et que les formules, telles que les offre le
ms., sont loin de présenter un ensemble aussi satisfaisant.
Nous arrêterons là des remarques déjà longues. Toutefois nous ne saurions
omettre la piquante révélation que M. de R. a trouvée dans la dissertation de
Gamier. Pendant que le Père Jésuite imprimait son livre, les agents de la cour
de Rome se faisaient remettre les bonnes feuilles par des ouvriers gagnés, et
c'est ainsi que l'attaque de Marchesi a pu paraître en même temps que l'édition.
« Folia, » dit le Père Jésuite, « priusquam liber in publicum prodiret, arte sibi
» comparavit, soUicitata operarum fide » (p. 455); et plus bas: « Semel cura
» operarum fidelitas sollicitata est, foliaque, priusquam publicarentur Parisiis,
» Romam a partium quarumdam hominibus transmissa. »
Recueillons enfin un mot qui, sans infirmer la valeur de l'observation de M. de
Rozière au sujet de l'attitude légèrement opposante, à l'endroit de la cour
romaine, de certains membres de la Société de Jésus à la fin du xvii^ siècle,
explique peut-être plus naturellement le mobile auquel le Père Garnier a cédé
en publiant le Liber diurnus. « Urget unus me, » dit-il, « veritatis amor, quem
» eruditi morunt » (ibid.). Il est impossible, dans tous les cas, d'exposer en
meilleurs termes une plus belle profession de foi.
H. L.
260. — F. G. Dahlmann's. QaeUenkunde der deutschen Geschichte. 3.
Auflage. — Quellen und bearbeitungen der deutschen Geschichte neu zusammengestellt
von G. Waitz. In-8*, xviij-224 p. Gœttingen, Dieterich, Univ. Buchhandlung, 1869.
— Prix : 4 fr.
En i8?o, Dahlmann publia, à l'usage, des élèves qui suivaient ses coursa
Gœttingue, une liste méthodique des sources originales et des ouvrages d'érudition
qui peuvent sennr à l'étude de l'histoire d'Allemagne. Il réimprima ce court manuel
en 1838 avec des additions importantes. Aujourd'hui M. G. Waitz, qui occupe la
chaire de Dahlmann à Gœttingue, en donne une troisième édition qui est en
réalité un livre nouveau. Depuis 1858 en effet, les études historiques ont pris
en Allemagne un immense développement ; un grand nombre d'ouvrages excel-
lents ont paru, beaucoup des sources inédites ont été publiées. Aussi les deux
tiers de la troisième édition de D. sont-ils entièrement nouveaux : elle compte
224 pages au lieu de 99, et tous les titres des ouvrages ou recueils vieillis, ou
des Hvres qui n'ont qu'un intérêt spécial, sont imprimés en petit caractère. L'or-
donnance du livre n'est pas moins nouvelle que son contenu. Elle est bien pré-
férable à celle de Dahlmann, qui avait pris pour cadre la série des leçons de son
cours. Voici les principales divisions de l'édition récente. La première partie
comprend les recueils et ouvrages généraux, relatifs à l'histoire d'Allemagne.
Elle se subdivise de la manière suivante :
I. Sciences auxiliaires de l'histoire: philologie, paléographie, diplomatique,
chronologie, etc. — II. Recueils de sources : i. Recueils généraux; 2. Historiens;
4» 2 REVUE CRITIQUE
3. Diplômes; 4. Actes diplomatiques; 5. Textes juridiques; 6. Chants et légendes;
7. Monuments (chacune de ces divisions indique successivement 1° les livres qui
servent de guides dans l'étude de chacune de ces spécialités; 2° les recueils
généraux; 30 les recueils relatifs à chaque contrée de l'Allemagne prise à part). —
III. Revues périodiques d'histoire et recueils de dissertations historiques. — IV. Ouvrages
de seconde main : i. Sur l'histoire d'Allemagne en général ; 2. Sur l'histoire parti-
culière des pays, villes, fondations ecclésiastiques; ?. Sur l'histoire de la société
et de la civilisation : constitution, église, classes, diètes et assemblées, associa-
tions, finances, instruction, etc. La deuxième partie comprend les sources et les
ouvrages de seconde main classés par époques; elle embrasse en six livres toute
l'histoire d'Allemagne, depuis le temps de la Germanie païenne jusqu'à la guerre
de 1866 et la constitution de la Confédération du Nord. Chaque livre comprend
plusieurs subdivisions. Par exemple le 2Mivre : L'Allemagne sous la domination
des Franks jusqu'au traité de Verdun, se divise en : i. Époque mérovingienne;
2. Introduction du christianisme en Germanie ; ?. Époque carolingienne ; 4. Droit
et constitution. Dans chacune de ces subdivisions nous trouvons l'indication ,
d'abord des sources, puis des ouvrages de seconde main les plus importants. —
Les écrits relatifs à la critique des sources sont indiqués en tout petits caractères
immédiatement au-dessous du document auquel ils se rapportent. — M. V/. n'a
ajouté aucune appréciation sur la valeur des divers ouvrages, et nous devons
approuver sa réserve.
Ce manuel sera surtout utile pour l'histoire des temps modernes depuis le
XIV* s. ; car pour le moyen-âge il est relativement facile de connaître la biblio-
graphie complète de chaque sujet, et nous possédions déjà de nombreux rensei-
gnements dans Wattenbach et dans Potthast. Le livre de M. W. sera pourtant
d'un puissant secours pour tous les étudiants, surtout pour les commençants,
grâce à sa disposition méthodique et chronologique. Nous possédons là, en 2812
numéros, classés avec clarté, tout ce qu'il est essentiel de connaître sur l'histoire
d'Allemagne. Pour qu'il fût tout à fait commode, il faudrait qu'il fût suivi d'un
index alphabétique des noms de tous les auteurs cités dans l'ouvrage. Il arrive
souvent qu'on se rappelle ou qu'on rencontre dans ses lectures un nom d'auteur
isolé, sans savoir avec exactitude le sujet ou l'époque sur lesquels il a écrit. Un
index alphabétique permettrait de retrouver dans le livre de M. W. l'indication
bibliographique qu'on cherche ; il permettrait aussi de dresser facilement la liste
des ouvrages historiques d'un même auteur.
C'est surtout aux étrangers que le livre de M. Waitz sera utile. Il est souvent
difficile de connaître tout ce qui a été publié d'important en Allemagne sur tel ou
tel sujet. Espérons que grâce à ce livre, nous n'entendrons plus certains de nos
compatriotes s'excuser de fautes grossières et depuis longtemps rectifiées, en
alléguant l'ignorance o\x ils sont des travaux publiés au delà du Rhin. Nous espé-
rons aussi que cet exemple ne sera pas perdu pour nous, et que nous verrons
bientôt paraître un guide semblable pour l'étude de notre histoire.
Qu'il nous soit permis en finissant de présenter une observation d'une portée
d'histoire et de littérature. 413
plus générale. Ce livre est -pour nous un exemple de la manière dont les
professeurs allemands comprennent les devoirs de leur vocation. Voilà deux
hommes célèbres par leurs travaux originaux, M. Dahlmann et M. Waitz, qui
ont consacré une part considérable de leur temps et de leurs efforts à une œuvre
sans utilité pour eux-mêmes ni pour leur gloire, uniquement parce qu'elle devait
être utile à leurs élèves. — C'est que bien loin de faire de la science un mono-
pole jaloux, leur seul désir est d'enseigner le plus rapidement possible tout ce
qu'ils savent à leurs élèves, pour que ceux-ci puissent à leur tour faire progresser
la science. Ils ne leur livrent pas seulement leurs résultats, au nom d'une autorité
professorale et dogmatique, ils leur donnent le secret de leur méthode ; ils les
font juges du détail tout entier de leurs travaux, et de la préparation même de
leurs œuvres. — Voilà ce qu'est le véritable amour de la science et de l'en-
seignement. Voilà ce qui permet de fonder des écoles scientifiques. Voilà pour-
quoi M. Waitz peut considérer avec orgueil les jeunes historiens de l'Allemagne
qui presque tous sont ses élèves et sont fiers de l'appeler leur maître.
G. MONOD.
261. — Leibniz's aBg3n?tischer Plan. Eine historisch-kritische Monographie von
D' K. G. Blumstengel. Leipzig, A. Lorenlz, 1869. In-8', 119 p. — Prix: 2 fr.
On ne connaît pas généralement en France le curieux projet d'une conquête
de l'Egypte, imaginé par Leibniz à l'adresse de Louis XIV, afin de détourner de
l'Allemagne le danger d'une invasion, que l'insatiable ambition de ce monarque
faisait craindre sans cesse à ses voisins. Ces plans d'ailleurs n'ont jamais été mis
en pratique et — ce qui est plus curieux encore — ils n'ont jamais été connus
dans leur ensemble par l'homme auquel ils étaient adressés. M. Blumstengel a
pensé non sans raison qu'une monographie complète du sujet, rendue plus facile
depuis l'apparition de l'excellente édition des œuvres politiques de Leibniz que
nous devons à M. Onno Klopp ', serait bien accueillie. Il a divisé son mémoire
en deux parties. Dans la première il nous donne le détail des négociations poli-
tiques entamées entre la France et l'Électeur Jean-Philippe de Mayence, surtout
pendant les années 1670 à 1673, ainsi que le récit des relations intimes qui
s'étaient établies vers cette même époque entre le ministre favori de l'Électeur,
Christian de Boynebourg et le jeune et brillant jurisconsulte qui devait être un
jour le grand Leibniz. On y lira comment Leibniz lui-même fit en 1672 le voyage
de Paris pour présenter ses mémoires à M. de Pomponne, alors ministre des
affaires étrangères, et comment ce ministre, avant même qu'il eût pu lui déve-
lopper ses projets, lui répondit que « les guerres saintes n'étaient plus à la mode
» depuis saint Louis. » Évidemment Louis XIV trouvait plus pratique de s'em-
I . Nous préférons ne point parler de celle de M. Foucher de Careil pour n'avoir pas
à répéter ici le jugement sévère de la Revue critique (1866, I, p. 289).
414 REVUE CRITIQUE
parer des Flandres et de ruiner la Hollande que d'aller conquérir au loin quelque
empire d'Orient. Lorsque Boynebourg, l'ami de Leibniz fut mort en décembre
1672 et que l'Électeur, son maître, l'eût suivi dans la tombe en février 1673,
les plans de Leibniz furent bientôt oubliés. Il n'en est resté que les mémoires
analysés en détail par M. B., et qui font admirer encore aujourd'hui le grand
jugement politique de Leibniz. La seconde moitié du mémoire de M. B. est con-
sacrée à l'histoire même de ces écrits. Ce n'est pas la partie la moins intéressante
du travail. M. B. y réfute l'opinion, émise il y a longtemps déjà par les Anglais
et répétée depuis par M. Thiers, que ces plans de Leibniz ont inspiré Bonaparte
dans son expédition d'Egypte ; il démontre que jamais aucun des mémoires du
philosophe n'a été déposé entre les mains de Louis XIV ou de ses ministres et
ne se trouvait par conséquent aux archives étrangères, et que leur existence n'a
été révélée que bien plus tard , au premier consul , alors que le général Mortier
les eut découverts à la bibliothèque de Hanovre, en 1805. M. B. rectifie,
chemin faisant, certaines indications de M. Klopp, ainsi que le travail de
M, Guhrauer, « sur le projet d'expédition en Egypte, présenté à Louis XIV par
» Leibniz, » inséré dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-
lettres, en 1839.
L'introduction de l'opuscule de M. B. est un peu longue; les considérations
générales sur le rôle des Ottomans en Europe y sont au moins trop développées,
sinon superflues. Le style est quelquefois d'un lyrisme qui fait sourire, comme à
la p. 42, où l'auteur compare les plans de Leibniz à un parc verdoyant, baigné
d'un air pur et couvert d'un ciel bleu! Relevons aussi une légère erreur dans
cette partie du travail. Philippe de Harlay, comte de Césy ne fut pas seulement
ambassadeur à Constantinople de 1620 à 163 1. Il y vint dès 16 19 et ne quitta
ce poste que vers 1645. M. de Marcheville ne fut qu'envoyé extraordinaire".
Les fautes d'impression et les négligences dans l'orthographe des noms propres
ne sont pas rares. P. 8, lisez Vévèque de Dax au lieu de l'évêque d'Ascq; p. 9,
Lepanto pour Lepento; p. 37, Oxensîjerna pour Ochsenstirn; p. 46, Chardin pour
Chardinen; p. 89, dissertatio pour dissertatis, etc. A la p. 114, l. 2, l'auteur a
écrit par négligence Ludwig au lieu de Leibniz.
Rod. Reuss.
VARIÉTÉS.
Une lettre de Hase à Raoul Rochette.
M. J.-M. Guardia veut bien nous communiquer cette lettre curieuse, dont il
possède une copie de la main de Diibner : on lira avec plaisir ce morceau non
moins prquant qu'instructif. Rappelons qu'en 1841 le gouvernement de Louis-
I. Voy. à la Bibliothèque impériale, manuscrits français, le n" 20977 Ambassadeurs
français à l'étranger et le n* 20983 Lettres originales de M. ae Césy.
d'histoire et de littérature. 415
Philippe demanda à l'Académie des inscriptions et belles-lettres une inscription
pour une médaille destinée à perpétuer le souvenir de la création des fortifications
de Paris. C'est dans le sein de la commission nommée à cet effet qu'eut lieu la
petite discussion qui motiva cette lettre. Ce fut, comme on devait s'y attendre,
l'opinion de Hase qui prévalut. On lit dans les Mémoires de l'Académie des inscrip-
tions, t. XIV, i'^ part., p. 61 : « Quant à la médaille des fortifications, l'Acadé-
» raie a proposé pour la légende : Securitas publica, et pour l'exergue : Luteîia
» munitionibus cincta. »
« 15 décembre 1841.
» Mon cher et savant confrère,
» Voulez-vous me permettre de revenir un instant sur nos tristes et pénibles
débats d'avant-hier à la commission des médailles ? Ce n'est pas pour attaquer,
c'est seulement pour faire mon apologie.
» Vous proposiez securitas regni au lieu de securitas publica. Mais songez donc
que, jusqu'à la décadence complète de la langue latine, regnum n'a jamais eu la
signification de Royaume dans le sens moderne, c'est-à-dire d'un pays civilisé
gouverné par un souverain d'après des lois justes.
» Regnum (je laisse de côté les significations plaisantes ou bizarres employées
dans les orgies des Romains, comme regnum vint) Regnum, dis-je, n'a que ces
deux acceptions : i ° gouvernement d'un pays étranger, régi tant bien que mal
par un chef barbare. Cette acception vous la connaissez aussi bien que moi. Les
proconsuls romains, commandant les frontières, aimaient assez parare, conciliare,
instituere, déferre, stabilire barbare, regnum. C'étaient les rapports de nos géné-
raux d'Afrique vis-à-vis des chefs bédouins. Ainsi dans Térence, Adelphes, II,
se. i , 21, Sannion maltraité et indigné s'écrie :
Regnumne, vEschine, hic tu possides?
2° Despotisme odieux, tyrannie insupportable. Voyez les passages que je trouve
en feuilletant dans Cicéron (Epist. ad famil. XII, 1) : Non regno, sed rege liberati
videmur. {De nat. Deor. I, 65) : Abuteris ad omnia regno et licentia. (Jn Verrem I,
35, en parlant à Hortensius): hta tua intolerabilis pofentia et ea cupiditas
Nunc vero, quoniam haec te omnis dominatio regnumque judiciorum tanto opère
delectat Jusque sous les empereurs, jusqu'à Claude même, crimen regni est
l'équivalent de haute trahison. Enfin, Cicéron prétend que dans un regnum il ne
peut y avoir ni société permanente et stable ni même de la bonne foi, de Ofjiciis,
I, 26 : Nulla sancta societas nec fides regni est.
Maintenant, qu'aurait-on dit en Italie et ailleurs où l'on connaît la valeur des
termes, si nous avions mis Securitas regni? On aurait cru, ou que nous ne
savons pas le latin, ou que nous avons voulu faire une critique sanglante de
l'ordre actuel des choses.
» Vous me direz que Royaume a une signification différente en français. Mais où
en serions-nous si, par un effet rétroactif, on voulait donner aux mots employés
par les Romains la signification que ces mêmes mots ont aujourd'hui dans les
4l6 REVUE CRITIQUE D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE.
langues néolatines ? Nous aurions donc du latin portugais, espagnol, français?
Pour dolor parturientis écririez-vous malum infantis, parce que nous disons mal
d'enfant? On arriverait bien vite au latin que parlent les médecins dans
Molière.
» Il m'est si pénible d'être en dissentiment avec vous, mon cher confrère, que
je redoute d'avance le moment où notre commission sera convoquée de nouveau
pour faire une autre inscription latine. Qu'arrivera-t-il ? Je sais fort mal le
français, un peu moins mal le grec ; mais depuis bientôt cinquante ans j'ai réfléchi,
pendant toutes mes lectures et avec tous les efforts de ma pauvre intelligence,
sur les acceptions et les nuances des mots employés par les auteurs latins depuis
Lucrèce jusqu'à la fin du premier siècle. Je ferai donc, si on le désire, une
inscription latine, le mieux ou le moins mal que je pourrai. Quelle qu'en soit la
rédaction, vous la désapprouverez, comme toujours, et vous en proposerez une
autre. Comme toujours aussi, j'adopterai cette dernière, si cela est moralement
possible; car je ne veux point vous contrarier. Mais s'il y a des phrases comme
securiîas regni, comment faire ? Vous vous animerez, vous direz des paroles bles-
santes. Je crois qu'alors j'aimerais mieux faire une maladie de deux mois que de
me trouver un quart-d'heure avec vous dans notre malheureuse commission.
» J'ai dit, mon cher confrère, tout ce que j'avais sur le cœur; et, encore un
coup, je n'accuse pas, je ne veux que me défendre. Ne répondez donc pas; vous
avez bien d'autres choses à faire, dans l'intérêt de la science. Jamais je n'oublierai
que je vous ai les plus grandes obligations; et à défaut de gratitude, une vive
sympathie m'entraînerait vers vous. C'est pour cela que je souffre tant de nos
disputes, si l'on peut appeler disputes des conférences où l'un s'emporte et où
l'autre ne dit rien. Il n'y a donc qu'une chose que je dirai toujours parce que je
la pense, savoir : que je vous aime et que je dois faire tout ce qui dépendra de
moi, pour me montrer, en toute occurence, le plus reconnaissant de vos con-
frères, le plus dévoué de vos collègues.
» Hase. »
Nogent-le-Rotrou, imprimerie de A. Gouverneur.
Archivio Storico Italiano. Série III. To-
mo X. Parte. 3 a dispensa del 1869. Fi-
renze (G. P. Vieusseux). S fr- 75
Atti délia Società Ligure di Storia patria.
Vol. VI. Fascicolo I et II. In-4', p. i a
673. Genova (tip. del Reale Istituto dei
Sordo-Muti).
Beimici (G.). Giorgio da Cappadocia e
Atanasio il Grande(3 12-371). In-12, 180
p. Palermo (L. Pedone-Lauriel). 2fr, 30
Bollettino délia Società Geografica Ita-
liana. Fasc. 3. Settembre 1869. In-8*,
560 p. con carte e piani. Torino e Fi-
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Borso d'Esté. Lettera inedita scritta in
Roma il di 15 aprile 1471 al suo Segre-
tario Giovanni di Compagno, nella quale
descrive la sua esaltazione a primo Duca
di Ferrara, preceduta da una lettera del
canonico G. Antonelli, Bibliotecario. In-
4*, 28 p. Ferrara (tip. di D. Taddei).
Bnsch (M.). Abriss der Urgeschichte des
Orients bis zu den medischen Kriegen.
Nach den neuesten Forschungen u. vor-
zûglich nach Lenormant's manuel d'his-
toire ancienne de l'Orient bearb. 3. Bd.
(Araber-Index). In-8*, 391 p. Leipzig
(Abel). jfr. 35
Fœrster (L. B.), (^aestio de Platonis
Phaedro. In-8*, vj-46 p. Berlin (Ebeling
et Plahn). 2 fr.
Gàtâ Ustavaiti latine vertit et explicavit
textum archetypi adhibitis Brockhausii,
Westergaardi et Spiegelii editionibus rec.
Prof. D' G. Kossowicz. Gr. in-8*, xiij-
137 p. Petropolis. Leipzig (Brockhaus'
Sort.). 8 fr.
Grimm (H.). Das Reiterstandbild d. Theo-
dorich zu Aachen u. das Gedicht des
Walafried Strabus darauf. Gr. in 8°, vj-
93 p. Berlin (Dùmmler's Verl.). 3 fr. 40
Justiniani digesta seu pandectae. Reco-
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^Kriegk (G. L.). Die Brùder Senckenberg.
Eme biogr. Darstellung. Nebst e. Anh.
ùber Gœthe's Jugendzeit in Frankfiirt a.
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1 109). In-8*, iv-i 13 p. Gœttingen (Van-
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lâpsius (L. G.). Chronologie der rœmi-
schen Bischœfe bis zur Mitte d. 4. Jahrh.
Gr. in-8*, xij-280 p. Kiel (Schwers). 8 f.
Mûller (M.). Essays. 2. Bd. Beitrasge z.
vergleich. Mythologie u. Ethologie. Nach
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Verf. ins Deutsche ùbertragen. Miteinem
ansfùhrl. Namen u. Sachregister. In-8*,
v-376 p. Leipzig (Engelmann). 8 fr.
Pabst (K. R.). Die Verbindung der Kùnste
auf der dramatischen Bùhne. In-8', xvj-
233 p. Bern (Haller). 4 fr. 75
Pfîzmaier (A.). Zur Geschichte des Zwi-
schenreiches v. Han. Wien (Gerold's
Sohn). I fr- 75
Schmidt (J. F. J.). Beitrasge zur physi-
kalischen Géographie von Griechenland
(Aus den « publications de l'observatoire
d'Athènes »). In-4*, 38 p. Athen (Wil-
berg). 3 fr. 40
Scholle (F.). Ueber den BegrifF Tœchter-
sprache. Ein Beitrag zur gerechten Beur-
theilung des Roman., namentlich des
Franzœsischen. In-8*, 85 p. Berlin (\Ve-
ber's Verl. Conto). 2 fr. 50
Stark (H. B.). Gigantomachie auf antiken
Reliefs u. der Tempel d. Jupiter Tonans
in Rom. Festschnft. Nebst i lithogr.
Tafel. In-4', 27 p. Heidelberg (Mohr).
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Voigtel (T. G.). Stammtafeln zur Ge-
schichte der europaeischen Staaten. Voll-
staendig umgearb. v. Privatdoc. L. A.
Cohn. 3. Hft. 2. Abth. In-fol. 42 p.
Braunschweig (Schwetschke u. Sohn).
3 ;>. 40
"Westphal (R.). Théorie der neuhoch-
deutschen Metrik. In-8*, XYiij-239 p. lena
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Zeno, od. die Légende v. den heil. drei
Kœnigen. — Ancelmus, vom Leiden
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